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Le langage.
Introduction
L’homme vit en société, dans le monde, et le langage serait le moyen pour communiquer à ses
congénères des informations sur lui-même ou sur le monde.
Comment cela peut-il se faire ?
Si le sens des choses existe déjà comment en est-on venu à l’exprimer par un son ou par un
graphe ?
Pourquoi celui-ci plutôt que celui-là ?
Comment peut-il y avoir des langues différentes si le sens préexiste ?
Ce sont ces questions que Platon pose dans le Cratyle : les noms sont-ils des conventions ou
bien expriment-ils naturellement ce qu’ils veulent dire ?
Tant que l’on considère le langage comme seulement un moyen de communication, on ne
peut sortir de ce dilemme. L’oiseau n’a pas plus à apprendre à chanter que l’homme à crier
lorsqu’il a mal ; alors que nulle langue ne peut être parlée sans avoir été apprise.
Le problème n’est pas tant de chercher l’origine du langage pour trouver la faculté naturelle,
mais, selon le projet de la linguistique, d’analyser le système que forme une langue.
Les conséquences de l’analyse linguistique vont mettre en relief l’intuition qu’avaient eue
quelques philosophes sur la nature des relations entre le langage et la pensée : en effet,
comment décrire la pensée la plus intime autrement que par des mots ?
Devra-t-on dire que la pensée est un effet du langage ?
Et si nous n’avions rien à dire, pourquoi nous sommes nous mis à parler ?

I - Le langage, conventionnel ou naturel ?


Les mots sont-ils des conventions ou bien expriment-ils naturellement ce qu’ils veulent dire ?
Quel problème exprime ce dilemme ?
 Si les mots sont pures conventions (c’est la thèse d’Hermogène dans Cratyle de Platon),
alors ils ne veulent rien dire en dehors de cette convention ; la conséquence est que l’on
risque de ne pas se comprendre. De plus, comment établir cette convention sans une langue
commune ?
 Mais s’ils signifient naturellement (c’est la thèse de Cratyle), comment des mots différents,
dans les différentes langues, peuvent-ils signifier la même chose ?
Texte :
HERMOGÈNE.
Cratyle que voici prétend, mon cher Socrate, qu’il y a pour chaque chose un nom qui lui
est propre et qui lui appartient par nature; selon lui, ce n’est pas un nom que la
désignation d’un objet par tel ou tel son d’après une convention arbitraire; il veut qu’il y
ait dans les noms une certaine propriété naturelle qui se retrouve la même et chez les
Grecs et chez les Barbares. Je lui demande alors si le nom de Cratyle est ou n’est pas
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son nom véritable : il avoue que tel est son nom. Et le nom de Socrate, lui demandai-je
encore ? C’est bien Socrate, me répond-il. Et de même, pour tous les autres hommes,
leur nom n’est-il pas celui par lequel nous désignons chacun d’eux ? Non pas, me dit-il,
ton nom n’est pas Hermogène, quand même tout le genre humain t’appellerait ainsi. Là-
dessus, je l’interroge, curieux de comprendre enfin quelque chose à son opinion; mais il
ne s’explique pas et se raille de moi, se donnant l’air d’avoir par devers lui sur cette
matière des idées qui me forceraient bien, s’il voulait m’en faire part, de me ranger à
son avis et de dire tout comme lui. Si par hasard, Socrate, il t’était possible de
débrouiller les oracles de Cratyle, j’aurais du plaisir à t’entendre. Mais j’en éprouverais
plus encore à savoir de toi, si tu y consens, quelle est ta façon de penser sur la propriété
des noms.
SOCRATE.
Ô Hermogène, fils d’Hipponicus, c’est un vieux proverbe que les belles choses sont
difficiles à apprendre. Et vraiment ce n’est pas une petite affaire que l’étude des noms.
A la bonne heure, si j’avais entendu chez Prodicus sa démonstration à cinquante
drachmes par tête, qui nous fait connaître, à ce qu’il dit, tout ce que l’on doit savoir à cet
égard : il ne tiendrait à rien que tu n’apprisses à l’instant même la vérité sur la propriété
des noms. Mais quoi! je n’ai entendu que sa démonstration à une drachme; je ne puis
donc savoir ce qu’il y a de vrai sur ce sujet: néanmoins me voilà tout prêt à chercher en
commun avec toi et avec Cratyle. Quant à ce qu’il dit, qu’Hermogène n’est pas
véritablement ton nom, je suis tenté de croire qu’il veut plaisanter. Il entend peut-être
par là que, poursuivant la richesse, elle t’échappe toujours. Quoi qu’il en soit, la
question, comme je l’ai dit, est difficile; examinons-la, et voyons si c’est toi qui as
raison ou bien si c’est Cratyle,
HERMOGÈNE.
Pour moi, Socrate, après en avoir souvent raisonné avec Cratyle et avec beaucoup
d’autres, je ne saurais me persuader que la propriété du nom réside ailleurs que dans la
convention et le consentement des hommes. Je pense que le vrai nom d’un objet est
celui qu’on lui impose; que si à ce nom on en substitue un autre, ce dernier n’est pas
moins propre que n’était le précédent : de même que si nous venons à changer les noms
de nos esclaves, les nouveaux qu’il nous plaît de leur donner ne valent pas moins que
les anciens. Je pense qu’il n’y a pas de nom qui soit naturellement propre à une chose
plutôt qu’à une autre, et que c’est la loi et l’usage qui les ont tous établis et consacrés.
S’il en est autrement, je suis tout disposé à m’en instruire et à écouter Cratyle, ou qui
que ce soit.
SOCRATE.
Tu peux avoir raison, Hermogène : et bien, examinons.
Platon, Cratyle (383a - 384e); traduction Victor Cousin.
Hermogène confond conventionnel et arbitraire.
Cratyle (sophiste) remarque qu’il ne nous appartient pas d’instituer le sens d’un mot et que
lorsque nous entendons un mot nous n’avons pas le choix de penser à telle ou telle autre
chose.
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Le problème de l’origine conventionnelle au naturel du langage n’a de sens que dans la


mesure où l’on considère le langage comme un mode de communication.
En effet, le dialogue ne répond aux problèmes de la diversité des langues que par la
déformation d’une langue originelle.
Or, le simple faite de pouvoir se transformer indiquer une indépendance par rapport au
déterminisme naturel : les modes de communication naturelles ne se diversifient pas.
Nous devons donc nous demander si le langage peut se réduire à un mode de communication.

II - Langage et communication.
La communication, les moyens de communication appartiennent au déterminisme naturel.
Chaque espèce, et jusqu’aux végétaux, possède naturellement, sans avoir besoin de
l’apprendre, des moyens de communication : les fourmis communiquent entre elles,
notamment au moyen de phéromones :
Lorsqu’une ouvrière a trouvé une source de nourriture, elle dépose une piste chimique de
phéromones, des molécules produites dans son abdomen par différentes glandes. Les
ouvrières de la colonie en recherche de nourriture qui croisent cette piste vont la suivre. Elles
déposent elles aussi des phéromones de piste lors de leurs trajets retours. De cette manière,
une seule ouvrière peut communiquer l’emplacement d’une source de nourriture à des
centaines d’autres fourmis. C’est ainsi que l’on peut observer des colonnes de fourmis sur le
sol ou le long des murs.
Les abeilles étudiées par Karl von Frisch communiquent naturellement par des danses en
forme de « 0 » et de « 8 » :
Une danse en rond sur les rayons de cire dans l'obscurité de la ruche indique que la source de
nectar est proche, dans un rayon de moins de cinquante mètres.
Une danse en huit indique une ressource en nourriture située à une plus grande
distance. La danse frétillante est d'autant plus rapide que la source de nourriture est
proche ; elle est d'autant plus vive, et de longue durée, que le nectar est abondant et
riche en sucre
https://tecfa.unige.ch/tecfa/teaching/UVLibre/0001/bin35/abeilles/danse/danse.html

Quelle différence y a-t-il entre ces moyens de communication et le langage ?


 Les abeilles n’ont pas de langues différentes.
 D’autre part jamais une abeille ne pourra effectuer la danse sans avoir vu la source de
nourriture ni, ne pas l’effectuer, si elle l’a vu.
Cette différence est la même que celle entre un mot et un cri qu’étudie André Martinet dans :
Élément de linguistique générale, chap. 1, § 8 p.14: « Chaque cris est inanalysable et
correspond à l’ensemble inanalysé de la sensation douloureuse. Tout autre, est la situation si
je prononce la phrase : « j’ai mal à la tête ». Ici, il n’est aucune des six unités successives (…)
qui correspondent à ce que ma douleur a de spécifiques ».
C’est cette différence qui va mettre en lumière la nature du langage.
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Texte :
Une différence capitale apparaît aussi dans la situation où la communication a lieu. Le
message des abeilles n'appelle aucune réponse de l'entourage, sinon une certaine
conduite, qui n'est pas une réponse. Cela signifie que les abeilles ne connaissent pas le
dialogue, qui est la condition du langage humain. Nous parlons à d'autres qui parlent,
telle est la réalité humaine. Cela révèle un nouveau contraste. Parce qu'il n'y a pas
dialogue pour les abeilles, la communication se réfère seulement à une certaine donnée
objective. Il ne peut y avoir de communication relative à une donnée « linguistique »;
déjà parce qu'il n'y a pas de réponse, la réponse étant une réaction linguistique à une
manifestation linguistique; mais aussi en ce sens que le message d'une abeille ne peut
être reproduit par une autre qui n'aurait pas vu elle-même les choses que la première
annonce. On n'a pas constaté qu'une abeille aille par exemple porter dans une autre
ruche le message qu'elle a reçu dans la sienne, ce qui serait une manière de
transmission ou de relais. On voit la différence avec le langage humain, où, dans le
dialogue, la référence à l'expérience objective et la réaction à la manifestation
linguistique s'entremêlent librement et à l'infini. L'abeille ne construit pas de message
à partir d'un autre message. Chacune de celles qui, alertées par la danse de la
butineuse, sortent et vont se nourrir à l'endroit indiqué, reproduit quand elle rentre la
même information, non d'après le message premier, mais d'après la réalité qu'elle vient
de constater. Or le caractère du langage est de procurer un substitut de l'expérience
apte à être transmis sans fin dans le temps et l'espace, ce qui est le propre de notre
symbolisme et le fondement de la tradition linguistique.
É. Benveniste, Problème de linguistique générale 1, Chap. V, Communication animal et
langage humain. Gallimard Tel, pp : 60-61.

« Le message des abeilles n'appelle aucune réponse de l'entourage, sinon une certaine
conduite ».
Parce qu’il n’y a pas de dialogue pour les abeilles, la communication se réfère à une certaine
donné objective.
Il ne peut y avoir de communication relative à une donnée linguistique : le message d’une
abeille ne peut être reproduit par une autre qui n’aurait pas vu, elle-même, les choses que la
première annonce.
La différence essentielle entre le langage et la communication est la possibilité pour le
langage d’être indépendant de la réalité en question et même de toute réalité.
Là, où, la communication est inséparable de la réalité communiqué, le langage est autonome
par rapport à son message : « Il n’y a pas de rapport nécessaire entre la référence objective et
la forme linguistique » écrit É. Benveniste.

III - La linguistique.
C’est à partir de cette séparation entre le mot et le référent que la linguistique moderne va se
développer avec notamment les travaux de Ferdinand de Saussure (1857 - 1913).
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Fondateur de la linguistique, Ferdinand de Saussure étudie la langue comme un système de


signes à un moment donné (étude synchronique), contre la grammaire comparée qui suppose
que les langues modernes sont le résultat de transformations à partir d’une langue originaire,
de l’indo-européen par exemple, (point de vue diachronique).
La linguistique saussurienne se fonde sur des distinctions conceptuelles :
1) Langage - Langue - Parole.
Le langage c’est la faculté de parler une langue.
 D’une part, il y a la langue que l’on parle : le français, l’anglais … composée de son
lexique et de sa syntaxe.
 D’autre part, il y a la parole que l’on profère dans une langue : un ensemble de
phrases particulières.
La langue est abstraite : elle n’existe nulle part en dehors de ses réalisations par la parole
orale ou écrite ; pas même dans les dictionnaires et les livre de grammaire.
La parole est concrète, réelle, enregistrable ; mais elle n’épuise pas la totalité de la langue ;
une langue n’est pas un ensemble de paroles, encore moins une liste de mots (conception
taxinomique ou nomenclaturale de la langue).
La langue est un système où une structure que l’individu reçoit de l’extérieur, déjà constitué.
La parole est la réalisation localisée de la structure par un individu.
On n’apprend pas l’ensemble des phrases toutes faites d’une langue ; mais une structure qui
permet de les faire toutes.

L’objet de la linguistique est la langue c'est-à-dire l’étude du point de vue synchronique de la


langue conçue comme un système de signes.

2) Signe - Sfiant/Sfié - Référent.


La linguistique définit le signe indépendamment de son rapport au référent (chose dans le
monde à laquelle le signe se réfère).
« Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image
acoustique. »
Cela signifie qu’il n’y a rien dans l’éventuel référent qui impose tel signe plutôt que tel autre ;
mais également qu’il n’y a rien dans un signe qui justifie qu’il le soit de tel référent plutôt que
de tel autre (n’importe quel signe aurait pu l’être de n’importe quel référent).
Cette indépendance du signe et du référent est particulièrement visible dans le fait qu’il existe
de nombreux mots (signe linguistique) sans référent : « mais », « ou », « donc »
etc. « justice », « bonheur » etc. mais, également, dans le fait que les noms communs
désignent des ensembles et non des individus : « arbre » désigne tant un cyprès qu’un chêne ;
« cheval » désigne l’ensemble des chevaux, toute espèce confondue.
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On retrouve cet arbitraire dans la relation qui unit le Signifiant au Signifié : « Le lien unissant
le signifiant au signifié est arbitraire. »

Image Signe
acoustique
≠ son Signifiant
Référent (éventuel)
Image Signifié
psychique
≠ sens

Arbitraire ne signifie pas conventionnel mais immotivé : « l’idée de « sœur » n’est liée par
aucun rapport intérieur avec la suite de sons s-ö-r qui lui sert de signifiant ».
Texte :
§1. Signe, signifié, signifiant.
Pour certaines personnes la langue, ramenée à son principe essentiel,
est une nomenclature, c’est-à-dire une liste de termes correspondant à
autant de choses. Par exemple :
Cette conception est critiquable à bien des égards. Elle suppose des
idées toutes faites préexistant aux mots; elle ne nous dit pas si le nom
est de nature vocale ou psychique, car arbor peut être considéré sous
l'un ou l'autre aspect ; enfin elle laisse supposer que le lien qui unit un nom à une
chose est une opération toute simple, ce qui est bien loin d’être vrai. (…)
Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept
et une image acoustique. Cette dernière n’est pas le son matériel, chose
purement physique, mais l'empreinte psychique de ce son, la
représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est
sensorielle, et s’il nous arrive de l’appeler « matérielle », c’est seulement dans ce sens
et par opposition à l'autre terme de l’association, le concept, généralement plus
abstrait. (…) Le signe linguistique est donc une entité psychique à deux faces, qui peut
être représentée par la figure :
Ces deux éléments sont intimement unis et s'appellent l'un l’autre. (…) Nous
proposons de conserver le mot signe pour désigner le total, et de remplacer concept et
image acoustique respectivement par signifié et signifiant ; ces derniers termes ont
l’avantage de marquer l’opposition qui les sépare soit entre eux, soit du total dont ils
font partie. (…)
§ 2. Premier principe : l’arbitraire du signe.
Le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous
entendons par signe le total résultant de l’association d’un signifiant à un signifié, nous
pouvons dire plus simplement : le signe linguistique est arbitraire. Ainsi l’idée de
« sœur » n’est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s-ö-r qui lui sert de
signifiant ; il pourrait être aussi bien représenté par n’importe quelle autre : à preuve
les différences entre les langues et l’existence même de langues différentes : le signifié
« bœuf » a pour signifiant b-ö-f d’un côté de la frontière, et o-k-s (Ochs) de l’autre.
(…)
Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l'idée que le
signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu'il n'est pas au
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pouvoir de l'individu de rien changer à un signe une fois établi dans un groupe
linguistique) ; nous voulons dire qu'il est immotivé, c'est-à-dire arbitraire par rapport
au signifié, avec lequel il n’a aucune attache naturelle dans la réalité.
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, 1er partie, chap. 1, §§ 1&2.
Et, cependant, la relation qui unit le Signifiant et le Signifié est nécessaire :
Le concept (signifié) « bœuf » est forcément identique dans ma conscience à
l'ensemble phonique (signifiant) böf. Comment en serait-il autrement ? Ensemble les
deux ont été imprimés dans mon esprit ; ensemble ils s'évoquent en toute
circonstance.
Émile Benveniste, Problèmes de linguistique général 1, chap. IV, Tel Gallimard, p. 51.
Le signe ne possède pas en lui-même sa signification ; il n’est pas autonome à côté d’autres
signes. La langue est un système de signes qui se définissent par opposition.
F. de Saussure, CLG, 2e partie, chap.4, §2 :
« Leur plus exacte caractéristique est d’être ce que les autres ne sont pas ».
Le Signifié est différent de la définition puisque cette dernière se compose d’autres signes.
[Le sens d’un signe n’est déterminée ni par le Signifié, ni par le référent, mais par sa position
à l’intersection des axes syntagmatique et paradigmatique.]

IV - Langage et pensée.
La distinction langage communication a fait apparaître l’autonomie du signe par rapport au
référent.
Maintenant, on pourrait être tenté de définir le sens du signe, non plus dans son rapport à la
réalité, mais dans son rapport à la pensée.
Par exemple :
Cette conception
commune du rapport John Locke, Essai sur l’entendement humain, L3 chap. 2 § 1 : « ainsi, l’usage des mots
des mots aux idées
provient de la lecture consiste à être des marques sensibles des idées, et les idées qu’on désigne par les mots sont ce
de de l’interprétation
I, 16a d’Aristote : « les qu’ils signifient proprement et immédiatement. »
mots parlés ne sont
pas les mêmes chez
tous les hommes, bien
Augustin, Trinité livre XV : « ces paroles mentales (intérieures) n’appartiennent à aucune
que les états de l’âme
dont ils sont les signes
langue parce qu’elles se tiennent seulement dans l’esprit et ne peuvent être proférées
immédiats sont extérieurement. »
identiques chez tous. »

Or, le Signifié est indicible et la pensée ne peut être restituée autrement que par des paroles.
C’est ce que Hegel (1770 – 1831) remarque dans Philosophie de l’esprit, §463 :
« Nous n'avons conscience de nos pensées, nous n'avons des pensées déterminées et
réelles que lorsque nous leur donnons la forme objective, que nous les différencions
de notre intériorité, et que par suite nous les marquons de la forme externe, mais
d'une forme qui contient aussi le caractère de l'activité interne la plus haute. C'est le
son articulé, le mot, qui seul nous offre une existence où l'externe et l'interne sont si
intimement unis. Par conséquent, vouloir penser sans les mots, c'est une tentative
insensée. (…) Et il est également absurde de considérer comme un désavantage et
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comme un défaut de la pensée cette nécessité qui lie celle-ci au mot. On croit
ordinairement, il est vrai, que ce qu'il y a de plus haut c'est l'ineffable. (...) Mais c'est
là une opinion superficielle et sans fondement ; car en réalité l'ineffable c'est la
pensée obscure, la pensée à l'état de la fermentation, et qui ne devient claire que
lorsqu'elle trouve le mot. Ainsi, le mot donne à la pensée son existence la plus haute
et la plus vraie. Sans doute on peut se perdre dans un flux de mots sans saisir la
chose. Mais la faute en est la pensée imparfaite, indéterminée et vide, elle n'en est
pas au mot. Si la vraie pensée est la chose même, le mot l'est aussi lorsqu'il est
employé par la vraie pensée. Par conséquent, l'intelligence, en se remplissant de
mots, se remplit aussi de la nature des choses ».
G.W.F. Hegel, Philosophie de l'esprit, § 463, Remarque.
L’analyse linguistique va retrouver, comme une de ses conséquences, le lien constitutif qui
unit le langage et la pensée.
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, 2e partie chap. 4 § 3 et 4 :
« Qu’on prenne le signifié où le signifiant, la langue ne comporte ni des idées, ni des
sons qui préexisteraient aux systèmes linguistiques, mais seulement des différences
conceptuelles ou des différences phoniques issues de ce système. »
Émile Benveniste radicalise les conséquences de l’analyse linguistique :
« La pensée n’est pas un simple reflet du monde ; elle catégorise la réalité, et en cette
fonction organisatrice elle est si étroitement associée au langage qu’on peut être tenté
d’identifier pensée et langage à ce point de vue. »
Émile Benveniste, Problèmes de linguistique général 1, chap. II, Tel Gallimard, p. 28.
La phénoménologie qui, rappelons-le, est une philosophie qui replace les essences dans
l’existence c’est-à-dire qui nie que les essences existent pour elle-même dans un monde
transcendant, mais part des phénomènes, c.-à-d. de ce qui apparaît, retrouve et développe les
conséquences de l’analyse linguistique.
« La pensée n’est rien d’ « intérieur », elle n'existe pas hors du monde et hors des
mots. Ce qui nous trompe là-dessus, ce qui nous fait croire à une pensée qui existerait
pour soi avant l'expression, ce sont les pensées déjà constituées et déjà exprimées que
nous pouvons rappeler à nous silencieusement et par lesquelles nous nous donnons
l'illusion d'une vie intérieure. Mais en réalité ce silence prétendu est bruissant de
paroles, cette vie intérieure est un langage intérieur. La pensée « pure » se réduit à un
certain vide de la conscience, à un vœu instantané. L'intention significative nouvelle
ne se connaît elle-même qu'en se recouvrant de significations déjà disponibles,
résultat d’actes d'expression antérieurs. Les significations disponibles s'entrelacent
soudain selon une loi inconnue, et une fois pour toutes un nouvel être culturel a
commencé d'exister. La pensée et l'expression se constituent donc simultanément,
lorsque notre acquis culturel se mobilise au service de cette loi inconnue, comme
notre corps soudain se prête à un geste nouveau dans l'acquisition de l'habitude. La
parole est un véritable geste et elle contient son sens comme le geste contient le sien.
C'est ce qui rend possible la communication. »
Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, pp 213, 214.
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Conclusion.
L’analyse du langage, que nous présupposions comme un instrument au service de
l’expression des pensées du sujet, « nous dévoile une des données essentielle de la condition
humaine » et réactualise notre définition de sujet :
« Qu’un pareil système de symboles existe nous dévoile une des données essentielles
(…) de la condition humaine : c’est qu’il n’y a pas de relation naturelle, immédiate et
directe entre l’homme et le monde, ni entre l’homme et l’homme ; Il y faut un
intermédiaire, cet appareil symbolique, qui a rendu possible la pensée et le langage. »
Émile Benveniste, Problèmes de linguistique général 1, chap. II, Tel Gallimard, p. 29.
L’analyse linguistique nous invite à penser le sujet comme un effet du langage :
« Or, nous tenons que cette subjectivité, qu’on la pose en phénoménologie ou en
psychologie comme on voudra n’est que l’émergence dans l’être d’une propriété
fondamentale du langage. (…) C’est dans l’instance de discours où je désigne le
locuteur que celui-ci s’énonce comme « sujet ». Il est donc vrai à la lettre que le
fondement de la subjectivité est dans l’exercice de la langue. »
Émile Benveniste, Problèmes de linguistique général 1, chap. XXI, Tel Gallimard, p. 260.

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