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Mémoire sur cette question :

Quels seroient les moyens


compatibles avec les bonnes
mœurs, d'assurer la
conservation des [...]

Source gallica.bnf.fr / Archives nationales d'outre-Mer


Bousmard, Henri Jean-Baptiste de (1749-1807). Auteur du texte.
Mémoire sur cette question : Quels seroient les moyens
compatibles avec les bonnes mœurs, d'assurer la conservation
des bâtards, & d'en tirer une plus grande utilité pour l'Etat ?
Ouvrage qui a remporté le prix de la Société royale des sciences &
des arts de Metz, en 1787 . Par M. de Bousmard, capitaine du
Corps royal du Génie.. 1788.
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MÉMOIRE
SUR CETTE QUESTION:
Quels feroient les moyens compatibles avec
les bonnes mœurs, d'assurer la conserva-
tion des Bâtards, si d'en tirer une plus
grande utilité pour l'Etat?
M É M O I R E
SUR
CETTE QUESTION:
QUELSferoient les moyens,compatibles avec
la
les bonnesmœurs, d"affurer conservation
des Bâtards, ct d'en tirer une plus grande
utilité pour l'Etat?
OUVRAGE qui a remporté le Prix delà Société Royale
des Sciences & des Arts de Metz, en 1787.

PAR M. D S BOUSMARD,
Capitaine au Corps Royal du Génie.

Entre tous les établissemens dus a l esprit d humanité,


dont l'utilité cst le plus mêlée d'inconvéniens, ce font.
ceux
à mes yeux , les maisons destinees à servir d asyle aux
enfans abandonnés.
M. Necker-de adm. des Finances de France.

A METZ,
Et se trouve à P A RI S,
CHEZ PRA.ULT, IMPRIMEUR DU ROI,
quai des Augustins, à l'Immortalité.

I 7 8 S.
E publiant ce petit Ouvrage, l'auteur n'a d'autre
but
que d'attirer l'attention-publique sur une classe d'hommes
qu'on n'a faits doute oubliés jusqu'à prêtent,
que parce
qu'on s'efl accoutumé à croire leur malheur sans remède.
En esset, en les voyant confiés à la religion & à la
charité,
tomment pouvoit-ôn soupçonner que tout n'avoit
pas été
tenté pout adoucir leur sort? On ne Ce flatte
pas d'avoir
trouvé le mieux dans un sujet Ci difficile, mais peut-être
en a-ton ouvert la voie ? suisse quelque homme de génie
lié point dédaigner d'y entrer ! puisse quelque voix élo-
quente , ert possessïon de faire triompher la raison & l'hu-
manité, se faire entendre en faveur de
ces infortunés,
qui ont si peu mérité leur malheur ! heureux qui
pourra
les réintégrer dans leur état d'hommes & de citoyens
! il
jouira de la, gloire la plus pure, & dans san
propre coeur
d'une ré£ompenfe encore au-dessus de
cette gloire.
PRIVILEGE GÉNÉRAL.
-LOUIS,
par la grace de Dieu > Roi de France &
de Navarre : A nos amés & féaux Conseillers les Gens
tenans nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes or-
dinaires de notre Hôtel, Grand-Conseil, Prevôt de Paris,
Baillifs, Sénéchaux, leurs Lieutenans Civils, & autres
nos Jufliciers qu'il appartiendra; SALUT. Ayant
jugé a
propos de mettre sous notre protection la Société des Sciences
& arts de Metz, & encourager les travaux littéraires des
Membres qui la composent : Nous avons cru revoir lui
accorder nos Lettres de Privilège , de faire imprimer tous
les Ouvrages que ladite Société des Sciences & Arts de
Mets voudra faire imprimer en son nom : A CES CAUSES ,
Nous avons permis à ladite Société, &Nous lui permettons,
par ces Présentes,
, de faire imprimer par tel Imprimeur
qu'elle voudra choisir autant de fois que bon lui (emblera,
de vendre, faire vendre & débiter par tout notre Royaume ,
pendant le temps de douze années consécutives , à compter
»
du jour de la date des Présentes, généralement tout ce
que ladite Société voudra faire paroître en son nom, après
avoir fait examiner lesdits Ouvrages & les avoir jugés dignes
de Pimpreffion. Faisons dêfensês à tous Imprimeurs, Li-

,
braires & autres personnes, de quelque qualité & condi-
tion qu'elles soient d'en introduire d'impression étrangere
dans aucun lieu de notre obéissance ; comme aussi d'im-
primer, ou faire imprimer, vendre, débiter, ni contre-
faire lesdits Ouvrages, ni d'en faire aucuns extraits, fous
quelque prétexte que ce puiiïe être , sans la permission
expresse & par écrit de ladite Société ou de ceux qui
?
droit d'elle à peine de confiscation des exemplaire#
auront
contrefaits, de trois mille livres d'amende contre chacun
des cantrevenans, dont un tiers à Nous, un tiers à l
'Hôtel
l'autre tiers à ladite Société ou à celui
Dieu de Paris, & ,
qui aura droit d'elle, & de tous dépens , dommages &
intérêts conformément à l'Arrêt : à la charge que ces
,
Présentes seront enregistrées tout au long sur le Regisire
de la Communauté des Imprimeurs & Libraires de Paris,
moîs de la date d'icelles que l'impression déf-
dans trois ;
dits Ouvrages sera faite dans notre Royaume & non ailleurs,
papier beau- caraétere, conformément aux Ré-
en beau &
glemens de la Librairie & notamment à celui du 10
, Privilège;
Avril 17^, à peine de déchéance du présent
qu'avant le l'exposer en vente , le Manuscrit qui aura servi
à l'impression desdits Ouvrages , sera remis dans le même
état où l'Approbation y aura été donnee, ès mains de notre
très-cher & féal 1 Chev-alier Garde des Sceaux de
,
France le sieur HOE DE MIROMENIL ; qu'il en sera
, Exemplaires dans Bibliotheque
ensuite remis deux notre
publique un dans celle de notre Château du Louvre, un
dans
celier
celle
de
,
de
France,
notre
le
très-cher
sieur DE
&
MAUPEOU ,
féal

du dit sieur HUE DE MIBLOMENIL , le tout à peine de


Chevalier
& un
,
dans
Chan.,
celle

nullité des Présentes: Du contenu desquelles vous mandons


& enjoignons de faire jouir ladite Société & ses ayans-
causè, pleinement & paisiblement, sans sbuffirir qu'il leur
foit fait trouble empêchement : Voulons que la
aucun ou
copie des Pré tentes, qui sera imprimée tout au long air
à la fln desdits Ouvrages, foit tenue
commencement ou
dûement signifiée, & qu'aux copies collationnées par
pour
l'un de nos amés & féaux Conseillers- Secrétaires foi soit
ajouté comme à l'original ; Commandons au premier notre
Huissier ou Sergent sur ce requis, de faire,
tion d'icelles, tous ades requis & nécessaires ,pour l'exécu-
sans de-i
mander autre permission, & ce nonobstant Clameur de haro,
Charte Normande, & Lettres à ce contraires Car tel
:
est notre plaisir. Dokmé à Paris, le dix-neuviéme jour
du mois de Juillet l'an de grace mil sept
j cent quatre-vingt,
& de notre Regne le septieme. Par le Roi en son Conseil.
Signé, LE BEGUE,

Regiflré jur le Regijlre XX de la Chambre Royale &


Syndicale des Libraires & Imprimeurs de Paris, N»
740, fol. 22 3, conformément au Réglement de 1713,
qui fait defense, Article IV, à toutes Personnes de
quelque qualité & condition qu'ellessoient, autres ,que
les Libraires & Imprimeurs de vendre, débiter, faire
,
affiche, aucuns livres pour les vendre en leurs
noms •
foit qu ils s en disent les Auteurs ou autrement, & à
la charge de fournir à la susdite Chambre huit exem-
plaires preserits par l'article CVIII du même Réglement.
A Paris, le dix-sept Septembre mil sept
cent soixante-
seile. Signé LAMBERT, Adjoint.

Collationnép>arnous Secrétaire perpétuel Chanceliey-


(
Garde des Sceaux de la Société Royale des Sciences &
des Arts de Metz\ pour servir à l'impression du Mé-
,
moire silr la quejîion des Bâtards, qui remporté le
a
Prix de la Société Royale conformément à sa délibé-
,
ration du 6 Août dernier. En foi de quoi nous avons
signé & scellé les P refentes. A Met'i, le
29 Octobre 1787.
LE PAYEN.
MÉMOIRE
SUR CETTE QUESTION:
Quelsferoient les moyens compatibles avec
les bonnes mœurs, d'assurer la conferva-
tion des bâtards & d'en tirer une plus
,
grande utilité pour l'État F

QU'Y
A

,
-T- IL de moins compatible avec
les bonnes n1œurs que la barbare insou-
ciance avec laquelle on compromet la vie
de ces êtres innocens, pour sauver la ré-
putation de leurs coupables mères ? Qu'y-
a-t-il de moins utile à l'État, que de laisser
languir leur enfance dans ces priions in-
fères & mal-saines qu'on nomme hôpi-
,
taux ; que de laisser croupir dans ces sen-
tines de l'humanité, toutes les facultés de
leur ame & de leur corps que la nature
appelle en vain au développement f Quy-
a-t-il de plus nuisible à l'Etat, que d'ad-
chaque année dans son sein, des
mettre
millions d'êtres dégénérés, parvenus à l'âge
des passions, sans frein pour les combattre
,
jettés, dépourvus de toute propriété dans
,
le tourbillon d'une société qui ne se main-
tient que par les loix de la propriété ; aban-
donnés sans guide, au milieu du dédale
,
,
de nos loix de nos usages & de nos mœurs,
dont-ils ont à peine l'idée ? Qui ne croi-
sa sûreté État
roit, qu'au moins pour ,
1

veiller sur eux d'une manière toute par-


va
ticulière ? Qui ne croiroit que ses loix bien-
faisantes vont venir au secours de ces in-
fortunés ? Non ses loix vont les repousser
:

& leur fermer toutes les issues qui pour-


raient, ne je dis pas les conduire à la for-
mais les tirer de l'affreux dénuement
tune ,
dans lequel la nature les a livrés à la so-
ciété Les
1
préjugés de cette société. pires
ses loix, vont leur
pour eux encore que
déclarer la guerre, & après les avoir mar-
qués du sceau de l'ignominie, dès le ber-
ceau, les abreuveront d'opprobre pendant
toute leur vie, leur refuseront les droits du
citoyen & même de l'homme ce ne sera
!

que dans la nuit du tombeau , que cachés


parmi la foule des morts, ils retrouveront
cette égalité pour laquelle la nature les fit
naître.
Par quelle inconcevable fatalité existe-
-

t il dans l'état avancé de civilisation où nous


hommes parvenus un abus aufll mons-
,
trueux? Comment se fait-il qu'une religion
fondée par un Dieu pauvre, aux yeux de
qui la femme pécheresse trouva grace, êc
dont la femme adultère obtint un géné-
reux pardon, souffre que. l'innocent soit
puni pour le coupable ? Pourquoi rejette-
t-elle du mmistère de ses autels, celui qui
n'a que son Dieu pour père ?... Mais non :
elle ne connut jamais cette horrible in-
justice: elle n'est marâtre pour aucun de
ses enfans ; ce sont les hommes & l'or-
gueil dont ils sont dominés, qui font à cette
mère tendre la violence de deshériter ses
enfans les plus chers.
Mais seroit-il bien possible qu'un con-
cours aussi universel des loix, des mœurs,
des usages & des préjugés civils & religieux,
contre les Bâtards, se fût établi sans motifs
réels, ne reposât pas sur une funeste &c
continuelle expérience ? Tâchons de dé-
couvrir comment l'égal de tous dans
Tordre de la nature, se trouve être le der-
nier de tous, dans l'ordre de la société? *

L'ordre social une fois établi, bientôt


naquit l'inégalité entre les hommes ( i ) ;

(i) Je fais bien que l'inégalité avoitexisté entre les hommes,


dès avant l'établissement de l'ordre social. Elle résultoit de
la distribution inégale de la force &. des autres dons de la
nature. Cette inégalité &. ses intolérables abus furent même
viraifemblablement la principale cause de la première réu-
nion des hommes , & par conséquent de la naissance de
l'ordre social. I/anéantissement de cette inégalité primitive ,
ou pour mieux dire, celui de ses abus fut donc la première
convention du pacte social , & dut être même, pendant
quelquetems l'unique. Cette convention, ou le droit de la
,
propriété, dans ion sens le plus étendu, ne sont qu'une même
chose. De ce droit naquit bientôt une autre sorte d'inéga-
lité celle des propriétés, d'où celles des conditions & toutes
,
les inégalités sociales connues, tirent leur origine ; c'est de
cette seconde inégalité , qu'on pourroit nommer inégalité
de droitcomme résultant nécessairement des conventions
légitime que j'entends parler, & non de cette inégalité de
,
bientôt pour conserver la paix il fallut
,
fortifier en tous sens les barrières que la
propriété avoit posées autour des possessions
de ceux que le travail l'industrie ou
, ,
d'heureux hasards avoient mieux servis que ~

le plus grand nombre. La société naissante


ne parvint à prêter un appui sûr à ces bar-
rières qu'en se servant du pouvoir de l'édu-
,
cation pour inspirer aux jeunes citoyens un
grand respeft pour les loix. Le fils du ci-
toyen pauvre, apprit de son père que les
conventions, en vertu desquelles ils fai-
soient, l'un & l'autre, partie de la société
,
avoient été consenties par lui & par ses
pères ; que la première de ces conventions
avoit été que chacun respectât la propriété
d'autrui pour jouir paisiblement de la Tienne
;
que de-là étoit dérivée pour toujours la
nécessité que celui qui manqueroit du né-
ceflaire Tobtiendroit, en échange de son
travail de quiconque auroit du superflu.
,

fait, primitive, antérieure à toute convention & par con..


séquens à tout droit. ,
Le fils du' citoyen pauvre , formé par
l'exemple de son père , mieux encore que
les discours, au travail & à la frugalité,
par
devint lui-même le citoyen le plus utile ,
devint le nourricier & le défenseur de l'État.
Tels furent pour la société en général, les
avantages de l'éducation bien plus grands
,
chez les anciens qui étoient plus près de
l'établissement des sociétés , que chez nous
autres modernes dont le sort est de jouir
,
des anciennes institutions, sans nous en
rappeler le principe & la fin. La surveil-
lance des pères sur leurs enfans , d'où
dérivoit tout le respeft pour les loix, étoit
à son tour appuyée de toute la force des
loix. Le pouvoir paternel, dans la plupart
des gouvernemens anciens , étoit sans
bornes ; & les gouvernemens qui maintin-
rent le plus longtems ce pouvoir, le plus
ferme appui de l'ordre social, furent ceux
qui subsistèrent le plus long-tems, parce
qu'ils conservèrent le plus long-tems les
bonnes-mœurs, qui à leur tour conservè-
rent les loix. Rien, en effet, n'est plus
capable de garantir la société du détordre
des passions privées, que de les mettre sou$
le jôug de la sagesse & de l'expérience.
Il étoit donc naturel que celui qui ne
pouvoit offrir cette garantie , que l'enfant
sans famille, que le Bâtard devînt suspe6t,
parût dangereux dès la naissance des so-
ciétés; aussi rexposbit-on, &, à moins que
quelque citoyen ne voulût le recueillir &
l'élever, ce qui emportoit l'adoption > il
périssoit ! Les gouvernemens anciens, si
ardens à l'encouragement de la population,
ne vouloient qu'une population vertueuse;
ils ne présumoient pas qu'il fût possible de
devenir vertueux sans le secours de l'édu-
cation & de persévérer dans la vertu ,
, ,
privé de la surveillance d'un père & d'une
famille. Dans ces sociétés neuves encore
,
on sentoit trop vivement, sans doute l'a-
,
vantage de l'ordre social sur celui de la
nature , dont on ne faisoit que sortir; de-là
le citoyen étoit tout, l'homme n'étoit rien.
Dans ces gouvernemens modernes qui
paroissent avoir méconnu l'appui que l'édu.
cation peut prêter aux loix, & qui, pour
les faire respeaer, ont mieux aimé s'en
- remettre à la terreur des supplices, qu'à la
surveillance paternelle, dans nos gouver-
nemens modernes , les Bâtards ont été
traités plus humainement. Le citoyen n'é-
tant presque plus rien, l'homme redevint
quelque chGse; l'égal de tous par la nature,
l'étoit encore devenu par la religion : cette
religion divine apprit d'ailleurs qu'un prix
infini étoit réservé à toute âme humaine
qu'éclairoit son flambeau ; dès-lors fut ré-
voquée à jamais la proscription prononcée
par une politique farouche, contre ces êtres
innocens ; & entre tant de biens que la
religion chrétienne a faits à l'humanité,
celui-ci, plus que tout autre, la distingue,
& prouve son excellence, en établissant par
un fait incontestable, sa supériorité sur la
religion naturelle, qui, dans cet empire si
vanté, qu'elle régit depuis tant de siècles,
n'a point encore pourvu à la conservation,
non seulement des Bâtards ; mais même des
enfans en général.
Sous la sauve-garde de la religîoti, le
Bâtard est donc aiïuré parmi nous de sou
existence physique ; mais son exiflence
morale est dégradée par l'esprit à la vérité
,
mal-entendu de cette même religion.
,
Celui qui ne doit la vie qu'à un crime,
qu'elle réprouve à l'égal des plus odieux,
semble devoir expier par l'opprobre le
,
vice de sa coupable origine. En outre, les
loix, les mœurs & les préjugés, plus forts
chez nous que les loix pouvant rarement
,
atteindre les auteurs coupables, mais sou-
vent inconnus de ce cri®ie, s'en sont ven-
gés, en en flétrissant, chacun à leur ma-
nière, l'innocent, mais indubitable produit.
L'existence civile & morale du Bâtard,
ainsi dégradée, nul motif humain ne pou-
voit plus porter à la protéger, la religion

,
seule en prit soin. Mais, à ses yeux, celui
qui naît vit & meurt dans l'opprobre, est
le plus près du bonheur de l'autre vie, le
seul qu'elle ambitionne pour ses enfans :
elle n'eut donc garde d'écarter de sa tête
ce salutaire opprobre ; elle lui interdit l'accès
â ses autels & lui ouvrit les hôpitaux.
,
L'es tems plus éclairés qui succèdent enfin
à ceux où cette décision fut portée, & où
cet ordre de chose fut établi, reclament
une réforme en faveur des Bâtards. L'in-
térêt de l'humanité & celui de l'état, ré-
prouvent la dégradation & l'inutilité d'un
si grand nombre d'hommes auxquels on
refuse presque toute existence morale 8c
civile après avoir fait les plus grands frais
,
pour leur existence physique. La religion,
désormais mieux entendue, prononce elle-
même que si l'exigence est un bienfait,
l'humiliation n'est qu'un supplice, & que
si ce supplice souffert avec résignation ,
,
devient un mérite pour celui qui le subit,
il est évidemment un crime énorme pour
celui qui l'inflige injustement. L'intérêt de
la religion, plus encore que celui de la
société & de l'humanité proscrit donc
,
l'infortune des Bâtards, de laquelle naît
l'inutilité & même le danger dont-ils sont
pour l'Etat.
Quoique le pouvoir paternel ; si grand
chez les anciens 1 soit bien déchu parmi,
nous, & que l'éducation qu'y reçoit le
pauvre , soit nécessairement très-négligée,
on ne peut cependant disconvenir que ces
deux causes réunies n'influent encore puit-
sament sur le maintien de l'ordre. public.
L'enfant qui est témoin des travaux au prix
desquels son père obtient leur commune
subsistance qui voit souvent restreindre
,
cette subsistance plutôt que de violer le
droit de la propriété, qui se trouve alsocid
aux travaux nourriciers de la famille, dès
l'inflant où le moindre dégré de force ou
d'intelligence l'en rend capable ; l'enfant
du pauvre connoît, & les privations, &C
le travail qui les fait disparoître enfin tout
,
l'ordre établi dans la société pour faire
tourner à la subsistance une partie du su-
perflu du riche. Devenu homme , si ses
passions naissantes annoncent qu'il pourra
tomber dans quelque excès capable de trou-
bler l'ordre dela société son père, sa mère,
,
ses
tous parens s'alarmeront,le surveilleront,
employeront remontrances, exhortations.
prières, menaces, promesses, châtimens,
pour le ramener ; il faudra qu'il survive
à toute sa parenté, ou qu'il s'expatrie pour
pouvoir se livrer en paix à ses penchans
vicieux. Teleft encôre, chez nous, l'appui
que prêtent aux loix , l'éducation & le lien
qui unit les familles.
Le Bâtard, au contraire, nourri dans
un hôpital, séquestré de la société , en
ignore absolument les loix. Il reçoit régu-
lièrement sa subsistance ; elle n'est point le
prix de son travail, elle en est indépen-
dante. L'insuffisance de ce travail ne lui
fait point éprouver de privations, & san
succès le plus grande ne lui procure point
de jouissances ; l'obligation qu'on lui en
fait n'est donc à ses yeux qu'une con-
,
trainte dont rien ne motive la dureté, ôc
dont il se promet bien de s'affranchir au
moment où il sortira de la prison où on
le retient. Ce travail d'ailleurs, nécessaire-
ment sédentaire par la nature de ces éta-

,
bliflemens, s'oppose au développement de
ses facuités phyliques que, d'autre part,
la corruption de l'air, produite par lentasTe-
ment d'un trop grand nombre jd'êires res-
pirans ne peut que vicier ; le moral s'en
,

personnes vraiement respeaables ,


ressent, & tout le zèle, tous les soins des

dévouent à l'éducation de ces infortunés


qui se

enfans, ne peuvent triompher des vices


inhérens à la nature de ces établissemens,
ou résultans nécessairement del'insuffisance
d'une tutelle trop étendue.
C'est de-là qu'avec un physique foible
,
ou même vicié, un moral nécessairement
peu développé , ou négligé, une flupide
inexpérience, un dégoût du travail pouffé
jusqu'à 1" horreur un'penchant à la licence
,
que tout a réprimé , & que rien ne va
plus contenir; c'eli de-là que le Bâtard,
jusqu'alors mal-nourri &c mal-vêtu par L'Etat,
est abandonné à lui-même, dans l'âge où
ses forces peuvent lui procur.er sa subsif-
Rance en le rendant utile à la société.
1
Mais malheureusement cet âge est celui-
là même où les passions naissent en tumulte,
& où elles égarent infailliblement, si Ton
manque de guide & d appui. Que devien-
dra donc le Bâtard récemment échappé de
l'hôpital & jouissant enfin d'une dange-
,
reuse indépendance? Comment se préser-
vera-t-il des vices qui infectentles grandes
villes devenues son premier asyle ? Com-
ment échappera-t-il à la corruption de leurs
moeurs ? Comment résissera-t-il au speé1:acle
attiayant & désespérant du luxe dont il est
entouré, à l'indignation que lui cause l'ordre
même de la société,qui ne semble avoir
tout arrangé, tout distribué que pour le
priver, que pour l'exclure de tout ? Je dis
qu'il est presqu'impossible qu'il résifle à la
tentation de troubler cet ordre. Eh! com-
ment y résisteroit - il ? Le jeune citoyen
surveillé par toute sa famille, muni dès
sa plus tendre enfance des conseils de la
tendresse d'une mère, & de l'expérience
éclairée d'un père; le jeune citoyen, quand
les pallions l'assaillent, quand la misère le
menace, y succombe quelquefois. Ne nous
•étonnons donc plus, si nous voyons, & les
dépôts de mendicité, & les maisons de
j
,
force & les prirons & les galères, peu-
plés en grande partie par la jeunesse élevée
dans nos hôpitaux, & récemment échappée
de ces asyles funestes.
Oui funestes ! il faut bien le dire, malgré
la pureté du motif qui les a fondés, malgié -

l'édification qui résulte du zèle désïntéressé


de leurs administrateurs, malgré l'admira-
tion dont on ne peut se défendre à la vue
du travail, de l'ordre & de l'économie qu'y
font régner les vierges qui se sont consa-
crées à les desservir. Que de vertus! mais
quel en est le produit ? La moitié au moins
des enfans enfermés dans ces hôpitaux, je
dis la moitié de ceux qui, nés & nourris
chez les plus pauvres parens, eurent vécu,
meurent prématurément. La plupart de
ceux qui survivent, en sortent ou estropiés,
ou contrefaits, ou avec un tempéramment
évidemment foible ou vicié & par con-
,
séquens à charge à la société. Il est rare
que , dans ce qui reste, l'État soit dédom-
nlagé par quelqu'individu, des avances qu'il
a faites pour lui.
Que n'en fait-il davantage , dira quelque
partisan des hôpitaux ? que ne perfe&ionne-
t-il ces établissemens ? que n'y consacre-t-il
de plus grandes sommes ? que ne prolonge-
t-il le bienfait de l'éducation qu'il y fait
donner aux enfans abandonnés , en les
plaçant, au sortir de là , en apprentissage ?
C'en; ce qui se pratique à l'hôpital des
Enfans-trouvés de Dublin, où l'on élève
jusqu'à deux mille enfans. Sans doute, qu'au
sortir de leur apprentissage, ces enfans ne
sont ni à charge à l'État, ni dangereux pour
la société puisque le Parlement d'Irlande
,
paroit ne point regretter la somme de dix
mille livres flerlings qu'il leur accorde
chaque année, indépendamment de six sols
pour livre, levés annuellement sur les rentes
de chaque maison de Dublin ? D'où l'on
pourroit conclure que la parcimonie forcée,
qui dans nos hôpitaux préside à l'éducation
des enfans-trouvés efl la seule cause du
,
peu de fruit qu'on en retire.
Je ne nie pas l'excellence de l'établisse-
ment de Dublin ; l'apprentissage ou r on
niet
met les enfans qui en sortent, est le plus
grand bienfait qu'une administration éclai-
rée ait pu leur accorder. Ressource contre
l'indigence, cet apprentissage est encore
une transition heureuse , si l'on peut s'ex-
primer ainsi de l'extrême contrainte de
l'hôpital, à l'extrême liberté, à l'indépen-
dance absolue qu'acquièrent parmi nous
ces
infortunés, au moment qu'ils en sortent.
La surveillance du maître & de sa famille
remplace, imparfaitement à la vérité, &
seulement pour le tems de l'apprentissage
,
cette surveillance paternelle qui a tant
d influence sur la conduite des jeunes
gens
du peuple, & sur le respeft qu'il est si
important qu'ils ayent pour les loix &
,
pour l'ordre établi dans la société.
Quelle différence, en effet, n'y
aura-
t-il pas même pour le tems trop
, court
qu'elle dure entre cette surveillance du
,
maître & celle du père ? Comme la
ten-
dresse du dernier est plus active & plus effi-
cace que la sévérité du premier ! comme
elle est plus vigilante Le bonheur du père
!
son honneur meme , parmi nous , tiennent
à ce que le fils soit honnête-homme. Rien
de pareil ne peut éveiller ne peut ani-
,
la surveillance du maître, rien ne peut
mer
produire chez lui de la sollicitude, mot qui
semble déplacé quand il est employé seu!,
& qui entraîne presque nécessairement le-
pithète de paternelle.
D'ailleurs , ces enfans mis à Dublin
apprentissage n'en ont pas moins été
en ,
élevés dans un hôpital, c est-à-dire dans
le lieu le moins fait pour élever des enfans ;
où la contrainte, l'entassement, la corrup-
tion de l'air, un régime trop uniforme,
surveillance presque nulle, parce que
une
ion extrême étendue la rend trop partagée,
empêcheront toujours que des frais immen-,
ses & multipliés puissent remplacer les soins
variés de la tendresse maternelle, les effets :

du respea filial, la crainte du courroux


paternel, la douceur de l amitié fraternelle,
le grand air la liberté, les jeux, enfin tous
, éduca-
les biens physiques & moraux d'une
tion reçue aux moindres frais pollibles,
dans le sein de la plus pauvre famille.
Jle&eur, j'entrevois l'impatience
que Je
vous cause. A quoi bon, dires-vous, dis-
courir longuement des avantages qu'il
y
a pour un enfant, à être élevé par sa famille,
lorsqu'il n'est ici question
que d'un'Eâtard ?
à quoi bon déclamer
contre les hôpitaux ?
L'éducation que la charité donne, fût-eHe
mille fois inférieure à celle des plus
pauvres
familles, si l'enfant sans famille n'a
que
cette ressource , ou des ressources analo-
gues, c est a les perfeâionner, c'est à

philosophe,
ajouter que doit s'appliquer la sagacité
que doivent tendre les efforts
de l'humanité & du patriotisme. Lecteur,
du
y

votre impatience est juste, il est tems de la


faire cesser.
On s'attend peut-être qu'après avoir dé-
clamé contre la licence,
contre les mau-
vais effets, en tout
genre , de l'indépen-
dance à laquelle sont livrés les Bâtards
sortir des hôpitaux je vais au
, y substituer
quelque genre de servitude,
que je déco-
rerai de quelque nom honorable ? En effet,
le malheur qui pourrait en résulter
pour ces
êtres déjà trop infortunés, tourneroit au
soulagement de la classe précieuse du peu-
ple, & je me croirois suffisamment excusé.
Si je les vouois au service militaire, je pour-
rois m'applaudir d ',avoir diminué supprimé,
>

peut-être, les hasards de la déplorable lot-


terie 'de la milice je ne verrois plus le fils
;
du laboureur arraché à la charrue, & les
glorieuses d 'être cultivées par des
terres
mains libre's ,
riches
se hâteroient
moissons
de récompenser
spéculation
par de , ma
bienfaisante. Si je les vouois au service ma-
reconnoissance me devroit
ritime, quelle ne
qui ne se verroit plus
pas le commerce ,
matelots le despotisme d un
enlever ses par
Commissaire des classes ? Je pourrois donc,
à mon gré rendre florîssans le commerce
, les deux peut-être;
ou l'agriculture, tous
il m'en auroit coûté pour cela, que
& ne
d'avoir attenté à la liberté d'une classe
délaissés, sans famille, sans amis,
d'hommes
sans proteaion naturelle , en un mot,
abandonnés au premier occupant ! Que
d'écrivains politiques
d hommes d'état, que
même, ont fait de plu's grands sacrifices à
de moindres avantages !
Mais quoi trahirai-je ainsi la cause de
!

l'humanité ? aninlerai-je de la voix les des-


potes qui l'oppriment & en méconnoisïent
les droits imprescriptibles ? Ah ! il n'y a
que trop d'hommes dans l'univers, dont
la liberté & conséquamment Je bonheur
sont immolés vainement au prétexte du
bien public : n'en augmentons point le
nombre; plus il croît, plus la félicité pu- \

blique diminue ; & dût elle être le prix d'une


injustice, quel homme vertueux voudroit
la conseiller ?
D'ailleurs, la défense de la patrie doit-
elle donc émaner de la contrainte, doit-
elle être abandonnée au rebut de la nation ?
& toutes les classes de la société doivent-
elles se reposer de ce devoir sacré sur la
dernière de toutes, ou pour mieux dire,
sur celle que toutes les autres rejettent f
Sans doute la profession militaire ne doit
être le partage que des hommes robufies.
& généreux, qui se sentent, à la fois, la
B iij
sorce d'en soutenir les fatigues, & le cou-
rage d'en braver les dangers. Elle doit donc i
être embrassée librement; enrôler, classer
malgré lui l'homme foible & lâche, c'est
commettre à la fois une inutile barbarie &
une injustice criante. Loin donc de nous
un systême qui., comme toutes les spécu-
lations du pouvoir arbitraire, prodigueroit
en vain l'or & les larmes des hommes, sans
obtenir, en échange, cetaccroissementde
puissance dont il fait son unique objet.
Il est tems enfin d'exposer le procédé
simple, au moyen duquel, avec les fonds
atluels des hôpitaux d'enfans-trouvés je
,
prétends affurer la conservation des Bâtards, *

ct en tirer la plus grande utilité pour l'Etat.


Commencer par en faire des hommes, puis
des citoyens utiles, c'ef!:-à dire des hommes
libres qu'aucun préjugé n'avilira qu'au.
, ,
cune institution ne restreindra dans le choix
de l'état qu'ils voudront embrasser, qui,
élevés dans la profession la plus utile, la
plus naturelle à l'homme, seront munis de 1
.
tous les moyens d'en tirer une subsistance
assurée : tel est mon but. Je n'ai pas besoin
d'avertir que je ne puis l'atteindre qutpar
des moyens compatibles avec les bonnes
Depuis la réunion des hommes en
mœurs.
société rien de bon n'a pu encore se faire
,
autrement parmi eux.
Pour aflfurer aux Bâtards tous les avan-
de l'éducation, tous ceux qui résul-
tages
tent du bonheur d'avoir une famille, il
suffit de recourir pour eux à une iristitution
appartenante à presque toutes les légifla-
.

tions anciennes, & qui doit les honorer


à jamais ; à cette loi bienfaisante qui créoit
paternité fï&ive, lui accordoit tous les
une
droits, & lui imposoit tous les devoirs atta-
chés par la nature à la paternité réelle > en
un n1ot, à l' adoption. Quelle institution
plus sainte que celle par laquelle tant d'en-
sans dénués 'de familles , & par-là même
exposés à tant de dangers dans leur enfance,
à tant d'opprobres pendant le cours de leur
vie entière, se trouveroient membres, pref..
qu'en naissant > de la famille qui les auroit
choisis, & jouiroient toute leur vie de
l'avantage d'en être avoués, & de celui de
ne pouvoir être discernés des enfans légi-
times par le barbare préjugé, qui frémiroit
alors de ne pouvoir plus les immoler ? Quel
inconvénient d'ailleurs pourroit résulter par
l'ordre établi dans les successions, de l'ad-
,
mission dans des familles pauvres, de ces Bâ-
tards qui, en échange de tous les biens d'une
éducation privée, & de tous les avantages
résultans de l'adoption y apporteroîent
,
une modique aisance produite par la somme
qu'ils coûtent aujourd'hui dans les hô-
pitaux ?
Que coûtent donc'aujourd'hui aux hô-
pitaux les enfans qui y trouvent un asyle ?
,
Ouvrons le livre de M. Necker, c'est la
destinée de quiconque applique sa pensée
à quelque vue de bien public ou d'huma-
nité, de le consulter. sans cène ; nous y
trouverons , tome 3 , chap. XVI ^ a qu'il
» évalue entre 18 & 20 millions, le re-
» venu annuel dont les hôpitaux ont la
» disposition ; qu'il èstin1e de cent, à cent
» dix mille, le nombre des malheureux qui,
trouvent habituellement un asyle
» , ou
M
des lecours dans ces différentes maisons,
» & qu'il divise ce nombre en trois prin-
» cipales classes de cette manière :
» 4o mille infirmes ou pauvres d'un âge
» avancé, & présumés hors d'état de gagner
DO
leur vie,
» 2) mille malades.
» 4o mille enfans-trouvés , dont le plus
» grand nombre est mis en pension dans
» les campagnes. »
D'après toutes ces données, je ne serai
pas, je crois, taxé d'exagération, si j'évalue
à six millions, la part des quarante mille
enfans-trouvés, dans les dépenses des hô-
pitaux, y compris les frais de service, &
d'administration qu'ils entraînent. Chacun
de ces enfans coûte donc 1)0 liv. annuel-
lement. J'estîme que l'âge moyen qu'ils ont
à leur sortie, est seize ans.
J'ai donc 150 livres à consacrer pendant
seize ans à acquérir à chaque Bâtard une
,
famille adoptive, qui par honneur comme
j
par intérêt travaillera à faire de lui un
y
citoyen laborieux & honnête, en un mot,
un citoyen utile à l'Etat.
Pour prévenir toute objection tant sur
,
la quotité de la somme, si l'on étoit tenté
de la croire plus forte que celle que coûte
annuellement un enfant-trouvé, que sur
l'insuffisance de nos six millions à faire face
à l'entretien d'un plus grand nombre d'en-
sans désormais conservés par ma méthode,
je me réduis à obtenir pour chaque Bâtard /
jusgu'à l'âge de seize ans, une somme an-
nuelle de 120 livres. Voici comment je
l'employe :
Je suppose que le législateur rende un
édit par lequel il déclare qu'ému par la
considération des maux de toute espèce,
qui résultent pour l'humanité & pour la
société, du malheur de n'appartenir à au-
cune samille, malheur qui afflige tant d'en-
sens abandonnés ; & reconnoissant que leur
extrême infortune est à ses yeux un titre
, ,
de plus pour recueillir les fruits de la sollici-
tude paternelle qui veille dans son cœur pour
tousCes sujets ; il a résolu de rétablir, pour
ces enfans seulement l'adoption avec tous
,,
ses devoirs & tous ses droits telle & plus
,
parfaite, s'il est possible , que celle qui a
été en vigueur dans les Gouvernemens
anciens, les plus célèbres par la sagesse de
leurs loix ; & que d'après ce principe, il a
déterminé d'appliquer les sommes qui se
dépensent annuellement dans les hôpitaux,
pour la nourriture & l'entretien des enfans
,
à leur procurer les avantages d'une adoption
faite par des citoyens honnêtes & laborieux,
dont les soins & l'exemple puissent les ren-
dre à leur tour des citoyens utiles. A quoi
voulant pourvoir, il a statué & ordonné ce
qui suit :
ARTICLE PREMIER.
Il sera payé à. quiconque aura adopté un
enfant abandonné, pour le nourrir &c en-
tretenir à l'égal de ses enfans légitimes,
avec droit de succéder concurremment avec
&
eux, par portions égales, à ses meubles
&c acquêts, & en outre de porter son nom
,
la somme de 100 livres annuellement, &
ce juiqu a ce que ledit enfant ait l'âge de
seize ans accomplis.
II.
Ne seront admis à adopter un enfant
abandonné, qu'un homme & une femme
unis par mariage; & faisant l'un & l'autre
profession de la religion dominante dequoi
5

ils justifieront par certificat de leur pasteur,


en état par leur travail, ou autres moyens
connus, de faire subsister ledit enfant, à
l'aide de la rétribution ci-dessus fixée, sans
diminuer la subsistance des enfans légitimes
qu'ils auroient déjà ou qui pourroient leur
,
survenir, dequoi ils jufiifieront, ^insi que
de leurs bonne vie & moeurs par certifi-
,
cat, tant de leur Curé que de leur Seigneur,
ou , au défaut de ce dernier, des Maires
& gens de justice du Jieu.
11 I.

L'adoption d'un enfant devra, autant


qu'il se pourra, être faite dès les premiers
jours de sa naissance, & en çonséquence ,
la mère adoptive devra être en état de
t'allaiter, ce qui sera conflaté par une Sage-
femme jurée, aux rapports.
I V.
Lorsqu'un homme & une femme ayant
les qualités ci-dessus, seront agréés pour
adopter un enfant abandonné r ils seront
tenus de se présenter pardevant le Substitut
de notre Procureur-général & d'y sous-
,
crire la déclaration suivante, pour servir
d'aéte d'adoption.
«Nous sou (lignés (le nom de l'homme ),
» & de mon autorité ( le nonz de la femme ),
» mon épouse, demeurans à ( le nom du

» lieu de leur domicile ) adoptons pour


,
» notre fils ( ou fille ) légitime, l'enfant ici
» présent, qui nous est remis par M. N.,
» Procureur du Roi, au Bailliage de ( le
nom de la Jurisdiciion ), promettons de
» le nourrir & entretenir à l'égal des en-
» sans issus de notre mariage ; promets en
» particulier, moi ( le nom de la femme )
,
» de le nourrir de mon lait, aussi longtems
» qu'en mon ame & conscience, je le lui
» croirai profitable; promettons en outre,
» de l'élever dans la croyance de ( le nom
» de la, religion dominante ), & de ne rien
» négliger, à l'égard dudit enfant, de ce
» qu'elle nous prescrit de faire pour ceux
» dont il a plu , ou plaira à Dieu de bénir
» notre mariage, tant pour leur inspirer des
» sentimens de probité, que pour les former
» au travail, & les mettre en état de pour-
» voir un jour par eux-mêmes à leur sub-
» sistance. Voulons en outre que ledit en-
» fant porte, ainsi que sa poflérité à perpé-
» tuité (2), ( le nom de famille de V homme )
,
» Déclarons que nous l'admettons éven-
» tuellement &c irrévocablement au partage
» par portions égales, avec les enfans nés
» & à naître de notre mariage de nos
,
» biens & acquêts , enfin de toute notre
» hoirie, hors les biens de ligne qui nous sont
» échus ou à échoir, promettons enfin de
» le traiter, pendant tout le cours de notre

(i) l'enfant est une fille, il est clair qu'il faudra suppri-
Si
xnér ces mots : aittfi que sa postérité à perpétuité.
» vie, à l'égal de nos autres enfans, & de
remplir à son égard tous les devoirs de
» ,
bons père &. mère, ainsi Dieu nous soit
»
aide. A le de l'année 17... »
» en .....
r
Ici lesfignatures de homme ct de lafemme.
V.
En échange de l'acte d'adoption de l'ar-
ticle précédent, le Substitut de notre Pro-
cureur-général remettra aux père & mère
adoptifs, une autorisation d'emporter &
garder chez eux, l'ensant qu'ils viennent
d'adopter en attendant que , par nos let-
,
tres-reversales, nous ayons accepté & con-'
firmé la dite adoption , & que nous leur
ayons conféré sur le dit enfant, tous &
,
les mêmes droits de paternité, qu'ils exer-
des loix de notre État sur
cent en vertu
les enfans nés de leur légitime mariage.
VI.
Le Substitut de notre Procureur-général
sera tenu après avoir fait enregistrer au
,
Greffe de sa Jurisdi&ion , l'aB:e d'adoption,
de nous l'adresser en original, pour, sur
le vud'icelui, faire expédier les reversales
mentionnées en l'article précédent lef-
,
quelles après l'entérinement) dont notre
,
-
Procureur général les aura fait revêtir,
,
seront remises sans frais par son Substitut,
auxdits père & mère adoptifs.
V I T.

La rétribution annuelle de 100 livres,


que recevront pendant les seize premières
années de la vie de l'enfant, ses père &
.
mère adoptifs, leur sera payée sans frais &
par quartier, dans le lieu de leur domicile ,
par le Collecteur des tailles, sur le certi-
ficat de vie de l'enfant, donné par le Curé,
légalisé sans frais par le Juge du lieu ; la
quittance des père & mère adoptifs, accom-
pagnée dudit certificat de vie, sera reçue
employée pour comptant dans nos re-
cettes.
VIII.
Indépendamment des 100 liv. ci-dessus
,
prises des fonds des hôpitaux, ou, s'ils ne

sont
font suffisans, d'autres fonds de bienfaisance
êc de charité que nous aurons soin d'y
âffeâer, il sera encore, des mêmes fonds,
'
attribué annuellement à chaque enfant
abandonné, à dater du jour de son àdop'
tion jusqu'à sa seizième année révolue, une
,
somme de 2o livres qui sera placée dans
nos fonds publics , pour y accroître au
profit dudit enfant, jusqu'à son établisse-
ment, dans la raison du denier vingt-cinq1,
tant de ces sommes annuelles de 20 livres,
que des intérêts produits chaque année par
placemens faits dans les années antérieurer.
1 X.

Lors de l'établissement de l'adopté, il lui


sera remis s'il est majeur, la somme ré-
,
sultànte du placement énoncé en l'article
précédent, sous l'obligation cependant d'eu
indiquer un emploi utile, tel qu'acquisition
de maison ou biens fonds, ou achats de
bestiaux & instrumens de labourage ou
,
d'outils & matières premières de la pro-
session dont il sera, de laquelle obligation
l'effet sera garanti par une bonne &suffi-
sante caution. S'il est mineur, la somme
sera remise aux père & mère adoptifs, ou
£u tuteur nommé après leur décès, pour,
assistés d'un curateur nommé d'office, faire
au profit dudit mineur, l'emploi utile de
ladite somme de laquelle ils lui rendront
.
compte à sa majorité, suivant les loix ob-
servées pour les autres tutelles & curatelles.

X.

L'adopté parvenu à l'âge de majorité,


sera toujours libre, soit qu'il s'établisse ou
non , ou de retirer sa somme, pour en
faire un emploi utile juflifié suivant les
,
dispositions de l'article précédent, ou d'en
toucher la rente annuelle à son échéance,
ou bien de la laisser pour accroître son
fonds, tant de ladite rente que des intérêts
d'icelle, ainsi qu'il lui conviendra mieux.
'A chaque échéance annuelle il lui sera
,
délivré un bordereau, tant de la rente que
du capital qui lui appartiennent, pour qu'il
punie s il le veut toucher Tune, &
, sg
préparer à l'emploi de l'autre.
XI.
Si l'adopté meurt
avant d'avoir retiré sa
somme, elle sera dévolue à la
caisse des
.enfans adoptifs. Si après l'avoir
retirée, il
vient à mourir sans enfans, elle sera dévolue
par succession à sa famille adoptive, ainsi
que tous autres biens qu'il pourroit posséder
suivant les loix qui règlent les successions
a moins qu'il n'en ait spécialement disposé
par testament.
XII.
Ne pourront les père & mère
priver
leurs enfans adoptifs de la
, part & portion
de leur hoirie, assurée
par 1 aste d'adop-
tion contenu en l'article IV, les
que
causes légales d'exhérédation qu'ils pour
seroient
tenus d alléguer pour deshériter les enfans
issus de leur légitime mariage.

XIII.
Dans aucun
cas & dans aucun, acte
autre que celui de partage de la succelEori
de leurs pères &c mères, les enfans adoptifs
ne seront tenus d'en prendre ni d'en rece-
voir la qualité; notre intention étant que,
hors l'héritage des biehs de ligne, duquel
ils seront exclus rien ne distingue chacun
-j

d'eux des enfans de la famille qui l'aura


adopté.

Ayant hasardé de parler en législateur,


il ne m'a pas été pofliVle de détailler
to\rs les motifs de l'édit que je viens
d'oser rendre. Je ne le donne, d'ail-
leurs & ne le regarde moi-même que
,
comme l'essai informe de la loi dont -je
voudrois donner l'idée & qui, sans doute >
,
revétiroit cette majesté & cette sagesse qui
caraB:érisent les grandes & belles loix prin-
cipales de notre monarchie. Je vais main-
tenant en discuter les différentes dispoci-
tions &c faire sentir les avantages qu'elles
,
renferment.
L'esprit général de ce projet de loi, est
'd'incorporer le plus intimement possible,
l'individu adopté à sa famille adoptive} en
établissant entr'eux, & communauté d'in,
térêts a£tuels & réciprocité d'avantages
,
avenir. De-là, la portion d'héritage dévolue
&assurée à l'adopté par les articles I, IV
& XII, dont la disposition de l'article IX,
a semblé être une juste compensation en
faveur de la famille" Cette compensàtion
est même surabondante car les père & mere
,
adoptifs trouvant qu'il leur est avantageux
de recevoir 100 livres annuellement, pen-
dant seize ans, pour nourrir un enfant, &
de pouvoir disposer du travail de cet enfant
jusqu a sa majorité, regardent ces avantages
comme un moyen d'accroître leur com-
munauté ; c'est donc une justice qu'ils fassent
dès ce moment entrer en partage éventuel
de cette communauté, l'enfant qui est la
source de ces avantages : d'ailleurs ils
,
contrarient librement, & sur des choses à
leur- disposition. Si l'on obje&oit la nécessité
qu'ils fussent majeurs l'un & l'autre pour-
valider ce contrat, rien n'empêcheroit le
législateur de les émanciper a4 hoc fiç
y
puisque la loi ne proscrit point les mariages
& les enfans qui en naissent, avant la ma-
jorité des époux, la loi d'adoption doit na-
turellement s'y assimiler & ne point admettre
de restridion plus étroite.
L'article II exclut les célibataires & les
veufs & veuves, de la faculté d'adopter.
Les célibataires qui ont fui le joug du ma-
riage ne doivent point gourer les douceurs
,
de la paternité. Les veuss & veuves ne
peuvent convenir non plus ; l'enfant qu'on
adopte a besoin d'une mère pour l'allaiter
y
& d'un père pour en porter le nom.
Il n'est personne qui n'ait souvent ob-
fetvé avec attendrissement l'attachement
,
que les, nourrices ' ne manquent pas de
prendre pour l'enfant qu'elles allaitent, il
approche de celui qu'elles ont pour leurs
enfans, & l'égale même quelque fois. Elles
communiquent ordinairement ce sentiment
à leurs maris & à leurs enfans, par l'habi-
tude qu'elles leur font contraeter de par-
tager les foins qu'il faut prendre du nour-
risson & par celle de vois les caresses
>
Qu'elles lui font sans; cesTé, Cet attache-
ment , d'ailleurs, naîtroit de lui-mêmé dahs}
les cœurs de tout ce qui compote lafamille,
indépendamment de l'exemple de' là nour-
rice. La pitié pour la foiblesse de l'enfant^
nous est commandée par la nature. C'est
encore la nature qui nous accorde la pre-
mière récompense d'un bien quelconque,-
fait par nous à notre semblable, à tont être- -
sensible même, en faisant germer à l'instant
pour lui dans notre- cœur, un sentiment de
bienveillance, d'attachement & d'amour,
que les bienfaits subséquents développeront
6c porteront au plus haut dégré s'ils sont
,
multipliés, s'ils deviennent habituels. D'a-
près ces considerations, je regarde comme
bien essentielle,l'éxécution exacte de l'ar-
ticle IIL
N'étant point homme de loi, je doute
si j'ai bien exprimé, & sans impropriété de
termes, & sans faire de contre-sens dans
la langue de notre jurisprudence, les dis-

semblé que le législateur ,


posuion des articles V & VI; mais il m'a
que le pèrq-
8.çtous les,citoyens, que le seul père des.
enfans. qui n'en peuvent reclamer d'autre,
ne pouvoit employer des formes trop au-
gustes & trop imposantes pour consérer le
plus saint ôc le plus beau des. droits.
'L'article VII rend le sort des père &
mère adoptifs, plus avantageux sans aug-
,
menter la- dépense de l'Etat, en la dimn
nuant même de tous les frais de transport
d'argent.

Les articles VIII, IX &X pourvoient


créer propriété l'adopté', propriété
a une à
dont on ne te met en pleine jouissance
qu'au moment où elle lui devient vraiment
,
utile. Si l'on étoit curieux de savoir en quoi,
consistera le patrimoine que lui assure notre
hypothèse, je dirai qu'à 16 ans révolus,
époque où cesse pour lui le placement an-
nùel. de 20 livres il lui reviendroit dé)'à..
, *

4 j 3 liv. f. d.
* . 1

? A 20 ans,
... , . »,
5 3 1 1 %
Un capital de Une rente de En tout,
A ï ans
2 6211. 2 s. 3
cf." 24l. 17f. d. 6461. 2 f. 3 4.
-
'A 3° ;qns y s'il n'a 1

boint epcore touché


sa rente 755 17 3 + g 786 1 it
A 35 ans, id...919 ta 5 36 1,5 8 9,56 1
A 4,0 1118 17 3 si: 15 1 il63 12 4,
A 45 1361 5 5 5+ 1415 14 5
A 50.... 1.656 3 u 66 4 n Y,722 8 t8
A 55 ........... 2015 3 80 1:1 2095 12 3
A 60 245 i 11 6 98 1 3 2 5+9 12
A 65 ........... 2982 14 5 JI 6 3 3103 7
A 70 '3628 18 8 Jt5 3 2 3774 1 10

Je n'étends pas plus loin cette table r


parce que rarement l'adopté attendra ausiK
tard pour toucher son capital qu'il est de
,
l'intérêt de sa famille adoptive de lui faire*
retirer & employer le plutôt possible : in-
térêt qui l'engagera à lui fournir ou à lui
procurer la garantie spécifiée dans, l'article
IX. Il n'y aura que quelques célibataires,
soit militaires soit domestiques de maisons,
3
soit compagnons ouvriers, qui, ayant
un
état qui suffit à leur entretien pourront
,
se ménager cette ressource pour le marnent
de la retraite ou du repos.
On pourroit s'appercevoir que le projet
d édit laisse une lacune dans la série des
,
c
soins & des dépenses que le législateur con-
sacre au bonheur de l'adopté, soins qui
commencent à sa naissance , & qui ne fi-
nirent qu'à sa mort. Cette lacune se trouve
entre l'âge de 16 ans & celui de 2). La ;
famille adoptive, sensible à la cessation su-
bite de rétribution pourroir se décourager
N
,
& abandonner ou rebuter l'adopté au mo".
ment le plus intéressant pour sa conduite
Sr pour ses mœurs. Voici comment il est
nécessaire d'y pourvoir.
Je suppose que tous les encans adoptés
seront placés foit à la campagne, soit chez
3
lés artis^ns des villes & bourgs ; mais tou-
jours de préférence dans des familles de
travail ; quand ils auront atteint l'âge où
leur travail commencera àfournir en partie,
aux frais de leur entretien , il fera bon de
diminuer graduellement leur penston pour
,
pouvoir la leur continuer encore en partie
*
jùsqu'à l'âge de 2) ans.
Enconséquence, que l'adopté, en attei-
gnant »sa douzième année , ne procure de
rétribution pour cette année-là à sa sa-
*

/
mille adoptive, que po 1.
A sa treizième, que.. 80
A sa quatorzième, que 70
A sa quinzième., que.........
60
A sa seizième, que S0
Il en résultera que sans faire d'augmen-
tion de fonds pour lui, on pourra payer
pour sa dix-septièt11e année....... 4° h
Pour sa dix-huitième... 30 *
Pour sa dix - neuvième........ 20
Pour sa vingtième %
. *, 1

Piour sa vingt-unième ip
Pour sa vingt-deuxième....... 19
Pour sa vingt-troisième...... 18
Pour sa vingt - quatrième (i)... 18

( 1
On pourrait s 'étonner dq trouver la somme des
)
remboursemens plus forte de 33 livres que celle des. rete-
nues , venant sur-tout de lire qu'il ne saudra pour cela
aucune augmentation de fonds. J'avertis donc que je fup-
pose que les retenues sont placées chacune,,du moment
,
qu 'oii l a fait, dans les sonds publics , &. qu'elles y ac'croif-
sent au prosit de l adopté dans la ration du denier vingt-
,
cinq, tant de leur capital que de lenrs intérêts échus, ce
qui sufEt &. même un peu au-delà.. pour pouvoir faire
,
successîvement & à leurs époques respcélives les paiemens
,
indiqués ci-dessous.
A sa vingt-cinquième, il pourra toucher
sa rente que nous avons vu être de 24 liv.
17 s. ; plus donc de lacune dans les secours
qu"il reçoit de la bienfaisance du Gouver-

nement. ,
Je ne crois pas avoir besoin de dite que
ces hommes ne devront être payées aux
pères & mères adoptifs qu'autant qu'ils,
,
garderontl'adopté chez eux, ou que l'ayant
placé,, soit en conditiôn, soit en appren-
tissage il y sera entretenu convenablement,
3

ce qui sera constaté par le Curé du lieu où


sera placé l'adopté. Dans tous les cas où
les soins & les dépenses de la famille adop-
tive auroient celle pour lui, comme s'il
étoit égaré ou enfui, s'il est au service
militaire ou terrestre ou maritime , la ré-
ttibution annuelle à laquelle elle n'aura
,
plus aucun droit ne devra pas lui être
,
payée, mais biçn être mise à la masse de
Adopté pour l'accroître à son profit,
,
suivant la même loi que tous les autres,
capitaux placés annuellement sur sa tête (1 ).
(1) Si l'adopté , en quittant si Emilie, s'assuroit un avan-
Je pourrois encore avertir de faire une
petite retenue sur la rétribution des deux
premières années ? & de fournir une layette

j
tage aussi considérable que celui d'acquérir, à son pro£t la.
rétribution entière , promise à cette famille, pour son en-
tretien , il sembleroit qu'on eût voulu encourager, &. même
hâteT sa désertion de la mai[on paternelle ce qui implique-
,
roit contradiction avec tout ce qui a été dit des avantages
qu'il doit retirer 'de la surveillance de la famille adoptive,
&. de ses soins prolongés autant qu'il est possible. Il faudroit
donc apporter à cette disposition quelques modisication*
d'un détail trop minutieux pour avoi,r pu trouver place dans
LÈ corps du Mémoire. Lies voici : w
i*. Quand l'adopté s'enfuiroit de la maison paternelle t
ni lui, ni la famille adoptive ne devroit profiter de la ré-
tribution ; elle resteroit à la caisse des enfâns-adoptés. Cette
double privation seroit à la fois la jude peine, &. de la ré-
bellion de l'enfant, & de la dureté de ses parens adoptifs
qui l'auroient excitée.
a0. Quand l'adopté quitteroit la mai[ort paternelle dans
un but louable &. profitable à l'État, comme pour entrer
à son service soit terrestre Ou maritime la rétribution
, ,
entière promise à la' famille pour les années qu'il passeroit"
,
à ce service, accroîtroit la masse de l'adopté comme il est
,
dit dans le texte,
Quand enfin il sortiroit de la maison paternelle du
contentement des parens adoptifs, &. dans quelque Vue
utile comme pour aller exercer l'art méchanique qu'on
,
lui auroit enseigné dans des lieux éloignés où il fleurit
,
la rétribution pourrait, pendant cette absehce, être par-
tagée entre la famille & lui ; bien entendu que le confan-v.
tement dont il s'agit, auroit été conflaté à l'avance.
de !a, valeur de retenues; valeur qu'on
Tes
rembourseroit aux père & mère adoptiss à
la fin de la sécondé année, s'ils rendoient
la layette complette quoiqu'usée. Mille dé-
tails intéressans, à la vérité, parleur objet,
mais minutieux par l'expression qui s'effor-
ceroit à les rendre, se présentent à mon
esprit, mais ils s'offriront de même à qui-
conque réfléchira sur cette matière ; & je
n'en veux pas grossir ce Mémoire.
Je regarde l'article XIII comme celui
dont l'exécution importe le plus pour
anéantir le barbare préjugé, qui parmi nous
met le front du Bâtard dans la poussière.
En effet, veut-il acquérir le moindre office ?
on lui oppose le vice de sa naissance. Veut-
il être promû aux ordres sacrés ?
cette
même naissance est un empêchement. Veut-
il exercer une profession ? Les
corps de
métiers se désendent de l'admettre à la
maîtrise. Veut-il se marier ? la fille légitime
du mendiant croira se mésallier en lui don-
nant la main. Fût-il même reconnu de son
père ou de sa mère, & même de tous deux
îl est exclu de leur succession ! que ne doit-on
pas tenter pour effacer jusqu'à la moindre
trace d'une aussi horrible ppression?
C'est dans l'espoir d'y parvenir, que je
voudrois que les Bâtards ne fussent qu'on-
doyés dans le lieu de leur naiiïance, & ne
fussent portés que sur le registre des bap-
têmes de la Paroisse de leur famille adop.
tive ; & attendu que leur adoption & les
lettres du Souverain qui la confirment,, les
placent au rang des enfans légitimes, l'acte
de supplément des cérémonies de leur bap-
-
tême n'indiqueroit pas le vice (de leur
,
naissance ; on se contenteroit seulement de
faire, en marge, note de l'aae d'adoption,
laquelle note seroit signée des père 5c mère
adoptifs ; & hors le cas où une succession
en litige obligeroit de recourir à cette note,
il seroit défendu aux dépositaires des re-
givres d'en faire mention dans les extraits
qu'ils délivreraient, ni d'en accorder la lec-
ture à personne. J'ai beau chercher, je ne
vois à cela nul inconvénient (i). Le légiOa-
(1) En voici un qu'on m'a fait apperceyoir. L'adopté
tèur le plus sage n'est pas celui qui ne tient
4ucun compte des préjugés qu'il méprise,
mais celui qui y sacriec. Tels les intrépides
Romains sacrifioient à la peur !
Maintenant que j'ai démontrd la pofti-
bilité d'améliorer l'éducation des Bâtards,
& cren tirer une plus grande utilité pour
l'Etat, que j'ai ell même-tèms trouvé des
moyens faciles d'aiîurer leur subsistance,.
quoiqu'en dépensant pour chacun d'eux
d'argent qu'il n'en coûte aujourd'hui
moins
dans un hôpital, que j'ai plus tenté encore
pour leur bonheur, en faisant tous mes
efforts pour les dérober à l'affreux préjugé
les immole, je crois avoir en grande
qui

pourroit, en contraint mariage, être cru fils légitime avec


tous les droits compétans, & tromper la bonne foi de l autre
partié contractante, qui compterait vainement sur les droits
de son époux aux biens de ligne de ses père & mère , ascen-
dans & collatéraux. Mais iï.. il seroit rare que des familles
riches adoptaient des Bâtards ; 2 La personne qui épouserois
adopté pourroit aussi bien être instruite de son adoption ,
un
de la valeur de,s biens de ligne de sa famille adoptive,
que
&. puisqu'elle conttat1eroit én vue de tels tels biens c&
,
seroit à elle à prendre toutes les informations nécessairçs ,
&. toutes les sûreté? à cet égard,
partie
partie assuré leur conservation. En effet,
nourris & élevés dans la liberté des cam-
pagnes , loin de l'air contagieux & de la
contrainte des hôpitaux, jouissans chacun
des soins d'une famille entière, au lieu de
surcharger, par leur nombre, non pas la
charité a&ive non pas le zèle mais les
, ,
forces des dignes filles de S. Vincent de
Paul, combien n'en sauvons-nous pas ?
Devenus hommes avec une constitutîon
saine & un corps robuste, endurcis aux
travaux de l'Agriculture , au lieu d'avoir
dans la captivité des hôpitaux, & par l'exer.
cice des occupations sédentaires auxquelles
on y fait enchaîner l'enfance, contra&é
des affeaions fâcheuses & un tempéram-
ment foible , combien n'en conservons-
nous pas ? En leur donnant les moeurs
simples des campagnes, en les soumettant
à l'autorité paternelle, en les confiant à
la surveillance, à la sollicitude d'une fa-
mille dont-ils portent le nom, & qui dès-
lors à le plus puissant intérêt à les préserver
du vice & de ses déplorables suites, au
lieu de les abandonner sans frein, sang
guide & sans reÍfoutces, aux dangers de
espèce qu'ils rencontrent, au sein
toute ,
des grandes villes , à leur sortie des hôpi-
taux , combien n'en conservons-nous pas?
Enfin, en leur ménageant une somme suffi-
fante pour leur établissement, au lieu de
les renvoyer dénués de tout, combien n'en
conservons-nous pas ? N'en doutons point :
n'est pas à recueillir les Bâtards qui
ce
naissent, que consiste la difficulté d'assurer |
leur confervatÍon, c'est à prendre tous les
d'en faire un jour des hommes sains
moyens
& laborieux ; c'est à les préserver de la
,
misère & des vices. f
Quoiqu'il en soit, l'humanité &c la re-
ligion prescrivent de veiller à leur conser-
vation dès le premier moment de leur
existence, & maintenant que nous croyons
avoir trouvé les moyens de les rendre utiles
à l'État, la politique le prescrira de même.
Il existe parmi nous une loi de Henri II,
laquelle j'ai lu quelque part bien
contre
des déclamations ; j'avoue que je ne les
trouve pas fondées. C'est sans doute un
effet de mon respeft pour les loixde
mon
pays, mais je ne vois rien çn elles que j'en
voulusse retrancher ; souvent, & c'est le
cas de celle qui nous occupe, je defirerois
pouvoir y ajouter. Je voudrois, par
exem-
ple que le Magistrat auquel
, une fille vient
de faire sa déclaration de grossesse, fût
tenu de mander chez lui, le plus secrète-
ment possible, le père ou chef de la fa-
mille de cette fille, & de lui déclarer qu'il
ait à ge maltraiter en aucune manière la
>
nialheureuse viftime de la sédudion
ou du
libertinage, de peur d'en détruire le fruit
întéressant, dont il devient responsable
par
le fait seul de la déclaration qu'on lui fait;
de laquelle le Magistratferoit, sur-le champ,
dresser un procès-verbal
par son Greffier.
A cette précaution je voudrois encore

.
3
qu 'on ajoutât celle de rétablissement dans
le chef-lieu de chaque Jurisdiction d'une
maison située convenabl.emenr &
, ayant
plusieurs issues, tenue par
une Sage-femme
expérimentée, a qu^i on impoferoit sous de
sévères peines, la loi du secret. Cette Sage-
femme feroit obligée de recevoir gratuite-
fille enceinte qui se présente-
ment toute
roit, pourvu qu'elle dit son nom, que la
Sage-femme iroit porter au Magistrat qui
reçoit les déclarations. Cette Sage-femme,
ainsi que toute autre qui auroit accouchés
une fille, seroit tenue de porter l'enfant,
après l'avoir ondoyé, &c dans les vingt-
heures de sa naissance, au Procu-
quatre
du Roi, à qui elle déclareroit par
reur
serment, que 1 enfant qu elle lui remet est
illégicime. N'y ayant pas d'autres formalités
à remplir ni d'autres recherches à essuyer,
,
il seroit défendu, sous de grièves peines, j

'de compromettre la vie d'aucun enfant,


l'exposition clandestine, si fort en usage
par
aujourd'hui.
Le Procureur du Roi, j'ai choisi ce
Magistrat, parce que, parmi nous , c'est 3

à sa diligence que le maintien de l'ordre


publique est confié, & que d'ailleurs il m'a
semblé que c'étoit à lui à représenter le
Roi dans l'atte d'adoption * le Procureur
\
du Roi qui auroit formé un établissement ( )
i

pour recueillir les enfans dès l'inÍlant ou


on les lui présenterois, feroit avertir les
personnes qui se seroient offertes à l'avance
pour adopter un enfant, qu'il y en a un
au dépôt. Je suppose, & j'ai droit de sup-
poser, que plusieurs se seroient offertes à l'a-
vance. En effet la rétribution accordée pour
]asubsistance de l'enfant étant plus que suffi-
sante pour remplir cet objet dans les campa-
gnes de la plupart de nos Provinces, présen-
terois un appas à la famille adoptive ; les
avantages assurés à l'adopté, au moyen de
cette masse accroissante que nous lui avons
formée avantages qui dans certains cas;,
, ,
seroient reversibles à la famille & dans
,
aucun ne le laisseroient à sa charge , en
seroit un autre. Je pense donc que l'homme
public chargé de l'intéressante fonaion de

(i) Que le mot d'établissement n'effraie pas celui-ci


;
tel que je le conçois ne seroit pas coûteux. Il consisteroit,
,
à s'affurer d'une ou deux femmes saines,
en état, chacune,
de donner le sein pendant deux ou trois jours à
un nouveau
ne, pour donner le tems d'avertir à la campagne une sa-»
mille adoptive & encore à cette famille celui d'arriver.
,
donner des pères & des mères aux Bâtards,
n'auroit d'autre embarras que celui du
choix. Il le feroit tomber sur les habitans
de la campagne, & de préférence sur ceux
dont l'Agriculture est la principale occu-
pation, tels que Laboureurs, Vignerons,
Jardiniers. C'est cette classe utile qu'il im-
porte le plus de recruter ; les caprices de
la riiode ni les revers du commerce n'ont
point de prise sur l'exigence des ouvriers
de cette profession. A défaut de cultiva-
teurs, ilpourroit donner aux garçons, pour
pères adoptifs', des artisans & gens de mé-
tiers de première riécesîité, tels que Ma-
çons , Ouvriers en bois ou en fer Bou-
, %

langers , Cordonniers , tous gens dont le


travail & la subsistance sont affurés. Pour
les filles, on pourroit rechercher les mères
qui exercent quelques arts de leur sèxe,
comme Couturières & Fileuses de laine
&; de coton. Quelle plus belle fonction
rempliroit jamais l'homme public , que
celle par laquelle il pourvoiroit à la con-
servation à l'utilité, au bonheur même
,
d'un être humain, envers lequel ,il acquitte-
roit ainsi la dettede la Providence ?
Il faut aller au-devant de quelques ob-
jetions. On pourroit peut-être regarder
comme un inconvénient fimpolTibilité où
seroient les pères & mères naturels de
quelques Bâtards de revendiquer un jour
leur paternité ainsi aliénée ? mais je crois
qu'on auroit tort. Quiconque a pu un seul
instanr méconnoître, tout à la fois, le plus
saint de tous les devoirs & abdiquer le
plus beau de tous les droits, n'a-t-il pas
bien mérité cette punition d'en être déchu
à jamais ? Oui, les vrais pères d'un enfant
sont ceux qui soignent sa foiblesse, qui lui
.apprennent à former ses premiers pas, à
prononcer ses premiers mots, à assembler
ses premières idées ; qui dirigent ses premiers
penchans vers le bien, ses premières actions
vers le juste, & ses premières forces vers
l'utile; qui, en un mot, sa vent en faire un
homme. Oui, l'ordre des choses que je viens
de décrire, une fois établi, si les père & mère
naturels d'un enfant adopté osoîent se dé-
clarer, sans doute, à la flétrissure par la-
quelle les moeurs outragées continueroient
à se venger d'eux, la loi en voudroit ajouter
un autre (i).

( i ) Quoi ! même en contraélantun mariage les père & mère


,
naturels d'un enfant ne pourront le reclamer & lui rendre un
État plus heureux Que de femmes abusées ou séduites, aux-
1

quelles vous ôtez le seul espoir qui leur fait le poids d'une
existence flétrie Que d'hommes pervers & coupables, dont
!

vous rendez le repentir inutile, &. dont vous éteignez par-là


jusqu'au remords ! que d'enfans condamnés à végéter obf-
curément dans les dernières classes de la societé , au lieu
de jouir des délices réservés aux premières dans lesquelles
la nature les avoit fait naître La rigueur de votre loi est
!

poussée à l'excès contre les père & mère naturels , dont


tout le crime n'a souvent été qu'un moment d'erreur , mais
elle devient une mjustice envers l'enfant. Je n'affoiblis pas,
comme on voit l'objeéHon, mais voici ma réponse :
,
La rigueur de la loi envers les père & mère naturels ne
feroit qu'un frein trop nécessaire , peut-être , ajouté à ceux
trop impuiflans qu'on a tenté de mettre à la dépravation
des mœurs. La crainte salutaire de commettre. une faute à
jamais irréparable , armeroit puissamment le she foible &
timide contre l'attaque du sèxe audacieux &. fort, qui
,
trop souvent ne triomphe que par la perfidie. Quant à
l'ensant né dans une classe plus élevée que celle de sa famille
adoptive , dl-il sûr qu'il y ait beaucoup- à gagner pour lui
d'y entrer L'homme de travail ne craignant point l'indi-
?

gence est peut-être le plus heureux des hommes, & par:


Si vous rendez, me dira-t-on 1e sort des
,
Bâtards si doux & si digne d'envie, le pauvre

notre institution , l'adopté seroit cet homme-là ; que désirez


Vous donc de plus pour lui !
L'adoption d'un enfant abandonné une fois faite , je
vois au retour de cet enfant à ses père &. mère naturels
mille inconvéniens & pas un avantage. Croit-on donc qu'on
puisse ainli changer de père &. transporter à volonté les plus
,
doux sentimens de celui qui les inspira toujours à celui
, ,
qui ne les mériteroit peut-être jamais Non : la mère qui
1

nous nourrit & le père qui forma notre coeur , seront tou-
jours les seuls que notre cœur reconnoîtra. De tous les ani-
maux ,\l'homme est le seul qui , passé le tems du besoin ,
conferve de l'attachement pour les auteurs de son être ; ce
n'est donc point dans son physique qu'il faut chercher la
source de cet attachement ainsi prolongé pour lui seul, c'est
dans ce qui le distingue du reste des animaux c'est dans
,
son moral. Vous ne feriez donc, par leretour tardif d'un
adopté à ses père &. mère naturels que briser les plus
,
doux liens, sans pouvoir en former qui soient dignes du nom.
,que vous lui imposeriez. En élevant ainsi subitement à une
des premières classes de la société, un homme nourri dans
la dernière vous n'opéreriez qu'un déplacement forcé &.
, ,
par-là même nuisible ; l'élévation d'un tel homme ne
,
pouvant manquer d'être dangereux , à moins quelle ne soit
le prix de ses efforts & de sa vertu. En esset s'il n'a reçu
, ,
ni acquis, par lui-même, l'éducation de son nouvel état,

comment pourra t-il s'y proportionner ? il vaut bien mieux
pour la société &. pour lui , qu'il demeure laborieux culti-
ira eur , ou indulilrieux artisan , que de devenir un Seigneur
libertin, ou crapuleux.
mêlera parmi eux les enfans légitimes, bien
plus fréquemment qu'il ne-le fait au moment
présent, où l'on commence déjà à gémir de
cet abus ? Il est un moyen bien simple de
le réprimer ; c'est d'imposer aux Sages- f
femmes l'obligation de déclarer au Procu-
reur du Roi, la naissance de chaque enfant
légitime, avec le nom de ses parens, aux-
quels ce Magistrat pourroit en tout tems
en demander compte. Il seroit injuste, sans
doute, tandis qu'on pourvoiroit avec autant
d'étendue à la conservation, aux besoins,
au bonheur même des Batards de laisser
,
les enfans légitimes des pauvres périr for-
cément de misère dans les chaumières pa-
.ternelles. Tout enfant à qui le travail de
ses parens, réuni à leurs autres moyens >
ne peut procurer une subsistancesuffisante,
a droit à un supplément de la part de la
société ; c'en est même la dette la plus sa-
crée. A Dieu ne plaise que je prétende l'en
affranchir ! il me seroit, au contraire, facile
de démontrer qu'elle n'est point au-dessus
de ses forces, & que, par des moyens ana..
logues à ceux que j'ai développés pour les
Bâtards, il seroit possible d-'assures la con-
servation des pauvres, ôc d'en tirer une plus
grande utilité pour rÉtat, à moindres frais
peut-être que ces objets ne sont aujourd'hui
manques (i). Mais ce seroit sortir de la

(t) Je suis persuadé que les charités éparses, répandues au


hasard sur les mendians, versées sans choix dans le sein des
pauvres honteux , & distribuées sans ordre à des hommes
dont, à de moindres frais, ont eût prévenu la misère, se-
roient, réunies & bien administrées , plus que suffisantes
pour entretenir les enfans des pauvres ; car c'est du défaut
d'entretien de ces enfans, que naît & se perpétue la men-
dicité & les maladies qui peuplent nos dépôts & nos hôpi-
taux, sans compter ce qui s'en étale le'long de nos grands
chemins & à la porte de nos églises. Il suffiroit pour cela
de mettre à l'exercice de la charité, un ordre qn'elle ne
connoît point parmi nous.
Pour atteindre à cet ordre, je voudrois voir former une
association philantropique, ou de charité, de tout ce qu'il
y a parmi nous de gens exempts du travail des mains. Cette
classe qui vit du travail de l'autre lui doit bien de s'occu-
,
per de sa conservation. Elle a tous les moyens 8c tout le
loisir de se livrer aux recherches &. aux foins qu'exige l'ordre
sans lequel un si grand bien ne peut s'opérer.
Je voudrois donc que toutes les personnes de cette claiTe,
tant dans les villes que dans les campagnes , formaient dans
chaque Juridiction, une association, dont le principal but
feroit, au moyen des charités qu'elle feroit 6c recueilleroit,
ne pourvoir à l'entretien des enfans des pauvres- N'y ayant
queflion que j'ai osé traiter. Son but esf
assez beau, assez grand, allez dispropor-

point de pauvre famille qui ne fût sous les yeux de la so-


ciété philantropique personne ne seroit plus obligé de
,
quitter sa chaumière pour aller mendier au loin. J)ès qu'il
seroit constaté, par les membres nombreux & par-tout ré-
pandus de l'association qu'un père de famille ne peut faire
,
suiïfïster ses enfans faute de travail, ou à l'aide seul de sou
,
travail, on s'occuperoit de lui en assurer, & d'en propor-
tionner le prix à ses besoins. Pour cela, on l'occuperoit,
fous l'inspeétion d'un membre de l'association sur les grands
,
chemins ou sur les chemins vicinaux à portée de sa de-
,
meure , & on ajouteroit au prix réel de sa journée, autant
de fois SIX LiARDS qu'il auroit d'enfans au-dessous de quinze

,
ans. Si c'étoit un pauvre cultivateur qui , occupé de sa
culture ne pût aller que rarement en journée &. dont on
,
ne pourroit par conséquent vérifier & PIQUER le travail ;
on lui donneroit un sol par jour, ou trente sols par mois
par enfant. Le pauvre ouvrier de manufactures, &. le pauvre
compagnon ouvrier chargés de famille , feroient secourus
à la première indication. Sitôt que les enfans eux-mêmes se-
roient capables du moindre travail , on auroit soin de leur
en procurer , & on leur en accorderoit le prix.
Je sais bien que le secours que j'accorde au père de fa<
mille est bien modique ne pourroit suffire dans les
,
grandes villes ; mais dans les campagnes & dans beaucoup
de petites villes il seroit suffisant &. encourageroit le tra-
,
vail & la population. Les associations plus riches des grandes
villes pourroient donner des secours plus abondans &. pro-
portionnés aux besoins.
Ces associations philantropiques feroient encore un grand
bien , en plaçant sur la tête de chaque enfant qu'elles afliste-;
tienne à mes forces pour ne point tenter
de le palier. / 1

roient, 1i livres par an , jusqu'à ce qu'il eut atteint l'âge


de vingt-cinq ans pour accroître à son profit, dans la
,
raison du denier vingt-cinq, tant de ces sommes annuelles,
que de leurs intérêts , ainsi que je l'ai détaillé pour les
Bâtards la somme qui en résulteroit serviroit à son éta-
,
bliffement. L'enfant sur la tête duquel on auroit fait, dès
sa naissance, un pareil placement, auroit à vingt-cinq ans,
un capital de 519 liv. 14 s. 8 d., produisant, sur le pied du
denier vingt-cinq, 20 liv. 15 s. 1O d. de rente. Au moyen
donc de 30 livres par an, la société philantropique pourvoi-
roit à l'entretien d'un enfant, & à son établissement, lors
de sa majorité. Y eût-il un million d'ensans auxquels on
étendît ce secours ce ne seroit jamais que trente millions
,
qu'il en coûteroit. Qu'on ne s'en enraye pas : l'Angleterre
qui n'est que le tiers de la France en population comme
,
en étendue, en employe à cet objet près de soixante. La taxe
des pauvres., c'est-à-dire pour les pauvres, y est de cinquante
millions. Les sommes que la charité ofsriroit parmi nous,
qui avons conservé un clergé riche & nombreux & dont
,
le Souverain donne lui-même des sommes considérables en
aumônes & en fonds pour des atteliers de charité ; les sommes,
dis-je que la charité offriroit parmi nous, approcheroient
,
sans doute de celles qu'elle exige chez nos voisins.
Chaque association philantropique correspondroit avec
l'assemblée provinci-àe lui rendroit compte de ses besoins,
,
de ses efforts, &. des secours qui lui seroient nécessaires.
Elle en obtiendroit sur les fonds des travaux de charité
,
& prositerait de toutes les autres ressources que cette
assemblée pourroit lui offrir
Ce feroit cu employant de cette manière leur loisir &.
Qu on ne croye point a en effet, que
je sois entré dans la carrière sans éprouver,
à l'aspeB: de on étendue & de ses difficul-
tés le sentiment pénible de mon insuffi-
,
sance. Non ; pour la parcourir avec succès, .,

leur superflu , que les rentiers pourroient-etre dits, à plue


juste titre qu'aujourd'hui, GENS VIVANS NOBLEMENT.
On m'attaquera sûrement sur-tout ceci avec l'arme du
ridicule car il seroit plus difficile de me combattre par
,
des raisons. On dira que je veux ramener le monde aux
chimères de l'âge d'or; que je veux qu'il n'y ait plus de
pauvres , ou pour mieux dire, que tout le monde le sbit,
puisque je fais ainsi des pensions à tous leurs enfans, aux
dépens des riches. J'avoue que je veux qu'il n'existe plus
\
de pauvres que ceux que feront toujours, en trop grand
nombre, l'inconduite , l'oisiveté volontaire les accidens &
,
les maladies, & que je crois donner les moyens d'y parvenir.
J'avoue que je veux qu'il ne naisse aucun enfant à la sub-
fiance duquel la patrie ne pourvoye , & qu'elle ne dote
,
asin que nul ne Ibit, en naissant, deshérité & condamné ou
à périr de misère, ou à vivre dans l'abjection de la mendi-
cité ; j'avoue ensin , que je vois du profit pour l'Etat à dé-
penser dix écus pendant quinze ans, & douze francs pendant
dix autres années, pour un individu qui, faute de ce [ecours,
lui coûtera vraisemblablement un jour cinquante écus par
an-, dans un hôpital.
Si l'Académie daignoit jeter les yeux sur ceci que je
ne donne que pour un appérçu qui vaut la peine d'être
approfondi, il seroit possible qu'elle y trouvât le sujet d'une
autre question encore bien intéressante.

t
ce n'eût point été trop de la réunion du
génie du Philosophe, de celui de l'homme
d'État & du Jurisconsulte. Et moi, qui ne
fuis rien de tout cela, je m'y suis élancé sans
autre motif que l'amour de l'humanité,
sans autre guide que la vérité, & sans autre
moyen pour atteindre au but, qu'une idée
(impie, que je crois saine, & dont je desire-
rois sincérement qu'un talent plus digne de
la traiter, se fût emparé; car ce que j'am-
bitionne bien plus vivement que de rem-
porter la palme sur mes rivaux, c'est dfc
voir triompher & adopter un jour les
mesures les plus propres à corriger le sort
de la classe vraiment infortunée, au secours
de laquelle une société également célèbre
par ses lumières & sa philantropie, a ap-
pellés tous les amis de l'humanité. Ah !
si j'ai cru devoir à un travail si beau dans
ses fins, si grand dans ses rapports, le tribut
de mes forces, je dois bien plus encore à
l'intérêt de ceux qui en ont été l'objet,
de desirer d'étre, de tous ceux qui l'ont
entrepris > celui qui ait le moins réussi. S'il
en étoit ainsi je me réjouirois dans le
,
même esprit que ce Lacédémonien ? qui,
s'étant inutilement présenté pour être
admis au Conseil des trois cents, s 'en re-
tournoit tout joyeux de ce qu 'il s étoit
trouvé dans Sparte , trois cens hommes
qui valoient mieux que lui.

F I N.

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