Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
EN ODEUR DE SAINTETÉ,
Traduit de Italien de M. MARCONI,
Dieu.
Lecteur du College Romain , Confesseur
du Serviteur de
A PARIS,
Chez GUILLOT Libraire de MONSIEUR,
,
Frère du Roi, rue Saint-Jacques, vis-
à-viscelle des Mathurins.
M. DCC. LXXXIV.
Avec Approbation E Privilège.
AVERTISSEMENT.
LA
renommée a déja placé le nom
de BENOIT-JOSEPH LABRE parmi
,
les noms célèbres du Chriftianifme
& les prémices de fon culte s'éten-
,
dent chaque jour, avec la réputa-
tion de fa fainteté.
Il est important pour l'édification
des fidèles & la gloire même du
Serviteur de Dieu, de faire con-
noître les véritables motifs de cet
enthousiasme extraordinaire qui
,
tout-à- coup, à l'occafion de la mort
de cet illuftre Pénitent, a faifi
transporté Rome & s'eft bientôt
,
,
communiqué à toute l'Europe, avec
une incroyable rapidité.
C'est l'objet des Mémoires que
l'on publie. On s'est appliqué à leur
concilier la confiance, par une sage
réserve & beaucoup d'impartialité.
Plus là réputation de Benoît-Jofeph
3 été subite & éclatante plus la
,
a ij
V AVERTISSEMENT.
critique doit être circonspecte & ri-
goureuse. La Religion, rejetteroit ,
blâmeroit même avec févérité, le
téméraire hommage d'un zèle in-
discret.
Laissons l'erreur s'accuser elle-
même de disette & d'infuffifance
se fatiguer du soin pénible de for-
,
ger sans cesse, de nouvelles armes,
s'agiter du désir inquiet d'accumu-
ler titres fut titres.
Une possession auffi refpectable
par son ancienneté , qu'éclatante ,
a sa première époque, par la mul-
titude des prodiges que l'histoire a
confacrés, dans un pareil nombre,
de monumens également antiques
& toujours subsistans ; cette même
possession confirmée perpétuée,
, ,
renouvellée d'âge en âge, pen-
dant dix-huit siècles par une fuite
,
non-interrompue de fignes évidens ì
qui constatent son origine céleste
& la protection constante de la Di-
vinité: une telle poffeffion suffit à
la gloire de la Religion chrétienne,
AVERTISSEMENT
& à l'autorité des preuvese fur l'ef-
quelles elle fe fonde.
Aussi l'Eglise paroît-elle toujours
plus empreffée de proposer à fes
enfans de nouveaux modeles à
,
imiter, qu'occupée de leur annon-
cer de nouveaux prodiges.
A Rome, dans les procès-verbaux
de canonisation, on n'en vient ordi-
nairement à l'examen & à la difcuf-
sion des miracles qu'après qu'il a
,
été prouvé que la pratique des ver-
tus chrétiennes a été portée jusqu'à
l'héroïfme.
Fidèle à la loi de l'histoire on a
,
parlé des choses extraordinaires arri-
vées aussi-tôt après la mort de Be-
noît - Jofeph, & des guérisons mi-
raculeuses attribuées a son interces-
sion; mais non moins fidèle aux loix
de la critique, on n'a point donné
à de simples présomptions la certi-
tude & les caractères de la vérité.
Lorsqu'il s'agit de publier *comme
certains, dés faits merveilleux , il
ne fuffit pas que les preuves que
Vj AVERTISSEMENT.
l'on rapporte, soient multipliées, il
faut qu'elles soient à l'abri de toute
critique; que ces preuves, qui doi-
vent être authentiques, évidentes
irrésistibles., soient en outre, recon-
,
nues pour telles, après un mûr exa-
men , par une autorité légitime &
compétente.
Les Philosophes les plus févéres
font invités à parcourir avec quel-
qu'attention l'ouvrage de Be-
,
noît XIV fur la canonisation des
Saints : c'est un des plus beaux,
monumens que le siècle présent ait
élevé à la gloire de la Religion.
On les invite à considérer les
seuls préliminaires qui précèdent
l'examen d'un fait prétendu mira-
culeux, & la multitude de condi-
tions qui doivent concourir pour
caractérifer une guérison furnatu-
relle ; quelles précautions on em-
ployé pour constater l'origine, les
diverses périodes, l'état grave de la
maladie pour s'affurer que la gué-
, subite, completté,
rison a été per-
AVERTISSEMENT VII
VIE
A
CHAPITRE PREMIER.
Naissance du Serviteur de Dieu :
fon enfance & fon éducation.
LA France, déjà si célèbre dans l'Hif-
toire de la Religion , par les grandsliommes
& lès saints personnages qu'elle a produits,
va. bientôt se féliciter d'avoir encore ajouté
à sa gloire, en donnant à notre fiècle, un
2 Vie de
homme extraordinaire, qui pendant toute
fa vie, confondu dans la foule, fous le
voile méprisé d'une vie pauvre, vile &
abjecte, fort tout-à-coup de la baffeffe &
de l'obfcurite, au moment même de sa
mort ; & fixe sur fon tombeau l'admira-
,
tion de Rome, & les regards attentifs de
l'univers catholique, tant par l'éclat subit
d'une multitude de merveilles que la re-
nommée publie de toutes parts, que par la
réputation d'une éminente sainteté.
On reconnoît d'abord à ces traits fidèles,
le PAUVEE DE JÉSUS-CHRIST , Benoît-
Joseph Labre dont la vie doit porter
,
dans les coeurs chrétiens, à mefure que
les détails en seront publiés l'impreffion
tendre & profonde de la religion & de la
piéré.
Le diocèfe de BouIogne-fur-Mer eft
l'heureufe patrie ( 1 ) qui donna naif-
A
milité de Benoît-Joseph qui l'anéantiffoir
,
10 Vie de
CHAPITRE II
Continuation du même Fujet. Occu-
pation du Serviteur de Dieu, dans '
son enfance.
», zèle».
Le respect dans les Temples fut encore
une des vertus qui diftinguèrent fon en-
fance. Pénétré de la Majefté des lieux
faints, & de la sainteté des Myftères redou-
tables, « jamais fuivant le témoignage
,
"du respectable M. Vincent, son oncle
" maternel, il n'y paroiffoit & n'y affiftoit
" qu'avec une modestie vraiment édi-
» fiante ".
Donnez une ame vide de toute affec-
tion terrestre & pleine de Dieu que la viva-
cité de sa foi lui montre sans ceffe en état
de victime & d'immolation fur les autels ;
donnez une ame fenfible & reconnoiffante,
où trouvera-t-elle plus de douceurs qu'aux
pieds des Saints Tabernacles? Apres lés
premiers, traits que nous avons rapportés
de l'enfance de Benoît-Jofeph, rien ne doit
donc nous furprendre de tout ce que, nous
apprend une multitude de témoignages, foit
de fon empreffement à fe rendre aux Offices
Divins, foit de fa tendre dévotion & de
,
Benoît-Jofeph Labre. 17
la sainte avidité avec laquelle il recevoit
les instructions chrétiennes. Entendre la
parole de Dieu, la lire ou la méditer, ce
furent les. principales occupations, &
prefque les seuls plaisirs du premier âge
du Serviteur de Dieu.
En France & fur-tout dans les paroisses
,
de la campagne, c'est l'ufage, les Fêtes
& Dimanches qu'après avoir assisté à
,
l'Office de l'après-dînée le peuple passe
,
le reste de la journée à divers amufemens.
La complaisance de Benoît-Jofeph pour
les volontés de ses parens & de ses maî-
tres, fembloit feule le conduire à ces di-
vertiffemens publics, " Sans goût & fans
» attachement pour les plaisirs souvent
,
» il fe retiroit, pour aller causer avec
» des personnes plus âgées & plus fé-
" rieufes (1) ».
Il est un grand nombre d'enfans dont
rien ne peut fixer l'inconftance & i'in-
CHAPITRE III
Premières études de Benoît-Jofeph
CHAPITRE IV.
Adolefcence de Benoît Jofeph, fa
-
conduite fous la direction de fon
oncle ; fa première Communion.
appeller.
de la vie, la voix qui n'a ceffé de les
L'ordre, la clarté,
de
la précision, l'hu-
milité & une très-grande simplicité accom-
pagnoient la déclaration de ses fautes.
Il écoutoit ensuite fon Confeffeur avec
respect foumettoit ses opinions particu-
,
lières à ses décifions, docile à ses inten-
tions, & vénérant ses paroles, comme
des oracles defcendus, du ciel.
Avant que de recevoir l'abfolution facra-
mentelle, il fe courboit profondément, ref-
toit anéanti dans lui-même pendant quelque
temps, & s'excitoit le plus vivement qu'il
pouvoit, à la douleur, en renouvellant des
actes de contrition. Il relevoit ensuite mo-
deftement la tête, afin d'avertir son Confef-
seur, & de se remettre dans une posture
convenable, pour recevoir l'abfolution.
Il étoit persuadé, & souvent il répé-
toit cette pensée qu'il difoit avoir puifée
dans sainte Thérèfe ; qu'une multitde de
Chrétiens fe précipitent dans l'enfer, par
le crime des mauvaises confessions. Il par-
tageoit en trois classés lés pécheurs qui
,
vont à confeffe, les pénitens parfaits, les
Benoît-Joseph Labre. 35
imparfaits & les faux pénitens. Son ima-
gination se les représentpit sous l'idée de
trois processions qui se divisoient en fortant
du tribunal, & qui prenoient chacune
un chemin différent.
La première classe, hélas bien peu nom-
breufe étoit composée des vrais péni-
,
tens ; c'étoient ceux qui avoient fondé
profondément leurs plaies, qui les avoient
découvertes avec sincérité & avec fim-
plicité qui en avoient conçu une véri-
,
table douleur, qui avoient mêlé leurs
larmes aux eaux salutaires de la péni-
tence , & qui n'ayant négligé aucune
des conditions nécessaires à une bonne
confession, avoient enfuite fait tous leurs
efforts pour satisfaire à la justice de Dieu
,
en ajoutant aux pénitences imposées par fes
Miniftres, d'autres oeuvres de mortifications
particulières ; & cherché dans l'application
des indulgences de l'Eglife, un supplément
à ce qui leur manquoit encore pour rem-
plir toute justice. Le Serviteur de Dieu
fe repréfentoit
ces saints pénitens, comme
B vj
36 Vie de
étant revêtus d'une robe blanche & lumi-
neufe, s'élevant vers le ciel au moment
même de leur mort, & entrant en triomphe
dans les tabernacles éternels.
Les seconds en petit nombre encore,
mais cependant plus nombreux que les
premiers, formoient la deuxième classe,'
composée de pénitens imparfaits & qui
lui paroissoient revêtus d'une robe teinte
en rouge ; ceux-ci, fidèles aux conditions
essentielles à une bonne confession n'a-
,
voient pas à la vérité, rendu inutile la grace
de la pénitence; mais trop confians dans le
pardon obtenu, ils avoient ensuite marqué
trop peu de zèle pour remplir complette-
ment les oeuvres de fatisfaction, & avoient
négligé de recourir aux indulgences que
l'Eglife, Mère tendre & compatissante,
offre à la foibleffe de ses enfans pénitens
& réconciliés, pour les mettre en état de
fuppléer à leur insuffisance. Le ciel reftoit
fermé à leurs défirs, & ils étoient repoussés
vers le purgatoire, pour achever de fa-
tisfaire à la justice divine, & s'y purifier
entiérement.
Benoit Jofeph Labre. 37
Les faux pénitens qui compofoient la
troifième claffe beaucoup, plus nombreufe
que les deux, premières, lui paroiffoient
revêtus de vêtemens impurs & fouillés.
C'étoient ceux qui, soit par légèreté & né-
gligence notable dans la discussion &
l'examen de leurs péchés, soit manque
de contrition & de ferme propos, soit par
défaut de courage & de fincérité, foit par
fugeftion d'une honte misérable, avoient
fciemment recelé une partie de leurs pé-
chés; & par-Ìà, achevé de souiller leur
ame, dans les eaux mêmes de la sainte
Pifcine destinée à lui rendre fa première
blancheur hypocrites facrilèges qui
,
aboutiffoient à l'enfer par le chemin même
qui devoit les conduire au ciel.
Ces penfées imprimoient fortement dans
le coeur de Benoît-Joseph, la crainte &
l'horreur du péché. Elles contribuoient à
défendre fon innocence contre les tenta-
tions, & à lui rendre falutaire l'usage des
Sacremens où il alloit se purifier de fes
fautes.
38 Vie de
Une confession générale exécutée fui-
vant la méthode de Benoît-Jofeph étoit
sans doute, une excellente préparation à la
premiere Communion. Il y ajouta encore
la méditation la prière & des oeuvres par-
,
ticulieres de mortification.
On fait, dit saint Thomas, quels effets,
opere la mâne céleste; lorfquelle tombe
sur une ame bien préparée. Nourriture
des Anges, elle nous en communique la
pureté; vrai sang d'un Dieu, elle nous
transforme en quelque forte en Dieu
même ; vrai arbre de vie, planté dans lé
coeur des Fidèles, elle ne tarde à
pas y
produire avec les fleurs qui exhalent la
bonne odeur de Jefs-Christ, des fruits
abondans de la justice chrétienne, (1)
Ceux que la grâce de la première Com-
munion produisit dans le Serviteur de Dieu,
CHAPITRE V.
CHAPITRE VI
Le Serviteur de Dieu retourne dans
la paroiffe d'Erin, où il demeure
jufqu'en 1766,
IL n'arrive que trop souvent que les
contradictions affoibliffent la foi, & jettent
dans le découragement, Celle que Benoît-
Joseph venoit d'éprouver, ne servit, au
48 Vie de
contraire, qu'à redoubler sa ferveur, &
à lui inspirer.encore plus d'attachement
à ses devoirs, plus d'ardeur pour la prière
& la lecture des bons livres, plus de cir-
conspection dans ses paroles plus de ré-
,
serve dans fa conduite plus de fimplicité
,
dans ses moeurs, plus d'éloignement des
plaisirs, & plus d'empreffement pour s'unir
à Dieu par la fréquentation des Sacremens.
La maison de son oncle étoit pour
lui, un véritable monastère où il prati-
,
quoit, autant que sa position le lui rendoit
possible, la régularité d'une vie de com-
munauté. La pauvreté religieuse, le silence
du cloître. Sa soumission aux moindres
volontés de son oncle, étoit celle d'un
Religieux à son Supérieur. Déjà exercé
aux auftérités de la pénitence, il obfer-
voit rigoureufement, à un âge qui l'en
difpenfoit, tous les jeûnes commandés
:
Telle fut la conduite du Serviteur de Dieu
pendant deux années & demie. Le souve-
nir de ses vertus eft confacré par les éloges
des habitans d'Erin, dont la plupart en
ont
Benoît-Jofeph Labre. 49
ont été témoins. L'expérience qu'ils firent
de fa charité, leur rendra long-temps
présente la reconnoiffance qu'ils lui doi-
vent.
Une cruelle épidémie défoloit cette
paroisse ; le nombre de ceux qui en
étoient attaqués rempliffoit les maisons ;
& il ne reftoit prefque plus personne qui
eût, ou les moyens de subvenir aux be-
soins des malades ou la force de les
,
soigner & de les fervis. Les malheurs de
l'humanité font presque toujours des oc-
casions de triomphe pour la Religion.
Le chrétien ne connoît le prix de la vie,
que par son ardeur à en faire à Dieu le
sacrifice pour ses frères.
Le vertueux oncle ne mit bientôt plus
aucune borne à son zèle, & la charité da
pieux jeune homme ne connut plus de dan-
gers. La huit n'accorde aucun repos à la fa-
ligue du jour ; l'oncle & le neveu, tantôt
fe réuniffent, tantôt se divifent, pour se
porter, sans relâche, par-tout où le danger
50 Vie de
les appelle. Aucun malade qui ne soit vifi-
té, servi, confolé, secouru.
A la campagne les bestiaux font la
,
fortune des pauvres Agriculteurs. Perdre
la vie ou perdre leurs bestiaux, est un
,
malheur mis, par eux, presque au même
rang. Benoît-Jofeph s'en apperçoit, & il
partage ses services entre les pauvres mala-
des & les bestiaux qui leur appartenoient.
Tandis que son oncle, livré entié-
rement au ministère paftoral, expofoit fa
vie auprès des malades, ou se dépouilloit
de tout, en donnant tout à ses pauvres
paroissiens; on voyoit le charitable jeune
homme embrasser les fonctions les plus
viles & les plus fatigantes : panser les
bestiaux, nettoyer les écuries, aller tantôt
dans les jardins, tantôt dans les champs:
& lui, à qui la vie qu'il menoit chez son
oncle, & son éducation avoient interdit
,
le travail, revenir plusieurs fois le jour
,
les épaules chargées, soit d'herbes, foit
de fourages qu'il alloit distribuer de fes
Benoît-Jofeph Labre. 51
propres mains aux animaux dont il pre-
noit soin.
Une si grande charité ne devoit pas ref-
ter fans récompense. Dieu , qui tient
compte d'un verre d'eau donné en aumô-
ne, ne l'oublia pas fans doute ; mais que
lés penfées de Dieu sont différentes des
pensées de l'homme ! Le monde donne
pour récompense des biens ou des dis-
tinctions; Dieu envoye fouvent à fes amis
pour récompense, de nouvelles croix à
fupporter C'eft qu'il faut que cette pa-
role s'accompliffe : malheur à ceux qui ont
reçu leur récompense dans ce monde: c'est
qu'un Dieu sage ne confond pas le temps
du combat avec le temps de la récom-
pense : Qu'enfin la plus précieuse de
toutes pour un Chrétien, eft une nouvelle
occafion de mériter.
Ce fut aussi de cette manière, que Dieu
visita son Serviteur. Le fléau de l'épi-
démie cessa; mais l'excès de la fatigue
avoit épuifé les forces du digne Curé
d'Erin. Une maladie qui en fut la fuite
C ij
52 Vie de
l'enleva en peu de temps à la tendreffe &
à la reconnoiffance de fa Paroiffe.
Quel coup quelle fituation pour Be-
,
noît-Jofeph ! Dieu lui ôte un maître, un
bienfaiteur, un second père ; il trouvoit
dans fa maison, une solitude qui adoucif-
soit beaucoup le regret de se voir fermé
l'entrée du cloître. Sa mort le laiffe presque
sang appui, & lui présage de nouveaux
obstacles à fa vocation. Le Serviteur de
Dieu mesure toute l'étendue de sa perte;
fon courage cependant renaît avec sa foi.
Une voix intérieure lui dit qu'un Chré-
tien n'est jamais plus fort que quand Dieu
lui reste seul.
Benoît-Jofeph Labre. 53
CHAPITRE VII.
Retour de Benoît-Jofeph chez fes
parens ; nouvelles tentatives pour
en obtenir la permiffion de fe rendre
à la Trappe.
C
tence.
Les parens de Benoît-Jofeph ont tou-
jours montré beaucoup de religion. Ils
craignirent de résister à Dieu même, en
réfiftant plus long temps à leur fils. Le
Serviteur de Dieu obtient enfin leur con-
sentement & leur bénédiction. Il part :
la fatigue d'un long voyage ne fait qu'aug-
iv
56
pour une vie dure & mortifiée.
Viede
CHAPITRE VI II.
Nouveaux obstacles que le Serviteur
de Dieu éprouve dans son dessein
d'entrer en Religion, tant de la
part de ses parens que chez les
Chartreux de Longueneffe & de
Montreuil.
CHAPITRE IX.
Le Serviteur de Dieu retourne à
Amette. Nouvelles contradictions
qu'il y éprouvependant deux ans.
LA victoire augmente nos forces avec
notre courage : le serviteur de Dieu ayant
surmonté les tentations qui l'avoient si fort
agité, sentit après que l'orage été heu-
eut
reufement diffipé qu'il pouvoit tout avec
,
celui qui fortifie (I). Les nouveaux com-
bats qu'il aura bientôt à soutenir, prouve-
ront combien sa confiance en Dieu, & cette
nouvelle fermeté d'efprit & de coeur qui
en étoit l'effet, lui devoient être nécessaires.
Quoique sorti du cloître, il ne s'en crut
pas moins appelle à une vie pauvre & auf-
tere. C'étoit visiblement sa vocation. Il
n'en doutoit pas, & retourné chez fes pa-
C H A P I T R E X.
Benoît-Joseph, s'applique à l'étude
de la Philosophie & du Chant
,
Eccléfiaftique. Sa conduite cher
M. Dufour alors Vicaire de'
,
Ligni,, & actuellement Curé d'An-
chi-aux-Bois.
CHAP I T RE XI.
Je Serviteur de Dieu eft admis au.
noviciat dans la Chartreuse de
Montreuil. Sa fortie de cette mai-
fon.
LE Prieur de Montreuil s'étant affuré
que Benoît-Joseph avoit fuffifamment fa-
tisfait aux conditions qu'il avoit exigées
Benoît-Joseph Labre. 79
de lui, ne fit aucune difficulté de le rece-
voir. Le jour de la fête, ou un des jours
de l'octave de l'Affomption de la Sainte
Vierge, il fut admis aux exercices du no-
viciat. Ce qu'eft la douceur de la victoire,
après un combat violent & opiniâtre, &
le premier moment de jouiffance d'un
bien défiré avec de longues & de vives
ardeurs, la folitude de Montreuil le fut
d'abord pour Benoît-Joseph. Les austérités
de la regle, la longueur des Offices, lés
veilles de la nuit, la variété des exercices
qui se •succédaient fans interruption oc-
,
cuperent, dans les premiers temps, l'ac-
tivité. de son zele; & il y trouva de quoi
fatisfaire son ame avide de lecture, de
priere, de recueillement & de pénitence.
Une joie sensible annonçoit le contente*
ment de l'efprit & la paix du coeur. La
confolation accompagnoit & rendoit plus
fervente encore, son assiduité scrupuleuse
à fes devoirs & à toutes les observances
du noviciat ; mais le calme sera de
courte durée ; de nouveaux orages vont
Dij
80 Vie de
s'élever & c'eft de la serveur même que
,
renaîtront l'agitation & le trouble.
Benoît-Joseph fe livre bientôt à fon
goût pour l'Oraifon, & prend pour sujet
ordinaire de ses penfées, la sainteté de
Dieu l'étendue de ses devoirs, la multi-
,
tude des graces qu'il a reçues.
Son imagination étoit vive, & fa conf-
cience délicate & timorée.
L'oeil qui a fixé pendant quelque temps
l'éclatante lumiere du foleil, n'apperçoit
au moment où il vient à reporter sur la
terre fes regards éblouis, que tache & qua
confusion ; ainsi Benoît-Joseph, occupé à
méditer la fainteté infinie de Dieu la
,
charité infinie de Dieu, la pureté de sa loi,
la grandeur de son amour, venant ensuite
à redescendre dans son ame, n'y vit plus
que fouillures, qu'ingratitude que sujets
,
d'épouvante & d'effroi. Les mêmes trou-
bles, les mêmes tourmens intérieurs qu'il
avoit éprouvés à Longuenesse, il les
éprouve de nouveau. La Régle de Saint
Bruno ne lui semble plus faite que pour
Benoit-Joseph Labre 81
des solitaires innocens ; elle femble trop
douce pour un pécheur tel que lui.
Le corps souffrit bientôt de l'agitation
de l'efprit ; elle étoit trop vive pour qu'elle
pût être long-temps cachée. Les bons
Religieux s'en apperçoivent; ils plaignent,
consolent & animent le pieux jeune homme
à la confiance en Dieu : mais persuadés qu'il
n'étoit point appelle à embrasser leur inf-
titut, ils lui confeillerent de quitter leur.
Maison. Après six semaines d'épreuves, il
en sortit le 2 Octobre de l'année 1769.
Le même jour, il écrivit à ses parens
pour leur apprendre fa sortie ; fa Lettre
monument édifiant de fa piété, peint mieux
que nous ne pourrions le faire, la, beauté
de son ame & la vivacité de fa foi.
L E T T R E
DU SERVITEUR DE DIEU
A. S E S PARENS.
Mon très-cher Pere & ma très-chere Mere.
" Je vous apprends que les Chartreux
» ne m'ayant pas jugé propre pour leur
82 j'en
Vie de
suis forti le second jour d'Oc-
» état,
» tobre. Je regarde cela comme un ordre
» de la Divine Providence qui m'appelle
à
» un état plus parfait; ils ont dit eux-
» mêmes que c'étoit la main de Dieu qui
» me retiroit de chez eux. Je m'achemine
» donc vers la Trappe, ce lieu que je defire
» tant & depuis si long- temps. Je vous
» demande pardon de toutes les défobéif-
» fances & de toutes les peines que je vous
» ai causées; je vousprie bien l'un & l'autre
» de me donne votre bénédiction, afin que
» le Seigneur m'accompagne ; je prierai
" le bon Dieu pour vous tous les jours
» de ma vie :
fur-tout ne soyez point in-
» quiets à mon égard.Quand j'aurois voulu
» y rester, on ne m'y auroit pas reçu;
» c'est pourquoi je me réjouis beaucoup.
» de ce que le Tout Puiffant me conduit.
» Ayez foin fur-tout de l'inftruction de mes
» frères & soeurs, & fur-tout de mon filleul ;
» moyennant la grâce Dieu, je ne vous
de
» coûterai plus, jamais rien, & ne vous
» ferai plus aucune peine ; je me recom-
Benoît- Joseph Labre; 83
" mande à vos prieres; je me porte bien,,
" & je n'ai pas donné d'argent aux do-
" meftiques ; je ne fuis sorti qu'après avoir
» fréquenté les Sacremens. Servons tou-
» jours bien le bon Dieu, & il ne nous
" abandonnera pas. Ayez foin de votre fa-
" lut; lisez, & pratiquez ce qu'enseigne le
" Pere Aveugle: c'est un livre qui enseigne
" le chemin du Ciel, & fans, faire ce qu'il
" dit , il n'y á point de salut à espérer.
" Méditez les peines effroyables de l'enser
" qu'on endure une éternité toute entière"
" pour un seul péché mortel qu'on com-
" met si aifément. Efforcez- vous d'être
" du petit nombre des élus. Je vous re-
" mercie de toutes les bontés que vous avez
" eu pour moi, & des services que vous
" m'avez rendu ; le bon Dieu vous en,
" récompensera: procurez à mes frères &
" soeurs la même éducation que vous
» m'avez donnée c'est le moyen de les
,
" rendre heureux dans le Ciel; fans inf-
» truction on ne peut pas fe sauver. Je
affure êtes déchargés de
«
.
vous que vous
Dvj
84 Vie de
" moi; je vous ai beaucoup coûté, mais
» soyez affurés que moyennant la grace
" de Dieu
,
je profiterai de tout ce que
» vous avez fait pour moi. Ne vous af-
" fligez point de ce que je fuis forti des
» Chartreux; il ne vous eft pas permis dé
» résister à la volonté de Dieu qui en a
" ainfi difpofé pour mon plus grand bien
" & pour mon salut. Je vous prie de faire
" mes complimens à mes freres & soeurs;
" accordez-moi vos bénédictions ; je ne
» vous ferai plus aucune peine; le bon
" Dieu que j'ai reçu avant de fortir,
» m'affiftera & me conduira dans l'entre-?
" prise qu'il m'a lui-même inspiré ; j'aurai
» toujours la crainte de Dieu devant les
» yeux, & son amour dans le coeur. J'ef-
" pere fort d'être reçu à la Trappe : en
» tout cas on m'affure que l'Ordre de
,
" Sept-Fonds n'étant pas si rude, on y reçoit
"plus jeune; mais je ferai reçu à la Trappe».
Benoît-Joseph Labre. 85
C HA P IT R EX II.
Le Serviteur de Dieu se rend de
Montreuil à la Trappe & de
,
cette Abbaye à celle de Sept-
Fonds, où il est reçu. Le temps
qu'il y demeure & son départ
,
de ce dernier monaftère.
incertitudes.
de diriger Benoît-Joseph; & de fixer fes
la croix.
rieures, ne demandant rien n'ambition-
,
nant rien, que de boire le calice & de porter
C H A P I TRE XI II.
Pèlerinages entrepris par Benoît-
Jofeph.
LES hommes sont tous appelles à la
fainteté; & comme il est diverses demeures
dans la maison de Dieu, il y a aussi di-
verses voies pour y arriver. Outre les
routes communes & ordinaires, il en est
d'extraordinaires & de fingulieres mais
,
dans lesquelles il feroit téméraire de s'en-
gager , qu'après les signes évidens d'une
inspiration certaine &
d'une vocation
,
long-temps confultée Je veux parler de
la dévotion des pèlerinages qui va occu-
per une partie de la vie du Serviteur de
Dieu, & dans laquelle il se comporta de
manière à ne laiffer aucun lieu de douter
que ce qui feroit pour le commun des
Chrétiens, une tentation de dissipation &
de relâchement, a été pour lui un accroif-
Benoît-Jofeph Labre, 93
fement de mérite, un exercice de Péni-
tence, & un moyen de sanctification.
Sans douté aussi qu'il s'y sentit porté
les circonstances particulieres où il se
par
trouva ; il étoit éloigné de fon pays, dé-
taché du monde & de tout ce qui lui ap-
partient, éprouvant des obstacles invin-
cibles au dessein de se consacrer à Dieu
,
dans le cloître; son ardeur pour l'humilité,
la pauvreté & la pénitence, a pu offrir à
son zèle cette pratique de piété qu'il em-
braffa dans de saintes intentions.
Rome, capitale & unique centre de la
Foi catholique, lieu sacré du triomphe &
du repos des saints Apôtres, si fameuse
par les monumens de la Religion, & les
trésors spirituels qu'elle renferme dans fon
fein, devoit être l'objet principal des pè-
lerinages du Serviteur de Dieu.
Il conçut au moment de fa sortie de
l'Abbaye de Sept-Fonts, arrivée en 1770,
la résolution d'en faire le voyage, & il se
mit bientôt en devoir de l'exécuter.
Arrivé à Guiers en Piémont, il écrivit
94 Vie de
à ses pere & mere, pour les informer des
raisons qui l'avoient empêché de pouvoir
se fixer dans cette sainte Maifon. Sa Lettre
contient en quelque forte ses derniers
adieux à fa famille, & en effet, ses parens
n'entendirent plus parler de lui qu'après
fa mort.
Il vifitoit avec une piété toujours éga-
lement édifiante, les églises qu'il rencon-
troit fur fa route.
Du Piémont, il se rendit à Lorette dans
le mois de Novembre ; fa tendre dévotion
pour la Mere de Dieu, & les graces figna-
lées qu'il y a reçues ont été cause que
,
le refte de fa vie il conferva pour cet
,
endroit célebre une affection, une prédi-
lection toute particulière.
Il dirigea enfuite fon chemin vers Affifes,
célèbre pour avoir donné le jour à Saint
François ; il y fit ses dévotions pour se
préparer à la grace que lui fit la Confrairie
établie dans ce lieu en l'honneur de ce
,
Saint, de l'infcrire dans ses registres
Il reçut, suivant l'usage, un petit cor-'
Benoît-Joseph Labre. 95
cois.
Louis, établi en faveur des Pélerins Fran-
(I) 21 Avril
(2) 13 Mai.
(3 ) 22 Mai.
(1) 28 Juin
Benoît-Jofeph Labre. 103
même année, fut le dernier terme de ses
courfes de piété ; & pour le reste de fa
vie, il fixa fa demeure dans cette capi-
tale d'où il ne sortit plus que; pour aller
,
passer seulement.quelques jours à Lorette,
& payer à la Mere de Dieu fon tribut
annuel d'amour & de reconnoiffance.
Après avoir rapporté les divers voyages
du pieux Pèlerin, il ne sera pas hors de
propos de faire fur le mérite des pélerina-
ges quelques réflexions que nous emprun-
tons de M. Alegiani. Ils ont été prati-
qués par un grand nombre de saints
personnages, L'illuftre Auteur du livre
de I'Imitation de Jefus-Christ, dit à la
vérité, que, qui se livre à une vie de
pèlerinages, rarement se sanctifie : & vé-
ritablement, à considérer sous un certain
point de vue, la vie. des pèlerins, on la
trouve fujete à mille, risques & à mille
dangers pour l'ame, par la variété des
personnes avec qui l'on se trouve,. & des
lieux par où l'on passe & où l'on s'arrête,
On expose son esprit aux diftractions à la
,
Eiv
diffipation à la curiosité & à la recherche
,
des nouveautés ; toutes choses qui mettent
obstacle à la serveur, ou qui l'affoibliffent.
Mais fi l'on confidere les pèlerinages
fous un autre point de vue, on ne peut
nier que la vie de pèlerin ne puisse être
un moyen de sanctification , comme por-
tant avec lui un détachement total de
toutes les commodités dont on peut jouir
dans le lieu de son séjour.
Qui ne fait que c'est une maxime évan-
gélique, que plus l'efprit se détache de la
terre, plus il s'élève vers le Ciel ! On peut
ajouter à cette considération que les»
,
lieux mêmes des tombeaux des Saints,
terme des pèlerinages où l'on va rarement,
inspirent naturellement un certain sen-
timent de vénération qui excite davan-
tage la confiance d'obtenir les graces que
l'on demande, à la vue de celles que Dieu
y répand.
Si les pèlerinages ainsi confidérés en
eux - mêmes peuvent servir à la fancti-
fication, que ne peut- on pas dire de ceux
Benoît-Joseph Labre. 105
C H APITR E XIV.
De la maniere dont le Serviteur de
Dieu vécut à Rome, depuis qu'il
y eut fixéfa demeure.
F ij
par humilité ou par charité.
Vie de folitude & de retraite ; il n'avoit
121 Vie de
que Dieu pour fociété, ne vivoit en so-
ciété qu'avec Dieu, évitant le commerce
des hommes, le tumulte des places, la dif-
sipation des promenades, le spectacle des
fêtes si fréquent à Rome, vivant comme
dans la profondeur d'un défert, au milieu
d'une ville habitée par un grand nombre
d'étrangers, & qui offre le tableau le plus
mobile, le plus changeant & le plus varié.
Abnégation de foi-même : privé de
tout, détaché de tout, ignoré de tous les
hommes, il ne vouloit de richesses que
les biens de la pauvreté évangélique ; de
plaifir, que les exercices de la pénitence ;
de distinction que le rebut & le mépris.
,
Rigueurs de la pauvreté : (1) Benoît-
CHAPITRE XV.
Derniere année de la vie du Serviteur
de Dieu.
LE fecret des Rois doit être inviola-
blement gardé : mais c'eft un devoir que
de révéler les merveilles que le Seigneur
a opérées fur ses élus ( 1 ).
La providence ayant permis que je fuffe
pendant la derniere année de la vie de
Benoît-Jofeph , dépositaire de fes pensées
les plus fecrettes, & de fon intérieur, je
me crois obligé d'en publier tout ce dont la
connaiffance pourra contribuer à la gloire
de Dieu à celle de fon Serviteur & à
, ,
l'édífication des Fideles ( 2 ).
Au mois de Juin 1782, après la fainte
Messe que je venois de célébrer dans l'églife
CHAPITRE XVI.
Mort du Serviteur de Dieu.
CHAPITRE XVII.
Des chofes extraordinaires, arrivées
quelque temps auparavant ou
,
auffi-tôt aprés la mort du Serviteur
de Dieu.
( 1
). Les' divers endroits oùdès le mois
,
d'Août dernier on avoir déjà publié des guéri-
,
sons miraculeuses, font, sens y comprendre Rome,
Urbino, Péruge, Fermo Moceraro , Recanato,
,
Lorette, Camerino Cefenne Orviette An-
, , ,
conne , Toligno Vellerrie Riete Montefiaf-
, ,
cone, Monte-SanEto , Narni, Civita-Vecchia ,
Gubbio, Tolentino Fabriano, Urbanio Mon-
, ,
tatboddo, Heltanno, Cafcia, Capoue, Capra-
Benoît-Jofeph Labre. 183
Il s'agit troifiémement, à l'égard de plu-
fieurs, de guérifons publiées dans des rela-
tions qui sont accompagnées de certifi-
cats, soit des Médecins, soit de personnes
instruites, qui attestent, & l'état précé-
demment incurable du malade & le paf-
,
...
188 Vie de
roles de l'Eccléfiafte : Un homme a paru
exténué de mifere sans force & fans
,
vigueur riche feulement de fa pauvreté.
,
Et l'oeil de Dieu s'eft repofé fur lui
avec complaifance ; le Seigneur l'a tiré
de fa baffeffe, & l'a couronné de gloire :
plufieurs en ont étéfrappés d'admiration,
& ont glorifié Dieu.
FIN.
Benoît-Jofeph Labre. 189
RECUEIL
DE
PLUSIEURS PIECES;
P O U R S E R V I R
A LA V IE
DU SERVITEUR DE DIEU.
Copie d'une Lettre écrite par Benoît-
Jofeph Labre, le 31 Août 1770
,
à fes pere & mere.
MON TRES-CHER PERE ET MA TRES-CHERE MERE.
COPIE
Benoît-Jofeph Labre. 193
COPIE
DE LA LETTRE
DE MONSIEUR
JOSEPH MARCONÍ,
Confeffeur du vénérable Benoît-Jo-
feph Labre écrite de Rome au
,
pere du Serviteurde Dieu, en date
du 28 Septembre 1783.
MON TRÈS-CHER MONSIEUR
Iiij
& dans l'instant, les maladies les plus in-
vétérées celles de sept, de dix de douze,
,
de quatorze, de dix-huit, de trente ans
198 Vie de
sont g-uéries fur le champ; & les prodiges
s'opérent, non-seulement à Rome:, mais'
encore è Naples, à Gênes , à Milan ;
à: Bergame, à Capaúe, à: Lorette; & ;
dans les; autres provinces d'Italie, soit
dans l'Etat Ecclésiastique, soit dans le
royaume de Naples, dans l'isle de-Malthe,
dans la-Lombardie,&c.comme le certi-:
fient nombre de lettre authentiques qu'on
reçoit tous les jours à Rome de ces diffé-
rente1?contrées; Nousisommeif aussi infor-;
més chaque jour de quantité d'autres mi-
racles qui se font en France & dans, les
autres; royaumes de l'Europe. Le temps &
les bornes de cette Lettré, ne me per
siettent pas ,mon cher Monsieur, de vous
en dire davantage. J'ajouterai seùlement
que les» portraits de Benoît-Joseph, depuis
fa mort, sont tellement multipliés, qu'on
en compte jusqu'à présent cent soixante
mille. II n'est auctin peintíe, aucun gra-
veur qui n'aye travaillé à tirer, à repré-
senter sa figure au naturel, en tableaux,
en médailles, en cire, en plâtre, en soye.
plus de qutre-vingt mille ereliques ont déjà
Benoît- Joseph Labre. 199
été distribuées. Je vous en. envoie quatre
ce font autant de parcelles de l'habit de
votre fils qui m'est aussi cher qu'à-vous-
même. Je les infere ici, en y joignant une
petite portion de ses cheveux, que je con-
serve avec respect, & un de ses portraits
que je crois le plus ressemblant; car jusqu'à
présent, aucun ne l'est parfaitement, La
maladie de son frere Jacques-Joseph m'as
flige beaucoup. Vousi pourriez le consoler,
en lui disant ce que son vénérable frere
difoit à une fille de la ville de Fabriano,
infirme depuis vingt-ans à qui il rendoit
,
visite : ma fille, prenez courage, la ma-
ladie est autant une grace de Dieu que la
santé: combien de Saints ontsouhaité avec
t
ardeurvotreinfirmité,&n'ontpu obtenir !
Souffrez donc celle que le Seigneur vous
a envoyée avecpatience & pourson amour.
Cette même personne l'ayant invoqué
après fa mort, pendant trois jours, par le
conseil de son Gonsesseur, elle entendit
chaque jour distinctement la voix du Ser-
viteur de Dieu, qui lui difoit : la volonté
Iiv
200 Vie de
de Dieu est que vous continuiez â fup-
porter votre mal avec patience. Cependant
je conseille à votre fils malade de recourir
avec confiance à l'interceffion defon frère,'
& de s'appliquer dévotement une de ses
reliques : persuadé que Dieu lui rendra la
santé du corps, si elle peut être utile au
salut de son ame. Adieu mon très-cher
,
Monsieur; priez Dieu & son Serviteur
Votre fils pour moi ; je ne manquerai pas
de le prier pour vous toutes les fois que je
visiterai son tombeau ce que je fais fou-
,
vetu : encore une fois, adieu.
PROCÈS-VERBAI.
D RE SSE
LE JOUR DE P A S Q U ES,
Cinq jours après la mort du Serviteur
de Dieu, immédiatement avant
son inhumation.
A. la requête de M. Gaetan Palma,Su-
périeur de la Congrégation, dite des Pieux
Ouvriers, & R ecteur de l'Eglise de Sainte-
Marie-des-Monts, à Rome: je soussigné,
Notaire public accompagnant M. Luc-
,
Antoine Coselii, Chanoine, Promoteur-
Fiscal & Secrétaire du Tribunal du Vica-
riat de Rome me suis transporté, vers Ia
,
vingt-deuxieme heure du jour, en ladite
Eglise de Notre-Dame-des-Monts, où,
arrivé & étant entré par la petite porte
collatérale, avec grande peine à cause
,
202 Vie de
d'une grande foule de Peuples qui pressoit
de toutes parts je fus introduit dans un
,
corridorquiaboutit à la Sacristie, & dans
le milieu duquel je trouvai un cadavre
humain, étendu fur des tretaux, revêtu
d'une robe blanche conformément à
,
l'ufage des associés à la vénérable Confrai-
rie de Notre-Dame-des-Neiges, ceint d'un
cordon propre à cet habit, & les mains
jointes en croix fur la poitrine, n'exhalant
aucune odeur, ni bonne ni mauvaise.
.
Alors il fut ordonné par M. le Cha-
noine Coselli, procédant en vertu des
pouvoirs à lui accordés par Son Eminence
Monseigneur le Cardinal Marc-Antoine
Colonna, Vicaire de Rome, que pour
éviter le tumulte inséparable de la multi-
tude du Peuple, le corps seroit transporté
dans la Sacristie continue audit corridor ;
ce qui fut incontinent exécuté avec l'aide
& le secours des soldats.
La porté de la Sacristie étant fermée,.
r
On procéda à la reconnoissance du ca-
davré, en présence de divers témoinís
Benoît-Joseph Labre. 203
savoir ; de M. Gaetan Palma, sus nommé,
de M. Biagio Picillo des Freres Michel
,
Trifcitto, François Bagnagatti, & Camile
Simeoni. tous Religieux de ladite Con-
grégation des Pieux Ouvriers : de M. Jo-
seph Marconi, M. Annibal Albani, de
l'lllustrissimeComte, M. Jacques Piccini,
de M. Paul Mancini, du sieur François
Zaccarelli & du sieur Pierre Sentoli :
,
lesquels tous après avoir vû, & atten-
,
tivement considéré ledit cadavre, affir-
mèrent , fous la foi du serment, qu'ils le
reconnoissoient pour être le corps du Ser-
viteur de Dieu BENOIST-JOSEPH
LABRE, lequel ils avoient tous bien
connu pendant qu'il vivoit, & dont l'ame,
ainsi qu'ils le croyoient pieusement, avoit
été reçue'dans l'éternel repos, le Mer-
credi 16 Avril de Ia présente année,
,
jour de sa mort, arrivée à une heure de
nuit, dans la maison du sieur Zaccarelli,
laquelle est proche de ladite Eglise de
Notre-Dame-des-Monts : ce qu'ils affir-
merent pour avoir parlé audit Benoît-
ï vj
204 Vie de
Joseph Labre, plusieurs fois, pendant la
vie & avoir conversé familièrement avec
,
lui : à quoi ajouterent de plus M. Mar-
coni, qu'il avoit entendu ses confessions
sacramentelles pendant un espace de temps
notable, & M. Mancini qu'il lui avait
,
donné, depuis long-temps, asyle, pour la
nuit, dans son hospice destiné pour les
pauvres.
La reconnaissance du cadavre étant
finie,.de manière qu'il ne fut pas possible
de révoquer en doute son identité,
M. Cosselli, considérant que la Sacristie
étoit remplie d'une trop grande quantité
de monde, fit transporter le corps, enve-
loppé dans un linceul dans une cha-
,
pelle particuliere, voisine de ladite Sa-
criste où étant arrivé avec l'aide des
, ,
soldats qui ouvroient la foule du peuple,
le corps fut posé & étendu sur deux bancs,
qui avoient été ci- devant préparés, & dont
la réunion formoit une table. Le corps
ayant alors été mesuré par un Menuisier,
on trouva qu'il étoit grand de six palmes
Benoit-Joseph Labre. 205
& cinq pouces. Ensuite le sieur Joseph
Chigi, Chirurgien nommé d'office à cet
effet, aptes plusieurs expériences par lui
faites, reconnut que le corps étoit, dans
toutes ses parties, flexible, palpable, &
fans le plus léger indice de corruption-,
ce qu'attesterent également plusieurs au-
tres assistans, qui s'en assurerent par diver-
ses expériences.
Après que l'on eut dépouillé le corps
de ses vêtemens, avec la décence conve-
nable lorsqu'on vint à vouloir le chan-
,
ger de chemise, il sut nécessaire, pour
cela de le soulever dans fa partíe supé-
,
rieure ; à quoi voulant procéder, les frères
Michel Triscetto, François Bagnagatti &
Camille Simeoni, susnommés, placerent
le défunt de maniere que Ia partie infé-
rieure du corps restât étendue fur ladite
table formée des deux bancs réunis, &
que la partie supérieure prît ensuite la po-
fition d'un homme assis. Il fut remarqué
dans cette circonstance que le frere
,
Bagnagatti, contenant le corps du défunt
206 Vie de
par lés épaules v ledit cadavre parut, en
saisissant avec-la main gauche, le bord
du banc, soutenir d'une manieire natu-
relle son propre poids.
,
Les assistans ayant observé ce phéno-
mène voulurent s'assurer s'il n'étbit pas:
,
,
l'effet du hasard. Pour cela on pencha
"un peu le corps du côté gauche. La main
restoit néanmoins attachée d'elle-même
au banc, jusqu'à ce qu'on l'en séparât,
en Ia retirant.
La main étant ainsi détachée & chan-
gée déplace, le corps fut pareillement,
un peu incliné vers la droite Lorsqu'il
fut de nouveau rétabli dans la situation
propre à un homme qui est fur son séant ,
on vit, pour la seconde fois, qu'il saisit
l'extrêmité du banc , paroissant se soute-
nir de la même maniere qu'il Pavoit fait
ci-devant; c'est-àdire,.se tenant droit avec
les doigts repliés en- dessous du banc &
,
avec Ia paume de Ia main & lé pouce en-
dessus du banc prenant en tout,- pat
,
ce moyens l'attifude d'un homme qui
seroit en vie»
Benoît- Joseph Labre. 207
Quelque temps après, on leva & déro-
cha la main , & on reconnut la flexibilité
des doigts, ainsi qu'on fa décrit - plus
haut.
Ce phénomène fut observé & remar-
qué de tous les assistans, entre lesquels
étoient M. Palma, recteur, les freres Mi-
chel Triscittoy François Bagnagatti, Ca-
mille Simonei, ainsi que M. Joseph -Noël
Dulpino, missionnaire, M. Fidèle Réla-
gliati, avocat,M. Marconi, M. Mancini,.
M. Marc Antoine Golonna, M. Michel-
Angé Bove, M. PierrePaul de Lunel de
la Rovere M. Mathieu Angeletti &
, ,
plusieurs autres.
On revêtit ensute le corps d'une nou-
velle tunique, en, usage pour les confreres-
de ladite Association de Notre-Dáme-des-
Neiges ; on ceignit aussi , suivant la coutu-
me de ladite confrérie, les reins d'un cor-
don propre à ce vêtement, & le corps,
enveloppé d'un linceul, fut étendu dans
une bierre de bois de chataignier, difpoféé-
a cet effet, & qui étoit longue de buit
2o8 Vie de
palmes. & onze pouces, large, Vers la tête ,
de deux palmes & cinq pouces, haute
d'une palme &.six pouces ; la largeur étoit
vers les pieds, d'une palme & deux pou-
ces & demie & la hauteur d'une palme
,
&. deux pouces..
On plaça aux pieds du corps,une boîte
de plomb, liée dans tout son contour par
un ruban de soie, de couleur verte, &
fur laquelle on avoit apposé le sceau,, en
cire d'Espagne rouge, de son Eminence
Monseigneur le Cardinal Vicaire. Cette
-
boîte renferme un Mémoire en forme
d'éloge, écrit en latin, sur du parchemin
lequel est souscrit, ,
tant de M. Coselli que
de moi ,& conçu en ces termes :
« L'an de notre Seigneur 1783, la
» neuvieme année du fouverain Pontificat
» de N.S. P. le Pape Pie VI, BENOIT-
» JOSEPH fils de Jean-Baptiste Labre, &
,
" d'Anne Barbe Grandsire, né datas la
-
» paroisse de SaintSulpice d'Amette
, au
33
diocèfe de Boulogne en France, le
,
» 26 Mars 1748 ; après avoir passé fa
Benoît-Joseph Labre. 209
» jeunesse & mené constamment une très-
"bonne conduite, fous la discipline & la
» direction de son oncle paternel, alors
» Curé de la paroisse d'Erin, même dio-
» cèse, désirant faire dès progrès dans les
33 vertus chrétiennes & embrasser un
,
» genre de vie austère impénitente, entra
» dans l'Abbaye de Sept-Fonts, ordre
» de Gîteaux, de la plus étroite obser-
» vance, & fut admis aux exercices du
» noviciat, le 28 Octobre 1769 Mais
» ayant succombé aux austérités qu'il pra-
» tiquoit dans ce monastere, une maladie
» qu'il supporta patiemment pendant deux
mois, l'obligea de quitter, Ie deux Juin
» ,
" l'habit de Religion, qu'il avoit porté ,
» avec édification ,1'espace de plus de huit
«mois.
» A fa sortie de cette Abbaye, il en-
SÏ treprit divers pèlerinages ; fa dévotion
Dieu
&
PBSERVATIONS
Benoît-Joseph Labre. 217
.
OBSERVATIONS
SUR
L E R ECUE II
D EL A V I E
.DE BENOIT-JOSEPH
LA B R E,
Composé par M. sAbbé Marconi ,
Lecteur du Collège Romain, &
Confesseur du Serviteur de Dieu.
C H APIT RE V.
C H AP I T R E XII.
M. l'Abbé Marconi dit que le Serviteur
de Dieu, « à la sortie de Sept- Fonts
» vit le cloître à jamais fermé pour lui
» qu'il comprit parfaitement que le Sei-
" gneur n'avoit exigé de lui, que le sacri-
fice de fa bonne volonté comme il
3» ,
» l'avoit autrefois demandé à Abraham ;
» que
& Ia Providence ne vouloit point
" qu'il paflât fa vie dans un Monastère»
Tout ce récit est inexact ainsi que
,
le prouve la lettre de Benoît-Josephs
adressée à ses Parens, de Quiers, en Pié-.
mont, en date du 3 13 Août, dans laquelle
il leur parle de fa sortie de Sept-Fonts,
& du dessein qu'il avoit d'entrer «dans
" quelqu'un de ces Monasteres d'Italie où
" on l'assuroit que la vie est fort réguliere
» & fort austere ".
Il n'est pas surprenant que M. Marconi
soit tombé dans cette erreur ; il n'avoit
point alors la lettre dont on vient de parler
on voit par fa lettre du 23 Septembres
220 Vie de Benoit-Joseph Labre.
au pere de Benoît-Joseph, qu'il se plaint
de ce que l'ayant demandée'à M, le Curé,-
d'OEuf, son beau-frère oh l'a renvoyé,
,
pour s'en procurer, une copie, à M. le
Cardinal de Bernis. qui n'étoit pas alors à
Rome : « ce qui pouroit, dit-il, être caufe
" que cette lettre ne seroit pas inférée
» dans le recueil de la vie, qui étoit sous
.» presse, & à la, veille de paroître.»