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La légitimité / par A.

Blanc de
Saint-Bonnet

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Blanc de Saint-Bonnet, Antoine (1815-1880). La légitimité / par A.
Blanc de Saint-Bonnet. 1873.

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1
LA. LËGtTïMÏTE.
LA

LEGITIMITE

A~-BLANC DE SAt~T-BONNET.

TOURNAI
"\7VK H. CASTERMAN

PARIS LEIPZIG
L!<AtR)K !STKRtt~T)O~A'.H CATtmr.tQHE f.. A. KtTTI~HR, Cf)MM!SS!O~~A'RK
f:ue Bonaparte, 66 Querstrasse, 34
ROME
fKÉD&RtC CH!APPER!N!, HBRAtRK
Place du Collège Romain.
!87~
Tous 'tt'Otts t'~ervAs.
LES événements, qui se hâtent, vont confirmer
ces pages, déjà trop lentes à paraître, et presser
les hommes de bien de proclamer hautement les'
principes auxquels nous devrons le salut. Le pays
ne peut demeurer plus longtemps dans l'angoisse.
On s'est vu sur le point de périr, et l'on est à la
veille des grandes catastrophes. La civilisation,
elle-même, n'a jamais été aussi près de sa fin. Le
monde semble au moment de voir la raison s'étein-
dre, les droits s'évanouir, l'envie s'étendre encore,
et la Société succomber. Tromper à cette heure les
peuples, les retenir dans le faux jour, dans le
mensonge, ce serait les trahir et les mener volon-
tairement à la mort.
En niant toutes les légitimités, on a fini par
abolir la civilisation entière. L'Europe, cependant,
échapperait au cataclysme qui la menace, si les
peuples pouvaient comprendre la légitimité de tous
les éléments dont la Société se compose, depuis
celle de la famille, de la propriété et de l'hérédité,
jusqu'à celle des lois, des droits acquis, des corpo-
rations, des aristocraties enfin des rois et de
l'Eglise. Si les hommes voyaient la Société justifiée
dans sa composition comme dans son principe,
dans les moyens qu'elle met en usage comme dans
son but supérieur, quel serait leur mépris pour une
révolution qui n'est venue tout renverser que parce
qu'elle n'a rien su comprendre
Toutefois, qu'on se mette à la place de ceux qui
ne voient ni pourquoi ils doivent obéir, ni pour-
quoi ils subissent le joug de l'inégalité des condi-
tions humaines. La foule se soulève à la fois contre
l'autorité, dont la raison disparaît à ses yeux, et
contre les détenteurs de la richesse, dont les titres
ne lui sont plus visibles.. Rien ne préservera la
civilisation d'une chute finale, si l'Europe persiste à
écarter la Loi qui porte les trois explications sur
lesquelles repose le monde l'explication du pauvre,
l'explication du riche, l'explication des rois.
Il semble qu'on n'ose pas toucher à la Révolu-
tion. La première des nations s'écroule, et l'on
s'obstine encore à tourner autour des questions. On
n'en aborde résolument aucune et nos idées
comme enchaînées, ne peuvent faire un pas vers la
lumière. C'est une confusion et une dissolution de
toutes les notions supérieures, de tout ce qui doit
éclairer les peuples et les préserver de la ruine.
Nous succombons par l'oubli des doctrines, et nous
écartons constamment tout ce qui a le caractère
d'une doctrine! Nous trahissons les idées, et nous le
comprenons si bien, que toute notre curiosité se
porte sur les faits. Or, les faits marchent, et résol-
vent les questions sans nous.
Faut-il donc tant se débattre pour conserver
quelques lambeaux d'erreur? Nos principes mo-
dernes sont une. absence de tout principe et un
voile tiré sur le vide qui s'est fait au sein de la
pensée et de la conscience. Dépouillons-nous de
ces détours et de tout ce qui est équivoque. Mon-
trons plus de vaillance, sachons aller droit à la
vérité, et nous verrons bien qu'elle existe!
Témoins de cette débilité, les étrangers même
nous crient Vous allez succomber par les divisions
qu'entraînent parmi vous les questions secondaires
et l'impuissance à la fois sociale et dogmatique des
partis. Ralliez-vous sur les principes supérieurs;
de là découle la lumière qui peut seule éclairer
vos questions politiques! Hâtons-nous donc de
remonter vers ces principes libérateurs, et de
ren-
trer dans le sens vrai de notre constitution his-
torique.
On a perdu la Société à peu près tout entière il1
s'agit de la retrouver! Mais d'abord, ouvrons-nous
un passage vers elle, l'erreur est si considérable
qu'elle a fermé tous les chemins.

Près d'expirer, le comte de Maistre dit Je


a
meurs avec l'Europe! Et le prince de Metternioh
la
déclarait dans un éta(~ si grave, qu'il connaissait
pas de remède. Ces deux esprits si sûrs portaient leur
jugement d'après des faits de jour
en jour plus
manifestes.. Maintenant, nous touchons
aux crises
extrêmes. La catastrophe immense est à la veille
d'éclater tout ce que le travail, le génie et l'épar-
gne ont créé, tout ce qu'ils ont recueilli dans ce
monde, n'est plus qu'une proie destinée à l'envie.
S'amassant dans les cœurs à mesure qu'ils perdent
la Foi, l'envie s'avance en ce moment
comme une
dont les flots semblent déjà embrases par le
mer,
satanisme.
L'espace qu'elle couvre aujourd'hui est si vaste,
l'homme cherche s'il doit avoir encore un jour
qae quel
de répit sur la terre! Et ceux qui voient en
état d'orgueil l'absence de Foi met les âmes, se
demandent si le monde doit encore subsister.
Cependant, une raison de croire que nous ne
délaissés par la Miséricorde, ce sont
sommes pas
châtiments; ce sont aussi les avertissements
nos
qui les ont précèdes. Dieu nous traite comme un
grand peuple, il nous assure' le principe de résur-
rection. Pour tout être que le Ciel arme si libéra-
lement du sublime pouvoir de l'effort et de la.prière,
l'épreuve est le moment où se prépare le triomphe.
Elle est le signe évident d'un délai que nous ac-
corde la divine Justice..
0 France, on vient de te le dire II n'y a point
de gloire que tu ne puisses atteindre. Or s'il est,
parler comme Bossuet, quelque chose d'achevé
pour
la vertu trouve dans le malheur, il existe
que
quelque chose de plus parfait encore, ~qui est le
repentir. Parce que tu es tombée, recueille cette
palme nouvelle. C'est le moment! redis à ce Ca~
qui aime les F~ï~ la parole sortie des lèvres
élo-
quentes « Seigneur et Sauveur Jésus, vous êtes
mon Dieu, mon Sauveur et monVoici Roi!~ Afin qu'il
puisse à son tour te répondre « que le peuple
m'avoir cruciôé!
que j'aime revient à moi après
(Zach., xn, 10.)
Aussi bien un souffle nouveau circule, les hom-
sentent que leurs malheurs viennent de leur
mes
apostasie, et le pays lui-même conçoit de légitimes
espérances. Car Dieu a des desseins et des miséri-
cordes qui se lient aux efforts héroïques et
aux
sacrifices de l'homme. Il sait guérir les
cœurs et
refaire les nations, lorsque les cœurs et les nations
s'y prêtent. Créant ce monde pour fonder
un mérite
dans l'homme, Dieu veut pouvoir compter
sur une
coopération, qu'il sollicite encore et qu'il1 veut
recueillir sans doute jusqu'à la fin e
Rester ia proie de la Révolution A cette pensée,
tous les coeurs généreux bondissent.. La France
est appelée à sortir des ténèbres
ce n'est pas pour
trahir un dernier espoir, que Dieu tient réserve
en
un Roi pour la sauver Des rayons de lumière ont
frappé les regards de ceux qui rénéchissent, de
toute part s'échappent des élans de Foi, l'enthou-
siasme se rallume, une nouvelle Société s'avance!
Déjà l'erreur pâlit en voyant les mécomptes et les
mépris immenses sous lesquels s'affaisse la Révo<
lution.
AVANT-PROPOS.
AVANT-PROPOS.

LA RÉVOLUTION. LA StTUATION. LE SALUT.

Il faudra tôt ou tard déclarer notre situation.


Nous
n'avons plus de ménagements à garder
avec une erreur
qui nous tue. Le mal dont
nous sommes atteints a fait
partout surgir des plaies qui le rendent visible. Pourquoi
tromper plus longtemps les peuples? Est-ce lorsqu'ils
sont au moment de périr qu'il faut leur cacher
soin le côté d'où leur vient la mort? Depuis avec
quatre-vingts
ans des hommes, séduits eux-mêmes par un mensonge,
n'ont cessé d'abuser la nation
en l'exploitant à leur profit.
Ils ont fait de la France la patrie des ténèbres
du malheur.
et le lieu
Les choses en étaient à
ce point que le peuple fran-
çais n'avait plus l'air d'un peuple civilisé. De
toutes
parts on répétait que le monde ne pouvait plus aller ainsi.
Et d'autres voix disaient ce qui
se passe depuis un siècle
ne saurait s'expliquer, sinon par l'approche de la fin des
temps. A la fin des temps, en effet, les choses seront
cet état, avec la dio'érence que Dieu en
ne viendra pas nous
secourir. S'il se trouve alors plus de mal dans les faits,
LÉ(;tT.
1
il n'y eu aura pas davantage dans les esprits. Il n'y aura
chez les hommes ni plus d'athéisme, ni plus de haine, ni
plus de convoitises; on ne verra pas plus d'ébranlement
clans le corps social. Mais toutes les conséquences, aujour-
d'hui encore endormies, se déchaîneront à la fois par la
logique désormais souveraine du mal. Le crime s'étalera
publiquement; ce sera l'abomination.
Il est vrai, notre siècle est en proie à un mensonge
redoutable et fait pour troubler les nations. L'ORGUEIL,
PRENANT LE NOM DE LIBERTÉ, AMONDE.
INONDH LE
Sous ce nom supposé, l'orgueil a pu conquérir les idées
une à une, devenir maître des positions, frapper même à
la porte du sanctuaire!14
Sans ce déguisement, jamais il n'aurait réussi à péné-
trer du même coup, dans les âmes sous le nom de liberté
intrinsèque des consciences, dans les Etats sous le nom de.
liberté absolue des cultes/dans les mœurs sous le nom de
liberté de la presse, dans la foule, dans l'homme, sous le
nom de souveraineté du peuple Ce qui est mal devint le
bien, ce qui est bien devint par là même le mal. La muta-
tion de nos erreurs en vérités et de nos vices en vertus ne
fut pas longue à s''opérer ni à s'inscrire parmi nos lois.
La société enfonçait dans l'orgueil et au moment où
l'eau entrait dans la barque, on s'écria: Tout est sauvé!
nous voilà au-dessus des fois, nous irons aux extrémités
de la terre. `
L'orgueil, pris pour la liberté, avait gagné l'esprit
humain, envahi la pensée entière. Il pénétrait d~ns les
sciences, dans les costumes, dans les arts, dans la famille,
et s'avançait sur la lisière de la Foi. L'illusion devenait
générale. De tous côtés sortait la secte immense de ceux
qui, prenant en en~et leur orgueil pour de la liberté,
se nommèrent les libéraux~. De ce qui pouvait s'opposer

(1) Les uns allaient d'autant plus sérieusement à la conquêtede l'orgueil


pociat qu'ils le prenaient, pour la vraie liberté, et les autres d'autant plus ar-
demment à la poursuite de cette liberté, qu'ils savaient qu'elle était )'orguei):
ainsi se passa tout le siècle!
l'orgueil, rien ne devait rester debout. Tout passait
y
royauté, sacerdoce, aristocratie, corporations, biens du
clergé, enseignement donné par les Ordres, tout, jusqu'aux
substitutions et au droit .de tester, droit
sur lequel se
fondait, depuis l'origine du monde, la perpétuité des
familles.
En histoire, en philosophie, en morale,
en politique,
en éducation, en finances, fût-il depuis quatre-vingts ans
un livre, même un roman, où l'on n'ait vu la vérité pâlir
sous l'empreinte du libéralisme, ou de la fausse liberté?
Vérité, conscience, bon droit, respect, lois,
mœurs, insti-
tutions, pensée, beaux-arts, autorité, famille, tout né-
se
trissait à la fois. Le siècle entier était marqué du caractère
de la Bête.
Il fallait condamner le passé de l'homme II n'y avait
de recevable que le présent et ses progrès, c'est-à-dire
les progrès de l'orgueil. Il n'était question
au monde
que de la liberté moderne. Tout devait s'effacer devant
elle. Elle était la raison, elle était le génie, elle était
l'équité, elle était la vertu elle était la philosophie
,elle était la science la loi la vraie prospérité et
elle était la vérité. Le travestissement était complet.
Et l'on nomma émancipation universelle des peuples
cette immersion profonde dans l'orgueil.
La preuve que l'orgueil, et non la liberté, envahissaitt
les âmes, c'est qu'aux jours de leurs triomphes, les libéraux
étaient la libarté au bien, aux lois, à la justice, la
pro-
priété, puis abattaient ce qui offensait leur orgueil. Com-
ment d'ailleurs s'expliquer ce concert unanime, non-seule-
ment contre FEglise et contre les gouvernements, mais
contre l'autorité en elle-même? Si l'orgueil ne se fût pas
emparé des âmes, pourquoi cette hostilité inexplicable,
universel~ contre le prêtre et contre tout ce qui venait de
Dieu? Les sociétés secrètes n'en font plus aujourd'hui
un
mystère.
L'orgueil entrant dans'la société par toutes les issues,
Dieu devait en sortir.. On réclama
comme un fait naturel
cette expulsion définitive, et notre siècle fut employé à
l'opérer. La vérité n'avait plus désormais de raison
d'exister, l'Eglise devait disparaître. Aussi l'on ne retrouva
plus le droit qui devait la couvrir. Toutefois, Dieu n'était
écarté de la sorte que pour donner le poste à l'homme,
qui, sous le nom de souveraineté du peuple, devenait
souverain. Il prenait la place de Dieu dans le Pouvoir,
dans les lois, dans les sciences et surtout dans son propre
cœur. Il entrait dans son héritage, il était son unique
mattre, la terre n'existait que pour lui c'était le droit
de l'homme.
Mais, entrant en réalité sous les lois de l'orgueil, l'hom-
me passa sous le joug de l'homme.. Le délire était tel
qu'on vit les peuples courir au devant de toutes les
tyrannies que leur présentait l'homme. L'imposture attei-
gnant au faîte, l'orgueil jeta le masque et déclara qui il
était il proclama hautement l'athéisme L'athéisme eut
le pouvoir de répandre le sang, l'Etat dut le prendre pour
base; nous arrivions au Césarisme, autrement dit à la
substitution publique du droit de l'homme au droit de
Dieu.
Ce fut la subversion dcnniiive des principes du Droit.
De l'athéisme de la pensée devait sortir cet athéisme
politique, de ce dernier, l'athéisme du peuple, but final
de l'orgueil. Après avoir fait explosion par la presse, par
la Tribune, par tons les clubs, cet athéisme s'est ~nnn
constitué dans la Commune. On en est là.
L'orgueil, une fois dans les idées, devait les métamor-
phoser sans en excepter une, passer des idées dans les
mœurs, dans les lois, dans l'Etat, transformer la masse
sociale entière en chasser absolument Dieu et cette
mystification immense, toujours dénouée dans le sang,
fut la REVOLUTION.

Il fallait savoir en quoi consiste la Révolution, avant


d'espérer la détruire On voit maintenant, en France,
qu'elle se résume en ce point renvoyer Dieu des affaires
humaines, faire partout la place à l'homme. Conséquem-
ment le rôle qui incombe à la France, si elle veut être
sauvée, se résume en un point ramener Dieu partout d'où
nous l'avons banni. Nous l'avons banni des sciences, des
lois, des mœurs, du mariage, de l'enseignement, du Pou-
voir. C'est quand nous ramènerons Dieu sur ces points que
la nation, s'anranchissant du joug de l'homme, sortira du
milieu des ruines. Ce ne sont pas les armes qui ont failli,
mais les âmes; ce ne sont pas les Prussiens qui nous ont
envahis, mais les erreurs comme les vers, ces derniers
ne sont venus que sur la mort.
Personne n'hésite sur les causes qui préparèrent notre
impuissance et qui ont décidé nos revers. La France a
voulu fonder la société sur l'homme, et ce dernier l'enfer-
me aujourd'hui dans son despotisme. Formé d'orgueil,
pétri d'envie et armé d'appétits, ce despotisme à cette
heure s'exerce par-Je meurtre et s'établit par l'expropria-
tion. Caïn revient il a besoin tout à la fois de se venger
et de jouir. Les biens ramassés par les justes sont réputés
les siens. Telle est la question sociale. Elle est posée, et la
France attend dans la terreur.
Le second malheur de la France consumée d'athéisme,
dépouillée d'aristocratie et privée de son Roi, est d'être
encore aux mains des hommes qui, séduits eux-mêmes,
ont proclamé le grand mensonge, en ont partout répandu
l'illusion. Ce sont eux qui nous ont perdus, est-ce bien
eux qui nous sauveront? Loin d'attribuer nos malheur ~i
leurs causes réelles, ces hommes parlent encore la lan-
gue de la Révolution. Eh quoi flatter une nation au
lieu de l'avertir.. La vendre depuis près d'un siècle à
l'erreur pour se nourrir chaque matin de ses dépouilles
était un acte abominable; en ce moment c'est une trahison.
Comment sauver la France sans déclarer le point où
réside le mal et d'où il continue à se répandre? La nation
ne veut pas convenir de son crime, ceux qui l'ont fait
commettre ne sentent pas leur tort! L'incendie même ne
les éclaire point. Au lendemain d'une révolution qui les
terrasse, ils ne tiennent pas un langage moins infecté de
scepticisme, moins imprudent, au fond, que c~lui qu'ils
tenaient la veille. Hommes inattentifs ils n6 sauront
point profiter de la Miséricorde, ni comprendre que der-
rière ce mépris, il y a du sang.
Ce ne sont pas uniquement les scélérats qu'il est urgent'
de ramener à l'ordre, c'est nous-mêmesqu'il faut ramener
à la vérité Tout peuple possède une aristocratie la
France aujourd'hui n'en a pas. Elle n'a connu ceux qui
donnent l'exemple et qui fournissent le travail, que pour
apprendre d'eux qu'on ne fait cas ni des croyances, ni des
vertus, ni du mérite, ni des sentiments élevés, ni du clergé,
ni de l'honneur, ni de la sincérité, ni de la modestie, ni
de la sainteté; et que tout rentre dans le doute. A cette
heure, la faim, l'ignorance et l'envie s'agitent au milieu
de cette obscurité.
Lorsqu'une classe enrichie et voulant être à elle seule
l'aristocratie, s'est inféodée à l'erreur, qu'elle a tout en-
traîné au fond du scepticisme, qu'à la place de la Foi elle
a mis la cupidité, que par ses mœurs elle a surexcité la
jalousie, et que la vue du peuple qu'elle perd n'a pu tou-
cher son cœur, une telle classe ne s'étonnera pas de voir
ce peuple auquel elle a pris Dieu, ne plus se souvenir de
l'ennemi qui l'a ensanglanté, oublier ses propres désas-
tres pour se tourner contre elle, lui demander son sang
et exiger son or!
Quand on ne sait point porter la fortune, quand tous
les avertissements sont nuls, quand pour ne plus avoir
d'assujétissements sur la terre on va jusqu'à nier
1
Celui sur qui les obligations et les sociétés reposent,
qu'on ne soit plus surpris de le voir reco.urir à la dernière
raison des êtres. Pour une créaturequine peut s'écarterde
sa loi sans périr, la douleur est un rappel à l'existence. Mais
n'est-il pas effrayant de songer que nous conservions les
idées qui ont dépravé tout ce peuple? N'est-il pas déchi-
rant de voir verser le sang de tant d'hommes étouffés par
l'envie que nous avons fait entrer dans leurs cœurs?
Chez nous il n'y a pas que la mauvaise presse, il y a
ceux qui, pensant comme elle, ont créé son pouvoir, Il n'y
a pas que les scélérats de la rue, il y a tous les malfaiteurs
de la pensée, qui ont aussi peu de morale, aussi peu de
souei des âmes, aussi peu de portée politique hommes dont
la médiocrité de cœur et d'esprit a formé les instincts des
classes moyennes Les masses ne créent point d'idées, elles
n'imaginent point de systèmes remontons donc à ceux
dont les idées, l'égoïsme et les habitudes répandent les
ferments qui vicient et soulèvent ces masses. C'est là qu'il
faut surprendre la Révolution, là qu'il faut étouffer ses
germes tout vivants.
Nous sommes écrasés, et nous ne sommes pas éclairés

Nous périssons, et parmi nous il est des hommes qui ne


cessent de distiller le venin social dans son état le plus
subtil. Le malheur contraint d'être franc D'abord, parce
qu'il importe de sauver une classe entière~ en ouvrant
jusqu'au fond l'abcès qui s'est formé, ensuite, parce que la
France un jour doit compter sur cette classe même. Der-
rière la série lamentable des revers et des derniers forfaits,
il y a une cause première et permanente. Ne pas la dé-
noncer, serait recommencer le jeu impie des hommes
qui, par leurs poisons, jetaient la France dans l'ivresse,
puis la laissaient endormie au bord de l'abîme.
Toutefois, dans une classe instruite, appliquée au tra-
vail et connaissant l'épargne, on n'a pas fait le mal pour le
mal, mais par méprise et par entraînement. L'heure presse,
il faut rentrer dans les principes sur lesquels les nations
sont fondées. La soif du pillage et du meurtre envahit les
peuples, et s'accroît en raison de leur déchristianisation.
La haine s'allume dans les cœurs au moment où s'éteint
la Foi. Dieu écarté, nous nous trouvons aux prises avec
l'Internationale: car voilà le peuple sans Dieu.. Les ins-
tants sont comptés, la Révolution est au moment d'abo-
lir les Etats, de dévaster l'Europe, de noyer dans le sang
les classes qui possèdent, d'anéantir la Société humaine.
Il faut savoir enfin si l'orgueil, déjà maître des lois et
des gouvernements, est à la veille de s'emparer dti monde.
La guerre n'est plus contre les souverains, elle est contre
les peuples, auxquels
on veut substituer un règne de bêtes
humaines. Les nations verront disparaître
biens qu'elles ont constitués. Cette en un jour les
race d'hommes, qui
périra à la seconde génération, n'en opèrern
pas moins son
travail de désolation et de ruine. Sauterelles vomies
quelque sorte par l'abîme, elles dévoreront tout en
instant pour périr
un après..
Nous sommes au fond du précipice.. D'un côté,
nuit aussi profonde que le gouffre, et de l'autre, une
multitude qui déclare q<ie ces ténèbres sont le jour. Priseune
dans le mensonge, elle ne cherchera
pas la cause de cette
chute lamentable Alors, comment remonter de l'abîme?
Quelques raisonnements pourraient-il éclairer
une pareille
situation? Suffiraient-ils à révéler les origines de sem.
blables malheurs, puis à dire quels
moyens de salut Dieu
nous ménage encore?
La vérité elle-même n'aurait pas à cette heure le
voir de nous ramener! Ce n'est point des idées qu'il pou- faut
attendre le salut. En ce moment Dieu seul peut
nous
sauver, parce que seul Dieu peut faire un miracle. Et,
toutefois, la présomption est encore telle
que les hommes
ne le voient pas
Ils ne voient pas qu'avec leur jeu sinistre, leur tête
est
tout entrée dans la gueule du tigre; il n'a plus qu'à
les dents. Nos malheurs n'ont servi à rien serrer
nous aspi-
rons encore à nous sauver sans la Miséricorde. C'est une
continuation d'athéisme qui fera tomber de
nouveau les
châtiments sur nous. On dirait qu'en entrant dans la
France, la lumière s'éteint, que les paroles n'ont plus
de son. Nous oublions nos armées détruites, nos villes
incendiées, nos départements dévastés et
nos provinces
cédées à l'ennemi. Oublierons-nous Paris dévoré
les flammes, le communisme, devenu notre maître, dis- par
posant des populations, leur prescrivant de tout brûler
puis « d'exterminer commedesanimauxnuisibles les classes
en possession du capital? a
Une telle guerre, jusqu'alors inouïe, n'en est qu'à
son
début.
93 en fut un essai isolé aujourd'hui l'entreprise est
tout organisée. En 1793, on invoquait encore l'Etre-
suprême, et le crime resté inquiet, voulait habituer la
raison à le suivre. Aujourd'hui Dieu n'est plus, et nous
voyons la mort sans phrases. N'attendez pas qu'elle s'ar-
rête, la Révolution ne se rassasie pas. Elle n'est pas un
mal, mais le mal elle n'est pas une erreur, mais l'er-
reur elle n'est pas une simple passion mais l'or-
gueil, d'où sortent les passions. Elle est, comme on l'a si
bien vu, satanique dans son essence. Déjà l'orgueil peut
exiger le meurtre pour le meurtre, la destruction pour
elle-même. L'ordre est donné « de faire une besogne
rapide et sérieuse « d'attiser le foyer de haine et de
vengeance » « d'avoir recours aux explosions violentes,
et d'abattre au besoin par la hache ce qui reste debout
Alors, qui viendra au secours de la France ? est-ce son
ennemi ?
On a raison de comparer la France à l'honime en
léthargie qui assiste aux apprêts de ses funérailles. Inca-
pable de faire un mouvement pour se sauver, elle ne peut
même le vouloir! Catholique dans ses croyances, monar-
chique dans sa nature et à cette heure dans ses vœux
comme dans son plus pressant intérêt ensanglantée,
humiliée par les tentatives de l'athéisme et par les derniers
essais de ses républicains, la France néanmoins se con-

(d) Extrait de l'Adresse du Comité central, section de Londres, aux autres


comit6s de l'Internationale La Section de Paris dit elle-même dans sa
proclamation « Que les châteaux et tous les monuments s'écroulentdans les
M Gammes « nous sommes les vrais fils des Jacques et des hommes de 93.
A nous donc le feu qui vengera nos frères. ·
En 93, les egorgeurs étaient des criminels. aujourd'hui ce sont des scete-
rats voulant le meurtre pour le meurtre. C'est le pas qu'on a fait en passant
de la haine des hommes à la haine de Dieu. Ces hommes ne semblent plus
obéir aux mobiles de la nature on sent qu'ils cèdent en sécréta celui
que l'Ecriture appelle tt homicide dés le commencement. Pour ne pas voir
qu'un secours d'En-Haut seul peut maintenant sauver la France, il faut ou
demeurer dans t'idiotisnje politique produit chez nous par l'athéisme, ou
avoir pu, dans le fond de sou cœur, se résigner à dire que la France est
perdue..
damne à vivre en république Elle déclare dans l'irn-
se
possibilité de revenir à la monarchie, a la Foi,
et pour tout
dire, à la raison. Où est la cause d'une telle impuissance?
Cette incapacité mentale résulte de deux faits abus
dans la raison, et abus dans la volonté. Abus dans la
raison, psr le refus constant, depuis bientôt siècle,
de toutes les idées supérieures, un
parce que, s'alliant à la
Foi, elles blessent notre orgueil; et abus dans la volonté,
par le refus des grands devoirs, qui tous blessent notre
mollesse et condamnent notre lâcheté. Mais
on ne
mutile pas en vain sa nature, et le jour vient où l'homme
se repent de n'être plus homme. Pour éviter la mort, il
voudrait faire appel aux énergies de l'âme, et l'âme ne
retrouve pas ce qu'elle ne possède plus..
Dieu seul peut nous sauver pour répondre
aux prières
des saints, et pour rendre, dans l'intérêt des hommes,
la liberté et la vie à l'Eglise. Car cela doit faire,
se
dit le Grand Pontife, « par un prodige qui remplira nous
tout
l'univers d'étonnement &. Sauvés de cette main
et dans
ce but, nons pourrons reconnaître la vérité; alors les
idées deviendront utiles pour montrer l'étendue de la
faute, la profondeur du gouffre d'où l'on
nous a tirés,
et les moyens de n'y pas retomber pour toujours. La
question de salut est double il y a le salut prochain,
qui
dépendra de Dieu puis le salut ultérieur, qui dépendra
des hommes. Par leurs prières, ils peuvent hâter le
pre-
mier mais le second viendra de l'observance des lois
de
Dieu et des commandements de l'Eglise.
La France puisera son espoir dans le
sang qu'elle a
répandu, ses consolations dans les larmes qu'elle
a ver-
sées, et ses lumières dans ce clergé si grand qu'elle
a
si longtemps dédaigné.. Mais elle doit déblayer
son sol
avant de reconstruire. Elle doit rejeter les erreurs qui
ont entrainé tant de maux et laissé des dépôts dans
son
sang. De là l'immunité qui couvre ceux dont le doigt
touche aux plaies d'une mère immortelle.
On ne peut rien changer à ces pages commencées
au moment où la Prusse nous envahissait. Elles rappel-
leront les dates qui les ont inspirées elles porteront l'em-
preinte des jours par lesquels nous avons passé, avec le
poids des inquiétudes tout aussi menaçantes que contient
l'avenir. Pressés d'entrer dans de graves questions,
nous les verrons se classer d'elles-mêmes comme il suit
1" C~M~ réelles de nos revers, que décèlent les faits
issus de nos erreurs; 2° .6~/e de nos erreurs, que nous
verrons surtout dans nos classes moyennes; 3° Lois
de la société, que les hommes ont de plus en plus perdu
<
de vue; 4° Bases des que nous ne cherchions
point dans les lois de la nature humaine; 5"
~o?~e~ que nous demandions à l'erreur, bien loin de
les tenir de l'expérience et de la vérité.
Mais si les hommes persistent à nier la légitimité de
tous les' éléments dont se compose la société humaine;
si les gouvernements ne songent plus substituer la
liberté vraie, celle des enfants de Dieu, à la liberté fausse
des enfants de l'orgueil, tout est perdu, l'Europe n'a pas
certainement un siècle devant elle.
PRÉLIMINAIRES.

CAUSES RÉELLES DE NOS REVERS.

Môaomptea de la Révolution.

Les hommes ont déjà trop souffert il faut qu'ils


songent aux causes de leurs maux. La Révolution échoue
dans toutes ses tentatives, dans toutes ses promesses, et
jusque dans ses généreux désirs. Elle a jeté les âmes
dans l'erreur, les nations dans l'anarchie, les ouvriers
dans la misère, la France dans l'angoisse et les familles
dans ie malheur.
Cet insuccès perpétuel dans l'application de ses vues,
cette impossibilité de conduire les esprits
à?a vérité, les
Etats à la paix et les classes modestes au bonheur, doit
faire maintenant rénéchir les hommes sérieux qui avaient
mis leur espérance en elle. Ils voient en ce moment les
résultats qu'elle a' produits. Par elle, la solidarité des
peuples se traduit en guerre acharnée, leurs libertés en
servitudes positives, leur richesse en misère, leur éman-
cipation en dérèglements inouïs. Les prétendues vertus
austères se sont partout changées en cupidités mons-
trueuses, et les conquêtes promises à la civilisation, en
décadence générale. En voyant la nature de nos mal-
heurs, la Révolution doit se sentir eHe-meme profondé-
ment atteinte dans ses plus chères illusions. La barbarie
a reparu parmi les hommes..
Pour ses premières expériences, la Révolution con-
somma plus de_deux millions de Français; aujourdhui
la France elle-même succombe pom'Pavoir écoutée
en
exilant ses Princes, et pour avoir reçu un maître de sa
main, dans le suffrage universel. C'est la France qui
la première lui offrit un asile, la France qui la première
lui ouvrit son cœur, et la Révolution l'immole
en ce
moment. La Révolution lui a dit de rejeter ses traditions,
d'abdiquer ses croyances, de mépriser ses mœurs, ses lois,
sa politique pour se mettre entre les bras de: ce qu'elle
nomme la Science et la France s'abaisse sous les coups
que lui porte la Barbarie scientifique. Ses fils succombent
devant la race qui n'a tiré de la Science et de sa civili-
sation qu'une perfection nouvelle dans l'art d'accroître le
carnage et la ruiner
Généreuse nation, qui voulais émanciper les peuples,
cherche si dans l'Europe il est un peuple, dans l'Etat
une
classe, dans la foule un individu qui n'ait pas été nourri
d'amertume par la Révolution Chez ceux qui l'ont
reçue,
regarde en quel état est la famille, en quel état est le

(1) On retire A un peuple tout ce qui élève son cœur, puis


on le livn;
ainsi desarmé, sans élan, mais roul6 par le vent de la vaine gloire a
une
race pleine d'envie chez laquelle le lutherianisme n'est, dans le fond', qu'un
fatalisme déguise. Au moment où l'on achevait d'ôter le catholicisme à la
France, c'est elle qu'on oppose à ces Arabes d'un instant, surgis
au milieu
du vieux monde Cet Islamisme du Nord ne doit s'évanouir que devant une
sainte croisade.
Une chose étonne la Prusse elle-même, c'est que
ses succès tiennent du.mi-
racle.. Elle sent que sa victoire porte le caractère de la brièveté et elle
se
bâte. Ma)gr6 elle, elle ne peut espérer le triomphe'réel, c'est-à-dire dura-
ble ce secret de Celui qui dispose du temps.
Quel sera l'ebahissement de l'Enrope, quand
ce peuple, qui a paru si
redoutable, se dissipera comme un faisceau de verges qu'on délie!. Ses
populations, dans lesquelles se trouvent tant d'aptitudes, naturelles, iront
alors se fondre, pour leur bien, dans les nations préparées
pour les recevoir.
Lé prussianisme a réuni, pour le jour'de la co~re, les éléments
de )a
nation que Dieu chargea de ses vengeances envers le peuple qu'il
châtier a6n de le guérir.. Si la Prusse, telle qu'efle voulait
est aujourd'hui, devait
assurer son empire, elle ne ferait que poursuivre en Europe le rôle de
Napoléon III. Mais, dans la clémence divine, le Césarisme
verra sa fin,
ainsi que la Révolution, par le secours d'un miracle éclatant.
Pouvoir Vois o.ù en sont les âmes, vois où en sont les
mœurs, les lois, les idées supérieures dis ce que sont
devenus les caractères, les consciences, la probité, la
dignité, l'honneur, la mansuétude et jusqu'à la santé!
Regarde où en est l'administration,où en sont les finances,
où en est la population Cherche là une femme qui soit
heureuse, un enfant qui soit bien élevé, ou un homme
qui soit en paixt
Pourquoi, ô ma nation, as-tu banni le Dieu qui t'avait
faite si grande, et accordé ta foi à la Révolution ? Chez toi,
toute créature gémit. Partout, la surexcitation et la con-
currence forcée accroissent en même temps la somme du
travail et celle de la misère. Jamais on n'avait vu tant
de labeur uni à tant de dénuement! La vie est devenue
plus difficile le jour même où les sentiments faits pour la
soutenir se sont affaiblis ou éteints. Quel homme est heu-
reux sous son toit ?
L'orgueil, qui causa la chute de l'homme va-t-il
entraîner la civilisation et hâter notre nn ? C'est aux
peuples de voir s'ils ne doivent pas tenter les derniers
efforts pour éloigner de si terribles catastrophes. La France
a semblé particulièrement atteinte par le mal d'où lui
vient-il,commentpourra-t-elle s'en affranchir, pour pouvoir
elle-même en délivrer le monde? telles sont les questions
dont les hommes vont se préoccuper. Une anxiété crois-
sante a remplacé chez nous toutes les folles espérances.
La terre est ébranlée parce que les hommes en sont
venus à demander s'ils ont un créateur. Comme au
temps du Déluge, ils se sont mis en guerre contre Lui.
Un nuage de désolation a passé sur nous, eL une voix
arrive à notre oreille l'Ecriture nous répète ses avertis-
sements les prophéties d'alors sont devenues celles de
ce jour. Certains rapprochements jettent dans l'épou-
vante. On est involontairement conduit à saisir une
analogie entre nos sociétés et celles qui ont été condam-
nées au dernier supplice des nations.
La France croit entendre la sentence portée contre
la grande Babylone, avec laquelle les rois et les habi-
a tants de la terre se sont enivrés du vin de la prostitution.
» Cette ville, s'écrie Jérémie, a. perdu ses richesses et sa
D magnificence en un, moment! Apôtres et prophètes,
a réjouissez-.vous, car Dieu vous a vengés. On a trouvé
a dans cette ville le sang' des prophètes et des saints*, a
Ajoutez le sang de ses Rois; car ni Babylpne, ni
l'ancienne Rome ne sauraient être comparées à celle qui,
dans sa dépravation, égorge à la fois ses princes et ses
prêtres, ses grands et ses hommes de bien.
Ce qui effraie, c'est la profondeur de l'illusion et le
nombre des hommes qu'elle enveloppe Comment les
tirer d'une telle erreur, et, jusque là, comment les main-
tenir dans l'ordre? L'excès des maux aurait-il seul le
pouvoir de leur ouvrir les yeux? Du moins pour en-
trevoir la fin d'une aussi douloureuse angoisse, il faut
chercher les causes de ces maux, puis indiquer les classes
qui, sans assez s'en rendre compte, portent ces causes
t
dans leur sein.
Pour savoir nos moyens de salut, il faut connaître les
instruments de notre perte. De toutes les vérités sur
lesquelles la société se fonde, pas une n'est debout où
se tient maintenant notre espoir?

II.

Où se tient notre espoir.

Les hommes sont effrayés du danger que court le


monde. L'invasion étrangère est pour nous moins terrible
que l'anarchie qui envahit les âmes, et la destruction de
l'armée nous laisse une plaie moins profonde que l'absence
de la Foi et de l'Autorité. Dans les esprits le désordre est
plus grand, plus redoutable encore que dans
nos rues.

(i) Bossuet, dans sa traduction de l'Apocalypse, d'où sortent


ces paroles,
fait judicieusement remarquer que, par B.ibyiooe,
on doit entendre la Rome
païenne, comme toute cité devenant semblable à Rome
ou à Bubylone.
Une fois les croyances bannies, les principes et les mœurs
ont disparu.. Qui pourra maintenant rétablir des rap-
ports sociaux chez les hommes ?
La terre a renvoyé ses Rois, renversé le respect, détruit
l'autorité des/ pères, méprisé l'homme qui apporte la
vérité, puis celui qui produit la sécurité, enfin celui qui
fournit le travail. Elle a brisé tout droit, rejeté tout
devoir, banni toute puissance. Ne voulant plus produire
son pain, déjà l'homme demande celui de son frère. Les
vertus sont tombées du cœur, les lois des civilisations
ont été ébranlées, et toutes les forces se brisent. La terre
a heurté sur les temps dont parle le prophète « Ne
a croyez plus à votre ami et ne vous fiez point à votre
» guide; le fils fait injure à son père, la fille
s'élève contre
D sa
mère donnez-vous garde de celle qui dort sur votre
» sein.~Les ennemis de
l'homme habitent jusque sous son
»
toit. »
Un édifice qui perdrait tout à coup les lois de l'attrac-
tion se verrait dans l'état de notre civilisation dépouillée
de ses lois chrétiennes. Les pierres ont été ébranlées les
unes après les autres, h commencer par celle qui repose
sur Dieu.
Les rois ont dit Pourquoi resterions-nous dans la foi
du Saint-Père, puisqu'il faudrait lui obéir? Les grands
ont dit Pourquoi promettre obéissance aux rois sans
prendre part à leur puissance, sans obtenir des garanties
contre le pouvoir souverain? A leur tour, les marchands
ont dit Pourquoi rester au second rang? plutôt renverser
les Etats que de laisser la suprématie aux prêtres et aux
nobles. En ce moment le peuple dit Pourquoi aban-
donner aux riches les biens qui recouvrent la terre, au
lieu de les partager entre nous?.. De l'égalité devant Dieu,
les premiers ont déduit une égalité politique de l'égalité
politique, les derniers ont déduit l'égalité économique.
Les hommes ont appelé les bêtes qui viennent pour les
dévorer 1.

(i) H ne fut pas ici question de chercher avec loyauté la délimitation des
LÉGtT.
Tous les points d'appui se dérobent. Que signifie une
égalité théorique devant la loi, sans une égalité pratique
devant l'or? La propriété individuelle apparaît à cette
heure comme un énorme privilége, comme un monopole
odieux. Cherchez dans tout le monument qui abritait les
hommes, le pan de mur qui soit resté debout? Le droit
des rois contre le Vicaire du Christ leur parut évident
le droit des grands contre le Roi leur parut manifeste
le droit des riches contre le noble, leur parut naturel le
droit des foules contre le riche, leur parait aujourd'hui
le plus sacré de tous.. La logique a passé comme un fleuve
emportant ses rivages.
Comment relever l'édince? Comment replacer la pre-
mière pierre? nombre de gens ne veulent même plus
qu'on emploie la seconde, un plus grand nombre encore
rejette la troisième, et la multitude survient pour briser
la dernière. On le demande, comment ferez-vous?
Où prendre maintenant la justice pour rétablir un
équilibre, et la paix pour verser le calme dans l'océan des
masses? Ces hordes qui menacent notre existence, c'est
nous qui les avons formées. C'est notre oubli de Dieu qui
les a arrachées au devoir, notre rébellion qui les a sou-
levées, notre littérature qui les a dépravées, notre cupidité
qui les a amassées dans les villes, notre luxe qui les a
excédées. Ces hordes sont semblables à nous ces haillons,
ces imprécations et tous ces appétits, c'est notre cœur
mis au dehors. Dites à Dieu maintenant de purger cette
terre, et d'en ôter la race que nous avons engendrée
contre Lui
Il est deux faits qu'on ne saurait non plus nier c'est
pour former des saints que Dieu a mis les nations sur la
terre, et c'est par les soins de l'Eglise que se forment les

pouvoirs, ou de déterminer leurs attributions légitimes, mais bien plutôt de


les usurper tous La souveraineté étant mise au pillage, chacun voulut avoir
sa part de royauté, chacun visait au droit qui rognait au-dessus du sieu.
Ainsi furent nx~es dans le sot de l'histoire, les raciues funestes de
Hôvolutiou.
saints. L'histoire a dit également le rôle que la France,
depuis son origine, remplit à l'égard du corps visible de
l'Eglise. Or, si la France vient à périr dans l'athéisme,
l'Eglise, sans gardien ici-bas, tombera sous le fer de ses
ennemis comme au temps des Césars. Car elle finira
comme elle a commencé, en cueillant les palmes du mar-
tyre. Et si, versant sa plus riche lumière comme l'astre
vers son déclin, l'Eglise descend sur l'horizon, combien
de jours restent encore au monde?
Les Pouvoirs une fois abattus, toute civilisation dispa-
raîtra. On a vu le moment où l'on ne pouvait, ni contenir
la multitude, ni retenir les hommes pris d'envie dans leur
désir de sang. Assurément Dieu ne demande qu'à nous
secourir; mais il faut que nous l'intercédions Si la
France s'obstine à le méconnaître, viendra-t-il la sauver
malgré elle? Qui ne s'effraie des heures solennelles que
Dieu en ce moment daigne nous accorder ?
Si ces heures ne sont pas promptement employées à
rejeter de notre sein les erreurs et l'envie amoncelées
par la Révolution si nous ne nous pressons point de
reconstruire la Société même, en ramenant la Foi dans
les âmes et jusque dans les lois, il est à craindre que nous
n'approchions de la fin. Il est à craindre, le jour est venu
de le dire, que les hommes n'avancent le moment où la
terre deviendra inhabitable qu'ils ne hâtent les jours
d'affliction dont il est dit « L'aflliction de ce temps sera
» si
grande, qu'il n'y en eut point de pareille depuis le
commencement, et qu'il n'y en aura jamais. a
La fin des temps est arrivée pour tant de choses Pour
la probité, pour l'héroïsme, pour l'honneur, pour la
simplicité, le monde semble bien fini. Pour les hautes
sciences, Théologie, philosophie, vaste jurisprudence,
amour pur de la vérité; pour cette littérature enthou-
siaste dont parlait Mad. de Staël, en dépeignant le
caractère des écrivains chevaleresques, le monde semble
bien fini. Pour tous ceux qui en dehors de nos sanc-
tuaires, travaillent en présence de Dieu, en vue de leurs
semblables par conscience ou par honneur pour la
candeur, pour le génie, pour l'art, pour les grands
caractères pour la ndélité, le dévouement. l'amour
pour tout ce qui est digne, relevé, délicat, magnifi-
que, sublime; pour ce qui-procurait le bonheur, les
consolations et la vraie paix aux hommes le monde
semble bien fini
Une chose nous reste.. c'est la main que nous tend
l'Eglise Mais cette main, voudrons-nous la saisir? Une
chose n'est pas finie.. c'est la tendresse de Dieu pour
l'homme! Mais saurons-nous y recourir? Non, non, rien
n'est désespéré, et il est temps encore.
Si les couronnes tombent de la tête des Rois et les
vertus du cœur de l'homme, ces dernières sont restées
jSxées dans un cœur, le cœur béni du prêtre. La France
possède un clergé Elle possède un clergé tellement supé-
rieur par l'unité, par la vertu et par l'obéissance, si sur-
prenant au sein de nos ténèbres et de nos convoitises,
qu'il parait sur tout l'horizon comme une clarté extraor-
dinaire et comme une Promesse accomplie. Un Clergé!
voilà le germe, voilà l'âme de l'avenir voilà le réservoir
sacré d'où découlent les mœurs Voilà la tige d'une
Aristocratie voilà la source abondante de la vertu d'un
peuple! Que le Roi protége ce Clergé, qu'il le défende
par ses exemples, qu'il lui apporte l'appui de sa royale
piété, et la France se reconstruit et la France fournit
au monde, vers son déclin, le spectacle d'une civilisation
où brilleront encore une fois les lois d'or de la Société
humaine.
Les nations sentent maintenant qu'on leur a pris la
vérité Que les peuples, si longtemps trahis, tournent
les yeux vers elle la vérité ne trompe pas..
ni.
Causes morales de nos revers.

Quel homme de cœur refuserait de confesser l'origine


de non revers? Ne pas avouer que nous sommes punis,
ne point attribuer nos malheurs à des causes morales,
mais à des faits accidentels, ce serait, à l'heure où nous
sommes, se montrer traître à son pays. Le plus ancien
livre du monde dit que l'orgueil est le principe de la
ruine, que l'humiliation suivra la suffisance, et que celui
qui s'enfle dans son cceur prend le chemin de l'infortune
et de la confusion. Cette vérité acquiert une évidence
redoutable lorsqu'il s'agit d'un peuple dont les pensées
s'élèvent contre Dieu.
Notre chute provient du scepticisme. La corruption des
idées a entraîné la corruption des mœurs, et celle-ci
une sorte de décomposition de l'homme. Nous connais-
sons tant de malheurs pour nous être livrés sans mesure
à l'ingratitude. Notre faute rappelle en quelque sorte
celle d'Eve méfiance envers Dieu, crédulité à l'égard
du serpent.. D'ailleurs, quitter le christianisme pour se
donner à des sottises Tomber des sources du génie pour
courir vers des apparences ou suivre des idées dontt on
n'a saisi que les mots î
Le péché de la France est de s'être éloignée de Dieu.
Mais le péché de la nation n'a été que la conséquence du
péché des individus. Dieu n'a été chassé de la cité et de ses
lois, qu'après avoir été banni de nos pensées, qu'après
avoir été renvoyé de nos cœurs. C'est pour s'ouvrir au moi et
aux voluptés de la terre qu'on a écarté Dieu. Les hommes
se sont aimés eux-mêmes et leur orgueil, joint à l'envie
et aux dérèglements, a établi le règne de la Révolution.
Mais l'homme succombe sous le joug de l'homme. En
péchant contre le Créateur, il a péché contre lui-même,
il a perdu ses droits, son repos, son bonheur; tout un
peuple a perdu sa gloire.
Ce peuple a voulu tout puiser en lui-même, il a cru
pouvoir se passer des bases que lui donnait la Foi. Au jour
de sa puissance, qui aurait pu lui inspirer l'intelligence
que donne le malheur? Qui aurait pu délivrer la France
de sa présomption, la sauver de l'impiété dans laquelle
s'enfonçaient les hommes et leurs lois? L'Etat prétendait
se passer des croyances; il disait que l'erreur et la vérité
étaient pour lui des points indifférents, et que la force
suffirait à soutenir la civilisation chancelante.
On devait cesser de protéger le bien il fallait même
voir le règne de la vérité disparaître pour assurer le règne
de la liberté Celle-ci devenait le nom propre de l'homme
en lutte contre Dieu.. La France semblait dire Qui donc
me punira? Mais celui qui crée les nations guérissables
se fit connaître à la justesse de ses coups. Aujourd'hui,
saurons-nous baiser le fer de la lance qui seule peut guérir
les blessures qu'elle a causées? Dans cette série sans re-
lâche d'entreprises et de revers, de présomptions et de
désastres, un peuple, à moins de disparaître, pourrait-il
descendre plus bas ?
La France qui voyait tout passer du haut de sa fortune,
a pu suivre la marche précipitée de ses malheurs. Les
nations, dans l'étonnement, ne lui ont ménagé ni la pitié,
ni le mépris. Il fallait un événement qui mit à nu les
ravages de notre état intérieur Notre orgueil survivra-t-
il à ces échecs et à ses humiliations ? Trouverons-nous
encore le moyen de nous persuader que nous sommes si
au-dessus des autres peuples, par les armées, par les idées
et par les mœurs ?
Dans notre enivrement, nous n'avons plus voulu nos
Rois, nous n'avons plus voulu de loi, nous n'avons plus
voulu de mœurs, nous n'avons plus voulu. de Foi. La
France crut faire une œuvre opportune en exilant ses
Princes', en méprisant ses traditions, en renversant ses

(i) Eite a voulu se créer des princes: m;us quand vint ie péril, elle n'a
plus vu de princes, et au jour du malheur son Prince ne pouvait point k
secourir.
institutions séculaires; elle ne voulait écouter que ses
rêves. Qui aurait pu la dissuader de l'opinion qu'elle avait
d'elle-même? Elle n'avait plus pour amis ses enfants,
mais ses flatteurs. En vain parmi ses fils, des hommes se
sont levés, ont quitté la famille pour lui conserver la
lumière, pour lui garder les biens qu'elle répudiait, ou
pour panser ses plaies. Quelques-uns sont venus l'avertir
du mensonge fatal dont on l'enveloppait et de la proximité
de l'ablme elle les prenait tous en horreur Elle voulait
être trompée.. Si, du moins, comme d'autres peuples, elle
avait mis sa vanité à grandir en quelque chose, à s'élever
dans l'art, à croître dans une vertu, à progresser dans
sa population ?
Mais elle mettait sa gloire à renier l'expérience, à mé-
priser tout le passé de l'homme, à désavouer son histoire,
à écarter Dieu de ses lois, à le bannir des sciences, à
l'ôter de l'Etat, à l'extirper des cœurs. Elle ne s'est réjouie
que des progrès de son orgueil, et elle n'a tiré vanité que
de sa corruption. Elle avait dit Périssent les colonies
plutôt que mon principe Hier elle criait au sein de ses
désastres Et périsse la France plutôt que la Révolu-
tion Un peuple ne revoit pas deux fois une situation
semblable. Une nation ne rentre pas dans un pareil état
sans périr.
IV.

Notre horreur de l'autorité.

Parce que l'homme naît en proie au mal, à l'ignorance


et aux passions, les peuples ne subsistent qu'au moyen de
l'Autorité. Or la France a voulu secouer le respect de
toute autorité, divine et humaine. La perte -de la première
seconde
amena la décomposition morale, et la perte de la
la décomposition nationale.
Personne, au début de la guerre, ne pouvait pres-
sentir les désastres auxquels nous allions être con-
damnés. Mais ceux qui voyaient à quel point la déprava-
tion, la convoitise et l'effronterie prenaient partout la place
de l'honneur, savaient qu'au bout de quelques jours,
nos
soldats seraient sans discipline, marcheraient sans chaus-
sures, iraient sans vêtements, sans vivres, sans munitions.
On devait croire que la France avait des généraux, des
hommes d'Etat, au moins des finances en règle et elle
n'avait pas même des fournisseurs La France devait
se
croire une noble nation et, au lieu d'un peuple éclairé elle
ne possédait qu'une foule entraînée vers l'état sauvage. Elle
devait se croire une grande puissance, compter
sur des
alliés éminents; et déjà elle n'avait plus d'armée,
comme
elle n'avait plus de croyances, plus d'autorité, plus de
mœurs.
Nous sommes à ce point démoralisés par le scepticisme
uni à la cupidité, que nous avons perdu jusqu'au patrio-
tisme. L'esprit d'un peuple, plus encore que le sol, consti-
tue la patrie. Cet esprit se compose è-la fois des sentiments
puisés aux mêmes sources religieuses, de la gloire recueil-
lie aux mêmes champs d'honneur, de l'amour des insti-
tutions, des vieilles lois, enfin du règne des mêmes aû'ec-
tions et des mêmes idées formées au sein de la famille.
Où sont toutes ces choses? Où est en France la Patrie?
Est-elle dans ces hommes enrontément chargés d'un
or
extrait de la ration de nos soldats? Est-elle dans ce peuple
qui incendie les édifices, à commencer par les asiles de
l'enfance et par les hôpitaux? Voilàoù mènent les docteurs
qui réduisent la civilisation au déploiement de l'industrie
et des progrès matériels. Avec la ruine de l'être moral
toute société doit disparaître..
La désorganisation de la famille marchait aussi rapi-
dement que celle de l'Etat. La chute de l'autorité pater-
nelle, entraînée dans la double chute de l'autorité reli-
gieuse et de l'autorité politique, précipitée encore par les
prétentions d'une loi procédant elle-même au partage
des successions, portait la douleur et t'anxiété jusque dans
le dernier hameau. A celà s'ajoutaient trois plaies la
ruine de l'éducation, le luxe illimité des femmes et l'esprit
désolant de la domesticité. Plus de coutumes, ni de main-
tien les familles ayant 50,000 livres de rente voulaient
vivre comme celles qui en avaient 100,000 celles qui en
avaient 20,000 comme celles qui en avaient 50,000; celles
qui en avaient 10,000 comme celles qui en avaient 20,000.
Et sur la France entière on voyait cet effort de la pré-
tention, tendu comme une corde sur le point de se rompre.
Dans une hiérarchie si étrange, où découvrir la place
de la vertu, où trouver celle de l'avenir? et d'où ie peuple,
désormais, aurait-il pu tirer un exemple'? Ni autorité, ni
famille, ni véritable gouvernement, ni croyances, ni
mœurs, ni coutumes, ni finances où était la nation?
Ses hommes d'Etat, ses philosophes, ses flatteurs n'ont
donc rien aperçu? N'ont-ils pas vu, à leur approche, le
respect et l'autorité disparaître, les mœurs tomber, les
vertus se réduire, les vérités diminuer? N'ont-ils point vu
la nuit se faire devant leurs pas, et la multitude, en proie
aux malaises qui naissent de l'erreur, répandre les cla-
meurs qui nous ont effrayés? Ces conducteurs du peuple
n'ont donc pas reconnu que ce dernier s'avançait dans
la mort, lorsqu'au sein d'une obscurité croissante, ils
entendirent de toutes parts ce cri s'échapper de la foule
II n'y a plus de Dieu ?
Ils ont pu enivrer la France du vin de leur orgueil mêlé
au vin de la corruption ils n'ont pu la faire échapper aux
lois terribles de l'histoire, dont Jérémie nous a livré
d'avance l'étonnant avertissement: « .des armées arra-
chées à la terre natale et transportées sur un sol étran-
» ger, nos
captifs trop nombreux pour être comptés ou
<) même retenus, nos
soldats accablés ou surpris, et leurs
» chefs aussi impuissants à
les protéger qu'à les nourrir
» plusieurs de nos
provinces envahies, et toutes menacées;
» nos campagnes ravagées, et la main
de l'ennemi sur les

(1) Rappelo'ns-nous le temps où l'Eglise alors écoutée, condamnait


n l'ambition des familles pour soutenir leur rang, l'entraînementde toutes les
classes pour se procurer plus d'aisance ou d'agrémenta, l'insupportable luxe
de la noblesse, l'élégance excessive apportée & la toilette et aux parures des
» femmes n Caf. du Conc. de Trente, tu. q. S2.
14 PRÉLIM.: CAUSES RÉELLES
»merveilles de la patrie des populations gémissantes en
quête d'un morceau de pain, et de quel pain Sur la tête,
»le feu de l'ennemi sous les pieds, l'insurrection étend&nt
»ses piéges; des nuits glacées, des journées sans lumière,
c finalement la Ville, reine de~ nations, heureuse d'acheter
à prix d'argent, l'illusion de sa liberté menacée.
a
Puisque toute nation puissante est celle où chaque
individu fait son devoir, que devient celle où chacun se
fait gloire de le désavouer? Jamais la France, même au
temps de Jeanne d'Arc, ne s'était vue dans une telle humi-
liation. Du moins, à cette époque, les liens de la famille
et les liens sociaux n'étaient point dénoués, la société sub-
sistait, la nation pouvait se refaire par le concours d'un
simple événement. Aujourd'hui l'élément social est dis-
sous. Quand la nation recouvrerait ses armes et son terri-
toire, on se demande si l'on verrait la société s'y rétablir,
tant cela semble maintenant au-dessus du pouvoir des
hommes
Nation privilégiée, distinguée entre toutes par son
origine, par sa situation, par son esprit chevaleresque,
par son génie, ses coutumes, ses lois, sa constitution
royale, sa position a l'égard de l'Eglise, elle a tout mé-
connu, elle a tout abdiqué. Elle est allée au devant de
l'erreur par son engouement pour la renaissance païenne,
par son infatuation pour les chimères et les immodesties
du 18e siècle, à la fin, par sa frénésie pour les fureurs de la
Révolution. Alors elle n"a point voulu qu'on la dépas-
sât dans le crime. L'Europe s'est effrayée en voyant
l'entrain sinistre ,que mit ce peuple à égorger son Roi, et,
depuis, à renier son Dieu.
Dès ce moment, la France s'est traînée de servitude en
servitude, d'abaissements en avilissements, jusqu'au jour
où elle a pu mesurer son humiliation aux triomphes inin-
terrompus de la Prusse, puis à ceux des assassins et des
incendiaires devenus maîtres des populations, et leur
offrant un avenir de pillage et de sang.
V.

Causes intellectuelles de notre abaissement.

La France se plaisait dans sa présomption elle voulait


être abusée. 'Si jamais mensonges plus grands ne furent
imposés à un peuple, jamais peuple n'a montré plus
d'attrait à se laisser tromper. Où a-t-on vu tant d'esprits
aborder à la fois le pays des chimères et s'avancer dans
l'illusion par vanité, par vaine gloire, par dégoût de la
vérité, par amour du plaisir, par crainte de la discipline
et plus encore par incrédulité, par sentiment d'envie, par
horreur du mérite établi, par haine de la hiérarchie, par
mépris des gouvernements ?
Quand on est dans l'aversion de tout ce qui fait la
société chez les hommes, il faut s'attendre à la voir dispa-
raître. II faut se résigner soi-même à mourir loin des lois,
des vertus et de tous les pouvoirs, sous le régime de la
conquête ou de la barbarie.
Ajoutons à cela une génération nouvelle plus indocile
et plus dépravée que la précédente, un peuple de plus en
plus pervers, avec un monde officiel composé d'hommes en
proie au scepticisme ou perdus de mauvaise foi. Pour se
délivrer de l'erreur, il aurait fallu que ceux-ci pussent
sacrifier à la fois leurs systèmes, leurs habitudes et leurs
positions.
La situation devenait irrémédiable. Des nuées d'ora-
teurs et d'utopistes en histoire, en politique et en morale,
tout fiers de couvrir la voix de l'Eglise, se sont depuis
un siècle abattus sur la France, et n'y ont pas laissé la
moindre place aux études sérieuses, le plus étroit espace
à la pensée.
Les principes disparaissaient, les lois s'affaiblissaient,
le peuple se pervertissait, les souverains devenaient plus
faibles, et rien ne pouvait nous amener à réfléchir. Nous
aurions dû gémir en voyant succomber ce qui faisait
notre grandeur, et notre orgueil s'en applaudissait Pour
nous ouvrir les yeux, il fallait donc que l'infortune pré-
cipitât la France dans un état matériel analogue à son
état moral, qu'un cataclysme national nous présentât
l'image du cataclysme intellectuel.. Le moment est
venu
de comprendre, si nous voulons ne pas amonceler
sur
notre tête les stigmates d'un peuple conquis et, dès
demain, subir le sort de la Pologne, bien loin, hélas!
d'aller la délivrer.
Partout les nations prodiguent leurs sympathies aux
hommes qu'elles voient s'illustrer et s'élever au milieu
d'elles. Les nations admirent ceux qui créent chez elles
la richesse ou l'honneur, la lumière ou la moralité. Le
peuple de France, au contraire, se montre plein de jalou-
sie et de colère contre tout ce qu'il voit se former et
croître dans ses rangs pour lui donner une aristocratie.
Si ce penchant funeste ne lui venait de la Révolution,
il faudrait croire que ce peuple a cédé aux instincts de la
barbarie. Nos nombreux parvenus ne voulaient voir
planer personne au-dessus d'eux. Dès lors, au moment
du danger, ils durent se résoudre à ne trouver personne
au-dessus d'eux pour les sauver, puis, à passer sous les
fourches d'un peuple qui n'était point antipathique à la
hiérarchie ni hostile au respect. Le Français ne voulait
plus avoir pour personne ni déférence, ni admiration;
aujourd'hui le voilà privé de l'estime..
La pensée est, chez nous, en proie à la même impul-
sion elle fuit ce qui est élevé. Le vrai lui fait ombrage,
le beau, le bien la mortifient. Elle affecte à son tour de
mépriser ce qui est au-dessus d'elle. C'est de la sorte
qu'on a fini par bannir la philosophie. Partout ailleurs la
pensée cherche à s'élever chez nous, elle mettait son
mérite à déchoir. La présomption était si grande et l'alté-
ration si profonde, qu'on ne voulait plus apporter de
sérieux à rien.
Le savoir consistait à parler avec éloquence~. Ce qu'on

(i) Est-i) un sujet surlequel le commis-voyageur, devenu notre type,


aurait pu rester court? Notre langue devait partout suiRre à rendre ce
dit les hommes éloquents depuis 1830, présenterait en
politique et en histoire la collection de toutes les erreurs
et de tous les mensonges auxquels la France doit son
abaissement. Car il ne faut pas croire que ces erreurs
soient autant de méprises! Comme au berceau des héré-
sies, ce sont ou des faits controuvés, ou des sophismes
ayant les manières du vrai, dont les hommes cherchent à
se convaincre.
La présomption était devenue telle, que personne ne
travaillait. Comme il n'était plus question de vertu, chacun
la trouvant en soi par nature, de même on n'étudiait plus,
chacun possédant la science infuse. On décidait de tout,
bien qu'il fût de mauvais goût de prendre du temps pour
s'instruire. En religion, en politique, personne n'avait
rien à apprendre, et chacun en revanche devait porter
des jugements définitifs. Finalement, sur ce sol de l'éga-
lité, tout homme se croyait supérieur. On gagnait la
célébrité à décrire une larve on l'eût perdue à s'occuper
de l'âme, ou même & vouloir expliquer les faits par des
causes! Le sérieux n'existait pas en dehors des affaires
dans les idées, il passait pour du solennel, et ce dernier
demeurait à jamais proscrit. D'un mot, le nouveau goût
bannissait le génie et les hauteurs de la pensée~. Parler

qu'on ne savait pas. Les portefeuilles étaient le prix de celui qui pouvait
le commerce et la
le mieux discourir, et pour lui la diplomatie, la guerre,
liturgie n'avaient plus de secret.
Parler, c'était avoir l'expérience, montrer la vraie capacité, posséder la
grande sagesse et surtout l'art de gouverner. Comme on parlait de toutes
les vitrines et
parts, des célébrités venaient en foule spintiller derrière
offrir le tableau piquant de notre société française. Là, sans que la
police
intervint, au milieu des honneurs de la caricature, la danseuse trônait
auprès de la princesse, l'agioteur auprès du ministre, l'acteur auprès de
l'œil
l'orateur, tout ravis de voir leur commune gloire éclater a la fois sous
enchanté du passant.. Et vous, nations de l'Europe étonnée, venez danser
chez nous venez voir ce que la Révolution a fait du peuple de Charlemagne,
ce que l'athéisme a tiré de la
nation de saiut Louis 1
(i) Les Indiens se donnèrent au culte du fétiche immobile, les
Egyptiens
choisi celui du médiocre..
au culte de la mort; en France on a
Comment s'est opéré ce changement? Le voici Autrefois les esprits sim-
de Dieu en politique ou en histoire, s'élever
aux causes
finales c'était du solennel. Interroger les lois de
notre
âme, remonter aux causes morales, invoquer la philoso-
phie, c'était habiter les nuages.
Il était ridicule, chez nous, d'invoquer la Théologie,. de
recourir à la philosophie, ou même aux idées du bon
sens. Notre pays attendait sa lumière des discours des
littérateurs et ses solutions des événements, loin de savoir
les préparer par ses croyances et
par ses mœurs. Il vient
un âge où l'homme n'apprend plus pour nous cet âge
commençait au sortir du collége. D'école, il n'y en avait
plus. Le génie dépourvu des honneurs demeurait
partout
sans disciples, on ne fêtait que les individus dont on tirait
de For, des dignités ou des emplois. Hors de
ces con-
ditions, tout homme supérieur était évité
par les autres
comme un accusateur. Dans son isolement, il pouvait
dire que « l'exilé partout est seul )) Au reste parmi tant
d'esprits dénués de figure et d'originalité, chacun
en soi
se considérait comme un maître, favorisé des plus grands
dons.
Sur aucun point, la pensée ne devait dépasser la
mesure
commune. Mais elle admettait trois degrés. Le premier
correspondait à l'aptitude universelle d'un bon voyageur
de commerce le deuxième, au talent de l'homme qui fait
rapidement fortune; et le plus élevé, au génie que
suppose
le discours d'un premier ministre. Du haut
en bas, il
n'était plus question d'élever l'homme, mais seulement de
le dresser. L'Université développait les esprits
par le
moyen des mots. Les prix pour la plupart allaient à la
mémoire, et la mémoire était la grande faculté. Tout était
disposé de manière à établir en même temps le rèo-ne
et
la mode du médiocre.
Ecartant les hautes études, remplaçant la raison par la
rhétorique, faisant de notre intelligence un mécanisme et

p!es et les ignorants écoutaient; car ils ne perdaient pas l'attrait qu'ont ied
âmes pour les choses élevées. Ils entrent en fureur, aujourd'hui, contre
toua ceux qui leur en parlent..
de tous les hommes des spécialités, comme s'ils étaient de
simples ouvriers, notre Université avait su joindre au
venin de ses doctrines, le poison sûr de sa méthode
d'abaissement. S'efforçant d'enlever les traces de toute
intervention intérieure de Dieu dans le principe de for-
mation de la pensée; transfusant dans nos veines cet
athéisme intime et sûr enseignant à l'esprit à prendre la
place de la raison et au moi la place du cœur, elle a
inondé le pays d'hommes médiocres. La rhétorique et
l'Université sont une des causes de l'affaiblissement de
la raison publique en France. Qui nous dira leur part
dans la perte de nos batailles, puis dans les stupides mas-
sacres dont la France, épuisée de larmes, a pu suivre le
lamentable enchaînement ?
Les règles mêmes de notre esprit avaient changé, et il
ne fallait plus se fier aux principes L'idée de cause et
d'unité, l'induction et la déduction ne devaient plus
paraître ceux qui obéissaient aux lois de la raison
n'étaient que des ~6M~. Bien que tout ce qui s'exécute
dans la nature vienne d'ailleurs, que toute explication des
causes par la matière ne soit qu'un cercle vicieux, dans
les régions officielles on se débarrassait des esprits qui
recherchaient les causes, car on devait ne plus sortir de
la matière. L'étude outrée des sciences physiques n'avait
pour but que d'interdire à l'homme l'emploi de ses plus
hautes facultés. Autrement, il aurait pu passer, comme
Aristote, de la physique à la métaphysique, et de là peut-
être à la Foi.. Et l'on s'étonne de l'appauvrissement de la
pensée', du dépérissement et de la chute de la nation

(i~ Voir //a~a<&Mewe~ de /a t'a~o~. l'aris. Herv6. 185~.


VI
Notre aversion de Diou,

Que faut-il attendre d'un peuple où l'homme qui repré-


sente Dieu est mis en dehors de la loi, est pris pour le
dernier de tous? Aussi en étions-nous à ce que M. de
Maistre appelle la plus grande folie, « celle de s'exposer à
manquer d'hommes pour avoir plus de physiciens B. avec
la différence que chez nous le physicien disparaît lui-
même, pour léguer à la génération qui vient (comment
ne pas le dire !) une espèce d'idiots glorieux, et composer
la nôtre d'une race inférieure d'importants, à la fois gon-
nés d'or, de présomption et de pauvre incrédulité. On en
était à ne plus faire cas de toute intelligence qui n'était
pas formée à gagner de l'argent. Les grands symptômes
d'abaissement étaient venus. w
Avant tout, il fallait prendre garde de ne pas remonter
vers Dieu.. Les appréhensions sur ce point ont fini par
être risibles. Dans la crainte de rencontrer la Providence
et de lui attribuer un plan, des hommes fort instruits,
quelle que fût leur science, étaient devenus incapables de
s'élever à une idée, de confesser une doctrine. Le grand
art consistait pour eux à passer entre les principes sans
en admettre aucun. A la fin, cette manie s'est cnangée en
une innrrnité de la raison. Aussi cette dernière était-elle
prohibée. Le philosophe se croyait plus de lumières
que le théologien, le moraliste plus que le philosophe,
l'économiste plus que le moraliste, le publiciste plus que
les autres. Puis on vit l'employé, le commis, le chef
d'atelier, l'épicier, et bientôt le concierge avoir plus de
portée que tous les précédents. Alors survinrent les arti-
sans, les journaliers qui, plus expérimentés encore, déci-
dèrent de nos destinées. La souveraineté venait du peuple,
à plus forte raison la science, le droit, la vérité. Le peuple
remplaçait Dieu. Les clubs devenaient le foyer des lumiè-
res, et l'athéisme détruisit la nation comme il détruisait
la raison.
Il faut dire aussi que trop d'hommes nuls se sont
mis à écrire. Trop de gens n'ayant pas ombre d'ins-
truction théologique ont pris la plume pour répandre
leur ignorance. La rhétorique leur procurait la faculté
funeste de verser tout le vocabulaire dans une apparence
de phrases ayant une apparence de sens. La France est
maintenant couverte de cette nuée d'indiscrets sans idées
que l'on nomme littérateurs ce sont eux qui chez nous
ont remplacé le prêtre! Leurs pages folles offrent une
retraiter sû.re aux préjugés, aux lieux communs histo-
riques, philosophiques ou politiques. Là se retrouvent,
après bien des années, nos idées fausses, nos bavardages,
nos rebuts intellectuels, Mais ces pages, pour ramasser
des lecteurs dans la foule, ont fini par pomper toute
l'erreur et la rendre'en athéisme mêlé de fiel et empreint
d'une odeur de sang. Triste pâture et néanmoins l'usage
en est universel. Qu'on juge de l'effet produit par cette
littérature, par cette espèce de pourriture de la pensée!1
Quand pourra s'effacer l'impression de mépris que notre
presse libre inspire aux autres peuples?
Les grands mots avaient pris définitivement la place des
idées; le bon sens se trouvait sans armes contre les assauts
combinésde l'inexpérience, de la passion et du plus pauvre
orgueil: De là cette ignorance en politique dans laquelle
on nous voit maintenant plongés.. L'accroissement donné
à tous les genres de présomptions a uni par mettre les
esprits du jour, soit à l'égard des principes, soit à l'égard
de la politique et de l'éducation, dans un état à peu près
analogue à l'incapacité. N'en cherchons d'autre preuve
que l'empressement avec lequel tant d'hommes se préci-
pitaient pour saisir le timon des affaires.

Il faut bien maintenant l'avouer, cette infériorité intel-


lectuelle, l'une des causes de nos revers, et cette fureur
allumée dans la foule, l'une des sources de nos calamités,
~G!T. 3
découlentt de notre présomption et cette présomption
elle-même dérive de notre impiété~
Relativement à la Foi, fondement de l'ordre moral, et
à 1 Autorité, fondement de l'ordre, politique, la situation
est telle que les hommes qui la considèrent ne songent
pas aux maux de l'invasion ils n'envisagent celle-ci que
comme un accident! Car ils ne savent plus comment
pourront se rétablir, sans une intervention divine, les
croyances, sur lesquelles se fondent les mœurs les
mœurs, sur lesquelles se fondent les lois; les lois, sur
lesquelles se fonde la sécurité. Vu l'état d'avilissement
des esprits, il est impossible de concevoir comment pour-
rait humainement se reconstruire cet ordre moral, sur
lequel repose l'ordre social en entier.
L'esprit de présomption s'est élevé chez nous aux pro-
portions de la folie. Dans leurs actes et dans leurs pensées.
déjà les hommes ne se regardaient plus ici-bas comme
des créatures. L'aberration métaphysique elle-même arri-
vait à son comble. Nous existions par nous-mêmes,
et surtout pour nous-mêmes! Nous n'étions plus que
présomption.
Or ceux. qu'elle inspirait ont-ils assez montré leur
ineptie?. Mise à la source de nos idées, à la racine de
nos mœurs, dans le principe de nos lois, dans l'élément
de nos institutions, la. présomption devait finir par pré-
sider aux. actes qui ont achevé notre ruine. Qui peut
maintenant le nier cette sufRgance. qui chassa de chez

(i) Nos officiers supérieurs le déclarent eux-mêmes « Ce qui attriste à


l'égal de nos désastres, ce sont les symptômes frappants de ta décadence
morale et intellectuelle où la France est tombée. Pour en trouver les
e causes essentielles, il faut remonter à
quatre-vingts ans, et les chercher,
n d'une part, dans
l'absence d'éducation religieuse,et de l'autre, dans le déplo-
rable système d'instruction appliqué à la jeunesse, lequel n'est qu'un
a immense et incessant mensonge. Cette instruction, à la fois fausse, exclu-
a sive et mensongère, qui nous livre a
l'admiration unique de nous-mêmes,
o et qui, excitant notre présomption naturelle, nous dispose a végéter dans
e l'ignorance, n'a été propre qu'à abrutir et & démoraliser ia nation, ') etc.
Debnt du jR~ppor/ militaire présenta par le colonel, baron Stoffel.
nous le bon sens, la vérité, le droit, l'honneur, la con-
science, est née du point de vue offert par la Révolution.
C'est contre Dieu que les hommes construisaient leur
tour de Babel; mais la confusion s'est mise dans leurs
langues et ils ont vu la dissolution de leur œuvre.
La France travaille depuis un siècle à évincer de toutes
ses institutions Celui à qui elle doit Tolbiac, Poitiers,
Bouvines et Denain, c'est-à-dire Celui à qui elle doit son
territoire, son existence! Pour lui marquer toute sa
haine, pour lui faire essuyer l'injure de l'expulser des
murs de nos villes, elle excite depuis quarante ans une
pres&e odieuse à guetter l'époque de la Fête de ce
a Christ qui aime Jes Francs a, de Celui qui s'est fait
homme pour sauver l'homme, qui s'est fait pain pour le
nourrir. Et la France demande où sont les causes de ses
malheurs?
Mais la France est-elle donc indissolublement nouée
à la Révolution? La France a-t-elle été livrée en escla-
vage à la puissance qui l'a mise dans le malheur ? Pour
nous, jeune génération, nous chérissons la France, et
non les erreurs de la France ce n'est ni son mensonge
ni ses fautes, c'est elle qu'il s'agit de sauver

VII.

Peuple et Aristocratie de la Révolution.

Il est dur de voir une nation courir à sa perte en


déclarant qu'elle va de progrès en progrès et qu'elle
arrive au plus bel avenir.
La Révolution espérait avant tout secourir le peuple
et le bien-être ne vient s'asseoir un jour au foyer ren-
versé du peuple que pour lui enlever le pain des autres
jours. La liberté devait lui donner le bonheur; mais,
bannissant la protection et rallumant la concurrence, elle
a fait éclater chez lui une lutte semblable à celle de l'état
saunage. L'industrie et le luxe devaient prodiguer les ri-
~4 PUBLIAI.: CAUSES REELLES
1 I

chesses à tous; et, ravissant les populations au sol, ils


les ont livrées à ce capital incertain du Crédit qu'on voit
à tout instant s'évanouir. L'industrialisme et le luxe ont
multiplié les multitudes vouées à un paupérisme certain.
Oui, par une cruelle ironie, c'est la Révolution, pro-
mettant d'enrichir le peuple, qui a produit ces deux
ruines du peuple, le luxe et l'industrialisme! le luxe,
qui retire les bras et le capital à la production des objets
de nécessité, d'où provient le sang des nations, pour les
donner à la production des objets de supernuité, d'où
proviennent la corruption et la misère l'industrialisme,
qui, accumulant sur quelques points le monopole des
capitaux, amène l'exploitation de l'homme par l'homme,
et refoule à son gré Ie~ populations dans la faim le luxe
et l'industrialisme, enfin, qui font déborder sur la France
cette classe peu désintéressée, peu animée du feu sacré,
peu sensible à Fhonneur, peu portée à la Foi, cette classe
dévouée à l'argent, au bien-être et au médiocre, que la
Révolution a élevée en dignité, et à laquelle elle a remis
tous les pouvoirs.
Car telle est l'aristocratie formée par la Révolution.
Le monde est aujourd'hui couronné de ces hommes qui
n'ont point conservé de principes et qui espèrent qu'on
leur conservera leurs biens. Ils ont eux-mêmes assemblé
ces multitudes audacieuses, dont on peut dire qu'elles
n'ont ni foi ni loi, ni feu ni lieu. Le premier malheur
de la France est d'avoir une semblable aristocratie, le
second est d'avoir vu cette aristocratie former un peuple
à son image car, comme elle, ce peuple veut jouir 1.
Les classes enrichies pâlissent maintenant devant le
Prolétariat. Il ne fallait pas le créer Ce ne sont point
ceux qui produisent les objets de nécessité, le pain, le
vin, la laine, qui causent leur effroi, mais bien ceux que,
pour s'enrichir, elles ont appelés à produire les objets de

(1) Ces deux malheurs dëcoutent de l'absence de Foi. Cette absence elle-
même est issue de notre guerre contre l'Eglise. Pas de milieu 1 Ou voir régner
l'Eglise dans nos mœurs, ou voir régner la Révolution..
supernuité. En posant des limites à leur luxe à leur
cupidité, elles en auraient posé à la Révolution.
Et néanmoins, maîtresses de la France depuis 89, ces
classes puisent une sorte de justification dans un concours
inouï de circonstances. Elles se sont vues tout à coup
enfermées dans la série des erreurs à la fois philoso-
phiques, politiques, économiques et sociales qui accou-
raient sur les pas du protestantisme. Arrivées à l'heure
où la Foi commençait à s'éteindre, ces classes n'ont pas
eu la faveur d'assister aux grands éclats de la lumière.
Les préjugés répandus par l'hérésie et par Voltaire obscur-
cissaient déjà les yeux. Aucune science, aucun élan ne
retirait la bourgeoisie d'une obscurité qui devenait tou-
jours plus profonde. Aussi, pour l'éclairer, Dieu se sert
aujourd'hui de la voix des événements.
Il lui donne cet enseignement afin de la sauver, parce
que, semblable à Adam, elle a été séduite par un autre,
et qu'il existe encore de bonnes races dans son sein.

Toutefois, les ouvriers enlevés aux campagnes consti-


tuent à cette heure une armée. Comme autrefois, ils ne
sont plus desséminés, mais enrégimentés. Au lieu d'être
fixés et classés sur un sol toujours prêt à fournir leur
nourriture, ils sont jetés sur la nacelle vacillante d'un
capital fictif qui d'un jour à l'autre s'effondre et les
livre à la faim. Ce sont ces bras qui nous étouffe-
ront. Echappant par notre propre fait à la religion
à la famille, au bon exemple, à la propriété, ces hommes
abandonnés de Dieu et de nous, feront le siége de nos
demeures. En dehors de toute surveillance, ils ont donné
le jour à toutes les espèces viles; ces tristes multitudes,
qui baignent dans l'erreur et dans la corruption, n'ont
d'autre espoir que de tout envahir et de tout dévorer..
Une doctrine expliquait aux hommes leur inégalité au
milieu des biens de cette vie elle en détaillait les raisons,
elle en apportait les remèdes. Cette doctrine, vous l'avez
rejeté~. Une politique bienfaisante maintenait les hommes
aux champs qui les avaient vu naître, loin de la corrup-
tion, au sein de leurs familles, sous l'œil de leur pasteurr
et de leurs concitoyens. Cette politique, vous l'avez ren-
versée. Ces masses ont le nombre pour elles: alors, que
leur opposez-vous?
Nous assistons à la formation des hordes affamées qui
un jour dévasteront l'Europe.. L'erreur s'alliant à la cupi-
dité a versé sur la terre les bandes qui la désoleront. Si
Dieu voulait en ce moment laisser périr le monde, il
n'aurait qu'à le livrer à son mouvement propre. Il n'au-
rait qu'à ne point mettre de frein à la fureur des éléments
désormais déchaînés. Nous sommes rentrés au chaos..

VIII.

Gouvernementsde la RévotuLion.

La guerre n'est pas uniquement entre les peuples et les


Rois elle est entre les classes, elle est entre les hommes.
Et elle n'est entre les classes, entre les hommes, que parce
qu'elle est montée plus b aut, qu'elle est entre notre esprit
et la Foi, c'est-à-dire entre l'homme lui-même et Dieu
Et cette guerre étrange est la Révolution. Elle a ren-
versé nos rapports avec Dieu quant à l'âme, quant à la
pensée, quant aux sciences, quant aux mœurs, enfin
quant à l'Etat et à ses lois. Une telle rupture ne pouvait
pas en rester là elle est entrée dans la famille, elle est
allée au fond des cœurs. La bonté, l'amitié, la justice en
ont disparu toutes trois. Le bonheur a fui de la terre.
Quand Dieu n'est plus entre deux hommes, de quelque
façon qu'on s'y prenne, l'un des deux devient.pour l'autre
un proie, réalisant le mot terrible des anciens JTb~o
lwmini ~?~.
Dans cette universelle explosion d'hypocrisie et de
philantropie, quel homme s'est réellement préoccupé de
ses semblables? En dehors du clergé, où est, depuis un
siècle, l'individu qui a servi ses frères! En dehors de
l'Eglise, quelle est l'institution qui a secouru l'homme ?
Est-ce l'industrie Pelle l'a exploité. Est-ce la politique?
elle en a abusé. Est-ce l'instruction? elle l'a égaré. Est-ce la
presse ? elle l'a dépravé. Sont-ce les mœurs publiques? elles
l'ont profané. Sont-ce les lois ? elles l'ont trahi, en se van-
tant d'être athées! Qui est venu à son secours? Serait-ce
l'administration Pelle l'a livré à ses dérèglements. Serait-
ce le Pouvoir ? ses impostures ont
uni de le dégrader.
Enfin, serait-ce la diplomatie? Mais, loin de protéger
l'édifice du droit, on la vit attentive à dissimuler les
qui s'accu-
coups qu'on lui portait et à masquer les ruines
mulaient chaque jour. La Société est elle-même homicide..
Quelle honte sur nous! le mot philanthropie est venu
cacher notre égoïsme immense, le mot égalité, masquer
notre soif des honneurs le mot fraternité déguiser
notre envie, comme le mot liberté venait' couvrir toutes
nos déceptions! Nous vivons de mensonge, nous sommes
dans l'avilissement.

Et que les hommes n'aillent pas accuser les gouverne-


ments de cette décadence navrante. Ces derniers ne nous
ont perdus qu'en entrant dans nos vues, qu'en servant
la leçon
nos désirs. Quelle est, depuis quarante ans,
d'athéisme dont ils ont dispensé la foule, la souillure
dont ils l'ont exemptée, l'impiété qu'ils lui ont refusée? En
cela, les gouvernements ont-ils traduit autre chose que
l'homme, et ont-ils fait régner autre chose que l'homme?
N'est-ce pas pour lui complaire en tout qu'ils répon-
daient aux vues de la Révolution ?
C'étaient autrefois les gouvernements qui étaient vic-
times de la violation du droit politique de nos jours, les
gouvernements se sont eux-mêmes faits les violateurs du
droit. N'est-ce point là ce qu'ils ont pratiqué en France, en
Allemagne, en Espagne, en Italie, à Rome? Finissant par
monter sur les trônes à son tour, la Révolution a découlé
d'en haut sur les peuples. Brisant aux yeux de la foule
les notions du juste et de l'injuste, des souverains en sont
venus à maintenir leur poputarité à l'aide d'impostures
et de spoliations. Toujours pour nous cdtnpiaire, on les
a vus réduits à faire de l'anarchie. Au lieu de réprimer le
mal, ils ont eux-mêmes fait de l'ordre au moyen du
désordre, demandant g'ràce à l'opinion, la suppliant de
leur laisser encore' un jour.
Et c'est en acceptant les principes de la Révolution que
ces hommes d'Etat se mettent en mesure d'y échapper!
Alors comment font-ils? Ils proclament très-haut ces
principes, mais en ajournent l'application. Ils évitent la
mort en prenant le chemin de la mort; et depuis un demi-
siècle notre société vit de ce faux-fuyant misérable Quand
l'autorité en est là, les souverains feraient mieux de se re-
tirer la Providence peut seule alors purifier les cités et
nettoyer la terre.. Les hommes doivent l'en conjurer ils
ne peuvent laisser détruire ainsi leur civilisation.

IX.

Finances de la Révolution.

Les intérêts matériels, que l'on croyait si bien conduits,


sont dans une situation tout à fait analogue aux autres.
Les Etats, en Europe, émettent aujourd'hui des
emprunts
qui absorbent les ressources recueillies par l'épargne de
leurs populations. De semblables ressources subsisteront-
elles toujours? Par suite de nos mœurs actuelles, l'épargne
va en diminuant, et, par l'effet de nos doctrines, les
dépenses publiques iront en augmentant. Combien de
temps pourra-t-on marcher de la sorte?
La question qui s'ouvre est très-simple La société
a-t-elle toujours autant coûté? Lorsqu'elle ne nécessitait
point ces dépenses, quelle force parvenait à la maintenir?
C'est cette force qu'il s'agit d'indiquer.
On sait qu'en 1789, il y avait un déficit de 80 millions.
ce qui produisait une dette de 4 millions de rente. Dès's
ce jour, s'emparant du pouvoir, la république vendit
pour 3 milliards et 300 millions de biens nationaux, fit
pour 2 milliards d'emprunts et émit pour 2 milliards et
454 millions d'assignats. Et cependant, plus tard, malgré
le milliard d'indemnité, les frais de la conquête d'Alger,
et un budget dont la moyenne n'a été que de 700 millions.
.la Restauration n'augmenta pas sensiblement la Dette
publique. Muis arriva 1830, qui finit par doubler le
chiffre du budget puis, l'Empire et enfin le 4 Septembre,
qui portèrent la Dette à un chiffre inconnu jusqu'alors.
Aux deux Milliards et trois cents millions qu'il fallut au
second Empire, ajoutons aujourd'hui, pour répondre aux
exigences de la situation, un supplément de 700 millions.
Et Dieu veuille que ces trois milliards d'impôts restent le
chiffre de ce qu'on peut appeler la Liquidation de la
Révolution française
De faute en faute, de milliard en milliard, la France en
est donc arrivée à porter une dette de plus de 20 milliards 1
Nous devons certainement avoir près de douze cents
millions d'intérêts annuels à payer avant de commencer
à solder le -budget des dépenses régulières. Ces 20 mil-
liards représentent à coup sûr plus du quart de la valeur
territoriale de la France. C'est absolument comme si elle
était réduite aujourd'hui à soixante départements.
Après un tel prélèvement, ce qui subsiste de l'épargne
des classes laborieuses et prévoyantes se transforme en
papier pour redescendre, non dans le sol, mais en salaire
sur des foules attirées près de nous dans le but de produire
les objets de luxe. Or ce salaire, dévoré à mesure, con-
damne au paupérisme ces tristes populations. Quand la
Révolution ou la banqueroute viendra annuler le papier,
nous aurons lé sort de l'Espagne. Elle mit sa richesse dans
l'or, comme a. cette heure nous la mettons dans le papier
sur les hasards de l'industrie le jour où l'or fut écoulé,
il De resta plus à l'Espagne que ses terres abandonnées
et dépeuplées.
Un tel système opère comme un dessèchement au sein
des classes élevées. Celles qui, se confiant ainsi au crédit,
lui remettent leur capital, le verront un jour ou l'autre
disparaître. Jusqu'à présent la civilisation avait fait un
effort tout opposé pour retenir ce précieux fluide dans les
antiques réservoirs de la propriété assise sur le sol. C'est
par le capital 'jue toute nation s'élève. Les lois, l'ensei-
gnement, la charité, les sciences, les arts, l'administra-
tion, la civilisation entière reposent sur des rentes acqui-
ses. Il faut du pain constitué par une rente pour qu'un
homme puisse faire autre chose que gagner quotidienne-
ment son pain. Un médecin coûte ordinairement à sa
famille de vingt-cinq à trente mille francs; un savant en
coûte quarante; un magistrat plus de soixante, et'un
homme d'Etat, plus.encore. Si, par la décroissance ou
la dissolution du capital on amoindrit les rentes, les
classes gouvernantes disparaîtront, la Société rentrera.
forcément dans la barbarie.
Ici le problème est bien simple encore La Société fut-
elle toujours réduite à dévorer son capital, à consumer
son avenir pour soutenir la multitude tout en l'écartant
de ses voies? Si ~es classes élevées, les classes gouver-
nantes avaient été toujours soumises à. cette épreuve,
seraient-elles arrivées jusqu'à nous? Lorsque les masses.
n'entraînaient point ces sacrifices, quelle loi les élevait en
paix? C'est cette loi qu'il s'agit aussi d'indiquer,
C'est la consommation, a-t-on dit, qui active la produc-
tion. Consommons, faisons ce vide qui appelle aussitôt le
produit, et, par un cercle saus fin, ce mouvement, qu'il
suffira d'accélérer, pourra s'étendre à la Société entière.
Ainsi la pompe fait le vide, et, de soupape en soupape,
amène l'eau à sa hauteur. La science n'a qu'un mot, la
nature le dicte Consommez indénniment!
Ce serait vrai si la pompe était placée dans l'Infini. Mais
la pompe a pour réservoir la nature, et n'y puise qu'en
raison du travail et du capital. Or ce capital à son tour,
s'accroît en raison de l'épargne, et non de la consomma-
tion. La corruption morale entralnerait définitivement la
chute économique, et par suite la ruine de la natio.n.
Ouvrons les yeux, et nous verrons que la nature exige
beaucoup de travail pour un faible produit, loin de fournir
un grand produit pour un faible travail. Pourquoi? Parce
que Dieu confie à la nature elle-même le soin de notre
grandeur. Le Dieu qui créa la nature est celui qui créa la
vertu. Pour ouvrir la carrière au bien et en assurer l'exis-
tence, Dieu posa des limites aux sens et. un arrêt au mal.
C'est cette borne qu'on voulait forcer, c'est cet arrêt que
l'on pensait détruire. La lutte fut sérieusement engagée.
Mais qui devait plier? les lois de Dieu, ou les idées
modernes?
On espéra que ce seraient les lois de Dieu et telle est
au fond la pensée qui constitue la Révolution.. Elle est
le fait nouveau qui prétend se substituer aux lois éter-
nelles. Toute la situation résulte du progrès de la Révo-
lution contre le Christianisme. Eh bien, devons-nous
embrasser le dogme de la Révolution ou celui de l'Eglise?
Pour nous c'est toute la question.
Mais à qui montrer le péril que court à cette heure le
monde? Les hommes se détournent dès qu'ils entendent
nommer la Foi ou parler de l'Autorité! et leur société
arrive à l'agonie.
Le difficile est d'enlever une seule idée fausse à ce siècle
abusé. L'erreur forme une voûte immense les hommes
sentent qu'on ne saurait en ôter une pierre sans que tout
ne croule à la fois. Cependant il faut y porter le pic en
restant debout sous ces ruiner.. Où donc trouver l'homme
assez fort pour entendre la vérité? Où est celui qui vou-'
drait la lumière et qui songe à lui obéir? C'est le jour
que l'on fuit, c'est le mensonge que l'on révère. 0 vérité!
tout nous enchante, excepté toi. Celui qui te confesse doit
renoncer aux sourires des hommes, et souvent même à
ceux de l'amitié.
Cependant la vérité subsiste, elle seule peut nous sau-
ver. Il est temps de chercher nos motifs d'espérance
X.

Situation providentielle de lu France.

Mettons un terme aux utopies qui ont entraîné notre


décadence et aux pensées qui attirent sur nous les châti-
ments de Dieu. De telles punitions portent un double
avertissement issues de la Justice, elles sont distribuées
par la Miséricorde. Elles disent que la France sera régé-
nérée par la douleur. S'il devait en être autrement, Dieu
eût laissé la France en proie à sa propre dissolution..
Tous ceux qui ont gémi du mensonge auquel on con-
damnait la France, se lèvent pour le démasquer Dénon-
çant les causes vraies de nos revers, ils veulent ramener
sous nos yeux les lois sublimes de la Société si longtemps
méconnues, et les bases des libertés que nous avons vues
disparaître. Le moment est venu de dire si nous voulons
rentrer dans les desseins de Dieu, ou devenir demain pour
l'Europe un sujet de risée et l'objet d'un dernier partage.
Jetant le trouble jusque dans les choses divines, tout
grand crime non expié suspend l'action de la Miséricorde.
Il rompt l'équilibre exigé entre les voies de l'homme ici-
bas et la Perfection infinie. Ici Dieu ne peut plus se livrer
à tout son amour. Comme un nuage qui s'interpose entre
le soleil et la terre, le crime inexpié séjourne entre nous
et les faveurs divines. Mais Dieu désire écarter ce nuage.
Il veut nous voir apaiser sa justice et pourvoir, à l'aide
de la prière et du repentir, au divin équilibre de ses
volontés éternelles. A nous de jeter dans la balance le
poids de la réparation et de l'humilité
Que de choses à dire, puisqu'au milieu de tels désastres
et d'un si grand abaissement, il s'agit d'annoncer l'exalta-
tion prochaine de la France! Puisqu'il faut prévenir celle
qui se tient dans la confusion, qu'elle doit, par les soins
de la Providence, rentrer bientôt dans la vraie gloire
Puisqu'il est urgent d'annoncer à celle qui n'a point de
paix, qu'après avoir connu les jugements de la justice elle
verra ceux de la clémence. Puisqu'il importe aussi de
lui faire savoir qu'elle a été plus viciée dans son esprit
que dans son cœur, et que Dieu conserve des desseins sur
elle. On doit l'avertir de l'illustre mission qui lui sera
rendue; lui dire de se lever parce que Dieu veut de nou-
veau en faire son instrument lui déclarer que les projets
des hommes, les folies de son peuple, les desseins de ses
ennemis et les plans de la Révolution sont à la veille de
s'évanouir
Son esprit même se verra transformé. Ce qu'elle a
voulu et estimé, sera rejeté et méprisé par elle, et ce
que, dans ses ténèbres, elle a dédaigné et comme détesté,
se verra chéri, béni et exalté Les hommes qui se sont le
plus glorifiés se verront dédaignés et raillés par ce peuple,
parce qu'il aura ouvert les yeux et ceux qu'il repoussait
parce qu'ils le servaient dans la vérité, seront loués et
pleins de gloire.
Mais cela ne peut avoir lieu sans que la France ait
reconnu sa faute il faut que son erreur croule sous
les coups de foudre dont elle est menacée, et de tels coups
laisseront le pardon dans la plaie.. Déclarons donc pour-
quoi, dans sa clémence, Dieu daignera se souvenir de
nous; pourquoi nous oserons lui dire « Souvenez-vous,
»
Seigneur, que nous sommes la nation qui fut vôtre dès
))
le commencement. C'est le moment plus que jamais de
a vous
souvenir de votre, alliance, car les hommes les
plus vils habitent les palais de nos rois. »

Les hommes ont oublié qu'ils sont mis ici-bas pour le


service de la Gloire éternelle, et pour approprier leurs
âmes à la Félicité, a Le dernier mot de toutes les œu-
» vres
de Dieu, a dit S. Paul, est la sanctification de
a l'homme. » Aussi la Société, faite pour recueillir
l'homme et le préparer à ces fins, forme l'objet des plus
grands soins de Celui qui assigne une mission particu-
lière à chaque individu comme à chaque nation sur
la terre. Tout peuple ne subsiste que pour une raison
d'être providentielle.
Omos plus anciens historiens rapportent que S. Remi
dit à Clovis la veille de son baptême
a Apprenez, ô mon
fils, que le royaume des Francs est prédestine
par Dieu
a à la défense de la sainte Eglise. Ce royaume, un jour,
sera grand entre tous les royaumes, etildurerajusqu'à
la fin des temps. Il sera victorieux, et prospère tant qu'il
restera fidèle à la Foi du Christ; mais il sera rudement
') châtié toutes les fois qu'il sera infidèle à sa vocation o
Ce qui rebausse encore cet avis prophétique, c'est la véri-
ncation qu'il reçoit de l'histoire entière de la France, dontt
il semble en e9*et présenter le programme. Au moment de
mourir, Charlemagne dit à ses fils a Prenez soin de la
défense du Saint-Siég'e, ainsi ~e ~o~j~ notre aïeul
Charles Martel, ~o~ ~~e roi ~6~ Nous par
après 6~~?. Efforcez-vous de le défendre autant
que !e
requiert la raison D « Si les plus grands ennemis de cette
Couronne, dit à son tour Louis XIII, dans son Vœu,
se
sont ralliés pour conspirer sa ruine, Dieu a fait voir aux
nations que, comme Providence a /b~
cet sa
bonté le conserve et sa puissance le défend
') a Protéger
» le Saint-Sié~e, disait hier le Roi, fut toujours pour la
»
France son titre d'honneur et de gloire au milieu des na-
» tions, comme la cause de sa grandeur, a Et, parmi nous,
chacun a remarqué que l'ennenu a pénétré en France le
jour où les soldats français ont abandonné Rome.
Tous les Papes se sont plu à louer en nous l'exécution
de ces paroles de Charlemagne. A l'aurore de notre épa-
nouissement national, a dit S. E. le cardinal de Bonne-

(t) La tradition des siècles, remarque un Écrivain, a constaté l'authenticité


de ces paroles prophétiques. Dès le VU" siècle, elles sont rapportées par le
cé)ébre Hincmar, archevêque de Reims au même siècle, par le vénérable
Bëde (Mrmt~. sybil. I. 8.), puis par Vinceut de Beauvais (~cc;
t XX. c 49); par Dom Marlot, de l'ordre de S. Benoît; par Godefroide
Viterbe; pnr Aimoin (t. V. c. 21); parRabanus Maurus, au ÏX"sièc)e.
On sait que Ccr?on fit usage de cette prophétie de S. Rémi dans son pané-
gyrique de S. Louis « S. Remi, dit'-it, baptisant Clovis et le sacrant d'une
huile sacrée envoyée du Ciel, touché de l'esprit de prophétie, lui prédit
que, etc. a Hippotyte, évêque Sicilien, l'avait égatemeot citée. Barouiua
relève toutes ces autoritéa dans ses Ann. eccles., années 494 et 5i2.
chose, le Pape Anastase II déclare a qu'il voit dans la
nation française la colonne de fer que Dieu é!ève pour
le soutien de l'Eglise de Rome. a Dès le VI" siècle, le Pape
Pélage II déclare a qu'il attend des descendants de Clovis
la protection pour le Saint-Siège qu'il recevait des empe-
Pépin-Ie-
reurs a au VIlle, le Pape Etienne rappelle à
Bref « que l'avenir de la papauté se lie particulièrement
à la nation française ? au XIP, le Pape Alexandre 111
écrit « que la France est choisie de Dieu, qu'elle est une
nation dont l'exaltation est inséparable de celle du Saint-
Siège. a Rendant hommage à la vocation de la France,
S. Grégoire-Ie-Grand la proclame a aussi élevée au-
dessus des autres nations qu'un roi l'est au-dessus des
particuliers, c « Il est donc manifeste, disait Grégoire IX
à S. Louis, que ce royaume béni de Dieu a été choisi par
le Rédempteur pour être l'exécuteur spécial de ses divines
volontés. )) Les témoignages des Papes Adrien F', In-
nocent III Grégoire IX Boniface VIII et de presque
tous les Papes dans les siècles voisins du nôtre, peuvent
tous être cités à l'appui de la mission providentielle de
la France de là'le titre qui lui revient de fille aînée
de l'Eglise. Jamais vocation n'a été plus solennellement
donnée, ni même plus ostensiblement accomplie.
Dans leur adresse à l'Assemblée, nos Evêques français
viennent de dire « La France a reçu de Dieu la mission
de défendre les intérêts sacrés du plus auguste représentant
de la justice sur la terre. Malgré tous ses malheurs, l'hon-
neur est encore réservé à la France de remplir ce rôle pro-
videntiel et c'est d'elle que le Souverain-Pontifeattend sa
délivrance. c Mgr de Versailles ajoute « Ici votre silence
retomberait sur vous comme une malédiction. » C'est
donc dans l'abandon de cette tradition française et de
tout ce qu'elle comporte, que nous devons chercher la
cause définitive de nos malheurs. Tant de grandeur ne
nous a pas été donnée pour nous. Elle se retire le jour
où nous devenons infidèles, et c'est nous qui faisons la
force de nos ennemis,
XI.

Pet'sistance da notre nussiun providentieite.

Malgré l'égarement dont la France à cette heure est


frappée, sa mission providentielle persiste. Jusqu'à ce
jour, personne ici n'a pris sa place. Ce n'est assurément
ni l'Espagne, ni l'Italie, ni l'Autriche ces nations n'ont
pas été plutôt atteintes par la Révolution, qu'on les a vués
chanceler sur toutes leurs bases.. H faut y rénéchir si la
France devait périr, ce ne serait aucune de ces nations qui
pourrait désormais protéger efficacement le S. Siège.
L'Eglise serait tout à coup sans défense en face de ses trois
ennemis, la Révolution, l'hérésie protestante et le schisme
de la Russie, et la fin des temps serait la.
Tant s'en faut nous sommes au contraire dans la crise
qui doit régénérer la France. La Révolution achève de
produire au dehors, pour la voir se détruire, une race
possédée d'orgueil et sur laquelle on ne peut rien. Ni la.
raison, ni les lois, ni la crainte ne pourront faire revenir
cette race en quelque sorte diabolique mêlée actuellement
aux êtres sociaux. C'est pourquoi un -triage inouï va se
faire. Demain ceux qui tiennent à la vie vont être obligés
de s'unir à ceux qui défendent la Foi; car ceux qui de-
mandent. leur sang se rangeront ouvertement sous le dra-
peau de l'athéisme et du carnage. Alors tous les partis
n'en formeront que deux l'un désirant que Dieu triomphe
pour que la France existe, et l'autre que la France pé-
risse pour satisfaire la soif de crime que l'envie alluma
dans leur cœur. Mais au moment venu, Dieu fendra les
flots de la mer Rouge pour ouvrir un passage aux siens,
puis il refermera ces flots sur ceux qui le maudissent,
pour en délivrer l'avenir.
Puisque l'Eglise est immortelle, comment le peuple
dont le sort est lié au sien serait-il atteint par la mort ?
Il faudrait perdre la foi dans les lois de ce monde pour
désespérer de l'Eglise, conséquemment des destinées de
la nation qui a été commise à sa garde. Que cette nation
avance donc par la prière l'heure de la Providence
« Quand Dieu,
dit ici Bossuet, veut manifester son
action aux hommes, il commence par se retirer et c'est
lorsque les choses humaines ont été poussées à leur extré-
mité, qu'il agit, pour que l'ouvrage paraisse tout entier de
sa main. » Il importe d'ailleurs qu'il en soit ainsi pour
la
France; si elle pouvait croire qu'elle se doit son salut, sa
présomption deviendrait cette fois irrémédiable. Dieu a
fait les nations guérissables, et à plus forte raison celle
qu'il a chargée de porter sa parole au reste du monde.
En ce moment, il entreprend de nous régénérer ocrons-
lui notre repentir, afin que les derniers châtiments ne
tombent plus sur les hommes pour les endurcir, mais
pour les relever
«
Le père, dit L. Veuillot, frappe pour
être désarmé.
Que la France se félicite ouvertement. d'avoir, dans les
desseins de Dieu, une place en quelque sorte officielle 1 t
Qu'elle soit dans la joie d'avoir fourni, même au sein de
ses défaillances, tant de missionnaires pour porter la
lumière au monde, et tant de sœurs de Charité pour en
soulager les douleurs Qu'elle se réjouisse d'avoir donné
le jour à tant d'âmes vouées à la prière ou à la charité,

(t) Ses évêques le lui ont dit; et celui qui nous rapporta la grande
etoquenee~ en parlait en ces termes La raison de ce renversement de
fortune, s'écrie Mgr Pie, c'est que, n'obéissant pius ù la voix du Seigneur,
nous avons failli à notre apostolat sur la terre; c'est que, missionnaires de
la vérité, nous nous sommes faits les propagateurs du mensonge. Mais il est
écrit en tête de la charte originelle de la Nation Vive le CAW~ qui aime
les Francs Or cet amour est trop profond et date de trop loin pour se
laisser déconcerter par des infirmités passagères. »
N'entendez-vous pas le Chef de l'Eglise, qui ne fonde que sur les miséri-
cordes envers !a France le gage du secours divin qu'il attend? « Ayez bon
courage, nous dit-il, ô peuple de Dieu 1 Vous avez ét6 assujetti à l'étranger,
non point pour votre perte entière, mais parce vous avez provoque le
courroux de Dieu. Souffrez avec patience, et bientôt vous verrez la perte
e de t'enuemi qui vous poursuivait'à outrance.
Les mauvais qui vous ont châtiés périront, et la joie de votre rivate
deviendra la mesure de sa desoiatiou. 0 mes nts. criez au Seigneur: cciui
qui vous a conduits pendant tant de siècles se souvienJra de vous ·
LÉGIT.
tout enflammées par l'ardent esprit de l'amour. France i
France! s'écriait une sainte voix, combien tu es ingé-
nieuse pour irriter et pour calmer tour à tour la justice de
Dieu Si tes crimes ont fait tomber les châtiments
sur toi, ta charité a fait monter sa voix au Ciel.
Et que la France ici ne soit point étonnée d'elle-même
Comme par ses Saints, par ses Rois, par ses grands hom-
mes, par sa puissance au-dessus des autres nations
par ses destinées et sa gloire, elle avait reçu le plus
de faveurs du Ciel, c'est elle sans doute que <( Satan a
demandé de passer au crible c, et c'est elle qui a été
mise à l'épreuve du grand Mensonge. Elle a été passée
au blutoir de l'erreur sociale, philosophique et religieuse
la plus redoutable Dieu sans doute a permis qu'une lutte
si terrible fût offerte à la France, certainement parce
qu'elle l'a mérité, mais aussi parce qu'elle restait mora-
lement la plus forte des nations; parce que, fille aînée de
l'Eglise, c'est elle qui avait en apanage le plus de dons, le
plus de grâces parce qu'ayant accueilli la Foi la première
en Europe, elle saura la recouvrer la première, et, par le
mouvement prompt de son généreux cœur, recourir la
première à Dieu pour se régénérer! Aussi, chacun cher-
chait à s'expliquer le mystère de la France.
C'est en France que la Révolution, l'hérésie du présent,
l'hérésie de l'orgueil social, a constitué son pouvoir et
c'est néanmoins de ce peuple que sort la multitude des
missionnaires, des sœurs de Charité et des idées toutes
vivantes qui luttent contre cette Révolution 1 Voit-on
quelque autre peuple épuisé et mis par elle à l'état
de ruine, puis tombé dans l'étrange condition où nous
sommes, qui aurait pu échapper comme nous à la dis-"
persion ?
Eh bien, c'est la France qu'on verra se soustraire à
sa propre anarchie pour rétablir le Pape dans son gou-
vernement. Pleine, à cette heure, de désordres, c'est elle
qui va rétablir l'ordre par excellence et sauver humai-
nement l'Autorité suréminente qui fait l'ordre dans les
esprits et porte la raison de toute souveraineté sur la
terre Mais avouons, alors, que sans cette mission provi-
dentielle, dès aujourd'hui la France était perdue.. On le
voit maintenant, le mal a pris de telles forces, qu'il est
impossible aux hommes de sortir par eux-mêmes de la
situation dans laquelle ils se sont plongés. a Il est prouvé,
dit Donoso-Cortès, que le mal ici-bas finit par triompher
du bien, et que le triomphe sur le mal est, si l'on peut
s'exprimer ainsi, réservé à Dieu personnellement.
Toutefois, que la France n'aille pas abuser des délais de
la bonté divine 1 Si elle ne sait pas profiter du secours
miraculeux qui lui sera donné pour rétablir la Foi chez
elle et cesser d'être pour l'Europe un sujet de pitié, ses
ennemis du dehors, comme ceux du dedans, l'étouSeront
dans leur dernière étreinte. On la verra se débattre encore
comme un blessé dans son suprême effort, puis pour tou.-
jours elle succombera. Avec elle succombera l'Europe,
dont elle é~ait la tête; avec l'Europe succombera le
Monde, dont l'Europe est 'la vie. De là une anxiété et
une attente générale chez les peuples.
Certes Dieu ne demande qu'à nous sauver. Mais Celui
qui nous a donné la liberté, ne peut en laisser décliner le
concours. Tout ce que Dieu a fait, tout ce qu'il a entrepris
dans ce monde a pour but de fonder le mérite de l'homme.
Aussi ne pouvons-nous être sauvés sans notre coopération
bien réelle. C'est à nous de hâter par nos œuvres la misé-
ricorde divine. La condition à laquelle il sera permis à la
France de recouvrer son rôle, a dit Mgr Pie au début des
événements, n'est pas autre que celle qui fut autrefois
intimée par Daniel à Nabuchodonosor a TON RÈGNE TE
B SERA RENDU APRÈS QUE TU AURAS RECONNU QUE TA PUIS-
8ANCE NE VIENT PAS DE L'HOMME, MAIS DE DIEU. ')
XII.

(.h)s'(";tf~fugi6)nvienntion~!e.

II se passe chez nous un fait bien surprenant. Une


nation s'écroule, le corps social se dissout au point de
faire croire à la disparition d'un peuple, et l'organe
important de ce peuple est plus vivant, plus puissant
que jamais. Les Ordres ont disparu noblesse, magistra-
ture, échevinage, municipalités, corporations tout est
tombé dans une anarchie sans remède. Pendant ce temps,
un Ordre s'est continué, tous ses membres se sont unis
dans l'unité incomparable, et la France, à cette heure
gisante, se voit avec un clergé plus un et plus grand peut-
être qu'autrefois!
Pour entrer dans le sens de ce fait inouï, il faut se rap-
peler trois choses.
En premier lieu, nul ordre, nulle union, nulle société
ne serait possible, si les hommes n'étaient antérieurement
unis par des liens moraux ou par des croyances communes
comportant la notion du devoir. Cette société toute morale
est au fond la seule vraie, du moins la seule génératrice,
puisque sans elle nulle autre ne saurait s'établir ni se
conserver.
En second lieu, de ces croyances une fois reconnues on
voit découler les mœurs, puis des mœurs découler les lois
et toutes les institutions. En sorte que, de l'unité de croyan-
ces dérive l'unité de mœurs, et de cette unité de mœurs
dérive l'unité de lois, l'unité de besoins, l'unité de langue,.
puis l'unité de territoire, en un mot la nationalité.
En troisième lieu, comme il ne saurait y avoir de
société là où l'ordre spirituel n'existerait pas, puisque
les croyances seules peuvent unir les esprits, entralner
les consciences et déterminer les devoirs, alors que les
lois humaines règlent uniquement les rapports extérieurs
et que là s'arrête leur action; comme, en un mot, l'unité
et la vie sociale découlent des croyances, toute société
a donc sa source dans le Clergé, qui les répand.
Par là même, quand l'autorité des croyances divines,
qui forme le lien des esprits, s'affaiblit chez un peuple,
autrement dit quand se dissout la société spirituelle, le
corps politique périt en peu de temps 1. Ce sont des lois
toutes mathématiques. Un peuple ne prend en dédain
son Clergé que parce qu'il a repoussé ses croyances et
banni la moralité. Il rejette toute aristocratie parce qu'il
a rejeté les principes, les devoirs, la délicatesse, la pureté,
l'honneur; bref, parce que ce peuple se dissout. Or si, au
milieu du vide que les hommes faisaient autour de lui,
ce Clergé a pu continuer de grandir en science et en
vertu, c'est la preuve frappante que Dieu a des raisons de
miséricorde pour opérer le salut de ce peuple.
Indice plein d'espoir en France tout tombait, et une
chose est restée debout; tout s'écroulait, et une chose
élevait toujours plus haut son faite. Les mœurs, les idées,
les armées elles-mêmes se dissolvaient, la France s'en
allait en ruines, et le Clergé de France grandissait, s'en-
richissant de tous ses Ordres et se montrant plus pur,
plus respectable plus brillant que jamais. Que de pro-
messes amassées sur nos têtes 1

Ce n'est pas tout. Lesgrandes digues étaient rompues,


et le monde lui-même était en proie à une crise ana-
logue à celle de la chute de l'empire romain.. Or, au
moment où tous les pouvoirs qui soutiennent l'Europe
étaient sur le point de périr, l'Eglise est venue affirmer le
sien! C'est lorsque les autorités qui prétendaient fournir
la paix tombaient dans le mépris, que l'Eglise déclara plus
haut que jamais son éminente autorité et le don de lu-
mière que Dieu, à la veille de quitter les hommes, remit
au Pasteur de leurs âmes A
l'heure où tout retournait

(t) Voir: Des py-o~'M 7?<'M/<~<o« co/</r<' l'Eglise, pi' t'Ahb< F. de

La Mcunaia
dans la nuit, la Providence pouvait-elle parler plus
clairement ?
Parce que les fondements de nos sociétés chancellent,
l'Eglise leur fait voir le terrain sur lequel elles doivent
fonder; parce qu'elles vont crouler, elle. leur montre
à nu la PIERRE qui demeure toujours! Sont-elles donc
destinées à périr? 1
Guidé par Dieu, le Souverain Pontife aurait-il défini
l'Immaculée Conception de la Vierge pour n'attirer sur
nous que des malheurs? En outre, par la définition de
l'Infaillibilité pontificale, n'a-t-il pas démontré au monde
que la souveraineté est en Dieu, non dans le peuple, non
dans l'homme? Et, de la sorte, n'a-t-il pas replacé l'au-
torité sur sa base au moment où tout allait tomber en
ruine? Est-ce donc sans dessein de la Providence, que ce
grand Pape a convoqué un concile œcuménique dans ces
circonstances critiques, et au moment où ce concile était
considéré comme impossible?
Un tel dessein d'En-Haut ressort également de l'oppo-
sition qui fut faite, dans le concile même, aux doctrines
à définir. Car cette opposition a mis les Pères de la sainte
assemblée dans la nécessité de promulguer, de la manière
la plus formelle, et d'inscrire au rang des dogmes la vérité
qui, en se retirant, eut laissé vaciller la terre. Perdre de
vue la liaison de semblables événements serait fermer les
yeux à ce~qu'on appelle l'esprit de l'histoire.
Or Dieu eut-il permis la manifestation d'une vérité si
capitale, au moment où elle devenait inutile? Nous eut-il
rapporté la base de la société, lorsque la société devait
périr ?Ennn, eut-il lancé le grand principe de la cons-
titution catholique au moment où la Prusse pouvait
étoufFer sous son hérésie les populations de la France, et
après elle les autres nations catholiques? La consolidation
du pouvoir de la Prusse ne serait-elle pas en Europe la
prépondérance déûoitive du protestantisme? Or l'Europe
formant la tête du genre humain, le monde unirait donc
sur le protestantisme?.
En vérité, ce serait croire que Dieu s'est fait protes-
tant1 Ne doit-on, pas dire, au contraire, que la France,
punie, mais épurée, triomphera dès que la vérité triom-
phera chez elle?
Les esprits rénéchis et les peuples eux-mêmes sont
pleins de ces pressentiments. Nul homme de quelque
portée en. Europe ne voudrait infirmer en entier l'une
de ces propositions 1" La Révolution n'a été qu'une né-
gation du christianisme, aboutissant à l'athéisme social;
c'est la Révolution qui a mis la France en décadence
et qui est cause de ses revers 3° la société aussi bien que
la France, est dans l'impossibilité de sortir par elle-méme
de l'état dans lequel elle s'est précipitée; 4° Dieu seul,
dessein de sa miséricorde, délivrera la France
par un
quand celle-ci l'invoquera 5" la France alors ira délivrer
Rome et rendre ses Etats au Saint-Siége 6° elle aidera
pareillement à tirer les autres peuples des servitudes du
césarisme, né du protestantisme et fécondé par la Révo-
lution 7° dès ce moment s'établira une prépondérance
catholique en Europe, et l'on y verra successivemement
crouler ces contre-forts et ces annexes de la Révolution,
nommés suivant les lieux, gallicanisme, joséphisme,
anglicanisme, protestantisme, prussianisme, russianisme,
tous connnant au césarisme, qui en est l'accomplissement.
Notre phare est en vue et la voile est enflée par l'es-
pérance Nous reverrons la société réelle, nous mouil-
lerons au, port ouvert pour l'avenir. Tout cet ordre de
choses soulevé contre Dieu périra. La Révolution est
le fléau vengeur. Pour un jour encore, elle sera la con-
sécration de l'envie, l'accomplissement de la haine, l'ex-
tinction de la liberté, l'apothéose de l'athéisme et l'exercice
de la mort. Mais Dieu n'a jamais permis tant de mal à la
fois! En voyant ces horreurs, les hommes prendront peur
de leur aveuglement. Après le cataclysme, ils resteront
stupéfaits de leur iniquité.. Dieu alors les prendra par
la main et les ramènera vers la lumière.
Les sociétés prétendaient prendre leur plus grand
espéraient
essor, et les sociétés périssent. Les hommes
parvenir à la plus haute prospérité, et ils s'enfoncent dans
44 PRÉLIM.: CAUSHS HEHLLHS
le malheur. Si, dans une telle discordance, ils entendent
un démenti, et si certaines classes voient le reproche les
atteindre tout à l'heure, qu'elles pardonnent cette offense
et en oublient l'amertume A travers tant de voix qui s'élè-
vent pour les flatter et les replier dans leurs maux, elles
distingueront l'accent plus intrépide de la sincérité.
Mon Dieu, sauvez les peuples qui courent dans la mort
et qui croient s'avancer vers la gloire

1
XIII.
Secs de la Révolution francaise.

Tant de maux doivent avoir leur explication. Tout ce


qui peut jeter un éclair dans la nuit qui nous enveloppe
nous apporte un soulagement. La certitude que les fléaux
qu~ nous atteignent sont des néaux divins, nous rend déjà
à l'espérance.
Jusqu'ici, l'avenir appartient à la Révolution. Elle
seule présente un principe, depuis que les gouverne-,
ments abolissent ceux qui les ont fondés. Vrais ou faux,
les principes se rendent maîtres des esprits en leur offrant
des conceptionsexplicatives, en ramenant l'unité au milieu
du chaos de leurs idées de chaque jour. Or un principe
qui renie tous les autres a produit la Révolution voila
pourquoi elle a tant de puissance parmi les hommes et
pourquoi les sociétés s'en vont.
En soi, toute révolution indique la diniculté où se
trouvent les idées morales et politiques de soutenir plus
longtemps le choc des erreurs. C'est l'impossibilité où est
mise la vérité de maintenir son paisible empire. Une
révolution implique une négation, un désordre moral,
économique ou politique. Mais la Révolution, avec sa
négation radicale de Dieu, dès Jors de l'homme et de
l'ordre social tout entier, dit le péril de la situation où
le monde est entré.
Si les révolutions sont des maladies chez les peuples,
quelle est la gravité d'une Révolution qui semble s'atta-
quer non à un peuple, mais à tous les peuples, non à une
société, mais à la Société elle-même ? Est-ce un accès qui
doit tout emmener, ou une crise qui doit tout rétablir?
Comme rien ne se passe en dehors de l'action de Dieu,
quelles sont les voies de la divine Providence à l'égard
de la Révolution française?

Dieu a créé les hommes libres et il a fait les nations


guérissables. L'homme n'habite pas un monde éteint, il
n'est pas enclavé dans un système inexorable. Sur toute
ruine flotte ici-bas le grand drapeau de l'espoir et de la
clémence. Qui ne le sent au fond de soi? c'est pour nous
ramener avec l'aide de nos volontés libres, que Dieu
permet les conséquences de la Révolution.
Au déclin des civilisations, Dieu laisse donc éclater une
crise qui peut leur assurer encore quelques beaux jours.
Depuis trois siècles, l'orgueil et la corruption gagnaient
de plus en plus la Chrétienté entière peuple, prêtres et
rois; alors la providence a donné libre cours à l'oragé qui
pourrait tout purifier. On cherchait sur tous les points
à limiter l'autorité doctrinale de l'Eglise et à diminuer la
clarté de la Foi. Quand on sait dans quelles erreurs, à la
fin, se sont précipités les hommes, dans quel abîme ils
s'enfonçaient, on sent qu'après un certain temps, toutt
ici-bas allait être perdu. Le Ciel a voulu mettre en œuvre
les grandes forces de réaction, et recourir aux moyens
qui sont le plus puissants sur des êtres intelligents et
libres.
Ces moyens sont la vue du mal ,qu'ils se sont fait,
l'expiation issue des châtiments que ce mal leur inflige,
l'amnistie et la reconnaissance qui vont sortir de cette
immense expiation.
Il faut souvent qu'un mal éclate et arrive à l'état aigu
pour trouver son véritable traitement. Depuis deux siècles
la Foi baissait; la vje morale allait s'affaiblissant partout.
Dès le milieu du dix-huitième siècle, la Chrétienté était
minée par une fièvre lente dont le terme final devait être la
mort 1. Un athéisme sourd se déclarait chez les sages et
les lettrés, comme chez les législateurs et les hommes
d'Etat. On reléguait la notion de la Providence loin des
conseils de la diplomatie, de la pensée des princes, de la
raison des lois. Partout les hommes avançaient dans
l'espoir d'écarter Dieu pour devenir seuls maîtres sur la
terre.. Celle-ci allait-elle disparattre sous un nouveau
Déluge ?
Il fallait donc que les hommes fussent abandonnés à
leur impulsion propre, que leur civilisation tout entière
fût livrée à cet étrange essai de se passer de Dieu. La ci-
vilisation une fois dépossédée de Dieu, les hommes ne pou'
vaient tarder de tomber dans un état d'où il leur serait
impossible de sortir par eux-mêmes. Alors, dans sa
miséricorde, Dieu forma le dessein de les sauver osten-
siblement, de manière à frapper les esprits et à les péné-
trer en même temps de Foi et de reconnaissance. Tel est
.le bien que Dieu désire tirer de ce mal prodigieux. Or nous
touchons à l'heure mémorable où il deviendra manifeste
que seul il a pu nous sauver.
Abandonner les hommes à eux-mêmes, pour qu'ils
puissent constater à la fois leur impuissance et leur
méchanceté, tel est le sens de la Révolution au point
de vue des voies de la divine Providence, et la leçon
extraordinaire que sa miséricorde a ménagée au monde
qui se détruisait. Aussi, depuis un siècle, le fait qui

(i) Déjà, en n40, on écrivait ceci a Le philosophisme, ou la révolte


') contre Dieu, a fait trop de progrès pour demeurer où il en est. Foyer de
ce philosophisme, qui a trouvé un accès si facile chez les grands et qui
bientôt le trouvera chez le peuple, la France est déjà pervertie. Ses
princes et ses grands ont voulu admettre les impies, et ces derniers les
Mc~eM~roH~. Quel royaume a jamais été aussi favorisé, et quel peuple a
porté aussi loin l'ingratitude et le mépris de Dieu? Mais l'exempte des
malheurs que la France a~era sur elle sera capable de faire impression
sur les autres parties de l'Europe.. Or, le temps où les renégats mêmes
obtiendront une existence civile et légale dans la chrétienté, n'est pas
')
éloigné aura lieu do~M le siècle p~oc/~n. ~e/r.Mr ~puca/.
Cologne, t. 2. p. <16; ~'éd. en 1740 2< éd. en iTf76.
étonne le plus, c'est que Dieu semble ne plus
s'occuper
des nations chrétiennes..
Dès 1796, M. de Maistre apercevait ce but de
la Révo-
lution française. Il la déclarait aussi merveilleuse en son
d'un arbre en plein hiver'».
genre « que la fructification la mort?
En Europe, tout lui semblait donc déjà près de
Et cependant, ajoutait-il,y les hommes sont aisément
portés à voir un désordre absolu partout où leur
action
Néanmoins, les causes
est momentanément suspendue.
morales font éclater aujourd'hui toutes leurs conséquences
dans notre plus strict intérêt.
M. de Maistre rappelle alors que tous les hommes sont
attachés à Dieu par une chaîne souple qui les retient sans
les asservir, et qu'ils remplissent librement les
plans.du
Créateur. Mais dans les temps de révolution, la chaîne se
raccourcit brusquement. Entrainé par une force inconnue,
qui le
l'homme se dépite et, au lieu de baiser la main
mène, il la méconnaît ou l'insulte. Je n'y
co~p~M~
~/est le grand mot du jour. Tout, en effet, réussit aux
méchants, car la première condition d'une révolution est
qui voudraient l'empêcher'.
que rien ne réussise à ceux
Elle mène les hommes plus que les hommes ne la
«
mènent, ajoute l'écrivain. Les plus médiocres ont dû voir
d'une
tout leur réussir; ils étaient les purs instruments
le véritable
force qui en savait plus qu'eux. Ils offrent
cachet de la médiocrité en politique, ayant le pouvoir
d'ébranler et d'agiter la multitude, sans avoir celui de
la dominer. Tout en eux est passif et comme mécanique.
Parce que ce ne sont point les hommes qui mènent la
Révolution, mais la Révolution qui emporte les hommes,
rien ne fait mieux voir que jamais Dieu ne s'est montré
d'une manière si claire dans un événement, n

H) Le triomohe extraordinaire que le


protestantisme vient d'obtenir par
plan prodigieux. C'est pour-
les succès imprévus de la Prusse, rentre dans ce
protestantisme, avant
quoi ces succès ne sauraient durer. Mais il faut que le
de succomber, soit pour nous un fléau, dans la mesure même où il fut sou-
qu'infidèle.
tenu par notre politique aussi insensée
<Or tout homme et, à plus forte raison, tout peuple
a sa mission et ses devoirs spéciaux à remplir au milieu
de l'humanité. En outre, comme l'étendue des devoirs est
en raison de l'importance de la mission et de la grandeur
des moyens, il est trop aisé de comprendre les crimes de la
France. Favorisée de tous les dons, mise en Europe à la
tête du système religieux pour répandre les idées les plus
élevées, pourvue des plus beaux génies et de la plus belle
langue, n'a-t-elle pas, depuis plus d'un siècle~ abusé de
ces dons de la manière la plus coupab!e? Comme elle s'est
servie de son influence pour contredire sa vocation et
démoraliser l'Europe, faut-il donc s'étonner de la voir
ramenée à son but par des moyens terribles? ?&

XIV.

Voies de la Providence à notre égard.

Nous sommes le peuple de la grande mission et des


grandes épreuves, mais aussi le peuple des grands cri-
mes et des grandes expiations.
Le plus grand crime ~que l'on puisse commettre ici-
bas, est d'éteindre la lumière des peuples, est de leur
ôter Dieu. Quels moyens ont été négligés de nos jours
pour amener ce résultat? En 1793, la Révolution, à sa
première crise, avait conduit moins loin l'art effrayant
d'abolir Dieu et d'annuler toute lumière. Elle crut se
débarrasser de la Foi en égorgeant les prêtres, puis ren-
verser le droit chrétien en guillotinant le monarque qui
en était la plus haute expression~. Par elle, un peuple
était d'accord pour voir expirer avec Louis XVI la monar-
chie chrétienne, c'est-dire l'Etat protégeant, dans l'in-

()) M. de Maistredisaitalors a Chaque goutte de ce sang en coûtera des


torrents à la France QUATRE miUions de Français, peut-être, paieront de
leur vie le crime national d'une insurrection antireligieuse et antisociale,
couronnée par un régicide. QUATRE millions qui pourrait dire en i8'H
que !e chiffre ait été surfait ?
térôt des hommes, les plus grands sentiments de la terre,
les plus grandes idées, la vérité, la Foi 1
La Révolution pensait faire disparaître d'emblée l'an-
cien ordre de choses, chrétien dans sa constitution. Mais
à sa place s'est ouvert un gouffre où, depuis lors, sans
avoir horreur du sang répandu, toute une génération se
précipite pêle-mêle. Elle y continue l'oeuvre de l'abîme,
elle y complète les ténèbres. Sur les points où Dieu
répandait encore sa lumière, arts, sciences, enseignement,
pensées, lois et Pouvoir, la nouvelle génération n'a tra-
vaillé qu'à bannir Dieu pour achever la nuit. Au milieu
de l'aveuglement d'une passion en pleine effervescence,
seul coup l'édince
ses pères cherchaient a renverser d'un
mais elle, froidement, le détruit pierre à pierre et jusque
dans le sol. Ses rêves creux et ses pauvres sectairespassent
leur vie a réduire en poussière jusqu'aux derniers maté-
riaux.. Que faire maintenant d'un tel peuple? Il y a eu
des villes jetées dans le gouffre et des nations mises à
mort. Elles se sont vu condamner au dernier supplice des
peuples, parce qu'elles empoisonnaient le monde et la
France a semblé résister au poids de ses crimes
N'a-t-elle pas outragé la nature par ses mœurs, et la
civilisation par l'athéisme qui plaçait la souveraineté dans
l'homme? N'est-elle pas spirituellement morte, hors d'état
de retrouver une vie que, par tous les moyens, elle a
rejetée de son sein? Or Dieu vient-il au secours de l'or-
gueil travaillant à répandre la mort?
Si Dieu revient vers nous, c'est parce que, malgré
de si terribles apparences, la France n'est pas entrée tout
entière dans la mort. Le cœur battrait-il donc toujours en
elle?. Répétons ce qu'il a déjà fallu dire d'abord, qu'elle
est viciée par l'esprit bien plus que par le cœur; ensuite,
que peut-être. à sa place aucune autre nation
n'aurait pu
résister à l'erreur qu'elle s'est imposée.. Car, pour l'exem-
ple de la terre, la France est victime du plus grand Men-
songe dont les hommes se soient jamais vus investis..
Pour l'instruction du genre humain, Dieu sans doute
a permis que ces ténèbres percées
d'enchantements enve-
loppassent la nation la plus éclairée, celle qui avait reçu
le plus de faveurs d'En-Hant, celle dont le cœur battait
le plus fort, celle qui pouvait seule, mais avec le divin
secours, traverser sans périr ces régions mortelles. Est-ce
l'Autriche qui eut pu résister? est-ce l'Italie, est-ce l'Es-
pagne ? Dès le baptême du Sicambre, Dieu sans doute
a voulu' que la vérité dans le monde eût besoin de la
France.
Aussi, lorsque la vérité n'y brilla plus sous sa forme
visible, s'y est-elle encore répandue sous sa forme latente,
en échauS'ant le cœur de tant de sœurs de Charité accou-
rues pour panser les plaies que nous faisait l'erreur de
tant'de missionnaires qui, au moment où le soleil venait
de s'éclipser pour nous, en portèrent les rayons sur le reste
du globe.
« Ce qui fait de la Révolution française un fait unique
dans l'histoire, déclare M. de Maistre, c'est qu'elle est le
mal par essence. a Or, elle achève de se révéler aujour-
d'hui. Elle est une conspiration générale contre Dieu.
C'est l'athéisme rêvant de subjuguer la terre. <t II y a dans
la Révolution française un caractère satanique qui la dis-
tingue de tout ce qu'on a vu. a II fallait atteindre notre
époque pour voir une nation arriver jusqu'à la haine
contre Dieu.
Toutefois, la terre est le lieu de l'expiation la terre est
le domaine du révocable, le champ ouvert a notre liberté.
C'est là que le châtiment vient instruire, qu'il vient puri-
fier et rétablir la vie. Malgré l'aveuglement des bommes
et leur méchanceté, Dieu ne peut les traiter ici-bas que
comme des enfants ou bien il faudrait qu'ils perdissent
eux-mêmes la qualité d'enfants pour prendre tout à fait
celle de parricides.
D'autre part, nous pouvons comprendre que s'il ne se
fait point « une rénovation morale en France par une
résurrection de la Foi, le lien social se dissout dans le
monde entier. De ce qui se passe en France dépend le
sort du monde, suspendu à cette heure entre les mains
de Dieu. Or, « comme les châtiments de la France sortent
de toutes les règles ordinaires, les destinées qui
attendent
la France en sortiront aussi. Ces deux prodiges, répétés
l'un par l'autre, vont nous donner sans doute un des spec-
tacles les plus étonnants et un des plus grands exemples
que l'œil humain ait jamais contemplés. ? l'
a Habitués aux clartés du christianisme, n'oublions
donc niïa vertu régénératrice des prodigieuses expiations,
ni cette loi, multipliant la première, de la réversibilité
des maux de l'innocence au profit des coupables. Dans des
châtiments sans exemple, sachons voir la purification
extraordinaire du peuple qui fut surtout chargé de porter
la lumière aux autres. Sachons voir en ce peuple même
les conditions d'un renouvellement qu'attend le christia-
nisme, et d'une explosion de la Foi qui doit réjouir le vieux
monde.. Tout cela, bien entendu, n'ôte rien Ma perver-
sité d'erreur, à la noirceur d'ingratitude qui a porté les
hommes a s'éloigner du Créateur.
Il se passe de si grands faits, qu'on peut s'attendre à
tout. « Quelque chose d'i-nouï se prépare, ajoute encore
M. de Maistre; c'est pour purifier que Dieu a flagellé, c'est
fait dans la
pour édifier qu'il a tout renversé. Or s'il se
terre un changement heureux, c'est la France qui est
appelée à le produire, ou il n'y a plus en histoire aucune
analogie ni aucune induction. o C'est alors que l'Ecrivain
remarquables Si la Providence
se sert de ces expressions
efface, sans doute c'est pour écrire. Et ailleurs Si nous
sommes broyés, c'est pour être mêlés et
ramenés à quelque
grande unité.
Quoi qu'il en soit, la Révolution a eu déjà pour effet
bien visible, et sans doute pour but, de châtier les aristo-
craties incrédules, de punir les Etats coupables, d'humilier
l'Europe par la France, la France par l'Europe, et de-
rechef la France par l'Allemagne; de frapper en défini-
tive la capitale de l'athéisme, puis de voir se former au
milieu de l'amertume et de l'ingratitude, ce Clergé admi-
rable auquel incombera la plus belle mission. Après avoir
terminé le rôle que Dieu lui permet de remplir, la Révo-
lution, brisée comme un instrument de colère, disparaîtra
pour faire place au triomphe de la Lumière. Que les
justes, loin de se lamenter à la vue de calamités qui pou-
vaient seules nous amener au repentir, se réjouissent dans
la pensée des destinées qui nous attendent' .1
Alors remise par sa Foi à la tête des nations, la France
deviendra l'instrument de la « rénovation immense dans
l'ordre divin. Quand Dieu pourra nous prendre dans ses
bras, comme de nouveaux fils, cette nation retrouvera
sur les champs de bataille une gloire si grande que
l'on dira La. France a pâli un jour parce que Dieu était
contre elle et sa gloire fut ternie parce qu'elle était au
pouvoir de la Révolution. Elle rentre aujourd'hui à sa
place au milieu des nations elle est la première en
E u rope
Ce sera une époque heureuse, mais l'homme encore y
mettra fin.

Dieu, qui lit dans les coeurs et en voit l'avarice ou la


générosité, a laissé certains peuples tomber dans le pro-
testantisme, c'est-à-dire dans la privation des plus doux
sacrements. Par un jugement sans doute analogue, il a
livré d'autres peuples à leur propre pente, et ils sont
tombés dans la Révolution. Les nations, comme nous
filles de leurs œuvres, doivent satisfaire aux lois de res-
ponsabilité de notre liberté humaine. Au reste, l'expé-
rience seule était capable de réduire une erreur à la fois
issue de l'orgueil, nourrie par l'illusion et promettant le
bonheur à la foule
Dieu permit donc la tourmente qui nous emporte, et

(i) Il est à croire aussi que Dieu a flxé un temps à la Révolution. Après
cette durée limitée, son règne disparaîtra pour faire place à un nouveau
triomphe de la Foi. Dieu mesure des époques à la liberté humaine, à ses
épreuves comme à ses expansions car le temps est à la fois pour elle une
base, une meaure et un remède.
des expia-
parce que les calamités qu'elle entraîne sont les
tions, et parce que les hommes, en voyant tous maux
qu'ils se sont attirés, reculeront d'horreur et se porteront
Cela coostituera
comme d'eux-mêmes vers la lumière.
tout un ordre nouveau.
D'ailleurs, une révolution morale est elle-même com-
mencée des rayons de lumière intellectuelle
sont a la
veille de verser leur clarté sur notre horizon. Jamais
Dieu
fut aussi près, jamais il ne fut si visible. Malgré la
ne écla-
cécité générale produite par le Libéralisme, le jour
subitement, et l'on sera surpris de voir que la
tera presque
nuit voilait tant de clarté, que les ténèbres pouvaient
cacher tant de merveilles.
l'attente
Personne ne niera que le moude ne soit dans
d'or
de quelque grand événement. Sans espérer que l'âge
puisse apparaître sur la terre, tout semble annoncer
l'approche d'une rénovation. Cet avenir ne peut pas être
fort éloigné; il apparaissait aux esprits qui, attentifs vers les
derniers jours du siècle précédent, se rendaient
mouvement la Révolution française allait opérer
au que
dans le monde.
réûexiona
Qui ne serait surpris, par exemple, de ces
1799J « La
tirées d'un ouvrage étranger, publié en
grande moisson a commencé par le champ de la France
Seigneur.
de là elle s'étendra sur tout le champ du
Europe
Tenons nous prêts la nation française était en
la première en tout, il n'est pas surprenant que, la pre-
L'ange
mière aussi, elle ait été mûre dans tous les sens.
elle. Mais lorsque la
de la moisson commencera par
alors le
moisson sera prête dans toute la chrétienté,
~e~' et mettra fin à toute moisson et à tout
la terre. Puis. ces paroles ~< Babylone
pressurage sur
le temps des
est tombée, sa prostitution est renversée,
LYS est arrivé. n
r 4.
le de derniers mots, il-i faut
Pour saisir tout sens ces
paroles tout aussi surprenantes dites
se reporter aux
antérieurement par des saints «
C'est de la
encore s'écrie dans le
France dont parlait l'Epouse quand elle
5
u'-or.
L.E(Ïlr,
Cantique Mon bien-aimé se plaît parmi les LYS. » « II
semble, comme s'exprime pareillement la sainte reine
d'Alise, que l'Epouse des cantiques, pa.r un esprit de
prophétie, ait parlé de la France quand elle dit que son
bien-aimé prenait plaisir à se trouver parmi les LYS~.
«
II faut nous tenir prêts, concluait M. de Maistre, pour
un événement immense dans l'ordre divin, vers lequel
nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper
tous les observateurs. Il n'y a plu~ de religion sur la terre
le genre humain ne peut demeurer dans cet état. Des
oracles redoutables annoncent, d'ailleurs, que les temps
sont arrivés Or Machiavel fait cette observation « C'est
» un fait attesté par toute l'histoire ancienne et moderne,
» que jamais il n'y a eu dans le monde de grands événe-
» ments qui n'aient été prédits de quelque manière,
»
« Nous en avons un dernier exemple dans la Révolution
française, prédite de tous côtés et de la manière la plus
incontestable. On est allé jusqu'à dire que la nation

grande des ~o~


devait être le ~~M~~ ~g plus
etc. N'est-ce rien que ce cri
général qui annonce de si grandes choses? L'univers est
dans l'attente. Une preuve de ce qui se prépare est dans
l'état des sciences elles-mêmes. L'afEnité naturelle de la
religion et de la science éclatera dans la tête d'un homme
de génie, et mettra fin au 18' siècle. Alors
on parlera de
notre stupidité actuelle comme nous parlons de la supers-

(i) Hist. de la délivr. de /e (i630 J). La France a été honorée sur


toutes les nations par la conversion du premier empereur d'Occident, dit
fauteur, le R. P. Morin, de l'Oratoire; c'est d'ctfc que la liberté et la sptcn-
deur de t'E~tiso se sont répandues par toute lt terre. Or, la derniers )a
et
plus glorieuse (le toutes les actions qui doit se faire pour l'EgUse,
se fera pat-
un roi de France, si nous croyons aux anciennes prédictions car telle était
l'espérance ou la créance des plus doctes, telle qu'on la retrouve dans les
œuvres de S. Augustin. »
(2) Ces oracles de toutes sortes, suivis à notre époque
d'augustes avertis-
sements, ont 616 si nombreux, et ces derniers ont 616 rehaussa
miracles, qu'une étude de faits si e)ev6o exigeait
par tfint de
un livre. Qui n'entendaitL
hier encore la voix df! l'humble fille qui fut chargée de dire <. La France
veut-elle donc être anéantie plutôt que de n'Murir à Dieu?.
tition du moyen-âge. Toute la science changera de face
l'esprit, longtemps détrône, reprendra sa place. Déjà de
tous côtés une foule d'élus s'écrient Venez, Seigneur!
VENEZ »
M. de Maistre écrivit aussi ces paroles si remarquables
«
La Révolution française ne ~7'~ pas le plus grand
~~6~6~ siècle. Il y aura une révolution morale dont
la France sera également l'instrument. Nous devons nous
tenir préparés pour un événement immense de l'ordre
Comme la Révolution est satanique, si la contre-
révolution n'est pas divine, elle est »
Comment nier aujourd'hui que l'on marche à la fois
vers un grand éclat de lumière et vers queloue magninque
unité? Pour le sentir, il suffit d'avoir entrevu les progrès
préparés dans l'ombre par les sciences historiques, d'être
avisé du vol que la philosophie est sur le point de prendre
en rentrant dans les cieux de la Théologie, du travail qui
s'est fait chez les âmes sérieuses, du chemin que tant de
cœurs ont secrètement parcouru dans la charité, dans la
mysticité et dans la sainteté il suffit de rester témoin du
besoin qu'éprouvent les sciences, de la soif des esprits, du
mouvement qui s'opère partout, de l'expérience et de la
modestie acquises dans le malheur; il suffirait surtout
d'avoir observé la formation de ce Clergé, plus humble,
plus vertueux, plus dévoué, plus expérimenté et plus un
que jamais! Pour celui qui a pu jeter un regard sur cette
préparation immense, il est impossible de nier la gran-
deur de l'oeuvre que Dieu a méditée. Pourquoi, dès leur
jeunesse, tous les hommes de cette génération qui ont pu
échapper aux servitudes de la pensée présente, ont-ils
gardé l'invincible pressentiment d'une semblable époque?
Pourquoi, malgré les démentis terribles dont nous acca-
blait le présent, avions-nous la pensée remplie des temps
heureux qui devaient apparaître? Génération venue dans
le premier quart de ce siècle, pourquoi étions-nous embra-
sés de l'esprit qui devait présider à cet avenir, et lui
avons-nous, pour la plupart, consacré à peu près toute
notre vie?
Dans ce vaste chaos, la chanté flotte sur les ténèbres.
On voit nn monde qui finit, suivi d'un inonde qui com-
mence. On sent l'approche de la main qui va séparer
l'obscurité de la lumière, et déj~ l'on prête l'oreille à la
voix qui va prononcer le Le protestant se réjouit
sans doute, à cette heure, des succès du royaume de
Prusse, « ce péché de la France H et de la chrétienté. Qu'il
se réjouisse bien plus encore son étonnement seul égalera
sa joie. Bientôt il aura part à l'allégresse de l'enfant
prodigue revoyant la maison de son père. Entrant au sein
de la clarté, notre frère dira Chantons au Seigneur un
cantique nouveau, parce qu'il a fait des merveilles au
milieu de son peuple! C'est son bras saint qui nous a
sauvés Tressaillons d'allégresse il nous a délivrés de la
servitude des nouveaux Césars. Il a ramené avec profu-
sion la lumière, il a fait resplendir la Foi
Car nous verrons cela.
Afin d'édifier les âmes qui viendront encore en ce
monde, il fallait étonner l'univers par la grandeur d'un
triple spectacle une profondeur dans la malice humaine
n'ayant d'égale que l'impuissance où elle se voit tomber;
le néant dans lequel est rentrée momentanément la na-
tion chrétienne qui s'est dépouillée de la Foi; puis, comme
au jour de la Genèse, un miracle de la Bonté, intervenant
AFIN QUE NOUS SOYONS!
D'un côté la bonté infinie, de l'autre la débilité de
l'homme; partout la liberté ménagée dans le monde par
les retours qui surgiront à la vue d'un si grand exemple
Sans doute ceux qui ont survécu à la première révolu-
tion et qui assisteront à la révolution finale, remercieront
Dieu de les avoir réservés pour les rendre témoins d'un
triomphe si prodigieux pour l'Eglise et d'un bonheur si
grand pour l'homme. Quelle joie quand le monde et ses
rois, quand l'Eglise et les hommes de bien, quand la vertu,
le bon droit, l'innocence, les sentiments, l'honnêteté, l'hon-
neur, la raison dans l'Europe entière, oppressés sous un
cauchemar de cent ans, se réveilleront sous un ciel ra-
dieux, ramenant le calme et la justice sur la terre!!
Dieu réservait sans doute cette époque aux hommes quii
viendraient sur la fin des temps. La multitude, depuis un
siècle, était sacrifiée. Ses prêtres et ses t'ois s'étant vus
méprisés, elle restait dépouillée de la vérité. Le xvm= siècle
obscurité si
et la Révolution ont laissé le peuple dans une
grande, qu'il ne sait plus distinguer le bien du mal; et
partout on le voit s'armer dans la nuit du vice. Dieu
voulant être juste et éclairer tant d'hommes enveloppés
dans une erreur si vaste, ramènera la vérité sur l'horizon
trouble.
des sociétés humaines. Ce jour-la, les savants se
ront dans leur science. Celle-ci leur paraîtra comme un
j~~ ~o~ ~o~' quand se lèvera la lumière.

XVI.

Urgeace de nos n'ibut"t"~s.

désolé
Après les hérésies qui ont diminué la vérité et
l'Europe, parut donc la dernière hérésie, celle qui les con-
suspendre les
tient toutes, l'hérésie dont Dieu seul pourra Celle-ci
Révolution.
ravages, et que l'on nomme la a
rendu les autres erreurs inutiles, car elle nie définitive-
négations
ment Celui dont ces erreurs n'étaient que des
partielles. Elle n'a plus besoin de repousser les traditions,
ici n'ont
les vérités, les droits; droits, traditions et vérités
plus d'objet. Ils naissaient des rapports de Dieu avec
n'existe
l'homme; or, Dieu disparaissant, l'être moral
plus..
A la vue de ce cataclysme et de l'abîme resté ouvert,
l'Eglise énonça de nouveau les vérités sur lesquelles
qui en accélèrent
repose le monde, et frappa les erreurs lueurs
la fin. Elle étendit le bras pour dissiper les sinistres
qui troublent les intelligences, et montrer aux Etats
les
poursuivirent
moyens de salut. Mais les gouvernements
leurs voies et les nations, jusqu'alors guérissables, conti-
nuèrent d'écouter la Révolution et d'accorder à ses men-
tremblait à tous
songes tous les droits de la vérité. Le sol
les horizons éclatait la tempête; et les chefs ne voulaient
pas comprendre. L'erreur les rendait maîtres de la foule,
et tous continuaient de boire ensemble aux eaux de la
présomption.
L'aveuglement devenait surhumain. Les démonstra-
tions de la raison ou de la conscience ne pouvaient rien
sur nous. Députa longtemps les ennemis de la civilisation
n'entendent plus la langue humaine. Ils se croient des
droits sur la morale, sur l'histoire et sur l'âme comme ils
s'en sont arrogé sur la société. Pour leur ouvrir les yeux,
pour nous les ouvrir à nous-mêmes, il fallait qu'ils vins-
sent se briser avec nous sur les événements! La France
aurait pu dire qu'elle était oubliée de la Providence, si
elle avait été laissée, suivant un désir presque universel,
dans son mortel état de paix. En observant l'impuissance
des hommes, en voyant la foule se perdre et le mal tou-
jours grandir, que de fois l'homme sérieux s'est dit
Quand Dieu paraîtra-t-il?
Au lieu de s'opposer à leur marche eS'rayante, Dieu
vint se placer cette fois derrière eux, pour les frapper de
verges et les mener lui-même au gouffre qu'ils avaient
ouvert.
Jamais on ne connut une humiliation comparable à la
nôtre, parce que jamais on n'avait vu une nation si éclai-
rée et si favorisée faire publiquement profession de re-
pousser le Créateur. Le libéralisme, sous le nom de sécu-
larisation, poursuivait partout une entière, séparation de
Dieu et de la société. Celle-ci devait être entièrement
fondée sur l'homme. Ni la justice, ni l'enseignement, ni
le mariage, ni les lois, ni le Pouvoir ne devaient échapper
cet athéisme odieux. Qu'elle fut entre les mains des
libéraux parlementaires, des libéraux impérialistes ou
des libéraux républicains, la France depuis quatre-vingts
ans a été constamment en révolte ouverte contre le
Créateur..
Cette suite inouïe de défaites et d'humiliations, telle que
jamais il ne s'en était présenté dans i'histoire, ne se peut
comparer qu'à cette incalculable série d'offenses faites à
Dieu par nos idées, par nos désordres et par nos lois. Ces
désordres, à la fois dans l'intelligence, dans le gouverne-
ment et dans les mœurs, excitaient la surprise du rnonde.
Atteignant jusqu'à la nature, ils appelaient, dans notre
intérêt même, une très.prompte répression
La France pouvait-elle croire que les âmes continue-
raient en foule de se perdre sans que Dieu en fût irrité?
Comme son chef en 1813, elle demandait si l'excommuni-
cation ferait tomber les armes des mains de ses soldats.
Elle semblait dire Qui donc me punira? lorsque Celui
qui l'a créée la mit à même de mesurer les offenses qu'elle
commettait à l'étendue de ses malheurs. Toutefois, qu'elle
mesure aux coups qu'elle a reçus,
la grandeur de la
Miséricorde Dieu ne nous touche que pour nous guérir!
S'il eût laissé la France à ses dérèglements, c'était une
nation perdue. Elle n'a tant souffert que parce que Dieu
veut la sauver, et ses tribulations ne sont qu'un trtii-
ternent.
Combien faut-il que Dieu aime la France pour la sou-
mettre à une semblable humiliation! La livrant à sa pro-
afin qu'en
pre chute, il la rappelle de', bords du néant,
voynnt son inanité, elle n'ait plus qu'à laisser tomber
l'orgueil qui est la cause de sa ruine. Ici la France
découvrira l'étendue de son ingratitude. Elle pourra con-
cevoir son erreur, et de là, retourner aux sources de
la vie.
Ne perdons pas de vue les lois primordiales Dieu
félicité. Etant la Perfec-
sono-e avant tout à notre vraie
tion~ il a besoin d'être aimé comme tel pour soutenir le
monde, car ce monde n'existe que puur former des saints
Dieu sera
et peupler les cités éternelles Du moment où
banni des lois et exilé des cœurs, on verra crouler nos
cités comme autrefois Ninive et Babylone.
Or, eu mai 1870, il y avait chez nous sept à huit mil-
lions d'hommes, c'est-à-dire tous les hommes, bien déci-
dés à vuir les intérêts moraux des populations de la
France sacrifiés aux intérêts matériels.. Tel fut le sens
des résultats du Plébiscite le dévoùment à Napoléon III
ne signifiait pas autre chose. On sentait que le mal arri-
vait au comble, que la société était au moment du
nau-
frage. Dans ce sauve-qui-peut de notre civilisation,
ce
n'était point l'honneur que nous méditions de sauver,
ce
n étaient point nos lois,
nos traditions, notre Foi, mais
c'était notre argent~ î
On devait oublier tous les intérêts
moraux, quels qu'ils
fussent, pour mettre à l'abri les fortunes.. Notre ordre
social était réduit à l'état de société d'assurance contre le
pillage; notre gouvernement, à une association
pour le
maintien des positions acquises. L'état des âmes était la
chose dont on ne parlait plus! Eh bien, quand
un peuple
en est là, là gît le mal, là même est le péril..
Quelques semaines plus tard, que de sang il fallu
a
verser, que de trésors il a fallu quitter, pour faire remon-
ter les cœurs au niveau qu'ils avaient perdu Toutes ces
âmes détrempées dans l'erreur, ramollies dans le vice,
par
quelle autre voie les sauver? En outre, comment leur
faire entendre que tous ces intérêts matériels,
ces choses
que nous laisserons ici-bas, dépendent avant tout du
triomphe des intérêts de l'âme?

XVII.
Répartition des chtHuncnt.s.

La France était un grand malade, auquel


on accordait
toutes ses fantaisies. Elle chassait ses rois, persécutait
ses
prêtres, méprisait la vertu et renversait ses lois,
sans con-
naître le jour du malheur. Elle rejetait la simplicité, lais-
sait l'honneur pour la richesse, négligeait son agriculture,
s'abandonnaitau luxe et à l'agiotage, sans tomber tout à
coup en ruines. Elle pouvait se livrer à tous les délires de

(1) Conclurons-nous qu'il y avait en France, le jour du plébiscite,


sept
millions et demi d'idiots? Non; mais sept millions ~t demi d'homnx.-s
tout
prêts, comme Napoléon, A sacrifier tous nos grands iaMrëts
moraux au
maintien pa~a~er des intérêts materiets.
la Révolution, aller jusqu'à insulter Dieu, et trouver un
instant pour dire Je n'ai connu ni la défaite, ni la peste,
ni la famine!
Mais le jour vint où Dieu prit pitié d'eHe, en voyant la
mort qui l'attendait. il choisit l'heure où la France aUait
l'ordre
aggraver sa condamnation en nx.ant désormais
social dans un athéisme absolu.
Comme elle avait mésestimé l'honneur, elle fut noyée
dans l'humiliation comme elle avait préféré le lucre
Dieu, elle fut réduite à livrer son or pour payer sa
rançon comme elle avait cherché pour ses
nls la mollesse,
elle les vit dévorés tous ensemble par la misère, pur le
froid, parla mort. Elle avait dédaigné les grands, et elle'
les champs de ba-
a manqué d'hommes supérieurs sur
taille elle avait détruit le respect, et elle s'est v ue dis-
persée par l'indiscipline elle avait mis tout son cœur dans
ses biens, et elle les a vus dévastés par son
ennemi. Elle
méprisait les peuples dans sa gloire, et elle devint dans
peuples. Au jour
sa désolation un objet de risée pour les
de sa fortune, elle disait à Dieu de s'en aller, et à l'heure
des désastres Dieu l'a mise en oubli.
Alors, dans l'an~iction, elle a pu écouter ce que lui
reprochait son cœur, parce que l'orgueil était mis a l'écart!
Mais observons combien il faut que Dieu aime la France
avertissernents
pour lui donner avec tant de clarté des
En 1790, les classes élevées étaient presque seules cou-
pables ce furent elles avant tout qui portèrent le châti-
ment. Aujourd'hui l'iniquité, traversant les classes moyen-
peuple
nes, s'est étendue sur tout le peuple et tout le
porte l'auliction.
.La noblesse, qui répandait depuis mille ans l'exemple
delà Foi et des mœurs élevées, versa tout à coup dans le
peuple celui de l'immoralité, et elle se vit livrée à la
fureur des scélérats dont son irréligion avait grossi le
nombre. A cette heure, les vices et l'orgueil se sont
répandus des villes dans les campagnes, et Dieu vient de
frapper, non plus spécialement les grands, mais toute une
nation qui l'oublie. D'ailleurs, rien n'est fini tout au
contraire, !e moment est venu du grand compte que notre
société doit rendre à la Providence.
Qu'il eût été facile à Dieu de changer la face des choses
et d'imprimer à nos premiers ma!heurs une antre direc-
tion Si, au lieu d'être renverse dans cette lamentable
guerre qui tenait tous les mâchants a la fois dans la stu-
peur, l'Etat eût disparu dans une émeute révolutionnaire,
les scélérats, maîtres du Pouvoir, se fussent jetés sur !e
clergé et sur ceux qui possèdent. S'emparant d'un gou-
vernement tout prêt, la -Révolution n'eut fait partout
qu'une hécatombe des classes éicvées. Tandis que les per-
sécuteurs se sont vus eux-mêmes obligés; comme tous, d<'
se jeter au devant des bourreaux étrangers. Et, bien nue
les classes d'élite aient été des premières au péril, toutes
les familles ont eu leur part d'expiation, comme hélas!
depuis longtemps, elles avaient eu leur part de scandale
et d'incrédulité.
Mon Dieu, sauvez la France, c'est-à-dire l'âme'de la
France; car ses sages ne songent absolument qu'à eux
Dès le jour ou la paix fut signée, on les entendait dire que
la France se sentait prise d'un immense besoin. Etait-ce
]e besoin de repos après tant de désastres, ou le besoin de
rendre grâce au Dieu qui nous tend la main dans l'abîme?
Point du tout, la France est prise, suivant eux, d'un
immense besoin de faire des affaires.. Ce n'est pas le
besoin de faire ses affaires, mais de faire des affaires
autrement dit d'amonceler des fui'Lunes plus colossales et
plus scandaleuses encore par leur rapidité.. Et sur quii
va. s'entasser de nouveau tout cet or? Sur des tôtes socia-
lement médiocres, soit au point de vue des exemples, soit

(t) Une tettrc du 5 septembre 1810, adressé' par uti chef de l'rt-
~a/c l'un des .délègues, contenait l'exposé qui suit c Batthaxar est.
n tombe, mais [e pouvoir est. aux maiua des Jules Favre, Camb&tt.a ft Cr6"
e mieux. Lais~ons-iessc charger dt's soucis de la guerre et. des ditïi<;uH.es
d'un traité de paix. Apres, nous t'erons !a revo!ut.iou veritubie, uou point.
o pour substituer uu gouvernement, a un gouvernement,mais pour detruin'
jusqu'au dernier les bourgeois et les prêtres, en procédant par te pitiag'
t'incendie et t'assassinât M. Ces gens-)a. ne demandent, qu'a tout dévorer.
an point (le vue des principes qu'une classe élevée doit
onrir aux populations.
Les commandes huaient quand le 18 mars éclata.
Alors ces hommes qui prennent leur cupidité pour les
vrais besoins de la France, direntt à la Révolution
N'avez-vous pas ce que vous désiriez, la République et
nos affaires! Mais,
tous ses droits? laissez-nous donc à
répond la Révolution, ces droits, Messieurs, sont dérisoi-
Il faut d'abord votre pain. On me le doit en vain
res. me
j'ai réclamé jusqu'à ce jour l'égalité devant les biens
répandus sur la terre souverain, il est temps que j'entre
le
dans mon repos! Ensuite, il me faut votre sang. On me
doit en vain je réclamais la mort de ceux dont
l'existence
dispa-
est devant moi comme une oQ'ense. Je dois voir
raître ceux dont l'inteliigence, l'honneur ou les vertus ne
cessent de blesser mon orgueil. Plus d'équivoque! vous
avez la richesse et nous le
dénurnent. Vous nous avez
pris l'espérance, vous nous avez ôté le Ciel, dont la pensée
calmait autrefois nos misères, nous venons prendre notre
part dans le reste. Voilà quatre-vingts ans que nous vous
écoutons mais les richesses s'accumulent plus
rapide-
paupérisme
ment que jamais sur vos têtes, tandis que le
s'ouvre de plus en plus profond sous nous.
Pour échapper à cette thèse, il faudrait briser la logique
en un jour!
Dieu a voulu que nous vissions un gouffre s'ouvrir
même au fond de l'ablme, pour que nous pussions mesu-
rer la profondeur de notre
iniquité. Classes enrichies,
sortirez-vous de la situation que vous avez vous-mêmes
faite? Saurez-vous maintenant le comprendre? la paix ne
peut rentrer, l'ordre ne peut se faire qu'avec la Foi.
XVI!f.

Sens ut. moralité do la guerre.

Sachons pourquoi Dieu a rallumé la guerre entre les


peuples. Distinguons les erreurs de la Révolution, qui
sont le fait de t'homme, de la crise révolutionnaire, que
doit régler le doigt de Dieu. Entrons en même temps dans
l'espérance, puisqu'on tient la preuve certaine qu'il prend
nos an*airf's en main
Tout étranger aurait pu annoncer, en voyant l'état de
la France, vers quel terme elle se. précipitait. Les gens
sensés ne se rencontraient plus sans se dire Où allons-
nous ? à quelle humiliation la France est-elle réservée?
Nous ne pouvions échapper à quelque mortification ter-
rible, et l'on se demandait quand devaient éclater « les
événements o..
Encore une fois, la présomption était trop grande, la
corruption trop étendue, le mensonge trop arrogant; le
scandale descendait de trop haut, l'erreur avait trop
d'avantages, la Foi tombait dans un trop grand mépris,
pour q ue Dieu laissât plus longtemps le peuple en proie à
une semblable dissolution. Y avait-il moyen d'élever l'en-
fance dans la vérité, de garder la jeunesse dans la vertu,
de maintenir les populations des campagnes à l'abri du
libertinage, de l'insolence et de toutes les dissolutions,
enfin, de retenir dans la voie du salut les âmes d'une na-
tion entière?
Les vertus étaient des ridicules, les sottises des avan-
tages, la dépravation un progrès L'agiotage rempla-
cait le travail et l'épargne, l'autorité disparaissait, la
famille se dissolvait, le luxe démolissait les héritages, la
jeunesse croissait dans le vice et dans l'impudence. La
modestie était méprisée, la probité dédaignée, la vérité
siMée, la souveraineté conspuée, et la sainteté mécpnnue.
Trempé d'orgueil, abreuvé de concupiscence, l'athéism''
coulait à pleins bords et cela signifiait l'avancement de
1'liomnie, le triomphe de la nationt
Le rien régnait partout. On l'exigeait en tout; il fallait
qu'on le vit dans toutes ses branche littéraires, politi-
les journaux
ques, économiques, religieuses Les revues,
les livres n'avaient
se consacraient à compléter ici ce que
les discours, l'âme
pu faire. Le rien était lu fond de tous
de tous les livres. Mais on le recouvrait avec art des
quatre mots de passe Liberté, avenir, progrès, 89 et les
esprits, émerveilles, tombaient universellement d'accord.
Pour génie, on avait le mensonge, pour vertu la cupidité,
les
pour costume une mascarade. On se disait que
richesses montaient au comble, que le monde arrivait
au bonheur
La distinction était maintenue à l'écart, et la puis-
sance était aux mains de la race
vulgaire des cupides et
des impudents. La conscience humaine était excédée.
L'honnêteté demandait jusqu'à quand l'un verrait régner
ceux qui proclament les idées médiocres;
l'honneur, jus-
qu'à quand l'on verrait, à la tête de la civitisation française
les hommes dénués de lumières, privés de sentiments,
rebelles à la Foi, hostiles à la vertu, à toutes les choses
élevées; le bon sens, jusqu'à quand la foule dicterait des
lois à ceux qui lui apportent la science, la justice et le
capital; et la religion, jusqu'à quand le gouvernement
favoriserait la liberté du mal et la puissance de l'erreur
sous le prétexte du progrès des esprits
C'est-à-dire qu'on se demandait comment, dans un seul
peuple, pouvait s'accumuler tant de démence. La popula-
tion décroissait par suite du vice, les esprits demandaient
à recourir au crime pour établir l'erreur, la dictature était
offerte au mal, l'athéisme arborait son drapeau à la faveur
de la bassesse triomphante des âmes. Ainsi le voulait le
César*, l'élu stupide et abruti du peuple, sa personnifi-

(1) Quand Mahomet devint le maître des peuples


d!a)ectici< du Has-
t.:nip)re.itnemitniptusd'art,uiptusde!ueu~:)~sntesr(-tuntra.tmv~u
de ses lois immondes.
cation funeste! Si Dieu, alors, avait voulu perdre la
France, il n'avait qu'à la laisser à elle-même. H n'eût pas
suscité la guerre qui conduisit Sardanapale dans les murs
de Sédan. Car Dieu a établi la guerre pour ranimer les
nations éteintes.
Avec les idées, l'aristocratie et le peuple produits par la
Révolution, la nation ne pouvait faire un mouvement
pour se sauver.
Dieu veut la guerre pour relever les cœurs qui tombent,
et ranimer toutes les volontés qui s'abaissent. Dieu veut
la guerre pour réveiller les populations qui s'endorment
dans l'erreur et dans la volupté. La guerre est le dernier
moyen de remettre, un peuple debout. Souvent, auprès des
richesses amassées, le travail se relâche et cesse de tenir
l'homme en baleine, c'est-à-dire en mesure de recourir à
la vertu. Plutarque, recueillant une idée répandue en-
core de son temps, déclarait que l'origine de la guerre de
Troie, qui embrasa toute la Grèce, n'était point dans
l'enlèvement d'Hélène, mais dans la colère des dieux
contre les immoralités qui alors déshonoraient la terre.
Dieu veut la guerre pour combattre le mal qui devient
irrémédiable; il la veut aussi lorsqu'un peuple dont l'exis-
tence nuit à la civilisation générale, doit disparaître
devant la vigueur que la vertu accumula dans les veines
d'un peuple plus généreux. Ainsi l'on vit de petits peuples
d'Occident renverser les empires immenses de l'Asie, et
les Juifs, en guerre contre les Philistins, les Ethiopiens,
les Syriens, détruire des armées triples et quelquefois
décuples de la leur. Plus tard, on a vu les Romains,
relativement plus chastes et plus sobres que les peu-
ples d'alors, les conquérir successivement, puis à leur
tour disparaître, avec leur empire, devant la race auda-
cieuse dont les vertus se maintenaient dans les forêts du
Nord.
Dieu veut également accorder la victoire aux plus groa
bataillons, et la raison en est visible. Les gros bataillons
proviennent des grands peuples, et les populations qui
croissentt proviennent a. leur tour de la chasteté des
famines. De là émane, sous réserve de la Justice éternelle,
la moralité de la victoire qui accompagne les gros batail-
lons. Et telles sont les raisons sans doute, pour lesquelles,
Dieu. voulut s'appeler «
le Dieu des armées, ~r

XiX,
St'rts''t')Ku'aUt'dc)i).vn;toir'

Dieu récompense pl'is volontiers dans les familles que


chez les peuples, les vertus appelées mystiques, ou celles
qui produisent les saints. Pour les nations, comme il
s'agit avant tout de pourvoir à leur existence, le Créateur
bénit en premier lieu les trois vertus sur lesquelles elles
se fondent la chasteté, la tempérance et le travail. La
chasteté fortifie la race, la tempérance consolide l'indi-
vidu, le travail nourrit la nation. Les Saints, a leur tour~
sont les Heurs magnifiques qui croissent sur la plante de
la famille, et les familles vertueuses et nobles sont comme
les joyaux des peuples.
Toute nation s~élève parmi ses rivales en raison du
travail, de la tempérance et de la chasteté; toute popula-
tion s'étend en raison de ces grandes vertus. Avec elles se
forment et les gros bataillons et ceux qui portent la
victoire.
Or, une statistique publiée il y a quelques années,
démontra que la race allemande doublait dans un temps
relativement restreint. Chacun savait alors que la France
voyait frapper d'arrêt l'accroissement normal de deux à
trois cents mille âmes par an, qui avait honoré sa popu-
lation jusqu'en 1830. Pour celui qui sait que les enfants~1
se multiplient en raison de
la chasteté dans le mariage,

(i) Nous disons tes enfanta car popu'.aUon muiLipHc <~ raison d~s
[a
conservant. <-t.s~
sab=isLancM; c~t-a-dir~qu.; les enfants, unn fois n6~sc
te Lravai!, pui~
dcveIoppL-nL eu prunurt.ion dL-s produits fourni, par
U-m~ par la u.odcraLion dans tes jouissance. C'L-sL snr ces
deux verLus unies
toute Hati.'n se déploie, et que s'assied dcfmUivcn~nt. uuc popu!ation.
que
et qui, d'après cela, s'est
rendu compte des grands mou-
vements de la civilisation sur ia terre, le rapprochement
des deux faits paraissait gros d'événements et de menaces.
U était di~icile d'échapper à cette douloureuse réflexion,
que dans un temps peut-être rapproché, des faits inat-
tendus apparaîtraient sur les champs de bataille en Eu-
rope, au profit de la race allemande et au détrimenr de
la race française
En outre, si l'on jetait les yeux sur l'Allemagne, il était
impossible de n'être pas frappé du sérieux qu'on y donnait
H tout.es choses, surtout à ce qui est relatif au
développe'
ment des facuhés humaines. En. France, on était au con-
traire frappé de 1 insouciance orgueilleuse qu'on apportait
à tout, de l'iudin'érence an'ectée pour ce qui est supérieur
et du dénigrement jeté sur les choses sacrées. Partout les
âmes étaient ployées sous la main de l'orgueil. Partout
on assistait à la chute du respect, conséquemment à la
chute de l'homme~
Tandis qu'en France ou se livrait au scepticisme, à la
frivolité, à la cupidité, à l'impulsion des appétits, qu'on
vivait par la vanité, en Allemagne, le peuple vivait par

(1) D'après [M statistiques, i'accroisscunent annuel de h populatiou en


France, depuis qu.u'anUi.aus, n toujours été en dituinuant, et celui de la
Prusse, au contraire, toujours eu aucincnt.ant; ù en point q'e cliez nous,
cet aceroias'~netit est. <~)d~re i'uis plus i~ut qu'en Ai~m:~uc et qu'eu Ang)e-
U;rre. Lot'squc cemouvt~nent, est..de j,42 à 1,43 pour cent. en Auema~ue
t.'Len AUote~rrc, il n'~L phts eu France que de 0,j5!'En suivant ceUe
)u:u'chc, dans cinquante ans la popu~atioi des ~raûds ELats de l'Europe aura
doubte quand )a n6t.re ue pourra cotupt.fr que sept à hu)t. tuiHions de plus.
La Fi'auee, qui cLait. ta prcmiùre nation de ia citreUent6. se verra retcoUee
.m troiaieme ran~.
(~) A ces caa~(;s de décadence de nos populations, s'ajoute encore l'abus
~oujour~ croissant, de l'atcuo) et. du tabac. Après avoir montré à quoi poiu!.
tcë incultes morates et intetfcctue!J<s sont. aLteinLes par rivrogneric, et avoir
deetare que t'accrois&etnent des cas de démence et de folie était, du pour une
si ~raude part a t'akootisme; ia médecine est arrivée à en ?ignaier la fatate
iniluem'e sur l'avenir des generat.ions «
L'ak-oohsnie en ce mouient, dit-
elle, arrête la marche ascendante de l'humanité, et. conduira au remptace-
ment des races qui se dégradent dû la sorte, par les races demeurées \'ic!'oes
de ceit.f cause <J'' d'penere=cen'e à ia fois physique et moraiL;.
le cœur. Il. s'attachait à la famille, aspirait aux belles
pensées, et admirait ce qui est grand. Qui nous dira la
part qu'ont eue Leibnitz, Klopstock, Fichte, Schiller,
Goethe, Beethoven et tant d'autres dans les victoires de
l'Allemagne et celle qu'ont eue dans nos défaites Vol-
taire, Diderot, Pigault-Lebrun, George Sand, Béranger
et la littérature nauséabonde de l'Empire ?
u
Si l'histoire a ses lois, disait chez nous un philosophe,
ia guerre, qui joue un si grand rôle dans l'histoire et en
N
représente les grandes crises, ta guerre doit avoir égale-
»ment ses lois. Et si l'histoire n'est que le jugement de
Dieu 'sur l'humanité, on peut dire que la guerre n'est
que le prononcé de ce jugement. Les défaites et
les
»victoires sont les arrêts de Dieu sur un peuple.. En
outre, il faut absoudre la victoire non-seulement comme
utile, mais encore comme juste. Prendre parti contre la
» victoire c'est prendre parti contre l'humanité. Les
')
peuples ont toujours ce qu'ils méritent, comme les
')
individus. Imaginez un peuple prenant au sérieux ses
idées, prêt à périr pour elles, et qui, loin de vivre daus
»une sécurité coupable, entretient en lui l'esprit de sacri-
? nce, en préférant aux jouissances frivoles les soins mâles
et virils dans lesquels se retrempent les individus et les
B
peuples. Supposez à ce peuple un ennemi imprudent,
D n'ayant pas assez à cœur ses idées, brave, mais sans un
état militaire bien entretenu, et n'ayant de la force que
D l'apparence. N'est-il pas évident que le premier de ces
deux peuples, plus moral et plus énergique, méritera
de l'emporter et l'emportera par conséquent? La guerre
est l'épreuve décisive de ce que vaut un peuple. Toute
D sa vertu comparaît sur le champ
de bataille il est là
') avec tout ce
qui est en lui. Non-seulement les actions
M lâches, mais les pensées, les désirs, les mouvements

» coupables qu'on nourrit dans l'intérieur de l'âme, sous


H
la réserve qu'on ne les laissera pas dégénérer en acte,
comparaissent et j ouent leur rôle dans le grand jour de
.)
la bataille. En outre, tout peuple vraiment digne et
»ayant une idée à répandre, est inévitablement conqué-
Lt-.UtT.
» rant. II n'y a point d'iniquité dans les grandes batailles
n Là., ce ne sont pas des hommes qui sont aux prises,
? mais des causes. Dans ce choc, l'idée là plus faible et la
»moins bien servie sera détruite par la plus forte. Il faut
? donc être du parti du vainqueur, c'est eu général celui de
B la meilleure cause. C'est l'humanité qui était en cause à
Platée et àSalamine. C'étaient l'esprit ancien et l'esprit
»nouveau qui se rencontraient là d'une manière san-
B g'iante. Il en fut de même à Arbelles, à Pharsale, à
» Poitiers, à Lépante, etc. Il faut choisir entre un peuple
B vicieux, dégradé, indigne d'exister, et l'humanité qui

a ne peut avancer que par le retranchement dé ses élé-


a ments corrompus~. » Ce qui était vrai lorsque l'éloquent
philosophe tenait à natter Je peuple français triomphant,
ne peut pas cesser d'être vrai, en certaine mesure, quand
ce peuple succombe et qu'il devient urgent de lui dire la
vérité Assurément, Dieu descend au milieu de l'histoire
afin d'y déposer quelque chose de sa sagesse et de sa
justice. Evidemment, la Providence est engagée dans la
question de la moralité de la victoire, ou de la suprématie
de certains peuples.
Toutefois, en France, ce sont les hommes, ce sont leurs
mœurs et leurs principes qui ont changé et non la mission
providentielle. Que les Français deviennent chastes, qu'ils
rentrent dans la Foi, avant trois ans nos contingents
rendront l'essor à une armée recouvrant à la fois la victoire
et notre antique prééminence!
Les allemands retireront de leurs succès un profit bien
plus grand que celui des cinq milliards exigés de la
France. Ils se rappelleront ce que vaut le respect allié à
la discipline et aux vertus qu'ils ont gardées, quand on le
met aux prises avec l'irréligion, la présomption, les désor-

(~ Co«)'.s' d7t~. Je 7~ par V. Cousin, kç. 9' juin 1828.


Userait même diCQciic de croire que ces milliards seront entièrement
(~)
soIdL's.Tout. est à la veille de changer dans l'équilibre politique de hi
Chrct.ieut.e. Des modifications profondes attendent l'Europe à la suite des
questions immenses dont la guerre contre taFrauce n'a été qu'un pro)ogu<:
obli~u..
dres et l'indiscipline. En maintenant leur niveau relatif
de moralité, les Allemands conserveront un rang distingué
en Europe, surtout s'ils parviennent à briser les menottes
du protestantisme. Mais dans cette question il y a un fait
qui prime les autres. C'est, d'urne part, la mission provj--
dentielle de chaque peuple au sein du genre humain,
surtout au milieu de la Chrétienté; et, de l'autre, les con-
ditions transitoires dans lesquelles la France a été mise
par la Révolution. La France depuis un siècle est dans
l'égarement; mais la Prusse s'est vouée par'nature et
depuis l'origine à défendre une erreur. En ce moment
son calvinisme occulte, uni à l'athéisme scientifique, re-
foulerait les peuples dans un fatalisme enrayant. Si sa pré-
pondérance devait se maintenir telle qu'elle vient d'appa-
raître, la Prusse étendrait le césarisme à l'Europe entière;
elle y pratiquerait le régime des Napoléons, elle y con-
soliderait les résultats de la Révolution, elle y effacerait
jusqu'aux vestiges de la civilisation chrétienne~. Ce
serait le prodrome de la fin des temps.

(1) C'est toujours une idée. vraie ou fausse, qui soulève les peuples. La
Prusse, si bien nommée le péché de l'Europe, est elle-même animée par une
idée philosophique qui netendrait à rien moins qu'à produire en Europe un
nouvel Islamisme. La preuve en jaillirait de la couver'ation suivante, tenue
par un Allemand, LH f'-JOURHEJturf 1870!
a Dans quinzejours, vous aurez par
notre concoursune révolution sociale.
Nous avons besoin de voir anéantir vos capitalistes, vos prêtres, et toute lit
partie riche do la population, parce qu'elle entrave nos projets. La Répu-
blique opérera la dissolution de vos forces, et 800,000 Allemands, aux ordres
de la Prusse, entreront dans Paris. Il est temps de réduire la prétention de la
France gouverner l'Europe. H est juste que la seule nation intelligente,
qui'porteen elle le flambeau de la raison, gouverne désormais le monde.
Il est temps que cette race latine et cette religion catholique, tombées en
décompositionliquide et infectant le monde, soient anéanties pour faire place
a la raison. Dieu vent donner a la nation allemande la puis grande puissance
en Europe pour y accomplir ses desseins. Pour atteindre ce but, il nous
faut de l'argent la France seule en possède assez. Vous avez la H.'mque un
milliard et demi qui nous attend, et l'on vous en imposera sept. antres,
payables :'t de courtes échéances; puis, en nous retirant, nous retiendrons
la Lorraine et l'Alsace. Enfin, nous prendrons la Mediterr.mùc par l'Italie,
qui n'est qu'une esclave; c'est là que règne le Pape, vieille idole, qui abrutit
tes populations et se met en obstacle au règne de la raison, etc.
On ne saurait confondre les destinées auxquelles est
appelée l'Allemagne avec celles de la Prusse..
II est deux faits que nulle puissance humaine ne sau-
raient changer. D'une part, un mouvement anticatholique
a porté la Prusse au pinacle et peut seul l'y maintenir
de l'autre, la France reste le centre du mouvement con-
servateur et catholique de l'Europe actuelle. La question
est donc celle-ci: M. de Bismark et son église nationale
sont-ils plus aptes que le S. Père et les Evêques de la
Chrétienté pour décider des choses de la Foi et des mœurs,
de manière à fixer l'avenir du monde? Le bon sens est là
pour répondre.
Dès que les Français consentiront à rentrer dans la Foi,
à reprendre leurs mœurs~ à rappeler leur Roi, ils com-
prendront tout ce qu'ils ont perdu par leur orgueil, par
leurs désordres, par leur frivolité et leur insubordination.
Ils sauront que la chasteté fait les gros bataillons porteurs
de la victoire, et que Dieu punit pour le régénérer un
peuple infidèle à sa vocation élevée. Pour nous, il faut le
croire, c'est une expiation; maia pour nos ennemis, c'est
bien plutôt ce qu'on appelle une récompense en cette vie.
Dieu ne détruit, dans l'économie de ce monde, que ce
qu'il doit remplacer avantageusement. Où la Prusse pui-
serait-elle ce qu'il faut pour tenir la place de la France?
Mais où la France pourrait-elle à son tour récupérer ses
forces, si elle niait à la fois la cause de ses maux et le
siège de ses erreurs?

Une société qui nie toutes les légitimités, depuis celle


du prêtre et du père de famille jusqu'à celle du souverain,
ne répudie-t-elle pas toutes ses conditions d'existence?
Néanmoins, par l'élan, la franchise, la générosité, le

(RecueiHi par M. Guignard et immédiatement inséré dans t'UrftVKRS.) De


ta ressort, pour les Etats européens, la nécessité de se rattacher à la Foi du
Saint-Père, s'ils ne veulent point passer sous le règne de ia raison humaine,
c est-à-dire sous le règne du sabre, puisque telle est l'issue d'une raison qui
u'est plus de Dieu, mais de l'homnif.
DRNOSRHVEHS
peuple de France est le premier de tous quand U est gou-
dans la lumière. Armez-le pour les nobtM
verné et retenu
traitez-le comme un chevalier. La France est née
causes,
champ de bataille, et la Révolution en fait un
sur nn
'peuple de boutiquiers et dede pervers. "ne
ues, ue
sceptiques,
peuple de sceptlq
Que
peuple,
ceux<iui ont détruit l'autorité et la Foi chez ce
classes qui
reconnaissent maintenant leur faute! Que les
le siège de ses erreurs, avouent loyalement
sont devenues
savoir à quelle
leur tort! Par ce retour, elles ne peuvent
grandeur elles sont réservées.
grands étonnements sont à la veille d éclater dans
Deux
le monde. tâtonnement dans lequel
tomberont les Prus-
républicains
siens n'aura d'égal que celui qui attend nos ceux-là,
ceux-ci, de ne pas rester les maîtres de la France,
devenir les maîtres de l'Europe. (Si les Prussiens
de ne pas serait
devaient un jour devenir maîtres de la terre, ce ne grand
près du règne de l'Ante-christ.) Mais un plus
que quand,
étonnement encore va surprendre les hommes, resplen-
aussitôt après l'intervention de Dieu, ils verront
plus d'éclat que jamais la gloire du Catholicisme
dir avec
et le triomphe radieux de la Foi homme sur une
U est vrai: le démon a transporté un
et lui montrant les royaumes de 1 Eu-
haute montagne,
Je te les donnerai, dit-il, si, te prosternant, tu
rope
m'adores. Et l'homme qui devait dire ~<M n'a
prosterné
demandé qu'un peu de temps, après quoi il s'est
adorer profondément mais ici le démon n'a pu tenir
pour le vainqueur de cet
Alors,
L promesse. l'a porté se tournant vers
le démon sur un des sommets de l'or-
homme, lui disant
gueil pour lui montrer de grands empires, en
Je te les donnerai si, te prosternant, tu m adores et me
immédiatement pros-
fais adorer. Le vainqueur s'est bien
faire 1 œuvre du démon mais ici encore le
terne, et mis à
démon ne peut pas tenir sa promesse.
H

SIEGE DE NOS ERREURS.

I.

Premier obstacte an salut de la. France Nos présomptions.

On a dû le comprendre le siège de nos erreurs est


dans les classes désolées par ce libéralisme jusqu'à ce jour
vainement condamné par Rome. Nous ne saurions pas
plus nier le siège de nos erreurs que la vraie cause de
nos maux. Sons prétexte d'éviter des récriminations qui
divisent alors qu'il faudrait unir, peut-on perdre de vue
des fautes qui accélèrent notre ruine? Le pire, serait de
ne pas le comprendre, la honte serait de ne point le dire!
Le libéralisme aurait seul intérêt à répéter que la France,
toujours la même, n'a pu subir qu'un accident imprévu
et momentané. Mais quelle obstination porterait une classe
entière à trahir ainsi la patrie?
La France était surtout dévorée par trois présomptions.
La présomption militaire, an'ectant- principalement la
foule, détruisait la subordination dans les campagnes,
provoquait les blasphèmes des cabarets, des clubs ou de la
rue, et prédisposait le peuple à la présomption sociale. La
présomption sociale, affectant les lettrés et les classes
moyennes, détruisait la subordination dans les villes,
provoquait, par la tribune et par la presse, les utopies
d'où découlait le socialisme, et prédisposait les âmes a la
religieuse. attei-
présomption religieuse. La présomption
malheur les classes gouvernantes, détruisait
gnant par provoquait ces thèses'
la subordination des consciences,
l'impiété, et poussait
d'athéisme où l'absurde le dispute à
société hors de
de plus en plus la France à construire une
Dieu, systématiquement bâtie sur l'homme.
leur perte, cette
Mais, conduisant la masse des âmes à de
fois le
dernière présomption a fait déborder à la vouluvase
porter
l'iniquité et le vase de la colère. Dieu a présomptions
remède à tant de maux, et faire tomber nos
pour nous sauver.. confondu la présomption
Les invasions prussiennes ont
qu-ivrognene.tan-
militaire, qui n'engendrait chez nous
d'ineptie du Gou-
faronnade et stupidité. Les cinq mois
de la défaite nationale, achevée au nom de la
vernement sociale.
République, ont renversé les rêves de présomption
1 homme de la
Ils n'ont laissé debout que le rêve féroce de lui-
d'illusions et d'erreurs, et par
rue, pétri par nous foi. Ce sont là deux
même de jalousie et de mauvaise
affaires à peu près liquidées.
c'est-à-dire ce Libé-
Reste la présomption religieuse,
c'~i ration hors
ralisme qui persiste à vouloir établir la
de l'hérésie mo-
de Dieu. Pratique sociale et dernier mot
la liberté, le Libéralisme est l'hydr..e qu'il faut
derne sur
l'on veut mettre un terme à la Révolution
abattre si
heureuse de tron-
Or, l'homme que la France a été fort
traiter de l'affaire urgente de la paix, est là pour
ver pour présomption qu'il faut
dissiper la dernière illusion, ou la
antireligieuse. Pour achever de nous instruire,
appeler
laisser crouler cet ordre social formé par 1 athéisme
pour saisir un type mieux choisi.
et la cupidité, Dieu ne pouvait
enrichi, par-
Expression des classes nouvelles, sceptique,
avant tout
lant bien, sûr de lui-même et sage, mais sûr

le Hberatisme est 1 erreur sur


(h Fondé sur une méprise de phi)osophie,
)ibert6. Aussi, comprendrons-nous plus loin comment il a du même
la ren.er~ l'ordre
compromis la nature humaine, et
coup détruit la liberté,
social.
de sa propre sagesse, M. Thiers amènera la fin du Libéra-
lisme. Pour nous ouvrir dénnitivement les
yeux, il faut
que l'homme convaincu que l'idéal de toute société est
l'athéisme politique, voie l'ordre social périr entre
ses
mains comme entre celles du dernier Bonaparte.. Alors
nous comprendrons à quoi Dieu peut servir.
Ceci ne sera plus un règne, mais une crise
pour avan-
cer la En. En la sentant venir, les habiles voudront aussi
prendre dans le désordre un point d'appui il y aura des
arrêts d'exil contre les Ordres religieux. Mais Dieu attend
ce moment pour frapper.
La France peut mesurer sa chute. Elle a pour souverain
un homme qui serait un très-habile ministre de l'intérieur
et si cet homme disparaît avant le jour où Dieu voudra
nous rendre la véritable monarchie, la France tombe entre
les mains des égorgeurs, et de là dans celles de la Prusse.
Homme de la liberté absolue de la presse, M. Thiers
permettra à des hommes sérieux de dire qu'ils ont moins
confiance dans son Pouvoir que dans ses bons désirs.
Malgré sa perspicacité, il ne voit point le trait d'union qui
le rattache à la Commune il ne se doute point qu'il a tenu
ouverte, pendant un demi-siècle, la porte qui conduit à la
Révolution. Paris embrasé et sanglant, voilà sûrement
l'œuvre du socialisme; mais ce dernier découle de la
démocratie, laquelle est sortie de 89, c'est-à-dire du libé-
ralisme, issu lui-même du scepticisme et de l'athéisme
légal, que professe encore aujourd'hui M. Thiers. Le
libéral a produit les athées, et les athées ont fait les gens
de la Commune..
M. Thiers ne voit pas même les forces qu'il a données
au despotisme. Les dogmes et la morale mis de côté, ne
peuvent être remplacés chez un peuple que par la police
et la force. Sait-il seulement que c'est lui le premier, alors
que tout était en paix, qui tirant de l'horreur où ils étaient
ensevelis les communeux de 93, les encadra dans des
pages brillantes, les expliqua, les éleva a la hauteur de
son idée de la Révolution! Gambetta primitif, il a a fondé,
dit M. de Chateaubriand, l'école admirative de la ter-
Un homme ne change pas quand, sur les grands
» reur. ?
problèmes, les idées de sa vie entière n'ont fait qu'épuiser
la série de la frivolité sérieuse et de la présomption scep-
tique. A cette heure, tout son orgueil est contre
lui Se
déclarant le fils et l'homme de la Révolution, et lié par
n'a cessé
écrit à l'admirer toujours, M. Thier.~ depuis lors
d'élargir cette immense ruine. Pour lui, 1830 ne fut que
établi de
la chute de l'autorité venue de Dieu et le règne
la proscription de l'Eglise~.
Les hommes qui gouvernent sont' responsables avant
depuis ce
tout du peuple qu'ils ont formé. Or nous sommes
siècle entre les mains tenaces d'une légion de politiques
médiocres. Ces hommes qui se donnent pour être sans
celle
passion et méme sans doctrine, en ont une acharnée,
n'ont
d'écarter Dieu des affaires humaines. Sans doute, ils
jamais dit Il n'y a point de Dieu. Mais ils ont pris
soin
d'agir comme s'il n'y en avait point. Puis, ils s'étonnent
lorsque la foule fait de même! Loin de rester à l'état
spé-
culatif, leur athéisme fut tout ce qu'il y a de plus sinistre
dans la pratique. Ce Dieu qui remplit tout, qui illumine

(i) Toujours armé contre les actes de l'autorité religieuse


triomphateur
croisés au sac de l'archevêché de
et législateur en i830, assistant les bras
de porter secours
PaM, s'opposant en 184~ au désir témoigné par la France
homme est le type accompli du libéra-
aux catholiques du Sunderbund, cet acéphale.
lisme. Il est vraiment le prince de notre société
Chambre « Voua
Dans l'affaire du Sunderbund, on député lui disait à la
répondit Oui, Je .<:Mt\<!
parlez comme un révolutionnaire! /) M. Thinrs
révolutionnaire, et Je m'en fais gloire! Mais J'élèverai ma barque si haut,
que jamais le flot de la démocratie ne pourra
l'atteindre, Sur ces paro-
le flot de la démocratie
les, il fut appelé au ministère le 23 février et le 24,
faisait couler la a barque. Remise sur sa quille au 6 mars 181 le i8, elle
atteinte par « te flot.. o
se vit de nouveau Entendez
C'est lui qui fut assez aveugle pour dire le 2 février 4848
bien mon sentiment JE suis du parti de la Révolution tant en
France
de la
n
qu'en Europe. JE ferai ce que JE pourrai pour que le gouvernement
Révolution reste dans les mains des hommes modérés; mais quand il pas-
sera dans les mains des hommes
ardents, fussent ~raf/<c~. JE n'aban-
donnerai pas ma cause. JE resterai toujours du parti de la Révolution D
Quand les hommes ardents rallumeront la torche,
s'éteindra-t-elle devant
ce < JE n qui reste du
parti de la Révolution?
chaque conscience, qui nourrit les âmes/qui soutient les
volontés humaines, qui conduit les nations, qui enveloppe
de sa Providence la société entière, veut cependant ne pas
en être éliminé ainsi! L'empêcher d'apparaître dans les
croyances, de vivre dans les mœurs, de passer dans les
lois, de resplendir dans tout l'horizon social afin de sauver
l'homme, n'est-ce point persister dans l'idiotisme politique
qui attira sur nous la foudre? Un te) athéisme tue les
âmes; Dieu qui n'a formé les peuples que pour elles,
peut-il tolérer une société expressément établie pour les
perdre ?
Les hommes de l'athéisme social seront responsables
des châtiments qui vont fondre sur nous. C'est pour faire
crouler nos dernières présomptions, c'est pour mettre pu-
bliquement à nu leur néant politique que Dieu appelle
aujourd'hui ces hommes au gouvernement.
Pauvre France, obligée, pour échapper à la folie et au
carnage, de -se donner pour maitre un révolutionnaire
convaincu que l'habileté tiendra lieu de principes Nous
rêvions l'impossible; notre orgueil prétendait établir une
société en dehors de la Foi. Maintenant la Révolution
nous condamne à vouloir et à implorer l'impossible. Elle
nous impose, elle nous oblige de le poursuivre jusqu'au
moment où nous viendrons tous nous briser sur la pierre
douloureuse de J humiliation Dieu n'a pas achevé de
donner ses preuves; Celui qui prend pitié de nous veut
finir par une démonstration plus frappante que celles
qu'il a données. Il con6e le rêve si cher de nos classes
instruites, il remet leur dernière espérance aux mains
habiles entre lesquelles tant de malice s'en ira en fumée.
Appelé à réparer dans sa mesure nos défaites mortifiantes,
le voilà lui-même assigné à préparer sa propre défaite,
puis à rouler sous l'étreinte du monstre qu'il alimentait
avec soin.
II.

Second obstacle ~u~i~ Son att.6i8.ne on politique.

En ce moment, la politique fait un dernier effort pour


constituer sans Dieu, c'est-à-dire, s'affranchir du catho-
se
licisme et s'établir dénnitivement en dehors de l'assistance
de l'Eglise. Mais comme la politique a
présentement
affaire aux hommes sans Dieu dont elle a préparé le règne,
tel effort ressemble au dernier coup que porte le sui-
un
cide pour se donner la mort'.
Victimes des préjugés d'un temps qui croit que la Pro-
vidence est un rêve, que la religion n'est point la source
immédiate de la justice et de la société chez les êtres mo<
les hommes du libéralisme ont toujours penaé,
raux,
d'abord que la société existe d'elle-même, ensuite qu'elle a
affaires, afin
pour but d'imprimer le plus grand essor aux
précisément de maintenir les consciences dans la paix!
Ces esprits si experts possèdent l'habileté qu'il faut pour
donner par l'absurde l'enseignement dont nous avons
besoin Leurs industries montreront l'impossibilité de
maintenir une nation en dehors de toute loi divine; elles
mettront au jour l'extravagance qui consiste à
choisir
d'Etat, mais
pour gouverner un peuple, non des hommes
des hommes d'affaires.
Cette présomption, qui a conduit à tous les athéismes,
consiste à croire que l'homme est naturellement bon, et
chez nous d'elle-même.
que, par suite, la société s'établit la
C'est pourquoi il importe, disent les uns, d'écarter
religion, qui divise les hommes, et, disent les autres,
d'amoindrir les gouvernements qui les compriment.
Leur science consiste à. désavouer le passé, à jeter tout à

(i) M. dela Mennais écrivait à Berryer <


La chute des Bourbons n'est pas
celle-ci veut
la première pensée de la Révolution. C'est le catholicisme que
monde.
détruiro, et t~M6~< /M! H n'y a pas'd'autre question dans le
OEuv. post. t. I, p. 303.
terre pour fonder une société nouvelle, où tous les hom-
mes naîtront parfaits et pourront se passer de Dieu.
Or ce qui doit le plus frapper l'Europe en ce moment,
c'est de voir où en sont ces esprits qui pensaient depuis
cinquante ans diriger le progrès dans le monde, dicter
des lois à la civilisation et des pi incipes à cette société
supérieure. Les premiers dans l'ordre de date se trouvent
actuellement réduits à demander grâce à l'émeute, ou au
socialisme qui triomphe! Et ceux qui viennent à leur suite,
en sont arrivés à cette indigence politique qui recourt au
pillage pour vivre, et à l'assassinat pour convaincre les
opposants Les premiers réduisent les principes de la
société à se défendre contre la barbarie, et les derniers
bornent les fonctions sociales à boire et à manger sans
produire. Pour ceux-ci, les ouvriers des villes sont deve-
nus la société entière, la civilisation même, et le siège
éminent de toute souveraineté! Ils rétablissent l'esclavage
anttque au moyen de nos pauvres campagnes, condam-
nées à nourrir cette foule de rois abjects.
Pour nons sauver, tous les moyens seront mis en usage,
hors celui qui apporte aux nations la base des consciences
et la source de l'Autorité.. Nous connaissons la vanité de
notre force militaire nous apprendrons la vanité de notre
force sociale. Nous avons observé l'impuissance de la
Révolution violente et insensée nous verrons le. men-
songe de la Révolution prudente, bien conduite, construi-
sant avec art la machine du gouvernement, mais oubliant
qu'il faut un sol pour la porter! Comment peuvent-ils
croire que Dieu ait mis les âmes ici-bas pour les voir
supprimées par l'Etat Ce qui s'est fait chez les Chinois
ne saurait réussir chez les peuples qui ont donné des
gages à la Foi, et que Dieu à daigné se choisir!
Que la France connaisse bien son crime elle a crucifié
Dieu en crucifiant l'Eglise. Celle-ci est cmcinée par nos
lois, par le mépris de nos docteurs et par les insultes du
peuple. Pour s'affranchir de Dieu, les hommes ont étouffé
le pouvoir spirituel et y ont substitué le, leur. Ils ont
réalisé leur athéisme en politique
Dieu veut sans doute mettre fin à tant de démence. On
sent déjà que les faits qui se sont accomplis ont eu pour
résultat d'humilier ce qu'on nommait si Rèrement l'esprit.
moderne. Dans un ordre plus élevé, on ne trouverait pas
catholiques disposés à
non plus aujourd'hui beaucoup de
glorifier les prétendus progrès accomplis depuis 89, c'est-
à-dire rétablissement de l'orgueil au sein des sociétés
chrétiennes.
Assurément, l'humiliation n'est pas encore la conver-
sion, mais elle en est la base et si d'une part il y a loin
de cette nouvelle disposition des esprits à une saine appré-
ciation des idées et des faits, de l'autre il n'est pas à croire
énergiquement com-
que Dieu laisse inachevée l'œuvre si
mencée. Nous devons reconnaître l'intervention divine
dans des châtiments qui se sont étendus sur toute la
France. Aucun autre moyen ne pouvait nous faire renon-
bénirons le Dieu qui
cer à la Révolution. Bientôt nous
de présomptions.
nous retire de l'abîme creusé par tant
Ne dis point, s'écriait Jérémie Pourquoi ces maux
«
sont-ils venus sur moi? Car ta honte a été mise à nu à
cause de tes iniquités. jP<z~ que tu ~'«~
OM~
t'es co~e ~e~o?~, dit le Seigneur, j'ai exposé ta
nudité, et'ton ignominie a paru. Je leur ai dit Considé-
ils m'ont ré-
rez, interrogez les anciens sentiers. Mais
pondu Nous n'y marcherons point.. Parcourez les rues
de Jérusalem, et voyez si un homme accomplit la justice
et recherche la vérité J'amènerai sur ce peuple les maux,
de ses pensées, puisqu'il n'a point écouté ma parole
et qu'il a rejeté ma loi. Vos fils ont dit Le Seigneur n'est
point Dieu, aucun mal ne viendra sur nous, nous ne ver-
prophètes ont parlé
rons ni la guerre, ni la famine. Les
qu'une plaie.
aux vents. Devant moi, Jérusalem n'est
Mais voilà que j'amènerai sur toi un peuple de l'aquilon,
carquois sera
un peuple fort, cruel, impitoyable, et son
moissons,
comme un sépulcre ouvert. Et il dévorera vos
votre pain, vos enfants, vos troupeaux et vos vignes,
abattant par le glaive vos villes fortifiées. Les sages
~W6'~e~ blessures avec ignominie, disant LA pAix,
LA pAix! Et il n'y avait point de paix.. Cependant en ce
jour, dit le Se~aeur, je ne consommerai pas votre
ruiner.z D
II est heureux pour nous que l'erreur qui nous a fait
tomber deta'société hiérarchique, autrement dite chrétien-
ne, dansla société libérale, autrement dite athée, nous fasse
glisser maintenant de la société libérale dans le Socia-
lisme. Sans cela, les hommes eussent jeté l'ancre dans
cette mare où, Dieu étant mis de côté, les mœurs en-
tièrement abandonnées et l'ordre matériel établi sur les
ruines de l'ordre moral, les âmes comme les nations sont
pour jamais sacrifiées.

III.
Troisième obstacle an salut de la France Ses classes libérales.

II est plus facile de guérir le peuple que les grands. La


présomption antireligieusechez les esprits qui croient bien
raisonner, est le mal qui peut nous exposer aux derniers
châtiments. La France ne se verra sauvée que le jour où
elle s'arrachera des bras de ceux qui la nourrissent de
mensonge.
La Révolution porte en elle la foule des gens égarés par
l'envie, mais surtout la multitude des honnêtes gens sys-
tématiquement idolâtres d'eux-mêmes, dont la sagesse
consiste à croire qu'ils ont été créés pour vivre de leur
moi. Ils pensent que l'Eternité les envoie en ce monde
uniquement pour faire leur fortune, dormir dans le bien-
être et se mettre à l'abri de la pensée importune de Dieu.
Il semble que toute la nature leur est due. Pour eux
l'existence est un don qui ne demande aucun remercl-
ment.. La merveille de la vie, et celle plus grande encore
de l'Etre innni qu'elle annonce, n'ont rien pu réveiller
dans leurs cœurs sur ce point on les dirait en proie à une

(i) J6r<miH.chap.'V,VI.
espèce d'idiotisme. Un tel état s'explique par un mot,
l'ingratitude.. Cette abomination a lassé la patience
éternelle.
l'on retrouve ainsi,
pas quelques hommes que
Cenesont
classe, et
mais une série entière! C'est une race, c'est une
une classe qui enseigne, qui
fait les lois, qui fait les mœurs,
et
qui dispose de la fortune, qui règne, qui gouverne
formé par
décide de tout. Jugez des tendances du peuple
soins! Tant cette race fâcheuse constituera la
ses que
majorité, et
société française, tant qu'elle en formera la
relever.
surtout l'aristocratie, la France ne peut se dessiller
Les humiliations ne lui sont envoyées que pour
sur cette domination funeste. Toutefois, que la
ses yeux libérales tou-
France espère, car un tel règne des classes
nuée qui,
che à sa fin. Dieu voudra dissiper cette épaisse
l'ombre
depuis près d'un siècle, retient les royaumes dans
et dans l'aridité. perdent,
Ces hommes ne regardent pas si les âmes se
le but de
mais si les affaires se font. Manquant ainsi
dans la nécessité
toutes choses, ils mettent la Providence obstacle à la
de dissiper une œuvre qui fait hautement
serait manquée
sienne. Il faut comprendre que la création
société
si les hommes pouvaient se mettre parfaitement en
dehors de la loi religieuse; s'ils trouvaient une paix
en Etat athée,
fertile au moyen d'une loi athée et au sein d'un
qu'une pareille combinaison nous laissât dans la
sans
pourriture. le mal
Si chez nous le salut des âmes n'était pas en jeu,
serait moins profond. Ce monde n'est organisé hum~ne, que pour
conduire les âmes à leurs fins et la société
crouler dès que
faite pour les mûrir et les guider, d~it
chez nous des
les lois divines disparaissent. Réinstaller
maintenir l'état de
lois systématiquement humaines, c'est
debout en
ruine; y rétablir les lois divines, serait mettre
l'ordre social en en-
même temps les lois humaines et
tier. Ce qui semble une idée mystique est la question
vitale en politique.
de la France est<-
Si la première cause des malheurs
dans sa présomption, la seconde viendra de l'opiniâtreté
à placer hors de la religion le fondement des mœurs, à.
mettre hors de la Foi la source de la justice et la base de
la société. Une telle. opiniâtreté, qui est un état de ré-
volte et lâcheté, conduirait la France à sa fin
v une .&&.4V
Cette opiniâtreté nous porte à chercher en dehors des
causes morales l'origine de nos revers. Au fond, disent nos
classes libérales, nous ne pouvions échapper aux défaites,
car noua n'étions pas prêts; mais pourquoi n'étions-nous
pas prêts? Nos administrations étaient en désarroi; mais
d'où provenait ce désordre? Nos fournisseurs volaient
l'armée; mais pourquoi étaient-ils voleurs? Des régi-
ments refusaient de se battre mais pourquoi des français
lâchaient-ils pied ainsi? C'est par des trahisons que la
France a été livrée; mais pourquoi est-elle devenue un
pays de traîtres? Nos soldats désobéissaient, blasphé-
maient, poussaientjusque sous l'ennemi leur vie de liber-
tinage mais d'où naissait cette dépravation? et la réponse
ici ne devient-elle pas claire?
Ne savez-vous point d'où sortent les désordres, les
escroqueries, les lâchetés, les trahisons, le manque de
conscience et l'absence de mœurs? Nos oniciers, disait-on,
en*éminés, sans instruction, sans élan, continuaient dans
les camps leur vie de paresse et d'indifférence nos géné-
raux, au-dessous de leur tâche, reprenaient en campagne
leurs habitudes de mollesse et de luxe, sauf, bien entendu,
de nobles exceptions. Eh bien, sur qui portaient les excep-
tions ? N'est-ce point sur ceux qui gardaient les croyances
d'où découlent les sentiments d'honneur, le mépris du
danger, les mœurs, le caractère et l'instinct du devoir?
Nierons-nous Ce qui manque à la France pour posséder
des officiers capables, des fournisseurs intègres, des sol-
dats vigoureux, et une armée qui sache vaincre? Cher-
cherons-nous encore des explications pour nous perdre?
Nourrirons-nous un jour de plus la vanité pour nous pré-
cipiter de plus en plus dans le malheur? La lâcheté veut-
elle encore nous empêcher d'envisager nos vrais devoirs?.
Si c'est elle qui vient, elle nous porte le coup de la
luurl..
DE NOS ERREURS.
Nous seuls pourrons secouer une opiniâtreté qui attri-
Q
f E,

bue nos malheurs à des circonstances extérieures, étran-


gères à notre volonté.. Si nous persévérons dans ce men-
songe, qui viendra pour nous relever?
Repoussons la pensée qui nous dit qu'il y a tout à
réformer, excepte nous; qu'il faut rejeter le tort sur les
choses, mais n'accuser ni nos idées, ni nos mœurs, ni nos
sentiments égoïstes, ni nos cupidités, ni notre odieux
athéisme politique. Persister à ne point voir où est la
cause de nos désastres, serait la l&cheté finale, celle dont
il faudrait mourir.
Où se tient la force de l'homme, là est celle de la
nation. Or la force de l'homme est la moralité. Soyons des
hommes, si nous voûtons former un peuple.. Sans croyan-
ces, plus de conscience, dès lors plus de devoirs. La force
de l'homme est dans le triomphe de l'âme, et ce triomphe
est dans la vertu, dans la grandeur des sentiments, dans
celle des efforts d'une volonté généreuse qui, en dépit de
nos intérêts et de nos uppédts, nous fait accomplir les ins-
pirations d'une loi supérieure. Cette force, qui brille dans
l'obéissance, dans l'héroïsme et dans le dévoûment, s'af-
faiblit quand faiblit la morale, s'évanouit quand dispa-
raissent les croyances'.

Il existe, il est vrai, des circonstances atténuantes, Tout


peuple doit avoir une aristocratie. Bien que tout peuple,
pour les principes comme pour les richesses, soit le produit
d'une aristocratie, il faut comprendre qu'en joignant son
travail au capital ofert par celle-ci, le peuple doit retirer
en réciprocité une mesure de lumière et d'exemples qui
pourvoie à ses mœurs et lui maintienne la civilisation.

(i) Dans une E~c s~r l'armée, portant cette épigraphe Songez à. vos
ancêtres et & vos descendants [ le capitaine d'état-major, Prince de Polignac
nous le dit Chez les chefs, il faut ajouter l'élévation des idées au senti-
ment du devoir. Ils doivent joindre le courage moral au courage physique,
se souvenant que le caractère est un des attributs de l'héroïsme, plus rare
chez nous que la bravoure.
LÉGIT. 7
Depuis quatre-vingts ans, quelle lumière et quels exem-
ples lui ont offerts les aristocraties issues de la Révo-
lut.ion?.
Le peuple a amplement fourni le travail exig-é
pour
l'exploitation du capital de l'industrie, et de là. ces profits
croissants qui ont produit une classe nouvelle. Mais cette
classe a-t-elle proportionnellement pourvu à la diffusion
des principes, des mœurs et des croyances indispensables
pour établir ce peuple dans la vertu et dans la paix?
Des fortunes, souvent acquises avec une scandaleuse
rapidité, portaient-elles toujours avec elles des principes
et des vertus qui leur fussent proportionnés? La cupi-
dité unie au scepticisme peut-elle former l'âme d'une
nation?
Tout peuple, en outre, par suite de son infériorité
intellectuelle, est considéré comme mineur. Sur qui donc
va frapper la colore et sur qui tomberont les avertisse-
ments appelés H rétablir la société réelle? Quand Dieu
détruisit Babylone ou Jérusalem, est-ce à cause de l'ido-
lâtrie et des cupidités des communeux d'alors, ou à cause
de celles des marchands et des princes du peuple?
Alors les prophètes n'ont-ils pas dit aux hommes que
cette cupidité n'était qu'une idolâtrie, qu'elle desséchait
les âmes et les privait du grand amour? Chez
nous, elle
n'a pas conduit seulement les hommes à une idolâtrie
qui, du moins, laissait encore debout le nom de Dieu,
mais à un athéisme qui l'efface déûnitivement! Elle n'a
pas seulement tari le grand amour, elle a pu créer la
haine contre Dieu même..

IV.

Obstacle persistant au salut de la France Son aristocratie.

Ce qui retarde spécialement le


salut de la France, c'est
FarisLocratie dont on vient de parler. C'est la cupidité
d'une telle aristocrate, son oubli de la Foi, sa persis-
tance à écarter Dieu de l'Etat pour fonder la société sur
l'homme.
Que la France permette enfin de porter le doigt sur sa
plaie véritable Les erreurs d'où sortent nos maux ne sont
point de celles qui naissent et meurent au sein d'une école.
Elles ont créé des mœurs, dicté des lois, établi une classe,
formée une génération. Pour les abattre, il faut en ce
moment démolir une époque et presque une société.. Atta-
de leur
quer généralement ces erreurs, sans les chasser
refuge, serait combattre des fantômes. Indiquer leur ter-
rain, déterminer leur siège, signaler ceux qui s'en sont
fait les instruments, en démarquer ainsi les sources
parmi nous, voilà ce que commande la gravité de la
situation. Si le mal se futnxé ailleurs que dans la tête de
la nation, si l'aristocratie en eût été exempte, la France
aurait peut-être pu se guérir. Mais le point môme où
réside le mal est ce qui le rend à cette heure irré-
médiable.

Les hommes qui détruisent aujourd'hui la société sont


qui la
ceux qui la rendent peu respectable, soit par les lois
régissent, soit par le but qu'ils lui ont assigné. Les hom-
qui
mes qui détruisent aujourd'hui la propriété sont ceux
la rendent peu respectable, soit par la rapidité avec
laquelle ils l'ont acquise, soit par l'emploi auquel ils l'ont
consacrée. Ainsi les hommes qui jadis renversèrent la
noblesse, sont ceux qui avaient rendu la noblesse peu res-
pectable, soit par leur manière de l'acquérir, soit par
l'oubli des grands devoirs.. Les malheurs dérivés de
l'oubli de ces lois sociales nous montreront quels principes
ont été délaissés ils nous diront quels soins réclament les
faiblesses du peuple, quels exemples il faut lui donner!
Par un eifet inespéré, ceux qu'on nomme aujourd'hui
les ~'OM~ les malheureux qui demandent du sang, ser-
vent, sans le savoir, les vues de Dieu et le premier intérêt
de la France. Car ceux qu'on nomme aujourd'hui les
honnêtes gens, les hommes qui demandent l'ordre, seraient
encore tont disposés à établir, à la manière des Bona-
partes, cette tranquillité dans laquelle les fortunes indus-
trielles continueraient à s'entasser, la police à se faire,
l'enseignement à se donner, la justice elle-même à se
rendre, mais le tout, sans songer à Dieu.
Or c'est précisément ce que Dieu ne veut pas. Il ne veut
pas que-tous les biens qu'il a réunis sur la terre dans le
but de former des âmes et de les conduire à sa Gloire,
soient mis en œuvre pour les aveugler. Sounrira-t-il que
la raison, les sciences, les lois, la justice, la paix, tout ce
qu'il nous envoie du Ciel, soit employé à nous en écarter?
Permettra-t-il qu'à l'aide du christianisme, on puisse
tenir debout toute une société où les âmes, noyées dans
la cupidité, seront régulièrement conduites à leur perte?
où les honnêtes gens, rentés, considérés, mais dédaignant
la vérité qui élève les cœurs, pronteront du travail de la
foule, sans s'inquiéter du sort que, par leurs lois, leurs
idées, leur conduite, ils préparent à des âmes rachetées
par le sang d'un Dieu Eh bien telle est la cause de leur
infériorité sociale et la source de nos malheurs..
Quand on a reçu la fortune, l'instruction, les loisirs,
est-ce pour enfouir son âme en ce monde et y laisser périr
les âmes que Dieu nous a chargés d'instruire et de guider?
Les classes dites laborieuses vomissent aujourd'hui contre
la propriété les invectives débitées depuis un siècle con-
tre la Foi par les classes enrichies. Elles sont prêtes à
se ruer contre une aristocratie qui ne leur a fourni du
travail que pour les laisser au milieu de conditions de
mort.
Ces hommes pervertis sont là pour nous montrer ce que
valent nos mœurs, nos idées et nos lois Tirant toutes les
conséquences de nos doctrines, ces malheureux arrivent
pour nous les faire voir. Comme nous, ils veulent vivre
loin de Dieu, en dehors des principes et de l'Autorité, tout
en ramassant de l'argent cette fois en aurons-nous hor-
reur ? N'est-il pas juste que nous ayons affaire aux âmes
formées par les principes que nous répandions par la
presse, par les exemples, par les lois, par l'enseignement,
Ciel il fallait bien le~
par l'Etat? Vous leur avez été le inégal, des
retrouver au moment d'un partage, moins
seuls biens qui semblent leur rester 1..
H est dur de tenir ce langage. Mais faut-il donc
flatter
les hommes jusqu'au seuil de la mort? Guérira-t-on la
plaie sans mettre à nu les points atteints par la gangrène?
Chez nous, les mêmes hommes se montrent toujours
prêts à nier l'étendue du mal. Pourquoi cela? parce qu'ils
voudraient le retenir et qu'en secret ils ont peur des
remèdes qu'il faut y apporter.. Car telle est, au fond, la
pensée dite libérale. Le Libéralisme! là est le vice du
d'où proviennent nos plaies, là est l'ensemble des
sang
négations d'où sort la Révolution tout entière c'est donc
là qu'il faut l'attaquer! La Révolution, d'ailleurs, n'est
la crise aiguë, contre laquelle la société peut. du
que
moins réagir par un effort suprême. Tandis que le Libé-
ralisme est l'affection chronique, la maladie interne qui
épuise depuis cent ans les sources de la vie.
Pour atteindre le mal, sondons les causes du Libéra-
lisme, montrons-en la nature et les résultats. Les
libéraux
abusés mais honnêtes nous serreront la main, si, dans
notre désir commun du salut de la France, nous parve-
à démasquer le grand mensonge qui l'humilie et la
nons
détruit.
Tant que les hommes chargés de donner l'exemple
qu'ils
feront de la cupidité la plus grande vertu, tant
s'obstineront à écarter le christianisme, et qu'ils se consi-
dèreront comme étant les maîtres de cette vie, avec droit
d'y emprisonner nos populations abusées, nous ne pou-
v,ons espérer de salut.
Si les classes qui gouvernent pré-
fèrent tout à un sincère aveu de leur aversion pour

Le bourgeois, qui se consolerait encore de voir les


Prussiens à Paris,
(1) «
du
pourvu qu'il n'y ait plus de prêtres, le fier bourgeois, enfin vainqueur
plus de
Christ, sera très-malheureux en cetemps-ta. Lorsqu'il u'y aura
tombera de
prêtres, il n'y aura plus de rentes. La première pierre qui
crouler les
rF-~se écrasera les maisons voisines, celles-ci en tombant feront
Grand livre, sui-
autres, et quand le feu s'allumera là dedans, il brûlera le
vant le souhait de Proudhon. L'~u'u~-s f/M 24 août 1870 1
l'Eglise, notre ruine sera définitive. Ou la France dispa-
raîtra dans une Jacquerie enroyable, ou Dieu y reprendra
sa place au sein des âmes et de l'Etat.. Captive, humiliée,
victime de nos politiques fausses, l'Eglise seule peut
encore nous sauver; mais, ici, le Dieu qui ne songe qu'à
enrichir la liberté lui demande une coopération.
La rage inattendue des classes inférieures nous a fourni
un premier avertissement. Lorsque Babylone ou Jérusa-
lem furent condamnées à périr, le Ciel suscita contre elles
leurs ennemis. Mais pour la France, son peuple est à ce
point saturé d'athéisme et d'envie, qu'il suffira de la livrer
à elle-même pour la voir se détruire de ses propres mains..
On l'a vue réduite à implorer contre elle-même la protec-
tion de l'ennemi qui venait de l'ensanglanter! Un tel fait
apparaît dans l'histoire pour la première fois. Mais aussi
avec quelle persistance les classes parvenues n'ont-elles
pas employé tous les moyens offerts par la presse et
par l'enseignement, pour conduire le peuple à une sécu-
larisation complète ? A cette heure ce peuple égorge et
incendie pour obéir tout simplement au vice que Bos-
suet appelle « le noir et secret effort .d'un orgueil privé
de puissance. o
Déjà ces hommes ne sont plus des hommes. Nos idées,
nos sciences, nos vices et nos lois ont tellement accumulé
l'org'ueil dans leur esprit, que nous assisterons un jour ou
l'autre à quelque chose d'infernal. On a toujours compris
qu'un peuple athée, s'il pouvait subsister, serait un enfer
ici-bas. En eS'et, la raison ne sumt plus à expliquer les
fureurs d'une population voulant anéantir ce qui a fait sa
gloire. Il n'est pas dans la nature humaine de désirer sa
destruction pour accroître le mal. Les âmes arrivées a un
pareil état sont en proie à une espèce de satanisme. Au-
tant les démons se haïssent entre eux, autant ces hommes,
qui s'abhorrent, haïssent l'ordre social. Or tous avaient
approché leurs lèvres de la coupe du Iibéra!i&me avant de
les plonger dans celle de la Révolution.
A cette heure la France est dans les convulsions qu'amè-
nent ses idées. Suffoquée par la rage qu'elles ont amassée,
sa populace, pour se baigner dans un fleuve
de crimes,
voud rait s'égorger de sa main. Elle est comme en proie
à un tétanos de l'envie et du crime Quelles considéra-
tions pourraient nous empêcher ici de remonter vers la
malheur ?
cause de cet opprobre, vers la source de ce

V.

Nature et effets du Libéralisme.

résul-
Cette perversité, ces aberrations, ces malheurs
tent des points de vue faux où nous enfermait le libéra-
lisme. Falsification politique de notre liberté, le libéra-
lisme, qu'il le comprenne ou qu'il l'ignore, est la source
et forme l'essence de la Révolution. 11 a
voulu substituer
la volonté de l'homme aux lois divines, à ce qu'il nomme
par dérision le ~'o~ divin.
Une telle suppression de Dieu entraîne naturellement,
dans l'ordre intellectuel, la souveraineté de la raison,
dans l'ordre moral, la souveraineté de notre volonté, et
reli-
dans 1 ordre politique, la souveraineté de la foule. En
gion, c'est le rationalisme avec ses conséquences, scepti-
cisme, sensualisme et athéisme en politique, c'est la sou-
veraineté du peuple avec ses résultats, césarisme. oligarchie
et anarchie; puis en économie, c'est
l'individualisme avec
monopole, luxe,
tous ses effets, concurrence, cupidité,
appétits et misère. Survient ici la guerre sociale, née du
conflit des divers éléments de la production que met en
l'homme
contact l'envie, surexcitée par la souveraineté de
succédant à celle de Dieu.. En suscitant la guerre contre
Dieu, le libéralisme l'alluma contre l'homme.
Le libéralisme n'est pas une forme de gouvernement,
mais la dissolution de tout gouvernement. Cette apothéose
de l'homme devait amener une pratique étrange en
lui
l'impré-
tout recevait une consécration! Le mérite et
voyance, l'honnêteté et la bassesse
arrivaient au même
niveau; du même coup, tous les hommes montaient au
premier rang.. Mais jusqu'où portera-t-on l'extrava-
gance ? Donnerez-vous les droits, l'honneur, les
biens et
le talent à ceux qui
ne les ont pas acquis? Nous gratifie-
rez-vous tous de l'estime, de la capacité, du droit d'écrire,
du pouvoir de régler FEtat? Ferez-vous obtenir justice
celui qui n'y a, point droit? Enfin
à
mettrez-vous au pillage
la civilisation? Car tel est le terrain pratique
libéralisme. ou entre le
Aussi, a-t-on vu partout aboutir, d'une 4
part, à bannir
Dieu des lois et de l'enseignement, et de l'autre,
à détruire
la nature humaine, tout en prétendant l'exalter!
Quand
on ne veut tenir compte ni de la tradition, ni de l'histoire,
ni dès lors de l'expérience, il est aisé de bâtir
une théorie'
Mais lorsque arrive l'application,
on voit s'ouvrir un
gouffre où disparaissent les Etats.
Les libéraux sont encore persuadés
aujourd'hui Fordre social, il n'y a qu'à que pour rétablir
venir se replacer
avant 1870 Eh bien, il faudrait aussi revenir et
2 décembre, et sur 48, et sur le
sur 1830~ et jusque sur 89 Il
faudrait rétablir ce qui fut successivement démoli
dans
ces révolutions nées du libéralisme Evidemment,
parle pas ici des abus, qui suivent on ne
partout les hommes.
mais des principes que ces abus mêmes ruinaient.
Cepen-
dant, si l'on doit écarter les produits légitimes de
liberté, si l'on veut accorder tous les droits à l'Homme,notre
qui n'est qu'une abstraction, à dessein de les refuser
divers citoyens qui les ont acquis, l'homme lui-mêmeaux
détruit, et nous restons dans le chaos. est

Depuis quatre-vingts ans, toute révolution n'a


été
l'application régulière du libéralisme. En dépouillant que
les
Ordres, en fermant les églises, proscrivant les
en religieu-
ses, en persécutant le clergé, en enlaçant sa liberté,
limitant son action et son dévouement, la Révolution en
fait que mener à son terme l'idée mûrie ne
par le libéralisme.
Celui-ci témoigne ses répulsions
pour le clergé~, son
(i) Pour connaitre les premier auteurs des déprédations commises
en
mépris pour le catholicisme, et celle-là procède à leur
suppression..
Comprend-on les perplexités qu'éprouvent ces conserva-
teurs, obligés tout-à-coup de condamner des hommes dont
le crime est d'avoir suivi jusqu'au bout leurs sentiments et
leurs doctrines Combien en ce moment les libéraux
doivent être confus de voir leur antipathie pour les Ordres,
leur répugnance pour les religieuses, leur aversion pour
l'enseignement des congrégations et leur mépris pour les
églises, si littéralement traduits par les gens de la rue s
Ils verront d'autres choses traduites d'une façon aussi
positive Ils sauront que la foule arrive au but plus vite
encore que la logique.
Cette foule qui leur a servi d'escabeau pour poser le
pied sur la tête des Rois, la voilà qui pose le pied sur la
leur L'échelle qui servit à escalader l'enceinte de la pro-
priété immatérielle de l'honneur ou des titres à une estime
héréditaire, conduit maintenant dans l'enceinte d'une pro-
priété toute matérielle, bien autrement convoitée par la
foule Cette dernière propriété tient-elle donc plus inti-
mement à l'homme que la première, pour résister quelques
moments de plus au pillage des ravisseurs?
Les voilà donc venues, ces conséquences que le libéra-
lisme, à cette heure, s'efforce en vain de repousser Il
voulait bien qu'on abattit les grands, mais non pas les
grands biens rapidement acquis qu'on renversât les Pou-
voirs légitimes, mais non pas les pouvoirs de légalité
qu'on mît le Pape hors de la vie politique, mais non

1870 dans les établissements d<js R. P. jésuites, par exemple, il suffit de lire
l'article que les dictionnaires français ont consacré aux mots ta Jésuite a
et «Jésuitisme..M »
(1) Comme on l'a observé « La mesure de la Commune de Paris qui
déclare les églises biens communaux, parait révolutionnaire; mais elle
n'est que l'application des doctrines d'Etat de nos anciens ministres, de
MM. Dupin, Baroche, Rouland, Bonjean, Duruy. Notre législation ne recon-
naît ni au clergé, ni aux congrégation, retigieuses le droit de propriété. La
commune de Paris peut donc avec des textes de lois, des arrêtés
du Conseil
d'Etat, des circulaires miniatérieHes. expulser les religieux de leurs maisons
et s'approprier les églises.
pas hors de ses Etats pour ébranler tout en Europe
enfin, qu'on ôtàt Dieu de nos sciences, de nos arts, de
nos mœurs, du mariage et de l'enseignement, mais non
pas tout à fait de la conduite de nos fils qu'on-Févinçàt
des institutions et des lois, mais non de celles qui sou-
tiennent la propriété et la sécurité personnelles! Ils vou-
draient tous ces principes, mais non toutes leurs consé-
quences. Or c'est justement là ce que Dieu ne veut pas.
Combien doivent souffrir les gens honnêtes qui appar-
tiennent au Libéralisme! Eternels girondins, couvrant le
gouffre de leur anarchie intellectuelle sous leurs théories
puériles de progrès social, ils tiennent la porte ouverte au
mal, et ils espèrent le maîtriser; ils proclament des prin-
cipes faux, et ils prétendent en éviter les suites De
telles inconséquences nous ontdéjà conduits quatre fois au
malheur.
Comme intention philosophique le libéralisme est
certainement odieux, comme conception politique, il est
absolument nul. L'homme est un paresseux qui voudrait
vivre sans rien faire, l'homme est un vicieux qui s'appli-
que à fuir la lumière, l'homme est un ambitieux qui ne
veut pas de supérieurs, l'homme est un orgueilleux qui se
refuse à obéir, enfin l'homme est en proie au mal, qu'il ne
voudrait pas voir guérir! Et le libéralisme vient dire à
l'homme: «En tout, tu as raison, et la Révolution arrive pour
satisfaire tes grands désirs s Etonnez-vous des suites.
Le propre du Libéralisme est de ne point observer ce
qui est. Il ne voit pas que le christianisme a pu seul élever
une société réelle chez les hommo.5.. Qu'il faut avoir peu
de portée en politique pour écarter la Foi de l'ordre
social! Disciples du libéralisme, arrêtez maintenant l'effu-
sion du sang!
Contrefaire le christianisme,prétendre en appliquer les
dogmes à la politique tout en ouvrant le passage à
l'orgu.eil, c'était, pour entraîner les hommes, arriver au
comble de l'art. Le libéralisme eut achevé le travail du
protestantisme. Ramenant partout l'homme à la place de
Dieu, il aurait étendu le césarisme au reste de l'Europe,
chute la Chrétienté. La sagesse inspirée
et c'eût été la de
Ce sera
du. Pontife de Rome arrêtera le mal à temps..
suffrage
évidemment à l'aide des idées libérales et du
universel que l'antechrist un jour montera sur le trône du
empê-
monde. Du reste, on ne lutte aujourd'hui que pour
cher, ou du moins ajourner ce règne redouté.
le
Le Libéralisme est notre plaie interne; c'est mensonge
et
inaperçu d'où découlent à cette heure nos erreurs nos
maux.

VI.

Catholicisme libéral.

Ce M seulement à partir de 1830, qua


la suite de
M. de Lamennais on vit des esprits
religieux céder à
la
l'illusion du Libéralisme. Aussi, tout en croyant porter
Foi au sein des idées libérales, un certain nombre, comme
le sait, ont perdu la leur. Lorsque les idées libérales
on y
les idées chrétiennes pénètrent à la fois dans la
et
même tête, les idées libérales finissent
ordinairement par
ét.oun'er les idées chrétiennes..
criait
Dans sa colère contre l'Eglise, M. de Lamennais
Dieu et la Liberté Et les littérateurs, accourant à sa
« celle-ci devait
suite, crièrent-. Dieu et la Liberté! Mais
place.. Quand
faire les parts, et peu à peu garder toute la
on avait dit: .M~/ I chacun devait se taire.
Jeté là
dans sa fausse acception, ce mot assignait à
l'homme
position qui forçait Dieu à s'éloigner des sociétés
une
humaines, comme l'ont démontré les faits et comme nous
avait averti Rome. Le mot égalité était le nom de
en
de l'envie, et le mot liberté, le cri de guerre contre
guerre
Dieu.. servir d'exem-
La chute de l'abbé de Lamennais n'a pu
ple le même fait s'est reproduit chez des
esprits placée
pré-
dans une situation analogue. Ici, comme partout, se
bienvenu,
sentant avec le nom de liberté, l'orgueil était le
tant la contrefaçon était insidieuse et le déguisement com-
plet L'idée libérale, qui opère chez nous ce travestisse-
ment, est sans contredit la plus terrible illusion qui se soit
emparée des hommes. L'illusion produite par l'Islamisme
sur des peuples enfants, et celle produite par le protestan-
tisme sur des peuples chrétiens surpris et moins oné-
reux, n'offrirent point les dangers politiques de l'illusion
produite par le libéralisme sur les hommes lettrés du jour.
Car l'idole, composée d'un métal fourni par l'orgueil, pris
a
le visage du christianisme~.
Bien persuadé que le libéralisme était, en politique,
l'application naturelle du catholicisme, quelques-uns,
donc, ont naïvement pris le nom de c~o~MM libé-
~2~. D Ils ne s'apercevaient point que le libéralisme est
au catholicisme ce que le faux ou plutôt l'imposture est à
la vérité. Leur tort a été au début de n'avoir pan voulu
prêter aux avis du Saint-Siège une oreille assez attentive.
En 48, au moment où la Chrétienté fléchissait sous un
nouvel assaut de la Révolution, ils vinrent annoncer une
Ère ~o?~/e à la France En 1789, le xvur siècle
arrivant à son but, la Révolution entrait en conquérante
au milieu de nos sociétés. Elle renversait pour jamais leurs
moyens de défense, et l'Etat perdait chez nous le droit
d'être chrétien eh bien, ils ne manquent point aujour-
d'hui de dire <: Nous ne renonçons point à ces co~?~~
de nos pères
De telles méprises ont une cause. Séduits par l'idée
qu'ils se formaient de l'homme, ils ont voulu rendre sa
liberté indépendante de la vérité. Aussi demandaient-ils,
après M. de Lamennais, une séparation positive de l'Eglise

(I) C'est pour cela que les cond.unnat.:ons de Rome ont tant, de peine à
éclairer les fervents du libéralisme. C'est ici le commencement de l'illusion
terrible du Mensonge:, que le monde verra peut-être croître jusqu'à la fin.
En 1848, M. de Moutatembcrt., découvrant la fragijité des appuis qui res-
tent à la société, lui demandait pardon d'une opposition trop constante.
Aujourd'hui, ses disciples ont trop de loyauté pour ne pas voir à quel point
ces idées spécieuses en théorie ontébrauté chez nous les bases de la société et
l'empire sacré de la Foi..
et de l'Etat, sans entrevoir qu'une telle séparation n'a
jamais amenée qu'une substitution de l'Etat à l'Eglise.
Leur théorie a sa pratique en Italie. Avec des iutentions
évidemment meilleures que celles des libéraux purs, les
catholiques libéraux marchaient au même résultat la
sécularisation, ou l'athéisme politique. Cela vient de
l'habitude où nous sommes, depuis un siècle, d'envisager
l'homme au point de vue de ce qu'on nomme l'état de
nature, et non au point de vue donné par la Théologie.
Cette science fait partout défaut. De cette négation de
l'ordre surnaturel en politique résulte nécessairement
l'abrogation des lois divines.
Telle est l'erreur commune, la source encore vivante de
la Révolution, le principe de tous nos maux.. Pour échap-
per cette erreur, il faudrait plus de portée philophique
que n'en possède notre époque. Si, à l'instar de la Révo-
lution, les catholiques libéraux ne croyaient point à un
hornme meilleur qu'il ne l'est, ils ne rêveraient pas une
sphère où il puisse se passer de la tutelle de l'Eglise.
L'orgueil est donc, sans qu'ils s'en. doutent, l'une des deux
racines de leur conception.
Renversant la donnée chrétienne sur l'homme et met-
tant le comble à l'anarchie intellectuelle, une telle pensée
chez des chrétiens nous eut finalement enchaîné dans
l'abîme. Cette thèse eût complété l'aveuglement du
siècle et donné son achèvement à la Révolution. La Chré-
tienté eût disparu. Le seul moyen qu'eut l'erreur de s'ins-
taller dans le sanctuaire, les catholiques libéraux le lui
donnaient! Comprenons-nous la vérité ouvrant elle-même
place et lui
ses portes à l'orgueil, puis lui cédant -sa
remettant ses pouvoirs? la vérité surprise, mystifiée, et
prêtant sa voix au mensonge? C'est-à-dire que si après
l'Arianisme, après tout les protestantismes, le christianis-
me a couru un dernier péri!, c'est
celui-là~.

i870-, mais on sait que derniè-


(1) Ces lignes étaient écrites vers la fin de
rement Pie IX, le cœur
oppra~~ exprime pnbtiquemf'nties mêmes crain-
deputatMrançaise venue pour célébrer le 25e anniver
tes. S'adressanta la
Sans le vouloir, les catholiques libéraux s'empressent
d'apporter leur pierre à la construction d'une société dont
le propre est d'être en guerre contre Dieu. Mais ils senti-
ront qu'en face de l'autorité de l'Eglise, un fidèle ne peut
mettre en avant sa liberté sans arg'uer de désobéissance.
Dans ces deux mots catholicisme libéral, il y a une
incompatibilité évidente. Aussi, les catholiques libéraux,
hommes honnêtes, se hâteront certainement de quitter le
terrain de la Foi, mais peut-être pour porter leur doctrine
sur celui de la politique. Ils diront qu'il n'est point néces-
saire d'adhérer à une thèse, il est vrai fausse en religion,
pour réclamer en politique ce qu'ils appellent un régime
libéral.
Ici se présente un nouvel écueil. Bien que depuis qua-
tre-vingts ans il nous conduise au despotisme, le régime
libéral avait en politique une apparente raison d'être. La
Révolution s'emparait de nos droits; les gouvernements
révolutionnaires, sous lesquels nous vivions, ne pouvaient
être sérieusement maintenus dans la justice et dans le
bien que par des lois ou des constitutions qu'il importait

saire de son pontincat, le Pape a fait entendre ces paroles, qui donnent, à
reûediir a Je ne puis exprimer tous les sentiments qui m'agitent.. Pauvre
France! J'aime et j'aimerai toujours la France,elle est imprim'e dans mon
cœur. Je prie tous les jours pour eue! Cependantje dois lui dire la vérité.
Ce qui ulïlige votre pays, ce qui t'empêche d'obtenir les bénédictions, c'est
le mélange ou piutôt la mixtion de principes contradictoires. Et je dirai ie
mot il y a en France un mal plus redoutable que la Révolution, que tous
les misérables de la Commune, sorte de démons échappés de l'enfer, C'EST
m LJBËRAL!S3tf: CATnoUQCE. Là est le véritable neau. Je l'ai dit plus de
quarante fois, je te~'epete à cause de l'amour que je vous porte. n
LL. EE. les cardinaux Pitra et Bonaparte, Mgr de Nevers, le Général des
Dominicains, le Supérieur du séminaire français, le R. P. Bonnet, l'abbé
Dugas, le comte de Maumigny, et environ cent autres étaient présents quand
Pie IX a prononcé ces paroles émouvantes.
Ma), en effet, plus ~edoM~~e ~t/c la Révolution, puisqu'elle en recevait.
son accomplissement P/<~ o'i~re que la Co~M:~c, puisque ce mal
nous donnait le coup de la mort. La Révolution n'attendait que ce consente-
ment des catholiques elle passait désormais pour la 'vérité, et l'Eglise était
définitivement évincée de l'Etat. De l'édifice de Charlemagne, il ne restait
pas une pierre.
de leur faire accepter. Mais serait-il sage d'en user de la
sorte avec un gouvernement légitime? N'y aurait-il pas
une extrême imprudence à rendre
vassal de l'opinion,
forme dernière de la souveraineté de la foule, le pouvoir
paternel qui doit nous délivrer, quand Dieu ramènera le
Roi? Devons-nous voir recommencerla Comédie de quinze
ans contre une Restauration à laquelle le libéralisme n'a
pu reprocher que de l'attachement à la Foi de nos pères
et des égards pour le clergé?
Les catholiques libéraux se font eux-mêmes, en outre,
une idée trop insuffisante de la liberté. C'est ce qui a perdu
leur politique, et ce qui les empêchera maintenant de
comprendre comment on doit substituer les véritables
libertés à la liberté fausse, et les droits véritables aux
droits faux apportés par la Révolution. Tl y a un côté vrai
dans le libéralisme, qui est d'avoir la liberté en vue mais
aussi un côté faux, qui- est d'en appliquer les fruits, non
au mérite acquis, mais à l'org-ueil universalisé.
De même, il y a un côté vrai dans le rationalisme, qui
est d'amrmer le rôle de la raison, mais pareillement un
côté faux, qui est de l'ôter de son ordre et de la détourner
de son but. Comme il y a quelque chose de vrai dans le
protestantisme, savoir, de reconnaître la vérité de l'Ecri-
ture, mais quelque chose de faux, qui est d'en abuser ou
de l'interpréter en dehors de l'autorité.
Mais il n'est pas plus au pouvoir du libéralisme de
détruire la liberté, qu'il fausse, et que dans le fait il
annule, qu'au rationalisme d'infirmer la raison, qu~il
dérobe à son rôle, ou qu'au protestantisme d'abolir l'Ecri-
ture, dont il fait un mauvais emploi. Aussi le Pape con-
damne-t-il les catholiques libéraux, mais non ceux qui
réclament des libertés et des pouvoirs publics. De même,
il condamne les protestants et les rationalistes, mais non
la
ceux qui se servent de l'Ecriture ou s'éclairent avec
raison.
Les sectaires n'ont cessé d'opposer à Dieu une raison et
une liberté qu'il a faites pour nous conduire à
Lui Comment
mettre a proot en politique une liberté ainsi dénaturée?
vu.
Erreur première d'où provient le Libéralisme.

Le malheur de la France est d'être depuis quatre-vingts


ans livrée à une école dépourvue des sciences d'où découle
la Politique. Le libéralisme ne saurait s'expliquer que par
le peu de portée philosophique de l'époque. Il pourrait être
défini Un système de politique conçu en dehors de toute
donnée théologique et de toute notion tirée de la nature
humaine. Orgueil mis à part, les idées du libéralisme
sont celles qui s'échappent des superficies de la philoso-
phie et des apparences mensongères de l'histoire. Avec
des points de vue si faibles, on devait insensiblement
perdre les hauteurs de la civilisation et celles de l'esprit
humain.
Les disciples du libéralisme sont la proie d'une autre
méprise. Ils pensèrent écarter la Révolution en réalisant
une moitié de la Révolution ils crurent échapper à l'er-
reur en professant une moitié de l'erreur. Ils n'ont point
vu que cette moitié de l'erreur mène avec elle toute l'er-
reur, et qu'une première concession de principe à la
Révolution appelle celle-ci tout entière. Ils remplissent
encore à cette heure le rôle le plus dangereux qui se puisse
comprendre ils tiennent la porte constamment ouverte à
la Révolution.
Ne tombant point jusqu'au fond de l'erreur, ils y atti-
rent tous les autres. Ils y font descendre surtout les jeunes
esprits auxquels l'expérience n'a point encore bien désigné
le but vers lequel doit se fixer le cœur. L'aspect de vérité
dont se revêt le libéralisme, d'un côté lui attire les nou-
velles recrues, de l'autre maintient la société dans l'im-
puissance de lutter contre l'erreur qui la menace d'un
anéantissement complet. Puis, quand ie mal a jeté de pro-
fondes racines, les libéraux, démontrant aux honnêtes
gens l'impossibilité de vaincre la Révolution, déclarent
qu'il n'y a rien de mieux à faire que de se replier prudem-
ment. Après s'être emparé des masses par l'erreur, con-
quérir de la sorte les autres classes par la peur, c'est
amener la société à la dernière capitulation.
Ce qu'H y a de plus à redouter dans le libéralisme, c'est
qu'il ignore entièrement de quel principe il est issu la
raison ne sait où l'atteindre. Il oublie la fausse donnée
philosophique dont ses idées sont une conséquence. Ce-
pendant, comme il croit volontiers, sur la foi de Rousseau,
il
que tout homme naît bon, depuis bientôt un siècle
ramène périodiquement nos crises révolutionnaires.

La Révolution, qui a tant péroré sur l'homme, naît tout


entière d'une erreur sur l'homme. Pour échapppr au fait
rapporté par le christianisme et esquiver l'expérience, les
philosophes de second ordre n'eurent pas honte de recourir
à la fiction imaginée par les Légistes. Se persuadant que
l'homme était né bon, les légistes n'avaient cessé de sup-
poser ce que l'on nomme un Etat de ~~e. Le désir de
de même ces phi-
se soustraire au christianisme conduisit

humain, a nier 1'


losophes à écarter les traditions authentiques du genre
état surnaturel d'où
l'homme est malheureusement déchu pour y substituer
lui-
cet état prétendu naturel où l'homme était tout par
même et sans Dieu, mais d'où la Société et avant tout le
Rois nous avaient violemment arrachés.
De là les formules de Rousseau, reçues avec avidité par
le vulgaire L'homme est né libre, et partout il est dans
les fers » « L'homme est né bon, et la société le dé-
prave c Nous devons revenir à l'homme de la na-
u «
ture; o etc. De la, conséquemment, l'ardeur avec
laquelle la Révolution se mit à détruire une société d'où,
suivant elle, découlaient tous nos maux. La Révolution
déclara que l'homme retrouverait la perfection et le bon-
heur en supprimant les prêtres et les rois. Tous les hom-
mes seraient heureux et rentreraient dans leur perfec-
w
tion primitive en retournant à la nature, c'est-à-dire en
abolissant l'autorité, les lois, surtout-la religion, source
s
Lë~n.
de nos erreurs. Il fallait écarter tout ce qui nous vient de
la civilisation pour retrouver l'homme de la nature, cet
homme heureux et bon, né avec tous les droits.
Enivré de cette pensée, le Libéralisme prit pour mission
de la servir. Il y mit des tempéraments dans sa prudence
il s'employa non pas à abolir, mais à diminuer successive-
ment l'Autorité, les lois, surtout la religion, source de tous
les maux.! Le libéralisme fut l'acheminement vers l'état
de nature, la république en devait être la réalisation, et
c'est pourquoi elle renverse tout.
Ainsi la Révolution prit naissance et prit corps dans
cette idée d'un état de nature dontt l'imagination peut
seule, il est vrai, nous donner des renseignements. Mais
cette idée fournissait une base aux désirs de l'orgueil
voilà pourquoi elle devait triompher! C'est à ce point de
vue que la société allait se reconstruire; on devait faire
disparaître tout ce qui est opposé à un pareil état et peu à
peu rétablir tout ce qui y est conforme.
Que les peuples chrétiens ne soient plus étonnés si tout
alors apparut faux dans une société qui n'a point été éta-
blie sur le principe d'un état de nature, état où l'homme,
étant né bon, n'a plus qu'a. se livrer à ses instincts et à
ses forces naturelles s'il veut retourner dans le bien! Que
ces peuples ne soient plus étonnés si tout parut illégitime
dans une société constituée au point de vue d'un état
divin, état d'où l'homme est tombé dans l'ignorance et la
misère, ignorance et misère dont il faut le relever pour
le conduire au bien et à la paix
Au point de vue du christianisme, les hommes, déchus
par le premier usage qu'ils ont fait de leur liberté, et plus
tard rachetés par la bonté de Dieu, doivent progressive-
ment se réhabiliter, s'échelonner dans la vertu, et rem-
plir leurs devoirs pour retrouver leurs droits. Au point
de vue de la nature, ils devraient, à l'image des animaux
compris dans une même espèce, demeurer pour toujours
égaux et dans l'état où ils sont nés, quelque soit leur
mérite. Mais, dans ce point de vue, où trouver le principe
de l'autorité qu'un'homme voudrait exercer sur un autre?
Et comment la loi elle-même pourrait-elle se justifier? Si
l'on devait jamais y recourir, cette loi ne saurait venir que
d'un contrat, que d'une convention car l'homme ici ne
connaît pas de maître, et ne peut recevoir de loi.
Aussi nous eûmes k. Convention nationale. Elle de-
vait procéder, 1" à l'éternelle abolition des rois, dont le
rôle ne pouvait être que de tyranniser les hommes; 2° à
celle des aristocraties, s'arrogeant à tort des mér.ites supé-
rieurs à ceux du vulgaire; et 3~ à celle des prêtres, s'obs-
tinant à enseigner l'erreur à des esprits dont le seul maî-
tre est la nature. Comme pour réussir, il fallait écarter
les hommes et les choses, le sang coula les bourreaux, la
hache en main, déblayaient la route de l'avenir. Ils ou~
vraient le chemin par où l'humanité doit quitter à jamais
les rivages de la misère et de la servitude, pour aborder
celui de l'abondance et du bouheur, si positivement ins-
crit dans les desseins de la nature.
Les victimes doivent comprendre que tout est à chan-
ger qu'il faut absolument. extirper une religion fausse,
abolir des droits usurpés, écarter des idées surannées, des
lois illégitimes, mettre les biens en commun, enfin se
produire
reposer un peu en appelant les machines à tout
La misère ne peut pas sortir de la nature le travail ne
saurait être qu'une servitude inventée par les détenteurs
du sol, et l'épargne, qu'une pratique ridicule. C'est la
consommation qui est le remède et le but.
Quelle civilisation, quel gouvernement subsisterait une
heure devant un pareil point de vue? Aussi, quel gou-
vernement, quelle civilisation, depuis un siècle, a pu de-
chose
meurer sur sa base? Ici, la société offrait-elle autre
qu'une organisation de l'homme en dehors de ses droits?
la religion, qu'une imposture imaginée pour le conduire
à l'ignorance? l'économique, qu'une invention pour le
tenir dans la misère? la loi, qu'une collection de décrets
imaginés par les plus forts? et l'histoire, qu'une applica-
tion séculaire de l'erreur? Pourquoi supporter plus long-
temps cette erreur, quand la philosophie a découvert la
vérité, retrouvé tous les droits de l'homme, reproduit
l'état de nature?
Toutefois, l'état de nature ne reparaissant point, le~
hommes se trouvèrent amènes dans l'état sauv-.ge.. à peu
près comme les peuplades qui n'en sont pas sorties depuis
plusieurs mille ans Et c'est ce qui n'a cessé de jeter le
Libéralisme dans la surprise sans ramener il rénéchir.

VIII.

La thèse du tih~ratisme s'évanouit devant le fait du mal.

Par l'hypothèse d'un état de nature, ii s'agirait de


sortir du christianisme et de l'expérience dès lors les
philosophes eurent pour eux tous les rêveurs. Il s'agis-
sait de peu travailler, car la nature devait beaucoup pro-
duire les philosophes eurent pour eux les fainéants. Il
s'agissait de s'élever sans mérite et d'abaisser les grands
les philosophes eurent pour eux tous les cœurs enclins
l'envie. Les envieux, les fainéants et les rêveurs compo-
sant le grand nombre, la Révolution l'emporta.
Toutefois, niant encore un état de nature ou il fallait
tout abdiquer, la société refusait de se rendre à la philo-
sophie. Mais il s'agissait du bonheur de tous, dès lors les
envieux, les fainéants et les rêveurs unis, de raisonneurs
devinrent sanguinaires. En droit d'obtenir le bien-être,
ils ne pouvaient point le saisir il fallait donc se défaire
des détenteurs de la fortune. En droit d'avoir l'égalité, ils
ne pouvaient la retrouver il fallait donc ôter 'la vie aux
grands. En droit de posséder-la liberté, ils ne pouvaient
pas en jouir il fallait donc faire périr les Rois. En
outre, on croyait éteindre le remords en recourant à
l'athéisme, et le remords se faisait plus que jamais
sentir on devait donc anéantir ces prêtres qui inventent
l'enfer à dessein d'obliger les pauvres à travailler pour
tous les autres.
La Révolution commencera par l'utopie et s'achèvera
dans le sang. Pourquoi? Parce que de jour en jour ses
fureurs s'amoncellent contre l'impossibilité. Et la Révo-
luîion trouvera éternellement devant elle l'impossibitité:
elle oublie un fait majeur, un fait répandu sur toute la
car
substitue l'Etat de
terre, le fait théologique auquel on
nature, savoir, l'existence du mal au sein de
l'homme
Rêveurs terribles, regarder l'homme: puisque vous ne
qui
voulez point lire les pages authentiques du Livre
de l'humanité
nous donne l'histoire des débuts
Vous dites que les hommes sont frères, et, pour peu que
les voila qui se déchirent entre
vos lois relàchent le frein,
la justice, et vous les voyez
eux. Vous dites qu~ils veulent
presque tous iniques et sans
pitié. Vous dites que par
ils travailleront les uns pour les autres, et ils se
amour. transfuge
montrent paresseux, vicieux, sans humanité,
rénéchir t Le
des lois de la famille. Il faut cependant
libéralisme et la Révolution devraient être déconcertés d.e
point rencontrer l'homme qu'ils ont rêvé.. Ils cherchent
ne fait les
à travers les temps et les lieux, et partout un
expliquer;
arrête: savoir, le MAL Le mal, qu'il faudrait
le mal, dont il faut à l'instant même nous
garantir t
Le Mal, voilà bien la grande
question! Puisque vous
du sein de la nature, indiquez-nous l'origine
sortez bons
remédier. Le
du mal s puis dites-nous vos moyens d'y
mal tel est bien la dimculté. Puisque vous
retirez les lois
qui le compriment, puisque vous supprimez
la Foi qui le
guérit, et qu'ennn vous affaiblissez l'Autorité, qui
garantit
le mal,
les lois et protège la Foi, comment réduisez-vous
ou on
qui partout apparaît avec l'homme, et qui, partout
aujourd'hui
l'a laissé libre, a étouffé la civilisation ? C'est
qu'il faut répondre..
d'où sort
Pour entrer dans la politique, il faut nous dire
le mal puis expliquer pourquoi vous
écartez le christia-
appliquer le
nisme, qui vient à la fois l'expliquer et y
s adresse
remède. On doit avoir une doctrine quand on
hommes, surtout qnand on veut les conduire!t
aux
Le mal, tel est le' point qui fait pâlir tous vos sys-
restreindre
tèmes. Soyons sincères: pourquoi pensiez-vous
associer
l'Autorité, donner la liberté illimitée aux peuples,
les hommes, placer en eux la souveraineté,
leur faire voter
leurs lois, enfin mettre en commun leurs biens et abolir la
religion ? Uniquement parce que vous oubliiez le mal
parce que, contrairement au christianisme, vous pensiez
que l'homme est né bon. Mais pourquoi, depuis quatre-
vingts ans, la société, suspendue sur l'abîme, vient-elle
toujours vous démentir? Uniquement parce que l'homme
est en proie au péché, parce qu'il est exposé à l'erreur,
parce qu'il est né avec ce mal originel dont les lumières
de la Foi viennen-t vous rendre compte, avec ce mal con-
tre lequel nous venons lutter, et dont nous porterons le
germe jusque dans la dernière génération.
Oui, sans la Chute, sans le mal, vos systèmes sont vrais,
et la Révolution triomphe! Mais aussi, avec le fait du mal,
elle tombe écrasée sous,le poids de l'absurde et de la
malédiction soulevée par le sang qu'elle a fait couler.

IX.

La thèse du libéndismes'évanouit devant le fait de !a société.

Il y a une Chute, il y a le mal, il est au sein de l'hom-


me. Ce mal le détournedu bien, immole sa liberté, affaiblit
ou compromet ses droits, obscurcit sa raison et le retient
presque partout dans le malheur. Il est urgent de ramener
le bien dans l'homme, de lui rendre la vérité, de lui rap-
porter la justice, de lui faire reconquérir la liberté et
toutes les prérogatives dont il a lui-même dépouillé sa
nature.
II y a dès lors un ordre moral, rendant à l'homme la
vérité le 'bien la liberté perdue lui rapportant la
vie pendant que l'ordre social l'abrite dans la justice et
dans la paix II y a dès lors également, un ordre
temporel et une autorité du même genre rendant à
l'homme la justice et la paix, pendant que l'ordre spiri-
tuel s'efforce de le ramener librement à la lumière et de
le rendre à l'équité. Aussi, chez les peuples chrétiens, vit-
on s'établir un accord entre l'autorité spirituelle et l'auto-
rité temporelle, produisant depuis dix-huit siècles les mer-
veilles de la société.

Qu'est-ce donc que la société? C'est le bien en partie


rétabli et la lumière revenue. C'est le bien escorté, la
vérité protégée, la liberté restituée, le droit réintégré, la.
morale fortifiée, la justice et la paix garanties à l'homme,
malgré le mal, malgré l'erreur, malgré l'égoisme et les
vices qui jaillissent a la fois de son cœur. La société est
mère et non fille de l'homme. Jamais avec son égoïsme,
ressources, l'homme seul n'aurait pu
ou par ses propres
relever assez, soit pour vouloir la société, soit pour
se
pouvoir la reproduire. A son début, Caïn la détruisit, C'est
elle qui rétablit l'homme, ou du moins l'être digne de
porter ce nom.
Mais quoi! le bien armé, la morale fortifiée ? Hélas i
oui, la politique introduit parmi nous la force, parce que
le cœur y introduit le mal et c'est là notre humiliation.
Cependant, toute fière que soit notre âme, est-ce à l'hom-
de mépriser une arme qui lui rapporte la justice, lui
me
garantit la sécurité, la propriété, le droit, la. société
entière ?
Chez les intelligences libres, atteintes par la Chute,
asservies par le mal la force introduit l'ordre fait
rentrer la justice, la lumière et la paix, afin que ces
.intelligences soient libres Il faut bien une force pour
protéger le droit, la justice, la vérité, l'innocence, tout ce
qu'il y a de sacré. Et, si une telle force n'a pas la vertu
de commencer par changer les cœurs, du moins,
elle a
celle de les soustraire. a. la discorde; elle a celle de pré-
les innocents
server tous les droits de leur extinction, tous
de la mort.
Est-ce à vous d'accuser le droit de s'adjoindre la force,
d'accuser la justice et
vous qui l'employez sans le droit?
le bien de se défendre avec la force, vous qui recourez à
la force pour violer la justice et abolir le bien? Dites
plutôt que vous avez détruit la société qui déployait les
facultés de la nature humaine, et qu'aujourd'hui vous
restez interdits à l'aspect des ruines que vous entraînez
après vous.
Mais, bien que la Révolution se soit faite au nom d'une
idée, n'allons pas croire que des idées sur l'état de na-
ture ou sur la liberté meuvent encore les classes libé-
rales Obéir à une pensée était encore un bénénce de la
génération formée sous l'empire des principes de ce qu'on
nomme l'ancien régime. L'idée de la patrie, de sa gloire
et de sa liberté forment si peu l'objet des préoccupations
de la génération nouvelle, que celle-ci pour amasser
paisiblement de l'or reprendrait l'homme de Sedan.
Pour retrouver les oignons d'Egypte, le Césarismene lui
ferait plus peur. Ah ne cherchez pas là un homme qui
voulut changer les bénéfices de son petit commerce contre

lent des <


la gloire de Bossuet ou celle de Chateaubriand. Ces
classes nées de la Révolution vous l'ont dit elles veu-

hommes d'affaires.
Ces libéraux devaient se changer en

Mais il y a un revers à cet enrichissement rapide que


fera-t-on des classes inférieures qu'on a entassées dans
nos villes~? Les classes libérales ont amassé de la richesse
sur un point, mais voilà que le paupérisme surgit immé-
diatement sur l'autre.. Il ne suffit pas d'échapper à Dieu,
il faut maintenant échapper à la mort

X.

Philosophes et hommes d'Etat du Libéralisme.

Etre à la fois la plus grande illusion et la meilleure des


spéculations, c'est tout avoir pour réussir parmi les
hommes. Le libéralisme devint en chaque chose le moyen
du succès. Il en fut ainsi pour le Pouvoir, à plus forte
raison pour la littérature et même pour la philosophie.

(t) Au lendemain de 1830, maintes villes de commerce donnaient


une
commission de G fr. par tcte~ du singuliers courtiers. Ils étaient charges de
recruter dans les campagnes des jeunes dites pour la fabrication des tis~a.
On sait ce que devenaient leurs mœurs.
DE NOSHRREURS
Cette dernière, malgré tout son crédit,
eut-elle jeté
autant d'éclat dans le premier tiers de ce siècte, sans ses
invocations ardentes au Libéralisme? L'homme qui l'avait
ramenée parmi nous éprouvait le besoin de répandre ses
invectives éloquentes contre un gouvernement qui
n'en-
lui
tendait pas offrir son encens a la grande Idole et
demander le succès. Dans ces leçons, le maître déclarait
les progrès du genre humain aboutissent une Cons-
que exiler
titution formée des idées libérales. Il se fit d'abord
elles, puis, « las du martyre, il revint bientôt
pour »

reprendre une chaire où il disait « Je vous ferai connaître


l'année et jusqu'au jour où la philosophie moderne est
née c'est celle où Descartes, affranchissant l'esprit
humain, a rendu la liberté a la pensée, etc.~ n Pauvre
le
pensée, toujours captive, et venant cette fois rapporter
bonheur et la paix
Quant au succès qu'obtint l'Histoire par le même
il est tout aussi éclatant. Son grave et docte
moyen,
défenseur vint proclamerdeux choses ignorées jusqu'alors.
christianis-
La première, c'est que, depuis les origines du
jusqu'à nos jours, l'humanité n'eut qu'un seul but.
me
n'aspira'qu'a une conquête, celle qui consacre le triomphe
d'intelli-
des classes moyennes! Classes qui eurent assez
o-ence pour épouser les idées libérales,
tirer si bon parti
de l'industrie, et proclamer l'égalité de tous les
cultes, de

laquelle est née la philo-


(1) Nous savons le jour, le mois, l'année dans
sophie moderne.. C'est en tG37, lorsque la
philosophie s'est faite homme
celle de la pensée
dans celui qui vint dire II n'y a d'autre autorite que
individueHe. Descartes commence p~r tout, et met ainsi dans le

rite d'Aristote que l'on récuse, etc.. (Co~


94 avril 1828.)
r/
monde moderne l'esprit philosophique Ici, ce n'est pas
seulement l'auto-
p/ 2" leçon,
Dites plus simplement que voua ete~es petits fils du
protestantisme les pères du Socialisme, vers lequel nous voici an-ivc-s 1
»
On lit vers la fin de la même !eçon a On se
ptaint des progrès de la démo-
poussière les
cratie et de !'espriL philosophique qui, dit-on, mettent en
croyances en Europe. J'ai vu un peu l'Europe, elle n'est pas près de se dis-
»
soudre seuicmentt'espëee humaine aujourd'hui
prend sa robe viri)e.w
ou la civilisation suc-
Qu'en dirait aujourd'hui l'orateur? Au moment
tombe. s'imaë:uer qu'elle a grandi!I
manière à installer l'erreur a côté de la vérité. La seconde,
c'est que le protestantisme, (qui l'aurait cru ?) en séparant
l'Europe en deux camps, en brisant le droit international,
et en jetant la division dans la même nation, souvent
dans la même famille, a formé les nationalités et fixé
l'Unité en Europe! Des discours en très-beau langage
s'étendirent sur ce sujet prodigieux, et dès ce moment
deux orateurs se virent appelés à diriger les affaires du
pays, après en avoir si bien dirigé la pensée
La renommée en désigne un troisième, dont la vie labo-
rieuse produisit sur l'arrivée du libéralisme à peu près
quarante volumes. Les douze premiers furentt employés
à célébrer les propos et les gestes de la Révolution,1
encadrant toutes les figures de ses célébrités pour les
établir dans l'histoire. Les suivants furent consacrés à
dire les succès du plus grand de ses personnages, du
premier de tous les parvenus Napoléon I'
L'auteur
brillant livre avec verve à notre génération ces pages
enflammées d'admirables descriptions de batailles~. Par-
tout il imprima au fond des imaginations le désir de la
gloire militaire, puis il vint tout-à-coup, en 1870, expli-
quer à ses concitoyens combien ils auraient tort d'entre-
prendre la guerre.. Enfin, comme les deux premiers, il
enseignait à son pays à ne point rejeter ouvertement ni
tout à fait le christianisme, et aussi à ne pas accepter
ouvertement ni tout à fait la Révolution. Pouvait-on
plus exactement fixer le rôle du Libéralisme omciel ?
Au fond de toute philosophie, le premier ne retrouve
qu'une pensée, notre émancipation au fond de toute
civilisation, le second ne voit qu'un progrès, le protestan-
tisme au fond de toute politique, le dernier n'admire
également qu'un fait, la Révolution

(1) Un habitué de la bibliothèque royale demandait au gardien quei~


étaient les livres le plus fréquemment demandés. Il répondit /.a jRd~o/M/t'o~
~roMpa~e de M Thiers et le Génie du christianismede M. de Chateaubriand.
Ces deux livres en effet représententles deux courants, celui que la Révolu-
tion entraîne et celui que Dieu conduit.
empires,
Dans le récit de ces grands mouvements des
cherchez ni le plan, ni l'intervention de la divine Pro-
ne
vidence. Vous aurez à sa place la fortune ou le Destin,
sans doute pour nous rendre
plus libres
Enseigner, gouverner, mais en tout manquer les princi-
hommes. Ils ont enlevé les peu-
pes, tel est le propre de ces plus
ples à la direction du christianisme pour leur assurer
de liberté, et cette plus grande liberté n'a été
qu'une plus
grande quantité de démence et de dépravation. Politiques
habiles, qui nous régissez depuis cinquante ans, avouez
bannir
qu'une pensée unique a dominé tout votre esprit
la religion chrétienne. La société reposerait entièrement
l'homme, l'homme et non le christianisme aurait fondé
sur rôle si nuisible,
la, nôtre!° La Foi joue, selon vous, un
toute politique a pour but de la bannir progressi-
que société rai-
vement, pour fonder chez les hommes une
sonnable, « un gouvernement libre, o qui puisse écarter
leçons,
le clergé del'enseig'nement, introduire partout vos
de l'ins-
évincer Dieu des lois, des mœurs, du mariage,
truction publique, enfin de l'ordre social'.
chose.
La Commune à cette heure ne réclame pas autre
Seulement, elle le dit franchement et elle le veut ouverte-
ment
XI.

Ils ont t'ormè les démagogues.

des
C'est dans les points de vue et les inspirations
puisé ses
maîtres du libéralisme, que la démagogie a
exprimer
raisons Celle-ci du moins a la franchise de les
fondée sur
hautement. Notre société, dit-elle, n'est pas
doit donc pas enseigner sa parole & l'en-
Dieu on ne

la tête des peuples,


(i) Ce ne sont plus tes hommes d'honneur qui sont à brebis. Et
de peaux de
mais des hommes d'orgueil et de cupidité revêtus
l'on verra de plus eu plus la
présomption se porter au Pouvoirl Tel est
de l'Autriche, de
maintenant le sort de l'Espagne, de la France, de l'Italie,
prévaloir la Révolution.
tous tes peuples qui ont laissé
tance. Fixé sur l'homme, notre ordre social est en dehors
du christianisme il est donc inutile de conserver un
Il
traitement au clergé. La prière est une action perdue
on ne saurait donc plus tolérer chez nous de religieux
ni de couvents. Seulement, un peuple souverain qui ne
travaille pas, a faim et comme il voit vivre chez lui
des prêtres et des religieuses, il veut qu'on lui permette
d'égorger au plus tôt des gens qui ne servent à rien..
Apaisez vos disciples, hommes d'Etat si éloquents Gou-
vernez la génération formée par vos philosophies, par
votre histoire, par votre politique!1
Vous étiez les Mazzini et les Cavour du temps vous
avez donné à la France ses Prim et ses Garibaldi. Ces
derniers n'ont pas eu d'autres vues que les vôtres. Si
vous n'aviez pas réussi à jeter la France hors du catho-
lisme, ils n'y eussent pas entraîné l'Italie et l'Espagne.
Pour juger vos doctrines et votre 'direction, voyez ce
qui vient après vous.. Rois de la foule, ceux qui se pres-
saient pour vous entendre, à cette heure il est vrai vien-
nent vous détrôner. Cependant ce peuple est bien le vôtre,
vous ne pouvez le renier. Il faut vous résigner: partout
où vous écartiez l'homme de Jésus-Christ, vous aurez
l'homme de la Commune..
Mais, avec ceux qui vous succèdent, comme avec ceux
qui vous supplantent, même aujourd'hui vous restez d'ac-
cord sur un point l'expulsion du catholicisme. Pour sau-
ver la patrie, il fallait écarter le S. Père de la vie poli-
tique, enfermer le clergé dans les sacristies, enlever aux
couvents le droit de posséder, enfin poster en face de
chaque presbytère un instituteur instruit par vos soins,
c'est-à-dire un laïque substituant le point de vue de
l'homme au point de vue divin. Tout prêtre était un
ignorant, tout religieux un complice de l'obscurantisme,
un défenseur de la superstition, et tout homme titré un
sot et un impertinent.
A cette heure, vos disciples passent aux conclusions.
Ces hommes qui n'ont pas vos manières, mais qui ont vos
leçons, expulsent le Saint-Père de ses Etats, attendent le
moment d'égorger les prêtres, demandent à procéder à lu.
spoliation immédiate des églises et des couvents, puis, par
là même, à la réduction des fortunes à un même niveau.
Pour atteindre ce but, on devra nager dans le sang. Mais
il faut bien que vos idées s'appliquent 1

Vos disciples, aujourd'hui les maîtres, ne manqueront


pas de rendre l'instruction obligatoire pour compléter le
nombre de ceux qui penseront comme eux. Ici la calomnie
ne s'endormira point. Elle servira d'escorte à leurs maxi-
mes en politique, comme elle a servi de cortége à vos vues
sur l'histoire. Fidèles à vos leçons, ils feront de nouveau
circuler sur le clergé, sur l'aristocratie, des fables que
l'enfance croira sans examen. Ils prodigueront celles qu'ils
savent de nature à soulever les campagnes contre ceux qui,
dit-on, rêvent le rétablissement de la dîme et des droits
féodaux, bien que, depuis des siècles, nous en ayona été
délivrés par nos Rois 1 1

Cependant, vos conservateurs sont plongés dans le


découragement. Ils déclarent que tout est perdu. Et pour-

(1) Plût au Ciel qu'on revint à la dime! car, pour soutenir la société
entière, religion, enseignement, assistance, justice, armée, propriét.é, sécurité
intérieure et extérieure, l'ancien régime n'employait que la dixième partie
des produits récoltés, tandis que pourvoir sacrifier ces choses, nous payons
le sixième et quelquefois le quart des produits présumes Et si l'on tenait
compte de l'octroi, des cotes mobilières, de tous les enregistrements,à quel
chiure arriverait l'impôt? Ajoutez-y les frais de succession, de timbre, de
greffe et d'hypothèque Enna, si l'on ~observe que l'industrie moderne a dé-
capa chez tous les occasions de perdre leur fortune, il reste, que pour un
petit nombre d'individus démesurément enrichis par l'agiotage et l'indus-
trialisme, des familles sans nombre ont disparu dans la misère.
Avant la Révolution de Juillet, faite, dit-on, pour obtenir un gouverne-
ment à bon worc/~ la France payait de six à huit cent millions d'impôts.
Et ce gouvernement les porta au chiffre progressif de quatorze cent mil-
lions 1 Plus tard, le 24 février proclama le gouvernement d« pays par le
pays il ne devait plus rien coûter. Et l'empire aussitôt, pour contenter son
monde, éleva nos impôts a deux milliards et trois cent millions
A ce chiffre ajoutons les emprunts d'Etat, l'encaissement occulte des
fonds
provenant des compagnies d'assurances, des sociétés de secours mutuels, des
caisses d'épargne, des bons du Trésor, etc., et nous approcherons du chiffre
de trois milliards, chaque année prélevés par l'impôt sur nous, au lieu de
six à huit cent millions. Trois milliards prélevés sur dix milliards, non
quoi? Parce que les plus absurdes calomnies sont mainte-
nant acceptées parle peuple, pourvu qu'elles soient diri-
gées contre eux Eh bien, les voilà dans la situation qu'ils
ont faite à l'Eglise: il faut bien qu'ils connaissent la loi
du Talion. Ils sauront que, pour persuader la foule de
tout ce qu'il y a de pius insoutenable et de plus odieux,
il suffit d'en accuser les riches, le clergé ou les Rois.

XII.

Profits du LibfraUsnne.

Eloigner Dieu pour glorifier l'homme, écarter la Reli-


gion des postes d'où elle défendait la société, mépriser
toute hérédité, annuler le mérite, confondre absolument
toutes les classes, dérober au clergé l'opinion et la con-
fiance des peuples, enfin ravir aux anciens titulaires et
les emplois et les honneurs, tel est l'œuvre du Libé-
ralisme.
Jusqu'à ce jour, on voyait les partis et les populations
verser leur sang pour des intérêts purement immatériels.
Depuis l'avènement des classes formées par l'industrie, on
ne gémira plus d'un tel excès d'enthousiasme. Les opi-
nions et les carrières qui ne rapportent que de l'honneur
ont vu leurs rangs promptement s'éclaircir. Tout en pri-
sant fort haut les intérêts du peuple, le Libéralisme a
trouvé l'art de ne point mépriser les siens. Il a bien voulu
consentir à porter les honneurs et les charges qu'il avait
jusque-là regardés chez les autres comme des privilèges
iniques, blessant l'égalité. En fin de compte, jamais au-
cune affaire n'a présenté d'aussi brillants produits que
celle du Libéralisme.

pas de produit net, mais bieu de produit brut, qui forment le rendement
annuel de la France 1
Et le libéralisme s'indigne contre la réaction Il ne faut donc
pas réagir
contre la ruine et contre le malheur?
Etre à la fois, comme on l'a dit plus haut, la plus
grande illusion et la meilleure des spéculations, c'est tout
avoir pour réussir parmi les hommes. Depuis bientôt cin-
quante ans, c'est avec le Libéralisme qu'on arrive à tous
les emplois, sans excepter celui de Souverain; qu'on
acquiert toutes les réputations, sans excepter celle de
philosophe. Si l'on porte les yeux sur les Trônes, dans
les Conseils, dans la Diplomatie, dans les Académie~
dans les Chambres, dans toutes les administrations, et
dans les Loges maçonniques, on cherche vainement une
place qui ait été acquise ou conservée en dehors du Libé-
ralisme.
Et non-seulement dans plus des deux tiers de l'Europe,
les Rois pour conserver leurs trônes, les Princes pour s'as-
seoir sur ceux qu'ils ne possédaient pas, les hommes poli-
tiques pour atteindre aux emplois les mieux rétribués,
mais presque tous les écrivains pour trouver une place
dans l'opinion, se sont vus obligés de recourir au Libéra-
lisme. Des milliers de savants et d'auteurs ont pu ae cons-
tituer ainsi d'excellentes fortunes, et des Rois sur le point
de se voir annexés, ont positivement réussi à
s'annexer
tous leurs voisins
Qu'on le dise! depuis 1820, est-il en Europe un homme,
Roi, prince, ministre, ambassadeur, magistrat,
financier,
académicien, professeur, publiciste, ou grand industriel,
qui se soit fait une position brillante sans user avec dis-
d'ob-
cernement des idées libérales? Car ici tous ont soin
server les nuances. Il y a
libéralisme pour celui qui règne,
libéralisme
et libéralisme pour celui qui aspire au Trône;
libéralisme pour le mi-
pour le ministre en fonctions, et
nistre en expectative. Toutes les proportions sont ordinai-
rement connues, depuis celles qui font l'ambassadeur,
l'orateur modéré, le financier en vogue, jusqu'à la dose
indispensable aux journalistes à effet, ainsi qu'aux écri-

Victor-Emma-
ai)Pour le moment, du moins, le Libéralisme a rapporté à
ancêtres dans les
nuel plus de provinces que les combats glorieux de ses
Lieux Saints.
vains qui n'existeraient plus s'ils étaient un instant négli-
gés par le libéralisme.
Depuis 89, il n'était pas de thèse creuse qui ne fut
Il
pleine de science, pour peu quelle encensât l'idole.
n'était pas de vaniteux, de pédant, d'orateur ridicule, de
grand seigneur quittant son rang pour mendier la popu-
larité, d'ambitieux nottant à tout vent de doctrine, enfin
d'existence amphibie, qui n'ait trouvé du relief et rétabli
palinodies, quelle
son unité si elle disait, à travers ses
avait toujours défendu, quoi? la liberté; Et notez que
DÉFINIR. Comme leurs plus grands types,
PAS UN N'A su LA
gloire ou
les Bonapartes, ils étaient des escamoteurs de
des escrocs de popularité.
.Quant la vérité, on en faisait litière, et la société por-
tait tout. Déclarer que les peuples, naturellement magna-
nimes, luttaient avec grandeur contre le despotisme,
naturellement inféodé aux rois, c'était être déjà libéral.
Ajouter que les campagnes gémissaient sous la domina-
main du
tion des prêtres ou des nobles, saisir partout la
jésuitisme ou'les piéges de la police, c'était être encore
plus libéral. Exiger que ni la Foi ni les mœurs ne
fussent protégées, signifier que toutes les religions sont
proie à
bonnes, que les hommes ont le droit de rester en
consi-
l'erreur, et que les prêtres catholiques doivent être
de
o.nés dans leurs sacristies, c'était donner des preuves
dis-
moins en moins douteuses de son libéralisme. Enfin,
suader vaillamment les âmes de l'ultramontanisme, c'est-
délivrer
à-dire de l'obéissance à la plus haute autorité,
l'Italie de l'oppression de Rome, faire crouler l'idole
du
civiles, pu-
Vatican, élever nos enfants suivant les lois
blier que les Ordres sont inutiles, qu'ils ne
doivent point
posséder, que l'Eglise est trop riche et que la vérité peut
protéger toute seule, c'était être de plus en plus libéral!1
se le privi-
Mais alors, vouloir qu'on nous ôte à nous-mêmes
n'était plus,
lége féodal de la propriété et de l'hérédité, ce
devenir honteusement
cette fois, se montrer libéral, mais
socialiste' Ici, pourquoi s'arrêter en chemin? le peuple
ne le comprend guère.
Dès qu'un prêtre passait pour être libéral, il avait du
g'énie; et peu s'en faut que le laïque pouvant unir le libé-
ralisme à la Foi, ne fut considéré comme un Père de
l'Eglise! Le public français attend encore de tout homme
prenant la plume, qu'il défende les idées libérales, sinon
cet homme est privé de talent. Issue de la littérature, la
Révolution avait intérêt à ce que l'on pût confondre la
capacité littéraire avec la capacité pratique. Les libéraux
brillaient sans doute par la première, car chaque fois
qu'ils prenaient en mains le timon des affaires, l'Etat
arrivait plus près de l'abîmer Mais à partir du 2 décem-
bre, ils employèrent la capacité littéraire avec tant de
succès, au Pouvoir et dans toutes leurs lois, que, si Dieu
n'intervient, la France, ses armées, ses finances, son sol,
ses habitants, disparaîtront sous l'opprobre de la con-
quête, de l'incendie et de la dispersion..
Depuis le trône jusqu'à l'échoppe, la société fut enlacée
dans le Libéralisme. Comme il était le moyen du succès.
ne vit-on pas jusqu'à des membres du clergé sourire dis-
crètement à quelques idées libérales pour mieux ramener
l'attention sur la Chaire? Plusieurs même ont cru que la
doctrine sainte en affectant, sous le nom de gallicanisme,
une allure libérale envers l'Autorité spirituelle, serait
mieux accueillie de l'Etat et de la société dite moderne~.

(1) Où ils se sont montrés tout-a-fait supérieurs, c'est dans le soin de leurs
auairt's. Arrivés sur la scène avec leurs idées pour tout patrimoine, ils s'en
sont retira, les uns après les autres, escortés de millions, sans doute légale-
ment bénéficies.
Toutefois,rappelons pour mémoire que cette Restauration, qu'ils ont cons-
puée, n'present~it du moins l'honnêteté. Ses ministres, passés en jugement
pour ne s'être pas assez tôt retirés devant eux, sortirent des aûaires littéra-
lement sans fortune
M. de Chautelauze fut rencontré sur la route de Bruxelles avec 3 fr. dans
ses malles; M. Guernon de RanviHe, qui fignore? n'avait u rien dans sel
poches; M. de Montbet fut se réfugier auprès de Charles X; et chacun sait
la situation modeste ou sont restés les Polignac. Quinze ans auparavant,
M. de Richelieu, qui avait traité avec l'étranger la question de nos milliards
d'indemnité, vivait dans une simplicité si proche du détiùment que le Pays,
reconnaissant, a du s'en émouvoir.
(2) <' Le gallicanisme, dit le R. P. Montrouzier, rampait devant le grand
LÉntT.
Les gouvernements attiraient dans l'épiscopat ceux qui
raisonnaient de la sorte. Celui qui ne maudissait pas en
tout la pensée libérale était évidemment un ami de César.
Dans cette distribution savante des positions et des em-
plois, des trônes et des renommées, le Libéralisme, du
moins, ne mettait en oubli personne!t
Il n'était pas seulement la meillenre des spéculations;
il fut encore le vrai moyen de conserver la paix. N'être
point libéral, c'était se condamner à ne plus être considéré
comme un compatriote. C'était défier la fortune, insulter
la pensée, mépriser ses contemporains, braver la justice
elle-même, se montrer un esprit étroit, refuser d'être « un
homme de son temps. Un tel homme, évidemment hos-
tile aux nobles aspirations modernes, devait. être un dé-
fenseur du despotisme, un contempteur de ses semblables,
un ennemi du genre humain.. Et l'ostracisme privé
s'ajoutait de la sorte à celui que les gouvernements fai-
saient peser sur lui.
Le temps était venu où, pour trouver faveur ou simple-
ment justice, il faHait apostasier la raison, déserter le
véritable honneur et montrer la marque libérale! Mais
par malheur, le temps viendra, aussi, où pour avoir du
pain, l'homme devra montrer la marque de l'apostasie
définitive.. Ce dernier esclavage soldera les bassesses ren-
fermées dans les autres.
0 servitude!1 ô défaillance! que d'esclaves et que de
mendiants, depuis ceux qui présentent leur requête aux
nations pour obtenir des Trônes, jusqu'à ceux qui la pré-
sentent à la foule, pour obtenir la popularité, et par elle
un peu d'or 1 Parmi tant d'hommes qui se disaient si
fiers, a-t-on entendu une voix dénoncer cette honte, pro-
tester contre une telle servitude et rappeler le siècle à la
pudeur?
On vit l'Eglise seule condamner le Libéralisme; seule
oser dire en face à ce triste siècle qu'il nous humiliait et

Roi etdevant l'Empereur; aujourd'hui, il mendie une popularitéaussi solte


qu'éphémère. Il sacrifie l'Eglise pour plaire à la reine du monde.1
nous conduisait à la ruine. Aussi, la France cherche
aujourd'hui des hommes qui puissent la sauver.. Mais où
sont ceux qui appelaient la vérité, au lieu de suivre leur
siècle par derrière pour en recueillir les profits ?

XIII.

Coutumes du Lib6raHsma.

Qm n'a vu de près les habiles qui nous ont fait ces des-
tinées ? Quand nous étions enfants, nous entendions des
hommes raisonnables accuser violemment le bon roi
Charles X de pressurer et d'opprimer son peuple. Puis
nous les vîmes tous un peu plus tard servir L. Philippe,
conduit à mitrailler ce peuple dans les rues et à doubler
tous les impôts pour se maintenir au pouvoir! Aussitôt
d'autres hommes traitèrent L. Philippe de tyran, d'ennemi
de l'égalité et de corrupteur de la France. Et peu après
nous les vîmes ëgalementencenserun nouveau Bonaparte,
accepter de sa main les charges et les dignités. L'égalité
était leur idéal, leur amour, leur caprice c'était le dogme
de l'humanité, et tous allaient ramasser les décorations,
les places, l'argent surtout qu'on leur livrait 1.
Quoique jeunes, nous comprîmes le peu de sérieux qu'il
l'opinion
y avait dans ces esprits et le peu de valeur de
qu'ils professaient. Bien nous en prit; car ne prêtant plus
l'oreille à leurs discours, nous cherchâmes la vérité ail-
leurs. On avait beau changer de lieux et d'interlocuteurs,
partout les libéraux se ressemblaient, au point que chez

France,
(1) La chute de Charles X devait amener la grandeur de la
fortune Ils voulaient parier de
comme ce!le de L. Philippe devait en faire la
la leur.. Quant aux mœurs, chacun peut dire
qu'on n'a guère observé chez
les sectateurs du tiberalistne que l'ambition et
l'illusion. L'illusion occupait
leur esprit ettenait lieu d'idées, l'ambition occupait leur cœur et servait de
point
mobile. On en connaissait peu qui eussent réellement des mœurs, et
avoir, au
qui ne sollicitassent des emplois d'un pouvoir triomphant, après
le pouvoir qui leur refusait ce pro6t.
nom du désintéressement, combattu
eux les idées, lac onduite et le caractère
paraissaient sbrtir
d'un seul moule. Hélas! c'était celui d'une nullité d'idées
et de caractère portée par l'ambition. Partout on les trou-
vait combattant le Pouvoir, les lois, la religion, même la
société, quand ils étaient hors des fonctions publiques;
partout célébrant les lois, exaltant un Pouvoir qui, sui-
vant eux, sauvait la patrie et régénérait la France, dès
qu'ils arrivaient aux emplois.
Ne les a-t-on pas vus à leurs débuts, farouches envers
les grands, mépriser la naissance, .pousser des cris contre
les dignités, contre l'hérédité des titres, contre les iné-
galités, contre les supériorités; puis, dès que la for-
tune leur arrivait par l'industrie ou par
l'agiotage,
monter leurs équipages, porter des armoiries, tenir bas
leur chapeau autour de la noblesse de manière à la
coudoyer; et, malgré leur cupidité dominante, rechercher
pour rieurs filles des hommes titrés, ces derniers fussent-
ils sans fortune? Ils purent même, en fait de titres, se con-
tenter de l'apparence, tant ils étaient préoccupés de tenir.
honneurs 1
ne fût-ce que par un fil, aux

En même temps que les pronts, on voyait arriver les


ameublements fastueux, peu après les châteaux, les parcs,
les concierges, les pages, comme à la Cour ou comme
dans les grandes maisons de France. En ont-ils fait bril-
ler le patriotisme ou le désintéressement? En ont-ils laissé
voir le vieil honneur, la noble charité, le génie, les ver-
tus, l'héroïsme? Qu'ils le comprennent ou qu'iis
l'igno-.
qu'ils
rent, ces hommes condamnaient la grandeur parce
n'avaient pas la grandeur, les distinctions parce qu'ils
étaient sans distinction; ils réclamaient l'égalité parce
qu'ils étaient petits, puis écrasaient le peuple de leur
grands.
morgue aussitôt qu'ils se croyaient
Génération condamnée à prendre là tes maîtres, à rece-

faudrait pas condam-


(~n n'y H.en cela aucun mat; mais alors il ne
ner la noblesse; soulever des revotuUous contre elle on la prohiber par
des lois.
voir de là tes lois, tes arts. tes idée., tes
coutumes, même
n'auras-tu pas une compensation ?
tes rois, ébranlé la
N'est-ce pas eux qui ont perdu l'éducation,
le respect, puis en vulgarisant le luxe,
famille en ruinant
l'argent? N'ont-ils pas appauvri la
sotte arrogance
France d'hommes
de
supérieurs en refusant ~~lon à
élevé? A force
la vertu et la sympathie à tout ce qui est, l'aversion de ce
sein de leur cupidité
de pratiquer au population fran~
qui est éminent, ils ont communiqué à la
la dïstinction, pour la supériorité
Mise un mépris pour point
personnelle, que nos missionnaires déclarent n'avoir
distingue
rencontré chez les infidèles. Si l'homme qui se
culte des nobles sentiments et des grandes idées,
par le l'amitié chez ses sem-
loin de rencontrer la faveur et les
blables, ne soulève que l'antipathie, nous verrons le
dans
populations de France s'affaisser pour jamais
seconde généra-
médiocre. Et qui ne sait quel point la
première?
tion libérale est inférieure à la enfance
Cette première génération celle que notre
cheveux blancs, brillait par la sincérité, les
connut en
d'âme. On recon-
sentiments et une certaine grandeur
le point
naissait là des familles déjà distinguées, et sur
89 aux
d'être illustrées quand vint l'arrêt apporté par
anoblissements légitimes. Cette génération. formée à
de l'éducation des
l'école de l'autorité paternelle, relevait
qui préféraient encore la grandeur morale de leurs
mères
Elle fourmillait
fils à leur bien-être ou à leurs succès.
de l'amitié et les
d'hommes connaissant les noblesses
tout
beautés de la reconnaissance son cœur était encore le
Profitant, sans
plein de ce qu'avait perdu son esprit.
elle fournissait les
voir, des bénéfices de l'ancien régime,
privées, disait-
généraux et les soldats des armées de 92,
vêtements et de chaussures, mais sachant battre
l'ennemi.
on, de

Qu'attendre de la génération qui trône aujourd'hui sur


la France? celui qui
On voyait autrefois les hommes s'attacher à
apportait, des lumières, leur conservait de l'amitié,
leur
leur procurait les jouissances de l'art ou celles de la
pensée. Les hommes aujourd'hui ne s'attachent qu'à celui
qui leur fait gagner de l'argent ou qui flatte leur amour
propre. Les fils, pour la plupart, ne portent de respect à
leurs pères qu'en proportion de la fortune que ceux-ci
laisseront. Le mépris couche d'avance dans la tombe le
chef de familier qui l'~ge ne permet plus de travailler'.
Les hommes ont détruit le respect qu'on avait pour
Dieu, pour le roi, pour le prêtre, et leur paternité à cette
heure est découronnée! Les cœurs sont si rampants, les
attachements si fragiles, les habitudes sî communes, qu'on
se demande s'il ne sera pas plus facile encore de rétablir
l'ordre extérieur que dè relever les esprits.

XIV.

Crime du libéralisme.

Après avoir persuadé aux hommes que tout asservisse-


ment découle de la religion, n'est-il pas odieux d'être
immédiatement venu exploiter le peuple, d'abord par l'in-
dustrie, ensuite par l'agiotage?
Depuis l'origine, ce peuple vivait, se nourrissait et
se
conservait sans fin dans les campagnes. C'est là que le
cultivateur, après avoir nourri, vêtu, abrité sous un toit
sa famille, apporte l'excédant s'il en reste, sous le nom de
fermage, au propriétaire du sol. Sous prétexte de
pros-
périté, mais au fond pour faire promptement fortune,
vous l'avez attiré dans vos villes, en face de votre luxe et
1

de votre incrédulité. Et là, avant d'avoir du pain, avant


de posséder un toit, des vêtements
pour lui et sa famille,
il faut qu'il attende de vous un salaire, si l'industrie, tou-
tefois, ou si l'état de vos affaires permet de le lui donner

(1) Qui n'a entendu des fila, pour désigner te~r përe, se servir,
non sans
quelque affection. de ces mots c'est le t)tsf/.r/
suffisant'. Par le chômage, par les faillites, de même que
côtés, cet homme
par les vices qui le pressent de tous dans un
voyant tout ce salaire se dissiper, disparatt
gouffre qui n'existait point avant vous, un gouffre encore
inconnu hors des villes, celui du paupérisme.
Aux champs, que Dieu même avait faits, les
familles
possédaient une vie immortelle; au milieu de nos villes,
elles s'évanouissent dans la misère ou dans la
stérilité.
de pre-
Les champs sont créés pour produire les objets
mière nécessité, les richesses qui nourrissent l'homme,
multiplient les familles et forment les nations. Vous avez
augmenté sans mesure les villes, où, pour accroître votre
gain, vous avez fait produire les objets de superfluité,
richesses qui corrompent l'homme, dévorent les famil-
ces peuples à
les, détruisent les générations, conduisent les
la mort.
Une telle direction, une telle aristocratie n'est-elle pas
condamnée moralement, économiquementet socialement?
Avouez-le, son règne détruit l'homme et détruit la nation.
Cette aristocratie a produit l'abaissement moral, maté-
riel et politique du pays. Elle a répandu dans nos mœurs
les instincts qui ont fait battre nos armées, dans le peu-
ple, le délire qui le porte à vouloir tout incendier et c'est
elle qu'on entendra déclarer, sans gémir, que la France
estjo~ appelée à subir le sort de la Pologne qu'au
reste toute grandeur a sa un Pour de tels hommes, que
la
résignation serait bientôt complète! Ils se diraient que les

ne peut empêcher l'homme de


gent'. Oui, telle serait la substance de leur ~<
polonais sont, il est vrai, privés de patrie, mais que cela
dormir ni d'avoir de l'ar-

du Dieu.
(t) Là, au lieu de toucher son salaire en nature, et de la main
l'or, qui
qu'on a prié, il le reçoit de votre main, non en denrées, mais avec
lui brûle la main. Que deviennent la prévoyance, la simplicité,
l'ordre et la
garantie?
sobriété, puis toutes les vertus dont celtes-ci raient la racine et la
Dites-leur que,
(2) Quc-lquea-uus ont déjà touche le sol de l'effronterie..
ils ont volé les fonds publia
par l'agiotage ou des marchés scandaleux,
lorsau'tls étaient ministres, qu'ils ont mis la justice aux enchères quand ils
l'ennemi
étaient arbitres ou administrateurs, qu'ils se sont sauvés devant
Babylonis. Autrefois, par la voix des prophètes, Dieu
n'a tant nagellé l'avarice et la cupidité, que parce qu'elles
dessèchent le cœur et le privent du grand amour; com-
ment l'amour de la patrie aurait-il résisté ici?
Ah! que celui qui veut se décharger de responsabilités
redoutables, se détourne de tout ce qui s'est fait depuis
quatre-vingts ans sous le nom de progrès, de liberté et de
prospérité des peuples 1
Pour vous, qui desséchiez le cœur de la France en taris-
sant la Foi, et qui, d'un ceil serein, regardiez les mœurs'
s'évanouir avec les nobles sentiments, ces rénexioas ne
vous sont point offertes pour vous humilier, mais pour
vous laisser voir d'où il faut ramener les cœurs Dieu a
lancé ses flèches c'est le moment de les retirer de la plaie
pour en faire dégorger. tout le sang vicié. L'histoire même
tient ce langage la France sera grande dès qu'elle sera
chrétienne. On ne peut espérer une restauration nationale
que d'une restauration morale, et une restauration morale
que d'une restauration chrétienne.
Ne disons rien, ou disons les choses utiles! Comme le
libéralisme est, depuis quarante ans, en pleine possession
de la France, qu'il en
a formé les esprits, préparé les
idées et rédigé les lois, on l'adjure de considérer ce qu'il
a fait de la France moralement, économiquement et
nationalement! On lui demande si, en conscience, il croit
devoir encore la gouverner, à moins de recevoir une trans-
formation morale et politique, telle qu'on l'expliquera plus
loin.

quand ils étaient officiers généraux dites-leur qu'ils ont fait des faillites
scandaleuses quand ils étaient marchands, et pour toute répons H.s vou~
r~ar~'ront on j'itié..
XV
Race n6edu libéralisme.

))u scepticisme uni à la cupidité est sortie une race


qui jusqu'alors n'avait pas été signalée, celle de l'homme
médiocre, ou de l'homme content de lui. Content d'avoir
é~cun'é dana son âme tous les mouvements supérieurs, et
ramené ses facultés aux proportions d'un instrument pro-
exclusivement
pre au gain, propre au succès, propre à jouir
de la vie. Cet homme entend ne plus sortir de la nature.
On avait vu des hommes passionnés, abrutis,
aban-
donnés à leur nature; on n'en avait pas encore vu
qui
fussent assez maîtres d'eux-mêmes pour la mutiler froi-
dement et'en ôter les pl us grands dons. On avait vu des
populations égarées diminuer leur foi pour esquiver la
conscience; mais on n'avait pas encore vu (si ce n'est
peut-être dans la Chine) 'toute une race anéantir en elle
l'organe de la Foi, étoun'er ces élans du beau, du vrai,
du bien, par lesquels Dieu annonce son entrée dans
notre âme.
Pour les enfants de cette race, qu'est-ce que l'âme im-
mortelle ? un instinct que le temps a perfectionné, un be-
soin de plus en plus accentué de.vivre dans le confortable.
Comme l'orgueil, qui ne peut mourir, descend à mesure
méprise ce qui est
que la vie se retire, l'homme médiocre
grand, ce qui est élevé, et il est fier de ce mépris, fier
de cette dégradation, qu'il se donne pour mission d'impo-
à la société tout entière. L'individu n'est plus estimé
ser
un tel a gagné
sur ses vertus, mais bien sur ses succès «cherche à nous
tant d'argent » Comme le Créateur
élever, et que l'homme médiocre toujours se baisse pour
finir avec tous ces appels, il n'y a rien à lui comparer
en
dans la nature. Il s'est formé une âme qui fait horreur
grandir
et honte à Dieu, car Dieu a formé l'homme pour
et s'élever aux choses éternelles.
De cette race est né le mal ~e notre époque, l'indiffé-
rence cette mort vivante que les grands esprits du com-
mencement de ce siècle s'étonnèrent de rencontrer chez
un si grand nombre. L'indifférence, tel est le signe de
notre temps, le caractère de la race qui nous domine.
Au fond, n'est elle que l'ineptie de l'âme en regard de
l'ordre supérieur. Oui, jndiS'erence pour ce qui tient à
l'immortalité, et convoitise ardente pour ce qui tient au
moi. à la nature.
Celui que dégrade le vice, en souffre; il voudrait pou-
voir se relever. Mais celui qui ne veut pas se relever,
celui qui, réduisant sa vie, voudrait n'être qu'un animal
intelligent et satisfait, comment le tirer de sa déchéance ?
Les races les plus malades ne sont pas celles qu'une
erreur ou qu'un vice atteint, ce sont celles qui ont fini
par se connner sur la terre et par mettre leur moi à la
place du cœur. Chez le crétin, l'âme n'est point médiocre,
il sourit au moindre rayon qui arrive à son intelligence.
Mais briser l'élan qui vient enlever notre âme à la terre,
en concentrer les aptitudes sur la recherche du succès et
du bien-être d'ici-bas, en un mot, s'amoindrir, voilà ce
qui n'effraie point les hommes médiocres. Ils se sont fait
une âme à eux, une pensée à eux, et un bon sens qu'ils
font consister dans Je mépris de ce qui est supérieur.
Aussi ont-ils des facultés intellectuelles qui leur sont
propres, avec lesquelles on peut être lettré, savant, légis-
lateur, et même roi quand le peuple s'y prête. Ils avaient
des Revues bien écrites et de puissants journaux, ver-
sant sur un monde engourdi la pluie la plus fine du
médiocre. Ces innombrables pages, qu'on eut dit offertes
au néant, présentaient toutes un point commun l'ab-
sence navrante des principes Les idées ressemblaient
à ces têtes de plâtre dont les traits ont été emportes, et
le lecteur se demandait sans cesse pourquoi il se trouvait
plus vide à mesure qu'il lisait.
Mais, sans parler de nos lois ni même de la politique, il
faut voir en quel état ils ont mis les sciences Pour la théo-
logie, la philosophie, la morale, auxquelles ils n'ont pas
qui s'en occupent ne
pu toucher, ils déclarent que ceux capàbles
sont que des rêveurs, et, pis encore, des hommes
d'ébranler l'ordre social et même l'ordre financier. On
voit comment d'une telle race dérive l'erreur propre de
notre temps, erreur que le Concile vient de frapper sous
le nom de «Naturalisme'. Tout réduire à la nature,
tel est le but du libéralisme, tel est l'objet des hommes
médiocres.
Dans la dégradation que le mépris des choses supé-
rieures imprime à leur nature, ils éprouvent une ap-
préhension' co-ntinuellie à l'égard de la vertu et de la
distinction, dès qu'elle ne se donne point pour se préoc-
matériels. Sans doute
cuper exclusivement des intérêts
humiliés dans ce contact, ils se sentent pris d'une aver-
sion cachée contre tous ceux qui restent grands par
les
doctrines ou par le caractère. Oui, sous les dehors de leur
indifférence, les hommes médiocres nourrissent une haine
inexorable contre celui qui dit à l'àme de se tenir cons-
tamment prête pour l'immortalité! Or, parmi les choses
supérieures et grandes, se trouvent les principes et l'hon-
de cœur, les
neur, les hommes de Foi et les hommes
religieux les. saints, tous ceux qui se sont consacrés
à Dieu. Et comme leur action sur la société se trouve
soigneusement paralysée par les hommes médiocres, ces
derniers crient aujourd'hui Où allons-nous ?
Marchands de Tyr, princes de Babylone, vous pensiez
111, et même avoir décidé-
vous éterniser dans Napoléon Gar-
ment enfermé l'âme dans le linceul du naturalisme.
diens trop diligents, vous êtes renversés, la pierre du
sépulcre se lève, et Dieu fera rentrer ici-bas l'exilée dans
tous les apanages de l'immortalité.

(i) La pente actuelle des cœurs, le trait principal des


caractères, l'habi-
re~it. et l'esprit
tude des individus, la coutume des sociétés, h loi qui les
c'est ce que
politique qui les gouverne, enfin le signe propre de notre temps,
le Concile déclare tout d'abord, et nomme
de son vrai nom qui est le
Naturalisme. 7~ Synod de. Mgr l'fv. de Poivra, sur la i~co~.
Cone. d;< t'c~t'co~.
Que de types condamnés ont paru depuis six mille ans
sur la scène du monde Mais cet homme sans admiration,
sans élan, sans Foi, sans amour, cet homme qui oppose
à Dieu sa raison et ses appétits, cet homme médiocre,
eQn.n, co ph6nomonc do notre époque, devait sortir des
classes qui ont chassé Dieu de leurs lois, de leur foyer,
de leur entendement. Cet homme devait exister déjà au
moment du déluge, puisque toute chair avait perdu sa
voie et que le Créateur venait régénérer l'espèce.
Que fera Dieu si cette race, constituée en France depuis
1830 et consolidée à cette heure par la barbarie scienti-
fique de la Prusse, si cette race arrivée à l'empire (race
qui mutile et corrompt tout ce qu'elle enveloppe) deve-
nait définitivement maltresse de la terre ~?
La parole maçonnique a rencontré chez elle un organe
tout prêt pour répéter La -religion n'a servi qu'à
diviser les hommes, semer le fanatisme dans les masses
et développer l'imagination chez les femmes. Restons
dans la nature. Nos lois ne souffriront plus le retour
d'exagérations pernicieuses, et nos nls seront élevés dans
la pratique sérieuse des affaires. Nous entendons vivre
~'<xcco~, et vaquer 6~~M? aux soins qui nous réclament.
Le commerce établit seul ~~o~ entre les peuples.
Ils parlent encore, au moment où la terre s'entrouvre,
et où ils roulent dans l'abîme qu'ils ont creusé..
Négateurs insensés de l'Ordre surnaturel, contempteurs
imprudents (des Rois, calomniateurs ingrats de l'Eglise,
diffamateurs du clergé, professeurs d'imposture en his-

(1 ) Cette race disposant des faveurs, on a vu s'abattre autour d'elle,


connue des moucherons, )a uuee des littérateurs qui, par leur culte pour le
vide et leur ardeur pour le mensonge, ont fait la honte du pays. Parce qu'ils
se tenaient prêts à tout nier, tous se prenaient pour de vrais génies. Des
régions pures où Dieu l'avait p)ac6, le premier des poètes est lui-même
tombé daus ces couches inférieures, chantant les libertés et les progrès de
cette société moderne, et, comme eue, vivant dans le respect dela Révolution
Comment dire le nombre de ceux qui attachaieut l'idée hbcrate a icm's
œuvres, comme une aile qui devait les porter dans l'avenir? Ils leur ont rnii-
au cou la pierre qui les entraîne au fond de l'oubli..
toire, destructeurs du respect, usurpateurs de l'instruc-
tion publique, agioteurs sans honte, quêteurs de popu-
larité et exploiteurs du peuple, accapareurs de crédit et
d'argent, promoteurs de l'Etat sans Dieu, protecteurs
des loges maçonniques, vous qui avez remplacé
parmi
par la souplesse,
nous la Foi par la cupidité, l'honneur avez. mis le calcul
la conscience par l'habileté, vous qui
déshonoré les
à la place du cœur, qui avez avili les lois,
arts, compromis la pensée, découronné la France, pou-
l'ablme que vous avez
vez-vous ne pas voir maintenant
ouvert? Et nous tous, si médiocres dans le bien, sau-
faire aussi jaillir de notre cœur les dons que
rons-nous
Dieu y avait enfermés? Car Dieu attend.
Il a chargé les faits de nous instruire,
il a dit au
accordé
malheur de nous ouvrir les yeux; il a même
la torche
le délai de la rénexion Mais la ruine s'avance,
et la hache sont là.. Dieu veut que
dans l'étroit sentier
envoyée
Miséricorde,
qui s'ouvre, nous rencontrions la
devant de nous.. Celui oui a sondé les flots d'erreurs
au
de séductions sous lesquels a passé notre tête, et qui
et
demande qu'un retour
veut tous nous sauver, ne nous
nous-mêmes.. Ne pouvons-nous point dire: Nous
sur
renversés Nous avons fui vos lois pour écouter
sommes Mais
la voix du monde, voix de l'orgueil et de la chair.
c'est vous désormais que nous écouterons,
Seigneur!
n'avez
Et vous qui fûtes engagés dans l'erreur, vous
été sans vertus naturelles elles vous seront comp-
pas c'est une
tées.. Mais il n'y a pas un moment à perdre!
qu'il
patrie, c'est un peuple, ce sont des milliers d~mes
s'agit de sauver..

XVI.

Abîme ouvert pur libéralisme

la Révolution sort d'une fausse.idée tbéolog-ique,


Toute
l'idée le libéralisme a recueillie et répandue. Il fau-
de que la Théologie pour
dra malgré nos dédains, rentrer dans
couper jusque la racine une idée qui cause tous nos maux.
Sinon, elle continuera de verser sur nous l'utopie pendant
que nous ne cesserons d'épuiser nos efforts à la conjurer.
II faut sortir d'une telle erreur, ou la payer de notre
civilisation.
Pour retrouver la paix, il ne s'agit pas d'exterminer de
temps en temps des hommes, mais de les éclairer. Et il
est urgent avant tout de dire la vérité aux classes abusées
par le libéralisme, mais garanties encore par leur hon-
nêteté car de ces classes va dépendre en partie l'appli-
cation des moyens de salut. Qu'elles se hâtent de voir le
danger de la pensée qui les anime!i
Le libéralisme n'est qu'une rédùction des idées révo-
lutionnaires, qu'une étape dans leur application. Au sortir
de 93 &t des guerres de l'Empire, on conçoit que l'envie
et l'incrédulité, couvant en secret sous la cendre, fussent
prêtes à se rallumer. C'est à cet état des esprits, qu'au len-
demain de 1815, répondit le libéralisme.
Voyant l'horreur que soulevait la réalisation directe des
idées révolutionnaires, les hommes alors pris d'envie sen-
tirent qu'il fallait les modérer et les introduire par degrés.
Au lieu de proscrire le Catholicisme, dirent-ils, il suffit
de s'emparer de l'enseignement et d'onrir une doctrine
opposée. Au lieu de conduire les prêtres à l'échafaud, il
suffit de les renfermer dans les sacristies, d'enlever aux
couvents le droit de posséder, et de donner cours à une
presse qui livre au persiflage les prêtres et la Foi. Au
lieu d'abattre l'aristocratie sous la hache, il suffit d'en
couper nn à un les rejetons à l'aide du code civil, puis
de déclarer que les hommes demeureront égaux, sans
distinctions et sans égards, quels que soient les mérites
acquis. L'envie et l'incrédulité se virent donc satisfaites
en tout point..
Voilà pourquoi la Foi, les rois, l'honnenr et la supé-
riorité sociale ne purent pas plus trouver grâce devant le
tribunal du Libéralisme que devant celui de la Révolution.
Le libéralisme répondait au besoin de transformer l'appli-
cation des idées révolutionnaires pour en ménager le
succès. Malheur aux hommes qui posent le fondement de
l'erreur; mais les hommes à craindre sont ceux qui retien-
nent ouverte la porte conduisant au mal. Comme en phi-
losophie, le vrai danger en politique est dans le commen-
cement de l'erreur.
C'est toujours par une pente faiblement inclinée que les
hommes descendent vers le dernier degré du mal. La faute
en est donc toute à ceux qui maintiennent une nation sur
cette pente. Le moyen de connaître les hommes qui nous
perdent en ce moment, c'est d'observer s'ils se prévalent
insidieusement des idées de 89. La religion, la famille et
la société en Europe n'ont été ébranlées jusque dans leur
base que depuis cette époque. Ces idées, au premier
abord, ne demandaient qu'une réforme, mais celle-ci pour
s'opérer entravait une révolution.
Les réformes sans doute étaient bonnes, mais F~~
qui les faisait réclamer était mauvais. L'orgueil débouchait
par toutes les issues, et l'on était plus désireux de détruire
que de réformer. Alors las ouveraineté fut pour jamais dé-
capitée dans la personne du roi Louis XVI, et l'Eglise
exilée de l'ordre civil et politique de la chrétienté. Cette
façon de mettre l'Eglise hors la loi, a mis la foule hors de
la Foi, hors des mœurs et hors de la paix. Les classes libé-
rales aspirent, aujourd'hui comme alors, à une sorte d'im-
possibilité qui serait un état social sans principe avoué,
approuvant à. la fois les négations et les affirmations, mai n-
tenant sur le même pied ce qui est social et anti-social
Sans doute, ce ne sont pas les idées de 89 qui nous firent
égorger, mais ce sont elles qui amenèrent 93. Certaine-
ment, ce ne sont pas les idées de 89 qui abattirent l'Au-
torité., la Foi, le respect, la famille, l'hérédité,. les droits
acquis, les mœurs, la loyauté, mais depuis qu'on les a
proclamées on a vu tomber tous ces biens: Pourquoi?
Parce qu'elles ouvraient la porte à l'orgueil, à l'envie et
à la cupidité. La vérité sur le visage et l'erreur dans le
sein, elles ont fondé chez nous un Mensonge qui ne lais-
c'est
sera rien debout. Car ce qu'il y a ici de plus funeste,
que l'erreur depuis ce jour nous
arrive en portant des
noms de vérités. De là vient la séduction, de là vient le
triomphe du libéralisme. En se donnant pour le dépo-
sitaire des idées de 89, dont il ignore l'origine funeste, il
fait passer toutes les idées de la Révolution.
Le Libéralisme est le passage qui conduit a l'abîme. Il
est le terrain provisoire sur lequel la société et la Révo-
lution semblent s'entendre pour toujours, mais où cette
dernière recueille des forces nouvelles pour nous étoun'er.
Aujourd'hui le libéralisme n'est là que pour offrir pério-
diquement à la Révolution le moyen de monter d'un degré,
s'attribuant alors l'honneur de l'avoir à jamais fixée. Il se
modifie de la sorte sans cesser d'être lui et chaque fois la
société, par un compromis douloureux, cède un terrain
que la Révolution vient occuper dénnitivement. Ainsi des
portes de la vérité jusqu'au fond de l'erreur, il entretient
à nos frais la route où les peuples s'avancent en dormant.
Quand ils s'éveillent, il n'y a plus pour eux de retour.
S'ils veulent rebrousser chemin, le libéralisme leur dit
Pas d'exagération, on doit avoir l'intelligence des besoins
de son temps! pendant que la démocratie s'écrie A bas
la réaction!.
Combien de temps pourra-t-on marcher de la sorte?
Après avoir privé l'Eglise de son empire, l'État de son
action, la famille de ses garanties, l'ordre social de sa
base, l'homme de ses droits acquis, après nous avoir con-
duit au césarisme, les idées de 89 achèveront ainsi de tout
anéantir. On aurait peut-être étoun*é l'idée révolution-
naire,3i le libéralisme, la couvrant de ses illusions, ne lui
avait apporté le concours de l'argent et l'appoint des
espritg qu'il recrute dans un ordre plus élevé.
Veut-on savoir le temps que nous avons encore à
vivre? Voyez ce qu'on a démoli la religion, l'autorité,
la patrie, les mœurs. Que reste-t-il? A peine la pro-
priété. Espère-t-on que la Révolution s'arrêtera? Nous
perdons l'instinct social et nous voulons que la multitude
le garde! Plutôt que de vouloir remplir leurs devoirs
en vers Dieu, combien d'honnêtes gens préféreraient encore
céder une part de leurs biens? Et l'on demande comment
.la Révolution trouvera assez de puissance pour triompher
des honnêtes gens
Mais ce sont les honnêtes gens qui l'entretiennent. Leur
pensée est la racine par où elle s'alimente chaque jour..
Ils veulent un Ëtat prospère et une société en paix dans
l'absence de Foi! Ont-ils pris garde que ceux qui n'ont
su acquérir ni la fortuné, ni la vertu, ni la noblesse, ni
l'honneur, vivent à cette heure dans un dépit, dans une
aversion sourde contre tous ceux qu'ils sentent en pos-
session de la fortune, de la vertu, de la noblesse ou de
l'honneur? Ici que la société compte les forces de ses
ennemis
Lorsque la vérité brillait encore dans les intelligences,
et que la science elle-même chantait son hymne au
Créateur, il était déjà difficile de contenir la multitude,
toujours souffrante, dans les voies ordinaires de la vertu,
du travail, de la justice et de la paix. Maintenant que
l'erreur, par vos soins, a fait boire le peuple aux sources
de l'envie, que le respect s'est en'acé chez lui, que l'orgueil
est son unique maître et que vous déclarez ce peuple sou-
verain, que reste-t-il à espérer?
Que'reste-t-il à espérer quand les honnêtes gens ont
trahi la lumière? Les uns sont les complices du men-
songe, parce que leurs intérêts l'exigent, les autres en
sont dupes, parce que leur vanité le veut. On les voit
attirés par les mots de progrès, d'avenir, de droits, de
libertés, répétés par le libéralisme, parce qu'en effet ils
ont perdu leurs droits, leur avenir, leurs libertés! De la
sorte ils ne cessent d'accréditer et de répandre la fausse
liberté, la fausse prospérité, la fausse vérité, les droits
faux, par lesquels la Révolution achevé de détruire la
vraie prospérité, la vraie liberté, les vrais droits et la
vérité. Et les Etats s'enferment dans le césarisme, dernier
retranchement qui nous sépare de ia barbarie.
L'abîme ouvert par le libéralisme, c'est la Révolution.
Or la Révolution ouvre à son tour un autre abîme qu'il
suffit maintenant de nommer.

L.HOT. 100
XVII.

f.ciihct'nHsme conduit A la Commune.

li faut juger l'arbre à ses fruits, et surtout l'arbre poli-


tique. Puisque, depuis un demi-siècle, on s'est chargé
d'éclairer les esprits, on doit répondre de leur direction.
En outre, lorsqu'on a gouverné les hommes, il faut s'at-
tendre à se voir demander où on les a conduits. Bref,
lorsque, par l'enseignement, par le pouvoir, par tes lois,
par la presse, on a pris sur soi de former une génération,
il faut savoir.nous dire ce que l'on en a fait~. On cite
communément le siècle de Louis XIV, de Léon X, de.
Périclès. Eh bien, depuis 1820 jusqu'en juillet 1830, et
depuis cette époque de gloire jusqu'au 4 septembre 1870,
jour où votre œuvre entière est venue heurter sur l'écueil,
quel siècle avez-vous produit, quelle époque avez-vous
formée ?
N'allez pas la répudier, car, après l'avoir détachée de
la tradition, nourrie de vos doctrines et animée de tous
vos sentiments, vous avez fait 1830, qui l'a placée défi-
nitivement dans vos mains. Et n'allez pas non plus répu-
dier l'Empire, bieu qu'il ait pris à quelques-uns leurs
portefeuilles car à l'égard de la guerre faite à l'Eglise,
de la prépondérance assurée aux intérêts matériels sur
les intérêts moraux, du mépris de nos droits acquis et
de nos traditions françaises, du pouvoir accordé aux pas-
sions, aux fausses doctrines et a l'effronterie de la presse,
de l'impudence dans l'erreur et de l'élan imprimé, non
à la Foi, mais au lucre et à l'agiotage, jamais on n'avait
plus sérieusement pratiqué toutes vos leçons.
L'Empire fut le couronnement du Libéralisme, autre-
ment dit, l'installation du Césarisme:la plus parfaite

(i) Si qn~'fups hommes ont pu résister vos vues :'eiigicu~ et politi-


qn(~, ce :-ont. justement ceux 'juf vous ne comptiez pas (inus vos rau~s.
DM Mus ).;tmmjR-.
substitution de l'homme à Dieu, de l'Etat à l'Eglise qui
ait eu lieu en dehors de l'empire romain, ou, si l'on veut,
de l'empire ottoman.
Voi!~ donc votre siècle! Et maintenant, voici la géné-
ration que vous avez formée. En histoire, elle ne croit
plus à la Providence; en politique, elle ne croit plus h
l'autorité; en économique, elle ne croit plus à l'épargne
en morale, elle ne croit plus à la vertu en religion, elle
ne croit plus en Dieu. En tout, le médiocre pour horizon',
et pour sentiments, l'ég'oïsme. Que dis-je? elle a pour
sentiments la haine, pour culte l'athéisme, pour écono-
mique le vol, pour politique le pillage, pour idéal la des-
truction, pour société le Communisme.. Chez vous, c'était
la race de Voltaire, chez elle, c'est celle des démons.
Une telle génération se divise, il est vrai, en deux
familles distinctes. La première, classe sans Foi, let-
trée, ordinairement enrichie a pour caractère avoué
un esprit incurable de scepticisme et de cupidité, endé
par l'aversion des choses supérieures. La seconde, foule
sans Dieu., égarée, menaçante, a pour caractère évident
un esprit d'envie et de haine, enuarnmé par l'instinct de
la dévastation. On donne avec raison à la première classe,
pins prévoyante et mieux réglée, le nom de classe des
honnêtes gens. Certes, ils le sont et ils ont d'autant plus
de mérite à l'être, que vos leçons leur ont fait mépriser
les dogmes sur lesquels reposent la morale et l'honnêteté.
Et quant à cette foule, dépouillée de croyances et con-
voitant vos biens, elle est la punition. Car le libéralisme
conduit -finalement à la Commune.
Comment cela? D'abord, il a donné le jour à
l'athéisme par tous ses mépris pour la Foi ensuite, il
a sapé la propriété à sa base par sa manière de traiter

()) Qne d'homme-; chez tegqnetstcHMraUsmepeut su vanter d'avoir 6tonu'e


!f-r~!)!e,L'nhi~o[re,cnphHosopi)ie,enpo)itiq).!e,enpousicetmemeeu
n.-ii~ion Que devint, ta nen~e.~i iiere fie i'abhe de Lamennais des qu'eHe fnt
attemi.e de tiberati~me? Pins tard que devint celle du bon Lamartine, puis
cd'L'deV. !t)~) et de tant d'écrivains ou de savants qui nous donnaientt
tant. dopera nccs.
la noblesse, d'exproprier le clergé et d'acquérir aisément
la richesse; enfin, il a installé dans l'Etat la force bru-
tale des masses, en livrant le pouvoir au su~-age uni-
versel. Or la Commune prend pour baxe l'athéisme, pour
but l'usurpation du capital, et pour moyen la force
employée par les masses.
La responsabilité des révolutions appartient moins à
rendent inévitables.
ceux qui les font qu'à ceux qui les sans, qu'il
Le crime ici se rive à l'erreur qui l'enseigne,
puisse s'en séparer. Des Pyrrhoniens riant de tout et ne
croyant à rien, espèrent-ils devant la foule conserver
leurs titres et leurs droits alors qu'ils lui ont enlevé tous
les dogmes? Il est vrai qu'au bruit de l'émeute, ils rede-
viennent conservateurs et se font voir dans les élises.
Mais hors de là, ils ne cessent de travailler pour la Révo-
lution et d'enlever chaque jour a l'ordre social tous ceux
qui vivent de leurs exemples. La foule, comprenant,
langage de tant d'hommes riches, qu'on n'admire et
au
qu'on ne respecte plus rien, conclut qu'il n'y a plus
rien de respectable, et se mêle au mouvement démolis-
l'espoir d'arriver
seur par lassitude ou par envie, dans
à un avenir qu'elle croit atteindre en renversant ce
qui existe.
Si la Commune a sa racine dans le Libéralisme, elle
doit ses progrès et sa réussite à l'Empire. Détruire l'indé-
pendance de l'Eglise pour pouvoir s'emparer des âmes,
entretenir la. haine contre les grands pour dominer tous
les esprits, répandre le mensonge de la Révolu.tion sur
les droits et sur la liberté pour rester maître du pouvoir,
faire exclusivement appel aux intérêts dans les classes
riches et aux convoitises dans les classes pauvres, pour
perpétuer une lutte rendant le despotisme indispensable,
bref, étoun'er la Foi, souffler l'envie, semer la corruption,
rien de toutes ces pratiques antérieures du Libéralisme
domination,
ne fut oublié par l'Empire pour an'ermir sa
et dans le fait pour n'établir que celle du Communisme
Loin d'affermir ce règne de l'Empire, qui déjà prenait
les caractères du règne de l'antechrist, l'athéisme a fait
alors de tels progrès et l'envie est allée si avant, qu'a
cette heure la société ne peut plus subsister.
Le mal est jusque dans les âmes; les rangs de la Révo-
lution se remplissent, en déo.nitive, des hommes pris
d'erreur et maudissant leur sort. Le christianisme appor-
tait la lumière à chaque homme, et'iui apprenait à se
contenter d'une condition que le créateur de nos âmes
proportionne admirablement à la nature de chacune
d'elles. En écartant le christianisme, les classes libérales
ont donc ouvert toutes les portes à la Révolution.
Pour échapper au cataclysme, comment attendre au-
jourd'hui quelque chose des classes inspirées par un
libéralisme qui, ajoutant à son vieux venin les moyens
décisifs inventés par l'Empire, nous a conduits à la Com-
mune sans le voir?

xvur.
Les honnêtes gens peuvent-ils nous sauver!

Ainsi, loin de porter secours à la société, les gens de


Ils
bien prêtent sans le savoir la main à la Révolution.
société dont
sont ou les acteurs ou les comparses d'une
le propre est d'être en guerre contre Dieu.
Or, comment
retirer Dieu de la société, sans la faire crouler dans toutes
ses parties?
Le moment fatal est venu où la vérité n'est plus enten-
due des honnêtes gens. Dites-leur que cette vérité
consiste
à tout constituer au point de vue de Dieu, et
l'erreur, au
contraire, à tout constituer au point de vue de l'homme,
et ils ne vous comprendront pas dès lors
ils se rangent
du côté de la Révolution 1 Ainsi l'on pourrait
suivre la
série de toutes les vérités, pour les voir successivement
reniées puis de toutes les erreurs, pour les voir progres-
sivement acceptées par les honnêtes gens.
Il reste moins à faire à la Révolution qu'elle n'a déjà
fait, Et vous, conservateurs, vous en implorez les bien-
faits! Au lieu de vous lever pour la combattre, vous lui
offrez vos applaudissements. Se parant de toutes les pro-
messes, elle vous abreuve des dernières déceptions, et vous
battez des mains! Renversant la raison par cette comédie
terrible, vous ôtez à la société absolument toute défense.
Ne comptez point'sur vous pour écarter la Révolution
vous en acceptez le mensonge.
Loin de combattre une Révolution qui est leur châti-
ment, les hommes la bénissent, ils la prennent pour une
gloire Tel est l'égarement, qu'ils glorifient celle qui vient
les dépouiller, briser leurs droits, leur ôter l'avenir, nous
jeter dans la barbarie. Ils se proclament libres, au moment
ou la Révolution les ramène dans l'esclavage; riches, au
moment où elle nous livre à un paupérisme sans fond
très-heureux, au moment où elle prépare tous les mal-
heurs, Ils chantent les progrès'de la société qu'ils ont faite,
au moment où leurs ennemis-sont prêts à tout anéantir
La société se défendra. Combien de temps pourra-
(.-elle se défendre? Evidemment elle compte sur les
nom-
breux détenteurs de la propriété; ces derniers, à leur tour.
se rassurent en songeant aux diHicultés de bons sens qni
s'opposent au communisme. Mais, l'âme une fois mécon-
nue, il n'y a plus de propriété. Une fois Dieu é'artc, i)
n'y a plus de droit. Vous avez renversé une propriété plus
auguste que celle qui vous reste à défendre. On a nié le
domaine de Dieu sur ses œuvres, puis contesté la rémunéra-
tion du secours prodigieux que la société reçoit de l'Eglise..
Les hommes ont retiré au Créateur ses droits sur la
création, et ils espèrent garder les leurs! Ne podvant
compter sur eux-mêmes, ils veulent compter sur l'Etat,
lequel a pris la place de l'Eglise. Et pourquoi compter
sur l'Etat? parce qu'il dispose de la force? Mais, chez
les êtres moraux, cette force obéit à la force morale, que
celle-ci s'égare ou suive son chemin! Evidemment, la
force est nécessaire; mais seule elle ne peut résister, car
derrière elle est cette autre force qui pense, et les baïon-
nettes, à un moment donné, veulent suivre l'idée qui 1'~
emporté sur les autres.
On s'abuse, on se dit Où trouver assez de scélérats
neuf millions de
pour nous vaincre? Puis on songe aux
parcelles du sol, sans réfléchir q~ie leurs détenteurs même
aspirent au moment de voir ces parcelles s'arrondir par
l'adjonction des grands domaines. Ceux qui ont mis leur
confiance dans les lois, s'imaginent qu'il y a encore un
fondement aux lois! Ceux qui comptent en ce moment
fondement pour
sur l'Etat, s'imaginent qu'il y a encore un des
les Etats, ou que la société repose uniquement sur
telles bases
bases matérielles. Ne voient-ils point que de
morales qu'ils ontt
reposent à leur tour sur des conditions
depuis longtemps anéanties? Les hommes sont des êtres
moraux ils se décident d'après leur conscience. Quelle
est celle que nous leur avons faite aujourd'hui?
Et d'ailleurs, compter sur la force, c'est croire que le
Pouvoir restera du côté de la propriété. Mais quand il s'en
emparera pour suivre sa logique et apaiser
les masses,
pouvoir fort, à la suppres-
nous assisterons bien, avec un le
sion de la propriété! Du jour ou, pour vous écouter,
Pouvoir descendit du principe d'Autorité dans celui du
sun'rage, le Pouvoir en soi disparut. Le nombre et non
de la
le droit en devint l'élément, comme il est l'étément
force. Aussi, le Pouvoir est tombé dans les
majorités.
Mais la majorité à cette heure est la foule, et vous
voila
arrivé dans l'abîme..
L'Etat que vous avez fondé mettra la main lui-même à
la
l'œuvre de l'expropriation. Le césarisme n'est-il pas
substitution pratique du pouvoir de la foule faite homme
pouvoir protecteur de Dieu? C'est par la chute de
au
Fhérédité que l'Etat libéral se verra conduit à entamer
expropriation. Il paraîtra injuste de le priver d'une
cette
large part dans les biens qu'il maintient si visiblement!
Déjà depuis 89, vous ne les possédez qu'en son nom pour
perpétuité de
les tenir à titre personnel, ou au nom de la
la famille, vous n'avez plus Dieu sur votre horizon. Tristes
voir
Samsons, vous ébranliez la colonne du temple sans
que vous restiez dessous. tomber
Rentrons dans le droit de Dieu, ou nous verrons
celui de la propriété.. Et quant à ce monde nouveau que
vous doit l'industrie, à la manière d'entendre le commerce,
d'agir dans le négoce, de fabriquer, de vendre, ou d'exploi-
ter la. foule à l'aide de l'agiotage, vous avez si bien tem-
péré l'antique bonne foi et vous avez produit de tels
changements dans notre civilisation, que le Christianisme
peut dire « J'en avais fait une maison de prières, et vous
en avez fait une caverne de voleurs. »
Entre le communisme et les honnêtes gens, la différence
quant aux principes est bien minime C'est à peu près
le même Dieu, le même droit, ce sont les mêmes idées sur
l'homme, en un mot les mêmes points de départ theolo-
giques et les mêmes conclusions politiques. Les uns s'ar-
rêtent en chemin, évidemment parcequ'ils sont posses-
seurs, mais le possesseur a le pied dans le camp de ses
ravisseurs. I! ne din'ére d'eux que par les conséquences,
lesquelles ne sont plus pour lui2.
Quand on ruinait la Foi et dès lors la moralité dans le
peuple, quand on presfrivait à la presse d'insulter tout
ce qu'il y a de sacré, qu'on laissait profaner le dimanche,
qu'on mettait à l'écart le clergé, qu'on tyrannisait la

(1) Un communiste est un libérât sans te sou. L'enrichi ne peut évidem-


ment porter envie qu'a ce qu'il n'a pas a la noblesse, à la consideratiou, aux
principes élevés que le cierge et J'aristocratie représentent. Tandis que,
n'ayant rien, le premier porte envie à tout.
(2)~ Les hommes veulent oublier Dieu, écarter ses ministres, éteindre toute
Foi, afin de vivre pour eux-mêmes; mais ils ne songent plus à ce qui se
passe uu peu plus loin. Celui qui se détourne de Dieu, se voyant atteint de
remords, tend à s'en séparer tout à fait pour se soustraire aux poursuites de
sa conscience. Dieu à son tour s'éloigne d'un. cœur qui le fuit, et ce coeur va
s'introduisant dans une haine toujours croissante. Alors comment satisfaire
cette haine, si ce n'est par cet esprit d'aversion et d'envie qui se fait jour
par la Révolution? Tel en est le secret et la vraie psychologie.
Ce u'est pas autrement que ae pervertit la foule. C'est de la sorte que s'est
multiplié chez nous le nombre des méchants. Et l'homme compte, de la
sorte, les mêmes ennemis que Dieu précisément tous ceux qu'it a suscites
à Dieu même. Enfants,'qui croient qu'avec l'armée on peut se rendre
maître de la Révolution, puis maintenir une société dont Dieu n'est plus !f)
?!
hase, dont il n'est plus le lien, dont il n'est plus t'escorte, dont il n'est
le but 1
noblesse, qu'on dépouillait l'Eglise, qu'on ravissait aux
Ordres le droit de posséder, ennn que la société était
moralement anéantie, les libéraux se plaignaient-ils?.
Vous voyez donc qu'ils ne reviendraient point, s'ils
n'é-
taient eux-mêmes menacés de tout perdre C'est le moyen
unique, et Dieu l'emploie.
Pour vous, la multitude est souveraine. La. multitude
elle exige vos
est la justice, la multitude est le Pouvoir,
biens, elle veut votre sang' vous devez donc céder.
N'avez-vous pas détruit les lois par. votre désobéissance,
les mœurs par votre scepticisme, la Foi par vos sarcas-
la politique par vos révolutions, les traditions par
mes,
votre enseignement, l'économique par votre
luxe, le res-
écrits,
pect par vos instincts d'égalité, la famille par vos
l'affection par votre égoïsme, les sentiments par vos mé-
pris, l'honneur par votre caractère, la vertu par tous vos
exemples, la grandeur d'âme par votre cupidité, et finale-
manière
ment la propriété par vos doctrines, par votre
d'amasser et votre mode de jouir?
mis
Que peut-on donc attendre des classes qui nous ont
.entre les mains de la Commune? sont-ce
elles qui nous en
tireront?
troublé
Et cependant, il faut le dire, si la Révolution a
Des
les esprits, elle n'a point entièrement perdu les cœurs.
événements viendront faire sortir ces classes d'une igno-
trop profonde et les forcer à reconnaitre la lumière.
rance ndèle ses-
Le moment approche sans doute où Dieu,
miséricordes, voudra sauver la France alors il sera fait
appel à leur honnêteté et à leurs sentiments.

XIX.

NulHtè définitive du Libéralisme.

la
Résumons-nous. Une erreur sur la liberté a obscurci
politique et perdu l'ordre social. On eût dit que l'époque
nnissait par tomber dans l'erreur invincible. Les vérités
étant déclara des erreurs, et les erreurs des vérités, peu
d'hommes voyaient ie mal dont ils devenaient les auteurs.
Ceux mêmes qui gouvernaient ne voyaient plus tout celui
qu'ils faisaient.
Et cependant si la portée philosophique de l'erreur
échappait au libéralisme, il ne tenait qu'à lui d'en voir la
portée sociale Dépouiller un peuple de sa Foi, faire dans
ses lois et dans ses idées le vide de l'athéisme, est un cri-
me si vaste qu'il n'a point encore de nom dans la langue.
Exposer d'un seul coup tant d'âmes à se perdre, toute une
nation à se détruire, est un tel attentat, que l'on doit s'em-
presser de dire de ceux qui l'ont commis Ils n'ont point
su ce qu'ils faisaient! Dieu ôté du Pouvoir et des lois,
évincé des idées, des sciences et des mœurs, c'était l'abo-
lition de l'hornme, l'anéantissement des peuples.
Et c'est au nom de cette liberté remise à l'homme pour
s'élever de lui-même vers Dieu, que l'on parvint à en
détourner si complètement l'homme
C'est alors, il est vrai, que l'orgueil, prenant le nom de
liberté, envahissait le monde. Nous l'avons dit sans ce
déguisement il n'aurait pu inonder les peuples sous ia
triple qualification de liberté intrinsèque des consciences,
de liberté absolue des cultes et de liberté illimitée de la
presse! L'illusion n'avait plus de bornes; la mutation de
nos erreurs en vérités et de nos vices en vertus s'étaitt
déjà. pleinement opérée.
A mesure que se faisait le travestissement, que le mal
prenait plus d'empire, que les hommes devenaient plus
mauvais et les méchants plus redoutables, nos littérateurs
criaient au progrès, à la prospérité, au triomphe de la
civilisation La décadence arrivait à grands pas, déjà la
mort occupait les issues, l'orgueil lui-même par mo-
ment menaçait- de tout écraser; rien n'y faisait! Jamais
peuple ne fut jeté dans un mensonge plus profond, ne fut
en proie à une fourberie plus universelle. Tout un siècle
mystifié dut subir avec allégresse le règne d'une liberté
qui rendait les peuples esclaves et les inondait de leur
sang.·
Les hommes parlaient tons de leur liberté. Mais lors-
qu'on la réclamait pour l'Eglise, c'est-à-dire pour leurs
âmes on voyait ces mêmes hommes, déconcertés,
déclarer que par ce fait nos libertés allaient périr.. Puis
h la fin, ne pouvant plus dissimuler, et forts des succès
de l'orgueil, un certain nombre leva le masque et
demanda ouvertement l'abolition de Dieu au sein des
sociétés humaines. Et nombre d'honnêtes gens préten-
dent qu'il y a du bon à prendre dans la Révolution Phi-
losophie, sciences, éducation, lois, mœurs, enseignement,
idées religieuses, économie, armées, finances, est-il chez
elle une de ces choses qui ne dénote une imposture? Est-il
un de ses actes qui ne renferme un piège, ou un de ses
triomphes qui ne nous laisse dans le malheur? Or c'est
redoutable
au moyen du libéralisme que s'était préparée la
mystification.
Le libéralisme tenait lieu de génie. Il tenait lieu
d'idées, de principes, d'expérience. Il tenait lieu de la
raison comme il tenait lieu de la Foi. L'un construisait
une philosophie, c'était du libéralisme l'autre composait
une histoire, c'était du libéralisme; un troisième traitait
de l'éducation, du mariage, etc., et c'était du libéralisme
Celui-ci s'occupait du droit, discutaitt les institutions;
celui-là écrivait sur les finances, sur le commerce, sur
les douanes; un autre s'élevant à des considérations reli-
gieuses, traitait des rapports de l'Egtise avec l'Etat, avec
l'enseignement, avec la liberté, avec la société moderne,
même avec ses progrès, et toujours du libéralisme, tou-
jours l'exaltation de l'homme hors de l'autorité, la glori-
fication de la société hors de Dieu, ou l'installation de
l'orgueil.
Toute idée, tout projet, toute science devait aboutir à la
négation des principes réclamés avec instance par l'Eglise
pour sauver les sociétés chrétiennes ainsi le voulait-cette
liberté Elle avait évincé celle qui réclamait le règne de
la vérité, et le savoir politique se bornait à contredire
les principes du Syllabus. Depuis quatre-vingts ans, les
songe-creux unis aux politiques,'étaient tous d'accord sur
ces points. L'Elise devait se retirer pour faire plus de
de place à l'Etat, Dieu devait s'effacer et laisser cette terre
aux enfants des hommes. Alors devait éclater dans la joie,
dans la liberté, dans la gloire,-le règne désiré de l'homme
0 France il t'a fallu traverser ces extravagances
Si l'on se ngurait un être que des insectes auraient le
pouvoir d'envelopper dans un linceul, venant y faire
leur maille les uns après les autres, envahir peu à peu
les membres, gagner le tronc, couvrir la bouche, cacher
les yeux, environner la tête, on aurait une imag'e de la
nation en proie depuis un demi-siècle au travail du libé-
ralisme. On chercherait en vain la partie du corps social
qui a pu échapper à cet ensevelissement. C'est quand la
France entière aurait été enfermée dans ces bandelettes,
qu'elle aurait été bien vivante C'est quand elle aurait
tout à fait quitté la main de l'Eglise pour tomber jusqu'au
fond du césarisme, qu'elle aurait été glorieuse! Eh bien,
c'est d'une telle vie et d'une telle gloire que le 4 sep-
tembre est venu l'affranchir.

Ce qui avait détruit des peuples ou conduit des nations


en captivité, devait, dit-on, régénérer la nôtre!1 Evi-
demment, le sens moral avait fini par s'ébranler à la
suite du sens politique. Alors, roulant de degrés en degrés
dans la démence sociale, nous sommes devenus un sujet
de risée pour les autres peuples. Notre athéisme politique
produisait un matérialisme atteignant l'imbécillité. De
l'erreur-sur la liberté, nous avions passé à l'erreur sur
la société tout entière.
Le libéral ne pouvait croire qu'il y eut une âme sous
ce corps de la société qu'il voyait fonctionner si bien pour
ses an'aires! La civilisation n'apparaît que sur les points
du globe où s'est portée l'Eglise, et il ne s'en doutait
pas Pour lui, la société était comme le sein intarissable
de la nature l'erreur ici n'était qu'un accident, et on
pouvait tirer sans .fin sur la caisse immortelle sans jamais
l'épuiser. En vain expliquait-on au libéral qu'en éloi-
gnant la religion on détruisait la conscience, qu'en écar-
tant l'Eglise on détruisait les mœurs, qu'en proclamant
uniquement les intérêts matériels on détruisait les inté-
rêts moraux, on fondait la cupidité, on renversait l'hon-
bientôt on
neur, on perdait même le commerce; que
verrait périr le respect, s'éyanouir la moralité, puis
s'écrouler l'autorité. Il ne voulait rien écouter. Plus de Foi,
plus d'honneur, plus ~exemples, plus aucune aristocratie
morale; il ne resta du corps social qu'un tronc inanimé.
N'entend-on pas le flot qui monte pour l'emporter? Ce
peuple amassé dans nos villes, repu de nos erreurs,
embrasé de cupidité, mais pressé par la faim, vient
demander sa proie; pourrez vous la lui refuser?~ Le
libéral, alors, regardait la côte de la Bourse, et si la
côte avait monté, il disait Paroles de clérical, affaire
de chassepots.
La parole était devenue inutile, la vérité n'éclairait
plus. On pensait que l'erreur ne ruinait que les âmes,
dans ses rangs
que la Révolution comptait uniquement
ces hommes n'ayant ni feu ni lieu. Et les hommes n'ayant
nf foi ni Dieu devaient un jour ou l'autre la refouler au
l'armée allait échapper, pour
moyen de l'armée, comme si
Ciel épuisait les aver-
nous plaire, à la Révolution! Le
tissements. En vain des éclairs redoublés parcouraient
les nues; il fallait que la foudre en descendit, et réduisît
sottise et de l'impiété. Les
en cendres cet édince de la
hommes surpris par le déluge n'ont pas été" plus interdits
18 mars, les hom-
que ne le furent, le septembre et le
de l'athéisme social.
mes du libéralisme, les fondateurs
Non, rien n'est fait, si l'on ne met nn au libéra-
lisme Or comment y mettre fin si les classes qui
le pro-
fessent ne veulent pas elles-mêmes l'arracher de leur cœur?
Cette incurie des classes élevées, cette impuissance des
o-ouvernements et ce trouble dans la raison au moment
des
où l'orgueil vient d'inonder les peuples, conduisent à
rénexions bien amères sur la nature des temps présents.
146 PKHUM.: SIKGE

XX.

Les temps présents.

La Commune n'est qu'un symptôme, et le mal est dans


l'homme. Les vices ont diminué sa nature son esprit
a été abaissé par l'erreur. Il ne peut plus sounrir la
hiérarchie des mérites et du bien qui constHuent la société
humaine. Un tel orgueil, ne voulant rien au-dessus de
lui, est par le fait l'anéantissement de l'ordre social. C'est
l'anéantissement de l'Eglise, c'est celui de l'Etat, c'est
celui des lois, c'est celui de la conscience, de la vertu,
du capital et de tous les droits. Déjà la plupart des
hommes ne sont plus des êtres sociaux.
Notre orgueil n'est point d'une nature ordinaire; ce
n'est plus celui de l'homme qui se vante de sa fortune
ou de ses talents. Débordant les choses humaines, 'cet
orgueil s'en prend à Dieu pour lui ravir ses droits. Une
telle jalousie, inconnue sur la terre, ne peut venir entiè-
rement de notre coeur. Il y a là quelque chose d'infernal
qui déjà se rénéchit sur la société et en rendra les crises
déplus en plus terribles. Un orgueil qui, à la fois, éblouit
la raison, fascine l'imagination, réveille tous les appétits
et donne lieu à la fureur dès que ceux-ci ne sont point
satisfaits, rappelle trop la nature du mouvement qui sou-
leva les mauvais anges ces anges qui voulnrent redes-
cendre en leur moi, tomber dans leur propre nature pour
en jouir avec orgueil et volupté, plutôt que de monter
sans fin dans les perfections divines et de les posséder par
les suavités éternelles de l'amour.
De là, aujourd'hui, ce caractère d'aveuglement et d'opi-
niâtreté dans les conséquences du mal, en dépit de toutes
les évidences. L'expérience ne ramène plus les esprits,
la vérité ne touche plus les cceurs. Ils se font un devoir
de suivre, même à travers le sang, des pensées chi-
mériques~ démenties chaque jour par les faits. Le bien
la force des
leur fait injure; ils le poursuivent de toute
remords qu'il éveille certainement en eux.
La Révolution qui est l'explosion
publique de cet
orteil, élève aujourd'hui ses forfaits au rang des actions
méritoires, comme hier elle voulait que toutes ses erreurs
crée le règne
fussent des vérités. Chose enrayante, elle
du mal, en prétendant fonder celui du
bien.. Et les
délivrance
hommes qu'elle vient désoler la déclarent une
et un présent du Ciel
craindre main-
La face du monde a changé. Il est à
l'époque que
tenant que nous ne soyons entrés dans
saint Paul révèle à Timothée. « Sachez, lui
dit-il, que
dans les derniers jours, il viendra des hommes amoureux
ennemis
d'eux-mêmes, impies, avares, ingrats, dénaturés,
des voluptés
de la paix, enflés d'orgueil, plus amateurs
l'esprit; ils étudieront tou-
que de Dieu, corrompus dans
jours pour ne point arriver à la vérité, t)
Ces hommes, en effet, ne veulent ni de
Dieu, ni de la
patrie, ni du mariage, ni du foyer. Ce qu'ils désirent,
c'est l'assouvissement de leur fureur contre les hommes
attachés à Dieu, à la famille, aux lois, à la patrie, et con-
qui possèdent ou la fortune ou la vertu. On les
tre ceux mal.
prendrait pour des démons livrés à l'obsession du
Il faut que tout succombe dans un dernier
embrasement,
de tout ce qui leur
et qu'ils assistent à l'extermination
est supérieur
Qu'une influence de l'enfer ait pénétré dans l'âme i..
humaine, ou qu'elle-même, à force de repousser Dieu,
soit arrivée au paroxisme de l'orgueil, toujours
est-il que
malheureux ont comme perdu la nature de l'homme,
ces
et ne veulent plus rien de ce qui
fait l'existence ici-bas.
On peut déjà juger aujourd'hui de l'état des
esprits dans
lequel le Jugement dernier surprendra le monde.
Est-il un remède ce mal? avons-nous des moyens de
combattre? Il est certainement deux celui qui nous
le en
La Foi,
vipnt de la Foi, et celui que fournit la politique.
en réprimant notre orgueil intérieur, la politique, en
restreignant le mal que produit cet orgueil. Mais avant
que l'on puisse recourir à l'une et à l'autre, comment
mettre la terre à l'abri des hommes de l'orgueil ?
Accueillons toutefois les pressentiments que fait naître
l'heureuse expérience que nous avons de la Miséricorde.
L'homme ne pouvant rien, Dieu s'interposera, 11 nous
arrachera lui-môme à cette situation désespérée. Il n'en-
tend pas surprendre les hommes, il daignera les tirer
d'une crise qui les conduirait aux catastrophes de la fin.
On sent déjà que Dieu veut nous guérir à la manière
d'un médecin bien résolu à opérer. Il paraîtra au moment
opportun pour sauver le monde qui périt.
Depuis longtemps, au reste, la durée de ce monde n'est
qu'un sursis. En regardant de près les choses, on verra
que la Providence a plus d'une fois suspendu l'arrêt
dénnitif!
Sans parler du déluge qui vint au jour où toute chair
avait déjà perdu sa voie, sans parler de l'arianisme, qui,
remettant en doute les sacrifices que la Divinité venait de
faire puni UuLc: iiumanité, replongeait le monde dans le
chaos, à chaque phase du protestantisme, Dieu, pour livrer
le monde à sa perte, n'aurait eu qu'à l'abandonner à sa
propre impulsion. En substituant sa parole à la parole
divine, l'homme ne vint-il pas alors restreindre l'œuvre
de la grâce et rendre les âmes à l'orgueil? On niait
Dieu, on égorgeait les rois, les massacres se multi-
pliaient en peu de temps l'Europe aurait glissé dans
les horreurs de la Révolution.
Dieu voulut donc encore permettre à cette crise aiguë
de se changer en quelque sorte en maladie chronique,
pour laisser aux forces restées vives la possibilité de pro-
duire leur salutaire effet. Mais en ce moment, où l'athéisme
se généralise, où les mérites diminuent, où le mal est
installé dans le Pouvoir, où l'erreur vient saisir l'enfance
au, sortir du berceau, et où l'orgueil dépasse toute limite

(1) Le déluge est venu pour sauver des hommes livrés aux excès de )a
chair et tous exposés à mourir ec'mme ils avaient vécu. Evidemment, sans
cette mort effrayante, rien n'aurait pu les arracher alors à leur aveugtement.
humaine, comment croire que Dieu D'ait pas déjà porté
jugement?.. Le monde finirait dans un suicide plus
un
manifeste que jamais~.
Il est toutefois un motif qui permet d'espérer que Dieu
les hommes.
ne voudra pas surprendre en ce momentgouvernement.
Depuis 89, ils ont été dépossédés d'un vrai
Depuis plus d'un siècle, les classes inférieures sont pri-
vées d'une aristocratie véritable, et Dieu veut
secourir ce
peuple deshérité. Il entend que l'ensemble de ceux qui
désirent revenir à lui, le puissent aujourd'hui.
Les esprits semblent avoir le pressentiment d'une époque
reconquise.
où toute injustice sera réparée et toute vérité
déplacée
La montagne d'erreur qui nous couvre se verra
précipitée dans la Alors toute chose sera remise a
et mer.
place. Une lumière, aussi grande que l'obscurité dont
sa
les peuples étaient enveloppés, redescendra sur tous, et
donnera au peuple
nous verrons le monde agenouillé. Dieu n'en posséda
un roi magnanime, un clergé comme on
le
jamais, et les exemples d'une aristocratie rétablie dans
bien. L'heure du Seigneur viendra, et il fera ce beau
miracle, de ressusciter la Foi dans le monde. Nous entre-
rons dans une lumineuse paix.
En cette époque, la France ne sera si grande que parce
Dieu sera avec elle, et c'est ce qui deviendra visible
afin de
les Tout ce qui vivait de bonne foi au
ramener cœurs. le
milieu de l'erreur, tout ce qui ne veut pas le mal pour
mal, reviendra à la sincérité de la vertu. Faut-il
aussi
définitive
le dire? alors s'opèrera peut- être la démarcation
entre les bons et les méchants.
Il ne tiendra qu'aux hommes, ainsi favorisés, d'assurer
à la terre un nouvel avenir. Mais un trop
grand nombre a
l'indépendance, pour ren-
connu le mal de l'orgueil et de
n'est plus là pour
trer dans la simplicité; et le Déluge
renouveler notre race et étouffer le mauvais plant.

lequel on l'avait créé


Par l'orgueil, le monde abrogera le temps pour
il chassa le bonheur pour lequel
comme par l'orgueil, au premier jour,
avait été fait.
Hi
11
LEGtT.
150 PRÉLIM.: SIEGE
Ah que les hommes feront bien d'appliquer leurs efforts
à prolonger la durée de cette époque fortunée Il est à
craindre qu'elle ne soit un dernier sursis. Des qu'eu polira
la splendeur, le mal deviendra si grand, que Dieu prépa-
rera son cœur à porter le dernier jugemcnt'sur le monde.
Ce moment-ci est solennel notre époque ne ressemble à
aucune autre. Plusieurs de ceux qui voient en quel état
sont maintenant les hommes, craignent que la Révo-
lution ne fasse partie des temps apocalyptiques. Les
calamités qu'elle entraîne semblent appartenir déjà au
groupe des événements qui se rattachent aux catastro-
phes de la fin.
Toutefois, avant de posséder ces jours de gr~ce et de
profiter du répit accordé par la Miséricorde, il faut certai-
nernent que la masse des hommes soit transformée. Com-
ment cela se fera-t-il? Sans doute il sufnrait de rejeter
chacun notre péché, mais c'est là ce que nous ne voulons
point. Dieu se voit donc contraint de recourir aux châ-
timents. C'est un abcès qu'il faut ouvrir, parce que le
sang ne saurait plus le résorber.
Rappelons-nousle sens de la Révolution. Dieu a semblé
depuis un siècle oublier les nations il a voulu les laisser
tomber dans l'abîme de leur impuissance, parce qu'elles
voulaient vivre sans Lui. Alors, pour les sauver, il opè-
rera un prodige de miséricorde, afin de ramener les
cœurs. Car beaucoup de pécheurs seront touchés et
reviendront alors à Lui..
Sans vouloir plonger le regard dans un avenir qui
n'appartient qu'à Dieu, la raison seule fait comprendre
que les hommes ne peuvent revenir à Lui sans être
purifiés. Peut-on délivrer autrement tous les captifs de
Babylone, puis dessiller les yeux des peuples qui se sont
corrompus avec la Révolution?
Tournons maintenant les yeux vers l'avenir. Décou-
vrons le mystère et les lois de cette noble société à laquelle
Dieu a confié les hommes, pour les recueillir ici-bas, déve-
lopper toute leur nature et les conduire à leurs nns. La
Révolution étend sur nous des couches de ténèbres qu'il
faudra successivement percer pour retrouver le jour.

XXI.

FLn de la Révolution. Nécessita de recourir à la conception môrna


de ht Soci6t6.

Les grandes négations sont descendues sur nous comme


la foudre elles ont dévoré tout l'édince européen. Niant
la. légitimité des pôuvoirs divins de l'Eg'Iise, l'hérésie
entraîna un fragment de la chrétienté dans cet état de
médiocrité spirituelle qu'on nomme le protestantisme.
A cette heure, niant la légitimité de tous
les éléments
dont la société se compose, elle entraîne l'Europe entière
dans cet état de décomposition finale qu'on nomme la
Révolution. Les classes nouvelles se trouvent prises dans
le cataclysme; la société humaine est dissoute.
Mais la Révolution elle-même est à sa fin elle ne peutL
plus que se livrer a sa démence. Comme doctrine, elle
n'est plus rien idées, chimères, aspirations, tout s'est
évanoui. Elle n'a la force ni de produire un homme, ni
de relever ses promesses, ni de faire naître une illusion.
Pas une de ses pensées qui ne soit un mensonge, pas
de ses essais qui ne soit une honte, pas un de ses
un
principes qui ne soit impuissant, et l'avortement est com-
plet. Elle est au terme de sa pensée, sinon au terme de ses
crimes et si elle est sur le point d'exercer de plus
grandes
fureurs, c'est que jamais elle ne se vit plus clairement
réservée au néant. Elle ne peut plus que se rouler dans
notre sang, puis expirer dans le méprisa
Ses trois explosions, 89, 1830 et 48, se sont effectuées
la première paraissait apporter un siècle nou-
parce que
tomM dans l'état de
fi) Le monde alors verra à nu le cœur de l'homme
etcutK de la foi commencer.
nature après avoir rejeté la gr~ce, et le ger~e
partout à reparaître dans les cœurs.
veau, et que les deux suivantes avaient encore comme
un semblant d'hommes à on'rir~. Mais si le chef du pou-
voir n'avait été en fuite, le 4 septembre aurait eu de la
peine à se faire, parce qu'alors il n'y avait plus d'hommes.
L'erreur montait aussi haut d'un côté que de l'autre et
l'ordre social se trouvait de plain pied avec la Révolution.
Elle pouvait renverser l'Etat, mais elle ne pouvait plus
le remplacer que par l'émeute..
Non, il ne lui reste ni un homme, ni une idée. Seule-
ment, tous ceux qu'elle a armés de torches et de haches
sont là.. Elle est comme un cadavre, mais les vers y
sont vivants et prêts à répandre partout la mort. Prions
Dieu d'enlever ce corps et de l'enfouir les hommes n'en
sont plus capables.. La France ne peut être sauvée que
par un miracle de premier ordre, par un miracle COMME
LA CRÉATION 1 il faut nous
tirer du néant.
On ne l'aperçoit point, parce que l'erreur nous a ôté
toute portée. La France a-t-elle pu repousser les Prus-
siens de son sol, arrêter l'escroquerie du 4 septembre,
empêcher un insensé de la soumettre aux massacres en
masse, s'opposer aux incendiaires qui détruisaient ses
monuments et égorgeaient ses prêtres ? Elle ne peut même
repousser l'Internationale, elle ne peut vouloir quelque
chose, et elle voudrait Re sauver sans recourir au Créateur!

Mais l'ouragan qui a déraciné les chênes et renversé


les grands édifices, va reparaître pour désoler la terre et
balayer le mal.. puis, il s'abattra comme un petit souffie.
Dieu commandera aux vents et à la mer, et il se fera un
grand calme. C'est pourquoi il importe, dès ce moment,
de se préoccuper des lois de l'avenir dans lequel la Misé-
ricorde a dessein de nous faire entrer.

(i) « M. Thier?, dit M. de Chateaubriand, est le seul homme que la


Revuiution de Juillet ait produit, le seul quise détache sur le fond terne des
médiocrités du temps.
Quoique le premier bien soit d'être délivré du mal,
mettons fin à cette critique. Pour indiquer les sources
vives de nos maux, on devait désigner les hommes d'où
découlent encore les principes de la.Revolution. L'aspect
d'un si grand nombre d'idées fausses fera renaître les
idées vraies! Notre société n'était qu'une ruine; il fallait
déblayer ce sol douloureux pour préparer les bases de
la construction nouvelle.
Assez d'esprits émus par les nécessités d'urgence nous
parleront de nos ressources financières et militaires, et
décriront cet ensemble de moyens qu'un choc a renversé.
Ce sont nos ressources réelles qu'on doit maintenant
indi-
Ce n'est point le canon qui fera une brèche dans
quer.
la tour qu'il s'agit d'abattre. Quand on aura vaincu
l'insurrection, on n'aura terrassé qu'un fantôme. L'in-
surrection règne dan-s les esprits c'est là qu'il faut
l'atteindre! Pour voir la France échapper au couteau,
sont pas uniquement les murs de la Commune ou
ce ne faudra
de la République que nous devons jeter à terre. Il
pénétrer dans l'enceinte de la plus formidable erreur qui
soit établie chez les peuples modernes. C'est la Babel
se
de l'athéisme national, son orgueil, ses illusions, son
obstination, son mensonge, que nous aurons à renverser
après l'assaut des murs.
Comme l'action chez l'homme naît de la volonté, que
notre volonté se forme dans la conscience, et que, bonne
mauvaise, la conscience s'assied sur les doctrines qui
ou
lui sont inspirées, l'ordre social procède en entier des
doctrines, et c'est vers elles qu'il nous faut remonter.
L'homme agit d'après sa pensée. Ses actes, expression
de.cette pensée, composent cet ensemble qu'on appelle
les mœurs, d'où découlent les lois, les institutions et toute
la vie sociale. Pour rétablir un peuple, il faut dès lors
c'est
entrer dans les doctrines dont s'alimente sa pensée
là qu'on peut lui porter un sérieux secours. Là sont les
de sa vie et de son état social, car là se tient la
sources
source de ses actes.
Il importe donc à cette heure de revenir à la con-
ception réelle de la société~, de cette société prenant sa
base sur la nature humaine, et non sur les fumées d'un
rêve qui fi nit dans le sang.
Tous les principes sont à rétablir. Contre des pensées
criminelles et folles, contre l'idée sinistre do déserter la
cause du capital et de le disperser dans la foule, il a
déjà fallu en relever le droit impérissable, en signaler
l'origine sacrée, dès lors montrer dans toute sa puissance
la légitimité de la propriété; puis, déclarer contre un
préjugé opiniâtre, que la France périssait parce qu'elle
n'avait plus d'aristocratie. Il a fallu également dénoncer
comme antisociales ces fatales erreurs politiques, tombées
bientôt sous les condamnations du ~y~MK~ l'indio'érence
de l'Etat entre la vérité et l'erreur, puis, entre le bien et
le mal et la protection donnée au mal contre le bien et à
l'erreur contre la vérité par la liberté de la presse.
Devançant les arrêts qui, à cette heure, sont formulés
par les événements, de telles conclusions ne sauraient
passer pour un fruit du hasard. La gravité de la situation
nous ramène à la pensée qui les a fournies, à cette con-
ception de l'homme et de la Société qui reçoit le grand

(1)Jusqu'à ce jour, unetelle concertion de la Société ne pouvait qu'otîus-


quer les regards. Un écrit qui nous aurait, il y a vingt ans, mis en garde
contre ce qui nous arrive aujourd'hui, eût été bien mal accueilli. Un livre
qui, après avoir déclaré que la Révolution était une triste chimère et un
écrasement fatal de notre civilisation, aurait dévoilé la douloureuse situation
que l'erreur préparait au pays,, et protesté contre tons les égarements dans
lesquels on jetait la France; un livre qui aurait dit ators que nos populations
allaient se voir frappées d'arrêt dans leur accroissement, que notre capital
reetathit subir une dépréciation par l'intempestive augmentation du capital
fictif voué au luxe et à l'agiotage, que dans la double voie où l'on conduisait
la nation, si justement fière de sa gloire, on l'exposait a se voir démembrée
comme la Pologne, que le rêve d'une prétendue organisation du travail par
une fusion du capital et du travail, était comptétement impraticable; un
livre qui, dès lors, inûigeant tous les démentis à la Révolution, eut ajouté
A l'anarchie de 48 succédera le despotisme, et le remède au despotisme sera
le Droit divin; un livre, en6n, qui aurait opposé la Restauration /~t{'at.se à
la Révolution française, et qui, pour préciser mieux encore, aurait pour
conclusion pris cet intitulé LE Roi eut semblé braver la raison et porter
ua défi aux sociétés modernes. En sera-t'-î) de même aujourd'hui?
témoignage des faits, conception qui n'est en dénnitive
que l'idée mère du christianisme.. Nous en verrons
découler de nouveau toute la politique. On sentira du
moins que ceux qui, dans la mêlée, paraissaient se tenir
à l'écart, marcllaient au centre de ce peuple sans perdre
un instant de vue la nuée qui doit le conduire 1.
Le malheur des sociétés modernes est de s'être éloigné
du point de vue éblouissant du christianisme. Non-seu-
lement il fournissait au Pouvoir sa véritable source, à la
société ses raisons et son but, à la liberté sa lumière et ses
garanties, aux droits leurs développements, mais en don-'
nant la vie à l'ordre social entier, il nous en laissait
entrevoir les voies merveilleuses. Tout se trouvait à dé-
couvert, et son but dans le temps et son but au delà du
temps. On distinguait tout l'intérieur du plan de Dieu
on y voyait étinceler les LOIS D'OR de la société humaine.

FIN DES PRELIMINAIRES.


PRE Ml ERE PART IE

LOIS D'OR DE LA SOCIETE.


LA LÉGITIMITÉ.

CHAPITRE L

Source de la politique.

Pour aborder la politique, il faut connaître l'homme


qu'on
tel qu'il est, et non tel qu'il doit être, ni tel
t'imagine.
De nos jours, trop d'idées vaines occupent les esprits,
à l'expérience.
et trop peu de principes les rattachent
C'est un des résultats de la rupture des traditions et de
l'histoire par les révolutions. Aussi la politique devient
très-difïici!e. Autrefois, on interrogeait les principes,
maintenant il faut les établir..
Mais si les grands principes ont disparu sous nos
des
erreurs, il est des faits qui frappent tous les yeux,
faits que nul ne peut nier et qui suffisent à l'homme
d'Etat pour retrouver son point de départ. Parmi ces
faits, le plus frappant, le p!us universel, le fait dont les
autres dépendent est assurément celui-ci
Z/Ao~ï~ dans sa nature, est atteint par le M~
nial a 6~ co~pW~r son développement, e~a~' tnule
son /~o~ compromettre a un ce~~t~ cleeré sa
vie civile et politique
Celui qui méconnaît ce fait sort de l'expérience et n'en-
trera jamais dans une politique rée!!e.
Or l'homme étant en proie au ma!, ses lois ne sauraientt
se déduire de la théorie sa brillante nature se trouve
prise sous les faits. Mais à cause des faits, des obstacles
que la Chute de l'homme oppose a l'accomplissement du
plan primitif de la création, rien de plus dangereux que
les esprits qui raisonnent à priori. Sans cesse ils veulent
instituer ou l'homme entrevu par Kousseau, ou l'homme
encore plus près du premier type, que les spéculations
rationalistes ont cherché au fond de notre âme. La psy-
chologie pure tuera la politique.
Cet homme, entièrement libre, infaillible, éclairé d'un
rayon même de la divinité; cet homme doué de ta rai-
son, et, parce qu'il est libre, recouvert d'une inviola-
bilité que rehausse sa responsabilité devant Dieu, cet
homme, qui n'existe plus, tuera l'homme qui existe, ren-
versera tout en Europe, anéantira les nations. Nos six
mille ans passés à chercher l'Homme, à l'appeler des
profondeurs du passé ou de l'abîme des révolutions,
devraient constituer un avertissement!
Toutefois, dans sa course, la présomption s'irrite de
rencontrer partout les bornes que l'histoire a tristement
posées à l'homme; la présomption refuse de s'arrêter
devant ce fait du mal, qui paralyse ses conceptions et
dissipe ses rêves.
Si la raison pure était pure, l'homme ne se tromperait
point; et si sa volonté était droite, il ne quitterait point
sa loi! Une raison impersonnelle, venant de Dieu, res-
terait infaillible; une liberté intacte et droite s'attacherait
au bien. Mais on rencontre l'homme en proie à l'erreur
et au mal.. Alors il existe deux hommes, celui de la psy-
chologie et celui de l'expérience!1 L'un parfait, si on le
considère dans ses éléments l'autre imparfait, quand on
le considère dans ses actes?
Mêlas oui! l'un, parfait, si on le considère en lui-
même ou tel qu'il été crée; l'autre, imparfait, en proie
a
mal, quand on le considère en ses actes, ou tel qu'il
au
est .devenu exactement ce que les traditions racontent..
De ces deux hommes, quel est le vrai, lequel subsiste?
N'est-ce pas ce qu'il fallait voir avant de bâtir sur un rêve,
de fonder la politique sur la confusion la plus grave?
et
Pour aborder la politique, il faut en savoir
l'origine et
le but; pour rétablir l'autorité, il faut en
indiquer la
raison et les droits pour rétablir la société, il faut en
connaître les bases, puis montrer aujourd'hui les causes
de la Révolution, c'est-à-dire de la destruction.

CHAPITRE II.

Source des théories et valeur de l'histoire.

Pourquoi tromper plus longtemps tes hommes et les


laisser dans des méprises qui les conduisent au
matheur?
Ce n'est pas quand on a été au moment de
périr qu'il
faut chercher à ranimer de pauvres illusions d'où sortent
fond
tant de maux. Nous ne trouvons plus l'homme au
de la pensée; nous ne le rencontrons que dans
l'his-
toire~. Celui qui fut créé n'est plus celui que nous voyons..

elle a observe ce
(i) Telle est, au reste, la méthode que l'histoire a
suivie
C'est pourquoi les esprits, même peu élevés, qui ont
été guidés simplement par les faits, se sont trouvés près
du vrai et comme transportés au sein de la pratique, soit
pour y suivre, soit pour y conduire les hommes. Ils
avaient avec eux ce que la modestie possède le bon sens
et l'inestimable expérience. Les autres, en dirigeant leur
vol dans la pensée pure, au sein de l'illusion, devinrent
plus chers au vulgaire, qu'attristera toujours l'austère
réalité. Ils entretinrent d'autant mieux la force des révo-
lutions et l'argument des hérésies.
L'a pnor~ la théorie sera toujours le danger chez les
hommes. La répugnance commune à se contenter des
faits, et les conclusions facqes où nous sommes toujours
prêts à entrer, nous conduisirent de tout temps hors du
possible, et nous amènent cette pluie d'erreurs quelque-
fois innocentes mais souvent redoutables, qui se partagent
la foule et ses littérateurs. L'homme de lettres ne cesse
de combattre et de détruire l'homme d'Etat.
La raison pure, toujours obscurcie par la Chute,
n'est que de la théorie pure. Certes!1 il i'aut écouter la
rftison, mais pour en chercher l'application indiquée par
l'expérience.
En outre, l'utopie perd de vue ce qu'il y a de plus
sacré dans l'histoire, les traditions, les mœurs, les droits
acquis, les lois, l'action de Dieu sur nous. Des faits qui
vivent six mille ans font assez voir la volonté du Créateur.
Ces faits, avec leur interprétation, sont tout !c secret du
génie, qui consiste à les entendre de mieux en mieux. On
peut s'en rapporter à la pratique divine!1 On sait d'ail-

qui est et l'a ju~é à tnmi~re de ce qui doit être. Tel est aussi le point de
vue dans lequel ou rétablira toutes les sciences politiques.
leurs que la vraie connaissance de l'homme conduit à
l'indulgence, en même temps qu'à la saine pratique des
affaires. Au lieu que la théorie pure mène aux déduc-
tions du fanatique ou du sectaire, de là aux œuvres du
conspirateur.
En politique, toute la question porte en définitive sur
l'homme est-il né bon, ou bien est-il en proie au ma!
originel? Pourra-t-il se passer de défense et de lois, ou
devra-t-il garder cet ordre politique qui, depuis l'origine,
a protège tous ses progrès?
On raisonne parfaitement de
part et d'autre il ne reste donc qu'à choisir entre le fait
et l'utopie, entre les traditions et Rousseau.
D'un côté toute l'histoire, les lois, les rois, une tutelle,
des nations qui s'élèvent et rccuei!)cnt des droits acquis
des révolu-
une pratique de six mille ans De l'autre,
tions, le bien désarmé, comme s'il était sùr du triomphe,
le capital non protégé, comme s'il venait de la nature,
l'homme livré à ses instincts, comme si tous étaient bons
siècle de désastres D'une part, l'Eglise et l'expérience
un
du monde, de l'autre, des rêveurs, puis des scélérats.
La société, surtout depuis un siècle, n'a pu se défendre
contre la Révolution, parce qu'elle oublie d'en remonter
le cours pour la détourner à sa source.
CHAPITRE III.

De la pratique en politique.

La politique n'est qu'une éternelle corrélation entre la


force morale, qui donne lieu à tous les biens, et le mal,
qui les réduit ou les met en périi entre la liberté
humaine, qui produit tous les droits, et l'abus, qui les
compromet tous. La politique est perpétuellement obligée
de fournir un point d'intersection entre l'idée de la nature
humaine, telle, que Dieu l'avait faite, et notre nature
déchue, telle que la société !a reçoit dans son sein. Tel
est le fait.
La Chute explique tout, et l'homme et sa nature dou-
loureuse, et l'histoire et la politique, et la liberté et ie
mal qui la limite, et notre invio!abi!ité et la pénalité, et
notre droit et la répression de l'abus du droit.
Le mal existe, de là les lois et les empires; de là les
rois et les institutions de là la légitimité des droits acquis
et des dynasties qui fondent les peuples et s'élèvent avec les
vertus générales comme avec l'assentiment de. Dieu. Car si
le mal n'est point au sein de l'homme, pourquoi l'édu-
cation et la pénalité, pourquoi des digues, pourquoi des
lois? C'est la société qui depuis six mille ans est cou-
pable. La thèse du socialisme est vraie; les hommes
doivent réclamer leur égalité primitive, la suppression
des lois, des rois, des religions, de toute autorité sur
la terre.
Le renversement d'un principe change ici la face du
monde.
Toute politique découle d'une idée sur l'homme. Les
erreurs de l'époque, les dangers qu'elle court, résultent
de la fausse notion qui règne dans les esprits. Si, comme
on le dit, 1 homme est né bon, que signifient les codes, à
quoi servent les princes?.Rien ne s'explique plus dans
noire civilisation tout doit y être renouve!é. Et là nous
sommes à la source des événements qui nous étonnent et
nous enraient aujourd'hui.
A l'heure même où nous parlons, h's conflits qui dé-
chirent l'Europe et les maux qui menacent l'humanité
découlent d'une telle pensée. Comment les souverains
pourraient-ils désormais~ ainsi qu'on leur en a fait une
nécessité, se confier uniquement'a l'amour et au respect de
leurs peuples, lorsqu'on prétend démontrer que ces rois
leur furent jusqu'à présent nuisibles et deviendront à
l'avenir le seul obstacle à leur bonheur?
Si cette erreur pouvait tout à coup disparaître, l'Eu-
rope en vingt-quatre heures rentrerait dans la paix.
Qu'on ne s'y trompe plus, la politique n'a été sur la
terre que l'expression du rapport entre la liberté morale
et le mal que nous apportons avec nous elle est toujours
la résultante de notre état réel. Les lois, comme la poli-
tique, se combinent avec la liberté humaine altérée par
la Chute. La politique est ob)igéc de marcher entre la
thèse du droit pur et celle de l'abus que les hommes font
de leurs droits. Elle tyrannise dès qu'elle se tient trop
près de la seconde, mais cite se perd dès qu'elle ne voit
que la première. Pour harmoniser les deux thèses, elle
doit procéder des faits, éclairés par la Foi, et non de
l'empirisme ou de la raison pure, qm ôterait un des élé-
ments au problème. Chez les peuples civilisés, la pratique
découle de la vérité~ oircrte par l'histoire et interprétée
par !e dogme.
Ici, la politique retrouve ses racines; on sent d'où elle
naft, on en découvre le vrai but. Ici, disparait le nuage
derrière lequel s'abrite un sièdc et demi d'utopie et de
sang. Tandis que pour les hommes du jour, la politique
dans ses principes et dans sa justification n'est qu'un
chaos, qu'un assemblage étrange d'éléments en hostilité.

Telles sont les données premières de toute politique.


On voit déjà Pinfirmité du point de vue de la théorie
pure, d'où la Révolution tira son origine, et d'où partent
tous les esprits victimes de t'imagination. C'est ici la
première erreur elle vient, comme on le voit, d'un
défaut de bon sens et d'expérience. Nous verrons plus
loin la seconde, qui naît d'un défaut de science morale;
et plus tard, la troisième, qui provient d'un défaut de
conception philosophique.
Et pour tout dire en ce moment, la première de' ces
trois erreurs renverse la vraie notion de l'homme, la
seconde détruit la vraie notion du mérite, et ja troisième
ruine la vraie notion de la liberté.
IV.
aCHAPITRE

La sagesse est la voie de la poHtiquf?.

Une fois dans la politique, il faut donc moins inter-


l'homme soi que sa nature actuelle, c'est-à-dire
roger en
niveau dans l'histoire car les faits donnent la mesure
son
de ce que nous sommes.
Nous avons des peuples, des civilisations, des époques
leurs droits acquis; nous n'avons pas l'humanité..
avec
Nous ne sommes plus tels que Dieu nous fit, mais tels
faits. Pour un vain rêve, nous
que nous nous sommes
perdons le réel, le plan d'où sortira notre propre gran-
deur, les bcncuces de notre propre histoire. Certes!
jamais les faits, mesure de notre propre cœur, ne seront
tout ce qu'ils devraient être; mais l'utopie rompant
l'échelon sous nos pieds, nous jettera toujours plus bas.
Ceux qui poursuivent i'idca!,mu!tiptient encore les obs-
tacles devant ceux qui veulent le possible, sans avoir
cela renié l'idéal, que la sainteté seule peut atteindre.
pour
Celle-ci rejoint dans sa main les deux grands anneaux
qui
de la chaine. Les séparer méconnaitre les faits,
donnent la portée de l'homme, ou perdre de vue cet idéa!,
qui nous apprend ce que l'homme doit être, c'est tout
manquer en morne temps.
aveuglé
Aussi l'homme d'Etat ne doit pas plus rester
les faits, qu'ébloui par la théorie pure. Le moyen
sur
d'éviter à la fois l'empirisme et le rêve, c'est d'être théolo-
gien, comme au reste le furent nos plus grands politiques.
La politique est nécessairement toute dans la connais-
sance de l'homme, de l'homme tel qu'il est, et cette con-
naissance est l'élément de la Théologie. Le monde, dans
les grandes. situations, ne (\rt sauvé que par des chrétiens
de génie. Trois siècles d'eubrts sur l'Europe, n'ontt pu
encore tout à fait la jeter hors du pivot sur lequel l'a
placée Charlemagnc.
Embrasser du inème coup d'ccil les deux rayons de la
pensée, savoir les rapprocher, puis rencontrer leur point
d'intersection, constitue pour l'esprit humain une position
partïculicre, connue et admirée dès la plus haute anti-
quité une chose préférable à la gloire, célébrée dans
toute l'Ecriture, et proclamée le don par excellence du
Saint-Esprit sous le nom de ~s'c.
« La Sagesse,
M dit le Livre saint, image de la bonté de Dieu, atteint

)j
d'une extrémité à l'autre avec force et dispose tout avec
N
douceur, car elle a l'intelligence de toutes choses 1. »
Faite de lumière et de condescendance, la sagesse pro-
portionne le plan de Dieu aux possibilités de t'homme;
elle unit la justice à l'expérience, elle est la voie en
politique.
De ces principes élevés, que devons-nous directement
conclure? Tout d'abord un point capital qu'il faut, en
politique, écarter !a pure théorie, se faire éclairer par la
Foi, s'en tenir aux renseignements de l'histoire, recueillir
les droits et les biens obtenus, garder les précieux e!c-

(!) La Sagesse, chap. VII et suiv. « Lamultitude des sages est le salut
du monde et le roi sage, le fondement de son peuple. H Idem. chap. VI.
Et l'esprit du Seigneur rpposfra. sur lui, l'esprit de sagesse et d'intelli-
gence. a Isaïe, chap. 11. D'où l'on comprend que la sagesse donne l'intelli-
gence et qu'elle est l'esprit du Seigneur.
ments de toute civilisation acquise, pour Fcmpécher de
tomber dans t'abîme du despotisme ou des révolutions.
Rentrer dans la lumière et dans l'expérience, c'est-à,-
dire dans la sagesse, savoir de l'homme ce qu'il est en
realite, quel terme il doit atteindre, quel obstacle l'arrête,
et comment, ma!gre sa misère, on peut le conduire à ses
uns, est d'une grande politique en tout temps, mais sur-
tout à cette heure.

CHAPITRE V.

La poétique, progressive et non immuabie.

Ce n'est ni la théorie brillante, ni l'habileté consommée,


mais la sagesse que l'on admire chez les hommes. C'est
elle qui constitue le vrai génie en politique.
E!!e n'est point le partage de ceux qui tirent de la pure
philosophie une thèse de droits applicables à l'homme.
C'est notre état qui règle tout, c'est cet état qu'il faut
connaître. Certes!1 il faut pénétrer dans les faits à la
clarté du droit, pour les comprendre, les éclairer ou les
conduire, mais non pour en briser l'enchaînement sacré.
Sinon, le droit pourrait à toute heure, en entrant dans la
société, la faire voler en éclats.
Car c'est là cette idée d'un droit pur, dégagé de l'his-
toire ou des faits, qu'emprunte la Révolution. Otcz-lui
cette arme terrible, autrement elle détruira les nations,
elle renversera tout ce qu'a produit l'homme. Nos droits
réels, droits obtenus, droits mérités, naquirent avec ces
faits, ils résultent de notre histoire et l'aboHr, comme
on !'a fait chez nous, c'est abattre l'arbre et ses fruits.
D'ailleurs, unie au droit, mais placée dans les faits,
la po!i(ique ne saurait être immuable, comme la morale
et la Foi.
La religion est une comme la physique elle est l'ex-
pression des rapports éternels qui existent entre Dieu et
l'homme; Dieu étant nécessaire et immuabtc, et la nature
humaine, bien que variabte duns ses développements,
étant une et immuable dans son essence. Mais si déjà
l'on a peine à comprendre que la religion, expression des
lois même de i'Intmi, puisse devenir applicable à une
créature, combien ne faut-il pas, lorsqu'il s'agit d'opérer
ce. prodige, ménager les moyens d'action suivant les
divers états que traverse une nature déchue! Aussi ~'édu-
cation, politique de la famille, varie-t-elle ses procédés
suivant !'àge et le caractère de chaque enfant. Et la poli-
tique, une aussi dans son but, varie avec les peuples et
avec les phases des peuples, qui en représentent !cs divers
développements.
La politique est donc progressive comme l'histoire;
elle ne s'impose point comme Je veut le libéralisme; elle
ne force point la nature humaine, e!te s'y plie, elle s'y
conforme; ci!e est toute d'application. Elle suit l'homme
dans ses oeuvres et non point dans ses rêves. Car le mérite
ne saurait s'imposer or, il en est ainsi des lois, des
mœurs, des progrès et des droits.
Peut-on, comme les esprits vains le déclarent aujour-
d'hui, emprunter une chose à tcl peuple, et une autre à
tel autre pour opérer à volonté un éclectisme sur l'his-
toire ? Et mème, chez un peuple où celle-ci fut renversée,
où 1793 en écrasa les éléments, peut-on artificiellement,
subitement la rétablir? Peut-on, par exemple, décréter
libertés provinciales, iors-
en un jour toutes les anciennes
qu'il n'y a plus de provinces? relever tout à coup et par
enchantement notre civilisation démolie? Ne faut-il pas
ici replanter l'arbre dans son sol, le faire reverdir, le
voir entrer en Heurs et produire des fruits? La politique
humaine.
ne peut pas remplacer la nature
Les utopies furent des œuvres de destruction; toute la
Révolution n'est elle-même qu'une utopie. L'utopie forme
aujourd'hui le grand obstacle à l'avenir. Elle ne cesse
d'écarter du vrai chemin une foule d'hommes honnêtes,
qui sentent*t cependant que la vérité n'est pas là. C'est
l'utopie qui les empêche de s'entendre, qui prolonge la
durée du mal et ren<l jusque présent tout remôde impos-
sible. C'est parce que nul enseignement ne pouvait dis-
siper l'utopie ni arrêter les maux dont elle nous inondait,
que Dieu y a mis fin par les événements.
La Révolution bâtissait en dehors de la nature humaine.
Toute cette construction disparaît avec la base qu'elle
croyait prendre dans l'état de nature.. Nous verrons
maintenant la Société se reconstruire avec les éléments de
la nature humaine. Nous suivrons du même
regard le
rétablissement de l'homme et de la société, car la société
n'est que la manifestation et l'édification de l'homme.

Telles sont les idées premières dont aucune politique


ne saurait s'écarter.
Nous l'avons observé la Révolution est issue de l'or-
gueil envahissant le monde sous le faux nom de tibertc.
Triomp!)am dans les mœurs, dans les lois, dans l'Etat,
rorgucil a ftni par jeter le masque, et il a déclaré, par
la Commune, qu'il fallait, la. hache à la main, renverser
une société qui s'était élevée sur Dieu. li s'agit donc
maintenant de relever la Société qui repose à la fois
sur
Dieu et sur les hommes!
Pour savoir s'il existe une autre société que celle ima-
ginée par la Révolution, nous n'avons qu'à interroger les
éléments de la nature humaine. Comme pour savoir s'il
existe des droits plus réels que ceux indiqués
par For-
gueil, nous n'avons qu'à interroger la liberté.
Nous verrons comment ia Société
se construit tout
entière sur notre liberté, et donne en même temps
essor
à tous les développements de la nature humaine. Et
comme la Révo!ution provient dci'orgueiï paré du nom
de liberté, séparer cet orgueil d'avec la liberté puis
écarter l'orgueil pour ramener la liberté, c'est ruiner la
Révolution et rétablir la Société réetic.
C'est au nom de la liberté que la Révolution s'est éta-
blie, et c'est avec la liberté que nous venons la
renverser.

CHAPITRE VI.
Objet de la Société constituer la liberté et la nature humaine.

Lorsqu'il s'agit de la société, on ne peut commencer


par abolir l'homme. On ne peut ni bannir la nature
humaine de la société, ni bannir notre liberté de la
nature humame, ni bannir le mérite qui provient de
la tiberté.
Le mérite est la conséquence essentielle de notre
res-
ponsabi!ité; notre responsabilité elle-même est la conse-
imputnbi!ité à son
quence de notre imputabi!ite; et cette
tour est conséquence de notre liberté. Si l'homme
une
est cause, si ses actes lui appartiennent, ils sont ses
propres effets, ils lui sont imputables.
Ne pouvant être indifférents, nos actes portent néces-
sairement avec eux le mérite ou le démérite. C'est notre
gloire, c'est notre loi, loi que le despotisme peut violer,
mais qu'il ne peut anéantir; loi que l'homme n'a point
faite, mais qu'il trouve dans sa nature et qui renferme les
conditions de sa propre existence. Notre conformité au
bien est notre ouvrage, elle nous appartient, elle est
notre mérite. Pour lui ôter un tel caractère, il faudrait
enlever son caractère l'homme.
On ne pourra fonder !a Société ni maintenir les peuples
En
sur des lois opposées à celles de la nature humaine.
sacrifiant à la promiscuité des droits le principe du mérite,
qui est !a conséquence indispensable (!e notre hberté, la
Révolution ne réussit qu'à découronner l'homme, qu'à
perdre les Etats et qu'à accumuler des ruines. L'homme
n'a pas été mis ici-bas pour faire mépriser sa nature..

Placée en dehors de toutes les notions de la philosophie,


la Révolution n'a plus vu l'objet de la Société. Elle n'a
plus vu que, créée pour assurer à l'homme ses dévelop-
pements, la Société repose en plein sur la justice, la jus-
tice sur les droits acquis, les droits acquis sur le mérite,
et ic mérite sur la liberté, pouvoir divin donne à Phomme
pour faire le bien, pour accomplir de lui-même sa loi afin
de MÉtUTER.
Car s'il refuse d'accomplir sa loi, qui le pourvoit de
ses conditions d'existence et de développement, le voilà
pour loi-même et pour la société une pierre d'achoppé-
ment. L'autorité, prenant alors en main la loi, devient la
gardienne et la mère de la justice, dès lors du droit, et.
par conséquent du mérite ou de la liberté dans l'homme.
En sorte que l'objet de h Société est de fonder le règne
de la justice, l'objet de la justice, de fonder le règne du
mérite, l'objet du mérite, de fonder le
règne de notre
liberté, et l'objet de cette liberté, de déployer la nature
humaine ou de la conduire à
son but, qui est de mériter.
Ecarter le mérite, serait écarter notre liberté, dès lors
annuler l'homme et la société, c'est-à-dire la créa-
tion même.

Ega!emcnt, la Révo!ution n'a ptns


vu comment l'invio-
labilité humaine, découlant de la liberté, n'existe qu'à la
condition d'affirmer notre responsabilité devant Dieu. De
sorte qu'en écartant Dieu ponr mettre en l'homme l'ori-
gine du droit, la Révolution a laissé tomber la base de
nos droits. Aussi n'a-t-elle réussi qu'à ramener l'homme
sous le joug de t'homme, et dès lors qu'à conduire la
société eNe-méme jusque sur le bord de l'abinie.
En retirant l'autorité à Dieu et en l'attribuant à tous
les hommes, elle est tombée dans le gouu're qu'elle
vou-
lait fuir, et de .plus elle a renversé l'ordre de la civili-
sation. Non-seulement les hommes
ne sont pas parfaits,
et de là l'obstacle à une société pure; mais encore ils
sont loin d'être égaux dans la vertu, et de là des difH-
cultés plus sérieuses encore. Les natures grossières, !es
hommes opposés au bien ou victirnes de leurs instincts
cupide étant les plus nombreux, étouneront ici les autres,
et détruiront précisément la civiiisatton dans son principe
même, l'érection du mérite, et dans son but, le déploie-
ment de la nature humaine.
La civilisation, au contraire, ne subsiste qu'à une con-
dition, savoir, que l'impulsion découle du mérite, qu'elle
parte des hommes les plus éclairés et les plus distingues,
c'est-à-dire des meilleurs. C'est là tout le sens de ce mot:
Gouverner..
Il faut que l'on gouverne la société humaine c'est-
à-dire qu'on l'exhausse, que les retardataires soient ra-
soient.
menés à nn niveau plus élevé, que les masses
dirigées dans le sens des meilleures; qu'eues en reçoivent
à la fois la lumière, la justice, l'exemple, l'ordre, les !ois,
la direction et la sécurité, comme elles en reçoivent le
capital condition de la production et des lors de leur
existence. Céder à l'irnpulsion imprimée par la fou!c, ou
si l'on veut au nombre, comme les corps au poids le plus
lourd, c'est redescendre les degrés de 'la civilisation c'est
rentrer dans la barbarie, c'est manquer l'objet même de
la Société humaine.
On le sent, les notions vitales ont disparu. Les hommes
sont attés jusqu'à perdre la notion de cette liberté qu'ils
voulaient faire en tout prévaloir 1 Ils ne voient.même plus
comment !a société s'organise et se fonde entièrement sur
elle. Ils ne savent plus que le mérite, conséquence et
cortège inséparable de notre liberté, est le principe, rc!é-
mrnt, la raison de cette société admirable!

En présence d'une civilisation qui croule dans la ser-


vitude, observons comment la société entière s'élève sur
les résultats de notre liberté morale1 En. présence d'une
époque éprise d'une liberté illusoire, défendons les liber-
tés réelles et certaines! Nous arriverons cette fois à une
Politique réelle, glorieuse pour l'homme, applicable à la
France.
fi ne suiïit vouloir sauver ia civilisation, il faut
pas de
en connaitre l'essence. Et pour les Rois, il ne suffit pas
de vou!oir défendre !a société, i! faut savoir comment et
sur quel point ils peuvent la défendre. De là un examen
sérieux des causes qui en compromettent de plus en plus
l'existence.
t! y a la cause morale, cause première, dont il fallait
tenir compte avant tout, savoir, la fausse idée sur t'hommc
laissée par le siècle dernier et c'est celle qui a été signalée
dans nos Préliminaires. Il y a ia cause sociale, cause
seconde, savoir~ une fausse idée sur la Société, idée con-
traire à la nature humaine et c'est celle qui se dévoile
dans cette première Partie. !Jya enfin la cause politique,
cause dernière, qui favorise les deux autres, complique
nos erreurs et comp!ète nos maux et c'est celle dont il
faudra s'occuper dans !a seconde et dans !a troisième
Partie.

CHAPITRE VII.

Nature de l'erreur politique.

Comme nous sommes des êtres libres et moraux, tout


repose ici-bas sur le mérite. Juste expression de notre
liberté, le mérite est avant tout la base sur laquelle repose
la Société, faite pour déployer les cléments de la nature
humaine. Le mérite est le but de cette nature, et pour le
temps et au delà des temps.
Vouloir que la Société se fonde en dehors du mérite,
de résultats acquis, pour verser ses droits sur la
ou ses
disparaisse
foule, c'est vouloir précisément que la Société
l'homme soit confondu. Tel a été te résultat de la
et que
Révolution.
Ecarter le mérite comme source des droits, c'est vou-
celui dont
loir écarter celui dont le travail crée une force,
la vertu construit
le talent répand une lumière, celui dont
famille. et celui dont le Pouvoir produit la paix et
une
la sécurité. C'est écarter justement ceux qui sont
assure
inhabile,
appelés à soutenir, éclairer, gouverner la foule
des lors laisser pierre sur pierre! C'est, ramener
et ne pas
l'état sauvage, où la lutte, mise à h place
des droits
acquis, devient le seul rapport entre les hontes.
Enfin
introduir3 la
c'est installer l'orgueil et non b liberté, et
seul moyen dont
force à la place de la justice; la force,
dispose !'orguciHi
Dès lors, à nous de dire si nous
voulons défendre ta plus
de dire si nous
haute prérogative de l'homme. A nous
décides à garder les bases de notre dignité, à re~
sommes
descendre
cueillir les avantages de la civilisation, ou bien à
Nous
plus bas encore dans le malheur et dans la honte.
de la nature
n'en sortirons pas, si nous souffrons l'abolition
humaine résultant de l'extinction de l'idée du mérite,
si

restons au milieu du mensonge qui, depuis près d'un


nous
siècle, forme notre état social.
sociale,
Si la Révolution n'était pas l'opposé de la vérité
n'aurions pas été brisés pour la cinquième ou la
nous
sixième fois1 Si elle n'était pas le renversement même
de l'homme, elle n'aurait pas été celui
de notre civili-
Révo-
sation. Nos erreurs et nos maux sont nés de la
incomplète de
lution, et la Révolution est née d'une idée
l'histoire, au
l'homme. A la civilisation chrétienne, à
passé, elle a substitué une idée arbitraire. Pourquoi?
Uniquement pour chasser Dieu de la Société, afin de
le remplacer par l'homme. Aussi avons-nous Hiomme
maintenant
A la place de la force morale, du mérite et de ses
droits acquis, nous avons mis la présomption et sa
tyrannie odieuse. Si la Révolution a pénétré plus vite et
plus profondé:nent en France, c'est parce qu'il s'y trou-
vait plus d'envie. La même présomption nous fait rejeter
toules nos fautes sur nos gouvernements. Nos gouver-
nements sont nous-mêmes; c'est sous notre pression qu'ils
agissent depuis un demi-siècle, et c'est nous qui les
avons faits.
Nous ne manquerons pas de dire que notre guerre
contre la Prusse est la source de tous nos mnux, et que
ce qui nous a perdus c'est l'incurie d'un homme Ce qui
nous a perdus, c'est notre oubli de Dieu. C'est l'orgueil
qui nous fait chercher hors de sa Loi !a vérité, les lois,
les moeurs, la politique. En cela nous avons brisé la base
de toute société chez les hommes, c'est-à-dire le mérite,
noble fruit de leur Mberté, racine unique des droits réc!s~:

(i) Les blessures faites par le dernier Bonaparte a ta France, ne sont pas
datées de Sedan! 1 Le meurtre a commencé le jour où, d~accord avec nos
instincts, il la tivrait tout entière au luxe, a ~immoralité et t'oubH de
Dieu où, d'accord avec nos erreurs, il lançait la presse otucieuse contre le
Souverain Pontife, dans le but de livrer ses Etats l'avidité du Piémont où,
d'accord avec nos folies, il nattait les instincts révolutionnaires, dans le but
d'affermir un trône acquis par les voies révolutionnaires; ou, d'accord avec
nos passions, par dédain pour la vertu, pour t'bonneur et la vie modeste,
il mettait la gloire dans l'argent, raitumant les flammes de la jatousse dans
la classe:modeste, celles de la cupidité dans la classe moyenne, celles du
dérèglement dans la classe élevée; le jour où, pour ministre de l'instruction
publique, il choisissait celui qui nous donnait un singe pour ancêtre; où,
Nous ne pouvions manquer d'accuser Bonaparte de
tous nos maux. Mais d'où vient Bonaparte? Ne
sort-d pas
de la Révolution? Et don vient !a Révolution? Ne sort-
elle pas de nous? C'est donc nous qu'il faut corriger. Si
Bonaparte, suivant ce point de vue, avait été chez nous
un fait dcnuc de racine, le
mal aurait disparu avec lui,
après d8io. Muis le mal reparait et produit un second
Bonaparte. Avouons donc que Bonaparte n'est que le
symptôme d'un mal qu'il faut guérir en nous. Ses satur-
nales et ses erreurs sont les nôtres. Sa lâcheté ne date
complaire et
pas de Sedan, mais du jour où pour nous
les plus pressants
pour s'étayer de la populace, H déserta
intérêts de l'Eglise. Et nous, en persistant, pour satisfaire
la présomption française, à rejeter tous nos torts sur
autrui, pourrons-nous sortir du malheur?
H est vrai, depuis que les Etats existent, jamais gou-
vernement n'avait, à l'aide du mensonge, amené si avant
l'affaire de la démolition de l'ordre social. Mais il y fut
conduit par la nécessité où il crut être de céder à
l'erreur et d'accorder les lois de l'Etat avec celles de la
dévolution.

voulant arracher la Foi à sa base visible, il cherchait pour coques des


hommes que le Saint Père ne pouvait accepter le jour enfin, où conspirant
ouvertement contre le bien, contre la pureté des mœurs, il livra d~Snitive-
ment la religion à ses ennemia et laissa <e!ater l'athéisme public pour flatter
honteusement une foule abusée. Dieu pouvait-il souffrir plus longtemps
qu'on travaillàt à soutenir un ordre artificiel aux dépens de l'ordre
moral,
autrement dit, qu'on travaillât à détruire t'homme?
CHAPITRE VIM.

Essence de !a Société humaine.

Les hommes sortiraient à cette heure du chaos qu'ils


ne seraient pas plus dénués des moyens d'établir la civi-
lisation. Ayant du même coup aboli la raison du mérite,
la source du respect et le principe d'autorité, ils
ont perdu
tout pouvoir de s'unir et de se rétabtir en civilisation.
Reconstruire aujourd'hui la Société, c'est mettre à bas
la dévolution, c'est renverser les idées mensongères qu'elle
a instituées. Au mi!ieu de ces idées fausses, il en est une,
on le voit, qui a servi de source aux autres. C'est celle
qui consiste à ne point comprendre que le mérite est,
d'une part, le fruit de notre liberté, et, de l'autre, !e secret
de notre dignité.. Le mcrite voilà bien le uis légitime
de cette. liberté, noble pouvoir de s'élever dans
une
échelle qui pénètre vers l'Infini! Mais les mérites variant
comme les bonnes volontés, J'ËgaHtc ne saurait naitrc
d'une liberté qui partout i'a chassée de la terre. Et cette
notion à elle seule étouffe la Rcvotution..
Ne formant pas un troupeau, dont toutes les tètes
sont nécessairement cga!cs, mais une construction d'êtres
moraux et libres, que le mérite aussitôt superpose, la
Société n'est dans l'essence qu'une Hiérarchie. Qu'on Je
veuille ou qu'on s'y oppose, elle n'est,
en soi, qu'une
Hiérarchie de mérites et de droits ayant
pour âme le res-
pect, pour racine la liberté morale, et pour sauvegarde la
loi, qui reconnaît ces droits, protège cette liberté et s'ins-
pire de ce respect.
Le respect détermine la position de celui qui fonde un
droit, à l'égard de celui qui en profite pour établir son
existence par exemple, le droit du père à l'égard de
l'enfant, du savant à l'égard de l'ignorant, du magistrat à
l'égard du justiciable du fondateur de toute espèce de
capital à l'égard de celui qui n'a pas épargne, de l'admi-
nistrateur à l'égard de l'administré, du souverain à l'égard
du sujet. Mais, chassant le respect, renversant le mérite
la loi des brutes, abolissant
au nom d'une égalité qui est
dès lors l'autorité du souverain sur les sujets, du père sur
ses enfants, du mari sur sa
femme, du magistrat sur les
justiciables, du maître sur les serviteurs, en un mot des
classes formées et éclairées, sur les classes auxquelles il
faut fournir les lumières elle capital. La Révolution a
étoun'é le développement de l'homme et démoli la Société.
Une armée peut-elle exister sans hiérarchie, une hiérar-
chie sans discipline, une discipline sans respect? Or la
Société, qui relie la série entière des âmes, depuis les
saints et les gens d'honneur, jusqu'à ceux que surveillent
et répriment les lois, est bien autre chose qu'une
armée,
formée en général de jeunes gens pris aux campagnes,
élevés dans l'obéissance et encore loin de la perversité.
Cependant, sans la discipline, où serait le soldat? sans le
respect, où serait l'officier? sans la hiérarchie ou le
mérite constitué, où serait cette armée? et sans la hié-
rarchie ou le mérite reconnu, où trouver des généraux
qui se forment en visant à des récompenses recher-
chées en vue de l'estime et de la considération?
On ne rétablira la Société parmi les hommes, qu'en
LÉGtT..
tenant compte de leur nature, qu'en favorisant leur crois-
sance, qu'en acceptant les effets de leur liberté, autrement
dit les conséquences du mente qu'en rétab!issant le res-
pect, qu'en protégeant les droits acquis, qu'en reconsti-
tuant la hiérarchie. A la place des droits acquis, droits
réels et mérités, vouloir des droits innés, droits fictifs et
nominaux, c'est tout confondre et tout détruire, c'est
renier la liberté et ses légitimes effets pour vouloir fonder
dans l'absurde.
Tous ces droits introduits sans elle amènent une
ëga!ité, c'est-à-dire une confusion, une démagogie quii
est l'écrasement de la Société, l'anéantissement ~des êtres
libres.
Si nous restons dans notre orgueil, nous ne sortirons
pas du chaos. Si nous voulons mourir enfouis sous les
anronts, demandons encore une fois à la Révolution un
souverain, des droits, le sa!ut et l'honneur du pays!
Avec elle, nous ne retrouvons ni l'origine du pouvoir,
ni l'essence du droit, ni le principe de la famille, ni la
raison de la propriété, ni celle de la sécurité, ni les
moyens de conserver des libertés publiques au sein du
développement de la nature humaine! Nous perdrons
toutes les légitimités sur lesquelles la Société repose; nous
resterons dans une confusion irrémédiable nous serons
un peuple perdu et destiné à se voir conquis.
Comme la Société dérive de la nature humaine, qu'elle
en est à la fois l'expression, la condition et l'édincation,
il n'est pas plus en notre pouvoir de changer la Société
que de changer la nature de l'homme. Nous ne pouvons
que la détruire, et c'est à quoi arrive la Révolution En
Asie, par exemple, la Société, qui ne repose pas sur
l'ordre moral, sa base naturelle, est toute factice, toute
extérieure, et peut être détruite par un événement. Aussi
n'a-t-el!e jamais procuré un développement religieux,
moral ou intel.lectuel à l'homme. Il en serait tout à fait
de même de l'édifice social que les hommes essaient d'éta-
blir en Europe depuis quatre-vingts ~ns. A tout instant
leurs Etats croulentt et laissent voir les individus dans
un état de barbarie qui fait
aujourd'hui notre effroi.

CHAPITRE IX.

Essence du pouvoir politique.

Quand un très-petit nombre maintient tous les autres


seul commande à ce très-
en paix, et qu'à son tour un
contraire à
petit nombre, n'est-ce pas en vertu d'une loi
celle de la force'? Cette loi n'est-elle pas ce qu'on nomme
l'autorité? Cette autorité, elle-même, repose-t-elle sur
chose le respect, et le respect enfin, est-il
autre que sur
directe de notre
autre chose à son tour que la conséquence
liberté, de notre inviolabilité?
détruire
Détruire le respect, fils du mérite, n'est-ce pas
de la
~Autorité, et alors renverser ce fait prodigieux
les lois de
Société, ce fait au sein duquel contre toutes
monde, petit nombre, puis un seul, commande à
ce un
les maintient dans l'unité? Car c'est la merveille
tous et
voit les plus
du monde, que cet ordre dans lequel on

Fimmensite de l'effet et
(i) Pui~qu'H n'y a plus ici de proportion entre
d'autant
l'exige de la cause, c'est une raison pour étudier celle-ci avec
de sotUcimde 1
plus de soin, et l'entourer d'autant plus
mauvais plier sons les lois faites par les meilleurs, autre-
ment dit, le plus grand nombre céder au plus petit!
Or une telle autorité, venant régler les libertés humaines,
ne peut être établie que dans l'âme; elle ne peut procéder
que de Dieu, ni s'exercer qu'au nom de Dieu sinon ici
les libertés ne seraient plus libres. Et déclarer que cette
autorité provient des hommes, et non de Dieu comme
notre être, n'est-ce pas, du même coup, violer la liberté
humaine, détruire le respect dans sa source et~renverser
l'Etat ?
Aussi, longtemps avant le 4 Septembre, nous n'étions
plus en société. La force du dehors nous y maintenait
seule. Il a sufïi d'ôter le pouvoir qui l'exerçait pour voir
mettre en question ia Société entière lois, religion,
famille, sécurité, propriété. Nous n'étions plus la branche
qui neurit, mais le faisceau que l'on dé!Ie.
Si nous avions été une Société, autrement dit, si le
respect eut soutenu les droits, ou les rapports qui doivent
s'établir entre les hommes, la rupture de la force n'eut
à peu prés rien dérangé. On a vu perdre des batailles,
et les royaumes restaient debout, parce qu'en eux la
Société était toujours vivante. On ne niait ni les droits
du propriétaire, ni ceux du chef de famii!e, ni ceux du
magistrat, ni ceux du souverain, ni ceux de t'homme,
dont la liberté ne peut se confier qu'a un pouvoir qui
s'exerce au nom de Dieu et dans sa Loi. On ne niait
aucune légitimité. Chez nous, la Société ne subsistant
plus qu'au moyen de la force extérieure, un choc nous
réduit à l'état de ruine.
Depuis longtemps les hommes s'étaient mis dans cet
état de ruine d'où il leur était impossible de sortir par
eu~-mcmes. Seulement aujourd'hui un tel état est. devenu
LOIS D'OR DE LA SOCIÉTÉ. i85
visible. Pour nous sauver, voit-on maintenant ce qu'il
convient d'abord de faire?
Ne devons-nous pas dire avec l'Ecriture « Tout pou-
voir vient de Dieu. » Pense-t-on, d'une part, que l'homme
doive obéir à l'homme, et de l'autre, cumuler les avan-
tages de la Société avec ceux de l'orgueil? Peut-on placer
la souverainetédans le peuple, c'est-à-dire dans l'homme,
puis trouver au milieu d'un tel athéisme la liberté, les
droits, les biens et la sécurité?
Toujours pour s'éloigner de Dieu, les hommes se disaient
encore N'est-ce pas à nous seuls de choisir notre sou-
verain ? L'élection se portera toujours sur le plus apte,
sur le meilleur. L'hérédité peut mettre au contraire sur
le trône le plus inepte et le plus mauvais. Que leur
ont répondu les faits, notamment les derniers sept mil-
lions et demi de suffrages?. C'est que dans l'élection ce
sont les hommes qui choisissent, et dans l'hérédité c'est
Dieu.
La Société ne doit pas être plus étonnée que l'homme,
de trouver Dieu à la source première
Ah! plaignez-vous de l'homme de Sedan, et vous
n'aurez pointt tort. Dans le cours de l'histoire, vit-on
jamais capituler un souverain ayant en main et sur son
propre territoire une armée tie quatre-vingt mille hommes,
puis une armée plus forte encore postée un peu plus loin?
La France n'avait pas de princes; l'un avait brûlé la
cervelle chez lui à des gens venus pour l'appeler en duel
l'autre partit du côté du Midi quand on eut déclaré la
guerre du côté du ~ord; et leur chef livra la France à
l'ennemi pour s'assurer du pain et une captivité plus favo-
rable. C'est la conduite du mercenaire, de celui qui n'est
point pasteur. Oui, plaignez-vous de l'homme de Sedan;
mais remarquez qu'il est issu de vos suffrages. Suffrage
universel erreur universe!!e*.
On voit déjà comment la Société s'élève harmonieuse-
ment sur la nature humaine. Si nous portions plus avant
nos regards, nous serions sans doute surpris de la mer-
veille que renferment les plus simples faits de !a hiérar-
chie sociale.

CHAPITRE X.

Lois d'or de la Société.

Le mérite est le fruit des efforts que chacun fait pour


atteindre le bien. Fils de la liberté morale, i! produit de
toute nécessité une hiérarchie chez les hommes. L'idée
d'abolir celle-ci, ou d'effacer !es produits de notre liberté
en déférant le même droit à tous, serait l'abolition de la
nature humaine, la destruction du plan du créateur.
Partout où les hommes ont voulu écarter la justice,
qui n'est que la reconnaissance des mérites et des droits
de chacun, ils ont été ramenés~à l'état sauvage. La société
humaine est une construction, et non une 'réduction de
fractions au même dénominateur. Qu'on le comprenne ou
qu'on l'ignore, elle est comme une échelle où les âmes

(1) Les princes Issus du suffrage viendront toujours demander à la foule


permission pour la gouverner. Or être gouverné, c'est justement ce que
la foule ne veut pas 1 A cette heure, elle ne demande pas la République,
parce que c'est un gouvernement, mais parce que c'est une absence de
gouvernement..
s'élèvent de toutes parts pour s'approcher de l'Infini.
Rousseau a mis en doute la légitimité. de l'ordre social
la Société le déprave.
en disant L'homme est né bon, et
Tout au contraire, l'homme est en proie au mal, et la
Société le répare. L'homme naît perfectible, c'est-à-dire
l'aide de la force morale
en mesure de s'élever au bien à
dont l'a dote son créateur. Et il doit non-seulements'élever
dans le bien, mais avant tout se délivrer du mal, qui l'en-
vahit dès qu'il abdique cette force morale. Or, nul ne
pouvant s'affranchir de cette dignité, de ce devoir de
l'être libre, la Société entière n'est qu'une échelle immense,
une prodigieuse, une admirable Hiérarchte..

Ne nous abusons pas sur la Société, nous tomberions


dans de cruels mécomptes! La Société n'est pas instituée,
accroître
comme un si grand nombre le pensent, pour
indéfiniment le bien être infécond, multiplier les positions
improductives, favoriser les hommes en repos et les gens
train de faire fortune, ou pour ménager des loisirs
en
mais bien pour assurer
aux grands et aux petits crevés
leur développement spécial aux âmes que Dieu crée. Là,
chacune d'eUes, suivant son degré de justice, de lumière
fructifier les vertus
et d'amour, trouve la place où vont
dont elle est capable. La Société est positivement la pépi-
nière de nos âmes; c'est là que, grandes et petites, ren-
sols dont
contrent les diverses expositions et les différents
elles ont besoin pour fleurir.
Une chose frappante, c'est que la Société présente,
dans sa construction même et dans son organisation,
les

trois grandes zônes suivant lesquelles nos personnalités se


forment et s'étcvent.
Pour toute âme, la première vertu n'est-elle pas de
surmonter la nature, de vaincre la paresse, c'est-à-dire
notre propre inertie? Or la vertu du travail ne produit
et ne porte-t-elle pas aussitôt une classe, qu'on appelle
le Peuple ?
La seconde vertu de l'àme n'est-elle pas de se modérer
dans les jouissances, ou dans l'usage des produits du
travail? Or Ja vertu de l'épargne ne produit et ne porte-
t-e!!e pas aussitôt une seconde classe, qu'on nomme la
Bourgeoisie?
Enfin la troisième vertu n'est-elle pas d'employer une
partie des biens acquis au service des lois supérieures de
ta Société? Que ce dévouement se déploie dans les rangs
du cierge, de l'armée, des magistratures, dans les arts
ou directement dans la charité, ne constitue-t-il pas une
troisième ciasse, qu'on nomme la Noblesse ?
Tout homme est le produit de son mérite, et prend la
place de sa vertu.
Le prolétaire est un homme qui a travaillé, le bourgeois
un homme du peuple qui a épargné, et le noble un bour-
geois qui s'est plus ou moins illustré. Identique à la nature
humaine, la Société se forme des lois mcmes de notre
développement. Nos trois vertus y forment trois étages;
et ses trois classes correspondent aux trois degrés de cet
épanouissement moral.
Les besoins ne sont faits que pour amener l'homme au
travail, lequel commence à opérer le mouvement de l'âme
hors d'elle-même, hors de son inertie ou de son primitif
égoïsme. Mais l'homme ne s'élève à la vertu du travail
que pour arriver à celle de la modération dans les jouis-
sances et il n'atteint à cette modération que pour arriver
à l'abnégation, au don de soi, à ce qu'on nomme la sain-
teté. Or ici est le but de la hiérarchie en créant tous
les hommes., Dieu ne pense qu'à former des saints. Le
jour où il ne s'en formera pas, le monde finira. Qu'elle
le comprenne ou qu'elle l'ignore, LA SOCIÉTÉ EST UNE ciTÉ
MYSTIQUE, ou elle n'est pas.
Elle n'a été créée que pour susciter, puis garantir les
développements de la nature humaine. Il est vrai que cette
élaboration immense est en grande partie occulte, et que
la plupart des hommes ignorent le travail qu'ils' opèrent,
la place qu'ils occupent, les mérites qu'ils ont. I! en est
de' ce travail invisible des âmes au sein d'un peuple,
sein de la terre. Le vul-
comme de celui d'une mine au
gaire ne.tient compte que du produit déposé sur le sol.
Serait-ce sans raison qu'on retrouve chez tous les
peuples une classe inférieure, une classe moyenne, une
classe élevée, et que les publicistes, pour être compris,
emploient ces expressions? Serait-ce sans raison, aussi,
qu'on observe dans Famé trois degrés de l'effort le tra-
vail, dans lequel làme commence à sortir de son inertie;
la tempérance, dans laquelle Famé se tient au-dessus de
lequel l'âme s'élève au-
ses sens; le dévouement, dans
dessus d'elle-même?

CHAPITRE XI.

Partout ces lois d'or se font jour.

Que les trois zônes sociales, issues des trois efforts de


ta nature humaine, restent voilées dans un état rudimen-
taire, ou qu'elles retombent tout à coup dans la confusion
par l'anarchie, elles n'en subsistent pas moins toujours.
Répondant aux trois degrés de l'âme, elles subsistent
nécessairement et partout, à moins que la Société
ne se
voie comprimée par une dépravation exceptionnelle
ou
par un despotisme affreux.
il faut toujours que i'àme sorte d'abord de
sa paresse,
de l'inertie originelle où l'a laissée la Chute autrement
dit, que le sauvage arrive au rang de prolétaire, d'homme
pourvoyant à son entretien, et que ce mérite premier en
se multipliant forme le Peuple! Il faut toujours, ensuite,
que l'âme, sortie de ses langes, arrive à dominer ses sens,
à borner ses désirs, à capitaliser les produits qui n'ont
point été consommés autrement dit, que l'homme du
peuple se modère pour former un bourgeois, et
que ce
mérite plus élevé en se répandant forme une Bourgeoisie!
JI faut toujours, enfin,
que notre âme, affranchie des
instincts, affranchie surtout d'et!e-méme, arrive plus
ou
moins à dominer son moi comme elle a dominé
ses sens;
queite cède à la pensée, à la justice, aux armes, à l'hon-
neur, à la charité, à la Foi, une part de ces biens refusés
aux sens et au moi autrement dit que le bourgeois
s'honore et s'ennoblisse, et que ce mérite nouveau
en
s'étendant constitue une Aristocratie.
C'est le fait de la Société, c'est le fait invincible,
démontré par l'expérience, par la raison et par Ja Foi
i! faut toujours des propriétaires, des magistrats, des
généraux, des gens de bien, des prêtres et des saints,
comme il faut à ceux-ci du pain et du loisir pour va-
quer aux affaires de l'âme. Et il faut que toutes ces
catégories répondent aux trois progressions, aux trois
grands développements de la nature humaine.
Aussi ces trois' classes commencent-elles à se former
aussitôt que les hommes, frappés d'une lumière morale,
s'avancent plus ou moins dans ce généreux développe-
ment, ou dans cette ascension sublime. La civilisation est
un enclos sacré où tout est réuni pour protéger et
servir
cette croissance admirable. Autrement, ce n'est pas la
civilisation elle est sortie de sa loi et ne possède plus
qu'un peuple mort. L'anarchie ou la barbarie y étouffent
la végétation de la nature humaine.
Traduisant les trois progressions de notre liberté mo-
rale, ces trois classes peuvent être plus ou moins formées,
suivant le degré de la civilisation. Mais toutes trois doi-
vent être reconnues et favorisées, chacune en ce qui la
concerne et suivant la nature de ses besoins.
Toutes trois
même doivent se voir instituées au sein de la Société,
du corps
sous peine de mettre un arrêt au développement
social. Les besoins du peuple l'exigent: il faut'avoir à lui
offrir la lumière qui l'éclaire, l'exemple quije raffermit,
la paix qui le protège, le capital qui le fait vivre de son
travail et en augmente les produits.
Comment pourrait-on croire que ces trois classes ne
sont point légitimes?
Une nation qui ne protège pas le déploiement de la
Hiérarchie, est un parterre où l'herbe monte sur les semis,
où la ronce étoufïe les roses. Encore une fois, la Société
entière est disposée pour la formation, la sauvegarde et
l'acheminementdes âmes. Les prêtres ne sont là que pour
les conquérir, les magistrats que pour les protégea les
pensées que pour les agrandir, le travail que pour les
exercer, les vertus que pour les embellir, les arts que
pour les inspirer, les sciences que pour les servir, et
le
pain que pour les retenir sur la terre..
Comment renverser les lois d'or de la Société hu-
maine. Dieu est sur de ses lois personne ne les détournera
sans abolir notre nature et mettre à nu les fondements
du monde.
Les politiques, les habiles, tous
ceux qui se croient tels
parce qu'ils occupent les surfaces, diront Pourquoi cher-
cher si loin le fondement des choses? Mais eux, qu'ont-ils
fait jusqu'ici? Comme des ouvriers qui veulent
poser un
toit sans voir où sont les murs, ils entraient dans la
po-
litique sans voir comment la Société est faite. Matgrc
tout leur aplomb, ils ont été plusieurs fois de suite
précipités en bas. Dans les révolutions, les hommes
s'usent vite.

CHAPITRE XII.
Lois d'or de la politique.

Le moyen de détruire un peuple n'est


pas celui que les
Prussiens ont pris. La dévastation est un fait
sans racines
car la fertilité demeure dans le sol, les récoltes se repro-
duisent, les fermes et les usines se reconstruisent, et, dès
que les mœurs reparaissent, la population remonte en
peu de temps à son niveau.
Le moyen de détruire un peuple, c'est d'en affaiblir la
vertu. Or la vertu ne diminue point chez un peuple qui
en conserve la source et cette source est le c!ergé.
En versant la lumière, le c!ergé répand la vertu. Mais
cette lumière subHme de la morale et de la Foi, comme
celle qui le matin apparaît sur les Alpes, n'atteint en com-
mençant que les sommets; elle ne reluit tout d'abord que
chez les meilleurs, ou dans ce qu'on nomme les aristo-
craties. C'est de là que, rendue visible par les mœurs,
par les vertus pratiques, la céleste clarté arrive à tous les
yeux, se répandant de proche en proche jusque la foule.
Par leur grandeur, les conceptions du christianisme
planent trop haut dans les cieux de la philosophie, et sa
morale vise à un but trop sublime, pour éclater tout à
la sen-
coup aux yeux encore voilés par les vapeurs de
sualité ou de l'égoïsme attarde du vulgaire. La lumière
II faut, pour
pure nous échappe par sa lucidité mume.
nous, que son éclat se réfléchisse sur des faits, ou sur
le

corps des mœurs, ~otre esprit, en face des splendeurs


infinies, ressemble a l'oeil du hibou, qui ne saurait voir
en plein jour.
Les meilleures, ou ceux qui forment l'aristocratie, ne
sont donc tels que parce que leurs mœurs offrent les lois
divines à l'état visible. Car l'aristocratie n'est que la
réunion de ceux qui répandent le bon exemple. Aussi,
chez les nations, a-t-on vu l'aristocratie disparaitre dès
qu'elle cesse do le donner, comme il est arrive en Pologne
et en France. Alors, malheur au peuple Quand les meil-
leurs succombent, que faut-il attendre des autres?
Le Sauveur savait bien que la lumière céleste est trop
Aussi
pure pour tomber à l'instant sur tous les regards.
joignait-il des miracles à son enseignement, pour rendre
manifeste à tous la vérité qu'il apportait. 11 en exprimait
son chagrin en disant « ~o~r ~o~,
si vous ne voyez
des miracles, vous ne croyez point! » Pour les masses,
effectivement, il faut que la lumière devienne en quelque
sorte sensible dans les mœurs qui la réfléchissent, et que
ia pureté de ces dernières annonce la pureté de la pre-
mière 1 Les bonnes moeurs sont donc comme le miracle
social miracle opéré chez nous par ce qu'on nomme les
aristocraties. Toute popu!ation qui ne peut produire ces
dernières ne sort pas de la barbarie, et celle qui ne peut
plus en fournir y retombe.

Ainsi l'aristocratie se compose de ceux qui répandent


l'exemple, et avantt tout de ceux qui versent la lumière,
d'où l'exemple jaillit. Ceux-ci l'introduisent dans les âmes,
l'y rallument quand elle s'éteint, -l'approchent de nos
cœurs de manière à !~s enflammer et à les porter dans le
bien, perdu dès l'origine par notre premier père.
Cette ordonnance est une suite de la Chute. L'homme
est tombé, sa masse git à terre, couchée dans l'ignorance,
dans le vice et dans le malheur, jusqu'à ce qu'elle en soit
relevée. Alors ce n'est ni d'un seul bond, ni tout ensemble
que le genre humain se relève, que tant d'hommes se
réhabilitent au sein d'une civilisation. Mais, dès qu'un
certain nombre d'âmes parviennent à soulever le poids
qui opprime partout la liberté morale de la race d'Adam,
elles rendent possibles la vérité et la j ustice et dès lors
la Société. Ce sont là les lois d'or de la politique.
Les peuples ne s'établissent et ne s'étèvent que par
leurs aristocraties, bien que celles-ci naissent ordinaire-
ment dé ces peuples. Les masses, qui sont la partie restée
en arrière, ne sont point initiatrices; elles ne peuvent que
recevoir la bonne impulsion. Dès qu'elles ne sont ni en-
seignées, ni protégées, ni gouvernées, elles se détruisent.
Sur tous les points du globe où manquent les croyances
et l'autorité, les hommies languissent dans la barbarie ou
tombent dans t'état sauvage.
Chez un peuple, l'aristocratie se compose donc avant
tout de ceux qui lui apportent la vertu, et, immédiate-
ment après, de ceux qui la constituent dans les mœurs et
dans le capital, dont profite la foule. Il peut y avoir de
l'aristocratie au milieu du peuple c'est cetic qui se forme;
et du peuple dans l'aristocratie c'est celle qui se détruit.
L'homme titré qui se déprave, qui dissipe son temps et
son or, est pire que l'artisan qui mange son gain d'avance
et prend le chemin de l'hôpital.
Mais la Révo!ution, quii prétendait étendre la nature
humaine sur le lit de Pracuste, voulait une société sans
aristocratie!i C'est-à-dire, qu'elle ne veut pas d'hommes
qui enseignent quand il y en a tant qui ignorent; qui
recueillent le capital, lorsque tant d'autres le dissipent. et
disparaissent dans la misère; qui produisent l'ordre, la
justice, et dès lors la Société, quand la foule s'affaisse
dans la barbarie. Mais alors qui défendra le bien, qui le
montrera dans les exemples, le fixera par des institutions?
qui formera sur tous les points le capital dont vit le
peuple? qui élèvera à la vertu, à l'in telligence, à l'hon-
neur, aux délicatesses de l'àme, ce peuple obligé de pro-
duire le pain de chaque jour? qui, enfin, répandra le
bienfait de l'autorité, sans laquelle on n'a pu voir subsister
même une peuplade?
CHAPITRE XIII.
Lois d'or des nations.

Si tous les hommes naissent avec le mal, et si la vérité


s'unissant à la société les conduit insensiblement vers le
bien, comme on l'a vu, ils n'y arrivent pas tous ensemble.
S'il en est qui atteignent !a justice avant les autres, et qui
soient les premiers dans le bien ou la vérité, ne doivent-
ils pas aider ceux qui les suivent, et surtout les servir
dans les choses de Famé? « Que les premiers parmi vous
deviennent les serviteurs de tous! »
Ne faut-il pas que ceux qui profitent les premiers des
bénéfices de la Rédemption et de la civilisation, ouvrent
la rouie à ceux qui viennent après eux? Car ce progrès
ne se déclare et ne se nxe que sur un petit nombre à la
fois; par les traditions, l'éducation et les habitudes de
l'honneur, il s'établit et se conserve dans quelques familles,"
qui deviennent alors les meilleures. Faut-il les en blâmer,
et à chaque génération les remettre au point de départ?
Alors il n'y aurait jamais rien de grand, ni même rien
de fait chez un peuple. Dans la nature, faudra-t-H con-
damner la sève parce qu'elle monte, et parce qu'en mon-
tant elle élève la tige et la couronne d'une fleur? Quand
une race'a vu sa tige s'élever de terre, croître et s'épa-
nouir dans la vertu, faut-il venir la briser et la rendre à
l'obscurité? La Société, aussi, veut recueillir son précieux
capital ce capital est l'aristocratie.
La civilisation ne peut se recommencer tous les jours.
Elle repose sur le capital acquis et dès lors sur des rentes,
mais à plus forte raison sur l'aristocratie acquise, qui con-
serve à la fois le capital et les vertus qui le produisent
Par leurs mérites, leur grandeur, leur capacité,.leur bien-
faisance, leur sainteté, il y a donc des familles où la civi-
lisation se trouve toute faite de la elle s'étend sur les
autres.. Pourquoi défaire ce qui est fait? pourquoi faire
écouler en pure perte ce précieux réservoir?
Pourquoi, sur cette plante libre et merveilleuse de
l'homme ne resterait-il rien, rien dans le sang ni rien
dans l'âme, de la nature reconquise? Puisque nous nais-
aussi
sons tous avec l'hérédité du mal, ne faut-il pas
pouvoir naître avec l'hérédité du bien ?
Chaque fonction, en outre, s'adjoint aux autres en cer-
taine proportion pour former une société régulière. Par
l'exercice, chaque homme, chaque race développe les
aptitudes et les organes spéciaux dont héritent les des-
cendants. Intervertir les rôles serait recommencer en pure
perte ce laborieux apprentissage, auquel la vie d'un indi-
vidu ne sufïit point. Dans quel chaos retomberait un
peuple où le jurisconsulte deviendrait par exemple maçon,
et l'homme de lettres, charpentier? A plus forte raison,
s'il s'agissait d'étouner ainsi les fonctions qui maintiennentt
l'élévation des sentiments, de la vertu et de l'honneur?
Serait-il dans l'intérêt du peuple d'obliger celui qui leur
fournit tout ce qu'il y a de plus précieux, à se remettre
la Société ne
aux travaux manuels? Ainsi que l'homme,
vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui nourrit
l'esprit, forme le cœur et met la paix parmi les hommes.
Les races distinguées, les espèces en quelque sorte spiri-
tuelles ne sauraient être étouffées sans que le peuple ne
LÈGtT.
dégénère. Hors de leur place, elles succomberaient sans
profit pour personne.

Tout peuple est un produit de ses propres aristocraties.


Il y en a toujours trois celle qui, portant !a lumière de
la Foi, répand la vertu et les moeurs celle qui, exerçant
~autorité, fournit le gouvernement; et celle qui, procu-
rant l'exemple, produit le capital (puisqu'on voit rentrer
dans le peuple tous ceux dont le désordre consume ce
dernier). Partout où seulement l'une de ces trois aristo-
craties se retire, !e peuple est en souffrance partout où
elles s'évanouissent ensemble, le peuple en entier dispa-
raît. Comment ne seraient-elles pas toutes trois légitimes?
Car tout peuple est le produit d'une religion unie à
une
application de la justice, l'une et l'autre appuyées, pro-
tégées par l'autorité.
Le peuple est celui qu'a tout instant l'on retire de l'état
sauvage; celui que l'on affranchit par la lumière, par le
capital et par la loi celui, en fin de compte, que l'on
maintient en société.
Nous avons' déjà laissé voir cette belle édification.
Aussitôt que la Foi agit sur un peuple, elle en fait surgir
les meilleurs, en les pénétrant de deux vertus chrétiennes,
le travail et la modération dans les jouissances. De là sort
le capital, d'où vient la bourgeoisie. Puis, aussitôt
que la
Foi pénètre plus avant dans cette bourgeoisie, elle lui ins-
pire le dévoùment, la charité, le véritable esprit de la
no-
blesse. La puissance de la Foi appliquée à
un peuple en
tire ses aristocraties. Elles sont la lumière~ le soutien et
la gloire de la nation qui les porte, comme les moissons
et les forêts sont la gloire du sol qui les produit.
Et réciproquement, la dépravation du peuple est la
honte des grands car les exemples et la lumière ne vien-
nent que d'en haut, à la manière d'une cascade qui rejaillit
de degrés en degrés jusqu'à ce qu'elle arrive au bas. Là
elle coule dans cette large nappe qu'on appelle le peuple,
et dont tous les flots étincellent des lueurs qui brillent au
sommet. Les hommes sont constitués sur le plan des hiérar-
chies angéliques, dont les premières recueillent tous les
flots divins pour les répandre sur les autres. Maintenons
donc aussi parmi nous ces chutes de lumière, cette douce
pluie des moeurs, ce beau rayonnement de la justice et de
l'autorité qui fécondent aussi bien le sol que les âmes
ce sont là les lois d'or des nations.'
On ne parlait en France, depuis 89, que d'extirper
toute aristocratie. Or la France a péri parce que l'erreur
a détruit son aristocratie..
Rétablie par la Foi et retrempée
dans le malheur, elle puisera de nouvelles recrues dans
la nation et lui rendra une nouvelle vie.

CHAPITRE XIV.

Tiges fécondes et tiges mortes de la civilisation.

L'ignorance entreprend les fautes, et la présomption


les achève. Nous avons perverti l'ordre intellectuel et
change jusqu'à la substance de la Société.
Entre les classes qui gouvernaient avant 89 et celles
différence visible.
que l'on doit à la Révolution, il y a une
Les premières, arrivant à la fortune à l'aide du sol ou
de l'épée, se formaient nécessairement de familles pro-
PRËMtÈKE PARTIE.
duites par l'économie ou par la vaillance, autrement dit
par la modération dans les jouissances, en tous cas par
une énergie étrangère à la cupidité. Les dernières, arri-
vant au pouvoir par l'industrie ou par l'argent, se for-
ment naturellement de familles moins relevées, plus inté-
ressées que chevaleresques, plus habiles que dévouées.
La substitution du trafic et de l'agiotage à l'agriculture et
aux armes, ou seulement du gain rapide au gain sécu-
laire, comme source des familles ou des grandes fortunes,
est chez un peuple une chute irréparable. D'abord, c'est
ouvrir une plaie dont on ne peut guérir, ensuite c'est
ramener la Société au niveau de celle des Arabes ou des
Tunisiens.
La gravité de la situation nous arrache ici toute la vé-
rité Par le sol, il fallait à une famille plusieurs généra-
tions dans la vertu pour arriver à la fortune, et de là aux
emplois publics. La défaillance d'une seule génération,
rompant un anneau dans la chaîne, aurait laissé tout à
recommencer. Toute famille riche était dès lors une
famille ancienne, une famille respectable, une 6o~e
famille, suivant même l'expression de la langue. Les
siècles venaient se poser comme autant de fleurons sur
sa couronne; et c'est la main du temps qui s'avançait
pour la sacrer. Les sommets de la Société se voyaient de
la sorte peuplés par ce qu'il y avait relativement de
meilleur tie là le nom d'~o-ro~, dont Aristote, il y a
deux mille ans, a tiré le nom d'Aristocratie. Les choses
se sont faites ainsi depuis les patriarches, depuis l'origine
du monde.
Mais, de nos jours, l'estime singulière accordée tout à
coup à l'argent, la protection spéciale assurée au négoce,
aux banques, à l'industrie, au commerce facile, aux for-
classes élevées
tunes promptementt faites, ont inondé les
cela
et dès lors gouvernantes, de familles appelées pour
recueillir les
~~eyïMM. et n'ayant pu généralement
mêmes garanties de traditions, d'éducation, de vertus
héréditaires et de direction sociale.
On doit assurément protection à l'industrie et au négoce
mais doit-on leur immoler les lois 1 leur sacriGer les
honorifiques, et,
mœurs, leur destiner les récompenses
dans l'Etat, leur donner le grand rôle? La culture du
gain doit-elle passer avant celle de l'homme? C'est pour-
tant ce qu'a voulu ie Code.
Les caprices de l'agiotage ou de la spéculation lancent
sociales d'où
souvent les premiers-venus vers ces hauteurs
découle l'exemple, et sur lesquelles devraient étinceler aux
dévoùment,
yeux du peuple les modèles d'honneur et de
la pratique des principes, le culte de la vérité. Qu'at-
tendre d'une civilisation où l'on a fait tout le contraire?
Que dire d'un verger dont on a ramassé les plants au
hazard, à travers les broussailles, au lieu de les choisir
dans une pépinière, parmi les meilleures espèces et les
sujets les plus vigoureux? Cette comparaison nous dit
la différence entre la nature de l'aristocratie obtenue par
la Société ancienne, et la nature de l'aristocratie
qui sort
des flancs de la Révolution.
Que fera la Révolution de cette nuée de pourvoyeurs,
de cabaretiers cousus d'or, de commis-voyageurs
habiles,
d'agioteurs gigantesques, de grands marchands d'habits,
de vins, d'épiceries ou de chaussures qui lui arrivent de
faire pâlir les
toutes parts chargés d'une opulence à
anciennes Maisons? Ils seront trés-honnétes, sans doute,
mais voudriez-vous que ces hommes peu éclairés, peu
enclins à l'enthousiasme, peu amoureux du vrai, peu dis-
posés aux grandes choses et quelquefois jaloux de
ce qui
est élevé, versent des sommets de la Société leur influence
sur tous les autres?
Et ces pensées encore vulgaires, ces sentiments peut-
être un peu communs, vont-ils donc inspirer la classe
d'où découleront les idées et les mœurs sur la nation
entière, la classe qui doit imprimer sa propre direction
à l'Etat? Tel est ponrtant le résultat acquis
par nos ins-
titutions et par notre législation! Aussi voit-on comment
de nos jours la Société française s'est illustrée, et
com-
ment elle a conservé sa grandeur et sa force devant son
~ennemi Est-ce donc un péché de vendre des aicoo!s,
des actions, des étoifes ou des denrées coloniales? I\on,
sans doute; mais celui qui, par amour du gain, employa
sa vie à pourvoir aux besoins vulgaires, doit-il devenir
socialement supérieur à celui qui donna la sienne et,
l'avenir de sa famille pour procurer à semblables les
ses
services qu'ils reçoivent du magistrat, du docteur
en
Théologie ou en droit, en.fin du soldat
ou du prêtre?
Les membres des aristocraties anciennes étaient-ils donc
parfaits?–Assurément ils étaient loin de l'être mais
par leurs principes supérieurs, par les traditions main-
tenues, par les exemples de la race, par les soins d'une
éducation spéciale, ils étaient parmi
nous les moins im-

(1)Comment obvier à cela? D'abord, en décorant


ne pas ceux qui ont
gagn6 de l'argent (nous sommes loin, bien entendu, de méconnaître le
dévoûment patriotique des victimes de la dernière guerre) ensuite,
en ne
favorisant pas avant tout l'industrie, au
moyen de laquelle l'enrichi vient
écraser l'homme d'honneur; en outre, en replaçant le magistrat au-dessus
du négociant, le soldat au-dessus de l'agioteur, et le prêtre au-dessus
de tous enfin, en prenant pour base de la capacité sociale la
vertu et la
constitution de la propriété rurale, comme on le fait chez tous les peuples,
depuis l'origine du monde.
parfaits, les meilleurs. Et tout au moins, l'instinct
du
siège
médiocre n'avait point systématiquement établi son
parmi eux.
La Révolution a tout fait pour amener l'abaissement
moral et l'abaissement social. Les Prussiens l'ont eux-
l'exposition universelle,
mêmes dit C'est à Paris, lors de
de toute
c'est à la vue de ces classes vulgaires et dorées,
aristocratie moderne, de la tenue et des allures de
cette
cette nouvelle France, que la pensée nous vint
~M succès

assure à une invasion.


avaient
Nous avons voulu déranger ce que les siècles
fait. Pour corriger quelques abus, c'est-à-dire, abattupour
émonder quelques branches mortes, nous avons
l'arbre. Maintenant le replanterons-nous? Retournerons-
précieuses de la Société, ou continue-
nous aux sources
l'industrialisme pour ne
rons-nous de ne favoriser que
puiser qu'aux sources faibles? Quand on n'aspire plus
à l'honneur, il est mal aisé d'atteindre reste.
le

CHAPITRE XV.

Par qui nous sommes constitués en civilisation.

Une des plus grandes méprises de la


Révolution consiste
les aristocraties. C'est montrer combien elle
à condamner
Aussi la nature
ignore le premier mot de toute civilisation.
des choses a-t-elle hardiment passé
par-dessus les décrets
aristocra-
de l'inintelligence. Seulement, à la place d'une
désinté-
tie réelle chevaleresque, illustre, enthousiaste,
ressée, la Révolution s'est vue tout à coup inondée d'une
aristocratie en quête du bien-être, passionnée
pour l'ar-
gent, privée du feu sacré, nulle, en un mot, et faite pour
laisser déchoir la nation d'où elle est sortie.
Quand on inuigc.au Christianisme un démenti allant
jusque prétendre que tous les hommes au fond veulent
le bien, qu'ils ont pour fin l'égalité, malgré la liberté qui
les diversifie et les hiérarchise; quand
on déclare que la
Société seule fut dans le mal, que seule elle
a perverti
l'homme, qu'elle fut injuste en exigeant des garanties
sociales, en distinguant les bons des mauvais, afin de
pro-
téger les premiers contre les aggressions des seconds,
qu'elle fut inique en admettant les mérites acquis, c'est-
à-dire en glorifiant la liberté humaine, qu'elle fut irra-
tionnelle en prisant le travail, l'honnêteté, la vertu, la
propriété, la capacité, les lumières, et en faisant
un cas
particulier des familles qui lui offrent ces choses,
pour
leur remettre la conduite des autres; quand, en
un mot,
on outrage l'histoire, quand on méprise les nations qui
se rendent à l'expérience, et qu'on se fait un jeu de per-
sifler tout le passé de l'homme, il faut le payer de
son
existence et de celle de la Société
Ne cessons de le dire, ce point de vue constitue la Révo-
lution, disant avec Rousseau L'homme est né bon, et la
Société le déprave 1 lorsqu'au contraire c'est la Société
qui répare l'homme né dans le mal la Société qui, du
moins, apporte tous ses soins à cette œuvre sublime. Elle
ne vient pas couronner l'homme, le traiter comme un
Dieu impeccable, mais i'éclairer sur sa véritable nature,
et lui fournir les moyens de Ja relever. Soutenant chacun
de nos pas, la Société vient nous
procurer la justice, nous
donner la sécurité, reconnaître nos droits acquis, protéger
LOIS D'OR DE LA SOCIÉTÉ.

tous nos biens, nous mettre autant qu'il est en elle à l'abri
de la corruption, nous faire aimer le bien, apprécier le
vrai et admirer le beau, nous conduire au vrai but, autre-
ment dit, nous Gouverner.
En dehors de ces soins donnés par la Société les
hommes, semblables aux animaux sauvages, se détruisent
et se mangent entre eux. L'homme de !a nature, dont
parle la Révolution, n'est qu'un enfant robuste, inhumain,
dépravé, et néanmoins guérissable. H faut dès lors le
captiver par la lumière, !e protéger par la justice, cul-
tiver ses vertus, mettre à l'abri le fruit de ses efforts,
reconnaître ses droits, estimer ses mérites, récompenser
ses œuvres, glorifier tous ses bons sentiments.
L'homme est perdu si, le livrant à ses caprices, on lui
retire la lumière, on dédaigne ses mérites, on abandonne
bons
ses vertus, on néglige sa perfection, on méprise ses
sentiments, pour le remettre sur le pied d'égalité qui
caractérise l'état sauvage. Il est perdu si, prenant le
change sur le vrai but de ses efforts, il quitte la direction
d'une aristocratie qui développe sous ses yeux les éléments
supérieurs de la nature humaine, pour subir l'influence
d'une aristocratie qui n'en connaît que les éléments infé-
rieurs. Il est perdu conséquemment, si la Société accorde
la principale
son estime et ses récompenses à ceux dont
fonction est de faire fortune, de préférence à ceux qui
versent la lumière, cultivent les vertus, exercent la cha-
rité, donnent les grands exemples, acquièrent de l'hon-
neur, ou se consacrent au bien de l'Etat.
L'homme est perdu si la Société le laisse retomber dans
méconnaissant
son état originel, qui est la barbarie, en
les lois du développement de sa nature, ou en dédaignant
le mérite qui consiste à les suivre. Il est perdu si, tou-
jours possédé du principe de la Révolution, c'est-à-dire
méprisant les fruits de notre liberté humaine, l'Etat mé-
connait ceux qui parmi les hommes se montrent les men-
leurs; s'il refuse de les avouer et de les constituer
comme
tels, en leur laissant la charge d'instruire, d'administrer,
de gouverner les autres, en
un mot s'il condamne les aris-
tocraties elles-mêmes. Car ce sont elles qui
nous consti-
tuent en civilisation.

CHAPITRE XVI.
Par qui nous sommes maintenus dans le droit.

Au fond, la Société se compose de faibles et de forts.


Et pour que la justice et les droits subsistent, il faut
que
les bons, ou du moins les meilleurs, soient les forts,
et que
les moins bons ou les plus mauvais restent dans la situa-
tion des plus faibles. Faites que
ces faibles deviennent
forts, tout est perdu
On ne peut ni abolir la force, soit dans l'esprit, soit
dans le corps, ni empêcher
que la faiblesse ne dépende
jusqu'à un certain point de cette force. On
ne changera
jamais rien à cela. Le problème est donc d'obtenir
que
la faiblesse ne dépende point arbitrairement de la force,

(t) « Les républicains, dit M. L. VeuiHot, dans


sa langue si savante et si
pittoresque, prétendent que le faible en s'associant Snira.
par dominer le
fort, et que ce sera le paradis terrestre mais ils s'abusent. Le faible
devenu
fort mangera le fort devenu faible, et ce
sera toujours l'enfer. Un déplace-
ment de la force ne constitue pas l'équilibre de la force et de la faiblesse.
<
de telle sorte que la faiblesse participe autant que possible
aux avantages de la force.
Or le problème est résolu précisément lorsque ce qu'on
nomme la force, et qui n'est en définitive ici que l'auto-
rité, est dans les mains des hommes les meilleurs, des
hommes les moins passionnés, des hommes les pius justes
et les plus éclairés. Ces hommes sont nécessairement ceux
qui ont acquis des lumières et du capital, puisque ces
choses ne s'acquièrent et ne se conservent que par la
modération dans les jouissances, le sentiment de la jus-
tice, et l'amour de. la vérité.
Voilà ce qu'enseignent toutes les civilisations de la
terre, et voilà ce que prouve l'observation de la nature
humaine. En s'élançant dans la théorie pure, on retombe
dans la Révolution, et de là dans la servitude.
Les hommes d'Etat ne peuvent avoir qu'une idée
maintenir la vérité, la justice et le bien, conséquemment
appuyer ceux qui répandent la vérité, distribuent la justice
et représentent le bien 1. Tous ceux qui remplissent ces
rôles sont eux-mêmes en Société et doivent y amener les
autres. Ils instituent le droit, ils en sont les agents; ils
constituent la civilisation, ils en sont devenus l'essence.
Ils ressemblent au coeur, d'où part le mouvement de la
circulation, faisant parvenir le fluide vital jusqu'aux extré-
mités vivantes. L'aristocratie, comme la portion faite de

(1) La vérité, la justice, le bien, ne sauraient exister chez l'homme que


qui est Dieu.
par leur conformité avec la vérité, la justice, ou le bien éternel,
Quand, au lieu de chercher tout cela en Dieu, les hommes croient le tirer
d'eux-mêmes, ils en tarissent aussitôt la source, ils tombent de la lumière
dans l'hérésie, et de l'hérésie dans l'affaiblissement de la nature humaine et
de ses premiers droits. Ils passent de la diminution des vérités à la dimi-
nution de la Societé.
ia Société, est la partie qu'il s'agit d'étendre
pour aug-
menter la civilisation civilisation qni consiste, non à
refouler, à démocratiser, mais à. accroître le nombre des
meilleurs, à dilater les aristocraties.
Voici les deux opérations produire, puis
conserver les
aristocraties. Les produire est le propre de la vertu; et
produire la vertu est l'ouvrage de la lumière,
ou Fopé-
ration du clergé; lequel est de la sorte la
source de l'aris-
tocratie. Puis ici, à mesure que la vertu, fille de la
lumière et œuvre du clergé, engendre l'aristocratie, l'Etat
a pour but de la recueillir, de l'affermir, de la constituer.
Alors il la conserve et en tire les fruits
pour la Société.
Ma!s l'aristocratie faisant défaut juste
au moment où
la Société a le plus besoin d'aristocratie, il faudra recher-
cher plus loin le moyen de parer à une telle situation.

Déjà nous avons mis à nu les deux erreurs profondes


dans lesquelles la Société a été enfermée par !a Révoi.
lution ignorance de la nature positive de l'homme et
oubli absolu des conséquences de sa liberté. Exaltant la
nature humaine, la Révolution n'a pas même reconnu
l'homme! elle a fait abstraction du mérite, c'est-à-dire
du principe de sa dignité et de l'élément de la Société
humaine.
Sur les ruines de la première erreur, reparaît la Sa-
gesse, qui conduit à la connaissance et au gouvernement
des hommes; et des ruines de la seconde, s'élance cette
noble idée du mérite, source de l'aristocratie, mère de la
hiérarchie, essence de la Société humaine
Abordons la troisième erreur de la Révolution erreur
sur notre liberté, erreur dans laquelle la Société humaine
a failli s'engloutir.
CHAPITRE XVII.

Lois d'or de !a nature humaine.

Le chaos dans lequel est tombé le monde est


l'énigme
dont les esprits, sérieux se préoccupent depuis quatre-
écroulement
vingts ans. On cherche à s'expliquer un tel
chrétiennes 1
au sein des sociétés
En
On est obligé d'arriver à une étrange hypothèse.
l'ennemi du genre humain eût la pensée de
supposant que
la chrétienté dans une erreur capable d'accélérer
renverser
la fin des temps, il dirait Je
donnerai le jour à une
qui les contiendra toutes.. et, pour désorienter
erreur
les noms mêmes de la
tous les hommes, elle portera
faculté
vérité! Cette erreur sera greffée sur la plus vive
de la nature humaine elle en aura la signature et les
faible lampe,
pouvoirs. Au lieu de scintiller, comme une
d'un théologien, ses lueurs inonderont la
dans la tète
éclipse totale de
foule, et peu à peu y produiront une
quelques princes
la Foi. Cette erreur, loin de consolider
dans le césarisme, comme l'a fait l'erreur
protestante,
tous les princes, entraînant d'un seul coup le
renversera
de l'antiquité.
monde que le Christ a tiré des ruines
hiérarchies, croyances, lois, coutumes, hérédité,
Trônes,
propriété, armée, patrie, elle jettera tout, comme un
Les rois eux-
objet détruit, dans la barbarie définitive.
à leur dernier
mêmes recourront à cette erreur comme
de salut, et elle sera si générale, qu'on se rira du
moyen
petit nombre de ceux qui prétendront s'y
opposer. Alors,
elle approchera de la place
par un chemin si bien cou-
vert, que, se démasquant tout entière
au moment d'y
entrer, elle versera comme une inondation l'athéisme
absolu qui doit tout engloutir.
Or cette erreur est la Révolution.. Triste
contrefaçon
de notre liberté, elle devait
en effet se produire sous le
nom de Libéralisme. Cette méprise sur la h'berté, ouvrant
un si large cours à l'orgueil, a versé sur la terre l'erreur,
le paupérisme et l'immoralité. Pour saisir
la Révo!ution
dans son germe,
exposons le vrai sens de ce mot, Liberté.
Les publicistes n'ont point
vu, dans notre liberté, Je
sublime pouvoir donné à l'homme de faire le bien, afin
de
mériter ou d'acquérir des droits dans les réah'tés de la
vie
éternelle comme au sein de la vie sociale, qui
en forme
le vestibule et la préparation. Depuis
un siècle, ils ont
perdu de vue cette puissance de mériter qui, cependant,
est la loi d'or de la nature humaine.
Dans un pouvoir si prodigieux de- faire le bien,
mais
entraînant par là même chez nous la possibilité d'y
manquer, ou de ne pas le faire, les pubh'cistes n'ont juste-
ment observé que ce côté infime, et
en quelque sorte
impuissant de notre liberté, savoir refuser
son acte au
bien, autrement dit, l'émettre
en sens inverse de son but.
Ils n'ont été frappés ici
que de ce qu'il y a de négatif ou
d'imparfait, que de la facilité de /a~, suivant cette
expression si juste de la langue!l Comme l'homme
peut
opérer !e bien, et qu'en s'y refusant, il peut faire le mal,
ou 1nal /<xz~ ils ont dit L'homme est ici libre d'opter,
l'homme est né libre de choisir!
S'i! en était ainsi, l'effort serait le même dans l'une
et
l'autre alternative. Mais nous
savons que le bien seul
coûte un effort, qui peut aller jusqu'au sacrifice de la
vie; tandis que pour aller au mal, l'homme n'a qu'à se
laisser choir. Etant créé pour s'élever de lui-même au
bien, l'homme a donc le pouvoir de s'y porter et de le
faire et ce pouvoir est proprement sa liberté. Mal faire,
sortir de la voie de son être, abdiquer le sublime pouvoir,
pour l'homme c'est ne plus être libre. il peut avoir encore
la liberté, mais il n'en a pas fait usage.
II est clair que la liberté pleine réside dans la puissance
de s'élever avec ardeur au bien, ou de répondre aux
mobiles divins qui nous inspirent et nous sollicitent. L'al-
ternative, tenant notre liberté en suspens, n'est qu'une
défaillance qui éclate dans cette triste possibilité de suc-
comber au mal, de tomber'sans courage sous le pouvoir
des mobiles issus du moi ou fournis par les sens.
Or la liberté se ravale et s'annule en subissant les lois
d'une nature inférieure. Nos langues mêmes l'indiquent
en nommant t~~ ou force, notre élan continu vers le
bien, et pa~o?z, ou état passif, toute inclination vers le
mal, tout assujettissement à la nature. Une liberté puis-
sante se verrait affranchie de la débilité qui permet de
mal faire, ou de retomber sur elle-mêm'e pour aller en
sens inverse de son but. Mais voici que, dans cette défail-
lance même où notre liberté abdique son pouvoir, dans
ce trouble, dans cette incertitude qui la met en demeure
d'opter, le libéralisme a cru voir la vraie puissance de
notre liberté!1
Les conséquences furent terribles. Au lieu d'avoir en
vue le bien, auquel en soi doit tendre cette liberté de
nature divine, nos lois vinrent alors en protéger le
côté infime et dangereux pour l'homme. A leurs yeux,
celui-ci n'est plus créé pour faire le bien et surmonter le
mal, il est créé pour être iibre!1 ou pour faire à
son gré
le bien et le mal.. La liberté n'est plus un sublime
moyen,
elle est à elle-même son but dès lors tout
ce qu'elle fait
est bien.. L'homme n'est plus cet être doué de la mer-
veilleuse puissance d'atteindre lui-même à ses fins, mais
bien un être indépendant, apte à faire le ma!,
ou à suivre
tous ses caprices. Au sein des choses, il possède la liberté
pour elle-même et indépendamment de son merveilleux
but. C'est ce que nos lois ont établi, c'est cette corruption
de l'idée de la liberté qu'elles ont proclamée sous le
nom
de Libéralisme.
Ce travestissement a du inévitablement s'étendre à tout
l'ordre sociaL Quelle civilisation pouvait sortir d'une telle
méprise? Une semblable altération dans la notion de
l'homme ne pouvait qu'entrainer un cataclysme..
Une idée fausse sur la liberté a bouleversé le monde;
l'idée vraie fournira les moyens de le ramener
sur sa
base. Question d'une trop grande importance
pour ne pas
appeler encore un moment d'attention..

CHAPITRE XVIII.

La liberté est le pouvoir d'accomplir de soi-même sa loi.

Depuis un siècle on cherche la liberté, parce qu'on


en
a perdu l'idée. On ne sait plus ce qu'elle signifie.
La liberté, pour l'homme, est le pouvoir d'accomplir
sa
loi, ou de faire le bien afin d'en avoir le mérite. Mais
le pouvoir d'accomplir sa loi laisse par là même,
on l'a
compris, celui de ne pas l'accomplir. L'homme est place
entre deux mondes: Dieu, pour lequel il a été formé, et la
nature, vers laquelle son état infime l'attire. La liberté
est le pouvoir ascensionnel qu'il trouve en lui pour quit-
ter la nature et monter vers le monde divin. Tel est son
but, tel est son bien, que l'homme atteint chaque fois
qu'il accomplit sa loi.
La liberté est donc une impulsion qui nous permet de
nous élever nous-mèmes vers ce bien notre gloire est d'y
parvenir. Se soustraire à ce pouvoir, à cette impulsion
généreuse, renoncer à l'effort qu'elle exige de nous, c'est
faiblir, c'est se laisser aller aux penchants qui nous attirent
vers la nature inférieure. Céder ainsi n'est donc point un
acte libre, mais un refus de l'acte libre. Dans notre
liberté, c'est une imperfection et non pas une qualité.
Retomber de la sorte ne coûte aucun euort à la nature
humaine, et même nous fait descendre au-dessous de la
nature humaine.
Dès lors, pour l'homme, accomplir sa loi, ou marcher
de soi-même à son but, c'est bien faire; et repousser sa loi,
c'est mal faire. Faire le bien est pour la liberté un acte
de puissance, et faire le mal, un acte d'impuissance. On
comprend qu'un pouvoir si sublime, parfait en Dieu, reste
imparfait dans l'homme, être imparfait, mais placé sur la
terre pour marcher vers sa perfection. Et l'homme, encore
dans l'enfance de la liberté, se montre libre lorsqu'il
accomplit sa ici, lorsqu'il opère un mouvement vers le
bien; de même qu'il se montre non libre, dans un état
de privation ou bien plutôt d'abdication de ce noble pou-
voir, lorsqu'il n'accomplit pas sa loi.
L'homme en violant sa loi est dans le contraire de sa
liberté. Il recule, il tourne ici contre lui-même l'instru-
LÈUif. i~
ment qui lui est donné pour sa gloire. Il se blesse et perd
alors autant qu'il est en lui ce sublime pouvoir. Or, croi-
rait-on que la Révolution prend cette intermittence de
notre liberté, ou cette sorte d'abdication du grand pouvoir
de l'homme, pour la liberté elle-même, et que c'est cette
imperfection ou ce mouvemeut de recul, qu'elle reven-
dique tout d'abord? Pour elle, la liberté devient le pou-
voir de tout faire, ou de faire indistinctement le bien et
le mal En sorte qu'en faisant le ma!, !a liberté res-
terait dans son rôle; en sorte qu'en s'affaiblissant, elle
manifesterait sa puissance
Nous qui voulons la liberté .rée!!e, et qui la proclamons
plus haut que personne, nous laisserons-nous prendre
à une équivoque livrant aux instincts destructeurs de
l'homme le pouvoir qui lui est donné pour grandir!
La méprise qui ensanglante en ce moment les peuples
est cette erreur sur la liberté. Jetant le monde dans une
ambiguïté terrible, ie libéralisme maintient toujours vive
la source de la Révolution. Sa tactique consiste à accuser
ses adversaires de repousser la liberté. Ils ne repoussent,
hé!as que le libéralisme, ou le tombeau des libertés.
Aussi les masses, qui naturellement veulent la liberté, se
rangent par' passion et par ignorance du côté du libéra-
lisme, et par le fait se plongent dans le césarisme.
L'erreur est si perfide, elle prend le nom d'une vérité si
belle, qu'elle devient une torche propre à mettre le feu
aux quatre coins du monde.
Ici l'homme ne serait plus la créature douée de la puis-
sance merveilleuse d'arriver d'eHe-méme a son but; ce
serait un étrciso!é, indépendant, apte à s'adonner à toutes
ses envies. I! ne posséderait plus la liberté pour le bien,
mais pour elle-même et sans but.' Par cette conception
odieuse, on place l'humanité au-dessous du règne animal,
pécher. Quels
car la bête a du moins la gloire de ne pas
hommes et quelle civilisation pouvaient sortir d'une idée
semblable? Une telle rupture de la notion de l'homme
devait produire l'écroulement de la Société.
Le monde épousera-t-il plus longtemps l'idée qui en-
traîne sa ruine? Si, dans son véritable sens, la liberté
met un pouvoir divin entre les mains de l'homme, dans
ce sens tronqué, elle lui remet un instrument
de mort.
N'est-ce point justifier, sur la terre, la thèse du fait
contre le droit, que de placer l'essence de la liberté dans
la pure faculté de choisir? Encore une fois, une telle
facilité n'est qu'une intermittence, loin d'être le principe
où la liberté puise sa magnifique raison d'être.
Mais si nous reconnaissons que, dans l'ordre moral, la
liberté est le pouvoir de faire le bien, le pouvoir d'accom-
plir sa loi, et non le droit de la violer ou de mal faire,
aussitôt, dans l'ordre politique, cette même liberté repa-
raît pour que les citoyens retrouvent, autant qu'il est pos-
sible, le pouvoir d'accomplir le bien, et non le droit de
se livrer au mal, de façon à compromettre
leur existence
sociale.. Une simple vue théologique eut donc mis obs-
tacle à nos révolutions
Par cette définition vraie, on rendrait la paix à la terre,
fixerait la base des sociétés humaines, on montrerait la
on
légitimité des lois, appelées qu'elles sont à combattre,
dans notre propre intérêt, l'arbitraire de l'homme, l'ex-
plosion du moi, ou la liberté fausse. Celui qu'on tire
de l'eau par les cheveux se plaint-il que sa liberté soit
violée? Mais par la définition fausse, le choix mauvais
devient un droit, la liberté veut qu'on la garantisse dans
l'abus au même titre que dans l'usage, dans sa faiblesse
ou son abdication comme dans son triomphe.
Si une philosophie supérieure avait pu tenir ferme
contre le sens mutilé dont les méchants ont tiré de si
terribles conséquences; si l'on eut enseigné que Dieu,
évidemment, ne remet pas a l'homme la liberté pour
qu'il puisse choisir le mal et se perdre, mais pour qu'il
puisse faire le bien et par là mériter; que l'homme reçoit
cette puissance insigne pour accomplir lui-même sa loi
et non pour secouer toutes les lois, on aurait pu sauver
un monde qui roule depuis quatre-vingts ans sur une
pente fatale..
Car, avant d'éclater, la Révolution s'est formée dans
les régions de la métaphysique; de là elle est entrée dans
le cercle du droit, puis de là dans les faits. Les erreurs
politiques ne sont que des erreurs théologiques réalisées.
L'Eglise seule, en combattant les philosophes et les lé-
gistes, pouvait détruire le météore au moment de sa for-
mation mais l'orgueil éloignait de plus en plus les
esprits de l'Eglise..

Nous tenons le flambeau, et tout ce qui depuis un siècle


semblait obscur, incertain ou problématique redeviendra
distinct! A la lumière qui jaillit à la fois de la nature
véritabte de l'homme, de la notion profonde du mérite,
et de l'essence réelle de notre liberté, on peut examiner
avec rapidité les faits sociaux les plus importants, et sur-
tout ceux qui sont devenus la pierre d'achoppement de
notre époque.
De cette première reconstruction philosophique de la
Société, nous passerons, dans une autre partie, à sa
reconstruction politique.
CHAPITRE XIX.

L~ fait de la Société.

Le fait de la Société découle dp celui (!e la liberté hu-


maine. On peut la dénnir Une organisation donnée à cette
liberté. Or, une telle organisation est une hiérarchie.
Dès

qu'il y a société chez les hommes, c'est-à-dire usage de leur


liberté, il y a développement de la nature humaine, inégal
comme les volontés, conséquemment hiérarchique.
Les uns veulent suivre la justice, les autres voudraient
échapper; les uns cherchent la vérité, les autres s'ef-
y
forcent de la fuir les uns voudraient voir la vertu,
l'équité et l'honneur régner parmi les hommes, et les
fonder la
autres voudraient les en bannir. Dès lors, pour
Société, et par là même la liberté, il faut immédiatement
qui appellent la vérité, le bien, la vertu, l'équité
que ceux
au-dessus des
et l'honneur, s'établissent hiérarchiquement
hommes qui s'en affranchissent, de telle sorte que ceux-ci
puissent y être ramenés..
Si ces derniers restaient les maîtres, la Société ne
pourrait s'établir. Partout où l'égalité n'a pu se rompre
certaine somme de
encore entre ceux qui veulent une
vérité ou de justice, et ceux qui n'en veulent pas, les
hommes demeurent dans l'état sauvage. Mais partout où
cette égalité brutale entre le bien et le mal a pu se rompre
civilisation.
au pront du premier, il y a eu
Et la civilisation s'est elle-même élevée, à mesure que
les principes qui la composent parvenaient à s'élever
hiérarchiquement dans son sein en raison de leur supé-
riorité relative. Par exemple, lorsque ceux qui représen-
tent t'intérêt bien entendu demeurent, dans la hiérarchie
sociale, au-dessous de ceux qui représentent les intérêts de
la justice, de la vérité ou de la charité.
La Société est une construction de la nature humaine
se déployant et s'élevant toujours plus près du Ciel. Sinon
elle n'offre plus qu'un spectacle qui fait peur à l'homme.
C'est dans ia Société que notre liberté trouve le lieu de
tous ses développements. La superposition des mérites, la
hiérarchie des produits légitimes de cette puissance morale
ne peut être arrêtée sans entraver les progrès divers de
!a nature humaine.
L'idée de la hiérarchie est l'idée même de la Société
des êtres libres et moraux. Elle écarte cette idée si
pauvre
d'une égalité imposée à des êtres appelés à grandir. La
négation de Ja hiérarchie, ou l'idée de l'égalité, est le fait
même de !a Révolution.
Dans l'ignorance où la Révolution était de la nature
humaine,d'une part elle ne vit point de Chute en l'homme,
et dès lors point de mal à combattre ou à éviter, d'autre
part, point de liberté morale, et dès lors point de mérites
à reconnaître ni de grandeur à garantir.
Ces deux erreurs sont si profondes, que notre siècle
maintenant ne peut plus en sortir 1 L'oubli de la Chute de
l'homme, ou du mal dont ii est atteint, l'ignorance des
effets de la liberté, ou des résultats du mérite quant à
nos
droits et à notre inviolabilité, se réunissent pour jeter la
politique dans la plus étrange situation qui se soit jamais
vue. La politique ne sait même plus ce que c'est que ia
Société elle ignore entièrement que tout le débat roule
la vérité et ceux qui
en ce monde entre ceux qui acceptent
ne l'acceptent pas. Car la
vérité porte avec elle la vertu,
les droits, la justice. 11 faut donc rappeler la vérité pour
relever la Société!1
Ici nous avons moins à reconstruire une science qu'à
rétablir en quelque sorte l'intelligence, ou du moins qu'à
réparer une partie des dégâts causés depuis un siècle dans
la pensée.. Quand les esprits étaient pourvus de leurs
principes, il suffisait, pour offrir un corps de doctrine,
de déduire à leurs yeux des conséquences régulières et
suivies. Mais il s'est opéré de tels ravages intérieurs, qu'il
faut combler partout des vides intellectuels, en courant à
la hâte vers les idées qu'on a perdues.

CHAPITRE XX.
LefattdetaRevoi'ition.

Comment relever l'ordre social, puis rétablir les droits


Révolution, qut a
et les vraies libertés, sans renverser la
détruit les libertés, les droits et l'ordre social?
Arrivant dans le rnonde avec une fausse notion de
l'homme, la Révolution espérait effacer la théologie. Mais
comment effacer la nature humaine? L'homme, hélas,
toujours en proie au mal, reparut de tous les côtés avec
nature réelle. De la sorte renaît dans toute sa clarté
sa
la notion théologique, mais c'est au prix de notre sang.
L'homme est né libre, disait-on, et partout il est
a
douleurs
dans les fers. » Que cette phrase a causé de
L'homme, au contraire, naît à la fois dans !a faiblesse
et
dans l'imperfection sa vraie grandeur consiste à sortir!
en
Les deux points de vue, celui du christianisme celui de
et
la Révolution sont donc diamétra!ement contraires..
L'homme, en effet, fut créé libre, mais il
ne naît point
libre. La perte du divin amour qui lui donnait
une vive
impulsion vers le bien, le fait naître aujourd'hui dans
un
double assujettissement celui des passions, immédiates
conséquences de cette perte de ~amour divin, et celui des
nécessités naturelles, utile traitement de la faute qui lui
a
fait perdre l'amour.
Par suite de la Chute, l'homme, arrivant sur la terre
dans ce double esclavage, ne rencontre qu'au sein de la
vie sociale les moyens de s'en affranchir. C'est là qu'i!
peut à la fois satisfaire les besoins de son corps, déployer
ies facultés de son âme, et recouvrer sa liberté. C'est là
que, sous le nom de droits, sont reconnus les actes que
la volonté libre opère dans sa loi, c'est-à-dire dans le
bien. Là se voient recueillis, protégés, garantis les
pro-
duits légitimes de cette liberté, par la présence de la jus-
tice appliquée à l'individu, à sa famille, à sa propriété,
à sa sécurité, à sa paternité, à son inviolabilité, à tous
ses mérites acquis..

Mais à partir du XV~ siècle, l'antique orgueil affai-


blissant peu à peu la Foi dans les cœurs, leur fit imaginer
un état social où tous se trouveraient également investis
de ces droits sans qu'ils fussent acquis On y devait
pos-
séder la propriété sans l'avoir créée, recueillir les bénénces
de la justice sans s'y être soumis, avoir tous les mérites
sans qu'ils fussent obtenus, être inviolable sans avoir rien
respecté, être grand sans s'être jamais élevé.
On prétendit qu'un tel état était non-seulement
l'état
naturel!
légitime, mais encore l'état primitif ou l'état
Quand on se sent humilié d'être petit, on aspire à ra-
baisser les grands. Quand on ne veut plus
travailler, on
à vivre du bien des autres, et quand on ne peut
songe
briller par soi-même, on veut ramener ses semblables
sous le même niveau.
Tels sont les sentiments qui appa-
raissent en effet dans les cœurs aussitôt que la Foi s'en
éloigne. Mais ici la Société, loin de relever l'homme et
de lui rendre sa liberté., viendrait annuler cette
liberté,
pouvoir du. bien, accroître en nous l'esclavage,
ou ce
accélérer les conséquences de la Chute,
Ecraser à ce point la nature humaine, ne distinguer ni
les mérites, ni les droits, ni les vertus, ni les fortunes,
ni les intelligences, tel est le rêve dont s'enivrent les
peuples lorsque l'orgueil parvient à remplacer l'instinct
généreux du devoir. Tout ce qui tend, depuis un siècle,
à humilier les classes supérieures pour en transmettre
les
fonctions aux classes incapables, fut entrepris pour céder
à ce rêve ardent et insensé.
Un tel rêve, on le sait, a reçu le nom d'Etat de nature,
et ce renversement de l'homme s'appelle la Révolution.
Or la Révolution n'est en Europe qu'une déperdition de
lumière, unaffaiblissement dans la Foi. Un tel affaiblis-
sement, produit par le protestantisme uni au voltairia-
nisme, fut une décadence de la nature humaine, un
abaissement dans son pouvoir de faire le bien.
Un monde qui demande à ne plus mériter, qui demande
à tout posséder sans produire, qui demande l'égalité, est

un monde qui se détruit. II y a chez lui perte de la vertu


et chute dans l'orgueil, dans cet orgueil qui, pour se
répandre au sein de nos idées et de nos lois, prit le nom
de la liberté même.
L'orgueil voilà le fait, voilà l'essence de la Révolution.
Pour nous sauver, c'est l'orgue)! que les gouvernants se
voient appelés à combattre. Pour l'affaiblir, la politique
devra rétablir la liberté vraie celle qui, s'alliant à !a
grâce, combat l'orgueil et la dégradation, remet debout
l'homme et la Société.

CHAPITRE XXt.

L'erreur de fait sur la Société.

Le XVIIIe siècle a égaré les masses et les faibles


esprits par son rêve. La Société ne déprave pas l'homme:
elle le recueille, elle écarte la. ronce, préserve une faible
tige et féconde les dons stérilisés par la Chuter
Les fruits dont ils se couvrent alors, viennent des soins
qu'il reçoit de la Société. L'homme ne saurait y apporter
ce qu'il n'a pas encore, des vertus, des lumières, des
libertés, des droits qu'il a ignorés jusque-là. La Société
lui offre en outre la justice et !a paix, c'est-à-dire la sécu-
rité, d'où naissent les développements de l'âme et la pro-
duction des richesses. « Cherchez le royaume de Dieu et
sa justice, le reste vous sera donné par surcroit. »
Mais les hommes, à l'heure actuelle, voudraient avoir

(i) La Société ne le répare pas dans l'essence comme la Rédemption, mais


elle vient cultiver les fruits de celle-ci. Elle ralentit la source du mal, dégage
celle du bien, et l'homme, artificiellement remis dans une sorte d'équilibre,
n'est déjà plus reconnaissable.
commencé tous par être frères, vivant en pleine justice
au fond des bois. Ils prétendent que les tyrans les ont
arrachés à cet heureux état de nature.. Pourquoi ne
s'est-il pas trouvé un peuple qui ait voulu s'y maintenir?
Que sont les peuples, s'il a suffi partout d'un homme pour
les enlever tous, les uns après les autres, à la possession
de leurs droits? Ces droits tenaient donc bien peu à
leur âme?
C'est ici la même méprise que dans le panthéisme, c'est
l'effet toujours pris pour la cause. L'homme se doit exac-
tement tout il est bien il est bon et il est SON COMMEN-
CEMENT Qu'il faut d'absurdités pour s'éloigner de Dieu!1
Ce sont ceux qui ont ici prétendu servir l'homme qui
l'ont plongé dans l'ignorance. Sous prétexte de lui assurer
la justice, ils lui ont tout enlevé 1
Serait-ce une raison pour lui refuser aujourd'hui
tous les droits? Bien au contraire: c'est une raison
pour les lui faire tous acquérir, puisqu'il ne les a pas de
lui-même; pour les lui assurer à mesure que le bien
reparait, que sa nature se rétablit; en un mot, pour l'en
couronner sans compromettre son existence et sa fragilité.
Car la Société lui rend civilement tout ce qu'il a perdu,
et tout ce dont il est privé hors d'elle. Elle applique sa
culture à ce sol que le mal, que la Chute laissait partout
rebelle et infécond.
La preuve de cela, c'est que le mal subsiste encore..
Si le récit biblique n'eût été qu'une fable, on eût vu la
masse des hommes, raisonnables et bons, se passer de
pouvoir et de lois. Les peuples du christianisme seuls eus-
sent pris des gouvernements, et offert cet exemple, inouï
dans ce cas, d'une société qui ne peut subsister sans
t
pouvoir.
Oui, si la Bible ne nous eut apporté qu'une fable,
l'Afrique et l'Amérique eussent offert dès l'origine !e
spectacle de la grandeur de l'homme, et l'Europe, celui
d'une folie bientôt ramenée aux limites d'une secte. Or
si le mal est vrai, le christianisme l'est aussi..
Tenons bien ce premier anneau, nous saisirons toute
la chaîne.
La politique issue de l'amour propre rejoint le pan-
théisme elle a la même profondeur! Ce que forgueit
a
fait de la philosophie en prétendant expliquer t'Etre, il
le fait de la politique en prétendant expliquer l'homme.
De part et d'autre, le grand point était de se
passer de
'Dieu. L'être fragile a pu oublier son néant, perdre à
ce
point la grande idée de cause! Quelle puissance a donc
Forgueil, pour couper la pensée jusque vers sa racine?
Le panthéisme n'est que l'affaiblissement de Fidée de
cause dans l'âme, et nos erreurs tiennent toutes à un
même état, qui est un amoindrissement de la raison dans
l'homme.

La Révolution a mis un siècle pour amener les hommes


à son rêve qu'elle nous permette ici d'interroger le point
de vue réel seulement pendant une heure dussions-nous
voir encore tout l'essaim des idées sublimes repasser sous
nos yeux.
LASOCtËTË. 225
LOIS D'ÛH DK

CHAPITRE XXII.

Le fait de l'Autorité.

poli-
C'est dans le plan de Dieu que se tient toute la
tique. Pour conduire la Société, il faut savoir comment
comportent les hommes et ne point oublier leur état
se
monde,
réel. On croit que l'homme, depuis l'origine du
cherche la vérité. Et cependant, victime de l'or-
ne que
gueil, vieilli dans la concupiscence, l'homme n'a peur que
qui peutt
de la vérité, et cherche depuis l'origine tout ce
débiles vou-
la remplacer. Redoutant la vertu, nos cœurs
draient éviter la lumière.
craintes
Ne point voir que la vérité est l'objet de nos
c'est s'exposer à rien entendre aux choses de
secrètes, ne
Si la vérité disait Ecoute la nature, suis
ce monde. nous
inclination, n'obéis qu'à la loi que tu as toi-même faite,
ton
n'est pas dans ce monde, elle serait l'objet
mon royaume
langage,
de notre amour'. Mais elle tient un tout autre
de tout qui passe ici-bas,
et là nous avons le secret ce se
politique..
depuis les affaires de l'âme jusqu'à celles de la
qu'elle
L'Eglise n'est en butte à tant de colères que parce
l'orgueilleux veut
prète une voix à cette conscience que

Mais Jésus-Christ
(i)He~ clair que le Ciel ne saurait être sur la terre.
inonde,
dit Mon royaume n. vient po<~ non
d-En-Haut.
décontent des lois
pour établir précisément que les lois d-ici-h.s
monde, il a'y senut po.ntt
Si Dieu ne devait point fouder de royaume en ce
dt'aCCUtiu.
étouffer, et l'Etat, que parce qu'il prête
une force à cette
loi que le méchant voudrait détruire.
Cependant les hommes et leurs droits
ne subsistent que
dans la vérité. Celui qui
a la Foi avoue la vérité, il la
reconnaît devant Dieu et la proclame devant Hiom'me;
le grand effort est accompli. Mais celui qui redoute
la
vérité la contourne et la nie;
sa conscience voudrait y
échapper. Dès lors comme sur la terre la vérité n'est
L
acceptée complétement que par les saints, i! faut qu'elle
soit garantie chez les autres
par ce qu'on nomme l'Auto-
rité, afin qu'elle profite au grand nombre
L'Autorité protège,
non pas toute la vérité, car il faut
ménager une certaine liberté à l'homme
pour lui conserver
le mérite, mais le fondement de la vérité,
car il faut que
celle-ci subsiste pour que l'homme puisse exister.. Voilà
pourquoi l'Autorité doit protéger le Dogme.
De là, comme deux parts dans la vérité. La première,
indispensable à la vie des sociétés et rég!ant les
rapports
entre les hommes, se nomme la Morale soutenue
par
l'Etat, elle sert de base aux lois civiles. La seconde,
offrant un secours sans mesure au développement de l'in-
dividu, se nomme Religion maintenue
par l'Eglise, elle
sert à la fois de base à la morale et aux lois i.
Aussi la Foi ne saurait-elle s'imposer
comme la morale.
Celle-ci apporte à la Société la condition de l'existence,
celle-là, la condition du développement, bien qu'elle soit
à jamais le fondement de l'autre. Si la Foi
se retire, la
loi morale, perdant l'énergie qui lui vient de la
con-
science, s'affaiblit en grande partie; et si l'Autorité s'en

(1) Et c'est contre la protection qu'il importe d'assurer à la morale


et à la
Foi, que se récrie le ph:s l'erreur:i
la Société retombe
va, la loi morale disparaissant en plein,
dans la barbarie
C'est notre erreur de croire que l'homme est tout fait,
et que la Société n'a plus qu'à lui complaire. L'homme,
au contraire~ est en quelque sorte ~e/~ et
c'est la Société
qui vient le rétablir. Cette idée bien comprise arrèterait
le cours de la Révolution.
C'est avec ce petit nombre d'hommes, dont les premiers
forment l'Eglise et les seconds forment l'Etat, dont les
premiers portent au bien et les seconds restreignent le
mal, qu'il faut tenir en société la foule innombrable des
hommes.. Celui qui réfléchit restera toujours émerveillé
de ce prodige.
Non, en l'état ou l'a laissé la Chute, l'homme ne se
porte point naturellement vers le bien et vers la vérité.
La civilisation n'est qu'un merveilleux édince élevé au
Foi et l'Autorité,
moyen des deux secours d'en-Haut, la
qui se suppléent l'une l'autre, la seconde amenant par
contrainte ce que la première n'a pas obtenu de plein gré.
Le frein matériel et le frein moral, nous l'avons dit,
sont en raison inverse l'un de l'autre; quand celui-ci
s'éloigne, celui-là revient dans sa force. Dieu l'a voulu
ainsi pour la conservation de l'homme.

(t) C'est pourquoi Dieu permet alors le despotisme, uon pour sauver en
plein la Société qui continue de se déduire, mais afin de préserver les Mints
et les hommes de bien qui restent et qui peuvent la rétablir.
CHAPITRE XXIII.

Lefuit.dei'At'isLucratie.

On ne peut contredire un fait. La pente au mai t'em-


portant, chez les hommes, sur le désir du bien, l'Autorité
n'est que l'appoint donné à la vérité et au bien pour
rendre possible l'équilibre, c'est-à-dire Ja Société.. Par
suite de l'état de la nature humaine, mettez le bien et le
mal en champ-clos, et le mal renversera le bien. De
même, toute lutte a armes égales entre !a vérité et l'erreur
sera la victoire de l'erreur sur la vérité.
De là l'urgence de l'autorité autorité spirituelle, pour
protéger ia vérité contre l'erreur; autorité civile, pour
protéger le bien contre le mal.. Hors de ce point de vue,
il n'y a plus de politique.
Ne pouvant pénétrer dans les cœurs comme la vérité,
l'autorité doit défendre celle-ci par le prestige ou le pou-
voir de ses exemples et par la répression du mal. Tout
en condescendant à la bonne foi dans l'erreur, l'autorité
doit protéger la vérité, et en assurer le triomphe par la
force morale. Il n'y a pas que des lois chez les hommest
L'exemple est la seconde autorité, puisqu'il est la source
des mœurs.
II y faut bien songer sans la force morale, c'est la
force brutale qui opérerait tout. Mais en joignant l'exemple
au pouvoir, ici l'autorité réunit la force morale à la force
matérielle. C'est là sa perfection ne la cherchons donc
pas ailleurs.
De la sorte, l'exemple nous garantit la liberté. Mais s'il
n'est mis sous les yeux de tous par des classes élevées
répandues sur tout le royaume, la police et la force ne
tardent pas à remplacer la liberté morale.
En produisant les moeurs, les classes élevées restrei-
gnent la répression chez les hommes en méritant et en
fondant les droits, elles écartent le despotisme. Les aris-
tocraties découlent du mérite de l'homme le mérite
découle de notre liberté. Encore une fois, dès que les
aristocraties succombent, la Société s'affaisse, et le pouvoir
s'efforce vainement de soutenir seul l'édifice. Par aristocra-
tie il faut entendre, comme on l'a dit, ceux qui dévelop-
pent le bien par la lumière et par l'exemple, c'est-à-dire
le clergé, les gens de bien et les diverses magistratures.
Quand tout cela succombe, il ne reste que le pouvoir.
Les mêmes vérités amèneront toujours les mêmes so-
lutions Mais il importe de multiplier les évidences, pour
percer le bandeau qui recouvre les yeux..
La liberté nous vient de la vertu des aristocraties; la
vertu, de la Foi, et la Foi, de l'Eglise. Celle-ci est donc
la grande source. Elle est notre àme, elle est la vie. Hors
d'elle, le problème politique redevient, on le voit, tout
entier impossible, ou il se traite comme au Maroc. Voilà
pourquoi le prince et l'aristocratie chez qui les mœurs et
la Foi se perdent ne sont plus aptes à régner. Et cette
corruption amène les révolutions, dont la cause est tou-
jours en haut. Les peuples ne sont pour ainsi dire pas
coupables. Ils ne .sauraient avoir ni la Foi, ni les mœurs,
ni les lois, ni la science par eux-mêmes.
La lumière, disons-nous,découle de l'Eglise l'exemple,
LÉm'r. S
des aristocraties, et la loi, du pouvoir. Privez en même
temps un peuple de l'action de l'Eglise et de celle des
classes élevées, il tombe sous le despotisme. Privez-le
alors du Pouvoir, il rentre dans la barbarie. N'est-ce pas
a peu près notre état? Dieu veut que la Société soit ou
chrétienne ou punie par le despotisme, qui se trouve
encore un bienfait au prix de l'état sauvage. j~os lois
morales sont toujours la.
C'est pourquoi la lumière, qui est Je fait de l'Eglise,
l'exempte, qui est le fait des aristocraties, et l'autorité,
qui est le fait de l'Etat, sont des bienfaits de Dieu, ou
tous trois, suivant leur mesure, des faits de droit divin.
Ils forment le trépied de notre civilisation.
Attaquer l'un de ces faits, c'est démolir la liberté,
abattre la Société, renverser tout, dans l'abimc. Ecartons-
nous l'Eglise? la lumière s'éteint, et peu a peu les classes
supérieures retombentt dans la nullité. Repoussons-nous
les classes supérieures? l'exemple et les droits dispa-
raissent, et peu a peu les classes inférieures s'abimentt
dans les servitudes de la misère et de la corruption.
C'est l'oubli de la Chute qui nous a laissé croire que les
masses pouvaient s'élever sans la Foi et sans le concours
des classes supérieures; puis, que' celles-ci pouvaient
s'édiner sans l'Eglise~. L'homme tend à descendre:~
saint ne saurait rester tel qu'en se tenant à Jésus-Christ.
Et c'est de là que, par son exemple~ il attire les classes
supérieures, lesquelles attirent à leur tour les autres.
Les classes supérieures sont purement et simplement,

(t) cet oubli découlent a la fois nos poHtiques et nos romans modernes,
De
notamment ceux où l'on met la misère sur le compte de Dieu, ou l'on s'en
prend à la société, et non & la nature humaine. iMais d'où provient cette
gociete?.
au sein d'une population, celles qui les premières ont suivi
la lumière, pratiqué la justice, rendu possible une action
plus modérée du Pouvoir. Elles sont la tète de lâ nation.
Les autres sont celles qui ont suivi leurs traces, qui ont
accepté l'impulsion imprimée par les mœurs et les lois.
Renverser les premières classes, c'est précipiter les se-
condes au fond du despotisme et de la mort.

CHAPITRE XXIV.

Fait de la démocratie et Fait de la hiérarchie.

La tyrannie a toujours pris racine sur les ruines de


J'aristocratie. Or, on nomme démocratie, l'état où l'on
fait prévaloir le mouvement venu des classes inférieures
sur celui que nous donnent l'Eglise et l'aristocratie. Et
cette impulsion rétrograde, ce renversement de l'action
vitale amène inévitablement le despotisme celui-ci entre
dès que les mœurs et les droits s'en vont.
La démocratie est une cessation du mouvement d'as-
cension vers la vie, dès lors une dissolution de la Société.
Lorsque les classes supérieures, frappées de scepticisme,
ne veulent plus suivre l'Eglise et répandre les bonnes
mœurs, lorsque les classes inférieures, prises d'envie et
perdant le respect, combattent les plus élevées, il faut
bien que le Pouvoir substitue aussitôt les lois aux
mœurs absentes, et la force aux devoirs et aux droits
méconnus!1 Si le désordre s'étend à tout, le Pouvoir
intervient dans tout, et nous avons Je despotisme, ou la
démocratie retournée.
Or, comme le pouvoir ne saurait à lui seul donner la
civilisation, il reproduit une société fausse, une société
morte, où périt ia nature humaine. Le despotisme est une
agonie annonçant la mort. Ce n'est pas la faute du des-
potisme, mais celle de la Société.
En politique, le mot démocratie signifie donc l'erreur,
comme le mot hiérarchie signifie la vérité. La hiérarchie,
issue de la force morale, est la conséquence de ce qui se
développe elle s'établit parmi les hommes comme parmi
les anges elle est !a loi des êtres libres'. L'égalité, tout
au contraire, n'est que la loi des animaux, placés sous le
niveau de la fatalité. C'est le mérite qui est la loi de
l'homme. Une société est toujours une hiérarchie. Toute
civilisation, quelque incomplète qu'elle soit, vient délivrer
un élément moral de l'oppression des forces brutes.
La hiérarchie est une ascension, et l'égalité une chute.
La hiérarchie implique un mouvement de traction vers le
haut. Car les saints se sauvent toujours, et la Société
existe particulièrement pour éclairer et attirer les faibles
Les plus grands par~~ vous seront les ~yu?~~ de tous.
1'oules les âmes qui font le bien, surtout celles qui parmi
nous prennent le nom de Père, de Frère et de 6~M/'
pour secourir notre double misère, forment la tète de la
hiérachie.
Ici la charité, qui déjà unit Dieu et l'homme, vient
cimenter les joints de l'édifice. Elle est le fait et le trésor

(t) Soit que Dieu ait disposé ses créations dans un ordre ascendant, soit
que le mérite, issu de la liberté soutenue par la grâce, contruise lui-même
cet ordre.
de !a hiérarchie; elle n'élevé le supérieur que pour le voir
s'incliner vers l'inférieur.
On voit que sans la religion chrétienne, qui à la fois
forme l'individualité et la mène à la charité, la Société
humaine ne peut ni s'élever~ ni demeurer debout quand
elle est élevée. Les nations qui s'arrêtent à moitié de
la Foi, comme les peuples protestants, pourront fonder
des civilisations, mais non les conserver toujours, ni sur-
tout les conduire au faîte.
C'est notre liberté qui produit l'inégalité. L'égalité ne
saurait s'établir que dans la servitude' Ceux qui pensent
que la Société doit bon gré mal gré ramener notre race
à l'égalité ne sont donc pas des hommes! Le niveau,
nécessairement, partirait de la médiocrité pour descendre
à la turpitude.
L'erreur où la Révolution prend sa source ne manque
pas de dire que tous les hommes sont égaux. Dieu, effec-
tivement, ne fait acception de personne, et tous les hommes
sont égaux en dehors du mérite. Mais, ni devant Dieu,
ni devant l'homme, ils ne sont égaux en mérite.. Tous ont
un droit égal à la justice et à l'estime, mais tous, en raison
de leurs actes, n'obtiennent pas le même arrêt de la jus-
tice ni le même accueil de l'estime. Nous demandons avec
raison la liberté acceptons-en les conséquences fiers de
ce que le Créateur~ par ce noble moyen, pose le pied de
l'homme à l'échelle des perfections immortelles.

(i) Ne sachant du christianisme que les mots, la Révolution ne cessait


de dire Liberté Egalité 1 sans voir que la liberté détruit l'égalité.
Le libéralisme, à son tour, hostile aux aristocraties et à toute inégalité,
ne parle que de liberté ce qui montre la puérilité de toutes ces écoles.
Jamais il n'y eut plus d'inégalité dans les conditions que depuis la Révo-
lution française, soit à cause des fortunes énormes promptement faites dans
l'industrie, soit à cause du paupérisme que celle-ci laisse sur son chemin.
La Hiérarchie, c'est la loi du mérite établie le mérite,
c'est le fruit de la liberté reconnu la liberté, c'est le
pouvoir que Dieu donne à l'homme de faire lui-même le
bien toute !a donnée sublime Or cette liberté ne se
constitue sur la terre qu'a l'aide des aristocraties, d'où
décode l'exemple, et les aristocraties ne subsistent qu'à
l'aide cle la Foi, qui à son tour découle de FEgiise.
Cependant t'Eg!ise et l'aristocratie, la source et le pro-
duit de notre liberté, ont été l'une et l'autre attaquées par
le libéralisme. Qu'est-ce donc que le libéralisme peut-il
atteindre cette liberté qu'il poursuit à l'exclusion de tout?

CHAPITRE XXV.
La liberté et le libéralisme.

L'Encyclique de Pie IX a condamné le libéralisme,


mais elle n'a pas condamné la liberté. La liberté et le
libéralisme sont deux choses différentes. Le libéralisme
n'est que l'erreur sur la liberté. Aussi a-t-il conduit,
en
théorie comme en politique, à la négation successive de
toutes les libertés.. L'expérience est là partout il aboutit
au despotisme et aux révolutions. En substituant l'homme
à Dieu dans toute la série sociale, il détruit à la fois l'auto-
rité, le droit, l'obéissance, trois choses qui ne peuvent
se
fonder que sur Dieu.
Sans parler des erreurs occultes, trois erreurs politiques
constituent lé libéralisme ia liberté de !a presse, la liberté
intrinsèque de conscience, et la liberté politique; ou du
moins ce qu'il nomme ainsi.
La liberté de la presse (condamnée par les Encycliques)
livre au premier venu Famé et l'esprit du peuple. Elle
l'abandonne aux factions, le rend la proie des faiseurs
d'utopies, des envieux, des mécontents et des pervers.
La liberté de conscience (condamnée par les Encycli-
ques) constitue une égale protection en faveur du bien et
du mal. Elle aboutit en définitive, par suite de l'état actuel
de la nature humaine, à l'oppression du bien par le mal,
de la vérité par l'erreur.
La liberté politique, (condamnée par les révolutions suc-
cessives qui détrônèrent Louis XVI, Charles X, Louis-
Philippe, etc.) établit une égalité dangereuse entre l'au-
torité royale et celle des assemblées. Elle soumet en
définitive l'autorité du Roi au pouvoir de la multitude,
la livre aux ambitieux, aux envieux, à la Révolution.
A ces trois erreurs politiques, l'histoire et nos tradi-
tions françaises opposent trois vérités A la liberté poli-
tique, qui livre aux foules les droits des souverains, elles
opposent la constitution de la province, c'est-à-dire les
droits pM~M et privés, qui sont les droits des individus,
des corporations, des ordres, des cités.
A la liberté de conscience elles opposent la condescen-
dance pour les personnes, la tolérance pour l'erreur exis-

(~) Nous possédons, depuis la chute des Césars, la liberté de conscience


vis-a-vis de l'Etat, c'est-à-dire la liberté d'adorer Dieu en esprit et en vérité.
Mais le libéralisme veut en outre que l'Etat catholique proclame lui-même
l'indifférence, c'est-à-dire qu'il déclare que toutes les religions sont dans la
vérité, et que tous les hommes ont le droit de rester en proie à l'erreur.
Une fois dans cette voie. le sens moral des populations e?t bientôt
anéauti.
tante, mais aussi la sauvegarde du bien, et la protection
honorablement assurée à la vérité.
A la liberté de la presse, elles
opposent d'abord l'ensei-
gnement de l'Eglise, à laquelle seule i! a été dit Docete
gentes; ensuite, 1 exemple et l'ascendant des classes ver-
tueuses et. éclairées sur les c!asses inférieures, qu'il faut,
ainsi que la jeunesse, mettre à l'abri du mal
et de ses
illusions.
Ce sont là trois
erreurs que la première Révolution
a laissées derrière elle.
On voit de suite qu'elles découlent de l'oubli du premier
des faits de l'histoire et du plus important de
nos dogmes,
savoir la Chute de l'homme. II est clair
que si l'homme
était dans le bien et dans la vérité, il n'aurait besoin ni
de tutelle, ni de lois, ni d'enseignement.
Les droits innés, issus de l'état de nature,
renverseront
les droits acquis, issus du mérite de l'homme. C'est
pour-
quoi la Révolution nous parle des droits
nouveaux, des in-
térêts nouveaux Comment en vouloir à
un siècle de tirer
toutes les conséquences du point de vue où on l'a mis?

CHAPITRE XXVI.
Le fait de la Chute renverse le libéralisme.

Cet oubli du fait de la Chute projette


son ombre sur
toute la poétique. Cette ombre s'éloignera
ne si le que
dogme reparait, que si la lumière rentre dans les
con-
sciences et éclate dans l'opinion.
On accuse celle-ci de s'égarer mais dans sa propre
1
ogique, elle ne se trompe point Dès que, suivant le libé-
ralisme, la pente au bien l'emporte naturellement chez
l'homme sur le penchant au mal, il est clair que l'on doit
lui laisser tout dire et tout faire, qu'il a droit à toute
espèce de liberté, que même il a droit au partage, etc.,
etc. Tout le problème se résout là.
Notre destinée politique est liée à la thèse théologique.
Car la thèse philosophique, basée sur l'excellence de l'état
de nature, nous a conduits logiquement à la Révolution.
Si la Chute n'a pas laissé le mal au sein de l'homme, que
signifie l'autorité sur la terre? Et s'il est faux que cette
terre, cessant alors de produire d'elle-même, ne nous cède
ses fruits qu'en proportion de nos sueurs, s'il n'est point
vrai que la puissance de produire soit obtenue et accu-
mulée dans tout sol par notre travail, que signifie la
propriété?
En un mot, en dehors du fait de la Chute, de l'état vrai
dans lequel se trouve la nature de l'homme, du caractère
qu'ont dû prendre ses lois, des soins préventifs et répres-
sifs qu'exige sa nature réelle, des droits qui résultent de
ses vertus, tout retombe en question dans une Société qui
ne fut élevée si haut que par une religion fondée sur ce
fait de la Chute.
Sans l'ignorance, dans laquelle nous naissons tous,
qu'est-ce que l'Eglise vient enseigner?. Sans la concu-
piscence, que nous apportons en naissant, qu'est-ce que
l'Etat vient réprimer?. Sans le mal, nous n'avons plus
besoin de lois le Code est une injure et une iniquité.
Sans le mal, la religion cherche son rôle, la propriété, sa
base, la loi, sa légitimité, et le Roi, la source de son pou-
voir sur la nation que sa famille a créée.
Aussi, la Société est tout entière en l'air, et l'illusion
nous en veloppe. il faudra que l'erreur se dissipe, ou que
l'Europe s'affaisse dans l'état où nous laissa l'antiquité,
issue elle-mème du point de vue que les hommes opposent
aujourd'hui à la donnée chrétienne. Car c'est de ce faux
point de vue que découle tout le péri! Par malheur, sur
ce fait, l'obscurité devient complète, et les hommes jour
par jour s'avancent vers l'abîme qu'ils pensent éviter.
li faut croire que les événements, à force d'épuiser ce
qui nous reste d'utopies, viendront encore à temps pour
ôter à la génération présente la foi qu'eiie a en elle, et la
rendra à la réalité, d'où sont sorties les Sociétés modernes.
Alors s'opèrera la réconciliation entre les esprits et FEgiise,
entre les peuples et leurs princes, entre nos vrais besoins
et nos vraies libertés, entre nos véritables droits et nos
véritables devoirs.
S'il faut combattre désormais le libéralisme, ce n'est
point, certes, pour arriver au bon plaisir, mais pour
recouvrer la liberté, compromise radicalement par le
libéralisme.

CHAPITRE XXVII.
Libéralisme, ruine des libertés.

L'homme est tombé, et c'est parce qu'il fut relevé que


la civilisation est possible. Seulement, tous les hommes
ne se relèvent pas à la fois de là l'inégalité des vertus
et des mérites de là les aristocraties. Ceux qui sont les
premiers dans la justice et dans la vérité, ceux qui sont
les meilleurs, ~o-To~, présentent la lumière ou rendent la
justice aux autres. Si leur valeur décroît, la Société
s'abaisse. Quand on croit que les immunités bu les pou-
voirs doivent être les mêmes pour les bons et pour les
méchants, on ignore les premiers mots de l'ordre social.
Le libéralisme imagine qu'en obtenant d'emblée tous
les droits politiques, l'homme obtiendrait sans peine les
autres; et il est arrivé !e contraire. L'orgueil s'est uni-
versalisé, et tous les droits issus d'une longue série de
vertus ont manqué à la fois à la Société.
D'ailleurs, avec ces prétendus droits politiques, on
aboutit à une représentation parlementaire identique pour
tout le monde, dès lors à une centralisation qui n'est que
l'extinction des droits publics et privés, la chute de la
province, l'anéantissement de nos autonomies c'est une
sorte de pulvérisation nationale. Chose cruelle c'est quand
les hommes ont perdu leurs droits, qu'ils demandent ces
prétendus droits politiques qui bannissent à jamais les
autres. Une représentation générale et parlementaire
fait de toute la nation comme une seule pâte elle la
ramène à une sorte d'identité de substance, où toute per-
sonnalité disparait. Ajoutons que la plupart de ceux qui
proclament le libéralisme vivent en dehors de la propriété,
et dès lors de l'indépendance.
Cette substitution des droits politiques aux droits publics
est une introduction au despotisme. Déjà tout s'est
évanoui les provinces dans leurs caractères divers, les
ordres dans les besoins qu'ils représentent, les communes
et les individualités avec leurs intérêts. Les hommes étant
réduits au même dénominateur, restent soumis à la même
opération c'est pourquoi, depuis cinquante ans, les partis
seuls triomphent tour à tour. il n'y plus qu'une situa-
a
tion, qu'un même droit pour tous. Non
pas un droit dont
on jouisse, mais un droit qui se ~~<~e/
Pour le père
de famine, pour l'homme à ses affaires, en un mot,
pour
la nation, tout se borne à élire ï
Aussi, le libéralisme constate à cette heure que plus il
fait de progrès, et plus le despotisme augmente. Com-
prend-on bien ce fait énorme? le triomphe de l'un est
en
raison directe du triomphe de l'autre.. Par le régime des
droits politiques, on imprima l'uniformité au pays, et
par
le despotisme on la consomme. Ces droits sont devenus
la tombe de nos individualités.
L'individu ne saurait être posé en face de l'Etat
sans se
voir absorbé la disproportion est trop grande. Voi!à
pourquoi les souverains absolus, en Europe, deviennent
tous favorables au libéralisme 1. L'individualité humaine a
ses bornes, il faut qu'elle soit formée et préservée dans
le cercle de la cité Cïu~ vient de civitas. Il y aurait
même contre-sens à parler du citoyen de l'Etat, et sur-
tout de l'Etat moderne, qui saisit l'homme à sa naissance
et ne le quitte même pas sur le seuil de la mort, puisqu'il
règle son testament..
Pour naître et croître avec indépendance, l'individualité
doit avoir sa racine dans la propriété, puis étendre ses
branches dans la cité. C'est là qu'elle rencontre les ga-
ranties, les titres et les avantages qui se lient à cette
marque universelle de la capacité sociale. Mais vouloir
que tout individu s'étende jusqu'à l'Etat, c'est trahir
l'homme et le fruster. Qu'importe au père de famille,

Absolus, parce qu'ils gouvernent à la fois les peuples et les âmes,


(1)

comme les Césars à Rome, le Sultan à Constantinople.


qu'importe à la foule entière d'avoir des droits hors
de portée?

CHAPITRE XXVHI.

Les droits publics aboHssent !e HhéraUsme.

Les droits publics et les droits privés sont les plus


chers à l'homme. La Révolution les lui a tous ôtés il
faut songer à les lui rendre. Les libertés les plus pré-
cieuses, les seules au reste qui soient réelles, sont celles
qui nous touchent de près et qui s'appliquent au plus
grand nombre, à toutes nos familles et à tous nos foyers.
Ce sont les libertés légitimes.
L'homme veut d'abord être maître chez lui, être libre
ordre, dans l'édu-
en sa foi, dans son champ, dans son
cation qu'il transmet à ses fils. Il veut, ensuite, être
compté pour quelque chose autour de son foyer, dans sa
paré d'un
commune, dans sa province, avant de se voir
droit illusoire au milieu de l'Etat, droit dont les grandes
ambitions et les gens déclassés peuvent seuls profiter.
11 ne veut pas perdre ses droits réels pour courir
après
l'ombre, ni voir l'Etat, déjà substitué à sa commune, à sa
province, entrer dans sa maison, faire le partage entre
ses fils, ruiner son autorité
paternelle, dérober l'avenir à
son sang.
C'est de la sorte, au reste, qu'on traite les peuples
conquis. Et l'on a voulu persuader à la foule que l'Eglise
comprendre
est contraire à ses libertés 1 Quand saura-t-on
cette vérité d expérience C'est la liberté qui est ancienne,
et le despotisme qui est nouveau?
Le libéralisme) ramenant tout
au parlementarisme, est
aujourd'hui le grand obstacle
aux libertés réelles, aux
libertés sacrées de la propriété, de la famille, de la
com-
mune, de la province et de t'Eg!ise, qui toutes ont passé
dans les mains de l'Etat moderne
aux applaudissements
du libéralisme. Partout
ce dernier favorise les empiéte-
ments du pouvoir sur l'autorité paternelle, sur la
pro-
priété, l'hérédité, la municipalité et l'Eglise. Ou donc
est
l'homme, sil n'est pas !à?
L'illusion, il est vrai, est arrivée
au comble. On a
substitué, dans la nation, la capacité littéraire à la
capa-
cité pratique, et c'est ainsi que les libertés positives
ont
été supplantées par ces libertés illusoires qui
ne servent
qu'aux gens de lettres les autres n'en jouissent pas.
Cette subversion des éléments sociaux suffirait seule à
renverser une nation. L'expérience disparaît sous un
dc!uge d'utopies, ces utopies produisent l'opinion, l'opi-
et
nion dicte nos lois. A la Théologie, à l'histoire, à la poli-
tique, succède la littérature. Cette littérature est
comme
le charnier des erreurs de l'époque; c'est le lieu où
se
décomposent les croyances, les mœurs, les traditions, le
respect, les droits les plus sacrés, en un mot, la civilisation.

Celui qui a quitté sa commune et délaissé le champ de


son père, se soucie peu des libertés municipales. Sans
réfléchir qu'il devient par le fait
un instrument du despo-
tisme~, il ne songe plus qu'à
ces libertés politiques, qui

(1) Ces droits politiques, ou Jittérah-es, conduisant au communisme de la


nation, amènent le césarisme. Comme
tous les citoyens ne peuvent gou-
verner l'Etat, c'est un Il un que l'Etat les gouverne.
ouvrent à sa plume et à son ambition une carrière sans
limites. Ai-je chargé cet homme de défendre mes droits?
Que la nation réponde aux gens de lettres Avec vos
libertés politiques, qu'avez-vous défendu? Les droits de
la propriété? on a méconnu les plus grands, et vos dis-
ciples parlent de les abolir tous. Les droits de !a famille?
on enlève à celle-ci jusqu'au droit de tester, et l'Etat vient
lui-mème disposer de vos biens et de l'enseignement donné
à vos fils. Les droits de la province, des municipalités?
ils ont été totalement détruits. Ceux du pays? les impôts,
de sept cent millions pendant le premier tiers de ce siècle,
dépassent aujourd'hui deux milliards. Ceux de la religion?
vous désirez la subordonner à l'Etat. Ceux des rois? c'est
en vous écoutant qu'ils ont vu tomber leurs couronnes.
Ceux du peuple? il est la proie de l'immoralité, issue de
votre scepticisme, la proie du paupérisme, né de votre
industrialisme, la proie de l'erreur, nourrie par tant
d'écrits privés d'expérience et prenant dans l'opinion
l'empire qu'y exerçaient l'Eglise, le bon sens des ancêtres
et la paternité des véritables aristocraties. Le peuple!
ô gens de lettres, c'est lui qui est la première victime
immole aux misères que votre impiété a répandues
chez lui 1.
CHAPITRE XXIX.
Bases des libertés réelles.

Les nations libres se fondent


sur des classes libres
elles ne commettent pas la faute de s'appuyer
sur des lit-
térateurs, sur une classe nécessairement dépendante. Qu'on
observe seulement i'Angïeterre,
on verra que les vraies
libertés politiques découlent des libertés municipales.
Privé de la propriété, dés lors de toute expérience,
l'homme de lettres se trouve à la fois hors des voies de
la vérité et de la liberté. Il accepte avidement
ces pré-
tendus droits politiques comme une
rançon suffisante des
droits publics, des droits pratiques qu'il
ne connaîtra pas.
Par hii-méme l'homme n'est pas assez fort
pour présenter
des garanties; il faut qu'elles naissent d'une position dans
laquelle il ait fait ses preuves
en conscience, qu'ose-
rait-on confier à celui qui n'a jamais rien épargné ni
rien conduit?
Cette position, ou plutôt cette éducation, résulte des
intérêts stables, du travail régulier, du mérite éprouvé
des familles~. Voi!à pourquoi il faut quelles
se conservent.

(1) Quels que soient les efforts de la Révolution, jamais


on ne cunfondra
chez les hommes le magistrat, le grand propriétaire l'aventurier.
avec Au
sommet de la gloire et de l'expérience, à l'âge de 85 ans, de Bonald écrivait
Autrefois la noblesse, toute militaire ou magistrale, et forcée de J'être
par
des mœurs plus puissantes que les !ois, ne pouvait servir
que l'Etat aujour-
d'hui ia noblesse, industrielle, commerçante, fabriquante (il pouvait ajouter:
Les familles recueillent un héritage de traditions et de
vertus au sein desquelles se forment les caractères et les
aptitudes indispensables aux grandes fonctions sur les-
quelles reposent Jes Etats. La famille a pour but de pro-
duire des hommes, la Société de produire des familles,
et dès lors de les maintenir..
Dès l'instant où, à. mesure qu'une famille se forme, la
loi l'oblige à se dissoudre dans le partage, et où tout pro-
priétaire verra ses domestiques devenir par leur nombre
ses maîtres devant le scrutin, on peut dire qu'une nation
se dissout.
Dans ce commencement de communisne, l'homme ne
se sent plus citoyen il se démoralise, il perd l'amour de
la patrie après avoir été découragé dans le plus noble de
ses instincts, celui de la perpétuité de la famille. La
religion, la famille et la propriété ne se maintiennent
encore aujourd'hui que par l'effet de l'impulsion anté-
rieure mais l'encouragement n'est plus là mais les
institutions abandonnent précisément ce qu'elles ont été
appelées à protéger chez nous.
Il faudra, pour rentrer dans une voie sérieuse, en
revenir à la constitution de la propriété, base dans tous
pays de la capacité morale et de la capacité pratique,
conséquemment de la capacité sociale.
L'intérêt direct qu'a le propriétaire à une bonne admi-
nistration est déjà une première garantie que n'offre point
le prolétaire, ni même le capitaliste nomade. Et comme la
valeur intellectuelle et morale d'un homme est toujours

tripoteuse et littéraire), dépendra de ceux qui auront besoin de son industrie


ou de ses services. Si la nouvelle noblesse doit être la force et l'ornement de
la nouvelle société, l'ancienne lui dira sans regret Afe~ort&M~ M~re /<ï~s. a
LÈGtT. 17
246 PREMIÈRE PAHTfE.
mieux connue dans son voisinage, c'est par la constitution
de la Commune et de la Province que l'on peut protéger
la véritable capacité et rétablir une véritable représen-
tation du pays.
Tout autre mode n'est qu'une représentation des droits
de l'homme, qui sont des fictions, et non une représen-
tation des droits des hommes, qui sont des réalités. Quand
sortirons-nous des mensonges? Pourquoi, dans cet assem-
blage confus, dans ce mélange contradictoire appelé Prin-
cipes de 89, nos politiques sont-ils allés choisir précisé-
ment les principes qui détruisaient nos droits? C'est ainsi
que, depuis quatre-vingts ans, les publicistes, les avocats,
les orateurs nous ont conduits tant de fois à la ruine.
La Société court ici les plus grands dangers. L'Etatt
moderne, qui déjà, par le fait de la Révolution, s'est
emparé d'une partie des libertés de l'Eglise et de la pro-
priété, est entraîné par une sorte de. communisme à devenir
définitivement le maitre de la propriété comme en Turquie,
et de l'Eglise comme chez les peuples protestants, il n'y
aura plus aucune espèce de liberté, aucune espèce d'exer-
cice de la force morale c'est l'âme qui sera étouffée, et
dés lors la Société, perdant ses fins, n'existera plus.

CHAPITRE XXX.

Identité du despotisme et du libéralisme.

Le libéralisme n'est qu'une fausse manière de'défendre


l'homme et d'établir la liberté. D'abord il part, i! est
vrai sans le voir, du même point de vue que le despo-
tisme, et il en fonde l'établissement. Ensuite, comme le
despotisme, il a sinon pour fin, du moins pour moyen
d'écarter ou de réprimer l'action de l'Eglise. En outre,
comme le despotisme, il s'acharne a renverser les aristo-
craties. Enfin, il s'attache à des libertés dérisoires qui ont
détruit la véritable liberté, et il expose ainsi les peuples
à la perdre à jamais..
Cette vraie liberté, qui est. celle de l'âme se déployant
dans la vertu et dans le bien, est la source des libertés
publiques, la base et le but de la Société, qui ne saurait
vivre sans elle. Aussi l'Europe s'avance vers un gouffre
plus profond que celui où se perdit le Bas-Empire. Quant
à la France, elle risque de tomber la première sous le
coup de la grande erreur.
Ne tenir aucun compte des vues divines ni des néces-
sités de la nature humaine, mettre tous les droits en
commun, confondre tous les hommes comme s'ils ne for-
maient qu'une vile espèce, niveler le pouvoir, anéantir
les Ordres, et remettre constamment en question la Société
pour tout attendre du bon vouloir ou des caprices du suf-
frage, c'est ce que veut le libéralisme en France. il pro-
clame la liberté, et il repousse les effets du mérite, fruit
direct de la liberté!1
Le libéralisme suppose contre l'évidence que les hommes
sont bons par nature, que tous aspirent à la justice et que
depuis l'origine, ils n'ont rencontré sur leur chemin d'autres
obstacles que ceux qui viennent des gouvernements ou des
institutions. Aussi doivent-ils en tous lieux procéder à la
réduction du pouvoir et des lois, pour que les hommes
s'avancent enfin dans les voies, jusqu'à ce jour fermées,
de leur vrai développement moral et politique.
C'est la faiblesse à la fois philosophique et politique
de ces vues, qui a déjà causé tous nos malheurs. Si l'idée
libérale était vraie, elle eut produit notre grandeur morale,
elle eut donné la paix au monde et conduit les hommes au
bonheur. I! faut espérer que tous ceux qui, par imagi-
nation, par amour-propre, par ambition ou même par
envie, embrassaient le libéralisme, s'empresseront de re-
venir en voyant les dangers où se trouvent la France et
la civilisation
lis nous mènent à la servitude. (Tout à l'heure en exa-
minant dans la Ile Partie, la constitution de la France,
nous en aurons la preuve palpable.) L'individu désirant
s'affranchir de Dieu pour ne suivre que ses propres voies,
voilà le libéralisme. Et l'Etat, pour imiter l'individu, vou-
lant se rendre indépendant des aristocraties et de l'Eglise,
voilà le despotisme. Les résultats sont divers, mais le point
de départ est le même. Rien n'arrêtera la logique. Lorsque
le peuple est souverain, ce n'est plus Dieu, mais l'homme
qui gouverne. En mettant l'homme à la place de Dieu,
on a partout mis l'arbitraire à la place de l'homme.
A la question posée par notre époque, l'observation se
voit obligée de répondre que le libéralisme ayant cherché
la liberté hors de Dieu, et même hors de l'homme,
n'aboutit qu'à la servitude. 11 semble être une punition.
IJ jette dans toute l'Europe les fondements d'un despo-
tisme immense, qui ne sera que l'application exacte des
principes fondés par le libéralisme.
Le despotisme ne pourra disparaître qu'avec la chute
du libéralisme, lorsque Dieu rentrera dans les lois, dans
l'Etat, dans les mœurs et dans la politique. Quand le
peuple juif oubliait Dieu, il tombait dans la servitude, il
passait aux mains de ses ennemis.. Les Juifs ne sont p~s
le seul peuple auquel Dieu, dans sa miséricorde,
donne
cet avertissement.
Dans l'ordre établi de Dieu, les hommes trouveront tous
le
les biens. Cherchons le royaume de Dieu et sa justice,
l'orgueil
reste nous viendra par surcroit. Dans l'ordre que
essaie d'établir loin de Lui, les hommes ont perdu succes-
Le libé-
sivement tous les biens qu'ils en avaient reçus.
les
ralisme offre la grande et dangereuse épreuve pour
nations modernes. Mais il faut laisser aux idées le temps
parole aux
de se former sur ce point, et donner la
événements'.
Ne plus ériger l'homme en bloc, mais au contraire
discerner le mérite des hommes les voir naturellement
s'élever par une sorte de hiérarchie angélique; laisser la
lumière, l'autorité, les exemples, le capital et la protection
venir d'en haut et refluer de cascade en cascade sur les
souveraineté vient de
rangs inférieurs déclarer que toute
Dieu et non de l'homme; réintégrer notre âme dans sa
dignité en rendant à la religion sa place; tout cela n'est-
rétablir ce qu'on nommait l'ancien régime?
ce pas
Peut-être bien, et nous saisirons plus loin l'occasion de
le distinguer du nouveau.

(1) L'auteur faisait parafe ces dernières r~ilexions en 1863.


CHAPITRE XXXI.
Démocratie chrétienne.

Les hommes sérieux devront bien prendre garde à ce


qu'on nomme une Démocratie pacifique, ou une Démocratie
chrétienne, il fallait toujours parler en France de nos
progrès, de nos lumières, et surtout de nosr libertés. La
France prisait uniquement les hommes qui la-couvraient
de flatteries. Qu'elle observe, à cette heure, si c'est elle
ou si ce sont eux que ces hommes aimaient.
Assurément, l'avenir est à la vraie liberté, mais il n'est
pas à la démocratie, qui, abattant la hiérarchie, détruirait
tout ce qui vient de fa liberté.. La démocratie, répétons-le
sans cesse, n'est qu'un écrasement de la Société et une
abolition de la nature humaine.
I! faut tout faire pour le peuple et,
par les lois, la
police, les tribunaux et les écoles, la Société ne s'occupe
après tout que du peuple! Mais ce n'est point là une
démocratie, puisque le peuple n'est ainsi éclairé, en-
seigné, administré, mis au travail et secouru que par des
aristocraties.
Donnons-nous à la liberté, qui consiste dans Je plein
développement de la nature humaine par les moyens que
Dieu a établis. Mais l'avenir de l'homme serait d'autant
plus douloureux et sa vie d'autant plus pénible, que, livré
à ses seules forces, il se verrait privé des précautions et
des soins dont l'autorité l'environna jusque ce jour.
Si la France se relève, si la Société s'y rétablit, ce sera
de l'aristocratie, c'est-à-dire de l'action com-
au moyen
binée du Clergé et des familles distinguées qui, par
des
conformes au christianisme, en verseront les biens
mœurs
sein de nos populations. Que les grands redeviennent
au exemples et la
serviteurs de tous les lumières, les
les par
charité, telle est la démocratie chrétienne.
Pouvoir de
Sans doute, cette aristocratie ne sera plus au
elle-même elle
la même manière qu'autrefois, bien qu'en
soit tout pouvoir. La facilité d'acquérir les fortunes indus-
trielles, la quantité de familles sans enthousiasme et sans
classes
vaillance que la richesse jette à la fois dans les
de s'éle-
élevées, empêchera désormais l'aristocratie laïque
l'ancienne.
ver pour devenir aussi puissante que
l'aristocratie émi-
Le Clergé, comme autrefois, sera
tribut
nente: et l'élément, laïque paiera surtout son laquellepar le
l'exemple. Mais que serait la nation dans
pouvoir
principe de vie se verrait sérieusement privé de
politique? Ne faut-il pas que ce principe, d'une part,
qu'il en soit
inspire le Pouvoir Ne faut-il pas, de l'autre,
le
protégé, comme on voit la nature protéger dans corps
humain le siège de la vitalité? Cette protection s'exerce
la déférence et le prestige dont le Pouvoir
avant tout par
environne l'aristocratie.
Pourrait-elle se passer d'un appui politique? Pourrait-
hon-
elle subsister sans prérogatives et absolument sans
monde,
neurs ? Ce serait dire que la Foi aura, dans le
de puissance les hommes pour qu'ils puissent se
assez sur
passer de compensations temporelles, absolument comme
l'aristocratie au
des religieux; puis, ce serait exposer
dédain des marchands et aux mépris du peuple..
En tous cas, le Clergé ne peut se passer de deux choses
premièrement, des honneurs qu'on lui doit, à cause de
Celui qu'il représente secondement, de l'appui qu'il
doit
rencontrer dans les lois. Les libéraux qualifiaient
un tel
appui de privi!ége ce mot, précisément formé de pr~a~
lex, ou loi privée, signifie un service particulier, spécial,
hors ligne 1

La Révolution nous a fourni des thèses des livres


et à
combler une mer. Pour en montrer !a stérilité, qu'elle
permette encore quelques pages. Hâtons-nous de réparer
les vides occasionnés dans la pensée
par le libéralisme.

CHAPITRE XXXII.

Education publique.

La politique ne doit
pas moins se préoccuper de la
formation des esprits que de la direction des hommes.
Leibnitz n'a-t-il pas dit
« Donnez-moi pendant siècle
un
l'instruction publique, et je changerai le monde »
Chez nous, tout est tari, tout a baissé mais
pourquoi
vouloir absolument enlever clergé l'éducation publique?
au
Les idées font partie de l'homme,
comme elles font partie
de la politique. Il faut qu'elles soient éclairées
pour placer
les esprits au sein de la lumière et de la paix. Or,
par sa
manière d'écourter les principes, de mutiler l'histoire, de
fausser la philosophie, par son parti-pris odieux d'affaiblir
la raison et d'y substituer la mémoire
et l'imagination,
notre Université a fini par ne plus produire qu'une espèce
de petits hommes ennés de présomption d'incrédulité.
et
Elle sait la figure qu'ils ont fait, soit en face des mœurs,
soit en face des armées prussiennes.
Si elle eut encore possédé deux générations, nous aurions
eu vraiment, en France, plus de chinois que de français
A force d'exclure le clergé et d'écarter toute théologie,
l'Université n'offrit plus qu'un résida des idées jan-
sénistes, gallicanes et libérales mis au moule de la
Renaissance et rafraîchi au souffle des visées d'Outre-
Rhin. Un historien trouverait sa gloire à indiquer par
quelle transition la Chine a pu passer de l'état de peuple
policé à celui de peuple pétrifié. L'enseignement fourni
par l'Université mettrait sur la voie d'une telle recherche..
La jeunesse des classes gouvernantes doit trouver au
sein même de l'instruction qu'elle reçoit, les croyances
sublimes sur lesquelles repose la civilisation, aussi bien
que les sources de l'enthousiasme et des sentiments qui
constituent les aristocraties. Il est un exercice de la raison
et un emploi de l'âme plus fertile pour l'homme que
l'acquisition des sciences ou l'exercice de la mémoire,
c'est l'exercice de son cœur.
En France, un préjugé issu du dix-huitième siècle a
porté un terrible coup aux classes élevées on a placé la
grandeur de l'homme non dans le cœur, mais dans l'es-
prit~; puis on a placé la grandeur de l'esprit, non dans
l'étude des plus hautes idées de la philosophie, mais .dans
celle des sciences physiques. Les idées succombèrent avec
la philosophie; la pensée descendit dans des ténèbres où

(1) Dans sa célèbre exposition de l'Apocalypse, le vénérable Holzhauser


dit, en désignant notre époque « On n'y cultive que l'esprit, et non le
cceMr dans l'éducation des enfants, qu'on rend dissolus, désobéissants,
grands parieurs et irréligieux. Les parents les aiment d'un amour désor-
donne, etc. a
l'orgueil et l'absurde parvenaient seuls à prendre consis-
tance et à faire entendre leur voix. Ils enlevèrent de
la raison l'idée de Dieu pour y substituer une idée ridi-
cule~. On se rappelle qu'en cet état la raison devint mère
de la déesse Raison.
Nous irons droit au fond de la question. A l'Infini, à
l'Eternelle perfection, la pensée actuelle substitue l'idée
du Développement. C'est-à-dire qu'au commencement, il
n'y avait rien, mais rien absolument, et que de rien se
tire chaque jour quelque chose Pour aujourd'hui, comme
dès le commencement, Dieu, l'Absolu, est une chose à faire,
il demeure Chute de la raison, triomphe de
l'erreur dernière
Le Développement se dira d'une graine ou d'une plante
qui a toute la nature autour d'elle. Mais FËTRE pREMtER,
vers qui ira-t-il emprunter pour s'accroître? Le Déve-
loppement, qui n'est qu'une addition successive, se conçoit
de l'être qui peut puiser autour de lui. Mais l'Etre qui
forme l'origine, où ira-t,il puiser? Et, à son tour, l'être
communiqué, l'être qui vient d'une création, comment se
conservera-t-il sans le secours de l'Absolu?
L'homme au début fut parfait, selon vous, mais Dieu
mit du temps à se faire; il a eu ses premiers quartiers
Or voilà ce qu'il faudrait prouver
L'Innm seul explique l'existence et tout ce qui sub-
siste ou se développe après lui ne peut s'expliquer que par
lui. Ecarter Dieu, croire que l'homme nait et subsiste de
lui-mème, c'est annoncer une fatale dépression de l'intel-

(i) Le degré de notre intelligence n'est-il pas dans la connais-


plus haut.
sance de Dieu, comme son degr6 le plus in6me, dans les absurdités par
)e3que!)esoocroit)aremp!acer?
ligence. Un tel malheur s'explique ou par un long abus
des sciences enfermées dans le cercle des phénomènes, ou
par l'effet d'un fol orgueil, substituant le moi à la raison,
le relatif au principe éternel. r
C'est la plaie de l'époque plaie profonde dans sa
pensée, dans ses sciences, dans ses gouvernements,jusque
dans son enseignement! Quand le moi, quand l'effet tend
à s'enorgueillir, à se considérer comme cause, à effacer
devant ses yeux la vraie cause qui l'entretient, il s'opère
un renversement dans la pensée, qui en entraine un tout
aussi insensé dans la vie sociale. L'orgueil a toujours
conduit à l'abrutissement et à la barbarie. Comme nous
sommes créés et conservés à chaque instant par Dieu, et
seulement en vue de Dieu, l'athéisme est l'état le plus
absurde où puisse tomber l'esprit de l'homme.
Si, par l'enseignement, on ne restreint pas l'orgueil,
pour laisser rétablir l'idée de cause, d'abord dans le fond
de notre âme, et de là au sein des sciences et des lois,
nous verrons succomber ce qui reste debout, ce qui sub-
siste encore de notre civilisation. L'enseignement fait
partie de la politique mais il faut lui trouver sa vraie
base, et ne pas permettre à l'orgueil de la chercher dans
le néant.
Ramenons les études au principe qui les dirigeait au
siècle de Condé, de Turenne, de Bossuet, du grand Dau-
phin non à celui qui les conduit dans le siècle de Sainte-
Beuve et de Littré. Elevons l'homme par le cœur et par
la raison, au lieu de le hisser par l'esprit; alors nous
verrons notre intelligence recouvrer sa grandeur.
En déclarant, avec sa longue expérience, que la science
rend les hommes impropres à l'action et funeste aux Etats,
M. de Maistre n'a pas voulu tout dire. La science isolée est
la mère du médiocre. Seule, elle rapetisse l'homme, du
moins lorsqu'elle règne ou qu'elle sort de sa place pour
envahir le champ de la morale et celui de la politique. Ce
qui ne marche ici que par a -j- b conduit alors pénible-
ment au sommet de l'échelle les esprits les plus lourds et
les âmes privées d'élan. On croit voir la logique et la com-
paraison placées sous ces intelligences comme deux crics
sous de lourdes masses. C'est ainsi qu'on déplace tout. La
Société se remplit de gens supérieurs dans les petites
choses, mais entièrement nuls dans les grandes.
Cette plaie se fait partout sentir, et dans les conseils
de l'Etat et dans les opérations de la guerre. Si pour ia
guerre, pour la pensée, pour les caractères, pour le génie,
pour les hautes sciences, ia France est devenue la terre
du médiocre, elle le doit à ce qu'elle nomme sa Science.
On n'a travaillé qu'à faire triompher chez nous la bar-
barie scientifique, absolument comme en Prusse. Quand
la France secouera- t-elle cette couche d'esprits mé-
diocres qui l'étouffe partout? Esprits moins médiocres
par eux-mêmes que par l'effet de~Ia méthode qui, les
clouant à la terre, a fermé devant eux t'avenue des choses
élevées. Un noble enseignement peut seul délivrer ies
esprits d'une aussi triste position Mais alors le confiera-
t-on aux hommes dont la raison s'éteint?
Assurément, il y a partout des esprits moyens mais
il faut leur confier les affairds moyennes. ïi faut les écarter
soigneusement des autres la grandeur ne s'étudie pas;
Quel esprit distingué n'a gémi de ia rapidité avec laquelle
on a vu disparaitre chez nous, de la pensée et des affaires,
l'esprit d'honneur et de noblesse?

(i) Ces réflexions et les suivantes datent de 1859.


En exhaussant ce qui est bas, on écrase les rangs supé-
rieurs on chasse la liberté de ses domaines. L'homme
réelle et plus
a reçu une autre manière de s'élever, plus
noble, dont le secret appartient au coeur 1. C'est par le
qu'ils sont.
cœur, dit Rollin, que les hommes sont tout ce
Les Ecritures, d'un bout à l'autre, prennent le cœur pour
l'homme même.
Levier trop souvent aveugle dans son choix, la science
isolée déclasse et déplace sans transformer. La médio-
crité s'élève alors comme une poussière immense, étouf-
fant tout, et, par instinct, chassant d'en haut ce qui lui
est supérieur par les croyances et par les sentiments.

CHAPITRE XXXUL

Moyen de relever les idées et les mœurs.

Comment combattre le médiocre, rendre l'élan à la


pensée et relever les cceurs? en retournant aux sources
des grands sentiments et des hautes idées, dès lors en
rendant au clergé l'éducation publique.
Dès que les peuples échappent aux croyances, ce n'est

(i) On ne parle ici, bien entendu, ni du vrai savant, ni des sciences tbéolo-
giques et morales, ni de la science à sa place, illustrant l'homme qu'ennoblit
déjà la pensée; mais de l'esprit de science se substituant chez les hommes
Si
aux croyances et aux élans spontanés de la conscience et du cœur.
l'homme veut toujours s'arrêter à ce qu'il a pu savoir, le voilà exposé
il rester bien petit. Chaque savant sait un métier, et l'homme
de coeur
sait être un homme.
point pour s'élever dans les idées, mais
pour retomber
dans les sens. Dès lors tout croule après les
croyances,
les principes; après les principes, les caractères; après
les caractères, les aristocraties après les aristocraties, la
foule, et l'on se trouve en face du despotisme
ou de la
barbarie.
Il faut ramener l'homme à l'étude des sciences morales,
à la Théologie, à la philosophie/à l'histoire; là s'ouvrent
les grandes questions; là se tiennent les nobles idées,
et
sur leur seuil naissent les caractères. Il faut déplacer
notre centre d'admiration. Comment avoir pu le fixer sur
un vieux monde éteint qui recelait l'erreur et l'esclavage,
ou même sur la matière étendue sous nos pieds, lorsque
le christianisme a révélé les splendeurs du Ciel, lorsqu'il
a fait mûrir les fruits de la nature humaine en attirant sur
elle les grands rayons de l'Innni? Pourquoi le scepticisme
suit-il les pas des sciences physiques? sinon
parce qu'elles
nous distraient de la grande merveille, et qu'elles n'exercent
dans l'homme que ses moindres facultés.
Ces petites sciences ne nous prennent point d'assez haut,
et d'ailleurs elles tournent les tètes. 1/expérience apprend
que la plupart des hommes n'ont pas assez d'étendue dans
l'esprit pour se voir absorber par des sciences naturelles
dont l'étude exclusive les porte à nier l'Ordre surnaturel.
Notre siècle disait que de telles sciences élèvent la pensée
et améliorent les nations il aurait bien dû le prouver.
Nous voyons au contraire que lorsque cet esprit de science
envahit tout, c'est la raison qui s'affaiblit et l'âme qui est
mise à la porte. L'erreur, alors, est donnée pour la vérité,
le mal est appelé le bien, la loi est déclarée athée et
l'homme est souverain
La France a passé par cette crise intellectuelle si dou-
loureuse de 1830 à d848, puis de i848 à 1870. Qu'on
s'étonne du sentiment de répulsion qu'inspire généralement
en Europe une époque qu'on pourrait appeler l'ère de
la
~e~oc~c. Sous ce règne on a vu ce qu'il y a de plus
élevé chez les hommes, c'est-à-dire la Foi, passer par les
dédains des hommes d'Etat, les sifflets de la littérature et
le jugement des docteurs. Ils méprisaient la Foi, dédai-
gnaient le passé au moment où se déployaient sous
leurs yeux les pauvres thèses du panthéisme, du fou-
riérisme et du césarisme! Toute fierté disparaissait..
L'égoïsme fut avoué, et l'on a vu les hommes s'encourager
ouvertement à la médiocrité des sentiments, comme dans
le bas peuple.
M. Guizot ne cessait d'annoncer le règne des classes
moyennes et tout fut effectivement très-moyen les
idées, les arts, la manière de sentir, la manière de gou-
verner et d'instruire les hommes. Notre grande civilisation
perdait son allure. L'ancienneté, l'honneur, le respect, la
modestie, la piété, la sainteté, tout ce qui se comprend
surtout par le cœur, fut relégué parmi tes choses dédai-
gnées. Jeunes, nous avons vu des hommes réduire leurs
sentiments pour être de mise auprès des autres, et celui
qui méditait de grandes choses se faire petit esprit pour
réussir. C'était le règne du tiers-Etat.. Selon le rêve de
Sieyés, il est devenu tout. Mais à son tour la Commune
s'avance, et voilà qu'il ne sera plus rien..
Le scepticisme, source des esprits médiocres, n'est qu'un
mépris des idées supérieures. Ici le peuple ne tarda
pas à comprendre les choses comme nous et, ce jour-là,

(1) Cela nefut point arrivé si la noblesse n'eût, pas Écouta la voix du
dix-huitième siècle. Elle ne se réparera qu'en écoutant celle de l'Eglise.
éclata la Révolution. Non, ce n'est point par les sciences
sur la matière que les civilisations commencent, mais c'est
par là qu'elles finissent'. Dieu n'a point confié l'homme
a ces sciences c'est la terre qui est livrée â la dispute
des mucf~.
Le régime introduit par i830 a établi le règne du
médiocre. Partant de là, le régime de l'Empire a établi
celui de l'erreur. Encore un tiers de siècle, et le règne de
la raison moderne nous eut fait disparaître comme le Bas
Empire. Par un de ces décrets qui lui sont familiers, Dieu
a voulu que ce fussent les hommes les plus intéressés au
maintien de ce règne qui en rompissent les mailles à force
d'impudence et de scandales. C'est la science et la !itté-
rature du jour qui ont fini par i'étouffer sous. le mépris
dans lequel il espérait noyer l'éternelle vérité!1
La difïiculté où l'on se voit aujourd'hui de remonter à
un Pouvoir élevé, vient des soins qu'ont mis ces deux
règnes à éteindre toute grandeur, à substituer partout le
mensonge à la vérité. En France, la Société est décapitée
aussi bien que le Pouvoir et aussi bien que la raison. Où
rencontrer des coeurs quand il n'y a plus de croyances?
Ou rencontrer l'honneur quand il n'y a plus de hauts
rangs ?

(i) Raison qui eut soin, pour se distinguer de l'ancienne, de perdre l'idée
de cause, c'est'a-dire la raison.
CHAPITRE XXXIV.

Notre Htterature achève d'établir le règne du médiocre,

Ce règne de la raison sans Dieu, ce triomphe de l'homme


inférieur, multiplia les contre-sens en politique. On pro-
clama les gloires de la littérature, alors que celle-ci n'était
qu'une sorte de décomposition de toutes les idées Jus-
qu'alors la Théologie avait servi d'aromate à la pensée
dans ses diverses branches et l'on peut dire que celle-ci
fut livrée aux vers le jour où elle répudia la vie qui lui
venait du christianisme.
Comment laisser triompher les idées d'aventure sans
voir étouffer les idées supérieures qui proviennent des
céder ainsi l'em-
croyances et des traditions? Comment
pire aux hommes de lettres sans Fôter aux hommes
d'Etat? Quoi!1 la littérature (qu'il ne faut point confon-
dre avec les belles-lettres) subjuguera l'esprit humain,
s'emparera de l'opinion? Au lien d'ouvrir le passage
d'en haut, on le livrera aux
aux lumières qui arrivent
sentiments vulgaires, aux opinions communes, à ce qui
vient d'en bas! On portera le déclassement jusque dans
la pensée!
La littéE~ture, pas plus que la science, ne saurait se
détacher des grands principes sans tomber et sans en-
traîner les esprits. Aussi le premier acte de la littérature
moderne fut d'attaquer la Théologie et l'aristocratie, la
science sacrée et la propriété. Les Etats croissent sur
S
U~T.
deux racines, ilne faut pas les leur couper. Chansons,
drames, journaux; romans licencieux, économiques, histo-
riques ou politiques, tous nos produits littéraires ont-ils
fait autre chose? La littérature fut la plus large brèche
ouverte à la Révolution. La politique ne doit pas plus
abandonner son sceptre à la littérature qu'aux sciences
de second ordre.
Au reste, ces rumeurs échappées de l'obscurité cou-
vrent la voix de la vraie poésie; ce sifflement du mé-
diocre et de l'envie vient se mettre à la place des
grandes conceptions. Où sont en France les chefs-d'œu-
vre, où se tiennentt les belles-lettres, depuis que tantt
d'esprits veulent plaire à la foule, depuis que la pensée
n'a plus sa source dans la Théobgie et que le goût n'a
plus !a sienne dans la classe élevée ? Parce que les sciences
sacrées, la politique, la philosophie, la jurisprudence et
l'histoire auront le pas sur la littérature, ne croyons point
que la voix de Corneille ou celle de Chateaubriand restera
étouffée. Le génie est une mission il croit comme les
sentiments, et il éclate comme un fait. Corneille obéissait
à une vocation intérieure aussi difficile à détourner que
celle de S. Vincent de Paul.
C'est la vocation extérieure, celle que provoquent la
folle gloire et le désir du gain, qu'il faut précisément
réprimer. Que de nouveau les peuples se prennent à
écouter celui qui entend nuit et jour, au fond de son âme,
un écho de la grande Voix Qu'ils méprisent ceux qui,
empruntant !es lambeaux sacrés que leur prêtent les
langues, font un métier de caresser les sottises vulgaires,
d'étaler les plaies de leur cceur ou d'exalter les plus
pauvres idées! Surtout, de grace~ que la littérature ne
soit plus un métier! Pourquoi ravir tant d'hommes à la
pioche ou au marteau? La Providence ne permet d'enle-
ver qu'un petit nombre d'hommes aux occupations ordi-
naires dont. elle a rempli cette vie.
Notre révolution, fille de nos littérateurs, ne compte
que trop de visionnaires disposés a rétablir la Convention,
dont les héros furent glorifies dans leurs romans et leurs
histoires! Non-seulement Dieu, non-seulement le Pouvoir,
mais la famille, la propriété, et jusqu'au nom que porte
l'homme, devaient cette fois disparaître pour plaire à ces
littérateurs~.
Aujourd'hui la science, de même que la pensée, est
comme un pont interrompu t'homme disparaît avant
d'atteindre l'autre rive. Et à cette heure ceux qui ont !e
plus de science ont vraiment le moins de lumière. Ces
connaissances physiques, dont le champ semble d'abord
si vaste, ont réduit la raison et abaissé les sentiments.
Echappons donc à cette tyrannie rebutante Une âme
libre et née pour l'Infini doit puiser plus haut ses mobiles.
Ce ne sont pas d'abord les idées qui font l'homme, ce
sont les sentiments il faut bien qu'il dépasse la terre 1
Au reste, les idées elles-mêmes partent du cceur, du foyer
qui reçoit la lumière et où la volonté prend son élan. Les

(i) Le rédacteur en chef du journal le plus répandu en France proposait


un matin d'échanger tous nos noms contre des numéros 1 Aimi le calendrier
de 1791 remplaçait les noms des saints par des noms de tégumes. L'idée
venait d'un plus grand maître. Bonaparte enleva à nos régiments les noms
des provinces qui les fournissaient pour leur donner des numéros. Pour
rendre les hommes égaux, il fallait bien les niveler et les désigner par des
chiû'res 1
a Quoi, s'écriait aussi M. Thiers en 48, nous avons & défendre h famille!
uous avons a défendre la propriété! Quoi 1 c'est là ou nous en sommes! n
Pour éprouver ce genre d'etonnemeut, il fallait avoir été homme d'Etat sous
Louis-Phiiippe.
idées qui ne peuvent étendre la
vue de notre âme ne
servent qu'à l'aveugler. Les grands sentiments font Jes
grandes pensées, comme ils font les grands hommes; ils
sont le véhicule de l'esprit. La distinction, chez l'homme,
repose moins sur la vivacité de son intelligence que sur le
degré des sentiments, qui en élèvent la portée.

CHAPITRE XXXV.
Les grands sentiments se placent avant les sciences.

Tout esprit distingué vient d'un cœur bien placé. Un


cceur droit, dit iui-méme Rousseau, est le premier organe
de la vérité. Si l'étendue d'esprit aujourd'hui devient
rare,
cela tient certainement à la petitesse des caractères, qui
tient elle-même à la stérilité des consciences. Le moi chez
nous a pris la place des idées rationnelles. On perd même
le jugement; on ne distingue plus,
en général, les rai-
sons des sophismes. Aussi la vérité paraît exagérée les
esprits ne peuvent la porter.
Plus de principes, et de là plus de grandeur, plus d'in-
dépendance dans la pensée les hommes restent victimes
des milieux qu'ils traversent. Partout les esprits sont si
faibles, que des mots accumulés sussent
pour les séduire
et les mener bien loin. Les intérèts de l'ordre le plus
élevé et les plus petits avantages, le meilleur et le pire
se
confondent pour eux.
Les idées ont pâli. Si Dieu envoyait
un prophète, un
homme qui déchirât la nuit par un éclair éblouissant,
on
dirait simplement Cet homme est très-exagéré! L'intel-
ligence a corrompu ses voies, l'obscurité s'étend, la vérité
diminue au point de donner de Fe~roi.
Cependant le jour vient où les hommes mépriseront les
livres; ils repousseront ce vide rempli par l'erreur. Nous
parlons des livres modernes, tout pétris de néant et de
prétentions. Dégoûtés et pleins de dépit, les esprits re-
viendront à ces écrits sublimes où Dieu, où l'âme, où
les grands sentiments prennent place avant nos petites
sciences, surtout avant nos songes creux.
L'homme s'imagine qu'il fait la vérité: comme s'il
avait pu être placé sans elle sur la terre! Son esprit ne
peut le sauver. Non, ce n'est pas la science qui fait
l'homme; et c'est parce que les sentiments viennent d'en
haut, parce qu'ils naissent du contact journalier de la
grâce et de la liberté intime, qu'ils sont ce qu'il y a de
pl us estimé en nous et ce qui rend toujours un ~omme
hiérarchiquement supérieur. Y substituer les idées scien--
tifiques, le mécanisme, les méthodes, c'est meurtrir notre
nature, mettre sous un niveau ce qu'il y a de plus spon-
tané, de plus divin et de plus libre.
Les méthodes et les sciences ont leur place; et elles
vaudraient peu néanmoins si on croyait pouvoir les aborder
c'est conspirer
sans peiner La vertu n'étant point facile,

f<) Les expédients, les méthodes faciles font tort notre liberté. On les
emploie dans les écoles pour élever les enfants an niveau des idées techni-
ques de leur époque; il ne faut pas y soumettre les hommes. C'est leur ôter
toute spontanéité, c'est éteindre tonte flamme, bannir !c règne de i'ame,
Hb&tardir la société, pour en faire plier les branches jusqu'à terre. Enfin
c'est rendre les hommes impropres a la civilisation,qui n'est que le triomphe
de l'enthousiasme sur l'6goïsme. du cœur sur la fatatite..
On a vu les peuples savants tomber du char de ta civilisation pour n'y
plus remonter.
sur tous ies points pour la décadence de l'homme, que de
prétendre encore ici lui appliquer des moyens faciles.
C'est le traiter comme un cheval. Dieu offre ici-bas l'obs-
tacle il n'y a de grand que celui qui sait le franchir.
Partout les hommes n'ont de valeur qu'autant qu'ils
s'élèvent au-dessus de la terre par leur élan, c'est-à-dire
par leurs croyances et leurs vertus. Les lier au sol est le
terme de la stupidité. Ici, l'homme s'egarcra-i-i! au point
de souhaiter sa défaite? Au moment de la mort, quand
nous entrerons sur le seuil des lois immuables, que nous
verrons le monde si petit, nous serons pris d'un effrayant
regret d'avoir perdu ce faible instant qui, dans l'éternité
sans rives, fut offert à notre liberté..
Cultivons les grandeurs de notre âme Que les sciences
et l'étude de la matière soient une occupation et non l'objet
d'un culte. Toute civihsation doit posséder les choses d'uti-
htc prémière. On doit honorer les savants et les enrichir,
mais non leur confier le sceptre de nos âmes. Quand agi-
rons nous donc en hommes
Mettons ce qui est de Dieu, ce qui est de Famé,
autrement dit les sentiments et la raison, au-dessus de la
pure science..Nous ne diminuerons pas la lumière en nous
rapprochant de sa source. Alors nous comprendrons ce
qu'a fait le passe, autrement dit le genre humain aidé de
Dieu. Reconduits par l'histoire au sein' des vérités pre-
mières, nous comprendrons et le Pouvoir et sa haute ori-
gine, et les grandeurs de notre obéissance et celles de nos
traditions nationales. C'est à la vérité, et à la Foi qui la
contient, que Dieu confia les nations.
Cette terre n'est point tout ce qu'il faut conquérir, mais
ce qu'il faut mettre sous nos pieds. Déclarer deyce monde
de quel côte est Dieu, et s'y porter, voilà la liberté. Pour
joie est d'obéir à la
tout être, la gloire aussi bien que la
loi qui lui vient avec l'existence..
Par son essence, par cette liberté céleste, par ce pouvoir
lui montre
de faire le bien, l'homme dépasse tout ce qu'on
la terre. La politique évidemment n~est point sa grande
sur
loi, mais elle est la garde d'honneur de cette loi sacrée.
La politique est la voie transitoire bordée d'un parapet
déchue.
contre lequel vient s'appuyer la nature

CHAPITRE XXXVI.

Devoirs des gouvernements pour rééditer l'homme et ta Société.

Pour échapper à {'esclavage du médiocre et de l'erreur,


vic dans le
rouvrons les sources de la pensée, reprenons
sein du christianisme, plongeons de nouveau nos racines
dans le sol de la vérité.
L'homme s'est vu démoli sur tous les points par la
Révolution. Chute de la raison, abaissement du cœur,
abolition du mérite, renversement des droits acquis, dès
lors de la propriété, par suite, de la famille et de l'héré-
dité, conséquemment de la Société, cette Révolution est
humaine..
un écroulement de la nature
C'est non-seulement ici la chute de la France, mais la
chute de l'homme sa liberté ne lui est plus nécessaire et
vertu est superflue. Dès lors il lui est inutile de s'élever
sa
le travail et de grandir en faisant le bien. Ici, la
par
Société ne lui en offre ni les merveilleuses occasions, ni
les légitimes récompenses. C'est un cataclysme. total, un
PUEMiËRK PARTIE.
retour à l'état sauvage. Catastrophe d'autant plus redou-
table, que l'homme se croit enlevé par un char de triomphe
vers le faîte de sa grandeur, alors qu'il roule dans l'abimc.
avec un bandeau sur les yeux.
On ne redressera l'homme,
on ne refoulera l'orgueil
qu'en mettant à la place de ce dernier la véritable liberté.
Substituons enfin la liberté des <<x~ de Dï'cM à celle
des enfants de l'orgueil P La Révolution tient
au mal le
plus profond de la nature humaine. Les
moyens ordinaires
de la politique ne sauraient plus suffire. Il n'y
a que deux
forces aujourd'hui dans le monde l'Eglise et la Révo-
lution. Il faut se. défendre avec l'une
pour ne pas suc-
comber sous l'autre..
Pouvons-nous le nier? FEgHse seule possède le remède
et peut sérieusement nous donner les secours dontt
nous
avons un si urgent besoin. En outre, elle seule peut nous
les appliquer. Mais il faut que
nous le voulions, et il faut
que l'Etat s'y décide 1. Que l'Etat, s'il ne veut pas nous
perdre, recoure donc.àJa seule médication efficace dans
un si terrible moment
L'Eglise connaît ses devoirs, et nu! parmi
nous ne
saurait lui tracer ses fonctions divines. Dirigeons donc
toujours notre attention sur les devoirs qui incombent
aux
gouvernements; qu'ils sachent les servitudes dont les
opprime la Révolution, et qu'ils rentrent dans leurs obli-

L'Eglise, en France, ne peut ni parler, ni enseigner, ni posséder,


(d)
ni
s'associer, ni marier les vivants, ni inhumer les morts
sans percer le réseau
d'une loi tracassière. dont rartide ï~ est conçu de la sorte
« Aucune
bulle, Bref, rescrit, décret, mandat, provision, signature, ni
autres expé-
ditions de Rome, même ne concernant que les particuliers, pourront être
ne
reçus, publiés, imprimes, ni autrement mis à exécution sans l'autorisation
du gouvernement. Art. ï' des Or~t~MM.
gâtions véritables, s'ils veulent sauver leurs peuples
Puisqu'on a versé tant de sang pour rapprocher la
Société d'un état soi.-disant de nature, le premier devoir
des gouvernements est de déclarer, dès le début, que les
hommes ne sont pas issus de la nature que leur origine
n'est point sur la terre, à la façon des animaux, qu'elle
est en Dieu, à la façon des anges. t

II est urgent dès lors que les gouvernements fassent


hautement profession de la Foi catholique, en présence
de leurs peuples. Ils n'ontt que cette affirmation pour
abolir officiellement l'imposture de la' Révolution fran-
çaise. Les Etats qui ne feront pas loyalement et courageu-
sement cette protestation, se verront, dans un temps plus
ou moins rapproché, enveloppés dans les plis du men-
songe, puis victimes de l'orgueil et de la barbarie dernière
.qui, sous le nom de césarisme ou de socialisme, s'empare
en Europe des populations dépouillées de la Foi.
Confessons donc publiquement que les erreurs poli-
tiques dont nous sommes affligés proviennent toutes de ce
qu'on a universellement perdu la conception de l'Ordre
surnaturel.
Est-ce que l'Ordre surnaturel ne s'impose pas à une
Société comme il s'impose à tous ses membres? Une Société
peut-elle être en rupture légale avec Dieu sans que tous
les liens sociaux ne se rompent? Sans l'Ordre surnaturel,
qui pourra soutenir ici la nature?.
Les nations ont été ébranlées et les Etats ont succombé
parce que les hommes n'ont plus vu que l'Ordre surna-
turel est la pierre angulaire de l'ordre européen. Car la
vie ici-bas, avec sa constitution dans la Société humaine,
n'est que l'exacte et auguste préparation des âmes à la vie
éternelle et définitive.
Comment dissimuler cela? Pouvons-nous détacher ce
monde de son centre éternel? Pourrait-on retirer ce globe
dn système solaire? Pourquoi tenter plus longtemps l'im-
possible en voulant détacher de l'Ordre surnaturel une
Société qui se compose d'êtres appelés depuis six mille
ans à l'Ordre surnaturel?
Alors, comme ces êtres sont placés sur la terre pour
mériter, pour y faire valoir leur nature, y déployer leur
liberté morale au moyen de libertés publiques et privées,
puis même y acquérir par là des mérites et des droits
terrestres, les gouvernements protégeront, garantiront les
sources de ces libertés et de ces droits réels, qui doivent
rétablir la civilisation et assurer son entier développement
à !a nature humaine.
Mais, dit ici le libéralisme, fonder les droits sur le
mérite acquis et non sur la pure nature, placer les droits
de l'âme avant les droits du citoyen, rendre à la Foi son
rôle jusque dans l'ordre politique, n'est.-ce pas rétablir
l'ancien régime? Oui, dans ce qu'il y a d'éternellementt
légitime, et non dans les abus, qui furent une flagrante
violation de son principe et de ses lois.

CHAPITRE XXXVII.
L'ancien régime et le nouveau.

La Société, en fin de compte, est une association des


hommes les pins distingués et les plus éc!airés, s'exerçant,
avec l'aide de Dieu, d'amener à leur niveau les autres.
Elle offre tout au moins un établissement d'honnêtes gens
ayant intérêt à étendre le règne de la justice, pour assurer
la paix aux hommes et les mettre à l'abri des méchants.
Car il existe des bons et des méchants et ces derniers,
dès qu'on les laisse faire, deviennent ce qu'il faut appeler
des coquins'
Souvent on dit: Qu'est-ce que l'ancien régime? Eh
bien, c'est celui où les honnêtes gens, placés à l'abri des
coquins, s'appliquaient à en diminuer le nombre. Et
qu'est-ce que le nouveau? Celui où les coquins, devenus
plus nombreux que les honnêtes gens, ont fini par
échapper à leur pouvoir.
Ils les ont d'abord ramenés sous la loi commune pour
les annihiler; ils les ont ensuite égorgés pour étouffer
leur voix et posséder plus sûrement leurs biens. En enten-
dant proclamer de grands mots, toute une classe d'hon-
nêtes gens séduits a voulu se mêler de l'affaire, et ce fut
de science, d'argent et de
un malheur; car cet appoint
bonne intention apporté aux coquins,'n'a servi qu'à les
faire triompher2.
Ils ont dépouillé la première puissance civilisatrice, la
meilleure, la plus grande, FEglise. De là, pour évincer
des rois qui gouvernaient au nom de Dieu, ils ont attribué
la souveraineté au peuple, autrement dit à l'homme. Il ne.
leur reste plus, à cette heure, qu'a dépouiller ce qui sub-
siste encore d'honnête, ce groupe de bonnes familles qui,
représentant le travail ou Fépargne~ la vertu ou les lois,

(<) II faut bien appeler coquins, les malfaiteurs de la pensée, bientôt


suivis par les voleurs, les egorgeura et les incendiaires!l
(2) « Comment faire une Révolution, disait Ledru-RoHm en 1852, sans
le secours d'un certain nombre de ~ens intéressés a.
l'ordre, mais séduits
[nomentancment par un sophisme social? c
la religion, la charité, l'honneur, souvent seul la civili-
sation croulante. L'Eglise, le Pouvoir et l'Aristocratie étant
aujourd'hui abattus, les coquins détruisent actuellement
le peuple, c'est-à-dire, le pervertissent. Après cela, it
ne
reste rien on s'affaise dans l'anarchie pour disparaître
sous la conquête.
En un mot, l'ancien régime était celui ou le bien, mis
à l'abri du mal, travaillait à s'étendre
sur tous les hommes;
ie nouveau est celui où le mal, armé de tous les droits,
entraîne la ruine des âmes et celle des nations.
Le plus grand intérêt des hommes et des rois fut tou-
jours d'empêcher les coquins de s'entendre, surtout de
se
multiplier. Le jour où ces derniers deviennent les plus
nombreux, ils ne peuvent soufrrir qu'un honnête homme
règne. Témoin 1830, où les hommes sans Foi, devenus
le grand nombre, ne purent supporter de voir
se gouverner
par l'homme le plus loyal et le plus paternel du royaume.
Témoin plus tard i848, où, encore plus âpres
que les
libéraux, tes'républicains n'ont pu souffrir de
se voir
gouvernés par un bourgeois, leur marchandant des droits
qui leur semblaient acquis. Témoin enfin la révolution
actuelle, où ceux qui convoitent, non plus des libertés,
mais les propriétés, non plus des droits, mais tous
nos
biens, se hâtèrent de secouer le joug de l'homme qui
pensait devoir défendre encore l'hérédité et la propriété
pour assurer la perception de ses impôts.
Ces derniers sont donc les plus coupables? Pas
encore ces derniers sont des hommes formés dans l'igno-
rance, pressés par les erreurs, par les passions, par les
besoins. Les grands coupables devantt Dieu (confessons
tous aujourd'hui nos fautes 1), ce sont d'abord ces gentils-
hommes qui, frustrant l'antique admiration que leur por-
tait la fouie, inaugurèrent sous ses yeux l'impiété et
l'immoralité; ce sont ensuite ces prêtres et ces rois qui,
marchandant par leur gallicanisme le respect et la sou-
mission au Vicaire de Jésus-Christ, et trahissant la véné-
ration,qu'avaient pour eux les peuples, leur ouvrirent les
routes de la desobéissance; ce sont enfin ces bourgeois
versant au sein des masses, qu'ils devaient bientôt ex-
ploiter, l'esprit de facétie, l'esprit de couardise et l'esprit
de cupidité.
L'esprit de facétie a dissous chez eux les idées, détruit
l'en,thousiasme., immolé le sublime. L'esprit de couardise
leur a fait écarter leurs fils du service militaire et du ser-
vice sacerdotal. Et l'esprit de cupidité, d'intérêt trop bien
entendu, qui sera la dernière sagacité du monde, a réduit
aux mœurs des Juifs les habitudes de la race française~.
Le monolithe prodigieux de notre société chrétienne,
délité vers de haut, est allé en 'se divisant jusqu'à terre.
Mais à cette heure, déclarons homicides ceux qui, rede-

(1) Mis la mode par- Voltaire, pour attirer les rires grossiers sur la Foi
&

et sur Jeanne d'Arc, l'esprit, ou ce qui porte ce nom en France, fit surtout
irruption en 1830. Du sublime au ridicule il n'y a qu'un pas, que le sot
est toujours disposé à faire. Laisserait-il échapper l'occasion de ravaler les
1
choses élevées ?
'?
L'homme devrait avoir honte de se laisser ainsi dégrader lui-même. Le
beau plaisir, de faire jaillir à tout propos un rapport absurde entre des
choses qui n'en ont pas, de dépraver nos facultés, de fausser notre intelli-
gence Comment aimer à voir mettre toute notre âme en caricature?
L'art de faire grimacer la pensée pour obtenir l'attention du vulgaire,
a été un des plus terribles moyens de dépression morale. Ce ne fut pas
un de ses moindres chefs-d'œuvre, d'avoir donné le jour à toutes les igno-
minies de la caricature. Il a fiai par réduire l'homme et ses manières à ce
je ne sais quoi qui fit dire à ut) étranger venant de visiter Paris a J'ai cru
voir des maisons de fous habitées par des singes.. o Que ce reproche, evi-
demmeat outre, nous serve de teçou 1
vables à Dieu de l'existence sociale, veulent la Société
sans
Dieu ceux qui, redevables à Jésus-Christ de la famille,
de la moralité, de la sécurité, de la propriété et de l'invio-
labilité personnelle, veulent effacer
son nom de l'ordre
politique; ceux qui, redevables
au droit chrétien des
moeurs dont ils profitent et de la supériorité de nos lois,
chassent le christianisme des lois, du droit, des
mœurs,
de la famille, de l'éducation, du cœur de tous les hommes
ceux enfin qui, à quelque rang qu'i!s appartiennent, tra-
vaillent par l'indifférence, par le mépris,
par la haine ou
par la violence, à bannir une religion doù leur viennent
si gratuitement les biens dont ils
se voient comblés! Mal-
heureux qui, ne voulant soun'rir au sein des hommes
aucune
supériorité, aucune hiérarchie répondant aux mérites
acquis, vont droit à l'écrasement de l'homme ~et du
corps
social, et qui, si on les livrait à eux-mêmes, crouleraient
dans l'état sauvage.
Mais ils commencent à avoir conscience de la lumière.
Ils sentent que leur esprit les trompés, ils
a sont surpris
de se trouver les ouvriers du ma! L'humanité
en larmes
les adjure d'ouvrir enfin les yeux, de
ne pas se faire plus
longtemps les meurtriers de leurs semblables et de la
Société.
CHAPITRE XXXVIII.

Le danger peut renattre d'une alliance de l'erreur avec la vérité.

Trop de cœurs honnêtes resten-t encore séduits par l'idée


révolutionnaire. Or l'erreur la plus nuisible est celle qui
est la plus voisine de la vérité. Déjà mortelle pour les
esprits cultivés, comment cette erreur serait-elle sans
danger pour la fou!e?
Si, en donnant à l'erreur le nom et l'aspect de la vérité,
le libéralisme pur a produit la Révolution, le libéralisme
catholique, en faisant contracter à l'erreur un mariage
La
avec la vérité, perpétuerait la source de nos maux.
politique n'est pas la religion, et néanmoins elle ne saurait
sein de
se désintéresser des âmes. Peut-elle donc, au
l'ordre social, les placer dans une illusion qui les mène
à l'orgueil, puis à toutes les conséquences de la Révolution ?
On ne peut sauver la France qu'en substituant une
politique complétement chrétienne à la politique révo-
lutionnaire. Or les catholiques libéraux ont pris le prin-
cipe de la politique révolutionnaire pour celui de la poli-
tique chrétienne! C'est pourquoi le Saint-Siège ne cesse
de nous dire que de tels catholiques sont les plus dan-
gereux des révolutionnaires.
Ce sont les justes qui s'égarent, quand ils se trouvent
la même route que les hommes d'iniquité. De tels
sur
esprits sont d'autant plus à redouter, que tout en répu-
diant avec chaleur les impiétés et les crimes qui suivirentt
89, ils proclament. les principes qui, traduits par la foule,
conduisent ostensiblement à la sécularisation de l'Etat, et
de là au triomphe de la commune. Comment la jeunesse
se mettrait-elle en garde contre des orateurs honnêtes et
brillants, aspirant aux progrés de l'humanité, et deman-
dant la liberté pour tous? C'est leur négation du point de
vue théologique qui les engage ainsi dans la Révolution;
c'est donc vers cette question qu'il faut sans cesse les
ramener.
Quand la Révolution a primitivement écarté le chris-
tianisme, elle croyait que tous les hommes étaient bons..
Elle ne s'attendait point à les voir en proie à des passions
qui rendraient la Société naturelle impossible, la force et
tous ses inconvénients plus nécessaires que jamais. La
Révolution pensait qu'en l'absence des constants efforts
de la religion, elle allait rencontrer la. justice et la frater-
nité chez l'homme. Elle comptait sur une innocence ori-
ginelle, et c'est ce qui a fait manquer ses plans.
Aujourd'hui les catholiques libéraux croient aussi que
les hommes, sans tutelle, sans contrainte morale, laissés
libres, ou livrés plus complétement à leur propre nature,
arriveraient à l'âge d'or de la Foi, de la vertu et de la
politique. Ils jugent évidemment les autres d'après eux.
Tous les hommes sont bons, tous les hommes se portent
vers Dieu, tous les hommes sont frères, ils doivent être
égaux, ils n'ont point de passions funestes, et il faut se
garder devant eux de protéger ouvertement la vérité, de
crainte d'offusquer leur liberté de conscience! Dieu, d'ail-
leurs, n'a pas à s'occuper de questions politiques Pas
plus que le clergé, il ne doit intervenir, ni du moins se
rendre trop ostensible, dans l'établissement des Sociétés
humaines Il éloignerait des consciences qui se portent
vers Lui sans avoir besoin de tant d'appels. etc.
On le voit, en politique, les catholiques libéraux sont
des esprits qui croient à ce qui n'est pas, et qui ne croient
point à ce qui est.. Ils nous conduisent sans y penser dans
l'athéisme social. Aussi ne peuvent-ils bannir cette idée,
que pour un peuple la vie religieuse doit être en partie
remplacée par la vie politique. Mais la vie politique se
chargera-t-elle de la formation des cœurs? Tiendra-t-elle
lieu de ces rapports vivants, efficaces, intimes et de tous
les instants, que la Foi établit entre Dieu et les âmes pour
les entretenir? La décadence dont nous sommes frappés
tient, à leurs yeux, à une certaine suspension de la vie
politique. Rendez, nous disent-ils, les peuples a la vie
politique, et ils retrouveront leur grandeur! Et cependantt
la vie politique dont ils parlent a causé notre décadence
précisément en étouffant la vie que répandait la Foi
Sans la Foi sauvegardée et publiquement reconnue,
pourront-ils, on ne dit pas faire revivre les consciences,
relever les esprits et rétablir les caractères, mais ramener
les masses à l'expérience, et les tirer du rêve qui leur
promet l'égalité, c'est-à-dire la fortune, les honneurs et
les priviléges pour tous? Un homme d'Etat qui croit en
Dieu doit croire à l'intervention de Dieu en politique,
et l'Etat, sans un suicide, ne peut mettre la Foi à l'écart.
Comment la politique, dont le but est de favoriser le bien
dans la société, se passerait-elle de la Foi, qui le fait
croître dans les âmes? Les catholiques libéraux vont donc
en même temps contre le but
de la politique et contre le
but de la Foi. Hélas! ils ne voient. pas que l'athéisme
social découle de leur conception..
On veut bien croire que Dieu nous crée et nous con-
serve, que, sublime Pasteur, il guide v~rs Lui toutes nos
âmes, et on veut laisser prendre aux Etats un chemin qui
Lb.OT. )9
les en détourne Si le catholique libérai ne parvient pas
à démeter sa positon, son tort sera toujours de se refuser
aux avis qui lui viennent de Rome; et tout serait perdu
s'il devait un jour inspirer nos gouvernements Il procé-
derait a l'égard du Pouvoir légitime comme il a procédé,
avec raison sans doute, contre le césarisme, dont cepen-
dant il était au fond le soutien doctrinal.

CHAPITRE XXXIX.
L'Etat doit condamner les points condamnés par l'Eglise.

Le crime de la Révolution est d'avoir enlevé les peuples


au catholicisme, qu'elle a fini par bannir de t'Etat; et le
tort des catholiques libéraux est de vouloir maintenir ce
bannissement..
Professer en religion les dogmes du catholicisme et en
politique les idées de la Révolution, c'est jeter les peuples
dans un trouble dont ils ne pourraient revenir. S'i! sufBt
à l'erreur d'avoir une apparence de vérité pour engendrer
les hérésies, qu'en sera-t-il de l'erreur aHiée à la vérité
même et obtenant, par cette alliance, !e droit de ne plus
s'appeler l'erreur? Parvenue à cette situation, l'erreur
pourrait achever notre ruine et hâter tes catastrophes de
la fin.
Pourquoi vouloir que les principes de la Foi le cèdent
en politique à ceux de la Révolution? Et pourquoi les
catholiques libéraux, qui nient le grand devoir qu'a l'Etat
de se rattacher à Dieu, ont-ils tant à cœur les libertés des
sectes dissidentes? Espérant toujours obtenir de la sim-
ple liberté de chacun la piété, le bien et la concorde, on
les voit tous obligés de venir :) la suite des radicaux pour
demander trois choses
i° La liberté illimitée de la presse, autrement dit, le
peuple mis en présence de toutes les erreurs 2~ la liberté
intrinsèque de la conscience, autrement dit, l'abolition de
toute profession publique de la Foi; 3~ une séparation
totale entre l'Eglise et l'Etat, ou ce qu'ils ont nommé
l'Eglise libre dans l'Etat libre.
Or l'Eglise a dû condamner
Premièrement, la liberté illimitée de la pre~e; car
ayant seule reçu de Dieu le pouvoir d'enseigner les nations,
l'Eglise ne veut pas que, chez le peuple, les âmes et les
mœurs soient la proie du premier venu
Secondement, liberté ~nm~Me de la co~cze/~c;
car quoique dans sa conscience l'homme ne doive pas être
contraint, dès qu'il a le bonheur de se voir en présence
de la vérité, il se trouve investi du devoir de la suivre et
non de la liberté de la nier
Troisièmement, ~ep~yc~o~ entre l'Eglise et
car si l'Etat, loin d'affirmer la vérité en y joignant le bon
exemple, déclare que la loi est inditîérente, la foule, plus
débile et plus imprévoyante encore, tombe de la dernière
irréligion dans la dernière dépravation'

Ces libertés, réclamées par les catholiques libéraux, ne


sont-elles pas la sécularisation mèrne de la-Société? et une

(1) Déjà se trouve indiqué au chap. XXV ce que la tradition française et


la saine politique opposent à ces. trois erreurs. Les mêmes solutions néces-
sairement reparaissent; eUes tirent leur identité de celle de la vérité 1
telle sécu!nrisation ne la plonge-t-elle point nar le fait
dans l'athéisme social? Comprenons que le droit absolu
de croire tout ce que l'on veut a pour conséquence pra-
tique le droit d'agir comme on le veut, et qu'alors, au lieu
d'être libre, la Société devient l'esclave du péché, et peu
après du despotisme, pouvoir titulaire du péché.
Aussi l'Etat doit-il condamner, dans son intérêt même,
les points condamnés par FEgnse.
Les catholiques libéraux, qui mettent l'Eglise dans les
fers, finiront par ouvrir les yeux devant l'inconséquence
de leur position politique. Tous les présents de la Révo-
lution leur paraissaient considérables, tous ses principes
éminemment avantageux Ils voyaient dans ces libertés-là
autant de libertés réei!es, et non des victoires de !'orguci!
Ils disaient que ces libertés et la Foi « étaient sœurs »
que bien comprises, elles assuraient un triomphe à
i'Eghse, une gloire à l'Etat et un progrès au genre
humain espérant bien ne rien céder sur trois faits de
cette importance. Ils étaient libéraux, ils étaient gallicans,
et ils étaient parlementaires il leur fallait la tribune, la
presse, la garantie pour tous les cultes, mais l'Eglise
évincée des lois, Dieu chez lui, l'Italie une, en un mot
tout 89. Ils ne voulaient ni de la protection accordée à
la Foi, ni de l'accroissement des Ordres, ni de l'enseigne-
ment réservé au clergé, ni de la propriété ecclésiastique,
ni des évoques sans le contrôle de l'Etat, ni de i'idoie
du Vatican sur ces points, entre la presse vénale et la
presse libérale, il n'y avait qu'une voix! On se demande
encore pourquoi ces hommes étaient si remplis de colère
contre un Bonaparte dont ils favorisaient si bien au fond
le césarisme, dont ils épousaient si bien les principes
secrets Aussi, malgré tous les éclats de leurs courroux
trop L'ttéraire~ Bonaparte s'est-il garde de les importuner,

Echappons à ces idées superficielles sur l'homme et


sur la liberté. Revenons de ce préjugé, que la lumière
qui éclaire nos âmes ne doit absolument pas pénétrer dans
les gouvernements, et que pour les Etats la loi doit
être athée. Quoi nos gouvernements se feraientt une
loi d'abandonner la foule ignorante et naïve à la liberté
de l'erreur, quand les païens disaient que fonder un Etat
sans lui donner la religion pour base, c'était vouloir bâtir
une ville dans l'air 1
L'homme peut se détruire il ne peut renverser ses lois.
Dès que l'empire de la Foi s'affaiblit, la force publique
le remplace et quand la religion s'en va, toute liberté
disparaît. Semer les idées libérales, c'est établir le despo-
tisme. Quand ce n'est point par la force morale, c'est par
la force matérielle que l'ordre s'établit; la première ne
peut diminuer sans qu'on ne voie augmenter ia seconde.
On dirait les bras d'une balance si la puissance morale
descend, la contrainte malérielle monte.

CHAPITRE XL.

Perndie de notre langue politique.

Ce qu'il y a de plus funeste et. de plus menaçant pour


les peuples après la Révolution, c'est la langue qu'elle a
créée. Ce qu'H y a de plus redoutable après les rcvotu-
Honnaires, sont les hommes qui emploient cette langue,
ce
dont les mots sont autant de semences pour la Révolution.
La France est trop malade, ne continuons pas de lui
donner tous les jours du poison. Depuis un siècle les
orateurs la saturent d'idées complexes et ambiguës, dans
le but de la dominer. Prontant du sens vrai que ces idées
renferment, ils les répandent sur une foule qui ne les
prend que dans un sens nuisible et faux. Qui défera les
plis du mensonge dont le peuple est enveloppé?
Ne voit-on point l'effet produit sur lui par les mots
liberté, émancipation, progrès, égalité?
Par le mot liberté, le peuple entend qu'il peut tout
faire par le mot ~a~c~c~o~ il prétend échapper à ia
tutelle de l'Etat par le mot progrès, il espère vivre un
jour presque sans travailler; et par le mot c~~e, il
exige que le respect dû au mérite disparaisse; que pour
la considération, les droits et la fortune, il soit traité
comme les grands. Et tels sont cependant les mots qu'on
persiste à lui faire entendre!
Voiià quatre-vingts ans que la foule demande l'égalité,
et les libéraux ne voient pas que c'est par jalousie et par
orgueil. Ils ne comprennent pas davantage qu'une sem-
blable égalité serait l'absence de la Société humaine.
En outre, ils viennent de nouveau dire au peuple qu'il
peut se relever, se sauver et se constituer par ïui-méme
ici le peuple entend qu'il ne doit point avoir de roi, et
qu'il peut se passer de Dieu Sera-t-il donc permis à tout
littérateur, pour'obtenir des applaudissements, de démolir
ce qui reste de notre Société française?
Ne jetons plus à la foule des termes dont on ne lui expli-
que point le sens théologique et vrai. Ils ne cessent d'engen-
drer les~idées qui tiennent les masses en ébullition et les
arrachent aux devoirs de la vie. Ainsi, avec deux ou trois
mots patrie, honneur et gloire, Bonaparte entraîna pen-
dant vingt ans la France a détruire les patries, à se désho-
injustes adressions, enfin à se couvrir, non
norer par ses
de gloire, mais de sang. Les libéraux tiennent tout de cet
homme. Faute de' posséder ses ressources, ils s'emparent
d'expressions capables de soulever les peuples ce sont pour
autant de moyens d'acquérir la poputarité, et dès lors
eux
autant d'instruments de domination.
Si nous voulons servir notre pays, il y a un autre lan-
à la France,
gage à tenir. Si nous voulons porter secours
d'enlever quelque lam-
au lieu d'exploiter ses malheurs et
beau à ses dépouilles, laissons ces expressions à double
qui agrandissent ses blessures. Rejeter fièrement la
sens
langue déloyale, voila désormais à quoi on connaîtra
l'homme de cœur
La France ne manquera pas d'hommes pour lui dire
que si elle n'a pu se lever tout
entière pour repousser son
ennemi, c'est parce qu'elle a été privée de liberté. Mais
où sont ceux qui lui diront que c'est parce qu'elle a rejeté
refusé le respect à ses prêtres, détruit ses
ses croyances,
devoir? Pour trouver
mœurs, perdu l'instinct généreux du
des applaudissements et s'emparer de l'opinion, on prou-
responsable de l'état de la
vera que Napoléon seul est
France Et ils diront qu'ils ont du cœur!.
Après avoir détruit les provinces en France, ils ne man-
queront pas non plus demain de jeter à la foule mot
le
Décentralisation, s'il devient populaire! mais sans dire les
grand fait impose.
nouveaux et importants devoirs que ce
Evidemment la centralisation des pouvoirs nous a été mor-
telle, mais c'est surtout parce qu'elle facilitait l'effusion
toute la France des erreurs préparées dans Paris.
sur
Evidemment, elle nous a été funeste, mais c'est parce
qu'elle permettait à l'action d'un souverain révolution-
naire de s'exercer jusque dans le dernier hameau. Evi-
demment elle nous a perdus, mais c'est
parce qu'elle
attirait au centre toutes les ambitions du pays, entre-
tenues dans un état d'incandescence par la Révolution
parce qu'elle y accumulait toutes les forces de l'erreur
muttiph'ées par toutes tes puissances du md! La centra-
lisation a étouffé l'aristocratie et éteint la vie politique
en
province; mais, est-ce la centralisation qui
a dit à la
France d'abandonner ses mœurs, de renier tous les prin-
cipes, de remplacer l'honneur
par la cupidité? Est-ce la
centralisation qui a mis nos armées
en déroute et attiré
sur nous !a colère de Dieu ?

(<) La centralisation, autrement dit abolition de la province, organise


RD une nuit par le pouvoir révolutionnaire, a&te le châtiment de l'ambition
individueHe,laquelle rendait désormais t'nccord entre les hommes impossible
.jusque dans la moindre commune. Elle imposa l'ordre extérieur chez
un
peuple d'où l'ordre intérieur avait tout à fait disparu. Quand les liens
sociaux sont rompus, il faut qu'une puissante institution supplée telle
y
fut la CHntra)isation.
Mais quand on saura de quelle résurrection la décentralisation
doit
être le signal, plusieurs de ceux qui la réclament s'empresseront de la
desapprouver.
Il faut rendre aux communes de France la vie municipale
que cinq gou-
vernements fondés par le libéralisme leur avaient retirée. Mais il
y a plus
à faire seule, la vie municipale ne serait qu'une vie de décomposition,
si
elle ne rentrait point dans te tout organique au moyen de la vie proviociate.
Celle-ci est la véritable vie politique que lui a ravi la Dictature révolution-
naire préparée par 89 et accomplie par 93.
Dans ce pays pulvérisé par la Révolution, il faut rétablir à la foi3 la
vie de famille, la vie municipal, la vie provinciale; mais surtout la vie
de la Foi, qui est celle des esprits. La véritable vitalité est celle des êtres
moraux composant la nation vitalité des croyances, des principes et des
mœurs, vitalité des consciences 1
Nous retomberons dans la mort libérale si uous proclamons qu'avec ta
Au reste, c'est avec joie que nous nommons ici la
décentralisation car il nous faut maintenant passer de
la reconstruction de l'ordre social à la reconstruction de
la nation française.

0 France tu sauras qu'il te vient des hommes de cœur


lorsqu'on cessera de te flatter et d'employer des. équi-
voques. Ton peuple ne pourra ni se sauver, ni se cons-
tituer sans Dieu. La paix ne reviendra qu'avec Lui.
N'entends-tu pas le Dieu qui dit Je ne rentrerai près
de toi que lorsque tu briseras tes idoles, que tes banquiers
le jour de
ne seront plus tes maîtres, que tu sanctifieras
mon repos, que tu honoreras mes prêtres, que partout mes
évoques s'asseoiront au-dessus de toi. Je ne te dis point
de quitter tes demeures, de te couvrir de cendres et de
finir tes jours au milieu de la pénitence pour avoir si long-
temps outragé ceux que je t'envoyais mais je reviendrai
près de toi quand tu diras Comme ils sont beaux sur la
montagne les pieds de ceux qui viennent évangéliser les
nations quand tu embrasseras les mains des religieux
que je te donne pour relever ton âme et réchauffer ton
cœur; quand ton admiration se répandra comme une
pluie de fleurs sur les vierges dont j'ai fortifié les mains
pour qu'elles puissent soulager tes misères, et quand tu'
demanderas à mes prêtres des instituteurs pour tes fils..
Je reviendrai quand tu arrêteras les cris de cette presse
indigne qui veut étouffer la voix de l'Eglise; quand pour
satisfaire ta cupidité, tu n'enlèveras plus aux chaumières
les bras que j'ai donnés aux champs quand l'or ne sera

décentralisation les peuples apprendront il se ?auver, a se relever et & se


constituer exclusivement par eux-mêmes, etc.. etc. Qu'ils apprenuent
d'abord à ne pas se renverser eux-mêmes.
plus le dieu auquel ton âme se sacrifie, auquel se livre
ia conscience, auquel se prodigue l'amour; quand tu
cesseras de me bannir de tes sciences, de ton pouvoir et
de tes lois pour dire au peuple dans ta démence Mon
souverain, c'est toi! Peuple de France, je reviendrai
quand tu déclareras ton crime, quand tu avoueras que je
suis ton Dieu, quand tu reconnaîtras ton Roi
DEUXIEME P A KT! E

BASES RÉELLES DES LIBERTES.


P ~F~ RtTï
DAorj!) at'jUtijLLô ï
F~ r~F~ ~FRT~\
ULo ijiMjUiijô.

CHAPITREI.
lesdroits
Remplacer véritab)es.
fauxparlesdroits

Passons de la reconstruction de l'ordre social à la


reconstruction de la nation française.
il est visible que la Révolution procède d'une erreur
sur l'homme et d'une erreur sur notre liberté. Comme ces
deux erreurs sont issues de l'orgueil prenant le nom de
liberté pour régner chez les hommes, notre marche est
tout indiquée. Séparer, dans les faits, cet orgueil d'avec
la. liberté, puis écarter l'orgueil pour rétablir la liberté,
telle est en ce moment l'essence de la politique.
A côté de l'homme réel, il y avait donc l'homme faux,
inventé par la Révolution, comme à côté de la Société
vraie, il y avait la Société fausse qu'elle avait établie.
Egalement, à côté de la liberté légitime et libératrice, il
des
y a une liberté illusoire et tyrannique. Enfin, à côté
droits réels qu'il1 importe de garantir, il existe des droits
trompeurs et destructeurs de la nature humaine. Voilà
pourquoi la politique est à refaire.
Elle consiste, premièrement, à échapper aux artifices
et aux violences de la révolution secondement, à ré-
pondre aux besoins et aux développements de la nature
humaine.
La Révolution entraînait l'abolition de l'homme; et c'est
parce qu'elle fait porter la politique sur une continuelle
équivoque, que cette science en ce moment est. diÛici!e,
et que sa langue exige la plus grande sincérité. Ce dernier
point est celui sur lequel nous devrons apporter toute
notre attention.
La Révolution eut pour fondement l'utopie, pour rhé-
torique le mensonge, pour adeptes les envieux, pour
véhicule notre orgueil, et pour terme notre abaissement.
Ses idées sont l'inverse de celles qui président aux fonc-
tions du corps social et au développement de l'homme.
On s'étonnait de la fatalité qui porte la Révolution à
répandre le sang. C'est oublier que chez nous la plupart
des crimes sont le résultat de l'envie or la Révolution
n'est que l'application sociale de l'envie. Elle triomphe,
au reste, parce qu'il n'est aucun des péchés capitaux
auquel elle n'ait souscrit une promesse~.
La politique doit au contraire prêter main forte à la
moralité humaine. Sans parler de nos vérités travesties
en erreur, la politique doit venir détruire les fausses li-
bertés pour nous donner les véritables, réintégrer les droits
réels pour nous affranchir des droits dérisoires.
Les véritables libertés sont celles qui concourent au
développement de la nature humaine; et les fausses sont
celles qui compromettentnos facultés et nous abâtardissent.
A leur tour, les véritables droits sont ceux qui, tout en

(i) Luther s'empara d'une moitié de l'Europe en permettant un vice, père


il e~t vrai de tous les autres. Mahomet, en en permettant deux
ou trois, put
s'emparer de la meilleure portion de l'Asie. Comment, en les permettanttous,
la Révolution ue réussirait-elle pas à s'emparer du monde?
protégeant la faiblesse, garantissent les biens acquis par
l'exercice des libertés; et les droits faux sont ceux qui,
détruisant et ces biens et ces libertés, amènent le dépé-
rissement de la nature humaine et la chute de la Société.
Elevons-nous enfin à une politique réelle, remp!açant
un germe de mort par celui de la vie nationale substi-
tuant des libertés publiques et privées, inhérentes aux
peuples qui grandissent, à une prétendue liberté politique
qui conduit à la servitude les nations et les individus!1
La liberté! c'est nous qui l'apportons. Dérobons à la
Révolution son arme redoutable et gardons-la dans notre
camp!

Par la plume d'un de ses écrivains, le libéralisme croyait


formuler ainsi son programme « Au fond, tout se réduit
» à deux conditions,
laisser à l'individu la pleine jouis-
sance de ses facultés, garantir ce plein exercice par des
» institutions
qui écartent l'injustice et l'usurpation~. »
Programme exact, question parfaitement posée et dont
nous venons donner la solution.. Le même écrivain ajou-
tait Voici comment j'entends la liberté Si elle n'est
» pas le bien, la chose du moindre paysan et du plus
» obscur
ouvrier, elle n'est plus la liberté. » En effet; et
c'est précisément la thèse qui doit être exposée.
t! faut comprendre cette fois dans quelles conditions
les droits réels croissent au sein des peuples, et comment
on peut procéder à une décentralisation naturelle chez
ceux que la Révolution enlace de son despotisme! Au
milieu de nos complications d'idées entremètées de tant
d'erreurs, tel était profondément despote qui se prétendait
libéral, tel était libéral qui passait pour despote..

(i) Le psr~t libéral, son Pro~ramM!e, par M. Luboulaye.


Toutefois, l'utopie ne s'est pas du premier bond placée
dans l'état de nature. Les beaux esprits, à leurs débuts,
crurent que l'on peut appliquer à un peuple une consti-
tution qui lui est étrangère~ et ils demandèrent pour
nous
la constitution anglaise. C'est-à-dire qu'au ..moment où
ils abolissaient avec frénésie toute aristocratie
en France,
ils désiraient y introduire une constitution dont les
sources
et les avantages sont dus à l'aristocratie 1
Dès lors, un mot sur l'Angleterre comparée politique-
ment à la France.

CHAPITRE II.
Ne point confondre la France et i'Angtetei're.

ne suffit pas d'échapper aux idées théoriques de la


Révolution et de passer à l'observation de la nature de
l'homme; il faut également passera l'observation de la
nature de li France.
L'engouement pour la théorie séparée de l'expérience
multiplia chez nous les beaux esprits. Nous avons certai-
nementt une infinité de personnes qui nourrissent trop
dorguei! pour vivre au sein de la Société.. Ignorant les
droits indispensables au dévcbppement de t'homme, elles
rêvent des droits politiques devant lesquels les Etats ne
sauraientt subsister. Les illusions emportentt les esprits
gonflés par la littérature, tandis que les croyances ies
auraient fixés au point de vue fécond. Ce ne sont plus
seulement les droits des citoyens que l'on demande, mais
les droits des êtres parfaits, les droits des saints, des
hommes raisonnables Mais on sont les nations toutes
composées d'hommes parfaits et raisonnables?
Pour dire vrai, les hommes s'occupent moins de l'exis-
tence de la Société que de la place qui sera faite à leur
orgueil. La Société leur semble une chose assurée; l'es-
sentiel est de {'exploiter. On parle constamment des inté-
rêts du peuple au fond chacun ne songe qu'aux siens
propres. A toutes ces âmes dans l'ivresse, il faudrait une
situation de souverain. De là vient la manie de droits
prétendus politiques, qu'elles confondent naïvement avec
les droits publics; puis, sans comprendre les conditions
sur lesquelles ces droits reposent, cttes citent constamment
l'Angleterre, qui possède en etïet tous les droits publics
que nous prenons pour des droits politiques
Avons-nous bien observé l'Angleterre? L'Angleterre a
conservé trois choses que nous n'avons p!us une dynastie
acceptée, une aristocratie respectée, et pour toutt cou-
ronner, le commerce du monde.
Les cadets de famille et les hommes actifs et intelligents
de ses classes moyennes se rendent sur ses ports, et de là
prennent leur vol dans l'étendue offerte a leurs désirs.
Sur son sol même, une agricu!ture splendide et des usines
sans nombre présentent des chemins tout frayés vers la
fortune. La sève ardenle de l'ambition trouve partout un
cours. Pouvons-nous imiter en cela l'Angleterre? Devant
elle, un espace ouvert au déploiement de toutes les per-
sonnatités derrière, le contrefort séculaire de sa dynastie
vénérée, de sa noblesse et de ses traditions nationales! Le
travail et le droit d'aînesse ont fondé !à une aristocratie
que le vice ou l'égoïsme pourraient seuls ébranler. Habi-
tudes de respect, hiérarchie, traditions nationales, grandes
familles, grande propriété, débouchés pour les ambitions,
autant d'assises pour un peuple, surtout s'il conserve sa
Foi. Au centre, une force constante; à la circonférence,
une expansion sans bornes.
En France, plus rien de semblable inexplicables pré-
ventions à régard de la plus illustre des dynasties, dédain
pour la vertu, répugnance au respect, aversion contre l'aris-
tocratie, morcellement des héritages;. chute des grandes
existences, dissolution de toutes les familles, oubli complet
des traditions une fourmilière qui passe et
repasse em-
portant le même fètu, une liquéfaction de tous les dé-
ments. Enfin, moins d'application ou d'amour du travail
et moins d'agriculture, avec beaucoup plus d'ambition
un désir universel d'arriver aux emplois, et pas de che-
mins ouverts. Sur tous les points, la place est étroitement
mesurée. Au centre, inconsistance et bouillonnement; au
dehors, pas d'issue une Hcvre intérieure, un gonflement
énorme, et point d'écoulement
Faut-il accroître en ce moment cette ambition funeste
et lui souffler des besoins plus ardents? Faut-il que les
classes en France montent les unes sur les autres, comme
deux trains de wagons qui viennent de se heurter? N'est-ce
pas ce qui arriva dès qu'on parla en France des droits innés,
qui devaient remplacer les droits acquis par le mérite; et
dès qu'au départ de la Fot, on vit s~éloigner la lumière
qui expliquait tout l'homme, son origine, sa nature, sa
civilisation, et jusqu'à l'inégalité!1
Nous avons besoin d'observer ies lois qui montrent
pourquoi l'aristocratie, la bourgeoisie et le peuple décou-
leront toujours de la nature humaine. Hors de ce point
de vue, d'où l'on saisit toute la politique, comment, en
France, empècher le peuple de monter sur la bourgeoisie,
la bourgeoisie sur l'aristocratie, et l'aristocratie sur le
pouvoir, de façon a tout écraser? Nous n'avons plus chez
nous une hiérarchie ascendante, une Société véritable,
mais un assaut. La lutte n'est plus contre la nature des
choses, mais contre les hommes eux-mêmes, pour dis-
puter des biens communs et limités. Te! est précisément
le mal auquel il faut remédier.
Peut-on laisser dans sa fatale situation un peuple qui
a détruit la province, annulé la famine, eiï'acé la com-
mune, aboli la hiérarchie ou la voie ouverte aux nobles
aptitudes, brisé l'échelle qui par la vertu é!êve vers la
vraie grandeur? Et c'est au sein de cette confusion et de
cette ébu!!ition funeste, que !'on voudrait jeter des idées
mensongères et accroître !'étan des personnalités sous
le prétexte de satisfaire ce qu'on appelle de légitimes
ambitions? Est-ce là de la politique?
Ouvrons une issue au torrent avant de le grossir, et
surtout préparons le vrai lit dans lequel il doit prendre
son cours.
Et que dirons-nous des rêveurs qui proposent, en ce
moment encore, la constitution des Etats-Unis? A. des
affaires commerciales immenses, FAmérique ne joint-elle
pas tout un continent de terre végétale, que l'herbage
de ses savanes et la feuille de ses forets vierges enri-
chissaient depuis cinq mille ans? Des exploitations agri-
coles plantureuses ouvrent donc ta n l'ambition des
hommes des carrières autrement fertiles que celle cles
emplois publics. Un pays encore neuf ou l'on peut satis-
tisfaire la grossière ambition du gain, n'est plus celui où
une race exquise peut être en partie attirée vers des exer-
cices plus nobles, plus voisins de la véritable grandeur.
En Amérique~ on exploite le soi, on y développe peu la
nature humaine. On en a vu sortir des cotonnades et de
grandes fortunes, mais pas de grandes choses.

Mais s'il est matériellement impossible de transporter


en France la constitution anglaise (puisque celle-ci, pour
sa plus grande part, n'est pas inscrite dans une loi, mais
dans !a coutume et !e cœur des anglaise la France n'en
doit pas moins jouir d'une constitution qui ait pour elle
le même effet et ia même origine autochthone que celle
de l'Angleterre; constitution qui se développe avec son
histoire et selon ses besoins.
La valeur des institutions politiques s'apprécie d'après
l'état du pays, de ses croyances, de ses coutumes, de ses
besoins, mais surtout d'après le rapport qui existe entre
ses coutumes et sa foi, entre ses moeurs et la morale,
entre ses besoins et le droit, entre les intérêts matériels
et les vrais intérèts moraux.
A supposer que je puisse endosser un habit taillé pour
un autre, il reste toujours vrai qu'avant de me faire un.
vêtement, on devra prendre ma mesure.

(1) M. de Maistre nous a fait remarquer que tout ce qu'il y a d'essentiet


dans la constitution an~taise n'est pas écrit. <' La vcritahte ~o~;M«~
a~/a<&-e, ajoutc-t-il, est cet esprit pub)ic, admirabte, unique, infaillible,
au-dessus de toutcio~ qui m&ue tout. conserve tout et s:u]ve tout. C<; qui
est 6crit n'est rien. o
Ou a aussi fort bien remarqua que ta constitution anglaise est comme une
maison de construction et de style catho)ique, habitée depuis trois siècles
par'h~ protestants. Si les Angiais ont perdu uae partie de leurs. croyance.
ils ont ~ar'!6 la totatite de celles qui gcrvcnt d'assises imm6diate~ a ta poli-
tique. et ils ne soutirent point qu'on y touche, comme on le fait chez nous.
CHAPITRE 111.

Constitution française.

Tous les jours on parle de la constitution d'un peuple.


Constitution! effort combine des siècles et du consente-
ment des hommes, prodigieux équilibre de vitalité auquel
ont concouru les soins (!e ta Providence et le' travail d'un
peuple, inexplicable produit d'unité dans ce qu'il y a de
plus divers; concert de mouvement ou il n'existe qu'un
chaos, d'acquiescement où il n'y a point d'accord, de
paix où il n'y a que tumulte, d'adhésion où il n'y a
qu'indocilité; résultante presque divine d'un ensemble de
libertés humaines étrangères les unes aux a'itres, équi-
libre auquel le plus puissant législateur ose à peine
toucher, voilà ce que des rêveurs croient, avoir mission
de produire!1
La constitution d'un peuple, c'est l'érection d'un peuple.
C'est sa croissance suivant les impulsions, les lois intimes,
les habitudes et même les défauts de son tempérament.
Quand une constitution vit, l'écrire ou la libeller serait
déjà chose impossible. Et croire que d'une semblable
rédaction pourrait sortir un peuple, ou plutôt qu'un
peuple n'est pas la source de sa constitution, mais qu'une
constitution écrite est la source d'un peuple, c'est vrai-
ment prendre le Pirée pour un homme!
La constitution d'un peuple, c'est la manière dont il est
historiquement, religieusement et potitiquement établi. Or
1
comme une semblable constitution est progressive et que,
sans varier, elle se modifie dans son application suivant
les temps et les circonstances, elle ne saurait être écrite,
du moins dans sa totalité. Ecrire serait circonscrire. U
faut d'ailleurs que personne n'ait le droit de l'écrire,
pour que personne n'ait celui de l'abolir. La famille,
par exemple, pourrait-elle avoir ses lois par écrit? Un
médecin prescrirait-il ce que doit faire le tempéra-
ment ?
ït peut y avoir des règlements, des concordats religieux
ou politiques partiels rétablissant a mesure quelques
points ébranlés. Ce sont là des réparations. De telles sti-
publions indiquent plutôt to côté faible que !e côté vivant
de la constitution. On écrit surtout lorsqu'on voit l'insli-
tution mal assurée. Toute loi écrite signale un point où
la civilisation est en danger. Mais si l'on vient à ébranler
toute la constitution, historique, religieuse et politique,
c'est alors que tout ce qu'on voudra écrire ne pourra servir
à rien. Lorsqu'une époque ne pense qu'a faire des lois,
c'est parce que tout croule. Quand songe-t-on à faire des
lois contre l'ivrognerie, et a quoi aboutissent-elles?
Si l'on ne peut tracer sur le papier les lois de la
cons-
titution française, on peut du moins en discerner les
jets dans le cœur de la France et écarter les ronces qui
les étouffaient, II ne faut rien moins ici que nettoyer le
sol et le débtayer des décombres immenses dont l'obs-
true la Révolution alors nous verrons de toutes parts
s'élever la Société française.
On peut étudier l'esprit de cette constitution vivante,
en désigner les sources, faire voir comment on doit en
favoriser les principes, en apporter l'application, puis
demander a Dieu le souverain qui en protégera la libre
croissance cL auquel il confiera le travail magnanime d'une
résurrection si grande.

CHAPITRE IV.

Rendre la France à sa nature et à ses lois.

Que dire de ceux qui, après nous avoir proposé la cons-


titution anglaise ou celle des Etats-Unis, nous proposent
la leur? Une nation changera-t-elle son impulsion cons-
tante, sa mission, ses vrais besoins, ses pensées, son
allure, parce qu'on lui collera sur les lèvres un rnorceau
de papier ? On doit étudier la France, et non vouloir lui
appliquer de force des élans d'imagination ou des lois qui
iui sont étrangères. Il faut chercher ce qui doit la rendre
à sa nature et à ses destinées, car elle en a qui lui sont
propres. il faut enfin ne point l'observer où elle n'est
pas, c'est-à-dire dans ces esprits surexcites, sans dis-
tinction, trop souvent pleins d'envie, dont le fleuve de la
Révolution a couvert le pays et inondé depuis soixante
ans nos villes.
Si c'est notre pays que nous aimons, opposons-nous
d'abord à i'amour du plaisir et à la perte de la vertu,
puisqu'alors il n'y a plus d'hommes. Opposons-nous
ensuite à la perte des traditions, à l'instabilité des for-
tunes, au morcellement du soi, à la chute des municipa-
lités et des droits, à la dissolution des familles et de leurs
libertés privées, puisqu'alors il n'y a plus de nations.
Opposons-nous sur toutes choses à i'instabihtc, au mor-
cellement, à ta dissolution des
croyances, sur lesquelles
les caractères, les droits, les familles, les lois,
les moeurs,
l'agriculture, les fortunes et les peuples
se fondent 1
Les croyances composent le véritable territoire
sur
lequel se forment les peuples. C'est le sol
sur lequel tout
se construit. Quand ce sol tremble, tout
menace de
s'écrouler. Notre mal n'est point extérieur;
on ne le
calmera point par une fièvre politique plus forte. Ce
sont
les àmes qui souffrent. Un grand apaisement
ne peut
venir que de la Foi, lorsqu'elle
pourra les inonder de
sa lumière.
D'autre part, le véritable mérite remis
en honneur,
l'agriculture privilégiée, rendue possible
aux classes cie~
vées, rétabliraient, avec nos traditions et
nos vertus des
familles puissantes, capables de
conserver nos droits/tout
en ouvrant un !it plus large et plus paisible au courant
de nos chères populations. La. paternité, la justice,
Jes
bons exemples chez le souverain
une protection assurée
pour toutes les classes; l'honneur, le droit, la loyauté
partout; enfin, l'amour, cet amour qui ne saurait venir
que d'un Père, parviendraient à caimer, en le rendant
heureux, ce peuple, chevaleresque et enthousiaste
avant
tout; ce peuple dont le sens fait naitre l'admiration chez
ceux qui le voient, surtout depuis quarante années, boire
à une coupe où se mêlent trois poisons l'erreur, l'orgueil
et les convoitises terrestres.
Ce qu'il faut pour sauver la France, c'est
un juste
assis sur le trône ses exemples
comme une pluie
féconde, feront partout germer les mœurs < c'est un juste

(1) La dévotion du roi descendra dans le cœur de


son peuple et y ramènera
!a paix.
assis sur le trône sa vue fera renaître !c respect, d'où
découlent l'autorité~ la hiérarchie et tous les droits; c'est
un juste assis sur le trône son cceur rallumera l'enthou-
siasme au cœur des hommes, au lieu d'amener l'explosion
de l'orgueil et de la dépravation.
Nous l'avons vu, la Société est une coordination. Les
hommes étant libres, le classement au fond est naturel;
il s'opère par la loi du mérite. Dans la nature, les êtres
s'échelonnent d'après la force physique, et chez les
hommes, d'après la force morale.
Or, la loi qui reçoit cette précieuse végétation et la
protège, se nomme la loi politique elle forme la consti-
tution. Venir, au nom de la foule, y opposer des droits
politiques communs, c'est précisément tout redéfaire
c'est ramener la loi des corps, qui agit en raison des
masses, c'est étouffer la loi morale, et briser la consti-
tution d'un peuple au moment où elle se forme.
il existe, à la vérité, des droits publics; mais ce sont
les fruits élevés de l'arbre de la hiérarchie, fruits précieux
des mœurs et des traditions nationales, qui disparaissent
avec elles. Et c'est ce qu'il faut aujourd'hui comprendre;
car les beaux esprits ont l'habitude de parler des droits
publics comme s'il nous suffisait'de les vouloir, comme si
les hommes n'étaient pour rien dans leur acquisition,
comme si le mérite et les droits étaient issus fatale-
ment de la nature, et non des actes dignes de notre
libre volonté
Dès lors, nous n'avons pas ici des ~'e~c~e~ à faire,
mais seulement des faits à exposer, tout en débarrassant
le sol des débris qui l'encombrent..
CHAPITRE V.

RétabMr nos droits publics et privés.

On confond, depuis un siècle, les droits publics et


les droits politiques. Ces derniers sont ceux des souve-
rains, et les premiers sont ceux que les corps et les indi-
vidus acquièrent au sein des civilisations. Or les droits
publics se forment chez les hommes où il existe une hié-
rarchie, des provinces, des ordres, vrais éléments d'une
nation chez les peuples dont la constitution subsiste, où
le passé n'est pas détruit, où les municipalités, où les
familles et les hommes, par leur conduite, ont su établir
et garder des pouvoirs acquis.
Dans un pays où disparait l'histoire, où tout est nivelé
et réduit en poussière, où tout retombe dans l'individu,
quel droit peut se trouver debout? Que peut-il y rester,
si ce n'est l'individualisme, si ce n'est la démocratie, cet
égoïsmeuniversel que la Société vient précisémentassouplir
et non point faire triompher? Si nous voulons des droits
publics, il faudra réprimer notre envie. Quel état social,
que celui où tout homme prétend que la justice est ce
qu'il fait, la raison ce qu'il pense, la vérité ce qu'il con-
çoit, et la toi ce qu'il veut? Telles sont justement les
situations qui engendrent le despotisme et dont celui-ci
est seul à bénéficier.
Pour rétablir des droits publics, replaçons-nous dans
notre histoire, et que chacun de nous ne recherche sa
liberté que pour accomplir ses devoirs. Nous avons détruit
les
la province, renversé tous les corps, dépouillé tous
ordres, puis, nous en voudrions les avantages!1 mais les
faits ne le veulent pas. D'ailleurs, au fond, ce ne sont pas
ici les droits des citoyens, ce sont ceux du
Pouvoir, ceux
Nos
de la Société, que la foule aujourd'hui demande.
droits privés, droits de la conscience, de la personne, de
la famille, de la cité, de la province, enfin les
droits
publics, voilà les biens auxquels nous devons prétendre
Fruit du mérite, il appartient aux hommes de les obtenir.
Mais les droits réellementt politiques, sont des droits qui
appartiennent à l'Etat et que garde le souverain'.
Formons un peuple entier de gens de bien, avec la
vérit.é et la modestie en partage et qu'il possède en
effet tous les droits, toutes les libertés publiques!
Mais
la force; dans les
un tel peuple n'aurait pas besoin de
abbayes, il n'y a ni lois civiles ni gendarmes. Les droits
des hommes raisonnables sont parfaits, mais pour ces
hommes seulement. Or la Société, ramenant dans son
sein ceux qui ne sont pas raisonnables, ne saurait com-
mission de
mencer par offrir à la foule, qu'elle a pour
conduire, le pouvoir de lui échapper..
Par malheur, chacun chez nous voudrait conduire!
'nous nous croyons tous capables de gouverner, et par là
même de nous passer de souverain. La vision du
dix-
huitième siècle est encore notre point de vue. La civili-
sation ne pourra reparaître que lorsqu'on saura bien
comprendre que l'homme est un être blessé, faible, porté
le guérir. Mais il faut
au mal, et que la Société travaille a
pour cela lui en accorder les moyens.
(1) Ondoit comprendre que s! les droits civits appartiennent A tout le
monde, les droits pulitiques appartiennent ù t'Etat.
Si ~autorité parmi nous était d'une utilité relative, elle
ne serait point aussi ancienne que le monde. Si Je pouvoir
politique ne marchait que chargé de périls, si les bienfaits
en étaient justement contestés, tes résultats sans cesse à
craindre, les Cieux n'eussent pas dit Tout pouvoir vient
de Dieu! et si l'exercice en restait sujet à tant de res-
trictions, que tel fut le point délicat réservé justement à
la fouie, Dieu n'eut pas ajouté C'e~p~ moi
que règnent
les 7'OZ5.
Le droit du peuple en politique, c'est la justice, c'est le
maintien de ses coutumes et de ses intérêts, c'est l'égalité
devant la protection, devant la loi et devant la sollicitude
du Pouvoir, c'est la carrière ouverte devant toutes les
classes pour s'élever dans la hiérarchie légitime. Mais le
peuple n'a pas de droit sur l'Etat pour bouleverser J'Etat,
car il n'a pas fondé l'Etat ni créé la Société. Tout au
contraire, c'est la Société qui le crée..
Pour les droits publics, il en est autrement. Ce sont
des droits qui reviennent aux hommes, ce sont des droits
acquis qui nous concernent tous. Le peuple en a sa juste
part, il les reçoit, il en profite, bien qu'il n'en soit pas
l'auteur. Mais quant à reconnaître à la foule un pouvoir
sur la politique, sur la vie de l'Etat, pour en forcer les
lois et en détruire les droits, ce serait préparer d'avance ie
renversement de la Société, qui possède Je pouvoir poli-
tique précisément pour gouverner la foule, lui maintenir
des lois et conserver l'Etat.
Le bon sens nous le dit comment conférer au peuple
le droit du souverain? On répète partout que c'est nous
qui le sommes que nous devons concourir à !a création
de nos lois, n'obéir qu'à celles que nous avons nous-
mêmes faites. Mais la foule n'aurait pas besoin de loi,
si elle avait, comme on le dit, la vertu de faire ses lois.
Et puis, comment civiliser la foule avec ce qui sort de la
foule? Comment nous élever par ce qui vient de nous?
On en parle d'ailleurs comme si, dans cette noble créa-
tion, les êtres faisaient leurs lois Etres libres, notre gloire
consiste à ne recevoir que de la source sacrée de notre
être, la loi qui nous conserve et qui nous élève à nos fins
Nous sommes des êtres créés, et non des êtres absolus.
Un être qui prétendrait pourvoir ici-bas à sa loi 1 redes-
cendrait dans le néant..
Tout ce que les hommes. peuvent faire, c'est de recon-
naître leurs lois et de les suivre. C~est de les demander a
cette voix de Dieu qu'on appelle la conscience, puis de
respecter celles qu'ils ont recueillies d'une tradition pré-
sidée par la Foi. Si la foule produisait ses lois, quel serait
le rôle de ce grand élément du monde que l'on nomme
souveraineté ? ~f~TM. res ex </M~ joc~cy~, dit Se"
nêque. Nous sommes des êtres relatifs. Nous tenons tout
de Dieu notre mérite est de recevoir.
Le jour où l'homme, pris d'orgueil, crut pouvoir tout
tirer de lui-même, il succomba. Le jour où la Société
voudra suivre son propre orgueil, elle périra. Repoussons
une erreur qui nous ruine ne
tombons pas en masse dans
la faute d'Adam

4
()) Nous donner not.re loi, 6[re cotume des dn'ux, StC~ Dii! erreur qui n'a
que six mille uns.
CHAPITRE Vf.

Le despotisme vient de l'absence d'aristocratie.

A l'aide des droits politiques, on espérait se garantir


du despotisme et se mettre à l'abri des tyrans. On n'a de
tyran que celui qu'on se donne, de despote que celui
qu'on mérite et les droits prétendus politiques livrent la
Société aux plus redoutables de tons.
En premier lieu, conservons ie mérite, et nous conser-
verons nos droits. Car telle est la vraie politique. En
second lieu, conservons les familles que Dieu, dans su
bonté, nous a choisies pour nous conduire, et nous n'au-
rons plus de tyrans. Finalement, conservons les droits
acquis, la hiérarchie que nous ont léguée nos ancêtres,
nous n'aurons pas de centralisation. Dès qu'on pratique
la vertu, la soumission à l'ordre, aux grandes lois, on
n'attire pas de despote ayant la prétention de les faire
observer.
Dans notre crainte du despotisme, nous voudrions être
entourés d'un treillis de droits politiques. On ne se garantit
pas du despotisme, on en prévient t'avènement. Hélas!
ce sont nos prétentions étranges, notre athéisme politique
et pratique, nos théories d'égalité, de droits innés, de
libertés illimitées, ce sont nos cœurs dans l'immoraiitc,
puis l'anarchie qui en résulte en bas, qui font survenir
les despotes ou nous amènent les tyrans. Nous pensons :t
éviter le despotisme, et certes!I nous avons raison, tout
en ignorant l'étendue du fléau qui menace l'Europe, à
peu près dépouillée des mœurs et des institutions qu'elle
devait au catholicisme.
L'absence de principes, issue de l'absence de croyances,
l'absenced'une aristocratie pour conférer les libertés réelles,
pour faire circuler et répartir dans la nation la triple sève
du droit, du capital et de l'autorité; la chute des traditions
nationales, mères des caractères et des lois notre égoïsme
et notre absence de foi politique nous jettent tout liés aux
mains du despotisme.
Les rois s'en vont avec la Foi avec l'impiété les tyrans
viennent et se rendent maitres du monde. Si en outre
celui qui vient de Dieu et
nous rejetons le vrai Pouvoir,
non de l'homme, il ne nous reste que peu d'espoir.
La France, toutefois, n'a point épuisé toutes ses des-
tinées les saints qui vivent sur ce noble sol, son cierge
réellement miraculeux, ses Ordres qui renaissent, les
cceurs tout prêts à la servir, la supériorité qu'elle a gardée
sur le terrain du sacrifice, les liens vivants qui la ratta-
chent à l'Eglise, nous offrent l'assurance de l'avenir que
Dieu viendra lui demander. Mais alors renonçons à cette
politique du libéralisme, dont toutes les garanties n'ont
pu servir à rien.
Cette lutte chronique entre le parlementarisme cen-
tralisateur et la liberté de la presse, entre une sorte de
despotisme admis et une nation réclamant des droits poli-
tiques, est un cercle fatal trois ou quatre révolutions
le démontrent.
Si d'un côté vous arguez de prétendus droits politiques,
de l'autre les faits répondront par un despotisme plus
fort Quand nous voudrons étudier nos lois et nos droits
futurs, replaçons-nous au milieu d'une Société chrétienne.
où dès lors Je mérite et Dieu soient reconnus. Réfléchis-
sons à ce que seront les lois et les droits dans cette
situation vraie. D'ailleurs, ce que ne peut la loi, en l'état
où nous sommes, se peut par la bonté du cœur. Il n'est
de garanties certaines pour un peuple que dans l'équité
de ses rois. Mettons donc tout à fait de côté la langue et
les prétentions de l'orgueil.
Sans respect du mérite, ou sans hiérarchie, sans la
simplicité des mœurs, ou sans agriculture, n'espérons pas
avoir ce que nul peuple n'a pu atteindre qu'avec une hié-
rarchie, avec des droits acquis, avec l'amour du souverain
et la simplicité des mœurs. Les droits que nous ambition-
nons avec justice ne sauraient convenir qu'à une nation
constituée, ayant des classes qui s'élèvent, toujours dignes,
et fortement liées à l'Etat.
On doit y bien faire attention quand nous fondons des
droits, ce sont des hommes comrne il faut, ou des hommes
de bien que nous armons, que nous munissons de
pou-
voirs sinon, que ferions-nous? U faut bien vouloir le
moyen pour arriver au but, il faut bien avoir l'arbre pour
en cueillir les fruits, avoir une aristocratie réelle pour
conserver nos mœurs, faire revivre nos traditions, nous
obtenir les droits que nous ambitionnons. Car si nous
donnons le pouvoir au mal, nous serons encore dévorés,
aujourd'hui par la tyrannie, demain par la Révolution.
On parle à tout propos de l'Angleterre, sans
com-
prendre qu'eiie doit à son aristocratie sa puissance et ses
libertés. Le jour où succombera cette aristocratie, l'An-
gleterre et ses libertés tomberont.
CHAPITRE VII.

L/m'istocratie anglaise et lit uùn'c.

L'Angleterre, disons-nous, doit sa puissance et toutes


ses libertés politiques à son aristocratie. Toutefois, ne
courons pas les yeux fermés sur le chemin que vient de
nous ouvrir cette remarque essentielle.
Si les libertés publiques reposent sur l'aristocratie, il
ne faut pas non plus que l'aristocratie, qui est la tète,
vienne à grossir aux dépens du corps et des, membres. Ne
faisons point payer trop cher au peuple les conditions de
sa grandeur. L'Angleterre n'est arrivée à cette splendeur
relative, quelquefois trop vantée, qu'au prix des souf-
frances inénarrables de son peuple, sans parler des popu-
lations de l'Inde 1. Une nation qui ne peut produire elle-
même toute son armée, n'a plus de peuple. Et l'Angle-
terre en est là, parce qu'au fond elle n'a plus, depuis
longtemps, ni la Foi ni un roi qui soit assez indépendan!
pour défendre le peuple.
«
Ce que Montesquieu a cru voir en Angleterre, disai
le prince de Metternich, n'y existe pas. U s'est nguré qu'i
y avait en Angleterre, un roi et des communes. 11 n'y avail
en réalité, il n'y a encore en ce moment qu'une aristo

(1) Si le Royaume uni possède une population relativement conaiderabie


c'est que, par le négoce, elle s'alimente aux dépens du monde entier. Mai
i'Aag!eterre n'arrive pas à cette sp~endeu~ sans sacrifier sous ptus d'un poin
de vua son peuple. Et quant aux Indes, si elles eussent été converties ai
christianisme, elles n'appartiendraient plus à l'Angleterre.
LÈUtT. ~11
cratie. » Ainsi, deux abirnes à éviter: pas d'aristocratie,
dès lors plus de liberté, surtout plus de famille, pins
d'autorité paternelle, la loi entrant dans
nos foyers, Je
despotisme constitué. Trop d'aristocratie, dès lors !e des-
potisme détourné des hautes classes et retombant
par tous
les canaux sur la ,foule, le despotisme le plus cruel, c'est-
à-dire, le despotisme économique, la misère, enveloppant
de son linceul toute une population.
Le libéralisme aristocratique ou républicain, cette
ex-
ploitation de l'homme par l'industrie et l'erreur réunies
aboutira toujours aux mêmes résultats: ou a
une certaine
exploitation du grand nombre par la minorité,
comme
cela se pratique en Angleterre, ou à l'exploitation de Ja
minorité par le grand nombre, par la foule, comme 48
et le 18 mars auraient voulu l'instituer en France.
Ou se tient le secret d'éviter le double péril ? despotisme
par privation d'aristocratie, ou servitude par trop d'aris-
tocratie ? Pour nous, un tel secret nous vient de Dieu et
de nos rois secret conforme à la nature, applicable à
toute la terre.
Pour maintenir l'équité sociale, il faut d'abord ce très-
haut protecteur qu'on appelle le roi. Les classes, quelles
qu'elles soient, ont des intérêts personnels qui les empê-
cheront toujours de tenir ferme la balance de Féquitibre
social. L'intérêt le plus strict de la Société n'exige pas
moins l'existence d'un roi que celle d'une aristocratie.
I! faut encore une autre condition. Une aristocratie
qui, au lieu de prendre sa source et ses justes limites
dans la propriété foncière, tend à s'étendre dans l'in-
dustrie, devient partout oppressive du peuple, comme
en Angleterre, et dangereuse à la Société, comme en
France.
Si la liberté publique ne peut reposer que sur une aris-
tocratie, l'aristocratie elle-même ne peut reposer, dans son
corps principal comme dans ses justes limites, que sur
la propriété foncière. Par aristocratie, il faut entendre ici
toutes les classes qui s'élèvent, possèdent ic capital, cons-
tituent la propriété et gouvernent avec la justice et les
lois, par opposition aux classes qui ne possèdent ni le
capital ni la justice, et qu'il faut gouverner 1. Mais l'aris-
tocratie, avant tout, renferme la classe qui reçoit directe-
ment la lumière de l'Eglise pour la communiquer à tous,
c'est-à-dire le cierge. Et de cette lumière naît la vertu,
de la vertu, le capital.
La véritable aristocratie, celle qui se maintient dans
ses rives, celle qui se tient en rapport avec le peuple, lui
procure du pain et lui
fournit l'exemple, c'est l'aristocratie
territoriale.
Ce fut celle que Dieu, dès le commencement, institua
en quelque sorte dans la personne des patriarches; ce fut
celle qu'il a rendue possible à toute la terre. Ce fut (excep-
tons Gènes et Venise, qui ont péri,) celle de l'Europe
avant la Réforme, de la France avant la Révolution. C'est
celle de l'Autriche, de l'Espagne, de la Prusse, de la
.Suéde, de la Russie, de tout pays d'en le paupérisme est
absent, où de légitimes rapports s'établissent et se con-
servent entre le peuple et ceux qui forment le capital et
le lui fournissent.

(1) A l'origine, la noblesse possédant seule )e capita), formait avec ië


derg6 et les chefs militaires, tDute l'aristocratie. Par l'extension du com-
merce. beaucoup trop d'hommes à la fois qui n'avaient servi le pays ni dans
l'armée, ni dans l'administration, ni dans la magistrature, s'élevèrent plus
tard au capital et répandirent leurs idées dans la nation et dans l'Etat.
Ces idées, nécessairement moins nobles ne furent point assez à la hauteur
des principes sur lesquels sont fondées les Sociétés.
Mais ce qui rend la masse aristocratique oppressive en
Angleterre plus que nulle autre part ailleurs, c'est d'avoir
été en trop grande abondance produite ou développée par
l'industrie. Car la pire des oppressions est dans le paupé-
risme.
Presque toute l'aristocratie française s'est formée, déve-
loppée par les terres, c'est-à-dire par l'épargne. Et presque
toute l'aristocratie anglaise, à partir d'une certaine époque,
s'est formée et enrichie par le négoce, c'est-à-dire par le
gain. Combien ne fut-elle pas surprise en visitant la France
en i780, d'y trouver peu de numéraire! Qu'on est donc
pauvre en France s'écriait-eHe. En effet, pauvre en
argent, mais riche en vivres~. Depuis qu'à l'image de
l'Angleterre, la France est plus riche en argent et en
papiers de commerce qu'en denrées, qu'est-elle devenue?
et voit-elle ce que se paient aujourd'hui lès vivres?
La haute aristocratie anglaise a les terres, est vrai,
mais par les écus; aussi, les a-t-elle toutes industrielle
origairement et par nature, territoriale postérieurement
et par circonstance, du- moins pour la grande majorité.
Car ce n'est point avec le sol qu'elle s'est d'abord enrichie
de la sorte. La différence est grande entre une aristo-
cratie comme jadis était la nôtre en France, entrant dans
les terres par l'épargne, et celle qui, maîtresse du marché,

(i) Le peuple anglais, au contraire, était riche en argent, mais relative-


ment pauvre en vivres, ce qui ne revient pas au même loin de là! Ainsi ie
Suisse a peu d'argent, mais il a de quoi vivre. Il en eat& peu près de même
de t'habitant de l'Autriche, alors que l'ouvrier des Etats-Unis emploie six
francs par jour pour se nourrir. Ce qui prouve qu'il y a chez celui-ci ptus
d'argent que de vivre3, et que dans un temps donné tout ce qui n'a pas le
monopole des capitaux, c'est-à-dire le peuple, tombera dans le plus triste
des esclavages.
les envahit aujourd'hui par l'argent. Elle est grande sur-
tout quant aux conséquences sociales.

CHAPITRE VIII.

Aristocratie agricole et aristocratie industrielle.

Comme on l'a pratiqué dans le Sutherland, parexemple,


l'aristocratie française mit-elle jamais le feu à trois cents
fermes ou cottages pour en chasser les cultivateurs, et
doubler la rente d'un sol que le pâturage par les moutons
débarrassait des bouches des cultivateurs, et dès lors de
presque tous les frais de culture? Aussi, de i814 à
i843,
trouve-t-on dans les Trois-Royaumes une extension. de
revenus fonciers de près de neuf cent millions, avec une
diminution du soi cultivé et une réduction du nombre des
cultivateurs, s'élevant à six millions d'âmes, pour l'Ir-
lande seule, et dans l'espace de vingt ans
Devant le feu, la faim, l'absence de travail, il faut bien
émigrer, refluer vers les villes, et se jeter dans la gueule
brûlante du paupérisme~. Aux yeux d'une aristocratie
industrielle, l'homme s'efface, il n'est plus qu'un moyen
l'industrie est soumise à trop de calculs pour envisager
autre chose que le but. On sent aussi combien le protes-

(i) Il y a )à un ensemble de faits d'où découle un paupérisme, c'est-à-dire


les lois ne toléreraient en
une servitude par iafaim, que ni les mœurs, ni
France faits uniques dans le monde et qui se rattachent a la nature de
l'aristocratie ang)aise. DiffërcncG de Foi et d'origine, différent d'habitude
<?t de mœurs.
tantisme, dont ie propre est de glacer peu à
peu les cœurs,
a du trouver damnité et doit conserver d'empire dans
l'aristocratie de la nation dont le monde n'a
pu cesser de
dire elle pas de principes, elle 7~ ç~e des ~~r~/
Avant 1688, i'Angteterre avait ses gcntiishommes
cam-
pagnards qui ressemblaient plus ou moins
aux nôtres:
l'idée ne leur venait pas de yïe~e~ ainsi leurs domaines..
Chez elle, le revenu s'augmente donc de qu'on entéve
ce
au sang, de la réduction des cultivateurs. Et chez nous,
au contraire, le revenu foncier ne s'est accru que de leur
multiplication, de l'extension de la cu!ture
Avec la culture ordinaire, la famille agricole prélevé
a
d'abord un tiers du produit brut pour se nourrir et
se
vé.tir voilà la souffrance écartée. Un second tiers est pris
par les salaires et par le profit du colon; l'autre tiers,
dans les excellents sols, en constitue la rente.
Avec le pâturage, si le fruit est d'un quart inférieur,
les frais ne l'entament pas d'un sixième. Au lieu de
retrouver à peine un tiers du produit brut, le propriétaire,
exempt de grandes réparations et sûr d'être payé, réussit
à en retirer les deux tiers. Mais pour
ce résultat i! faut
procéder à la dépopulation des campagnes.
C'est à ce jeu terrible que l'on s'est appliqué
en Irlande.
Là une terre de trente mille acres, par exemple, n'emploie
que onze bergers une autre d'une étendue de sept lieues
carrées n'en nourrit que vingt-et-un. Les Romains furent
moins savants; la guerre n'entraînerait jamais
une sem-
blable extermination.
Le profit qui coule de ce sang répandu 'revient à l'aris-
tocratie anglaise. Elle applique au sol de la nation les
ca!cu!s empruntés à l'industrie manufacturière diminu-
tion de frais équivaut à une augmentation de produit.
Sous une forme intelligente, sous un aspect légal, c'est
une anthropophagie.
Aussi devrons-nous remarquer, pour aller jusqu'au vrai,
que l'aristocratie industrielte'en France, depuis 1830, est
entrée dans les mêmes voies et marche vers le même but
que l'aristocratie agricole en Irlande.
L'industrie a toujours dévore les peuples chez lesquels
elle a dominé. Elle transforme en compagnies d'exploi-
'tation les aristocraties; elle change la destination et les
coutumes des hommes. Les nations alors nagent la tète
dans l'opulence, mais le corps dans la misère qui est un
despotisme affreux.
Pour le bien et pour la liberté des peuples, il faut que
l'agriculture l'emporte, constamment sur l'industrie que
l'aristocratie dans son corps principal ait sa source et
conserve sa 'base dans la propriété foncière que celle-ci
en un mot, fasse les mœurs publiques et impose ses cou;
tumes à l'industrie, au lieu d'en recevoir des lois et des
habitudes mortelles. Mais, pour cela, il est Indispensable
d'arriver à une constitution sociale de la propriété.

CHAPITRE IX.

Le paupérisme provient de l'industrie.

L'aristocratie industrielle ne connaît point assez le


peuple, elle ne l'a point vu s'ennoblir au soin de ses
mœurs patriarcales, elte ne s'est point formée lentement
près de lui. Elle a grandi dans l'or, et sa croissance a
trop de rapidité.
Un bon négoce, une invention, un navire qui arrive à
<
temps, la Bourse, un coup de la fortune, élève en un jour
une famille souvent très-étroite d'esprit et de coeur. Com-
ment la pénétrer alors de ces douces vertus, de ces déli-
catesses, de cet honneur parfait, que les mères, pendant
plusieurs générations paisibles au sein des campagnes,
enseignent avec soin à leurs fils, et mêlent en quelque
sorte à leur sang? Enfin, quelle est ia classe puisantt
dans l'or, qui le partagera? Et voulut-elle le partager,'
quel bien opère l'or en tombant sur !e peuple ?
C'est sous une autre forme que le salaire doit arriver
dans ses mains. Dans nos villes, avec nos moeurs et nos
doctrines, une augmentation de salaire n'est trop souvent
qu'une augmentation d'alcool dans le gosier de l'ouvrier,
et un accroissement d'indigence pour les femmes et pour
les enfants. Pourquoi est-ce en Angleterre, dans les villes
de commerce, àu sein de nos usines, de nos manufactures,
partout où ce salaire est double ou triple de celui des
champs, que s'est établie ia misère, que s'étend la plaie
des enfants trouvés, que gisent les populations privées de
pain? Oui, pourquoi le paupérisme est-il né là, et ne
sort-il jamais de ià ?
Les économistes l'ont constaté avec effroi le paupé-
risme croît en proportion de l'industrie la misère s'étend
en raison même de la richesse, ou de ce qu'ils nomment
la richesse.. L'industrie, l'immoralité, la misère, trois
termes, hélas toujours proportionnels Encore une fois,
pourquoi la misère se déploie-t-elle en raison de la
richesse ?
La connaissance de l'homme va débrouiller le problème
qui laissej'économiste interdit.
La loi du travail ne nous fut imposée que devant la
BASES RÉELLES DES LIBERTÉS.

nature. Dieu, qui connaît l'homme, l'homme que brûlent


ses désirs, ne lui mit pas l'or dans la main, comme un
rasoir dans les mains d'un enfant. Bié, riz, bestiaux, lai-
tage, légumes, fruits et quelque peu de vin laine, peaux,
plantes textiles, bois de chauffage et de construction, telle
est la forme sous laquelle le Créateur, plus prévoyant, a
voulu que ta terre présentât le salaire à son laborieux
travailleur. Ce salaire sacré ne peut être absorbé en un
jour la femme et les enfants vivent, prennent part au
banquet, conservent leur foyer, et les générations s'élèvent
reconnaissantes envers Dieu.
Dans les champs, toujours du travail, toujours un abri
et du pain dans les champs, des mères que n'exténue pas
la faim, des enfants qui s'élèvent, des familles qui crois-
sent sur le tronc des ancêtres, comme les maisons souve-
raines. Dans les villes, la misère se déploie en proportion
de la richesse, parce que tout n'est, au fond, qu'une
affaire de consommation et d'épargne que le salaire sous
la forme de l'or n'est point en rapport avec la faiblesse
du peuple; que plus la richesse pour tous est facile à pro-
duire, plus aussi elle est facile à dissiper, ce qui, du
même coup, nous donne la thèse du capital et celle des
aristocraties.. L'homme fut condamné au travail c'est
l'industrie qui le coMC~M~e a ~rc.
Le paupérisme chez nous est de date récente. Avant
ces aristocraties nouvelles, on ne parlait de faim que
pendant les famines..Le fléau, passager comme la colère
de Dieu, n'était point permanent, n'était point institué de
main d'homme. La foule, dont les convoitises n'étaient
point irritées, vivait à peu près tout entière au milieu des
campagnes elle y était nourrie, vêtue, logée, retenue
sous l'œil de ses compatriotes, enfin instruite et con-
servée dans le bien. Ceux qui pénétraient dans les villes,
étaient aussitôt recueillis et guidés par des corporations
prévoyantes..
Ainsi gardée et soutenue par une règle, par des
cou-
tumes et des droits, Ja foule devenait aisément du peuple,
et ie peuple de la bourgeoisie. Mais, hélas suivant le
mot de MoHère, nous avons changé tout ce!a.. Les grands
principes sont ceux sur lesquels se fondent de grandes
choses, et non ceux sur lesquels elles viennent se briser..

CHAPITRE X.

Aristocratie de la France.

Au lieu d'une aristocratie dévorante et d'un peuple que


l'on détruit, ayons l'aristocratie de la terre, ayons le peuple
des champs, et laissons-le vivre au soleil La fortune ter-
ritoriale découle de la main savante des siècles, et ce que
fonde le temps est bon.
H faut ici que ceux qui apportent de loin la
coupe de
la richesse aient été vertueux, soutenus et aimés des leurs
pour n'avoir pas vacillé en route De longues générations
démontrent de longues vertus. Que dans le sang ou dans
les biens un seul anneau se détende et la chaîne illustre
se rompt.. Oui, la France possède les sources et les élé-
ments de cette aristocratie véritable, féconde pour Je
peuple et pour la liberté. Et puisqu'elle les possède,
qu'elle les déploie
Nous parlions d'une chaîne IHustre; que la France com-
BASES RÉELLES DES LIBERTÉS.
3i9
mence par en rejoindre les anneaux
Qu'elle recueille ce
qui lui reste de sa noblesse, qu'elle la ravive et l'accroisse
de rejetons partout éclos à l'ombre de la Foi, dans l'épée,
dans la justice, dans les hautes sciences, dans la grande
propriété, sur tous les points illustres et respectes de ses
classes bourgeoises~. Qu'elle lui conserve les champs par
la liberté de tester, qu'elle la protège de ses soins comme
sa plus précieuse ressource pour les
administrations déli-
cates, pour la justice, la charité, la piété.
A coup sûr, la noblesse a été la grande coupable ce
fut elle qui essuya le premier feu du dix-huitième siècle
bien que l'assaillant n'ait pas borné là ses ravages!1 Par
sa légèreté, son insolence, son peu
d'aptitude aux affaires,
par les rôles cédés aux
Parlements, la noblesse, si l'on
peut ainsi parler, a fait manquer une partie de notre
histoire, a laissé perdre nos libertés publiques, triompher
les légistes, entrer le dix-huitième siècle, arriver les lit-
térateurs et éclater 89. Ah bien qu'elle ait donne ses
plus belles gloires à la France, et acheté si souvent par
ses biens, par son sang, le droit de la
défendre et de l'ad-
ministrer, plus d'une fois elle conspira avec l'étranger
contre le Roi, se jeta dans l'opposition avec la foule et
avant la foule, fit fête aux mauvais livres, adopta les
mauvaises mœurs. et cependant telle qu'elle existe, ou
telle qu'elle sort des flammes de l'adversité, elle offre
population, notre
encore, prise en masse, ce que notre
plus généreux,
sang français et notre armée gardent de

(1) Chacun comprend qu'on ne saurait commencer & réédifier qu'avec ce


qui reste de la Société chrétienne, sauvée de la Révolution.. Il ne faut pas
aller fort loin en politique pour voir que les lettrés et les légistes ont renversé
la noblesse et produit la Révolution, et qu'il importe aujourd'hui, pour les
Etata, de voir les hommes pratiques remplacer les hommes de lettres.
de plus sensible à l'honneur,
au bien, à la charité, au
désintéressement.
Que la France éprouvée reprenne dans
ses bras cette
fille bannie, qui jamais du moins
ne répandit le paupé-
risme chez ses peuples, et ne soumit
ses idées et ses moeurs
au règne humiliant du médiocre dans les choses de l'âme
et dans les sentiments Que pour souche, la France pré-
fère la tige antique sur laquelle se grefferont les branches
nouvelles, à cette classe, anglaise de principes
et de
mœurs, que !e libéralisme et l'industrialisme ont multi-
pliée sur son sol pour le déshériter, et parmi
ses popu-
lations pour les appauvrir et les perdre. Heureusement
sa
bourgeoisie est loin d'en être entièrement envahie; elle
possède des familles où, comme
par le passé, brille un
tout autre esprit. Mais si, peu à peu, la noblesse ne les
rassemble, ne les renferme dans son enceinte, elles
se
disperseront, entraînées par le triste courant, absorbées
et viciées, tantôt par le Pouvoir et tantôt par l'erreur.
Mais hâtons-nous, demain il
ne sera plus temps.
Dans une nation, il se forme constamment de la bour-
geoisie et constamment de la noblesse il s'agit de les
recueillir. (La Révolution démolit tout cela). La bour-
geoisie reçoit sa stabilité du capital, mais la noblesse
reçoit la sienne de l'Etat. Si donc l'Etat laisse disparaître
la noblesse, il commet une faute aussi grave
que s'il laisse
envahir le capital.
Lorsqu'il n'existe plus de noblesse pour étendre l'action
de l'Eglise, pour prolonger et répartir l'autorité, l'Etat
ne
peut plus agir, dans le fait, que par le despotisme, puisque
le pouvoir reste seul.. Plus de droits acquis
par le temps,
plus de grandes vertus, plus de principes, plus de libertés
légitimes, plus de corps réguliers, et la nation n'a bientôt
plus de rois. En France, on ne fera rien sans assurer ta
continuité de la famille, sans rétablir la liberté de tester,
que nous ôta le Code, et sans reprendre la suite des ano-
blissements légitimes..
Enfin, si l'on veut empècher la bourgeoisie elle-même
d'arriver au Pouvoir par des révolutions qui y portent la
populace à son tour, il y a deux choses qui deviennent
urgentes la première est de maintenir à la bourgeoisie
son entrée régulière dans la noblesse, en reprenant sur
une très-large échelle les anoblissements légitimes la
seconde est de maintenir également au peuple son entrée
dans la bourgeoisie, en rétablissant les corporations, en
favorisant la formation et la conservation du petit capital,
Roi
en recourant aux réformes et aux institutions que le
a depuis longtemps méditées. II n'y â plus de politique
possible sans avoir résolu ces deux points.

CHAPITRE XI.
Hérédité du mérite.

L'Etat doit concéder l'honneur à celui qui le gagne.


C'est la première propriété. Lorsque cette propriété n'est
ni établie, ni reconnue, ni protégée, ni transmise, nul ne
songe à l'acquérir.
Sans l'hérédité, qui constituera une fortune, qui créera
des propriétés ? Et de même, qui emploiera sa \ie à
recueillir l'honneur, s'il ne peut le transmettre à ses
enfants? Alors, comme de nos jours, on n'aspirera dircc-
tement qu'aux jouissances, et au lieu de t'honnéur
on
recherchera l'argent. Alors aussi,
comme de nos jours,
tout un pays se trouvera dépouille d'hommes supérieurs
et livré à la ruine..
Il faut rentrer-dans les lois de l'histoire,
accorder la
noblesse à la haute vertu, à la richesse terri!oria!e
unie
au mériter au dévouement du magistrat, spécialement
au mérite militaire, que ion doit toujours enrichir, mais
avec la propriété territoriale bien plutôt qu'avec l'or. Nous
avons besoin d'hommes dans les campagnes, et
nous en
avons trop dans les vijies..
Se peut-il que des hommes sérieusement
préoccupés
de politique repoussent'même l'idée d'une aristocratie?
C'est manquer du même
coup et la Société et la nature
humaine! Le mérite est ia loi de l'homme. Voudrait-on
que l'homme se rangeât sous la loi des brutes, qui est
FégaMté? L'égalé devant la foi, à la bonne heure,
c'est
de stricte justice. ~lais
ce n'est la que le premier degré
de la justice. Peut-il
y avoir égalité pour les mérites?
Imposer l'égalé devant l'honneur, devant les biens,
devant
les droits acquis! on écraserait plutôt l'homme. Or,
c'est
ce qu'on a fait, et de là son horreur pour le despotisme.
~lais la Révolution est de fait le despotisme
le plus com-
plet de tous.

(1) L'inaubordination gcn6rate et l'équilibre de la


fortune pubhq~ rompu
par l'industrialisme, rendent les questions piusdiNcitespour
le moment.
cependant il faudra revenir à la constitution de fa propriété.
Sans doute
il faut qu'une aristocratie grandisse
et se maintienne dans la peine, mais,
pour être libre et s'occuper des choses élevées. il faut
aussi posséder des
loisirs car la foule ne paie point
comptant les actes qui nourrissent
admiration, ni les services qui la rachètent son
ou l'élèvent.
Une Société~ s'il pouvait en être une, où le mérite ne
serait ni avoué, ni caractérise, ni constitué, ne serait pas
l'institution humaine par excellence. Croyons-en et la
nature humaine, qui s'exprime assez haut sur ce point,
et l'histoire, qui ne signala jamais de peuple sans aristo-
cratie. Infiniment au-dessous des civilisations antiques,
une Société sans aristocratie présenterait l'organisation
de ces bandes qui partent de nos jours pour la Californie,
car chez les sauvages eux-mêmes, il y a un chef et une
aristocratie.
Les Français, nous dit-on, ne veulent plus d'aristo-
cratie.. Et cependant ils s'obstinent à n'estimer que ce
qui appartient à l'aristocratie!1 Ils ne veulent plus d'aris-
tocratie ? mais partout ils veulent des académies; partout
ils veulent des croix et des emplois qui leur impriment le
si;ne du mérite partout ils poursuivent avec frénésie la
richesse, surtout depuis qu'elle devient la seule marque
de mérite ou de distinction.. Connaiss.ons un peu' mieux
les hommes
Quand on leur parle du mérite, il en est qui s'écrient
le mérite, oui; 7M~ le mérite personnel. Ceci n'est pas
heureux! Le savant, ou le juge, qui aura consumé sa vie
dans l'étude, le mihtaire qui aura donné la sienne dans
la guerre, verraient donc !eurs fils rongés de pauvreté à
côté de ceux dont les pères auront passé leur vie à recueillir
de la fortune?. Car « l'épicier du coin, » comme l'on dit
en France, et le plus pernicieux des agioteurs seraient ici
mieux avisés, puisque leurs fils lèveraient la tète quand
les enfants du soldat et du magistrat iraient cacher la leur
dans la dernière obscurité.
Si vous ne voulez pas-que le mérite et l'honneur
soient un héritage, que la fortuue alors n'en soit pas un..
détruisez toute hérédité~ sinon, vous donnez l'avantage à
l'homme cupide sur celui qui se dévoue à l'Etat, à ses sem-
blables ou à Dieu. Evidemment, vous brisez la seconde
colonne de la civilisation, et, chez un peuple, vous dessé-
chez la source des hommes supérieurs c'est là ce que
nous avons fait, et nous en recueillons les fruits.
Respectons un peu plus la nature humaine, révérons un
peu plus les idées de nos pères, fions-nous un peu plus à
la sagesse du passé, à cette sagesse de l'histoire, à laquelle
préside la sagesse de Dieu.
Déjà la noblesse est rare, disséminée on voit le vide
qu'elle a produit, car les hommes depuis assez longtemps
nous manquent. Si on l'écarté tout à fait, nous tomberons
définitivement, irrévocablement dans une politique de
commissaires de police et de trafiquants, comme les peu-
ples conquis2. Tel est le sort .qui nous menace si l'on isole
entièrement la noblesse, soit en suspendant les anoblisse-
ments légitimes, soit en évitant de les greffer sur ce tronc
précieux. L'homme sait bien qu'il ne crée rien heureux
lorsqu'il sait conserver. Ici, plus de récriminations nous
avons tous été coupables, le bien parfait n'est nulle part..
Du moins la France le trouvera dans sa noblesse plus
avancé et plutôt prêt à grandir qu'ailleurs. S'il y reste
ça et là quelque inertie, quelque frivolité ou quelque

(<) Défendant la Révolution, M. Guizot est forcé néanmoins de s'incliner


devaut le fait Le genre humain, dit-il, est un être successif et progressif
et les générations sont solidaires. D'où il suit que l'hérédité (il parle ici de
l'aristocratie anglaise) est une loi issue de la nature humaine, et qu'il faut
lui faire sa place et sa part dans la Société. Du principe d'hérédité dérivent
à la fois la force de la tradition et celle du progrès. c (Lu à l'académiedes
sciences morales.)
(2) Ces réflexions datent de 1859. Quelte triste évidence elles ont
aujourd'hui i
esprit de facétie, tel que la bourgeoisie t'entretient, tout
cela disparaîtra devant nos dangers, en présence de ses
devoirs, qu'on a méconnus, de ses services, qu'on a ré-
pudiés, de sa considération, qu'oublièrent des lois ingrates,
de la Foi, qu'elle a conservée, du Roi, quii la ranimera
par sa présence.
Récriminerons-nous contre tous tes. principes jusqu'à
l'heure où nous serons anéantis ? Et cependant voici le
fait Ce qui est vrai dans ce qu'on nomme l'ancien régime,
ce sont tous les' principes; ce qui est faux, ce sont nos
transgressions, nos dérogations à ses lois 1 Aussi, Dieu
a-t-il renversé cet ancien régime que les idées de la révo"
lution venaient d'empoisonner~; et M. de Maistre signalait
comme une des lois de cette époque le perpétuel insuccès
des entreprises des émigrés.
Mais si Dieu, à cause des hommes, a renversé l'ancien
régime, il n'en renversa pas les lois. Si Dieu, à cause des
péchés des* hommes, a voulu le Déluge, il n'a pas pour
cela Détruit l'homme. Et croire que ni la Foi, ou les droits
de Dieu, ni le mérite, ou les droits de l'homme, ni aucune
aristocratie, et dès lors aucune grandeur, ne doivent plus
trouver place dans le nouveau régime, c'est ressembler
à celui qui, voyant s'écrouler sa vieille demeure parce
qu'elle avait perdu les lois de l'équilibre prétendrait
n'employer ni le bois, ni la pierre, et ne plus se sou-
mettre aux lois de l'équilibre pourra reconstruire de
nouveau

(i) Les principes de 89 étaient dirigés, non coutre les abus, mais contre
principe d'autorité', contre toute aristocratie et contre l'Eglise elle-même.
le
Au:si a-t-on vu sortir de 89 le suffrage universel, le système de t'égale, et
celui de la loi athe~.

LÈCiT. 22
.CHAPITRE XII.
Véritable Aristocratie.

Un changement dans la nature de l'aristocratie est un


changement, non-seulement dans les mœurs, mais dans le
capital et jusque dans les entrailles d'un pays. Ou le capital
produit du blé, c'est-à-dire du sang, ou il produit des
superfluités. Par blé, il faut entendre ici les richesses de
première nécessité, en opposition aux richesses de corrup-
tion. Or, comme dans toute la nature, il n'existe qu'une.
quantité limitée de forces pour la production si une part
de cette force passe aux objets de superfluité, c'est aux
dépens de la production des objets de nécessitée d'où vient
le sang, d'où vient ië peuple. On voit par là où
est son
sérieux ennemi.
On peut ainsi amener le peuple presqu'à une extinc-
tion, comme en Irlande comme dans maintes cités
commerciales/et comme dans l'antiquité. Plus il y aurait
en France d'aristocratie
territoriale, plus on aurait à bon
marché le pain et toutes les richesses indispensables, puis-
qu'une telle aristocratie ne s'accroit qu'avec le capital qui
maintient la production. Ce n'est pas cette aristocratie
en
qui multiplie les objets dont le peuple se passe; objets qui
l'appauvrissent s'il s'en sert, et le détruisent s'il les fabrique
disons-nous, d'aristocratie
sans proportion. Plus il y aura,
territoriale, plus il y aura de sang dansjcs veines du
peuple, et d'honneur, de liberté de vertu dans son cœur.
Ainsi la France grandira oa~Kn~n de son aristocratie
tandis que l'Angleterre s'épuisera en raison de la sienne.
Cette dernière aristocratie, en multipliant l'or et en élevant
sans cesse le prix des denrées, affamera de plus en plus
ses populations en plaçant la richesse et la prospérité dans
les objets d'industrie et de luxe, elle diminuera d'autant la
production des objets dont l'homme s~nourrit.
L'aristocratie n'est que la haute exploitation morale et
économique d'un pays. On dirait que la morale et le sol
répandent ensemble et l'une par l'autre leurs bienfaits
Dans les nations, la gloire et la prospérité sont en pro-
portion d'une aristocratie véritable, et elle est véritable
lorsque suivant l'exemple des Cincinnatus, elle ne quitte
l'épée que pour rentrer aux champs, ou ne quitte les
champs que pour servir Dieu et l'Etat. Le point de vue
est clair, d'accord avec les faits, d'accord avec la Foi ne
détournons point les yeux pour ne pas voir.
Que la France déploie cette civilisation solide; qu'elle
rentre dans ses traditions, qui sont celles de tous les
grands peuples qu'elle suive son instinct sacré Qu'elle
réprime, qu'elle refoule cette indécence, cette folie nou-
velle des spéculations qu'elle le fasse par dignité, qu'elle
le fasse par justice, paf* humanité, même par intérêt.
Des foules dénaturées regorgent dans ses villes, et leurs
flots, de plus en plus multipliés, se soulèvent au souffle du
socialisme. Que 'la France surtout ne persiste point à
planter dans le sol de la Bourse la tige d'une aristocratie
nouvelle, ainsi que l'Angleterre dans l'empire des mers
L'arbre dont les racines touchent l'or ne répandra que
la misère, ne nourrira que la Révolution. Cette corne de
funeste abondance, fantôme de prospérité, cette aristo-
cratie plus terrible que celle de nos voisins, loin de conso-
lider nos mœurs et de maintenir nos droits, ne les récla-
merait même pas pour elle, tant elle est absorbée dans sa
cupidité. Privée des champs, privée d'indépendance,
tournant avec la roue de la fortune, sous le coup d'un
décret ou de la foudre d'un événement, elle se prosternera
devant la force, tendra les mains au despotisme, lui offrira
toute son âme, po~r faire ce qu'elle nomme des anaires et
avoir la sécurité. A Fimage des Bonapartes,cette aristocra-
tie sinistre nous précipiterait dans la servitude et la ruine,
dont ie gouffre se creuse sous les Etats qui ont quitte
la Foi.
RéHéchissons. Le droit public et la nation reposent
politiquement sur l'aristocratie, l'aristocratie repose sur le
sol, et la vertu sur un Roi sage. Agriculture et Royauté
chrétienne, au lieu d'uue loi athée dans une constitution
anglaise, sont les deux conditions du bonheur c'est le lot
les deux éléments
que le ciel a fait à la France, et ce sont
de sa constitution.

CHAPITRE XXIII
De l'excès d'industrie.

H faut satisfaire les besoins et non les caprices de


l'homme les besoins moraux et les vrais besoins matériels.
Représentons ces deux séries de besoins, revenon.s dans
le vrai, rentrons dans nos immunités privées. Ce ne sont pas
des droits politiques impraticablesqui importent a l'homme,
mais ses droits propres, droits de la conscience, de la
famille, de la propriété, de la cité 1 Déployons ces libertés
;,i chères, les seules qui touchent à nos personnes, qui

portent sur les choses que nous avons créées car la


personne humaine conserve un droit, une souveraineté
naturelle sur ce qu'elle a produit et qui pa~ suite lui est
propre.
Alors, si nous souhaitons de telles libertés, défendons
ceux qui les fondent, les maintiennent et les représentent.
Si nous tenons à nos traditions nationales, si nous voulons
des droits publics, il faut des ordres, des éléments dans la
nation il faut une aristocratie. Et si nous voulons une
aristocratie véritable, qui contienne et rétablisse nos
libertés, reprenons le droit de tester, pour disposer de nos
biens, de notre sang. L'hérédité subsisterait-elle dans
l'ordre politique lorsqu'elle est bannie de l'ordre civil et
des moeurs ?
Mais, à propos de sang, pensons à celui qui est le
réservoir commun, au sang de la nation. 11 est temps de
vit de travail
songer sérieusement au peuple Le peuple
et de protection, et non d'une liberté qui le tue. On a
choisi des mots exprès pour le détruire on l'a précipité
sous les roues d'une concurrence qui le
broie, dans la
fournaise de l'Industrie qui le consume. Lui faire déserter
le sol, sa vraie caisse d'épargne, réduire le champ de sa
richesse véritable, étendre celui des salaires, qui se con-
somment immédiatement, conduire les multitudes sur
l'abime en multipliant les populations sans capital, les
hommes que la misère ~treint, les femmes et les enfants
dont le pain est mangé d'avance et le foyer sans lendemain,
isoler la vertu, rendre la famille et l'épargne de plus en
plus difficiles, et, pour calmer les flots de cette barbarie
croissante, presser sans fin les mamelles de la charité,
est-ce là faire de la politique, est-ce ià émanciper un
peuple, lui préparer un avenir ?.
Protégeons, protégeons! JI faut asseoir les plus fai-
bles avant de songer aux plus forts. faut songer à
la vie et. ménager du pain au grand nombre, avant de
préparer l'opulence du riche. Le vrai but du Légis-
lateur n'est-il pas le bonheur répandu sur le plus grand
nombre ?
La politique la plus clairvoyante et la plus équitable
commande de ramener l'industrie, et surtout l'industrie de
luxe, à ses légitimes confins. D'abord, parce qu'elle nuit
au peuple, ensuite, parce qu'elle. nuit à !a société, en
outre parce qu'elle produit des fortunes rapides qui
nuisent aux Etats, enfin, parce qu'elle nuit évidemment
aux âmes. La politique seule exigerait que la grande pro-
priété combattit l'empire exagéré de l'industrie.
L'industrie est de soi une chose restreinte. Elle ne
saurait s'emparer d'une société entière sans fausser l'aris-
tocratie et sans asservir les populations, ni régner sur un
peuple sans en bouleverser de fond en comble la politique,
la richesse et les moeurs surtout si elle envahit un pays
où, comme partout, les plus puissantes familles se sont
formées et se sont assises sur l'agriculture. Au triple
point de vue de la politique, de la richesse et des mœurs,
!a transformation serait ici tellement radicale -qu'elle con-
duirait l'Etat à son anéantissement.
L'épreuve du temps, qu'impose l'agricultureà l'élévation
des familles, est une grande école qui nous fait bien com-
prendre les dangers et l'impuissance sociale de l'in-
dustrie.. Quand on peut aisément amasser de l'argent, on
laisse les moyens difficiles, bien que gcnéra!ement plus
sûrs. Que les hommes d'Etat dirigent sur ce point une
attention sérieuse ce n'est ni à la foUle séduite ni aux inté-
r-essés p
ressés que ce tangage peut s'adresser. En outre, quand
l'industrie a l'empire, c'est désormais dans les villes que se
forment et se retirent les aristocraties or, que sont de
telles aristocraties?. Les campagnes, alors abandonnées
à elles-mêmes, privées d'exemples supérieurs, s'isolent de
de la Foi. Reliées à la société uniquement par la main
décharnée de l'administration, elles retombent peu à peu
dans la barbarie.
Si la Russie, par exemple, retirait dans ses villes ses
aristocraties avec leur capital, ses populations tarderaient-
elles à rentrer dans la barbarie?. En France, avec un peu
de temps, le même phénomène aurait lieu. On oublie tou-
jours que la civilisation ne se forme point toute seule,
qu'elle n'est point un fruit naturel, que, comme la vertu,
elle tombe avec l'effort qui l'a produite. Malheur à l'Etat
ou les familles respectables, pour élever et placer leurs
enfants, se voient dans la nécessité d'échanger d'antiques
patrimoines contre des valeurs empruntées à l'industrie!
En France, nous perdons les rudiments de toute grande et
vraie politique..
Dans ses limites, certes!1 l'industrie est un bien, une
faveur, une fortune, un très-grand avantage mais c'est lui
enlever ces avantages que de presser les hommes, par les
lois et les moeurs, de verser là leur aptitude, leurs capi-
taux, leur sang, la totalité de leurs forces. C'est amasser
sur le même point et la foule et l'aristocratie, puis faire
peser celle-ci de tout son poids sur un peuple sacrifié.
Enfin, c'est à la fois tarir la source des grandes familles,
détruire de nombreuses populations et abaisser profon-
dément l'Etat.
Dépeuplerles campagneset la religion, peupler l'Etat de
familles nouvelles et encore médiocres~, exposer.les popu-
lations d'ouvriers à la corruption des grands centres et à
la contagion des ateliers, développer chez elles toutes les
cupidités, à la vue de fortunes immenses brusquement
amassées, donner aux hommes le goût du luxe et du
plaisir, en les rendant témoins de Fentrainement pour les
jouissances qui éclatent chez les familles enrichies,. en6n
plonger les populations industrielles au milieu des idées
fausses et des mœurs déplorables que les demi-savants, les
enrichis et tous les déclassés répandent dans les villes, tels
sont les résultats aujourd'hui évidents de l'industrialisme.
Le sang, les âmes, les populations, la France entière se
voitsacrinée à cet excès.
Ni la famille ni l'Etat n'ont intérêt à ce que certains
individus gagnent rapidemment beaucoup d'argent. L'Etat,
par les raisons majeures qu'on vient d'énumérer la
fami!!e, à cause des rejetons médiocres que, dans de telles
circonstances, elle produit dès la première génération.
Cette génération est écrasée par la fortune venant plonger
tout-à-coup ces familles dans le luxe et dans les péchés
qui les dissolvent aussi promptement qu'elles se sont
formées. Ici, avec leur sang, elles perdent d'un seul coup
l'avenir que leur préparait une croissance naturelle. L'Etat
a donc à souffrir des effets désastreux de l'industrialisme,
sans s'être procuré l'avantage de posséder quelque bonnes
familles de plus..

(1) En fdit d'institutions sociales vraiment sérieuses, ces familles ne voient


rien au-de~ des banques et de la police. H faut toujours, disent-elles, en
venir à l'argent; ce n'est qu'avec l'argent qu'on se présente chez ie bou-
langer.. EUes semblent ignurer le mécanisme immense, à ln fois religieux
et social, qui fonctionne pour qu'il existe un bou)anger. puis un homme
vivant et protégé qui vienne lui acheter du pain
CHAPITRE XtV.

dusses moyennes, prohtème (le i'avcnh'.

Dieu ne veut pas voir diminuer le nombre des éïus,


et les nations ne veulent pas disparaître sous la conquête. Il
faut donc croire que nous voudrons nous conformer à la
raison, et que la France se décidera à comprendre la
cause de ses maux. Si nous voulons continuer tout à la
fois de laisser croître une aristocratie viciée et d'immoler
la foule, décidons-nous à nous voir effacer de la carte des
grands Etats. La Prusse, le Russie et l'Autriche, qui à cet
égard, demeurent dans des conditions normales, pren-
draient sans peine sur la France une prépondérance
naturelle et définitive.
Que nos classes moyennes, aujourd'hui gouvernantes,
persistent, pour s'enrichir, à livrer le pays à l'indus-
trialisme, entretenant le paupérisme et ta cupidité, et la
France perdra peu à peu son sang et ses dernières condi-
tions d'existence nationale. Ce qui le prouve, c'est qu'on
verrait la plupart de ceux qui font ce qu'ils appellent des
affaires, rester indifférents à cette catastrophe~
On doit prémunir un pays contre son propre égarement.

()) Un homme qui sait. observer disait Il est chez nous toute une série
de capitalistes et de trafiquants prêts à passer sous le joug de la Prusse, si
celle-ci, annonçant qu'elle va s'emparer de FE~t de la France, leur promet
de les affranchir des droits de douane et d'impôt, puis d'ouvrir a leur com-
merce un )ar~e débouché en AHema~nH.
I! ne peut exister de doute sur les causes de notre
décadence. Ne sont-ce pas les classes moyennes et indus-
trielles qui ont fait la Révotuiion, et qui sont incapables
aujourd'hui de lui opposer un rempart? Ne sont-elles pas
encore le foyer de ce Iibéra!isme, source toujours jaillis-
sante de la Révolution et de notre athéisme politique ?
Ne sont-ce pas e!ies aussi qui dénaturent les populations
de la France en les attirant dans les villes, où elles forment
aussitôt les armées du socialisme? Enfin, par les rapides
gains de l'industrie et de l'agiotage, ne sont-ce pas ces
classes, telles qu'elles sont constituées aujourd'hui, qui
peuplent les sommets de la, société de familles privées
de traditions et de sentiments de grandeur? Peut-on con-
tinuer à marcher de la'sorte ?
On ne saurait ni laisser des classes aussi importantes
dans cet état, ni leur permettre d'achever la démolition de
la société Française. N'est-il pas urgent d'imprimer aux
classes moyennes une transformation spéciale, (dont on
parlera plus loin), et de préparer aux classes ouvrières les
modifications que voici ?
Pour retirer le peuple de la situation où on l'a mis, ne
faut-il pas opérer une immigration des villes dans les
campagnes, puis, par des corporations nouvelles et par
des intérêts collectifs, l'arracher au pouvoir sans frein du
monopole de l'industrie 1? Tranchons le mot nous devons
peu à peu retirer ces foules délaissées de la main des
classes qui en abusent, pour les remettre peu à peu dans

(i) C'est par des maîtrises et des corporations nouveHes, réglées par la
législation, que les élasses ouvrières présenteront ces t~~r~ co~ec~
~r~«.cqui auront naturellement le droit d'être représenta et entendus. ·
(Parotesroyatcs)
celle d'une aristocratie agricole, les replaçant sous la
tutelle de la Foi.
Sinon, point de salut, point de solution pour les trois
grands problèmes du paupérisme, de l'industrialisme et du
socialisme, d'où dépend l'avenir.
Nous voilà en présence de l'obstacle que ne peut plus
franchir !a société moderne, savoir l'antagonisme qui
s'es.t établi entre le capital et la classe ouvrière, sous le nom
de socialisme
D'un côte, l'autorité des lois qui s'en va, de l'autre, la
puissance de la masse ouvrière qui grandit. Une doctrine
s'anirme et une armée s'avance sous le nom d'interna-
tionale. Elle possède la puissance politique dans le suffrage
universel la puissance sociale, dans le nombre de l'orga-
nisation, et la' puissance morale, plus terrible encore,
dans le néant où nous a mis l'absence de doctrine.
Cette armée effrayante va emporter d'assaut le capital,
c'est-à-dire la société moderne. Elle crie « Oui, nous
la haine, nous avons besoin de haïr Nations
« sommes
modernes, que ferez-vous ? Dieu sans doute veut vous
délivrer aujourd'hui même, sans quoi la société disparaî-
trait dans la cendre et dans le sang. Mais demain?. Cette
armée, comme celle d'Attila, ne peut changer ni de but,
ni de haine, et elle va grossissant. Que faire donc?
L'arrêter c'est-à-dire l'empècher de prendre de telles
proportions. C'est un fleuve qui déborde en entrainant
toutes les digues il faut le maintenir dans son lit.
Ce fleuve rentrera dans son lit le jour où vous en con-
serverez et en aménagerez les sources, où
vous empêcherez
les campagnes de jeter inconsidérément dans les villes ces
jeunes hommes qui viennent y satisfaire et leurs passions
et leur cupidité, puis bientôt leur envie. L'antagonisme
n'existe point entre le capital agricole et ceux qui cu!tivcntt
les champs réf!échissez
Vous demandez aussi pourquoi il y a tant de haine ?
parce que vous avez tué Ja religion d'amour.

CHAPITRE XV.

Ou l'aristocratie ou Ja bureaucratie.

t! faudra bien aussi abandonner l'échafaudage que !a


Révolution mita la place de notre ancienne constitution
historique, substituer peu à peu l'aristocratie à la bureau-
cratie, à ce buisson d'épines dont on couvre le sol depuis
qu'il a perdu Fombrage paternel.
Quel pouvoir saurait diriger à la fois les biens, les lois,
les libertés et les personnes, régner sur tous tes hommes
et gouverner l'individu ? à moins que !a nation ne soit
plus composée que de classes étourdies par l'idée de faire
des affaires. Ne faut-il pas avoir broyé une nation pour
en arriver là? La centralisation n'est-elle pas l'établisse-
ment même du despotisme? Le gouvernement est-il tout?
Et les consciences, et les traditions, et les mœurs, et les
droits, et les ordres, et les cités, et la nation, et l'homme
enfin, ne sont-ils donc plus rien?
Le gouvernement n'est pas tout sans action à l'égard
des âmes qui font le bien, il est le garde-fou des autres.
Au sein du christianisme, l'Etat ne saurait tout tenir ni
tout conduire~ les âmes, la science, la pensée, les cou-
tumes, les arts et-jusqu'aux constructions de clochers.
Dieu lai-même ne le pourrait sans se mettre à la place de
la liberté qu'il a faite. Ce serait supposer que l'homme
est une force brute, et qu'il convient de l'annuler. L'Etat
ni une nation devenir sem-
ne peut remplacer une nation,
blable à un régiment auquel on laisserait uniquement le
soin de pourvoir à sa nourriture.
D'ailleurs, comment agir de la sorte sans créer une
aristocratie de fonctionnaires aristocratie arbitraire, natu-
rellement médiocre, nécessairementsans grandeur, tracas-
siére, sans égards, armée contre l'administré, c'est-à-dire
plus
contre la France en poussière, chargée de dix fois
de pouvoir, de dix fois plus d'abus qu'on n'en a pu repro-
cher à l'aristocratie naturelle? La bureaucratie fut
inventée par la dictature révolutionnaire pour remplacer
l'aristocratie au moment où l'on anéantissait les provinces
tout le secret de cette institution est là.
La province renfermait notre propre croissance histo-
rique, les éléments mêmes de notre nationalité. LA PRO-
viNCEEST LA NATION- INTÉRIEURE.
Elle en est le microcosme
famille,
et comme la vie propre, car elle est la vie de la
de la cité, de tous les droits acquis, soigneusement con-
servée au sein de l'unité du pays. Tout s'éteint avec la
province, et la bureaucratie est le linceul d'une nation.
Quel avantage aurait un pouvoir légitime à s'astreindre
à tout, à s'immiscer dans tout pour tout gâter et tout
mécontenter?
«
Quand le pouvoir est chargé à la fois de gouverner
avec la liberté et d'administrer avec la centralisation,
M
comme l'avouait M. Guizot, quand il a à lutter au
))
sommet pour les grandes affaires de l'Etat et à
régler
toutes les affaires du pays, alors, absorbé par les affaires
»
générales, et par l'administration depuis le hameau jus-
» qu'au palais, il n'est plus qu'un moyen de gouvernement
» entre les mains des partis qui se disputent ce pouvoir. ),
ï! existe un autre inconvénient péremptoire c'est de
laisser anéantir toutes les énergies, toutes les spontanéités
nationales par la bureaucratie, et de remettre une popu-
lation, comme une momie enveloppée de bandelettes,
aux
mains du despotisme ou des révolutions.
Seulement n'oublions point ceci Centraliser, c'est dé-
poser la force dans les mains de l'Etat, parce qu'elle n'est
plus dans la nation et dès lors décentraliser, c'est
sup-
poser que cette force retourne désormais dans la Société.
Quand les liens sociaux sont rompus', quand il n'y a plus
que la cupidité, quand le bien et la concorde disparais-
sent, 1'admi.nistration devient !a chose principale. Avantt
de l'abolir, il faut donc voir renaître la conduite, la con-
science et la vertu.
Dieu ménage, espérons-le, des événements propres à
rétablir la vertu chez les hommes par le retour de ia
lumière qu'ils ont -perdue. Voilà uniquement pourquoi
nous devons jeter un coup d'ceii sur les voies d'une
décentralisation prudente et légitime.

CHAPITRE XVI.
Bureaucratie et gajficanisme, ou suppression de !a nation.

Ceux qui se rendent compte des faits s'aperçoivent que


c'est la liberté qui est ancienne, et le despotisme qui est
nouveau. Sans parler des droits augustes que Dieu fait
valoir par l'Eglise, ni de ces droits publics, également
sacrés, qui sont le fruit de la vie nationale, entrer ainsi
dans les choses qui ne concernent que l'individu, vouloir
tout faire et tout satisfaire, vouloir mettre d'accord tout
le monde, c'est mécontenter tout le monde et se dépopula-
riser gratuitement.
Que les gouvernements asseoient leurs trônes sur les
principes, sur les mœurs, puis sur les lois. Si leur stabi-
lité est en raison de leur puissance, celle-ci est en raison
inverse de l'étendue de leur action. Il faut que le gouver-
nement, comme la Divinité, s'il est possible, n'apparaisse
qu'à la pensée, ne se sente que dans ses lois, excepté quand
il montre sa bienfaisante main..
On ne s'arrête jamais sur le chemin du despotisme
l'Etat tenait les hommes, et il voulut avoir les âmes. On
le vit mettre tous ses efforts à en ôter la direction à
l'Eglise. !1 ne s'agissait plus ici du gallicanisme qui,
dans la théorie, croyait à la supériorité du concile sur
le Pape, mais de celui qui, dans la pratique, voulait la
domination de l'Etat sur l'Eglise gallicanisme de l'Etat,
Alors, l'idée
que Bossuet, certes! ne pouvait pas prévoir.
d'Eglise gallicane se traduit bientôt en celle d'église
nationale, et toute une nation se réveille un jour dans
le schisme, c'est-à-dire corps et âmes au pouvoir de
l'Etat 1
La bureaucratie et le gallicanisme pratiqués par ~~< 1

(1) JI y a ditTerence de degré.mais non de nature, entre la Loi organique,


en France, qui dit a Aucune bulle, aucun
bref, rescrit, décret, provision,
n ni autres
expéditions de ta cour de Rome ne pourront être reçus, publiés,
» ni
autrement mis & exécution sans l'autorisation du gouvernement B et
l'Ukase russe de n82, renouvelé en mars 1832, qui dit.' Tous les actes
du Souverain Pontife seront soumis au Sénat, de même que !a correspon-
n dance du clergé catholique avec Rome.
nous ont conduits où nous en sommes l'une, en détrui-
sant Faction de la province, l'autre, en affaiblissant celle
du clergé. Toute aristocratie succombe dans
ce double
fait, et la nation succombe peu après l'aristocratie.
L'aristocratie doit occuper sa place, non-seulement
pour
former, attirer et guider les populations dans lesquelles
elle a pris naissance, mais pour cmpècher
que le sou-
verain lui-même ne se substitue peu à
peu à la Société
tout entière, que le pouvoir n'absorbe tous les droits, ne
dégénère en despotisme et de là en un césarisme absolu.
Une fois les droits de la province et les droits de l'Eglise
anéantis, d'où sortira la réaction et où se-montrera la vie?
Hors de i'Ëg!ise et des autonomies municipales et provin-
ciales, que reste-t-il debout dans la nation? La Famii!e?
mais la Famille, élément vital des nations, est elle-mème
atteinte dans son existence et sa durée par le code civil.
Elle se décourage et s'épuise quand
on s'oppose à sa
croissance en lui ôtant le droit de tester, quand elle est
comme l'arbre dont ia serpe t'ait un arbuste'.
L'aristocratie n'est que le développement même de la
famille au sein de la nation. En perdant l'aristocratie
et
la province, Ja farnille a perdu
ses branches, elle a perdu
son tronc et notre code civil vient couper ses racines.
L'abolition de la province et du droit de
tester atteignent
la nation dans ses germes de vie.
Ce n'est pas tout. Au-dessus des aristocraties
est la
Foi, d'où elles tirent leur
essence et leur caractère. Or,
l'Etat qui s'est substitué à la province, à la famille, à

(~ Sans oser rappeler ici moyen odieux, sur Jeqne! la cupidité et la


le
dépravation s'entendent, pour r~btir, depuis trente
ans, malgré Je Code,
t'nntteduûs les héritages t.
l'aristocratie, veut se substituer à la Foi, en la règle-
mentant, en l'étouffant dans son libre cours. Quand ces
trois choses sont en ses mains, l'Etat a remplacé la nation.
il rentre dans la thèse antique.
Code civil et gallicanisme, abolition du droit des hommes

et abolition du droit de Dieu Code civil, gallicanisme et


bureaucratie, trois béliers avec lesquels le libéralisme dé-
molissait l'édince européen. Nous l'avons vu libéralisme
et sécutarisme, sécularisme et athéisme, athéisme et com-
munisme sont choses identiques.
Il ne reste plus ici qu'à abattre la Papauté, arbre de
la civilisation alors il n'y aura plus rien debout chez
les nations modernes, plus rien.. debout en Europe; alors
pour échapper au feu et au carnage, le despotisme antique
s'étendra de nouveau sur les peuples. En ce temps-là les
hommes demanderont des droits

CHAPITRE XVII.
Les droits des hommes.

Un droit naturel est ce!ui dont un homme ne saurait


être dépouillé sans perdre sa nature ou la voir s'amoindrir.
Le premier des droits naturels est nécessairement celui
qui est la condition des autres, qui concourt à leur exis-
tence et en assure la possession.
Cette condition n'est-elle pas la Société, donnant, le jour
aux droits par la lumière morate, leur assurant la pro-
tection par la justice?
LÉG)T. ~3
La Société, dès, lors, n'est-elle pas le premier droit de
l'homme? La vérité et la justice ne sont-elles pas égale-
ment un droit fondamental, puisqu'elles sont la condition
des autres?
Chaque homme a donc droit, premièrement, à la
Société, et par suite à la répression des causes qui peu-
vent l'ébranlée secondement, à la justice et à la vérité,
dont il ne peut être privé sans cesser d'être homme, d'être
surtout cet homme achevé qu'on appelle le citoyen troi-
sièmement, au maintien du Pouvoir, qui garantit l'exis-
tence de la Société, et au maintien des lois, qui garantissent
l'usage de la liberté légitime.
Dés lors, chaque homme doit être protégé, 1° dans sa
nature d'être raisonnable, qui ne saurait être dépouillée
de la vérité morale sans perdre l'exercice de sa raison et
de sa liberté 2° dans l'usage de cette nature d'être moral,
comme époux, comme père, puis comme possesseur de
moyens d'existence; 3~ dans l'exercice de ses fonctions
comme membre de la cité, où il rencontre tous ses droits.
Chaque homme, par conséquent, a droit à ce que la
Société possède le Pouvoir, de manière à lui assurer ses'
droits comme être raisonnable, ayant droit à la vérité,
puis comme citoyen ayant droit à la protection, et exer-
çant dans la cité une action proportionnée au concours
qu~il apporte à la vérité, à la justice, et au pouvoir dont
on les rêvât. Chaque homme doit concourir au gouver-
nement de la Société dans la mesure où il concourt à
l'existence et au développement de celle-ci.
Droit à la Société, droit à la vérité, droit à la justice,

(i) « L'ordre social, a dit Rousseau sans y prendre garde, est un droit
sacré qui sert de base à tous les autres, o (CoM~. Soc. cbap. JLJJ
droit à la protection comme homme, comme époux, comme
père, puis à la garde de la loi comme citoyen, dans la
mesure où il concourt à l'entretien de la cité, selon qu'il
est roi, prêtre, législateur, guerrier, magistrat, proprié-
taire ou prolétaire tels sont les véritables droits de
l'homme.
Droits naturels, dérivant tous du droit glorieux que
Dieu remet à l'homme dans la liberté, ce pouvoir sublime
d'accomplir sa loi, ce pouvoir insigne de remplir son
devoir Droits naturels, dont l'homme ne peut être privé
sans perdre l'exercice de sa liberté légitime, seul moyen
de se développer; droits dont il ne saurait être dépouillé,
à moins qu'il ne s'en soit dépouillé lui-même par l'abus de
sa liberté.
Ces principes sont invincibles. Ils ne sont empruntés
à aucune école; ils dérivent de la nature même des
choses. Tout autre système tiré de droits prétendus
naturels n'est qu'une mutilation de la nature et ne peut
amener qu'un chaos.

CHAPITRE XVIII.
Véritables libertés des hommes.

Plus d'équivoque! que, sous prétexte de nous conférer


des libertés éloignées, on ne nous ôte donc point nos
libertés privées, comme le fait la Révolution Que, sous
prétexte de nous donner des droits politiques, on ne nous
prive point de tous nos droits publics, on ne nous étouffe
pas, nous, nos familles, nos provinces, notre Foi, sous
le despotisme du papier Tout homme doit être libre,
c'est-à-dire protégé en son âme, sous son toit, dans son
champ, dans son ordre, au sein de sa municipalité,
Ah!1 comprenons les véritables droits de l'homme! I!'
veut prier librement pour mériter; tester, pour com-
mander chez lui, pour conserver son sang; concourir à
l'ordre et à l'impôt, pour jouir en paix de son bien sous
l'égide du roi, dont il reçoit l'inestimable assistance d'une
justice en accord avec la vérité. En outre, il est urgent
que le peuple, dont l'esprit est simple et la vie précaire,
reçoive protection à ia fois contre nos erreurs et contre
tous les hasards et tous les maux de l'industrialisme.
Mais si, rêvant encore des droits de l'Homme, nous
croyons partir de l'état de nature et fonder la société de
compte a demi avec l'Etat si c'est le Pouvoir même,
comme issu de nous, que nous désirons partager avec lui
dans ce qu'on nomme un gouvernement parlementaire,
après un jour passé dans le rêve, nous deviendrons la proie
de la foule, contre laquelle le Pouvoir ne pourra plus nous
protéger, ensuite la proie du Pouvoir, venant comprimer
cette foule et ceux qui lui font des discours Lès prétendus
Droits politiques sont la consécration de la Démocratie, et
l'établissement du césarisme; l'absence des droits publics
est un acquiescement au despotisme.
Ce despotisme, nous l'avons préparé, nous l'avons
obtenu. On a fait du souverain le représentant du peuple
et non le représentant de Dieu. Mais, en dehors de
l'athéisme enfermé dans ce fait, n'est-ce pas s'égarer dans
les mots? Le Prince est le représentant des droits de ses
peuples, et de la souveraineté qui vient de Dieu 1 Si le
Prince tenait la souveraineté de ses peuples, il ne les gou-
vernerait pas ce sont, ses peuples qui le gouverneraient.
Ce n'est pas tout, s'il tirait la souveraineté de ses peuples,
déjà ses peuples la posséderaient et pourraient se passer
de lui. Enfin, s'il en était la créature, que pourrait-il pour
~eux? En quoi les élèverait-il? d'où leur apporterait-il
l'élément supérieur que tous les peuples demandent à la
souveraineté?
On confond toutes les notions les droits publics des
peuples, ou ce qui -vient de nous, avec la souveraineté,
telles confusions que
ou ce qui vient de Dieu. C'est par de
noyés dans
nous avons perdu nos droits et qu'on nous a
la cupidité. Aussi, tout est changé pour nous~ Le mot
même d'impôt n'existait pas autrefois on parlait ~'c~
de service, et de dons nos langues, en cotoyant notre
histoire, reflètent nos servitudes.
On a comprimé l'homme, on a démoli la justice. Il faut
que tous les hommes soient égaux devant
la loi mais ce
n'est là qu'une première application de la justice; il faut
que tous s'élèvent et s'èchelonnent suivant
leurs vertus
telle en est la seconde et la plus haute application.

CHAPITRE XIX.
Cercle vicieux de la démocratie et du despotisme. Remède.

C'est le.droit que !a révolution a renversé; le droit dans


l'homme, dans la nation et dans le Prince. Répétons-!e.
cette tut-te chronique entre un despotisme passé à l'état de
chose jugée, et une nation qui s'en garantit comme elle
peut en réclamant des droits politiques, est un duel fatal.
Fatal, parce que c'est la révolution admise
en principe
et tolérée dans ses désordres fatal, parce que ces droits
ne sont point réels, mais qu'ils servent à l'entretien de la
démocratie, source éternelle de despotisme fatal,
parce
que tel est le piège universel de l'époque.
Dans ce cercle vicieux, celui qui tient la force, à chaque
mouvement lie de plus près les membres s'il triomphe,
il serre le noeud dans sa main et si le peuple
se dégage, le
peuple tombe dans l'anarchie. Mais, privée de hiérarchie,
dépourvue de toute ordre, de toute aristocratie, de tout
élément réel, la nation qui n'a plus alors ni le
moyen, ni
ie temps de se constituer, est aussitôt reprise
par le despo-
tisme, pressé de la couler de nouveau dans son moule.
Une nation décomposée ne peut jamais agir, surtout
en un
moment pareil. Le peuple, au reste, entreprend peu de
révolutions contre le despote, qui captive la foule; toujours
de plus en plus flattée de voir le patriciat écrasé
sous
ses yeux.
C'est cet état qu'on nomme la Démocratie. Que le
despote produise artiHeiellement la paix,
ou qu'elle se
brise dans l'anarchie, c'est toujours la démocratie. Car
c'est la démocratie qui ramène invariablement le despote,
et le despote qui, ruinant toute aristocratie, rend la démo-
cratie perpétuelle.
La Révolution a renversé le droit et l'ordre social: Pour
les rétablir l'un et l'autre, écartons la Révolution, détrui-
sons la centralisation dans sa racine, qui est le parlemen-
tarisme.
Le remède, le seul remède contre le despotisme, qui
est
la suppression des droits publics et privés, et contre la
démocratie, qui en est la négation doctrinale, se trouve
dans la hiérarchie, qui est la série même de tous ces
droits acquis, l'échelle du mérite, l'arbre de nos libertés
constituées, passées dans les coutumes, devenues notre
tradition. En brisant la hiérarchie et les provinces, les
peuples se brisent eux-mêmes. Le despotisme,vient le
jour où les peuples perdent toute aristocratie: que celle-ci
tombe par sa faiblesse, ou.que l'erreur ait changé chez eux
tout respect en orgueil.
Mais comme il n'est .pas de peuple où ne se montrent
aussitôt des hommes plus vertueux et meilleurs que les
autres, et où ne puisse renaître le respect si l'Etat se joint
a la Foi pour le rétablir dans les âmes, les nations restent
guérissables. Pour elles comme pour l'individu, l'orgueil
amène la ruine, et l'obéissance au bien amène la gran-
deur et la paix.
Une femme, dont M. de Falloux nous a révélé la sagesse
dans le conseil et dans la Foi, disait en 18i5 « On parle
de la classification des Pairs' si tout, dans l'Etat, était
uxé de la sorte, cela remédierait à un des plus grands
maux de la France la confusion, qui ouvre le
champ à
toutes les prétentions de l'orgueil. Une ambition précise
n'est pas dangereuse l'ambition vague est sans limites.
Ces prétentions additionnées sont la Révolution, et la
Révolution, c'est le despotisme s'établissant sur la ruine des
aristocraties.

(i) L'application de cette idée pourrait ne pas avoir un très-bon résultat


ni
car ne pouvant pas classer les Pairs suivant l'ancienneté des famitles,
ajouter un siècte à celle du général en chef qui vient de remporter une vic-
toire et d'imposer ta paix, la classification ne pourrait se faire que suivant
l'ordre des nominations.
CHAPITRE XX.

Pluralité d'ordres et non pluralité de pouvoir.

H faut qu'une nation soit constituée pour que le Pouvoir


le soit, et pour que l'autorité règne ~u lieu du despotisme.
Le conflit ne saurait avoir lieu au point même où se tientt
l'unité et d'où découle la vie nationale.
II n'en est pas de plusieurs ordres au sein d'un peuple
comme de plusieurs pouvoirs au sein de l'Etat. Une pon-
dération s'établit entre les ordres hiérarchiques, et jamais
entre ces pouvoirs. Des ordres, dis-je, se combinent
naturellement au sein d'une nation, parce qu'ils dérivent
des besoins de l'homme; et, loin de diviser la nation, ils en
forment la charpente et le lien. Ils établissent, la, hiérar-
chie, qui est comme le faisceau et l'harmonie des citoyens,
ou l'opposé de la Révolution.
Tout au contraire, le Pouvoir est un ~ar, bien qu'il
doive être distribué et réparti, s'il n'est pas un, il n'est pas.
De plusieurs pouvoirs nait la lutte, et de la lutte, la
destruction. Destruction du plus élevé par les autres en.
temps de trouble, et de ceux-ci par le premier en temps
de paix.
Tout pouvoir est essentiellement jaloux, parce qu'il est
nécessairement un, qu'il ne saurait avoir de trêve s'il ne
saisit son unité Vouloir le diviser, le pondérer, c'est se

(i) Ecoutons ceux qui savent et qui ont pratiqué: a Tout pouvoir, disait
faire illusion, et c'est lui donner la charge de pourvoir à
sa propre existence au lieu de celle de gouverner. Mais,
bien qu'en fait de pouvoir il ne puisse y en avoir qu'un,
il doit être prolonge, et c'est précisément l'œuvre de la
hiérarchie.
Ne sortons jamais du bon sens. Etablissons la lutte, ou
la pondération sur le point où elle est un progrès, où
elle est une vie, et non pas sur celui où elle est un combat
et bientôt une destruction. Que l'émulation de l'honneur,
des devoirs ou des intérêts embrase les familles quelle
les élève sur l'échelle progressive du mérite ou de la
fortune, et favorise cette immense circulation du sang
d'une nation. Mais, que l'ambition. entière d'un peuple ne
se donne pas rendez-vous dans le sein du pouvoir Or,
en produisant l'harmonie dans la nation elle-même, où
elle est un bien, l'unité se trouve faite dans le Pouvoir, où
elle est une nécessité. Mais lorsque tous les éléments sont
confondus et en lutte, comme cela arrive au milieu de
nous, la bataille se livre sur le terrain du Pouvoir c'est
sur la tête que le coup porte, et tout peut-être anéanti.
Qui pourra croire que les conditions sur lesquelles a
vécu la société française étaient absurdes, qu'il faut en
prendre le contre-pied pour lui assurer l'avenir? Où est
cette puissance de génie qui vient nous amrmer que les
idées d'aujourd'hui valent celles de l'expérience, celles de
nos glorieux ancêtres? Quand les hommes se disentt

le prince deMetternich, est de sa nature envahissant et .exclusif de tout


pouvoir rival. En fait de pouvoir, il ne peut y en avoir qu'un. S'il en
') existe deux ou davantage, ce n'est pas à la pondération qu'il faut songer,
mais à la lutte. Elle éclate et se protonge fatalement jusqu'à ce qu'un seut
ait vaincu les autres, et il arrive aussi que tous succombent à la fois n
supérieurs à leurs pères, en fait de sagesse surtout,
craignons que ce ne soit pas un bon signe.
Fera-t-on revivre l'ancienne société ? Non, pas plus
que les anciennes générations, car la simplicité n'est plus,
Mais ces générations, comme les nôtres, étaient composées
d'hommes, et les hommes n'ont changé ni de nature, ni
de conditions d'existence, ni de but. Peut-on ravir à la
famille son propre développement, à un peuple ses pro-
vinces,ses coutumes, sa nationalité intérieure ? Ce ne sera
plus la même société, mais ce sera l'extension des mêmes
lois 1 Or si ce sont les mêmes lois, il faut donc les étudier

pour nous en faire l'application. Cette application, qui


est l'art de gouverner, reste l'apanage des Rois mais cette
étude, qui en est la science, reste l'objet des préoccupa-
tions de tout homme d'Etat.
C'EST LE NOUVEAU RÉGIME, ET NON L'ANCIEN, QUI EST LE
NÔTRE mais les peuples ne peuvent contredire l'histoire,
ET LE NOUVEAU NAIT DE L'ANCŒN. On élague ce qui est
mort, l'arbre prend de nouvelles branches, mais ne change
pas de racines. Comment fonder un système nouveau
qui serait en'contradiction ave~ les traditions anciennes?
On progresse sans doute, mais, quand on suit sa propre
loi. On ne saurait annuler l'homme, ni mépriser.des droits
qui florissaient partout au sein des cités, des communes etdes
provinces. Et l'ancien régime n'est lui-même tombé que
parce qu'il manquait à ces lois.
Tout fondre, tout mêler, tout réduire à l'identité,
lorsqu'il s'agit de l'homme, nous semble monstrueux puis,

(i) Sous le nom d'ancien régime, on a l'habitude de mettre en avant un


passé qui ne saurait revivre, et qui a péri précisément parce qu'il avait
njeconnu les principes qui sont la garantie d'une société chrétienne.
croire qu'on peut d'emblée représenter ce tout, semble
bien peu pratique. La société humaine qui a sounert tant
de vicissitudes~ tout en tirant sa force des croyances et des
lois, tout en prenant pour base la famille, la cité, la
province, et leurs droits, ne peut espérer s'asseoir sur des
péroraisons.
Subjuguer pour un instant les hommes et les envelopper
des chaînes de la parole, voilà certe s un plaisir de roi,
que nul mortel ne saurait dédaigner. Mais que désormais
!'honnéte homme y renonce!. L'art immortel de discourir
n'est pas celui de réunir. L'art de soulever dans nos cœurs
la tempête n'est pas celui de nous donner la paix. C'est un
grand don, un grand talent que l'éloquence, mais c'est le
talent d'un sujet. La Fable seule prétend qu'Orphée,
par sa lyre, amena les hommes à vivre en société.

CHAPITRE XXI.

Centralisation et Parlementarisme.

Les cités, les provinces, les ordres et les individualités


s'évanouissent dans le régime parlementaire, qui vient
inaugurer une représentation généra!e, uniforme, iden-
tique pour tous. Ce régime est le grand instrument de
centralisation, c'est-à-dire de nivellement, de pulvéri-
sation nationale!
Quand tous les droits sont renversés, que les citées sont
oubliées, que toute autonomie est détruite, que la nation
est nivelée, on tombe dans une représentation générate.
Tel est l'expédient fourni par la révolution et prompte-
ment saisi par le despotisme, savoir: une centralisation
anéantissant les individualités, afin de résister aux ébran-
lements que suscite toujours le régime parlementaire.
Mais ceci se relie à une erreur profonde, qu'il faut
absolument détraire. I! est temps démasquons une poli-
tique redoutable qui fait du mensonge la vérité, et de la
vérité le mensonge de l'esclavage la liberté, et de ia
liberté l'esclavage.
La représentation provinciale, on l'a compris, fait jour
à la personne, à la famille, à la cité elle répond préci-
sément à la variété, à l'individualité, qui est le propre de
la nature humaine. Au lieu que la réprésentation parle-
mentaire fait de toute la nation une seule et même chose:
elle la réduit à l'identité de substance. Ce régime est le
suprême exécuteur du despotisme.
Il est clair que, par provinces, on entend à cette heure
les départemeiits, bien que ce mot rappelle à la France
que son sol fût un jour lacéré, départi, distribué comme
une terre de conquête. On ne peut songer aux liens histo-
riques, qui ne sont plus, mais aux liens économiques et
administratifs qui demandent à naître. Sauf des modifi-
cations rationnelles, que des intérêts communs ou des
rapports de lieux réclament, les départements subsistent,
ils ont remplacé. les provinces qu'ils leur succèdent dans
leurs droits On doit rétablir les provinces, sinon histo-
riquement, du moins administrativement on doit leur
rendre une vie et des droits publics. Certes! il faut un
Pouvoir, une loi mais il faut aussi des cités, et des
immunités qui correspondent aux besoins des localités
comme aux instincts de la nature humaine.
Si nous avons la centralisation absolue, nous l'avons
bien voulu On n'a fait que célébrer l'unité absolue en
tout. On a tellement représenté cette unité comme le but
du progrès, le triomphe définitif de la Société moderne,
on a si bien présenté la marche de l'histoire comme un élan
vers cette unique fin, que nous nous sommes pris à le
croire. Nos plus célèbres professeurs ont apporté là leur
génie. Ces idées ont formé la jeunesse et ont préparé
notre époque. A leurs yeux, les siècles n'étaient point
assez prompts pour effacer les vestiges des hommes, les
mœurs, les dialectes, les provinces, les droits, les indi-
vidualités provinciales! Ces thèses ont enflammé les esprits,
et nous sommes de la sorte arrivés à l'idéal de l'unité, au
despotisme.
Arrivons à l'unité, oui; mais non à l'identité!
La notion de la Société et celle de l'individu ont été
faussées par la Révolution, à ce point que les hommes
les plus célèbres de l'époque, tout en se prévalant de libé-
ralisme, poussaient, la France dans cette voie déraisonnable.
Tous indiquaient comme le terme de la civilisation cette
unité qui n'est, on le voit, qu'une identité aussi funeste à
la nation qu'à l'individu. a La vieille France, s'écrie
M. Cousin, en présence de la Chambre des Pairs, n'a
connu l'unité dans aucun service public elle y aspira
sans cesse; mais elle n'y est parvenue qu'en 1789. La
Révolution française (c'est recourir à une étrange auto-
rité) est le dernier effort du pouvoir public pour rappeler
au centre ,commun toutes les forces du ~<M/ éparses et
captives. Ce grand travail, poursuivi depuis des siècles,
la Révolution l'acheva Administration, finances, clergé,
justice, instruction publique, tout était divisé, tout était
local la lutte était partout (c'est-à-dire la vie 1). Tous ces
éléments opposés se fondirent dans la fournaise ardente
de la Révo!ution et i! en sortit la France nouvelle
Chose admirable, quand le travail fut terminé, il se
trouva que la puissance nationale était centuplée et qu'en
même temps l'individu était émancipé M.
Dites 11
se trouva que la nation était abaissée, diminuée, en
même temps que l'individu était efï'acé.. Mais que peut-il
s'échapper d'une fournaise <e ?

CHAPITRE XXII.

Pat'!ementarisme. Centralisation. Césarisme.

« M faut un puissant travail de centralisation, disait


M. Guizot, pour que la Société puisse s'étendre et se
cimenter en même temps et c'est ainsi qu'elle se prépare
à jouir d'un ordre meilleur. 'Au seizième siècle, tous les
grands moyens de gouvernement arrivent dans une seule
main le pouvoir public prend définitivement la place des
autres. Ici la fusion de toutes ces petites sociétés dis-
tinctes s'est accomp~e, c'est le fait distinctif de la Société
moderne. Les anciens éléments se sont réduits à deux,
le gouvernement et le peMp/c; c'est-à-dire que la diver-
~e a cessé. Il a fallu pour cela qu'une civilisation
très-forte vint mêler, (M~Mz~ BROYER pour ainsi dire
ensemble ces éléments incohérents; qu'il se fit une puis-
sante centralisation des intérêts, des lois, des mœurs, des
idées, et qu'elle se créât un Pouvoir public. etc.~ »

(1) Voir Cours d'hisi. gén. de la Civil. en F~ope; de la Civil.


oui, rnais assimiler et BROYER dépassent les termes
du problème! Une nation ne se fait pas comme un pisé.
La Société n'est point une unité mathématique, mais
une UNION. Certes il ne suffit pas que les éléments d'une
nation soient juxta-posés et en lutte, comme ils le furent
éléments
au début dans la Société féodale. faut que ces
H
soient ramenés à l'union mais à l'union et non à une
seule pâte, à une fusion, suivant l'expression même de
l'orateur qui a fourni la thèse aux autres. « La f orce
pM&~6, ajoute-t-il, ceuvre si dimcile, suppose que la
plupart des forces individuelles ont été vaincues, » Grand
merci! Ayons l'unité de Pouvoir, pour posséder l'unité
de justice, pour posséder un même territoire, un même
roi, la même part à une civilisaton générale, mais
les forces
pour utiliser et non pour subjuguer toutes
individuelles
S'il faut une même loi, il faut aussi des
coutumes, des
traditions, des libertés qui en ménagent, au sein des
hommes, la savante et paternelle administration. S'il faut
loi fasse abstraction
une même loi, il ne faut pas que cette
des hommes, puisqu'elle est faite pour eux. Parce que
la Société n'est plus féodale, est-ce une raison pour qu'elle
ne soit plus rien, et que
l'absolutisme la remplace? La
Société n'est plus féodale; mais elle est communale et
provinciale.
Ainsi que l'observait si judicieusement M. Coquille,

mod. i0" et if leçons; Essai sur r/(t' de France; D~ w~ polit.


M. Michelet noua transforme et nous broie avec la
même éloquence a Qui.

J)
de tant de petits peuples, de tant de mœurs, d'idées et de langues, a cons-
n titué l'unité nationale? Qui a uni, fondu, DÉNATURÉ tous ces éléments
divers? qui les a transmués, qui en a fait un corps? ~ra~c~
tome I.
« la féodalité, qui est la prédominance de {'individualité
sociale, opposait une barrière au césarisme, qui est la
prédominance de l'Etat sur la propriété foncière. La
féodalité, ajoute-t-il, déplaçait le pouvoir; elle l'établis-
sait à la campagne et sur la terre. Le droit féodal a créé
l'inviolabilité du patrimoine et la perpétuité des familles
rurales. Au communisme de la cité il oppose la, dis-
tinction des biens, et il transforme la commune elle-
même par les corporations. Le droit romain, ou le césa-
sarisme, a trois caractères il nie audacieusement le droit
de propriété, il annule par des fictions le droit de tester,
et il anéantit la religion en la transportant à l'Etat. Le
socialisme d'aujourd'hui n'est qu'un réchaune de Sparte
et de Rome, la France est submergée dans le romanisme.
En Angleterre, un autre phénomène s'est produit; là,
c'est la propriété foncière qui a étouffé le droit. romain,
et la féodalité qui a triomphé. Nous avons aujourd'hui
un droit nouveau ce droit, c'est la souveraineté du
peuple; cette souveraineté passe .de fait dans le manda-
taire, et se réalise dans le césarisme. La souveraineté du
peuple est l'argument de la dictature, et celle-ci est le
dernier mot de la souveraineté du peuple, qui est la toute-
puissance de l'homme érigée en principe. »
Voilà pourquoi, après avoir été féodale, la Société doit
rester communale et provinciale. Voilà pourquoi cette
société féodale fut un point de départ vrai des sociétés
modernes, une formation des parties, une constitution
des éléments qu'il fallait améliorer et ramener à l'unité,
mais non à l'anéantissement dans le pouvoir central. Voilà
pourquoi les écrivains, dont le libéralisme inconsidéré ana-
thématisait le principe de la féodalité ou des véritables
droits individuels, ont par suite aboli la commune, la
province, la noblesse, les ordres et la propriété, dans un
communisme dont le césarisme est aujourd'hui la con-
séquence et l'excuse. La monarchie chrétienne ramena
ces parties.a l'unité, et la Révolution les amena
l'anéantissement..
Alors, qui le croirait? après avoir professé la centra-
lisation, la concentration politique, les mêmes hommes
mirent en principe la décentralisation religieuse. D'une
part, broyer l'individu, et de l'autre, le priver de la vérité
C'était renverser la Société du faite à la base; c'était
ouvrir une voie fatale, remettre à l'Etat le droit redou-
table de commander aux consciences et à la Foi. Mais
ces hommes ne visaient qu'à flatter les peuples pour saisir
le Pouvoir!1
Rupture de la vérité et enchaînement de la liberté,
dissolution du lien des âmes et identification politique,
telle est la double thèse de la tyrannie absolue, tel est le
fait du césarisme. Quelle leçon, quelle doctrine!1 Notre
époque et son despotisme ne furent qu'un suintement des
idées du libéralisme. Les principes, ces éternels gardiens
de l'homme, ont disparu devant des idées mal conçues el
soudées par l'orgueil.. La nature humaine, au contraire,
n'aspire qu'à conserver l'unité dans la Foi et la libre
variété dans l'ordre politique! Aussi le mal est devenu
visible. a Il est étrange, a dit l'historien cité, que les
peuples aient. perdu dans la liberté la dignité qu'ils avaient
dans la servitude.)) Pas si étrange, car vous nommez ser-
vitude la liberté se déployant au sein de ia lumière, et
liberté une servitude allant se perdre dans la nuit de la
tyrannie absolue.
Avec une semblable thèse, quel peut être l'idéal de
l'unité, sinon l'anéantissement des individualités?, il le
LR'.rr. 24
faut, arrivons au problème généra! de la poétique. Nous
savons comment la théorie le pose, voyons comment l'éta-
blit la raison.

CHAPITRE XXIII.
Le grand problème en politique (unit6-van6té).

Considérée philosophiquement, la Société est l'harmonie


des volontés dirigées vers un- même but I'amé!ioration
de t'homme et de sa condition sur la terre. La Société
suppose donc unité et variété unité dans le but et l'en-
semble, variété dans les éléments. Les hommes sont ces
éléments.
Les corps organisés n'arrivent que par une suite
de transformations à leur état définitif. De même la
Société, dépassant l'organisation patriarcale, arrive par
une suite de phases à cette organisation plus ample qui
doit faire de tous ses membres un seul et même corps,
tout en laissant à chacun son individuaiité et sa fonction
propre.
Aussi le problème le plus généra! de l'art de la politique
est-il celui-ci: COMMENT PEUT-ON DONNERA LA SOCIÉTÉ LA
PLUS GRANDE UNITÉ POSSIBLE EN LAISSANT, POUR LE BIEN, A
CHACUN DE SES MEMBRES LA PLUS GRANDE LIBERTÉ POSSIBLE?
Toutes les questions peuvent être ramenées a celle-là.
Donner l'unité à la société en détruisant !'individua!ité,
en paralysant toute autonomie, ce n'est pas résoudre le
problème, puisque la société a pour but !e développement(
de l'homme. Donner aux individus une grande liberté en
compromettant l'unité est aussi une vaine entreprise, puis
que la liberté pratique ne peut être que la conséquence de
l'harmonie, ou de l'unité sociale. Ceux qui se préoccupent
exclusivement de l'unité, comme l'ont fait certains histo-
riens, et plus tard les socialistes, aboutissent à l'abso-
lutisme. Ceux qui se préoccupent systématiquement de la
liberté individuelle, comme l'ont fait les républicains,
aboutissent à l'anarchie. Ce n'est pas nous donner un
résultat, c'est arriver de part et d'autre à l'anéantissement
de la société humaine.
Est-ce ~M~ plus grande /~e~e possible à chacun
de membres, que de les conduire à une centralisation
qui brise toute autonomie, détruit les provinces naturelles
et annule les droits qu'elles renfermaient? Et de mèrne,
peut-on donner à la société la plus grande unité possible
en conduisant i'Etat sur un terrain ou il est en luM.e
constante avec les individus?
La variété et l'unité ne doivent point réciproquement se
détruire, car l'une est l'homme, et l'autre est la société..
Pour rétablir t'unité, ont dit les uns, posons des limites
à la liberté. Pour développer la liberté, ont dit les au-
tres, rompons cette unité. C'est là précisément l'erreur!
erreur née de leur point de vue. Car depuis un siècle
on ignore ce que c'est que la liberté et en quoi l'unité
consiste.
Aussi, cette prétendue lutte est-elle plus apparente que
réelle. Elle résulte des fausses notions de ce i8~ siècle qui
considérait la société comme une restriction de la liberté
individuelle, tandis que toute liberté est une conséquence
de la société, hors de laquelle nulle liberté n'est réelle ni
possible. Une telle lutte vient aussi de la situation que la
Révolution nous a faite en détruisant la vie locale et les
coutumes, ce cercle a centre multiple qui constituait les
ordres et les provinces au sein des nations. Enfin, la lutte
des deux principes, qui se clôt par leur destruction, naît
de l'erreur qui mit partout la nation et la liberté en oppo-
sition avec le Pouvoir.
La Révolution est toujours la dupe du point de vue de
Rousseau. Si la société déprave l'homme et lui ravit sa
liberté première, assurément le Pouvoir est le vrai cou-
pable Rien de plus superficiel, même en pratique, qu'une
pareitte donnée. Le Pouvoir a ses fonctions, et la liberté
a les siennes qui concourent aux mêmes
uns. Et s'ils ont
chacun leur terrain, ils ont un même but,, l'amélioration
de l'homme. Mais il ne faut pas que l'homme s'y refuse.

CHAPITRE XXIV.
Solution du Problème.

Les libertés publiques agissent dans leur cercle, savoir


dans la famille, la cite, la province et le Pouvoir agit
dans !e sien, savoir, dans le maintien des grands intérêts
qui embrassent la sphère de l'Etat. C'est les servir tous
deux que de servir l'un des deux, car l'individu profite de
tout ce qui ennoblit le Pouvoir, et le Pouvoir se fortifie de
tout ce qui complète et asseoit nos libertés publiques. Si
l'on transporte l'individu dans l'Etat, il est évident qu'il y
aura lutte; et si l'Etat est transporte chez l'individu, dans
la famille, dans la commune, dans la province, il est
évident qu'il y aura mort. Ainsi le voulait la centralisation
unie au parlementarisme, ainsi l'exigeait la Révolution.
Mais que l'individu reprenne sa place, et l'Etat rentrera
dans la sienne. Ou plutôt, que l'Etat rende à l'individu sa
place, et l'Etat reprendra la sienne, au milieu de la paix,
de l'honneur et de la prospérité d'un peuple! Tel est la
solution du problème; elle est indiquée par la nature
humaine.
Gouverner, en définitive, c'est continuer un peuple, c'est
prendre en main le développement de la nature humaine,
que représente le progrès social. Comment ce progrès s'est-
il opéré ? Pour arriver à l'unité, n'a-t-il pris d'autre peine

que d'abolir les individualités? Dans ce cas, pourquoi eut-


il apporté tant de soin et tant de temps a les former Pour
vouloir traiter une nation comme un tout matériel, comme
un corps homogène, et la gouverner de la sorte, vit-on
jamais un royaume se former d'un seul bloc, comme la
glace d'un lac immense?
Dans l'antiquité même, les grands empires se montraient
tout composés de leurs différents peuples, peuples sortis
précédemment des patriarcats et des clans, issus eux-
mêmes des familles primitives. Pour les combats, dans
les conseils, on ne manquait jamais de les énumérer tous.
Homère a apporté un soin scrupuleux à détailler la phy-
sionomie variée des divers peuples que renfermaitl'armée
des Grecs devant Troie. Les critiques ont même reproché
au sublime observateur ses énumérations minutieuses.
La religion elle-même, malgré la profonde unité de sa
loi, se plaît à voir germer dans son sein cette prodigieuse
variété d'Ordres correspondant à la variété des âmes, que
Dieu a diversifiées comme les contrées elles-mêmes. Enfin
l'Eglise, dont la hiérarchie transmet d'un jet jusqu'aux
extrémités ce pouvoir qui vient de Dieu, éta!e cependant
ses diocèses aux yeux du monde. Les évoques ne sont ni
les simples vicaires, ni les purs lieutenants du Saint-Père,
mais ses coopérateurs et ses frères; et ils administrent en
leur nom.
Partout ou nous rencontrons l'homme, !a variété subsiste
au sein de l'unité, partout elle prévient ou neutralise le
despotisme: l'Etat seul, de nos jours, violerait cette loi

(i) Dans toute l'antiquité, où régnaient cependant le despotisme et l'escla-


vage, on dirait que la civilisation se préoccupait uniquement du soin de
balancer l'effet du despotisme par cette conservation des petits peuples, dont
elle maintenait l'individualité au sein de~ grands empires.
Tacite trouve dans la Germanie plus de peuples qu'il n'en existe aujour-
d'hui dans l'Europe entière. D'après les commentaires de César, l'Espagne
et la Gaule se trouvaient aussi composées d'une multitude de petites nations.
MoïsR parle de vingt rois qui existaient du temps d'Abraham dans la
partie de la Syrie qu'il habitait (Ge?t. XIV). En se rendant en Palestine,
it en enumëre encore une vingtaine, tous vaincus par le petit peuple d'Israël
(A'0~6. S).
Suivant Diodore et Hérodote, i'Egypte était aussi diviaée primitivement
en une quantité considérable de petits Etats. It en était de même de la Macé-
doine avant la conquête de Philippe.
Les conquêtes d'Alexandre nous en apprennent autant de l'Inde. Dans la
Grèce, l'Attique seule était composée de treize petits Etats, ayant leurs chefs
et leurs rois, dit J. Müller.
La Thrace n'était qu'un amas de provinces indépendantes. (Hist. univ.
t. ï!ï, page i8). L'Italie avant tes Romains était divisée en trente-quatre
peuples principaux, dont Gutterer rapporte les noms. (Der. Univ. histoirie
1.1. pag. ~93.) Cartbage seule était environnée de vingt-deux petits peuples.
(Prec. de l'hist. univ.)
Nous possédons de semblables détails sur la Hongrie avant les Madjiars,
sur la Pologne, sur la Suède, le Danemark, ta Russie. (Mém. du baron Tott.
t. II; Sism. de Sism. hist. des rep.) Ce ne sont pas les conquêtes qui ont
fondé les Etats, elles les ont agrandis. (Haller.)
Que tous ces peuplesaient voulu subsister séparément, ils eussent échappés
aux grands courants de la civilisation qu'ils aient dû s'effacer entière-
ment, ils auraient disparu sous le despotisme, qui marche lui aussi & l'abo-
lition de la nature humaine
Les empires doivent se gouverner comme ilssesont formes;
les gouverner, c'est les continuer encore.
Est-ce a dire que, pour maintenir la variété, il faille au
sein des nations ressusciter les petits peuples, ou doit-on
en anéantir les vestiges, ne tenir aucun compte du fait
universel? On ne fera ni !"un ni l'autre. 11 ne faut pas
ressusciter, mais conserver les caractères, les variétés
qu'offrent les lieux et les hommes, afin de maintenir leur
autonomie. L'histoire, la grande conservatrice de la nature
humaine, nous donne la meineure leçon. Si elle a constaté
un si perpétuel maintien avec tant de variété au sein de
l'unité imprimée aux nations, ia politique ne peut suivre
une marche diamétralement contraire.
Elle doit donc admettre aussi la variété pour l'adminis-
tration, au sein de l'unité que !e gouvernement imprime.
L'histoire, ici, se joint à la raison pour offrir à la politique
un véritable enseignement. Rattacher fortement les grands
intérêts nationaux à un centre solide, tout en laissant une
sphère d'action aux intérêts particuliers et aux libertés
personnelles; autrement dit, combiner l'unité indispensable
du gouvernement avec le libre mouvement de chaque force
locale légitime, tel estlegrand problème de 1 a décentralisation,
mais dont la solution précise, nous le savons, dépend moins
d'une loi que de la conduite des hommes.
H faut que les droits soient acquis pour être acquis,
ils doivent être mérités. Ici nous avons à la fois contre
nous les erreurs du libéralisme el le mal qu'elles entre-
tiennent en nous.
CHAPITRE XXV.

La Révolution détruit notre droit dans son germe.

La Révolution ne brille pas par le génie; elle n'a pu


épouser une idée sans en être aveuglée. D'abord, elle
s'exagéra l'idée de liberté au point de confondre la liberté
do bien avec ce!!e du ma!; ici, on la voit éblouie par
l'idée même de société. Voici comment parle Rousseau
«
Celui qui entreprend d'institu,er un peuple, doit
changer !a nature humaine, transformer chaque individu,
qui par lui-même est un tout parfait, en partie d'un plus
grand tout dont cet individu reçoive sa vie et son être
altérer la constitution de l'homme pour la ren forcer. li
faut en un mot qu'il ôte à l'homme ses forces propres pour
lui en donner dont il ne puisse faire usage sans le secours
d'autrui. Plus ses forces naturelles seront ?~or~ anéan-
ties, plus l'institution est solide et par faite: en sorte que
si chaque citoyen n'est rien, ne peut rien, on peut dire que
/? législation est CCM plus /~M~ point de perfection qu'elle
pM~ca~ye~ » Voilà doncoù nos doctrinaires puisaient
leurs conceptions H serait difficile de mieux peindre le fait
dudespotismeetdemieux indiquercelui de la centralisation.
Jamais idée n'a laissée de traces plus vives clans l'esprit
des hommes d'Etat.
La pensée d'organiser une nation en vue d'une telle

(') Co~f/< .~c/f~, pa~e G7.


unité peut-elle se concilier, d'abord avec la nature humaine,
ensuite avec la variété des coutumes, des lieux, des apti-,
tudes, des besoins et des droits acquis? On comprend
maintenant d'où vient le despotisme! Cette utopie, qui n'a
produit que le malaise et la ruine, est non-seulement privée
de tout fondement historique, mais ne peut avoir aucun
fondement rationnel, ou conforme à notre nature.
Ici les hommes n'auraient plus qu'un même droit, droit
banal; et, dès lors qu'une représentation générale,
uniforme, pour tous les points et tous les intérêts d'un
empire. Sous le prétexte de représenter le pays, le régime
parlementaire vient achever la centralisation adminis-
trative, consommer l'abolition de la province et nous réduire
à l'homogénéité, contre toutes les lois de l'histoire et de la
civilisation humaine. Il aplanit les voies au despotisme; il
en prépare les fondations stables, il en est l'organisation
même.
Réduisant tout à une. même nature, faisant de la nation
un être inanimé, la centralisation et le parlementarisme
ont effectivement amené la législation à ce plus point
de perfection possible que désirait Rousseau.
Lorsque les hommes n'ont tous qu'un même droit, il faut
bien une représentation générale. Mais représenter tout,
c'est ne représenter personne et voilà ce qui nous est arrivé
Lorsque tous ont un même droit dans l'Etat, il faut bien
un gouvernement représentatif. Mais que va-t-il repré-
senter ici, sinon la thèse de Rousseau? Aussi en a-t-on
fait découler, depuis quatre-vingts ans, toutes les consé-
quences Lorsqu'on brise la chaîne des coutumes et des
droits acquis par les hommes, il faut bien avoir recours au
droit de l'homme, à ce droit inventé pour asservir l'homme!
C'est alors que l'on confond la souveraineté, qui ne relève
que de Dieu, avec les besoins et les droits réels, qui
appartiennent aux hommes. Et ce sont ces droits établis,
pratiqués, qu'on abandonne pour leur ombre.
Remarquons-le encore: la Révolution ne fait qu'opposer
la théorie des droits innés à ia pratique des droits acquis
et tels qu'ils siéent à des hommes autrement dit, la théorie
de la fatalité à celle de la liberté Puis, elle vient rem-
placer tous ces droits innés par une représentation qui doit
servir à tout Je monde. Vit-on jamais un plus complet
escamotage? Chercher des droits imaginaires, des droits
dépourvus de mérite, attaquer ainsi l'homme et la
pro-
priété jusque dans leurs principes, jusque dans leur
essence, n'est-ce pas étrange après avoir tant parlé de notre
liberté? Combien c'est avoir peu compris la haute signi-
fication de la nature humaine

CHAPITRE XXVI.
La Révolution abolit l'homme tout entier.

Quelle leçon l'utopie reçoit de l'histoire! Ici tous les


droits sont acquis, tout est mérite chez l'homme. On ne
saurait lui donner ni le progrès, ni le bonheur, ni la vertu
car tout est le fruit de ses œuvres! tout, jusqu'au capital,
jusqu'à cette terre végétale qui ne peut se fertiliser et se
maintenir qu'au moyen des sueurs de l'homme! Mais c'est
ici le plan de Dieu.
Quoi cette prodigieuse créature devrait tout à sa nais-
sance, c'est-à.-dire à sa création, et, comm~ la brute,
relèverait de la fatalité? Quoi!' l'homme n'est pour rien
dans sa raison d'être, il ne concourt plus à sa destinée, it
n'est plus à l'image de Dieu ? Et cette noble et miraculeuse
liberté, cette ressemblance avec l'infini, c'est à quoi la
Révolution ne songeait plus. Pourquoi toucher à de telles
questions lorsqu'on ne peut monter au sommet des prin-
cipes ? Notre liberté morale nous imprime une sorte de
nature divine, et il faut qu'une telle liberté obtienne son
épanouissementdans toutes les sphères que l'homme est
appelé à franchir ici-bas. L'égalité soumet les brutes, et
le mérite érige l'homme
Dieu ne lui impose rien, pas même la vérité, et pas
même la grâce. Les droits, comme son capital, se lient à
sa liberté, se lient au mérite, loi évangélique des intelli-
gences, loi établie sur la terre, et pour le Ciel, que les
violents ravissent. L'homme ici bas ne s'élève qu'à la
sueur de son front et ce sont là ses titres de noblesse.
Souvent dans sa faiblesse. il aspire à tout recevoir: mais
Dieu, par un décret sublime, veut qu'il se donne tout.
noble droit, auguste ressemblance
Oui, l'homme voudrait tout recevoir; voilà pourquoi,
par une cruelle imposture, la Révolution prétend tout lui
donner Aussi faut-il qu'elle exige le partage des droits
et le partage du capital, autrement dit l'extinction du
mérite, l'abolition de l'homme! L'orgueil, au premier
jour, voulut dérober le Ciel; aujourd'hui, il voudrait déro-
ber la civilisation.. La question est la même d'un bout à
l'autre de ce monde. Rien n'est changé Sans l'homme;
toujours il tente de substituer son orgueil à la liberté
morale. Mais Dieu fixe ce monde comme une échelle vers
le Ciel la société, la morale, la propriété, le droit, tout
prend la même direction, aussi savante que sublime
La Révolution détruit le droit jusque dans l'homme, et
détruit l'homme jusque dans son essence. Ah que la
civilisation nous a plus dignement traités Combien elle
construit l'humanité plus noblement que ne te fait l'utopie
Depuis six mille ans, l'histoire nous montre partout,la
plante sacrée du mérite, des mœurs, des vertus, des lois,
des droits acquis, couronnant les familles, illustrant les
empires. Combien elle est plus digne que la Révolution,
combien elle se montre à la hauteur de l'homme, créé
libre et méritant, de l'homme, qui est le fruit de ses
œuvres
Rien ne saurait la remplacer. L'homme doit subsister
complet au sein de l'unité sociale. La famille, la com-
mune, la province, quoi de plus conforme à l'histoire, à
la politique, à la nature et à la dignité de l'homme
En toutes choses, la Révolution nous apporte des idées
inférieures à celles que possédait le monde. Ses progrès
résultent d'un amoindrissement dans le génie et la raison de
l'homme. Son triomphe serait une chute de la civilisation'
moderne, un retour forcé a la civilisation antique parée de
noms nouveaux. Au fond, voici les siens
const.itations,
dissensions, démoralisations, insubordinations, dévasta-
tions, proscriptions, spoliations, exécutions, destructions,
invasions..
Comme elle profite de l'affaiblissement actuel de la
pensée! Elle oppose partout une liberté fausse à la liberté
vraie, un droit faux au droit réel, une richesse fausse à
la richesse véritable, un homme faux, un peuple faux,
une Société fausse, à l'homme réel, à la Société véritable
Elle veut une famille, une commune, un progrès, qui ne
sont pas la véritable famille, la véritable commune, le
véritable progrès Elle anéantira l'homme, elle anéantira
la famille, eUe anéantira la propriété, les libertés su-
prêmes, les véritables droits.
C'est nous qui défendons le droit! C'est nous qui
sommes dans la liberté~!.1

CHAPITRE XXVII.

Ou les pt'oviuMS, ou le desputismu.

Dans régime parlementaire, il n'est plus nécessaire


le
de conserver les droits, les ordres, les communes et les
provinces il n'existe plus en effet qu'une même situation,
qu'un même droit imaginaire, et dès lors, qu'une représen-
tation générale, identique pour tous. Ici les hommes étant
réduits au même dénominateur, restent soumis à une
même opération. Par le régime parlementaire, on
imprime l'identité au pays, et par le despotisme on la
consomme.
Dans ce régime, l'inviolabilité royale n'est que l'abdi-
cation du monarque, comme elle est celle de la nation.
Mais bientôt la nation se fait homme, la foule s'incarne
dans le dictateur, qu'elle invoque pour la sauver a la fois
de l'anarchie et de l'invasion étrangère..
Dans l'état où sont les esprits, il est déjà assez dimcite
de gouverner, sans ouvrir une source perpétuelle d'ener-

(i) La liberté reuferme une valeur ignorée de ceux qui s'en goût dits les
doseurs. Du moins, ici, devrait-oa croire, lorsqu'on fst incapable .le
conL'evuir ou de penser..
vescence dans les idées et de mécontentement chez les
hommes de cœur. C'est en vain que l'on voudrait croire,
avec la Révolution, que l'homme est né sans orgueil
sans ambition, sans envie, préférant la patrie à lui même,
et la vérité à tout le reste.
En faveur du régime parlementaire, on cite toujours
i'Ang!eterre, parce qu'on ne t'étudie jamais. L'Angleterre,
nous l'avons remarqué, doit sa puissance et ses libertés à
son aristocratie. L'Angleterre est assise sur son aristo-
cratie, et cette aristocratie repose sur la constitution de
la propriété. Or, avec une aristocratie, on peut se passer
de bureaucratie, dès lors, de centralisation. Avec une
aristocratie, on conserve ses traditions, ses coutumes, ses
droits privés, ses libertés publiques. L'Angleterre dé-
montre précisément notre thèse'. Imitons-là en tout, et
«
nous pourrons la suivre i Qu'avons-nous gagne à vouloir

(1) Chaque fraction du Royaume-Uni a conservé ses lois distinctes et


a à la base de tous les pouvoirs en Angteterre, se trouve la p~'Ot'Me, qui
»possède une véritable souveraineté. On sait qu'il n'existe que de faibles
»liens hiérarchiques entre l'Etat et ses subdivisions les comtés, les 6oMr~,
N !es cités et les paroisses.

En Angleterre, chaque administration forme un centre particulier, et


il n'y existe rien d'analogue a la centralisation qui règne dans plusieurs
c Etats du continent, et que l'Ecole dite libérale voudrait introduire chez
M nous. Mais ces administrations, livrées à leur propre impulsion, sont sou-

mises à un contrôle supérieur exerc6 par les diverses cours de justice.


Cette variété d'institutionsfait la force de l'umté nationale.
Les principales villes de l'Angteterre, sauf la cité de Londres, sont cons-
tituees ainsi en corporations municipales. Elles sont généralement dési-
c gnées sons le nom de &ot<r~ WMnt'ct'paM~ Les pc~'o~M sont des divisions
o territoriates a la fois civUes et ecclésiastiques..Dcp:~ !H)tT StËo.HS, le
') peuple anglais s'est
toujours montré hostile à la centralisation admini:–
trative. Aucun homme d'Etat ne toucherait impunément à ce principe
de droit public. (Documents publiés sur l'Angleterre.)
prendre ses institutions sans prendre ses !ois et ses mœurs?
Encore une fois, qu'il a fallu de préjugés pour voir
dans une constitution toute aristocratique une constitution
libérale et démocratique
Comprenons .enfin la din'érence entre un régime parle-
mentaire fondé sur une aristocratie, et un régime parle-
mentaire fondé sur la démocratie Comprenons une fois
que l'impossibilité où est ici l'Etat de maintenir les esprits
dans la paix, le mène périodiquement au despotisme, seul
moyen de gouverner, en effet, lorsqu'on a détruit toute
aristocratie. C'est à cela qu'il fallait songer!
Mais, chez nous, où les préjugés et la mode sont tout,
nous rejetons jusqu'à l'idée d'une aristocratie alors, pre-
nons le despotisme Le libéralisme, qui déjà nous donna
la Révolution, voudrait encore nous en appliquer !e pro-
duit et la suprême conséquence~!1. Oui, s'il l'osait, il.
l'avouerait il préfère le despotisme même à l'aristo-
crc~e. et tel est l'esprit des classes avilies par le scep-
ticisme, par la cupidité, par l'industrialisme. Mais ,le sens
national en sera révolté Ce sont les hommes qui criaient
Vive la liberté! vive la république! qui ont crié: Vive
l'empereur 1 Puis ce sont leurs gens qui ont crié Vive
la Commune!I
Pour une représentation banale, uniforme, illusoire, on
vient enlever au pays tout caractère propre et toute vie
locale, niveler la nation, la réduire à l'état d'un corps
homogène! I! en est tout autrement des civilisations cons-
tatées par l'histoire. Elles n'ont pas mis de côté la nature.
Partout elles ont laissé agir l'autonomie et se former la

(1) Le!ib~ra)ismc est un esprit plus encore qu'un système. Le r'pub)ic;t-


nisme, qui en dérive, cherche du moins à s'6tftb)ir dans une forme arrêtée.
Société par familles, par groupes, par petits points reliés
peu à peu à l'ensemble. Alors la Société n'a pas détruit
la partie pour l'amener au tout, annulé l'élément pour le
conduire à Funité, écrasé la nature humaine sous prétexte
de l'agrandir.
L'aristocratie a des fonctions trop importantes et trop
immédiates sur les populations pour être noyée dans le
parlementarisme et remplacée par la bureaucratie. Logi-
quement et historiquement, l'aristocratie est le premier
gouvernement, la première administration. L'autorité pa-
ternelle a précédé l'autorité politique, et celle-ci n'est
que son extension.. Il y eut des familles, des clans, des
tributs et de petits Etats avant les nations et pour com-
poser les nations. Les grands Etats viennent étendre
l'autorité du père de famille, coordonner les fonctions des
aristocraties, mais non pas s'y substituer.
Si les gouvernements ne rattachent pas ensemble ces
premiers organes et ces éléments légitimes de la nation,
ils brisent la Société et affaiblissent l'autorité en lui
substituant un pouvoir tout artificiel. L'aristocratie prête
son concours, d'une part, à la nation, en en formant les
éléments, en en faisant valoir les droits et les coutumes,
et, d'autre part, à l'autorité, en en répartissant l'action
pour en diminuer l'intensité centralisatrice. En outre, elle
empèche au césurisme de se former et de s'étendre.
CHAPITRE XXVIII.

Enseignements que nous donne l'histoire.

La civilisation a construit Ja Société, mais tout en


conservant l'homme, c'est-à-dire la famille avec ses
moeurs, son caractère, ses lois, ses habitudes et, avant
tout, son autorité. Elle n'a point enveloppé les hommes
dans cette concentration, destructive de leur individualité,
et tant admirée de nos jours sous le nom dé centralisa-
tion administrative elle n'a point détruit l'autorité pater-
nelle, elle n'a point effacé les droits acquis, et jusqu'aux
subdivisions territoriales dans lesquelles en définitive
nous vivons; elle n'a point assis sur ce tombeau le trône
d'une représentation ou plutôt d'une abolition uniforme.
Respectant les instincts, les besoins et les justes droits,
la civilisation, lorsqu'elle n'a pas été dérangée, a vu se
constituer la famille, la commune, la province, où ces
intérêts et ces droits, trouvant leur place, ouvrent aux
hommes un champ libre pour leurs facultés, et un théâtre
pour leurs plus nobles aptitudes. Partout elle a vu les
devoirs et les droits s'enlacer dans ces trois cercles con-
centriques jamais de tous ces fils innombrables elle n'a
tressé un câble, sous le nom de parlementarisme, pour
étouffer une nation dans les flancs de l'Etat. A peine les
conquêtes ont-elle dérangé une oeuvre aussi savante; en
transmettant les cités et les petits peuples, on en stipulait
les droits. U a fallu toute l'exaltation de l'utopie pour re-
LÉGtT. 25
pousser ainsi le travail sacré des siècles et prétendre que
les révolutions feraient mieux
Lorsque Dieu fait passer les peuples à une existence
sociale plus vaste, ce n'est pas pour les amoindrir dans
leurs éléments Les grandes nations de l'antiquité, en se
constituant, ne détruisirent point ces petits peuples, qui
correspondent en dénnitive à ce qu'on nomme aujourd'hui
les provinces. Strabon parle de soixante peuples habitant
les Gaules. Ptolémée en compte dix-sept dans l'Aquitaine,
vingt-quatre dans la Lyonnaise, quatorze dans la Narbon-
naise et dix-neuf dans la Belgique. Tacite nous parle
aussi de soixante-quatre cités. Plut:!rque, dans sa Pie de
C<Mû~ nous dit qu'il soumit plus de trois cents peuples.
Ces peuples ont formé phis tard les provinces que nos
rois ont réunies à la couronne. De son temps, Aristote
recueillit plus de deux cent quatre-vingts constitutions,
appartenant aux peuples conquis par Alexandre.
Pourquoi la Révolution ferait-elle à l'égard des auto-
nomies et des individualités, ce que ne faisaient pas les
conquêtes? Chez nous, la personne, la cité et la province
sont perdues au milieu de l'Etat. 11 faut que l'individu
reparaisse au sein de la cité, la cité au sein de la pro-
vince, la province au sein de la France il faut sauver ces
personnalités précieuses 1
Les grands peuples de l'Europe tiennent sur ce point
le même langage. Tout à l'heure nous citions l'Angleterre.
On écrivit aussi de Vienne ces observations judicieuses, à
propos de la Session du -Conseil de l'Empire « La cen-
tralisation est le thème favori de nos bureaucraties, dési-
reuses d'introduire chez nous le libéralisme constitutionnel
dans le sens français. Les conservateurs, au contraire,
veulent qu'on laisse autant que possible leur autonomie
aux divers pays de la Couronne. Ils ont pour but de
réaliser l'unité de la monarchie en co7~6ft'c~ ~'o~
/~oh~Me pour base. Ils partent de ce fait incontestable,
que la contrainte administrative engendre un méconten-
tement, dont les effets se font d'abord sentir dans les admi-
nistrations locales, pour aller atteindre ensuite !a tête du
gouvernement et au lieu d'arriver à une monarchie for-
tement centralisée, on répand le germe de la désorgani-
sation. Mais en voyant que le pouvoir central laisse à leur
direction le développement des affaires que d'antiques
droits leur ont garanties, les peuples des diverses subdi-
visions de l'Empire s'attachent plus naturellement à leur
gouvernement. ?

CHAPITRE XXIX.

Droits publics et droits politiques.

11 fallait bien que la Révolution, en rompant la famille,


en brisant la cité, en ôtant ia province, offrit aux peuples
une compensation et de là les droits politiques. Les peu-
ples lâchèrent la proie pour t'ombre. Comment l'homme
à qui l'Etat a ravi ses droits dans la famille, dans la com-
mune, dans la cité, dans la province, aurait-il des droits
surFEtat?
L'homme, qui voulait la place de Dieu, prit donc arti-
ficiellement celle des souverains 1 Alors !e peuple, censé
roi, dutL avoir les droits politiques mais cela fut à ses
dépens.. Le bon sens nous le montre l'individu a les
droits privés, le les droits politiques; l'un,
souverain
a
pour gérer ses affaires l'autre pour défendre FEtat.
Retirer à l'individu ses droits publics et privés pour lui
remettre des droits potitiques hors de portée, c'est se
moquer de lui. Retirer à l'individu ses droits publics ou
privés, voi!à le despotisme ôter au souverain ses droits
politiques, voilà la démocratie.
Quoi pas de droits politiques? mais alors vient le
des-
potisme Nous l'aurons, au contraire, tant que nous
prétendrons à de semblables droits, car nous ne les pou-
vons réclamer sans perdre nos droits privés, ni sans
embarquer avec nous la foule, et dès lors la Révolution..
Par qui les droits du souverain seront-ils batancés?
Ce ne sera pas en tout cas par la foule, puisqu'elle
n'est contenue elle-même que par ces droits. Où est
donc en définitive le contre-poids des droits du souve-
rain?– Nulle part, nous Pavons compris, si, ravivant
les coutumes détruites, lui-même n'en laisse une part
naturelle à l'aristocratie, et ne les donne à garder à un
corps politique~. Nulle part si, en tout état de cause, le
souverain ne rend ses droits à l'autorité paternelle, ne
maintient une vie aux communes, ne restitue une auto-
nomie aux provinces. La souveraineté, dont la source est
en Dieu, mais le dépôt dans le souverain, ne peut être
exercée tout entière par le souverain seul à tout chef
il faut ses lieutenants. Alors~ ceux-ci seront-ils des fonc-
tionnaires sans racines, et non dejs hommes entourés de

(i) Il faut qu'il y ait en France, comme partout, un corps politique, une
pairie, qui conserve, avec les droits de la famille et de la propriété, les tra-
ditions et les coutumes de la nation. Toute Chambre serait anti-politique,
si, livrant passage l'envie et aux convoitises, elle venait attaquer nos cou-
tumes, nos traditions, nos droits et nos ienn~unit6s.
respect et pourvus d'une fortune garantissant leur indé-
pendance, leur conduite et leur capacité?
En outre, il nous faut un corps protecteur. Tout peuple
sans aristocratie appartient déjà au despotisme. H faut
un corps protecteur pour le peuple à l'égard du souve-
rain, et pour le souverain à régard de la multitude. Toute
nation doit avoir une aristocratie pour conserver ses li-
bertés tout Pouvoir doit avoir une aristocratie pour pos-
séder ses contre-forts. Le peuple ne peut pas toujours
compter sur le pouvoir, et le pouvoir ne peut pas compter
sur le peuple.
Les Droits publics sont ceux que possédaient les pro-
vinces, les cités, les communes, les corporations, les
Ordres et les individus avant 89, droits qui prirent con-
sistance dans ces champs de Mars et de Mai où nos pre-
miers Rois réunissaient les Francs~. Les ~ro~ politiques
sont ceux dont Rousseau désirait investir la fouie au nom
des prétendus droits de l'homme. Ces droits ont détruit
tous nos droits 1
Il y avait alors des abus -Oui, et il y en aura partout
où il y aura des hommes. Mais pour éviter des abus, il ne
faut pas se perdre dans l'abus lui-même. Les nations
doivent avoir un progrès! Oui, mais en suivant leur
loi, et non en la détruisant tout entière. On ne brise l'his-
toire d'un peuple, on n'abolit sa constitution et ses droits
acquis qu'en abolissant l'homme. Depuis lors, l'Etat a
pénétré jusque dans les âmes, jusque dans la famille!

(1) Convocatis igitur F~mo-s; Grégor. T~r. liv. 3. chap. 7. Con-


ventus generalis magna populi I'rancoru~n /'re~uen.lia celebratur; Ege-
~M<u.s ma~a
Annal. ad <m 821 tes
nhard. ~Mna~. les francs,
-F/'ewcorMK
mais non !es c~c&re~ur;
non les autres peuples qui
composaient alors les Gaules. Sous Chariemagne et sous Louis-ie-debon-
naire, on y invita quelquefois les Saxons. (in V!<a Carol. M.)
on a enlevé à l'homme ce qu'il avait de plus précieux et de
plus sûr.
Les servitudes politiques ne sont rien à côté des servi-
tudes civiles, rien à côté des servitudes domestiques. Un
homme veut avant tout être maitre chez lui et libre
autour
de lui. Les libertés qui lui sont le ptus chères sont celles
qui le touchent de près. Et c'est ainsi, du reste,
que la
Providence a disposé pour lui la civilisation. Les hommes
jouissaient des droits de la famille, quand tous les autres
droits étaient encore dans l'enfance,
comme le montrent
l'antiquité et la loi des Douze-tables
L'époux, le père, le propriétaire, et,
pour rattacher la
famille à Dieu et à l'Etat, le prêtre et le souverain, telles
sont les autorités, telles sont les légitimités. Détruisons-les,
il n'existe plus de droits pour l'homme. La Révolution les
lui a tous ôtés, lui promettant en échange la liberté. Mais
où celle-ci sera-t-elle, si ses membres sont amputés, si la
nature humaine est tronquée sur toutes les faces?. Pas
de droits d'un côté, et pas de protection de l'autre: ici le
peuple reste en proie à une vie précaire,
à une iutte, à un
état de concurrence, qui ramène tous les assujétissements
de la barbarie; quant au patricien, il est complètement
sacriné par l'Etat. La servitude est générale.
CHAPITRE XXX.

La décentratis&tion suppose une aristocratie.

Le bon sens parle il faut une représentation de la


religion, de la famille, de la propriété, de la cité, puis de
l'agriculture, du commerce et de la légitime industrie;
parce que dans la composition de la société, il y a la
Religion, la famille, la propriété, la cité, puis au-dessous
l'agriculture, le commerce et l'industrie, qui correspondent.
à autant d'éléments dans l'homme. Rien de cela ne saurait
être anéanti.
H faut une pairie qui défende les grands intérêts de la
nation, les intérêts moraux et les lois premières de la
société, comme il faut une chambre élue pour en défendre
les intérêts matériels. Les provinces n'existent ni poli-
tiquement, ni administrativement; dans presque toutes les
communes, la civilisation n'arrive plus que par la Pré-
fecture. il y aura donc aussi des représentations provin-
ciales et communales à organiser. On devra se dégager
peu à peu et avec prudence de la centralisation, transporter
une partie des affaires des mains du gouvernement direct
dans celles des organes intéressés et autant que possible
autonomes. Mais, pour obtenir ce résultat, il faut en prendre
le moyen.
Nous avons beaucoup de littérateurs en politique; ils
imaginent qu'il suffira de lâcher la bride aux communes et
aux cités pour les voir s'élancer dans le champ du progrès.
Des hommes sensés répètent la formule superbe Centra-
lisation gouvernementale, décentralisation administrative!
Oui mais quel en est le moyen, surtout pour le libé-
ralisme ?. Qui ne l'a pas observé? aujourd'hui, dans
presque
toutes nos communes, sans le préfet, il n'y aurait plus de
presbytère: /6 cMre ne fait p~ c~'o~re blé; plus de
maison d'école: ~eMr epM~e nos enfants; plus de
chemins vicinaux on ne fait de mal à personne en y pre-
nant du sable, ou en laissant empiéter la haie. En cet
état, sans le préfet, la barbarie reparaîtrait bientôt.
Voilà donc où en serait la France, en exceptant les
quelques points où s'est formée une aristocratie de gens de
biens en mesure d'agir. Et tel devait être, en effet, le
résultat de l'abolition des provinces et de l'aristocratie,
c'est-à-dire des éléments directs d'autorité, d'affection, de
civilisation que celle-ci maintenait sur toute l'étendue de
la France.
L'administration fournit le fait, mais non le lien qui le
rattache aux consciences et aux mceurs. Ce n'est pas de
loin qu'on civilise les hommes, comme par un fil élec-
trique. C'est peu de renverser des obstacles quand on n'a
pas relevé les croyances et les lois, c'est peu de briser la
bureaucratie quand on ne peut relever une aristocratie.
Non, il ne suint pas de vouloir: pour décentraliser, il faut
trouver du zèle, du dévoùment bien arrêté, un homme
d.'honneur partout prêt à remplacer l'employé il faut en
un mot rencontrer partout des familles distinguées, et pour
cela leur assurer la considération.
Ces familles ne peuvent trouver que dans la pairie i'ému-
lation et l'organisation qui leur sont nécessaires. Ce qu'il
faut, quand la société se dissout, ce ne sont pas des
paroles en l'air, mais de fortes institutions qui résistent
aux funestes tendances. importe de mettre les grands
principes à l'abri des caprices de l'homme et de la foule.
Pour pouvoir rendre de véritables services au pays, il
faut que ceux qui en représentent les intérêts moraux,
se voient placés au dessus de la foule, qu'ils soient accom-
pagnés d'honneur et environnés de prestige.
Ou l'aristocratie,' ou la bureaucratie doublée de despo-
tisme.. Or, par le système d'une administration centrali-
sée, ou d'une machine remplaçant l'aristocratie, le jour
où la machine saute, il ne reste plus de nation. Mais
comment songer à couper le réseau administratif, à briser
l'énorme et indispensable cerveau de la centralisation
absolue, sans pourvoir d'avance et en tous points à la
situation? 89 ignore encore ce qu'il a démolp.
Un pays libre ne saurait pas plus exister
sans aristo-
cratie qu'un corps sans attraction. <f La question de la
» décentralisation administrative, a dit la voix royale, est
» depuis longtemps le sujet de mes préoccupations les plus
» sérieuses. Les esprits qui d'abord y étaient le plus
» opposés, reconnaissent la nécessité de modifications dans
» lesquelles la centralisation du pouvoir, qu'i! serait dan-
» gereux d'affaiblir, trouverait elle-même de précieux
» avantages. » Que dire de plus profond en politique?

(i) c Je croyais la Révolution synonyme du libéralisme, avouait un jour


M. Renan; je n'en voyais pas encore le'virus caché. Je n'avais point encore
aperçu comment, avec sa violence, avec son code fondé sur une conception
toute matérialistede la propriété, son dédain des dro~ personnels, sa façon
de ne tenir compte que de l'individu, et de ne voir dans l'individu <?M'M~
dire M'o~, sans liens de famille, la Révolution renfermait un germe de
ruine qui devait promptementamener le règne de la médiocrité et de la
faiblesse, l'extinction de toute grande initiative, un bien-être apparent, mais
dont les conditions se détruisent elles-mêmes.. D
Une décentralisation, 'même partielle, impose donc de
grands devoirs à l'aristocratie. Mais si'dès ce moment les
classes supérieures ne soutiennent pas de tous leurs efforts
la société, et si l'Etat ne leur en fournit pas le moyen,
ta société succombera. 11 s'agit ici de nous-mêmes, de
nos vrais droits; il s'agit pour la nation d'être ou de ne
pas être1
Nous connaissons les maux et les désavantages de la
centralisation; mais dans certains cas en voici l'avantage:
tous les fils convergeant vers un point, il suffit, quand la
révolution éclate, qu'un homme se précipite sur le Pouvoir
pour tout ressaisir à la fois< Mais aussi, quel sera ce
homme? ~expérience nous l'a dit. Dans une société
dissoute, dont tous les éléments sont en lutte, ce régime
devient peut-être indispensable, et les servitudes de la
centralisation furent un châtiment. Les nations condamnées
à périr prolongeront ainsi leurs jours. Une civilisation
perdue se soutient comme elle peut.
En présence de ce problème,, dont l'application offre un
point redoutable, on doit donc se demander si les hommes,
désirant sérieusement être libres, veulent en supporter les
charges. D'une part, nous dévouerons-nous?d'autre part,
accepterons-nous une aristocratie? C'est-à-direpréférerons-
nous celle qui est naturelle, légitime, à celle qui est artifi-
cielle et toute bureaucratique?
C'est ici, c~est sur ce point que l'on pourra juger de
nos sentiments et de notre véritable patriotisme! Ah rien
de nieilleur que la vérité, mais rien de pire que le système
ou l'abus qui s'y substitue. Rien aussi de plus beau que
d'être libéral, mais rien de pire que le libéralisme. Tout
dépend donc de nous c'est à quoi se réduit cette grande
question.
CHAPITRE XXXI.

La centralisationtue l'aristocratie et la nation.

Ne laissons pas ici d'ambiguité si l'on ne devait pas


remplacer la bureaucratie par l'aristocratie, il faudrait se
garder de toucher à la centralisation. On met des clefs à
l'édince dont les murs se séparent, et telle fut pour la
France la centralisation qui la soutient encore car sans elle
la France en ce moment subirait la Commune..
Gardons nous donc d'ôter les clefs si nous ne pouvons
point rendre l'aplomb aux murs.
La décentralisation suppose un peuple sage, aidé d'une
aristocratie sage aussi, mais pourvue d'autorité et de crédit.
La centralisation n'est un bien que parce qu'elle est un
moindre mal. Ce qui offre un dernier asile contre la mort
n'est point un gage de vie. Et si la Russie, par exemple
aujourd'hui, ne voulait l'affranchissement des serfs que
pour mieux s'asservir la noblesse, elle ne tarderait pas à
en recueillir des fruits amers Voudrait-elle renverser

(i) L'auteur faisait ces réflexions en 1859. On lit dans une correspondance
russe « La Russie mystifie l'Europe en atBrmant qu'elle travaille à éman-
ciper les serfs cet affranchissement ne sera en réalité qu'un servage per-
/'cc<tOMKd avec tendance vers l'association coMtMMMt~ dans la commune
agricole, »
Il est dit dans les savants travaux du prince Dolgoroukow, notabilité
moscovite « que la lèpre déjà attachée aux flancs de la Russie est la cama-
rilla et la bureaucratie; l'une et l'autre isolent l'Empereur du pays et
» entratnent l'Etat vers un abime. La MW~ sur la Russie.
l'ceuvre de la nature, abattre son aristocratie, lui r~vir son
action, ses fonctions, son rôle immense, pour lui substituer
le système de la Révolution, l'expédient du despostime, la
centralisation ?
Est-ce sur un peuple à peine formé qu'on pourrait
opérer une amputation de ce genre? Qu'adviendrait-il
quand on aurait anéanti ce qu'il y a de plus précieux pour
lui, cette administration donnée par la nature, formée par
les besoins, admise par les coutumes, pliée à tous les
intérêts? Quand la Russie aurait détruit ces milliers
d'organes qui fonctionnaient passablement en son sein,
suspendu en partie la force qui civilisait dans ses moindres
fractions un immense pays, elle verrait s'il est aisé de
mouvoir la nouvelle machine au moyen d'une' adminis-
tration artificielle, dont les agents seraient pris dans un rang
inférieur! Elle verrait si la Providence a agi jusqu'ici à la
légère dans sa manière d'élever les nations.; si elle a eu
tort de couvrir le sol de petites souverainetés nées peu à
peu des besoins, des affections et des coutumes de confier
les peuples à cette action autonome et rapprochée, à ce
système libre et paternel de gouvernement qu'on nomme
l'aristocratie agricole
Cette précieuse Société humaine, formée à petits espaces
afin de conserver partout le fait humain par excellence de
la spontanéité, de la vie propre et de l'expansion de chaque
famille, fut-elle donc préparée avec tant de soins
par son
divin auteur pour venir s'enfermer un jour dans les étreintes
d'une machine Les peuples ont une constitution que les
hommes ne peuvent changer, parce qu'elle est Fceuvre de
Dieu même. Avant de jeter un pays dans ce nivellement
destructeur de sa liberté, attendez qu'il en ait abusé à ce
point que tout autre régime mette en danger son existence.
~il faut en quelque sorte cercfer à neuf une nation
détruite, dont le peuple dissous par les révolutions a
perdu le respect qui cimente tout Fédince, ce serait étouner
un peuple nouveau, formé à peine, et dont l'aristocratie,
quels que soient ses défauts, est pleine de puissance et de
vie. Ce serait vouloir remettre sur étais sa maison cons-
truite de la veille. Quand il faudrait embrasser, conduire,
alimenter, civiliser, faire payer tant de populations dissé-
minées, la Russie saurait ce qu'il arrive à un gouver-
nement qui veut se substituer au travail de la nature
Si le Souverain, représentant de Dieu, canal de son
autorité, ici déjà interceptée par lui sur un point prin-
cipal, croyait pouvoir tout faire et tout produire, les
coutumes, les mœurs et les lois, l'expérience lui fournirait
une triste leçon Toujours pour prendre le même exemple,
les populations de cet empire s'appauvrissant avant peu
par leur imprévoyance, se lasseraient, se désagrégeraient,
laisseraient s'épuiser les terres, et tout ce despotisme s'en
irait en fumée au sein de ces royaumes vides! Le Czar a
devant lui une oeuvre plus importante, plus certaine, plus
digne de ses soins, c'est de veiller sur les mœurs de son
aristocratie, sur la manière dont elle pratique la justice; et
surtout de ramener ses peuples aux sources vives de la Foi.
Aristocratie, formation monarchie, perfection despo-
tisme, dissolution. Les Etats, aristocratiques, quand les
peuples commencent, monarchiques quand ils montent à
leur perfection, deviennent despotiques quand ils succom-
bent, parce que la multitude, débordant ceux qui l'ont
formée et maintenue, appelle un despote pour les tyranniser
et pour la contenir elle-mème. Despotisme, centralisation,
dernier moyen de contenir les masses que l'envie replonge
dans la barbarie, de relier les hommes que la mort des
croyances et legoïsme ont désunis. Etat suprême qu'il est
criminel de simuler et que l'on reconnaît toujours à ceci
que l'aristocratie n'a plus la force de reprendre ses mœurs
et de contenir le despote, ni le peuple, le bon vouloir de
se
rattacher aux gens de bien. Encore une fois,
un peuple
sain, un pays libre, ne saurait
pas plus se concevoir sans
aristocratie qu'un édifice
sans murailles.

On le voit maintenant, la centralisation n'est


qu'un
symptôme dont le mal est en nous. Ce remède écrasant
d'un peuple divisé et démoralisé, le rendrons-nous désor-
mais inutile?.

CHAPITRE XXXII.
Fonctions supérieures des aristocraties.

indépendamment du rôle politique, l'aristocratie


accom-
plit une fonction sociale de première nécessité. Un
gouver-
nement, supposons-le, se passera d'aristocratie,
une nation
ne le peut point. Dès l'instant qu'elle est nation, c'est
qu'elle en possède
une. Déjà nous en avons dit un premier
mot la vérité ici bas, semblable
en quelque sorte à la
!umière pure, ne
se voit pas, ou plutôt ne-brijie pas en
même temps à tous les
yeux; quand le clergé la répand,
il faut qu'une aristocratie la réfléchisse
par ses exemples.
Dieu attire à lui toutes les âmes. Quelques-unes
s'y
élèvent à la première apparition de la lumière,
et. ie plus
grand nombre, en voyant les actes qui lui donnent
un
corps; car hommes sont peu abstraits et peu diligents
Les
de coeur. Les premiers, ou ceux qui se déterminent en
voyant la loi pure, forment les aristocraties les seconds,
la
ou ceux que détermine l'impulsion des mœurs, forment
multitude, bien que ces démarcations ne soient point aussi
nettes que les mots ici nous le présentent.
Une sorte de chaîne immense nous amène ainsi tous à
Dieu le prêtre par l'amour, les meilleurs par la lumière,
la foule par les exemples de ceux qui lui sont supérieurs.
Et telle est la beauté du plan de Dieu, que tes créatures
viennent à lui par hiérarchie, de même que dans le Ciel
car, dans la création, la variété est faite pour lui amener
les plus faibles.. Dès que cesse toute aristocratie, le peuple
tombe~ comme l'aristocratie elle-même, dès que le clergé
reste impuissant à la soulever. Ceci arrive rarement, à
moins d'une complète décadence nationale, car Dieu lui-
même maintient l'Eglise au genre humain.
Il faut donc bien se rendre compte de la conformation
de la Société, et de l'objet capital des aristocraties, qui est
l'exemple donné aux hommes, l'action exercée par le bien.
Elles en sont en même temps le type visible et le véhicule.
Tant vaut l'aristocratie, tant vaut le peuple. Comme aussi,
plus une population a de valeur, plus elle engendre d'aris-
tocratie, mieux elle voit s'élancer cette riche végétation
de son sol.
De cette marche sortent les saints, et ce n'est que pour
eux que les nations subsistent. Les peuples, comme
Bossuet le remarque, ne durent qu'autant qu'il y a des
élus à tirer de leur sein. Politique sacrée, lumière et fon-

(1) Les aristocraties sont deux fois coupableg lorsqu'elles abandonnent


Iesu)ceurs
dement de l'autre. Toutes les classes qui présentent au
peuple un exemple, fùt-ce le moindre,
comme celui de la
modération dans les jouissances offert
par la bourgeoisie,
font partie de l'aristocratie. Et celles qui
ne lui en offrent
qu'un mauvais, dérogent. Au sommet de l'aristocratie
éclatent la lumière et la charité, c'est-à-dire le Clergé
et
ses saints, dont les vertus de degrés en degrés vont en se
prolongeant sur les âmes, les ondes lumineuses
comme
d'un arc-en-ciei qui ne s'évanouit qu'à regret.
Un peuple qui n'a plus d'aristocratie
ne peut abso-
lument plus'rien. Mais d'abord cette absence elle-même
prouve qu'il n'est plus rien. Et il ne peut plus rien ni pour
la paix, ni pour la guerre; il
ne peut rien pour la gloire
comme il ne peut rien pour la vertu. Ce peuple est dans
t'état qu'offre depuis si longtemps notre France,
et dans
lequel on l'a vue gisante et éperdue
en 1870.
Un peuple qui n'a plus d'aristocratie, n'a plus confiance
dans ses généraux, comme il n'a plus confiance dans
ses
rois, comme il n'a plus confiance dans ses prêtres,
comme
il n'a plus confiance dans ses saints. Voilà pourquoi
ce
peuple ne peut rien.
Dieu veut qu'un peuple perde
ses conditions d'exis-
tence, quand il n'est plus capable de produire une aristo-
cratie, parce que le moment est venu où les saints
ne se
forment plus qu'en trop petit nombre dans
ses rangs.
Aussi la France sera sauvée, non par l'armée, mais
par
les saints et !es saintes quelle possède, mais
par le clergé
admirable que l'Eglise a fait jaillir de nos populations,
rurales.
CHAPITRE XXXIII.

Cachet de la vraie noblesse, Société de Saint-Vincent-de-Pau!.

Le vrai cachet de la noblesse est l'enthousiasme pour la


vérité, et la condescendance envers les faibles c'est le
penchant à secourir des deux manières les inférieurs. Cet
amour pour le peuple, qui s'exerce sans parti-pris, d'un
côté pur renseignement du prêtre, de l'autre par l'action
des bonnes familles; cette charité qui s'exprime souvent
par la main d'une femme, mais avant tout par l'exemple
des plus belles vertus, ne ressemble en rien à la popu-
larité, laquelle est toujours au contraire en raison inverse
de l'affection que nous conservons pour les hommes.
La popularité, dont on se montre. aujourd'hui si avide,
précisément parce que l'ambition a pris la place de l'hon-
neur et de la charité, la popularité est tellement opposée à
l'amour que l'on doit à ses frères, qu'au lieu de se donner
au peuple, elle se le donne à elle-même pour piédestal,
pour instrument de gloire. Celui qui n'a pas envie de mal
faire ou'qui vit dans l'honneur et la modestie, ne songe
point à la popularité, à ce signe hélas! trop fréquent
parmi nous de l'absence de toute noblesse.
L'amour de nos semblables est encore aujourd'hui la
marque des familles anciennes, à moins que l'irréligion ou
la frivolité ne les ait fortement altérées. Voilà pourquoi on
voit cet amour éclater au plus haut point dans le clergé,
tète des aristocraties, dans ce qui caractérise la vocation
LÉGIT. 26
du prêtre, l'inclination à servir i'homme par la lumière et
par la chanté. Voilà pourquoi on le vit se manifester chez
nous à l'instant où, par un bienheureux retour de la Foi,
parut en France la précieuse végétation d'une aristocratie
nouvelle, sous le nom de Société de St-Vincent-de-Paul.
Ah 1 celle-là n'attendit point d'être mise à la tète du
peuple pour le secourir! Elle porte avec elle une grande
promesse, elle est le signe de grandes choses. Elle tient
dans ses mains une partie du salut de la France elle y
accomplira et y a déjà accompli une révolution politique
elle est entrée dans la beauté des plans de Dieu
Qu'elle a bien rempli jusqu'ici l'office d'une véritabie
aristocratie! Le XVII~ siècle en avait entièrement détruit
les rapports avec la population. L'enfant des classes
élevées ne paraissait à l'humble foyer du peuple que pour
y choisir les victimes de sa concupiscence et de sa dépra-
vation et, dès ce jour, le respect, seule force qui
puisse tenir deboutt une nation, était anéanti. Mais le
fils de -la Société de St-Vincent-de-Paul reparaît dans
ce même foyer pour y porter le soulagement et la paix,
souvent pour y offrir lui-même l'exemple des plus exquises
qualités..
H relève ie respect, l'arbre divin de la hiérarchie, remet
debout la nation, rétablissant, entre son peuple et les
hautes classes, les rapports précieux sur lesquels'Je chris-
tianisme construit depuis 18 siècles son merveilleux édifice.
Quelle précaution a prise la Providence pour sauver ia
société, pour en rendre le rétablissement possible! quelle
bonté de Dieu envers nous! ~M~ sont beaux ~y la
montagne les pieds de celui qui annonce l'Evangile et la
paix! Quelle plaie il est venu guérir! Sur notre sol, il a
semé ia plante sacrée de la paix qu'on en avait arrachée
sur ce sol elle fleurit dans la rosée de sa jeunesse,' au
doux soleil de ses vertus. Et cette plante rendra une
nation à la vie, un monarque à son trône, une aristocratie
à la France
La jeunesse et l'éducation, c'est l'avenir mis dans nos
mains Quand le mal est avant tout dans la pensée, il ne
s'en va que par la voie de la pensée or, celle-ci, de même
que le cœur, ne s'ouvre librement au vrai que pendant la
jeunesse. La politique ne fait face qu'au danger du
moment, et la soumission qu'elle parviendra à imposer ne
comblera point le précipice qui se creuse dans l'avenir.
Dans un siècle où tout le monde raisonne, il y a néces-
sité manifeste à éclairer les bases du raisonnement. Ne
songeant qu'à la liberté, c'est-à-dire qu'au moyen de faire
place à leur orgueil, les hommes semblent oublier la place
que l'on doit faire à la vertu et à la vérité. Ils ne pensent
qu'à réduire le rôle de l'autorité et les fonctions de la
politique. Eh bien, pour décharger celle-ci, pour la facili-
ter, il faut recourir à l'éducation de la jeunesse.
Cessons de lui faire partout respirer l'air vicié du
monde; cessons de lui donner sur cette vie une idée de
plaisir au lieu d'une idée de devoir, et confions-là aux
Ordres religieux. La vie n'est pas une partie de plaisir,
mais une échelle merveilleuse pour monter, par la pureté,
au bonheur infini. Les mêmes
perspectives s'offrent à la
société humaine et à l'éducation. Cette jeunesse, d'où
sortira notre aristocratie, depuis le haut clergé jusqu'aux

(1) Ce même amour a suscite d'autres sociétés de bienfaisance et d'autres


pleins de ze!e
Œuvres de charité auxquelles des hommes et des femmes
apportent un si puissant concoure Jamais on ne vit autant de corps reli-
gieux se dévouer soit au soulagement de la misère, soit a. l'éducation de la
jeunesse et de l'enfance 1
membres de nos municipalités communales, doit livrer un
combat de géants..
Elle devra vaincre la démocratie ou succomber! ii faudra
que l'amour et l'honneur soient partout plus forts que le
feu de l'envie, attisé par l'erreur et la nécessité. Que cette
jeunesse soit la fille aînée de FEgiise, que son cœur soit
vaillant et doux qu'elle ceigne les mâles vertus, qu'elle
connaisse l'enthousiasmel noble clergé, qu'elle sorte de
tes mains tout armée comme un chevalier Ceux qui la
trempent dans le bien-être, qui la font croître sans gran-
deur, sont les ennemis de la France.

CHAPITRE XXXIV.
Anohlissements de la. bourgeoisie.

Premier point de fait.

Comme le montre l'expérience, c'est partout la classe


enrichie qui fait les révolutions. Dès que la première classe
faiblit on se relâche, la seconde survient avec une foule de
sentiments moins élévés.
Chez nous, elle possède aussi l'empire qui vient de la
fortune et celui qui vient des idées, idées fausses plus
accessibles que les.principes et plus faciles à se répandre
dans la foule 1. Le peuple à son tour.devient la seconde

(i) Pour le vutgaire, les principes supérieurs sont moins visibles que les
idées; on n'aperçoit ceux-ci que des points élevés du cœur. En dehors du
génie, toujours rare, les principes demandent des classes qui aient )a mission
classe mais entraînant les mœurs et les idées encore plus
loin des principes, il achève de jeter à bas la nation. Le
remède à ce fait est dans l'anoblissement des familles qui,
par leur conduite et par leurs sentiments, se sont plus ou
moins ennoblies.
On ne peut ni détruire la seconde classe, ni laisser périr
la Société il faut donc faire entrer en partie la seconde
classe dans la première. Le trop plein d'un bassin doit
refluer dans l'autre, et le vase d'argent se verser dans le
vase d'or. C'est alors que la lie se sépare. La situation le
commande.
La justice ne parle pas moins haut. Chez nous, comme
au sein de tout peuple vivant, il s'est formé naturellement
de la noblesse; et il n'y a pas eu, depuis certaine époque,
d'anoblissements réguliers. L'enceinte s'est fermée, et la
foule de ceux qui assiégeaient les portes n'a pu que se
multiplier. Les hommes, nous dit-on, repoussent toute aris-
tocratie 1. Cependant, comme nous l'avons dit, partout ils
veulent des académies, partout'ils briguent les honneurs et
les décorations, partout ils s'empressent vers la richesse,
hommes,
source la plus ordinaire de distinction chez les
partout ils n'ont vraiment de considération que pour ce qui
appartient à l'aristocratie. Non, jamais on n'eut un plus
grand désir d'entrer dans l'aristocratie, et jamais la Société
n'eut un plus grand besoin de consolider, d'élargir cette

de les conserver. Quand l'instruction profane et la richesse sont l'une et


l'autre faciles à atteindre, il faut s'attendre à une révolution; parce que des
hommes moins grands et moins méritants que leurs prédécesseurs s'em-
parent de la Société.
(1)– Ils la repoussent, us la méprisent! Précisément! la fureur
qu'on éprouve contre elle est la mesure du désir qu'on a de lui appartenir.
Cette colère n'est qu'une prodigieuse envie.
classe qui fait corps avec les principes, qui conserve les
droits publics et les traditions nationales.
Il ne faut pas se le dissimuler par son installation dans
les biens de la noblesse et du clergé, par son entrée dans
toutes les magistratures, pour ses talents et son activité,
par suite aussi du développement de l'industrie, la bour-
geoisie a obtenu en France la place et l'ascendant que
l'aristocratie possède en Angleterre. C'est là un fait. La
bourgeoisie est partout; ii est évident qu'on ne saurait
Févincer, et qu'on ne doit s'en passer ni pour le clergé, ni
pour l'armée, ni pour la justice, ni pour les administrations.
Là se tient en partie la source des prétentions libérales, là
se trouvent les erreurs qui depuis quatre-vingts ans nous
tuent on remédiera à ces deux espèces de maux par les
anoblissements légitimes.
Une telle situation engendre la nécessité de faire immé-
diatement entrer les sommités de cette classe dans la
noblesse soit, en premier lieu, pour éviter qu'elle ne
détruise ces restes précieux; soit, en second lieu, pour
l'amener elle-même à en recevoir les caractères soit,
en
troisième lieu, pour donner à l'Etat le contrefort qui lui
manque; soit, enfin, pour nous délivrer une fois de cet
antagonisme des deux classes qui enfanta la Révolution
française, la ramena en 1830, et l'entretient encore de
nos
jours. Ces quatre raisons d'Etat renferment toute la poli-
tique actuelle.
Pour le Pouvoir, quelle ligne de défense que cette
réunion de toutes les familles qui se sont élevées depuis la
Révolution
Quelle différence, d'avoir une pareille classe
avec lui ou
de la laisser à ses ennemis.. Comment faire
un pas en
politique sans tenir compte du fait le plus sérieux de la
situation? De nombreux mais légitimes anoblissements
ouvriraient une carrière an mérite, et opéreraient sur la
bourgeoisie une sorte de saignée profonde qui ramènerait,
dans l'Etat, un équilibre indispensable à tous les points de
il
vue. Quand un bassin déborde et entraîne les autres,
faut par un transvasement rétablir les niveaux.
Au reste, le fait est légitime et s'opère partout de la sorte.
Dès que l'homme cesse de pourvoir directement à sa for-
tune~ et devient sur quelque point directement utile à ses
semblables, il s'ennoblit, ne fit-il même qu'échanger une
richesse rapidement acquise contre des terres qui vont dimi-
nuer son revenu, mais aussi transporter ses biens, sa vie
et ses exemples au sein des populations rurales. Qu'en sera-
t-il de celui qui, par lepée, par la Foi, par la justice, la
science ou la charité, offre directement cette vie a l'Eglise, à
l'Etat, à ses semblables ou à Dieu? Dans tout peuple, dis-je,1
à moins qu'il ne soit mort, il se forme constamment de la
noblesse; et déjà parmi nous la bourgeoisie en remplit
quoique malheureusement les fonctions.
C'est la bourgeoisie, il est vrai, qui acheva de renverser
la noblesse en déchaînant le peuple et les lois contre elle.
Toutefois, après la catastrophe, si la bourgeoisie ne se fut
pas trouvée là, avec ses aptitudes, pour remplir toutes
les
fonctions, dans l'armée ou dans le clergé par exemple, que
serait devenuela France? Ne serait-elle pas immédiatementt
tombée au fond de la démocratie, ou devenue irréparable-
ment la proie de l'étranger?
Malgré les erreurs dont elle fut saturée, la bourgeoisie a
donc une importance et une valeur qu'on ne saurait
méconnaître. Elle a l'activité et l'intelligence en apanage,
génie.
comme la noblesse a l'esprit d'honneur et souvent le
C'est-à-dire qu'il manque à la bourgeoisie ce qui distingue
la noblesse à la noblesse ce qui distingue la bourgeoisie.
Classes admirablement faites l'une pour l'autre! Alliance
heureuse, hymen fortuné pour !'Ëtat, que consomment
si parfaitement les anoblissements légitimes.
Nous savons tous les vices de la bourgeoisie et toute
l'impuissance de la noblesse la première est incapable
de conduire une nation, la seconde;, d'empêcher que la
première Ja supplante. Mais que la bourgeoisie soit unie
avec discernement à la noblesse, les vices de la bourgeoisie
s'effacent et l'impuissance de la noblesse disparait

CHAPITRE XXXV.

Des anoblissements sortira l'avenir de la France.

Laissez la noblesse telle qu'elle est, et J'aristocratie


s'éteint. Laissez la bourgeoisie telle qu'elle est, et la nation
disparaît. La noblesse, qui représentait presque tout ce
qu'il y avait de supérieur dans la race française, s'est
comme évanouie; il faut de toute nécessité relever morale-
ment et officiellement la classe qui vient après e!!e.
On doit tout faire pour que, mé!ée à la première et
partageant ses sentiments, elle remplisse dès lors en France
les fonctions d'une aristocratie véritable. Autant
pour
ranimer les hautes classes que pour neutraliser tes défauts
de la bourgeoisie, on doit absolument l'incorporer
aux
restes précieux mais inféconds de la noblesse. C'est un but
supérieur: on l'atteindra, non pas en faisant que la bour-
geoisie absorbe la noblesse, comme il arrive en ce moment,
ce qui achèverait d'effacer la nation mais en faisant, que
la noblesse absorbe la bourgeoisie, comme il arrive en
Angleterre.
Mais il faut que la noblesse fasse à ces anoblissements
un accueil digne de celui qui reçoit, et digne de celui qu'on
présente l'accueil de l'antique maison à la jeune héritière
qui vient à la fois partager et faire fleurir un nom, sem-
blable elle-même à la fleur que le printemps met aux
branches qui ont traversé les hivers. Tout est danslà.
cet accueil est la fortune de la France. Il peut seul anéantir
les haines du passé, sauver et relever comme par miracle
notre chère patrie! Les premiers la fondèrent, les seconds
viennent la rétablir.
Ne craignez pas un puéril égoïsme la noblesse est
française avant tout. Au reste elle sentira qu'elle ne saurait
tout obtenir sans rien donner.. s'il en arrivait autrement,
tout manquerait. L'aristocratie à peine respirante serait
de nouveau étouffée dans le préjugé universel et disparaî-
trait pour jamais.
L'Etat qui détruit le droit de tester 2 ressemble au labou-
reur qui fauche son blé en. herbe chaque fois que se montre
l'épi. Et l'Etat qui immobilise la bourgeoisie en suspen-
dant les anoblissements légitimes, ressemble au villageois
qui barre un torrent dont l'eau monte et submerge ses
champs.

(i) Faudra-t-il laisser la noblesse achever de s'éteindre avec la nation,


pour plaire aux rares vanités qui voudraient isoler un titre, semblables au
bibliomane poursuivant la perte d'une édition pour en,montrer t'uniqnf
exemplaire ?
(2j Laliberté de la personne existe-t-eHc quand li liberté de léguer ses
biens n'existe plus?
La leçon est trop forte
pour qu'on la puisse oublier.
Partout tes bourgeoisies arrivent
au Pouvoir par les
révolutions, et y sont remplacées
par un peuple qui le
leur enlève à son tour; c'est
un cercle sans fin. Quand on
ferme l'issue, les eaux du fleuve s'accumulent,
et em-
portentt toutt a la fois. Le meilleur des régimes, dira-
t-on, est bien celui qui assigne a tous les ordres de i'Etat
leur place respective, qui les fixe dans la vie qui leur
y est
propre, qui entretient cette vie, et empêche l'un de ces
éléments de déborder et d'absorber les
autres. Eh bien,
puis qu'il faut le dire ce régime est celui qui s'est
écroulé. Que faire donc?
On ne saurait arrêter l'ascension de l'homme. Le meiNeur
gouvernement, le régime qui détruit les castes, qui donne
pleine carrière au développement de la nature humaine,
qui en facilite la hiérarchie, qui empêche la bourgeoisie
d'opprimer Je peuple, et la noblesse de refouler la bour-
geoisie, qui leur permet de vivre ensemble et de rentrer
dans un accord harmonieux, c'est celui qui tient l'entrée
de la noblesse ouverte à la bourgeoisie, et l'entrée de la
bourgeoisie ouverte au peuple.1
Toute famille peut et doit s'élever du peuple à la bour-
geoisie, et de la bourgeoisie à la noblesse; il
ne faut à l'une
que du capital, et à l'autre que de t'honneur la Société
vient pour favoriser l'acquisition de l'un et de l'autre.
Une nation, de la tète aux extrémités, n'est qu'un
vaste
courant dont il ne faut pas fermer le cours. C'est une
énergique ascension de toutes les forces combinées, qu'il
est impossible de suspendre sans marcher a une explosion

(t) La première, par )es anoblissements légitimer; la seconde,


par le::
intitulions qui favorisent la formation et les droits du capital
ascension auguste et sainte, qui doit trouver son passage
dans une hiérarchie toujours vivante. Toutes les âmes qui
grandissent ne s'enferment pas dans les cloîtres elles ont
au sein de la nation leur mouvement et leur orbite. La
hiérarchie légitimement établie, suffisamment maintenue,
est la circulation du sang dans l'Etat. Elle en est la cons-
titution, la sauvegarde et la vie.
Mais les aristocraties ont un siège, les anoblissements
une source, les hiérarchies un appui, les citoyens un
rempart, les Etats une base, et les familles ici-bas un trône:
c'est la propriété.

CHAPITRE XXXVI.

Constitution de la Propriété.

Deuxième point de fait.

La petite propriété est nécessaire à l'indépendance des


individus, et la grande à celle des peuples. Un peuple
sans la grande propriété, dès-lors sans aristocratie, est un
peuple qui appartient déjà au despotisme.
La première chose dans un Etat est la constitution de la
propriété, qui n'est elle-même que la constitution des
droits acquis, en même temps que la constitution de la
famille et du mérite pratique.
Or la propriété se forme d'elle-même en même temps
que la famille c'est à l'Etat à ne pas la détruire en ôtant
le droit de tester. La continuité est toute la vie de la
famille et de la propriété.
La propriété est i'éterneite protestation des droits réels
contre un droit inné, ou arbitraire, qui abolirait les nations et
la libre nature humaine.'
a propriété, c'est l'homme même,
l'homme assis ici-bas, l'homme, tige ascendante du mérite.
Comment l'importance de la propriété pourrait-elle dispa-
raître de la commune même, où elle s'est formée et où elle
a
son siège, des conseils municipaux, dont elle est la raison, de
l'Etat, dont elle est la base? Un Etat qui veut la stabilité
ne
peut séparer sa racine de la racine mêmedeia population. Et,
d'autre part, celui qui n'a pas su constituer
un seul atôme
économique, doit-il pénétrer parmi les éléments politiques,
les troubler ou les pervertir? Parmi des actionnaires a-t-on
l'idée d'introduire les étrangers ou les voisins ? Rien n'est
plus exact que de considérer le propriétaire
comme ie
véritable actionnaire de la nation.
Qui empèche l'homme de travailler, de s'élever à Ja
modération des jouissances, d'atteindre à la propriété 1
Sur le droit de tester, sur la continuité s'établit la
famille; sur la famille, la propriété, et sur la propriété,
l'Etat. Le mérite est une racine, la propriété est un tronc
dont la famille porte la sève, et l'Etat forme l'arbre entier.
Or l'arbre ne saurait être transplanté,
car il ne peut
emporter avec lui ses racines.. Les révolutions n'ont
jamais pu transporter avec succès la propriété des mains
de celui qui la produit dans celles de celui qui
ne la pro-
duit pas. On doit prévoir la nature des matériaux
sur
lesquels s'établira l'Etat; on doit prendre les éléments
que
Dieu nous a lui-même mis sous la main, la famille, la
propriété! Ne fondons plus sur des choses qui se dérobentt
sous nos pieds.
Au sein de nos générations humaines, il n'y a pas
d'influence plus légitime que celle de la propriété fon-
cière. tl n'en est pas tout à la fois de plus antique et de
plus sure, de plus universelle et de plus noble. Repousser
la constitution de la propriété, c'est aller contre toutes les
lois de la nature et du bon sens.
Qui ressemble le plus à un prince, qui en accomplit en
quelque sorte les fonctions, qui en recueille l'expérience
parmi les hommes, qui en contracte le mieux les habitudes
et la grandeur, si ce n'est le propriétaire, installé par
l'hérédité, indépendant, entouré par les siens, régnant sur
ceux qu'il aime comme sur ceux qu'il attache à leurs
fonctions et dirige en paix à leur but? La plus glorieuse
des Dynasties est sortie, en 980, du plus riche des pro-
priétaires et du premier des grands seigneurs de France.
Autrefois, les seigneursrendaient la justice cette charge
semblait un devoir de la grande propriété. En Angleterre,
il en est de même encore: les justices de paix sont toujours
au nombre des fonctions du grand propriétaire. « Le pro-
priétaire seul, a dit un homme de génie, est réellement
citoyen il doit sans doute à tous les autres, justice, pro-
tection et liberté dans toutes leurs opérations légitimes;
mais ceux-ci doivent se laisser conduire. M C'est lui qui
possède en effet la capacité sociale et la capacité pratique.
Seul, aussi, il est réellement gentilhomme, ou homme
d'Etat, pour peu qu'il ait l'instruction sufnsante. 11 possède,
dans la capacité pratique, la connaissance ici la plus
importante. M a la base sur laquelle, si l'on peut parler
de la sorte, se visse la pièce de rapport qu'on nomme
spécialité; car la science crée les spécialités, mais celles-ci
n'arrivent qu'en second rang.
La grande propriété est, en définitive, un prolongement,
familles
une fraction de la souveraineté. C'est dans les
anciennes de grands propriétaires, surtout quand ils unis-
sent à leur situation la connaissance de la Théologie et de
l'histoire, qu'on doit choisir les hommes charges de
rem-
plir les premières fonctions de l'Etat à moins
que ces der-
niers ne soient directement fournis
par le sang royal, par
la pourpre, ou visiblement donnés de Dieu
par la main
des événements.

CHAPITRE XXXVII.
De la constitution de la propriété sortira la paix de ia France.

Tout commande de revenir à la constitution de la


pro-
priété la famille, le droit, Je salut de la France, le
sens
pratique, l'intérêt des peuples et des masses. Jamais,
«
s'écrie M. de Maistre, la science ( on peut ajouter l'élo-
quence, ) ne peut déplacer la noblesse, ni se mettre
sa
place, sans que l'Etat entré sur-le-champ dans
une con-
vulsion terrible, sans que le système de gouvernement soit
bouleversé et changé. La science l'expose continuellement
en tendant continuellement à porter dans les emplois des
hommes sans fortune et sans nom car la science étant
accessible à tout Je monde, l'orgueil des classes inférieures
saisira toujours ce moyen de s'élever subitement. Si la
science seule, ou séparée de la richesse territoriale, est
portée trop fortement dans les emplois, une révolution
devient inévitable » Et qu'en sera-'t-il si l'avocat, si l'élo-
quence succède à la science ?
Enfin, le triomphe de la propriété territoriale, obtenu
sans rien brusquer, sans rien détruire, dans les limites du
possible, par la simplicité des grands et par les faveurs du
monarque, résoudrait pacifiquement la question redoutable
des classes ouvrières, ou de l'industrialisme. Ce triomphe
de la propriété, par les droits, les honneurs et les emplois
qui lui seraient conférés, réduirait l'industrie de luxe,
ramènerait aux champs les fortunes et les bras, restrein-
drait la servitude de la foule, dissoudrait l'armée de
l'émeute, éloignerait le paupérisme de nos villes, enfin
ramènerait l'homme aux mœurs, à la santé, à la paix de
la vie naturelle ou de la vie des champs. Les vérités sociales
ne forment qu'un faisceau.
-La substitution de l'homme de lettres au grand pro-
priétaire est une des plus funestes bévues de la Révolution,
La confusion introduite par le libéralisme entre la capacité
littéraire et la capacité pratique, nous inflige depuis un
siècle de cruels châtiments. A chaque nouvel acte du drame
révolutionnaire, les capacités littéraires reviennent avec un
surcroîtt d'inepties et de maux. La France, alors, boitt
l'élixir tiré des fleurs écloses sur les rivages de la théo-
rie, sur ceux de l'éloquence et des discours! Elle se voit
gouvernée, infectée, épuisée par une série d'hommes à qui
l'anarchie ouvre le chemin du Pouvoir~.

(1) Voici ce qu'il en est. Bonaparte naquit de l'anarchie de 89, Louis-Phi-


lippe de celle de i830,L. Napoléon de celle de 1848, J. Favre Thiers
Gambetta, de la plus inepte, celle du 4 septembre.
Après l'orgueil, après t'envie, et, tout a. fait au bas, la haine, le plus grand
des produits de la Révolution a 6te l'illusion. Le souverain, parce qu'il
portait le nom de Bonaparte, croyait, dans une campagne absurde, conduire
l'armée à la victoire. Le plénipotentiaire, sur la foi des quatorze armées de
93 comptait qu'une levée en masse refouterait l'armée prussienne. Par
illusion aussi, trente-six millions d'hommes, depuis un siècle, se persuadent
que leurs vertus, leur gloire, leur progrès et leur patriotisme vont grandis-
sant aussi bien que leurs libertés!
C'est dans la grande propriété qu'il faut asseoir les
familles et surtout l'aristocratie, qui est l'universelle pater-
nité. Le gouvernement d'un pays n'est pas tout entier dans
le Prince. Celui-ci ne tient en main, on peut le dire, que
le gouvernement de ceux qui gouvernent. Si chaque
fraction d'un pays n'était déjà dirigée en silence, si elle
n'était toute gouvernée dans un cercle déterminé de justice,
de travail et de paix, aucun gouvernement, même le plus
despotique, ne pourrait y sumre. Voilà également pourquoi
l'on doit avant tout pourvoir à la formation des familles,
à leur stabilité et à celle de la propriété. C'est là qu'il faut
placer la base de l'Etat et lui donner ses fondements. Le
Pouvoir politique n'est pas un qui tire du néant
tous les rapports entre les hommes, et qui puisse régler
jusque dans l'essence tous leurs devoirs et tous leurs droits.
De même que la royauté ne saurait absorber tous les
droits, de même elle ne saurait remplacer tous les pou-
voirs. Elle ne peut agir sans concours. La royauté ne
possède que la souveraineté, c'est-à-dire le pouvoir sou-
verain~ ou le pouvoir premier. II faut que tous les autres
fonctionnent â l'abri du sceptre. Garantie et support de
tous les droits, elle est la représentation de celui de Dieu,
qu'elle apporte pour les fonder et les ennoblir tous. Comme
nous le dirons, elle est l'axe de la nation, la tête de l'aris-
tocratie. La tète ne suppose point la suppression des mem-
bres elle vient leur imprimer ladirection et la vie.
L'homme appelle son Dieu et son roi, pour avoir la
garantie de sa famille et de son droit.
CHAPITRE XXXVIII.

Pratique actueDe représentation de ia Frunce.

Qu'elle le veuille ou non, la France est enfermée dans


ie bonapartisme. Les lois civiles, politiques et commer-
ciales, le Pouvoir, l'administration, les communes, la
magistrature, l'armée, l'université, la conscription, l'es-
prit public et les impots, tout cela fut l'oeuvre du premier
Bonapartel. Le régime de i804, si bien perfectionne par
les parlementaires, n'a fait que reprendre une vigueur
nouveHe depuis le 4 Septembre. Il serait difficile au plus
fin de montrer en quoi la république actuelle diffère du
régime des deux Bonaparte.
Nous n'échapperons aux étreintes de la Révolution
qu'en brisant le par!ementarisme, qu'en rentrant dans
nos droits publics et privés. Nous ne romprons le cercle
de fer du césarisme que par un rétablissement progressif
et bien entendu des provinces, reliées à leur tour par la
monarchie chrétienne et nationale. D'un seul coup nous

(l)0n lit dans le .V~~M~cr~ de Sainte-Héléne «H fattait'créer mou


') siècle pour moi,, comme si j'avais été créé pour lui. 11 fallait saisir l'esprit
de la Révolution pour accoM~o~cr un système ana/o~ttC de politique et
de législation je crois y ~tre parvenu. Ce système me survivra j'ai
a laissé à l'Europe un héritage qu'elle ne pourra répudier (pour son mal-
heur.). Il fallait fonder ma législation sur les intérêts de la majorité.
J'ai fait des lois qui avaient pour principe le maintien de t'egaHte. Elle est
si fortement empreinte.dans ces codes, qu'ils suŒront seuls pour la
cooserver. B
LKG)T. 2'?
renversons ici Je despotisme et la Révolution. Au reste, le
salut du monde dépend du retour à une civilisation chré-
tienne, rétablissant les droits de Dieu et ceux des hommes.
Ne continuons pas nous-mêmes la Révolution. N'allons
pas choisir un gouvernement parlementaire au moment
où les erreurs l'emportent sur la vérité ni un gouver-
nement sottement représentatif, alors que la démagogie
triomphe et que la foule arrive seule à être représentée 1
Bien autrement représentatif, le gouvernement véri-
table, assis sur la constitution de la propriété~ au lieu de
faire valoir un système, une secte, moins encore, une
idée passagère, représente la Société dans ses vrais élé-
ments, l'homme dans son développement, la nation dans
toute sa durée. Il représente un peuple dans sa marche
savante, non dans sa décadence et son affaiblissement
ou plutôt, il n'est plus nécessaire qu'il représente, il fait
corps avec le pays, dans lequel il s'idcntiue. Ils ont été
l'un avec l'autre coulés du même jet par le beau travail
de l'histoire. Comme nos droits, la royauté est l'oeuvre
des siècles et non d'un jour.. Si nous avons une repré-
sentation, ce sera celle de la propriété, ce sera celle de la
commune, ce sera celle de la cité, ce sera celle de la pro-
vince, et dès lors de toute la France La royauté fran-
çaise, mieux que toute autre, a résolu par le fait le grand
problème de régir une vaste nation, au milieu de laquelle
les libertés et les intelligences ont eu tous leurs vrais
développements.
Ne sombrons pas dans la Révolution, au moment où
nous retrouvons le rivage du droit, où nous posons le pied
en terre ferme! Oui, pour le moment, en France, il n'y a
pas d'aristocratie, pas de libertés publiques établies dès
lors, pour le moment, il n'y a pas de représentation parle-
mentaire qui ne soit démocratique, destructive des droits
publics. On conçoit un Parlement en Angleterre, où la
propriété constituée, où une tradition bien vivante, où
une aristocratie immense, omnipotente, est et!e-méme
plus qu'un prolongement de la souveraineté où chacune
des familles qui composent cette aristocratie a
un intérêt
sans bornes au maintien des lois et des droits, c'est-à-dire,
de tout ce qu'il y a de constitué dans l'Etat. En outre,
en
France, par suite de la situation indiquée au début de ce
livre, les classes riches, telles qu'elles sont encore, devien-
nent elles-mcmes un instrument d'erreur et d'oppression
i'EgHse et la noblesse, perdues au sein de la mêlée, dis-
paraissent comme corps protecteurs.
Sous la Restauration, le gouvernement parlementaire
de Louis XViU fut une espèce de République déguisée.
Un homme, tristement tombé depuis, nous signala le fait,
et les événements le prouvèrent. Sous Louis-Phiiippe, le
gouvernement représentatif ne fut également qu'une Répu-
blique déguisée; aussi ne put-elle tarder à éclater dans
sa réalité même. 11 faut ordonner une nation et non la
réduire en pâte. Peut-on coordonner les éléments d'un
peuple par un gouvernement qui lui-même justifie et
entretient leur désaccord
Il faut que la nation soit elle-même formée, constituée,
dressée dans sa hiérarchie, avec les droits privés et les
droits publics. II faut que, peu à peu, et sur les bases de
la propriété, s'établisse tout ce que les siècles avaient
cons-
truit,, les provinces, les municipalités, les Ordres et les
corporations, la famille et ses droits; que, peu à peu, au
sein de l'aristocratie, il se forme un corps réeHementt
politique par son indépendance et son élévation, par les
charges et les devoirs qu'il reçoit en dépôt du monarque
Et là, encore, faut, n'aller que pas à pas. La justice, le
bon sens, l'expérience, la bonté, et peu de lois! La loi
que les faits n'ont point écrite est nulle, lorsqu'elle n'est
pas un danger.
Quant à ce qu'on nomme ~appc~ au peuple, il faut en
éviter jusqu'aux termes puisque c'est le renversement
immédiat de la Société. 11 importe que la nation sente,
au contraire, que la souveraineté vient de Dieu par le
prince principe et prince sont de même origine. Comme
nous l'expliquerons bientôt, il est d'un intérêt sans bornes
pour la Société, pour la nature humaine et pour les rois
eux-mêmes, de se présenter comme des rois chrétiens,
représentant le droit de Dieu parce que l'homme étant
libre a droit de n'obéir qu'à Dieu
Il existe d'autres raisons et d'autres modes de convoquer
les hommes pour représenter, non la souveraineté, qu'ils
n'ont pas, mais les besoins et les légitimités qu'ils ont
non l'Etat, qui n'est point de leur compétence, mais la
propriété, mais la province et la cité, qu'ils créentt et
qu'ils voient de près! Enfin, les ordres, les municipalités
et les corporations sont des représentations vivantes,
qu'on ne l'oublie pas ce sont des intérêts collectifs, cons-
tamment convoqués et constamment en paix.
A cette heure, avec les éléments dont se compose la
Société francise, reconstituer, on ne dit point une repré-
sentation nationale, puisque la nation vraie a disparu avec
la province, mais la représentation des masses, c'est-à-dire
du chaos où nous sommes, c'est instituer la démocratie,
suspendre le développementt social, et ruiner les forces
suprêmes de la monarchie. Au reste ce serait anéantir
tout espoir d'une aristocratie, c'est-à-dire d'une base
récite de nos libertés. En remuant la lie on la ramène
r
toujours en haut. Dans les temps de trouble et d'effer-
vescence, quand on convoquera des Etats généraux,
comme le fit Louis XVI, le plus nombreux de ces Etats
renversera les autres, le tiers cul butera la nobiesse~ le
peuple écrasera te tout.

CHAPITRE XXXIX.

Le parlementarisme est l'abolition du pays.

Ne l'oublions pas ce
que l'on nomme ici une représen-
tation de la France, n'est qu'une représentation de tous
les ambitieux de France 1. Le pays réel disparait.
C'est par des provinces, établies elles-mêmes sur la
constitution de la propriété, qu'on peut établir une véri-
table représentation du pays. Là existe, quand on le
voudra, le moyen vrai de représenter les intérêts mul-
tiples de toutes les populations d'un empire; le moyen
vrai d'en maintenir les traditions, qui sont les intérêts les
plus chers; le moyen vrai de protéger les droits, de res-
pecter les hommes, d'arriver en politique a une œuvre
sérieuse. Comment la centralisation ne serait-elle pas la
destruction de l'individualité même? Comment cette re-
présentation universelle et dérisoire ne serait-elle pas !e

~) L'infortuué Prevost-Paradol le disait bien naïvement, « L'essence du


» gouvernement parlementaire, c'est d'ouvrir à l'ambition aidée dit talent
eta~tn~ a:< Pouvoir (!) un chemin si large et si droit qu'on peut le
') suivre jusqu'au bout sans rien perdre de ce qui assure aux hommes pubtics
l'estime générale.. 0 On ne saurait rien dire de plus agréable
tombeau des provinces, la suppression de l'individu, !a
chute des Etats et la source du despotisme?
C'est par le, parlementarisme qu'on supprime toute
représentation sérieuse, et par la province, au contraire,
répétons-le, qu'on brisera du même coup le despotisme
et la Révolution.

Rétablissons la nation, et non la lutte parmi


ses éfé-
ments. Certes! on ne peut rétablir historiquement les
provinces, maison peut les rétablir administrativement,
leur donner une vie publique, les rendre à leur autonomie.
S'ii faut un code, un gouvernement, une loi, il faut aussi
des coutumes, des cités et des droits!1 L faut faire place
à la nature humaine, que la Société N'EST
PAS VENUE
DÉTRUIRE, MAIS ACCOMPLIR
Dans les révolu Lions, la parole règne et
gouverne. Mais
que représente au fond la parole? Vaut-ei!e la propriété?
Comme les mots ont le pouvoir de réveiller
nos idées, les
tangues de grouper les mots, et les orateurs politiques de
manier les langues, ces derniers deviennent les maîtres
de la foule lorsque les vérités pâlissent et que les prin-
cipes s'en vont. Aussi ces orateurs, signe profond de
décadence, abondent-ils dans les révoltions. Leur puis-
sance y est telle que, le trône une fois vacant, on les voit
devenir dictateurs ou présidents de république.
Jamais des orateurs, dans un temps régulier, n'arri-
veraient aux premières fonctions. Comme ils sont les
moteurs et les grands instruments des émeutes, entre-
tenir des orateurs, ou un gouvernement parlementaire,
c'est entretenir la Révolution. Les orateurs sont des
hommes séduits par les mots, et les rois, des hommes
pratiques recevant la lumière d'En-Haut de là,
au fond,
rien de plus opposé qu'un orateur et un roi. Louis-
Philippe n'a pas tardé à s'en apercevoir, lui qui devait
le trône aux orateurs 1 1.

Pensons-y, avant de rétablir chez nous une représen-


tation parlementaire semblable à celle des trois ou quatre
gouvernements qui l'ont p~yée de leur vie. Ils n'en
savaient point comme aujourd'hui les conséquences redou-
tables Réfléchissons, examinons, évitons à la fois le des-
potisme et la Révolution. Jusqu'ici nous n'avons bien songe
qu'à imiter les parlements anglais. Mais pouvons-nous
bâtir en France comme on bâtit en Angleterre? avons-
nous les mêmes matériaux? Suivant les éléments, les
édifices changent de place et de caractère.
L'Angleterre a sa pierre d'achoppement ailleurs, dans
son égoïsme et dans son industrialisme mais sa consti-
tution intérieure est forte. Elle repose sur sa propre
nature, sur les faits mêmes qui la composent et sur la
constitution de la propriété. Seulement l'un de ces faits,
doublement favorisé dans son excroissance par une reli-
gion d'égoïsme et d'orgueil et par des circonstances
d'exception, marche à l'anéantissement des autres si,
par l'effet d'une réaction, il n'eri est lui-même écrasé.
Mais c'est là un fait moral d'un autre ordre. Issu lui-

(1) M. Thiers, dont toutes les illusiuns en politique et toutes les erreurs
en religion viennent évidemmentdes mots, a dit lui-même < Je donne un
» conseil à mon pays,
c'est de se mener des mots. Avec des mots on l'a mène
bien loin t Quand on est sous le despotisme, le mot liberté est magique
quand la liberté fait des fautes, le mot ordre reprend son prestige. Avec
» le mot fraternité on a
fait les massacres de septembre, et on l'a rajeuni
.)
dans le mot solidarité. Un mot qui nous a perdus, c'est ic mot natinna-
lite. n –Or les orateurs sont les hommes qui mettent en usage ces mots..
Q!<on!'a~ 7ion co~/tout~e~<~ dit le Psalmiste, ~'o~o :?t polen-
~asDo~ (Ps. Lxx, v. 16.)
même d'une révolution, le mal est dans le dogme et dans
la morale, et non dans la constitution politique, laquelle
fut toujours fondée sur la nature de la nation.
Possédant une aristocratie assez puissante pour dominer
partout la foule, et un esprit national assez fort pour la
conduire, l'Angleterre cède à son peuple les mêmes droits
à peu près qu'à l'aristocratie, parce que le peuple ne peut
pas en user pour la détruire. Mais si, comme nous, l'An-
gleterre avait tenté les théories, si elle s'était mise dans
nos situations politiques, elle aurait depuis longtemps suc-
combé.. Sa richesse est moins sûre, son instinct moins
noble, sa religion moins élevée, son aristocratie moins
sacrée, son peuple inGniment plus malheureux; elle ne
possède ni l'enthousiasme, ni les ressources, ni les revi-
rements soudains du caractère français. Notre malheur
est de négliger ces ressources, de nous détourner de cette
richesse et d'abdiquer tous nos instincts.
Les Anglais ont tiré le meilleur parti possible de leur
situation les Français ont constamment abusé de la leur
sans parler des grâces et des dons prodigués avec tant
d'abondance à ce pays privilégié. Si, avec leur instinct
politique, les Anglais eussent possédé notre terre, ils y
eussent, fondé, non pas la première des nations, mais peut-
être la plus puissante. En France, les Anglais eussent
dominé le monde à la façon de Rome. Mais le Ciel, qui
ne pouvait compter sur la conscience de ce peuple orgueil-
leux devant Dieu, n'a pas voulu lui confier les destinées
du monde. Ici encore, l'homme, quoique faible, fut pré-
féré à l'ange rebelle. Une vierge, également, devait rejeter
le dragon clans les flots et l'enchaîner sur son ile..
Même dans ses révoltes contre Dieu, la France a con-
servé une habitude du dévouement, une passion des
grandes choses, qui révèlent les biens que Dieu lui laisse
en réserve, et tout ce qu'il en attend au jour ou, rappelé
chez elle par la prière, et réintégré dans l'Etat par la Foi
du monarque, il viendra en reprendre le gouvernail pour
le bien de ta terre

CHAPITRE XL.

Récapituia.tion, retour au principe générateur de la politique.

Disons de la thèse qui vient d'être exposée ce que Bona-


parte disait de lui et de la sienne <x Je n'ai point invente
ce système~. » Non, cette thèse sort de l'histoire des
nations, elle est le fruit du développement de la nature
humaine. Elle se rétablira par la force des choses, parce
que le fait finit toujours par se placer là où est la loi
«
là où est la force », dit encore ici Bonaparte. Seule-
ment, il ne vit pas où était la vraie force. La preuve,
c'est qu'avec la force qu'il choisissait, il a détruit, et il

(i) Pages écrites, en 1839, au moment où l'on crût que L. Napoicon aUait.
succomber, par suite de t'ebranlemant eaus6 ù l'Europe dans sa campagne
d'Italie.
(2) « J'étais à moi seul une Révolution écrivait Bonaparte. Toute la
» nation se soulevait poMr~e~er..te
n'ai pas invente ce système (celui de
')
t'ega)it6) il est sorti des ruines de la Bnsti!!e. On essaiera en vain de le
» détruire H se
/<
maintiendra par h force des cho:-es, parce qne le /a!'<
~r
~o:<y'our~ se placer là o~ est la /brcc. a Le monde a toujours été
pour moi dans !c fait, et non dans le droit, (lit-il crûment dans le même
écrit. 3~{/ <~ .S't/c-e7f'/)c.
s'est détruit lui-même. Au lieu que la vraie force et la
loi édiucnt.
Rappelons le principe qui, éclairant la politique en-
tière, peut seul en rétablir la marche et sauver de la
destruction les Sociétés modernes. Remontons de la sorte
jusqu'à la source de la Révolution, pour en interrompre
le cours.
La Chute originelle et notre liberté forment la trame
de notre destinée sur la terre. La politique n'est que l'ex-
pression de l'état où toutes deux ont mis l'homme car
les deux faits ne se séparent plus. C'est le laiton revêtu
d'or dont la filière propage indéfiniment le double métal.
Comme l'histoire entière, la politique est une corrélation
d'antagonisme entre la force libre, ou morale, qui produit
les vertus et les droits, et la Chute, ou l'abus, qui les
compromet et les borne. Dès qu'on sépare les deux termes,
on devient socialiste en prenant l'un, absolutiste en pre-
nant l'autre..
La Chute et notre liberté forment la trame de la Société,
comme elles forment la trame de l'histoire la première,
en nous révélant l'origine et la nature du mal, contre
lequel la Société tout entière est en armes la seconde,
en nous révélant l'origine et le prix du mérite, sur lequel
toute la Société s'établit. Or, si c'est à cause et en raison
du mal qu'il y a des lois et un pouvoir muni de la force
dans toute Société humaine, c'est à cause et en raison du
mérite que chaque société renferme une aristocratie et une
hiérarchie reconnues.
La Chute et notre liberté reparaissent, avec' leur carac-
tère, dans les applications les plus lointaines de la poli-
tique et de la législation partout la liberté et partout sa
limite, le droit et la répression de l'abus du droit; partout
BASES RÉELLES DES LIBERTÉS. 4i5
la faiblesse du bien, de la justice, du mérite, du capital
et de la distinction, que partout il faut protéger..
Ni le droit paternel, ni le droit politique, ni le droit
civil, ni le droit économique, ni le droit international ne
sauraient être à jamais exempts de l'abus tous ces droits
sont aux mains des hommes. En aucune de ces déductions
innombrables on ne peut donc, à cause de la Chute,
saisir une thèse absolue, une solution pure, un fait
Ajon'oW. Les révolutions néanmoins y travaillent, telle
est leur démence et tout a la fois leur danger. Il faut
savoir supporter la Société telle qu'elle peut subsister sur
la terre et parmi des hommes.
Filles de la théorie pure, c'est-à-dire de l'oubli de la
Chute et de l'orgueil que celle-ci nous laisse, les révo-
lutions renverseront des peuples, mais ne parviendrontt
pas à changer notre essence. C'est l'expérience, c'est la
pratique, c'est l'histoire, produitt net ou résultante des
deux thèses, qui seule indique jusqu'où le droit peut aller
sans se rompre, jusqu'ou la répression doit se faire sentir
sans lier la nature humaine, sans comprimer la force
libre donnantt le bien. La leçon de l'expérience est la
leçon de Dieu même, leçon que l'homme n'a pas le droit
de mépriser.
Ceux qui détruisent la constitution historique des peu-.
ples, l'oeuvre sacrée des faits, déchirent la toile du maitre
en prétendant la reproduire. Ceux qui repoussent cette
constitution historique, démolissent la liberté même, ren-
versent. la civilisation, éloignent peut-être à jamais le
triomphe du droit, et jettent une nation dans l'état où
nous voyons la France. Tout est de nouveau plongé dans
l'anarchie, le hasard des conquêtes et le malheur des
guerres civiles. On verse à flots le sang, on rompt plus
avant l'équilibre, on, détruit jusqu'aux derniers moyens
de salut.
Quand les révolutions ont passé, les fnits perdent eux-
mêmes leur précieuse signification. Ceux que nous offre
un passé légitime se confondent avec ceux dont le torrent
nouveau a recouvert la plage.
Entre la thèse du droit et celle du péché, c'est-à-dire
de l'abus que les hommes font du droit, entre la liberté
du bien et celle que veut prendre le mal, comment alors
fixer artificiellement !e point réel en politique? comment
s'en rapporter au nouveau courant établi chez les hommes ?
De ces majorités passagères, il faudrait défalquer l'orgueil,
qui se range toujours du côté de la thèse du droit idéal et
trompeur.
Dans toutes nos questions, la liberté et le mai, le droit
et sa limite, qui président au double mouvement des civi-
lisations, présentent un double problème, et dès lors une
double solution politique. Partout il est donc nécessaire
de contenir la théorie, interprétée par notre orgueil, pour
fixer les yeux sur les faits, interprétés par la sagesse et
par la vérité; conséquemment, de restreindre la presse
et d'affranchir l'Eglise.
Pour nous, on nous l'a dit souvent, il s'agit de choisir
entre la liberté de la Révolution, qui veut détruire l'Eglise
et la Société, et la liberté de l'Eglise et de la Société, qui
seule peut nous dégager de la Révolution.

Pour que les rois puissent défendre la Société, il faut


qu'ils sachent comment ils peuvent la défendre! Eh bien,
qu'ils détruisent la Révolution dans s'a source, qui est
l'idée fausse sur l'homme; qu'ils compriment les effets de
l'orgueil, et qu'ils fassent rentrer les éléments de la théo-
loo-ie au sein de l'instruction publique, en en faisant la
condition des grades civils. En un mot, qu'ils rendent à la
vérité, c'est-à-dire à l'Eglise, l'empire sur la pensée et de
là sur les coeurs
En quoi consiste la fausseté à la fois historique et sociale
de la Révolution? Cette fausseté, que les législateurs ne
peuvent manquer de comprendre~ éclate toute dans ce
point maintenant démontré, savoir suscitée par l'orgueil
prenant le nom de liberté, la Révolution a opposé la thèse
des droits innés, qui sont ceux de l'orgueil, à la thèse des
droits acquis, qui sont les droits des hommes, les droits
des civilisations.
Nos erreurs, nos fautes politiques dérivent entièrement
de deux ou trois préjugés, introduits depuis que la pensée
théologique est absente.
On croit, en premier lieu, que notre civilisation se forme
qu'elle
toute seule, qu'elle est de pure création humaine, ou
résulte de la nature, comme si cette nature là n'était pas
dégénérée; et l'on refuse tout à Dieu. On croit, en second
lieu, que le capital est fourni ou préparé aussi par la na-
On
ture, et non produit par le travail et par l'épargne.
croit, enfin, qu'il n'y aurait qu'à répandre l'or sur la foule
découlent de
pour l'élever ou l'enrichir. Ces trois erreurs
l'oubli du fait de la Chute.
On dit alors que les rois sont de, trop, que la propriété
est un abus inutile, et que l'on devrait se passer de Dieu
l'homme étant né bon il suturait de '1e rendre à
que
lui-même pour écarter le mal qu'il faut par conséquent
supprimer toute répression; que toutes les familles sont
les mêmes et peuvent, sans l'épreuve du temps, du tra-
vail et de la vertu, être indifféremment distribuées dans
tous les rangs~ Celui qui détruirait ces trois erreurs
internes et secrètes dessécherait les sources de la Révo-
lution c'est à l'enseignement de l'entreprendre.
Voilà le fond des choses. La souveraineté
du peuple et
le socialisme sont sortis tout vivants de
ces points de vue.
Si {'homme est bon, disons-Je bien, c'est la Société
qui
est coupable, c'est elle que l'on doit renverser. Si l'homme
établit tout et produit tout,
nous n'avons pas besoin de
Dieu. Aussi les révolutionnaires
ne balancent-ils point.
Ils veulent faire régner la foule, mais ils
commencent par
s'en rendre maîtres au moyen des discours.
Dans cette thèse des droits innés, le mérite
est détruit,
et l'homme n'est plus l'homme. Ï! passe
sous un niveau,
il n'est plus libre, il n'est plus à l'image
de Dieu. Il ne
faut pas se dissimuler
que la démocratie n'est que la dis-
solution totale, le retour à la barbarie.
La vraie démocratie, que le christianisme pourrait
seul
nous donner, serait l'extension mcme des classes supé-
rieures à toute la nation
par le triomphe de la liberté
morale, par la pratique de la Foi,
par la dilatation des
aristocraties. Cette démocratie serait la généralisation du
capital et des vertus, réalisant la Société véritable
généralisation que les républicains croyaient atteindre
en dehors de la Foi généralisation à laquelle on doit
aspirer, dont on doit favoriser le travail séculaire,
au lieu
de le restreindre, au lieu de l'abolir
par ce qu'on appelle
aujourd'hui la démocratie,
par l'érection de l'orgueil, l'in-
tervention du luxe, de l'immoralité et de l'oubli de Dieu,
ce qui n'est qu'une destruction des masses elles-mêmes.
Au fait, le progrés ne saurait être
que dans la dimi-
nution successive de ceux qui restent
sans mérite et qui se
privent du capital par l'immodération dans les
jouissances.
II faut favoriser, il faut
représenter le mouvement social
de recomposition, et non celui de décomposition; accroître
les classes qui, par leurs vertus et leurs lumières, conso-
lident le bien, créent et conservent le capital moral et
matériel et non les remplacer par celles qui refusent de
le créer et ne peuvent pas le porter. La politique, con-
trairement aux erreurs du passé, consiste à distinguer ce
qui doit gouverner de ce qu'on doit guider, relever,
secourir~
11 est des choses qu'il faut combattre et non représenter.
Que faire lorsque la Foi s'en va, que la vertu se perd,
qu'il reste à peine de la noblesse et que l'aristocratie dis-
parait ? II faut, ou succomber, ou s'efforcer de les rétablir
toutes trois. Il faut, ou succomber, ou s'attacher au Roi
qui, favorisant l'opération précieuse de l'Eglise, accueil-
lant partout la vertu, recueillant peu a peu les légitimités,
reconstituera la nation entière.
Ici la gerbe est faite, tout à l'heure il faudra la lier

On le voit bien, au fond de tout, la Société n'a qu'un


objet, la Société n'a qu'un souci, la liberté humaine, qu'elle
vient recueillir, assister, secourir et gloriuer; puis, à son
tour, la Société se montre elle-même soutenue par ses
deux précieuses colonnes, le clergé et l'aristocratie.. Cette
thèse, ici depuis longtemps fixée, puise au moment d'être
mise sous presse une autorité singulière dans les paroles
avec lesquelles le Saint Père a daigné accueillir la noblesse
romaine à l'occasion du nouvel an.

(1) Moralité, capital, civilisation, les trois termes se suivent en proportion


directe. Ce sont les faits qu'on doit connaître, et non les illusions qu'on
doit suivre, tantôt de loin, tantôt de prcs, comme on l'a fait depuis
un siècle.
Eh quoi dira-t-on, le torrent va tout emporter, et
vous songez paisiblement à rassembler les bases, à ramener
les droits, à rétablir la France
sur toutes ses lois d'or!
II faudrait effectivement être insensé
pour croire que nous
entrerons de plain pied sur le sol d'une reconstruction
nationale; pour imaginer que les hommes sortiront de la
Révolution, sans que Dieu lui-même ne vienne mettre
y
fin! Privés des idées rationnelles, à p!us forte raison des
idées providentielles, en proie à toutes les angoisses, les
hommes, aujourd'hui comme à l'heure du déluge,
ne
savent que penser d'un tel état du monde. S'ils ont
dédaigne les principes, s'ils ont rejeté la lumière et mé-
prisé l'intelligence, ils le paient cher maintenant! Mais
pendant que ie froid au coeur et le blasphème
encore aux
lèvres, la vieille Cité meurt, étouffée dans son scepticisme,
la Miséricorde s'approche elle a connu ceux qui l'ap-
pellent, et vu ceux qui ne prient plus.. Déjà les
eaux de
la Colère montent, un isthme
va se rompre, deux mondes
vont se séparer, et l'on verra l'abîme se refermer sur la
race qui a voulu abaisser la nature et se défaire de la
raison. Aussitôt paraîtront les nouveaux cieux et la
nouvelle terre.
Courons planter notre drapeau sur
ce jeune rivage 1

F!K DE LA DEUXIÈME PARTIE.


MOYENS DE GOUVERNER.

LÉUtT. 28
MOYENS DE GOUVERNER.

CHAPITRE I.
Droitde!a.Société.

De la reconstruction des droits publics, passons à celle


du pouvoir politique.
il est vrai que Dieu inspire et tient en réserve celui
qu'il appelle à nous gouverner pour rétablir la société fran-
çaise. H est bon, cependant, de rappeler les vrais moyens
de gouverner, afin que les hommes de cœur, s'unissant
aux esprits sensés, puissent d'avance saisir la marche que
prendra le Pouvoir, et concourir dès à présent à l'entre-
prise prodigieuse du salut de la France.
Il faut comprendre que là société est le premier des
droits de l'homme,'puisqu'elle renferme la condition de
tous les autres et qu'à son tour la société a pour premier
de tous les droits l'existence du Pouvoir, puisqu'il est
l'unique moyen de maintenir les hommes au sein de la
justice et de la paix.
Hors de la société, l'homme n'existe pas telle est la
légitimité de l'ordre social. Sans le Pouvoir, la société
n'existe plus telle est la légitimité du Pouvoir

(1) Toute blessure faite au Pouvoir atteint l'ensemble des citoyens dans
les biens précieux qu'ils tiennent de la civilisation. Ebranter la constitution
Le droit de la société est d'être gouvernée; et les
moyens de gouverner se résument à cette heure en un
point rétablir la puissance du bien,
ou l'action de la Foi
sur les hommes. Le Pouvoir a pour objet le bien public.
Mais comment l'opérer? N'est-ce pas d'abord
en protégeant
la vraie source du bien? N'est-ce
pas ensuite en secondant
la liberté du bien, ou le mouvement
par lequel les individus
s'enbrcent de l'atteindre?
Le véritable gouvernement va prendre ici le contre-pied
des idées libérales, autrement dit, rendre à l'Eglise
son
empire sur les esprits, pour restreindre d'autant l'empire
de la force et décharger le rôle de la loi, tout en réta-
blissant la paix au sein des masses.
Pour ne point laisser rompre le cours des idées qui
précèdent, nous devrons remarquer d'abord comment la
Royauté française vient relier et couronner tous les élé-
ments politiques. Après avoir admiré les lois d'or d'une
société établie sur la terre pour élever tous ies hommes
vers Dieu, nous avons reconnu les bases de nos libertés
légitimes. Portons maintenant nos regards
vers cette
liberté éminente, vers cette légitimité souveraine,
appe-
lée à garantir les nôtres, à en entretenir la vie.
ïi est urgent de rétablir à la fois la notion de la royauté,
que tant d'erreurs ont affaiblie, celle du Pouvoir, que nous
avons peine à saisir, celle des fonctions vitales de !'Egtise,
que nous comprenons moins encore, puis, à leur suite,
les notions politiques, qu'on a presque perdues de
vue.
On a pu remarquer l'importance de la Foi, le rôle des
aristocraties, et la nécessité d'une sage décentralisation

historique d'un peuple fut toujours dit le crime le ptu3 grand après celui du
décide, qui de nos jours se renouvelle par l'athéisme politique.
on a compris les conséquences de la constitution de la pro-
priété et des anoblissements légitimes, mais le tout au
point de vue d'une reconstruction sociale ici nous devons
en montrer l'urgence au point de vue d'une reconstruction
politique.
L'aristocratie, la pairie, la propriété, l'enseignement,
les chambres, le principe des élections, la presse, les abus
de l'industrialisme et les sources du paupérisme, etc.
offrent autant de points de fait, appelés à passer profnpte-
ment de la logique dans la pratique.

Cessons de tourner autour des questions pour n'en


résoudre définitivement aucune. Au lieu d'appeler les
grandes choses par leur nom, on transige et on tremble.
Les timides, à cette heure, se confondent avec les habiles,
tant ils apportent d'art à craindre et à ne pas agir.
L'heure presse. Doit-on décidément abandonner le
navire, descendre dans les barques et se livrer aux flots,
ou doit-on se hâter de fermer les voies d'eau que nous
avons ouvertes? Il est vrai, ce dernier moyen est pénible;
mais le premier a déjà disparu: les barques ont été
emportées par la mer. Nos principes sont faux, le but
où nous visons cache un nouvel abime~ le vent d'une
logique inexorable nous entraîne, et les efforts se bornent
à nous garantir chaque jour au moyen d'une inconsé-
quence, dernière planche de salut Mais tout à coup
survient un fait ou un homme logique; et il imprime un
mouvement qui nous fait enfoncer un peu plus. Encore
un coup de vent, et tout disparaît dans le goulfre.
Décidons vite: remontons d'un seul coup vers la vérité!
CHAPITRE II.
Etémentque nous apporte la Royauté.

Au-dessus des communes et des provinces, au faite des


aristocraties, est le lien des provinces, la tête des aristo-
craties, le couronnement de l'Etat. La royauté rassemble'
dans un cœur tous les biens et tous les droits d'un peuple,
pour leur communiquer une vie supérieure et les perpétuer
de génération en génération, à l'aide de Fhérédiîé.
Comme les peuples n'ont pas l'amour du bien au point
de préférer l'utilité publique à leurs propres désirs, et les
grands intérêts moraux à leurs préoccupationsindividuelles,
ils ont besoin d'être dirigés par des rois. Dans la Société,
il faut que les intérêts moraux soient représentés, et que
les intérêts généraux soient Gxés par un pouvoir qui domine
les autres.
Admirable prérogative 1 la Royauté vient à la fois
apporter l'unité, achever la nation et diviniser le Pouvoir.
Elle vient préserver l'homme d'une obéissance terrestre,
incompatible avec sa nature éminente Dieu dit C'EST PAR
MOI QUE RÈGNENT LES ROISI
Les aristocraties constituent les parties, la Royauté
forme l'ensemble elle lui donne pour axe la Souveraineté
réelle, et, comme l'homme, la nation touche à Dieu. Les
nations procèdent de lui comme les lois du monde. Mais
ici ce sont des lois qui vivent, ce sont des familles étevées;.
ce sont des Dynasties. Comme les lois du monde, celles-ci
même, comme
se démontrent par leurs actes, par le fait
tout ce qui vient de Dieu. Aussi les Dynasties ont formé
les nations.
Si nous avions vu les nations d'abord exister par elles-
mêmes, ensuite prendre des Princes par une sorte de luxe,
villes une fois
ou par un besoin de police, comme les
établies se choisissent un maire, nous croirions à la réalité
du point de vue offert par le siècle dernier. Mais l'histoire
nous montre au contraire des familles
princières formant
'!a clef de voûte et même quelquefois le germe des nations
puis ces nations se déployant corrélativementà ces familles
principales, mais toujours en proportion de leur grandeur,
de leur génie, de leur sentiment du juste, et de la portée
de leurs vues sur les destinées définitives de l'homme. La
Russie, par exemple, n'apparut sur la scène du monde
qu'avec les Romanow.
Certainement, entre ces familles centrales et leurs
peuples il a du s'établir des échanges de diverses natures
ceux-ci présentaient leurs coutumes, celles-là inspiraient
leurs sentiments à la noblesse, d'où ils se versaient dans.
le cœur de ces peuples; car Dieu sut tout proportionner.
Néanmoins, on a dù remarquer qu'en fait de hautes qua-
lités morales, politiques et religieuses, les peuples reçoivent
infiniment plus de ces grandes familles que celles-ci n'ont
accepté d'eux à tel point qu'on observe encore chez ces
familles, quelle qu'en soit la situation, des vertus et des
aspirations qui sont loin d'être encore absorbées par leurs
peuples. On l'a vu dans les derniers temps, les filles de
nos Rois étaient des saintes et leurs petits-fils des
héros.
Quand celui qui sonde les cœM~ et les ~e~ choisit une
famille parmi toutes les autres, son choix est réel et divin.
Celle-ci le prouve bientôt (encore quelle soit libre aussi de
recueillir ou de perdre ses dons) en fournissant plus de
véritables législateurs, de guerriers et de saints les
que
familles les plus nobles, bien qu'en ce point celles-ci
îemportent déjà sur les autres dans une proportion
pro-
digieuse~.
Elle le prouve aussi en fournissant,
au sein de pros-
pérités continuelles, une carrière qui dépasse également
celle des familles pour lesquelles la frugaïité et la paix sont
des conditions indispensables de longévité. Elles subsistent
depuis huit siècles, ces puissantes familles de Bourbon
ou
de Hapsbourg; depuis huit siècles elles demeurent plon-
gées dans ce bain dissolvant des prospérités (qui ramolli
a
tant de cœurs, tari le sa~g de tant de races ), pour montrer
ce que sont les cceM~ et les y'e~ chez les hommes à qui
Dieu a voulu confier les nations!1
La mère de S. Louis dit à son fils J'a~~a~ ?MxeM.r
vous voir ~o~ que souillé ~'M/! péché wo7~e/. La mère de
Bonaparte répète aux siens, arrivés sur les trônes Mettez
de côté cela ne ~'e~ï pas ~OM~/ Et telles sont
les deux impulsions, l'une de Dieu, l'autre de l'homme.
Aussi, a-t-on vu la première tracer sa courbe dans les

(1) En s'en tenant au Bréviaire Romfuo, qui d'ailleurs mentionne les saints
canonisés les plus connus, on s'aperçoit que les familles nobles reunies-en
ont produit près de trente-sept sur cent, et les seules familles royales près
de six, c'est-à-dire plus d'.i vingtième! 1
En admettant une famille noble sur cent, et une famille royale ou prin-
cière sur deux cent mille, on aurait donc cette proportion le même nombre
de familles a produit, dans la noblesse, cinquante fois plus de saints
que
dans le peuple, et. dans les maisons rayales, quatre cents fois plus
que dans
)a noblesse, ou, chose ~) remarquer, vingt mine fois plus
que dans !e peuple.
Il y a donc élévation réelle et iegitime dans ce qui s'élève au sein de~
hommes. La hiérarchie sociale n'est donc point arbitraire, ou purement
politique. Dès lors comment accuser les rangs d'être, dans leur ensemble
contraires a la nature, eux qui en expriment la )<
sièc!es; la seconde n'a pu dépasser le point de départ.
a La dignité de la maison de David, remarque Bossuet,
s'augmentait à mesure qu'on en voyait naître les Rois; et
l'on réclamait avec amour le Messie, sous le nom de fils
de David »
C'est parce que les Rois sont voulus de Dieu, c'est parce
qu'ils représentent la loi divine, et c'est parce qu'ils
demandent l'obéissance au nom de Dieu, qu'ils sont de
droit divin. S'il n'existait un droit divin, comment
pourrait-on commander à l'homme, et comment dans son
âme voudrait-il obéir? Le droit divin est la realite du droit;
c'est le droit dans sa source et dans sa légitime applica-
tion. Les hommes sont heureux de penser que les Rois
sont de droit divin pour garantir leur liberté et glorifier
ici-bas leur nature!

CHAPITRE III.

Hérédité des familles Royales.

Un peuple ne pourrait s'assurer la vie en s'enlevant


l'hérédité. N'est-ce pas dans l'hérédité du Pouvoir, comme
dans celle des familles et des droits acquis, que réside la
continuité, cette existence des nations? Et leur première
assise serait-elle moins solide et moins fixe que tous les
autres éléments dont elles se composent?
JI semble que les arguments ne feraient pas défaut pour
démontrer que la royauté élective mettrait à la tête des
nations les hommes les mei!!enrs; que de la sorte, n'aban-
donnant rien à ce qu'on nomme le hasard, les peuples se
maintiendraient dans la prospérité. Cependant, sur ce
point, l'expérience est accablante. Mais ici, comme dans la
plupart des questions politiques, les hommes le plus
souvent. s'abusent faute de porter les yeux assez haut. Ils
sentiraient que, dans l'hérédité, Dieu lui-même nous pré-
pare les Rois. 1
La royauté est un principe de perpétuité tiré de la
famille et appliqué à la nation. L'hérédité est dans la
nature, elle est dans la famille, nous dit M. Coquille, qu'il
faut citer dans les questions qui réclament un bon sens
élevé; c'est le même principe s'appliquant à l'espèce
humaine. a Le peuple sent d'instinct qu'il lui est plus utile
d'être gouverné par une famille qui ne meurt pas, qui suit
toutes les générations, que par un dictateur gardant le
pouvoir par la force et laissant à sa mort l'Etat en proie
aux factions. Cet écrivain rappelle que les peuples qui
ont été grands, que les nations dominatrices se sont fon-
dées sur l'hérédité du pouvoir; puis il ajoute « Les révo-
lutionnaires avouent eux-mêmes que l'élection est un
mauvais système de gouvernement, car, se retranchant
toujours sur la nécessité, ils déclarent que l'élection aura
lieu seulement une fois, et que l'avenir appartiendra à
l'hérédité. L. Philippe et Napoléon, après avoir été élus,
nous promettaient l'hérédité dans le pouvoir. On Fait
qu'en Grèce ce qu'on nommait la tyrannie n'était que la
substitution de chefs électifs aux chefs héréditaires ou
aux Rois 1. »

(1) « principe d'hérédité est tellement un principe de progrès, que sans


Le
s'arrêter il suit les geûérations dans leurs évolutions sans fin. Il leur
permet de suivre l'humanité dans toutes les phases de son développemeut
Certainement le vulgaire demande quel rapport peut
avoir le mérite avec la naissance, et comment on peut, en
toute sécurité, livrer un peuple à l'héridité du Pouvoir,
ainsi que l'a voulu l'expérience universelle. Mais une
réflexion révèle le mystère que contenait l'histoire et que
déjà nous avons indiqué Par l'élection ce sont les hommes
qui choisissent, et par l'hérédité, C'EST DiEU QU'ON A CHARGÉ
DU CHOIX.
L'élection est la source des révolutions et bientôt de la
ruine. Il vaut mieux dépendre de Dieu que du caprice des
factions. D'ailleurs, peut-on ne pas considérer comme
héréditaire celui qui s'assied sur le Trône, non point
personnelles, mais comme
comme représentant ses idées
représentant les traditions, les droits, les principes
immuables, la loi, la nation?
L'hérédité vient, après tout, de la source qui anime
l'Eglise immortelle. Car, d'une part, Dieu produit l'infail-
libilité pour que les hommes soient retenus dans la lumière,
et de l'autre, l'hérédité pour qu'ils soient conduits dans
la
justice et dans le maintien de leurs droits. Ceci nous aide
à écarter l'erreur de ceux qui pensent que la théocratie
offre seule un pouvoir légitime. Jésus-Christ fit lui-même
la distinction entre l'Eglise et l'Etat pour dégager et
rendre libre la première.
A côté du fait de l'Infaillibilité se place donc un autre
fait, divin aussi, comme le demande toute âme élevée; le
fait que S. Paul et Tertullien désignent sous le nom de
PM~a~ce seconde majesté, le fait réservé dans la

historique. L'élection, au contraire, toujours fondée sur la discussion, laisse


les choses au même point, et recommence à chaque instant le gouverne-
ment. Ainsi, depuis Louis XVI, la France piétine sur la même place pendant
que l'Europe marche. M. Coquille.
distinction aussi soigneusement établie par le Sauveur que
par l'histoire~. L'ordre temporel ne fut pas p!us.déshérité
que l'autre l'homme entre bien dans tous les deux..
A-t-on réellement pu croire que le Pouvoir, qui nous
commande, s'exerçait en dehors de Dieu, comme si tout
rapport entre le créateur et la nature humaine était
interrompu
En dehors même de la nature, ou de l'acte de conser-
vation~ la Providence veut sa part dans les choses humaines;
elle veut former les Rois justes et sages, puis les donner
aux peuples qui les ont mérités. Et l'histoire s'unit à la
Foi pour affirmer les idées providentielles, pour rejeter !e
point de vue mis en avant par le siècle dernier, dans son
oubli des origines et dans son ignorance de la nature si
sublime de l'homme.
Sur cette chaîne immense, que le Roi du Ciel retient
dans ses loyales mains, il a choisi les anneaux où sont
suspendus les empires. A ceux qui désirent un double
esclavage, laissons les Rois nés de la volonté de ~o~ïe~
pour nous, ne les tenons que de Dieu QUI NON EX voLUN-
TATE VIRI, SED EX DEO NATI SUNT.

(i) Bien que Roi, Jésus-Christ, connaissant la faiblesse et l'astuce de


l'homme, ne voulut pas confier ce monde & une théocratie, laquelle aurait
été dérobée par l'Etat: comme du reste elle l'a été dans le monde païen,
et comme elle l'est à Constantinople, en Russie et dans tous les Etats
protestants..
CHATITRE IV.
Dieu choisit les Rois.

11
y a des races que Dieu a dès longtemps choisies à
cause des vertus de leurs pères, et dont il fait l'instrument
de ses lois pour le monde. « Dieu a donné un chef à chaque
peuple, » dit !'Ecriture, parce qu'il respecte eh tous la
dignité humaine, et qu'il conserve le pouvoir de les con-
duire à ses desseins. C'est pourquoi aucun trône n'appar-
tient en propre à un roi.
Tout trône est à Celui pour qui règnent les rois; et
ceux-ci viennent exercer Je pouvoir en son nom. Les
droits publics et privés, ou les institutions civiles, sont, en
pratique, de droit humain, car ils émanent des coutumes,
des vertus, des mérites de l'homme. Mais la loi de l'héré-
dité, le principe de la souveraineté, la raison du Pouvoir
sont de droit divin car toute autorité découle de la source
de l'existence.
Aussi, suivant la Liturgie, FEvéque consécrateur dit au
Roi « Recevez et
gardez fermement cette dignité qui
» vous est déléguée par
l'autorité du Dieu tout-puissant,
» et que vous tenez
de la succession paternelle par droit
» héréditaire.
Que le médiateur de Dieu et des hommes
» vous
fasse médiateur du clergé et du peuple. »
Comme les rois sont appelés à diriger le monde, leur
désignation fait partie de l'ordre providentiel. Il serait
d'une imprudence extrême de vouloir écarter les princes
que la Providence nous offre par l'hérédité, dussent-ils ne
correspondre à leur mission que d'une manière imparfaite.
En leur substituant des hommes qui, d'ordinaire, se mettent
en évidence par leurs erreurs, les peuples ne tardent pas
à Je payer fort cher.
Les changements illégitimes de dynasties sont cons-
tamment accompagnés de grandes effusions de sang, de
spoliations, de pertes de territoire ou de pertes morales
plus sensibles encore et plus nuisibles à la grandeur de la
nation. Clément XI, condamnantl'usurpation du margrave
de Brandebourg, dit très-expressément « Par cet acte,
il s'est impudemment rangé au nombre de ceux que ré-

prouve la parole divine ILS ONT RÉGNÉ, ET CE N'EST poiNT


PAR MOI ils se sont faits pn~c~ sans gMc je l'aie su. »
Après avoir changé ses Rois, l'Angleterre s'est vue
frappée d'une décadence à la fois religieuse, théologique et
philosophique, irrémédiable jusqu'à ce jour. En s'obs-
tinant à choisir les siens, la Pologne a perdu la vie. Quel
autre sort se fut préparé cette noble nation si, dès le jour
où elle défendit l'Allemagne contre le Croissant, elle se fut
soumise à la loi d'hérédité de mâle en mâle ? La Suisse,
depuis qu'elle a vu séparer sa fortune du noble sceptre
des Hapsbourg, a conservé pour habitants des hom-
mes il est vrai laborieux et bons, mais resserrés dans
une existence en grande partie bornée aux soins de la vie
physique. Elle a perdu avec sa Foi ces natures élevées qui
sont l'apanage des populations catholiques, et elle se voit
gouvernée par des hommes de plus en plus pressés par les
instincts qui dominent la foule. Les idées y périssent au
point qu'ils font de ce pays un refuge de scélérats, de
banqueroutiers et de voleurs, pendant qu'ils chassent
les Evêques, comme on le fait en Chine ou parmi les
Indiens. Quant à la France, elle sait dans quel abime elle
descend depuis le meurtre de Louis XVI.. Et l'Europe
observe encore avec effroi comment, à partir de 1830,
notre pays demeure en proie à cet abaissement moral
dont la gravité s'est fait voir dans l'avilissement et les
hontes du second empire.
Ces faits s'expliquent par la nature toujours inférieure
du tyran choisi par les hommes. Ce sont nécessaire-
ment lés erreurs professées par l'élu ou par l'usurpateurqui
le font chérir de la foule 1. L'élu de Dieu l'emporte par des
qualités qu'apprécient surtout les gens de bien, et la raison
d'être de sa haute fonction est souvent invisible au vulgaire
voilà pourquoi les aristocraties doivent le soutenir avec
d'autant plus de zèle et de Cdélité~.
On a remarqué que les deuxBonapartes, chefs couronnés
de la démocratie, sont allés mourir en Angleterre, sur le
sol de l'aristocratie. C'est que l'aristocratie anglaise,
comme les Bonapartes, ne domine depuis plus de deux
siècles le peuple qu'en le prenant par ses erreurs. On
entraine aisément un peuple en arborant ses passions.
Mais vient un jour où la nation le paie cher. Entraîner un
peuple après soi, ou bien le gouverner, c'est-à-dire l'élever
jusqu'à soi, nous marque la distance d'un roi élu à un
Roi légitime.

(1) La France pourra-t-elle oublier que le suffrage universel lui a donné


pour souverain un homme à qui la Révolution n'avait pas laissé une seule
idée juste? Ce malheureux démolissait tour à tour la France, l'Europe et
l'Eglise, organisant des nationalités à nos dépens et l'Internationale à nos
frais, diminuant l'empire de la Foi, abolissant la contrainte par corps, se
baissant toujours plus bas pour saisir les suffrages, et finissant par ramasser
dans le ruisseau tous ses moyens de gouverner..
(2) La foule était bien plus à portée de louer Henri IV d'avoir voulu que
tout paysan pût mettre le dimanche la poule au po<, que de lui avoir main-
teuu le Catholicisme..
Les honnêtes gens, par instinct, et le clergé, par juge-
ment, s'unissent au Roi légitime tandis que la foule et les
ambitieux acclament le roi d'élection. Accorder à tout un
peuple ses erreurs et faire gagner beaucoup d'argent à la
classe moyenne, tel a été, à partir de 1830, le grand
secret de gouverner. Quelle honte, de se rendre maitre
des peuples en les prenant par leurs erreurs Quelle
gloire, de les gouverner en les prenant par la justice et par
la vérité!I
a
Dieu, par qui règnent les Rois, dit Bossuet, n'oublie
» rien pour leur apprendre à bien régner. Dieu a voulu
» donner des avis à tous les états, à plus forte raison à
» l'état d'où dépendent les autres. » Cet état est celui de
père d'un peuple.
Que les nations choisissent entre les princes qu'elles
tiennent de la main de Dieu et ceux que les importants ou
la foule égarée leur imposent Qu'elles se donnent des rois
pour savoir ce que valent les Rois 1
Abusant de la fragilité des hommes, on les lance depuis
un siècle à la poursuite de républiques imaginaires, sans
qu'ils aient encore pu s'apercevoir que la seule république
vraie est la Royauté chrétienne. Choisie de Dieu, déposée
comme un germe dans le sein d'un peuple naissant,
grandissant avec lui, avec ses croyances, ses lois, ses tra-
ditions, ses droits, son territoire, elle seule offre la cons-
titution tant rêvée.
Nous n'avons fait qu'épuiser la série des malheurs pour
éviter la monarchie chrétienne. Arrachons-nous à ces
mensonges Concevoir toute la profondeur de la pensée
chrétienne, échapper aux mirages de la Révolution, est à
cette heure, il est vrai, la marque du génie ou le signe
d'une grande Foi car le grand nombre songe encore
à se sauver par le libéralisme. Les hommes ont bien
besoin de percer l'obscurité qui leur dérobe les dogmes
de leur Foi et les principes de leur propre existence I
4

V.
CHAPITRE

L'amour des peuples pour leurs rois.

Comme la Société est une grande famille, il faut qu'elle


ait un père. Chacun se sent heureux, chacun se sent aimé
en lui. En lui, le particulier devient. fort
de la force de
tous, et goûte la justice, la gloire, l'amour de la nation
réunis dans un cceur. K Nous sommes tes os et ta chair, M
dit le peuple à David. « En lui, dit Bossuet, les veuves,
les orphelins, et même les enfants au berceau sont forts. »
Les hommes qui rejet.tent les Rois sont ceux qui ne
veulent pas se sentir appelés à aimer et à obéir. « Ce n'est
Samuel, c'est moi dont
pas toi qu'ils rejettent, dit Dieu à
ils ne veulent point pour régner sur eux. » Aussi voit-on
tous ceux qui proscrivent les Rois, vouloir bientôt après
bannir Dieu des sociétés humaines.
La première idée d'autorité royale est venue de l'autorité

(1) Ils ont égorgé Louis XVI, parce qu'il représentait le Pouvoir chrétien,
c'est-à-dire le pouvoir du bien, le droit divin, la dignité de l'homme. Pour-
quoi tant d'hommes aujourd'hui se refusent-ils encore au retour du roi, ou
travaillent-ils d'avance à restreindre son pouvoir? Uniquement parce que
le roi rapporte le pouvoir du bien, ou la vérité religieuse
unie a la vérité
politique. Déjà il est aisé de voir que l'amour du bien et l'amour du roi se
confondent..
L&GM.
paternelle. faut donc croire que les grands sentiments
H
s'éteignent quand ;un peuple consent à être dépouillé de
son Roi. Et t'on voit au contraire que le respect, la véné-
ration, la probité, l'honneur, tous les' sentiments élevés,
restent un besoin des cœurs chez les peuples quand ils
demandent à satisfaire un si noble besoin envers la per-
sonne sacrée d'un Roi.
Un roi représente Dieu sur la terre ce qui explique le
sentiment d'idolâtrie que les bons peuples éprouvent pour
leur Roi, et l'espèce de culte que sa présence éveille dans
les âmes. Sans cela, comment se rendre compte de cet
amour si vif des peuples et des cœurs nobles pour leur
Roi, et, par opposition, de l'espèce de haine et d'envie
que ce roi éveille chez ceux qui n'ont pas le cœur bien
placé ?.
Ils ne veulent pas de rois, parce qu'ils ne veulent pas
honorer, parce qu'ils ne veulent pas servir, parce qu'ils
ne veulent pas aimer. Un de leurs organes dans la presse
a osé.dire hier encore que « la royauté leur est odieuse
parce qu'elle repose s~y respect. » le respect, cette
ombre de Dieu qui arrive sur l'homme Ils ne supportent
rien de ce qui les oblige à s'élever au-dessus d'eux-
mêmes. Ils ont en horreur ce qui est grand ils ont les
germes de l'instinct qui, s'embrasant tout à coup dans la
foule, a produit les septembriseurs
Le culte des français pour leur Roi est l'éloge complet
de la beauté de leur caractère. La page d'étonnement que
Thomas Moore, voyageant en France, écrivait sur ce point,

(1) le
Sous la Conventiou, ils se prisaient à dire tyran n en parlant du
saint roi Louis XVI préludant par cet acte d'aliénation mentale au meurtre
~ui les couvre d'opprobre.
renferme la louange la plus sérieuse qu'un peuple puisse
recevoir.
«Le mot roi, dit-il, excite dans l'esprit d'un Français
des idées de bienfaisance, de reconnaissance et d'amour
autant que ceux de grandeur et de félicité. Bien que le
français sache que son roi est susceptible des mêmes
faiblesses que les autres hommes, il ne lui est pas moins
attaché par un sentiment pur, composé de respect et
d'amour. Accourant en foule à Versailles les dimanches
et les fêtes, les Français regardent leur roi avec une
avidité toujours nouvelle, et le voient la vingtième fois
avec autant de plaisir que la première, ils l'envisagent
comme leur ami, quoiqu'ils n'en soit pas connus comme
leur protecteur, quoi qu'ils n'aient rien plus à redouter
qu'une lettre de cachet; et comme leur bienfaiteur, tout en
portant !e poids de ses impôts. Ils donnent une grande
importance à ses actions les plus indifférentes, imputant
qui ont néces-
ses erreurs et ses fautes à des ministres,
sairement perverti la droiture deses intentions. Ils répètent
complaisamment les moindres choses qu'il a dites, et y
cherchent des étincelles de génie. Pour eux, les circons-
tances les plus minutieuses deviennent importantes, telles
que l'habit qu'il porte, le cheval qu'il monte, l'appétit qu'il
avait à diner. S'il arrive que le Roi ait une légère indis-
position, tout Paris et toute la France sont alarmés comme
s'ils étaient menacés d'un fléau. Lors des revues, les spec-
tateurs à portée de voir le monarque ne font aucune atten-
tion aux manœuvres des troupes. « Avez-vous vu le

» Roi ?. Ah 1 le voilà. Il rit. il faut qu'il soit content.


II semble qu'il a toussé?.. Oui, parbleu, et bien
M fort.
Je suis inquiet.» etc. A la messe, en vain le
prêtre élèvera l'hostie, les yeux du peuple ne voient que le
monarque chéri. Un Français est aussi vain des armées,
des palais, des jardins, des chevaux, de toutes les appar-
tenances de son Roi, que le pourrait être un Anglais de
ses propres domaines. Les Français envisagent le pouvoir
de leur Roi, fait difficile à croire, comme s'ils en étaient
eux-mêmes revêtus » etc.
Ce dernier trait dit tout chaque Français se trouve en
effet revêtu des pouvoirs de son Roi. En outre, il a ce sen-
timent, que la mission réservée à la France et comme en
dépôt chez son Roi. Tous les cœurs bien placés sentent
leur dignité se relever dans la majesté de celui que Dieu a
choisi pour sacrer leur obéissance, pour élever les fonctions
de la volonté au plus sublime degré d'honneur que l'on
puisse obtenir.
Et ce qui fait ici la gloire de l'obéissance
en assure
aussi la justice, puisque Dieu impose tout d'abord l'obéis-
sance à celui qui reçoit ia justice en garde. Au dessus de
celui qui gouverne et de celui qui est gouverné, est cette
loi éternelle, émanée de l'Essence divine,
que l'un et l'autre
reconnaissent, le sujet, pour s'y soumettre, et le Roi, pour
s'y conformer.
La légitimité, ou le retour complet aux lois fondamen-
tales du pays (qui sont les lois fondamentales de la nature
humaine), n'est donc pas seulement une question de
sentiment, mais une question de dignité. La France,
«
disait Bossuet, peut se glorifier d'avoir la meilleure
constitution d'Etat, la plus conforme à celle que Dieu à
établie. ?
CHAPITRE VI.
Légttimité des rois.

La légitimité des Rois nait de l'honneur dû à l'homme,


de l'hommage que Dieu rend à notre liberté, à cette faculté
du bien qui nous ouvre une entrée dans la gloire éternelle.
C'est pourquoi le pouvoir des rois revêt par excellence le
nom de légitimité.
Est légitime, tout ce qui protège ou glorifie l'homme
l'Eglise, la famille, les lois, le pouvoir, la propriété. Et
sont légitimes les biens qui proviennent de la liberté de
l'homme le capital, l'hérédité, les mérites, les droits
acquis, les aristocraties, etc.
Les dix commandements sont de droit divin, et les lois
civiles qui en protègent l'exécution sont légitimes. Les
biens acquis par le travail, l'honneur accordé au mérite,
le respect dû à la vertu, sont autant de droits légitimes.
Ce qui est légitime, c'est ce qui est voulu de Dieu.
Ailleurs, nous avons pu remarquer la légitimité, ou bien
plutôt la gloire du capital et celle des familles. Dans ce qui
précède on a pu de nouveau reconnaître la légitimité du
mérite, des droits acquis, des lois, des corporations, des
rangs, des aristocraties, de tous les éléments qui entrent
dans la composition des peuples. Mais ici, se découvre la
légitimité des Rois, et nous embrassons l'ensemble des
faits divins dont l'oubli fut la chute de la civilisation
française.
La reconstruction de la société n'est que celle des légiti-
mités. Leur renversementfut celui de la civilisation même.
En découvrant l'intérieur du corps social, Je jeu de ses
organes, la vie qui les anime, on a pu reconna!tre la
légitimité de tous ses éléments, et voir qu'ils aboutissent
et se rapportent à la grandeur de l'homme. Tout se tient,
dans l'ordre des choses humaines comme dans celui des
choses divines; nulle part il n'y a place pour le hasard,
ou pour les caprices humains.
La légitimité des rois, ou leur autorité sur la nation
que leur dynastie a fondée, est identique à celle d'un père
sur la famille qu'il a 'formée. La légitimité des rois
d'hérédité provient à la fois de la fonction à laquelle ils
sont appelés, et du soin avec lequel Dieu préside à leur
naissance.'t
Cette légitimité est pour nous à la fois une dignité et
une nécessité. Les Rois nous apportent trois choses que
les hommes n'ont pas, que les hommes ne produisent pas,
et dont restent privées les nations livrées à l'erreur ou à
la barbarie, savoir la souveraineté, l'unité faite par la
justice, et. le pouvoir voulu de Dieu, afin que l'homme
obéisse sans violer sa nature et en surnaturalisant ses

(i) Un bien terrestre s'attache aux peuples qui suivent cette loi. Prévenan t
les troubles, supprimant toutes les ambitions et mettant un principe d'unité
dans les esprits, l'hérédité soustrait la désignation du souverain aux caprices
des passions et au jeu des partis, Les voJontés s'inclinent plus aisément
devant une autorité mise en dehors des contestations, n dit M. Coquille
'celui-tà seul dont le droit n'est contesté par personne, dit le comte
Dougias, peut assurer les droits de tout le monde. A
C'est le coté pratique; il est important chez les hommes. Pour trancher la
question, il sumt de comparer aujourd'hui les nations d'hérédité royale aux
autres par exemple celtes de l'Europe prospère et victorieuse du Nord. a
celtes du Midi, qui s'effondrent sous !'t loi d'élection.
actes. Partout où se sont établies ces trois choses, on
a vu les peuples grandir et
s'élever au-dessus des autres
partout où elles n'ont pas été instituées avec la coopération
des hommes, on a vu au contraire les populations végéter.
Mais partout où elles ont été renversées, les nations sont
aussitôt tombées en ruine.
L'absence de légitimité, ou d'origine divine du pouvoir,
partout retenu les 'peuples dans un état de médiocrité
a
spirituelle, civile et économique. L'absence de l'unité pro-
duite par la justice et par les croyances/les a fixées dans
humaine en
un despotisme qui annule peu à peu nature
la
la privant de ses lois supérieures. Et l'absence de souve-
raineté les laisse retomber dans l'état sauvage.
1

La légitimité des rois est l'anneau par lequel les nations


vivantes et honorées.
se rattachent à Dieu pour demeurer
Chez nous, lorsque la société s'est séparée de Dieu, elle
est bientôt tombée dans le sang et l'imbécillité.
L'homme,
sans Dieu, n'aboutit qu'à immoler l'homme.. «
La ~'e
c~c~o~
est désolée, dit Isaïe, détruit l'alliance
éternelle. » Pour rétablir cette alliance, les hommes
déclareront que l'autorité vient de celui qui tient en sa
main créatrice les peuples et les rois 1
Un doute élevé sur ce point ébranle en ce moment le
monde. l! se demande à qui, de Dieu ou de l'homme,
appartient en réalité la Société humaine. Or, en face de
la Révolution, qui prétend fonder tous les droits sur la
seule volonté humaine, la légitimité vient secouer le joug
de l'homme, et déclarer que le droit, comme l'existence,
ne peut relever que de Dieu.
Le grand titre des rois est de représenter le pouvoir de
Dieu sur les hommes. Aussi n'attirent-ils le respect des
peuples qu'à la condition de respecter Dieu, et de faire
observer sa loi. Hors de là, ce ne sont plus des rois, mais
des hommes, égaux dès lors par la nature aux autres
hommes. Oubliant !a notion de la royauté, quelques-uns
disent aujourd'hui que le roi de France saisirait sans
peine sa couronne s'il cédait une part du principe qu'elle
représente. Ils ne voient pas que le refus du roi d'obtenir
à ce prix sa couronne, prouve à lui seul qu'il est créé
pour la porter, et qu'il nous est positivement montré
comme l'espoir de la Société française 1.
Enfin, comme toute nation ne subsiste que parce qu'elle
est gouvernée ou ramenée à l'unité, elle a son roi pour
condition première. IJ est son chef, il est sa tète, et c'est
lui qu'elle attend pour prendre possession d'elle-mème.
C'est par le roi qu'elle veut il est l'âme vivante de son
peuple. Par lui cette population forme un peuple et un
Etat. Elle devient un nombre parce qu'elle est réellement
formée par l'unité, suivant la' remarque de S. Augustin
« Le nombre vient, dii-ii, dé l'unité, et non point l'unité
du nombre. Donnez un chef, et vous aurez un peuple;
ôtez-le, ce n'est plus qu'une foule confuse. » En lui,

(i) Que les monarchistes évitent avec soin un cercle vicieux, en disant au
peuple de se prononcersur le gouvernement qu'il veut. Car justement, ici.
le peuple ne peut pas savoir ce qu'il veut. Aussi ne s'est-H plus prononcé
depuis que, le 2i janvier, on lui ôta son organe traditionnel, la voix qui
prononce pour lui sur )a paix ou ta guerre.
Consulté depuis lors, le peuple n'a pu répondre que des choses contradic-
toires. Le plébiscite de 1869 n'a précédé que de bien peu les foiïes acclama-
tions du 4 septembre, o Le peuple, remarque M. Coquille, s'est déjugé autant
de fois qu'on l'a interrogé. Tour à tour il s'est montré royaliste, impérialiste
et républicain jusqu'à l'ivresse. Les plébiscites, les fusions et le suffrage
universel sont un chapitre de ce traité de l'athéisme et de la déraison, qu'on
intitule La Mu~ratn~du peuple.
cette foule est une nation. Par cela seul, son roi est légi-
time, puisqu'il est sa première condition d'existence
Tout ce qui n'est pas un, n'est pas tout ce qui n'est plus
un, se dissout.
Ici, les vérités accourent et s'additionnent. Légitimité
de la Société, condition de l'existence de l'homme légi-
timité du Pouvoir, condition de l'existence de la Société
et légitimité du Roi, condition de l'existence du Pouvoir,
pour que la nation soit, pour que l'homme grandisse, que
l'athéisme disparaisse et que le germe de la Révolution
périsse. La légitimité politique s'enchâsse comme un joyau
du plus haut prix dans le cercle des légitimités humaines.

CHAPITRE VII.

Avantage pratique de cette Légitimité.

Le Pouvoir est de Dieu il est muni de cette gloire,


mais à la condition d'exécuter la loi de Dieu, de s'y con-
former le premier, d'amener les peuples à s'y conformer,
en un mot, de lui,ètre intime, puisque de là vient le nom
par excellence de Légitimité, legi intimus.
Aussi le souverain peut perdre la légitimité, qu'il tient
de son origine. Car elle renferme deux éléments l'héré-
dité, qui ia désigne, puis la conformité à la loi de Dieu,
qui en est la pratique. Un souverain est exposé à perdre
la légitimité, comme un homme à perdre même son droit
à la vie éternelle, bien qu'il y soit divinement et posi-
tivement appelé.
I! peut la perdre, soit en se séparant de la loi, qu'il
a pour mission de représenter, soit en abandonnant les
intérêts de la nation, qu'il a pour fonction de défendre.
C'est parce que Dieu prend soin à la fois de la dignité et
des intérêts de l'homme, qu'il veille sur la souveraineté
et préside à {'hérédité, canal d'où nous viennent les rois.
Les faits nous l'ont appris en France, les mauvais rois
héréditaires suffisent à peine à composer une exception.
La légitimité se montre aussi avantageuse dans la pra-
tique qu'éclatante dans la doctrine. Le roi légitime est
entraîné par son principe même à se conformer à la loi.
On ne peut plus prétendre d'un tel souverain ce
que
« (h~ 7~ pas 6~oï?; de
Rousseau a dit du peuple
raison pour valider ses actes!! » Si ce dernier est dis-
pensé d'avoir raison, sa souveraineté est celle de la foiie,
et peu après celle du crime. Tombant des mains du saint
roi Louis XVI, elle devait passer dans celles de Robes-
pierre et de Marat..
Les sceptiques diront li nous importe peu que le
souverain soit de droit divin ou du droit de l'homme, une
fois qu'il a le pouvoir! C'est leur erreur. Autre est le
pouvoir qui émane de Dieu, autre est celui qui émane
du peuple; autre aussi est le caractère du monarque,
selon qu'il relève et s'inspire de Dieu, ou des factions qui
prétendent interpréter le peuple.
Autre est la conscience 'du souverain sachant que sa
légitimité n'est qu'une conformité à la loi de Dieu (con-
formité qui pourrait se perdre), autre est celle qui est
contrainte de condescendre aux opinions ou aux caprices
de la foule. Autre enfin sera l'esprit puh!ic, autre sera le.
respect pour le Pouvoir qui relève de Dieu, et autres
seront les exigences et les réciamations du peuple, si ce
dernier prétend que le Pouvoir provient de lui. De ce
seul fait découlent les trois quarts de la politique.
Le souverain élu a toujours contre lui sa propre ori-
gine. En s'asseyant sur le trône, il est forcé de recourir
à la tyrannie, pour être arme contre les retours d'une
souveraineté qui veut à chaque instant briser son délégué
et recouvrer sa première puissance. Les faits sont égale-
ment là pour dire que parmi les rois élus, l'exception se
compose de ceux qui n'ont pas été obligés d'en venir à
la tyrannie.
Ce n'est pas tout. Contraint de ne point dépasser les
instincts du peuple qui l'acclame, le souverain .élu ne
peut plus, par cela même, le gouverner, c'est-à-dire
l'éleyer jusqu'à lui. Et dès lors ce n'est pas le roi qui
gouverne ou érige son peuple, mais le peuple qui entraine
et abaisse son souverain, comme il est arrivé pour Louis-
Philippe et Napoléon 111. Voilà pourquoi il importe à un
peuple que son roi soit de droit divin.
Tout dépend donc du principe au nom duquel existe
un roi, ou bien il faudra dire que la volonté et ses mobiles,
que l'ordre moral et ses principes n'existent que de nom.
Si, selon le vulgaire, le principe qui constitue la royauté
et la morale qui la conduit sont choses vaines et inutiles,
inutiles et vains sont les principes qu'on enseigne aux
hommes et la morale qu'on prend soin de leur inculquer.
Ils sont eux-mêmes bien crédules ou bien fanatiques de
l'inspirer à leurs enfants, et de chercher pour leurs propres
institutions les bases qu'ils disent les meilleures, les plus
conformes aux principes.
CHAPITRE VIII.
Divine investiture des rois.

Si nos devoirs et nos droits sont d'institution divine,


comment la Société serait-elle constituée sans un pouvoir
de droit divin? Les principes de l'ordre moral, ceux de
l'ordre civil et ceux de l'ordre politique seraient-ils diffé-
rents de nature? N'ont-ils pas tous l'homme et sa liberté
pour objet?
Si le roi ne représentait point parmi nous un pouvoir
divin, il ne saurait commander réellement aux consciences,
et la force deviendrait souveraine ici-bas. Le pouvoir vient
de Dieu, mais il vient de Dieu pour les hommes. li vient
de Dieu pour ramener le peuple à Dieu, « Roi des rois,
ei Seigneur des seigneurs » <.
Un tel pouvoir n'est pas la chose de celui qui l'exerce.
Celui-ci n'en est point le propriétaire, mais le dépositaire;
il en doit compte à Celui qui le délègue auprès des peuples.
Seulement l'hérédité désigne celui qui tient en dépôt le
droit divin d'exercer le pouvoir; l'hérédité lui confère le
devoir et le droit de faire exécuter et honorer la loi.
L'hérédité de màle en màle offre en outre cet avantage,
d'écarter les guerres civiles et les conspirations. Elle les
combat en rendant la succession au trône certaine, et
supérieure à toute discussion comme à toute ambition.

(i) Apocalypse, chap. 10.


Chez l'homme, il n'est personne qui ait le droit de
commander à l'homme, si ce n'est par une délégation
divine. Aussi, le prince n'est-il vraiment roi qu'autant
qu'il défend la justice et la vérité du Dieu dont il est le
ministre. Car si toute souveraineté vient de Dieu, il ne
s'en suit point que tout souverain soit de Dieu. Il en
est dont l'Ecriture dit « Ils règnent, et je ne les con-
nais point. ?
« Les rois règnent PAR LUI,
dit l'apôtre c'est PAR LUI
qu'ils commandent, PAR Lui qu'ils rendent la justice. »
Dieu est le principe de tout ce qui est vrai, de tout ce qui
est bien, de tout ce qui est libre. I! est le Dieu des armées
et le Dieu des nations, « lesquelles lui ont été données en
héritage. Pour que les hommes restent des êtres libres
et moraux, il est au fond de la justice, au fond de la
morale et au fond de la politique, comme il est au fond
de leur être afin qu'ils soient. cc Voilà pourquoi, dit le
prophète, son nom sera grand parmi les nations! »
Le roi possède donc le droit divin de faire exécuter la
loi. Mais il ne peut rien sur la loi, également d'origine
divine. Réciproquement, si cette loi venait des hommes,
il n'y aurait pas de Société possible, puisque, pour la
conscience, il n'existe aucune obligation d'obéir à l'homme.
Ce qui provient des hommes, ce sont les applications pra-
tiques de cette loi souveraine de justice, ïoi absolue, la
même pour tous les hommes; loi qui ne saurait être
infirmée par aucune de leurs lois, car elle est la loi de
Dieu même. Contre une telle loi (condition d'existence
pour les êtres moraux), tout ce qui se
fait est nul de soi,
dit Bossuet.
Seulement elle ne saurait subsister ici-bas sans un
Pouvoir qui la protège et la dispense, dans le propre
intérêt des êtres qui lui obéissent. Et c'est
parce que ce
pouvoir a pour fonction de garder la loi, qu'il revêt
un
droit divin. N'est-ce pas ainsi
que le veulent la dignité et
la liberté humaine?
Institué pour maintenir la loi,
un tel Pouvoir n'existe
donc qu'à la condition de défendre et d'honorer la loi. Ou
il n'y a point de loi, ou la loi est divine
ou. il n'y a point
de pouvoir, ou il est légitime et de droit divin 1 La
sou-
veraineté n'étant qu'en Dieu, le souverain
est simplement
celui qui l'exerce parmi les hommes.
Aussi violerait-il son propre droit et abolirait-il
sa
puissance, s'il abusait du pouvoir
ou s'il altérait la loi. Il
n'est pas plus le maitre du pouvoir qu'il n'est le maître de
la justice ou de la vérité. Comme la vérité
et comme la
justice, ie pouvoir est un droit divin
en dépôt chez les
hommes, que ceux-ci ne peuvent modifier
sans le détruire.
La royauté chrétienne n'est
que le principe de la sou-
veraineté de !a justice et de la vérité 1
Ces principes, dictés par la raison, appartiennent
à
l'ordre de la nature. Mais ils n'ont triomphé
que par les
soins du christianisme. Lorsque la Foi s'est retirée de
Famé du souverain et de celle du peuple, les garanties
purement humaines n'ont jamais eu que peu de force, à
moins qu'elles n'en aient eu assez pour détruire le Pouvoir.
Mais, en ce cas, le remède est plus désastreux
que
le mal.
Autrefois, tous nos traités de politique donnaient de la
monarchie française une définition analogue à celle-ci
« Quand l'autorité souveraine réside dans le monarque, de
telle sorte néanmoins que cette plénitude du pouvoir soit
paternelle, qu'elle soit TEMPÉRJÉE
PAR L'OBSERVATION DES LOJS
FONDAMENTALES ET DES COUTUMES ANCIENNES, et que le sou-
verain se propose uniquement l'avantage des sujets, le
gouvernement, comme en France, est la monarchie
pure~. » Pure, parce qu'elle est tempérée, c'est-à-dire
formée d'une alliance contractée entre les droits de Dieu et
les libertés légitimes des hommes.

CHAPITRE IX.

Opération nationale des roii.

C'est par son Roi qu'un grand peuple entre en


possession de lui-même. La souveraineté a pour uns de
relier les existences nationales et de ramener tous les droits
à l'unité politique. La souveraineté du peuple, qui se divise
entre tous les citoyens, déferait justement ce que la sou-
veraineté doit faire, et le peuple retomberait à l'état de
peuplade. Un peuple perd la haute conscience qu'il doit
avoir de lui-mcme lorsqu'il n'a plus son Roi.
Quel autre moyen de recueillir les divers éléments du
pouvoir légitime desséminés dans la nation? pouvoir de la
famille, de la propriété, de l'hérédité, de la cité, des
magistratures, des chambres, des corporations, enfin des
aristocraties, de tous les droits, de toutes les vertus, et de
la Foi qui les inspire ? Voilà pourquoi la personne du Roi
est sacrée. Elles est sacrée de toutes ces choses sacrées,
comme il est lui-même légitime de toutes ces légitimités.

(1) Voir le Traité histor. el c/ de ~'opùu'Mt. n40.


Si la légitimité royale est si éminente, c'est qu'elle
accomplit la fonction sociale la plus indispensable~ qu'elle
rend aux peuples le premier de tous les services, qu'elle
complète et soutient les autres légitimités. Le Roi est le
loyal représentant de la société (~o~M~</Me, où les per-
sonnes sont unies par l'affection et l'obéissance au pouvoir
paternel de la société civile, dont les membres, assis déjà
dans l'identité des mœurs et des lois, sont reliés entre eux
par leur dépendance du pouvoir public et de la société
religieuse, où les âmes, unies par les liens célestes de la
Foi, attendent des sollicitudes du Roi une protection contre
les injustices et les brutalités des hommes.
Le pouvoir monarchique n'est pas le serviteur, mais le
régulateur des autres comme il est leur consécrateur. La
dignité qui s'accumule sur sa tête descend de là sur chaque
front, se répand sur chaque famille comme sur chaque
propriété; elle se répand sur la justice, sur les droits, sur
les institutions, sur toutes les choses dont ce pouvoir est le
symbole et le soutien.
L'homme vit sans songer qu'il subsiste au sein d'un
prodige. Faire que 36 millions d'hommes obéissent à la
même loi, n'est point une chose ordinaire. De plus, si un
seul homme est appelé à faire respecter cette loi, il faut
bien avant tout qu'on lui obéisse à lui-même. La loi, que
chacun tend à violer, ne peut pas subsister toute seule ici
bas. Elle ne peut en définitive y être défendue que par
l'homme. Il faut, donc qu'il se trouve un homme intéressé
lui-mème par son sang, par la conservation de sa race et
de sa personne, à ce que cette loi soit exécutée et cet
homme est le Roi.
Par un sentiment de justice et de bon sens, les gens de
bien obéissent au Roi. Mais ils forment eux-mêmes un
petit nombre, qui pourtant doit aider le Roi à conduire le
grand nombre dans la justice et dans la paix En dehors
d'eux commence la foule inhabile et imprévoyante, aussi
facile à soulever que ies flots de la mer. C'est donc ce
petit groupe, animé du feu sacré des principes, qui
s'emploie à ce que 36 millions d'hommes obéissent à
un seul.
Or, comment fera ce seul homme si, au milieu de l'im-
mensité d'une nation, le petit groupe des gens de bien se
de
tourne du côté du grand nombre? si, dans le but
discourir sur les principes ou d'en contrôler l'exécution,
cette élite contraint ce seul homme, obligé d'accomplir un
tel prodige, d'en demander l'autorisation à des assemblées,
agitées
se donnant pour les interprètes de la foule, et
elles-mêmes par le souûh de l'ambition? Et ce qui aurait
pu jusqu'à un certain point s'opérer dans un
siècle de paix,
issu d'une longue période historique où tous les droits
acquis eussent été respectés, doit-il être tenté au moment
où la nation s'est vue brisée et arrachée à sa constitution
séculaire?
On croit poursuivre des choses praticables en désirant
soumettre à un contrôle tous les actes du souverain. Le
grand but, se dit-on, serait de posséder le gouvernement
du pays par /<?pef?/s. Mais c'est là une grande fiction. Ne
voit-on pas que Dieu a établi les Rois pour préserver les
Hommes de leur orgueil, aussi bien que de l'anarchie où
les jette leur désaccord? Si l'on pouvait avoir le gouver-
nement du pays par le pays, aucun pays n'aurait besoin
de gouvernement.
Il nous semble toujours que des hommes très-entendus
et réunis, feraient mieux que ce seul homme voulu
de
Dieu. Mais notre sagesse est, ici encore, victime d'une
LÉG.T. 30
illusion. Comment se fait-il que des hommes si entendus
n'aient été maintenus en société, puis amenés à former un
grand peuple, que par les gestes de cet homme? Et
comment se fait-il que plus tard ces hommes, sans lui,
n'aient pu arriver à s'entendre, que peu à peu, sans lui,
ils se soient tous désunis, que sans lui, ils se soient laissés
dominer par l'erreur, que, sans lui, ils soient devenus la
proie de la Révolution, que, sans lui, ils soient les uns
après les autres montés sur l'échafaud, que, sans lui, ils-
aient vu deux fois restreindre nos frontières, que, sans
lui, ils aient de nouveau laissé perdre deux provinces, que,
sans lui, ils aient fait succomber les croyances, les moeurs
et tous les droits, que, sans lui, ils ne sachent aujourd'hui
comment préserver le monde de l'incendie et du carnage?
C'est un fait dont tout homme politique doit d'abord
savoir se rendre compte.
La mort est sur nos pas, déjà la société se dérobe
au point de nous rendre un objet de pitié, et nous vou-
drions lui imposer des lois, lui dicter ses propres condi-
tions d'existence A peine échappés au couteau de la Ré-
volution, nous courons réclamer une part de la Royauté.
Conserverons-nous cet orgueil jusqu'à la veille du dernier
jugement?
CHAPITRE X.

La Liberté, en politique, vient de la Légitimité.

L'homme est composé d'un corps et d'une âme de là


des intérêts moraux et des intérêts matériels; de là un
pouvoir spirituel et un pouvoir temporel. Or dans l'anti-
quité, qui fut une des punitions de la Chute, le pouvoir
temporel, unique appui de la société, s'empara de tout
l'homme. La conscience, hélas! 1fit partie du domaine de
l'Etat. L'âme semblait n'avoir plus aucun mérite ni aucun
droit à faire valoir ici bas de là, le douloureux état d'es-
clavage et d'abrutissement dans lequel était tombé le
genre humain.
Une telle confusion de l'ordre spirituel avec l'ordre
temporel tenait le monde dans la servitude profonde que
brisèrent ces paroles « Rendez à César ce qui est à
» César, et à Dieu ce qui est à
Dieu » Ce qui est à
Dieu, c'est !e royaume libre, ou l'empire de l'âme, qui n'a
de compte à rendre qu'à son Créateur. Ce qui est à César,
mais toujours dans le cercle de la justice, c'est le règne
des intérêts nationaux et matériels qui lui sont confiés,
afin qu'il en protège l'existence. t

Or, notre monarchie chrétienne est la constitution de la


parole du Sauveur. C'est la monarchie qui a pris pour
mission de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et de confier
à César ce qui a été mis sous la garde de César. Au lieu
que le Césarisme, expression du monde païen, aspire au
contraire à dégager ses actes de toute juridiction spiri-
tuelle. I! ramène les deux pouvoirs sur une même tête,
opérant l'absorption du pouvoir spirituel et l'asservissement
des âmes.
Dieu une fois écarté de toute souveraineté au profit de
César, l'homme rentre insensiblement dans l'antique escla-
vage. On sait comment une si funeste décadence a pu
reparaître en Europe. Déjà l'affaiblissement de la Foi
entraînait l'altération des consciences et celle du Pouvoir.
A. mesure
que Dieu était évincé des principes, la nuit de
l'athéisme s'étendait partout, et les rois prétendirent gou-
verner par leur bon plaisir. Le Césarisme, c'est le pouvoir
retombé dans l'homme, que l'homme s'appelle peuple,
empereur ou roi absolu plus redoutable encore dans les
mains du premier que dans celles des autres.
Alors la logique exigea un ordre social formé d'éléments
purement humains. Nous eûmes la Révolution, le bon
plaisir de l'homme; l'homme devintt décidément la proie
de l'homme. Les conséquences viennent toujours Le sou-
verain, s'est écrié le peuple, est donc indépendant de toute
juridiction, sa conscience ne rencontre ni contrôle, ni loi?
Or c'est moi qui suis le souverain je n'ai pas besoin de
« raison pour valider mes actes. » Ainsi, depuis Luther,
les souverains, rendus au Césarisme, ont plus ou moins
invoqué le principe au nom duquel ils ont été dépossédés.
Une école française; toujours attachée à la Foi, mais
entrainée par le protestantisme, oublia trop que les rois
sont institués pou:' les peuples comme les pasteurs pour
les fidèles. L'école gallicane sembla croire que les nations
ne s'appartiennent en aucune manière, et que les rois,
étant constitués par Dieu, ne doivent de compte à per-
sonne et ne relèvent ici-bas d'aucune juridiction. Telle est
la théorie du pouvoir absolu, que Dieu n'a point béni,
car on a vu la corruption venir à la suite de i'orgueit 1
La thèse du pouvoir absolu est justement l'opposé de
la thèse légitimiste.
Celle-ci, inspirée au contraire par le pur sentiment
catholique, sait qu'en tout les hommes coopèrent. Même
en ce qui leur vient de Dieu, ils ont un droit proportionné
au mérite et à la valeur de leurs actes. C'est ce que, sans
!e savoir, oubliait le gallicanisme, pressé lui même par
l'étreinté du jansénisme. Le peuple n'est ni la source ni
le réservoir de la souveraineté; mais, dès qu'elle est ins-
tituée, il agit, il mérite, il devient partie contractante. Ici
la nation coopère, et c'est ce qui enlève à l'exercice de la
souveraineté ce que l'on prétendait lui donner d'absolu
car, avec nous, Dieu lui-même n'est pas absolu.
Un tel absolutisme rétablissait la confusion détruite par
!es paroles du Sauveur.
L'âme et le corps, quoique distincts, ne peuvent être
séparés; ainsi les intérêts moraux et les intérêts matériel,
quoique distincts, ne peuvent être séparés; ainsi, encore,
le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, quoique dis-
tincts, ne sauraient être séparés, sans qu'on veuille
échapper aux lois morales. Prétendre que le pouvoir spi-
rituel a une juridiction immédiate sur les Etats, que
l'Evangile, par exemple, doit être leur loi civile et poli-
tique, ou bien que les gouvernements ne relevant d'aucune
puissance spirituelle, ne sont soumis à aucune profession
publique de religion, telles sont les deux erreurs opposées,
et il importe de les éviter. La première se nomme théo-
cratie la seconde, gallicanisme, libéralisme'et absolu-
tisme car tels sont les degrés que parcourt cette seconde
erreur.
La première, confondant l'ordre de la nature, qui est
celui des nations, avec l'ordre surnaturel qui est celui
des âmes, aboutit à l'impossibilité en pratique. La se-
conde, faisant tomber le pouvoir dans l'homme, aboutit
à la servitude. L'absolutisme, au reste, déisme chez les
rois et athéisme chez le peuple, est aussi opposé au légi-
timisme que !e protestantisme est opposé au catholicisme.
Dans le fond de ces deux erreurs, issues d'ailleurs l'une
de l'autre, l'homme s'empare de la loi et se l'identifie. Le
souverain n'est plus le délégué, le ministre de Dieu pour
le bien loin d'être 'le dépositaire de la souveraineté, il
s'en fait le propriétaire.
Non-seulement le iégitimisme maintient la distinction
qu'établit le Sauveur, mais encore, pour le légitimisme
comme pour le catholicisme, la loi et le pouvoir résident
toujours en Dieu le roi, comme on i'a dit plus haut,
n'en est que le représentant et le noble gardien. ici les
hommes, qui sont de Dieu aussi, coopèrent à la souve-
raineté par l'accord de leurs légitimités propres avec ceHe
du roi. Tout pouvoir, certes! vient de Dieu; mais Dieu
fait alliance avec les hommes De même, le pouvoir qui
vient de Dieu fait alliance avec les coutumes, avec les
droits acquis, avec toutes les légitimités établies chez les
hommes. C'est ainsi que la liberté réelle en politique vient
de la légitimité.
Le roi ne vient pas comme maître du peuple il n'en
est pas le dominateur, mais le coopérateur. I! épouse la
nation vierge.
CHAPITRE XI.
Garanties royales.

La Légitimité, autrement dit le droit royal, vient avant


tous les droits, parce qu'il afîermit tous les droits, parce
qu'il apporte à la nation le plus grand de ses éléments,
celui que ne pourraient fournir les hommes. Cette Légi-
timité est le lien, la sauvegarde et le couronnement des
autres légitimités, qu'elle ne vientt point détruire, mais
accomplir.
Les méprises issues de l'idée d'un état de nature ont
altéré la notion de ce droit, et par là même exagéré celle
des garanties que tout Pouvoir devrait assurer à des
hommes qui se croient déjà en société sans lui, et qui,
sans trop savoir pourquoi, l'investissent de la souveraine
puissance.
Mais comme, dans le fait, la Société est la condition
d'existence de l'homme, et le Pouvoir la condition d'exis-
tence de la Société, celle-ci songe avant tout à fixer la
vie du Pouvoir. Elle veut en consolider l'existence, avantt
d'en exiger des garanties contre l'usage du droit qui
résulte pour lui d'un si grand devoir. Toute législation
traite del'étendue~de l'autorité paternelle avant d'en cher-
cher les limites et si quelquefois cette autorité a donné
lieu à des abus, l'idée n'est venue à personne de les mettre
en saillie pour en masquer les avantages, et
d'une question
incidente faire ainsi la question principale.
En outre, comme il est impossible de savoir jusqu'à
quel point un peuple aura besoin de l'emploi de l'autorité,
ou jusqu'à quel point sa sagesse le fera mouvoir dans les
bornes de ses libertés légitimes, on est dans l'Impossibilité
de tracer par avance une constitution, et la question est
résolue par les coutumes..
Alors, peuples, coutumes et rois croissant ensemble et
comme d\m seul jet, il est aussi criminel à un roi de
briser les coutumes ou de violer les droits acquis, qu'à
un peuple de briser les assises ou les droits du pouvoir.
A cette heure, chez nous, le bon sens dit qu'il faut re-
prendre le travail de l'histoire que nous avons interrompu
la sagesse du peuple et la modération du roi pourront
seules peu à peu rétablir Fœuvre que l'utopie a renversée 1.
Produites par l'expérience, les règles du Pouvoir ne
sauraient être puisées de nouveau aux sources d'où jaillit
encore la Révolution. La théorie jette un gravier dans
les rouages, et tout à coup le ressort se brise, comme on
l'a vu pour Louis XVI, pour Charles X et pour Louis-
Philippe.
La régularisation du pouvoir royal, comme celle de
tout droit ou de tout pouvoir, ne peut donc pas se faire
a pWo~, c'est-à-dire en dehors des coutumes, ou des
mérites acquis par l'homme. C'est peu à peu, au sein des
mœurs et par les traditions, que s'opère ceMe régulari-
sation, qui est un des principaux éléments de la consti-
tution d'un peuple. Et comme de tels. résumais ne s'ob-
tiennent pas à volonté, lorsqu'on a détruit les traditions

(<) En échappant à la fantaisie du moment et en rentrant dans la pra-


tique, les hommes sensés se raXieront au sentiment que leur inspire l'amourr
le plus vrai du pays!
garanties
et les coutumes sur lesquelles reposaient les
royales, il faut comprendre qu'on ne saurait les rétablir
Les lois détaxées dans les
en les mettant sur le papier.
codes, malgré l'office des tribunaux, laissent éclater tous
les procès et celles inscrites dans les chartes donnent
lieu elles-mêmes aux Révolutions.
Quand la Constitution a été brisée par ces irruptions
de l'orgueil, qu'elle devait contenir, charger les assem-
blées parlementaires de la refaire, ce serait en charger
de nouveau la Révolution.. A cette heure, il est
vrai,
c'est la dilïiculté, vu la position où nous sommes.
Mais la diuiculté serait plus grande pour nos neveux
qui possédons un roi au cceur loyal, à
que pour nous,
l'âme chevaleresque. Les mœurs, les faits, la probité
royale résoudront peu à peu le problème, comme ils le
résolvaient avant qu'on eût détruit notre constitution fran-
çaise. Ici l'on se rappelle involontairement ces observa-
On
tions si justes et si élevées du comte de Maistre «
peut dit-il, comme autant d'axiomes incontes-
» avancer,
tables, les propositions suivantes, savoir que les droits
»
des peuples partent presque toujours d'une concession
»
des souverains que ces concessions mêmes ont été
»
»
précédées d'un état de choses qui les a préparées que
les lois écrites ne sont jamais que des déclarations de
»
droits antérieurs; que plus on écrit, plus l'institution
»
est faible que ce qu'il y a de plus essentiel, de plus
»
intrinsèquement constitutionnel n'est jamais écrit, et
»
saurait l'être sans exposer l'Etat que la fragilité
» ne
» d'une
constitution est en raison des articles écrits;
qu'aucune constitution ne résulte d'une délibération
»
jamais nation n'a pn développer, par ses lois,
» que
d'autres droits que ceux qui existaient en germe dans
»
» sa
constitution naturelle; etc. »
Si les souverains vannent représenter nos lois et affir-
mer nos !égitimités, ils viennent aussi, avouons-le encore
pour contenir cet orgueil naturel qui s'oppose perpétuel-
lement à ce que les enfants d'Adam obéissent sans peine
et se soumettent à un pouvoir quelque élevé qu'il soit. On
dirait que nous nous entendons tous pour faire abstraction
de cet orgueil, et c'est lui qui chez nous tient la plus
grande place Si on lui laissait faire sa part, aucun ordre
social ne serait possible. Mais pour nous, qui avons ren-
versé notre propre constitution historique, n'avons-nous
pas tout à gagner à nous unir au roi et à l'aider, au lieu
de tout iui contester? Lui opposerions-nous la folie de
ces droits qui ont aboli tous nos droits? Notre intérêt
nous commande au moins 'un peu de modestie 1. N'est-ce
pas le cas de reconnaître, ennn, que la Providencejnter-
vient dans l'existence des Sociétés humaines, et qu'ici le
déisme nous consei!!erait mal?
H est plus naturel aux souverains de témoigner leurs
bons désirs, qu'aux peuples de leur prescrire des condi-
tions c'est là du moins ce que montre l'histoire. Pour-
quoi prétendre faire mieux? ce fut pour nous la source
de terribles mécomptes.. Le libéralisme veut partir de
!a notion d'une société existant d'abord par elle-même,
puis, faisant des stipulations à son gré. Alors pourquoi
veut-il un souverain? C'est la question à laquelle il n'a
pas encore su répondre.

(1) N'oublions plus jusqu'où nous porte l'imagination, nous qui avons
égorgé Louis XVI comme étant un « TYRA~. et banni Charles X comme
étant un « despote 1 Nierons-nous que les Bourbons furent trop bons, eux
qui souffrirent un amoindrissement de leur autorité, et par là hâtèrent les
causes qui ont entraîné nos matheurs? Sont-ce les autres souverains de
l'Europe qui se fussent laissé enlever de la sorte la meiUeure part de
leur pouvoir?
La souveraineté est l'élément primordial, l'élément dont
les autres dépendent et sans lequel la société n'est pas. Ce
n'est donc point la société, dont l'existence sans lui n'est
mais bien la
pas assise, qui constitue la souveraineté,
souveraineté qui constitue la société. Après tant de leçons
de
reçues, nous devons donc placer en elle la forte part
cette confiance que nous mettions sans réflexion en nous..
Peut-on, d'ailleurs, toujours ajouter foi à la sincérité
des hommes? Combien de royalistes, en ce moment
demandent leur part de royauté, comme les galli-
encore,
certains
cans voulaient leur part d'Infaillibilité, et comme
philosophes, en Prusse, veulent leur part de divinité.
Combien d'hommes sont moins pressés de faire valoir
leurs justes droits que les ardeurs d'une vanité turbu-
lente f
Le vulgaire, à son tour, est porté à mettre en doute la
conscience chez les Rois. Il oublie que cette conscience
est engagée par les mœurs, par les coutumes, par les
institutions et par l'amour que les rois portent à leurs
peuples; qu'en outre cette conscience a pour garantie, au
sein de la chrétienté, un Souverain qui, consacrant sa vie
entière à l'étude de la justice, au maintien de la loi de
Dieu, est établi le père de tous les peuples. Evidemment
ce Pasteur des pasteurs n'est
point leur souverain. Mais
quand les Rois vivent en harmonie avec cet homme choisi
de Dieu pour dispenser toute justice, les peuples ont Ja
certitude d'être gouvernés dans la véritable justice, dans
la parfaite liberté.
Le vulgaire, toujours léger, déclare la conscience
chose vaine mais les esprits sensés voient que les deux
cent millions d'âmes éclairées par le catholicisme
n'ont,
pour les empêcher d'en sortir,
d'autre barrière que
conscience. Faudra-t-il donc mépriser cette grande voix,
qui s'adresse à nous tous pour
nous enseigner nos devoirs?
En fait de garanties, demandons-nous toujours si
ce sont
les hommes ou les Rois
que la politique a pour objet de
contenir', et si nous nous croyons mieux inspirés ici que
le pouvoir envoyé pour notre salut. Pour
nous, en ce
moment, porter imprudemment la main sur le pouvoir du'
Roi, ne serait-ce pas attenter à notre
propre vie?.
Nous avons, il est vrai,
presque totalement perdu la
notion de gouvernement.

CHAPITRE XII.

Vraie notion du gouvernement.

Dans notre promptitude à suivre tous


nos rêves, que
d'idées nous laissions passer sans les examiner!I
Les hommes ont tellement parlé de leur souveraineté et
de celle du peuple, qu'ils se demanderaient volontiers
ce
que signifie un gouvernement! Revenir ici au bon sens,
c'est toute une science.
L'homme ne veut plus voir qu'il subit
une pente au

(<) II serait temps de démasquer la fourberie de ces contempteurs de


gou-
vernements qui parlent à tout propos de réprimer l'autorité, uniquement
pour puiser dans la foule une force qui contraigne l'autorité à leur livrer
tous les emplois. Voilà quatre-vingts ans qu'ils parlent de leur austérité,
de leur indépendance, et quatre-vingtsans qu'eux seuls occupent toutes les
places 1 La France est positivement victime de cette hande d'exploiteurs.
Tel eat bien le secret de cette Société moderne.
mal, qui l'emporte sur le désir du bien; que, livré à lui-
même, il éprouve une grande peine à se soumettre à la
justice, a dominer ses passions, à tolérer la vérité; en un
mot, que le mal et la révolte subsistent dans son propre
sein.. 11 faut contenir ces tendances, combattre ces pas-
sions, restreindre l'explosion du mal, favoriser ainsi l'ex-
pansion de la vérité, enfin rétablir la justice, pour que la
société existe chez les hommes et de là, les gouverne-
méats.
L'erreur se joint aux mauvaises tendances, et la vérité
exige un effort. Désirant tout interpréter dans le sens de
leurs passions, les hommes se mettent naturellement hors
de la vérité. On le voit dans nos élections comme dans
nos révoltions, il n'y a que les erreurs qui réussissent.
L'erreur seule, au sein de la foule, parvient a mettre un
homme en évidence; et elle l'emportera sur tout. Entre-
tenir imprudemment la foule de liberté, de souveraineté,
c'est décrier chez elle toute loi religieuse lui parler de
ses droits, c'est lui dire de laisser de côté ses devoirs; lui
vanter les progrès, c'est lui promettre un âge d'or où le
salaire va croître à mesure que décro!tra le travail. Or
gouverner, c'est ramener ici les hommes à ta justice ainsi
qu'à la réalité..
Comme la foule incline en tout temps vers l'erreur;
que la société s'élève sur des lois tout autres que celles
entrevues par notre ignorance, et que les hommes se
mettent dans la nécessité d'obliger la force à réprimer le
mal, ils ont rendu les gouvernements indispensables.
Gouverner, c'est donc rendre la société possible. C'est
remplacer par la sagesse les idées que les hommes pui-
sent dans leurs passions c'est substituer le bien et la
justice aux actes d'égoïsme et d'iniquité, qui sortentt
natureifement du coeur humain resté en proie a l'injustice.
Gouverner, c'est donc éclairer et conduire, préserver
et régir, pour procurer la société aux hommes. Tel est
d'ailleurs le sens que, chez les peuples, les langues don-
nent à ce mot. Toutes les sociétés, tous les peuples ont
été gouvernés. Fait aussi ancien que le monde, chose
aussi vaste que la terre!1 Gouverner, c'est élever à la
justice, à la vérité, à la société, des populations qui péri-
raient dans l'injustice et dans l'erreur, des races qui ren-
treraient dans l'état sauvage.
La révolution persistait dans une illusion sanghnte. Si
les hommes sont bons et sages, pourquoi ne peut-on nous
montrer un peuple sans gouvernement? Si les hommes
avaient Jes vertus nécessaires pour arriver au but que la
révolution semble se proposer, ce but, depuis à peu près
six mille ans, serait certainement atteint.
Gouverner!1 Combien ce mot semble étrange au libé-
ralisme, lui qui veut que tout peuple s'établisse, se gou-
verne et se sauve exclusivement par lui-même; qui veut
tirer du peuple, par l'élection, précisément tout ce qui
manque au peuple; et qui aspire enfin à voir sortir de la
foule la société qu'il faut lui apporter, la souveraineté
dont ii faut la doter, la justice qu'il faut lui rendre, la
vérité, la paix, qu'on a une peine si grande à lui faire
accepter..
Si la nation est souveraine, pourquoi vouloir la gou-
verner ? Qu'un tel souverain agisse par lui-même!I Ett
pourquoi lui imposer un tuteur qu'elle repoussera Car
ici la dimcu!té est sérieuse est-ce le peuple qui doit
gouverner le souverain, ou le souverain qui doit gou-
verner le peuple? il faut bien le savoir. Si c'est le
peuple qui est souverain, le roi n'est qu'un souverain de
parade. Si le roi gouverne, le peuple n'est plus roi..
Qu'est-ce qu'un souverain qui n'est pas souverain, ou qui
subit une intermittence, qui n'exerce pas la souveraineté?.
Que la révolution réponde!
Toujours est-il que si les hommes et les peuples par
eux-mêmes sont libres, c'est un crime de les gouverner.
Comment ie libéralisme parle-t-il donc de gouvernement?
II faudrait expliquer cette contradiction Mais la révo-
lution n'explique rien, ne répond à aucune question..
Encore une fois, puisqu'elle parle de gouverner les peu-
ples, pourquoi, tout à la fois, les déclarer libres et vou-
loir tirer d'eux leurs gouvernements? S'il leur faut au
gouvernement, c'est nécessairement parce que le gouver-
nement leur manque; et s'il leur manque, comment le
tirer de leur sein? Mais s'ils sont libres, et qu'en outre
on puisse tirer d'eux la souveraineté, la loi, la justice,
la.
vérité, ils n'ont pas besoin de gouvernement..
Le dilemme est toujours là si les peuples ont en eux-
mêmes le gouvernement, pourquoi ie leur donner? Si le
gouvernement leur manque, pourquoi le leur demander
sous toutes les formes de l'élection et du suffrage
univer-
sel2. Rougissons d'avoir constamment à la bouche des
idées de contradiction, des politiques de contradiction!
Sous la contradiction est l'abime. Et le libéralisme y a
précipité la société. La vérité est qu'il faut la gouverner;
et ceux qui ont prétendu tirer du peuple le gouverne-
ment, ne pouvant asseoir aucune société, aucune souve-
raineté, ont fait crouler la nation française.
Il faut bien en revenir aux faits. Dans leur tendance
originelle au mal, les hommes, au fond plus ou moins
semblables à Caïn, sont si peu disposés à s'unir frater-
nellement, que la ruine de l'Autorité est ceHe de la Société..
La substitution juridique de l'homme à Dieu entraîna
aussitôt les horreurs de la révolution. Faut-il se taire?
elle seule s'avance; elle seule, comme l'idole indienne,
marche en nous écrasant sous son char.
II nous faut un gouvernement examinons comment il
doit s'exercer chez les hommes.

CHAPITRE XIII.

Distinction et situation des deux pouvoirs.

Bien que toute société ne soit qu'une religion réalisée,


bien que les pouvoirs politiques, aussi bien que les lois,
procèdent des principes religieux, ces pouvoirs et ces lois
ne relèvent point directement de l'Eglise. Celle-ci établit
les principes et les croyances, d'ou découlent les mœurs;
puis les mœurs font les lois, d'où relèvent les institutions
politiques. L'origine du pouvoir est divine, mais sa cons-
titution est naturelle comme son action.
Dieu n'a remis un pouvoir absolu qu'a l'Eglise, parce
qu'il en reste le conducteur il n'a point voulu que la
pure théocratie fût le principe du gouvernement sur la
terre. faut que celui qui atteint les corps ne puisse en
rien gêner les âmes; et, de même, que celui qui atteint
les âmes ne puisse contraindre les hommes par le corps 1.
Ainsi l'exigeait ici-bas la liberté humaine.

f!) C'est ce qui se passe même à Rome, où il existe un cardinal-vicaire,


secrétaire d'Etat, seul chargé du gouvernement politique des ËtaLs de t'Egtise.
D'ailleurs les nations, comme telles, appartiennent à
l'ordre de la nature. Ce qui est de l'ordre de la grâce, c'est
la loi par laquelle Dieu les élève jusqu'à lui. Les nations,
soumises aux conditions terrestres, se meuvent dans la
sphère de leurs coutumes, de leurs droits et de leurs légi-
timités et les âmes, soumises à des conditions éternelles,
se meuvent dans la sphère des devoirs et des perfections
qui les mènent vers Dieu.
Mais entre les nations et l'Eglise, il existe un rapport
émanant de la relation qui subsiste entre la nature et la
grâce, entre ce qui nous crée et ce qui nous sanctifie. En
politique, les deux sphères se touchent vers le point où
les âmes appellent à leur aide la loi spirituelle. L'ordre
spirituel ne vient point détruire celui de la nature et de
même, le pouvoir spirituel ne vient point annuler le pou-
voir temporel, mais l'accomplir.
La Société civile, comme la Société spirituelle, est évi-
demment le produit d'une rnème vérité. Les deux fruits
sont chacun sur leur branche, mais il faut revenir au
tronc, c'est-à-dire à l'Eglise, pour retrouver leur lien et
leur rapport. Les âmes, appartenant à Dieu, ne peuvent
pas être livrées sans réserve à César.
Ainsi le pouvoir paternel, qui est le pouvoir domes-
tique, quoique venant directement de Dieu par la nature,
reçoit cependant ses règles et ses devoirs d'une loi supé-
rieure. Pourrait-il en ètre autrement du pouvoir po!itique,
venu de Dieu pour établir un pouvoir paternel chez les
peuples? « Toute paternité descend de Dieu, » nous dit
l'Apôtre; et la paternité que, nous devons à la couronne
serait-elle plus dépourvue de loi que la paternité qu'ap-
porte la famille? Aurait-elle une autre nature, un autre
but, d'autres devoirs?
LÉGIT. 3i
11 en est donc de ia Société comme de la famille
du pouvoir politique comme du pouvoir paternel qui~i
tous ici sont de l'ordre de la nature, mais que Dieu,
par un sacrement, élève à la dignité de l'ordre sur-
naturel.
L'autorité du roi, comme ceHe du père, relève de la
nature; mais le sacrement de mariage confère au père,
et le sacre confère au roi un caractère, des devoirs et des
prérogatives d'un ordre plus élevé. Bien qu'à l'image de
la famille, la royauté chrétienne ait aussi une existence
qui relève de l'ordre de la nature, elle a comme elle des
devoirs à remplir en ce qui concerne les besoins spiri-
tuels, tels que te signale !'Eg!ise. Le pouvoir politique ne
peut ni ravir à l'Eglise la conduite des âmes, ni écarter
l'action du pouvoir spirituel qui éclaire et régit les
consciences.
Mais ici le roi n'y perd rien. L'Eglise, en sacrant les
rois, agrandit ie devoir qu'on a de leur obéir, et aggrave
le crime de rébellion de la hauteur même dont une loi
surnaturelle domine une loi restreinte à l'ordre de la
nature. Au mérite d'une obéissance naturelle aa pouvoir
politique, elle ajoute celui d'une obéissance à un pouvoir
que rehausse l'ordre surnaturel. Quand, par son sacre et
par sa conduite, le roi s'adresse aux consciences chré-
tiennes, celles-ci recueillent un double mérite dans une
même obéissance.
Or, cette obéissance envers le prince est la vénération.
La grande Charte est observée, le Roi des rois revèt son
ministre ici-bas de toute sa majesté. Et l'Eglise s'écrie
« Que toute puissance soit
soumise aux puissances or-
données de Dieu! Soumettez-vous pour Dieu au roi,
comme à celui qui est au-dessus de tous teHe est !a
volonté de Dieu 1! »
De même que la paternité, la royauté ne perd ni sa
suprématie ni sa nature, en relevant d'un pouvoir plus
étevé; puisqu'on cela elle se rapproche de son origine.
La fonction de conserver les nations, dévolue à l'Etat,
n'abolit point la fonction de les sanctifier; dévolue à
l'Eglise. Chacun des deux pouvoirs jouit de son indépen-
dance dans le cercle de ses attributions. I! ne perdrait sa
juste liberté, que s'il était entravé ici dans les choses de
son ressort.
Mais quoique l'Etat, comme puissance temporelle, ait
un pouvoir indépendant en sa propre sphère, il est clair
qu'il ne saurait être indépendant de la puissance spiri-
tuelle dans les matières spiritueHes ou rnixtes sans entrer
en tyran chez les âmes, puis sans dégager sa propre con-
science de tout devoir, c'est-à-dire sans s'affranchir de
toute obligation comme de tout contrôle, dès lors sans
soumettre les hommes aux malheurs d'un pouvoir absolu.
Par sa nature, le pouvoir politique ne peut pas être
absolu, c'est-à-dire complet; car Dieu s'est réservé les
consciences, et s'est assuré un Pasteur ici-bas pour les
paître et. les gouverner. Et par le fait, un tel pouvoir ne
saurait être absolu; car si l'Eglise n'avait à gouverner
que ses propres enfants, elle pourrait se passer du pouvoir
politique; tandis que celui-ci ne pouvant pas, avec la
force seule, mener les hommes au bien, ne saurait se
passer du pouvoir qui gouverne les consciences.
Or t'EgIise~ à son tour, ne saurait exercer ses fonctions
et opérer partout ce résultat de premier ordre, sans que

(i)i~.LS Pett),n,U.
son autorité soit respectée et son enseignement protégé
par le pouvoir politique. Rien n'accroit les forces vives
de l'Etat comme son accord avec i'Egiise. Rien ne l'affai-
blirait plus dans l'essence que de lui ravir le concours qui
résulte d'un tel accord, sous le prétexte d'une prétendue
séparation de l'EgHse et de l'Etat. Mais s'il n'y a pas ici
séparation, il y a distinction dans la nature même des
fonctions; car FEgHse agit sur ceux qui l'écoutent, et
l'Etat sur ceux qui ne l'écoutent pas.

CHAPITRE XIV.
Situation politique Premier moyen d'en sortir.

A cette heure les rois ne peuvent plus gouverner les


peuples, et J'Eglise, se voyant arracher les nations, n'a
plus d'empire que sur des âmes isolées. Le monde
se
demande pourquoi.. Oui, malgré la vérité qu'apporte
l'Eglise, l'autorité qu'elle tient de Dieu, la force incalcu-
lable d'un clergé rempli de vertus, elle
ne conserve d'em-
pire que sur les consciences éparses que lui assure
encore
la bonne vo!onté. Les mœurs, les lois, les rois, les
exem-
ples des aristocraties ne sont plus là
pour attirer les
hommes sous ses heureuses lois, et le monde périt. Com-
ment les choses en sont-elles venues ià?
La crise devient plus menaçante que celles qui l'ont
précédée. Comment nier les inquiétudes extrêmes de l'Eu-
rope ? Le mal se cache à une profondeur où le doigt de
la politique ne peut plus le saisir. On rétablit
un membre
qui se brise; mais comment ramener la vie chez un être
qui prend les habitudes de la mort? On sent qu'il n'est
plus au pouvoir de l'homme de changer la situation. En
d789, au sortir d'une Société encore sous i'inftuence des
classes élevées, la multitude demandait des droits. A
cette heure, au sortir d'une Société formée par les classes
moyennes, elle veut notre pain.. La première révolution
étant une révolution tout idéale à côté de celle qui nous
attend. Le monde peut s'appliquer ces paroles de saint
Théodore «
Nous sommes à la veille des plus grandes
calamités tout annonce des invasions de barbares, des
désastres immenses, des insurrections dans ie monde
entier, la désolation du culte divin, une grande enusion
de sang.
C'est qu'il y renversementt de la pensée et sub-
a eu
version dénnitive des principes du droit. Partie d'une
fausse notion de l'homme, la Société ne saurait faire un
pas de plus sans le détruire et sans disparattre avec lui.
Etablie dans le faux, !a logique nous tue. On ne détend
le mal qu'en le laissant s'étendre, qu'en le faisant entrer
plus avant dans les mœurs, dans les lois, dans les âmes.
Hier, on traduisait en lois les idées révolutionnaires,
aujourd'hui c'est au tour des idées communistes. Que la
Société dise vite si elle veut se sauver, ou couler au fond
de Fabime 1
Niant la majesté du bien, soit qu'il naisse du travail,
soit qu'il ressorte de la vertu, la Révolution, étouffant la
loi du mérite, demande aujourd'hui l'extermination de
ceux qui fournissent le capital à une foule privée d'ins-
truments de travail, la lumière à des esprits qui n'ont pas
!e loisir d'apprendre, la justice et t'administration à des
hommes qui ne pourraient pas s'accorder, l'autorité, en<in,
a une Société qui ne subsisterait pas un quart d'heure
en
dehors du pouvoir! Bref, la civilisation va devenir impos-
sible. Les hommes disparaîtront sous des flots de
pous-
sière et de sang.

Un seul mot dit la situation la société s'en va.. Elle


s'en va, et l'homme reste ingouvernable.
Mais, a-t-on fait ce qu'il fallait pour conserver !a
Société? a-t-on pris le moyen de conduire les hommes?
Puisqu'il s'agit de gouverner, n'est-ce pas là ce qu'il faut
savoir? Or, pour conduire les hommes, ne faut-il pas les
éclairer? On croit que la Société se compose de police et
de lois, qu'avec de l'administration et de la force employée
a propos, on fait de l'ordre et de la paix. Mais c'est tout
le contraire..
Le meilleur gouvernement est celui qui
gouverne le
moins, puisque les hommes, alors, se gouvernent
eux-
mêmes.. Or ils ne peuvent se gouverner que par une
force morale. I! faut que l'homme trouve
en lui une
lumière qui l'éclaire et le détermine, qui lui fournisse à
la fois le mobile et le principe de
ses actes.
Dès que l'homme lui-même ne se gouverne plus à l'aide
d'une lumière et d'une volonté qui lui sont
propres, la
Société n'est-elle pas obligée de tout faire?'Ne soutient-
elle pas alors à elle seule un édifice qui croule nécessaire-
ment peu à peu? Ici, p!us de matériaux dociles venant
d'eux-mêmes former ses murs, mais partout des pierres
roulantes..
Chez les êtres moraux, la. Société ne saurait nécessaire-
ment s'établir que par une force morale. Cette force a
été écartée, et la civilisation s'en va. Nulle unité, nul
ordre n'est possible si les hommes ne sont unis d'abord
par une croyance commune, apportant la notion du
devoir. Les hommes sont des êtres intelligents, qu'on ne
saurait organiser en dehors de la loi des intelligences,
dé la force qui illumine.. L'EgHse, qui édine les âmes,
Ïa Royauté chrétienne, qui protège cette opération si
snbtime, pourront seules arrêter cet écroulement terrible
et reconstruire la Société.

CHAPITRE XV.

Le grand moyen de gouverner.

Premier point de fait.

Comme les lois et les gouvernements n'atteignent que


très-incomplètement leur but, le grand moyen de gou-
verner est de maintenir la lumière en l'homme, afin qu'il
puisse lui-même se gouverner.. Car, ou l'homme prend
en lui son mobile, ou il le reçoit du dehors. Dans le pre-
mier cas, l'homme est libre, puisqu'il tire ses actes de
lui-même, et la Société subsiste aussi comme de soi. Dans
le second, l'homme est assujetti, puisque ses détermina-
tions lui viennent du dehors, et la Société, obligée de
tout faire, prend la route du despotisme.
Ou la loi morale, ou la loi politique; ou la répression
intérieure, ou la répression extérieure; ou la force spiri-
tuelle, qui conduit l'homme resté libre, ou la force maté-
riclle, qui soumet l'homme assujetti. Pour décharger
l'Etat, pour soulager les lois et la répression politique, il
faut favoriser la répression morale, donner l'empire à la
lumière, aider l'homme à marcher de lui-même dans la
justice et dans la vérité.
L'autorité a d'autant pïus de force et la loi d'autant
moins à faire, que la morale a plus de puissance, que
l'homme a lui-même plus d'empire sur lui. La Société
est d'autant plus parfaite que les citoyens rendent la poli-
tique plus inutile. Une Société où les hommes ne laisse-
raient rien à faire aux lois, serait le type de la Société.
La puissance au moyen de laquelle les hommes se
rendent de leur mouvement propre à la justice et à la
Société, se trouve dans là Religion. Une politique, où
l'Eglise ne laisserait rien à faire à l'Etat, serait le type de
la politique.
Les Sociétés n'atteignent pas cet idéa!; mais leur gran-
deur, surtout leur condition indispensable d'existence,
consiste à s'en approcher.
Pour les peuples, la question n'est pas de choisir entre
la liberté et la tyrannie, car le choix serait bientôt fait;
mais d'écarter la tyrannie et de rendre possible leurs
libertés. Or, entre elles deux, le débat n'a pas lieu
dans la politique la question se traite toute au fond
descœurs.
Le grand moyen de gouverner n'est point dans le
budget, dans la police ou dans l'armée tL EST DANS LA
PUISSANCE QUI RÉGIT L'HOMME ET DETERMINE SA VOLONTÉ.

« Il n'y a que deux sortes de répression possibles,


s'écriait Donoso Cortès; l'une intérieure, l'autre exté-
rieure la religion ou la politique. Et elles sont entre
elles dans un rapport tel, que le thermomètre religieux
ne saurait monter sans voir baisser le thermomètre de la
répression politique. De même, le thermomètre religieux
ne saurait descendre sans faire monter la répression poli-
tique jusqu'à la tyrannie. Mais qu'il descende jusqu'à
zéro, on ne trouvera plus assez de despotisme pour con-
tenir les hommes. C'est là une loi de l'histoire. »
Ou la Foi ou la <brce. Il faut que !a lumière règne sur
l'homme, d'abord pour qu'il devienne libre, ensuite pour
que l'Etat puisse épargner la force tout en établissant la
paix, enfin pour que les esprits et les volontés aboutissent
à l'unité.
Les rois dans la Révolution, pour contenter la foule,
ont affàibli le pouvoir de la Foi alors les hommes, dé-
pourvus de la répression intérieure, ont démoli le pouvoir
de ces rois. Tout à coup tes peuples se sont vus étouues
sous la double pression de la multitude des lois, des
impôts et des baïonnettes. Mais bientôt le pouvoir absolu
lui-même, renversé par le même flot, a fait place à des
lois de folie, d'incendie et de sang, telles qu'eHes font
irruption dans les cœurs lorsqu'on y a éteint la Foi.
Si la morale était suivie, il n'y aurait plus besoin de
lois. On dit que, depuis la Révo!ution, trente mille lois
ont été promulguées en France pour les rendre à peu
près superflues, il suffirait de suivre les dix commande-
ments de Dieu..
Les gouvernements qui, sous le nom de joséphisme ou
de gallicanisme, aifaiblissent l'action de l'Eglise en rame-
nant ses pouvoirs ou ses libertés dans l'Etat, commettent
un véritable suicide. Mais la Révolution a tellement
confondu les idées et obscurci tous les problèmes poli-
tiques, qu'il lui serait impossible aujourd'hui, avec la
sagacité la plus rare, d'en retrouver leur solution.
CHAPITRE XVI.

La Société libre.

vaut mieux encore protéger un peuple contre l'erreur


que contre l'ennemi. Un peuple emploiera toute son énergie
contre ceux qui l'attaquent, tandis que ses passions s'en-
tendent pour appuyer l'erreur qui l'envahit. Or la Foi
seule détruit l'erreur, que seule elle peut remplacer.
La retraite de la Foi a fait tout à coup disparaître les
rapports qui existaient entre les hommes rapports entre
créatures sublimes, rapports de respect et d'autorité,
rapports de justice, de bienveillance et de charité. Ces
rapports une fois disparus, ia Société n'existe plus. L'état
sauvage n'est qu'une disparition de la vérité, du respect,
de la j ustice et de la charité chez les hommes. Les
gou-
vernements ont cherché alors â rétablir, à l'aide de la
force, des rapports qui ne se forment plus d'eux-mêmes
parmi nous.
Obligée de tout obtenir par l'effort, ici la Société
ne
faisait plus ses frais, ou bien l'être moral restait atrophié.
Dès que la puissance du dogme ne suffit plus à établir les
rapports qui doivent exister chez les hommes, leur exis-
tence en Société dépend de l'arbitraire et des événements.
Nous sommes~des êtres intelligents et libres; de là deux
conséquences
i~ Dans une Société où les rapports d'autorité, de jus-
tice et de paix sont forcément produits par le pouvoir,
les êtres moraux sont en dehors de leurs conditions d'exis-
tence ils n'agissent plus par eux-mêmes.
2° Les êtres moraux réclament donc de toute néces-
sité une lumière apportant Ja raison de l'autorité, de la.
justice et de la bienveillance qui doivent s'établir parmi
eux raison sublime, c'est-à-dire capable d'entrainer leur
obéissance.
Or cette raison est la Foi. Dévoilant des vérités su-
blimes et rattachant à l'accomplissement des lois morales
la conquête d'une joie éternelle, la Foi devient la source
d'où découle la vraie civilisation. Elle seule éc!aire et
meut l'esprit de l'homme d'une manière digne de lui
elle seule dès lors produit la Société d'une manière spi-
rituelle et libre.
Et d'ailleurs les esprits ne se peuvent unir que dans la
vérité les volontés elles-mêmes ne se peuvent unir que
dans la parfaite justice, c'est-à-dire dans le bien. Les lois
à leur tour, pour ne pas être oppressives, ne se peuvent
étabtirquesur l'unité des mœurs; or les actes ne sau-
raient avoir d'unité que par l'unité des croyances, par
la concorde des esprits au milieu de la vérité.
L'emploi démesuré du pouvoir est un auront chez les
êtres intelligents. La Société n'arrive donc à sa grandeur
et à sa liberté qu'en raison de la Foi. Au contraire, elle
baisse à mesure que les lois et la police augmentent leur
action. Dès que la force morale diminue, la force maté-
rieHe en prend la place, 'essayant de maintenir l'ordre,
tout en nous conservant, s'il se peut encore, un reste de
liberté et de vie.
Pouvant obtenir de notre âme un acquiescement à la
fois libre et raisonnable, le seul digne de nous, la Foi est
l'unique origine d'une Société libre. De la Foi seule
découlent en même temps, et les raisons sublimes qui
déterminent rhomme, et ces flots de vertu, de justice
et de charité qui font les civilisations, et cette lignée
d'hommes intetiigents et bons qui font le bonheur de
la terre.
Le moyen de faire régner la Foi reste toujours à la
portée des peuples. Ils n'ont qu'à ne se point séparer de
cette Eglise miraculeuse que Dieu charge de porter la
lumière aux nations. Que cette lumière immorteHe é!éve
nos pensées, pénètre dans nos mœurs, puis de là dans
nos lois, et nous vivrons au sein d'une Société libre.
En restreignant l'empire de rEgh'se, le iibératisme
étendit le régne de la force et des !ois'. Un véritable
gouvernement rendra son empire à l'Eglise, pour retrou-
ver le sien, pour restreindre d'autant celui de la force et
des lois, pour fonder en un mot cette Société libre.
Le contraire de la société libre, de la société où le
triomphe de la force morale réduit d'autant l'emploi de la
force politique, est ce qu'on nomme le Césarisme, dont
il. importe de dire encore un mot, aussi bien
que du libé-
ralisme, qui y conduit.
Aujourd'hui, gouverner, c'est détruire la Révolution.
1
Conséquemment, c'est rentrer dans les vérités auxquelles
elle s'est substituée. Comme toutes ses idées roulaient
sur
une notion fausse de la liberté, la politique vraie jaillira
d'une application de la liberté véritable.

(<) Telfut le plan de la Porte et de la Russie tel est à cette heure celui de
M. de Bismark.
CHAPITRE XVII.

Libéralisme, ou retour au Césarisme.

Les faits nous pressent, et l'on doit parler sans détour.


Toute la politique à cette heure consiste à écarter les
principes du !ibéra!isme pour y substituer ceux du catho-
licisme.
Notre époque ne doit plus i oublier: l'homme est faible,
détourné du bien, porté au mal, en proie aux rêves, à
l'ignorance, aux passions. Les vérités morales ont besoin
de tout leur éclat et de tout leurs moyens pour arriver à
l'àmeetpour la captiver. En outre, les principes supé-
rieurs, sur lesquels se fonde la société, étant tout à fait
hors de la portée des masses, Dieu les confie à t'Autorité.
Dieu fait de même pour les vérités transcendantes sur les-
quelles repose la vie éterneHe.
L'autorité supplée à cette insuffisance du bien et de la
vérité sur nous. Sauvegarde de l'homme, l'autorité peut
seule garantir les masses, diriger les Aristocraties, empê-
cher les peuples de tomber et le genre humain de glisser
tout entier dans l'état sauvage. Confiée au bon vouloir des
libertés individuelles, la société disparaîtrait aussi rapide-
ment que ïa justice et la vérité.
C'est là ce que, par malheur, le libéraMsme ne veut
pas voir. H pense que la vérité et la justice nous sont
inhérentes. 11 croit, avec le protestantisme, que toute
liberté reprise à l'Eglise est une liberté gagnée par l'hom-
me dans la sphère politique. Et de la sorte, sans le vouloir,
il nous conduit au césarisme. Deux faits, auxquels il
ne
prend pas garde, condamnent toutes ses théories
pre-
mièrement, en Angleterre, en Prusse, en Amérique et à
Constantinopie, c'est l'Etat, c'est la force matérielle qui
exerce sur !es âmes le pouvoir que devrait exercer
l'Eglise; secondement, en Angleterre et en Amérique, la'
religion n'est accessible, au sein même de l'ordre, qu'aux
esprits d'élite auxquels d'heureux loisirs ou de bonnes
dispositions ont permis de grandes études. Ici, les hommes
iHettrés, les classes inférieures, le peuple, enfin, est
immo!é\
Avant 89, les peuples vivaient sous le bénéfice de
l'Autorité. La Foi leur arrivait par deux
canaux, l'ensei-
gnement et les exemples. On le sent en effet ceux qui
n'ont point su voir la Foi à l'état de lumière
pure, ont
d'autant plus besoin de la voir se réf!échir dans les
mceurs
de l'aristocratie et les tois de l'Etat. L'âme du
corps social,
la vérité, ne peut être réduite, comme le veut le libéralisme,
au rôle occulte d'une secte perdue. Dés que la religion,
au lieu d'être hautement professée par l'Etat, voit son
enseignement mis au même rang que celui de l'erreur,
l'Eglise, annihilée, est bientôt remplacée
par FEtat, et
tous les intérêts du peuple sont trahis. A-t-on vu un seul
peuple se maintenir dans la vérité, lorsque celle-ci
ne lui
était pas enseignée, ou lorsque les premiers intérêts de
l'âme restaient à la merci de l'opinion ?

(t) On sait que dans ces deux pays, où l'autorité est mdiEférente a la
religion, les conversions au catholicisme s'opërent &
peu près exclusivement
chez les hommes instruits et distingues. La religion devient alors
un apu-
nage dea classes e!ev6es. Inique par le fait, ce système, qui est celui du
libéralisme, a été condamné dans le ~/a&t~.
U est aisé de comprendre comment le libéralisme est !a
mort de la société libre. i° II croit que l'action de la vérité
toute pure, dépouillée de celle de l'autorité, est sufrisante
pour créer une société chez les hommes. 2~ Par ce prin-
cipe, il est contraint de mettre l'erreur sur le même pied
que la vérité, ce qui entraine les populations au scepticis-
me. 3° Alors, usurpant, par ie fait, les fonctions de ré-
gulateur de l'ordre moral, il le fixe dans le Césarisme'
Le libéralisme intervient ici comme s'il était le droit divin,
puisqu'il nie et restreint le droit qu'ont les consciences
d'obtenir la vie éternelle par tous les moyens préparés ici-
bas 11 se pose, il agit comme étant la souveraineté

spi rituel le.


est la mort des êtres moraux et de la civilisation
libre, par cela seul que, prenant la place de FEgMse ou
du dogme, et suspendant le mouvement de la vie morale
ou du principe civilisateur, il s'oppose à la formation de
ta substance sociale. N'existant qu'à la condition de para-
lyser le pouvoir de i'Egtise, le !ibéra!isme lui dit depuis
un demi-siècle Je suis le droit, la liberté, la justice,
l'intelligence, la mesure de la vérité! Après cela, où est
la place de !'Eg!ise et celle de la société?
Il ne dit point à t'Egnse Je suis le sacerdoce mais il
lui dit J'anéantirai ta doctrine par ma liberté de la
presse. H ne lui dit point: Je suis la règte des esprits;
mais: Je t'ôterai le droit de vivre partout où je serai. Il
ne lui dit point: Je suis l'infaillibilité; mais: Je te laisserai
venir jusqu'au point où ta vérité n'ébranlera pas ma

(i) Les libéraux, les catholiques libéraux eux-mêmes, si aigres contre le


cesarisme, ne s'apercevaient pas qu'ils en professaient lea doctrines. L'ordre
découle ou de la conscience ou de la force. Ou t'EgUse., ou César
vérité, ta liberté ma liberté/ton droit mon droit, et ton
pouvoir sur les esprits, le pouvoir que j'ai maintenant sur
le monde. Sinon, je te le déclare: Je suis !a force! et au
besoin, c'est moi qui la déchaînerai, moi qui dirai à la
Révotution Tu n'as pas d'autre ennemi que !'Eg!ise.
Tel était aussi le langage du second Bonaparte. Le libé-
ralisme est la démolition simultanée de l'Eglise et du corps
social. Pour gouverner, il faut alors les Bonapartes et les
trente mille lois de la Révolution.

CHAPITRE XVIII.

Césahsme, ou abolition de la société libre.

Le Césarisme est l'opposé de la société libre. Ici les


êtres moraux ne puisent plus leur impulsion dans les
croyances le mouvement, la vie et la puissance décou-
lent de i'Etat. Le pouvoir, comme l'homme, se substitue
à Dieu quant à la souveraineté, quant à la Foi, quant aux
idées et quant aux moeurs. Les peuples qui ont rejeté ou
méconnu le domaine de Dieu sur ces choses, sont deve-
nus la proie du Césarisme.
Ou le Césarisme renverse violemment une société
libre, comme il est arrivé aux peuples protestants ou il
vient hériter d'une société libre qui s'est eUe-méme
détruite par ~athéisme,' comme il arrive en France. La
pente qui permet à l'Etat d'arriver à ce terme est le galli-
canisme. Le libéralisme est la méprise du laïque, et.le
gallicanisme est celle du clergé: fatales à tous deuxI
L'invasion des Prussiens est un fait transitoire celle du
césarisme serait l'anéantissement de notre civilisation. Or,
par l'effet de la Révolution, cette conséquence des idées
libérales envahit progressivement les peuples catholiques.
Un pas encore, et la chrétienté disparaît. Le Césarisme
ravirait, non-seulement' nos libertés publiques, mais la
liberté de nos âmes l'esprit humain reprendrait le niveau
où on le voit chez les Mahométans.
Le christianisme renouvela le monde en substituant
l'Eglise à l'Etat, c'est-à-dire l'empire de l'esprit à celui de
la force, en tout ce qui concerne nos âmes. Restituant le
sceptre à la conscience, ramenant la force morale à la
place de la puissance politique, le christianisme produisit
la civilisation moderne. En substituant de nouveau l'Etat à
l'Eglise, comme pendant l'Antiquité, le césarisme renver-
serait de fond en comble une telle civilisation. Ce serait
l'extinction de la nature humaine.
Ici, l'homme est aux mains de son plus vieil et de
son plus cruel ennemi, savoir, l'homme et il faut, c'est
la formule, lui obéir plutôt qu'à Dieu. La conscience a
perdu son sceptre, et la nature humaine sa plus haute
prérogative, qui est le droit de n'obéir qu'au Créateur.
L'ordre politique n'est plus un écoulement naturel de
l'ordre moral les consciences reçoivent au contraire
l'impulsion et la vie de 1l'ordre politique. Elle ren-
trent dans la situation où elles se sont laissé saisir en
Russie et en Prusse, plus anciennement, à Constantino-
ple, et antérieurement, à Rome et dans le vaste continent
de l'Asie.
En mettant Dieu hors de nos lois, hors de nos mœurs,
hors de l'enseignement, hors du pouvoir, c'est nous que
nous avons mis hors de la société libre. Aussi, le césa-
LËGtT. 32
risme, qui déjà régnait en Russie, en Angleterre et en
Prusse, a pu envahir successivement la France, Htalie,
l'Autriche, en6n l'Espagne. On cherche en ce moment où
règne encore la chrétienté. La société libre s'est vue
obligée de se retirer tout entière, pour faire place au
césarisme. Le mouvement imprimé par la Révolution en-
traîne tout avec lui 1
Le christianisme dédaigné ou persécuté, césarisme La
Foi livrée aux grossièretés de la presse, césarisme Sous!e
nom de liberté des cultes, l'Eglise mise sur un pied d'égalité
avec la Révolution, césarisme Sous le nom de liberté de
conscience, la conscience investie du pouvoir de se déclarer
pour l'erreur, césarisme 1 Sous le nom de morale indé-
pendante, le droit que l'âme s'arroge de s'affranchir de la
vérité, césarisme Sous le nom de liberté de la presse, le
droit que s'attribue le mal de poursuivre partout le bien,
césarisme! Le mariage civil, césarisme 1 Les servitudes im-
posées au elergé, césarisme Le droit de propriété odieuse-
ment enlevé aux Ordres, césarisme L'enseignement donné
par l'Etat, césarisme 1 L'abolition des Provinces, césarisme
La destruction des droits publics et privés au nom d'une
liberté politique illusoire, césarisme! Des lors la centralisa-
tion ramenant tous les pouvoirs dans l'Etat, césarisme
L'industrialisme arrachant les populations aux campagnes
pour les livrer aux cupidités des classes moyennes, césa-
risme Le luxe, la corruption, les mauvais livres, l'agio-
tage, les grandes banques, les monopoles, autant d'instru-
ments pour le césarisme1 La souveraineté attribuée au
peuple, autrement dit à l'homme, achèvement du césaris-
me Le choix des évoques entièrement adjugé à l'Etat,
couronnement du césarisme Or tel est à cet heure
notre état social.
Où s'arrête aujourd'hui le césarisme? Où la conscience
a-t-elle pu maintenir son divin droit?
Le dernier point envahi, ie seul par où l'on puisse
encore échapper au césarisme, est le clergé catholique.
Car si le césarisme est la substitution de l'Etat à l'Eglise,
le gallicanisme est la route qui conduit à ce dénouement.
Le prêtre est toujours le dernier à se rendre, et César foule
aux pieds des martyrs avant d'arriver à son but. Toutefois,
aujourd'hui, César pourvoit aux frais des cultes et accroît
les émoluments. Retenant les biens de l'Eglise et lui étant
le droit de posséder, César peut seul: avec magnificence,
restaurer les édifices religieux, soutenir les œuvres, re-
construire les évéchés~ et assurer des retraites au clergé.
Dépouillé de ses droits, le prêtre est réduit, à tout recevoir
et à remercier pour tout i
Si, dans un Etat, après avoir rendu la religion impo-
pulaire et avoir surpris la bienveillance du prêtre, on par-
vient à rendre le clergé servile, tout est perdu. Il faut
bien voir que, sous le nom de gallicanisme en France, et
de joséphisme en Autriche, c'est la tète de la société' qui
vient elle-même se placer entre les dents du Pouvoir. On
sait ce qui s'est passé en Russie On sait ce qui eut lieu
en Angleterre après la mort de l'héroïque S. Anselme.
Philosophiquement, le gallicanisme est l'erreur qui, par
l'opinion qu'elle se fait des conciles, introduit le rationalis-
me au milieu' de la Foi. Mais, politiquement, il est la faute
mortelle qui, interceptant les secours que l'Eglise apporte
à la société, nous mène droit au Césarisme.
Ecarter tout gallicanisme,de manière à rendre à l'Eglise
la liberté de son concours, c'est employer évidemment un
des plus grands moyens de gouverner, ou de fonder une
société libre.
CHAPITRE XIX.

L'Etat doit-il protection à l'Eglise?1

(Deuxième point de fait.)

l! s'agit maintenant de choisir, à l'égard de l'Eglise,


entre un système de protection et un système de liberté.
On s'est demandé sérieusement si l'Etat devra la protéger,
ou simplement la laisser libre. Autrement dit, si le sys-
tème de ïiberté n'est pas plus favorable à la Foi que le
système d'autorité.
Comme les exemples ont le privilège d'entraîner le
grand nombre des cœurs, et qu'en fait de croyances on
'doit écarter la contrainte, deux choses sont indispensables
à l'Etat: d'abord, que les exemples soient donnés, ensuite
qu'ils partent de haut. 11 faut évidemment qu'ils emprun-
tent à l'Autorité une noble influence, que ce soit là un
apanage du Pouvoir; car en cela consiste la première, la
plus puissante protection qu'il puisse accorder à la Foi.
La vie du dogme, qui est la vie des civilisations, ne
peut pas être abandonnée à l'aventure. Dans l'intérêt non-
seulement du peuple, mais de tous les hommes, il importe
que le dogme soit hautement avoué, publiquement prêché,
profondément respecté.
L'homme, dira-t-on, n'obéit qu'à ses convictions. En
effet, mais, pour les former, voit-on l'homme aller de
lui-même au-devant de la lumière et s'élever jusqu'aux
principes? Comment font les enfants? Comment font les
Gentils? ou plutôt comment font tous les hommes? Même
au sein de la société, n'est-il pas nécessaire de leur porter
à tous la vérité, puis en outre de la leur maintenir, comme
on le fait pour les infidèles?
D'ailleurs, quand les hommes se défont de la vérité,
s'affranchissent de la force morale, l'autorité n'est-elle pas
obligée d'intervenir pour réprimer les conséquences atten-
tatoires à la morale et à la liberté? Alors n'exerce-t-elle
pas sur l'homme une coaction tout autre que celle qui
résultait de la fonction si noble de mettre, par tous les
moyens, la vérité à la portéedes cœurs? 11 est donc urgent
de choisir entre l'empire de la vérité et celui du Pouvoir.
Un fait d'autant moins remarqué qu'il est plus habituel,
c'est l'indifférence du vulgaire à l'égard de la vérité, à
l'égard de tout ce qui peut élever la nature déchue.
On pourra dire aussi que la Foi est d'autant plus méri-
toire, qu'elle est plus libre. Sans doute; mais cette liberté
doit-eUe s'étendre au point de laisser perdre entièrement
la Foi? Et, d'ailleurs, où trouver cette Foi entièrement
libre et spontanée~ Qu'on dise où sont ceux qui l'atteignent
en dehors de l'enseignement, et ceux qui la conservent en
dehors des mœurs qu'ils trouvent autour d'eux! L'expé-
rience en est formelle partout où l'autorité reste indiffé-
rente à la Foi, comme aux Etats-Unis, par exemple, la
liberté n'élève à la vraie religion que quelques natures de
choix, déjà exceptionnellement douées. Ici le peuple, le
grand nombre est sacrifié.
L'exemple de l'autorité, dont l'effet se produit avant tout
sur le peuple, est précisément d'attirer la Foi sur les points
où celle-ci n'arriverait pas toute seule. Pour s'élever aux
choses supérieures, l'homme a tellement besoin d'y être
attiré, d'être détaché des choses de !a terre,
que les maux
de la vie ont tous été calculés
pour concourir à ce laborieux
effet. Le libéralisme doit le voir le système d'autorité
répond directement au besoin du peuple, et immédiatement
au désir du Sauveur, qui est d'évangéliser les petits, de
sauver le grand nombre. De la sorte il répond aux inten-
tions d'un véritable libéralisme~.
Au contraire, le système de liberté (admis d'auteurs
en
Angleterre et aux Etats-Unis
par pure indifférence ou par
hostilité), ne voit revenir à la Foi, de !'aveu de
tous, que
!es familles aisées, les classes supérieures désireuses de
et
s'instruire, laissant de plus
en plus les classes inférieures
livrées à leur dissolution. Le système de liberté
est donc
tout ce qu'il y a de plus contraire
au désir avoué de libé-
ralisme, car rien n'est plus exorbitamment aristocratique,
dans le mauvais sens de
ce mot. Les masses pauvres et
retirées étant par le fait écartées des -faveurs de la Foi, les
croyants formeraient bientôt une caste, comme
aux Indes
ou comme dans l'Antiquité.
C'est le système de protection, réclamé
par l'Eglise et
démontré par le bon sens, qui est éminemment libéral,
dans le vrai sens à donner à
ce mot. Au lieu d'aban-
donner les faibles à leur sort, il conduit le
grand nombre à
la vérité et aux moeurs,
par l'ascendant des meilleurs et
les soins paternels de l'autorité. La société,
pour ceux quii
en voienH'intérieur, est une merveille de logique.
Admirable pensée! l'Eglise entend
que la vérité soit

(I) Le libéralisme ne pouvait moins


faire que d'annoncer qu'il accordait.
la liberté à Ja religion. Mais,
comme on l'a constamment vu dans l'affaire
du traitement du clergé, de l'enseignement donné
par l'Univerai~, du droit
de propreté refusé aux Ordres, de la licence laissée
à la presse, enfin des
processions, cette iiberté-!a n'était qu'une persécution regutiërc..
protégée chez les hommes au moins autant que la justice
elle ne veut pas que l'une soit livrée plus que l'autre à
l'ignorance, à l'indifférence, aux caprices, à l'opinion, au
mauvais vouloir, à toutes les passions qui dominent la
terre1 Trait admirable aussi, dans l'économie de l'Etat,
d'assurer sa meilleure protection à l'Eg!ise! C'est par ce
fait que la société redeviendra libre et que les gouverne-
ments se relèveront. Ne l'oublions point: si la contre-révo-
lution n'est pas divine, elle n'est rien.
On trouvera partout des inconvénients. Mais ici, qu'on
les pèse Quel est celui du système de liberté? le dépérisse-
ment du peuple. Et quel est celui du système d'autorité ?
l'apparition momentanée de quelques hypocrites, dont le
dommage en définitive ne porte que sur quelques membres
perdus des classes élevées.
Moins de libéralisme dans les mots, et un peu plus dans
les choses. Sous prétexte de liberté, ne laissons pas le
peuple tomber dans l'ignorance et dans la corruption. Par
les moyens moraux dont dispose l'Etat, environner l'Eglise,
autrement dit la vérité, d'une protection efficace, est un
des plus sérieux moyens d'affranchir l'homme et de bien
gouverner.

(1) II semblerait que l'on réclame, ici, beaucoup trop d'unité eu égard
à la Foi, et, ailleurs, beaucoup trop de liberté eu égard à la politique; ce
qui parait une contradiction.
Mais loin de là entre l'unité en religion et la variété en politique, il y a
un accord souverain en faveur de la nature humaine. C'est au sein de
l'unité de Foi que notre liberté se meut dans un champ sans limites, puis-
qu'ici l'unité, qui est la vérité, ouvre les portes sur l'Infini. Et c'est au sein
des libertés publiques, des variétés, des distinctions en politique, que l'on
répond tout à la fois à la diversité des développements de la nature humaine
et aux diverses zones hiérarchiques dans lesquelles les âmes prennent leurr
essor au sein d'un peuple.
Ici l'Eglise ne s'adresse a l'Etat
que pour le voir marcher
lui-même le premier dans la lumière. Qu'on ne s'y trompe
pas i'Egnsc n'a recours au bras séculier
que dans un
simple but de défense. Elle demande, en dénnitive, à 'se
voir abritée contre !a destruction. La protéger n'est autre
chose que ~i laisser la vie. Elle ne reclame,
pour nous
sauver, que sa parfaite et libre action sur les intelligences.
Qu'elle se voie affranchie des dédains du Pouvoir, du
mépris des institutions, des querelles de la loi et des persé-
cutions du mai Respectant, chérissant tous les hommes,
elle veut être aimée et respectée
par les premiers d'entre
les hommes il n'y a pas autre chose dans
ce qu'on nomme
la protection due à !'Eg!ise.

CHAPITRE XX.

L'Eglise libre et les sociétés libres.

Au-dessus des empires politiques est l'empire des âmes,


pour lequel ont été préparés les premiers. Et pour prendre
sérieusement l'intérêt de l'Etat, il faut
assurer la vie de la
souveraineté spirituelie, fondement souverain de l'Etat.
Celui qui veut défendre un homme, met d'abord
sa tète à
l'abri. Or, « le catholicisme, nous dit
un écrivain, n'est
pas simplement une croyance c'est une société indépen-
dante et souveraine, pourvue d'un gouvernement qui main-
tient cette indépendance et cette souveraineté supérieure.
En un mot, le catholicisme, c'est l'Eglise catholique.

(<) « Le Pasteur éternel de nos âmes a décret de construire une RcusE,


L'Eglise ne saurait donc pas plus admettre à son égard
la domination d'un autre Etat, que la France, par exemple,
ne pourrait accepter celle de la Russie ou de la Prusse. La
souveraineté spirituelle, garantissant à l'homme tout ce
qu'il a de plus précieux, reste au-dessus de toutes les sou-
verainetés politiques. C'est pourquoi la souveraine indépen-
dance de l'Eglise est un dogme. Ceux qui la nient, qui
prétendent ne voir dans l'Eglise qu'une corporation au
sein de l'Etat, ajoute le même écrivain, sont dans la voie
du schisme. Toute corporation où toute église nationale
appartient, \au contraire, à une nation, et dès lors tombe
sous l'empire de la puissance
séculière.
Puisque le Christ a dit « Rendez à Dieu ce qui est à
Dieu, » tout n'est donc pas à César, et il y a un royaume
de Dieu sur la terre, ainsi que les Pères l'ont expliqué. Si,
comme les sectes qui s'en séparent, l'Eglise n'était qu'une
association d'hommes ayant un principe commun, elle
n'aurait, en face des Etats, pas plus de droits que ces
sectes diverses. Mais, comme le déclarait hier encore le
Syllabus, l'Eglise a des caractères divins qui lui sont
exclusivement propres. Elle est une société complète,
pleinement libre, tenant visiblement de Dieu des droits
imprescriptibles, dont elle a seule le pouvoir de régler
l'exercice et de fixer les bornes~. ce L'Eglise, dit Pie IX,
n'est assujettie à aucun gouvernement séculière »

n où, comme dans la demeure du Dieu vivant, les 6dè!es seront régis par !<j
» lien d'une seule foi et d'une seule charité.
Cot! ~w. pn~. sur ~'EGLISE. Cone. du Vat. ~8 juillet 18TfO.
Observationsen partie empruntées at'eminenttheotogiende l'u'ucr~,
(1)
Du Lac, grand esprit que la Providence adjoignit au grand polémiste!
Pages écrites depuis un an, quand on apprit la mort de cet homme de bien.
(2) Est Mrapcr/'ec<a<yMe socielas, etc..S~/a6~, propos. "XIX ad LV.
(3)AHocnt. du n Déc. i860.
Un pouvoir d'origine divine ne peut évidemment relever
que de Dieu. Comme société directement divine, l'Eglise
échappe donc à tout pouvoir humain. En outre, comme
société universelle, elle ne saurait être comprise dans le
domaine ou l'administration d'aucun Etat particulier, à la
manière des Universités ou des différents ordres de la
nation. «L'Eglise, ajoute Pie IX, est indépendante et ne
peut être contenue dans les bornes d'aucun empirer ?
N.-S. n'est pas présent sur la terre pour y tenir école,
mais pour y établir son autorité souveraine, et y fonder
un royaume libre, sublime, universel te royaume sacré
des âmes. Pouvait-il laisser la garde des vérités nécessaires
au salut, à un corps de docteurs dépendant des puissances
terrestres? Livrée aux hommes, la vérité disparaîtrait du
monde. Les hommes trouvent tout simple de croire ce qui
leur plait comme si la vérité était déterminée par notre
volonté, qui ne se détermine, au contraire qu'au moyen
de la vérité.
Le Sauveur a voulu qu'il y eût deux puissances: la
puissance spirituelle, gardienne des intérêts divins, et la
puissance temporelle, gardienne des intérêts du temps, H
l'a voulu pour notre liberté car elle serait compromise si
celui qui a un pouvoir sur le corps en pouvait avoir un sur
les âmes. i! a voulu qu'au-dessus de la puissance qui doit
nous garantir les intérêts du corps, il y eût celle qui
protége et sauve les àmes~. Chacune des deux puissances
se trouve donc indépendante et souveraine dans son ordre

(l)Attocut.du 9 D6c.l854.
(2) Il y a une grande autorité dans le Souverain Pontife; mais elle ne
détruit pas, elle édiSe; elle n'opprime pas, elle soutient, n Premières
paroles de l'allocution de Pie ÏX, Sess. du i8 juillet i870, Conc. du
Vatican.
«
Rendez à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est
à Dieu. »
Mais l'ordre temporel n'ayant point ce qui.lie les con-
sciences et constitue sûrement les obligations, reste subor-
donné ici aux lois de l'ordre spirituel. Au fait, il en dépend
et en relève dans l'essence l'homme qui ne reconnaît
plus les lois de tordre spirituel, n'étant plus lié que par
son intérêt ou son plaisir, échappe aux lois de l'ordre
temporel, et ne travaille qu'à les détruire.
Les intelligences, d'ailleurs, ne peuvent réellement
s'unir que dans la vérité, et les volontés elles-mêmes ne
peuvent solidement s'unir que dans le bien. En sorte que
le meilleur gouvernement sera celui qui, à l'égard de la
morale et des lois, sera en quelque sorte comme le pouvoir
exécutif de l'Eglise.
L'effet relève nécessairement du principe, le particulier
de l'universel, le nombre de l'unité, le corps de l'âme qui
s'en sert, le temporel de ce qui est éternel. La puissance
temporelle n'a point par elle-même le pouvoir d'éclairer
les esprits, ni dès lors celui de lier les consciences, ni par
suite celui de décider les volontés et de faire accomplir
sérieusement les lois. C'est en vertu de la puissance spiri-
tuelle, de celle qui agit sur les âmes, que l'homme
s'assujétit aux lois de l'ordre temporel, et se trouve fran-
chement ramené à la société civile. C'est pourquoi celle-ci
tient dans la société chrétienne la racine qui la porte et
qui l'entretient.
Si tout-à-coup l'ordre spirituel se retirait, la société
disparaîtrait, comme cela s'est vu de nos jours en France.
Quand l'Etat, par des lois conformes'à la morale,
restreint les désordres et les crimes qui anéantiraient la
société, i! est le continuateur de l'œuvre de l'Eglise, il est
son pouvoir à l'extérieur. L'Eglise est ie pont sur lequel
passent les àmes, et l'Etat est le garde-fou qui les garantit
dans la nuit.

CHAPITRE XXI.

L'Eglise fonde les sociétés libres.

Une société ~Lre, nous venons de le voir, est celle qui,


à l'aide de l'Eglise, se trouve de plus en plus affranchie
de l'emploi de la force. Les institutions et les lois découlent
des mœurs, et les mœurs des croyances. Faite de lois, la
société civile a donc son principe réel dans la société
religieuse, où vivent les croyances et où régne un empire
libre. L'Etat doit veiller sur l'Eglise, comme on veille sur
sa nature ou sur sa base.
Ainsi l~Etat n'est point absorbé par l'Eglise, mais
formé, étayé et porté par l'Eglise. Tel est, dans sa sim-
plicité, l'énoncé des rapports de l'Eglise et de la société
civile. Telle est, pour celle-ci, la formule de sa condition
d'existence.
Les deux puissances ne sauraient pas plus se confondre
entre elles qu'un principe avec ses résultats. Et comment
pourraient-elles être absorbées l'une par l'autre? Chacune
a sa nature, chacune a ses fins propres. La puissance
civile, de l'ordre de la nature, procure la j ustice, la sécurité,
l'inviolabilité des personnes et des biens; la puissance
spirituelle, de l'ordre surnaturel, procure la vérité, qui
soutient la justice, la sécurité et l'inviolabilité. L'une a
évidemment pour but les intérêts du temps, l'autre la
gloire de Dieu pour le salut des âmes. Séparées, elles ne
peuvent arriver à leurs fins; réunies, elles procurent la
société aux hommes.
La société civile a une souveraineté, une hiérarchie et
une législation propres, relevant des traditions et des
coutumes nationales la société spirituelle a de même sa
souveraineté, sa hiérarchie et sa juridiction, procédant des
prescriptions divines. Il répugnerait à l'Eglise de gou-
verner elle-même les sociétés civiles, de tenir les rênes des
empires, de faire usage de la force, de soutenir des contes-
tations, d'avoir à déclarer la guerre. Elle n'entend régir que
par la force morale; elle veut agir sur les institutions par
la sublimité de l'injonction et non par la contrainte, car
elle a pour mission de nous donner lu vraie liberté et
d'ennoblir l'obéissance. De son côté, il répugne à l'Etat de
s'ingérer dans les questions de dogme, de s'immiscer dans
les affaires de conscience, enfin de refuser son assistance à
celle qui, pour un but si noble, renonce à l'emploi de la
force. Par son office et par ses lois, répressives du mal, il
est comme un dernier agent du bien.
Quoique distinctes, les deux sociétés restent consé-
quemment inséparables. II ne peut pas plus y avoir dis-
jonction entre l'Eglise et l'Etat, qu'entre l'âme, que repré-
sente la première, et le corps ou la vie terrestre, que
représente le second. Parler de la séparation de l'Eglise et

(i) Nous réprouvons les sentiments de ceux qui disent que i'on peut
«
M empêcher les communicationsdu Chef suprême de l'Eglise avec les Pas-
)' leurs ou avec les troupeaux ou qui rendent sa puissance dépendante de
H la puissance séculière. »
Cône. du Vat. Primauté c~ Pont. ~o~.
On voit le Saint-Siège partout occupé à reconstruire la Société réelle.
de l'Etat, c'est ignorer les premiers éléments de la société
humaine, et vouloir ramener les âmes sous la loi de César.
Le césarisme, en effet prétend que l'Eglise,
en fixant les
principes, en éclairant les esprits par la Foi, en les formant
en les guidant par sa doctrine, commet une ingérence dans
Je domaine de l'Etat et en paralyse l'autorité. Mais
nos
âmes n'appartiennent pas à l'Etat; et l'Eglise a justement
pour but de les soustraire au joug de l'homme, autrement
dit, au despotisme.
.Avec le mot séparation, qu'a produit le libéralisme? La
servitude politique qui opprime partout les âmes
en ce
moment. Le libéralisme produisit le sécu!arisme le sécu-
larisme amena l'athéisme, et l'athéisme entraîna la haine
et l'asservissement, ou la destruction de la société libre.
Quoi? séparer deux sociétés qui n'ont qu'un seul objet,
Fhomme!1 Innomme dans toute sa dignité et toute
son
intégrité N'ont-elles pas la même patrie, les mêmes affec-
tions, le même peuple à soigner?
L'Eglise ne peut se séparer de la société temporelle, d'où
elle tire, avec la protection, les pierres vivantes dont elle
construit l'édifice de Dieu. A son tour, la société civile
ne
saurait se passer de la société spirituelle, d'où lui vient la
lumière, la vie morale, l'autorité, enfin la vertu du travail
et de l'épargne dont elle vit. L'ordre civil établit les lois,
la justice extérieure, les obligations et les droits qui le
constituent, et l'Eglise déploie en nous les grands mobiles
qui font volontairementt accomplir la justice, les lois et les
obligations. L'ordre civil est comme un arbre, et l'Eglise
en forme les racines.
L'autorité spirituelle fait ce qu'aucune autorité terrestre

(!) Voirt'~t~er~du 17 octobre 1811.


ne peut faire, en procurant ce qui oblige les consciences
et dispose les volontés.
L'exécution volontaire des lois est tellement supérieure
à leur exécution nécessitée, qu'elle sufïit à établir la société
parfaite. Pourrait-on mesurer ce que l'Eglise prévient de
crimes, empêche de désordres, étouue d'attentats dans leur
germe? Sait-on ce qu'elle produit de bonnes résolutions,
de vertus, d'honnêteté, de justice, d'honneur, d'ordre réel,
de charité? Quel Etat pourra se passer de cette providence
occulte, qui pourvoit à sa véritable existence? Le pouvoir
niera-t-il que l'Eglise est le vrai fondement de l'Etat,
l'unique moyen d'éviter le despotisme ou les désastres
La grande Monarchie des intelligences se tient là pour
sustenter les âmes, soutenir les nations, étayer les Etats,
inspirer les Pouvoirs, relever ceux qui tombent et mainte-
nir le monde jusqu'au dernier moment.
Le premier soin de l'Etat est donc de protéger l'indé-
pendance de FEglise, de manière à lui assurer son action.
Comment l'Eglise, qui est toute spirituelle, soutiendra-t-
elle les sociétés civiles, si l'on arrête ou si l'on affaiblit
encore son pouvoir? Et, comment pourra-t-elle exercer
ce pouvoir, si elle n'est pas souveraine chez elle? Enfin
comment restera-t-elle indépendante et souveraine, si elle
est privée d'un pouvoir temporel, si elle n'a pas elle-mème
des Etats qui la dispensent d'obéir à un autre Etat, de
résider dans un Etat qui, n'étant pas le sien~ prendrait des
droits sur ei!e?
Le maintien des Etats de l'Eglise est le maintien de la
chrétienté même, c'est-à-dire des sociétés libres. Pour un
Royaume, protéger i'EgMse chez lui et en protéger chez
elle la noble indépendance, est le premier, le plus puissant
moyen de gouverner.
Nous venons d'explorer le grand côté de la politique,
celui qui, semblable à la vérité, est universel et immuable,
et qu'on pourrait appeler absolu. Arrivons au côté relatif,
à celui qui dépend des temps, des lieux
ou de l'état des
hommes. Des moyens de gouverner se rapportant à l'exis-
tence de la Société même, passons à ceux qui se rap-
portent à l'existence de la nation.

CHAPITRE XXII.

Gouvernement parlementaire; L'Autorité ne se partage pas en trois.

Supposez que l'on demande aux hommes s'ils veulent


du dogme de la confession, ils diront non. S'ils veulent du
dogme de l'Incarnation ou de la Trinité, ils diront
non.
S'ils veulent de l'humilité ou de la chasteté, ils diront
certainement non.
Qu'on leur demande également s'ils veulent d'un Roi qui
les gouverne au nom de Dieu; s'ils veulent que ce Roi ait
l'initiative, qu'il puisse faire la paix ou déclarer la guerre,
protéger les âmes, c'est-à-dire l'Eglise et les ordres,
favoriser les droits, c'est-à-dire les corporations et l'aristo-
cratie s'ils veulent de l'érection d'une Pairie et de l'abo-
lition de la liberté de la presse, ils diront certainement
non. Enfin demandonsàvingt millions d'hommes sur trente
s'ils veulent du tribunal correctionnel, de la police et des
gendarmes, ils diront aussi Non.
Or toute la politique consiste à établir ces dogmes dans
les âmes et ces institutions dans les faits! II faut donc
gouverner les hommes sans leur en demander l'autori-
sation. Mais, dans les gouvernements formés de trois
pouvoirs, celui du peuple, celui de la classe moyenne et
celui du Roi, ce dernier ne fait exactement que demander
au peuple et à la classe moyenne la permission de les
gouverner. Nous savons ce qu'ils lui répondent.
Les classes ont le droit d'être représentées, mais elles
n'ont point droit au Pouvoir. L'idée d'établir un gouver-
nement sur trois autorités fut la première extravagance
que l'utopie opposa au bon sens. C'était porter l'anarchie
et la guerre au sein même du Pouvoir. On ne voulait pas
un gouvernement qui représentât les vrais intérêts du
pays, mais qui représentât nos erreurs! On voulait ce
gouvernement parlementaire où toutes les légitimités, tous
les droits, toutes les bases de la société furent chaque jour
mises en question, où l'utopie fut souveraine. On voulait
l'extravagance politique qui coûta la vie, d'abord à la
Restauration, ensuite à la nation elle-même!
Dépouillés d'autorités sociales, privés d'une aristocratie
dominant, comme en Angleterre l'élément inférieur,
dépourvus des vertus publiques propres à balancer l'orgueil
du vulgaire, nous devions être conduits par la charte
(telle que les doctrinaires l'obtinrent de Louis XVIII) à une
catastrophe certaine.
Comme le remarquait alors M. de Lamennais, au lieu
d'établir une monarchie, on constitua une république. On
prétendait concilier le passé avec le présent. Mais, au fond,
on mariait la vérité avec l'erreur. La vérité eut pour elle
la fiction, et l'erreur la puissance. Deux tendances exis-
tèrent au sein de l'Etat, et il devint aussi impossible
d'éviter une lutte funeste, que d'empêcher le conflit de
deux forces mises en présence pour se heurter. Une fois la
guerre établie dans les institutions, l'élément démocratique,
à raison de l'état des esprits, devait prévaloir contre une
royauté, non-seulement affaiblie, mais en réalité fictive.
Allier par le fait !a république à la monarchie, c'était
pratiquer sous le Trône une mine qui devait le faire voler
en éclats.
Les partis opposés au Trône, seuls clairvoyants, deman-
daient l'exécution entière de la charte. Et comme, au fond,
la charte c'était. la république en germe des lois complé-
mentaires ressortant de ia charte ne pouvaient être que des
lois déunitivement républicaines. Le Pouvoir, dans sa
résistance, ne pouvait plus se soutenir devant l'impérieuse
'logique de cette démocratie légale, que par un despotisme
administratif opiniâtre. Ses adversaires avaient ainsi pour
eux la force morale, comme ils avaient la force des choses,
c'est-à-dire la force des passions. Aussi put-on prédire,
presque à jour fixe, le désastre de 1830~.
Gardons-nous de ménager nous-mêmes un pareil dénoù-
ment. Dans ce système, la Révolution prendra tous les
ménagements du Pouvoir pour des concessions qu'il est
obligé de lui faire et, toujours plus menaçante, elle ne
cessera d'en exiger de nouvelles. On s'apercevrait, mais
toujours trop tard, qu'avec des chartes et sous le nom de
gouvernement parlementaire, on n'a constitué que la
Révotution. Ne pouvant accomplir aucun acte sans l'in-
tervention de ceux qui représentent l'utopie, la Royauté
ne serait de nouveau qu'une pure fiction elle se verrait
encore obligée d'obéir au véritable souverain, au peuple,
autrement dit, aux factieux.
Tout se précipite tellement vers la catastrophe annoncée,

,1) Votr le livre Des /~o~r~ la Révolution contre l'Eglise 1829J


écrivait M. de Lamennais, en i829, qu'elle ne surprendra
désormais personne. Ceux qui se croient habiles s'en vont
promenant leur infatigable espérance de telle loi à telle
autre loi, de tel homme à tel auCï'e homme, qui sauveraient
tout si le Pouvoir leur était confié Ils ne voient pas qu'il
y a une attaque générale, permanente, qui renait sans
cesse d'un principe toujours subsistant, uni à la marche
même de la société telle qu'on nous l'a faite. Elle voudrait
s'arrêter, qu'elle ne le pourrait pas. Tout le monde appelle
un nouvel ordre de choses, c'est-à-dire appelle, sans se
l'avouer, une révolution. Elle viendra, parce qu'il fautque
les peuples soient tout ensemble instruits et châtiés. Elle
s'étendra partout où domine le libéralisme comme doctrine
ou comme sentiment. Après une telle crise, le despotisme
ou l'anarchie continueront longtemps de se disputer rem-
pire, et la société restera soumise à l'action de ces deux
forces également funestes, jusqu'à ce qu'elles aient achevé
la destruction de tout ce que les erreurs ont vicié.
Pouvait-on mieux parler? Mais aujourd'hui que l'erreur
a complété les destructions, voulons-nous rentrer dans des
fautes si évidentes et si cruellement payées? Si Dieu daigne
encore nous sauver, irons-nous dès le lendemain, avec une
charte nouvelle, constituer la lutte entre trois éléments,
au lieu de fixer l'harmonie des droits de la nation? Dieu
souffrirait-il encore ces expédients qu'on cherche pour
sortir de la loi et abuser les hommes? S'il nous délivre de
nos erreurs, ce ne sera évidemment que pour établir son
propre système, son plan divin, celui qui assure à la
création son succès, à l'homme sa grandeur.
CHAPITRE XXIII.

Choisir entre un orateur et un roi.

Le régime parlementaire conduit directement à la Révo-


lution, obliquement au despotisme. D'abord parce qu'il
produit un désordre moral et une agitation politique qui
aboutissent à l'anarchie; ensuite, parce qu'il ne fait de
toute la nation qu'un même corps, n'ayant plus qu'une
tête, suivant le désir de Néron. Enfin, dans ce régime, le
Roi ne peut plus rien pour Je peuple.
Voici le fait: dans le gouvernement parlementaire, c'est
le plus grand orateur qui est Roi. Quelles
que soient ses
chimères, il est le ministre obligé, le ministre imposé; car
lui seul peut prêter l'appui de sa parole à ce qu'on
ne fonde
plus sur l'appui du Pouvoir. Mais il en vient immédiate-
ment un autre qui est le plus grand orateur après lui. Et
celui-là est Roi en France car aussitôt les importants,
les ambitieux, les mécontents, les utopistes, les envieux,
c'est-à-dire le grand nombre, accourent en foule pour
marcher à sa suite. Ceiui-iàseu! est Roi, puisqu'il règne

(~ s'imagine que les hommes cherchent la vérité. C'est d'abord eux-


On
mêmes qu'ils cherchent.. S'adressant dernièrement à une réunion de
ro-
maius, Pie IX leur disait « Eh que sont certainsgouvernements de nos
jours? Une pyramide sur la pointe de laquelle se tient un homme qui
ne
peut rien, mais qui dépend d'un conseil de ministres qui le domine. A son
tour ce conaeH dépend d'une assemblée qui le menace; et cette assemblée
eHe-m~n)e est soumise ù mi!)e démons qui !'oat due et la poussent
aux iui-
sur les esprits. C'est lui qui forme l'opinion, lui qui
entratne les espoirs et les cœurs après lui. L'autre, lié par
sa majesté impuissante, savamment plie dans le vide de
l'inviolabilité royale, n'a plus en main que la contrainte
ou le coup d~Etat. Choisissons donc entre un orateur et
un Roi
Ecartons les discours et les hommes qu'éblouit la pa-
role, si nous ne voulons pas un jour écarter les tyrans,
pénétrant par la porte de la Révolution.
I! ne fut pas donné aux talents littéraires de com-
mander aux nations. Tout ce qu'on a tenté chez nous pour
contredire cette expérience a laissé de cuisants regrets~.
Certes! pour gouverner il faut un grand talent, mais un
bon sens plus grand encore. La politique n'est pas une
simple science; c'est un grand art, comme la médecine.
En outre c'est un art tout divin. Quand on en connaît la
science, il faut cet art, plus rare encore, de savoir l'appli-
quer. Formé aussi d'inspirations soudaines, un tel art
ne vient ordinairement que de Dieu. Conduire les peuples
n'est point d'un savoir ordinaire. Ce n'est rien moins qu'un
sacerdoce: il faut en avoir la mission aussi bien que la
grâce d'état, non moins indispensable dans le gouverne-
ment des peuples que dans celui des âmes.
Combien nous nous sommes préoccupés de cette vie
parlementaire! Le prétexte était d'entretenir la vie poli-
tique, le but était d'ouvrir un passage à nos ambitions.

'juités. e Pouvait-on mieux caractériser nos gouvernements partemen-


taires ?
(i) Marat, Robespierreet St-Just n'étaient que trois littérateurs désirant
appliquer leurs idées à la France. De là nous arrivons à MM. Jules Favre,
Olivier, Crémieux, Gambetta et leur suite. H sutnt d'être comédien, tou-
jours !e peuple s'y laisse prendre.
Du reste, faut-il porter toute la vie à l'extérieur? La
car-
rière politique est encombrée parce qu'elle satisfait la
vaine gloire. Mais au-dessus de la vie politique règne la
vie morale. Et à côté de la vie purement politique, il
y a
la vie rurale, la vie patriarcale, la vie provinciale, la vie
scientifique et artistique, et enfin la vie religieuse. Si
l'homme a des ambitions légitimes, c'est dans
ces nobles
voies qu'il peut les satisfaire au profit de tous. Peu de
pays
ont intérêt à voir une coterie d'hommes de lettres s'arroger
la vie politique, qui s'est, agrandie chez
nous aux dépens de
la vie des provinces.
Le parlementarisme est le même partout. En Italie,
depuis que Je roi de Piémont a abdiqué ses principes aussi
bien que ses droits, on voit la Chambre fouler
aux pieds
!es droits les plus sacrés pour obéir aux exigences d'une
politique qui ne possède en nn de compte que le pouvoir
de renverser tous les principes et de faire rétrograder
un
peuple faible jusqu'aux dernières limites de la Révolution.
Le parlementarisme est le moyen certain de n'avoir plus
de roi. Un roi peut-il passer son temps à faire répondre
à des discours, et s'arracher à la vie pratique
pour se
débattre contre l'assaut des utopies et contre celui des
cmeutiers? Un Trône doit être assis sur des traditions el
non sur des dissertations. Le parlementarisme part du
système de l'incapacité des rois mise en regard de la
haute sagesse des peuples.
D'ailleurs, il n'est pas de pays où les discours ocrentt
plus de dangers qu'en France. Avec de l'éloquence,
on
peut y soutenir les thèses les plus pauvres et devenir !e
premier de tous. Etes-vous beau prédicateur,
vos doc-
trines seront supérieures à celles de Rome. Etes-vous
apte à faire la grande oraison politique, vous serez suc-
cessivement Guizot, Rouher, Ollivier, Garnbctta. Dans un
pays où les mots à effet peuvent garder cinquante ans leur
prestige, où les termes retentissants tiennent lieu de prin-
cipes, où l'homme sans idées passe pour un oracle s'il sait
faire circuler des phrases embrasées, où Fétoquence est
acquise à l'erreur, où l'imagination enfin est la plus grande
faculté, et où l'avocat devient homme d'Etat, le premier
soin, doit être de se garantir de la langue.

CHAPITRE XXIV.

L'Autorité s'étend du Roi à tous les hommes.

Toujours entretenue par le gouvernement parlemen-


taire, la Révolution ne cessera d'offrir les deux mêmes
dangers. Fuyez-vous la démocratie? vous tombez dans le
despotisme; et fuyez-vous Je despotisme? vous rentrez
dans la démocratie, toujours poussés par les droils poli-
tiques. Les droits publics seuls opposent un obstacle à tous
deux au despotisme, les libertés réelles, hérissant le pays;
à la démocratie, une hiérarchie solide, !e faisceau même
des citoyens. Les droits publics seuls aboliront la Révo-
lution.
Ici, le père n'est pas annulé dans sa propre famille,
ni l'individu au sein de sa commune, ni la commune au
sein de la Province, ni la Province au sein de la France;
la nation n'est plus réduite à une tète que peut couper
Néron. Ici, l'autorité et la liberté croissent ensemble.
On dit encore que l'autorité doit être limitée. L'ex-
pression est-elle bien exacte? ÏI faudrait limiter l'au-
torité si son action en soi était nuisible; si, comme pour
un médicament dont un poison a fait la base, il fal-
lait en redouter la dose; ou si, comme dans la Révo-
lution, l'autorité, donnée à l'homme, avait fait place au
despotisme.
L'autorité ne doit pas être limitée, mais répartie, mais
prolongée, mais recueillie des mains sacrées du monarque
pour être transmise comme la vie jusqu'aux extrémités du
corps. L'autorité n'est que le triomphe du juste et l'établis-
sement des légitimités humaines. Après le Roi, vient le
père, puis le propriétaire, puis le juge, puis quiconque
otfre un capital, crée ou maintient quelque chose. Mais
après le Roi vient avant tout celui qui répand la lumière.
C'est précisément autorité du Roi qui, d'un seul coup,
fonde et soutient la nôtre, c'est sa légitimité qui fixe nos
légitimités
L'autorité s'étend du Roi à ses sujets parce que
c'est le même principe qui investit partout le citoyen
d'une autorité égale à son droit. L'autorité, c'est notre
liberté même; c'est notre droit de vivre, de travailler,
d'obtenir justice, de posséder, de mériter, de nous étendre
et de fonder notre famille. L'autorité, c'est !à ce que nous
demandons. L'autorité nous semble se limiter au point ou
commence un des ordres de la nation, comme serait par
exemple celui de la justice c'est là au contraire que
l'autorité s'étend et achève son cours. La hiérarchie n'est
en définitive que l'autorité descendant par ses canaux
légitimes. La société ne va pas en se dissolvant dans les
individus, comme le veut la conception libérale. Le libé-
ralisme, qui est l'envie, soulève les classes les unes contre
les autres, au lïeu de les unir suivant teur mérite, précieux
produit des libertés..
Au lieu de recevoir des limites, !'autorité doit prendre
en nous ses compléments, et apporter le
droit là où il doit
subsister. Mais, partout où il doit y avoir extension, le
libéralisme croyait à une opposition.. Etendez le rouage
point le
pour l'adoucir, mais ne divisez point, n'opposez
Pouvoir à lui-mème pour le briser. Dans nos champs et
dans nos cités, dans nos ordres et dans nos familles, par-
tout où nous coopérons, nous sommes co-souverains; mais
nous ne le sommes pas dans le principe
du Pouvoir, dont
les hommes ne peuvent bénéficier sans obéir à celui quii
vient au nom de Dieu représenter la loi fournir la
souveraineté..
La liberté est pour l'individu, et l'autorité pour l'espèce;
elles ont le même but. L'Autorité, substance de toutes les
libertés, est ce que la société possède de plus précieux; le
Souverain qui en maintient la source et qui en est le cen-
elle
tre, est ce qu'elle offre de plus sacré. Elle est le lien,
dissiper
est le bien du corps entier qu'on se garde de le
On s'imagina d'abord que. la 'Cour allait bénéncier des
avantages de la Révolution, par l'affaiblissement
du
Pouvoir, l'appauvrissement de la noblesse, le salariement
du c!ergé et la chute des parlements. Mais le Pouvoir qui
voit tomber ses contreforts, disparaître ses propres mem-
bres, ses aides, ses conseillers indépendants, se trouve en
face de la foule ignorante et en proie à tous, les ambitieux.
Contre la Révolution et le despotisme, il faut une
aristocratie qui pro!onge et répartisse le pouvoir, qui en
soit à la fois le conducteur et le modérateur; une aristo-
cratie qui, s'élevant au sein de l'Etat comme le triomphe
de la famille, en maintienne les antiques coutumes et les
imprescriptibles droits. Une telle aristocratie, créée
par
les lumières et la vertu, ne se conservera,
comme on l'a
vu, que par la constitution de la propriété.
Hors de là, il faut subir le joug de l'industrialisme, la
tyrannie de la classe moyenne, de ses erreurs, de son
envie native, de son esprit pas assez grand et de
ses senti-
ments peu élevés, qu'il faut lui pardonner, car ici cette
classe ne doit pas, comme depuis 89, rester isolée et
livrée à eite-méme~

CHAPITRE XXV.

InemfEeance des gouvernements, nécessité des aristocraties.

(Trois~ëtne point de fait.)

Une nation peut jamais être entièrement gouvernée


ne
par i'Etat, à moins qu'elle ne,soit composée d'une multi-
tude informe ou de gens de passage, et que, dès lors, ses
lois n'aient aucune racine. Bien mieux, elle ne saurait ètre
uniquement gouvernée par les lois, car les lois à leur tour
demandent à se voir appuyées sur des mœurs, et ces
mœurs, sur des classes qui les représentent.

(i) La classe moyenne, (son nom même l'indique), n'est ni la ptusetevee,


ni Ja plus nombreuse de la société. Par suite de son isolement de la noblesse,
cette classe, en fait d'autorité, repagne a !a multitude, qui n'y rencontre
pas l'otite des cœurs vaillants et désintéresses. Au sein de la hiérarchie,
elle n'est d'ailleurs qu'une classe de transition classe importante et chère,
classe qui doit être transforma,aidée et dirigée. Et!e a les vertus qui suQiseu t
pour sortir du peuple, mais non pas encore celles qui doivent le guider..
Dès qu'une nation vit, que la nature humaine s'y déve-
loppe, que le mérite éclate, qu'il s'élève en hiérarchie,
l'Etat voit partager ses charges. La religion répand la
lumière morale, et l'aristocratie, comme on l'a répété, la
fait ressortir par l'exemple. Arrivant ainsi jusqu'à la foule,
l'aristocratie fournit l'élément sensible des moeurs, les-
quelles fournissent la substance des lois et des institutions
dont l'Etat se compose.
Car, après lui, se tient le grand fonctionnaire social
l'aristocratie. Comme en tous lieux l'aristocratie est la
classe qui accepte d'abord la Foi, qui conserve la tradi-
tion, qui forme les moeurs, et qui a moins besoin de
pénalité ou de répression légale, elle est cette portion de
la société qui, étant toute faite, aide à former celle qui
n'est point faite.
La religion fonde évidemment la société des esprits,
hors de laquelle la société civile ne se formerait pas. Mais
nul gouvernementne serait assez fort, en Europe surtout,
pour gouverner des millions d'êtres libres, s'il n'est point
secondé par les services et les forces morales qui, sur tous
les points du sol, à l'appel de la religion, émanent de
l'aristocratie nationale.
Or les fonctions politiques de l'aristocratie sont presque
au niveau de ses fonctions sociales. Ce serait méconnaître
la politique autant que notre situation, de vouloir tout
niveler autour de la puissance royale, seule éminence sur
laquelle pourrait alors se réfugier la société, investie par
un nouveau déluge. La cime la plus élevée n'est telle que
par ce qu'elle est elle-même assise sur la chaine des monts
groupés sous elle.
Comment la'société subsisterait-elle en dehors des auto-
rités sociales, c'est-à-dire de ceux qui continuent de la
fonder ?
Si Bonaparte succomba ~8i4, c'est qu'il n'avait pas
en
pour lui le contre-fort de la nobtesse. Il ne possédait
qu'une armée, il venait de la perdre. L. Philippe
est
tombé parce qu'il n'avait point de noblesse, Charles X
parce qu'il n'en avait plus, Napoléon HI parce qu'il n'en
pouvait pas avoir, Louis XVI, immortelle victime,
parce
que l'immoratité et le scepticisme abolissaient la sienne
autour de lui.
Formée des familles illustres, des hommes de bien, des
hommes d'honneur et d'intelligence qui savent concilier
se
l'estime de la foule, l'aristocratie contribue à maintenir
celle-ci dans le devoir et dans le respect de l'autorité.
Toute aristocratie est nationale. Ce serait
une erreur de
croire qu'elle peut être entièrement de création royale. Le
roi la reconnaît et la constate. Il la
nomme parce qu'elle
existe 1 D'ailleurs, l'honneur et la capacité, de même
que
les dignités ecclésiastiques, de même
que les vertus, de
même que les instruments du travail, ne sont point créés
par l'Etat. C'est à ce point que si le roi veut élever un
favori, c'est-à-dire conférer la noblesse à celui qu'aucun
mérite rare, qu'aucun service personnel n'a illustré, il y
a un ~e général.
L'aristocratie sort par elle-même du sein de la nation.
Elle est la gloire du peuple qui la porte, elle
en est i'ctite

(i) « II y a, dit le.comte de Maistre, des familles nouvelles qui tirent


se
de l'égalité d'une manière frappante et s'élèvent entre les autres
comme des
baliveaux vigoureux au milieu d'ua taillis. Les souverains peuvent
sanc-
tionner ces anoblissements naturels, c'est à quoi se borne leur puissant.
S'ils contrarient ces anoblissements, ou s'ils se permettent d'en faire trop de
leur propre puissance, ils travaillent à !a destruction de leurs Etats. La
fausse noblesse était une des grandes plaies de la France.' d'autres empires
moins éclatants en sont fatigués et déshonorés, en attendant d'autres
malheurs.
et l'éclat. C'est en le servant, d'abord par la vérité,
ensuite par la vertu, enfin par la justice, par l'adminis-
tration, par les armes, par l'industrie, qu'elle s'est formée
dans son sein. En la récompensant, la royauté ne fait que
reconnaître son peuple dans ce qu'il a de meilleur, qu'ap-
puyer une fonction civilisatrice en plein exercice, et d'au-
tant plus avantageuse à l'Etat qu'elle ne lui coûte rien.
Mais l'aristocratie exerce aussi des fonctions politiques.
On le sait maintenant, tout ce qui n'est pas noble opprime,
vexe ou gruge le peuple de quelque manière. Aussi rien
n'est plus détesté que la bureaucratie, expédient trouvé
par la Révolution pour remplacer la noblesse et les pro-
vinces. Ici le peuple est opprimé au nom du souverain,
au
lieu d'être administré et soulagé par ceux que son estime
et son admiration firent surgir de ses propres rangs. Pour-
quoi prétendre gouverner les peuples en dehors des condi-
tions naturelles, et dés lors légitimes, sur lesquelles Dieu
établit leur existence?
Annihiler ou ruiner la noblesse, c'est décomposer
une
nation et l'onrir à la tyrannie. Les souverains qui ontt
voulu abattre la noblesse sont tombés à
sa suite, et la
nation peu après. La noblesse ne saurait être renversée
sans que le clergé, d'abord, ne soit abandonné, et sans
que les droits publics, ensuite, ne disparaissent à jamais.
Mais la noblesse tombe d'elle-même, quand la nation
s'épuise et se dégrade.
II faut nécessairement replacer le
pays sur ses bases,
et dès lors, comme le font tous les peuples du monde,
recueillir, avec plus de soin peut-être que jamais, les
éléments qui recomposeront son aristocratie. Comment
nier que le haut clergé et les grands propriétaires sont les
classes qui offrent aux Etuts les fondefnents les plus
solides? Les autres genres de mente ne peuvent s'employer
que postérieurement. Pourquoi? Parce qu'ïls ne présen-
tent pas au même degré la capacité pratique.
Former un corps héréditaire est un principe profond de
politique. H importe que les institutions représentant les
grands intérêts du pays soient à l'abri des caprices de
l'homme. K H y a, même dans les monarchies, dit M. de
Maistre, des familles qu'on pourrait appeler co-souve-
rM~ïM. » Aujourd'hui l'expression serait exagérée aiHeurs
peut-être qu'en Russie ou qu'en Savoie, par exemple, où
certaines familles, comme celle de Bernard de Menthon,
ocrant une ancienneté égate, tout au moins, à celle de la
Maison régnante, ont été co-ope~c~M dans le travail de
la fondation nationale. Mais en France, où les familles
féodales du temps de Hugues Capet, ou même des croi-
sades, sont à peu près éteintes, la noblesse ne saurait être
que co-législative et co-administrative seul honneur
auquel elle puisse prétendre aujourd'hui..
Pour conquérir le titre de co-souveraine, il faudrait
qu'elle eût pu arracher la France des mains de la Révo-
lution, ou tout dernièrement de celles de la Prusse.

CHAPITRE XXVI.

Résistance et solidité nationale des aristocraties,

M est bon de connaître ici le jugement que Bonaparte,


dans une circonstance très-grave, a porté sur l'élément
aristocratique. Venu sur la scène du monde au moment
e
où l'utopie était dans sa force, cet homme eut ators le rare
mérite de voir les faits. I! possédait, sur toutes choses, le
sens pratique et la dextérité. Par malheur, les faits qu'il
observa appartenaient à la Révolution. Le sens pratique,
auquel il dut d'abord tant de succès, le conduisit de la
sorte à sa perte cette vue ardente des faits allait, grâce
à un égoisme immense, lui dérober la vue des lois qui les
inspirent et les régissent'.
Aux premiers mots du ~c~M~cW~ de ~e-~M~e, il se
dépeint d'un trait. « Mon esprit, dit-il me portait à
» détester les illusions le monde a toujours été pour moi
» dans le fait, non dans le droit. » ici, le fait l'éblouissait
au point de lui faire considérer les principes eux-mêmes
comme des illusions. Sans doute il tenait de la Providence
ce rude mépris des illusions, par lequel-il était appelé à
maîtriser la plus terrible des illusions qui se soit emparée
des peuples. Et savoi'r reconnaître les faits, que ne ré-
pudient point les droits, constitue le vrai génie pour
un prince. Car ici-bas les droits légitimes se traduisent
insensiblement par les faits de l'histoire et gouver-
ner, n'est. que suivre et faciliter cette noble végétation
des peuples.

(i) Bonaparte fut plus grand par les dons qu'il avait reçus que par la ma-
nière dont il en fit usage. Déclarer qu'il prenait toujours sop point de départ
dans l'opinion, c'était se vanter d'une erreur et d'une lâcheté. Pour sauver
la France de la Révolution, il lui aurait fallu le génie des doctrines, qu'il
n'avait pas du moins aurait-il pu réaliser l'œuvre matérielle en suspendant
le fait, et en protégeant de la sorte le retour de la vérité en Europe.
Mais, infidèle à la mission de Dieu, il s'est servi de la Révolution comme
d'un escabeau pour son élévation personnelle. Son code civil n'est que la
destruction de l'ordre civil, et son despotisme savant, que celle de l'ordre
spirituel. Les grands souverains s'illustraient en faisant valoir les idées des
hommes les plus élevés ou les plus saints de leur époque, et non point eu
organisant les erreurs qui leur venaient d'en bas..
Mais prendre le monde dans le fait/non dans le droit,
avait pour Bonaparte une signification singulière. Les
«
» royalistes, disait-il, ne se doutaient pas que la monar-
» chie que j'éditais n'avait pas de rapport avec la leur. La
mienne était toute dans le /<
la leur, toute dans le
» droit. La leur n'étaitt fondée que sur des habitudes
(singulière façon d'indiquer les coutumes et les traditions
» d'un peuple!); la mienne marchait en ligne avec Je
» génie du siècle. » Aveu du rôle déshonorant que joue
toujours le souverain élu s
Assurément le grand point chez l'homme d'Etat est de
voir le monde dans les faits, mais pour les régir dans leur
loi. Car suivre l'opinion pour en dérober la puissance,
c'est abuser de la débilité des peuples, et gouverner les
hommes pour leur ruine. Les clefs d'un tel empire sont
dans l'habileté et non dans le génie. Si l'opinion, formée
toujours des plus faibles idées d'une époque, devait gou-
verner chez les hommes, ils n'auraient pas besoin des
rois si elle devait éclairer les 'esprits~ ils n'auraient pas
besoin de l'Eglise.
Certeson doit aussi voir la société dans te fait, car, au
sein des temps régulièrement historiques, le fait offre les
droits acquis, les intérêts constitués, les coutumes, les
moeurs. C'est pourquoi le fait a quelque chose de sacré,
et le droit chimérique ou pur, opposé à la tradition, est
une erreur capable de renverser la civilisation elle-même.
De la sorte, c'est nous qui voyons en réalité la société,
non dans le fait, mais bien dans le droit, et dans le droit
réel~. C'est en révolution surtout qu'il faut retrouver la

(i) QueHe chose effrayante, si le fait ne contenait déjà ie droit, après dix-
huit cents aus de christianisme Ce serait dire que Dieu abaudonna un tiers
société, non dans un droit que suppose l'erreur mais
dans le fait conservé par l'histoire et. par la tradition.
Aussi pressent-on que le Prince appelé à nous délivrer
saura, par le génie propre a nos rois, retrouver la société
dans le fait de cette constitution historiquequi s'est nourrie,
pendant quatorze siècles, des lumières du christianisme et
des instincts du plus chevaleresque des peuples!I
Quoi qu'il en soit, dans une circonstance grave, l'or-
ganisateur véritable de notre centralisation s'est vu lui-
même obligé de dire que la politique qui entretient la vie
des provinces, et dès lors des aristocraties, assure aussi
celle des Etats. Séduit en i798 par les effets du pouvoir
absolu, il comprit, en exil, qu'un remède héroïque et
momentané, fait pour tirer le pays des mains du Directoire,
ne pouvait pas nous donner la vitalité. Car telles furent

de la durée du monde, et que nos pères ont vécu pendant ces dix-huit siècles
au milieu de l'absurdité. La Société doit désespérer d'elle si, pendant le cycle
du monde où elle fut le mieux éclairée, elle n'a point su fixer le droit au
sein du fait.
Aurait-elle donc Rxé tout le droit dans le fait? Non certes 1 mais
elle a fondé l'œuvre que chacune de ses générations vient continuer, et
non point renverser. Quand l'homme rejette le passé, c'est lui-même qu'il
méprise..
Bonaparte ne tarda pas à voir, comme il l'avoue, « que l'ancien et le nou-
»veau régime avaient des intérêts en sens inverse; que la Révolution
n'aurait de garanties qu'en traitant avec son ennemi ou en l'écrasant.
(Manière nouvelle de gouverner! ) Cette lutte, poursuit-il, devait décider
n du renouvellement de l'ordre social en Europe, et j'étais à la tête de la
grande faction qui voulait anéantir le système sur lequel ROt'LAH LE MO~DR
» depuis la chute des Romains. »
Délégué de la Révolution, ennemi victorieux du monde, pouvait-il plus
clairement lui dire qu'il venait renverser la constitution historique des peu-
ples, et les soumettre à celle qu'inventait l'utopie pour les enfermer dans
le Césarisme? Il ajoutait, à la veille de son départ pour l'ile d'Elbe « La
cause de la Révolution était perdue, puisque j'étais vaincu.
LÉGtT. 34~i
ses réflexions lorsqu'il vit que l'Autriche, jusqu'alors plus
faible que lui sur le champ de, bataille, unissait par
triompher sur celui de la nationalité.
« La cour de
Vienne, dit-il, a une politique que les
')
événements ne dérangent jamais. ( Pesons toutes les
»
paroles J'ai été longtemps avant ~u~
/? M~c.
Je me suis enfin aperçu, MAIS TROP TARD, que cet Etat
)) n'avait de si profondes racines que parce que !e gouver-
» nement aboutit à I'o!igarchie ( Nom qu'il donne à l'aris-
D
iocraiie). Cette oligarchie, qui possède le territoire, (mais
» ce territoire ne porte-t-il aucune vertu?) dispose des
» finances et de la guerre. Or les oligarchies 'ne changent
» jamais d'opinion, parce que leurs intérêts sont toujours

»
!es mêmes. Peut-être font-elles mal ce qu'elles font; mais
» elles !e font toujours, parce qu'été ne meurent jamais.
Eiies supportent admirablement,les revers, parce qu'elles
') !es supportent en société. L'Autriche dut QUATRE FOIS
H SON SALUT A CETTE FORME DE GOUVERNEMENT'. »
«Soulever à cette heure la nation, s'écriait-il en i8M-,
quand l'ennemi "était en France, chimère! chimère!
» Soulever la nation dans un pays où la Révolution a
')
détruit !a noblesse et les prêtres, ou j'ai moi-même détruit
» la Révolution. »

(t) L'Autriche est très-loin d'être oligarchique. Quoi qu'il en soit, par ses
concessions faites à l'esprit de province, comme par sou désir profond de
rester fidèle au Saint-Siège, l'empereur François-Joseph a. montra une
[oyaut6 rare et un grand amour de ses peuples car il aurait paru bon
de centraiis'r jusqu'ù uu certain point rAutriche, dont les' peuples, qui
forment ses provinces, tritures à la fois par les juifs et par la H6vointiou.
semblaient devoir trouver un certain avantage a rentrer sous la main tut~-
luire et patcrnc)te de ses empereurs.
C'est en An~eterrcquc règne''oligarchie, c'est ià quête pouvoir du mo-
narque s'évanouit dans celui de chambres oligarchiques, Mais en Autriche
C'est-à-dire qu'il t'avait enfermée dans des institutions.
Cet homme vit alors qu'une fois t'armée vaincue, ne il
restait plus rien debouten France que derrière ses soldats
et sa bureaucratie, il n'y avait plus de citoyens. Si l'Au-
triche, en effet, au lieu de rester vivante dans ses droits
historiques, n'eût été, comme nous, qu'un peuple pris et
cou!édansie moule de la centralisation, on peut douter
qu~e!!e eut alors trouvé quatre fois son salut, et surtout
qu'eite puisse aujourd'hui se sauver encore!
i! est curieux, en unissant, de consulter l'observation
faite par Bonaparte, à l'île d'Elbe: « Il me parut évident,
dit-il, que Louis XVHI avait connu le secret de son siècle,
et compris que !a majorité en France avait voulu la Ré*
volution, mais que son parti était trop faible pour résister
à cette majorité. Pour régner avec la majorité, c'est-
à-dire avec la Révolution, et n'être pas révolutionnaire
lui-même, il fallait donc qu'il refit la Révolution. L'idée
était ingénieuse. En rendant les Bourbons révolutionnaires
en sûreté de conscience, elle rendait les révolutionnaires
royalistes. ?
Rendre les royalistes révolutionnaires n'eût été qu'une
duperie de plus; mais ici, du premier coup d'ceH, Bona-
parte jugeait la portée de la charte de 1814!
Mais aujourd'hui, comme il faudra du temps à la vérité

existe la véritable aristocratie territoriale, celle qui n'absorbe point toute


l'autorité du monarque; et la Révolution, qui ravage cet eajpire, n'a pu en-
core abattre ni les familles supérieures, ni les droits historiques de la nation.
Aussi, après 48, après i859, même après Sadowa, l'Autriche, quoique
encore insultée par les juifs et par les libéraux, comme a l'époque des Bona-
parte, demeure-t-elle debout fidèle à cette ~raude loi des civilisations
qui ouvre la carrière au développement de la nature humaine, favorise l'ho-
norabilité chez l'homme, laisse grandir toute famine, protcp.e !es coutumes,
et conserve )cs droits acquis par les peuples.
pour réduire l'erreur, on ne pourra s'emparer de prime
abord de la Révolution qu'en l'employant elle-même à se
détruire.. Etant la plus puissante force qu'il y ait à cette
heure, la Révolution peut seule être opposée à la Révo-
lution. Le grand soin de la politique sera donc de fournir
une occupation légitime l'ambition générale, unique
source des mouvements révolutionnaires.
Dès lors, au lieu de donner rendez-vous à Paris à toutes lés
ambitions du royaume, et de laisser le trône au milieu
même de cette conflagration, il faut les répartir dans toutes
les provinces par une décentralisation savante et sage. Il
est urgent de déloger ces ambitions du point où elles sont
tout à la fois illégitimes et dangereuses, et de les retenir
sur ceux où elles sont tout à la fois indispensables et
légitimes. Résultat obtenu d'un seul coup par le réta-
blissement des provinces, par celui de l'aristocratie, par
la reconstitution de la famille, dès lors de la propriété.
Et rien de plus heureux que cette solution Elle aura un
triple avantage 1° écarter le despotisme; 2~ dissoudre les
forces de la Révolution; 3° rétablir les droits légitimes!1
Là se tient à coup sûr un des vrais moyens de gouverner.
Après avoir rétabM les éléments de la nation, occupons-
nous des vertus qui l'animent et du puissant esprit qu'il
faut lui inculquer. Un des premiers soins du souverain est
de veiller à la formation des esprits qui composent les
classes dirigeantes.
CHAPITRE XXVII.

Retour au véritable enseignement.

(Quatrièmepoint de fuit.)

Si le mal n'avait pas prévalu dans les âmes, la Révo-


lution ne se serait point faite. Et de même si l'erreur ne
l'avait pas emporté, le mal n'aurait pas ainsi prévalu.
Tarir les sources de l'erreur, ce serait dessécher le torrentt
de la Révolution.
A la fin, la substance catholique a comme disparu de
notre société. Nous avons souffert qu'à la suite du xvm~
siècle, des esprits ruinés par le scepticisme vinssent occu-
per la place des Ordres, pour dire à la génération nouvelle
que Dieu ne se mêle pas de ce monde, que peut-être
il n'existe pointa et qu'en tout cas l'Eglise a fait le mal-
heur des peuples.
Nos enfants sont les âmes que Dieu nous avait confiées,
et nous leur avons laissé ravir la Foi, la noble connais-
sance des merveilles de l'Infini Nous devons cultiver les
champs de nos pères; mais le plus précieux de tout leur
héritage, n'est-ce pas le cœur de nos (ils? L'homme une
fois hors du plan divin, les droits, les lois, la société
entière ne pouvaient tarder à le suivre et à rouler pré-
cipitamment dans l'abime.
Cependant on verrait se ranimer la France, si on lui
rendait la Foi. La Foi porte l'explication du monde
i exptication de l'âme, de la famille, d.e la propriété, des
<ois, de i'inégatité, en un mot, de la Société. Elle est !a
tégitimité de l'homine, elle est la légitimité de Dieu!
On sait dans quel inexprimable anéantissement intellec-
tuel son absence a laissé les esprits au commencement de ce
siècle. L'œuvre de négationpratiquée pendant trois cents ans
s'achevait au sein des classes supérieures, et le vide était
fait dans toute la pensée. La mora!e se voyai.t détruite
par les romans, la politique par la Révolution, la phito-
sophie par le sensualisme, la théologie française par le
jansénisme, et les aptitudes intellectuelles elles- mêmes,
par la dépravation. L'incapacité en métaphysique était
surtout frappante. De toutes les facultés de l'homme, il ne
restait a peu près que l'imagination, déjà la proie du paga-
nisme.. Si la guerre n'avait alors transporté toute la jeu-
nesse sur les champs de bataiHe, la société française dis-
paraissait dans la dissolution.
Passer d'un tel anéantissement aux c!artés du christia-
nisme, eût été un prodige auquel on ne songeait même pas.
Mais Dieu voulut nous tirer de la mort dans laquelle nous
étions entrés. Ce fut un des plus grands miracles dont-il
ait favorisé le monde, un miracle au moins éga! à celui
que nous espérons aujourd'hui de -la bonté divine pour
rétablir la Société.
Des hommes, des étoiles, parurent comme par enchan-
tement dans les hautes régions de la pensée.
Un écrivain, d'une imagination il'est vrai pleine de
prestige, laissa voir que le beau découle du christianisme;
et toute une série d'âmes, attristées dans le doute, se por-
tèrentt vers cette première lueur. En même temps que
de Chateaubriand, M. de Maistre, avec une prophé-
tique simplicité, montra que la vérité politique est dans le
MOYENS DE GOUVERNEE. 523
christianisme; et toute une foule d'intet'igences, navrées
de l'état'de l'Europe, se rapprochèrent de i'Rghseet de la
royauté. Un troisième, M. de Bonatd, soulevant quelques
idées fondamentales laissa voir que le christianisme
possède la vérité philosophique; et toute une phalange,
pressée par les besoins de la raison, pénétra dans les voies
théologiques conduisant à la Foi. En même temps parut
Cuvier, qui, montrant la correspondance des formations
géologiques avec les jours de la Genèse, mit à découvert
la véracité de la Bible; et un ensemble de savants put dès
lors s'éclairer de la lumière catholique. Des érudits,
notamment en Allemagne, pénétrant dans la vie des
Papes, virent qu'il fallait demander à !'Eg!ise !e sens et
l'exactitude des faits; et tout un groupe de travailleurs,
débarrassant les voies que l'erreur avaitt obstruées, s'est
occupé dès ce moment à rétablir la vérité historique*.
D'autres, enfin, s'aperçurent qu'au christianisme seul ap-
partiennent les solutions économiques et sociales et une
fouie d'hommes sérieux entrèrent dans les voies de la poli-
tique réelle~.
On a déjà tiré la conclusion. S'il a sufH de montrer aux
uns que le christianisme possède la vérité esthétique, et
aux autres qu'il possède la vérité politique; à ceux-ci qu'it
est la vérité philosophique, et à ceux-là qu'i{ est la vérité

(1) Ce sont des historiens protestants, Voigt, Eiurter, Ranke. qui r~habiti-
tèrcut la Papauté et justifièrent les Pontifes les plus calomniés par le galli-
canisme. Ces aHemand:! protestant, remarque AI. l'abbé de Ladouo
paraissent avoir reçu une mission d'En-Haut, celle de justiciers de Dieu à
t'egard des peuples catholiques. Il
(2) Les hommes qui appartiennent, à ces séries sont les senls snr lesquels
le monde puisse aujourd'hui compter. Sans eux, la France n'aurait peut-
être plus un fil pour la soutenir sur l'abîme
historique; à queiques-uns qu'il renferme la vérité géolo-
gique~ et à un plus grand nombre qu'il contient la vérité
économique, si cela seul a sum pour que des esprits si
divers revinssent, chacun de leur côté, proclamer Ja divi-
nité et ie génie du christianisme quel effet produirait
sur la jeunesse entière l'enseignement chargé de réunir
tous ces rayons en un seul corps de science?..

Ces sources de Foi réunies formeraient un fleuve de


lumière. L'inspiration reparaîtrait dans sa fécondité
l'enthousiasme, dans toute sa puissance. On rétablirait les
points de contact qui relient entre elles les trois grandes
sphères dans lesquelles se meut à cette heure si difficile-
ment le pauvre esprit humain la sphère du contingenta
ou la science, la sphère du nécessaire, ou la philosophie,
la sphère du surnaturel, ou la théologie. Un plan d'étude
établi sur de telles données conduirait les esprits à la
solution des problèmes dans lesquels se perd aujourd'hui
la pensée.
Pour atteindre ce puissant résultat, un moyen simple
est aux mains du Pouvoir. Ce serait de grouper avec
discernement les plus illustres représentants de ces divers
points de vue si féconds de la haute science, et d'en former
un corps dans l'Etat, devenant la tète de l'enseignement
sous le nom de Conseil royal de l'instruction publique.
On comprend les fonctions de ce Conseil, alors vraiment
royal Pour indiquer sommairement les attributions de
ces hommes, cette fois réunts pour reconstruire l'ensei-
gnement, il suffit de dire que l'esprit le plus éclairé en
géo!ogie, par exemple, au lieu de se borner à tenir une
chaire au coiïége de France, serait mis à la tête de tout
l'enseignement géologique en France. en serait ainsi
du plus grand professeur. de philosophie, du meilleur
latiniste, de l'historien le plus élevé et le plus clairvoyant,
du plus savant naturaliste, du plus profond mathématicien,
et de l'esprit le plus versé dans la véritable éloquence.
C'est pourquoi il importe de dire un mot sur la nécessité
de conserver ici une place à l'élément laïque, de manière à
ne plus laisser se disjoindre les trois
grandes sphères
intellectuelles dont on vient de parler.

CHAPITRE XXVIII.

Elément religieux et élément laïque au sein de t'enseignement.

iines'agitni d'écarter ni même de circonscrire, par n'im-


porte quel enseignement, celui que les Ordres religieux et
le clergé sont appelés à donner en France. !t s'agit de le
corroborer judicieusement.
Emprisonné comme un captif, le Christianisme était
réduit, surtout depuis 1830, à demander sa liberté. Telle
fut celle qu'il réclamait pour rentrer dans renseignement
Mais tel n'est pas l'unique droit qui revient à la vérité.
Accepter pour elle la position que lui a faite le césarisme,
reconnaître à l'erreur le pouvoir de ta déposséder sous
prétexte de liberté d'enseignement, ce serait un làche
abandon celui du cœur de nos enfants..
Les peuples chrétiens demandent à rentrer dans leurs
droits. L'Etat se joint à l'Elise pour exiger que les fils de
la France soient élevés au sein de la lumière. C'est de
droit nature!. Or notre Université, composée de laïques
méconnaissant le christianisme, tout ouverte
au scepticis-
me, devenait de plus en plus semblable au siècle, des lors
de plus en plus impropre à s'occuper d'éducation. Et l'on
doit voir que si, depuis 1830, l'Université eut été seule à
former la jeunesse, ii serait à peu près impossible aujour-
d'hui de retrouver en France les
germes d'une aristo-
cratie'
Pour élever un enfant, dit Rousseau, il faut .être ou
père ou plus qu'homme soi-même.)) Or cet homme-t~
c'est le prêtre. Nemo ~e?'! Celui qui entretient
chaque jour d'intimes relations
avec Dieu, peut seul,
comme !e père, recueillir et guider cette âme au moment
on Dieu nous l'envoie. Sous le
nom de liberté de l'ensei-
gnement, la société ne peut pas plus donner le droit
de gâter ia jeunesse, que l'Etat,
sous le nom de liberté
de la presse, ne peut livrer au premier
venu !e pouvoir
de gâter le peuple.
Toutefois, on sait que les Ordres et le ctergé
ne
possèdent, à cette heure, ni le personnel ni le matériel
sumsants pour entrer en possession de tout l'enseigne-
ment, et que l'Etat iui-mcme, en face de droits acquis, ne
saurait briser l'existence d'une série de professeurs très-
méritants et très-utiles, bien qu'il puisse assurer des
retraites à un certain nombre. En outre, on doit croire que

(i) Notre aveug:cment était tel, que personne ne mettait de borues ù son
admiration pour l'Université. < L'Empereur,s~crinit M. Couëiuà )a chambre
M des Pairs, le 21 avril 1844 avait surtout enjoint, n ]'Uaiver?iM f~-e
conservatrice de ~Ot~M idées libérales. Paroles subiimes 1le moderne
e Charlemagne ajoutait que rUniversite est rRtaL )ui-meme. En effet,
mais t'Etat s'est déclaré athée, et ils ont t'un et l'autre formé
une géné-
ration de déistes et d'athées. H fallait toute la cécité liberté pour donner le
nom de Cbariemagneà un homme qui gagnait des batailles, mais qui détrui-
sait la Chrétienté civilement et politiquement 1 v
le Dieu qui est venu, non pas détruire la nature, mais
l'accomplir/et qui, nxant la distinction des deux pouvoirs,
a établi l'Etat à côté de l'Eglise, avait ses raisons lorsqu'il
suscita des laïques pour opérer la réaction chrétienne dont
on a précédemment parlé.
Il faut observer avec d'autant plus d'attention la nature
et le mode de cette miraculeuse réaction, qu'elle a ouvert
l'cre nouvelle dans laquelle le monde est sur le point
d'entrer. Elle est le début de « l'événement immense dans
l'ordre divin » qu'annonçait le comte de Maistre, vers les
derniers jours du xv!ii° siècle. A une époque comme la
nôtre, il importe doMc de chercher la part qui doit être
assignée a l'élément laïque, à côté de la place primordiale
qui appartient à l'élément religieux.
Car ici l'élément laïque, qui exprime surtout la nature,
n'arrive pas en antagoniste, mais en coadjuteur. C'est,
comme, une note expressive se faisant entendre à sa place
dans une grande symphonie. La Foi demande elle-même à
soutenir tous les accents de la raison. Si l'on se reporte à
soixante ans en arrière, alors que MM. de Chàteaubriand/
de Maistre, de Bonald et Cuvicr n'avaient pas encore opéré
l'effet voulu sur la pensée, on se rappellera que le clergé, au
sortir il est vrai de la Révolution, était dans l'impossibilité
de supporter seul le choc universel de l'opposition anti-
religieuse car il y a des laïques qui ne se rendent qu'aux
laïques.
Cela vient de ce que la science doit être avant toutt
naturelle, c'est-à-dire dégagée des solutions pressenties
d'avance ou empruntées à une sphère qui n'est pas la
sienne. Dieu même ne voulut point faire nos sciences,
puisqu'il chargea Adam de nommer tous les animaux à
mesure qu'ils passaient devant lui, et que les noms donnés
par Adam « furent les véritables noms. » Si la sphère de
la contingence s'égare en se détachant de la sphère de la
philosophie et de celle de la théologie, si l'élément laïque
court !e plus grand danger dés qu'il se détache de l'élément
religieux, ce dernier perd de sa puissance sur les esprits
dès qu'i! n'emprunte. rien au premier. U n'est pas facile
à tout prètre, comme au P. Secchi, de contracter cette
liberté d'allure, de se livrer à ce désintéressement dans
les résultats qui fait !'éioquence et l'attrait des sciences.
ti faut donc, tout en les éclairant, leur maintenir leur
liberté de mouvement. Les motifs de persuasion se forment
secrètement et de plein gré; ils disparaissent ou perdent
de leur force devant l'esprit qui veut atteindre les solutions
avant d'avoir suivi la route qui y mène. Car c'est pendant
la route qu'apparaissent les preuves et que se forment
les convictions.
Dieu condamne l'homme à l'effort. L'esprit humain ne
se développe pas à la vue d'une liste de solutions, mais
dans le mouvement qu'il opère vers elles. H faut que, tout
en gardant la grande ligne, l'enseignement ne se substitue
point à ce qu'il y a de naturel dans l'élément laïque et de
naïf dans la marche de la raison. La Somme de S. Thomas
offre sous ce rapport le plus parfait modèle à suivre. Sans
doute, avec cette candeur d'allure, la science peut tomber
un moment dans l'erreur, et toutefois c'est de la sorte
qu'eue finit par atteindre frrévocabtement le vrai.
Ce qui manque à la génération actuelle, ce sont des
principes fermes, ce sont des' convictions puissantes il
faut donc les créer~ et prendre garde de les rompre en
séparant, dès le début, les trois sphères dans lesquelles
l'esprit humain est obligé d'entrer. Si l'élément religieux
demeurait isolé, la science 'et la philosophie, restant par
le fait livrées à leur impulsion propre entraineraient
les esprits dans l'obscurité où ils se heurtent avec tant de
violence aujourd'hui. Au total, si le premier bien de la
science est la vérité, son premier besoin est une certaine
liberté de mouvement dans ceux qui vont à sa recherche,
car elle ne saurait avoir l'air de vivre de jugements tout
faits. Que la science devienne une servante de.la Foi, rien
de plus désirable; mais qu'elle ne se présente pas d'abord
comme telle à l'esprit humain.

CHAPITRE XXIX.

Formation du conseil royal de l'instruction pub!ique.

Après avoir favorisé et au besoin subventionné les


établissements fondés par le clergé et par les Ordres, !'Etat
pourrait se réserver un certain nombre de maisons pour
soutenir l'élément laïque, ménager ainsi la jonction des
trois sphères de la pensée, et entretenir tout au moins une
noble émulation intellectuelle. Son enseignement partirait,
comme on l'a dit, du groupe des plus illustres représentants
de la science catholique, constitué sous le nom de Conseil
roy al de l'instruction publique, et dans lequel figureraientt
aussi des évoques et des théologiens.
Comment les membres de ce conseil pourraient-ils
devenir la tète de cet enseignement? Par un moyen égale-
ment très simple par la rédaction sommaire que ferait cha-
cun d'eux de la leçon enseignée et développée ensuite par
les professeurs dans toute l'étendue du royaume. Qu'on
permette ici quetques indications.
~'avons-nous pas les hommes qu'on pourrait charger
d'épurer nos auteurs païens et d'introduire dans l'étude du
latin et du grec les plus belles pages empruntées à la sainte
Ecriture et aux Pères de i'Ëgtise puis ceux qui, indiquant
les voies de la véritable éloquence, sauraient imprimer la
direction idéologique qui doit régner sur tout i enseigne-
ment 12 Ne possédons-nous pas égatement
ceux qui pour-
raient initier notre génération ù cette haute histoire qui,
dans la marche élevée de t'Egiise et du monde, distingué
a
ce qui tient à l'ordre providentiel de la nature et ce qui
relève de l'ordre surnaturel cle la rédemption puis
ceux
qui, pour la science dont les idées décident du mouvement
de l'esprit humain, ont su embrasser dans un enseignement
sublime les points de vue dont on a précédemment parlé,
et formé en silence toute une légion d'hommes voués à la
défense de l'Eglise et de la société? Entin ne connaissons-
nous pas des savants qui, basant leurs travaux sur d'im-
menses cultures, ont rétabli par des preuves, cette fois
hors de doute, la réalité des espèces créées, laissant à
découvert les pauvretés du darwinisme s? etc., etc.
Le Conseii royal peut donc se composer des membres
qui représentent les éléments féconds d'une restauration
de la science et de l'enseignement catholique. Et chacun
de ces membres, comme on l'a tout à l'heure indiqué,
pourrait préparer ( au besoin avec l'assentiment du corps)

(t) <' Ne devrait-on pas, dit M. Arthur Loth, faire deux parts du temps?
empioyer [a première aux études fondamentales, telles que la théologie, la
philosophie, l'histoire, etc., et réserver la seconde pour les études littéraires?
on reviendrait ainsi a la nature. VoirI'C/ht'Mrs-du 4 novembre -1872
et du 3 janvier i8'?3..
(2) Une juste réserve interdit de designer ici les
noms, dont quelques uns
appartiennent au sanctuaire.
la rédaction succincte, sous forme de sommaire, de la leçon
que tous les professeurs de son ressort enseigneraient dans
les collèges réserves par le gouvernement.
Ces leçons sommaires avec le sens des solutions, que
le,Conseil royal enverrait imprimées par séries~ à chaque
professeur, serviraient de texte et de point de départ à la
leçon enseignée dans toute la France. Est-il besoin de dire
qu'il pourrait y avoir un commissaire du Roi auprès du
Conseil, soit pour tenir le Roi au courant des principales
questions élaborées, soit pour maintenir le Conseil sous
l'inspiration royale; et que des inspecteurs pourraient
visiter les collèges comme lieutenants de ce Conseil,
d'où partiraient tous les rayons de' cet enseignement
sublime? Ce sont la les principes l'Etat fera les rè-
glements.
Nous aurions donc 1~ comme toujours, les séminaires,
sur lesquels l'Eglise seule a juridiction; 2° les établisse-
ments conduits par le clergé et par les Ordres, soutenus
s'il le faut par l'Etat dans certaines provinces 3° les collé-
ges, dont l'internat serait tenu par des ecclésiastiques, mais
le professorat par des laïques, recevant les leçons et l'im-
pulsion du Conseil royal
il s'agit ici du mode et non de la méthode. Cependant

(t) H importe que les sommaires des leçons soient distribues par série,
car le professeur a besoin de voir un peu d'avance ce qu'il aura a. faire. On
ne marche sûrement que lorsqu'on voit devant soi, à une certaine distance.
(2) L'Etat ne doit point d'ailleurs se priver de permettre a uo homme de
génie, par exemple, d'ouvrir un externat pour professer une speciatitc.
Dans les établissement réservés par l'Etat, tout le CÔL6 de l'éducation
(comprenant les aumôniers, proviseurs, censeurs et ma!tres d'études) doit
être conii6 à des ecclésiastiques. L'enfant qui a quitté le toit paleruel ne
trouvera de sûreté et de patt'rnite que ta. Les ctasscs seufes seraient r~ser-
v~es aux laïques.
il faut remarquer qu'une éducation trop exclusivement
littéraire, où la rhétorique l'emporte, multiplie aujour-
d'hui les esprits vides et en proie à terreur. Une facilité
de parole ou de plume, dépourvue de savoir et d'expé-
rience, est aux yeux de ceux-ci un titre suffisant pour régler
le sort des empires. D'autres, persuadés que la langue
dispense d'étude et de philosophie, promènent une perpé-
tuelle infécondité au sein de toutes les questions, sans voir
qu'en traitant des su jets si divers ils disent toujours la
même chose. On ne peut oublier que nous sommes dans
une époque où des orateurs sans idées deviennent maîtres
du Pouvoir et des positions d'où l'on peut agir sur les
hommes'.
Observant combien notre baccalauréat nuisait à l'intelli-
gence, en surchargeant hors de proportion la mémoire
mécanique, un étranger disait On construit en France
un édifice pourvu d'une infinité de chambres, avec tou
relies et rnachicoulis, mais auquel manque Je corps de
bâtiment principal.

(t) Chez nous, oo préfère de beaucoup l'éloquence des mots à celle des
idées. Pour suivre une question, on préférera l'orateur disert qui la cotoie
et qui l'embrouille, à l'homme compétent qui l'élucide et la résout. Ce défaut
de la race française était neutralisé par le bon sens de ses rois. Mais quand
on voit, depuis un siècle, à quelles fausses idées, à quels faux grands
hommes, à quels scélérats, à.quelles impostures ce défaut a donné la main,
on se demande s'il est pour nous quelque chose de plus nuisible, et si rien
ne pourra nous conduire à mettre enfin, dans les idées, le bon sens dout
nous faisons preuve dans les affaires de la vie t
CHAPITRE XXX.
Enseignement supérieur.

L'Etat aurait cette fois un enseignement, et ce serait


celui du vrai. Sortant de l'espèce de néant dans lequel
les deux empires ont précipité les cLudes, un tel ensei-
gnement viendrait enfin triompher du xvm~ siècle, rou-
vrir une des sources de l'aristocratie et donner des Fran-
çais au Roi.
Dans le cierge, malgré FœH ouvert des évoques, on ne
livrerait pas l'enseignement théologique, même à de très-
doctes professeurs de dogme, sans connaître le traité qui
servira de point de départ aux leçons. Cependant, de tels
cours sont formés d'éléments empruntés à la sainte écriture,
aux grands docteurs et aux définitions des conciles
Au point de vue pédagogique, ces leçons préparées et
cette unité d'enseignement seraient loin de nuire à la variété
des aptitudes des professeurs, qui trouveraient dans ce
cadre, d'abord une doctrine, quand très-souvent ils n'en
ont pas, ensuite une simplification de travail permettant
de concentrer leur attention sur les développements. L'ho-
rizon de la vérité est le seul qui reste largement ouvert,
le seul qui puisse donner place aux conceptions originales
et à toute la richesse des explications. Rien au contraire
de plus étroit que les systèmes, ni de plus stériles que la
diversité sans but dans laquelle se meurent depuis long-
temps nos professeurs. Les individualités s'épuisent ià
depuis un siècle à tourner inutilement dans le cercle
infécond du vide et de la fantaisie.
Au point de vue social, l'avantage est plus visible
encore. Le christianisme a apporté toutes les solutions, e~
les esprits, une fois placés dans ce foyer lumineux, par-
viennent alors eux-mêmes à écarter les ombres dans
lesquelles nous enveloppe la Révolution. Or c'est là le
grand but.
il ne s'agit pas d'a!!éguer les dimcuttés d'une semblable
instauration, mais (le l'accomplir en déptt des obstacles!
Car partout on en trouve seulement, en politique, la
vraie question est de surmonter ceux qui s'opposent au
bien, c'est-à-dire au salut du peup!e. On doit s'emparer
du présent par l'autorité, et de l'avenir par l'ensei-
gnement.
On le sait le mal est venu des idées, et des idées il est
descendu dans les mœurs. A leur tour, les idées sublimes
relèveront les mœurs. Ce n'est donc point d'abord par l'ins-
truction primaire, mais par l'enseignement supérieur, que
l'on peut aujourd'hui commencer la réforme sociale. Car
les idées, aussi bien que les mœurs, se sont corrompues
dans les classes élevées, et de là elles sont arrivées au
au peuple. H faut donc porter le remède sur le point d'où
!e mal s'est répandu et se répand encore dans les masses.
Une fois les idées ramenées au vrai chez les classes
gouvernantes, elles découleront aisément de !à sur les
antres.
Or les grandes idées d'où part le mouvement d'une
époque, les idées qui maîtrisent les classes dirigeantes,
viennent de l'impulsion que donne aux études l'enseigne-
ment supérieur. C'est donc par cet enseignement que tout
doit commencer.
Mais de telles idées se lient à l'état de b
philosophie, et
le Conseil royal va rencontrer tout d'abord une funeste
tendance à combattre celle qui nous a éloignés de cette
étude de première importance. La cupidité d'une part, et
de l'autre !a difficulté de vivre aujourd'hui comme autrefois
avec des ressources modestes, font de plus en plus recher-
cher les études et les carrières lucratives. A i'indi~érence
pour les choses élevées s'ajoute ainsi la rareté des positions
indépendantes. Les sciences et les idées tournent dans un
cercle toujours plus étroit, et l'on voit de nos jours l'ins-
trument de ces sciences, l'esprit humain lui-même, objet
de la philosophie, se troubler et s'abattre par suite de
t'ignorancc où il se trouve du rôle de ses facultés et de la
certitude qui s'y rattache.
Cette hiérarchie des connaissances, où, de la base au
sommet, la science la plus élevée soutenait la science
inférieure, s'est écroulée dans !e scepticisme. lei l'on perd
l'instrument de la connaissance et celui de la certitude, on
tombe sous l'empire de ce fatalisme mortel où déjà Hnde
s'est engloutie depuis plusieurs mille ans. Le scepticisme,
né de la chute des vrais principes philosophiques, est une
maladie dont les peuples ne se retèvent pas. C'est comme
si l'immortalité de l'âme nous était enlevée.. Le scepti-
cisme nait toujours à la base de la pensée. On a vu dans
une foule d'esprits, comme dernièrement chez fin fortuné
Loyson et chez d'autres, tout un édifice de connaissances
croulcr comme s'il n'était qu'un simplé échafaudage.
Deux choses offrent le remède à un si grand ma!.
La première est l'usage des facultés supérieures et la
vue des réalités sublimes, à. laquelle elles nous convient.
Nous sommes créés pour vivre dans l'admiration des
choses élevées. Notre conversation est au Ciel. M Le
sceptique est celui qui, à force d'abaisser ses regards et
de négliger les vues rationnelles, ne saisit plus que des
contradictions. De là l'indigence en laquelle sa pensée
se trouve.
La seconde est la jonction des sphères dans lesquelles se
meut la pensée celle de la science, où l'introduit l'obser-
vation des sens, celle de la philosophie, où l'introduisent
les conceptions de la raison, et celle de la Théologie, où
l'introduit la Foi. Le contingent, le nécessaire et le surna-
turel sont aujourd'hui comme des régions divergentes qui
séparent les esprits, mais qui les rallieront lorsqu'on
pourra mettre en pratique le plan qui vient d'ètre indiqué,
Par un retour au véritable enseignement, nous verrons
reparaître une génération nouvelle, énergique, enthousiaste,
portant le front dans la lumière, rétablissant non seule-
ment les moeurs, les sciences et l'art, mais la race
française
Or, comme on doit réformer les idées dans leur source,
qui est la philosophie, et de là dans leur canal, qui est la
classe gouvernante, que dès lors il faut avoir recours à
l'enseignement supérieur, ce dernier est au premier rang
des plus puissants moyens de gouverner.

CHAPITRE XXXI.
1

Philosophie et exercice de la raison.

On comprend le découragement dans lequel a du nous


jeter ta multitude des systèmes. Néanmoins, comment ne
pas engager le clergé à reprendre l'étude de la philosophie?
il ne doit plus se laisser ravir le sceptre de l'esprit
humain. Si les idées, que vulgarise la littérature,
dérivent des sciences, les notions sur lesquelles se fondent
les sciences dérivent à leur tour de la philosophie. C'est
là qu'il faut éclairer la pensée 'et là qu'il faut s'en rendre
maître.
Si l'ordre surnaturel est l'objet de renseignement catho-
lique, l'ordre de la nature est celui de renseignement philo-
sophique. Or l'homme, créé dans la nature et surnaturalisé
dans la grâce, ne saurait être partagé. La nature séparée
de la Foi marche insensiblement au scepticisme; mais la
Foi privée de la nature, ou détachée de l'ordre philoso-
phique, semble tomber sur l'homme comme unaérolithe.
S. Thomas et les Pères sont partout considérés comme les
grandes lumières de la raison humaine or si l'on
dépouillait leurs écrits des raisons métaphysiques, ils
n'o~riraient plus qu'un impuissant co~pe/~M~.
La phi!osophie-est l'exercice de la raison, et l'affaiblisse-
ment de la raison est en grande partie cause, à cette heure,
de l'affaiblissement de la Foi. Que l'on s'occupe ou non
de philosophie, il y a toujours une philosophie qui opère

en nous, et avec d'autant plus de tyrannie qu'elle y est


invisible. Occulte ou ostensible, elle nous régit comme
elle régit les époques. Niera-t-on que le sensualisme théo-
rique et pratique ne soit, encore en ce moment, la vraie
cause de la situation où se trouve le monde?
II faut donc la philosophie visible, que l'on cultive, pour
remédier à la philosophie occulte, qui nous gouverne :t
notre insu. Les esprits qui en nient l'existence sont ceux
qui en subissent le plus aveuglément le joug. La philoso-
phie trace l'orbite de la pensée et lui donne son vol elle
est en outre comme les yeux de l'esprit. C'est toujours
avec nos idées que nous jugeons de toutes choses. Or
veiller à !a formation de ces idées, c'est le rôle de !a
philosophie~. En tout cas, elle entreprend l'étude des
idées rationnelles, et c'est par celles-ci que t'homme s'élève
au-dessus de la terre.
L'âme doit e!!e-meme échapper à cette vie de phéno-
mènes et de sensations qui nous enveloppe, et par la-
quelle la nature fait invasion en nous. Surnature!!ement,
la Foi nous y invite mais c'est au moyen de la raison que
ï'àme traverse cette zone et qu'elle s'approche naturelte"
ment de Dieu. Celui qui, enseveli dans les apparences, n'a
point rëf!échi à la merveille de l'existence, ni songé à toute
la signification que renferme le mot seul de néant, ne
peut sentir ce qu'il y a d'inouï dans l'ineffable don que
Dieu nous fait de l'être, ii demeure dans le même sommeil
que les animaux, lesquels ne se doutent point de ce qu'il y
a d'énorme dans ce fait, savoir qu'ils exis:ent! La raison
est en nous le sentier brûlant qui franchit les abimes et
mène à l'invisible. Que connaît-H, l'homme qui n'a pas
traversé ce chemin d'Ëmmaûs, qui n'a pas entrevu dans la
lumière rationnelle la merveille de l'être, puis saisi <:e!!e
de sa propre pensée, de son être et de sa personne?
Voici Je fait la philosophie a pour objet l'étude de la
pensée; mais comme la pensée se forme des principes, la
philosophie est l'étude des principes; et comme les prin-

(i) a Quoi disait un jour un abbé, au service de t'Empirc, s'occuper


encore de phHosophie? Mais quand la pensée arrive dans le vide et qu'elle
n'y voit plus, c'est là que la philosophie commence.
Sans doute ce n'est pas Ja philosophie qu'on charge de remplir de nouveau
nos élises mais la Revotutioo, qui les St déserter, sortit d'une victoire que
remporta la philosophie du mensonge sur celle qui vivait dans Ja vérité
cipes composent la raison, elle est l'étude de la raison et
comme la raison vient de Dieu, elle est une étude de Dieu..
Dès lors, rien de plus grand dans l'ordre de ia nature,
car la grandeur de la raison fait ici la grandeur de Fesprit
de l'homme. Au point de vue de l'éducation, l'impulsion
que la philosophie nous -donne a donc une portée incal-
culable.
En~n, mieux que toute autre science, la philosophie a
pour objet l'exercice de la raison. Et sur ce point, Fa!ter-
native est terrible ou la raison, ou l'imagination remplit
l'esprit de l'homme! si la première se retire, l'autre en
prend immédiatement la place. Dès lors se multiplient
les hommes qui, tombant dans les illusions littéraires,
entrainent comme de nos jours la chute de l'intelligence
d'un peuple.

La philosophie ne tire donc pas uniquement son impor-


tance des récités supérieures qu'elle étudie, mais aussi
de Futilité qu'il y a pour nous à cultiver l'esprit phi-
losophique, qui est l'esprit scientifique par excellence,
l'esprit scientifique remis sur pied et ramené à sa primi-
tive grandeur.
Dieu, par exemple, n'a pas remis l'idée de cause a
l'homme uniquement pour le voir explorer des faits, puis
s'enfermer dans la nature; mais bien pour le presser d'en
sortir et de monter de cause en cause jusqu'à Dieu. il en
est de même pour l'idée du beau et pour l'idée du bien,
qui, unies à la précédente, constituent la raison. Or c'est
là ce que perd de vue l'esprit du contingent, l'esprit
scientifique détaché de l'esprit philosophique. En bornant
constamment la pensée à la recherche de la cause pro-
chaine, de la cause seconde, l'esprit scientifique rompt
l'élan précieux que nous imprime l'idée de cause, et nous
impose t'habitude de ne jamais nous élever. Et de là, de
nos jours, tant de matérialistes, de sceptiques et de faibles
esprits. Chez eux, c'est un défaut d'organisation intel'iec-
tuelle, contracté par l'étude exclusive des sciences de
second ordre; étude qui réduit de moitié leurs facultés, et
les empêche de pénétrer dans la sphère du nécessaire et
dans celle du surnaturel.
Si certains hommes, en ce moment, pouvaient soulever
i'espèce de bandeau techno!ogique ou littéraire qui les
recouvre, ils verraient à quel point ils ont écourté et
tronqué leur esprit
Entre cette question de la raison Qui a créé le monde?
et la réponse du catéchisme, il y a toute la physique, dit
M. l'abbé Noirot. En sorte que si la physique nous retient
dans ses liens, il faut au moins que la philosophie s'em-
presse de les briser. On doit certainement faire de l'analyse,
mais sans quitter la scène spacieuse offerte à la pensée par
la synthèse, par la vue des trois grandes réalités, Dieu,
l'àme et la nature. En !ançant la pensée si faible de tant
d'hommes au fond de l'analyse, on étaitt sûr d'en empri-
sonner les trois quarts au fond de l'athéisme. Pourquoi,
(si l'on peut s'exprimer ainsi) mettre toujours l'esprit
humain au pas, si ce n'est point là son allure? Pourquoi
prendre pour rëg!e de rompre systématiquementFétan que
Dieu imprime à la pensée avec l'idée de cause? Pourquoi
lui barrer le chemin au moyen même des sciences?
Aussi, la portée manque aujourd'hui à la plupart des
hommes de notre génération.
On l'a dit, il est humiliant pour nous que l'instruction
en généra!, ou la portée d'esprit, ne soit pas à la hauteur
de notre instruction spéciale ou technologique. Tous les
hommes de quelque valeur sentent maintenant ce défaut
de teur éducation première. La philosophie pourra seule
y remédier.
Si l'esprit scientifique isolé a retardé la marche de tant
d'esprits, que la philosophie vienne enfin la leur faire
reprendre N'oublions pas ici qu'il s'agit d'un peuple chez
lequel il n'y a presque plus d'idées philosophiques, ni
d'idées historiques, ni d'idées politiques, ni même d'idées
économiques, puis qu'elles y sont à peu près toutes fausses,
et que, dans ce royaume vide, la forme littéraire tient
encore lieu de tout.

CHAPITRE XXXII.

Hautes études entretien des principes.

Il faut observer que plus de quatre-vingt-dix-neuf


hommes sur cent se trouvent appelés à exercer des travaux
manuels. Une centième partie arrive à peine à rénéchir,
et un nombre plus faible encore, à posséder réellement
des idées et à pouvoir porter des jugements sérieux. Or
cette faible partie est encore incapable, par ses forces
propres de s'élever d'elle-mème jusqu'aux principes
d'où dépendent ces jugements. H faut lui offrir ces
principes, les lui rendre visibles par une éducation
supérieure qui tienne le regard de l'esprit constamment
élevé. C'est cette éducation que reçoit le c!ergé, et que
donnent aussi les traditions de famille en liant de bonne
heure les principes à nos sentiments.
Le clergé n'est installé à la base des peuples que pour
leur communiquer, sous le nom des croyances, ces grands
principes vers lesquels les hommes ne savent ordinaire-
ment ni s'élever ni se soutenir. Aussi un simple obstacle
opposé à l'enseignement du clergé entraina-t-il immé-
diatement en France cette disparition des principes, cette,
éclipse intclIectueUe et cette caducité sociale qu'on nomme
la Révolution.
Les principes sont des conceptions supérieures, des
idées générâtes dont le lien avec des intérêts individuels ne
ressort pas à tous les yeux. Ce sont des conceptions.aux-
quelles les intelligences désintéressées adhèrent quand on
les leur présente, quand on les leur inculque, mais que
fort peu sont capables de découvrir lorsqu'il s'agit de la
morale ou de la politique, un nombre moins grand encore
quand il s'agit d'un frein à mettre à nos passions, et per-
sonne lorsqu'il s'agit de la Foi~ Ceux qui se nomment
libres-penseurs, hé!as! ne possèdent aucune pensée.
Chez les individus, tout semble s'acharner contre ces
conceptions explicatives la faiblesse commune de l'esprit,

(i) L'expérience fait voir aujourd'hui rénorme diŒcutté qu'ont les hom-
mes même cultivés, & revenir au christianisme, quand leur éducation les a
laissés en dehors de l'enseignement religieux. Quant aux hommes non cul-
tives placés dans la. même condition il est à peu près impossible de les
éclairer, si ce n'est au moment où les premières lueurs de l'Eternité leur
arrivent avec la mort..
Les femmes, elles qui dans le christianisme portent si haut la sainteté, et
qui partout sont les dernières à abandonner les principes, ne s'y élèvent
point d'elles-mêmes. Eties n'échappent ni au protestantisme chez les protes-
tants, ni au schisme grec chez les Russes, ni à t'istamisms chez les Turcs!1
Comme à une élévation e~ceptionneUe de sentiments, il faudrait joindre ici
une rare étendue d'esprit et une grande humiUté de cœur, il est de toute
nécessité de former les esprits au sein des principes, comme les peuples au
sein de la Foi. I! le faut, dans leur plus strict intérêt.
A
~étroitesse~ordinaire du cceur et !a tyrannie des cupidités.
La raison est tout ce qu'il y a de plus dtnLiie à développer
chez t'hommc, et chacun a pu observer combien l'envie rétré
cit partout les'esprits. Si on pouvait-les voir à l'intérieur,
on s'apercevrait vite que la raison est peut-être encore
plus abandonnée que la Foi.
C'est que, pour atteindre aux principes, la culture de
l'esprit ne suffit pas: il lui faut la grandeur. !l'!ui faut
s'élever au-dessus des considérations personnelles, presque
toujours dépasser ses propres lumières et toucher an
sommet de ses plus hautes inspirations. Aujourd'hui
même, faute'de ces vues supérieures, des hommes par-
faitement honnètes voudraientt opérer la fusion de prin-
cipes contradictoires, comptant fonder sur cette incompa-
tibilité une politique durable
Le seul remède à cet état de choses est dans l'enseigne-
ment i 0 du christianisme, qui confie les principes aux
croyances, 2~ des hautes études, qui les confient à la
raison. Dans l'intérêt de la science, le développement de la
raison par !a théologie et la philosophie est dé la plus
haute importance; car, tout en fournissant à l'esprit le
véritable point d'appui, la raison allume au sein de
l'homme ce besoin des idées étevécs, ce besoin des prin-
cipes supérieurs qui les lui fait embrasser pour toujours.
Bref, il y a pour nous trois mondes Dieu, i'àme et la
nature; il ne faut pas que Famé se voie fermer l'entrée de
l'un d'entre eux. Les clefs qui les lui ouvrent et qui les lui
font parcourir, sont ce qu'on nomme les principes. H
importe de les lui mettre en main par l'enseignement;
car c'est la chute des principes qui entraîna celle des
intelligences.
La dissolution de la France ne vient pas de l'invasion
prussienne, mais d'une invasion du scepticisme qui,
détruisant tout principe, conséquemment toute lumière
supérieure dans les esprits, a éteint la pensée, puis rompu
les rapports qui unissaient les hommes et déterminé l'anar-
chie. Si la France n'avait pas péri religieusement, c'est-à-
dire par l'absence des principes métaphysiques et poli-
tiques, on ne la verrait pas tout entière à la Révolution
Séparées de leur tige, les idées, les sciences, les mœurs,
les lois ont été bientôt désséchées. Les esprits se sont
réveillés dans le vide, et les coeurs, désormais sans appui,
ont glissé dans la dissolution t:
Ne soyons pas surpris si la grande nation catholique,
en proie la première aux flammes de l'incrédulité, s'est vue
chassée ainsi des régions intellectuelles. Sous elle, depuis
long-temps, se creusait un abime invisible. Sans qu'on
s'en fût aperçu, le cartésianisme y poursuivait la secrète
démolition des plus grands principes et, par suite de
l'absence des hautes études théologiques, le jansénisme
parvenait à ruiner dans les cœurs ce qui subsistait encore
de la Foi. A un certain moment, le niveau même des
croyances fut plus bas parmi' nous que chez les peuples
protestants. L'impiété et la Révolution n'éclatèrent que
plus tard chez ces populations, où la réforme n'introduisait
encore qu'une diminution de la Foi et des mœurs, avant
d'en entrainer la ruine. Chose singulière: on vit alors
le protestantisme maintenir un instant chez ses peuples
plus de mœurs, plus de principes et plus de politique,
(despotique il est vrai), qu'un catholicisme à la fois isolé

(i) En faisant de nos erreurs des vérités, et en abolissant la philosophie


par le matérialisme, le libéralisme a si bien détruit les principes et rompu
les anneaux de la chaîne intellectuelle, que la France finissait par devenir,
au point de vue de la raison, un objet de pitié pour les autres peuples.
au milieu de la disparition des principes, miné par les
terreurs du jansénisme, puis étouHe par le gallicanisme
de l'Etat. C'est une situation d'où les hommes ne pouvaient
se tirer tout seuls le rétablissement des hautes études
écarterait pour l'avenir d'aussi fatales conjonctures.

CHAPITRE XXXIII.
Soutenir les hautes études.

Une chose en France n'a pas été assez appréciée ce


sont les efforts surhumains du clergé, depuis quarante ans,
pour rétablir la moralité matgré la faiblesse de la raison
et en dehors du secours des hautes études. Mais si les
choses en restaient là, la Foi continuerait à ne gagner
qu'un homme quand la Révolution en usurperait vingt!

(1) Qu'on ne soit point surpris si bientôt. du sein de la France même, on


voit sortir la grande impulsion catholique 1 D'abord parceque, malgré cette
absence de lumière théologique, dont les hommes sont plus spécialement
atteints, c'est en France, dans les âme~ saintes et dans le cœur des femmes,
que la Foi demeurait avec toute son intégrité ensuite parceque le clergé,
bien que de tous côtés assailli par l'erreur, n'y fut pas publiquement jeté
hors du cercle de l'obéissanceau S.S iége en outre, parceque chez elle res-
suscitèrent les ordres religieux, et qu'on en vit sortir des légions de sœurs
de charité, apportant à la Foi une démonstration qui n'était plus au pouvoir
de la philosophie, tant la raison s'était généralement affaiblie enfin, parce-
n'attend
que la Révolution, qui a si visiblement détruit la société française,
plus pour se voir mépriser par les classes moyennes elles-mêmes, que d'être
une dernière fois convaincue d'impuissance, dans le gouvernement habile
de M. Thiers.
C'est que toute morale disparaît
avec sa conception
explicative, et celle-ci est dans le dogme. faut donc,
par
les hautes études, tenir les esprits élevés,
pour que le dogme
devienne un vrai besoin de la raison Comme
la Révolu-
tion offre au vu!gaire l'attrait d'une conception Hctive,
son
règne progressera jusqu'à ce qu'on lui
oppose la conception
du catholicisme. La Théologie, servie
par la philosophie,
pourra seule tenir tète à la Révo!uUon.
L'une et l'autre, il est vrai,
vont être précédées dans
cette (puvre par des événements appelés à compléter,
sous
nos yeux, une des plus belles et des dernières démons-
trations de la Foi dans le monde.
Mais quand la grande conception
reparaitra, elle ne
pourra se maintenir dans sa puissance qu'à l'aide des
hautes études qui déve!oppent ia raison. La Providence
a
préparé c!ie même une heureuse inpulsion dans
ce sens
un mouvement vers les études réellement théo!ogiques,
philosophiques et historiques est à la veille d'éciatcr.
La lumière étinceHera sur les hauteurs du monde moral.
De toute parts on apercevra la prodigieuse
opération du
christianisme chez les hommes. On
sera dans t'admiration
de sa double puissance, et
pour la direction supérieure de
l'individu et pour la formation organique des sociétés.
-Alors disparaîtra la nuit de la Révolution.
Le c!ergé peut-i! oublier qu'il saisi les rênes de l'esprit
a
humain tant qu'il a tenu les sommets de la théologie,
et que
ces rênes sont tombées de ces mains lorsqu'il a quitté l'étude
des grands problèmes pour
se livrer trop exclusivement à
iespritdccriUqueetdepo!émiqueorJina)'re?Or!emoyende
remonter sur les hauteurs de la théobgie est dans le retour
aux études philosophiques; moins encore pour obtenir la
connaissance des vérités qu'elles
annoncent, que pour
rallumer chez nous le feu sacré et l'énergie de la pensée
Le moment est venu de ranimer la théologie scolastique
et de décider la philosophie à ne point étudier la pensée,
comme Descartes, dans la seule coopération du moi, mais
aussi dans l'opération initia!e de Dieu, source réelle de la
lumière.
En tout, Dieu a préparé notre résurrection, mais il veut
que les gouvernements, tuteurs des peuples, y coopèrent.
II importe à l'Etat lui-même de rappeler les grandes idées,
de rétablir. les hautes études; d'une part, pour soutenir
les classes élevées, deFautre, pour diminuer le nombre de
ses ennemis.
Il peut d'ici aisément les compter. Ce sont, d'abord, ceux
qui s'opposent au rétablissement des rapports avec Rome,
interrompus par le gallicanisme; ce sont, ensuite, ceux qui
attendent encore notre salut de ce libéralisme qui n'aboutit
qu'à substituer l'homme à Dieu dans toute la série sociale;
ce sont enfin ceux qui, abâtardissant la pensée par l'abus
des sciences physiques au sein de l'enseignement, et
réduisant l'esprit humain à la vue desréantés contingentes,
éteignent dans la génération nouveHe toute portée reli-
gieuse, toute portée philosophique et toute portée poli-
tique 1.
II n'y a qu'une lumière pour les esprits, il n'y a qu'une
force pour les Etats, il n'y a qu'une puissance contre la
Révolution, c'est le Catholicisme 2.
Or le catholicisme
est une transcendance il donne au monde son interpré-

(<) Les hommes eo cet état seront la proie du cesarismc. Et de là, ce der-
nier inaugurait la bifurcation des études, pour jeter d'un seul coup dans la
servitude la moitié d'une ëea~ration.
(2) oLe~ reformes et les chartes constitutionnelles, disait M. Staht, de
Berlin, au lieu d'éteindre la Révolution, sont autant d'aliments à sa uamme.
tation, à l'homme et à la société leur conception explicative.
Et c'est de ridée même de l'Infini, de cette notion merveil-
leuse du Souverain-bien vivant, que le christianisme tire
la clarté dont il inonde tout, dont il éclaire tout, dont il
explique nos conditions d'existence intellectuelle et morale,
aussi bien que nos conditions d'existence politique et écono-
mique Un moyen sûr d'étoufïer à jamais le christianisme
et la nature humaine, d'anéantir dès lors toute société, c'est
d'abaisser l'esprit humain, d'endormir la raison, bref, de
rendre l'homme physiologiquement incapable de répondre
à la transcendance, qui est l'âme du christianisme.
Sans cette transcendance, nous ne serions plus qu'une
race vouée à l'esclavage.
Jeunes encore, nous entendions nos pères proférer déjà
cette plainte il n'y a plus d'idées philosophiques en
France!1 Plus d'idées, c'est-à-dire plus de lumière, plus
d'élévation, plus de générosité dans la pensée humaine;
plus de génie, plus de sublimité les sciences retombant
dans la nuit, les esprits se heurtant au sein des ombres
de l'athéisme, les hommes désertant les nobles travaux pour
se livrer comme des mercenaires à l'entretien de leurs
passions et au soin de leur cupidité, puis la foule tombant
dans l'envie et l'ignominie! Ici la vie intellectuelle, comme
une lampe sur le point de s'éteindre, n'aboutit plus qu'à
des polémiques sans fin. C'est un choc dans un couloir
étroit, une lutte à outrance dans un réduit obscur, au lieu
d'une ascension grandiose, portant Jes âmes vers les
vérités éternelles.
Dès ce moment nous vîmes en effet la nuit descendre

La Révolution ne peut avoir qu'un seul ennemi sérieux, qu'un peut vain-
queur le christianisme. 1
plus épaisse, mé!er bientôt la fange et la démence à tantt
d'obscurité, puis produire la confusion où tout s'écrase, et
où va ruisseler notre sang. Un des moyens de ramener
la lumière sur ce chaos, d'y faire renaître les idées, de
ranimer les esprits, de les rapprocher de la Foi, de les rendre
aptes au christianisme, dès lors de rétablir l'ordre au sein
des intelligences, un des moyens conséquemmentde gou-
yerner, c'est de rétablir les hautes études.
De l'Ordonnance dans les esprits, passons à celle
qui doit régner entre les citoyens au sein du monde
politique.

CHAPITRE XXX.IV.
Principepremier de l'éjection.

Après le retour au véritable enseignement, ce qui im-


porte le plus au pays, c'est le retour au vrai principe de
l'élection, 11 faut bien une fois s'éclairer des principes, et
puiser ceux-ci dans les faits.
Comment changer la nature des choses? Au sein d'une
nation, il y a ceux qui apportant la vertu, le capital et
Fordre, produisent plus qu'i!s ne détruisent; et ceux qui,
portant sans cesse atteinte à la vertu, au capital, à la
justice, à l'ordre, détruisent plus qu'ils ne produisent.
Les premiers appartiennent au mouvement de compo-
sition, et les seconds au mouvement de décomposition d'un
peuple. Le corps social se forme peu à peu à l'aide des
premiers; par les seconds, ses fonctions, sans cesse entra-
vues, tendent à se détruire. Auquel de ces deux mouve-
ments une nation doit-elle dès lors se confier, et lequel
doit la gouverner, sinon celui qui, par le fait, ici, la cons-
titue et la gouverne?
On sait à quelle épreuve la Providence a pris soin de
soumettre l'individu qui doit avoir le plus petit degré
d'action sur ses semblables. Nulle famille ne verra sortir
de son sein, non pas même un prêtre ou un magistrat, mais
un homme pourvu de la moindre fonction libérale, cette
si
famille n'a pas acquis un capital. Pourquoi le capital est-il
ici la condition indispensable? Parce qu'il est une première
signe de
preuve de moralité, qu'il porte le premier
l'aptitude sociale. Il représente ie travail, excluant la mère
des vices, et la modération dans les jouissances, témoi-
gnant à la fois d'une certaine conscience et d'un apport
fait à la société. Loin de vivre sur la cité, le possesseur
d'un capital aide à !a soutenir. Celui-là est donc citoyen.
Le citoyen est un constructeur de la société.
Ainsi l'ont compris les peuples; tous ont considéré le
capital ou la richesse comme le signe de la capacité
sociale. Dieu crée la société, mais c'est nous qui la con-
reçoit tout
servons, nous qui la déployons', et celui qui
d'elle sans rien lui rendre, celui qui reste en dehors de ses
lois, n'est pas pour elle un citoyen. Au pied de la lettre,
c'est un frelon qui vit aux dépens de la ruche. Prenant part
banquet, profitant des mœurs, des lumières et des lois,
au
bon gré mal
son rôle par le fait, se borne à se soumettre
gré aux conditions qui le font exister.
Mais pour nous il y va' de la vie. On pourrait retirer

(t) Ainsi, nous n'avons rien fait. pour avoir l'existence; mais c'e~ noua
confier..
d.' l'employer eL<Ie td. conserver quand Dieu daigne nous la
d'une civilisation un très-grand nombre d'hommes, elle
n'en serait que plus puissante; on lui en ôterait d'autres en
petit nombre, elle disparaitraitt tout-à-fait. Une nation
doit sérieusement distinguer le point sur lequel elle existe
du point sur lequel elle n'est pas encore car chez elle la
vitalité ne saurait s'étendre que du premier vers le second.
Il lui importe de discerner ceux qui par le fait la repré-
sentent, et ceux qui, pour le moment, ne peuvent encore
que l'entraver ou l'incliner du côté de la ruine.
Si tout à coup, par exemple, il se faisait une dissolution
de l'état social, une foule considérable, s'abandonnant à la
paresse et à l'ivrognerie, rentrerait dans l'état sauvage.
Mais une première série, pourvoyant à ses besoins par le
travail, constituerait ce qu'on nomme le peuple. Une
seconde, plus intelligente, recueillant les agents de ~ute
production, constituerait une classe moyenne. Une troi-
sième, enfin, voudrait voir avant tout régner la justice et
ies mœurs pour rendre la société possible.
A laquelle de ces trois séries la nation devrait-elle la
condition première de son existence? Le travail pourrait-il se
développer sans l'épargne et sans le capital; le capital,
sans la justice et sans les moeurs les moeurs, sans la
lumière et sans l'exemple puis ces choses, n leur tour,
sans un Pouvoir qui les protége toutes?
Déjà les faits révèlent la proportion qui doit, autant
qu'it est possible, régler le pouvoir d'élection, parce qu'il
est un pouvoir social.
Un tel pouvoir ne peut pas ètre un privilége; it ne .sau-
rait être donné à ceux qui ne concourent en rien à l'ordre
social. !t s'agit d'une fonction, elle doit s'attachera celui qui
effectivement t'exerce. Elle est fixée, non pas seulement
d'après la justice, mais d'âpres la Celui dont l'acte
concourt le plus directement à l'existence sociale ne reste-
t-il pas muni du plus grand pouvoirsociat?Dans notre corps,
ia poitrine et !a tète remplissent des fonctions qu'on ne peut
leur reprendre aussi la nature a pris soin de les protéger
avant toutes les autres. La société pourrait-eHe tixer sa base
dans la foule qui tout-à-l'heure l'a désertée? Eh bien,
c'est ce qu'a fait la Révolution, par le suffrage universel.
Ce suffrage, on le voit, est une rupture universelle.
C'est la constitution la plus radicalement subversive de la
société humaine. Le second Bonaparte n'a pu se dérober
aux suites de cette extravagance et détourner le flot qui
allait Fétouner, qu'en déclarant subitement la guerre sans
avoir pu la préparer.
Un déplacement du pouvoir social est le renversement
de la société même. Seulement, on doit examiner plus
loin si, à t'égard de ceux qui restent socialement incapables,
il ne faut pas, pour les moraliser, leur en transmettre
quelque partie, mais toutefois sans entraîner un tel
renversement.

CHAPITRE XXXV.

Pourquoi ii existe deux chambres.

Comment sortir des faits sans sortir des lois de la vie?


Le pouvoir national, autrement dit électoral, ne saurait
être déplacé sans renverser la nation même. Parmi des
êtres raisonnables, !e suffrage universel c'est le suffrage
rationnel.
Peut-on le taire? le mal qui à la fois nous humilie et
nous dévore est dans un suffrage qui non-seulement fait
prédominer la force brutale sur la raison, mais aussi
l'erreur et la jalousie sur la justice et sur le droit. Avec
un tel suffrage, on ne doit pas s'attendre à voir triompher
la justice et l'honnêteté..
8
Il faut nécessairement prendre la société, ou telle que la
Révolution la propose, tous les hommes reconnus pour
bons et pouvant concourir à l'acte qui les maintient dans
l'ordre; ou telle que les faits nous la montrent les hommes
ayant besoin d'être menés au bien, d'ètre éclairés, assistés
et administrés. Il faut se prononcer! ou la société dans sa
perfection résulte de toute agglomération d'hommes: dans
ce cas ils restent tous pourvus du pouvoir social ou elle
est un bien éievé qu'il faut défendre et atteindre par la
vertu dans ce cas ceux qui la constituent doivent être à
l'abri de ceux qui peuvent la détruire..
Mais si tous les hommes sont dans ie bien, pourquoi une
loi pour leur rapporter la justice? S'ils sont tous éclairés,
pourquoi un clergé pour les instruire? S'ils sont tous sobres
et laborieux, pourquoi une classe pour leur fournir l'ins-
trument du travail? Enfin, s'ils sont d'accord, pourquoi la
force est-elle indispensable au maintien de la paix? Le
bon sens parle il est des hommes qui constituent la
société, pendant que d'autres la détruisent faut-il ofî'rir
à ces derniers le pouvoir social qu'exercent les pre-
miers ? Est-ce la foule qui maintiendra les ri)eiHeurs
en société, ou sont-ce les meilleurs qui y maintiendront la
foule ?
C'est dans la question des élections que le problème se
résout, qu'il reçoit une application qui, pour la société, est
la vie ou la mort.
H faut se décider qui est le souverain? est-ce le Roi,w
est-ce la fou!e? Si c'est la foule, il n'y a pas de Roi. Si
c'est le Roi, pourquoi ériger le pouvoir de la fou!e? Faut-
il deux souverains, surtout quand celui, qui doit obéir, a
la force, résultant du nombre, et quand celui, qui doit com-
mander, a la faiblesse, résultant d'un pouvoir qui n'est dès
lors qu'une fiction?
Si nous ne voulons pas avoir une sagesse opposée à celle
des peuples, ne laissons donc concourir au pouvoir national
que ceux qui concourent à l'existence de la nation, et dans
la mesure de ce concours. Reste à déterminer où se tient
ce pouvoir, a observer comment il se divise pour atteindre
son double but. et comment on peut lui assurer une action
légitime.

Au sein des êtres libres et moraux, c'est-à-dire au sein


des nations, il y a deux sortes d'intérêts les intérêts
moraux, qui sont ceux de la nation entière, et les intérêts
matériels, qui sont plus particulièrement ceux des indi-
vidus. Les premiers, permanents et fondamentaux, se
voient représentés par une classe permanente et plus
particulièrement nationale; les seconds, modifiables et
contingents, se voient représentés par une classe élue et
plus particulièrementprovinciale.
De là deux grands corps dans l'Etat, ou ce qu'on appelle
deux Chambres Chambre des pairs, gardienne des
intérêts moraux, des traditions, de la force morale du
pays; Chambre élective, gardienne des intérêts matériels,
c'est-à-dire des choses utiles, qui constituent les forces en
quelque sorte corporelles.
Comment se forment l'une et l'autre?
La Chambre des pairs peut-elle être choisie par la
foule dont nous avons parlé? C'est à la fouie qu'on apporte
l'état social ira-t-on le lui demander! l! faut bien
remarquer qu'en 48, elle eut nommé Ledru-Rolin, Cabet
et Barbes pairs de France; car l'homme qui expose
l'erreur la plus saiilante est celui que la foute choisit. Elle
nommerait en ce moment MM. Mottu,GambettaetLoyson.
Cela étant, est-ce aux classes moyennes qu'il fau-
dra demander de faire cette é!ection? Celles-ci possè-
dent des vertus domestiques, des facultés d'épargne unies
à l'intelligence des affaires. Mais pour représenter les
intérêts moraux de la nation, ne choisiraient-elles pas des
hommes d'atfaires, tels que MM. Schneider, Pereire et
Thiers?. En France la classe moyenne eut-elle ja-
mais, par exemple, nommé M. de Maistre, le seul homme
cependant dont les vues eussent pu préserver la nation de
sa chute, du màssacre de quatre millions de français, de
la perte de plusieurs provinces et d'une dette de vingt
milliards, Mais en revanche cette classe est tout-à-fait
capable de choisir les membres de la Chambre appelée à
représenter ses intérêts matériels, ceux que par sa nature,
elle peut réellement bien comprendre.
La France ne saurait plus longtemps se soutenir dans
l'utopie. Ne pas confondre les intérêts moraux, d'où
dépend la vie nationale, avec les intérêts matériels, d'où
dépend la prospérité économique, telle est ici la grande
ici i Depuis que la Révolution s'est avisée de confier les
Intérêts moraux à ceux qui, par le fait, représentaient les
intérêts matériels, que sont devenus les premiers? Désor-
mais confondues, ces deux classes d'intérêts n'ont cessé
de former ce dualisme occulte, cette lutte terrible qui
entraina d'abord ~anarchie, ensuite la dissolution.
Quelle nation pourrait supporter cet antagonisme entre
ses lois vitales, c'est-à-dire ses lois essentieHes, et la
légitime représentation de l'ensemble des intérêts? Cha-
cun avoue que l'on marche à l'abîme, et l'on ne songe
pas à rebrousser chemin H serait juste d'écouter les
leçons qui viennent à la fois de l'observation de la na-
ture humaine et de l'expérience des peuples. II faut
un remède radical c'est celui que nous présente la
distinction des intérêts moraux et des intérêts matériels
dans la représentation du pays. De là, tout d'abord, la
nécessité de l'érection d'une Pairie, pour recevoir la garde
des premiers.

CHAPITRE XXXVI.
Chambre des pairs.

(Cinquième point de fait).

Chez les peuples, c'est l'aristocratie qui représente les


intérêts moraux, et de là sa prééminence. Or, comme tout
ce qui est formé de membres, l'aristocratie ne se maintient
que par fa force et l'unité du corps entier. JI faut donc
que ce corps se reconstitue.
faut une Pairie, gardienne des traditions, tutrice des
intérêts moraux, conservatrice des libertés; une Pairie,
tele et couronnement des aristocraties. De tels éléments
ne sauraient rouler pèle-mèle avec les flots de la nation..
Dans ce f!cuve tumultueux, il importe de faire surnager
la tète qui doit animer tout le corps. H importe de garantir
et de représenter le Ctergé, d'abord, puis les grandes
familles qui croissent à sa voix, grains précieux qui
lèvent dans les beaux sillons de la France, source des
moeurs et du respect, école des bonnes manières, véritable
axe de nos populations
Les hommes qui nous viennent de Dieu, puis les
familles qui semblent recevoir la mission de répandre
l'exemple ou de verser héréditairement leur sang pour la
patrie; tous ceux qui entretiennent la justice, la lumière
et la paix; la haute magistrature, les services gratuits, la
grande agriculture, la vraie science, l'ensemble aristo-
cratique, en un mot, doit être représenté et maintenu par
une institution. On doit consacrer l'aristocratie. Quant au
peuple, comme en tout temps, c'est le Roi qui le protège
et le représente.
Il faut qu'un tel ensemble se constitue, pour rétablir
nos droits, pour reconstruire l'homme, la famille, la cité,
la province, c'est-à-dire la nation 1 Cet ensemble prend
corps dans la Pairie, et de là, sa légitimité. La hiérarchie
est l'édifice de nos droits, et la Pairie en est le faite. Par
la nature même des choses, n'est-elle pas la partie solide
et comme la charpente du corps de la société? L'Angleterre
ne l'a point oublié.
La force politique est l'auxiliaire des autres. Elle veille
sur la sécurité et sur la richesse publique, sur tout ce qui
a l'intérêt actuel pour base; et pour cela, elle doit protéger
les classes dites laborieuses. Mais, par là même, elle
défend la vie morale: la vie de l'âme, des traditions, de la
justice, de la famille, de tout ce qui a la vertu pour base;
et pour cela, elle doit soutenir les classes qui représentent
ces nobles choses 1.

(1) Le libéralisme affirmait que tout homme pris dans la foule présentait
Dès que ces classes font valoir les intérêts premiers de
la société, elles étendent invisiblement leur action
sur
celles qui s'emploient à faire valoir leurs intérêts, parti-
culiers. La Pairie a pour but de s'opposer à une séparation
funeste entre l'ordre moral et l'ordre matériel. QueHeidée
se ferait-on des intérêts matériels séparés des intérêts
moraux ? Une telle séparation n'est, comme celle de FËgIise
et de l'Etat, qu'une criminelle fiction. Il faut nécessairemen t
rattacher la sécurité, la production, l'épargne et surtout
la consommation à leurs causes morales. Or, pour main-
tenir cette union et cette coordination, il faut que la
Chambre des pairs soit le premier corps de l'Etat.

La pairie n'est pas moins indispensable au point de vue


politique qu'au point de vue social. « Bien avant la Révo-
lution, remarque Ba!més, on voyait les premiers postes
offerts à des hommes obscurs, ce qui n'était pas sans de
graves inconvénients. L'enseignement de tous les publi-
cistes est qu'il faut à la monarchie l'appui d'un corps
intermédiaire qui, tout à la fois, !a soutienne et l'empêche
de dégénérer en tyrannie. Les monarques, en abattant la
noblesse et en appelant à eux le peuple, savent qu'ils trou-
veront en lui un serviteur et non un rival. Le haut clergé
et les grands propriétaires sont les deux seules classes qui
présentent un fondement solide. »
Cette remarque est pleine d'importance. Mais pour nous,
à cette heure, ce qui importe avant tout, c'est d'imprimer

politiquement un droit 6gat, par exemple, à celui du prêtre, du noble ou du


magistrat. Ignorant toute l'économie des sociétés humaines, il espérait faire
passer l'orgueil pour un droit politique. S'il suffisait d'un coup de baguette
électoral pour établir une nation, tous les peuples eussent été bien insensés
en préférant tes institutions fondées sur le mérite et sur l'hérédité du mérite.
un généreux élan à la nation entière, et de placer au faite
de la société un puissant sujet d'émulation; or tel est
politiquement le grand bienfait de la Pairie. On ne détruit
pas l'am bition il faut lui choisir ses mobi!es1 Non seule-
ment on doit une récompense exquise et éminente à des
travaux éminents et exquis, mais il importe encore d'im-
primer à tout le corps social un mouvement d'ascension
qui entretienne une noble rivalité chez les hommes de
bien. N'oublions point que la société humaine est une
hiérarchie il lui faut un prix au sommet. Les religieux
seuls se retirent devant Dieu, loin des encouragements
terrestres. Trop heureux est t'Etat où les hommes vont
au devant des récompenses honorifiques 1
Mais alors toute classe héréditaire doit comprendre qu'il
lui serait impossible de conserver son rang, sans payer en
quelque manière à la nation l'apparent privi!ége dont elle
est investie. Cette dette continue de se solder de trois
manières par la vertu, par les lumières, par les bienfaits.
La vertu est indispensable l'exemple est le premier
devoir. Les lumières sont essentielles: d'où sortiraient les
doctrines politiques, sinon de ceux qui les représentent?
Les bienfaits sont du plus salutaire effet mais ils dépen-
dent de la fortune.
La fortune permet deux choses l'indépendance et la
générosité. La richesse est habituellement la preuve de
certaines qualités unies à la capacité pratique, si ce n'est
de nos jours, où quantité de fortunes rapides proviennent de
l'agiotage. Mais'Ia richesse légitime procurant les moyens
d'influence, doit donc, lorsqu'elle s'unit à la Foi et aux
mceurs, compter au nombre des éléments de la Pairie.
Une classe arrivée par ses mérites au premier rang,
doit se rappeler qu'elle perd son prestige aussitôt qu'elle
se laisse enlever, par l'opinion, le triple sceptre de la vertu,
de !'inteï!igence et de la charité. Qu'une telle classe ne
cesse de défendre sa position, en la justifiant par la
supériorité des services et du caractère! Une des préoccu-
pations du souverain est de prévenir, dans une classe
héréditaire, l'affaiblissement des vertus et des talents qui
en expliquent l'existence.
L'aristocratie anglaise, chacun l'a remarqué, est celle
qui a Je mieux compris sa mission. Elle la consacre depuis
quelque temps d'une manière vraiment supérieure
donnant, dans un grand nombre de ses membres, le
magnanimeexemple du retour à la vérité. C'est un prin-
cipe éternellement légitime toute classe civiiisatrice nnit
par devenir une classe élevée, et toute classe élevée est
soumise à la nécessité de rester civilisatrice, sous peine de
déchoir sanscetour~.
~y
n n'y a pas de société réelle sans.aristocratie., ni d'aristo- l
cratie réelle sans pairie, ni de pairie réelle sans supério-
rités. Point qu'il ne faut pas oublier, dès qu'il s'agit de
recueillir les vrais moyens de gouverner.

(1) "Les Lord?, dit judicieusementBalmès, ne se sont pas bornés à jouir


de leurs revenus, à porter des cruix et à briguer un regard du monarque.
Ils se sont appliqués à commander les armées et les escadres, diriger la
diplomatie, à remplir les plus hauts emptois, à obtenir partout, avant le reste
de la nation, le prix du mérite personnel. En outre, l'aristocratieanglaise
s'est eSbrcée d'attirer à elle des éléments nouveaux, en s'assimilant des
hommes qui, laissés dans une sphère inférieure, auraient formé tôt ou tard
une rivatite.
CHAPITRE XXXVII'.
Chambre élective ses éléments.

Au fond, la Chambre des pairs représente plus spéciale-


ment la nation, et la Chambre des députés, plus spéciale-
ment les provinces. C'est de l'oubli de ce fait, et dès
lors du rôle si peu raisonnable attribué à !a seconde cham-
bre par la Révolution, que découlent à peu près tous les
maux du pays.
Elue surtout par les classes moyennes, et bientôt après
par le peuple, cette Chambre, il faut le comprendreaujour-
d'hui, fut victime de son origine et de l'impulsion qu'elle
en recevait. Perdant de vue les grands principes, oubliant
même l'agriculture, favorisant la presse et l'industrialisme,
elle n'a pu s'élever à la hauteur des traditions françaises,
et semble avoir toujours ignoré comment subsiste une
nation. Par sa nature elle était faite pour représenter les
intérêts matériels, et l'on a persisté à remettre en ses
mains les intérêts moraux. Elle ne pouvait soutenir en
définitive que ceux de la Révolution. Etablie souveraine,
elle a continué, selon les temps, le travail de la Convention,
dont elle restait l'imprudente et paisible héritière. Elle se
prêta tous les quinze ou vingt ans au renversement réitéré
de l'autorité, acheva d'évincer l'Eglise, de supprimer les
droits publics, enfin d'annuler les fonctions de l'aristocratie.
Sans le voir, elle n'a pu travailler qu'à démolir la société;
les faits sont encoreta.
Pour s'édifier, suffit d'observer que cette Chambre
il
était presque exclusivement formée de ce qu'on nommait
leTiers-Etat, c'est-à-dire des classes qui ont l'intérêt pour
premier objectif. Par malheur, c'est dans de telles classes
qu'apparaîtnaturellemenl la naissante ambition qui croît en
proportionde la fortune acquise, avant d'être encore suffisam-
ment contenue par la Foi et par le désintéressement~. H faut
pourtant ouvrir les yeux Par le fait de leur situation, et par
suite des préoccupations naturelles de leurs membres, ces
classes se trouvent plus aisément portées à devenir jalouses
des avantages d'une classe plus é!evée, et dés lors à se
tenir trop en garde contre les intérêts moraux que celle-ci
représente.
Aussi dés qu'on les laisse agir seules et séparément, et
qu'on leur fait dépasser leurs attributions, on les fausse et
on les prend à contre sens elles deviennent promptement
séditieuses, et sont bientôt plus a redouter que le peuple2.
En outre, on sent qu'elles ne sauraient non plus avoir
assez d'élan ou de génie pour s'élever toujours à des

(1) Telle fut l'application du système de A!. Guizot, annonçant que le but
de la civilisation est dans l'avènement des classes moyennes.
Aux vertus domestiques, la bourgeoisie unit certainement des vertus
sociales; mais elle n'a pas de portée politique. C'est elle qui, maîtresse de-
puis 89, nous a conduits à un état si précaire en Europe. II faut être inspiré
par de grands sentiments pour atteindre aux grandes pensées. Cette classe,
isolée de l'autre, et surtout livrée & elle-même, ne cessera de prendre les
Lafitte, les Schneider, les Péreire et les Thiers pour de grands politique:
parcequ'ils ont fait de très-grandes fortunes..
(2) Les classes populaires, dit M. Coquille, n'ont pas renversé la royauté
en i'!89; c'est de la classe des légistes que la royauté reçut !e coup de ta
mort. Ils encombraient l'Assemblée constituante; ils se retrouvèrent sous
la Convention. Les corporations d'arts et métiers remontaient à l'iustitution
royale, et se flattaient d'avoir le Roi pour Chef, comme il était le chef des
diverses bourgeoisies et de la noblesse, u
notions que les hommes ne doivent, en générai, qu'à
l'étude de la théologie, ou à une haute éducation affran-
chie des mobiles intéressés. Hors de ces deux condi-
tions~ notre époque en fait foi, les esprits ne montrent
point la portée nécessaire pour se vouer à la défense des
principes élevés.
Notre histoire elle-même le montre la classe dont la
première préoccupation est de faire des an'aires, n'a jamais
pu suffisamment comprendre l'importance des trois grandes
fonctions qui se lient à la protection due à l'Eglise., à
l'initiative du Roi, à la constitution des aristocraties.
Manquant à ces trois principes de l'ordre social, elle en
entraîne peu à peu la ruine.

CHAPITRE XXXVIII.
Chambre élective ses attributions.

(Sixième point de fait).

La pairie, ou Chambre haute, représente donc les


intérêts moraux, qui sont les mêmes pour la nation entière.
La Chambre des députés, ou Chambre basse, comme on
l'appelle en Angleterre, représente à son tour les intérêts
matériels, qui sont habituellement des intérêts locaux et
actuels. C'est pourquoi il importe que ces derniers intérêts
se concertent, et que,. par un système d'élection bien
entendu, on leur assure une représentation formelle dans
l'Etat. Cette chambre prend en mains, à la fois, les
intérêts généraux et ceux de chaque province; ceux
de l'agriculture, comme ceux de l'industrie. Telle est sa
légitimité.
On le voit, cette Chambre, ici délivrée des pouvoirs
d'utopie dont la surchargeait la Révolution, puise sa raison
d'ètre et sa nature dans celles des Conseils généraux, mais
de Conseils généraux pourvus d'initiatives et de pouvoirs
sérieux. Elle en a les attributions en outre, elle puise
dans l'étendue de ce devoir un droit de représentation
précis devant la Chambre des pairs, et de requête devant
la Couronne.
Mais il y a loin de cette fonction légitime à celle de
venir mettre constamment en question tous les principes
sur lesquels reposent l'Etat, et jusqu'aux dogmes sur
lesquels reposent la Foi, la famille et la propriété, comme
l'ont fait les assemblées électives depuis 89~!.1 II y a loin
de cette attribution, si importante qu'elle soit, à la faculté
d'ôter au Roi la permission de faire le bien, au Clergé, la
liberté de répandre la Foi, à l'aristocratie, le pouvoir de
l'appuyer par ses exemples!
ici, prenons-y garde les intérêts moraux et nationaux
étant représentés par la Chambre des pairs, évitons d'élever
en face d'une telle Chambre une institution qui en paralyse
les fonctions ou en neutralise ï'infïuence. De plus, nous
concevons que la Chambre élective a elle-même pour but
de constituer, de mettre en corps nos Conseils généraux
jusqu'à ce jour si impuissants. Elle vient onrir une

(1) « La defailiance Jn corps tegistat! dit M. Coquille, remplit to~te notre


histoire. Louis XVI\ Napoteon, Charles X, Louis-Philippe etNapoteoaIIÏ
ont tout-a-eoup perdu le sceptre, et a'jcun Corps ne s'est trouvé là pour te
ramasser. Dans ff'a crises, toutes ces assemblées de représentants du pays
s'évanouissent, et il ne reste plus rien sur lu SMae politique.
représentation raisonnée et sérieuse de tous les intérêts
provinciaux, cantonaux et particuliers compris dans notre
territoire'.
Ceux qui cherchent un souverain qui puisse maintenir
l'ordre, mais auquel on puisse en même temps désobéir,
dirontsans doute quoi nous n'avons ici qu'une Chambre?
Nous avons au contraire deux Chambres, mais non
pas deux Tribunes. Eh pourquoi deux Tribunes? pour
remettre en conHit les Pouvoirs? pour permettre aux
intérêts matériels, ainsi groupés, de renverser tôt ou tard
les intérêts moraux? pour opposer de nouveau les passions
aux traditions~ pour soulever Jes opinions contre les prin-
cipes et mettre tout en feu ?
En outre, prenons garde à l'idée révolutionnaire cachée
'sous ces deux mots voter ~~p< Chacun évidemment
est maître de son bien, et en dispose a sa manière, si l'on
excepte ce qu'il doit a ceux qui lui garantissent l'existence
et la sécurité; car nul être civilisé ne peut produire la
valeur d'un centime qu'une part n'en soit due à ce titre à
la Société. Mais ici est-i! admissible que l'Etat mette
chaque année en question le traitement qu'il doit au clergé,
qu'il doit à la magistrature, qu'i! doit à t'armée, qu'il doitt
au Roi? autrement dit, que la nation mette périodiquement
en question sa propre existence?. Et a qui l'Etat va-t-il
soumettre une semblable demande de fonds? précisément
à ceux qui ont jugé bon de nier successivement la nécessité
du clergé, la possibilité de la guerre, la légitimité du Roi.
Cependant on vote ces fonds. C'est là ce qu'il ne
faudrait pas faire! Faut-il pour le maintien de la vieille
imposture, demander publiquement à la Révolution si elle
veut nous permeUrc de conserver nos conditions de vie?
Quoi! voter pour savoir si l'on doit ou non rester en
LÉGIT. 37
société, et demeurer ainsi sur le pied du Contrat social
Les hommes sensés doivent en convenir dans le bud-
get d'une nation il y a les points fondamentaux, indis-
pensables, qui ne sauraient dépendre des décisions d'un
scrutin; ensuite les points imprévus ou nouveaux, qui
doivent être examinés et discutés. Les premiers, obli-
gatoires comme des devoirs, restent placés sous la garde
de la Chambre des pairs, ainsi que le contrôle de l'emploi
des fonds qui y sont consacrés. Les seconds, c'est-à-dire
les impôts nouveaux, facultatifs, ou livrés à l'appréciation,
peuvent seuls être soumis à l'examen des Chambres,
intervenant alors toutes deux de concert avec le souverain 1.
Sur un point de cette importance, il faut au moins nous
affranchir de la Révolution et arriver au vrai D'ailleurs,
les événements feront table rase on pourra reprendre
la base et revenir à la sincérité.
Les devoirs de la Chambre élective sont trop évidents
et trop distincts pour qu'elle puisse dire avec Sieyès
Qu'est-ce que le Tiers Etat? rien. Que doit-il être? tout.

(i) La nécessité a bien obligé d'en user de la sorte pour l'administration


communale. Dans )e budget, de chaque commune, il y a deux catégories de
dépenses, l'une obligatoire et l'autre facultative. La première ne dépend
d'aucun voie, la seconde seule est livrée à l'appréciation. Sans cette loi, il
n'y aurait déjà plus de communes..
(2) On dit que les Etats généraux étaient appelés à voter les impôts c'est
un fait sur lequel il faut s'entendre. Comme ces Etats se composaient des
notables de chaque province, ces derniers prenaient la résolution de faire
accepter et voter les impôts devenus nécessaires, ou décidaient les peuples
à parfaire une somme toujours équivalente, & mesure que la monnaie perdait
de son prix par l'augmentation successive du numéraire.
L'Etat a-t-i! donc en lui-même le droit d'augmenter les impôts? Il n'a
bien, en réalité. que celui de les diminuer. Mais quand survient le cas, tou-
jours extraordinaire, d'augmentées impôts, c'est à lui d'exposer la situa-
tion du pays et d'eu obtenir un consentement.
En d'autres termes: Qu'est-ce que Je Roi, l'Elise, l'aristo-
cratie, les traditions, les fondements de la société et tous
les droits acquis? rien. Qu'est-ce que la classe moyenne et
l'industrie? tout. Et, à son tour, comment la Chambre
élective ne serait-elle rien, elle qui représente les intérêts
matériels des provinces, des corporations, des individus,
tous les intérêts en un mot répandus sur le territoire?
Ici le bon sens parte. En premier lieu, bien
que les
intérêt matériels et les intérêts moraux soient, liés, il
nous faut une Chambre pour sauve-garder les premiers, et
une Chambre pour sauve garderies seconds; mais il ne
nous faut pas deux Tribunes. En second lieu, il importe
de ne pas mettre en question les impôts permanents
ou fondamentaux, pour les confondre avec les impots
facultatifs.
Faute de savoir comment la Société est conformée~ l'a
on
renversée tout entière. C'est l'erreur qu'il faut maintenant
renverser! Craignons-nous de toucher à la Révolution?
Quand elle croulera, nous ne verrons sortir qu'une
poussière.

CHAPITRE XXXIX.

Tout doit être représenté par réfection.

Les élections troublent notre pays depuis


« un siècle,
dit M. Coquille; au fait, elles sont organisées
pour le
triomphe de la Révolution. Que peut-on dire de plus
exact?
La poétique ne saurait reposer que sur l'état réel de la
nature humaine. Or, il faut le reconnaître, les hommes ne
réussissent que dans les choses dont ils se préoccupent, et
généralement ils s'inquiètent d'eux-mêmes, et non de la
vérité. Ils arrivent ainsi à connaître leurs intérêts, mais
rarement à s'élever jusqu'aux principes. C'est donc en
réalité sur leurs intérêts qu'ils peuvent être sérieusement
et avantageusement consultés.
Plutôt que de s'élever d'eux-mêmes aux principes, on
voit les hommes embrasser les idées les plus fausses,
même les plus absurdes, pourvu qu'elles règnent géné-
ralement. C'est une triste vérité la preuve en est d'abord
dans les superstitions qui se répandent au sein des cam-
pagnes et dans les préjugés qu'on entretient au sein des
villes, ensuite dans ces peuples entiers professant le
mahométisme aux portes mêmes de l'Europe, enfin dans
ceux plus nombreux encore de l'Asie ou de l'Afrique, pro-
fessant tout de bon l'idiotisme en matière de religion~. Ces
faits, à la fois si récents, si anciens et si universels,
prouvent avec évidence que, s'il est opportum de consulter
les hommes sur leurs intérêts, il ne l'est pas de consulter
les masses sur les principes.
Or les intérêts sont divers, et se trouvent d'autant mieux
servis que l'on parvient à mieux les distinguer les uns des
autres. Car'le but est évidemment de donner droit à tous
les intérêts légitimes.

(!) Farterons-nous de t'etat des populations dissidentes, bien que partout


en contact avec le bon sens qui éclate dans le catholicisme? Persistant dans
l'erreur qui, en religion, substitue visiblement l'interprétation de l'homme
à la parole de Dieu et à ses sacrements, et qui, en politique, remet non
moins visiblement la souveraineté spirituelle à l'Etat, elle3 courent toutes
sans le voir, et sous prétexte de liberté se plonger ostensiblement dans
un césarisme absolu.
Dans son élection comme dans sa composition, la
Chambre appelée à prendre ces intérêts en main doit
donc répondre à nos deux grandes catégories, autrement
dit, représenter l'agriculture et l'industrie, les besoins
des campagnes et ceux des villes, besoins de plusieurs
espèces et qui souvent dépendent des localités.
Or, comme il ne saurait y avoir une Chambre rurale et
une Chambre urbaine, et qu'on doit harmoniser les
intérêts d'une nation bien loin de les mettre en conflit,
la Chambre des députés du pays renferme en quelque
sorte deux grandes commissions, mais toujours sous con-
dition d'aboutir à l'unité de vote ses membres ne pouvant
oublier qu'ils ont pour but d'embrasser et de coordonner
tous les intérêts du pays. Car s'ils tombaient en désaccord,
si un malentendu survenait entre les intérêts de l'agri-
culture et ceux de l'industrie, le pouvoir royal interviendrait
comme régulateur, heureux d'étendre sur tous les Français
les e~ïets de sa paternité souveraine.
L'élection doit partir à la fois de toutes les branches de
la production et de toutes les existences nationales. Car
tels sont ses éléments. Pour l'agriculture, les provinces
ont à faire valoir leurs intérêts locaux elles. ont dès lors à
exposer les besoins de chaque branche de production,
céréales, vins, bestiaux, bois, laines, betteraves, plantes
textiles ou industrielles, etc. De même, pour l'industrie,
il importe d'assurer à chaque corps de métiers, à.chaque
corporation, à chaque grande compagnie, ou un repré-
sentant, ou un moyen certain d'être représenté.
On doit conséquemment assurer les mêmes moyens à
l'armée, au clergé, aux ordres religieux, à toutes les
magistratures, aux parquets, au barreau, aux chambres
de notaires et d'avoués aux chambres et aux tribu-
naux de commerce, aux sociétés de médecine, de scien-
ces et de beaux-arts, sans oublier ici les sociétés telles
que la société de S. Vincent-de-Paul, comme tout ce qui
pourvoit à un besoin moral ou matériel. Ce sont là des
existences sociales, toutes légitimes, qui, suivant leur
importance, présenteraient ou des électeurs~ ou des repré-
sentants directs~.
Ainsi toutes les fonctions ou professions (y compris les
corps investis d'un caractère sacré) doivent être autorisées
à se classer selon leurs spécialités, à traiter de leurs
intérêts et de leurs obligations, et à nommer leurs repré-
tants. Les hommes sont en société, et rien n'est plus
naturel et plus légitime que ces liens particuliers de la
profession et de !a fonction au sein même du corps
politique. 1
L'Etat pourrait-il se jeter, comme la Révolution, dans
un oubli systématique du droit que possèdent les corpo-

(1) On peut prendre un point de comparaison dans ce qui se fit en 1789.


D'après t'arrêt du conseil d'état de 1788, le clergé possédait une repré-
sentation ëgate à celle de la noblesse. En sorte que les Etats généraux se
trouvaient composés pour un quart des députés du clergé, pour un quart de
ceux de la noblesse, et pour une moitié de ceux du tiers état, où figuraient
<' les français âges de 25 ans domiciliés et compris au rôle des impositions. &
Tous n'avaient pas ie suffrage direct,. mais ils désignaient un certain
nombre de députés électeurs. Dans ta noblesse, l'élection était directe; dans
le tiers état, à 2 ou à 3 degrés, selon le cas, et dans le clergé, en partie
directe et en partie à 2 degrés. Les évêques avaient droit chacun à une
voix à Paris 10 chanoines nommaient un électeur et les autres prêtres en
nommaient un par vingt. Dans les cantons ruraux, on ne comptait pas les
individus, mais les feux, et !e nombre des députés électeurs était de 2 à
raison de 200 feux et au dessous. Dans les villes, les corporations d'arts et
métiers choisissaient un députa, a raison de cent individus et au-dessous, et
2 jusqu'à 200. Les corporations d'arts libéraux ou de commerçants, comme
les autres citoyens formant f/~ corps autorisés, nommaient 2 députés à
raison de 100 individus, etc, otc.
rations, les professions et les fonctions diverses, ou moins
encore, du droit que possèdent les âmes, dont on ne tenait
pas plus compte, depuis 89, que du Dieu qui les
a créées?
Pourrait-i), à la suite de l'internationale, mettre en
question la légitimité de la famille, du travail, du capital,
de l'hérédité, de la justice, de la charité, etc., ou moins
encore la légitimité de !a Foi, sauvegarde et source pre-
mière de leur existence et de leur développement ?
Echappons à la mort de l'unitarisme, qui, pour atteindre
uncégalité illusoire, prétend ramener à une mortelle identité
toutes les professions, tous les intérêts, tous les individus.
Mettant ainsi tout en poussière, il sacrifie les campagnes
aux villes, l'individu au nombre, les intérêts moraux aux
passions du moment, et la nation aux orateurs qui
l'exploitent. Ne tenant compte, en un mot, ni de Dieu, ni de
l'homme, ni de la famille, ni des unités formées par la com-
mune, !ecanton, les corporations,tes Ordres et tes provinces,
ni de la Royauté, ni dès lors de la nation en chair et en
os, cet unitarisme n'a été que l'anéantissement du pays.

CHAPITRE XL.

Véritable élément électoral.

Il s'agit de reconstruire, et dès lors de recueillir la


nation telle qu'elle se forme. L'organiser, c'est donner une
existence !éga!e à tous les droits et à tous les intérêts
légitimes. Aussi, dans le sunrage rationnel, retrouvons-
nous toute la société d'abord, le lien qui unit Dieu à
l'homme, l'homme à la propriété, la propriété à la famille
ensuite, celui qui unit la famille à la commune, la commune
au canton, le canton au département, le département à
l'Etat. L'agriculture elle-même reçoit le moyen de subs-
tituer enfin l'élément protecteur à l'élément révolu-
tionnaire. Elle échappe à la tyrannie des hommes qui
n'ont rien à défendre, des gens sans aveu, des ivrognes,
des désœuvrés, des perturbateurs, de tous ceux dont les
votes étouffent par leur nombre l'action des propriétaires
et des vrais constructeurs de la société.
Ici, chose admirable, l'organisation politique ne fait,
d'une part, que suivre l'essor même du développement
de la nation, pour y ressaisir le mérite, ce principe par
excellence du développement de l'homme; et, d'autre part,
que s'élever, comme on vient de le dire, de la propriété à
la famille, de la famille à la commune, etc., pourembrasser
en même temps tous les organes de la nation et leur pré-
cieuse hiérarchie. Ici la construction de l'homme et. la
construction na tionale sont choses parallèles!1
La nation se trouve alors représentée dans ses forces
morales comme dans ses forces matérielles, dans ses
devoirs comme dans ses besoins l'homme y est complé-
tement institué. Quant à l'individu qui persiste à ne rien
produire ni en vertu', ni en travail, il s'exclut lui-même de
la nation, puisqu'il sort de l'état social, ou plutôt de sa
propre nature qui est d'entrer dans la voie du mérite, de
faire produire sa liberté.
Les hommes qui n'ont ni champ, ni logis', ni famille,

(<) Le moindre des individus doit au moins & la société la preuve d'une
vie honnête, indiquée parte domicHe. Le domicile dénote ces re!atior)sde
voisinage dans lesquelles l'individu se fait connaître de ses semblables, se
appartenant par le fait à l'état sauvage, ne sont-ils pas
dans l'impossibilité de représenter aucun des éléments de
la Société? Le premier degré de l'élection commence
nécessairement avec la famille et les premiers linéaments
de la propriété, ces deux signes non équivoques de la
capacité morale, et dés lors du devoir social accompli.
La famille est la molécule organique; le père en est le
centre. L'homme n'est pas un grain de poussière, mais
l'anneau d'une iongue chaîne. li identine son existence,
ses intérêts, ses souvenirs, ses espérances, à l'existence,
aux intérêts, aux espérances de ceux qui lui sont liés par
le sang, et de là découlent presque tous les faits sociaux.
Si individu tend à la dispersion, il y a une force qui
retient constamment les anneaux prêts à se séparer, les
ramène à ta Société, et fixe le centre ou tout se rallie. Cette
force ou ce centre, c'est l'autorité paternelle.
Ainsi l'Etat se forme de petits états, la société de petites
sociétés, la nation de petites nations. Le père de famille
est le pivot de la nation, et le gouvernement une extension,
une généralisation du pouvoir paternel. C'est pourquoi
celui-ci est l'élément électoral. Une nation n'est pas formée
d'individualités isolées, mais de familles constituées. La
Société n'est pas une agglomération de parcelles, mais une
formation dont l'élément est déjà une cristallisation formée
sur le même plan que l'ensemble. L'Etat, enfin, n'est pas
un assemblage art ificiel, mais une structure hiérarchique
des autorités sociales fournies par la nature même. Au

tient sous leurs regards, s'attirant leur estime ou leur mésestime. Dans cette
situation, il se trouve contraint d'accomplir les plus indispensables devoirs
de l'homme. Aussi, le terme .flétrissant de vagabond s'attache à quiconque
ne veut séjourner nulle part.
Le domicile est la dernière trace de capacité sociale, et le point au deii't
duquel toute indice de civilisation expire..
lieu de ces réalités, la Révolution nous offrait, toutes
ses
abstractions théoriques.
Aussi voit-on la Société grandir sur tous les points où
l'autorité paterneHe reste intacte, et déchoir partout où
cette autorité s'affaiblit. Tout se rattache à cette première
autorité directement divine croyances, loi naturelle,
traditions, vertus et apprentissage; tout ce qui produit
l'ordre se transmet par ce canal. Le sang et le capital
sentent bien, aujourd'hui, que leur planche de salut est
l'autorité paternelle. La France périt par la destruction de
l'ordre social, et celui-ci périt par la destruction politique
de la famille.
Te!!es sont les raisons à la fois naturelles, sociales et
politiques, pour lesquelles le pouvoir d'élection ne se peut
rattacher qu'au pouvoir paternel. Et si le prêtre, le
magistrat, ou le président de corporation a aussi la qualité
d'électeur, c'est qu'il est précisément ici le père d'une plus
grande famille. Le Pouvoir politique n'est, à le bien com-
prendre, qu'une extension à la société entière du pouvoir
paternel pourrait-il commencer par le méconnaître, !e
détourner ou l'affaiblir?
Dans un ouvrage à consulter sur La fa1nille et la
Société en France avant la Révolution, M. de Ribbe
résume ainsi le premier Article des constitutions muni-
cipales de l'ancienne France « Est électeur tout chef de
famille, propriétaire, ayant des intérêts dans la commu-
nautélocale à laquelle il est incorporé. H est également éligi-
b!e à la condition d'offrir des garanties par l'inscription au
cadastre d'une certaine valeur foncière~. »

(i) a Autrefois, dit M. Coquille, on comptait les électeurs par feux,parce-


que le père de famille remplissait seuMea fonctions politiques et votait dans
les élections. Et il en est ainsi chez tous les peuples, Dans ce principe, les
CHAPITRE XLI.
SuSrage rationnel.

Et d'ailleurs élever le sens électoral, c'est élever le


niveau du pays. Comme la Société consiste dans le
triomphe de !'inte!!igence sur les forces brutes, on doit
autant que possible substituer ainsi Féiection rationnelle a
l'unitarisme absurde du suffrage universel. Ce dernier, on
peut maintenant le comprendre, non seulement abaisse,
mais fausse totalement la représentation du pays, puisqu'il
substitue le mouvement de ceux qui détruisent la~Société,
à l'impulsion de ceux qui la construisent..11 est l'expression
des passions, au lieu d'être celle de la raison. Il est la
honte, il est la perte du pays.
C'est en vain que le monde politique s'agite, s'il ne veut
pas recourir aux principes, et s'il veut mépriser
les faits.

femmes et les enfants ne sont pas alora exclus toute la famil!e vote par son
chef. n Tel est le véritable suffrage universel « honnêtement pratiqué. Il
Sur ce dernier point, voir les judicieuses observations que M. le vicomte
d'Anthenaisp a présentées dans sa brochure intitulée Une solution aux
questions sociales.
« Henri V. ajoute encore M.
Coquille, c'est la France gouvernée, non pas
par un homme, mais par une famille royale ce sont toutes les familles
françaises élevées et devenues, par anatogie. les principes de notre orga-
nisation sociale. Ne voyous-nous pas que la famille royale, la famine aînée.
invite immédiatementles autres familles, ses sœurs, à participera son action
et à prendre part au vote politique? Voilà donc le suffrage universel dans
sa plénitude, etenréaHteuti suffrage universel quatre fois plus considé-
rable que le suffrage qui découle de i.T. loi actuelle. »
576 TROISIÈME PARTIE.
H ne s'agit* pas ici d'am~iorer l'ouvrage de la Révolution,
mais de le renverser de fond en comble. Pour arrêter la
violence du mal, il faut recourir à un traitement plus pro-
fond, à un remède plus radical qu'une réforme.
On comprend que l'individu qui n'a rien su constituer,
qui n'a pas eu le cœur de fonder une famille pour rendre
a la société le premier bien qu'il en a reçu,
n'a pas encore
posé le pied sur le premier échelon social. Celui qui ne
représente ni une famille, ni un champ, ni un logis, que
peut-il représenter, et à quoi peut-il concourir? Sa
position même démontre qu'il est moins apte encore à
concourir à l'existence de la justice, à celle de l'ordre ou
de la loi. Alors, que peut-on attendre de lui? Refusant
d'apporter le moindre concours à la nation, il ne lui ap-
partient que comme force négative. Il ne peut en attendre,
après l'ilnstruction religieuse, que de la protection et des
secours.
La capacité sociale commençant au père de famille et au
propriétaire, les pères de famille et les propriétaires sontt
donc les véritables électeurs communaux. Ils nomment,
suivant le chiffre de la population, les électeurs au canton,
ceux-ci nomment les électeurs à l'arrondissement, ces
derniers les électeurs au département, lesquels nomment
les députés à la Chambre élective~.
On comprend que des électeurs communaux soient aptes
à nommer des conseillers municipaux, ceux-ci à nommer
des conseillers d'arrondissement, ces derniers à nommer
des conseillers généraux, et ceux-ci enfin à élire les

(i) II y a néanmoins à reQéchir ici aux inconvénients issus des coteries


formées par les petits groupes. Il faut savoir s'il ne deviendra pas néces-
saire de statuer que les électeurs a la commune seront aussi électeurs au
canton.
députés. Voilà ce que dit le bon sens, et ce qu'il est
raisonnable d'attendre de l'élection. On demande à chaque
série de citoyens de se prononcer sur des hommes qui
vivent parmi eux, qui sont à leur portée, qu'ils connaissent
et peuvent apprécier. C'est tout. ce que l'on peut judicieu-
sement obtenir du jugement d'un homme; et si ce sont là
des degrés d'élection, ce sont- de plus ceux que suit la
raison.
On n'aura que les résultats de l'orgueil en rentrant
dans l'unitarisme. Ce n'est pas seulement une odieuse
injustice de ramener le prêtre, le magistrat, l'homme de
bien au même niveau que le vaurien et l'homme dis-
solu, c'est aussi un non sens. C'est maintenir une posi-
tion désastreuse que de noyer dans le sucrage universel
les classes dirigeantes, d'y étoul~r ainsi toutes les supé-
riorités. L'unitarisme est un chaos, c'est une destruction
nationale. Si le peuple méconnaît l'opération du magistrat,
s'il ne comprend pas le travail prodigieux du prêtre, et
s'en va répétant que celui-ci n'est qu'un oisif, à son tour
le marchand, l'homme des classes moyennes, ne comprend
pas le but d'une aristocratie, ni le rôle des sentiments
élevés. Ce sont ces classes, ne l'oublions plus, qui, en i830,
ont banni le roiJégitime, annulé l'empire de l'Eglise et
peu à peu conduit la France à l'état ou nous ta
voyons.

(~ <' LaRévolution de 89, dit M. Thiers dans un de ses Messages, a établi


sur la base de ta véritable justice sociale l'existence de tous; ses principes
ont envahi le monde parce qu'ils n'étaient autre chose que cette justice pro-
clamée et appliquée pour la première fois sur la terre. ') Paroles que les faits
traduisent comme il suit 89 a établi sur l'orgueil gênera) l'existence de
tous, et ce principe a envahi le monde, parcequ'il n'est que cet orgueil pro-
clame et appliqué pour la première fois sur la terre..
JI ne faut donc pas qu'une classe supérieure dépende
d'une classe inférieure, comme le veut t'unitarisme. Ce
serait une politique à tout écraser! On doit être élu par
ses pairs, autrement tout est démoli. I! est trop clair que
depuis quatre-vingts ans le peuple ne voudrait pas de la
bourgeoisie, ni la bourgeoisie de la noblesse, ni celle-ci la
plupart du temps de omnipotence du Roi alors que
reste-t-il?. Et voilà où en est la France. H était réservé
à la Révolution de jeter tous les éléments dans une fusion
qui les anéantit, de réduire une nation à l'état de
troupeau.
L'habitant des campagnes fait toujours beaucoup plus
de cas du légiste qui le dirige dans un procès, dans la
conquête ou la défense d'un héritage, que du théotogien
qui le guide dans sa conscience, et surtout que de l'homme
d'Etat, dont jamais il n'ouït parler. Or sur ces points,
l'homme des champs est de fort peu dépassé par l'homme
des classes moyennes, sans cesse. préoccupé de faire sa
fortune. Dès lors, comment attendre de ces deux dernières
classes, nécessairement les plus nombreuses, la direction
que doit recevoir le corps spécia!? Pour complaire aux
rêveurs inspirés par Rousseau, faut-il sortir aussi comp!é-
tement de la pratique rationnelle?
Voyons enfin les choses comme elles sont. La Société
ne repose pas sur ce qui est en bas, comme le dit le
libéralisme. La pyramide est renversée. Les mondes ne
touchent pas terre; ils marchent suspendus par l'attraction
qui les soutient d'en haut. En bas se trouve, non le peuple,
mais cette populace dont il faut que, par les gendarmes,
les prisons et la police correctionnelle, la Société fasse
tous les frais! Au-dessus de cette couche inférieure, se
tient celle des hommes nuls que la nécessité seule lie au
travail, que les lois seules retiennent dans les liens de la
famiMe ou dans les bornes de la justice. C'est encore au-
dessus que peu à peu commence le règne de ceux qui vont
au devant du travail, de !a justice et des devoirs, seuls
points sur lesquels l'ordre social peut fixer une base.
Pour asseoir une politique, il faut absolument examiner
comment la Société est faite
l! ne s'agit donc pas ici de supprimer des électeurs,
mais d'installer ceux qui le sont réellement, de faire sur-
nager les véritables citoyens, de les affranchir des inca-
pables, qui sont de purs enfants mineurs, enfin de les
mettre à l'abri de ceux qu'unit ia solidarité du mal. Tel
est le vrai sucrage universel, qu'on ne doit pas forcer
de descendre où il n'y a rien et d'envoyer les for-
ces négatives ou destructives. Demander toujours l'im-
possible, c'est vouloir rester sans résultat. L'élection à
plusieurs degrés est dans la nature même des choses,
c'est la victoire des forces morales sur les forces brutes,
de toute civilisation sur la barbarie; enfin c'est la repré-
sentation vraie d'une Société humaine. On ne peut pas
empêcher l'individu qui fait le bien d'être socialement au-
dessus de celui qui ne veut pas sortir du néant ou du
mal. L'élection à plusieurs degrés n'est que l'élection
rationnelle substituée à Fétection matérielle et ini~etii-
gente. On n'est pas plus en droit d'exiger que la foule
se prononce sur un programme politique que sur un
programme philosophique; et tous les systèmes du monde
ne sauraient faire que les hommes d'une condition infé-

(.1)Et, par exemple, que se passe-t-il aujourd'hui ? On le voit. toute une


classe inférieure vole tant qn'e)te peut pour consommer ou arriver à la for-
tune, et toute une autre classe au-dessus intrigue tant qu'dte peut pour
arriver au Pouvoir.
rieure puissent, apprécier et appuyer ceux d'une con-
dition supérieure.
Au surplus, il ne s'agit point ici de fixer la loi électo-
ral mais d'indiquer comment on doit rentrer dans la
pratique, assurer le triomphe à la raison, revendiquer
les droits légitimes, briser enfin l'unitarisme absurde qui,
broyant la nation, individus et intérêts, n'en faisait
qu'une pâte, prête à couler dans tous les moules du des-
potisme. L'unitarisme est un écrasement de toute intel-
Hgence, une ruine du droit. Ce n'est pas avec l'élection
ininie!iigenie que la Société ramènera à son niveau les
races que la Révolution a dégradées. Mais arrivons à
une autre question qui a presque autant d'importance.

CHAPITRE XLII.

Question des classes ouvrières.

Un point tout aussi grave que celui de la question élec-


torale, et que celui de !a réforme de l'enseignement supé-
rieur, c'est ce qu'on a nommé la question des classes ou-
vrières. Ce sont, en ce moment, les trois grandes questions.
I! faut tuer la Révolution dans son âme et dans son corps..
y a là un torrent dont les eaux amoncelées sont
à la veille de tout entrainer. Loin de le diriger, les gou-
vernements qui se succèdent depuis i830 n'ont fait que
le laisser grossir et le rendre plus furieux encore. Cepen-
dant, pour t'aménager et lui donner un passage facile, il
ne s'agit que de vouloir.
Ici la France n'a uniquement pour but de se mettre
pas
à l'abri d'un désastre. EHe doit se préoccuper sérieuse-
ment de cette part si considérable du peuple qui, aban-
donnée à l'industrialisme, est maintenant désignée sous
le nom de classe ouvrière' Du premier coup d'œit, on
saisit l'origine de cette dernière, le mobile qui la forme
et le terme où elle aboutit. Et de même, d'un seul coup
on peut endiguer ce torrent grossi par la Révotuiion.
C'est au nom de l'humanité, tout autant qu'au nom de la
France, qu'il faut appeler sur ce point l'attention des
hommes ~d'Etat.- v

Là solution est déjà entrevue par ceux qui ont suivi les
données qui précèdent, puisqu'e!!e-sc trouve dans !a cons-
titution de la propriété. Mais ici, plus de circonlocutions!
il s'agit du salut du peuple, il est temps de
nommer les
choses par leur nom la plaie, la grande plaie, c'est
l'Industrialisme
Et, d'abord, faut-il placer de nouveau sous nos yeux
les calamités qu'il entraîne? dépopulation des campagnes,
abandon des populations ouvrières à la corruption des
villes et à l'infection de l'atelier, développement de toutes
les cupidités à la vue de fortunes brusquement amassées,
goût désolant du luxe, fureur pour le plaisir chez tant de
faibles hommes rendus témoins de cet entraînement
aux
jouissances qui caractérise les familles nouvelles,
perma-
nence des masses au sein d'idées fausses et perverses, que
les demi-savants et les déclassés répandent dans les grands
centres, affluence excessive de familles nouvelles et

(i) Comme si les cultivateuri3, fidèles au sol


où Dieu les a placés, ne cons-
tituaient point une part plus considérable et plus respectable encore de la
classe ouvrière1
LÈGtT. 38
corruption sociale éclatant au milieu de classes, également
nouvelles, qui se voient tout-à-coup dans L'or. L'homme
se croit toujours le cceur plus haut que sa fortune, même
alors qu'il s'abat sous les plus vulgaires concupiscences.
Et faut-il maintenant indiquer les natures qu'un si
puissant système de corruption vient enlever à nos cam-
pagnes pour en former les classes ouvrières? Faut-il dire
quelles sont les nobles raisons qui déterminent le jeune
homme ou la jeune fille à quitter les champs pour les
grandes villes? Pourcelle-ci, s'abandonner à la coquetterie;
pour celui-là, se livrer à la vie libre du cabaret; pour
l'un et l'autre, entrer dans une entière indépendance, se
mettre hors de la portée de leur famille, s'affranchir de'
toute surveillance, être près des théâtres ou d'autres lieux,
voilà les mobiles qui, approvisionnant les classes ouvrières
des villes, multiplient les instruments dans les mains de
ceux qui font rapidement fortune!
Amis du peuple, regardez en France, sur des milliers
de points, un homme jeune et faible esquive la surveillance
de sa famille, de son curé, de ses voisins, de ses compa-
triotes au moment où toutes ses passions s'allument, il
disparaît, loin de tous les regards et de tous les conseils,
dans un centre d'erreurs, de convoitises et de séductions..
Telles sont les levées qui recrutent l'armée mise au ser-
vice de l'industrialisme et grossissent les rangs de celle
dont dispose l'Internationale! pour l'une et l'autre, vous
avez les mêmes soldats..
Et ce sont ces gens-là qui depuis quarante ans nous
dominent!1 Ce sont eux qui font pâlir tous les hommes
d'Etat, qui veulent changer la société humaine, qui, pour
satisfaire la soif de l'envie, incendient, démolissent la
France pour en livrer les cendres â l'étranger, et qui pré-
tendent vous égorger demain A!i ce n'est pas la moindre
honte de cette société moderne
H est partout des exceptions,
car l'Eglise en tous lieux
fait des saints. Mais voilà ceux qui approvisionnent nos
populations de toutes les espèces viies, ceux qui réclament
le suffrage universe), ceux qui exigent chaque jour une
augmentation de salaire, ceux qui demandent « à nier Dieu
pour amrmer l'indépendance de l'homme », et qui récla-
ment l'instruction laïque pour que pas une âme n'échappe
aujourd'hui à cette conflagration de l'athéisme et de
l'ignominie où les jettent le vice et le malheur!
!i n'y aurait plus qu'à verser des larmes s'il n'existait
aucun moyen d'arrèter un tel embrasement, et d'éviter
une ruine définitive. L'humanité, la raison, le salut de
tant d'âmes, à défaut de celui de la patrie, nous crient
d'arracher !a France et ses populations si chères aux
horreurs d'une telle dissolution

CHAPITRE XLIII.
Nullité des solutions. Légitimité du travail..

Jusqu'à ce jour les économistes et les hommes d'Etat


ont pensé résoudre le problème, tantôt par ce qu'on appelait
l'organisation du travail, et tantôt par ce qu'ils nommaient
l'organisation des classes ouvrières. Sous les noms de
société coopérative, société de crédit, société de production
ou de coM~o?M~a~oM, société des économistes, de crédit
au travail, etc., tous les moyens ont été essayés, puis con-
damnés.. On parle maintenant d'accroître les salaires et de
diminuer les heures de travail; enfin, de recourir à l'ins-
truction obligatoire.
Au fond, ce qu'on a designé sous le nom d'organisation
du travaiL ne serait que la destruction du capital et du
travail, dès-lors, de la civilisation elle-même. Quant à la
thèse de l'organisation des classes ouvrières, pour com-
prendre à quoi elle vient aboutir, il suffit de savoir que ce
sont les Loges et l'internationale qui ont fini par s'en
charger. Reste pour amétiorer l'homme et sa condition,
l'accroissementsuccessifdes sataires, suivi d'une diminution
des heures de travail, puis l'instruction laïque obligatoire.
C'est-à-dire qu'on promet maintenant à i'homme de mul-
tiplier ses jouissances tout en diminuant le travail qui ies
produit 1 Hé!as! tous ceux qui voient où nous en
sommes disent le cataclysme est là, tout est fini.
A-t-on rceUement pris au sérieux les désirs d'organi-
sation et de moralité des ouvriers qui sortent des cam-
pagnes pour se vouer à l'industrie? A-t-on pu tout de bon
croire que des augmentations de salaire accroitraient
l'aisance dans leurs familles, et que, par la diminution des
heures de travail, on en verrait consacrer quelques-unes
au travail intellectuel, à la méditation, aux arts, à la
moralité, à la sociabilité? C'est la Révolution qui nous a
dit cela! et s'il en était ainsi, une amélioration morale
1

(ij Faire des promesses et saturer le peuple demensonge, tel fut l'expédient
de tous les ambitieux L. Napoléon aspirant à l'empire, disait Les classes
ouvrières ne possedeht rien, il faut les rendre propriéLaires! Comment
rendre ou plutôt maintenir propriétaires, ceux qui n'ont pu fonder un
capital? la vertu seule peut produire un tel fait. Il ajuutait e Ces classes
sont sans droit et saus avenir, il faut leur assurer l'un et l'autre par la loi
civile. Dans les champs, où l'on travaille, où l'on économise, les hommes
sont-ils sans droit, sans avenir?
r
aurait immédiatement suivi les transactions faites déjà sur
ces deux points. Eh bien, il faut !e reconnaitre ici le butt
des ouvriers, en généra! leur vrai désir, est d'avoir plus
d'argent pour mieux s'amuser.
Demandons aux économistes eux-mêmes ce que produit
cette augmentation de sa!aire? Ils répondront Un accrois-
sement d'ivrognerie. Demandons-leur quel est le résultat
de la diminution des heures de travail? Ils répondront
C'est de donner à l'ouvrier le temps de manger la journée
qui commence ou celle qui vient de finira
Voita ou aboutissent les solutions données par le libéra-
lisme. Voila ce qu'il arrive quand on s'avance sans con-
sulter les lois de Dieu. Pourquoi Dieu a-t-il fait le travail,
et pourquoi le travail vient-il enlacer l'homme depuis
l'instant de son réveil jusqu'à celui de son repos? Le
Créateur, à l'aide de la faim, et malgré tous les inconvénients
que certainement elle entraine, rend inexorable la loi du
travail et nous, sans plus de souci, notre premier mouve-
ment est de la détourner et, s'il se pouvait, de l'abolir!
La nature nous aurait-elle traité plus rigoureusement
que les moindres insectes, qui, sans travail, rencontrent
autour d'eux une pâture prête? Ne pouvait-on se
demander pourquoi?
L'oublions-nous? au fond, l'homme est concupiscence,
c'est-à-dire gourmandise, paresse et volupté. Constamment

(i) Tous les fahricants avouent que les ouvriers les mieux payes sont les
plus adonnés à l'ivrognerie. En Angfeterre on dit proverbialement que les
artisans les mieux payés sont les plus débauches. La Chambre de commerce
de Paris a déclare « que les ouvriers qui gagnent les plus forts salaires sont
ceux qui font le moins d'économies, e Voir J. Simon, /o<r/e/'c;
Congrès de Francfort VH)ernie,.ra& des OMU.; Congrès de
BruxeUes Statistique de l'industrie de Paris, 1851.
il côtoie trois abîmes, dont un seul pour jamais l'en-
gloutit. Mais le travail accourt pour dévorer les heures et
saisir cette main toujours prête à ouvrir l'une des portes
de la mort. Ce n'est pas tout, le travail, chose merveilleuse!
est l'etlort appliqué à cette volonté détendue par la Chute
et à ce cœur qui retombe sur lui pour s'aimer. Le travail
se tient là pour relever, retremper à chaque seconde cette
volonté ramollie, et retirer ce cceur du sépulcre que lui
creuse le moi. Sans le travail, sans la nécessité de
répondre à la faim, le genre humain ne serait plus. Il serait
tombé épuisé, non pas sous le coup de la faim, mais sous
celui de sa concupiscence, de sa dissolution..
Le travail est l'acte libérateur! Dieu l'a fait incessant
pour ne pas accorder un/seul moment au vice. II faut que
l'homme s'endorme au moment où le marteau lui tombe
des mains, sinon la volupté ou l'ivrognerie sont prêtes à
le frapper. Le travail est son ange gardien, son tuteur et
son rédempteur. C'est l'invention de Dieu au moment où
s'écroulait l'homme; c'est le sceptre avec lequel celui-ci se
redresse et se remet debout. En est-ce assez pour justifier
la journée de l'homme, reconnaître le prix et la tégitimité
du travail?
II y a donc moins à le restreindre, qu'à surveiller la
manière dont se consomment ses produits! Et, quant à
écarter cette action régénératrice, pense-t-on que Dieu
Feùt permis*? On n'a qu'à voir ce qui arrive aux familles
ou aux classes qui, tout à coup affranchies du travail
manuel, ne se consacrent pas aussitôt à un travail plus
relevé, mais plus assujettissant encore.

(t) Il y a dans l'homme des devoirs et des besoins et même ceux-ci


n'existent que pour faire accomplir des devoirs. Enlevez ces derniers, et il
n'y a plus d'homme.
CHAPITRE XLIV.

Effets de l'augmentation des salaires et de la diminution du travail.

Les salaires réclamés aujourd'hui ne demandent pas à


s'élever en raison de la quantité et des résultats du travail
mais en raison des exigences de l'ouvrier et de l'imminence
de la Révolution. Cela devrait tout expliquer.
'On devait réfléchirqu'une civilisation ne peut promettre
l'augmentation des jouissances par la diminution du
capital et du travail qui les produit; que l'homme ne
saurait réussir à multiplier les profits tout en diminuant
les peines. Alors on aurait reconnu un fait, observé à cette
heure par les économistes La diminution des heures de
travail jointe à l'augmentation des salaires achève de
démoraliser l'ouvrier.. L'intensité de la misère augmente
partout en raison de l'élévation soudaine des salaires.
En outre, comment l'économiste pourrait-il oublier qu'un
tel emploi des salaires se résout en dépenses improduc-
tives, lesquelles tendent encore à réduire l'accroissement
du capital, et, par suite, celui des salaires? A tous les
points de vue, la solution n'est donc point là.
On le voit maintenant, la misère dans les ménages n'éclate
pas chez ceux qui ont conservé le même salaire et qui ne
gagnent par exemple que deux à trois francs par jour; mais
chez ceux à qui une simplification mécanique, un débouché
inattendu, un caprice de la mode, ou le résultat d'une
grève font obtenir tout à coup de sept à dix francs par
jour. La femme et l'enfant habituellement privés du
nécessaire sont ceux (Je l'ouvrier qui s'est procuré
un sa!aire
d'environ mille écus par an.
Que la misère ici augmente avec le gai~), qu'un accrois-
sement de ressources en soit un dans la pénurie du menace
cela doit sembler surprenant pour
ceux qui persistent à
diriger l'homme sans le connaître1 Mais le bon
sens
dit aux autres que les tentations augmentent
pour lame
avec les moyens d'y céder.
A mesure que les occasions de jouir se multiplient,
l'homme a besoin d'une volonté plus énergique et d'une
conscience plus déticate car ces deux choses sont néces-
saires pour créer une classe, ou produire ~ovation d'une
famille. C'est la théorie même de l'aristocratie. En dehors
de la conscience et de !a volonté, que cultive la Foi,
on
aboutit partout à une augmentation de vice et de misère
en
proporiion d'une élévation de salaire ou d'un accroisse-
ment imprévu de richesse. L'homme est partout impuis-
sant à porter une fortune ou un état supérieur à celui
qu'il n'a pu se créera On doit comprendre que Dieu fait
a

(<) C'est une vérité profonde dont il faudrait


se pénétrer. Aussi, pendant
que les famiUes se perpétuent aux champs, où t'en plus occasion de
a
travailler et moins occasion de jouir, on voit s'éteindre en fcu!e dans les
villes, les familles qui ont réussi à accro!tre leurs heures de loisir,
ou à
diminuer celles de leur labeur. Là est l'épreuve qui attend toute famille,
au moment où elle sort du peuple pour se tenir debout dans une classe
piusetevee..
Un quart à peine des entrepreneurs qui font rapidement fortune dans
nos
villes, voient leur nts prospérer. Ces derniers, à moins qu'ils n'aient la Foi,
ne savent jamais résister au double assaut qui leur est livre par les loisirs et
la fortune.
La fortune et tes !oi<irs ne peuvent être portés que par les familles chez
lesquelles la modération dans les jouissances a produit peu à
peu cette for-
tune même. Pour peu que la vertu créatrice de ce capital ne soit pas soi-
toutes ses lois pour !e conduire à s'élever et l'empêcher
de se corrompre 1
On s'abuse aussi cruellement à l'égard de la solution
qu'on attend de l'instruction obligatoire. Tons le3 enfants
du peuple doivent ils en ce moment se mettre à Hre? Pour
répondre à cette question, il suffira de consulter le chifTre
du tirage de nos journaux, et de savoir que Je Siècle et les
livres obscènes obtiennent en France !e plus grand nombre
des lecteurs. Faut-il donc, à cette heure, exposer tous les
enfants du peuple à une telle infection, et, en tout cas, à la
chance terrible d'accroître pour eux, comme pour Adam,
les conséquences de la science du bien et du mal? On
frémit en présence de si peu de bon sens.
Pourquoi vouloir faire une question absolue d'une
question toute conditionnelle? Ne faut-il pas se demander
Qui doitt apprendre à lire à ces pauvres victimes? puis
que va-t-on leur donner à tire?
Comment oser aussi étourdiment répandre la lecture en
France, à moins de vouloir agrandir les prisons, a moins
d'être bien décidé à employer que!ques mi!lions pour
détruire, 1~ tous les livres obccnes imités du xvn~ siècle,
2~ tous ceux dont les folies politiques, économiques, ou
scientifiques aboutissent à l'athéisme? Il s'agit aujourd'hui
du salut du peuple. Quand les, hommes étaient ravis à
la lecture de Bossuet et de Plutarque, quand le feu des
vers de Corneille circulait dans nos veines, il aurait fallu
que tous les Français sussent lire. Quel insensé l'exigerait,
à une époque où l'on donne à la foule Béranger, G. Sand,

gneusemeut transmise par l'éducation, on voit disparaître à !a fois le capital


et la famille.
Ce sont ces lois de premier ordre que l'on prétendait esquiver t
Robespierre et Vermesch? Faut-il achever de transformer
nos populations en une sorte de troupeau que l'étranger
n'aura plus qu'à mettre sous son joug?

CHAPITRE XLV.
Solution du prob!ôme.

(Septième point de fait).

Le peuple est comme l'enfant de la maison. H est l'objet


des soins du gouvernement, la joie de l'Etat qui le rend
prospère, le but même de la Société, si l'on songe qu'il est
formé des âmes privées souvent de lumière et d'appui, et
que, de son sang conservé intact, sortiront ceux qui
doivent compléter à leur tour les rangs des aristocraties.
Avant'89, on n'abusait pas du peuple comme aujour-
d'hui on n'empruntait au sol que les sujets indispen-
sables au renouvellement des corps de métiers~. Or ces
corporations étaient attentives à ne pas multiplier dans

(1) Ces corporations respectables se formaient chacune des maitres d'une


même industrie, tous experts dans leur métier, et choisissant les plus habiles
pour composer un syndicat chargé de régler les intérêts du corps, ce que
font encore aujourd'hui nos tribunaux de commerce. Conformément à leur
origine, elles portaient le nom de Co~/r~M OMun'M/ la plupart avaient
des chapelains, et quelques-unes ont bâti des hospices.
Les familles bourgeoiseset les familles nobles sorties de cette organisation
admirable sont si nombreuses, qu'elles forment. aujourd'hui peut-être les
trois quarts de celles que possède la France. Combien les classes ouvrières
en ont-elles produit depuis que règne la Révolution?.
leur sein des compétiteurs inutiles, qui les livrassent,
comme on l'a fait depuis, à une concurrence d'où sortent
les triomphes du. monopole, mais aussi les progrès d'une
misère qui introduit chez nous celle de l'état sauvage..
En même temps, alors, les classes qui possédaient
l'éducation, le rang et la fortune n'avaient pas abdiqué les
devoirs que le catholicisme impose aux classes dirigeantes.
Prenant part les premières aux bénéfices de la civilisation
de Jésus-Christ, elles en connaissaient les paroles « Les
premiers parmi vous seront les serviteurs de tous. ))
Anhiaot dans les rangs du Clergé, des Soeurs de charité,
des administrations et de l'armée, elles soutenaient et con
duisaient le peuple par ele fait même de leur existence.
Mais, par leur scepticisme, leur luxe et leur cupidité,
les classes nouvelles ont manqué à leur noble mission.
Nous sortirons de cette abstention aussi coupable que
dangereuse, sinon tout est perdu.
Les corporations renfermaient les artisans que récla-
mait la satisfaction des besoins de nécessité, quelque peu
les fantaisies du luxe, mais non ces masses auxquelles la
cupidité de nos jours demande la satisfaction de ses besoins
illimités d'orgueil et de superfluité. Les ouvriers de luxe
étaient rares témoin le peu de bijoux, de meubles
somptueux, d'équipages de luxe, de théâtres, de restau-
rants et de cafés qui existaient autrefois dans les villes,
comme aujourd'hui encore dans la plupart des Etats de
l'Europe.
Peut-on marcher longtemps encore en sens inverse des
lois du Créateur, lois établies pour la grandeur de l'homme
et la conservation des peuples?
Pourquoi les économistes nouveaux s'épuisent-ils à vou-
loir résoudre de telles questions sans interroger les lois de
la nature humaine et celles de la Société? Pourquoi
per-
sistent-i!s aussi à traiter ce qu'i!s appellent le problème
du travail, sans qu'un seul parmi eux se soit même
aperçu
qu'il s'agit uniquement du travail qu'emploie l'industrie,
puisque celui qu'emploie !'agricu!ture, partoutt régtc, et
ne produisant nulle part le paupérisme, est en dehors de
la question?. Dans leur propre embarras, ils sont allés
.jusqu'à dire que ie travail est le seul agent véritable de ia
production. Ils n'oublient que son instrument, le capital,
son guide. Je talent, et son grand moteur, la vertuI
Si, dans l'oeuvre de la production, le capital, qui n'est
qu'un travail antérieur accnmu! et le talent, qui dirige
l'emploi du capital et du travail, ne reçoivent plus leur
rémunération, il ne se formera plus de capital ni de
talent; enfin, s'il ne doit plus exister de classes rée!!ementt
supérieures, par ces trois causes nous retournons à la
barbarie. Si, d'autre part, la vertu n'est point encouragée,
on coupe le travail à sa racine. Irritée de ses propres
bévues, la pensée révolutionnaire en est réduite, le croi-
rait-on ? à demander l'extinction des classes qui appor-
tent !e capital; qui le créent et qui le conservent, pour
mettre à leur place les classes qui sont encore incapables
de le produire, et auxquels elle donne, dans sa folie, le
nom de <( nouvelle couche sociale »
On peut verser du sang, mais on ne résout
pas une
question par une absurdité. Cependant Je parti est pris
il faut, dit la Révotution, employer la torche et la hache;
il faut égorger tous ceux qui possèdent,
pour nourrir les
travailleurs. Et ces derniers avouent eurontément qu'ils
se
présentent pour tout dévorer sans produire.. On en
estià.
L'anéantissement de l'ordre'social, telle est la solution
on, pour mieux dire, telle est la preuve qu'il n'y a pas de
solution pour le problème ainsi pose. Pourtant, nous
l'avons vu, ii y en a. une C'EST D'EMPÊCHER QUE CES

CLASSES OUVRIÈRES NE SE FORMENT ET NE S'ACCROISSENT


HORS ÙE PROPOS.
Tranchons donc le nœud gordien.. On ne combat pas
l'armée du désordre, ON LA DISSOUT.. en la rame-
nant aux limites des vrais besoins. On ne met pas en
question la mort, on l'évite![ II arrive un moment où
l'on doit avoir fait toutes les réflexions, où les études sont
terminées, où il faut prendre le bon parti. Au nom de
la Société et de tant d'hommes voués à périr dans le vice,
l'humanité veut qu'on prenne enfin le parti, d'abord~ de
restreindre ces classes ouvrières aux bornes des besoins
légitimes de la nation, ensuite, de les organiser, de les
conduire à la moralité: à la propriété, à la prospérité~ 1
L'agriculture et l'industrie sont à .coup sûr les deux
mamelles de l'Etat. Mais faut-il presser la seconde jusqu'à

(1) Derrière la solution réelle se tient la solution réitérée que formule la


R6vo)ution « L'assujettissement des travailleurs au capital, s'écrie-t-elle,
étant la source de tout esclavage politique et matériel, leur émancipation est
le but de tout mouvement politique. Programme ofEciet, 1866.
< La
Société a le droit d'abolir la propriété in'IividueUe pour la faire
rentrer dans la propriété collective. Congrès g6u. de Bâte, 1869.
« Nous demandons la
liquidation sociale, c'est-a-dirc l'expropriation de
tous les propriétaires. Congrès de Vatence.
Ici arrivent l'Internationale (comptant trois millions de membres en
France et près de dix dans le reste de l'Europe), déclarant à. Genève que
c l'expropriation universelle ne peut
avoir lieu que par la force e; puis à sa
suite la multitude, enivrée de cette perspective, et demandant à <t opérer im-
médiatement par la torche et la hache. b
Voilà ce que réclament ces transfuges de la famille, de la morale et de
la Foi, que nous laissons sans examen et sans informations entrer en foule
dans nos villes.
TROISIÈME PARTIE.
faire jaillir le sang? Et l'on sait trop que l'industrialisme,
qui produit de tels maux, ne s'est fait connaître dans le
monde que par la plus honteuse altération de tous les
pro-
duits du commerce Farines, vins, Mqueurs, laines, soies,
draps, toiles, cuirs, métaux, etc., aujourd'hui tout est
falsiné. Sans parler des innombrables créations fraudu-
leuses que industrialisme a pu mettre en actions,
pour
escroquer sous toutes les formes les ressources du public
Indignité du but, indignité du moyen, indignité des
produits, indignité du résultat sur nos populations et sur
la société elle-mème! ici i'Eiat pourrait-ii balancer?.
Hésiterons-nous à le dire? Cette altération des hommes
et des choses, et ces classes ouvrières que l'industrialisme
attire dans nos villes, sont là pour notre châtiment.

CHAPITRE XLVI.

Moyen de salut Constitution de ia propriété.

(Huitième point de fait.)

Toutes les solutions cherchées par l'industrialisme sont


restées impuissantes. Aucune d'elles ne peut être appelée
à résoudre la question ouvrière, devenue la question so-
ciale, la question de notre existence ï
De jour en jour la Société devient plus impossible, et
les économistes sont obligés d'avouer que le niveau moral
a baissé dans la classe ouvrière en raison de l'élévation
des salaires, ou de ce qu'on nommait l'amélioration maté-
rielle; sans parler ici de la haine, acquérant chaque jour
un
caractère plus violent. Pourquoi ceta? Parce que l'homme
est concupiscence, et parce que le salaire donné sous
forme de numéraire est en généra! incapable de main-
tenir, premièrement, la moralité de l'ouvrier, seconde-
ment, !e niveau de son existence matérielle elle-mème.
Etant donné l'état de la nature humaine, il est presque
impossible, avec une telle fiuidité du salaire et dans un
tel milieu, d'éviter ces trois choses la corruption, le pau-
périsme~, et par suite la guerre organisée contre la
Société. Peut-on moraliser l'individu en lui mettant à tout
instant dans les mains le moyen de se démoraliser?
Nous sommes sous le coup de circonstances exception-
nelles il faut absolument agir. Pour une poignée d'hom-
mes que l'or porte au-dessus des classes moyennes, pour
quelques fournisseurs qui les encombrent ou les minent,
faut-il que la nation soit en butte au massacre et à i'in-
cendie ?
A son tour, l'humanité demande si, pour ce petit nom-
bre d'individus, des populations entières seront impitoya-
blement vouées à l'ivrognerie, à la dissolution et à l'im-
piété. Ces vices, qui consument les quatre cinquièmes des
ouvriers des villes,. détruisent chez eux la vie sociale
comme la vie de famille, et minent ordinairement l'indi-
vidu au point d'éteindre les générations avec lui.
On périr, ou empêcher à notre sang d'affluer vers cet
ulcère Or, pour y réussir, le moyen que l'équité réclame
est très-simple
Faire d'abord une loi qui réglemente, à l'égard de tou-

(1) Tout à l'heure, à propos du paupérisme, on saisira le dernier mot sur


ta question.
tes nos communes rurales, i'cmigration vers l'industrie,
en
prescrivant avec mesure et discernement !cs conditions
pour lesquelles il sera loisible d'abandonner le sol natal,
dans Je but d'aller chercher au sein des villes de
nou-
veaux'moyens d'existence.
Faire en même temps une autre loi, protectrice des
corporations, organisant les ouvriers dans le triple but de
les moraliser, de les tenir à l'abri d'invasions qui dcpas"
sent les besoins du travail, puis de les mettre en
mesure
d'acquérir et de constituer un capital qu'ils puissent
trans-
former eh établissement rural, comme le font,
par exem-
ple, les ouvriers de l'Auvergne et de la Savoie'. Ne
sont-ce pas là des règlements de toute justice, qui res-
sortent de la paternité royale? La Révolution et les classes
libérales ont exploité le peuple le
moment est venu de
l'assister..
Tel est le premier point. Le second consiste à diriger
et à contenir !e mouvement de cupidité qui, depuis la
Révolution, porte les hommes vers l'industrie.
Le moyen, aussi très-simple, et
que réclame réquitë,
est entièrement à la disposition du Pouvoir. C'est ici
l'objet important

Dans l'homme, est une passion aussi ardente que la


il
cupidité, qui est même une de ses racines, bien
que plus
généreuse, mais qui porte en de~nitive à des actions plus
nobles c'est l'amour-propre,
ou l'amour de j'estime. Le
Pouvoir n'a donc qu'a porter les honneurs
et les distinc-
tions sur les hommes qui, comme avant la Révolution,
se

(<) On sait que les corporations, étourdiment abolies par Turgot dans le
but de flatter le peuple avec des mots, se rf''taMirei)t quelques mois
après par
la force des choses.
consacrant à l'agriculture, fixeront leur principal établis-
sement au sein de nos campagnes.
En outre, et la justice nous
en fait un devoir, il faut
que le capital agricole, proportionne!!emcnt si peu pro-
ductif en rente, soit peu à peu décharge d'une certaine
part de l'impôt, qui serait reportée surle capital employé
à ia production des objets de luxe
ou des industries lucra-
tives. Avant 89, il est vrai, l'Etat faisait porter les impôts
sur ie capital agricole, mais pourquoi? Parce qu'il était fi
peu près le seul, et que les capitaux, encore rares,
demandaient eux-mêmes a être protégés. Aujourd'hui,
par le même principe, ce sont les champs qui réclament
la protection. C'est donc l'inverse
que l'on doit faire,
puisque, d'une part, les grandes fortunes viennent surtout
du capital industriel, sans parier de l'agiotage,
et que, de
l'autre, les profits et les rentes afférents à la terre sont
loin de croître dans la même proportion.
L'Etat accordera la protection des lois à l'industrie,
comme étant une branche indispensablede la production
mais, refoulant l'industrialisme, le Roi portera
ses faveurs
sur ceux qui se livreront a des créations agricoles et
assoiront leur influence au sein de nos populations
rura-
les. La propriété territoriale, support le plus réel de la
famille, base la plus certaine de la fortune et du bonheur,
fondement ie plus sur de l'Etat,
source à peu près unique
des populations; la. propriété territoriale, assise désormais
sur le droit de tester, sera la route conduisant aux emplois
élevés, et notamment à la Pairie..
Les anobiissements légitimes nedoivent-i!s
pas surtout
revenir aux hommes qui, unissant à la fortune territoriale
l'exemple de la piété et l'exercice de la charitc,
versent le
bien, i ordre et la paix sur ceux qui les entourent? Hicn
LKG.T.
9
n'empêche ici les fortunes industrielles de se transformer
à leur tour, comme elles le faisaient autrefois, et de pren-
dre racine dans le sol, pour y constituer ces familles qui
sont presque les seules dont l'aristocratie se compose
aujourd'hui.
Toute la politique se base sur la constitution de la pro-
priété, qui est en même temps celle de la famille et celle
de l'Etat! Cette constitution, aussi ancienne que le monde,
subsiste encore chez tous les peuples actuellement puis-
sants. L'avenir n'est que là avenir moral, avenir poli-
tique, avenir économique, et avenir de la population.
Seuil de la famille, dément de la commune, source de
la population, assise de l'Etat et des mœurs, la propriété
est le diamant d'une nation, et sa constitution est le point
culminant des institutions sociales. Sur elle tout repose, à
elle tout doit se rattacher à nous dès lors de lui rendre
sa base et sa continuité 1
Cette base, cette continuité, est dans le droit de tester;
et là, du même coup, se résoudrait le problème navrant
de la décroissance de ia population française. C'est de
l'absence du droit de tester, survenant au milieu d'une
époque d'immoralité et de scepticisme, qu'il faut dire
elle a fait à la veine française une'ouverture plus profonde
que les plus sanglantes campagnes!
La constitution de la propriété est celle de tous les
droits de l'homme!

Ce n'est pas tout l'état agricole est le seul qui éteindra


le paupérisme. Ce dernier est un résultat, non de l'insuffi-
sance des salaires et dje la pénurie des produits, comme
l'a cru la Révolution, mais du mode de leur consommation
et de ia destination donnée au capital qui les crée. Or
l'état agricole est Je seul qui, tout à la fois, retient le capital
sur la production des richesses de première nécessité, et
amène l'homme à produire plus qu'il
ne consomme, lui
qui est toujours porté à consommer plus qu'il
ne produit.
Un tel fait, point de mire obligé de l'économique de
et
la politique, résoudrait tous les problèmes à la fois.
li ne s'agit pas de nous dire La Société, battue
sur un
terrain, court ici se placer sur un autre. Point du tout
la Société se replace
sur le terrain où Dieu lui-même l'a
établie.
Si l'Angleterre ne peut sustenter
ses populations ac-
tuelles, qu'en recourant à tous les expédients offerts
par
une exportation qui embrasse la moitié du globe, il faut
l'en plaindre; car le moment arrive où elle
pourra payer
cher !e fatal exemple qu'elle nous donné. Pour
a nous, en
possession d'un sol qui, aidé d'une
sage industrie, peut
nourrir nos populations, ne le désertons plus
pour courir
à i abîme. Persister aussi aveuglément dans les voies de
l'industrialisme, serait se faire
un jeu de la raison et des
destinées de ia France.
A l'issue de la question des classes ouvrières, survient
t
celle du paupérisme, et les deux questions n'en font
qu'une.

C HAPITRE XLVII.

Cause du paupérisme.

On pourrait croire que les économistes s'entendent


pour obscurcir cette grande question, et détourner les
regards de la cause réelle du paupérisme. Car celles qu'ils
ont signales en sont bien souvent les effets.
Toutefois l'évidence les mène à faire cet aveu, que toute
explosion de la richesse a entraîné une explosion propor-
tionnelle du paupérisme. Ce fléau s'est étendu, surtout
depuis un siècle, dans les pays où l'industrie s'est le plus
développée et où règne le plus de luxe. Ici, plus d'illu-
sion le point est devenu manifeste à l'occasion des déve-
loppements qu'ont pris les fortunes en Angleterre. Le
pays du monde qui a le plus de richesses compte le plus
grand nombre de pauvres.
On doit alors se demander quelle est la nature d'une
telle richesse, et pourquoi le fait que la science désigne
par ce nom devient précisément la source d'une plus
grande misère? En un mot, pourquoi la richesse ne sau-
rait-elle se déployer sur un point, sans que le paupérisme
n'y apparaisse en raison directe?
La question, pressée de la sorte, apportera bientôt sa
réponse. Le paupérisme ne saurait être que l'état d'une
population privée de capital. Or, comme toute population
croît en raison des subsistances, et que celles-ci sont en
raison du capital, qui en est l'agent le plus fécond, com-
ment une population peut-elle être privée de.capital?. On
comprend, néanmoins, que toute cause susceptible d'arrê-
ter le capital qui se forme ou de détruire le capital déjà
formé, doit amener aussi entre cette population et,sa base
d'existence la rupture appelée paupérisme. Mais en der-
nière analyse, comme il ne saurait exister de population
sans capital, on demande comment une population a pu
se former en quelque sorte parallèlement à un capital, sans
le fixer sous elle pour constituer son existence.
Le capital est le radeau qui porte une population. Le
paupérisme est la trappe invisible qui s'ouvre, et en laisse
une partie sans support sur l'abîme.. C'est alors que,
voyant la richesse amassée sur un point et ie dénûment
établi sur un autre, !e vulgaire s'écrie Pourquoi tout ici
et rien !à? Veut-il en accuser tes lois civiles ou celles de
la nature, lesquelles semblent s'entendre? Mais il sait
qu'après chaque partage égal, si quelques-uns vont épar-
gner, les autres vont se~ mettre à tout consommer. En
viendra-t-il à une loi somptuaire, à un income-tax crois-
sant jusqu'à dissoudre le capital et atteindre au socia!jsme?
Mais il voit disparaître à la fois !e riche avec !e pauvre, et
la misère nous enveloppe tous.
Cependant, s'il y avait autrefois des pauvres, ii n'y
avait pas de paupérisme, c'est-à-dire des populations
entières comme fatalement livrées à la dépravation et à la
faim. Avant 89~ le mot même de paupérisme n'existait
pas. Or une telle absence du capital ne peut venir que de
l'une de ces choses la nature du salaire, celle de la con-
sommation, où 'celle même du capital.
Ce dernier s'évanouit-i!, ou bien le salaire et la
con-
sommation n'en produisent-ilsplus2. C'est ici qu'on ouvrira
les yeux! Le paupérisme ne frappe-t-il pas uniquement
les populations dont le salaire est donné sous la forme de
!'or? L'avons-nous jamais vu atteindre les populations
rurales, c'est-à-dire celles dont le salaire est fourni sous
forme de denrées? Avouerons-nous cette fois que là est !e
point sur lequel la cupidité s'obstinait à garder le silence?
Oui, le mal vient de la nature du salaire, du mode de
sa consommation, enfin de !a nature même du capital de
l'industrie.
Quant à la nature de ce salaire, que l'industrie donne à
i'homme sous la forme de l'or, nous l'avons déjà remar-
qué, il brù!e la main de cet enfant débile devant ie désir,
et ne saurait le porter à l'épargne. Cependant, pour le
saisir sous cette forme, ce malheureux esquive la triple
surveillance du toit paternel, du presbytère et des voisins,
si nécessaire à sa vertu; il court se précipiter dans le
gouffre des mauvais exemples, des mauvais livres, des
mauvaises compagnies et du libertinage. Encore une fois,
est-ce là ie milieu que Dieu lui avait préparé? Connaissant
la faiblesse de l'homme, n'est-ce pas sous une tout autre
forme que la main bienfaisante du Créateur lui remet en
chaque saison~1 ie résultat de son travail, pour lui, sa
femme et ses enfants, ici témoins et assistants?
Et quant à ia nature du capita!, ce!ui que rien n'em-
porte, celui dont l'homme ne se sépare point aisément,
n'est-ce pas celui sur les marches duquel Dieu !e dépose,
en un mot, n'est-ce pas le sol? !e sol, qui appelle et reçoit
le travail, le sol, qui appelle et reçoit l'épargne.. En est-il
de même de ce capital fictif que les classes modernes, au
moyen du crédit ou de l'agiotage, grossissent en raison de
leur cupidité; de ce capital pour lequel à tout instant l'on
tremble, et qui souventS'etfondre d'un seul coup? Alors,
cpmme un pontt qui s'affaisse, ne laisse-t-il pas rouler
dans l'abime la foule qui se tenait dessus?
Atlantide nouvelle, couverte un jour de fleurs et de
populations, mais rentrant peu à peu sous les eaux avec
'ceux qu'elle nourrissait, tel est le capital formé par l'in-
dustrialisme 1

(~)Chaque récolte, puisqu'ici tel est le salaire, n'arrivant qu'une fo:s t'an.
oblige à la prévoyDoce chaque famille de cultivateur.
CHAPITRE XLVIII.

Remède au paupérisme. Où se construit, où se détruit le capital.

Trois choses concourent à former du capital et des lors


à éloigner le paupérisme premièrement, !a constance
dans le travail, secondement t'épargne venant en aide au
travail, troisièmement, une industrie non interrompue, et
dont le capital ne dépend point d'un événement. Or telle
est l'industrie agricole, aussi bien que le capital enfermé
dans le sol.
Trois choses, conséquemment, entraînent l'absence de
capital et dès lors le retour du paupérisme le dégoût du
travail, la difHcu!té de l'épargne, une industrie issue d'un
capital que la chute du crédit, un changement de mode ou
une révolution font disparaître. Or telle est l'industrie de
luxe, aussi bien que le capital formé par le crédit.
Aux champs, tout convie au travail et à l'épargne la
vue du so!, les habitudes prises, l'état de la récolte, !a
présence de la famille, la santé maintenue par l'exercice,
la vie frugale, le regard des voisins~ enfin Féloignement
des causes prochaines de divertissements ou de dissolu-
tions. A la ville, tout ébranle ces conditions. Existence
ignorée actions inaperçues, rupture des liens de la
famille, lassitude issue de la débauche, proximité des
théâtres et des cabarets, tout conspire à détruire chez
l'ouvrier les habitudes de travail et d'économie.
De là vient que, dans les campagnes, il n'y a de pau-
vres qu'un très-petit nombre d'infirmes ou de vieillards.
Et de là vient, chose douloureuse que, dans les villes, ce
sont des populations valides qui sont atteintes par la
misère. C'est en ce fait, d'ailleurs, que consiste à propre-
ment parier le paupérisme. La pauvreté provient des
choses, le paupérisme, des personnes. La première, tou-
,jours exceptionnelle, est réductible par la charité; le
second, véritable champ de carnage, n'a pas plus de
bornes que le vice.
Dans les grands centres, l'exemple du plaisir et du
luxe, diminuant la somme du travail et de l'épargne à
l'époque de la jeunesse et de la force, empêche les popu-
lations de pourvoir aux besoins de la vieillesse et de la
maladie. Le paupérisme, on le voit, a son siège dans
l'homme.
11 faut soulager la misère mais i'income-tax et les lois
somptuaires (ressources au reste dérisoires!) en versant
de l'argent sur la foule, en lui abandonnant au fur et à
mesure une part du capital, ne peut que jeter t'huiie sur
le feu, c'est-à-dire attiser Fimmodération des jouissances
dans les cœurs en proie à la fainéantise et au goût du
plaisir. Car, chose que nous devons enfin comprendre! si
le capital pouvait passer des mains qui le possèdent, et
qui dès lors !'ont créé, dans les mains qui ne l'ont point,
qui dès lors ne l'ont point créé, que se passerait-il? Eh
bien, après une effroyable ruine, après la chute d'une
nation, le capita! rentrerait avant un quart de sièc!e dans
les mains qui l'ont aujourd'hui, dans les mains de ceux
qui produisent plus qu'ils ne consomment.
L'unique moyen de refouler le paupérisme n'est pas de
verser notre capital sur la foule, mais de la mettre dans
une situation où ie produit du travail, le satire, par sa
nature même, la dispose à se modérer, tout en l'invitant à
produire, et on le capital à son tour
se compose et se
consolide sans crainte d'un effondrement.
Par l'industrie de luxe et par l'accroissement du
capital fictif, on est certain, non-seulement d'accroître le
paupérisme, mais aussi de fournir des armées à la Révo-
lùtion. Par les faveurs assurées à l'agriculture,
on est
certain, non-seulement de restreindre le paupérisme, mais
aussi de multiplier les populations attachées à l'ordre
social. C'est donc ici la même solution que
pour le
problème des classes ouvrières.
Quel gouvernement peut laisser sciemment subsister les
causes du paupérisme? Quel gouvernement peut dès lors
fermer les yeux sur l'industrialisme, le laisser dépeupler
et dévaster la France?
A la cherté des vivres qui
a fini par éclater en France,
le peuple peut s'apercevoir aussi
que la balance entre
l'offre et la demande est tout à fait rompue. Les ouvriers
de l'industrie, qui ne produisent ni pain, ni vin, ni viande,
ni cuirs, ni laine, devenant plus nombreux, demandent
une plus grande quantité de denrées premières à nos cul-
tivateurs, qui, diminuant de nombre, n'en sauraient plus
produire assez abondamment.
Bref, en d820, l'agriculture pouvait nourrir
une popu-
lation urbaine d'environ quatre à cinq millions d'âmes. Eue
est ob!igée aujourd'hui de nourrir une population indus-
trielle d'environ dix à douze millions. En continuant, tout
deviendra chez nous aussi cher qu'en Angteterre,
ou même
qu'aux Etats-Unis. Déjà plus des trois quarts des hommes,
à cette heure, sont surmenés, gcnés
et malheureux

(1) Mais, ici, qm n'eutend sortir de mille usines empestées, les cris joyeux
CHAPITRE XLTX.

SofuLton politique dn probtème.

(Neuvième point défait.}

«
Comment est-il arrivé, disait le comte de Maistre,
qu'avant le christianisme, l'esclavage ait toujours été une
pièce nécessaire à l'existence des nations? C'est, répond-i!,
que l'homme, s'il est réduit à lui-même, est trop méchant
pour être libre » Ajoutons, trop paresseux et trop
immodéré.
La réponse du comte de Maistre donne la solution poli-
tique, et les deux mots qui suivent offrent la solution
économique. Il faut donc placer l'homme dans les condi-
tions qui l'engagent à travailler, puis à réserver, pour
l'entretien du capital, une part de ce qu'il a produit.
L'Epargne là est le seul moyen de se soustraire au paupé-
risme. Là est la délivrance là est le capital, ce fruit de la
vertu, cette source des libertés économiques et politi-
ques, que, privée du christianisme, l'antiquité n'a point
connues..
Et par quoi i'a-t-etîe remplace? Nous le savons par

et déchirants de l'enfance,surprise et menée d'avance & la mort?. « Avec ses


hypocrisies de phihntropic, s'écrie M. Ph. Serret, il semble que notre
Soc!6t6 est réduite, pour se nourrir, à mettre en réquisition les bras débiles
des enfants, de ces êtres que Dieu destine & croitre comme les lys, qui ne
travaillent pas! L'industrie n'a pas le, moyen d'attendre; elle a besoin de
moissonner en vert. et il faut qu'à douze ans l'enfant lui soit livré 1 1)
l'Esclavage.. Pour subsister, l'antiquité constitua le tra-
vail servile et t'épargne obligée voità comment elle
combattit le f!éau généra! de la faim et écarta l'état
sauvage!1 Sans l'esclavage, alors, il n'y aurait pas eu
paupérisme, mais absence de populations.
Or, par le fait du christianisme, l'esclavage étant aboli,
et par le fait de la Révolution, la vertu tendant à se
réduire, la faim revient, et un phénomène nouveau se
présente, !e paupérisme! et, cette fois, l'homme n'est
pas
frappé seulement de mort civile.
L'esclavage, du moins, protégeait la vie de ceux qu'il
privait de leurs droits. Et, de nos jours, si le mal vient à
s'étendre au point de faire éclater le socialisme, c'est-
à-dire de briser les réservoirs du capital pour le répandre
sur la foule, le cataclysme sera universel. La faim se
généralisera, l'esclavage lui-même reparaîtra sur l'Europe
interdite, pour assurer la vie de ses dernières populations
et recueillir tes débris d'une société en ruines.
Echappons à de tels désastres! C'est d'une suspension
dans les sources du capital que provient une si grande
plaie, mettons donc tout en oeuvre pour la fermer!
Comment? Par une réduction raisonnée, mais urgente
de l'industrialisme. La plaie est plus cuisante que l'escla-
vage l'esclave avait du pain, on le soignait comme un
objet de prix, quelquefois on l'aimait; elle est plus re-
doutable car l'esclave était résigné, mais l'ouvrier
en
proie au paupérisme est livré à la fois aux tortures du
vice, à celles de la maladie et à celles de la haine aiguisée
par la faim. Tel est le serpent que notre société sent
grossir dans son sein.
Mais, comment opérer une réduction de l'industria-
lisme ? On vient de le comprendre par une réduction et
une réglementation des ouvriers qui s'y consacrent.. Pour-
quoi rassembler soi-même une armée qu'on est obligée de
combattre?

La richesse n'est donc point elle-même la cause du


paupérisme, lequel provient tout au contraire de la des-
truction d'une racine de la richesse. Mais la richesse
amassée avec rapidité par l'industrie est, à son tour, une
cause du luxe et de l'amour des jouissances, lesquels
appauvrissent aussitôt le salarié i° par le mauvais exem-
ple qu'ils lui donnent; 20 par l'emploi d'une portion
notable du capital à la production des supcrnuités, ce qui
réduit d'autant celle des. objets de première nécessité;
3~ par renchérissementt de ces denrées indispensables;
4° par le prélèvement qu'opèrent les villes sur la popu-
lation des campagnes, productrice de ces'richesses sacrées;
5~ enfin, par les vices qui s'opposent, chez les ouvriers de
l'industrie, au travail, à la santé, à l'épargne, et dès lors
à la formation du capital. Car telles sont les sources du
paupérisme qui maintenant nous envahit!
On voit que la vertu remédierait à tout plaçons-nous
donc dans les conditions qui la favorisent. Au fond, il n'y
a pas de questions économiques, il n'y a que des questions
morales.
Non, l'homme ne peut être ni ramené au travail servile,
ni moralisé par la force. !i ne reste qu'un moyen de s'op-
poser au paupérisme favoriser l'accroissement des popu-
lations qui créent du capital restreindre celles que
l'industrie met dans un trop grand empêchement d'en
constituer, soit par suite des difïicuhés morales et physi-
ques, soit par Ja chute contin.uelle d'une partie du capital
même; enfin, rétablir, pour ces populations industrielles,
des corporations qui les relèvent. Mais ce dernier moyen
a des bornes. Le vice ne saurai être détruit ni par des
mesures, ni par la force on doit restreindre le fléau en
restreignant ie nombre de ceux qui en sont !a proie, dés
lors, en contenant l'accroissement du capital fictif
au
profit du capital rural, PAR LA CONSTITUTION DE LA PRO-
PR!ËTE'. C'est le seul moyen d'obtenir une réduction de
l'industrialisme et des populations qu'il sacrifie, le seul
moyen d'assurer une solution véritablement politique à ce
problème redoutable, aussi bien qu'au problème, non
moins à redouter, de la décroissance de la population.
Nous n'avons qu'à le voir la Société n'est pas obligée
de nourrir les gens des campagnes; elle n'est pas
non
plus obligée de les exterminer. Eh bien, cela dit tout.

Ne répétons donc plus que le paupérisme est


une
maladie ancienne, naturelle aux corps politiques. La ma-
ladie, au contraire, est récente. Elle ne résulte pas de la
nature des choses, mais d'une violation de leurs lois. Eh
quoi1 nous fournissons des armées à la Révolution, nous
rendons de jour en jour plus impossibles les gouverne-
ments, nous désertons et nous déshéritons les champs,
nous souffrons des classes supérieures qui ne remplissent

(1) Industrialisme, corruption, paupérisme, socialisme, quatre faits en


proportion directe. Or il est impossibte aujourd'hui de prescrire une péna-
lité pour le péché comme pour le crime, et d'établir dans l'Etat un système
de surveillance pour les infractions à la loi morale, têt qu'on l'avait,
au
moyeu-âge, dans ce qu'on appelait les Cours ecclésiastiques, institution si
importante pour le bonheur du peuple et le bien des familles Il n'y a donc
qu'un parti à prendre, c'est d'avoir moins besoin d'un pareil tribunal
Comment? En restreignant autant que la raison l'exige les classes mal-
heureuses sacrifiées a l'industrie de luxe. Par quel moyeu? Par le
retour des fortunes ax sol.
aucun de leurs devoirs envers le peuple, nous tolérons
tous les vices qui restreignent la population, nous attirons
sur nous la colère d'un Dieu courroucé de voir tant d'âmes
vouées à l'abrutissement, et tout cela, pour contenter l'or-
gueii de quelques hommes pressés d'abuser de la foule,
d'escroquer la popularité, de mépriser tous les principes,
de repousser i'Ëgiise, de renverser sur tous les points la
civilisation
Mais ici, chose admirable! les diverses solutions n'en
font qu'une. Au nombre des moyens de gouverner,
non-
seulement le plus urgent, mais le pius conforme a l'huma-
nité, est la destruction du paupérisme. Or un tel résultat
ne peut lui-même s'obtenir que par une réduction ration-
nelle de l'industrialisme, au moyen de la constitution de
ia propriété, impliquant à la fois la liberté de tester, la
décentralisation et les anoblissements légitimes. Ramener
au soleil ces chères populations issues de ia race des
Francs, telle est bien la vraie solution politique. Car les
campagnes ne redeviendront stériles, leurs habitants ne
rentreront dans la barbarie, que quand le christianisme
disparaîtra du monde.
Une dernière cause du paupérisme, est la liberté de la
presse et des cabarets, C'est ie peuple surtout que rava-
gent les mauvais livres, et c'est lui que désole encore l'in-
dustrie du cabaret.
CHAPITRE L.

Liberté de )a. presse et des cabarets.

(Dixième point de fait.)

Dénonçons une dernière fois,


comme antisociales, les
trois erreurs politiques tombées sous les condamnations de
Rome.
D'abord, l'indifférence de l'Etat entre la vérité l'er-
et
reur, d'où resuite ce qu'on appeHe la Z~e~c ~o~
c~c~ envisagée comme idéa! et comme but au lieu de
l'être comme une regrettable nécessite, et déposant le
principe de l'anarchie dans !es esprits
Ensuite, l'indifférence de l'Etat entre le bien et le mal,
d'où résulte ce qu'on appelle la Z~e~e de co~cxe~ce,
entendue comme un droit qu'aurait la conscience de
refuser la vérité et de revendiquer, non point
son invioJa-
bilité, mais une indépendance absolue à l'égard de
toute
loi morale
Enfin, comme conséquence, la protection accordée
par
l'Etat au mal contre !e bien, à l'erreur contre la vérité
c'est-à-dire la Z~c~e de la prc~e~ concédant
en défini-
tive un droit d'enseignement et de prédication
aux igno-
rants, aux insensés, et par suite aux brouillons et aux
scélérats.
Or les victimes inévitables de trois
erreurs aussi na-
grantes, ce sont les classes ouvrières. Peut-on concevoir
qu'il faille encore revendiquer le droit du bien et de ia
vérité à la protectioR sociale, ce droit et cette protection
établis surtout pour les faibles? Une idée aussi inouïe que
celle de la liberté de la presse ne pouvait être pratiquée
que par un Pouvoir décidé a sacrifier la foule, à extirper
la Foi, a détruire les mœurs, à ruiner les fondements de
la Société. Et d'ailleurs cette liberté est-elle autre chose
qu'une prostitution de l'intelligence humaine? En outre,
n'établit-elle pas deux souverains au milieu, de l'Etat
celui qui y proclame l'utopie, et par là commande à la
foule, et celui qui, aux prises avec la pratique, voit mar-
cher contre lui tous ceux qui veulent en sortir2
Ah! c'est bien cette presse qui s'est engraissée de la
sueur du peup!e! c'est bien elle qui a vécu de la perte des
âmes, et qui peut s'appeler la plaie hideuse de l'époque!1
S'il y a eu là des exceptions, elles ont été fournies préci-
sément par ceux qui se sont introduits dans cette rnilice
pour ia combattre corps à corps N'est-ce pas elle qui a
préconisé le luxe et l'industrialisme, proclamé le règne
des jouissances, célébré l'adultère, pub!ié l'athéisme, dès
lors porté les flammes du paupérisme partout où elle allu-
mait celles du scepticisme et de la dépravation?.
Quand pourra s'effacer, en Europe, le dégoût provoqué
par cette mare de corruption et d'incrédulité? Que diront
de trop ceux qui l'appeleront un service public du mal,
un marché où l'on porte les consciences, un champ de
foire où la vérité est livrée aux coquins, une école pour
former la canaille, une industrie pour susciter les espèces
viles, une académie d'où sortent les malfaiteurs de la
pensée, les séducteurs du peuple, les égorgeurs au jour

(1) La Pairie recevra sans doute tes chefs ilhstres de la noble phalange
qui n'a pas craint de venir sur ce sol pour y combattre le bon combat..
du tocsin? Ces hommes on travesti la parole, contrefait la
raison, mis à l'encan ia conscience et paré le mensonge.
Ils ont déguisé Je néant, afin qu'on le prit la
pour gran-
deur, le vice afin qu'on le prit pour le courage, la bas-
sesse afin qu'on la prit pour l'honneur; ils ont masqué le
mal afin qu'on le prit pour le bien, défiguré le bien afin
qu'on le prit pour le mal! Comment fera la vériLé? Com-
ment se sauvera le monde?
Parmi ces trafiquants de rame humaine, les moins
cou-
pables sont les littérateurs, c'est-à-dire
ceux qui, faisant
profession de ne rien apprendre, veulent juger de tout.
C'est par eux que le médiocre s'est répandu France. Le
en
littérateur est réduit à viser au succès
or Je succès, à
notre époque, n'est obtenu que par l'erreur, surtout par
la pire de toutes, celle qui singe la vérité. Depuis qu'il
n'y a plus d'études théologiques, Ja littérature été
a un
instrument de ruine; et le mal que
ces littérateurs ne
pouvaient faire, devenait l'oeuvre des cabaretiers.
Tout en semant les causes du paupérisme, les cabarets,
les restaurants, les cafés et des cercles
sans nombre~ ont
achevé d'abolir l'esprit de famille. A l'esprit de famille
se
lie l'autorité du père, et à l'autorité du père, ia force de
l'Etat. On n'a travaillé qu'à tout démolir!i I! faut donc
sacrifier ici ou l'Etat ou les cabarets.
Ces cabarets, aussi nombreux dans les bourgades
que
dans les villes, sont les écoles primaires du socialisme, le
point de départ des grèves, la source effective du paupé-
risme et le foyer actif de la Révolution. C'est Jà
que les
hommes perdent le peu de raison qui leur reste, et
que les
(1) On parle ici des cercles d'oisifs et de joueurs, et non bien entendu de
ceux que fonde l'éloquent comte de Mun, pour arracher aux cabarets tes
ouvriers célibataires.
LÉGIT.
~0
femmes voient disparaître, avec les dernières ressources,
les moyens d'assurer du pain à leurs enfants. Ne tolérer
qu'un seul cabaret, ou plutôt qu'une auberge par village,
limiter autant que possible, dans les vi:!es, le nombre des
cafés d'après celui des habitants, est une mesure que récla-
ment à la fois les familles, les mères indigentes~ la santé des
populations, le salut de l'Etat. Quand les hommes agissent
comme des enfants, ne faut-il pas les traiter comme tels?
Crée par Fégoïsme, Je cabaret a été mu!tip!ié par l'Empire,
dont il était !c plus grand instrument politique. Ici
ne parlons-nous pas dans l'intérêt des véritables joies des
hommes? Qu'ils se réunissent comme autrefois chez eux,
et qu'ils s'invitent en famille ils verront renaitre deux
sentiments qu'ils ont perdus, l'amitié, et l'inestimable
sérénité du foyer.
Trouvera-t-on en France une femme, mère, HUe,
épouse ou religieuse, qui ne demande la réduction des
cabarets et des cafés? Voi!a donc la moitié de la popu-
lation réduite, par ses propres souffrances, à faire cette
réclamation. HéJas ce ne sont ni les saints ni les prédi-
cateurs, ce sont les cabaretiers qui ont le pouvoir d'assem-
bler maintenant les peuples pour leur donner des fêtes à
leur gré\
(t) Le Siècle publie lui-même ta statistique suivante On compte dans la
phtpnrt dt's villes 200 cabarets pour 10,000 habitants. En n'en admettant
que la moitié ponr la moyenne générale, une recette brute de 20 francs par
jour, pour chaque cabaret, donne un total de 7 millions par jour pour ta
France, ou 2 nUHiards et demi par an, c'est-à-dire le quart présumé du
produit de tout le territoire, et la moitié de la rançon qu'exigent les
Prussiens.
Le Siècle ajoute '< temps passé au cabaret fait perdre a l'ouvrier une
Le

somme au moins équivalente :'i [a dépense qu'il y fait, ce qui doubte le


chin're de la somme de perte exprimée ci-dessus, n Voita comment s'a!
Régler la presse et réduire les cabarets
est un moyen
de restreindre Je paupérisme d'ôter lobstade qui
et s'op-
pose à ce que le peuple soit gouverne.
Mais ici I'c)bime appelle
un autre abime il en est un
qui s'ouvre a côté de celui dont
on vient de parler. Il ne
suffira pas de retenir aux champs les classes
que l'on
cédait à l'industrialisme; pour
un besoin tout aussi ur-
gent, on doit aussi y rappeler les classes supérieures.

CHAPITRE LL
Dernier danger, recours à fa constitution de la propriété.

Nous sommes tout à fait


sur le bord d'un ab:me. Si la
propriété ne sort pas de la situation
que lui a faite 89, nos
populations des campagnes vont céder
au même entraî-
nement que les populations des villes, i! ne s'agit plus
seulement ici de faire de la bonne politique, mais de pré-
server le pays d'une catastrophe dénnitive. Que nos popu-
lations rurales soient maîtresses exclusives du sol,
et la
France, livrée à sa décadence nnate, disparaîtra
comme
nation.
Ces populations possèdent des qualités
rares elles sontt
à la fois laborieuses et économes. Ces deux
vertus, de
même source que le courage, en font
une pépinière d'ex-
cellents soldats, pourvu qu'on les confie à la discipline
et
rête en France l'accroissementdu capital, pendant
que s'.iccetere celui d..
la ruine et de la dépopulation.
au contact des grands exemples. Mais n'étant point nées
pour vivre isolées, c'est-à-dire dépourvues des moyens
destinés à les spiritualiser et à les ennoblir, ces popula-
tions sont victimes de leur propre nature dès qu'elles
restent livrées entièrement à elles-mêmes. Ce travail opi-
niâtre et cette économie étroite aboutissent alors à un
é~oïsme inflexible et grossier.
Notre ruine sera consommée, le jour où le soi entrera
en entier dans les mains de ce qu'on nomme le paysan,
c~est-à-dire du cultivateur soustrait au contact des hommes
chez lesquels l'intelligence et la culture des sentiments
plus nobles peuvent combattre les effets d'une existence
qui ne vise qu'au travail rémunérateur. il faut songer que
notre habitant- des campagnes est un homme ébauché,
un être que le christianisme vient de saisir et qu'un
rien y fait échapper. Exposé par nature à ne connaître
que l'utile, puis a ne voir d'utile que ce qui répond aux
intérêts matériels, le paysan ne saurait comprendre que
ces derniers aient pour base les intérêts moraux.
Placé hors de cette lumière, et privé de tout exemple
un peu relevé, son coeur demeurera fermé à tous les sen-
timents généreux que la Religion eut tant de peine à
réveiller en lui on le verra définitivement s'enfermer dans
un individualisme menant, cupide et terre à terre. C'est
alors que, mettant l'argent au-dessus de tout, et méprisant
résolument le reste, le paysan voudra s'affranchir entière-
ment du bourgeois, qui ne sert à ses yeux qu'à dépenser
au loin les rentes que produisent les champs, puis du
prètre, qui y maintient une bouche inutile. II prétendra
ouvrir aussi une croisade, celle du travailleur contre le
paresseux L'envie ardente de l'ouvrier des villes et la
cupidité plus âpre encore de celui des campagnes, désor-
mais,confondues, s'allieront contre les habits /x~ et, dans
la France entière,
on n'entendra qu'un cri, celui d'une
haine sauvage. La jacquerie volera,
comme la flamme, de
clocher en clocher, dans notre ma!heureux pays 1.
L'antagonisme n'existe encore qu'entre le capital indus-
triel et les ouvriers des villes, et déjà notre civilisation
vacille sur l'abîme. Que sera-ce quand l'antagonisme écla-
tera entre le capital rural et les ouvriers des campagnes?
A peine tenait-on les villes
en respect au moyen de sol-
dais empruntés aux champs;
que ferons-nous lorsque
ceux-ci voudront eux-mêmes accomplir leur révolution;
qu'ils prétendront purger leur sol de classes inutiles? La
société française sera cette fois tout entière envahie
par la
Révolution~
La reconstitution de la propriété peut seule
nous pré-
server de cette catastrophe. Non-seulement elle ouvre aux
légitimes ambitions une noble carrière; et permet à la
capacité pratique de prendre pied dans notre organisation
sociale, mais elle peut aussi décider !e retour,
au sein des
campagnes, des grandes fortunes et des hommes distingués.
Le péril s'avance. Déjà les classes supérieures sont
évincées du sol par la force des choses. Elles
en possèdent
encore une faible partie, malgré le peu de revenu qn'H
offre comparativement à l'industrie. Mais chacun
se trouve
obligé d'affermer les champs qu'il ne peut cultiver lui-
même, et ces derniers tendent à passer définitivement

(i) On en a vu 1~ signe avant-coureur dans la boucherie qui, le jour de


la d6c!araUcm de guerre à la Prusse, mit fin aux jours de M. deMoneys,
brute vif par les paysans de Hautefaye (Dordogne). Son élégance avait déplu..
(2) Sous ce titre
~tu~ annonce un P~ t'~r~rs de la France. par M. des Chesnaies,
livre où ce péril doit être indiqué dans tous ses
détails.
entre les mains de ceux auxquels ils offrent un produit
rémunérateur.
La bourgeoisie, en outre, délaisse d'autant plus volon-
tiers le sol, qu'elle se voit attirée par des valeurs indus-
trielles inconnues il y a cinquante ans. Il nous faut donc
ici un puissant contrepoids. A chaque instant une grande
terre tombe en lambeaux dans les mains des cultivateurs
ces lambeaux ne pourront plus se réunir pour former
une terre nouvelle Ce sont des éléments de civilisation
détruits, et, aux yeux de l'homme d'Etat, c'est une démo-
lition du sol national. Recourons au moyen qui peut
seul balancer les effets d'un tel état de choses.
D'ailleurs, partout où les sentiments élevés s'affaiblis-
sent, partout où la question d'intérêt pur demeure la
première, ni la famille ni l'Etat ne resteront debout. Les
pensées supérieures et les sentiments généreux une fois
éteints chez les hommes, il ne faudra pas plus leur parler
de patriotisme que de religion; la France se verra habitée
par une espèce nouvelle de barbares la pioche en main.
Qu'un conquérant, entraînant les races du Nord, se
montre alors sur nos frontières, il n'aura qu'à tenir à ces
populations efïrcyées le raisonnement de Proudhon « I!
n'y a pour moi nul inconvénient à ce que les champs
soient possédés par ceux qui les .euttivent! Apportez-moi
l'impôt, et je vous donnerai la paix Loin de voler à la
défense du sol antique de leurs pères, saison la réponse
que feraient ces populations? Hétas! celle que feraient
les hommes qui songent à faire des ~n~e~, si la Prusse,
aujourd'hui, pour s'emparer de l'Est de la France, venait
leur promettre d'abolir les douanes, d'exempter d'impôts
les matières premières, d'ouvrir le débouché le plus large
au commerce.
Opposops au danger, non des enquètes et des publica-
tions, mais un moyen pratique. 11 n'y
a pas un moment a
perdre pour ramener dans les campagnes
ces classes supé-
rieures dont le contact avec les classes rurales
pourra seul
empêcher l'extinction des idées nobles et des sentiments
généreux~. Mais comment y ramener ces classes supérieu-
res, sans rentrer dans la constitution de la propriété, sans
rappeler le droit de tester, sans rendre à l'honorable
pos-
session du sol ses avantages moraux et politiques,
sans
couronner les anobHssements légitimes par la Pairie, de-
venue elle-même ia plus haute des récompenses, et l'objet
de la plus noble émulation?
Les remèdes aux maux dont !e secu!arisme, le scepti-
cisme, le code civil, la fausse éducation, les fausses
éjections, l'absentéisme et l'industrialisme aflbctent
nos
populations, sont maintenant de toute évidence. Que notre
sollicitude se porte, en finissant, sur la situation de la
monarchie française et les nécessités présentes du Pouvoir.

(1) Ne nous faisons pas illusion sur l'état auquel les avocats des principes
de 89 ont réduit des populations d'où sortirent autrefois ces marins, ces
soldats et ces grands capitaines qui ont fait l'admiration de l'Europe,.ce
cierge, et ces saints qui sans doute ont fait cellede Dieu; ettoutesces classes
dirigeantes qui ont fait si longtemps la gloire de la France! La noblesse
restée sur ses terres n'a jamais eu à se plaindre des populations rurales,
même durant ces longues absences des croisades, qui ne laissaient dans les
châteaux que les femmes et ies enfants. Mais tout changea dès que Louis XIV
attira les seigneurs à la cour, dès qu'on les vit manger et dissiper- leurs rentes
de façon ne plus inspirer le respect.
CHAPITRE LU.

Péril que couvrait la fusion.

La Fusion semble encore, à certains hommes sérieux,


la seule issue de la situation présente. Or que veut-on
fusionner ici? évidemment, deux principes contraires. Si
c'est le premier que l'on afiirme, que devient le second? et
si c'est le second, que devient le premier? Où se trouve
alors la fusion ?
Prétendre que le principe de la souveraineté du peuple,
c'est-à-dire de la souveraineté de l'homme, et le principe
de l'hérédité monarchique, c'est-à-dire de la souveraineté
de Dieu, de qui dépend évidemment l'hérédité, peuvent se
fusionner l'un avec l'autre, n'est-ce pas trop compter sur
J'affaiblissement de la raison moderne? Et peut-on se
fonder toujours sur la dissolution des principes pour gou-
verner les hommes?
Fusionner des principes comme on fusionne des intérêts,
est une idée émise par des hommes douaires, mais non
par des hommes d'Etat. Décidons-nous à faire de la vraie
politique la direction des esprits, le salut de la Société,
dépendra du principe qu'on va lui appliquer.
Ou nous croyons que Dieu, et non le peuple, est le
vrai souverain de l'homme, nous en faisons l'aveu, et dès
lors nous quittons les pentes de la Révolution
ou, sous
prétexte de souveraineté nationale, nous revenons sur cette
pente, nous écartons insensiblement Dieu et finissons
par tout fonder sur l'homme. Dès lors, la fusion n'est
plus qu'une fatale transition.. Une fois en!acé dans les
plis du drapeau tricolore, le Roi, reprenant forcément les
traditions de i830, refait i'oHéanismc, assiste à l'évin-
cement successif de t'Elise, code au sécu!arisme, et accom-
plit !a Révolution. Nous proférons de nouveau contre Dieu
la parole fatale des Juifs /Vo~MM~ AM?ïc regnare super
nos, et nous courons à la ruine dé~nitive~
Il faut donc croire qu'on n'a songé ni aux principes, ni
à ce qui en découlerait. Voyant la faiblesse des conserva-
teurs désunis, on a dit: fusionnons-les pour former un parti
plus puissant. Mais cette fusion éteindrait-elle la vieiHe
jalousie qui, se p!açant entre le Tiers-Etat, le clergé et la
noblesse, alluma la Révolution? Tout à l'heure, nous
verrons le moyen d'etTacer cette jalousie, puis d'annuler la
division qui des ce moment s'est établie entre les principes
et les intérêts. Mais déjà le bon sens déclare qu'en l'absence
de principes communs et d'une autorité reconnue de tous,
il est impossible de s'unir. Et si, loin de proclamer ces
principes et cette autorité précieuse, la fusion vient encore
les confondre et les affaiblir, elle n'est plus que le suprême
effort de la Révolution pour achever d'anéantir la monar-
chie française.
Au fond, la nation poursuit moins la fusion des deux

(1) aLa racine des maux présents, s'écrie Pie IX, consiste en ce que les
hommes ont expressémentrejeté Dieu loin d'eux. Et ils se sont placés dans
une condition telle qu'ils ne pourront être rappelés à Dieu que par un fait
à ce point en dehors des causes secondes que le monde soit contraint de
reconnaltre la main de Dieu. Car la lutte est si grave, que Lui seul peut
l'emporter sur ses ennemis.
branches que celle des deux classes.. outre, dans un
acte que la magnanimitc du Roi rendrait certainement
facile, la politique ne voit qu'une soumission celle du
principe qui nous a perdus au principe qui doit
nous
sauver! Soumission qui serait suivie d'une union, non-
seulement des deux branches, mais des nobles
cœurs,
aspirant tous au salut du pays, et des conservateurs,
con-
voitant tous une paix durable.
Mais si l'on veut altérer le principe,
tout est perdu et
c'est là ce que comprend celui à qui Dieu
en a donné la
garde. Déjà pourvu de ses grâces d'état, il dit à
a ceux
qui voulaient fusionner d815
avec 1830 et recouvrir les
idées révolutionnaires du manteau de !a légitimité
« Je
ne serai jamais le roi légitime de la Révolution M: A
ceux
qui lui demandent d'établir la souveraineté de l'homme.,
reparaissant d'abord sous la forme du parlementarisme
pour éclater ensuite sous cette du césarisme, le Roi répond
« Je n'abdiquerai jamais mon devoir!1 » En effet,
l'abdiquer eût été nous abandonner. JI
ne veut rien céder
de son principe, ne voulant rien céder de
ce qui doit faire
notre bien.
Comment s'affranchir du devoir le p!us grand qui soit
conféré sur la terre?
Le Roi ne fait ici que se montrer attaché à
ses obli-
gations. Les hommes ne songent pas assez à la situation
des rois. En sacrifiant son principe, le Prince serait
impuissant à pourvoir au salut du pays. Mon devoir,
«
» s'écrie-t-it (Le Prince ne cesse d'appeler son droit un
» devoir !) est de conserver dans son intégrité le principe
» dont j'ai la garde, principe en dehors duquel je ne suis
» rien, et avec lequel je puis tout c'est ce qu'on ne veut
» pas asséz comprendre ~). Èt Pie IX, ici, s'écrie «
~OM~
» c~re~ J~c~?~ que tout ce qu'il dit est bien dit., et que
~OÏ~ te ~M' est ~'CM ~2'
»
Dans notre scepticisme, nous oublions que le principe
d'hérédité monarchique n'est pas une propriété dont ie
Prince dispose. Cetui-ci n'est qu'un dépositaire la Cou-
ronne de France n'est qu'une substitution. r< Le principe
d'hérédité monarchique, a dit aussi le Roi, n'appartient à
personne; il est !e patrimoine de la nation ». N'ayant pas
en propriété la Couronne, le Roi ne peut ni la briser, ni la
réduire, ni la léguer. Il est à certains égards dans la
situation de l'EgUse envers l'Ecriture et la tradition. Lui
aussi doit conserver intact un dépôt celui que la tradition
nationale lui confie.
La légitimité est notre p!anche de salut; faut-il donc la
céder à la Révolution? Nous aurons beau fermer !es yeux,
le dilemme se dresse, il y va maintenant deia vie.. La
!égitimité est notre ressource suprême en face de la
Révolution et de ses nouveaux pièges, l'intégrité, c'est-à-
dire la solidité du principe est un dernier espoir. Transiger,
de la part du Prince, c'eut été nous trahir~.
Raccourcissez son droit, vous abrégez nôtre existence;
annulez-le, et le salut s'évanouit.
Si, au lieu de nous ratiier au principe qui nous a donné
quatorze siècles d'existence, nous voulons lui allier l'erreur
qui mène au césarisme, non-seulement les étoiles tom-

Et lorsque M. de Coursent apporte ces paroles au Roi, le Roi en reçoit


(<)

une telle impression de bonheur qu'on le voit pâlir et rester un instant.t..


comme sans pouvoir répondre.
(2) Après les dernières défaites, quelle fortune pour la France de retrouver

son vrai drapeau Le drapeau que la Prusse emporte à Berlin n'est que
celui de la Révolution.
Des Français peuvent-ils l'imposer à leur Prince?
beront du ciel, mais le sotei! s'obscurcira, et la
!ui-meme
nation rentrera dans la nuit. La légitimité est le bien de
la France, il la lui faut complète. Dieu
ne veut plus
d'athéismcs déguisés, conduisant les peuples à la mort. La
Providence ne viendra pas
sauver la France pour la rendre
à la Révolution.
Or la fusion ( peut-être sans le voir,) posait la pierre
d'attente sur laquelle la Révolution s'apprêtait à rebâtir 1.
se
Qu'e!!e!e comprenne ou qu'elle l'ignore, la fusion obligeait
le Prince à reconnaître, dans une certaine
mesure, le prin-
cipe de la souveraineté du peuple, se faisant jour
par un
gouvernement parlementaire; qu'elle le comprenne ou
qu'elle t'ignore, la fusion avait pour résultat l'abdication du
Roi. Désavouant son droit, venant comme un vaincu se
mettre au service de la Révolution, le Roi commettait un
suicide. Ici, ce n'est pas lui seul qu'il eu! tué, mais la
France, et, peu après, l'Europe.
Il importe àJa France, à l'Europe elle-même, d'extirper
des esprits, et d'abord du Pouvoir, le dernier
germe de
l'erreur révolutionnaire. La nation sera sauvée par l'inflexi-
biiité.de ce Roi qui, dans une époque si critique du monde,
se montre à ia hauteur de sa mission sublime. Cette
inf!exibi!ité seule prouverait la mission royale. En arborant
le 'drapeau réel de la France, il coupe la dernière retraite à
la Révolution. Les hommes de sens doivent le déclarer
LE Roi A D~JA SAUVÉ LA FRANCE I

(!) C'est l'infirmité actuelle des homme?, de ne poini remonter


au sommet
des principes Nous sommes dans le siècle des prétextes les esprits,
pour
ïï3 tiennent la place des raisons; pour les Etats, ils tiennent celle des prin-
cipes. Nous trouvons cent prétextes pour rester dans la mort..
CHAPITRE LUI.

Véritable fusion, obtenue par les anoblissementslégitimer.

11est un but sacré qu'ont dû poursuivre tous les


hommes préoccupés de la fusion c'est l'alliance des deux
classes françaises, c'est la jonction de celle qui prêta l'oreille
à la Révolution, avec celle qui, comme le peuple, en est
restée victime. Or les anobtissements légitimes conduisent
à ce but désiré, sans nous jeter dans la dernière faute que
l'on puisse commettre en France. En outre, enlevant les
classes moyennes à la position fausse qu'on leur a faite,
ces anoblissements viendront enfin leur imprimer la direc-
tion d'une aristocratie réelle.
Pour faire le relevé des forces de la Révolution et
désigner le siège de nos maux, il fallait signa!erdes erreurs
et dénoncer un industrialisme qui a fait tout à coup
déborder et porter au Pouvoir des classes privées de
traditions et d'habitudes propres aux classes dirigeantes.
C'était là un devoir politique. Mais on doit aussi recon-
naître que ces classes sont aujourd'hui les seules pépinières
de l'aristocratie, qu'il importe de les traiter et de les
cultiver comme telles. Cette alliance des deux classes
françaises, que l'on demandait à la fusion, se prépare ici
d'une manière plus sûre et plus profonde. Ces anoblisse-
ments grouperont les familles qui ont donné des gages à
la Foi et à la charité, celles dont les membres sont entrés
dans les saints Ordres, ou dont les fils
sont accourus à la
défense du pays, alors que maints enfants de famines
obscures cherchaient à esquiver
un semblable devoir. Ces
trois faits révèlent déjà le parti
que l'on pourra tirer
de ces légions nouvelles, dès qu'elles
seront formées et
dirigées.
C'est un but que l'on doit atteindre,
autant pour leur
propre avantage que pour celui du pays! Ce sont ces
classes encore privées d'idées providentielles,
et dès lors
d'idées politiques', qui disent à l'envi
que si le Roi ne'peut
pas revenir, c'est par sa faute, c'est parce qu'il a.voulu
conserver son drapeau. En sorte qu'a les entendre, le
symbole de tous les principes appelés a
sauver la France
doit disparaître devant un symbole d'erreurs qui,
cette fois,
la perdraient à jamais! H est
sans doute diMe à ces
classes de comprendre que le retour du Roi est indubitable,
précisément parce qu'elles le jugent impossible. Car
elles jugent le Roi impossible parce qu'il
se tient au
sommet du droit et de la vérité c'est-à-dire au point
seul d'où il peut amener au rivage
un peuple submergé
dans l'erreur.
Oui! le prince que Pie <X admire et
que l'Europe nous
envie leur paraît un prince impossible! Et certains
sontt
allés jusqu'à dire que n'a-t-ii même quelques-uns des
défauts d'llenri iV, cela le rendrait populaire S'il

(i) Dans ce naufrage des id~ës, comment surnagerhient les idées provi-
dentieHes?Mais toutes les idées ont péri dans la raréfaction intellectuelle
produite par le scepticisme..
Pour retrouver ces grandes !oh, que la raison recueille la iumiërequii
jaillit des Mandements de nos cvëques, de ces chefs-d'œuvre de N. S. du
Poitiers, de Moulins, d'Angers, de Rouen, d'ailleurs de tous,
car ce sont
eux qui soutiennent en ce moment la raison et la Société expirantes..
avait les défauts du peuple, comment pourrait-i! le
sauver~?
Cependant la situation si é!evée du Roi repond en France
a toutes les situations. Les hommes dans les affaires,
dont les idées ne peuvent aujourd'hui s'c!evcr jusqu'à celle
d'un roi légitime, demandent cependant à grands cris un

droit royal. En ce
homme énergique au Pouvoir. Or le premier moyen, le
premier élément d'une telle énergie, est dans t'integrité du
droit, le ftoi rétablirait un
état provisoire, ruinerait les classes moyennes et par suite
les classes inférieures.

On voit ici de quel état les classes nouvelles ont besoin


d'être ramenées. Elles furent, il est vrai, privées de
traditions et de principes politiques mais où les auraient-
elles puisés? Elles ont pu voir sans en être effrayées
l'ordre spirituel sacrifié pièce à pièce au maintien passager

(I) Ces esprits, que ruine le scepticisme, se reconnaissaient partout à


l'énoncé de sept ou huit allégations, issues de l'iguorance absolue où ils
étaient sur )a nature de notre époque. « Nos temps, disaient-ils, ressembtent
à tous les autres par suite des progrès, la famine et les autres fléaux
deviennent impossibles; les guerres sont conjurées par le triomphe de la
raison, et les revoiutions pur celui de la force et par )a division de la pro-
priété; Dieu ne doit pas s'occuper de la Soci6f.6; la loi doit être athée;
l'Egiise, bien que depossudec et séparée de i'Et~t, est ramenées sa situation
normale; jamais les peuples ne reviendront au droit divin; le retour
d'Henri V est tout ce qu'il y a de plus impossible; l'avenir est aux Napo-
léons, etc. )' C'était un decu!aris)ne absolu Pour ces esprits, nos dogmes
étaient des rêves fantastiques, et l'humanité devait trouver tout dans le
cesarisme.
ifs souriaient dès qu'on parlait de l'imminence des événements et ce
sont eux a qui l'on entend dire aujourd'hui «-N'importe qui viendra! nous
acceptons pourvu qu'on nous rende la paix Tout excepté peut-
être celui qui seul peut la leur rendre..
n est vrai, cet état des esprits va promptcuient. changer.
de l'ordre matériel, et l'Eglise immolée a la constante
ambition de l'Etat; mais combien peu étaient exempts
de ce libéralisme! Cette vaste erreur nous expl ique
pour-
quoi la bourgeoisie, s'inféodant à Napoléon IH, refusait
de plus en plus sa sympathie à des Rois qui, sans immoler
les droits de l'Etat et sans sacrifier l'ordre matériel,
jugeaient sans doute les services du Clergé supérieurs
à ceux de l'industrie. Le libéralisme troublait et empoi-
sonnait tout.. Mais tout changera de face dès que les
faveurs iront surprendre ceux qui, rentrant dans la
vérité, rempliront leurs obligations envers les classes
ouvrières.
La classe moyenne peut dire Que celle qui est sans
péché me jette la première pierre! Elle naquit politi-
quement le jour où Je phi!osophisme et ia Révolution
triomphaient. Toutes les erreurs entouraient son berceau.
Comment aurait-elle fermé la bouche à ses
propres docteurs,
et dissipé des préjugés contre lesquels l'Eglise devenait
elle-mème impuissante? Son état même nous démontre la
nécessité d'ériger en aristocratie toute classe supérieure et
prépondérante, afin qu'elle puisse accomplir ses devoirs
envers les autres classes. Et de là, pour l'instruire, Dieu
lui envoie les événements.
II est à croire qu'une classe qui ale mérite d'avoir formé
du capital aurait l'élan du vrai patriotisme, si elle était
sérieusement reprise par la Foi et engagée dans des insti-
tutions politiques de nature à la rehausser. Tout s'unit à
cette heure pour persuader à la bourgeoisie de s'élever aux
sentiments d'une véritable aristocratie française. Elle le
fera pour sauver la France, pour sauver la civilisation,
pour se sauver elle-même! Ici, Dieu lui-même l'appelle,
puisque, contre tous ses instincts et contre ses propres
principes, elle a déjà fourni tant de prêtres à Jésus-Christ,
tant-de soeurs de Charité au peuple, tant d'hommes de cceur
à la défense du pays
Mais ellé le voit ses idées, ses principes, ses vues fai-
saient partie du grand mensonge. C'est en outrageant ie
c!ergé, en méprisant les rois, en plaisantant sur la vertu,
en
répandant les mauvais livres et !es mauvais exemples, en
abusant de la richesse, c'est en écartant Dieu sur tous les
points, qu'elle a formé les hommes qui causent aujourd'hui
ses terreurs. Tout cela va changer, sinon tout est perdu.
Comme au temps de Babel, ses membres finissaient
par
croire que, devenus maîtres absolus d'eux-mêmes, ils se
mettraient à l'abri de Dieu. Ils voient maintenant la
nécessité de son intervention, à cette heure redoutable du
monde! Qu'ils sachent bien que la prière suspend l'hu-
manité aux rives de l'Infini, comme l'attraction suspend les
globes,dans l'espace, et que1 si cette force se brise, nous
tomberons comme une étoile consumée dans le cendrier
de l'abime.

Encore une fois, la France ne peut se rétablir que par


une aristocratie, cette aristocratie que par la bourgeoisie,
et cette bourgeoisie que par la Foi, réussissant à dissiper
partout le scepticisme et les sentiments médiocres. Un des
plus importants doyens de gouverner est donc de protéger
les germes que le clergé ne cesse de semer dans la bour-
geoisie, ensuite, d'allier la bourgeoisie à la noblesse, et de
leur imprimer une impulsion libératrice par la constitution
de la propriété.

LËGtT.
CHAPITRE LIV.

Ne pas écrire de constitution.

(Onzième point de fait)..

Le point sur lequel la raison politique a peut-être été ie


plus ébranlée, est celui des constitutions. D'ordinaire, les
peuples et leurs dynasties croissent avec leur constitution,
comme un arbre avec sa moëlle et son écorce. Tout se
forme, tout grandit ensemble, la nation avec son roi
muni d'un droit sacré, que tempèrent d'autres droits égale-
ment sacrés, investi d'une légitimité indépendante, qu'en-
tourent d'autres légitimités non moins indépendantes,
et vivant au sein d'un ensemble de coutumes et de tois.
Car de là vient cette expression parfaite de monarchie
tem pérée.
Mais rien de cela ne peut se faire par théorie. Une
telle monarchie, on le voit, nait de la sagesse des peuples,
car il faut qu'elle soit possible; ces coutumes et ces lois
ne pouvant être improvisées, ne sauraient résulter d'une
constitution écrite. Quel peuple, au reste, pourrait se pro-
poser un idéal de constitution à réaliser~?

(i) Un peuple a toujours une constitution, c'est-à-dire des faits consti-


tutifs, des droits acquis en relation entre eux. C'est sa constitution réelle,
et l'on a pu la définir la relation réelle des pouvoirs. Les constitutions
écrites ne peuvent que constater ces faits ainsi que leurs rapports; sinon,
elles viennent se heurter contre la constitution réelle, et finissent par se
briser, comme il est arrivé & toutes les constitutions modernes.
Pour nous, d'ailleurs, est-ce
au moment où les principes
et les droits vont revivre, qu'il faut les emprisonner dans
un
programme? Est-ce au moment où Fautorité tout à faire,
a
qu'il faut circonscrire
son pouvoir? Voudrait-on entraver
la nation, qui
va rentrer dans son mouvement propre, ou
lier les mains de celui qui,
entre tous les hommes du pays,
se voit chargé de la plus importante opération? Ne peut-il
pas, toutt aussi bien, agir
sans y être obligé? On doit
comprendre l'insuffisance, les dangers et l'inconséquence
de ces engagements pris
au début e.t désignés sous le nom
de charte, puisque l'acte même
par lequel on prétend ici
établir ie Pouvoir, ébranle
une souveraineté qui s'engage
et avec laquelle on fait ses conditions..
Dateurs, ce serait moins
que jamais le moment d~en
user de la sorte avec un roi que Dieu envoie évidemment
pour nous sauver. C'est lui-même, peut-être, qui
gratinera de cette charte des garanties dont nous
parfois les
nations ont besoin contre des ministres
prévaricateurs ou
des rois égarés
Sans doute, en détruisant les aristocraties
d'un peuple,
on en détruit les moeurs, les traditions, les droits acquis,
les fonctions privées
ou locales, et, dans une pareille
extrémité, on songe à recourir à
une constitution écrite.
Mais que constituer ainsi quand
on a tout détruit? Alors,
comme les partis et les opinions fausses restent
debout, ce sont eux seuls qui réussissent encore
à s'établir dans
ces constitutions artificielles. Aussi, Bonaparte
en pro-
mettait-il à tous les peuples qu'il atteignait
par ses con-
quêtes.
A ces raisons si graves s'ajoutent, en pratique, deux
raisons d'inopportunité qui déjà rendraient
ces sortes de
chartes préjudiciables. D'abord,
aucun programme en ce
moment ne saurait rallier les esprits, tant est grande en-
core l'anarchie à laquelle ils se trouvent
livrés, et aucune
concession ne pourrait encore, à cette heure, rattacher au
Pouvoir légitime les hommes qui ont plus ou moins perdu
de vue les vrais principes monarchiques. Ensuite, si,
d'une part, il faut laisser à la nation son mouvement
le
propre, de l'autre, il importe au plus haut degré que
Roi, a'la veille de monter sur le trône et de nous arracher
à la Révolution, conserve toute sa liberté d'action, toute
l'initiative dont Dieu sans doute l'investira.
II faudra pourvoir à de telles nécessités, que le Roi
n'aura pas trop de cette précieuse initiative pour obvier
à tous les dangers et pour se livrer lui-même à l'expansion
de tous ses sentiments. Un programme, d'ailleurs, toujours
sujet à discussion et à interprétation, serait pour les brouil-
lons ce qu'a été la Charte de 18iS. Loin d'apporter un
royal mettrait une
gage de concorde, un nouveau document
n'avait pas été
arme aux mains des mécontents. Si la Charte
écrite, elle n'aurait pas été si tôt détruite. Si Louis XVIII
n'avait rien juré, on n'eût pas pratiqué une révolution, en
lançant dans lés rues ces mots pleins d'imposture
Charles X a violé la charte~

« Les esprits distingués parmi les royalistes, dit naïve-


ment M. Thiers, prétendaient que les constitutions ne
s'écrivaient pas, que, filles du temps et non des hommes,
elles se formaient peu à peu comme les grandes oeuvres de
la nature, composées quelquefois de lois écrites, mais

(I) Le programme du Roi, c'est la lumière dans laquelle il a montré son


inspirés qui font
cœur, c'est sa loyauté proverbiale, ce sont cea manifestes
dans les esprits sensés un progrès plus rapide que toutes les menées
des partis.
plus souvent d'usages, de traditions, d'habitudes; et que
tout cet ensemble, constituant !a manière d'être d'une
nation, était sa vraie constitution, la seule qui ne fût point
un rêve. lis soutenaient que la France avait sa constitution,
laquelle avait dure des siècles tandis que les constitutions
imaginées depuis 89 s'étaient succédé comme les .flots
d'une mer en furie. Mais ils étaient embarrassés lorsqu'on
leur demandait d'en définir les éléments~. Cet em-
barras démontrait leur sagesse et prouvait qu'ils étaient
conséquents.
Eh bien, ces éléments d'un peuple ne disparaissent
point. Mais, encore une fois, est-ce au moment où les
idéologues dominent et où ils viennent de tout briser que
l'on peut faire appel à leur consentement? Ne serait-ce pas
renouveler ces constitutions qui se succèdent comme les
flots et disparaissent comme les rêves?
Il faut constituer les nations comme elles se constituent
elles-mêmes, en suivant leur mouvement propre, sous
l'action de leur loi religieuse et nationale, et non en subs-
tituant à ces lois celles de l'antagonisme des classes. On a
persisté à croire que les constitutions devaient s'écrire et
elles ont persisté à se détruire. Il n'est pas jusqu'à la
richesse et à la philanthropie qu'on n'ait voulu constituer,
au moment où l'on répandait le paupérisme et la haine
parmi les hommes. La Société demande à vivre et non pas
à se voir couler dans un moule.
De même, les Pouvoirs, loin de se circonscrire, doivent
se mouvoir dans ce fluide vivant qu'on nomme les mœurs
et l'opinion autrement tout se paralyse. Vous écrivez que

(t) Les céments que Fou persiClcici sont précisément ceux de la monar-
chie tempérée.
la Royauté n'ira pas plus loin Elle se brisera donc le jour
où des circonstances impérieuses l'obligeront d'aller plus
loin? Au sein d'une nation, les Pouvoirs ne sont pas des
bois de charpente tout prêts et tout coupés d'avance, il n'y
a rien de complètement prévu chez les hommes voilà
pourquoi précisément Dieu nous donne des rois.

Mais s'il est imprudent d'écrire, il est prudent de réflé-


chir. Les gens sages s'accordent à dire aujourd'hui que
le malheur pour la Restauration est de s'être établie
sans
avoir des idées arrêtées sur ce qu'il convenait de faire.
Privée d'un plan, elle s'est vue livrée, même pour l'appli-
cation des principes les plus incontestables, aux hasards
des discussions de la tribune, à l'opposition de la presse et
aux tiraillements des partis.
II ne fautt pas donner à ces derniers le temps de
se
former. I! est urgent d'avoir ses idées et sa marche prêtes,
de ne. rien engager au commencement,et de ne point céder
de son autorité, surtout dans !e début. H vaut mieux agir
à mesure que les événements se présentent, sans annoncer
tout ce que l'on doit faire, et de manière à surprendre
agréablement les esprits. Au reste, on n'improvise pas
l'avenir.
Que les hommes sérieux songent à ces grandes
questions, avant que le législateur, avant que le Roi s'en
occupe. Quand tout est détruit, dira-t-on, ne faut-il donc
rien rétablir? I! faut au contraire tout reconstruire, et
pour cela très-peu écrire, de crainte d'entraver l'action
naturelle d'un peuple et celle de la Providence. Oh peut
dire aux factions Depuis quatre-vingts ans, que vouliez-
vous ainsi constituer? tout. Et qu'avez-vous constitué?
rien. Car depuis que vous prétendez tout écrire, religion,
royauté, famille, propriété, hérédité, lois, droits publics
et privés, corporations, cités, provinces, enseignement,
patrie, tout s'est dissous. Vous n'avez pu constituer que
les partis, et assurer la vie qu'à la Révolution.
Ces sortes de constitutions sont après tout le grand
pro-
duit de la Révolution et le triomphe des parlementaires,
C'est la codification des erreurs qui étouffent le plus sûre-
ment les principes supérieurs de la Société. EUes font toutt
l'espoir des modérés de la Révolution, c'est-à-dire des
hommes les plus dangereux qu'elle produise*. Car ce sont
eux qui ont permis à l'erreur d'établir des gouvernements
et de constituer des lois
Ces modérés ne se croyaient jamais assez surs de sou-
mettre les rois à la Révolution, les droits à leur orgueil,
et l'Eglise aux gouvernements c'est là tout le secret de
leurs constitutions. Mais, admirons le sens de ces hom-
mes, depuis les Girondins jusqu'à M. Guizot et jusqu'à
M. Thiers pour eux l'humanité ne cessait d'avancer
quand elle roulait dans t'abîme..

(1) Les aberrations de l'orgueil, dit M. G. de La Tour, se r6sument dans


l'école révolutionnaire,et les plus redoutables parmi ceux qui lui appartien-
nent, ce sont les modérés. Suivant eux, la liberté la plus nécessaire à
l'homme, est celle d'exposer toute sa pensée, et la liberté la plus nécessaire
a un peuple est celle de disposer du Pouvoir. Pour prévenir les explosions
périodiques que ta presse et les réunions publiques ont dès lors le droit de
préparer, les modérés n'ont qu'un moyen': gouverner dans le sens des atn-
bitieux les plus modérés, ou de la minorité subversive qu'ils représentent.
En cela consiste l'habileté si vantée de leurs hommes d'Etat.
CHAPITRE LV.

Dernières réflexions sur la Pairie.

On a compris combien les anoblissementslégitimes sont


à la fois un acte de Justice, un service rendu au commerce
aussi bien qu'aux classes rurales, un encouragement dans
la constitution de .la propriété, un appui pour l'Etat,
enfin un moyen d'éteindre la Révolution au cœur même
des classes moyennes. On pourrait faire un pas de plus
dans cette voie:
Comme, d'une part, en diminuant le nombre des fonc-
tionnaires, la décentralisation diminue le nombre des
personnes attachées à l'Etat; comme, de l'autre, il faut
multiplier !es échelons devant les hommes, afin de rendre
plus nombreuses les situations o~ertes au mérite, la Pairie
devra peut-être se compléter à l'aide d'une institution qui
la fasse tenir par d'abondantes racines à tout le sol du
pays.
Il serait bon qu'aucune des familles riches et importantes
qui y sont répandues ne puisse se dire entièrement étrangère
à cette haute dignité, qui, mise ainsi à la portée du regard
des classes moyennes, y tiendrait, éveillés, à côté du désir
du gain, des mobiles d'un ordre plus élevé. En outre, il
importe de maintenir, partout, la Foi, les mceurs, ladignité
et les traditions nationales au-dessus des atteintes du
vulgaire et de l'opinion.
Cette institution serait celle d'une pairie provinciale. EHc
donnerait une situation politique à la haute bourgeoisie,
comme à la noblesse locale, 'et constituerait en quelque
sorte le premier degré de l'aristocratie du pays. La Pairie
semblerait aujourd'hui trop peu faire corps avec la nation,
si elle ne s'y rattachait que par un petit nombre de familles
nationales et de pairs héréditaires.
La pairie provinciale serait pour la Chambre des pairs
une assise plus ample, faisant participer à sa formation
les familles honorées, déjà anoblies ou susceptiblesde l'être,
et offrant aux classes trop éloignées du premier degré, la
perspective d'occuper ie second. Quelques-uns de ses mem-
bres pourraient faire partie du Conseil généra!; chaque
institution, chaque corporation trouverait là ses protec-
teurs sur les lieux mêmes bien entendu, sans en excepter
!e clergé, qui aurait là un ou deux délégués par chaque
diocèse ou par chaque province ecclésiastique. Ainsi la
Société verrait toutes ses extrémités se relier entre elles.
Le Roi conférerait la pairie provinciale, mais en nombre
déterminé dans chaque provinces aux membres de la
bourgeoisie jouissant d'une grande situation, aux notabi-
lités du commerce, de la magistrature, de la propriété,
comme aux familles distinguées de la noblesse non encore
admise dans la Pairie nationale; puis, en conséquence
d'une distinction particulière, il y sanctionnerait l'entrée
des membres élus par le clergé de la province ecclésiasti-
que, bien que celle-ci, comme haute personne morale, ait
à produire son délégué à la Chambre élective~.

(i) Cenombre serait limité, pour mieux honorer les personnes admises
à cette dignité. Dans un pays où le sentiment de l'honneur est si vif, on
aurait là un moyen d'y répondre honorablement.
(2) Si le clergé, avant 89, jouissait d'une large représentation,
en vue
sans doute aussi de'ses biens territoriaux, il doit en posséder une tout au
moins égale actuellement, en vue du capital moral, d'une nécessité plus
grande encore, que nous lui devrons aujourd'hui.
Les pairies provinciales se rattacheraient à la Pairie
nationale,par le droit qu'elles auraient de choisir chacune
dans son sein un pair de France à vie~. Ces derniers se
joindraient aux pairs à vie que le Roi élirait lui-même
parmi les individualités éminentes ayant rendu d'éctatants
services au pays. Car, pour la pairie viagère, de même
que pour la pairie héréditaire, comme il s'agit des intérêts,
de l'ordre supérieur, qu'une Chambre de cette nature
est appelée à protéger, et qu'it faut dès lors à'ses membres
d'autres mérites que ceux de la richesse ou du talent, IL
appartient avant tout au Roi, juge désintéressé de ces
mérites, de choisir les familles d'où sortiront les pairs.
Au surplus, ce n'est !à qu'une conjecture. Comme, après
chaque révolution, il y a toujours un intérim où l'on
s'occupe de reconstituer, le Roi convoqueràit sans doute
des Etats généraux pour un temps, afin de traiter les
questions importantes, sauf à transformer un peu plus
tard ces premiers essais en institutions nationales.

CHAPITRE LVI.

Tenir compte de la situation.


JI,

Le Roi a lui-même exposé toutes les questions


«
Le bonheur de la France ne saurait être assuré que par

mode de nomination n'est pas sans précédents. Depuis la réunion


(<) Ce
du royaume d'Ecosse à t'Angieterre, la pairie d'Ecosse, trop nombreuse
relativement à l'importance du pays, élit dans son sein un certain nombre
de pairs siégeant il la chambre des Lords.
» le principe qui, pendant tant de siècles, aéteia garantie
» de notre ordre social, et qui peut seul permettre de don-
? ner aux libertés publiques tous leurs développements,
» sans rien ôter au Pouvoir de la force et de l'autorité qui
» lui sont nécessaires. Dieu aidant, nous fonderons ensem-
» b!e, sur les larges assises de la décentralisation administra-
»tive et des franchises sociales, un gouvernementconforme
» aux besoins rée!s du pays. Je connais les intérêts nou-

» veaux qui, de toutes parts, se sont créés en France, et


» le rang social que se sont légitimement acquis Finte!!i-

B gence et la capacité. Comment tolérerais-je des privi-

» !éges"pour d'autres, moi qui ne demande que celui de


)) consacrer les instants de ma vie au bonheur de la France,
» et d'être toujours à la peine avant d'être avec elle à
l'honneur~?
Maintenant, quelle sera l'étendue de ces droits publics,
la quantité des aoob!issements, etc., et dans quelle mesure
doit-on rétablir la Province? Autrement dit, où est !e
point d'intersection entre la décentraiisation administrative
et l'unité gouvernementale? C'est ici que surgit un pro-
blème nouveau celui de l'application. L'application!
oeuvre importante, dévolue au bon sens du pays et à la
haute paternité du Roi.
Dans la situation où se trouve la France, le peuple a
bien dès choses à comprendre, la royauté bien des choses
à réaliser. Il importe à celle-ci de rassembler ses pro-
pres droits, pour pouvoir rétablir tous ceux qui revien-
nent aux hommes, et dont ils. furent dépouillés par la
Révolution.

(t) Lct.trM du 15 odohrc i848. du 23 janvier )85t. du S mai


t8-n. du .juitt~ i8'H.
La nation reprendra peu à peu ses libertés locales. Elle
ne sera plus victime de la grande méprise du parlemen-
tarisme des assemblées qui gouvernent, avec un Etat qui
administre tout Le pays se trouve alors jeté, d'une part,
dans l'anarchie, de l'autre, dans le despotisme pratique.
Une nation a besoin d'être gouvernée, mais elle doit en
grande partie s'administrer elle-même.
Les meneurs, en 89, imaginèrent la centralisation, ou
l'administration par l'Etat, pour annuler la noblesse en
province et réunir tous les pouvoirs entre leurs, mains.
Tandis que, depuis i870, ils veulent non plus seulement la
province, mais la Commune indépendante et pourquoi?
Parce qu'étant répandus aujourd'hui sur tous les points du
territoire, chacun d'eux veut dévorer sa proie, et n'entend
plus la céder aux meneurs de la capitale. Maintes localités,
et les villes surtout, se verraient ici dans l'impuissance de
s'affranchir de prime abord de ces éléments odieux de
fédéralisme et de commune, sans le secours du Pouvoir
central, pourvoyant à certaines administrations et désignant
les Maires pendant un certain temps.
Les nations ne parlementent pas, elles agissent les
droits ne s'improvisent pas, ils se forment c'est pourquoi
il faut aux nations un gouvernement qui, représentant leurs
libertés légitimes, leurs intérêts, leurs justes aspirations,
puisse dès lors gouverner. Certes on reconnaîtra les
légitimités, on leur rendra insensiblement la vie, on
entendra tous les besoins, on évoquera tous les éléments
que nous réservait notre histoire mais la vie naturelle
ayant été interrompue, il faudra recourir plus qu'on ne
croit à l'assistance du Pouvoir. Où nous ne sommes plus,
le Pouvoir est tout seul pour agir.
L'extension de l'unitarisme', c'est-à-dire du despotisme,
fitdisparaître, hé!as une foule de libertés liées aux choses
et aux lieux. On y mettra de la bonne volonté, on y mettra
du génie, on reprendra le travail si douloureusement
interrompu de notre civilisation, mais on ne la ressuscitera
ni dans un jour ni d'un seul coup. Les origines ne nous
seront point rendues, Dieu ne les donne pas deux fois.
Combien de droits croissaient ensemble, ou s'abritaient
dans leurs développements séculaires, et ne pourront se
rétablir
Ah comment retrouver à la fois toute la Royauté et
toute la liberté française~telles que les siècles les avaient
faites? Si, d'une part, le Roi recouvre les pouvoirs qui
résultent, d'abord de la souveraineté, ensuite de ses droits
rintimes sein d'une nation que sa famille a créée, où
au
retrouver, d'autre part, ces immunités des villes ou des
provinces, ces obligations librement consenties par les-
quelles il était lui-même lié, sous peine de refus de subsides
de guerre, ou d'abstention de service militaire~? Les
droits acquis faisaient partie de nos mœurs à ce point que
les peuples ne passaient pas d'une domination sous une
autre sans que leurs franchises ne fussent expressément
stipulées. Toutes, il est vrai, sortaient des mœurs et des
anciennes coutumes, et non des désirs de l'orgueil.
Cette Royauté-là, où en découvrir à Isr fois et l'étendue
et les frontières? frontières nxées par la justice, éprouvées
par l'expérience, assurées par le temps, au sein desquelles
se développèrent, comme de véritables petits Etats, les

(<) L'histoire est remplie de chartes jurées par des princes en faveur de
libertés, non pas comme aujourd'hui idéales, mais de fait. Ainsi, le Dau-
phiné, la Provence, la Bresse, la Lorraine, l'Alsace, avant d'entrer dans le
domaine de la couronne de France, stipulèrent la conservation de leurs
libertés propres.
villes, les communes, les Provinces, ies parlements, les
universités, les Ordres, les abbayes, les chambres syndi-
cales, les confréries religieuses et les
corps de métiers,
petites principautés munies de leur législation, de leur vie
propre et de leurs droits; toutes plus ou moins indépen-
dantes, toutes révélant l'exubérance de l'autonomie natio-
nale, toutes enfin, ayant un bien
pour objet, et non,
comme aujourd'hui, l'orgueil.
Mais si le passé ne peut renaître,
on peut du moins
remonter aux principes, recourir à l'autorité et faire
appel à la sagesse. Certes! on s'occupera des grands
besoins, on interrogera les droits, on entendra la justice,
on appuiera la charité, on rétablira le courant de
l'histoire et, cependant, qui pourra remplacer le travail
du temps, ia simplicité des coutumes, l'indulgence des
cœurs, l'ceuvre de nos progrès chréiiens~cette œuvre que
i789prétenditrajeunir etqu'ilasi profondément ébranlée?
Car, bien que les révolutions n'aient rien de légitime,
comme les maladies, elles sont le dénouement et la crise
finale d'un état antérieur. Comme les maladies, elles restent
nos punitions; et, après les avoir subies, la Société,
semblable au corps humain, a perdu sa première vi-
gueur.
CHAPITRE LVII.
Question de vie ou de mort pour l'aristocratie française.

(Douzième point de fait).

Au milieu d'un si vaste travail, une chose pourrait tout


perdre et remettre en question notre avenir, c'est une
seconde chute de la noblesse.. Une chose produirait cette
chute, c'est la morgue française.
A la pensée que toute classe supérieure demeure ouverte
à celle qui la suit, on voit bondir certaines vanités assez
étroites pour perdre de vue ie salut du pays. Et le
prestige! et l'autorité! –Est-ce enlever son prestige à
la noblesse que de rouvrir à tout ce qu'il
y a de digne?
Est-ce l'annihiler que de lui apporter le concours de toutes
les supériorités, de toutes tes énergies du pays?
La morgue qui, c~ez nous, perce dans le villageois fier
d'avoir su amasser de l'or, monte ensuite de classe en classe
avec les enrichis, puis éclate d'une manière plus ostensible
dans la noblesse nouvelle. Mais de là, retombant de plus
haut comme une cascade de mépris, elle blesse et irrite ia
nation entière. La France souffre encore de
morteHes l'esprit de jansénisme, qui épuisa qjMJ~
Foi, et cette morgue qui, vers la fin du d8~S!ec&, brisa
dej~ës
la
les derniers liens entre la noblesse et les populations. De la
haine qui s'amoncelle en bas à ia morgue qui règne en
haut, s'ouvrit l'abîme où nous tombons..
Tous les peuples accueillent leur aristocratie les Alle-
mands avec satisfaction, les Italiens avec honneur, les
Anglais avec fierté. Le Français seul montre à la sienne
une hostilité sans pudeur. La faute vient des deux côtés
d'abord d'un peuple qui aime à railler tout ce qui lui est
supérieur, et qui en outre est saturé d'orgueil par la
Révolution; puis de la fausse noblesse qui, pour se faire
une grandeur personnelle, se complait' à railler tout ce qui
lui est inférieur. Qu'on se corrige de part et d'autre, sinon
tout est perdu..
Le ~Français est trop présomptueux pour supporter la
présomption d'autrui. Il est trop glorieux pour souffrir
la sottise d'individus dont toute la noblesse consiste à
éviter tels et tels qui ne sont pas nobles, ou toute l'aristo-
cratie à afficher du luxe et à diriger leur mépris sur
ceux dont l'amitié ne pourrait point leur faire honneur.
Ce ne sont pas les anciennes familles qui, sur ce point,
ont poussé à bout les esprits Ces rancunes, ces haines,
ces désirs de vengeance qui firent bientôt couler des flots
de. sang, furent provoqués par la morgue des familles
nouvelles, des parvenus portant les noms de châteaux
achetés la veillé, des enrichis 'quittant le lieu de leur nais-
sance pour s'affubler ailleurs de *titres- usurpés. Dans une
crainte trop visible de ne point paraître assez nobles, ces
gens-là affectaient de ne connaître que l'aristocratie, et
d'amener du dédain pour la classe d'où ils sortaient.
Au moment où grondait la Révolution, c'était amasser
des chapons ardénts sur leur tête.. La bourgeoisie elle-
même N'a pas attiré aujourd'hui la moitié de la haine
accumuléealors sur la noblesse et cependant, ils appar-
tiennent à la bourgeoisie ceux qui, exploitant aujourd'hui
le pays par l'agiotage et l'industrialisme, font dépendre
d'un salaire passager l'existence de nombreuses popula-
tions, et ont ouvert sous elles le gouffre jusque là in-
connu du paupérisme! La foule assurément convoite les
richesses qu'elle a vu amasser sous Mais elle
ses yeux.
pense aujourd'hui à piller, plutôt qu'à se venger.. Plus
pervertie que celle de i791, elle ne montre pas contre
la bourgeoisie l'espèce de ressentiment personnel qui l'ani-
mait autrefois contre la noblesse.
Pourquoi? Parce qu'il est dans la nature humaine de
préférer la mort au mépris. Volez cessez, tentez d'assas-
siner un homme, il pourra vous Je pardonner. Blessez-le
dans son amour-propre, il ne l'oublier jamais. On blesse
rameur-propre, mais on ne le tue pas. La morgue qui,
pour tout l'homme, est du dernier ridicule, devient pour
une aristocratie un vice tout à fait mal placé et dès lors
révoltant. Où devra donc briller la bienveillance, sinon
entre compatriotes? Où se montrerait donc cette frater-
nité du sang que nous tenons d'Adam, et cette fraternité
divine que nous devons à Jésus-Christ?
Quoi de moins noble que l'amour-propre Quoi de plus
repoussant que le mépris d'a-utrui Quoi de moins dis-
tingué, de moins aristocratique, qu'une morgue attes-
tant une absence de grandeur, d'intelligence et de bonté?.
Sont-ce là trois vertus qu'il faille exiger de la foule? La
charité, dont le type est en Dieu, conduit le supérieur à
s'incliner vers l'inférieur; aussi est-elle le propre des
grands et la marque à laquelle on les reconnaît vite. Ce
sont les familles vraiment supérieures qui ont~toujours
fourni le plus de prêtres et de sœurs de Charité, ou rempli
les charges si justement appelées autrefois des ~'U!CM.
Cette affabilité et cette bienveillance sont un des éléments
de ce qu'on nomme la dignité, comme on en peut juger
par nos Evéques, qui présentent partout le type sur
LÉGtT. 2
lequel on doit se modeler. Le peuple, lui qui exige chez
autrui les vertus qu'il n'a pas, ne pourra jamais voir une
aristocratie chez des hommes dépourvus de manières
nobles et conciliantes. Une parole ne cesse de tinter aux
oreilles « Le premier parmi vous devient le serviteur de
tous.
Un rien peut tout sauver, mais un rien peut mainte-
nant tout perdre\.
Que partout les aristocraties se fassent reconnaître
par
leur bienveillance et leur humilité: quels trésors d'amour
elles amasseront sur leur tête! Si un bien peut sortir du
mal horrible de la Révolution, que ce soit la bonté;
que ce soit un sentiment de modestie refleurissant au
front des aristocraties, car elles se sont laissées pé-
rir. Les idées de la Révolution succombent; dans
quelques jours, elles apparaîtront si absurdes, que chacun
voudra se défendre d'y avoir pris part. On sentira com-
bien Je prêtre a eu raison de leur préférer celles qui

(1) Un seul prêtre imprudent, ou se laissant aller à quelque mouvement


de la nature, suEBrait pour déconsidérer le clergé d'alentour. L'EgHse vient
établir la charité, mise au service de la; lumière. C'est le jansénisme qui
avait 6ni par graver sur le visage ouvert et souriant du noble prêtre de
France, cet air rembruni et fach6 qui inspirait ia terreur aux enfants et
L'aversion aux hommes.
S'adressant aux 54 curés de Rome, a !a veille du carême, Pie IX leur
a dit o ~r~Me, o&~cra, increpa in omni pa~'en~ car c'est !e point
important »
« Pour exercer utilement son ministère auguste, dit Mgr de Perpignan,
J
!e prêtre doit le faire accepter des peuples par l'autorité de sa charité et les
attraits de ses vertus. Reg~.tcr son troupeau en maître, demandera l'auto-
rité ce qu'on ne saurait obtenir que de la persuasion, ce serait frapper de
stérilité la plus auguste des missions. L'ascendant de la bienveillance, le
dévouement du cœur, telles sont les sauvegardes de son autorité. H se fera
tout à tous, dit t'Apûtre, pour les gagner tous à Jesus-Cbrist! »
venaient de ia Foi. Eh bienI il ne faut pas même que ce
dernier le fasse trop sentir. Un moyen d'adoucir les
hommes, c'est de leur laisser croire qu'on n'a pas vu
qu'ils avaient tort.
La grande dimculié à 1 égard du. peuple, sera toujours
d'en obtenir le respect. De la bienvetliance, plus encore
que de la charité, dépend l'avenir de l'aristocratie; et cette
question, qui semble secondaire, prime toutes les autres.
Que l'on apporte une sévérité excessive à la répression
d'un vice qu'il faut laisser aux enrichis, mais qui, chez
toute aristocratie, est une question de vie ou de mort pour
l'Etat.
Sur ce point délicat, le Roi ne s'en tiendra peut-être
pas aux exemples que la Reine et Lui n'ont cessé de
donner. Il voudra sans doute abattre cet orgueil et briser
cette impertinence par des refus persistants de faveurs,
et, s'il le faut, par des mesures coercitives aussi sévères
que contre le magistrat prévaricateur! Ce mépris odieux,
ces froideurs, ces affectations, ces dédains, ces regards
qui éloignent tout accès facile et semblent à jamais fermer
l'entrée d'un cœur, ont fait abattre avec colère le faite
d'un édifice, bientôt après renversé en entier.
L'aristocratie comprendra la gravité de la situation. Sa
conscience autant que son patriotismel'engageront à pren-
dre exemple sur ce Roi qui, pendant ses quarante-trois
ans d'exi!, n'a cessé d'admettre à sa table, d'accueillir sous
son toit, souvent de serrer dans ses bras, quiconque
venait loyalement à Lui pour servir la patrie comme elle
doit être servie 1 o Quelle grande chose que la noblesse
quand elle est noble » disait Piutarque.
Les familles anciennes donneront un exemple émané de
leur patriotisme autant que de leur Foi, et elles entraine-
ront dans le même orbite les famiHes récentes ou apocry-
phes dont on a pu parler. Quant à celles que le Roi
veut anoblir, toute inquiétude cesse, parce qu'il veut les
puiser avant tout aux sources de la piété.. Mon Dieu,
mon roi, mon peup!e cri de la vieille France, cri de Ja
vraie noblesse, cri que Je prêtre renferme dans son coeur..
POINTS PRINCIPAUX, BESOINS URGENTS.

LES vrais moyens de gouverner sont pour nous des


moyens de salut.
Le retour du Roi, l'appui dû à l'Eglise, le véritable
enseignement la renaissance des aristocraties, la reconsti-
tution de la propriété, l'érection de la Pairie et le rétablis-
sement de l'élection rationnelle, non moins que la réduc-
tion de l'industrialisme, l'abolition du paupérisme, de la
presse et des cabarets, sont des nécessités d'urgence
devant lesquelles s'évanouissent toutes les objections. On
ne saurait ôter de l'édifice politique une 'seule de ces
pierres sans ébranler toutes les autres. Rappelons en deux
mots quelques-unes de ces vues si graves. Nous avons là
des points de fait de premier ordre et des devoirs urgents.
Les propositions qui suivent ont eu leur contre-épreuve
dans nos malheurs. Les erreurs sont venues de tous les
points de l'horizon, les nuages se sont amoncelés sur la
raison moderne, et maintenant la nuit et l'effroi l'enve-
loppent.. Cependant si, levant les yeux, la raison voulait
recevoir un seul rayon de vraie clarté, elle verrait tout
reparaître en pleine lumière.
Les idées vont changer de fond en comble, ou l'Europe
touche à sa fin. il s'agit d'une transformation absolue de
la pensée moderne, et les thèses suivantes pourraient en
donner une idée.
ETAT DE LA QUESTION.

Les nations chrétiennes ont voulu vivre


sans Jésus-
Christ, et elles retombent dans la barbarie. Comment
sauver une société où, parmi les classes gouvernantes, on
ne rencontre pas un homme qui ne veuille conserver son
erreur, et où !e peuple prend pour symbole de sa haine le'
nom de ceux qui lui gardent la vérité?. Où en est main-
tenant la société humaine? Avons-nous entendu ce qui se
dit sur les points où, parmi nous déjà, se déclare l'état
sauvage ?
Pesons ce que renferme la franchise de
ces simples
paroles, prises hier aux lèvres de l'un de nos contemporains,
et rendant si bien la pensée des autres « Je suis bon
enfant mais quand je vois un individu plus heureux
que
moi, l'envie me prend de lui casser les reins!1 o Le tigre
déchire une proie pour assouvir sa faim, le démon seul,
pour assouvir sa haine. On peut déjà se faire une idée de
l'état dans lequel le Jugement dernier doit surprendre le
monde. Mais ne sommes-nous pas épouvantés de ne plus
rien pouvoir? Les hommes ne voient-ils pas que le salut
n'est .plus à leur portée?.
La France ne comprend-elle pas qu'elle
a été jetée
dans l'humiHation et dans l'impuissance, parce-,qu'elle
a
déserté sa mission ? Or si, pour y rentrer et échapper
au
Satanisme qui menace de tout détruire, il faut
passer
encore par quelque crise lamentable, prenons, du moins
la résolution de revenir au Dieu qui nous avait faits hbres,
de rentrer dans nos lois mora!eset dans les bis
non moins
nobles de la politique.
POLITIQUE RÉELLE.

N'oublions point, d'abord, qu'en politique il faut partir


de la nature humaine, conséquemment de l'homme tel
qu'il existe; qu'on doit dès lors tenir compte de l'obstacle
que le mal oppose au développement de notre nature
blessée et, par suite, à la formation d'une société pure. Ce
rève, mis en vogue par le siècle dernier, finit partout au
milieu des ruines et dumeurtre.
La Société est uncréédiucation de l'homme. Or l'homme
n'est en société ici-bas avec l'homme, que parce qu'il est
appelé à une société plus sublime avec Dieu. C'est un être
socialement religieux plutôt qu'un être politique, un être
fait pour servir Dieu avant d'obéir à l'Etat. Toute civili-
sation qui se dérobe à cette donnée supérieure, manque à
ce qu'elle doit à l'homme, au plus grand de nos droits;
elle court à son abaissement et bientôt à sa perte. Substi-
tuant une thèse de droits innés, inventée par l'envie, à !a
thèse des droits acquis, qui est celle de l'histoire, cette
négation du christianisme ne laisse pas pierre sur pierre
de Fédiuce social.
La Révolution, par suite de l'oubli de la Chute, a vu
tous les hommes égaux. Aussi a-t-elle voulu les rendre
tels par l'élection, par l'instruction, par l'absence du res-
pect, par les lois sur les successions, par mille moyens
d'abaissement. En les précipitant dans ce tourbillon de
l'envie, elle n'a réussi qu'à les briser les uns contre les
autres. La foule, ne comprenant plus ce que vont faire
tant d'hommes qui semblent consommer plus qu'elle sans
travailler comme elle, demande a les déposséder/ensuite
à les exterminer.
STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ.

Tout mérite est, dès ici-bas, une conséquence de


notre
liberté, et les hommes s'échelonnent suivant la nature de
leurs actes. On voit alors !eur liberté s'édifier
par trois
degrés, formant partout comme trois couches sociales
dont on doit reconnaître la légitimité, puisqu'elles
corres-
pondent aux trois degrés du déve!oppementde!ame. Chose
sublime! le corps social se forme et s'éïeve
comme elle.
n faut d'abord que le travail soit honoré et protégé,
puisque, né du premier effort de l'âme, il crée toute
une
première classe qui, sous le nom de peuple,
se constitue
au-dessus de l'état sauvage. Car, contrairement
au sau-
vage, ~o?M~e c~M peuple est c~M! qui, travail,
poM~'o~ à sa pro~e ~6'~ce. Cette vertu doit être
fécondée par des institutions qui ouvrent à cet homme
un
passage vers une classe supérieure, en lui donnant accès
à la propriété. A l'égard de l'esclavage
ou de !'état sau-
vage, le peuple est toute une aristocratie.
ï! faut ensuite que l'épargne soit honorée et estimée,
puisque, née d'un effort plus grand de l'âme, elle crée
toute une seconde classe qui, sous le nom de bourgeoisie,
se construit au-dessus de la première. Car le bourgeois
est un homme du peuple a ~M ~o~ey et écono-
miser. Et cette vertu doit être secondée par des institu-
tions qui ouvrent à la bourgeoisie
un passage vers les
premiers rangs de la Société, au moyen des anoblissements
légitimes.
I! faut enfin que la noblesse du caractère
et de la vie,
née d'un élan plus grand de l'âme, soit
reconnue et
révérée, puisqu'elle forme une troisième classe qui,
sous
le nom d'aristocratie, conduit une série d'hommes dans
des voies de vertus et de désintéressement qui sont la
vitalité des nations. Le ~?t~o~?Me un bourgeois qui
s'est illustré, et le prêtre, un homme qui s'e&t sanctifié.
Les fonctions qu'ils remplissent et les sentiments qu'ils
professent doivent être entourés de respect, puis reliés
dans une institution qui, telle que la Pairie, attire les
hommages et l'estime de la nation.
Il est aisé de voir ici la légitimité de la Société tout
entière.
HIÉRARCHIE ET ÉGALITÉ.

En s'étevant plus ou moins suivant les efforts de leur


liberté morale, les hommes forment cette noble hiérarchie
qui est la Société humaine, et qui semble ici-bas un reflet
des hiérarchies angé!iques. Cette hiérarchie est un dépôt
sacré des résultats de notre liberté. C'est cette construction
des mérites, produit précieux de nos efforts, que la Révo-
lution est venue renverser.
Elle installa l'orgueit en lui donnant le nom de liberté;
et dès !ors, pénétrant partout où la liberté se fixait, l'or-
gueil parvint à s'établir civilement et politiquement chez
les nations chrétiennes, travestissant la vérité, déformant
les esprits, abattant les mérites, reniant les vrais droits,
renversant le noble édifice de la civilisation humaine.
L'orgueil paraissait seul, d'abord, dans le libéralisme;
peu à peu il parut uni à l'envie dans le républicanisme; à
!a fin l'orgueil et l'envie, proclamant les concupiscences,
éclatèrent dans ie socialisme, s'attaquèrent à Dieu, justi-
nérent toutes les dépossessions et toutes les destructions.
Dans cet écroulement de !a hiérarchie, tous les droits
disparurent, depuis les droits de Dieu jusqu'au dernier
des droits légitimes de Fhomrre. Car la propriété elle-
méme s'abîme dans cette égalité de mort.
L'éga!ité devant la toi, devant toutes les charges,
l'égalité dans la justice, dans le bon droit, est bien certes
de droit divin Mais, dans les actes et dans l'estime, dans
les vertus et les mérites, dans Je travail et ses produits,
l'égalité n'est plus qu'une méprise et une iniquité~ car
toutes les individualités se développent à leur manière.
On appelle barbares les peuples qui n'ont pas.de moyens
pour reconnaître le mérite, pas de lois pour soutenir la
justice, pas de respect pour maintenir la distinction, de
telle sorte que les individualités se trouvent toutes refou-
lées par i'orguei! sous un nivellement mortel. Cù !a force
prime tout droit, il y a barbarie, où le droit prime la
force, il y a civilisation.

HIÉRARCHIE ET DÉMOCRATIE.

Dès qu'on s'approche pour observer de près ce qui se


passe chez les hommes, on en aperçoit un grand nombre
qui ne travaillent que pour manger, d'autres que pour
s'enrichir, d'autres que pour s'honorer, d'autres enfin que
pour se sanctifier.. S'ils étaient séparés, les premiers
resteraient dans l'état sauvage, les seconds formeraient
une caravane comme au Maroc, tes troisièmes parvien-
draient à une société policée, comme à Rome, les qua-
trièmes seuls produiraient une civilisation réelle.
H faut donc lier ces séries, afin que la plus élevée com-
munique à celle qui la suit le désir de se sanctifier, l'avant
dernière à celle qui vient après le désir de s'honorer, puis
ia seconde à la première le désir d'économiser, pour que ie
bien circule et établisse une moyenne entre toutes. De la
sorte Thumanité se tient debout le visage tourné vers
le Ciel.
La démocratie voudrait renverser cette spirale pré-
cieuse, et courber vers la terre tous les hommes ensem-
ble. Plus de grandeur, plus de respect, plus de génie,
plus de droits, plus de cité; une centralisation étouffant
toute vie, ie mérite sacrifié, la moralité méconnue, la
vérité proscrite, toute supériorité écrasée par la fou!e, une
pulvérisation générale, le médiocre pliant toutes les têtes
sous un despotisme effrayant..

LIBERTÉ VÉRITABLE.

La liberté est le pouvoir sublime que reçoit l'homme de


faire le bien, afin d'en avoir le mérite. La hiérarchie,
triomphe du oriente, règne de 4a liberté vraie, subsiste
dans l'Europe entière et partout où prévaut la civilisation.
Chez nous, on renversa cette hiérarchie, et de là notre
abaissement. Que celui q.ue tout mérite blesse en accuse
la liberté! 1 qu'il s'en prenne à la nature humaine, à Celui
qui l'a faite si grande, qui l'a si noblement douée 1
Or, nous aimons bien autrement la liberté que ceux qui
s'approprient son nom! Nous la voyons venir du plus pro-
fond des Cieux, nous l'adorons en Dieu, nous l'admirons en
l'homme; nous appelons l'éducation pour l'agrandir, la
vérité pour la conduire, le mérite pour la reconnaître, la
propriété pour l'établir, les lois pour la garder, les droits
pour l'accueillir, les aristocraties pour l'étendre, les hon-
neurs pour. la couronner, les sacrements pour la guérir,
la sainteté pour la diviniser, et Dieu, vers la fin de la vie,
pour lui donner son éternelle récompense. La distinguant
de notre orgueil, nous la suivons,
nous l'escortons dans
toute la série sociale.
Les libéraux, tout au contraire, n'ont
pas plus tôt mis
en avant la liberté, dont ils ignorent en effet la nature,
qu'ils font arriver une égalité qui l'écrase. Car ils
pren-
nent pour la. liberté, l'orgueil qui dévore maintenant la
Société sous le nom mensonger de liberté de conscience,
des cultes et de la presse! Aussi, toutes les libertés récites
ont-elles successivement disparu..
La liberté, cette fécondité de la terre et cette clef du
Ciel, ils en ont fait l'argument des perversités et l'instru-
ment de ruine qui maintenant nous réduit à l'état de
démocratie. Sans doute la Société est
une démocratie, si
l'on veut dire que tout chez elle, lumière, instruction,
> >
'lois, police et capital, est employé à élever le peuple;
mais elle est une hiérarchie si l'on sait .voir
que les meil-
leurs, apportant la lumière, les lois, la justice et le capital,
fournissent en définitive aux autres leurs éléments civili-
sateurs.
La Société est donc démocratique, si c'est dans
son but
immédiat qu'on la considère et aristocratique, si c'est
dans son moyen. Formée de ceux qui produisent
un
capital maténe! ou immatériel, toute aristocratie n'est
pour un peuple que l'ensemble de ses moyens de civili-
sation

(i) Rien ne serait meittoir que la démocratie, si elle relevait le peuple


mais c'est elle au contraire qui vient lui en enlever les
moyens. Ici, la
Société, au lieu de se placer comme une échelle devant l'homme, le ramène
plus bas, en refoulant se~ ptus précieuses et ses plus nobles facultés.
OPÉRATION CIVILISATRICE.

La hiérarchie, cette végétation de la nature humaine,


reçoit son impulsion de la lumière qui lui vient de FEg!ise.
Rétablissant la liberté morale et déployant toute notre
âme, l'Eglise dévientt mère de notre civilisation. Les
hommes étant des êtres moraux, on ne saurait concevoir de
société civile, s'i! n'exis tait'd'a bord unesociétéspirituetle,où
se trouve le lien qui unit les esprits, ie beau lien formé
des croyances.
Celles-ci, a dit un écrivain, établissent entre les hommes
l'union la plus intime qu'il soit possible de se représenter
car ils savent qu'ils ont dans l'esprit les mêmes pensées,
dans le cœur le même amour, dans la conscience les mêmes
devoirs; unité merveiHeuse, qui est la Société même. De
ces croyances partentt tous les devoirs, et ceux-ci for-
ment les vrais liens chez les hommes.
A-t-on fait le premier pas en politique, si l'on ne voit
point que de i'Eghse découlent en même temps les trois
vertus du travail, de l'épargne et du dévouement, suivant
lesquelles se superposent les trois grandes couches qui
constituent la Société entière? A-t-on compris le premier
phénomène de l'ordre social, si l'on ne voit point que les
idées, sources des mœurs et mobiles des hommes, pro-
viennent des croyances établies par l'Eglise? que celle-ci,
par son opération dans les âmes et son empire sur les
volontés, produit directement cette Société, dont les lois
civiles ne sont vraiment qu'un garde-fou?
De l'Eglise vient ie lien spirituel, ce lien réel entre les
êtres moraux, auquel la politique ajoute un lien artificiel;
et cette dernière, en accordant sa protection à l'Eglise, ne
fait que lui laisser la liberté de
nous civiliser. Aussi,
l'Eglise peut seule établir chez les hommes la véritable
Société, cette société toujours plus libre
ou de plus
en p!us affranchie de la coaction du Pouvoir et de l'ac-
tion pénible des lois. En sorte
que protéger l'Elise,
c'est protéger la nation même, dont elle est Famé et la
vita!ité\
Notre premier moyen de
gouverner consiste donc à
rendre à l'Eglise l'empire moral sur les esprits,
pour
restreindre d'autant l'empire de la force. Or, comme les
Etats où régnait ie libéralisme enlevaient à l'homme le
droit de tester, aux nations le droit d'avoir des provinces,
aux Ordres le droit de posséder, et à l'Eglise même le droit
d'exister; comme partout ces Etats aboutissaient
au
césarisme, il est aisé de voir que les libéraux bavaient de
libéral que le nom. Inflexibles rêveurs, dont l'orgueil et ïe
scepticisme nous ont amenés coup sur coup entre les mains
des assassins.

SITUATION DES DEUX POUVOIRS.

L'Eglise, on doit le dire, n'est pas la loi civile des


na-
tions, mais elle est la racine qui porte cette loi. Les âmes
appartiennent à l'ordre spirituel, à l'ordre de la grâce, et
les nations, comme les races, à l'ordre temporel, à l'ordre
de la nature. Et comme !e Christ a dit de la loi de nature
je ne viens pas la détruire, mais l'accomplir, ainsi l'Eglise
ne vient pas détruire l'ordre civil ou politique en s'y
substituant, mais l'accomplir en l'inspirant.

(t) Une lampe où l'on ne met plus d'huile, cesse de donner


sa
lumière. Commeot serait-on profondément honnête si l'on n'est pas
pro-
fondément pieux ?'Ne faut-il pas que Dieu arrive jusqu'au fond de la
con-
science pour y garder les sources de t'honuêtet6?.
Le pouvoir spirituel n'a pas un empire direct~ sur le
pouvoir politique: il n'est direct que pour tes consciences.
Mais il se place avant Je pouvoir civil pour le fonder, le
soutenir et i'éc~irer. Les rapports entre l'ordre spirituel
et l'ordre politique se règlent sur ce fait que l'Etat se
propose de gouverner une nation chrétienne~ c'est-à-dire~
en définitive, une sérje d'âmes appartenant à l'ordre de la
grâce.
La puissance du père et celle de l'époux sont de l'ordre
de la nature, et l'Eglise, en les consacrant, vient les
surna-
tura!fser et les fortifier. De même, les nations et leurs rois
sont de l'ordre de la nature, et l'Eglise, loin d'en prendre
la place, vient les conduire à ce sublime degré de force,
ou de simples lois civiles et politiques s'imposent aux
hommes comme un devoir de conscience en quelque sorte
surnaturel.
L'Etat n'est donc en rien supplanté par la suprématie
spirituelle. Loin de là, le souverain qui veut s'affranchir
de l'Eglise voit bientôt s'affaiblir le noble empire qu'il
possédait sur .les esprits. En outre, il faut aussi le
remarquer, les opinions condamnées par l'Eglise sont
ganératement celles que la raison, chez nous, ne parvient

(1) InnocentIII (au liv. U, t. l<du CorpJMr..CaM.) posant la v6ritab)e


doctrine du S. Si6ge concernant les rapports des deux Pouvoirs, déclare
qu'il n'entend point diminuer la juridiction du Roi, mais s'en tenir à sa ju-
ridiction de Pasteur suprême dans les choses spirituelles «~Vo~ <M~n~!înu.s
/«dtcare de reudo, cujus ad Regem apcc~~ ~Mc~ctuw!, sed f/~ccr~ere de pec-
calo »,. etc.
Ce principe, également promulgué par Honorius III, offre la véritable
interprétation de la Bulle ~!o:w sanclam de Boniface VIII, telle qu'elle est
d'ailleurs commentée par les canonistes et par Ciment V lui-même, décla-
rant que cette Décrétale « n'a nullement pour but de soumettre le Roi et son
royaume & la suprématie temporelledu Pape.
pas d'elle-même à proscrire. En sorte que i'EgHse édifie
l'Etat, d'une part, en faisant pénétrer les principes et les
devoirs dans les esprits, de l'autre, en nous débarrassant
des erreurs. qui l'affaiblissent et le mènent
au despotisme.

GALLICANISME, DÉMOCRATIE, SÉCULARISME.

Le despotisme, ou le déisme
en politique, vient
suspendre l'admirable opération de l'Eglise et la mission
temporelle de l'Esprit-Saint. Cette substitution, dans le
.Pouvoir, de la volonté humaine à la loi divine <(césarisme),
coïncidant avec une semblable substitution dans la Foi
(protestantisme), dans les arts (renaissance), dans la philo-
sophie (rationalisme), etc., semble punir les hommes
par
où ils ont péché, en les faisant tomber du joug de Dieu
sous celui de l'homme. Cet athéisme croissant toujours,
fit explosion par la Révolution française.
Il faut nécessairement obéir à Dieu
ou aux hommes.
Par son gallicanisme, Louis XIV donnait à l'ordre social
un principe opposé à celui sur lequel reposaient jusque là
les sociétés chrétiennes. Un Pouvoir
venu du bon plaisir,
quittait les mains de Dieu pour passer dans celles ~e
l'homme. Comment les âmes pouvaient-elles désormais
s'appuyer sur un fondement, et l'Etat s'appuyer
sur un
autre ? Tenir en équilibre une nation ainsi scindée
en
deux eùt été un prodige.
L'équilibre se rompit donc en 89, à l'époque qui déclara
vouloir enlever Dieu des lois; et tout ce que garantissait
encore l'autorité divine descendit tout-à-coup dans le sang,
en attendant d'y voir périr tout ce qu'une loi purement
humaine espérait préserver. Un ordre de choses juxtaposant
deux principes contraires, maintenant les mœurs
sur une
base, mais appuyant les institutions
sur une autre, avait
creusé l'abîme qui s'ouvrit tout-à-coup. Le despotisme,
ou
l'installation de l'homme à la place de Dieu, demanda
naturellement à se compléter par la démocratie. Depuis
longtemps l'orgueil aspirait à
renverser la hiérarchie hu-
maine, de manière à tout niveler..
Le catholicisme disparaissant, la souveraineté descendait
en effet dans l'hornme, héritant désormais de tous les droits de
Dieu. Mais l'homme, c'est le peuple et celui-ci, détenant
tout pouvoir, entend se mettre en possession de toute vie
et de toute propriété. Comment échapper à ce cataclysme
sans rentrer dans le droit de Dieu?

DESPOTISME SON ORIGINE.

Le despotisme n'est que la volonté humaine substituée à


la volonté de Dieu, par conséquent l'Etat
se substituant à
i'EgHse, la force matérielle à la force morale, dans le
gouvernement des. hommes. Le despotisme est dans la
famille où le père abuse de son autorité
pour pervertir ou
pour priver de protection les siens; et il est dans l'Etat où
le souverain substitue ses erreurs
ou son intérêt personnel,
premièrement à la loi de Dieu, secondement
aux lois et aux
intérêts de ses peuples.
Le despotisme a été inauguré
en Europe par les princes
qui embrassèrent le parti de la Réforme, d'abord
pour
s'emparer des biens que possédaient les ordres re!i"-ieux
ensuite pour se voir affranchis de la tutelle de Dieu
et de
la surveillance de FEg!ise. La question mise
en avant par
de prétendus théologiens, fut vite négligée
pour celle de
l'extension que les idées nouvelles donnaient
au pouvoir
des princes, qui saisirent cette occasion de
secouer la
U~.T.
loidivine, puissante garantie, cependant, de leur légitimité.
Aussi Frédéric H, que Voltaire appelait « le grand »,
déclarait la religion nouvelle « un excellent moyen de gou-
vernement ». « Les princes du Nord, écrivait ce roi, ont
»
incontestablement de grandes obligations à Luther et à
Calvin (pauvres gens, d'ailleurs), qui les ont affranchis
»
du joug de l'Eglise et ont augmenté leurs ~ue~MS
M co~c~e?Me~ par la sécularisation des biens ecclé-
<
» siastiques. »
Devrait-on s'étonner que les Césars, toujours avides
d'étendre leur pouvoir sur les âmes, devinssent les enne-
mis passionnés de FEg!ise?
En d862, l'Episcopat toscan disait au ministre de
l'envahisseur' « Le despotisme ah nous le connaissons,
? car il y a plus de dix-huit siècles que nous luttons contre
» lui! Nous connaissons ses artifices depuis le gibet de
M Goigotha, où il cloua le Juste, déclarant qu'il le faisait

» pour le salut du peuple. Pour combattre le despotisme,


» qui est un manque de christianisme dans le Pouvoir,
»
l'Eglise se prévaudra toujours d'une liberté qu'elle tient,
» non des hommes, mais de Dieu. Avec son aide, nous
» continuerons notre
chemin ni les contradictions, ni les
M périls ne nous
feront suspendre un seul instant notre
» marche. »
La royauté réelle, la légitimité, est exactement le con-
traire du despotisme.

(i) Parmi les sigûa~airesde cette Ëère Adresse, on remarquait N. N. S. S.


Cûme, car(]. Arch. de Pise; Ferdinand, Arch. de Sienne; Or. Jules Arch.
de Lueques: Joachim, Arch. de Florence; etc.
ROYAUTÉ SON ORIGINE.

Le germe d'où sort naturellement la royauté est l'au-


torité paternelle. Dans l'origine, toute famille indépendante
a formé le noyau d'une cité future, et, à mesure que la
famille devenait une tribu, puis un peuple, l'autorité du
père devenait à son tour patriarcale, puis bientôt politique
et royale. Pour Homère, les rois sont les pasteurs des
peuples, pour nous, les pères de la patrie. Saint Thomas
établit, d'après Aristote, que « le pouvoir royal est né du
pouvoir de l'ancêtre, 'et que dans toute l'antiquité les
peuples ont été gouvernés par des rois. » « Aussi, dit-il,
la meilleure forme de gouvernement est d'être gouverné
par un roi. »
Mais une fois que les populations existent et
se répan-
dent, la Royauté se lie aux races qui les constituent
en
peuples historiques, en nations établies. Cette
œuvre, com-
mencée pour nous par les Mérovingiens, continuée, puis
négligée par les Cariovingiens, a été développée et achevée
par les Capétiens. Par suite de la Loi salique, expression
politique de la loi patriarcale et canal de l'autorité pater-
nelle, le descendant direct de cette grande Dynastie est le
père du peuple qu'elle a créé, qu'elle a placé au premier
rang parmi les autres peuples.
Dans un si grand concours d'événements, et dans des
faits qui constituent l'histoire même,
on reconnaît l'indi-
cation de la volonté divine; et dans celui qui s'en est montré
l'instrument, on voit un droit divin d'exercer le Pouvoir
qu'on nomme légitimité'. Celle-ci est l'extension à tout
un
peuple de l'autorité paternelle.

(1) Vous étahfirez roi, dit le Deutéronome, celui que le Scigoeur votre
Toutefois, divin dans son essence et dans son origine,
ce droit est national dans son application; il se lie au
consentement tacite ou exprès des générations qu'i! a
constituées en un peuple réel. Ennn si, d'une part, le
droit divin n'appartient pas en propre à celui qui en est
investi, d'autre part, les nations sont les premières
intéressées à maintenir le Pouvoir de fait à celui qui possède
le Pouvoir de droit.

DROIT DIVIN SA RAISON.

Si l'homme est libre, il a le droit de n'obéir qu'à Dieu.


Voilà pourquoi le pouvoir est divin dans son origine;
Dieu n'entend pas abaisser et altérer lui-même sa création.
La légitimité vient à la fois garantir la noblesse de
l'homme, et inspirer au souverain les sentiments qu'il doit
avoir. Loin de fonder l'autorité, le système révolutionnaire
la détruit; et ce n'est qu'en dégradant les hommes qu'il en
obtient l'obéissance. Le Pouvoir vient de Dieu les rois
ont besoin de le dire pour que les peuples veuillent leur
obéir, les peuples ont besoin de le répéter pour que les
rois agissent dans la crainte de Dieu.
Donnant pour base au monde politique le principe qui
forme et régit le monde physique, la légitimité fait rentrer
ainsi Je premier dans l'harmonie de l'univers. Car Dieu,
en créant les nations et en leur suscitant des princes,
n'entend point renoncer à son droit suprême d'autorité ou
de tutelle sur sa création.
Le Pouvoir, loin d'être une propriété du prince, est une

Dieu aura choisi.Que le Dieu de tous les hommes, dit Moï~e, établisse
a
lui-mcme un homme qui veille sur ce peuple 1 e
délégation de Dieu à son ministre pour le bien
« La
souveraineté ne vient donc pas au Roi par le peuple,
mais pour le peuple; la puissance paternelle n'arrive
pas
au père par la famille, mais pour la familier Néanmoins si,
selon l'Apôtre, il n'y a point de souveraineté qui
ne vienne
de Dieu, il peut y avoir des souverains qui viennent des
hommes (non ex Dco ~c~ NMM~), et qui, dès lors,
se lais-
sant inspirer par ce qui est de l'homme, détruisent dans
son essence la souveraineté.
Le souverain légitime est celui qui, tout à la fois,
est
donné par l'hérédité et reste conforme à la loi. L'absolutisme
gallican, inspiré par la Renaissance, est l'opposé du Légi-
timisme, ou de la théorie chrétienne. Celle-ci déclare
hautement que ia souveraineté est en Dieu, dont le prince
n'est que le ministre; que dès lors, dans l'essence, elle,
n'est pas conférée à ce dernier par la nation, mais pour la
nation, pour se mettre en correspondance avec ses
cou-
tumes et ses droits acquis.
ici, cornue partout, les hommes coopèrent ils forment
l'alliance de -leurs droits avec le droit divin,
ou de leurs
légitimités avec celle du souverain. Son mariage
avec la
nation s'opère par le sacre c'est là que le Roi lui jure
fidélité. II épouse la loi divine et les coutumes nationales.
« Le prince, dit M. de Nlaumigny, ne peut abdiquer,
ni le peuple se révolter; car Dieu sanctionne leur union,
et l'homme ne peut séparer ce que Dieu a uni. »

(i) J! faut pas, dit Fénelon (~cM. ~!<r la ~or< D~Mp/t.),


ue
que tous
soient à un seul, mais un seul doit être à tous pour faire leur bonheur. S'il
commande, ce n'est pas pour lui, mais pour le bien de
ceux qu'il gou-
verne; selon ces paroles du Christ Quiconque voudra s'~iever 6tr(;
le premier parmi vous, sera le serviteur de tous,
car le Fils de t'homme
lui-même n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et
pour donner
sa vie.
DROIT DIVIN ET DROIT NATIONAL.

On ne doit donc pas confondre le droit divin et le droit


national. L'oubli du premier est un athéisme conduisant à
la Révolution et l'oub!i du second fonde le despotisme.
N'admettre qu'un pouvoir humain dans son origine,
c'est consacrer la servitude; renier la souveraineté divine,
c'est rejeter tout principe de loi obligatoire pour des êtres
moraux.. Suppose-t-on que la souveraineté découle du
souverain? tout ce qu'on a dit de Dieu, on est contraint
de le dire d'un homme; ou bien qu'elle découle du peuple?
on est alors contraint de le dire de tous les hommes. Leurs
droits n'ayant plus ici d'autres principes que leurs volon-
tés, à la Société succède l'anarchie.
Mais si le Pouvoir vient de Celui « de qui toute pater-
nité découle ?, le principe de l'obligation reparait, Dieu
fait alliance avec la nation, et le roi vient en épouser les
coutumes. Expression d'un acquiescement successif des
générations antérieures, les coutumes indiquent à quel
degré la morale est pratiquée chez un peuple, à quel point
le droit y est parvenu à passer dans les faits Elles sont
un accord du droit divin et du droit national, une alliance
entre Dieu et les hommes.
Ce qui dérive des entraiHes de la nation, ce ne sont
donc ni la règle, ni le principe du Pouvoir, mais les cou-
tumes qui en déterminent la forme. Ce qui dérive des

(~) « C'estpar des actes très-répétés selon qu'ils manifestent le mouvement


de la raison humaine, dit S. Thomas, que s'établissent les coutumes, et que
s'établit qui a elle-même force de loi car ta raison et la volonté
une chose
se sont sufBsamment manifestées par de tels actes » « On doit, nous dit
S. Augustin, observer comme une loi les coutumes du peuple de Dieu et les
usages des ancêtres. ~o~. Q. xcvn, art. tu.
entrailles de la nation, ce sont les légitimités que celle du
Roi vient maintenir les intérêts, les droits acquis, présen-
tant la mesure dans laquelle la nation. a recueilli la justice
et la vérité.
Ainsi nos Dynasties ont toujours reconnu qu'elles de-
vaient, après Dieu, le Pouvoir à L-f France, qui les a
acclamées dans la personne de Clovis comme dans celle
de Hugues Capet à Dieu, pour le principe, et à la
France, pour l'usage.

LÉGITIMITÉ SON EXCELLENCE.

Telle est la tradition chrétienne, telle est la thèse de la


Légitimité, La nation ne reconnaît de souveraineté absolue,
éternellement légitime, qu'en Dieu, de qui la vérité et la
justice sont les lois. Elle ne considère le pouvoir royal,
ou la souveraineté dérivée, que comme le ministère de
Dieu pour le bien, car Dieu, dit l'Ecriture, a préparé
sur chaque nation un c~pOMy conduire 1. Ce chef
gouvernera selon la vérité et la justice, s'il ne veut pas
briser en lui le droit dont l'investit le Dieu qu'il représente.
Mais, par l'alliance que Dieu contracte avec Jes hom-
mes, ce chef devient aussi le représentant des coutumes
et des intérêts de la nation dontt il reçoit la garde il est
la voix de ses traditions, le cri de son patriotisme. La
légitimité de son gouvernement se traduit par la confor-

(<) Les hommes transmettraient ostensiblement t'antorite, qu'ils n'en


seraient point pour cela les auteurs 1, celle-ci ne saurait être aucunement
soumise aux caprices de leurs volontés. La légitimité a uua base immuable,
l'autorité de Dieu une voie évidente, l'hérédité une forme pour s'exercer,
celle du gouvernement fondé par les coutumes. Sa puissance est r6g)ee
d'abord par la loi divine, ensuite par les droits existants.
mité de ses actes avec la justice immuable et avec les lois
fondamentales de son peuple. Une souveraineté indépen-
dante de Dieu et des coutumes serait le despotisme, le
contraire de la royauté légitime, ou de l'autorité qui jus-
tifie noblement !e Pouvoir et anoblit avec éclat l'obéis-
sance.
Ici, l'Eglise n'abandonne pas les nations aux caprices
du prince qui pourrait être infidèle à sa loi. Elle les
avertit qu'une Puissance faisant de la religion la loi pre-
mière des Etats, veille au maintien de la justice et du
droit public. Dès qu'un tel prince substitue la force au
droit, l'erreur à la doctrine, les nations entendent la voix
du Pasteur des pasteurs, à qui Dieu, de sa propre bouche,
a donné la garde de ses peuples.
Le respect des droits des hommes est donc assuré
par
le maintien des droits de Dieu. Le Roi est le fondé de
pouvoir de Dieu avant de l'être de son peuple; car s'il
n'était mandataire que du dernier, il en subirait les opi-
nions et les caprices. Sa légitimité est tempérée de deux
manières par les commandements de Dieu, et par les
coutumes traditionnelles.
Nous avons pour nous les lois intelligentes faut-il les
écarter pour nous mettre dans le chaos ?

HÉRÉDITÉ, FUSION.

Ici, un intérêt majeur domine tous les autres. Pour


nous sauver, il nous reste un principe, c'est l'hérédité
monarchique est-il sensé de Fanaiblir? Même en dehors
de la logique, est-il bon d'en tenter l'alliage avec un prin-
cipe contraire? Puisque, dans ce moment surtout, notre
existence est attachée au principe d'hérédité, affirmation
du droit divin, ne sommes-nous pas forcés de le maintenir
franc, non-seulement de tout alliage, mais
encore de tout
amoindrissement? S'il s'affaiblit, tout est perdu, et la
Révolution rentre dans son empire.
Par la fusion, on espérait sans doute amener l'alliance
des deux grandes classes françaises qui forment aujour-
d'hui notre seule aristocratie. Mais ici il serait arrivé le
contraire; tandis que l'alliance si désirée va s'accomplir
d'une manière positive au moyen des anoblissements
légitimes.
Par ce fait, les deux classes
se soudent l'une à l'autre
de façon à ne plus se rompre. La fusion, telle qu'on l'en-
tendait, consommait une faute irréparable. Ramenant
côte à côte deux ennemis qui n'ont pas encore pu se voir,
elle replaçait les deux classes dans la situation où elles
se
virent en 89 et en i830, alors que la Révolution, les
broyant l'une contre l'autre, se fit un piédestal d~e leurs
décombres.
Au reste, ceux qui prétendaient fusionner semblent
en
effet privés des véritables idées politiques'. Aujourd'hui
même ils ne peuvent entendre Henri V proclamer de nou-
veau l'intégrité du principe libérateur, sans déclarer que

(1) La France maintiendradans sa force le principe qui doit tout reconsti-


tuer. Ceux qui désiraient la fusion béniront eux-mêmes le Roi de sa fer-
meté providentielle, et sauront reconnaître nos deux libérateursdans Henri V
et dans Pie IX.
Ils comprendront aussi que Dieu s'occupe de ce monde, et donne des
grâces d'état & ceux qu'il envoie pour !e gouverner. On voudrait voir sauver la
France, et l'on commence par abdiquer les idées providentielles Sur quoi
verrait-on donc s'asseoir les bases de la politique? On dirait, aujourd'hui,
que Ja plupart des hommes s'effraient moins du césarisme que de l'Au-
torité, et qu'ils ont moins à redouter la tyrannie du prince que l'austé-
rité de ses mœurs t
le Roi se rend impossible à leursyeux, toutes ses
paroles équivalent à une abdication.. L'abdication sorti-
rait au contraire de leurs vues, c'est-à-dire, de
con-
cessions faites pour tenir la couronne des mains d'une
faction. Si !e Roi se laissait aller aux concessions, il
paraîtrait marchander la Couronne, et par ia déclarer
qu'elle n'est pas à lui. La France, dès ce moment,
por-
terait la mort dans son sein.
Les demi-vérités étaient le sel de la. Révolution. Les
principes intacts auront seuls désormais le triomphe.

ENSEIGNEMENT PUBLIC.

Notre époque a trop bien fait voir que les individus


ne
peuvent pas s'élever d'eux-mêmes à la hauteur du christia-
nisme. Il faudrait pour cela, avec l'Enseignement,
ou une
grande droiture de conscience, ou un esprit fort é!evé
uni à de grands élans dans le cœur. C'est pourquoi il
importe de maintenir les peuples au sein des croyances.
Comme les idées, aussi bien que les mœurs, descendent
des classes élevées, et qu'elles viennent à celles-ci
par
l'enseignement supérieur, l'Etat n'a pas de fonction plus
grande, de puissance plus véritable que celle de protéger
un tel enseignement. L'Etat sera debout si cette puissance
est ferme; il sera bientôt ébranlé si elle s'emploie au mal.
L'Etat ne saurait donc mieux agir ici qu'en se concertant
de tous points avec les ordres religieux. Tant que dureront
les préjugés et les méprises révolutionnaires, notre chute
continuera..
Ces préjugés contre l'Eglise et contre l'aristocratie
vivent dans l'imagination et se nourrissent de passions.
Les passions, il est vrai, se taisent devant le malheur,
mais l'imagination ne se calme que devant la réatité.
Pour y rentrer, renseignement doit avoir pour essence
la vérité philosophique, historique, esthétique, géologique
et économique fournie par le catholicisme.
La France, au reste, est plus catholique qu'elle ne le
pense, et plus aristocratique qu'on ne le croit. N'en
cherchons d'autre preuve que la violence même avec
laquelle elle s'est ruée contre le catholicisme quand on lui
persuada qu'il était l'erreur, et contre l'aristocratie quand
on lui déclara qu'elle n'était qu'un privilège. Ce qui,
manque à la France, c'est moins le respect envers l'aris-
tocratie, qu'une aristocratie réelle; c'est moins l'amour
de la vérité, que !e discernement de terreur

CHRISTIANISME ET REVOLUTION.

L'homme suit toujours dans ses pensées une idée plus


forte que lui. C'est parce que l'idée d'un état de nature s'est
substituée dans nos esprits à celle du christianisme, que
la génération présente est tombée dans la Révolution.
Comme l'enseignement, la politique n'est qu'une appli-
cation, suivant les temps, des vues que le christianisme
ouvre sur l'homme et sur le monde. On aura beau
chercher en dehors du christianisme, on ne trouvera rien.
De doctrine, on le voit, il n'y en a point hors de l'Eglise
ia Foi est la grande lumière de l'esprit humain. Tout ce
qui s'en éloigne croule vite, sciences, lois, individus et
nations.

(i) Un système passe-t-il pour vrai? tous les hommes immédiatement


l'embrassent. Un homme supérieur devra-t-il se trouver quelque part? cha-
cun se précipite sur ses pas. La France est encore mue par la vérité, pour
eile plus voilée qu'absente 1
La Révolution prétendait apporter
une religion, une mo-
rale et une politique. E!!c promettait la vertu, la grandeur et
la gloire. Un siècle entier s'est ~éà cet Quant
engagement.
à nous, la Révolution ne nous a pas c fait banqueroute
elle a réellement tenu tout
ce que nous en attendions! l!
est vrai que son solde est celui de la mort..
On dit, en outre, que la Révo!ution ayant épuisé toutes
ses conséquences, se trouve dans l'impossibilité de faire
un pas de plus. Il faudra bien, ajoute-t-on, qu'elle s'arrête,
non faute de désir sans doute, mais parce qu'elle est à
bout de voie. Fatale erreur! la Révolution est une flamme
elle ne s'arrête qu'à défaut d'aliment. Le malheur,
au con-
traire, est qu'elle touche en ce moment à ses dernières
conséquences. Celles qui regardent l'ordre civil sont
éputsées le mal ne saurait désormais continuer de
s'étendre et la haine de s'assouvir, sans se baigner dans
un
nouveau fleuve de sang.. Sous peine de se suicider, le
mal est contraint aujourd'hui de se livrer à toute
son envie,
et de marcher par !e fer et le feu à l'œuvre de la ruine
finale. A!ors les opiniâtres achèveront d'ouvrir les yeux 1I
Le monde s'étonnera de la souplesse avec laquelle ils
ren-
treront dans !a vérité. Que de chemin ils doivent faire en
peu dé temps! Quand !e vent souffle, tous les arbres et
toutes les herbes s'inclinent du même côté..

Même dans l'opinion des masses, dit M. Ad. Ravelet, deux choses
(1) «
assurent le triomphe de i'Egtise l'état bien constaté de la civilisation qu'eue
avait faite, et l'impuissance de tous les régimes par lesquels on a voulu la
remplacer. La Révolution a été mise en demeure de faire le bonheur de la
France, et chacun voit où la France aboutit. ')
« Tandis que tous les hommes d'ordre, dit à son tour M. Arthur Loth,
s'avancent vers le catholicisme, l'irréligion rapproche tons les hommes de
ta Révolution conservateurs et catholiques deviennent synonymes,
comme
radicaux et fibres-penseurs.
Mais comment dire la transformation qui
va s'opérer?
Un avenir prochain appartient
au catholicisme. Déjà ia
France, maigre les apparences contraires, court à la
Légitimité de toute la vitesse que lui imprime le besoin de
la paix, et avec un ensemble dont la base s'accroît de tout
le terrain que la vérité gagne chaque jour
sur l'erreur.
Seulement, elle ne peut pas encore faire entendre voix à
sa
travers les cris confus que poussent les partis. Mais elle
n'attend qu'un signe pour croire à la mission de celui qui,
proclamant hautement le bon sens, viendra la délivrer des
folies odieuses et impies de'la Révolution. Voilà l'homme
à qui la France appartient déjà dans son cceur.

ORDRES RELIGIEUX, ENSEIGNEMENT, TEMPOREL DU CLERGÉ.

Si l'individu est, en généra!, soutenu


par la morale, la
Société ne se soutient que par le dogme. Or,
comme on a
enlevé au Ctergé son action et ses biens, et que
son temps
est absorbé par les soins du ministère, il ne lui reste plus
le loisir qu'exigent les hautes études, le dogme fini
a par
disparaître des esprits, et l'on a vu s'évanouir les principes
sur lesquels la Société repose.
On ne saurait remédier à cet état de choses qu'en
pro-
tégeant les Ordres religieux, capables encore à cette heure
de se consacrer à l'étude. Peut-on ne pas leur reconnaître
comme à tous les autres citoyens, le droit de posséder,
autrement dit !e droit de vivre, sans parier des droits natu-
rels et des priviléges qui doivent s'attacher à leurs hautes
fonctions? I! fallait le triomphe avéré de ia tyrannie
et
de la plus odieuse injustice pour les jeter
comme on l'a
fait au-dessous de la loi.
L'Etat favorisera les Ordres par trois raisons capitales
parce que presque seuls ils ont en ce moment le moyen
d'étudier et d'initier la jeunesse aux hautes études; parce
qu'ils reçoivent en quelque sorte plus directement la haute
direction du Saint-Siège; enfin parce que, spécialement
consacrés à la vie spirituelle, ils peuvent particu!ièrement
aussi élever les âmes à une plus haute perfection. Quels
plus grands biens pour un Etat? Peut-on fermer les yeux
aux faits? Si les Ordres, depuis trente ans, n'avaient ouvert
de nombreuses maisons d'éducation à la jeunesse, à cette
heure nous n'aurions guère en France que des sceptiques
et des hommes sans moeurs~ Ce n'est que par le Clergé
et les Ordres que nous pourrons être sauvés.
Des motifs non moins graves que pour le c!ergé séculier,
exigent que chaque cure en France recouvre ie droit de
recevoir, par conséquent de posséder. Si l'Etat, pour son
propre avantage, doit sauvegarder le temporel du Sou-
verain-Pontife, il ne doit pas moins se préoccuper du
temporel de chaque membre du clergé. 11 est déjà assez

(i) Qu'il serait bon, ou de ne point cultiver les talents littéraires chez
l'individu privé de génie, ou de pouvoir d'abord lui assurer du jugement
C'est sur ce dernier point que les Ordres excellent. Mettons un terme à l'in-
vasion de la sottise cultivée..
Peut-être devrait-on n'accorder les diplômes qu'aux jeunes gens assez
sérieux pour couronner leurs études par la Théologie. Si la Chambre des
pairs ne prend pas sous sa garde la question de l'enseignement, il n'y aura
bientôt plus en France qu'une instruction utilitaire. Nous aurons des mar-
chauds comme il Tunis ou à New-York, mais nous n'aurons plus d'hommes.
Les religieux seuls ont échappé en tout, idées, beaux-arts, philosophie,
littérature, histoire, à l'influence du jansénisme et de la Révolution. La
piété n'est pas une fonction du prêtre c'est son essence. Mais adminis-
trer les sacrements, donner l'exemple, surtout verser la lumière, telles sont
ses fonctions..Eun~M docf/e/ La puissance du prêtre, c'est la vérité.
Recueillons donc les forces qui nous restent, et luttons contre la dissolution
qui menace l'Europe entière..
fâcheux de voir le prêtre considéré comme un fonctionnaire
par nos gouvernements, quand les émoluments qu'on lui
vote ne sont qu'une restitution Faut-fl encore qu'il soit
dans la nécessité, surtout dans nos carnpagnes, de recevoir
un casuel de la main de ceux qui doivent l'environner de
leur respect?
Avec quel art la Révolution a saisi les moyens
d'humilier le prêtre aux yeux des populations pour les-
quelles il serait si nécessaire de voir en lui une existence
noble et indépendante! Parlons avec sincérité qu'il soit
d'abord bien reconnu que, sur le faible traitement qu'il
touche, le Clergé rentre dans une part de ce qui lui est
dû; qu'on lève ensuite tout obstacle aux dons que pourra
faire ia pipté. Peu à peu celle-ci rétablirait, comme autre-
fois pour la plupart des cures, le petit domaine
ou la
prébende dispensant le prêtre de recevoir la rétribution
attachée à certaines fonctions du ministère. Et si, en
pa-
reille matière, on persiste à oublier la règle
pour ne voir
que l'abus, c'est-à-dire l'exception, il n'y a plus d'institu-
tion possible sur la terre, pas même la magistrature,
pas
même l'autorité du père.

ARISTOCRATIE ET ROYAUTÉ.

L'Aristocratie n'est pas seulement le triomphe de la


famille, l'expression de sa dignité, le signe de sa persis-
tance elle n'onre pas uniquement le principe de la famille
humaine se perpétuant à travers les âges, elle est aussi le
premier élément de la nation. Elle est la source de sa
richesse, la base de ses libertés, la marque de sa supé-
riorité, la citadelle de ses droits, le ferment national
des populâtions, comme le clergé en est le ferment divin.
Dans l'Aristocratie se résument l'effort et les vertus de
tout un peuple au sein de ses générations. Faut-il donc
s'étonner de la voir partout considérée comme la classe
d'où dépendent les destinées d'un pays? Enlever à
un
peup!e son aristocratie, c'est lui ôter le cœur qui l'anime,
la force qui le tient debout et la tète qui le dirige. Les libé-
raux voulaient la liberté, et ils ne voulaient pas des pro-
duits de la liberté 1 Comment, d'ailleurs la Société
subsisterait-elle en dehors des autorités sociales, c'est-à-
dire des aM~M~ de la Société? On puise parmi les
meilleurs pour conduire le peuple; et quand on n'en
trouvera plus, le peuple lui-mème cessera d'être.
La Royauté n'est- elle-même que la suprême expression
de l'aristocratie, l'apothéose de la famille, la g!orincation
même des hommes. C'est en nous soumettant au repré-
sentant de Dieu sur la terre que notre obéissance est digne
et raisonnable, que notre volonté se meut dans son milieu
de liberté. C'est par la royauté que l'autorité paternelle
supplique à la, nation entière. Aussi, comme expression
suprême du dogme de la famille, la Royauté apporte à
celle-ci !e plus haut lustre après la sainteté, en lui con-
férant ia noblesse. La perpétuité des familles n'est que
celle de la nation.
Interprète du sentiment national, la Royauté en est la
personnification. C'est en son roi qu'un peuple prend con-
science de lui-mème que sa pensée, ses éians, son
patriotisme retrouvent leur accent. Le roi est l'expression
des besoins de son peuple; il en est la tradition vivante et
l'athlète toujours debout. Résumant tout ce: qu'il y a de
noble et d'honorable chez ses peuples, il règne sur eux par
l'autorité des sentiments qui parlent au cœur de tous les
hommes.
HÉRÉDITÉ DU ME RIT!

L'honneur acquis par un individu


ne meurt point avec
sa personne. H s'attache ici-bas à son nom et supplique à
ceux qui vont le porter après lui, comme faisant partie
des biens de la famille. Cet héritage,
que tous les hommes
reconnaissent, et même sur lequel i!s fient,
se cet héritage
qu'ils ne songent pas plus à ravir aux enfants
que celui
qui est fixé au so! constitue
ce qu'on appelle une
Maison, et ce que les peuples les Etats
et consacrent sous
le nom de noblesse.
L'honneur est le plus grand capital acquis. Si la
fortune
est le signe du travail et des vertus
que renferme répargne,
de son côté l'honneur représente les
vertus sociales de
premier ordre, et reste
pour ia famille et pour l'Etat la
richesse la plus importante. Abolissez l'hérédité
du capital
économique, le pays tombe dans la misère:
aucun homme
ne s'astreindra à recueillir des biens qui ne passeront
pas
à ses nis. Abolissez l'hérédité du
capital immatériel de
l'honneur, la nation tombe dans la dernière
décadence
peu d'hommes poursuivront un honneur qui s'éteint
avec eux; et, comme en ce moment, l'argent
sera l'unique
but.
L'Etat n'aura plus, comme Maroc, qu'une
au aristocratie
de tripoteurs et d'usuriers, s'il n'investit
pas de la noblesse
les familles qui laissent tout
pour le servir, s'il ne les met
pas au niveau de celles qui, transportant leur fortune
et
leur existence au sein des
campagnes, y pourvoient aux
administrations gratuites, tout
en donnant l'exemple de la
Foi, de la vertu et de la charité. Après
un siècle entier
passé à faire !e mal, ne faut-il
L~'T.. pas anoblir ceux qui ont
rétabli le bien, et qui par là ont conservé la France,
comme, par exemple, les présidents de la société de Saint-
Vincent-de-Pau!?
Le mérite est la loi de l'homme; écarter la question de
l'hérédité du mérite, ou de la noblesse, c'est manquer à la
fois la Société et la nature humaine. Et d'ailleurs, si l'on
veut arrêter l'antagonisme que la Révolution fait éclater
entre !esciasses,on doit rétablir le grand trait d'union,
autrement dit, maintenir à la bourgeoisie son entrée ré-
gulière dans la noblesse, et au peuple tous ses
moyens de
passer dans la bourgeoisie.

ANOBLISSEMENTS LÉGITIMES.

Aux développements de notre liberté correspond la


structure de la Société humaine, et à cette structure
correspondent les anoblissements. Dans une nation, il se
forme constamment de la bourgeoisie et constamment
de la noblesse, comme il se forme constamment du peuple.
I! s'agit de les constituer de manière à les maintenir.
L'Etat qui ne consolide pas la noblesse à mesure qu'elle
se forme, s'oppose à sa propre grandeur, et ce!ui qui
ne protège pas sa bourgeoisie, expose sa propre exis-
tence.
li faut une hérédité de l'honneur, comme il faut
une
hérédité des biens et le besoin s'en fait partout sentir.
Avant 89, quand le négociant travaillait, c'était
en vue
d'obtenir la noblesse Féchevinage y conduisait dans
presque toutes les villes importantes. De là, et de là
seulement dccoutait l'honnêteté proverbiale du haut com-
merce. 11 ne recouvrera chez nous cet honneur et ce lustre
que par le retour aux anoblissements. Or si la bourgeoisie
doit si directement profiter des anoblissements légitimes,
que n'en doit pas recueillir ie peuple, qui se retrouvera
dès lors en contact avec la probité et avec les nobles
principes proclamés et mis en lumière?
Chez les nations chrétiennes, il se produit toujours
beaucoup d'aristocratie, car Famé y est élevée et aiguil-
lonnée. M. de Mais,tre dit « Il n'y a pas plus de hasard
dans la naissance que dans tout autre chose il y a des
familles nobles, comme il y a des familles souveraines. »
Bien de plus vrai, puisque Dieu pourvoit d'abord à l'exis-
tence des nations, et sans qu'il y ait de hasard, puisque ici
il y 'a eoopération de l'homme. Car Dieu ne veut jamais
tout faire il crée pour que nous conservions il crée
pour offrir à l'homme l'occasion de créer à son tour. Et
si, comme le veut M. de Maistre, Dieu, par, une sorte
de création, introduit les familles qui les premières se
montrent nobles, c'est pour que d'autres puissent le
devenir.
En outre, il faut songer à la pondération des classes.
1830 est sorti d'une jalousie. I! y avait déjà sur un point
trop d'argent avec trop peu d'esprit politique, et la maison
Bertin l'emporta sur la maison de France. Pour éviter de
telles ruptures, depuis que l'on fait si aisément fortune,
surveillons le rapport de deux forces, dont l'une est
progressive et l'autre stationnaire. Pour empêcher la pre-
mière de déborder et d'inonder la Société, ne faut-il pas
que, comme un amucnt qui continue son cours, elle
s'écoule peu à peu, mais constamment, dans la seconde~ ?

(i) Les classes moyennes, en 1830, étaient sans haine contre le roi; elles
ne l'ont renverse que pour abattre !a noblesse, qu'elles enviaient. Elles ne se
seraient point levées contre ce qu'elles nommaient des ~r/t'c~ si elles en
avf)ienteu leur part On voit presque tous les hommes parvenus à la fortune,
PAIRIE.

Relevons les institutions consacrées par le génie des


grands peuples. Rétablissons dans le corps social le trépied
de la vie la Foi, Je Roi, l'exemple. La première, donnée
par rEgiise, le second, par l'hérédité, et le troisième, par
l'aristocratie. Lès intérêts moraux, qui sont i'àme de la
nation, doivent être distingués des intérêts matériels, qui
n'en sont que le corps extérieur. 11 faut que des biens si
précieux soient constitués et préservés par l'Etat, comme en
toute existence la nature protège premièrement les
sources de la vie. La Foi et les traditions nationales doivent
rester au-dessus des atteintes de l'opinion et des passions
vulgaires.
Un peuple ne pourra pas plus se maintenir sans
aristocratie que l'aristocratie sans la Pairie. La Pairie
forme le faisceau précieux des traditions, uni à la grandeur
morale. C'est le grand corps conservateur; il emprunte
ses éléments à le Maison régnante, à tous les évêques

surtout quand ils sont libéraux, ménager à leurs filles des alliances dans
la noblesse.
Supposons qu'à partir de 1815 on eut pu anoblir Guizot, Laffite, Royer-
Collard et les Bertin, & coup sûr, le gênera! Foy, Benjamin Constant, Casimir
Périer, Thiers et Cousin eussent modéré leur ton et trouvé le bon roi
Charles X moins étranger aux vrais progrès de la pensée..
Depuis lors, un nombre plus grand encore de familles est arrivé à la for-
tune et constitue, en face de la noblesse mais sans en avoir les tra-
d'tions, une seconde classe plus nombreuse et plus riche, en opposition
avec la première. Au lieu d'être une étape, la bourgeoisie devient chez
nous une situation fixe et anormale tandis que la noblesse, ne pouvant
réparer ses pertes, marche à une extinction qui entrainera celle de toute
notre aristocratie.
Substituons donc t'émutation à i'envie, qui déjà ravage les hommes.
français, aux délègues des ordres religieux,
aux plus
anciennes familles de la nation, peut-être
aux pairs élus à
vie par les pairs provinciaux, puis
aux premières dignités
de l'armée, de la magistrature, de la grande propriété,
et
aux notabilités désignées par le Roi. La Pairie est à la fois
la tête de la nation et le contrefort de la royauté. EUe
aide
celle-ci à maintenir les traditions, à affermir les lois
fondamentales, enfin à contrôler et à enregistrer les lois
nouvelles, lorsqu'elles ne sont contraires ni
aux intérêts
du pays, ni à ces lois premières d'où dépend l'existence
de la nation.
Aussi importe-t-il que les évoques, unis
aux détégués
envoyés par chacun des Ordres religieux, forment
une part
notable de la Pairie. Leur admission totale à la Chambre
des pairs est un obstacle aux tendances révotutionnaires
qui chez nous poursuivent avec plus d'acharnement la
re-
h'gion que le capital même. En outre,
avec une Pairie ainsi
composée il serait difficile à
un gouvernement égaré de
rallier la majorité à une politique déplorable. Une telle
chambre ne saurait elle-même tenir
une conduite sembla-
ble à celle du Sénat des deux Empires.
Pour nous, ensuite, quel avantage de pouvoir confier les
hautes doctrines à leurs éminents défenseurs,
et de ren-
contrer chez les mêmes hommes la modération pratique
et les principes qui fixent les consciences! Par leur
con-
naissance des hommes, leur esprit de justice de conci-
et
liation, leur habitude de garder des ménagements
avec le
personnel qu'ils gouvernent, les Evèques
nous offrent, en
administration, des hommes bien plus aptes
que les avocats
et les publicistes.
Les deux qualités essentielles
pour une Chambre haute,
sont l'indépendance et l'absence de préjugés des partis. Or
la première a sa base dans la fortune chez le laïque, et
la seconde, dans Fétévation des idées chez l'évoque
D'autre part, il n'y a pas à craindre ici qu'un Pouvoir
abusé passe outre sur la résistance d'une telle assemblée,
comme si, par exemple, elle était entièrement composée
de membres du cierge. Ce dernier, ne formant ici par ses
chefs vénérables qu'un seul corps avec la Pairie, se confond
dans l'ensemble tout en y portant la lumière, et son action
légitime et profonde, sans y être exclusive, n'y fait pas.
moins dominer la politique des gens de bien.

FONCTIONS PUBLIQUES.

L'industrialisme n'a pas eu seulement pour résultat le


fait du paupérisme. Répandant brusquement et démesu-
rément l'opulence, l'industrialisme a rendu impossibles
les existences modestes. Celles-ci ont disparu de la
France comme de l'Angleterre. Ces existences moyennes,
si précieuses, qui s'occupent. habituellement d'études et
servent au peuple de passage à ~aristocratie, soutiennent
aujourd'hui une lutte douloureuse qui finit ordinairementt
par la mort. Dans leur détresse on les voit toutes, à cette
heure, se précipiter vers l'agiotage et les trafics les plus

la France n'avait pas été si profondémentdéchristianisée, si la subs-


(1) Si
tance de la Société n'avait pas été si complètement dépouillée de principes et
de Foi, le pays n'éprouverait pas un besoin si impérieux de recourir à tous
Evêques, et la Pairie aurait pu seulement recevoir
ses
{o Les archevêques, ou chefs de nos seize provinces ecclésiastiques,
2" l'évêque délégué par les évoques suffragants de chacune de ces provinces,
et 3°, indépendamment des chefs d'Ordres ou des Abbés. le délégué du
ctergéde second ordre, nommé par les chapitres et les curés inamovibles de
chaque province. Ici les Archevêques seraient pairs à vie, et les dt:)6-
gués seraient nommés pour la durée de chaque !égis)ature.
médiocres. Il y partout uh effort effrayant pour s'élever
a
rapidement à la fortune, sans laquelle, il est vrai, per-
sonne aujourd'hui n'est plus rien, et à laquelle nos gène-
rations sensualistes accordent uniquement ce qui leur
reste de respect.
On ne peut relever ce dernier sentiment, qu'en plaçantt
au-dessus de l'opulence rapidement acquise, les hommes qui
rempliront gratuitement des emplois é!evés. En remettant
ces charges entre les mains de familles aisées et'dévouées,
du même coup on rétablirait le respect que l'on doit au
Pouvoir, on en écarterait les intrigants, et Fon compose-
rait une noble légion de fonctionnaires, qui, rccuei!!ant
ce qu'i! y a de plus respectable et de plus distingue dans
le pays, jetterait le plus grand lustre sur l'Etat~. Mais,
sur un tel point, il est des questions délicates que le Roi
seul peut dénouer.
Lui seul décidera si, mettantl à part le généra! qui
vient de remporter une victoire ou l'homme d'Etat hors
Hgne, it ne faut pas rendre la Pairie gratuite, et si, dans
les motifs d'anoblissement légitime, il n'y aura pas à faire
une différence entre les autorités qui se consacreront gra-
tuitement aux affaires publiques, et les fonctionnaires dont
les emplois doivent rester rétribués.
Quoi qu'il en soit, on considérera, d'une part, qu'un
caractère spécial de la noblesse est d'accepter des charges

(1) On doit évidemment mettre en dehors de ces considérations les mem-


bres de l'armée et ceux de ta magistrature, habituettemcnt sortis de familles
dont l'aisance a besoin d'un appoint. Ne faut-il pas aussi, par une juste
indemnité pour les frais de bureaux, de représentation et de depiacefnents,
rendre par exemple les préfectures accessibles à d'anciennes et illustres
famiHf's dont l<t fortune n'a p.'ts franchi le cercle de la propriété rnra)c? Lf
Uni, dans sa sagesse, indiquera te point a partir duquel la gratuite s'cLthH-
nit dans la hiérarchie des fonctions publique:
qui ne se paient pas, ou ne pourraient pas assez se
payera et de l'autre, que les hommes, en généra!, ne
pouvant se passer de tout véhicule, ne sauraient non plus
se voir privés des avantages de la fortune. Seulement, il
ne faut pas l'oublier, le prestige qui s'y attachait,, parce
qu'e!!e était avant 89 un signe de grandeur et !e produit
d'une vertu, s'évanouit depuis qu'elle vient par une voie
moins sure.

DÉCENTRALISATION.

Ou la bureaucratie ou l'aristocratie. Le despotisme et


la Révolution ont préfère le système administratif des
employés à celui des aristocraties, parce que celles-ci
sont indépendantes. Mais, en préférant à des hommes
qui ont l'honneur pour point de mire, des employés tirés
en grand nombre des classes lettrées et privées de for-
tune, les nations ne tardent pas à s'abaisser. Ni ~Autri-
che, ni l'Angleterre, ni aucun peuple fier ne pourrait
supporter un pareil régime. Ce fut là, après la perle des
mœurs qui suivit celle de la Foi, une cause de décadence
nationale.
Ici le parlementarisme, quoique si fier, contrevenait à
toutes les règles du bon sens, à toutes les lois de la poli-
tique. I! ne voyait point qu'intervertissant les grands
rôles, il opérait un renversement d'où sortait l'anarchie
unie au despotisme. Car, dans le parlementarisme, les
assemblées gouvernent, ce qui conduit à l'anarchie, et le
gouvernement administre, ce qui produit !e despotisme.
Ne le comprend-on pas?. Un peuple, d'une part, peut-

(i) Notons bien que le prêtre n'est pas payé, puisqu'on ne fait que le
nourrir.
il se gouverner lui-même? et de l'autre, doit-il être livré
dans tous les détails à des employés? Toute nation,
au
contraire, doit être gouvernée, mais elle doit, en grande
partie, s'administrer e!!e-rnéme. Pour elle, c'est
ce qui
constitue la liberté dans l'ordre.
D'autre -part, la centralisation, issue du parlementa-
risme, dirige vers la capitale toutes les ambitions et tous
les émeutiers d'un pays. Et comme il faut
au Souverain
une puissance exceptionnelle pour soutenir un semblable
choc, une décentralisation judicieuse, c'est-à-dire
ame-
née peu à peu par la constitution de la propriété,
ren-
versera du même coup en France le despotisme et la
Révolution~
Seulement, comme la décentralisation ne saurait donner
des résultats immédiats, il importe, dans les premiers
moments, de ne point trop ébranter l'unité gouvernemen-
tale par une décentralisation administrative précipitée.
Peut-être fera-t-on bien de commencer par les anoblisse-
ments légitimes et par l'établissement des pairies provincia-
les, appelées à entretenir ~a Pairie nationale, Pairie
que le
Roi, sans doute, érigera d'abord pour ranimer les. grandes
existences qu'enlevait au pays !a centralisation. Gardons-
nous de confondre ce qui résultera plus tard de la pra-

(i) « Le pouvoir central une fois renversé, dit M. Coquille, vingt mille
émeutiers exproprient de leur gouvernement trente millions de Français,
qui n'ont pas même le temps de protester (juillet i830, février 1848, 4
sep-
tembre 1870). Les émeutes n'aboutissent pas en Angleterre, parce qu'il n'y
a pas là de gouvernement central à renverser. Qu'on supprime un instant
la reine et les deux chambres, l'Angleterre sera. troublée; mais tous les
propriétaires resteront à la tête des administrationset de l'armée; ils auront
toutes les forces du pays à leur disposition pour reprendre Londres, qui n'est
qu'une capitale nominale. e
tique des lois nationales, avec l'ordre, qu'il faut obtenir
sur-le-champ de l'unité du Pouvoir!
Assurer l'avenir par les institutions; mais assurer !e
présent en r:)ssemb!ant tes renés de l'Autorité! Elle seule
peut aussitôt imprimer une forte impulsion vers le bien.

PAUPKrUSMK.

Ne permettons plus aux économistes de i'éco!e !ibéra!e


de nous donner le change sur les causes du paupérisme.
Ce dernier nous ocrant !e fait d'une population privée du
capital qui devait la porter, i) faut se demander pourquoi
cette population, comme toutes les autres, ne se présente
pas avec son capital? Or, comme le capital résulte de la
modération dans les jouissances, c'est-à-dire de l'épargne,
issue el!e-mème de la vertu, la question revient à ce!!e-ci
Dans quelles conditions voit-on l'homme travailler, se
modérer et constituer un capital qui l'exempte du pau-
périsme ?
L'homme ne peut pas plus être moralisé par force, que
ramené au travail servile comme pendant l'antiquité. Le
seul remède au paupérisme consiste donc à maintenir le
plus possible les populations ouvrières dans cet état pré-
paré par la Providence, où, amené à produire, puis à
consommer moins qu~it ne produit, l'homme coopère à la
paix, et parvient du même coup à fonder sur le capital son
existence et l'amélioration de sa condition ici-bas.
La solution est claire, et la France est faite pour la
donner, ~iais, tout en favorisant d'abord le développement
des richesses et des populations rurales, on ne peut oublier
celles qui resteront attribuées à l'industrie. De telles popu-
!ations ne sauraient être conduites à la fois à la moralité
et à la propriété, que par des corporations régulatrices et
protectrices. Or des corporations de cette nature ne sontt
pas seulement des institutions politiques ce sont aussi
des institutions industrielles et des oeuvres d'humanité.
On doit donc, pour les établir, consulter à la fois des
hommes politiques et des hommes pratiques choisis
parmi les gens de bien animés d'intentions paternelles, et
connaiss.ant les besoins aussi bien que les habitudes de
l'ouvrier.

CLASSES MOYENNES ET QUESTION OUVRIÈRE.

Les souffrances de la classe ouvrière ne peuvent être


inhérentes à la civilisation elles résultent nécessairementt
d'une désorganisation sociale. Est-ce un état durable, celui
où certains hommes amassent des fortunes immenses pen-
dant qu'une classe inférieure s'enfonce dans le paupérisme,
et que la Société court eUe-mémeà sa ruine?
L'industrialisme n'a-t-il pas mis la Société aux prises
avec une multitude exposée sans défense au triple assaut
de la corruption, des causes quii détruisent le travail et
l'épargne, et de la fascination des idées révolutionnaires?
Pourquoi laisser s'amonceler ainsi des populations qu'on
ne peut ni éclairer, ni corriger, ni contenir? A tous les
points de vue, ne doit-on pas arrêter cet écoulement con-
tinu de nos campagnes dans les viiïes?
La Révolution a ôté les populations du milieu où Dieu
les a placées et de la prévoyante condition qu'il leur
a faite. Sachant notre faiblesse, le Créateur leur pré-
para du même coup le travail, le salaire, le mode de con-
sommation et la caisse d'épargne. C'est en faisant briller
le plaisir et l'or à leurs yeux, que l'industrie les arra-
che à leurs champs pour les faire périr dans les villes.
Le flot croissant de cette émigration, qu'aucun règle-
ment n'administre, va compléter les rangs de l'Interna-
tionale et grossir l'armée de la Revo!ution. N'aurons-
nous d'autre perspective que celle de la combattre et d'en
être écrasés un jour? Pour l'amour de l'homme et de la
Société, ne faut-il pas couper le mal à
sa racine?
Cette racine est la cupidité, et
son fruit est l'industria-
lisme, dont le remède est la constitution de la propriété,
dotée des anoblissements légitimes. On sauvegarde ici du
même coup les populations et l'Etat.

INDUSTRIALISME ET ACCUMULATION DE L'OR.

Tant que les hommes sont restés dans une modeste


aisance, le monde allait en paix. La richesse, comme
Fengrais, demande à être répartie; jetée à tort sur
un seul
point, elle engendre la pourriture. Comme le travail jour-
nalier est le grand traitement de l'homme, un très-petit
nombre peut seul en être exonéré sur quelques points.
Aussi, voyons-nous la plus grande partie de la popula-
tion, pour laquelle cela est indispensable, retenue par le
Créateur dans un labeur sans relâche. Puis
une autre
partie, cet!e qui peut supporter la richesse, y arrive et
ne
s'y maintient elle-même qu'à l'aide de la modération dans
les jouissances.. La création ne peut pas avoir été ma!
établie en bouleverser les conditions/n'est-ce
pas démo-
lir le monde, comme l'ont fait l'industrialisme et la Ré-
vo!ution?
JI y a un fait majeur qu'on
ne peut pas dissimuler.
Dans les pays réputés pauvres, c'est-à-dire
pauvres en
argent quoique pourvus de vivres, il existe une popula-
tion supérieure en vitalité et en vertus de premier ordre
témoins l'Ecosse et la Savoie, où règnent à la fois la
piété, la probité, le respect, le travail et l'épargne. Dans
les pays réputés riches, c'est-à-dire riches en argent
mais pauvres en vivres (puisqu'ils y sont à un prix élevé),
il existe au contraire une population où disparaissent à la
fois ces vertus et Ja race témoin les grandes villes et les
centres manufacturiers. Faut-il donc éloigner les peu-
ples de la richesse? Tant s'en faut, lorsqu'elle naît.
des deux vertus d'où elle tire son origine. Car, pour un
peuple, on ne doit pas confondre la richesse et le capital,
ou, si t'en veut, la richesse agricole et la richesse pure-
ment industrielle, qui dévore en ce moment les classes
issues de la Révolution.
L'histoire montre que tous les peuples trop pourvus
d'or et produisant les superftuités, ont été la proie des
peuples occupés à accroître les richesses de première
nécessité. Ceux qui entraînent les peuples dans les voies
de l'industrialisme, préparent la chute des mœurs et la
ruine de la patrie. C'est à eux que s'adresse le Psalmiste
en disant Ils dévorent mon peuple comme du pain.
Ce n'est pas uniquement par les impôts et la cherté des
vivres qu'ils le dévorent, c'est par la décadence du travail
et la destruction de l'épargne; c'est en le détrempant
dans l'immoralité, c'est en dévorant son âme elle-même.
Aussi les classes ouvrières ont eu beaucoup plus à
souffrir de la Révolution que les aristocraties. Celles-ci,
privées de leur situation sociale, conservaient dans l'édu-
cation le moyen de garder ta Foi, et de se faire
une situa-
tion morale contenant la première en réserve. Tandis
que
les classes ouvrières, en perdant ces corporations qui
étaient de véritables confréries, ont perdu à la fois les
sources de la moralité et celtes de la propriété.
BOURGEOISIE.

Certainement on ne saurait renverser tout le fait actuel,


bien qu'il soit un écoulement des mœurs de 1830 et du
deuxième empire. Quand les familles auront reconquis le
droit de tester, c'est-à-dire de se maintenir, tes cadets se
porteront évidemment dans l'armée, dans le cierge, dans
la magistrature, mais aussi dans l'industrie, et celle-ci
pourra grandir suivant un mouvement
parallèle à celui de
la constitution de la propriété. Lorsque, par leur con-
duite et leur capacité, les puinés, convenablement dotés,
auront eux-mêmes conquis la fortune, ils rentreront à
leur tour dans la propriété rurale, ou les attendent les
anoblissements légitimes, où, accroissant !e nombre des
bonnes familles que le luxe. et les sentiments médiocres
ne sauraient atteindre, ils grossiront à
leur tour les rangs
de l'aristocratie. Ainsi, dans l'organisme, le sang veineux
rentre par le poumon dans le torrent artériel.
Non, on ne saurait ni renverser tout ce qui est, ni res-
susciter le passé; mais on doit rétablir dans !a mesure du
possible ces lois du passé qui, s'enlaçant avec les faits
nouveaux, constitueront une société viable.
Les esprits sensés comprendront aisément qu'il ne s'agtt
point ici d'abolir une classe importante, mais de l'empê-
cher de périr; qu'il ne s'agit point de ruiner l'industrie,
mais de la délivrer d'un industrialisrne qui la détruit.. Et
surtout, il s~agit de mettre la bourgeoisie sur le chemin
de l'aristocratie réelle. La Révolution l'en détournait et la
vouait à l'incapacité. Mais si la bourgeoisie fut le ni con-
ducteur du libéralisme, le siège de nos erreurs, le réser-
voir du scepticisme et la cause principale de notre abais-
sement, la noblesse a failli avant elle, et, par sa chute,
en ruines, au moment ou
l'a laissée à la tète d'une nation
les rêves du i8~ siècle et les utopies insidieuses de la
Révolution troublaient toutes les têtes.
La classe moyenne, ainsi décapitée, ou séparée de
son
impulsion supérieure, ne pouvait qu'introduire des mœurs
moins élevées et moins propres à conduire un peuple. Mai-
gré cela, au moment où la noblesse est tombée, si la bour-
geoisie n'avait pas existé, si, malgré ses défauts évidents,
elle ne se fut pas trouvée là pour maintenir l'exemple du
travail et de t'épargne et pourvoir aux fonctions adminis-
tratives, on se demande si nous serions encore une nation!f
D'ailleurs, on ne peut dire encore ce que sera la bour-
geoisie quand on l'aura constituée. Ne renferme-t-elle
pas
les sujets sur lesquels le Roi viendra grefïer la loyauté
héréditaire, sustenter l'aristocratie et rétablir la nation
française?
Ces points n'ont pas encore été pesés. Certainement,
plus tard, le Roi n'accueillera dans la Pairie que les
hommes arrivant régulièrement, par leur véritable mérite,
des sommets de la bourgeoisie dans la noblesse, et des
sommets de la noblesse jusqu'au pied du Trône. Mais
aujourd'hui, après avoir reconstruit la Pairie en y appe-
lant nos évoques, les représentants des anciennes maisons
de France, les grandes notabilités et tes premiers magis-
trats du pays, le Roi voudra sans doute compléter ces
rangs illustres par l'adjonction de plusieurs membres de
la bourgeoisie la plus digne, la plus distinguée par
sa
bienfaisance et sa piété. C'est par ces deux vertus que,
depuis un demi-siècle, elle a pu laisser voir les points
vraiment anoblis chez elle, et ce serait reconnaître les
services rendus de la sorte pendant ce triste interrègne de
ianatioa.
ELECTION HT NATURE DES CHAMBRES.

Ceux qui n'ont en rien concouru à l'ordre social


ne
sauraient le représenter. Peut-on confondre l'être social,
qui coopère à la Société, avec l'être anti-social, qui
sur
tous points la désagrège? Esquivant tous les devoirs, ce
dernier tombe dans t'impossibittté même de défendre
ou
de représenter un adroit.
La Société laisse vivre dans son sein des forces négatives
et même des forces destructives, mais à la condition de
les régler, et non d'en recevoir sa règle. Cette vérité est
la base de toute loi étectorate.
En outre, d~, il faut de toute nécessité distinguer chez
un peuple la représentation des intérêts moraux de celle
des intérêts matériels; 2°, ia Chambre qui représente les
premiers doit être indépendante de la Chambre qui repré-
sente les seconds; 3~, les impôts qui se trouvent liés à
l'existence même de la Société,, ne sauraient plus être mis
en question comme des impôts facultatifs. Les désordres
qui depuis quatre-vingts ans nous mènent à la décadence,
découlent de l'erreur qui confie nos intérêts moraux et
politiques aux hommes qui devraient représenter
nos inté-
téréts matériels.
On comprend donc, d'une part, la nécessité de pourvoir
à la représentation de tous les intérêts disséminés
sur le
sol du pays, et, de l'autre,-celle de constituer une Cham-
bre des Pairs nombreuse et en grande partie composée
d'éléments héréditaires, pouvant seuis offrir des garanties
sérieuses de résistance soit au Pouvoir, soit aux corps
étectifs.
Déjà, pour la commune, les plus forts imposés,
repré-
sentant le capital ou l'élément héréditaire, formeraient
un
corps jouissant des mêmes droits que les conseillers élus.
La même combinaison s'appliquerait
aux conseils d'arron-
dissement et de département.
Alors dans toute la hiérarchie, Fétément héréditaire
se
tiendrait à c6té de l'élément électif
a au conseil muni-
cipaP, où les plus forts imposés forment
comme le noyau
auquel se rattacheront les conseillers élus;
aux conseils
d'arrondissement et de département, où les délégués des
plus forts imposés des cantons sont également adjoints
aux conseillers éius enfin dans l'Etat, où la Chambre
des Pairs, qui représente le plus haut degré de Fétément
héréditaire, sert de principe régulateur à la chambre
élec-
tive. De la sorte, une nation
ne se dissout pas au moment
d'agir et de se mettre en marche.

LIBERTÉ DE LA PRESSE.

Tous les hommes sensés maintenant en conviennent


avec Je parlementarisme, la liberté de la presse et le
suffrage universel, il n'y a plus de gouvernement, ni
même de société possible. Le premier la met en question,
!a seconde en ébullition, le troisième
en dissolution. L'un
la confie au sceptimisme, l'autre la perd dans le cynisme,
et le dernier en fait la proie de l'athéisme.
A quoi bon gouverner les hommes, si d'autre part
on
les remet dans t'anarchie? D'ailleurs, qui
a le droit de
corrompre le. peuple? A l'Eglise seule H est dit ENSEIGNEZ

(i) Les plus forts imposés forment ainsi une pairie de la commune,
au
moins égt~e en droit aux coBgeiHers élus.
t~(HT. ~5a
LES NATIONS et le premier venu userait de la presse pour
publier ses vices et verser sa haine dans la foule La
Société doit-elle se laisser dévorer par l'erreur, et une cala-
mité publique deviendra-t-elle une institution?
N'est-il pas indispensable, en tout cas, d'exiger de
celui qui se sert de la presse les brevets de docteur en
Théologie, en histoire et en économique? Sinon, que vient-
il enseigner ? L'Etat, la dignité humaine, nos droits
publics et privés réclament, comme garantie de la liberté
assurée au bien, de ne laisser paraître en France (comme
avant 89), que les livres munisde cette honorable mention
Avec privilége du Roi! Du moins l'écrivain penserait à
se rendre digne de paraître sous cet antique palladium.
Dés lors, qu'une commission d'hommes instruits et graves
se voie chargée de tout examiner, et que le Roi puisse
donner son agrément sur rapport motivé.
Comprenons la différence de ce mode avec celui de la
censure. Le premier fera renaître la gratitude, et le second
les mécontentements. Avec la censure, tout littérateur
croit posséder, sur les esprits, un droit auquel il ne voit
pas sans colère poser des restrictions avec le privilége du
Roi, l'écrivain reçoit une faveur qui le ravit, faveur que
l'Etat peut lui retirer s'il en abuse. Il suffit de se rappeler
l'affaire encore si récente du malheureux H. Loyson, pour
se convaincre qu'en dehors même de la méchanceté et

(1) Il est douloureux de songer qu'une foule de ceux qui comptaient sur
la Révolution pour vivre, peuvent se trouver sans emploi. Mais comment
faire? Qu'une peuplade de Caraïbes fasse irruption dans nos campagnes, tar-
derait-oa de prendre des mesures pour s'en garantir?
H faudra ucceasairetnent pourvoir à ces existences victimes de l'illusion
révolutionnaire, en leur accordant des secours, ou des emplois (iaus cer-
taines administrations.
d'une noire envie, un homme peut aller jusqu'aux derniè-
res extravagances, toutt en se persuadant qu'il parcourt
une voie raisonnable et qu'il est digne d'être suivi
A un si grand danger, se joint pour nous celui d'être

étouffé sous la couche du médiocre. Ayons peu de livres,


peu de journaux, mais qu'ils soient bons! Au point de vue
de l'art comme à celui de la pensée, quel immense avan-
tage Les hommes d'idées sont rares, et les littérateurs
pour les exploiter sont nombreux. Ne donnerions-nous pas
tous ceux qui obstrnent notre époque pour deux ou trois
écrivains de celle de'Louis XIII et de Louis XIV ? A quoi
bon remettre la plume à celui dont l'âme n'a rien à nous
dire? Entre les idées du génie et celles de l'homme de
lettres, il y a la différence du marbre taillé par l'artiste
a- ces plâtres que répandent les colporteurs. Quand
secouerons-nous la poussière sous laquelle on nous ense-
velit ?

LES PEUPLES ET LES ROIS.

Si les nations ont péché, que les rois à leur tour s'exa-
minent.. N'est-ce pas entre leurs mains que le monde a
péri? Ce fait doit amener la royauté et l'aristocratie à
faire de grandes rénexions.
Elles ont laissé peu à peu s'affaiblir les principes et les
construire le
mœurs, sur lesquelles elles avaient aidé à
monde. Les Rois, dont le pouvoir est de droit divin, virent
sans frayeur nier le pouvoir de celui qui, sur la terre, est
le type du droit divin La noblesse, dont l'existence est
liée au respect, fit tomber le respect par la chute des
prendre
mœurs. C'est à quoi les aristocraties devront
garde! Les rois se sont détruits, les aristocraties se sont
tuées de quelle modestie doivent- ils être pénétrés quand
Dieu les reconstituera?
Quant aux peuples, qu'i!sje sachent le christianisme
seul a porté le monde au-dessus de l'esclavage antique, et
l'a tenu en quelque sorte élevé vers le ciel. Otez le chris-
tianisme, et vous rentrerez dans la nuit.
Dites que la faiblesse où vous laisse aujourd'hui l'erreur
appelle tous les ménagements dites que vous avez besoin
de recevoir à la fois la lumière et l'exemple, et que ceux
qui les apportent, n'ayant pas été sans péché, devront unir
les manières conciliantes au sourire de la bonté. Mais
quand vous recouvrerez la vie, ne forcez plus les Rois à
n'admettre la justice et la vérité qu'à demi, la royauté et
le règne de Dieu qu'à demi, en un mot, la Société qu'à
demi vous rentreriez dans le malheur'
Et prenez garde à ceux qui se disent monarchistes, et
qui s'opposent aux premiers principes de la monarchie,
comme à ceux qui se disent catholiques, et qui s'opposent
aux premiers fondements du catholicisme. C'est le siècle
des prétextes il en a pour éloigner le Roi, pour écarter
la Foi,pour évincer l'Eglise, pour ajourner le bien, pour
conserver l'industrialisme et ce dernier en trouverait
pour partager la France entre ses ennemis.

(i) On ne se demande pas sans crainte si nos comptes ont tous été réglés
par les immolations de 93, renouvelées par les massacres des deux empi-
res.. Toujours en vue d'écarter Dieu des sociétés humaines, nous avons
rallumé par trois fois la Révolution en i830, en 1848, en iSTfO.
Dans la première, si l'on peut parler de la sorte, Dieu sembla nous donner
comme un premier Avis sans frais; dans la seconde, il y eut un Avertisse-
ment avec frais et dépens; dans la troisième, il y a prise de corps et de biens.
Craignons qu'à la prochaine fois il n'y ait condamnation mort, comme
pour Ninive et Babylone.
LIMITES DE L'AUTORITÉ.

Bien que le Pouvoir légitime soit réglé par la loi divine


et tempéré par les coutumes du pays, plusieurs demandent
quelles seront ses limites. On conviendra qu'il est bien
plus avantageux ici de consulter les faits, que de suivre
les illusions des peuples abusés par le libéralisme ou
enlacés par l'hérésie.
On doit faire, dans ce problème, une importante distinc-
tion. Les peuples protestants, dont les gouvernements ont
assez de témérité pour commander aux consciences, s'en
tiendront vraisemblablement, quoique en vain, à la théorie
libérale, laquelle exige du Pouvoir des garanties pour tous
les droits. Mais les peuples catholiques, dont les rois
légitimes sont soumis à l'Eglise, les laisseront marcher plus
librement dans la voie des coutumes et des traditions
nationales.
Si ces peuples eussent compris cette vérité pratique
avant d830, l'Autriche serait sauve et prospère, l'Espagne
et l'Italie seraient encore pleines de joie, et la France
serait toujours la merveille de l'Europe et du monde.

VRAIE FORCE DE L'AUTORITÉ.

« H n'y a plus, disait Bonaparte, qu'un secret pour


mener le monde c'est d'être fort; car la force n'est
pas une illusion, c'est le vrai mis à nu. » Premier avis
plein d'opportunité, mais qui doit être suivi d'un second.
Pour être fort, il faut, ou abolir l'obstacle, ou disposer
d'une puissance capable de le surmonter. Mais comme ici
une telle puissance n'existe point, il faut donc abolir l'obs-
tacle, autrement dit avoir pour soi les volontés.
La force est en ceux qui obéissent, comme l'éloquence
est en ceux qui écoutent. S'ils obéissent d'eux-mêmes, on
est fort; s'il faut les contraindre, on est faible un homme
que peut-il contre tous? Or comme ils obéissent d'eux-
mêmes lorsqu'ils sont éclairés «par l'Eglise, celle-ci est le
vrai moyen d'être fort.
Rentrons-nous dans l'ancien régime? il n'est pas
ici question, et tout homme sensé l'a compris, d'établir la
légitimité de l'ancien régime, mais celle de la Société chré-
tienne qui croulait dans l'ancien régime, parce qu'il
en
oubliait les lois. Toutefois, dans une démoHiion se retrou-
vent les pierres de Fédince, qu'il s'agit pour nous de
reconstruire suivant les règles éternelles de l'art. Et comme
on ne peut pas modérer, c'est-à-dire modifier les principes,
les rois sont établis pour nous les appliquer
avec modération.
Les choses ne se font pas uniquement
par l'autorité,
bien qu'elle soit voulue de Dieu, mais aussi
par la force de
la patience et de la mansuétude. Ici, l'autorité est
ce que
fournit Dieu, et la douceur, ce qu'apporte le Roi'. Or, de
cette douceur jointe à l'autorité provient la fermeté, que
Dieu recommanda par quatre fois à Josué
en lui donnant
la garde de son peuple.

(t) Le Sauveur nous l'apprit, lui qui, loin de revêtir de la force les Douze
qu'il envoyait conquérir les nations, les arma de la charité. Le seul point
sur
lequel l'autorité est absolue et sans limites, c'est dans la défense du bien,
car c'est la défense de l'homme.
LA FRANCE HT LES BOURBONS.

Le prince Frédéric-Charles aurait dit « En France,


tout est décomposé. Il n'y a plus qu'une classe debout,
c'est le clergé. II est la seule armée que i'AHemagne
n'ait pas vaincue en France; et !e comte de Chambord,
d'ailleurs loyal et inébranlable, est désormais notre seul
ennemi sérieux. Un C!ergé et un Roi, les deux
instruments de résurrection pour un peu pie!
L'homme qui, après quarante ans, retrouverait son
père, s'écrierait Plus d'anxiétés, plus de larmes Avec
mon père, comment serai-je malheureux? car « S'IL LE
sAVAtr~ Eh bien, le Ciel va nous rendre celui qui
sera comme une rosée pour la nation embrasée de dou-
leur. Mais la France ne comprend pas encore l'allégresse
inouïe qui l'attend.
Celui qu'elle a banni reçoit déjà les sollicitations des
rois en peine de leur couronne. Celui qu'elle mettait en
oubli deviendra l'idole des cœurs. Celui qu'hier encore
le monde déclarait un prince impossible, sera demain un
centre d'a~ections et d'intérêts immenses. Comme le soleil
qui se présente à l'Orient, il paraîtra, et la France se sen-
tira inondée de joie et de lumière.
Quelle fortune pour elle, de voir reparaitre sa gloire
et tout son honneur dans un homme!
Porter étourdiment la main sur son autorité, ce serait

(i) La foute sent déjà que la Révolution échoue dans toutes ses tentatives,
et que le Roi est le symbole de toutes les vérités que lui seul peut nous ren-
dre la véritable monarchie et nos alliauces en Europe.
Il est vrai, deux haines persistent celle des scélérats, observant que tout.
leur échappe et voulant s'en venger par l'incendie et les massacres; etceHe
diminuer notre héritage et attenter à notre
propre vie.
Pour nous sauver, le Roi n'a que sa dignité. Où
est sa
force hors de notre respect, et sa défense hors de
notre
affection? Et, d'ailleurs, quelle dénance pourrait naître
envers une race de rois qui descendit chez nous comme
une bénédiction? î/avoDS-nous oublié? la France, avant
Hugues Capet, n'était formée que des cinq départements
du Loiret, de la Seine, de Seine-et-Marne, de l'Oise
et
de Seine-et-Oise. C'est depuis lors
que, s'étendant de
t'ite-de-France à l'Algérie, elle s'est agrandie de plus de
quatre-vingts départements î
On s'écriait déjà au commencement de
ce siècle
« Quelle est cette famille à qui toutes les grandeurs
paraissent appartenir, toujours majestueuse dans la
pros-
périté, toujours sublime dans le malheur? A qui
compa-
rer ces êtres privilégiés dont chacun a son héroïsme?
Sur le trône, près du trône, en exil ou
aux pieds des
autels, ils sont les mêmes. Toutes tes situations de la vie
les trouvent prêts. Ils dominent les
unes, tirent des
autres des ressources qui excitent une longue admiration,
et leurs adversités se changent en gloire. Pour eux, le
jour des épreuves est l'heure des triomphes. Lorsqu'une
courcnne tombe de leur front, une auréole la remplace,
et lorsque la terre n'a plus d'espace pour leur trône, ils
en ont d'avance conquis un dans le Ciel1 Saurait-on,
J
sans leurs catastrophes, ce qu'il y a de magnanimité dans
ces cœurs, plus heureux de leurs dévoùments que d'au-
tres ne le sont de leur gloire? Quel est donc leur secret
pour se montrer si grands, devant Dieu et devant tes
hommes? »

des sectaires du libéralisme, voyant la pieté du Roi et sa ferme résolution de


ne point leur céder une part de son-sceptre..
JE SUIS LE BON PASTEUR~.

Le mercenaire, lui qui c'est point pasteur, ne voit pas


plus tôt venir le loup, qu'il abandonne le troupeau, et le
loup le disperse. Le bon pasteur, lui qui reçoit de Dieu
la garde des brebis, ne laisse ni pâlir la lumière qui sert
à les conduire, ni ôter de ses mains le pouvoir qui peut
seul les garder. Il sait que de tous les fléaux qui les rava-
gent, l'erreur est le plus redoutable.
Son droit pour les défendre est le patrimoine de la
nation entière et le dernier espoir de sa grandeur.
Désabusée par des désastres sans exemple, elle sait qu'on
n'échappe point par des expédients aux nécessités éter-
nelles. Elle l'appelle, et il revient avec tout son principe
et les devoirs qu'il lui impose. II les affirme tous Par sa
ndéïité à son drapeau, c'est l'honneur même de la nation
qu'il garantit, et son avenir qu'il prépare.
Le Roi lui rapporte aujourd'hui l'ancien pacte d'amour
qui l'unissait au peuple, rendant cher à tous deux le lien
qui les rehausse. Pour garder sa noble nature, l'homme
doit n'obéir qu'à Dieu et les peuples eux-mêmes voient
un usurpateur dans celui qui réclame l'obéissance au nom
d'un droit qu'on prétend recueillir sur la terre. En sup-
primant !e droit divin dans toute la série sociale, on
découronna l'homme; on enleva ce qu'il y a de sacré,
d'une part dans !e commandement, de l'autre dans l'obéis-
sance, et la Société s'est dissoute.
Le Roi vient retirer ie monde de l'oppression des

(1) Dans ces mots, le Sauveur a présenté leur type aux prêtres et aux
rois.
enfants de l'orgueil, et délivrer sa nation d'une tyrannie
plus déplorable que celle de l'esclavage ancien. Rompant
les liens de l'imposture, il vient arracher l'homme à la
servitude de l'homme, faire revLvre l'honneur, la justice et
!'honnèteté, affranchir les classes distinguées du joug de
l'industrialisme, et les classes ouvrières de celui de l'erreur
s'alliant à la faim. Rendant le peuple au mouvement
ascensionnel qui relie les classes entre elles, il rouvre
en même temps pour lui le sanctuaire de la Foi, celui de
la famille et celui de la propriété.
La nation se ranime en retrouvant un roi, un défen-
seur, un père!

Roi désiré, « qui avez la justice dans le sang » et


« qui avez montré vos vertus à côté de vos droits
venez, faites le bien, mais sans en demander la permis-
sion aux hommes, car ils vous la refuseraient. Pour
vous, peuples, sachez que nulle autorité n'est douce
autant que celle qui se soumet au joug de Dieu. Et vous,
royalistes fidèles, n'oubliez pas qu'après les hommes du
sanctuaire, vous fûtes ceux que Dieu chargea de conser-
ver le principe du Droit et celui de l'honnêteté, au
moment où le monde se faisait une gloire de répudier
tout honneur! Fermons donc pour toujours nos cœurs à
ce qui n'est pas pur. Et quand les hommes, en cela,
déserteraient leur propre cause, restons ndè!es, nous que
la Providence, par une grâce prévenante, avait peut-être
désignés pour les ramener, autant par la mansuétude que
par la fermeté de notre foi.
Roi désiré, asseyez voire droit sur l'empire des âmes,
et choisissez vos conseiHers parmi les saints les politi-
ques ont failli détruire le monde.
P. Le monde se demande ce que va devenir la
France. Les peuples ont été créés pour remplir les
desseins de Dieu or la France a oublié Dieu, et au jour
du danger il ne s'est. plus souvenu d'elle. Ses désastres
sont à la fois un avertissement et une expiation. Elle
ne peut plus espérer le salut par ses mérites propres,
mais par l'effet d'une Miséricorde daignant peut-être se
ressouvenir du passé.
Car Dieu n'a pas remis encore à d'autres peuples la
mission dont il a honoré la France. Et il attend peut-
être, pour la sauver, la conversion d'un certain nombre
d'âmes, que les événements ont du maintenant éclairer.
Quand la mesure du repentir et des prières sera pleine,
Dieu sans doute daignera prendre en mains nos aSaires~.
La France garde encore, dans ses populations, les ger-
mes de la race chevaleresque à laquelle il sufit de mon-
trer la lumière pour qu'elle lui donne des défenseurs.
Dieu, qui n'a pas voulu le triomphe de la France
révolutionnaire, voudra dès lors celui de la France chré-
tienne. Son Roi s'écrie a L'Europe a besoin d'elle,. la
Papauté a besoin d'elle; c'est pourquoi la vieille nation
chrétienne ne peut périr! r Aussi, depuis un certain
temps, doit-elle s'apercevoir que la Providence fait tout.

(i) Les paroles que l'Eglise nous met en ce jour sous les yeux, s'écriait
dernièrement Pie IX, peuvent fort bien s'appliquer à la France Pendant un
tMC feuerres.
ccr~n'M ~ewp~,vous Mf me i~resde
uo;~ manifesterai p<Mnouveau
MOM & M~ nation
la grande
encore ~p~ <~ fo</<!n
pCM de catholique,
me reverrez. Je me manifesterai de nouveau à la grande nation catholique. n
Paroles de Pie IX, en réponse à l'Adresse des Pèlerins français.
Cette insigne façon d'agir va croître jusqu'au moment où
l'antique devise-: Gesta/~j~co~, se changera ma-
nifestement en cette autre ~e~ .F~~c~jM~j9~
En rendant à la France tout ce qu'elle a perdu, Dieu
fait reparaître en Europe la Foi, l'honneur, l'enthou-
siasme, l'urbanité, le dévoûment, les mœurs chevale-
resques il rend l'essor aux grandes missions, aux arts et
au bon sens; il relève la Chrétienté entière. Que la Prusse,
au contraire, tienne pendant quinze ans le sceptre, et
l'Europe, ramenée à la déification de l'homme et au culte
avéré du' néant, entre en pleine civilisation antédilu-
vienne. Comme son origine, sa science et l'extrava-
gance de sa pensée l'annoncent, la Prusse ne remplira
qu'un rôle apocalyptique.
Le baron d'Eckstein disait « Nous, hommes du Nord,.
nous sommes libéraux, car nous souffrons du despo-
tisme. » Il aurait dû dire du schisme 1 Car ce n'est.
point par l'erreur sur la liberté que ces peuples se ver-
ront délivrés, mais par la liberté réelle, par le Catho-
licisme. Pendant que le protestantisme réunissait les
deux Pouvoirs sur la tête du prince, le libéralisme, rem-
plaçant tous les droits acquis par des droits illusoires,
établissait partout l'omnipotence absolue de l'Etat. Le
libéralisme consomme parmi nous l'œuvre de servitude.
Restreignant d'une part l'action de l'Eglise, et annulant
de'l'autre le rôle des aristocraties, il achève de plonger
les peuples au plus profond du despotisme.
Le despotisme a suivi trois degrés. D'abord, il a subs-
titué la pensée de l'homme à la pensée divine, et aboli la
société des âmes, c'est-à-dire l'Eglise, tout en laissant
encore subsister les aristocraties, comme chez les peu-
ples protestants; ensuite~, il a substitué la fois la
volonté de l'homme, et à la loi des âmes et à celle des
aristocraties, comme à Constantinople et dans tout l'isla-
misme enfin, il a substitué cette volonté à la Société
tout entière, placé la souveraineté dans la foule, et
poussé le libéralisme jusqu'au socialisme, comme il est
arrivé en France.
Le despotisme, débutant par une substitution de la
volonté de l'homme à la loi divine, finit par une substi-
tution totale de l'Etat aux droits de~a nation. Or le
libéralisme introduisit le despotisme en se donnant com-
me l'application du christianisme à l'ordre
politique. Les
autres hérésies ont pu se circonscrire, mais le libéra-
lisme, prenant tous les noms de la vérité, apparaît chez
les peuples sous un déguisement tel, que,~ si Dieu ne
vient pas renverser cette grande imposture, c'est elle qui
achèvera la ruine de la Chrétienté.
Pour délivrer les peuples, il faudrait donc affran-
chir du protestantisme les nations du Nord, puisqu'elles
ont encore leurs aristocraties puis délivrer du Pouvoir
libéral les races latines, puisqu'elles ont conservé le
culte catholique; enfin rétablir à la fois l'Eglise et l'aris-
tocratie chez les populations musulmanes, puisque le des-
potisme y a tout aboli. La France, pour rentrer dans
sa gloire, n'a donc besoin que de son Roi.
La Prusse hâtera cette rénovation universelle. Expul-
sant de l'Allemagne l'Eglise catholique, et attaquant au
même instant la première aristocratie, elle prend les
deux voies pour arriver plus vite au despotisme. A la
persécution par les idées, toujours invisible à la foule,
succède ici la persécution par la force, qui devient alors
ostensible. Actuellement, il ne saurait y avoir pour la Foi
d'événement plus favorable M. de Bismark achève d'ou-
vrir les yeux aux peuples sur~ës résultats du libéralisme.
Prises dans le mensonge, les nations catholiques sont,
il est vrai, aussi incapables d'échapper au libéralisme
que les nations protestantes. Mais Dieu sauvera les pre-
m~res parce qu'elles om ~ainteur le H~oeau au
y
milieu de la nuit et, à l'aide des premières, il délivrera
les secondes, parce qu'elles vivaient de bonne foi, éo-a-
rées qu'elles étaient par leurs princes.
Les esprits vont sortir de l'illusion du libéralisme. En
ce moment, il soulève encore les peuples contre Dieu
mais il lui serait pus aisé de mesurer son crime que de
prévoir la honte qui l'attend.
Le libéralisme une fois écarté, au même instant l'Eglise
voit ses fonctions se rétablir, l'Autorité renaît, les aris-
tocraties respirent, la vérité revit, la masse des âmes
s'élève, la civilisation entière se ranime, les peuples
croissent dans la paix.
En Allemagne, en Espagne, en Italie, en France, les
hommes du libéralisme sont à la veille de succomber. Le
triomphe est à ceux que Dieu va susciter pour les com-
battre. Quoique en exil, Henri V est, de tous les souve-
rains de l'Europe, celui qui possède la plus grande
situation. Du jour au lendemain le Roi de.France aura
pour lui les premières alliances. Déjà la Révolution
s'ébranle sous la réprobation des peuples; sa chute entraî-
nera les trônes qu'elle soutenait. Le descendant des Rois
qui, pendant ces trois siècles de démolition, soutenaient
le Saint-Siège, sera mis à la tête de cette rénovation, et
les rois rechercheront l'amitié de celui que sa propre
famille méconnaissait encore hier.
Le doute n'est plus possible les âmes ont assez souf-
fert, assez langui, assez gémi. L'avenir est au bien, la
délivrance approche. Que les œuvres ne s'arrêtent pas,
et que la prière s'exalte La volonté humaine garde une
place essentielle au plan divin dès qu'elle arrive, par
la persévérance et par le sacrince, a prendre à cœur les
grandes causes comme si c'étaient les siennes propres,
elle est certaine de combattre à côté de Dieu, et d'être à
la veille du triomphe!
Jetons, jetons vers Lui notre cri de repentir et d'espé-
rance 9 Si les hommes, justement effrayés, nous disent
Où allons-nous? répondons-leur Jusqu'au point où nous
saurons comprendre que Dieu seul peut nous délivrer.
Il veut sauver les peuples, mais pour sauver les âmes
que renferment les peuples. C'est pourquoi il appelle
leur coopération. Il se souviendra de la France et
bénira de nouveau le monde! A la vue de tant de bonté,
la Foi et la reconnaissance renaîtront alors sur la terre

(i) peut seul nous sauver, Celui qui a dit


11 La France sera consacra
à mon divin Cœur, et toute la terre se ressentira des bienfaits qu'alors je
répandrai sur eHe. e
Quel recours resterait-il à la France, dit avec tant de profondeur et d'élo-
quence Mgr de Mouiins, si le Cœur de Jésus ne lui était ouvert? Mais si la
dévotion au Sacre-Cœur a été présentée aux peuples par les mains de la
France, n'est-ce pas pour nous l'indice d'une nécessite plus urgente et d'une
convenance plus marquée? Ayant surpassé l'infidélité des autres peuples, il
nous fallait une expiation plus abondante. Dieu veut aussi que les nations
soient réveillées au bruit des châtiments réservés à l'une d'elles; et dans la
persuasion commune, on faisait à notre nation cet honneur de la croire pro-
posée par Dieu. soit comme un exemple de ses bontés pour les nations qui
gardent son alliance, soit comme une menace de ses rigueurs envers celles
qui la violent. Par suite, rien de médiocre en sa fortune. Vocation terrible,
sous laquelle le monde a vu succomber les Juifs, et que la nation française
n'eut pas mieux supportée si, à la veille des expiations, trop méritées, Jésus-
Christ ne lui avait donné son Cœur pour refuge, »
Voir le Mandement de Mgr de Moulins, Carême de 873.
La France va répéter l'hymne dans laquelle M. de Belcastel l'a consacrée au
divin Coeur, w Très-Sacré-Cœur de Jésus, nous venons nous consacrer à
vous nous vous demandons de nous pardonner tout le mal que nous
avons commis, et de pardonner à tous ceux qui vivent séparés de vous.
Dans la mesure qui nous appartient, nous vous consacrons, de toute la
force de nos désirs, notre patrie bien-nimée, avec toutes ses provinces,
avec ses œuvres de Foi et de charité. Nous vous demandons de régner
e!!e par la toute-ruissance de votre grâce et de votre
sur
saint amour. Et
nous-mêmes, adorateurs et convives de votre grand
sacrement, disciples
très-Ëdèles du siège infaillible de Pierre, don),
nous sommes heureux de
» célébrer aujourd'hui la fête,
nous nous consacrons à votre service, ô Sei-
gneur et Sauveur Jésus-Christ, vous demandant humblement la
grâce
d'être tout à vous, en ce monde et dans t'éteroite!1
3 Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi
soit-ii..»
Entendant ces paroies, et admirant la force qui conduit
vers la patrie du
Sacré-Cceur les plus nobles populations françaises,
Monseigneur de Léseleuc
laisse échapper ce mot, qui est celui de la situat~on~ C'EST
LA FOI
RESSUSCITÉE.

FIN.
TABLE DES MATIÈRES.

PRÉLIMINAIRES.

I.
CAUSES RÉELLES DE NOS REVERS.

AVANT-PROPOS
I.MëcomptesdetaRévotutioa.
1

i
H.OùsetientnotreespOtr
HL Causes morales de nos
IV. Notre horreur
revers.
del'autoritë H
4
9

V. Causes intellectuelles de notre abaissement. ~5


VLNotreaversiondeDieu 20
Révolution
VIII. Gouvernementsde la
IX. Finances de la
Révolution.
VU. Peuple et Aristocratie de

Révolution.
la 23
26
28
X. Situation providentiellede la France 32
providentieHe.
Xf.
Xtt.
XIII.
Où s'est réfugiée la vie
Sens de la Révolution
nationale.
Persistance de notre mission

française
36
40
44
XtV. égard
Voies de la Providence à notre 48
XV. Temps qui suivront la Révolution 52
VI. Urgence de nos tribulations 57

guerre.
X

XVI!. Répartition des châtiments 60


XVHt. Sens et moralité de la 60~
XIX. Sens et moralité de la victoire 67
LÉGtT. 46
II.
SIEGE DE NOS ERREURS.

1. Premierobstacleau salut de la France nos présomptions. y 74


H. Second obstacle au salut de la France son athéisme en
politique 79
III. Troisième obstacle au salut de la France ses classes
!ii)éra!es 82
V. Obstacle persistant au salut de la France son aristocratie. 86
Libéralisme
V. Nature et effets du 911
VLCatholicismelibéral 95
VII. Erreur première d'où provient le Libéralisme i 00
VHL La thèse du libéralisme s'évanouit devant le fait du mal. 104
tX. La thèse du libéralisme s'évanouit devant le fait de la
Société t06
X. Philosophes et hommes d'Etat du Libéralisme. f 08
Xf.
X!LPro8tsdu Libéralisme.
Ils ont forme lesdémagogues

Libéralisme.
)H i

~4
XIII. Coutumes du
XIV. Crime du
XV. Hacenéedu
Libéralisme.
Libéralisme.
~n
~2
125
XVI. Abtme ouvert par le Libéralisme 129
XVII. Le Libéralisme conduit à la Commune i34
sauver?
présents.
XV!!î. Les honnêtes gens peuvent-ils nous
XIX. Nullité déûnitive du Libéralisme. 137
i4ii

Société.
XX. Les temps 146
XXI. Fin de la Révolution. Nécessité de recourir à la conception
même de la ~5< f

PREMIÈRE PARTIE.

.<
LOIS D'OR DE LA SOCIËTË.

1. Source de la politique.
Il. Source des théories et valeur de l'histoire~
159
~6~
politique
111. De la
!V. La sagesse
pratique en
est la voie de la politique. 64
167
V. La politique, progressive et non immuable < 69
VI. Objet de la Société constituer la liberté et la nature
humaine
VII. Nature de l'erreur politique i 76
IX. Essence du pouvoir
X. Lois d'orde la
politique
VIII. Essence de la Société

Société.
humaine 180
83
XL Partout ces lois d'or se font
X!L Lois d'or delà politique
jour j
193
~86
89
XIII. Lois d'or dés nations }gg
XIV. Tiges fécondes et tiges mortes de la civilisation. i99
XV. Par qui nous sommes constitués
en civilisation. 203
XVI. Par qui nous sommes maintenus dans le droit
206
XVII. Lois d'or de la nature humaine
209

Société.
XVIII. La liberté est le pouvoir d'accomplir de soi-même
sa loi
XIX. Le fait de la
< 212
2~7

XX1. Société.
XX. Le fait de la Révolution

l'Autorité.
L'erreur de fait sur la
XXII. Le fait de
~~9
222
22H
XX!)LLefaitdeI'Aristocratie.
XX! V.
XXV. La liberté et le
.231
libéralisme.
Fait de la démocratie et fait do la hiérarchie
228

234
t

XXVJ. Le fait de la Chute renverse le libéralisme 236


XXVH. Libéralisme, ruine des libertés 238
XXVIII. Les droits publics abolissent le libéralisme. 24t
XXIX. Bases deslibertés réelles
XXX. Identité du despotisme et du libéralisme. 246
XXXL.
XXXII.
XXXIII.
Education publique.
Démocratie chrétienne

mœurs.
Moyen de relever les idées et les
250
~~3
257
XXXIV. Notre littérature achève d'établir le règne du médiocre. 26 t
XXXV. Les grands sentiments se placent avant les sciences 264
,XXXVI.
laSociété.
Devoirs des gouvernements pour réédider l'homme et

nouveau. ~y
XXXVII. L'ancien régime et le
270
XXX V<H. Le danger peut renaître d'une alliance

la vérité de l'erreur avec


gy§
XXX!X. L'Etat
FEgIise.
doit condamner les points condamnés par

XL. Perfidie de notre langue politique


278
28i

DEUXIÈME PARTIE.

BASES RÉELLES DES LIBERTÉS.

.297
t. Remplacer les droits faux par les droits véritables
!f. repeint confondre la, France et l'Angleterre
289

<
292-
Constitution française
IV. Rendre la France à sa nature et à ses !o!s 299
V. Rétablir nos droits pubUcs etprivés 302
VI. Le despotisme vient de l'absence d'aristocratie 306
V! notre
L'aristocratie anglaise e}t la 309
V!H. Aristocratie agricole et aristocratie industrielle 3<3
tX. Le paupérisme provient de l'industrie 3i5
X. France
Aristocratie de la 38
X!. mérite
Hérédité du 32 i
Xi! Véritable Aristocratie 326
XIII. l'excès d'industrie
De 328

s.
X!V. Classes moyennes, problème de l'avenir 333
XV. Ou l'aristocratie, ou la bureaucratie 336
XVI. Bureaucratie et gallicanisme, ou suppression de la
nation
XVtL Les droits des hommes.
XVIII. Véritables libertés des hommes
338
34~
443
XIX. Cercle vicieux de la démocratie et du despotisme.
Remède 345
XX. Pluralité d'ordres et non pluralité de Pouvoirs. 348
XX t. Centralisation et Parlementarisme 35t
XXII. Parlementarisme. Centralisation. Césarismc.. 354
XXIII. Le grand problème en politique (unité-variété). 358
XXIV. Solution du Problème 360
XXV. La Révotution détruit notre droit dans son germe 364
XXVI. entier
La Révolution abolit l'homme tout 366
t XXVII. Ou les provinces, ou ledespotisme 369
XXVIII. Enseignements que nous-donnel'histoire 373
XXIX.
XXX.
Droits publicsetdroits politiques.
aristocratie.
La décentralisation suppose une
375
379
XXXI. La centralisation tue l'aristocratie et la nation 383
XXXII. Fonctions supérieures des aristocraties 386
XXX! Cachet de la vraie noblesse, Société do Saint-Vincent-
de-Paul 389
XXXtV. Anoblissementsdé la bourgeoisie. (Premier point de
fait) 392
XXXV. Des anoblissements sortira Favenir de la France 396
XXXVI. Constitution de la propriété. (Deuxième point de fait). 399
XXXVII, De la constitution de la propriété sortira la paix de la
France. 402
XXXVIII. Pratique actuelle
représentation de la France. 405
XXXIX. Le parlementarismeest l'abolition du pays 409
XL. Récapitulation~ retour au principe générateur de la
poUtique 43

TROISIEME PARTIE.
MOYENS DE GOUVERNER.

LDroitdeJaSociëté 434
IL Elément que nous apporte la Royauté 426
!!L Hérédité des familles royales 429
IV. Dieu choisit les rois 433

rois.
V. L'amour des peuples pour leurs rois
VLLégitimitédesrois.
VIL Avantage pratique de cette Légitimité
437
44~f
448
VIII. Divine investiture des 448
IX. Opération nationale des rois 45 i
X. La Liberté, en politique, vient de la Légitimité. 455
XI. Garanties royales 459
X!L Vraie notion du gouvernement 464
XIII. Distinction et situation des deux Pouvoirs 468
XIV. Situation politique Premier moyen d'en sortir. 472

XVLLaSociétélibre.
XV. Le grand moyen de gouverner. (Premier point de fait).

Césarisme.
XVII. Libéralisme, ou retour au
475
478
48 i
XVIII. Césarisme~ ou abolition de la Société libre 484
X!X. L'Etat doit-il protection à l'Eglise? (Deuxième point de
~)
XX. L'Eglise
f. L'Eglise fonde les sociétés
XX
libres.
libre et les sociétés
libres
483
492
496
XX! Gouvernement parlementaire; l'Autorité ne se partage
pas en trois 500
XXIII. Choisir entre un orateur et un roi 504
XX!V. L'Autorité s'étend du Roi à tous les hommes 507
XXV. Insuffisance des gouvernements, nécessité des aristo-
craties. (Troisième point de fait) 5<0
XXVI. Résistance et solidité nationale des aristocraties 514
XXVIf. Retour au véritable enseignement. (Quatrième point
de fait) 52~i
XXVIII. Elément religieux et élément !aïque
au sein de l'en-
seignementt 525
XX!X. Formation du conseil royal de l'instruction publique 529
XXX. Enseignement supérieur 533
XXX). Philosophie et exercice de la raison 534
XXXII. Hautes études Entretien des principes 54i
études 545
XXXIII.
XXXIV.
XXXV.
Soutenir les hautes
Premier principe de
Pourquoi il existe deux
l'élection.
chambres. 549
552
XXXVI. Chambre des pairs (Cinquième point de fait) 556
XXXVII. Chambre élective: ses éléments 561f
XXXVIII. Chambre élective: Ses attributions (Sixième point de
fait) 563
XXXIX.
XL. Véritable élément électoral.
Tout doit être représenté par l'élection 567
57 i
XL!.
XL!
XLIII.
Suffrage rationnel
Question des classes ouvrières.
travail
~u!Hté des solutions. Légitimité du
575
580
583
XL!V. Effets de l'augmentation des salaires et de la dimi-
nution du travail 587
XLV. Solution du problème (Septième point de fait) 590
XLVL Moyen de salut Constitution de la propriété (Huitième

XLVIL
point de fait)
Cause du paupérisme
594
599
XLVIH.

XLIX.
locapital.
Remède au paupérisme. Où se construit, où détruit
se

SoIutionpoUtiqueduprob!ème(Neuviemepointdefait). 606
603

L. Liberté de la presse et des cabarets (Dixième point de


~it)- 8Hi
LI. Dernier danger; recours à la constitution de la
priété pro-
6i5
LU. Péri! que couvrait la fusion
L!!ï. Véritable fusion, obtenue par les anoblissements If~gi-
620
times 625

LV. Dernières réflexions sur la


LVf. Tenir compte de la situation
Pairie.636
LIV. Ne pas écrire de constitution (Onzième point de fait) 630

638
LVjf. Question de vie ou de mort pour l'aristocratie française.
(Douzième point de fait) 643

REVUE BAPIDE, POINTS PRINCIPAUX, nEsciKS ORGENTS 649


Structure de !a Société. Hiérarchie et égalité. Hiérarchie et dé-
mocratie. Liberté véritable. Situation des deux pouvoirs.
Royauté, son origine. Droit divin. Droit national.
Légitimité. Aristocratie. Pairie.
La France et les Bourbons, etc., etc. /scr~
Limites de l'autorité.
l'avenir.

Tournai, typ. Cnsterman,


ERRATA.

Page ligne au lieu de


H, 29, dans ïesco~u~M, LISEZ: dans les coutumes.
73, 4, La France est ~M sur un champ de bataille, USEZ est née d'un acte
de Foi sur u~ champ de bataille.
84, 3<, «' qui manque, USEZ ce qui manque.
~8), 16, et !e capital, La Rëvotution, LISEZ et le capital, la Révolution.
335, dans le nombre ~e l'organisation, nsn dans le nombre et
~organisation.
u84, tO, Reste ,pouromeHorer, LISEZ restent, pour améliorer.
603, <2, issue du capital que la chute du
crédit, us~Msùe de ee~eapitai
que la chute du crédit.
~F~ËNTE..CHEZ,LE/MÊME,EDITM 1.
t.
1~~ Q~ A~T~W~
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edittON.~
Nouvelle

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