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Spécificités et conditions de réussite du management de

projets de recherche scientifique. Le cas de la recherche en


santé
Fatima Yatim, Étienne Minvielle
Dans Recherches en Sciences de Gestion 2018/3 (N° 126), pages 105 à 127
Éditions ISEOR
ISSN 2259-6372
DOI 10.3917/resg.126.0105
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revue Recherche en Sciences de Gestion-Management Sciences-Ciencias de
Gestión, n°126, p. 105 à 127

Spécificités et conditions de réussite du management de


projets de recherche scientifique. Le cas de la
recherche en santé

Fatima Yatim
Maître de Conférences
EA 7348 Management des Organisations de Santé (MOS)
Institut du Management
École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP)
(France)

Étienne Minvielle
Professeur
EA 7348 Management des Organisations de Santé (MOS)
Institut du Management
École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP)
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(France)

Cet article propose une analyse des spécificités du


management des projets de recherche scientifique et leurs conditions
de réussite. Le cas étudié est celui d’un projet de recherche en cours
pour concevoir et évaluer la mise en place d’un parcours de soins
coordonné en cancérologie. Nous postulons deux spécificités
principales : la dialectique connaissances/action et les ressorts des
réseaux d’acteurs. Nous mettons en évidence deux facteurs de réussite
essentiels que sont : l’importance des capacités d’adaptation de
l’ensemble du système-projet par rapport au contexte, et la nécessité
de la prise en compte des dimensions humaines.

Mots-clés : Management de Projets - Projets de Recherche


Scientifique - Recherche en santé - Parcours de soins coordonné.
106 FATIMA YATIM, ÉTIENNE MINVIELLE

This paper proposes an analysis of scientific research


projects management specificities and their key-success factors. We
based our analysis on a research project in progress to design and
evaluate the implementation cancer coordinated care pathway. To do
so, we postulated two main specificities: the dialectic between
knowledge and action, and the responsibility of the actors’ network
involved. We highlight two factors for success: adaptation capabilities
to the context of the system as a whole; and the consideration of the
relational and human aspects.

Key-words: Project management - Scientific research projects -


Health research - Coordinated care pathway.

A través de un estudio de caso, este artículo analiza las


características de los proyectos de investigación científica. Dirigimos
nuestra atención en particular a un proyecto de investigación siendo
procesados en un hospital para evaluar la implementación de un
curso coordinado de cuidado para pacientes con cáncer. Postulamos
la existencia de dos características principales: dialéctica del
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conocimiento / acción y las habilidades de actores que trabajan en
redes. Destacamos dos factores críticos de éxito: la importancia de la
capacidad de adaptación de todo el sistema del proyecto para el
contexto y la necesidad de la inclusión de dimensiones humanas.

Palabras-clave : Gestión de proyectos - Proyectos de investigación


científica - Investigación en salud - Cuidado curso coordinada.

Introduction

Quelle qu’en soit l’acception retenue, le projet se caractérise


par ses dimensions instrumentale et organisationnelle (Brechet et
Desreumaux, 2005). Aussi la littérature permet d’identifier différentes
conditions de réussite. Une première catégorie, relative à la gestion de
projets, renvoie essentiellement à l’optimisation des techniques et des
outils notamment dans la planification et l’ordonnancement des tâches
PROJETS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE : CAS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 107

(Robertson et Williams, 2006). Et une seconde catégorie qui renvoie


notamment à la qualité du leadership du chef de projet, la pertinence
de la composition de l’équipe projet, la structure formelle adoptée ou
encore aux modes d’organisation et de communication (Andersen et
al., 2004). La littérature en gestion et en management de projets offre
ainsi un nombre considérable de travaux qui permettent d’appréhender
les conditions de réussite des projets dans leurs dimensions
instrumentale et organisationnelle.

Toutefois, malgré sa portée conceptuelle et opérationnelle,


cette littérature présente certaines lacunes du fait des spécificités des
projets étudiés. Pour la très large majorité de ces derniers, il s’agit en
effet de projets centrés autour d’une organisation cliente ou
impliquant des acteurs externes mais dont le rôle est limité à une
‘’sous-traitance en cascade’’ conforme au modèle maître-
d’ouvrage/maître-d’œuvre (Barthélémy et Gonard, 2003). En outre,
quel qu’en soit l’objet, les projets étudiés cherchent à répondre à une
demande précise et visent une cible définie à l’avance. Tout un
ensemble de projets inter-organisationnels et/ou des projets dont les
cibles ne peuvent être définis précisément à l’avance, à l’image des
projets de recherche scientifique (Grossetti et Milard, 2003),
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demeurent alors à la marge des travaux en gestion et en management
de projets (Midler et Gastaldi, 2005).

Par projets de recherche scientifique nous entendons des


projets dont la finalité première est de produire des connaissances
scientifiques mais qui se distinguent d’une activité scientifique plus
classique du fait de leur organisation en mode projet. Il existe certes
un ensemble significatif de travaux portants sur les projets R&D qui
se rapprochent dans leur contenu des projets de recherche scientifique
tels que considérés dans cet article, mais ces projets s’en distinguent
en termes d’organisation et de finalités pour présenter les mêmes
spécificités identifiées ci-dessus. Que ce soit en raison de leur nature
partenariale ou en raison des difficultés de définition de cibles
préalables précises (Grossetti et Milard, 2003), les projets de
recherche scientifique sont ainsi peu étudiés (Midler et Gastaldi,
2005).

L’objectif de cet article est de contribuer à une meilleure


compréhension du management des projets de recherche scientifique à
108 FATIMA YATIM, ÉTIENNE MINVIELLE

travers une étude de cas. Le projet étudié est conduit dans le cadre
d’une recherche intervention pour expérimenter un dispositif
organisationnel dans le cadre d’un programme de recherche
pluridisciplinaire. L’analyse que nous en proposons ambitionne de
mettre en évidence les spécificités de ce type de projets et de dégager
les conditions de réussite qui leurs sont propres.

Dans cette perspective, nous présentons dans la première


partie une revue de littérature sélective qui apporte un éclairage
théorique au sujet. Nous postulons ainsi deux caractéristiques
distinctives des projets de recherche scientifique : dialectique
connaissance/action et spécificité du réseau des acteurs. En outre,
nous identifions deux principales conditions de réussite : l’importance
des capacités d’adaptation de l’ensemble du système-projet par
rapport au contexte et la nécessité de la prise en compte des
dimensions humaines. Dans la seconde partie, nous présentons plus en
avant le projet étudié au regard des conclusions tirées de la revue de
littérature. La troisième partie permet une discussion et une mise en
perspective des résultats.

1. – Recherche scientifique et management de projets


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Pour Turner et al. (2012), il existe dans la littérature une
grande confusion entre critères de réussite et conditions de réussite des
projets. Les auteurs soulignent l’abondance des écrits sur les secondes
au détriment des premiers. En outre, qu’il s’agisse des écrits des
professionnels ou des chercheurs, il n’existe pas de consensus sur ces
conditions de réussite en elles-mêmes. Dans le courant classique du
management de projet, la réussite d’un projet est acquise dès lors que
le triptyque qualité-coût-délais est respecté (Jolivet, 2003). Ceci
explique l’accent mis sur deux principales conditions. D’une part, l’on
insiste d’un point de vue gestionnaire sur les conditions d’optimisation
de la planification et de l’ordonnancement des tâches1, et d’autre part,
l’on met en avant l’importance d’un point de vue managérial de la
coordination, selon les règles contractuelles, entre deux principaux
acteurs que sont le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre. Dans le
courant de l’ingénierie concourante, l’enjeu de la réussite réside dans

1
Bien que la question de la maîtrise des risques soit également considérée comme
condition de réussite dans certaines approches du même courant.
PROJETS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE : CAS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 109

la compression de la durée du projet et dans l’optimisation des tâches


dans le temps (Cicmil, 2006). Il s’agit moins de maîtriser la
planification et l’ordonnancement des tâches, ou les risques, mais il
est question d’organiser la simultanéité des tâches pour garantir une
plus grande flexibilité.

Les conditions de réussite établies par les deux courants ne


sont donc pas antinomiques mais elles sous-tendent des priorités
différentes. Une raison principale explique à notre sens ce fait : il
s’agit de la diversité des approches et des modèles managériaux sous-
jacents, elle-même dépendante de la nature des projets. En effet, le
modèle classique est adapté pour les grands projets unitaires tels que
les projets militaires ou spatiaux qui lui ont donné naissance. A
l’inverse, le modèle de l’ingénierie concourante répond lui aux
besoins d’innovation de l’industrie de grandes séries et à ceux des
entreprises manufacturières où il a été développé et perfectionné. Les
conclusions des deux courants sont donc d’une portée relativement
limitée pour les projets scientifiques qui sont par nature éloignés des
cas de figure évoqués.

1.1. Connaissance vs action


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Contrairement aux projets traditionnellement traités dans la
littérature, y compris les travaux sur les projets R&D2, les projets de
recherche scientifique présentent une sorte d’incertitude forte qui peut
aller des connaissances à créer jusqu’aux résultats et applications
futures de celles-ci. A l’image des avant-projets en innovation
technologique ou de ce que Lenfle (2001) qualifie de projets amont de
manière générique, l’élaboration d’un programme de recherche
scientifique correspond davantage à une structuration temporaire du
(ou des) champ (s) à explorer qu’à une planification d’activités telle
qu’admise en mangement de projets traditionnels (Lenfle et Midler,

2
Les projets R&D étudiés dans la littérature sont en effet majoritairement accès sur la
partie développement sans distinction avec la partie recherche. A notre connaissance,
les travaux établissant une distinction claire entre les deux phases, sont peu nombreux.
En outre, lorsque la distinction est établie (Le Masson, 2001; Lenfle, 2001), ces travaux
traitent de projets de recherche sur l’innovation technique et/ou technologique, où
l’accent est mis sur l’exploitation des connaissances issues de la recherche et/ou
d’expérience pratique afin de développer de nouveaux produits.
110 FATIMA YATIM, ÉTIENNE MINVIELLE

2003). C’est l’action qui permet de faire émerger, tester et valider des
connaissances nouvelles. Elle permet de créer des épreuves (essais),
tout en permettant la coordination des acteurs autour de ces épreuves
(Lenfle, 2001), qui sont à considérer comme des jalons. L’absence de
connaissances stabilisées oblige en effet à mettre en place des
stratégies d’exploration orientée mais ouverte. Le but consiste ainsi à
organiser un processus d’apprentissage cumulatif dont l’efficacité sera
fonction des capacités des équipes projets à structurer le temps autour
d’une série d’épreuves qui permettent au projet d’avancer (Lenfle et
Midler, 2003).

Ce passage de la notion de jalons, référence en management de


projets traditionnels, à la notion d’épreuves, plus pertinente pour les
projets scientifiques, a trois implications importantes. La première
tient au rapport au temps et à la structuration temporelle du projet. En
effet, l’absence d’évidence et de certitude complète sur les voies à
explorer amène à investir les premières phases du projet sans être en
capacité de décider des jalons. La deuxième implication a trait à
l’évolution du rôle joué par les outils de gestion. Il ne s’agit plus en
effet de matérialiser une réponse à une question précise, de la
structurer dans le temps, d’organiser l’allocation des ressources pour
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ce faire et de suivre les réalisations, mais il s’agit de valider
simultanément la question et la réponse (Lenfle et Midler, 2003). Ce
sont donc les itérations, de questions et de réponses, qui permettent de
juger de l’avancement du projet et de sa performance (Lenfle, 2001).
La dernière implication du passage de la notion de jalon à celle
d’épreuve est de considérer que tout projet scientifique est porteur de
deux objectifs qui peuvent tous deux être atteints ou non. Le premier
est la création de connaissances nouvelles et le second est leur
exploitation et leur valorisation à des fins économiques ou autres. Du
fait de la dialectique connaissance/action, les projets de recherche
scientifique présentent par conséquent des spécificités fortes en termes
de rapport au temps, en termes de critères d’évaluation de leur
avancement, et en termes de critères d’évaluation de l’atteinte des
objectifs. Leurs conditions de réussite doivent donc intégrer ces
différentes implications, de même que leur management.
PROJETS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE : CAS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 111

1.2. Acteurs projets vs réseaux d’acteurs

En outre, les projets de recherche scientifique se distinguent


fortement par le système d’acteurs qu’ils mobilisent. Pour Vinck
(1999), les projets scientifiques s’apparentent en effet à des
phénomènes contingents dont l’issue ne peut être garantie à l’avance à
cause de la mobilisation de réseaux d’acteurs atypiques. Les projets
scientifiques ne se limitent pas aux acteurs projets mais impliquent des
parties prenantes nombreuses, changeantes et hétérogènes. Elles sont
nombreuses et hétérogènes car les projets nécessitent des
compétences, des connaissances et des techniques diverses : selon les
domaines concernés par les recherches à mettre en œuvre, selon les
aptitudes et les besoins des utilisateurs potentiels (Allen et Rose,
1997).

Par ailleurs, l’hétérogénéité des acteurs n’est pas uniquement


liée aux compétences, connaissances et techniques mobilisées mais
elle reflète aussi la diversité des partenaires institutionnels. En effet,
en raison du coût élevé des projets scientifiques, de leur fort degré
d’incertitude en termes de résultats et des risques associés, il s’agit
souvent de financements croisés, combinant notamment des
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financements publics et privés (Callon, Laredo et Mustar, 1995). A
cela s’ajoute le fait que, en fonction des finalités, de la nature de
l’environnement institutionnel et des contraintes réglementaires, les
parties prenantes peuvent également inclure différents acteurs publics
et/ou privés.

En outre, en raison de l’incertitude qui caractérise ces projets,


les ressources cognitives nécessaires, et donc les acteurs impliqués, ne
peuvent être tous identifiés en amont et ne peuvent être stabilisés au
cours du projet. L’existence d’une incertitude sur les possibilités
d’application et de valorisation des connaissances produites fait par
conséquence évoluer les profils des partenaires potentiels selon les
résultats intermédiaires des recherches (Blondel, 2002).

1.3. Le management du système-projet

Du fait de la dialectique connaissance/action et de la nature


spécifique du réseau d’acteurs qu’ils mobilisent, les projets
112 FATIMA YATIM, ÉTIENNE MINVIELLE

scientifiques impliquent donc un management qui s’écarte quelque


peu des contraintes traditionnelles pour porter plus fortement attention
aux facteurs contextuel et humain.

La prise en compte du contexte doit permettre de garantir une


forte capacité d’adaptation aux situations, notamment les situations
organisationnelles où le projet prend place. Tout projet est en effet
singulier dans la mesure où il correspond à la singularité du contexte
et de la situation organisationnelle qu’il représente et/ou dans laquelle
il s’insère. Le poids de l’incertitude qui caractérise les projets de
recherche scientifique invite donc à mettre davantage l’accent sur les
capacités d’adaptation et sur la flexibilité selon le contexte. Ce point
central est par ailleurs de plus en plus mis en avant par de nombreux
auteurs qui soulignent l’importance du facteur contextuel occulté
jusqu’à lors dans le domaine du management de projet de manière
générale. Les projets sont ainsi considérés comme une série de
situations de gestion variables et fortement évolutives selon le
contexte (Laufer, Post et Hoffman, 2005).

Le facteur humain renvoie quant à lui essentiellement au


poids des acteurs. L’incertitude des projets est en effet source de
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diversité des critères de jugement, motivations, interprétations et
préférences des individus. En outre, en raison de leur ancrage
organisationnel, les projets sont également le reflet des configurations
et des enjeux de pouvoir en présence (Cicmil, 2006). Cicmil et
Hodgson (2006) à titre d’exemple, insistent sur le fait que les
conditions d’échec ou de réussite des projets sont davantage liées aux
jeux des acteurs, aux enjeux stratégiques et politiques qu’aux
techniques et outils. De ce fait, les orientations des projets et les
processus décisionnels sont conditionnés aussi bien par les
connaissances scientifiques produites que par les considérations
politiques qui évoluent avec l’évolution du réseau des acteurs (De
Pouvourville et Minvielle, 1995).

Aussi contrairement aux modèles traditionnels, courant


classique et courant de l’ingénierie concourante, qui mettent l’accent
sur des conditions de réussite instrumentales, d’autres travaux
montrent que le management de projet doit s’intéresser aux
dimensions cognitives et au facteur humain. Les orientations prises
par les travaux du courant de l’improvisation organisationnelle
PROJETS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE : CAS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 113

(Moorman et Miner 1998 ; Miner et al, 2001), montrent ainsi un


intérêt plus grand pour les dimensions contextuelles internes et
externes aux projets et pour les dimensions humaines. En effet, dans
ce courant alternatif, la réussite des projets réside dans la capacité des
membres de l’équipe à répondre aux événements imprévus et à
expérimenter de nouvelles solutions (Gunha et al., 2002). Il s’agit dés
lors de trouver un équilibre entre formalisation et flexibilité et
d’aménager des espaces de liberté qui permettent aux acteurs
d’improviser, dans un cadre contrôlé, des solutions plus pertinentes
selon le contexte (e.g. contexte politique et social qui ont une
influence importante sur les financements et sur les processus
décisionnels) (De Pouvourville et Minvielle, 1995).

Le management des projets de recherche scientifique dépasse


donc le seul management de l’équipe projet pour englober l’ensemble
du système-projet : les spécificités et visées propres au projet, le
réseau des acteurs (équipe et acteurs projets internes et externes), ainsi
que l’ensemble des facteurs humains et contextuels. Les conditions de
réussite ne dépendent par conséquent pas uniquement des facteurs
traditionnellement admis, notamment le leadership du chef de projet et
les compétences de l’équipe projet, mais dépendent aussi de la
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capacité de tous à collaborer ensemble à la recherche de solutions
nouvelles au gré des évolutions du contexte de la recherche. Aussi les
critères de réussite ne sont pas fonction de standards établis à
l’avance, notamment en termes de coût-qualité-délais, ou encore en
termes d’optimisation de compétences collectives. Il s’agit davantage
de critères communs à construire chemin-faisant (Lenfle, 2001), en
admettant la possibilité d’absence de résultats sur le plan scientifique
et/ou de débouchés sur le plan opérationnel.

Dans la partie qui suit, ces conclusions seront mises en


perspective à travers le cas du projet PSC.

2. – Le projet PSC, un exemple de projet de recherche


scientifique

L’objectif du projet étudié est de développer au sein d’un


établissement spécialisé en oncologie un Parcours de Soins Coordonné
(PSC), en évaluer l’impact et la valeur-ajoutée. Le projet expérimente,
114 FATIMA YATIM, ÉTIENNE MINVIELLE

dans le cadre d’une recherche intervention, un dispositif


organisationnel combinant un support technologique et l’intervention
de deux infirmières de coordination. Le support technologique est un
portail internet qui sert de plateforme d’échange de mails et de
documents entre les patients et les professionnels d’une part, et entre
l’ensemble des professionnels impliqués dans la prise en charge des
patients à l’hôpital et en ville. Les infirmières de coordination assurent
quant à elles le suivi à distance des patients et coordonnent l’ensemble
de leur prise en charge. Le projet est conduit dans le cadre d’un
programme de recherche qui mobilise différentes disciplines et
champs disciplinaires (médecine, pharmacie, gestion, économie de la
santé, droit de la santé, éthique médicale).

Protocole de recherche :
Partant de l’hypothèse d’un impact positif du parcours coordonné, le
programme de recherche s’articule autour de trois dimensions;
organisationnelle, médicale/pharmaceutique et économique. Le
protocole de recherche est construit de manière à tester différentes
variables relevant de ces trois dimensions et à permettre d’établir les
liens de causalité entre ces dernières.
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En termes de méthodologie, le protocole s’appuie sur un essai clinique
randomisé contrôlé incluant 1000 patients (groupe intervention et
groupe contrôle) et sur une étude longitudinale mobilisant des
techniques qualitatives et quantitatives.
PROJETS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE : CAS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 115

L’étude randomisée vise à comparer le groupe intervention disposant


d’un parcours coordonné (portail internet et infirmières de
coordination -IDEC) au groupe contrôle par rapport à cinq critères :
l’efficacité clinique, la consommation des soins, le rapport
coût/efficacité, l’expérience et la satisfaction des patients, et les modes
de coordination.

L’étude longitudinale est consacrée à l’analyse en profondeur du


fonctionnement et des usages du dispositif mis en place. L’analyse
inclut ainsi la dynamique d’implantation et les changements
organisationnels observés durant la période de l’étude randomisée. Le
but est de disposer d’analyses qualitatives et quantitatives fines qui
permettent d’expliquer les résultats de l’étude randomisée.

Le projet PSC mobilise différentes disciplines et champs


disciplinaires et est marqué par un fort degré d’imbrication des volets
étudiés. Ceci a des implications en termes de structuration du
programme de recherche et de composition du réseau des acteurs, en
termes de spécificités du système-projet, et en termes d’exigences
managériales.
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2.1. Un programme de recherche et un réseau évolutif

Le projet PSC vise deux finalités, une finalité scientifique et


une finalité sanitaire et socioéconomique. Sur le plan scientifique, il
s’agit de contribuer à la création de connaissances nouvelles,
pluridisciplinaires, sur les parcours de soins en termes de pratiques
cliniques et organisationnelles. Sur le plan sanitaire et
socioéconomique, il s’agit de contribuer à l’amélioration des
modalités de prise en charge des patients pour une meilleure qualité de
vie de ces derniers et pour une plus grande efficacité et efficience du
système de santé (établissements, financeurs et décideurs publics et
privés, professionnels de ville, etc.).

Ces deux finalités influencent largement le positionnement et


la structuration du programme de recherche. En effet, le lancement du
programme est motivé par l’absence d’évidences scientifiques sur les
meilleures pratiques en matière de coordination des parcours de soins
des patients. Aussi à travers la stratégie de la recherche intervention, le
116 FATIMA YATIM, ÉTIENNE MINVIELLE

but est de concevoir, tester et valider les conditions d’efficacité et


d’efficience d’un dispositif organisationnel qui permettrait une
meilleure coordination du parcours de soins à des fins de
reproductibilité (généralisation au sein de l’établissement
expérimentateur et transfert dans d’autres établissements).

Le point de départ est donc celui de la problématique de la


coordination du parcours de soins, ce qui inclut les conditions de la
coordination en termes de pratiques cliniques, organisationnelles et
opérationnelles, mais également les liens entre ces trois dimensions.
La structuration du projet de recherche, plus particulièrement dans ses
phases amont, voit donc l’évolution des questions et des réponses
possibles à la fois. En effet, la complexité de la coordination implique
d’explorer différentes voies à la fois. Parmi les questions posées
figuraient ainsi les questions suivantes : existe-t-il des populations
spécifiques de patients nécessitant prioritairement la mise en place
d’un dispositif innovant ? Quelles sont les pratiques cliniques qui
favorisent la coordination du parcours ? Quelles sont les conditions
organisationnelles qui facilitent la coordination du parcours ? Quel
apport potentiel des technologies de l’information et de la
communication ? Quels modes de financement appropriés ? etc…
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Parmi les facteurs qui contribuent à cette évolution, quatre
ont une influence importante. Il s’agit tout d’abord, des avancées du
programme de recherche et par là-même des résultats de
l’exploration/exploitation de champs de recherche nouveaux avec
l’intégration de nouveaux chercheurs : en droit de la santé (exigences
réglementaires en matière de télémédecine notamment), en gestion
(étude qualitative de la conduite du changement), en sociologie
(relations patients-médecins). Le deuxième facteur renvoie aux
conditions matérielles et à la disponibilité des ressources humaines et
financières : délais nécessaires pour l’allocation des ressources
financières pour le financement du portail, délais nécessaires pour le
développement techniques, disponibilité des acteurs membres de
l’équipe projet, disponibilité d’autres acteurs ressources internes et
externes à l’hôpital dont la contribution est nécessaire pour l’analyse
des besoins notamment (patients, professionnels de ville, etc.). Le
troisième facteur qui contribue à l’évolution de la structuration même
du projet renvoie aux interdépendances entre les objectifs du projet et
les objectifs de l’établissement, terrain de la recherche. A titre
PROJETS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE : CAS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 117

d’exemple, certaines problématiques liées notamment à des difficultés


de coordination interne à l’hôpital n’ont pu être intégrées dans les
travaux prévus dans le cadre du programme (problèmes de
coordination entre services et pharmacie de l’hôpital), de même que
pour certains sous-volets de la recherche qui sont menés dans le cadre
d’autres projets (la thématique de l’éducation thérapeutique). Le
quatrième facteur qui participe de l’évolution du projet de recherche
renvoie à la composition dense et complexe du réseau de l’équipe
projet. En effet, le caractère pluridisciplinaire du projet et le choix de
la recherche intervention comme stratégie de mise en œuvre implique
la mobilisation de nombreuses compétences scientifiques, techniques
ainsi que des compétences métiers internes à l’organisation terrain de
la recherche.

Le pilotage du projet est ainsi assuré par une équipe projet


composée de trois sous-équipes où se croisent différents profils
d’acteurs :
- La sous-équipe scientifique regroupe l’ensemble des
chercheurs impliqués dans le projet : oncologues, pharmaciens,
économistes, gestionnaires, statisticiens, sociologues, experts
médicaux, chargés de recherche.
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- La sous-équipe métiers regroupe les directions fonctionnelles
et transversales de l’établissement (Direction qualité, risques et
relations aux patients ; Direction des systèmes d’informations ;
Direction des soins ; Direction de l’Information Médicale ; Direction
Finances), ainsi que des responsables de départements (département
ambulatoire et département pharmacie).
- La sous-équipe technique regroupe certains acteurs
appartenant aux équipes scientifique et métiers, ainsi que des acteurs
opérationnels impliqués directement dans la phase de mise en place
effective du parcours coordonné (chercheurs, chargés de recherche,
infirmières de coordination, prestataire de services informatiques)

Ce choix organisationnel pour le pilotage du projet s’explique


par la volonté de faciliter le partage des informations et la
collaboration entre les différents acteurs. En outre, il s’agit
d’impliquer dès le début du projet les principaux acteurs ressources,
plus particulièrement les acteurs métiers, dans les différentes phases
du projet et dans les différents volets. Toutefois, ce choix pose la
question des arbitrages nécessaires entre objectifs et priorités du projet
118 FATIMA YATIM, ÉTIENNE MINVIELLE

d’une part, et ceux des métiers représentés et de l’organisation de


l’établissement de manière générale, d’autre part. Enfin, du fait qu’il
s’agit d’un établissement avec une activité clinique et de recherche, ce
choix présente également une difficulté supplémentaire relative au
double rôle assuré par certains acteurs, étant à la fois acteurs métiers et
chercheurs (chef du département ambulatoire, chef du département
pharmacie, et directeur qualité, risques et relations aux patients)3.

2.2. Un Projet de recherche à l’hôpital

La nature de l’organisation, terrain de la recherche, est


également un facteur important qui influence la conception et la mise
en œuvre du projet PSC. Ceci s’explique par des spécificités
organisationnelles et opérationnelles comme tout établissement
hospitalier : complexité et sensibilité des pratiques médicales et de
soins, rapport aux patients, rapports hiérarchiques entre
professionnels, coexistence de structures formelles et informelles
parallèles mais dont le poids n’est pas égal, etc. A ces spécificités
s’ajoutent la nature systémique des processus opérationnels, le fort
degré d’enchevêtrement et la très forte interdépendance entre les
activités et les acteurs. Cette complexité, représente donc un risque
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majeur pour le projet PSC car la conception d’un parcours coordonné
de soins nécessite un accès large à l’organisation et une connaissance
fine des processus organisationnels et opérationnels, qui n’est possible
qu’avec une collaboration fructueuse entre chercheurs et acteurs
métiers.

En outre, à cette complexité organisationnelle et opérationnelle


s’ajoutent les enjeux politiques qui traversent les différentes
spécialités du corps médical, les différents niveaux et les différentes
catégories de personnels (médecins, soignants, administratifs). Des
orientations centrales dans le cadre du projet ont ainsi été au centre

3
L’établissement expérimentateur est en effet un centre de soins et de recherche, en
plus des activités d’enseignement assurées. De ce fait, certains membres de l’équipe
projet sont à la fois chercheurs dans différentes disciplines (oncologie, pharmacie et
gestion/santé publique), et responsables métiers en leur qualité de directeurs (direction
qualité, risques et relations aux usagers) ou de chefs de départements (ambulatoire et
pharmacie).
PROJETS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE : CAS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 119

d’enjeux politiques entre différents corps. A titre d’illustration,


l’identification du profil des infirmières de coordination qui
conditionne le contenu du dispositif du parcours coordonné a fait
l’objet de nombreux débats en raison de la diversité des points de
vue selon le positionnement professionnel : profil «case manager»
pour le corps médical, privilégiant les besoins de coordination,
d’information et de suivi; et profil clinicienne pour le corps infirmier
soucieux d’affirmer la dimension clinique dans leur métier et une
relation de proximité avec le patient (Yatim et al., 2017)4. A la croisée
des enjeux organisationnels et politiques, se trouve donc le risque de
l’instrumentalisation du projet.

La deuxième difficulté rencontrée par le projet PSC, inhérente


également en partie au double rôle assuré par certains acteurs et au
caractère professionnel de l’organisation, renvoie à la diversité des
buts. En effet, si les financeurs du projet, publics et privés, visent
clairement une finalité recherche à valeur ajoutée sanitaire et socio-
économique, la question de la diversité des objectifs et des horizons
temporels se pose néanmoins, et ce à deux niveaux. Elle vient tout
d’abord, des besoins et des attentes de l’organisation terrain de
l’expérimentation et donc ressource majeure pour le projet, et de ses
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représentants impliqués directement dans le projet. Pour
l’établissement hospitalier, le projet PSC représente un investissement
(à travers les différentes ressources mises à disposition) et implique
donc un retour en termes d’amélioration à court terme de la qualité de
vie pour les patients et en termes de réduction des coûts grâce à une
meilleure coordination du parcours de soins. Pour les chercheurs, la
recherche s’inscrit sur le moyen/long terme, et toute issue, réussite ou
échec, est un résultat qui participe de la construction du socle de
connaissances disponibles.

La diversité des buts vient ensuite du caractère


pluridisciplinaire du projet et de la diversité des compétences
mobilisées. La particularité du projet PSC est de combiner en effet,
recherche clinique, médicale et pharmaceutique, et recherche éco-

4
Les fonctions de « case manager » étant davantage orientées vers des activités de
coordination et peuvent être exercées par des acteurs aux profils divers sans
obligatoirement disposer de compétences cliniques : travailleurs sociaux, éducateurs,
psychologiques, etc.
120 FATIMA YATIM, ÉTIENNE MINVIELLE

gestionnaire. La conception même du projet et l’élaboration du


programme de recherche est potentiellement source de divergences
épistémologiques entre disciplines à travers des questions concrètes
liées notamment à la nature des outils et méthodes,
quantitatifs/qualitatifs, les critères de scientificité et de démonstration
de preuve, la nature des publications et leur valeur, etc.

2.3. Un management contingent

Le projet PSC, à l’instar de tout projet scientifique, met


certainement en exergue plus fortement que d’autres les limites des
modèles traditionnels du management de projets. La pluridisciplinarité
du programme de recherche, le fort degré d’incertitude qui le
caractérise, la densité du réseau des acteurs, la diversité de leurs
compétences, de leurs motivations, et parfois la divergence des
résultats attendus, l’ensemble de ces spécificités impose d’autres
logiques pour garantir la réussite du projet.

La première condition de réussite que le cas étudié met en


évidence est liée au poids du contexte organisationnel et institutionnel
dans lesquels le projet est inséré, et permet donc de souligner
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l’importance des capacités d’adaptation. Les principales difficultés
ainsi que les principales orientations opérées pour y remédier ont été
en effet liées à des obstacles financiers, réglementaires (autorisations
diverses notamment en lien avec les exigences en matière de
télémédecine), mais également organisationnels (accès aux processus
organisationnels et opérationnels de l’organisation, disponibilité des
acteurs, enjeux politiques, etc.). Toutefois, si le contexte
organisationnel est potentiellement source de difficultés, il est
également un facteur de réussite. En effet, bien qu’il partage avec les
établissements de santé des caractéristiques identiques en termes de
complexité, l’établissement étudié se distingue par un dynamisme fort
et par la présence d’une culture projet et d’une culture recherche
scientifique forte.

La deuxième condition de réussite qui émerge du projet PSC


renvoie au rôle central d’un pilotage contingent. En effet, la proximité
entre les trois sous-équipes décrites ci-dessus et leur imbrication à
travers de nombreux acteurs communs, renforcées par un effort de
feed-back régulier, permet de faciliter la communication et la
PROJETS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE : CAS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 121

coopération entre les acteurs. Des points de vigilance ont ainsi été
régulièrement mis en évidence et proposés au débat à la recherche de
solutions. En outre, du fait de la grande autonomie dont bénéficient les
membres des sous-équipes, l’adaptation et la recherche de solutions
nouvelles ont été facilitées. Toutefois, les avantages que présente la
structuration du réseau d’acteurs PSC et leur mode de pilotage ne sont
possibles qu’au prix d’un découpage et d’une clarification des
responsabilités entre l’organisation terrain, les sous-équipes et le
responsable projet (directeur du programme). En effet, si le projet PSC
implique un management contingent, collaboratif, la responsabilité du
projet implique elle des compétences politiques, managériales et
communicationnelles spécifiques et un leadership fort. La capacité de
décision et d’arbitrage est en effet centrale afin de gérer les conflits
potentiels, mais aussi afin de fédérer autour d’intérêts communs et de
critères de réussite partagés.

3. – Discussion

Les spécificités du projet PSC montrent combien la réussite


d’un projet de recherche scientifique est complexe et dépend d’un
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ensemble de conditions difficilement maîtrisables. Comme tout projet,
la gestion dans le sens instrumental (planification, ordonnancement
des activités) est certes importante (Robertson et Williams, 2006), de
même que la qualité du leadership du chef de projet, la pertinence de
la composition de l’équipe projet, la structure formelle adoptée ou
encore les modes d’organisation et de communication (Andersen et
al., 2004). Toutefois, ces conditions de réussite, établies pour
l’essentiel par le courant classique et le courant de l’ingénierie
concourante, ne sont que d’une portée limitée pour les projets de
recherche scientifique qui présentent des spécificités fortes.

Le projet PSC permet de souligner le caractère structurant de


l’incertitude qui caractérise ces projets et qui peut aller des
connaissances à créer jusqu’aux résultats et applications futures de
celles-ci. La structuration du projet PSC, plus particulièrement dans
ses phases amont, est en effet, marquée par l’évolution des questions
et des réponses possibles et par l’exploitation/exploration de différents
champs de recherche (evidence-based medicine, pratiques cliniques,
conditions organisationnelles, apport et limites des technologies de
122 FATIMA YATIM, ÉTIENNE MINVIELLE

l’information et de la communication, conditions économiques et


financement appropriés, etc.). Sans oublier l’ensemble des facteurs
contextuels qui ont une influence importante (cadre réglementaire,
disponibilité des ressources financières, développement de solutions
technologiques, etc.). Il s’agit donc davantage d’épreuves ou d’essais
dans le sens de Lenfle (2001) que de jalons tel que admis en
mangement de projets traditionnellement (Lenfle et Midler, 2003).
C’est l’action qui permet de faire émerger, tester et valider des
connaissances nouvelles, et inversement, pour in fine coordonner
l’action des acteurs autour de ces épreuves. Du fait de cette dialectique
connaissance/action, les projets de recherche scientifique présentent
par conséquent des spécificités fortes en termes de rapport au temps,
en termes de critères d’évaluation de leur avancement, et en termes de
critères d’évaluation de l’atteinte des objectifs. Leurs conditions de
réussite doivent donc intégrer ces différentes implications, de même
que leur management. Le projet PSC permet en outre de montrer à
quel point les projets de recherche scientifique se distinguent par la
densité et la complexité de leur réseau d’acteurs. En effet, le caractère
pluridisciplinaire du projet PSC et le choix de la recherche
intervention comme stratégie de mise en œuvre implique la
mobilisation de nombreuses compétences scientifiques, techniques
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ainsi que des compétences métiers internes à l’organisation terrain de
la recherche. Il s’agit donc moins d’une équipe projet que d’un
système d’acteurs dans le sens de Vinck (1999), impliquant des parties
prenantes nombreuses, changeantes et hétérogènes et s’apparentant à
un phénomène contingent dont l’issue ne peut être garantie à l’avance
(Allen et Rose, 1997)..

Du fait de ces deux spécificités (dialectique


connaissance/action et réseau d’acteurs), le projet PSC implique donc
un management qui dépasse les contraintes traditionnelles pour inciter
à porter plus attention aux facteurs contextuels et humains. Dans sa
structuration, il s’apparente davantage à une série de situations de
gestion variables et fortement évolutives selon le contexte (Laufer,
Post et Hoffman, 2005). Pour le cas étudié, les principales difficultés
nécessitant de nombreuses adaptations ont été liées au contexte
institutionnel (autorisations diverses notamment en lien avec les
exigences en matière de télémédecine) et au contexte organisationnel
(accès aux processus organisationnels et opérationnels de
l’organisation, disponibilité des acteurs, enjeux politiques, etc.). Le
PROJETS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE : CAS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 123

management du projet devait également s’adapter à la diversité des


critères de jugement, motivations, interprétations et préférences des
individus qui composent le réseau d’acteurs (Cicmil et Hodgson,
2006). Aussi, en plus de l’incertitude qui caractérise toute recherche
scientifique, le management des projets de recherche scientifique doit
aussi inclure l’incertitude contextuelle et celle liée à l’importance du
facteur humain du fait de la densité du réseau des acteurs. Ces
conclusions sont à rapprocher des travaux du courant de
l’improvisation organisationnelle (Moorman et Miner 1998 ; Miner et
al, 2001), avec une nuance néanmoins. En effet, si l’enjeu pour ce
courant est d’aménager des espaces de liberté au sein des
organisations pour faciliter la flexibilité et l’émergence de solutions
innovantes (Gunha et al., 2002), l’enjeu ici est de définir un cadre
contrôlé (plus particulièrement en termes de finalités prioritaires
partagées) qui garantit à la fois l’existence du collectif mais qui, en
même temps préserve la diversité des logiques et des positionnements.

En effet, dans le cadre du projet PSC, cet enjeu a été plus


particulièrement présent en raison du choix de la stratégie de la
recherche intervention qui implique par définition d’engager une
collaboration étroite entre les acteurs métiers et les chercheurs. Les
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premiers sont intégrés au sein de l’équipe de recherche dès les
premières phases du projet et ce pour l’ensemble des volets étudiés.
Les seconds ont accès à l’organisation pour y coordonner une
transformation de l’intérieur, en tester les variables opérantes et
produire des connaissances nouvelles.

Ce choix présente de nombreux avantages. Il permet une


adaptation aux attentes, aux besoins et aux contraintes de
l’organisation où se produit le changement opéré. Il est donc
synonyme d’une contextualisation forte, qui s’opère au fil des phases
d’alternance, pendant des durées variables et à des degrés d’intensité
variables, entre formalisation des changements attendus, mise en
œuvre, adaptations locales et reformalisation (Ben-Mohamoud Jouini,
Paris et Bureau, 2010). Ce ne sont toutefois pas uniquement les
pratiques des acteurs métiers qui se trouvent transformées, mais ce
sont les connaissances et les références des chercheurs qui se
transforment aussi, s’ajustent, s’affinent pour s’adapter au contexte de
l’intervention et produire des connaissances nouvelles. Aux deux
niveaux, il existe donc une exigence de contextualisation, d’adaptation
124 FATIMA YATIM, ÉTIENNE MINVIELLE

et de souplesse dans le cadre d’une action collective instrumentée,


finalisée mais singulière et non déterministe (Moisdon, 2007).

La création du collectif passe dès lors par l’harmonisation des


objectifs entre au moins trois catégories d’acteurs : les chercheurs, les
acteurs métiers, mais aussi les décideurs internes et externes à
l’établissement à l’image des financeurs. La réussite du projet PSC sur
le plan organisationnel et sur le plan scientifique, est donc condition
d’un management habile qui permet de concilier les objectifs de ces
différentes catégories, sans perdre la richesse et la diversité des
logiques (scientifique et disciplinaire, opérationnelle, financière).
Aussi au-delà d’une simple habilité en matière de management de
projet, il s’agit ici d’opérer un rapprochement entre le monde de
l’action et celui de la science, deux mondes disjoints par nature, en
raison de leurs enjeux et de leurs temporalités propres (Moisdon,
1991).

Néanmoins, si la forte contextualisation qu’implique la


recherche intervention facilite ce rapprochement, il revient aux
chercheurs de s’assurer du maintien d’une certaine distance nécessaire
sans laquelle la recherche perd son sens et les chercheurs leur valeur
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ajoutée. En effet, du point de vue de l’organisation, les chercheurs
assurent un rôle d’observateurs et d’experts qui doivent identifier les
dysfonctionnements, les mettre en évidence et guider les acteurs
métiers à trouver des solutions. Ce rôle peut être remis en question
lorsqu’il n’existe pas de distance nécessaire et lorsque les chercheurs
se trouvent impliqués directement dans les jeux des acteurs (Savall et
Zardet, 2004).

Conclusion :

Cet article avait pour objectif d’analyser les spécificités des


projets de recherche scientifique et d’interroger leurs conditions de
réussite. Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur la littérature en
gestion et en management de projets et avons postulé deux
caractéristiques qui leurs sont propres : la dialectique
connaissances/action et les ressorts des réseaux d’acteurs. Sur la base
d’une étude de cas, le projet Parcours de Soins Coordonné (PSC)
mené dans un établissement français spécialisé en oncologie, nous
PROJETS DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE : CAS DE LA RECHERCHE EN SANTÉ 125

avons analysé ces spécificités et mis en évidence les enjeux du


management de ce type de projets : la gestion de l’incertitude
scientifique et contextuelle, ainsi que le recherche d’un équilibre
subtile qui garantit l’existence du collectif tout en préservant la
richesse et la diversité du réseau des acteurs. Notre but a ainsi été de
proposer une contribution à un domaine relativement peu pris en
charge dans les travaux gestionnaires. Or, le management de projets
de recherche scientifique présente selon nous un enjeu important pour
les sciences de gestion, et plus particulièrement dans le domaine de la
santé. En effet, si la recherche médicale a longtemps été centrée sur
les dimensions cliniques, les connaissances actuelles tendent de plus
en plus à alerter sur l’importance des facteurs organisationnels et par
là-même sur le management des programmes de recherche médicale
en mode projet pour en garantir l’efficacité lors de la mise en routine.
Ceci est vrai pour la recherche clinique pure mais l’est encore
davantage lorsqu’il s’agit d’intervention combinant à la fois des
dimensions cliniques et des dimensions organisationnelles, comme
cela est le cas pour le projet analysé dans le présent article.
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