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L’article met l’accent sur les questions en jeu et les difficultés impliquées dans l’évaluation des
politiques au niveau « macro ». Bien que l’évaluation soit un domaine complexe où le consensus
est difficile à obtenir, elle reste toutefois un instrument indispensable et nécessaire pour éclairer
la prise de décision. En ce qui concerne l’évaluation au niveau « macro », les décisions qui ont
besoin d’être éclairées sont celles qui conduisent à la croissance, et on utilise le PIB comme le
principal critère pour évaluer la croissance. L’article soutient que, bien qu’il soit facile à utiliser,
le PIB se heurte toutefois à de nombreux problèmes techniques et conceptuels qui font qu’il n’est
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This paper focuses on the issues at stake and difficulties involved in the evaluation of “macro”-
level policies. Although evaluation is a complex area where consensus is hard to reach, it nonethe-
less remains an indispensable tool that is largely recognized as necessary to enlighten decision-
making. From the perspective of “macro”-level evaluation, decisions that need to be informed
are those conducive to growth, and GDP is used as the main yardstick to evaluate growth. The
paper argues that although it is easy to use, GDP nonetheless entails a host of both technical and
conceptual problems, which lead it to become a rather unsatisfactory way of evaluating what the
economy produces. Other determinants of growth (such as human capital, environmental costs,
value of the expertise required to evaluate) would need to be better taken into account, on the
side of investments, to provide a more faithful measure of the economic value of policies. The
paper concludes on the other uses that can be made of evaluation, and recalls how evaluation can
also be an efficient tool for assessing and rewarding the performance of managers and decision-
makers to encourage the achievement of expected development outcomes.
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12 James Mirrlees
1 ÉVALUATION ET POLITIQUE
On évalue les résultats économiques afin d’éclairer les choix de politique fu-
turs. Il peut s’agir d’une politique de très grande ampleur, telle que l’adhésion
à l’OMC ou la privatisation généralisée des moyens de production. Il peut
également s’agir d’une politique à moyenne échelle. Par exemple, le change-
ment du taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés a des conséquences
macroéconomiques. Avant de construire une nouvelle route ou une nouvelle
centrale électrique, il convient également d’évaluer les effets probables de ces
projets. Dans tous les cas, l’évaluation ne se limite pas à la simple description
des résultats : elle requiert également un jugement de valeur. Ce jugement
n’est pas nécessairement basé sur un seul indicateur, et il n’est pas nécessai-
rement numérique ; mais cela est possible, et peut-être que cela devrait en
être ainsi.
Bien que l’on puisse être en désaccord, et que l’on soit bien souvent en
désaccord, sur l’observation des faits économiques, généralement parce que
la conjoncture économique est difficile à interpréter, il devrait toujours être
possible, en principe, de régler ces différends. L’observation du revenu heb-
domadaire, ou du bien-être d’un individu, sont des exemples standards. Les
désaccords concernant l’évaluation sont inévitables, et il peut être impossible
de les résoudre. Des personnes différentes suivent des principes différents.
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L’indicateur du PIB a été dans une certaine mesure standardisé, et nous dis-
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doit essayer d’influencer ces décisions. Cela est entièrement juste. C’est ce
que l’on apprend si l’on identifie l’investissement comme la cause immédiate
de la croissance. Il faut admettre que c’est à la fois la quantité et la qualité de
l’investissement qui influencent la croissance. Ainsi, l’évaluation des projets
d’investissement n’est pas chose aisée.
L’investissement, réalisé dans une quantité suffisante et à un niveau de
qualité adéquat, rend la croissance possible, mais pas certaine. Certains pays,
avec un faible niveau de productivité et une épargne suffisante, ne réussissent
pas nécessairement à suivre l’exemple des économies asiatiques, bien qu’ils
soient de plus en plus nombreux à y parvenir. Tant de circonstances peuvent
intervenir dans le processus : le conflit, par exemple, constitue un problème
fondamental. La violence peut constituer un obstacle à la croissance et entraî-
ner la famine. Par ailleurs, si la richesse s’accumule dans les mains d’un petit
nombre, elle peut disparaître dans des comptes de banques suisses. Le capital
peut être investi principalement dans des technologies improductives. Enfin,
il reste toujours la possibilité, aujourd’hui si bien connue dans les pays déve-
loppés, que la demande soit insuffisante pour que les possibilités de produc-
tion soient pleinement exploitées, décourageant encore davantage l’investisse-
ment. On ne peut donc pas espérer découvrir une formule simple, qui relierait
la croissance de l’économie à l’investissement ainsi qu’à d’autres variables
évidentes, en comparant les pays et en mesurant leur expérience.
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Brock, W. et S. Durlauf (2001a), “Growth Empirics and Reality,” World Bank
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Banerjee, A. et E. Duflo (2011), Poor Economics: A Radical Rethinking of the Way
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5 DÉCISIONS
Le principal défaut du PIB est qu’il ne prend pas en compte les inégalités.
Si l’on cherche à estimer la valeur de l’activité économique cette année, ne
devrions-nous pas accorder plus de poids à l’augmentation des petits reve-
nus qu’à celle des gros revenus ? Tout le monde conviendra certainement
que la lutte contre la pauvreté doit recevoir une attention particulière. Dans
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Bien que je pense que l’indice de l’ONUDI soit une bonne manière de
résoudre le problème, je me demande si l’on pourrait envisager une moyenne
pondérée simple des revenus des individus. Le poids accordé à chaque indi-
vidu serait inversement lié à son niveau de revenu, en prenant par exemple
l’inverse du revenu au carré. Le revenu de l’individu devrait également être
ajusté d’une certaine manière par l’âge de la personne. Ainsi, l’évolution an-
nuelle du PIB par tête serait calculée à partir de l’évolution des revenus, pon-
dérés de manière appropriée. L’évolution des revenus des individus à revenu
élevé ne compterait pratiquement pas et, à cet égard, cette approche peut sem-
bler extrême ; il me semble cependant que celle-ci exprime des valeurs large-
ment partagées, même par de nombreux riches. D’une façon approximative
et simple, on pourrait utiliser le revenu national tronqué de sorte à ne tenir
compte que de la médiane ou du premier quartile du revenu.
8 VALEURS PLURIELLES ?
9 ÉVALUATION DE L’INVESTISSEMENT
que le système fiscal du pays soit optimal. Il s’agit là d’une hypothèse forte,
respectant les valeurs et les compétences du gouvernement du pays.
De nombreux projets ne sont pas standards et posent des problèmes
importants en termes de mesure et d’évaluation, particulièrement en ce qui
concerne leurs résultats. Cela vaut pour les projets de santé et d’éducation. De
nombreux projets appuient les gouvernements, principalement en leur four-
nissant des experts en matière de fiscalité, de statistiques ou d’approvision-
nement en eau. Je doute qu’une analyse coût-bénéfice n’ait déjà été réalisée
dans ces cas-là. Les projets dans les domaines de l’eau, de l’assainissement et
de l’environnement doivent être aussi difficiles à évaluer que les projets dans
les domaines de l’éducation et de la santé.
Pourquoi trouve-t-on si peu d’analyses coût-bénéfice approfondies, uti-
lisant un taux d’intérêt de référence correct et des prix fictifs (bien que la
Banque Asiatique de Développement en réalise en grande quantité) ? La rai-
son évidente est qu’il existe assez peu de projets que je qualifie de « stan-
dards ». L’aide au développement a joué un rôle de plus en plus important
dans ces autres domaines pour lesquels il est difficile de réaliser des évalua-
tions numériques sérieuses, à moins que des résultats expérimentaux ne
soient disponibles.
Les expérimentations peuvent renseigner, par exemple, sur les gains de
revenus futurs obtenus grâce à des services de santé ou d’éducation parti-
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11 INCITATIONS
Les évaluations ne sont pas seulement un outil pour la prise de décision. Elles
peuvent également servir de base à un mécanisme incitatif. Les récompenses,
telles que les primes, ou les pénalités, telles que les licenciements, pourraient
dépendre du résultat final, ou même intermédiaire, du projet.
Dans de nombreux projets, les parties responsables – les gestionnaires et
les cadres – ne sont pas les bénéficiaires. Les enseignants dans un système
scolaire ne gagnent rien si leurs anciens élèves obtiennent des emplois bien
rémunérés, bien que cela puisse leur faire plaisir. Dans ce contexte, il peut être
bon d’introduire des incitations. Il faudra alors les concevoir dans le projet.
Un des avantages d’une évaluation ex post systématique est qu’elle donne la
Évaluer les politiques de développement 25
possibilité de mettre en place des bonus adéquats. Bien sûr les bonus font par-
tie du coût du projet et ils devraient être pris en compte lors de l’évaluation
complète.
Banerjee et Duflo3 soulignent que, lorsque les tâches sont définies dans
un projet, elles doivent être réalisables pour la plupart des participants. De
la même manière, lorsque des systèmes de bonus sont intégrés au projet, ils
doivent être conçus de sorte à ce qu’il y ait de grandes chances pour qu’une
partie des bonus soit versée. Les modèles économiques ont tendance à insister
sur les récompenses directes qui dédommagent les agents pour leur effort.
De tels versements peuvent également exprimer une appréciation, ce qui en
retour ravive le moral des individus et les encourage à bien travailler. Il doit
y avoir un versement ou alors aucune appréciation ne pourra être exprimée.
Il n’est pas impossible d’appliquer cette idée à l’aide aux pays en déve-
loppement. Cela peut sembler absurde de suggérer que les membres des gou-
vernements pourraient recevoir des bonus, qui les récompenseraient pour
d’importantes réductions de la pauvreté, par exemple. Mais quelque chose de
similaire se produit. C’est ce que fait le prix Nobel de la paix. Il convient de
rappeler que les bonus ne doivent pas nécessairement être très élevés. Pour-
rait-il y avoir une Chambre des Lords aux Nations Unies, qui distribuerait des
titres honorifiques aux pays qui auraient des évaluations exceptionnellement
bonnes ? L’adhésion, j’ose espérer, ne reposerait pas simplement sur le taux de
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Ibid.
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