JEUDI 19 OCTOBRE 2023 UNE EXPOSITION

79E ANNÉE – NO 24507

3,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
PHARE À PARIS
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FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
MARK ROTHKO
SUPPLÉMENT

À GAZA, LE CALVAIRE DE LA POPULATION

▶ Plusieurs centaines L’ISOLEMENT
de civils sont morts, DE NÉTANYAHOU
mardi, dans l’explosion Le premier ministre
de l’hôpital Al-Ahli, israélien pilote un fébrile
dans la ville de Gaza. gouvernement d’union,
Le bilan demeurait in- auquel le soutien améri-
certain, mercredi matin cain est indispensable
PAGE 3
▶ L’armée israélienne
a démenti avoir bom- LE DRAME DES
bardé cet hôpital et OTAGES DU HAMAS
accuse le Jihad islami- Pétrifiée, la société israé-
que, un groupe armé lienne vit avec angoisse
allié du Hamas, la situation des 199 captifs
qui réfute PAGE 4

▶ Ce carnage, survenu L’EUROPE PEINE

après dix jours de À S’ACCORDER
frappes israéliennes
Les chefs d’Etat et de gou-
sur l’enclave, a suscité vernement des Vingt-Sept
des réactions indignées ont tenté de mettre fin
et des manifestations à la cacophonie, mardi
de colère en Cisjordanie PAGE 4
et dans les villes arabes
L’IMPASSE STRATÉ-
▶ Joe Biden est arrivé GIQUE D’ISRAËL
A Gaza, une morgue improvisée à l’hôpital Al-Shifa, où ont été recueillis les corps des victimes de l’explosion
à Tel-Aviv, mercredi de l’hôpital Al-Ahli, le 17 octobre. DAWOOD NEMER/AFP
Une résolution du conflit
matin, mais ses sans reconsidérer la ques-
interlocuteurs jorda- tion des terres et de la Cis-
nien et égyptien ont jordanie paraît illusoire
reporté la rencontre C H RON IQU E PAGE 3 1
prévue. Le territoire
palestinien demeurait
soumis au blocus,
mercredi 1 ÉDITORIAL
METTRE FIN
PAGES 2 - 3 ET tribunes PAGE 2 8

À LA CATASTROPHE
HUMANITAIRE
Joe Biden est accueilli par Benyamin Nétanyahou à l’aéroport Manifestation propalestinienne à Beyrouth, le 17 octobre.
À GAZA
de Tel-Aviv, en Israël, le 18 octobre. BRENDAN SMIALOWSKI/AFP ZOHRA BENSEMRA/REUTERS PAGE 3 1

Ukraine Immigration Energie Politique

La Russie mène Comment Accord européen Nupes : le PS
une importante Gérald Darmanin sur la réforme
contre-attaque entend durcir du marché suspend
dans le Donbass le projet de loi de l’électricité sa participation
PAGE 6 PAGE S 1 0 - 1 1 E T idées P. 2 8 PAGE 1 8
Alors que les divergences
VU PAR HENG (SINGAPOUR) CARTOONING FOR PEACE au sein de l’alliance
de gauche sont multiples,
le Parti socialiste espère
un autre fonctionnement
PAGE 9

Italie
Les derniers
secrets de
l’affaire Mazzotti
En 1975, l’enlèvement
et l’assassinat de Cristina
Mazzotti, âgée de 18 ans,
avaient créé un trauma-
tisme dans le pays. Quatre
suspects doivent être En vente chez votre marchand de journaux
jugés à partir de jeudi
Traduction : « Je n’ai pas encore fini. » PUBLIÉ DANS « LIANHE ZAOBAO », LE 14 OCTOBRE PAGE 2 0
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
2|
CONFLIT ISRAÉLO-PALESTINIEN
Dans la cour de l’hôpital Al-Ahli, à Gaza, mercredi 18 octobre. MAHMUD HAMS/AFP
Gaza, sous blocus, compte ses morts
Une explosion dans un hôpital a fait des centaines de nouvelles victimes. Israël dément en être à l’origine
jérusalem - correspondance
L
a vidéo a été tournée
juste après l’explo-
sion, à l’arrivée des
premiers secours.
L’homme qui filme ré-
pète : « Au nom de
Dieu », alors qu’il erre entre les
corps d’adultes et d’enfants, cer-
tains déchiquetés au milieu d’af-
faires, de couvertures et de sacs
éparpillés dans l’herbe. Une puis-
sante déflagration a frappé, mardi
17 octobre, vers 19 h 30, la cour de
l’hôpital Al-Ahli, dans le centre de
la ville de Gaza. En plus des mala-
des et des blessés des bombarde-
ments israéliens engagés en re-
présailles à l’attaque du Hamas le
7 octobre, des centaines de dépla-
cés s’y étaient massés, espérant
trouver dans ce carré de verdure
un refuge plus sûr que leurs pro-
pres maisons. Le ministère de la
santé local a annoncé la mort
d’« au moins 500 personnes ».
L’armée israélienne accuse l’al-
lié du Hamas, le Jihad islamique,
d’être « responsable du tir de ro-
quette raté qui a touché l’hôpital ».
Le porte-parole, Daniel Hagari, a
affirmé, mercredi matin, devant
la presse « qu’aucun cratère ni
aucun autre élément » n’ont été
constatés qui indiqueraient
qu’une frappe aérienne est à l’ori-
gine de l’explosion et a assuré
qu’« aucun tir israélien n’avait tou-
ché l’hôpital ». Le Jihad islamique
a démenti ces accusations. Pour
le chef du Hamas en exil au Qatar,
Ismaël Haniyeh, la responsabilité
d’Israël et « des Etats-Unis qui ont
offert un soutien inconditionnel à
cet ennemi [Israël] pour commet-
tre ces massacres » ne fait aucun
doute. Le mouvement a répondu
à l’explosion de l’hôpital en tirant
Zone
d’évacuation
Mer
Méditerranée Gaza-Ville
Hôpital H
H
Al-Shifa
Hôpital
BANDE Al-Ahli
DE GAZA
Khan
Younès ISRAËL
Rafah 5 km
ÉGYPTE Autre hôpital
endommagé
lors des combats
une salve de roquettes vers le cen-
tre d’Israël. Depuis le 7 octobre et
la fermeture totale de l’enclave
par l’Etat hébreu, la presse inter-
nationale n’a pas accès au terrain.
Mardi soir, les nombreux bles-
sés étaient, dans la mesure du
possible, acheminés vers l’hôpi-
tal gouvernemental Al-Shifa, déjà
débordé par l’afflux de victimes
des bombardements de ces onze
derniers jours. « C’est un massacre
d’ampleur et nous n’arrivons pas à
faire face », a déclaré le porte-pa-
role de la protection civile à Gaza,
Mahmoud Bassal, interviewé sur
la chaîne qatarie Al-Jazira. Ver-
rouillée par un blocus israélien
total depuis le 7 octobre, l’enclave
manque de tout : médicaments,
carburant pour les générateurs,
matériel médical jetable, gaz, eau.
« Mes filles et moi avons été pro-
jetées en arrière par le souffle de
l’explosion, raconte une voisine,
jointe par téléphone et qui préfère
rester anonyme par peur de repré-
sailles. Toutes les ambulances se
sont ruées sur le site… On a vu les
incendies, les corps dispersés dans
tous les endroits. Le sang partout.
Pour nous, c’était impossible qu’il
soit bombardé. C’est un hôpital
chrétien ! J’ai perdu foi en l’huma-
nité. » L’hôpital Al-Ahli, comme
vingt autres à Gaza, avait reçu l’or-
dre des autorités israéliennes
d’évacuer vers le sud de l’enclave.
Le docteur Ghassan Abu Sittah
était venu prêter main-forte dans
cet hôpital depuis mardi. « C’était
un massacre, écrit ce chirurgien
plasticien palestino-britannique
dans une publication Facebook.
J’ai entendu le sifflement de deux
missiles et puis une forte explosion.
Le faux plafond de la salle d’opéra-
tion est tombé. Alors que je me diri-
geais vers l’entrée du département
des salles d’opération, j’ai vu que
l’hôpital était en feu. Les blessés
ont commencé à trébucher vers
nous. » L’Eglise épiscopalienne à
Jérusalem, chargée de l’hôpital Al-
Ahli, a condamné une « attaque
atroce » survenue « durant des
frappes israéliennes », dénonçant
un « crime contre l’humanité ».
URGENCE ABSOLUE
Selon les dernières estimations,
plus de 3 000 Gazaouis ont été
tués depuis le 7 octobre, dont plus
de 1 000 enfants. Les morgues
débordent et des centaines de
corps sont coincés sous les gra-
vats un peu partout dans l’en-
clave, faute de secouristes pour
venir les dégager. Mosquées, éco-
les et immeubles résidentiels ont
été visés. Une cinquantaine de fa-
milles ont été anéanties.
Le 14 octobre, l’hôpital Al-Ahli
avait déjà été endommagé par un
bombardement israélien ; quatre
membres du personnel avaient
été blessés, rapportait alors Justin
Welby, archevêque de Canterbury
au nom de l’Eglise anglicane, à la-
quelle est rattachée l’Eglise épisco-
palienne de Jérusalem. Le lende-
main, l’armée avait appelé le direc-
teur de l’hôpital pour lui dire que
ces deux tirs étaient des avertisse-
ments pour évacuer, a rapporté,
mardi soir, le sous-secrétaire du
ministère de la santé locale, Yousef
Abu Al-Rish, lors d’une conférence
de presse, entouré des corps de
victimes. En onze jours, seize soi-
gnants ont été tués lors de l’exer-
cice de leur métier dans la bande
de Gaza, selon l’Organisation
mondiale de la santé. Quatre hôpi-
taux sont hors service.
Le secrétaire général de l’ONU,
Antonio Guterres, s’est dit « horri-
fié » par ce drame. Les « hôpitaux et
le personnel médical sont protégés
selon le droit international huma-
nitaire », a-t-il ajouté. Le président
américain, Joe Biden, attendu
mercredi à Tel-Aviv, se retrouve
isolé. Le sommet arabe prévu avec
la Jordanie et l’Egypte a été annulé,
notamment en raison du retrait
du président palestinien, Mah-
moud Abbas. Ce dernier, qui s’est
montré discret depuis le début de
la guerre à Gaza, a décrété un deuil
national de trois jours.
A Ramallah, siège de l’Autorité
palestinienne, une foule en colère
a demandé la destitution de Mah-
moud Abbas, mardi soir. « Le peu-
ple veut la chute du président »,
criaient les manifestants à quel-
ques mètres de la Moqataa, le pa-
lais présidentiel. Les forces de l’or-
dre palestiniennes les ont repous-
sés par des tirs à balles réelles, tout
comme à Hébron, dans le sud de la
Cisjordanie, ou à Jénine, dans le
Nord. Depuis le 7 octobre, 62 Pales-
tiniens ont été tués par les Israé-
liens en Cisjordanie par l’armée is-
raélienne, qui a procédé à des cen-
taines d’arrestations, en majorité
de sympathisants du Hamas.
Les 22 pays arabes ont durci le
ton depuis l’attaque sur l’hôpital
Al-Ahli et exigent désormais un
cessez-le-feu à Gaza. Plusieurs
tentatives pour faire entrer de
l’aide humanitaire via le point de
passage de Rafah, vers l’Egypte,
ont échoué. L’enclave est dans
une urgence humanitaire abso-
lue : l’ONG des droits humains Al
Mezan précisait, mardi soir, que
le principal hôpital de Gaza, Al-
Shifa, n’avait plus d’électricité et
que les médecins opéraient sans
anesthésie, dans les couloirs.
Dans les heures qui ont suivi l’at-
taque sur Al-Ahli, les bombarde-
ments israéliens se sont poursui-
vis sur l’enclave. Les zones du sud,
Khan Younès et Rafah, ont subi
d’intenses raids : plusieurs dizai-
nes de personnes y ont été tuées
mardi et un hôpital a été touché.
C’est pourtant vers cette zone que
l’armée israélienne a exigé ven-
dredi que quelque 1,1 million de
Gazaouis évacuent le nord de l’en-
clave, dans la perspective d’une in-
vasion terrestre. Des centaines de
milliers de civils ont donc quitté
leur domicile sous les bombarde-
ments et s’entassent dans des ap-
partements sans électricité et
bientôt sans eau potable, quand
ils ne sont pas sans abri.
« C’ÉTAIT UN MASSACRE.
J’AI ENTENDU
LE SIFFLEMENT DE DEUX
MISSILES ET PUIS UNE
FORTE EXPLOSION »
GHASSAN ABU SITTAH
chirurgien palestino-britannique
en renfort à hôpital Al-Ahli
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
« Nous sommes environ 200 dans
l’immeuble de mon oncle, explique
au téléphone Shouq Al-Najjar, qui
a fui la ville de Gaza. Les hommes
dorment à tour de rôle, car il n’y a
pas assez de matelas ni de couver-
tures et il commence à faire froid la
nuit ici. J’ai peur, pas seulement de
mourir, moi, mais que tous mes
proches soient emportés. » Sou-
dain, la jeune Palestinienne inter-
rompt la conversation, interpellée
par une des femmes de sa famille.
« Nous devons évacuer, notre im-
meuble va être bombardé », dit-elle
avant de raccrocher.
« CONDITIONS INHUMAINES »
Selon l’Unrwa, l’agence onu-
sienne chargée des réfugiés pales-
tiniens et de la gestion des écoles,
devenues des abris pour les dépla-
cés, un million de personnes ont
quitté leurs foyers, dont la moitié
a trouvé refuge dans ou autour de
ces établissements, soit plus de
quatre fois ses capacités d’accueil.
« Nos réserves d’eau et de nourri-
ture s’épuisent. L’Unrwa n’a pas été
en mesure de faire entrer un grain
de céréale, un litre d’eau ou d’es-
sence depuis dix jours à cause du
siège imposé au territoire, rappelle
Juliette Touma, la directrice de
communication de l’agence, dont
quatorze employés ont été tués
depuis le 7 octobre. Il faut lever le
blocus, c’est une urgence absolue. »
« Je me sens impuissant, décrit
aussi Adham Al Madhoon, un ha-
bitant de Rafah, dans le Sud, dans
un message entre deux coupures
de courant. Nous n’avons ni eau, ni
électricité, ni Internet, ni d’abris
sûrs. Ce sont des conditions inhu-
maines. » Mercredi matin, l’en-
clave était toujours sous blocus. p
clothilde mraffko
et madjid zerrouky (à paris)
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
Vague de colère
dans le monde arabe
contre Israël et ses alliés
occidentaux
La Jordanie et l’Egypte, traditionnels alliés
des Etats-Unis, ont annulé le sommet prévu
à Amman, en présence de Joe Biden
beyrouth, istanbul, tunis -
correspondants
C’ est un camouflet pour
Joe Biden, en visite en Is-
raël ce mercredi. Le
mini-sommet auquel le président
américain devait prendre part, le
même jour, en Jordanie, a été re-
porté sine die par Amman, après le
bombardement de l’hôpital Al-
Ahli, à Gaza, qui a fait des centai-
nes de morts, et la vague de colère
que ce carnage a suscitée au
Moyen-Orient. Une rebuffade ra-
rissime : la Jordanie est un proche
allié de Washington dans la région.
Le sommet se tiendra « lorsque
la décision d’arrêter la guerre et de
mettre fin [aux] massacres » sera
prise, a déclaré le ministre des af-
faires étrangères jordanien, Ay-
man Safadi. L’annulation a été dé-
cidée en concertation avec
l’Egypte, autre partenaire majeur
des Etats-Unis. Avec le président
de l’Autorité palestinienne, Mah-
moud Abbas, conspué en Cisjor-
danie, mardi soir, le président
égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, de-
vait assister au sommet voulu par
le roi Abdallah II de Jordanie. La di-
plomatie du Caire a condamné
avec virulence le « bombardement
israélien » de l’hôpital de Gaza,
« délibéré ». Le Hamas accuse l’ar-
mée israélienne de l’attaque. Cel-
le-ci rejette toute responsabilité et
impute l’hécatombe au Jihad isla-
mique, qui dément à son tour.
Amman, comme Le Caire, est
exaspéré par le blocage de l’entrée
de l’aide humanitaire dans la
bande de Gaza. Les deux capitales
accusent Israël, qui a bombardé à
quatre reprises les abords du
point de passage entre l’enclave
palestinienne et l’Egypte, d’entra-
ver l’acheminement de cette aide
vitale. Les Etats-Unis paient le
prix de leur immobilisme des
derniers mois, face aux craintes
de déstabilisation dans la région,
exprimées par la Jordanie après
l’arrivée au pouvoir d’un gouver-
nement d’extrême droite en Is-
raël, à l’hiver 2022.
Les Etats-Unis et la France ciblés
Mardi soir, des manifestants ont
tenté de pénétrer dans l’ambas-
sade d’Israël à Amman. Ils ont été
repoussés par la police jorda-
nienne, qui a tiré des gaz lacrymo-
gènes. Les protestataires, qui se
rassemblent chaque jour depuis le
début de la guerre de Gaza, non
loin de la représentation diploma-
tique, très protégée, ne s’en étaient
jamais autant approchés. Selon
une source à Amman, les forces de
sécurité sont depuis des jours sur
le qui-vive dans tout le pays.
Les pays occidentaux ayant em-
boîté le pas aux Etats-Unis, dans
un soutien inconditionnel à Is-
raël depuis l’attaque sanglante du
Hamas, le 7 octobre, sont aussi ci-
blés par la vindicte populaire.
Cela concerne en particulier la
France, qui est allée jusqu’à inter-
dire sur son sol les manifesta-
tions de solidarité envers les Pa-
lestiniens. A Tunis, environ 3 000
manifestants se sont massés,
mardi, devant l’ambassade de
France, à la suite d’appels sponta-
nés sur les réseaux sociaux qui,
du Maroc à l’Irak, bouillonnaient
de colère, mardi soir, après la des-
truction de l’hôpital Al-Ahli. Le
démenti israélien de toute res-
ponsabilité n’a rien changé à cette
vague d’indignation 2.0.
Des slogans hostiles ont nom-
mément visé, à Tunis, le président
LES ÉTATS-UNIS PAIENT
LE PRIX DE LEUR
IMMOBILISME FACE
AUX CRAINTES
DE DÉSTABILISATION
DANS LA RÉGION
Emmanuel Macron, qualifié
d’« assassin » et d’« allié des sionis-
tes ». Les manifestants ont ré-
clamé le départ de l’ambassadrice,
ainsi que celui de son homologue
américain, et appelé à la « libéra-
tion de la Palestine ». Mardi soir, le
chef d’Etat français a condamné
l’attaque contre l’hôpital, affir-
mant que « rien ne peut justifier de
prendre des civils pour cibles »,
mais n’a pas appelé à un cessez-le-
feu à Gaza.
A Beyrouth, quelques dizaines
de manifestants se sont égale-
ment réunis devant l’ambassade
de France. Mais c’est surtout la re-
présentation des Etats-Unis, un
gigantesque complexe bunkérisé,
entouré de barrages de l’armée
libanaise, situé à Aoukar, au nord
de la capitale, qui a été la cible de
la colère des Libanais. Des centai-
nes de jeunes venus à scooter,
dont certains avaient le visage
masqué par un keffieh palesti-
nien, ont jeté des pierres en direc-
tion du bâtiment et crié « mort à
l’Amérique ! », « mort à Israël ! ».
Dans la nuit, les Etats-Unis ont
annoncé autoriser le départ du Li-
ban de leur personnel non essen-
tiel et de leurs familles. Dans le
centre de Beyrouth, l’entrée du
siège des Nations unies a été van-
dalisée. Le mercredi 18 octobre a
été décrété « journée de colère »
par le mouvement chiite libanais
Hezbollah, allié du Hamas.
En Egypte, bravant l’interdiction
de tout rassemblement édicté par
les autorités, des centaines de per-
sonnes ont défilé sur la place Ho-
sary, dans la Ville-du-6-Octobre,
dans la banlieue ouest du Caire.
« Avec notre âme, notre sang, nous
te rachèterons, ô Jérusalem », scan-
dait la foule. Dans la soirée, un
attroupement s’est également
formé devant l’ambassade améri-
caine du Caire à l’appel d’un petit
parti d’opposition. Le président,
Abdel Fattah Al-Sissi, qui a crimi-
nalisé toute manifestation depuis
son accession au pouvoir en 2013,
redoute que les rassemblements
pro-Palestine ne se transforment
en un mouvement de protesta-
tion plus large contre son régime.
La mobilisation a fait tache
d’huile hors des frontières arabes,
gagnant l’Iran ou la Turquie. Dès
l’annonce du bombardement de
l’hôpital à Gaza, le président turc
Erdogan a appelé à « l’arrêt de
cette violence sans précédent » et
accusé les Israéliens d’être res-
ponsables de la frappe. Dans la
soirée, plusieurs centaines de
personnes se sont rassemblées
devant le consulat israélien à Is-
tanbul et aux abords de l’ambas-
sade à Ankara, le poing levé, aux
cris d’« Allahou akbar ! » (Allah est
grand !), « à bas Israël ! » ou pour le
« retour du califat ». Plusieurs
manifestants ont bloqué la circu-
lation sur l’une des autoroutes de
la capitale avant d’être délogés
par l’important dispositif policier
déployé dans les deux villes. p
nicolas bourcier,
nissim gasteli, hélène
sallon, laure stephan
En Israël, Joe Biden vient épauler
un gouvernement d’union fébrile
Le président américain devait participer mercredi à la réunion
du cabinet de guerre, formé par le premier ministre Nétanyahou
Une photo de Benyamin Nétanyahou avec la mention en hébreu « Pas casher, dictateur », le 17 octobre à Jérusalem. VIRGINIE NGUYEN HOANG/HUMA/HL
jérusalem - correspondant
Q NÉTANYAHOU TIENT AUSSI
u’importe si le prési-
dent américain Joe Bi-
den n’est plus le bien-
venu à Amman, où il
était censé participer
à un mini-sommet, avec le roi de
Jordanie Abdallah et le président
égyptien Abdel Fattah Al-Sissi.
Tant pis, si le président palesti-
nien, Mahmoud Abbas, convié lui
aussi dans la capitale jordanienne,
a prestement regagné Ramallah
pour décréter un deuil national, à
l’heure où Gaza compte les morts
de l’hôpital Al-Ahli. En dépit des re-
buffades de ses alliés arabes, M. Bi-
den a décollé dans la nuit de mardi
à mercredi pour le Proche-Orient.
Il n’ira qu’à Tel-Aviv. Son voyage
amputé de moitié révèle l’incom-
préhension de la région face au
soutien américain sans nuance à
Israël. Nul dans le monde arabe ne
se soucie de savoir qui de l’Etat juif
ou des factions palestiniennes a
tiré sur l’hôpital : seuls comptent
ces morts et ils sont palestiniens.
A Tel-Aviv, le président améri-
cain est attendu avec ferveur et re-
connaissance. Il s’est entretenu
dès vendredi avec des familles
d’otages du Hamas, avant même le
premier ministre israélien, Benya-
min Nétanyahou. Il rassure un
pays qui s’est estimé abandonné
par son gouvernement et ses for-
ces de sécurité.
Selon son entourage, M. Biden
devait poser « des questions diffici-
les » à ses « amis » israéliens à pro-
pos du blocage persistant de l’aide
humanitaire à Gaza, du sort ré-
servé aux otages et des risques de
l’opération terrestre en prépara-
tion. Si le gouvernement israélien
affirme son intention d’anéantir
les forces militaires et le gouverne-
ment du Hamas, il n’a rien révélé
de ses plans pour Gaza, une fois cet
objectif atteint. Le président dé-
mocrate devait poser ces ques-
tions au cœur même de la ma-
chine de décision israélienne, en
siégeant dans le « cabinet de
guerre » restreint qui dirige les
opérations autour de M. Nétanya-
hou. Le secrétaire d’Etat américain
Anthony Blinken a été invité,
lundi, dans cet organe voué à
conflit israélo-palestinien | 3
orienter et valider les plans de l’ar-
mée. Il faut remonter à la guerre
du Kippour, en 1973, pour trouver
un précédent : Henry Kissinger,
alors à la tête de la diplomatie amé-
ricaine, s’était assis au sein du cabi-
net de sécurité au côté de la pre-
mière ministre Golda Meir.
Lundi, au retour d’un déplace-
ment houleux à Amman, M. Blin-
ken a passé une partie de la mati-
née en tête à tête avec M. Nétanya-
hou à Jérusalem. Après avoir parti-
cipé à la réunion du cabinet de
guerre, le secrétaire d’Etat s’est ins-
tallé dans un bureau, voisin de la
pièce où M. Netanyahou se réunis-
sait avec d’autres ministres, au
quartier général de l’armée à Tel-
Aviv. Le premier ministre n’a cessé
de passer d’une pièce à l’autre. Puis
il s’est encore entretenu avec
M. Blinken jusque vers trois heu-
res du matin.
Héritage politique
M. Nétanyahou a besoin de ce sou-
tien. Comme Mme Meir avant lui, il
risque de voir son héritage politi-
que résumé au cataclysme du 7 oc-
tobre. Il ne s’est rendu sur les lieux
de l’attaque du Hamas que diman-
che 15 octobre. Il se refuse encore à
endosser publiquement la respon-
sabilité du désastre. Les chefs du
renseignement intérieur et mili-
taire adressaient quant à eux,
lundi et mardi, des lettres d’excu-
ses à leurs troupes.
Depuis le 11 octobre, le premier
ministre opère au sein d’un gou-
vernement d’union nationale
soudé par le deuil. Il a créé ce cabi-
net de guerre afin d’isoler ses
membres, cinq figures expéri-
mentées, dont trois généraux. Il
en tient aussi loin que possible
ses alliés d’extrême droite, qui
conservent leurs postes réga-
liens : ces ministres incendiaires
dirigent la police et une part de
l’armée dans les territoires en
Cisjordanie.
Le principal opposant de M. Né-
tanyahou, l’ancien chef d’état-
major Benny Gantz et son succes-
seur, Gabi Ashkenazi, ont rejoint
le 11 octobre le cabinet de guerre
par réflexe militaire, mais, sans il-
lusions. Ils siègent au côté d’un
conseiller du premier ministre,
DEPUIS LE 11 OCTOBRE,
LOIN QUE POSSIBLE
SES ALLIÉS D’EXTRÊME
DROITE, QUI CONSERVENT
CEPENDANT LEURS
POSTES RÉGALIENS
Ron Dermer, et du ministre de la
défense, le fidèle Yoav Gallant. Les
deux généraux ont servi par le
passé sous les gouvernements de
M. Nétanyahou. Ils admirent
l’homme d’Etat, le diplomate,
l’opérateur politique.
Ils le disaient aussi dangereux
avant de le rejoindre, entouré
d’incapables, voué à sa seule
survie politique depuis l’ouver-
ture de son procès pour corrup-
tion, en 2021. M. Nétanyahou s’est
joué par le passé de M. Gantz, en
l’attirant dans son gouvernement
en 2020, sans jamais lui céder le
fauteuil de premier ministre qu’il
lui avait promis de partager.
M. Gantz, homme de consensus,
réputé peu énergique, auquel
colle le vieux surnom militaire de
« Benny relax », en est demeuré
marqué.
« Il n’a pas confiance en Nétanya-
hou. Même lorsqu’il était à l’état-
major (de 2011 à 2015), il a toujours
eu le sentiment que ce que dit Né-
tanyahou peut n’être plus vrai une
heure plus tard. Mais Gantz pense
qu’il doit être au cabinet, observer
et participer aux décisions, afin
qu’elles soient prises dans l’intérêt
de l’Etat et non pour la survie poli-
tique de Nétanyahou », estime son
ami le général Israël Ziv, ancien
chef de la division Gaza et ancien
commandant en chef des opéra-
tions, qui avait précédé M. Gantz
à la tête des commandos de la
36e bridage, dès les années 1990.
Le général Eisenkot est réputé
plus ferme que M. Gantz, dont il a
rejoint la formation (le parti
Unité nationale) en 2022. Figure
solitaire à la Knesset, il n’a cessé
d’appeler ses confrères à cesser de
se déchirer sur la réforme de la
justice voulue par M. Nétanya-
hou, qui a embrasé le pays durant
neuf mois. Tendant la main aux
fondamentalistes religieux, il
mettait en garde contre leurs divi-
sions, dont les ennemis d’Israël
menaçaient de profiter.
Ces deux généraux sont invisi-
bles depuis qu’ils ont rejoint le
pouvoir. Mardi, ils ont rencontré
des familles d’otages. Ils les ont
écoutées gravement, silencieuse-
ment, et n’ont pas même posé
pour les photographes à la sortie.
Récemment, des ministres d’ex-
trême droite et du Likoud de
M. Nétanyahou se sont fait cons-
puer et chasser d’un hôpital par
des soignants. En dépit de la for-
mation d’un cabinet d’union na-
tionale, les divisions d’Israël res-
tent profondes : les habitants des
kibboutz dénoncent ce gouverne-
ment qui n’a cessé de les renvoyer
à leur image de « privilégiés » enri-
chis par le legs de leurs terres par
l’Etat. Les organisations de fa-
milles des otages se structurent
comme la mauvaise conscience
durable d’un gouvernement qui
n’a pour l’heure aucune réponse à
leur offrir, et qui pourrait sacrifier
des captifs à Gaza.
Depuis lundi, Israël s’interroge
sur la rencontre de M. Nétanya-
hou avec certains des proches des
otages, à laquelle s’est jointe à la
dernière minute une famille in-
connue d’eux, qui a incité le gou-
vernement à ne pas faire de quar-
tiers à Gaza, sans trop se soucier
du sort des otages. Des familles
soupçonnent que ces partici-
pants aient été « plantés » là par
des alliés politiques de M. Néta-
nyahou. Dans le même temps, la
machine à rumeurs que sont la
chaîne 14 et les réseaux en ligne
« bibistes », soutiens incondition-
nels du premier ministre, ne ces-
sent de blâmer les généraux pour
la catastrophe du 7 octobre,
comme pour exonérer leur cham-
pion. Ce week-end, le père d’une
otage, qui se tenait dans une tente
de protestation à Tel-Aviv, a été vi-
vement pris à partie par un
homme qui le traitait de « traître
gauchiste », et qui espérait « que
[sa fille] meure comme toi ». p
louis imbert
4 | conflit israélo-palestinien
Otages à Gaza :
Israël face à des
choix déchirants
Le gouvernement Nétanyahou est
sévèrement critiqué pour son manque
d’empathie envers les familles
tel-aviv - envoyé spécial
C’
est une société israé-
lienne pétrifiée qui
vit, minute par mi-
nute, avec horreur et
angoisse, la situation des otages
retenus, depuis le 7 octobre, par le
Hamas, dans la bande de Gaza.
Sur les télévisions, sur les réseaux
sociaux, dans chaque famille, ou
presque, le sort des 199 captifs de
l’organisation terroriste, officiel-
lement recensés par l’Etat – un
chiffre qui n’a cessé de varier de-
puis une semaine –, constitue un
dilemme éthique, politique et mi-
litaire inédit, alors que l’armée is-
raélienne bombarde lourdement
Gaza depuis onze jours et prépare
de nouvelles actions, potentielle-
ment dramatiques pour les habi-
tants de ce territoire peuplé de
près de 2,3 millions de personnes.
La tension est montée d’un
cran, lundi 16 octobre, avec la dif-
fusion d’une vidéo de propa-
gande du Hamas, dans laquelle
une jeune femme, Mia Schem,
âgée de 21 ans, apparaît sur un lit,
affaiblie, alors qu’un soignant lui
pose des bandages sur le bras. La
jeune femme affirme, en regar-
dant la caméra, avoir été blessée
le jour de l’attaque, mais être bien
traitée – ce qui est invérifiable.
« Elle a été blessée à la main. Elle a
été opérée. Elle a l’air terrifié. Elle
dit ce qu’on lui dit de dire. Je suis
très inquiète pour elle, a déclaré sa
mère, Karen Schem, devant les
caméras du monde entier, à Tel-
Aviv, mardi. Je demande aux diri-
geants du monde que ma fille
nous soit rendue dans l’état où elle
se trouve aujourd’hui, ainsi que les
autres otages. Je supplie le monde
de me rendre mon bébé. »
Les informations sur les otages
restent parcellaires. L’armée is-
raélienne avait fait savoir, sa-
medi, que des corps avaient été
retrouvés lors d’une incursion
dans la bande de Gaza. Mais, de-
puis, rien n’a filtré sur l’identité
Au sein de l’Union européenne, des divergences persistantes
Les VIngt-Sept ont tenté de mettre fin à une semaine de cacophonie européenne à propos de la situation au Proche-Orient
bruxelles - bureau européen
D ans une ambiance pe-
sante, vingt-six chefs
d’Etat et de gouverne-
ment européens se sont retrou-
vés virtuellement mardi 17 octo-
bre. Seul le premier ministre
hongrois Viktor Orban, en visite
en Chine où il rencontrait Vladi-
mir Poutine, était absent.
Ce Conseil européen extraordi-
naire intervenait dix jours après
l’attaque brutale du Hamas
contre Israël, qui a fait quelque
1400 morts, et la première riposte
de l’Etat hébreu, qui a depuis en-
traîné le décès de plus de 3000 Pa-
lestiniens sous les bombes.
« Ce fût un moment d’unité », a in-
diqué Charles Michel, le président
du Conseil européen. Une unité
nécessaire après une semaine de
cafouillages sur l’avenir de l’aide
européenne à la Palestine et des
prises de position divergentes
entre les différents dirigeants de
l’Union, rendant sa position inau-
de ces victimes ni sur les circons-
tances de leur mort. De son côté,
le Hamas a déclaré que plusieurs
captifs auraient été tués au cours
des bombardements intenses de
son territoire, lesquels ont tué au
moins 3 000 Palestiniens en onze
jours. L’organisation islamiste
avait menacé d’exécuter des ota-
ges chaque fois que des bombar-
dements non annoncés touche-
raient des bâtiments de Gaza.
Le gouvernement de Benyamin
Nétanyahou a été sévèrement cri-
tiqué pour son manque d’empa-
thie envers les familles. Diman-
che, le premier ministre a convié
des proches des otages dans une
base militaire, à Ramle. Mais,
comme l’a relaté Haaretz, journal
d’opposition, les représentants
du principal collectif de disparus
ont eu la surprise de voir partici-
per une famille inconnue, dont
un des membres aurait réclamé
au premier ministre d’agir « froi-
dement et sans aucun doute », ce
qui a provoqué une vive colère
des autres personnes présentes,
révoltées par cet appel implicite à
une action militaire forte.
« Je t’aime, papa »
La crainte des familles porte sur
les conséquences des frappes
massives engagées depuis onze
jours et sur les risques d’une in-
tervention au sol dans les pro-
chains jours.
« Mais que cherche l’armée
quand elle bombarde Gaza alors
qu’il y a autant d’otages ? », s’est
ainsi indignée, samedi, la repré-
sentante d’une otage israélo-alle-
mande, Shani Louk, sérieuse-
ment blessée le jour de l’attaque
du Hamas et qui était apparue sur
les vidéos de propagande du
Hamas, à moitié dénudée à l’ar-
rière d’un camion, dans les rues
de Gaza. Un père de famille, dont
l’épouse et trois enfants ont été
enlevés, s’est, lui, installé devant
le ministère de la défense pour
maintenir la pression sur le gou-
dible dans le monde, notamment
au Proche-Orient.
« Il est de la plus haute impor-
tance que le Conseil européen,
conformément aux traités et à nos
valeurs, définisse notre position
commune et établisse une ligne de
conduite claire et unifiée qui reflète
la complexité de la situation ac-
tuelle », rappelait avant les échan-
ges Charles Michel.
« Nous soulignons avec force le
droit d’Israël à se défendre, rappel-
lent ainsi dans une déclaration
commune les dirigeants euro-
péens, conformément au droit
humanitaire et au droit internatio-
nal, face à des attaques aussi vio-
lentes et aveugles. Nous rappelons
qu’il est important d’assurer la
protection de tous les civils à tout
moment, conformément au droit
international humanitaire. »
Dès le 10 octobre, les ministres
des affaires étrangères s’étaient
mis d’accord sur cette position
d’équilibre. Mais Ursula von der
Leyen, la présidente de la Com-
La famille
de Liri,
18 ans, prise
en otage par
le Hamas,
devant l’état-
major
de l’armée
israélienne,
à Tel-Aviv,
le 14 octobre.
LUCIEN LUNG/
RIVA PRESS
POUR « LE MONDE »
vernement. Venu seul, avec son
frère, il a été rejoint par des centai-
nes de personnes, beaucoup ré-
clamant la démission de Benya-
min Nétanyahou jugé fautif et
trop amateur, signe du caractère
hautement inflammable du sujet.
Dans ce qui est aussi une ba-
taille de communication, le col-
lectif des familles tente de mobili-
ser le monde entier, s’appuyant
sur le nombre important de bina-
tionaux – onze Français, dont
plusieurs Franco-Israéliens, sont
toujours portés disparus – pour
faire pression sur leurs gouverne-
ments. « L’objectif, c’est évidem-
ment la libération totale des ota-
ges. La première étape, c’est la
question des soins médicaux. La
deuxième étape, c’est au moins la
libération des femmes et des en-
fants », explique Daniel Shek, un
diplomate israélien chargé de la
cellule internationale.
Sur les réseaux sociaux, l’organi-
sation diffuse des extraits audios
déchirants des derniers échanges
entre les otages et leurs familles.
« Papa, ils m’ont tiré dessus, ils
m’ont tiré dessus », entend-on ainsi
Maya, 21 ans, au téléphone avec
son père. « Ils ont cassé toutes les
vitres, j’ai peur, j’ai peur », dit une
adolescente de 12 ans dans un
message à sa grand-mère.
mission, a eu du mal à l’énoncer.
Dans une visite surprise en
Israël, le 13 octobre, au côté de
Roberta Metsola, la présidente
du Parlement européen, elle n’y
a pas porté la voix des Vingt-
Sept, jugent plusieurs diploma-
tes, mais bien la sienne.
Von der Leyen critiquée
Elle a condamné les attaques du
Hamas et soutenu la politique du
gouvernement Nétanyahou,
sans aucune référence publique
au sort des Palestiniens de la
bande de Gaza. Dans son entou-
rage, on assure néanmoins que
la question des civils et du res-
pect du droit international a bien
été abordée directement avec
Benjamin Netanyahou.
Au Conseil européen, le prési-
dent français Emmanuel Macron
et Leo Varadkar, le premier mi-
nistre irlandais, ont répété leurs
critiques à peine voilée sur le
positionnement de la présidente
de la Commission. « Depuis deux
UN PÈRE DE FAMILLE,
DONT L’ÉPOUSE ET TROIS
ENFANTS ONT ÉTÉ
ENLEVÉS, S’EST INSTALLÉ
DEVANT LE MINISTÈRE
DE LA DÉFENSE POUR
MAINTENIR LA PRESSION
SUR LE GOUVERNEMENT
A la télévision, les témoignages
sont difficilement soutenables,
comme celui de Yael, 12 ans, dont
la sœur a été assassinée sous ses
yeux et le père enlevé par les
hommes du Hamas. « Que veux-tu
dire à la caméra ? », demande une
présentatrice de Channel 13. « Je
t’aime, papa », dit alors en s’effon-
drant, en direct, l’adolescente.
Les frères, sœurs, pères, mères,
cousins, multiplient les entre-
tiens à la presse internationale
pour faire pression sur les Etats
capables d’intervenir auprès du
Hamas. Dans les couloirs du quar-
tier général des familles, la mère
d’Almog Meir Jan raconte longue-
ment la joie de son fils à l’idée de
participer à la rave-party, sa satis-
ans, nous tentons de convaincre
le Sud que le droit international
doit prévaloir, notamment en
Ukraine, et désormais, nous som-
mes en train de les perdre à cause
de ce type de déclarations », re-
grette un responsable européen.
« Il faut éviter tout double stan-
dard », ajoute une autre source à
Bruxelles. Les Vingt-Sept et les
dirigeants ont juré de mieux se
coordonner à l’avenir et parler
d’une même voix.
Malaise
A l’issue du conseil, Mme von der
Leyen a assuré qu’il « n’y a pas de
contradiction entre la solidarité
avec Israël et l’action en faveur
des besoins humanitaires des
Palestiniens », rappelant l’aug-
mentation de 200 % de l’aide hu-
manitaire prévue pour la popu-
lation de Gaza (75 millions
d’euros) et le lancement d’un
pont aérien vers l’Egypte pour
l’acheminer le plus rapidement
sur le territoire bombardé.
faction de commencer bientôt un
nouveau travail. Puis le cauche-
mar de l’attaque terroriste, son
dernier appel téléphonique, et ce
moment où une de ses filles l’a re-
connu sur des vidéos du Hamas.
« Je veux croire que le gouverne-
ment tient compte des otages
dans ses choix », prévient l’oncle
du jeune homme disparu.
« Négociations intenses »
En marge d’une rencontre avec
une délégation de parlementaires
français, lundi 16 octobre, une des
sœurs de la famille de Karine
Journo, une Franco-Israélienne,
s’insurge : « Cette rencontre, c’est
déjà beaucoup plus que ce que le
gouvernement israélien a fait. »
Quelques minutes plus tôt, la fa-
mille de Céline Ben David Nagar, la
mère d’un nourrisson de 6 mois,
venait d’apprendre qu’une déléga-
tion de Tsahal s’était présentée à
son domicile pour annoncer
l’identification de son cadavre.
Les négociations concernant les
otages constituent un sujet aussi
sensible que secret. Le collectif
des familles a tenté, sans succès à
ce stade, d’obtenir la possibilité de
fournir des médicaments aux
détenus malades ou blessés.
« Nous, médecins, Israéliens, soi-
gnons des patients palestiniens, y
Reste que la présidente de la
Commission est encore apparue
en décalage avec M. Michel. Ré-
pondant à une question sur l’ex-
plosion de l’hôpital Al-Ahli à Gaza,
qui a tué mardi plusieurs centai-
nes de personnes, ce dernier a as-
suré qu’« une attaque contre une
infrastructure civile [n’était] pas
conforme avec le droit internatio-
nal ». Mme von der Leyen, « qui n’a
pas eu le temps de s’informer », a
pour sa part refusé de répondre à
la question alors qu’Israël et les Pa-
lestiniens se renvoient la respon-
sabilité de la frappe.
Quelques minutes plus tard, Jo-
sep Borrell assurait sur le réseau
social X que « les nouvelles en pro-
venance de l’hôpital (…) Al-Ahli de
Gaza ajoutent l’horreur à la tragé-
die qui se déroule sous nos yeux de-
puis plusieurs jours. Une fois de
plus, ce sont des civils innocents
qui paient le prix fort. La responsa-
bilité de ce crime doit être claire-
ment établie et les auteurs doivent
rendre des comptes. »
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
compris quand il s’agit de terroris-
tes. Nous demandons que les ota-
ges bénéficient de traitements mé-
dicaux », répète le docteur Hagai
Levine, délégué de la Croix-Rouge.
Les familles espèrent que des
Etats comme le Qatar, l’Egypte ou
la Turquie puissent jouer un rôle.
Mardi, le président français,
Emmanuel Macron, a indiqué que
des « négociations intenses »
avaient lieu et que celles-ci avan-
çaient. De son côté, Tzachi Ha-
negbi, chef du conseil de sécurité
nationale israélien, a déclaré,
mardi, que la question des otages
« est au cœur de toute discussion
sur l’aide humanitaire » pour Gaza.
Le Hamas avait minutieuse-
ment préparé son action – jus-
qu’aux menottes en plastique re-
trouvées sur le corps d’une vic-
time exécutée par balle.
Car l’histoire montre que les
otages peuvent constituer une
monnaie d’échange considérable.
Pour obtenir, en 2011, la libération
du soldat Gilad Shalit, après
cinq années de détention par le
Hamas, l’Etat hébreu avait dû li-
bérer plus de 1 000 prisonniers
palestiniens, parmi lesquels de
nombreux cadres de l’organisa-
tion terroriste impliqués ensuite
dans des attaques. p
luc bronner
Les dirigeants ont souligné
l’importance de poursuivre leur
coopération en matière consu-
laire afin d’évacuer le millier de
citoyens européens qui vivent
encore à Gaza. Ils ont également
assuré travailler sur la question
des otages du Hamas, dont « plu-
sieurs dizaines », selon un diplo-
mate européen, ont une nationa-
lité de l’Union européenne.
Enfin, rapporte l’Elysée, « les di-
rigeants sont convenus de tra-
vailler de concert ainsi qu’avec les
acteurs de la région pour mettre
fin aux violences et œuvrer à réu-
nir les conditions d’une paix
durable. » Reste un malaise per-
sistant à ce sujet à Bruxelles. Dix
jours après le début de cette nou-
velle guerre, « nous en sommes
encore à accorder nos violons en
interne, regrette un diplomate à
Bruxelles. Les Américains, eux,
sont sur le terrain et tentent d’ob-
tenir des avancées, notamment
pour les civils… » p
philippe jacqué
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
Poutine et Xi affichent leur proximité à Pékin
Le forum des « nouvelles routes de la soie », le mégaprojet d’investissement chinois, a réuni plus de 140 pays
pékin - correspondant
P
assant sous silence les
guerres au Proche-
Orient et en Ukraine, la
Chine promet une « dé-
cennie d’or » à ceux qui suivent sa
voie et adhèrent à son initiative
« Ceinture et Route » (Belt and
Road Initiative, BRI), ou « Nouvel-
les routes de la soie ». Dix ans
après avoir lancé ce méga-pro-
gramme d’investissements inter-
nationaux dès son arrivée au
pouvoir en 2013, le président chi-
nois, Xi Jinping, a inauguré,
mardi 17 octobre, le troisième Fo-
rum des BRI, à Pékin, en présence
de représentants de « plus de 140
pays et organisations internatio-
nales », selon les médias chinois.
Si certains comme la France, re-
présentée par l’ex-premier minis-
tre Jean-Pierre Raffarin ont assuré
une présence minimale, 24 chefs
d’Etat et de gouvernement ont
fait le déplacement (29 en 2017 et
37 en 2019). Invités, ni le Brésilien
Luiz Inacio Lula da Silva, ni le Sud-
Africain Cyril Ramaphosa, ni le
Saoudien Mohammed Ben Sal-
man, ni l’Iranien Ebrahim Raïssi
n’étaient présents. Parmi tous les
hôtes venus d’Asie, d’Europe (le
hongrois Viktor Orban et le Serbe
Aleksandar Vucic), d’Afrique et
d’Amérique du sud, un invité a eu
droit à un traitement privilégié :
Vladimir Poutine.
« Réseau mondial »
Faisant l’objet d’un mandat d’ar-
rêt de la Cour pénale internatio-
nale, le chef d’Etat ne s’était pas
rendu en Afrique du Sud en août
pour le sommet des Brics. Il n’a ef-
fectué qu’une sortie de Russie −
au Kirghizistan, le 12 octobre − de-
puis l’invasion de l’Ukraine en fé-
vrier 2022. Mardi soir, il était en
revanche tout sourire, aux côtés
de Xi Jinping lors du dîner de gala
et, mercredi, il a été le premier à
s’exprimer à la suite de son « cher
ami ». S’il a reconnu avoir eu des
doutes sur cette initiative chi-
noise il y a dix ans, le président
russe s’est dit « heureux de voir
son succès actuel qui signifie beau-
coup pour nombre d’entre nous ».
Durant son intervention, la délé-
gation française a ostensible-
ment quitté la salle.
Jeunes et femmes, artisans de la victoire de l’opposition polonaise
Les résultats détaillés des législatives de dimanche témoignent de changements sociaux profonds. Et du rejet des politiques conservatrices
varsovie - correspondance
D epuis l’esquisse des résul-
tats des élections législa-
tives, dimanche 15 octo-
bre, une véritable euphorie s’est
emparée du camp démocrate et
d’une large moitié de la Pologne. Il
y a quelques semaines encore, peu
croyaient en cette victoire. Au
printemps, même, les sondages
étaient en berne, l’ambiance entre
les dirigeants des trois partis d’op-
position délétère et les guerres
d’ego ont provoqué un intermina-
ble psychodrame, soldé par un
échec, autour de la création d’une
liste commune d’opposition.
Mais les efforts d’une campagne
efficace ont payé : les résultats of-
ficiels, connus mardi, confirment
une confortable majorité de
248 sièges sur 460 aux trois partis
démocrates, à la Diète, et de 66
sur 100 au Sénat. Le chef de la Coa-
lition civique (KO), Donald Tusk,
est pressenti pour redevenir pre-
mier ministre, fonction qu’il a
déjà occupée entre 2007 et 2014. Il
devra faire face à une opposition
résolue du parti nationaliste et ul-
traconservateur Droit et Justice
(PiS) , fort de 194 élus, ainsi qu’à
une cohabitation houleuse avec
Le président
russe a été
le premier
à s’exprimer
à la suite de
son « cher ami »,
Xi Jinping
Auparavant, Xi Jinping s’était
exprimé durant une trentaine de
minutes pour faire la promotion
des « Nouvelles routes de la soie »
auxquelles « plus de 150 pays et
plus de 30 organisations interna-
tionales » ont adhéré. Selon la
Chine, cette initiative a « contri-
bué à sortir 40 millions de person-
nes de la pauvreté ». L’objectif de
Pékin est désormais de « recher-
cher le bonheur pour l’ensemble
des peuples du monde ». Rien de
moins. Mais la Chine y consa-
crera sans doute moins d’argent
dans l’avenir que par le passé. Se-
lon les chiffres officiels, Pékin
aurait investi 242 milliards de
dollars (soit environ 229 mil-
liards d’euros) dans les pays ad-
hérents à la BRI. Xi Jinping a
vanté les projets « petits mais
beaux » portés par le projet. Une
façon implicite de reconnaître
que certains chantiers étaient
trop coûteux et disproportion-
nés. Il a toutefois annoncé qu’il
réinjecterait plus de 100 mil-
liards de dollars de nouveaux fi-
nancements dans les « nouvel-
les routes de la soie ».
D’ailleurs, Xi Jinping qualifie
désormais la BRI de « réseau
mondial de connectivité multidi-
mensionnelle ». Il est autant
question d’échanges d’étudiants
et de scientifiques que de nouvel-
les lignes de chemins de fer et de
ports en eaux profondes. Néan-
moins, en dix ans, la Chine s’est
imposée comme un acteur éco-
nomique majeur, devenant le
premier partenaire commercial
de « plus de 140 pays », selon Xi
Jinping. Présentant huit actions
pour soutenir les « Nouvelles
routes de la soie » dans les an-
nées à venir, le président chinois
a annoncé une réforme qui, si
elle est véritablement mise en
le président Andrzej Duda (PiS),
au moins jusqu’à l’élection prési-
dentielle de 2025.
Compte tenu de la disproportion
des moyens engagés dans cette
campagne à la faveur du PiS, la vic-
toire de l’opposition peut être qua-
lifiée d’écrasante. Surtout, la parti-
cipation électorale record de
73,9 % donne une légitimité incon-
testable aux gagnants et le carac-
tère tranché des résultats empê-
che toute remise en cause du scru-
tin par le PiS, un scénario long-
temps redouté.
Coup d’arrêt à la dérive du pays
Un « esprit de Solidarnosc » s’est
ainsi emparé du pays, du nom du
syndicat qui fit tomber le système
communiste dans les années
1980. Bien des observateurs argu-
mentent que ces élections furent
même plus importantes que celles
de 1989 : elles ont donné un coup
d’arrêt à la dérive de la Pologne
vers un autoritarisme populiste
qui aurait pu s’avérer aussi pro-
fond que durable. L’opposition,
dont la formation du gouverne-
ment n’est pas prévue avant dé-
cembre, a désormais quatre priori-
tés : faire rendre des comptes au
PiS de ses violations de l’Etat de
Le président russe, Vladimir Poutine, et le président chinois, Xi Jinping, à Pékin, le 18 octobre. PEDRO PARDO/AFP
œuvre, pourrait être majeure.
« Nous annulerons toutes les me-
sures de restriction à l’accès des
capitaux étrangers à l’industrie
manufacturière », a-t-il dit.
S’il n’a pas évoqué les Etats-
Unis, Xi Jinping a rappelé que la
Chine « rejette le clivage idéologi-
que, la rivalité géopolitique et la
politique des blocs ». « Nous nous
opposons aux sanctions unilaté-
rales, aux coercitions économi-
ques, au découplage et à la rupture
des chaînes d’approvisionne-
ment », a-t-il ajouté. Lundi 16 octo-
bre, l’agence de presse officielle
Chine nouvelle avait été plus ex-
plicite : « Eliminer le legs néfaste
du néocolonialisme est indispen-
sable pour établir un ordre inter-
national équitable et juste ».
La séance plénière de ce troi-
sième forum n’a duré qu’une
heure et demie. Outre Xi Jinping
et Vladimir Poutine, les diri-
geants du Kazakhstan, d’Indoné-
droit et des affaires politico-finan-
cières, faire revenir la Pologne sur
« la bonne voie » au sein de l’Union
européenne, reconstruire ce qui a
été détruit en matière d’institu-
tions et de politiques publiques et
entamer une politique de réconci-
liation nationale pour en finir avec
ce qu’on appelle la « guerre polo-
no-polonaise ».
L’analyse détaillée des résultats,
pose, quant à elle, une question
importante : cette victoire aurait-
elle été possible sans le vote des
femmes et celui de la jeunesse ? La
participation de ces deux groupes
a été de 20 points supérieure à
celle de 2019, contre 12,2 points de
plus pour l’ensemble de la popula-
tion. Les 18-29 ans ont voté à
Les nationaux
conservateurs
sont confrontés
à une âpre
réalité : la moitié
de leur électorat
est constituée
de seniors
sie, d’Argentine et d’Ethiopie ont
pris la parole à la tribune ainsi
que le secrétaire général de
l’ONU, Antonio Guterres. Il a été
le seul à évoquer le Moyen-
Orient et a appelé à un « cessez-le-
feu humanitaire immédiat ».
« Confiance mutuelle »
Ce sommet a été également l’oc-
casion de multiples rencontres
bilatérales. Après la séance plé-
nière, Xi Jinping et Vladimir Pou-
tine se sont à nouveau rencontré
en tête à tête. D’après les médias
chinois, celui-ci aurait indiqué
que « la confiance politique mu-
tuelle entre les deux pays est sans
cesse plus profonde ».
Le 16 octobre, Xi Jinping avait
rencontré le premier ministre
hongrois. Comme Vladimir Pou-
tine, Viktor Orban avait participé
aux deux forums précédents. Les
deux dirigeants ont décidé de
porter leur relation bilatérale « à
62,9 % pour les trois partis démo-
crates et seulement à 14,4 % pour
le PiS (ainsi qu’à 17,8 % pour l’ex-
trême droite libertarienne de Kon-
federacja). Chez les étudiants, le
PiS obtient 11 % des voix, et l’ex-
trême droite 13,4 %. Quant aux
femmes, elles ont voté à 56,7 %
pour le camp démocrate et à
35,9 % pour le PiS (3,7 % pour l’ex-
trême droite).
Les nationaux conservateurs
sont confrontés à une âpre réalité :
près de la moitié de leur électorat
est constituée de seniors. La dé-
mographie joue en leur défaveur
et cette tendance ne peut que s’ac-
croître à l’avenir. Depuis des an-
nées, les études d’opinion démon-
trent que la société polonaise se
modernise à grands pas, suivant le
chemin des démocraties occiden-
tales sur la perception de faits de
société comme le droit à l’avorte-
ment, la contraception, la fécon-
dation in vitro, la séparation de
l’Église et de l’Etat. Comme le sou-
ligne le sociologue Andrzej Ry-
chard, directeur de l’Institut de
philosophie et de sociologie de
l’Académie polonaise des sciences,
« la classe politique a pris acte de
ces changements sociétaux, avec
lesquels elle a longtemps été en dé-
international | 5
Le numéro un de
Pékin a rappelé
que la Chine
« rejette la rivalité
géopolitique
et la politique
des blocs »
un nouveau niveau ». « La Hon-
grie va continuer de participer ac-
tivement à l’initiative de la BRI », a
indiqué M. Orban. Celui-ci a éga-
lement rencontré M. Poutine, ce
qu’aucun dirigeant de l’Union
européenne n’a fait depuis
avril 2022.
Si hormis Antonio Guterres, nul
intervenant n’a évoqué le Proche-
Orient, le conflit a pesé sur ce troi-
sième forum. Le 26 septembre, la
Chine avait publié un Livre blanc
calage. La Pologne rentre dans une
nouvelle dynamique et un nouveau
processus ».
Bête noire de la jeunesse
Pour la politologue Anna Maters-
ka-Sosnowska, de l’université de
Varsovie, un tournant majeur a été
amorcé par les manifestations
contre la décision du Tribunal
constitutionnel de l’interdiction
quasi totale de l’avortement, à
l’automne 2020, qui ont eu lieu
dans plus de cent villes de Polo-
gne. « Le pouvoir a alors totale-
ment ignoré, avec arrogance, ce
mouvement social de masse, qui
concernait autant la jeunesse que
les femmes et qui s’est transformé
en protestation anti-PiS générali-
sée. » La « convergence des luttes »
entre les femmes et la jeunesse
s’est révélée être un facteur décisif.
Les plus jeunes ont également
eu des raisons bien précises pour
rejeter le pouvoir ultraconserva-
teur. Ils ont subi les réformes de
l’éducation de ces huit dernières
années, aux conséquences jugées
catastrophiques par le corps ensei-
gnant et par les experts, et dont les
effets ont également touché leurs
parents. Le ministre de l’éduca-
tion, Przemyslaw Czarnek, un re-
sur « Une communauté mondiale
de destin partagé » qui était le
vade-mecum de sa politique
étrangère. Elle y présentait « une
nouvelle vision pour bâtir un
monde meilleur » et « un nouveau
type de relations internationales ».
Il est possible que le conflit au
Proche-Orient ait incité Pékin à
faire plutôt profil bas.
Alors que le président améri-
cain, Joe Biden, est attendu en Is-
raël et dans plusieurs pays arabes
ce mercredi, la Chine a dépêché
un envoyé spécial dans la région.
Manifestement, si les Etats-Unis
n’ont plus au Proche-Orient l’in-
fluence majeure qu’ils ont eue
dans le passé, la Chine, malgré
son investissement économique
et diplomatique dans la région,
n’y a pas encore un rôle compara-
ble. Les « Nouvelles routes de la
soie » ne font pas encore le « bon-
heur » de l’humanité. p
frédéric lemaître
présentant de l’extrême droite ca-
tholique considérée comme la
plus archaïque, est également de-
venu la bête noire de la jeunesse.
Les tentatives d’idéologisation des
programmes scolaires, le rejet de
l’éducation sexuelle, les violentes
attaques contre la communauté
LGBT ou les discours radicalement
antieuropéen n’ont pu que renfor-
cer l’aversion des jeunes pour le
PiS. Par ailleurs, comme le souli-
gne Anna Materska-Sosnowska,
« le PiS n’avait dans cette campa-
gne pas de programme à destina-
tion de la jeunesse ».
Edwin Bendyk, le président de la
Fondation Batory, chargé de l’éva-
luation des bonnes pratiques dé-
mocratiques, souligne que les as-
sociations structurant la société
civile polonaise ont profondé-
ment changé ces dernières an-
nées. « Il ne s’agit plus seulement
d’ONG professionnalisées, mais de
nombreuses initiatives citoyennes
très bien organisées, qui veulent
avoir une influence sur la vie politi-
que et y parviennent. » Les multi-
ples campagnes en faveur de la
participation électorale ou de sur-
veillance des bureaux de vote en
sont des exemples frappants. p
jakub iwaniuk
6 | international 0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023

Après l’attentat de Bruxelles, L’Ukraine surprise par

une contre-attaque russe
la Suède cherche à se protéger au nord de Donestk
Stockholm veut renforcer le contrôle des étrangers sur son territoire, Les forces de Moscou auraient pris quelques
kilomètres carrés dans la localité d’Adviïvka
après avoir découvert que l’assaillant avait séjourné dans le royaume

malmö (suède) - correspondante Le 17 août, Stockholm avait re-

levé son niveau d’alerte terroriste
Une discussion tions législatives, en 2026 ». Modi-
fier la législation sur l’ordre public L a manœuvre a surpris les
Ukrainiens et leurs alliés
occidentaux. Alors qu’on la
Kiev
UKRAINE RUSSIE

L
e monde du football est de trois à quatre, sur une échelle est également en est encore plus « problématique », pensait sur le reculoir tout le long
en deuil. Deux suppor- qui compte cinq niveaux. « Nous constate-t-il, car « non seulement des 1 200 kilomètres de la ligne de
cours concernant UKRAINE

SS
teurs de l’équipe de savons maintenant avec une clarté les policiers devront évaluer si la front, l’armée russe mène depuis Dn
iep

BA
Suède, qui affrontait la qui fait froid dans le dos qu’il y une éventuelle sécurité de l’Etat est menacée, mais plusieurs jours une contre-atta- r Avdiïvka

Belgique, lundi 16 octobre, à
Bruxelles, ont été fauchés dans
DON
avait des raisons de s’inquiéter », a cela signifie aussi que des organisa- que à Avdiïvka, une ville indus-
remarqué M. Kristersson, mardi.
interdiction tions étrangères pourront menacer trielle du Donbass située à 15 kilo- Zaporijia
Louhansk

l’attentat commis par Abdesalem
Lassoued, mortellement blessé
lors de son interpellation, mardi
matin. Ils avaient environ 60 et
70 ans. L’un résidait en Suisse,
l’autre, dans la région de Stock-
holm. Un troisième homme,
d’une soixantaine d’années, sué-
dois également, a été blessé.
« Tout indique qu’il s’agit d’une
attaque terroriste contre la Suède
et les citoyens suédois », a cons-
taté, mardi midi, le premier mi-
nistre, Ulf Kristersson, lors d’une
conférence de presse à Stock-
holm. Selon le parquet fédéral
belge, qui privilégie la piste du
« loup solitaire », les motivations
de l’assaillant seraient liées aux
profanations du Coran en Suède,
mais elles pourraient aussi être
connectées à la situation à Gaza.
Ulf Kristersson a révélé que le
terroriste présumé, un Tunisien
de 45 ans sans papiers, avait
« temporairement séjourné » en
Suède. Une information confir-
mée au Monde par l’Agence sué-
doise de l’immigration : bien
avant de déposer une demande
d’asile en Belgique, en 2019 – elle a
été rejetée en 2020 –, Abdesalem
Lassoued a passé deux ans dans le
pays scandinave, entre 2012 et
2014, sous une autre identité.
Pendant cette période, il a purgé
une peine de prison. On ne con-
naît, pour le moment, ni le motif
ni la durée de sa condamnation.
Selon l’Agence de l’immigration,
il a été expulsé, en 2014, « vers un
autre pays européen ».
Il a évoqué les autodafés du Coran,
qui ont valu à la Suède les mena-
ces de plusieurs organisations
islamistes, mais également une
gigantesque campagne de désin-
formation engagée depuis début
2022 sur les réseaux sociaux, ac-
cusant les services sociaux sué-
dois d’enlever les enfants musul-
mans à leurs parents.
Visite d’Etat reportée
Face à la menace terroriste, le
premier ministre conservateur
suédois a appelé à « défendre la
société ouverte et libre ». Mais il a
insisté surtout sur la nécessité
d’assurer « la sécurité » du pays et
de ses habitants. « Nous devons
savoir qui se trouve en Suède et
nous assurer [que ces personnes]
le soient en toute légalité », a-t-il
martelé, exigeant l’expulsion des
« 27 000 » étrangers faisant l’objet
d’une obligation de quitter le ter-
ritoire, un meilleur contrôle des
frontières extérieures de l’Union
européenne et le renforcement
des pouvoirs de la police et des
services de renseignement « pour
trouver [ceux qui sont] suscepti-
bles de représenter une menace
pour la sécurité en Suède ».
Une discussion est également
en cours, dans le royaume scandi-
nave, concernant une éventuelle
interdiction des profanations du
Coran. En plus de donner une
excuse au président turc, Recep
Tayyip Erdogan, pour bloquer
l’adhésion de la Suède à l’Alliance
atlantique (OTAN), les autodafés
des profanations
du Coran
ont fait du pays une cible pour di-
verses organisations islamistes,
qui ont appelé à « frapper » la
Suède ces derniers mois.
Actuellement, la loi ne permet
pas à la police d’interdire une ma-
nifestation, même si les person-
nes ayant déposé la demande
d’autorisation ont fait savoir
qu’elles comptaient brûler un
exemplaire du livre sacré de l’is-
lam. En juin, la cour d’appel admi-
nistrative de Stockholm l’a con-
firmé dans un arrêt, donnant rai-
son à des manifestants qui
s’étaient vu refuser une autorisa-
tion au prétexte des risques qui pe-
saient alors sur la sécurité de l’Etat.
Le 18 août, le gouvernement a
ouvert une enquête pour étudier
la possibilité de modifier la loi sur
l’ordre public. Les Sociaux-démo-
crates préféreraient réformer la
législation criminalisant l’incita-
tion à la haine raciale, comme l’a
rappelé la cheffe de file du parti,
l’ancienne première ministre
Magdalena Andersson.
Dans les deux cas, Joakim
Nergelius, professeur de droit à
l’université d’Orebro, voit des
écueils. Changer la loi sur l’incita-
tion à la haine raciale touche à la
Constitution et « demande donc
l’approbation de deux Parlements
successifs, ne pouvant donc inter-
venir qu’après les prochaines élec-
la Suède pour faire interdire des
manifestations ».
Alliés du gouvernement, les Dé-
mocrates de Suède (extrême
droite) ont déjà fait savoir qu’ils
s’opposeraient à toute réforme,
arguant que le royaume ne doit
pas céder aux menaces. « Nous ne
pouvons pas nous abstenir de
prendre des décisions que nous
pensons justifiées pour sauvegar-
der la sûreté et la sécurité des gens,
par crainte de la façon dont elles
seront perçues par des forces
étrangères », a rétorqué le minis-
tre de la justice, Gunnar Ström-
mer, sur la chaîne SVT.
Au Danemark, un projet de loi
du gouvernement visant à crimi-
naliser la profanation du Coran a
suscité une énorme polémique.
Des centaines d’intellectuels et
d’artistes ont dénoncé une viola-
tion de la liberté d’expression,
tandis que les policiers et les ma-
gistrats alertaient sur les difficul-
tés de sa mise en application.
A Stockholm, mardi, le ministre
des affaires étrangères suédois,
Tobias Billström, a recommandé à
ses compatriotes se trouvant à
l’étranger de « faire preuve de pru-
dence et d’une vigilance accrue ».
Pour autant, « je ne veux pas que les
Suédois, partout dans le monde, ca-
chent le fait qu’ils sont suédois », a
réagi le premier ministre, Ulf Kris-
tersson. En raison du contexte, la
visite d’Etat d’Emmanuel et Bri-
gitte Macron à Stockholm, prévue
les 24 et 25 octobre, est reportée. p
anne-françoise hivert
mètres au nord de Donetsk, dans
la partie orientale du pays.
« Nos troupes améliorent leur
position dans la quasi-totalité de
cet espace, un espace assez vaste »,
s’est réjoui le président russe,
Vladimir Poutine, dans un entre-
tien télévisé diffusé dimanche
15 octobre, même si l’avancée de
ses forces semble laborieuse.
Selon l’Institute for the Study of
War (ISW), un centre de réflexion
américain, cette nouvelle offen-
sive de Moscou a commencé le
10 octobre et a vu « les forces russes
attaquer simultanément au nord-
ouest, à l’ouest et au sud d’Avdiïvka
en utilisant des groupes d’assaut
blindés, des hélicoptères et de l’ar-
tillerie », une manœuvre interar-
mes jusqu’ici peu utilisée par les
Russes, car mal maîtrisée. « Il s’agit
probablement de l’opération offen-
sive la plus importante entreprise
par la Russie depuis au moins jan-
vier », a confirmé le ministère de la
défense britannique, dans une
note publiée sur X (anciennement
Twitter), mardi 17 octobre.
Pour mener cette opération, la
Russie aurait engagé plus d’un
millier d’hommes, ainsi qu’un
grand nombre de matériels, dont
certains parmi les plus modernes
de son arsenal – véhicule blindé
Terminator, lance-roquettes
TOS-1… Cette masse intrigue les
analystes, alors que Moscou
semblait jusqu’ici concentrer ses
efforts sur la défense du front si-
tué dans le sud de l’Ukraine, où les
troupes de Kiev sont engagées
dans une vaste opération de
contre-offensive depuis le mois de
juin. « Cette attaque montre que les
Russes ont réussi à reconstituer une
Donetsk
Berdiansk
50 km
Présence des troupes russes
Territoire séparatiste contrôlé
par les Russes
puis le 10 octobre. Certains blo-
gueurs militaires russes affir-
ment même qu’une percée de
10 kilomètres aurait été effectuée,
une donnée non vérifiable.
Néanmoins, cette avancée
aurait été obtenue dans les pre-
miers jours de l’offensive et se
serait depuis ralentie, signe que
celle-ci a peut-être atteint son
point culminant. « Il est peu pro-
bable que les forces russes réalisent
des percées significatives ou cou-
pent la présence des forces ukrai-
niennes sur ces territoires à court
terme », estime l’ISW.
Missiles à longue portée
Surtout, cette avancée se ferait au
prix de lourdes pertes. Un porte-
parole de l’armée ukrainienne a
affirmé que 3 000 soldats de
Moscou ont été tués ou blessés et
que plus de 300 blindés et pièces
d’artillerie ont été déjà perdus
dans l’offensive. Des chiffres im-
possibles à vérifier mais partielle-
ment confirmés par des vidéos
diffusées sur les réseaux sociaux,
où l’on voit des colonnes de blin-
dés russes prises sous le feu de l’ar-
tillerie ennemie. « L’armée russe
semble utiliser une tactique d’atta-
que par vagues en jetant des mas-
ses de soldats mal entraînés direc-
tement sur le champ de bataille,
sans équipement approprié », a in-

En Egypte, Al-Sissi sans réel rival pour partie de leurs réserves offensives »,
estime Léo Péria-Peigné, cher-
cheur à l’Institut français des rela-
sisté John Kirby, porte-parole du
Conseil de sécurité nationale de la
Maison Blanche, le 13 octobre.
tions internationales. Face à cette contre-attaque, Kiev

l’élection présidentielle de décembre Objectif politique

La guerre à Gaza renforce le pouvoir égyptien, accusé d’avoir écarté deux candidats potentiels
beyrouth - correspondance
le parrainage d’au moins vingt
élus. « La participation de compéti-
Le candidat empêché a assuré
qu’il resterait dans la politique.
596 du Parlement), ainsi que plus
de 1 million de signatures. Des mi-
Selon les analystes, cette ma-
nœuvre vise à permettre à la Rus-
sie de reprendre l’initiative, alors
que la contre-offensive ukrai-
nienne marque le pas et que le
conflit est entamé depuis plus de
six cents jours. Elle pourrait égale-
continue son lent travail de sape
des forces de Moscou. Dans la nuit
du lundi 16 au mardi 17 octobre,
plusieurs frappes ont atteint les
aérodromes de Louhansk et de
Berdiansk, situés dans l’est et le
sud-est de l’Ukraine. Neuf hélicop-
tères et des stocks de munitions
ont été détruits ou endommagés,

R eléguée à l’arrière-plan par

la guerre entre le Hamas et
Israël, la préparation de
l’élection présidentielle égyp-
tienne, qui doit se dérouler du
10 au 12 décembre, a pourtant
commencé. Quatre candidats se-
ront en lice, selon une annonce
officielle faite mardi 17 octobre. Le
président Abdel Fattah Al-Sissi,
qui brigue un troisième mandat,
n’aura pas de véritables rivaux :
Ahmed Al-Tantawi, le seul aspi-
rant à l’investiture présidentielle
dont la présence promettait d’ani-
mer le débat, a dû jeter l’éponge.
Deux des trois concurrents du
chef de l’Etat sont perçus comme
des chantres de M. Al-Sissi : Abdel-
Sanad Yamama, dirigeant du parti
Al-Wafd, et Hazem Omar, issu
d’une formation pro-Al-Sissi. Le
troisième, Farid Zahran, est à la
tête du Parti social-démocrate
égyptien, qui compte des députés
et est membre du Mouvement ci-
vil démocratique, la principale
coalition de l’opposition de l’inté-
rieur. Il est considéré comme un
« semi-dissident » par une source
au sein de cette alliance.
Leur point commun est de ne
pas avoir de grand ancrage popu-
laire, et d’avoir facilement obtenu
l’appui de députés, afin de pouvoir
déposer leur candidature – il fallait
teurs est nécessaire pour représen-
ter le “pluralisme” auquel a appelé
Al-Sissi lorsqu’il a annoncé sa
candidature [le 2 octobre], pour
satisfaire la scène internationale,
décrypte un chercheur égyptien
requérant l’anonymat. Hosni
Moubarak [renversé par la révolu-
tion de 2011] aussi avait joué le jeu
du pluralisme en 2005, tout en l’em-
portant avec un score sans appel. »
A l’inverse, Ahmed Al-Tantawi,
44 ans, ancien député et ancien
chef du parti de gauche Karama, a
dû se retirer de la course, ven-
dredi 13 : pour se présenter, il avait
choisi d’engranger les soutiens
populaires. Mais il n’a obtenu que
14 000 des 25 000 signatures re-
quises, selon son équipe. M. Al-
Tantawi a dénoncé d’innombra-
bles entraves, de l’arrestation de
partisans au refoulement d’élec-
teurs dans les bureaux de l’admi-
nistration. « Lors d’une première
tentative, les fonctionnaires m’ont
dit que le système était hors ser-
vice, que le bureau allait fermer.
Pourtant, les soutiens d’Al-Sissi,
eux, pouvaient faire valider leur si-
gnature, déplorait, vendredi,
Omar, un partisan de M. Al-Tan-
tawi. Au cours du second essai,
dans un autre bureau d’enregistre-
ment, celui-ci était bloqué par des
hommes de main du régime. »
« Al-Tantawi n’allait pas l’empor-
ter. Mais, à travers sa précampa-
gne, en se déplaçant en Egypte, il a
réussi à créer une dynamique de
mobilisation au sein d’un pays très
répressif, où la scène politique est
devenue un désert, où l’opposition
a été écrasée par Al-Sissi », consi-
dère Hossam El-Hamalawy, jour-
naliste et militant de gauche,
contraint à l’exil après le retour au
pouvoir des militaires en 2013.
« Besoin de stabilité »
Une autre concurrente poten-
tielle, Gameela Ismail, cheffe du
parti Al-Dostour, a dit renoncer
car elle n’avait pas reçu l’aval de sa
formation politique. « Elle n’était
pas une menace pour Al-Sissi. Sa
présence aurait eu le mérite de
mettre en avant la figure d’une
femme », dit une source au Caire.
Comme M. Al-Tantawi, Gameela
Ismail s’était plainte des « restric-
tions systématiques » auxquelles
faisaient face ses partisans.
L’autorité nationale des élections
avait démenti, en septembre,
toute forme de « harcèlement ».
M. Al-Sissi, ex-chef du rensei-
gnement militaire, qui dirige
l’Egypte d’une main de fer depuis
2014, entre dans la campagne en
vainqueur. Il a obtenu le soutien
de plus de 420 députés (sur les
litants de l’opposition ont dé-
noncé l’obtention sous la con-
trainte d’une partie de ces voix.
La grave crise économique tra-
versée par l’Egypte promettait de
plomber la campagne. Mais les
craintes suscitées par le pilonnage
israélien de l’enclave palesti-
nienne de Gaza, après l’attaque du
Hamas contre Israël, ont réorienté
le débat. Le chef de l’Etat est au
cœur des sollicitations diploma-
tiques. Il a tenu tête au secrétaire
d’Etat américain, Anthony Blin-
ken, qui était de passage au Caire,
dimanche, en dénonçant une « ré-
ponse israélienne qui va au-delà du
droit de se défendre et est désor-
mais une punition collective ».
« En amont de sa candidature, Al-
Sissi avait insisté sur les nombreu-
ses crises en cours, de l’Ukraine à
l’Ethiopie, et sur le besoin de stabi-
lité de l’Egypte. Il laissait entendre
que seul lui, avec le soutien de l’ar-
mée – que n’ont pas ses compéti-
teurs –, pouvait la garantir », souli-
gne le chercheur égyptien. Si ce
discours semblait usé, il « va rega-
gner en puissance avec la guerre à
Gaza, aux portes de l’Egypte ». p
laure stephan
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
ment avoir une visée politique :
montrer à la population russe que
la conquête du Donbass, principal
objectif affiché par Moscou depuis
la fin de la bataille de Kiev, est tou-
affirme l’armée ukrainienne.
Ces bombardements ont été me-
nés à l’aide de missiles ATACMS,
d’une portée d’environ 165 kilo-
mètres, selon des images de débris
jours possible. Avdiïvka, peuplée prises sur place. Jusqu’ici, les Etats-
de 35 000 habitants avant la Unis avaient toujours refusé de li-
guerre, est disputée depuis près vrer ces projectiles à longue portée
d’une décennie. En 2014, les mili- aux Ukrainiens, estimant qu’ils
ces prorusses de la « république permettraient trop facilement de
populaire de Donetsk » l’avaient frapper le territoire russe.
occupée pendant quelques mois. Dans son adresse quotidienne,
« C’est une position qui a été très le président ukrainien, Volodymyr
fortifiée et sera difficile à prendre », Zelensky, a confirmé, mardi soir,
assure M. Péria-Peigné. leur arrivée. « Les accords que nous
Selon des images diffusées sur avons conclus avec le président
les réseaux sociaux et géolocali- [américain Joe] Biden sont mis en
sées par les analystes, les forces œuvre. Ils le sont de manière très
russes auraient réussi à conquérir précise : les ATACMS ont fait leurs
plusieurs kilomètres carrés de preuves », a-t-il déclaré. p
territoire autour d’Avdiïvka de- cédric pietralunga
Un câble endommagé en mer Baltique
Un câble de télécommunication sous-marin entre la Suède et
l’Estonie a été « endommagé », probablement dans la même « fenê-
tre temporelle » que le gazoduc entre la Finlande et l’Estonie ainsi
qu’un autre câble, a annoncé, mardi 17 octobre, Carl-Oskar Bohlin,
le ministre suédois de la défense civile. « Nous ne pouvons pas
évaluer aujourd’hui ce qui a causé ce dommage », a-t-il ajouté, souli-
gnant que le câble n’avait été que « partiellement endommagé »
et qu’il fonctionnait encore. Dix pays du nord de l’Europe, dont
la Finlande, la Suède et l’Estonie, ont convenu vendredi de travailler
au renforcement de la surveillance de leurs infrastructures
essentielles après l’arrêt du gazoduc en Finlande.
 PLANÈTE
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
Les derniers défis pour éradiquer la polio
L’extinction complète de la poliomyélite requiert de déployer le vaccin dans des zones très difficiles d’accès
Q
uand la poliomyélite
sera-t-elle enfin éradi-
quée ? Après les reculs
enregistrés en 2022,
quand une dizaine de
nouveaux cas ont été signalés au
Pakistan après des mois sans si-
gnalements, et d’autres à Lon-
dres, à New York et en Israël, l’opti-
misme est de retour chez les prin-
cipaux acteurs de la lutte contre
cette maladie.
« Nous sommes sur le point de
faire disparaître la poliomyélite de
la surface de la Terre », a ainsi dé-
claré, le 11 octobre, la présidente de
la Commission européenne, Ur-
sula von der Leyen, après l’an-
nonce d’un financement de
500 millions d’euros contre la ma-
ladie, issu d’un partenariat entre
l’Union européenne, la Banque
européenne d’investissement et la
Fondation Bill & Melinda Gates.
L’Initiative mondiale pour l’éradi-
cation de la poliomyélite (IMEP),
destinataire des fonds, a salué une
dotation qui arrive à un « moment
décisif » et la « rapproche d’un
cran » de son objectif.
La polio, maladie très conta-
gieuse qui se manifeste d’abord
par des symptômes évocateurs
d’un état grippal, provoque une
paralysie irréversible – le plus
souvent des membres infé-
rieurs – dans un cas sur deux
cents environ. Le virus se déve-
loppe dans les muqueuses du
pharynx et dans l’intestin grêle,
avant d’endommager le système
nerveux qui pilote les mouve-
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0123
ments du corps. La maladie peut
aussi causer la mort par paralysie
des muscles respiratoires.
Entre le 11 octobre 2022 et le
10 octobre 2023, 558 cas de paraly-
sies ont été enregistrés à travers le
monde, selon l’IMEP. Pourtant, si
la prévalence a chuté depuis le lan-
cement de l’IMEP, en 1988, quand
le nombre de cas atteignait
350 000 selon l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), des
défis restent à relever sur le che-
min de l’extinction. Parmi les trois
souches sauvages du poliovirus, la
souche 2 a été déclarée éradiquée
en 2015 et la souche 3 en 2019.
Reste la souche 1, qui demeure en-
démique dans la zone frontalière
afghano-pakistanaise, où la four-
niture du vaccin se révèle difficile.
Les inconvénients du vaccin oral
Bonne nouvelle, selon Aidan
O’Leary, le directeur de l’IMEP,
« nous n’avons jamais vu une telle
concentration géographique des
cas dans ces deux pays ». Selon lui,
les neuf cas recensés dernière-
ment se trouvent dans une seule
des 34 provinces d’Afghanistan, et
dans un seul des 170 districts du
Pakistan. « Nous sommes à un che-
veu » de mettre fin à la présence
endémique de la polio dans la ré-
gion, selon M. O’Leary, qui es-
compte que cette dernière chaîne
de transmission de la souche sau-
vage du virus sera brisée « dans les
mois qui viennent ».
Cela ne suffira pourtant pas à dé-
clarer la maladie vaincue, car les
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virus « sauvages » ne sont pas les soumises au banditisme, les diffi- ses avec le nouveau vaccin oral »
seuls à pouvoir susciter des épidé-
La souche 1 cultés d’accès dans l’est de la RDC, le qu’avec le précédent.
mies : il faut compter aussi avec les demeure défi représenté par les zones du sud « Sauvage » ou « dérivé », le virus
virus dérivés du vaccin oral. de la Somalie contrôlées par les de la polio continuera de coûter
A la différence du vaccin par in-
endémique Chabab [islamistes], ainsi que le cher à l’humanité tant que le der-
jection, employé dans les écono- dans la zone nord du Yémen sous autorité des re- nier enfant ne sera pas vacciné. Les
mies développées, qui repose sur belles houthistes ». Dans ce secteur, pays développés ne sont pas à
un virus inactivé, le vaccin oral dé-
frontalière l’IMEP n’a pas d’autorisation pour l’abri : à l’été 2022, des poliovirus
ployé dans les pays à revenu bas afghano- vacciner, précise Aidan O’Leary, et ont été retrouvés dans les eaux
ou intermédiaire contient du vi- son accès au centre et au sud de la usées de Londres et de New York.
rus vivant affaibli, des milliers de
pakistanaise Somalie est seulement « partiel ». Un jeune homme américain et un
fois moins virulent que la souche Parallèlement aux efforts politi- bébé israélien ont développé des
sauvage. Après ingestion de quel- ques pour accroître la couverture paralysies. Aidan O’Leary juge que
ques gouttes, ce vaccin protège il ne nécessite pas d’injection, il vaccinale, un nouveau vaccin oral, le risque épidémique reste faible
son receveur en éduquant ses dé- coûte peu et confère rapidement présentant davantage de stabilité en Occident, en raison de systè-
fenses immunitaires, mais le vi- une bonne immunité générale et génétique et donc moins de risque mes de surveillance robustes et
rus peut ensuite se retrouver dans une immunité locale au niveau de de susciter l’émergence de virus d’un taux élevé de vaccination. Il
l’environnement par les excré- l’intestin. En revanche, il y a un prix dérivés, est mis en œuvre depuis n’en demeure pas moins que
tions de son hôte. Là, s’il trouve à payer pour cela, qui est le petit ris- 2021 dans 28 pays. En mai 2023, « tant qu’il y a transmission de po-
assez de personnes non vaccinées que d’avoir des souches vaccinales 600 millions de doses avaient été lio quelque part, le monde entier est
à infecter, le virus affaibli peut en circulation. » employées, le Nigeria étant le plus potentiellement en danger ».
prospérer et évoluer génétique- D’après les experts, ces virus dé- gros utilisateur avec 60 % du total. En 2022, l’IMEP a évalué à
ment jusqu’à redevenir dange- rivés du vaccin oral ne pourraient 4,8 milliards d’euros le coût res-
reux. Plus de 98 % des cas de polio pas éclore si la couverture vacci- « Efforts logistiques énormes » tant pour l’éradication de la mala-
recensés entre octobre 2022 et oc- nale était complète. Maël Bessaud, Ce nouveau vaccin n’est cepen- die. Une facture justifiée par les
tobre 2023 sont imputables à ce directeur du centre national de ré- dant pas totalement exempt du « efforts logistiques énormes » qui
phénomène appelé « réversion ». férence sur les entérovirus au sein risque de générer des virus déri- restent à fournir, selon Maël Bes-
« Le vaccin à virus inactivé ne peut de l’Institut Pasteur, en veut pour vés. « Une poignée de cas de réver- saud. « Les poliovirus sont très dif-
pas susciter la mise en circulation preuve la situation en Amérique sion ont été constatés dans des ficiles à surveiller car la plupart des
de souches vaccinales, mais il est latine. « Le vaccin oral y est utilisé contextes de faible couverture personnes infectées n’ont pas de
plus cher, et le seuil pour le mettre de façon continue depuis les an- vaccinale », relatait Ananda San- symptômes », explique le cher-
en œuvre est plus élevé, parce qu’il nées 1960, et ils n’ont pas de pro- kar Bandyopadhyay, directeur cheur, qui souligne que la détec-
vous faut un docteur ou une infir- blème d’émergence de ces virus dé- délégué à la lutte contre la polio tion dans les eaux usées, mise sur
mière pour l’administrer, des rivés, remarque-t-il. La stabilité de au sein de la Fondation Bill & Me- le devant de la scène par le Co-
aiguilles, explique Pierre Van ces nations est très supérieure à linda Gates, dans un entretien de vid-19, est employée de longue
Damme, spécialiste de la recher- celle de pays comme la République mars 2023 avec l’IMEP. Le spécia- date contre la polio. Quant à la
che sur les vaccins, professeur à démocratique du Congo [RDC]. » liste soulignait toutefois que « les vaccination, dans de nombreux
l’université d’Anvers et consultant De fait, les zones les plus concer- tendances générales de modifica- pays, elle ne peut pas se faire aussi
pour l’OMS. Dans les pays à revenu nées par ces virus dérivés sont tions fonctionnelles [du génome facilement qu’en Occident, et re-
faible ou intermédiaire, le vaccin soumises à de graves troubles. Le du virus] avec une conséquence quiert de laborieuses campagnes
oral est très simple à utiliser dans directeur de l’IMEP énumère « les en matière de santé publique res- de porte-à-porte. p
les programmes d’immunisation : régions du nord-ouest du Nigeria tent considérablement plus bas- julien lemaignen
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8 | planète
Les repas scolaires, levier pour le développement
Une coalition de 92 pays se réunit pour la première fois à Paris sous l’égide du Programme alimentaire mondial
C’
est l’un des premiers
filets de protection
sociale pour les en-
fants et les adoles-
cents, indispensable à leur santé et
à leur éducation, mais aussi un le-
vier d’action pour une agriculture
locale, moins émettrice de gaz à ef-
fet de serre et plus respectueuse
des ressources planétaires. Garan-
tir l’accès de tous les enfants à un
repas chaque jour d’école est l’ob-
jectif que se sont fixé les quatre-
vingt-douze pays engagés dans
une coalition internationale pour
les repas scolaires, réunis pour la
première fois, mercredi 18 et jeudi
19 octobre, à Paris. Aujourd’hui,
seuls 41 % des enfants ont accès à
une alimentation scolaire subven-
tionnée, une proportion qui varie
de 18 % dans les pays à bas revenu à
61 % dans les pays à revenu élevé.
Lancée en septembre 2021, lors
du sommet des Nations unies
(ONU) sur les systèmes alimen-
taires, cette coalition est portée de-
puis ses débuts par le Programme
alimentaire mondial (PAM) – l’or-
ganisme d’aide de l’ONU –, la
France et la Finlande, rejoints,
mercredi, par le Brésil comme
pays coprésident.
Dans un contexte international
dramatique, la réunion de soixan-
te-treize délégations doit être l’oc-
casion de placer les droits des en-
fants comme la priorité absolue
des Etats. « Dans un monde de plus
en plus fragmenté, nous voulons
dire qu’il est possible pour des gou-
vernements de se mettre d’accord
sur un objectif crucial. C’est en soi
un succès, dans une période où
nous ne voyons pas beaucoup de
succès internationaux », insiste
Carmen Burbano, directrice de
l’alimentation scolaire au PAM.
Lors du lancement de la coali-
tion, en 2021, la planète vivait au
rythme des vagues de la pandémie
due au Covid-19 et, dans nombre
de pays, les écoles n’avaient pas
rouvert, privant les enfants de can-
tines et les exposant à une préca-
rité alimentaire accrue. Le premier
objectif que s’était fixé la coalition
était de retrouver les niveaux de
couverture alimentaire scolaire
pré-Covid. Selon l’état des lieux
annuel publié par le PAM, l’objectif
est tenu : 418 millions d’enfants
ont eu accès à des repas gratuits ou
subventionnés à l’école en 2022,
contre 388 millions début 2020.
Certains pays ont connu des
bonds spectaculaires : le Rwanda,
notamment, s’est fixé un objectif
Un lien entre densité de vignes et risque accru de leucémie infantile
A moins de 1 kilomètre du lieu de résidence, les surfaces viticoles sont liées à une probabilité légèrement accrue d’hémopathie maligne
P lus il y a de vignes autour
du domicile, plus le risque
de leucémie infantile est
élevé. C’est la conclusion majeure
d’une étude française publiée
mercredi 18 octobre dans Environ-
mental Health Perspectives, la pre-
mière à quantifier ce lien à
l’échelle nationale. Pilotés par Sté-
phanie Goujon, Matthieu Man-
cini et Jacqueline Clavel (Inserm,
université Paris Cité), ces travaux
concluent que, dans un rayon de
1 kilomètre (km) autour du lieu
d’habitation, une augmentation
de 10 % des surfaces viticoles
(l’une des cultures les plus con-
sommatrices de pesticides) est as-
sociée à une élévation de l’ordre
de 5 % du risque de leucémie aiguë
lymphoblastique. En restreignant
l’analyse à la période 2010-2013,
pour laquelle les localisations des
parcelles viticoles étaient les
mieux connues, les auteurs calcu-
lent une augmentation du risque
plus élevée, de l’ordre de 10 %.
Dans tous les cas, l’augmenta-
tion moyenne du risque estimée
La France a
une politique de
repas scolaires
pour tous, lancée
au début des
années 1970
ambitieux de couverture alimen-
taire scolaire universelle, passant
de 660 000 enfants bénéficiant de
repas à l’école en 2020 à 3,8 mil-
lions deux ans plus tard, avec un
programme financé intégrale-
ment par des fonds publics natio-
naux, et d’autres pays, comme le
Bangladesh, le Népal et le Kenya,
ont fourni des efforts importants.
Mais la reprise reste contrastée
et, dans l’ensemble des pays à fai-
ble revenu, la fréquentation des
cantines reste inférieure de 4 % à la
période pré-Covid. Les investisse-
ments publics de ces Etats ont cer-
tes augmenté de 30 % à 45 % entre
2020 et 2022, mais l’aide interna-
tionale a, elle, globalement dé-
cliné, sous l’effet de la concurrence
des crises. « L’effort financier des
pays à faible revenu est énorme
dans un contexte de budgets pu-
blics sous tension, analyse Carmen
Burbano. Le fait qu’ils priorisent ces
programmes pour le bien-être des
enfants est important. Maintenant,
il faut que les donateurs fassent un
pas en avant. Ce n’est pas le mo-
ment de se retirer. »
Dans les pays développés égale-
ment, les situations sont dispara-
tes. Les Etats-Unis, qui sont partie
prenante dans la coalition, ont un
programme fédéral d’alimenta-
tion scolaire, mais celui-ci est des-
tiné en priorité aux enfants de fa-
milles en situation de précarité. La
Californie a été le premier Etat à
adopter, en 2021, un programme
universel pour l’ensemble de ses
écoles publiques, rejoint depuis
par sept autres Etats.
Dans l’Union européenne, la po-
litique d’alimentation scolaire est
une prérogative de chaque Etat
membre. Les Pays-Bas, par exem-
ple, n’avaient aucun programme
de repas à l’école jusqu’au lance-
ment, en mars, d’une initiative
pour des repas gratuits dans cer-
taines écoles défavorisées. A l’in-
verse, la France a une politique de
repas scolaires pour tous, com-
mencée au début des années
1970 : selon un bilan dressé en
septembre, la quasi-totalité des
est modeste, d’autant que l’inci-
dence de la leucémie est faible,
de l’ordre d’une cinquantaine de
cas annuels par million d’enfants
de moins de 15 ans. Mais elle est
significative et jugée robuste par
les chercheurs, qui insistent sur
le fait que ces résultats doivent
être appréciés au niveau popula-
tionnel plutôt qu’individuel.
Les auteurs ont extrait du Regis-
tre national des cancers de l’en-
fant plus de 3 700 cas de leucé-
mies pédiatriques survenues en-
tre 2006 et 2013 et ont localisé
leurs domiciles au moment du
diagnostic. Ils ont ensuite com-
paré ces informations à celles de
plus de 40 000 témoins du même
âge, non touchés par la maladie.
« Pour l’ensemble de ces enfants,
malades et non malades, nous dis-
posions de l’adresse de résidence
précise que nous avons donc pu
géolocaliser, c’est-à-dire placer sur
la carte de la France métropoli-
taine, détaille Stéphanie Goujon.
Ces adresses ont ensuite été com-
binées avec une cartographie des
418 millions d’enfants bénéficient de l’alimentation scolaire, soit 30 millions de plus que début 2020
Enfants bénéficiant de repas à l’école,
en 2022, en million
1 10 40 106
enfants scolarisés dans le pri-
maire ont accès à une cantine, et
65 % y mangent – avec des taux de
fréquentation toutefois inégaux,
inférieurs de 10 à 15 points dans
les zones d’éducation prioritaire.
Chaque semaine, en France,
8,5 millions d’enfants et adoles-
cents prennent au moins un re-
pas en restauration scolaire.
Bonnes pratiques
« C’est un formidable levier pour
transmettre des valeurs autour de
l’alimentation, et agir pour une ali-
mentation durable »,précise So-
phie Nicklaus, directrice de re-
cherche à l’Institut national de re-
cherche pour l’agriculture, l’ali-
mentation et l’environnement,
qui participe aux travaux scienti-
fiques de la coalition. Plusieurs lé-
gislations récentes ont ainsi ins-
tauré un repas végétarien par se-
maine et l’obligation pour les can-
tines de s’approvisionner à 50 %
en produits locaux ou sous labels
de qualité, dont 20 % de produits
bio ; des dispositions qui restent
toutefois inégalement appliquées
en fonction des communes.
La simple
détection
d’un signal, dans
ce genre d’étude
à grande échelle,
est préoccupante
surfaces cultivées et en particulier
les parcelles viticoles. »
Pourquoi la viticulture ? En 2020,
une première étude à l’échelle des
territoires, et non des individus,
menée par la même équipe, avait
déjà montré une incidence plus
élevée des leucémies de l’enfant
dans les communes les plus vitico-
les. En outre, le caractère pérenne
de la vigne se prête bien à l’évalua-
tion de ses effets sur la santé des
populations riveraines.
L’analyse montre que, plutôt que
la proximité des vignes par rap-
port au domicile, c’est la propor-
tion de territoire consacrée à la vi-
ticulture, à moins de 1 km du lieu
Part d’écoliers bénéficiant d’une alimentation scolaire subventionnée,
en 2022, en %
0 1
Pour un secteur évalué à 48 mil-
liards de dollars (45 milliards
d’euros), au carrefour des crises ali-
mentaire, climatique et de la bio-
diversité, l’alimentation scolaire
porte des enjeux qui vont au-delà
du soutien aux enfants. Lors des
deux jours de rencontre de la coa-
lition, les délégations partageront
leurs bonnes pratiques – pour
sourcer leurs produits localement,
réduire le recours au plastique, lut-
ter contre le gaspillage… Le Hon-
duras, dont la présidente Xiomara
Castro était présente à Paris, expo-
sera comment la commande pu-
blique pour ses cantines scolaires
a été un levier de création d’em-
plois dans l’agriculture locale.
Si aucune ONG ne conteste le
bien-fondé de l’action en faveur de
l’alimentation scolaire, une partie
d’entre elles sont restées en retrait
de la coalition. « C’est un droit ab-
solu pour les enfants d’avoir accès à
un repas à l’école, personne ne le
conteste, insiste David Archer, di-
recteur des programmes d’Action-
Aid International. Mais il est abso-
lument crucial que le financement
des repas scolaires ne vienne pas
de résidence, qui est associée à une
augmentation du risque. Un ris-
que qui ne concerne que la leucé-
mie aiguë lymphoblastique (80 %
des leucémies de l’enfant), et non
la leucémie aiguë myéloïde, qui
dans cette analyse ne semble pas
associée à la culture de la vigne.
Les résultats varient selon les ré-
gions. « L’association entre la den-
sité de viticulture et le risque de leu-
cémie aiguë lymphoblastique ap-
paraît plus marquée dans cinq des
douze régions (Centre-Val de Loire,
Grand-Est, Pays de la Loire, Occita-
nie et Provence-Alpes-Côte d’Azur-
Corse), écrivent-ils dans leur étude.
Aucune association significative
n’a été mise en évidence pour les
autres, en particulier pour la Nou-
velle-Aquitaine, où plus de 20 % des
témoins [les enfants non malades]
résidaient à proximité de vignes. »
Plusieurs explications à cette hé-
térogénéité sont avancées.
D’abord, la cartographie des par-
celles viticoles s’est avérée très
complexe à construire. Trois bases
de données d’occupation des sols
20 40 60 80 100
Source : Programme alimentaire mondial • Infographie Le Monde
Dans certains
pays, les filles
sont chargées de
la cuisine sur le
temps d’étude
amputer les budgets de l’éducation
publique, chroniquement sous-fi-
nancés, mais s’additionne. » L’ONG
met également en garde contre
des situations observées ces der-
nières décennies dans certains
pays, où des professeurs devaient
quitter leurs classes pour préparer
les repas, ou bien où les filles
étaient chargées de la cuisine sur
le temps d’étude. « Au-delà de l’ob-
jectif général consensuel, il est im-
pératif que la coalition sur les repas
scolaires traite de ces questions
sensibles », observe David Archer.
L’association Action contre la
faim (ACF), elle, a choisi de ne pas
s’impliquer dans cette initiative,
issue d’un sommet dont la gou-
vernance était critiquée. « En soi,
une initiative mondiale sur les re-
– interprétation d’images satelli-
tes, déclaration des parcelles par
les exploitants, etc. – ont été com-
binées, chacune ayant ses points
forts et ses faiblesses.
Disparités régionales
La méthode choisie par les cher-
cheurs pour agréger ces différen-
tes données a ainsi pu s’avérer
très précise dans une région, et
imprécise dans une autre. Des
disparités locales peuvent aussi
exister dans la conduite des vi-
gnes, dans le recours plus ou
moins marqué à certains pestici-
des en fonction des caractéristi-
ques bioclimatiques de chaque
territoire… « Des hypothèses expli-
catives qui demandent plus de re-
cherches », écrivent les auteurs.
Pour autant, ces disparités ré-
gionales incomplètement expli-
quées ne remettent pas en cause
la robustesse des résultats présen-
tés. Les auteurs ont conduit des
analyses de sensibilité pour met-
tre à l’épreuve leurs estimations.
« Nous avons refait l’analyse en la
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
Données non disponibles
pas scolaires, c’est une bonne idée,
mais il faut regarder dans les dé-
tails : est-ce qu’elle s’appuie sur
l’agroécologie paysanne ou est-ce
qu’elle fait la part belle à l’agro-in-
dustrie ?, précise Michael Siegel,
directeur délégué du plaidoyer
d’ACF. La France se positionne
en championne de l’alimenta-
tion scolaire, mais l’enjeu de la
faim dans le monde est très vaste :
se focaliser sur cette seule solution
est insuffisant. »
Les ONG se montrent très atten-
tives à un autre rendez-vous inter-
national que prépare la France, le
sommet Nutrition pour la crois-
sance, dont l’organisation, tous les
quatre ans, revient traditionnelle-
ment au pays hôte des Jeux olym-
piques d’été – Paris a prévenu que
le sommet se tiendrait début 2025.
« L’enjeu pour nous est de nous as-
surer que ce ne soit pas un petit
sommet sur la nutrition, mais qu’il
s’attaque aux différentes causes
structurelles de la faim – les conflits,
les enjeux climatiques, les inégali-
tés économiques et de genre », aver-
tit Michael Siegel. p
mathilde gérard
limitant aux enfants dont l’adresse
était géolocalisée avec le plus de
précision, en excluant les régions
pas ou peu viticoles, ou en tenant
compte d’autres facteurs [taille de
l’agglomération de résidence, ré-
seau routier autour du domicile,
etc.] », explique Mme Goujon. Dans
tous les cas, le résultat demeure
stable, de l’ordre d’une augmenta-
tion de 5 % du risque de leucémie
aiguë lymphoblastique par palier
de 10 % d’augmentation de sur-
face de vignes à moins de 1 km de
la maison.
La simple détection d’un signal,
dans ce genre d’étude de santé
environnementale à grande
échelle, est préoccupante. L’épi-
démiologiste David Ozonoff
(Boston University) l’a résumé
dans un mot plein d’ironie bien
connu de ses pairs : « Une bonne
définition pratique de la catastro-
phe pourrait être : un phénomène
d’une ampleur si considérable que
même une étude épidémiologi-
que pourrait le détecter. » p
stéphane foucart
 FRANCE |9
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023

Le PS suspend sa participation à la Nupes

Alors que le parti d’Olivier Faure a approuvé un moratoire, Jean-Luc Mélenchon l’accuse de « rompre » l’alliance

A
près une semaine de
tergiversations, Oli-
vier Faure a fini par
trancher. Mardi 17 oc-
tobre, à 7 h 50 sur France Inter, le
premier secrétaire du Parti socia-
liste (PS) a annoncé « un mora-
toire » sur la participation de son
parti à la Nouvelle Union popu-
laire écologique et sociale (Nu-
pes) à l’Assemblée nationale.
« Nous ne participerons plus à l’in-
tergroupe de la Nupes », a détaillé
le chef de file des socialistes, en
référence à la réunion à laquelle
participent, chaque semaine, les
députés des quatre formations à
gauche. Une décision qui fait
suite au refus de Jean-Luc Mélen-
chon et de son cercle rapproché
de qualifier le Hamas de « terro-
riste », après l’attaque meurtrière
contre Israël, le 7 octobre.
Dans cette déclaration, chaque
mot a été pesé : le premier secré-
taire a sciemment évité de parler
de « suspension » ou de « sortie »
de la Nupes, soucieux de circons-
crire la fin des travaux communs
aux murs du Palais-Bourbon. « On
ne perd pas de vue l’unité : c’est le
message qu’on veut faire passer »,
justifie l’ancien député PS d’Indre-
et-Loire Laurent Baumel, qui ne
veut pas briser « l’idée de la Nupes
qui existe dans le pays ». « Le sujet,
c’est comment on fait plus d’union,
et mieux l’union », tente de
convaincre le secrétaire général
du PS, et bras droit d’Olivier Faure,
Pierre Jouvet.

« Prétexte fallacieux »
Fidèle à la ligne qu’il tient depuis Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, à Matignon pour une rencontre avec la première ministre, Elisabeth Borne, le 14 septembre. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
une semaine, M. Faure a ciblé ses
flèches sur le leader de La France
insoumise (LFI), M. Mélenchon, après l’intervention du premier A la place, l’élue de l’Isère propose Pour le moment, ces suggestions expliqué, le 1er octobre, aspirer à
en montrant du doigt sa « straté- secrétaire du PS sur France Inter.
« On n’a pas « une assemblée des 151 députés » de réforme ont été fraîchement ac- une gauche allant de « Clémentine
gie de tout conflictualiser », « d’an- Une manière d’accuser ce dernier signé pour pour savoir « comment refaire du cueillies par LFI. « Sur la Nupes, Autain à Bernard Cazeneuve », du
tagoniser en permanence ». d’être responsable de la fin de l’al- commun », « du collectif ». « De- nous avons fait des propositions à nom de l’ancien premier ministre
Dans la soirée de mardi, au liance à gauche. Le chef de file de
la bordélisation puis un an, on parle du manque de tout-va, tout a été refusé », a rétor- de François Hollande, grand
siège du PS à Ivry-sur-Seine (Val- LFI y voit un « fait personnel à mon permanente » démocratie », a-t-elle appuyé. qué la présidente des députés « in- pourfendeur de la Nupes. Une dé-
de-Marne), où se tenait le conseil sujet à propos d’Israël [et de la] Pa- Une proposition qui rejoint soumis », Mathilde Panot. Il y a claration qui a fait frémir dans les
OLIVIER FAURE
national du PS, qui a duré près de lestine ». Son premier lieutenant, celle des socialistes. M. Faure a plusieurs mois, LFI a tenté de don- rangs de LFI.
premier secrétaire du PS
six heures, le député de Seine-et- Manuel Bompard, a ensuite re- annoncé l’ouverture de « deux ner le coup d’envoi à un « acte II » La crainte de voir la ligne politi-
Marne a rappelé d’autres épiso- proché à M. Faure d’utiliser « le chantiers », « simples dans leur ex- de l’alliance à gauche, en suggé- que se déplacer vers le centre se
des, le dernier en date étant les prétexte fallacieux des campagnes pression », « plus compliqués dans rant, par exemple, de relancer le nourrit également du profil des
émeutes urbaines que le leader de diffamation de la Macronie et fusé de quitter l’instance, se déso- leur réalisation ». Il s’agirait, Parlement de la Nupes, instance deux courants minoritaires avec
« insoumis » avait refusé de de l’extrême droite » pour divorcer. lidarisant de facto de leur chef de d’une part, d’ouvrir une discus- où aurait siégé la société civile, ou lesquels Olivier Faure doit com-
condamner. Celui qui fut « un fac- Bien qu’il s’en défende, en sus- file, Fabien Roussel. « Il ne faut pas sion sur le fond, en examinant les en mettant en place des groupes poser au sein de son parti : ils sont
teur d’union » est donc devenu, pendant la participation du PS à renoncer à nourrir l’espérance », a « différends », « les désaccords », de militants locaux. En août, la di- conduits pour l’un par la maire de
selon M. Faure, « un obstacle à l’intergroupe, Olivier Faure pose justifié, mardi, le porte-parole du afin de voir s’ils sont surmonta- rection de LFI a essayé, en vain, de Vaulx-en-Velin (Rhône), Hélène
gauche ». « On n’a pas signé pour un clou sur le cercueil de la Nupes. groupe, Sébastien Jumel, qui avait bles. Sur le conflit israélo-palesti- conclure avec ses partenaires des Geoffroy, derrière laquelle se sont
la bordélisation permanente », a- Car cette réunion hebdomadaire assisté un peu plus tôt à la rencon- nien, le député LFI Eric Coquerel a accords électoraux sur les futures placés les anciens fidèles de Fran-
t-il ajouté devant les quelque était la seule manifestation tre hebdomadaire avec ses collè- déjà commencé à répondre, ac- échéances électorales (européen- çois Hollande, et pour l’autre par
300 membres du conseil natio- concrète de l’existence de la coali- gues écologistes et « insoumis ». tant d’une « appréciation diffé- nes, municipales, présidentielle et le maire de Rouen, Nicolas Mayer-
nal. Avant de faire voter le « mora- tion à gauche. Le Parti commu- Ce rendez-vous devrait tout de rente de la situation ». D’autre législatives). En revanche, les « in- Rossignol, accompagné de la
toire » à la majorité. niste français (PCF), qui a voté une même disparaître : la défection part, le patron des socialistes sou- soumis » n’ont jamais proposé de maire de Paris, Anne Hidalgo, et
Pour Jean-Luc Mélenchon, pas résolution, dimanche 15 octobre, du PS entraîne celle des écologis- haite mettre en place des règles gouvernance de la Nupes, avec de la présidente de la région Occi-
question de laisser planer le qualifiant la Nupes « d’impasse », tes. « La Nupes, c’est quatre grou- de fonctionnement au sein de la une instance délibérative et un tanie, Carole Delga.
doute. « Olivier Faure rompt la Nu- n’est pas allé aussi loin. Alors que pes », a tranché, mardi, la prési- Nupes, « de façon à ce que la pa- système de règlement des conflits. Depuis le début de la crise, tous
pes », a-t-il acté dès mardi matin le PCF a laissé les députés libres de dente des députés Verts à l’Assem- role d’un parti ne puisse pas bles- font pression pour rompre avec
sur le réseau social X (ex-Twitter), leurs choix, ces derniers ont re- blée nationale, Cyrielle Chatelain. ser les autres ». Quel « centre de gravité » ? M. Mélenchon, rêvant ainsi de sé-
La perspective de participer à une duire les macronistes de gauche
assemblée convoquée par les éco- pour la présidentielle de 2027.
Darmanin saisit la justice après les propos d’Obono sur le Hamas logistes ne décourage pas d’em-
blée le député LFI de Haute-Ga-
Mardi soir, ils ont de nouveau
tenté de convaincre le chef de file
ronne Hadrien Clouet. « Pourquoi socialiste de divorcer plus nette-
au tour de danièle obono d’alimenter voulant « intraitable avec tout ce qui relati- cipant, mais d’aucune condamnation offi- pas, voyons ce qu’ils mettent sur la ment de la Nupes.
la polémique. Alors que de nombreuses vise les actes de violence ». cielle de la part de la direction du parti. Seuls table », estime ce membre de la di- Les « insoumis » non plus ne
voix se sont élevées, ces derniers jours, pour Elisabeth Borne a aussi dénoncé les décla- certains « insoumis » ont osé se désolidari- rection du mouvement. En délica- sortiront pas indemnes de cette
condamner le refus de Jean-Luc Mélenchon rations de cette proche de M. Mélenchon. ser publiquement. « Le Hamas n’est PAS un tesse avec M. Mélenchon, Raquel crise. Mardi, leur réunion de
et de son cercle rapproché de qualifier le Ha- Mardi, à l’Assemblée, la première ministre a mouvement de résistance », a écrit sur X le Garrido trouve, elle, que c’est une groupe à l’Assemblée a été hou-
mas de « terroriste », à la suite de son atta- accusé LFI de « s’exclure du champ républi- député (LFI) de Seine-Saint-Denis Alexis bonne idée. « J’en serai », assure la leuse, notamment à cause des
que meurtrière contre Israël, la députée (La cain ». Si la droite et l’extrême droite ont Corbière, reproduisant la « une » de L’Huma- députée de Seine-Saint-Denis, propos controversés de la dépu-
France insoumise, LFI) de Paris a tenu des sans surprise condamné les propos de nité du 12 octobre, titrée « Le Hamas, tout en rappelant « les bases » sur tée LFI de Paris Danièle Obono, le
propos, mardi 17 octobre, qui ont ravivé de Mme Obono, la gauche a, aussi, vivement meilleur ennemi des Palestiniens ». « Je par- lesquelles ont été élus les députés matin même, sur Sud Radio, qua-
vives critiques contre les « insoumis ». réagi. Car c’est précisément parce que les tage… », a appuyé son collègue de la Somme de gauche, celui de l’accord pro- lifiant le Hamas de « mouvement
Poussée à plusieurs reprises par le journa- mélenchonistes refusent depuis dix jours François Ruffin. Pour la députée (LFI) Ra- grammatique de la Nupes. « Il faut de résistance » palestinien. Selon
liste Jean-Jacques Bourdin, à l’antenne de de qualifier le Hamas de « terroriste » que la quel Garrido (Seine-Saint-Denis), Danièle s’assurer que la ligne politique est Raquel Garrido, « la réprobation a
Sud Radio, à dire si le Hamas, qui a conduit Nouvelle Union populaire écologique et so- Obono « aurait dû retirer ses propos ». conforme à ce mandat », précise-t- été générale ». Mais c’est aussi
des massacres en Israël, le 7 octobre, est « un ciale (Nupes) est en passe de rompre. Ceux-ci ne relèvent cependant pas d’un elle, posant ainsi ses conditions. l’absence de démocratie interne
mouvement de résistance », cette membre dérapage. Danièle Obono, qui coordonnait Depuis plusieurs jours, M. Faure qui a été mise sur la table.
de la direction de LFI a fini par répondre : Certains « insoumis » se désolidarisent en 2017 les « livrets de La France insou- tâte le terrain pour savoir qui « Ce n’est un secret pour per-
« Oui. » « C’est un mouvement de résistance « Bon maintenant ça suffit. Ce qu’il s’est mise », incarne une ligne minoritaire au pourrait prendre part à un projet sonne que nous avons des dé-
qui se définit comme tel », a-t-elle affirmé, es- passé le samedi 7 octobre en Israël n’avait sein de l’extrême gauche française, mais en- de rénovation de la coalition. bats », rappelle-t-elle, soulignant
timant qu’il « a pour objectif la libération de rien à voir avec de la “résistance” », a fulminé core vivace. Elle a commencé à militer, dans Chez les « frondeurs » de LFI, on les difficultés à « résoudre » les
la Palestine » et « résiste à une occupation ». sur X la cheffe de file des écologistes, Marine ses jeunes années, au sein de Socialisme par s’interroge : où se situerait le problèmes « dans un cadre non
« Le Hamas, “un mouvement de résis- Tondelier. « Ces déclarations scandaleuses en bas (SPEB), qui dénonçait comme isla- « centre de gravité » d’une nou- démocratique ». La députée de
tance” ? Non ! C’est un mouvement terro- rendent invisibles et inaudibles nos positions mophobe la loi de 2004 sur les signes reli- velle alliance, alors que les socia- Seine-Saint-Denis a donc invité
riste », a réagi le ministre de l’intérieur, Gé- (…). J’enrage », a abondé le chef de file du gieux à l’école. Pour le politologue Jean-Yves listes ont déjà dit vouloir revoir Jean-Luc Mélenchon à laisser les
rald Darmanin, sur X (anciennement Twit- Parti socialiste (PS), Olivier Faure. De son Camus, spécialiste des extrémismes, en l’accord programmatique de députés « faire mieux ». Un clin
ter), deux heures plus tard. Avant d’annon- côté, le député PS de l’Essonne Jérôme comparant le Hamas à un mouvement de 2022, calqué sur « L’Avenir en d’œil au titre de son dernier
cer qu’il saisissait le procureur de la Guedj a fustigé des propos « révulsants ». résistance, Danièle Obono « l’exonère d’être commun », le projet présidentiel ouvrage et à la promesse faite au
République « pour apologie du terrorisme » Ils ont fait l’objet d’une « réprobation géné- un mouvement terroriste et gomme le carac- de Jean-Luc Mélenchon ? Dans Le lendemain de la présidentielle,
à l’encontre de Danièle Obono. L’Elysée ap- rale », en réunion du groupe LFI à l’Assem- tère théocratique du projet du Hamas ». p Point, Johanna Rolland, maire de celle de laisser la place. p
prouve l’initiative du ministre, l’exécutif se blée nationale, mardi matin, selon un parti- nathalie segaunes Nantes et numéro deux du PS, a sandrine cassini
10 | france
A l’Assemblée, l’impossible unité face au terrorisme
Droite et extrême droite ont fustigé l’« impuissance » de l’exécutif sur l’expulsion des étrangers « dangereux »
L
eurs portraits en noir et
blanc ont orné quelques
instants les murs de l’Hé-
micycle. A l’Assemblée na-
tionale, l’hommage rendu à Domi-
nique Bernard, professeur au lycée
Gambetta-Carnot d’Arras, assas-
siné vendredi 13 octobre par un
jeune Russe radicalisé, s’est conju-
gué de manière tragique à un
autre hommage, celui donné en
l’honneur de Samuel Paty, un
autre enseignant tué trois ans plus
tôt par un islamiste tchétchène,
dans les Yvelines. La représenta-
tion nationale s’est prêtée, mardi
17 octobre, à un nouveau moment
de recueillement, en préambule
de la traditionnelle séance de
questions au gouvernement.
« La France est en deuil », a dé-
claré, le visage grave, la présidente
(Renaissance) de l’Assemblée na-
tionale, Yaël Braun-Pivet, invitant
ensuite l’ensemble des députés à
observer une minute de silence
« pour nos deux professeurs et
pour toutes les victimes du terro-
risme en Europe et ailleurs ».
Lundi, à Bruxelles, une attaque
terroriste a fait deux morts et plu-
sieurs blessés dans le centre de la
capitale belge. Cette attaque s’ins-
crit dans le contexte de l’affronte-
ment entre le Hamas et Israël, de-
puis le 7 octobre.
Sous les applaudissements de
tous les bancs, la première minis-
tre, Elisabeth Borne, a exprimé sa
« solidarité et celle de la France avec
la Belgique et la Suède », réitérant
dans une adresse solennelle aux
parlementaires la nécessité de pré-
server la « cohésion nationale ». Cet
appel est resté un vœu pieux vu les
tensions qui se sont manifestées
ensuite à travers les interventions
des députés, comme dans les ré-
ponses des membres du gouver-
nement, visant à condamner l’at-
tentat d’Arras.
Malaise sur les bancs de la Nupes
Alors que Mathilde Panot, la prési-
dente du groupe La France insou-
mise (LFI) à l’Assemblée nationale,
a demandé davantage de person-
nel dans les établissements scolai-
res, Elisabeth Borne ne lui a pas ré-
pondu. Du moins, pas sur ce su-
jet-là. La locataire de Matignon
s’est saisie des deux minutes qui
lui étaient imparties pour accuser
le chef de file des « insoumis »,
Jean-Luc Mélenchon, et ses sou-
tiens de « s’exclure du champ répu-
blicain » en refusant de qualifier le
Hamas de « terroriste » ou en le
CHRONIQUE | p a r s o l e nn de r o ye r
Darmanin, la fermeté pour coller à l’opinion
autres temps, autres mœurs.
En 2003, Nicolas Sarkozy avait
drastiquement réduit l’applica-
tion de la « double peine », per-
mettant d’expulser des étrangers
condamnés, protégeant notam-
ment ceux qui étaient nés ou en-
trés en France avant l’âge de
13 ans ou les conjoints de Fran-
çais. Désireux de faire passer une
loi sur l’immigration très ferme
par ailleurs, le ministre de l’inté-
rieur de Jacques Chirac voulait
donner des gages à la gauche.
Vingt ans plus tard, l’un de ses
héritiers, Gérald Darmanin en-
tend détricoter une à une ces
mesures pour faciliter l’expul-
sion des étrangers délinquants.
Et donner des gages à la droite et
à l’extrême droite qui lui repro-
chent son « impuissance ».
Depuis l’attentat islamiste de
Mohammed Merah, en 2012, les
attaques se sont multipliées, et
les réponses législatives, comme
les discours politiques, sans cesse
durcis. Sous pression depuis l’at-
tentat d’Arras, le 13 octobre, le mi-
nistre de l’intérieur entend profi-
ter du contexte pour pousser les
feux sur son projet de loi immi-
« Les voix de La
France insoumise
manquent à
la condamnation
unanime
de la barbarie
terroriste »
ÉLISABETH BORNE
première ministre
considérant comme un « mouve-
ment de résistance », comme l’a
fait la députée LFI Danièle Obono,
mardi matin, après l’attaque
meurtrière contre Israël. « Depuis
le 7 octobre, les voix de La France in-
soumise manquent à la condam-
nation unanime de la barbarie ter-
roriste. Elles manquent à l’unité na-
tionale », a-t-elle fustigé.
Tandis que les élus du camp pré-
sidentiel, du parti Les Républi-
cains (LR) et du Rassemblement
national (RN) se sont levés pour ac-
clamer Elisabeth Borne, un certain
malaise a traversé les bancs de la
Nouvelle Union populaire écologi-
que et sociale (Nupes). Les élus de
gauche sont restés assis à leur
place, l’air interdit, alors que l’al-
liance entre socialistes, « insou-
mis », communistes et écologistes
est en voie de rupture, à cause de
ce désaccord sur le Hamas.
Au Palais-Bourbon, les attaques
contre LFI ont fusé des rangs de la
majorité. A l’instar du député (Mo-
Dem) de Charente Olivier Falorni,
qui a pointé du doigt « ceux pour
qui il est visiblement plus facile de
crier “police fasciste” que de dire
“Hamas terroriste” ».
Mais le camp présidentiel s’est
lui aussi retrouvé au cœur des cri-
tiques, notamment de la droite et
de l’extrême droite, qui ont dé-
noncé son « impuissance » à en-
rayer la menace terroriste comme
les flux migratoires. « En dix ans, la
France a pleuré 273 victimes du ter-
rorisme islamique. Quand la
France sortira-t-elle du déni de réa-
lité ? Quand la France prendra-t-elle
enfin la mesure de la gravité de la
crise ? Ne sommes-nous là que pour
nous lever et compter les minutes
de silence ? », s’est indigné Olivier
Marleix, le président du groupe LR
à l’Assemblée nationale.
Après l’assassinat de Dominique
Bernard, l’exécutif a construit sa ri-
poste politique sur un discours de
fermeté, promettant, notamment,
gration, qui lui aurait permis
d’expulser l’assassin d’Arras, affir-
me-t-il. Il répète notamment qu’il
souhaite procéder à l’expulsion
systématique de tout étranger
« considéré comme dangereux par
les services de renseignement »,
quitte à s’affranchir de la juris-
prudence de la Cour européenne
des droits de l’homme (CEDH).
« J’assume »
Au lendemain de l’attaque du
Hamas en Israël, M. Darmanin
avait interdit les manifestations
propalestiniennes, car suscepti-
bles de générer des troubles à
l’ordre public. Le Conseil d’Etat a
étudié mardi un recours déposé
par des associations propalesti-
niennes qui demandent la sus-
pension de cette « interdiction de
principe », « une atteinte grave à
la liberté d’expression ».
En attendant, des voix, peu
nombreuses et difficilement
audibles, s’élèvent pour s’inquié-
ter de nouvelles entailles dans
l’Etat de droit, préjudiciables aux
libertés publiques. Lundi 16 octo-
bre, sur France 5, l’avocate Marie
Dosé notait qu’après chaque at-
Hommage à Dominique Bernard, à l’Assemblée nationale, le 17 octobre. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
que son projet de loi sur l’immi-
gration, maintes fois repoussé
faute de majorité au Parlement,
aurait pu faciliter l’expulsion des
étrangers radicalisés. A l’image de
l’auteur présumé de l’attaque d’Ar-
ras, Mohammed M., 20 ans, « fiché
S », en situation irrégulière depuis
sa majorité, mais jugé inexpulsa-
ble, selon le ministère de l’inté-
rieur, en raison de son arrivée en
France avant l’âge de 13 ans. « Non,
monsieur Darmanin, votre texte
n’aurait rien empêché », a défendu
M. Marleix, qui prône « un change-
ment de la Constitution », par un
référendum, pour faciliter l’expul-
sion des étrangers « dangereux ».
« Réponses fermes »
En plus de sa révision constitu-
tionnelle, la droite conditionne
son soutien éventuel au projet de
loi immigration au retrait de la
mesure visant à régulariser les tra-
vailleurs sans papiers dans les mé-
tiers en tension. Devant les dépu-
tés, M. Darmanin a mis en jeu « la
responsabilité » de la droite, pro-
mouvant le volet répressif du texte
tentat, les gouvernements suc-
cessifs avaient tous été tentés par
de nouvelles propositions sécuri-
taires, alors que la loi existante
suffisait parfois, à condition
d’être appliquée. Mais elle ajou-
tait que c’était la première fois
qu’elle entendait un ministre de
l’intérieur, « quarante-huit heures
après un attentat », se féliciter de
contourner la CEDH. La pénaliste
y voit « une surenchère verbale in-
quiétante » et s’inquiète des ef-
fets de cliquet pouvant en décou-
ler, ce qui reviendrait, selon elle,
à offrir une forme de victoire
aux terroristes, qui cherchent
précisément, en les frappant
au cœur, à ébranler les valeurs de
nos démocraties.
« J’assume », répond M. Darma-
nin, pour lequel « il n’y a pas de
liberté sans sécurité ». Il sait qu’il
a l’opinion derrière lui. Cette
dernière, qui s’est considérable-
ment durcie au cours des derniè-
res années, réclame de plus en
plus de fermeté en matière d’im-
migration et de sécurité. Tout
acte d’autorité serait désormais
plébiscité : le ministre de l’éduca-
tion, Gabriel Attal, en sait quel-
et ses mesures pour faciliter l’ex-
pulsion des délinquants étran-
gers. « Modifiez la Constitution si
vous le souhaitez dans trois ans,
mais donnez aujourd’hui les
moyens aux préfets, au ministre de
l’intérieur, de protéger les Fran-
çais », a-t-il lancé en direction de la
droite, alors que l’examen du texte
est désormais envisagé pour la mi-
décembre à l’Assemblée nationale.
Dans le sillage de LR, la cheffe de
file du RN, Marine Le Pen, a repro-
ché au gouvernement de « trom-
per les Français », en « se serv[ant]
de l’attentat terroriste d’Arras pour
vendre [la] future loi immigra-
tion ». Las, Elisabeth Borne a fus-
tigé « les polémiques politicien-
nes », renvoyant aux « réponses
fermes » prises par son gouverne-
ment ces derniers jours, dont le
déploiement de 7 000 militaires
de l’opération Sentinelle et le pas-
sage en « alerte urgence attentat »
du plan Vigipirate. « Aujourd’hui,
la menace est forte », a-t-elle rap-
pelé dans le brouhaha de l’hémi-
cycle du Palais-Bourbon. p
mariama darame
que chose, lui dont la courbe de
popularité s’est envolée depuis
qu’il a interdit l’abaya à l’école. A
une large majorité, les Français
se déclarent désormais en faveur
de l’expulsion des étrangers dé-
linquants, rappelle ainsi le son-
deur Frédéric Dabi (IFOP), selon
lequel M. Darmanin a « ouvert la
boîte de Pandore » en faisant le
lien, il y a un an, entre insécurité
et immigration.
En privé, un député macroniste
s’inquiète de cette « logique sécu-
ritaire », une « mécanique redou-
table » contribuant à affaiblir
l’Etat de droit et les libertés indi-
viduelles, le court terme (légifé-
rer et durcir) prenant le pas sur la
hauteur de vue (préserver nos va-
leurs et nos fondamentaux). « Un
jour, prédit-il, on se retournera, et
on verra qu’on ne vit plus dans le
même monde et qu’on en est res-
ponsables. » On lui demande s’il
est d’accord pour être cité on the
record. « Surtout pas ! », s’alarme-
t-il, jugeant que « tout cela est in-
dicible aujourd’hui ». « C’est triste,
résume cet élu Renaissance,
mais c’est comme ça. » Nous en
sommes là. p
Le projet de loi
« immigration » durci
Gérald Darmanin veut faciliter la procédure
d’éloignement des étrangers en situation
irrégulière « fichés “S” ou délinquants »
C omment retourner une si-
tuation à son avantage ?
Quelques jours après l’at-
tentat d’Arras, le ministre de l’in-
térieur, Gérald Darmanin, entend
démontrer que le projet de loi
« immigration » – sur lequel il
peine à construire une majorité
parlementaire depuis sa présen-
tation en novembre 2022 – serait
un remède efficace au mal. Et
tente, par la même occasion, de
mettre la droite en situation de
devoir le soutenir, au risque d’être
tenue pour responsable du statu
quo face à la menace terroriste.
« Donnez aujourd’hui les
moyens aux préfets, au ministre de
l’intérieur de protéger les Fran-
çais », a lancé le ministre au prési-
dent du groupe Les Républicains à
l’Assemblée nationale, Olivier
Marleix, lors des questions au
gouvernement, le 17 octobre. Tan-
dis que le texte doit être débattu
au Sénat à partir du 6 novembre,
le ministre met l’accent sur son
volet sécuritaire.
Des gages à la droite
En même temps qu’il amorce un
recul sur la création d’un titre de
séjour « métiers en tension »,
conspué à droite, il annonce vou-
loir agrémenter son projet de
nouvelles mesures. Il entend
ainsi porter de trois à dix-huit
mois la durée maximale de réten-
tion administrative pour les
étrangers en situation irrégulière
« “fichés S” ou délinquants », dans
le but d’avoir suffisamment de
temps pour les éloigner.
M. Darmanin veut également
créer un motif de retrait d’un ti-
tre de séjour pour tout étranger
qui « adhère à une idéologie djiha-
diste », a expliqué son entourage.
Aujourd’hui, la loi prévoit déjà
qu’un titre peut être retiré « à
tout étranger dont la présence en
France constitue une menace
pour l’ordre public » de même
qu’aux étrangers ayant commis
des délits graves.
Dans le projet adopté par la com-
mission des lois du Sénat le
15 mars, l’article 13 élargissait les
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
possibilités de retrait d’un titre à
l’étranger n’ayant pas respecté les
« principes de la République ». Le
ministre a notamment dans le vi-
seur les 2 852 étrangers détenteurs
d’un titre de séjour et inscrits au fi-
chier de traitement des signalés
pour la prévention et la radicalisa-
tion à caractère terroriste.
Du reste, M. Darmanin entend
soutenir plusieurs amendements
au texte adoptés par la droite sé-
natoriale en commission des lois,
comme le fait que le Parlement
détermine « le nombre des étran-
gers admis à s’installer durable-
ment en France, pour chacune des
catégories de séjour » ; la mise en
place d’une condition de maîtrise
« élémentaire » du français pour
obtenir un titre de séjour dans le
cadre du regroupement familial ;
ou encore la transformation de
l’aide médicale d’Etat (AME), qui
bénéficie aujourd’hui à plus de
410 000 étrangers sans papiers,
en aide médicale d’urgence. A rai-
son du paiement d’un droit an-
nuel, cette aide ne prendrait plus
en charge que « la prophylaxie et le
traitement des maladies graves et
des douleurs aiguës ; les soins liés à
la grossesse et ses suites ; les vacci-
nations réglementaires ; les exa-
mens de médecine préventive ».
M. Darmanin y est favorable.
Sur ce point, l’exécutif est divisé.
Le porte-parole du gouverne-
ment, Olivier Véran, a reconnu, le
10 octobre, « un vrai désaccord »
avec M. Darmanin, tandis que la
première ministre, Elisabeth
Borne, a annoncé, le 8 octobre,
une mission de réflexion sur le
dispositif, confiée notamment à
l’ancien directeur de campagne
de Valérie Pécresse Patrick Stefa-
nini, favorable à un resserrement
de l’AME. Dans un rapport paru
mercredi 18 octobre, Médecins du
monde rappelle que l’AME ne
pèse que 0,47 % du budget de l’As-
surance-maladie et que le taux de
non-recours est de l’ordre de 49 %.
L’ONG redoute une dégradation
supplémentaire de l’état de santé
des personnes et de l’hôpital. p
julia pascual
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
Le système D des travailleurs sans papiers
Plus de 600 salariés en situation irrégulière en Ile-de-France se sont mis en grève, mardi
C
ela fait plus de dix ans
qu’il est en France. Et
autant de temps qu’il
travaille, comme gar-
dien d’immeuble dans la région
parisienne, maçon, auxiliaire de
vie dans l’Ariège ou, depuis dé-
cembre 2020, comme ripeur et ba-
layeur en Seine-Saint-Denis. Mais
jamais il n’a été embauché sous
son vrai nom. Pour cause : Moha-
med Traore est un sans-papiers.
Pour réussir à trouver un emploi
déclaré, ce Malien de 38 ans – di-
plômé en droit des affaires dans
son pays – a eu recours à un sub-
terfuge répandu parmi ceux qui
sont dépourvus de titre de séjour :
il a présenté les documents d’iden-
tité de quelqu’un d’autre, en situa-
tion régulière. On appelle ça « tra-
vailler sous alias ». C’est la seule fa-
çon de cumuler des bulletins de
paye et de pouvoir prouver son
travail et prétendre à une régulari-
sation auprès d’une préfecture.
Alors qu’un vaste mouvement
de grève de plus de 600 tra-
vailleurs sans papiers a été dé-
clenché, mardi 17 octobre en Ile-
de-France, à l’appel du syndicat
CGT, la présence de ces grévistes –
intérimaires pour la majorité –
dans une trentaine d’entreprises
des secteurs du bâtiment, de la lo-
gistique, des déchets, de la distri-
bution ou encore du nettoyage,
met de nouveau en lumière l’am-
pleur du travail des sans-papiers
et l’hypocrisie du système qui les
ignore, ou feint de les ignorer.
Le chef, « c’est sûr qu’il sait »
Simultanément, une vingtaine de
travailleurs ou anciens tra-
vailleurs sans papiers employés
par des sous-traitants de Bou-
ygues sur les chantiers des Jeux
olympiques (JO) ou du Grand Pa-
ris, appuyés par le syndicat
CNT-SO et plusieurs collectifs de
sans-papiers, ont brièvement oc-
cupé le chantier de l’Arena, porte
de la Chapelle, censé accueillir des
épreuves des JO 2024.
Pour travailler, tous ces
ouvriers ont eu recours à des
« alias » ou à des faux documents,
la plupart du temps au su, disent-
ils, de leur employeur.
Mohamed Traore fait partie des
grévistes accompagnés par la CGT.
Depuis qu’il est en France, il a tra-
vaillé sous quatre identités diffé-
rentes. Et, il n’en doute pas une se-
conde, aucun de ses patrons
n’était dans l’ignorance. « En 2013,
quand j’étais gardien dans des im-
meubles HLM, j’ai d’abord travaillé
Vers un recul sur les régularisations dans les filières en tension
Après l’attentat d’Arras, le gouvernement évoque la possibilité de renoncer à créer un titre de séjour de plein droit pour les sans-papiers
L e climat actuel aura-t-il rai-
son de la jambe gauche du
projet de loi « immigra-
tion » ? Après l’attentat d’Arras, le
texte, qui doit être examiné au
Sénat à partir du 6 novembre, est
au cœur des débats. Alors que le
parti Les Républicains (LR) font
de l’article 3, qui prévoit de sim-
plifier la régularisation des tra-
vailleurs sans papiers dans les
métiers en tension, une « ligne
rouge » et menace de ne pas vo-
ter en faveur du projet de loi, la
disposition pourrait être enter-
rée. En tout cas, sa portée large-
ment amoindrie.
L’exécutif réfléchit depuis des
semaines à la façon de procéder
et pourrait finalement privilé-
gier la création d’une nouvelle
circulaire de régularisation plu-
tôt que de créer un titre de séjour
de plein droit, par le biais de la
loi. Le 24 septembre, le président
de la République, Emmanuel Ma-
cron, avait lui-même entrouvert
la porte à une modification du
texte. « Là-dessus, je pense qu’il y
Mohamed Traore tient les papiers qui attestent de sa présence et de ses activités salariées en France,
à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 15 octobre. CAMILLE MILLERAND/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
« J’ai d’abord
travaillé avec les
papiers de mon
cousin qui est
métis et ne me
ressemble pas »
MOHAMED TRAORE
ripeur en Seine-Saint-Denis
avec les papiers de mon cousin qui
est métis et ne me ressemble pas du
tout, relate-t-il. Puis, au bout de
quelques mois, mon cousin ne vou-
lait plus prendre de risques alors j’ai
apporté à mon employeur un autre
titre de séjour, celui d’un ami. » Le
patron n’a pas moufté. Il a juste
changé le nom sur les nouveaux
bulletins de paye. Mohamed a
même pu signer un CDI. En revan-
che, quand, au bout de cinq ans de
présence sur le territoire, il a de-
mandé à son patron d’appuyer sa
demande de régularisation – en at-
testant notamment auprès de l’ad-
ministration de sa présence dans
a un compromis intelligent à
trouver », avait-il souligné, sur
TF1 et France 2.
Place Beauvau, on avance désor-
mais qu’une nouvelle circulaire
pourrait voir le jour. Elle ne rem-
placerait pas celle de 2012 dite
« circulaire Valls », qui liste des cri-
tères de régularisation pour mo-
tif familial ou professionnel et
que les préfets appliquent de fa-
çon discrétionnaire et très diffé-
rente selon les territoires. Grâce à
ce texte réglementaire, environ
30 000 personnes sont admises
au séjour chaque année.
Dussopt « ouvert sur la forme »
L’objectif de la circulaire supplé-
mentaire à laquelle le ministère
de l’intérieur réfléchit serait de
permettre à des travailleurs sur
des métiers en tension d’être ré-
gularisés « en contournant le
pouvoir de l’employeur », précise
l’entourage de M. Darmanin. « Il
ne s’agit pas de créer un flux
[d’immigration] mais de sincéri-
ser [régulariser] un stock », que
l’entreprise – ce dernier l’a licencié
sans autre forme de procès.
Aïcha (les personnes citées par
leur prénom ont requis l’anony-
mat) dit, elle, avoir travaillé sous
deux noms différents en tant
qu’agent de ménage dans des rési-
dences privées. Employée de la so-
ciété Universel Service, elle assure
que « la hiérarchie ne sait peut-être
pas qu[’elle n’a] pas de papiers,
mais le chef d’équipe, c’est sûr qu’il
sait ». « C’est dans son intérêt de fer-
mer les yeux, explique cette Séné-
galaise de 36 ans, titulaire d’un
MBA en marketing obtenu en An-
gleterre. Il y a des contrats [avec des
entreprises] en jeu et des sans-pa-
piers qui ne demandent qu’à tra-
vailler. » C’est la même logique qui
aurait prévalu lorsque Alseyni
Kane, valet de chambre dans un
appart-hôtel près de la tour Eiffel, a
présenté à son responsable sur site
la photocopie du titre de séjour de
son alias. « Il a vu que ce n’était pas
moi mais il a dit : “Le plus impor-
tant, c’est le travail” », se souvient
ce Sénégalais en CDI pour le pres-
tataire de ménage Stella.
Babacar Kobor, un Sénégalais de
les services évaluent à environ
8 000 personnes par an.
Aujourd’hui, s’il veut deman-
der une régularisation par le
biais de la circulaire Valls, un tra-
vailleur sans papiers doit non
seulement prouver qu’il vit en
France depuis au moins trois
ans, présenter un certain nom-
bre de bulletins de paie, mais il
doit, en outre, demander à son
patron de remplir un formulaire
officiel d’embauche. L’article 3 du
projet de loi prévoyait de faire
sauter ce « verrou » de l’em-
ployeur dans les métiers en ten-
sion et de créer un droit à la régu-
larisation moyennant trois ans
de présence en France et huit fi-
ches de paie.
Place Beauvau, on pourrait dé-
sormais se contenter d’une cir-
culaire qui aurait l’avantage de
« garder le pouvoir d’appréciation
des préfets ». La régularisation ne
serait donc pas de plein droit
mais resterait à la libre apprécia-
tion des services de l’Etat dans
les départements.
36 ans, a travaillé jusqu’au 1er sep-
tembre comme maçon sur les
chantiers du futur « village des
athlètes », édifié en vue des JO
2024. Embauché via la société
Drop Intérim, souvent de nuit, il
gagnait environ 2 500 euros par
mois. « La majorité des Français ne
peuvent pas faire ces boulots durs
au prix où ils sont payés. Moi, j’ai
par exemple travaillé avec un Fran-
çais et il n’utilisait pas le marteau-
piqueur alors que nous, les sans-
papiers, on peut passer la journée
dessus. » Sur son téléphone, Baba-
car Kobor montre des photos où
on le voit, en tenue de chantier,
harnaché en bordure de Seine
pour construire le pont qui relie
les deux parties du village olym-
pique entre les communes de
l’Ile-Saint-Denis et Saint-Denis.
Boulot difficile
Originaire du Mali et en France
depuis neuf ans, Mamadou fait,
lui aussi, un boulot difficile. De-
puis 2017, il réalise des travaux de
sciage et de carottage de béton
pour l’entreprise d’intérim Defi
Technology. Il dit avoir, comme
Mardi 17 octobre, le ministre du
travail, Olivier Dussopt, avait
pourtant tenu à défendre la dis-
position. Depuis l’attentat d’Ar-
ras, « le climat a changé, mais il
serait absolument terrible (…) que
des hommes et des femmes qui
travaillent quotidiennement (…)
soient les victimes d’un climat ter-
roriste qui ne les concerne pas », a-
t-il jugé sur Franceinfo.
Face aux critiques de la droite
et de l’extrême droite, le ministre
a répété qu’il « n’y a pas d’appel
d’air » avec une telle mesure.
« Nous parlons de personnes en si-
tuation irrégulière mais qui tra-
vaillent légalement dans des mé-
Un tel recul
est susceptible
de créer des
remous dans
la coalition
présidentielle
d’autres, utilisé plusieurs identi-
tés auprès de son agence de réfé-
rence. « Personne n’est dupe, es-
time Laëtitia Gomez, secrétaire
générale de la CGT-Intérim. Il y a
des agences où 30 % à 40 % des tra-
vailleurs sont des sans-papiers.
Personne ne regarde leurs docu-
ments parce que ce sont des tra-
vailleurs qui ne réclament pas
leurs droits et qui ne rechignent
pas à la tâche. » Mamadou assure
être payé 660 euros par semaine
« alors que le tarif normal est de
850 euros, mais quand tu n’as pas
de papiers, tu ne réclames pas ».
Ce système ne prospère pas sans
frais. Le ripeur Mohamed Traore
s’est vu ponctionner jusqu’à la
moitié de son salaire par la per-
sonne qui le laissait utiliser son ti-
tre de séjour. « Certains te deman-
dent 10 % de ton salaire mais
quand ils voient ce que tu gagnes,
ils demandent plus, témoigne-t-il.
Ils disent parfois que c’est pour
payer les impôts. Tu n’as pas le
choix que d’accepter, de toute façon
ce sont eux qui reçoivent ta paye. »
Camara, un Malien de 45 ans ar-
rivé en France en 2008, reverse
tiers où tout le monde a du mal à
recruter », a-t-il expliqué.
Son entourage précise toute-
fois qu’Olivier Dussopt est tou-
jours « ouvert sur la forme », lé-
gislative ou réglementaire, sans
dire si l’une ou l’autre est privilé-
giée, et qu’il « renvoie au débat
sans en préjuger l’issue ».
Loi discutée dès décembre
Place Beauvau, on assume ne pas
vouloir se battre sur la forme et
être disposé à un « texte de com-
promis large » avec la droite et le
centre. L’article 3 « n’est pas le
cœur essentiel du texte après ce
qu’il s’est passé à Arras », consi-
dère l’entourage de M. Darma-
nin, soulignant que ce dernier ne
portait pas personnellement
la mesure.
Un tel recul est susceptible de
créer des remous dans la coali-
tion présidentielle, où l’aile gau-
che de Renaissance a plusieurs
fois répété son attachement à
« l’équilibre » du texte entre ses
deux volets social et répressif.
france | 11
« Tu achètes
3 000 euros
un contrat de
travail et
des bulletins
de paye en Italie »
MAMADOU
employé par l’entreprise
d’intérim Defi Technology
200 euros chaque mois à la per-
sonne qui lui laisse utiliser ses pa-
piers pour pouvoir embaucher –
par le biais de la société d’intérim
Defi Technology – sur le chantier
de la gare de la future ligne 15 du
métro, à Saint-Maur-des-Fossés
(Val-de-Marne). Pour ne plus avoir
à dépendre d’un alias, Mamadou
utilise désormais un titre de sé-
jour italien à son nom qu’il a ob-
tenu moyennant finance. « En
gros, tu achètes 3 000 euros un
contrat de travail et des bulletins
de paye en Italie, par exemple dans
la restauration ou la boulangerie.
Tu passes par un intermédiaire qui
reverse une partie au patron »,
confie-t-il. Un moyen d’être régu-
larisé dans le pays. Officiellement,
le titre ne donne pas à Mamadou
le droit de travailler en dehors de
l’Italie mais, là encore, la cécité de
son employeur prévaudrait.
Le projet de loi immigration doit
être débattu en séance publique à
partir du 6 novembre au Sénat.
Son article 3, farouchement com-
battu par la droite, prévoit de sim-
plifier la régularisation des tra-
vailleurs sans papiers. En l’état
d’écriture du texte, ces derniers
pourraient être régularisés de
plein droit dès lors qu’ils présen-
tent trois ans de présence en
France et huit fiches de paye (con-
tre trois ans de présence et vingt-
quatre fiches de paye, assortis
d’une promesse d’embauche de
l’employeur, selon une circulaire
ministérielle de 2012). La CGT, elle,
revendique la régularisation
« automatique » des travailleurs
sur « la simple preuve de la relation
de travail ». Sollicitées, les entrepri-
ses citées dans l’article n’ont pas
donné suite. Mais mardi soir, des
protocoles d’accord avaient été si-
gnés sur environ la moitié des pi-
quets de grève dans lesquels les
employeurs se sont engagés à ac-
compagner les salariés dans leurs
démarches de régularisation. p
julia pascual
« Cette mesure est nécessaire »,
juge le député macroniste de la
Vienne Sacha Houlié, affirmant
qu’« elle sera soutenue par le gou-
vernement et l’Elysée ».
Ni Matignon ni l’Elysée n’ont
confirmé. Pour M. Houlié, prési-
dent de la commission des lois à
l’Assemblée nationale, ce n’est
pas le moment de reculer, alors
que le contexte permet de met-
tre la pression sur la droite. « Sur
les mesures de fermeté, c’est LR
qui nous en prive par son refus
obstiné de voter le texte depuis
des mois », estime-t-il.
Alors que l’examen du projet de
loi à l’Assemblée nationale était
prévu pour 2024, le ministre des
relations avec le Parlement,
Franck Riester, a annoncé, mardi,
sur LCP, que la loi sera discutée
dès le mois de décembre. « On de-
vrait avoir au moins un vote pour
chaque Chambre du Parlement
d’ici à la fin de l’année [2023] », a-
t-il ajouté. p
thibaud métais
et j. pa.
12 | france 0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023

AT T E N TAT À A R R A S

La sécurisation des écoles en question

Ministre, syndicats et collectivités cherchent des moyens de renforcer la sûreté des établissements scolaires

C
omment mieux sé-
curiser les établis-
sements scolaires
sans en faire des
bunkers ? L’attentat
terroriste au lycée
Gambetta-Carnot d’Arras, qui a
fait un mort, le professeur de let-
tres Dominique Bernard, et
trois blessés, vendredi 13 octobre,
relance cette question récurrente
dans l’éducation nationale. Du
ministre, Gabriel Attal, aux orga-
nisations syndicales, en passant
par les collectivités territoriales,
chacun s’accorde sur la volonté
de trouver le juste équilibre,
même si cette notion varie d’un
interlocuteur à l’autre.
Le ministre de l’éducation na-
tionale consulte tous azimuts
pour étudier la pertinence de
nouvelles mesures à prendre. Il
a échangé, mardi 17 octobre, avec
les syndicats et il devait rencon-
trer les collectivités territoriales,
mercredi, pour envisager si de
nouvelles dispositions sont né-
cessaires. « Nous devons regarder
là où nous pouvons progresser »,
a affirmé le locataire de la rue
de Grenelle après une rencontre
avec des enseignants inquiets,
lundi, au collège Charlemagne, à
Paris. Vidéosurveillance, porti-
ques, formations des person-
nels, moyens humains…
Gabriel Attal n’exclut aucune
piste. Déjà, depuis vendredi,
1 000 membres des équipes mo-
biles de sécurité, un dispositif créé
en 2010 pour lutter contre la vio- Le ministre de l’éducation, Gabriel Attal, lors des questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, le 17 octobre. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
lence scolaire, sont déployés dans
les établissements. Néanmoins la
sécurisation des 60 000 sites re-
« IL FAUT D’ABORD
terrogés » après l’attentat qui a à fait identique selon la pré- « portiques d’accès, caméras de vi- Hommage aux
lève avant tout de la compétence coûté la vie à Samuel Paty, gnance du risque ». déoprotection, alarmes anti-intru-
enseignants tués :
des collectivités territoriales : les
communes pour les écoles, les dé-
S’ASSURER DE LA en 2020. Pourtant, le profes-
seur d’histoire-géographie de
« Nous continuerons à œuvrer
inlassablement pour la sécurité de
sion, dispositifs antibélier, mais
aussi des équipes mobiles d’ac- 179 incidents
partements pour les collèges, les MAINTENANCE DE NOS Conflans-Sainte-Honorine (Yve- nos établissements », a déclaré cueil renforcé » installées dans les « 179 saisines du procureur de la
régions pour les lycées. lines) comme le professeur de pour sa part Alain Rousset, prési- établissements de sa région de- République » ont été effectuées
SYSTÈMES DE SÉCURITÉ » lettres d’Arras ont été tués aux dent (Parti socialiste, PS) de la ré- puis 2016 pour 110 millions pour des incidents survenus
« COLLÈGE PAR COLLÈGE » ÉLISABETH ALLAIN-MORENO abords de l’établissement. gion Nouvelle-Aquitaine, sur X d’euros. Il propose, dans un entre- lundi 16 octobre lors des hom-
Il est loin, le temps où « un lycée secrétaire générale du syndicat Jeudi 19 octobre, François Sau- (ex-Twitter). Après l’assassinat de tien au Parisien, d’expérimenter mages aux enseignants victimes
était branché quand il était ouvert enseignant SE-UNSA vadet devait réunir les acteurs dé- Dominique Bernard, la prési- les logiciels de reconnaissance fa- d’attentats terroristes Samuel
sur la ville et sans clôture », se sou- partementaux pour « réexami- dente (Les Républicains, LR) d’Ile- ciale aux abords des lycées de sa Paty et Dominique Bernard,
vient François Bonneau, vice- ner, en fonction du risque nou- de-France, Valérie Pécresse, a rap- région, « exclusivement pour dé- a annoncé Gabriel Attal mardi,
président de l’association Ré- mis de franchir une étape. A Ar- veau, s’il faut prendre des mesures pelé que la sécurité des lycées est tecter les individus suivis pour ra- lors des questions au gouverne-
gions de France. Au fil des décen- ras, le déclenchement rapide de de sécurisation complémentai- « une priorité » : 140 millions dicalisation terroriste ». ment. Un chiffre à mettre en re-
nies, les établissements se sont ce plan « a sans doute empêché un res ». « Les moyens ne seront pas d’euros y ont déjà été consacrés gard avec les 12 millions d’élèves
refermés. Le processus de sécuri- carnage », assure Gabriel Attal. La comptés », précise-t-il. Mais, as- dans sa collectivité depuis « PRÉSENCE HUMAINE » que compte le système éducatif.
sation est « largement engagé », police a mis quatre minutes seu- sure le président (Union des dé- six ans, a-t-elle relevé, notam- « Les mesures à prendre doivent Des procédures disciplinaires
et depuis longtemps, affirme lement pour arriver sur les lieux. mocrates et indépendants) du ment en matière de vidéosur- être proportionnelles à notre ca- sont aussi engagées. Pour
M. Bonneau. Mais, reconnaît-il, « Depuis une dizaine d’années, conseil départemental de la Cô- veillance. Mais l’élue a reconnu pacité à faire. Mettre un vigile de- les quelques dizaines de cas
« il faut continuer, sans relâche, à tous les départements ont aussi te-d’Or, « nous avons déjà fait qu’il faudrait encore travailler sur vant chacune des 45 000 écoles les plus graves, qui relèvent
chercher des solutions ». engagé de vastes plans de mise en beaucoup en matière de tourni- le renforcement des clôtures, des n’est budgétairement pas réalisa- de l’apologie du terrorisme,
Depuis les attentats de 2015, les sécurité », assure François Sauva- quets, de clôtures et de grilles, de portiques d’accès, des sas… ble », remarque Delphine Labails, le ministre, qui affiche « une tolé-
plans particuliers de mise en sû- det, président de l’association vidéoprotection ». Cela devra être Sur X, le président (LR) d’Auver- maire (PS, union de la gauche) de rance zéro », a ordonné l’exclu-
reté, qui décrivent la conduite à d’élus Départements de France. étudié « collège par collège », car gne-Rhône-Alpes, Laurent Wau- Périgueux et coprésidente de la sion des élèves dans l’attente
tenir en cas d’intrusion, ont per- Ces dispositifs ont déjà été « réin- « la nature du risque n’est pas tout quiez, a également évoqué les commission éducation de l’Asso- des procédures. En 2020, lors
ciation des maires de France. Elle de la minute de silence à la mé-
souhaite que le plan de rénova- moire de Samuel Paty, 400 inci-
La sœur de Samuel Paty fustige les renoncements de l’Etat tion énergétique des écoles
lancé par le gouvernement de-
dents avaient été répertoriés.

vienne un « plan Marshall » des

c’est avec colère, pessimisme et une di-
gnité blessée que Mickaëlle Paty est venue
témoigner, mardi 17 octobre, devant la
commission d’enquête du Sénat sur les
« menaces et agressions contre les ensei-
gnants ». Trois ans et un jour après l’assas-
sinat de son frère Samuel devant le collège
du Bois-d’Aulne à Conflans-Sainte-Hono-
rine (Yvelines), quatre jours après celui de
Dominique Bernard devant le lycée Gam-
betta-Carnot à Arras, tous deux par des ter-
roristes djihadistes, celle qui s’est donné
pour mission de porter la mémoire de son
frère enseignant a tenu un discours sans
concession devant les sénateurs.
Premiers visés par Mickaëlle Paty : l’édu-
cation nationale et les services de l’Etat, à
commencer par le renseignement territo-
rial des Yvelines, tous deux accusés d’avoir,
au nom d’une politique d’apaisement vis-à-
vis de l’islam radical, sacrifié son frère. Elle a
ainsi fustigé la « meute de courtisans », les
« inconséquences », le « renoncement à l’in-
tégrité », la « probité de façade ». Elle a eu des
mots très durs pour la mission d’inspec-
tion académique dont le « rapport bâclé »
n’avait pour autre but que de « dédouaner
l’institution ». Elle a aussi reproché à l’édu-
cation nationale d’avoir refusé la « protec-
tion fonctionnelle » à son frère menacé.
Sur l’éducation nationale et de manière
plus générale, c’est un véritable constat de
faillite qu’a dressé Mickaëlle Paty, dénon-
çant, pêle-mêle, une politique de la « tolé-
rance » et de la « bienveillance » mal placées,
des élèves systématiquement « victimisés »
face à des professeurs « en difficulté », des
effectifs en chute libre, la « faillite de la for-
mation » des professeurs, des enseignants
qui « s’autocensurent » par peur des élèves,
mais aussi de l’institution, etc.
Attitude de « pas-de-vaguisme »
Celle qui prône « une République ferme
dans ses principes » a eu des mots sévères
pour Pap Ndiaye, ancien ministre de l’édu-
cation nationale, dont elle a fait le sym-
bole d’une « laïcité relative, à l’anglo-
saxonne ». Elle a d’ailleurs souligné la cas-
sure entre les jeunes enseignants, plus
sensibles à cette « laïcité ouverte » et les
plus anciens, adeptes d’une laïcité « à la
française ». Elle a aussi regretté le manque
de formation des jeunes professeurs en
matière de laïcité.
Mickaëlle Paty, qui a déposé une plainte
avec constitution de partie civile sur les
manquements de l’Etat ayant précédé l’as-
sassinat de son frère – une enquête judi-
ciaire est en cours –, a également pour-
fendu des pouvoirs publics qui, « au nom
de la préservation de l’ordre public, ont pri-
vilégié la préservation de la paix religieuse ».
Une attitude qu’elle a qualifiée de « pas-de-
vaguisme » et de « culture de l’alibi soit reli-
gieux, soit ethnique ».
Dans cette litanie de reproches, elle n’a
pas oublié la plate-forme Pharos de sur-
veillance des réseaux sociaux, sous-dotée,
ainsi que les GAFA, qui ont mis trois se-
maines à supprimer la vidéo de dénoncia-
tion de son frère par un parent d’élève
ayant conduit à son ciblage fatal par un
jeune djihadiste d’origine tchétchène.
Pour elle, « si ça [la mort de Samuel Paty]
avait servi à quelque chose, peut-être que
Dominique Bernard serait encore là ». « Les
mesures n’ont pas été prises pour compren-
dre et combattre l’entrisme islamique », a-
t-elle regretté. Seule lueur d’espoir, pour
Mickaëlle Paty, dans ce sombre tableau :
elle a salué l’interdiction générale de
l’abaya (robes longues de tradition
moyen-orientale, portées par-dessus
d’autres vêtements) et du qamis (tuni-
ques longues pour les hommes) par Ga-
briel Attal, l’actuel titulaire du porte-
feuille, ainsi que sa volonté de donner des
« cours d’empathie ». p
christophe ayad
écoles pour y inclure les ques-
tions de sécurité.
« Rien ne remplace la présence
humaine », insiste Valérie Pé-
cresse à l’unisson de François
Bonneau. Elle annonce le dou-
blement (de 50 à 100) du nombre
de policiers impliqués dans les
« brigades régionales de sécurité »
qui interviennent dans les éta-
blissements. En attendant, les
entreprises de sécurité privées
seront sollicitées.
Les acteurs de l’éducation de-
mandent aussi au ministère un
renforcement des moyens hu-
mains pour assurer l’entrée et la
sortie des élèves en toute sécu-
rité. Pour Bruno Bobkiewicz, se-
crétaire général du syndicat de
chefs d’établissement SNPDEN-
UNSA, la vidéosurveillance et les
portiques de sécurité « ne règlent
rien ». « Il faut avant tout tra-
vailler sur le contrôle d’entrée des
personnalités extérieures à l’éta-
blissement », juge le proviseur pa-
risien, pour qui « le contrôle
d’identité des élèves est déjà cor-
rectement réalisé ».
Avant de mettre en œuvre de
nouveaux dispositifs, les syndi-
cats de l’éducation souhaitent un
état des lieux de l’existant. « Com-
bien d’alarmes ne marchent pas ?
Combien de portails ouverts faute
de réparation, de trous dans le
grillage ? », déplorent-ils.
« Il faut d’abord s’assurer de la
maintenance de nos systèmes de
sécurité », assure Elisabeth Al-
lain-Moreno, secrétaire générale
du syndicat enseignant SE-
UNSA. « Il y a urgence à sécuriser
les entrées et sorties des établisse-
ments », abonde Sophie Vénéti-
tay, la secrétaire générale du syn-
dicat d’enseignants SNES-FSU.
« Excepté sur certaines petites ré-
parations, nous sommes très dé-
pendants des investissements des
collectivités dans ce domaine »,
affirme Bruno Bobkiewicz.
De sources syndicales, le minis-
tère de l’éducation nationale
doit lancer une enquête pour
établir ce diagnostic dans les
prochains jours. p
benoît floc’h
et sylvie lecherbonnier
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023 france | 13

Au Conseil d’Etat, l’ interdiction des

L’auteur de l’attentat manifestations palestiniennes en débat
mû par une « haine La juridiction a étudié, mardi, un recours déposé par l’association Comité Action Palestine

de la France », de la
démocratie et de l’école E st-il possible d’interdire
toutes les manifestations
propalestiniennes ? C’est,
en substance, la question posée au
Conseil d’Etat dans le cadre d’une
Trois personnes ont été mises en examen audience en référé, mardi 17 octo-
mardi : Mohammed Mogouchkov, bre. Le Comité Action Palestine
(association disant défendre le
l’auteur des faits, son petit frère et un cousin « droit à l’autodétermination » de la
Palestine, qui appelle « à la libéra-
tion de la terre arabe de Palestine »
et dénonce « le sionisme en tant
du Comité Action Palestine, lan-
cée par Gérald Darmanin pour
« appel à la haine, à la discrimina-
tion, à la violence » et pour « provo-
cation à des actes terroristes ».
Trouble à l’ordre public
Selon Vincent Brengarth, l’un des
avocats du Comité, l’interdiction
des manifestations propalesti-
niennes est « générale, absolue,
sans limite de temps ou de restric-
Du côté du ministère de l’inté-
rieur, Pascale Léglise, directrice
des libertés publiques et des affai-
res juridiques, a estimé au con-
traire que le télégramme n’avait
« aucune valeur normative » et que
les préfets continuaient d’évaluer
« in concreto » la situation et pre-
naient des mesures d’interdic-
tions de manière circonstanciée.
En effet, le principe en droit est la
liberté de manifester, l’interdic-
tions de soutien aux actions du Ha-
mas et à la résistance par tous les
moyens. Ce ne sont pas des rassem-
blements pacifiques pour la paix en
Israël et en Palestine », a dit Mme Lé-
glise, estimant le risque de trouble
à l’ordre public réel, tout comme
celui de commission d’infraction,
notamment celle d’apologie du
terrorisme. Elle craint, par ailleurs,
« une importation » du conflit en
France : selon ses chiffres, depuis

Q uatre jours après l’assas-

sinat d’un professeur du
lycée Gambetta-Carnot
d’Arras, vendredi 13 octo-
bre, l’enquête a livré ses premiers
éclaircissements sur le déroulé de
l’attentat, les motivations de son
auteur et les aides dont il a pu bé-
néficier. Selon une source judi-
ciaire, l’auteur présumé de l’atta-
que, Mohammed Mogouchkov,
un ancien élève de l’établissement
âgé de 20 ans, a été mis en exa-
men, mardi 17 octobre, pour « as-
sassinat et tentative d’assassinat
en relation avec une entreprise
terroriste » et « association de mal-
faiteurs terroriste criminelle ».
Deux autres personnes de son
entourage ont été mises en exa-
l’enseignement qu’il a reçu en
France », a résumé le magistrat. Se-
lon les informations du Monde, il
s’exclame dans cet audio : « Oh
Français, peuple de lâcheté et de
mécréants. J’étais dans vos écoles
des années et des années, j’ai vécu
des années et des années parmi
vous, gratuitement. (…) Vous
m’avez appris ce qu’est la démocra-
tie et les droits de l’homme, et vous
m’avez poussé vers l’enfer. »
Selon le procureur antiterroriste,
il déclare également soutenir « les
musulmans en Irak, en Asie, en Pa-
lestine, mais sans lier son acte aux
événements récents en Israël ». A
aucun moment il ne fait une réfé-
rence directe à l’attaque du Hamas
et à la riposte militaire de l’armée
que mouvement colonialiste et ra-
ciste ») avait, en effet, déposé un re-
cours contre l’interdiction deman-
dée par le ministre de l’intérieur,
Gérald Darmanin.
Le 12 octobre, ce dernier avait
ainsi adressé un « télégramme »
aux préfets leur enjoignant d’in-
terdire « les manifestations propa-
lestiniennes, parce qu’elles sont
susceptibles de générer des trou-
bles à l’ordre public ». Ironie de
l’histoire : le Conseil d’Etat avait
suspendu en 2022 la dissolution
tion géographique ». La veille, dans
Mediapart, il avait estimé que
« toute interdiction générale et de
principe est par nature illégale ».
Une ligne de défense qu’il a répé-
tée mardi : « Cette interdiction fait
abstraction du cadre légal pour dé-
créter une interdiction de principe
et absolue des manifestations pro-
palestiniennes », a-t-il notamment
fait valoir, affirmant que la rédac-
tion du télégramme du ministre
équivalait à une obligation pour
les préfets de s’y conformer.
tion devant rester l’exception. En
minimisant la portée du docu-
ment, le risque de le voir suspendu
par le Conseil d’Etat s’amoindrit.
Le ministère de l’intérieur a
néanmoins développé une ana-
lyse affirmant que les manifesta-
tions propalestiniennes consti-
tuaient des « soutiens aux actions
commises par le Hamas et aux ac-
tions du 7 octobre [en Israël] ». « Ce
ne sont pas des manifestations de
soutien aux victimes de la situation
en Palestine, mais des manifesta-
le 7 octobre, « 2 500 signalements
d’actes antisémites ont été signalés,
dont 232 ont été judiciarisés ».
Pour Pascale Léglise, il y aurait
donc « une porosité » entre ces ma-
nifestations et le soutien au Ha-
mas. Me Brengarth dénonce, quant
à lui, « l’amalgame » que ferait le
ministère de l’intérieur entre la
« défense des droits du peuple pa-
lestinien » et un soutien au terro-
risme. Le Conseil d’Etat doit rendre
son ordonnance le 18 octobre. p
abel mestre

men. Il s’agit d’un de ses frères,
âgé de 16 ans, pour « complicité
d’assassinat et de tentatives d’as-
sassinats en relation avec une en-
VOTRE
israélienne dans la bande de Gaza.
D’après les informations du
Monde, cet audio est, en revanche,
imprégné des éléments de langage

MOBILIER
treprise terroriste ». Il est soup- de l’EI. Il y critique ainsi vertement
çonné d’avoir « apporté un certain l’organisation terroriste rivale, Al-
soutien dans son projet mortifère » Qaida, mais aussi les talibans, qua-

PROFESSIONNEL
et de lui avoir « délivré des consi- lifiés d’« apostats », sans oublier de
gnes sur le maniement des cou- s’en prendre aux « homosexuels ».
teaux », a précisé lors d’un point

presse le procureur national anti-
terroriste, Jean-François Ricard.
Un jeune cousin de la fratrie, âgé
de 15 ans, « informé du projet »
MÉRITE UNE
Le père expulsé en 2018
Plusieurs témoins entendus du-
rant l’enquête de flagrance ont dé-
crit la famille du terroriste, origi-

d’attentat et qui n’aurait « rien fait
pour l’empêcher », a quant à lui été
mis en examen pour « abstention
volontaire d’empêcher la com-
mission d’un crime ou un délit ».
Dix des treize gardes à vue ont
été levées, « en l’absence d’élé-
ments » permettant de démontrer
que les personnes concernées
aient pu avoir un rôle précis dans
l’attentat. Parmi elles, deux déte-
nus : le frère aîné de l’assaillant,
Movsar, condamné pour des faits
de terrorisme, et un ex-codétenu
de ce dernier, lui aussi condamné
pour terrorisme, avec lequel le
tueur entretenait une correspon-
dance. C’est cette correspondance
qui avait conduit la direction géné-
rale de la sécurité intérieure à sur-
veiller d’un peu plus près Moham-
med Mogouchkov, en juillet. Mais
les enquêteurs n’ont pas trouvé
trace d’éléments démontrant que
ces deux détenus aient pu l’inciter
à passer à l’acte.
Logiciel idéologique
Si l’enquête se resserre pour
l’heure sur le cercle familial res-
treint de l’assaillant, on en sait déjà
un peu plus sur ses motivations et
son logiciel idéologique. Quelques
minutes avant de s’introduire
dans le lycée, Mohammed Mogou-
chkov a en effet tourné une vidéo
de trente secondes devant un mo-
nument aux morts d’Arras, dans
laquelle il s’attaquait de manière
répétée aux « valeurs des Fran-
çais », selon ses mots.
Dans son téléphone, les enquê-
teurs ont aussi retrouvé une lon-
gue allégeance audio à l’organisa-
tion Etat islamique (EI), qui témoi-
gne de la même obsession. Il y dé-
veloppe sa « haine de la France, des
Français, de la démocratie et de
SECONDE VIE.
naire d’Ingouchie, une républi-
que russe attenante à la Tchétché-
nie, comme étant fortement
imprégnée par l’idéologie djiha-
diste, sous l’impulsion du père,
expulsé de France en 2018 et qui
vit aujourd’hui en Géorgie, où il
n’a pas encore pu être interrogé.
Mohammed Mogouchkov fai-
sait partie des éléments les plus ra- Valdelia est un éco-organisme
dicalisés. Il avait été visé en sep- agréé par l’État pour organiser la
tembre 2022 par une procédure
pour « violences », classée sans collecte, le réemploi et le recyclage
suite après des rétractations, dans des mobiliers professionnels.
laquelle il était notamment ac-
cusé d’avoir séquestré et violenté
sa mère et ses deux sœurs.
Le procureur est aussi revenu en
détail sur le déroulement de l’atta-
que. Une vingtaine de minutes
après avoir tourné sa vidéo de re-
vendication, Mohammed Mogou-
chkov s’est présenté, aux alen-
Pour efectuer une
tours de 11 heures, devant le lycée
Gambetta-Carnot. Il y croise qua-
demande de collecte :
tre professeurs qui sortent de
l’établissement, et en frappe un
mortellement au cou et à l’épaule :
Dominique Bernard, professeur
de français, meurt rapidement
des suites de ses blessures. Un de
ses collègues, qui tente de s’inter-
poser, est blessé au visage.
Le terroriste poursuit alors ce
dernier jusque dans la cour de
l’établissement, où un agent d’en-
tretien parvient à l’empêcher
d’achever sa victime en l’atta-
quant avec une chaise. Un second
agent technique venu lui prêter
www.valdelia.org
main-forte sera lui aussi blessé. Le
pronostic vital des trois blessés
n’est plus engagé, a précisé le ma-
gistrat. M. Mogouchkov a été in-
terpellé sur place après avoir
tenté de quitter l’établissement.
Le terroriste s’était rendu dans le
bureau du proviseur, qui ne s’y
trouvait pas. Selon plusieurs té-

Gratuité Traçabilité Eicacité

« VOUS M’AVEZ APPRIS
CE QU’EST LA DÉMOCRATIE
ET LES DROITS DE
L’HOMME, ET VOUS M’AVEZ
POUSSÉ VERS L’ENFER »
MOHAMMED MOGOUCHKOV
auteur de l’attentat d’Arras
moignages, c’est bien un provi-
seur et un professeur d’histoire –
comme l’était Samuel Paty, assas-
Un service gratuit, inancé Remise d’attestations de don de 72 heures, délai maximum
siné trois ans plus tôt par un Tchét-
chène de 18 ans – qu’il cherchait à par l’éco-contribution payée
.
mobiliers et de prise en charge pour l’organisation d’une collecte
tuer. Dans la cour, il avait lancé à à l’achat de tout mobilier neuf. pour le recyclage. de mobiliers.
un des enseignants pris pour ci-
ble : « Qui te donne l’air que tu respi-
res, qui est le seul Dieu ? », ou en-
core : « Appelle Marianne, appelle
ta République ». p
soren seelow
14 | france
Mairie de Paris :
Bournazel, un
prétendant de plus
pour la majorité
Pierre-Yves Bournazel a lancé
sa campagne pour les municipales
de 2026. Clément Beaune et Gabriel
Attal pourraient aussi postuler
D
eux cents personnes
entassées dans un bis-
trot de la butte Mont-
martre, à Paris (18e ar-
rondissement), attendaient
qu’Edouard Philippe prononce
LA phrase. Mais, ce mardi 17 octo-
bre, l’ancien premier ministre a
préféré débuter par un bon mot :
« Presque comme Joséphine Baker,
Pierre-Yves a deux amours. Son
parti [Horizons, présidé par M.
Philippe] et Paris. » « Pierre-Yves »,
c’est Pierre-Yves Bournazel, élu
parisien depuis quinze ans, qui
connaît la ville comme sa poche.
Même si tout Paris ne connaît pas
encore tout à fait Pierre-Yves
Bournazel. Puis Edouard Philippe
a enfin lâché : « Je suis certain qu’il
a toutes les qualités pour être un
grand maire de Paris. » Il officia-
lise ainsi l’ouverture de la campa-
gne du premier candidat déclaré
au sein de la majorité présiden-
tielle, dans la capitale, en vue des
élections municipales de 2026.
Le calcul de M. Bournazel, qui se
dit « prêt » pour offrir « une alter-
native positive » à la capitale, est
simple. Son « engagement », sa
« sincérité », sa « passion pour
cette ville » seront des atouts face
aux autres candidats macronis-
tes. « J’avais fait le sacrifice de ma
démarche pour le collectif,
en 2020, en me rangeant derrière
le candidat En Marche ! », qui était
Benjamin Griveaux, rappelle l’ex-
député Horizons. Avant d’enchaî-
ner : « Il faudrait expliquer pour-
quoi je ne serais pas légitime.
Pourquoi je ne serais pas le candi-
dat naturel. Moi, je suis dans une
logique 100 % Paris. »
Il y a quelques semaines,
Edouard Philippe – qui se posi-
tionne de son côté pour la prési-
dentielle de 2027 –, lui a soufflé :
« Accélère. » Au sein du camp pré-
sidentiel, cette réunion mont-
martroise risque de mettre rapi-
dement la pagaille sur un ring
déjà encombré par des concur-
rents macronistes à la notoriété
plus évidente. C’est notamment
le cas de Gabriel Attal, membre du
gouvernement le plus en vue en
cette rentrée. Au point d’apparaî-
- CESSATIONS DE GARANTIE
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20
JUILLET 1972 - ARTICLES 44
QBE EUROPE SA/NV, sis Tour CBX -
1 Passerelle des Reflets - 92913 Paris La
Défense Cedex (RCS NANTERRE 842
689 556), succursale de QBE EUROPE
SA/NV, dont le siège social est à 37,
Boulevard du Régent, 1000 BRUXELLES
- BELGIQUE, fait savoir que, la garantie
financière dont bénéficiait la :
IMMO ROY RENE GESTION SAS
12 Rue de l’Opéra
13100 AIX-EN-PROVENCE
RCS: 833 879 992
depuis le 15/01/2018 pour ses activités de :
GESTION IMMOBILIERE cessera de por-
ter effet trois jours francs après publication
du présent avis. Les créances éventuelles
se rapportant à ces opérations devront être
produites dans les trois mois de cette inser-
tion à l’adresse de l’Établissement garant
sis Tour CBX - 1 Passerelle des Reflets -
92913 Paris La Défense Cedex. Il est pré-
cisé qu’il s’agit de créances éventuelles et
que le présent avis ne préjuge en rien du
paiement ou du non-paiement des sommes
dues et ne peut en aucune façon mettre en
cause la solvabilité ou l’honorabilité de la
SAS IMMO ROY RENE GESTION.
tre comme le « meilleur succes-
seur d’Emmanuel Macron » dans
un sondage IFOP publié par Le
Journal du dimanche, le 8 octobre.
Dans une précédente enquête du
même institut, publiée le 19 mars
dans Le Figaro, il recueillait l’avis
favorable de 40 % des Parisiens
pour devenir leur maire.
Officiellement, Gabriel Attal
n’est pas candidat à autre chose
qu’à remplir sa tâche de ministre
de l’éducation nationale. Officieu-
sement, l’élu des Hauts-de-Seine
n’a renoncé à rien et pourrait bri-
guer la succession d’Anne Hidalgo
à la mairie de Paris, en 2026.
Même si en « macronie », on ne
voit pas pourquoi il prendrait le
risque de s’abîmer au feu d’une
élection municipale très aléa-
toire. Effectivement, l’intéressé
paraît plutôt soucieux d’éviter de
commettre la moindre erreur qui
viendrait contrarier la fulgurance
de son ascension nationale.
« Le bon tempo »
Autre membre du gouverne-
ment, Clément Beaune affiche,
lui, ouvertement son ambition
pour Paris. Dimanche 15 octobre,
dans un café où il a ses habitudes,
le ministre délégué aux trans-
ports, mis au courant de la réu-
nion publique de M. Bournazel
deux jours plus tard, se voulait
tout aussi catégorique que le pro-
tégé de M. Philippe : « Mon enga-
gement pour Paris est très clair. Je
me suis engagé aux élections légis-
latives dans une circonscription
très difficile, au terme d’un rude
Hidalgo défend son bilan et garde le silence sur 2026
Emmanuel Grégoire, premier adjoint, attend la décision de la maire de Paris tout en espérant des encouragements
C’ est avec sons, lumières
et odeurs qu’Anne Hi-
dalgo a célébré son mi-
mandat à l’Atelier des lumières,
dans le 11e arrondissement de Pa-
ris, le 9 octobre. Une expérience
immersive en forme d’autosatis-
fecit, avec un message aussi lim-
pide que le scénario dystopique
projeté sur les murs était désa-
gréable – volutes d’une pollution
accrue, odeur de goudron
chauffé, hurlements d’un trafic
routier démesuré… : voilà à quoi
les Parisiens pourront échapper
si la gauche reste au pouvoir ;
voilà à quoi ressemblera Paris
en 2034 si l’opposition conserva-
trice arrive aux affaires.
« Cela fait vingt ans que Paris est
une ville de gauche et écologiste.
Cela fait vingt ans qu’on met en
doute nos capacités, et c’est en-
core pire depuis que c’est moi qui
suis aux manettes, une femme, de
gauche, issue de l’immigration »,
a conclu Anne Hidalgo qui, d’ici à
la fin de son mandat, prendra, as-
sure-t-elle, des initiatives pour
un nouveau plan climat ambi-
tieux. Avant d’affirmer, en ré-
ponse aux critiques : « Oui, il y a
plein de choses à améliorer, mais
franchement, il se passe des trucs
bien quand même. »
L’opposition municipale n’a pu
profiter de la soirée, elle n’était
Pierre-Yves Bournazel, dans le 18e arrondissement de Paris, mardi 17 octobre. AGNÈS DHERBEYS/MYOP POUR «LE MONDE»
combat. Pour être ancré locale-
ment, dans ma ville de vie et de
cœur. » « Il n’y a pas d’ambiguïté
sur ma détermination, mais il y a
des étapes, il faut être dans le bon
tempo », juge-t-il, se disant con-
vaincu que « cela bougera réelle-
ment après les Jeux olympiques ».
M. Beaune est présent deux fois
par semaine dans sa circonscrip-
tion parisienne et réfléchit à ses
axes programmatiques : « Pro-
preté, sécurité, fierté. » Reste à
trouver du souffle politique. « Si je
ne pensais pas imprimer, j’arrête-
rais la politique. Cela ne fait que
trois ans que j’ai passé le pas entre
la haute fonction publique et la po-
litique. L’avenir politique appar-
tient à ceux qui se forgent une
identité et ne la lâchent pas. Mon
identité est européenne et de cen-
tre gauche », affirme-t-il.
Ces trois-là ont un repère com-
mun : Bertrand Delanoë. L’ancien
maire socialiste, élu en 2001
après un long règne de la droite,
est une sorte de totem gagnant
dont il faut s’inspirer, et pour-
quoi pas s’y référer – les trois
prennent soin de lui téléphoner
régulièrement et de le croiser
quand il est dans la capitale –,
mais avec subtilité et parcimonie.
pas invitée. Ce qui n’empêche
pas l’élue (Les Républicains) Ra-
chida Dati de continuer à multi-
plier les sorties sur l’incurie sup-
posée de la maire de Paris. Ni
Pierre-Yves Bournazel, conseiller
municipal proche d’Edouard Phi-
lippe et candidat putatif à l’élec-
tion municipale de 2026, de dres-
ser son propre constat : « A mi-
mandat, ce n’est ni l’horrible cata-
clysme décrit par Rachida Dati, ni
la réussite exemplaire surjouée
par les amis d’Anne Hidalgo. Paris
mérite mieux. » Mieux faire, c’est
ce que pense aussi le groupe éco-
logiste, qui voudrait aller plus
loin, plus vite, plus fort dans la
transformation de la capitale.
Des rumeurs d’une primaire à
gauche ont d’ailleurs ressurgi.
C’est Yannick Jadot, ancien can-
didat à l’élection présidentielle,
néosénateur et pourquoi pas fu-
tur candidat à la Mairie de Paris,
« Je lui ai fait
part de ma
détermination
pour la mairie
de Paris »
EMMANUEL GRÉGOIRE
adjoint d’Anne Hidalgo
Ne surtout pas essayer de l’ins-
trumentaliser, il déteste : « Je suis
toujours prêt à écouter les gens
pour qui j’ai de la sympathie, qu’ils
appartiennent à la majorité muni-
cipale [comme Emmanuel Gré-
goire, premier adjoint d’Anne Hi-
dalgo] ou à l’opposition, admet
Bertrand Delanoë au téléphone.
J’aime qu’on aime Paris, mais
qu’on ne se serve pas de Paris pour
autre chose. A tous, je leur donne
le même conseil : “Paris, Paris, Pa-
ris. Le fond, le fond, le fond. Et
l’authenticité.” » Force est de cons-
tater que ce n’est pas exactement
l’option privilégiée jusqu’ici par
les deux ministres, puisqu’ils en-
tendent bien le rester.
Le souvenir amer de 2020
M. Bournazel, lui, a l’avantage de
pouvoir se focaliser pleinement
sur cet objectif. N’ayant d’autre
mandat que celui de conseiller de
Paris, il a tout son temps pour ac-
centuer un effet de contraste
maximal avec ses deux concur-
rents. Il est déjà trépidant : « Il fau-
dra être immédiatement opéra-
tionnel pour gouverner Paris de-
main. Maire de Paris, ça ne s’im-
provise pas. En novembre, je vais
lancer des conversations parisien-
qui a lancé l’idée en l’air. Ce qui
crée des perturbations chez les
écologistes.
Pour l’instant, à deux ans et
demi des élections municipales,
la majorité plurielle doit tenir.
Même si elle paraît parfois usée
par d’âpres négociations entre
socialistes, communistes et éco-
logistes, comme lors du remanie-
ment municipal qui a suivi les
élections sénatoriales, le 24 sep-
tembre 2023. « Nous sommes par-
tis unis aux sénatoriales, conteste
Rémi Féraud, sénateur socialiste
et président du groupe au Conseil
de Paris. La majorité est forte si on
regarde la résolution des dossiers
de fond. L’augmentation de la taxe
foncière a été une décision difficile,
mais la majorité était pour. »
Y aura-t-il un candidat unique
de la gauche et de l’écologie ? Un
troisième mandat de la maire de
Paris est-il en vue ? Anne Hidalgo
a renvoyé sa réponse définitive
après la tenue des Jeux olympi-
ques, à l’été 2024. « Ce qui fait di-
minuer la pression en interne »,
concède Rémi Féraud. Il y a toute-
fois des signaux faibles qui déno-
tent des envies d’ailleurs… Quand
le roi d’Angleterre arrive à Paris, le
20 septembre, Anne Hidalgo est
en déplacement à New York pour
rencontrer, une nouvelle fois,
l’ancien maire Michael Bloom-
« A tous, je leur
donne le même
conseil : “Paris,
Paris, Paris.
Le fond, le fond,
le fond. Et
l’authenticité.” »
BERTRAND DELANOË
ancien maire de Paris
nes. Chaque mois, devant les Pari-
siens, un invité dans un nouvel ar-
rondissement. »
Chez les militants macronistes
de la capitale, on lève les yeux au
ciel. Plusieurs d’entre eux disent
ne pas ressentir une absolue sin-
cérité dans les ambitions pari-
siennes de Gabriel Attal ou de Clé-
ment Beaune, mais plutôt un dé-
sir de mise en lumière person-
nelle au gré de plans de carrière
fluctuants. Ils sont également as-
sez dubitatifs sur les chances réel-
les de ces « têtes d’affiche » car ils
se souviennent de l’expérience
amère des élections municipales
de 2020 quand Benjamin Gri-
veaux avait dû renoncer et laisser
berg, et discuter avec lui de la
création d’une fondation sous
égide onusienne.
Dans son grand bureau de pre-
mier adjoint, qu’il aimerait
échanger pour celui, deux fois
plus vaste, de maire de Paris, Em-
manuel Grégoire savoure encore
son tour de force réussi avant
l’été, en mettant d’accord les so-
cialistes, les communistes et les
écologistes autour d’un plan lo-
cal d’urbanisme qui va modeler
le visage de Paris pour les pro-
chaines années. A priori, si Anne
Hidalgo ne se représente pas, il
est le candidat socialiste naturel.
Même si, publiquement, elle ne
lui montre jamais le moindre si-
gne d’adoubement, ni même
d’encouragement.
« Tripatouillage électoral »
Depuis un an, au contraire, Anne
Hidalgo lui a reproché de ne pas
s’être suffisamment engagé sur
sa motion « refondations » oppo-
sée au congrès du parti, en janvier
au premier secrétaire du Parti so-
cialiste, Olivier Faure. Après une
période longue et compliquée, ils
ont enfin eu une explication, en
septembre, pour régler le diffé-
rend. « Je lui ai fait part de ma dé-
termination pour la Mairie de Pa-
ris. J’ai besoin qu’elle m’aide pour
la suite », ajoute Emmanuel Gré-
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
Agnès Buzyn encaisser la catas-
trophe électorale (17 %).
Les « marcheurs » de l’époque
ont retenu quelques leçons : le
nom, aussi illustre soit-il, ne ga-
rantit rien, un candidat parachuté
ne pèse pas beaucoup plus. « Les
Parisiens ont besoin de se sentir au
cœur des préoccupations de l’édile,
affirme Catherine Ibled, con-
seillère Renaissance de Paris. Le
travail de terrain est indispensable
pour préparer la future campagne.
Je me demande parfois si cette di-
mension est intégrée par tous. »
Des groupes de travail embryon-
naires ont bien été lancés par Re-
naissance, mais il n’y a pas encore
beaucoup d’idées émergentes et
plus du tout de réunions collecti-
ves avec les élus locaux.
Alors, faute de mieux, ils sont de
plus en plus nombreux à se de-
mander s’il ne faudrait pas jouer
placé plutôt que gagnant. Viser
un objectif intermédiaire, faire
élire un maximum de conseillers
de Paris pour l’éventuel coup
d’après. Même si Clément Beaune
n’en démord pas : « On ne peut
pas être petit bras. Cela se verra si
on n’y va pas à fond. L’option
moyenne ne marche jamais. » p
laurent telo
goire, qui a déjà créé son micro-
parti et étoffe son réseau parisien.
Durant leur tête-à-tête, Anne Hi-
dalgo lui a aussi précisé qu’il de-
vait patienter encore un peu
avant de recevoir le feu vert pour
une campagne personnelle.
Si M. Grégoire demeure stoïque
face à l’hypothèse d’une pri-
maire à gauche, il n’est pas in-
quiet non plus du projet d’abro-
gation de la loi Paris-Lyon-Mar-
seille, porté par Renaissance, qui
pourrait modifier le mode de
scrutin des municipales, afin de
faire élire les édiles des trois vil-
les au suffrage universel direct.
Et faire bénéficier au parti prési-
dentiel d’un éventuel avantage
électoral.
« Ce débat est insupportable sur
le plan éthique, attaque le pre-
mier adjoint à la Mairie de Paris.
L’idée historique selon laquelle la
gauche aurait été élue par effrac-
tion sur la base d’un scrutin qui ne
serait pas démocratique est une
dérive nauséabonde, populiste et
cynique. » Disant avoir « fait des
projections », M. Grégoire affirme
que « si la loi avait changé
en 2020, Anne Hidalgo aurait eu
plus de conseillers ». Il promet de
dénoncer un « tripatouillage élec-
toral » si les macronistes passent
à l’offensive sur ce sujet. p
l. t.
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 15
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023

L’immobilier de bureau sous forte pression

Fragilisé, le secteur doit composer avec l’envolée des taux et l’évolution des usages née de la crise sanitaire

londres - correspondance

I
l n’est pas au cœur du débat
politique comme l’a été le
logement au cours des der-
nières semaines, mais le
marché de l’immobilier de bu-
reau est, lui aussi, sous étroite sur-
veillance. Dans toute l’Europe,
professionnels et autorités finan-
cières redoutent de voir une chute
des volumes et des prix mettre en
difficulté de grands investisseurs,
voire fragiliser le système finan-
cier dans son ensemble.
En décembre 2022, déjà, le Con-
seil européen du risque systémi-
que, l’un des grands superviseurs
du marché financier de l’Union
européenne, soulignait la vulné-
rabilité de l’immobilier commer-
cial (bureaux, commerces, locaux
industriels et entrepôts) à l’infla-
tion, au durcissement des condi-
tions de financement et au ralen-
tissement économique. Depuis,
les avertissements n’ont pas
cessé, d’autant qu’aux Etats-Unis,
l’immobilier commercial a joué
un rôle capital dans la déroute de
la banque spécialisée Signature
Bank, dont les autorités ont orga-
nisé en urgence la fermeture et
le démantèlement, en mars.
En Europe, plusieurs voyants
sont passés à l’orange, voire au
rouge. Au point que, pour Alexan-
dra Dimitrijevic, directrice de la
recherche à l’agence de notation
S&P Global, l’immobilier com-
mercial est devenu l’un des prin-
cipaux maillons faibles de l’éco-
nomie : « Il est très dépendant des
coûts de financement et des chan- Tour CB16, dans le quartier d’affaires de la Défense (Hauts-de-Seine), en septembre 2021. LAURENT GRANDGUILLOT/REA
gements structurels de l’après-
pandémie [de Covid-19]. C’est un
secteur où il faut être vigilant, marché des bureaux est en « ré- devenu dissuasif. Conséquence : listes de ce marché. L’écart se marché de l’emploi ont des effets
même s’il y a des différences géo-
Sur le marché cession », d’après une note des « La valeur des bureaux est en train creuse aussi pour les loyers : ils contradictoires : l’essor du télétra-
graphiques. » Parmi les pays les français, c’est analystes de la banque améri- de baisser fortement, parce qu’il peuvent dépasser 1 000 euros le vail et du flex office réduit pres-
plus touchés figurent l’Allemagne caine Jefferies du 27 septembre. y a ce double phénomène de crise mètre carré par an dans le quar- que mécaniquement la demande
et la Suède, où SBB, l’un des prin-
l’investissement Selon eux, le nombre de bureaux du crédit et de taux élevés, d’une tier central des affaires de la capi- d’espaces de bureaux, mais les
cipaux acteurs du secteur, a dû dans la vides dans la capitale britannique part, et d’offre excédentaire sur tale, mais sont revenus sous les difficultés de recrutement ren-
céder une partie de son porte- est au plus haut depuis trente ans. certains segments de marché, 600 euros à la Défense, à l’ouest dent certaines entreprises plus
feuille immobilier pour éviter
construction qui Sur le marché français, c’est l’in- d’autre part », note M. Quatrain. de Paris, distante de seulement exigeantes. La demande évolue
une crise de liquidité. a le plus souffert vestissement dans la construction Sur le marché francilien de la quelques stations de métro. donc au profit de surfaces plus
qui a le plus souffert ces derniers location, qui représente la moitié Au-delà de ces différences, le réduites mais mieux situées,
Décotes
ces derniers mois mois. « Les chantiers, les lance- du marché hexagonal, les volu- marché francilien des bureaux mieux desservies par les trans-
En France, après l’inquiétude ments de nouveaux projets de bu- mes de transactions ont baissé amortit la crise grâce à un avan- ports en commun, dans des im-
manifestée par la Banque de reaux se sont arrêtés », résume Clé- de 12 % sur les neuf premiers tage historique, note Eric Siesse, meubles offrant des prestations
France quant à « la faible liqui- que les décotes allaient être sai- ment Quatrain, responsable des mois de 2023, à un peu moins de directeur général adjoint de BNP de meilleure qualité et répondant
dité de cette classe d’actifs, et donc gnantes et se préparaient à rache- études sur l’immobilier d’entre- 1,4 million de mètres carrés. Paribas Real Estate : « Les autres aux nouvelles contraintes de
la difficulté à la valoriser de ma- ter des biens. Mais les acheteurs prise au sein de la société de con- grandes métropoles européennes consommation d’énergie.
nière régulière et précise » en pé- d’hier sont en train de se transfor- seil Grecam. Selon le groupement Effets contradictoires sont souvent moins diverses dans « Certaines entreprises cherchent
riode de retournement de cycle, mer en vendeurs », relate Philippe d’intérêt économique ImmoStat, Cette baisse marquée masque la nature des activités qu’elles ac- à faire des économies tout en évo-
plusieurs sociétés civiles de place- Rosio, PDG de la foncière Inea. les investissements dans le secteur toutefois des disparités géogra- cueillent. A Paris, quand un secteur luant vers un immeuble qui leur
ment immobilier (SCPI), qui per- Au Royaume-Uni, les fonds de en Ile-de-France ont chuté de 57 % phiques de plus en plus fortes. se porte moins bien, un autre prend permet d’améliorer à la fois le ca-
mettent aux investisseurs d’ache- pension se trouvent, eux aussi, sur les neuf premiers mois de 2023, « Dans Paris intra-muros, il n’y a la relève. » Ainsi, le luxe, « grand dre de travail et le cadre de vie de
ter des parts d’un portefeuille de sous forte pression. Contraints à 8,7 milliards d’euros. quasiment plus rien à louer, alors consommateur de mètres carrés », leurs salariés », résume M. Siesse.
biens, étaient contraintes d’abais- par leurs autorités de tutelle de A l’origine de ces multiples tur- que dans la première couronne, le et le secteur public ont pris le re- Une tendance qui amplifie l’obso-
ser la valeur de leurs parts. maintenir un certain niveau de li- bulences se trouve la remontée taux de vacance des bureaux va de lais en 2023 de la netéconomie et lescence de certains immeubles
Ce revers de fortune a remis en quidité, certains ont commencé à forte et rapide des taux d’intérêt 16 % à 20 % », soit deux fois son du coworking, affaiblis par l’envo- et dope le marché de la rénova-
cause la stratégie de croissance de vendre dans l’urgence des actifs, directeurs des grandes banques niveau d’avant la crise sanitaire, lée de leurs coûts de financement tion même si, souligne M. Rosio,
certains. « Fin 2022, les prédateurs avec des décotes atteignant 40 %, centrales : emprunter à 4,5 % ou relève Olivier Taupin, directeur de et la raréfaction des capitaux. « verdir un immeuble coûte envi-
se mettaient en ordre de bataille : au dire de Paul Kitson, spécialiste plus pour financer la construc- l’activité de bureaux et locaux in- Pour compliquer encore un peu ron 10 % de sa valeur vénale ». p
des SCPI qui avaient collecté beau- des fonds de pension au cabinet tion de bureaux dont le rende- dustriels chez Cushman & Wake- plus la donne, l’évolution des éric albert
coup d’argent laissaient entendre de consultants EY. A Londres, le ment est rarement plus élevé est field, l’un des principaux spécia- usages des entreprises et celle du et marc angrand (à paris)

En Allemagne, la crise commence à changer le visage des villes

La récession économique et la généralisation du télétravail se conjuguent pour faire baisser fortement la demande

berlin - correspondance les métropoles allemandes a Selon les experts du secteur, construction », explique Christian de 20 %, c’est encore très loin de ce bien supérieur à celui d’avant la
grimpé à 5,5 % au cours des neuf cette tendance devrait se mainte- Oberst, expert des questions im- qu’on observe en Allemagne. » pandémie, relève l’Ifo.

A près une décennie de

croissance folle, le mar-
ché de l’immobilier com-
mercial allemand est entré dans
une phase de forte correction. Se-
premiers mois, contre seulement
4,7 % en 2022 à la même période.
Plusieurs facteurs expliquent la
tendance. Au ralentissement de
l’économie depuis début 2023
nir. Mais les effets sur le marché ne
font que commencer, en raison de
la durée longue des contrats de
location de bureau – en général
dix ans. « Pour l’instant, les patrons
mobilières à l’Institut économi-
que de Cologne.

Développement des périphéries

lon les chiffres de BNP Paribas Real
Estate, le volume des transactions
dans l’immobilier de bureau a
chuté de 76 % dans les neuf pre-
miers mois de l’année, par rapport
à la même période de l’année pré-
cédente, à presque 4,6 milliards
d’euros. Le groupe de services im-
mobiliers américain Jones Lang
LaSalle, rapporte que dans les sept
plus grandes villes allemandes, les
transactions ont baissé de 36,3 %
sur la même période. Et le taux
d’inoccupation des bureaux dans
s’ajoute une restriction du crédit,
qui pèse sur l’investissement des
entreprises. Mais, surtout, on
observe une baisse globale de la
demande d’espaces de bureau,
conséquence de la généralisation
du télétravail depuis la pandémie
de Covid-19. Selon un sondage
récent de l’institut Ifo, 61 % des
entreprises allemandes autorisent
actuellement leurs salariés à tra-
vailler depuis leur domicile. Un
quart des salariés profite réguliè-
rement de cette opportunité.
hésitent encore : certains veulent
faire revenir leurs salariés au bu-
reau, d’autres testent les solutions
de télétravail. Il n’y a que là où le
télétravail est le plus établi que les
entreprises décident de réduire leur
espace et de s’installer dans les en-
droits les plus centraux des villes,
qui restent attractifs. La plupart du
temps, elles ont tendance à rester
dans leurs locaux et renoncent à
s’agrandir, même quand elles sont
en croissance. Et personne ne se
lance dans un nouveau projet de
Conséquence : les transactions
sur le marché sont peu nombreu-
ses, beaucoup d’espaces peinent à
trouver preneur s’ils ne sont pas
bien situés. Selon la banque DZ,
les prix d’achat de l’immobilier de
commerce ont chuté de 10 % par
rapport à la mi-2022, ceux de l’im-
mobilier de bureau de 8 %. Cette
évolution peut-elle se traduire
par une crise financière, comme
redouté sur certains marchés ?
« Je considère que le risque est plus
faible qu’aux Etats-Unis, relativise
M. Oberst. Là-bas, les prix baissent
Les nouveaux usages pour-
raient transformer le visage des
villes et des métropoles du pays.
Selon l’Ifo, 12,3 % des places de tra-
vail sont sous-utilisées dans une
journée moyenne, en raison du
télétravail. « Cette part a triplé de-
puis 2019 », relève Simon Krause,
expert des questions immobiliè-
res à l’Ifo. La généralisation du tra-
vail à domicile a par ailleurs con-
tribué à vider certains centres-vil-
les autrefois très vivants. On as-
siste à un déplacement de
l’activité : les centres commer-
ciaux et espaces de restauration
dans les périphéries des grandes
villes sont en plein développe-
ment, avec un chiffre d’affaires
Pour les espaces de bureaux va-
cants, l’heure est à la restructura-
tion. Les espaces vides, vieillis-
sants et situés en périphérie pour-
raient être convertis en loge-
ments. Coûteuse et complexe,
cette solution n’est pas favorisée
par les investisseurs. Mais elle in-
téresse les responsables politiques
pour soulager la crise du logement
aiguë qui affecte le pays. Berlin
voit un potentiel de 235 000 nou-
velles habitations grâce à la trans-
formation des immeubles de bu-
reaux en appartements. A cet ef-
fet, 480 millions d’euros de prêts
bonifiés seront bientôt mis à dis-
position par le gouvernement. p
cécile boutelet
16 | économie & entreprise
Maisons fissurées par maisons. « Les conditions de vie de
la famille B. sont déplorables – les
volets et fenêtres ne s’ouvrent plus,
la sécheresse : la lourde
le carrelage se soulève, la consom-
mation de chauffage a explosé »,
décrit le texte, précisant que le re-
logement est impossible, car non
pris en charge par l’assureur et
tâche des assureurs parce que le ménage rembourse
encore le crédit de sa maison.
Il calcule qu’il s’écoulera au
moins sept ans entre les premiè-
Un député du Nord plaide, dans un rapport, en faveur res fissures et le retour à la vie
normale. Le long processus de
d’une meilleure prise en charge des sinistrés prise en charge suit son cours. La
commune a été reconnue en état
de catastrophe naturelle pour
2020. Trois visites d’expert ont eu
Q
uelque 3,5 milliards changement climatique, « la sé- dans des situations préoccupan- lieu. Les B. attendent de savoir si la
d’euros. C’est le mon- cheresse apparaît comme le péril tes, parfois dramatiques. Ainsi la maison sera réparée, ou démolie
tant, historique, versé le plus préoccupant compte tenu famille B., qui vit à Halluin (Nord), et reconstruite. « Les sinistrés sont
par les compagnies du montant des dommages qu’elle avec deux enfants de 9 et 14 ans. englués dans des procédures qui
d’assurances pour engendre [sur les maisons] et de Chez eux, les premières fissures, durent des années », est-il déploré
des maisons abîmées par les leur forte évolution à horizon fu- apparues à l’été 2019, se sont for- dans le rapport. Pour le député de
sécheresses de 2022, par le régime tur », écrit la Caisse centrale de tement aggravées un an après. En la majorité, l’accompagnement
d’indemnisation des catastro- réassurance (CCR), le réassureur cause, le phénomène de retrait- n’est pas à la hauteur : « Quand un
phes naturelles, appelé « Cat Nat » public, qui gère le Cat Nat. gonflement des argiles (RGA) : village est inondé, une cellule psy-
− soit 70 % de plus que le précé- Avec la succession rapide des quand la teneur en eau des argiles chologique est mise en place, et
dent record, datant de 2003, selon sécheresses, ces indemnisations varie, au gré de la météo, les sols c’est normal, mais pour [les habi-
les estimations transmises par le ont représenté 70 % de la sinistra- argileux sont soumis à de fortes tants des maisons touchées par la
secteur, mardi 17 octobre. lité Cat Nat des cinq dernières variations de volume et de consis- sécheresse], il n’y a pas de psycho-
Si la note s’annonce bien moins années. Derrière ces chiffres : des tance, générant des mouvements logue. Ces sinistrés ne sont pas
salée pour 2023 (autour de dizaines de milliers de maisons de terrain susceptibles de détério- considérés comme des victimes. »
900 millions d’euros), la ten- abîmées, fissurées, ou menacées, rer la structure des bâtiments. Il préconise de « créer au niveau
dance est lourde. Sous l’effet du chaque année, et autant de foyers départemental une cellule de crise
Conditions de vie « déplorables » qui ferait office de filet de sécurité
C’est dans cette maison, près de la pour les victimes », pour « fournir
Nombre record de communes « Cat Nat » frontière belge, que le député (Re- des solutions de relogement, pro-
naissance, Nord) Vincent Ledoux a poser un accompagnement psy-
L’année 2022 est marquée par un record en matière de nombre rendu au ministre de l’intérieur, chologique, assurer la coordina-
de communes reconnues en état de catastrophe naturelle « séche- Gérald Darmanin, un rapport titré tion des intervenants, mobiliser les
resse ». Les arrêtés « Cat Nat » pour 2022, publiés entre avril « RGA, n’attendons pas que ce soit aides nécessaires ». D’autres pro-
et octobre 2023, affichent en effet, pour l’heure, un total de la cata ! », le 6 octobre. Un choix positions sont formulées pour
6 077 communes, écrasant l’ancien record de 2003 (environ 4 400). pas anodin pour la remise de ces améliorer la prise en charge ; plu-
La reconnaissance de l’Etat de catastrophe naturelle sur son terri- 72 pages qui placent les sinistrés et sieurs visent à accélérer le proces-
toire est une condition sine qua non pour être indemnisé lors- leurs galères au cœur de la ré- sus d’indemnisation et de répara-
qu’une maison est touchée par le phénomène de retrait-gonfle- flexion sur le RGA, un phénomène tion « à tous les étages ».
ment des argiles. En pratique, la publication de l’arrêté marque voué à s’accentuer avec le réchauf- Parmi les autres idées : renfor-
le début d’un long processus pour l’assuré, qui a, dans un premier fement climatique. cer les garanties d’indépendance
temps, trente jours pour soumettre sa demande à l’assureur (ce Selon la fédération France Assu- des experts vis-à-vis des assu-
délai a été allongé, il était de dix jours avant le 1er janvier 2023). reurs, ce risque pèse, à titre moyen reurs (par exemple en s’assurant
ou fort, sur environ 11 millions de que leur chiffre d’affaires ne
Le nombre de faillites d’entreprises
UN HORS-SÉRIE
revient à son niveau d’avant-Covid
Les procédures en cours pourraient générer 70 000 licenciements
pour motif économique dans les mois qui viennent
L
HORS-SÉRIE a « parenthèse » de la crise
liée au Covid-19, qui a per-
mis de contenir les faillites
grâce aux aides de l’Etat, est désor-
mais bel et bien refermée. Selon
les données publiées mardi 17 oc-
tobre par le cabinet Altares,
41 000 entreprises françaises sont
entrées en procédure judiciaire
entre janvier et septembre, chiffre
le plus élevé depuis 2018. « Dans
ces conditions, on peut atteindre
55 000 dossiers à la fin de l’année :
on est à l’étiage, il n’y a pas de réelle
surprise, bonne ou mauvaise »,
souligne Thierry Millon, directeur
LES
SECRETS
des études chez Altares.
Les administrateurs et manda-
taires judiciaires établissent un
constat comparable : « On sera en-
DE LA
MYTHOLOGIE
tre 45 000 et 50 000 dossiers en fin
d’année », indique Me Frédéric
Abitbol, président du Conseil na-
tional des administrateurs judi-
ciaires et des mandataires judi-
LES DIEUX DE BABYLONE ciaires (CNAJMJ). Si cette reprise
des faillites, dans un contexte de
croissance morose et d’inflation
forte, ne surprend personne,
quelques signaux alertent. No-
En partenariat avec
tamment le fait qu’elles touchent
des entreprises un peu plus gran-
des qu’en début d’année, tradui-
sant les difficultés propres à cer-
taines activités. « Le poids des PME
dans les défaillances est désormais
LE PANTHÉON DES DIEUX MÉSOPOTAMIENS le même que pendant la crise fi-
nancière, aux alentours de 8 % »,
précise M. Millon.
Dans ce hors-série Le Monde, découvrez la richesse des dieux mésopotamiens. « Sur nos 39000 dossiers en cours,
De Sumer à Akkad jusqu’à Babylone retrouvez les récits mythologiques de la création un peu plus de 23 000 concernent
de l’univers et de la genèse de ces divinités. Un voyage aux origines de cette civilisation. des petites entreprises qui comp-
tent entre zéro et dix salariés, con-
firme Me Abitbol, mais les dossiers
touchant des entreprises de plus de
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX ET SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE 1 000 salariés est un peu plus élevé
124 PAGES - 10,99 € que d’habitude ». Un phénomène
lié notamment à la crise de l’ha-
billement ou de l’immobilier. Sté-
phane Colliac, économiste senior
Le risque
de retrait-
gonflement
des argiles pèse
sur environ
11 millions
d’habitations
dépende pas trop d’un assureur),
afin de « remettre de la confiance
dans un système abîmé par une
défiance généralisée ». Ou pren-
dre en charge les frais de reloge-
ment pour plus de six mois (une
prise en charge maximale de six
mois, jugée insuffisante, entrera
en vigueur en 2024).
« Immobilité »
Un deuxième axe insiste sur la
nécessité de « lancer un chantier
massif d’adaptation » des mai-
sons et de leur environnement au
RGA. En clair : miser sur la pré-
vention en ciblant mieux les mai-
sons à risque, en améliorant la
connaissance des techniques de
prévention et de réparation, etc.
Les pistes ne manquent pas,
mais leur « éparpillement » con-
duit à une « perte d’efficacité », es-
time M. Ledoux. Son rapport re-
commande la mise sur pied d’un
« cluster [regroupement] de la re-
cherche en RGA » réunissant, « en
un lieu unique, toute la connais-
sance et les perspectives d’appro-
fondissement ». Et réclame plus
généralement un « pilotage natio-
nal » de la politique RGA. « Je plaide
pour un plan massif », déclare le
député du Nord, très critique vis-à-
vis de l’action menée jusqu’alors.
« Il n’y a eu ni moyens financiers, ni
gouvernance, ni plan correspon-
dant à la taille de l’enjeu. [Le RGA]
est un oublié, un impensé et un in-
chez BNP Paribas, note, lui, que
« 50 grandes entreprises et ETI [en-
treprises de taille intermédiaire]
ont été soumises à une procédure
collective au cours des douze der-
niers mois, soit deux fois plus
qu’avant Covid, avec un poids pré-
pondérant du commerce textile ».
Fin du « quoi qu’il en coûte »
Autre tendance à surveiller, les
défaillances touchent plus
qu’avant les entreprises dont l’ac-
tivité s’adresse à d’autres entre-
prises, que celles qui s’adressent
directement aux consomma-
teurs. « Cela correspond à une évo-
lution fondamentale du paysage
économique, décrypte Denis
Ferrand, directeur général de
Rexecode. Les difficultés sont en
train de se déplacer des ménages
vers les entreprises ; si ce sont les
premiers qui ont freiné la crois-
sance en 2023, les secondes donne-
ront le tempo en 2024. »
En toute logique, plus les entre-
prises qui font défaillance comp-
tent de salariés, plus l’impact sur
l’emploi est important. Les entre-
prises qui sont en procédure, qu’il
s’agisse d’une sauvegarde, d’un re-
dressement ou d’une liquidation
directe, représentent 156 000 em-
plois, selon le CNAJMJ. Ce chiffre
« Le poids
des PME dans
les défaillances
est le même que
pendant la crise
financière »
THIERRY MILLON
directeur des études
chez Altares
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
déterminé des politiques publi-
ques. Beaucoup a été écrit, de
bonnes propositions ont été faites,
certaines ont permis d’améliorer
par petites touches le régime pour
les sinistrés. Mais le constat d’en-
semble est celui d’une immobilité »,
écrit-il. Au-delà des histoires indi-
viduelles, le RGA est pour lui un
enjeu de logement.
L’accueil est mitigé chez les as-
sureurs. Si Franck Le Vallois, direc-
teur général de France Assureurs,
salue « beaucoup de propositions
de bon sens », il craint que certai-
nes mesures ne « fragilisent » le
régime Cat Nat, en en gonflant la
charge financière. La soutena-
bilité du régime est l’objet d’une
autre mission lancée par l’exécu-
tif. Ses conclusions sont atten-
dues en décembre. Le tempo gou-
vernemental pourrait toutefois
être bousculé par l’agenda parle-
mentaire. Car une proposition de
loi de la députée EELV Sandrine
Rousseau, votée à l’Assemblée na-
tionale, en avril, avec seulement
neuf voix contre, doit mainte-
nant être soumise au Sénat. La
possibilité d’un examen dès la fin
novembre a été évoquée.
Ce texte, qui vise une meilleure
prise en charge des sinistrés, est
un chiffon rouge pour les assu-
reurs et le gouvernement, par sa
mesure phare : inverser la charge
de preuve, faire en sorte que la
reconnaissance Cat Nat d’une
commune entraîne la présomp-
tion de responsabilité RGA pour
les sinistrés (donc l’indemnisa-
tion) – ce serait alors à l’assureur
de prouver que ce n’est pas le cas.
« Maintenant, ça suffit les rap-
ports, il faut passer à l’acte ! », juge
Mme Rousseau. « J’ai le grand sou-
tien du ministre de l’intérieur. Ce
n’est pas un rapport, c’est le dernier
rapport avant action », promet de
son côté M. Ledoux. p
aurélie blondel
devrait donc atteindre un peu
moins de 200 000 emplois sur
l’année complète, restant sur un
étiage bas par rapport à la
moyenne de long terme.
« En considérant que les procédu-
res permettent de préserver deux
emplois sur trois, le nombre de li-
cenciements pour motif économi-
que lié à la défaillance de l’em-
ployeur devrait être de l’ordre d’en-
viron 70 000 sur l’année 2023 », cal-
cule Me Abitbol. De quoi alimenter
la remontée du chômage.
Dans ses prévisions pour la
France publiées mardi, l’Observa-
toire français des conjonctures
économiques (OFCE) estime que
« la seconde moitié de 2023, mais
surtout 2024, seront celles du re-
tournement de la courbe du chô-
mage, ce dernier passant de 7,2 % à
7,9 % à la fin 2024 ». La fin du « quoi
qu’il en coûte » et les échéances à
venir (un peu moins de 69 mil-
liards d’euros de prêts garantis par
l’Etat ont déjà été remboursés sur
un total de 144 milliards de prêts)
se traduirait selon l’OFCE par une
accélération des défaillances et la
disparition de 138 000 emplois
en 2024, soit une hausse de
0,4 point du chômage.
Mais cette remontée viendra
aussi, selon les économistes, de la
réforme des retraites qui se tra-
duit par un recul de l’âge de dé-
part. Sur la seule année 2023, la ré-
forme va apporter 177 000 actifs
supplémentaires sur le marché
du travail, soit une hausse de
0,6 % de la population active.
En 2024, cette hausse sera de
0,4 %. Si une personne concernée
sur deux « basculait » dans le chô-
mage et que les faillites devaient
s’accélérer, le taux de chômage
pourrait remonter à 8,5 % en
2024, estime l’OFCE. p
béatrice madeline
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
Football : échec de l’appel d’offres
pour les droits télé de la Ligue 1
Aucun des lots pour la période 2024-2029 n’ayant été attribué aux
enchères, mardi 17 octobre, la négociation va se poursuivre de gré à gré
F
inalement, la partie ne
fait que commencer
autour des droits télévi-
sés pour diffuser la Li-
gue 1 de football de 2024 à 2029. La
Ligue de football professionnel
(LFP) organisait, mardi 17 octobre,
les enchères dans les locaux de
son cabinet d’avocat Clifford
Chance, mais elle a été contrainte
d’acter l’échec de l’appel d’offres.
« Aucun des cinq lots n’a été attri-
bué ce jour », a-t-elle fait savoir à
travers un court communiqué
publié en début d’après-midi. Se-
lon nos informations, Amazon,
l’actuel principal diffuseur de la
Ligue 1 sur sa plate-forme Prime
Video, n’a pas participé au proces-
sus organisé mardi.
La Ligue espérait obtenir un mil-
liard d’euros par an, dont 825 mil-
lions pour la France (contre envi-
ron 650 aujourd’hui). La LFP avait
donc imposé un minimum de
530 millions d’euros pour le lot
contenant les trois meilleurs
matchs, 270 millions pour les six
autres et 25 millions pour les ma-
gazines. Elle n’a pas trouvé pre-
neur, même si elle annonce « avoir
reçu plusieurs offres qualitatives et
dispositifs de garantie financière ».
La veille, les diffuseurs intéressés
étaient appelés à déposer leurs of-
fres qualitatives (couverture édi-
toriale, promotion, marketing et
lutte contre le piratage).
L’absence d’enchères renforce
l’incertitude sur le nom des fu-
turs diffuseurs de la Ligue 1. Que
va-t-il se passer maintenant ? La
LFP va désormais « poursuivre son
processus de commercialisation
des droits de la Ligue 1 », comme
elle l’annonce dans son commu-
niqué. En clair, elle va négocier de
gré à gré, en direct, avec les acqué-
reurs potentiels. Parmi lesquels
peuvent aussi figurer les groupes
n’ayant pas souhaité déposer d’of-
fre qualitative lundi, comme
Amazon ou Canal+.
PERTES & PROFITS | ÉLECTRONIQUE
p a r p hil ip p e e s ca nde
Washington en lutte
contre les puces chinoises
Chacun ses irritants. Les Français
ont déclaré la guerre aux punai-
ses de lit ; les Américains, aux
puces électroniques chinoises.
Dans les deux cas, la lutte promet
d’être longue et peu fructueuse.
Cela n’empêche pas Washington
de serrer encore la vis en prépa-
rant de nouvelles restrictions sur
les exportations vers la Chine des
puces les plus sophistiquées. A la
Maison Blanche, on n’a pas ap-
précié la présentation en fanfare
du dernier smartphone de
Huawei. La compagnie de Shen-
zhen a présenté en septembre un
nouveau smartphone 5G doté
d’une puce chinoise dont la
finesse de gravure, indicateur de
sa puissance, ne dépasse pas les
7 nanomètres. Un exploit de la
part de la société shanghaïenne
SMIC, premier électronicien
du pays, dont les Etats-Unis ne la
pensaient pas capable. D’un coup,
elle devient la rivale d’Intel,
de Samsung ou de TSMC dans
les puces haut de gamme.
Branle-bas de combat, il faut
serrer de nouveau les mailles du
filet. Et la victime, cette fois,
est le roi des puces destinées…
aux jeux vidéo. La société califor-
nienne Nvidia, bien connue des
gameurs pour ses cartes graphi-
La Ligue
de football
professionnel
risque d’obtenir
une somme
globale moindre
que son prix
de départ
La LFP a toujours envisagé, et
même anticipé, la possibilité d’un
processus de gré à gré. L’infructuo-
sité de l’appel d’offres reste toute-
fois un revers. Elle pourra certes
attribuer les droits à des candidats,
éventuellement en redécoupant
les lots pour les rendre plus acces-
sibles financièrement. Mais elle
risque d’obtenir une somme glo-
bale moindre que son prix mini-
mum affiché comme position de
départ. Le mécanisme d’attribu-
tion des droits du championnat,
par des enchères à l’aveugle avec
un grand nombre de concurrents,
semble grippé – il a déjà échoué
cette année en Italie.
L’appel d’offres de la LFP a été
bousculé par la contestation de Ca-
nal+ : le 25 septembre, le groupe de
télévision payante avait jeté un
froid en annonçant que, pour la
première fois depuis son lance-
ment en 1984, elle ne participerait
pas aux enchères pour les droits
de la Ligue 1. Dans sa lettre à la LFP
– qui avait fuité dans la presse –,
son président, Maxime Saada, es-
timait que les conditions n’étaient
« aujourd’hui pas réunies », notam-
ment en raison du « choix inédit
d’un prix fixe et si élevé ». La filiale
du groupe de Vincent Bolloré, Vi-
vendi, allait jusqu’à accuser la LFP
de vouloir « écarter Canal+ et favo-
riser Amazon » en visant un échec
volontaire de l’appel d’offres, afin
de se « libérer de la contrainte juri-
ques, est devenue la star du sec-
teur, et de la Bourse, quand on
s’est aperçu que ses microproces-
seurs étaient particulièrement
adaptés aux puissants calculs
demandés par l’intelligence arti-
ficielle. Pour échapper aux inter-
dictions américaines, la société
avait conçu une puce spéciale
destinée au marché chinois, pro-
che de son produit vedette mais
aux capacités suffisamment
limitées pour passer sous le seuil
d’interdiction. C’est désormais
fini, et c’est une bien mauvaise
nouvelle pour Nvidia, qui,
comme beaucoup d’électroni-
ciens américains, réalise près
d’un quart de ses ventes dans
l’empire du Milieu.
Derrière cette guerre des nano-
mètres se cache l’accélération du
découplage entre les économies
américaine et chinoise. Contre
leur gré, les industries occidenta-
les replient la toile. Selon
l’agence Bloomberg, les investis-
sements étrangers en Chine se
sont élevés à 4,5 milliards de dol-
lars (4,26 milliards d’euros) au
deuxième trimestre, le chiffre le
plus bas depuis vingt-cinq ans. Et
tant pis pour Apple, Nvidia et les
autres, premiers perdants de la
guerre des puces. p
dique d’un appel à candidatures »
et « de pouvoir négocier une nou-
velle fois directement et dans des
conditions parfaitement opa-
ques ». La LFP avait vivement nié
« les affirmations ou insinuations »
contenues dans cette lettre.
Le fait que la LFP passe à une né-
gociation de gré à gré est une rela-
tive victoire pour Canal+. D’autres
y verront au contraire le résultat
d’une action de déstabilisation de
l’appel d’offres par Vivendi, en
conflit ouvert avec la LFP. Canal+
s’est en effet plaint – en vain – de-
vant la justice de la différence de
prix jugée déloyale entre le lot ob-
tenu en 2020 par Amazon
(250 millions d’euros par an pour
huit matchs) et celui racheté par
Canal+ (320 millions pour deux
matchs), après le fiasco du diffu-
seur Mediapro.
Questions autour d’Amazon
Canal+ peut désormais tenter
d’obtenir un lot en direct. Et, en
cas d’échec, a aussi une autre
corde à son arc : le groupe pourrait
continuer à proposer de la Ligue 1,
mais en tant que distributeur,
grâce à ses contrats passés avec la
chaîne qatarie BeIN Sports et la
plate-forme DAZN (prononcez
« da zone »). Cette entreprise bri-
tannique, fondée en 2016, clame
sa volonté de s’installer durable-
ment en France. Mais selon nos
informations, elle n’a pas parti-
cipé mardi aux enchères, malgré
le dépôt lundi d’une offre qualita-
tive. Par ailleurs, DAZN a déjà né-
gocié des accords de distribution
avec Canal+ puis l’opérateur Bouy-
gues Telecom. Mais des observa-
teurs pointent les six milliards
d’euros de pertes accumulées de-
puis sa naissance, y voyant une
fragilité rappelant celle du diffu-
seur espagnol Mediapro, con-
traint d’abandonner ses droits.
Face aux doutes, DAZN revendi-
que soixante millions d’abonnés
FESTIVAL
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APPEL
COUP
DE CŒUR
AU VOTE DES
−26 ANS
économie & entreprise | 17
dans le monde et dit viser l’équili-
bre en 2024. Le groupe assure
avoir toujours honoré ses droits
des championnats nationaux, en
Italie, au Royaume-Uni, en Alle-
magne et en Espagne. Selon
Bloomberg, le groupe aurait der-
nièrement rehaussé son offre en
Italie en proposant 700 millions
d’euros par saison pour acheter la
totalité des matchs de Série A jus-
qu’en 2029.
De son côté, Amazon assure,
dans ses rares expressions, être
satisfait de son exploitation de la
Ligue 1, mais sans publier de chif-
fres (hormis l’idée que les plus
belles affiches comme PSG-OM
dépasseraient le million de spec-
tateurs). Le marché s’interroge
sur sa volonté de poursuivre sa
stratégie jugée atypique en
France : son service Prime Video y
diffuse un grand nombre de
matchs de Ligue 1, avec un abon-
nement supplémentaire à
14,99 euros par mois, alors qu’aux
Etats-Unis, en Allemagne ou au
Royaume-Uni, il propose plutôt
quelques matchs haut de gamme,
sans surcoût, aux abonnés à son
bouquet de services de fidélisa-
tion Prime (livraison rapide, sé-
ries et films…). De plus, le prix de
réserve fixé par la LFP pour les
trois meilleures affiches du lot 1
était le double de celui payé jus-
qu’ici par Amazon pour sept
matchs. La question est désor-
mais de savoir quel type de lot
l’entreprise de Jeff Bezos serait
prête à acheter en négociation de
gré à gré, et à quel prix.
Enfin, d’autres acteurs pour-
raient vouloir prendre part aux
discussions. Ainsi, BeIN Sports
s’est, selon RMC, positionnée sur
les offres qualitatives. Mais,
comme ses rivaux, la chaîne a pré-
venu vouloir s’en tenir à une offre
« rationnelle et proportionnée ». p
brice laemle
et alexandre piquard
Patrick Drahi affirme
ne pas avoir l’intention
de vendre BFM-TV
Le propriétaire d’Altice a rappelé le caractère
« stratégique » de sa chaîne de télévision
C’ est la première fois, de-
puis l’arrestation, le
13 juillet, pour corrup-
tion, de son associé historique, Ar-
mando Pereira, que Patrick Drahi
s’exprimait devant les représen-
tants du personnel d’Altice France
(SFR et BFM-TV). Mardi 17 octobre,
en visioconférence, la guerre en-
tre Israël et le Hamas le retenant à
Tel-Aviv, où il possède un opéra-
teur de télécoms (Hot), l’homme
d’affaires a tenté de rassurer les
salariés sur les conséquences de
l’affaire de corruption pour son
groupe, lesté de près de 24 mil-
liards d’euros de dette en France.
« Je suis très serein sur notre
dette. C’est un non-sujet ! », a lancé
M. Drahi, selon un compte rendu
syndical consulté par Le Monde,
rappelant que les principaux
remboursements n’intervien-
draient pas avant 2027. Or, selon
lui, d’ici là, après avoir fortement
crû ces douze derniers mois, « les
taux d’intérêt vont baisser ». Plu-
sieurs banques ont été chargées
d’étudier la vente de tous les actifs
de son groupe. Mais, pour le prin-
cipal actionnaire d’Altice, en céder
un morceau n’est qu’une ques-
tion de prix, pas une obligation.
Le 7 septembre, devant des in-
vestisseurs, son associé, Dennis
Okhuijsen, avait déclaré, en par-
lant de la vente des médias : « Si
nous pouvons obtenir un bon prix,
cela pourrait être envisagé. » Sur
ce point, la position de M. Drahi
est beaucoup plus ferme. « Je ne
veux pas vendre BFM », assure-t-il
aux salariés. « L’achat [de BFM-TV,
en 2015] était stratégique », la
chaîne d’information en continu
lui donnant un pouvoir d’in-
fluence, notamment auprès des
responsables politiques. Sa vente,
même au prix élevé de 2 milliards
d’euros parfois évoqué, ne suffi-
rait pas à régler à elle seule le pro-
blème de dette du groupe.
« Heureusement qu’on a BFM,
c’est une entreprise où on n’a pas
Avec
l’AFCAE
de problème de qualité », ajoute le
propriétaire d’Altice, en référence
aux difficultés de SFR, son princi-
pal actif en France, qui perd des
dizaines de milliers d’abonnés
chaque trimestre depuis 2022. Il
souffre, selon lui, d’un « problème
de réputation » et d’« image de
marque ». Sur ce point, M. Drahi,
qui a multiplié les plans d’écono-
mies depuis le rachat de l’opéra-
teur en 2014, admet des erreurs :
« On n’avait pas la bonne structure
de management en France. »
« Des erreurs de confiance »
Du fait des difficultés actuelles, la
vente d’une partie du capital de
SFR s’annonce compliquée. De-
vant ses salariés, M. Drahi a expli-
qué que, s’il vendait plus de 50 %
du capital de l’opérateur, cela dé-
clencherait une clause de rem-
boursement de l’intégralité des
24 milliards d’euros de dette. « Il
faut nous supporter les uns les
autres. Moi, j’ai besoin de vous
pour faire repartir l’entreprise »,
plaide M. Drahi. Au niveau in-
terne, de nombreux salariés ex-
priment leur lassitude. Lundi
16 octobre, Altice a annoncé la dé-
mission de sa DRH, Fabienne
Glatt-Quintana, présente dans le
groupe depuis vingt-quatre ans.
Mentionnant l’affaire de corrup-
tion impliquant son ex-associé, le
propriétaire d’Altice admet « des
erreurs de confiance ». « C’était une
connerie de centraliser les achats »
sous le contrôle de M. Pereira et de
ses proches, a-t-il reconnu. Des ac-
tions ont été engagées pour
« changer les gens, les fournis-
seurs ». Les relations avec neuf
sous-traitants ont été arrêtées.
L’enquête interne lancée par Altice
est toujours en cours. Des entre-
tiens, volontaires, ont été menés
avec les salariés potentiellement
concernés par la corruption. Les
résultats de l’audit sont attendus
dans les prochaines semaines. p
olivier pinaud
Et
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18 | économie & entreprise
Les Européens s’entendent
sur le marché de l’électricité
Après des mois de bataille, la France et l’Allemagne sont enfin parvenues
à un accord sur le mode de fixation du prix du mégawattheure
bruxelles, bureau européen
O
n ne sait pas ce que le
chancelier allemand,
Olaf Scholz, et le prési-
dent français, Emma-
nuel Macron, se sont dit lors de
leur rencontre à Hambourg, les
9 et 10 octobre. Mais leurs échan-
ges semblent avoir permis de dé-
bloquer un dossier qui, depuis
des mois, voyait s’affronter Berlin
et Paris sans perspective de com-
promis : il y a encore dix jours, la
réforme du marché de l’électricité
européen semblait, en effet, bien
mal engagée, tant Paris et Berlin
divergeaient. « L’Allemagne a vu
qu’elle était en minorité », confie
un diplomate européen.
Toujours est-il que, mardi 17 oc-
tobre, les ministres de l’énergie
européens, réunis à Luxembourg,
sont parvenus à un accord sur ce
texte, qui a pour objectif de limiter
la volatilité des prix et d’encoura-
ger les investissements dans une
énergie décarbonée. « C’est une
victoire française », insiste l’Elysée.
Il est vrai que la France – mais
aussi l’Espagne – réclamait depuis
deux ans une réforme, afin de
faire profiter ménages et entrepri-
ses des coûts de production relati-
vement bas que peuvent offrir le
nucléaire ou les renouvelables.
D’autres pays, emmenés par
l’Allemagne, plus dépendants du
gaz, ne souhaitaient pas toucher à
des mécanismes bien établis qui
assuraient la sécurité de l’appro-
visionnement. Mais la guerre en
Ukraine et le retour de l’inflation
sur le Vieux Continent ont fait
bouger le curseur. La nécessité de
répondre à l’Inflation Reduction
Act américain, qui prévoit
369 milliards de dollars (349 mil-
liards d’euros) de subventions
Brexit : la crainte d’un retour des droits
de douane pour les voitures électriques
Sauf accord de dernière minute, la mesure doit entrer en vigueur au 1er janvier 2024
londres - correspondance
M ike Hawes, le directeur
de la Society of Motors
Manufacturers and
Traders (SMMT), le lobby automo-
bile britannique, se rappelle avec
un immense soulagement la si-
gnature de l’accord du Brexit,
conclu le 24 décembre 2020 entre
le Royaume-Uni et l’Union euro-
péenne (UE). A une semaine près,
son secteur évitait l’imposition
de droits de douane de 10 %, qui
l’auraient mis à terre.
Mais, trois ans plus tard, la me-
nace est de retour. Sauf accord de
dernière minute, des droits de
douane de 10 % vont être imposés
à partir du 1er janvier 2024, uni-
quement pour les véhicules élec-
triques. « Ce serait pervers, alors
que ce sont justement les véhicules
qu’on essaie d’encourager les gens
à acheter », souligne M. Hawes,
avant une conférence automobile
organisée à Londres mercredi
18 octobre. En moyenne, cette
taxe augmenterait le prix des vé-
hicules de 4 000 euros environ.
De tels droits de douane touche-
raient de plein fouet les construc-
teurs automobiles installés au
Royaume-Uni (la moitié de leur
production, soit 750 000 véhicu-
les par an, est exportée vers l’UE),
mais encore plus les construc-
teurs européens, qui exportent
1,3 million de véhicules par an au
pour l’industrie verte et creuse
l’écart de compétitivité entre les
entreprises américaines et euro-
péennes, a également donné des
arguments aux tenants d’une ré-
forme. Le 14 mars, la Commission
européenne a donc fini par faire
une proposition, qui a servi de
base au texte que viennent
d’adopter les Vingt-Sept quasi-
ment à l’unanimité – seule la
Hongrie s’est abstenue.
Celui-ci ne touche pas au fonc-
tionnement du marché, forte-
ment interconnecté, qui permet
de répondre aux pics de demande
à l’échelle du continent sans rup-
ture d’approvisionnement. C’est
toujours la dernière centrale ap-
pelée pour répondre à la consom-
mation, le plus souvent une cen-
trale à gaz, qui détermine le prix
de l’électricité.
Des prix fixés à l’avance
Mais les Vingt-Sept encouragent
désormais l’utilisation des con-
trats à long terme entre, d’une
part, les producteurs d’énergies
décarbonées et, d’autre part, les
industriels ou l’Etat. A la clé, des
prix fixés à l’avance, qui permet-
tent aux consommateurs de lisser
leurs dépenses et offrent aux four-
nisseurs des revenus prévisibles.
Les débats ont surtout porté sur
les contrats – dits « contrats pour
différence » (CFD) – qui implique-
ront la force publique : si le cours
du marché de gros est supérieur à
un prix fixé par le CFD, le produc-
teur d’électricité doit reverser les
revenus supplémentaires en-
grangés à l’Etat, qui peut les utili-
ser pour aider les ménages ou les
industriels ; s’il est inférieur, l’Etat
lui verse une compensation.
Pour les futures installations, re-
nouvelables ou nucléaires, les
Royaume-Uni. Pourtant, l’UE
reste divisée sur le sujet, les Fran-
çais étant considérés comme les
plus fermement hostiles à un ac-
cord. « Thierry Breton [le commis-
saire européen au marché inté-
rieur] semble le plus opposé, tan-
dis que les directions de la Com-
mission européenne au commerce
et à l’environnement y sont plus fa-
vorables », poursuit M. Hawes.
Le problème vient de ce que les
experts appellent les « règles d’ori-
gine » inscrites dans l’accord du
Brexit de 2020. Pour bénéficier de
l’exemption des droits de douane,
il faut prouver que les véhicules
sont fabriqués soit au Royaume-
Uni, soit dans l’UE. Pour les véhi-
cules électriques, cela nécessitait
dans un premier temps d’avoir au
moins 30 % des batteries produi-
tes localement. Ce niveau passera
à 50 % en janvier 2024, puis à 65 %
en 2027. Or ni l’UE ni le Royaume-
Uni ne sont prêts.
Pour l’instant, la grande majorité
des batteries (ou de leurs compo-
sants) vient de Chine. Plusieurs
usines de batteries sont en cours
de construction, mais elles ne se-
ront pas prêtes pour le 1er jan-
vier 2024. Pour l’instant, pratique-
ment aucune voiture électrique
ne respecte les nouvelles règles
d’origine. Dans ces conditions, le
SMMT demande de repousser leur
date d’entrée en vigueur de trois
ans. Les constructeurs automobi-
La guerre
en Ukraine
et le retour de
l’inflation sur le
Vieux Continent
ont fait bouger
le curseur
Européens ont décidé que le re-
cours à ces CFD serait obligatoire.
Pour les installations nucléaires
existantes, l’affaire a été plus com-
plexe. L’Allemagne, qui a aban-
donné l’atome après la catastro-
phe de Fukushima et qui reste très
dépendante des énergies fossiles,
redoutait que la France finance
ainsi son grand carénage et l’allon-
gement de la durée de vie des réac-
teurs. Berlin craignait qu’EDF, en-
treprise subventionnée par l’Etat,
propose des tarifs qui attireraient
des usines d’outre-Rhin dans
l’Hexagone. Alors que le modèle
rhénan est fragilisé par la fin du
gaz russe bon marché et une
Chine moins ouverte aux exporta-
tions, Olaf Scholz redoutait que la
réforme du marché de l’électricité
européen donne un avantage
compétitif trop important au voi-
sin français.
Au terme de longs mois de ba-
taille, Berlin et ses alliés, dont les
très antinucléaires Luxembourg
et Autriche, ont obtenu que le re-
cours aux CFD pour les installa-
tions existantes soit facultatif. Il
pourra donc, insiste l’Elysée, être
envisagé pour l’« ensemble du parc
nucléaire français ». Surtout, il sera
encadré : le prix « de bascule » qui y
sera inscrit devra être validé par la
Commission européenne, qui
les européens sont sur la même li-
gne. « L’Europe n’a pas mis en place
une chaîne logistique sûre et fiable
pour faire face à ces règles plus res-
trictives et c’est pour cela que nous
demandons à la Commission euro-
péenne de repousser leur introduc-
tion de trois ans », déclarait en juin
Sigrid de Vries, la directrice géné-
rale de l’Association des fabricants
automobiles européens.
Elections européennes
Le 6 octobre, Maros Sefcovic, le vi-
ce-président de la Commission
européenne, assurait au Financial
Times qu’il « voulait résoudre » ce
problème. Il suggérait d’interpré-
ter les règles de façon très souple
en 2024. Est-ce suffisant ? « Non, ré-
plique M. Hawes. Dans un an, il y
aura certes de nouvelles usines de
batteries, mais pas suffisamment
pour appliquer ces règles. »
Il souligne aussi que l’imposi-
tion de droits de douane entre
l’UE et le Royaume-Uni serait un
étrange cadeau à faire aux cons-
tructeurs chinois, dont les impor-
tations sont actuellement taxées
à 10 %. « Leurs véhicules, malgré
ces 10 % de droits de douane, réus-
sissent déjà à être compétitifs. »
Ces négociations rappellent à
quel point la sortie de l’UE a com-
pliqué la donne pour les construc-
teurs britanniques. Le gouverne-
ment américain a lancé un
énorme programme de subven-
« veillera » à faire respecter les « rè-
gles de l’Union européenne sur les
aides d’Etat » et « à ce que de tels
instruments [ne génèrent pas] de
distorsions de concurrence indési-
rables », résume la commissaire à
l’énergie, Kadri Simson.
« La Commission sera le juge de la
sincérité du prix fixé, cela donne à
nos partenaires allemands un cer-
tain nombre de garanties », juge
l’Elysée. Avant de poursuivre :
pour les centrales nucléaires exis-
tantes, « le prix garanti correspon-
dra au coût de production de l’élec-
tricité nucléaire – soit 60 euros le
mégawattheure, en tenant compte
du coût du grand carénage – plus
un petit quelque chose », assure Pa-
ris, ce qui « permettra d’éviter les
flambées du prix de l’énergie aux-
quelles on a assisté [à l’été 2022] ».
« L’accord améliore l’accès pour
les consommateurs et l’industrie à
des prix de l’électricité bon marché
dans toute l’Europe », commente,
pour sa part, le ministre de l’éco-
nomie allemand, Robert Habeck.
« C’est un compromis qui établit
un équilibre et nous devons veiller
à le respecter », assure la ministre
à la transition énergétique fran-
çaise, Agnès Pannier-Runacher,
alors que les négociations entre
les Vingt-Sept et le Parlement
européen doivent commencer. Le
texte prévoit, par ailleurs, qu’en
cas de nouvelle envolée durable
des prix les Etats puissent adop-
ter facilement, dans le cadre d’un
mécanisme de crise, des mesures
de type bouclier tarifaire. Il auto-
rise aussi, au nom de la sécurité
de l’approvisionnement, les pays
très dépendants du charbon,
comme la Pologne, à subvention-
ner cette énergie sale jus-
qu’en 2028. p
virginie malingre
tions aux véhicules électriques.
Côté européen, la réplique, de
moins grande ampleur, com-
prend néanmoins d’importants
soutiens aux technologies vertes.
« [Le gouvernement britannique]
a été très clair qu’il n’y avait pas as-
sez d’argent pour ce genre de sou-
tien », reconnaît M. Hawes.
Il espère que les relations entre
Londres et Bruxelles s’amélio-
rent. Celles-ci se sont déjà apai-
sées depuis l’arrivée de Rishi Su-
nak à la tête du gouvernement
britannique, en octobre 2022 : un
accord a été signé sur la question
de l’Irlande du Nord, qui demeu-
rait le principal point de blocage.
Plus récemment, le Royaume-Uni
a rejoint le programme de coopé-
ration scientifique paneuro-
péenne Horizon.
Surtout, les élections européen-
nes du 9 juin 2024 vont mener à la
nomination d’une nouvelle Com-
mission. « Le changement de per-
sonnel peut permettre de prendre
un nouveau départ », explique
M. Hawes. Cela comprend des dé-
tails d’apparence technique,
comme la création d’un forum bri-
tannico-européen sur l’automo-
bile, qui est prévu par l’accord du
Brexit, mais n’a pas encore été mis
sur pied. Mais il conclut, lucide :
« C’est plus difficile pour l’industrie
automobile britannique que si
nous étions dans l’UE. » p
éric albert
Air France quitte Orly
et regroupe ses activités
à l’aéroport de Roissy
Ce déménagement, voulu par le patron de la
compagnie, devrait prendre plus de deux ans
E n pleines célébrations de
son quatre-vingt-dixième
anniversaire, Air France a
décidé de déménager. Selon nos
informations, c’est le Canadien
Ben Smith, aux commandes de la
compagnie aérienne depuis 2018,
qui a pris la décision de lui faire
quitter son aéroport historique
d’Orly pour regrouper ses activi-
tés à Roissy - Charles-de-Gaulle.
L’annonce de ce déménage-
ment devait être faite, mercredi
18 octobre, lors de plusieurs comi-
tés sociaux et économiques (CSE)
du groupe. Avant même la tenue
de ces réunions, les syndicats esti-
ment que le sort en est jeté : « Orly,
pour Air France, c’est mort ! C’est
une partie de l’histoire qui est en
train de s’en aller », se désole déjà
Laurent Dahyot, secrétaire géné-
ral de la CGT-Air France.
Ce déplacement vers l’aéroport
de la grande banlieue nord de la
capitale a commencé, « car le vol
vers Cayenne [en Guyane] a déjà
été transféré », signale M. Dahyot.
Dans les prochains mois, « tous les
vols d’Air France vers les Antilles »
partiront de Roissy, prévoit la CGT.
Aujourd’hui, outre les destina-
tions antillaises et La Réunion, Air
France opère aussi, depuis Orly,
des lignes vers la Corse, selon
le principe de la délégation de ser-
vice public, et ses trois « navettes »,
vers Marseille, Nice et Toulouse.
Le retrait d’Air France de son
bastion d’Orly est un mouvement
engagé de longue date. Il a com-
mencé par le plan de restructura-
tion du réseau intérieur de la
compagnie, quand la filiale Hop !,
chargée des liaisons court-cour-
riers, a vu, pendant la pandémie
de Covid-19, ses activités transfé-
rées d’Orly vers les plates-formes
de Roissy et de Lyon.
« Rotations moins remplies »
Dans quelques mois, Air France
ne sera plus représentée à Orly
que par sa filiale à bas coût Tran-
savia. Les syndicats redoutent
« une baisse d’activité sur le réseau
national au profit de Transavia et
peut-être même d’autres compa-
gnies aériennes ». Ils ne craignent
pas que la compagnie abandonne
des destinations, mais qu’elle ré-
duise ses fréquences vers certai-
nes villes. En effet, note M. Da-
hyot, « Air France exploite déjà de-
puis Roissy des liaisons intérieures,
notamment vers Marseille ».
Ces destinations servent à Air
France à alimenter son hub de
Roissy. En pratique, quand la com-
pagnie effectue cinq allers-re-
tours quotidiens vers Marseille
depuis cet aéroport, elle en ex-
ploite aussi sept, chaque jour, avec
sa navette vers Marseille depuis
Orly. « Demain, une fois à Roissy,
Air France va-t-elle conserver les
douze rotations quotidiennes vers
Marseille ou diminuer l’activité ? »,
C AR BU RAN T
TotalEnergies
maintiendra
son plafonnement
à 1,99 euro en 2024
TotalEnergies prolongera
en 2024 le plafonnement
du prix de l’essence et du
diesel qu’il commercialise
dans ses stations-service en
France à 1,99 euro, a
annoncé, mercredi 18 octo-
bre, le ministre de l’écono-
mie, Bruno Le Maire, sur RTL.
Début octobre, le PDG du
groupe, Patrick Pouyanné,
a déclaré que le géant des
hydrocarbures pourrait
mettre fin à ce plafonne-
ment annoncé en septem-
bre, si l’Etat lui imposait de
nouvelles taxes. − (AFP.)
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
s’interroge le syndicat. Pire, fait-il
savoir, l’alimentation du hub de
Charles-de-Gaulle aurait déjà
commencé à peser sur les taux de
remplissage des navettes d’Orly.
« Les rotations y sont moins rem-
plies que celles de Roissy », cons-
tate Laurent Dahyot. Interrogée, la
direction d’Air France s’est refusée
à tout commentaire, réservant la
primeur de ses informations aux
différents CSE, mercredi.
Le départ vers Roissy devrait
prendre plus de deux ans. En effet,
la compagnie ne veut pas aban-
donner ses créneaux de décollage
– ses « slots » – à la concurrence.
Pour ne pas les perdre, elle doit les
utiliser à « au moins 80 % », précise
un pilote. Le transfert vers l’aéro-
port Charles-de-Gaulle se fera
donc au rythme de la montée en
puissance de la flotte de Transavia,
qui compte aujourd’hui soixante
et onze appareils. Elle devra ouvrir
de nouvelles destinations pour re-
prendre les slots aujourd’hui utili-
sés par la douzaine d’avions aux
couleurs d’Air France à Orly.
« Il y aura de la casse »
La raison de ce transfert d’activité ?
Tailler dans les coûts. L’exploita-
tion de Transavia revient beau-
coup moins cher que celle d’Air
France. Les organisations syndica-
les, à l’instar de la CGT, redoutent
« une baisse d’activité de 30 % à
40 % sur les trois escales de Nice,
Marseille et Toulouse. Nous avons
très peur pour les bases de pro-
vince », déplore M. Dahyot. Il faut
dire qu’elles emploient plusieurs
centaines de salariés : 300 à Mar-
seille et à Toulouse, et environ
400 à Nice. « Il y aura de la casse,
c’est inévitable, car ces trois bases
sont alimentées à 70 % par Orly »,
souligne la centrale syndicale.
De plus, « les navettes vers ces
trois bases ne sont pas rentables
depuis Orly », précise un pilote.
Ces destinations ont beaucoup
souffert, après la survenue de la
crise sanitaire, de la montée en
puissance du télétravail et de la
diminution des voyages d’affai-
res. Selon le syndicat, les 500 sala-
riés d’Air France aujourd’hui
employés à Orly seront aussi tou-
chés. Certains, notamment les
plus jeunes, devraient se voir pro-
poser d’aller travailler à Roissy.
Pour les réfractaires à la mobi-
lité, il ne devrait pas y avoir de
plan de départs volontaires ni,
surtout, de licenciements secs. En
revanche, la direction pourrait ac-
tiver un dispositif de rupture
conventionnelle collective (RCC).
Une RCC contenue dans un précé-
dent accord signé par les seules
CFDT et CGC, mais dénoncé par la
CGT au motif que les deux syndi-
cats n’avaient pas obtenu au
moins 50 % des voix aux élec-
tions professionnelles de 2019. p
guy dutheil
ÉN ER GI E
Le Qatar signe
avec Shell un accord
de fourniture de gaz
sur vingt-sept ans
Le Qatar a signé un accord
de fourniture de gaz sur une
durée de vingt-sept ans avec
l’entreprise pétrolière britan-
nique Shell, a annoncé, mer-
credi 18 octobre, la compa-
gnie énergétique d’Etat
de l’émirat. Le pays va four-
nir 3,5 millions de tonnes
de gaz naturel liquéfié par
an à Shell, qui a été associé à
un projet de développement
du champ gazier géant
de North Field, dans le golfe
Persique, a précisé Qatar
Energy dans un communi-
qué. − (AFP.)
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023 management | 19
Le congé solidaire, un dispositif méconnu CARNET DE BUREAU
CHRONIQUE PAR ANNE RODIER

mais efficace pour les enjeux climatiques Sortir du travail en silo

Les entreprises adoptent ce dispositif pour motiver et sensibiliser leurs salariés
D A
épaysant », « boulever-
sant », « inspirant »,
« c’est vraiment une su-
per idée »… Alexia Fes-
tin, salariée de Maisons du monde
(MDM), ne cache pas son enthou-
siasme depuis fin mars, date de
son retour de congé solidaire or-
ganisé par la Fondation MDM sur
l’île de Saint-Honorat (Alpes-Mari-
times). Elle est allée y planter des
oliviers avec une dizaine de collè-
gues. « Une fois rentrée à Vertou
[Loire-Atlantique], j’ai cherché
autour de chez moi des associa-
tions pour découvrir la biodiversité
de ma région. » Un an plus tôt,
d’un programme de reforestation
en Equateur, une autre salariée de
MDM, Danièle Esnée, parlait de
« voyage extraordinaire ». Plébis-
cité par ceux qui l’ont essayé, le
congé solidaire fait son chemin
dans les milieux professionnels
depuis une vingtaine d’années.
Comme Alexia et Danièle, plus
de 10 000 volontaires sont partis
en congé solidaire depuis
vingt-trois ans. Un modeste bilan
qui a vocation à doubler d’ici à
2030 : c’est en tout cas l’objectif
de Planète Urgence. Cette
association qui prépare les mis-
sions avec les ONG locales l’a an-
noncé dans un Livre blanc à des-
tination des entreprises.
Plus de 400 employeurs (entre-
prises et collectivités) ont finan-
LES CHIFFRES
cièrement soutenu le dispositif
depuis sa création, des grands
groupes de tous secteurs (EDF,
Engie, Servier, Somfy, Maisons
du monde, Mazars, Capfi, Bpi-
france) comme des PME (ATPS,
BETC). Les entreprises se renou-
vellent d’une année sur l’autre.
« Trente-trois entreprises repré-
sentant 335 000 salariés sont en-
gagées pour l’année 2023. Les pe-
tites entreprises ouvrent une ou
deux places pour un départ, les
grandes peuvent aller jusqu’à
quarante salariés par an », indi-
que Amandine Hersant, la direc-
trice générale de Planète Ur-
gence. L’association organise en
octobre le mois du volontariat
en entreprise, en collaboration
avec le ministère de l’Europe et
des affaires étrangères.
Deux semaines au maximum
A l’origine, le concept du congé
solidaire a été créé fin 1999 par
Hervé Dubois, actuellement
directeur de l’Institut de coopéra-
tion internationale. Après une
expérience en mission avec Mé-
decins du monde, où il avait
embarqué des salariés de la Caisse
des dépôts dans le nord de l’Irak, il
en a conclu qu’il était intéressant
d’ouvrir le monde de l’humani-
taire à des gens qui ont des com-
pétences de l’entreprise. Il a
fondé l’association Congé
solidaire, en 2000, devenue de-
puis Planète Urgence. « Nous
avons lancé ce projet avec la Caisse
des dépôts et Yves Saint Laurent, se
souvient-il. La première volontaire
du congé solidaire a été une pa-
Le concept, créé
en 1999, ouvre
le monde de
l’humanitaire
aux compétences
des milieux
professionnels
qui donne droit au départ d’un
certain nombre de salariés en
fonction du montant versé. Bpi-
france leur verse par exemple
3 000 euros par personne et par
mission de dix à quinze jours.
Chez Maisons du monde, qui a
confié l’organisation à sa fonda-
tion, les salariés postulent sur un
projet, puis sont tirés au sort.
Quelle que soit l’organisation,
l’objectif est le même : aider le sa-
larié à s’engager dans un projet
de développement, de recense-
ment de la biodiversité, de lutte
contre la déforestation… « Depuis
qu’on a lancé nos premiers congés
solidaires en 2015, sous forme
d’une semaine “pour préserver les
arbres”, quarante salariés en
profitent chaque année », se féli-
cite Sophie Mouhieddine, DRH
de Maisons du monde.
Le congé solidaire est utilisé par
les entreprises pour soutenir des
politiques de sensibilisation aux
enjeux environnementaux à tra-
vers des missions en France ou à
l’international, dans les bassins
forestiers de l’Amazonie, du
Congo ou du Bornéo-Mékong.
pour sauver des emplois
bénéficié d’un congé solidaire en
Amazonie équatoriale coorganisé
avec Ishpingo.
Jamais, elle n’a eu le sentiment
de « sacrifier une semaine de va-
cances, dit-elle. C’était fatigant, il y
a eu la pluie, la marche, les four-
mis, les moustiques. On a planté
des arbres, préparé les plans pour
les futures pousses. On a rencontré
un peuple qui se bat pour replanter
sa forêt. La semaine a été intense,
mais je repartirais volontiers ». Les
salariés ne sont pas en situation
de confort, « ils travaillent beau-
coup en congé solidaire », ajoute
Amandine Hersant.
Financièrement « sans intérêt »
Mais ils reviennent « plus moti-
vés » avec une « plus forte cons-
cience du défi environnemental ».
C’est ce qui ressort d’une évalua-
tion du dispositif faite en 2021 par
l’entreprise ScaleChanger.
Côté entreprise, financièrement,
« c’est sans intérêt », affirme Mal-
vina Hamon, la responsable RSE
(responsable sociétale de l’entre-
prise) de la Fondation MDM. Pour
Bpifrance, « l’intérêt de l’entreprise,
c’est la motivation des salariés, qui
vont à l’étranger mettre à dispo-
sition leurs compétences dans un
cadre totalement sécurisé. C’est un
complément du mécénat de
compétences », explique Christelle
Rogé, directrice exécutive en
charge des ressources humaines.
Dans un premier temps, la ban-
que a testé le dispositif dans son
département assurance-export
en 2019, puis l’a étendu à l’en-
semble de ses activités. Elle a fi-
l’heure où les responsables des ressources hu-
maines s’interrogent sur les nouveaux modes
d’organisation du travail intégrant le travail hy-
bride et l’usage de l’intelligence artificielle, la Fé-
dération nationale de la Mutualité française (FNMF) fonc-
tionne toujours en silo. C’est le constat sur lequel s’est ap-
puyé le comité social et économique (CSE) du groupe
mutualiste pour construire un projet alternatif au plan de
sauvegarde de l’emploi (PSE) qui prévoit de supprimer le
quart des effectifs.
L’écosystème des mutuelles est actuellement en pleine mu-
tation, dans un mouvement de concentration qui réduit les
recettes de la Mutualité, qui les fédère. Après huit mois de né-
gociations infructueuses entre élus et direction de la FNMF, le
CSE a présenté son nouveau projet, qui parie sur les ressour-
ces du management, et en particulier sur le mode projet et le
management de transition ; le mode projet favorisant la flexi-
bilité entre les services et l’innovation, tandis que le manage-
ment de transition allège le poids des directions.
Déjà présenté à l’ensemble des salariés, ce projet alternatif
a été débattu en CSE, lundi 16 octobre. L’objectif est d’« éviter
la casse sociale, avec un retour à l’équilibre en 2026, comme
prévu par le conseil d’administration », assure Françoise
Troublé Uchôa, la secrétaire du CSE. Les quelque soixante li-
cenciements prévus par le PSE annoncé
en février par la direction de la Fédéra-
À LA FÉDÉRATION tion seraient remplacés par trente dé-
NATIONALE parts volontaires grâce à une refonte to-
tale de l’organisation.
DE LA MUTUALITÉ « Depuis des années, les salariés tra-
vaillent en silos, par activité, et pour recréer
FRANÇAISE, la transversalité, on a ajouté pléthore de
UN PROJET postes de coordination. Chaque direction
fonctionne avec son petit cabinet [service
ALTERNATIF de direction], ce qui aspire la décision vers
le haut, et les salariés attendent qu’elle re-
AU PSE PROPOSE descende. Tout est grippé », témoigne Sa-
UNE REFONTE DE bine Dreyfus, une salariée élue du CSE. Dé-
noncée par le cabinet Ethix comme « pro-
L’ORGANISATION blématique », source d’« isolement
fonctionnel » et de risques psychosociaux,
cette division du travail est supprimée dans le projet alterna-
tif qui passe de neuf à quatre directions. « Réduire le nombre
de direction permet de rendre l’organisation plus lisible pour

10 000 nancé six missions par an, mise à

C’est le nombre de volontaires
qui sont partis en mission grâce
au « congé solidaire » depuis
sa création, en 2000, selon
l’association Planète Urgence.
68 %
C’est la part des bénéficiaires
partis entre 2019 et 2021 qui
disent avoir acquis de nouvelles
compétences, selon l’évaluation
du dispositif réalisée en 2021 par
l’entreprise ScaleChanger auprès
de 350 personnes ; 60 % disent
avoir un regard différent sur
les enjeux du développement.
tronnière chaussures de chez Yves
Saint Laurent. Elle était partie au
Kosovo pour mettre en place une
gestion de stocks. » « La plupart des
associations ne reçoivent de com-
pétences que par ce levier-là », sou-
ligne Amandine Hersant.
Le dispositif consiste à proposer
à des salariés de partir en volonta-
riat durant deux semaines au
maximum, sur leur temps de va-
cances, pour s’investir dans une
mission de développement hu-
manitaire ou de défense de l’envi-
ronnement, en partenariat avec
une association locale. L’em-
ployeur finance le tout.
Avec Planète Urgence, l’entre-
prise fait un don à l’association,
« Après l’île Saint-Honorat, on est
allé dans le massif des Maures
pour accompagner le Conserva-
toire méditerranéen partagé, qui
s’efforce de préserver des espèces
d’arbres fruitiers rares et anciens
qui tendent à disparaître par man-
que d’intérêt économique, raconte
Alexia Festin. L’objectif est de dé-
couvrir les projets portés par Mai-
sons du monde. On comprend
mieux ce qui est fait par l’entre-
prise. » « Tous les jours, à la caisse,
on sollicite un don pour l’associa-
tion de reforestation Ishpingo.
Maintenant je sais ce qu’il y a der-
rière chaque centime », témoigne
Danièle Esnée, directrice de
magasin à Beauvais (Oise), qui a
part la période du Covid-19 où
une fois les frontières fermées,
tout s’était arrêté. « Cette année,
ils sont partis au Bénin faire des
formations à Excel, Word ou en
communication pour un inven-
taire de mammifères dans la forêt
classée de la Lama. On a une forte
marque employeur, très attirante,
notamment pour les jeunes et on
doit continuer dans ce sens-là »,
complète-t-elle. La moyenne
d’âge des salariés qui sont partis
en congé solidaire est de 32 ans
chez Bpifrance. Le congé solidaire
est évidemment un outil d’at-
tractivité. p
anne rodier
les mutuelles. et réduire les services de direction permet notam-
ment de garder les assistantes sans lesquelles la Fédération ne
peut pas fonctionner », explique la secrétaire du CSE. Le projet
alternatif vise à formaliser un fonctionnement de dialogue
en équipe. Le rôle du manageur de transition consisterait,
quant à lui, à assurer le suivi du plan sur deux à trois ans.
Qu’en pense la direction ? Dans un e-mail envoyé à l’en-
semble des collaborateurs le 9 octobre, la directrice géné-
rale, Séverine Salgado, note « certaines réflexions (…) intéres-
santes [qui] pourront être prises en compte (…) dans la réor-
ganisation à venir », mais affirme d’ores et déjà que ce projet
alternatif « ne répond pas aux enjeux stratégiques et écono-
miques de la Fédération », précisant qu’« un plan de départs
volontaires est moins protecteur pour les salariés qu’un plan
de sauvegarde de l’emploi ».
Etait-il utopique pour le CSE de croire à l’avenir d’un projet
alternatif ? Les emplois sont toujours menacés, mais lundi
16 octobre, un premier point de convergence est apparu en-
tre élus et direction sur le manageur de transition. p

Le suivi de l’usage de l’intelligence artificielle par les salariés a commencé

Aux Rencontres RH du 10 octobre, les DRH ont échangé sur leur façon de gérer ChatGPT en trois axes : laisser-faire, garde-fous et formation

lité du management créé par Le
Monde en partenariat avec Man-
powerGroup Talent Solutions et
Malakoff Humanis.
Les employeurs ont bien com-
pris qu’il était impensable de rater
data et digital. « On se fait auditer
par un tiers qui a créé avec nous le
référentiel. Sa notation reflétera le
niveau de gouvernance et de maî-
trise de ces technologies. »
Pour entraîner l’ensemble des
doigt ses possibilités aux sala-
riés », décrit-il. Désormais, l’or-
ganisme planche sur des cas
d’usage sécurisés par la direc-
tion informatique, « pour éviter
toute perte de données ».
philosophie des IA, pour envisa-
ger la manière dont leur entre-
prise pourra « dialoguer » avec
elles. Laurence Breton-Kueny, de
l’ANDRH, reconnaît cette urgence
de former le management, et de
conseille Yann Ferguson. Si vous
n’y connaissez rien, vous serez con-
damné à hocher de la tête en entre-
tien, à dire : “Ah, c’est très bien…” »
Le chercheur conclut en alertant
sur l’autre extrême : « Beaucoup

A vant ChatGPT, la position

des dirigeants sur l’intelli-
gence artificielle était
“n’ayez pas peur” ; maintenant que
les collaborateurs s’en emparent,
on leur dit “faites attention”. »
Voici, résumée par Yann Ferguson,
la dissonance qui frappe notam-
ment les directions des ressources
humaines depuis un an. « Ce sont
d’abord les travailleurs qui s’en
sont emparés dans leur situation
de travail réel, sous les radars »,
rappelle cet enseignant-cher-
cheur à l’Institut catholique des
arts et métiers de Toulouse, res-
ponsable scientifique du LaborIA,
un laboratoire de recherche-ac-
tion créé en 2021 pour appréhen-
der les effets de l’intelligence arti-
ficielle sur l’avenir du travail.
Comment les DRH évaluent-ils
ces effets, dès aujourd’hui ? Une
douzaine d’entre eux en a discuté
mardi 10 octobre, à Paris et à dis-
tance, lors des Rencontres RH, le
rendez-vous mensuel de l’actua-
la « révolution » de l’IA, et adop-
tent une même ligne : laisser les
salariés s’approprier ces outils,
tout en évitant les dérives, notam-
ment leur confier des données de
l’entreprise.
« L’enjeu, c’est “comment on ar-
rive à mettre un peu de cadre mais
pas trop”, explique Juliette
Couaillier, chief talent officer
d’Havas. Nos salariés vont souvent
plus vite qu’on ne l’imagine, et on a
la conviction que cela permet aux
métiers créatifs de devenir encore
meilleurs, mais on ne peut pas uti-
liser directement les résultats de
l’IA. » La direction juridique a ré-
digé une charte pour préciser ce
que les salariés peuvent partager.
Le groupe de protection sociale
Malakoff Humanis, de son côté, a
créé, en compagnie d’autres en-
treprises, un label associatif, Posi-
tive AI, pour « mettre en place des
garde-fous qui encadrent l’utilisa-
tion de ces technologies », expli-
que Stéphane Barde, directeur
salariés, dont certains ont peur de
ces technologies, le dialogue et la
formation sont indispensables,
même si peu de parcours existent.
Comprendre et former
De nouvelles compétences de
pointe naissent, notamment la
capacité à donner de bonnes ins-
tructions aux IA : ce que l’on ap-
pelle le « prompt engineering ».
Havas a ainsi créé deux cours
maison sur les bases de l’IA et des
prompts. Publicis a organisé des
débats en interne sur les poten-
tiels de l’IA propre à chacun de ses
métiers, pour éviter que certains
profils ne restent à l’écart.
A la Caisse nationale d’assu-
rance-vieillesse, « on n’avait pas
vu venir l’IAG », admet Jérôme
Friteau, DRH. « On a commencé
par organiser une séquence d’ac-
culturation de l’ensemble de la di-
rection sur ce qu’est une IAG,
avant de proposer une formation
ludique pour faire toucher du
« On a mis en ligne une plate-
forme, Campus RH, l’été dernier.
En un mois, 71 salariés, sur un peu
moins de 1 000, avaient déjà suivi
la formation à l’IA, de loin la plus
demandée, témoigne Laurence
Breton-Kueny, DRH du groupe
Afnor et vice-présidente de l’Asso-
ciation nationale des DRH (AN-
DRH). Mais il y a beaucoup de su-
jets éthiques auxquels il faut réflé-
chir, notamment sur les biais que
peuvent générer ces intelligences. »
« On n’est pas aussi avancés, ad-
met Emmanuel Brisset-Foucault,
chargé de missions RH à la Ligue
de football professionnel, 140 sa-
lariés. On réfléchit à de la sensi-
bilisation, mais on ne sait pas du
tout si c’est utilisé chez nous, en in-
terne. » Même constat chez le fa-
bricant de valises Delsey, qui ne
s’est pas encore posé la question
de la formation.
Les dirigeants et manageurs
eux-mêmes sont pourtant les
premiers à devoir comprendre la
susciter sa curiosité et son « es-
prit critique ».
C’est aussi un enjeu de crédibi-
lité : « En tant que RH, il faut ap-
préhender ces notions, être capa-
de dirigeants, notamment en TPE-
PME, se sont emparés de l’IA par le
biais de ChatGPT et ont découvert
que ça apportait de la valeur. L’in-
convénient, c’est qu’ils lui font une
ble de demander, lors d’un recrute- confiance aveugle. » p
ment, les méthodes de prompts, jules thomas
¶
Ont participé aux Rencontres RH du 10 octobre :
Yuseli Balmaseda, DRH groupe, Delsey ; Stéphane Barde, directeur data
et digital, Malakoff Humanis ; Laurence Breton-Kueny, DRH, groupe Afnor,
et vice-présidente de l’ANDRH ; Emmanuel Brisset-Foucault, chargé de
missions RH, Ligue de football professionnel (LFP) ; Juliette Couaillier,
chief talent officer, Havas ; Laure Demain-Martinet, directrice
développement des talents inclusion et diversité, Publicis France ;
Yann Ferguson, enseignant-chercheur à l’Institut catholique d’arts et
métiers de Toulouse et responsable scientifique du LaborIA ; Jérôme
Friteau, directeur des relations humaines et de la transformation, Caisse
nationale d’assurance-vieillesse (CNAV) ; Solène Hébert, DRH, Harmonie
Mutuelle ; Sandrine Josse, directrice conseil, ManpowerGroup Talent
Solutions ; Christophe Le Bars, DRH à temps partagé, CLB Conseil ;
Kévin Palop, responsable de la Digital Factory, ManpowerGroup Talent
Solutions ; Frédéric Rey, sociologue du travail et des relations professionnel-
les, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) ; Jules Thomas,
journaliste au « Monde » ; Gilles van Kote, directeur délégué du « Monde ».
20 | horizons
C’
est une vieille histoire,
une affaire d’un autre
temps qui convoque qua-
tre hommes, âgés de 69 à
78 ans, au tribunal de
Milan, et nous renvoie
près d’un demi-siècle en arrière, à l’été 1975,
aux débuts de la « saison des enlèvements »,
quand les séquestrations contre rançons
paniquaient l’Italie. Ce jeudi 19 octobre, de-
vant la justice, la mémoire, peut-être, leur
fera défaut, et, c’est probable, ils resteront
muets. Il faut dire aussi qu’en bientôt cinq dé-
cennies ils ont perfectionné l’art de la dissi-
mulation. D’après le dossier d’accusation, ces
quatre retraités sont liés à la ’Ndrangheta, la
Mafia calabraise, et ce qui va les réunir au tri-
bunal pourrait, au vu de leur expérience, être
qualifié d’une mission de début de carrière.
Mais l’« affaire Mazzotti », dont il sera ques-
tion, est bien davantage que cela : elle hante
les magistrats comme un dossier maudit.
Commençons par les présentations du
quatuor. Demetrio Latella, un « killer », dans
le jargon policier, déjà condamné à perpé-
tuité puis libéré sous condition, a su faire
profil bas, depuis, en tant que modeste jardi-
nier. Giuseppe Calabro, alias u Dutturicchiu
(« le petit docteur »), en référence à ses étu-
des de médecine, est considéré comme un
narcotrafiquant notoire implanté à Milan.
Antonio Talia, lui, serait proche des clans du
village calabrais d’Africo. Quant à Giuseppe
Morabito, le doyen du groupe, il est installé
de longue date au nord de la Lombardie, bien
que sa famille règne sur ce même fief de la
pointe de la Botte. Ces quatre hommes, qui
comparaissent libres malgré de tels pedi-
grees, risquent la réclusion à perpétuité. Ils
sont soupçonnés d’être les responsables de
l’enlèvement et de l’assassinat d’une ly-
céenne de 18 ans, Cristina Mazzotti, dans la
région du lac de Côme, ce fameux été 1975.
A l’époque, la ’Ndrangheta misait sur les
rançons des enlèvements pour amasser du
cash et inspirer la crainte, tout en prenant
racine dans le nord de la péninsule. Le plus
célèbre de ces rapts fut celui de John Paul
Getty III, âgé de 16 ans, en 1973. L’héritier de
cette dynastie industrielle américaine fut
retrouvé vivant, mais amputé d’une l’oreille,
sur une autoroute après cinq mois de capti-
vité et le versement de 1,7 milliard de lires
(soit 12,6 millions d’euros actuels). C’est dans
ce contexte, deux ans plus tard, qu’est ciblée
la famille Mazzotti. Helios, le père, est un né-
gociant en céréales prospère qui multiplie les
voyages en Argentine. Avec son épouse, Carla,
ils ont trois enfants : Vittorio, Marina, et la
benjamine, Cristina, surnommée « Cri-Cri ».
En cet été 1975, bercée à la radio par les bluet-
tes de Claudio Baglioni, la jeunesse dorée mi-
lanaise étire ses soirées dans les bars et les vil-
las des rives du lac de Côme. Ce 30 juin est un
peu spécial pour « Cri-Cri » : elle fête à la fois la
fin de l’année de lycée et son 18e anniversaire.
A bord d’une Mini Austin bleu métallisé,
Cristina, Carlo et Emanuela, inséparable trio,
roulent sur le chemin du retour, en direction
du village d’Eupilio, où la famille Mazzotti
possède une maison de campagne.
LES RAVISSEURS NE RÉPONDENT PLUS
Il est 1 h 30. La bâtisse n’est plus qu’à quelques
centaines de mètres quand deux voitures,
une Alfa Romeo et une Fiat 125, déboulent de
nulle part et bloquent la Mini. Quatre hom-
mes encagoulés surgissent. « Laquelle est
Cristina Mazzotti ? » La voilà embarquée de
force. Quelques jours plus tard, son portrait
fait la « une » des journaux – un visage de
Joconde au sourire doux et aux yeux noirs.
La villa d’Eupilio devient un QG fébrile, où la
famille et les carabiniers attendent la sonne-
rie du téléphone. Le premier appel ne tarde
pas : un homme se faisant appeler « le Mar-
seillais » exige le paiement d’une rançon de
5 milliards de lires. Une somme faramineuse,
impossible à réunir, même pour cet entre-
preneur à succès. Les menaces sur la vie de
Cristina sont claires. La course contre la mon-
tre s’engage.
A la mi-juillet, les ravisseurs revoient leurs
ambitions à la baisse. Ils demandent désor-
mais 1 milliard de lires. Helios Mazzotti vend
tous les biens qu’il peut, contracte des prêts,
hypothèque la maison et parvient à réunir la
somme, qui sera remise en lieu sûr, selon les
consignes du « Marseillais ». Mais Cristina
n’est pas libérée pour autant. Pis, les ravis-
seurs ne répondent plus, la famille reste sans
nouvelles de la jeune fille.
Arrive le 1er septembre. Sur les indications
d’un suspect, les carabiniers creusent dans
une décharge de Galliate, une bourgade
située à une heure de route d’Eupilio. Le
cadavre squelettique de Cristina Mazzotti
est découvert sous un amas de détritus.
D’après la police scientifique, la jeune fille,
dénutrie et droguée, est morte un mois et
demi plus tôt, à la veille de la remise de la
rançon, le corps comprimé dans un abri
souterrain devenu son tombeau.
L’Italie entière pleure « Cri-Cri ». Plus de
30 000 personnes convergent à Eupilio pour
assister aux obsèques. Quand son père
meurt à son tour, malade du cœur et accablé
Les derniers
secrets de
l’affaire Mazzotti
Quatre hommes comparaissent à Milan pour
l’enlèvement et l’assassinat, en 1975, d’une lycéenne
de 18 ans. A l’époque, la Mafia calabraise avait fait des
rapts avec rançon une composante de son « business »
de chagrin, le 5 avril 1976, l’enquête est déjà
presque achevée. Un banquier suisse a con- UN HOMME SE
tacté la police italienne après avoir repéré un FAISANT APPELER
versement suspect, issu de la rançon.
L’homme qui a déposé l’argent, un certain « LE MARSEILLAIS »
Libero Ballinari, est un contrebandier bien
connu de la police milanaise. Une fois en EXIGE LE PAIEMENT
détention, il donne les noms de plusieurs
complices de cette opération.
D’UNE RANÇON
En 1977, douze hommes et une femme sont DE 5 MILLIARDS
condamnés par la cour d’assises de Novare,
dont huit à la réclusion à perpétuité. Un mar- DE LIRES
chand de glace, un boucher, un géomètre
versé dans le trafic de drogue… Mais ce ne sont
que des petites mains, des « locaux » dépassés
par une opération criminelle trop grande
pour eux. Comme si cet enlèvement symboli-
que – Cristina Mazzotti est la première femme
tuée par la ’Ndrangheta à la suite d’une
demande de rançon – n’avait été pensé et
orchestré par personne. Pas même par
l’homme chargé des appels téléphoniques,
La photographie
de Cristina
Mazzotti
diffusée
lors de sa
disparition,
en 1975.
ARCHIVIO A3/CONTRASTO-REA
autrement dit « le Marseillais ». Son nom est
Stefano Spadaro, il est d’origine calabraise.
Mais les informations ne viendront pas de
lui : il est mort en cavale alors qu’il se faisait
opérer des cordes vocales dans une clinique
romaine, afin de modifier sa voix… Quant
aux occupants de l’Alfa Romeo et de la Fiat
– « à l’accent méridional », précisera l’amie de
Cristina –, ils manquent aussi à l’appel.
« Nous savions qu’ils n’étaient pas tous au pro-
cès », confie aujourd’hui au Monde une
source judiciaire.
La famille Mazzotti doit se contenter de ce
verdict par défaut et vivre avec la certitude que
les organisateurs courent toujours – de même
que l’argent de la rançon, dont près de 90 % se
sont volatilisés. « A la maison, il valait mieux ne
pas en parler, surtout pour protéger la mère de
Cristina. C’était une douleur latente, mais sans
esprit de vengeance », se souvient Arianna
Mazzotti, la nièce de Cristina, responsable de
la fondation créée par Helios, dès 1975, en mé-
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
moire de sa fille. « Nous savions que les respon-
sables étaient encore en liberté, poursuit-elle,
mais les développements judiciaires, nous les
avons appris dans les journaux. »
Pourtant, le visage de « Cri-Cri » continue
d’obséder les riverains du lac de Côme, du
journaliste localier au carabinier. Il hante
aussi Pierangelo Ceruti, l’employé des pom-
pes funèbres dont la silhouette apparaît, de
dos, sur une photo du jour de la découverte
du corps. En état de choc, ce jeune homme
chargé de récupérer le cadavre s’est mis en-
suite à collecter toutes les informations sur
l’affaire, jusqu’à la moindre coupure de
presse. A la naissance de sa fille, en 1977, il
décide même de la prénommer Cristina.
Celle-ci prendra par la suite le relais, au
point de s’inscrire, sur le tard, en criminolo-
gie, dans l’unique but d’écrire une thèse sur
l’affaire Mazzotti. « Les investigations ont été
menées avec les moyens de l’époque, essen-
tiellement les écoutes téléphoniques et les
codes alphanumériques des billets de ban-
que,explique-t-elle. Mais les condamnés de
1977 étaient de simples “ouvriers”, des gens
inconscients, à la recherche d’argent facile.
Face à leur silence sur leurs commanditaires,
le mystère a perduré, jusqu’à ce que de nou-
velles techniques changent la donne. »
CONFESSIONS AU COMPTE-GOUTTES
L’affaire est relancée en novembre 2006,
grâce à une simple empreinte digitale, celle
d’une paume de main droite, retrouvée en
son temps sur la Mini, et qui « matche » enfin
avec la base de données du système automa-
tisé d’identification des empreintes digitales,
tout juste inauguré. Cette piste mène à un
certain Demetrio Latella, alias Luciano, un
tueur de la ’Ndrangheta au casier judiciaire
déjà bien rempli. Confronté à cette preuve, il
avoue qu’il se trouvait à bord de la Fiat 125, la
nuit du 30 juin 1975, et livre trois autres noms
de ’Ndranghetistes, dont ceux de Calabro (« le
petit docteur ») et de Talia. Trente ans après
l’assassinat, la piste mafieuse s’ouvre enfin.
En dépit de cette avancée, le dossier, trans-
mis au parquet antimafia de Turin, s’enlise
un temps, avant d’être prescrit, en 2012… Jus-
qu’à ce qu’une nouvelle loi, trois ans plus
tard, change la donne : les crimes passibles de
la perpétuité – c’est le cas dans l’affaire
Mazzotti – sont dorénavant imprescriptibles.
La procédure prend alors une nouvelle tour-
nure. Des noms sont distillés au compte-
gouttes par des repentis, au fil d’interrogatoi-
res portant sur d’autres crimes, mais aussi au
détour de livres de confessions. « Les vrais
cerveaux et organisateurs demeurèrent impu-
nis », affirme ainsi Antonio Zagari, collabora-
teur de justice réputé fiable et fin connaisseur
des liens entre les clans calabrais et la micro-
criminalité milanaise, dans son ouvrage
Ammazzare Stanca (Aliberti, 2008, non tra-
duit). « Les billets de la rançon ont aussi pu être
recyclés dans des casinos d’Italie du Nord et
sur la Riviera française, une des marques de fa-
brique de la ’Ndrangheta », avance Me Fabio
Repici, l’avocat de la famille Mazzotti.
Fort de ces différents éléments, le parquet
de Milan, qui a récupéré le dossier, clôt
l’instruction le 9 novembre 2022. Selon l’or-
donnance de renvoi, les quatre prévenus ont
« pris une part active dans la phase d’exé-
cution de l’enlèvement ». Trois d’entre eux
sont soupçonnés d’y avoir directement par-
ticipé. Le quatrième, Morabito, au rôle
encore obscur, est pour sa part suspecté
d’avoir été l’un des organisateurs.
Chez les Mazzotti, la nouvelle de ce nou-
veau procès est accueillie avec retenue. Seule
Carla Mazzotti ne saura rien de ce rebondis-
sement : elle s’est éteinte le 6 juillet, à l’âge de
98 ans, et repose désormais au cimetière
d’Eupilio, à côté de sa fille Cristina.
Pour les enquêteurs, les espoirs de passer
l’histoire de la ’Ndrangheta au révélateur de
l’affaire Mazzotti demeurent maigres.
D’autant que la stratégie de défense des préve-
nus est d’ores et déjà fidèle aux préceptes de
silence de cette organisation. Après avoir fait
valoir leur droit au mutisme lors des audi-
tions, deux d’entre eux ont demandé à être
jugés selon le rito abbreviato. Cette procédure
accélérée et simplifiée requiert des audiences
à huis clos, mais elle permet aussi de s’assurer
que les débats ne porteront que sur le dossier,
sans risquer que de nouveaux témoignages à
la barre viennent rompre quarante-huit ans
de silence. L’affaire Mazzotti, malgré la com-
parution de l’intrigant quatuor, pourrait
encore garder sa part de mystère. p
thomas saintourens
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
Dariush Mehrjui
Cinéaste iranien
L
e double assassinat du ci-
néaste iranien Dariush
Mehrjui, 83 ans, et de son
épouse, Vahideh Moham-
madifar, 54 ans, a provoqué une
profonde émotion en Iran. Sa-
medi 14 octobre, le réalisateur de
La Vache (1969), film de la Nou-
velle Vague iranienne, qui fut in-
terdit dans son pays pendant trois
ans, et la scénariste et costumière
ont été retrouvés poignardés à
leur domicile, à Karadj, près de Té-
héran. L’enquête est en cours. Peu
après la découverte des corps, l’hy-
pothèse d’un cambriolage qui
aurait mal tourné a été avancée,
mais nombre d’observateurs n’ex-
cluent pas un meurtre politique et
pointent du doigt le régime.
Réalisateur, scénariste et pro-
ducteur, Dariush Mehrjui est né le
8 décembre 1939, à Téhéran. Il s’est
formé aux Etats-Unis, obtenant
un diplôme de philosophie,
en 1964, à l’université de Califor-
nie à Los Angeles, en pleine contre-
culture, croisant sur le campus
Jean-Luc Godard, Ingmar Berg-
man, Michelangelo Antonioni… Il
rêvait déjà de cinéma et com-
mença à tourner à son retour en
Iran. Son deuxième film, La Vache,
d’inspiration néoréaliste, avec son
grain noir et blanc et ses visions
hallucinées d’un paysan som-
brant dans la psychose après avoir
perdu son animal, reste son
chef-d’œuvre absolu. Le film est
considéré par beaucoup comme
l’équivalent du Voleur de bicyclette
(1948), de Vittorio De Sica, ou des
Quatre Cents Coups (1959), de Fran-
çois Truffaut – une copie clandes-
tine de La Vache fut envoyée à la
Mostra de Venise, en 1971.
Dariush Mehrjui a réalisé une
vingtaine de films, du cinéma
d’auteur aux comédies populai-
res, comme Les Locataires (1986),
qui connut un grand succès. Il a
également signé une trilogie sur
Martti Ahtisaari
Ancien président finlandais
L
a paix est une question de
volonté. Tous les conflits
peuvent être résolus, et il
n’y a aucune excuse à leur
permettre de devenir éternels. »
Ainsi s’exprimait l’ancien prési-
dent finlandais Martti Ahtisaari,
le 10 décembre 2008, à Oslo, où il
venait de recevoir le prix Nobel de
la paix, pour son inlassable rôle de
médiateur dans les conflits inter-
nationaux. Atteint de la maladie
d’Alzheimer, le diplomate est dé-
cédé, lundi 16 octobre, à l’âge de
86 ans.
« La Finlande a perdu un chef
d’Etat remarquable. L’Europe, un
visionnaire. Et le monde, un cham-
pion de la paix », a réagi la prési-
dente de la Commission euro-
péenne, Ursula von der Leyen, sur
X (anciennement Twitter), tandis
que le secrétaire général de
l’OTAN, Jens Stoltenberg, rendait
hommage au « champion du
monde de la paix, de la sécurité et
de la prévention des conflits ».
En Finlande, la nouvelle a sus-
cité une vive émotion. Lors d’une
allocution retransmise en direct à
la télévision, le président, Sauli
Niinistö, a salué « un grand Finlan-
dais ». Avant même son décès,
Martti Ahtisaari avait déjà été
élevé au rang des « grandes figures
historiques » du pays, remarque
l’ancien premier ministre
Alexander Stubb, qui préside le
conseil d’administration de la Cri-
sis Management Initiative, créée
par Martti Ahtisaari en 2005.
des femmes, Sara (1993), Pari
(1995) et Leila (1996), avec les actri-
ces Niki Karimi et Leila Hatami. Il
avait à cœur de montrer son pays
tel qu’il est, de nommer les problè-
mes, ce qui lui valut d’être censuré
à différentes époques.
Le Cycle (1974), qui dénonçait le
scandale des dons de sang préle-
vés sur des populations pauvres
ou marginalisées contre de l’ar-
gent, a été bloqué plusieurs an-
nées. De même furent censurés
L’Ecole où nous allions (1980), Baa-
noo (1991) ou encore Santouri
(2007), consacré à un musicien –
avec Golshifteh Farahani, laquelle
a aussi joué dans Le Poirier (1998).
Dariush Mehrjui a souffert de la
censure sous le régime du Chah
(jusqu’en 1979), mais aussi sous la
République islamique d’Iran, en
place depuis 1979.
Nombreuses morts suspectes
Au regard de son rejet – ou de son
acceptation – par le politique, La
Vache est une œuvre assez emblé-
matique, explique l’historienne
du cinéma Agnès Devictor, autrice
de Politique du cinéma iranien
(CNRS, 2004). « L’image d’une cam-
pagne traditionnelle qui était mon-
trée dans le film allait à l’encontre
du message de modernité que véhi-
culait le pouvoir. La Vache est resté
interdit trois ans, avant d’être auto-
risé à sortir, assorti d’un carton
d’avertissement, qui ne trompa
personne, où il était écrit : “Ce film
raconte une histoire qui se passe
bien avant la révolution blanche
[agraire] lancée [en 1961] par le
chah d’Iran.” »
Un tournant eut lieu au mo-
ment de la révolution de 1979,
avec la chute du chah, poursuit-
elle : « Contrairement à la dispari-
tion du cinéma, que plusieurs ob-
servateurs pronostiquaient face
aux nombreuses salles détruites
pendant les manifestations qui
Ainsi, chaque année, le 10 novem-
bre est célébré le « Ahtisaari Day »,
qui vise à promouvoir, dans les
écoles, l’éducation à la paix et la
prévention des conflits.
Le déracinement de sa famille
« a influencé sa vision du monde et
ses actions. Pas en les teintant
d’amertume, mais en lui permet-
tant de comprendre le destin des
gens et de connaître la valeur de la
paix », a constaté M. Niinistö. Car,
fils d’un sous-officier, Martti Ahti-
saari est né en 1937 en Carélie, une
province annexée par l’URSS pen-
dant la seconde guerre mondiale.
Médiateur pour la Namibie
« Je n’avais que 2 ans lorsque (…) la
guerre a éclaté, obligeant ma fa-
mille à quitter peu après la ville de
Viipuri. Comme plusieurs centai-
nes de milliers de Caréliens, nous
sommes devenus des réfugiés dans
notre propre pays, car la politique
des grandes puissances a entraîné
le redécoupage des frontières de la
Finlande et l’intégration de ma
ville natale dans l’Union soviéti-
que », avait-il raconté lors de la cé-
rémonie des Nobel.
Martti Ahtisaari a grandi à Kuo-
pio, au centre de la Finlande. A
19 ans, il intègre le Parti social-dé-
mocrate, puis il entreprend des
études pour devenir enseignant
dans le primaire. Il n’exercera
qu’un an. Recruté par une ONG
suédoise, il est nommé directeur
d’un pensionnat à Karachi, au Pa-
kistan, où il reste trois ans. A son
conduisirent à la révolution, l’aya-
tollah Khomeyni déclara, le 2 fé-
vrier 1979, au cours de son premier
grand discours : “Nous ne sommes
pas contre le cinéma en général,
mais contre les films corrompus et
corrupteurs.” Quelque temps plus
tard, lorsqu’il découvrit La Vache à
la télévision, il a pris cette œuvre
comme une référence de ce que de-
vait être un bon film, conforme au
nouveau régime. »
Dariush Mehrjui et Vahideh Mo-
hammadifar (qui a coécrit plu-
sieurs scénarios avec son mari) ne
sont pas les premiers artistes ou
intellectuels à disparaître brutale-
ment. Au printemps, de nombreu-
ses morts suspectes d’opposants
iraniens ont été rapportées,
comme celle du réalisateur Kiu-
mars Pourahmad (La Nuit de
Yalda, 2001), décédé le 5 avril, à
l’âge de 73 ans. Sa famille n’a cessé
de rejeter la version officielle du
suicide. Beaucoup considèrent
que Pourahmad, qui a toujours
contesté la répression, a été tué
par les services secrets iraniens.
Le climat actuel, né de la répres-
sion ayant suivi les manifestations
de l’automne 2022, n’est pas sans
rappeler le temps des « meurtres à
la chaîne », qui avaient vu, en 1998,
disparaître coup sur coup de nom-
breux opposants. Parmi eux, le
couple formé par Dariush et Par-
vaneh Forouhar, poignardés dans
leur maison familiale, à Téhéran,
et au moins deux autres intellec-
tuels, le poète Mohammad Mokh-
tari et le traducteur Mohammed
Pouyandeh, qui avaient été égale-
ment éliminés dans la capitale ira-
nienne dans les jours qui avaient
suivi. Dans un geste inédit, le mi-
nistère du renseignement iranien,
sous l’autorité du président réfor-
mateur Mohammad Khatami
(1997-2005), avait reconnu la res-
ponsabilité de certains de ses
agents dans ces assassinats.
En 2017. RONI REKOMAA/LEHTIKUVA/AFP
retour, il intègre le ministère des
affaires étrangères, au départe-
ment de la coopération.
Sa carrière de diplomate débute
en 1973. A 36 ans, il est nommé
ambassadeur de la Finlande en
Tanzanie. Il y découvre la situa-
tion de la Namibie, qui lutte pour
Sur le tournage du « Poirier », à Téhéran, en 1997. ABBAS/MAGNUM PHOTOS
Depuis la mort en garde à vue,
en septembre 2022, de Mahsa
(Jina) Amini, pour un foulard
« mal ajusté », le milieu du cinéma
iranien s’est mobilisé de manière
inédite. De nombreuses actrices
iraniennes se sont affichées publi-
quement la tête nue. Certaines ont
été arrêtées et toutes sont
aujourd’hui interdites de travail.
Auteur du documentaire Iran,
une révolution cinématographi-
que (2006), Nader T. Homayoun a
bien connu Dariush Mehrjui. « Il a
toujours été contestataire, mais il
était avant tout un conteur extra-
son indépendance vis-à-vis de
l’Afrique du Sud. Il participe au
processus de décolonisation,
qu’il décrira plus tard comme un
« marathon », d’abord en tant
qu’envoyé des Nations unies
pour la Namibie, puis comme re-
présentant spécial du secrétaire
disparitions | 21
ordinaire », estime le fondateur du
festival Cinéma(s) d’Iran, à Paris.
En 2003, rappelle-t-il, La Vache fut
programmée, en présence du ci-
néaste, à Paris, dans le cadre du cy-
cle « Portraits de Téhéran ». « Je me
souviens d’une soirée en présence
de Shirin Ebadi, militante des droits
humains. Elle venait d’apprendre
qu’elle avait reçu le prix Nobel de la
paix. Vingt ans plus tard, la nou-
velle Prix Nobel de la paix, Narges
Mohammadi, est en prison, et Da-
riush Mehrjui a été assassiné. » p
clarisse fabre
et ghazal golshiri
23 JUIN 1937 Naissance
à Viipuri, alors en Finlande
(aujourd’hui Vyborg,
en Russie)
1973-1977 Ambassadeur
de Finlande en Tanzanie
1987 Nommé secrétaire
général adjoint de l’ONU
1994-2000 Président de
la République de Finlande
2008 Prix Nobel de la paix
16 OCTOBRE 2023 Mort
à Helsinki
général de l’ONU, jusqu’à ce que
le pays obtienne finalement son
indépendance, en 1990.
Sur X, le président namibien,
Hage Geingob, a d’ailleurs salué
la mémoire d’« un ami de la lutte
de libération de la Namibie et un
artisan de la paix de premier
plan ». Selon Alexander Stubb,
qui le décrit comme un homme
d’« une grande empathie et humi-
lité, qui savait être ferme, tout en
restant un éternel optimiste », son
rôle de médiateur pour la Nami-
bie était « sans doute ce dont il
était le plus fier ».
En 1987, il est nommé secrétaire
général adjoint de l’ONU, puis oc-
cupe le poste de secrétaire d’Etat
au ministère des affaires étran-
gères à Helsinki, avant d’être élu
président de la Finlande, en 1994.
Il supervise notamment l’inté-
gration de son pays à l’Union
8 DÉCEMBRE 1939 Nais-
sance à Téhéran
1969 « La Vache »
DE 1993 À 1996 Trilogie
« Sara », « Pari » et « Leila »
1998 « Le Poirier »
2007 « Santouri »
14 OCTOBRE 2023 Mort
à Karadj (Iran)
européenne. Mais il ne fera
qu’un mandat, car sa vocation
est ailleurs.
En juin 1999, il obtient de l’an-
cien président yougoslave Slobo-
dan Milosevic qu’il accepte le
plan de paix pour le Kosovo. C’est
un succès majeur, même si, plus
tard, Martti Ahtisaari devra re-
noncer à unir Serbes et Kosovars
sur le statut de la province. En
mars 2007, il met fin aux discus-
sions et recommande l’indépen-
dance, qui sera déclarée unilaté-
ralement par le Kosovo le 17 fé-
vrier 2008.
« Héritage visionnaire »
« Il s’est tenu à nos côtés alors que
nous écrivions notre histoire en
tant qu’Etat souverain, démocrati-
que et indépendant. Son héritage
visionnaire restera à jamais gravé
dans la mémoire du peuple koso-
var », a constaté, lundi, la prési-
dente du Kosovo, Vjosa Osmani.
M. Ahtisaari avait aussi mené à
bien les pourparlers entre le gou-
vernement indonésien et les sé-
paratistes du Mouvement pour
un Atjeh libre, qui ont débouché
sur un accord de paix inespéré,
signé en 2005, après une guerre
d’une trentaine d’années qui fit
environ 15 000 morts. A Oslo,
trois ans plus tard, il mettait au
défi la communauté internatio-
nale d’obtenir enfin des « résul-
tats », pour mettre un terme aux
conflits au Moyen-Orient. p
anne-françoise hivert
22 |
CULTURE
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023

La culture coréenne se donne en spectacle

Le nouveau festival Busan International Performing Arts Market a attiré des programmateurs internationaux

REPORTAGE 500 jeunes

busan (corée du sud)
artistes

B
usan par-ci, Busan par-là.
Si la deuxième ville de
sont présents.
Corée du Sud après sa ca- Ils épatent
pitale, Séoul, était sur-
tout connue des fans de films de
et émeuvent par
zombies grâce au blockbuster Der- leur technique
nier train pour Busan, réalisé
en 2016 par Yeon Sang-ho, elle
et leur générosité
commence à s’inscrire durable-
ment dans la cartographie cultu-
relle internationale. En lice pour Unis, d’Italie, de Belgique, du Ma-
accueillir l’Exposition universelle roc… Ils se retrouvent à Busan
2030 aux côtés de Riyad et Rome, pour échafauder des collabora-
dont le vote aura lieu le 28 novem- tions et mutualiser leurs forces à
bre, on voit déjà certains taxis pa- long terme. Shona McCarthy, di-
risiens afficher « Busan 2030 » sur rectrice du fameux Festival Fringe
leurs portières, tandis qu’à l’aéro- d’Edimbourg (Ecosse), désire creu-
port de Busan des panneaux pu- ser un dialogue déjà fertile. « Cela
blicitaires annoncent, comme si fait vingt ans que des artistes co-
on y était, l’événement phéno- réens jouent au Fringe et c’est une
mène, lorsque ce ne sont pas de forme de réciprocité pour moi que
simples sacs à provisions qui pro- de venir ici, confie-t-elle. Je souhai-
clament « Busan is ready ». tais également découvrir ce pays
Pour l’heure, vendredi 13 octo- qui investit dans la culture avec
bre, ce qui est prêt, c’est la pre- beaucoup d’ambition. » De Taïwan,
mière édition du Busan Interna- Joanna Wang, directrice artistique
tional Performing Arts Market du Centre national des arts de
(BPAM), qui déploie pendant qua- Kaohsiung, entend faire mieux
tre jours une centaine de perfor- connaître son théâtre, qui fête son
mances et showcases en tous gen- cinquième anniversaire. « C’est
res. Formidablement orchestrée, ma première occasion de croiser
entre bonne humeur et précision mes collègues étrangers après la
horaire, cette opération enthou- KakaoTalk, pour le Busan International Performing Arts Market (BPAM), le 14 septembre. BPAM crise liée au Covid-19, explique-t-
siasmante, qui a rallié cinquante- elle. Il est aussi intéressant d’obser-
sept programmateurs du monde ver comment les Coréens promeu-
entier et des plus en vue – preuve vent leur singularité : on a toujours
que les affaires culturelles repren- quelque chose à apprendre d’eux. »
nent fort –, est concentrée au cœur
de cette immense cité portuaire de « Propositions accessibles »
3,4 millions d’habitants. Un phénomène sidère. De l’Aus-
Et quelle ambiance ! Quelle fête ! tralie à l’Arabie saoudite en pas-
Banderoles et ribambelle de food sant par le Népal, la culture co-
trucks encerclent le Busan Citi- réenne, notamment grâce à Net-
zen’s Hall. Cet équipement théâ- flix, s’affirme en référence
tral inauguré en 1973 est le plus commune. Pour sa première fois
ancien de la République de Corée. en Corée, Bhushan Shilpakar, pro-
Il dispose de deux salles : l’une de ducteur du festival Echoes in the
1 600 places et la seconde de 400. Valley, à Katmandou, va peu à peu
Autour, un chapelet de petits pla- au-delà des quatre références qui
teaux ouverts voit défiler musi- étaient les siennes : Samsung,
ciens, magiciens, danseurs, co- Hyundai, BTS, Psy et son tube
médiens, marionnettistes, artis- Gangnam Style (2012). « J’ai même
tes de cirque – une discipline ap- appris en arrivant à l’aéroport qu’il
parue ici il y a une dizaine y avait beaucoup de Népalais qui
d’années. « Il n’y a pas que la K-pop cherchent du travail ici, précise-
dans notre pays ! », s’amuse Lee t-il. Là d’où je viens, nous avons été
Jong-ho, directeur artistique de la habitués à regarder vers l’ouest
manifestation. Egalement à la pour trouver notre inspiration. En
tête de l’historique festival SI- étant au BPAM, je réalise qu’il y a
Dance, à Séoul, créé en 1998, ce des mouvements incroyables qui
globe-trotteur s’est inspiré des arrivent de l’est : Bangkok, Singa-
festivals d’Avignon « off » et de Si- pour, Yokohama [Japon]… »
biu (Roumanie). Du côté de l’Arabie saoudite, où
les plus populaires groupes de K-
Classique, jazz et hip-hop pop, BTS et Blackpink, ont été pro-
Le soft power coréen, autrement grammés à Riyad, Cindy Hwang et
dit « hallyu » (« la vague co- Bill Harris travaillent ensemble à
réenne »), a pris un élan planétaire la programmation spectaculaire
affolant en vingt ans. Il a d’autres de l’impressionnant Centre du roi
visages que la K-pop, les K-dramas « Koreality », de la compagnie Bodytalk, le 1er septembre. PARK SANGYOON Abdelaziz pour la connaissance et
et le cinéma. Ils sont 500 jeunes ar- la culture (Ithra), à Dhahran.
tistes au BPAM. Ils épatent et « Nous cherchons l’excellence artis-
émeuvent par leur technique, leur fougue dans une fable écologi- réens aiment exprimer haut et fort réenne sont « une chance pour ce tique, expliquent-ils. Les proposi-
générosité, leur bravoure, dans les que saisissante intitulée Forest leurs émotions », glisse une
Formidablement petit pays », selon Lee Jong-ho. tions doivent être accessibles, vi-
conditions plutôt raides du plein Fire. Quelques heures auparavant, femme en souriant. orchestrée, Néanmoins, tout n’est pas rose. suelles. La population est très
air. Danser sur le bitume exige la compagnie Third Nature hyp- Les traditions colorent nombre Des thèmes sociétaux violents jeune : 80 % ont moins de 35 ans.
d’avoir la peau dure. « Nous avons notise avec une superbe installa- de propositions. Koreality, de la
cette opération s’exposent sur les plateaux. Nous voulons, avec évidemment
envie de travailler, car ce n’est pas tion de voiles blanches au milieu compagnie Bodytalk, vogue entre est concentrée « Nous avons fait un tel bond en des contraintes et des limites,
simple ici de gagner sa vie en dan- desquelles des danseuses of- électro et percussions, zombies vingt ans, et si rapidement, que ouvrir le regard du public aux nou-
sant, commente le chorégraphe frent un ballet suspendu. Ailleurs, de séries coréennes Netflix et pay-
au cœur nous rencontrons de gros problè- velles formes théâtrales pour ap-
contemporain Kim Nam-jin. La l’incroyable expert en mât chi- sage sous-marin fluo. Cette quête de l’immense mes aujourd’hui, analyse-t-il. La porter le monde à Ithra et Ithra au
plupart des interprètes doivent nois Seo Nam-jae fait participer le difficile d’une jeune génération natalité est en berne et le taux de monde. » En 2019, ils ont affiché
donner des cours. » Parallèlement, public de façon directe et mali- happée par une société de compé-
cité portuaire suicides, effrayant. » Pixel, de Mourad Merzouki, qui a
il démarre une carrière d’acteur à cieuse en enchaînant des exploits tition est chantée et dansée im- Le suicide chez les jeunes et le remporté un gros succès.
la télévision et au cinéma. l’air de rien. Les spectateurs hur- peccablement par huit perfor- harcèlement scolaire mettent Des stratégies voient déjà le
Avec son groupe d’acrobates af- lent de peur lorsqu’il dégringole meurs. « C’est une tendance forte breakdance est très riche, affirme sous tension la pièce de théâtre jour. Le Festival « off » d’Avignon,
fûtés, Kim Nam-jin emporte avec de son mât, la tête en bas. « Les Co- actuellement chez les interprètes Ludovic Guillot, conseiller de coo- Algoritm, d’Artistreet ; l’addiction avec la présence d’Harold David,
de savoir tout faire, souligne Lee pération et d’action culturelle à toxique aux réseaux électrise Bur- coprésident d’Avignon Festival
Jong-ho. Par ailleurs, je tiens à va- l’ambassade de France en Corée. gundy Muki Channel Intro, de Ball- & Compagnies, veut « développer
La K-pop rayonne en France loriser ici les racines de notre Comme ce style hip-hop est devenu play Club ; les migrants et les rela- le “off” comme un marché interna-
culture et sa longue histoire. La une discipline olympique, les yeux tions entre les deux Corées font tional ». « Il n’y a que 125 compa-
A Paris, le Centre culturel coréen, qui a fait un tabac – 40 000 visi- tradition, qu’elle soit musicale ou se tournent vers la Corée, où les ta- exploser Container, de Warm Per- gnies étrangères, dont 60 % sont
teurs – avec l’exposition « Frétillante Busan », multiplie les événe- chorégraphique, est présente dans lents sont nombreux. Il faut aussi son, qui a suscité l’intérêt de diffu- francophones, sur les 1 500 specta-
ments. Expositions de céramiques, d’œuvres digitales NFT (ces les productions contemporaines. » dire que, même si les chorégraphes seurs, dont Vicentiu Rahau, du cles, précise-t-il. Certaines salles
jetons non fongibles), programmation de spectacles de danse Accompagné en live par un contemporains sont de plus en Festival international de théâtre ont envie de programmer des trou-
traditionnelle et de films coréens se télescopent. Depuis le 10 oc- joueur de tambour, le spectacle plus nombreux, les shows K-pop de Sibiu. « Pour le sujet de l’immi- pes d’autres pays. » L’élaboration,
tobre, la K-pop est à l’honneur. Une conférence a été donnée par Haenyeo, de la troupe Madame constituent un vrai débouché pour gration lié à celui de la drogue, la avec le BPAM, d’un catalogue de
la chanteuse Youjeen, figure du genre dans les années 1990. Family, fondée en 2014 et dirigée les danseurs. » Quelque 1 500 in- qualité du texte et du jeu des comé- spectacles coréens susceptibles
Parallèlement, des cours de danse K-pop sont proposés par Dany par Oh Jung-hwa (alias « Madame terprètes sortent chaque année diens », annonce-t-il. de dénicher une scène à leur con-
Park, né en Corée, performeur et chorégraphe depuis 2008, ac- Big »), évoque les femmes plon- de la cinquantaine d’universités La diversité de ce BPAM pluridis- venance à Avignon sera concréti-
compagné par Sovann Chum, également danseur et professeur. geuses en apnée qui récoltent les dotées d’un département de ciplinaire rencontre les objectifs sée en 2024. Une délégation d’étu-
Le duo donne des ateliers dans toute la France mais également produits de la mer. Son écriture, à danse. Environ 180 compagnies variés des cinquante-sept diffu- diants coréens sera également in-
en Suisse, en Autriche et en Angleterre. Le 21 octobre, le K-pop l’instar d’autres pièces, entrelace sont répertoriées. seurs. Ils débarquent du Japon, de vitée pour une immersion forma-
World Festival présentera des performances dansées et chantées technique contemporaine, classi- La fascinante reconnaissance et Chine, d’Indonésie, d’Australie, trice dans le quotidien du « off ». p
mises au point pendant les cours de danse de la K-pop Academy. que, jazz et hip-hop. « La scène le succès global de la culture co- d’Argentine, d’Uruguay, des Etats- rosita boisseau
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
Monuments sous
chapiteau, au Nancy
Jazz Pulsations
Le festival nancéien, qui se tient jusqu’au
21 octobre, fête son 50e anniversaire
MUSIQUE
nancy
L
undi 16 octobre, à La Ma-
nufacture, l’un des vingt-
deux sites du Nancy Jazz
Pulsations (NJP), 50e anni-
versaire, 47e édition. Céline Bona-
cina, saxophone baryton, présente
son dernier album, Jump !, entou-
rée de Rachel Eckroth (clavier, Fen-
der Rhodes et voix), Chris Jennings
(contrebasse) et John Hadfield
(batterie). Jump !, à l’instar de ses
autres albums depuis Vue d’en
haut (2005), poursuit dans la veine
dynamique, pleine d’élan, sans ja-
mais avoir froid aux yeux. Dans la
famille des saxophones, Céline Bo-
nacina privilégie le splendide ba-
ryton, le plus grave – le saxophone
basse est peu joué –, presque aussi
grand qu’elle, faisant une sorte
de double nœud au niveau du bo-
cal, longueur du tuyau oblige, d’un
son aussi éclatant qu’impérieux
ou suave, très exigeant.
Quand Céline Bonacina est née
(à Belfort, en 1975), le festival
Nancy Jazz Pulsations avait déjà
2 ans. Elle est, depuis, devenue une
figure singulièrement active de la
scène jazz, a joué du reggae durant
son séjour de sept ans à La Réu-
nion. L’union des deux corps, ce-
lui, très mince et fin, de la saxo-
phoniste vêtue de cuir rouge et ce-
lui de l’extraordinaire baryton
aux airs d’exigeante légèreté, est
très spectaculaire. Le jazz est une
musique qui se voit. Le baryton
a toute une histoire : d’Harry Car-
ney à Hamiet Bluiett, en passant
par Gerry Mulligan… Il exige un
volume pulmonaire et une lon-
gue expérience qui l’interdisent
aux enfants et aux débutants.
Sens impitoyable de la mélodie
Entre les mains de Céline Bona-
cina, ce monstre élégant se fait
oublier sous la profondeur
du son, l’énergie bien tempérée,
et un sens impitoyable de la mélo-
die. Ce que propose son quartet
ne ressemble à rien de connu,
tout en affichant une sorte de ras-
surante familiarité.
Sa prestation tranche, entre
deux monuments sous chapi-
teau. Concert debout, avant le ba-
ryton éclatant : l’insubmersible
Magma, du batteur Christian Van-
der, annoncé comme les 50 ans
de Mekanïk Destruktïw Komman-
döh. Sept chanteuses, deux pos-
tes-clés (Thierry Eliez et Simon
Goubert, aux claviers), Rudy Blas
VENDREDI 20 OCTOBRE
LES ROLLING STONES
SUR FRANCE INTER
Céline
Bonacina,
à La
Manufacture
de Nancy,
le 16 octobre.
VINCENT ZOBLER
à la guitare et le très décisif Jimmy
Top à la basse. Superbement écrit,
le concert ressemble à tout ce qu’a
pu jouer Magma à Nancy, bien
avant l’invention du NJP. L’intitulé
a valeur de programme. Lequel
est suivi à la lettre.
Quant au Marcus Miller Band
(Donald Hayes, alto sax, Russell
Gunn, trompette, Xavier Gordon,
claviers, portés par la pulsation si-
dérante du batteur Anwar Mars-
hall), lui aussi écouté debout, avec
une attention surprenante, en-
traîné par la fougue de son illustre
leader (Marcus Miller, basse et cla-
rinette basse), il porte haut l’his-
toire du lien entre Marcus et Miles
Davis. Lequel invita le jeune
homme (d’alors 25 ans) à produire
pour une journée spéciale
interview exceptionnelle de Mick Jagger
par Rebecca Manzoni à 9h
(« réaliser ») son album. Ce fut Tutu
(1986), succès planétaire, en hom-
mage au rôle de Desmond Tutu
dans la fin de l’apartheid. Marcus
Miller, sveltesse toujours bondis-
sante quelque quarante ans plus
tard, a toujours 25 ans.
Concert étincelant, fusion en fu-
sion, il rit à l’évocation de la « crise
de la cinquantaine » : « Je pense
qu’elle n’existe même pas. Le se-
cret, c’est de toujours rester
curieux et jeune dans sa tête. »
Poursuivant, pour le fascicule du
NJP (de très grand style, comme
tout le reste) : « Nancy a la plus
belle place de France… » C’est
ce qui s’appelle être incondition-
nel, devant la plus belle place de
France (la place Stanislas).
culture | 23
mes héros, souvent devenus d’ex-
Ce que propose cellents amis. Sans pulsations, la
Céline Bonacina musique n’est pas vivante. » Excel-
lent condensé de cette folle soirée,
ne ressemble impossible à suivre sans un guide
à rien de connu, précieux : l’un des artisans du NJP,
toujours sur la brèche dans ce mo-
tout en affichant dèle inégalé de furia sans mesure
une sorte et de logistique sans faille : Claude-
Jean Antoine, dit « Tito ». Il se dit
de rassurante musicien raté : « Je suis impres-
familiarité sionné par ce qu’est devenue cette
aventure collective… » Pour avoir
suivi la première édition (1973),
Marcus aime Nancy et son pu- disons-le tout net : nous aussi. p
blic : « Je me souviens du public, francis marmande
parce qu’il est un peu “crazy”.
A Nancy, on a la chance de pouvoir Nancy Jazz Pulsations,
se relaxer et de faire des rencontres. jusqu’au 21 octobre.
J’ai rencontré ici quelques-uns de Nancyjazzpulsations.com
24 | culture
Jean-David Morvan fait dans la Résistance
Le scénariste de bande dessinée publie le tome 2 de sa série, qui retrace la vie de Madeleine Riffaud, 99 ans
RENCONTRE
P
our cette rencontre,
Jean-David Morvan avait
insisté. Bien qu’il habite
à Reims (Marne), le scé-
nariste préférait qu’on le retrouve
dans une brasserie de la place des
Vosges, à Paris. « Je voudrais
me rapprocher de chez Madeleine,
si jamais elle a besoin de moi »,
avait-il expliqué. A 53 ans,
l’homme a passé l’âge de jouer
les amoureux transis. Mais, de-
puis qu’il a rencontré Madeleine
Riffaud, il n’est pas une semaine
sans qu’il ne passe voir l’ancienne
résistante, 99 ans mais toujours
d’attaque, malgré sa cécité et
des difficultés à marcher. « Made-
leine, c’est ma meilleure pote ! »,
résume l’auteur.
Le premier échange entre ces
deux forts caractères, en 2017,
ne s’était pourtant pas bien passé.
« J’avais trouvé le numéro de Ma-
deleine par un ami journaliste et
je l’avais appelée pour lui proposer
de faire une BD sur sa vie. Elle
m’avait envoyé sur les roses », se
souvient-il. Un malentendu dis-
sipé deux semaines plus tard, lors
d’un nouvel échange téléphoni-
que, prélude d’une amitié hors
norme. Depuis, le premier tome
de Madeleine, résistante (Dupuis,
2021), qui raconte l’entrée de la
jeune fille dans la Résistance, s’est
écoulé à 70 000 exemplaires, et le
deuxième opus, tout juste sorti
en librairie, qui évoque le maquis
de Paris, prend le même chemin.
Jusqu’alors connu pour ses scé-
narios de science-fiction, notam-
ment à travers la série Sillage
(Delcourt, 22 tomes), Jean-David
Morvan a longtemps hésité avant
d’écrire sur la seconde guerre
mondiale. « Je ne me sentais pas lé-
gitime. Je ne suis pas juif. Ma fa-
mille n’a pas été marquée par
le conflit. Mais j’ai toujours eu en-
vie de raconter ce que je ne suis
pas. » C’est après avoir découvert
les clichés d’Hugo Jaeger, le pho-
tographe personnel d’Hitler, dans
une exposition sur la propagande
nazie à l’œuvre dans les ghettos
polonais, au Mémorial de
la Shoah, à Paris, qu’il franchit
le pas. « On y voyait des photos
en couleurs de réfugiés juifs qui
souriaient. J’ai eu un choc intense.
Je n’aime pas le terme “devoir de
mémoire”, mais je me suis dit qu’il
fallait raconter ce qu’était la Shoah
aux plus jeunes », explique-t-il.
Bourreau de travail, l’ancien can-
cre (il a redoublé sa 4e et s’y est pris
Tarik Kiswanson remporte le prix Marcel-Duchamp 2023
Le Franco-Suédois d’origine palestinienne est le 23e lauréat de la dotation qui accompagne la scène française d’art contemporain
L e jury du prix Marcel-Du-
champ a désigné, lundi
16 octobre, Tarik Kiswan-
son comme le lauréat 2023. L’ar-
tiste succède à Mimosa Echard
(2022), Lili Reynaud Dewar (2021)
et Kapwani Kiwanga (2020). En
raison d’un mouvement social,
l’annonce n’a pas été faite,
comme prévu, du Centre Pompi-
dou, mais du siège de la maison
de ventes Artcurial, à Paris.
Tarik Kiswanson, qui vit et tra-
vaille entre Paris et Amman, en
Jordanie, est issu d’une famille
palestinienne ayant dû quitter
son pays pour l’Afrique du Nord,
puis la Jordanie, avant d’arriver,
au début des années 1980, en
Suède, où il est né, en 1986. A tra-
vers la sculpture, l’écriture, le des-
sin, la performance, le film et les
œuvres sonores, l’artiste aborde
des sujets liés à la mémoire
et à l’héritage, à la temporalité
et à l’appartenance, mais aussi,
plus largement, à la transforma-
tion et à la métamorphose, exa-
à deux fois pour avoir son bac)
jette alors son dévolu sur Irena
Sendlerowa (Irena, Glénat, 5 to-
mes), résistante polonaise qui
sauva près de 2 500 enfants juifs
du ghetto de Varsovie. Puis sur Si-
mone Lagrange, résistante fran-
çaise déportée à Birkenau, qui fut
l’un des témoins-clés du procès
de Klaus Barbie (Simone, Glénat,
2022). Mais Jean-David Morvan est
frustré. « Ces personnes étaient dé-
cédées, je ne pouvais pas les rencon-
trer et recueillir moi-même leur té-
moignage. Je sentais qu’il me man-
quait quelque chose », confesse-t-il.
Ses premières rencontres avec
Madeleine Riffaud se déroulent
non sans appréhension. Violée par
un milicien, torturée par la Ges-
tapo après avoir abattu un officier
allemand en plein Paris, réchap-
pée de peu d’un convoi pour Ra-
vensbrück, la résistante « était sor-
tie à moitié folle de la guerre », ra-
conte l’auteur. « Elle ne voulait pas
en parler. Elle avait comme occulté
cette partie de sa vie. » Le scéna-
riste passe des centaines d’heures
à son chevet ou au téléphone, le
plus souvent la nuit.
Témoignage direct
Peu à peu, l’ex-combattante re-
couvre des pans entiers de sa mé-
moire. « Au début, Madeleine té-
moignait au fil de sa pensée. Puis
elle s’est mise à vraiment travailler.
Elle a corrigé quinze fois le
deuxième tome ! », s’étonne Jean-
David Morvan, qui a insisté pour
que la presque centenaire soit cré-
ditée comme coscénariste et per-
çoive des droits d’auteur.
Ce témoignage direct, sans in-
termédiaire, donne tout le sel
des albums, qui ne s’attardent pas
sur le contexte historique − « tout
le monde le connaît » −, mais col-
lent à la jeune Madeleine, physi-
que de « crevette » mais volonté
d’airain, dont on suit l’entrée dans
l’« armée des ombres », les rites de
passage, les tractages, les cour-
riers clandestins, les braquages
aussi, pour nourrir les partisans
du réseau… « Madeleine raconte
les choses de façon organique. Elle
a une mémoire photographique
extraordinaire. C’est Google Street
View ! Elle revit les événements et
fait du récit d’aventures, pas de l’in-
trospection, ce qui est idéal pour de
la bande dessinée », apprécie Jean-
David Morvan. Les dessins de Do-
minique Bertail, magnifiques la-
vis de bleu, permettent d’évoquer
les violences les plus crues sans
que cela devienne insoutenable.
minant ce qui est perdu et acquis
par la migration d’une génération
à l’autre. Les notions de déracine-
ment et de renouvellement figu-
rent au cœur de son travail.
« Mon identité a été construite
par plusieurs cultures, déclare-t-il.
Mes œuvres abstraites découlent
de ma propre condition d’immi-
gré de la deuxième génération,
façonnée par les séquelles de l’exil
et du déplacement. Tout au long
de ma vie, j’ai utilisé la sculpture
et l’écriture pour explorer les états
transitoires et interstitiels de la
condition humaine. »
Cocons à taille humaine
L’idée de lévitation, à la fois
comme métaphore psychique
et phénomène physique d’un
état perpétuellement transitoire,
comme seuil entre l’enfance
et l’âge adulte, occupe une place
centrale dans son travail. Dans
ses créations pour le prix Marcel-
Duchamp, l’artiste revient à ses
œuvres intitulées Nest (« nid »),
Jean-David
Morvan,
dans le bureau
de Madeleine
Riffaud, à Paris,
le 5 octobre.
JULIE BALAGUE
POUR « LE MONDE »
Cette envie de faire témoigner
les derniers rescapés de l’époque,
Jean-David Morvan l’a prolongée
avec Ginette Kolinka, 98 ans,
qui fut déportée à Auschwitz-Bir-
kenau. En 2020, au côté du jour-
naliste Victor Matet, il a accompa-
gné l’énergique grand-mère
en Pologne, « l’un des voyages les
plus inoubliables de [s]a vie ». L’al-
bum qu’ils en ont tiré (Adieu Bir-
kenau, Albin Michel, 112 pages,
21,90 euros), publié début octo-
bre, n’occulte rien de la réalité
des camps, même s’il est destiné
aux plus jeunes.
L’auteur sortira également, en
février 2024, un ouvrage sur Mis-
sak Manouchian. Ce militant ar-
ménien figurait sur l’Affiche
rouge placardée par les Alle-
mands durant l’Occupation pour
dénoncer la Résistance. Comme
A travers
la sculpture,
l’écriture, le
dessin, l’artiste
aborde des sujets
liés à la mémoire
et à l’héritage
des sculptures monumentales
ressemblant à des cocons, faisant
allusion aux états de transforma-
tion dans la nature − chrysalides,
œufs ou graines. Cette forme pri-
mordiale évoque autant l’idée
d’abri que de devenir.
Il assemble cette fois des cocons
à taille humaine avec des meubles
dits « mobilier de sinistrés », con-
çus en France à l’issue de la se-
conde guerre mondiale pour aider
les habitants ayant tout perdu,
notamment dans les bombarde-
ments. Porteuses de mémoire
Madeleine Riffaud, le membre
des Francs-tireurs et partisans de
la main-d’œuvre immigrée (FTP-
MOI) fut torturé par la funeste bri-
gade spéciale n° 2 de la police
de Vichy, chargée de traquer les
« ennemis de l’intérieur ».
Sept albums pour mille vies
Le boulimique scénariste a prévu
sept albums pour évoquer les
mille vies de Madeleine Riffaud.
Après la Résistance, il y aura les re-
portages de guerre en Indochine
et en Algérie, le compagnonnage
agité avec le PCF, l’amitié de Paul
Eluard, les rencontres avec Picasso
ou Ho Chi Minh… La compagne
de Jean-David Morvan, Eloïse de
la Maison, a aussi convaincu les
éditions Points de publier,
en 2024, une anthologie des poè-
mes de l’ancienne journaliste. Cer-
et de régénération, ces formes
blanches et oblongues tiennent
en suspens ce mobilier au design
utilitaire : une armoire grande
ouverte sur un cocon horizontal
de la taille d’un enfant, meuble à
tiroirs en lévitation dans l’espace
vertical d’un couloir de service.
La reconstruction et la renais-
sance à la fois collective et sociale,
individuelle et intime émergent
poétiquement de formes et états
issus de l’expérience de la guerre,
du trauma et du déplacement.
Des dessins, sculptures, une
vidéo et du son (sa mère décrit
sa première journée à son arrivée
en Suède, entre neige et langue
inconnue), tous en lien avec l’idée
de temps suspendu et de mé-
moire intime, viennent complé-
ter son dispositif en donnant
à voir la pluralité de ses pratiques.
Tarik Kiswanson est diplômé
de Central Saint Martins, à Lon-
dres (2010), et de l’Ecole nationale
supérieure des beaux-arts de Pa-
ris (2014). Il a été exposé en 2022
« Je n’aime pas
le terme “devoir
de mémoire”,
mais je me suis
dit qu’il fallait
raconter la Shoah
aux plus jeunes »
JEAN-DAVID MORVAN
tains d’entre eux scandent déjà op-
portunément les deux albums qui
lui sont consacrés. « Madeleine va
occuper les dix prochaines années
de ma vie », assure le scénariste.
Un travail enthousiasmant,
mais qu’il appréhende aussi. De-
venus très proches − lors de ses
passages à Paris, le scénariste dort
à la Biennale de Lyon et a pré-
senté une exposition rétrospec-
tive, « Mirrorbody », au Carré
d’art-Musée d’art contemporain
de Nîmes (2021). Il a également
fait l’objet de nombreuses exposi-
tions à travers le monde : au Mu-
sée d’art contemporain d’Anvers
(Belgique) et au Hallands Konst-
museum (Suède) en 2022, ou
encore à la biennale Performa 19,
à New York, en 2019.
En 2023, trois expositions per-
sonnelles lui sont consacrées :
au Museo Tamayo, à Mexico, au
Bonniers Konsthall, à Stockholm,
et au Salzburger Kunstverein, à
Salzbourg (Autriche). Il est repré-
senté par les galeries carlier|ge-
bauer (Berlin et Madrid) et Sfeir-
Semler (Hambourg et Beyrouth).
Nommés le 12 janvier à l’issue
du vote du comité de sélection
de l’Association pour la diffusion
internationale de l’art français
(Adiaf), Bertille Bak, Bouchra
Khalili, Tarik Kiswanson et Massi-
nissa Selmani ont eu huit mois
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
au milieu des archives de celle qui
se faisait appeler « Rainer » dans la
Résistance, regroupées à l’étage de
son appartement −, les deux aco-
lytes savent que le temps leur est
compté. « Je terminerai sans doute
ce travail sans elle, anticipe Jean-
David Morvan. Je ne sais pas com-
ment je réagirai, mais Madeleine
m’y prépare. L’autre jour, elle m’a
dit une chose très belle : “Tu vivras
très bien sans moi avec moi.” » p
cédric pietralunga
Madeleine, résistante, tome 2.
L’Edredon rouge, de Madeleine
Riffaud, Jean-David Morvan
et Dominique Bertail
(Dupuis, 136 p., 23,50 €).
Adieu Birkenau, de Jean-David
Morvan, Victor Matet, Efa,
Cesc et Roger (Albin Michel,
112 p., 21,90 €).
pour préparer l’exposition des ar-
tistes sélectionnés, sous la hou-
lette de la conservatrice du Musée
national d’art moderne, Angela
Lampe. Elle est ouverte jusqu’au
8 janvier 2024.
Le jury international était
composé, cette année, de deux
directeurs d’institution : Adam D.
Weinberg, du Whitney Museum
of American Art, à New York, et
Béatrice Salmon, du Centre natio-
nal des arts plastiques, à Paris ; et
de deux collectionneuses : Josée
Gensollen, collection Gensollen
La Fabrique, à Marseille, et Ji-
mena Blazquez Abascal, direc-
trice de la Fondation contempo-
raine Montenmedio (Espagne).
Et, comme tous les ans, par le di-
recteur du Musée national d’art
moderne, Xavier Rey, président
du jury, par le président de l’Adiaf,
le collectionneur Claude Bonnin,
et par la représentante de l’Asso-
ciation Marcel-Duchamp, Akemi
Shiraha. p
emmanuelle jardonnet
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
Le cadavre qui voyageait dans le temps
Entre science-fiction et film noir, la série « Bodies » se promène dans Londres, de l’ère victorienne à l’apocalypse à venir
NETFLIX
À LA DEMANDE
SÉRIE
A
première vue, Bodies
ressemble à une série
de dioramas. Quatre ta-
bleaux mettent en
scène les lieux communs de la fic-
tion policière, des déductions
scientifiques de Sherlock Holmes
à la surveillance universelle qui
nous protégera dans un futur pro-
che. De 1890 à 2053, quatre poli-
ciers londoniens doivent percer le
même mystère : l’apparition du
corps d’un homme nu, griève-
ment blessé, dans une ruelle de
Whitechapel, le quartier où a sévi
Jack l’Eventreur en 1889.
La première partie des huit épi-
sodes de Bodies, que son créateur,
Paul Tomalin, a adapté d’un ro-
man graphique de Si Spencer, pu-
blié par DC Comics en 2015, joue
sur les contrastes entre les mé-
thodes et les techniques, et sur-
tout sur les contraintes qui pèsent
sur les limiers londoniens à tra-
vers les âges. Il faut ensuite nouer
les fils de cette histoire, qui a pour
parrains Arthur Conan Doyle et le
H. G. Wells de La Machine à explo-
rer le temps. Cette hybridation fait
le charme, mais aussi la com-
plexité un peu pesante de Bodies.
Chacun des enquêteurs doit
composer avec son appartenance
à une minorité qui fait de lui un
Une peinture de l’art de la guerre et de la propagande à la portée des ados
L’avant-dernier épisode de la saga « Hunger Games » délaisse l’action pour s’engager dans la mise en scène du pouvoir médiatique
TFX
JEUDI 19 – 21 H 05
FILM
A vec les adaptations de
Twilight ou d’Harry Pot-
ter, les amateurs de sagas
d’aventures pour la jeunesse ont
pris l’habitude de voir se dédou-
bler le dernier épisode au moment
du passage à l’écran. Plus ou moins
justifiée au regard de la densité de
la matière narrative, la pratique of-
fre des résultats variables, laissant
parfois soupçonner une motiva-
tion surtout commerciale.
GRILLE N° 23 - 243
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V 3 5 8
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 242
HORIZONTALEMENT I. Détournement. II. Ipe. Rééditée. III. Satin. Gosier.
IV. Tréteau. Er. V. Ogre. Usera. VI. RN. Red. CEI. VII. Saladier. Sal. VIII. Insti-
tuer. Bé. IX. Ot. Ite. Mardi. X. Néoformation.
VERTICALEMENT 1. Distorsion. 2. Epargnante. 3. Téter. Ls. 4. Itératif.
5. Urne. Edito. 6. Rê. Auditer. 7. Négus. Eu. 8. Edo. Ecréma.
9. Misère. Rat. 10. Etirais. Ri (mari). 11. Née. Abdo. 12. Terre-plein.
Iris Maplewood
(Shira Haas),
dans un Londres
postapocalyptique,
en 2053. NETFLIX
marginal dans les rangs de la po-
lice : en 1890, l’inspecteur Hillin-
ghead (Kyle Soller) dissimule une
homosexualité qui pourrait le
conduire en prison ; un demi-siè-
cle après, son collègue Whiteman
(Jacob Fortune-Lloyd) est en butte
à l’antisémitisme de ses camara-
des, alors même que Londres est
écrasée par les bombes de la
Luftwaffe ; en 2023, Shahara Hasan
(Amaka Okafor) tente de contri-
buer à la paix civile dans une ville
Emblèmes d’une civilisation
stabilisée par la terreur, les Hun-
ger Games se sont achevés pour
toujours, sur une note amère
pour le gouvernement du Capi-
tole. Défiant ouvertement le pré-
sident Snow, Katniss Everdeen,
victorieuse des Jeux, a disparu de
la scène tandis que son compa-
gnon d’infortune, Peeta, restait
otage du Capitole. Depuis le Dis-
trict 13 qui se prépare sous terre à
la révolte, Katniss consent bien
malgré elle à devenir le visage des
insurgés, et à se prêter à une cam-
pagne de propagande. Mais le pré-
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
travaillée par le nationalisme de
l’après-Brexit, tétanisée par la me-
nace du terrorisme.
Distribution étonnante
Enfin, en 2053, Iris Maplewood
(Shira Haas), qu’une catastrophe
apocalyptique a laissée paralysée,
tente de contribuer à l’ordre nou-
veau qui s’est reconstruit sous la
houlette d’un Big Brother au
visage avenant, Elias Mannix (Ste-
phen Graham).
sident Snow, qui a de la ressource,
décide de faire de Peeta la voix de
son camp… Des chaînes télévisées
officielles aux programmations
pirates, d’un écran à l’autre, les
deux alliés d’hier s’affrontent.
Combats peu nombreux
Hunger Games. La Révolte court
en toute connaissance de cause le
risque de laisser sur leur faim les
plus impatients de ses specta-
teurs. Le film tient parfois plus du
tableau de guerre que du récit.
Mais il a bien des choses à dire.
S’engageant plus dans la mise en
HORIZONTALEMENT
I. Constance qui va jusqu’à l’entête-
ment. II. S’attaque aux vaisseaux.
Renvoie dans l’œil. III. Remettrais
sèchement à sa place. IV. En rouge sur
les cartes. Ouverture sur Le Monde.
Réponse puérile. V. Ont donc la
même maman. Raccourci pour
raccourcir. VI. Introduit objection et
opposition. George père et ils, prési-
dents. VII. Cours du Congo. Sortie
dans l’espace. VIII. Cours asiatique.
Le parti de VGE. Fin et serré en tête.
IX. Fournisseur d’huile. Homme de
paille. Belle carte. X. Pourra être chan-
gé et échangé.
VERTICALEMENT
1. Fournissait moumoutes et pos-
tiches. 2. Possible mais pas certaine.
3. Unité de rayonnement. Pour une
énergie dans le vent. 4. De l’Oural à
l’océan Paciique. Belle en sabots.
5. N’est plus qu’un équidé renversé.
Pris de panique. Le parti de Michel
Rocard. 6. Producteur de soie. Amé-
nager délicatement les couleurs.
7. Arrivées massives. Article. 8. Les
petits sont souvent précieux. Escale
sans queue ni tête. 9. Commune et
cours du Gard. Replia sous le matelas.
10. Fit l’innocent. Se jette en Seine.
11. Entourés et revêtus. Supplice
d’autrefois. 12. Fait le plein ou aide
à faire le plein.
Il aurait fallu des moyens gigan-
tesques, non seulement de l’ar-
gent, mais aussi une science ini-
maginable de la mise en scène,
pour naviguer sans heurt de la pé-
nombre gothique de l’ère victo-
rienne à la lumière aveuglante du
panoptique numérique, du Han-
tise (1944), de George Cukor, à l’A.I.
Intelligence artificielle (2001), de
Steven Spielberg. On ne sera pas
donc pas surpris de constater que
trois décors ne suffisent pas à évo-
scène du pouvoir médiatique, il
se présente comme un art de la
guerre à la portée des adolescents
– ou plutôt, un art de l’appel à la
guerre. Chaque camp semble y
déployer plus d’énergie à tourner
des clips de propagande qu’à s’en-
traîner au maniement des armes.
Les scènes de combat au sens
physique sont peu nombreuses :
le vrai terrain de bataille tient
dans le cadre étroit d’un écran de
télévision.
Costumes travaillés, cadrages
serrés, discours écrits ou improvi-
sés, interviews télévisées ou docu-
SUDOKU
N°23-243
2 1
7 8
4 9
9 5 1 6
7 8 seule fois par ligne,
6 3 8 5 9 par
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quer Londres sous Victoria, que
l’évocation du Blitz ne se satisfait
pas de pixels. Pourtant, les réalisa-
teurs, l’Allemand Marco Kreutz-
paintner et la Chinoise Haolu
Wang se tirent de cette situation
impossible en s’appuyant sur une
distribution étonnante.
Le rôle d’Elias Mannix est échu à
Stephen Graham, prodigieux ac-
teur qui fit ses débuts en skin-
head, dans le long-métrage et la
série This Is England, de Shane
Meadows, avant d’être l’Al Capone
de Boardwalk Empire. Pervers,
charmeur, son dictateur est aussi
fragile, craintif. Ses plus formida-
bles adversaires ont les visages de
Shira Haas, l’actrice israélienne
découverte dans Les Shtisel et
Unorthodox, et de la Britannique
Amaka Okafor, qui déploie ici une
présence physique étonnante.
Avec Stephen Graham, elle a le
périlleux privilège de parcourir
toute l’existence de son person-
nage. Quelle que soit la science
des maquilleurs et des artistes nu-
mériques, il faut des comédiens
hors pair pour faire tenir cette illu-
sion. Ce sont eux qui permettent à
Bodies de rendre convaincante
cette traversée des siècles. p
Bodies, série créée par Paul
Tomalin, avec Stephen Graham,
Shira Haas, Amaka Okafor,
(RU, 2023, 8 × 55 min).
mentaires de guerre, c’est tout un
dictionnaire de la manipulation
médiatique qui se développe, affi-
nant encore la matière à débat,
que la saga offrait aux adolescents
auxquels elle se destine.
Aimanté avec toujours autant de
vigueur par la singulière puis-
sance de jeu de Jennifer Lawrence,
Hunger Games. La Révolte ne né-
glige pourtant pas, à disséquer
ainsi l’art de la mise en scène, sa
véritable nature. Quelques images
du district d’origine de Katniss, ré-
duit à l’état de charnier après son
défi aux autorités, deux scènes
7 6
2 5
7 Moyen
Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
colonne et par
carré de neuf cases.
DAIRE
CHRÉTIEN
D’ACTUAL
ITÉ
EUR
LA TERRET L’ABIME
l’attaq
Après
che-Or
le Pro
télévision | 25
NOTRE
SÉLECTION
JEU D I 19 O CTO BR E
Paris Première
Les Infiltrés
21.00 Dans le cadre d’une soirée
consacrée à Martin Scorsese, ce film
de 2006 raconte, à Boston, une lutte
sans merci entre la police et la mafia
irlandaise. Avec Leonardo DiCaprio,
Matt Damon et Jack Nicholson.
France 2
Spéciale Cité internationale de
la langue française
21.10 Pour la réouverture du château
de Villers-Cotterêts (Hauts-de-France),
nouveau lieu culturel entièrement
dévolu aux cultures francophones,
la chaîne publique propose un regard
inédit sur le français, langue
pratiquée par plus de 300 millions
de locuteurs dans le monde.
Arte
Les Parcs nationaux américains
23.25 Everglades, Grand Canyon,
Yellowstone, Yosemite Valley…
Depuis 1872, les Etats-Unis ont créé
soixante-trois national parks dans
29 Etats. Ils recèlent des trésors
de biodiversité animale et végétale,
que font découvrir ce documentaire
allemand de 2022.
thomas sotinel MyCanal
Astérix sur le divan d’Uderzo
A la demande Alors que sort
le 40e album d’Astérix et Obélix
le 26 octobre, Antoine de Caunes
raconte le dessinateur Albert Uderzo.
d’assaut désespéré contre les for-
ces armées, suffisent à maintenir
en mémoire le véritable enjeu de
tout ce jeu d’écrans : transformés
ou transcendés par des experts té-
lévisuels, Katniss et Peeta, les
deux amants maudits d’hier, ne
font que parler la langue éternelle
de l’appel aux armes en invitant la
chair au rendez-vous de l’écran. p
noémie luciani
Hunger Games. La Révolte.
Partie 1, de Francis Lawrence,
avec Jennifer Lawrence
(EU, 2014, 123 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
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o DU 12 AU 18
OCTOBRE
2023
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Israël
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, Midi-Print, Gallargues le Montueux
ient plo
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Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
26 | styles
VOYAGE
varèse (italie)
A
la fin du XIXe siècle, les riches fa-
milles milanaises font construire
sur les sept collines de Varèse, à
seulement 50 kilomètres de
Milan, de belles villas de style liberty, aux or-
nements floraux et couleurs pastel, qui par-
ticipent au charme discret de la ville, tout
comme le Sacro Monte, situé au cœur du
parc naturel régional Campo dei Fiori, et les
ruelles piétonnes de la cité médiévale. Sur-
nommée la « ville-jardin », elle se découvre
aujourd’hui à pied et à vélo.
Jour 1
10 heures Campo dei Fiori
A peine arrivés à Varèse, on prend la ligne de
bus C pour filer directement sur les hauteurs
et découvrir la « magnifique vision » évoquée
par Stendhal lors de son voyage entre La-
veno et Varèse. Depuis l’observatoire astro-
nomique, le sentier 301 mène jusqu’au bel-
védère de Forte di Orino (1). Devant nous : les
Alpes piémontaises et centrales, le Verbano,
la vallée du Pô occidentale, le lac Majeur et
celui de Varèse. Les funambules peuvent
s’aventurer sur les crêtes, une variante du
sentier (le 307) permet de rejoindre la Punta
di Mezzo (1 226 mètres), le point culminant
du parc naturel régional Campo dei Fiori.
Avant de poursuivre en direction du Sacro
Monte, on s’arrête déjeuner chez Irma, le
rendez-vous des Varesini. A quelques pas, le
Grand Hôtel Campo dei Fiori, construit
en 1912, et l’ancien funiculaire témoignent
d’un passé florissant, quand les riches Mila-
nais venaient passer l’été à Varèse. Le bâti-
ment laissé à l’abandon est un remarquable
exemple du style liberty lombard, recon-
naissable à ses couleurs tendres et pastel et à
son style floral.
14 heures Sacro Monte et Voie sacrée
En poursuivant le chemin, on rejoint tout
naturellement le site du Sacro Monte (2), da-
tant du début du XVIIe siècle, classé au patri-
moine de l’Unesco depuis 2003. On flâne
dans les ruelles étroites et couvertes du petit
bourg de Santa Maria del Monte avant de
pousser la porte de l’hôtel-restaurant Al Bor-
ducan, plus liberty que jamais, avec ses jar-
dins suspendus, sa rotonde en bois et son
mobilier d’époque. Au loin, depuis la ter-
rasse du bâtiment, on devine le mont Viso et
les Apennins. On termine ce parcours par la
Voie sacrée, un chemin de croix jalonné de
quatorze chapelles, dont la première pierre
remonte à 1604 et dont on doit l’originalité à
l’architecte Giuseppe Bernascone.
16 heures De piazza en piazza
C’est l’heure d’une gourmandise à la pâtisse-
rie Pirola ou d’un gelato (« glace ») chez l’un
des nombreux marchands. A Varèse, difficile
de recommander l’un d’entre eux, chacun a
son café et son glacier préférés. Le jeu con-
siste ensuite à se perdre dans les ruelles
étroites et piétonnes du centre historique. A
commencer par l’une de ses plus anciennes
cours, cortile del Broletto, datant du XVIe siè-
cle, ou encore celle de la Casa Perabo (3), re-
pérable à sa fenêtre en terre cuite sculptée.
Sur l’un de ses plafonds, on peut admirer
une magnifique fresque représentant Melpo-
mène, la muse du chant, dans la mythologie
grecque. Au bout du Corso Matteotti, la rue
commerçante, s’élève la basilique di San Vit-
tore, datant des XVIe et XVIIe siècles. Son cam-
panile baroque en briques et en pierres est
l’un des plus beaux représentants du manié-
risme tardif de Lombardie. Il rivalise avec la
tour gigantesque de la piazza Monte Grappa,
où Mussolini venait haranguer la foule.
L’arrivée de la Voie sacrée jusqu’à Sacro Monte de Varèse. IN LOMBARDIA
48 heures à Varèse
Prendre de la hauteur au belvédère
de Forte di Orino, se perdre dans
des ruelles étroites ou visiter des villas
liberty : le charme de la cité lombarde
opère, entre échappées belles
et balades historiques
Forte di Orino
Parc naturel
Sacro Monte
régional Campo
de Varèse
dei Fiori
Villa Toeplitz
CENTRE-VILLE
Fondation
Marcello Morandini Villa Panza
Casa Perabo
Lac de Varèse
Jardins du palais
Estense
2 km
18 heures Noir et blanc pousse, ici, grâce au climat doux et humide »,
Après le baroque, place au noir et blanc de la précise la guide Francisca Maria Lachat. Un
Fondation Marcello Morandini (4), ouverte très bel exemple, les jardins du palais Es-
en 2021, du nom de son propriétaire, archi- tense (5), au cœur de la ville, construit entre
tecte, sculpteur et graphiste italien. Les 1766 et 1771 par Giuseppe Bianchi. On mu-
œuvres de cet artiste sont exposées dans sarde autour de ses bassins, jets d’eau et par-
une villa de style liberty datant de 1907. On terres de fleurs avant de rejoindre la Villa
flâne dans les différentes pièces de la de- Mirabello, sur le sommet de la colline, d’où
meure, autour des œuvres dont le style se ca- l’on peut jouir d’une vue imprenable sur la
ractérise par l’assemblage de formes simples ville et ses alentours. Le vert domine ! Une
et géométriques et par l’utilisation du blanc déambulation que l’on termine au café Al
et du noir. Au rez-de-chaussée, on peut éga- Cedro, à l’ombre du cèdre bicentenaire, où
lement voir sur une frise ses différentes réa- l’on profite de la douceur des lieux et d’un
lisations, places publiques et sculptures. A spritz maison.
Varèse, on lui doit par ailleurs l’aménage-
ment contemporain de la place Monte Jour 2
Grappa et de sa fontaine. 10 heures Tour du lac à vélo
On enfile ses baskets et l’on monte dans le
19 heures A l’ombre d’un cèdre bus N en direction du lac de Varèse (6), où
Au XIXe siècle, on surnommait Varèse la l’on peut louer des vélos. Une piste cyclable
« ville-jardin » (« citta giardino »). « Tout permet de faire le tour du lac, autrefois ré-
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
puté pour ses perches, un parcours accessi-
ble et bucolique de 28 kilomètres jalonné de
curiosités. A Cazzago Brabbia, on quitte la
piste pour rejoindre l’embarcadère, où des
barques colorées sommeillent sous les sau-
les pleureurs.
A Biandronno, on laisse son vélo pour
prendre le bateau et rejoindre l’isolino Virgi-
nia, un site enchanteur (classé à l’Unesco de-
puis 2011), paradis des nénuphars et des hé-
rons. A la préhistoire, une civilisation pala-
fittique s’y est développée, les vestiges de
cette cité lacustre sur pilotis (de l’italien pa-
lafitta) étant conservés au musée préhisto-
rique Ponti. De retour sur la terre ferme, à
Gavirate, on n’hésite pas à faire un petit dé-
tour par le cloître bénédictin du XIIe siècle,
Chiostro di Voltorre, avant de retrouver la
plage de Schiranna.
14 heures Expressionnisme abstrait
On grimpe sur la colline de Biumo, où la
Villa Panza (7) surplombe la ville. Edifiée au
milieu du XVIIIe siècle par le marquis Paolo
Antonio Menafoglio, la propriété est rache-
tée par la famille Panza en 1935. Sa restaura-
tion est confiée à un grand nom de l’archi-
tecture italienne, Piero Portaluppi, qui mo-
dernise la demeure et dessine un parc ma-
jestueux dans le style anglais : jardins de
fleurs, fontaines, temples classiques et ar-
bres monumentaux.
La villa, en forme de U, est un tout autre
enchantement : elle accueille les œuvres de
la collection d’art contemporain de Giu-
seppe Panza. Le mobilier Renaissance et les
éléments de décoration néoclassique
coexistent harmonieusement avec les cent
cinquante œuvres exposées. Comme les
toiles abstraites de David Simpson, les fenê-
tres ouvertes sur les arbres du jardin signées
de l’artiste Robert Irwin ou les jeux de
néons de Dan Flavin installés dans des piè-
ces dédiées. La Villa Panza est en elle-même
une œuvre d’art.
16 heures Liberty
On laisse On termine en beauté cette échappée lom-
barde avec un dernier jardin et l’une des plus
son vélo belles villas de style liberty. La Villa Toeplitz
et on prend (8) a été construite à la fin du XIXe siècle sur
la colline du quartier Sant’Ambrogio et ra-
le bateau chetée en 1914 par Giuseppe Toeplitz, un ri-
pour l’île che banquier. Une demeure singulière dont
le dôme métallique de la tour abrite un ob-
Virginia, servatoire astronomique et dont les façades
un site en pierre de taille sont recouvertes d’élé-
ments floraux et de colonnes antiques. Le
enchanteur, parc relève du même engouement pour
paradis des l’exotique, le beau, une folie de l’épouse de
Toeplitz, Edvige Mrozowska, qui a rapporté
nénuphars de ses voyages en Orient des cèdres du Liban
et des hérons et de l’Himalaya, ainsi que de majestueux sé-
quoias et hêtres qui fleurissent encore. Une
extravagance, à l’image de cette ville discrète
mais si attachante. p
bénédicte boucays
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023 carnet | 27
Francois Giuliano, Françoise, née Vilin, L’association Humanité et Alain Valette et Catherine
son ils, son épouse, Biodiversité Chauchard,
Arthur Giuliano-Chabrier, François et Annick Valette,
son petit-ils, ses enfants,
en vente Thierry et Cornelia Nardon, a la tristesse de faire part de la
Le Carnet ont la très profonde tristesse de faire Anne-Sophie et David Girard, disparition de
Jean-Marie Valette et Sandra
Bocquier,
actuellement part du décès de Laurence et Emmanuel Moulin, Caroline et Simon Schwartz,
ses enfants, Hubert REEVES, ses petits-enfants,
K En kiosque Vous pouvez nous faire Denise GIULIANO,
née GUYARD,
président d’honneur Hugo, Victoria, Mahaut,
ses arrière-petits-enfants,
parvenir vos textes institutrice, Hélène, Clara, Agathe, Aglaé, Louise, de notre association depuis 2015,
Albert, Pierre, Robert et Georg, après en avoir été le président
soit par e-mail : ont la tristesse d’annoncer le décès
HORS-SÉRIE
survenu le 11 octobre 2023, dans sa ses petits-enfants de 2001 à 2015, de
carnet@mpublicite.fr quatre-vingt-quatorzième année.
(en précisant impérativement Les obsèques auront lieu le vendredi Ainsi que toute la famille,
survenue à Paris, le 13 octobre 2023, Michelle VASSEUR,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans. née DEPOUX,
votre numéro de téléphone 27 octobre, à 13 h 30, en la salle de la archiviste-paléographe,
et votre éventuel numéro Coupole du crématorium du cimetière ont la tristesse de faire part du décès chevalier de la Légion d’honneur,
LES
du Père-Lachaise, Paris 20e. Sa vision, son humanisme et
SECRETS d’abonné ou de membre de
son humilité ont été une source
DE LA
survenu à Paris, le 15 octobre 2023,
MYTHOLOGIE de la SDL) Tous nos remerciements au d’inspiration pour de nombreuses à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
LES DIEUX DE BABYLONE
personnel de l’EHPAD du Rouvray Jean NARDON,
générations qui ont rejoint notre
soit sur le site : de Boulogne-Billancourt pour son
En partenariat avec

association. Nous souhaitons rendre La cérémonie religieuse sera

https://carnet.lemonde.fr dévouement. survenu le 15 octobre 2023, hommage à son engagement pour la célébrée le mardi 24 octobre, à
Hors-série dans sa quatre-vingt-dixième année. préservation du vivant reposant sur 10 h 30, en l’église Saint-François-
L’équipe du Carnet reviendra Franck, Olivier, Béatrice, Xavier, Paris 7e.
le savoir, la transmission et l’éveil
vers vous dans les meilleurs ses enfants, La cérémonie religieuse sera
Gabrielle, Aurore, des consciences. Aujourd’hui, ce grand L’inhumation aura lieu le même
délais pour vous confirmer ses belles-illes, célébrée le vendredi 20 octobre, à homme, cher à nos cœurs, a rejoint les
HORS-SÉRIE
jour, à 16 heures, au cimetière
la parution. Ana, Gabriel, Manuel et Mariam, 10 h 30, en la chapelle haute de l’église étoiles. Il va beaucoup nous manquer. d’Audruicq (Pas-de-Calais), où elle
Pacôme, Clarice, Danilo, Ava, Piero, Saint-Pierre de Neuilly, 1, boulevard Et chaque fois que nous regarderons la rejoindra son époux,
ses petits-enfants, Jean-Mermoz, à Neuilly-sur-Seine
carnet@mpublicite.fr voie lactée, « poussières d’étoiles » que
Issa, Michel VASSEUR
son arrière-petit-ils, (Hauts-de-Seine). nous sommes, elles nous parleront
INCLUS :
DES ILLUSTRATIONS
INÉDITES, https://carnet.lemonde.fr encore et toujours de lui.
(† 1999),
UN ENTRETIEN EXCLUSIf
AVEC L’AUTEUR
Jean Domerc,
ZEPraconte 30 ans de AU CARNET DU «MONDE»
son frère
Et toute la famille,
Ses cendres seront déposées
dans le caveau de famille, le mardi Nous adressons toutes nos pensées
et leur ils,

titeuf ont la tristesse de faire part du décès

24 octobre, à 11 heures, au cimetière et condoléances à sa famille. Benoît
(† 1973).
de l’Est de Boulogne-sur-Mer (Pas-
En partenariat avec

Décès de
Hors-série de-Calais), entrée située au 19, rue (Le Monde du 16 octobre).
Lise, Cécile HORN, Framery. Paris.
sa ille, née DOMERC,
Annie, Nicole Rodineau,
Julie,
sa sœur, survenu le 14 octobre 2023, Ni leurs ni couronnes, vous son épouse, son épouse,
Jean-Louis Rodineau,
HORS-SÉRIE

Anne, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. pouvez faire un don à l’Institut du Carole, Sylvia, Éléonore, Pauline
son amie de toujours cerveau : son frère et François,
Ainsi que sa famille Une cérémonie se tiendra ce jeudi www.institutducerveau-icm.org et son épouse, Pascale Rodineau, ses enfants,
Et ses amis, 19 octobre, à 14 h 45, au crématorium Ses huit petits-enfants
Caroline et Claire Rodineau,
de Champigny-sur-Marne. Et ses trois sœurs,
ont l’immense tristesse de faire part 44, rue Perronet, ses nièces,
du décès de 92200 Neuilly-sur-Seine. Thérèse Rodineau, ont la tristesse de faire part du décès
Jacqueline Socquet-Clerc Lafont, sa belle-sœur,
Juliette Lafont, de
Jacqueline BOLLOT,
LA MORT EN FACE née FRAPPA, Urrugne (Pyrénées-Atlantiques).
Comment légiférer sur la in de vie
ont la douleur de faire part du décès ont l’immense tristesse de faire part M. Jean-Pierre
de leur époux et père, du décès du VERSINI-CAMPINCHI,
Hors-série survenu à l’âge de quatre-vingt-quatre Nathalie, Jérôme, Mathieu et Vincent avocat au barreau de Paris,
ans. Pavlovsky,
Hubert LAFONT, docteur
administrateur judiciaire honoraire, ses enfants, survenu le 12 octobre 2023,
Une cérémonie aura lieu le jeudi Jacques RODINEAU, à son domicile,
19 octobre 2023, à 14 h 30, en la salle avocat honoraire, Hugues et Constantin, Lucas, Zoé
oicier de la Légion d’honneur à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
100 GRILLES Mauméjean du crématorium du et Ivan, Clément et Valentine, Amaia
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. survenu le vendredi 13 octobre 2023. et commandeur
et Macéo, Une cérémonie se tiendra ce jeudi
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 7
de l’ordre national du Mérite,
Les obsèques auront lieu dans ses petits-enfants, 19 octobre, à 10 heures, en l’église de
Cet avis tient lieu de faire-part. la Sainte-Trinité, Paris 9e.
l’intimité familiale. Jennah, Jeanne, Hippolyte et
survenu le vendredi 13 octobre,
Armance, à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
Laure, jscjllafont@gmail.com Il souhaitait rappeler la mémoire
sa ille, ses arrière-petits-enfants, de sa sœur,
Toute sa famille, Ses enfants
Ses amis et amies, Saint-Gildas-de-Rhuys. Nouméa. annoncent avec émotion le décès de Myriam VERSINI,
Lorient. Et sa famille,
avocat au barreau de Paris,
ont la tristesse de faire part du décès
Magazine n°7 de La famille M. Jacques PAVLOVSKY, ont l’immense tristesse de faire part de son père,
de oicier parachutiste de réserve, du décès de
Claude COULOMBEL, croix de la Valeur militaire Pierre VERSINI,
Joseph LE HECHO,
Collections née HERVET,

survenu le vendredi 13 octobre 2023,

capitaine de corvette,
chevalier
(2 citations),
photojournaliste à l’agence Sygma,
Mady SCHAFFER,
née BENAROUS,
avocat au barreau de Paris,

à la veille de ses cent ans. de l’ordre national du Mérite,
décoré de la croix de guerre,
La cérémonie religieuse sera célébrée
le vendredi 20 octobre, à 10 h 30, a la tristesse d’annoncer son grand
départ, survenu le 18 octobre 2022,
en l’église Saint-Séverin, Paris 5e, suivie
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
à 14 heures, de la crémation au
crématorium du cimetière du Père-
Il repose à Saint-Gildas-de-Rhuys
Lachaise, Paris 20e.
(Morbihan). Les obsèques se sont
déroulées dans l’intimité de ses
19, rue du Sommerard,
75005 Paris. proches, accompagnés dans leurs
prières par M. l’aumônier militaire
laure.coulombel@wanadoo.fr
de la place de Vannes.
Lille.
Un don pourra être fait à Action
Enfance si vous souhaitez lui rendre
Le 15 octobre 2023, un dernier hommage.
Françoise DOTTIN, Famille Le Hecho,
née CARRIEU, BP 10,
Dès mercredi 18 octobre, agrégée de l’Université, 56730 Saint-Gildas-de-Rhuys.
le volume n° 5 professeure
LOUIS XVI à l’université de Lille 3,
Janine Mantz-Le Corroller,
son épouse,
veuve de
Patrice et Agathe, Marie-Pierre et
François, Barbara, Jacques et Crystèle,
Georges DOTTIN, Elisabeth,
ses enfants,
DYSTOPIES · HORREUR · MONDES IMAGINAIRES
nous a quittés à l’âge de quatre-vingt- Antonin, Timothée, Silvère, Barnabé,
quatorze ans. Vincent, Julie, Pablo, Sandrine, Isabelle,
Nathalie, Marine, Matthieu, Mickaël,
La cérémonie religieuse aura lieu Céline,
le vendredi 20 octobre, à 9 h 30, en
ses petits-enfants
l’église du Sacré-Cœur, rue Nationale, et leurs conjoints,
à Lille. Ses huit arrière-petits-enfants,
Assemblée à l’église à 9 h 15. ont la profonde tristesse de faire part
du décès du
Ses cendres seront dispersées
professeur
sur la commune de Dinard (Ille-et-
Vilaine). Jean-Marie MANTZ,
doyen honoraire
de la Faculté de médecine
53, rue du Port,
59800 Lille. de Strasbourg,
Dès mercredi 18 octobre, ancien chef du service
de réanimation au Pavillon Pasteur
le volume n° 7 L'ÉTRANGE CAS de Strasbourg,
DU DR JEKYLL ET DE MR HYDE Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication chevalier de la Légion d’honneur,
Louis Dreyfus commandeur
de son grand-père,
ancien président chevalier de la Légion d’honneur,
de l’Association nationale du Pottok, créatrice et ex-directrice Pierre VERSINI,
du Centre régional de formation avocat au barreau de Paris,
qui s’est éteint à son domicile professionnelle des avocats d’Alsace,
de son grand-oncle,
d’Urrugne, le 15 octobre 2023, à l’âge
de quatre-vingt-douze ans. survenu le 5 octobre 2023,
César CAMPINCHI,
à Strasbourg. avocat au barreau de Paris
La cérémonie aura lieu au pied et ancien ministre,
du phare (rouge) d’André Pavlovsky, Les obsèques ont eu lieu dans
son père, à Saint-Jean-de-Luz, le l’intimité familiale. de sa grand-mère,
dimanche 22 octobre, à 14 heures.
Gabrielle ATTULY,
Le ilm a cassé. avocat au barreau de Paris
À ceux qui l’ont connu et aimé,
que vos pensées l’accompagnent. Jean SIEGFRIED, et de sa tante,
cinéaste scientiique,
Hugues Jallon
Rolande ATTULY,
avocat au barreau de Paris.
Et les Éditions du Seuil, est décédé le 10 octobre 2023.
En clin d’œil, le port du nœud
ont la tristesse d’apprendre la
Les obsèques ont eu lieu dans la papillon est suggéré : au cou pour
stricte intimité. les messieurs, au poignet pour les
disparition de
dames.
Claude Siegfried
Ni leurs ni couronnes.
Et ses proches.
Hubert REEVES,
(Le Monde du 18 octobre).
Saint-Raphaël.
Mme Jean-Claude Weill,
survenue le vendredi 13 octobre 2023, Mme Marie Fanjas,
née Josette Ullmo,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans. née Slempkes, son épouse,
sa ille
Hubert Reeves était entré au Seuil Et sa famille, Bernard Weill et Karine Berrebi,
Jean-Pierre Weill
en 1981 avec Patience dans l’azur qui et Caroline Thompson-Weill,
ont la tristesse d’annoncer le décès
connut un succès fulgurant et installa Viviane Weill,
durablement cet homme chaleureux de ses enfants,
dans le cœur de ses très nombreux
M. Alain SLEMPKES, Sarah et Michael Baruc,
lecteurs. Fidèle à la maison, et Elie Weill et Joan Chemla,
particulièrement à Jean-Marc Lévy- Léa et Gary Pariente,
survenu à Fréjus, le 11 octobre 2023,
Leblond et Sophie Lhuillier, il it Déborah et Michael Golan,
à l’âge de soixante-quinze ans. Amélie et Edward Touret,
rayonner l’astrophysique par son art
Alexandre Weill,
de la narration. Historien du Cosmos La cérémonie s’est déroulée le Samuel Weill,
qu’il s’employa à décrire au il de ses mardi 17 octobre, à 9 heures, au Ava Weill,

Nos services
Directeur du « Monde », directeur délégué de la
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction
Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian,
Lecteurs Philippe Broussard, Nicolas Chapuis, Emmanuelle
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membre du Groupe
des écrivains médecins,
enlevé dans sa quatre-vingt-dix-
huitième année à l’afection des siens.
Les obsèques seront célébrées le
vendredi 20 octobre 2023, à 11 heures,
en l’église catholique Saint-Pierre-le-
Jeune de Strasbourg.
L’inhumation aura lieu en
Bretagne, au cimetière de Beuzec-
Conq, à Concarneau.
livres, Hubert Reeves était aussi un
lanceur d’alerte face au réchaufement
climatique et à l’efondrement de la
biodiversité. Depuis Mal de Terre,
en 2003, il avait ouvert ses écrits
à l’écologie, sa priorité était de
« maintenir notre planète habitable
et agréable ». Son livre testament,
La Fureur de vivre, paru en 2020,
résumait ses deux préoccupations
fondamentales : l’histoire de la vie
et la vie elle-même.
Le Seuil tout entier tient à lui
rendre un hommage ému.
crématorium de Vidauban (Var).
La famille Terrier
fait part du décès de
Simone
TERRIER-CHANUT,
orthophoniste,
survenu à l’âge de cent trois ans.
La cérémonie religieuse sera
célébrée en l’église du Saint-Esprit,
186, avenue Daumesnil, Paris 12e, le
vendredi 20 octobre, à 10 h 30.
ses petits-enfants,
Diego, Ethan, Etia, Alma, David,
Tess, Mendel, Greta, Nina, Raphael,
Chiara, Andrea, Elisha, Georgia,
ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Jean-Claude WEILL,
oicier de la Légion d’honneur,
survenu le lundi 16 octobre 2023,
à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans.
les obsèques ont lieu ce mercredi
18 octobre, à 14 h 30, au cimetière du
Montparnasse, Paris 14e.
28 |
IDÉES
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023

Smaïn Laacher intentionnellement ou non, ce qui est

recherché est la division et la haine
entre les citoyens.
Aux musulmans, qu’ils soient
croyants ou simplement de culture mu-
l’immigration massive dans notre pays, et
l’absence de lutte efficace contre l’isla-
misme radical ».
Arrêter les flux migratoires pour arrê-
ter le terrorisme, et tout rentrera dans

Avaliser la fiction d’un lien

sulmane, il sera une nouvelle fois en-
joint de choisir entre la charia et l’école
de la République. Le résultat visé par le
terrorisme est bien là : que les procédu-
res ordinaires d’intégration et de respect
des croyances de chacun par le moyen
l’ordre ? La vague d’attentats de 1985-
1986 en France ou l’attentat dans le RER à
la station Saint-Michel [à Paris] en 1995,
commandités de l’étranger, avaient-ils
un lien avec les flux migratoires ? Aucun.
Quant aux attentats perpétrés ces der-

entre immigration et de la laïcité passent pour des facteurs

d’exclusion et de violence symbolique
contre « les musulmans ».
Mais, toutes proportions gardées, ava-
liser la fiction d’un lien mécanique entre
nières années par des citoyens français
issus de l’immigration ou par des étran-
gers, ils sont d’abord en rapport avec l’in-
ternationalisation du djihadisme, et non
avec les variations conjoncturelles de tel

terrorisme est dangereux

Le sociologue estime qu’il faut engager le débat public sur des thèmes très
immigration et terrorisme peut être
aussi dangereux que de distinguer les
bons croyants des mécréants. N’est-ce
pas jouer avec le feu, sans égard pour les
conséquences possibles ? N’est-ce pas
contribuer, sans le vouloir expressé-
ment, à créer en retour une sorte de fas-
difficiles, malgré l’état actuel, plutôt dégradé, de notre démocratie politique cination mortelle chez de jeunes Fran-
çais disposés à suivre une « carrière »
d’islamiste afin d’obtenir une place de
choix auprès de leur Créateur ?
ou tel flux migratoire. La multiplication
des technologies de contrôle et des obs-
tacles à l’entrée des migrants ne créerait
aucun barrage infranchissable. Un sim-
ple bulldozer a entamé la destruction de
l’immense grillage fortifié qui sépare la
bande de Gaza d’Israël.
La troisième assertion tient au déni
d’une réalité : le terrorisme islamiste est
à la fois universel et planétaire. Son es-
sence est à rapporter à son désir de

D
e nouveau un professeur a été
assassiné devant son établisse-
ment. L’inviolabilité de l’espace
scolaire ne serait-elle plus qu’un
souvenir pour les plus nostalgiques ?
A propos de l’école, « sanctuaire » et
« sanctification » participent d’un même
champ sémantique, qui renvoie à l’inter-
diction ou au tabou. L’école comme insti-
tution d’émancipation est si fortement
valorisée que sa remise en cause par des
incivilités violentes ou par le meurtre
est profondément traumatisante. Elle a
rejoint la liste des institutions et des
personnes qu’il faut protéger et sur-
veiller parce que menacées.
Nul besoin de connaître en détail les
motifs du meurtrier du professeur Do-
minique Bernard pour condamner son
acte. Non, car c’est le mal absolu. Mais
que l’on ne se méprenne pas. Cette con-
damnation n’exclut pas d’essayer de
comprendre quels sont les liens entre ce
meurtre précis et une violence terroriste
présente dans quasiment tous les pays et
sur tous les continents. C’est non seule-
ment possible, mais c’est une obligation
morale, politique et intellectuelle. Il ne
s’agit en aucun cas de relativiser, mais de
s’extraire de l’immédiateté qui ne peut
qu’inciter aux analyses les plus irréflé-
chies. Il s’agit aussi d’engager le débat
public sur des thèmes très difficiles − le
meurtre d’un professeur et la configura-
tion géopolitique du terrorisme mon-
dial − malgré l’état actuel, plutôt dé-
gradé, de notre démocratie politique.
La division et la haine
Il n’est pas sûr que les plateaux des chaî-
nes d’information en continu soient des
lieux collectifs appropriés pour débattre.
Car ce que l’on y entend surtout consiste
à pointer comme une évidence une
cause principale, sinon unique, qui mè-
nerait au meurtre de figures incarnant la
République et la coexistence pacifique
entre les citoyens : les immigrés.
Est-il besoin de rappeler que le terro-
risme, toujours et partout, a pour obses-
sion de produire de l’effroi en faisant des
victimes directes (les cibles) et indirectes
(le corps enseignant, une population
spécifique, des autorités politiques, la
Internationalisation du djihadisme
Trois assertions infondées sont indignes
de leurs locuteurs s’agissant du meurtre
de Dominique Bernard. La première
NOUS SOMMES consiste à donner pour un fait acquis
NON PAS DANS que ce meurtre est lié au conflit israélo-
palestinien et aux crimes du Hamas. A ce
UNE LOGIQUE jour, personne n’en sait rien. Une reven-
dication en ce sens est toujours possible,
DE GUERRE SAINTE, mais faut-il rappeler que le meurtre de
Samuel Paty a été commis alors que le
MAIS DANS conflit entre Israël et le Hamas n’était
UN COMBAT pas aussi aigu ? La théorie de l’exporta-
tion du conflit israélo-palestinien doit
POLITIQUE toujours être examinée avec prudence.
La deuxième assertion, répétée à sa-
DE LONGUE HALEINE tiété, est le supposé lien de causalité en-
tre les flux migratoires, l’assassin et le
terrorisme. Eric Ciotti, président du parti
cohésion sociale, etc.) ? Le terroriste est Les Républicains, réclame l’établisse-
toujours indissociablement un « juge », ment de l’état d’urgence et renouvelle sa
prétendant savoir seul distinguer le bien demande d’un référendum sur l’immi-
du mal, et se proposant de le faire gration. Pour Edwige Diaz, députée Ras-
disparaître de la surface de la Terre avec semblement national de la Gironde, « il y
son porteur. Le crime commis contre ce a bien entendu un lien évident entre le
professeur est un crime politique, car, meurtre que nous pleurons aujourd’hui,
conquête du monde. L’islam lui-même,
sur lequel prétendent s’appuyer les ter-
roristes, dans une lecture rejetée par la
majorité des musulmans, est depuis son
origine une religion « globalisée ». Plus
largement, les problèmes et les enjeux
du Sud global entraînent des réper-
cussions sur les pays riches et dévelop-
pés. L’inverse est tout aussi vrai. Nous
sommes dans l’espace de l’Union euro-
péenne, non pas dans une logique de
guerre sainte, mais dans un combat
politique de longue haleine. Un combat
collectif, pour la démocratie et pour des
relations internationales apaisées, qui
dépasse largement la France. Mieux vaut
le savoir et agir en conséquence. p
Smaïn Laacher est sociologue,
professeur émérite à l’université
de Strasbourg et directeur de
l’Observatoire du fait migratoire et
de l’asile de la Fondation Jean Jaurès

Eirick Prairat L’école travaille à affranchir les esprits en les libérant

des prêts-à-penser idéologiques, d’où l’importance de la laïcité
Protéger l’école et les enseignants est aujourd’hui une priorité absolue, estime le professeur de
philosophie spécialiste de l’éducation, car l’« ignorant enthousiaste » peut devenir un monstre

L
orsque j’ai appris la terrible
nouvelle de l’assassinat du
professeur Dominique Ber-
nard, j’étais dans le Jura, dans
L’ÉCOLE EST la belle ville de Dole, au colloque
des « maîtres E ». Les maîtres E sont
UN LIEU DE DÉBAT des enseignants spécialisés qui ont
pour tâche d’aider les élèves à sur-
CAR ELLE VISE monter leurs difficultés d’appren-
PRÉCISÉMENT tissage ; ils sont là pour permettre
aux jeunes, un peu perdus, d’accé-
À FAIRE der à la lecture, à l’écriture et aux
plaisirs de la réflexion. Le hasard
DU CITOYEN est parfois étrange.
Passé le moment de sidération,
DE DEMAIN UN j’ai repensé à Samuel Paty. Com-
HOMME OUVERT, ment ne pas y repenser ? Puis j’ai
pensé à Nicolas de Condorcet (1743-
CRITIQUE 1794), le père de l’école républi-
caine, qui nous dit que, « même
ET APAISÉ sous la Constitution la plus libre, un
peuple ignorant est esclave ». C’est
vrai, l’homme ignorant est souvent
maltraité et opprimé. Mais il nous
dit aussi, et c’est cette phrase qui ré-
sonnait en moi, que « l’enthou-
siaste ignorant n’est plus un
homme, c’est la plus terrible des bê-
tes féroces ». L’ignorant enthou-
siaste peut devenir un monstre. Ce
n’est finalement pas un hasard si
les professeurs tendent à devenir
les cibles privilégiées de ces igno-
rants fanatiques.
L’école est sans doute la plus
belle institution qu’ont pu inven-
ter les hommes. Les connaissances
enseignées peuvent varier en
fonction des savoirs scientifiques
disponibles et des exigences socié-
tales. Mais, au-delà de cette trans-
mission qui entend élever la jeune
génération à l’idée d’un monde
commun, l’école vise à former des
esprits critiques. Si l’objectif de
l’école, saisie dans sa dimension
sociohistorique, est de transmet-
tre une culture partagée, son hori-
zon ultime est l’émancipation in-
tellectuelle. L’école travaille à af-
franchir les esprits en les libérant
des dogmatismes et des prêts-à-
penser idéologiques. D’où l’impor-
tance de la laïcité.
Ne pas congédier les croyances
La laïcité, rappelons-le, n’interdit
pas d’examiner le fait religieux,
mais elle l’étudie comme tout fait
civilisationnel porteur de sens,
avec la lucidité philosophique et le
détachement historique qui s’im-
posent, c’est-à-dire sans le moin-
dre prosélytisme. C’est cette cul-
ture du jugement, comme l’a très
justement remarqué le philoso-
phe Henri Peña-Ruiz, qui doit per-
mettre à chacun d’appréhender
ses croyances spirituelles de ma-
nière « distanciée ». Les exigences
d’une pensée libre et affranchie ne
demandent pas de nier les confes-
sions et les préférences particuliè-
res, elle requiert la capacité à les
relativiser pour ne pas sombrer
dans l’intolérance et le fanatisme.
Dans un monde pluriel, la dis-
tance intérieure est assurément
une belle vertu.
Les croyances ne sont pas seule-
ment religieuses ou spirituelles, le
monde de la croyance est vaste et
nous avons tous mille et une
croyances à propos de mille et un
sujets. Il ne s’agit pas de les congé-
dier, car elles nous aident à donner
sens à nos expériences quotidien-
nes. Ce serait, de surcroît, une
douce illusion de penser que l’on
puisse vivre sans croyances. L’en-
jeu est de les appréhender de ma-
nière sereine, c’est-à-dire de les te-
nir pour ce qu’elles sont : de sim-
ples croyances.
Le philosophe Emmanuel Kant,
dans sa Critique de la raison pure,
nous invite à distinguer différents
« degrés » de créance. Il commence
par préciser que « l’acte de tenir
pour vrai [la créance] est un fait de
notre entendement qui peut repo-
ser sur des raisons objectives, mais
qui exige aussi des causes subjecti-
ves dans l’esprit de celui qui juge ».
Et de distinguer l’opinion, la foi et
le savoir : « L’opinion est une
créance qui a conscience d’être in-
suffisante subjectivement aussi
bien qu’objectivement. Quand la
créance n’est suffisante que subjec-
tivement, et qu’en même temps elle
est tenue pour objectivement insuf-
fisante, elle s’appelle foi. Enfin, celle
qui est suffisante subjectivement
aussi bien qu’objectivement s’ap- Eirick Prairat est profes-
pelle le savoir. » C’est être à bonne seur de philosophie spé-
école que de permettre à chaque cialiste de l’éducation à
élève de comprendre qu’il existe l’université de Lorraine,
des régimes de créance différents, auteur de « L’école des
et que l’on peut, en somme, faire Lumières brille toujours.
société tout en ayant des croyances
différentes.
Les grands défis de l’école
de demain » (ESF, 2022)
Lieu de débat
On peut alors débattre et échanger
sereinement à propos de nos
croyances particulières, et il est
bon de le faire, mais ces débats ne
peuvent jamais prendre l’allure
d’une controverse scientifique, en
raison précisément de leur insuffi-
sance objective. L’école est un lieu
de débat, car elle vise précisément
à faire du citoyen de demain un
homme ouvert, critique et apaisé.
Il faut mettre l’école à l’abri de
toutes formes de pression (fami-
liale, économique, idéologique…)
pour qu’elle puisse déployer son
projet, qui n’est finalement rien
d’autre que l’amour de la vérité. Il
faut aujourd’hui, dans ce monde
tourmenté et fragmenté, sans
doute faire un pas de plus : mieux
protéger physiquement l’école et,
surtout, mieux protéger juridique-
ment ceux sans qui l’école n’existe-
rait pas : les professeurs. p
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023 idées | 29

Alain Policar et Anna C. Zielinska Dans l’ivresse

de la vengeance, les voix de ceux qui veulent
la paix au Proche-Orient sont presque inaudibles
D Le sociologue et la philosophe appellent à amplifier
epuis le 7 octobre, notre tristesse
est infinie face à une catastrophe
inédite dans l’histoire d’Israël de-
puis 1948. Notre quotidien a été
bouleversé : il est désormais guidé par le
désir d’aider et de soutenir les Israéliens,
amis, familles, inconnus. Notre condam-
nation des crimes du Hamas, lesquels
s’apparentent à des pogroms, n’admet
pas la moindre nuance. Ces massacres
sont hélas conformes au programme
que le Hamas s’est donné dès sa création,
en 1987. Car il ne devrait faire de doute
pour quiconque que l’objectif de cette or-
ganisation terroriste, comme du Jihad
islamique et du Hezbollah, est la destruc-
tion d’Israël : il s’agit donc de tuer les juifs
en tant que tels.
Ceux qui se réclament de la gauche et
qui ont choisi la complaisance, voire le
soutien aux tueurs du Hamas, en porte-
ront longtemps le déshonneur. Face au
massacre de civils, tous indistinctement
considérés comme des cibles légitimes
(dans son article 7, la Charte de 1988
énonce : « Musulman, serviteur de Dieu,
un juif se cache derrière moi, viens et
tue-le »), aucune justification n’est receva-
ble. Le Hamas doit être dénoncé comme
un ennemi de la cause palestinienne,
un mouvement de style fasciste, et non
comme un mouvement de libération.
Le fascisme a des causes : il peut se
nourrir du désir de vengeance que susci-
tent la violence et l’injustice. Il faut re-
connaître ces causes et les combattre.
Mais que le fascisme ait des causes ne
transforme pas le fascisme en « résis-
tance » et en « mouvement de libéra-
tion ». Le fascisme ne libère rien : il op-
prime ceux à qui il promet une libéra-
tion qu’il ne définit que par la mort des
l’appel des organisations israéliennes, juives
et palestiniennes en faveur d’un règlement du conflit
non-fanatiques. Que le gouvernement
actuel d’Israël et la politique de colonisa-
tion portent une lourde responsabilité
politique dans l’exacerbation des haines
et dans l’affaiblissement de la sécurité
d’Israël est certain. Mais la culpabilité du
crime est celle du Hamas seul, qui n’a pas
d’autre but que de consolider sa propre
terreur sur les populations qu’il tyran-
nise en leur proposant les jouissances du
meurtre de masse.
Penser politiquement
Face à un terrorisme dont le but affiché
est la guerre à mort, il faut cependant ré-
sister au vertige de la tentation de répon-
dre par une guerre indifférenciée contre
une population entière. Il faut penser po-
litiquement. Notre absolue condamna-
tion ne doit pas suspendre le jugement,
parce que nous vivons un échec
commun, qui engage les démocrates
européens aux côtés des nombreux Is-
raéliens ayant inlassablement protesté
contre une politique qui trahit leur quête
de la justice.
Durant cinquante-six longues années,
les mises en garde n’ont pas manqué
quant aux dangers de l’occupation et de
la colonisation pour la pérennité de la
démocratie israélienne. Yeshayahou Lei-
bowitz (1903-1994), figure majeure de la
pensée juive, avait averti : « Depuis 1967,
l’Etat d’Israël est devenu un appareil d’op-
pression sur un autre peuple. Ses énergies
sont tendues vers ce seul but : perpétuer
l’oppression. » Il ajoutait lucidement :
« Notre problème, au fond, est moins de li-
bérer la Palestine − de cela, les Palesti-
niens eux-mêmes se chargeront − que de
libérer l’Etat d’Israël en le délivrant du
joug des territoires. » Leibowitz assumait
sa trahison envers une spiritualité dégra-
dée en raison d’Etat. Cet avertissement
n’a pas été entendu.
L’actuel gouvernement est très loin, à
l’évidence, de se soucier de la pérennité
des principes démocratiques. Illibéral, il
ne cherche qu’à conserver le pouvoir et
manifeste son désintérêt pour la coexis-
tence des peuples israélien et palesti-
ISRAËL DEVAIT ÊTRE
L’ENDROIT OÙ
LES JUIFS SERAIENT
ENFIN PROTÉGÉS
DE LA HAINE.
IL EST DEVENU
LE LIEU OÙ ILS
SONT MASSACRÉS
nien. Animé d’une idéologie messiani-
que, il ne se préoccupe que de l’annexion
de la Cisjordanie et multiplie les provoca-
tions concernant des lieux saints de l’is-
lam à Jérusalem. Il montre ainsi son mé-
pris de l’autre par des arrestations absur-
des et des humiliations. Etre attaché à
l’existence d’Israël, c’est espérer le discré-
dit d’un gouvernement qui a négligé la
question de la sécurité nationale et s’est
tenu éloigné de toute réflexion sur une
possible solution du conflit, sans
comprendre les liens entre ces deux as-
pects. Un gouvernement qui, en cher-
chant à affaiblir l’Autorité palestinienne,
a objectivement renforcé le Hamas.
Parvenir au dialogue
Israël devait être l’endroit où les juifs
seraient enfin protégés de la haine. Il est
devenu le lieu où ils sont massacrés.
Nous voudrions porter la voix des orga-
nisations se battant pour la paix : B’Tse-
lem, Standing Together, Breaking the Si-
lence et Les Guerrières de la paix, celle de
la femme politique Zehava Galon, de l’ac-
tiviste et ancien député Dov Khenin, celle
de l’avocat Michael Sfard, celle des mil-
liers de personnes engagées dans le mou-
vement pour la paix, et tant d’autres.
Nous pensons à Vivian Silver, figure im-
portante de ces luttes, qui fait probable-
ment partie des otages du Hamas. Nous
partageons leur consternation devant le
fait que la réponse au plus grand massa-
cre depuis la création moderne de l’Etat
d’Israël soit élaborée par ceux qui ont di-
rectement contribué à la dégradation ver-
tigineuse de la situation des Palestiniens
et de la sécurité des Israéliens.
Les instances dirigeantes palestinien-
nes, plus indifférentes encore à la démo-
cratie que le gouvernement d’Israël, ne
sont pas à la hauteur des aspirations de
leur peuple. Nous restons persuadés
qu’Israéliens et Palestiniens valent infini-
ment mieux que leurs dirigeants. Hélas,
dans l’ivresse de la vengeance, les voix de
ceux qui veulent la paix sont presque
inaudibles. Nous exprimons ici notre
soutien à ceux qui luttent sans relâche
pour parvenir, sinon à la conciliation, du
moins au dialogue. Dans l’immédiat,
nous émettons le souhait que la commu-
nauté internationale parvienne à obtenir
la libération des otages. A terme, nous es-
pérons, avec Ayman Odeh, député arabe
israélien, que le choix de l’avenir pour
cette région sera celui de la vie. p
Alain Policar est chercheur associé
au Centre de recherches politiques
de Sciences Po (Cevipof). Il vient de
codiriger « L’Universalisme en dé-
bat(s) », avec Stéphane Dufoix (Editions
Le Bord de l’eau, 264 pages, 22 euros) ;
Anna C. Zielinska est maîtresse de
conférences en philosophie morale,
juridique et politique à l’université
de Lorraine. Elle y dirige l’unité EDI
(Egalité, diversité et inclusion). Elle est
membre de l’Independent Resource
Group for Global Health Justice

Didier Fassin La non-reconnaissance de la qualité d’êtres humains

à ceux qu’on veut éliminer est le prélude aux pires violences
L’anthropologue s’alarme que l’Union européenne n’invoque pas, dans le cadre du conflit israélo-palestinien, la « responsabilité de protéger » votée
par l’Assemblée des Nations unies en 2005, et qu’elle pratique le deux poids deux mesures dans ses relations internationales

L’
incursion sanglante du Ha-
mas en Israël a produit
dans le pays un choc sans
précédent et a suscité des
réactions d’horreur dans les so-
ciétés occidentales. Les repré-
sailles en cours à Gaza, d’autant
plus violentes que le gouverne-
ment israélien est tenu responsa-
ble par la population pour avoir
favorisé l’essor du Hamas afin
d’affaiblir le Fatah [le parti politi-
que du président palestinien, Mah-
moud Abbas] et pour avoir né-
gligé les enjeux de sécurité au
profit d’une impopulaire réforme
visant à faire reculer la démocra-
tie, ne génèrent pas de semblables
sentiments de la part des chancel-
leries occidentales, comme si le
droit de se défendre impliquait
un droit illimité à se venger.
Certaines victimes méritent-el-
les plus que d’autres la compas-
sion ? Faut-il considérer comme
une nouvelle norme le ratio des
tués côté palestinien et côté israé-
lien de la guerre de 2014 à Gaza :
32 fois plus de morts, 228 fois plus
parmi les civils et 548 fois plus
parmi les enfants ?
Lorsque le président français,
Emmanuel Macron, a prononcé
son allocution télévisée, le 12 oc-
tobre, on comptait 1 400 victimes
parmi les Gazaouis, dont 447 en-
fants. Il a justement déploré la
mort « de nourrissons, d’enfants,
de femmes, d’hommes » israé-
liens, et dit « partager le chagrin
d’Israël », mais n’a pas eu un mot
pour les nourrissons, les enfants,
les femmes et les hommes pales-
tiniens tués et pour le deuil de
leurs proches. Il a déclaré appor-
ter son « soutien à la réponse légi-
time » d’Israël, tout en ajoutant
que ce devait être en « préservant
les populations civiles », formule
purement rhétorique alors que
Tsahal avait déversé en six jours
6 000 bombes, presque autant
que ne l’avaient fait les Etats-Unis
en une année au plus fort de l’in-
tervention en Afghanistan.
FAUT-IL JUSTIFIER
LES CRIMES
DE GUERRE CONTRE
LES POPULATIONS
CIVILES ?
La directrice exécutive de Jewish
Voice for Peace a lancé un vibrant
« plaidoyer juif », appelant à « se
dresser contre l’acte de génocide
d’Israël ». Couper l’eau, l’électricité
et le gaz, interrompre l’approvi-
sionnement en nourriture et en-
voyer des missiles sur les mar-
chés où les habitants tentent de
se ravitailler, bombarder des am-
bulances et des hôpitaux déjà pri-
vés de tout ce qui leur permet de
fonctionner, tuer des médecins et
leur famille : la conjonction du
siège total, des frappes aériennes
et bientôt des troupes au sol
condamne à mort un très grand
nombre de civils – par les armes,
la faim et la soif, le défaut de soins
aux malades et aux blessés.
Extrême droite
L’ordre donné au million d’habi-
tants de la ville de Gaza de partir
vers le sud va, selon le porte-pa-
role des Nations unies, « provo-
quer des conséquences humanitai-
res dévastatrices ». Ailleurs dans le
monde, lorsque éclatent des
conflits meurtriers, les popula-
tions menacées fuient vers un
pays voisin. Pour les Gazaouis, il
n’y a pas d’issue, et l’armée israé-
lienne bombarde les écoles des
Nations unies où certains trou-
vent refuge. Ailleurs dans le
monde, dans de telles situations,
les organisations non gouverne-
mentales apportent une assis-
tance aux victimes. A Gaza, elles
ne le peuvent plus. Mais des cri-
mes commis, on ne saura rien. En
coupant Internet, Israël prévient
la diffusion d’images et de témoi-
gnages. Le ministre israélien de la
défense, Yoav Gallant, a déclaré, le
9 octobre, que son pays combat-
tait « des animaux humains » et
qu’il « allait tout éliminer à Gaza ».
En mars, son collègue des finan-
ces a, lui, affirmé qu’« il n’y a pas
de Palestiniens, car il n’y a pas de
peuple palestinien ».
Du premier génocide du XXe siè-
cle, celui des Herero, en 1904,
mené par l’armée allemande en
Afrique australe, qui a provoqué
100 000 morts de déshydratation
et de dénutrition, au génocide des
juifs d’Europe et à celui des Tutsi,
la non-reconnaissance de la qua-
lité d’êtres humains à ceux qu’on
veut éliminer et leur assimilation
à des animaux a été le prélude aux
pires violences.
Comme le dit en Israël la prési-
dente de l’organisation de dé-
fense des droits de l’homme,
B’Tselem, « Gaza risque d’être
rayée de la carte, si la commu-
nauté internationale, en parti-
culier les Etats-Unis et l’Europe, ne
fait pas stopper – au lieu de laisser
faire, voire d’encourager – les cri-
mes de guerre qu’induit l’intensité
de la riposte israélienne ». Ce n’est
pas la première fois qu’Israël
mène une guerre à Gaza, mais
c’est la première fois qu’il le fait
avec un gouvernement aussi for-
tement orienté à l’extrême droite
qui nie aux Palestiniens leur hu-
manité et leur existence.
Rhétorique guerrière
Il existe une « responsabilité de
protéger », votée en 2005 par l’As-
semblée des Nations unies, obli-
geant les Etats à agir pour protéger
une population « contre les géno-
cides, les crimes de guerre, les net-
toyages ethniques et les crimes
contre l’humanité ». Cet engage-
ment a été utilisé dans une di-
zaine de situations, presque tou-
jours en Afrique. Que l’Union
européenne ne l’invoque pas
aujourd’hui, mais qu’au contraire
la présidente de la Commission,
Ursula von der Leyen, se rende,
sans mandat, en Israël, pour y re-
prendre la rhétorique guerrière du
gouvernement, montre combien
le deux poids deux mesures régit
les relations internationales.
Quant à la France, alors que se
fait pressante l’urgence à agir,
non seulement le gouvernement
apporte son appui sans failles à
l’opération punitive en cours,
mais il interdit les manifestations
en faveur du peuple palestinien et
pour une paix juste et durable en
Palestine. « Rien ne peut justifier le
terrorisme », affirmait avec raison
le chef de l’Etat. Mais faut-il justi-
fier les crimes de guerre et les
massacres de masse commis en
rétorsion contre les populations
civiles ? S’agit-il une fois de plus
de rappeler au monde que toutes
les vies n’ont pas la même valeur
et que certaines peuvent être éli-
minées sans conséquence ? p
Didier Fassin est anthropolo-
gue, sociologue et médecin.
Il est titulaire de la chaire
Questions morales et enjeux
politiques dans les sociétés
contemporaines au Collège
de France. Il est notamment
l’auteur de « Punir. Une passion
contemporaine » (Seuil, 2017)
et « De l’inégalité des vies »
(Fayard, 2020)
30 | idées 0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023

TERRORISME
pour assurer la répression du royalisme et du
fédéralisme », rappellent Jean-François Gay-
raud et David Sénat dans Le Terrorisme (PUF,
2006), soulignant que « le terrorisme naît donc
en haut, au cœur même de l’Etat ».
Le terrorisme est indissolublement lié à la
violence révolutionnaire qui détruit le vieux
monde et ses représentants. Ces idées seront
reprises ensuite tout au long du XIXe siècle par
les anarchistes partisans de « la propagande
par le fait », de même que par les populistes
Né durant la Révolution française, où il émanait de l’Etat, ce terme au sens russes, qui multiplient les attentats contre les
têtes couronnées. Le sens du mot s’est désor-
ambigu et à caractère hautement politique s’est mis à désigner une stratégie mais inversé. Il désigne une stratégie de con-
de contestation violente au nom des classes exploitées et des peuples opprimés testation violente de l’Etat, au nom des classes
exploitées, puis au nom des peuples oppri-
més dans leur lutte anticoloniale. Le terro-
riées »,explique Elie Tenenbaum, responsable risme se pose dès lors comme l’arme des fai-
HISTOIRE D’UNE NOTION du laboratoire de recherche sur la défense à bles, même s’il est souvent manipulé, notam-
ser une liste des organisations terroristes, si-
non une résolution sur les talibans à laquelle
fut rajoutée l’organisation Etat islamique (EI).
Les autorités françaises furent parmi les pre-
mières à introduire, dès 1986, une définition
juridique du terrorisme, « une entreprise indi-
viduelle ou collective ayant pour but de trou-
bler gravement l’ordre public par l’intimidation
ou la terreur ». Elle visait alors à sanctionner
des poseurs de bombes corses, des pirates de
l’air ou des preneurs d’otages. Cette approche
a été reprise, peu ou prou, par les autres pays
de l’Union européenne. Elle sert aussi de fon-
dement au classement de telle ou telle organi-
sation comme « terroriste ». La qualification
de « terroriste » entraîne l’application d’un ré-
gime légal spécifique dérogatoire au droit
commun. Ce groupe est, dès lors, marqué du
sceau de l’infamie. La décision, prise par les

I
l n’y a pas un terrorisme mais des terro-
rismes, différents dans leurs modes d’ac-
tion comme dans leurs objectifs. Même
au pluriel, le terrorisme reste difficile à
définir tant le mot est polysémique. L’acte in-
dividuel au prix du sacrifice de sa propre vie,
comme celui des anarchistes du XIXe siècle.
Ou l’acte de résistance du colonisé, exemple
de dissuasion du faible au fort. Ou encore une
action spectaculaire de terreur de masse, tels
les attentats du 11-Septembre à New York.
Le terrorisme peut être d’extrême droite
comme d’extrême gauche. On peut tuer au
nom de Dieu. Mais le « terroriste », c’est aussi
celui dont on veut délégitimer le combat.
Ainsi, il n’a jamais été possible à l’ONU ni à la
Cour pénale internationale de se mettre d’ac-
cord sur une définition précise, et surtout ac-
ceptée par tous, du terrorisme. « Le terrorisme
n’est pas une idéologie mais un mode d’action
qui peut servir les idéologies les plus va-
l’IFRI et auteur, notamment, de La Guerre de
vingt ans, djihadisme et contre-terrorisme au
XXIe siècle (Robert Laffont, 2022). Logique-
ment, « une organisation terroriste est une or-
ganisation dont la pratique d’actes terroristes
est régulière, systématique, voire consubstan-
tielle à son projet », souligne le chercheur.
Cyrille Bret, professeur de sciences politi-
ques à Science Po et auteur, notamment, de
Qu’est-ce que le terrorisme ? (Vrin, 2018), n’en
relève pas moins que « les définitions natio-
nales et internationales sont généralement
critiquées pour leur caractère tautologique : le
terrorisme est ce qui crée la terreur ».
Si sa définition reste floue, la naissance de
cette notion est bien circonstanciée. C’est la
Révolution française, en particulier la Terreur
en 1793-1794, qui invente le terrorisme mo-
derne, la chose puis le mot. « Les premiers dans
l’histoire à être appelés “terroristes” sont les
conventionnels envoyés en mission en province
ment pendant la guerre froide, par des Etats
comme la Syrie, la Libye, la RDA, voire directe-
IL N’A JAMAIS ÉTÉ ment par Moscou. A cet égard, il est possible
de parler de terrorisme d’Etat.
POSSIBLE NI À L’ONU
Le sceau de l’infamie
NI À LA COUR PÉNALE Ces ambiguïtés expliquent en grande partie
INTERNATIONALE DE l’impossibilité, pendant des décennies, de
parvenir à une définition internationale com-
SE METTRE mune. Les régimes autoritaires reprochaient
à l’ONU une vision trop restrictive alors qu’ils
D’ACCORD SUR UNE voulaient pouvoir qualifier de « terroriste »
toute forme de contestation intérieure. Les or-
DÉFINITION PRÉCISE, ganisations des droits de l’homme ainsi que
ET ACCEPTÉE les mouvements de libération nationale s’in-
quiétaient, eux, d’une acception trop large.
PAR TOUS, Après la chute du mur de Berlin, en 1989, un
certain nombre de conventions spécifiques
DU TERRORISME censées traquer tel ou tel aspect du terrorisme
furent signées, tout en gardant un certain
flou. L’ONU n’a jamais été en mesure de dres-
chefs d’Etat et de gouvernement, a évidem-
ment un caractère hautement politique.
Dans la liste européenne se trouvent aussi
bien la branche militaire du Hezbollah liba-
nais (mais non sa branche politique), le PKK
(Parti des travailleurs du Kurdistan) des Kur-
des turcs – alors même que leur parti frère sy-
rien est allié des Occidentaux dans la lutte
contre l’EI –, que le Hamas. « Le terrorisme est
le mode d’action fondamental de cette organi-
sation, même si elle ne se réduit pas à cela, car
c’est aussi un mouvement avec un ancrage
politique qui mène des actions militaires.
Mais son recours au terrorisme est systémati-
que et pensé comme tel », décrypte Elie Te-
nenbaum, en évoquant notamment la
charte du Hamas de 1988, qui appelle à dé-
truire « l’entité sioniste » et à tuer les juifs,
mais aussi, entre autres, les mécréants et les
francs-maçons. p
marc semo

CHRONIQUE | PAR PROJECT SYNDICATE LA JEUNESSE RUSSE RÉSISTE À POUTINE

La politique industrielle
est de retour E n 1961, l’idée était venue
au poète Evgueni Evtou-
chenko (1932-2017) d’écrire
une chanson baptisée Les Russes
veulent-ils la guerre ? aux intona-
tions pacifiques, destinée à ren-
« néoféodal », « le siècle passé (…)
leur apprit que des changements
politiques radicaux ne pouvaient
qu’aggraver leur situation, aussi
insupportable soit-elle. Ce n’est
En dépit de ce matraquage, des
velléités de résistance sont appa-
rues mais elles ont alors été systé-
matiquement écrasées. La peur
s’est insinuée dans toute la so-
donc pas une supposée conscience ciété. Et pourtant… L’autrice re-

P endant des décennies, l’idéolo-

gie dominante aux Etats-Unis
a minimisé le rôle des politi-
ques publiques pour peser sur la
structure économique du pays.
Aujourd’hui, la loi sur les investisse-
ments dans les infrastructures et l’em-
ploi, la loi Chips et science et la loi sur
la réduction de l’inflation comportent
nombre d’éléments de politique in-
dustrielle. Reste à savoir si leurs re-
tombées seront positives. Car les
preuves de l’efficacité d’une politique
industrielle sont fragiles. Des écono-
mistes soulignent que les allége-
ments fiscaux et les droits de douane
suscitent la recherche de rentes, ce
qui conduit au gaspillage de ressour-
ces et à l’octroi de subventions à des
producteurs inefficaces.
Une nouvelle théorie a toutefois
beaucoup contribué à la réouverture
du dossier. Selon ses auteurs, les mar-
chés laissés à eux-mêmes ne parvien-
nent pas à coordonner l’expansion
simultanée d’industries complémen-
taires – aucune ne peut exister sans
les autres. D’autres travaux ont affiné
notre compréhension des conditions
dans lesquelles une protection tem-
poraire permet à une industrie nais-
sante de percer sur les marchés. Des
faits économiques récents fournis-
sent des exemples convaincants
du rôle central de l’Etat dans le sou-
tien à l’industrialisation au XIXe siècle.
Des mesures locales, telles que la
création de la Tennessee Valley Autho-
rity, ont continué à soutenir l’emploi
manufacturier dans la région concer-
née, même après la fin des transferts
fédéraux. Les investissements réalisés
lors de la seconde guerre mondiale
dans l’industrie de défense améri-
caine ont entraîné une augmentation
persistante des emplois industriels
bien payés. Le programme d’aide à
l’industrie lourde et à l’industrie chi-
mique des années 1970 en Corée du
Sud a continué à favoriser l’expansion
et les avantages comparatifs dynami-
ques des industries ciblées, ainsi que
ceux de leurs fournisseurs.
LES MARCHÉS LAISSÉS À EUX-
MÊMES NE PARVIENNENT PAS
À COORDONNER L’EXPANSION
SIMULTANÉE D’INDUSTRIES
COMPLÉMENTAIRES
Il apparaît clairement qu’abandon-
ner le contrôle du développement
économique aux marchés risque, au
niveau d’un pays, de laisser de côté des
populations et des régions importan-
dre hommage à la jonction des
forces américaines et soviétiques
sur les bords de l’Elbe, à la fin de la
seconde guerre mondiale.
Popularisée par les chœurs de
d’esclave mais bien plutôt la dou-
loureuse expérience de l’histoire
qui commande l’actuelle apathie
face aux événements récents. »
lève un élément fondamental :
une fracture générationnelle s’est
produite. Le fossé idéologique des
jeunes avec le pouvoir, écrit-elle,
n’a cessé de se creuser : « beau-
tes. Le fait que les forces du marché, à l’Armée rouge, elle ressurgit Fracture générationnelle coup ont considéré que Poutine a
elles seules, ne bénéficient pas auto- aujourd’hui dans le titre de l’essai « La guerre de Poutine contre enterré leur avenir » et, « bien sou-
matiquement à tous est un principe LES RUSSES de Vera Grantseva. Munie de ce l’Ukraine, insiste Vera Grantseva, vent ils ne veulent pas porter la
économique de base, mais ce point a VEULENT-ILS sésame littéraire, l’autrice, an- est avant tout un affrontement en- responsabilité morale des crimes
été commodément oublié pendant LA GUERRE ? cienne professeure associée à tre deux visions du monde oppo- commis en Ukraine ».
un certain temps au nom de la pureté de Vera Grantseva, l’Ecole des hautes études écono- sées concernant l’individu et sa Leur mobilisation, souterraine
idéologique. La réaction populiste à Le Cerf, 186 p., 19 € miques de Russie, émigrée en place dans la politique ». Et pour le dans la plupart des cas, témoigne
l’encontre d’une élite au pouvoir qui a France quelques années avant chef du Kremlin, le modèle ukrai- d’une « solidarité horizontale »,
laissé cette situation persister justifie l’invasion de l’Ukraine, tente de nien, attiré par l’Europe, capable difficile à appréhender mais bien
aujourd’hui une politique plus inter- répondre à une interrogation de débattre et de descendre dans réelle, au sein d’une société qui
ventionniste… ne serait-ce que pour bien plus lancinante en Occident : la rue pour manifester, « avait tout s’auto-organise loin des partis et
aider cette élite à rester au pouvoir ! que veulent les Russes ? du repoussoir ». Puis, à partir de de la scène politique. En témoi-
Non, aborde-t-elle d’emblée, les l’annexion de la Crimée en 2014, gnent les lourdes condamnations
Choix adéquat Russes ne sont pas plus des « la télévision russe a été chargée dont les 25-35 ans sont la cible,
Sur le plan international, la rivalité va-t’en guerre – les hommes ne se de se concentrer sur l’Ukraine, sa pour un post sur un réseau social,
géopolitique entre la Chine et l’Occi- sont pas précipités pour s’enrôler, politique intérieure et en particu- une pétition, une action clandes-
dent a justifié la relocalisation et le tout au contraire, beaucoup ont lier la situation dans le Donbass. En tine, un réseau informel d’entre-
développement d’industries jugées fui – que des êtres « serviles ». Si le fait, depuis 2014, le pouvoir a mé- aide : « La résistance a un visage
essentielles pour la sécurité natio- système, bâti par Vladimir Pou- thodiquement nourri la haine des jeune. ». Désormais Poutine a
nale. La théorie économique et le tine sur la corruption et les Russes envers un pays voisin, en les peur de la jeunesse de son pays. p
droit international reconnaissent de- loyautés héritées du KGB, reste préparant à une future guerre ». isabelle mandraud
puis longtemps l’existence d’excep-
tions au régime de libre-échange
pour des raisons de sécurité natio-
nale. Les tensions avec la Chine rap-
pellent ce fait fondamental.
Néanmoins, l’objection politico-
Glyphosate, dix ans de plus ? | par serguei
économique demeure : la recherche
de rente est omniprésente. Il existe
des incertitudes quant aux secteurs
et aux entreprises qui amélioreront
leur efficacité s’ils bénéficient de
fonds publics ; le choix des industries
bénéficiant de dérogations au régime
de libre-échange est toujours discuta-
ble. Autrement dit, qu’est-ce qui ga-
rantit que l’on parviendra à cibler les
industries qui doivent être aidées ?
Des analyses économiques sur la
politique industrielle doivent com-
pléter celles récemment publiées. A
qui le choix des secteurs à subven-
tionner doit-il être délégué ? A
des commissions indépendantes sur
le modèle des commissions améri-
caines sur la fermeture des bases mi-
litaires ? A des experts issus de l’in-
dustrie ou de l’université ? Mais com-
ment les sélectionner ? Et comment
garantir un choix adéquat et le con-
trôle effectif de l’utilisation des avan-
tages octroyés ? p
(Traduit de l’anglais par
Patrice Horovitz)
Barry Eichengreen est professeur
d’économie à l’université
de Californie à Berkeley.
© Project Syndicate 1995-2023.
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
GÉOPOLITIQUE |
par gil l e s par is
Ce à quoi pourrait
ressembler le jour d’après
D LE RECOURS
eux peuples en conflit
depuis des décennies
n’ont jamais été à ce
point en rage l’un con-
tre l’autre. Terreur inouïe répan-
due par le Hamas le 7 octobre, sans
précédent dans l’histoire d’Israël ;
colère palestinienne accumulée
pendant des années, que l’offen-
sive israélienne dans Gaza, inéluc-
table et massive, va décupler ; cha-
cun indigné de tout ce qui peut
être perçu comme une mise en
miroir, enfermé dans son incom-
mensurable chagrin, dans un
deuil pour l’instant imprescripti-
ble. Cette riposte israélienne est
loin d’avoir atteint son paroxysme
et une régionalisation du conflit
reste une éventualité, mais les
réactions enregistrées depuis les
massacres du Hamas comme les
tendances lourdes de ce conflit
permettent pourtant d’esquisser
ce que pourrait être le jour d’après.
Un réengagement international
durable est pour l’instant à écar-
ter. Les plus actifs au cours du der-
nier demi-siècle, les Etats-Unis,
ont finalement sous-traité la
question palestinienne à Israël. La
visite improvisée de Joe Biden,
mercredi 18 octobre, se limite à la
gestion de la crise en cours. Les
Européens sont divisés, comme
les pays arabes, et ceux du Sud glo-
bal qui ont choisi l’équidistance
entre les deux camps n’ont guère
la volonté de peser. Dans cette hy-
pothèse, Israël restera maître du
jeu avec une stratégie fondée sur
l’unilatéralisme et le recours mé-
tronomique à la force, comme on
a pu le constater depuis le tour-
nant de l’évacuation de Gaza par
les colons en 2005 et les guerres
qui s’en sont ensuivies.
Le péché originel du retrait is-
raélien a pourtant été ce caractère
unilatéral. Il a privé la partie pales-
tinienne, reconnue en 1993 par
Israël avec les accords d’Oslo, d’un
bénéfice susceptible de légitimer
son renoncement à la violence.
Alors que Mahmoud Abbas, arti-
san d’Oslo côté palestinien, avait
placé celui-ci au cœur de son élec-
tion, quelques mois avant l’éva-
cuation de Gaza, pour tourner la
page de la seconde Intifada, le cré-
dit de ce retrait du territoire a été,
au contraire, attribué par l’opi-
nion palestinienne à la lutte ar-
mée, donc au Hamas. Ainsi dopé,
ce dernier a triomphé ensuite
aux élections en 2006, première
étape de sa prise de contrôle du
territoire, un an plus tard.
Muraille dite infranchissable
Après ce basculement, le recours
ponctuel à la force par Israël a été
privilégié pour affaiblir régulière-
ment le Hamas. L’affaiblir sans le
faire disparaître, faute d’être en
mesure d’écrire une nouvelle
page des manuels de contre-in-
surrection, puisque le mouve-
ment, hybride depuis sa création,
combine une aile militaro-terro-
riste et la structure para-étatique
qui gère Gaza. Ces recours à la
force et le réflexe de solidarité
qu’ils déclenchent détruisent en
fait plus sûrement l’Autorité pa-
lestinienne, réduite à l’impuis-
sance par l’unilatéralisme, tout en
empêchant l’émergence d’une al-
ternative politique palestinienne.
Le 7 octobre, le Hamas a dramati-
quement remis en cause ce mo-
UNE POSSIBILITÉ
POURRAIT ÊTRE LA
RÉDUCTION DES
TENSIONS GRÂCE
À UN RECALIBRAGE
UNILATÉRAL DE
LA COLONISATION
0123 | 31
CHRONIQUE METTRE FIN À
LA CATASTROPHE
HUMANITAIRE
À GAZA
tion terroriste du Hamas, l’Etat hébreu
voit l’exercice du droit qui est le sien de
se défendre menacer les principes qui le
tional en Ukraine, est également en péril.
Le président des Etats-Unis, Joe Biden, s’est
senti obligé de se rendre de toute urgence
distinguent précisément du terrorisme.
Qui peut croire que le déplacement dans le
chaos de un million de personnes ou plus
dans la région, un signe de l’inquiétude
de Washington face à la possibilité d’un
embrasement régional.
permettra de séparer les civils de ces mili- Cette mission du président américain
ciens, alors qu’Israël et ses alliés accusent dans la région, le 18 octobre, a mal débuté.
dans le même temps le Hamas de se fon- Elle a en effet été amputée, avant même
dre dans la population de Gaza ? Comment son arrivée sur place, de la rencontre pré-
PONCTUEL À LA détruire des infrastructures militaires vue avec des dirigeants arabes voisins d’Is-
souterraines sans détruire simultanément raël. Cette dernière a été annulée à la suite
FORCE PAR ISRAËL des centaines d’habitations ? d’une explosion dévastatrice survenue le
A ÉTÉ PRIVILÉGIÉ Un piège est donc en train de se refermer 17 octobre dans l’hôpital de Gaza trans-
POUR AFFAIBLIR
LE HAMAS
D es milliers de morts, des destruc-
tions considérables, des centaines
de milliers de déplacés exposés à
un risque de catastrophe humanitaire :
tel était le tableau de Gaza au matin du
inexorablement sur Israël. Le choc créé par
l’incapacité de l’Etat hébreu à protéger ses
concitoyens, la raison d’être d’Israël, en a
poussé les autorités à avancer imprudem-
ment un objectif maximaliste, la destruc-
formé en refuge et dont les milices palesti-
niennes et l’armée israélienne se rejettent
la responsabilité.
Nul doute que Joe Biden compte sur ce dé-
placement pour retenir autant que possible
18 octobre. Ces ravages frappent un terri- tion complète du Hamas, bien difficile à te- le bras israélien, après avoir déjà mis en
dèle d’endiguement en perçant toire sous blocus depuis plus d’une décen- nir. Y parvenir supposera en effet une cam- garde contre les périls d’une éventuelle ré-
une muraille présentée comme nie, où 65 % de la population vivait sous pagne militaire particulièrement intense, occupation de Gaza, et invité les autorités
infranchissable. Il en a répandu le seuil de pauvreté et où l’approvisionne- sans garantie de résultat. Dans le même israéliennes à respecter le « droit de la
ensuite sur les réseaux sociaux ment en eau et en électricité était déjà temps, une telle démonstration de force guerre ». Le président des Etats-Unis sait
les images, ainsi que celles de ses problématique avant le déclenchement de ne pourra que multiplier les risques de pourtant d’expérience que cette exhorta-
massacres, comme pour attirer cette guerre. Et l’offensive militaire massive dérapage qui affaibliront Israël, y compris tion est dénuée de tout sens à Gaza, où
l’armée israélienne à Gaza, sur un qu’Israël a promis de conduire dans auprès des Etats arabes avec lesquels il ce droit, comme le droit humanitaire, est
terrain qu’il maîtrise. En spéculant l’étroite bande de terre pour en effacer le vient de nouer des relations officielles. invariablement bafoué. Compte tenu du
également que la disproportion Hamas n’a pas même commencé… L’Etat hébreu n’est pas le seul concerné bilan des derniers jours, comment ne pas
de la riposte obligera l’opinion pa- Une semaine et demie après les massa- par ce dilemme. Le crédit des alliés occiden- trouver impératif de souligner que le désir
lestinienne à se rassembler der- cres inouïs par leur ampleur et leur barba- taux d’Israël, qui ne cessent de se poser en de vengeance ne fait pas un but de guerre et
rière lui, voire affaiblira les rappro- rie, perpétrés le 7 octobre lors de l’opéra- défenseurs intransigeants du droit interna- d’interrompre une course vers l’abîme ? p
chements israélo-arabes en cours,
qui contribuent à l’occultation de
la question palestinienne.
Le risque est que ce modèle d’en-
diguement qui a failli à Gaza, para-
doxalement, ne s’étende progres-
sivement aux grandes aggloméra-
tions palestiniennes de Cisjorda-
nie. Certaines sont en proie,
depuis des mois, à des troubles qui
avaient déjà causé la mort, cette
année, avant le 7 octobre, du plus
grand nombre de Palestiniens
depuis près de deux décennies,
dans une relative indifférence.
Ce risque est d’autant plus grand
qu’en Cisjordanie, contrairement
à Gaza, l’unilatéralisme israélien
s’est traduit par une imbrication
accrue des populations du fait de
l’extension de la colonisation.
Cette dernière a été placée au
Signatures lumineuses
cœur du programme de la coali-
tion israélienne au pouvoir, sans
Vente de tirages signés
réaction occidentale majeure,
alors qu’elle signe l’impossibilité Le Monde en collaboration avec Magnum
d’un Etat palestinien. A la lumière
de l’impasse mortifère de Gaza,
cette stratégie place Israël à l’heure
des choix : poursuivre sur cette
trajectoire, ou bien la réorienter.
La première option comporte
des incohérences. La plus évi-
dente a été l’érection, au nom de la
protection des Israéliens, à un
coût astronomique, d’un « mur de
séparation » (annexant les colo-
nies construites sur des terres pa-
lestiniennes à proximité de la « li-
gne verte », la frontière d’avant la
guerre de 1967), couplée à la crois-
©Alessandra Sanguinetti
sance du nombre d’Israéliens ins-
©Bob Henriques
tallés de l’autre côté de cette bar-
rière. La poursuite de cette option
posera un énorme défi sécuri-
taire. L’allégement de la présence
militaire israélienne autour de
Gaza, du fait des besoins en Cisjor-
danie, en a donné un avant-goût.
Une autre possibilité pourrait
être l’objectif, à moyen terme, de
la réduction des tensions grâce à
un recalibrage unilatéral de la co-
lonisation. Ce dernier passerait
inévitablement par le démantèle-
©Moises Saman
ment d’un nombre de colonies
supérieur à celles qui ont été éva-
cuées durant le retrait de Gaza
en 2005. Motivé par les seuls inté-
rêts d’Israël, il pourrait cependant
redonner du sens à une Autorité
palestinienne post-Mahmoud Jusqu’au dimanche 22 octobre,
découvrez en exclusivité une vente
©Marc Riboud
Abbas, à condition qu’il soit ac-
compagné par la prise en compte de tirages signés sur le thème de la
des intérêts des Palestiniens, su- lumière à 100 dollars.
bordonnés aux impératifs sécuri-
taires de l’Etat hébreu à Gaza, avec Venez découvrir la sélection de tirages
le résultat que l’on sait. signés des photographes de l’agence
Une telle réorientation stratégi- ainsi que des 30 photographes
que est très improbable. Aucune
récompensés de la fondation World
majorité politique n’existe en Is-
Press Photo.
raël pour la proposer, et encore
moins pour l’appliquer. Pourtant,
prendre de nouveau en compte
la question du partage territorial
permettrait peut-être d’éviter le
piège tendu par le Hamas de l’en- lemonde.fr/vente-magnum
fermement dans les traumatis-
mes. Faute de quoi, le jour d’après
risque de ressembler furieuse-
ment au jour d’avant. En pire. p
A 0g CO /km
2

B
C
D
E
F
G
 UNE PLONGÉE
INÉDITE DANS
L’UNIVERS VIBRANT
DU PEINTRE

D
es ensembles exceptionnels,
des œuvres qui ne sont habi-
tuellement pas prêtées : avec
cent quinze tableaux, la Fonda-
tion Louis Vuitton organise la plus
grande exposition au monde jamais
consacrée au peintre américain Mark
Rothko (1903-1970). Certes, l’œuvre est
familière au public français : il a été mon-
tré de son vivant à Paris en 1962 puis,
après son suicide, en 1972 et en 1999. Ce
dernier événement (soixante-neuf toiles
à l’époque) avait été monté au Musée
d’art moderne de la Ville de Paris par
Suzanne Pagé, qui est également la com-
missaire, avec Christopher Rothko, le fils
de l’artiste, de la présente exposition.
En outre, malgré la taille réduite des
précédentes expositions parisiennes, la
démarche du peintre semble avoir été
immédiatement perçue, par le critique
Michel Conil-Lacoste en tout cas, qui ex-
pliquait, dès 1962, dans Le Monde, que
Rothko entendait « opérer sur le specta-
teur un envoûtement visuel, l’envelopper
dans l’intensité et la vibration de la cou-
leur, l’amener à s’abîmer dans ces surfaces
sans repères, complètement afocales, où
il se perdra dans des confins méditatifs ».
Ce qui est précisément le cas.
Cependant, l’abondance des œuvres
accrochées à la Fondation Louis Vuitton
et le soin apporté à leur présentation,
comme à celle du catalogue appelé à de-
venir un ouvrage de référence, permet-
tent d’approfondir le propos. De grands
ensembles – ainsi conçus par Rothko –
tels les tableaux peints pour le restau-
rant Four Seasons du Seagram Building,
à New York, jamais livrés par l’artiste qui
remboursa la commande, préférant les
céder pour partie à la Tate, à Londres,
ont fait le voyage. Tout comme trois des
quatre tableaux de la Phillips Collection,
à Washington, eux aussi présentés sur
les indications de l’artiste tel un tout
dans une « Rothko Room ». Cela n’a pas
été sans tractations ni contreparties – la
Fondation Louis Vuitton a aidé la Tate « No. 9/No. 5/No. 18 », Mark Rothko, huile sur toile, 1952. 1998 KATE ROTHKO PRIZEL & CHRISTOPHER ROTHKO/ADAGP, PARIS, 2023

ROTHKO
MARK

Modern à organiser une exposition de
l’artiste américaine Joan Mitchell, et les
enfants de Mark Rothko, Christopher
et Kate, ont prêté trois œuvres de leur
collection personnelle à la Phillips
Collection –, mais le résultat est là.
« Dès l’ouverture de la fondation, il y a
neuf ans, Bernard Arnault m’avait fait
part de son rêve d’y voir une exposition
Rothko, explique Jean-Paul Claverie, son
conseiller et responsable du mécénat du
groupe LVMH. Nous avons lancé le projet
il y a cinq ans, aiguillonnés par le choix de
Christopher Rothko d’y collaborer. Sa
présence a été déterminante, surtout
quand il s’est agi de convaincre les prê-
teurs, même si Suzanne Pagé est aussi
plutôt douée pour ça ! » Ce qui vaut de
jolies surprises, aptes à étonner le fils de
l’artiste lui-même : dans Mark Rothko.
L’intériorité à l’œuvre, le livre consacré à
son père qui vient de paraître en français
(Hazan, 312 pages, 29 euros), Christopher
Rothko cite ainsi le cas du tableau de sa
période surréaliste, Slow Swirl at the
Edge of the Sea (1944), conservé au
MoMA, à New York, avec cet avertisse-
ment : « Ne pensez pas à le demander en
prêt, si formidable que soit l’exposition
que vous préparez ! » Mais voilà, il trône
pour quelques mois en majesté à Paris…
Manquent, évidemment, les tableaux
de la chapelle Rothko voulue et
construite par les mécènes Dominique
et John de Ménil à Houston (Texas). On EXPOSITION
ne déplace pas non plus la Sixtine. C’est
donc la Fondation Louis Vuitton, ou DU 18 OCTOBRE
plutôt le groupe LVMH, qui est allé à AU 2 AVRIL 2024,
elle, en participant non seulement à la À LA FONDATION
restauration du lieu, mais aussi à son
développement : sous la direction de
LOUIS VUITTON,
Christopher Rothko vont être bâtis à À PARIS
proximité un lieu d’expositions tempo-
raires, des salles pour les archives et des
colloques. Rarement une rétrospective
aura mieux servi l’œuvre d’un artiste. p
harry bellet
Ce supplément a été réalisé
dans le cadre d’un partenariat
avec la Fondation Louis Vuitton.

Cahier du « Monde » No 24507 daté Jeudi 19 octobre 2023 - Ne peut être vendu séparément
2 | rétrospective mark rothko
ROTKOVITCH AVANT ROTHKO,
ENTRE FIGURATION ET SURRÉALISME
Sa production artistique jusqu’au milieu des années 1940 est peuplée de mythes et de symboles
I
l n’est guère aventureux de supposer
que, dans la première salle de l’expo-
sition « Mark Rothko », les cas d’in-
crédulité seront nombreux. Autant
l’œuvre abstraite du peintre américain
est largement connue, autant celle qui
l’a précédée l’est trop peu. Pressées
d’aller vers ce qui était attendu, les pré-
cédentes rétrospectives, à Paris et
ailleurs, se bornaient à aligner deux
ou trois scènes de la vie new-yorkaise
et trois ou quatre compositions dans
l’esprit du surréalisme. A tort, car il y a
beaucoup à apprendre en observant
les deux premières décennies qui sont
ici largement révélées.
Les quinze premières années de
celui qui se nomme jusque vers 1940
Marcus Rotkovitch sont, en effet, ex-
plicitement figuratives et souvent nar-
ratives. Après des études à l’Art Stu-
dents League de New York à partir de
1924, ce débutant, né en 1903, obtient
sa première exposition personnelle
dans une galerie en 1933, suivie de par-
ticipations aux manifestations collec-
tives du groupe The Ten, qu’il contri-
bue à fonder en 1935 avec, entre autres
amis, Adolph Gottlieb (1903-1974).
Deux caractéristiques s’imposent de-
vant les toiles de cette époque. L’une
LES RÉFÉRENCES AUX
CIVILISATIONS PASSÉES
SONT NOMBREUSES,
TIRÉES DE SA VASTE
CULTURE ARTISTIQUE
tient aux sujets. Si l’on excepte deux
nus, un autoportrait et quelques por-
traits, l’essentiel de ses motifs est pris
dans le quotidien de New York, comme
il l’est dans les œuvres de ses contempo-
rains, dont Edward Hopper (1882-1967).
Aux quais et escaliers des stations de
métro de Manhattan, à leurs voyageu-
ses et voyageurs, est consacrée une lon-
gue série d’études, les Subway Paintings.
Autre sujet lui aussi traité par Hopper,
les salles de cinéma et de théâtre sont
également évoquées. Evoquées plus
que décrites : Rothko n’entre pas dans
les détails minutieux de la Nouvelle
Objectivité allemande et du réalisme
américain selon Grant Wood (1891-
1942) ou Thomas Hart Benton (1889-
1975). Des silhouettes, vues d’assez loin
et stylisées, attendent ou marchent
dans des espaces clos, définis par des
colonnes, des rambardes ou des fenê-
tres : géométriquement. C’est ici l’autre
L’OMBRE PERSISTANTE DE LA SHOAH
MARCUS ROTKOVITCH EST NÉ le 25 septem-
bre 1903 à Dvinsk, alors ville russe, aujour-
d’hui lettone et nommée Daugavpils. Sa fa-
mille est juive et son père, Yacov, est
pharmacien. Mais tous savent ce que signi-
fie être juif dans l’Empire russe : quelques
mois avant la naissance de l’artiste, des
pogroms ont fait des centaines de morts à
Kichinev (Chisinau), comme le rappelle
Annie Cohen-Solal dans sa biographie de
l’artiste (Mark Rothko, Actes Sud, 2013).
En 1905, plus de cinquante pogroms ont
lieu dans l’empire, dont un à Dvinsk.
Yacov, jusqu’alors éloigné de la religion,
s’en rapproche et inscrit Marcus dans une
école talmudique, ce qu’il n’a fait pour
aucun de ses trois premiers enfants. En dé-
cembre 1910, il émigre aux Etats-Unis. Ses
fils aînés le rejoignent d’abord, puis son
épouse et les deux plus jeunes enfants en
juin 1913. Marcus porte alors, suspendue
autour du cou, une pancarte où est inscrit
« I don’t speak English », comme il l’a ra-
conté bien plus tard. Il découvre cependant
assez vite que l’antisémitisme, s’il n’y est
pas meurtrier comme en Russie, n’en est
« The Omen of the Eagle » (« le présage de l’aigle »), 1942. 1998 KATE ROTHKO PRIZEL & CHRISTOPHER ROTHKO/ADAGP, PARIS, 2023
pas moins présent aux Etats-Unis. Admis à
l’université Yale, dans le Connecticut,
en 1921, le jeune homme en perçoit les ef-
fets : comme les autres étudiants juifs, il est
considéré à demi-mot comme un intrus,
tenu à l’écart des fraternities et des invita-
tions. Aussi quitte-t-il Yale dès 1923 et re-
joint l’Art Students League de New York.
Indices indirects
Ces données ont été longtemps négli-
gées. Tout au plus supposait-on que la pre-
mière éducation religieuse de l’artiste
pouvait avoir contribué à développer l’as-
piration à une forme de transcendance
dans son art. Il est vrai qu’il n’existe aucune
œuvre de Rothko où une référence au ju-
daïsme soit visible. Ni de toile politique-
ment engagée, alors qu’il est clair que ses
idées sont progressistes, comme l’est le
souci d’éducation qui le fait devenir, en 1929,
professeur de dessin à la Center Academy du
Brooklyn Jewish Center, fonction qu’il occu-
pera jusqu’en 1952.
Il n’existe pas non plus d’œuvre de lui
qui témoigne de la seconde guerre mon-
diale et de l’extermination des juifs d’Eu-
rope. Mais l’une de ses toiles mythologi-
ques de 1944, Gethsemane, du nom du jar-
din où le Christ a été arrêté avant d’être
crucifié, offre un indice indirect. Il y en a
de plus explicites. Quand, en 1943, il s’ex-
plique sur son intérêt pour les mythes,
« symboles des peurs et des motivations
primitives de l’homme », il poursuit en af-
firmant combien ils sont actuels : « Ceux
qui pensent que le monde d’aujourd’hui est
plus doux et plus gracieux que les passions
primordiales et prédatrices d’où provien-
nent ces mythes, sont soit inconscients de
la réalité, soit ne désirent pas la voir. »
Diagnostic parfaitement juste. En 1943, il
ne peut cependant encore savoir que les
populations juives de Dvinsk ont d’ores et
déjà été anéanties, assassinées sur place
par les Einsatzgruppen du IIIe Reich ou
transférées dans les camps d’extermination.
Aujourd’hui, devant son ultime série d’abs-
tractions en gris et noir, qui semblent des
paysages sans fin plongés dans l’obscurité
et le silence, on ne peut qu’y repenser. p
ph. d.
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
spécificité de son style : des lignes
continues, perpendiculaires ou parallè-
les, compartimentent la surface d’un
bord à l’autre. Tantôt elles construisent
une perspective fuyante, un peu à la
manière de l’Italien Giorgio De Chirico
(1888-1978), tantôt elles circonscrivent
des plans de couleurs, comme par anti-
cipation de l’œuvre abstraite. Le plus
souvent, les figures paraissent sépa-
rées, sans communication entre elles,
mutiques, suppose-t-on.
Cette figuration désenchantée cesse
en 1940, Rothko ayant écrit plus tard
que la représentation extérieure de
l’homme lui était apparue insuffi-
sante et même mutilante. Pour que la
présence humaine soit plus entière, la
solution serait alors de peindre non
plus l’apparence, mais l’état psychi-
que. Ainsi se comprendrait qu’après
un temps de doute, consacré à l’écri-
ture de son essai La Réalité de l’artiste,
demeuré inconnu jusqu’à sa publica-
tion par son fils, Christopher Rothko,
en 2004 (chez Flammarion pour la tra-
duction française), le peintre s’engage
dans une deuxième période très diffé-
rente de la première : une peinture des
mythes et des obsessions qui seraient
enfouis dans tout être humain.
« Peurs primitives de l’homme »
Ces mythes, déclare-t-il en 1943, sont
« les symboles intemporels auxquels
nous devons nous raccrocher pour ex-
primer des idées psychologiques basi-
ques. Ils sont les symboles des peurs et
des motivations primitives de l’homme,
peu importe le pays ou l’époque, ne
changeant que par le détail mais jamais
en substance, qu’ils soient grecs, aztè-
ques, islandais ou égyptiens ». Antigone,
Œdipe, des oiseaux héraldiques, des
êtres hybrides, tels sont quelques-uns
de ces symboles universels. Les réfé-
rences aux civilisations anciennes
sont nombreuses, tirées de sa très
vaste culture littéraire et artistique.
Et tirées aussi et autant de sa fréquen-
tation du surréalisme européen. Ce-
lui-ci est présent, en décembre 1936 et
janvier 1937 au MoMA, à l’occasion de
l’exposition « Fantastic Art, Dada, Sur-
realism ». A partir de 1941, il est plus vi-
vant encore : autour d’André Breton, de
Marcel Duchamp et de Robert Lebel, le
groupe des surréalistes en exil à New
York comprend, entre autres, Isabelle
Waldberg, Max Ernst, André Masson,
Yves Tanguy, Roberto Matta et Esteban
Frances. A défaut de les connaître direc-
tement, Rothko connaît leurs écrits et
leurs œuvres, et cela se voit dans les
siennes. D’abord sculpturales et un peu
picassiennes, les figures s’allègent, se
fragmentent, s’évaporent, deviennent
translucides et se délivrent de la pesan-
teur. Parfois, des comparaisons s’impo-
sent : Rothko n’est pas très loin de Matta
dans ses Rites of Lilith (1945), ni de Joan
Miro dans la Sea Fantasy de 1946.
Cependant, il affirme sa singularité
dans Sacrifice of Iphigenia (1942) ou dans
Tiresias (1944), qui devraient désormais
apparaître dans l’histoire internationale
du surréalisme : non seulement parce
que ces toiles prouvent, à l’évidence, que
le mouvement a traversé l’Atlantique et
y a été décisif, mais encore parce que ce
sont quelques-unes de ses réalisations
les plus accomplies pendant la période
de la guerre. Rothko n’est certes pas le
seul peintre américain emporté par ce
flux : Jackson Pollock, Arshile Gorky ou
Barnett Newman sont, au même mo-
ment et pour les mêmes raisons, tou-
chés par le surréalisme. Mais, de tous, il
est, avec Pollock, celui qui y participe le
plus pleinement et, avec Pollock encore,
celui qui le projette dans des formats de
plus en plus grands, à la mesure du corps
entier et non plus du bras ou de la main.
C’est un autre des enseignements de
cette salle surréaliste : en 1944, Rothko
perçoit qu’il lui faut ces dimensions
pour atteindre l’ampleur visuelle et l’in-
tensité émotionnelle auxquelles il veut
qu’accède la peinture, faute de quoi elle
ne vaudrait pas la peine d’être faite. p
philippe dagen
0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023
Mark Rothko, à New York, en mars 1961, au moment de l’exposition que lui consacre le MoMA. BEN MARTIN/GETTY IMAGES
PEINTRE DE L’INTIME
ET DE L’INTENSE
Dans ses toiles abstraites conçues après la guerre, l’artiste cherche
à se connecter directement à la pureté de l’émotion humaine
R
othko, c’est l’antithèse du pop
art – il l’a vu naître et ne l’appré-
ciait guère –, de la vision immé-
diate d’une peinture qui em-
prunte plus à l’efficacité de l’affiche qu’à
la spiritualité de l’icône. Un Warhol, on
le subit, un Rothko, on s’en imprègne.
On le questionne. Et, parfois, il vous ré-
pond… Ses tableaux, et surtout ceux de
sa période dite « classique », sont dan-
gereux : ils ont la séduction et la beauté
du diable. Il faut, devant eux, se souve-
nir de la phrase de Nietzsche, dont il
était un grand lecteur : « Si tu plonges
longtemps ton regard dans l’abîme,
l’abîme te regarde aussi. »
Sauf exceptions, comme l’hommage à
Henri Matisse de 1954 – L’Atelier rouge
du Français était une de ses œuvres féti-
QUAND LA COULEUR PALPITE SUR LES MURS
Les accrochages bas et l’excellence de l’éclairage plongent le visiteur dans une remarquable expérience sensorielle
S
elon une anecdote rapportée par
sa fille, Kate Rothko Prizel, qui
n’en certifie pas l’exactitude, un
conflit aurait opposé Mark Rothko
au conservateur du Museum of Modern
Art de New York, Peter Selz, quand l’ar-
tiste y eut une exposition personnelle
en 1961. Exigeant un éclairage réduit,
Rothko aurait pris l’habitude de mani-
puler les variateurs électriques afin de
baisser l’intensité des lumières chaque
fois qu’il venait dans les salles, et Selz la
relevait dès qu’il était informé de ces
interventions clandestines.
L’anecdote paraît cependant vraisem-
blable, étant donné le caractère épineux
de Rothko, et son insatisfaction se com-
prend aisément si l’on en juge d’après les
photographies qui demeurent de l’accro-
chage. Des faisceaux de lumière sont par-
fois dirigés droit sur les toiles. D’autres
projettent des ombres inopportunes. Et,
à l’évidence, les salles sont trop étroites
ches –, Rothko ne titrait pas ses tableaux
peints après guerre. Tout au plus leur
donnait-il des numéros. Ce n’est pas lui
non plus qui a défini les périodes de son
œuvre : les « multiformes », premières
abstractions de 1946, et la dernière
phase de son travail, dans les années
1950 et 1960, désignée par l’histoire de
l’art sous le terme surprenant, tant la
peinture est révolutionnaire, de « classi-
que », sont des conventions a posteriori.
On a aussi voulu le classer parmi les
expressionnistes abstraits, qui firent les
beaux jours de l’école de New York des
années 1950 : une photo prise par Nina
Leen, en 1950, le montre assis avec eux,
qui se nommaient alors les « irascibles »,
car ils protestaient contre le choix, selon
eux, désastreux des artistes incarnant
pour les cinquante-quatre tableaux rete-
nus, ce qui a contraint à les disposer trop
près les uns des autres.
La rétrospective de la Fondation Louis
Vuitton évite toutes ces erreurs. D’abord
celle d’un accrochage serré. Les cent
quinze œuvres sont réparties sur quatre
niveaux, en dix salles. Celles des années
1930 et 1940, de format encore assez ré-
duit, sont logiquement placées dans la
galerie inférieure, moins haute de pla-
fond. Celles des deux décennies suivan-
tes disposent des trois autres étages,
dont les dimensions monumentales s’ac-
cordent aux leurs. Elles jouissent de tout
le vide nécessaire et, plusieurs fois, l’une
d’elles est seule sur un mur, rayonnant
ainsi plus largement encore.
Quand des séries sont constituées, elles
occupent les galeries les plus longues et
sont composées soit selon une domi-
nante chromatique – le rapport rouge,
rose et blanc, par exemple –, soit parce
L’ARTISTE NE CRAIGNAIT
l’art moderne américain dans une ex-
position du Metropolitan Museum of
Art. Tous fixent l’objectif avec un regard
mauvais. Sauf deux : la seule femme,
Hedda Sterne, à l’œil plutôt bienveillant,
et Rothko, qui semble ailleurs, comme
détaché. Il se sent un autre destin.
« Vers plus de clarté »
Détaché, il le fut très vite, notamment
de l’expressionnisme abstrait : il reje-
tait violemment cette appellation. De
même que certains peintres, qui
avaient pourtant été ses amis, le reje-
taient lui : en 1955, Barnett Newman
(1905-1970) et Clyfford Still (1904-1980)
allèrent jusqu’à écrire à leur marchand
commun, le galeriste Sidney Janis, pour
critiquer Rothko. La blessure a dû être
que les zones colorées y sont placées de
façon similaire – trois bandes de largeurs
proches ou la superposition de deux ou
trois quadrangles. Ce mode de classe-
ment répond à la logique du travail elle-
même : à plusieurs moments, Rothko se
donne ce que l’on appelle en musique un
« thème » – ici une couleur, là un type de
composition – et le développe en modu-
lant des variations. Ainsi en est-il à trois
reprises au moins : au milieu des années
1950, avec ce que l’on pourrait appeler sa
« période fauve », peu après avec l’ensem-
ble des toiles – à l’inverse très sombres –
des Seagram Murals et, à la fin de sa vie,
dans la suite en gris et noir de 1969 et
1970. La cohérence visuelle des salles
témoigne donc de celle de la création.
Deuxième motif de satisfaction : les
hauteurs d’accrochage. Rothko les voulait
basses, quels que soient les formats. Ce
principe est strictement respecté, de sorte
que l’on n’est pas face à une peinture,
rétrospective mark rothko | 3
d’autant plus profonde que Rothko
s’était démené pour imposer Still, venu
de Californie, sur la scène new-yorkaise
et que le passage à l’abstraction de
Rothko doit beaucoup à l’exemple de
Still. « Le travail du peintre évolue, à
mesure qu’il avance dans le temps, vers
plus de clarté, vers l’élimination de
tous les obstacles entre le peintre et
l’idée, et entre l’idée et le spectateur »,
dit-il dans la revue The Tiger’s Eye,
en 1949. « Atteindre à cette clarté, c’est,
forcément, se faire comprendre. »
C’est avec les multiformes qu’appa-
raissent les rectangles « flottants » ca-
ractéristiques de son œuvre. Dans ce
premier temps, il en juxtapose plu-
sieurs, jusqu’à sept ou huit dans la
même toile. La période classique verra
QU’UNE CHOSE,
C’EST QUE SA PEINTURE
SOIT PERÇUE COMME
DÉCORATIVE
le nombre se restreindre à deux ou
trois. Rothko ne craignait qu’une chose,
c’est que sa peinture soit perçue
comme décorative. C’est ce qu’il expli-
que en 1954, dans une lettre à Katharine
Kuh, conservatrice à l’Art Institute de
Chicago, la première à proposer à l’ar-
tiste une exposition dans un grand
musée : « Comme mes tableaux sont
grands, colorés et sans cadre, et comme
les murs des musées sont habituelle-
ment immenses et redoutables, le dan-
ger existe que les tableaux se relient
aux murs à la manière de zones décora-
tives. Ce serait une déformation de leur
signification, puisque les tableaux sont
intimes et intenses, et sont à l’opposé
de ce qui est décoratif… »
« Mes tableaux actuels, déclara-t-il
lors d’une conférence au Pratt Insti-
tute, à New York, en 1958, renvoient à
l’échelle des émotions humaines, du
drame humain, autant que je suis ca-
pable de l’exprimer. » Mais il est vrai
qu’elles sont apparemment séduisan-
tes, ses premières œuvres abstraites !
Les multiformes notamment, claires,
colorées, presque joyeuses. Elles corres-
pondent à un changement dans sa vie :
il a divorcé de sa première épouse, Edith
Sachar, en 1944, et rencontré l’année
suivante celle qui deviendra la seconde,
Mary Alice Beistle, dite Mell. Ses biogra-
phes laissent entendre que, contraire-
ment à Edith Sachar, Mell soutenait
sans réserve le travail de Rothko.
Ce n’était pourtant pas un homme
facile : « Il buvait beaucoup trop, admet
son fils, Christopher, fumait cigarette
sur cigarette, mangeait n’importe quoi,
généralement un hot dog sorti du frigo.
Tout son temps était consacré à l’atelier
où rares étaient les gens admis. Je crois
que, hormis ma sœur, Kate, quand elle
était enfant, personne ne l’a jamais vu
quand il travaillait. » Il pouvait aussi
être d’un abord plutôt abrupt.
Cette même rudesse présidait à la mise
en espace de ses expositions. Ses lettres
à Katharine Kuh fourmillent de détails
extrêmement précis, sur l’éclairage et
mais comme à l’intérieur d’elle. Cette per-
ception proche, presque tactile, suscite
sensations et émotions chaque fois que
l’on s’approche de la surface picturale. Si
le mot n’était aujourd’hui si galvaudé, on
dirait qu’il y a immersion, dans un flux
ou une nuée. Etant donné l’intensité des
couleurs et la sensualité des gammes en
rouge et jaune, ces émotions sont puis-
santes et durables. On ne voit guère quel
peintre du XXe siècle est allé aussi loin
dans l’art de l’absorption, poussé jus-
qu’au ravissement. Il n’est guère surpre-
nant que, voyageant en Italie, Rothko soit
allé chaque fois à Assise, à Arezzo et à Flo-
rence, chez Giotto, Piero della Francesca
et Fra Angelico. Pas surprenant non plus
qu’il ait voulu créer une chapelle, où l’on
se trouve entouré par les toiles.
Un autre effet de cet accrochage bas et
proche est que l’on voit mieux comment
Rothko peint, de façon peu méthodique
et régulière. Examiner attentivement les
jusqu’à la hauteur à laquelle ses ta-
bleaux sont accrochés. Dans la lettre à
Sidney Janis déjà évoquée, Clyfford Still
s’en plaint vivement : « Rothko exige
que ses tableaux soient lus comme un
exercice d’imagerie autoritaire. Quand
ils sont accrochés en rang serré et quand
ils sont baignés de lumière comme il le
souhaiterait, la tyrannie de son ambi-
tion le pousse à étrangler ou à détruire
tous ceux qui se trouveraient sur sa
route… » Ce que Still n’envisage pas, c’est
que Rothko considère leur installation
comme de véritables environnements.
C’est ce que révélera l’exposition chez
Sidney Janis, en 1955, où il avait tenu à
placer quatre tableaux, un sur chaque
mur d’une petite pièce rectangulaire
avec un banc au milieu pour que le visi-
teur puisse s’en imprégner. On les a
vus dans la même configuration lors
de la rétrospective que la Fondation
Beyeler, à Bâle, a consacrée à l’artiste,
en 2001, mais ils sont aujourd’hui diffi-
ciles à rassembler de nouveau : l’un
d’entre eux est conservé au Musée d’art
contemporain de Téhéran. Ce que la
Fondation Louis Vuitton a, en revan-
che, en commun avec l’exposition de la
Fondation Beyeler, c’est la reconstitu-
tion, à Paris, de la salle que le collection-
neur Duncan Phillips avait composée,
à Washington en 1960, encouragé par
Rothko. Elle regroupe quatre tableaux
(trois à Paris) aux harmonies plus
sourdes, peints entre 1953 et 1957.
Commande avortée
Rude encore fut sa réaction lors de la
commande avortée du Seagram Buil-
ding, à New York. Il préféra rembourser
l‘avance qu’il avait reçue, en 1958, pour
des œuvres destinées au restaurant
Four Seasons, plutôt que les voir servir
de décor aux agapes de ploutocrates.
L’histoire a été racontée maintes fois,
mais jamais sans approximation. Les
tableaux presque terminés, il décide
d’aller dîner dans le restaurant qui ve-
nait d’ouvrir et découvre l’une des ta-
bles les plus luxueuses de Manhattan.
La réaction du peintre, selon la criti-
que d’art Dore Ashton, fut peu
amène : « Quiconque peut manger
cette sorte de nourriture pour cette
sorte de tarif ne regardera jamais une
de mes peintures », aurait-il confié.
Après la mort de l’artiste en 1970, un
écrivain et journaliste américain, John
Fischer, publia dans Harper’s Maga-
zine son souvenir d’une rencontre au
bar d’un paquebot, à l’été 1959, avec
Rothko qui lui décrivit le restaurant du
Seagram comme « un lieu où les sa-
lauds les plus riches de New York vien-
nent pour bouffer et se montrer… »
Christopher Rothko, le fils de l’artiste,
doute fortement des deux versions.
Toujours est-il que les tableaux sont
désormais, selon la volonté de l’ar-
tiste, conservés pour partie à la Tate
Modern, à Londres, qui les a prêtés
pour l’exposition : à les voir, on les
préfère effectivement dans un musée.
Non parce qu’ils peuvent vous couper
l’appétit, mais parce qu’ils semblent
avoir été plutôt conçus pour une cha-
pelle. Et c’est précisément avec une
chapelle que Rothko constitua son
chef-d’œuvre, mais, celui-là, il faudra
aller à Houston (Texas) pour le voir. p
harry bellet
surfaces permet d’apercevoir les traces de
ses gestes, parfois en boucles, parfois en
nappes, avec des recouvrements et, sur
les bords des formes, des déchirures, des
débordements, des imperfections, si l’on
peut dire, qu’il conserve et qui accen-
tuent la palpitation de la couleur. Il sem-
ble parfois que l’on se penche sur une pro-
fondeur liquide, d’autres fois que la pein-
ture à l’état gazeux se déplace comme le
brouillard et s’avance vers vous.
Ces expériences sensibles sont favori-
sées par l’excellence de l’éclairage. Rothko
n’aurait pas eu à venir le baisser ici, car il
est, quand il le faut, très faible. Et c’est
alors que les œuvres se voient le mieux,
que les superpositions d’un violet et
d’un outremer, d’un brun et d’un noir
ou d’un blanc et d’un rouge sombre
capturent le regard et ne le laissent plus
s’en détacher, pris dans les profondeurs
mobiles de la peinture. p
ph. d.
4 | rétrospective mark rothko 0123
JEUDI 19 OCTOBRE 2023

Christopher Rothko et Suzanne Pagé, lors

de l’accrochage de l’exposition « Mark Rothko »,
à la Fondation Louis Vuitton, à Paris,
le 13 octobre. FONDATION LOUIS VUITTON/MARIE LEVI

S
uzanne Pagé, historienne de
l’art, conservatrice et direc-
trice artistique de la Fonda-
tion Louis Vuitton, avait déjà
monté une exposition autour de
l’œuvre de Mark Rothko, en 1999,
lorsqu’elle travaillait au Musée d’art
moderne de la Ville de Paris. Pour la
nouvelle rétrospective parisienne,
elle s’est alliée avec le fils du peintre,
Christopher Rothko, docteur en psy-
chologie. Les deux commissaires
reviennent sur leurs choix.

Il y a déjà eu des expositions

de Mark Rothko à Paris. En quoi
celle-ci diffère-t-elle des autres ?
Suzanne Pagé : Nous avons le témoi-
gnage de la critique d’art Dora Vallier
sur la première, en 1962 [au Musée d’art
moderne de la Ville de Paris]. Il y avait
quarante-quatre tableaux repris d’une
exposition du MoMA. Il pleuvait, il nei-
geait même, et elle était accrochée dans
les sous-sols du musée, le pire endroit.
Le temps était si épouvantable qu’il a
fallu fermer et que Dora Vallier est l’une
des rares à l’avoir vue. Celle de 1972 [au
Musée national d’art moderne] me pose
problème : les tableaux avaient été choi-
sis par la galerie Marlborough de New
York, laquelle s’est opposée à la famille
de Rothko après sa mort. Un long procès
s’est ensuivi, que les enfants de Rothko
ont fini par gagner. Mais, malgré le res-
pect que j’ai pour le conservateur de
l’époque [Jean Leymarie], il s’agissait
alors clairement d’une exposition de
nature commerciale. Celle dont j’étais
commissaire, en 1999, au Musée d’art
« SES TABLEAUX PARLENT
moderne de la Ville de Paris, venait de
la National Gallery de Washington, et
était passée par le Guggenheim de
New York avant d’atterrir chez nous.
UNE LANGUE UNIVERSELLE »
Or, nous n’avions plus qu’un tiers des
tableaux de l’exposition d’origine, ENTRETIEN | Les commissaires de l’exposition « Mark Rothko », l’historienne d’art
même si Nicholas Serota, qui dirigeait
la Tate [à Londres], m’avait prêté, en Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation Vuitton, et le fils du peintre,
plus, quelques-unes des œuvres…
Christopher Rothko : J’ai vu cette Christopher Rothko, racontent leur quête pour proposer des œuvres méconnues
exposition à New York puis celle à
Paris. Elles étaient en effet très diffé-
rentes, mais c’est à cette occasion que
j’ai rencontré Suzanne.
S. P. : Cette fois-ci encore, il neigeait le C. R. : C’est un travail très complexe. fait un passage en Italie où il a exploré « Je ne veux pas travailler pour cette QUELQUES LIVRES AUTOUR
jour du vernissage, mais les gens fai- Mon père mélangeait différentes tech- tous les musées et toutes les églises bande de fils de putes… », aurait-il dé- DE MARK ROTHKO
saient tout de même la queue pour en- niques, la tempera [peinture à base qu’il pouvait. Et même s’il adorait la claré, mais je crois, rétrospectivement,
trer. La réception critique avait été re- d’œuf], l’huile, et peignait en couches si matité des fresques, il appréciait beau- qu’il tentait de se convaincre lui- La Réalité de l’artiste, de Mark
marquable et je crois que cela a touché minces, à un degré rarement vu, que la coup la peinture vénitienne, qui est même. En fait, il rêvait d’une grande Rothko (traduit par Pierre-
Christopher. Cela, et le fait que l’on ait moindre griffure, le moindre choc, peut très différente, mais très émotionnelle, commande pour un lieu public et il Emmanuel Dauzat, préface
respecté les demandes posthumes de abîmer la toile, parfois définitivement. ce qui lui importait beaucoup. avait cru que le restaurant The Four de Christopher Rothko,
son père, à propos de la couleur des Seasons pouvait être un lieu propice, Flammarion, 2004).
murs, de l’éclairage et de la hauteur à la- Quelqu’un, se disant artiste, a Vous avez un diplôme universitaire avant de devoir admettre que ce n’était
quelle nous accrochions ses œuvres, commis, il y a une dizaine d’années, de psychologie, vous avez exercé pas le cas. Il était en colère, certes, mais, Ecrits sur l’art, 1934-1969,
sujets auxquels il était très sensible. un graffiti sur une des toiles dans les hôpitaux, et c’est à ce titre à mon avis, surtout contre lui-même. de Mark Rothko (traduit par
C’est ce que nous faisons peu ou prou à de la Tate Modern, à Londres… que je vous pose cette question : Claude Bondy, Flammarion,
la Fondation Louis Vuitton. C. R. : Désormais, c’est un artiste ! [Pré- c’est quoi, l’émotion ? Il a donc rendu l’argent, et gardé ses 2005).
cisons, pour ne pas susciter de nouvelles C. R. : Vaste question ! L’émotion, c’est tableaux, dont il cédera une partie
vocations, que Christopher Rothko, la réalité. Si l’on pense pouvoir voir le à la Tate, pour qu’ils soient placés, à Mark Rothko. L’intériorité
comme son père avant lui, a un sens de monde sans les émotions, on n’est pas sa demande, à proximité des œuvres à l’œuvre, de Christopher
« CETTE ŒUVRE A l’ironie féroce et qu’un nouveau van- dans la réalité. Celle-ci est toujours co- de William Turner. Dont il dit : Rothko (traduit par Annie
QUELQUE CHOSE DE dale ne resterait pas dans l’histoire de lorée par nos émotions. Pour mon « Ce Turner me doit beaucoup ! »… Pérez et Jean-François Allain,
l’art, mais dans celle des grands procès père, le monde émotionnel était la voie C. R. : C’était évidemment son sens de Fondation Louis Vuitton/
TRÈS SENSUEL, JOUISSIF, pénaux…] La remise en état a demandé d’accès à ses spectateurs. D’où son am- l’ironie. Mais de savoir qu’il serait ex- Hazan, 312 p., 29 €).
UNE SÉDUCTION un travail incroyable : les restaurateurs bition d’élever la peinture au niveau posé à côté de Turner a été déterminant
n’ont pas réparé le tableau lui-même, émotionnel dont est capable la musi- dans son choix de donner ses tableaux. Rothko, sous la direction de
QUI REND CAPTIF » mais posé sur sa « blessure » une sorte que. Elle peut vous tirer des larmes. Ses Suzanne Pagé et Christopher
SUZANNE PAGÉ de peau très fine sur laquelle ils ont tableaux aussi. Ils parlent une langue Suzanne Pagé, vous portez Rothko, catalogue de l’exposi-
repeint ce qui se trouve au-dessous. universelle qui n’a pas besoin d’expli- sur ce travail le regard tion (Fondation Louis Vuitton/
C’est totalement invisible, c’est fabu- cations. On ne comprend pas bien d’une historienne de l’art… Citadelles & Mazenod,
C. R. : Je ne voulais pas que cette ex- leux. Cette façon de peindre en couches pourquoi ils nous remuent, pourquoi S. P. : Non, non, non, c’est beaucoup 300 p., 45 €).
position soit limitée aux œuvres de la minces lui venait, je crois, des primitifs ils nous émeuvent, mais ils le font. plus que ça ! Pour moi, c’est un artiste
National Gallery de Washington, de la de la première Renaissance italienne, et que chacun, tout le monde, partout, de- Mark Rothko, d’Annie Cohen-
Tate ou de ma famille. J’ai donc cher- surtout de Giotto. Avec Michel-Ange, il Il détestait, dit-on, les critiques vrait pouvoir aborder. Je ne sais pas ex- Solal (Actes Sud, 2013,
ché des tableaux que les Européens, et se battait un peu ! De Léonard de Vinci, d’art… pliquer pourquoi. Cette fameuse émo- rééd. Folio, 352 p., 9,70 €).
même la plupart des Américains, ne il disait que c’était lui qui avait inventé C. R. : Il pensait qu’il valait mieux ne tion donne accès à quelque chose de
connaissaient pas. Outre les collec- la lumière… Mais il était contre l’illu- pas parler de son œuvre, qu’elle devait l’ordre de la transcendance. Parce que, Rothko. Une absence d’images :
tions privées, il y en a dans de tout sion produite par son utilisation de la parler toute seule. Il adorait discuter de comme il dit, il peint les émotions hu- lumière de la couleur,
petits musées partout aux Etats-Unis, perspective atmosphérique, quand les l’art, mais de celui des autres, des Ita- maines fondamentales, la tragédie, la de Youssef Ishaghpour
dans des villes dont beaucoup n’ont bleus du ciel se dégradent vers le gris liens de la Renaissance notamment, mort, l’extase. C’est universel, intem- (Farrago, 2003, rééd. Le Canoë,
même jamais entendu parler. Certains dans les lointains. Il jugeait la perspec- mais pas du sien. Quand il s’est aventuré porel. Cette œuvre vous met en face de 104 p., 14 €).
n’en étaient pas sortis depuis des tive magique, mais pas réelle. Je crois à le faire, c’était dans des circonstances vous-même. Je pense que l’on ne peut
décennies. que c’est pour cela qu’il préférait Giotto. particulières, comme en 1959 pendant pas y échapper. D’abord parce qu’elle a Reframing Abstract Expressio-
S. P. : La plupart des œuvres viennent Il aimait la tactilité de la fresque. Il est cette traversée de l’Atlantique en paque- quelque chose de très sensuel, jouissif, nism. Subjectivity and Painting
en effet de musées – nous n’avons que allé trois fois en Europe… bot, où il rencontre l’écrivain John Hurt une séduction qui rend captif. Dans la- in the 1940s, de Michael Leja
treize prêts de collectionneurs privés. Fisher [1919-2015] au bar. Je pense qu’ils quelle, il le revendique, il a mis le maxi- (Yale University Press, 1993,
Trois fois, c’est peu… ont beaucoup bu tous les deux. L’autre mum de violence. On le perçoit très non traduit).
Dont le tableau que possède C. R. : Oui, mais il faisait la traversée ne lui a pas dit qu’il était journaliste et vite. Cela a à voir avec la condition hu-
Bernard Arnault ? en bateau : il avait peur de l’avion ! Sur- mon père s’est livré à des confidences maine, ce drame qu’est la conscience
S. P. : En fait, non. Il est en très mauvais tout, il ne voulait pas sortir de son ate- sur son problème avec la commande que nous avons d’être mortels. p
état, et en cours de restauration. lier. Cependant, à chaque voyage, il a pour le restaurant du Seagram Building. propos recueillis par harry bellet