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Poèmes sur le désastre de

Lisbonne, et sur la loi


naturelle , avec des préfaces,
des notes, etc.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Voltaire (1694-1778). Auteur du texte. Poèmes sur le désastre de
Lisbonne, et sur la loi naturelle , avec des préfaces, des notes,
etc.. 1756.

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P OEMES
S U R LE
DESASTRE DE LISBONNE
E T S U K

LA LOI NATURELLE,
AVEC DES PREFACES
DES NOTE S, &c.

A GENEVE,

AVEC A P PR O B A 5T I 0 N,
ET PERMISSION.

v
(a)

A V I S
DES EDITEU R S.
JQ Es Copies aujsi tronquées qu'infidèles de ces deux Poe-
mes s'étant répandues dans Paris, elles y ont été bien-
tôt imprimées. Nous reparons cet inconvénient fréquent
& inévitable, en publiant cet Ouvrage avec des Notes
utiles, & des Préfaces de /'Auteur, comme un échantil-
lon de la grande édition que nous avoitf annoncée ; nous
osons ajfurer qu'on reconnaîtra dans ces Poèmes les senti-
ments répandus dans la HENRIADE, &? dans plus d'un
ouvrage philosophique. Un esprit qui respire l'adoration
t
d'un Etre Suprême, Rattachement aux Loix, amour du
Genre humain, la tolérance, & la bienfaisance.
NOUS nous flattons de donner dans quelques mois ( du
même Auteur ) l'Essay sur PHistoire générale depuis Char-
lemagnc jusqu'à nos jours. Cest un ouvrage d'une grande
étendue, bien différent des petits morceaux décousus qui
ont couru mal - à - propos fous son nom, & qu'on a intitu-
lés non moins maUà-propos HISTOIRE UNIVERSELLE.

PRE-
PREFACE
D E

L'.AUTEU R.
SI jamais la question du Mal Physique a mérité Pat-
tention de tous les hommes, c'est dans ces événe-
ments funestes qui nous rappellent à la contemplation
de nôtre faible nature, comme les pestes générales quî
ont enlevé le quart des hommes dans le Monde con-
nu , le tremblement de terre qui engloutit quatre-cent-
mille personnes à la Chine en 1699. celui de Lima &
de Callao, & cn dernier lieu celui du Portugal & du
Royaume de Fez. L'axiomc, Tout est bien, paraît un
peu étrange à ceux qui font les témoins de ces désas-
tres. Tout est arrangé, tout est ordonné, faus doute,
par la Providence,- mais il n'est que trop sensible, que
tout depuis longtems n'est pas arrangé pour nôtre bien-
être préíènt.
Lorsque Pillustre Pope donna son EJsay surthomme,
& qu'il dévelopa dans ses vers immortels les sistêmes
de Leibnite, du Lord Shastersburì, & du Lord Bolling-
A q brohe,
4 P RE FA CE
hrohe, une foule de Théologiens de toutes les Commua
nions attaqua ce sistème. On se révoltait contre cet
Axiome nouveau que Tout est bien, que l'homme jouit
de la seule mesure du bonheur dont soii être soit susceptible
&c... II y a toujours un sens dans lequel on peut con-
damner un écrit, & un sens dans lequel on peut Pa-
prouver. II serait bien plus raisonnable de ne faire at-
tention qu'aux beautés utiles d'un ouvrage, & de n'y
point chercher un sens odieux. Mais c'est une des im-
perfections de notre nature, d'interpréter malignement
tout ce qui peut être interprété, & de vouloir décrier
tout ce qui a du succès.
On crut donc voir dans cette proposition, Tout est
bien, le renversement du fondement des idées reçues.
Si Tout est bien, disait-on, il est donc faux qiie
la nature humaine soit déchue. Si Pordre général exi-
ge que tout soit comme il est, la nature humaine n-a
donc pas été corrompue i elle n'a donc pas eu besoin
de Rédempteur. Si ce Monde tel qu'il est, est le meilleur
des Mondes possibles, on ne peut donc pas espérer un
avenir plus heureux. Si tous les maux dont nous som-
mes accablés font un bien général, toutes les Nations
policées ont donc eu tort de rechercher Porigine du
mal Physique & du mal Moral. Si un homme mangé par
les bètes féroces fait le bien-être de ces bêtes, & contri-
bue à Pordre du Mondej si les malheurs de tous les
particuliers ne font que la fuite de cet ordre général
& nécessaire j nous ne sommes donc que des roues qui
fer-
D E VA V TE V R. ï
scívcnt à faire jouer la grande machine} nous ne som-
mes pas plus précieux aux yeux de DIEU que les ani-
maux qui nous dévorent.
Voilà les conclusions qu'on tirait du Poëme de Mr,
Popei & ces conclusions mêmes augmentaient encor la
célébrité & le succès de Pouvrage, Mais on devait l'en-
vifager fous un autre aspect, II fallait considérer le re£
pect pour la Divinité, la résignation qu'on doit à ses
ordres Suprêmes, la laine Morale, la tolérance, qui font
Pâme de cet excellent écrit. C'est ce que le Public a fait 5
& Pouvrage ayant été traduit par des hommes dignes de
le traduire, a triomphé d'autant plus des critiques qu'el-
les roulaient fur des matières plus délicates..
C'est le propre des censures violentes, d'accréditer
les opinions qu'elles attaquent. On crie contre un livre
parce qu'il réussit, on lui impute des erreurs. Qu'ar-
rive-t-il? Les hommes révoltés contre ces cris, pren-
nent pour des vérités les erreurs mêmes que ces criti-
ques ont cru apercevoir. La censure élève des fantômes
pour les combattre, & les Lecteurs indignés embrassent
ces fantômes.
Les critiques ont dit} Leibuitz t Pope, enseignent 1e
Fatalisme : & les partisans de Leibuitz & de Pope ont
dit} Si Leibuitz & Pope enseignent le Fatalisme, ils out
donc raison; & c'est à cette Fatalité invincible qu'il faut
croire.
Pope avait dit, Tout est bien, en un sens qui était
A 3 très
6V PREFACE
très rcccvablc, & ils le disent aujoimlhui en uti sens
qui peut être combattu.
L'Autcur du Poëme fur le déíastre de Lisbonne ne
combat point Pillustre Pope, qu'il a toujours admiré
& aimé } jl pense comme lui fur presque tous les
points} mais pénétré des malheurs des hommes, il
s'élève contre les abus qu'on peut faire du nouvel axio-
me , Tout est bien. II adopte cette ancienne & triste véri-
té reconnue de tous les hommes, qu'il y a du mal sur
la Terre il avoue que le mot Tout est bien pris dans
,*

un sens absolu, & sans Pefpérancc d'un avenir , n'est


qu'une insulte aux douleurs de notre vie.
Si lorsque Lisbonne, Méquinez, Tétuan, & tant d'au-
tres villes surent englouties avec un si grand nombre
de leurs habitans au mois de Novembre 17s f-, des
Philosophes avaient crié aux malheureux qui échapaient
à peine des ruines} Tout est bien; les héritiers des morts
augmenteront leurs fortunes, les maçons gagneront de Pur-
gent à rebâtir des maisons, les bêtes se nourriront des
cadavres enterrés dans les débris, c'est l'effet nécessaire des
causes nécessaires, votre mal particulier n'est rien, vous
contribuez au bien général. Un tel discours certaine-
ment eût été aussi cruel que le tremblement de terre a
été funeste : & voila ce que dit PAutcur du Poëme fur
le desastre de Lisbonne.
II avoue donc, avec toute la Terre qu'il y a du mal
,
fur la Terre, ainsi que du bien: il avoue qu'aucun
Philosophe n'a pu jamais expliquer Poriginc du mal
Moral,
DE V A V T E V R. 7
Moral, & du mal Physique : il avoue que Bayk,\Q plus
grand Dialecticien qui ait jamais écrit, n'a. fait qu'ap-
prendre à douter, & qu'il se combat lui-même: il
avoue qu'il y a autant de faiblesses dans les lumières
de Phomme que de misères dans ía vie. II expose tous
les sistêmes en peu de mots. II dit que la Révélation
feule peut dénouer ce grand noeud que tous les Philo-
sophes ont embrouillé} il dit que Pefpérance d'un dé-
velopement de notre être dans un nouvel ordre de cho-
ses peut feule consoler des malheurs présents, & que
,
la bonté de la Providence est le seul azilc auquel Phom-
me puisse, recourir dans les ténèbres de ía raison, &
dans les calamités de fa nature faible & mortelle.

P S. II est toujours malheureusement nécessaire d'a-


vertir qu'il faut distinguer les objections que se fait un
Auteur, de ses réponses aux objections , & ne pas
prendre ce qu'il réfute, pour ce qu'il adopte.

A 4 POE-
POEME
SUR LE DESASTRE DE LISBONNE,
OU EXAMEN DE CET AXIOME,
TOUT EST BIEN.
O Malheureux mortels ! ô Terre déplorable !
O de tous les fléaux assemblage effroyable !
D'inutiles douleurs éternel entretien!
Philosophes trompés, qui criez, Tout est bien,
Accourez : contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants, l'un fur l'autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés}
Cent mille infortunés que la Terre dévore,
Qui sanglants, déchirés, & palpitants encore,
Enterrés fous leurs toits terminent fans secours
Dans Phorreur des tourments leurs lamentables jours.
Aux, cris demi-formés de leurs voix expirantes,
Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes,
Direz-vous, c'est Peffct des éternelles Lòix,
Qui d'un DIEU libre & bon nécessitent le choix ?
Direz-vous, en voyant cet amas de victimes,
DIEU s'est vengé» leur mort est le prix de leurs crimes?
Quel
POEME SUR LE DESAST.DE USB. 9
Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants,
Sur le sein maternel écrasés & sanglants ?
Lisbonne qui n'est plus, eut-elle plus de vices
Que Londre, que Paris, plongés dans les délices ?
Lisbonne est abimie, & l'on danse,à Paris.
Tranquilles spectateurs, intrépides esprits,
pe vos.frères mourants contemplant les naufrages,
Vous recherchez en paix les causes des orages}
Mais du fort ennemi quand vous sentez les coups,
Devenus plus humains vous pleurez comme nous.
Croyez-moi, quand la Terre cntr'ouvre ses abîmes,
Ma plainte est innocente, & mes cris légitimes.
.
Partout environnés des cruautés du fort, :

Des fureurs des méchants, des pièges de la mort,


De tous les élémens éprouvant les atteintes,
Compagnons de nos maux permettez nous les plaintes.
, -
C'est Porgueil, dites -vous, Porgueil séditieux,
Qui prétend qu'étant mal, nous pouvions être mieux.
Aílcz interroger les rivages du Tage,
Fouillez dans les débris de ce sanglant ravage,
Demandez aux mourants, dans ce séjour d'effroi,
Si c'est Porgueil qui crie, O Ciel, secourez-moi,
O Ciel, ayez pitié de l'humaine misère.
Tout est bien, dites-vous, & tout est nécessaire.
Quoi ? PUnivers entier fans ce gouffre infernal,
,
Sans engloutir Lisbonne, eût-il été plus mal?
Etes-vous assurés que la Cause Eternelle,
Qui fait tout, qui sait tout, qui créa tout pour elle,
*

Ne
10 POEME SUR LE
Ne pouvait nous jettor dans ces tristes climats,
Sans former des volcans allumés fous nos pas?
Borneriez-vous ainsi la Suprême Puissance?
Lui défendriez - vous d'exercer fa clémence ?
L'éternel Artisan n'a-1-il pas dans ses mains
Des moyens infinis tout prêts pour ses desseins ?
Je désire humblement, fans offenser mou Maître,
Que ce gouffre enflammé de souphre & de salpêtre
Eût allumé ses feux dans le fond des déserts.
Je respecte mon DIEU, mais j'aime PUnivers:
Quand Phomme ose gémir d'un fléau si terrible,
11 n'est point orgueilleux, hélas ! il est sensible.
Les tristes habitans de ces bords désolés,
Dansl'horreur des tourments seraient-ils consolés,
Si quelqu'un leur disait } Tombez, mourez tranquiles,
Pour le bonheur du Monde on détruit vos aziles ;
D'autres mains vont bâtir vos palais embrasés >
D'autres Peuples naîtront daHs vos murs•. écrasés}
Le Nord va s'enrichir de vos pertes fatales,
Tous vos maux font un bien dans les Loix générales $
DIEU vous voit du même miil que les vils vermijfaux,
Dont vous ferez la proye au fond de vos tombeaux?
A des infortunés quel horrible langage!,
Cruels ! à mes douleurs n'ajoutez point Poutrage.
Non, ne présentez plus à mon coeur agité
Ces immuables loix de la nécessité, ;

Cette chaîne des corps, des esprits, & des mondes.


O rêves de savants! ô chimères profondes!
DIEU
DESASTRE DE LISBONNE. II
DIEU tient en main la chaîne, & n'est point enchaîné$ a
Par son choix bienfaisant tout est déterminé :
II est libre, il est juste, il n'est point implacable.
Pourquoi donc souflrons-uous fous un Maître équitable? f
Voilà le noeud fatal qu'il fallait délier.
Guérirez-vous nos maux en osant les nier?
Tous les Peuples tremblants fous une main Divine,
Du mal que vous niez ont cherché Porigine.
Si l'étcmclle Loi qui meut les cléments,
Fait tomber les rochers fous les efforts des vents j
Si les chênes touffus par la foudre s'embrasent,
Ils ne ressentent point les coups qui les écrasent.
Mais je vis, mais je sens, mais mon coeur opprimé
Demande des secours au DIEU qui Pa formé.
Enfants du Tout-puissant, mais nés dans la misère,
Nous étendons les mains vers notre commun père.
Le vase, on le fait bien, ne dit point au potier ,
Pourquoi fuis - je si vil, si faible, íì grossier ?
II n'a point la parole, il n'a point la pensée.}
Cette urne en se formant, qui tombe fracassée,
De la main du potier ne requt point un coeur»
Qui délirât les biens, & sentît son malheur.
Ce malheur, dites-vous, est le bien d'un autre Etre. \
De mon corps tout sanglant mille insectes vont naître :
Quand la mort met le comble aux maux que j'ai soufferts,
Le beau soulagement d'être mangé des vers!
Tris-
a Voyez les notes à lasin du Poëme.
' f Sab Deo jufio nemo miser nisi mersatw* ST. AUGUSTIN.
JZ PO EME SUR LE
Tristes calculateurs des misères humaines,,
Ne me consolez point} vous aigrissez mes peines 5
Et je ne vois en vous que Peffort impuissant
D'un fier infortuné qui feint d'être content*
Je ne fuis du grand Tout qu'une faible partie:
Oui i mais les animaux condamnés à la vie,
Tous les êtres sentants nés fous la même loi,
Vivent dans la douleur, & meurent comme moi.
Le vautour acharné fur ía timide proie,
De ses membres sanglants se repaît avec joie:
Tout semble bien pour lui, mais bientôt à son tour
Une aigle au bec tranchant dévore le ^vautour.
L'homme d'un plomb mortel atteint cette aigle altière*
Etl'homme aux champs de Mars couché fur la poussière,
Sanglant, percé de coups, fur un tas de mourants,
Sert d'aliment affreux aux oiseaux dévorants.
Ainsi du Monde entier tous les membres gémissent ;
Nés tous pour les tourments, l'un par l'autre ils périssent:
Et vous composerez, dans, ce cahos fatal,
Des malheurs de chaque être un bonheur, général?
Quel bonheur? ô mortel, & faible & misérable/
>
Vous criez, Tout est bien, d'une voix lamentable.
L'Univers vous dément, & vôtre propre coeur
Cent fois de vôtre esprit a réfuté Perreur.
Eléments, Animaux, Humains, tout est en guerre.
II lè faut avouer, le mal est fur. la Terre:
Son principe secret ne nous est point connu.
De PAuteur de tout bien le mal est-il venu?
Est-
DE SASTRE DE LISBONNE. 13
Est-ce le noir Tiphon*, le barbare Arimane],
Dont la loi tyrannique à souffrir nous condamne ?
Mon esprit n'admet point ces monstres odieux,
Dont le Monde en tremblant fit autrefois des Dieux.
Mais comment concevoir, un DIEU la bonté même,
,
Qui prodigua ses biens à ses enfans qu'il aime,
Et qui versa sur eux les maux à pleines mains?
Quel oeuil peut pénétrer dans ses profonds desseins ?
De PEtre Tout-Parfait le mal ne pouvait naître}
II ne vient point d'autrui, * puisque DIEU seul est Maître.
II existe, pourtant. O tristes vérités!
O mélange étonnant de contrariétés !
XJn DIEU vint consoler nôtre race affligée ;
II visita la Terre, & ne Pa point changée5f
Un Sophiste arrogant nous dit qu'il ne Pa pu,*
II le pouvait, dit l'autre, & ne Pa point voulu :
II le voudra íàris doute. Et tandis qu'on raisonne,
Des foudres souterrains engloutissent Lisbonne,
,Et de trente Cités dispersent les débris,
Des bords sanglants du Tage, à la Mer de Cadis.
Ou Phomme est né coupable , & DIEU punit fa race,
Ou ce Maître absolu de Pètre & de Pcspace,
Sans

* Principe du mal chez les f Un Philosophe Anglais a


Egyptiens, prétendu que le Monde "Physi-
f Principe du mal chez les que avait dû être change au pre-
mier avènement comme le
*'C'est-à-dire d'un Monde McraU
>
autre
Principe.
14 POE'MË SU RLE
Sans couroux, fans pitié, tranquille, indifférent»
De ses premiers décrets fuit Péternel torrent;
Ou la matière informe a son Maître rebelle,
Porté en soi des défauts nécessaires comme ellej
On bien DIEU nous éprouve; & ce séjour mortel §
N'est qu'un passage étroit vers un Monde éternel.
Nous essuyons içi des douleurs paflàgères.
Le trépas est un bien qui finit nos misères.
Mais quand nous sortirons de ce passage affreux,
Qtíi de nous prétendra mériter d'être heureux?
Quelque parti qu'on prenne, on doit frémir fans doute :
II n'est rien qu'on connaisse, & rien qu'on ne redoute.
La Nature est muette, on Pinterroge en vain.
On a besoin d'un DIEU, qui parle au Genre-humain,
II n'apartieilt qu'à lui d'expliquer son ouvrage,
De consoler le faible, & d'éclairer le íìige.
L'hommc au doute, à Perreur, abandonné sans lui,
Cherche en vain des roseaux qui lui servent d'apui.
Leìbnitz ne m'aprend point, par quels noeuds invisibles
Dans le mieux ordonné des Univers possibles,
Un désordre éternel, un cahos de malheurs,
Mêle à nos vains plaisirs de réelles douleurs}
Ni pourquoi Pinnocent, ainsi que le coupable
Subit également ce mal inévitable,*
Je
§ Voila avec ('opinion des culte & lâ Révélation feulé peut
*,

deux Principes
t toutes les solu- enseigner ce que Pefprit humain
tions qui fe présentent à Pefprit ne saurait comprendre»
humain dans cette grande din\«
DESASTRE DE LISBONNE. i?
Je ne conçois pas plus comment tout serait bien:
Je suis comme un Docteur, hélas ! je ne sai rien.
Platon dit qu'autrefois Phomme avait eu des ailes,
Un corps impénétrable aux atteintes mortelles}
La douleur, le trépas, n'aprochaient point de lui.
De cet état brillant, qu'il diffère aujourdhui!
II rampe, il souffre, il meurt ; tout ce qui naît, expire j
De îa destruction la Nature est PEmpire.
Un saibl e composé de nerfs & d'ossements
Ne peut être insensible au choc des éléments j
Ce mélange de íàng, de liqueurs, & de poudre,
Puis qu'il fut assemblé, fut fait pour se dissoudre. *
Et le sentiment promt de ces nerfs délicats
Fut soumis aux douleurs ministres du trépas.
C'est là ce que m'aprend la voix de,la Nature.
J'abandonne Platon, je rejette Epìàtre.
Bayle en fait plus qu'eux tous: je vais lè consulter:
La balance à la main, Bayle enseigne à douter, b
Assez sage, assez grand pour être sans système,
II les a tous détruits & sc combat lui-même:
Semblable à cet aveugle en butte aux Philistins,
Qui tombá fous les murs abattus par ses mains.
Que, peut donc de Pesprit la plus vaste étendue!
Rien : le livre du Sort se ferme à notre vue.
L'homme étranger à soi, de Phomme est ignoré.
Que snis-je? où íuis-je? où vai-je? & d'où suis-je tiré? t
Ato*
b Voyez les notes à la sin du Poëme.
í Voyez les notes à la fin du Poëme.
16 POEME SUR LE
Atomes tourmentés fur cet amas de boue,
Que la mort engloutit, & dont le fort se joue,
Mais atomes pensants, atomes dónt les yeux
Guidés par la pensée ont mesuré les CieUx\
Au sein de Pinfini nous élançons notre être,
Sans pouvoir un moment nous voir & nous connaître.
Ce monde, cc théâtre, & d'orgueil & d'erreur,
Est plein d'infortunés qui parlent de bonheur.
Tout se plaint, tout gémit en cherchant le bien-être 5
Nul ne voudrait mourir j nul ne voudrait renaître.
Quelquefois dans nos jours consacrés aux douleurs,
Pau la main du plaisir nous essuyons nos pleurs.
Mais le plaisir s'envole & paflò comme une ombre.
Nos chagrins, nos regrets, nos pertes font fans nombre.
Le passé n'est pour nous qu'un triste souvenir 5
Le présent est affreux, s'il n'est point d'avenir,
Si la nuit du tombeau détruit Pètre qui pense.
Un jour tout sera bien, voilà notre espérance;
Tout est bien aujourdhui', voilà Pillusion.
Les Sages me trompaient, & DiEU seiil a raison.
Humbje dans mes soupirs, soumis dans ma soufrance,
Je ne m'éléve point contre la Providence. %

Sur un ton moins lugubre on me vit autrefois,


Chanter des doux plaisirs les séduisantes loix.
D'autres tems d'aùtrcs moeurs : instruit par la vieillesse, '
Des humains égarés partageant la faiblesse,
pans une épaisse nuit cherchant à m'éclairer,
Je ne fìtì que souffrir, & non pas murmurer.
DESASTRE DE LISBONNE, 17

Un Calife autrefois à son heure dernière


Au DIEU qu'il adorait dit pour toute prière :
Je fapporte, 0 fini Roi, seul être illimité,
Tout ce que tu n'as point djìns ton immensité;
Les défauts, les regrets, les maux & ["ignorance.
Mais il pouvait encor ajouter L'ESPERANCE. A

à Voyez les notes à la fin du Poëme.

NO,
(18)

NO TES.
st DIEU tient en main la chaîne, & n'est point e}ichaiuê$
a La chaîne Universelle n'est pas, comme on l'a dit, une gra-
dation suivie qui lie tous les êtres. II y a probablement une distance
immense entre Phomme & la brute, entre Phomme & les sub-
stances supérieures •, il y a l'Infint entre DIEU & toutes les substan-
ces. Les Globes qui roulent autour de nôtre Soleil n'ont rien de
ces gradations insensibles, ni dans leur grosseur, ni dans leurs
distances ni dans leurs Satellites.
>
Pope dit que Phomme ne peut savoir pourquoi les Lunes de Jit'
.

puer font moins grandes que Jupiter ; il se trompe en celai c'est


une erreur pardonnable qui apû éçhaper à son beau génie. II n'y a
point de Mathématicien qui n'eût fait voir au Lord BoU'mgbroke,
& à Mr.-Pose, que si Jupiter était plus petit que ses Satellites > ils
ne pouraient pas tourner autour de lui*, mais il n'y a pqiht de
Mathématicien qui pût découvrir une gradation suivie dans les corps
du Système Solaire»
II n'est pas vrai que si On ôtait un atome du Monde, le Monde
ne pourait subsister: & c'est ce que Mr. De Crouzaì, savant Géo-
mètre, remarqua très bien dans son Livre contre Mr. Pope, il pa-
rait qu'il avait raison en ce point, quoique sur d*autres il ait été
invinciblement réfute' par Mrs. JParburton & Sïlhouïtte.
Cette chaîne des événements a été admise & très ingénieuse-
(

ment défendue par le grand Philosophe Itibtiìtz J elle mérite d'ê-


tre éclaircie. Tous les corps, tous les événements dépendent d'au-
tres corps & d'autres événements. Cela est vrai Ï mais tous les corps
ne font pas néceslaire* a Tordre 6c à la conservation de TUnivers;
& tous les événements ne font pas essentiels à la férie des évé-
nements. Une goûte d'eau, un grain de fable de plus ou de moins,
ne peuvent rien changer à la constitution générale. La Nature n est
asservie ni à aucune quantité précise, ni à aucune forme précise.
Nulle Planète ne se meut dans une Courbe absolument réguliè-
re*, nul être connu n'est d'une figure précisément Mathématique»
nulle quamité précise n'est requise pour nulle opération t la Na-

\
ître n'agit 'UmaU rigoureusement* Ainsi on n'a uucune raison d'as-
lure*
.
N 0 T E.& î9
suret qu'un atome de moins sur la Terre, serait Ia cause de la de£
truclionde la Terre,
H en est de meme . des événements. Chacun d'eux a ía caula
dans l'événement qui précède*, c'est une chose dont aucun Philo-
sophe n'a jamais douté. Si on n'avait pas fuit l'opération Célariert»
ne à la mère de Ctfir, Céjur n'aurait pas détruit la République;
il n'eût pas adopté Ottave, &. Otiave n'eût pas laissé l'Empire à ïï-,
bère. Maximiiun épouse l'héritiére de la Bourgogne ÒC des Pays
bas, & ce mariage devient la source de deux-cent ahs de guerre. -
Mais que GJjaf ait craché A drcite ou à gauche que rhéntiérc
de Bourgogne ait arrangé fa coëssure d'une manière> ou d'une autre,
cela n'a certainement rien changé au lystême général.
U y a donc des événements qui ont des effets, ik. d'autres qui
n'en ont pas. II en clt de leur chaîne comme d'uu arbre généalo-
gique i on y voit des branches, qui s'éteignent à la première généra-
tion, & d'autrts qui continuent ia race Plusieurs événements res-
tent fans filiation. C'est ainsi que dans toute machine, il y a des
.essets nécelKurci au mouvement, & d'autres tsiets indirlérents qui
font la fuite des premiers, & qui ne produisent rien. Les touës d'un
carosse servent à le faire marcher ; mais qu'elles fassent voler un
peu plus ou un peu moins de poussière, le voyage se fait égale-
ment. Tel est donc Tordre général du Monde, que les chaînons
de la chaîne ne seraient point déranges par un peu plus ou un
peu moins de matière, par un peu plus ou un peu moins d'ir-
régularité.
La chaîne n'est pas dans un plein absolu ', il est démontré que
les corps Célestes font leurs révolutions dans Telpace non résistant.
Tout ì'espace n'est pas rempli. II n'y a donc pas une fuite do
corps depuis Un atome jusqu'à la plus reculée des Etoiles. Il
peut ionç y avoir des intervalles immenses entre les Êtres sensibles,
comme entre les insensibles. On ne peut donc assurer que lhom-
nie soit nécessairement placé dans un des chaînons attachés l'un à
l'autre par une fuite non interrompue. Tout est enchaîné, ne veut di-
re autre choie, sinon, que tout est arrangé. DIEU est la Cause & lo
Maître de cet arrangement, Le fopìier d'HbweVp était J'eícjave des
Destins, mais dans une Philosophie plus épurée,DIEU est le Maî-
tre des Destins. Voyez Ciatke Ttaité de t'exìjhnce de Di£U.

b La balance à la main, Bayle enseigne à douter.


b Une centaine de remarques répandues dans le Dictionnaire de*
ìtoyfc lui ont fait une réputation immortelle. II a laissé la dispute
B % lui
20 NOTE S.
sur Ycrlgîne da Mal indécise. Chez lut toutes les opinions sont
exposées; toutes les raisons qui les soutiennent, toutes les raisons
qui les ébranlent, font également aprofbndies; c'est i'Avocat gé-
néral des Philosophes, mais il ne donne point íes conclusions.
II est comme Cicéron, qui souvent dans ses ouvrages Philosophi-
ques soutient son caractère d'Académicien indécis, ainsi que l'a re-
marqué le Savant & judicieux Abbé á'OUvet,
Je crois devoir essiyer ici d'adoucir ceux qui s'acharnent depuis
quelques années avec tant de violence & si vainement contre Bayle:
j'ai tort de dire vainement, c^r ils ne servent qu'à le faire lire avec
plus d'avidité : ils devraient aprendre de lui à raisonner & à être
modérés. Jamais d'ailleurs le Philosophe Bayle n a nié ni la Pro-
vidence ni i'Immortalùé de i'Ame. On traduit Cicéron, on le com-
mente , on le fait lervir à l'éducation des Princes. Mais que trou-
ve-t-on preíque à chaque ,'ge dans Gceron parmi plusieurs cho-
ses admirables? on y trou .' que s'il est une Providence, elle efl blâ'
niable tfavoir donné aux mmes une intelligence dom elle savaU
qtCils devaient abuser. Sic v.^ra iíla providentia reprehendenda quoe
r.uionem dederit cis quos scierit ea perverse uluros* ( Libro ter-
tio de naturâ D.omm.)
Jamais personne »'a cm que la vertu vint des Dintx, & on a eu
raison, Viriutem. nunquam Deo acceptam nemo rctulit, nimiríim
rectè. idem.
Qu'un criminel meure impuni, vous dites que les Dieux le frapent
dans fa postérité Vrne ville sousirait - elle un Législateur qui condamne-
»
rait les petits enfants pour les crimes de leur grand -pérel Ferretne
ulla civitas latorem legis uteondemnaretur Nepos si avus deliquisset?
Et ce qu'il y a de plus étrange, c'est que Cicéron finit son Li-
vre de la Nature des Dieux sans réfuter de telles assertions II sou-
tient en cent endroits la Mortalité de l'Ame dans ses Tuseulanes,
après avoir soutenu (bn Immortalité.
lí y a bien plus. C'est à tout le Sénat de Rome qu'il dit dans
son plaidoyer pour Ciumiusi Quel mal lui a f,v- la mortì Nous re-
jetions tous les Fables ineptes des Enfers. QiCest-ce donc que la mort
lui a 6;è> sinon le sentiment des douleurs ? Quid ilti mors attulit ma-
lt, ni si forte ineptiis ac fabuiis ducimur ut existimemus illum apud
Inferos supplicia perterreî quae si falía sunt quód omnes intelligunt,
quìd ci mors eripuit prêter sensum dolorìsf
Enfin'dans ses lettres oít le coeur parle, ne dit-il pas, t«w
HO» ero, sensu omnì carebo : Quand je ne ferai plus, tout sentiment
périra avec. moi. * '
' ,
Jamais Bayle n'a rien di| d'aprochant» Cependant o.n met CtVrt
.

-
' m
. .
NO TES. 2t
son entre les mains de la jeunesse *, on se déchaîne contre Bayle.
Pourquoi ? c'est que les hommes sont inconséquents, c'est qu'ils
font injustes.

C Que suìs-je ? oh fttis-je ? oh vaUje '( §§ d'oh suis-je tiré ?


j'homme ne peut par lui-même être instruit
c II est elair que
de tout cela. L'efprit humain n'aquiert aucune notion que par l'cx-
périence ', nulle expérience ne peut nous aprendre ni ce qui était
avant notre existence, ni ce qui elt après j ni ce qui anime notre
existence présente. Comment avons • nous reçu la vie? quel ressort
la soutient? comment nôtre cerveau a*t- il des idées & de la mé-
moire? comment nos membres obéissent-ils incontinent à nôtro
Volonté? &c. nous n'en savons rien. Ce globe est-il seul habité?
A-t-il été fait après d'autres globes, ou dans le même instant?
Chaque genre de plantes vient- il ou non d'une première plante?
Chaque genre d'animaux est - il produit ou non par deux premiers
animaux? Les plus grands Philosophes n'en savent pas plus sur
ces matières que les plus ignorants des hommes. II en faut reve-
nir à ce proverbe populaire: La prttle a-t-clìe été avant i'ccuf,
ou sauf avant la poule? Le proverbe est bas: mais il confond Ia
plus haute sagesse, qui ne sait rien furies premiers principes des
choses fans un secours surnaturel.

d Mais il pouvait encor ajouter /'Espérance.


d La plupart des hommes ont eu cette Espérance, avant mème
qu'ils eussent le secours de la Révélation. L'elpoir d'être après la
mort, est fondé fur i'amour de l'ecre pendant la vie*, il est fondé
fur la probabilité que ce qui pense pensera. On n'en a point de
démonstration j parce qu'une chose démontrée est une chote dont
le contraire est une contradiction, & parce qu'il n'y a jmiais eu
de disputes fur les vérités démontrées. Lucrèce pour détruira cette
Espérance aporte dans son troisième Livre des arguments dont la
force afflige i mais il n'oppose que des vraisemblances à des vrai-
semblances plus fortes. Plusieurs Romains pensaient comme I «crê-
te J &on chantait sur le Thé ure de Rome \ post mJttt'm nihil (st%
il nV/î rien âpres la mon. Mats' Pinstinct, la railon, le besoìn d'ê-
tre .consolé, le bien de la société prévalurent} & ies hommes ont
toujours eu l'eípérance d'une vie à venir: espérance, à la vérité,
souvent accompagnée dé doute» La Révélation détruit le doute»
<8c metak certitude à la place. l

B 3 PRE-
PREFACE
S U R LE

POEME D E LA XO I
NATURELLE.
ON lait assez que cc Poème n'avait point été fait
pour être public: c'était depuis trois ans un se-
cret cutre un grand Roi & TAutcur. II n'y a que trois
mois qu'il s'en répandit quelques copies dans Paris, &
bientôt après il y fut imprimé plusieurs fois d'une ma-
nière aussi fautive que les autres ouvrages qui font par-
tis de la même plume.
11 serait juste d'avoir plus d'indulgence pour un écrit
secret tiré de l'obscurité où son Auteur Payait condam-
né» que pour un ouvrage qu'un Ecrivain expose lui-
même au r^rand jour. II serait encor juste de ne pas
juger le Poëme d'un Laïque comme on jugerait une
Thèse de Théologie. Ces deux Poèmes font les fruits
d'un arbre transplante. Qiielques*uns de ce$;ftuits peu-*
veut
PREF. SUR LE POEME DE LA LOI NAT %%

vent n'être pas du goût de quelques personnes: ilssonc


d'un climat étranger$ mais il n'y en a aucun d'empoi-
sonné» & plusieurs peuvent être salutaires.
II Faut regarder cet Ouvrage comme une lettre où
*
l'on expose en liberté ses sentiments. La plupart des
livres ressemblent à ces conversations générales & gênées,
dans lesquelles on dit rarement ce qu'on pense. L'Auteur
a dit ici ce qu'il a pensé à un.Prince Philosophe auprès
duquel il avait alors rhonneur de vivre. II a apris
que des esprits éclairés n'ont pas été mécontents de cet-
te ébauche: ils ont jugé que le Poëme fur la Loi Na-
turelle est une préparation à des vérités plus sublimes.
Cela seul aurait déterminé l'Auteur à rendre l'ouvrage
plus complet & plus correct, si ses infirmités Pavaient
permis. II a été obligé de se borner à corriger les fau-
tes dont fourmillent les éditions qu'on en a faites.
Les louanges données ditis cet écrit à un Prince qui
ne cherchait pas ces louanges » ne doivent surprendre
personne: elles n'avaient rien de la flatterie, elles par-
taient du coeur, ce n'est pas là de cet encens que l'iu-
térêt prodigue à la puistance. L'hommc de Lettres pou-
vait ne pas mériter les éloges & les bontés dont le Mo-
narque le comblait, mais le Monarque méritait la vé-
rité que l'homme de Lettres lui disait dans cet ouvra-
ge. Les changements survenus depuis dans un commer-
ce si honorable pour la Littérature n'ont point altéré
les sentiments qu'il avait fait naître.
Enfin puisqu'on a arraché au secret & à Pobscuri-
B ,4 ri
24 M. SUR LE POEME DE LA LOI NAT.

té un écrit destiné à ne point paraître, il subsistera


chez quelques Sages comme un monument d'une cor-
respondance philosophique qui ne devait point finir j &
on ajoute que si la faiblesse humaine sc sait sentir par-
tout, la vraie Philosophie dompte toujours cette fai-
blesse.
Au reste ce faible Essay fut composé à Toccasion
d'une petite brochure qui parut en ce tcms-là. Elle
était intitulée du Souverain biens & clic devait l'ètrc
du Souverain mal. On y prétendait qu'il n'y a ni ver-
tu ni vice, &quc les remords'font une faiblesse d'é-
*
ducation qu'il faut ctousser. L'Autcur du Poëme.pré-
tend que les remords nous font auíli naturels que les
autres aísccìions de nôtre ame. Si la fougue d'une passion
fuit commettre une faute, la nature rendue à ellè-mè-
nic sent cette faute. La fille sauvage trouvée près de
Châlons avoua que dans la colère elle avaitMoniié à fa
compagne un coup dont cette infortunée mourut en-
tre íçs bras. Des qu'elle' vit son sang couler, elle sc
repentit, clic pleur.:, elle étancha ce sang, elle trfit"
des herbes fur la blessure.. Ceux qui disent que ce re-
tour d'humanité n'est qu'une branche de" nôtre amour
propre, font bien de Phûnncur'à l'amour propre. Qu'on
appelle la raison & les remords comme on voudra, ils
existent, & ils font les fondements de la Loi Naturelle.


L A
LOI NATURELLE i
P O E M E
EN Q_U ATRE PARTIE S.
E X O R D I:. '

O Vous! dont les Exploits, le Régne & les Ouvrages


Deviendront la leçon des Héros & des Sages,
Qui voyez d'un même oeiiil les caprices du sort,
Le Trône & la Cabane, & la vie & la mort $x
Philosophe intrépide, affermissez mon ame, 1

Couvrez-moi des rayons de ectte pure stàinc, ;

Qu'allume la raison, qu'éteint le préjugé.


Dans cette nuit d'erreur, où lc monde est plongé.
Apportons, s'il se peut, une faible lumière.
NOS premiers entretiens, notre étude première,
Etaient» je m'en souviens, Horace avec Misait,
1

VOUS y cherchiez le vrai, vous y goûtiez le beau»


Quelques traits échappes d'une utile Morale,
Dans leurs piquans Ecrits brillent par intcrvalc >•

Mais
*6 P 0 EME S V R LA
J\íais Pope approfondit ce qulls ont effleuré,
D'un esprit plus hardi, d'un pas plus assuré»
II porta le flambeau dans l'ab'une de l'ètre,
£t .Phomme avec lui seul apprit à se connaître,
L'arc, quelquefois frivole, & quelquefois divin,
L'art des vers est dans Pope utile au genre humain.
Que m'importe en eJfet que le flatteur iVOtfave»
Parasite discret, non moins qu'adroit esclave,
Du lit de sa Glicére^ ou de Ligurinust
En Prose mesurée insulte à Crifpinus,
Que Boileau répandant plus de sel que de grâce.
Veuille outrager Qninaut, pense avilir le Tasfex
Qii'il peigne de Paris les tristes embarras,
Ou décrive en beaux vers un fort mauvais repas :
II faut d'autres objets à votre intelligence,
De l'Esprit qui vous meut vous recherchez l'essence»
Son principe, fa fin, & surtout son devoir,
Voyons fur ce grand point ce qu'on a pù sçavoir,
Ce que l'erreur fait croire aux Docteurs du vulgaire,
Et ce que vous inspire un DÏEU qui vous éclaire.
Dans le fond de nos coeurs il faut chercher ses traits:
Si DIEU n'est pas dans nous, il n'exista jamais.
Ne pouvons-nous trouver l'Auteur de nôtre vie
Qii'au Labyrinthe obscur de la Théologie?
Orìgène & Jean Scot sont chez vous sans crédit,
La Nature en fait plus qu'ils n'en ont jamais dité
Ecartons ces Romans qu'on appelle systèmes,'
Et pour nous élever descendons dans nous-mêmes.
PRE-
10 J NÂTVREILE. '- a?

PREMIERE PARTIE
DIEU a donné aux hommes les idées de la jus
tice & la conscience four les avertir, corn*
5
trie il leur a donné tout ce qui leur est né~
ceffaire, Cest là cette Loi Naturelle fur la*
quelle la Religion est fondée. Cest ce seul
principe qiion développe ici Von ne parle que
de la Loi Naturelle, & non de la Religion
(ír de ses augustes Mistcrcs,
a Ç Oit qu'un Etre inconnu, par lui seul existant ,
>3 Ait tiré depuis
peu TUnivers du néant,
Soit qu'il ait arrangé la matière éternelle ,
Qu'elle nage eu son sein, ou qu'il régne loin d'elle $
Que Pâme, ce flambeau souvent si ténébreux,
Ou soit un de nos sens, ou subsiste íans eux:
Vous êtes fous la main de ce Maître invisible.
Mais du haut de son Trône obscur, inaccessible,
Quel hommage, quel Culte exige-1-il de vous?
De fa grandeur Suprême indignement jaloux,
Dès louanges, n'es voeux, flattent-ils fa puissance?
EJl-ce le peuple altier, conquérant de Bisance,
Le tranquile Chinois, le Tartare.indompté,

S» Voyez les riotes à ía sin d» Poëmet *


88 PO EME S U R L A'
Qui connaît son essence, & suit sa volonté ?
Dissérens dans leurs moeurs, ainsi qu'en leur hommages
Ils lui font tenir tous un différent langage,
Tous sc sont donc trompés. Mais détournons les yeux
De cet impur amas d'imposteurs odieux: *.'
Et fans vouloir souder, d'un regard téméraire,
De la Loi des Chrétiens ì'jncssable Mystère,
Sans expliquer en vain ce qui fut Révélé,
Cherchons par la raison si DIEU n'a point parlé,
La Nature a fourni d'une main salutaire
Tout ce qui dans la Vie à l'homme est nccessiire,
Les ressorts de son ame, & l'instinct de ses sens.
Le Ciel à ses besoins soumet les clémonts.
Dans les plis du cet veau là mémoire habitante,"
Y peint de la Nature une image vivante.
Chaque objet de ses sens prévient la volonté.
Le son dans son oreille est par Pair aporté:
Sans efforts &' fans soins son céùil voit la lumière,
Sur son DiËfu, fur ía fin, fur ft cause première,s
L'homme cít.A il faus secours à Terreur attaché ?
.
Quoi ! le Monde est visible, & DIEU serait caché ?
Quoi ! le plus grand besoin que j'aye en ma misère,
,,
Est le -seul qu'en effet je ne peux satisfaire ?
^
Non : le D JJSU qui m'a tait, ne m'a pointfait en"vain. *
Sur le fï'ònt dès mortels il mit son sceau divin.
Je ne puis ignorer ce qu'ordonna mòií Maître j

* Il ftut diíîînguer Conûttzêe Naturelle;, & qui a fait tout.ee


qui s'en elt tenu à la Religion qu'on peut faire fans Révélation,
L Ù 1 N A T U R E l L E. »í>

IIm'a donné ft Loi, puisqu'il m'a donné l'ètrc,"


Sans doute il a parléi mais c'cstà l'Univers,
31 n'a point de l'Egyptc habité les déserts,
Delphes, Delos, Ammon, ne sont pas ses asiles,
11 ne íb cacha point aux antres des Sibylles.
La Moralcuuiibrmo.cn tout tems, en tout lieu,
A des siécles fuis fin parle au nom de ce DIEU.
C'est la loi de Trajan><\e Socrate, & la vôtre.
De ce Culte éternel la Nature est l'Apôtre}
Le bon sens la reçoit, & les remords vengeurs,.
Nés de la conscience, en sont les défenseurs.
Leur redoutable voix partout se fait entendre.
Pensez-vous en effet que ce jeune Alexandre y
^
Aussi vaillant que vous, mais bien moins modéré,
Teint du fàng d'un ami trop inconsidéré,
Ait pour se repentir consulté des Augures?
Ils auraient dans leurs eaux lavé ses mains impuresj
Ils auraient à prix d'or absous bientôt le Roi,
Sans eux, de la Nature il écouta la Loi j
Honteux, désespéré d'un moment do furie,
II se jugea lui-même indigne de la vie.
Cette loi Souveraine, à la Chine, au Japon,'
Inspira Zoroaflre>> illumina Solon) •
'

D'un bout du Monde à l'autre elta parle, elle crie,


ADORE UN DIEU, SOIS JUSTE, ET CHÉRIS TA PATRIE.
Ainsi le froid Lapon crut un Etre éternel j
II eut de la justice un instinct naturel}
Et le Nègre vendu sur un lointain rivage,
Dans
$0 POEME SUR IA
Dans les Nègres encor aima Pa noire imagc«
Jamais un parricide, un calomniateur,
N'a dit tranquilement, dans le fond de fou coeur?
Qii'il est beau, qu'il est doux d'accabler l'innocence,
,,
De déchirer le sein qui nous donna naissance!

DIEU juste, DIEU parfait! que le crime a d'appas î

Voilà ce qu'on dirait, mortels n'en doutez pas,
S'il n'était une Loi terrible, universelle,
Que respecte le crime en s'élevant contre elle.
Est-ce nous qui créons ces profonds sentiments?

Avons - nous fait nôtre aine ? avons - nous fait nos sens ?
L'or qui naît au Péroul Por qui naît à la Chine,
Ont la même nature, & la même origine:
L'Artifah les façonne, & ne peut les former.
Ainsi l'Etre éternel, qui nous daigne animer,
Jetta dans tous les coeurs une même semence.
Le Ciel fit la vertu} l'homme en fit i'apparence.
II peut la revêtir d'imposture & d'erreur}
II ne peut la changer ; son Juge est dans son coeur.

SECON-
LOI NATURELLE, 3t

SECONDE PARTIE,
Réponses aux objections contre les principes d\h
ne Morale universelle, Preuve de cette vé«
rite,
J'Entends avec Cardan, Spinosa qui murmure.
Ces remords, me dit-il, ces cris de la Nature,'
Ne font que l'habitude, & les illusions,'
Qu'un besoin mutuel inspire aux Nations.
Raisonneur malheureux, ennemi de toi-même,'
D'où nous vient ce besoin ? pourquoi l'Etre Suprême
Mit - il dans notre coeur à l'intérèt porté
Un instinct qui nous lie à la société ?
Les loix que nous faisons, fragiles,, inconstantes,
Ouvrages d^un moment, sont par-tout différentes j
Jacob chez les Hébreux put épouser deux soeurs, *

David, fans offenser la décence & les moeurs,


Flatta de cent Beautés la tendresse importune,
Le Pape au Vatican n'en peut posséder imej
Là, le père à son gré, choisit son successeurs
Ici, l'heureux aine de tout est possesseur.
Ún Polaque à moustache, à la démarche altière,
Peut arrêter d'un mot sa République entière.
L'Ëmpereur ne peut rien sans ses chers Electeurs,
L'Anglais a du crédit, le Pape a des honneurs.
un*-
33 POEME SUR IA
,

Usages, Intérêts, Culte, Loix, tout diffère,


Qu'un soit Juste, il suísit, le reste est arbitraire. *
Mais taudis qu'on admire & ce juste & ce beau j
Londre immole son Roi par la main d'un bourreau $
Du Pape Borgia le bâtard sanguinaire,
Dans les bras de fa soeur assassine sou frère:
Là, le froid Hollandais devient impétueux,
II déchire eu morceaux deux frères vertueux $
Plus ioiu la Brinvilliers, dévote avec tendresse,
Empoisonne son père en courant à confesle}
Sous le fer du méchant le juste est abattu.
Hé bien, conclurés vous qu'il n'est point de vertu?
-
Quand des vents du Midi les fundtes haleines,
De semences de mort ont inondé nos plaines,
Direz-vous que jamais le Ciel en son courroux
Ne laissa la santé séjourner parmi nous ?
Tous les divers fléaux dont le poids nous accable,
Du choc des élémens effet inévitable,
Des biens que nous goûtons corrompent la douceur j
Mais tout est paílager, le crime & le malheur.
De nos désirs fougueux la tempêta fatale
Laissq au fond de nos coeurs la Régie & la Morale,
C'est une source pure : en vain dans ses canaux
Les vents contagieux en ont troublé les eaux}
%
' ' ' En

* II est e'vident que cet arbi- la discipline, qui changent tou?


traire ne regarde que les cho- les jours félon le besoin,
ses d'inltitution, lçs loix civiles
tOl N A T URE L LE. M
Eu vain sur la surface une fange étrangère
Apporfc en bouillonnant un limon qui l'altèrcí
L'homme le plus injuste & le moins policé,
S'y contemple aisément quand l'orage est pasle,
TOUS ont reçu du Ciel, avec i'intelligence,
Ce frein de la justice & de la conscience.
De la raison naiflantc elle est le premier fruit Î
Dès qu'on la peut entendre, aussi-tôt elle instruits
Contrepoids toujours prompt à rendre Péquilibre
Au coeur plein de defirs, asservi, mais né libre i
Arme que la Nature a mis en notre main,
Qui combat l'intérêt par l'amour du prochain.
De Socrate en un mot c'est -là rheurcux génie j
C'est-là ce DIEU secret qui dirigeait sa vie,
Ce DIEU qui jusqu'au bout présidait à son sort,
Quand il but sans pâlir la coupe de la mort.
Quoi! cet Esprit Divin n'est-il que pour Socrate?
Tout mortel ale sien qui jamais ne le flatte.
Nérori cinq ans entiers fut soumis à ses loix,
Cinq ans des corrupteurs il repoussa la voix*
Marc-Aurèle apuyé fur la Philosophie,
,
Porta ce joug heureux tout le tems de fa vie<
Julien s'égaralit dans fa Religion,
Infidèle à la Foi, fidèle à la Raison
*
Scandale de l'Eglise, & des Rois le modèle *
Ne s'écarta jamais de la Loi Naturelle.
On insiste, on me dit} L'enfant dans son berceau
N'est point illuminé par ce divin flambeau
}
C C'est
34.
.
-POEME' SUR LA
C'est l'éducation qui forme ses pensées,
Par l'exemplc d'autrui ses moeurs lui font tracées'}
II n'a rien dans i'esprit, il n'a rien dans le coeur »
De ce qui Penvironne il n'est qu'imitateur>
I! répète les noms de devoir, de justice, '

II agit en machine: & c'est par fa nourrice


Qii'il est Juif ou Payen, fidèle ou Musulman,
Vêtu d'un juste-au-corps, ou bien d'un Doliman.
Oui, de l'exemple en nous je fai quel estl'empircir
II est des sentiments que l'habitude inspire.
Le langage, la mode, & les opinions,
Tous les dehors de Pâme, & ses préventions,
Dans nos faibles esprits font gravés par nos Pères,
Du cachet des mortels impressions légères.
Mais les premiers ressorts sont faits d'une autre main*
Leur pouvoir est constant, leur principe est Divin.
II faut que Pensant croisse, afin qu'il les exerce}
II ne les connait pas sous la main qui le berce.
Le moineau dans Pinstant qu'il a reçu le jour,
Sans plumes dans son nid peut-il sentir Pamour?
Le renard, en naissmt va-1-il chercher sa proie?
Les insectes changeants, qui nous filent la soie,
Les essains bourdonnants de ces filles du Ciel,
Qui paitrissent la cire & composent le miel,
Si-tôt qu'ils sont éclos forment-ils leur ouvrage?
Tout meurit par le tenìs, & s'accroît par Pusagc.
Chaque être a son objet, & dans Pinstant marqué
11 marche vers le but par le Ciel indiqué.
De
L 0 1 NA T U K E L L È. 3?

De ce but, il est vrai, s'écartent nos caprices,


Le juste quelquefois commet des injustices,
On fuit le bien qu'on aime, on hait le mal qu'on fait.
De soi - même en tout tems quel coeur est satisfait ?
L'homme (on nous Pa tant dit ) est une énigme obscure}
,
Mais en quoi Pest-il plus que toute la Nature?
Avez vous. pénétré, Philosophes nouveaux,
-
Cet instinct sûr & promt qui sert les animaux?.
Dans son germe impalpable avez-vous pû connaître
L'herbe qu'on foule aux pieds, & qui meurt poúr renaître ?
Sur ce vaste Univers un grand voile est jette}
Mais dans les profondeurs de cette obscurité,
Si la raison nous luit, qu'avons-nous à nous plaindre ?
Nous n'avons qu'un flambeau} gardons-nous de Péteindre 1

Quand de Pimmenfité DIEU peupla les déserts,


Alluma des Soleils & souleva des Mers }•
Demeurez, leur dit il dans vos bornes prescrites,
- »
Tous les Mondes naissants connurent leurs limites,
11 imposa des Loix à Saturne, à Vénus,

Aux seize Orbes divers dans nos Cieux contenus,


Aux élémens unis dans leur utile guerre,
A la course des vents, aux flèches du tonnerre,
A Panimal qui pense, & né pour l'ador.c,
Au ver qui nous attend, né pour nous ckvorer.
Aurons-nous bienTaudace, en nos faibles cervelles,
.* D'ajouter nos Décrets à ces Loix immortelles?
C % Hélas í
* On ne doit entendre par ce mot Décrus que les op inions
passif
3* POEME SUR LA
Hélas! serait-ce à nous, fantômes d'un moment?
Dont Pêtre imperceptible est voisin du néant,
De nous mettre à côté du Maître du tonnerre,
Et de donner en Dieux des ordres à la Terre ?

TROISIEME PARTIE.
Que les hommes ayant pur la plupart défiguré,
par les opinions qui les divisent, le principe
de la Religion Naturelle qui les unit 9 doi-
vent se suporter les uns les autres.

L'Univers est un Temple où siège PEternel.


Là * chaque homme à son gré veut bâtir un Autel.
Chacun vante fa Foi, ses Saints, & ses Miracles,
Le sang de ses Martyrs, la voix de ses Oracles,
L'un pense, en se lavant cînq ou six fois par Jour,
Qiie le Ciel voit ses bains d'un regard plein d'amour,
.Et qu'avec un prépuce on ne saurait lui plaire,
L'au-

passagères des hommes qui veu- veut s'ériger en Législateur, & v

lent donner leurs sentiments par- il n'est ici question que des Cul-
ticuliers pour des loix ge'néra- tes e'trangers, comme on Pa dé-
les. clare' au commencement de U
* ( Chaque homme ) signifie première Farde»
clairement chaque particulier qui
1,0 1 NATURELLE, 37
L'autre a du Dieu Brama désarmé la colère ;
Et pour s'être abstenu de manger du lapin,
Voit le Ciel entr'ouvert, & des plaisirs fans fin,
Tous traitent leurs voisins d'impurs & d'infidelles.
De Chrétiens divisés les infâmes querelles
Ont au nom du Seigneur aporté plus de maux,
Répandu plus de sang, creusé plus de tombeaux,
Que le prétexte vaiu d'une utile balance
N'a déíolé jamais PAUemagne & la France.
Un doux Inquisiteur, un crucifix en main,
Au feu par charité fait, jetter son prochain,
Et pleurant avec lui d'une fin si tragique,
Prend pour s'en consoler son argent qu'il s'applique,
Tandis que de la grâce ardent à se toucher,
Le peuple en louant DIEU danse autour du bûcher.
On vit plus d'une fois, dans une sainte yvresse,
Plus d'un bon Catholique, au sortir de la Messe,
Courant sur son voisin pour Phonneur de la foi,
Lui crier, Meurs, impie, ou pense comme moi.
Calvin & ses suppôts guettés par la Justice,
,
Dans Paris en peinture allèrent au supplice.
Servet fut en personne immolé par Calvin.
Si Servet dans Genève eût été Souverain,
II eût pour argument contre ses adversaires *
Fait serrer d'un lacet le cou des Trinìtaires.
Ainsi d'Arminius les ennemis nouveaux
En Flandre étaient Martyrs, en Hollande bourreaux.
D'où vient que deux-cent ans cette pieuse rage
C 3 De
3S POEME SUR LA
De nos Ayeux grossiers fut Phorrible partage ?
C'est que de la Nature on étouffa la voix}
C'est qu'à fa Loi sacrée on ajouta des Loix}
C'est que Phomme amoureux de son sot esclavage
,
Fit dans ses préjugés DIEU même à son image.
Nous Pavons fait injuste, emporté, vain, jaloux,
Séducteur, inconstant, barbare comme nous.
Enfin grâce en nos jours à la Philosophie,
Qui de PEurope au moins éclaire une partie,
Les mortels plus instruits en font moins inhumains:
Le fer est émoussé les bûchers font éteints.
,
Mais si le Fanatisme était encor le Maître,
Que ces feux étouffés feraient promts à renaître !
On s'est fait, il est vrai, le généreux effort
D'envoyer moins souvent ses frères à la mort.
* On brûle moins d'Hébreux, dans les murs de Lisbonne 5
Et même le Muphti, qui rarement raisonne,
Ne dit plus aux Chrétiens que le Sultan soumet,
Renonce au vin * barbare, & crois à Mahomet*
f Mais du beau nom de chien ce Muphti nous honore ,*
Dans le fond des Enfers il nous envoyé encore.
Nous le lui rendons bien: nous damnons à la fois
Le peuple circoncis vainqueur de tant dé Rois,
Londres, Berlin, Stockolm, & Genève, & vous-même :
Vous
* On ne pouvait prévoir a- ma trop souvent des bûchers;
lors que les flammes détruiraient t Les Turcs appellent indif-
une.partie de cette ville mal- féremment les Chrétiens Jnsidê*
heureuse, dans laquelle oh allu- let & Chien:,
h 0 1 NATUREL L E, M
Vous êtes, ô grandi Roi l compris dans Panathême,
En vain par des bienfaits signalant vos beaux jours,
A Phumaine raison vous donnez des secours,
Aux beaux Arts des palais, aux Pauvres des aziles,
Vous peuplez les déserts & les rendez fertiles.
De fort savants esprits jurent fur leur salut, *
Qye vous êtes fur Terre un fils de Belzébut.
Les vertus des Payens étaient, dit-on, des crimes.
Rigueur impitoyable! odieuses maximes!
Gazettier clandestin, dont la platte acreté
Damne le Genre-humain de pleine autorité,
Tu vois d'un oeil ravi les mortels tes semblables,
Paitris des mains de DIEU pour le plaisir des Diables,
N'es-tu pas satisfait de condamner au feu
Nos meilleurs citoyens Montagne & Montesquieu?
Penses-tu que Soa-ate, & le juste Aristide,
Solon, qui fut des Grecs & Pexemple & le guide,
Penses-tu que Trajan, Marc-Aurèle, Titus,
Noms chéris, noms sacrés, que tu n'as jamais lus,
C 4 Auxt
* On respecte cette maxime*. l'Archevêque Unelon, Vcus étés
hors de fEglise point de salut: damné? Et un Roi de Portugal
mais tous les hommes Censés écrirait-il à un Roi d'Angleter-
trouvent ridicule & abominable re qui lui envoyé des secours í
que des particuliers osent em- Mon frère > vous irez c) tout les
ployer cette sentence généra- Diables ? La dénonciation des
le & comminatoire contre des peines éternelles à ceux qui ne
hommes qui font leurs supérieurs pensent pas comme nous, est une
& leurs Maîtres en tout genre: arme ancienne qu'on laisle sage-
les hommes raisonnables n'en u- ment reposer dans l'arfenal, Sc
sent point ainsi, L'Archevêque dont il nVst permis à aucun par-
Ttlhtson aurait-il jamais écrit à ticulier dé si} servir.
40 POEME SUR LA
Aux fureurs des Démons sont livrés en partage,
Par le DIEU bienfaisant dont ils étaient l'ìmage ?
Et que tu feras, toi, de rayons couronné,
D'un choeur de Chérubins au Ciel environné,
Pour avoir quelque tems, chargé d'une besace,
Dormi dans l'ignorancc » & croupi dans la crasses
Sois sauvé, j'y consens} mais Pimmortel NeMon,
Mais le sqávant Leibnitz & le sage Adijson,
b Et ce Locke,'cn un mot, dont la main courageuse
A de PEsprit humain posé la borne heureuse}
Ces Esprits qui semblaient de DIEU même éclairés,
Dans des feux éternels feront-ils dévorés?
Porte un arrêt plus doux, prens un ton plus modeste,
Ami, ne prévien point le jugement Céleste,
Respecte ces mortels, pardonne .a leur vertu.
Ils ne t'ont point damné t' pourquoi les damnes-tu?
A la Religion discrètement fidèle,
Sois doux, compatiíìaut, fige, indulgent comme elle}
Et faus noyer autrui songe à gagner le port t
Qui pardonne a raison, & la colère a tort.
Dans nos jours passagers de peines, de misères,
Enfansçlu même DIEU, vivons du moins en frères,
Aidons-nous l'un & l'autre à porter nos fardeaux.
Nous marchons tous courbés fous le poids de nos maux}
Mille ennemis cruels allîégeiit notre vie,
îoujeurs par nous maudite, & toujours si chérie:
Notro
b Voyez les Notes à h ím du Poçme*
LOI NATURELLE. 41
Notre coeur égaré, sans guide & fans appui,
Est brûlé de désirs, ou glacé par l'ennui.
Nul de nous n'a vécu fans connaître les larmes.
De la Société les secourables charmes
Consolent nos douleurs au moins quelques instans:
Remède encor trop faible u des maux si constans.
Ah ! n'empoisonnons pas la douceur qui nous reste !
Je crois voir des forçats dans un cachot funeste,
Se pouvant secourir, l'un sur l'autre acharnés,
Combattre avec les fers dont ils font enchaînés.

QUATRIEME PARTIE.
Cest au Gouvernement cì calmer les malheureuses
disputes de l'école qui troublent la Société,

0U1, je Pentends souvent de votre bouche auguste,


Le premier des devoirs, fans doute, est d'être juste}
Et le premier des biens est la paix de nos coeurs.
Comment avez-vous pù» parmi tant de Docteurs,
Parmi ces différons que la dispute enfante,
Maintenir dans PEtat une paix si constante?
D'où vient que les enfants de Calvin, de Luther,
Qu'on croit de-là les Monts bâtards de Lucifer,
Le Grec & le Romain, Pcmpeíc Quiétistc,
Lo Quakre au grand chapeau, 1c simple Anabaptiste,
Qui jamais dans leur Loi n'ont pû se réunir,
Sont
43 P 0 EME S U R. LA
Sont tous fans disputer, d'accord pour vous bénir ? v
C'est que vous êtes Page, & que vous êtes Maître.
Si le dernier Valois, hélasí avait squ Pètre,
Jamais un Jacobin, guidé par son Prieur,
De Judith & iVAod servent imitateur,
N'eut tenté dans St. Cloud fa funeste entreprise t
* Mais poignard de PEglise}
Valois aiguisa le
Ce poignard qui bientôt égorgea dans Paris,
Aux yeux de ses Sujets, le plus grand des Henris.
Voilà le fruit astreux des pieuses querelles:
Toutes les factions à la fin font cruelles}
Pour peu qu'on les soutienne, on les voit tout oser}
Pour les anéantir, il les faut mépriser.
Qui conduit des Soldats peut gouverner des Prêtres.
Un Roi cíoíit la grandeur écìiplîi ses ancêtres,
Crut pourtant fur la foi d'un Confesseur Normand,
Janfenìus à craindre, & Qttefnel important}
Du sceau de sa grandeur il chargea leurs sottises,
De la djspute alors cent cabales éprises,
Cent bavards en fourure, Avocats, Bacheliers,
Colporteurs, Capucins, Jésuites, Cordeliers,
Troublèrent tout PEtat par leurs doctes scrupules:
\ Le Régent plus sensé les rendit ridicules:
Dans

* IIrie faut pas entendre par là dcteíteï par PEgliíe de tous


tt mot V Eglise Catholique, maìs les tems.
f
le poignard d'un Ecclésiastique, Ce ridicule û* universelle-
le fanatisme abominable de quel- ment fend par toutes les Nations,
ques gens d'Eglise de ces tetas* tombe fur les grandes intrigues
fout
LOI NA T U R E L L E. 43
Dans la poussière alors on les vit tous rentrer.
L'oeil du Maître suffit, il peut tout opérer.
L'heureux cultivateur des présents de Pomone
Des filles du printemps, des trésors de PAutone,
Maître de son terrain, ménage aux arbrisseaux
Les secours du Soleil, de la Terre & des eaux}
Par de légers appuis soutient leurs bras débiles,
Arrache impunément les plantes inutiles}
Et des arbres touffus, dans son clos renfermés,
Emonde les rameaux de la fève affamés.
Son docile terrain répond à fa culture,
Ministre industrieux des loix de la Nature,
II n'est pas traversé dans ses heureux desseins}
Un arbre qu'avec peine il planta de ses mains,
Ne prétend pas le droit de sc rendre stérile :
Et du sol épuisé tirant un suc utile,
Ne va pas refuser à son maître affligé
Une part de ses fruits dont il est trop chargé.
Un Jardinier voisin n'eut jamais la puissance,
De dirìger des Cieux la maligne influence,
De maudire ses fruits pendaus aux espaliers,
Et de sécher d'un mot sa vigne & ses figuiers.
Malheur aux Nations dont les loix opposées
Embrouillent de PEtat les rênes divisées!
Le Sénat des Romains, ce Conlcil de Vainqueurs,
Présidait
pour de petites choses, fur la fur plus de quatre mille velu*
haine acharnée de deux partis mes imprimés*
qui n'ont jamais pít s'entendre
44- PO E M E' SUR L A'<
Présidait aux Autels, & gouvernait les moeurs,' .«•

Restraignaìt sagement le nombre des Vestales,


D'un peuple extravagant réglait les Baccanales .•

Marc-Aurèle & Trajan mêlaient aux champs de Mars


Le bonnet de Pontife au bandeau des Césars*.
L'Univers reposant sous leur heureux génie,
Des guerres de Pécole ignora la manie}
Ces grands'Législateurs d'un saint zélé enivrés,
Ne combattirent point pour leurs poulets sacrés.
Roma encor aujourdhui conservant ces maximes,
Joint le Trône à PAutel par des noeuds légitimes.
Ses citoyens cil paix sagement gouvernés
Ne font plus Conquérants, & font plus fortunés.
Je ne demande pas que dans fa Capitale,
Un Roi portant en main la Crosse Episcopale
,
Au sortir du Conseil, allant en Mission,
Donne au peuple contrit sa bénédiction :
Toute Egliíè a ses loix, tout peuple a son usage}
Maïs je prétends qu'un Roi, que son devoir engage
A maintenir la paix, Pordre, la sûreté,
A sur tous ses Sujets égale autorité} *
Ils sont tous ses enfants : cette famille immense,
Dans ses soins paternels a mis fa confiance.
Le Marchand, PO u vricr» le Prêtre, le Soldat,
Sont

* Cé h*est pâ$ à dire que cha» dons» lis jouissent de ces privi-
que ordre de í'Ëtat n'ait ses dis- lèges dans tout pays t mais h
tinctions, ses privilèges indispèn* Loi générale lie également tout
sablement attachés à ses ibncr le monde.
LOI NATURELLE. *f
Sont tous également les membres de PEtat.
De la Religion Pappareil nécessaire,
Confond aux yeux de DIEU le Grand & le Vulgaire;
Et les civiles Loix, par un autre Hen,
Ont confondu le Prêtre avec le Citoyen.
La Loi dans tout Etat doit être universelle.
Les mortels, quels qu'ils soient, sont égaux devant elle»
Je n'en dirai pas plus fur ces points délicats.
Le Ciel ne m'a point lait pour régir les Etats,
Pour conseiller les Rois, pour enseigner les Sages*
Mais du port où je fuis, contemplant les orages,
Dans cette heureuse paix où je finis mes jours,
Eclairé par vous-même, & plein de vos discours,
De vos nobles leçons salutaire interprète,
Mon esprit suit le vôtre, & ma voix vous répète.
Que conclure à la fin de tous mes longs propos?
C'est que les préjugés sont la raison des sots}
11 nc faut pas pour eux se déclarer la guerre :

Le vrai nous vient du Ciel, Perreur vient de la Terre *


Et parmi les chardons qu'on ne peut arracher,
Dans des sentiers secrets, le sage doit marcher}
La paix enfin, la paix, que l'on trouble & qu'on aime,
Est d'un prix aussi grand que la vérité même.

PRIE*
4$ POEME SUR LA LOI NATURELLE,
PRIE R £
O DIEU! qu'on méconnaît, Ô DIEU! que tout annonce,
Entends les derniers mots que ma bouche prononce 5
Si je me fuis trompé, c'est en cherchant ta Loi}
Mon coeur peut s'égarer, mais il est plein de toi:
Je vois fans m'allarmer PEtcrnité paraître,
Et je ne puis penser qu'un DIEU qui m'a fait naître,
Qu'un DIEU qui sur mes jours vcrla tant de bienfaits,
Quand mes jours sont éteints, me tourmente à jamais.

ïsr o TES.
a Soit qiCnn Etre inconnu, &c.
a DtKU étant un Etre infini, fa nature a du" Être inconnue à
tous les hommes, Comme cet ouvrage est tout philosophique il >

a falu ra porter les sentiments des Philosophes. Tous les Anciens,


íâns exception, ont cru Paternité* de la matière ; c'est presque le
(èul point surlequelils convenaient. La plupart prétendaient que
les Dieux avaient arrange' le Monde ; nul nc savait que DiEU.l'a»
vait tire* du néant. Us disaient que Psntellîgence céleste avait par
sa propre nature le pouvoir de disposer de la matière & que là
>
matière existait par sa propre nature.
Scion preíjme tous les Philosophes & les Poètes, les grands
Mieux habitaient loin de la Terre. L'amc de Phomme selon plu-
>
sieurs, était un feu céleste} selon d'autres, une harmonie résultan-
te de ses organes: les uns en faisaient une partie de la Divinité,
lViyìnee partituìam attrat les autres, une matière épurée, une
quintessence; les plus sages, un être immatériel: mais quelque
Secte qu'ils íayent embrassée, tous> hors les lîpicuriens, ont recon-
nu que Phomme est; entièrement soumis à la Divinité.

h Et
NO TES. 4?
b Et ce Locke, en un mot, dont la main courageuse
A de Pesprit humain posé la borne heureuse »

b Le modeste SC sage Locke est connu pour avoir dévelopc


toute la< marche de l'Entendement humain, & pour avoir montre
les limites de son pouyoir. Convaincu de la faiblesse humaine,
& pénétré de la puissance infinie du Créateur, il dit que nous
ne connaissons la nature de nôtre ame que par la foi: il dit que
l'homme n'a point par lui-même assez de lumières pour assurer
que DIEU ne peut pas communiquer la pensée à tout Etre auquel U
daignera faire ce présent, à la matière elle-même.
Ceux qui étaient encor dans Pignorance s'élevèrent contre luî.
fintêtés d'un Cartésianisme aussi skix en tout que le Perîpatétisme,
ils croyaient que la matière n'est autre chose que Pétenduë en lon-
gueur, largeur de profondeur : ils ne savaient pas qu'elle a la gra»
vitation vers un centre, la force d'inertie & d'autres propriétés,
que ses éléments font indivisibles tandis que ses compolés se divi-;
sent sans cesset Us bornaient la puissance de l'Etre Tout » puissant;
ils ne faisaient pas réflexion qu'après toutes les découvertes fur la
matière, nous ne connaissons point le fond de cet êire. Ils de-
vaient songer que l'on a longterhs agité fi l'Entendement humain
est une faculté ou une substance. Us devaient s'interroger eux-
mêmes Sc sentir que nos connaissances font trop bornées pour son*
der cet abîme.
La faculté que les animaux ont de se mouvoir, n'est point
une substance» un être à part*, il parait que c'est tm don du
Créateur. Locke dit que ce même Ctéaieur peut faire ainû utt
don de la pensée à tel être qu'il daignera choisir Dans cette hy-
pothèse qui nous soumet plus que tout autre à l'Etre suprême, la
pensée accordée à un élément de matière, n'en est pas moins
pure» moins immortelle > que dans toute autre hypothèse. Cet élé-
ment indivisible est impérissable : la penlc'c peut essuie ment sub-
sister à jamais avec lui quand le corps est dissous. Voilà ce que
>
Locke propose sans rien affirmer, II dit ce que Duu eut pû faire»
& non ce que Ditu a fait. II ne connaît point ce que c'est que ta
matière \ il avoue qu'entre elle & Duu il peut y avoir une in*
finîté de substances créées absolument différentes les unes des
,
autres j la lumière» le feu élémentaire paraît en efîet, comme on
Pa dit, dans les éléments de tâuiton, une substance mitoyenne en-
tre cet être inconnu nommé matière > Sc d'autres êtres encor plus
inconnus, La lumière ne tend point vers un centre, corrme la
matière j elle ne parait pas impénétrable, aussi Mtwen dit fouvent
dans
48 NO TES.
dans son Optique , k n'examine pas si les rayons de la lumière fini
des corps, ott non,
Locke dit donc qu'il peut y avoir un nombre innombrable de
substances, Sc que DIEU est le Maître d'accorder des idées à ces
substances. Nous ne pouvons deviner par quel art divin un être
tel qu'il soit a des idées i nous en sommes bien ioin: nous no
saurons jamais comment un ver de terre a le pouvoir de se re-
muer. II saut dans toutes ces recherches^ s'en remettre à DIEU &
sentir son néant. Telle est la Philosophie do cet homme, d'au-
tant plus grand qu'il est plus simple; Sc c'est cette soumission à
DIEU qu'on a osé appeller impieté, &ce font ses sectateurs con-
vaincus de Pimmortalité de Pâme qu'on a nommé Matérialistes}
& c'est un homme tel que Locke à qui un compilateur de quel-
que Physique a donné le nôm d'ennuyeux.
Quand même Locke se seran trompé sur ce point, (si on peut pour-
tant se tromper en n'affirmant rien ) cela n'empêche pas qu'il ne méri-
te la louange qu'on lui donne ici t il est le premier ,ce me semble,
qui ait montré qu'on ne connaît aucun axiome avant d'avoir connu les
Vérités particulières} il est le premier qui ait fait voir ce que c'est
que rìdentité» Sc ce que c'est que d'être la même personne» le
même soÎMlest le premier,qui ait prouvé la fausseté du système
dès idées innées. Sur quoi je remarquerai qu'il y a des écoles qui
anathématisèrent les idées innées quand Descartes les établit, St
qui anathématisèrent ensuite les adversaires des idées innées, quand
Locke les eut détruites* C'est ainsi que jugent les hommes qui ne
(ont pas Philosophes. /
N B. Le Ltúeur curieux peut consulter 1e chapitre sur Locke dm*
tet Mélanges de Littérature, &C &&

NOTE
N 0 T ES. 49

NOTE particulière sur ce passage de Ia


PreJtace qui est au devant du Poëme sur
le désastre de Lisbonne &c.
>

Lorsque l'illujlre Pope dévelopa dans ses vers ìmmorteh


les systèmes du Lord Shaftcrsburi {$ dit Lord
Bolingbroke, &c.

C'est peut - être la première fois qu'on a dît que le système des
fiPope était celui du Lord Shastersburi ) c'est pourtant
une vérité
incontestable. Toute la partie physique est presque mot à mot
» -
clans la première partie du Chapitre intitulé Les Moralistes^ Section
»
3» MUEH 1SÀLLBGD IN ANSUWER TO $HO\VE &C O»t» heaUCOUp hl
Çêponàre à
ces plaintes des défauts de la Nature, Comment est - elfe
sortie si impuissante & si défectueuse des mains d\m être parfait! Maîs
je nie qu'elle soit défectueuse..,. Sa beauté résulte des contrariétés Ô\
h concorde universelle nait t
d'un combat perpétuel..... il sam que chu*
£tte être soit immolé à d^utrest les végétaux aux animaux\ les an't*
maux à la terre, ... & les loix du pouvoir central & de la végéta*
iion qui donnent aux corps céhfes Uur poids & leur mouvements
ne seront point dérangés pour íamour d'un chétif & faible animal,
qui tout protégé qu'il est par m mêmes loix fera bientôt par elles ré*
duit en pottjjiére.
Cela est admirablement dit.' & cela n'empêche pas que l'ilíusí
Ure Docteur Mark dans son Traité de l'Ëxistence de DIEU ne dP
se que lè Genre humain se trouve dans un état eò tordre naturel
\des choses de ce Monde efl manifestement renversé. Page 10. Tome I f»
%. édition, traduction de Mr. Ritotien cela n'empêche pas que
l'homme ne puisse dire5 je dois être ausii cher k mon Maître,
îrnoi être pensant & sentant, que les Planètes qui probablement
he sentent point î cela n'empêche pas que les choses de ce mon-'
'de ne puissent être autrement, puisqu'on nous aprend que Perdre
A été perverti» & qu'il fera rétabli: cela
n'empêche pas que Io
.mal Physique & le mal Moral ne soient une chose Incomprèhen-
&>k à ('esprit humain; cela n'empêche pa» qu'on ne puisse revo-
I> que£
0 X 0 T ES,
quer en doute le Tout est kient en respectant ShastersburiÌ-Sí Pó§i%
dont le systêmc a d'abord été attaqué comme suspect d'Atheïfi
me , Sc est aujourdhui canonisé.
La partie morale de ì'estai fur l'homme de Pope, est auíïi tou/3
entière dans Shastersburi, à í'articlc de la recherche fur la vertu,
te
au second volume des Camstéristìct, C'est -K\ que l'Auteur dit que
l'intcrêc particulier bien entendu fait l'întérêt général. Aimer le
bien public & le nôtre eíl non feulement possible » mais insépa-
parable To be tvell affcfted touvards the publick hitertst and onet
own it not only consistent but inséparable. C'est là ce qu'il prouve
dans tout ce livre» Sc c'est la base de toute h partie morale dé
>

VEstai de Pop; fur J'homme. C'est par là qu'il finit.


Tliat reason passion ansuwer one great ahn,
'tltat true sels love and social be the same,
La raison Sc les passions répondent au grand but de DIEU. Le
Véritable amour propre Sc ì'amour social sont le même.
Une si belle morale, bien mieux dévelopée encor dans Pope
que dans Shastersburi, a toujours charmé l'Auteur des Poëmcs fut
Lisbonne Sc fur la Lot naturelle: voilà pourquoi il a dit,
Mais Pope aprosondit ce qu'ils ont effleuré,
Et shomme avec lui seul apprend à Je connaître,
.

Lc Lord Shastersburi prouve.encor que la perfection de ía vertu


est due néceííàirement à la croyance d'un DIEU. And thus persèè*
tìoìì os virtue mufjt be ovding to the belief os a Úod.
C'est apparemment fur ces paroles que quelques personnes ont trai-
té Shastersburi d'Athée. S'ils avaient bien ht son livre, ils n'auraient
pas tait cet infâme reproche à Ia mémoire d'un Pair d'Angleter-
re » d'un Philosophe élevé par le sage Locke,
C'est ainsi que le Père Hardouín traita d'Athées Pascal, Malle-
branche Sc'Arnaud. C'est ainsi que le Docteur VAnge traita d'A-
thée le respetfable Walf, pour avoir loué la Morale des Chinois ;
Sc tVolf s'étant abuyé du témoignage des Jésuites Missionnaire
à la Chiné, lc Docteur répondit» ìïe sàh-on pat que les Mfttiict
font des Athées? Ceux qui gémirent fur l'avànturé des Diables do
Loúdtrn, -si humiliante pour la Raison humaine» ceux qui troU*
*hò\ìt tnáUvais qu'un Recollét, én conduìsaht Urbain Grándìer ait
supplice, le frappât au visage avec un Crucifix de fer, furent ap«
pelles Athées par les Recoìlets. Les Convulsionnâmes ont tmpfH
îttè» que ceux qui se moquaient des convulsions étaient dés Athées j"
& lês Molinillcs ont cent sois batìzé dé ce nom les jansénistes.
Lors*
NO TES, ft
Lorsqu'un homme connu écrivit le premier en France il y,
à vingt àns fur l'inoculation de la petite vérole, un Auteur in-
connu écrivit, 1/ n'y a qu*tm Athée imbu des folies Anglaises qui
puip proposer à noire Nation de faire un mal certain, pour un bien,
incertain,
L'Auteur des Nouvelles Ecclésiastiques, qui écrit tranquillement
depuîs si longtems contre les Puissimces, contre les Loix, & con*
trela Raison, a employé une feuille à prouver que Mr. de Mon*
tesquìeu était Athée, & une autre 'feuille à prouver qu'il était
Déiste.
St. Sorlin des Marets, connu en son tems par le Poëme de Úó*
vis, Sc par son fanatisme, voyant passer un jour dans la Galerie
du Louvre La Mothe le Vayer Conseiller d'Etat & Précepteur de
Monsieur», Voila, dit»il, un homme qui h'<* point de Religion: La
Mothe le Vayer se retourna vers lui » Sc daigna lui dire, Mon amìi
fai tant de Religion, que je ne fuis point de ta Religion,
En général, cette ridicule Sc abominable démence d'accuser d'A-
théisme à tort Sc à travers tous ceux qui ne pensent pas comme
nous, est ce qui a le plus contribué à répandre d'un bout de
l'Europe à l'autre ce profond mépris que tout le Public a aujôUft
dhui pour les Libelles de Controverse.

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