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LA CRISE DANS L'ÉGLISE
ET Mgr LEFEBVRE
YVES CONGAR
LA CRISE
DANS L'ÉGLISE
ET
Mgr LEFEBVRE
2° édition augmentée
7
d’Ecône » répercuté et parfois orchestré par les
moyens de communication, a été comme le
révélateur d’une insatisfaction ou d’un malaise
éprouvés par de nombreux fidèles. Les son-
dages valent ce qu’ils valent. Pas plus. Que
donnerait un sondage portant sur l’installation
d’une centrale nucléaire près d’une grande ville,
fait au lendemain d’un éventuel accident ? Sur-
tout si la chose se produisait pendant les
vacances d'été, quand télévision, radios et jour-
naux ont de la place à occuper. Le sondage de
l’LF.O.P. publié, le 13 août 1976, par le Progrès
de Lyon a sans doute profité d’une conjoncture
particulière. Il n’en est pas moins significatif.
D’après lui, 28 % de catholiques approuvent
les positions de Mgr Lefebvre et 48 % de pra-
tiquants pensent que l'Eglise est allée trop loin.
Ce sont des indications imprécises. « Trop
loin » sur quel point ? « Trop loin » de quoi ?
A quel degré ? « Les positions de Mgr Lefeb-
vre »: lesquelles ? Son action de formation
«traditionnelle » de prêtres ? Son rejet du
Concile ? Ce n’est pas la même chose. Et les
chiffres demanderaient à être éprouvés. Je
préfère l'appréciation de J. Gritti, un bon
sociologue religieux, qui répond à l'excellent
journaliste qu’est Jean-Claude Petit:
Un schisme se nourrit de personnes qui s’incrustent petit
à petit dans des actes notoires d'opposition. Disons qu’il
peut y en avoir au maximum quelques dizaines de milliers.
8
Au contraire, beaucoup de chrétiens traditionnels qui ont
pu souffrir, par exemple, des réformes liturgiques et qui,
cependant, sont demeurés fidèles à leur communauté, vont
souffrir encore de ce qui se passe, mais ils accepteront la
position du Pape et des évêques. A côté des 2 % en rupture
possible, je dirais donc qu’il y a 15 % de « paumés », à des
degrés divers, sans donner à ce mot aucun sens péjoratif.
(La Vie Catholique, n° 1616, 18-23 août 1976, p. 14.)
9
signés par l’ensemble de l’épiscopat catholique,
approuvés et promulgués par le Saint-Père,
puis des réformes, en particulier liturgiques,
engagées par le Concile, élaborées à Rome ou
précisées par l’autorité pastorale de chaque
pays, approuvées par le Pape. Cette acceptation
est nécessaire pour vivre pleinement, effecti-
vement, concrètement dans la communion de
l'Eglise aujourd’hui.
Mgr Lefebvre et ceux qui le suivent — mais
certainement pas les 28 % de catholiques qui
disent approuver son action — déclarent:
10
étonner quand on sait que Mgr Lefebvre a
obstinément refusé l’acte de soumission que le
Saint-Père lui a demandé non seulement par
lintermédiaire d’évêques et de cardinaux,
mais par une première lettre personnelle du
29 juin 1975, une seconde lettre autographe du
8 septembre 1975, une troisième du 15 août
1976, enfin lors de l’audience du 11 septem-
bre 1976 et par la lettre du 11 octobre dont
on trouvera le texte en appendice ; des exhor-
tations pressantes, fraternelles, affectueuses
même. Mgr Lefebvre a eu lui-même, à l’adresse
de Paul VI, des formules comme « ma profonde
soumission au successeur de Pierre que je re-
nouvelle entre les mains de Votre Sainteté ».
On pourrait citer encore ces textes de J’accuse
le Concile ! (Ed. S. Gabriel, CH 1920, Mar-
tigny), 1976, p. 33: «Le Souverain Pontife,
Successeur de Pierre et Vicaire du Christ. Là
où est le Vicaire du Christ, là est l'Eglise
catholique. Là où est le Vicaire du Christ, là
est l'Eglise des Apôtres » ; p. 85 : « N’oublions
pas que l'Eglise romaine est notre Mère et
notre Maîtresse, suivant l’adage: “Rome a
parlé, la cause est terminée.” » C’est qu'il dis-
tingue entre ce qui exprime «la Rome éter-
nelle » ou ce qui procède de Pierre en Paul VI,
et ce qui, dans les actes de la Rome concrète
et de Paul VI, relèverait, à son jugement, du
libéralisme ou du modernisme abhorrés. À son
11
jugement : c’est lui qui discerne ce qui est
recevable et ce qui, étant hérétique ou faux,
doit être rejeté par fidélité à « l'Eglise de tou-
jours ». Il prend comme critère de discernement
ce qu’il appelle la Tradition mais qu’il ramène
aux documents qui, de Trente et surtout de
Grégoire XVI à Pie XII, se sont opposés au
mouvement du monde moderne que Mgr Le-
febvre résume dans le « libéralisme » (cf. Un
évêque parle, pp. 170, 313 et 314, 322 et 323).
Une chose est certaine: ni Pie XII, ni Pie XI,
ni Pie X, ni Pie IX, ni Pie V, les papes auxquels
Mgr Lefebvre se réfère, n’auraient admis
pareille disjonction!
A plusieurs reprises, Mgr Lefebvre a précisé
ce qu’il rejette surtout, et pourquoi. Il en a tout
particulièrement à trois thèmes du Concile,
dans lesquels il voit une application, dans
l'Eglise, des principes de la révolution de 1789 :
liberté, égalité, fraternité.
Au sujet de la Déclaration conciliaire sur la
liberté religieuse:
La liberté religieuse correspond au terme de «liberté»
dans la Révolution française ; c’est un terme analogue, dont
le démon se sert volontiers. , |
12
Au sujet du Décret sur l’œcuménisme et de
la Déclaration sur les religions non chrétiennes :
13
gardent pourtant leur vérité. Ce qu’on nous dit
de la formation de Mgr Lefebvre :, ce que nous
avons appris sur son action à Dakar”, ce que
nous avons entendu et su de lui au Concile,
ses déclarations faites depuis lors, la cohérence
de ses textes et de son action, tout dénonce en
lui un homme de droite accordé aux positions
de l’ancienne Action française. Il y a là un
ensemble d’attitudes et de procédés caractéris-
tiques: attacher, sans se corriger jamais, une
étiquette dépréciative à ses adversaires ‘ ; amal-
4. Cf. Abbé Jean ANZEVUI, Le drame d’Ecône (Historique,
analyse et documents), Sion, Valprint, 1976, pp. 135s.
5. Par exemple, il a favorisé l’implantation de La Cité catho-
lique, avec la revue Verbe, années 1957 ss; il poussait à parler
de la propriété privée, alors qu’en Afrique elle est surtout com-
munautaire. Un article paru dans La France catholique du
18-XI1-1959 sous le titre Les Etats chrétiens vont-ils livrer
l'Afrique noire à l'Etoile ?, parlait contre le mouvement d’indé-
pendance et accusait l’Islam (le Sénégal est à 80 % musulman)
d’être le fourrier du communisme. Voir J.B. Cisse, La longue
poursuite d’un mirage intégriste, in Afrique Nouvelle, n°° 1415
du 11 au 17 août, pp. 12-16, et 1416, du 18 au 24 août 1976,
pp. 18-20.
6. Mgr Lefebvre a été un des membres actifs du « Cœtus
internationalis Patrum» qui réunissait des Pères de même
tendance et préparait éventuellement des actions concertées,
par exemple lors de la déposition de modi ou lors des votes.
Il est intervenu dans le sens de ses convictions pour critiquer
la collégialité (11-X-1963, d’un point de vue plutôt pastoral;
10-X1-1963, sur le principe) ou la liberté religieuse (24-X-1964;
20-IX-1965, puis pétition pour un délai, 17-19-X1-1964). Tous
ces textes ont été publiés par Mgr Lefebvre, J'accuse le
Concile ! (H 1920, Martigny, 1976).
7. L'expression «messe protestante», « messe de Luther »,
pour le rite rénové de l’Eucharistie. Insinuation qu’il y aurait
« peut-être, dans les organismes romains les plus élevés, des
gens qui ont perdu la foi» (Un évêque parle, p. 200), que
Mgr Bugnini serait franc-maçon… L’aurait-on alors nommé
nonce ? Cette accusation lancée par l’ignoble 1! Borghese qui
14
gamer ce qu’on déteste dans la globalité d’un
terme qui fait l’objet d’une répulsion affective
sans nuance; maintenir qu’on a raison, au
prix parfois d’un esprit procédurier; être
convaincu qu’il existe un complot des méchants,
qu’une conspiration « judéo-maçonnique » ou
communiste s’est ouvert des accès dans l'Eglise,
y est active, y fomente une subversion interne *.
Tous les sympathisants de Mgr Lefebvre ne
vérifient pas tous ces traits, et pas au même
degré. Lui-même est trop homme d’Eglise, mat-
tre de soi et, au surplus, aimable, pour être à ce
15
point politique et sectaire, encore que son dis-
cours du 29 août 1976 à Lille, dont nous citons
plus loin un passage, ne laisse pas d’inquiéter.
D’autres opposants aux réformes conciliaires
ou à Paul VI sont formellement maurrassiens :
Jean Madiran, Georges de Nantes qui, du reste,
n’est pas d’accord avec Msr Lefebvre. En deçà
d’une position expressément politique antidé-
mocratique, une opposition plus ou moins
formelle aux réformes issues du Concile, une
réticence critique envers le mouvement présent
de l'Eglise procèdent communément d’un esprit
conservateur et d’un réflexe de défense contre
le changement en général : qu’au milieu de tant
de bouleversements ou d’innovations dérou-
tantes, l'Eglise au moins reste fixe, stable,
assurée. À Mgr Weber, évêque de Strasbourg,
partant pour le Concile, un officier général
disait : « Surtout qu’on ne change rien ! » Mais
c’est là un problème énorme, c’est le problème
actuel : nous le retrouverons plus loin.
Un catholique peut certainement être contre
16
la démocratie comme régime politique, à condi-
tion de l’être intelligemment. Il peut être « de
droite» (ou «de gauche»), sous la même
réserve et aussi à condition de faire dominer
sur les réflexes du groupe un sens de l'Eglise
et un esprit évangélique vivants. Je vois au
moins trois de mes amis qui répondent remar-
quablement à ces exigences. Notre débat n’est
donc pas politique. Je demande seulement
qu’on soit lucide sur soi-même, intelligemment
critique à l’égard de ses conditionnements, de
la part d’idéologie qui se mêle à nos plus
sincères convictions, qu’on garde enfin à
l'Evangile une transcendance, une liberté dont
le Seigneur Jésus est à jamais l’exemple et la
source.
Les témoins qui ont assisté à la messe du
29 août, au Palais des sports de Lille, les six
journaux et deux hebdomadaires que j'ai lus,
sont unanimes à dire que cette manifestation
a eu un caractère politique appuyé : journaux
vendus à l’entrée, service d’ordre, discours de
Mgr Lefebvre, applaudissements étaient signi-
ficatifs. A. Woodrow, dans Le Monde, titre
«Le masque est jeté». Cela nous était de
longue date assez clair. Cependant nous ne
voudrions pas que cela fasse manquer de recon-
naître les graves questions d’Eglise qui sont
posées, ni celles qui sont posées à l'Eglise.
17
REFUSER LE ÆCONCILE, C’EST SE METTRE EN
MARGE DE L'EGLISE CATHOLIQUE ET REFUSER
L’AUTORITÉ DU PAPE
18
sauf la Déclaration sur la liberté religieuse et
la Constitution pastorale Gaudium et spes
(cf. conférence de presse du 15 septembre 1976,
dans J.-A. Chalet, Monseigneur Lefebvre, Paris,
Ed. Pygmalion, 1976, p. 241). Que Mgr Lefeb-
vre ait refusé précisément ces deux documents
signifie quelque chose : le refus de s’ouvrir au
monde tel qu'il est. Voici les chiffres pour les
documents dont certaines conclusions sont
contestées par quelques intégristes:
20
linger, répliqua sèchement : « Oui, pour l’an-
cienne Eglise. » Il n’y a qu’une Eglise, reprit
l’archevêque, il n’y en a pas de nouvelle ou
d’ancienne. «On en a fait une nouvelle »,
riposta Doellinger. Ce savant historien eut beau,
ensuite, refuser de se dire « vieux-catholique »,
voulant seulement se qualifier de catholique
excommunié, 1l compte parmi les initiateurs de
ce schisme du Vieux-catholicisme qui dure
encore.
Il vaut la peine de s’arrêter un instant sur le
cas de cet homme. Prêtre, il cessa dès lors de
célébrer et de pratiquer les sacrements ; il aimait
pourtant prier dans les églises. Il refusa de se
mettre sous la juridiction de l’évêque vieux-
catholique et déconseilla au ministre des cultes
de le reconnaître. Il ne voulait pas une Eglise
schismatique et, lors de la première réunion des
vieux-catholiques à Munich, 22/24-IX-1871, il
déclara : « J’ai passé ma vie à étudier l’histoire
des sectes et des séparations dans l'Eglise, et j'ai
toujours vu qu’elles finissaient mal. En accep-
tant cette proposition (fonder des paroisses),
nous renonçons à l’idée de la réforme dans
l'Eglise ;permettez, Messieurs, que j'élève ma
voix pour vous montrer le danger. »
Doellinger est demeuré au plan des idées. Il
a refusé une définition conciliaire, ce qui le
charge objectivement d’une faute personnelle
21
de schisme et d’hérésie. À quel moment, par
quel acte aurait-il fait une autre Eglise ?
Un autre cas historique est ici très instructif.
John Wesley (1703-1791) ne voulait pas se sépa-
rer de l'Eglise anglicane et il protestera encore,
l’année d’avant sa mort, en être un membre. Il
s’en est pourtant séparé et a créé une nouvelle
communauté quand, en 1784, il a ordonné
Thomas Coke comme surintendant pour l’Amé-
rique du Nord. Ce n’est pas pour rien que les
questions touchant les ministères constituent
les points de rupture les plus tenaces entre les
Eglises désunies. Nous disons cela pour expli-
quer l'importance qu’a prise, dans le drame
entre Ecône et Rome, l’ordination de 13 (14 ?)
prêtres et 13 diacres (sous - diacres ?) par
Mgr Lefebvre, le 29 juin 1976, malgré les aver-
tissements, démarches pressantes et interdic-
tion venus du Pape (il y avait eu ordination de
3 prêtres l’année précédente, mais non dans de
telles conjonctures). Un paroxysme de cassure
serait atteint si Mgr Lefebvre consacrait un .
évêque. Cela poserait même, à nos yeux, des
questions de validité.
Schisme ? C’est un mot bien redoutable et
lourd ! Nous devrons poser la question. Avant
cela, il nous faut toucher deux autres points
concernant respectivement le statut de cet
évêque et des clercs qu’il ordonne, et le rite
de célébration eucharistique.
22
EVÊQUE D'où ? CLERCS DE QUELLE EGLISE ?
24
Au point de vue religieux, les catholiques doivent suivre
l’évêque du diocèse aussi longtemps que ce dernier est uni
au souverain pontife. Depuis bientôt vingt-cinq ans je suis
votre pasteur et votre chef. Personne d’autre ne peut
s’immiscer dans le gouvernement spirituel du diocèse de
Sion (.…) Pour demeurer catholique, il faut de toute néces-
sité reconnaître l'autorité du pape actuel, Paul VI, et du
Concile Vatican II.
26
à fait singulier, ses convictions et ses intentions
personnelles sont d’une qualité morale incon-
testée. Il sait l’irrégularité canonique de ses
actes. Il se justifie par le sentiment d’un devoir
qui lui impose cette espèce de nécessité qui ne
connaît pas de loi. Fausse nécessité, née d’un
devoir mal entendu, car il se trompe sur le
Concile et l'Eglise d’après 1962-65. Nous
n'avons évoqué les .« episcopi vagantes » que
pour illustrer, par leur contraire, la théologie
de l'Eglise locale et ses règles concrètes.
SUR « LA MESSE DE SAINT PIE V »
Mgr Lefebvre et ceux qui le suivent ne sont
pas seuls en cause. Les abbés Coache et Bar-
bara, Mgr Ducaud-Bourget, le Courrier de
Rome qui multiplie à ce sujet les arguties juri-
diques, d’autres encore, ont fait leur cheval de
bataille de la célébration de « la messe de saint
Pie V » et du rejet, comme hérétiques, voire
invalides, des rites eucharistiques rénovés du
Missel publié sur l’ordre de Paul VI, en 1969.
Pour Mgr Lefebvre le nouvel ordo Missae peut
ne pas être hérétique, à savoir pour les prêtres
qui célèbrent avec la doctrine et l’intention du
concile de Trente. Mais il prête par lui-même
à une croyance et une intention de ligne protes-
tante et démocratique et, alors, il est hérétique
(Un évêque parle, pp. 228-229), car il va dans
le sens de Luther (pp. 275 s.)! Les journaux
27
du 22 juillet 1976 annonçaient que 23 associa-
tions locales juraient de « défendre et de main-
tenir envers et contre tout. le saint Sacrifice
de la messe selon le rite de toujours, dit de
saint Pie V ».
Envers et contre les 2.550 évêques et les
400.000 prêtres qui, chaque jour, célèbrent l’Eu-
charistie par le monde, en communion avec
«notre pape Paul » qu’ils nomment dans cette
célébration ? Cela ne tient pas.
Cela ne tient pas davantage au regard de la
vérité historique, théologique, liturgique, cano-
nique, comme l’ont montré avec toute la préci-
sion souhaitable deux moines de Solesmes et
l'abbé André Richard *.
Redisons-le d’abord : il ne s’agit ni du latin
ni d’une exclusion du canon romain qui, tel
qu’il est, date de la fin du vi siècle (saint Gré-
goire le Grand). Pour ma part, je célèbre tous
les jours et, quand vient son tour, avec le canon
romain qui figure dans le missel de Pie V ; par-
fois en latin (ainsi quand je participe, à Rome,
à la session de la Commission internationale de
théologie). On célèbre une messe en latin cha-
10. D. Guy Oury, La Messe de saint Pie V à Paul VI,
Solesmes, 1975; D. Paul Nau, Le mystère du Corps et du
Sang du Seigneur. La messe d'après saint Thomas d'Aquin, son
rite d'après l'histoire, Solesmes, 1976 ; A. RICHARD, Le mystère
de la Messe dans le nouvel Ordo, Paris, Ed. de L'Homme
nouveau, 1970,
Depuis la rédaction de notre propre texte, excellent article
de Mgr G. MARTIMORT, dans La Croix du 26 août 1976.
28
que dimanche dans vingt paroisses de Paris. Là
n'est pas la question, pas plus qu’elle n’est dans
le chant grégorien, dont le Saint-Père a demandé
le maintien au moins dans les monastères : ce
qui se fait pour notre joie spirituelle. La ques-
tion soulevée est historique, théologique, cano-
nique, enfin pastorale.
29
la Vulgate de Sixte V), 1590. De la même fa-
çon, le Concile Vatican II a chargé le pape
d'appliquer la réforme liturgique dont il avait
tracé les grandes lignes dans sa Constitution
Sacrosanctum Concilium, le seul document du
Concile, pour le dire en passant, qui vient
d’une commission préconciliaire.
Si ce texte a tenu et tient encore, c’est parce
qu’il était le fruit, tout comme les réformes
liturgiques intervenues depuis, d’une science et
d’un mouvement liturgique d’une grande qua-
lité et d’une grande vitalité, science et mouve-
ment dont les origines remontent à plus d’un
siècle, et le développement à une soixantaine
d’années.
Faire du missel de saint Pie V une espèce
d’absolu comme s’il était, sans modification
possible, purement et simplement identique à
l’Eucharistie du Seigneur, est une position inte-
nable. Cela dit sans retirer rien à la sainteté de
ce texte. Je ne l’ai cependant jamais suivi
entièrement puisque Pie V, qui était domini-
cain, avait permis de garder les liturgies parti-
culières justifiant de plus de deux cents ans
d’existence, et donc celle des frères-prêcheurs...
30
sion, d’entêtement — par les arguments
suivants:
La messe de Paul VI n’exprimerait pas l’as-
pect de sacrifice. « Comment peut-on hésiter
entre une messe qui est un véritable Sacrifice,
et une messe qui est en définitive un culte pro-
testant, un repas, une communion, une eucha-
ristie, une cène, comme le disait déjà Lu-
ther ?» Qu'il existe présentement, dans la
conscience de nombreux catholiques, des pré-
tres même, un affaiblissement de l’idée de sacri-
fice eucharistique, c’est, je le pense, exact. A
condition de préciser que cela ne porte pas sur
l'idée d’une actualisation par l’Eglise, dans sa
célébration sacramentelle, de l’unique sacrifice
offert par Jésus sur la croix : notion biblique
(« Mémorial »), traditionnelle, thomiste *. Il est
31
donc bon que la foi de l'Eglise soit rappelée sur
ce point, qu’il n’est du reste pas si facile d’ex-
pliquer en plus grand détail. Mais il est tout à
fait inexact de dire que les nouvelles prières
eucharistiques écartent ou même taisent l’idée
de sacrifice. Le mot même figure deux fois dans
POffertoire ; la mention est la plus formelle
dans les Prières eucharistiques IIT et même IV.
Quant à la IL elle est prise presque à la lettre
du plus ancien texte liturgique connu, celui de
la Tradition apostolique de saint Hippolyte qui,
après s'être opposé au pape Callixte, qu'il
accusait d’être trop libéral pour les pécheurs,
s’est retrouvé avec le successeur de ce pontife,
saint Pontien, condamné comme lui, pour la
foi, à être déporté en Sardaigne !
La messe de Paul VI serait protestante.
Mgr Lefebvre a intitulé une de ses publications
La messe de Luther (cf. Un évêque parle,
p. 275 s.). Les opposants n’ont cessé de citer un
(1960), pp. 227-237; B.S. CHizps, Memory and Tradition in
Israël. Londres, 1962; W. SCHOTTROF, « Gedenken » im Alten
Orient und im Alten Testament. Die Wurzel Zakar im semi-
tischen Sprachkreis, Neukirchen, 1964.
Les opposants à la messe de Paul VI arguent avec entête-
ment du n° 7 de l’Institutio generalis placée en tête du missel
de 1969. Il a été reconnu que ce texte, tout en n'étant absolu-
ment pas faux, n’exprimait pas assez nettement ni assez com-
plètement ce que l'Eglise a conscience de faire en célébrant
l’Eucharistie. Le texte a été amélioré dans l'édition promulguée
le 26 mars 1970. C'est celui-là qui est valable. On ne peut
rien lui reprocher. Mgr Lefebvre (Un évêque parle, pp. 201,
281) dit sommairement et sans examen que «la correction
intervenue ensuite n’est nullement satisfaisante», ce qui est
faux.
32
propos du fr. Max Thurian, de Taizé, disant
que des protestants pourraient célébrer selon
le nouveau rite catholique. Ils interprètent
spontanément en ce sens qu’on aurait protes-
tantisé la croyance de l’Eglise, sans se deman-
der si certains protestants au moins n’auraient
pas ressourcé la leur au-delà du xvr° siècle et
ne l’auraient pas, pour autant et en ce sens,
catholicisée. C’est pourtant la meilleure hypo-
thèse: elle devient même certitude pour qui a
lu le livre publié par le même fr. Max Thurian
avant le Concile, L'Eucharistie, mémorial du
Seigneur, sacrifice d'action de grâce et d'’inter-
cession (Delachaux et Niestlé, 1959). Quant à
insinuer que des observateurs non catholiques
auraient eu une influence également non ca-
tholique dans le Consilium romain où s’éla-
borent les réformes liturgiques, cela rencontra
la négation la plus formelle de la part de tous
les membres dudit Consilium auxquels j'ai posé
la question. Et semblablement du Bureau de
Presse du Vatican, le 25 février 1976 (Doc.
cath., n° 1701, 1” juillet 1976, p. 649).
Que l'Eglise ait réjoui des protestants en don-
nant plus de place à la Parole de Dieu dans ses
célébrations, cela ne peut scandaliser que ceux
qui identifieraient catholicisme et antiprotes-
tantisme, comme il a existé des protestants,
dont la race heureusement s'éteint, pour iden-
tifier anticatholicisme et vrai christianisme.
33
La messe de Paul VI serait démocratique et,
comme telle, l'expression d’une nouvelle reli-
gion. L’accusation est tellement énorme que
nous devons transcrire l’expression qu’en a
donnée Mgr Lefebvre dans le discours de la
cérémonie d’ordination du 29 juin 1976:
34
limite et la généralisation abusive, comme si le
fait que l’assemblée, l’ecclesia, constitue à son
plan et à sa façon le sujet porteur de la célé-
bration, équivalait à nier que le pouvoir vient
de Dieu. Il ne s’agit pas ici de « pouvoir », mais
de communion et de l’exercice par les fidèles
de leur existence chrétienne, de leur sacerdoce
de baptisés *. La tradition, celle du moins qui
n’était pas inspirée par un antiprotestantisme,
est ici très solide *. Bien des textes l’expriment,
mais d’abord ceux de la liturgie elle-même:
« Orate fratres ut meum ac vestrum sacrifi-
cium » ; « Nos et plebs tua sancta ». Elle tient
que le sujet porteur de la célébration est
lecclesia, la communauté chrétienne structu-
rée, présidée par un de ses membres ordonné.
Il a reçu pour cela, dans son ordination, une
participation nouvelle au Sacerdoce de Jésus-
Christ : dans la ligne du ministère et pour le
ministère, et non plus seulement dans la ligne
de l’existence chrétienne personnelle (baptême).
Si bien que le prêtre est à voir non seulement
en référence au Christ qu’il représente et dont
13. Dans mon gros livre de 1953, Jalons pour une théologie
du laïcat, j'avais basé mon traitement de l’exercice par les
laïcs des fonctions classiques de prêtre, roi et prophète, sur la
distinction entre ces fonctions comme exercice de la dignité
baptismale, et ces fonctions comme office « hiérarchique» et
« pouvoir ».
14. J'en ai réuni nombre de témoignages dans une de mes
deux contributions au volume La liturgie après Vatican II
(Unam Sanctam 66), Paris, 1967 ; pp. 241-282.
35
il joue à quelque degré le rôle au plan visible,
sacramentel (« agit in persona Christi »), mais
en référence à la communauté qu’il assemble et
préside. Mgr Lefebvre ne voit que la première
référence. Il l’a même, dans le discours en
question, exprimée dans des termes bien criti-
quables mais sur lesquels nous ne reviendrons
pas, convaincu qu’ils dépassent sa pensée réelle.
Les études actuelles, très nourries de Nouveau
Testament et de tradition ancienne, mettent en
valeur la communauté chrétienne assemblée et
le rapport qu’a le prêtre avec elle comme son
« président », ce dernier terme signifiant beau-
coup plus que l’homme assis sur un fauteuil.
C’est le rassembleur, le guide, l'animateur, qua-
lifié par un acte sacramentel pour absoudre et
pour consacrer.
N'est-ce pas la doctrine du Concile de
Trente : « Après avoir célébré l’ancienne Pâque,
le Christ a institué une nouvelle Pâque, celle
de sa propre immolation à célébrer par l’eccle-
sia sous des signes visibles par le ministère des
prêtres » (session XXII ; DSch 1741) ?
36
à partir du premier dimanche de l’Avent 1974.
Renvoyons pour cela au livre de dom Guy
Oury, déjà cité. Saint Pie V, c’est vrai, par la
bulle Quo primum tempore du 14 juillet 1570,
défendait pour l’avenir et à perpétuité qu’on
se serve d’autres formules que celles conformes
au Missel qu’il éditait; il déclarait de plus
qu’on pourrait célébrer selon ce Missel sans
encourir aucune peine, sentence ou censure, et
cela à perpétuité. Mais cette clause visait les
autorités locales qui voudraient imposer, même
par des censures, l’usage de rites particuliers de
la Messe, fussent-ils traditionnels en ce lieu.
Le Pape ne voulait certainement pas lier ainsi
ses successeurs. De fait, trente-quatre ans
après, par la bulle Cum sanctissimum du 16 juil-
let 1604, Clément VII publiait un nouveau
Missel en changeant des rubriques de celui de
Pie V et en en corrigeant les textes bibliques
selon la Vulgate; il interdisait de réimprimer
le Missel de 1570, concédant seulement aux
églises ou aux clercs pauvres de continuer à
lemployer. D’autres papes ont encore modifié,
non certes la substance de la Messe, mais cer-
taines parties du Missel, Pie XII par exemple,
pour la célébration de la vigile pascale. C’est
que les conciles et les papes ont le pouvoir de
changer des mesures prises par leurs prédéces-
seurs, pour répondre aux requêtes du temps.
Les formules de chancellerie du type « pour
37
mémoire perpétuelle» ne doivent pas être
pressées contre les faits. J’en ai sous les yeux,
de Boniface VIII, par exemple, qui sont encore
plus corsées. Et le bref de Clément XIV,
Dominus ac Redemptor, du 21 juillet 1773, sup-
primant la Compagnie de Jésus, voulait que
cette mesure demeure «perpetuo» ($ 26).
Pie VII a rétabli la Compagnie par la bulle
Sollicitudo omnium, du 7 août 1814, « nonobs-
tant le bref de Clément XIV, d’heureuse mé-
moire » ($ 12). Le pouvoir papal est égal dans
tous les pontifes qui se succèdent à la tête de
l'Eglise militante.
38
tions difficiles. Mais la liturgie rénovée de la
messe et des sacrements a permis une « parti-
cipation active» des fidèles (l'expression est
de saint Pie X), incomparablement meilleure
que celle des anciens rites latins. Les messes
télévisées du dimanche révèlent des commu-
nautés vivantes. Je pense que.mon cas n’est pas
isolé. Ce dimanche 29 août, au moment où
Mgr Lefebvre célébrait à Lille selon la forme
de saint Pie V, la T.V. diffusait ainsi une messe
toute simple depuis une chapelle de Lantic
(Côtes-du-Nord). J’ai aimé la messe latine que
j'ai célébrée pendant près de quarante ans. Mais
je ne voudrais pas y revenir. J’ai récemment
assisté (et, comme prêtre, concélébré) à une
messe dite de saint Pie V, célébrée pour l’enter-
rement d’un ami. Franchement, c'était pénible.
L’assistance n’a pas dit un mot; elle ne voyait
rien et n’entendait presque rien de ce que le
prêtre, dos au peuple, faisait à l’autel.
Mais il est clair que la messe selon le missel
de Pie V est chose très sainte. Elle n’est, du
reste, pas abolie ; elle est autorisée toujours
pour les prêtres âgés et dans la célébration dite
privée. Et quand je célèbre en usant du canon
romain, éventuellement en latin, qu'est-ce qui
différencie ma messe de celle des prêtres.
d’Ecône, de la Salle Wagram ou de Flavigny,
prêtres de la même prêtrise ? Un seul trait, mais
il est lourd de sens: ils opposent la messe dite
39
de saint Pie V à celle de Paul VI, qu’ils refusent
de célébrer; ils font de leur célébration un
moyen de manifeste et de protestation, un geste
de désobéissance et même de défi. Mon Dieu !
est-ce possible ? Est-ce une façon de « prendre
le repas du Seigneur » (cf. 1 Co 11, 16) ?
40
schisme : « dresser autel contre autel », « refuser
d’agir comme partie d’un tout ».
Dans nos célébrations eucharistiques, nous
professons être en communion «avec notre
Pape Paul » et avec l’évêque du lieu. L’Eucha-
ristie est le sacrement de l’unité, qu’elle signifie
et alimente. Sacrement du corps du Christ, elle
nous accomplit comme Corps mystique (= mys-
térieux, spirituel, ecclésial), en nous faisant
participer au corps du Christ rendu sacramen-
tellement présent. Aussi l’union fraternelle
est-elle inséparable de l’union au Christ par le
sacrement. Le critère concret de l’union frater-
nelle, de la communion en Eglise, c’est l’union
à l’évêque local, lui-même uni aux autres évé-
ques et à l’évêque de Rome, centre de l’unité
catholique. Célébrer l’Eucharistie hors de ces
règles de communion, c’est dresser autel contre
autel, selon l’expression classique chez les Pères
qui avaient un sentiment si fort du lien entre
Eglise et Eucharistie. Voici, par exemple, ce que
l’évêque-martyr, saint Cyprien, écrivait en 251,
pour prévenir une menace de schisme:
41
rester fidèle..., il ose, au mépris des évêques et des prêtres
de Dieu, dresser un autre autel, articuler en termes illicites
une autre prière... 16,
42
de Paul VI. Mais comment prétendre avoir
raison et se comporter comme partie d’un tout
quand on récuse l’Eucharistie que célèbrent
700 millions de catholiques, 400.000 prêtres,
° 2.550 évêques en union avec le successeur de
Pierre ? Mgr Lefebvre a dit, au micro de R.T.L.,
que la vraie Eglise catholique se trouve à
Ecône *. Ce seraient les autres, le Pape, nous
tous, qui serions schismatiques ? C’est ce que
Mgr Lefebvre affirme, par exemple, à longueur
de paragraphes, dans un texte daté d’Ecône,
2 août 1976, et publié dans le Figaro du 4 août.
Ou encore il dit, dans une interview donnée à
hebdomadaire italien Europeo : « Ce n’est pas
moi qui ai fait le schisme. C’est l'Eglise de
Rome, l'Eglise du Concile qui s’est détachée
du Christ. » Et, à Lille, le 29 août 1976 : « Nous
ne sommes pas dans le schisme, nous sommes
les continuateurs de l'Eglise catholique. Ce sont
ceux qui font les réformes qui sont dans le
schisme. »
Est-ce pensable ? Cela ne demande-t-il pas
reconsidération ?
43
Pour aller plus au fond de ce qui est en jeu,
nous nous proposons de revenir sur la critique
et le refus du Concile, puis de parler de la crise
présente, enfin de dire quelle issue nous souhai-
tons au drame actuel.
APPRÉCIATION
DU CONCILE
45
l’évêque. Mais il est permis de se demander si
une désobéissance publique et opiniâtre aux
évêques locaux et au Pape ne porte aucune
atteinte à leur autorité ?
Ce qu’on met sous « collégialité » comporte
deux choses distinctes, unies seulement par la
racine profonde de la communion. Le terme
« collégial » a fait florès ; on l’emploie en un
sens large et plutôt pragmatique : telle entre-
prise a, dit-on, une direction collégiale. En
matière d’Eglise, on dit parfois qu’on a manqué
à la collégialité quand une décision a été prise
d'autorité, sans intervention de la base. C’est
un abus du mot, mais pour parler d’une réalité
authentique et traditionnelle. La tradition pro-
fonde est, en effet, que la communauté coopère
à la régulation de sa propre vie, non en usur-
pant l’autorité, car elle est structurée, différen-
ciée, mais par toute une activité de conseils,
informations, par une communication confiante
de bas en haut, de haut en bas, entre les par-
ties *. L'Eglise est un corps: il y a une tête,
mais tout le corps est vivant.
Un large système de conseils, de mise en
commun, de concertation est d’autant plus
46
souhaitable aujourd’hui que, d’une part, la
culture et l'information sont largement répan-
dues, ainsi que l’habitude d’avoir part aux
décisions ; d’autre part, que les problèmes sont
beaucoup plus complexes, qu’ils mettent en
cause des éléments plus étendus ; enfin que,
pour bien des problèmes nouveaux, on n’a ni
modèle ni antécédents. Or les communications
sont aujourd’hui plus faciles L'Eglise a tout
à gagner à développer sa vie conciliaire ou
collégiale en ce sens large du mot.
Le sens où le Concile a parlé du collège des
évêques — il n'emploie jamais « collégialité » —
est beaucoup plus restreint ”. Il est que les
évêques forment un corps, lui aussi structuré,
avec le successeur de Pierre à sa tête, qui a
solidairement la charge, et donc le pouvoir de
gouverner l'Eglise. Ce pouvoir s'exerce plei-
nement quand le collège pose un acte collégial,
c’est-à-dire un acte unique posé ensemble par
les membres du collège. C’est ce qui arrive au
Concile, où l’évêque de Dakar, celui de Chicago,
décide, en commun avec les autres, pour toute
47
PEglise, y compris celle de Paris ou de Saïgon.
C’est une réalité profondément traditionnelle
dont saint Cyprien a donné, en 251, cette for-
mule inoubliable : « La dignité épiscopale est
une, et chaque évêque la possède pour sa part
sans division du tout (n solidum) » *.
Des actes collégiaux, au sens strict, sont rares.
Les conciles sont des événements dans la vie de
PEglise ; ils ne sont pas son ordinaire. Mais,
comme le dit Mgr G. Philips, si le collège n’est
pas toujours en acte collégial, il n’est jamais en
chômage. C’est ici qu’entre en jeu la notion plus
large de « collégialité ». Comme Paul VI la dit
au synode de 19,69, la collégialité est commu-
nion, solidarité, coresponsabilité. Elle est la
traduction, au plan des pasteurs responsables,
de la communion et de la solidarité des Eglises.
Ce n’est plus une question de « pouvoir », mais
c’est encore et toujours une question de respon-
sabilité. Nul chrétien ne peut dire : « Ai-je donc
la charge de mon frère ? » (cf. Gn 4, 9, Caïn) ;
nulle Eglise ne peut dire : « Je suis riche, je ne
manque de rien, je n’ai pas besoin des autres »
(cf. Ap 3,17). Oh! grande, sainte, admirable
communion de l'Eglise!
Les hommes imbus d’esprit conservateur et
paternaliste (« Tout pour le peuple, rien par le
peuple », disait Donoso Cortès) ont une répul-
48
sion viscérale pour les mots mêmes de « base »,
« peuple », « démocratie » — nous n’avons pas
prononcé le dernier : il s’applique trop mal à
l'Eglise et dans l'Eglise. C’est une réaction de
tempérament et d’option politiques. Mais
l'Eglise a son ordre propre, et sa nature essen-
tiellement communionelle est antérieure de plus
de dix-sept siècles à la Révolution de 89, de dix-
neuf siècles à celle de 1917 *. Il ne s’agit abso-
Jlument pas de politique, mais d’existence
chrétienne en Eglise.
49
fait. Or nous ne nions pas qu’il existe des excès,
nous en avons nous-même critiqué, mais ce n’est
pas l’œcuménisme du Concile. Des excès sont
fatals puisque l’œcuménisme est une ouverture,
un mouvement, choses qui, par nature, invitent
au dépassement. Il faut donc être vigilant, mais
il ne faüt pas être fermé. « Fidélité et ouver-
ture », cette devise d’un mouvement animé en
particulier par notre ami Gérard Soulages,
serait une assez bonne devise pour un sain
œcuménisme.
Si l’œcuménisme était libéralisme, confusio-
nisme, entente à bon compte et syncrétisme,
comment expliquer qu’il aboutisse, au moins en
un premier temps, à raviver plutôt la conscience
confessionnelle ? On dira que c’est vrai pour
les autres, pas pour les catholiques. Le Père
Bruckberger croit pouvoir appliquer aux pro-
testants français le résumé que le Président
Kennedy faisait de la position soviétique après
sa rencontre avec Krouchtchev : « Tout ce qui
est à nous est définitivement acquis, on n’y
touche pas. Tout ce qui est à vous est négo-
ciable *.» C’est connaître bien mal la réalité
de nos rapports et du. mouvement des idées
qui est, sur la base d’un examen nouveau du
contentieux, une lente mais effective progres-
sion vers un accord. Il est possible qu'ayant
50
une histoire plus chargée de dogmatisme, les
catholiques révisent davantage. Mais, Père
Bruckberger, qu'ont trahi le Concile et le
Secrétariat pour l’Unité ? Je vous abandonne
telle démarche risquée ou même répréhensible.
Il s’agit de l’œcuménisme sérieux et respon-
sable, de celui du Concile. Il repose, à mon
avis, sur ces bases : la docilité à l’Esprit de
Dieu, l’amour de la vérité.
Qui s’est trouvé mêlé au mouvement œcumé-
nique, y a rencontré des chrétiens engagés,
donnés, ne peut douter qu’en notre siècle si
difficile à la Foi, Dieu a suscité ce mouvement
comme une immense marée qui dénonce l’at-
traction d’un astre souverain, le Saint-Esprit,
cet « Inconnu au-delà du Verbe » (H.U. von
Balthasar), dont le propre est de faire converger
des personnes, des énergies, des initiatives qui
s’ignoraient. Bien sûr, cela passe par les hom-
mes, c’est donc mêlé de scories et d’ambiguité.
Mais quelque chose vient de Dieu. C’est ce fait
du Saint-Esprit qui, en mobilisant ma docilité,
m'autorise à avoir, envers les non-catholiques
(le cardinal Journet disait «les dissidents »),
une autre attitude que celle préconisée et prati-
quée dans le passé, même par des autorités
que je révère.
Dans une conversation assez tendue que j’eus,
en février 1939, avec le cardinal Baudrillart —
les positions qu’il a prises par la suite s’y annon-
51
çaient en pointillé — il m’attaqua vivement:
« Comment vous, dominicains, qui avez été
l'Ordre de l'Inquisition, êtes-vous devenus
aujourd’hui amis des protestants et d’autres ? »
Je répondis, du fond d’une conviction qui est
toujours la mienne : C’est au nom du même
amour de la vérité mais appliqué différemment.
Ils croyaient alors la tenir toute, et ce qui ne
concordait pas avec leur orthodoxie fixée, défi-
nie, devait être éliminé (« ex-terminé », disait-on
en ce sens: banni). Je veux recueillir toute
parcelle de vérité, où qu’elle se trouve, avec un
soin analogue à celui que je mettrais à recueillir
une parcelle d’hostie consacrée. C’est l’aspect
théologique ou doctrinal de l’œcuménisme. Il y
en a d’autres, mais celui-là commande tout et
c’est à lui surtout que je suis personnellement
attaché. Il vise à gagner à la fois la pureté et
la plénitude de la vérité. Or qui pourrait nier
qu’il y ait au moins des parcelles ou des élé-
ments de vérité chez les protestants ? Qui pré-
tendrait que nous n’ayons rien à gagner ou à
récupérer ? Aïnsi, en en faisant sans cesse notre
prière — car l’œcuménisme est porté par beau-
coup de prière — nous tendons à réaliser la
prière de Jésus entre la Cène-:et la croix : « Qu'ils
soient un comme nous sommes un. »
Toutes proportions gardées et, comme on dit
en latin, positis ponendis, on peut dire quelque
chose d’analogue des religions non chrétiennes.
72
Leur cas, bien sûr, est différent, et le Concile a
été très discret dans sa déclaration Nostra
aetate, du 28 octobre 1965. Au surplus y est-il
dit — c’est un point sur lequel le Père J. Danié-
lou insistait avec raison : « L'Eglise catholique...
annonce, et elle est tenue d’annoncer sans cesse
le Christ qui est “la voie, la vérité et la vie”
(Jn 14,6), dans lequel les hommes doivent
trouver la plénitude de la vie religieuse et dans
lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses »
Là VE: D ÀÀ
LA DÉCLARATION CONCILIAIRE
SUR LA LIBERTÉ RELIGIEUSE
EST-ELLE UNE CHARTE D’INDIFFÉRENTISME ?
53
moins le dernier proposé — ait soulevé tant de
passions. Que dit-il, en effet ? Il est faux de
prétendre qu’il tait le droit de Dieu à être
écouté, obéi, et le devoir correspondant des
hommes « de chercher la vérité, surtout en ce
qui concerne Dieu et son Eglise, et, quand ils
l'ont connu, de l’embrasser et de lui être fidè-
les » (n° 1 et cf. n° 3, $ 1; n° 14). Il est faux de
prétendre que la déclaration ne parle pas de la
libertas Ecclesiae, cette liberté que l'Eglise tient
de Dieu, d’annoncer l'Evangile et de vivre sa vie
d’Eglise : cf. n°° 10, 13 et 15, $ 2. L’affirmation
de liberté religieuse est exactement celle-ci:
« que tous les hommes doivent être soustraits à
toute contrainte de la part tant des individus
que des groupes sociaux et de quelque pouvoir
humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière
religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa
conscience ni empêché d’agir, dans de justes
limites, selon sa conscience, en privé comme en
public, seul ou associé à d’autres. Le droit à la
liberté religieuse a son fondement dans la
dignité même de la personne humaine, telle
que l’ont fait connaître la parole de Dieu et la
raison elle-même » (n° 2).
On ne peut nier qu’un tel texte ne dise maté-
riellement autre chose que le Syllabus de 1864,
et même à peu près le contraire des proposi-
tions 15, 77 à 79 de ce document. Mais le
Syllabus défendait aussi un pouvoir temporel
54
auquel, prenant acte d’une situation nouvelle, la
papauté a renoncé, en 1929. Le contexte histo-
rico-social dans lequel l'Eglise est appelée à
vivre et à parler n’était plus le même, et l’on
avait appris des événements. Déjà au xrx° siècle,
des catholiques avaient compris que l'Eglise
trouverait un meilleur appui pour sa liberté
dans la conviction affirmée des fidèles que dans
la faveur des princes. Le Père John Courtney
Murray, dont j'évoque avec émotion la distinc-
tion intellectuelle et la qualité religieuse, a mon-
tré que, de Léon XIII à Pie XI, à Pie XII sur-
tout et au Jean XXTII de Pacem in terris, les
papes ont de plus en plus nettement et résolu-
ment revendiqué la dignité de la personne
humaine contre les régimes ou les moyens de
contrainte : de sorte que la Déclaration Digni-
tatis humanae personae prend la suite et repré-
sente comme le couronnement d’un mouvement
continu *. Elle était en droit de dire : « En trai-
tant de cette liberté religieuse, le saint Concile
entend développer la doctrine des Souverains
Pontifes les plus récents sur les droits inviolables
de la personne humaine et l’ordre juridique de
55
la société » (n° 1 fin). Tout est centré sur cette
valeur de la personne. « L’erreur n’a pas de
droits.» En effet, mais ce sont les personnes
qui sont sujets de droits, et celles qui sont dans
l'erreur gardent ce droit, fondé dans leur nature
même, de ne pas être contraintes en matière de
conscience.
On s’étonnerait qu’une déclaration aussi
modeste ait soulevé tant de discussions si l’on
ignorait de quel poids des siècles de chrétienté
pesaient encore sur d’excellents esprits. Tous
n’admettaient ni le mouvement de l’histoire ni
les positions de J. Maritain dans Humanisme
intégral (1936). Tout catholique, Maritain aussi
bien (il tenait même pour ce qu’on appelle le
« pouvoir indirect » de l'Eglise sur la Cité), tient
que l’ensemble de la vie humaine, sociale et
personnelle, doit être soumis à Dieu et orienté
vers son Royaume. La question est de savoir
quel type d’action ou d’influence l’Eglise doit
exercer sur la société comme telle. Elle a connu
un régime d’action par pouvoir et commande-
ment ; elle pouvait alors faire sanctionner par
des lois et des mesures policières les manque-
ments à ses règles. Cela a donné l’Inquisition
et, comme dernier épisode chez nous, sous
Charles X, la loi sur le blasphème et le procès
plaidé par Odilon Barrot. L'Eglise ne renoncera
jamais à proclamer que Jésus est Seigneur et à
faire son possible pour orienter le temporel vers
56
Dieu et selon Dieu. Mais, dans un monde
désormais pluraliste, que le brassage des hom-
mes, des informations et des idées fait fatale-
ment pluraliste, dans un monde surtout où la
valeur proprement chrétienne de la personne
s’est affirmée comme inviolable, l'Eglise veut
exercer une influence sur les personnes, par les
personnes, par la voie de leurs convictions et la
force de la vérité elle-même. « Influence », cela
signifie une action réelle sans « pouvoir ». C’est
Pheure du témoignage et des signes évangé-
liques issus d’un amour total.
Il y a un certain temps que l'Eglise est passée
à ce régime d’action, mais pas partout du même
pas. Certains esprits ont gardé la nostalgie
d’une christianisation par le Pouvoir, ce que
Etienne Gilson appelait la nostalgie d’un nou-
veau baptême de Clovis. L'Eglise de Vatican II,
par la déclaration sur la liberté religieuse, par
sa Constitution pastorale Gaudium et spes sur
l'Eglise dans le monde de ce temps — un titre
significatif ! — s’est franchement située dans
le monde pluraliste d’aujourd’hui et, sans renier
ce qu’il y a eu de grand, a coupé les chaînes qui
l’auraient maintenue sur les rives du moyen âge.
On ne peut demeurer fixé à un moment de
l’histoire.
Mgr Lefebvre parle du « règne de Notre Sei-
gneur Jésus-Christ sur les personnes, sur les
familles et sur les sociétés civiles ». On croirait
57
entendre la voix de Pie X et de Pie XI. Mais la
question est de savoir par quels moyens et sous
quelle forme ce règne doit être promu et pro-
curé. Le texte que nous venons de citer et qui est
de la lettre du 17 juillet 1976 à Paul VI, conti-
nue : «Elle (Votre Sainteté) rendra leur juste
conception aux idées falsifiées devenues les
idoles de l’homme moderne : la liberté, l'égalité,
la fraternité, la démocratie.» Nous soupçon-
nons que le règne de Jésus-Christ devra s'établir
sur l’'invalidation, la révocation de la démo-
cratie (et pourquoi pas de l’Edit de Nantes ?).
Mais le discours de Lille du 29 août traduit la
chose plus nettement et au positif. Le modèle
concret, c’est l’Argentine:
58
Or, en Argentine, un pouvoir à la poigne
sanguinaire supprime physiquement ceux qui
le contrarient. Qui est d’accord ?
60
pas trahir la foi. Il est possible que ce soit le cas
de telle initiative désordonnée — nous y revien-
drons — mais aucun argument sérieux ne per-
met d'affirmer cela du Concile lui-même ni du
Missel de Paul VI.
On comprend que, l'Eglise étant tradition,
transmission de ce qui a été donné une fois pour
toutes Révélation, sacrements, ministère —
une fidélité catholique sincère s’attache à telle
ou telle forme de cette tradition. Des tempéra-
ments amis des énoncés catégoriques, tran-
chants, privilégieront les formes qui répondent
à ce besoin. Mais le grand fleuve de la Tradition
est plus large qu’un canal rectiligne aux berges
cimentées. La tradition des Pères est plus riche
que celle dont le saint Concile de Trente (le
curé de mon enfance employait toujours ce
terme) a fixé le contenu en face de la Réforme.
Le Saint-Esprit n’a pas déserté l'Eglise à partir
de 1962 ou 1965! Soyons « catholiques » en
plénitude avec, vraiment, l’Eglise de toujours,
celle de Vatican II comme celle de Trente et de
Nicée, celle de Paul VI comme celle de Pie V
et du pape saint Marcel (f 309) !
61
LA CRISE PRÉSENTE
62
elle serait bien fâchée d’être soupçonnée de ne
pas appliquer le Concile. Mais elle n’abuse pas,
comme nous, des facilités et de la liberté. Peut-
être étions-nous trop optimistes en faisant nos
bagages de retour. Peut-être certains documents
ne répondaient-ils déjà plus à la réalité ? Mais
ne devraient-ils pas être modestes dans leurs
reproches, ces parents qui, après avoir donné
à leurs enfants une éducation chrétienne,
ouverte, sociale, généreuse, les voient refuser
le mariage religieux, ne pas faire baptiser leur
bébé, suivre un itinéraire que Bernard Besret
appellerait de déviance ?
« On juge un arbre à ses fruits »... Mais ne se
trompe-t-on pas d’arbre ? Sont-ce les fruits du
Concile ? Ne doit-on pas, par contre, créditer
celui-ci de quelques beaux résultats ? Pensons
à tant de belles célébrations, à la diffusion de
la Parole de Dieu, à la vitalité des Eglises
locales, à la conscience renouvelée des respon-
sabilités sociales, à l’ouverture missionnaire à
« ceux qui sont loin », à l’effort pour se rendre
compréhensible aux hommes de ce temps...
3 63
tées, répercutées, amplifiées. On a perdu l’idée
passablement fictive d’une Eglise monolithique,
assurée, ayant réponse à tout. René Rémond
la noté : « Ce ne sont pas les positions prises
par le Concile qui ont engendré la crise. C’est
le fait même qu’un Concile soit tenu qui a
déclenché une profonde mutation dans l’orga-
nisation interne de l'Eglise et dans le système
de ses relations avec l’extérieur » (Vivre notre
histoire, Paris, 1976, p. 144).
64
classique, a donné de la papauté une tout
autre image. Le grand brassage conciliaire, les
rencontres, information sur bien des questions,
la nécessaire poursuite d’un « aggiornamento »,
ont amené cette fin de ce que nous avons
appelé linconditionnalité du système. Celui-ci,
par contre, a ses nostalgiques...
4° Il est malhonnête d’abuser du fait que le
Concile s’est voulu et s’est déclaré « pastoral »
pour l’accuser de n’avoir pas été doctrinal.
Justice a été faite de cette fausse imputation,
et au Concile même, dès sa première période.
Mais il y a quelque chose de juste dans la
remarque de Mgr Graber * ; par son caractère
« pastoral», son style de larges vues sans
canons précis affectés d’Anathema sit, le
Concile a pu favoriser des mouvements qui le
dépassent. On parle justement d’un « dyna-
misme du Concile »; on s’en réclame parfois
avec une excessive facilité.
65
sont développés dans le monde moderne qui,
trop longtemps laissés hors des murs par une
Eglise en état de défense, sont entrés en trombe
par les portes ouvertes et, cela, au moment où
s’opérait dans le monde une fantastique muta-
tion que personne ne peut présentement maïi-
triser. Nous donnerons bientôt ailleurs les jus-
tifications documentaires souhaitables. Ici, nous
reprendrons seulement les articulations de cette
longue et lourde proposition, pour les rendre
compréhensibles.
On dira ce qu’on voudra, il existe un monde
moderne : qu’on le date du xvr siècle (Renais-
sance, Réforme qui serait à considérer à part),
des années 1680 (ainsi Paul Hazard dans des
livres toujours éclairants), du xvIr° siècle avec
«les Lumières », peu importe. Entre ces
moments, le mouvement est continu, cohérent
en tout cas. Kant définissait les Lumières, en
1784 : « La sortie de l’homme de sa minorité
dont il est lui-même responsable. Minorité,
c’est-à-dire incapacité de se servir de son enten-
dement sans la direction d’autrui. » Sur la base
de toute une suite de recherches, de mises en
question, d'œuvres marquantes, l'explication
des choses a été cherchée, souvent trouvée, non
plus en haut, dans le ciel, maïs en bas, dans les
choses elles-mêmes et dans l’homme. Oui,
l’homme est devenu le centre et la mesure de
tout. Avec et après la Révolution, le mouve-
66
ment, qui ne touchait d’abord que les classes
cultivées, a eu son expression sociale. Daniel-
Rops intitule son livre consacré à cette époque
(après L'ère des grands craquements), L'Eglise
des révolutions. De fait, c’est 1830, 1848, le
Manifeste communiste de Marx, la Commune
de 71, le mouvement ouvrier, réponse à une
industrialisation inhumaine.
Il est clair que l'Eglise ne pouvait pas accepter
que l’homme soit la mesure de l’homme, ni le
rejet rationnel de toute intervention transcen-
dante et surnaturelle. Elle a donc mené un dur
«combat pour Dieu» (encore un titre de
Daniel-Rops). Mise en cause, parfois jusque
dans les conditions de son existence physique,
par de redoutables assauts, par les sociétés
secrètes, l'Eglise s’est enfermée comme dans
une forteresse assiégée, toutes portes closes et
ponts-levis dressés, tout en poursuivant une
puissante restauration de ses forces internes et
une exceptionnelle expansion missionnaire. Elle
ne s’est pas fermée seulement à l’anthropocen-
trisme antithéiste, mais à de réels problèmes, à
d’authentiques conquêtes de l'esprit. Quelle
parole Pie IX, qui a connu le plus long pontificat
de l’histoire, a-t-il eue sur tant de questions qui
ont marqué l’époque: mouvement ouvrier,
communisme, colonialisme, critique historique
et biblique, etc. ? Il y a bien eu Léon XIIT, mais
son ouverture, si réelle en certains domaines,
67
n’a pas été aussi grande qu’on l’a parfois pré-
sentée. Le modernisme, qui s’annonçait à la fin
de son pontificat, était certainement à réprou-
ver, mais il posait de vraies questions, qui n’ont
pas été résolues, et on lui a, dans une certaine
mesure, associé des courants, comme la philo-
sophie de Blondel ou la recherche biblique du
Père Lagrange, qui n’avaient rien à voir avec
lui, sinon d’être contemporains. Citadelle assié-
gée, fermée et sur la défensive, l'Eglise ne
risquait-elle pas d’être comme les Indiens dans
la civilisation américaine, une réserve protégée,
mais séparée ? Le risque n’apparaissait pas du
fait que l'Eglise connaissait une grande vitalité
interne et que, par ses écoles et ses œuvres, par
son laïcat (A.C.J.F. d'Albert de Mun, « l’ac-
tion des catholiques» sous Pie X, l’Action
catholique de Pie XT), elle avait une expression
dans la société. Mais l'Eglise restait à part,
réglée par le système dont nous avons parlé.
Les vannes se sont levées et l’eau est entrée
en trombe. La glace a fondu et cela a été la
débâcle d’un dégel précipité. Portes et fenêtres
ont été ouvertes, et le vent s’est engouffré. Ce
ne sont là que des images, sans doute trop
simples et excessives. Nous pourrions montrer
— nous avons un petit dossier là-dessus —
que beaucoup des mouvements plus ou moins
préoccupants d’aujourd’hui s’annonçaient dans
les années 50 : baisse du nombre des vocations,
68
petits groupes spontanés, réformes liturgi-
ques, interrogations philosophiques, soi-disant
« théologie nouvelle », œcuménisme, diffusion
croissante d’attitudes existentielles privilégiant
Pautonomie et la spontanéité de l’individu, etc.
Mais tout cela était, vaille que vaille, contenu
dans une Eglise disciplinée. Il y avait trop de
vrai et de nécessaire, trop de valeurs exigées par
le développement général, pour que les nou-
veaux courants ne fassent pas leur chemin.
Quand, après le feu rouge puis le clignotant, le
feu vert fut donné par le Concile de Jean XXIIT,
les courants grossirent dans l'Eglise. Le Rhin
n’avait pas à se jeter dans le Tibre, comme l’a
titré Ralph M. Wiltgen. Il suffisait qu’au lieu de
se constituer en ghetto, l'Eglise, peuple de Dieu
en marche dans l'itinéraire des hommes,
reprenne un plein dialogue avec le monde.
Et quel monde ? Il est en pleine mutation.
L’Eglise en concile l’a senti : l’Introduction de
la Constitution pastorale Gaudium et spes
décrit brièvement cette mutation, mais elle est
de 1965. Depuis, nous avons assisté à une urba-
nisation galopante et folle, et il y a eu Mai 68,
la révolte de la jeunesse. Comme le dit
J.-L. Barrault, l’orage, ce mois-là, est tombé
sur Paris, mais il venait de loin et il continue à
rôder autour de la terre. C’est un fait mondial
qui, avec un décalage de quelques mois, s’est
produit aussi bien à Tokyo, Los Angeles, San-
69
tiago qu’à Paris, à Rome et jusqu’à Varsovie.
Il est critique de tout ce qui est institution,
«establishment », de tout ce qui veut s’impo-
ser aux hommes sans que ceux-ci l’aient eux-
mêmes déterminé. Il est bien autre chose
encore : besoin de se retrouver, primauté don-
née à l’avenir surle passé, frénésie du bonheur
sans besoin de transcendance, libération
sexuelle, présence des drames du monde à la
conscience, dégoût et critique des structures
de domination. Et que dire de l’impact des
sciences humaines sur la réflexion religieuse ?
Il y a de vraies questions qu’on ne résout pas
avec un haussement d’épaules. Nous ne cher-
chons pas à donner une analyse ordonnée et
complète. Mais c’est à ce monde-là que nous
avons affaire. Souvent, après des conférences,
parmi les questions du public, ce genre de cri-
tique est venu: Il paraît que les séminaristes
sont, font. Je demandais: Monsieur, Ma-
dame, vos enfants, que font-ils ? — Ah! nos
enfants, ils contestent ! — Hélas! Nous n’en
avons pas d’autres ; votre garçon pourrait être
séminariste..
Le résultat s’est soldé assez souvent par une
rupture avec le passé, qui risque d’être une
rupture avec la Tradition. Cela, nous ne pou-
vons l’accepter. Un historien comme Pierre
Chaunu ne cesse d’affirmer que l’homme ne
peut affronter son avenir que s’il assume son
70
passé. C’est très juste, exprimé en termes d’his-
toire. En termes théologiques, c’est de Tradi-
tion qu’il doit être question. La Tradition n’est
pas le passé, d'anciennes habitudes maintenues
par esprit de corps. Elle est actualité, à la fois
transmission, réception et créativité. Elle est
la présence d’un principe à tous les moments
de son développement. Nous n'acceptons pas
la rupture. L’Eglise innove sans cesse, par la
grâce du Saint-Esprit, mais en prenant dans
ses racines et par la présence constante de la
sève qui vient d'elles. Ah! le beau mot de
Gertrud von Le Fort: « L'homme doit avoir
un sol sous les pieds, autrement son cœur se
dessèche *. »
MALFAÇONS REGRETTABLES.
INADMISSIBLE ANARCHIE
71
de célébration, catéchèse, prédication et pasto-
rale. Notre réaction venait d’un refus de géné-
ralisation. Nous ne nïiions nullement qu’il
existât des malfaçons maïs, connaissant tant
d'efforts loyaux, tant de prêtres irréprochables,
nous refusions les formules globales du type
« les prêtres ne croient plus à... », « on ne pré-
che plus le péché, la grâce... », « on détruit la
foi de nos enfants... » De telles accusations, par
leur vague et leur généralisation, nous parais-
saient et nous paraissent encore gravement
injustes ®. De plus, il nous semblait qu’elles
évitaient de reconnaître l'influence décisive,
dans la crise actuelle, de la crise globale de civi-
lisation et de société, de même que de vraies
questions et de difficultés objectives qui pèsent
sur la foi des croyants.
- L’insistance de nos amis, le courrier reçu à
la suite de notre article de /a Croix ou publié
dans ce journal, nous ont amené à prendre une
meilleure conscience du malaise suscité chez de
nombreux catholiques par certaines fantaisies
discutables, le niveau des célébrations, des ser-
72
mons, de la catéchèse. Le drame de cet été
entre Mgr Lefebvre d’un côté, le Pape et les
évêques de l’autre, pourrait avoir le bénéfice
de faire prendre plus au sérieux ce malaise
ressenti par nombre de fidèles. Mgr Lefebvre
leur a, en quelque sorte, donné une voix, même
si sa voix ne rend pas vraiment le son de leur
pensée. Tout n’est pas de la même gravité dans
leurs doléances. Il semble qu’on puisse les clas-
ser en trois catégories.
73
par exemple, ce prêtre qui, avant de célébrer,
donne des explications dans la nef en col roulé
ou en chemisette à manches courtes. Je ne dis
pas que ce soit bien, mais il n’y a pas de quoi
fouetter un page ! Nous attachons de l’impor-
tance, par contre, à ce que le prêtre, pour célé-
brer, même dans une maison privée, revête un
vêtement qui signifie qu’on n’a plus devant soi
seulement Monsieur X., mais un ministre du
Christ et de l'Eglise. Le minimum du signe de
fonction est l’étole.
Autre exemple : ce prêtre, cet évêque même
qui déclare sans plus: l’Eglise, aujourd’hui,
n’est plus juridique, mais mystique. C’est une
affirmation trop simple, qui demande en toute
hypothèse explication et qui pourrait, mal
interprétée, favoriser des idées fausses.
3° Restent les malfaçons objectivement re-
grettables et blâmables. Elles concernent sur-
tout : a) la liturgie; b) la théologie ou la caté-
chèse; c) une certaine politisation.
a) On signale une certaine anarchie liturgi-
que. Notre confrère, le P. Auvray, analyse cinq
publications où l’on trouve en tout 103 Canons
(= Prières eucharistiques) dont l’un ou l’autre
n’exprimeraient pas pleinement, dit-il, la foi de
YEglise *. Notre autre confrère, le P. Bruck-
74
berger, reprend le même reproche dans /’Au-
rore du 29-VII-1976 ; dans sa chronique du
19-VIII-1976, cela devient même 300 Canons.
Cest vraiment trop. Il est vrai que, dans
l'Eglise des origines, la prière eucharistique
n'était pas rédigée dans un texte fixe: saint
Justin, vers l’an 150, dit que le président de
l'assemblée (en grec, le proestôs) « adresse des
prières et actions de grâce autant qu'il le
peut » ”; mais le P. Louis Bouyer a montré
que la créativité liturgique ancienne suivait des
modèles assez déterminés *. En toute hypo-
thèse, une Prière eucharistique doit exprimer
la foi de l'Eglise et comporter, selon la tradi-
tion la mieux établie, une action de grâces pour
les bienfaits de la création et de la rédemption,
une épiclèse (invocation du Saint-Esprit), le
récit de l'institution, l’anamnèse (rappel des
actes rédempteurs, de la Passion à la glorifica-
tion du Christ). S’il s’agit de célébration parois-
siale, les fidèles ont le droit d’y trouver ce qu’ils
attendent, sans être surpris, et encore moins
traumatisés par une innovation indue.
Plusieurs correspondants mettent particuliè-
rement en cause les célébrations de l’A.C.O. à
la Porte de Versailles, ou, plus récente, celle des
75
apprentis J.O.C. Je ne veux pas défendre ce qui
pourrait être indéfendable. Je n’ai assisté à
aucune de ces célébrations. Maïs je ne suis pas
non plus dans la condition ouvrière. Devant
telle position, telle déclaration, je me suis sou-
vent interdit de juger, me disant que, si j'étais
dans cette situation, je ferais ou dirais proba-
blement de même...
76
théologie que nous suivons d’assez près, nous
dirons trois choses : 1° Il y a eu des excès, des
publications critiquables et même répréhensi-
bles. Franchement, en petit nombre. 2° Elles
ont été critiquées, soit par d’autres théologiens,
soit par les évêques responsables #, Personnel-
lement, nous attachons une grande importance
à la critique faite de leurs collègues par les
théologiens, nous la pratiquons et nous lui
sommes également soumis! 3° Il existe de
vraies et difficiles questions que les théologiens
doivent avoir le courage d’aborder. Ainsi tou-
chant la science et conscience du Christ, la
façon de parler de sa résurrection, ou touchant
les problèmes de la sexualité, pour lesquels il
ne suffit pas de répéter simplement les anciens
propos. Des théologiens s’expriment sous leur
propre responsabilité. Une critique de leur
discours est non seulement légitime, mais utile.
Elle ne doit pas être hâtive, tendancieuse, exces-
sive, car elle risquerait alors de casser une
77
recherche nécessaire et de n’en pas comprendre
la réelle visée. Il arrive aussi qu’une pensée
imparfaite contienne de grandes richesses qu’il
serait très dommageable d’étouffer : exemple
Teilhard de Chardin.
c) Quant à la politisation, elle est réelle ; nous
l’estimons pleine de risques, mais on ne peut
en parler sans y regarder de plus près.
Un reproche souvent articulé est que «les
prêtres » — encore une généralisation ! — ne
prêcheraient plus les mystères de la foi, mais
parleraient du Vietnam, du Chili, des grèves,
des syndicats. Les mouvements naguère d’Ac-
tion catholique ou, en tout cas, d’Eglise, se-
raient devenus des succursales du P.S.U. ou du
P.S. De fait, on voit les Equipes enseignantes,
par exemple, prendre comme telles « l'option
socialiste », pour ne rien dire de Vie Nouvelle
qui n’est pas (ou plus) un mouvement d’Eglise,
ni du M.R.J.C. dont certains membres adop-
tent le marxisme comme outil d’analyse so-
ciale. Il nous paraît incontestable qu’un certain
nombre de catholiques ont adopté des éléments
du marxisme, soit comme méthode d’analyse
sociale ou d’explication historique, soit comme
indication de praxis révolutionnaire. Un curé
de paroisse, un curé-doyen nous ont bien dit
que c’est le fait d’intellectuels, de gens qui écri-
vent et qui parlent, non de la base. Mais ceux
78
qui écrivent et qui parlent ne sont-ils pas aussi
meneurs ?
Indépendamment de cela, on accuse l'Eglise
d’après le Concile de s’être convertie au monde.
La voix de Jacques Maritain (Le paysan de la
Garonne, 1966) est maintenant relayée, mais
sur un registre plus aigu, par celle de Maurice
Clavel. Celui-ci ne se lasse pas de citer, comme
venant d’un Père conciliaire, un passage du dis-
cours de Paul VI à la clôture de la quatrième
période du Concile (7 décembre 1965), en l’iso-
lant de tout le contexte et des aliusions qui en
précisent le sens : « La religion de Dieu qui s’est
fait homme s’est rencontrée avec la religion
(car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu.
Qu'est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un ana-
thème ? Cela pouvait arriver, mais cela n’a pas
eu lieu (...). Nous aussi, nous plus que quicon-
que, nous avons le culte de l’homme... » A par-
tir de là, un abbé G. de Nantes, formé à la
pensée de Maurras, veut intenter au pape
Paul VI un procès en hérésie. Pour ce qui est
de Paul VI, le contexte est celui d’'Humanisme
intégral, du Maritain de 1935. Le Saint-Père
parle de l’homme fait à l’image de Dieu et
appelé à la communion avec Dieu. Mais nous
ne nions pas qu’il existe aujourd’hui, chez des
catholiques, un danger de ramener les dimen-
sions transcendantes à du terrestre, à l’homme
en son existence historique. Cela se traduit
79
quelquefois jusque dans la liturgie : nous avons
connu naguère un Gloria in excelsis transposé
en louange pour cette merveille que nous
sommes !
Si déviance il y a, cela n’est pas venu d’une
trahison mais d’une volonté de vivre l’exigence
évangélique d’amour et de service des hommes,
dans la ligne de Matthieu 25, 21-46: « J’avais
faim..., j'étais nu... » Les chrétiens ont fait, avec
d’autres, la découverte des exigences effectives
et pratiques de ce que André Neher, commen-
tant Amos, appelle la justice de l’Alliance. Un
laïcat invité à porter la mission de l’Eglise dans
le temporel, fatalement pose des questions et
veut parler la langue de ses engagements. Aïnsi
une partie du peuple de Dieu, fidèles et prêtres,
ne conçoit pas son christianisme sans militance
syndicale et politique, pratiquement orientée à
gauche. Mais toute une partie du même peuple
de Dieu récuse cette orientation et accuse les
autres de « faire de la politique ».
L’expérience montre qu’on articule ce grief
contre les autres quand ils ont une option
contraire à la sienne, ou différente. Le grand
slogan, aujourd’hui, est que tout le monde fait
de la politique ; ceux qui prétendent n’en pas
faire en font, en ce sens au moins qu’ils sont
pour le statu quo *… On dit parfois : tous les
36. Soit. L’allégation nous paraît cependant ambiguë. Car
cela peut signifier: y compris avec les désordres et injustices
80
hommes sont égaux, mais il y en a qui le sont
plus que d’autres! Pourrait-on dire: tout le
monde fait de la politique, mais il y en a qui
en font plus que d’autres ? Le fait est là, en
tout cas : de même que la crise de l'Eglise est
due principalement à l’impact en elle de la crise
générale de civilisation et de société, de même
lopposition entre une droite et une gauche se
répercute dans l'Eglise. A la limite, il y aurait
deux Eglises, car il existerait deux conceptions
de la foi et du culte à rendre à Dieu : une foi
dogmatique, une foi d’orthodoxie et une foi
d’action dans l’histoire, une foi d’orthopraxie;
un culte cérémoniel, sacerdotal, et un culte de
la justice terrestre, dans l'esprit des pro-
phètes *’..
Bien sûr, nous ne pouvons accepter une telle
division. Le fait qu’elle affecterait également
les Communions protestantes, qu’elle établirait
dans le mouvement œcuménique une différen-
ciation entre un œcuménisme théologique et un
œcuménisme séculier souvent désigné comme
« post-œcuménisme », ne retire rien à la vérité
d’une transcendance de Jésus-Christ, de son
81
Evangile et de son Corps qui est l'Eglise. D’où
la nécessité d’un statut de pluralisme et la faus-
seté de la revendication d’une Eglise « parti-
sane » “ : sauf qu’elle doit en effet défendre et
promouvoir le parti de l’homme et que, dans
l'éventail des analyses ou options possibles,
toutes ne sont pas de même valeur au regard
de l’Evangile. En prenant le parti de la per-
sonne humaine, ce qu’elle fait aujourd’hui de
façon très souvent onéreuse, l'Eglise la plus
engagée rencontrera fatalement l’opposition de
ceux qui maintiennent des structures d’exploi-
tation et d’oppression, et celle même de ses fils
qui, de fait, sont d’accord avec ces tendances.
Les antagonismes de la société globale se
retrouvent ainsi dans l'Eglise: signe qu’elle ne
forme plus un ghetto à part. Mais comment
préserver son unité ? Deux conditions au moins
s'imposent : 1° que l'Eglise soit l'Eglise; rien
d’autre, mais vraiment et pleinement. Ce doit
être l’œuvre de tous, mais elle pèse plus parti-
culièrement sur les clercs. 2° Que, dans le peu-
ple de Dieu, les conditions du pluralisme poli-
82
tique soient vraiment honorées. Certains se
plaignent à ce sujet *.
Nous n'avons pu donner ici qu’une sèche
épure d’un ensemble de problèmes très diffi-
ciles et complexes. Nous ne prétendons pas les
épuiser. Simplement situer sans trop de sim-
plisme la question et le reproche de politisa-
tion, qui jouent leur rôle dans la crise actuelle.
Une correspondante nous écrit : « L'Eglise fait
lapprentissage du prix des options politiques
ou même liturgiques et sociales qui promeu-
vent d’authentiques changements selon l’Evan-
gile. » Ce n’est pas si mal vu!
83
VERS UNE ISSUE
84
mande à vérifier les deux qualités, entre les-
quelles peut exister une tension, de pureté et de
plénitude. La pureté se vérifie par un retour aux
origines normatives ; la plénitude veut une
fidélité lucide au développement authentique
pris par la foi dans la vie de l'Eglise à travers
l’espace et le temps. C’est ici que se situe la
Tradition. Les Pères y ont une place de choix.
Vatican II, sans avoir produit de dogmes pro-
prement dits, a exprimé la fidélité de l'Eglise
à ce moment de son histoire assistée par le
Saint-Esprit.
On demande donc plus de rigueur dans la
conformité de la catéchèse, de la prédication,
de l’enseignement, en référence aux normes de
la foi de l'Eglise. Cela ne peut pas être la
charge des seules autorités. Aujourd’hui où le
principe de conviction personnelle est mieux
reconnu, tous sont et doivent se sentir respon-
sables d'eux-mêmes et de leurs frères. De plus,
le souci de pureté doit accueillir la recherche
de plénitude, qui englobe celle de nouvelles
voies, l’ouverture à des apports culturels iné-
dits, à ceux du dialogue œcuménique.
L'Eglise, c’est l’amour, que l'Esprit de Dieu
met en nos cœurs. Un amour qui cherche la
réconciliation et l’unité. Un amour actif, inven-
tif en initiatives de service. Un amour profond,
qui assume la peine des hommes dans la ten-
dresse de Dieu par la prière et l’intercession.
85
L’Eglise est invitée, pour être l'Eglise, à sans
cesse revenir au cœur, à cette intériorité qui ne
l’éloigne pas des hommes mais la fait être avec
eux d’une autre façon que celle d’une sécula-
risation facile et superficielle.
L'Eglise, c’est enfin la mission. Autre chose
que de la propagande ou du prosélytisme.
Il s’agit d'étendre à tous les hommes, en leur
vie personnelle et sociale, les bienfaits de
l'Evangile et de la grâce dont l'Eglise est comme
le sacrement. Au regard de l’immensité de cette
tâche missionnaire et des générosités qui s’y
emploient, que nos querelles sont mesquines,
anachroniques, stériles !
Oui, que l'Eglise soit l'Eglise: rien d’autre,
rien de plus mais rien de moins. « Je ne rougis
pas de l’Evangile », dit saint Paul (Rm 1, 16),
« je me glorifie dans la croix de notre Seigneur
Jésus-Christ » (Ga 6, 14). Quel plus grand tré-
sor pouvons-nous apporter au monde ? Mais
ce n’est pas une tâche facile. Ce trésor dépasse
nos forces, et nous le portons, dit encore saint
Paul, dans des vases de terre : cela signifie dans
la précarité mais aussi en usant de toutes les
formes qu'offre cette terre et que l’histoire
réclame en les mettant à notre disposition.
L'Eglise est l'Eglise de Dieu parmi les hommes
et dans l'itinéraire des hommes. Ni divinisme
ni sécularisme, mais incarnation ! C’est l'Eglise
du Verbe fait chair.
86
PRIMAUTÉ ET FÉCONDITÉ DE LA PAROLE DE DIEU
88
En effet, nous pouvons, nous devons nous
retrouver tous, dociles et comblés, à l’école de
la Parole de Dieu. Elle dépasse souverainement
toutes les déclarations que nous avons citées et
les médiocres discussions de ce livre ! Sémina-
ristes d’Ecône, assistants de la messe de Lille,
tout comme les pèlerins de Rome et les fidèles
de toutes nos célébrations, nous sommes en-
semble et pareillement soumis à la Parole de
Dieu, jugés par elle. Elle, du moins, élucidée
dans la Tradition catholique, est indiscutable.
Elle est une voie d’unité. Qu’en faisons-nous ?
ENSEIGNER, EXPLIQUER
89
orientations du Concile (3 F - 20 F les dix exem-
plaires). Le Concile n’est pas seul en déshérence.
Malgré tant d’efforts, malgré de bons services
d’édition et de presse, l’ignorance en matière de
religion est encore étendue et profonde. Et qui
connaît, au moins sous un jour authentique, les
paroles du Pape ? Un immense effort est encore
à entreprendre pour informer, éclairer, instruire.
Mais une des connaissances qui manquent le
plus est celle de l’histoire. Avec un peu de cul-
ture historique, l’incompréhensible querelle sur
la messe n’aurait pas pu avoir lieu. L’histoire
est une grande école d’intelligence et de sagesse.
Sa connaissance permet de ne pas absolutiser
le relatif, de mettre les choses à leur place,
d’apurer de vieilles querelles et des contentieux
mal fondés. Elle fait connaître les contextes en
dehors desquels les textes ne sont pas authen-
tiquement compris. La crise même dont nous
souffrons peut être éclairée par l’histoire. On
ne peut évidemment pas demander à tout le
monde d’avoir les connaissances d’un spécia-
liste, mais on peut souhaiter que, dans l'effort
d’enseignement nécessaire, une place soit faite
à la dimension historique des questions.
90
gne, on le sait, l’hérésie qui admettait à l’ori-
gine des choses deux principes, un bon et un
mauvais. De même, il existe d’un côté les bons,
et tout est bon de leur part, de l’autre côté, les
mauvais, et tout est chez eux mauvais. Les
hommes sont aussi toujours un peu animistes.
Ils aiment expliquer ce qui leur fait mal, ou
simplement leur déplaît, par un principe mau-
vais occulte : pour Hitler, c’étaient les Juifs et
un complot judéo-maçonnique. Les opposants
au Concile croient volontiers à quelque conspi-
ration : « cheval de Troie », groupe de pression
organisé, franc-maçonnerie. Le petit livre de
Mgr Graber, cité note 2, peut leur servir
d’arsenal.
Ai-je noirci ceux que je critiquais ? Toute
discussion prête au danger de ne pas rendre
justice à la partie opposée, à ses raisons, au
sens exact de ses dires. Si j'ai fait cela, je de-
mande pardon, je suis prêt à me corriger.
Mgr Lefebvre et ses partisans sont pour moi
des frères. Nous sommes en désaccord et je
crois qu’ils se trompent, mais j'estime leurs
intentions et leur volonté de fidélité. Je crains
cependant qu’ils arrivent à un moment où une
telle volonté s’accompagne d’un entêtement à
ne pas céder, à avoir raison contre tout. S'ils
écoutaient, si je n'étais pas, à leurs yeux, irré-
médiablement du mauvais côté, je les supplie-
rais de se dépassionner. Il arrive si souvent,
91
dans les brouilles de famille, ou entre amis, que
la brouille se nourrisse de sa propre durée ! Le
motif premier est toujours là, mais il s’est durci
d’opiniâtreté, il est devenu irrémédiable.
Or, il faut trouver un remède. Ne pourrait-
on décider une sorte de moratoire ? Le cardi-
nal Suenens demandait à l’abbé J. Kamp,
« prêtre dévoué, généreux, dont la sincérité
n'est pas contestable », de «se remettre lui-
même en question devant le Seigneur ». Des
confrères l’y ont aidé dans un dialogue qui est
un modèle de bienveillance et d’intelligence
(cf. supra n. 35). Quelque chose d’analogue ne
serait-il pas possible ? On a souvent dit qu’il
faudrait aujourd’hui, dans l'Eglise, un œcu-
ménisme interne. Objectivement, il serait moins
difficile que l’autre, puisque nous avons bien
plus de références normatives communes. Oui,
nous avons (presque) tout en commun! Mais
il faudrait se décrisper et s’armer, par la grâce
de Dieu, d’une patience très longanime. Cela
dépasse-t-il les limites du possible ?
Je sais que les partisans de Mgr Lefebvre:
m'objecteront : vous mettez d’emblée le bon
droit de votre côté. Vous partez du présupposé
que le Concile est catholiquement sain et la
messe de Paul VI valide. J’accepterais, dans un
dialogue, une discussion sur ce point, à condi-
tion que mes partenaires n’excluent pas
d'avance comme une possibilité ce qui est la
92
conviction de 2.500 évêques, de 400.000 pré-
tres et de centaines de millions de fidèles.
93
importantes, reviendrait à se mettre en position
douteuse par rapport à la communion catholi-
que. Refuser de reconnaître la messe du missel
de Paul VI et d’autres sacrements, la confirma-
tion par exemple, comme valides et catholi-
ques, serait se placer hors de cette communion.
Pesez, je vous en supplie, la gravité que serait
Pacte de schisme. Si vous constituiez des
paroisses, des monastères séparés de la grande
Eglise, vous deviendriez quelque chose comme
les Vieux-catholiques, ou peut-être, plus exacte-
ment, la Petite Eglise, à cela près qu’elle aurait
son clergé. Vous êtes convaincus de maintenir
« l'Eglise de toujours ». Mais on ne peut pas
être l'Eglise contre l'Eglise*.
94
rait de vous utiliser et de rendre ainsi votre
cause impure ? Je pose la question parce que
je l’ai entendu poser. Dans sa conférence de
presse du 15 septembre 1976, Mgr Lefebvre a
laissé entendre que des membres du Gouverne-
ment favoriseraient son action.
La messe que vous voulez célébrer selon le
missel de saint Pie V (modifié sur quelques
points par d’autres papes, ses successeurs), on
devrait vous reconnaître la possibilité de la
célébrer publiquement si vous ne lui donniez
pas le sens d’un refus, comme non catholique,
de l’'Eucharistie que nous célébrons selon le
missel de Paul VI, qui comprend d’ailleurs le
Canon romain et qu’on peut célébrer en latin.
Elle est sainte en elle-même, cette messe de
saint Pie V, mais en faire un moyen de division
et de défi est objectivement une perversion de
l'Eucharistie.
Vous avez été durement frappés. Beaucoup
s’étonnent, certains se scandalisent qu’on
s’acharne à vous poursuivre, alors qu’on laisse
tant de fauteurs d’irrégularités liturgiques et
théologiques faire librement leur mauvais tra-
vail. Dans son entretien du 15 janvier 1976 avec
M. Louis Salleron, Mgr Lefebvre remarque :
« Tandis que la recherche théologique autori-
sée met en cause de véritables dogmes de notre
foi, je ne puis comprendre comment on me
condamne pour discuter certains textes d’un
95
Concile non dogmatique.. On m’accuse pour
cela d’infidélité à l'Eglise, alors qu'aucun de ces
théologiens en recherche n’est condamné. Il y a
vraiment deux poids et deux mesures “.» Je
pense qu’on peut dire ceci. D’abord, Mgr Le-
febvre fait beaucoup plus que « discuter cer-
tains textes d’un Concile non dogmatique ». Il
pose des actes comme s’il était d’une autre
Eglise (il dirait : parce que le Pape et l’ensem-
ble des évêques avec leurs prêtres et leurs fidè-
les sont d’une autre Eglise, libérale, démocra-
tique et moderniste..). Ensuite, il se situe au
plan du système canonique et hiérarchique de
l'Eglise catholique. Il est beaucoup plus saisis-
sable. Enfin, hélas! telles que les choses ont
tourné et selon ce qu’à cette date il annonce
comme projet, on peut penser qu’un schisme
est en voie de s’accomplir. Rome veut l’arrêter
avant qu’il ne s’installe, avec ses ministères
propres.
Quant aux séminaristes d’Ecône, ils ne font
l’objet d’aucune sanction, excepté ceux qui ont
été ordonnés en contravention des règles cano-
niques et qui tombent, de ce fait, sous les cen-
sures portées depuis 1917 par le droit pour
ceux qui n’observeraient pas ces règles. Que
application de ces censures aient abouti à des
situations extrêmement regrettables et pénibles,
42. Cet entretien forme le document n° 23 de J. ANZEVUI,
Le drame d'Ecône, Sion, 1976 ; ce passage, p. 132.
96
nous n'avons pu, hélas ! que le déplorer, sans
être en mesure de rien faire.
L’œuvre d’'Ecône, comme telle, devrait trou-
ver sa place dans l'Eglise, à la condition d’ac-
cepter les conditions concrètes de sa commu-
nion, c’est-à-dire, pratiquement, l’ensemble de
Vatican II et des réformes qui l’ont suivi. Si un
séminaire vraiment régulier, semblable à ceux
que nous avons connus, forme de bons prêtres,
Dieu soit loué! Ce n’est certainement ni le
Pape ni la Congrégation compétente qui
demanderont sa fermeture. Si, par contre, il
préparait des prêtres dans une perspective de
fait schismatique...
Votre place, frères, dans l'Eglise, est avec
nous, avec notre pape Paul VI. Ce combat de
la foi, cette célébration de la foi, nous devons
les réaliser ensemble. Car ne vous faites pas de
PEglise fidèle à Vatican II une image frelatée.
Elle est toujours l’Eglise de la foi, de l’amour,
de la mission. Vous lui manqueriez. Elle vous
manquerait. Alors ?
DU NOUVEAU?
97
et beaucoup d’espoir. Mgr Lefebvre en a lui-
même fait le récit dans la conférence de presse
tenue à Ecône le 15 septembre (texte dans
J.-A. Chalet, Mgr Lefebvre. Paris, Pygmalion,
1976, p. 2335.). Un point de ce récit a été
contredit par Mgr Benelli : il n’aurait pas été
question d’un serment contre le pape préten-
dûment demandé aux séminaristes d’Ecône.
Depuis lors le Saint-Père a envoyé à Mgr Le-
febvre un document de quinze pages qui traite
clairement et fermement la question de fond;
nous le reproduisons en appendice. Les joyeux
espoirs d’une réconciliation qu'avait allumés
l'audience de Castelgandolfo semblent, hélas,
s'être éteints. En effet Mgr Lefebvre non seu-
lement a de nouveau procédé à des ordina-
tions, mais il a multiplié les conférences à
Alençon, Rouen, Caen, Lisieux, et opéré en
Angleterre.
Nous avons l’enregistrement de la conférence
faite à Rouen. Le ton était calme, décontracté.
L’analyse de la crise, ramenée comme à sa cause
à un prétendu abandon de la doctrine du sacri-
fice de la Messe, était simpliste. J’ai noté quel-
ques affirmations controuvées, comme « tous
les sacrements sont faits dans un esprit collec-
tiviste », ou fausses, comme « la Bible œcumé-
nique est une Bible qu’on a trafiquée », et la
déclaration : «Il n’est pas question de céder ».
On n’aperçoit donc pas d’indice de paix. Et
98
pourtant, tout ce qui nous est le plus cher la
demande. Il faudrait, pour cela, prendre du
recul dans le calme et accepter de faire, ensem-
ble, dans un climat d’humilité, de prière et
d'ouverture de l’esprit, un examen de tous les
éléments. Il faudrait reconnaître les exigences
nouvelles et difficiles de l’annonce de l'Evangile
à un monde si éloigné de celui qu’ont connu
(et parfois méconnu) les époques de chrétienté.
Là est le devoir principal de l’heure. Il faut le
voir à l’échelle du monde, avec les implications
qu’il entraîne, soit dans le domaine de la justice
sociale, soit dans la recherche d’expressions
adaptées de la Foi, du culte et de la pastorale.
Mgr Lefebvre installe un peu partout des
« prieurés » qui risquent d’être des îlots ou
des centres de catholicisme du Syllabus sans
union avec l’évêque du lieu. Ils réuniront des
éléments conservateurs qui refusent l’immense
effort, tâtonnant mais plein de vie, que fait
l'Eglise d’aujourd’hui pour porter l'Evangile à
“un monde dynamique et inquiet, travaillé par
tant de germes contraires. Les situations seront
sans doute diverses ici et là. Cela dépendra des
personnes et des conjonctures locales. Mais
à voir le projet d'ensemble, l’obstination d’un
homme qui, dans une bonne foi assurée et une
intention, de soi, louable, ne sort pas de ses
jugements péremptoires et simplistes, on craint
un schisme moralement, sinon canoniquement
19
et explicitement accompli. Dieu veuille nous
épargner ce malheur ! Nous le lui demandons
chaque jour.
21 décembre 1976
APPENDICES
LA «PROFESSION DE FOI»
DE Mer LEFEBVRE *
Rome, 21 novembre 1974
101
nuer notre foi catholique clairement exprimée et pro-
fessée par le magistère de l’Eglise depuis dix-neuf siècles:
« S’il arrivait, dit saint Paul, que nous-même ou un ange
venu du ciel vous enseigne autre chose que ce que je
vous ai enseigné, qu’il soit anathème » (Gal 1, 8).
N'est-ce pas ce que nous répète le Saint-Père aujour-
d’hui? Et si une certaine contradiction se manifestait
dans ses paroles et ses actes ainsi que dans les actes des
dicastères, alors nous choisissons ce qui a toujours été
enseigné et nous faisons la sourde oreille aux nouveautés
destructrices de l’Eglise.
On ne peut modifier profondément la lex orandi sans
modifier la lex credendi. À messe nouvelle correspond
catéchisme nouveau, sacerdoce nouveau, séminaires
nouveaux, Universités nouvelles, Eglise charismatique,
pentecôtiste, toutes choses opposées à l’orthodoxie et au
magistère de toujours.
Cette réforme étant issue du libéralisme, du moder-
nisme, est tout entière empoisonnée ; elle sort de l’hérésie
et aboutit à l’hérésie, même si tous ses actes ne sont pas
formellement hérétiques. Il est donc impossible à tout
catholique conscient et fidèle d’adopter cette réforme et
de s’y soumettre de quelque manière que ce soit.
La seule attitude de fidélité à l’Eglise et à la doctrine
catholique, pour notre salut, est le refus catégorique de
la réforme.
C’est pourquoi, sans aucune rébellion, aucune amer-
tume, aucun ressentiment, nous poursuivons notre œuvre
de formation sacerdotale sous l’étoile du magistère de
toujours, persuadés que nous ne pouvons rendre un
service plus grand à la sainte Eglise catholique, au
Souverain Pontife et aux générations futures.
C’est pourquoi nous nous en tenons formellement à
tout ce qui a été cru et pratiqué dans la foi, les mœurs,
le culte, l’enseignement du catéchisme, la formation du
prêtre, l'institution de l’Eglise, par l'Eglise de toujours et
codifié dans les livres parus avant l’influence moderniste
du Concile en attendant que la vraie lumière de la Tra-
102
dition dissipe les ténèbres qui obscurcissent le ciel de
la Rome éternelle.
Ce faisant, avec la grâce de Dieu, le secours de la
Vierge Marie, de saint Joseph, de saint Pie X, nous
sommes convaincus de demeurer fidèles à l’Eglise catho-
lique et romaine, à tous les successeurs de Pierre et
d’être les « dispensateurs fidèles des mystères de Notre-
Seigneur Jésus-Christ dans le Saint-Esprit ». Amen.
103
LETTRES MANUSCRITES
DE PAUL VI
Le 8 septembre 1975
104
renoncements nécessaires et vous aidera à rentrer dans
la voie d’une pleine communion avec l’Eglise et avec le
successeur de Pierre. Nous-même l’invoquons sur vous,
en vous redisant notre affection et notre afiliction.
PAULUS PP. VI.
(Tiré de Jean ANZEVUI, Le Drame d’Ecône.
Analyse et Dossier, p. 115.)
105
servie et que vous désirez aimer et édifier encore. Com-
bien d’âmes attendent de vous cet exemple d’héroïque
et simple fidélité!
Invoquant l'Esprit Saint et confiant à la Très Sainte
Vierge Marie cette heure qui est, pour vous et pour
nous, grande et amère, nous prions et espérons.
(« Le Vatican adresse un ultime appel
à Mgr Lefebvre », Le Monde, 29-30 août 1976.)
106
LETTRE DU PAPE
A Mer LEFEBVRE
11 octobre 1976*
107
Votre Sainteté et sous son Autorité, afin que l'Eglise
retrouve son vrai visage. » Comment faut-il interpréter
ces quelques mots — en soi positifs — auxquels se
limite toute votre réponse ? Vous parlez comme si vous
oubliiez les propos et les gestes scandaleux contre la
communion ecclésiale, que vous n’avez jamais désa-
voués ! Vous ne manifestez pas de repentir, même pour
ce qui a été la cause de votre suspense «a divinis ».
Vous n’exprimez pas explicitement votre adhésion à
l'autorité du Concile Vatican II et du Saint-Siège — ce
qui constitue le fond du problème — et vous poursuivez
vos propres œuvres que l'Autorité légitime vous a
demandé expressément de suspendre. L’ambiguïté
demeure, du fait de ce double langage. Pour Nous,
comme Nous avions promis de le faire, Nous vous
adressons ici la conclusion de nos réflexions.
L. Vous vous présentez pratiquement comme le défen-
seur, le porte-parole des fidèles et des prêtres qui sont
« déchirés par ce qui se passe dans l’Eglise », avec la
pénible impression que la foi catholique et les valeurs
essentielles de la Tradition ne sont pas suffisamment
respectées et vécues dans une portion du Peuple de
Dieu, du moins en certains pays. Mais dans votre inter-
prétation des faits, dans le rôle particulier que vous vous
donnez, dans la façon dont vous le remplissez, il y a
quelque chose qui égare le peuple de Dieu et trompe
les âmes de bonne volonté, justement désireuses de fidé-
lité et d’approfondissement spirituel.
Le fait des déviations dans la foi ou la pratique sacra-
mentelle est assurément très grave, partout où il se
vérifie. Il retient depuis longtemps toute notre attention
doctrinale et pastorale. Certes, il ne doit pas faire oublier
les signes positifs de reprise spirituelle ou de respon-
sabilité accrue chez un bon nombre de catholiques,
ni la complexité de la cause de la crise: l’immense
mutation du monde d’aujourd’hui affecte les croyants
au plus profond d’eux-mêmes, et rend plus nécessaire
encore le souci apostolique de ceux « qui sont loin »:
108
Mais il reste vrai que des prêtres et des fidèles couvrent
du nom de «conciliaires » des interprétations person-
nelles et des pratiques erronées, dommageables, voire
scandaleuses et parfois même sacrilèges. Car ces abus
ne sauraient être attribués au Concile lui-même, ni aux
réformes qui en sont légitimement issues, mais bien
plutôt à un manque de fidélité authentique à leur
endroit. Or, vous voulez convaincre les fidèles que la
cause prochaine de la crise est plus qu’une mauvaise
interprétation du Concile, et qu’elle découle du Concile
lui-même.
Par ailleurs, vous agissez comme si vous aviez un
rôle particulier en ce domaine. Or la mission de dis-
cerner et de redresser les abus est d’abord la nôtre, elle
est celle de tous les évêques qui œuvrent avec Nous.
Et précisément Nous ne cessons d’élever la voix contre
ces excès: notre discours au Consistoire du 24 mai
dernier le répétait en termes clairs. Plus que quiconque
Nous entendons la souffrance des chrétiens désemparés,
Nous répondons au cri des fidèles avides de foi et de
vie spirituelle. Ce n’est pas le lieu de vous rappeler,
Frère, tous les actes de notre Pontificat qui témoignent
de notre souci constant d’assurer à l’Eglise la fidélité
à la Tradition véritable et de la mettre aussi en mesure
d’affronter le présent et l’avenir, avec la grâce du
Seigneur.
Enfin votre comportement est contradictoire. Vous
voulez, dites-vous, remédier aux abus qui défigurent
l'Eglise ; vous regrettez que l’autorité dans l’Eglise ne
soit pas assez respectée ; vous voulez sauvegarder la foi
authentique, l’estime du sacerdoce ministériel et la fer-
veur pour l’Eucharistie conçue dans sa plénitude sacri-
ficielle et sacramentelle : un tel zèle pourrait, en soi,
mériter notre encouragement, car ce sont là des exi-
gences qui, avec l’évangélisation et l’unité des chrétiens,
demeurent au cœur de nos préoccupations et de notre
Mission. Mais comment pouvez-vous en même temps,
pour remplir ce rôle, vous prétendre obligé d’agir à
109
contre-courant du récent Concile, en opposition avec
vos Frères dans l’Episcopat, de vous méfier du Saint-
Siège lui-même que vous qualifiez de « Rome de ten-
dance néo-moderniste et néo-protestante », de vous
installer dans une désobéissance ouverte envers Nous ?
Si vous voulez vraiment, comme vous l’affirmez dans
votre dernière lettre privée, travailler «sous notre
Autorité », il faudrait d’abord mettre fin à ces ambi-
guités et contradictions.
II. Venons-en maintenant aux requêtes plus précises
que vous avez formulées durant l’audience du 11 sep-
tembre. Vous voudriez que soit reconnu le droit de
célébrer la messe selon le rite tridentin en divers lieux
de culte. Vous tenez aussi à continuer de former les
aspirants au sacerdoce selon vos critères, « comme
avant le Concile », dans des séminaires à part tel Ecône.
Mais derrière ces questions et d’autres semblables, que
Nous examinerons plus loin en détail, il importe de bien
voir le nœud du problème qui est théologique. Car elles
sont devenues des façons concrètes d’exprimer une
ecclésiologie qui est faussée sur des points essentiels.
Ce qui est en cause en effet, c’est la question, qu’on
doit bien dire fondamentale, de votre refus, clairement
proclamé, de reconnaître, dans son ensemble, l’autorité
du Concile Vatican II et celle du Pape, refus qui s’ac-
compagne d’une action ordonnée à propager et orga-
niser ce qu’il faut bien appeler, hélas, une rébellion.
C’est là le point essentiel, proprement insoutenable.
Faut-il donc vous le rappeler à vous, notre Frère
dans l’Episcopat et qui, plus est, avez été nommé Assis-
tant au Trône pontifical, ce qui vous oblige à demeurer
plus uni encore au Siège de Pierre ? Le Christ a remis
l’autorité suprême dans son Eglise à Pierre et au Col-
lège apostolique, c’est-à-dire au Pape et au Collège des
Evêques « una cum Capite ». Pour le Pape, tout catho-
lique admet que les paroles de Jésus à Pierre détermi-
nent aussi la charge de ses successeurs légitimes : « Tout
ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans le Ciel »
110
(Mt 16, 19) ; « Pais mes brebis » (Jn 21, 16-17) : « Affer-
mis tes frères» (Le 22,32). Et le premier Concile du
Vatican précisait en ces termes l’assentiment dû au
Souverain Pontife : «Les pasteurs de tout rang et de
tout rite et les fidèles, chacun séparément ou tous
ensemble, sont tenus au devoir de subordination hié-
rarchique et de vraie obéissance, non seulement dans les
questions qui concernent la foi et les mœurs, mais aussi
dans celles qui touchent à la discipline et au gouverne-
ment de l'Eglise répandue dans le monde entier. Ainsi,
en gardant l’unité de communion et de profession de foi
avec le Pontife Romain, l'Eglise est un seul troupeau
sous un seul Pasteur. Telle est la doctrine de la vérité
catholique dont personne ne peut s’écarter sans danger
pour sa foi et son salut» (Const. dogmatique Pastor
aeternus, Ch. 3, Dz. 3060). Quant aux Evêques unis au
Souverain Pontife, leur pouvoir à l'égard de l'Eglise
universelle s’exerce solennellement dans les Conciles
œcuméniques, selon les paroles de Jésus à l’ensemble
des Apôtres : « Tout ce que vous aurez lié sur la terre
sera lié dans le Ciel » (Mt 18, 18). Or voilà que, dans
votre conduite, vous refusez de reconnaître, comme il
se doit, ces deux façons dont s’exerce l’autorité suprême.
Chaque Evêque est bien docteur authentique pour
prêcher au peuple à lui confié la foi qui doit régler sa
pensée et sa conduite et écarter les erreurs qui mena-
cent le troupeau. Mais «les charges d’enseigner et de
gouverner. de par leur nature, ne peuvent s’exercer
que dans la communion hiérarchique avec le Chef du
Collège et ses membres» (Const. Lumen Gentium,
n. 21; cf. aussi n. 25). A plus forte raison, un Evêque
seul et sans mission canonique n’a pas, «in actu expe-
dito ad agendum», la faculté d'établir en général
quelle est la règle de la foi et de déterminer ce qu’est
la Tradition. Or pratiquement vous prétendez être juge
à vous seul de ce que recouvre la Tradition.
Vous vous dites soumis à l’Eglise, fidèle à la Tra-
dition, par le seul fait que vous obéissez à certaines
111
normes du passé, dictées par les Prédécesseurs de celui
auquel Dieu a conféré aujourd’hui les pouvoirs don-
nés à Pierre. C’est dire que, sur ce point aussi, le concept
de « Tradition » que vous invoquez est faussé. La Tra-
dition n’est pas une donnée figée ou morte, un fait en
quelque sorte statique qui bloquerait, à un moment
déterminé de l’histoire, la vie de cet organisme actif
qu'est l'Eglise, c’est-à-dire le Corps Mystique du Christ,
Il revient au pape et aux Conciles de porter un juge-
ment pour discerner dans les traditions de l’Eglise, ce
à quoi il n’est pas possible de renoncer sans infidélité
au Seigneur et à l’Esprit Saint — le dépôt de la Foi —
et ce qui au contraire peut et doit être mis à jour, pour
faciliter la prière et la mission de l’Eglise à travers la
variété des temps et des lieux, pour mieux traduire le
Message divin dans le langage d’aujourd’hui et mieux
le communiquer, sans compromission indue.
La Tradition n’est donc pas séparable du Magistère
vivant de l’Eglise, comme elle n’est pas séparable de
lEcriture Sainte : « La sainte Tradition, la sainte Ecri-
ture et le Magistère de l'Eglise. sont tellement reliés et
solidaires entre eux qu’aucune de ces réalités ne subsiste
sans les autres et que toutes ensemble, chacune à sa
façon, sous l’action du seul Esprit Saint, contribuent
efficacement au salut des âmes » (Constitution Dei Ver-
bum, n. 10).
C’est ainsi qu’ont agi communément les Papes et les
Conciles œcuméniques, avec l'assistance spéciale de
l'Esprit Saint. Et c’est précisément ce qu’a fait le
Concile Vatican II. Rien de ce qui a été décrété dans
ce Concile, comme dans les réformes que Nous avons
décidées pour le mettre en œuvre, n’est opposé à ce que
la Tradition bimillénaire de l’Eglise comporte de fonda-
mental et d’immuable. De cela, Nous sommes garant, en
vertu, non pas de nos qualités personnelles, mais de la
charge que le Seigneur Nous a conférée comme Succes-
seur légitime de Pierre et de l’assistance spéciale qu’Il
Nous a promise comme à Pierre: « J’ai prié pour toi
112
afin que ta foi ne défaille pas » (Le 22, 32). Avec Nous
en est garant l’Episcopat universel.
Vous ne pouvez pas non plus invoquer la distinction
entre dogmatique et pastoral pour accepter certains
textes de ce Concile et en refuser d’autres. Certes, tout
ce qui est dit dans un Concile ne demande pas un assen-
timent de même nature : seul ce qui est affirmé comme
objet de foi ou vérité annexe à la foi, par des actes
« définitifs », requiert un assentiment de foi Mais le
reste fait aussi partie du Magistère solennel de l'Eglise
auquel tout fidèle doit faire un accueil confiant et une
mise en application sincère.
Il reste qu’en conscience, dites-vous, vous ne voyez
toujours pas comment accorder certains textes du
Concile ou certaines dispositions que Nous avons prises
pour les mettre en œuvre, avec la sainte Tradition de
l'Eglise et en particulier avec le Concile de Trente ou
les affirmations de nos Prédécesseurs, par exemple, sur
la responsabilité du Collège des Evêques unis au Sou-
verain Pontife, le nouvel « Ordo Missae », l’œcumé-
nisme, la liberté religieuse, l’attitude de dialogue, l’évan-
gélisation dans le monde de ce temps. Ce n’est pas le
lieu, dans cette lettre, de reprendre chacun de ces pro-
blèmes. La teneur précise des documents, avec l’en-
semble des nuances qu’ils comportent et le contexte
qui les encadre, les explications autorisées, les commen-
taires approfondis et objectifs qui en ont été donnés,
sont de nature à vous faire surmonter ces perplexités
personnelles. Des conseillers absolument sûrs, théolo-
giens et spirituels, pourraient vous y aider encore, dans
la lumière de Dieu, et Nous sommes prêt à vous faciliter
cette assistance fraternelle. Mais comment une difficulté
personnelle intérieure — drame spirituel que Nous res-
pectons — vous permettrait-elle de vous ériger publi-
quement en juge de ce qui a été adopté légitimement
et pratiquement à l’unanimité, et d’entraîner sciemment
une partie des fidèles dans votre refus ? Si les justifica-
tions sont utiles pour faciliter intellectuellement l’adhé-
113
sion — et Nous souhaitons que les fidèles troublés
ou réticents aient la sagesse, l’honnêteté et l’humilité
d’accueillir celles qui sont mises largement à leur dis-
position — elles ne sont point par elles-mêmes néces-
saires à l’assentiment d’obéissance qui est dû au Concile
œcuménique et aux décisions du Pape. C’est le sens
ecclésial qui est en cause.
Au fond vous entendez, vous-même et ceux qui vous
suivent, vous arrêter à un moment déterminé de la vie
de l'Eglise; vous refusez par là même, d’adhérer à
l'Eglise vivante qui est celle de toujours ; vous rompez
avec ses Pasteurs légitimes, vous méprisez l’exercice
légitime de leurs charges. C’est ainsi que vous prétendez
n'être même plus touché par les ordres du Pape, ni par
la suspense «a divinis», tout en déplorant la « sub-
version » dans l'Eglise. N'est-ce pas dans cet état d’es-
prit que vous avez ordonné des prêtres sans lettres
dimissoriales et contre notre mandat explicite, créant
un groupe de prêtres en situation irrégulière dans l'Eglise
et affectés de graves peines ecclésiastiques ? Plus encore,
vous soutenez que la suspense encourue par vous s’ap-
plique seulement à la célébration des sacrements selon
le rite rénové, comme s’ils étaient importés abusivement
dans l'Eglise que vous allez jusqu’à qualifier de schis-
matique, et vous pensez échapper à cette sanction en
administrant les sacrements dans les formules du passé
et contre les règles établies (cf. 1 Co 14, 40).
C’est à la même conception erronée que se rattache
chez vous la célébration abusive de la messe dite de
Saint Pie V. Vous savez fort bien que ce rite avait été
lui-même le résultat de changements successifs, et que
le Canon romain demeure la première des prières eucha-
ristiques autorisées aujourd’hui. La réforme actuelle a
puisé ses raisons d’être et ses lignes directrices dans le
Concile et dans les sources historiques de la liturgie.
Elle permet aux fidèles de se nourrir plus largement de
la Parole de Dieu. Leur participation plus active laisse
intact le rôle unique du prêtre, agissant in persona
114
Christi. Nous avons sanctionné cette réforme de notre
autorité, en demandant son adoption par tous les catho-
liques. Si, en général, Nous n’avons pas jugé bon de
maintenir plus longtemps des retards ou des exceptions
à cette adoption, c’est en vue du bien spirituel et de
l'unité de l'entière communauté ecclésiale, car, pour les
catholiques de rite romain, 1” « Ordo Missae » est un
signe privilégié de leur unité. C’est aussi parce que,
dans votre cas, l’ancien rite est en fait l’expression d’une
ecclésiologie faussée, un terrain de lutte contre le
Concile et ses réformes, sous le prétexte que là seule-
ment on conserverait, sans que leurs significations soient
obscurcies, le véritable sacrifice de la messe et le sacer-
doce ministériel. Nous ne pouvons accepter ce jugement
erroné, cette accusation injustifiée, ni tolérer que l’Eu-
charistie du Seigneur, sacrement d’unité, soit l’objet de
pareilles divisions (cf. 1 Co 11, 18), et qu’elle soit même
utilisée comme instrument et signe de rébellion.
Certes, il y a place dans l’Eglise pour ün certain
pluralisme, mais dans les choses licites et dans l’obéis-
sance. Ils ne le comprennent pas, ceux qui refusent
l’ensemble de la réforme liturgique; pas davantage
d’ailleurs, ceux qui mettent en péril la sainteté de la
présence réelle du Seigneur et de son sacrifice. De même
il ne peut être question d’une formation sacerdotale qui
ignore le Concile.
Nous ne.pouvons donc pas prendre vos requêtes en
considération, parce qu’il s’agit d’actes qui sont déjà
posés dans la rébellion contre l’unique et véritable
Eglise de Dieu. Cette sévérité n’est pas dictée, croyez-le
bien, par un refus de faire une concession sur tel ou tel
point disciplinaire ou liturgique, mais, étant donné la
signification et la portée de vos actes dans le contexte
actuel, agir ainsi serait de notre part accepter d’intro-
duire une conception de l'Eglise et de la Tradition gra-
vement erronée.
C’est pourquoi, avec la pleine conscience de nos
devoirs, Nous vous disons, Frère, que vous êtes dans
115
l'erreur. Et avec toute l’ardeur de notre amour frater-
nel, comme avec tout le poids de notre autorité de
Successeur de Pierre, Nous vous invitons à vous rétrac-
ter, à vous reprendre et à cesser d’infliger des blessures
à l’Eglise du Christ.
II. Concrètement, qu'est-ce que Nous vous deman-
dons ?
A — D'abord et surtout, une Déclaration qui remette
les choses au point, pour Nous-même et aussi pour le
Peuple de Dieu qui a droit à la clarté et ne peut plus
supporter sans dommage de telles équivoques.
Cette Déclaration devra donc affirmer que vous
adhérez franchement au Concile œcuménique Vatican II
et à tous ses textes — « sensu obvio » —, qui ont été
adoptés par les Pères du Concile, approuvés et pro-
mulgués par notre autorité. Car une telle adhésion a
toujours été la règle, dans l'Eglise, depuis les origines,
en ce qui concerne les Conciles œcuméniques.
Il doit être clair que vous accueillez également les
décisions que Nous avons prises, depuis le Concile, pour
le mettre en œuvre, avec l’aide des Organismes du
Saint-Siège ; entre autres, vous devez reconnaître expli-
citement la légitimité de la liturgie rénovée, notamment
de | « Ordo Missae », et notre droit de requérir son
adoption par l’ensemble du peuple chrétien.
Vous devez admettre aussi le caractère obligatoire
des dispositions du droit canonique en vigueur qui,
pour la plus grande part, correspondent encore au
contenu du Code de Droit canonique de Benoît XV,
sans en excepter la partie qui a trait aux peines cano-
niques.
En ce qui concerne notre personne, vous aurez à
cœur de cesser et de rétracter les graves accusations ou
insinuations que vous avez portées publiquement contre
Nous, contre l’orthodoxie de notre foi et de notre fidé-
lité à la charge de Successeur de Pierre, et contre notre
entourage immédiat:
116
En ce qui concerne les Evêques, vous devez recon-
naître leur autorité dans leurs diocèses respectifs, en
vous abstenant d'y prêcher et d’y administrer les sacre-
ments: eucharistie, confirmation, ordres sacrés, etc.
lorsque ces Evêques s’y opposent expressément.
Enfin vous devez vous engager à vous abstenir de
toutes les initiatives (conférences, publications...) contrai-
res à cette Déclaration et à réprouver formellement
toutes celles qui se réclameraient de vous à l’encontre
de la même Déclaration.
Il s’agit là du minimum que doit souscrire tout Evé-
que catholique : cette adhésion ne peut souffrir de com-
promis. Dès que vous Nous aurez manifesté que vous
en acceptez les principes, Nous vous proposerons les
modalités pratiques de présenter cette Déclaration.
C’est la première condition pour que la suspense «a
divinis » soit levée.
117
C’est pourquoi en tant que garant suprême de la foi
et de la formation du clergé, Nous vous prescrivons
d’abord de remettre entre nos mains la charge et la
direction de vos œuvres et notamment de vos séminai-
res. C’est assurément pour vous un lourd sacrifice, mais
c’est un test aussi de votre confiance, de votre obéis-
sance, et c’est une condition nécessaire pour que ces
séminaires, qui n’ont pas d'existence canonique dans
l'Eglise, puissent éventuellement y prendre place.
Ce n’est qu'après que vous en aurez accepté le prin-
cipe que Nous serons en mesure de pourvoir le mieux
possible au bien de toutes les personnes intéressées, avec
le souci de promouvoir les vocations sacerdotales authen-
tiques et dans le respect des exigences doctrinales, dis-
ciplinaires et pastorales de l'Eglise. A ce stade, Nous
pourrons entendre avec bienveillance vos demandes et
vos souhaits et prendre en conscience, avec nos Dicas-
tères, les mesures justes et opportunes.
En ce qui concerne les séminaristes ordonnés illici-
tement, les sanctions qu’ils ont encourues conformé-
ment aux canons 985, 7° et 2374 pourront être levées,
s'ils donnent une preuve de résipiscence en acceptant
notamment de souscrire à la Déclaration que Nous vous
avons demandée. Nous comptons sur votre sens de
l'Eglise pour leur faciliter cette démarche.
Quant aux fondations, maisons de formation, « prieu-
rés» et autres institutions diverses créées sur votre
initiative ou avec votre encouragement, Nous vous pres-
crivons également de les remettre toutes et chacune
au Saint-Siège, qui étudiera leur cas, dans ses divers
aspects, avec l’Episcopat local. Leur survie, leur orga-
nisation et leur apostolat seront subordonnés, comme
il est normal dans toute l'Eglise catholique, à un accord
qui devra être passé, dans chaque cas, avec l’Evêque
du lieu — nihil sine Episcopo — et dans un esprit qui
respecte la Déclaration mentionnée plus haut.
LEE
118
Tous les points qui figurent dans cette lettre et que
Nous avons mûrement pesés, avec la collaboration des
chefs des Dicastères intéressés, n’ont été adoptés par
Nous qu’en vue du meilleur bien de l'Eglise, Vous Nous
avez dit à un moment de l'entretien du 11 septembre:
«Je suis prêt à tout, pour le bien de l’Eglise». La
réponse est maintenant entre vos mains.
Si vous refusiez — « quod Deus avertat » — de faire
la Déclaration d’adhésion qui vous est demandée, vous
resteriez suspens «a divinis ». Par contre, notre par-
don et la levée de la suspense vous seront assurés dans
la mesure où vous accepterez sincèrement et sans ambi-
guïté de réaliser les conditions de cette lettre et de répa-
rer le scandale causé. L’obéissance et la confiance dont
vous ferez preuve Nous permettront aussi d’étudier,
sereinement, avec vous, vos problèmes personnels:
Puisse l’Esprit-Saint vous éclairer et vous acheminer
vers la seule solution qui vous permettrait de retrouver
d’une part la paix de votre conscience un moment
égarée, mais d’assurer aussi le bien des âmes, de contri-
buer à l’unité de l’Eglise dont le Seigneur Nous a confié
la charge, d’éviter le péril d’un schisme. Dans l’état
psychologique où vous vous trouvez, Nous avons cons-
cience qu’il vous est difficile d’y voir clair et très dur
de changer humblement de ligne de conduite : n’est-il
pas urgent alors, comme dans tous les cas semblables,
de vous ménager un temps et un lieu de recueillement
qui vous permettent le recul nécessaire ? Fraternelle-
ment, Nous vous mettons en garde contre les pressions
dont vous pourriez être l’objet de la part de ceux qui
veulent vous entretenir dans une position insoutenable,
alors que Nous-même, tous vos Frères dans l’Episcopat
et l’immense majorité des fidèles attendent enfin de vous
l'attitude ecclésiale qui vous honorerait.
Pour extirper les abus que nous déplorons tous et
garantir un renouveau spirituel authentique, en même
temps que l’évangélisation courageuse à laquelle Nous
convie l'Esprit Saint, il faut plus que jamais l’aide et
119
l'engagement de toute la communauté ecclésiale, autour
du Pape et de l’Episcopat. Or la révolte des uns rejoint
finalement et risque d’accentuer l’insubordination et ce
que vous appelez la « subversion » des autres; alors
que, sans votre propre insubordination, vous auriez pu,
Frère, comme vous le souhaitez dans votre dernière
lettre, Nous aider à opérer, dans la fidélité et sous notre
Autorité, l’avancée de l'Eglise.
Veuillez donc, cher Frère, ne plus tarder davantage
à considérer devant Dieu, avec une très vive et religieuse
attention, cette adjuration solennelle de l’humble mais
légitime Successeur de Pierre. Veuillez mesurer la gra-
vité de l’heure et prendre la seule décision qui convient
à un fils de l’Eglise. Tel est notre espoir, telle est notre
prière.
PAULUS PP. VI.
Du Vatican, le 11 octobre 1976.
120
TABLE DES MATIÈRES
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La Presse et la Radio ont surabondamment fait
connaître les positions de Mgr Lefebvre, fondateur
du séminaire traditionaliste d’Écône : refus des déci-
sions du Concile, du rite eucharistique rénové et des
réformes promulguées par Paul VI. Beaucoup de
catholiques sont troublés et s’interrogent. L’un des
théologiens les plus actifs au Concile Vatican IT, le
P. Congar, offre des explications claires sur ce qui
est en Jeu : en définitive la communion catholique.
ISBN 2-204-01115-0