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ibrary

1847
5000

763

v.14

Library of

Dei Viget
SubNumine

Princeton University,
Année, Tome XIII . N° 157 1er avril 1912.

REVUE PRATIQUE

D'APOLOGÉTIQUE

Paraissant le 1er et le 15 de chaque mois


1
Sous la direction de
Mar BAUDRILLART, MM . GUIBERT ET LESÊTRE
Ceeeee60

Sommaire

APOLOGETIQUE
X. MOISANT . Psychologie scolastique et psychologie
moderne . 5
J.-B. SAULZE..... L'origine de la vie d'après M. Le Dantec ... 29
H. LESÈTRE Les saintes femmes au tombeau ... 49
E. BRUNETEAU .. 52
Le progrès religieux d'un Positiviste..

0
L'Ami du Prêtre... L'Histoire des Religions .... 55

INFORMATIONS

69 69
1. Faits Retours à l'Eglise.. 59
Thèses de M. Prunel.... 57 11. Apologétique au jour le jour
Semaine anglaise et semaine catholique . 58 A travers nos écoles chrétiennes . 60
Ligue pour l'éducation morale ...... 58 Catholiques loyaux …….. 61

CHRONIQUE
Max TURMANN ………..
Chronique sociale .. 62
Le mouvement social : II . Les Livres. -- R. P. BELLIOT : Manuel de
sociologie catholique . FRÉDÉRIC DUVAL : Les livres qui s'imposent
E. DUTHOIT : Pages sociales catholiques.-+ BRUNETIERE : Lettres de combat.
ALBERT DE MUN: Combats d'hier et combats d'aujourd'hui.- A. LAROPPE :
Aubes et crépuscules, lettres d'action sociale . - E. BEAUPIN : Les catho-
liques et la ligue antialcoolique.- ARDOUIN- DUMAZET : Les petites industries
rurales. - COMTESSE D'HAUSSONVILLE : La charité à travers la vie. -- Manuel
des OEuvres. - C . LESCOEUR : Les coffres-forts et le Fisc.-J. CHARLES-BRUN :
Le régionalisme . CH. CALIPPE Les tendances sociales des catholiques
libéraux . -
Bismarck et F. LATOUR
l'Eglise. : Les grèves et leur réglementation. G. GOYAU :
Le Organizzazioni operaie cattoliche in Italia.
Revues des revues (revues françaises) ... 74
Bibliographie ..... 77
Petite correspondance apologétique, .... 78

PARIS
Gabrie! BEAUCHESNE & Cie, Editeurs

Rue de Rennes, 117


COMITE DE PATRONAGE

NNgrs DOUAIS, evêque de Beauvais . - GI- Lebreton . professeur d'Histoire des Ori-
BIER, evêque de Versailles . - GOURAUD, gines chrétiennes à l'Institut Catholique de
évêque de Vannes. - PECHENARD , eveque Paris. Legris , professeur à l'Ecole de
de Doissons . Theologie Catholique d'Issy . - Lepin,
MM Allard (Paul), directeur de la Revue des professeur à l'Ecole de Théologie Ca-
Questions historiques. Andollent , direc- tholique de Lyon. - Lesêtre , curé de
teur de l'Enseignement libre dans le diocese Saint-Etienne-du-Mont. à Paris. Mange-
de Paris. Bainvel , professeur de Théologie not, professeur d'Ecriture- Sainte à l'Institut
l'Institut Catholique de Paris . - Batiffol, Catholique de Paris. Peillaube, profes-
ancien recteur de l'Institut Catholique de Tou- seur à l'Institut Catholique de Paris. - Petit
louse, CO Baudrillart. recteur de l'Institut de Julleville , supérieur de l'Institution
Catholique de Paris. Besse (Clement), Sainte-Croix à Neuilly, Paris. --· Piat, pro-
aumônier a Saint-Germain-en - Laye · Bou- fesseur à l'Institut Catholique de Paris.
dinhon, professeur à l'Institut Catholique de Picard aumônier du Lycée Louis-le-Grand.
Paris. - Bousquet, vice-recteur de l'Institut Roussel, professeur à l'Université de Fri-
Catholique de Paris. -Chabot , supérieur de bourg (Suisse).- Salembier, professeur aux
'Institution Richelieu. à Luçon. Crosnier, Facultés Catholiques de Lille. - Sertillanges.
professeur aux Facultés Catholiques de professeur à l'Institut Catholique de Paris.
P'Ouest. - Désers , cure de Saint- Vincent-de- Tanquerey, professeur à l'Ecole de Théolo-
Paul, à Paris. - Esquerré, directeur de gie Catholique d'Issy. - Tixeront. profes-
l'association du Bon-Conseil , à Paris. seur aux Facultés Catholiques de Lyon.
Gaillard (Henry), professeur à l'Ecole des Touzard, professeur à l'Institut Catholique
Roches. Goyau (Georges ). Guibert, de Paris. Turmann (Max) , professeur à
supérieur du séminaire de l'Institut Catho- l'Université de Fribourg ( Suisse).
lique de Paris. Guiraud (Jean), pro- Vacand ard. aumônier du Lycée de
fesseur à l'Univer ute de Besancon. Rouen. - Venard. professeur à Saint-
Jonin, curé de Saint Augustin, à Paris - Maurice . Vienne

Secrétaires de Rédaction :
MM PRESSOIR C PRUNEL

S adresser : Pour tout ce qui concerne la Rédaction , à MM . les Secrétair, s


ie Rédaction , 117, rue de Rennes, à Paris , Pour l'Administration . à
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droit de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays .


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REVUE PRATIQUE

D'APOLOGÉTIQUE

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REVUE PRATIQUE

D'APOLOGÉTIQUE

Paraissant le 1er et le 15 de chaque mois

Sous la direction de

Mgr BAUDRILLART, MM . GUIBERT ET LESÊTRE

SEPTIÈME ANNÉE

TOME XIV

PARIS

Gabriel BEAUCHESNE & Co, Editeurs


ANCIENNE LIBRAIRIE DELHOMME & BRIGUET

Rue de Rennës, 117

1912
Tous droits réservés
2
i

263
7.14
Apologétique

Psychologie scolastique

et Psychologie moderne .

La Synthèse ' .

I. En quoi consistent l'alliance et la collaboration de la psy-


chologie scolastique et de la psychologie moderne ?
Les manipulations qui préparent, ou opèrent , la synthèse
des deux psychologies , peuvent se répartir en deux groupes :
d'une part , les travaux d'approche, les travaux extérieurs , bien
que relatifs , à l'idée inspiratrice de chaque science , les tra-
vaux faciles , élémentaires , peu dangereux , et , par là même,
pour les amateurs de risque, moins intéressants , si utiles et
et même indispensables qu'ils soient ; d'autre part , l'œuvre
délicate et difficile , l'œuvre vitale , l'œuvre d'élaboration ,
d'assimilation , de transformation , de genèse , enfin l'œuvre
proprement synthétique.
On conçoit sans peine que la psychologie scolastique et la
psychologie moderne puissent à des points de vue divers et
d'une inégale importance métaphysique, mutuellement se
corriger, se compléter , se préciser, se justifier. Ces quatre sor-
tes d'opérations , travail de correction , travail d'addition , tra-
vail de précision , travail de vérification , appartiennent au
groupe de procédés que , sans aucune pensée de mépris , par
pur souci de la clarté, nous avons appelés les procédés faciles
élémentaires , peu dangereux, d'un intérêt peut - être moindre ,
bien qu'utiles et même indispensables .
Quant au travail vital de synthèse et de progrès , il consiste ,
non plus à substituer une doctrine à une autre doctrine , ou à
joindre une vérité à une autre vérité , ou à détailler une loi
générale en applications particulières , ou à confirmer une
doctrine par une autre ; mais , soit à déterminer par le con-
tact d'une idée nouvelle , un développement ultérieur d'une
idée depuis plusieurs siècles stationnaire, soit à vivifier par un
germe ancien une idée nouvelle qui semblait stérile ou perni-
cieuse.
Dans le premier cas , c'est la science du passé, qui reçoit un
1. Cf. Revue pratique d'Apologétique, 1er février 1912.

453073
6 REVUE PRATIQUe d'apologétiquE

accroissement de vitalité , et qui confère à la synthèse formée


son caractère dominant. Dans le second cas , c'est la science
du présent qui , fortifiée d'une sève séculaire, s'épanouit en
une germination originale .
Telles sont les deux principales espèces de synthèse qui coo-
pèrent, en psychologie , comme en toute spéculation , à l'œuvre
du progrès .
En esquisser le schème général , c'était en faire pressentir
les difficultés et les dangers .
On risque, tout d'abord, de se méprendre sur la valeur des
éléments mis en présence . Il va de soi qu'il y aurait plus d'em-
pressement que de calcul , à vouloir, sous prétexte d'enrichir la
synthèse du présent et du passé, amalgamer des idées qui ne
seraient pas toutes de bon aloi . Ce serait le cas , si l'on s'éver-
tuait à engager dans la synthèse des deux psychologies , soit
d'anciennes théories que les plus fidèles représentants de la
tradition scolastique estiment eux- mêmes hors de cours
(explication aristotélicienne du sommeil par un dégagement
de « vapeurs » et de « fumées » plus ou moins épaisses) ; soit
de récentes hypothèses que les justes appréciateurs de la psy-
chologie moderne déclarent valeurs douteuses et non cotées
sur le marché de la science ( apparitions d'esprits « désin-
carnés » , « corps astral » , « extériorisation » et transfert de
la sensibilité ) . Ce serait le cas surtout, si , dans la crainte de
perdre la moindre parcelle du patrimoine philosophique , on
s'avisait d'assortir la monnaie périmée d'autrefois avec la mon-
naie fausse ou douteuse d'aujourd'hui ( par exemple , quelque
doctrine traducianiste avec l'une ou l'autre des théories mo-
dernes du monisme évolutionniste ) ; comme si la tâche n'était
pas assez laborieuse et assez féconde , de fondre ensemble tous
les éléments certains de vérité , sans rêver de combinaisons
entre éléments caducs ou douteux.
Cette première difficulté concerne le choix des matériaux .
Une seconde difficulté se rapporte à la mise en œuvre . La
première étant d'ordre matériel, on peut appeler l'autre for-
melle .
La synthèse sera factice , elle sera illusoire et trompeuse , si ,
dans un terme , ou dans une formule, d'une signification déter-
minée , l'on introduit un sens qui , au lieu de coïncider avec le
premier, ou de le prolonger, le contredit ou le dénature . L'abus
deviendra une profanation et s'appellera erreur contre la foi ,
lorsque la formule , ainsi arbitrairement employée , se rappor-
tera au dogme révélé , D'ailleurs , en toute matière , le procédé
qui consiste, sous prétexte de conciliation ou d'initiative , à
PSYCHOLOGIE SCOLASTIQUE ET PSYCHOLOGIE MODERNE 7

répéter les thèses d'une doctrine philosophique et religieuse ,


mais dans un sens systématiquement différent de celui qui est
déterminé par l'usage ou consacré par l'Eglise , ce procédé qui
est, en somme, l'équivoque érigée en système , ne peut que
fausser cet instrument de la vie sociale , le langage , en même
temps qu'il fausse dans la mesure où l'on est soi- même dupe
-
de l'ambiguïté — le jeu délicat de l'intelligence.
- que les
On a pourtant voulu , par ces tours d'escamotage
opérateurs, dans l'espèce , décorent du nom plus scolaire de
traductions , ou bien encore, parlant cette fois le langage de
l'art musical , qu'ils appellent transpositions ― on a voulu ,
tout à la fois , rajeunir l'antiquité, consacrer les nouveautés ,
et ainsi promouvoir les études théologiques , comme les études
philosophiques . En des applications multiples , à des degrés
variés , sous des formes plus ou moins compliquées , l'effort du
modernisme ne fut pas autre chose .
Puisque le danger est d'employer les locutions traditionnel-
les dans un sens révolutionnaire , la bonne méthode consiste ,
soit à retenir le sens obvie et usuel , si l'on veut garder les for-
mules , soit à désavouer les formules , si l'on réprouve la signi-
fication qu'elles impliquent . Il est vrai que , dans la mesure où
l'on s'en tient à ce dernier parti , on renonce à l'œuvre de syn-
thèse dont nous allons présenter une esquisse . Mais serait- ce
coopérer au progrès de la tradition, ou à la consécration du
progrès, que de forcer et de fausser l'instrument essentiel de
toute pensée ancienne ou nouvelle , le langage ? Si l'on estime
ne pouvoir pas collaborer à la tradition scolastique, qu'on
s'abstienne, au moins , d'endommager son matériel de travail .
Mieux vaut la grève que le sabotage .
Le syncrétisme , d'une part, c'est-à-dire l'entassement de
matériaux imparfaitement contrôlés , le modernisme , de l'au-
tre, c'est-à-dire l'abus plus ou moins conscient du langage ,
pour dissimuler la contradiction des pensées sous l'identité
des formules , et pour envelopper l'erreur dans une orthodoxie
verbale tels sont les deux principaux écueils où peut échouer
l'œuvre de synthèse que nous allons décrire .
Du reste , d'autres difficultés sont à prévoir . Par exemple, il
est aussi dangereux de confondre , qu'il est dangereux d'op-
poser la psychologie expérimentale et la psychologie métaphy-
sique , c'est-à-dire les données de l'observation et le système
d'explications qu'elles permettent, suggèrent ou commandent .
Avant d'esquisser la synthèse proprement dite des deux psy-
chologies , nous devons préciser quelques opérations prélimi-
naires et indispensables .
8 REVUE PRATIQUE D'APOLOGÉTIQUE

II. Parmi ces opérations relativement faciles , nous avons si-


gnalé, en premier lieu , le travail de correction mutuelle .
La psychologie scolastique et la psychologie moderne peu-
vent s'amender réciproquement .
Voici d'abord les leçons que reçoit de la science médiévale.
la science moderne de l'âme . L'esprit n'est pas un faisceau ,
une collection , une série de phénomènes , mais un principe et
un sujet de pensées et de volitions . Voilà ce qu'il faudrait en-
core admettre , quand même , dans l'exercice de son activité
consciente, le sujet qui pense et qui veut ne saisirait pas sa
personnalité agissante et sa substantialité concrète ; quand
même , dans le témoignage assuré de sa mémoire , il ne lirait
pas la preuve de son identité durable . Fût-on privé de ces
attestations vives et directes , il faudrait encore admettre que
les phénomènes psychologiques manifestent un sujet subs-
tantiel, à moins de vouloir soutenir cette gageure que l'on
s'entend soi - même , lorsqu'on parle d'un phénomène , c'est-à-
dire d'une apparition , où rien ne se révèle , d'une pensée
qui n'émane d'aucun esprit , d'une volition qui ne procède d'au
cune personnalité . Autant , ou plutôt , mieux vaut parler d'une
substance qui ne produit aucun phénomène , que d'un phéno-
mène qui n'appartient à aucune substance . Mieux vaut tenir
ce langage assurément , car il est légitime dans un cas au moins ,
dans un cas insigne lorsqu'il s'agit de la substance divine ,
de l'acte pur, en qui nulle réalité n'est accidentelle . Mais des
phénomènes qui se suffisent , ou qui s'appuient sur une loi , sur
une fonction , sur un axiome ; mais des pensées sans sujet
pensant, des souvenirs qui flottent en l'air, des volitions qui
ne se rapportent à aucun principe voulant, c'est-à- dire des
manières d'être sans être , des modifications qui ne modifient
rien , des actes que personne ne pose : voilà des conceptions
aussi contradictoires que des mouvements sans mobiles , et
non moins chimériques que les « paroles gelées » qui étaient
restées suspendues dans les airs , vers les confins de la mer de
glace, et qui, se liquéfiant et s'animant à la tiède brise du
printemps , émerveillèrent de leurs sonorités Pantagruel et
ses compagnons . L'homme ne saurait être une collection de
phénomènes . Le principe de la vie psychologique est un sujet
substantiel . A cette première leçon se rattachent et la spiri-
tualité et l'immortalité de l'âme . Toutes ces vérités , niées , con-
testées ou ignorées par la psychologie moderne , sont rappelées
aux esprits par la philosophie scolastique . Dans son ouvrage
Spiritualité et Immortalité, M. Bernies corrige ainsi , par la
notion traditionnelle de substance , clairement exposée et
PSYCHOLOGIE SCOLASTIQUE ET PSYCHOLOGIE MODERNE 9

fortement justifiée , le phénoménisme de la spéculation mo-


derne .
Le subjectivisme est un autre caractère de la psychologie
nouvelle , et il se manifeste lui -même en plusieurs applica-
tions .
Considérons d'abord le subjectivisme métaphysique , tel qu'il
s'étale dans l'œuvre de Feuerbach, en particulier dans son
livre sur l'Essence du Christianisme. Ici la méthode développe
toutes ses conséquences , et la doctrine coïncide , sans réserve ,
avec la méthode . Nulle atténuation dans l'expression des prin-
cipes , nulle réticence et nulle ambiguïté dans les applications .
L'homme, avec son caractère individuel et sa nature spéci-
fique , l'homme volontaire , raisonnable et sensible , l'homme
qui est pensée , mais qui est aussi et essentiellement matière :
voilà, tout ensemble, le principe et l'objet du savoir et de
l'activité . La théologie n'est que psychologie . Dieu est le miroir
de l'homme. Nous projetons dans les nuées nos rêves et nos
aspirations ; et puis , idolâtres inconscients, nous adorons
notre image. L'illusion fut bienfaisante , elle fut stimulante , aut
début de la spéculation . A genoux devant un idéal qui , à leur
insu , n'était que le reflet, au ciel de l'imagination , de leur
nature terrestre , les hommes étudièrent cette nature avec d'au-
tant plus d'attention qu'ils croyaient pénétrer les mystères de
la divinité . Mais désormais la psychologie est assez développée
pour oser prendre conscience d'elle - même ; et le regard de
T'homme est assez viril pour contempler , sans les naïves enlu-
minures , comme sans les voiles mystiques du symbolisme ,
l'éclatante et simple réalité . Désormais , pour rester légitimes,
les doctrines religieuses doivent se transformer en affirmations
humaines. Une fois compris et justifié le principe de cette opé
ration, le mécanisme en apparaît facile : il suffit, pour intégrer
dans la philosophie nouvelle toutes les thèses de la théodicée
et tous les dogmes de la théologie , de transposer, par une sorte
de conversion logique , les formules traditionnelles , substituant
les sujets aux attributs et réciproquement.
On a dit jusqu'à présent : Dieu existe ; Dieu est intelligent ;
Dieu est bon ; Dieu subsiste en trois personnes ; Dieu s'est fait
homme ; Dieu s'offre en nourriture dans l'Eucharistie . Ecrivons
désormais la vérité directe : l'existence est un bien inappréciable ,
étant la condition de tous les autres ; l'intelligence et la bonté
sont les plus nobles attributs de l'homme ; divine est la société
des humains, divine la nature de l'homme ; divins sont les ali-
ments qui entretiennent sa vie . Le lecteur comprend que nous
abrégeons singulièrement la liste de ces transpositions blas-
10 REVUE PRATIQUE d'apologétique

phématoires . Que sont, et que valent les raisons de Feuerbach ?


D'abord, il invoque l'histoire des religions ; mais , en somme,
il ne manifeste qu'une confiance mal assurée à l'égard des dépo-
sitions de l'histoire ; et même , par endroits , pour discréditer
sans doute un témoin dont il craint les démentis , il déclare arbi-
traire , insignifiant, irrationnel, le langage des faits . « Les faits
vont à la raison , comme un coup de poing sur l'œil . » Il est
inutile d'insister . Feuerbach ne compte pas sur l'histoire pour
démontrer son subjectivisme . Le raisonnement auquel il fait
appel , à défaut de l'expérience historique , me paraît simple
et unique , malgré la variété des formules et l'exubérance des
développements. L'homme se connaît lui-même dans l'objet
de sa connaissance , et il se manifeste aux autres , en leur com-
muniquant sa pensée . En matière religieuse , comme en
matière philosophique , comme en tout ordre de savoir, le
principe demeure valable . Donc l'objet de la connaissance reli-
gieuse est encore l'homme, soit l'homme individuel , soit la
nature humaine . Autre forme du même argument : le sujet con-
naissant perçoit et juge à sa manière ; donc il n'atteint pas
l'objet dans sa réalité , ou plutôt il constitue lui - même l'objet
connu. On retrouve ici des difficultés discutées et résolues par
la philosophie scolastique . Celle- ci n'ignorait pas que l'intelli-
gence s'exprime , en même temps qu'elle exprime l'objet , dans
son verbe mental . Mais les deux connaissances , loin de
s'exclure mutuellement, lui apparaissaient condition l'une de
l'autre , la connaissance de l'objet occupant le premierplan dans
l'acte direct de l'esprit , et la connaissance du sujet prenant sa
place dans l'acte réflexe . Lorsque , d'une visée directe, nous pen-
sons à Dieu , à une vérité morale ou scientifique , à une chose
ou à une personne , l'objet est exprimé et connu actu signato, le
sujet est exprimé et connu actu exercito . Le rapport est ren-
versé , lorsque l'intelligence revient sur son acte , pour en
prendre conscience expresse . Mais , dans les deux cas, non seu-
lement le sujet et l'objet peuvent être simultanément connus ,
sans détriment pour l'un ou l'autre , mais les deux connais-
sances sont corrélatives et se commandent. La philosophie sco-
lastique n'ignorait pas non plus que la nature de la faculté
cognitive détermine le mode de ses opérations . Mais elle ne
concluait pas que l'objet se réduit à des dispositions subjec-
tives , ou que les dispositions subjectives effacent ou masquent
la nature de l'objet . Les universaux appréhendés par l'esprit
n'existent pas hors de lui quoad modum quo concipiuntur . Ils exis-
tent objectivement quoad id quod concipitur. La distinction n'est
pas arbitraire ; elle est, peut-on dire , expérimentale . Notre con-
PSYCHOLOGIE SCOLASTIQUE ET PSYCHOLOGIE MODERNE 11

science ne nous nous atteste-t-elle pas que nous faisons , en


connaissance de cause, le départ des éléments perçus ou
conçus et des modalités individuelles ou spécifiques de notre
pensée ?
Maintes fois depuis un siècle , romanciers et moralistes ont
décrit ou déploré les abus de l'analyse psychologique et son
influence dissolvante ou paralysante sur l'activité . C'était
déplorer ou décrire l'erreur morale du subjectivisme. Mais , si
fines et judicieuses que soient leurs observations , ils n'in-
diquent pas le véritable remède , le spécifique du mal , parce
qu'ils n'en connaissent pas la cause . Maine de Biran écrit :
« Avec une machine frêle, presque toujours malade , je ne pou-
« vais guère me répandre au dehors , j'existais donc en moi , je
a suivais toutes les vicissitudes qui s'opéraient dans ma manière
« d'être . » Il écrit encore : « De tels hommes entendent , pour
<< ainsi dire , crier les ressorts de la machine ; ils les sentent se
<< monter ou se détendre , tandis que les idées se succèdent,
<< s'arrêtent ou semblent mouvoir du même branle . » Ainsi le
psychologue constate , en lui -même , une disposition excessive
et douloureuse à l'observation intérieure . Mais il n'indique
pas pourquoi l'introspection est susceptible d'excès , et pour-
quoi la nature humaine requiert , comme une condition d'équi-
libre et de santé, que l'âme se tourne habituellement vers
ce qui est objectif. De même Amiel constate la maladie , mais il
n'en rend pas compte, lorsqu'il gémit : « La conscience de la
<< conscience est le terme de l'analyse , disais -je , mais l'analyse
« poussée jusqu'au bout se dévore elle - même , comme le ser-
« pent égyptien . » Il pressent une vérité , mais il ne la voit
pas, il ne la prouve pas , lorsque, rappelant une parole de
Goethe, il écrit : « Nous sommes et devons être obscurs pour
<< nous-mêmes , tournés vers le dehors et travaillant sur le
« monde qui nous entoure... Le rayonnement extérieur fait la
<< santé. » Comparer l'âme au corps , en faisant remarquer que
les gens bien portants n'ont qu'un vague sentiment de leur état
physiologique ; ou bien encore , rappeler que les racines de
l'arbre ne doivent pas être exposées à la lumière , que les
abeilles ne travaillent que dans l'obscurité , qu'il faut se garder
de troubler par une surveillance importune les «< muets
ouvriers » qui balaient les « débris » et les « détritus » de l'âme ;
c'est, à l'aide de comparaisons , qui sont, il faut l'avouer, plus
et mieux que jeux littéraires , illustrer une sage leçon d'objec-
tivisme . Mais Carlyle , qui maintes fois reprit ce thème , n'expli-
qua jamais pourquoi il était malsain pour l'homme de vivre.
dans la contemplation de soi-même . C'est encore décrire ,
12 REVUE PRATIQUE d'apologÉTIQUE

décrire en langage physiologique , ce n'est pas expliquer, le mal ,


que de dire avec les Goncourt : « On devient, à force de s'étu-
« dier , au lieu de s'endurcir , une sorte d'écorché moral et sen-
« sitif, blessé à la moindre impression , sans défense , sans
« enveloppe, tout saignant. » Explique-t-on mieux la nécessité
pour l'homme de vivre , d'agir , de penser , en regard et en fonc-
tion de l'objet , quand on signale , comme conséquence d'une
introspection trop fréquente ou trop prolongée , la multiplica-
tion morbide des centres de sensibilité ? Peut- être , s'il est vrai
que la maladie , dans l'ordre organique comme dans l'ordre.
mental , se caractérise par la multiplicité se substituant à
l'unité . Mais une question ultérieure reste à résoudre : pour-
quoi précisément, au delà d'un certain terme , l'instrospection
devient-elle , dans l'homme , cause de division et d'anarchie ?
Pourquoi ? Parce que l'homme n'est pas un ange ; parce que
l'âme n'est pas un pur esprit ; parce que cette forme qui , unie
à la matière , spécifie le composé humain , ne peut jamais ici- bas
se posséder directement ni pleinement transparaître pour elle-
même . Il n'est pas moins chimérique , pour l'esprit humain , de
vouloir être ici-bas l'objet immédiat de sa contemplation ,
que de s'évertuer à penser sans images . Or toute tentative
chimérique est une tentative nuisible . Pour vouloir incons-
ciemment se hausser jusqu'à un subjectivisme , qui , en
rigueur, est l'apanage de la divinité et qui , même dans un sens
dérivé, ne convient qu'à la contemplation angélique , l'homme
retombe au-dessous de son niveau normal . Qui veut faire
l'ange, fait la bête.
Or, cette doctrine qui assigne à l'âme humaine une place
intermédiaire entre les formes angéliques et les formes
matérielles , expliquant ainsi pourquoi elle peut se connaître.
mais d'une connaissance ici-bas imparfaite, progressive et indi-
recte ; cette doctrine , qui nous parait seule fournir la raison .
métaphysique des limites normales de l'introspection , n'est pas
empruntée à un vague et pâle spiritualisme , mais à la philo-
sophie caractéristique de saint Thomas .
Un troisième abus , tout à la fois théorique et pratique, du
subjectivisme , se manifeste dans l'animosité avec laquelle
l'esprit moderne demande à Dieu raison du mal . Je n'ai pas à
rappeler ici les blasphèmes désespérés ou furieux de certains
poètes , ni les grosses colères d'une banale impiété, non
plus que les formes particulièrement abstraites et techniques
sous lesquelles se présente le problème . Stuart Mill me paraît
représentatif, à ce sujet , d'une certaine philosophie moyenne.
Ou le Créateur , dit-il , est bon d'une bonté humaine ; alors il
PSYCHOLOGIE SCOLASTIQUE ET PSYCHOLOGIE MODERNE 13

faut qu'il ait agi et qu'il agisse dans le monde , suivant le plan
que m'inspirerait à moi , créature humaine , le sentiment de la
bonté. Ou bien les attributs divins diffèrent des qualités qui
portent le même nom , dans notre psychologie ; alors , je per-
mets à Dieu d'avoir d'autres desseins que les miens , alors je
me déclare incompétent pour juger son œuvre, mais alors aussi
je refuse d'adorer en Dieu des perfections dont je n'ai pas l'idée ,
et de proclamer qu'il est bon . C'est à ce dilemme simpliste ,
c'est à ce raisonnement d'un anthropomorphisme exaspéré, que
se réduit l'argumentation de Stuart Mill contre la bonté divine .
Il est juste d'y signaler un vice de logique et une méconnais-
sance de la notion d'analogie . Mais cette erreur de pensée
manifeste une erreur plus profonde encore , ce que j'appel-
lerais une erreur de l'âme, ce subjectivisme inconscient et
naïf, qui fait que , tout en proclamant parfois jusqu'à l'exagéra-
tion son néant , l'homme se déclare centre de perspective de
l'univers et souverain juge de Dieu lui - même .
A cet état d'esprit et de cœur, la méditation de la psycho-
logie thomiste apporte un double remède : d'abord - contre le
mall de l'anthropomorphisme sentimental une impression
d'ensemble , une saine brise , un large souffle d'objectivisme ;
puis - contre l'anthropomorphisme théorique - de fermes
principes qui , gardant l'homme de la présomption comme de
la déchéance , le mettent à sa place . Ces principes sont fermes ,
parce qu'ils sont métaphysiques , c'est-à- dire fondés sur la
nature des choses , sur les essences . Il est essentiel à l'homme
de faire partie du plan total ; il est essentiel à l'homme de
dépendre nécessairement de Dieu ; il lui est essentiel d'avoir
l'obligation de se subordonner librement à lui . Or, seule la fin
dernière donne à l'univers sa véritable signification et peut lui
servir de mesure . Cette doctrine de l'incompétence humaine
n'équivaut pas pourtant à l'agnosticisme ou au scepticisme . Le
détail des intentions divines nous échappe . Mais nous pouvons
en préciser le caractère commun . Puisque Dieu n'a pu subor-
donner la création à une autre fin que lui - même , c'est donc lui-
même, ou plutôt une manifestation finie de tous ses attributs ,
qu'il veut contempler dans son œuvre . Si nous voulons nous
aussi y retrouver notre image , c'est à la condition de savoir
ce que nous sommes ; c'est à la condition de sortir de nous-
mêmes , et de nous rapporter à Dieu , au lieu de subsumer Dieu
et l'univers à notre pensée ; c'est à la condition d'être objecti-
vistes .
On sait qu'au sujet de multiples phénomènes , de nature , ou
d'apparence merveilleuse , la psychologie moderne Joppose aux
14 REVUE PRATIQUE d'apologétique

explications transcendantes , et , dans le sens large du mot ,


surnaturelles , de l'ancienne psychologie , des explications natu-
ralistes , c'est - à-dire inspirées des seules lois qui régissent le
jeu , soit normal , soit pathologique, de la vie mentale . D'après
la science moderne de l'âme, les possédés sont des malades
atteints de dédoublement de la personnalité , en qui , par sug-
gestion étrangère ou auto - suggestion , se produit un centre ,
plus ou moins actif et consistant , de pensées , d'actions , de
sentiments , sataniques voilà un exemple du naturalisme
moderne , en matière de merveilleux diabolique . D'après la
psychologie contemporaine , consultée dans l'un de ses plus
célèbres représentants , le D ' Pierre Janet , l'extase est un phé-
nomène de psychasthénie , remarquable en ce que le malade ,
cherchant inconsciemment un remède à ce sentiment d'incom-
plétude et d'insuffisance psychologique, qui le caractérise
ainsi que ses congénères , trouve enfin une idée simple qu'il
parvient à réaliser pleinement, et se complaît tellement dans
cette réussite pour lui nouvelle , que toute son activité s'y ab-
sorbe ; l'extatique serait un psychasthénique évoluant vers
l'hystérie voilà un exemple du naturalisme moderne en ma-
tière de merveilleux divin . Ces deux exemples représentent un
des conflits qui mettent aux prises la psychologie scolastique
et la psychologie moderne . Or, le conflit ne peut se terminer
que par des concessions réciproques , et de mutuelles correc-
tions .
Soit l'exemple de la possession diabolique . Les idées d'au-
trefois et les doctrines d'aujourd'hui ont à se corriger mutuel-
lement, en la matière . Si tous les auteurs qui ont traité de la
possession diabolique , et tous les exorcistes qui ont invoqué
contre le démon la puissance divine , s'étaient parfaitement
conformés aux prescriptions du rituel, la science moderne ne
pourrait rien objecter à la science , ou du moins à la pru-
dence , du passé . Voici quelques-unes des recommandations
par lesquelles l'Eglise met l'exorciste en garde contre tout
diagnostic précipité de possession diabolique : « In primis ,
ne facile credat aliquem a dæmonio obsessum esse , sed nota habeat
ea signa, quibus obsessus dignoscitur ab iis, qui vel atra bile, vel
morbo aliquo laborant . Signa autem obsidentis dæmonis sunt : ignota
lingua loqui pluribus verbis, vel loquentem intelligere ; distantia et
occullapatefacere ; vires supra ætatis , seu conditionis naturam osten -
dere; et id genus alia, quæ cum plurima concurrunt, majora sunt
indicia . » On remarquera par quelles rigoureuses prescriptions
l'Eglise prémunit l'exorciste contre le danger de confondre un
état morbide avec un état diabolique . Comprendre une langue
PSYCHOLOGIE SCOLASTIQUE ET PSYCHOLOGIE MODERNE 15

qu'on n'a jamais apprise , prévoir l'avenir, semblent des mer-


veilles qui chacune isolément témoignent d'une intervention
surhumaine . Et pourtant le rituel se borne à déclarer que , dans
les cas où plusieurs phénomènes semblables sont réunis , les
indices sont plus concluants . Donc , la science moderne ne
saurait en remontrer à la prudence ecclésiastique . Mais les doc-
teurs privés n'ont pas toujours imité la réserve de l'Eglise offi-
cielle . Aussi plusieurs de leurs jugements se trouvent aujour-
d'hui réformables . On ne peut plus dire, par exemple, avec
lecardinal Bona, auteur d'un ouvrage publié en 1672 , sous le
titre Lapis Lydius , que la possession diabolique se reconnait à
ce que , pendant la crise , le patient refuse de demander pardon
de ses péchés ou de réciter le symbole des apôtres , à ce que , la
crise passée , il n'en garde pas la mémoire . Que le patient
refuse de faire acte de religion , il en peut être ainsi dans les
deux hypothèses : soit que le diable le possède réellement , soit
qu'il s'imagine à tort être possédé par le diable . Nous savons
que la malade à qui l'on suggère , tour à tour , qu'elle est un
général, puis une religieuse , prend successivement le ton du
commandement et l'attitude de la prière , ou , du moins , ce qui
lui semble tel . Tout aussi bien peut-on , par le seul fait de
l'exorciser, c'est- à- dire de le traiter en possédé , suggérer
involontairement à un sujet qu'il est au pouvoir du diable . La
logique de la suggestion explique le reste paroles impies ,
gestes de fureur, tout le drame enfin de la possession . Il ne nous
suffit plus qu'un sujet refuse de réciter le symbole des apôtres
ou de regretter ses péchés , pour nous convaincre qu'il est pos-
sédé du diable . Quant à ce qui concerne l'oubli consécutif à
la crise, nous savons que cet oubli est habituel , sinon toujours
constant, dans les cas de dédoublement successif de la person-
nalité .
Si la psychologie moderne contredit la pratique et les idées
personnelles de certains exorcistes , la doctrine officielle de
l'Eglise devrait corriger et limiter les prétentions de certains
psychologues contemporains qui pensent être les successeurs
légitimes des exorcistes d'autrefois . Avant d'annoncer qu'ils
ont découvert à l'hôpital, ou à la clinique , un cas de posses-
sion diabolique , dont la pathologie mentale suffit à rendre
compte, et avant d'en conclure que les influences supra- natu-
relles reconnues autrefois se réduisaient à des influences mor-
bides , ces psychologues et médecins feraient bien , pour ne
pas risquer des identifications erronées , de comparer les symp-
tômes présentés par leurs malades avec les signes de posses-
sion authentiquement reconnus par l'Eglise .
16 REVUE PRATIQUE D'APOLOGETIQUE

III . Une seconde opération consiste à additionner, à grouper,


à mettre en commun , les vérités qui se trouvent réparties
entre les deux psychologies .
J'emprunte à l'œuvre du Dr Pierre Janet un remarquable
exemple des compléments , ou suppléments, que la psycholo-
gie moderne offre à la psychologie scolastique. Celle - ci , dans
sa classification des états mentaux, n'assignait pas de place
bien déterminée aux degrés intermédiaires entre la folie , l'idio-
tie , l'ivresse , ou bien encore le sommeil et le rêve, d'une part ,
et, de l'autre , l'état normal de veille . Non pas que les psycho-
logues médiévaux aient tout ignoré des névroses et des névro-
pathies . Sous les noms de acedia, tædium, evagatio mentis, tor-
por, les auteurs ascétiques ou dogmatiques ont décrit des phé
nomènes qu'il est facile d'identifier avec certains « cas »
> ana-
lysés par nos spécialistes des maladies nerveuses , cas de
dépression , d'indifférence , de dégoût , de paresse insurmon-
table .
On trouve également, sinon des identités, du moins de sai-
sissantes ressemblances , entre des questions comme celle-
ci :utrum virtus imaginativa possit transmutare corpus , ou bien
encore des axiomes de ce genre : imaginationem fortem facere
casum vel etiam liberationem, et le problème actuel de
l'auto - suggestion . Il faut reconnaitre au moins des rapports
d'affinité entre la « fascination » — que les scolastiques , remar-
quons -le , distinguaient soigneusement des pratiques supers-
titieuses , et qui ne représentait pas non plus nécessairement,
-
à leurs yeux, un prestige diabolique et la suggestion étran-
gère, dont les médecins modernes font parfois plus ou moins
fructueusement usage, et dont certains psychologues , à raison
ou à tort, se servent comme d'un moyen d'expérimentation .
N'exagérons pas les insuffisances et les lacunes de la psycholo-
gie médiévale . En deux articles des Etudes, mars et avril 1892 ,
sous le titre L'hypnotisme au moyen âge, le P. Portalié a déve-
loppé, documents à l'appui, le conseil que nous venons de rap-
peler. On ne saurait pourtant prétendre que les analyses mé-
diévales des états anormaux ou extraordinaires soient com-
plètes . Avec l'unique secours de la psychologie scolastique ,
M. Eymieu et le P. Raymond n'auraient pas écrit , le premier ,
Le gouvernement de soi-même ou Les scrupuleux, l'autre , Le guide
des nerveux et des scrupuleux. Il peut même sembler superflu
d'insister. Qui donc niera que les travaux du Dr Déjerine , du
Dr Dumas ou du Dr Pierre Janet , puissent compléter les don-
nées et les théories psychologiques de saint Thomas ? Insis-
ter sera pourtant utile, non pas en vue de prouver ce que per-
PSYCHOLOGIE SCOLASTIQUE ET PSYCHOLOGIE MODERNE 17

sonne ne conteste , mais en vue de préciser une vérité qui


pourrait demeurer vague dans l'esprit .
Dans cette zone intermédiaire entre l'aliénation chronique
ou transitoire, d'une part, et l'état normal , d'autre part, zone
dont les scolastiques n'ont pas ignoré l'existence et dont même
ils ont connu approximativement les limites, le D ' Pierre Janet
a distingué trois maladies : la neurasthénie , la psychasténie,
l'hystérie . La neurasthénie est une maladie d'ordre essentiel-
lement physiologique ; c'est- à- dire que , par elle - même , elle
n'implique aucun stigmate mental, manie, bizarrerie , obses-
sion , aucun trouble sensible de nature psychologique . On n'en
parle donc ici que pour l'opposer aux maladies que caracté-
risent des stigmates mentaux plus ou moins graves . La neu-
rasthénie consiste en un affaiblissement nerveux qui se mani-
feste , tantôt par la difficulté de travailler cérébralement,
tantôt par une diminution de l'activité musculaire , toujours
par une perturbation , d'une étendue et d'une importance
variables , dans les fonctions organiques . La neurasthénie ,
par conséquent, est une affection beaucoup plus rare que
l'impropriété du langage courant le donne à entendre . Elle
se constate , par exemple , chez des jeunes gens surmenés par
la préparation d'examens . Angoisses , phobies , hallucinations,
dédoublements successifs ou simultanés de la personnalité ,
somnambulismes , accès d'automatisme sous une forme ou
l'autre , ces symptômes se rapportent à d'autres affections que
la neurasthénie . Les deux affections que le Dr Janet s'est efforcé
de distinguer de la neurasthénie , en même temps qu'il s'atta-
chait à les distinguer entre elles , sont la psychasthénie et l'hys-
térie. L'une et l'autre sont caractérisées , sinon exclusivement ,
du moins essentiellement , par des stigmates psychologiques ;
et ainsi l'une et l'autre diffèrent de la neurasthénie . Mais ,
en dépit de cette différence qui leur est commune , la psy-
chasthénie et l'hystérie représentent deux affections dis-
tinctes .
Les obsessions du psychasthénique ressemblent si peu aux
idées fixes de l'hystérique , que les caractères respectifs des
unes et des autres se font généralement antithèse . L'associa-
tion des pensées , des images et des sentiments ne se forme
pas, ici et là, par un mécanisme identique : précise , étroi-
tement déterminée , imposée du dehors , automatique et mo-
notone , dans l'esprit de l'hystérique , elle est, au contraire ,
chez le psychasthénique , tellement mobile , imprévue et
variable , autour de la préoccupation centrale , qui lui sert
de pivot , qu'elle déroute et confond parfois l'attention la plus
REVUE D'APOLOOÉTIQUE. - T. IV -
– NỔ 15 , AVRIL 1972, 2
18 REVUE PRATIQUe d'apologétique

agile du psychologue ou du médecin . Les deux maladies se


distinguent par de multiples oppositions . Mais l'exemple que
nous venons de citer suffit à en suggérer quelques - unes . De ces
distinctions , quelle est la portée spéculative, il serait intéres-
sant, mais bien long , de l'expliquer . On comprend plus vite
quelle en est l'importance pratique , et pourquoi elles récla-
ment l'attention du directeur de conscience et du médecin .
Celui- ci , par exemple , dans la mesure où il se reconnaît , en
principe , le droit moral de pratiquer l'hypnotisme , doit exami-
ner de près , avant d'en venir à l'application , si le malade qui le
consulte ou qui lui est confié est , à parler rigoureusement , un
neurasthénique , ou bien , soit un psychasthénique , soit un hys-
térique . Et la difficulté et l'utilité du traitement par l'hypno-
tisme varient singulièrement suivant les cas . D'après la simple
indication que j'ai donnée sur l'association morbide des repré-
sentations mentales dans la psychasthénie et dans l'hystérie ,
on s'imagine sans peine que , si le sujet est un psychasthénique ,
il « tolérera » mal une suggestion étrangère , qui aurait pénétré
sans résistance appréciable , et peut-être , transitoirement du
moins, avec profit, dans la synthèse instable d'un sujet hysté-
rique.
Dans cet autre exemple , l'on verra que les deux psychologies
peuvent se compléter réciproquement .
L'objectivisme ancien et le subjectivisme moderne , qui sou-
vent se combattent, parfois aussi se rencontrent et s'allient
dans une doctrine intégrale . Ainsi se rejoignent la définition
scolastique et la définition moderne de la volonté.
Les scolastiques étudient par quelle orientation permanente
et par quel libre choix la volonté tend vers le bien infini et vers
les biens finis . Ils étudient sous quelle impulsion naturelle et
de quel élan variable elle se porte vers Dieu appréhendé abstrai-
tement comme le bonheur parfait, et vers l'Etre divin lui- même
tel que nous pouvons le connaitre ici-bas . Ils distinguent l'ap-
pétit rationnel de l'appétit animal , comme ils distinguent le
bien intelligible du bien sensible . Sans doute, ils ne préten-
dent pas définir la volonté directement par rapport à l'objet .
Voluntas ab appetitu sensibili non distinguitur directe per hoc quod
est sequi apprehensionem hanc vel illam . La volonté se définit
immédiatement, non pas par son autonomie le mot est trop
récent, et l'idée peu précise mais par le privilège de se
déterminer elle - même, ex hoc quod est determinare sibi inclina-

1. Dº PIERRE JANET . Obsessions et Psychasténie, Ï, p . 73, 102, 103 .


PSYCHOLOGIE SCOLASTIQUE ET PSYCHOLOGIE MODERNE 19

tionem. On voit pourtant quelle part est faite à l'objet , dans la


théorie scolastique de la volonté.
Le caractère subjectif domine dans les théories modernes .
Pour le Dr Pierre Janet , par exemple , l'activité volontaire se
distingue de l'activité émotionnelle et de l'activité automa-
tique par ce double privilège : la volonté est le pouvoir de
s'adapter aux circonstances nouvelle ans détriment pour la
synthèse personnelle .
Il me semble que la définition des modernes rejoint cette
remarque de la philosophie scolastique : Quod autem aliquid
determinet sibi inclinationem in finem non potest contingere nisi
cognoscat finem , et habitudinem finis in ea quæ sunt ad finem . De
part et d'autre , on observe dans l'activité volontaire la marque
d'une détermination personnelle et l'adaptation des moyens à
lafin .
De même , les explications religieuses de la psychologie.
ancienne et les explications positives , d'ordre pathologique ou
normal , de la psychologie moderne , ne s'excluent pas néces-
sairement et toujours . Pourquoi la tendance aux scrupules , par
exemple, ne serait- elle pas , tout ensemble , une manie et une
épreuve , une altération de l'activité volontaire et une méthode
providentielle, soit pour justifier une âme par cette exagération
même de délicatesse morale (à condition évidemment que cette
exagération ne dépasse pas certaines limites d'intensité et de
durée), soit pour l'enrichir de mérites et d'expérience ?
Des explications qui paraissent se contredire peuvent , en
réalité, se compléter.

IV. Une troisième opération nous achemine vers l'œuvre


périlleuse et féconde de la synthèse .
Cette opération consiste à préciser l'une par l'autre les
observations ou les conclusions de la psychologie scolastique
et de la psychologie moderne . Puisque l'énumération des
détails doit être brève , et même fort incomplète , voici le schème
général , et voici le résultat d'ensemble, du travail de mutuelle
précision dont il s'agit ici . On peut , du reste , prévoir d'avance
quel sera le caractère de cet échange d'informations . La
science moderne précisera les données , surtout les données
physiologiques ; la science médiévale précisera les conclu-
sions , surtout les conclusions métaphysiques .
Soit la question de l'association des idées . Que certaines
pensées ou images évoquent , en vertu des lois générales ou par
suite de circonstances particulières à tel ou tel individu , d'au-
tres images ou d'autres pensées : cette vérité ne date pas de
20 REVUE PRATIQUE D'APOLOGÉTIQUE

Stuart Mill ou de Hume . La science moderne , qui ne l'a pas


découverte , l'a pourtant précisée . D'une part, elle a souligné la
différence entre la liaison des idées et l'association des idées ,
celle - ci étant la matière informe et chaotique qu'ordonne et où
choisit celle -là . D'autre part, la psychologie moderne , surtout
grâce à l'école des associationistes anglais , a démêlé plusieurs
lois de groupement entre les idées et entre les images . Leur
œuvre n'est ni terminée ni de tous points incontestée . On dis-
cute encore sur l'agencement suivant lequel se coordonnent les
lois de similitude et de contraste , de causalité et de contiguïté.
En France, on estime généralement qu'il faut accorder plus
d'importance à cette dernière loi . Du reste , sous l'impulsion
de psychologues dont les noms se présentent tout de suite à la
mémoire , la tendance actuelle , non seulement en France , mais
en Amérique , et peut- être ailleurs encore , est de reporter, au
delà de toute loi et de tout phénomène d'association , la réalité
intime , le « courant » ininterrompu, l'unité complexe et
fuyante , la « multiplicité continue » , de la vie psychologique .
L'associationisme moderne est donc lui-même discuté et dé-
-
passé . Mais ses plus sévères critiques c'est-à -dire les psy-
chologues qui restreignent son domaine à la surface de l'âme ,
et le comparent volontiers à une mince couche de glace sur une
eau profonde y voient , malgré tout, une théorie scien-
tifiquement plus précise que l'associationisme péripaté-
ticien .
Mais quand il s'agit de dépasser autrement que par la
théorie encore imparfaite de l'intuition philosophique - cette
zone que l'on déclare étroite et extérieure à la vie de l'âme
-- de l'associationisme ; quand il s'agit , non plus de décrire ,
ou de déprécier le mouvement superficiel des idées , mais d'en
indiquer le principe : il faut reprendre les traités de philoso-
phie scolastique ; il faut, si ridicule et moyenâgeuse que sem-
ble l'entreprise , revenir à la théorie des « facultés » , à leur
<«< émanation » de l'âme ou à leur « radication » dans l'âme ; il
faut ramener la doctrine de l'union de l'âme et du corps , et
ressusciter la matière et la forme » . La précision métaphy-
sique est là . La précision métaphysique, en effet, consiste
à expliquer le caractère composite des associations d'idées , où
l'on retrouve, avec des traits communs à tous , des dispositions
propres aux individus, et, se mêlant à la logique rationnelle ,
la logique imaginative et la logique sentimentale . Tant de com-
plexité mêlée à tant d'uniformité, tant de raison s'alliant à un
désordre parfois si étrange, ne s'expliquent que dans une doc-
trine qui distingue , d'une part, l'âme et le corps , mais qui ,
PSYCHOLOGIE SCOLASTIQUE ET PSYCHOLOGIE MODERNE 21

d'autre part, les rapporte l'un à l'autre , autant qu'il est possi-
ble d'unir deux termes sans les identifier .
Pour montrer comment les deux psychologies se précisent
mutuellement, nous emprunterons un second exemple à la
théorie de l'émotion ou du sentiment , qu'on appelait autrefois
la théorie des passions .
D'une part, les psychologues modernes énumèrent les élé-
ments observables , surtout les éléments organiques , des phé-
nomènes complexes qui forment le sentiment , l'émotion , la
passion . A ce point de vue , la théorie scolastique laissait place ,
on le devine , à de nombreuses et importantes précisions . Saint
Thomas avait bien appris d'Aristote , que la colère implique
accensio sanguinis circa cor, et il ne concevait pas le plaisir sans
dilatatio cordis et spirituum . Mais on comprend qu'il ait eu , mal-
gré tout, sur la circulation du sang, des idées plus confuses que
le D' Georges Dumas , ou même que le médecin anglais Harvey.
Saint Thomas n'avait pas lu les travaux de Budge et de Laborde.
Il ignorait que le centre modérateur du cœur est situé latéra-
lement dans le plancher du 4 ° ventricule , près du corps resti-
forme, et que ce centre est susceptible d'une double excitation ,
d'une excitation indirecte par les nerfs centripètes , d'une exci-
tation directe par des influences cérébrales . Saint Thomas ne
se doutait pas qu'il y eût des mélancoliques à hypertension
artérielle, et d'autres à hypotension . Il ne soupçonnait pas que,
suivant une répartition symétrique , les joyeux pussent être dis-
tribués en deux groupes : d'une part, les paralytiques généraux
mégalomanes , chez qui une parésie plus ou moins grave des
nerfs vaso- constricteurs détermine un état de vaso-dilatation
périphérique , et , par suite , l'accélération du pouls et l'hypo-
tension artérielle ; d'autre part , un groupe caractérisé par l'hy-
pertension , groupe auquel se rapportent , avec les joies nor-
males , les délires de grandeur systématisés et certains états de
satisfaction que présentent accidentellement les maniaques ,
les circulaires , les dégénérés . (D ' Georges Dumas . La joie et la
tristesse.)
Une fois précisées les données du problème , reste à en
préciser la solution . Comment se représenter, et comment
expliquer, le rapport de l'élément psychique et de l'élément
somatique ? C'est ici que la psychologie scolastique reprend
l'avantage. Les principales réponses de la psychologie mo-
derne se répartissent , en effet , en deux groupes d'une part,
le dualisme extrême , qui juxtapose l'élément affectif et
l'élément organique ; d'autre part, les théories monistes , qui
subordonnent, ou même réduisent , le sentiment, soit à la pen-
22 REVUE PRATIQUE D'APOLOGÉTIQUE

sée (théorie intellectualiste) , soit à la matière (théorie physio-


logique), soit à la volonté , plus ou moins clairement définie
(théorie volontariste ) . Or, les théories qui confondent les deux
éléments , comme celle qui les juxtapose , pèchent également
par excès , bien qu'en des sens différents . De prime abord,
comme au terme de longues réflexions sur la nature de la vie
affective , ne sent - on pas l'étroite et mutuelle dépendance de
l'élément sentimental et de l'élément organique , en même
temps que leur irréductible distinction ? Saint Thomas s'exprime
avec une tout autre circonspection . La théorie de la matière et
de la forme ne préoccupe pas son esprit , au point de n'y laisser
place pour aucune autre pensée . C'est bien le rapport de
matière et de forme qui exprime le mieux , pour lui , la relation
des dispositions organiques aux dispositions affectives . Mais
les dispositions organiques , estime-t- il , exercent aussi , du
moins par intermittence , soit le rôle de symbole , soit le rôle
d'instrument ou de dérivatif, à l'égard de la passion . De plus ,
même dans leur fonction d'élément matériel , ces dispositions
ne s'appellent jamais , en rigueur de terme , matière ; de même
que l'élément affectif et psychique n'est pas véritablement
forme . In passionibus sensitivi appetitus est considerare aliquid
quasi materiale, scilicet corporalem transmutationem, et aliquid
quasi formale, quod est ex parte appetitus . Pourquoi ces termes
restrictifs sicu!, quasi ? Parce que , au sens propre des mots ,
matière et forme signifient deux éléments substantiels qui se
complètent en un seul être véritablement composé et vérita-
blement un . Les dispositions organiques et les dispositions
psychiques qui intègrent le sentiment , ne sont , ni les unes ni
les autres , des substances , même incomplètes ; elles sont , les
unes et les autres , des « actes seconds » , des accidents , des
phénomènes .
Ces réserves faites , la théorie de la matière et de la forme,
appliquée , comme réponse , au problème de l'émotion ou du
sentiment , est plus précise que toute autre . Que signifie le
rapport de matière et de forme , sinon une telle union entre
deux termes que , seule , l'identité formerait une fusion plus
intime? Que signifie ce rapport , sinon la conjonction de deux
éléments , dont l'un est déterminable, et l'autre déterminant?
Que signifie-t- il , sinon qu'à des points de vue complémentaires ,
leur dépendance est réciproque ? Or, soit que l'on veuille signi-
fier l'impression qui se dégage des observations les plus élé-
mentaires sur la vie affective , soit que l'on veuille concilier
entre elles les conclusions des recherches les plus scientifiques
et les plus positives , on aboutira, en termes équivalents , aux
PSYCHOLOGIE SCOLASTIQUE ET PSYCHOLOGIE MODERNE 23

formules que nous venons d'indiquer ; on établira entre les


dispositions de la sensibilité , ou de « l'appétit sensible », et
les dispositions de l'organisme , un rapport qui ne sera ni rap-
port d'identité , ni rapport de simple juxtaposition ; on sera ,
consciemment ou non , hylomorphiste .

V. En quatrième lieu , je signalais , parmi les opérations pré-


liminaires à la synthèse proprement dite des deux psycholo-
gies , les justifications et les confirmations que les deux sciences
peuvent se donner réciproquement.
Sans doute il ne faut pas trop presser les analogies ou les
ressemblances , sous peine de faire ressortir la contradiction
de deux psychologies qui , animées de deux pensées originelle-
ment différentes , contiennent des principes hostiles .
Mais il ne faut pas non plus , l'esprit préoccupé et prévenu
par la pensée du conflit , exaspérer les désaccords et mécon-
naître les éléments d'entente et de bonne harmonie. Sous
réserve des exagérations auxquelles entraîneraient des dispo-
sitions trop pacifistes , l'énumération des vérités communé-
ment admises pourrait s'étendre assez longuement . Pas plus
ici, que dans les autres parties de ce travail , il ne peut être
question de dresser un inventaire . Nous ne pouvons offrir au
lecteur que des exemples , des échantillons , des éléments
d'appréciation . Voici donc quelques-uns des articles d'un
accord possible entre les deux psychologies .
De part et d'autre , on admet le principe ainsi formulé par les
scolastiques : Desiderium naturæ non potest esse inane . On voit
que, si étroite et jalousement gardée qu'elle soit, par cette
brèche du finalisme , la métaphysique et la religion peuvent
pénétrer dans la psychologie , même moderne , même expéri
mentale .
Je ne dirai pas que , de part et d'autre , on professe une cer-
taine connaissance intime et directe du corps par l'âme . Je ne
le dirai pas , parce que , historiquement, il n'est pas permis
d'exclure de la psychologie moderne le spiritualisme extrême
des cartésiens , ni l'extrême positivisme de nombreux psycho-
logues contemporains . Mais on ne peut nier, d'un autre côté,
qu'il y ait des affinités entre le sensus intimus des scolastiques ,
et cette « aperception du corps si attentivement étudiée dans
l'école biranienne , ou même cette autoscopie interne » que
le Dr Sollier a observée chez certains sujets , comme une ano-
malie, il est vrai .
En principe , les deux psychologies concordent pour affirmer
que nous ne pouvons ni acquérir des idées , ni en faire usage ,
24 REVUE PRATIQUE D'APOLOGÉTIQUE

sans le secours d'images . M. Emile Peillaube -- dont je cite le


livre La théorie des concepts , comme un des ouvrages les plus
clairs sur la question constate que, dans la vie présente,
l'image est aussi nécessaire à l'idée , que l'idée est distincte de
l'image . D'autre part, le nominaliste Taine , dans son livre De
l'Intelligence, s'est vainement efforcé d'expliquer les idées géné-
rales par un mécanisme verbal ; il dut convenir, avec Descartes ,
que l'on conçoit fort bien un polygone de mille côtés, et qu'on
l'imagine fort mal ; il avouait donc, à sa manière , que l'idée
n'est pas l'image .

VI. Correction , addition , précision , confirmation, sont des


préambules naturels et des compléments nécessaires d'une
œuvre plus féconde : la synthèse.
La synthèse des deux psychologies , peut s'opérer, d'abord ,
de telle façon que le passé prédomine . Une idée ancienne , et
depuis longtemps immobile et comme endormie, se réveille au
contact d'une idée récente et entre de nouveau en activité . L'in-
génieuse combinaison , récemment exposée par M. Pierre Rous-
selot , entre la notion médiévale d'espèce impresse et la notion
moderne d'attitude ou de sympathie intellectuelle , représente
un exemple de synthèse de ce genre ' . L'antique notion d'espèce
impresse a été déterminée par la rencontre de trois lignes con-
vergentes d'arguments . D'une part, de multiples considérations
aboutissent à cette conséquence : que, pour entrer en acte, pour
produire son verbe et connaître, l'intelligence doit recevoir
une détermination accidentelle qui ne lui est pas innée . Cepen-
dant, parce que cet acte cognitif est un acte vital et par consé-
quent immanent à l'esprit, parce qu'il en reflète l'immatéria-
lité, il faut admettre que la détermination préalable procède,
elle aussi, de l'intelligence . Mais on ne pourrait ni expliquer la
spécificité, ni garantir l'objectivité , des actes de connaissance ,
si l'on attribuait à l'intelligence une telle autonomie qu'elle
fût indépendante du monde extérieur. De là, les trois caractè-
res de cette élaboration inconsciente qui précède la connais-
sance intellectuelle proprement dite . Cette disposition de l'es-
prit , que l'esprit ne voit pas, mais qu'il conclut , est le préam-
bule nécessaire de chaque nouvelle connaissance premier
caractère ; elle n'a pour cause proprement dite que l'esprit lui-
même second caractère ; elle se rapporte pourtant, d'une façon
qui reste à préciser, à l'objet connaissable : troisième carac-
tère . Les scolastiques ont appelé la détermination intellec-

1. Revue de Philosophie, juin 1910 , p . 562,


PSYCHOLOGIE SCOLASTIQUE ET PSYCHOLOGIE MODE rne 25

tuelle ainsi caractérisée : espèce impresse . Cette notion ne fut


pas immédiatement adulte et formée . Elle traversa une période
de croissance . Pendant cette phase de son développement,
les maîtres de la scolastique poussèrent leurs recherches dans
deux directions . D'un côté, ils s'efforcèrent, par une série d'ap-
proximations, et à l'aide d'analogies , empruntées surtout à
l'ordre de la vision sensible , d'expliquer comment l'espèce
impresse unissait l'objet et le sujet , ou , du moins , préparait
cette union , sans pourtant soumettre l'esprit à la causalité vé-
ritable des choses sensibles . En vue de concilier les deux exi-
gences , nécessité que l'esprit entre en rapport avec la donnée
sensible , nécessité que le premier terme reste supérieur et indé-
pendant à l'égard du second , on a, semble-t-il, épuisé l'énu-
mération des théories admissibles , la donnée sensible ou ima-
ginative étant considérée , tour à tour, comme la matière , comme
l'exemplaire , comme le miroir , comme la cause objective , comme
l'instrument , comme une espèce inférieure de cause efficiente ,
ou bien encore , comme le paysage nocturne où tous les con-
tours sont noyés , en regard de l'intellect qui , à ce stade préli-
minaire de la connaissance , et corrélativement à chacune des
appellations du phantasme , fut nommé assimilateur, copiste ,
contemplateur, analyste, artiste , intellect agent, intellect
illuminateur . A vrai dire, le terme d'agent ou actif s'oppose
aussi et même surtout à l'intellect possible, appelé quelque
fois passif, parce qu'il ne produit pas son acte sans impulsion-
reçue. Comment expliquer le rôle des deux intellects , ou le
rapport de l'espèce impresse à l'espèce expresse ? Ce fut la se-
conde direction où les psychologues scolastiques s'avancèrent
en explorateurs. Là encore , on remua , ou peu s'en faut, toutes
les hypothèses concevables ; et, pour éclairer la route, on mul-
tiplia les similitudes . L'intellect agent produit le germe , et de
l'intellect possible sort le fruit ; l'espèce impresse est une res-
semblance latente, l'espèce expresse est une ressemblance ma-
nifestée ; la première est une image virtuelle , l'autre est une
image formelle , ni l'une ni l'autre , du reste , ne constituant
l'objet connu, mais l'une et l'autre servant de moyen de con-
naissance ; l'espèce impresse est encore une parole qui inspire
l'intelligence , mais que l'intelligence ne prononce pas , c'est-à-
dire qu'elle ne remarque pas , l'espèce expresse , au contraire ,
est le verbe mental, verbum mentis . Il va de soi qu'on examina
si intellect agent et intellect possible représentaient , dans
l'âme , deux principes réellement distincts , bien qu'également
immatériels , d'activité, ou si , tout simplement, ils signifiaient
deux modalités , deux aspects, deux moments, deux fonctions
26 REVUE PRATIQUe d'apologétique

d'une même faculté. Souvent , longuement , on discuta le pro-


blème . Est-il besoin de dire qu'il ne fut pas résolu à l'unanimité ?
Cependant, depuis l'époque de Suarez , l'ère des conclusions
nouvelles est close ; close également la période des discus-
sions originales . N'est- il pas vrai que la théorie de l'espèce
impresse a perdu sa plasticité , et qu'elle ressemble aux lan-
gues mortes , lesquelles exercent toujours une action dans le
monde, surtout lorsqu'on leur reconnaît un mérite classique,
mais subsistent à l'état d'organismes pétrifiés ?
A l'encontre de cette conclusion, l'histoire moderne ou con-
temporaine fournit peut- être plusieurs arguments .
M. Pierre Rousselot ' a démontré, dans l'article cité plus haut,
que la notion d'espèce impresse est toujours susceptible de
progrès , de progrès par synthèse avec une notion plus jeune .
« La théorie scolastique de l'intelligence qui, telle qu'elle se
« présente en certains manuels , paraît si mécanique , si verbale,
« si irréelle , serait rendue peut- être plus intelligible à nos con
« temporains , si on la suggérait en ces termes : il y a deux
« moments dans l'intellection humaine, le moment attitude et
« le moment connaissance ou encore le moment sympathie et
« le moment représentation . L'intellection , en effet, comme le
« dit souvent saint Thomas , requiert , ainsi que toute connais-
<
«< sance , une certaine identité , connaturalité ou ressemblance
<< du connaissant et du connu . Il ne pourrait aucunement
« y avoir connaissance , si l'âme ne s'exprimait elle-même en
exprimant l'objet , et tel objet. Il faut donc que l'intelli-
gence soit rendue, au premier temps, semblable à la chose
« (espèce impresse) , pour qu'elle puisse , au second temps , ex-
«< primer la chose , connaître la chose , et comme se reconnaître
<< dans la chose (espèce expresse ) . Ainsi l'espèce impresse , si
<«< elle est « une ressemblance » de la chose , n'en est pas une
« ressemblance pensée , conçue, elle est une certaine configu-
« ration de l'intelligence à la chose per modum naturæ ; par elle
« l'intelligence se revêt de la forme de la chose , vibre à l'unis-
« son de la chose , afin de pouvoir se la représenter ... En deux
« mots , l'espèce impresse est une sympathisation éclairante . »
Dans l'exemple de synthèse que nous venons d'emprunter à
l'article de M. Rousselot sur l'Etre et l'Esprit , l'influence du
passé prédomine .
C'est, au contraire , la pensée moderne qui semble l'élément
principal et spécifique , dans la combinaison suivante , que pro-
pose le même auteur . La psychologie scolastique joue ici le

1. Revue de Philosophie, 1er mars 1910, p . 228-229,


PSYCHOLOGIE SCOLASTIQUE ET PSYCHOLOGIE MODERNE 27

rôle, essentiel encore , mais subordonné , de remède stimulant


et purifiant. Des multiples philosophies pragmatistes qui ,
sous ce nom commun ou sous les vocables d'humanisme et de
volontarisme , se sont produites depuis une vingtaine d'années ,
en France, en Angleterre , aux Etats -Unis , une idée se dégage,
-
vague , si l'on veut , mais non insaisissable : c'est que - pour
exprimer en langage scolastique une notion moderne -
une appétition déterminée prescrit à chaque faculté cognitive
son objet formel ; c'est que pour signifier la même idée en
style mathématique -- toute connaissance est fonction d'une
tendance. Malgré son succès actuel et l'accroissement continu
de son crédit , le pragmatisme n'a qu'une réserve bien limitée
de vitalité, et il renferme même un principe de corruption .
D'abord, il n'imprime à la spéculation qu'un élan très court .
Lorsque , résumant la doctrine pragmatiste , on a déclaré que
savoir, c'est vouloir, ou que l'acte cognitif est un symptôme
de désir ; tout est dit . Quant à l'élément corrupteur, nul réac-
tif n'est nécessaire pour le dénoncer. Il se révèle de lui- même .
On voit immédiatement que , si la connaissance est ainsi
réduite ou subsumée à une tendance, dont rien ne nous ga-
rantit la portée et la signification , la plus sage des philosophies,
la philosophie logique et nécessaire , sera l'agnosticisme ou le
scepticisme .
Dans ce pragmatisme rachitique et malsain , malgré ses
trompeuses apparences et ses espérances de jeunesse , M. Rous-
selot introduit un principe de force et santé , qui en transforme
la matière, sans en modifier le caractère et la physionomie . Ce
principe régénérateur peut s'appeler l'intellectualisme scolas-
tique. Ce principe , c'est qu'au nombre des tendances humaines ,
plus impérieuse et plus constante que toutes les autres , se
manifeste la tendance à connaître la vérité . Dès lors se produit
le double phénomène que nous signalions : la masse des tendan-
ces anarchiques s'organise et se subordonne à l'imprescriptible
appétit du vrai , et ainsi se transforment les éléments déréglés
du système pragmatiste ; une appétition demeure le principe ,
et, dans l'ordre des causes finies , le primum movens, de toute acti-
vité même intellectuelle, et ainsi , la physionomie distinctive
de la doctrine malsaine caractérise encore la doctrine nouvelle .
On nous propose encore , pour éclairer l'une par l'autre la
psychologie scolastique et la psychologie moderne , de compa-
rer ces trois définitions des rapports entre l'âme et le corps :
la définition de M. Bergson , qui pense que « le corps a pour
fonction essentielle de limiter, en vue de l'action , la vie de
l'esprit » ; la remarque de M. Blondel , pour qui « l'inadéqua-
28 Revue pratique D'APOLOGÉTIQUE

tion de ce que nous connaissons de nous et de ce que nous


sommes » est « la loi essentielle de la vie et la vérité première
de la philosophie » ; la doctrine de saint Thomas , pour qui
l'individu n'est pas identique à sa nature, c'est- à- dire ne rem-
plit pas son essence .
De ce rapprochement entre le présent et le passé, l'auteur
conclut : « Ces formules , rédigées en fonction de mentalités
« philosophiques bien différentes , visent cependant une même
« vérité . On pourrait l'exprimer en ces termes : l'homme n'est
<< pas placé tout d'abord dans son attitude naturelle vis - à-vis
« du Bien Suprême ; il faut, par son effort libre, qu'il la gagne
« et qu'il la constitue » .
La synthèse indiquée offre un singulier intérêt . Mais l'es-
quisse ne nous garantit pas que le travail puisse pleinement
réussir. L'auteur suggère , mais il ne démontre pas , que les trois
définitions s'inspirent de cette idée commune notre nature
spirituelle nous attirant comme une cause finale .
Des exemples que nous venons de citer, il est permis de
conclure que la synthèse des deux psychologies n'est pas un
rève , ni une chimère . Cette synthèse est réalisable , puisqu'elle
est déjà partiellement réalisée .
Les résultats acquis nous autorisent à espérer de nouveaux
progrès.
On ne saurait prévoir, dans un avenir même lointain ,
une synthèse intégrale des deux psychologies . Pour se laisser
prendre à cet espoir, il faudrait oublier le rôle de Descartes
dans la formation de la psychologie moderne , ou son attitude
à l'égard des spéculations antérieures . Descartes estima que
le mouvement générateur de la méthode philosophique devait
ètre un geste schismatique , et que la condition du progrès ,
pour la pensée moderne, était de rompre avec la pensée médié-
vale . Sans doute, la rupture n'a pas été et ne pouvait pas être
tellement radicale, que les deux philosophies fussent entière-
ment et à jamais séparées : c'est pourquoi l'effort synthétique
des représentants de la philosophie médiévale ne demeure pas
vain. Mais la scission a cependant été assez profonde pour que
la pensée moderne se soit formée en dehors de certaines
notions essentielles de la philosophie scolastique : c'est pour-
quoi l'antagonisme des deux pensées demeure partiellement
irréductible .
Quant à la synthèse future , à quelles conditions se poursuivra-
t-elle ? A quel point de l'horizon se fera la rencontre suprême ?
Dans son article Amour spirituel et synthèse aperceptive ' ,
1. Revue de Philosophie, 1er mars 1910, p. 230.
L'ORIGINE DE LA VIE D'APRÈS M. LE DANTEC 29

M. Rousselot rappelle que toutes les créatures spirituelles


sont, en quelque sorte , « de pures inclinations vers la vérité
première » . Il écrit encore , à la fin de ce même article :
« La question de la connaissance n'est pas plus épuisable que
la philosophie même , et elles sont inépuisables justement
parce que l'àme n'a pas l'intuition de soi. >>
On ne saurait plus nettement indiquer et la divine orienta-
tion et l'imperfection terrestre de l'âme . C'est en de telles con-
clusions que pourront s'accorder, que s'accorderont sans
doute , quelque jour, les deux psychologies . C'est vers de telles
conclusions que s'achemine la science moderne de l'âme . De
l'agnosticisme , il restera que l'esprit humain ne connaît pas
directement, et par simple vision , sa nature . De tant d'efforts
pour expliquer l'individu par la société, l'on conclura que
l'âme cherche naturellement sa raison d'être hors d'elle-même ;
mais , comme l'idéal qu'elle conçoit dépasse toutes les réalités
sociales , on devra finalement reconnaitre que Dieu seul expli-
que tout le dynamisme de la vie psychologique , et que l'Huma-
nité n'est pas Dieu . Alors entre les deux psychologies l'accord
sera définitif ; mais la psychologie nouvellene sera plus laïque.
X. MOISANT .

L'origine de la vie d'après

M. le Dantec .

M. Le Dantec, infatigable écrivain . Sa formation scientifique.


Son dédain superbe pour la philosophie . Celle-ci ne le lui aurait-
elle pas rendu ? Au demeurant , M. le Dantec a tenté de gal-
vaniser l'hylozoïsme des vieux Ioniens , ces « physiologues >>
qui ont tant exercé la verve ironique de Socrate. A leur principe
simpliste ( la vie est sortie d'un des éléments ( eau , air, feu ) de
la matière actuelle) , il se contente d'appliquer, en manière de ba-
digeon, la théorie moderne de l'évolution . - Encore était- ce
reprendre la tentative de Haeckel , vieille déjà d'un demi- siècle .
De fait, sa position par rapport à Haeckel est sensiblement la
même que celle de Renan vis - à-vis de Frédéric Strauss . L'un et
l'autre allègent, édulcorent, bref adaptent au goût français les
lourdes spéculations métaphysiques , venues d'outre - Rhin .

Avec M. Le Dantec nous avons affaire à un vrai profes-

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