Vous êtes sur la page 1sur 16

Évaluer les politiques de développement

Evaluating Development Policies


James Mirrlees
Dans Revue d'économie du développement 2012/4 (Vol. 20), pages 11 à 25
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1245-4060
ISBN 9782804175771
DOI 10.3917/edd.264.0011
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/revue-d-economie-du-developpement-2012-4-page-11.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Évaluer les politiques
de développement
Evaluating Development Policies
James Mirrlees
Prix Nobel de Sciences économiques
Université chinoise de Hong Kong

L’article met l’accent sur les questions en jeu et les difficultés impliquées dans l’évaluation des
politiques au niveau « macro ». Bien que l’évaluation soit un domaine complexe où le consensus
est difficile à obtenir, elle reste toutefois un instrument indispensable et nécessaire pour éclairer
la prise de décision. En ce qui concerne l’évaluation au niveau « macro », les décisions qui ont
besoin d’être éclairées sont celles qui conduisent à la croissance, et on utilise le PIB comme le
principal critère pour évaluer la croissance. L’article soutient que, bien qu’il soit facile à utiliser,
le PIB se heurte toutefois à de nombreux problèmes techniques et conceptuels qui font qu’il n’est
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


pas satisfaisant pour évaluer ce que l’économie produit. On aurait besoin de mieux prendre en
compte, sur le plan des investissements, d’autres déterminants de la croissance (comme le capital
humain, les coûts liés à l’environnement, la valeur de l’expertise requise pour l’évaluation) afin
de fournir une mesure plus fidèle de la valeur économique des politiques. L’article conclut sur les
autres utilisations qui peuvent être faites de l’évaluation, et rappelle que cette dernière peut être
aussi un instrument efficace pour estimer et récompenser la performance des gestionnaires et des
preneurs de décision en encourageant la mise en œuvre des résultats de développement attendus.

This paper focuses on the issues at stake and difficulties involved in the evaluation of “macro”-
level policies. Although evaluation is a complex area where consensus is hard to reach, it nonethe-
less remains an indispensable tool that is largely recognized as necessary to enlighten decision-
making. From the perspective of “macro”-level evaluation, decisions that need to be informed
are those conducive to growth, and GDP is used as the main yardstick to evaluate growth. The
paper argues that although it is easy to use, GDP nonetheless entails a host of both technical and
conceptual problems, which lead it to become a rather unsatisfactory way of evaluating what the
economy produces. Other determinants of growth (such as human capital, environmental costs,
value of the expertise required to evaluate) would need to be better taken into account, on the
side of investments, to provide a more faithful measure of the economic value of policies. The
paper concludes on the other uses that can be made of evaluation, and recalls how evaluation can
also be an efficient tool for assessing and rewarding the performance of managers and decision-
makers to encourage the achievement of expected development outcomes.

11
12 James Mirrlees

1 ÉVALUATION ET POLITIQUE

On évalue les résultats économiques afin d’éclairer les choix de politique fu-
turs. Il peut s’agir d’une politique de très grande ampleur, telle que l’adhésion
à l’OMC ou la privatisation généralisée des moyens de production. Il peut
également s’agir d’une politique à moyenne échelle. Par exemple, le change-
ment du taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés a des conséquences
macroéconomiques. Avant de construire une nouvelle route ou une nouvelle
centrale électrique, il convient également d’évaluer les effets probables de ces
projets. Dans tous les cas, l’évaluation ne se limite pas à la simple description
des résultats : elle requiert également un jugement de valeur. Ce jugement
n’est pas nécessairement basé sur un seul indicateur, et il n’est pas nécessai-
rement numérique ; mais cela est possible, et peut-être que cela devrait en
être ainsi.
Bien que l’on puisse être en désaccord, et que l’on soit bien souvent en
désaccord, sur l’observation des faits économiques, généralement parce que
la conjoncture économique est difficile à interpréter, il devrait toujours être
possible, en principe, de régler ces différends. L’observation du revenu heb-
domadaire, ou du bien-être d’un individu, sont des exemples standards. Les
désaccords concernant l’évaluation sont inévitables, et il peut être impossible
de les résoudre. Des personnes différentes suivent des principes différents.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


Les valeurs morales, quant à elles, font l’objet d’un consensus. Il est possible
de persuader et de parvenir à des compromis. En un sens, l’évaluation est im-
possible. Malgré cela, il est nécessaire d’y recourir. L’autre option, qui serait
de choisir les politiques à l’aveuglette, est inacceptable.
Tout d’abord, j’aborderai les questions de l’évaluation au niveau macro-
économique, que l’on a espéré résoudre en observant l’impact des réformes
institutionnelles ou des politiques macroéconomiques sur la performance éco-
nomique agrégée. Les décideurs politiques et les économistes s’accordent sur
l’idée que ces politiques d’envergure doivent être choisies de sorte à produire
une croissance économique rapide. Bien que cette approche simplifie et fausse
considérablement la question de l’évaluation, elle s’avère assez utile pour déli-
miter et mieux cerner ses enjeux. J’aimerais alors expliquer pourquoi je ne
pense pas que les questions de politique doivent être limitées à ces décisions
macroéconomiques concernant le système économique.
Après avoir donné un aperçu du développement économique, j’examine-
rai comment on pourrait l’évaluer, d’une manière plus subtile et plus utile
qu’avec le taux de croissance du PIB. Je souhaiterais alors réfléchir sur les
nombreux aspects importants du bien-être humain qui sont négligés lorsque
Évaluer les politiques de développement 13

l’on mesure et compare le PIB, et étudier comment on pourrait les intégrer


dans nos évaluations.
Cela nous conduira ensuite à la question microéconomique de l’évalua-
tion de projets individuels. Il y a tellement de projets et de programmes qui
sont difficiles à évaluer à partir de critères monétaires qu’il n’est pas surpre-
nant que l’analyse coût-bénéfice ait moins, voire beaucoup moins, d’influence
sur les décisions économiques que ce qu’on à quoi on s’attendait. Est-ce une
fatalité, ou au contraire, est-ce que l’évaluation quantitative, et la conception
des projets qui va de pair avec elle, peuvent éclairer davantage les décisions
politiques ? J’aborderai également le problème fondamental de la gestion des
coûts générés par l’évaluation et par la prise de décision elle-même : dit sim-
plement, de combien d’experts avons-nous besoin ?
La réflexion sur l’évaluation des projets me conduira au sujet final de cet
exposé, à savoir, le lien entre évaluation et incitations, une question qui mérite
bien plus d’attention que celle qui lui a été prêtée jusqu’à présent. Bien évi-
demment, nous verrons qu’il n’y a pas de réponse évidente.

2 QU’EST-CE QUI ENTRAÎNE LA CROISSANCE ?

L’indicateur du PIB a été dans une certaine mesure standardisé, et nous dis-
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


posons de données, ou du moins d’estimations de qualité, pour des périodes as-
sez longues et ce, pour l’ensemble des pays. Ces informations sont également
mises à jour. Nous savons donc qu’un certain nombre de pays ont connu une
croissance rapide, en termes de PIB, sur des périodes relativement longues.
D’après cet indicateur, plusieurs pays asiatiques ont vu leur développement
décupler en cinquante ans. La manière dont ils y sont parvenus n’est un mys-
tère pour personne. La part de l’investissement dans le PIB était élevée, et ils
sont parvenus à éviter les rendements décroissants du capital en dégageant
une partie du travail des secteurs à faible productivité de l’économie, principa-
lement en provenance des zones rurales. Cela correspond au modèle proposé
par Arthur Lewis dans les années 1950, bien avant que cette croissance rapide
ne se produise.
Ma proposition, formulée simplement, selon laquelle l’investissement
-sous forme de projets d’investissement- génère de la croissance, est remise en
question par le fait que l’investissement lui-même est endogène, c’est-à-dire
qu’il résulte lui-même de nombreux éléments, parmi lesquels la décision de
créer une unité de production plutôt qu’une autre, et la décision des personnes
qui financent le projet, d’épargner ou de prêter. On dira alors que la politique
14 James Mirrlees

doit essayer d’influencer ces décisions. Cela est entièrement juste. C’est ce
que l’on apprend si l’on identifie l’investissement comme la cause immédiate
de la croissance. Il faut admettre que c’est à la fois la quantité et la qualité de
l’investissement qui influencent la croissance. Ainsi, l’évaluation des projets
d’investissement n’est pas chose aisée.
L’investissement, réalisé dans une quantité suffisante et à un niveau de
qualité adéquat, rend la croissance possible, mais pas certaine. Certains pays,
avec un faible niveau de productivité et une épargne suffisante, ne réussissent
pas nécessairement à suivre l’exemple des économies asiatiques, bien qu’ils
soient de plus en plus nombreux à y parvenir. Tant de circonstances peuvent
intervenir dans le processus : le conflit, par exemple, constitue un problème
fondamental. La violence peut constituer un obstacle à la croissance et entraî-
ner la famine. Par ailleurs, si la richesse s’accumule dans les mains d’un petit
nombre, elle peut disparaître dans des comptes de banques suisses. Le capital
peut être investi principalement dans des technologies improductives. Enfin,
il reste toujours la possibilité, aujourd’hui si bien connue dans les pays déve-
loppés, que la demande soit insuffisante pour que les possibilités de produc-
tion soient pleinement exploitées, décourageant encore davantage l’investisse-
ment. On ne peut donc pas espérer découvrir une formule simple, qui relierait
la croissance de l’économie à l’investissement ainsi qu’à d’autres variables
évidentes, en comparant les pays et en mesurant leur expérience.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


3 LES POSSIBILITÉS DE PRODUCTION

Dans ce contexte, que peut ajouter l’économétrie à un indicateur aussi simple


et approximatif que le PIB ? Les données de PIB, d’investissement et d’autres
variables sont disponibles pour quasiment tous les pays et pour de longues
périodes. De nombreux économistes emploient des techniques statistiques
pour déduire, à partir des données, les possibilités de production. Un des en-
seignements semble être que l’investissement ne jouerait pas un rôle aussi
déterminant que ce qu’une observation superficielle du monde pourrait nous
laisser penser. Je ne suis pas certain toutefois que la méthodologie employée
dans ces études soit correcte. Brock et Durlauf1 soutiennent qu’il est inexact
de mener une analyse statistique en incluant l’ensemble des pays. Il serait
préférable de mener des études séparées, par groupes de pays partageant

Brock, W. et S. Durlauf (2001a), “Growth Empirics and Reality,” World Bank
1

­Economic Review, 15, 2, 229-272.


Évaluer les politiques de développement 15

des caractéristiques similaires. Cela ressort clairement lorsque l’on pense au


modèle de Lewis pour les économies en développement, qui connaissent une
migration considérable de travailleurs du secteur rural traditionnel vers le
secteur urbain moderne, suggérant ainsi une réalité très différente de celle
des pays développés. Les économies de l’Asie de l’Est, avec leurs périodes de
croissance rapide, devraient être regroupées dans la même catégorie. Cepen-
dant, elles ont été à des étapes différentes de leur croissance à différents mo-
ments, disposaient de technologies différentes, et ont poursuivi des stratégies
de production assez différentes. Il pourrait donc être difficile de trouver des
arguments irréfutables pour les regrouper dans la même catégorie.
Pourtant, selon moi, il existe un problème plus fondamental. Les données
pour un pays, pour une année spécifique, indiquent combien il était possible
de produire avec le capital et le travail dans ce pays, à ce moment donné. Les
comparer avec les données de production, de capital et de travail d’une autre
année nous renseigne très peu sur la quantité supplémentaire qu’on aurait pu
produire cette année-là, si l’on avait disposé de davantage de capital. Déduire
une forme particulière de fonction de production à partir des données, en uti-
lisant des techniques statistiques, revient à supposer, sans disposer d’aucune
preuve, qu’il existe une relation entre les possibilités de production à diffé-
rentes périodes et dans des circonstances différentes. On ne devrait donc pas
être surpris que les résultats obtenus à partir de l’analyse statistique soient
souvent difficiles à croire ; il ne faut d’ailleurs pas les croire.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


En réalité, l’histoire est la grande responsable. Le monde ne produit pas
assez d’expérimentations naturelles. Ainsi, on ne peut pas espérer qu’un large
éventail de facteurs de production soit essayé alternativement, simplement
pour nous montrer quelles sont les possibilités de production disponibles. Les
données ne permettent pas de déduire de manière précise et fiable ce qui se
serait passé si l’investissement avait été différent. Les erreurs de mesure du
capital et de la production aggravent encore un peu plus le problème.
En fait, pour les économies asiatiques qui connaissent une croissance
rapide, le rapport entre l’augmentation annuelle du PIB et l’investissement
de l’année précédente est resté presque constant, du moins jusqu’à la crise
récente. Cela n’est que suggestif, mais cette relation renforce l’idée selon
laquelle l’investissement produit de la croissance. Un pays croît plus rapi-
dement lorsqu’il investit davantage. Ce résultat est en accord avec les idées
suggérées par le modèle de Lewis : l’investissement rend la croissance pos-
sible, mais une croissance rapide ne sera possible qu’à la condition qu’il y
ait initialement un niveau important d’inefficience dans l’économie. Il existe
des différences considérables entre les pays, ce qui permet vraisemblablement
16 James Mirrlees

d’observer l’impact des bonnes décisions d’investissement, et des contextes


économiques favorables, sur le PIB.

4 LES AUTRES DÉTERMINANTS DE LA CROISSANCE

Il nous faut revoir les autres éléments de l’environnement économique qui


contribuent à la croissance et qui interagissent avec l’investissement en capi-
tal. Un bon nombre des politiques que l’on doit évaluer visent à influencer l’un
ou l’autre de ces facteurs.
Le capital humain est toujours le premier qui nous vient à l’esprit. L’édu-
cation, l’expérience, notamment professionnelle, et les services de santé in-
fluencent la capacité des individus à travailler, à effectuer des tâches spécia-
lisées et à prendre de bonnes décisions. Il est bien établi que des procédures
médicales assez simples ont un impact important sur les revenus futurs ;
et, bien évidemment, les individus qui ont un niveau d’éducation plus élevé
gagnent en moyenne un revenu plus important. Généralement, ils perçoivent
des revenus plus élevés parce qu’ils produisent davantage de PIB. Les projets
visant à améliorer et à développer l’éducation, à procurer des soins médicaux
et à faire acquérir de l’expérience professionnelle, visent tous à accroître le
capital, ainsi qu’à transmettre les plaisirs immédiats de l’apprentissage, à
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


réduire la souffrance et à contribuer à la société. La plupart de ces effets sont
plutôt difficiles à évaluer. Heureusement, les expérimentations fournissent de
nombreuses preuves solides. Abhijit Banerjee et Esther Duflo2 en mentionnent
certaines d’entre elles dans leur excellent ouvrage Poor Economics.
Nombreux sont les économistes et ceux qui considèrent le commerce inter-
national comme un déterminant majeur de la croissance économique. Grâce
au commerce international, un pays peut exploiter des économies d’échelle et
se spécialiser dans la production qui lui est la plus adaptée, étant donné son
stock de capital et sa force de travail. En effet, la plupart des pays qui désirent
acquérir un avion peuvent l’obtenir en cultivant du coton, en fabriquant des
textiles et en en échangeant le montant approprié pour acheter l’avion. La
valeur de ce que l’on produit est ainsi augmentée par les possibilités du com-
merce international. Aussi simple soit-elle, cette remarque montre clairement
pourquoi on doit utiliser les prix mondiaux pour évaluer la production (ou les
facteurs de production).

Banerjee, A. et E. Duflo (2011), Poor Economics: A Radical Rethinking of the Way
2

to Fight Global Poverty, PublicAffairs.


Évaluer les politiques de développement 17

Pour la plupart des producteurs, à l’exception des agriculteurs de subsis-


tance, accéder au marché pour y vendre leurs produits est une préoccupation
majeure, et le coût pour y parvenir peut représenter une part considérable
du prix final payé par les consommateurs. L’existence de routes, de ports,
d’aéroports, d’électricité, de drainage, et autres installations similaires, peut
affecter de manière importante les possibilités de production. Le contexte juri-
dique et la sécurité du pays jouent également un rôle évident, étant donné leur
impact sur les coûts liés à l’exécution des contrats, à la corruption, à la mise en
conformité et aux diverses formes de protection.
Autrement dit, l’évaluation des politiques visant à favoriser la croissance
ne peut se limiter à la mesure du coût de l’investissement et à l’estimation de
la production supplémentaire qui en résultera.

5 DÉCISIONS

Les politiques économiques, qui sont le résultat de décisions, visent en géné-


ral elles-mêmes à influencer des décisions. Les décisions seront prises en se
basant sur l’évaluation des conséquences des choix alternatifs. Je ne dis pas
qu’elles maximiseront nécessairement des nombres représentant les évalua-
tions. Les choix sont généralement effectués sur la base de réponses moins
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


formelles aux évaluations, et les évaluations elles-mêmes peuvent ne pas être
formulées numériquement. Cependant, on doit prendre des décisions, et la
manière la plus facile de les modéliser consiste à penser en termes de maximi-
sation de la valeur nette des différentes options, même si on pense qu’il s’agit
d’une sorte de maximisation rudimentaire.
Les décisions relevant de l’économie prennent de nombreuses formes. La
première et la plus importante consiste à choisir (et à concevoir) les projets.
La tache d’un gestionnaire de l’économie ne s’arrête pas là. Il doit également
trouver des assistants et des délégués compétents. Il doit décider des axes de
l’enquête, de la recherche et du développement. En réalité, bon nombre de
personnes doivent prendre des décisions, plus ou moins importantes, liées à la
recherche. Toute décision dépend de décisions antérieures prises pour acqué-
rir de l’information, allant de la recherche passive, en passant par la réflexion
ou encore la conception d’expérimentations. Telle est la tâche des experts, des
conseillers et des consultants. Nous devons penser à la manière dont on pour-
rait évaluer leur contribution. Et nous devons décider.
Je suppose qu’on ne considère pas que développer des contacts et des rela-
tions contribue de manière aussi importante ou fondamentale aux décisions
18 James Mirrlees

de production que les découvertes scientifiques et technologiques. Cependant,


de toute évidence, ceci est grandement valorisé, à en juger par les montants
que les entreprises sont prêtes à payer pour les conférences et les cours de per-
fectionnement des cadres, sans parler des frais de scolarité dans les écoles de
commerce les plus cotées. On aimerait penser que cela devient moins onéreux
avec la diffusion des réseaux sociaux et autres nouveautés, mais cela reste de
grande valeur. À nouveau, j’insiste sur la nécessité de poser la question de la
valorisation de l’expertise, qui représente une part importante des dépenses
de l’aide au développement.

6 ÉVALUER LES RÉSULTATS


MACROÉCONOMIQUES

Avant d’en arriver à ce niveau de détails, il nous faut reconnaître et répondre


à une question importante. Le PIB constitue un moyen très insatisfaisant
pour évaluer ce que l’économie produit. Si d’une certaine manière on voulait
estimer le bien-être humain généré par l’économie en une année, alors, cer-
tainement personne ne penserait que le PIB est une mesure appropriée. Sa
grande disponibilité est la seule raison pour laquelle il est autant utilisé, et
présent implicitement dans chaque référence à la croissance économique. Une
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


autre raison est que, dès que l’on cherche à concevoir un meilleur indicateur,
on est face à un chemin semé d’embûches : il est non seulement difficile de
concevoir une ou des mesure(s) qui ferai(en)t consensus, mais de plus, on fait
face à la difficulté conceptuelle de savoir simplement ce que l’on doit mesurer.
Est-ce le bien procuré par l’économie aux individus pour l’année considé-
rée ; ou, est-ce le bien que la production de l’économie de cette année procure-
ra aux individus, non seulement aujourd’hui mais aussi dans les années à ve-
nir ? Je suppose que la deuxième option est la meilleure, si nous voulons faire
des prévisions économiques, ou estimer l’effet de décisions importantes sur
notre évaluation de la production économique. Cela signifie qu’il faut estimer
la contribution de l’investissement présent à la consommation et aux autres
biens futurs. Cela signifie également qu’il faut estimer l’impact des dépenses
de santé, et des autres consommations analogues, engagées aujourd’hui, sur
la vie et la mortalité futures. L’espérance de vie actuelle (telle qu’utilisée dans
l’Indice de Développement Humain de l’ONUDI) ne permet pas d’en tenir
compte directement. Celle-ci constitue une sorte d’approximation, mais il est
nécessaire de réfléchir à la manière dont on pourrait améliorer cette approche
afin de saisir de façon adéquate ces effets.
Évaluer les politiques de développement 19

On pourrait s’en tenir aux dépenses de consommation courantes, pu-


bliques et privées, pour mesurer le bien-être. Celles-ci contribuent certai-
nement au bien-être humain. L’investissement peut, ou non, contribuer à
la consommation future. Si les marchés fonctionnent correctement, et si le
niveau de l’investissement futur n’est pas trop élevé, la valeur de l’inves-
tissement est la valeur présente de la consommation qui sera procurée par
l’investissement dans le futur. Mais dans les économies à croissance rapide,
il est probable qu’une partie des dépenses d’investissement n’induit que de
l’investissement futur, induisant à son tour davantage d’investissement futur,
et ainsi de suite. Cette partie du PIB n’apporte rien en termes de bien-être
humain. Or, seules des hypothèses farfelues pourraient déterminer combien
cette part représente. Ainsi donc, il semble plus approprié d’utiliser le PIB
plutôt que les dépenses de consommation.
Pourquoi ne déduit-on pas du PIB le coût du travail utilisé pour produire ?
Les économistes supposent que les individus sont rémunérés pour travailler
parce que le travail leur est désagréable, du moins la quantité d’heures qu’il
leur est demandé d’effectuer. Dans ce cas, il semble que nous devrions déduire
du PIB le coût total du travail, la masse salariale, et calculer l’évolution du
revenu réel en valorisant les changements de la production et les change-
ments des heures totales de travail aux prix et aux salaires appropriés. Cela
modifierait les comparaisons entre les États-Unis et les pays européens, étant
donné que le nombre d’heures est bien plus élevé aux États-Unis. Le chômage
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


involontaire met cette approche à rude épreuve, puisqu’on s’accorde générale-
ment sur le fait qu’être sans emploi est bien pire pour la majorité des individus
que de travailler cinquante heures par semaine ; les études sur le bonheur le
confirment. Il nous faudrait alors estimer le nombre d’heures de chômage et
le multiplier par un chiffre qui représenterait le coût en termes de bien-être,
ce que nous ne savons pas estimer. Même si cela pouvait être fait, il serait
préférable de disposer de chiffres à part pour le coût du travail, plutôt que de
soustraire ces coûts du PIB, car cela correspond mieux à la manière dont on
conçoit le revenu. Néanmoins, il est fortement souhaitable de soustraire une
allocation de chômage. On suppose que l’économie permet aux individus de
participer au bien commun en allouant leur travail. Dans la mesure où cela
n’est pas le cas, on devrait lui attribuer moins de mérite.
Comme nous le savons tous, les dépenses en soins de santé et en éduca-
tion ne sont pas une mesure fiable de la contribution de l’économie à la santé
et à l’éducation. De nombreux pays tentent d’estimer ces contributions en
observant les résultats. Ceci semble plus approprié que d’utiliser des mesures
séparées de santé, de mortalité et de taux d’alphabétisation. Ainsi, l’Indice de
Développement Humain de l’ONUDI associe les données du PIB, qui incluent
20 James Mirrlees

les dépenses d’éducation et de santé, avec les années de scolarité et l’espérance


de vie comme proxies pour tenir compte des résultats. Il est admirable de pou-
voir accorder ainsi un certain poids à l’efficacité.
Le coût pour le gouvernement n’est généralement pas une bonne mesure
de la valeur économique des biens fournis par les gouvernements. C’est com-
préhensible, mais il n’est pas facile d’y remédier. Le problème de l’évaluation
des biens publics et de la dégradation environnementale nous éloignerait trop
des principales questions que je souhaite aborder. Mais cette question est très
importante. Soustraire du PIB des mesures de pollution, de déforestation, de
disponibilité de l’eau et d’évolution des stocks de poissons, permettrait d’atti-
rer l’attention sur des problèmes de plus en plus graves. Disposer d’un indica-
teur de produit intérieur vert est un idéal qui mérite d’être défendu.

7 QUI OBTIENT QUOI ?

Le principal défaut du PIB est qu’il ne prend pas en compte les inégalités.
Si l’on cherche à estimer la valeur de l’activité économique cette année, ne
devrions-nous pas accorder plus de poids à l’augmentation des petits reve-
nus qu’à celle des gros revenus ? Tout le monde conviendra certainement
que la lutte contre la pauvreté doit recevoir une attention particulière. Dans
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


ce cas, ne s’ensuit-il pas que la distribution des revenus requiert elle aussi
une attention particulière ? Que peut-on raisonnablement faire à ce sujet ?
Une solution serait de construire un indice incluant à la fois une mesure
de l’inégalité et le PIB. C’est ce que propose l’ONUDI avec son Indice de
Développement Humain ajusté aux inégalités. Il est cependant très difficile
de produire un indicateur actualisé, puisque l’information sur les inégalités
de revenu, et notamment sur la pauvreté, n’est, en règle générale, disponible
qu’au bout de nombreuses années pour les pays à faible revenu, si tant est
qu’elle le soit.
S’il est important de pouvoir évaluer les performances économiques d’un
pays tout en tenant compte de ceux qui en récoltent les bénéfices, alors cela
mérite de dépenser des montants conséquents afin d’obtenir des enquêtes
actualisées de consommation et de revenus par échantillonnage. Mais, il ne
sera pas facile d’obtenir des données précises à partir d’échantillons représen-
tatifs de la population. Il est donc important d’essayer d’estimer les erreurs
de mesure et de sélection dans les enquêtes ménages. Sans cela, il sera difficile
d’essayer de corriger les biais de sélection qui semblent être un problème de
plus en plus important au fil du temps.
Évaluer les politiques de développement 21

Bien que je pense que l’indice de l’ONUDI soit une bonne manière de
résoudre le problème, je me demande si l’on pourrait envisager une moyenne
pondérée simple des revenus des individus. Le poids accordé à chaque indi-
vidu serait inversement lié à son niveau de revenu, en prenant par exemple
l’inverse du revenu au carré. Le revenu de l’individu devrait également être
ajusté d’une certaine manière par l’âge de la personne. Ainsi, l’évolution an-
nuelle du PIB par tête serait calculée à partir de l’évolution des revenus, pon-
dérés de manière appropriée. L’évolution des revenus des individus à revenu
élevé ne compterait pratiquement pas et, à cet égard, cette approche peut sem-
bler extrême ; il me semble cependant que celle-ci exprime des valeurs large-
ment partagées, même par de nombreux riches. D’une façon approximative
et simple, on pourrait utiliser le revenu national tronqué de sorte à ne tenir
compte que de la médiane ou du premier quartile du revenu.

8 VALEURS PLURIELLES ?

Comme le suggère Amartya Sen, on ne devrait pas limiter notre attention


à un seul indicateur de performance économique, mais on devrait suivre un
ensemble d’indicateurs (qui ne seraient pas nécessairement numériques). Ils
pourraient mesurer la consommation privée, l’éducation, la santé et les iné-
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


galités, et ne seraient pas combinés pour former un seul et unique indice,
puisque cet indice ne serait alors qu’une combinaison arbitraire, ne reposant
sur aucune logique particulière.
L’avantage de cette approche, qui consiste à mener une évaluation en te-
nant compte de plusieurs indicateurs, est qu’elle permet d’éviter de faire une
moyenne de manière déraisonnée des différentes forces et faiblesses du pays.
La difficulté est qu’il n’est pas tout à fait évident de savoir comment utiliser
ces différents indicateurs afin de porter un jugement. Cela n’est toutefois pas
impossible. On pourrait approuver des changements de politiques seulement
si on s’attend à ce qu’ils améliorent l’ensemble des indicateurs. Par exemple,
on pourrait suivre une règle selon laquelle on accepterait les projets seule-
ment s’ils sont rentables et s’ils ne nuisent pas à l’environnement. Une autre
possibilité serait de sélectionner un projet dès lors qu’il améliore au moins un
indicateur. Cela semble cependant moins attrayant.
Je pense que la plupart d’entre nous seraient mal à l’aise à l’idée d’utili-
ser des « valeurs plurielles », principalement parce que nous n’avons aucune
idée de la manière dont cela nous permettrait de sélectionner des projets
d’investissement. De même, on ne peut pas admettre des étudiants dans une
22 James Mirrlees

université sans combiner d’une certaine manière les différentes informations


que l’on détient à leur sujet. En attribuant simplement des notes aux diffé-
rentes dimensions, on s’expose au risque que celui qui réalisera l’évaluation
in fine attribuera, explicitement ou implicitement, autant d’importance à cha-
cune des dimensions. Finalement, cela peut s’avérer pire que de se concen-
trer sur une seule dimension. L’important est de parvenir à combiner ces
dimensions de façon précautionneuse, systématique et mûrement réfléchie.
Si nous trouvons une manière valable pour combiner plusieurs dimensions,
on pourra l’appliquer de manière systématique, la critiquer et en obtenir des
résultats. Cela vaut toujours la peine d’essayer de réfléchir aux compensa-
tions entre les différentes forces et faiblesses du pays. Les économistes de la
santé parviennent bien à le faire, lorsqu’ils comparent différentes procédures
médicales.

9 ÉVALUATION DE L’INVESTISSEMENT

Devons-nous prendre en compte toutes ces considérations lorsque nous choi-


sissons des projets ? Il existe des projets standards, qui sont facilement décrits
et compris par les économistes et les comptables. Il s’agit de projets indus-
triels, incluant les routes, les ports, les projets de construction et bien d’autres
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


encore. On pourrait penser aujourd’hui que ce type de projets sera réalisé de
toute façon, dès lors qu’ils sont utiles et que des prêts sont disponibles aux
conditions du marché. On pourrait penser qu’ils ne requièrent pas d’évalua-
tion. Ce qu’il faut, c’est s’assurer que le bon type de crédit est disponible, i.e.
que les marchés des capitaux fonctionnent correctement.
En pratique, cela n’est pas tout à fait exact. Le prêteur devra évaluer le
projet afin de s’assurer de la solvabilité de l’emprunteur. Bien sûr il y a en-
core beaucoup de projets d’investissement standards financés par la Banque
Mondiale ou par d’autres agences de développement. L’analyse coût-bénéfice
réalisée semble bien souvent plutôt simpliste. Les taux de rendements sont
estimés à l’avance et mesurés dans les rapports ex post. Les prix fictifs ne sont
pas utilisés. Les effets sur l’environnement ne sont généralement pas estimés
dans les calculs du projet, d’après ce que j’ai pu constater, bien qu’ils puissent
jouer un rôle important dans la conception du projet.
S’il n’y a pas de distorsion importante des prix dans l’économie, en raison
par exemple de droits de douane, il n’y a aucune raison sérieuse à objecter à
cela. Le principe utile, selon lequel les prix à la production sont les prix appro-
priés pour évaluer les intrants et les résultats du projet, s’applique, à condition
Évaluer les politiques de développement 23

que le système fiscal du pays soit optimal. Il s’agit là d’une hypothèse forte,
respectant les valeurs et les compétences du gouvernement du pays.
De nombreux projets ne sont pas standards et posent des problèmes
importants en termes de mesure et d’évaluation, particulièrement en ce qui
concerne leurs résultats. Cela vaut pour les projets de santé et d’éducation. De
nombreux projets appuient les gouvernements, principalement en leur four-
nissant des experts en matière de fiscalité, de statistiques ou d’approvision-
nement en eau. Je doute qu’une analyse coût-bénéfice n’ait déjà été réalisée
dans ces cas-là. Les projets dans les domaines de l’eau, de l’assainissement et
de l’environnement doivent être aussi difficiles à évaluer que les projets dans
les domaines de l’éducation et de la santé.
Pourquoi trouve-t-on si peu d’analyses coût-bénéfice approfondies, uti-
lisant un taux d’intérêt de référence correct et des prix fictifs (bien que la
Banque Asiatique de Développement en réalise en grande quantité) ? La rai-
son évidente est qu’il existe assez peu de projets que je qualifie de « stan-
dards ». L’aide au développement a joué un rôle de plus en plus important
dans ces autres domaines pour lesquels il est difficile de réaliser des évalua-
tions numériques sérieuses, à moins que des résultats expérimentaux ne
soient disponibles.
Les expérimentations peuvent renseigner, par exemple, sur les gains de
revenus futurs obtenus grâce à des services de santé ou d’éducation parti-
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


culiers. Il n’est pas possible cependant de réaliser des expérimentations en
amont afin d’évaluer chaque projet potentiel. En effet, il semblerait que les
expérimentations soient les plus utiles pour les évaluations post-mortem. Le
véritable enjeu est de découvrir des relations générales qui permettront aux
concepteurs des projets d’estimer l’effet de leurs propres projets. Ces estima-
tions seront bien imprécises. Il est important de ne pas se laisser décourager
par les incertitudes. Il est certainement important de s’empresser de réaliser
des projets similaires, dès lors que l’expérience conclut à de bons résultats.
Cela signifie qu’il faut accepter que les évaluations soient entachées d’une in-
certitude importante, et qu’il faut continuer les projets plutôt que d’attendre
des résultats supplémentaires. Un développement lent est dangereux. Les
pauvres ne peuvent pas attendre.

10 ÉVALUER LE SOUTIEN AU GOUVERNEMENT

On dépense une partie considérable de l’aide au développement pour payer les


experts. Leur mission principale consiste, d’après moi, à mettre en place des
24 James Mirrlees

systèmes de collecte de l’information, à aider à la prise de décision et à surveil-


ler le déroulement des projets. Cela montre combien il est onéreux de prendre
de bonnes décisions. Peut-être devrions-nous laisser les gouvernements déci-
der de l’emploi des experts, tout en leur accordant une aide financière adé-
quate prévue à cet effet. On pourrait penser que les gouvernements ont les
incitations correctes pour les faire intervenir lorsque cela est nécessaire.
Il existe cependant un aléa moral important, puisqu’on ne peut s’assu-
rer que le gouvernement réfléchira sérieusement avant d’employer un expert.
D’après la théorie de l’aléa moral, les incitations ne suffisent pas pour obte-
nir le bon résultat. Il nous faut développer une théorie de la dépense opti-
male pour la prise de décision. En un sens, cela n’est pas exactement possible,
puisque la réponse serait une décision en soi. On pourrait cependant s’en ap-
procher. Il s’agit d’un problème général en gestion. Suivant la suggestion d’un
homme d’affaire brillant, je propose que les experts soient nommés un par un,
qu’on leur octroie initialement un large éventail de tâches à réaliser, et que
des postes supplémentaires soient créés seulement lorsqu’il y a des preuves
manifestes de surcharge de travail. Cela ne résout cependant pas le problème
consistant à savoir si quelqu’un est nécessaire au départ. Cette décision doit
être prise sur la base d’expériences passées. Il n’est pas raisonnable d’imagi-
ner que cela vaut toujours la peine de dépenser plus afin d’obtenir davantage
d’information, et de meilleure qualité, pas plus que d’imaginer qu’il est tou-
jours bon de dépenser davantage pour les sciences. En ce qui concerne l’éco-
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


nomie, et l’information administrative, cela ne sera utile qu’à condition que
cette nouvelle information soit utilisée ensuite dans le processus de prise de
décision.

11 INCITATIONS

Les évaluations ne sont pas seulement un outil pour la prise de décision. Elles
peuvent également servir de base à un mécanisme incitatif. Les récompenses,
telles que les primes, ou les pénalités, telles que les licenciements, pourraient
dépendre du résultat final, ou même intermédiaire, du projet.
Dans de nombreux projets, les parties responsables – les gestionnaires et
les cadres – ne sont pas les bénéficiaires. Les enseignants dans un système
scolaire ne gagnent rien si leurs anciens élèves obtiennent des emplois bien
rémunérés, bien que cela puisse leur faire plaisir. Dans ce contexte, il peut être
bon d’introduire des incitations. Il faudra alors les concevoir dans le projet.
Un des avantages d’une évaluation ex post systématique est qu’elle donne la
Évaluer les politiques de développement 25

possibilité de mettre en place des bonus adéquats. Bien sûr les bonus font par-
tie du coût du projet et ils devraient être pris en compte lors de l’évaluation
complète.
Banerjee et Duflo3 soulignent que, lorsque les tâches sont définies dans
un projet, elles doivent être réalisables pour la plupart des participants. De
la même manière, lorsque des systèmes de bonus sont intégrés au projet, ils
doivent être conçus de sorte à ce qu’il y ait de grandes chances pour qu’une
partie des bonus soit versée. Les modèles économiques ont tendance à insister
sur les récompenses directes qui dédommagent les agents pour leur effort.
De tels versements peuvent également exprimer une appréciation, ce qui en
retour ravive le moral des individus et les encourage à bien travailler. Il doit
y avoir un versement ou alors aucune appréciation ne pourra être exprimée.
Il n’est pas impossible d’appliquer cette idée à l’aide aux pays en déve-
loppement. Cela peut sembler absurde de suggérer que les membres des gou-
vernements pourraient recevoir des bonus, qui les récompenseraient pour
d’importantes réductions de la pauvreté, par exemple. Mais quelque chose de
similaire se produit. C’est ce que fait le prix Nobel de la paix. Il convient de
rappeler que les bonus ne doivent pas nécessairement être très élevés. Pour-
rait-il y avoir une Chambre des Lords aux Nations Unies, qui distribuerait des
titres honorifiques aux pays qui auraient des évaluations exceptionnellement
bonnes ? L’adhésion, j’ose espérer, ne reposerait pas simplement sur le taux de
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 24/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 160.177.175.254)


croissance du PIB non pondéré.

Ibid.
3

Vous aimerez peut-être aussi