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Vie de Benoît-Joseph Labre,

mort à Rome en odeur de


sainteté, traduit de l'italien
de M. Marconi [par le P. Élie
Harel]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Marconi, Giuseppe Loreto (Abbé). Auteur du texte. Vie de Benoît-
Joseph Labre, mort à Rome en odeur de sainteté, traduit de
l'italien de M. Marconi [par le P. Élie Harel]. 1784.

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VIE
DE BENOIT-JOSEPH
LABRE,
MORT A
ROME

EN ODEUR DE SAINTETÉ,
Traduit de Italien de M. MARCONI,

Dieu.
Lecteur du College Romain , Confesseur
du Serviteur de

A PARIS,
Chez GUILLOT Libraire de MONSIEUR,
,
Frère du Roi, rue Saint-Jacques, vis-
à-viscelle des Mathurins.

M. DCC. LXXXIV.
Avec Approbation E Privilège.
AVERTISSEMENT.
LA
renommée a déja placé le nom
de BENOIT-JOSEPH LABRE parmi
,
les noms célèbres du Chriftianifme
& les prémices de fon culte s'éten-
,
dent chaque jour, avec la réputa-
tion de fa fainteté.
Il est important pour l'édification
des fidèles & la gloire même du
Serviteur de Dieu, de faire con-
noître les véritables motifs de cet
enthousiasme extraordinaire qui
,
tout-à- coup, à l'occafion de la mort
de cet illuftre Pénitent, a faifi
transporté Rome & s'eft bientôt
,
,
communiqué à toute l'Europe, avec
une incroyable rapidité.
C'est l'objet des Mémoires que
l'on publie. On s'est appliqué à leur
concilier la confiance, par une sage
réserve & beaucoup d'impartialité.
Plus là réputation de Benoît-Jofeph
3 été subite & éclatante plus la
,
a ij
V AVERTISSEMENT.
critique doit être circonspecte & ri-
goureuse. La Religion, rejetteroit ,
blâmeroit même avec févérité, le
téméraire hommage d'un zèle in-
discret.
Laissons l'erreur s'accuser elle-
même de disette & d'infuffifance
se fatiguer du soin pénible de for-
,
ger sans cesse, de nouvelles armes,
s'agiter du désir inquiet d'accumu-
ler titres fut titres.
Une possession auffi refpectable
par son ancienneté , qu'éclatante ,
a sa première époque, par la mul-
titude des prodiges que l'histoire a
confacrés, dans un pareil nombre,
de monumens également antiques
& toujours subsistans ; cette même
possession confirmée perpétuée,
, ,
renouvellée d'âge en âge, pen-
dant dix-huit siècles par une fuite
,
non-interrompue de fignes évidens ì
qui constatent son origine céleste
& la protection constante de la Di-
vinité: une telle poffeffion suffit à
la gloire de la Religion chrétienne,
AVERTISSEMENT
& à l'autorité des preuvese fur l'ef-
quelles elle fe fonde.
Aussi l'Eglise paroît-elle toujours
plus empreffée de proposer à fes
enfans de nouveaux modeles à
,
imiter, qu'occupée de leur annon-
cer de nouveaux prodiges.
A Rome, dans les procès-verbaux
de canonisation, on n'en vient ordi-
nairement à l'examen & à la difcuf-
sion des miracles qu'après qu'il a
,
été prouvé que la pratique des ver-
tus chrétiennes a été portée jusqu'à
l'héroïfme.
Fidèle à la loi de l'histoire on a
,
parlé des choses extraordinaires arri-
vées aussi-tôt après la mort de Be-
noît - Jofeph, & des guérisons mi-
raculeuses attribuées a son interces-
sion; mais non moins fidèle aux loix
de la critique, on n'a point donné
à de simples présomptions la certi-
tude & les caractères de la vérité.
Lorsqu'il s'agit de publier *comme
certains, dés faits merveilleux , il
ne fuffit pas que les preuves que
Vj AVERTISSEMENT.
l'on rapporte, soient multipliées, il
faut qu'elles soient à l'abri de toute
critique; que ces preuves, qui doi-
vent être authentiques, évidentes
irrésistibles., soient en outre, recon-
,
nues pour telles, après un mûr exa-
men , par une autorité légitime &
compétente.
Les Philosophes les plus févéres
font invités à parcourir avec quel-
qu'attention l'ouvrage de Be-
,
noît XIV fur la canonisation des
Saints : c'est un des plus beaux,
monumens que le siècle présent ait
élevé à la gloire de la Religion.
On les invite à considérer les
seuls préliminaires qui précèdent
l'examen d'un fait prétendu mira-
culeux, & la multitude de condi-
tions qui doivent concourir pour
caractérifer une guérison furnatu-
relle ; quelles précautions on em-
ployé pour constater l'origine, les
diverses périodes, l'état grave de la
maladie pour s'affurer que la gué-
, subite, completté,
rison a été per-
AVERTISSEMENT VII

manente ; qu'aucun remede humain


n'a été employé, ou que ceux dont
fait usage n'ont servi qu'à
on a
aggraver le mal ;qu'elle n'a
précédée d'aucune crife naturelle ;
été

avec quelle rigueur on pefe toutes


les circonftances du fait prétendu
miraculeux, l'efficace de son opé-
ration, son utilité & fa fin ; jufqu'où
l'on étend les forces possibles de
l'imagination & les ressources de
la Nature, ,
Pour peu qu'ils viennent enfuîtes
à considérer le nombre , l'efpèce,
la qualité, soit des témoinsqui sont
admis à déposer, foit des Médecins ,
des Savants, des Docteurs qu'il faut
consulter, soit des Juges à qui il
appartient de prononcer ; la sage
lenteur qui accompagne la marche
de la procédure ; le nombre des,
congrégations qu'il faut tenir, les
délais ordonnés entre chaque con-
fultation; enfin l'immenfité & Tor-
dre des formalités nécessaires pour
Imprimer à un seul fait merveilleux,
viij AVERTISSEMENT.
LE sceau & le caractère d'un vrai
miracle, il n'eFt pas possible que
finiffant par dépofer les préjugés}
qu'accrédité, l'ignorance ou la pré-
vention, ils ne rendent hommage
à la prudence & à la haute fageffe
de Rome,
C'eft ainsi qu'en voyant de près ;
la certitude des preuves du Christia-
nisme on ne, manque jamais de so
, état de conclure que fi
mettre en
l'on entend par Philosophe , un sage
qui ne fe rend qu'à l'autorité de
l'évidence, il n'est pas d'homme qui
mérite plus que le Chrétien éclairé ,
de porter le nom de Philofophe.

VIE
A
CHAPITRE PREMIER.
Naissance du Serviteur de Dieu :
fon enfance & fon éducation.
LA France, déjà si célèbre dans l'Hif-
toire de la Religion , par les grandsliommes
& lès saints personnages qu'elle a produits,
va. bientôt se féliciter d'avoir encore ajouté
à sa gloire, en donnant à notre fiècle, un
2 Vie de
homme extraordinaire, qui pendant toute
fa vie, confondu dans la foule, fous le
voile méprisé d'une vie pauvre, vile &
abjecte, fort tout-à-coup de la baffeffe &
de l'obfcurite, au moment même de sa
mort ; & fixe sur fon tombeau l'admira-
,
tion de Rome, & les regards attentifs de
l'univers catholique, tant par l'éclat subit
d'une multitude de merveilles que la re-
nommée publie de toutes parts, que par la
réputation d'une éminente sainteté.
On reconnoît d'abord à ces traits fidèles,
le PAUVEE DE JÉSUS-CHRIST , Benoît-
Joseph Labre dont la vie doit porter
,
dans les coeurs chrétiens, à mefure que
les détails en seront publiés l'impreffion
tendre & profonde de la religion & de la
piéré.
Le diocèfe de BouIogne-fur-Mer eft
l'heureufe patrie ( 1 ) qui donna naif-

(1) Heureux ( mon diocefe ) d'avoir donné


naiffance à cet illuftre Pénitent.
Mandement de M. L'Evêque de Boulogne, du
3 Juin 1783.
Benoît-Jofeph Labre. 5
fance à cet illuftre Pénitent, dans la
paroiffe de Saint Sulpice d'Amette, le
26 Mars 1748 fous le pontificat de
,
Benoît XIV, d'immortelle mémoire, &
le règne, glorieux de Louis XV, Roi de
France.
Jean-Baptiste Labre, & Anne-Barbe
Grandfire, ses père & mère tous deux
,
d'une condition honnête font encore
,
vivants. Dieu bénit leur mariage, & leur
donna quinze enfans, dont Benoît-Jo-
seph étoit l'aîné. Ils trouvèrent dans leur
profession & les revenus de leur patri-
moine , des reffources suffisantes pour four-
nir à l'éducation & à rétablissement d'une
famille auffi nombreufe.
Touchés de reconnaiffance, envers le
Ciel, ils s'appliquerent à, cultiver dans
leurs enfans, des moeurs pures & innocen-
tes, & à leur donner l'exemple d'un ca-
ractère fenfible & bienfaisant, qui continue
de les distinguer parmi, les personnes de
leur état.
Le Serviteur de Dieu fut baptifé par
Aij
A.
Vie de
son oncle paternel, M. François-Joseph
Labre alors Vicaire, & depuis Curé dé
,
la paroisse d'Erin , diocèse de Boulogne,
qui. fut en même temps son parrain &
,
lui imposa le nom de Benoît-Jofeph ,
conjointement avec Anne - Théodore
Hazembergue sa marraine.
,
Benoît-Joseph eut le bonheur d'avoir
pour maître ce respectable Eccléfiaftique,
qui se chargea de son éducation ; & auprès
duquel il passa la plus grande partie de
fa jeuneffe.
Son enfance avoit été formée à la piété
par les leçons & les exemples de ses ver-
tueux parens, qui s'appliquerent d'abord
à développer les heureux germes que la
Grace avoit mis dans son ame, & qui
ne tarderent pas yà produire des fruits
de vie.
Le Serviteur de Dieu connut tout
,
le prix de cette première éducation ;
il leur en marque fa satisfaction & fa
reconnoiffance dans une lettre qu'il leur
adreffe de Montreuil le a Octobre
,
Benoît-Jofeph Labre. 5
1769, & il les prie refpectueufement
de diriger sur le même plan , l'éducation
qu'ils donneront à fes frères & soeurs.
" C'eft, leur dit-il, le moyen de les ren-
« dre heureux dans le Ciel ; fans inftruc-
» tion on ne peut pas fe sauver. Je vous
assure que vous êtes déchargés de moi ;
»
je
" vous ai beaucoup coûté, mais foyez
" affurés que moyennant la grace de
,
» Dieu je profiterai de tout ce que vous
,
» avez fait pour moi».
Un jugement solide, une mémoire heu-
reuse ( 1 ) compréhension facile, de
, une.
la vivacité mais vivacité tempérée par
,
beaucoup de douceur & de docilités
compofoient le caractère de Benoît-Jo-
seph.
Les premières lueurs de fa raison pa-
rurent se confondre en lui avec les pre-
miers rayons de la Grace. Son ame s'ou-
vrit d'abord à une dévotion tendre, qui

( 1 ) Lettre de M. Vincent, Curé de la paroisse


de la Peffes & oncle du Serviteur de Dieu.
,
A iij
6 Vie de
tourna vers Dieu ses premières penfées.
Pour le rendre plus attentif à ses inspira-
tions l'Esprit - Saint lui donna dès-lors
,
fingulier prière &
,
un attrait pour la la
solitude. « On a toujours remarqué en
» lui, disent ses parens dans leurs dépo-
» fitions, de l'éloignement les
pour amu-
" femens de l'enfance (1 ).
Les livres faints donnent à Tobie cet
éloge remarquable ( 2 ) que bien qu'il
,
fût le plus jeune de ceux qui compofoient
la Tribu de Nephtali, on n'apperçut en
lui aucun des défauts ordinaires à la jeu-
nesse ; & Saint Bernard ( 5 ), en parlant
du moine Malachie, décrit ainsi les pre-

( 1 ) Lettre de M. Clément, Chanoine & Secré-


taire de M. l'Evêque de Boulogne du 14 Mai
,
3783.
(2) Cum effetjunioromnibus in Tribu Nephtali,

nihil tamenpuerile geffu in opere. Tob. c. I, v. 4


(3 ) Agebat fenem moribus, annispuer : expers
lafcivioe puerilis quietus & fubditus manfuetu-
dini , non impatiens magifterii , nan ludorum,
appetens. Div. Bern.
Benoît-Jofeph Labre. 7
miere années de fa vie : « fa jeunesse pa-
" roiffoit destinée à rendre plus aimable &
" plus attrayante, la fainte gravité des
" vieillards qu'il exprimoit dans fa con-
,
ss
duite. Il fembloit que la Grace eût éteint
» en lui le goût des amufemens & des jeux
» de l'enfance : soumission douce & préve-
nante caractère sérieux & paisible
» , ,
" amour de l'étude & de tous les exercices
" propres aux jeunes gens, on admiroit
" dans cet enfant de bénédiction , les qua-
" lités & les vertus des hommes parvenus
" à la maturité de l'âge ».
Tous ceux qui ont été témoins de l'en-
fance de Benoît-Joseph, lui ont appliqué
les mêmes éloges.
Il montra, dès l'âge de cinq ans, un
défirempreffé d'apprendre à lire & à écrire.
Cette ardeur étoit puisée dans la sainte
impatience qu'il avoit de fe rendre plus
familiers les élémens de la Religion en
,
acquérant la facilité de les lire & de les
tracer de fa propre main. Une joie sen-
sible venoit se peindre sur toute sa physio-
A iv
8 Vie de
nomie, lorfqu'après avoir affemblé lui-
même les syllabes des mots, il réuffiffoit
à les prononcer & à lire distinctement les
paroles de l'Oraifon Dominicale, de la
Salutation Angélique & du Symbole des
Apôtres.
Les opérations de la Grace ne doivent
pas être confondues avec de simples dons
de la nature. La modération la tranquil-
, ,
lité rhumeur douce & pacifique qui
faifoient le fond du caractère de Benoît-
Jofeph & qui parurent en lui dès fon
,
enfance étoient l'ouvrage de la Grace
,
& non l'effet du tempérament. Les détails
de fa vie fourniront un grand nombre de
preuves qu'il étoit né avec un caractère
vif & ardent; mais une humilité profonde,
qui le rendic saintement avide de l'oubli,
& même du mépris des hommes jetta
,
un voile impénétrable fur les qualités de
fon coeur & de fon efprit.
Enfant d'Adam, il s'apperçut de bonne
heure qu'il y avoit dans I'homme deux
,
loix opposées, la! loi de la chair & la loi
Benoît-Jofeph Labre. 9
de l'efprit. Fidèle aux impressions de la
Grâce il ne sentit les premières atteintes
,
des paffions que pour apprendre que la
vie du Chrétien étoit un combat conti-
nuel fur la terre ; qu'un soldat de Jesus-
Christ ne doit dépofer les armes, qu'au
moment où il recevra la couronne. De-là
cette réfolution courageuse qu'il conçut
dès son enfance & qu'il observa constam-
,
,
ment de subjuguer les faillies du tem-
pérament dès leur naissance , & de se tenir
sans ceffe sous la direction de la Grace
,
pour fe laisser conduire par les lumières
& [es mouvemens de l'Efprit-Saínt.
Si ses maîtres, ses parens & les personnes
qui l'ont fuivi dès fon enfance attestent
,
qu'ils ont toujours reconnu en lui un ca-
ractère naturellement doux, & même
timide leur témoignage ne peut passer,
,
dans l'esprit de ceux qui ont été à portée
d'étudier & de pénétrer son intérieur,
que comme la preuve des triomphes de
la Grace fur la nature, ainsi que de l'hu-

A
milité de Benoît-Joseph qui l'anéantiffoir
,
10 Vie de

à ses propres yeux, & le portoit à cacher,


fous un air de simplicité, la violence
de ses combats & le mérite de ses vic-
toires.

CHAPITRE II
Continuation du même Fujet. Occu-
pation du Serviteur de Dieu, dans '
son enfance.

L'ENFANCE des hommes que Dieu


deftine à remplir les vues extraordinaires
de fa providence est presque toujours-
,
le tableau racourci de ce qu'ils feront dans-
un âge avancé. La Vie de Benoît-Jofeph
est une nouvelle preuve de cette vérité..
Docile à l'attrait de la Grâce qui lui
,
annonçoit fa vocation par les faveurs dont
elle le prévenoit il conçut dès l'âge de
,
cinq ans, & commença à exécuter la ré-
solution de former au dedans de lui-
même, l'image la plus vive & la plus;.
Benoît-Jofeph Labre. II
ressemblante qu'il lui feroit possible, de
notre Divin Sauveur.
C'étoit une pensée familière au Servi-
teur de Dieu qu'un Chrétien qui veut
,
fincèrement se rendre conforme à Jefus-
Christ, doit avoir, en quelque forte
,
trois coeurs renfermés dans un feul; l'un
pour Dieu, l'autre pour le prochain &
»
le troifième pour lui-même.
Le premier coeur, difoit-il, doit être
pur & fincère, dirigeant tous ses mouve-
mens vers une éminente fainteté : ne res-
pirant qu'amour pour Dieu, qu'ardeur
pour le fervir, & embrasser toutes les
croix, dont il lui plaira nous visiter dans
le cours de la vie.
Le second coeur doit être loyal, gé-
néreux, tout embrasé de charité pour le
prochain : toujours dévoué à le servir
& spécialement occupé dans ses gémiffe-
mens & fes prières, de la conversion des
pécheurs & du soulagement des ames dé-
tenues dans le Purgatoire.
Le troifième coeur doit être inébran-
A vj
12 Vie de
lable dans ses premières réfolutions, auf-
tère, mortifié, ardent & courageux, ne
vivant que de facrifices; tel doit être le
coeur d'un Chrétien qui, disciple d'un Dieu
crucifié n'accorde aucune satisfaction
,
à fes appétits fenfuels, & abandonne son
corps aux saintes austérités de la péni-
tence ; persuadé que le bonheur de la vie
à venir sera mesuré fur le mépris même
que nous aurons fait dans cette vie, de ce
corps de péché auquel nous sommes at-
tachés & fur le courage avec lequel nous
,
saurons tenu cloué fur la croix.
Enfin, ajoutoit le serviteur de Dieu,
ces trois coeurs réunis, ne doivent en
composer qu'un feul qui sera aimable à
tous, ami de la paix, & furtout profon-
dément humble : car quiconque ne bâtit
point fur l'humilité, bâtit fur le sable.
Voilà lesgrandes idées que, des l'age
le plus tendre, cet enfant de bénédiction
avoit conçues de la perfection chrétienne.
Pour former au-dedans de lui-même
fous les impressions de la grace, ce pre-
Benoît Jofeph Labre. 13
mier coeur qui doit être tout amour pour
Dieu il prit dès lors pour regle de con-
,
duite, une pureté de confcience, facile à
s'allarrner des moindres infidélités, une
horreur du péché prompte à en fuir les
plus légeres occasions, une correfpondance
frupuleufe à toutes les inspirations divir-
nes, une foi vive & agissante, continuel-
lement attentive à tenir fes regards atta-
chés fur son divin modele.
Dans le dessein de se former un coeur
enflamé de charité pour le prochain,
le Serviteur de Dieu prit la résolution de
porter toujours fon ame fur ses lèvres, en
mettant dans ses difcours beaucoup de
simplicité, de franchife & de candeur ;
de fermer son imagination à tout jugement
défavorable & téméraire, d'aimer fon pro-
chain d'un amour désintéressé, de fe con-
sacrer à son service, de toutes les maniè-
res que le zèle peut fuggérer, & fur-tout
par le secours de fes prières, moyen qui
étoit le plus en son pouvoir, & celui de
tous qui lui paroiffoit le plus efficace»
14 Vie de
Enfin, pour parvenir à se former un
coeur propre, à recevoir l'image de Jefus
crucifié, il fe proposa pour regle indifpen-
fable, de réduire son corps en servitude
,
par la privation des plaisirs fenfuels, en
l'exerçant par des mortifications conti-
nuelles , & le traitant avec beaucoup de
mépris, pour prévenir par-là toute révolte
des sens contre la loi de l'esprit.
Rien de plus édifiant que les maximes
fur lesquelles il régla la vie évangélique
pour laquelle il fe fentoit une vocation
particulière.
Sa première maxime étoit de porter à
un égal degré, la défiance de fes propres
forcés & fa confiance dans le secours de
,
la grace : la feconde, de s'appliquer fans
relache à la connoiffance de Dieu & de
lui-même : la troifième, de mourir à lui-
même pour ne vivre que de la vie de Jéfus,
Chrift crucifié : la quatrième de fe revêtir
,
avec courage, des armes puiffantes de la
foi : Prière, mortification, fuite du monde
& de fes écueils, & fur-tout folitude
Benoît-Jofeph Labre. 15
intérieure & vie d'oraison école savante
,
& féconde des ames spirituelles & évan-
géliques.
Faire connoître les maximes & les ré-
solutions de Benoît Joseph, c'eft annon-
cer qu'il les réduisit toutes en pratique.
Le témoignage de ses parens prouve jus-
qu'à quel point il les observa dès les pre-
mieres années de fa vie. « A mefure,
" difent-il (I), que leur fils crut en âge,.
» il crut en fageffe devant Dieu & devant.
» les hommes ".
Les amufemens de son enfance furent
de se former un petit oratoire, & d?y
représenter les cérémonies de la Sainte
Messe : précieux augure de ce goût par-
ticulier,, qui, dans tous le cours de fa
vie le porta à rechercher comme une
,
faveur fingulière la permission dé servir
,
les Prêtres dans la célébration des Saints
Myftères. « Exercice pour lequel ( ajoutent

( 1 ) Déposition de ses père & merci


l6 Vie de
" ses parens ) il eut toujours un très grands

», zèle».
Le respect dans les Temples fut encore
une des vertus qui diftinguèrent fon en-
fance. Pénétré de la Majefté des lieux
faints, & de la sainteté des Myftères redou-
tables, « jamais fuivant le témoignage
,
"du respectable M. Vincent, son oncle
" maternel, il n'y paroiffoit & n'y affiftoit
" qu'avec une modestie vraiment édi-
» fiante ".
Donnez une ame vide de toute affec-
tion terrestre & pleine de Dieu que la viva-
cité de sa foi lui montre sans ceffe en état
de victime & d'immolation fur les autels ;
donnez une ame fenfible & reconnoiffante,
où trouvera-t-elle plus de douceurs qu'aux
pieds des Saints Tabernacles? Apres lés
premiers, traits que nous avons rapportés
de l'enfance de Benoît-Jofeph, rien ne doit
donc nous furprendre de tout ce que, nous
apprend une multitude de témoignages, foit
de fon empreffement à fe rendre aux Offices
Divins, foit de fa tendre dévotion & de
,
Benoît-Jofeph Labre. 17
la sainte avidité avec laquelle il recevoit
les instructions chrétiennes. Entendre la
parole de Dieu, la lire ou la méditer, ce
furent les. principales occupations, &
prefque les seuls plaisirs du premier âge
du Serviteur de Dieu.
En France & fur-tout dans les paroisses
,
de la campagne, c'est l'ufage, les Fêtes
& Dimanches qu'après avoir assisté à
,
l'Office de l'après-dînée le peuple passe
,
le reste de la journée à divers amufemens.
La complaisance de Benoît-Jofeph pour
les volontés de ses parens & de ses maî-
tres, fembloit feule le conduire à ces di-
vertiffemens publics, " Sans goût & fans
» attachement pour les plaisirs souvent
,
» il fe retiroit, pour aller causer avec
» des personnes plus âgées & plus fé-
" rieufes (1) ».
Il est un grand nombre d'enfans dont
rien ne peut fixer l'inconftance & i'in-

(1) Déposition des père & mere de Benoît-


Jofeph.
18 Vie de
quiete mobilité, se consumant par leur
propre activité, toujours se précipitant
vers de nouveaux désirs & fur les pre-
,
miers objets qui se préfentent. Il en eft
d'autres en qui l'indifférence pour les plai-
sirs, ne prouve que l'inertie de leur ame ,
& dont la gravité précoce est l'effet d'une
humeur mélancholique. L'extérieur grave
& recueilli du jeune Labre, & fon éloigne-
ment pour les amufemens de son âge,
avoient un principe plus pur. Il fe prêtoit
même de bonne grace, à des plaisirs inno-
cens, toutes les fois que l'obéissance ou
la complaisance lui en faifoient un devoir,
« Il étoit gai avec les autres dans les ré-
» créations, & toujours content ». Ce sont
les termes de la lettre de M. Vincent.
Si donc dans Benoît- Jofeph encore
,
enfant, nous ne trouvons presque rien
des défauts de l'enfance; cette diffipation,
cette légereté, cette impatience dans les
défirs, ce dégoût des choses fpirituelles,
cet éloignement pour le travail cet
,
amour de la liberté & de I'indépendan-
Benoît-Jofeph Lapre. 19
ce, que nous remarquons dans presque
tous les enfans; c'est que Dieu se plut
à éclairer fa raison naissante fur les défauts
ordinaires, à cet âge, & à inftruire son ame
encore novice , des moyens les plus pro-
à
pres rompre la vivacité de son carac-
tère & à réprimer les premières saillies de
l'amour-propre. C'eft que Jefus-Chrift,
qui le deftinoit à devenir le modele de
la plus profonde humilité, lui fit entendre
de bonne heure, & goûter cette parole
qu'il commence toujours par adreffer à
ceux qu'il appelle à la perfection : " ap-
» prenez de moi que je fuis doux & humble
» de coeur (1) ».
Enfin si le jeune Labre semble mar-
,
quer un goût prématuré pour le silence &
la solitude, c'est que l'Efprit-Saint, qui
vouloit faire sortir d'une classe d'hommes
que notre vanité dédaigne, un modele
frappant de la vie intérieure & contem-
plative formoit dès - lors Benoît - Jo-
,
seph à fa vocation en lui apprenant,
,
(1 ) Difcite à me quia mitis & humilis
,
corde.
J29 Vie de
par une douce expérience , combien les
plaisirs qu'offre le commerce des hommes,
laissent de vide dans une ame qui a com-
mencé de s'unir à Dieu dans le silence
& le recueillement.
Cependant le caractère sérieux & com-
posé du Serviteur de Dieu, n'empêchoit
pas qu'on ne distinguât en lui, dans les
traits d'une physionomie franche & ou-
verte, un fond de gaieté, qui lui étoit
naturel, qu'il conserva toute sa vie, &
dont l'impression se communiquoit à tous
ceux qui le confidéroient avec quelqu'at-
tention.
L'âge de l'enfance se termina beaucoup
plutôt pour lui qu'il n'a coutume de finir
dans la plupart des enfans. Son attrait
pour la solitude s'accrut avec le goût
pour la lecture , & par la facilité qu'il eut
de le satisfaire. Dès-lors, les récréations
lui femblerent une perte de temps. Elles
ne furent plus pour lui qu'un sacrifice que
lui impofoit quelquefois l'obéiffance.
" Quand il fut lire, ( ce sont les paroles
» mêmes de fon refpectable oncle, rap-
Benoît-Jofeph Labre. 21
» portées dans la lettre jointe aux infor-
» mations ) Benoît-Jofeph ne se trouva
" plus guere aux jeux & aux récréations:
» au lieu de prendre ces plaisirs innocens,
il fe retiroit à l'écart pour lire des livres
»
» de piété».
C'est à cette époque que l'on commença
aussi à remarquer en lui les germes d'une
vertu qu'il porta dans la fuite jusqu'au
degré le plus éminent, je veux dire, l'ab-
négation & l'oubli de foi-même.
Plein d'une confiance entière dans les
soins paternels de la providence, il étoit
content de tout, & se bornoit unique-
ment à recevoir avec reconnoiffance, fans
jamais rien demander, les choses nécef-
faires à fa subsistance & à son entretien.
Il ne s'écarta dans aucun temps de fa vie,
de cet entier abandon qu'il s'étoit pref-
crit dès l'âge le plus tendre ; mais ce qui
,
dans son enfance, étoit en lui, comme
le noviciat de l'état de pauvreté évangé-
lique qu'il pratiqua dans la fuite, fi rigou-
reufement, ne fut alors regardé que comme
l'effet d'une timidité naturelle,
22 Vie de

CHAPITRE III
Premières études de Benoît-Jofeph

LE défir que marquoit Benoît-Jofeph,


pour apprendre à lire & à écrire, déter-
mina ses parens à l'envoyer, dès l'âge de
cinq ans, aux écoles d'Amette, où il eut
pour premier Maître, M. d'Hanotel,
Vicaire de cette Paroiffe, qui tenoit alors
ces écoles, & qui passa depuis à la Cure
de Boyaval. Il demeura fous fa direction
Jufqu'à l'âge d'environ sept à huit ans.
Quand nous prenons Dieu pour prin-
cipe & pour derniere fin de nos actions
alors nos obligations nous paroiffent toutes
indispensables : le zele trouve toujours
du temps, & des forces fuffisantes pour
les remplir avec une égale fidélité. Si
Benoît-Jofeph fut un modele de religion
& de piété pour les enfans avec qui il
étoit élevé ; il ne fut pas moins pour eux,
Benoît-Jofeph Labre. 23
un exemple édifiant de docilité ainsi que
d'affiduité à tous les devoirs propres à
cet âge.
La lettre de M. d'Hanotel est un té-
moignage attendrissant de l'impreffion
qu'avoit laiffé dans fon ame le spectacle
des vertus naissantes de fon jeune Eleve;
« je l'ai toujours connu, dit-il, dans une
de ses lettres, d'une bonté admirable
»
très-bonne humeur d'une
,
» d'une & exac-
» titude exemplaire & signalée à s'acquitter
» des devoirs correspondans à fon âge;
" & doué de toutes les bonnes qualités
" qui me l'ont rendu si aimable & fi re-
" commandable à mon fouvenir , que je
» n'ai jamais laiffé échapper l'occafion
,
" depuis vingt-huit ans environ que je
" l'ai quitté , de m'en informer, tant j'en
»
attendois quelque chose de bon pour
» le bien » 1( ).

( 1 ) Dépositions de François-Jofeph Forgeois,


domestique du fieur d'Hanotel. " Il remarqué en
a
" cet enfant, qu'il se diftinguoit de tous ceux de
24 Vie

Dieu a voulu que l'éducation des pre-


mieres années de Benoît-Jofeph fût fuc-
cessivement confiée à plusieurs Maîtres,
de

afin de multiplier par-là les témoins de


ses vertus & des graces fingulières, dont
fon enfance a été favorisée. Affiduité
scrupuleuse à fes devoirs amour de
,
l'étude, refpect pour ses parens, docilité

» son âge , par sa modeftie, sa piété, sa docilité,


» sa douceur, fa tranquillité & son ardeur à appren-
» dre à lire & les premiers élémens de la Reli-
» gion ».
Dépositions du fieur Barthélemy - François de la
Rue autre Maître du Serviteur de Dieu,
,
«II a remarqué en lui beaucoup de piété de
,
» docilité, de douceur, de modeftie, d'ardeur,
» à apprendre, & de complaifance pour le dépo-
» fant, qu'il ne craignoit pas du tout, tant il avoit
» la conscience tranquille à cet égard. De plus,
» dépofe, avoir été si content & fi satisfait dudit
» Benoît-Joseph Labre, qu'il ne se souvient pas
» de lui avoir jamais rien dit, ni fait pour le con-
» trifter».
pour
Benoît Jofeph Labré. 25
pour ses Maîtres, amabilité pour tous,
il réunit d'une manière diftinguée, toutes
les vertus de cet âge ; niais ce qui paroît
beaucoup au-deffus de l'enfance, & qui
cependant a été le caractère singulier
de l'enfance de Benoît-Jofeph, c'eft un
goût dès-lors fenfible pour la retraite
& le recueillement, un détachement déja
remarquable des chofes de la terre, un
attrait dès-lors dominant pour la piété,,
& pour ainsi dire, une science anticipée
du vrai chriftianifme qui agit par amour,
qui rapporte tout à Dieu, qui prend en
tout, pour modele, le Fils de Dieu, pau-
vre, humble & pénitent.
Ne mesurons point la sagesse de Dieu
sur les idées rétrécies de la sagesse hu-
maine. Dieu est admirable dans fes Saints.
Sa providence éclate dans chaque fiecle,
fur l'Eglife, d'uni manière qui la rend
de plus en plus, visible. Peut-être qu'en
versant sur Benoît-Jofeph, encore enfant,
des graces extraordinaires, Dieu avoit
dessein de prouver par de nouveaux
,
26 Vie de
exemples capables de réveiller notre foi
assoupie, que son Eglife, qui est effen-
tiellement fainte, ne cessera jamais d'avoir
des Saints dans tous les âges, de la vie,
ainfi qu'elle en a dans tous les états.

CHAPITRE IV.
Adolefcence de Benoît Jofeph, fa
-
conduite fous la direction de fon
oncle ; fa première Communion.

SAINT Bernard représente par ces


,
paroles remarquables, le paffage de l'en-
fance de Saint Malachie à l'adolef-
cence. (1 ).

(2 ) Et ejus quidem pueritia fic erat, Porro.


adolefcemiam fimili tranfivit fimplicitate & puri-
tate, nifi quod crefcente oetate, crefcebat fimul ille
fapientia & gratiâ apud Deum & homines. Nifi
quod proerer inftituta communia, multa fingulari-
ter faciebat, in quibus potius proeibat omnes, &
aliorum nemo poterat ad ram ardua fequi....
Div. Bern. Vita Sancti
in
Malach.
Benoît-Jofeph Labre. 27
La jeunesse de Malachie, dit ce Père,
«
» fut en toutfemblable à fon enfance ; même
» pureté, même fimplicité, même innocence

" de moeurs. Les deux âges ne différerent


" entr'eux qu'en ce qu'on remarqua dans
" le 2d, une plus grande ardeur encore pour
» croître en sagesse & en grace devant Dieu
" & devant les hommes ; en sorte qu'outre
" les obligations communes, il s'impofoit
» des observances particulières ; s'élevant
" par ce moyen, à un degré defainteté & de
" vertu, auquel il étoit difficile d'atteindre».
On apperçoit des traits de reffem-
blance frappans entre cet éloge que fait
Saint Bernard de l'adolefcence de Saint
Malachie, & les expressions qu'emploient
dans leurs dépositions, les parens de Be.
noît-Jofeph, en rendant compte de la
conduite de leur fils depuis fa tendre
,
enfance jufqu'à l'âge d'environ douze ans;
époque à laquelle il passa de fa maison
paternelle, sous la direction de son oncle
le respectable Curé d'Erin.
On voit, dans cet heureux rapproche-
Bij
28 Vie de
ment, avec une satisfaction bien capable
d'animer notre foi, que c'eft toujours íe
même esprit qui fait les Saints; que la forme.
de sainteté qu'il imprime, peut bien être
différente, suivant les âges & les divers
états ; mais que les principes, le fond &
la substance de la sainteté restent tou-
jours les mêmes, & dans tous les âges, &
dans tous les états : qu'enfin, par une dif-
position fingulière de la Providence, il
arrive quelquefois, que des enfans, appelles
à la premiere heure du. jour, à la sainteté,
& fidèles, à leur vocation, peuvent êtte
proposés pour modeles, à ceux mêmes
qui, plus tardifs à y répondre, semblent
n'avoir écouté qu'aux dernieres heures

appeller.
de la vie, la voix qui n'a ceffé de les

C'est la conclusion naturelle qui fuit


de l'impreffion que produisent les té-
moignages multipliés de la conduite
de Benoît -Jofeph dans tout le cours-
de son enfance & de fa jeunesse. « Ses
" parens atteftent, en particulier, qu'il
Benoît-Jofeph Labre, 29
" leur à donné constamment & aussi long-
» temps qu'il fut sous leur conduite, des
" preuves de la piété la plus fincère, en
» assistant à tous les Offices & inftructions
" avec une attention & une modeftie
" vraiement édifiantes : de fageffe & de
" prudence ne proférant & ne faifant
,
» jamais rien de malséant & d'indécent :
» d'obéiffance, faisant toujours prompte-
» ment & gaîment tout ce qu'on lui com-
" mandoit : de tranquillité, se conduisant
" fi bien envers ses père & mère, ses
" frères & soeurs qu'il n'occafionnoit
,
» jamais aucun trouble parmi eux : d'une
" patience merveilleuse à supporter & à
» souffrir les défauts & les imperfections
» de ses père & mère, de ses frères &
» soeurs, & de ceux de son âge : montrant
» toujours un air gai & tranquille, quel-
» que chose qu'on lui fît, jusqu'à décon-
"'tenancer ceux qui lui disoient ou lui
» faifoient du mal...» caractère (ajoutent
» ses parens ) qui leur rendoit cet enfant
» des plus aimables & des plus chers,
Biij
39 Vie de
» comme l'étoit
il à tous ceux qui le can-
» noiffoient. "
Les parens du jeune Labre, charmés
des belles qualités de son coeur & de son
esprit, crurent entrer dans les vues de
Dieu, en lui procurant avec la connoif-
fance des élémens de la langue latine
,
une éducation supérieure à celle qu'il
auroit pu trouver dans la maison pater-
nelle.
M. Labre, fon oncle & son parain,
reçut des mains de ses parens, cette heu-
reuse plante qui avoit déja fait concevoir
de si belles espérances àceux qui lui
avoient donné la première culture, Be-
noît-Jofeph regarda toute fa vie, comme
une des graces signalées de la Providence,
le bonheur d'avoir été confié, dans l'âge
le plus critique, aux foins & à la tendresse
de ce digne Curé en qui il rencontra
,
toute à la fois, un instituteur , un maître
de la vie spirituelle un ami & un modele.
,
Le Serviteur de Dieu étoit alors ( 1 )
( 1 ) En 1760.
Benoît-Jofeph Labre. 31
dans fa douzième année ; son vertueux on-
cle crut devoir commencer son éducation*
par le disposer à la première Commu-
nion; il avertit fon Eleve de s'y difpofer.
A cette nouvelle, des fentimens de
joie de tendresse , d'humilité & d'une
,
sainte frayeur partagerent le coeur de
Benoît-Jofeph, & l'occuperent tout en-
tier. Ces paroles de l'Apôtre : Que
l'homme s'éprouve ( 1 ) avant que de
manger le pain célefte, furent le sujet le
plus ordinaire de ses pensées. Depuis long-
temps son ame foupiroit après un bien ,
dont il avoit conçu, par de longues mé-
ditations, la plus haute eftime. A l'ap-
proche de cet heureux jour, il s'occupa
du soin de purifier son ame par une con?
session générale. C'est la première de cinq
a six confessions générales qu'il fit dans
,
le cours de fa vie.
La méthode qu'il employoit pour fe

( 1 ) Probet autem feipfum homo & fic de


pane illo edat.
Biv
32 Vie de
difpofer au tribunal de la Pénitence eft
fi édifiante, que ce sera sans doute, une
chofe fatifaifante & utile que d'en placer
ici les détails.
Le vénérable Labre persuadé que nous
ne pouvons rien fans la grace de Dieu,
pas même reconnoître nos sautes fous le
vrai point de vue dans lequel il est né-
,
cessaire que nous les confidérions, implo-
roit d'abord les lumières de l'Efprit Saint,
& le conjuroit de manifester non-feule-
ment à fa mémoire, ses péchés & leurs
diverses circonstances ; mais de lui dé-
couvrir le véritable état de son ame, fes
habitudes, ses penchans, ses inclinations.
Il s'appliquoit ensuite à l'examen fé-
rieux de sa conscience; & d'abord, il par-
couroit diftinctement, & par ordre, les
Commandemens de Dieu & les vertus
qui correspondent à chacun des Com-
mandemens. Il examinoit fa vie & toutes
fes actions, fuivant l'ordre des temps
écoulés depuis fa derniere confeffion.
Dans son examen pour ses confessions
Benoît Jofeph Labre. 33.
générales, il partageoit fa vie en autant
d'époques qu'il avoit fait de confessions
générales depuis fa première Communion;
commençant par la derniere époque, &
remontant fucceffivement, & par ,
ordre
jufqu'à la première.
Il avoit dans le cours de cet examen;
grande attention à ne pas se juger lui-
même, se bornant à rappeller à fon sou-
venir, les tentations qu'il avoir éprouvées;
les graces particulières qu'il avoit reçues,
& se rendant un compte spécial de la ma-
nière dont il y avoit répondu.
L'examen fini, il demandoit de nou-
veau à Dieu la contrition du coeur, & s'y
excitoit principalement par la considé-
ration de tous les motifs que la religion
fuggère. Il s'attachoit fur-tout à faire en-
trer dans fa douleur, les motifs qui élèvent
à la contrition parfaite en s'appliquant à
,
considérer le péché comme une ingra-
titude commise envers Dieu une défo
,
béiffance à la loi, & un outrage fait à fa
sainteté
34 Vie

L'ordre, la clarté,
de
la précision, l'hu-
milité & une très-grande simplicité accom-
pagnoient la déclaration de ses fautes.
Il écoutoit ensuite fon Confeffeur avec
respect foumettoit ses opinions particu-
,
lières à ses décifions, docile à ses inten-
tions, & vénérant ses paroles, comme
des oracles defcendus, du ciel.
Avant que de recevoir l'abfolution facra-
mentelle, il fe courboit profondément, ref-
toit anéanti dans lui-même pendant quelque
temps, & s'excitoit le plus vivement qu'il
pouvoit, à la douleur, en renouvellant des
actes de contrition. Il relevoit ensuite mo-
deftement la tête, afin d'avertir son Confef-
seur, & de se remettre dans une posture
convenable, pour recevoir l'abfolution.
Il étoit persuadé, & souvent il répé-
toit cette pensée qu'il difoit avoir puifée
dans sainte Thérèfe ; qu'une multitde de
Chrétiens fe précipitent dans l'enfer, par
le crime des mauvaises confessions. Il par-
tageoit en trois classés lés pécheurs qui
,
vont à confeffe, les pénitens parfaits, les
Benoît-Joseph Labre. 35
imparfaits & les faux pénitens. Son ima-
gination se les représentpit sous l'idée de
trois processions qui se divisoient en fortant
du tribunal, & qui prenoient chacune
un chemin différent.
La première classe, hélas bien peu nom-
breufe étoit composée des vrais péni-
,
tens ; c'étoient ceux qui avoient fondé
profondément leurs plaies, qui les avoient
découvertes avec sincérité & avec fim-
plicité qui en avoient conçu une véri-
,
table douleur, qui avoient mêlé leurs
larmes aux eaux salutaires de la péni-
tence , & qui n'ayant négligé aucune
des conditions nécessaires à une bonne
confession, avoient enfuite fait tous leurs
efforts pour satisfaire à la justice de Dieu
,
en ajoutant aux pénitences imposées par fes
Miniftres, d'autres oeuvres de mortifications
particulières ; & cherché dans l'application
des indulgences de l'Eglife, un supplément
à ce qui leur manquoit encore pour rem-
plir toute justice. Le Serviteur de Dieu
fe repréfentoit
ces saints pénitens, comme
B vj
36 Vie de
étant revêtus d'une robe blanche & lumi-
neufe, s'élevant vers le ciel au moment
même de leur mort, & entrant en triomphe
dans les tabernacles éternels.
Les seconds en petit nombre encore,
mais cependant plus nombreux que les
premiers, formoient la deuxième classe,'
composée de pénitens imparfaits & qui
lui paroissoient revêtus d'une robe teinte
en rouge ; ceux-ci, fidèles aux conditions
essentielles à une bonne confession n'a-
,
voient pas à la vérité, rendu inutile la grace
de la pénitence; mais trop confians dans le
pardon obtenu, ils avoient ensuite marqué
trop peu de zèle pour remplir complette-
ment les oeuvres de fatisfaction, & avoient
négligé de recourir aux indulgences que
l'Eglife, Mère tendre & compatissante,
offre à la foibleffe de ses enfans pénitens
& réconciliés, pour les mettre en état de
fuppléer à leur insuffisance. Le ciel reftoit
fermé à leurs défirs, & ils étoient repoussés
vers le purgatoire, pour achever de fa-
tisfaire à la justice divine, & s'y purifier
entiérement.
Benoit Jofeph Labre. 37
Les faux pénitens qui compofoient la
troifième claffe beaucoup, plus nombreufe
que les deux, premières, lui paroiffoient
revêtus de vêtemens impurs & fouillés.
C'étoient ceux qui, soit par légèreté & né-
gligence notable dans la discussion &
l'examen de leurs péchés, soit manque
de contrition & de ferme propos, soit par
défaut de courage & de fincérité, foit par
fugeftion d'une honte misérable, avoient
fciemment recelé une partie de leurs pé-
chés; & par-Ìà, achevé de souiller leur
ame, dans les eaux mêmes de la sainte
Pifcine destinée à lui rendre fa première
blancheur hypocrites facrilèges qui
,
aboutiffoient à l'enfer par le chemin même
qui devoit les conduire au ciel.
Ces penfées imprimoient fortement dans
le coeur de Benoît-Joseph, la crainte &
l'horreur du péché. Elles contribuoient à
défendre fon innocence contre les tenta-
tions, & à lui rendre falutaire l'usage des
Sacremens où il alloit se purifier de fes
fautes.
38 Vie de
Une confession générale exécutée fui-
vant la méthode de Benoît-Jofeph étoit
sans doute, une excellente préparation à la
premiere Communion. Il y ajouta encore
la méditation la prière & des oeuvres par-
,
ticulieres de mortification.
On fait, dit saint Thomas, quels effets,
opere la mâne céleste; lorfquelle tombe
sur une ame bien préparée. Nourriture
des Anges, elle nous en communique la
pureté; vrai sang d'un Dieu, elle nous
transforme en quelque forte en Dieu
même ; vrai arbre de vie, planté dans lé
coeur des Fidèles, elle ne tarde à
pas y
produire avec les fleurs qui exhalent la
bonne odeur de Jefs-Christ, des fruits
abondans de la justice chrétienne, (1)
Ceux que la grâce de la première Com-
munion produisit dans le Serviteur de Dieu,

( I ) Sic fuam nos bonitatem trahit ut quales.


ipfe flores frondes ac fructus juftitiae facit tales
,
& nos per cum fuciamus. O puf. de Ven. fac.
altari.
Benoît- joseph Labre. 39
ne tarderentpas à fe manifester en lui, par
un redoublement sensible de serveur &
de piété.
Union à Dieu encore plus intime; il
tourna, dès ce moment toutes ses pensées
& ses affections vers le ciel, ne s'occupant
qu'à imprimer bien avant dans son ame;
& à retracer dans fa conduite, l'image de
Jefus-Chrift : afpirant à ce degré de per-
section où il put dire avec l'Apôtre : ( 1)
je vis, ou plutôt, ce n'est pas moi qui vit,
c'est Jefus-Chrift qui vit en moi.
Attrait encore plus sensible pour les
oeuvres de pénitences & de mortifications:
dès-lors il commença à pratiquer rigou-
reufement & fcrupuleufement, tous les
jeunes ordonnés par l'Eglife ; (2) & telle
étoit fa délicatesse & fa tempérance qu'il
auroit ; (3) « plutôt foulé aux pieds,

( 1 ) Vivo autem jam non ego vivit in-


, , vero
me Chriftus.
(2) Dépofition de Paul Viroux..
( 3 ) Dépofition de M, Vincenr.
40 Vie de
" les fruits exquis de son jardin, que de
" toucher à ceux même qui étoient les plus
" capables de le tenter. »
Charité encore plus ardente pour le
prochain : c'est dans ce temps que l'on
s'apperçut qu'il retranchoit de son néces-
saire, pour porter en fecret à une pauvre,
femme, la nourriture qu'on lui donnoit
pour lui-même : pratiquant ainsi deux
vertus chrétiennes dans une même action,
la pénitence & l'aumône.
Enfin, goût plus décidé encore pour
la solitude & le recueillement : dès-lors
le monde commença à n'être prefque plus
rien pour lui; & fa conversation à être pres-
que toute dans le ciel; " dès-lors
,
ses
" uniques délices furent de demeurer ,
" foit aux pieds des autels , soit dans un
» cabinet éloigné de la maison, de son
» oncle, où il étoit presque toujours appli-
" qué à lire des livres pieux ( 1 ) ».

( 1 ) Déposition du sieur Viroux,


Benoit-Jofeph Labre. 41

CHAPITRE V.

Sentimens deftime que l'Oncle, les


Maîtres & les Condisciples du
Serviteur de Dieu conçurent pour
,
lui.

L'HOMME vertueux prend ordinaire-


ment, sur ceux avec qui il vit, un afcen-
dant & un empire naturel, qui lui con-
cilient & leur estime & leur respect, & qui
tournent prefque toujours, au profit de la
vertu.
D'après le tableau que nous avons tracé
des qualités & des vertus, du Serviteur
de Dieu rien ne doit étonner de tout
,
ce que l'on rapporte , & de l'impreffion
qu'elles faifoient fur ceux qui en étoient
témoins, & des fentimens d'amitié, d'efti-
me & de déférence qu'on lui marquoit.
«Les enfans, écrit M. Emadon, Curé
42 Vie de
» d'Erin le refpectoient autant, que le
,
" Maître, pour ne pas dire plus à caufe
» de fa piété ; témoignage conforme à
» celui que rend M. Clément, que les
" enfans trouvoient en lui quelque chose
" de respectable qui leur en imposoit
,
" plus que la présence du Maître même ".
C'eft auffi ce qu'atteftent plufieurs, de fes
anciens condisciples interrogés féparé-
,
ment sur la manière dont il s'étoit com-
porté dans fa jeuneffe ; & dont les dépo-
sitions font renfermées dans la lettre de
M. le Curé d'Erin. « Ils m'ont tous répon-
" dus (entr'autres les sieurs Joseph Briffel,
" Jacques le Gay & Jacques - Louis
,
» Thuilliers), & très-affuré lui avoir tou-
» jours vu tenir une conduite très-sage &
" exemplaire ; qu'il les réprimandoit très-
" fort, quand il les voyoit faire ou dire
" quelque chose de déplacé, & contraire
" à la bienféance, & aux Commande-
» mens de Dieu ; qu'il étoit fort pieux,
" modefte & dévot dans l'Eglife , & qu'il
» affiftoit à tous les Saints Offices exacte-
Benoît-jofeph Labre. 43
" ment, sans jamais se remuer, & qu'il
" étoit toujours appliqué à la lecture des
" bons livres; qu'au lieu de manger le pain
" qu'on lui donnoit, il le donnoit lui même
" fouvent à un pauvre , par fa fenêtre ;
" que quand il alloit en promenade ou
" en récréation avec M. son oncle , Curé,
» il portoit avec lui des livres de piété, &
" les lifoit en allant; en un mot, que
" pendant tout le temps qu'il a résidé dans
" la paroisse d'Erin on ne lui a jamais
,
" vu rien faire ni dire de déplacé, ou con-
" traire aux bonnes moeurs ( 1 ) ".
Après la douceur de s'entretenir avec
Dieu dans l'Oraifon il n'y en a pas de
,
plus grande polir une ame chrétienne, que
de l'entendre parler lui-même dans les
livres de piété. Le Serviteur de Dieu y
confacroit tous les momens dont il pou-
voit disposer.
Il trouva dans les livres de son oncle;.
les Sermons du Père le Jeune de l'Ora-
,

( 1 ) Lettre de M. Emadon, Curé d'Erin.


44 Vie de
toire, que l'on connoît plus commune-
ment sous le nom de Pere aveugle.
La force du raisonnement, toute fon-
dée fur l'évidence du bon fens, la tour-»
nure attachante d'une forte de style fi-
,
guré, la simplicité & si l'on peut le
dire la popularité de ses expressions
,
dévoient naturellement avoir avec la
,
trempe d'efprit & l'imagination de Benoît-
Joseph une conformité faite pour lui
,
plaire & l'intéreffer : auffi faifoit-il des Ser-
mons de ce Prédicateur, fa lecture favo-
rite : ils étoient continuellement dans fes
mains; & une mémoire fidelle conserva
toute sa vie, le dépôt des vérités de la mo-
rale chrétienne que cette lecture avoit,
,
gravées dans son ame.
La terreur & la piété sont les ressorts
qui agissent le plus puissamment fur le
coeur. Le Père le Jeune ( 1 ) employe fes
fentimens avec beaucoup de force & de

(1) Voyez le Dictionnaire Historique des


Grands Hommes.
Benoît-Jofeph Labre. 45
pathétique, dans fes deux Sermons fur
l'enfer & fur le petit nombre des élus.
Il firent dans l'ame du pieux jeune homme
des impressions d'autant plus vives qu'il
les lut dans un temps où il penfoit sérieu-
fement à embrasser un état de vie &
,
redoubloit de ferveur, dans ses prières,
pour obtenir de Dieu la grace de con-
noître celui auquel la Providence l'ap-
pelloit,
Le pieux jeune homme touchoit à fa
feizième année. Une conscience délicate
& timorée , un coeur courageux, une
ame élevée, & de plus, nourrie depuis son
enfance, des pures maximes de la religion,
devoient le porter naturellement à un état
qui pût fournir à son ardeur, les moyens
les plus capables de l'élever à la perfec-
tion. Son penchant pour la folitude, son
éloignement pour le monde, son goût
pour la prière & les exercices de piété,
que la participation fréquente aux Mys-
tères sacrés augmentoit de plus en plus
,
tournerent bientôt ses pensées vers, l'état
46 Vie de

religieux. Les signes de fa vocation de-


voient paroître d'autant plus certains, qu'il
s'exerçoit depuis plusieurs années à la pra-
tique de la pauvreté, de l'humilité & de
la pénitence.
Résolu de choisir entre les maisons reli-
gieuses celle où fon attrait pour la pratique
de ces trois vertus trouveroit plus facile-
ment à se satisfaire il fixa d'abord son
,
choix fur l'Abbaye de la Trappe, fa-
meuse par la réforme qu'elle a embraffée,
& dans laquelle elle perfévere avec tant
d'édification. Après avoir consulté de nou-
veau , la volonté de Dieu, il fit part à
son oncle de la résolution qu'il méditoit.
Ce vertueux Eccléfiaftique lui conseilla
de la communiquer à ses pere & mère.
Un jeune homme pieux est toujours un
enfant respectueux tendre & soumis.
,
Benoît-Jofeph étoit l'aîné d'une nom-
breuse famille : ses parens l'avoient destiné
à être leur consolation & leur foutien.
Un patrimoine honnête leur faifoit envi-
fager pour lui, un fort heureux & tran-
Benoît-Joseph Labre. 47
quille : la résolution de leur fils les affligea ;
la tendresse de la mère, s'allarmoit, fur-
tout, au nom de l'Abbaye de la Trappe.
Ils oppoferent à ses désirs une résistance
que ses inftantes prieres ne purent vaincre.
L'humble jeune homme ne voit dans ce
refus qu'une épreuve de la Providence. Sa
prompte obéiffance fait taire tout murmure;
il retourne vers son oncle, pour se mettre
de nouveau fous fa conduite, & avec le pro-
jet de travailler à mériter, par un redou-
blement de ferveur, que Dieu daignât un
jour, accepter, son facrifice.

CHAPITRE VI
Le Serviteur de Dieu retourne dans
la paroiffe d'Erin, où il demeure
jufqu'en 1766,
IL n'arrive que trop souvent que les
contradictions affoibliffent la foi, & jettent
dans le découragement, Celle que Benoît-
Joseph venoit d'éprouver, ne servit, au
48 Vie de
contraire, qu'à redoubler sa ferveur, &
à lui inspirer.encore plus d'attachement
à ses devoirs, plus d'ardeur pour la prière
& la lecture des bons livres, plus de cir-
conspection dans ses paroles plus de ré-
,
serve dans fa conduite plus de fimplicité
,
dans ses moeurs, plus d'éloignement des
plaisirs, & plus d'empreffement pour s'unir
à Dieu par la fréquentation des Sacremens.
La maison de son oncle étoit pour
lui, un véritable monastère où il prati-
,
quoit, autant que sa position le lui rendoit
possible, la régularité d'une vie de com-
munauté. La pauvreté religieuse, le silence
du cloître. Sa soumission aux moindres
volontés de son oncle, étoit celle d'un
Religieux à son Supérieur. Déjà exercé
aux auftérités de la pénitence, il obfer-
voit rigoureufement, à un âge qui l'en
difpenfoit, tous les jeûnes commandés
:
Telle fut la conduite du Serviteur de Dieu
pendant deux années & demie. Le souve-
nir de ses vertus eft confacré par les éloges
des habitans d'Erin, dont la plupart en
ont
Benoît-Jofeph Labre. 49
ont été témoins. L'expérience qu'ils firent
de fa charité, leur rendra long-temps
présente la reconnoiffance qu'ils lui doi-
vent.
Une cruelle épidémie défoloit cette
paroisse ; le nombre de ceux qui en
étoient attaqués rempliffoit les maisons ;
& il ne reftoit prefque plus personne qui
eût, ou les moyens de subvenir aux be-
soins des malades ou la force de les
,
soigner & de les fervis. Les malheurs de
l'humanité font presque toujours des oc-
casions de triomphe pour la Religion.
Le chrétien ne connoît le prix de la vie,
que par son ardeur à en faire à Dieu le
sacrifice pour ses frères.
Le vertueux oncle ne mit bientôt plus
aucune borne à son zèle, & la charité da
pieux jeune homme ne connut plus de dan-
gers. La huit n'accorde aucun repos à la fa-
ligue du jour ; l'oncle & le neveu, tantôt
fe réuniffent, tantôt se divifent, pour se
porter, sans relâche, par-tout où le danger
50 Vie de
les appelle. Aucun malade qui ne soit vifi-
té, servi, confolé, secouru.
A la campagne les bestiaux font la
,
fortune des pauvres Agriculteurs. Perdre
la vie ou perdre leurs bestiaux, est un
,
malheur mis, par eux, presque au même
rang. Benoît-Jofeph s'en apperçoit, & il
partage ses services entre les pauvres mala-
des & les bestiaux qui leur appartenoient.
Tandis que son oncle, livré entié-
rement au ministère paftoral, expofoit fa
vie auprès des malades, ou se dépouilloit
de tout, en donnant tout à ses pauvres
paroissiens; on voyoit le charitable jeune
homme embrasser les fonctions les plus
viles & les plus fatigantes : panser les
bestiaux, nettoyer les écuries, aller tantôt
dans les jardins, tantôt dans les champs:
& lui, à qui la vie qu'il menoit chez son
oncle, & son éducation avoient interdit
,
le travail, revenir plusieurs fois le jour
,
les épaules chargées, soit d'herbes, foit
de fourages qu'il alloit distribuer de fes
Benoît-Jofeph Labre. 51
propres mains aux animaux dont il pre-
noit soin.
Une si grande charité ne devoit pas ref-
ter fans récompense. Dieu , qui tient
compte d'un verre d'eau donné en aumô-
ne, ne l'oublia pas fans doute ; mais que
lés penfées de Dieu sont différentes des
pensées de l'homme ! Le monde donne
pour récompense des biens ou des dis-
tinctions; Dieu envoye fouvent à fes amis
pour récompense, de nouvelles croix à
fupporter C'eft qu'il faut que cette pa-
role s'accompliffe : malheur à ceux qui ont
reçu leur récompense dans ce monde: c'est
qu'un Dieu sage ne confond pas le temps
du combat avec le temps de la récom-
pense : Qu'enfin la plus précieuse de
toutes pour un Chrétien, eft une nouvelle
occafion de mériter.
Ce fut aussi de cette manière, que Dieu
visita son Serviteur. Le fléau de l'épi-
démie cessa; mais l'excès de la fatigue
avoit épuifé les forces du digne Curé
d'Erin. Une maladie qui en fut la fuite
C ij
52 Vie de
l'enleva en peu de temps à la tendreffe &
à la reconnoiffance de fa Paroiffe.
Quel coup quelle fituation pour Be-
,
noît-Jofeph ! Dieu lui ôte un maître, un
bienfaiteur, un second père ; il trouvoit
dans fa maison, une solitude qui adoucif-
soit beaucoup le regret de se voir fermé
l'entrée du cloître. Sa mort le laiffe presque
sang appui, & lui présage de nouveaux
obstacles à fa vocation. Le Serviteur de
Dieu mesure toute l'étendue de sa perte;
fon courage cependant renaît avec sa foi.
Une voix intérieure lui dit qu'un Chré-
tien n'est jamais plus fort que quand Dieu
lui reste seul.
Benoît-Jofeph Labre. 53
CHAPITRE VII.
Retour de Benoît-Jofeph chez fes
parens ; nouvelles tentatives pour
en obtenir la permiffion de fe rendre
à la Trappe.

L'IMAGE de fon oncle mourant s'offroit


fans ceffe à la pensée du Serviteur de
Dieu. Les Chrétiens se forment à l'écolë
de la mort. Elle est le plus juste appré-
ciateur du temps & de l'éternité. Bientôt
Dieu devient tout pour un fage qui cher-
chant avec sincérité le vrai, lit attenti-
vement sur la tombe d'une personne qui lut
fut chere, la fragilité & la vanité du monde»
Tout contribuoit à réveiller dans Benoît-
Jofeph les idées de retraite & le defir de
,
s'y enfevelir, pour n'être plus occupé que
de fon salut. Son humilité lui faifoit croire
que le véritable obftacle, au succès de
ses espérances, étoit son indignité ; dans
Ciij
54
cette pensée,
Vie de
il n'oublie rien pour se
rendre Dieu favorable. Il augmente le
nombre de fes prières & en redouble la fer-
veur. Par la pratique des oeuvres de péni-
tence & de mortifications particulières, il
jette déja bien avant, les fondemens de
cette vie pauvre, auftère & crucifiée qu'il
porta dans la fuite à une fi haute per-
fection.
C'est à cette époque qu'il faut placer
la seconde confession générale qu'il fit.
dans l'intention de se préparer à une vie
encore plus fainte, plus unie à Dieu, plus
digne de l'état religieux objet constant
,
de ses désirs.
Le Serviteur de Dieu renouvella dans
cette circonstance, fes tentatives auprès de
ses parens, chez qui il étoit retourné à la
mort du vénérable Curé d'Erin , pour
obtenir d'eux la permission d'entrer dans
un couvent, & de choisir par préférence,
l'Abbaye de la Trappe. Il en éprouve une
réfiftance plus forte encore que la pre-
mière, particulièrement de la part de fa
Benoît-Jofeph Labre. 55
mère qui se trouvoit fortifiée dans fes refus,
par l'oppofition réunie de prefque toute
sa famille. Il avoit alors dix-huit ans.
Dans un âge plus avancé, il crut
qu'il pouvoit, fans craindre de manquer
de respect, montrer plus de résolution
& de fermeté. Il leur prouva fortement
la nécessité de suivre sa vocation ; & que
les raifons qui alarmoient leur tendreffe ,
& les engageoient à détourner fa pensée
du parti qu'il avoit pris de préférer la
Trappe, dévoient au contraire contri-
buer à l'y affermir ; que lé signe le plus
assuré de la vocation religieuse, étoit un
attrait conftant pour une folitude pro-
fonde & les saintes auftérités de la péni-

C
tence.
Les parens de Benoît-Jofeph ont tou-
jours montré beaucoup de religion. Ils
craignirent de résister à Dieu même, en
réfiftant plus long temps à leur fils. Le
Serviteur de Dieu obtient enfin leur con-
sentement & leur bénédiction. Il part :
la fatigue d'un long voyage ne fait qu'aug-
iv
56
pour une vie dure & mortifiée.
Viede

menter son zele, en satisfaisant son goût

Quelle foule de fentimens s'élèvent dans


l'ame du Serviteur de Dieu à la vue de
,
la Trappe, qui se découvre à ses premiers
regards ! Mais une nouvelle épreuve Pat-
rendoit où il croyoit trouver un lieu de
repos. Cette Abbaye venoit de perdre
coup fur coup, plusieurs Religieux. Elle
crut que pour proportionner aux forces
de la nature, les austérités de la règle, il
étoit prudent de ne plus recevoir que des
Sujets en qui le tempérament feroit abfo-
lument formé. Benoît-Joseph arriva peu
de temps aprés ce nouveau règlement.
On ne crut pas qu'il fut convenable d'y
porter atteinte par une dispense si voifine
de l'époque où il avoit été rendu; & Be-
noît-Jofeph ne fut point admis.
La douleur qu'il en eut, ne peut s'ex-
primer. Elle fut vive, mais chrétienne &
réfignée. Comme la permission qu'il avoit
obtenue, avoit pour objet son entrée à
la Trappe, n'ayant pu y être reçu, il
BenoîtJoseph Labre. 57
retourna promptément à la maison pater-
nelle pour y attendre, avec foumiffion
un temps plus favorable à l'exécution de
son projet.
Un de fes oncles, alors Vicaire & Rec-
teur des écoles de la Paroisse de Coute-
ville, fut prié de continuer son éduca-
tion & de le perfectionner dans l'étude
,
de la langue latine.
Il retrouva dans M. Vincent tout ce
qu'il avoit perdu par la. mort du digne
Curé d'Erin. Le témoignage que rend à
ses vertus M. l'Evêque de Boulogne (1).

( 1 ) « Parmi les lettres que je vous envoie,


» Monsieur, il y en a une de M. Vincent
,
» oncle du respectable Benoît-Joseph Labre. Son-
» témoignage doit faire d'autant plus d'impression ,
» que c'est un des plus dignes Prêtres que je
» counoiffe. Son insigne piété, fa vie auftère,
» fa charité fort compatissante, & fort généreufe
» pour les pauvres, lui ont tellement attesté
» l'eftime & la vénération publique, que la
" voix du. peuple dans les cantons où il eft
» connu, le canonise déja, en l'appellant d'ordi-
» naire, non M. Vincent mais faint Vincent».
,
Cv.
58 Vie de
nous en donne une opinion bien fupé-
rieure à tous les éloges. Ce digne ec-
clésiastique refpectoit déjà son neveu
,
comme on respecte la vertu. Il l'aima
bientôt comme son fils. Benoit-Jo-
seph ne tarda pas à faire toute la conso-
lation dé son oncle par fa docilité à
,
profiter de ses leçons & de ses exemples.
Le compte que rend M. Vincent lui—
même, nous dispense d'entrer dans d'au-
tres détails. Il doit nous suffire de transcrire
en partie, les dépositions de ce vertueux
Prêtre qui est actuellement Curé de la
,
Paroisse de la Pesse.
« Benoît-Joseph Labre, écrit-il s'est
,
rendu aimable dès fa plus tendre jeunesse,
à cause de fa grande douceur dont il a
donné des marques à Couteville, dans
beaucoup d'occafions : parmi quelques
étudians que j'enfeignois, il y en avoit un'
fort mutin qui le connoissant pacifique,
,

La lettre de M. l'Evêque de Boulogne du 18


Juin 1783.
Benoît-Joseph Labre. 59
prenoit plaisir à le traverser ; jamais il ne
lui a résisté ni de paroles ni d'actions ; il
a poussé la patience jusqu'à se laiffer nota-
blement incommoder du froid en hiver,
plutôt que de lui résister ou de porter des
plaintes contre lui....... J'ai remarqué
dans Benoît-Joseph beaucoup de piété&
d'ardeur pour la lecture des bons livres ;
les ouvrages du Pere l'Aveugle lui ont
donné cet attrait & cette ardeur pour la
pénitence ; il les a lu beaucoup de fois ,
& comme il avoit un jugement folide &
une mémoire heureufe, il avoit imprimé
dans l'efprit les vérités qu'il avoit remar-
quées dans ces livres. ».
Le Pere le Jeune s'est rendu célebre par
les Miffions qui ont occupé fon zèle pen-
dant presque toute sa vie. L'eftime que
faifoit Benoît-Joseph de ses ouvrages, de-
voit naturellement en faire naître dans fon
ame pour les Prêtres qui se consacrent à
cette oeuvre aussi pénible que refpectable.
Des Missionnaires s'étant rendu dans le
Diocèfe de Boulogne, pour y donner les
Cvj
60 Vie de
exercices de la Miffion à Bocaval, Brias;
Zoillecour & Recéemats, le pieux jeune
homme les suivit dans ces diverses pa-
roisses (a). Le mouvement d'une confiance
toute particuliere l'attiroit auprès d'un des
Prêtres Miffionnaires qui étoit en même
temps chargé du gouvernement d'un Sé-
minaire. Il obtint de lui la grâce qu'il lui
demanda, de le recevoir sous fa direction,
& ,d'entendre fa confession générale: c'eft
la troisième de fa vie.
Benoît-Joseph foupiroit toujours avec
une égale ardeur, vers la solitude ; son
espérance si long-temps différée affligeoit
fon ame. Ne pouvant, à cause de fon âge
,
être admis à l'Abbaye de la Trappe il
,
penfa qu'il éprouveroit moins d'obftacles,
s'il se préfentoit à quelque Couvent de
Chartreux. Ce dessein qu'il communiqua

( I ) Etant à Couleville , il a suivi les Prêtres


Missionnaires à Bocaval Brias Zoillecour &
, ,
Recéemats, & il ne songea qu'à fon falut. Lettre
citée ci-deffus.
Benoit-Joseph Labre. 61
à son directeur, eut son approbation ; en
conséquence, le pieux jeune,homme re-
tourne à Amettes pour en faire part à ses
parens, & obtenir leur confentement.

CHAPITRE VI II.
Nouveaux obstacles que le Serviteur
de Dieu éprouve dans son dessein
d'entrer en Religion, tant de la
part de ses parens que chez les
Chartreux de Longueneffe & de
Montreuil.

LES parens de Benoît-Jofeph, ayant


une fois consenti qu'il satisfît à son attrait
pour la Maifon de la Trappe, il y avoit
tout lieu de croire qu'ils ne s'oppofcroient
point au defir qu'il marquoit d'embraffer
un Ordre moins rigide.
La permission qu'il sollicita pour se
présenter à une Maifon de Chartreux,
n'en fut pas moins une nouvelle victoire
62 Vie de
qu'il lui fallut remporter. On ne manqua
pas de revenir à la charge , & de lui
mettre sous les yeux les avantages qu'il
abandonnoit : l'incertitude du succès dans
les nouvelles démarches qu'il alloit faire,
la témérité d'embrasser un genre de vie
qui excéderoit ses forces, futilité dont il
pouvoit être à fa famille, en aidant ses
parens dans l'éducation de ses frères &
soeurs: & ce qui pouvoit toucher plus
vivement son coeur, l'amour de ses parens,
les secours qu'ils réclamoient pour eux-
mêmes ce que la séparation & le sacrifice
,
auxquels il condamnoit leur tendreffe,
auroit de dur & d'affligeant pour eux.
Le dégoût du monde, le defir de tout
quitter pour n'appartenir plus qu'à Dieu,
& ne vivre plus que de son amour, avoient
jetté dans le Serviteur de Dieu, de trop
profondes racines pour qu'il se laissât
ébranler par des motifs humains, ou
vaincre, par des apparences de bien qui
,
n'auroient été,que spécieuses.
Cependant un obstacle auquel il ne
Benoît-Jofeph Labre. 65
s'attendoit pas, rendit une seconde fois;
inutile, le consentement de fa famille. En
effet, s'étant présenté à la Chartreufe
de Montreuil, le Prieur le reçut avec
bonté, lui parla avec intérêt, & lui
donna des témoignages d'eftime & d'af-
fection ; mais il finit par lui objecter
fa jeunesse, & lui dire que l'ufage de la
Maison s'opposoit à ce qu'il y fût reçu,
à moins qu'il n'eût fait la première année
du cours de Philofophie, & qu'il ne fût
le chant ecclésiastique. Il ajouta néan-
moins pour le confoler qu'une fois
, ,
qu'il se seroit mis en état.de fatisfaire à
ces deux conditions, il l'admettroit avec
plaisir. Benoît-Joseph marqua sa recon-
noiffance pour ce que ses dernieres pa-
roles renfermoient d'obligeant. II sortit
de Montreuil, & se préparoit à retourner
chez ses parens lorsqu'on lui indiqua la
,
Chartreufe de Longueneffe comme une
,
Maison qui s'ouvriroit plus facilement à
l'empreffement de ses defirs.
Le Serviteur de Dieu s'achemine en
64 Vie de'
conséquence vers Longueneffe : le succès
répond aux espérances qu'on lui avoir
données: le Prieur lui fait accueil, &
l'admet aux exercices du noviciat.
Cette époque de la vie du Serviteur de
Dieu, eft pour les ames que Dieu appelle
à une perfection particuliere, un grand
fond d'inftruction : elle fut pour lui
l'épreuve la plus dure ; car que font les
austérités du corps, auprès des tourmens
de l'âme ? Cette folitude, objet de tant
de soupirs dans laquelle il s'enfonce
,
d'abord avec tant d'ardeur & de joie,
cette solitude qu'il salua comme une vraie
terre promise, ne lui offrit bientôt plus
qu'une terre de trouble & de défolation
,
un désert sec & aride.
Les maîtres de la vie spirituelle con-:
noiffent, & seuls ils peuvent bien décrire
cet état de nuit obscure & quelquefois de
frayeur & de tourment, par lequel Dieu
fait souvent passer les ames qu'il destine
à une haute perfection. C'est un moyens'
employé par fa providence fur des ames
Benoît-Joseph Labre. 65
privilégiées pour les établir profondé-
,
ment dans l'humilité, les faire mourir à
elles-mêmes & à tout appui humain, les
attacher ensuite uniquement à lui par la
voie d'union & de contemplation.
L'ame qui aime vivement, tend à s'unir
à l'objet aimé ; & c'est par la voie con-
templative que l'amour conduit à l'union,
La premiere grace qui opere dans les
Chrétiens appelles à la perfection est un
,
rayon céleste qui leur revele, & la con-
noiffance de Dieu & la connoiffance d'eux-
mêmes. Attachée à cette double contem-
plation l'ame comprend bientôt que
,
Dieu est tout être, & la créature tout
néant ; elle voit d'une part, un abyme de
grandeur; de l'autre, un abyme de mifere,
un abyme de fainteté, & un abyme de
péché ; un abyme de charité & un abyme
d'ingratitude,
L'ame mesure ainsi en quelque forte, le
fini, sur l'infini, l'énormité du péché sur
l'idée qu'elle se forme de la sainteté infinie
de Dieu ; la punition du pécheur sur l'i-
66 Vie de
dée de la justice infinie de Dieu; l'ingra-
titude ou le peu d'amour des hommes fur
la charité infinie dé Dieu ; l'étendue des
devoirs fur l'étendue & la perfection de
la loi ; la rigidité du compte à rendre fur
le nombre infini des graces reçues ; la
foibleffe de la pénitence fur la multitude
des offenses, & des imperfections.
Mais l'oeil ne peut refter fixé fur ce
double abyme de la grandeur de Dieu &
de la mifere de l'homme, ne peut s'effor-
cer d'embrasser, de rapprocher la distance
infinie qui les sépare, fans se troubler bien-
tôt & fe déconcerter. Frappée tout à la fois,
de la vue des perfections divines, & de ses
propres imperfections, l'ame n'apperçoit
plus en elle que taches, que fouillures, que
froideur, qu'ingratitude & que foibleffe.
Dieu lui-même se dérobe pour un temps,
& permet ainsi que pour un temps, elle
foit livrée à la crainte & à l'épouvante.
Alors, l'ame fatiguée, se fatigue encore
davantage, l'ennui & la féchereffe fuccé-
dent au goût sensible. Plus on avance &
Benoît-Jofeph Labre. 67
plus on croit reculer, plus on aime & plus
on se croit insensible, plus on craint le pé-
ché & plus on s'en croit fouillé.
Alors, les ténèbres s'étendent, & obf-
curciffent l'entendement. Un Dieu mifé-
ricordieux ne paroît plus qu'un Dieu juste;
un Dieu aimable, qu'un Dieu févere ; un
Dieu qui pardonne, qu'un Dieu qui pu-
nit ; un Dieu qui éprouve, qu'un Dieu
qui délaisse & qui abandonne.
Alors, le trouble descend de l'imagina-
tion dans le coeur, l'orage se forme, les
terreurs de l'éternité faififfent; ce n'est plus
que peines, que désolation., qu'angoisses ;
& l'ame épuifée tombe: dans une forte
d'agonie; mais c'est alors, auffi, c'est à ce
moment où l'ame se croit fur le penchant
de fa perte , que l'épreuve ceffe, que Dieu
dissipe la nue, reparoît, console, forti-
fie & récompenfe.
C'eft ainfi que Jefus-Chrift fait; paffer
avec lui, par la Montagne des Oliviers-,
ceux qu'il conduit ensuite à la Montagne
du Calvaire, pour les immoler sur sa croix.
68 Vie de
C'est par cette épreuve dure, mais falu-
taire, que Dieu a fait paffer Job, David,
Jérémie, & pour ne parler que des derniers
temps, les Sainte Thérèfe, les Ignace de
Loyola les François de Sales.
,
Benoît-Joseph étoit appellé à par-
courir successivement les états de la vie
intérieure & à s'unir à Dieu par la voie
,
de l'oraifon & la contemplation. Il étoit
donc dans l'ordre ordinaire de la Provi-
dence , fur les ames attirées à la perfec-
tion, qu'il subît cette épreuve ; elle exerça
sa foi pendant plusieurs années, & fût un
des moyens principaux dont Dieu fit usage
pour le former à l'humilité, & augmenter
son attrait pour les austérités de la péni-
tence.
C'est aussi particulièrement à cette cause
qu'il faut attribuer fa sortie de Longue-
neffe. Quelque rigide que soit la regle ob-
servée dans cette Chartreufe, elle parut
encore trop mitigée à cet. humble Pénitenr,
qui frappé de la crainte des jugemens de
Dieu, & se mettant au rang des plus, grands
BenoîtJoseph Labre. 69
péch urs, s'imagina qu'il ne pourroit fe
sauver qu'en embrassant l'Ordre le plus
auftere, Peut-être auffi que la vie sédentaire
& la profonde retraite, ne convenoit pas à
la vivacité naturelle de son caractere & de
son: tempérament. Quoiqu'il en foit, les
peines intérieures qu'il reffentoit, & l'efpé-
,
rance de pouvoir être un jour admis à la
Trappe, réveillerent ses premieres idées
fur cette derniere Maison, & lui firent pen-
ser que Dieu ne l'appelloit point à faire
profeffion dans celle de Longueneffe.
Il en sortit après six femaines de Novi-
ciat.
...
Son premier soin fut d'aller rendre
compte à son Confeffeur, & du peu de fuc-
cès: de fes tentatives,. & de l'état de fon
ame peinée & affligée... Le zélé Miffion-
naire qui étoit fort expérimenté dans les
voies de Dieu, ne tarda pas à faire fuccè-
der le calme, & la paix aux troubles de
l'inquiétude ; il conseilla à fon Pénitent de
retourner à la Maifon, paternelle pour y
attendre les ordres du Ciel, & s'y confor-
mer,
70 Vie de

CHAPITRE IX.
Le Serviteur de Dieu retourne à
Amette. Nouvelles contradictions
qu'il y éprouvependant deux ans.
LA victoire augmente nos forces avec
notre courage : le serviteur de Dieu ayant
surmonté les tentations qui l'avoient si fort
agité, sentit après que l'orage été heu-
eut
reufement diffipé qu'il pouvoit tout avec
,
celui qui fortifie (I). Les nouveaux com-
bats qu'il aura bientôt à soutenir, prouve-
ront combien sa confiance en Dieu, & cette
nouvelle fermeté d'efprit & de coeur qui
en étoit l'effet, lui devoient être nécessaires.
Quoique sorti du cloître, il ne s'en crut
pas moins appelle à une vie pauvre & auf-
tere. C'étoit visiblement sa vocation. Il
n'en doutoit pas, & retourné chez fes pa-

(I) Omnia poffum in eo qui me


confortat,
Benoît-Joseph Labre. 71
rens, il prit la réfolution de la remplir de
toutes les manieres poffibles. C'est pour
cela qu'il commença dès-lors à joindre à
la prière & aux jeûnes, des oeuvres de mor-
tifications particulières. Sa mere, que fa
tendrefle rendoit de plus en plus vigilante,
& attentive, s'en apperçut, & s'en plaignit,
hautement. Plufieurs fois elle le surprit
paffant les nuits, couché fur des planches
au lieu de repofer dans son lit.
Elle craignit les fuites de cette mortifi-
cation, & s'éleva contre une ferveur de
pénitence qui lui paroiffoit indifcrette, peu
raifonnable, & quipouvoit altérer sa santé..
La réponse du serviteur de Dieu étoit moi
defte & refpectueufe, mais toujours ferme
& décidée. «Dieu m'appelle, difoit-il, à
» une vie auftere & pénitente; il faut bien
" que je commence à entrer dans les voies
» de Dieu (I) »,
Sa résolution de suivre fa vocation à la
pénitence, étoit tellement inébranlable,

( I ) Dépofitions des parens.


72 Vie de
qu'un jour fa mere refusant de consentir à
«
son départ, par la crainte que son fils une
fois sorti de la maison paternelle, ne trou-
vât pas les moyens de subsister; " il répond
» dit, sans hésiter ; laissez moi aller, ma
» mère je vivrai de racines, comme les
,
" Anachoretes; avec la grace de Dieu, nous
a» pourrons encore vivre comme eux ».
Les plaintes & les allarmes de la mere
du serviteur de Dieu ne purent pas être
longtemps fecretres. Elle crut fans doute,
que plus elle intérefferoit de monde à fa
tendresse & aux succès de ses repréfenta-
tions plus elle obtiendroit de complai-
,
sance de la part de fon fils, dont l'imper-
turbable fermeté, la jettoit dans la conf-
ternation.
Voisins, amis, presque toute la famille
s'uniffent aux parens de Benoît-Joseph,
& lui suscitent, dans de bonnes intentions,
une forte de persécution toute dirigée pour
lui faire rompre ses projets. On ne ceffoit
de blâmer fa prétendue obftination, à trou-
bler, contrister, & allarmer une famille,
à
Benoît-Joseph Labre, 73
à laquelle il devoir tant d'égards & de re-
connoiffance. L'inutilité d'un grand nom-
bre de démarches, de voyages & de ten-
tatives, qui n'avoient abouti qu'à multi-
plier les frais de son éducation, rendoit
même fa vocation fufpecte, & l'humeur
fe mêlant quelquefois à l'amertume des
reproches on cherchoit à l'ébranler en
,
l'humiliant par des paroles dures & pi-
quantes.
C'eft un moyen toujours foible contre
un homme véritablement humble, Benoît-
Joseph, soumis & obéissant à ses parens
en tout ce qui ne regardoit point fa vo-
cation ne croyoit manquer ni à l'amour
,
ni à la reconnoiffance qu'il leur devoit, par
fa fidélité à suivre l'infpiration de Dieu;
plein de confiance, & tranquille au milieu
de la tempête, il y confervoit jusqu'à la
gaieté & la bonne humeur qui lui étoiení
naturelles.
Dieu bénit fa constance & son humi-
lité, en changeant les vues & les difpofi-
tions de ses parens. Ceux-ci, perfuadés
D
74 Vie de
qu'une plus longue résistance ne fervi-
roit qu'à affliger un fils qu'ils aimoient, &
dont ils refpectoient la vertu fe détermi-
,
nerent à faciliter l'exécution de ses pieux
desseins.

C H A P I T R E X.
Benoît-Joseph, s'applique à l'étude
de la Philosophie & du Chant
,
Eccléfiaftique. Sa conduite cher
M. Dufour alors Vicaire de'
,
Ligni,, & actuellement Curé d'An-
chi-aux-Bois.

BENOÎT-Joseph, alors dans favingtieme


année, fentoit la nécessité de se fixer dans
un état, & de décharger ses parens aux-
quels, il se voyoit inutile du soin & des
,
frais de son éducation. Son coeur se tournoit
toujours vers l'Abbaye de la Trappe. Son
aurait pour la pénitence, la lui faifoit pré-
Benoit-Joseph Labre. 75

férer à toute autre retraite ; mais une sainte


impatience de fe confacrer promptement
à Dieu, & fa position à l'égard de ses pa-
rens, ne lui permettoient gueres d'atten-
dre l'âge où il pût y être reçu.
D'ailleurs les peines & les troubles inté-
rieurs avoient reparus, & agitoient de nou-
veau fon ame. Benoît-Joseph, humble &
mortifié, passant fa jeunesse dans la fuite des
plaisirs, la priere & le jeûne, fentoit encore
fes chairs percées de la crainte des jugemens
de Dieu ne voyoit en lui qu'un Pécheur
,
digne de haine & dé mépris; & dans ses
imperfections mêmes que des péchés
,
dont il ne pouvoit espérer le pardon qu'en
livrant son corps aux rigueurs d'une pé-
nitence continuée jusqu'à la fin de ses
jours. Il se croyois déplacé tout autre
part que dans une auftere Retraite, & il re-
gardoit comme perdu, pour l'éternité
,
tout le temps qu'il refteroit volontairement
dans le monde.
La promesse qu'on lui avoit faite de le
recevoir auffi-tôt qu'il auroit fini fa Logi-
D ij
76 Vie de
que, & appris le Chant Eccléfiaftique, lui
fit désirer d'être à portée de remplir, fans
délai, ces deux conditions. Il fe rendit en
conféquence, chez M. du Four, alors Vi-
caire de Ligni, & depuis Curé d'Anchi-
aux-Bois, qui se chargea de le former dans
ces deux sciences. Le Maître, charmé des
vertus & des belles qualités du Difciple
que la Providence lui adreffoit, le traitoit
plutôt en ami, qu'en écolier, lui laissant
toute liberté de continuer le plan de con-
duite & les exercices de piété qu'il s'étoit
,
prefcrits.
L'étude du Chant Eccléfiaftique tenoit
en quelque forte à ses goûts pour tout ce
qui avoit rapport à la Religion ; aussi le
pieux jeune homme s'y portoit avec em-
preffement & avec plaifir,
-
Il n'en fut pas de même pour la Dia-
lectique. II s'apperçut d'abord de son peu
de goût & de disposition. Malgré tout le
zele de son Maître pour lui applanir les
difficultés, malgré les efforts qu'il faifoit
de fon côté pour y répondre, il ne put
Benoît-Joseph Labre. 77
jamais vaincre la répugnance qu'il reffen-
toit toutes les fois qu'il lui falloit s'ap-
pliquer à cette-étude. Cependant il se mit
affez promptement en état de satisfaire
aux examens qu'il pourroit avoir à fubir;
mais ce fut moins le fruit de l'application
qu'ily donna, que l'effet d'une compré-
henfion facile qui. lui étoit naturelle.
Benoît-Joseph demeura trois mois chez
M. Dufour, partageant presque entière-
ment son temps entre la prière & la lec-
ture : nourrissant fa piété par le jeûne, la
pénitence & la privation de tous les plaifirs,
même innocens. Arrivé à l'âge où il lui
fut permis de se former un plan de con-
duite, il s'imposa la loi de se les interdire
abfolument. Dès-lors, on ne put le faire
résoudre à se trouver aux divertiffemens
qui font en usage dans les Paroiffes de la"
campagne, les Fêtes & Dimanches, après
les Offices de l'après-dînée.
Un de ses Compagnons d'étude s'étant
mis un jour en tête de lui faire rompre
ce plan de conduite, & de le conduire au
D iij
78 Vie de

lieu des récréations publiques, n'oubliá


rien de tout ce que son génie lui suggéra,
pour le persuader & obtenir de lui, au
moins pour cette fois, cette forte de com-
plaisance ; mais tous ces efforts furent inu-
tiles, & le Serviteur de Dieu refta fidele
à la loi qu'il s'étoit imposée.
Si-tôt qu'il se crut fuffifamment instruit
dans le plein chant & la Logique, il ne
perdit pas un moment, fans se rendre à
Montreuil, & solliciter la grace d'y être
reçu.

CHAP I T RE XI.
Je Serviteur de Dieu eft admis au.
noviciat dans la Chartreuse de
Montreuil. Sa fortie de cette mai-
fon.
LE Prieur de Montreuil s'étant affuré
que Benoît-Joseph avoit fuffifamment fa-
tisfait aux conditions qu'il avoit exigées
Benoît-Joseph Labre. 79
de lui, ne fit aucune difficulté de le rece-
voir. Le jour de la fête, ou un des jours
de l'octave de l'Affomption de la Sainte
Vierge, il fut admis aux exercices du no-
viciat. Ce qu'eft la douceur de la victoire,
après un combat violent & opiniâtre, &
le premier moment de jouiffance d'un
bien défiré avec de longues & de vives
ardeurs, la folitude de Montreuil le fut
d'abord pour Benoît-Joseph. Les austérités
de la regle, la longueur des Offices, lés
veilles de la nuit, la variété des exercices
qui se •succédaient fans interruption oc-
,
cuperent, dans les premiers temps, l'ac-
tivité. de son zele; & il y trouva de quoi
fatisfaire son ame avide de lecture, de
priere, de recueillement & de pénitence.
Une joie sensible annonçoit le contente*
ment de l'efprit & la paix du coeur. La
confolation accompagnoit & rendoit plus
fervente encore, son assiduité scrupuleuse
à fes devoirs & à toutes les observances
du noviciat ; mais le calme sera de
courte durée ; de nouveaux orages vont
Dij
80 Vie de
s'élever & c'eft de la serveur même que
,
renaîtront l'agitation & le trouble.
Benoît-Joseph fe livre bientôt à fon
goût pour l'Oraifon, & prend pour sujet
ordinaire de ses penfées, la sainteté de
Dieu l'étendue de ses devoirs, la multi-
,
tude des graces qu'il a reçues.
Son imagination étoit vive, & fa conf-
cience délicate & timorée.
L'oeil qui a fixé pendant quelque temps
l'éclatante lumiere du foleil, n'apperçoit
au moment où il vient à reporter sur la
terre fes regards éblouis, que tache & qua
confusion ; ainsi Benoît-Joseph, occupé à
méditer la fainteté infinie de Dieu la
,
charité infinie de Dieu, la pureté de sa loi,
la grandeur de son amour, venant ensuite
à redescendre dans son ame, n'y vit plus
que fouillures, qu'ingratitude que sujets
,
d'épouvante & d'effroi. Les mêmes trou-
bles, les mêmes tourmens intérieurs qu'il
avoit éprouvés à Longuenesse, il les
éprouve de nouveau. La Régle de Saint
Bruno ne lui semble plus faite que pour
Benoit-Joseph Labre 81
des solitaires innocens ; elle femble trop
douce pour un pécheur tel que lui.
Le corps souffrit bientôt de l'agitation
de l'efprit ; elle étoit trop vive pour qu'elle
pût être long-temps cachée. Les bons
Religieux s'en apperçoivent; ils plaignent,
consolent & animent le pieux jeune homme
à la confiance en Dieu : mais persuadés qu'il
n'étoit point appelle à embrasser leur inf-
titut, ils lui confeillerent de quitter leur.
Maison. Après six semaines d'épreuves, il
en sortit le 2 Octobre de l'année 1769.
Le même jour, il écrivit à ses parens
pour leur apprendre fa sortie ; fa Lettre
monument édifiant de fa piété, peint mieux
que nous ne pourrions le faire, la, beauté
de son ame & la vivacité de fa foi.
L E T T R E
DU SERVITEUR DE DIEU
A. S E S PARENS.
Mon très-cher Pere & ma très-chere Mere.
" Je vous apprends que les Chartreux
» ne m'ayant pas jugé propre pour leur
82 j'en
Vie de
suis forti le second jour d'Oc-
» état,
» tobre. Je regarde cela comme un ordre
» de la Divine Providence qui m'appelle
à
» un état plus parfait; ils ont dit eux-
» mêmes que c'étoit la main de Dieu qui
» me retiroit de chez eux. Je m'achemine
» donc vers la Trappe, ce lieu que je defire
» tant & depuis si long- temps. Je vous
» demande pardon de toutes les défobéif-
» fances & de toutes les peines que je vous
» ai causées; je vousprie bien l'un & l'autre
» de me donne votre bénédiction, afin que
» le Seigneur m'accompagne ; je prierai
" le bon Dieu pour vous tous les jours
» de ma vie :
fur-tout ne soyez point in-
» quiets à mon égard.Quand j'aurois voulu
» y rester, on ne m'y auroit pas reçu;
» c'est pourquoi je me réjouis beaucoup.
» de ce que le Tout Puiffant me conduit.
» Ayez foin fur-tout de l'inftruction de mes
» frères & soeurs, & fur-tout de mon filleul ;
» moyennant la grâce Dieu, je ne vous
de
» coûterai plus, jamais rien, & ne vous
» ferai plus aucune peine ; je me recom-
Benoît- Joseph Labre; 83
" mande à vos prieres; je me porte bien,,
" & je n'ai pas donné d'argent aux do-
" meftiques ; je ne fuis sorti qu'après avoir
» fréquenté les Sacremens. Servons tou-
» jours bien le bon Dieu, & il ne nous
" abandonnera pas. Ayez foin de votre fa-
" lut; lisez, & pratiquez ce qu'enseigne le
" Pere Aveugle: c'est un livre qui enseigne
" le chemin du Ciel, & fans, faire ce qu'il
" dit , il n'y á point de salut à espérer.
" Méditez les peines effroyables de l'enser
" qu'on endure une éternité toute entière"
" pour un seul péché mortel qu'on com-
" met si aifément. Efforcez- vous d'être
" du petit nombre des élus. Je vous re-
" mercie de toutes les bontés que vous avez
" eu pour moi, & des services que vous
" m'avez rendu ; le bon Dieu vous en,
" récompensera: procurez à mes frères &
" soeurs la même éducation que vous
» m'avez donnée c'est le moyen de les
,
" rendre heureux dans le Ciel; fans inf-
» truction on ne peut pas fe sauver. Je
affure êtes déchargés de
«
.
vous que vous
Dvj
84 Vie de
" moi; je vous ai beaucoup coûté, mais
» soyez affurés que moyennant la grace
" de Dieu
,
je profiterai de tout ce que
» vous avez fait pour moi. Ne vous af-
" fligez point de ce que je fuis forti des
» Chartreux; il ne vous eft pas permis dé
» résister à la volonté de Dieu qui en a
" ainfi difpofé pour mon plus grand bien
" & pour mon salut. Je vous prie de faire
" mes complimens à mes freres & soeurs;
" accordez-moi vos bénédictions ; je ne
» vous ferai plus aucune peine; le bon
" Dieu que j'ai reçu avant de fortir,
» m'affiftera & me conduira dans l'entre-?
" prise qu'il m'a lui-même inspiré ; j'aurai
» toujours la crainte de Dieu devant les
» yeux, & son amour dans le coeur. J'ef-
" pere fort d'être reçu à la Trappe : en
» tout cas on m'affure que l'Ordre de
,
" Sept-Fonds n'étant pas si rude, on y reçoit
"plus jeune; mais je ferai reçu à la Trappe».
Benoît-Joseph Labre. 85

C HA P IT R EX II.
Le Serviteur de Dieu se rend de
Montreuil à la Trappe & de
,
cette Abbaye à celle de Sept-
Fonds, où il est reçu. Le temps
qu'il y demeure & son départ
,
de ce dernier monaftère.

DIEU foutenoit son Serviteur contre


la tentation du découragement, en lui laif-
sant toujours l'efpérance de trouver à la
Trappe un lieu de repos. Son humilité, qui
le repréfentoit à ses yeux fous les traits
d'un pécheur à qui les plus dures expia-
tions sont nécessaires, lui perfuadoit qu'il
ne pouvoit trouver son salut que dans
l'Ordre le plus auftere. D'un autre côté, fa
confiance en Dieu, qui le lui repréfentoit,
fous l'image d'un Dieu plein de miféri-
corde & qui ne veut pas qu'aucun pé-
,
cheur périffe, ne lui permettoit pas de
Dvj
86 Vie de
douter que, touche, de fa perfévérance, le
Ciel ne s'ouvrît enfin à fes voeux. La Régle
de la Trappe étoit la plus rigide de toutes
celles qu'il connoiffoit ; il se tenoit donc
comme affuré que Dieu qui mefuroit l'éten-
due de ses besoins lui réfervoit cette ref-
,
fource falutaire aux grands pécheurs : for-
tifié par cette pensée consolante il part
,
une feconde fois, il vole vers la Trappe.
Dieu lui préparoit de nouveaux mérites
dans.de nouveaux refus; il se présente en
vain ; la porte de ce désert lui est fermée
pour toujours. .

Nul n'eft tenté au-delà de ses forces;


ferme dans fa foi, le Serviteur de Dieu espéra
alors contre, toute espérance. Sept-Fonts
lui reftoit : malgré l'excès de la. fatigue,
la longueur du voyage & la continuité des
pluies qui avoient rendu les chemins pref-
qu'impratiquables il repart de la Trappe,
,
& arriva à Sept-Fonts si promptement, que
dès le 28 d'Octobre il avoit été admis à
prendre l'habit de Novice de. choeur, fous
le nom de frere Urbin.
Benoît-Joseph Labre. 87
Il n'avoit préféré l'Abbaye de la Trappe
que dans l'opinion que la Régle de Sept-
Fonts étoit plus mitigée. Il dut être con-
tent, & regarder le refus qu'il avoit éprouvé
comme l'effet d'une miféricorde particu-
liere sur lui, lorfqu'il vit que le Monaftere
de Sept-Fonts ne le cédoit en rien à celui
de laTrappe, & que même , dans plu-
fieurs points, il le furpaffoit en austérité.
Huit mois fe pafferent dans les exercices
du Noviciat;pieux, obéiffant & laborieux,
il se porte à tout avec unesainte émulation :
mais les mêmes peines intérieures qui re-
paroiffent, une maladie de deux mois
qui l'épuife, & dans ses supérieurs, la
crainte bien sondée qu'un tempérament
,
trop foible ne fournisse jamais à son zèle
affez de force pour soutenir les auf-
térites de l'inftitut : tout concourt à mani-
fester la volonté de Dieu dans les obftacles
qui s'opposent invinciblement à ses defirs
Le 2 Juillet 1770 ,Benoît- Joseph
quitte Sept-Fonts, & pour jamais l'efpé-
rance d'être admis à l'Etat Religieux.
88 Vie de
Arrêtons - nous un moment, à cette
époque intéressante ; fi nous la confidé-
rons d'après notre maniere ordinaire de
juger, qu'elle nous semblera triste & affli-
geante ! Combien de démarches & de
travaux en apparence vainement consu-
més ! L'ardeur des voeux de Benoît-Joseph
continuée, & s'accroiffant de jour en jour,
depuis l'âge le plus tendre, le caractere de
fes goûts, de ses inclinations: de ses vertus;
le plan conftamment dirigé de ses études &
de ses exercices de piété, la ferveur perfévé-
rante de ses prières pour découvrir fa voca-
tion les frais d'une éducation coûteuse &
,
prolongée au-delà du terme ordinaire : en
un mot, la vie entière de Benoît-Joseph, à
la prendre dès son enfance avoit été une
,
préparation de tous les jours, à la vie reli-
gieuse un Noviciat continuel : cest la
,
perle précieufe de l'Evangille pour laquelle
il avoit tout sacrifié : quitté ses biens, ré-
sisté à ses parens, remporté fur leur ten-
dreffe des victoires pénibles. Cependant le
voilà, ce semble, réduit à ne savoir
Benoît-Joseph Labre. 89
plus que faire, que devenir, où aller?
Etoit- ce donc là que devoit aboutir, à
l'âge de vingt-deux ans, tant de voyages,
de fatigues, de sacrifices & de tentatives ?
Sorti depuis longtemps de la maifon
paternelle, il ne devoit pas même penser
à y rentrer, fans une forte d'injuftice,
par la crainte de devenir à charge à une
famille déjà fatiguée par beaucoup de dé-
penses. Sa santé étoit altérée son tem-
,
pérament affoibli ; peu propre pour le cloî-
tre, encore moins propre pour le monde,
fans état, fans soutien fans appui, fans
,
consolation humaine ; au dedans peine
,
d'efprit, & tourment de confcience. Ce
tableau est la peinture fidele de la situation
de Benoît- Joseph: mais cessons de crain-
dre pour le juste que Dieu purifie dans le
creuset des afflictions. Dieu éprouve, mais
jamais il n'abandonne ; Dieu fait tout pour
fes élus, alors que tout paroît manquer
à ses élus, C'est du sein même de l'agita-
tion, que Dieu fera naître la paix; & fortir
un rayon consolateur qui ne cessera plus
90 Vie de

incertitudes.
de diriger Benoît-Joseph; & de fixer fes

Il avoit toute fa vie cherché fincète-


,
ment la volonté de Dieu , & on peut-dire
qu'il l'avoit cherchée uniquement. Il com-
mence dès ce moment à la connoître avec
évidence, & dès ce moment auffi, il va
commencer à être heureux. Deux choses
luip aroiffent certaines : la première, que
fa vocation à la vie monaftique , n'étoit
qu'apparente; il est bien éloigné cepen-
dant de fe plaindre de fa prétendue erreur;
elle étoit dans l'ordre même des deffeins de
Dieu fur lui. Pour le mettre état de
suivre la vocation extraordinaire à laquelle
Dieu l'appelloit, i1 lui avait fallu des inf-
tructions, des exemples, des modeles &
,
d'habiles maîtres. Dieu , pour lui procurer
ces avantages, avoit dû le conduire dans
le défert. Benoît-Jofeph les ayant en effet
trouvés réunis dans lès divers Monafteres
où il avoit demeuré, regardoit cette faveur
du Ciel, comme une grace finguliere, qui
méritoit toute fa reconnoiffance. .
Benoît-Jofeph Labre. 91
Il ne paroît pas moins évident à Benoît-
Joseph, que si Dieu ne le veut pas dans la
solitude il veut qu'il pratique dans le
,
monde même, les vertus des solitaires : 1e
renoncement au monde , la retraite inté-
rieure, l'abnégatión de soi-même, la fuite
des plaisirs la vie cachée, la vie d'Oraifon,
,
lés humiliations de la pauvreté & lès ri-
gueurs de la Pénitence.
Benoît-Joseph, une fois assuré des def-
feins de Dieu fur lui, ne se met plus en
peine des moyens dont Dieu se servira pour
les accomplir; il s'abandonne fans réferve
à fa providence à fon efprit, à fes infpi-
,
,
rations aux peines intérieures & exté-

la croix.
rieures, ne demandant rien n'ambition-
,
nant rien, que de boire le calice & de porter

C'est dans cette nouvelle carrière de


mérites & de vertus qu'il nous faut main-
,
tenant considérer le Serviteur de Dieu.
92 Vie de

C H A P I TRE XI II.
Pèlerinages entrepris par Benoît-
Jofeph.
LES hommes sont tous appelles à la
fainteté; & comme il est diverses demeures
dans la maison de Dieu, il y a aussi di-
verses voies pour y arriver. Outre les
routes communes & ordinaires, il en est
d'extraordinaires & de fingulieres mais
,
dans lesquelles il feroit téméraire de s'en-
gager , qu'après les signes évidens d'une
inspiration certaine &
d'une vocation
,
long-temps confultée Je veux parler de
la dévotion des pèlerinages qui va occu-
per une partie de la vie du Serviteur de
Dieu, & dans laquelle il se comporta de
manière à ne laiffer aucun lieu de douter
que ce qui feroit pour le commun des
Chrétiens, une tentation de dissipation &
de relâchement, a été pour lui un accroif-
Benoît-Jofeph Labre, 93
fement de mérite, un exercice de Péni-
tence, & un moyen de sanctification.
Sans douté aussi qu'il s'y sentit porté
les circonstances particulieres où il se
par
trouva ; il étoit éloigné de fon pays, dé-
taché du monde & de tout ce qui lui ap-
partient, éprouvant des obstacles invin-
cibles au dessein de se consacrer à Dieu
,
dans le cloître; son ardeur pour l'humilité,
la pauvreté & la pénitence, a pu offrir à
son zèle cette pratique de piété qu'il em-
braffa dans de saintes intentions.
Rome, capitale & unique centre de la
Foi catholique, lieu sacré du triomphe &
du repos des saints Apôtres, si fameuse
par les monumens de la Religion, & les
trésors spirituels qu'elle renferme dans fon
fein, devoit être l'objet principal des pè-
lerinages du Serviteur de Dieu.
Il conçut au moment de fa sortie de
l'Abbaye de Sept-Fonts, arrivée en 1770,
la résolution d'en faire le voyage, & il se
mit bientôt en devoir de l'exécuter.
Arrivé à Guiers en Piémont, il écrivit
94 Vie de
à ses pere & mere, pour les informer des
raisons qui l'avoient empêché de pouvoir
se fixer dans cette sainte Maifon. Sa Lettre
contient en quelque forte ses derniers
adieux à fa famille, & en effet, ses parens
n'entendirent plus parler de lui qu'après
fa mort.
Il vifitoit avec une piété toujours éga-
lement édifiante, les églises qu'il rencon-
troit fur fa route.
Du Piémont, il se rendit à Lorette dans
le mois de Novembre ; fa tendre dévotion
pour la Mere de Dieu, & les graces figna-
lées qu'il y a reçues ont été cause que
,
le refte de fa vie il conferva pour cet
,
endroit célebre une affection, une prédi-
lection toute particulière.
Il dirigea enfuite fon chemin vers Affifes,
célèbre pour avoir donné le jour à Saint
François ; il y fit ses dévotions pour se
préparer à la grace que lui fit la Confrairie
établie dans ce lieu en l'honneur de ce
,
Saint, de l'infcrire dans ses registres
Il reçut, suivant l'usage, un petit cor-'
Benoît-Joseph Labre. 95

don béni qu'il porta constamment, &


qu'on retrouva après fa mort, lorfqu'on
le dépouilla de ses habits. ...
Le Serviteur de Dieu arriva pour la
premiere fois, à Rome, au commencement
de Décembre & il y fut reçu pendant
,
trois jours, dans l'Hôpital de Saint-

cois.
Louis, établi en faveur des Pélerins Fran-

Rome offre fans doute le spectacle le


plus capable d'allumer la dévotion d'une
ame vraiment religieuse ; il faudroit avoir
celle de Benoît-Joseph pour décrire la
vive fenfation de piété qu 'il éprouva
,
la. ferveur avec laquelle il visita tous les
lieux saints, ses effusions de reconnoiffance
& d'amour pour Jesus- Christ & fa fainte
Mere, les larmes de componction de
,
fenfibilité & de joie qu'il répandit en pré-
fence du Tombeau des Saints Apôtres.
Apres un féjour de huit à neuf mois
dans Rome, il entreprit un second
voyage
de,Lorette, ou il fe trouva vers le milieu
de Septembre de l'année 1771.
96 Vie de
Dans le mois de Juin précédent, il avoit
été visiter, à Fabriano, le Tombeau de S.
Romualde, fondateur des Camaldules, &
célèbre par de grandes vertus & fpéciale-
,
ment par une longue pratique d'auftérités
extraordinaires,
Il paffa quinze jours, dans ce lieu de
dévotion où il s'affermit déplus en plus,
dans la résolution de consacrer ses jours
aux rigueurs de la pauvreté & de la pé-
nitence: c'eft dans ce deffein & pour fe
,
purifier de toute affection au péché, qu'il
defira de faire, pour la troifième fois, une
confession générale M. Paggetti, Curé de
Fabriano auquel il s'adreffa,raconte
,
ainsi, cette particularité de fa vie.
"Le pieux Pélerin, m'étant venu trou-
" ver après la fainteMeffe, dans la facriftie,
» me demanda avec inftance, la grace d'en-

" tendre fa confession générale, lorfque

» j'en aurois le loifir. Je ne pus lui re-


» fuser cette confolation , d'après le vif
désir qu'il me montroit : étant retourné
à
" cette intention à l'Eglife deux ou trois
» jours
Benoît-Joseph Labre. 97
98 Vie de

» mépris fingulier de son corps, qu'il ap-


» pelloit son cadavre, une charité fans
»borne pour le prochain ; il l'aidoit de
» tout son pouvoir, dans le fpirituel, en
» adressant fans cesse à Dieu les plus fer-
" ventes prieres pour le falut de tous les
» pécheurs ; &, pauvre lui-même, il don-
" noit en aumône , aux pauvres, tout ce
" qu'il avoit ; ne s'attribuant fur ce qu'on
" lui donnoit, que la plus petite portion,
» laquelle fuffifoit à peine pour fa nou r-
" riture du jour, & ne réservant rien
" pour le lendemain ».
Telle est la conduite que le pieux Pè-
lerin tint à Fabriano & à laquelle il avoir
,
été constamment attaché depuis le temps
ou Dieu l'avoit appelle à ce genre de vie.
M. Paggetti ajoute à fa relation, que
les habitans de Fabriano, frappés de son
extérieur & de fa piété, commencerent
bientot à le regarder comme un Saint;
& qu'auffi tôt qu'il s'apperçut de la bonne
opinion qu'on prenoit de lui, il aban-
donna ce pays, & fe déroba par humilité,
Benoît Joseph Labre. 99
aux témoignages d'eftime & de vénéra-
tion qu'on lui portoit.
Ce fut en cette année 1771 qu'il alla
vifiter les lieux de dévotion ses plus re-
nommés du Royaume de: Naples, à
Barri, (I) l'Eglise de saint Nicolas,
Evêque de Mire, à Naples, l'Eglife de
Saint Janvier, au Mont Gargano celle
,
de Saint Michel, & un grand nombre
d'autres.
Le Servíteur de Dieu étoit encore à
Naples le 13 du mois de Février de l'an
1772; il en partit pour retourner à Rome.
Il y demeura jufqu'au mois de Juin, temps
où il se rendit de nouveau à. Notre-Dame
de Lorette.
II n'eft guere de lieux de dévotion
renommés en Europe, qui n'ait été vifité
par le Serviteur de Dieu. En 1773 , il
étoit dans la Tofcane, où il fit encore

(I) Certificat de M. l'Archevêque de Capoue, à


M. l'Evêque, de Néocéfarée, en date du 28 Juin
1783
100 Vie de
une confession générale qui fut la qua-
trieme. On n'a aucun détail concernant
ce voyage ; mais il n'y a pas lieu de
douter que fa dévotion particuliere à Saint
François, ne l'ait déterminé à vifiter la
célèbre Eglise des Monts d'Alvernia.
Nous savons par le relevé des registres
de l'Hôpital François de Saint Louis, (I)
qu'il s'est rendu à Rome en 1774 pour-
ies fêtes de Pâques. Son séjour dans cette
Capitale dût être assez court, puifqu'au
mois de Décembre de la même année, il
étoit en Bourgogne, (2) Province dur
Royaume de France.
Sa, dévotion pour la sainte Vierge,
nourrisson dans son ame, un zele infati-
gable qui le tranfportoit dans tous les
endroits où son culte étoit devenu cé-
lèbre.
La saison de l'hiver dans laquelle on

( I ) Relevé du 7 8 & 9 Avril.


,
( 2 ) Suivant un Certificat, en datte du 10 Dé
cembre 1774.
Benoît Joseph Labre. 101
étoit alors, la grande distance des lieux ,
les rigueurs du froid, l'aprêté des monta-
gnes couvertes de neige & de glaces, ne
forent point des raifons suffisantes pour
lui faire différer fl'exécution du projet
qu'il avoit conçu ,de partir de la Bour-
gogne pour aller dans la Suiffe, y visiter
l'Eglise de Notre-Dame d'Einfilden, au-
trement de Notre-Dame des Hermites,
où il arriva au mois de Février.
Cette Eglise très-riche & magnifique-'
ment ornée, appartient à un Couvent de
Bénédictins, situé dans le Diocèfe de.
Constance, à cinq lieues environ de la
ville de Suffe, capitale du canton de ce
nom.
Quatorze Papes ont accordé fucceffi-
vement ou renouvellé en sa faveur, des
privileges considérables. Benoît-Joseph
conserva toujours une dévotion particu-
liere pour ce pèlerinage renommé par un
grand concours de Pèlerins qui y arrivent
des diverses parties du monde.
De Notre-Dame d'Einfilden il visita
,
Eiij
102 Vie de
fucceffivement, une partie de l'Allemagne,
& en particulier Waltshut, ( I ) Heg-
genschvyl, (2.) Walweil (3) & Lucerne, (4):
de là il retourna à Einfilden, où il refta
jufqu'au commencement de Juillet.
La circonftance du Jubilé de 1775 fut
pour lui un motif de fe rendre à Rome,
où il paffa le refte de l'année fainte.
Au mois de Février 1776, le Serviteur
de Dieu fit pour la cinquieme fois le
pèlerinage de Lorette. II en partit, mal-
gré les rigueurs de l'hiver, & il entre-
prit son troifieme voyage d'Einfilden,
qu'il accomplit heureufement, & pendant
lequel il visita de nouveau une partie des.:
lieux de dévotion les plus célèbres de
,
l'Allemagne en particulier,! celui de
Waltshul, fur le Rhin, où il fetrouva le
20 Août 1776.
Enfin son retour à Rome, dans cette

(I) 21 Avril
(2) 13 Mai.
(3 ) 22 Mai.
(1) 28 Juin
Benoît-Jofeph Labre. 103
même année, fut le dernier terme de ses
courfes de piété ; & pour le reste de fa
vie, il fixa fa demeure dans cette capi-
tale d'où il ne sortit plus que; pour aller
,
passer seulement.quelques jours à Lorette,
& payer à la Mere de Dieu fon tribut
annuel d'amour & de reconnoiffance.
Après avoir rapporté les divers voyages
du pieux Pèlerin, il ne sera pas hors de
propos de faire fur le mérite des pélerina-
ges quelques réflexions que nous emprun-
tons de M. Alegiani. Ils ont été prati-
qués par un grand nombre de saints
personnages, L'illuftre Auteur du livre
de I'Imitation de Jefus-Christ, dit à la
vérité, que, qui se livre à une vie de
pèlerinages, rarement se sanctifie : & vé-
ritablement, à considérer sous un certain
point de vue, la vie. des pèlerins, on la
trouve fujete à mille, risques & à mille
dangers pour l'ame, par la variété des
personnes avec qui l'on se trouve,. & des
lieux par où l'on passe & où l'on s'arrête,
On expose son esprit aux diftractions à la
,
Eiv
diffipation à la curiosité & à la recherche
,
des nouveautés ; toutes choses qui mettent
obstacle à la serveur, ou qui l'affoibliffent.
Mais fi l'on confidere les pèlerinages
fous un autre point de vue, on ne peut
nier que la vie de pèlerin ne puisse être
un moyen de sanctification , comme por-
tant avec lui un détachement total de
toutes les commodités dont on peut jouir
dans le lieu de son séjour.
Qui ne fait que c'est une maxime évan-
gélique, que plus l'efprit se détache de la
terre, plus il s'élève vers le Ciel ! On peut
ajouter à cette considération que les»
,
lieux mêmes des tombeaux des Saints,
terme des pèlerinages où l'on va rarement,
inspirent naturellement un certain sen-
timent de vénération qui excite davan-
tage la confiance d'obtenir les graces que
l'on demande, à la vue de celles que Dieu
y répand.
Si les pèlerinages ainsi confidérés en
eux - mêmes peuvent servir à la fancti-
fication, que ne peut- on pas dire de ceux
Benoît-Joseph Labre. 105

de Benoît-Joseph, qui abandonnant sa


patrie, exposant fa santé, fuyant les com-
modités de la vie, s'engage dans ce genre
de pénitence, seul, inconnu à pied
, ,
fans provisions, avec la seule compagnie
de ses vertus souffrant l'intempérie des
,
injures de l'air, 1'ardeur du soleil les
,
rigueurs du froid, & mille autres incom-
modités & périls inséparables de ces sor-
,
tes de voyages.
Quelques faits relatifs à fes pèlerinages
font connoître de plus en plus quel étoit
son humilité, fa pauvreté évangélique
son détachement des choses de la terre
,
son esprit de pénitence ; sa modeftie fon
,
goût pour la priere, & fon attention
à éviter tout ce qui pouvoit lui faire
perdre la présence de Dieu.
Benoît-Joseph ayant un jour demandé
à M. l'Abbé Mancini, Adminiftrateur de
l'Hofpice évangélique, la permission de
partir pour son pèlerinage de Lorette
cet Abbé crut lui faire plaisir que de lu;
proposer pour compagnon de voyage,
Ev
106 Vie de
un pauvre du même Hofpice qui étoie
,
un homme vertueux & édifiant; mais le
Serviteur de Dieu s'excufa d'accepter la
propofition, & donna pour raison de fon
refus, la,crainte que la société d'un pèlerin,
quelque: homme de bien qu'il fût, ne lui
causât quelqu'empêchement, ou quelque
distraction, dans l'habitude qu'il avoit de-
plier & de faire l'oraifon, tout en voya-
geant.
Le fieur Zaccarelli, fon bienfaiteur &
fon ami;,, lui ayant offert de l'argent pour
faire son voyage de Lorette, Benoît-
Joseph refusa de rien accepter, alléguant
pour excuse de ne pas se rendre à ses fol-
licitations ; qu'il lui reftoir encore une
piece de dix fols, & que cette somme fuf-
fifoit au besoin préfent.
Il refufa, dans le même esprit de pau-
vreté, une paire de souliers que le même
Zaccarelli lui offroit. Celui-ci redoublant
fes instances, lui montra trois autres;
paires qui avoient déja fervi; Benoît-
Joseph fe laiffavaincre, mais il choifit les,
plus ufés.
Benoît-JosephLabre. 107
Comme il portoit un chapeau de paille
tout déchiré & découfu, on eut toutes
les peines du monde à lui en faire ac-
cepter un autre un peu meilleur, quoi-
qu'affez vieux.
Nous apprenons, par les informations
qui ont été faites à Lorette quelques
,
autres particularités qui ne font pas moins
édifiantes.
M. Verdelli, Clerc de Chapelle dans
cette célèbre Eglife, & chargé de l'en-
tretien des lampes,. dépose qu'il étoit pé-
nétré d'admiration, quand il voyoit la
contenance respectueuse de ce pèlerin, fa
conftance dans la priere & l'efpece
,
d'anéantiffement où il étoit devant, le Sei-
gneur.
M. Valeri qui deffervoit la Sacriftie,
rend les mêmes témoignages, & il ajouté
de plus qu'à l'heure des repas, lorsque
tout le monde fortoit de l'Eglise, Benoît-
Joseph oubliant les besoins de son corps-
alloit fe placer dans un coin de l'Eglise
où il croyoit n'être point apperçu, ,Là|
,
Evj
108 Vie de
on le voyoit avec un visage enflammé,
se frapper la poitrine, & par d'autres ac-
tions extérieures, donner l'effor aux pieux
mouvemens de fa piété.
Le même ecclésiastique ayant remarqué
l'extrême attention du Serviteur, de Dieu
à cracher tout ce qui pouvoit donner
,
bonne opinion de lui, alloit s'enfermer
dans un confeffional, pour contempler à
son aise, à travers les barreaux, les actes
multipliés de fa fervente dévotion.
Pendant tout le temps de son séjour à
Lorette, non-feulement ce pieux pèlerin
ne demandoit point l'aumône ; mais il
refufoit même ce qui lui étoit offert, si
ce qu'on lui préfentoit excédoit ses befoins.
Messieurs Verdelli & Valeri, ayant
conçu la plus haute estime pour ses vertus,
lui chercherent dans la ville, un logement
où il pût passer la nuit, afin de lui épar-
gner la fatigue d'aller tous les soirs à une
grange fort éloignée, où il prenoit ordi-
nairement son gîte; & de revenir enfuite
tous les matins à l'Eglife. Ils parvinrent
Benoît-Joseph Labre. 109
à lui en trouver un chez le fieur Sori.
Benoît-Joseph l'accepta avec reconnoif-
fance; mais comme on lui eût préparé
une chambre avec un lit, il trouva ce
logement trop somptueux pour un pauvre.
On lui en offrit un autre taillé dans le roc ,
au-deffous de la rue; il le trouva plus
assorti à son état, & il l'accepta.
Le fieur Sori lui offrit quelquefois des
mets de fa table, mais il le remercia conf-
tamment. Un Pauvre, difoit-il, ne doit
point se nourrir de viandes destinées aux
riches; mais il doit se contenter de leurs
restes. Aussi, toutes les fois qu'on lui pré-
fentoit un pain entier, il n'y touchoit
point, ne se croyant digne de manger
que des morceaux. C'étoit le même foru-
pule pour toute autre nourriture. Il ne.
mangeoit jamais que des restes.
110 Vie de

C H APITR E XIV.
De la maniere dont le Serviteur de
Dieu vécut à Rome, depuis qu'il
y eut fixéfa demeure.

BENOIT-JOSEPH qui avoit eu le


bonheur de comprendre dès fa jeuneffe le
fens de cette sainte parole : Bienheureux
les pauvres d'efprit & dé coeur, en a porté
la pratique jufqu'à une éminente per-
fection. On peut même dire qu'il a pratiqué
toutes les rigueurs & toutes les humilia-
tions de la pauvreté évangélique. C'étoit
vifiblement fa vocation particuliere. Sa
fidélité à y répondre, a été le caractere dif-
tinctif du genre de fainteté qu'il a embraffé-
Quelques détails fur la vie qu'il a menée
à Rome, depuis le temps où il y fixa fa
demeure, nous en fourniffent des preuves
aussi multipliées qu'elles font propres à
sous édifier.
Benoît-Joseph Labre. III
On voit à Rome, dans le quartier de
l'amphitéatre Flavien, autrement appelle
le Colifée, près la rue de la Croix, d'an-
tiennes ruines, & une certaine étendue
de murailles à moitié démolies. Ayant
trouvé dans une de ces ruines, un enfon-
cernent d'une profondeur fuffifante pour
le recevoir, Benoît-Joseph pense d'abord
qu'il pourroit s'en contenter pour loge-
ment. Il n'en eut point d'autre pendant
plusieurs années. C'eft-là qu'il se retiroit
tous les foirs, pour prendre quelque repos-
Fidele à portier fa croix à la fuite de
l'Homme-Dieu, qui, fans poffeffion &
fans afyle, n'avoit pas même où reposer
fa tête; Benoît-Joseph se croyoit encore
trop heureux que la Providence lui eût
préparé un endroit où: il pût passer les
nuits, tranquille; & à couvert contre l'in-
tempérie des faifons & l'injure de l'air.
La vie du pauvre de Jefus-Christ fut
Rome ce qu'elle avoit été depuis long-
temps, dans tous les endroits où il s'étoit
trouvé, c'eft à dire une priere continuelle.
112 Vie de
La journée toute entière consacrée à cette
sainte occupation lui paroiffoit encore
trop courte: il y employoit une partie
des nuits, après avoir passé les jours
,
tantôt dans une Eglife, tantôt dans une
autre, priant le plus souvent à genoux
fe tenant debout le reste du temps, &
toujours le corps dans une parfaite im-
mobilité. S'il quittoit les Eglifes, c'étoit
pour se rendre au Colifée, & assister à
l'inftruction que l'on appelle l'OEuvre
Evangélique des pauvres & qui ne
,
manque aucun jour de l'année.
Un genre de vie si dure & fi auftere,
joint à l'habitude de rester à genoux &
immobile la plus forte partie de la journée,
ne tarda pas à affoiblir & ruiner fa santé.
Il lui survint une enflure considérable,
qui occupoit la moitié du corps, & qui
augmentant par degrés , le menaça en
1780, d'une mort prochaine.
Un pauvre mendiant, nommé Théo-
dore, qui lui-même avoit la réputation
d'un homme très-Chrétien & très-ver
Benoît-Joseph Labre. 113
tueux, s'apperçut de son état, & en eut
pitié. Il lui persuada de le suivre chez
M. Paul Mancini, Directeur & Admi-
nistrateur de l'Hofpice évangélique à
,
qui il le présenta.
M. Mancini prit soin du Serviteur de
Dieu, & le plaça dans son Hofpice de
charité destiné pour douze pauvres.
Les remedes propres à la maladie &
une nourriture plus fubftantielle, opé-
rerent une prompte guérison. Benoît-
Joseph se voyant hors de danger & ré-
tabli, s'empreffe d'aller trouver son bien-'
faiteur. « Vous me voyez, lui dit-il,
" parfaitement guéri ; cette charité que
" vous me faites de me garder dans votre
" Hofpice vous pouvez maintenant
,
" l'exercer envers un autre pauvre qui
" en ait un besoin plus pressant que moi.
" Je me sens à présent en état d'aller
" chercher la portion à la porte de quelque
" couvent. Mais comment puis je faire
" pour vous remercier dignement ? Je
» n'en puis douter ; cette enflure devoit
114 Vie de
» me conduire au tombeau, & prompte-
» ment. C'eft par vous que je vis... C'eft
" le Seigneur que vous devez remercier,
» répond M. Mancini c'est lui qui vous
»a rendu la santé; faites-moi la charité
" de me recommander à Dieu. Je vous en
" prie, & j'en serai reconnoiffant.
" Ah Monfieur, lui dit Benoît-Jofeph !
» Je le ferai de grand coeur, & toute ma
» vie. "
Les soins que M. l'Abbé Mancini avoit
rendus au Serviteur de Dieu pendant fa
maladie l'avoient mis a portée de recon-
,
noître en lui., une vertu peu commune &
des fentimens de religion que son humilité
n'avoit pu cacher. Ce dernier trait acheva
de lui en faire concevoir la plus haute
estime, Auffi, contre l'ufage & la loi qu'il
s'étoit fait de ne garder que pour un
temps, les pauvres qu'il recevoit dans fon
Hospice, il continua de l'y admettre pour
là nuit-, avec les autres pauvres : faveur
dont le Serviteur de Dieu a joui avec
reconnoiffance jufqu'en 1783, qui eft
Vannée de sa mort»
Benoit-Joseph Labre, 115
Nous croyons devoir, placer ici deux
parricularités de fa vie, arrivées pendant
fes voyages à Lorette, & qui montreront
le peu d'eftime qu'il faifoit de lui-même».
M. Mancini, de qui nous tenons ces par-
ticularités, étoit en correfpondance fpiri-
tuelle avec une Religieufe du Monaftere
de Sainte-Claire dé Montelupone, dans
»
le diocèse de Lorette. Voulant profiter
d'un voyage de Benoît-Joseph, il lui
remit pour cette Religieufe une lettre»
dans laquelle il lui mandoit, entr'autres,
choses édifiantes: « Màlettre vous fera
" rendue par un Saint qui paffe toute fa
" vie en prières, » Benoît-Jofeph exécute
fa commiffion, & remet la lettre à la Re-
ligieuse avec laquelle il eut, pendant
,
quelque temps, un entretien de piété qui
finit de part & d'autre par se promettre
,
d'être à l'avenir en société de prieres &
de bonnes oeuvres.
La Religieufe luten fuite fa lettre, & l'ayant
portée aux autres Religieufes elles ne
,
perdent pas un moment, fans venir toutes,
116 Vie de
fe recommander aux prieres du Saint
qu'on leur annonçoit.
Benoît-Joseph reste confus, ne fait ce
qu'on veut lui dire; &, fans attendre la
réponse dont on devoit le charger, il
se dérobe promptement & fort de ce
,
Monaftère, où il ne s'est jamais repré-
senté.
Benoît étant de retour à Rome, M. Man-
cini demande des nouvelles de fa lettre,
de la Religieufe à qui il l'avoit adressée,
& de la réponse qu'il en attendoit. Pour
» dé réponse, dit Benoît-Jofeph, je ne m'en
» suis point chargé; & il lui fait en peu
de mots le récit de ce qui lui étoit arrivé.
M. Mancini connut alors jufqu'où alloit
l'humilité du Serviteur de Dieu, & il en
conçut encore une plus grande opinion
de fa sainteté.
L'année suivante M. Mancini usa de
,
plus de précaution dans une commission
toute femblable, dont il chargea le Ser-
viteur de Dieu, pour une Religieufe de
Sainte-Claire de Montechio, Il lui par-
Benoit - Joseph Labre, 117
loit de son opinion sur Benoît-Jofeph ;
mais il lui recommandoit fur toutes choses
de bien prendre garde que ni elle, ni
aucune Religieufe de fa Communauté,
ne donnaffent au Serviteur de Dieu aucune
marque d'estime & de considération par-
ticuliere.
La Lettre sut remise avec la même exac-
titude que l'avoit été la première. La Re-
ligieuse la communiqua à ses compagnes,
& elles n'eurent pas moins d'envie que les
Religieuses de Montelupone,d'entretenir
ce pieux Pèlerin; mais, averties, elles mi-
sent plus dedifcrétion. Elles prirent le parti
de ne venir le voir que féparément, & les
unes après les autres. Pour le retenir plus
longtemps fans affectation, on lui fit fer-
vir de quoi manger. Toutes eurent, par
ce moyen, la consolation qu'elles cher-
choient, & se retirerent contentes & édi-
fiées. On voulut pour voir à fa subsistance
& à sa nourriture, pour la route qui lui
refloit à faire, & il fut sollicité d'accepter
diverses choses; mais il refusa tout ce qu'on,
118 Vie de
lui offrit, fidele à la regle qu'il s'étoit pre-
fcrite de ne jamais se mettre en peine de
la nourriture du lendemain.
Pour cette fois il attendit la réponse, &
il s'en chargea. On rendit compte à M.
Mancini, de ce qui s'étoit paffé, & fur-tout
de la discrétion dont on avoit ufé; mais
auffi on n'oublia pas de lui en demander
le prix, en le priant avec instance, de re-
commander lui-même la Communauté aux
prieres de l'homme de Dieu, & d'en ob-
tenir, qu'il voulût bien faire à son inten-
tion une commun ion particuliere.
M. Mancini en parla à Benoît-Joseph.
Il s'apperçut de la peine que faifoit au
Pauvre de Jesus-Chrift une recommanda-
tion qui indiquoit que l'on faifoit cas de fes
,
prieres & il n'en eut d'autre réponse que
,
celle-ci : « Je ne veux point de correfpon-
» dance avec des Religieufes. Qui fuis-je,
» moi, pour leur être utile par mes com-
" munions».
On verra, fans doute, avec plaisir, le
compte qu'a rendu M. Mancini lui-même
Benoit-Joseph Labre. 119
de la conduite du Serviteur de Dieu, pen-
dant tout le temps qu'il a été logé à fon
Hospice de charité»
Voici la traduction littérale du témoi-
gnage par écrit, qu'il en a donné auffi-tôt
après fa mort, Il sera une nouvelle preuve
de ce que nous avons dit d'abord, qu'il
faifoit de la priere fon occupation conti-
nuelle, & presque de tous les momens.
"Le Serviteur de Dieu avoit foin, de se
rendre de bonne heure, à l'Hofpice de
charité; s'il y arrivoit avant qu'il fût ou-
vert, alors, tandis que les autres pauvres
reftoient affemblés devant la porte, & cau-
foient en attendant le Gardien, lui, alloit.
ordinairement fe placer derriere une petite
colonne qui fait partie de la façade de l'Hô-
tel de M. le Chevalier Santarelli, qui en
eft très-proche. Là, il demeuroit tout le
temps, à genoux & en prieres jusqu'au
moment où il entendoit la porte s'ouvrir
Entré alors., avec les autres pauvres il
,
s'arrêtoit dans la première piece, où fe
trouvoit le lit qui lui étoit deftiné. Il y
120 Vie de
continuoit sa priere, tandis que les pauvres
continuoient de leur côté à causer dans la
grande piece qui renferme dix autres lits.
Tous les pauvres étant arrivés, & le Gar-
dien se présentant pour faire la priere en
commun, Benoît-Joseph entroit, & y af-
fiftoit avec une dévotion & un recueille-
ment fi profond, que les autres en étoient
touchés & édifiés.
La prierefinie, il retournoit dans fa pe-
tite chambre & reprenois son oraifon,
,
qu'il continuoit encore, même après les lu-
mieres éteintes; enforte que jamais on ne le
voyoit se dépouiller de ses habits pour se
mettre au lit. Le Serviteur de Dieu fe le-
voit la nuit pour se mettre en priere : il
faifoit beaucoup d'oraifons jaculatoires;
& fouvent le bon Théodore, qui étoit alors
Gardien de l'Hofpice, & demeuroit près
de lui, l'entendoit, ainfi que les autres pau-
vres, répétant souvent la nuit : «Seigneur,
» ayez pitié de moi; mon Dieu, prenez
" pitié de moi".
Benoît-Joseph aimoit beaucoup cet
Hospice ,
Benoît-Joseph Labre. 121
Hofpice, parce qu'on n'y reçoit que des
pauvres dont les moeurs font régulieres
& qu'on n'y fouffre, ni querelles, ni pro-
pos médifans ou peu honêtes.
Le matin il étoit toujours levé avant
,
l'heure prefcrite, & prioit ou méditoit en
particulier, jufqu'au moment de la priere
commune qu'il ne manquoit jamais de faire
avec les autres pauvres.
Il fortoit enfuite de l'Hofpice: on le
voyoit s'acheminer seul, & toujours priant
vers quelque église & ordinairement il
,
choifíffoit celle de Notre-Dame des Monts;
il y reftoit à prier le plus souvent à genoux
jufqu'à midi environ. Quelquefois il par-
tageait la matinée de maniere qu'il en paf-
foit la moitié dans une Eglife,, & l'autre
moitié dans une seconde Eglife.
A midi il alloit fe présenter à la porte
de quelque Couvent pour y recevoir & y
manger la portion ; retourné ensuite dans
celle des Eglifes où fe faifoient les Prieres.
de Quarante-heures, & où par conféquent
E
122 Vie de
le S. Sacrement étoit exposé, il y paffoit
tout le reste du jour.
Avant que de prendre la modique ré-
feEtion qui compofoit tout son repas, il
paroiffoit pendant quelque temps tout ab-
forbé & anéanti en Dieu. Le Gardien de
la Maifon de charité, de S. Pantaleon aux
Monts rapporte avoir obfervé que toutes
les fois qu'il y venoit prendre la portion &
le pain qu'on diftribuoit aux pauvres, le
Serviteur de Dieu, avant que de toucher
à la nourriture, tenoit à deux mains le vafe
qui la renfermoit, & qu'il le levoit vers le
ciel pour l'offrir à Dieu, priant avec une fer-
veur extatique l'efpace de cinq à fix
,
minutes pendant que les autres pauvres
,
avoient déjà commencé à manger.
Ces détails fuffifent pour prouver que fa
vie étoit une vie de priere continuelle. La
récitation du Bréviaire & de l'Office divin
étoit son tribut journalier. Le temps qu'il
n'employoit pas à la lecture des Livres de
piété, il remployoit toujours, soit à prier,
Benoît-Jofeph Labre. 123
foit à méditer prenant pour fujet le plus
ordinaire, la Paffion de notre Divin Ré-
dempteur ; soit enfin à réciter un grand
nombre d'oraisons, & fur-tout à faire beau-
coup d'oraifons jaculatoires.
M. l'Abbé Mancini n'attefte que des cho-
ses dont il a été témoin, ou qui font publi-
quement connues. La simplicité de fa nar-
ration est celle d'un hiftoiren fidele. Il ne
,
se permet ni éloges, ni réflexions. Nous
imiterons cette sage réserve en nous
,
bornant à rassembler dans un feul tableau,
les traits de la conduite constante, uni-
forme & cachée du Serviteur de Dieu, pen
dant tout le temps qu'il a paffé à Rome.
Vie de silence perpétuel & inviolable,
il ne parloit qu'à Dieu, & n'avoit aucune
conversation avec les hommes : à peine fi
dans un mois entier, on l'entendoit pro-
férer de lui-même quelques paroles. Peu
de mots compofoient ses réponfes, atten-
tif à ne se dispenser de la loi du silence que

F ij
par humilité ou par charité.
Vie de folitude & de retraite ; il n'avoit
121 Vie de
que Dieu pour fociété, ne vivoit en so-
ciété qu'avec Dieu, évitant le commerce
des hommes, le tumulte des places, la dif-
sipation des promenades, le spectacle des
fêtes si fréquent à Rome, vivant comme
dans la profondeur d'un défert, au milieu
d'une ville habitée par un grand nombre
d'étrangers, & qui offre le tableau le plus
mobile, le plus changeant & le plus varié.
Abnégation de foi-même : privé de
tout, détaché de tout, ignoré de tous les
hommes, il ne vouloit de richesses que
les biens de la pauvreté évangélique ; de
plaifir, que les exercices de la pénitence ;
de distinction que le rebut & le mépris.
,
Rigueurs de la pauvreté : (1) Benoît-

( 1 ) Tout son ameublement confiftoit en un pe-


tit panier où il. tenoit fon Bréviaire, & quelques
autres livres de dévotion , & dans une taffe de
bois, dans laquelle il recevoit la foupe aux portes
des Monafteres & que M. Marconi, son der-
,
nier Confeffeur a obtenue comme une grace,
,
après la mort de son saint pénitent. Elle est rompue
& écornée d'un côté de maniere qu'on ne pouvoir
,
Benoît-Jofeph-Labre, 125
Joseph ne poffédoit rien ne tiroit aucun
,
fecours de fa famille à laquelle son existence
étoit ignorée, ne demandoit rien , recevant
seulement avec humilité ce qu'on lui don-
noit, distribuant aux autres pauvres, avec
une charité généreufe, tout ce qui n'étoit
bas nécessaire au besoin du moment, ex-
pofé aux. viciffitudes & aux inquiétudes
des faifons, fans défense contre les froids
de l'hiver & les chaleurs de l'été, n'ayant
enfin, plus que les pauvres ordinaires, que
des vêtemens plus ufés, qu'une nourriture
plus vile, pour logement pendant les trois
premieres années, qu'un réduit incommode
pratiqué dans les ruines d'une muraille.
Austérités de la Pénitence : A ces pri-
vations, ces rigueurs, ce dénuement de
toutes chofes , Benoît - Jofeph joignoit
une abstinence presque continuelle, des
jeûnes fréquens avec une complexion
,

point la remplir ; & comme elle s'étoit fendue


par le milieu , il l'avoit fait rejoindre en trots
endroits, avec du fil-de-fer. M.... Alegiani.
F iij
126 Vie de
foible & altérée, les veilles de la nuit,
des mortifications particulieres, avec des
infirmités habituelles, un genre de péni-
tence qui lui caufoit souvent des douleurs
vives & infupportables, & que produifoit
la nécessité, lorsqu'il prioit à genoux,'
posture qui lui étoit ordinaire; d'avoir le
corps appuyé fur deux tumeurs qui lui
étoient furvenues, & recouvroient l'un
& l'autre genou.
Humiliations de la pauvreté & de la
pénitence : L'humilité de Benoît-Jofeph
l'avoit placé dans la classe des grands
pécheurs : voilà pourquoi il avoit choifi
l'opprobre & le mépris pour son partage :
voilà le principe des austérités d'une péni-
tence extraordinaire embrassée, & si cou-
rageusement continuée jufqu'à la mort :
pourquoi il s'eft caché dans la foule des
pauvres mendians : pourquoi, pour me
servir des paroles de Saint Paul, il a voulu
être le rebut la balayure du monde,
,
omnium peripfema, pourquoi des lambeaux
mal tissus & déchirés qui le couvroient à
Benoît-Jofeph Labre. 127
peiné, lui tenoient lieu de vêtemens ;
pourquoi il fembloit avoir voulu mettre
entre lui & les autres hommes; une bar-
riere repoussante & il défiguroit les traits
,
d'une physionomie naturellement attirante
& aimable, fous un extérieur abject & re-
butant : Pourquoi enfin avide de péni-
,
tence & d'ignominie, il abandonnoit à la
piquure d'infeEtes répugnans, fon corps
humilié, que Dieu lui-même glorifie d'a-
vance, & préserve aujourd'hui de la cor-
ruption & de là pâture des vers (1).

( 1 Abbiamo già altrove fatta menzione del


)
dolorofo tormento, che egli di continuo foffriva
nelle delicate sue membra, della multitudine di
moleftiffimi infeEti dei quali non curava punto
di liberarzi ; che anzi, corne fappiamo dalla rela-
zione autentica di Loreto & dalle effervazioni fatte
qui in Roma , compariva che egli affolumente
voleffe quefto ftrano tormento si affliEtivo e fi
umiliante di cui non riferifco offendere di piu li de-
licatiffime orecchie degli europel, e masffmè dei
noftri le circonftanze, per Italiani, p. 106 & 107.
Divorato dagl'infetti molefti, che in quefti ul-
F vi
128 Vie de
Telle fut la vie extérieure & publique
de Benoît-Jofeph, pendant les années qu'il

timi tempi, gli fi erano multiplicati in numero


incredibile che fi producevano & si nuttivano
, ,
della fua carme fenza ch' egli vi fi opponeffe in
,
in verun modo, p. 253.
Si Benoît-Jofeph s'étoit borné à faire usage d'un
rude cilice fon mérite eût été. assurément fort
,
grand par cet exercice de pénitence: mais s'étant
revêtu nuit & jour de cette efpece de cilice vivant,
animé par la multitude des inseEtes dont il étoit
couvert, il en a souffert une bien plus grande
pénitence par le tourment continuel de leurs
,
piquures ; en même temps qu'il pratiquoit l'hu-
milité la plus profonde; car quoiqu'il eût eu
,
une naissance & une éducation honnête, il ne
rougit point de paroître le plus malpropre parmi
la troupe des mendians , & de s'expofer au mépris
de tout le monde. M. Alegiani.
. . .
On objeEtera fans doute, que la fainteré doit
être accompagnée de l'arrangement & de la pro-
preté tant intérieure qu'extérieure ; qu'on ne
,
doit point approuver la négligence de Benoît-
Joseph qu'il lui auroit été facile d'éviter. On
,
ajoutera de plus, qu'un extérieur si rebutant ne
Benoît Jofeph Labre. 129
a passées à Rome : vie embraffée volon-
tairement & par choix ; vie pour laquelle

peut que rendre odieuse la dévotion même ; on


ne manquera pas fur-tout de citer l'exemple de
quantité de Saints qui ont eu la propreté en
partage : tout cela est vrai ; mais il ne l'eft pas
moins que plufieurs perfonnes illuftres en sainteté
en ont agi différemment. C'eft une attention très-
louable fans doute, que de se tenir propre &
,
décent, fur-tout quand on est obligé par état,
,
d'entretenir quelque commerce avec son prochain»
Auffi voyons-nous Saint Jerôme, Saint Ber-
,
nard Saint Ignace de Loyola, Saint Philippe
,
de Neri, qui faifoient grand cas de la propreté.
Mais d'autre part, on peut apporter l'exemple
de Saint Hilarion qui ne lava, ni ne quitta
,
jamais le sac de toile dont il étoit couvert dès
le commencement de fa vie pénitente persuadé
,
que c'est une chose fuperflue, que de rechercher
la propreté dans un cilice.
Odear rapporte de Saint Thomas de Can-
torbéry, qu'on lui trouva une telle quantité de
vermine fur le corps, qu'il dut en fouffrir un
plus martyre insupportable que celui qu'il endura.
Ou raconte la même chofe d'autres Saints Per-
FV
130 Vie de
il a quitté fa patrie, fes parens, un patri-
moine honnête & les espérances d'y
,
trouver un état aisé & tranquille; vie
extraordinaire fans doute, & qui n'est pas
proposée à notre imitation ; mais qui doit

fonnages, qu'on paffe ici fous filence, parce qu'ils


font affez connus.
Pour juger donc sainement d'exemples si oppo-
sés, il faut considérer les circonftances particu-
lieres qui les précédent, qui les fuivent, & qui
les accompagnent ; comme l'obferve le favant
Cardinal Bona.
Auffi, l'Eglise a admiré comme des aEtes hé-
roïques de pareilles victoires remportées fur
,
foi-même, par beaucoup de Saints & de Saintes ;
celles de lécher les plaies & les ulcères dégoû-
tans, d'en sucer & d'en avaler le pus, comme
on le lit entr'autres de Saint François Xavier,
de Saint Pierre d'Alcantara de Sainte Eliza-
,
beth Reine de Portugal de Sainte Cathe-
, ,
rine de Fiefque de Sainte Edwige, de Sainte
,
Rose de Lima, de Sainte Françoife de Chantal,
& de la bienheureufe Hyacinthe Marfcotti.
. . .
M. Alégiani.
Benoît-Joseph Labre. 131
servir d'encouragement à notre Zèle, &
encore plus à notre délicatesse & à notre
tiédeur, dans la voie ordinaire où. la pro-
vidence nous a placés.
La sagesse de la Croix paroîtra tou-
jours folie à la sagesse mondaine ; peut-être
aussi, la pénitence de Benoît-Jofeph ne
nous paroît si extraordinaire, que parce
que, placés à une époque de relâchement
& de corruption, nous ne sommes gueres
en état de connoître les besoins de notre
fiecle, & le genre d'inftruEtions qui lui
convient.
Gardons-nous de l'orgueilleufe précipi-
tation qui blafphême souvent ce qu'elle
ignore. Avantque de juger, relisons la vie
des Paul, des Antoines, des Marie Egyp-
tienne des Siméon Stylite & de tant
, ,
d'autres Martyrs de la pénitence chré-
tienne.
Enfans de l'Églife nous devons da
,
moins attendre avec respect fur la vie
,
de Benoît-Jofeph, & l'authenticité d'une
F vj
132 Vie de
foule de merveilles que la renommée publie,
le jugement de Rome à la sagesse & à la
,
prudente circonspection de laquelle fes
ennemis même ne peuvent s'empêcher de
Tendre hommage.
Benoît-Jofeph Labre. 133

CHAPITRE XV.
Derniere année de la vie du Serviteur
de Dieu.
LE fecret des Rois doit être inviola-
blement gardé : mais c'eft un devoir que
de révéler les merveilles que le Seigneur
a opérées fur ses élus ( 1 ).
La providence ayant permis que je fuffe
pendant la derniere année de la vie de
Benoît-Jofeph , dépositaire de fes pensées
les plus fecrettes, & de fon intérieur, je
me crois obligé d'en publier tout ce dont la
connaiffance pourra contribuer à la gloire
de Dieu à celle de fon Serviteur & à
, ,
l'édífication des Fideles ( 2 ).
Au mois de Juin 1782, après la fainte
Messe que je venois de célébrer dans l'églife

( 1 ) Sacramentum Regis, abfcondere bonum eft


opera autem Dei revelare & confueri honorifi-
cum eft.
( 2 ) Ce Chapitre, & une partie des fuivans, font
traduits plus littéralement; voilà pourquoi M. l'Ab-
bé Marconni y prend presque toujours la parole.
134 Vie de
de Saint Ignace du College Romain
j'apperçus un homme dont la vue, au
premier aspect étoit désagréable & re-
,
butante. Les jambes à demi nues, les reins
ceints d'un assez mauvais cordon, toute la
tête fort négligée, mal couvert, & mal en-
veloppé d'un manteau ufé & déchiré ; tout
l'extérieur enfin du mendiant le plus mifé-
rable que j'aie jamais vu : tel se montra à
moi, pour la premiere fois, Benoît-Jofeph.
Il s'approche, & me dit avec beaucoup
d'honnêteté & de modestie, qu'il avoit
préparé fa confession générale ; qu'il me
fupplioit de lui faire la charité de l'en-
tendre; que je pouvois compter fur fa
fincérité, & qu'il n'étoit pas venu pour
me tromper.
Ces paroles simples, & le ton qui les ac-
compagna, commencerent par me gagner
le coeur, & m'infpirer de l'intérêt ; je me
,
rendis à fa priere n'ayant aucun doute
qu'il ne fût de très-bonne foi & bien difpofé.
Je me trouvai au jour convenu entre
nous : le Serviteur de Dieu commença
Benoît-Jofeph Labre. 135
par me manifefter avec ordre, & dans les
moindres détails, fa vie en entier, depuis
les premieres années de son enfance, &
finit par plusieurs particularités qui dé-
voient lui arriver fucceffivement jufqu'à
ses derniers jours, & par celles mêmes qui,
ne devoient lui arriver qu'après fa mort.
Il me découvrit & l'état présent de fon
ame, & les honneurs que Dieu lui réfer-
voit, avec Ia même clarté & la même
précifion, que dans divers entretiens que
nous eûmes dans la fuite; il me découvrit
plufieurs événemens futurs qui lui avoient
été révélés ( I ).
J'apperçus bientôt dans l'ame de Benoît-
Joseph une lumiere extraordinaire qui me.
jetta d'abord dans la surprise & l'étonne-
ment. Par la maniere dont il me rendit
( 1 ) Comincio ad informarmi minutamente
,
di tutta la ferie della fua vita dai primi anni della
sua fanciullezza fino à ciò che farcble ftato dopo
la sua morte, e chiaro mi refe lo ftato prefente
dell' anima sua e Finalmente mi polesò gli onori-
,
da Dio preparati gli, corne pure alttiavveniment
futuri, in varie couferenze, pag. 84.
136 Vie de
compte de tout son intérieur, je reconnus
en lui une science approfondie de toute la
loide Dieu; il parcourait avec ordre & une
clarté merveilleufe l'enchaînement des vé-
rités les divers rapports que les vertus
,
ont entr'elles, & avec cette loi sainte, &
dans chaque vertu en particulier; ses carac-
teres diftinEtifs, & les différens degrés de
perfection qu'elle renferme.
Mon étonnement redoubla; je ne pou-
vois me persuader qu'un homme sans
étude fût en état de parler des matières
les plus relevées de Ia même maniere
,
qu'auroit fait un Professeur de Théologie
le plus profond. J'interrompis donc le
Serviteur de Dieu pour lui demander s'il
avoit étudié la Théologie. " Moi, mon
" Pere, me répondit Benoît-Jofeph avec
» humilité, je ne fuis qu'un pauvre igno-
" rant ». Cette réponfe me rejetta alors
dans tous mes doutes, & je ne pus décider
fi fes connaiffances avoient pu être l'effet
de l'étude & de ses propres réflexions, ou
fi Dieu ne tes lui avoit pas communiquées
immédiatement.
Benoît-Jofeph Labre. 137
La netteté & l'exaEtitude avec lesquelles
Benoît-Joseph exprimoit toutes fes pen-
fées, développoit les mouvemens de son,
intérieur, & me les rendoit comme vifi-
bles : les détails des épreuves par lefquelles
le Seigneur l'a fait passer les graces qu'il
,
en a reçues, ce qu'il a fait dans tous les
temps pour y correspondre , une délica-
tesse de conscience, & une pureté de coeur
finguliere, des fentimens de Ia plus pro-
fonde humilité une simplicité d'enfant
,
jointe à une rare prudence; toutes ces
qualités réunies, & portées à un degré
éminent, ne tardèrent pas à fixer mon
jugement & mes idées. Je vis dans ce
pauvre mendiant, un homme extraordi-
naire, que Dieu, par des voies qui décon-
certent la prudence humaine, conduifoit
à de grands deffeins. Je me sentis intérieu-
rement excité à entrer dans les vues de la
providence & je me crus obligé de ré-
,
pondre à la confiance de Benoît-Jofeph
en lui rendant tous les foins dont j'étois
capable.
138 Vie de
Plus je pénétrois dans fa conscience
,
plus j'y admirois fon ame noble & élevée,
en même-temps que les graces extraor-
dinaires dont elle étoit enrichie. Dieu lui
découvroit quelquefois l'état de mon
coeur, & mes plus fecrettes pensées; il
m'en a plusieurs sois rendu compte à moi-
même. Sans doute que la providence le
vouloit ainfi, afin que la révélation qui
étoit faite à Benoît-Jofeph de mon inté-
rieur me fût un garant certain de la
,
vérité des prédictions qui le concernoient
lui-même, & qui devoient lui arriver fuc-
cessivement jusqu'à la fin de sa vie ( 1 ).

( 1 ) Comincio iddio medefimo à monftrarmi piu


chiaramente, i tefori delle fue grazie, de' quali
avea arrichifa quefto fuo fervo, rivelando gli i
fecreti del mio cuore, e facendo, ch' egli fteffo
mi rendeffe confapevole d' averli penetrati e ris
aputi. Mirabil condotta di Dio, con cui volea
rendefio autore vole preffo dì me, conciliarglilede
per varie predizioni, che con bell' ordine m'andò
di poi fucceffivamente efponendo fino alla fua
morte , ficchè poffo dire con ogni verità, ch'egli
Benoît-Jofeph. Labre. 139
Je dois ajouter que le Serviteur de Dieu,
dans chaque entretien que nous eûmes en-
semble, me communiquoit toujours quel-
quetrait de l'opération divine dans fon
ame, & que les chofes qui s'opéroient en
lui, avoient rapport, en grande partie , à la
maniere dont Dieu je devoit glorifier dès
ce monde, auffi-tôt après fa mort.
On a vu le Serviteur de Dieu, depuis
son enfance jufqu'à la fin de sa vie, s'avan-
cer progreffivement & à grands pas, dans
la voie des Commandemens; mais on peut
dire que dans fa derniere année, il a mené
fur la terre la vie des anges ; ce fut un fur-
croît de ferveur impossible à exprimer.;
Son ame fe fondoit en présence du Sei-
gneur, ses pensées, comme son coeur,
étoient abforbées dans l'amour de Dieu.
Son corps, mortifié & réduit dans une en-

ogni volta che fi portava di me conferiva meco


, ,
qualche operatione divina nel fuo fpirito ordi-
,
nata in gran parte, à renderlo gloriofo ancora qui
in terra dopo quefta vita mortale. pag. 85 & 26.
140 Vie de
tiere fervitude, n'offroit plus qu'un fque-
lette que la peau feule recouvroit.
Le Vendredi de la Paffion, cinq jours
avant fa mort, j'eus avec Benoît-Jofeph
•un entretien qui fut le dernier de tous : il
me paroît néceffaire d'en rapportes tous
les détails tant il a été intéreffant.
,
On fait que ce jour est consacré pair
l'Eglife à la fête des douleurs de là Mere
de Dieu. Il vint le matin à l'Eglife du
College Romain pour se confeffer. Je le
trouvai près de l'autel de la Sainte Vierge,
profondément recueilli, & le corps dans cet
état d'immobilité qui lui étoit ordinaire,
lorfqu'il prioit. Je le regardois avec beau-
coup d'attention, & d'abord je fus frappé
de le voir contre son usage., un bâto n'a
la main. C'étoit un soutien devenu nécef-
saire à fon corps affoibli & exténué. Voilà
donc, penfai-je alors en moi-même, &
tout en lui parlant, voilà où l'ont réduit
ses austérités ; il ne tardera pas à mourir
martyr de la pénitence. Cependant, mal-
gré l'affeEtion particuliere que je lui por-
Benoît-Jofeph Labre. 141
tois , affeEtion qui lui étoit parfaitement
connue, par tout ce que je lui avois dit
au fujet des rigueurs qu'il exerçoit à l'égard
de son corps; il ne me vint point dans
l'efprit, de lui parler de fa fanté, encore
moins de l'exhorter à en éprendre foin, &
à modérer les rigueurs de fa pénitence.
Je continuai de lui parler; & en même-
temps meje mis à considérer fes lambeaux
déchirés & fi répugnans à la vue, ses chairs
livides & mortifiées ; je fixois fur tout mes
regards fur fon bras & fa main droite :
alors des pensées a peu près semblables
aux premieres, s'éleverent confusément
dans mon esprit. Peut-être, me difois-je,
que dans peu ces lambeaux fi désagréables,
feront estimés au-delà des étoffes les plus
riches; peut-être qu'on les honorera comme
les reliques d'un Saint ; mais il faut avouer,
ajoutois-je à ma pensée, que pour arriver
au point de vénérer de tels lambeaux, il
faudra des événemens bien extraordinai-
res, & une foi animée par une dévotion
bien fervente. Quelle consolation pour
142 Vie de
moi ! Que de fujets de bénir l'auteur dé
toute fainteté, & le Dieu fi admirable
dans fes Saints; lorfque je fus, auffí-tôt
après fa mort, témoin de l'empreffement
de Rome entiere, grands & petits, depuis
le peuple jufqu'aux gens les plus confidé-
rables, à rechercher & vénérer ces mêmes
lambeaux, & tout ce qui avoit appartenu
au Serviteur de Dieu.
J'ajoute enfin, ce qui doit en effet pa-
roître affez extraordinaire, que dans cette
derniere circonftance, non plus que dans
aucune autre occasion je ne pensai jamais
,
à inviter le Serviteur de Dieu à moins né-
gliger Ia propreté du corps & fon exté-
rieur, ni même à se délivrer de Ia piquure
de fes infeEtes incommodes, tourment aussi
humiliant qu'il devoit être infuportable.
C'est par cette derniere raifon que juf-
qu'à préfent j'avois toujours pris la pré-
caution de ne l'entendre que dans un con-
feffional , afin de mettre ainfi entre nous
;
une forte de séparation mais cette fois
je mefentis de l'éloignement pour me con-
Benoît-Jofeph Labre. 143
former à cet usage que je m'étois prescrit:
je pensai qu'il étoit encore plus juste de
prendre des précautions pour les perfonnes
qui fréquentent le même Confeffional, que
d'en prendre seulement pour moi-même.
J'imaginai donc de le conduire à la
porte du College Romain, & je le fis en-
trer, fans qu'on s'en apperçût, dans une
chambre du Portier : là, je m'affis pour
l'entendre, & Benoît-Jofeph s'étant mis
à genoux, deux ruisseaux de larmes com-
mencerent à couler de fes, yeux ; mais ses
pleurs couloient, quoiqu'en abondance,
fans être accompagnées d'aucuns soupirs,
ni d'aucun sanglot. Le Serviteur de Dieu
me répéta plusieurs choses qui me regar-
doient perfonnellement, & qu'il m'avoit
déjà dites dans d'autres circonstances.
J'avois remarqué eu lui plus d'empreffe-
ment que jamais pour se confeffer; cepen-
dant je n'y trouvai pas la plus petite chofe
qui fût proprement matiere de confession":
la paix, la tranquillité, les consolations
inondoient fon ame délivrée entiere-
144 Vie de
ment depuis fa derniere confeffion de toute
tentation, de toutes peines intérieures.
Sans doute que purifié par. un si grand
nombre d'épreuves, Dieu l'avoit fait ar-
river jufqu'à ce jour sans nuage qui fixe
les pas du juste dans la perfeEtion, & com-
mence à faire luire dans son ame l'aurore
de l'éternité qui s'approche. ( 1 ) J'aurois
du faire alors cette réflexion ; mais Dieu
qui vouloir que fs deffeins reftaffent ca-
chés jufqu'à la fin de la vie de son Servi-
teur, ne permit pas que je m'apperçuffe
que Benoît-Jofeph étoit venu pour fe dif-
poser à prendre son essor vers les taberna-
des éternels.
Une nouvelle circonstance auroit pu
m'en donner encore une forte de preffen-
timent. Nous avions toujours coutume
,
avant que de nous féparer, de convenir ;

du jour où il se repréfenteroit ; je me pré-

( ) Juftorum autem femita,. quafi lux fplen-


1
dens procedit, E crefcit ufque ad perfeEtam diem-
Prov. 4, v. 8.
parerois
Benoît-Jofeph Labre. 145
parois à lui en parler ; mais lui, contre
son ufage, ne s'en étant point occupé, le
dessein que j'en avois eu d'abord, échappa
à ma pensée ; & nous nous quittâmes fans
rien déterminer. Je lui dis qu'il pouvoit
aller faire fa communion dans l'églife ou
fa dévotion le porteroit, précaution que
je pris, parce que le Serviteur de Dieu ne
la faifoit pas toujours dans l'églife où je le
confeffois. Il me fit entendre par un signa»
de tête qu'il communieroit dans l'églife du
Collége Romain. Restant toujours les
mains jointes il me quitta avec une pro-
,
fonde inclination. Ce furent là les derniers
adieux du pauvre de Jefus-Chrift.
Je ne le vis plus effeEtivement jufqu'au;
jour où, averti par un billet de M. Man-
cini, de son passage à la bienheureuse éter-
nité je me rendis à l'Eglife de Notre-
,
Dame des Monts. Là, fuivant la foule du
peuple dont le concours étoit nombreux.
& continuel, je me trouvai porté jusqu'à
un oratoire particulier, à côté de la Sacrif-
tie, dan?, lequel l'on avoit déposé fur deux
146 Vie de
trétaux le Serviteur de Dieu & où je le
,
vis environné de beaucoup de monde,
qui payoit à fon corps, les prémices de leur
respect & de leur dévotion.
Je répétai alors en moi-même, ce que
mon coeur m'avoit inspiré à la premiere
nouvelle de fa mort : « heureufes rigueurs
" de la pénitence, qui fans doute, l'ont fait
» entrer de plein effor, dans la gloire du
" Paradis ».
C'eft maintenant, des détails de fa mort
précieuse que nous allons nous occuper.

CHAPITRE XVI.
Mort du Serviteur de Dieu.

LA mort ressemble ordinairement à la


vie ; les méchans meurent dans le défefs-
poir parce qu'ils ont vécu dans le crime,
,
La mort du juste est précieuse devant Dieu,
parce que fa vie a été fans tache, ou pu-
rifiée par la pénitence. Riflexions, falutai-
Benoît-Jofeph Labre. 147
res qui doiventtenir occupée la penfée de
tous ceux qui liront les détails de la mort
de Benoît-Jofeph.
Chaque jour, fur-tout depuis le mois
de Septembre précédent, je m'apperce-
vois que fa santé fe confumoit de plus en
plus; & je le voyois succombant par de-
grés fous les rigueurs de la pénitence.
,
Les fatigues de fes longs voyages avoient
épuifé sa santé. Contrariété des faifons,
vicissitudes des climats, froids rigoureux;
ou chaleurs excessives distance immense
,
des lieux, son zele n'avoit presque jamais
connu de bornes, ni été arrêté par les obs-
tacle?. Un genre de pénitence tout opposé
avoit ensuite remplacé le premier. Vie fé-
dentaire, cessation totale d'exercice, priere
continuelle : ne sortant d'une église que
pour entrer dans une autre , ou toujours
à genou, ou toujours debout, le corps ref-
tant ainsi presque toute la journée dans une
entiere immobilité (1) : telle fut la vie de

( 1 ) Il ne faut point oublier ces deux tumeurs


ij
G
148 Vie de
Benoît-Joseph,du moment qu'il fixa sa de-
meure à Rome. Sa santé ne devoit pas
moins souffrir de ce supplice extraordinaire
dont nous avons déjà parlé, & auquel il
avoit abandonné fes chairs : supplice qui
lui ôtoit le repos du jour & le sommeil
de la nuit; & qui fur-tout dans les derniers
temps, s'étoitaccru au point que fon corps
en étoit couvert de plaies & d'ulceres.
Le jeûne & l'abftinence venoient se
joindre à tant de tourmens & de macé-
rations. Le pauvre de Jefus-Chrift se bor-
noit, pour toute nourriture, à une mince

survenues aux genoux, dont nous avons fait plus


haut mention. Quelles douleurs vives conti-
,
nuelles & insupportables ne devoit-il pas souvent
en. éprouver, par l'habitude de prier à genoux ,
prefque toute la journée?
Il s'étoit d'abord déterminé à en souffrir l'extir-
pation ; mais quand il fut que cette opération le
retiendroit pendant six semaines au lit, & le pri-
veroit de la consolation d'aller à l'Eglife pendant
tout ce temps, il refusa un secours qui devoir
coûter si cher à fa ferveur & à fa piété.
Benoit-Jofeph Labre. 149
portion qu'il alloit chercher à la porte d'un
Couvent ou de quelque maison de charité;
encore ne se procuroit-il pas tous les jours
cette modique subsistance. Souvent même
parmi les restes qui se distribuent aux
pauvres, il recherchoit par préférence ce
qu'il y avoit de plus vil & de moins propre
à le fubftanter. Il est bien vrai, que dans
les derniers temps, je modérai, quant à
la nourriture, son infatiguable attrait pour
la pénitence, & que je lui ordonnai de ne
plus choifir volontairement, dans les di-
verses chofes qu'on lui préfenteroit, ce qui
fe pourroit trouver de plus mauvais :
mais un si foible adoucissement étoit un
secours insuffisant pour prévenir les suites
de ses austérités.
La circonstance du Carême fut d'ailleurs
pour Benoît-Jofeph, une
nouvelle occafion
de les redoubler; il pratiqua le jeûne &
l'abftinence plus rigoureufement encore
que les années précédentes; & il ne fe
permit pas même de les adoucir, en faisant
usage des dispenses généralement accor-
G iij
150 Vie de
dées par le souverain Pontife. Ce né sut
que la veille de sa mort, que sentant ses
forces éteintes, il céda aux représentations
d'une personne de bien qui le fit consentir
à manger des oeufs durcis, & de mêler
un peu de vinaigre dans l'eau qu'il buvoit.
Un corps ainsi maltraité-, devoir fans
doute bientôt tomber victime fous le glaive
de la pénitence. Les tourmens intérieurs
de Benoît-Jofeph, les vives affections de
son coeur, hâterent encore la confomma-
tion de son sacrifice.
Les ames vraiment généreuses & chré-
tiennes seules peuvent bien comprendre
,
ce qu'a de confumant & de vif, le
tourment
d'une ame qui aime Dieu uniquement, &
qui brûle de charité pour le prochain, qui
voit d'une part, Dieu indignement outragé,
& qui voit de l'autre côté, des hommes in-
sensés, commettant ces indignes outrages,
& courant ainsi d'eux-mêmes, à leur perte
& à des malheurs affreux.
Benoît-Jofeph aimoit Dieu avec ardeur,
& fa charité pour se prochain, ne le cédoit
Benoît-Jofeph Labre. 151
qu'à l'amour qu'il portoit à Dieu. Il voyoit
Dieu outragé dans ses bienfaits, la Reli-
gion déchirée par les hérésies, attaquée
par les impies, déshonorée par les paffions
& les scandales des Catholiques ; ses Sa-
cremens & fes Temples profanés, les saintes
institutions de la pénitence, soit dans le
cours de l'année, soit fur-tout dans le
Carême, publiquement transgressées : d'un
autre côté , dans ces aveugles hérétiques,
ces impies plus aveugles encore , dans ces
Chrétiens scandaleux ces profanateurs
,
téméraires, ces audacieux violateurs de la
loi fainte; Benoît Jofeph voyoit con-
-
tinuellement, & chériffoit des hommes
créés comme lui, à l'image de Dieu, &
jouiffans de ses bienfaits ; des Chrétiens
rachetés comme lui de tout le fang d'un
,
Dieu; des freres que Dieu lui ordonnoit
d'aimer, & pour le salut desquels il ne
ceffoit de lui inspirer le zèle le plus vif, le
plus véhément. Voilà, ainsi que l'atteftent
ceux qui ont connu l'intérieur du Serviteur
de Dieu, voilà le principe de cette con-
G iv
152 Vie de
tinuité de jeûnes, de rigueurs, de macé-
rations, de nuits passées dans les veilles &
dans la priere, d'un si grand nombre de
voyages de piété, entrepris avec tant de
courage, & exécutés avec tant de fatigue.
Voilà le double martyre d'amour de Dieu,
& de charité du prochain, qui a enlevé
à la terre Benoît-Jofeph, dans la force de
âge.
Le Mercredi Saint de l'année 1783
,
étoit le terme que Dieu avoit mis à fa pé-
nitence & à fa vie mortelle. L'Églife de
Notre-Dame-des-Monts, fembloit avoir
pour lui un attrait particulier. Depuis en-
viron huit ans qu'il avoit fixé fa demeure à
Rome il s'y rendoit ordinairement à
,
l'heure même où l'on a coutume d'en ou-
vrir les portes; & il y reftoit fort tard,
occupé à entendre les Meffes qui s'y célé-
broient, à y faire l'Oraifon, ou à y écou-
ter la parole de Dieu.
Ce jour qu'il y avoit passé la matinée
à ces saints exercices on le vit, vers une
,
heure après-midi, tombant évanoui &
Benoît-Jofeph Labre, 153
presque sans connoiffance, fur une des
marches de la porte de cette Eglife : on
court à son secours; il demande un verre
d'eau qu'on lui apporte promptement; il
le prend & l'offre d'abord dévotement à
Dieu, poussant des soupirs enflammés &
levant ses yeux au Ciel. On remarqua
qu'après l'avoir bu, il souleva de nouveau
vers le Ciel ses paupieres défaillantes ; &
que les mains jointes, il rendit à Dieu des
actions de graces pour ce foible fecours,
avec une dévotion qui pénétra & attendrit
tous ceux qui se trouvèrent auprès de lui.
M. Charles-Antoine Marie Rinaldi,
qui étoit un des témoins, & de qui je tiens
cette particularité, me la racontoit encore
attendri & les larmes aux yeux ; le Servi-
teur, de Dieu se trouva si foible, qu'il ne
put se soutenir ni fe lever: on lui proposa
de le, transporter à l'hôpital voisin : d'au-
tres personnes offrent leur maison, & l'in-
vitent affectueusement à souffrir qu'on l'y
conduise : mais il remercia les uns & les
autres de leurs soins charitables. Survins
G v
154 Vie de
alors, le sieur François Zaccarelli , dont la
maifon est dans le quartier des Gardes
Corfes, près l'Eglife de Notre-Dame-des-
Monts. « Benoît, lui dit-il, le voyant
» dans, cet état, vous n'êtes pas bien, il
» faut avoir soin de foi; voulez-vous que
» je vous conduife chez moi.... Chez vous,
» répondit le Serviteur de Dieu oui,
,
j'accepte vos offres Le fieur Zacca-
» ».
relli est un Marchand connu par fon hon-
neteté, fa Religion & son affeEtion par-
ticulière pour Benoît-Jofeph ; l'ayant fait
transporter chez lui, à l'aide de quelques
autres personnes qui le foutenoient, il le
fit placer tout habillé fur un lit.
On n'eut d'abord aucune inquiétude de
cet accident, dans la pensée qu'il n'étoit
l'effet que d'une excessive abstinence ; &
que les forces reparoîtroient après qu'il
auroit pris quelque nouriture : en con-
féquence, on lui en donna assez abondam-
ment. Ce secours, à raison de son extrême
foibleffe, lui fut plus nuisible que profi-
table ; la défaillance augmenta fenfible-
Benoît-Jofeph Labre. 155
ment. On crut que pour ranimer les ressorts
affaissés de l'eftomac on feroit bien de
,
lui faire prendre un peu de biscuit trempé
dans du vin ; mais le malade ne pouvoit
déjà plus rien avaler. Le Révérend Pere
Pécillo, l'un des DireEteurs de la Con-
frairie des Pieux Ouvriers se trouvoit
,
présent, & ce fut lui qui avoit suggéré
ce moyen. Il s'apperçut bientôt du danger,
& demanda au malade s'il s'étoit depuis
quelque temps, approché des Sacremens,
& s'il n'avoit fur la conscience rien qui
lui fît peine. Le malade répondit qu'il
avoit fait depuis peu de temps, fes dévo-
tions ; que par la grace de Dieu, rien ne
lui faifoit peine, & que son ame étoit en
paix. Nous avons déjà dit qu'il avoit com-
munié le vendredi précédent dans l'Eglife
de, Saint Ignace ; il y avoit reçu la com-
munion des mains de M. Balducci ; le
jour des Rameaux, il avoit fait ses dévo-
tions à Sainte Marie-Majeure : c'eft un
fait que nous tenons de M. Mancini ; enfin,
quoique nous n'en ayons point une cer-
G vj
156 Vie de
titude absolue, il y a toute apparence
qu'il avoit eu ce bonheur ce même Mer-
credi matin, dans l'Eglise de Notre-Dame-
des-Monts.
Cependant le Serviteur de Dieu tou-
choit à fa derniere heure ; il étoit fans
parole & presque sans connoiffance. On
court avertir de son état le Curé de la
Paroisse de Saint Sauveur-aux-Monts, qui
lui-même se trouvant indisposé se fit
,
substituer par son Vicaire. Le malade
n'ayant donné aucun signe de présence
d'efprit dans les quatre visites que lui fit
le Vicaire, il ne fut pas possible de lui
donner le Saint Viatique; on se contenta
de lui administrer l'Extrême-OnEtion.
Les Peres de la Congrégation de Jefus
de Nazareth distingués par leur charité
,
pour les moribons, étant avertis de l'état
de Benoît-Jofeph, se rendirent fuccef-
sivement auprès du malade qu'ils assistèrent
jufqu'au dernier moment. Le Révérend
Pere Antoine Tapies, Supérieur de ces
Religieux, étoit à souper lorfqu'on vint
Benoît-Jofeph Labre. 157
annoncer cette nouvelle ; il quitta la table
sur le champ, & ne perdit pas un instant ;
il fut ensuite relevé par le Pere Ange
Pellutofe qui le fut lui-même par le Pere
André Adami ; ce fut lui qui reçut son
dernier soupir.
Les personnes qui, environnoient le lit
du moribon voulant invoquer fur lui la
,
protection de la Sainte Vierge, se mirent
à genoux, comme de concert, pour ré-
citer ses Litanies. A ces paroles, Sainte
Marie priez pour lui, ce dévot Serviteur
,
de la Mere de Dieu, fans aucune convul-
sion, ni agonie fenfible, remit doucement
à l'entrée de la nuit, fon ame à son Créa-
teur, le mercredi 16 Avril de l'an 1783, à
l'âge de trente-cinq ans vingt-un jours.
Ce fut au moment précis où toutes les
cloches commençoient à annoncer dans
Rome, l'heure de réciter par tous les Fi-
déles l'antienne Salve Regina : Priere qui
avoit été ordonnée par le Souverain Pon-
tife pour implorer dans les besoins pré-
,
sens de l'Eglife, le secours & la protec-
tion de la Mere de Dieu.
158 Vie de

CHAPITRE XVII.
Des chofes extraordinaires, arrivées
quelque temps auparavant ou
,
auffi-tôt aprés la mort du Serviteur
de Dieu.

TOUT finit pour la plupart des hommes


dant la nuit du tombeau ; il est le terme
fatal de leur renommée comme de leurs
espérances. La mémoire des faints au
,
contraire, eft immortelle : c'est au tombeau
que commence leur gloire ; & le cours
précipité des siècles ne fera qu'accroître la
célébrité de leur nom.
C'est qu'il faut que les oracles divins
s'exécutent : celui qui a tout quitté pour
porter fa croix à la fuite de J.C. recueille
quelquefois dans ce monde, le centuple de
ce qu'il aura quitté. Nous avons vu Benoît-
Jofeph abandonnant tout, pour s'enfevelir
dans une vie pauvre & humiliée ; & le
Benoît-Jofeph Labre. 159
Seigneur va, ce semble, mesurer sur les
humiliations de fa vie, les honneurs qui
seront rendus à fa mémoire.
Quinze jours avant la mort de Benoît-
Joseph, une Religieufe distinguée par fa
piété & qui avoit eu , dans le cours des
,
Pélerinages du Serviteur de Dieu à Lorette,
quelques entretiens avec lui fur des matières
de spiritualité, fut avertie par le Seigneur,
que bientôt il devoit cueillir une belle fleur
dans le jardin de M. Paul Mancini ; par ce
jardin elle entendoit l'hôpital des pauvres
,
dont il prend foin. La lettre qu'elle adressa
à ce respectable Eccléfiaftique, lui fut re-
mise avant que l'on pût soupçonner que la
fin du Pauvre de Jesus-Chrift devoit être
auffi prochaine. A l'époque de fa mort,
la même Religieufe récrivit que cette fleur
dont elle lui avoit parlé étoit Benoît-
,
Joseph Labre, que le Seigneur avoit déjà
transporté dans les jardins fortunés de la
céleste Sion.
Dans le même temps, Dieu donnoit un
semblable avertissement à Lorette, Benoît-
160 Vie de
Jofeph y étoit reçu, lors de fes Pélerinages,
chez le fieur & la dame Sori, qui lui
avoient fait accepter un petit logement.
Nous allons traduire de mot à mot leurs
dépositions consignées dans un acte authen-
tique dressé par un Notaire. « Dans les
» derniers jours du Carême dernier, disent
» le fieur & la dame Sori : nous nous entre-
» tenions de Benoît-Jofeph, dans la pensée
" de fa prochaine arrivée; notre fils qui
se
» nomme Jofeph, âgé de cinq ans &
" quatre mois, nous répondit alors : Benoît
" ne vient pas, Benoît fe meurt; jamais il
» ne difoit autre chofe toutes les fois que
» nous parlions de l'efpérance de revoir
" bientôt Jofeph Labre. Nous deman-
" dâmes un jour à notre enfant, d'où il
» favoit que Benoît ne devoit pas venir.
" C'eft le coeur qui me le dit, répondit
" alors cet enfant, & la même question ;
" souvent répétée, reçut toujours la même
» réponse: mon coeur me le dit.
» Le Jeudi Saint de cette même année;
» 1783, je dis ces paroles précises ; ( c'eft
Benoît-Jofeph Labre. 161
» la dame Sori qui parle dans la déposition)
" Benoît doit arriver aujourd'hui, il fau-
" dra préparer son petit logement; & mon
» fils Jofeph qui entendit ces paroles, ré-
" pliqua auffi-tôt : je vous l'ai déjà dit:
" Benoît ne vient pas ; Benoît est allé en
" Paradis 33.
Ce qui s'eft passé à Rome n'eft gueres
moins frappant. Dieu qui n'a pas dédaigné
de tirer une partie de fa gloire de la bouche
des enfans semble les avoir deftiné
,
à être les premiers hérauts de la gloire de
son Serviteur. A peine le Pauvre de Jefus-
Chrift avoit rendu le dernier soupir, que
tout-à-coup, les enfans des maisons qui
avoifinoient celle du sieur Zaccarelli, rem-
plirent toute la rue de leurs cris, répétant
comme de concert : E morto il Santo, E
morto il Santo ; le Saint eft mort, le Saint
est mort. Le lendemain matin, les mêmes
cris & les mêmes paroles se firent entendre,
& dans la même rue, & fur la place de
l'Eglife de Notre-Dame-aux-Monts.
Bientôt ce ne font plus de jeunes en-
162 Vie de
fans qui publient la sainteté de Benoît-
Joseph ; le Peuple, Rome entier s'unit à
leur voix, entend & répete les mêmes pa-
roles: il vient de mourir un Saint.
Un grand nombre de personnages illuf-
tres par leur sainteté, célébres par leurs mi-
racles, ont fini leur vie dans cette grande
ville : mais jamais la mort d'aucun d'eux n'y
a excité une sensation aussi vive, aussi rapide
que vient de faire la mort d'un pauvre
mendiant : c'est une sorte de commotion
universelle : on n'entend presque dans les
rues que ces courtes paroles : il est mort un
Saint dans Rome; où est la demeure du
Saint qui vient de mourir.
Le Peuple affiége en foule la maison du
sieur Zacarelli ; il est forcé d'en permettre
l'entrée & l'on appelle une garde com-
,
posée de soldats Corfes, pour empêcher
le désordre & contenir la multitude.
Les habitans de ce quartier voulurent
s'affurer dans leur enceinte, la poffeffion
de ce précieux dépôt; & ils demandèrent
que le Serviteur de Dieu fût inhumé dans
Benoît-Jofeph Labre. 163
l'Église de Notre-Dame-aux-Monts
;
c'étoit celle de toutes les Eglifes que
,
Benoît-Jofeph avoit le plus fréquenté, &
on peut même dire que depuis fa résidence
à Rome, il y avoit passé la plus grande
partie de fa vie. Mais le Curé de Saint
Sauveur, à qui l'on s'adreffa d'abord ré-
,
clamoit cet avantage pour fa Paroiffe. Le
refus que l'on éprouva, fit faire des ré-
flexions, & on s'apperçut de son erreur.
Le Curé, non de Saint Sauveur mais de
,
Saint-Martin-aux Monts, étant le propre
Curé de Benoît-Jofeph; on alla solliciter
auprès de lui, la faveur demandée. Elle fut
accordée, & le ReEteur de l'Églife de Notre-
Dame-aux Monts, assuré de la permission
nécessaire, se rendit aux voeux de ces zélés
Citoyens; & l'on prépara ses obféques qui
devoient se faire aux frais de l'ami du Ser-
viteur de Dieu le sieur Zaccarelli.
,
Cependant le Peuple étoit impatient
dans l'attente de l'heure du convoi. Le
concours allant toujours en croiffant, on
doubla la premiere garde & les soldats
,
164 Vie de
qui accompagnoient le corps, en affurant
le bon ordre, lui compofoient en quelque
forte une pompe funébre.
Dès le moment de la sortie du corps de
Benoît-Jofeph, jufqu'à la fin des obféques,
on vit un spectacle qu'il est difficile de bien
décrire ; les uns mêlant leur voix aux
chants de l'Églife, & publiant les louan-
ges du Serviteur de Dieu, les autres exal-
tant à haute voix le bonheur de fa mort
précieuse ; ceux-ci versant des pleurs de
tendreffe, ceux-là des larmes de componc-
tion. La grace intérieure se mêlant en
quelque forte aux premieres impressions
des fens, plusieurs grands pécheurs se sen-
tirent agités & troublés au dedans d'eux-
mêmes & formèrent alors des réfolutions
,
que le Seigneur bénit & rendit efficaces.
Heureuses prémices des ames conver-
ties fur le tombeau, & au récit des vertus
du Serviteur de Dieu, à qui la conversion
des pécheurs avoit coûté dans fa vie tant
de prieres, de gémiffemens, de larmes,
de fatigues & d'auftérités !
Benoît-Jofeph Labre, 165
La folemnité du Jeudi Saint ne permet
point à Rome de faire les inhumations en
ce jour ; on déposa en conséquence le
corps du Serviteur de Dieu, dans un en-
droit de l'Eglise qui touche à la facriftie.
Personne du voisinage de Zaccarelli,
ne favoit que je fuffe le Confeffeur de
Benoît-Jofeph ; ce n'avoit été que le matin
du jour même de sa mort, qu'il en avoit
instruit M. Mancini : auffi n'ai-je été in-
formé de ce qui se paffoit que le Vendredi
matin, par un billet de M. Mancini qui
m'en donna avis.
La dévotion des Fidéles augmentant à
un point de plus en plus extraordinaire
depuis les obsèques, M. le Cardinal Vicaire,
permit de suspendre la sépulture pendant
quatre jours ; & on prit en même temps
les précautions nécessaires pour prévenir
le tumulte & maintenir une bonne police.
L'affluence, pendant ces quatre jours,
loin de diminuer fembloit s'accroître
,
encore d'heure en heure : tous les âges,
toutes les conditions, tous les états accou-
166 Vie de
rent, fe pressent & se confondent : les
personnes du premier rang partagent l'en-
thoufiafme du Peuple & l'augmentent
,
par leur exemple : on voit les uns faire des
efforts pour vaincre la réfiftance, & arriver
jufqu'au Serviteur de Dieu ; les autres, se
prosterner à ses pieds : ceux-ci faire
,
toucher à son corps, des chapelets, avec
une dévotion singulière : ceux-là, colant
avec respect, leurs levres fur ses mains,
les arroser de leurs larmes: tous marquer
leur admiration & leur furprife, en tou-
chant tantôt les mains, tantôt les pieds,
ou quelqu'autre partie que ce fût des chairs
qu'ils trouvent toutes également molles,
palpables & flexibles, dans un parfait état
d'intégrité & d'incorruption.
Le Dimanche de Pâques au soir, jour
fixé pour l'inhumation de Benoît-Jofeph,
M. le Cardinal Vicaire envoya à l'Eglife
de Notre-Dame-aux-Monts, M. le Cha-
noine Cofelli son Promoteur-Fifcal,
,
assisté d'un Notaire & d'un Chirurgien.
Ils se firent accompagner pour leurs opé-
Benoît-Jofeph Labre. 167
rations , de témoins en nombre , de qua-
lités, d'âge & de condition, bien capables
de mettre l'authenticité & Ia certitude des
actes qu'ils drefferent, à l'abri de la plus
févere critique. On voit par les détails de
ces actes avec, quelle prudence & quelle
,
fageffe ils ont rempli leur mission.
Il résulte évidemment des informations
qu'ils ont prifes, ainsi que de leurs obfer-
vations & des expériences plusieurs fois
,
répétées soit par eux, soit par les témoins
,
que le corps n'exhaloit aucune odeur de
fétidité & de putréfaction ; que les chairs
étoient parfaitement flexibles, palpables,
telles que pourroient être les chairs d'un
homme vivant & en fanté.
Il nous a paru nécessaire de rapporter
ici plusieurs autres particularités concer-
nant cet état de flexibilité & d'incorruption
du corps de Benoît Jofeph, sans prétendre
néanmoins les faire recevoir pour chofes
absolument miraculeuses; mais parce qu'il
se peut faire que dans la fuite, elles en ac-
quièrent la certitude & l'autorité.
168 Vie de
Nous avons parlé de deux loupes ou
tumeurs qui recouvroient les genoux du
Serviteur de Dieu, de la cause de cet ac-
cident, & des douleurs vives & quelquefois
insupportables qu'il devoit en fouffrir.
Dieu permit que l'on penfât d'abord à
visiter & à examiner les genoux de Benoît-
Joseph. On trouva les deux tumeurs
ayant Ia forme de deux globes d'une
groffeur assez confidérable; mais les chairs
en étoient tellement palpables, flexibles
& élastiques que quand on comprimoit
,
les deux loupes, on les voyoit se reftituer
fur le champ elles - mêmes par le seul -
reffort des muscles. Ce phénomène fut ,
en tout point, semblable à celui que l'on
obferve en pressant les chairs d'un homme
vivant. Un grand nombre de personnes se
font assurés du fait par leur propre expé-
rience. J'en ai pour garant, mon expé-
rience personnelle que j'ai plusieurs fois
répétée, & toujours avec un égal succès.
La seconde particularité n'est pas moins
remarquable. Comme on voulut fe pro-
curer
Benoît-Jofeph Labre. 169
curer le portrait du Serviteur de Dieu
,
le plus ressemblant qu'il feroit possible,
on employa le moyen le plus en, usage
dans ces circonstances, qui est d'appliquer
fur le vifage un masque de plâtre. Ce pro-
cédé a coutume d'en altérer les traits, en
crispant les nerfs & les muscles, par l'ap-
plication d'une matière d'elle-même corro-
sive, & qui ne peut, par cette raison, rester
quelque temps collée fur les chairs après la
mort, fans y laisser des traces subsistantes.
On venoit d'en faire encore l'obfer-
vation, dans la procédure pour la béa-
tification de la vénérable Marie-Anne
de Jefus. On trouva le corps dans l'état
d'incorruption, & toutes les chairs bien
conservées ; mais les traits du visage étoient
altérés : on l'attribua à l'effet produit par l'ap-
plication du mafque de plâtre dont on s'étoit
servi pour tirer fon portrait au naturel.
Ç'a donc été, pour les personnes qui
firent cette observation, le sujet d'un vé-
ritable étonnement, que le visage du vé-
nérable Labre ait résisté à cette épreuve;
H
170 Vie de
& qu'après l'application de cette ma-
tière corrosive, il n'ait point paru dé-
figuré ni avoir souffert aucune altéra-
,
tion sensible.
La troisième particularité dont nous
allons parler, & qui n'eft pas moins ex-
traordinaire, a été attestée par plufieurs
personnes & spécialement par le Frere
,
François Bagnagatti, l'un des associés dé
la Congrégation des Pieux Ouvriers. Le
jeudi au foir, une sueur universelle se ré-
pandit sur le corps de Benoît-Jofeph &
,
en telle abondance que le visage en
,
parut baigné & tout couvert. Le Frere
Bagnagatti, de qui je tiens ce fait,
essuya le visage de Benoît-Jofeph, en
tirant en avant, & en y appliquant le
capuce dont sa tête étoit couverte. Le
capuce fut bientôt trempé de cette sueur;
je le conserve précieufement, & on y voit
encore bien distinctement la teinte qu'y a
imprimé la quantité de sueur dont; le tiffu
en avoit alors été imbibé & tout pénétré
Le même phénomène, a reparu de nou-
Benoît-Jofeph Labre. 171
veau le Samedi Saint, & a été certifié par
plusieurs témoins oculaires qui, pour s'en
convaincre eux-mêmes, avoient porté les
mains fur les chairs du Serviteur de Dieu.
C'est en reprenant le fil de la narration,
que nous allons rendre compte de la qua-
trième particularité, plus frappante encore
que les trois premières. Pour y mettre la
plus scrupuleuse fidélité, nous ne ferons
prefqu'autre chose que transcrire les pro-
cès-verbaux dressés par le Commiffaire de
M. le Cardinal Vicaire, sur le lieu même,
& au moment de l'événement, en pré-
fence d'un grand nombre de perfonnes,
elles-mêmes témoins oculaires du fait.
Après que l'on eut, par des obferva-
tions & des expériences multipliées, conf-
taté l'état d'intégrité & de flexibilité des
chairs du Serviteur de Dieu, on pensa à
changer fes vêtemens, & à le revêtir d'une
tunique blanche : c'est l'habit propre aux
Confrères de l'Affociation de Notre-Dame-
des-Neiges, à laquelle on avoit aggrégé
Benoît-Jofeph après fa mort.
H ij
172 Vie de
Le corps étoit, jusqu'à ce moment,
resté étendu sur deux bancs dont la
,
réunion formoit une table. Pour passer Ia
tunique, il fallut le soulever & le placer
fur son séant. Dans cette position, le Frere
Bagnagatti le soutenant par les épaules,
Benoît-Jofeph étendit la main gauche
,
& serra le bord d'un des bancs, paroif-
fant ainsi soutenir le poids de son corps,
après avoir pris une attitude naturelle &
propre à cet effet. Le corps étoit en-
vironné de tous côtés, d'un grand nombre
de spectateurs : j'étois moi-même placé à
ses pieds, & j'avois alors les yeux tournés
vers une table où l'on tranfcrivoit Ia note
composée en latin, & que l'on devoit,
après l'avoir renfermée dans une boëte de
plomb placer dans la bierre même de
,
Benoît-Jofeph.
A la rumeur que j'entends de toutes
parts, & aux marques d'étonnement que
j'apperçois fur tous les vifages, je me re-
tourne vers Benoît-Jofeph, & bientôt je
partage la surprise des fpeEtateurs, en
Benoît-Jofeph Labre. 173
remarquant l'attitude où je trouvai le
corps.
Quelques-uns des témoins voulurent
s'assurer si cet événement, qui paroiffoit
merveilleux, n'étoit pas dû à une cause
naturelle ou à l'effet du hazard. Ils deman-
derent en conséquence, que l'on inclinât
un peu le corps du côté gauche. Ce mou-
vement fut exécuté. Si la main & les doigts
n'avoient été que simplement appliqués au
banc ; si les muscles n'avoient point été
dans une tension, une contraction réelles ;
alors en faifant pencher le corps du côté
,
gauche, on auroit vu cette main suivre
l'inclinaifon & le mouvement du corps, se
détacher, tombés descendre, de son
&

propre poids, au-deffous du banc : au lieu


de cet effet, qui étoit naturel & nécef-
faire la main resta fixée au bord du
,
banc, & à la même place, jufqu'à ce
qu'on l'en détachât.
On ne se borna point à cette premiere
expérience ; on en tenta une feconde,
& le résultat répéta toujours le même
H iij
174 Vie de
phénomène. En effet, un des affiftant
ayant demandé que la main restant déta-
chée du banc, le corps fût de nouveau
rétabli dans fa premiere attitude, après
qu'en conséquence de cette demande, il
eut été de nouveau replacé dans la fitua-
tion d'un homme qui est fur son séant,,
alors les regards des spectateurs reftant
fixés fur le corps de Benoît-Jofeph &
,
dans l'attente de ce qui pourroit arriver
,
moi-même, particuliérement arrêté fur
la même main nous vîmes le corps pa-
,
roiffant, comme nous l'avions vu la pre-
miere fois, se foutenir naturellement ; &
la main aussi, pour la seconde fois, ferrer
le même bord d'un des bancs de ma-
,
niere que les doigts de Ia main étoient
repliés en deffous, & la paume de la main,
ainsi que le pouce, preffoient le dessus du
banc : le corps exécutant ainsi, & re-
présentant l'aEtion & l'attitude d'un
,
homme vivant.
Quelque temps après, on. détacha la
main & on reconnut la vérité de l'ex-
,
Benoît-Jofeph Labre. 175
tension & du jeu des muscles, ainfi que
la flexibilité dans les doigts.
J'ajoute que dans toute la longueur ,
soit de la main soit du bras gauche,
,
jusqu'à la hauteur de la moitié de la poi-
trine du même côté , on observa dans
,
tous les mufcles, les mêmes contractions,
le même jeu que l'on remarqueroit dans
toute personne qui , voulant s'appuyer ,
& soutenir le poids de fon corps, faifi-
roit avec la main dans Ia même attitude,
,
un objet quelconque, dont elle voudrait
se faire un appui.
Par une précaution sage, le Notaire
reprit à cet endroit de son procès - ver-
bal le nom & les qualités des témoins
, ,
ainsi que ceux des principaux spectateurs.
Le procès-verbal, rédigé fous les yeux
même des témoins, ne tarda pas à être
imprimé au nombre de plus de huit mille
,
exemplaires.
Après que pendant quelques temps en-
core, on eut satisfait à la pieuse curiosité
des affiftans le corps dépouillé de fes
,
H iv
376 Vie de
habits avec la décence convenable &
, ,
revêtu de la tunique blanche fut étendu
,
dans un cercueil de bois & enveloppé
,
d'un linceuil décent & convenable, Plu-
sieurs personnes qui étoient en dehors & qui
s'étoient élevées à une hauteur suffisante
pour voir à travers les barreaux, ce qui se
paffoit dans la chapelle, demanderent avec
de vives inftances, que l'on levât la partie
du linceul qui recouvrait la tête du Ser-
viteur de Dieu, & que l'on voulût bien
leur donner la consolation de voir, pour
la derniere fois, son visage.
Cette demande fut accordée : on plaça
en même temps dans la bierre vers les
,
pieds la boîte de plomb qui renfermé le
,
Mémoire en forme d'éloge, dont nous
avons parlé , & fur laquelle on avoit
apposé les sceaux de M. le Cardinal-Vi-
caire.
Le corps de Benoît-Jofeph fut ensuite
transporté & inhumé près du grand au-
tel du côté de l'épître. On choisit cet
,
endroit de l'Eglife du consentement
,
177
Benoît-Jofeph Labre.
& avec la permission de son Emi-
nence.
L'inhumation de Benoît-Jofeph ne fit
point diminuer le concours du peuple.
On vint lui rendre, avec le même empref-
sement sur son tombeau, les hommages
,
& le culte que l'on avoit rendus à son
corps, exposé à la vénération des fi-
dèles.
Le Lundi de Pâques, on vît fondre, de
tous les quartiers de Rome, un peuple
immenfe, au bruir des graces singulières
que Dieu pour honorer son Serviteur,
,
accordoit à un grand nombre de ceux
qui imploroient son intercession. Inutile-
ment on multiplioit le nombre des soldats
destinés à maintenir le bon ordre. Le
tumulte inévitable dans une aussi grande
,
affluence, obligea de faire ceffer la célé-
bration des Meffes & de l'Office Divin.
Ce fut même une nécessité de retirer du
grand autel le Saint Sacrement, & de
le transporter dans une chapelle inté-
rieure»
H v
178 Vie de
Quelques jours après, comme on vie
que les précautions les plus sages deve-
noient insuffisantes pour contenir la mul-
titude,, il vint, de la part des Supérieurs
,
Tordre de fermer l'Eglife, avec défenfe
expresse de l'ouvrir en faveur d'aucune
personne. Des foldats, placés en dehors
,
continu oient de garder les portes : cette
nouvelle précaution ayant été jugée né-
cessaire pour prévenir l'effervefcence d'un
zele indiscret.
L'ordre des Supérieurs fut respecté ; mais
l'Eglife ne discontinua point, & le jour
& la nuit, d'être environnée d'une grande
multitude de personnes, dont les unes
prioient à genoux dans les rues les plus
,
voifines, & celles qui pouvaient s'appro-
cher davantage, fe profternoient aux pieds
des murs.
L'Eglife demeura fermée pendant deux
jours entiers. On crut pouvoir ensuite
lever Ia défense, & il n'en réfulta en effet
aucun inconvénient. Cependant, comme
le concours de la multitude recommença
Benoît-Jofeph Labre. 179
lorsqu'on fut instruit que les portes étoient
ouvertes de nouveau , il fallut former une
enceinte à l'endroit de la sépulture & en
,
défendre l'approche par une baluftrade,
autour de laquelle on plaça des soldats en
nombre suffisant, pour empêcher le tu-
multe. Cette garde fut jugée nécessaire ,
& resta pendant plus de deux mois près du
tombeau du Serviteur de Dieu.
La nouvelle de fa mort, & le bruit, tant
des circonstances qui l'ont accompagnées,
que des merveilles que Dieu a opérées fur
son tombeau, se répandirent dans les
Provinces avec une incroyable rapidité.
La dévotion des étrangers vint bien-
tôt se mêler à celle des Romains, &
l'animer encore davantage. Il se forma
alors un nouveau concours de personnes ,
que l'on voyoit arriver de toutes parts
,
& plusieurs même de Provinces fort éloi-
gnées; les unes pour demander des graces
temporelles ou spirituelles, par l'intercef-
fion du Pauvre de Jefus-Christ ; les autres
,
pour porter à fon tombeau l'hommage de
H vj
180 Vie de
leur vénération ou le remercier foit
, ,
de quelques guérisons miraculeuses, foit
de quelques graces intérieures ou exté-
rieures, qu'elles publioient avoir reçues
par ses mérites & son interceffion.
Si l'on vient à considérer les faits extraor-
dinaires qui ont précédé & accompagné ces
guérisons miraculeufes, que la renommée
publie de toutes parts si l'on confidere les
,
guérisons en elles-mêmes, leur nombre,
leurs efpèces, la variété & l'éloignement
réciproque des lieux où elles ont été opé-
rées ; enfin toutes les circonstances qui
,
confirment leur vérité & leur authenticité,
il est bien difficile, quelque peu de pen-
chant que l'on ait à la crédulité, de se
défendre de l'impreffion que produisent la
multitude l'autorité & la réunion des
,
preuves.
Sans doute, jufqu'à ce que Rome ait
prononcé, nous devons fufpendre notre
jugement ; la prudence doit arrêter l'in-
difcrétion d'un enthoufiafme mal enten-
du & il faut attendre, pour publier des
,
Benoit-Jofeph Labre. 181
faits miraculeux comme indubitables,
,
que lés preuves en ayent été reconnues
par l'autorité légitime ; mais du moins
nous pouvons affirmer fans craindre le
,
reproche de précipitation & de témérité
,
que la vérité d'un grand nombre de gué-
risons & de faveurs extraordinaires, est
fondée fur les présomptions les plus
fortes.
De quelles guérisons s'agit - il effeEti-
vement? de guérisons aussi étonnantes par
leur multitude que par leur variété ; de
guérisons de maux répandus fur tous les
organes, fur tous les membres du corps
humain : à l'égard de plufieurs, de longues
infirmités, de maladies de dix, vingt &
trente années, & même de naissance ; il
s'agit de maux dont rexiftence est aussi
peu douteuse que la guérifon a été subite.
Quelque longue que puisse en être la
liste on croit devoir la mettre ici fous
,
les yeux. On y voit des cancers des
,
fiftules, des épilepsies des gangrenes,
,
des rachitis, des fquires des varices, des
,
182 Vie de
apofthumes, des hydropisies, des apo-
plexies, des ulcères, des étifies, des phthi-
fies, des scorbuts, des aveuglemens, des
furdités, des guérisons d'offemens rompus
& fracturés.
Il s'agit secondement de guérisons
,
merveilleufes, publiées non à Rome feu-
lement, mais dans une multitude de lieux,
diftans se cette capitale, & très-éloignés
les uns à l'égard des autres : Naples,
Gênes, Malthe Milan Bergame, Ca-
, ,
poue, Péroufe, Bolene, dans le Comté
Venaiffin en France, & quantité d'au-
,
tres endroits, dont il feroit trop long de
faire l'énumération ( 1 ).

( 1
). Les' divers endroits oùdès le mois
,
d'Août dernier on avoir déjà publié des guéri-
,
sons miraculeuses, font, sens y comprendre Rome,
Urbino, Péruge, Fermo Moceraro , Recanato,
,
Lorette, Camerino Cefenne Orviette An-
, , ,
conne , Toligno Vellerrie Riete Montefiaf-
, ,
cone, Monte-SanEto , Narni, Civita-Vecchia ,
Gubbio, Tolentino Fabriano, Urbanio Mon-
, ,
tatboddo, Heltanno, Cafcia, Capoue, Capra-
Benoît-Jofeph Labre. 183
Il s'agit troifiémement, à l'égard de plu-
fieurs, de guérifons publiées dans des rela-
tions qui sont accompagnées de certifi-
cats, soit des Médecins, soit de personnes
instruites, qui attestent, & l'état précé-
demment incurable du malade & le paf-
,

rola, Neozzanno ; dans le diocèse de Nep, Maffa-


Lombarda ; dans le diocèse d'Imola Sripès ; dans
,
le diocèse de Rieti, Selci, Monte-Lupore; dans
le diocèse de Lorette Monte-Rolondo Monte-
, ,
Perzio, Monte-Tanico Vitralla ; dans le diocèse
,
de Viterve, Anguillara; diocèse de Sutri, Siter-
na ; diocèse de Velletsi, Capodi- Monte diocèse
,
de Monte Siafcone. Hors de l'Etat Eccléfiafti-
,
que, Geneve , Malte Milan, Bergame, Na-
ples; & dans ces différens Etats Barré Capoue,
, ,
Aquila Penne, Mont-Royal, Amattrice, Avez-
,
zanno , Perreto , Sperlongay , Verralla , Roccadi,
Bottes, la Sante-Marie Capiftrello Arce, en
, ,
France; Bolene, dans le Comté Venaiffin : plu-
fieurs lieux en Artois; Aix en Provence, Lille
,
Cavaillon, & plusieurs autres lieux. Il faut ob-
server que cette liste si nombreuse étoit déjà
publique trois mois après Ia mort de Benoît-
Jofeph.
184 Vie de
fage subit de la maladie à la guérifon ;
& la durée permanente de la guérison ;
relations accompagnées des témoignages
des personnes mêmes miraculées, qui ren-
dent hommage du recouvrement de leur
fanté, à l'interceffion de Benoît-Jofeph,
qu'ils ont invoqué.
Enfin, il s'agit de guérifons opérées»
non fucceffivement, & dans un laps de
temps considérable ; mais de guérisons
arrivées dans un efpace detemps très-court,
& fi promptement, qu'on ne peut pas dire
que l'enthoufiafme d'une ville ait été pro-
duit par l'enthoufrafme des autres lieux
où se font passés ces faits extraordinaires.
A Rome, on publia des guérisons
dans la semaine même de Ia mort du Ser-
viteur de Dieu. Dans tous les autres en-
droits où l'on en a publié de fembla-
bles plusieurs l'ont été auffi - tôt après
,
que la nouvelle de ce qui s'étoit passé
à Rome y eut été portée.
Pendant les trois premiers mois de la
mort de Benoît-Jofeph, il ne s'eft point.
Benoît-Jofeph Labre. 185

passé de semaine que l'on n'ait reçu à Rome


des procès-verbaux de guérisons miracu-
leuses, ou que l'on n'y ait vû arriver des gens
miraculés qui venoient publier fur le
, ,
tombeau même du Pauvre de Jefus-Chrift,
& fa gloire & leur reconnoiffance (1).
,
Par une disposition finguliere de la
Providence les détails de fa vie à la
, ,
prendre depuis son enfance jufqu'à sa
mort , ont été connus , publiés , &
constatés d'une maniere si prompte, &,
toute-à-la-fois fi exacte qu'elle peut
, ,
elle-même être regardée comme un fait
extraordinaire. Par-là, on passa bientôt
de l'admiration des merveilles attribuées
à son intercession à l'admiration de ses
,
vertus ; & ces deux causes réunies con-
firmerent & étendirent de plus en plus,
,
la réputation de sainteté qui s'étoit d'abord
répandue dans toute l'Europe, avec une
incroyable rapidité.
Dieu continuant de faire éclater chaque

(1) Voyez le Difcours préliminaire, p. & 6.


186 Vie de
jour la gloire de Benoît-Jofeph par de
,
nouvelles saveurs M. le Cardinal - Vi-
,
caire crut qu'il étoit du devoir de fa
,
place, de ne pas différer plus long temps
de donner ses ordres pour faire commen-
cer les actes préliminaires qui servent tou-
jours d'introduEtion dans les procès con-
,
cernant la béatification & la canonifation
des Saints.
Les folemnités prescrites par les Papes
Urbain VIII & Innocent. IX, ont été or-
données.
M. l'Archevêque de Néocéfarée in
,
partibus, a été délégué dès le mois de
,
Mai dernier, pour faire les informations
juridiques qui font relatives aux guéri-
,
sons miraculeuses & entendre les té-
,
moins que l'on assignera pour déposer,
fous la religion du serment, de tous les
faits dont ils auront connoiffance.
Le R. Pere Palma, ReEteur de l'E-
glife de Notre-Dame des Monts, où Be-
noît-Jofeph est inhumé, a été nommé
pour faire I'office de Poftulateur en la
Benoît-Jofeph Labre. 187
caufe. M. le Chanoine Cofelli, Promo-
teur-Fifcal du Vicariat de Rome fera
,
les fonctions de Promoteur, & M. Cicio-
ni, celles de Secrétaire de Ia Commif-
sion.
Les informations, faites par autorité
apoftolique, à Lorette, & celles faites
dans la patrie du Serviteur de Dieu par
,
M. l'Evêque de Boulogne, ont été re-
mises à la Congrégation des Rits. La pro-
cédure fe poursuit avec autant de dili-
gence que de succès.
Enfans soumis de l'Eglife, nous devons
attendre avec refpeEt, fa décifion (1). Tout
concourt à nous faire espérer que nous
verrons s'accomplir pleinement (2) fur le
PAUVRE DE JESUS CHRIST ces pa-
- ,
( 1 ) Voyez le Difcours Préliminaire.
( 2 ) Eft homo marcidus egens recuperatione
, ,
plus deficiens virtute : & abundans paupertate.
Et oculus Dei refpexit illum in bono , &
erexit eum ab humilitate ipfius & exaltavit
,
caput ejus : & mirati funt in illo multi & hono-
raverunt Deum. Ecclef. cap. XI. v. 12
. . ,
13.

...
188 Vie de
roles de l'Eccléfiafte : Un homme a paru
exténué de mifere sans force & fans
,
vigueur riche feulement de fa pauvreté.
,
Et l'oeil de Dieu s'eft repofé fur lui
avec complaifance ; le Seigneur l'a tiré
de fa baffeffe, & l'a couronné de gloire :
plufieurs en ont étéfrappés d'admiration,
& ont glorifié Dieu.

FIN.
Benoît-Jofeph Labre. 189

RECUEIL
DE
PLUSIEURS PIECES;
P O U R S E R V I R
A LA V IE
DU SERVITEUR DE DIEU.
Copie d'une Lettre écrite par Benoît-
Jofeph Labre, le 31 Août 1770
,
à fes pere & mere.
MON TRES-CHER PERE ET MA TRES-CHERE MERE.

Vous avez appris que je fuis sorti de


l'Abbaye de Sept-Fonts, & vous êtes
fans doute en peine de savoir quelle route
j'ai pu prendre depuis & quel état de
,
vie j'ai envie d'embraffer ; c'est pour
d'acquitter de mon devoir, & vous tirer
190 Vie de
d'inquiétude que je vous écris cette pré-
,
fente. Je vous dirai donc que je fuis forti
de Sept-Fonts le 2 Juillet ; j'avois encore
la fievre quand j'en fuis sorti & elle m'a
,
quitté au quatrieme jour de marche, & j'ai
pris le chemin de Rome. Je fuis bientôt
à présent à moitié chemin. Je n'ai gueres
avancé depuis que je fuis sorti de Sept-
Fonts, parce que pendant le mois d'Août
il fait de grandes chaleurs dans le Piémont,
où je fuis, & que j'ai été retenu pendant
trois semaines derniérement, dans un hô-
pital, où j'ai été assez bien, par une petite
maladie que j'ai eue; du reste, je me fuis
bien porté depuis que je fuis sorti de
Sept-Fonts. Il y a en ce pays-ci plu-
fieurs Monafteres, où la vie est fort régu-
liere & fort auftere. J'ai dessein d'entrer
dans quelqu'un ; & j'efpere que Dieu m'en
fera la grace. J'en fais même un, de ces;
Monafteres de l'Ordre de la Trappe
, ,
dont l'Abbé a écrit à un Abbé de France,
que s'il alloit des François dans son Ab-
baye, il les recevroit, parce qu'il man-
Benoît-Jofeph Labre. 191
quoit de sujets. J'ai tiré de bons certifi-
cats de Sept - Fonts : ne vous inquiétez
pas à mon égard ; je ne manquerai pas
de vous envoyer de mes nouvelles. Je
voudrois bien en avoir des vôtres & de
mes fréres & soeurs; mais cela n'est pas
possible à prefent, parce que je ne fuis
pas arrêté dans un lieu fixe. Je ne manque
pas de prier Dieu pour vous ; je vous
demande pardon de toutes les peines que
je peux vous avoir causées, & vous prie
de m'accorder vos bénédiEtions, afin que
Dieu bénisse mes defleins : c'eft par l'ordre
de fa Providence que j'ai entrepris le voya-
ge que je fais. Ayez soin fur-tout de votre
salut & de l'éducation de mes freres &
foeurs ; veillez fur leur conduite, penfez
aux flammes éternelles de l'enfer & au
petit nombre des élus. Je fuis bien content
d'avoir entrepris le voyage que je fais. Je
vous prie de faire mes complimens à mon
grand-pere & à ma grand'mere, à mes
tantes, à mon frere Jacques, à tous mes
freres & foeurs, & à mon oncle Choix
192 Vie de
J. C. François. Je vais entrer dans un pays
où il fait bon pour les voyageurs ; il m'a
fallu affranchir la lettre pour fortir des
Etats du Roi de Sardaigne, tant qu'elle
fût arrivée en France. Je finis en vous
demandant de rechef vos bénédictions,
& pardons des chagrins que je vous ai
occasionné. Votre affeEtionné fils,
BENOIT-JOSEPH LABRE.

COPIE
Benoît-Jofeph Labre. 193

COPIE
DE LA LETTRE
DE MONSIEUR
JOSEPH MARCONÍ,
Confeffeur du vénérable Benoît-Jo-
feph Labre écrite de Rome au
,
pere du Serviteurde Dieu, en date
du 28 Septembre 1783.
MON TRÈS-CHER MONSIEUR

ON me remit hier au foir la très-gracieufe


Lettre de M. Vincent, Curé d'OEuf, par
laquelle, fuivant vos ordres, il me donne,
autant qu'il lui a été poffible, des éclair-
ciffemens que je vous avois prié de, me
procurer; cependant il ne m'envoie pas
ce que je fouhaitois le plus avoir, & que
j'avois demandé principalement : savoir
,
la copie de la derniere Lettre que votre
très-pieux fils vous écrivit du Piémont.
Sans doute qu'il a cru que je pouvois fa-
cilement l'avoir du Cardinal de Bernis ;
ce qui est fort incertain, cette Eminence
étant abfente de Rome, & justement dans
le temps où la vie du Serviteur de Dieu,
que j'ai écrite est fous presse, & paroîtra
,
imprimée dans peu comme j'efpere. Il
,
me feroit bien difficile de compter feule-
ment tous les miracles opérés depuis fon
heureux décès, tant à Rome & dans toute
l'Italie, que dans les autres parties de
l'Europe. La liste que j'en ai, remplit déjà
un volume considérable; je mecontenterai
d'en rapporter ici quelques uns : & d'abord,
le Serviteur de Dieu a prédit fa mort un
an avant qu'elle n'arrivât; lorsque, felon
la coutume ordinaire , il allait partir de
Lorette pour retourner à Rome : ce fut
,
encore à Lorette & dans la maison où
le Serviteur de Dieu logeoit ordinairement
dans fes pélerinages, que fa mort fut pré-
dite plufieurs fois par un petit enfant qui
n'avoir pas plus de cinq ans & quatre mois.
Le PélerinBenoît, difoit-il de temps en
Benoît-Joseph Labre, 195
temps, n'arrivera pas cette a'nnéè, parce.
qu'il íra en Píaradis Et .quand on lui
demandoit d!où il isavoit cela il avoit
,
coutume:de répondre que son coeur le lui
difoitainsi.Le même enfant annonça à ses
parents cette pieuse mort dèsl e.matin du 17
Avril. Quiqú'elle ne soit arrivée à Rome
que la veille, à la.première heure de la
nuit, il difoit alors Benoît est mort,
,
Benoît /est allé en Paradis Enfin une
,
Religieuse du mont Lupon, (montis Lu-
ponii) l'a -prédite aussi, en conséquence
d'une vision qu'elle eut. quinze jours avant
que le Serviteur de.Dieu mourut,. & dans
laquelle le: Seigneur Lui montroit un beau
vergér qui désignoit l'hôpital des pauvres»,
Sedans ce verger, l'Epouse céleste quijjr(
cueilloit une fleur qui figuroit Benoît-Jo-
! seph rvision ;que cette Religieùfedéclara
par écrit à Paul Mancini, qui prend foin des
; pauvres.... Avant le décès du vénérable Bei
noît, au moment même qu'il expira, on
entendit dans les rues de Rome des enfans
«qui crioient ; le Saint est mort, le Saint est
Iij
196 Vie de
mort ! bruit qui se renouvella le lendemain
matin dans le voisinage de la maison où
etoit le défunt. Son cadavre demeura pen-
dant quatre jours fans être enterré, tou-
jours souple .entier, flexible, sens cor-
ruption fans exhaler aucune mauvaise
,
odeur ; en un mot, semblable au corps
-
-
d'un homme vivant. Pendant ce temps,
il en découla une sueur abondante, sur-
tout le Jeudi Saint au- foir & le Vendredi
-Saint.- Lorsque le temps désigné pour
V l'inhumation du Serviteur de Dieu fut

venu, ceux qùi lui rendoient les' derniers


devoirs de charité ayant jugé à propos
,
de changer de lingé à son cadavre,- avant
que de l'enfermer dans son cercueil pré-
paré ,& ayant pour cela soulevé la partie
supérieure : tout d'un coup, la main gauche
du mort saisit le bord du banc sur lequel il
étoit étendu, le serra fortement, &,s'appuya
-comme feroit un homme vivant & assis;
ce qui causa à touté l'affemblée, qui étoit
nombreuse, une furprise extrême. Pour
éclaircir la vérité d'un fait si extraordinaire,
BenoîtJoseph Labre, 197
on. sépara la main du banc, & on tourna-1
le corps de l'autre côté, & puis on le sou-j
leva encore comme auparavant, & aussi-
tôt cette main gauche s'accrocha au banc :
comme la première fois, & fit en; cette
occasion ce que feroit la main gauche d'un
homme qui seroit. assis dans son lit & qui
s'appuyéroit de ce côté là. J'étois.alors
posté vis-à-vis, & aux pieds du cadavre;
& à la vue de cette merveille, rempli d'é-
tonnement, je n'ai pu m'èmpêcher de faire
une exclamation à la gloire dû Tout Puis-
sant.. Le Serviteur de Dieu ayant été en-
terré dans l'endroit même où, depuis quatre
ans, on le voyoit faire assidumént fa prière ;
dès le lendemain il se fit tant de miracles à
son tombeau, que je.ne pourrois en ren-
fermer le détail dans cette Lettre ; & depuis
lors, le nombre,en.est tellement accruv
qu'il seroit difficile de les calculer. La vue
.
est rendue aux aveugles, l'ouie aux sourds;

Iiij
& dans l'instant, les maladies les plus in-
vétérées celles de sept, de dix de douze,
,
de quatorze, de dix-huit, de trente ans
198 Vie de
sont g-uéries fur le champ; & les prodiges
s'opérent, non-seulement à Rome:, mais'
encore è Naples, à Gênes , à Milan ;
à: Bergame, à Capaúe, à: Lorette; & ;
dans les; autres provinces d'Italie, soit
dans l'Etat Ecclésiastique, soit dans le
royaume de Naples, dans l'isle de-Malthe,
dans la-Lombardie,&c.comme le certi-:
fient nombre de lettre authentiques qu'on
reçoit tous les jours à Rome de ces diffé-
rente1?contrées; Nousisommeif aussi infor-;
més chaque jour de quantité d'autres mi-
racles qui se font en France & dans, les
autres; royaumes de l'Europe. Le temps &
les bornes de cette Lettré, ne me per
siettent pas ,mon cher Monsieur, de vous
en dire davantage. J'ajouterai seùlement
que les» portraits de Benoît-Joseph, depuis
fa mort, sont tellement multipliés, qu'on
en compte jusqu'à présent cent soixante
mille. II n'est auctin peintíe, aucun gra-
veur qui n'aye travaillé à tirer, à repré-
senter sa figure au naturel, en tableaux,
en médailles, en cire, en plâtre, en soye.
plus de qutre-vingt mille ereliques ont déjà
Benoît- Joseph Labre. 199
été distribuées. Je vous en. envoie quatre
ce font autant de parcelles de l'habit de
votre fils qui m'est aussi cher qu'à-vous-
même. Je les infere ici, en y joignant une
petite portion de ses cheveux, que je con-
serve avec respect, & un de ses portraits
que je crois le plus ressemblant; car jusqu'à
présent, aucun ne l'est parfaitement, La
maladie de son frere Jacques-Joseph m'as
flige beaucoup. Vousi pourriez le consoler,
en lui disant ce que son vénérable frere
difoit à une fille de la ville de Fabriano,
infirme depuis vingt-ans à qui il rendoit
,
visite : ma fille, prenez courage, la ma-
ladie est autant une grace de Dieu que la
santé: combien de Saints ontsouhaité avec
t
ardeurvotreinfirmité,&n'ontpu obtenir !
Souffrez donc celle que le Seigneur vous
a envoyée avecpatience & pourson amour.
Cette même personne l'ayant invoqué
après fa mort, pendant trois jours, par le
conseil de son Gonsesseur, elle entendit
chaque jour distinctement la voix du Ser-
viteur de Dieu, qui lui difoit : la volonté
Iiv
200 Vie de
de Dieu est que vous continuiez â fup-
porter votre mal avec patience. Cependant
je conseille à votre fils malade de recourir
avec confiance à l'interceffion defon frère,'
& de s'appliquer dévotement une de ses
reliques : persuadé que Dieu lui rendra la
santé du corps, si elle peut être utile au
salut de son ame. Adieu mon très-cher
,
Monsieur; priez Dieu & son Serviteur
Votre fils pour moi ; je ne manquerai pas
de le prier pour vous toutes les fois que je
visiterai son tombeau ce que je fais fou-
,
vetu : encore une fois, adieu.

Votre très - dévoué &


très-humble Serviteur,
JOSEPH MARCONI.

A Rome, le 23 Septembre 1783


Benoît-Joseph Labre. 201

PROCÈS-VERBAI.
D RE SSE
LE JOUR DE P A S Q U ES,
Cinq jours après la mort du Serviteur
de Dieu, immédiatement avant
son inhumation.
A. la requête de M. Gaetan Palma,Su-
périeur de la Congrégation, dite des Pieux
Ouvriers, & R ecteur de l'Eglise de Sainte-
Marie-des-Monts, à Rome: je soussigné,
Notaire public accompagnant M. Luc-
,
Antoine Coselii, Chanoine, Promoteur-
Fiscal & Secrétaire du Tribunal du Vica-
riat de Rome me suis transporté, vers Ia
,
vingt-deuxieme heure du jour, en ladite
Eglise de Notre-Dame-des-Monts, où,
arrivé & étant entré par la petite porte
collatérale, avec grande peine à cause
,
202 Vie de
d'une grande foule de Peuples qui pressoit
de toutes parts je fus introduit dans un
,
corridorquiaboutit à la Sacristie, & dans
le milieu duquel je trouvai un cadavre
humain, étendu fur des tretaux, revêtu
d'une robe blanche conformément à
,
l'ufage des associés à la vénérable Confrai-
rie de Notre-Dame-des-Neiges, ceint d'un
cordon propre à cet habit, & les mains
jointes en croix fur la poitrine, n'exhalant
aucune odeur, ni bonne ni mauvaise.
.
Alors il fut ordonné par M. le Cha-
noine Coselli, procédant en vertu des
pouvoirs à lui accordés par Son Eminence
Monseigneur le Cardinal Marc-Antoine
Colonna, Vicaire de Rome, que pour
éviter le tumulte inséparable de la multi-
tude du Peuple, le corps seroit transporté
dans la Sacristie continue audit corridor ;
ce qui fut incontinent exécuté avec l'aide
& le secours des soldats.
La porté de la Sacristie étant fermée,.
r
On procéda à la reconnoissance du ca-
davré, en présence de divers témoinís
Benoît-Joseph Labre. 203
savoir ; de M. Gaetan Palma, sus nommé,
de M. Biagio Picillo des Freres Michel
,
Trifcitto, François Bagnagatti, & Camile
Simeoni. tous Religieux de ladite Con-
grégation des Pieux Ouvriers : de M. Jo-
seph Marconi, M. Annibal Albani, de
l'lllustrissimeComte, M. Jacques Piccini,
de M. Paul Mancini, du sieur François
Zaccarelli & du sieur Pierre Sentoli :
,
lesquels tous après avoir vû, & atten-
,
tivement considéré ledit cadavre, affir-
mèrent , fous la foi du serment, qu'ils le
reconnoissoient pour être le corps du Ser-
viteur de Dieu BENOIST-JOSEPH
LABRE, lequel ils avoient tous bien
connu pendant qu'il vivoit, & dont l'ame,
ainsi qu'ils le croyoient pieusement, avoit
été reçue'dans l'éternel repos, le Mer-
credi 16 Avril de Ia présente année,
,
jour de sa mort, arrivée à une heure de
nuit, dans la maison du sieur Zaccarelli,
laquelle est proche de ladite Eglise de
Notre-Dame-des-Monts : ce qu'ils affir-
merent pour avoir parlé audit Benoît-
ï vj
204 Vie de
Joseph Labre, plusieurs fois, pendant la
vie & avoir conversé familièrement avec
,
lui : à quoi ajouterent de plus M. Mar-
coni, qu'il avoit entendu ses confessions
sacramentelles pendant un espace de temps
notable, & M. Mancini qu'il lui avait
,
donné, depuis long-temps, asyle, pour la
nuit, dans son hospice destiné pour les
pauvres.
La reconnaissance du cadavre étant
finie,.de manière qu'il ne fut pas possible
de révoquer en doute son identité,
M. Cosselli, considérant que la Sacristie
étoit remplie d'une trop grande quantité
de monde, fit transporter le corps, enve-
loppé dans un linceul dans une cha-
,
pelle particuliere, voisine de ladite Sa-
criste où étant arrivé avec l'aide des
, ,
soldats qui ouvroient la foule du peuple,
le corps fut posé & étendu sur deux bancs,
qui avoient été ci- devant préparés, & dont
la réunion formoit une table. Le corps
ayant alors été mesuré par un Menuisier,
on trouva qu'il étoit grand de six palmes
Benoit-Joseph Labre. 205
& cinq pouces. Ensuite le sieur Joseph
Chigi, Chirurgien nommé d'office à cet
effet, aptes plusieurs expériences par lui
faites, reconnut que le corps étoit, dans
toutes ses parties, flexible, palpable, &
fans le plus léger indice de corruption-,
ce qu'attesterent également plusieurs au-
tres assistans, qui s'en assurerent par diver-
ses expériences.
Après que l'on eut dépouillé le corps
de ses vêtemens, avec la décence conve-
nable lorsqu'on vint à vouloir le chan-
,
ger de chemise, il sut nécessaire, pour
cela de le soulever dans fa partíe supé-
,
rieure ; à quoi voulant procéder, les frères
Michel Triscetto, François Bagnagatti &
Camille Simeoni, susnommés, placerent
le défunt de maniere que Ia partie infé-
rieure du corps restât étendue fur ladite
table formée des deux bancs réunis, &
que la partie supérieure prît ensuite la po-
fition d'un homme assis. Il fut remarqué
dans cette circonstance que le frere
,
Bagnagatti, contenant le corps du défunt
206 Vie de
par lés épaules v ledit cadavre parut, en
saisissant avec-la main gauche, le bord
du banc, soutenir d'une manieire natu-
relle son propre poids.
,
Les assistans ayant observé ce phéno-
mène voulurent s'assurer s'il n'étbit pas:
,
,
l'effet du hasard. Pour cela on pencha
"un peu le corps du côté gauche. La main
restoit néanmoins attachée d'elle-même
au banc, jusqu'à ce qu'on l'en séparât,
en Ia retirant.
La main étant ainsi détachée & chan-
gée déplace, le corps fut pareillement,
un peu incliné vers la droite Lorsqu'il
fut de nouveau rétabli dans la situation
propre à un homme qui est fur son séant ,
on vit, pour la seconde fois, qu'il saisit
l'extrêmité du banc , paroissant se soute-
nir de la même maniere qu'il Pavoit fait
ci-devant; c'est-àdire,.se tenant droit avec
les doigts repliés en- dessous du banc &
,
avec Ia paume de Ia main & lé pouce en-
dessus du banc prenant en tout,- pat
,
ce moyens l'attifude d'un homme qui
seroit en vie»
Benoît- Joseph Labre. 207
Quelque temps après, on leva & déro-
cha la main , & on reconnut la flexibilité
des doigts, ainsi qu'on fa décrit - plus
haut.
Ce phénomène fut observé & remar-
qué de tous les assistans, entre lesquels
étoient M. Palma, recteur, les freres Mi-
chel Triscittoy François Bagnagatti, Ca-
mille Simonei, ainsi que M. Joseph -Noël
Dulpino, missionnaire, M. Fidèle Réla-
gliati, avocat,M. Marconi, M. Mancini,.
M. Marc Antoine Golonna, M. Michel-
Angé Bove, M. PierrePaul de Lunel de
la Rovere M. Mathieu Angeletti &
, ,
plusieurs autres.
On revêtit ensute le corps d'une nou-
velle tunique, en, usage pour les confreres-
de ladite Association de Notre-Dáme-des-
Neiges ; on ceignit aussi , suivant la coutu-
me de ladite confrérie, les reins d'un cor-
don propre à ce vêtement, & le corps,
enveloppé d'un linceul, fut étendu dans
une bierre de bois de chataignier, difpoféé-
a cet effet, & qui étoit longue de buit
2o8 Vie de
palmes. & onze pouces, large, Vers la tête ,
de deux palmes & cinq pouces, haute
d'une palme &.six pouces ; la largeur étoit
vers les pieds, d'une palme & deux pou-
ces & demie & la hauteur d'une palme
,
&. deux pouces..
On plaça aux pieds du corps,une boîte
de plomb, liée dans tout son contour par
un ruban de soie, de couleur verte, &
fur laquelle on avoit apposé le sceau,, en
cire d'Espagne rouge, de son Eminence
Monseigneur le Cardinal Vicaire. Cette
-
boîte renferme un Mémoire en forme
d'éloge, écrit en latin, sur du parchemin
lequel est souscrit, ,
tant de M. Coselli que
de moi ,& conçu en ces termes :
« L'an de notre Seigneur 1783, la
» neuvieme année du fouverain Pontificat
» de N.S. P. le Pape Pie VI, BENOIT-
» JOSEPH fils de Jean-Baptiste Labre, &
,
" d'Anne Barbe Grandsire, né datas la
-
» paroisse de SaintSulpice d'Amette
, au
33
diocèfe de Boulogne en France, le
,
» 26 Mars 1748 ; après avoir passé fa
Benoît-Joseph Labre. 209
» jeunesse & mené constamment une très-
"bonne conduite, fous la discipline & la
» direction de son oncle paternel, alors
» Curé de la paroisse d'Erin, même dio-
» cèse, désirant faire dès progrès dans les
33 vertus chrétiennes & embrasser un
,
» genre de vie austère impénitente, entra
» dans l'Abbaye de Sept-Fonts, ordre
» de Gîteaux, de la plus étroite obser-
» vance, & fut admis aux exercices du
» noviciat, le 28 Octobre 1769 Mais
» ayant succombé aux austérités qu'il pra-
» tiquoit dans ce monastere, une maladie
» qu'il supporta patiemment pendant deux
mois, l'obligea de quitter, Ie deux Juin
» ,
" l'habit de Religion, qu'il avoit porté ,
» avec édification ,1'espace de plus de huit
«mois.
» A fa sortie de cette Abbaye, il en-
SÏ treprit divers pèlerinages ; fa dévotion

» le porta particulièrement à visiter l'E-


» glise de Lorette ,& les tombeaux des
" Saints Martyrs Pierre & Paul. Après
210. Vie de..';

» beaucoup de voyages de piété, il fixa


" fa demeure à Rome , d'où il ne sortit
" plus que pour faire chaque année, un
» pélerinage à Lorette.
,
" Par tout il donna de grands.exem
" ples des vertus chrétiennes ; de la pau
» vreté évangélique, qu'il porta au plus
» haut dégré de perfection, ne vivant que
« des aumônes qu'on lui offroit, fans, qu'il
s» demandât rien ,ne recevant qu'en petite

» quantité , partageant ce qu'on lui don-


" noit avec les autres pauvres; d'une humi-
" lité profonde, méprisant souverainement
" le monde ,
& plein de méprisr
pour lui
» même. ; d'une pénitence rigoureuse ,
» d'une vie passée dans: les exercices d'une
» priere continuelle, passant toutletemps
" dans les Eglises de cette ville, où il de-
"meuroit depuis le matin jusqu'au cou-
» cher du soleil. Il se rendit célébre par
» la pratique de toutes les autres, venus;
» fut cher & aimable à tous quoique ses
,
» vêtomens & son extérieur fussent négli-
Benoît-JosephLabre. 211
» gés rebutans. Le caractère de fa vertu.

Dieu
&

" étoit de s'oublier entiérement lui-même ,


«pour seire Ton' unique occupation de.
» plaireà
" Le 16 Avril 1785 , après, avoirprié.
» très-long - temps, suivant sa coutume,
» il tomba en faiblesse à la sortie, de l'E-
"glise de. Notre-Dame -des,Monts.,Sur.
" l'offre qui lui en sut faite obligeamment,.
" & qu'il accepta il fut transporté chez,
,
" un homme de bien, dont la maison est
" à peu de distance de cette Eglise.
"Ses forées & sa vigueur naturelle, l'a-,
" bandonnant,munidu .Sacrement de
" l'Extrême Onctin, assiste
"Prêtres, & dans le moment précisou
» ceux qui se trouvoient présens récitoient
" des priefes pour lui il rendit paisible.
,
" ment, son ame à' son créateur, à une
»
« malade.
heure de nuit, le même jour qu'il tomba,

" Le lendemain, son corps fut: trans.


» porté, avec toute la décence convena-
212 Vie de
» ble, dans la même Eglise, & à ses ob
» séques,' qúi se firent aux dépens des
" personnes pieuses, qui se chargerent d'y
«pourvoir, il se trouva un très-grand
« concours de peuple.-
» Incontinent après, une sorte de com-
" motion presque universelle , se commu-
,
" niqua dans Rome, à la nouvelle.de fa
«mort, qui se répandit subitement, avec
" la réputation d'une grande sainteté. II
» commença alors de se faire à cette Eglise
" un si grand concours- de personnes de
" tout état, que les soldats qui avoient été
" appelles pour assures le bon ordre,éurent
" beaucoup de peine à contenir la mul
"titude.
" Pour satisfaire à la piété des fideles ;
" dont le nombre s'accroissoit de plus en
" plus, Monseigneur lé. Cardinal-Vicaire.
» permit de différer l'inhúmation jusqu'au
" soir du Dimanche de Pâques, qui cette
"année 1783, tomboit le vingt Avril.
" Ce même jour, par ordre de son Emi-
Benoit-Joseph Labre. 213
» nence , le corps fut inhumé à la vingt-
» quatrieme heure, dans un lieu hono-
» rable & particulier de cette.Eglise ».
Et ont signé,
LUC-ANTOINE COSELLI., Promoteur-
Fiscal du Vicariat de Rome,
FRANÇOIS MARI Notaire, à lapriere
,
du sieur JOSEPH CICCONI.

Nous croyons devoir, ajouterici, pour


rédification, quelques traits intéressans de
la vie du. Serviteur de Dieu, que nous
Fournit. M. Alegiani, & qui donneront
une haute idée de fa patience, de son
humilité- & de son profond feeueilleraent
dans la priere.
Comme le Serviteur dé Dieu paffoit un
jour devant l'hôtel Colonne, ou quelques
enfans jouoient au palet, l'un d'eux le
frappa d'un coup de pierre à la jambe
gauche, vers l'os du pied; le coup fut si
violent qu'il .fit jaillir une grande quantité
de sang : néanmoins il ne fit connoître fa
214 Vie de
douleur par aucun signe ; ce qu'il y a de
plus extraordinaire , cest qu'il ne se tourna
point pour découvrir celui qui l'avoit
frappé, continuant son chemin.avec la
même paix & la même tranquillité.
Un autre jouir qu'il'traverfoit le Colisée,
ayant trouvé quelques enfans qui s'amu-
soient à folatrer ,il s'approcha d'eux-, &
son zèle s'étant animé, il leur fit quelque
réprimande mêlée de beaucoup de dou-
ceur :mais les enfans, pour reconnois-
lance de son zèle, prirent des pierres,
& commencerent à les jetter versv leur
charitable moniteur.Un homme témoin
de cette violence accourut au secours
,
de Labre:laiffez-les faire ,idit alors à cet
homme, le Serviteur de Dieu; fi vous
faviez qui jefais-, vous vous.éleveriez
vous-même contre moi ,avec encoreplus
de violence que ces enfatns( I).
Ce fut avec cette paix inaltérable qu'il

( I) Las ciateli pur fare, efi vois pefti chi fòn


io, faerste peggio di effi contro a me.
Benoit-Joseph Labre.115
supporta un affront sanglant de la part
d'un de ses bienfaiteurs:cet homme lui
avoit donné un fol : mais s'étant apperçu
que le Serviteur de Dieu l'avoit paffé
dans la main d'un autrepauvre il prit
,
cette action en mauvaifei part, & s'imagina
que Labre dédatgnoit une si petite au-
mône; il s'avança donc Vers.lui, & le
maltraita. Après la mort du Pauvre de
Jefús-Christ ,il se ressouvint de. l'injure
qu'il lui avoit faite : pénétré du plus vif
répentir, il courut à l'Église de Notre-
Dame-des-Monts, pour lui demander par-
don , & en signe de fa vive douleur, il
laissadans le Temple le coupableiristru-
ment avec
lequel il l'avoit frappé.
M.Zitli, dont les dépositions seront
exáminées dans le procès de canonisation,
étoit un des principaux témoins du res-
pect avec lequel le Serviteur de Dieu prioit
dans ces saints Temples ; il y étoit,comme
anéanti devant lé Seigneur, les yeux tour-
nés tantôt fur la victime adorable de notre
salut, tantôt vers la terre, avec une dé-.
2l6 Vie de
votion qui srappoit fous les assistans. M.
Zitli assure qu'un jour,l'ayant observé
,
pendant plusieurs heures, devant le Saint
Sacrement,. dans l'Eglise des Capucins,
il le vit,, tout le temps, dans une parfaite
-immobilité: abimé dans l'adoration & la
prière au point qu'il doutoit s'il n'étoit
,
point mort ; il s'approcha pour s'en assu-
rer en le secouant.
M. Zitli a été Trésorier de Culicam,
Roi de Perse. Ce Prince ayant été mis à
mort par son neveu, M. Zitli s'enfuit à
Astracan ; étant ensuite entré par. la
,
miséricorde divine, dans le sein de l'Eglise
Catholique, & s'étant dépouillé-, pour de
bonnes oeuvres, des richesses immenses
-qu'il avoit emportées avec lui il est
,
.
nourri & entretenu, à' l'âge de quatre-
vingt-treize ans, par pure charité,dans
un Cauvent des RR. PP, Capucins de
Rome,

PBSERVATIONS
Benoît-Joseph Labre. 217
.

OBSERVATIONS
SUR
L E R ECUE II
D EL A V I E
.DE BENOIT-JOSEPH
LA B R E,
Composé par M. sAbbé Marconi ,
Lecteur du Collège Romain, &
Confesseur du Serviteur de Dieu.

C H APIT RE V.

MONSIEUR l'Abbé Marconi dit que


le Curé d'Erin oncle du Serviteur de
,
Dieu, l'envoya à une école qu'un pieux
Ecclésiastique tenoit en ce lieu.. Il faut-
dire simplement :'l'envoya à l'école de la
218 Vie de
paroisse ; cette école» n'a jamais été tenue
par des Ecclésiastiques.
C H A P I T R E
VII
II est parlé d'un Prêtre à qui le Servi-
teur de Dieu se consessa , & dont M-
Marconi dit avoir oublié le nom,1 qu'é-
tant aussi occupé à la bonne oeuvre des
missions, il étoit probablement du nombre,
de ceux que Benoît-Jeseph avoit suivi,,
dans le cours de celles dont il est parlé
plus haut: ce Prêtre étoit M. Chonault,
Supérieur du Séminaire de Boulogne,
qui, quoique Prêtre de la congrégation
de la Mission, n'étoit pas employé dans
ces. fonctions apostoliques & que par
,
conséquent, le Serviteur de Dieu n'a pas
suivi dans les Missions.
CHAPITRE X I.
3° Onidit que c'est le jour de l'Assomp;-
tion ou un jour de l'Octave, qu'il prit
,
l'habit de Novice, à la Chartreuse .de
Montreuil.... Cela n'est point exact ; il
n'y a jamais demeuré qu'en qualité de
Postulant.
Benoît-Joseph Labre, 219

C H AP I T R E XII.
M. l'Abbé Marconi dit que le Serviteur
de Dieu, « à la sortie de Sept- Fonts
» vit le cloître à jamais fermé pour lui
» qu'il comprit parfaitement que le Sei-
" gneur n'avoit exigé de lui, que le sacri-
fice de fa bonne volonté comme il
3» ,
» l'avoit autrefois demandé à Abraham ;
» que
& Ia Providence ne vouloit point
" qu'il paflât fa vie dans un Monastère»
Tout ce récit est inexact ainsi que
,
le prouve la lettre de Benoît-Josephs
adressée à ses Parens, de Quiers, en Pié-.
mont, en date du 3 13 Août, dans laquelle
il leur parle de fa sortie de Sept-Fonts,
& du dessein qu'il avoit d'entrer «dans
" quelqu'un de ces Monasteres d'Italie où
" on l'assuroit que la vie est fort réguliere
» & fort austere ".
Il n'est pas surprenant que M. Marconi
soit tombé dans cette erreur ; il n'avoit
point alors la lettre dont on vient de parler
on voit par fa lettre du 23 Septembres
220 Vie de Benoit-Joseph Labre.
au pere de Benoît-Joseph, qu'il se plaint
de ce que l'ayant demandée'à M, le Curé,-
d'OEuf, son beau-frère oh l'a renvoyé,
,
pour s'en procurer, une copie, à M. le
Cardinal de Bernis. qui n'étoit pas alors à
Rome : « ce qui pouroit, dit-il, être caufe
" que cette lettre ne seroit pas inférée
» dans le recueil de la vie, qui étoit sous
.» presse, & à la, veille de paroître.»

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