Vous êtes sur la page 1sur 72

La Déclaration du cardinal

Lavigerie, le clergé français et


les partis politiques, par Jules
Delacroix. (1er mars 1891.)

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Delacroix, Jules. Auteur du texte. La Déclaration du cardinal
Lavigerie, le clergé français et les partis politiques, par Jules
Delacroix. (1er mars 1891.). 1891.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart


des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le
domaine public provenant des collections de la BnF. Leur
réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet
1978 :
- La réutilisation non commerciale de ces contenus ou dans le
cadre d’une publication académique ou scientifique est libre et
gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment
du maintien de la mention de source des contenus telle que
précisée ci-après : « Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale
de France » ou « Source gallica.bnf.fr / BnF ».
- La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait
l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la
revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de
fourniture de service ou toute autre réutilisation des contenus
générant directement des revenus : publication vendue (à
l’exception des ouvrages académiques ou scientifiques), une
exposition, une production audiovisuelle, un service ou un produit
payant, un support à vocation promotionnelle etc.

CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE

2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de


l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes
publiques.

3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation


particulier. Il s'agit :

- des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur


appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés,
sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable
du titulaire des droits.
- des reproductions de documents conservés dans les
bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont
signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque
municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à
s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de
réutilisation.

4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le


producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du
code de la propriété intellectuelle.

5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica


sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans
un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la
conformité de son projet avec le droit de ce pays.

6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions


d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en
matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces
dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par
la loi du 17 juillet 1978.

7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition,


contacter
utilisation.commerciale@bnf.fr.
LA DÉCLARATION

DU

CARDINAL LAVIGERIE

Prix : un franc

St-AMAND (CHER) PARIS


IMPRIMERIE CATHOLIQUE VlC ET AMAT
St-JOSEPH LIBRAIRES-EDITEURS
Rue du Pont-du-Cher II, Rue Cassette, II
1891
LES RELATIONS
ENTRE LE St-SIÈGE & LE ROYAUME D'ITALIE
Mémoire de Son Excellence le Marquis DE LA VEGA DE ARMIJO, ministre des affaires
étrangères d'Espagne, présenté à l'Académie royale des Sciences morales et poli-
tiques à propos d'un travail de M. Leroy-Beaulieu, publié dans la Revue des Deux-
Mondes. — Traduit de l'espagnol, par l'abbé J. MOREAU, curé de Hulsonniaux, suivi
de La Question Romaine internationaleet Anglaise et non pas seulement Italienne,
par Sa Grandeur Monseigneur H. VAUGHAN, évêque de Salford, traduit de l'anglais
par le même, avec une lettre de l'auteur.
Un volume grand in octavo de 92 pages
Prix 1 franc 25
A entendre les partisans de l'Unité Italienne, la Question Romaine
est résolue depuis que Rome est devenue la capitale de l'Italie. Par là,
prétendent-ils, pleine satisfaction a été donnée aux aspirations natio-
nales et rien ne pourra ébranler le nouvel ordre des choses. Jusqu'à
ces dernières années, ce point de vue étroit et intéressé, défendu dans
tous les pays par la presse hostile à l'Eglise, paraissait accepté par
l'opinion publique.
Mais la Question Romaine ne peut être restreinte à une simple ques-
tion de politique intérieure. Elle embrasse les intérêts les plus graves
du monde entier et, fatalement, elle s'impose à l'attention des esprits
sérieux. Voilà pourquoi nous constatons aujourd'hui une inquiétude
partout grandissante a ce sujet. Des voix partent des camps les plus
opposés. Les catholiques font entendre des revendications énergiques :
la presse, les congrès nationaux, la voix des évêques font écho à la
parole du Souverain Pontife; parmi les adversaires de l'Eglise, les
uns, esprits réfléchis et impartiaux, trouvent la question au moins
digne d'un examen et en étudient le caractère et la solution possible;
d'autres, animés de passions sectaires, combattent avec une colère
dédaigneuse et outrageante les réclamations du Pape et de l'Eglise
universelle. Toute cette agitation montre évidemment que la Question
Romaine reste ouverte.
Cependant, il importe de faire un pas en avant et de sortir des démons-
trations théoriques. La question a été assez étudiée et suffisamment
éclaircie. Le Pape lui-même, par sa lumineuse parole, a prouvé main-
tes fois la nécessité, à tous les points de vue, de sa liberté effective
garantie par une souveraineté réelle.
Ce que nous voudrions, c'est une croisade légale, mais réelle et effec-
tive, dans tous les pays où les catholiques comptent par le nombre et
par l'influence, en faveur du rétablissement du Pouvoir Temporel.
Dans sa récente et célèbre brochure sur cette question, le Marquis
de la Vega de Armijo, naguère ministre des affaires étrangères d'Es-
pagne, préconise l'initiative d'une nation neutre comme la Belgique
pour aborder le problème.
C'est celte brochure, que nous prenons la liberté de recommander
aujourd'hui à votre attention. Elle est accompagnée d'un autre travail
de grand mérite, qui la complète et en applique les conclusions : nous
voulons parler d'une longue et savante dissertation due à la plume de
l'illustre évêque de Salford, Monseigneur Vaughan.

S'adresser à l'Imprimerie Catholique St-Joseph, à St-Arnand (Cher)


LA DÉCLARATION
DU

CARDINAL LAVIGERIE
LE CLERGÉ FRANÇAIS ET LES PARTIS POLITIQUES
TOUS DROITS RÉSERVÉS
LA DÉCLARATION

DU

CARDINAL LAVIGERIE

LE CLERGÉ FRANÇAIS & LES PARTIS POLITIQUES

PAR

JULES DELACROIX

St-AMAND (CHER) PARIS


IMPRIMERIE CATHOLIQUE VIC ET AMAT
St-JOSEPH LIBRAIRES-EDITEURS
Rue du Pont-du-Cher II, Rue Cassette, II
1891
PREFACE

La récente déclaration du Cardinal Lavigerie fait le


tour de la presse et du monde. A la première heure,
nous voulions en dire un mot par le canal d'une feuille
régionale qui porte authentiquement le nom de Con-
servateur...
Titre, soit dit en passant, très élastique, maison tou-
jours ouverte à l'esprit du monde, et, par conséquent,
plus ou moins rèfractaire aux consultations théolo-
giques proprement dites. De cette répulsion instinctive,
nous avons des preuves personnelles qu'on nous dis-
pensera de produire. Voilà pourquoi nous adoptons, à
nos risques et périls, la forme de la publication indé-
pendante.
Lorsqu'un document, d'où qu'il vienne, emprunte
la voie de la presse pour sa divulgation, l'auteur peut
se promettre d'être universellement lu. Peut-il égale-
ment espérer que la pièce provoquera chez le plus
grand nombre une lecture attentive, en rapport avec
l'importance de la déclaration? Nous ne le pensons
— 6 —
pas. Ce genre depublicité fane tout ce qu'il touche. —
Aussi nous paraît-il opportun de placer le manifeste
du 12 novembre en tête de notre Etude. Repassant à
nouveau sous les yeux de ceux qui voudront-bien nous
lire, accompagné de notes qui font l'objet propre de
notre travail, il se dégagera plus facilement des cla-
meurs qui ont salué son apparition.
Le texte de la déclaration. — Ce quelle dit, et ce
qu'elle ne dit pas. — Conformité du texte avec les don-
nées théologiques sur la matière.— Compétence Se
l'éminent auteur. — La question d'opportunité. — Le
Pape inspirateur ? -—La liberté politique au sein du
clergé. — Un résultat non signalé. — Un péril à évi-
ter. — Une concentration nécessaire. — Coalition de
la presse royaliste.— Discrétion louable des organes
catholiques. — Conclusion.
Tels sont les divers aperçus que nous suggère le
principal événement politico-ecclésiastique de cette
année. — Nous les soumettons avec confiance à la sagesse
du clergé français, heureux si nous pouvions contri-
buer, dans notre humble sphère, à préciser certains
points trop obscurcis, et à dissiper certains malentendus
trop systématiquement entretenus...
Ier mars 1891.
LA DECLARATION

DU CARDINAL LAVIGERIE
LE CLERGÉ FRANÇAIS ET LES PARTIS POLITIQUES

LE TEXTE DE LA DÉCLARATION

«Je suis heureux, en l'absence de notre gouverneur,


retenu loin de nous, d'avoir pu vous faire ici comme
une' couronne d'honneur de tous ceux qui représen-
tent en Algérie l'autorité de la France : les chefs de
notre vaillante armée, de notre administration et de
notre magistrature. Ce qui me touche surtout, c'est
qu'ils sont tous venus à cette table, sur l'invitation
du vieil archevêque qui a, comme eux, pour mieux
servir la France, fait de l'Afrique sa seconde patrie.
Plaise à Dieu que la même spectacle se reproduise
dans notre France, et que l'union qui se montre ici
parmi nous, en présence de l'étranger qui nous en-
toure, règne bientôt entre tous les fils de la même pa-
trie !
L'union, en présence de ce passé qui saigne encore,
de l'avenir qui menace toujours, est, en ce moment,
— 8 —

en effet, notre besoin suprême. L'union est aussi, lais-


sez-moi vous le dire, le premier voeu de l'Eglise et de
ses pasteurs. Sans doute, elle ne nous demande pas
ni de renoncer au souvenir des gloires du passé, ni
aux sentiments de fidélité et de reconnaissance qui
honorent tous les hommes ; mais, quand la volonté
d'un peuple s'est nettement affirmée, que la forme
d'un gouvernement n'a rien en soi de contraire, comme
le proclamait dernièrement Sa Sainteté Léon XIII, aux
principes qui, seuls, peuvent faire vivre les nations
chrétiennes et civilisées ; lorsqu'il faut, pour arracher
son pays aux abîmes qui le menacent, l'adhésion,
sans arrière-pensée, à cette forme de gouvernement, le
moment vient de déclarer enfin l'épreuve faite, et,
pour mettre un terme à nos divisions, de sacrifier tout
ce que la conscience et l'honneur permettent, or-
donnent à chacun de nous de sacrifier pour le salut
de la patrie.
C'est ce que j'enseigne autour de moi ; c'est ce que
je souhaite de voir enseigner en France par tout notre
clergé, et, en parlant ainsi, je suis certain de n'être
désavoué par aucune voix autorisée.
En dehors de cette résignation, de cette acceptation
patriotique, rien n'est possible, en effet, ni pour con-
server l'ordre et la paix, ni pour sauver le monde du
péril social, ni pour sauver le culte même dont nous
sommes les ministres. Ce serait folie d'espérer soute-
nir les colonnes d'un édifice sans entrer dans l'édifice
lui-même, ne serait-ce que pour empêcher ceux qui
voudraient tout détruire d'accomplir leur oeuvre de
folie, surtout d'assiéger du dehors, comme le font en-
core quelques-uns, malgré, des hontes récentes, donnant
aux ennemis qui nous observent le spectacle de nos
- 9 —

ambitions ou de nos haines, et jetant dans le coeur de


la France le découragement, précurseur des dernières
catastrophes.
La marine française nous a, de même que l'armée,
donné cet exemple. — Quels que fussent les senti-
ments de chacun de ses membres, elle n'a jamais ad-
mis qu'elle dût ni rompre avec ses traditions antiques,
ni se séparer du drapeau de la patrie, quelle que soit la
forme, d'ailleurs régulière, du gouvernement qu'abrite
ce drapeau. — Voilà une des causes pour lesquelles la
marine française est restée forte et respectée, même
aux plus mauvais jours, pourquoi elle peut porter
ses drapeaux comme un symbole d'honneur partout
où elle doit soutenir le nom de la France, et, per-
mettez à un Cardinal missionnaire de le dire avec
reconnaissance, où elle protège les missions chré-
tiennes créées par nous. »

II

CE QU'ELLE DIT ET CE QU'ELLE NE DIT PAS

La première pensée générale de la célèbre allocution


est un voeu nettement exprimé en faveur de la paix et
de l'union au sein de la Mère-patrie, trop visiblement
livrée aux discordes civiles. L'on peut même dire que
ce voeu, formulé avec une réelle éloquence, constitue
la trame de tout le discours. De ces hauteurs absolu-
ment sereines et très épiscopales, il est facile au Car-
dinal de commander l'attention et le respect, de pro-
— 10 -
voquer les réflexions salutaires, d'exiger de tous un
désintéressement aussi grand, que la cause dont il se
fait le défenseur. Il serait puéril de rabaisser une telle
cause aux proportions très contingentes, pour ne pas
dire autre chose, des syndicats politiques qui se par-
tagent et se disputent le gouvernement de la chose pu-
blique. Si le scepticisme et l'ambition ne régnaient
en maîtres dans ces milieux, une parole autorisée,
amie, désintéressée, serait capable de ramener les es-
prits à une vue plus claire et plus équitable des exi-
gences et des responsabilités du pouvoir. Mais non !
Un tel miracle ne s'opérera pas tant que la Franc-Ma-
çonnerie, aux gages d'Israël, demeurera l'inspiratrice
de la politique courante. Aussi le Cardinal n'a eu
garde de laisser espérer l'ombre d'une évolution de ce
côté-là. Ce n'est donc pas un concordat qu'il propose,
le concordat supposant deux parties également dési-
reuses, ou réputées telles, de conclure une paix qui
ne compromette l'honneur, ni l'avenir de l'une ou de
l'autre.
L'appel de l'éminent prélat s'adresse à tous les Fran-
çais encore dignes de ce nom ; il les adjure de se rallier
autour d'un seul drapeau, le drapeau de la patrie, le
seul dont les plis sont assez larges pour abriter tous les
bons vouloirs, tous les dévoûments, toutes les nobles
aspirations.
L'on remarquera que la République n'est pas nommé-
ment désignée dans le manifeste. Il y est question de la
forme de gouvernement que le pays s'est donné. Le fait
matériel est indéniable, il est acquis... Libre à cha-
cun d'en apprécier la valeur morale. Il n'appartient au
Cardinal, ni à. qui que ce soit, de restreindre cette lati-
tude. Mais l'auteur de là Déclaration devait nécessaire-
— II —
ment baser ses arguments pour la paix, sur un grand
fait accompli. Ce n'était ni le lieu, ni le moment de le
discuter. Le souvenir donné aux anciens partis est
exprimé en termes d'un respect sincère et profond.
Des sacrifices sont demandés... mais avec quelle déli-
catesse, quels regrets sous-entendus que l'on n'ait pas
su profiter des heures opportunes pour l'oeuvre des
restaurations glorieuses et fécondes La lecture atten-
!

tive du document nous le révèle clairement.


Résignation, acceptation, adhésion, sans arrière-
pensée, tous les degrés de l'évolution, nécessaire, à
ses yeux, sont marqués par le Cardinal. Tout ce qui
est compatible avec les fidélités qui honorent, avec les
espérances qui ne veulent pas mourir. Comme on le
voit, l'Archevêque d'Alger ne demande pas l'impos-
sible. Il cherche à provoquer, au sein du pays, et plus
spécialement dans les milieux intelligents et chevale-
resques, un courant de générosité qui emporte les abris
sous lesquels s'agitent les mesquineries du parti-pris,
pour élever à leur place la citadelle inexpugnable de la
défense sociale. «Descendants des croisés, et vous,
venus plus tard sous des étoiles plus proches de nous,
qui n'avez pas marchandé votre dévoûment à l'heure
sombre des invasions, chevaliers qui avez sauvé
l'honneur de la patrie, lorsque tout était perdu, donnez
à la France un spectacle encore plus grand, plus salu-
taire, plus méritoire, le spectacle d'une résignation
héroïque! » Savoir se résigner accuse une force plus
grande que celle qu'il faut déployer dans la mêlée des
combats.
Pour Dieu et pour la Patrie ! Telle est la devise, tel
est le souffle qui inspire la harangue du Primat
d'Afrique. Si la République, telle qu'elle est, se trouve
- 12 -
sur son chemin, il l'accepte comme une implantation
dont, pour le quart d'heure il n'avait à dire, ni du bien,
ni du mal, mais dont le déracinement lui paraît, sinon
absolument impossible, mais à tout le moins très pé-
rilleux. Pénétré, d'un amour ardent pour sa patrie, il
appréhende que les efforts tentés pour nous débar-
rasser de la forme de gouvernement n'ébranlent les
fondements mêmes de l'édifice national. Voilà, à nos
yeux, ce que dit la Déclaration. Placée dans son vrai
jour quant à la partie positive, elle se passe de tout
commentaire dans ce que l'on peut appeler sa partie,
négative, ce qu'elle ne dit pas ressortant des affirma-
tions très nettes et très franches qui la caractérisent.
Ainsi, encore qu'elle conclue carrément à l'accepta-
tion du régime actuel, l'on n'est pas autorisé à induire
que le Cardinal passe à la République avec armes et
bagages. Son patriotisme est d'essence trop pure, trop
élevée, trop désintéressée, pour qu'on puisse lui faire
une pareille' injure. Il y a différentes manières de se
rallier à un gouvernement établi. Celle des hommes
d'Eglise qui veulent rester tels s'inspira toujours des
intérêts de la Religion et de la Patrie.

III

CONFORMITE DU TEXTE AVEC LES DONNEES THEOLOGIQUES

Au fond de toute question importante il y a de la


Théologie. Ecarter cette science maîtresse du gouver-
nement de la vie, qu'il s'agisse des individus, des fa-
milles ou des peuples, c'est courir au-devant de toutes
- -13

les ruines. Car, qu'est-ce que la Théologie, au point


de vue moral, le seul qui nous occupe en ce moment,
sinon la coordination des principes d'après lesquels
les actes humains rassortissent des lois naturelles et
positives imposées par le Créateur aux êtres doués
d'intelligence et de liberté? D'un autre côté, l'homme
est manifestement un être social se rattachant à une
nationalité quelconque. De ce chef, il a des devoirs à
remplir, des prescriptions fondamentales à observer.
Une de ces lois peut se formuler ainsi : Dans les con-
flits d'opinions, de compétitions et de préférences po-
litiques, la liberté de chacun cesse au point précis où
les intérêts mis en jeu peuvent subir une grave atteinte
du fait de l'opposition systématique au pouvoir établi.
Or, tel est, ramené à sa plus simple expression,
l'énoncé du cas de conscience posé et résolu par le
Cardinal Lavigerie. Les cas de conscience excluent
tout enthousiasme. Il ne s'agit donc plus de la béné-
diction, d'ailleurs non demandée, des arbres de la
Liberté, comme on l'a vu en 1848. L'heure est plus
solennelle et plus sombre à la fois. L'Ere nouvelle a fait
son temps, et il nous paraît puéril d'en rappeler les
illusions à un Prélat blanchi dans le maniement des
hommes les plus divers et des affaires les plus posi-
tives. L'on a trop répété que l'Archevêque d'Alger se
fourvoyait dans ses incursions sur le domaine de la
politique. Il faut s'entendre. L'auteur de la Déclaration
s'est maintes fois défendu de professer des principes
absolument arrêtés en matière de formes gouverne-
mentales. Nous devons l'en croire, et tel document
insidieusement replacé sous ses yeux ne prouve
qu'une chose, l'ardeur et la clairvoyance de son pa-
triotisme à une heure où tout semblait devoir être
— 14 —
sauvé par l'avènement d'un prince orné des plus'
belles qualités. Si le courant n'a pas été remonté, nul
ne songe à faire peser la moindre responsabilité sur
les grands Evêques de cette époque presque loin-
taine, si l'on tient compte de l'accumulation des évé-
nements. Déjà l'histoire nous dévoile ses secrets; ils
ne sont pas à l'honneur de l'école politique dont les
disciples se plaisent aujourd'hui à incriminer l'attitude
forcément conciliante des Pasteurs de l'Eglise.
L'Eglise, en effet, n'a pas précisément des préféren-
ces politiques. Vue de l'extérieur, et sur le terrain des
analogies, elle offre le spectacle d'une monarchie tem-
pérée d'aristocratie, sans exclusion de l'élément démo-
cratique représenté par le clergé du second ordre au
sein duquel se recrutent les Prélats proprement dits,

supérieure.
et par lequel le peuple fidèle se rattache à la hiérachie
En second lieu, les déclarations formelles et réité-
rées du Sain-Siège concernant la participation du
peuple, par un mode de votation quelconque, à la
gestion de la chose publique, ne permettent aucun
doute sur la légitimité, en soi, des constitutions pu-
rement démocratiques. Car il ne saurait être question
ici des démocraties appelées césariennes, et dont l'or-
ganisation savante ne peut donner à la masse que l'il-
lusion du pouvoir.
Dans cet ordre d'idées, une dernière observation
s'impose. L'orthodoxie bien connue de l'Archevêque
d'Alger ne pouvait méconnaître les anathèmes du
Syllabus contre la théorie trop souvent descendue
dans le domaine des faits, que le suffage universel
légitime les spoliations les plus iniques et les an-
nexions les plus scandaleuses. Aussi le cas de cons-
— 15 —
cience du célèbre Prélat est-il à l'abri des censures du
8 décembre 1864. A moins d'admettre l'inamissibilité
absolue du pouvoir au bénéfice d'une grande famille
historique, — ce qui sent le gallicanisme, — il faut con-
venir que la situation présente de notre pays simplifie
considérablement sur le terrain pratique la question
de légitimité. Les aspirations monarchiques, soumises
au contrôle de l'histoire des derniers temps, ont de la
peine à se coordonner, à telles enseignes que des roya-
listes de vieille roche, plutôt que de se rallier au chef
actuel de la branche demeurée française, ont préféré
se rattacher aux représentants, non étrangers, d'après
eux, de la branche aînée. Les blancs d'Espagne,
comme on les appelle ironiquement, ne sont qu'une
poignée, nous le voulons bien ; mais ils parlent, ils
s'agitent, ils invoquent l'imprescriptibilité de certains
principes sans lesquels, assurent-ils, la Monarchie
française ne se conçoit pas. L'on dira que c'est de la
pure archéologie... Mais archéologie séduisante, tout
chercheur de bonne foi en conviendra. Par deux fois,
la forme impériale a été plébiscitée dans notre pays;
après quelques années de gloire chèrement achetée,
elle a sombré dans les horreurs de l'invasion.
Dans l'espace de près d'un siècle, la Monarchie lé-
gitime n'a réussi à se réimplanter que pour la durée
de quinze ans, et l'on a pu dire de Louis XVIII, le pre-
mier titulaire après l'ère napoléonienne, qu'il succé-
dait à Bonaparte, tant la notion, de la fonction
paraissait altérée dans l'esprit du souverain, comme
dans l'esprit du peuple.
En admettant même que le tempérament de la France
demeure foncièrement monarchique, — et nous ne con-
testons pas qu'on ne puisse le soutenir, — en faisant aussi
— 16 —
large que possible la part des mensonges, des fraudes,
des calomnies qui ont présidé à l'établissement du
régime actuel et qui continuent à le faire vivre, il reste
que ce régime possède au moins un titre coloré, et que
son éviction par un coup de main, ou par le jeu
des suffrages populaires, paraît chose impossible à un
très grand nombre d'esprits réfléchis et désintéressés.
Que de fois et dans combien de collèges électoraux,
les candidats les mieux intentionnés ne se sont pas cru
obligés de dissimuler leur drapeau politique pour bri-
guer les faveurs du peuple Souverain ? Cette tactique
n'a pas été approuvée de tous, et les raisons fournies
n'étaient pas dénuées de fondement. Mais dans le sujet
qui nous occupe, il-suffit de constater l'état des esprits,
pour conclure, sinon à l'incertitude du but, du moins
à l'extrême variabilité du point de vue.
En un mot, voilà bientôt un quart de siècle que la
troisième République jouit chez nous d'une possession
de fait. Cette possession, légitime ou non, en principe,
se fortifie visiblement de tous les échecs essuyés par
les partis adverses. Le moment est-il venu, oui ou non,
de déposer les armes, et de déployer désormais son
activité au service exclusif de l'Eglise, qui est immor-
telle, et de la France, sa fille aînée, qui survit, grâce à
Dieu, aux mille régimes qu'on veut lui infuser?
— 17 —

IV

COMPETENCE DE L'EMINENT AUTEUR

A la question que nous venons de poser, le Cardinal


Lavigerie répond affirmativement. A-t-il qualité pour
se prononcer solennellement dans un sens ou dans
l'autre? C'est notre avis mûrement réfléchi. Français
dans toute l'étendue et la noblesse du mot, investi d'un
caractère sacré qui le constitue Pasteur en Israël,
décoré de la pourpre romaine aux applaudissements de
toute l'Europe, pour ne pas dire de tout l'Univers,
mêlé à toutes les races, l'oreille ouverte à tous les
échos qui viennent de l'Eglise et du monde, nul plus
que lui, à l'exception du Souverain-Pontife, n'était au-
torisé à élever la voix pour indiquer à son pays l'un
des grands moyens de relèvement, la pacification sur
le terrain politique.
— 18 —
très opportun de discerner, au profit de l'éducation
nationale, les divers courants d'opinion qui s'établis-
sent en Europe et ailleurs, au sujet de l'avenir de notre
pays? Fas est ab hoste doceri. Cet adage de la Sagesse
antique, le Primat d'Afrique a eu en plusieurs rencon-
tres, l'occasion d'en vérifier la portée. Représentant
des intérêts religieux et moraux de la mère-patrie au
sein de notre plus belle colonie, intermédiaire officieux
dans les négociations qui nous ont assuré le protecto-
rat en Tunisie, obligé par sa charge de compter avec
mille susceptibilités, il occupe, par là même, un des
meilleurs postes d'observation qui soit au monde pour
se renseigner et nous renseigner sur les dispositions
intimes des nations voisines à l'égard de la France.
Puisque nous avons nommé la Tunisie, qu'on nous
permette de reproduire les paroles adressées par le
Consul d'Italie à l'administrateur apostolique de la
Régence devenue française : « Que de bien vous fai-
tes ici, Monseigneur ! Mais que ce bien nous fait du
mal !»
Le restaurateur du siège primatial de Carthage avait
voulu associer l'un des plus nobles descendants de
saint Louis à l'oeuvre de la régénération de l'Afrique.
Dans une lettre pressante, aujourd'hui divulguée,
fortement et habilement motivée, il conviait le prince à
venir s'asseoir sur le trône de France et à reprendre
le rôle apostoliquement colonisateur de la Monarchie
chrétienne. Sous l'influence combinée de la croix et de
l'épée, l'Afrique renaissait de ses cendres... Une basi-
lique majestueuse, la Basilique de Saint-Louis, devait
marquer et couronner ce plan grandiose !
La chrétienté redevenait une réalité, et le jour n'était
pas loin où l'Evangile sûrement abrité sous le drapeau
— 19 —
de la France allait s'implanter jusque dans les contrées
de l'Extrême-Orient...
Vaines espérances ! rêves d'un moment ! Le Roi ne
vint pas... Une blessure inguérissable était faite au
coeur de l'Apôtre de l'Afrique. Le plan de campagne
de 1874, au dire même de publicistes importants hos-
tiles au Manifeste du 12 novembre 1890, n'en demeure
pas moins un monument de haute et clairvoyante
politique et accuse chez le conseiller intime du pré-
tendant trop indécis une compétence non commune.
«Le moment psychologique,» comme on l'a dit, était
supérieurement précisé, et rien ne manqua à cet acte
dicté parle patriotisme le plus pur, si ce n'est, hélas! la
sanction que le Roi pouvait seul lui donner.
La compétence du Cardinal à l'heure actuelle s'éclaire
et se fortifie du spectacle qu'offre la France à l'intérieur
et à l'extérieur. Envisagée sous le premier point de vue,
notre patrie nous apparaît comme un champ clos où
la discorde règne en maîtresse et altère les éléments
du bon sens national. Cette situation ne peut que nous
affaiblir à l'extérieur. Et pourtant il y a encore une
assez forte réserve d'énergie vitale pour que les Gesta
Dei per Francosne semblent pas à la veille de se pro-
tester par le fait d'une apostasie définitive. Les perspec-
tives de 1874 se sont, il est vrai, considérablement
rétrécies. Néanmoins, le drapeau national n'a pas tout à
fait divorcé avec la croix, il la protège en Palestine, au
Tonkin, au centre de l'Afrique, et tout récemment
encore, il flottait sur les coupoles ensoleillées de la jeune
Basilique à l'inauguration de laquelle le Roi invité
n'assistait pas... Cette Basilique n'a pas reçu ses der-
niers embellissements. Symbole de paix, gracieuse et
forte inspiration de la vieillesse du grand Cardinal, elle
- 20 -
attend de la France redevenue grande par le bienfait de
la concorde, l'ex-voto de la reconnaissance.
Il semble que les considérations qui précèdent nous
dispensent de poser la question d'opportunité. Nous
la posons néanmoins, ne fût-ce que pour insister plus
directement et plus longuement sur certains aperçus à
peine effleurés.

LA QUESTION D'OPPORTUNITÉ

Avoir qualité et compétence pour se prononcer dans


une circonstance importante donnée, ne suppose pas
toujours et nécessairement la garantie de l'opportunité.
Il y a bien l'opportunité appelée intrinsèque, qui se
tire du coeur même de la question, et dont la mise en
relief est du ressort des hommes autorisés et compé-
tents dans l'espèce. Mais elle ne franchit guère les
horizons de la spéculation ; elle est avant tout du
domaine des érudits. Ainsi, dans cette sphère, il est
loisible, intéressant et même utile d'examiner, au flam-
beau de l'histoire et à la lumière des événements com-
temporains, dans quelle mesure notre tempérament
national réclame ou repousse la forme monarchique. En
dehors des écrivains de parti-pris et des utopistes
dont le siège est toujours fait, il reste encore une
bonne marge pour les discussions loyales et les con-
troverses sérieusement documentées. Mais revenons à
— 21 -
l'opportunité visée par l'Archevêque d'Alger. Celle-
est d'essence plus vivante, plus immédiatement pra-
tique ; c'est l'opportunité extrinsèque, la seule dont il
convient de nous occuper. Elle se base, à nos yeux,
premièrement sur l'impossibilité morale, au moins
quant au moment présent, et par un procédé stricte-
ment légal, de toute restauration monarchique; en se-
cond lieu, et par voie de conséquence, sur la stérilité
de l'opposition systématique, et enfin sur la nécessité
patriotique de coordonner toutes les bonnes volontés,
aujourd'hui éparses et souvent discordantes, vers un
but déterminé, la défense sociale. Quoi qu'il en soit
de l'esprit monarchique dans notre pays, les tenta-
tives de restauration paraissent condamnées à l'im-
puissance. Les derniers échecs sont particulièrement
lamentables, d'autant plus lamentables que les combi-
naisons en vue du succès final n'échappent pas tout à
fait au reproche d'entreprises louches et peu confor-
mes aux principes de l'honnêteté politique. Parce que
les adversaires au pouvoir usent de tous les moyens
pour s'y maintenir, ce n'est pas une raison pour que les
Chefs du parti appelé conservateur puissent faire
subir des entorses aux prescriptions morales qui régis-
sent la vie publique comme la vie privée. Pour si in-
forme que soit le gouvernement d'un pays, il n'est ja-
mais permis de le combattre avec des armes prohibées
dans les relations ordinaires. Ces armes, les principes
conservateurs les excluent par la force qui leur est
propre ; s'il en pouvait être autrement, leur existence
même deviendrait un point d'interrogation... Une in-
tervention de meilleur aloi, un coup de théâtre plus
noblement inspiré, un événement, enfin, qui en d'au-
tres temps aurait sans doute provoqué des enthou-
— 22 -
siasmes plus universels, faisant long feu, et créé de
graves difficultés au pouvoir établi, ça été l'arrivée
inopinée du jeune prince d'Orléans et sa demande
énergique d'enrôlement sous le drapeau de la patrie.
Cette fière démarche, digne d'un Condé, a occupé un
instant, nous le voulons bien, l'attention publique,
niais sans préjudicier à la frénésie de reportage qui s'at-
tachait aux pas et aux moindres gestes de Gabrielle
Bompard. Du sommet de la hiérachie sociale aux cou-
ches les plus infimes, — de notables exceptions étant
admises, — nous en sommes là... Oui, confessons-le,
la rougeur au front, la nation chevaleresque par excel-
lence entre dans le domaine de la légende. La démons-
tration d'Henri d'Orléans n'a pas eu d'écho, parce que
la jeunesse française n'a même plus d'opinions poli-
tiques. En entrant dans un courant déterminé, elle
compromettrait sa dignité hégélienne, sans parler de la
grave atteinte portée à l'équilibre de ses journées ma-
thématiquement partagées entre le confort, le théâtre
et... le reste.
L'article du confort est si prépondérante dans les
préoccupations nationales, que les journalistes en-
voyés à Clairvaux n'eussent pas paru complets si
leur compte rendu n'eût pas fait une place spéciale
aux menus servis au royal prisonnier. Ces menus
étaient modestes..... et tout le monde de se regarder
étonné et presqu'incrédule ! Le souvenir de la noble
équipée est à jamais inséparable des notes d'un res-
taurant! Et puis l'on est revenu avec plus d'entrain à
l'affaire Gouffé, en attendant les scandales de Toulon.
Ceux-ci accusent une fusion de races dont les suites
ne sauraient être la restauration de la Monarchie
chrétienne. L'ignoble et vulgaire Fouroux est suffi-
— 23 —
samment cloué au pilori par la presse qui se réclame
de la protection des anciens partis. Mais cette femme
mérite-t-elle tant d'égards?
L'esprit d'opposition systématique s'accuse chez
nous, de mille façons; c'est une scie, qu'on nous per-
mette le mot, toujours en mouvement, mais dont les
pointes perdent bientôt de leur acuité par suite d'un
trop long usage. Un jour arrive où les hommes de
sens rassis sont écoeurés, dégoûtés et, finalement,
irrités à ce spectacle quotidiennement renouvelé d'une
presse bien intentionnée, si l'on veut, mais devenue
insupportable par l'exagération de ses attaques, la su-
rabondance de ses plaisanteries de mauvais goût et
la disposition très accentuée à méconnaître les délica-
tesses de la bonne foi, quand il s'agit de la politique
gouvernementale.
Outre que ces procédés sont visiblement frappés
d'impuissance quant au but visé, qui est de provoquer
ce que l'on appellerait la Révolution du mépris seconde
édition, ils affaiblissent le sens patriotique, de telle
sorte qu'une entreprise manifestement louable, un ré-
sultat heureusement acquis deviennent, sous l'in-
fluence d'une opinion surchauffée et prévenue, l'objectif
de commentaires dictés par le parti-pris, et cela à la
grande satisfaction de nos ennemis. La République
n'a pas succombé!... mais le prestige national a reçu
une atteinte dans l'esprit de l'étranger, déjà si porté à
diminuer la grandeur de la France, Nous n'ignorons
pas, assurément, que les causes premières de notre dé-
cadence intérieure et de notre faiblesse extérieure, doi-
vent être attribuées aux éléments révolutionnaires
dont l'ancien royaume très chrétien est devenu comme
la terre classique, et que l'établissement politique
— 24 —
actuel, surtout à cause des hommes qui le régissent,
n'est que trop propice à la propagation et à la pré-
pondérance de ces mêmes éléments. D'un autre côté,
dans combien de circonstances les hommes ne sont-
ils pas meilleurs que leurs systèmes, et, lorsqu'il s'agit
du monde officiel, n'y-a-t-il pas des cas où les classes
dirigeantes, sous peine de préparer leur propre ruine,
doivent leur concours à l'action relativement conser-
vatrice du gouvernement établi? Si l'anarchie est dans
les idées, dans les tendances et dans les doctrines,
l'on ne peut pas dire qu'elle soit dans la rue, et que
les sécurités essentielles soient tout à fait compro-
mises. Grâce à Dieu, il y a encore une Magistrature
dont les arrêts ne sont pas invariablement dictés par
la peur ou autres passions plus viles, et aux portes des
Tribunaux veille une garde armée pour imposer effi-
cacement lé respect de la justice. Les maisons de la
prière sont ouvertes au peuple fidèle, et l'heure n'a
pas encore sonné de la suprême désolation et de l'abo-
mination consommée.
Est-il chrétien, prudent et patriotique d'attendre la
restauration de l'ordre social chez nous d'un cata-
clysme qui pourrait tout emporter ? La foudre est du
domaine exclusif de la Providence. Au disciple de
l'Evangile moins qu'à tout autre, il n'appartient d'évo-
quer les sinistres lueurs de la tempête. Ce n'est pas dans
l'opposition systématique aux pouvoirs de fait qu'il
faut aller chercher le secret de la force des premiers
chrétiens, mais bien dans leur coeur détaché des cho-
ses visibles, dans la profession intégrale de la foi et
dans leur soumission filiale à l'Eglise, qui priait pour
l'Empire et pour les Chefs, etiam dyscolis, préposés à
son gouvernement. Aussi les contradictions dans l'atti-
— 25 —

tude des héros de cette grande époque ne sont-elles


qu'apparentes. Il ressort, en effet, de la lecture atten-
tive des interrogatoires les plus célèbres, que le prin-
cipe d'autorité n'est jamais mis en question, pas plus
que la légitimité de l'investiture en vertu de laquelle
le juge mande à sa barre les citoyens de l'Empire. Les
débats portent exclusivement sur les abus de pouvoir,
sur la mauvaise foi des dénonciateurs, sur l'existence
présumée de crimes politiques ou contre les moeurs,
reprochés aux chrétiens, sur la liberté de conscience,
au point de vue religieux, et entendue dans le sens le
plus théologique du mot, et finalement sur l'incompé-
tence de la puissance séculière en matière d'actes de
foi. Cette lutte a duré trois siècles. L'on en connaît
l'issue. Des esprits chagrins s'étaient inscrits d'avance
contre un tel résultat. Ils affirmaient l'absolue incom-
patibilité de l'Empire et du règne officiel de l'Evangile.
La conversion éclatante de Constantin donna un dé-
menti à ces prévisions par trop pessimistes. Que peut-
on présager à ce point de vue de notre République
actuelle ? Le passé et le présent sont à l'encontre de
toutes les espérances de christianisation. Un politicien
célèbre a voulu tirer l'horoscope du régime en le for-
mulant par le dilemne connu : La République sera
conservatrice ou elle ne sera pas. La République n'a
pas été conservatrice, elle ne l'est pas davantage à
l'heure où nous traçons ces lignes. Et pourtant, elle
vit, s'estimant inviolable, intangible du côté des an-
ciens partis, en un mot, à l'abri des courants extrêmes,
la réaction monarchique et les assauts du radicalisme.
Il est un élément supérieur qui la gêne bien plus sérieu-
sement. C'est l'élément chrétien qu'elle s'acharne à
expulser de tous les points. Mais parce que l'avenir du
— 26 —
pays est l'enjeu de cette lutte, un grand Prélat s'est
trouvé qui a osé dire à la République des républicains :
Nous voulons te sauver malgré toi, les destinées de la
France paraissant indissolublement unies à ton propre
sort. Les ennemis de Dieu sont les pires ennemis de
là patrie. Si les chrétiens, sel de la terre, lumière du
monde, continuent à protester du dehors, empêchés
d'entrer pour une question de forme, n'est-il pas à
craindre que la Fille aînée de l'Eglise s'abîme irré-
médiablement dans le gouffre de l'impiété et du socia-
lisme menaçant? La République sera tôt ou tard chré-
tienne ou elle périra infailliblement. Pour prédire cette
échéance, pas n'est besoin d'être prophète, ni fils de
prophète.

VI

LE PAPE INSPIRATEUR ?

L'Eglise de France et la France elle-même ont fait du


chemin depuis le siècle de Louis XIV, le siècle qui mar-
que l'apogée de la puissance royale et le terme extrême
après lequel la Primauté pontificale plus méconnue et
plus effacée, le Saint-Siège se serait vu dans la dou-
loureuse nécessité de signaler un grand schisme de plus
ausein de l'Europe chrétienne.
Or, pendant que le prestigeroyal est allé s'affaiblissant
jusqu'à disparaître derrière un nuage ; où plusieurs
veulent voir les ombres du tombeau, la Papauté re-
— 27 —
trempée dans l'épreuve, rajeunie par le malheur,
ressaisit graduellement, par des voies nouvelles, cet
empire moral qui la plaça, pendant de longs siècles, à
la tête de la civilisation. Redevenue populaire sous
l'héroïque pontificat de Pie IX, elle affirme aujourd'hui
sa vitalité sous le triple aspect d'un enseignement qui
éveille l'attention des plus indifférents, d'une sollicitude
qui dévoile les périls de la question sociale en indiquant
les remèdes opportuns, d'une diplomatie qui commande
l'admiration et le respect des hommes politiques. D'une
main habilement souveraine, Léon XIII marque les
limites assignées à la foi et à la raison, à l'Eglise et à
l'Etat, à l'absolu et au contingent, à ce qui s'impose,
et aux points qui sont laissés aux disputes du monde.
Il n'y a assurément rien de nouveau sous le soleil. La
papauté est une éternelle recommenceuse, mais la devise
du pontificat actuel ne saurait se mentir à elle-même...
Lumen in coelo ! La vérité, même dès ici-bas, n'est-
elle pas un océan sans rivages? Et le duc inaltum de
la nacelle apostolique n'est-il pas fait pour inspirer les
initiatives les plus hardies et les plus variées?
Encore une fois, les sociétés sont attentives. Bien
que captive d'un pouvoir usurpateur et très incomplè-
tement rassurée, la papauté demeure la lumière du
monde et le dernier rempart des sociétés battues en
brèche par le flot révolutionnaire.
Ces brèves considérations étaient nécessaires pour
assigner sa véritable portée à la question posée plus
haut: Le Pape inspirateur? Personne n'ignore que le
Primat d'Afrique, à la suite de son dernier voyage en
France, a voulu s'entretenir avec le chef de l'Eglise,
de la grande entreprise qui les préoccupe tous deux, la
croisade anti-esclavagiste. Or, l'orientation des affaires
— 28 —
politiques et religieuses de l'Europe importe souverai-
nement à la solution pratique des difficultés que
soulève l'abolition de l'esclavage. Et comme la France
occupe encore, Dieu merci, le premier rang en tout
ce qui intéresse la civilisation universelle, il semble
très naturel que le Souverain Pontife et son illustre
interlocuteuraient porté leur attention sur les meilleurs
moyens de rétablir la paix dans notre pays. Entre le
Pape et le Cardinal, il ne pouvait être longuement
question de l'élément principal de notre relèvement,
l'élément religieux avec la liberté qui en propage et
en assure l'influence. Pour les hommes placés à la
tête de l'Eglise, cet ordre d'observations s'adresse aux
gouvernements et aux peuples plus ou moins pré-
varicateurs. Ici, elles étaient parfaitement inutiles.
Inutile aussi de retracer le tableau des ruines accumulées
par la persécution au sein de l'Eglise de France... A
quoi sert d'aviver des plaies toujours saignantes?
Dans quelle mesure l'esprit de parti, l'opposition
systématique, le défaut d'indépendance, au moins rela-
tif, chez un grand nombre de catholiques, influent-ils
sur la marche en avant des forces antichrétiennes ? Si
la haine religieuse est la principale inspiratrice des lois
qui nous oppriment, le prétexte politique ne sert-il
pas merveilleusement à la mise en scène ? Si le mot
d'ordre part de la Loge maçonnique, les considérants
qui le font prévaloir, — l'épouvantail des réactions mo-
narchiques, — les entreprises occultes du clergé pour
aider au triomphe des anciens partis, —la nécessité pour
l'Etat de se défendre contre toutes les coalitions, tous
ces arguments habilement présentés ne détachent-ils
pas trop souvent du prêtre, aux heures décisives, ses
marguilliers les plus fidèles et les plus dévots? —
— 29 —
La lutte est ouverte. Le Pasteur qui représente seul le
parti catholique au seiri de la modeste paroisse, est
encadré, à tort ou à raison, dans le groupe d'opposi-
tion monarchique. Il a beau se défendre de ne pas faire
de la politique d'obstruction, on lui oppose le drapeau
connu, bien que parfois dissimulé, du candidat anti-
gouvernemental. Sans aller ni à droite ni à gauche
dans le sens strictement parlementaire de ces deux
mots, n'y aurait-il pas quelque chose à faire pour
dégager l'établissement catholique français des étroi-
tesses de l'esprit de parti ? Oui, il y avait quelque chose
àfaire... C'était la conviction intime et déjà ancienne du
Cardinal Lavigerie. A-t-il réussi à la faire partager plei-
nement, personnellement au Souverain Pontife ? L'on
est allé plus loin en insinuant que l'archevêque d'Alger
n'a été que le porte-voix de Léon XIII. Ces divers points
d'interrogation prenant corps sous la plume de mille
publicistes français révèlent un état d'esprit qui n'est
pas fait pour nous déplaire. Manifestement la papauté
grandit au milieu de nous. Du journaliste le plus sec-
taire au prélat le plus avisé, la même question s'est
posée : que pense Léon XIII? qu'est-ce qu'il dit?
que fera-t-il ? est-il inspirateur, approbateur, neutre
ou prêt à désavouer le prince de l'Eglise ? Toute la
gamme des hypothèses a été parcourue, pendant que
l'organe officiel du Vatican, l'Osservatore romano,
gardait le silence. Enfin, le silence a été rompu, non
par la voie de la presse, même la plus romaine, mais
par une note officielle émanée de la secrétairerie d'Etat
et adressée à l'Evêque de France, qui, le premier, avait
demandé Une ligne de conduite au Saint-Siège. Cette
pièce est un monument de prudence pontificale. Ré-
digée sous les yeux du pasteur suprême, elle n'a garde
— 30 —
d'intervenir dans nos conflits pour en accentuer la viva-
cité. Tous les droits sont réservés dans ce sens que
l'Eglise de Rome n'étant pas consultée par les princi-
paux intéressés, ne peut, ne veut, ni ne doit décider
de la légitimité des prétentions politiques. Il lui suffit,
pour l'exercice de son autorité exclusivement spiri-
tuelle, d'accepter les pouvoirs établis, sans préjudicier
pour cela aux revendications plus ou moins fondées
des familles royales dépossédées.
En ce qui regarde plus spécialement l'état présent
de la nation française, il importe avant tout de défen-
dre les libertés religieuses et de ne pas s'attarder sur
des questions secondaires. Pour l'exécution de ce plan,
les chefs sont naturellement désignés, à savoir les
Evêques préposés par le Christ à la garde de son trou-
peau. Or les Evêques ne sauraient être des hommes
politiques dans l'acception courante du mot. Pleine-
ment libres sur ce terrain comme citoyens d'un pays
déterminé, en tant qu'hommes d'Eglise, les coulisses
où se nouent les intrigues leur sont formellement in-
terdites. C'est pourquoi, s'en rapporter à leur manière
de faire est une garantie de prudence chrétienne dans
les temps troublés que nous traversons. Nous avions
déjà pris la plume et fixé les divers points sur lesquels
nous voulions appeler l'attention du clergé, lorsque
la réponse dû Saint-Siège à l'Evêque de Saint-Flour
est parvenue à la connaissance du public. Elle trouve
ici sa place naturelle, bien que non indiquée dans la
série des paragraphes.
Illustrissime et Révérendissime Seigneur,
« On m'a remis, la lettre qui m'avait été adressée
« par votre Grandeur le 19 novembre, et dans laquelle
— 31 —
« il était fait mention d'un dissentiment récemment
« soulevé en France sur une très grave affaire, dissen-
« timerit qu'il était d'autant plus important d'écarter que
« l'accord parfait des esprits est plus nécessaire entre
« tous les catholiques.
« Il est facile de connaître la pensée et le sentiment
" du Saint-Siège sur cette question, d'après la doctrine
« exposée dans les actes publiés à ce sujet. Il appert
« de ces actes que l'Eglise catholique, dont la mission
« divine embrasse tous les temps et tous les lieux,
« n'a rien, ni dans sa constitution, ni dans ses doctrines,
« qui répugne à une forme quelconque de gouverne-
« ment, car chacune d'elles peut offrir et maintenir
« une excellente condition de société, si l'on en use
« avec justice et avec prudence. En effet, l'Eglise,
« s'élevant au-dessus des formes changeantes de gou-
« vernement, aussi bien que des querelles et des riva-
« lités des partis, s'attache avant tout aux progrès de la
« religion, au maintien et au développement de laquelle
« elle doit s'appliquer à donner tout son zèle et tous
« ses soins.
« S'inspirant de ces pensées et de ces considérations,
« le Siège apostolique, fidèle à suivre la tradition de
« tous les temps, non seulement respecte les pouvoirs
« civils (que l'Etat soit gouverné par un seul ou plu-
« sieurs), mais aussi entretient des relations avec eux,
« en envoyant et en recevant des ambassadeurs et des
« légats, engage des négociations pour le règlement
« des affaires et la solution des questions qui inté-
« ressent les rapports de l'Eglise et de l'Etat. L'accom-
" plissement de ce ministère, dont l'amplitude domine,
« les choses humaines, ne préjudicie rien quant aux
« droits qui peuvent appartenir à des tiers, ainsi que
— 32 —
« l'a sagement déclaré le pape Grégoire XVI, de sainte
« mémoire, en suivant les traces de ses prédécesseurs,
« dans la lettre apostolique du 7 août 1831, qui com-
« mence par ce mot : Sollicitudo.
« C'est pourquoi, le même souci du bien de la reli-
« gion qui guide le Saint-Siège dans les négociations
« qu'il engage et les relations mutuelles qu'il entre-
« tient avec les chefs d'Etats doit être aussi la règle des
« fidèles dans les actes non seulement de la vie privée,
« mais aussi de la vie publique. En conséquence, lors-
« que les intérêts de la religion l'exigent, et lorsqu'au-
« cune raison juste et particulière ne s'y oppose, il
«convient que les fidèles prennent part aux affaires
« publiques, afin que, par leur zèle et leur autorité, les
« institutions et les lois se modèlent sur les règles de
« la justice, et que l'esprit et la salutaire influence de
« la religion s'exercent pour le bien général de l'Etat.
« Maintenant, pour ce qui regarde les catholiques
« de France, il n'est pas douteux qu'ils ne fassent
« oeuvre utile et salutaire si, en considération de l'état
« dans lequel se trouve depuis longtemps leur pays, ils
« veulent suivre la voie qui les conduira le plus
« promptement et le plus efficacement à ce noble but
« que j'ai indiqué.
« Pour obtenir ce résultat, on peut beaucoup attendre
« de l'action sage et concordante des évêques, beaucoup
« de la prudence des fidèles eux-mêmes et plus encore
« pour finir, de la force même et de l'action du temps.
« Cependant comme la nécessité de défendre la reli-
« gion et les principes sur lesquels repose l'ordre
« social fait converger vers elle toutes les sollicitudes
« de tous ceux qui ont à coeur le salut de la société
« humaine, il importe souverainement que les catho-
— 33 —
« liques de France s'accordent entre eux, prennent le-
« rôle dans lequel ils pourront le mieux exercer l'acti-
« vité de leurs forces et la grandeur de leur zèle. Ceux
« qui, mettant en oeuvre les querelles suscitées par les
« rivalités des partis, voudraient engager l'Eglise et les
« forces catholiques dans un combat plus étroit, ceux-
« là écarteraient leur pensée des biens suprêmes vers
" lesquels il faut faire converger leurs forces ; à agir de
« la sorte, ils épuiseraient en vain ces forces sans au—
« cun fruit de salut ou de gloire, et finalement ils-
« causeraient un grand dommage à l'illustre nation
« française, en laissant s'amoindrir en elle ces prin-
« cipes souverains du juste et du vrai, ces oeuvres
« excellentes et ces traditions catholiques qui, formant.
« comme le trésor commun de la nation, lui ont tou-
« jours procuré de grandes forces et une gloire insigne..
« Au reste, j'ai le ferme espoir que les catholiques
« de France, dont on connaît le zèle admirable pour la.
« religion et le remarquable amour pour la patrie,
« comprendront parfaitement quels sont les devoirs
« qui leur sont imposés par la nécessité des temps et
« que, dociles à. la voix de leurs pasteurs, ils travaille-
« ront avec une parfaite entente des esprits, et avec
« cette union des forces qui seule peut amener au but
« désiré. »
Signé: CARD. RAMPOLLA.
34 —

VII

LA LIBERTÉ POLITIQUE AU SEIN DU CLERGÉ

Le manifeste de l'Archevêque d'Alger s'adresse


principalement au clergé de son pays. Il y est question
de résignation, de sacrifices, de patriotisme, enfin,
dans la plus haute acception du mot. De pareilles
exhortations vont de leur propre poids à la milice qui
a pris le Seigneur pour son partage et qui ne doit s'in-
gérer dans les affaires séculières que par le côté où
elles sont susceptibles de se rattacher à l'ordre surna-
turel. Il ne pouvait néanmoins entrer dans la pensée
du Cardinal d'opérer une révolution subite et radicale
sur le terrain des préférences ou des répugnances poli-
tiques au sein du clergé. Outre que le rôle abstracti-
vement envisagé n'appartient à personne ici-bas, la
contrainte morale, qui en est en pratique comme une
sorte de participation, ne saurait avoir de prise sur le
monde ecclésiastique.
L'ordre sacerdotal, en effet, est d'essence trop déli-
cate, trop résistante et trop supérieure à la fois pour
qu'on puisse lui infuser et lui imposer des opinions
toutes faites. Quoiqu'on ait dit sous un régime trop
brillant et cachant mal sa perfidie sous les dehors de
la protection et de la faveur, l'on ne fait pas marcher
le clergé comme un régiment.
L'indépendance politique au sein de l'Episcopat et
- -35

dans les rangs du clergé secondaire est en raison directe


de la force d'adhésion qui unit la hiérarchie au siège
apostolique. Le magistère du Pontife Romain échappe,
en effet, autant que peuvent le comporter les conditions
de la vie présente, aux influences toujours étroites de
l'esprit de parti, aux séductions et aux mirages provo-
qués par d'éclatants ou de longs succès. Le premier et
le second Empire nous ont donné la mesure de cette
influence sur l'Eglise de notre pays, mais avec des diffé-
rences notables qu'il serait injuste de. ne pas signaler,
et cela au bénéfice de la seconde épreuve. Les avances
du prince Louis-Napoléon à l'Eglise de France sont
aujourd'hui du domaine de l'histoire. D'un autre côté,
l'attitude de l'Episcopat, envisagée dans les grandes
lignes, demeura correcte, prévoyante, sans aller au
fond des intentions, ce qui n'eût pas été séant. Si les
témoignages de reconnaissance accordés à des actes
sérieusement réparateurs dépassèrent parfois la note
de la discussion, il faut tenir compte aussi de l'oppor-
tunité des encouragements. A l'aide de cette considé-
ration, dont la portée n'échappera à personne, les hom-
mages les plus chaleureux se ramènent à une juste
mesure.
La juste mesure, il ne faut cesser de le répéter, est
toujours donnée par Rome. Durant les premières an-
nées du second Empire, le Chef de l'Eglise, l'immortel
Pie IX ne voulut envisager dans le nouveau régime,
au point de vue religieux, que l'aspect favorable à la
liberté de l'apostolat. Et par la force de l'ascendant
légitime reconquis sur l'Episcopat de notre pays, en
dépit d'attaches encore nombreuses et assez visibles
aux dynasties disparues, l'unanimité morale, suffisante
et désirable se fit sur un terrain très brûlant, l'accep-

36 —
ration d'un grand fait accompli sans la participation
directe du clergé ! Ce n'est pas la faute de l'Eglise de
France, si les trônes plus ou moins infidèles à l'autel,
croulent les uns sur les autres comme des redoutes de
neige,
Le second Empire ne justifie que trop la vérité de
cette observation. La dernière période du règne fut
loin de réaliser les promesses du début. L'établisse-
ment religieux a survécu à la chute du régime, l'une
des plus dramatiques de l'histoire. L'épiscopat et le
clergé de France ont continué et continuent encore, à
travers mille entraves, leur oeuvre d'illumination, de
pacification et de salut. L'Eglise, organe de la Sagesse
éternelle, tente à son exemple le bien et le mal auprès
des pouvoirs publics, comme à l'oreille des individus.
Bona enim et mala in hominibus tentabit. (ECCLI.,
CXXXIX.) Bien des expériences ont été faites dans
le cours de ce siècle. Tour à tour équitablement
apprécié, méconnu, mis en suspicion, persécuté, le
clergé est assez fort, soit pour ne pas plier devant les
régimes qui passent, soit pour leur accorder, dans une
mesure qui ne compromette pas sa dignité, le con-
cours et l'adhésion relative qui pourraient les sauver,
s'ils voulaient connaître leurs véritables amis.
Quant à la politique contingente, l'enseignement des
séminaires et le gouvernement des diocèses sont
exclusifs, nous l'attestons devant Dieu et devant les
hommes, de ces sortes de préoccupations. Chez nous,
il n'y a pas de procès de tendances. Nous laissons cette
triste et ingrate besogne aux puissants d'un jour. Au
sein du clergé, toutes les préférences sont admises;
tous les regrets et tous les désirs sont respectés... Mais
à une condition qui devient de plus en plus formelle,
— 37 —
opportune, impérieuse, c'est que les opinions politiques
n'entraveront pas la juste et nécessaire influence de
l'apostolat sacerdotal au sein des masses encore plus
ou moins croyantes, mais très ombrageuses sur le
chapitre de ce qu'elles croient être leurs libertés. Un
résultat acquis, à l'heure actuelle, et non suffisamment
remarqué, c'est le fait, admis dans les sphères gou-
vernementales, de l'indépendance du clergé sur le
terrain politique. Hâtons-nous d'expliquer notre obser-
vation. Elle a exclusivement trait à la liberté person-
nelle des ministres du culte. Quant à l'exercice d'une
influence extérieure quelconque, l'on y veille avec un
soin jaloux, et malheur au prêtre qui. en temps d'élec-
tions, par exemple, se permet la moindre incursion sur
le domaine des questions mixtes en jeu !... Nous di-
sons questions mixtes. Car les dépositaires de la puis-
sance publique n'ont pas pu prouver jusqu'à ce jour
que l'intervention ecclésiastique fût inspirée par des
motifs d'ordre purement politique. Mais le résultat
indiqué n'en mérite pas moins d'être signalé. Pour si
mince qu'il paraisse au regard des responsabilités reli-
gieuses et sociales qui nous incombent, il serait in-
juste et imprudent de n'en pas tenir compte. Si les
abords du presbytère sont gardés, il est bien entendu
qu'on n'en franchira pas le seuil pour surprendre la
pensée personnelle de l'hôte, et qu'on n'osera pas di-
rectement, ni ostensiblement lui dénier le droit de don-
ner son vote au candidat de son choix. Nous enrôler,
du haut de la tribune, de façon à ce que toute L'Europe
le sache, dans l'armée soumise des fonctionnaires, cela
pose un ministre aux yeux de la galerie. Il n'en va pas
de même dans les réalités de la vie politique et admi-
nistrative. Ce serait, en effet, une illusion de croire
- - 38

que le clergé va évoluer, sous la baguette de l'Etat, à la


manière d'un bataillon... Nos évolutions, si évolutions
il y a, ne sont ni le fruit de l'éloquence parlementaire
la plus courroucée, ni la conséquence des séductions
dans lesquelles on voudrait nous endormir pour mieux
nous enchaîner. Il y a une science qu'on appelle là
Théologie morale, science que le monde ignore ou
méconnaît. Cette science est inflexible et très vivante à
la fois. Régulatrice du juste et de l'injuste en ce qu'ils
ont d'absolu, elle trouve encore le secret d'éclairer les
esprits et de diriger les consciences dans les circons-
tances, relatives de leur nature, où la lumière est très
avare et ne projette sur le chemin du devoir qu'un jour
incertain.
C'est pourquoi, et dans les temps troublés que nous
traversons, la modération est et doit être la marque
distinctive de l'ordre sacerdotal. Hier encore, la Répu-
blique était bien jeune ; aujourd'hui, elle semble pren-
dre des forces, si le diagnostic emprunté au scrutin est
sérieux Demain est à Dieu, en dépit des déclama-
tions de ceux qui veulent s'en passer. Mais puisque,
d'autre part, les trônes ont de la peine à se soutenir sur
leurs bases, et que la vie politique sous la tente pa-
raît être du goût des générations nouvelles, le clergé,
dans toute la plénitude de sa liberté, tiendra compte
de ces accidents, les acceptera comme des cas de force
majeure, s'efforçant d'orienter le nouvel état de choses
vers les horizons créés par l'Evangile et éclairés de sa
lumière. Tout homme de bon sens accordera un égal
respect à la prudence qui sait temporiser et à la clair-
voyance qui sait évoluer en temps opportun.
— 39 —

VIII

UN RESULTAT NON SIGNALE

Nous placerons sous cette rubrique quelques obser-


vations auxquelles nous attachons un grand prix. Le
manifeste d'Alger est une sorte de carte d'affranchisse-
ment à l'usage du clergé. D'autres ont voulu y voir le
premier et brillant anneau d'une chaîne qui allait nous
river corps et âme à la République maçonnique. Con-
tre cette version, il suffit de protester une fois pour
toutes. Bien des historiens de demain, calquant leur
méthode sur celle de leurs devanciers, signaleront
l'agitation occasionnée par la Déclaration du Cardinal
Lavigerie comme un indice du mouvement clérical
vers la conception démocratique du pouvoir. Or ici,
comme en tant d'autres cas, la vérité n'est totalement
ni à droite, ni à gauche. Elle n'est pas à gauche,
attendu que le clergé, dans l'hypothèse qu'il se rallie
ostensiblement aux indications venues d'Alger, ne
saurait abdiquer, pas plus que l'Auteur du Manifeste,
le devoir de la résistance et de la protestation en ma-
tière de liberté catholique. Elle n'est pas à droite, l'or-
dre sacerdotal ne prétendant pas faire, et ne faisant pas,
en effet, de la politique de parti, en acceptant la forme
gouvernementale que le pays semble s'être donnée.
Mais ce que l'histoire impartiale pourra dire, c'est
que l'Apôtre de l'Afrique en intervenant comme il l'a
- 40 —

fait, a rendu au clergé de France un service sur lequel


on n'a pas suffisamment insisté. Il est de douloureuse
notoriété parmi nous que le prêtre le mieux intentionné,
le plus correct, le plus militant même, dans le sens
théologique du mot, n'échappe pas à la morsure des
anciens partis, le jour où, voulant exercer son minis-
tère de paix, il essaye de la méthode de rapprochement
à l'égard des personnes et du procédé de conciliation
dans les affaires qui le comportent. Ainsi en est-il trop
souvent... Après avoir été le bouc émissaire des pas-
sions révolutionnaires déchaînées, pendant que le bour-
geois conservateur reçoit de tous et quand même,
l'hommage de la déférence, le Pasteur de la paroisse
s'expose fort à recevoir de celui-ci mille et mille ho-
rions, s'il juge opportun de s'abriter un instant sous
la tente, ne fût-ce que pour mieux fourbir ses armes
en vue de la prochaine bataille. Nos armes sont d'un
calibre qu'il appartient à l'Eglise seule d'authentiquer.
Or, les partis monarchiques se sont trop souvent ar-
rogé jusqu'ici le privilège de nous marquer le chemin
et la besogne. Par ailleurs, nous passons pour des
inspirateurs aux yeux hypocritement courroucés du
parti libéral, quand, en réalité, nous ne sommes sup-
portés, dans le camp opposé, qu'à titre d'aumôniers
temporaires. Un tel état de choses ne pouvait ni ne
devait durer..
Au cours du débat pénible provoqué par une lettre
explicative du Cardinal. Lavigerie, l'un des anciens
serviteurs les plus en vue du Comte de Chambord, in-
sinue, sur un ton très aristocratique, que le Prince vi-
rement sollicité par le Prélat de frapper un grand
coup, avait laissé à son auguste épouse le soin de ré-
pondre négativement, non que cette réponse fût dans
— 41 —

sa pensée; mais parce que l'interlocuteur n'était pas


jugé digne d'une confiance absolue, comme si les
auxiliaires les plus désintéressés d'une grande cause
ne méritaient pas, aux heures décisives, autant d'égards
que les amis de naissance. Quoi qu'il en soit de cette
version, il nous a paru bon de la reproduire, parce
qu'elle rend assez exactement, à nos yeux, l'attitude
des chefs des partis monarchiques à l'égard du clergé.
La plupart des combinaisons s'élaborent en dehors de
nous. L'on a visiblement peur de la théologie et des
conseils de cette sagesse qui commande la charité en
même temps que le service de la vérité intégrale.
Loin de nous la pensée de pousser à la rupture. Entre
l'Eglise de France aujourd'hui si humiliée, si mécon-
nue, et les homme; qui se réclament de la restauration
monarchique pour refaire la patrie grande et respectée,
il y a des liens trop nombreux et trop nécessaires, pour
qu'il fût prudent et charitable de les rompre. En fait,
il ne nous en coûte nullement de le reconnaître, c'est
au sein de ces partis que se conserve ce qui reste de
vie catholique parmi nous. Est-ce une raison suffi-
sante pour déclarer inopportune, injurieuse, ingrate,
la Déclaration du 12 novembre 1890? Assurément non.
Si les conservateurs comme tels estiment préférable
de continuer l'opposition systématique au régime éta-
bli, en tant que catholiques et dans la mesure où ils
le sont, ils doivent, à tout le moins, le respect aux mi-
nistres du sanctuaire soucieux de placer les revendica-
tions nécessaires au-dessus de l'étroitesse des partis.
Le mot n'est pas de nous; il émane d'un milieu où la
discrétion de la pensée et la propriété des termes sont
poussées jusqu'aux limites de l'impeccabilité, comme
on dirait aujourd'hui, si le Vatican était soumis aux
— 42 —
mille vicissitudes du siècle. Esclave de cet esprit qui
rapetisse les causes les plus nobles et diminue les ho-
rizons de la pensée, le prêtre condamne par là même
et d'avance à la stérilité ses efforts et ses entreprises les
plus louables. La simple hypothèse qu'il subit telles
ou telles influences politiques est préjudiciable à son
apostolat. Car si le public français éprouve quelque
répugnance à saluer avec respect l'ecclésiastique qui
affiche des opinions républicaines, qu'on ne s'em-
presse pas de conclure, pour cela, que l'attitude sys-
tématiquement réactionnaire nous attire les sympathies
des masses. Le coup de clairon d'Alger ne ser-
vira pas peu, nous l'espérons, à placer l'état de la
question dans son vrai jour, et à provoquer, dans les
rangs de la milice sacerdotale, un mouvement d'éman-
cipation plus accentuée à l'égard des partis qui divisent
notre malheureux pays ! La parole libératrice a été
dite; à nous de la mettre à profit et de nous en servir
comme d'une arme à deux tranchants pour nous ouvrir
un passage à travers toutes les obstructions, d'où
qu'elles viennent...

IX

UN PERIL A EVITER

L'intervention, très mesurée jusqu'ici, du Vatican


dans les conflits d'ordre politico religieux qui jettent
la perturbation au milieu de nous, laisse aux catho-
liques une certaine liberté d'action dans le choix des
— 43 —
moyens réputés meilleurs pour repousser les assauts
de l'ennemi et revendiquer efficacement l'indépendance
de la conscience chrétienne. Cette modération tient
manifestement et en partie au spectacle d'instabilité
donné par la France depuis de longues années. Car si
la forme républicaine est l'étiquette officielle du pays,
il est toujours permis de demander et de se demander
quelle est, aux yeux du parti libéral, subdivisé en
mille fractions, la vraie et définitive conception du ré-
gime démocratique. Jusqu'à nouvel ordre, même au
sein des sphères gouvernementales, les réponses sont
très divergentes. Ce n'est pas que nous contestions le
fait de l'existence du pouvoir administratif... Il ne fait
que trop sentir son omnipotence dans les plus minces
détails, comme dans les opérations les plus graves. Mais
encore une fois, les enseignes sont plus ou moins mo-
biles et les oscillations trop fréquentes, pour saisir,
à l'oeil nu, le secret constitutionnel de la force mo-
trice.
Un tel état de choses n'est pas fait pour donner à
l'attitude du Saint-Siège le caractère de décision abso-
lument pratique devant laquelle les catholiques n'ont
qu'un devoir à remplir, celui de la soumission filiale.
Néanmoins, et pour qui ne se contente pas d'admirer
la belle latinité de Léon XIII, les instructions ponti-
ficales, plusieurs fois renouvelées, demandent l'orga-
nisation des forces catholiques sous le haut, nécessaire
et exclusif contrôle des evêques préposés par l'Esprit-
Saint au gouvernement de l'Eglise de Dieu. Mais,
comme l'écrivait récemment une plume autorisée et
saintement intéressée, qui, parmi nous, accorde dans
ses préoccupations et dans ses méditations, aux do-
cuments ecclésiastiques les plus solennels, l'attention
— 44 —
qu'ils commandent? Trop souvent, hélas! le Premier-
Paris d'un journal sans mandat et sans théologie est
enlevé avec un enthousiasme aussi périlleux que pué-
ril, pendant que les avertissements du divin Pilote et des
sentinelles épiscopales ont à peine les honneurs d'une
lecture distraite et tronquée !... Sans doute, l'on est con-
venu, dans le camp des croyants, que la personne et les
enseignements du Souverain Pontife méritent tout res-
pect et toute confiance. Mais en va-t-il de même
dans le domaine pratique? Nous n'oserions l'affirmer
pleinement, vu l'insuffisance théologique chez un
grand nombre d'entre nous. Dans l'espèce, cette insuf-
fisance tient principalement aux influences de l'esprit
de parti. Lorsque l'Eglise enseignante formule ses
directions, il est trop visible que l'esprit particulier se
livre à un travail d'éclectisme, écartant soigneuse-
ment les avis qui, directement ou indirectement, vont
à l'encontre des visées personnelles. Sur ce terrain,
nos ardents voisins d'au delà des Pyrénées avaient ré-
cemment dépassé toutes les limites. Pour ramener le
calme au sein de la nation très catholique, il n'a fallu
rien moins que le déploiement de toute la force cano-
nique dont dispose le Saint-Siège, et cela jusqu'à la
menace de l'excommunication inclusivement. Grâce à
Dieu, nous n'en sommes pas là et jusqu'ici le Vicaire
de Jésus-Christ a pu se borner au procédé de l'exhor-
tation, heureux de constater que l'Eglise de France
donne le spectacle de l'union et du respect de la hié-
rarchie. Il serait pourtant périlleux de ne pas tenir
compte, à titre d'avertissement, de la crise religieuse
que traverse la Péninsule Ibérique. Nous accordons
volontiers que les situations respectives des deux
pays, au point de vue qui nous occupe, diffèrent no-
— 45 —
tablement. En Espagne, le gouvernement établi se ré-
clame du catholicisme, et les grands actes publics
concordent, dans une certaine mesure, avec la consti-
tution chrétienne des Etats. Ce n'est pas qu'on ne si-
gnale bien des lacunes et bien des tendances alar-
mantes pour les consciences épiscopales les plus
éveillées. Mais, au milieu des temps troublés que la
révolution nous a faits, le rôle du Saint-Siège, sans for-
faire à l'intégrité des principes qu'il ne cesse, d'ailleurs,
de rappeler, consiste avant tout à bénir et à stimuler
la bonne volonté plus ou moins manifeste des Chefs
d'Etat, bonne volonté d'autant plus méritoire, quand
elle s'affirme, que les régimes constitutionnels créent
aujourd'hui des embarras d'un genre inconnu aux
siècles passés.
Il en est, hélas! tout autrement au sein de notre pa-
trie... En outre des divisions politiques qui l'affai-
blissent et de ce levain de régalisme que nos ministres
prétendument libéraux essayaient, hier encore, de ré-
chauffer du haut de la tribune, nous avons le spectacle
de l'athéisme officiel, s'affichant sous toutes les formes
et dans les occasions les plus solennelles. De l'Etat
sans Dieu à l'Etat contre Dieu, la conséquence est lo-
gique. Il n'est aucun vrai catholique en France, à plus
forte raison aucun prêtre, qui ne déplore cette attitude
sacrilège, faite pour attirer sur le pays les foudres de
la vengeance divine... Ici, le devoir de la résistance ne
souffre ni délai, ni rémission, ni compromission. L'es
choses demeurent en l'état, il ne saurait y avoir place
pour les préliminaires d'un concordat. Mais si, dans
ces conditions, le devoir de la protestation s'impose à
tous, partout et toujours, toute difficulté n'est pas par
là même résolue, et tout péril, envisagé de notre côté,'
- -46

n'est pas écarté. Je dis de notre côté, car il me semble


que l'on s'est trop souvent mépris sur l'objectif de la
déclaration du 12 novembre. Dans la pensée du Cardi-
nal, il faut le répéter à satiété, puisque les altérations
sont venues de tous les points, dans la pensée du Car-
dinal, disons-nous, il n'est pas question de désarme-
ment sur le terrain catholique, mais bien sur le terrain
politique. Si en effet et jusqu'ici, il y a plus que des
périls à gauche, il y a le cri de guerre fidèlement obéi :
Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! est-ce à dire pour
cela que l'inféodation des forces catholiques à droite
ne puisse un jour ou l'autre constituer un réel danger,
d'autant plus redoutable qu'il sera moins visible et
qu'il sèmera la discorde dans nos rangs, sous couleur
de zèle pour la défense religieuse? Que de fois déjà au
sein de réunions composées de croyants, les sages len-
teurs de Léon XIII n'ont-elles pas été taxées de pusil-
lanimité ou d'imprévoyance ? Il va de soi que l'épiscopat
est moins épargné, et ce n'est pas sans effroi que nous
verrions poindre le jour où les Chefs de nos églises
seraient publiquement désarmés par des hommes qui
se disent catholiques... C'est à conjurer ce péril que le
clergé de France doit mettre une bonne part de sa solli-
citude, d'abord par l'exemple du respect puisé aux
sources théologiques, ensuite par l'apostolat de la
conservation et de la prédication proprement dite.
Qui peut donner l'assurance que les pouvoirs pu-
blics sont absolument inconvertissables, et qu'un
mouvement de recul n'est pas dans l'ordre des choses
possibles? Et d'un autre côté, il est si pénible aux
combattants, surtout aux plus ardents, de revenir en
deçà des lignes assignées, et qu'ils n'auraient pas dû
franchir!...
— 47 -
L'inertie qui s'inspire de l'illusion et de la lâcheté
mérite tous les anathèmes. La marche en avant qui ne
tient pas compte des ordres de la place constitue une
imprudence que des succès plus ou moins éclatants ne
sauraient totalement excuser...

UNE CONCENTRATION NECESSAIRE

La hardiesse de la Déclaration d'Alger n'est pas faite


pour déplaire à l'esprit français, si tant est que cet
esprit originairement pétri de courage et de loyauté,
survivra encore aux efforts combinés du positivisme et
et de l'opportunisme pour le détruire.
Quoi qu'il en soit, les indications du célèbre Prélat
ne sont pas, bien s'en faut, le signal de la retraite. Si
le clergé de France uni aux catholiques, ne veut pas
rester dans la région des à peu près, si les cantonne-
ments où nous nous sommes trop exclusivement blot-
tis jusqu'ici doivent être décidément élargis, même
abandonnés, les horizons ouverts par le Cardinal récla-
ment, pour être atteints, une plate-forme sur laquelle
il ne sera permise personne de se croiser les bras (qu'on
nous permette cette expression banale), attendant, pour
se mettre à l'oeuvre, que luisent, sur notre patrie, des
jours meilleurs et plus pacifiques.
Bien qu'adressée à un état-major, la harangue car-
dinalice a une portée très visiblement populaire, dans
— 48 -
ce sens qu'elle fait appel à toutes les bonnes volontés
pour l'organisation d'un grand parti national animé
du souffle de la foi, ou à tout le moins d'un sincère
esprit de liberté, parti conséquemment non exclusif,
et s'accommodant, en face de l'étranger qui nous guette,
du régime qui administre présentement la chose publi-
que. Il y a eu jusqu'à ce jour, bien des tentations en
vue de cette formation. Elles ont misérablement
échoué, parce que les unes étaient le fruit de rêves
manifestement irréalisables, les autres un trompe-l'oeil
quelconque pour aider au triomphe de telle ou telle
coterie. A ces entreprises, le clergé ne pouvait, ni ne
devait s'associer. Faut-il pourtant qu'il demeure inac-
tif jusqu'au bout, garrotté aux portes des sacristies,
muet devant la hache parlementaire qui brise les portes
du temple, attendant, d'autre part, des partis qui veu-
lent le protéger à leur manière, la permission de par-
ler?... Car nous sommes de plus en plus réduits à cette
extrémité, voisine de la déchéance, d'accepter des can-
didatures que notre conscience sacerdotale réprouve
à bien des égards, et d'être politiquement désarmés
pour empêcher les masses encore croyantes de donner
leur confiance électorale aux ennemis jurés des liber-
tés de l'Eglise Si le parti national, constitutionnel
en politique, sincèrement ouvert à toutes les aspirations
raisonnables, doit se former, vivre et finalement s'im-
poser aux pouvoirs établis, il ne réalisera ces divers
postulata que le jour où il fera appela la force catho-
lique, éminemment et officiellement représentée parle
clergé. Celui-ci nous paraît mûr pour ce genre d'apos-
tolat religieux, social et patriotique à la fois.
Même au cours des périodes électorales les plus
agitées, lorsque la révolution apeurée déverse sur la
— 49 —
milice ecclésiastique ses invectives les plus sata-
niques, et que les partis réactionnaires ont le plus de
chances de se faire agréer comme les sauveurs de de-
main, l'oeil observateur peut facilement remarquer dans
nos rangs, un courant de réserve, des hésitations et des
perplexités dont il serait injuste d'attribuer la source
à des considérations purement humaines. Si le cri : en
avant ! nous trouve parfois et relativement réfractaires,
cela tient, premièrement, à ce que nous n'osons pas
éteindre la mèche qui fume encore, et, secondement, à
ce qu'il ne nous paraît pas pleinement démontré que
les chefs des anciens partis aient toutes les lumières
et tous les désintéressements requis pour nous refaire,
par l'application intégrale du principe chrétien, une
patrie grande et respectée.
A aucune époque de l'histoire, le parti des mondains,
nous donnons à ce terme son acception évangélique,
n'a sauvé quoi que ce soit d'essentiel dans l'organisme
social. Une seule fois, il s'est élevé à la conception de
l'ordre moral, mais de telle façon que cet ordre ne se
ressentît pas trop du voisinage de l'Eglise. La réponse
ne se fit pas attendre... Elle ne vint pas des sacristies,
mais bien des tréteaux d'un tribun que la main de Dieu
frappa depuis. Dédaignant la bâtisse hâtive et branlante
de l'ordre moral, la célèbre déclaration de guerre vou-
lait atteindre le clergé en pleine poitrine. Emanée des
Loges, elle opéra, en un clin-d'oeil, la concentration
des forces qui se ruèrent sur notre établissement catho-
lique. Après de longues années de tâtonnements,
l'heure de la concentration a sonné pour nous, mi-
nistres de l'Eglise immortelle. Brisons donc les liens
par lesquels on nous rattache, à tort ou à raison, à la
fortune des partis, et puisque nous sommes fatigués
— 50 —
des jougs et des entraves qu'on cherche à nous impo-
ser, tournons-nous davantage vers ces masses popu-
laires que l'esprit politique, en France, n'a que trop
réussi, depuis bien des siècles, à éloigner de leurs vé-
ritables amis. Car, même dans l'ancien régime plus pé-
tri de césarisme que de christianisme, l'influence na-
turelle, indépendante de l'Eglise, était trop souvent
travestie, et confisquée au profit de la monarchie.
Qu'est-ce que la constitution civile du clergé, sinon
l'aboutissement extrême des doctrines et des pratiques
en vigueur aux jours les plus brillants de la royauté?
De bonne heure, chez nous, le cléricalisme a été un
épouvantail. . Puisqu'on lui fait une sorte d'entité,
qu'il nous soit permis de le traiter en conséquence.
Ainsi, le pouvoir civil, d'accord sur ce point avec les
classes dirigeantes, dit au cléricalisme : tu seras notre
aumônier, et rien de plus. Propriétaire ou rétribué, il
n'importe. Selon mon bon plaisir, tu seras le premier
corps de l'Etat, mais à la condition que tu porteras
l'encensoir, et non le glaive de l'excommunication.
Dans un pays de non-obédience, l'excommunication
ne saurait atteindre les têtes couronnées.
Plus tard l'Etat, estimant plus conforme à son
essence séculière de se passer du concours sacerdotal,
de plus en plus imbu de la pensée qu'il s'affiliait à tout,
et, qu'en conséquence, l'inflexible catholicisme devenait
une dangereuse superfétation, a dit au clergé : N'oublie
pas que tu es simplement toléré, toléré comme l'on
tolère un chacun qu'il n'est pas prudent d'extirper
par la violence. Libre à toi de pleurer, mais en silence,
sur les ruines du trône, qui n'ont pas emporté les au-
tels. L'heure des autels vient... Cette heure n'est pas
sanglante, le sang ayant la propriété vengeresse de
—51 —
secouer les consciences engourdies et de provoquer
les réactions. Nous abandonnerons le jeu de la guillo-
tine aux révolutions dans l'enfance... Il y a un moyen
plus sûr de tuer le cléricalisme, c'est de creuser un
abîme entre lui et le peuple. Le peuple ne veut plus du
joug monarchique, il n'en veut à aucun prix. Le clergé
passant, à ses yeux, pour réactionnaire, et ne pouvant
être que cela, est par là même tenu en suspicion. Et
l'abîme est creusé... Il s'agit de le combler, et de
prendre en main, par une juste et loyale intervention
dans les affaires publiques, la cause de ces fautes aban-
données aux premiers politiciens venus, et sur les-
quelles le Christ Sauveur, notre Maître à tous, a laissé
tomber des paroles d'ineffable compassion : misereor su-
per turbam ! Allons à elles, désormais, sans intermé-
diaires. Par le spectacle journellement renouvelé de
notre désintéressement, par un genre d'apostolat tradi-
tionnel quant aux principes, actuel sur le terrain des ap-
plications, arrachons aux peuples enfin désillusionnés,
ce témoignagne que les contemporains de Jésus ren-
daient à sa parole publique : Jamais homme n'a parlé
comme lui ! Hier encore, l'Irlande catholique était sus-
pendue aux lèvres d'un homme que l'histoire s'apprê-
tait à placer à côté d'O'Connel. Mais le nouvel agi-
tateur vient de forfaire à l'honneur chrétien sur un
point à l'inviolabilité duquel l'Eglise a sacrifié des
royaumes. L'Irlande fidèle à son clergé gardien de la
morale, repousse le prévaricateur, estimant à bon droit
que les peuples baptisés ne sauraient être efficacement
et noblement défendus que par des chefs préparés aux
luttes publiques par des victoires remportées sur eux-
mêmes.
Contrôle, épuration, concentration, tel doit être le
— 52 —
triple objet de la vigilance et de l'action sacerdotale,
si nous ne voulons pas définitivement laisser tomber
en des mains indignes ou débiles le dépôt sacré de nos
traditions religieuses et nationales.

XI

COALITION DE LA PRESSE CONSERVATRICE

L'attitude de la plupart des organes royalistes au su-


jet de la Déclaration d'Alger, a été déplorable. Pour
trouver des termes de comparaison, il faut relire les
insanités déversées par la presse radicale sur la per-
sonne et les actes du Cardinal. Cette campagne me-
née par des hommes qui se piquent de savoir-vivre et
qui se décorent volontiers du titre de défenseurs de
l'Eglise, révèle un état d'esprit auquel il serait urgent
de remédier. L'on a épuisé toutes les formes de l'injure.
Incompétence du Prélat. Exclusivement mêlé au mou-
vement colonial, le jeu et la fragilité de nos institutions
devaient lui échapper. En rapports nécessairement
sympathiques avec les disciples du tribun qui mettait
une sourdine à son coup de clairon anti-clérical, lors-
qu'il s'agissait d'exportation, l'Archevêque d'Alger
voit les choses en beau, quand, en réalité, elles vont
de mal en pis. D'où il suit que le sentiment et les déli-
catesses de la solidarité sont en défaut dans l'esprit et
dans le coeur du Cardinal. De ce chef, que d'apostrophes
inspirées par l'éloquence la plus indignée ! C'en est
fait ! Le Primat d'Afrique perd de vue qu'il est membre
— 53 —
de l'Episcopat français, et qu'au-dessous de lui, dans un
lointain que les fumées de la gloire cachent à ses yeux,
gémit un clergé qui porte seul le poids du jour et de
la chaleur! Mais non... Il n'est pas seul! Si la pourpre
ne l'abrite plus sous ses plis, il lui reste la presse conser-
vatrice, toujours armée pour sa défense, mais non pas
tellement, néanmoins, qu'elle omette de signaler la
première de l'opéra ou d'un théâtre quelconque, sans
négliger le carnaval de. Nice et les affaires du sport.
Nous ne voulons pas croire que le clergé français, ré-
puté intelligent et discret,se soit laissé émouvoir par de
pareilles démonstrations. Conservatrice en politique,
la presse royaliste est mondaine, et, par conséquent,
plus ou moins révolutionnaire en religion. Le monde,
en tant que monde, est ennemi de Jésus-Christ. Il ne
saurait donc être admis à traiter sérieusement, non plus
qu'efficacement, des affaires qui regardent les ministres
de Jésus-Christ. Le sens chrétien, à plus forte raison le
sens sacerdotal, lui fait défaut. Aussi attribue-t-il vo-
lontiers aux hommes d'Eglise les petites et grandes
passions qui agitent les milieux séculiers. Le Cardinal
Lavigerie fatigué de cueillir des lauriers parmi les
ronces d'Afrique, aspire à un fauteuil dans la coupole
de l'Institut, et comme les immortels sont avant tout
opportunistes, il fallait, pour se les rendre favorables,
porter un toast au régime qui assure leur tranquillité.
A dire vrai, des offres sérieuses avaient été précédem-
ment faites. Elles furent poliment et énergiquement
écartées par une réponse digne des plus beaux carac-
tères de l'histoire... Mais qu'importe? Pour si peu, l'on
ne se privera pas du plaisir d'accoler un brin d'ambition
à une démarche dont le désintéressement nous semble,
à nous, aussi éclatant que le soleil d'Afrique...
— 54 —
Ces détails douloureux et humiliants pour la di-
gnité chrétienne et française rappellent un incident du
même genre, qu'on nous permettra de remettre en lu-
mière. Il s'agissait de l'expédition du Tonkin.—Le
Prélat mis en cause pour un vote aussi patriotique que
chrétien fait encore partie, ad multos annos ! de nos
assemblées délibérantes. — Or s'il plaît aujourd'hui à
la presse royaliste de l'opposer au Cardinal Lavigerie, il
n'en est pas moins vrai que cette même presse, encoura-
gée par une notable fraction dé la droite monarchique,
ouvrit, en ce temps-là, contre l'Evêque prévaricateur,
une campagne aussi acerbe que déloyale. Il y eut une
manière d'expulsion intra-parlementaire, pendant
qu'au dehors certaine presse boulevardière accusait le
Prélat de viser au Pallium. La protestation ne se fit
pas attendre. Des pièces furent produites, et avec
l'éloquence superbement vengeresse qui est le cachet
propre du grand Evêque d'Angers, il fut péremptoi-
rement démontré que les mensonges les plus vils
avaient été mis au service de la plus détestable des
causes.
Nous voici au 20 décembre 1890. L'événement
d'Alger a son contre-coup dans l'enceinte du Sénat. Il
est l'objet d'une question ou d'une interpellation de la
part d'un membre de la droite, d'un marquis, s'il vous
plaît. Passe pour la question ou pour l'interpellation...
La Déclaration du Cardinal Lavigerie n'est pas un do-
cument épiscopal dans l'acception canonique du
mot, et en fut-il ainsi, il est telles circonstances où
l'enseignement officiel d'un Prélat ne commande pas
par lui-même une adhésion pleine et entière, d'autant
qu'il peut se trouver en cas de réforme par l'autorité
du Saint-Siège. Ces distinctions faites et ces réserves
— 55 —
formulées, un vrai catholique, qu'il soit député, séna-
teur ou journaliste, apportera toujours la plus grande
circonspection, emploiera les formes les. plus respec-
tueuses dans l'appréciation des actes émanés de l'au-
torité épiscopale, se souvenant que l'homme investi
de cette autorité participe éminemment au sacerdoce
royal de Jésus-Christ. Manifestement, un tel ordre
d'idées ne pouvait toucher notre Marquis-Sénateur.
Nous parlions tout à l'heure des fumées de la gloire...
Le marquis a cru devoir s'arrêter aux régions infé-
rieures. Le toast s'explique par les fumées d'un copieux
banquet Cela se débitait au Luxembourg à l'heure où
!

l'Archevêque d'Alger, pionnier infatigable de l'Eglise


et de la France, installé aux portes du Désert, mettait
la main à la plus grandiose entreprise du siècle Il !

est des contrastes qui dégradent à jamais les hommes


et les partis qui les ont fait naître...

XII

DISCRETION LOUABLE DE LA PRESSE CATHOLIQUE

La presse catholique de plus en plus disciplinée,


comme il convient, sous l'influence d'un Pontificat
très jaloux du respect de la hiérarchie, a fait à la Dé-
claration du 12 novembre un accueil déférent, large et
discret à la fois, large, parce que la cause de l'Eglise ne
repousse en principe aucune évolution politique, dis-
cret, parce que la parole d'un Cardinal, si vénérable
soit-il, ne saurait commander dès la première heure,
- - 56

surtout dans les questions mixtes, un prompt et plein


assentiment.
Dans l'espèce, le Manifeste du Primat d'Afrique est
une indication importante, et dont l'opportunité,
d'abord contestable à nos yeux, s'est révélée par le
choc d'idées qu'elle a provoqué. La lumière s'est donc
faite insensiblement, et les organes catholiques n'ont
pas peu aidé à la dégager des ombres que la presse pro-
fane cherchait à accumuler. Dans cette besogne, un
journal s'est distingué entre tous. Retrempé dans
l'épreuve, unissant à la franchise et au sentiment d'une
juste indépendance, cette nuance de discrétion et de
respect qui est un des attributs de la force morale,
L'Univers, pour l'appeler de son nom, a suivi pas à
pas, avec intelligence et modération, le débat soulevé
par le Cardinal Lavigerie. Il a fallu se défendre contre
des courants très opposés. Savoir garder la ligne
droite à travers ces mille fluctuations, est chose parti-
culièrement difficile et pénible. Des hommes égale-
ment bien intentionnés, également compétents, égale-
ment soucieux de l'avenir de l'Eglise et de la Patrie se
pressent aux portes du journal catholique. Celui-ci
demande une protestation ouverte contre la Déclara-
tion du Prélat. Celui-là estime qu'il y a lieu d'adhérer
pleinement, avec ardeur, non pas demain, mais au-
jourd'hui. Un autre, de tempérament plus conciliant,
mais n'en tenant pas moins à son idée, désirerait
l'acceptation., expressément conditionnelle du pro-
gramme... Les colonnes de l'Univers se sont large-
ment et impartialement ouvertes à ces tournois inté-
ressants, sans que la feuille y ait rien perdu de sa forte
personnalité. Orientée du côté de Rome, elle peut
assister, sans trop s'émouvoir, à un assaut d'armes
— 57 —
dont la conclusion tourne finalement au triomphe de
la lumière. La lumière, à son tour, fait la paix, la paix
féconde, parce qu'elle est fille de l'obéissance.
Un autre nom vient se placer sous notre plume ;
nous n'avons garde de l'écarter. Il s'agit du journal
La Croix, dont la jeune vaillance arrache des cris de
rage à la Franc-Maçonnerie, et dont les services ne se
comptent plus. Sous une armure plus populaire, avec
une variété de tons qui lui permettent de passer des
considérations les plus hautes aux aperçus les plus pi-
quants, la feuille de la rue François Ier est en train de
devenir une véritable puissance, sans préjudicier en
rien à la légitime et féconde influence du grand con-
frère de la rue des Saints-Pères. La Déclaration du Car-
dinal d'Alger ne l'a pas émue. Résolument absten-
tionniste sur le terrain politique proprement dit, elle
a accueilli le Manifeste avec la discrétion dont elle
s'est fait une loi, toutes les fois que nos Evêques
croient devoir prendre la parole au milieu des conflits
de l'heure présente...
Fatigués des guerres de parti, découragés au spec-
tacle des divisions et des coalitions parlementaires, as-
sistant impuissants depuis trop longtemps à l'émiet-
tement des forces conservatrices laissées à elles-mêmes,
un certain nombre de publicistes plus ou moins
hommes d'Eglise, hier encore indécis, entrevoient au-
jourd'hui, dans la formation d'un parti catholique,
l'aurore de jours meilleurs, parce qu'ils seront féconds.
Ils deviennent ainsi et tout naturellement le noyau
d'une presse fermement catholique, rien que catho-
lique, avec laquelle la Révolution devra sérieusement
compter. Notre infériorité numérique sur ce point et
jusqu'à ce jour est vraiment lamentable et humiliante.
- 58-
La Capitale ne compte que quelques grands organes de
publicité catholique, et la plupart des centres im portants
de province en sont privés, à moins qu'on ne veuille
considérer comme échos fidèles de l'opinion reli-
gieuse les feuilles à étiquette conservatrice. A notre
avis, pareille identification ou confusion ne saurait
être admise. Qu'il nous soit donc permis de déplorer
encore une fois notre pénurie sur le terrain de la pu-
blicité, pendant que la presse catholique compte en
Allemagne 438 organes et qu'il se publie en Suisse
34 journaux catholiques. Un tel état de choses ne peut
durer, sous peine de voir s'altérer et s'estropier de
plus en plus, au milieu de nous, le sentiment de la
discipline et le- respect de la hiérarchie avec le
culte des principes. Ainsi, pour rester plus précisément
dans la question, tel journal monarchiste, après avoir
mené une campagne violente contre l'Archevêque
d'Alger, s'est abstenu de reproduire la Déclara-
tion émanée du Vatican sous la signature du Cardinal
Rampolla. Ce procédé accuse à tout le moins, il faut
en convenir, une insuffisance dont la simple consta-
tation relève considérablement le rôle de la presse ca-
tholique. La raison d'être de celle-ci, par ce temps de
publicité à outrance consiste principalement et en effet
à porter les Actes de l'Autorité ecclésiastique à la
connaissance du monde chrétien, à les interpréter
officieusement, et au besoin, à les défendre contre les
attaques du dehors. Si le rayon, et par conséquent
l'influence de ces messageries d'un nouveau genre,
eussent été plus étendues, la Déclaration d'Alger plus
sérieusement appréciée, mieux comprise, aurait
avancé l'heure de la concentration catholique...
— 59 —

CONCLUSION

Nous ne voulons pas croire, et ce sera notre dernier


mot, que le Manifeste épiscopal du 12 novembre ait le
sort de tant de déclarations et de professions de foi
politique dont l'impuissance n'a d'égale que l'agitation
provoquée durant quelques jours.
Il est naturel que l'esprit de parti, quelqu'en soit
l'objectif, s'évertue à donner le change, et que, passée
l'heure de la première secousse, il cherche à faire le
silence autour de la question posée. Le clergé et les
catholiques de France ne sauraient s'associer à cette
conjuration. L'heure du réveil a sonné! Celle des tâ-
tonnements pourra être longue... Qu'importe? pourvu
qu'elle soit le point de départ d'une organisation
sérieusement catholique.
Plaise à Dieu que ces pages inspirées par le double
amour de l'Eglise et de la France, contribuent dans
une certaine mesure au succès de l'oeuvre commencée !

S'il ne nous appartient pas de déterminer administra-


tivement le rôle du clergé dans les luttes contempo-
raines, il nous est permis de formuler un voeu à ce su-
jet, un voeu qui couronnera très naturellement, ce nous
semble, la modeste étude que nous offrons au public
catholique. Le voici. Puisqu'il y a de la théologie,
— 60 —
TABLE DES MATIERES

Préface 5
I. — Le texte de la Déclaration 7
II. — Ce qu'elle dit et ce qu'elle ne dit pas 9
III. — Conformité du texte avec les données théolo-
giques 12
IV.— Compétence de l'auteur 17
V. — La question d'opportunité 20
VI. — Le pape inspirateur? 26
VII. — La liberté politique au sein du clergé 34
VIII. —Un résultat non signalé 39
IX. — Un péril à éviter 42
X. — Une concentration nécessaire 47
.
XL — Coalition de la presse conservatrice 52
XII. — Discrétion louable de la presse catholique. 55
. .
Conclusion 59
Table des matières 61
VIENT DE PARAITRE :

L'HYPNOTISME
REVENU A LA MODE
TRAITÉ HISTORIQUE, SCIENTIFIQUE, HYGIÉNIQUE,
MORAL ET THÉOLOGIQUE, PAR LE R. P. J.-J. FRANCO, S. J.
Traduit par I'ABBÉ J. MOREAU
Avec de nombreuses additions puisées dans les faits les plus
récents et un appendice sur tes travaux des docteurs Guer-
monprez et Venturoli.
Beau volume in-12 de près de 400 pages, franco 3 fr. 50
Ce livre est à tous égards indispensable non seulement
aux Ecclésiastiques, aux Médecins, aux Avocats, mais à
quiconque veut se mettre au courant d'une question aussi
brûlante d'actualité. C'est tout ce qu'on a écrit jusqu'au-
jourd'hui de plus clair, de plus sûr et de plus complet sur
l'Hypnotisme.
Voici d'ailleurs la table des matières :

UN MOT AU LECTEUR. — AVANT-PROPOS. — Pourquoi ce traité. — Doctri-


nes et théories récentes de l'Hypnotisme. — Programme des Hypnoti-
seurs. — But que se proposent les Hypnotiseurs.
CHAPITRE I
LES FAITS
Faits hypnotiques de Donato à Turin et à Milan. — Faits hypnotiques
de Zanardelli à Rome. — Divers faits hypnotiques remarquables. — Faits
hypnotiques des médecins italiens. — Faits de suggestion persistant après
le sommeil magnétique. — Faits de suggestion à échéance. — Faits de
suggestion dans une intention criminelle. — Faits de suggestion qui mo-
difient les idées dans le sujet. — Faits de suggestion purement mentale. —
Faits de guérison par voie d'hypnotisme. — Faits dits supérieurs. —
I° Clairvoyance magnétique. — 2° Comment les médiums voient la pen-
sée d'autrui. — 3° Comment les médiums peuvent agir sur l'esprit et sur
le corps d'autrui.— 4° Comment les médiums peuvent communiquer leur
miroir simultanément à une multitude de personnes.
CHAPITRE II
DISCUSSION HISTORIQUE
L'Hypnotisme n'est pas nouveau, car il a été préparé depuis plus d'un
siècle. — L'Hypnotisme n'est pas nouveau, puisqu'il était pleinement
formé en 1843.
CHAPITRE III
L'HYPNOTISME DEVANT LA SCIENCE
L'Hypnotisme est certainement une maladie. — L'Hypnotisme a quel-
que chose de contraire à la nature dans ses causes. — § I. La cause n'en
est pas le fluide infusé. — § 2. Ce n'est pas non plus l'imagination du su-
jet. — § 3. Ce ne sont pas les actes hvpnogéniques. — § 4. Ce n'est pas la
fascination. — § 5. La prédisposition souvent n'existe pas. — § 6. Donc
l'hypnose n'a pas de cause proportionnée. — La maladie hypnotique accuse
l'élément non naturel dans ses symptômes parce qu'ils sont imprévus. —
Que la suggestion n'explique pas les symptômes hypnotiques, qu'au con-
raire elle montre qu'ils ne sont pas naturels.— Que les symptômes hyp-
notiques ne sont pas naturels, parce qu'ils dépendent de la volonté. —
Que la maladie hypnotique n'est pas naturelle dans sa prognose ni dans sa
cure. — Que l'Hypnotisme nuit à la sauté : on le prouve par la doctrine
des médecins. — Que l'Hypnotism nuit à la santé : on le prouve par les
faits. — Que l'Hypnotisme nuit à la santé : on le prouve par les avis des
commissions sanitaires.
CHAPITRE IV
L'HYPNOTISME DEVANT LA MORALE
L'Hypnotisme est profondément immoral. — L'Hypnotisme est encore
plus immoral pour la jeunesse et pour la femme.
CHAPITRE V
L'HYPNOTISME DEVANT LA FOI
Certainespratiques hypnotiques sont certainement impies. — I. Cette
seconde partie est pour les chrétiens seuls. — 2. Quelles sont les
pratiques les plus irréligieuses. — 3. On prouve que les phénomènes
supérieurs sont certainement préternaturels. — 4. Vaines explications
et objections des hypnotistes. — 5. De quelques autres erreurs moins
graves sur la transmission de la pensée. — 6. Du phénomène de divi-
nation en particulier. — 7. On conclut que les phénomènes supérieurs
dénotent l'intervention diabolique. — De certaines autres pratiques hyp-
notiques très probablement impies. — I, De la vision au travers des corps
opaques. — 1. De la transposition des sens. — 3. Des phénomènes
à échéance et d'autres faits hypnotiques excessifs. — 4. Conclusion
pratique sur ce qui est licite ou illicite. — Tous les phénomènes hypno-
tiques même les plus innocents en apparence sont suspects. — I. Etat de
la question. — 2. Première raison de soupçonner : l'hypnotisme fait
partie du spiritisme. — 3. Seconde raison : tous les phénomènes dé-
pendent d'une même cause préternaturelle. — 4. Troisième raison :
même les plus simples phénomènes portent des traces du préternatu-
rel. — 5. Quatrième raison : ces phénomènes ont de plus, deux carac-
tères diaboliques. — 6. Cinquième raison : l'hostilité de l'hypnotisme
contre la Religion. — 7. Sixième raison : supposé l'intervention dia-
bolique, tout l'hypnotisme s'explique clairement. — 8. Ce qui est li-
cite et illicite dans les phénomènes élémentaires.— Théorie chrétienne
sur l'intervention diabolique. — 1. Nature et état des démons — 2.
De l'organisation des démons. — 3. De l'aptitude diabolique à nuire. —
4. De l'intervention diabolique par voie de tentation. — 5. De l'in-
tervention diabolique par voie d'obsession. — 6. De l'intervention dia-
bolique par voie de prestige. — 7. Du pacte ou des moyens par les-
quels l'homme provoque l'intervention diabolique. — 8. Des habi-
tudes diaboliques dans l'intervention avec les hommes. — Application de
la théorie chrétienne a l'hypnotisme. — 1. Que la théorie chrétienne
explique les circonstances historiques de l'hypnose moderne. — 2.
Comment la théorie chrétienne explique les phénomènes hypnotiques. —
3. Comment la théorie chrétienne explique les symptômes hypnoti-
ques. — 4. Comment la théorie chrétienne explique la divination et
les autres faits supérieurs. — 5. Conclusion de ce chapitre et de l'ou-
vrage.
PREMIER APPENDICE
L'HYPNOTISME ET LES MÉDECINS CATHOLIQUES A L'OCCASION DES OPUSCULES
DES DOCTEURS GUERMONPREZ ET VENTUROLI
DEUXIÈME APPENDICE
PICKMAN ET LOMBROSO A TURIN OU L'HYPNOTISME CLAIRVOYANT
Théâtre des faits. — Le Prestidigitateur. — Les Prestiges. — Eclair-
cissements généraux sur les faits de Pickman. — Explications erro-
nées de Pickman et de Lombroso. — L'explication vraie et générale. —
NOTES SUPPLÉMENTAIRES.

S'adresser à l'Imprimerie Catholique Saint-


Joseph, à Saint-Amand (Cher).

Vous aimerez peut-être aussi