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Réglementation de l’industrie bancaire et exclusion

financière dans la Communauté économique et monétaire


de l’Afrique centrale
Désiré Avom, Amadou Bobbo
Dans Afrique contemporaine 2018/2 (N° 266), pages 175 à 190
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 0002-0478
ISBN 9782807391734
DOI 10.3917/afco.266.0175
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 27/08/2023 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.4)

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Réglementation de l’industrie
bancaire et exclusion financière
dans la Communauté économique
et monétaire de l’Afrique centrale
Désiré Avom
Amadou Bobbo

Cet article met en évidence les effets pervers, notamment l’exclu-


sion financière, nés de la réglementation de l’industrie bancaire
dans la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale
(CEMAC). Il expose d’abord le dispositif réglementaire en vigueur,
mis sur pied en 1992 avec la création de la COBAC. Il montre ensuite
que les efforts déployés par les banques pour s’adapter à cette régle-
mentation influencent leurs choix stratégiques qui se traduisent par
deux formes d’exclusion financière : une première induite par la stra-
tégie de localisation des banques et une deuxième engendrée par la
politique de l’offre des services bancaires.
Mots clés : Industrie bancaire – Réglementation – Exclusion financière – CEMAC – COBAC

Les exclus des circuits financiers formels et informels repré-


senteraient, selon les statistiques officielles, près de 90 %
de la population mondiale1. Pourtant, ce chiffre contraste
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avec le développement financier observé depuis le début des
années 1980, à la faveur du processus de libéralisation finan-
cière, avec le développement des marchés financiers. Dans ce
contexte, la CEMAC 2 est classée parmi les régions du monde
où le phénomène d’exclusion financière est le plus important. En effet, 18 %
seulement de la population adulte possède un compte, 10 % dispose d’une
épargne et 4 % seulement bénéficie d’un emprunt auprès d’une institution
financière formelle (Demirgüc-Kunt, Klapper, 2012) 3 . « L’exclusion financière
est le processus par lequel une personne rencontre des difficultés pour accé-
der à et/ou utiliser des services et produits financiers proposés par les pres-
tataires “classiques”, adaptés à ses besoins et lui permettant de mener une vie
sociale normale dans la société à laquelle elle appartient » (Bayot, Jérusalmy,
2011). Toutefois, il convient de relever que ce concept est au centre d’un phé-
nomène complexe. L’exclusion financière est souvent considérée comme l’une

Désiré Avom travaille au laboratoire (davom99@gmail.com). l’université de Yaoundé-2


CEREG-LAREA à l’université de Amadou Bobbo travaille au au Cameroun
Dschang au Cameroun laboratoire CEREG-LAREA à (amadou_bobbo@yahoo.fr).

Réglementation de l’industrie bancaire et exclusion financière 175


des conséquences de l’exclusion sociale ou le produit de l’exclusion bancaire,
entendue comme étant « des pratiques bancaires qui conduisent à maintenir en
dehors du système bancaire une partie de la population » (Gloukoviezoff, 2010).
Néanmoins, la question de l’exclusion financière est récente. En effet,
les premiers faits stylisés qui ont nourri la réf lexion théorique ont principale-
ment mis l’accent sur l’exclusion géographique 4 , comme conséquence des trans-
formations socio-économiques à l’origine des bouleversements observés au
niveau de l’approvisionnement des services financiers (Leyshon, Thrift, 1993 ;
1994 ; 1995). Par la suite, les recherches se sont intéressées à l’identification
des différentes catégories des personnes concernées par l’exclusion financière,
les différentes déclinaisons de ce phénomène, ainsi que les mécanismes de sa
diffusion. Les travaux les plus récents se sont davantage intéressés à identifier
les déterminants de l’exclusion financière.
Dans cette perspective, sans prétendre à l’exhaustivité, la littéra-
ture met l’accent sur plusieurs formes de barrières 5 : les barrières physiques
(implantation géographique des banques, accessibilité aux personnes handica-
pées), les barrières liées aux coûts (coûts de transactions élevés des services et
produits financiers, absence des produits adaptés aux clients pauvres), les bar-
rières psychologiques (pratiques culturelles et religieuses, culture financière)
et les barrières réglementaires (politiques publiques, réglementation bancaire
et financière). Ces différents déterminants varient d’un pays à l’autre, en rai-
son notamment des caractéristiques des produits et services financiers et, sur-
tout, de la manière dont ils sont mis à la disposition de la population (analyse
du côté de l’offre). Elles mettent également en avant la situation et la capa-
cité financière des individus (analyse du côté de la demande). En conséquence,
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pour chaque pays, les caractéristiques de l’offre et de la demande sont suscep-
tibles de mettre en lumière différentes possibilités, dont l’offre qui s’ajuste à
la demande, mettant ainsi en évidence une multiplicité de déterminants de
l’exclusion financière.
En particulier, les difficultés d’accès au système financier peuvent être
engendrées dans certains cas et amplifiées dans d’autres par la nécessité pour
les banques de respecter la réglementation. Si les pouvoirs publics ont tou-
jours été perçus comme jouant un rôle de facilitateur d’accès aux produits et
services financiers (Demirgüc-Kunt et al., 2008), il convient de relever que la
réglementation des activités financières imposée par ces autorités publiques

1.  Sans les engager, ainsi que éventuelles sont de leur seule 1 000 personnes dans chacun des
les institutions qu’ils représentent, responsabilité. 148 pays couverts par le projet.
les auteurs remercient Aboubakar 2.  La Communauté économique et 4.  L’exclusion géographique traduit
Salao de la BEAC, Barthélémy monétaire de la l’Afrique centrale l’impossibilité ou la difficulté
Kouezo de la COBAC, Sanda (CEMAC) regroupe le Cameroun, la d’accéder physiquement aux services
Oumarou d’AXA et Banga Ntollo Centrafrique, le Congo, le Gabon, la bancaires.
de la SGBC, pour les séances de Guinée équatoriale et le Tchad. 5.  Une excellente synthèse de la
discussions qu’ils leur ont accordées, 3.  Ces données sont issues d’une littérature sur les déterminants de
ainsi que les informations et les vaste enquête réalisée en 2011 par l’exclusion financière est offerte par
statistiques qu’ils ont mises à leur les services de la Banque mondiale Claessens (2006) et Kempson et al.
disposition. Les erreurs et omissions sur un échantillon de (2000).

176  Les trajectoires incertaines de l’industrialisation en Afrique Afrique contemporaine 266


est également susceptible de créer ou de renforcer l’exclusion (De Boissieu,
Couppey-Soubeyran, 2013 ; Beck et al., 2006 ; Washington, 2006).
Ainsi, après la crise financière internationale de 2008, les termes du
débat sur les défis auxquels fait face le système financier des pays en déve-
loppement, et sur l’exclusion financière notamment, ont été renouvelés. Dans
cette perspective, la nécessité de promouvoir les activités bancaires transfron-
talières en Afrique est contrainte par la diversité de niveau de mise en œuvre
des normes internationales. Par exemple, certains pays en sont encore au stade
des normes de fonds propres de Bâle I, d’autres de celles de Bâle II, tandis
que dans des pays tels que le Kenya, l’Égypte, le Maroc et l’Afrique du Sud, la
mise en œuvre du dispositif de fonds propres de Bâle III est en cours ou fina-
lisée (Mminele, 2014). En particulier, l’exigence de transparence des activités
bancaires imposée par Bâle III est potentiellement coûteuse pour les banques
africaines en termes de production et de communication d’informations. Ces
coûts pourraient engendrer des charges supplémentaires au niveau du compte
de résultat et à terme renchérir le coût du crédit (Favarque, Refait-Alexandre,
2016). Pour Gaggiano et Calice (2011), notamment, les exigences élevées de
fonds propres dans le cadre de Bâle III se traduiraient par une augmentation
du coût de financement (que les banques répercuteraient entièrement sur les
consommateurs).
Il convient de souligner cependant que, la bancarisation numérique,
favorisée par le développement spectaculaire de l’utilisation simultanée de la
téléphonie mobile et d’internet par les Africains ces dernières années, a parti-
cipé à réduire de manière significative le phénomène d’exclusion financière. En
effet, selon le GSMA, on dénombrait 285,9 millions de comptes mobiles enre-
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gistrés en Afrique subsaharienne en décembre 2017. Dans certains pays, dont le
Kenya, la Tanzanie, le Zimbabwe, le Gabon, le Ghana, l’Ouganda et la Namibie,
plus de 40% de la population adulte utilise activement les services bancaires
mobiles (GSMA, 2018).
Cependant, si plusieurs études ont été menées dans les pays en déve-
loppement pour identifier les différents déterminants de l’exclusion financière,
très peu se sont appesanties sur ceux de nature réglementaire. Ces études ont
surtout mis l’accent sur les déterminants traditionnels : la pauvreté, les asymé-
tries d’information, l’absence de culture financière, l’analphabétisme, etc. En
Afrique centrale en particulier, jusqu’à ce jour, aucune étude à notre connais-
sance ne s’est intéressée à établir et à analyser le lien entre réglementation ban-
caire et exclusion financière. Cet article vise à combler ce vide et se fixe comme
objectif de montrer comment la réglementation mise en place au milieu des
années 1990 comme réponse à la grave crise bancaire qui a frappé les pays de
la CEMAC, tout en consolidant les bilans des banques, a également participé à
engendrer et/ou à exacerber l’exclusion financière, notamment celles de nature
géographique et des services financiers.
La première partie de l’article présente l’évolution et les mutations de
la réglementation de l’industrie bancaire dans la CEMAC. La deuxième partie

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montre comment la volonté des banques de respecter la nouvelle réglementation
a renforcé l’exclusion financière par le choix de la localisation géographique,
d’une part, et le renchérissement des produits financiers, d’autre part. En effet,
dans le secteur bancaire, imparfaitement concurrentiel, la réglementation
conduit à des optima de second rang et induit des comportements stratégiques
qui pourraient expliquer l’exclusion financière à travers le renforcement de la
concentration bancaire. La troisième partie conclut en décrivant les différentes
implications des politiques économiques.

Évolution de la réglementation de l’industrie bancaire dans la CEMAC


Dans la CEMAC, avant la création de la Commission bancaire de l’Afrique cen-
trale (COBAC) en 1990, il n’existait pas de réglementation bancaire. Malgré
quelques résistances observées pendant les premières années de sa mise en
fonction, la COBAC s’est progressivement imposée comme une institution com-
munautaire crédible. La réglementation qu’elle a édictée se décline en deux
composantes essentielles : les barrières d’accès à l’exercice de l’activité bancaire
et les conditions de l’exercice de cette activité.

Les barrières réglementaires à l’accès au marché bancaire de la CEMAC.


Dans la CEMAC, l’accès à l’exercice de l’activité bancaire est soumis au régime
d’agrément. Celui-ci est un dispositif institutionnel qui définit les critères à
remplir pour exercer en tant qu’établissement de crédit. Cette forme de barrière
(au nombre de quatre dans la COBAC) engendre dès lors des coûts irrécupé-
rables que les firmes entrantes doivent supporter, rendant le marché bancaire
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de la CEMAC non contestable au sens de Baumol (1982).
La première barrière est relative à la nature des établissements de cré-
dit qui sont assimilés à des sociétés commerciales. Ainsi, en tant qu’entreprise
exerçant dans l’espace régit par l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique
du droit des affaires (OHADA) 6 , l’établissement de crédit dont le siège social
est basé sur le territoire d’un des pays signataires est soumis aux dispositions
de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement
d’intérêt économique. À ce titre, il convient de relever que cette disposition
s’applique à toutes les banques implantées dans l’espace OHADA.
La seconde barrière fixe les seuils minima en matière de capital social.
Ils ont été non seulement harmonisés au niveau communautaire, mais égale-
ment revus à la hausse. Ainsi, les établissements bancaires qui ont leur siège
social dans la CEMAC doivent disposer d’un capital social minimum égal à
10 milliards de francs CFA, et 2 milliards de francs CFA pour les établisse-
ments financiers (art. 1 et 2 du Règlement COBAC R-2009/01). En Afrique de

6.  L’OHADA est une association 7.  L’Union économique et monétaire Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau,
panafricaine de normalisation ouest-africaine (UEMOA) regroupe Mali, Niger, Sénégal, Togo.
juridique créée en 1993. les pays suivants : Bénin, Burkina

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l’Ouest, également, le Conseil des ministres de l’UEMOA 7 a décidé de relever, à
compter du 1er janvier 2008, le capital social applicable aux banques à 10 mil-
liards de francs CFA.
La troisième barrière à l’entrée exige que les dirigeants et les com-
missaires aux comptes des établissements de crédit soient également agréés.
Celle-ci vise à garantir l’honorabilité et l’expérience des dirigeants.
Enfin, la quatrième barrière à l’entrée de l’activité bancaire prescrit aux
candidats de concevoir et de faire valider par la COBAC un ensemble de dis-
positifs relatifs au gouvernement d’entreprise, aux procédures comptables, au
plan de continuité de l’activité, au contrôle interne, à la lutte contre le blanchis-
sement des capitaux et le financement du terrorisme.

Les conditions réglementaires à l’exercice de l’activité bancaire dans la


CEMAC. Une fois les barrières réglementaires franchies, l’exercice au quoti-
dien de l’activité bancaire dans la CEMAC est soumis à l’obligation d’adhésion
à l’organisation de la profession et au respect des ratios prudentiels. L’objectif
recherché est d’assurer la stabilité du système bancaire de la sous-région.
Les textes de la COBAC exigent à tous les établissements de crédit de
la sous-région d’adhérer à l’Association professionnelle des établissements de
crédit. Celle-ci est chargée de représenter leurs intérêts auprès des pouvoirs
publics, à travers notamment les services d’information, les recommandations,
l’organisation des activités, le rapprochement des adhérents, etc. Cette adhé-
sion s’effectue d’abord au niveau national, et ensuite à l’échelle régionale. À
l’intérieur de chaque pays, l’association professionnelle est placée sous la tutelle
du Conseil national du crédit (CNC), organe consultatif chargé d’émettre des
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avis sur l’orientation de la politique monétaire et du crédit, ainsi que sur la
réglementation bancaire (art. 30 de la Convention harmonisation de la régle-
mentation bancaire). Il revient également au CNC d’étudier les conditions de
fonctionnement des établissements de crédit, notamment les relations avec la
clientèle dans le but de promouvoir des bonnes pratiques en matière bancaire.
Le socle de la réglementation est constitué par la définition et le respect
des ratios prudentiels. La COBAC a dans cette perspective élaboré un dispositif
prudentiel inspiré des différents accords de Bâle, dont la présentation peut se
faire de deux manières. La première, considérée comme statique, consiste à
opposer les ratios communs à toutes les réglementations, de ceux qui sont spé-
cifiques à la COBAC. La deuxième, que nous adoptons en revanche, plus dyna-
mique, permet de distinguer les ratios contraignants de ceux qui ne le sont pas.
Elle présente également l’avantage d’apprécier les conséquences sur la politique
managériale des banques.
Les ratios réglementaires sont dits contraignants lorsque, appliqués aux
banques de la CEMAC, ils sont plus sévères que ceux appliqués dans d’autres
régions. Parmi ces ratios, on peut noter les ratios de liquidité, des immobilisa-
tions et la limitation des concours octroyés par les établissements de crédit à un
certain nombre de bénéficiaires.

Réglementation de l’industrie bancaire et exclusion financière 179


En adéquation avec les dispositions internationales, la COBAC a fixé le
ratio de liquidité à 100 % comme dans l’accord de Bâle. Le caractère contrai-
gnant de ce ratio est lié au contexte dans lequel les banques doivent l’appliquer.
En effet, eu égard au faible niveau du développement financier, les pays de la
CEMAC n’offrent qu’un nombre très réduit d’instruments financiers. La mon-
naie est l’actif privilégié par les agents économiques dans leurs transactions
courantes, ce qui affecte l’offre de monnaie des banques.
Le ratio de couverture des immobilisations a été conçu pour empêcher
les banques d’affecter les dépôts au financement de leurs immobilisations, et
donc au financement de celles-ci par leurs fonds propres ou des ressources per-
manentes. En effet, avant la réforme du secteur bancaire, les établissements
de crédit de la zone CEMAC avaient pris l’habitude d’investir massivement
dans l’immobilier au détriment de la distribution des crédits aux entreprises et
aux ménages. Pour limiter cette pratique, la COBAC a mis sur pied le ratio de
couverture des immobilisations qui est fixé à 100 %. Au niveau de l’UEMOA,
également, il est stipulé que le total formé par les immobilisations et les par-
ticipations ne pourra excéder 100 % des fonds propres effectifs des banques.
Dans la catégorie des ratios contraignants, l’on peut également men-
tionner les dispositions qui limitent les concours octroyés aux actionnaires,
associés, administrateurs, dirigeants et au personnel. Elles se justifient par
le fait qu’un établissement peut être mis en difficulté par la mainmise de ses
partenaires privilégiés sur les ressources collectées auprès de la clientèle, afin
de financer leurs propres affaires au moyen de concours excessifs. Dans cette
perspective, la COBAC a mis sur pied deux ratios : l’encours global des engage-
ments vis-à-vis de cette catégorie de bénéficiaire, lequel ne peut excéder 15 %
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des fonds propres. Dans l’UEMOA, il est plafonné à 20 % ; les engagements qui
excédent 5 % des fonds propres nets, et viennent en déduction du montant de
ceux-ci.
Les ratios sont considérés comme laxistes lorsqu’ils accordent une rela-
tive marge de manœuvre aux établissements de crédit installés dans la CEMAC
par rapport au reste du monde. Dans cette catégorie figurent les ratios de divi-
sion de risques, de couverture de risques par les fonds propres et de transfor-
mation à long terme.
Tel que défini par les accords de Bâle, le ratio de division de risques
met en évidence trois contraintes qui rendent difficile son application dans la
CEMAC. La première vient de ce qu’aucun débiteur ne doit totaliser des enga-
gements excédant 25 % des fonds propres prudentiels de l’établissement. La
seconde est relative au fait que la somme des grands risques unitaires supé-
rieurs à 10 % des fonds propres ne doit pas dépasser huit fois le montant de
ces derniers. La troisième découle de ce qu’aucune participation dans une

8.  Plus ce ratio est faible, plus les et donc élargir son offre de
banques sont obligées de fournir des financement.
efforts pour diversifier leurs crédits,

180  Les trajectoires incertaines de l’industrialisation en Afrique Afrique contemporaine 266


entreprise non financière (détention de plus de 10 % du capital social) ne doit
excéder 15 % des fonds propres de l’établissement de crédit concerné.
Considérant le faible niveau de développement de l’activité dans la sous-
région, la COBAC a autorisé, en 1992, la prise d’engagements pondérés sur un
même client jusqu’à la limite de 75 % des fonds propres nets. Cette limite a
cependant été revue à la baisse en 2010 8 . En effet, l’article 1er du Règlement
COBAC R-2010/02 stipule que tout établissement de crédit qui opère dans la
CEMAC doit respecter en permanence : un rapport maximum de 45 % entre
l’ensemble des risques qu’il encourt du fait de ses opérations sur un même
bénéficiaire, et le montant de ses fonds propres nets ; un rapport maximum
de 800 % entre la somme des grands risques qu’il encourt et le montant de ses
fonds propres nets. Enfin, il est également prévu la limitation des prises de
participation au capital des entreprises à 15 % des fonds propres nets et dont
l’ensemble ne doit pas dépasser 45 %.
Malgré ces réaménagements, les limites fixées par ces normes sont tou-
jours très au-dessus de celles fixées dans les accords de Bâle. Cette disposition
gère un aléa moral pour les banques locales, car elles ne sont plus contraintes
de fournir des efforts pour diversifier les financements à consentir à l’écono-
mie, et donc d’étendre le réseau des bénéficiaires crédits. Dans certains pays
africains comme le Maroc (10 %) et l’Afrique du Sud (15 %), les limites fixées
sont inférieures, mais à la différence des pays de la CEMAC, les marchés finan-
ciers sont relativement plus développés.
En 1988, le Comité de Bâle a publié l’Accord relatif au ratio internatio-
nal de solvabilité, dénommé « ratio Cooke ». Cette norme a obligé les banques
à vocation internationale à disposer à partir de 1992 d’un montant de fonds
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propres au moins égal à 8 % de leurs risques pondérés. La COBAC s’en est ins-
pirée pour concevoir celui qui est appliqué dans la CEMAC en pondérant les
établissements de crédit en fonction de leur rating, les États de la CEMAC en
fonction du respect des critères de convergence, et en réduisant de moitié pour
les crédits bénéficiant d’un accord de classement de la BEAC. C’est ainsi qu’il
a été établi à 5 % en 1992, accordant alors une plus large marge de manœuvre
aux établissements de crédit de la sous-région par rapport aux autres. Ce n’est
qu’en 2006 qu’il a été ramené à la norme internationale de 8 %. Toutefois,
contrairement au ratio de solvabilité du Comité de Bâle qui exclut les risques
souverains, celui de la COBAC les intègre, en fonction du respect des critères
de convergence de la surveillance multilatérale des politiques économiques.
Cela implique pour les banques de disposer de faibles ressources propres pour
garantir les crédits accordés aux agents économiques.
Le ratio de transformation à long terme, encore appelé ratio de fonds
propres et de ressources permanentes, veille à limiter la transformation opérée
par les banques en contrôlant l’équilibre entre les emplois et les ressources à
long terme. De ce fait, il limite la transformation d’échéance des banques en
plafonnant leur capacité à financer des prêts à long terme sur les ressources
monétaires. Alors que les premiers accords de Bâle obligent les banques de

Réglementation de l’industrie bancaire et exclusion financière 181


disposer des ressources permanentes supérieures à 60 % des emplois à moyen
et long termes, la COBAC, en revanche, permet aux établissements de crédit de
financer 50 % au moins des emplois à plus de cinq ans par des ressources de
même terme. Malgré cette relative grande liberté, cette disposition est réguliè-
rement avancée pour justifier l’état de surliquidité bancaire des établissements
de crédit de la sous-région et leur réticence à investir dans les activités pro-
ductives, pour se concentrer plutôt sur le financement de la consommation. En
Afrique de l’Ouest, ce ratio est fixé à 70 %.

Manifestations de la réglementation de l’industrie bancaire


dans la CEMAC
La réglementation, telle que présentée précédemment, inf luence non seulement
la structure du marché et les performances bancaires, mais aussi de manière
directe le comportement des banques (Artus, Pollin, 1990). Par exemple, elle
occasionne des coûts directs de fonctionnement et des coûts indirects liés à des
possibles effets pervers (De Boissieu, Couppey-Soubeyran, 2013), certains de
ses coûts étant supportés directement par les clients (Beck et al., 2008). Dans
cette partie, nous ne nous intéressons pas directement aux coûts, mais nous
tentons de montrer que le respect de la réglementation adoptée avec la mise
en place de la COBAC a contribué à renforcer l’exclusion financière dans la
CEMAC. L’exclusion financière mise en évidence dans le cadre de cette étude
est expliquée en partie comme une conséquence de l’adaptation des banques
à la nouvelle réglementation qui s’est traduite par un changement du choix
stratégique des banques. Il peut s’analyser à deux niveaux : premièrement, il
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inf luence la stratégie de localisation des banques, et deuxièmement, il oriente
la politique de l’offre des services bancaires (Claessens, 2006).

L’exclusion financière par la localisation des industries bancaires. Au


niveau de la localisation, la nécessité de s’adapter à la nouvelle réglementation
imposée par la COBAC s’est traduite par un renforcement du phénomène de
concentration bancaire dans les centres urbains, parallèlement à celle des éta-
blissements de microfinance dans le cadre de la relation de complémentarité
entre les deux types d’institutions.
Avant la création de la COBAC, en 1990, le secteur bancaire de l’Afrique
centrale était caractérisé par une forte présence de l’État. Celle-ci s’est entre
autres manifestée par sa prise de participation dans le capital social des éta-
blissements de crédit, la désignation des dirigeants des banques dont le profil
était essentiellement politique (Avom, Eyeffa-Ekomo, 2007). Un effet pervers
de cette forte implication de l’État a été de privilégier une rentabilité sociale

9.  Plus ce taux est faible, plus le pays


est considéré comme fortement
bancarisé.

182  Les trajectoires incertaines de l’industrialisation en Afrique Afrique contemporaine 266


au détriment de la rentabilité financière. Ainsi, assez fréquemment, les auto-
rités décidaient de l’implantation des banques dans des zones faiblement peu-
plées et assez éloignées des grands centres d’activité économique, sans que les
conditions de rentabilité de ses agences soient remplies. Cette situation a été
confortée par le dispositif réglementaire en vigueur où l’État, une fois de plus,
en constituait le socle. Cette stratégie avait l’avantage de réduire l’exclusion
géographique et de favoriser le développement de la culture financière d’une
certaine catégorie de la population. Combinée à d’autres dysfonctionnements,
elle s’est pourtant révélée en définitive contre-productive lorsque les États ont
commencé à subir les conséquences de la crise économique des années 1980.
Les restructurations qui se sont imposées ont conduit à la fermeture ou à la pri-
vatisation de nombreuses banques (Hugon, 2007). Dans un premier temps, les
banques à capitaux étrangers se sont retirées, avant d’amorcer un mouvement
inverse après 1994, lorsque les perspectives de croissance économique se sont à
nouveau présentées. L’effet mémoire, et surtout la nouvelle réglementation, ont
considérablement modifié la stratégie de localisation des agences bancaires,
induisant une forte concentration visible à deux niveaux : une concentration
dans les zones urbaines au détriment des localités rurales pauvres, d’une part,
et, à l’intérieur même des villes, une concentration dans les centres urbains
au détriment des zones périphériques où vivent les populations les plus vulné-
rables, d’autre part.
Les populations, et notamment les fonctionnaires et agents de l’État
affectés dans les localités éloignées des centres urbains, sont fortement pénali-
sés lorsqu’ils ne sont pas exclus des services financiers. En effet, pour y accéder,
ils sont soumis à de nombreux coûts de transactions dont celui du transport
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dans des conditions difficiles caractérisées notamment par l’insécurité. Leur
faible pouvoir d’achat, ainsi que celui des taux d’intérêts rémunérateurs,
expliquent leur forte préférence pour la liquidité par rapport à tout autre actif
disponible, ou à tout instrument de mobilisation de l’épargne (chèques, carte
de paiement, etc.), en raison de la faiblesse des infrastructures financières (par
exemple, les distributeurs automatiques de billets).
C’est cette situation qui explique dans l’ensemble le faible taux de densité
bancaire dans la CEMAC 9 , taux mesuré par le nombre d’habitants rapporté à
celui des agences bancaires. En moyenne, une banque pour 961 372,09 habitants
ou un guichet pour 123 400 habitants, parmi le taux le plus élevé au monde.
La carte ci-après illustre bien cette situation, qui représente la loca-
lisation des agences bancaires dans la CEMAC, et montre que la plupart des
banques sont implantées dans les zones urbaines, notamment dans les capitales
politiques et économiques. La carte met également en évidence de grandes dis-
parités au sein de la sous-région où, globalement, le Cameroun présente la den-
sité bancaire la plus importante en nombre de banques et d’agences. Rapporté à
la population totale, on observe que le Gabon, la Guinée équatoriale et le Congo
ont une densité plus faible, comparativement au Cameroun, à la Centrafrique
et au Tchad, où elle est plus élevée. Ces différences sont en parties imputables

Réglementation de l’industrie bancaire et exclusion financière 183


à l’importance de la population de ces pays. Il apparaît que les pays les plus
peuplés sont ceux qui affichent les densités les plus faibles.
D’importantes disparités sont aussi observables à l’échelle des zones
urbaines, où la distribution des agences bancaires témoigne d’une très forte
concentration en centre-ville au détriment des zones périurbaines. Le choix de
la localisation des banques dans le centre-ville peut s’expliquer essentiellement
par des raisons économiques car les banques veulent capter la clientèle consti-
tuée des fonctionnaires (nationaux et internationaux), des chefs d’entreprises
et minimiser les coûts susceptibles d’impacter certains ratios de la réglemen-
tation, etc. d’une part et des raisons de sécurité d’autre part. En revanche, les
agences bancaires qui sont implantées dans les zones périurbaines sont celles
dont les capitaux sont majoritairement privés nationaux ou africains, et qui
cherchent à financer les activités du secteur informel en prenant un peu plus
de risque.
La discrimination des établissements bancaires dans la localisation
géographique au détriment des zones périurbaines aurait dû être compensée
par celle des établissement de microfinance (EMF) dont la vocation à l’origine
était orientée vers les populations pauvres. On observe toutefois une situa-
tion inverse, où les EMF sont pour une grande partie localisés dans les zones
urbaines à proximité des banques classiques. Ceci s’explique par la nécessaire
complémentarité entre les banques et les EMF, encouragée par les dispositions
réglementaires. Par exemple, les EMF se refinancent non auprès de la Banque
centrale parce que non éligibles, mais des banques commerciales où ils sont
clients, banques qui jouent le rôle de prêteur en dernier ressort. De plus, compte
tenu des ressources mobilisées et des cas de faillites enregistrés, des formes de
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coopération (complémentarité) avec les banques pour garantir leur viabilité ont
été identifiées et institutionnalisées. « La complémentarité peut être définie
comme l’ensemble des articulations et des synergies entre les deux catégories
d’entrepreneurs, coopérations qui permettent d’élargir la surface d’intermédia-
tion financière, et donc d’augmenter l’inclusion financière » (Fall, 2011, p. 51).
En conséquence, les deux formes d’intermédiation financière peuvent être com-
plémentaires sur certaines niches, mais entrer en compétition sur d’autres. Si,
en Amérique latine et en Asie, les activités de banque et de microfinance sont
concurrentielles, en Afrique subsaharienne elles sont en revanche marquées
par une grande complémentarité (Fall, 2009). La conséquence fondamentale de
cette grande mutation de l’environnement financier est que les EMF délaissent
de plus en plus les zones rurales et périurbaines pour se concentrer dans les
centres urbains à la recherche d’une clientèle solvable capable de consolider
leur bilan.

Exclusion financière par l’offre des services bancaires. Le respect des


mesures réglementaires édictées par la COBAC est un prétexte avancé par les
banques pour expliquer le coût élevé des services financiers et le rationnement
du crédit observé depuis de nombreuses années.

184  Les trajectoires incertaines de l’industrialisation en Afrique Afrique contemporaine 266


Localisation des agences bancaires dans l’espace Cemac
Une forte concentration urbaine, au détriment des zones rurales

Amdjarass

NIGER
TCHAD

Abéché

SOUDAN
Mongo
N’Djaména
Kousséri
Am Timan
NIGERIA
Maroua
Bongor
Yagoua
Guider
Pala Sarh
Kelo
Garoua
Doba
Moundou
RÉPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE
Mbouda Ngaoundéré
Bossangoa
Bamenda Kumbo
Dshang Foumbam Bouar Bambari
Mamfé Foumbot
Nkongsamba Beloko
Bafousam
Kumba Bafang
Muyuka Bertoua
Buéa Edéa Berbérati Bangui
Limbé Yaoundé CAMEROUN
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Malabo
Douala Mbalmayo
Luba
Tiko Sangmélila
Bonaberi Kribi Ebolowa
Ebibyin
Bata
GUINÉE Bitam
ÉQUATORIALE Ouesso Impfondo
Oyem
Mongomo Pokola

Libreville
CONGO
GABON
RÉPUBLIQUE
SÃO TOMÉ- Owando DÉMOCRATIQUE
ET-PRÍNCIPE Lambaréné Koulamoutou DU CONGO
Oyo
Port-Gentil
Moanda Gamboma
Mouila Franceville
Gamba Djambala Nombre d’agences par ville :
Tchibanga
85
Brazzaville
Dolisie 50
Nkayi
Pointe-
EdiCarto, 12/2018.

20
Noire
5
1
200 km
Source : données collectées par les auteurs (actualisées au 31 décembre 2016).

Réglementation de l’industrie bancaire et exclusion financière 185


Après avoir franchi toutes ces barrières, il est assez courant que les
clients rencontrent encore d’autres formes d’obstacles en termes d’accessibi-
lité aux services offerts à l’intérieur des banques. Montrons comment les exi-
gences réglementaires alourdissent les coûts et les conditions des crédits dans
la CEMAC.
Les coûts administratifs peuvent s’analyser à deux niveaux. Le premier
niveau est celui de l’accès à la banque pour les clients (différents documents
administratifs). Le second est l’accès aux différents services bancaires. Dans
cette perspective, la réglementation bancaire, en l’occurrence les exigences en
matière de documents à fournir par les clients, a un effet direct sur les obstacles
que les banques imposent à leurs clients et limite d’autant l’accès aux services
qu’elles offrent à une certaine catégorie de la population (Beck et al., 2008).
Dans la CEMAC, deux catégories d’exigences administratives peuvent être
signalées : celles qui obligent les clients à fournir certains documents et celles
qui fixent des montants minimums dont il faut disposer pour ouvrir un compte.
Ces exigences sont susceptibles d’engendrer et/ou d’accentuer l’exclusion finan-
cière, exacerbée par la prédominance de l’économie informelle et les contraintes
sociales10 . Et même pour les agents économiques qui travaillent dans le secteur
formel, surtout ceux à faible revenu, ils sont confrontés à des nombreuses diffi-
cultés, compte tenu de la réglementation existante. Au Cameroun, par exemple,
l’ouverture d’un compte coûte plus de 700 dollars, soit plus que le PIB par tête
du pays (Beck et al., 2008, p. 397).
Par rapport à l’ensemble des services offerts par le système financier, il
semblerait que les clients à faible revenu soient principalement intéressés par
les comptes d’épargne. Or, la principale caractéristique de ce type de compte
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est l’absence de tout risque de crédit qui lui est associé. Malheureusement, il
est également contraint au même titre que les autres comptes, en termes d’exi-
gences de documents et de montant minimal requis à l’ouverture, renforçant de
ce fait l’exclusion financière déjà existante.
L’une des formes les plus visibles de l’exclusion financière est le ration-
nement du crédit dont sont victimes les clients des banques dans un contexte
caractérisé par une situation de surliquidité qui dure depuis de nombreuses
années. En dehors des explications traditionnelles toujours pertinentes (climat
des affaires, asymétrie d’information, etc.), le rationnement du crédit est égale-
ment caractérisé par le coût du crédit et le niveau élevé des collatéraux.
Les coûts de crédit relèvent essentiellement des conditions de banque,
lesquelles dans la CEMAC d’avant 1990 étaient strictement encadrées par les
autorités publiques dans le cadre de la politique de sélectivité des crédits. Par
conséquent, elles n’obéissaient pas à la logique du marché, mais étaient plutôt
considérées comme des instruments de développement. Avec la libéralisation

10.  Le secteur informel représente 11.  Parmi tous les pays de la CEMAC, base dont bénéficie tout usager à titre
environ 40 % du PIB des économies seul le Cameroun s’est doté, en gratuit.
de l’Afrique subsaharienne janvier 2011, d’un texte réglementaire
(Schneider et al., 2010). définissant les services bancaires de

186  Les trajectoires incertaines de l’industrialisation en Afrique Afrique contemporaine 266


financière amorcée au début des années 1990, la détermination des conditions
de banque a été libéralisée. Il convient de noter que cette libéralisation est en
partie contrainte, dans la mesure où les établissements de crédit étaient tenus
de respecter les bornes constituées par le taux créditeur minimum (TCM) et
le taux débiteur maximum (TDM). Le TCM, fixé par le Comité de politique
monétaire, s’applique aux petits épargnants, définis comme étant les déten-
teurs des livrets d’un montant inférieur ou égal à 5 millions de francs CFA.
Le TDM, s’appliquant quant à lui à tous les établissements de crédit éligibles
aux concours de la BEAC, est égal au taux de pénalité plus une marge fixe éta-
blie par le conseil d’administration du 24 novembre 1995. En outre, le conseil
d’administration du 19 mars 1997 oblige les établissements de crédit à publier
leur taux de base bancaire et à afficher leur barème des conditions minimales
et maximales applicables aux opérations avec la clientèle. Dans cette nouvelle
organisation, la COBAC a été chargée de veiller à la mise en application de cette
décision et de sanctionner les banques en infraction.

Tableau 1 – Évolution du taux débiteur maximum dans la CEMAC


(1994-2007)
Années 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
TDM 16 22 22 22 22 22 22 22 18 18 18 17 15 15
Source : BEAC, 2012 (le taux débiteur maximum a été supprimé par la BEAC en 2008).
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Le tableau ci-dessus retrace l’évolution des taux d’intérêt maximum
définis par les autorités monétaires de la sous-région entre 1994 et 2007. En
plus de ce taux, il faut ajouter certaines commissions qui alourdissent davan-
tage les charges d’endettement. Globalement, on peut se rendre compte du
niveau assez élevé des coûts du crédit dans la CEMAC. Ils sont parmi les plus
élevés du monde, contribuant ainsi à décourager l’accès au crédit par les clients,
notamment les petites et moyennes entreprises nationales.
La décision prise par la BEAC au courant de l’année 2008 de supprimer
le TDM et les frais de tenue des comptes à vue des particuliers11 pour renfor-
cer la libéralisation financière et protéger les consommateurs les plus faibles
a eu un effet contre-productif sur la tarification des services bancaires. Les
instances judiciaires ne disposent plus de repères pour apprécier les niveaux de
taux d’intérêt pratiqués par les établissements de crédit. Bien plus, les banques
pratiquent différents taux de base et taux effectifs annuels, dont les modali-
tés de calcul ne sont pas toujours transparentes. Ces dysfonctionnements ont
suscité dans la CEMAC une réf lexion permettant d’adopter une approche com-
munautaire de détermination d’un taux effectif global (TEG) des différents

Réglementation de l’industrie bancaire et exclusion financière 187


crédits consentis à la clientèle, et d’un taux d’usure calculé périodiquement
dans chaque pays sur la base des historiques des TEG préalablement détermi-
nés. Le tableau suivant semble illustrer le niveau élevé des coûts du crédit dans
la sous-région.

Tableau 2 – Structure des taux d’intérêts moyens des crédits à moyen


terme aux particuliers (en %)
Pays Juillet 2016 Décembre 2016 Juillet 2017 Décembre 2017
Cameroun NA NA NA NA
Centrafrique 14,03 14,25 13,35 13,61
Congo NA NA 11,70 8,49
Gabon 13,38 13,64 13,13 11,41
Guinée NA NA 13,47 13,20
Tchad 13,13 12,83 13,02 13,42
Source : BEAC, 2017.

Malgré les niveaux assez élevés des taux d’intérêt, certains indivi-
dus sont disposés à les supporter. Malheureusement, ils sont le plus souvent
contraints d’abandonner les démarches en raison des exigences des garanties
qui sont importantes. Théoriquement, les garanties ont un double rôle. Elles
entraînent une diminution de la probabilité de défaut de l’emprunteur liée
au risque d’aléa moral (l’emprunteur fera tous les efforts pour rembourser la
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banque afin de ne pas perdre la garantie fournie) et elles réduisent la perte de
la banque en cas de réalisation du risque. Cependant, étant donné l’importance
des coûts de transaction lors des faillites, la banque ne récupérera pas toujours
l’intégralité de ses ressources.
En réalité, ces garanties constituent une véritable contrainte à l’accès au
crédit, aussi bien pour les PME que pour les personnes à faible revenu. Dans la
CEMAC, un nombre important d’individus n’a pas accès au crédit bancaire car
ils ne peuvent pas satisfaire les exigences des banques en matière de garanties,
compte tenu du fait qu’ils n’ont pas souvent des actifs pouvant servir de caution.

Conclusion
Le dispositif prudentiel en vigueur dans la CEMAC est le résultat des dysfonc-
tionnements ayant entraîné les faillites bancaires à la fin des années 1980, ainsi
que des réformes institutionnelles impulsées par l’exigence de la libéralisation
financière entamée au début des années 1990. S’appuyant sur les accords de
Bâle et les spécificités des économies de la sous-région, ce nouveau dispositif
a le mérite d’associer les aspects quantitatifs et qualitatifs de la réglementa-
tion bancaire. En revanche, il engendre parallèlement deux catégories d’effets

188  Les trajectoires incertaines de l’industrialisation en Afrique Afrique contemporaine 266


pervers. Il rend difficile l’accès des personnes à faible revenu et celles qui tra-
vaillent dans le secteur informel, d’une part. En effet, à travers la concentration
des banques, les centres commerciaux des grandes villes, ainsi que les exigences
documentaires prescrites par la réglementation, ces catégories de la population
ne peuvent pas accéder à ces établissements de crédit. D’autre part, les coûts
élevés des crédits bancaires et les exigences des garanties se révèlent également
être des contraintes d’ordre réglementaire limitant l’accès aux services finan-
ciers proposés par les établissements de crédit de la CEMAC.
Dans le souci de promouvoir l’inclusion financière, il revient aux auto-
rités de la sous-région de procéder, une fois de plus, à un réaménagement de la
réglementation bancaire afin d’augmenter le taux de bancarisation des popula-
tions à faible revenu et/ou exerçant dans le secteur informel. Dans cette perspec-
tive, l’exemple du Cameroun, qui s’est doté d’un texte réglementaire définissant
les services bancaires de base gratuits, devrait être suivi par d’autres pays de
la CEMAC. Il convient en outre de développer la banque postale, en s’appuyant
sur les infrastructures publiques qui ont une dimension nationale, et promou-
voir davantage la bancarisation numérique qui, ces dernières années, s’est révé-
lée un déterminant fondamental de l’inclusion financière.
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Réglementation de l’industrie bancaire et exclusion financière 189


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