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LES CAUSES ENVIRONNEMENTALES EN ÉGYPTE

De l'échec de la politisation par le haut au succès des mobilisations par le bas

Clément Steuer

La Découverte | « Mouvements »

2014/4 n° 80 | pages 24 à 33
ISSN 1291-6412
ISBN 9782707183361
DOI 10.3917/mouv.080.0024
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-mouvements-2014-4-page-24.htm
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Les causes environnementales
en Égypte
De l’échec de la politisation par le haut
au succès des mobilisations par le bas

P ar C lément L’Égypte – du fait des graves problèmes de pollution auxquels elle


S teuer * est confrontée, et de la vigueur des luttes sociales qui rythment
son actualité depuis désormais une bonne décennie – a connu
des modalités originales d’articulation des causes sociales et
environnementales. Alors que la stratégie de politisation par
le haut des questions écologiques, portée par le parti des Verts
(ḥizb al-khuḍr) depuis la fin des années 1980, a rapidement fait
long feu, on a vu se multiplier ces dernières années, dans un
* Chercheur en contexte de montée de la contestation politique et sociale, des
science politique à
mouvements de protestation localisés rassemblant de larges
l’Institut oriental de
l’Académie des sciences secteurs de la population autour d’enjeux environnementaux.
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de la République L’un de ces mouvements, organisé à Damiette en 2008, a même
tchèque, a notamment
pu acquérir une visibilité nationale et obtenir en quelques mois
publié Le Wasat sous
Moubarak. l’émergence d’importantes concessions de la part du gouvernement.
contrariée d’un groupe
d’entrepreneurs
politiques en Égypte,
Clermont-Ferrand,
Fondation Varenne,
2012.
1. Pour reprendre

L
l’expression de J.-M. De es questions d’ordre environnemental ne semblent pas a priori
Waele, « La situation des occuper une place très importante dans la vie politique égyptienne,
partis verts en Europe
centrale et orientale », dominée par la place de la religion dans le système juridique, par la
in P. Delwit et J.-M. De politique étrangère, et par les différentes revendications au cœur du sou-
Waele (dir.), Les lèvement de 2011 : justice sociale, droits et libertés individuelles, démo-
partis verts en Europe,
Bruxelles, Éditions cratisation et réforme des appareils de sécurité de l’État. De manière
Complexe, 1999, p. 224. symptomatique, le parti des Verts, créé en 1990, n’a jamais été en posi-
2. J. L. Sowers, tion d’obtenir des élus au Parlement, ni de peser dans une quelconque
Environmental Politics coalition électorale, et est demeuré jusqu’à présent cantonné « à la marge
in Egypt. Activists, de la marginalité 1 ». L’Égypte fait pourtant face à de très graves problèmes
Experts, and the State,
London and New York, écologiques (pollution de l’air, de l’eau et des terres agricoles) impactant
Routledge, 2013. fortement la santé publique et la vie quotidienne de ses habitants 2.

24  •  mouvements n°80  hiver 2014


Les causes environnementales en Égypte

À y regarder de plus près, on


s’aperçoit que les questions envi- La réussite de cette mobilisation
ronnementales sont évoquées locale contraste ainsi
dans les programmes politiques
d’autres organisations partisanes.
singulièrement avec l’échec
Surtout, ces questions ont joué des tentatives de capitaliser
un rôle dans le renouveau des
politiquement sur les questions
luttes sociales 3 et politiques qui
se sont multipliées en Égypte au environnementales, menées au
cours de la première décennie du cours de la décennie précédente par
siècle 4. L’exemple le plus specta-
culaire est celui de la campagne
les fondateurs du parti des Verts.
menée en 2008 dans le gouverno-
rat de Damiette contre l’implantation d’une usine de production d’engrais 3. F. Clément et al., « Le
du groupe canadien Agrium. Contrairement au parti des Verts qui s’est rôle des mobilisations
des travailleurs et
prudemment tenu à l’écart du mouvement social, des organisations syn- du mouvement
dicales, et même du tissu associatif écologiste, ce mouvement de contes- syndical dans la
chute de Moubarak »,
tation est parvenu à rassembler tous les secteurs de la société autour Mouvements, 66, 2011,
du refus de ce projet industriel, depuis les autorités locales jusqu’aux p. 69-78.
couches populaires, en passant par les membres du parti dominant (le 4. J. Beinin et F. Vairel
parti national démocratique), ceux de divers partis d’opposition (Wafd, (dir.), Social Movements,
Frères musulmans, Parti nassérien, etc.), et les organisations profession- Mobilization, and
Contestation in the
nelles des classes moyennes diplômées, menacées de paupérisation  5
Middle East and North
(notamment le syndicat des médecins et celui des avocats). La réussite Africa, Redwood City,
Standford University
de cette mobilisation locale – qui en a entraîné d’autres, plus modestes, Press, 2011 ; D. Shaḥāta
du même type – contraste ainsi singulièrement avec l’échec des tentatives (dir.), ’Awda al-siyāsa.
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de capitaliser politiquement sur les questions environnementales, menées Al-ḥarakāt al-iḥtijājiya
al-jadīda fī Misr [Le
au cours de la décennie précédente par les fondateurs du parti des Verts. retour du politique : les
nouveaux mouvements
•• L’absence d’ancrage populaire des Verts sociaux en Égypte],
Centre d’études
L’idée de créer un parti égyptien des Verts (ḥizb al-khuḍr al-misrī) politiques et stratégiques
remonte à 1986 (année de la catastrophe de Tchernobyl), et est por- Al-Ahrām, 2010.
tée principalement par le journaliste ’Abd al-Salām Dāwud 6. La plupart 5. É. Longuenesse,
des Verts sont alors des universitaires issus du milieu associatif écolo- Professions et société
au Proche-Orient.
giste. Il semblerait qu’ils aient rencontré dans un premier temps des dif- Déclin des élites, crise
ficultés pour remplir l’obligation légale selon laquelle la moitié au moins des classes moyennes,
des membres d’un parti politique égyptien doivent être des ouvriers ou Rennes, PUR, 2007.
des paysans 7, ce qui expliquerait qu’ils aient attendu 1989 pour dépo- 6. A. Manīsā, Ḥizb
al-Khuḍr [Le parti des
ser un dossier devant la Commission des partis. Le parti comporte alors Verts], Centre d’études
118 membres, dont 59 ouvriers et paysans. La Commission des partis – politiques et stratégiques
comme à son habitude – rejette la demande de création du nouveau parti, Al-Ahrām, 2004.
au motif notamment que son programme politique n’apporterait rien de 7. A. Roussillon,
nouveau par rapport aux programmes des partis déjà existants. Les repré- « Les nouveaux partis
politiques. Note
sentants des Verts formulent un appel devant le Conseil d’État, qui annule sur le processus de
la décision de la Commission des partis dans un arrêt du 14 avril 1990, recomposition du
estimant qu’aucun autre parti politique égyptien ne place l’équilibre envi- système politique
égyptien », Égypte Monde
ronnemental (al-tawāzun al-bī’ī) au cœur de son programme politique. arabe, 1(2), 1990.

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Le travail contre nature ?

Ḥasan Ragab devient le premier président des Verts. Ingénieur de for-


mation, il a fait carrière dans l’armée et la production militaire sous la
monarchie, puis dans la diplomatie et l’administration sous les Officiers
libres. Après avoir pris sa retraite, il s’est consacré à la papyrologie, et est
à l’origine de la création, en 1985, du « village pharaonique ». En 1993,
il démissionne de la présidence
du parti et est remplacé par ’Abd
En Egypte, l’ambivalence à l’égard al-Salām Dāwud. Un conflit éclate
du pouvoir dépasse de loin le alors entre ce dernier et certains
membres du comité supérieur du
seul parti des Verts pour toucher parti, qui voudraient que celui-ci
l’ensemble du tissu associatif prenne une direction exclusive-
ment politique et tourne le dos
écologiste. au milieu associatif de défense de
l’environnement. Le 29 septembre
1993, ’Abd al-Salām Dāwud et ses partisans quittent le parti, et Kamāl
Kīrah lui succède à la présidence. Les Verts égyptiens entrent alors dans
une succession de crises, qui s’échelonnent jusqu’en 2000, allant parfois
jusqu’à saisir les tribunaux pour trancher les conflits internes d’un parti
ravagé par les rivalités et les ambitions personnelles sur fond de querelle
générationnelle. En 2000, un premier congrès général du parti permet à
celui-ci de sortir, pour quelques années, de cet état de crise permanente.
L’expérience électorale des Verts égyptiens souligne leur faiblesse orga-
8. I. Farag, « Les
législatives égyptiennes nisationnelle et leur manque de relais dans la société civile. En 1990,
ou la politique le parti nouvellement créé présente seulement six candidats aux élec-
entre clientélisme et
tions législatives, dont aucun n’est élu. Il ne mène aucune campagne
citoyenneté », Égypte
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Monde arabe, 1(4), sur le plan national, si l’on excepte les chroniques hebdomadaires de
1990. ’Abd al-Salām Dāwud dans Al-Akhbār 8. En 1995, seuls quatre candi-
dats défendent les couleurs des Verts lors des élections à l’Assemblée
9. A. Boutet, du peuple 9, alors même que des candidats écologistes indépendants
« Les écologistes font leur apparition. Une fois de plus, le parti ne fait pas campagne au
en campagne : niveau national, si l’on excepte la diffusion de son journal hebdoma-
l’environnement
comme nouvelle daire créé en 1994, et dont les ventes ne dépassent pas les quelques
donne politique ? », dizaines d’exemplaires. En 2000, pour la première fois, un congrès géné-
in S. Gamblin (dir.), ral des Verts se réunit avant les élections et approuve seize candidatures
Contours et détours du
politique en Égypte. Les pour les législatives. Le parti participe également pour la première fois
élections législatives aux dépenses de campagne de ses candidats, pour un montant symbo-
de 1995, Paris, lique total de 30 000 livres égyptiennes. Cependant, ces élections ne per-
L’Harmattan/Cedej,
1997, p. 151-163. mettent pas plus que les précédentes au parti d’avoir un seul élu, même si
un total de 11 000 voix se sont portées cette fois-ci sur ses différents can-
didats. Les élections de 2000 marquent ainsi l’apogée de l’histoire électo-
rale de ce parti. En 2005 et en 2010, seule une poignée de Verts (moins
d’une dizaine) brigue les suffrages des électeurs. La révolution elle-même
ne semble pas avoir permis de redynamiser ce parti, puisqu’en 2011, il
ne présente que deux candidats à l’Assemblée du peuple (et un à l’As-
semblée consultative, la chambre haute du Parlement). Par ailleurs, les
quelques tentatives des Verts de mener des campagnes ponctuelles sur

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Les causes environnementales en Égypte

des questions environnementales concrètes (comme leur opposition en


1998 au projet « Nouvelle Vallée », qui visait à créer des terres agricoles
et industrielles dans le désert en creusant des canaux d’irrigation depuis
le lac Nasser) peinent à mobiliser au-delà de leurs propres rangs. En fait,
leurs principaux succès sont remportés sur le plan international, comme
lorsqu’ils font pression en 1998 sur les gouvernements britannique, alle-
mand et italien pour qu’ils participent financièrement au déminage de la
région d’Al-Alamein, sinistrée par la bataille qui s’y est déroulée durant
la Seconde Guerre mondiale, ou lorsque la Fédération Nord-africaine des
Verts décide d’établir son siège au Caire en 2013.
Il faut dire que les fondateurs de ce parti sont largement perçus comme
de simples importateurs de problématiques internationales 10, d’autant 10. « Ce parti est moins
qu’ils négligent de s’adresser aux classes populaires, et vont même jusqu’à l’émanation d’une
volonté populaire
se faire les hérauts des politiques de libéralisation économique et de pri- que le résultat d’un
vatisation du secteur public impulsées par le FMI. Ce dernier point est processus exogène de
d’ailleurs l’une des raisons avancées par la commission des partis pour mondialisation de la
question écologique
refuser la légalisation du parti des Verts en 1989, sa volonté de démante- récupérée par quelques
ler le secteur public étant jugée contraire aux principes de la révolution membres de l’élite
de 1952 et à l’esprit de la Constitution de 1971. De fait, les rédacteurs du politico-administrative
et économique
programme du parti croient que le secteur privé doit jouer le rôle princi- égyptienne », A. Boutet,
pal dans le développement du pays. Ils réclament la mise en place d’une op. cit, p. 160.
« économie sociale de marché » (nizām al-sūq al-ijitimā’ī), perçue comme
« l’instrument naturel » pour réaliser l’équilibre entre les intérêts de l’indi-
vidu et ceux de la collectivité, et défendent le droit de propriété ainsi que
les libertés économiques 11. Ils pensent néanmoins que l’État doit jouer un 11. A. Manīsā, op. cit.,
p. 60.
rôle stratégique dans cette économie libérale, et que la combinaison de
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la planification et de l’économie de marché constitue le meilleur moyen
d’améliorer la production, le produit national et le niveau de vie des
Égyptiens. Ce libéralisme économique mâtiné de productivisme s’accom-
pagne d’une volonté de décentralisation, les Verts égyptiens visant à un
développement équilibré de l’ensemble du territoire, y compris des zones
périphériques, rurales et désertiques.
Si le libéralisme économique exprimé dans le programme du parti,
ainsi que l’appartenance de ses dirigeants aux classes moyennes supé- 12. Au contraire,
rieures, expliquent en grande partie pourquoi les Verts égyptiens sont dans un entretien
donné au journal
totalement coupés du mouvement ouvrier, il importe de souligner qu’ils Uktūbir le 27 mai
sont tout autant isolés des autres secteurs de la société. Ainsi, malgré leur 1990, le président du
engagement de principe en faveur des périphéries et des zones rurales, parti, Ḥasan Ragab,
propose de créer
ils ne cherchent pas à se faire les relais des revendications du monde agri- des associations
cole 12, pourtant confronté depuis 1992 à une « contre-réforme agraire » qui de consommateurs
a largement aggravé les conditions de vie des paysans les plus pauvres. destinées à « surveiller
le marché » afin de
Par ailleurs, comme mentionné plus haut, les dirigeants du parti prennent lutter contre la hausse
la décision, dès 1993, de tourner le dos au milieu associatif dont ils sont des prix des produits
issus. De ce fait, les associations de défense de l’environnement ne jouent agricoles.
aucun rôle dans la campagne des candidats écologistes lors des diffé-
rentes élections. Aux lendemains de la révolution de 2011, plusieurs

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Le travail contre nature ?

militants associatifs envisagent même de créer un nouveau parti écolo-


13. Egypt Independent, giste, considérant que les Verts n’ont rien à leur apporter 13.
16 juin 2011, http:// Cette absence d’ancrage populaire explique sans doute partiellement
www.egyptindependent.
com//news/egypt- pourquoi les Verts égyptiens s’apparentent aux « partis artificiels » qui
ready-new-green- se sont multipliés au cours des deux dernières décennies du règne de
political-party Moubarak, à savoir des partis dont la totalité des ressources dépendent
du bon vouloir du régime, et qui tendent dès lors à s’aligner systéma-
14. C. Steuer, « Les tiquement sur ce dernier 14. Il convient ici de rappeler que les partis de
partis politiques l’opposition avaient appelé à boycotter les élections de 1990, ce qui
égyptiens dans la
révolution », L’année n’avait pas empêché les Verts de présenter des candidats. Le 20 mars
du Maghreb, 8, 2012, 1996, le président du parti, Kamāl Kīrah, déclare ouvertement au journal
p. 181-192. Al-Ahrām que les dirigeants des Verts souhaitent se rapprocher du parti
au pouvoir, le parti national démocratique (PND). En 2005, les Verts vont
jusqu’à soutenir la candidature de Hosni Moubarak à la présidence de
la République, alors que l’ensemble de l’opposition se mobilise contre
le renouvellement de son mandat. Cette bienveillance manifestée par les
Verts égyptiens envers le régime doit néanmoins être replacée dans un
contexte plus large : du fait de sa tendance à se réclamer de la légitimité
scientifique contre la légitimité politique, et de son absence d’alignement
sur les clivages dominants, la mouvance écologiste tend généralement à
osciller entre opposition au système et participation à l’élaboration et à
15. P. Marty et la mise en place des politiques publiques 15. En Égypte, l’ambivalence à
S. Deveaux (dir.), Social l’égard du pouvoir dépasse de loin le seul parti des Verts pour toucher
Movements and Public
Action. Lessons from l’ensemble du tissu associatif écologiste. Ainsi en 1995, un candidat éco-
Environmental Issues, logiste indépendant de la banlieue ouvrière de Ḥilwān – qui exprimait
CEFRES, 2009. par ailleurs sa méfiance à l’égard des Verts – n’hésitait pas à déclarer à
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l’enquêtrice que le PND constituait à ses yeux le parti le plus à même
16. A. Boutet, op. cit.,
p. 158. d’agir pour l’environnement, du fait de sa proximité avec le pouvoir 16.
Enfin, comme nous allons le voir, même lorsque les causes environne-
mentales portées par l’opposition parviennent à mobiliser les masses,
elles cherchent à obtenir des relais au sein du parti dominant afin d’in-
fluencer le pouvoir politique.

•En
•Le mouvement de contestation à Damiette
effet, à la faveur du renouveau des luttes sociales et politiques qui
agitent l’Égypte tout au long de la première décennie du siècle, un large
soutien a pu être ponctuellement rassemblé autour de diverses causes
environnementales au cours des dernières années. Ces différentes mobili-
sations s’inspirent à la fois du répertoire d’action des luttes ouvrières qui
font rage au même moment dans les usines du Delta, et de celui des mou-
vements de défense de la démocratie et des droits de l’homme qui mobi-
lisent dans les grandes villes depuis la fin de l’année 2004. L’exemple le
plus spectaculaire – et devenu à bien des égards emblématique – est celui
des mobilisations de 2008 contre le projet de construction d’une usine
du groupe pétrochimique Agrium dans le district de Rās al-Bar, à proxi-
mité du port de Damiette, sur la côte méditerranéenne. À son apogée, le
mouvement est parvenu à organiser des manifestations rassemblant plus

28  •  mouvements n°80  hiver 2014


Les causes environnementales en Égypte

de 10 000 personnes. S’il a été initié par des militants associatifs écolo-
gistes et des représentants des partis d’opposition, il a progressivement
su rallier à sa cause différentes organisations syndicales, ainsi que des
représentants du PND – y compris des élus locaux et des députés – et
même le gouverneur de Damiette en personne. Ce succès s’explique par
une conjonction de circonstances favorables : non seulement le projet de
construction de l’usine – décidé au plus haut niveau de l’État – menaçait 17. A. T. ’Abd al-Ḥī,
aussi bien les intérêts économiques locaux que la santé des habitants 17, « Al-ḥaraka al-iḥtijājiya
mais il est également apparu dans un contexte social et politique favo- al-munāhaḍa li-mashrū’
Agriyūm: ibthāquhā
rable à ce type de mobilisation. wa-taṭwiruhā
La première manifestation contre le projet d’implantation de l’usine wa-dalālāt najāḥuhā
est organisée le 24 février 2008 par des représentants de différents par- [Le mouvement
social d’opposition
tis d’opposition, tels que le parti du Rassemblement (socialiste), le parti au projet Agrium :
nassérien (gauche), le parti libéral, le Wafd (centre droit), le Wasat (isla- son surgissement,
miste) et les Frères musulmans. Ensemble, ils créent un « comité populaire son évolution, et les
signes de son succès] »,
pour la sauvegarde de l’environnement » (al-lijna al-sha’abiyya li l-ḥafāẓ in D. Shaḥāta (dir.),
’alā al-bī’a). Il s’agit là d’un procédé devenu commun depuis les cam- op. cit., p. 216.
pagnes de solidarité avec l’Intifada palestinienne organisées en 2000 : des
représentants de l’ensemble des
courants de l’opposition créent Non seulement le projet de
une organisation ad hoc mobili-
sée autour d’une cause ponctuelle. construction de l’usine – décidé
Cette formule possède plusieurs au plus haut niveau de l’État –
avantages : dépourvue d’existence
légale, l’organisation en question
menaçait aussi bien des intérêts
ne peut pas être dissoute sur déci- économiques locaux que la santé
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sion de justice ; peu structurée, son des habitants, mais il est également
mode de fonctionnement horizon-
tal et en réseau complique le tra- apparu dans un contexte social
vail des forces de répression ; son et politique favorable à ce type de
apparence « apolitique » permet
de mobiliser des soutiens au-delà
mobilisation.
de l’audience des organisations de
l’opposition, notamment parmi la jeunesse, très méfiante à l’égard des
partis politiques et des organisations traditionnelles. Cette tactique a ainsi
permis aux forces d’opposition d’occuper le devant de la scène politique
pour plusieurs mois à partir de la fin de l’année 2004, avec la création
de l’organisation Kifāya, qui a orchestré les mouvements de protestation
s’opposant au renouvellement du mandat de Hosni Moubarak à l’occa- 18. M. Shorbagy,
sion des élections présidentielles de 2005 18. « Understanding Kefaya:
The New Politics in
Le 5 mars 2008, de nouvelles manifestations ont lieu, auxquelles parti- Egypt », Arab Studies
cipent plusieurs centaines d’habitants, et au cours desquelles des affronte- Quarterly, 29(1), 2007,
ments éclatent avec les forces de l’ordre. Cependant, le principal tournant p. 39-60.
des mobilisations de Damiette a lieu un mois plus tard dans une autre
ville du Delta, Maḥalla al-Kubrā, agitée depuis quelques temps par des
mobilisations ouvrières. En janvier 2008, en effet, le comité de grève de
l’emblématique complexe industriel de Ghazl al-Maḥalla a appelé à une

mouvements n°80  hiver 2014  •  29


Le travail contre nature ?

grève nationale le 6 avril afin de revendiquer l’instauration d’un salaire


minimum. Le jour dit, des affrontements très violents opposent de jeunes
manifestants aux forces de l’ordre sur la principale place de la ville. Préfi-
gurant les événements de janvier 2011, les émeutiers s’attaquent aux por-
traits de Moubarak et aux symboles du parti dominant. C’est également à
cette occasion qu’est créé le « mou-
vement des jeunes du 6 avril », qui
La participation des ouvriers et jouera un rôle déterminant dans
des paysans est donc cruciale pour la révolution du 25 janvier. Bien
que les événements de Maḥalla
les opposants à Agrium. ne soient pas liés au projet de
construction de l’usine Agrium
à Damiette, la mobilisation contre ce dernier bénéficie des retombées
de ces affrontements à au moins deux niveaux : d’abord, l’attention des
médias privés se porte désormais sur la région du Delta et sur les mani-
festations qui s’y déroulent ; ensuite, confronté au spectre d’une grève
générale contestant l’ordre politique, le régime s’emploie à désamorcer
la contestation. Dès le mois d’avril, des membres du gouvernement sont
dépêchés à Damiette pour dialoguer avec les opposants au projet.
C’est au cours de ce même mois que les branches locales du syndi-
cat des médecins et de celui des avocats se rallient au mouvement d’op-
position à Agrium. Le 15 mai, à l’appel de leur syndicat, les avocats de
Damiette observent d’ailleurs une journée de grève. Le paysage syndical
égyptien présente un certain nombre de particularités, dues notamment à
19. É. Longuenesse l’héritage nassérien 19. Les professions des classes moyennes sont organi-
et D. Monciaud,
« Syndicalismes sées autour de syndicats uniques, dont les attributions relèvent en partie
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égyptiens », in de ce que l’on nomme en France des ordres professionnels. En Égypte,
V. Battesti et F. Ireton, ces organisations sont désignées comme des « syndicats professionnels »
L’Égypte au présent,
Inventaire d’une société (niqābāt mihniyya), dont les plus puissants (syndicats des médecins, des
avant révolution, Paris, avocats, des ingénieurs, des pharmaciens), ont servi de véhicule à la
Sindbad-Actes Sud, contestation islamiste à partir de la seconde moitié des années 1980. En
p. 376-384, 2011. http://
halshs.archives-ouvertes. 2008, l’influence des Frères musulmans dans ces organisations est encore
fr/halshs-00639007 très importante (la branche de Damiette du syndicat des pharmaciens,
par exemple, est alors dirigée par un Frère musulman). De leur côté,
les syndicats ouvriers des différents secteurs d’activité sont regroupés au
sein d’une fédération syndicale unique, qui demeure l’un des piliers du
régime. Cette fédération est en effet très proche du PND, principal héri-
tier de l’ancien parti unique, l’Union socialiste arabe, même si l’on peut
également trouver parmi ses cadres des membres du parti du Rassem-
blement (issu de l’aile gauche de l’Union socialiste arabe) ou du parti
nassérien. Un syndicalisme indépendant a certes commencé à se consti-
tuer en Égypte, hors de tout cadre légal, à la faveur des mobilisations
20. F. Clément et al.,
op. cit. ouvrières des années 2000 20. Cependant, il faudra attendre la révolution
de janvier 2011 pour qu’une fédération des syndicats indépendants voit
le jour. Par ailleurs, ces derniers ne semblent pas en 2008 être implantés
à Damiette. Pour espérer mobiliser en milieu ouvrier, les organisateurs de
la contestation ont alors besoin de relais au sein du PND.

30  •  mouvements n°80  hiver 2014


Les causes environnementales en Égypte

En effet, si 25 % de la population active du gouvernorat de Damiette 21. Le syndicat des


agriculteurs est d’ailleurs
travaille dans l’agriculture 21, 35 % est employée dans l’industrie, essen- représenté par son
tiellement dans de petites et moyennes entreprises organisées sous la secrétaire général,
forme d’ateliers opérant dans les secteurs de l’agroalimentaire, du tra- Maḥmūd ’Arīḍa, au sein
du comité de défense
vail du bois et de l’ameublement 22. La participation des ouvriers et des de l’environnement de
paysans est donc cruciale pour les opposants à Agrium. Or, si les retom- Damiette.
bées écologiques négatives du projet de construction de l’usine en termes
22. J. L. Sowers et
de pollution de l’air et de l’eau représentent une menace sanitaire pour S. Elmusa, « Damietta
les populations résidentes à proximité, elles constituent également une Mobilizes for Its
menace économique dans une région dont l’essentiel des revenus sont Environment », Middle
East Report Online,
tirés de la pêche, du tourisme et de l’immobilier. Ceci explique pourquoi 21 octobre 2009, http://
les milieux d’affaires – proches du PND – ont soutenu la mobilisation, www.merip.org/mero/
notamment via la chambre du commerce de Damiette. Par ailleurs, le mero102109
conseil local du gouvernorat, ainsi que les conseils municipaux des villes
concernées – tous dominés par le PND – se sont ouvertement opposés
au projet, tout comme la branche locale du parti dominant. Le 3 juillet,
une réunion se tient ainsi au siège de ce dernier, à laquelle participent
des représentants du parti nassérien, du Wafd, du parti du Rassemble-
ment et des Verts. Trois semaines plus tard, le 22 juillet, le conseil local
du gouvernorat tient une réunion exceptionnelle au siège du syndicat des
avocats, à laquelle participent des représentants de la société civile, des
élus des deux chambres du Parlement, des représentants de la chambre
du commerce, les secrétaires locaux des partis politiques, les syndicats
professionnels et ouvriers, les associations locales et l’association des
hommes d’affaires 23. On le voit, la section locale du PND a participé très 23. A. ’Abd al-Ḥī,
op. cit., p. 227.
activement à la contestation du projet, au point même d’y jouer un rôle
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moteur au cours de l’été, mettant ainsi au service de la mobilisation ses
nombreux relais au sein de la fédération des syndicats ouvriers.
Forte du ralliement des élites locales et des organisations profession-
nelles des classes moyennes, et dopée par la soudaine attention des
médias nationaux, la mobilisation atteint son rythme de croisière à la fin
du mois d’avril. Le 28, à l’occasion de la fête de Sham al-Nessim, l’opéra-
tion « Damiette en noir jusqu’au départ d’Agrium » est lancée. Le lende-
main, une chaîne humaine de cinq kilomètres est organisée, ainsi qu’une
manifestation devant le siège du gouvernorat. À l’issue de cette manifes-
tation, le gouverneur annonce aux manifestants qu’il est personnellement
favorable à une relocalisation du projet dans la ville de Suez, et qu’il a
appelé le président de la République pour lui signifier son refus de voir
l’usine implantée à Damiette.
Le 19 juin, l’Assemblée du peuple s’empare de l’affaire, via la créa-
tion d’une commission d’enquête à laquelle participent 45 députés, dont
27 membres du PND, mais aussi de nombreux représentants des partis
d’opposition, en particulier des Frères musulmans, qui constituent la prin-
cipale force d’opposition parlementaire depuis les élections de 2005. Le
gouverneur de Damiette recommande à la commission de s’aligner sur
la « volonté populaire ». Les recommandations du secrétaire général de la
section locale du PND vont dans le même sens, ainsi que celles du leader

mouvements n°80  hiver 2014  •  31


Le travail contre nature ?

de la branche de Damiette du syndicat des pharmaciens, par ailleurs


24. Ibid., p. 222. membre des Frères musulmans 24. L’Assemblée du peuple vote à l’unani-
mité en faveur de la relocalisation de l’usine sur un autre site. La mobili-
sation ne faiblit pas pour autant, et les opposants au projet réclament un
engagement clair du gouvernement de renoncer à construire cette usine
dans le gouvernorat de Damiette. Le comité de coordination des syndicats
professionnels et des partis politiques joue un grand rôle dans cette phase
de la mobilisation : les 4 et 11 juillet, de grandes manifestations rassem-
blant des milliers de participants
sont organisées à l’appel de cette
Le mouvement s’est caractérisé coordination, avec la participation
par son organisation interclassiste, des Frères musulmans, des partis
d’opposition, des organisations de
rassemblant l’ensemble de la défense de l’environnement et des
communauté locale contre un comités populaires. Fin juillet, ses
projet décidé par le gouvernement membres brandissent la menace
d’une grève générale en vue d’ob-
en faveur d’une entreprise tenir un engagement ferme de la
étrangère, et sans consultation des part du gouvernement.
En août 2008, ce dernier finit
populations. par céder – au moins sur la forme
– en annulant l’accord d’investis-
sement qui le liait à l’entreprise canadienne Agrium. Cependant, et en
guise de compensation, il offre à cette dernière 26 % des parts de Misr
Oil Processing Company (MOPCO), une entreprise contrôlée par l’État. Il
garantit également au groupe Agrium que l’usine MOPCO de Rās al-Bar,
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située juste à côté de l’emplacement prévu pour l’usine d’Agrium, dou-
blerait sa capacité dans les trois prochaines années. En novembre 2011,
les travaux de construction d’une nouvelle usine du groupe MOPCO com-
mencent ainsi sur ledit site. Des manifestations sont alors organisées par
les associations locales de défense de l’environnement, et des affronte-
ments éclatent avec les forces de l’ordre, faisant au moins un mort et
plusieurs dizaines de blessés. Le 13 novembre, le Conseil supérieur des
forces armées, à la tête du pays depuis la démission de Moubarak le
11 février, ordonne la suspension des travaux.
Le succès partiel du mouvement de contestation du projet Agrium a
inspiré des mobilisations similaires ailleurs en Égypte. Des manifestations
ont ainsi été organisées en 2008 à Suez et à Port-Saïd, lorsque l’idée de
déplacer l’usine dans l’une de ces deux cités portuaires a été évoquée
dans la presse. Le 1er novembre 2008, le comité populaire pour la défense
de l’environnement de Damiette et celui de Suez ont d’ailleurs décidé
de s’unir dans un mouvement luttant contre le gaspillage des ressources
25. Ibid., p. 226. naturelles de l’Égypte en gaz et en eau 25. Un projet de construction d’une
usine de raffinage de pétrole dans une banlieue du nord du Caire, Shubrā
al-Khayma, a lui aussi fait l’objet d’un mouvement de contestation inspiré
par l’exemple de Damiette. Dans ce quartier populaire, la mobilisation a
été portée par des représentants des Frères musulmans et de plusieurs

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Les causes environnementales en Égypte

partis, dont le Wafd et le parti du Rassemblement, mais aussi par des


députés et des membres du conseil local du gouvernorat de Qaliyūbiyya,
et par le mouvement des jeunes du 6 avril. Les leaders de la contestation
ont d’ailleurs annoncé la formation d’une coalition avec le mouvement
populaire contre l’usine MOPCO de Damiette, et appelé les syndicats pro-
fessionnels et ouvriers à soutenir leurs revendications 26. 26. Al-Misrī al-Yawm,
11 août 2008 et
Le parti des Verts n’a pas vraiment été à la pointe de la contesta-
19 septembre 2008.
tion du projet Agrium, même si ses militants ont participé au mouve-
ment au niveau local. Du fait de son attitude pragmatique vis-à-vis du
PND, ce parti aurait pourtant pu jouer un rôle médiateur au niveau natio-
nal, dès le début de la crise, s’il n’avait pas été si divisé et dépourvu de
moyens. Si le mouvement de Damiette, très localisé, a pu acquérir une
audience à l’échelle du pays tout entier malgré l’absence d’une organi-
sation nationale à même de défendre les causes environnementales dans
l’arène politique, c’est du fait d’une conjonction de facteurs à la fois spa-
tiaux et temporels. D’abord, le mouvement s’est caractérisé par son orga-
nisation interclassiste, rassemblant l’ensemble de la communauté locale
contre un projet décidé par le gouvernement, en faveur d’une entreprise
étrangère, et sans consultation des populations concernées. La domina-
tion des petites et moyennes entreprises sur l’économie locale a sans
doute favorisé cette unité d’action entre employés, classes moyennes et
milieux d’affaires, dont les intérêts économiques étaient tout autant que
la santé des habitants menacés par les retombées écologiques négatives
du projet. Pour atteindre le centre du pouvoir politique, ce mouvement
a emprunté les voies classiques dans un régime autoritaire dominé par
des relations de type clientéliste : ses revendications sont passées par
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les élus locaux et la section locale du parti dominant, qui ont fait pres-
sion sur les représentants de l’État dans le gouvernorat, avant d’atteindre
finalement le Parlement, puis le sommet de l’État, là où se prennent
les décisions. Paradoxalement, ce mouvement disposait pourtant d’une
importante charge subversive, qui explique sans doute en grande partie
la sympathie qu’il a rencontrée auprès de l’opinion publique. De par ses
objectifs, il remettait en cause à la fois les modalités d’insertion du pays
dans l’économie mondialisée (une entreprise du Nord cherchant à délo-
27. À ce titre, il est
caliser dans le Sud une industrie polluante 27), et l’organisation politico- significatif que le
administrative de l’Égypte, où toutes les décisions se prennent au centre gouvernement – plutôt
et où la démocratie locale est inexistante. Dans sa forme, ce mouvement que d’abandonner
totalement le projet –
s’inspirait à la fois des mouvements de protestation politique des années ait préféré le confier à
précédentes (comités populaires de soutien à la Palestine, Kifāya…) et une entreprise nationale
des luttes ouvrières qui se déroulaient alors à quelques dizaines de kilo- semi-publique, espérant
sans doute affaiblir
mètres de là, dans les grandes usines du cœur du Delta. C’est cette coïnci- ainsi la portée de la
dence temporelle (et sans doute aussi cette proximité géographique) qui contestation.
a permis à la fois de médiatiser la contestation du projet et de pousser le
gouvernement à faire rapidement des concessions dans l’espoir d’éviter
la convergence des luttes. •

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