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Introduction à une théorie générale de la monnaie et du

capital
Patrick Castex
Dans Innovations 2003/1 (no 17), pages 29 à 50
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1267-4982
DOI 10.3917/inno.017.0029
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précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Innovations, Cahiers d'économie de l'innovation
n°17, 2003-1, pp.29-50.

Introduction à une théorie générale de la


monnaie et du capital

Patrick CASTEX
Université de Paris 9 – Dauphine

"On peut observer beaucoup, simplement en regardant !"


"Quand le monde est déjanté, les déjantés deviennent indispensables !"1.

Keynes prétendait "révolutionner… la façon dont le monde


pense à propos des problèmes économiques… Il y aura un
grand changement et, en particulier, les fondements ricardiens
du marxisme seront renversés". Des attouchements apparaissent
en effet entre la sphère monétaire et la sphère réelle : on pré-
tendit que Keynes avait mis à mal la dichotomie des libéraux.
Pourtant, en aucun cas il ne s'agissait d'un mariage avec
pénétration de la monnaie dans la sphère réelle. Les rentiers ne
purent voir que d'un œil affectueux le retour des paradigmes
libéraux qui prirent comme cible une vision structurelle et so-
ciale de John Maynard Keynes : l'"euthanasie des rentiers", des
"créanciers s'enrichissant en dormant". Si en effet le conscient
de Keynes ne prônait officiellement que la baisse du taux d'in-
térêt nominal selon une politique monétaire conjoncturelle anti
crise, l'inconscient2 de Maynard rêvait sans doute d'accélérer
cette mort lente des rentiers par l'inflation.
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On oppose ici, à Keynes en particulier et aux différentes
orthodoxies, une thèse nouvelle, éclectique, où les fondements
néoclassiques du keynésianisme seront renversés ; ainsi les fon-

1 Deux aphorismes écrits en haut du tableau noir de travail du prix Nobel de


physique Leon Lederman.
2 On peut tenter de débusquer cette ambivalence de John Maynard Keynes –
le conscient de Keynes et l'inconscient de Maynard – grâce aux instruments
de la psychanalyse. Voir le livre (en quatre tomes) : P. Castex, Théorie géné-
rale de la monnaie et du capital, L'Harmattan, Paris, 2002 ; titre clin d'œil
d'une "thèse" mâtinant la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la
monnaie, et Le Capital de Marx. Ce présent article n'évoque que les princi-
paux apports du livre ; il est peu dissert concernant la bibliographie : la plu-
part des auteurs évoqués font partie du socle de la pensée économique.

29
dements classiques du marxisme et les aspects radicaux de la
pensée de Keynes seront renforcés.

LES DIALECTIQUES DE LA MONNAIE-FINANCE


Monnaie bien économique ou monnaie institution
La monnaie est à la fois un flux1 et un stock de réserve de
valeur. Ce vent, ce souffle se présente comme source de vie et
de bien-être économique quand la monnaie circule ; cependant
la monnaie est aussi pétrification : le trésor de l'avare ou
l'instrument de l'avance en capital productif de "l'homme aux
écus", le "travail mort" de Marx. La monnaie, c'est Eros et
Thanatos.
Ces images peuvent être inversées. Pour les économistes
libéraux, la monnaie n'est qu'un voile qui cache la vraie richesse
réelle, celle des produits, et n'est qu'un lubrifiant qui diminue
les frottements d'un troc généralisé ; elle est "insignifiante"2. A
l'opposé, les économistes interventionnistes mettent en avant sa
dureté : réserve de valeur économique mais attribut nécessaire
pour qu'elle circule selon certains ; réserve de sens communau-
taire, de Peuple et de Nation s'incarnant dans l'Etat pour
d'autres. Depuis l'école mercantiliste, l'ambivalence3 de l'inter-
ventionnisme "de droite" et "de gauche" est toujours liée aux
conceptions institutionnelles de la monnaie.
Contrairement au mythe de l'économie libérale, mis à mal
par l'ethnologie, l'anthropologie et la sociologie, la monnaie
n'est pas un bien purement économique né pour se substituer au
troc. Elle naît comme rapport de pouvoir : le don contre un
contre-don de Mauss ; la dot qui est la contrepartie de la femme
dans l'échange matrimonial selon Meillassoux4 ou "La monnaie
vivante" – la femme – de Klossowski ; la monétisation par l'im-
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pôt et le pouvoir de l'Etat, etc. Elle renvoie toujours à la pro-
duction et à l'accaparement, public ou privé, du surplus : cette

1 Le liquide, la liquidité.
2 Comme la caractérisait le dernier des économistes classiques britanniques,
J-S. Mill. Le courant psychanalytique lacanien la caractérise exactement de la
même façon.
3 Du Marx du socialisme autoritaire – ayant liquidé dans la Première Inter-
nationale le socialisme libertaire de Bakounine – à Staline ; de l'école histo-
rique allemande ayant donné le socialisme d'Etat de Bismarck et la Théorie
étatique de la monnaie de Knapp, au national socialisme de Hitler. Keynes,
social-libéral, reste "au centre".
4 Femmes, greniers et capitaux, Maspéro, Paris, 1975.

30
"part maudite" de Bataille1. La monnaie apparaît comme un
ciment fondamental de la société2, et il n'est pas possible de la
comprendre sans approfondir ses rapports avec la philosophie
(La philosophie de la monnaie de Simmel), le psychanalytique
et le religieux3.
"Côté pile et côté face"
On caractérise la monnaie depuis Aristote par trois
"fonctions". Il vaut mieux parler de fonction d'instrument des
transactions, de structure de réserve de valeur, enfin du système
monnaie étalon de mesure des prix : l'unité de la pièce de mon-
naie, avec son côté pile (où est inscrite la valeur de transaction)
et son côté face (celle du symbole national4 garant – tout théo-
rique – de la réserve de valeur).
Le doute de la "création"
La création monétaire par le crédit bancaire ne fait aucun
doute, comptablement et juridiquement5 : loans make deposits,
les crédits font les dépôts. Longtemps le doute persista chez les
économistes ; il fallut attendre le début des années 1970 pour
qu'il disparaisse – sauf quelques exceptions – dans la théorie
monétaire moderne : en fait à partir de la définition des agrégats

1 Son œuvre économique, réservée en général aux "déjantés" qui admiraient


ce déjanté, est incontournable : La notion de dépense, de 1933, publiée dans
la revue La critique sociale (n° 7), puis La part maudite de 1949 ; on les trou-
ve dans, par exemple, La part maudite, précédée de La notion de dépense,
Les éditions de minuit, Collection critique, 1967. Bataille a parfaitement
compris le potlatch de Mauss qui, écrit-il dans La notion de dépense : "exclut
tout marchandage et, en général, est constitué par un don considérable de
richesses offertes ostensiblement dans le but d'humilier, de défier et d'obliger
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un rival. La valeur d'échange du don résulte du fait que le donataire, pour
effacer l'humiliation et relever le défi, doit satisfaire à l'obligation, contractée
par lui lors de l'acceptation, de répondre ultérieurement par un don plus
important, c'est-à-dire de rendre avec usure". Echange égal ou échange iné-
gal ? Mauss lui-même, rappelé par Bataille, indique au contraire que "l'idéal
serait de donner un potlatch et qu'il ne fut pas rendu".
2 Il s'agit plus d'une contre violence que de La violence de la monnaie, titre
du livre d'Aglietta et Orléan (PUF, Paris, 1982) développant La violence et le
sacré de Girard.
3 Avec les oppositions entre Weber (L'éthique protestante et l'esprit du capi-
talisme) et l'antisémite Sombart, renvoyés dos à dos par le livre provocateur
d'Attali, Les Juifs, le monde et l'argent. Histoire économique du peuple juif,
Fayard, 2002.
4 Même avec les euros, le côté face reste "national". Petit détail qui en dit
long.
5 Il existe bien un double droit sur la monnaie : celui du déposant ; celui du
bénéficiaire du crédit.

31
monétaires contrôlés par les Banques centrales, sous l'influence
des monétaristes.
La monnaie centrale reste cependant considérée comme une
"matière première", multipliée par un multiplicateur de base
monétaire1 pour obtenir la masse monétaire officielle. Il n'y
aurait pas "véritable" création monétaire, mais accélération de
la vitesse de circulation d'une monnaie exogène contrôlée par
l'institut d'émission. Certains voient au contraire un diviseur de
crédit où la monnaie centrale dépend de la monnaie endogène,
induite par la demande de crédit de l'économie.
Les vitesses de circulation de la monnaie : le point de vue
simpliste de la théorie quantitative
Faisons l'hypothèse que la seule "vraie" masse monétaire
n'est que la High powered money notée MH. La masse moné-
taire M après "création monétaire" est donc un multiple de MH.
Le multiplicateur de base monétaire peut apparaître comme une
vitesse de circulation due au miracle du crédit bancaire. Notons
vH cette vitesse de circulation spécifique ; si v est la vitesse de
circulation "officielle" de M, la vitesse de circulation de MH est
donc : vH v.
La vitesse v présente d'ailleurs deux avatars. Elle peut cor-
respondre à l'équation – en fait l'identité – des échanges que
Fisher popularisa en 1911 : MvT = PT, avec P le niveau des
prix et T le volume des transactions, vT étant la vitesse
transaction. Elle peut renvoyer aussi à la relation Mvy = Py,
avec y le produit ou revenu national en volume ; forme qui
donnera peu de temps plus tard l' équation de Cambridge2 de
Marshall et Pigou, avec la vitesse revenu vy.
La théorie quantitative transforme ces vulgaires identités
comptables en relation de cause à effet. C'est un peu plus
compliqué : tant Fisher, le (re)fondateur3 de Mv = PT, que
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Friedman en 1956 et le monétarisme (avec leur "nouvelle" théo-
rie quantitative), font référence explicitement à des périodes de
transition pour le premier, à une non-neutralité à court terme de
la monnaie pour le second : v et T (ou y) peuvent varier à court
terme. Ricardo avait, bien avant, au début du XIXème siècle,
réglé la question : il ne mentionnait pas la vitesse de circu-
lation, se référant (sans écrire la relation) à M = PT. Cependant,
ces finasseries sont rapidement oubliées ; Fisher et Friedman
1 La High powered money : la monnaie super efficiente émise par la Banque
centrale.
2 M/P = µy avec µ = 1/v . Il s'agit de la demande d'encaisse réelle (le pouvoir
y
d'achat de la monnaie) liée au revenu, qui donnera les effets d'encaisse réelle
(effet Pigou) ancêtres des effets richesses de Don Patinkin.
3 J-S. Mill avait explicitement défini la même relation causale.

32
s'attachent à montrer la (relative ) constance à long terme de v.
Les intégristes néolibéraux de la Nouvelle école classique, avec
son Nobel Lucas, rendront par contre la monnaie super neutre.
Les théories quantitatives affirment que v et T (ou y) restent
constants quand M augmente, "démontrant" ainsi que P aug-
mente : l'inflation est un phénomène purement monétaire. Can-
tillon affirmait déjà pourtant au milieu du XVIIIème siècle que
v pouvait en augmentant jouer le même rôle qu'une augmen-
tation de M. Le méconnu libéral français de Foville, opposé à la
théorie quantitative, insistait aussi, en 1907, sur la variation de
la vitesse de circulation ; il employait une image qui renvoie
sans aucun doute à la dialectique flux-stocks : "Si nous voulons
chiffrer ce qui se boit dans une maison, il ne suffit pas de
compter les verres, il faudrait savoir, en outre, combien de fois
on les remplit et on les vide".
"E = Mv2"
La "vraie" masse monétaire n'est peut-être que MH, le crédit
bancaire ne créant pas de nouveau stock de monnaie mais
accélérant la vitesse de circulation de MH par vH. Grave hérésie
face aux statistiques comptables "objectives" des Banques
centrales. Hérésie qui retourne à la conception la plus triviale
de la "planche à billets" chère à l'imagerie populaire. La seule
création monétaire serait cette création de monnaie fiduciaire
par le refinancement de la Banque centrale.
Cette question renvoie au fameux débat Banking school
contre Currency school de la première moitié du XIXème siècle
en Angleterre. La seconde, suivant la théorie quantitative de
Ricardo, voulaient pour éviter l'inflation interdire la surémis-
sion de livres sterling par rapport au stock d'or ; la monnaie
était exogène et se résumait à la monnaie en métaux précieux.
La première, anti-quantitativiste, emmenée par Tooke (et suivie
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par Marx), considéraient que la monnaie de crédit, endogène
donc, n'était qu'une accélération de la vitesse de circulation de
la monnaie-or.
La "véritable vraie" monnaie ne serait plus que l'or, MH
étant déjà souvent en surémission par le refinancement des
banques commerciales de second rang par la Banque centrale.
La "masse" monétaire M serait MHvH : il ne s'agit plus d'un
stock mais d'un flux. La vitesse de circulation de la monnaie au
sens officiel étant v, l'énergie de la monnaie centrale serait
MHvHv. Le rapprochement est frappant avec la théorie physique
– tant prisée par les partisans de l'"économie pure" – de la
relativité de la masse et du mouvement, de l'espace et du temps.
Cette relation entre la masse base monétaire et son double
mouvement (vH en tant que rotation par le crédit bancaire et v

33
en tant que rotation assurant 2les transactions ou le revenu) n'est
pas très différente du E = Mc d'Einstein.
Les trois thésaurisations de Marx et ses hésitations quant à la
"loi de Say"
La "loi" de Say est fondée sur la neutralité de la monnaie,
sur l'irrationalité de la thésaurisation des flux de revenus moné-
taires : la surproduction (ou la sous production) est donc im-
possible, car c'est le seul flux d'offre de la période qui crée ainsi
la demande.
Marx voyait cependant dans la monnaie thésaurisée un
"réservoir anti-débordement" : ce qui deviendra la "demande de
monnaie pour motif de transaction", absente chez les classi-
ques, naissante chez les néoclassiques de Cambridge et reprise
par Keynes. Cette monnaie thésaurisée reste "active" car elle
n'est en stock que pour assurer les transactions. Il existe chez
Marx deux types de thésaurisation de monnaie "oisive" : patho-
logique, la thésaurisation de l'avare risque de bloquer la deman-
de ; sainement accumulatrice, prémisse technique de la
transformation de l'argent en capital pour obtenir une certaine
masse critique, elle peut au contraire stimuler la demande de
capital. Un autre "réservoir" assurera la "circulation productive"
de la monnaie-capital : pour Marx, qui raille néanmoins la "loi
de Say", la thésaurisation n'est qu'une "possibilité de crise".
Crise si cette thésaurisation se traduit par des stocks invendus,
non désirés. Possibilité seulement : seule une thésaurisation des
flux de revenus monétaires d'une période peut expliquer la
formation d'un capital fixe réel en cours de production, non
encore vendue au cours de cette période. Sans cette thésau-
risation, l'économie serait en sous-production, autrement dit en
"sur demande"1.
L'économie monétaire de production de Marx est certai-
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nement sa rupture principale d'avec les classiques. Avec les
deux cycles de la circulation simple M-A-M et de la circulation
productive A-M-A' qui explique la création de la plus-value se
réalisant en profit (A' moins A). Avec ces "circulations", on en
oublia vite les stocks, Marx également : cette dialectique de la
thésaurisation chez Marx est la seule raison de la timidité de sa
critique de la "loi des débouchés". Ses "schémas de la repro-
duction" du capital ne sont que des tautologies arithmétiques
dignes de Say qui ne se réalisent néanmoins "qu'à certaines
conditions". Elles seront critiquées comme telles par Rosa
Luxemburg dans son Accumulation du capital de 1913.

1 Ce que Say n'avait pas perçu, se contentant de refuser la crise.

34
Critique par Marx de la théorie financière classique
Dans sa critique de la théorie classique du taux d'intérêt, on
trouve chez Marx l'embryon d'une théorie financière rattachée à
la théorie monétaire. La conception du taux d'intérêt – simple
variable réelle – de Smith, déterminé à partir du taux de profit
moins une prime de risque, sera critiquée par Marx : il
n'existerait aucun fondement "réel" au taux d'intérêt, hormis la
concurrence. Marx hésite pourtant entre la "baisse tendancielle
du taux d'intérêt" suivant la tendance lourde à long terme de la
baisse tendancielle du taux de profit, et sa détermination à court
terme, dans la conjoncture. Pourtant, le taux d'intérêt dérivé du
taux de profit devrait être élevé dans les périodes de vaches
grasses et faible dans les périodes de vaches maigres ; mais
cette liaison disparaît dans le cycle économique. Marx est l'un
des premiers à remarquer qu'en période de reprise et d'expan-
sion, le taux d'intérêt est faible ; en crise et récession il est
élevé.
La critique de Marx1 renvoie à l'intervention du crédit
bancaire et à l'explication purement monétaire du taux d'intérêt
chez les mercantilistes. Elle anticipe la conception développée
plus tard par les libéraux de la "théorie monétaire du cycle"
(Wicksell, puis Fisher et Hayek) ou par le Keynes du Treatise
on money.

"CACHEZ CETTE MONNAIE QUE JE NE SAURAIS VOIR"


Cette tartuferie se trouve chez les classiques, les néoclassi-
ques mais aussi chez Keynes qui aborde le principe de demande
effective, avec le circuit des biens et services, sans dire un seul
mot sur la monnaie.
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Les thèses du Treatise on money de 1930
La principale thèse du Treatise est une tentative de solution
alternative à la théorie quantitative "mécaniste"2 pour expliquer
l'inflation dont la cause serait des profits particuliers non distri-
bués aux ménages apporteurs de capitaux. Cette tentative est
ratée car cette profit inflation due d'après Keynes au "profit
tombé du ciel" – le windfalls profit – est en fait plus la con-
séquence de l'inflation que sa cause. Ce profit exceptionnel,
s'ajoutant au profit normal, est dû – Keynes ne le voit pas – aux

1 Cettecritique sera reprise par Rudolf Hilferding dans Le capital financier de


1910.
2Celle de Fisher ou de Cambridge, avec leurs équations.

35
effets prix dont néanmoins la responsabilité sociale peut revenir
à "l'entrepreneur" qui cherche à maximiser son profit. C'est
toute la question des "équations fondamentales" – encore des
identités – où la loi de Say est encore respectée en volume, le
profit tombé du ciel n'apparaissant donc que par les effets prix.
Le Keynes du Treatise n'est qu'un wicksellien original ! Il y
mentionne les travaux, en Allemagne et en Autriche, d'une éco-
le néo-Wicksellienne dont la théorie du taux d'intérêt bancaire
induisant l'équilibre de l'épargne et de l'investissement, ainsi
que l'importance de ce dernier pour le cycle du crédit, "est bien
proche de la théorie de ce traité". Et de citer un certain Hayek
(jeune économiste de 30 ans promis à un bel avenir ultra libéral
nobélisé). La lune de miel avec Hayek ne durera pas. Déjà dans
ses Harris lectures, conférences données à New York en 1931,
Keynes, oubliant la profit inflation – on est en pleine récession
et déflation – reprenait ses thèses et mentionnait une "insuffi-
sance de l'investissement". Ce qui ne pouvait que prendre le
contre-pied de Hayek (dans Prix et production de 1931) qui
voyait dans la crise… un "surinvestissement".
L'autocritique sévère de Keynes
Le centre de l'autocritique présentée explicitement dans la
Théorie générale, est d'admettre qu'il n'avait pas encore rompu
"complètement" avec la théorie quantitative, certes non méca-
niciste de Wicksell, mais qui finissait toujours par se terminer
par l'excès de crédit bancaire dans la phase ascendante du cycle
comme origine de l'inflation. Le premier trouvait la cause de
l'inflation dans la différence entre le taux naturel – en fait le
taux de profit marginal de l'investissement – et le taux moné-
taire d'intérêt – en fait celui des créances, nées du crédit ban-
caire ou du marché financier obligataire. Le second préférait
jeter la pierre aux profits des entrepreneurs. Ayant abandonné
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le point de vue dans la Théorie générale d'un déséquilibre pos-
sible entre épargne des ménages (hors profits tombés du ciel
non distribués) et investissement, Keynes devint incapable de
résoudre cette question fondamentale de la nature de l'"égalité
de l'épargne et de l'investissement".
L' "équilibre" de demande effective de la Théorie générale de
1936, sans la monnaie
La thésaurisation des flux1 de revenus n'est jamais chez
Keynes la cause d'une faiblesse de la demande effective qui

1 La thésaurisation est déplacée vers la demande de stocks de monnaie de sa


théorie monétaire totalement coupée de la théorie de la demande effective.

36
réside dans l'excès potentiel d'épargne S – comme saving – en
tant que phénomène réel, sur l'investissement désiré Id. Cette
théorie où la "monnaie que l'on ne saurait voir" est cachée,
n'est qu'une loi de Say transposée avec équilibre de sous-emploi
ou sur-emploi1 possible, rien de plus. Il n'est d'ailleurs pas évi-
dent que la loi de Say suppose toujours le plein-emploi : un
chômage peut exister explicitement selon cette école, même
pour les plus optimistes2, en cas d'insuffisance de l'offre3 de
capital.
Cependant, cet excès d'épargne n'est que potentiel : on re-
vient toujours, non pas par la flexibilité des prix relatifs (rigi-
des), mais par celle du volume de l'activité globale, à l'équilibre
"keynésien". L'équilibre de sous-emploi est dû à la contraction
du produit ou revenu national en volume (à prix fixes ou du
moins rigides) jusqu'à ce que la condition Id = S soit réalisée. I
= S n'est par contre pour Keynes qu'une identité4 comptable
toujours vérifiée et non une condition d'équilibre, contraire-
ment à la légende qui lui attribue ce qui ne sera découvert que
par l'Ecole suédoise à la suite de Myrdal introduisant la notion
d'investissement "ex ante" – renvoyant grossièrement à celle
d'investissement désiré. Keynes critiquera la solution que lui
soufflait son collègue Hawtrey qui avait parfaitement compris
la notion d'investissement non désiré : les variations des stocks
produits mais non vendus pour cause de surproduction.
Du coup, le processus du "multiplicateur"5 devient in-
compréhensible, de même que "l'épargne induite par l'investis-

Sauf attouchements par l'intermédiaire du taux d'intérêt, variable purement


monétaire influençant l'investissement et donc la demande effective : Théorie
générale de l'emploi, de l'intérêt... et de la monnaie.
1 Dans ce cas apparaît le fameux gap ou écart inflationniste de l'inflation par
la demande. Il ne vient pas à l'esprit de Keynes et des keynésiens qu'à certai-
nes conditions cet écart puisse assurer la croissance sans – trop – d'inflation.
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2 On ne parle pas du pessimisme de Malthus qui anticipera les critiques de
Keynes envers la loi de Say, notamment l'insuffisance d'une "demande
effective" possible, en tentant d'intégrer la question de la thésaurisation.
3 A ne pas confondre avec l'insuffisance de la demande d'investissement de
Malthus, popularisée par Keynes.
4 Ce qui sera repris par les "circuitistes français" oscillant entre les thèses du
Treatise et l'intégrisme de l'identité I = S.
5 Emprunt à une vieille théorie mercantiliste, déjà présentée par Becher et
Law, et adoptée par les "circuitistes de langue allemande" (avatar de l'école
historique allemande), source fort probable rarement avouée des "circuitistes
français". Voir le livre de Silvio Greppi, Epargne, investissement et circuit.
Analyse des théories de langue allemande (Peter Lang, Publications Univer-
sitaires Européennes, 1994). La question des relations entre d'une part le
keynésianisme "libéral" et l'école suédoise sociale-démocrate, d'autre part
l'école historique allemande, selon son avatar circuitiste, est des plus troubles.
Comme la pratique "keynésienne" du Ministre de l'économie de l'Allemagne
nazie, le docteur Schacht.

37
sement qui la précède", moquée par Hayek qui affirmait que
tout investissement suppose une "épargne préalable". Keynes
oublie en effet – comme tout le monde – les stocks de biens et
de monnaie qui sont au commencement de tout processus
économique.
La légende du revenu permanent de Friedman
En utilisant la théorie du revenu permanent1, arme de guerre
contre le keynésianisme, on peut montrer – contre son auteur –
que le taux d'intérêt n'a aucune influence sur la consommation
finale, sauf illusion – toute keynésienne et bien réelle – de la
valeur monétaire présente des actifs. Cette illusion explique
l'"effet Keynes" : la baisse du taux d'intérêt fait baisser la valeur
de marché des obligations ; la consommation fonction de ce
patrimoine baisse. Et inversement. Le taux d'intérêt agit donc
bien indirectement sur la consommation – et donc l'épargne –
dans le même sens que dans l'analyse néoclassique.
Le revenu permanent est l'intérêt de la richesse, elle-même
somme actualisée des revenus futurs anticipés : ce que l'on
peut2 consommer en laissant intact son stock de richesse3. Si la
richesse est la somme de revenus futurs constants F jusqu'à
l'infini4 actualisés au taux r, elle est égale à F / r ; le revenu
permanent est donc r F / r = F. Le taux d'intérêt disparaît
évidemment de la définition du revenu permanent.

CRITIQUE DE LA THEORIE MONETAIRE ET


FINANCIERE DE KEYNES
La thésaurisation pour motif de spéculation
Keynes ajoute à la demande de monnaie pour motif de
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transaction de ses pères de Cambridge – singulièrement
Marshall –, notée L1 et croissante avec le revenu national y, la
nouveauté de la demande de monnaie pour motif de spé-

1 Cette théorie de revenu permanent date de 1957.


2 Une partie de ce revenu sera consommée, une autre épargnée. Une
circularité apparaît immédiatement : la partie épargnée modifiera le revenu
futur : on tourne en rond. Autrement dit, le revenu permanent est indéterminé.
3 C'est la définition générale du revenu donnée par Hicks : ce que l'on peut
consommer dans la semaine de son revenu, donc les intérêts, tout en étant
toujours aussi riche en fin de semaine.
4 Si le revenu F n'est pas obtenu jusqu'à l'infini, le revenu permanent – et
donc la fonction de consommation de Friedman – est alors croissant(e) avec
r : exactement le contraire des analyses de base des néoclassiques (et de
Keynes, par son "effet Keynes") !

38
culation, censée être séparable de la première. Il la nomme L2 ;
elle est décroissante avec le taux d'intérêt r. Ces deux demandes
de monnaie, ou "préférence pour la liquidité" selon le voca-
bulaire propre à Keynes, évitent le "gros mot" de thésauri-
sation ; mais il s'agit bien de thésaurisations, de stocks de
monnaie conservés, de "réservoirs anti-débordement".
Cette théorie aboutit aux vases communicants entre L1 et L2
avec L1 + L2 = M, l'offre de monnaie1. Quand, par exemple, y
augmente, L1 augmente et L2 "doit" diminuer, donc r aug-
menter, pour M donnée. Il en est de même pour les autres
combinatoires de variations. C'est la fonction LM croissante
selon le couple (revenu y, taux d'intérêt r).
Le modèle IS LM
En articulant ce marché de stock de monnaie et la fonction
IS, on aboutit au fameux modèle IS LM, le pont aux ânes des
apprentis économistes. IS étant décroissante2 et LM croissante,
on détermine ainsi un seul couple d'équilibre (y, r). Ce modèle à
prix fixes fut promu peu après la sortie de la Théorie générale
de Keynes, par John Hicks dans un article de 19373 en propo-
sant une "synthèse" entre la vision "classique" – en fait néoclas-
sique – et celle de Keynes : c'est le point de départ de l'école
dite de la Synthèse.
Par ailleurs, l'efficacité d'une politique monétaire sur les
variables réelles est fondée : si M augmente, toutes choses éga-
les par ailleurs (dans un premier temps y), r diminue, l'investis-
sement est relancé, avec lui le niveau d'activité y et l'emploi. Et
inversement.
La fable de la fonction macroéconomique LM, donc la fable du
modèle IS LM
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Cette théorie monétaire est une fable au niveau macroéco-
nomique ; elle n'est que très partiellement recevable au niveau
microéconomique4, sauf le processus qui suit.

1 Cette thésaurisation possible des stocks de monnaie ne doit pas être con-
fondue avec la thésaurisation des flux monétaires de revenus jugée impossible
par Keynes.
2 Quand le taux d'intérêt augmente, l'investissement désiré diminue ; par le
multiplicateur dit d'investissement, le revenu d'équilibre keynésien aug-
mente ; et vice et versa.
3 Mr Keynes and the classics, a suggested interpretation (M. Keynes et les
classiques, une proposition d'interprétation).
4 Personne ne "demande" de la monnaie M offerte par les banques pour la
thésauriser, pour "augmenter son L2", mais pour la placer ou l'investir !

39
Quand le taux d'intérêt augmente, la valeur en bourse des
obligations à taux fixe baisse, et vice et versa. En cas de taux
d'intérêt actuel "jugé" faible, il est risqué d'acheter des obli-
gations car les risques de remontée des taux sont plus grands
que les risques de baisse, d'où des pertes probables en capital, et
vice et versa. Le spéculateur moyen – si ce concept a un sens ;
or il n'en a pas ! – aura tendance à attendre, à garder sa mon-
naie, ou à en demander en vendant ses obligations : il tentera de
se "réfugier dans la liquidité". Il placera au contraire sa
monnaie en cas de r "jugé" trop élevé, anticipant une baisse des
taux amenant des plus-values en capital.
Ce processus ne tient pas au niveau macroéconomique, sauf
dans le cas dit "simple" – fort étrange – que Keynes généralise
sans sourciller. Si un spéculateur désire "retrouver la liquidité",
craignant une baisse des cours boursiers en s'attendant à une
hausse du taux d'intérêt, il vendra ses titres et "demandera" de
la monnaie ; il ne pourra les vendre qu'à un autre qui pense le
contraire, achète les titres et "offre" de la monnaie. Donc, par la
nécessaire contrepartie des transactions boursières (c'est le "cas
général" que mentionne Keynes lui-même mais feint très vite
d'oublier), de la monnaie est passée d'une poche à une autre : la
demande de monnaie pour motif de spéculation n'a pas été
modifiée au niveau macroéconomique. La question de l'agré-
gation des comportements individuels au niveau macroécono-
mique est à la base de l'erreur de Keynes1.

LE PRINCIPE D'INCERTITUDE GENERALISE DU TAUX


DE PROFIT ET LE "MODELE" IS ER
Profit du capital ou "profit pur" nul de l'entrepreneur qui
n'existe pas
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Pour les néoclassiques, la rémunération du capital n'est que
le coût récompensant l'héroïque abstinence des épargnants, d'un
facteur "évidemment" productif. A l'équilibre, le "marché des
fonds prêtables" (nouveaux) détermine l'égalité de la producti-
vité marginale du capital (censée être décroissante avec l'in-
vestissement), et du désir de rentabilité des apporteurs de capi-
taux (censé être croissant avec le volume de l'épargne). Ce prix
d'équilibre est le taux d'intérêt réel. Un "entrepreneur" chef
d'orchestre indépendant des apporteurs de capitaux et com-
1 On peut critiquer de la même façon la fable de la théorie financière de
Keynes (le "mimétisme" et les "conventions"), alternative à celle des néoclas-
siques, remise à la mode récemment par Orléan (Le pouvoir de la finance,
Editions Odile Jacob, Paris, 1999) ; Aglietta (Macroéconomie financière, La
Découverte, Repères ; 3e édition en 2000) semble au contraire s'en écarter.

40
binant les facteurs de production travail et capital, recherche la
maximisation de son profit "pur"1. Dans l'équilibre de courte
période, ce profit pur n'est pas nul ; il peut être négatif ou
positif suivant la nature de la fonction de production. Dans
l'équilibre de longue période, il s'annule par la concurrence.
Ce point de vue admis par l'orthodoxie, fut déjà mis à mal
par Keynes. Il repère la circularité macroéconomique entre
l'épargne et l'investissement. Il affirme en outre que le taux
d'intérêt n'a aucune influence directe (sauf l'"effet Keynes", par
l'intermédiaire du patrimoine) sur l'épargne. Ce mythe de la
théorie néoclassique a pourtant survécu, malgré l'attaque en
règle, et la victoire reconnue par le Nobel P. A. Samuelson, le
"pape de l'école de la Synthèse" : il s'agit de la critique du ca-
pital marmelade, ou confiture, ou gelly portée par Joan Robin-
son dans les années 1960. On y démontre que la quantité de
capital, dont la forme peut être transformée sans coût, n'a aucun
sens2.
Il n'est pas impossible de douter plus généralement du
concept d'utilité marginale décroissante où le temps de la con-
sommation, donc de la saturation, n'est pas défini. Ce concept
fut repris du psychologue allemand Gossen, avec ses fameuses
"lois". En 1831, il définit l'utilité marginale de façon "quanti-
que" : der Werth des letzten Atom, la valeur du dernier atome.
L'exemple pris à l'origine par Gossen tenait néanmoins compte
d'un temps fini, celui du travail. La productivité marginale du
capital décroissante est soumise à la même objection. Inventée
par un autre allemand, Von Thünen, en 1826, qui produira éga-
lement la théorie du salaire égal à la productivité marginale du
travail ; mais il en déduisait que ce dernier était ainsi exploité.

1 Le rajout du terme "pur" en dit long : la rémunération du capital ressemble


bien à un profit.
2 Les néocambridgiens du Cambridge anglais, emmenés par Robinson,
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s'étaient opposés à Samuelson, du Cambridge américain du MIT. Qui se
souvient aujourd'hui de ce débat homérique des deux Cambridge et de la
victoire des premiers ? L'économie est une "science" fort spécifique… On
recommande plus généralement la lecture de Comment les économistes se
sont trompés de James Kenneth Galbraith – le fils de l'hétérodoxe John
Kenneth (traduction dans le numéro 7 de L'économie politique, 3e trimestre
2000, pp. 63 à 70, d'un article publié dans The American Prospect, vol.X,
n°7, février 2000) : De quoi alors s'occupe la science économique moderne ?
Il semblerait que ce soit surtout d'elle-même... La fin de l'article est géniale.
Se référant à Lord Kelvin, l'inventeur du zéro absolu – et peut-être pas
seulement en physique… – qui affirmait il y a un siècle que les objectifs de la
physique étaient définitivement atteints, le XXème siècle ne pouvant apporter
que quelques détails, James K. Galbraith rappelle que cinq ans plus tard
apparaissait la relativité restreinte, puis la mécanique quantique. Il termine :
"Si une révolution théorique avait lieu, ces économistes seraient-ils capables
de la reconnaître ? on peut en douter. Avoir raison ne compte pour pas grand
chose dans ce club".

41
Mais qui a remarqué que l'entrepreneur n'existe pas ? Qui a
critiqué ce mythe d'un agent indépendant des propriétaires de
capitaux ? Ce mythe sembla s'avérer un temps avec la théorie
directoriale de l'ère des managers ; il s'est écroulé avec la
Governance, le gouvernement d'entreprise où les actionnaires
ont repris le contrôle de leurs Mozart de la gestion.
Anticipant la critique des néoclassiques, Adam Smith écri-
vait, dans sa Richesse des nations de 1776, que le profit est la
part du travail non rémunéré qui revient au capital, puisque le
travail était pour lui la seule source de la valeur d'échange. Sans
le chiffon rouge de la plus-value explicitée par Marx, tout y est.
"Ainsi, la valeur que les ouvriers ajoutent à la matière se
résout alors en deux parties, dont l'une paye leur salaire, et
l'autre le profit que fait l'entrepreneur1 sur la somme des fonds
qui leur ont servi à avancer ces salaires et la matière à tra-
vailler. Il n'aurait pas d'intérêt à employer ces ouvriers, s'il
n'attendait pas de la vente de leur ouvrage quelque chose de
plus que le remplacement de son capital, et il n'aurait pas d'in-
térêt à employer ces ouvriers, s'il n'attendait pas de la vente de
leur ouvrage quelque chose de plus que le remplacement de son
capital, et il n'aurait pas d'intérêt à employer un grand capital
plutôt qu'un petit, si ses profits n'étaient pas en rapport avec
l'étendue du capital employé".
Il insistait, pour ceux qui l'auraient mal compris : "Ces pro-
fits, dira-t-on peut-être, ne sont autre chose qu'un nom différent
donné aux salaires d'une espèce particulière, le travail
d'inspection et de direction2. Ils sont cependant d'une nature
absolument différente des salaires ; ils se règlent sur des prin-
cipes absolument différents, et ne sont nullement en rapport
avec la quantité et la nature de ce prétendu travail d'inspection
et de direction".
Smith distinguera ensuite le taux d'intérêt des fonds
empruntés de la rentabilité des fonds propres avancés par les
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propriétaires, supérieure au taux d'intérêt d'une prime de risque.
Keynes applique en fait consciencieusement dans toute la
Théorie générale la maximisation du profit pur de l'entrepre-
neur avec la rémunération du "coût de facteur" capital… Sauf
dans quelques pages, enfouies au milieu du livre, et que peu de
lecteurs ont remarquées. "… C'est le travail qui produit toute
chose,… Il est préférable de considérer le travail, y compris
bien entendu les services personnels de l'entrepreneur et de ses
assistants, comme le seul facteur de production ; la technique,

1 C'est ici le capitaliste entrepreneur.


2 Qui fonderait ainsi le profit pur néoclassique de l'entrepreneur, du manager
salarié ; travail d'inspection qui s'ajoute au talent, ressource rare induisant
une rente.

42
les ressources naturelles, l'équipement et la demande effective
constituant le cadre déterminé où ce facteur opère". Ici, l'entre-
preneur n'est plus qu'un salarié, jugé productif.
Maximisation de la masse de "profit pur" du mythique
entrepreneur ou maximisation du taux de profit moyen des
apporteurs de capitaux ?
Ce n'est pas la masse de "profit pur" du légendaire entrepre-
neur, ni même leur propre masse de profit (la richesse des
actionnaires en théorie financière) que les apporteurs de capi-
taux cherchent à maximiser, mais leur taux de profit, leur
rentabilité économique. Dans le cas d'un investissement nou-
veau dans les hypothèses néoclassiques, sa maximisation sup-
pose de l'égaliser avec la rentabilité marginale (le TIR, le Taux
Interne de Rendement de l'investissement, traduit chez Keynes
par l'Efficacité Marginale Anticipée du Capital, l'EMAC)1. Tout
autre choix n'est pas optimal pour le taux de profit. Autrement
dit, le taux de rentabilité désiré par les investisseurs ne se
traduira dans la réalité en taux maximum que s'il est égal à ce
taux de rentabilité anticipé maximum : les investisseurs doivent
prendre la réalité pour leur désir. Cependant cette réalité est
pour le moins complexe, ingérable : le choix optimal ne peut se
réduire à celui d'une seule firme, il suppose encore une infor-
mation parfaite concernant tous les choix alternatifs possibles.
Un rêve académique.
Ce taux de rentabilité économique désiré des capitaux est
donc radicalement indéterminable, et avec lui la valeur fonda-
mentale boursière. Le fondamental du cours boursier des
actions se calcule en divisant le profit futur anticipé (considéré
comme constant) d'une firme par le taux de rentabilité désiré
pris comme taux d'actualisation de ces profits futurs ; ce n'est
donc pas seulement l'incertitude radicale de l'avenir, chère à
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Keynes (le numérateur) qui est à la base de l'impossibilité de
prévoir les cours boursiers, mais l'indétermination du dénomi-
nateur. Ce qu'a découvert empiriquement depuis longtemps –
mais sans cette évidence – la théorie financière néoclassique
moderne2 des marchés efficients.

1 La démonstration en est élémentaire.


2 Lire à ce sujet la traduction française du livre de Peter L. Bernstein : Des
idées capitales, Les origines improbables du Wall Street moderne, PUF,
Paris, 1995. L'original, Capital Ideas, The Improbable Origins of Modern
Wall Street, est sorti en 1992 (Macmillan, The Free Press, New York). Il
s'agit en gros de l'histoire qui se lit comme un roman policier, des inventions
récentes de la théorie financière moderne américaine, donc en fait mondiale ;
on se consolera en apprenant qu'à son origine était il y a un siècle le mathé-
maticien Français Louis Bachelier. Tout le livre de Bernstein qui explique les

43
La double spéculation sur les marchés financiers : obligations
et actions
La théorie financière affirme que la hausse1 du taux d'inté-
rêt, induit la baisse des valeurs de marché des obligations et
actions. Elle mentionne rarement que la hausse du taux d'intérêt
peut être une conséquence de la hausse anticipée des profits
futurs dopant les valeurs de marché des actions et faisant ainsi
baisser par arbitrage – certes risqué dans ce cas – les valeurs de
marché des obligations. Conséquence, le taux de rendement des
obligations, c'est à dire la base des taux longs, s'élève.
Le taux d'intérêt n'est pas une variable purement monétaire,
mais une variable réelle dépendant du taux de profit (au sens de
Smith), qui se réalise par la sphère financière : non pas par le
marché primaire "du neuf", mais par le marché secondaire "de
l'occasion". Le taux d'intérêt reste indéterminé dans le cycle
économique : par l'indétermination de la prime de risque2 ; la
relative autonomie du rôle des banques commerciales créant de
la monnaie nouvelle M ou accélérant par vH la vitesse de
circulation de MH ; la politique monétaire volontariste de la
Banque centrale et/ou de l'Etat agissant sur les taux courts.
Cet équilibre n'est que tendanciel, ne peut s'effectuer que
dans le temps de la croissance et des fluctuations écono-
miques3. On retrouve le fondement de la critique par Marx de la
théorie du taux d'intérêt des classiques.

"Cacher cette monnaie-capital que je ne saurais voir"


Keynes n'a pas voulu comprendre la liaison entre la spécu-
lation sur le marché des obligations et celle sur le marché des
actions. Le taux d'intérêt ne pouvait être alors qu'une variable
monétaire tirée du seul marché que la théorie néoclassique re-
tenait : celui des obligations représentant le facteur capital ne
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dominant pas le mythique entrepreneur. Ce qui est pour l'in-
conscient de Maynard un (demi-) tour de force : redorer le
innovations théoriques qui ont valu de nombreux prix Nobel depuis une
vingtaine d'années, montre l'aléa et l'incertitude irréductible de la bourse.
1 Et vice et versa.
2 Il existe en fait plusieurs primes de risque. La prime de risque économique
est la différence entre la rentabilité économique et le taux d'intérêt sans
risque ; c'est cette dernière qui est indéterminable. La prime de risque finan-
cier est la différence entre la rentabilité financière des actionnaires et la ren-
tabilité économique, expliquée par l'effet de levier de l'endettement ; elle est
mécaniquement déterminable ; on va y revenir.
3 Les modèles de croissance montrent bien qu'à long terme le taux de crois-
sance est lié – sinon mathématiquement égal – au taux d'intérêt réel : "âge
d'or" des optimistes néoclassiques ou de la Synthèse ; "âge de plomb" pos-
sible des pessimistes keynésiens radicaux, singulièrement Joan Robinson.

44
blason de la monnaie considérée par les néoclassiques comme
un simple flux moyen de transaction sur les seuls marchés des
biens et services1, à partir de la légende de l'entrepreneur indé-
pendant du capital. Pourtant, dans le capitalisme, la monnaie se
"cristallise" et devient avant tout de la monnaie-capital du
maître propriétaire, des actionnaires ; elle redevient ce qu'elle a
toujours été depuis l'origine de l'humanité : un rapport de
pouvoir créant un contre-don (le capital plus le profit, la plus-
value) supérieur au don (du capital de l'héroïque "épargnant"),
l'instrument, le catalyseur non violent2 d'un échange inégal, et
non pas celui d'un troc entre égaux.
Keynes, comme les néoclassiques, se crevait les yeux devant
le mariage de la monnaie-finance, où la monnaie neutre devient
l'instrument de "l'homme aux écus" du capital exploiteur.
Œdipe et son aveuglement-castration : cachez cette femme-ma-
man-maîtresse que je ne saurais plus voir. La femme-force de
travail qui crée le profit, le fils du Dieu, lui-même, le père-
capital, comme Marie crée le fils de Dieu en restant vierge tout
en étant exclue de la Sainte Trinité. Et l'on peut comprendre le
tréfond possible de la prohibition de l'intérêt de l'argent,
d'Aristote3 à Thomas d'Aquin, celle d'une sorte d'inceste.
Il faut retourner aux classiques et à Marx si l'on veut
comprendre le rapport étroit entre taux de profit et taux d'intérêt
(taux de profit moins une prime de risque selon Adam Smith),
avec les réserves de Marx.
La rentabilité n'a rien à voir avec le risque de la répartition
des profits selon la structure financière des entreprises : elle est
intrinsèque à la production du profit. Le théorème de
Modigliani-Miller indique que le "coût moyen pondéré du
capital", le CMPC – autre chimère renvoyant au taux de renta-
bilité économique désiré – est indifférent à la structure finan-
cière d'une entreprise, c'est-à-dire à l'importance relative des
fonds propres et des dettes. Le CMPC n'est que la rentabilité
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économique intrinsèque à sa production par l'entreprise ; il ne
1 Avec l'introduction néanmoins de la "thésaurisation", de la demande de
monnaie pour motif de transaction par Marshall et des effets richesses par
Pigou.
2 Moins violent que la rapine, le tribut du Mode de production asiatique ou
despotique oriental, l'exploitation esclavagiste ou la rente féodale.
3 "Ce que l'on déteste avec le plus de raison, c'est la pratique du prêt à inté-
rêt, parce que le gain qu'on en retire provient de la monnaie elle-même et ne
répond plus à la fin qui a présidé à sa création. Car la monnaie a été inven-
tée pour l'échange, tandis que l'intérêt multiplie la quantité de monnaie elle-
même... : car les êtres engendrés ressemblent à leurs parents, et l'intérêt est
une monnaie née d'une monnaie. Par conséquent, cette dernière façon de
gagner de l'argent est de toutes la plus contraire à la nature" (Aristote, Po-
litique). C'est même là l'origine du mot intérêt, tokos signifiant en grec à la
fois enfant, rejeton et revenu de l'argent.

45
peut être expliqué, comme dans la théorie financière moderne,
par le risque – qui valut de nombreux prix Nobel d'économie.
Le risque n'assure que sa répartition entre créanciers et
propriétaires.
Contre IS LM, le "modèle" IS ER
La rentabilité économique désirée1, notée ici re, n'intervient
sur le niveau des investissements que si l'on considère que cette
dernière est seulement un coût. Le revenu national en valeur
travail peut se mesurer, comme chez Keynes2, par le niveau de
l'emploi E. Si l'on adopte cette théorie, si l'on pense que le pro-
fit n'est que la partie du travail non rémunérée, le profit et le
taux de profit vont croître avec le niveau d'activité, donc avec
l'investissement. Circularité fondamentale : la baisse3 de re en
tant que coût, fait croître l'investissement et E (la fonction IS
décroissante est transformée, avec le couple (E, re) conservée) ;
à l'inverse, l'investissement en expansion fait croître, par le
multiplicateur, E qui dope re donc le taux d'intérêt qui, tendan-
ciellement s'en déduit. On obtient la fonction croissante (E, re)
Emploi Rentabilité, ou ER.
On aboutit à l'ébauche d'un "modèle" éclectique statique
mâtinant la théorie de la valeur travail, et du profit qui en
découle, des théoriciens classiques de l'offre, Marx compris,
avec un Keynes radicalisé mettant en avant la contrainte des dé-
bouchés. "IS ER ", Investissement Epargne, Emploi Rentabilité,
se substitue au modèle canonique IS LM, LM ayant perdu tout
fondement.
L'équilibre donné par IS ER présente en outre la vertu de
rendre optimal le taux de profit. En effet, d'un côté, la courbe
ER donne les possibilités de re croissant en fonction du niveau
de l'emploi E. De l'autre, sur la courbe IS, pour tout re
correspond un Id tel que re est égal à sa rentabilité marginale,
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donc un niveau de l'emploi E décroissant avec re. Quand le re
de la fonction IS est égal au re de la fonction ER, la rentabilité
marginale de l'investissement est donc égale à re : on est à
l'optimum, au taux de profit maximum.

1 Le taux d'intérêt sans risque plus la prime de risque économique, bref le


taux de profit.
2 Il calcule toujours les valeurs de ses agrégats (revenu y, consommation,
etc.) "en unités de salaires", donc en temps de travail. Ce qui est cohérent
avec sa théorie – bien cachée – de la valeur travail.
3 Et vice et versa.

46
Ε = k Id #REF! #REF! #REF! #REF! #REF!Le substitut
#REF! du#REF!
modèle IS#REF!
LM. Plus #REF!
de marché#REF! #REF!
le "modèle" statique à dynamiser de la
monnaie, le taux de rentabilité économique désiré re
IS ER #REF! #REF!
r = 0,3 - (1 #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF!
induisant le taux d'intérêt par la prime de risque
#REF!
(ER comme Emploi-Rentabilité)
r = re - R #REF! #REF! #REF! #REF!
économique indéterminée R, est endogène du revenu.
#REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF!

10%
IS existe encore, transposée : Ce n'est plus LM,
9%
Taux de rentabilité désiré re induisant

Ε= k Id #REF! #REF! quand #REF!re augmente, diminue #REF! #REF! #REF!


#REF! I d#REF! mais ER :
#REF! #REF! #REF!
r =8%
0,3 - (1 #REF! #REF! et#REF!le niveau d'activité
#REF! E#REF!diminue #REF! #REF! quand #REF! #REF!re #REF!
E augmente, #REF!
le taux d'intérêt r = re - R

r = re - R #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! augmente, #REF! car#REF!
le profit #REF! #REF!
7% augmente plus vite que le
6% capital investi
5% Taux de profit re
d'équilibre,
4% maximum
3%
Ε = k Id #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF!
r =2%
0,95 / I #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF!
r = re - R #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF! #REF!
E d'équilibre
1% statique
0%
1300 1400 Revenu1500 1600
E en fonction de re pour IS (re1700
en fonction de1800
E pour ER) 1900 2000

La pénétration de la monnaie-finance et la dynamisation


d'IS ER
La monnaie intervient à deux niveaux.
Dans la sphère financière : en tant qu'avance en monnaie-
capital par l'intermédiaire des marchés financiers primaires ;
mais aussi par le double marché secondaire (actions et obli-
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gations), elle permet la maximisation du taux de profit qui tend
à s'égaliser par cette concurrence. C'est la monnaie-finance, où
la cristallisation de la réserve de valeur n'empêche pas sa
fonction de moyen de transaction : la liquidité des marchés.
Dans la sphère réelle, elle intervient comme catalyseur de
l'équilibre de demande effective : les processus de thésau-
risation et de déthésaurisation sont au cœur des processus réels
de fluctuations et de croissance économique. Le "modèle"
statique IS ER n'a de sens qu'en tant que squelette1 d'une théorie
des cycles et de la croissance, en introduisant la monnaie et pas
seulement les innovations comme dans les Business Cycles de
Schumpeter de 1939, prolongeant ses analyses du développe-
1 Comme IS LM, ce n'est qu'un "pseudo modèle".

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ment économique. On peut ainsi tenter d'éclaircir les cycles
longs de Kondratieff, et leur relation trouble avec la monnaie,
ainsi que les cycles des affaires courts de Juglar.
Précisons le processus de pénétration de la monnaie dans le
principe de demande effective dynamisée. Si un agent, ménage
ou entreprise, thésaurise en caisse ou en banque un flux de re-
venu monétaire qu'il a obtenu en contrepartie de la production,
des stocks non désirés apparaissent. Ce processus est envisa-
geable en cas d'anticipation – ou de réalité – de crise, de crainte
du chômage ou de surcapacités de production. Cette épargne
peut – en cas de dépôts bancaires – ne pas être "recyclée" autre-
ment que par des crédits octroyés pour rembourser d'autres
emprunts1, pas pour financer de nouveaux investissements
déprimés. Dans ce cas cette épargne est donc bien également
une thésaurisation.
A l'inverse, une déthésaurisation nette (une dépense moné-
taire supérieure aux revenus monétaires obtenus) d'un stock
préalable de monnaie d'un agent, induit des variations de stocks
négatives qui peuvent soit relancer la demande, sans contrainte
en sous-emploi, sous la contrainte des capacités de production
en plein-emploi. La sortie de la contrainte est : soit la croissan-
ce stimulée par cette dépense supplémentaire, ce qui suppose
que les investissements la permettront ; soit l'inflation par la
demande.
Hayek avait en partie raison contre les keynésiens : il faut
bien un stock d'épargne (un stock de monnaie ou de titres cor-
respondant à un stock réel de biens) "préalable" pour permettre
l'investissement. Mais il avait tort en considérant que le flux
d'épargne de la période était préalable au flux d'investissement
de cette même période. Autrement dit, les keynésiens avaient
raison sans le savoir : ils ne faisaient pas intervenir les stocks
préalables. On peut ainsi relancer l'économie par injection de
monnaie qui stimule directement la demande effective. La
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baisse des taux courts est un luxe inutile – le seul perçu par les
keynésiens – qui peut néanmoins faire sur réagir investissement
et E. Cette monnaie nouvelle (et/ou l'accélération de la vitesse
de circulation du stock existant de monnaie) achète les stocks
de biens réels.
On comprend maintenant le principe du multiplicateur. Les
stocks, s'ils sont jugés à un niveau désiré2 baissent, par un
investissement désiré et/ou toute autre dépense non endogène

1 C'est un cas particulier de "la loi du reflux" de la Banking School popu-


larisée par Fullarton,
2 En cas de crise grave, les stocks pléthoriques ne pourront pas en baissant
déclencher ce processus : d'où la nécessaire intervention, mentionnée dans ce
cas par Keynes, de la politique budgétaire.

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du revenu de la période à venir, par exemple la consommation
liée au patrimoine ou les exportations ou les dépenses publi-
ques. Il faut produire un flux de production tel qu'il rétablit ce
niveau désiré par une variation de stock désiré positive ∆Std. Si
l'on consomme marginalement une part c du ∆E supplémen-
taire, seule une part 1 – c rétablira le niveau désiré des stocks. Il
faut donc produire un revenu supplémentaire ∆E tel que (1 –
c) ∆E soit égale à ∆Std. Il vient donc ∆E = ∆Std / (1 – c). Le
multiplicateur est bien k = 1 /(1 – c), mais on a eu besoin de la
monnaie catalyseur pour le fonder.
Il n'est en outre pas besoin de variation de la masse
monétaire pour expliquer l'efficacité (croissance vertueuse) ou
la nocivité (croissance inflationniste) de la monnaie sur les phé-
nomènes économiques. Imaginons, en régime de croisière hors
crise, que le processus qui vient d'être décrit se soit effectué
sans création monétaire, sans politique monétaire ; se souvenir
de l'image de Foville : le nombre de verres n'a pas varié, seuls a
varié le nombre de fois où on les a utilisés. C'est dans ce cas la
vitesse de circulation de la monnaie qui est à l'origine de ses
effets catalytiques, pas sa quantité. Le crédit bancaire et la poli-
tique monétaire qui peuvent lancer la demande ne fait que se
substituer à cette accélération de la vitesse de circulation en
accélérant la vitesse de circulation de MH. Encore une pierre
dans le jardin de la théorie quantitative…
Et la "loi" de Say est enfin rejetée, quand on ne s'en tient pas
à la légende de l'équilibre de l'offre et de la demande des seuls
flux de produits d'une période ne se traduisant que par des flux
monétaires de revenus. Clin d'œil au livre de Henri Denis, La
"loi de Say" sera-t-elle enfin rejetée ?1. Ce livre part d'une
intuition géniale d'Adam Smith : "De même [que le capitaliste]
avance à ses ouvriers leurs salaires ou leur subsistance tandis
qu'il prépare et qu'il met sur le marché ses marchandises, de
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même il s'avance sa propre subsistance…". Smith venait de
comprendre que les stocks étaient à l'origine des flux, par les
avances en capital, autant pour "sa propre subsistance" que
pour le processus de production. Malheureusement cette intui-
tion ne sera pas comprise par Denis qui retournera aux seuls
flux de revenus, toujours sans la monnaie. On retrouve cette in-
tuition avec référence seulement implicite aux stocks dans
certaines conceptions du Keynes du Treatise : son image bibli-
que de la jarre de la veuve. Image reprise dans les aphorismes
bien connus de Kaldor ou Kalecki selon lesquels "les capita-

1 Une nouvelle approche de la surproduction, Economica, Paris, 1999.

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listes gagnent ce qu'ils dépensent" (tandis que les salariés
dépensent ce qu'ils gagnent).
L'erreur économique de Say, reprise par Walras dans
son équilibre général, mais donc aussi par Keynes, consiste à
croire que ce sont les seuls flux de revenu monétaires de la seu-
le période qui se dépensent, alors que ce sont d'abord les stocks
(exogènes du revenu de la période future, cependant nés des
revenus épargnés, non consommés, des périodes précédentes)
qui lancent la demande et donc l'offre. L'origine de cette erreur
est l'assimilation des flux de revenus aux seuls flux monétaires ;
or une production stockée (désirée ou non désirée) fait naître
un flux de revenu non monétaire : le droit des propriétaires sur
ce stock. Capital productif désiré pour la croissance, ou stocks
invendus non désirés.
Définitivement, c'est bien grâce aux déstockages de stocks
désirés que les flux de demande expliquent les flux d'offre. Grâ-
ce à la monnaie moyen de transaction mais aussi réserve de va-
leur, grâce au stock de capital réel ; enfin grâce à la monnaie-
capital s'avançant pour transformer ce stock de travail mort par
le flux de travail vivant. L'énergie du catalyseur monnaie est au
centre des processus économiques : E = MHvH v ; quelque chose
comme E = Mc2.
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