Vous êtes sur la page 1sur 15

Linguistique et pragmatique

A- L’activité de langage

* Une communauté d’hommes et de femmes parlent et écrivent en s’adressant les uns aux

autres. On dit qu’en faisant cela, ils « communiquent » leurs pensées et leurs sentiments à autrui,

et qu’ils agissent les uns sur les autres. C’est cette communication et cette action qu’on appelle

activité de langage, à savoir une activité qui ne relève pas du somatique mais de la parole ou de

l’écriture.

* Comme les membres d’une communauté humaine se comprennent entre eux, on dit qu’ils

parlent et/ou écrivent la même langue. Autrement dit, ils dénomment les choses et les états de

choses de la même manière, et quand ils tiennent des propos sur leur monde, ces propos sont

généralement équivalents et donc assimilables par les uns et les autres.

* Une « langue » est ainsi constituée par un ensemble commun à une collectivité humaine de

dénominations et de schèmes d’énonciation qui rendent possible aussi bien la tenue de propos

sensés sur le monde que la compréhension mutuelle. Les sociétés à écriture objectivent la langue

et rendent possible son enseignement sous forme de dictionnaires (les dénominations) et de

grammaires (les schèmes d’énonciation).

* Au sein d’un état moderne, les choses peuvent se présenter d’une manière plus ou moins

complexe. Au Maroc, par exemple, la situation sociolinguistique est faite du partage des centres

d’intérêts communautaires entre deux types de langues :

- langues de communication quotidienne (orales) : l’arabe marocain moderne avec ses variantes

régionales et le berbère marocain moderne qui, en fait, subsume trois langues différentes avec

chacune ses propres variations régionales : le tarifit, le tamazignt et le tachlhit ;

- langues d’administration et de gestion, principalement des langues écrites : l’arabe littéral


moderne et classique ainsi que le français standard moderne, Des tentatives récentes sont faites

pour standardiser une version écrite du berbère marocain sous le nom de l’amazigh, qui

deviendrait lui aussi une langue de culture et d’administration.

On peut donc, en plus de confectionner des dictionnaires et des grammaires pour les langues de

culture et d’administration, faire la même chose pour les langues de communication

quotidienne, sans jamais perdre de vue, bien sûr, qu’une langue de culture qui rend possible la

généralisation, l’abstraction et donc la conceptualisation de plus en plus sophistiquée rendant

possible la philosophie et la science, se constitue à travers des siècles de développement culturel

lié aux apports des différentes ethnies qui l’utilisent (l’arabe classique standardisé à l’époque

abbasside dérive de l’arabe coranique mais il est aussi le résultat de l’apport des Arabes du nord

ainsi que des Persans, des Andalous, des Berbères...). En Italie et en Allemagne, alors qu’on

dispose de plusieurs langues de communication quotidienne (les « dialectes » régionaux), on ne

connaît qu’seule langue de culture et d’administration : l’italien standard constitué à partir des

poèmes de Dante et l’allemand standard dérivé de la bible de Luther.

* L’activité de langage qui correspond à l’usage oral ou écrit d’une langue à des fins de

communication au sein d’une communauté socioculturelle se ramène, comme nous l’avons dit,

à deux opérations complémentaires :

- l’activité de dénomination de nature plutôt collective et qui a pour visée d’organiser

le monde de la communauté grâce à un travail taxinomique de classement. En effet, chaque

communauté attribue des noms aux « entités » concrètes et abstraites, perceptibles ou

imperceptibles qui constituent son univers d’expérience réel et/ou imaginaire, à savoir les êtres

et les objets ainsi que les relations spatiales, temporelles et logiques entre les êtres et les objets.

Cette activité de langage se trouve, généralement pour les langues de culture, consignée et

objectivée par le travail des lexicographes sous forme de dictionnaires ou de lexiques. Notons
que la dénomination peut être motivée pour les membres de la communauté, c’est-à-dire qu’ils

peuvent lui trouver une justification, par exemple à travers l’étymologie populaire, ou être

arbitraire dans le cas de l’absence de toute justification aux yeux des membres de la

communauté. L’unité de dénomination est ce qu’on appelle « mot » ou « expression » et dont

la structure formelle et sémantique varie d’une langue à l’autre. Par exemple, les langues

indoeuropéennes ont généralement recours à la structure Radical + Affixes, alors que les langues

sémitiques font usage de la structure complexe Racine consonantique + Schème vocalique). Cet

aspect du procès de la dénomination correspond essentiellement aux servitudes formelles ou

morphologiques, différentes d’une langue à l’autre, que les sujets parlants intègrent

inconsciemment. Rappelons le mot de Roman Jakobson selon lequel ce qui fait la spécificité

d’une langue n’est pas ce qu’elle permet de dire mais ce qu’elle oblige à dire.

- L’activité d’énonciation, c’est-à-dire de la production des énoncés, chaque fois

spécifiques, par les sujets parlants dans des situation de communication particulières. Si la

dénomination est collective et relève de la « langue », l’énonciation est individuelle et relève

du « discours ». Un énoncé, par exemple une phrase, possède plusieurs aspects déterminés par

l’activité de langage : un aspect grammatical (la structure morpho-syntaxique), un aspect

phonétique (l’intonation et l’accentuation), un aspect sémantique (la prédication). C’est ce

dernier aspect qui va nous retenir ci-après car les deux autres sont assez connus. La prédication

est un terme qui relève de la logique formelle qui conçoit la proposition, à savoir un « propos

» sur le monde qui peut être jugé comme vrai ou comme faux et faire ainsi partie d’un

raisonnement valide ou non valide, comme constituée d’un prédicat rapporté à l’aide d’une

copule à un sujet. Par exemple, la proposition

La terre est ronde

est constituée d’un sujet (la terre) auquel est rapportée la propriété qu’est la rotondité grâce à la
copule qu’est la verbe être. Le sujet est donc ce dont on parle, à propos de quoi on affirme

quelque chose de vrai ou de faux et le prédicat est ce qu’on dit du sujet.

En linguistique, on ne parle pas de proposition mais d’énoncé ou de phrase, même si

certains grammairiens recourent à ce terme en lui donnant un sens plus général que celui de la

logique formelle, car, pour le linguiste, il ne s’agit plus du problème de la vérité ou du

raisonnement valide mais de la manière dont une langue donnée permet de dire quelque chose

sur la réalité d’une communauté à un moment de son histoire. Ainsi, le sujet est tout ce dont on

peut dire quelque chose et le prédicat tout ce qu’on peut dire du monde grâce à la langue. Et,

c’est connu, on peut tout dire dans une langue, même des choses insensées ou contradictoires

du point de vue logique :

Paul est marié et non marié.


Ce cercle est carré.

La prédication est donc constitutive de tout discours produit dans un échange verbal, oral ou

écrit, et dont les unités ne sont pas les mots mais les énoncés ou les phrases. Les philosophes

ont constaté depuis longtemps qu’avec les phrases on agit les uns sur les autres. Cependant, il

faut préciser qu’une phrase ne constitue pas une action sur autrui en elle-même. C’est son usage

dans le processus de communication qui fait d’elle une action. Notons que les grammairiens de

la langue française (et d’autre langues aussi) ont répertorié les types de phrases selon les

différentes actions possibles qu’on peut réaliser dans un procès de communication :

- phrase assertive qui permet de faire une assertion (= l’action d’asserter) affirmative

ou dénégative dans la mesure où, avec ce type de phrase, on déclare une certitude et on réclame

implicitement des autres d’y adhérer et de nous croire :

La terre est ronde.


La terre n’est pas ronde.

- phrase interrogative qui implique la volonté de voir autrui réagir à notre parole pour
nous informer de quelque chose qu’on est censé ignorer : La terre est-elle ronde ?

- phrase intimative, dite aussi impérative dans la mesure où l’on manifeste la volonté

de voir autrui agir conformément à notre désir : Sors !

NB- La phrase dite exclamative n’est qu’un cas particulier, emphatique, de l’assertion.

B- La linguistique : son objet et ses composantes

- Le langage et les langues

*On affirme généralement que l'objet de la linguistique, à savoir ce qu'elle vise à étudier et à

expliquer, est constitué par le langage et les langues, celles-ci n'étant que des réalisations

différentes et variables, historiquement et géographiquement localisées, de la faculté du langage

constitutive de la nature humaine ; on le sait, l'homme est un bipède parlant. Le langage est donc

universel et transhistorique alors qu'une langue est limitée à une communauté à une période

donnée de son histoire.

*Il faut préciser cependant que le langage est l'objet de la linguistique mais non pas en tant qu'il

est étudié par la médecine, par l'anthropologie, la préhistoire, la psychologie, etc. mais en tant

que saisi et cerné à travers les langues. Il ne l'est pas donc, comme chez les disciplines

mentionnées, qui ne s'intéressent au langage qu'en tant que lié à l'activité cérébrale ou psychique

ou encore culturelle et symbolique.

*La linguistique ne prend pas pour objet la faculté du langage qui est visée par diverses

disciplines tels que la neurologie, la psychologie, la sociologie ou encore l'archéologie, etc., ni

Y activité de langage dans toute son extension en tant que faisant partie de l'appartenance
ethnique ou sociale (les variables socio-historiques ne sont pas du ressort du linguiste). Son

objet est constitué par l'intérêt porté à l'activité de langage mais seulement en tant que

communication de l'homme avec ses semblables, activité que l'être humain exerce grâce à la

faculté du langage qui le caractérise dans le règne animal dont il fait partie.La communication

est la production d’un signe verbal, oral ou écrit, révélateur de ce que l’individu veut dire à

autrui, de son rapport au monde qui l’environne ainsi que la transmission de ce vouloir-dire, à

travers le signe verbal produit, à ses semblables, en établissant de cette manière des rapports

intersubjectifs constitutifs de tous les rapports sociaux. En fin de compte la société humaine

n’est pas envisageable en dehors de l’exercice de la faculté du langage à des fins de

communication (vouloir-dire et intersubjectivité).

*Distinguons donc entre la faculté du langage qui fait partie du patrimoine génétique de

l’homme et qui est inscrite dans son ADN, et l’activité de langage, à savoir les divers usages du

langage, aussi bien l’usage lié à des variables socio-culturelles que son usage en tant qu’activité

signifiante de communication. Le langage est donc défini soit par sa nature (quoi ?) comme une

faculté spécifiquement humaine, soit par sa fonction (à quoi sert-il ?) : la communication

intersubjective. L’objet de la linguistique est constitué par le deuxième terme de l’alternative,

c’est-à-dire ce qui l’intéresse est ce qui rend possible la communication langagière entre les

hommes et par conséquent la formation des liens sociaux et communautaires.

- La communication

*La notion de « communication », essentielle pour l’étude de l’homme et de la culture, renvoie,

au sein des différentes écoles linguistiques, à trois aspects langagiers différents :

1- l’aspect cognitif de l’activité de langage. La cognition étant l’acquisition du savoir, il

s’agit dans notre cas de la communication comme faire-savoir quelque chose à autrui, autrement

dit de l’« informer » de quelque chose qu’il est censé ignorer. La communication linguistique
est ainsi, comme l’affirme André Martinet, une « compréhension mutuelle ». Dans la description

d’une langue par le linguiste adoptant ce point de vue, l’accent sera mis sur les notions

conjointes de « code » et de « message », dans la mesure où la langue sera conçue comme un

code qui permet la construction et la transmission de messages en nombre indéfini.

Pratiquement, le code linguistique est ramené à la fois à un « lexique » (ensemble d’unités) et à

une « grammaire » (ensemble de contraintes formelles pour conjoindre les unités du lexique au

sein des « messages »). Un « message » ne sera « encodé » ou « décodé » qu’en mettant en

œuvre le code (lexique et grammaire).

2- l’aspect psychosocial de l’activité de langage. Dans les études linguistiques qui

privilégient cet aspect, la communication langagière est considérée comme la mise en relation

intersubjective ou interindividuelle (Emile Benveniste, Oswald Ducrot). L’accent est ainsi mis

sur la manifestation de la « subjectivité » (affectivité, points de vue, ...) dans le langage ainsi

que sur les rapports de force ou de domination liés aux « rôles sociaux » des participants à

l’activité de langage. En effet, chaque rôle social (métier, degré de parenté, sexe.) implique

nécessairement un « statut social » (cette distinction entre « rôle » et « statut » est due à John

Lyons), à savoir le degré de domination exercé lors du procès de communication. L’idée d’une

communication transparente et bienveillante est rejetée pour mettre en avant une facette

conflictuelle et polémique de l’activité de langage : selon de le mot de Algirdas Julien Greimas,

« quelqu’un de convaincu est quelqu’un de vaincu ! »

3- l’aspect sémiotique (= signifiant) de l’activité de langage. Depuis Ferdinand de

Saussure, on caractérise une langue comme une « institution sémiotique » : d’une part, une

langue est une institution car elle relève du domaine social et s’impose à l’individu qui ne peut

exercer sur elle aucune action, et, d’autre part, elle est sémiotique dans la mesure où l’activité

de langage est signification, production du signe verbal qui suppose un vouloir-dire quelque
chose ou un vouloir-signifier quelque chose à autrui. En plus, avec Saussure, on s’est rendu

compte que la « culture », produite par la « société », est un ensemble de « systèmes de signes

» parmi lesquels la langue constitue le plus important système, dans la mesure où c’est grâce à

elle qu’on peut donner sens à tous les autres en permettant d’expliciter leur contenu (par

exemple, pour faire signifier un morceau de musique, on le caractérise verbalement comme «

triste » ou comme « gai », comme « complexe » ou « folklorique », etc.). La langue constitue

ainsi le signifiant de la culture. Autrement dit, une culture se manifeste et se signifie à travers

la langue ou les langues parlée(s) dans la société qui a produit ladite culture. Par exemple, on

peut se demander si la culture signifiée par le berbère marocain (ou l'une de ses variantes) est

différente, et dans quelle mesure, de la culture manifestée par l'arabe marocain (ou l'une de ses

variantes). Les études linguistiques qui privilégient cet aspect de l'activité de langage mettent

l'accent, dans leurs descriptions, sur les rapport entre la communication verbale et la culture, en

s'intéressant aussi bien aux champs notionnels ou lexicaux que renferme une langue qu'aux

discours codifiés et formulaires produits dans cette langue (traditions populaires, chants,

proverbes, mais aussi littérature, droit, etc.).

* L'activité de langage étudiée par la linguistique est donc la communication verbale (orale ou

écrite) dotée de trois aspects corrélés mais indépendants : l'aspect cognitif ou la compréhension

mutuelle, l'aspect psychosocial ou la mise en relation intersubjective et sociale, l'aspect

sémiotique ou la culture en tant que signifiée par la langue. Ces trois aspects peuvent être

synthétisés pour caractériser la communication langagière qu'on peut définir donc comme la

volonté de se faire comprendre d’autrui en exerçant la faculté du langage dans le cadre d’une

langue donnée et en tenant compte, consciemment ou inconsciemment, des institutions et des

conventions de la société où ladite langue est employée.


- Les composantes de la description linguistique

*Il faut se rappeler que la réalisation de toute activité de langage qu’elle soit orale ou écrite

possède une nature double ou duelle dans la mesure où elle a un côté perceptible saisi par l’ouïe

ou la vue et un aspect intelligible, à savoir un contenu compréhensible. En effet, il est bien

connu que la langue, réalisation sociale du langage, est forme (comment en parler ?) et sens (de

quoi parler ?).

*La linguistique qui n’est pas à confondre avec la « grammaire » (voir infra), étudie tous les

moyens formels (forme) et sémantiques (sens) qu’offre une langue donnée pour se faire

comprendre d’autrui en disant quelque chose du monde et en établissant des rapports cognitifs

et affectifs avec les autres membres de la société. La question centrale à laquelle tente de

répondre la linguistique dans ses descriptions et qui constitue son principe de pertinence (ce

qu’elle retient de toutes les données langagières) parmi les autres sciences qui s’intéressent au

langage est : quels sont les éléments (unités et agencements) d’une langue qui rendent la

communication possible ? Il s’agit donc pour elle de mettre au jour, au sein d’une langue

donnée, des conditions formelles et sémantiques de la communication avec ses trois aspects :

cognitif, psycho-social et sémiotique.

*Il ne faut jamais confondre, comme on le fait parfois sous l’influence de l’usage du mot

grammar par la linguistique américaine, la linguistique et la grammaire. Celle-ci adopte un

point de vue normatif (usage correct d’une langue) dans la mesure où son champ d’application

est l’enseignement des langues normalisées ou la fixation de la lecture des textes sacrés ou

littéraires. Pour sa part, la linguistique adopte un point de vue scientifique qui consiste en

décrire et expliquer le fonctionnement de la communication langagière réalisée dans une langue

particulière sans aucun jugement de valeur.

*Traditionnellement, le champ couvert par la linguistique se répartit en plusieurs composantes.


C’est ainsi qu’elle articule son champ d’investigation, à savoir le langage saisi à travers les

langues parlées ou seulement écrites, mortes ou vivantes, grâce à des corpus d’énoncés oraux

et/ou écrits (le linguiste remonte ainsi du corpus particulier vers la langue qui a permis sa

production et de celle-ci, par comparaison et généralisation, vers le langage) en trois

composantes susceptibles chacune de comporter plusieurs subdivisions. Le tableau suivant

présente ces composantes en les mettant en parallèle avec l’attitude normative de

l’enseignement des langues :

Linguistique (point de Lexicologie Morphosyntaxe Phonologie


vue scientifique) (morphologie (contraintes (phonématique et
lexicale et morphologiques et prosodie)
sémantique lexicale) syntaxiques)
Enseignement des Vocabulaire Grammaire (le Bon Prononciation
langues (point de vue (acquisition d’un usage) (phonétique
normatif) stock de mots et corrective)
d’expressions)

*S’agissant d’étudier une langue, deux points de vue sont donc possibles :

- le point de vue normatif qui débouche sur la didactique des langues : comment

enseigner à communiquer correctement dans telle ou telle langue ? En didactique du français,

par exemple, visant l’enseignement de cette langue à de non natifs, on a proposé comme moyen

de communication à assimiler le « F.L.E. » ou encore le « français fondamental » ;

- le point de vue scientifique de la linguistique se formulant sous forme de l’interrogation

suivante : comment la communication entre les individus parlant telle ou telle langue est-elle

rendue possible par l’usage de ladite langue ?

*On ne prenant en considération que les trois domaines d’étude que sont la phonologie, la

lexicologie et la morphosyntaxe, on peut dire que la linguistique s’intéresse au fonctionnement

de l’activité de langage, c’est-à-dire à ce qui rend la communication possible dans une langue
donnée ou comment une langue fonctionne pour rendre la communication possible. Cependant,

un autre point de vue sur l’activité de langage est possible si l’on suit l’adage, souvent mal

compris, de Ludwig Wittgenstein « meaningisuse » : le sens, c’est l’usage ou, plus exactement,

le sens d’une expression linguistique (mot ou énoncé) est ce qu’on peut faire avec elle dans un

cas particulier de l’interaction sociale médiatisée par l’activité de langage, à savoir ce que

Wittgenstein appelle « jeu de langage », language game ou Sprachspiel. On peut donc tabler

sur l’usage de l’activité de langage et non seulement sur son fonctionnement : que fait-on avec

le langage dans le cadre des interactions sociales ? Que nous permet de faire le langage dans le

cadre des relations entre les individus partageant la même langue ?

*Pour comprendre cette distinction entre le fonctionnement et l’usage, on peut faire appel à un

exemple simple : la connaissance du fonctionnement mécanique de l’automobile ne permet pas

nécessairement de prévoir son usage en société qui, lui, obéit à d’autres impératifs culturels (=

sémiotiques) tels que, par exemple, le respect du code de la route. Autrement dit, on peut être

bon mécanicien et ne pas savoir conduire correctement une voiture !

C- La pragmatique : langage et action

*La réponse à la question : que nous permet de réaliser l’activité de langage au sein de la

société ? semble évidente dans la mesure où l’on sait qu’elle rend la communication

intersubjective (compréhension mutuelle liée aux conventions socioculturelles) possible au sein

de la société. Mais, au fond, qu’est-ce que communiquer avec autrui ? Et, plus généralement,

quelles sont les conditions de la communication sociale médiatisée par l’activité de langage ?

C’est là l’objet propre à la pragmatique qui vise donc à étudier la communication langagière

comme pratique, action ou faire : que faisons-nous quand nous communiquons avec autrui

grâce à l’activité de langage ?


*L’activité de langage peut donc être approchée de deux façons différentes mais

complémentaires : par la linguistique qui vise son fonctionnement ou par la pragmatique qui,

elle, table plutôt sur son usage.

*Il faut quand même préciser que la pragmatique n’étudie pas l’usage extrinsèque de l’activité

de langage dans les rapports humains, à savoir ce qu’on peut faire avec le langage : convaincre,

persuader, manipuler, tromper, séduire, etc. Si cela était le cas, la pragmatique ne serait qu’une

simple continuation généralisante de la rhétorique, surtout de la composante de celle-ci dite

Elocutio, visant à connaître l’usage optimal qu’on peut faire de l’activité de langage pour

convaincre autrui et l’amener à adopter notre façon de voir. En effet, outre que la pragmatique

est descriptive et la rhétorique normative, il faut ajouter que celle-là étudie ce qu’on fait en

parlant et non ce qu’on fait par la parole. Il s’agit donc de l’usage inhérent à l’activité de

langage. Donnons un exemple pour clarifier cette distinction entre les deux types d’usage : une

chaise est faite pour s’asseoir ; en tant qu’objet manufacturé reconnu socialement, elle est

prévue pour cela et pas pour autre chose ; c’est son usage inhérent (constitutif). Cependant, la

chaise peut parfaitement être utilisée comme échelle pour changer une lampe grillée ou comme

arme pour frapper quelqu’un ; c’est son usage extrinsèque non prévu socialement et lié à des

variations individuelles imprévisibles.

*Historiquement parlant, le terme « pragmatique » qui désigne en premier lieu la théorie de

l’action développée par les philosophes, découle du terme anglais « pragmatics ». Celui-ci

renvoie à une composante de la « sémiotique » (« semiotics », étude de la sémiosis) telle que la

conçoit, dans la lignée de Charles Sanders Peirce, la philosophe américain Charles William

Morris et, à sa suite, tout le positivisme (ou empirisme) logique. Pour Morris, la sémiosis, à

savoir la mise en rapport du « signe », de l’« objet du signe » et de l’« interprète du signe » (par

exemple, une phrase, l’état de choses qu’elle désigne et le récepteur qui interprète la phrase
comme renvoyant à l’état de choses), possède trois dimensions étudiées chacune par une

discipline indépendante au sein de la sémiotique (voir, Charles William Morris, « Fondements

de la théorie des signes », traduction des trois premiers paragraphes de « Fondations of the

theory of signs » publié dans International Encyclopedia of Unified Science , 1, 2, University

of Chicago Press, 1938, dans Langages, 35, 1974, Paris, Larousse, p. 19) :

- la « syntactique » étudie la dimension syntaxique de la sémiosis, à savoir les

conditions formelles de sa « bonne formation » ;

- la « sémantique » prend en charge la dimension sémantique de la sémiosis, à savoir

ses conditions de vérité ;

- la « pragmatique » étudie la dimension pragmatique de la sémiosis, c’est-à-dire ses

conditions d’efficacité.

Par exemple, soit l’énoncé suivant proféré d’une certaine manière, dans certaines conditions :

Ferme la porte !

Ce cas particulier de sémiosis, mettant en rapport des signes verbaux et des signes non verbaux

(gestes, mimiques) a trois dimensions :

- syntaxique : la mise en rapport des différents signes : l’énoncé doté d’une certaine intonation

et le comportement somatique qui peuvent fonctionner comme des interprétants les uns des

autres ;

- sémantique : la mise en rapport des différents signes avec la réalité dans laquelle se trouve

situé ce cas de sémiosis : il faut qu’il y ait une porte ouverte, par exemple, sinon nous avons un

cas absurde de sémiosis (un « non-sens ») ;

- pragmatique : c’est l’interprétation de ce cas de sémiosis par le récepteur : est-ce qu’il a le


droit de me donner un ordre, de s’adresser à moi en agitant la main de cette façon, en élevant

la voix, etc. ?

Dans les manuels francophones de linguistique, on définit la dimension pragmatique comme «

le rapport des signes avec leurs utilisateurs », alors que Morris écrit clairement qu’il s’agit de

« la relation des signes aux interprètes », c’est-à-dire que la sémiotique visera l’étude de

l’efficacité des signes sur les interprètes (réels ou éventuels) de ces signes. Par exemple, quand

je donne un ordre et qu’on m’obéit, ma communication est efficace, sinon elle ne l’est pas.

*Comme étude de la seule activité de langage et non de l’activité sémiotique en général, on

peut dire que l’objet de la pragmatique est d’envisager cette activité comme étant une « jeu

socio-culturel », selon le mot de Ducrot. Sachant qu’un jeu est une confrontation réglée entre

partenaires, chacun de partenaires visant à être efficace en l’emportant, il s’agit donc pour la

pragmatique de prendre en considération les participants à l’activité de langage et les règles

socio-culturelles qui la régissent [une règle est la formule prospective qui indique la voie à

suivre pour atteindre un certain but]. Donc, on peut dire que l’« usage inhérent » au langage

correspond à la communication verbale en tant qu’activité socioculturelle et intersubjective

supposant des partenaires (intersubjectivité) et des règles régissant cette activité, règles établies

par la société et la culture auxquelles appartiennent les partenaires.

*Il faut préciser, pour terminer, que la pragmatique est loin de constituer un champ d’études

unifié. Il s’agit plutôt de plusieurs points de vue sur l’activité de langage. Cela est dû au fait que

la pragmatique est le lieu de rencontre d’études provenant aussi bien de la philosophie du

langage qui a pour but de conceptualiser l’activité de langage, c’est-à-dire de mettre en avant

l’élaboration de concepts [un concept est un terme subsumant une classe d’objets sur la base

d’une définition mettant en évidence des traits distinctifs de plus en plus précis] permettant

d’étudier le thème philosophique des rapports entre le langage et l’action, que de la linguistique
visant à décrire le fonctionnent des langues en mettant toujours en rapport la forme et le sens :

toute variation sur l’un des deux plans implique nécessairement une variation concomitante sur

l’autre (cf. la commutation, la substitution, les variantes contextuelles, etc.). Le philosophe du

langage, lui, met plutôt l’accent sur le sens et la forme ne l’intéresse qu’accessoirement.

*Il faut ajouter aussi que, parmi les linguistes, certains considèrent que la pragmatique est une

discipline indépendante de la linguistique même si toutes les deux visent à élucider l’activité de

langage. D’autres, au contraire, considèrent que la pragmatique peut légitimement faire partie

de la linguistique et parlent donc d’une pragmatique linguistique.

Vous aimerez peut-être aussi