MERCREDI 16 JUIN 2021

77E ANNÉE – NO 23774

3,00 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

SCIENCE & MÉDECINE ­ SUPPLÉMENT  VOLCANS : COMMENT MIEUX SURVEILLER LES GÉANTS ENDORMIS

Un sommet de la défiance entre Biden et Poutine
▶ Les présidents russe et ▶ Les deux camps ont ▶ Joe Biden, qui avait ac­ ▶ A Moscou, l’obtention ▶ Les membres de l’OTAN
américain doivent se ren­ prévenu qu’il n’y avait quiescé en mars à la ques­ d’un sommet est vécue ont cosigné lundi un texte
contrer à Genève mercredi aucune avancée de taille tion de savoir si son ho­ comme une victoire, qui dans lequel ils s’inquiètent
pour évoquer notamment à attendre, alors que la mologue était « un tueur », confirme la place de la de la coopération militaire
le contrôle des armements défiance s’est accrue ces a une longue expérience Russie parmi les grandes entre la Chine et la Russie
et des systèmes nucléaires dernières années du dossier russe puissances PAGE S 2 À 4

RÉGIONALES : LES MINCES ESPOIRS DE LA MAJORITÉ FACE À LA POUSSÉE DU RN Economie
Une reprise 
de l’activité 
plus dynamique
que prévu
l’enquête mensuelle de con­
joncture de la Banque de France
confirme une accélération de la
reprise économique depuis la
mise en place du déconfinement
par étapes. La croissance de l’éco­
nomie française pourrait attein­
dre 5,75 % fin 2021, au lieu des
5,5 % prévus fin mars, un chiffre
nettement supérieur à la
moyenne de la zone euro (4,6 %).
Ce rebond est alimenté par les
dépenses des Français, qui pui­
sent dans les économies réali­
▶ A cinq jours du sées ces derniers mois. Les res­
vote, les candidats taurants en profitent, tout
LRM sont à la peine comme les magasins, qui ont vu
les ventes de détail hors alimen­
face à la montée de tation croître de 28 % en mai.
l’extrême droite PAGE 1 8

▶ L’entourage du
président esquive
la question du front
Idées
républicain
au second tour
Laurent Saint­Martin, entouré
de Gabriel Attal (à gauche)
Pascal Canfin : 
PAGE 12
et de Jean­Michel Blanquer, lors
d’un meeting, à Paris, le 12 juin.
plaidoyer pour une 
JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
mondialisation 
progressiste
1
Le président de la com­
ÉDITORIAL Angleterre Planète Enquête Cinéma mission environnement
Le déconfinement Les déchets Au Burkina Faso, Les Podalydès du Parlement européen
FOOTBALL : LE SAUT  total repoussé électroniques l’entraînement des puisent leur esquisse les contours d’un
modèle de prospérité
DANS L’INCONNU  sous la pression empoisonnent des forces spéciales inspiration dans compatible avec les limi­
DE LA LIGUE 1 du variant Delta millions d’enfants face aux terroristes leurs jeux d’enfants tes de notre planète
P. 39 ET INFORMATIONS P. 1 9 PAG E 1 0 PAGE 8 PAGE 25 PAGE S 30- 31 PAGE S 36- 37

VU PAR HALL  (ÉTATS­UNIS)   CARTOONING FOR PEACE

CEFAM
Centre d’études Franco-Américain de Management
Lyon & USA

Investissez
sur votre avenir
à l’international
du BAC au MBA

Concours en ligne
En partenariat
avec des universités
Programme
accréditées par :
hors parcoursup
Titre certifié
par l’état Niveau 7

Boston Philadelphia NYC Albany Lawrenceville West Long Fredericksburg Philadelphia Fredericton Paris
Branch

Contact : Mattieu MONTERO – 04 72 85 73 63 – mattieu.montero@cefam.fr www.cefam.fr

Algérie 220 DA, Allemagne 3,80 €, Andorre 3,80 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,30 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,60 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,20 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €,
Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 INTERNATIONAL
2|
LA  VISITE  DE  JOE  BIDEN  EN  EUROPE
Biden et Poutine  
à Genève dans un 
climat de défiance
Le sommet, mercredi, entre les présidents
américain et russe doit, au moins, permettre
de discuter du contrôle des armements
washington ­ correspondant
E
tre le président le
plus expérimenté en
politique étrangère
depuis trente ans
confère des avanta­
ges. Alors qu’il s’ap­
prête à rencontrer son homo­
logue russe Vladimir Poutine à
Genève, mercredi 16 juin, au
terme de sa tournée en Europe,
Joe Biden a la mémoire des désil­
lusions passées. Elles inspirent
le réalisme. Pas de vaine opéra­
tion de séduction à attendre. Pas
de projet de « reset », de recon­
figuration radicale de la relation
entre Washington et Moscou,
comme l’avait tenté Barack
Obama (2009­2017), ou avant lui,
George W. Bush (2001­2009).
Le conseiller à la sécurité natio­
nale du président des Etats­Unis,
Jake Sullivan, a écarté l’hypo­
thèse de résultats à court terme,
« parce que si vous en attendez de
vraiment importants, vous ris­
quez de patienter longtemps », a­
t­il estimé le 7 juin, avant le dé­
part de la délégation américaine
en Europe. Aucune conférence
de presse commune entre les
deux dirigeants n’est d’ailleurs
prévue. Niant toute « récom­
pense » accordée à Moscou par
la simple tenue du sommet, Jake
Sullivan en a résumé l’objectif
de manière lapidaire : « Pouvoir
regarder le président Poutine
dans les yeux et lui dire : “voici les
attentes américaines” ».
Celles­ci ont été formulées dès
l’annonce de ce rendez­vous : une
relation « stable et prévisible ».
Un vœu pieux, selon Michael
McFaul, ancien ambassadeur des
La Russie, un dossier familier pour le président américain
Joe Biden s’est rendu à plusieurs reprises à Moscou, mais, avec l’actuel chef du Kremlin, qualifié de « tueur », le courant n’est jamais passé
washington ­ correspondant
E n un demi­siècle de vie pu­
blique, Joe Biden a consacré
beaucoup de temps aux
questions internationales. Dans
ce domaine, Moscou a toujours
été pour lui un sujet central de pré­
occupation, avec deux constan­
tes : la volonté de dialoguer mal­
gré les obstacles, et la préémi­
nence de la limitation des arme­
ments sur tous les autres dossiers.
Le démocrate effectue sa pre­
mière visite en URSS en 1973,
un an après son élection au Sénat.
Il y revient en août 1979, au sein
de l’une des délégations améri­
caines venue discuter de l’accord
de désarmement SALT 2. Il n’a que
36 ans, mais il retire les dividen­
des d’avoir été le premier sénateur
à apporter son soutien à Jimmy
Carter avant la victoire à la prési­
dentielle de ce dernier en 1976. Les
séances avec les officiels russes
permettent à Biden de se familia­
riser avec leur façon de penser.
Il racontera plus tard, en 2011,
comment le chef du gouver­
nement soviétique, Alexeï Kos­
Etats­Unis à Moscou, entre 2012 et
2014. « À en juger par ses actions,
Poutine ne veut pas d’une relation
stable, prévisible ou normale avec
Washington. Il a besoin des Etats­
Unis comme ennemi », a­t­il écrit
dans le Washington Post, le 3 juin.
Deux visions s’affrontent en ef­
fet, irréconciliables. Vladimir
Poutine conteste depuis vingt
ans l’hégémonie recherchée, se­
lon lui, par les Etats­Unis dans les
affaires du monde, l’avancée de
l’OTAN jusqu’aux frontières rus­
ses, ou le soutien aux « révolu­
tions de couleur » dans son voisi­
nage. Alors que toute voix criti­
que est étouffée en Russie, le
Kremlin refuse dorénavant tout
dialogue sur les droits de
l’homme. La dernière astuce rhé­
torique de M. Poutine consiste à
prendre la défense des sympathi­
sants de l’ancien président Do­
nald Trump, présentés comme
pacifiques, qui avaient pris d’as­
saut le Capitole à Washington, le
6 janvier, pour tenter d’empê­
cher la certification de la victoire
électorale de Joe Biden.
AMBITIONS DÉSTABILISATRICES
Face à lui, la nouvelle adminis­
tration américaine place au
cœur de sa politique étrangère la
défense des démocraties contre
les régimes autoritaires comme
le sien. Elle constate que l’acti­
visme du président russe ne se li­
mite plus aux interventions
dans sa zone d’influence immé­
diate, comme en Géorgie (2008)
et en Ukraine (2014), auxquelles
s’ajoute la protection accordée
à Alexandre Loukachenko, qui
mène une répression sans merci
en Biélorussie.
syguine, l’avait à l’époque accueilli
au Kremlin. « Avant de commencer
notre discussion, sénateur, conve­
nons que nous ne vous faisons pas
confiance, et vous ne nous faites
pas confiance. Et nous avons tous
les deux de bonnes raisons », se rap­
pelle alors l’ancien sénateur de­
venu vice­président. Dans les sou­
venirs de Joe Biden figurait la pré­
sence du secrétaire général du
Parti communiste de l’Union so­
viétique, Leonid Brejnev, « qui était
plus malade que nous ne pen­
sions » et s’était retiré rapidement.
L’illusion d’un « reset »
En 1988, Joe Biden effectue une
nouvelle visite à Moscou. Fait pro­
tocolaire inhabituel, le sénateur
obtient que son fils, Hunter, alors
âgé de 18 ans, assiste à sa rencontre
avec Andreï Gromyko, président
du Soviet suprême. Au cœur des
discussions : le traité sur les for­
ces nucléaires de portée intermé­
diaire, signé fin 1987 par Ronald
Reagan et Mikhaïl Gorbatchev.
Après l’implosion de l’Union so­
viétique, en 1991, d’autres théâtres
d’opération absorbent le sénateur,
Le président
américain,
Joe Biden,
à Bruxelles,
le 13 juin.
BRENDAN SMIALOWSKI/AFP
Les ingérences prêtées par le
renseignement américain à la
Russie lors des élections prési­
dentielles américaines de 2016
et de 2020, comme le piratage
de la firme informatique So­
larWinds, qui a touché des insti­
tutions et agences de l’adminis­
tration américaine en 2020, ont
mis en évidence, selon Washing­
ton, les ambitions déstabilisatri­
ces de Moscou. Cette dernière, en­
fin, a profité des circonstances
pour accroître son influence au
Moyen­Orient comme en Afri­
que. Ces tensions, suivies d’une
série de sanctions et d’expulsions
réciproques de diplomates, ont
notamment les Balkans, où il dé­
fend la Bosnie contre la Serbie sou­
tenue par la Russie. En juin 2001,
lorsque le nouveau président
américain George W. Bush ren­
contre pour la première fois son
homologue russe Vladimir Pou­
tine en Slovénie, il assure l’avoir
regardé « dans les yeux » et avoir vu
« son âme ». Devenu entre­temps
président de la puissante commis­
sion des affaires étrangères du
Sénat, Joe Biden affiche son désac­
cord. « Je ne fais pas confiance à
Poutine », commente­t­il.
Il est proche, sur ce dossier, du
« faucon » républicain John Mc­
Cain, sénateur de l’Arizona, qui
assurera plus tard lire dans le re­
gard du président russe « trois let­
tres : un K, un G, et un B ». En 2004,
Joe Biden met en garde contre
une dérive russe vers l’autorita­
risme au nom de la lutte contre le
terrorisme, mâtinée de préda­
tion oligarchique. Elle remet en
cause, selon lui, la présence de la
Russie au sein du G8.
Lorsqu’il accède à la vice­prési­
dence, en janvier 2009, le bourbier
irakien l’accapare. Il faut attendre
précipité les relations entre les
deux pays, au plus bas depuis la
fin de la guerre froide, un constat
qui fait l’unanimité.
Paradoxalement, l’arrivée de
Joe Biden et sa volonté de nouer
un dialogue pragmatique avec la
Russie favorisent, en théorie,
une relation de travail plus saine
et claire. L’ère Trump a été mar­
quée notamment par un som­
met surréaliste en Finlande avec
M. Poutine, en juillet 2018. Le
président américain s’était alors
rangé aux côtés de son homolo­
gue pour critiquer ses propres
services de renseignement,
avant de faire machine arrière
mars 2011 pour que le démocrate
effectue son retour à Moscou.
Quelques mois plus tôt, il a œuvré
à la ratification par le Congrès du
nouveau traité Start, limitant les
arsenaux nucléaires. L’ambiance
est plutôt détendue. Règne encore
l’illusion d’un « reset », voulu par
Barack Obama pour faire conver­
ger les intérêts des deux pays. Le
premier ministre Vladimir Pou­
tine – la présidence est alors occu­
pée par Dmitri Medvedev – pro­
pose même une levée des visas de
part et d’autre. L’adhésion de la
Russie à l’Organisation mondiale
du commerce est sur la table.
Au cours d’une rencontre avec
les étudiants à l’université de Mos­
cou, Joe Biden multiplie les anec­
dotes sur son histoire personnelle
avec la Russie. Mais il invite aussi
son auditoire à ne pas « faire de
compromis sur les éléments de
base de la démocratie », après avoir
vanté le mérite d’une presse libre
et d’élections pluralistes. Il reçoit,
à l’ambassade des Etats­Unis, des
membres de la société civile et de
l’opposition, un affront pour le
premier ministre russe.
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
face au tollé à Washington. La
LA RUSSIE N’EST PAS UN  Russie était devenue un sujet de
RIVAL STRATÉGIQUE POUR  polémique sans fin, un thème de
mobilisation obsessionnel du
LES ÉTATS­UNIS  camp démocrate.
« Aujourd’hui, le seul sens de ce
COMPARABLE À LA CHINE,  sommet de Genève consiste à
surmonter la période paranoïa­
MAIS SES CAPACITÉS  que et anormale commencée à
DE NUISANCE LA RENDENT  la fin de l’ère Obama, explique
Fiodor Loukianov, expert russe
NÉANMOINS  des relations internationales.
C’était une farce irrationnelle,
INCONTOURNABLE avec une défiance mutuelle cau­
sée par des reproches d’ingérence
dans les affaires intérieures, des
deux côtés. Il s’agit de normaliser
et stabiliser la confrontation. »
Un an après cet ultime voyage Poutine puisse faire militairement
à Moscou, Vladimir Poutine est pour modifier fondamentalement
de retour au Kremlin. Une nou­
velle vague de répression est dé­
clenchée contre ces opposants.
En 2014, l’annexion de la Crimée
par la Russie marque un chan­
les intérêts américains », assure le
vice­président de Barack Obama.
Pendant les années qui suivent,
les ingérences électorales et les
attaques informatiques prêtées
gement définitif d’époque. Les à la Russie se multiplient aux
sanctions pleuvent et la Russie Etats­Unis. Dans un article publié
est évincée du G8. A l’été, dans un par la revue Foreign Affairs
article publié dans le New Yorker, en 2018, Joe Biden dresse un por­
Joe Biden revient sur sa rencon­ trait sans concession de la Russie
tre de 2011 avec Vladimir Poutine. de Vladimir Poutine. « Pour sau­
« Je lui ai dit : “monsieur le Premier vegarder son système kleptocrati­
Ministre, je vous regarde au fond que, le Kremlin a décidé de mener
des yeux, et je ne pense pas que le combat au­delà de ses frontiè­
vous avez une âme.” » Selon son res pour attaquer ce qu’il perçoit
récit, Vladimir Poutine aurait comme la plus grande menace
souri et répondu : « Nous nous extérieure à sa survie : la démo­
comprenons l’un l’autre. » cratie occidentale », estime­t­il.
En mars, lorsqu’un journaliste a
« Personne n’est notre égal » demandé au président américain
Dans le même article, Joe Biden si son homologue russe était
minore pourtant le défi posé par « un tueur », il a répondu par l’af­
le dirigeant russe. « Nous ne pen­ firmative. Il a tempéré son pro­
sons plus en termes de guerre pos lundi 14 juin à Bruxelles, en
froide, pour plusieurs raisons. Tout marge d’un sommet de l’OTAN,
d’abord, personne n’est notre égal. en le qualifiant d’« adversaire res­
Personne n’en est proche. A part pectable », à la fois « brillant » et
être assez fou pour appuyer sur un « dur ». Le décor est planté. 
bouton [nucléaire], il n’y a rien que g. p. et p. sm. (à paris)
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
La Russie n’est pas un rival
stratégique pour les Etats­Unis
comparable à la Chine, mais ses
capacités de nuisance la rendent
néanmoins incontournable, bien
plus que pendant les deux man­
dats de Barack Obama, dont Joe
Biden était le vice­président. « On
est dans une situation volatile,
dangereuse, dans laquelle il faut
absolument maintenir des canaux
de communication », estime une
source diplomatique à Berlin.
MATCH DE BOXE
L’idée même d’un tel sommet à
l’ancienne, à la dramaturgie en­
tretenue par les médias du
monde entier tel un match de
boxe, accorde à la Russie un statut
de grande puissance, alors que la
réalité économique la place dans
une catégorie inférieure. La stra­
tégie qui se dessine à Washington
est une combinaison d’endigue­
ment et de coopération ponc­
tuelle sur les sujets où les intérêts
des deux puissances sont similai­
res, comme sur le programme
nucléaire iranien, au cœur des né­
gociations à Vienne depuis avril.
A l’approche du rendez­vous,
Joe Biden a soigneusement mis
en scène les concertations avec
ses alliés et partenaires. Il s’est en­
tretenu avec Volodymyr Zelensky,
le président ukrainien, invité cet
été à la Maison Blanche, en signe
de l’attachement américain à la
souveraineté de son pays. Le som­
met de l’OTAN, le 14 juin, devait,
lui, servir à afficher une cohésion
et des convergences vis­à­vis de la
Russie. Celles­ci avaient manqué
lorsque le président français,
Emmanuel Macron, avait initié,
seul, son dialogue stratégique
avec Moscou, à l’été 2019. L’em­
poisonnement de l’opposant
Alexeï Navalny a sonné le glas de
cette démarche française, qui
n’avait pas produit de résultat.
Aujourd’hui, Paris veut faire en­
tendre la voix européenne sur le
contrôle des armements.
Lors d’une rencontre avec les
agences de presse, le 4 juin, en
marge du Forum économique de
Saint­Pétersbourg, Vladimir Pou­
tine a souligné à plusieurs repri­
ses l’expérience de Joe Biden. Il a
cité lui aussi trois points possi­
bles d’entente avec les Etats­
Unis : le climat, les conflits régio­
naux, en particulier au Moyen­
Orient, et enfin la limitation des
armements. Mais lesquels ? En
l’absence de toute négociation
sur le sujet depuis dix ans, bien
des bouleversements technolo­
giques ont eu lieu : dans l’espace,
le domaine cyber, ou encore ce­
lui des missiles hypersoniques,
possédés par la Russie.
Dès son entrée à la Maison Blan­
che, Joe Biden a décidé la recon­
duction pour cinq ans du traité
New Start. Ce texte limite le nom­
bre de têtes et de lanceurs nu­
cléaires déployés par la Russie et
les Etats­Unis. Mais le reste de
l’architecture de contrôle des ar­
mements semble à terre. En 2002,
George W. Bush avait retiré les
Etats­Unis du traité Anti­Ballistic
Missile, qui a pour objet la limita­
tion des systèmes de défense an­
timissiles. En 2007, la Russie a fait
de même avec le traité FCE, enca­
drant les armes conventionnel­
les. Puis, en 2019, c’était au tour
de M. Trump de dénoncer – à la
suite d’une violation russe – le
traité sur les forces nucléaires in­
termédiaires (FNI), qui concernait
les armes d’une portée de 500 à
5 500 kilomètres. Enfin, les deux
pays se sont successivement reti­
rés du traité Ciel ouvert, qui per­
met des vols de reconnaissance
entre 34 pays signataires.
Cet effondrement des structu­
res d’échanges entre spécialistes
accentue encore la défiance
mutuelle et le risque d’escalade
hors de contrôle. Aujourd’hui,
un nouveau système de sécurité
doit être érigé, en tenant compte
des armements dernier cri et des
puissances nucléaires émergen­
tes, comme la Chine. Genève ne
peut être la solution miracle.
Tout juste la traduction d’une
volonté en partage, celle de ne
pas livrer le monde à la suren­
chère nucléaire. 
gilles paris
et piotr smolar (à paris)
Le Kremlin, sans illusions, en quête
de « respect géopolitique »
L’annonce même d’une rencontre entre Poutine et Biden a été perçue comme une victoire
moscou ­ correspondant
A vant sa rencontre avec
son homologue améri­
cain, le 16 juin à Genève,
Vladimir Poutine multiplie les in­
terviews, et cette loquacité inhabi­
tuelle est sans doute le signe le
plus flagrant des attentes limitées
de la partie russe. A la télévision
russe, le chef du Kremlin l’a même
dit clairement : pas de « percée » à
attendre de ce sommet, mais une
prise de contact, « rétablir [les] re­
lations personnelles [avec Joe Bi­
den, qui l’avait traité publique­
ment de « tueur »], améliorer le
dialogue direct, créer des méca­
nismes fonctionnels sur les sujets
qui sont d’intérêt commun ».
Dans un entretien, diffusé lundi
par la chaîne américaine NBC,
M. Poutine s’est surtout attaché à
déminer les éventuels sujets de
contentieux : non, la Russie n’a
pas cherché à interférer dans les
élections américaines ni mené de
cyberattaques contre Washington
– « Je suis étonné qu’on ne nous ait
pas accusés d’avoir provoqué le
mouvement Black Lives Matter
[« les vies noires comptent »] »,
a­t­il ironisé. Il a également nié
toute tentative d’assassinat de
l’opposant Alexeï Navalny – « Nous
n’avons pas ce genre d’habitudes. »
Ce ton désabusé vis­à­vis du
« partenaire américain » est une
constante de la diplomatie russe
depuis l’arrivée de Joe Biden à la
Maison Blanche. Au­delà de la
posture, il y a la conviction que la
confrontation est là pour durer.
En témoignent les espoirs déçus
de la présidence Trump, marquée
par la multiplication des sanctions
de part et d’autre.
Sergueï Lavrov l’a répété le 9 juin,
s’agissant du sommet de Genève :
« Nous n’avons pas d’attentes dé­
mesurées quant à des percées, pas
d’illusions », prévenait le chef de la
diplomatie russe, soulignant seu­
Les Étincelles
du Palais de la découverte
Ouverture le 9 juin
RÉSERVATION
IMPÉRATIVE
palais-decouverte.fr
lement « la nécessité d’un échange
de vues (…) entre deux grandes
puissances nucléaires ».
L’attitude russe a une autre ex­
plication : pour Moscou, l’essentiel
a d’ores et déjà été obtenu. L’an­
nonce même d’une rencontre en­
tre les deux présidents, qui plus
est à l’initiative de M. Biden, a été
perçue côté russe comme une vic­
toire. Les médias d’Etat l’ont trai­
tée avec triomphalisme. Un séna­
teur du parti au pouvoir a été jus­
qu’à estimer que Joe Biden avait
« perdu ses nerfs », puisqu’il a suffi
que la Russie masse des troupes
aux frontières de l’Ukraine, en
avril, pour obtenir un tel résultat.
Les observateurs proches de l’op­
position sont arrivés à la même
conclusion, eux avec amertume.
Références à la guerre froide
« Biden assurait d’abord qu’il n’y
avait plus rien à discuter avec la
Russie et que ce n’était pas si grave,
rappelle le politiste Kirill Rogov.
Puis il propose cette rencontre. C’est
une reconnaissance du rôle de
Moscou comme acteur incontour­
nable, quand bien même ce rôle se­
rait négatif, bâti sur la menace. Or,
c’est précisément sur ces questions
de statut international que Poutine
bâtit son capital politique à l’inté­
rieur de la Russie. »
Avant le sommet, le Kremlin a
fait monter les enchères. Le
10 juin, un accord russo­américain
permettant la libre circulation des
diplomates dans le pays parte­
naire a été dénoncé ; le lendemain,
de nouvelles manœuvres ont été
annoncées en Crimée ; et Paul
Whelan, l’Américain condamné
pour espionnage, a été placé sur la
liste des détenus susceptibles de
s’évader, ce qui implique une dé­
gradation de ses conditions de dé­
tention. Lundi, interrogé par NBC,
M. Poutine n’a pas exclu un
échange entre ressortissants des
deux pays emprisonnés.
Jardin Caroline-Aigle • 186 rue Saint-Charles • 75015 Paris
international | 3
« L’ISOLEMENT EST  sée à M. Poutine : « Si les traces
PARFAITEMENT ASSUMÉ 
PAR LE RÉGIME POUTINE, 
ET IL EST DANS 
SON INTÉRÊT »
KIRILL ROGOV
politiste
Même peu ambitieux, l’agenda
de la rencontre devrait aller plus
loin, avec comme objectif non une
désescalade, mais, selon les mots
de Fiodor Loukianov, de « rationa­
liser la confrontation, de lui poser
des règles, comme du temps de la
guerre froide ». Ce n’est d’ailleurs
pas un hasard si cette référence à la
guerre froide a été faite par plu­
sieurs responsables russes. L’ex­
premier ministre Dmitri Medve­
dev estime ainsi que « la situation
actuelle est pire que du temps de la
crise des missiles de Cuba, parce
que [leurs] partenaires se permet­
tent de négliger la Russie ».
Pour M. Loukianov, rédacteur en
chef de la revue Russia in Global
Affairs, proche du pouvoir, la pre­
mière de ces règles à poser con­
cerne la sanctuarisation des affai­
res intérieures dans les deux pays :
« C’est là qu’est le premier front,
dit­il, ce sentiment partagé que
l’autre essaie d’intervenir chez soi.
C’est aussi pour ça que Biden aura
beau parler des droits de l’homme
ou du cas d’Alexeï Navalny, ce sera
inaudible pour Poutine. »
Restent surtout les sujets de sta­
bilité stratégique, largement évo­
qués dans les deux capitales ces
derniers jours : une relance du
contrôle des armements – pour
l’heure le seul ayant donné des
résultats sous l’administration
Biden –, la non­prolifération nu­
cléaire, le cyber… A la télévision
russe, une question à l’euphé­
▶▶▶
misme significatif a ainsi été po­
d’une cyberattaque mènent à un ci­
toyen russe qui, seul derrière son
écran dans une ville de province,
fait des choses pas très bien, seriez­
vous prêt à le trouver et à le punir ? »
Au chapitre des sujets de dis­
cussion, le président russe a aussi
évoqué, sans s’appesantir, les
conflits libyen ou syrien, mais pas
l’Ukraine ou la Biélorussie, qui
semblent entrer de fait dans la ca­
tégorie des affaires intérieures.
« Leader d’une superpuissance »
L’ex­diplomate Vladimir Frolov,
qui relève lui aussi le succès d’un
Poutine reconnu « leader d’une
superpuissance », résume les de­
mandes russes à une exigence de
« respect géopolitique » : « Les réfé­
rences à la guerre froide évoquent
aussi un temps où les dirigeants
des deux pays conservaient des
instances de dialogue et n’impo­
saient pas de sanctions personnel­
les aux représentants des élites.
Pour autant, les dirigeants russes
ne veulent en aucun cas d’une dé­
tente qui pourrait les forcer à une
ouverture politique. »
« L’isolement est parfaitement
assumé par le régime Poutine, et
il est dans son intérêt », renchérit
M. Rogov. L’expert en armement
Alexandre Golts va plus loin, dou­
tant de la volonté russe d’aller vers
un contrôle des armements. Sur le
site EJ, M. Golts rappelle une autre
rencontre genevoise, celle de Ro­
nald Reagan et de Mikhaïl Gorbat­
chev, en 1985 : « Les deux avaient
pour but de réduire les arsenaux
nucléaires et de permettre ainsi la
coexistence de deux systèmes con­
currents. Aujourd’hui, le nucléaire
est le dernier instrument permet­
tant à Poutine de rester au sommet
des relations internationales. Il rap­
pelle en toute occasion sa capacité
à brûler la planète. » 
benoît vitkine

4 | international
LA  VISITE  DE  JOE  BIDEN  EN  EUROPE
La Chine, « défi
systémique »
pour l’OTAN
L’Alliance reproche à Pékin de
développer son arsenal nucléaire
et de coopérer avec la Russie
bruxelles ­ bureau européen
I
ls avaient sans doute quel­
ques réticences, mais ils
n’ont pas voulu troubler
l’ambiance très positive des
retrouvailles avec un partenaire
américain revenu à de bonnes
intentions à leur égard : les mem­
bres européens de l’OTAN ont ap­
prouvé en cosignant, lundi 14 juin
lors d’un sommet à Bruxelles, un
communiqué final indiquant que
la Chine représentait désormais
un « défi systémique » pour l’ordre
mondial et la sécurité de l’Alliance
atlantique. Après l’élection de Joe
Biden, son administration avait
fait passer au quartier général de
l’OTAN un message, aussitôt re­
layé par son secrétaire général,
Jens Stoltenberg : l’Alliance devrait
mettre sur le même pied les me­
naces chinoise et russe.
Lundi, la chancelière alle­
mande, Angela Merkel, s’est mon­
trée, comme d’habitude, pru­
dente, mais elle a invité à ne pas
renoncer à une position « équili­
brée » à l’égard de Pékin. Lors de
sa conférence de presse finale,
Emmanuel Macron appelait, lui,
l’OTAN à ne pas se détourner de
ses missions essentielles, à ne
pas « confondre les objectifs », à ne
pas « biaiser » la relation avec la
Chine. Il y a quelques jours, il sou­
lignait, sur le ton de l’ironie, que
la Chine n’était pas, a priori, dans
le rayon d’action d’une Alliance
appelée à défendre le territoire
européen. Le défi de Pékin n’est
pas seulement militaire, ajou­
tait­il, et, si la Chine est une rivale,
elle est aussi un partenaire indis­
pensable pour résoudre de
grands problèmes du moment,
climatiques par exemple.
Charles Michel et Ursula von der Leyen, une rivalité permanente
Depuis leur entrée en fonctions en 2019, le duo exécutif européen se bagarre pour le même fauteuil, celui de « président de l’Europe »
bruxelles ­ bureau européen
T out était millimétré
pour ce sommet Etats­
Unis ­ Europe qui, mardi
15 juin, à Bruxelles, devait symboli­
ser la relance des relations transat­
lantiques, après les difficiles an­
nées Trump. Charles Michel, le
président du Conseil, et Ursula
von der Leyen, son homologue à la
Commission, n’avaient pas le droit
à l’erreur et, quand bien même
leurs relations sont abrasives, ils
ne pouvaient se permettre d’expo­
ser une nouvelle fois leur mésen­
tente. Face à Joe Biden, l’ancien
chef du gouvernement belge
comme l’ex­ministre d’Angela Me­
rkel se devaient d’offrir l’image
d’une Europe unie.
Au sein des institutions commu­
nautaires et dans les capitales, leur
« guéguerre » permanente pour
être celui qui incarne l’Europe aux
yeux du monde alimente la chro­
nique depuis des mois. Mais c’est à
l’occasion de leur visite au prési­
dent turc Recep Tayyip Erdogan,
à Ankara, le 6 avril, qu’elle est ap­
parue au grand jour. Les images
ont tourné en boucle, montrant
deux fauteuils installés pour
M. Michel et son hôte, tandis que
La très longue déclaration finale
adoptée lundi évoque, en tout cas,
les « préoccupations » à l’égard
d’un pays qui développe à grande
vitesse son arsenal nucléaire et
« coopère militairement avec la
Russie, en participant notamment
aux exercices russes dans la zone
euroatlantique ». Un « dialogue
constructif » se poursuivra donc,
quand ce sera « possible », à condi­
tion que Pékin respecte des enga­
gements clairs dans divers domai­
nes (maritime, spatial, cyber…).
De son côté, Pékin a accusé
mardi l’OTAN d’exagérer « la théo­
rie de la menace chinoise ». Dans
un communiqué, l’ambassade de
Chine auprès de l’UE estime que
l’organisation fait preuve d’une
« mentalité de guerre froide » et
cherche à « créer artificiellement
des confrontations ».
« Dialogue exigeant »
Deux jours avant sa rencontre
avec Vladimir Poutine à Genève,
Joe Biden a également été assuré
de la fermeté de ses partenaires
à l’égard de la Russie. Même si,
dans ce domaine aussi, Berlin et
Paris, notamment, rappellent
toujours la nécessité de ne pas re­
noncer à un « dialogue exigeant »
avec le Kremlin. Emmanuel Ma­
cron insiste, par ailleurs, sur le
fait que les Européens ne peu­
vent être écartés d’une discus­
sion sur la maîtrise des arme­
ments, laquelle les concerne en
premier lieu et ne peut se résu­
mer, dit­il, à un tête­à­tête entre
les présidents russe et américain.
« La volonté des Européens est de
définir eux­mêmes et pour eux­
mêmes les termes de ce contrôle
des armements pour ce qui con­
cerne le sol européen. »
Mme von der Leyen se retrouvait à
l’écart sur un canapé, après avoir
ostensiblement manifesté sa ré­
probation à coups de « hum,
hum ». Le hashtag #sofagate allait
se répandre comme une traînée
de poudre sur les réseaux sociaux.
D’un strict point de vue protoco­
laire, l’épisode d’Ankara n’a pas dé­
rogé à la règle. Un accord institu­
tionnel du 1er mars 2011 établit, en
effet, que le président du Conseil
vient avant celui de la Commis­
sion. Par ailleurs, la Commission,
contrairement au Conseil, n’avait
pas jugé utile d’envoyer son ser­
vice du protocole en Turquie.
Le « sofagate », un révélateur
Qu’importe, l’occasion était trop
belle. Malgré les appels à l’apaise­
ment lancés par les Vingt­Sept, qui
préfèrent que le linge sale se lave
en famille, Mme von der Leyen et
son entourage ont savamment ali­
menté les accusations de sexisme
à l’endroit de M. Michel. « Je suis la
première femme présidente de la
Commission et je souhaite être trai­
tée comme présidente de la Com­
mission. A Ankara, cela n’a pas été
le cas et c’est arrivé parce que je suis
une femme », a­t­elle soutenu au
Parlement européen, le 26 avril.
Le président se réjouissait par
ailleurs que le principe de l’auto­
nomie stratégique de l’Europe ait,
selon lui, été reconnu – notam­
ment par M. Biden – pour « sa co­
hérence et sa contribution à
l’OTAN ». Le Néerlandais Mark
Rutte a en revanche marqué nette­
ment ses distances avec ce propos.
Pas de quoi gâcher l’ambiance
d’une réunion au cours de la­
quelle la présence du président Bi­
den aura eu l’effet attendu. Et tota­
lement inverse de celui qu’avait
provoqué Donald Trump en 2019 :
cette fois, c’est « apaisement » qui
aura été le mot le plus entendu
lors de cette rencontre entre les
trente pays membres.
« Apaisement », avec un prési­
dent démocrate venu dire à ses
partenaires que, pour lui, l’arti­
cle 5, soit la clause garantissant
la défense mutuelle entre alliés,
était « sacré ». Et que, à nouveau,
« les Etats­Unis [étaie]nt là » pour
les Européens. « Apaisement » en­
tre Emmanuel Macron et le prési­
dent turc, Recep Tayyip Erdogan,
qui s’interrogeait naguère sur « la
santé mentale » de son homolo­
gue. Désormais, les deux diri­
geants seraient prêts à « travailler
ensemble » pour tenter de résou­
dre les crises libyenne et syrienne
ainsi que leurs aspects humani­
Depuis que M. Michel et
Mme von der Leyen ont pris leurs
fonctions le 1er décembre 2019, ces
deux ego démesurés se battent
pour le même fauteuil : celui de
« président de l’Europe » sur la
scène internationale. En la ma­
tière, les textes prévoient un par­
tage des rôles complexe. Le prési­
dent du Conseil représente
l’Union européenne (UE) pour les
« matières relevant de la politique
étrangère et de sécurité com­
mune », précise l’article 15 du
traité sur l’UE. Mais c’est la Com­
mission qui est responsable du
volet externe des politiques com­
munautaires – et qui a la main sur
le budget. A ce titre, elle négocie
les accords internationaux, qu’il
s’agisse de l’union douanière avec
la Turquie, des sujets migratoires
ou des relations commerciales.
« Ce qui s’est déroulé est plus
qu’un incident de protocole, c’est un
révélateur », estime, dans une note
de l’institut belge Egmont, Fran­
çois Roux, ex­chef de cabinet de
M. Michel au Conseil au début de
son mandat. Dans La Libre Belgi­
que le 23 avril, ce diplomate évo­
quait, à propos du « sofagate », « les
questions d’ego et les ambitions
personnelles » de M. Michel et
PÉKIN A ACCUSÉ  de l’OTAN, même si le Grec Ky­
L’OTAN D’EXAGÉRER LA  riakos Mitsotakis déplore l’atti­
« THÉORIE DE LA MENACE  muscles ».
CHINOISE », ÉVOQUANT  Ankara et Washington, du moins
UNE « MENTALITÉ  après une entrevue entre M. Erdo­
DE GUERRE FROIDE »
taires. En Libye, ils entendent pro­
téger le cessez­le­feu et favoriser
de futures élections. Et M. Erdo­
gan aurait indiqué sa volonté de
voir les mercenaires russes et sy­
riens quitter « le plus rapidement
possible » le pays.
M. Macron dit également avoir
apporté à son interlocuteur des
« clarifications » sur la place de l’is­
lam en France. Oubliées donc,
semble­t­il, les critiques turques
après les propos du président
français sur le séparatisme isla­
miste. Quant au sort de Fabien
Azoulay, un Français condamné
en 2017 à seize ans de prison pour
détention de stupéfiants, « les
conditions de son transfèrement
avancent », dit M. Macron.
« Apaisement » présumé, tou­
jours, entre la Grèce et la Turquie,
avec l’évocation d’une « revitali­
sation » de la relation entre ces
Mme von der Leyen. Qu’ils « n’aient
pas compris qu’ils étaient obligés
de s’entendre est une erreur », tran­
che M. Roux.
Dès son arrivée à Bruxelles,
Mme von der Leyen avait prévenu.
Sa Commission serait « géopoliti­
que ». D’ailleurs, à peine installée,
elle se rendait, le 7 décembre 2019,
en Ethiopie pour une visite auprès
des plus hautes autorités du pays,
mais aussi de celles de l’Union afri­
caine, dont le siège est à Addis
Abeba. M. Michel lui emboîtait le
pas, en février 2020, lors du som­
met annuel de l’Union africaine.
Jeune quadragénaire, ambitieux,
ce mordu de politique depuis son
plus jeune âge prépare son avenir.
A la présidence du Conseil, il peut
approfondir des relations avec les
dirigeants européens et extra­
européens, qu’il avait, pour certai­
nes, déjà nouées quand il était pre­
mier ministre. Pas question de
laisser de l’espace à la présidente
de la Commission, plus visible.
Plan de relance, achats de vaccins
au nom des Vingt­Sept, Green
Deal : c’est Mme von der Leyen qui
incarne ces projets, avec un art du
discours et des interventions mé­
diatiques que M. Michel a des rai­
sons de lui envier.
deux partenaires du flanc sud
tude d’« autocrates gonflant leurs
« Apaisement », toujours, entre
si l’on en croit les propos entendus
gan et le locataire de la Maison
Blanche. « Une très bonne réu­
nion », a commenté ce dernier à
l’issue d’une conversation d’une
heure. M. Biden a été invité à An­
kara et aurait promis de s’y rendre
si son agenda chargé le lui permet­
tait. En réalité, l’entretien n’a pas
permis de surmonter les diver­
gences de vues qui demeurent
après l’acquisition par Ankara de
systèmes de missiles russes S­400,
ce qui avait entraîné l’exclusion de
la Turquie du programme de déve­
loppement de l’avion de combat
américain F­35. M. Erdogan a aussi
plaidé – en vain – pour la fin du
soutien de Washington aux mili­
ces kurdes de Syrie.
La question du retrait complet
des troupes américaines d’Afgha­
nistan d’ici au 11 septembre était
un autre thème de discussion – un
sujet potentiellement polémique,
diverses capitales européennes re­
prochant à la nouvelle administra­
tion américaine d’avoir pris cette
Chaque événement internatio­
nal offre potentiellement au duo
l’occasion de discussions sans fin.
Comme lorsqu’il s’est agi de déter­
miner qui devait débattre du
Brexit – par visioconférence – avec
le premier ministre britannique,
Boris Johnson, le 15 juin 2020.
Finalement, les trois présidents
des institutions – Ursula von der
Leyen, Charles Michel et David
Sassoli, leur homologue du Parle­
ment – ont été de la partie. Mais
l’équipe du Conseil s’est précipitée
sur les réseaux sociaux pour avoir
la primeur de l’annonce de cette
conversation… C’est à cette occa­
sion que M. Roux, exaspéré, a
quitté le cabinet de M. Michel.
Concurrence et chamailleries
La concurrence entre les deux cô­
tés de la rue de la Loi, qui sépare
les bâtiments de la Commission
et du Conseil, va souvent se nicher
dans les petits détails. Les prési­
dents auraient même un jour dis­
cuté pour savoir lequel des deux
s’installerait au premier rang
d’un avion… Parfois, ils n’arrivent
même pas à publier un communi­
qué commun, comme lors de la
conférence de Berlin sur la guerre
en Libye, en janvier 2020.
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
Au siège
de l’OTAN,
à Bruxelles,
lundi 14 juin.
JACQUES WITT/AP
décision sans aucune concerta­
tion préalable. La Turquie a, elle,
proposé d’assurer la protection de
l’aéroport de Kaboul si les Etats­
Unis lui versaient une aide finan­
cière. L’OTAN promet un finance­
ment transitoire « pour que le pays
reste relié au reste du monde ».
« Aider les Afghans »
Pour le reste, le retrait des troupes
« ne signifie pas la fin des relations
avec l’Afghanistan », dit le com­
muniqué final. « Nous continue­
rons à aider les Afghans » assure
M. Stoltenberg. L’Alliance entend
notamment conserver un haut
représentant civil sur place, et les
forces armées du pays continue­
ront d’être soutenues et formées.
Un autre fait a marqué cette jour­
née de retrouvailles : l’absence de
toute allusion au « burden sha­
ring » (le « partage du fardeau fi­
nancier »), un thème réitéré du­
rant quatre années par l’adminis­
tration Trump. M. Biden est passé
rapidement sur le sujet, souli­
gnant que dix pays européens at­
teignaient désormais l’objectif de
2 % de leur produit intérieur con­
sacrés à la défense, les autres étant
« en bonne voie ». Ce n’est pas tout
à fait vrai, mais cela a détendu un
peu plus encore l’atmosphère. 
jean­pierre stroobants
Une scène, filmée en mars 2020
par le journaliste Yann­Antony
Noghès quand il travaillait à la
réalisation du documentaire Som­
mets consacré aux négociations
européennes, et qu’il n’a pas utili­
sée, est symptomatique. Alors
qu’elle entre dans la « salle blan­
che » du Conseil, qui permet des
communications sécurisées – la
Commission n’en possède pas –,
la présidente, d’habitude si sou­
riante, y apparaît, lèvres serrées et
le visage fermé, pour demander,
sans préalable : « Quelle est la place
que Charles Michel préfère ? »
La dirigeante allemande a refusé
de répondre aux nombreuses sol­
licitations de Yann­Antony No­
ghès, craignant que le documen­
taire ne fasse la part belle à M. Mi­
chel. Dans le même registre,
quand M. Michel a, à l’été 2020,
impulsé le traité international sur
les pandémies, elle a refusé de le
signer. Depuis, il a été rallié par
l’OMS et une vingtaine de diri­
geants, dont Emmanuel Macron,
Angela Merkel et Mario Draghi.
Le plus souvent, ces chamailleries
restent des secrets bien gardés.
Mais, parfois, comme à Ankara,
elles débordent. 
virginie malingre et j.­p. s.

6 | international
A Cucuta, le trafic
des passeurs
armés continue
L’ouverture unilatérale de la frontière
entre la Colombie et le Venezuela n’a pas
résolu l’arrivée continue de migrants
REPORTAGE
cucuta (colombie) ­
envoyée spéciale
L’
homme en bermuda et
bottes porte sur son
dos les femmes qui veu­
lent traverser la fron­
tière sans se mouiller. « Je viens
acheter de l’insuline », explique
Edna, 46 ans, en posant ses pieds
secs sur le sol colombien. Elle ha­
bite, côté vénézuélien, dans le vil­
lage de Palotal. « Nous qui sommes
de la région ne payions que 2 000
pesos [0,40 euro] pour passer, ex­
plique­t­elle. Les gens qui migrent
ou qui transportent des marchan­
dises payent évidemment beau­
coup plus cher. » A qui ? « Aux hom­
mes armés qui sont là », répond­
elle en baissant la voix. Edna ne
connaît ni leur nom ni celui du
groupe auquel ils appartiennent.
Au loin, un vieux camion avance
cahotant sur les cailloux de la ri­
vière. Les « trochas », ces dizaines
de sentiers qui vont du Venezuela
à la Colombie, hors du regard des
autorités, restent très fréquentés.
La frontière longue de 2 200 ki­
lomètres est officiellement fer­
mée aux véhicules depuis 2015.
Mer
des Antilles
Caracas
Barquisimeto
San Cristobal
Cucuta
VENEZUELA
NORTE
DE SANTANDER TACHIRA
Bogota
COLOMBIE
BRÉSIL
ÉQUATEUR
PÉROU
250 km
Bogota, qui l’avait fermée au pas­
sage des individus au début de la
pandémie de Covid­19, vient d’an­
noncer sa réouverture le 2 juin. La
décision n’a pas été prise en
concertation avec Caracas. Entre
la République bolivarienne du
Venezuela et la très à droite Co­
lombie, les relations ont depuis
longtemps tourné au vinaigre.
Parti de la ville de Barquisimeto
quatre jours plus tôt, Giovani a lui
réglé 40 dollars (33 euros) aux
passeurs armés. Une fortune,
pour qui vit au Venezuela où le sa­
laire minimum est de 2,50 dollars.
Giovanni veut atteindre Bogota, à
660 kilomètres de là, à pied. « Ni
la pandémie ni la fermeture de la
frontière n’ont mis fin à l’exode vé­
nézuélien », constate Victor Bau­
tista, secrétaire départemental
aux frontières et à la migration.
« Craintes sanitaires »
Tous les jours, 400 migrants en
moyenne franchissent illégale­
ment la frontière. La Colombie,
où se sont établis plus de 1,7 mil­
lion de Vénézuéliens en cinq ans,
en reçoit 12 000 de plus tous les
mois. Le gros du trafic humain se
fait ici, entre le département co­
lombien du Norte de Santander et
l’Etat vénézuélien du Tachira.
« La fermeture des points de pas­
sage officiels a été un cadeau pour
les groupes armés et autres mafias
qui contrôlent des pans entiers de
la frontière », considère le cher­
cheur Jorge Mantilla, spécialiste
du crime organisé. Les autorités
colombiennes locales l’admet­
tent, en privé. « Les groupes armés
assument en toute impunité les
fonctions étatiques que sont le
contrôle migratoire et le service
des douanes », ironise un fonc­
tionnaire dans la ville colom­
bienne de Cucuta. La situation
n’est pas complètement nou­
Un soldat
surveille le
pont Simon­
Bolivar,
à Cucuta
(Colombie),
le 2 juin.
SCHNEYDER
MENDOZA/AFP
velle : depuis des décennies, les
contrebandiers d’essence, les
trafiquants de drogue, les gué­
rillas et autres mafias ont pignon
sur frontière. « Faut­il que la crise
soit terrible au Venezuela, pour
que les Vénézuéliens migrent dans
un pays comme la Colombie », re­
marque M. Mantilla.
A Bogota, Lucas Gomez, gérant
des frontières, explique : « Nous
avons pris la décision de rouvrir la
frontière pour des raisons écono­
miques. Le secteur privé nous le de­
mandait, notamment dans cette
région industrielle du Norte de San­
tander. Et nous l’avons fait pour des
raisons humanitaires : nous nous
devions de mettre fin à cette migra­
tion irrégulière par les sentiers clan­
destins. » Mais, depuis le 2 juin, les
trois ponts qui relient les villes
frontières de Cucuta et San Cristo­
bal restent déserts ou presque.
Nicolas Maduro a vu dans la
réouverture unilatérale de la fron­
tière un geste inamical de Bogota.
Le président vénézuélien a
d’abord accusé la Colombie de
vouloir propager les nouveaux va­
riants du SARS­CoV­2 dans son
pays. Puis, il a reproché au prési­
dent Ivan Duque, qui est confronté
depuis plus d’un mois à une mobi­
lisation populaire sans précédent,
de chercher à distraire l’attention.
Keiko Fujimori persiste dans son refus de
reconnaître les résultats de la présidentielle
A 99,9 % du dépouillement, Pedro Castillo mène avec une courte avance de 48 000 voix
lima ­ correspondance
E lle avait promis qu’elle
respecterait les résultats
de l’élection présidentielle
du 6 juin. Pourtant, dès le lende­
main du vote, voyant la victoire
lui échapper, Keiko Fujimori, la
candidate de la droite populiste
tendance autoritaire, a lancé une
offensive juridique pour contes­
ter les résultats. D’abord en lan­
çant des accusations de
« fraude systématique » sans fon­
dements, quand tous les observa­
teurs saluaient des élections sans
irrégularités. Puis, en envoyant
ses avocats déposer des deman­
des d’invalidation de quelque
200 000 votes (principalement
pour de supposées falsifications
de signatures), risquant de désta­
biliser un peu plus un pays fragi­
lisé par une des campagnes
électorales les plus agressives et
polarisées de son histoire.
Ainsi, le Pérou n’a toujours pas
de vainqueur officiel. Pedro Cas­
tillo, candidat de la gauche de la
gauche, mène avec une courte
avance de 48 000 voix qui semble
« Les craintes sanitaires du Ve­
nezuela ne sont pas complètement
infondées », rappelle Victor Bau­
tista. La Colombie et ses 50 mil­
lions d’habitants ont enregistré
3,7 millions de cas de Covid­19,
pendant que le Venezuela, moitié
moins peuplé, n’en affiche que
252 000. Le nombre de décès est
respectivement de 96 366 et 2 845.
Les données officielles vénézué­
liennes sont contestées par l’op­
position, qui les considère large­
ment sous­estimés.
« Dépolitiser les relations »
Depuis 2019, les deux gouverne­
ments s’ignorent, Caracas ayant
pris l’initiative, en février, de rom­
pre formellement les relations di­
plomatiques. Un mois plus tôt,
Ivan Duque avait reconnu le lea­
der de l’opposition vénézué­
lienne Juan Guaido comme « pré­
sident par intérim » du Venezuela.
Washington et une cinquantaine
d’Etats – dont la France – avaient
suivi. L’opposition vénézuélienne
tentait alors de faire passer en
force des camions chargés de
nourriture et de médicament
pour discréditer le gouvernement
de M. Maduro. L’opération a
tourné au fiasco. Vingt­huit mois
plus tard, les containers dressés
par les autorités vénézuéliennes
à ce stade irrattrapable. Selon les
estimations du média d’investi­
gation IDL­Reporteros, 38 700 vo­
tes sont en jeu, parmi les 200 000
mentionnés par Mme Fujimori – la
plupart des contestations n’étant
plus recevables car arrivées hors
délai légal. Même si 100 % des vo­
tes contestés étaient annulés,
Pedro Castillo l’emporterait.
Toutefois, l’organisme électoral
n’a pas déclaré de vainqueur offi­
ciel, attendant que le Juré national
des élections (JNE) se prononce
sur les suffrages qui font l’objet de
contestation, d’autant que Fuerza
Popular, le parti de Mme Fujimori,
a menacé de faire appel. Pedro
Castillo, qui avait prononcé plu­
sieurs discours aux allures de vic­
toire dans le courant de la se­
maine passé, s’est dernièrement
montré plus prudent, enjoignant
ses partisans à ne pas céder à la
provocation et à attendre calme­
ment le dépouillement final.
Mais le récit de la fraude a créé de
vives tensions et a eu pour effet de
diviser encore un peu plus la po­
pulation. Samedi 12 juin, des mil­
liers de partisans de Keiko Fuji­
Nicolas Maduro
a accusé Bogota
de vouloir
propager
les nouveaux
variants
du SARS-CoV-2
dans son pays
pour contrer l’entrée des camions
continuent de barrer les ponts qui
séparent les deux pays.
« Le 23 février 2019, le président
Duque est venu faire son grand
show, et promettre devant les ca­
méras du monde entier que les
heures du dictateur Nicolas Ma­
duro étaient comptées. Il est re­
parti en nous laissant une fron­
tière fermée au commerce légal et
des milliers de migrants qui la pas­
sent clandestinement, s’indigne
Eduardo Gomez, qui possède une
petite usine de chaussures. Nico­
las Maduro semble plus solide que
jamais. Et Duque nous a oubliés. »
Des deux côtés de la frontière,
les chefs d’entreprise et les autori­
tés locales demandent la réactiva­
tion du commerce bilatéral.
« Vingt mille emplois pourraient
mori étaient réunis dans le centre
de Lima, la capitale, pour « défen­
dre leur vote » et « la démocratie ».
« Le plus important est que vous ne
capituliez pas », s’est exclamée
Mme Fujimori. Sur les réseaux so­
ciaux, les fujimoristes ont lancé
une campagne de haine, incitant
leurs partisans à harceler des per­
sonnalités publiques critiques de
leur leader, sous la consigne #Cha­
patuCaviar (« attrape ton caviar »,
en référence à la gauche caviar).
« Racisme évident »
En prétendant invalider des mil­
liers de votes, la plupart prove­
nant des zones rurales et pauvres
ayant massivement voté pour
M. Castillo, Keiko Fujimori a fait
preuve d’un comportement anti­
démocratique, raciste et classiste,
estiment de nombreux analystes.
La candidate s’est également at­
tiré les foudres des organisations
autochtones. Ces dernières ont
menacé de marcher vers la capi­
tale pour faire respecter leurs
voix. « D’abord ils nient notre exis­
tence, puis maintenant ils veulent
annuler nos votes. En voulant
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
être créés », affirme Victore Men­
dez, président du syndicat patro­
nal des transporteurs de la région.
La libéralisation de l’économie vé­
nézuélienne, engagée par Nicolas
Maduro, et sa dollarisation de fait
font du Venezuela un partenaire
commercial attractif.
Plusieurs rencontres ont eu lieu
pour tenter de fixer les conditions
de la réouverture de la frontière
entre le Norte de Santander et le
Tachira. Mais Bogota a finalement
refusé de donner son feu vert à
une réunion bilatérale entre les
deux gouverneurs. Soucieux de
son statut sur la scène internatio­
nale, le président Nicolas Maduro
exige une négociation politique.
« La seule option est de dépoliti­
ser les relations, et de mettre en
place une gestion technique de la
frontière. Le patronat et les admi­
nistrations techniques doivent s’en
charger, considère M. Mendez. Les
opérateurs sanitaires des deux cô­
tés de la frontière, les services mi­
gratoires et les douanes travaillent
très bien ensemble. » M. Bautista
approuve, qui rappelle que « dé­
truire les relations entre deux pays
prend quelques minutes. Recons­
truire la confiance et l’intégration
régionale s’annonce une tâche de
longue haleine ». 
marie delcas
contester le vote de communautés
amazoniennes et andines, [ils font
preuve d’un] racisme évident », a
déclaré Lizardo Cauper, président
de l’Association interethnique
pour le développement de la forêt
tropicale péruvienne, qui repré­
sente environ 650 000 femmes et
hommes autochtones.
Celle qui pendant la campagne
électorale avait construit un dis­
cours de défenseure de la démo­
cratie face au « péril rouge » Pedro
Castillo a révélé son vrai visage,
ironisent ses détracteurs, se mon­
trant prête à mettre la démocratie
en danger pour sauver sa peau.
Pour la candidate, cette troisième
défaite dans les urnes rimerait
avec un procès en justice et peut­
être le retour à la case prison – elle
a effectué seize mois de détention
préventive entre 2019 et 2020. Elle
est accusée d’être à la tête d’une or­
ganisation criminelle et poursui­
vie pour présumé blanchiment
d’argent. Le parquet a requis
trente ans de prison à son encon­
tre et son procès pourrait s’ouvrir
dès les élections terminées. 
amanda chaparro
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
A Paris, lundi 14 juin. PIERRE TERDJMAN POUR « LE MONDE »
Hind Al­Eryani, porte­voix des
personnes LGBTQ+ du Yémen
La journaliste a aidé des homosexuels et des transgenres à quitter le pays
PORTRAIT
P
lus jeune, Hind Al­Eryani
était de celles qui cher­
chaient sans cesse l’ap­
probation des autres.
Pendant des années, elle a marché
la tête baissée, cachant sa féminité
et se comportant comme on l’at­
tend d’une femme dans une so­
ciété patriarcale comme le Yémen.
Aujourd’hui, cette journaliste et
militante de 42 ans est l’un des
principaux porte­voix des LG­
BTQ+ de son pays. Ses textes
contribuent à la prise de cons­
cience sur cette communauté.
Avec son aide, plusieurs de ses
membres les plus vulnérables ont
pu quitter le Yémen pour trouver
refuge à l’étranger.
« Beaucoup de gens de la commu­
nauté LGBTQ+ me contactent et me
font part de leurs problèmes », ex­
pose cette femme aux longs che­
veux châtains lâchés, rencontrée
en marge du festival Arabofolies
organisé à l’Institut du monde
arabe à Paris, dimanche 13 juin.
« Avec l’aide des organisations
internationales comme Amnesty
International et Human Rights
Watch, nous avons déjà réussi à
faire sortir trois personnes trans­
genres et un homosexuel du Yé­
men. Elles sont aujourd’hui à Paris
et en Suède, et lui, en Arabie saou­
dite, en attendant le visa d’un autre
pays », explique­t­elle encore.
Avant de devenir une voix qui
porte, Hind Al­Eryani a connu un
destin à peu près identique à celui
des autres femmes de son pays.
Elle s’est mariée à l’âge de 20 ans
à un homme qu’elle n’avait vu
que deux fois. « Je voulais me ma­
rier rapidement pour pouvoir
avoir des rapports sexuels, glisse­t­
elle en éclatant de rire. Mais ce
mariage malheureux m’a fait com­
prendre beaucoup de choses. »
Issue d’une famille plutôt pro­
gressiste, la jeune femme voulait
étudier, travailler et conduire. Son
mari n’était pas d’accord. Dans ce
mariage sans amour, avec un
époux qui l’humilie parce qu’il la
juge « trop conne » et parce qu’elle
a une déformation congénitale un
− pied bot −, elle sombre peu à peu
dans la dépression et tente de trou­
ver la paix dans la religion. En vain.
« Une fois, j’ai entendu une chanson
qui parlait d’amour. Ça a été un
choc. Je me suis dit que je ne pour­
rais jamais connaître ça. »
Elle décide donc de quitter le
foyer conjugal avec sa petite fille.
Dans une lettre, elle renonce à tous
ses droits et obtient en échange
le divorce en 2005. Son père est
envoyé en mission au Liban pour
quelques années. Elle suit sa fa­
mille et découvre à Beyrouth une
vie étrangère et excitante. « Là­bas,
j’ai découvert la cohabitation entre
les différentes religions et j’ai été
choquée de voir que les femmes
y étaient traitées avec respect, se
souvient Hind Al­Eryani. Les gens
échangeaient de manière tout à
fait normale, alors qu’au Yémen,
après le repas familial hebdoma­
daire, les femmes débarrassent la
table pendant que les hommes
vont dans une autre pièce parler
d’histoire et de politique. Moi, j’ai
toujours voulu aller avec eux. »
Au Liban, où elle a passé une maî­
trise en administration des affai­
res (MBA), la jeune femme voit les
filles et les garçons jouer ensem­
ble, ce qu’elle n’avait pas pu faire
quand elle était petite. Pendant un
an, elle garde son foulard, puis l’en­
lève et commence à travailler pour
les Nations unies. « Arrive le “prin­
temps arabe”. Ça a été très excitant
pour moi », explique la journaliste.
L’aide des réseaux sociaux
Depuis le Liban, la Yémenite
commence à mener campagne
contre un journaliste de l’agence
de presse britannique Reuters
dont les articles sur le Yémen
n’étaient pas « neutres », dit­elle.
Elle est invitée sur les plateaux de
la chaîne France 24, où elle dé­
nonce cet homme qui travaillait
par ailleurs pour le bureau du pré­
sident yéménite de l’époque, Ali
Abdallah Saleh (qui a quitté le pou­
voir en 2012). « D’où sa partialité »,
soutient Hind Al­Eryani. Finale­
ment, le journaliste est licencié.
Le succès de cette campagne la
grise. Elle a le sentiment de pou­
voir obtenir des changements
avec l’aide des réseaux sociaux.
En 2012, elle lance donc une cam­
pagne contre le qat, une drogue
très consommée au Yémen. La
journaliste s’envole pour Sanaa,
où elle manifeste devant le parle­
ment et fait du lobbying auprès de
députés pour qu’ils interdisent sa
consommation. Sans succès. Elle
« Demander le
changement des
lois ne sert à rien.
Tout ce que nous
pouvons faire,
c’est aider les
gens à survivre »
HIND AL-ERYANI
approche les membres de la
Conférence du dialogue national,
qui planchent sur une nouvelle
Constitution, pour qu’ils ajoutent
un article interdisant le qat. « Mais
le coup d’Etat de 2015 [mené par les
milices chiites houthistes contre
le camp du président Abd Rabbo
Mansour Hadi, soutenu par l’Ara­
bie saoudite] a fait partir en fumée
nos efforts de trois ans, rit­elle. Si
cela avait été fructueux, ma vie
aurait pris tout son sens. »
Installée dès 2016 à Istanbul avec
sa fille, la journaliste continue à
soutenir ses compatriotes, à dis­
tance. Elle participe au Pacte des
femmes yéménites pour la paix et
la sécurité sous l’égide de l’ONU
Femmes. En 2017, lorsqu’une fille
de 8 ans meurt à la suite d’un viol
à Taïz, un dignitaire religieux fait
un discours en soulignant que
« les vêtements des jeunes filles
sont la porte d’entrée au viol ». « J’ai
écrit un article appelant à empri­
sonner cet homme », se souvient
Hind Al­Eryani. Les menaces ont
alors commencé, mais cela lui im­
portait peu. « Parce qu’on était
loin, à Istanbul », dit­elle.
Un peu plus tard, un autre reli­
gieux déclare que les femmes lai­
des n’ont pas à porter le hidjab. La
journaliste publie sur son Face­
book une photo d’elle avec la lé­
gende : « Je suis laide et fière. » Ses
photos sont distribuées dans les
villes yéménites. « Les houthistes
qui avaient conquis la capitale Sa­
naa m’accusaient de vouloir dé­
truire la société yéménite. Les me­
naces ont donc repris, cette fois­ci
sur mon téléphone portable et ce­
lui de ma fille. Il était temps de par­
tir. » Elle quitte donc Istanbul et
rejoint sa mère et sa sœur, instal­
lées désormais en Suède.
C’est alors que débute son com­
bat contre l’incompréhension des
sociétés arabes envers l’homo­
sexualité. Hind Al­Eryani écrit un
article intitulé « Pourquoi craindre
les homosexuels ? » sur le site de la
Radio internationale de Monte­
Carlo où elle anime une émission
hebdomadaire. La raison : des réac­
tions d’internautes arabes après
un article sur la première ministre
finlandaise, Sanna Marin, élevée
par un couple de lesbiennes. « Les
gens demandaient si cette femme
était digne ou si elle­même n’était
pas lesbienne du fait d’avoir été
élevée dans une famille lesbienne »,
explique la journaliste. Son article
crée un tollé. Lorsque certains la
traitent de lesbienne, elle répond :
« Ce n’est guère une insulte. C’est
une description, comme si vous me
qualifiez de blonde ou de brune. »
Suivie par l’ONU
Grâce à ses activités de la sensibili­
sation sur le sort des LGBTQ+,
l’ONU décide, pour la première
fois, en 2020, de préparer un rap­
port sur cette communauté au Yé­
men dont les membres connais­
sent depuis la guerre mauvais
traitements, violences sexuelles,
viols, et emprisonnements. « De­
puis la guerre [déclenchée
en 2014], différents groupes reli­
gieux contrôlent les différentes par­
ties du pays. Chacun fait ce qu’il
veut, en toute impunité, explique
Hind Al­Eryani. Demander le chan­
gement des lois ne sert à rien. Tout
ce que nous pouvons faire c’est
aider les gens à l’intérieur à survi­
vre et à quitter le pays à terme. »
Lors de son intervention à l’Insti­
tut du monde arabe a été diffusée
une vidéo de Ritaj, une femme
transgenre yéménite, désormais
installée à Paris, qui a été empri­
sonnée pendant un an au Yémen
et a reçu 100 coups de fouet. « Au
Yémen, elle s’habillait en homme
pour ne pas être embêtée. Mais la
police l’a arrêtée, parce que ses
sourcils étaient maquillés. Elle a été
emprisonnée. Mais nous avons
réussi à la faire sortir. Aujourd’hui,
à Paris, elle peut s’habiller comme
elle veut, sourit Hind Al­Eryani.
Comme Ritaj, il y a beaucoup
d’autres cas au Yémen. Ils ne peu­
vent pas travailler et parfois sont
même incapables de sortir de leur
maison. J’espère que nous pourrons
faire la même chose pour eux. » 
ghazal golshiri
international | 7
«L’aide internationale
fait défaut » à Rakka,
selon sa maire kurde
Leïla Mustafa déplore le manque de soutien
dans la reconstruction de l’ex­capitale de l’EI
ENTRETIEN
L eïla Mustafa, placée à la tête
de la municipalité de Rakka
depuis la reprise de la ville
syrienne aux djihadistes de l’orga­
nisation Etat islamique (EI) par les
forces kurdes en 2017, était en vi­
site en France à l’invitation de la
maire de Paris, Anne Hidalgo, qui
ne l’a finalement pas reçue. Elle
dénonce le manque d’intérêt des
puissances occidentales pour le
devenir de Rakka.
Les relations entre les capitales
occidentales et les autorités
du nord­est de la Syrie se sont
longtemps limitées à une di­
mension militaire, et ce au dé­
triment d’une plus grande coo­
pération dans le domaine civil.
Votre visite signale­t­elle une
évolution de cet état de fait ?
Notre visite en France, à l’invita­
tion d’Anne Hidalgo, fait suite au
voyage dans le nord­est de la Syrie
d’une délégation française de plu­
sieurs élus locaux. Nous appré­
cions ces échanges directs avec
des représentants de la société ci­
vile, à défaut de reconnaissance
diplomatique officielle. Malgré
notre coopération militaire avec
la France dans le cadre de la coali­
tion internationale, l’approfon­
dissement des relations dans le
domaine civil reste à la traîne.
Depuis que les djihadistes
ont été chassés de Rakka,
dans quel état se trouve la cité ?
La libération de Rakka qui a été
menée par les Forces démocrati­
ques syriennes, avec le soutien
de la coalition, s’est traduite par
la destruction presque totale de la
ville – 95 % des bâtiments du cen­
tre­ville ont été endommagés ou
rasés. Les infrastructures vitales,
comme les réseaux d’adduction
d’eau et d’électricité, ont été mises
à terre. Pour rendre la ville habita­
ble de nouveau, nous avons béné­
111 EDITION - AOÛT 2022
CANTABRE · ESPAGNE
FÊTE NATIONALE D´INTERÉT TOURISTIQUE
ficié d’un soutien minimal de la
coalition internationale, presque
insignifiant cependant au regard
des destructions. Il a donc fallu
que les nouvelles autorités locales
et les habitants prennent en main
eux­mêmes l’effort de recons­
truction, rue par rue. Aujourd’hui,
la vie est de retour à Rakka, avec
de nouveaux habitants venus des
zones contrôlées par le régime et
des régions occupées par la Tur­
quie et ses mercenaires. Rakka a
été la capitale du terrorisme et de
l’obscurantisme ; elle est devenue
une maison pour tous les Syriens
qui veulent vivre en paix.
Les défis restent cependant im­
menses, et nous n’avons pas les
moyens de reconstruire les infras­
tructures les plus importantes
comme les ponts de l’Euphrate.
Nous ne sommes pas des men­
diants, nous voulons des partena­
riats concrets, une coopération
sur des projets précis, mais l’aide
internationale fait défaut.
Des blocages demeurent­ils
dans vos relations avec la com­
munauté internationale ?
Lorsque nos fils et nos filles
combattaient pour reprendre
Rakka à l’EI, nous étions le centre
de l’attention internationale.
Mais depuis que nous avons
chassé ensemble cet ennemi
commun, nous nous retrouvons
pratiquement seuls. Cette situa­
tion est liée à la position de la
Turquie que les pays occiden­
taux ne veulent pas se mettre
tout à fait à dos. De son côté,
Ankara continue à nous as­
phyxier en réduisant le débit de
l’Euphrate. Il faut que nos parte­
naires occidentaux fassent pres­
sion sur la Turquie. Au regard des
sacrifices que nous avons con­
sentis, leur positionnement ac­
tuel n’est pas à la hauteur. 
propos recueillis par
allan kaval
et madjid zerrouky
 dont
18 millions

PLANÈTE
0123
8| dans le secteur
industriel qui
comprend le
MERCREDI 16 JUIN 2021

traitement des déchets

L’explosion des e-déchets Les enfants et les femmes les plus exposés
160 millions d’enfants
âgés de 5 à 17 ans
sont victimes Entre 2,9 millions et
dont
D’ici à 2030, la production du travail forcé 12,9 millions de femmes
devrait atteindre 74,7 millions 18 millions travaillent dans le secteur
de tonnes dans le secteur informel des déchets
industriel,
qui comprend
le traitement
des e-déchets

Les risques les plus importants pour la santé des enfants

(exposition prénatale et infantile)
82,6 %
environ 53,6 ont un sort inconnu, voies d’exposition
millions de tonnes probablement
mis en décharge, ingestion cutanées
de déchets d’équipements altération
électriques et électroniques échangés ou
du développement inhalation vie intra-
ont été produites à travers recyclés dans
neurologique utérine
le monde, en 2019 de mauvaises
et comportemental
conditions

soit une augmentation altération dommages sur l’ADN

de 21 % au cours des de la fonction
thyroïdienne effets sur le système immunitaire
cinq dernières années
(vulnérabilité accrue aux
infections, réponse immunitaire
modifications de la fonction réduite et taux plus élevés d’allergies
17,4 % du système cardiovasculaire et de maladies auto-immunes)
font l’objet
d’une collecte risques accrus de maladie
ou d’un recyclage effets sur la fonction chronique plus tard dans
dit « adéquats » pulmonaire et incidences la vie (cancer et maladies
respiratoires cardiovasculaires)

conséquences négatives
sur la naissance (accouchements
prématurés, bébés de petit poids...)
Plus de mille composés chimiques aux effets toxiques
Batteries Encre Lampe Matériel de stockage Tubes à rayons cathodiques Circuits imprimés Thermo-
et toner fluorescente de données plastiques

Cr Ni Li Pb Cd Ba Hg Cr Cr Ba Hg Zn Ni Pb Pb POP POP

Cadmium Nickel Lithium Plomb Cadmium Baryum Mercure Chrome Cadmium Baryum Mercure Zinc Nickel Plomb Plomb Les polluants organiques
persistants* (POP)
Infographie : Le Monde Source : Organisation mondiale de la santé * incluant les retardateurs de flamme bromés ou les hydrocarbures aromatiques polycycliques

Déchets électroniques : l’alerte de l’OMS
La santé de millions d’enfants travaillant dans le secteur informel de la récupération est menacée

O
n les appelle les « sal­
vagers » (« récupéra­
teurs »). Des adoles­
cents, parfois très jeu­
nes, brûlent les déchets électroni­
ques pour en récupérer le cuivre,
le cobalt, le platine et autres mé­
taux précieux. Des fumées noires
et âcres rendent l’air irrespirable.
Plomb, mercure, arsenic, cad­
mium se répandent dans le sol,
contaminent l’eau. Bienvenue
à Agbogbloshie, en banlieue d’Ac­
cra. Rebaptisé « Sodome et Go­
morrhe » par les habitants de la
capitale du Ghana, Agbogbloshie
est considéré depuis plusieurs an­
nées comme le site le plus pollué
du monde. C’est surtout l’une des
plus grandes décharges de pro­
duits électroniques de la planète.
Smartphones, ordinateurs, ta­
blettes, téléviseurs, batteries, ou
encore électroménager… environ
40 000 tonnes y sont déversées
chaque année en provenance
d’Europe et des Etats­Unis.
Ces déchets électroniques em­
poisonnent à petit feu les quelque
80 000 personnes qui survivent
en marge de la décharge. A com­
mencer par les plus jeunes. Car à
« Sodome et Gomorrhe », on com­
mence à travailler tôt, très tôt, dès
l’âge de 5 ans. Dans un rapport
inédit, Enfants et décharges nu­
mériques, publié mardi 15 juin,
l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) tire le signal d’alarme
sur cette « flambée des e­déchets
qui affectent la santé de millions
d’enfants ». « Un enfant qui mange
un seul œuf de poule d’Agbog­
bloshie absorbe 200 fois plus de
dioxines que la limite journalière
fixée par l’Autorité européenne de
sécurité des aliments », avertit Ma­
rie­Noël Bruné Drisse, responsa­
ble du département environne­
ment et santé infantile à l’OMS.
Les dioxines sont des polluants
organiques persistants. Elles s’ac­
cumulent dans la chaîne alimen­
taire et peuvent provoquer des
cancers, des malformations con­
génitales ou des altérations du dé­
veloppement de l’enfant.
« La mauvaise gestion des dé­
chets électroniques est une me­
nace croissante que de nombreux
pays ne reconnaissent pas encore
comme un problème de santé
publique, alerte Mme Bruné Drisse.
S’ils n’agissent pas maintenant,
les conséquences auront un effet
dévastateur sur la santé des en­
fants et pèseront lourdement dans
les années à venir. »
Décharges illégales
Le directeur de l’institution onu­
sienne, Tedros Adhanom Ghe­
breyesus, évoque un « tsunami
d’e­déchets ». Les chiffres donnent
en effet le vertige. Selon les der­
nières données disponibles,
53,6 millions de tonnes de dé­
chets d’équipements électriques
et électroniques ont été produites
à travers le monde en 2019 : l’équi­
valent de 350 bateaux de croisière
en file indienne sur une distance
de 125 kilomètres. Seulement 17 %
de ces déchets sont correctement
collectés ou recyclés. Tout le reste
termine dans des décharges illé­
« Un enfant
ghanéen qui
mange un seul
œuf de poule
d’Agbogbloshie
absorbe 200 fois
plus de dioxines
que la limite
journalière »
MARIE-NOËL BRUNE DRISSE
responsable à l’OMS
gales ou alimente le circuit infor­
mel de la récupération. La produc­
tion d’e­déchets est en progres­
sion constante : + 21 % au cours
des cinq dernières années. Elle
suit le rythme effréné de renou­
vellement des smartphones
(moins de deux ans) dans les pays
occidentaux et devrait atteindre
74,7 millions de tonnes à l’horizon
2030. En Europe, ils représentent
la catégorie de déchets qui aug­
mente le plus vite avec le record
mondial de 16,2 kilos par habitant
et par an.
Avec leurs petites mains – qui
leur confèrent une dextérité que
les adultes n’ont pas –, les enfants
constituent une main­d’œuvre
très recherchée dans le secteur
de la récupération électronique.
Le manque de données rend im­
possible toute tentative d’estima­
tion chiffrée du phénomène. Se­
lon le dernier rapport de l’Organi­
sation internationale du travail
et de l’Unicef, publié le 10 juin,
160 millions d’enfants âgés de 5 à
17 ans sont victimes du travail
forcé, et la tendance est repartie à
la hausse sous l’effet de la crise
liée au Covid­19.
Plus de 18 millions d’entre eux
travaillent dans le secteur indus­
triel informel qui comprend le
traitement des déchets. A Agbog­
bloshie donc, mais aussi au Nige­
ria, au Cameroun, en Egypte, en
Inde, en Chine, au Pakistan, au
Vietnam, au Bangladesh, aux Phi­
lippines, en Thaïlande, au Viet­
nam, au Mexique, en Uruguay…
L’OMS a identifié des décharges
électroniques dans au moins
15 pays. Le plus grand site au
monde s’étend sur plus de 50 kilo­
mètres carrés : à Guiyu, en Chine,
150 000 personnes, dont de nom­
breux enfants, y travaillent cha­
que jour. Et ce n’est que la face
émergée de l’Iceberg. Autour
d’Hébron, en territoire palesti­
nien occupé, les ateliers de recy­
clage de déchets électroniques
poussent comme des champi­
gnons : on en dénombre près de
550. Parfois, les opérations de ré­
cupération se font en famille,
dans l’arrière­cour des maisons,
comme dans le village de Trang
Minh, au Vietnam.
Il faut aussi ajouter tous les en­
fants qui vivent à proximité de ces
sites ultra­pollués. « Nous pensons
que des millions d’enfants supplé­
mentaires sont touchés par le recy­
clage des déchets électroniques en
raison de leur lieu de résidence »,
indique Mme Bruné Drisse, qui a
coordonné le rapport. Un autre
chiffre donne la mesure du péril :
jusqu’à 13 millions de femmes
travaillent dans le secteur infor­
mel des déchets et exposent
leur santé, et potentiellement
celle de leurs futurs enfants, aux
multiples produits toxiques issus
des e­déchets.
L’OMS a recensé « plus de 1 000
substances nocives ». Elles se re­
trouvent dans les composants
électroniques eux­mêmes ou par
les processus d’extraction des mé­
taux précieux : brûlage (notam­
ment du plastique), chauffage ou
lixiviation à l’acide (à l’aide sel de
cyanure, d’acide nitrique ou de
mercure). Parmi les substances
les plus dangereuses – cancérogè­
nes, mutagènes, reprotoxiques
ou perturbateurs endocriniens –,
auxquelles sont exposés les en­
fants, on retrouve les métaux
lourds (plomb, mercure, arsenic,
chrome, cadmium, lithium, man­
ganèse, nickel, or…), les dioxines,
les furanes, les biphényles poly­
chlorés, les phtalates, les compo­
sés bromés, les hydrocarbures
aromatiques polycycliques, les
composés perfluorés ou encore
les retardateurs de flamme orga­
nophosphorés.
Les décharges électroniques
L’OMS recense
« plus de
1 000 substances
nocives » dans
les composants
électroniques
ou utilisées pour
en extraire les
métaux précieux
sont également des « usines » à
particules fines (PM2,5, de taille
inférieure à 2,5 micromètres)
dont l’Organisation mondiale de
la santé estime qu’elles sont à
l’origine de la mort d’environ
600 000 enfants de moins 15 ans
dans le monde chaque année.
Exposition in utero
Les voies d’exposition sont multi­
ples. Outre l’inhalation de parti­
cules et de gaz aérosol, les enfants,
la plupart du temps dénués de
toute protection, sont au contact
direct par la peau avec les produits
chimiques. Ils peuvent également
en ingérer par les poussières con­
taminées qui se déposent partout
y compris sur les jouets, par les
aliments et l’eau ou encore le lait
maternel. La première exposition
est d’ailleurs in utero : les pol­
luants traversent le placenta.
L’exposition à toutes ces subs­
tances toxiques, « même à des ni­
veaux très faibles », peut avoir des
incidences néfastes sur la gros­
sesse, mais aussi sur le développe­
ment à long terme des nouveau­
nés et jusqu’à l’âge adulte, avertit
l’OMS. Naissance prématurée, re­
tard de croissance intra­utérine,
altération du développement
neurologique et comportemen­
tal, effets sur les fonctions pulmo­
naires et respiratoires, altération
de la fonction thyroïdienne,
modification de la fonction du
système cardiaque, dommages à
l’ADN, atteinte au système immu­
nitaire (vulnérabilité accrue aux
infections, réponse immunitaire
réduite et taux plus élevés de ma­
ladies auto­immunes) ou encore
des risques accrus de maladie
chronique à l’âge adulte avec can­
cers et maladies cardiovasculai­
res : la liste des effets néfastes des
e­déchets sur la santé des enfants
est longue.
En Uruguay, par exemple, où,
depuis plus de dix ans, des en­
fants brûlent des déchets électro­
niques et des câbles électriques
pour en extraire le cuivre dans
une décharge de Montevideo, un
quart des plombémies élevées
(saturnisme) chez les enfants sont
associées à cette activité. L’exposi­
tion au plomb par le traitement
des e­déchets provoque des lé­
sions rénales, attaque le système
immunitaire, réduit les capacités
intellectuelles et est à l’origine de
troubles du comportement et de
l’attention, rappelle l’OMS.
« En mettant en danger des dizai­
nes de millions d’enfants et de fem­
mes en âge de procréer, l’élimina­
tion inappropriée des déchets
d’équipements électriques et élec­
troniques menace la santé et les
capacités des futures généra­
tions », conclut le rapport. Aussi,
le directeur de l’institution onu­
sienne exhorte­t­il la commu­
nauté internationale à réagir :
« De la même manière que le
monde s’est mobilisé pour proté­
ger les mers et leurs écosystèmes
de la pollution plastique et micro­
plastique, nous devons nous mobi­
liser pour protéger notre ressource
la plus précieuse – la santé de nos
enfants – de la menace croissante
des déchets électroniques. » 
stéphane mandard

10 | planète
EDF interrogée sur
l’incident dans une
centrale nucléaire chinoise
Les gaines d’assemblage de combustible
sont à l’origine d’une échappée de gaz rares
L es experts d’EDF ont ap­
porté, lundi 14 juin, des pré­
cisions techniques sur l’in­
cident intervenu sur le réacteur
EPR n° 1 de la centrale de Taishan,
dans le sud­ouest de la Chine.
Quelques heures plus tôt, la
chaîne de télévision américaine
CNN signalait que les autorités
américaines avaient été préve­
nues de ce dysfonctionnement,
le 8 juin, par Framatome, filiale
d’EDF et concepteur de ce réac­
teur de troisième génération,
dont deux exemplaires sont en
exploitation sur le site chinois
depuis 2019.
« On n’est pas sur une dynamique
d’un accident avec fonte du
cœur », a indiqué un porte­parole
du groupe français, relativisant
ainsi la gravité du problème.
Même si l’exploitant a dû « réali­
ser des rejets atmosphériques » de
gaz rares « dans le respect des limi­
tes réglementaires définies par
l’autorité de sûreté chinoise »,
ajoute­t­il. Ce sont des gaines d’as­
semblage de combustible qui
sont à l’origine de l’échappée de
xénon et de krypton dans le cir­
cuit primaire d’eau sous pression
du bâtiment réacteur au moment
de la fission, a­t­il encore précisé.
Le problème d’étanchéité était
apparu en octobre 2020, quand le
réacteur de Taishan 1 a redémarré
après un rechargement du com­
bustible, des pastilles d’uranium
enchâssées dans les gaines de
zirconium. EDF indique qu’à ce
stade – et sur la base des informa­
tions transmises par ses partenai­
res chinois –, « il est prématuré de
dire s’il faudra arrêter le réacteur
pour régler le problème identifié ».
« Défaut de fabrication »
Un tel incident s’est déjà produit
en France. « Selon les règles d’ex­
ploitation, au­delà d’un certain
seuil de concentration de ces gaz
rares, le réacteur doit être arrêté,
rappelle Karine Herviou, direc­
trice générale adjointe de l’Insti­
tut de radioprotection et de sû­
reté nucléaire (IRSN). Nous
n’avons pas d’information concer­
nant ce seuil, et s’il a été atteint ou
pas. Quand ce type d’événement
était arrivé en France, EDF n’avait
pas atteint le seuil fixé par les rè­
gles d’exploitation et avait pu at­
tendre la fin du cycle pour enlever
les crayons défectueux. »
Comment expliquer un tel inci­
dent ? « Il peut être dû à un défaut
de fabrication des gaines ou à des
“corps migrants” (des vis qui bou­
gent…), répond Mme Herviou. Les
assemblages de combustible sont
fabriqués par Framatome dans
son usine de Romans­sur­Isère
(Drôme). « Evidemment, comme
le réacteur n° 1 de Taishan est une
tête de série [c’est même le pre­
mier EPR mis en service dans le
monde], nous allons suivre cela de
très près », prévient­elle. Le retour
d’expérience devra notamment
profiter à l’EPR de Flamanville
(Manche), dont le raccordement
au réseau est désormais prévu
en 2023.
Depuis plusieurs mois, l’exploi­
tant du réacteur analysait les
paramètres physico­chimiques.
Mais ce n’est que samedi 12 juin
COVI D -1 9
Novavax affirme que
son candidat-vaccin est
efficace à plus de 90 %
La firme américaine Novavax
a affirmé, lundi 14 juin, que
son vaccin anti­Covid était
efficace à plus de 90 %, y
compris contre les variants,
après une étude réalisée sur
près de 30 000 personnes
aux Etats­Unis et au Mexi­
qu’EDF a été informé d’une réelle
dégradation de la situation. Le
groupe est, en effet, actionnaire à
30 %, avec son partenaire histori­
que CGN, China General Nuclear
Power Group (70 %), de la coentre­
prise TNPJVC. C’est elle – et non
EDF – qui exploite Taishan, une
centrale de 3 300 mégawatts ali­
mentant 5 millions de personnes
dans la région très dense du delta
de la Rivière des perles (Shen­
zhen­Hongkong­Canton).
Ne pas froisser la Chine
La direction d’EDF a aussitôt de­
mandé la convocation d’un con­
seil d’administration extraordi­
naire de TNPJVC pour mettre tous
les éléments connus sur la table
et prendre les décisions qui s’im­
posent. Lundi dans l’après­midi,
elle attendait encore la réponse
des partenaires chinois. Mais, à
Paris, le gouvernement et la fi­
lière nucléaire font tout pour ne
pas froisser la susceptibilité exa­
cerbée des autorités chinoises,
imperméables à toute mise en
cause publique.
Ces partenaires chinois refu­
sent, par exemple, de répondre
à la question d’un relèvement
possible par l’autorité de sûreté
nucléaire locale des seuils régle­
mentaires de rejet des gaz rares
dans l’atmosphère (après sup­
pression de l’essentiel de la ra­
dioactivité). Une mesure envisa­
geable pour maintenir la centrale
en activité, alors que la consom­
mation d’électricité dépasse la
production dans certaines ré­
gions de Chine. « Seul l’exploitant
peut le dire », indique­t­on chez
EDF. CGN affirme que « les don­
nées de surveillance régulière
montrent que la centrale et son
environnement immédiat présen­
tent des paramètres normaux ».
Un ancien dirigeant d’EDF,
grand connaisseur de la Chine, est
formel : jamais l’autorité de sû­
reté n’aurait caché des rejets ra­
dioactifs. Quant à l’Agence inter­
nationale de l’énergie atomique,
elle s’est voulue rassurante : « A ce
stade, a­t­elle précisé lundi, nous
n’avons aucune indication qu’un
incident radiologique se soit pro­
duit. » L’événement n’est même
pas inscrit sur l’échelle internatio­
nale INES, qui classe incidents et
accidents nucléaires selon leurs
risques radiologiques sur une
échelle de 1 à 7 (Tchernobyl).
Il est sans doute plus complexe
en termes politiques qu’indus­
triels ou environnementaux.
Ainsi, on ignore pourquoi c’est la
filiale américaine de Framatome
qui a alerté le département de
l’énergie (DoE) à Washington, et ce
que vient faire l’administration
Biden dans cette affaire. Si ce
n’est que CGN, géant du secteur
nucléaire chinois avec CNNC, a été
placé par les Etats­Unis, en
août 2019, sur la liste noire des
groupes avec lesquels les sociétés
américaines n’ont plus le droit de
travailler. Ce qui n’est pas le cas
pour la France : CGN est partenaire
d’EDF depuis quarante ans et fi­
nance un tiers des deux EPR d’Hin­
kley Point au Royaume­Uni. 
jean­michel bezat
et perrine mouterde
que. Le vaccin « a montré une
protection de 100 % contre les
formes modérées et sévères de
la maladie et de 90,4 % globa­
lement », indique l’entreprise
de biotechnologie dans
un communiqué, précisant
qu’elle comptait demander
une autorisation officielle
de mise sur le marché d’ici
à la fin du troisième trimes­
tre 2021. – (AFP.)
L’Angleterre repousse la dernière
étape de son déconfinement
Les infections par le variant Delta du SARS­CoV­2 doublent tous les sept
jours dans les zones les plus touchées, et les hospitalisations remontent
londres ­ correspondante
C
ela n’a rien d’une sur­
prise au vu de la pro­
gression exponentielle
du variant Delta du
SARS­CoV­2 sur le territoire natio­
nal. Le premier ministre britanni­
que, Boris Johnson, a confirmé,
lundi 14 juin, que le « Freedom
Day », le jour où toutes les restric­
tions sanitaires devaient être en­
fin levées après trois mois d’un
long déconfinement, serait dé­
calé d’un mois, passant du 21 juin
au 19 juillet. Restaurants, théâtres
ou cinémas vont devoir attendre
pour être à 100 % de leurs capaci­
tés. Quant aux boîtes de nuit, elles
resteront fermées encore un peu,
et le télétravail est maintenu.
Cette décision ne concerne que
l’Angleterre. L’Irlande du Nord, le
Pays de Galles et l’Ecosse dispo­
sent de leur propre politique sani­
taire. Mais il est probable que leurs
gouvernements suivent : plus
contagieux d’au moins 60 % par
rapport au variant Alpha – détecté
pour la première fois dans le
comté anglais du Kent –, probable­
ment plus virulent aussi (le risque
d’hospitalisation est deux fois su­
périeur, selon une étude prélimi­
naire publiée par la revue The Lan­
cet lundi), le variant Delta, dit « in­
dien », est en effet désormais pré­
valent sur l’ensemble du territoire
britannique. Il concerne plus de
90 % des nouveaux cas de conta­
mination, du nord au sud du pays.
Flanqué de ses deux conseillers
en chef, Chris Whitty et Sir Patrick
Vallance, Boris Johnson a expli­
qué avec pédagogie la raison de sa
« prudence » et le pari qu’il prenait
pour que le 19 juillet soit, cette
fois, « une date définitive », et
« pour sauver des milliers de vies ».
« Les cas d’infection doublent tous
les sept jours dans les zones les
plus touchées [au nord­ouest de
Covid­19 : des animaux inattendus dans
les laboratoires et sur les marchés de Wuhan
Des images montrent notamment des chauves­souris vivantes au sein de l’Institut de virologie
L’ Institut de virologie de
Wuhan (WIV), capitale de
la province du Hubei,
maintient­il dans ses murs une
animalerie pourvue de chauves­
souris vivantes ? Les autorités chi­
noises ont été jusqu’à présent peu
disertes sur le sujet. La chaîne de
télévision australienne Sky News
a apporté, dimanche 13 juin, de
nouveaux éléments de réponse
en diffusant de brèves images
montrant des chauves­souris cap­
tives dans les laboratoires de l’ins­
titution ainsi qu’un chercheur oc­
cupé à nourrir l’une d’elles. Une
étude publiée par la revue Scienti­
fic Reports vient aussi d’apporter
des informations inédites sur les
espèces animales présentes, non
dans les laboratoires de virologie
de Wuhan, mais sur les marchés
de la ville, dont l’un fut – et est
parfois encore – soupçonné d’être
le point de départ de la pandémie.
L’authenticité des images divul­
guées par Sky News ne peut guère
être contestée par les autorités
ni par les chercheurs chinois : el­
les sont issues d’une vidéo pro­
motionnelle d’une dizaine de mi­
nutes produite par l’Académie des
sciences chinoise et présentant
les activités du WIV. Elle a été déni­
chée sur un serveur officiel par les
membres d’un collectif de cher­
Il s’agit
d’« accélérer »,
afin qu’au
19 juillet
les deux tiers
des adultes
soient totalement
vaccinés
l’Angleterre, dans le Grand Man­
chester], les hospitalisations ont
augmenté de 50 % en une semaine
sur le territoire. Nous faisons face à
un choix difficile : si on maintient
la réouverture complète le 21 juin,
des milliers de gens risquent de
mourir », a admis le premier mi­
nistre lundi.
Le Royaume­Uni est confronté
à une troisième vague infectieuse
nourrie par le variant Delta, alors
que les deux premières vagues
ont déjà entraîné le décès de pres­
que 128 000 personnes. Lundi,
7 742 nouveaux cas avaient été
détectés sur les dernières vingt­
quatre heures, soit une hausse de
45,5 % sur une semaine.
La bonne nouvelle, selon les
conseillers de M. Johnson, c’est
que deux doses de vaccin – celui de
Pfizer­BioNTech ou celui d’Oxford­
AstraZeneca, les deux produits les
plus déployés en Angleterre – pro­
tègent bien contre ce variant. « L’ef­
ficacité reste comprise entre 76 % et
84 % avec deux doses », a précisé
M. Whitty, contre environ 30 %
avec une seule dose. Mais toute la
population adulte n’a pas encore
reçu ses deux doses, en Angleterre,
même si la campagne vaccinale a
jusqu’à présent été un grand suc­
cès : 56,9 % des plus de 18 ans sont
totalement vaccinés.
Il s’agit donc d’« accélérer en­
core la prise de la deuxième dose »,
cheurs et d’anonymes – baptisé
Drastic –, à l’origine de plusieurs
révélations sur les travaux du WIV
et de la divulgation de mémoires
universitaires inédits menés sous
l’égide de l’institution.
Les autorités chinoises, comme
les cadres du WIV, n’ont jamais nié
la présence de chauves­souris vi­
vantes dans les locaux de leur ins­
titut. Mais ils ne l’ont pas non plus
admis formellement. La question
est assez délicate pour n’apparaî­
tre nulle part dans le rapport de la
mission conjointe entre l’Organi­
sation mondiale de la santé (OMS)
et la Chine, rendu fin mars.
Civettes, belettes, visons…
Sky News met toutefois en cause
les déclarations d’un scientifique
britannique, Peter Daszak, prési­
dent de l’ONG EcoHealth Alliance
et coauteur de nombreuses études
avec les virologues de Wuhan.
« Importante erreur dans ce papier.
Aucune chauve­souris n’a été en­
voyée au laboratoire de Wuhan
pour des analyses génétiques de vi­
rus collectés sur le terrain. Ce n’est
pas comme ça que cette science
fonctionne », déclarait M. Daszak
en décembre 2020 sur Twitter en
réponse à un article de presse.
Un chercheur familier des tra­
vaux de l’ONG relève lui un malen­
a précisé Boris Johnson, afin
qu’au 19 juillet les deux tiers des
adultes soient totalement proté­
gés. A cette date, tous les plus de
18 ans devraient avoir été convo­
qués pour une première dose.
L’intervalle entre les deux injec­
tions va par ailleurs être réduit
pour les quadragénaires. « Il y a,
en outre, les risques de Covid long,
et les vaccins ne sont pas efficaces
à 100 % », a précisé Sir Patrick Val­
lance. C’est pour cela aussi que
« la réduction du pic d’infections »
de cette nouvelle vague est néces­
saire. Si, pour l’instant, le nombre
de décès enregistrés quotidien­
nement reste faible (trois ont été
répertoriés lundi), il a augmenté
de presque 12 % en une semaine.
Des mesures symboliques
Le décalage de quatre semaines du
« Freedom Day » « ne va pas mettre
un terme aux contaminations »,
a encore prévenu M. Vallance : « Le
19 juillet, elles seront encore impor­
tantes, et les hospitalisations
seront élevées, mais nous pouvons
réduire le pic de la vague, avec 30 %
à 50 % de contaminations en
moins. » « Nous allons devoir vivre
avec ce virus pour toujours, et nous
sommes engagés dans une course
entre le variant et le vaccin », a
conclu le conseiller scientifique en
chef. Downing Street a maintenu
quelques mesures de déconfine­
ment relativement symboliques
à la date du 21 juin : les mariages
ne seront plus limités à trente per­
sonnes ; en revanche, il ne sera pas
permis de danser, ni de chanter
si ces rassemblements familiaux
sont trop importants.
Si, à en croire les sondages, une
majorité d’Anglais approuve la
prudence du gouvernement, ces
annonces ont suscité la colère
dans les secteurs hospitalier, des
loisirs et de la culture, ces deux
derniers craignant une nouvelle
Une base
de données
documente
la mise à l’encan
de plus de
45 000 animaux
tendu : la déclaration de M. Daszak
faisait, dit­il, référence à des tra­
vaux auxquels il a directement été
associé ou qu’il a dirigés, et non
aux pratiques des chercheurs du
WIV en général. En outre, ajoute­
t­il, les espèces de chauves­souris
présentées dans la vidéo ne sont
pas des réservoirs de coronavirus
de type SARS. Le document, daté
de 2017, ne permet cependant pas
d’affirmer ni d’infirmer la pré­
sence d’autres espèces de chauves­
souris dans l’animalerie.
De leur côté, une équipe de cher­
cheurs chinois, canadiens et bri­
tanniques affirme, dans une
étude parue le 7 juin dans Scienti­
fic Reports, n’avoir trouvé nulle
trace de chauves­souris – quelle
que soit l’espèce – sur les marchés
de Wuhan entre mai 2017 et no­
vembre 2019. Pas plus que de pan­
golins. A l’origine, les auteurs ne
travaillaient pas sur le risque pan­
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
saison estivale ratée. Ce report de
la fin de la jauge (à environ 50 % de
leur capacité) des restaurants ou
des – pubs pourrait être « la goutte
d’eau qui fait déborder le vase »
pour certains commerçants, aler­
tait lundi le syndicat professionnel
UKHospitality. « Le gouvernement
n’a pas l’air de comprendre que le
secteur du théâtre est au bord du
gouffre », a quant à lui réagi le pro­
ducteur Howard Panter, l’un des
principaux directeurs de théâtre
du pays. Le secteur culturel a reçu
très peu d’aides du gouvernement
depuis le début de la pandémie.
Les critiques sont également vé­
hémentes du côté des experts et
de l’opposition travailliste au gou­
vernement Johnson, qui regret­
tent une troisième vague, évitable
de leur point de vue. « La seule rai­
son pour laquelle on en est là, c’est
parce que les conservateurs n’ont
pas su sécuriser les frontières na­
tionales et ont laissé s’installer un
variant venu d’outre­mer », a dé­
noncé Jonathan Ashworth, minis­
tre de la santé du « cabinet fan­
tôme » travailliste.
De fait, l’Angleterre, qui compte
la plus importante communauté
indo­pakistanaise d’Europe (4,5 %
de sa population), a identifié son
premier cas de variant Delta dès le
25 mars et a imposé une quaran­
taine stricte obligatoire aux voya­
geurs de retour du Pakistan ou
du Bangladesh dès le 2 avril. Mais
l’Inde n’a rejoint ces pays dans la
liste rouge que le 23 avril. Pour des
raisons diplomatiques, ont laissé
entendre les médias nationaux :
M. Johnson avait prévu une visite
officielle en Inde à la mi­avril pour
rencontrer le premier ministre,
Narendra Modi. Visite qu’il a fina­
lement annulée, mais au dernier
moment, alors que l’Inde était
submergée par une virulente
deuxième vague. 
cécile ducourtieux
démique des coronavirus, mais
cherchaient l’hôte d’une tique,
vectrice d’une maladie grave (une
fièvre sévère avec syndrome de
thrombocytopénie). L’irruption
du Covid­19 a donné une valeur
nouvelle à leurs observations, les­
quelles ont consisté en l’examen
du contenu de dix­sept étals ré­
partis sur l’ensemble des marchés
« humides » et spécialisés dans la
vente d’animaux vivants que
compte Wuhan.
La base de données constituée
par les chercheurs documente la
mise à l’encan de plus de 45 000
animaux appartenant à 38 espè­
ces, dont 31 sont protégées. Ces tra­
vaux donnent un aperçu bien plus
exhaustif de la situation que les
premières informations transmi­
ses par Pékin à l’OMS. Ils indiquent
que des civettes palmistes, des
chiens viverrins, des belettes sibé­
riennes et des visons faisaient
partie des animaux vivants les
plus échangés sur les marchés de
Wuhan. Autant d’espèces réputées
être de bonnes candidates au rôle
d’hôte intermédiaire entre la
chauve­souris et l’homme –
même si jusqu’à présent aucune
d’elles ne s’est jusqu’ici révélée
porteuse du plus proche ancêtre
du SARS­CoV­2. 
stéphane foucart
Le livre qui fait toute
la vérité
sur l’éolien
 FRANCE
12 |
Régionales : la majorité sous pression
A cinq jours du premier tour, les candidats de LRM sont à la peine face à la poussée continue du RN
Q
ue reste­t­il d’un
quinquennat ? Des
réformes, la gestion
de crises inatten­
dues, quelques dis­
cours marquants, mais aussi le
chemin ouvert par un président
de la République à son successeur,
parfois à son corps défendant. « Si
je bats Marine Le Pen et que nous
arrivons au bout de la recomposi­
tion de la vie politique et de notre
action, je suis convaincu que la
raison d’être du Front national
sera très affaiblie », affirmait Em­
manuel Macron dans un entre­
tien au Monde, le 3 avril 2017.
Quatre ans plus tard, le Rassem­
blement national (RN) se pose
plus que jamais en épouvantail de
la vie politique française. A en
croire les sondages, le parti d’ex­
trême droite paraît en mesure
d’emporter au moins une région
à l’occasion des élections régiona­
les des 20 et 27 juin. Ce qui serait
une première. Une perspective
vue par Marine Le Pen comme un
marchepied vers l’Elysée avant le
scrutin présidentiel de 2022.
Face à ce risque, la majorité navi­
gue dans le brouillard, au point
d’alimenter une forme de nervo­
sité au sommet de l’Etat. « Le pays
est dans un état de confusion poli­
tique extrême », constate un dé­
puté La République en marche
(LRM). Difficile de lire l’état d’une
société mise à l’arrêt pendant
plus d’un an par la crise sanitaire.
« Il y a trois grandes questions : le
niveau de l’abstention, la mobilisa­
tion ou non de la gauche contre le
RN au second tour, et le fait de
savoir s’il faudra tirer ou pas une
lecture nationale du scrutin », sou­
ligne un proche du chef de l’Etat.
Minces chances de victoire
Les attaques de l’exécutif contre
l’extrême droite partent tous
azimuts ces derniers jours, au ris­
que de manquer leur cible. Le mi­
nistre de l’intérieur, Gérald Dar­
manin, a ainsi été accusé de crier
au loup pour avoir lancé qu’une
victoire du RN dans une région
frapperait d’une « marque satani­
que » le territoire concerné.
Son collègue de la justice, Eric
Dupond­Moretti, candidat com­
me M. Darmanin sur la liste de la
majorité dans les Hauts­de­
France, critique, pour sa part, ceux
qui exploitent le « filon » de l’insé­
curité à des fins politiques. « Sur
certaines chaînes d’info en continu,
un crime, qui faisait l’objet d’une in­
formation, fait aujourd’hui l’objet
de cinquante informations », a­t­il
dénoncé, dimanche, sur Radio J,
dans une référence explicite à
CNews, devenue, selon lui, « la
chaîne de Marine Le Pen ».
Une fin de campagne très serrée dans les Pays de la Loire
Pour conserver la région face à l’écologiste Matthieu Orphelin, Christelle Morançais (LR) doit éviter une quadrangulaire au second tour
nantes ­ correspondant
A peine lancé, le sprint final
de la campagne des régio­
nales en Pays de la Loire
donne le tournis. Peu de suspense
en vue au soir du premier tour : la
présidente sortante, Christelle
Morançais (Les Républicains, LR),
devrait virer en tête, mais une
quadrangulaire pourrait permet­
tre au député écologiste (non en­
carté) du Maine­et­Loire Matthieu
Orphelin, associé à La France in­
soumise (LFI), de ravir la région,
en cas d’union avec le Parti socia­
liste (PS).
Un sondage Ipsos Sopra Steria
pour France 3 crédite Mme Moran­
çais de 25 % d’intentions de vote
le 20 juin. Derrière elle, au coude­
à­coude (19 %), se trouvent deux
La ministre
chargée de la
citoyenneté,
Marlène
Schiappa,
en meeting
pour le
candidat
LRM en Ile­
de­France,
Laurent
Saint­
Martin,
à Paris,
le 12 juin.
JULIEN MUGUET
POUR « LE MONDE »
L’altercation filmée à Péronne
(Somme), la veille, entre le garde
des sceaux et le militant identi­
taire Damien Rieu, candidat du
RN aux départementales, a
montré que cette stratégie de
pression maximale pouvait lui
revenir comme un boomerang.
Accusé par son interlocuteur
d’être venu « promener sa Rolex »
et sommé de travailler « car la
justice en a besoin », au lieu de
faire campagne, le garde des
sceaux est apparu sans voix.
« La vidéo qui a été diffusée est
coupée, c’est un montage », s’étouf­
fe­t­on dans l’entourage d’Eric Du­
pond­Moretti, ce que confirme
une autre vidéo de la scène tour­
née par Le Courrier picard. « Ça en
dit long sur les méthodes du RN ! »,
ajoute un proche du ministre.
Reste que la liste du candidat LRM,
le secrétaire d’Etat chargé des re­
traites Laurent Pietraszewski, que
le garde des sceaux est censé do­
per, plafonne à 10 % d’intentions
de vote. Dans la plupart des autres
régions, les chances de victoire
sont tout aussi minces pour la ma­
jorité, qui espère seulement fran­
anciens compagnons de route :
M. Orphelin, ex­transfuge de La
République en marche (LRM)
ayant claqué la porte du parti
présidentiel, et le député de Loi­
re­Atlantique, l’ancien écologiste
François de Rugy devenu soutien
d’Emmanuel Macron. Le candi­
dat du Rassemblement national
(RN), le député européen Hervé
Juvin, se tient en embuscade
(17 %) et affirme ne pas être op­
posé à un rapprochement avec
Mme Morançais, assurant que
« son électorat partage à 80 % les
valeurs et les convictions qui sont
les nôtres ». Le député socialiste
de Mayenne, Guillaume Garot,
est pour l’heure distancé (14 %).
Pour conserver la tête de l’exé­
cutif, Mme Morançais – qui a suc­
cédé en 2017 au sénateur LR
chir le seuil de 10 % nécessaire à
son maintien au second tour.
« Nos attaques sur le RN sont mal
calibrées. Dire que Le Pen est une
ennemie de la République est une
formidable publicité pour tous
ceux qui s’estiment abandonnés
par la République », soupire un dé­
puté LRM. En clôture de la réunion
du G7, dimanche 13 juin, au Royau­
me­Uni, Emmanuel Macron a
d’ailleurs assuré que le « nationa­
lisme » ne pouvait être contré que
par des « réponses concrètes ».
Une sorte de fatalisme
C’est dans cet esprit que l’exécutif
cherche à montrer sa mobilisa­
tion sur le sujet de l’immigration,
thématique­phare du RN. Ven­
dredi 11 juin, Gérald Darmanin a
demandé aux préfets de renforcer
les sanctions envers les étrangers
en situation irrégulière condam­
nés pour des infractions graves, et
d’accélérer leur expulsion.
« On a tendance maintenant à
tout lire à travers le prisme du RN,
mais c’est une demande des Fran­
çais, estime un conseiller de l’exé­
cutif. Nous sommes dans un équili­
Bruno Retailleau, touché par le
cumul des mandats – pourrait
être tentée de marcher sur les
platebandes du RN – hypothèse
qualifiée d’« impensable » pour
ses partenaires centristes tout
comme par l’intéressée – ou
d’échafauder un accord avec l’ex­
ministre de la transition écologi­
que François de Rugy. Un scéna­
rio intenable pour M. Retailleau,
ancien mentor de Mme Moran­
çais, qui n’écarte pas de défier
Emmanuel Macron lors de la pré­
sidentielle en 2022.
Edouard Philippe en visite
En fidèle partisan du « en même
temps » macronien, M. de Rugy se
dit « prêt à discuter aussi bien avec
la gauche modérée que la droite
modérée ». « Aucun échange » n’a
« Je prendrai
les élus que
les Français
me donneront »,
répète Macron à
ses interlocuteurs
depuis
quelques jours
bre très macronien : les immigrés
ne sont pas jugés pour ce qu’ils
sont mais pour ce qu’ils font. » « A
partir du moment où on incarne
un visage régalien sans excès, c’est
de bon aloi, mais quand on fran­
chit les lignes, on se fourvoie »,
avertit Sacha Houlié, député
(LRM) de la Vienne, pour qui le
duel présidentiel annoncé entre
Emmanuel Macron et Marine le
Pen ne relève pas d’une éventuelle
« stratégie » mais d’un « constat ».
Soucieux de vanter une action
et un bilan dont ne peut se tar­
guer sa rivale, le chef de l’Etat doit
se rendre notamment dans
été établi à ce stade, assure­t­il,
mais il classe Mme Morançais
parmi « les personnalités politiques
modérées », soulignant qu’« elle
n’adopte pas la même posture que
certains représentants LR et n’atta­
que pas à tout bout de champ le
président de la République ou le
gouvernement ».
Une visite alimente les spécula­
tions : l’ex­premier ministre
Edouard Philippe a apporté son
soutien à M. de Rugy, samedi
12 juin, tout en s’affichant aussi
aux côtés de Mme Morançais, di­
manche. M. Orphelin, qui rêve de
voir les Pays de la Loire devenir
« la première région écologiste »,
crie à la « tambouille électorale.
La clarté est de notre côté. On a
toujours affiché notre volonté de
faire alliance avec le PS au soir du
l’Aisne, jeudi, pour une nouvelle
étape de son tour de France post­
crise sanitaire. Il passera en parti­
culier par Villers­Cotterêts, une
commune aux mains de l’ex­FN
depuis 2014, où Emmanuel Ma­
cron a choisi de faire du château
de la Renaissance une « cité inter­
nationale de la langue française ».
Ce déplacement sera centré,
selon l’Elysée, sur la culture, le
pouvoir d’achat, la relance écono­
mique et l’éducation. Il revêtira
aussi une dimension politique,
dans cette région des Hauts­de­
France dont le président sortant
(divers droite), Xavier Bertrand,
opposant de M. Macron pour la
présidentielle, risque de se retrou­
ver au second tour des régionales
au coude­à­coude avec le RN.
Face à la poussée continue du
parti d’extrême droite, une sorte
de fatalisme, pour ne pas dire de
cynisme, pointe au sein de la ma­
jorité. Une victoire du RN poursui­
vrait le travail de recomposition
de la scène politique engagée par
le chef de l’Etat, désireux de sortir
d’une alternance droite­gauche ju­
gée stérile. « Je prendrai les élus que
premier tour. » Mme Morançais se
refuse à annoncer qu’elle recon­
duira la même liste au second
tour. « J’ai trop d’amour pour
cette région pour la laisser aux ex­
trêmes. Je me battrai jusqu’au
bout pour éviter ça », explique­t­
elle. Plus qu’une union délicate
avec LRM, elle mise, sur la consti­
tution d’un « front républicain »
et le désistement de M. de Rugy.
A défaut d’offrir un trophée à la
Macronie, M. de Rugy entend
être le faiseur de rois. « Il y a une
tradition de modération dans no­
tre région, énonce­t­il. L’enjeu du
scrutin est de savoir si on veut pré­
server ce caractère ou si on veut
céder à radicalité ». « Il n’y a
aucune équivoque possible :
Christelle Morançais veut gagner
sur sa liste », défend Franck Lou­
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
les Français me donneront », répète
Emmanuel Macron à ses interlo­
cuteurs depuis quelques jours.
« Une victoire RN ne sera jamais
une bonne nouvelle, mais ça serait
aussi le résultat du vote de 30 %,
35 %, 40 % des gens qui se dépla­
cent aux urnes, il faut regarder la
réalité en face », estime un mem­
bre du premier cercle présiden­
tiel. Un peu comme si l’accession
du RN aux responsabilités dans
une région devenait inéluctable à
terme. « Nous sommes passés de
la dédiabolisation à la banalisa­
tion. Au final, si le RN gagne une ou
plusieurs régions, on entendra “so
what ?” [et alors ?] », soupire un
conseiller de l’exécutif.
Pour l’heure, face à un tel risque
politique, la plupart des têtes d’af­
fiche de la majorité esquivent la
question du front républicain
contre l’extrême droite. Il n’est
pas acquis que les macronistes
contribueront à bâtir ce barrage,
qui serait « mort ou presque »,
selon Stéphane Séjourné, con­
seiller du chef de l’Etat. 
olivier faye
et claire gatinois
vrier, maire LR de La Baule et co­
listier de l’intéressée, qui ajoute
néanmoins : « J’espère juste que
les électeurs lui donneront la pos­
sibilité de confirmer qu’il n’y a
aucune ambiguïté. Car ce serait
une catastrophe si l’extrême gau­
che arrivait aux responsabilités
régionales. »
« Les électeurs vont voter, ce
sont eux qui vont nous dire ce
dont ils ont envie », répond Mme
Morançais, prête à mettre un
terme à sa carrière politique en
cas de défaite. « Le piège se re­
ferme sur Bruno Retailleau,
grince M. Juvin. Si la liste sur la­
quelle il figure doit nouer un ac­
cord avec le parti d’Emmanuel
Macron, alors il peut dire au re­
voir à ses ambitions en 2022. » 
yan gauchard
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
La droite en PACA, reflet d’une fracture nationale
Les Républicains se déchirent entre les partisans d’une entente avec LRM et les défenseurs d’une ligne LR stricte
R
ares sont les régions de
France qui offrent des
paysages aussi divers.
En Provence­Alpes­Côte
d’Azur (PACA), le visiteur trouve de
tout : une mer se déploie à l’ombre
de majestueuses montagnes en­
neigées. La plage au pied des sta­
tions de ski. La droite locale est à
l’avenant, présentant depuis quel­
que temps aux électeurs des visa­
ges aussi contrastés que la topo­
graphie du coin. Au point que cer­
tains estiment qu’il existe dans la
région « deux droites irréconcilia­
bles », aussi opposées que mer et
montagne. Une situation rendue
évidente par le drame en plu­
sieurs actes déclenché par le prési­
dent de PACA et candidat à sa réé­
lection, Renaud Muselier, lequel
s’est proposé de mener une liste
regroupant droite et majorité au
scrutin régional des 20 et 27 juin.
Il n’en fallait pas plus pour que
fusent accusations de trahisons,
indélicatesses verbales et autres
refus de soutien de tous les côtés
au sein du parti Les Républicains
(LR) local, ouvrant une crise sans
précédent pour le mouvement. En
écho à la fêlure, bientôt la faille,
qui lézarde le parti tout entier.
D’un côté ceux qui estiment
pouvoir travailler avec le prési­
dent de la République, de l’autre
les tenants du « ni Marine Le Pen
ni Emmanuel Macron ». Les pre­
miers, emmenés par le maire de
Nice, Christian Estrosi, qui n’a
jamais caché sa volonté de tra­
vailler en bonne intelligence avec
le gouvernement, regroupent des
personnalités comme Renaud
Muselier, mais aussi le maire de
Toulon, Hubert Falco. S’ils ont
quitté LR, les édiles des deux gran­
des villes du Sud demeurent des
personnalités­clés de la droite.
Les seconds n’ont pas forcément
été ministres comme les précé­
dents, mais comptent des figures
nationales de premier plan,
comme le député des Alpes­Mari­
times, Eric Ciotti. Entre les deux
camps, peu de vraie « divergence
idéologique », souligne un élu lo­
cal, mais une « fracture tactique ».
Le tout sur un fond de rivalités,
voire de haines recuites entre des
personnalités voisines, comme
Eric Ciotti et Christian Estrosi.
Interrogé le 13 juin par Le Journal
du dimanche (JDD), Renaud Muse­
Clémentine Autain rêve d’arriver en tête de la gauche en Ile­de­France
La candidate de La France insoumise espère coiffer au poteau ses concurrents du PS et de EELV en difficulté et mener l’union au second tour
I l est 23 h 10, ce lundi 14 juin ; le
débat organisé par LCI touche
à sa fin, et le journaliste David
Pujadas pose à Clémentine Autain
une ultime question : si elle n’ar­
rive pas en tête de la gauche au
premier tour des régionales, le
20 juin, soutiendra­t­elle ensuite
sans état d’âme une liste menée
par ses concurrents – Julien Bayou
(Europe Ecologie­Les Verts, EELV),
ou la tête de liste choisie par les
socialistes, Audrey Pulvar ? Sa
réponse fuse : « J’ai bien l’intention
d’arriver en tête à gauche ! »
A quelques jours du scrutin, la
tête de liste de La France insou­
mise (LFI) en Ile­de­France se
prend à rêver. Ne pourrait­elle pas
obtenir le meilleur score de la gau­
che dimanche soir, mener l’union
au second tour, l’emporter face à la
présidente sortante (Libres !, ex­
Les Républicains) Valérie Pécresse
et faire de l’Ile­de­France la pre­
mière région dirigée par LFI ?
Pour le premier tour, le scénario
ne paraît plus impossible. En dé­
but de campagne, la candidate de
48 ans arrivait systématiquement
en troisième position à gauche
dans les enquêtes d’opinion, der­
rière Julien Bayou et Audrey Pul­
var. Depuis, les courbes se sont re­
Le président
de la région
PACA,
Renaud
Muselier
(à gauche),
et le
candidat du
RN Thierry
Mariani, à
l’IEP d’Aix­
en­Provence
(Bouches­
du­Rhône),
le 10 juin.
PATRICK
GHERDOUSSI
POUR « LE MONDE »
lier s’est fait prophète : « La perte de
Provence­Alpes­Côte d’Azur peut
conduire à la mort de la droite. »
Selon lui, si le Rassemblement
national (RN) et sa tête de liste
locale, Thierry Mariani, gagnent la
région, comme le prédisent les
sondages depuis plusieurs semai­
nes, « tout l’équilibre démocratique
français sera en danger. Tout ce qui
a constitué le corpus idéologique
de la droite s’écroulera d’un coup ».
M. Muselier estime surtout
vouloir lutter contre le RN, répé­
tant que sa « colonne vertébrale est
bien LR » et qu’il se veut le repré­
sentant « d’une droite qui addi­
tionne, pas qui repousse ». « Je ne
refuse pas le soutien de ceux qui me
l’apportent. J’ai proposé une solu­
tion adaptée à mon territoire »,
confie­t­il au Monde. L’élu se dit
d’ailleurs prêt dans Le JDD à
travailler avec la gauche : « Même si
nos idées ne sont pas les mêmes, il
peut y avoir des dossiers traités en
bonne intelligence », a­t­il expli­
qué. Dans le camp de M. Muselier,
jointes. Pénalisées par diverses po­
lémiques, les listes des écologistes
et des socialistes se sont tassées
dans les sondages. Clémentine
Autain n’a pas souffert de tels dé­
boires. « Pas de buzz, pas de couac,
je touche du bois », se réjouit la dé­
putée de Seine­Saint­Denis. Elle a,
au contraire, profité du soutien du
Parti communiste (PCF), qui s’est
rallié en janvier à sa candidature.
A présent, les trois figures de la
gauche régionale se retrouvent
dans un mouchoir de poche. La
dernière enquête, réalisée du 7 au
11 juin par IFOP Fiducial auprès de
982 personnes pour LCI et Le Fi­
garo, accorde 11 % des intentions
de vote à la liste de Clémentine
Autain, autant à celle d’Audrey Pul­
var, et 10 % à celle de Julien Bayou.
« Créer une dynamique »
« Nous sommes la liste en dynami­
que à gauche, s’est glorifiée la tête
de liste LFI dimanche lors d’un
meeting à Montreuil (Seine­Saint­
Denis). Au début de la campagne,
on ne jouait pas pour être en tête au
premier tour, faut se le dire. Et puis
on a grimpé progressivement, et je
suis maintenant testée au second
tour par tous les instituts de son­
dage. C’est une première victoire. »
on ne comprend pas l’hostilité de
ceux qui, comme Eric Ciotti et
toute la fédération des Alpes­Mari­
times, refusent de choisir entre lui
et Marine Le Pen depuis l’officiali­
sation de sa liste commune avec
La République en marche (LRM). A
de multiples reprises, le président
sortant de PACA a demandé à son
parti de « clarifier sa situation »,
jugeant que ce non­choix en était
un en réalité.
« Ce n’est pas ma droite »
Dans l’entourage de M. Estrosi, on
va encore plus loin, jusqu’à parler
de « dérive » d’une partie de la
droite locale. Pour eux, il ne s’agi­
rait pas uniquement de malen­
tendus stratégiques mais bien de
différences idéologiques. Ils en
veulent par exemple pour preuve
les déclarations du sénateur LR
des Alpes­Maritimes, Henri
Leroy, qui dans un entretien dans
Nice­Matin a salué « les convic­
tions pour la France, notamment
pour les grandes valeurs régalien­
Les leaders de
gauche se sont
déjà entendus
pour fusionner
leurs listes
dans la nuit de
dimanche à lundi
Dépasser le seuil des 10 % qui
permet de se maintenir au second
tour, et faire mieux que Julien
Bayou et Audrey Pulvar, n’a cepen­
dant rien d’acquis. La suite,
surtout, s’annonce ardue. Les
leaders de gauche se sont déjà en­
tendus pour fusionner leurs listes
dans la nuit de dimanche à lundi.
Mais pour l’heure, toutes les en­
quêtes donnent Valérie Pécresse
largement réélue au second tour,
quelle que soit la personnalité de
gauche face à elle. Dans l’hypo­
thèse où il s’agirait de Clémentine
Autain, la présidente sortante réu­
nirait 38 % de suffrages, et la gau­
che 27 %, dans le cadre d’une qua­
drangulaire avec le Rassemble­
ment national et La République en
marche, selon l’enquête de l’IFOP.
« On essaie de
nous faire passer
pour des élus qui
veulent rejoindre
le RN, mais c’est
un faux procès »
BERTRAND REYNÈS
député LR
des Bouches-du-Rhône
nes » de Thierry Mariani. Ou en­
core le tract de campagne pour les
départementales d’Eric Ciotti, qui
tient, d’après un proche du maire
de Nice, « le même discours que le
RN » avec des titres tels que « Pour
que la France reste la France » ou
encore « Stop à l’immigration ».
« Ce n’est pas ma droite », expli­
que, énervé, Hubert Falco. Le
rapprochement avec l’extrême
droite n’est, selon lui, pas une
« impression » au regard des « in­
Comment faire mentir les son­
dages ? Samedi 12 juin, entre deux
rencontres de terrain à Genne­
villiers (Seine­Saint­Denis), l’élue
LFI discute avec son équipe dans
une brasserie près de la mairie. « A
gauche, je suis la mieux placée pour
créer une dynamique au second
tour », affirme­t­elle. Ses atouts ?
D’abord, « une expérience accumu­
lée des deux côtés du périphéri­
que », à la mairie de Paris comme
adjointe de l’ancien maire socia­
liste Bertrand Delanoë, puis au
conseil municipal de Sevran (Sei­
ne­Saint­Denis), au conseil régio­
nal et à l’Assemblée nationale. Elle
habite toujours en Seine­Saint­De­
nis. « Cela me permet de mesurer
les besoins, les colères, dit­elle. Et de
pouvoir mobiliser plus que d’autres
l’électorat populaire, qui peut faire
la différence au second tour. »
Ensuite, elle a le verbe clair. Ce
matin­là, une télévision lui
demande de résumer son pro­
gramme en deux minutes chrono.
Pas de problème : elle attaque sur
la justice sociale, promet un « choc
de solidarité » dès juillet, poursuit
sur les 300 centres de santé qu’elle
veut cofinancer, glisse un mot sur
la rénovation du RER B, et termine
sur le « changement du modèle
terventions des uns et des autres ».
M. Falco reste marqué par le
comité stratégique de LR début
mai, où devait se jouer le sort de
Renaud Muselier, quelques jours
après l’annonce par le premier
ministre, Jean Castex, de l’accord
avec le président sortant de
PACA, qui devait illustrer une « re­
composition de la droite ». Hou­
leuse, la réunion de LR a vu
MM. Falco et Estrosi se faire trai­
ter de « malfaisants ». C’est après
cela qu’ils ont tous les deux
quitté le parti. « Personne ne m’a
appelé à ce moment­là », se rap­
pelle le maire de Toulon.
En face, on moque un « procès en
sorcellerie ». « Aujourd’hui, relève
Eric Ciotti, ceux qui nous font ce
procès sont, depuis très longtemps
pour Estrosi, et plus récemment
pour d’autres, des agents traitants
du macronisme. » Pour le député
des Alpes­Maritimes, « leur seul
objectif est de faire éclater la droite
et de faire croire que ceux qui ne
sont pas avec Macron seraient avec
agricole ». Elle n’est pas non plus
du genre à se laisser impression­
ner par ses concurrents. Valérie
Pécresse la caricature en « islamo­
gauchiste » ? « Il faut en finir avec la
droite de Valérie Pécresse, qui
marche dans les pas de l’extrême
droite, réplique Clémentine
Autain. J’appelle les électeurs de
gauche à un sursaut. »
Plafond de verre triple épaisseur
Troisième point fort, l’appui des
communistes, qui gardent une
certaine puissance dans la « ban­
lieue rouge ». Sur leur boucle
WhatsApp, les maires PCF se sont
déjà lancé un défi : quelle com­
mune apportera le plus de voix à
Clémentine Autain ? « Ce sera
Gennevilliers », parie son maire,
Patrice Leclerc. « A moins que ce ne
soit Sevran ! », sourit l’intéressée :
la ville avait voté à 37 % pour Jean­
Luc Mélenchon au premier tour
de la présidentielle de 2017.
La candidate risque néanmoins
de se heurter à un plafond de
verre triple épaisseur. D’une part,
l’ensemble de la gauche se révèle
très faible, avec de 30 % à 35 % seu­
lement des intentions de vote au
premier tour. Son propre posi­
tionnement, le plus à gauche des
| 13
Le Pen ». Et d’ajouter : « Moi, je me
bats pour que demain LR ait un
candidat [à la présidentielle de
2022], eux se battent pour la
victoire de Macron et espèrent en
retirer des avantages de carrière. »
Une position opportuniste en
quête d’un ministère en somme.
Bernard Reynès, député des Bou­
ches­du­Rhône, ne cache pas son
irritation de voir figurer sur les
listes de Renaud Muselier un
potentiel adversaire pour les
prochaines législatives en la per­
sonne de Jean­Pierre Serrus, maire
de La Roque­d’Anthéron (Bouches­
du­Rhône), passé de LR à La Répu­
blique en marche. Quand Renaud
Muselier est venu le 18 mai à
Châteaurenard inaugurer le lycée
Jean­d’Ormesson – ouvert en sep­
tembre 2019 –, le député a carré­
ment boudé la cérémonie.
« Désaccord fondamental »
Les militants, eux, semblent d’ac­
cord. Dans de nombreux villages,
les panneaux consacrés aux régio­
nales restent vides d’affiches de
M. Muselier. Alors que ceux pour
les cantonales arborent les cou­
leurs des candidats LR. Pour
M. Reynès, la situation est « la révé­
lation d’un désaccord fondamen­
tal ». Et de poursuivre : « Avec Eric
Ciotti, on essaie de nous faire pas­
ser pour des élus qui veulent rejoin­
dre le RN, mais c’est un faux procès :
nous ne sommes ni LRM ni RN,
nous sommes Les Républicains et
nous devons le rester. » Pour lui, les
divisions en PACA sont le « premier
étage de la fusée », quand le second
sera « le scrutin présidentiel ».
Christian Jacob, le patron de LR, a
fini par mouiller la chemise pour
son ami Renaud Muselier, lors
d’un meeting, le 5 juin. Après tout,
c’est lui qui avait sifflé la fin de la
récréation en soumettant un texte
qui assure le soutien du parti au
candidat en PACA. Tous attendent
cependant l’intervention d’un
autre deus ex machina : l’ancien
président Nicolas Sarkozy, dont
chacun imagine qu’il penchera
dans son sens. Il en va toujours
ainsi chez LR : sans chef charisma­
tique, point de salut. Or, c’est la
route qui manque aujourd’hui
cruellement à LR pour relier la mer
à la montagne. 
sarah belouezzane
et gilles rof (à marseille)
trois listes, ne peut que la priver de
voix plus au centre. D’autre part,
elle parle peu de sécurité, un des
grands sujets de préoccupation
des habitants. « Elue de Seine­
Saint­Denis, je ne peux pas dire
qu’il n’y a pas de problème, et je
demande depuis des années un
commissariat de plein exercice à
Sevran, répond­elle ce samedi à
un homme qui l’interpelle en
sortant du supermarché. Seule­
ment, la sécurité ne fait pas partie
des compétences de la région. »
Enfin, Clémentine Autain doit
composer avec l’encombrante
image de Jean­Luc Mélenchon, le
patron de LFI, adoré par certains,
abhorré par d’autres. Consciente
de l’effet repoussoir qu’il peut
provoquer, la candidate ne le met
pas en avant. D’autant qu’elle re­
présente aussi le PCF, qui dispose
de son propre candidat à la prési­
dentielle, Fabien Roussel. Mais
parfois, elle se retrouve obligée de
consacrer une partie de son
temps de parole à défendre le lea­
der de son parti. Le sujet a encore
été abordé lundi sur LCI. Si elle
franchit le premier tour, nul doute
que ses adversaires l’attaqueront
de nouveau sur ce thème. 
denis cosnard
 0123
14 | france MERCREDI 16 JUIN 2021

SANTÉ

Bataille autour du
numéro unique
d’appel d’urgence
La panne qu’a connue Orange le 2 juin a relancé
le clivage entre les pompiers, qui réclament
une refonte du système, et les SAMU, souhaitant
conserver leur propre entrée

L
a panne d’équipement qui a per­
turbé l’ensemble des numéros
d’urgence, le 2 juin pendant de
longues heures, a relancé un dé­
bat jamais tranché. Faut­il revoir
notre système d’appels d’ur­
gence, répartis principalement entre le 15
pour le SAMU (service d’aide médicale ur­
gente), le 17 pour la police, le 18 pour les pom­
piers et le 112 pour le numéro européen d’ur­
gence (qui renvoie en majorité vers les pom­
piers ou vers le SAMU).
De cette panne inédite des systèmes de
l’opérateur Orange, qui a donné lieu à l’ouver­
ture de plusieurs enquêtes à la suite de décès
pouvant lui être imputée, les acteurs du se­
cours et de l’urgence ont tiré des conclusions
aux antipodes. N’aurait­il pas été plus simple
d’avoir un seul numéro d’urgence, et ainsi
un seul numéro de contournement, ont
plaidé les sapeurs­pompiers, réaffirmant leur
volonté d’aller vers un numéro unique der­
rière lequel se trouveraient SAMU, police et
pompiers. A l’inverse, ne prendrait­on pas un
risque bien plus grand en n’ayant qu’une
seule plate­forme d’appels pour toutes les ur­
gences, en cas de difficultés futures, a­t­on en­
tendu chez les urgentistes des SAMU.
Derrière une question aux allures techni­
ques, c’est un combat entre les « rouges » (les
pompiers) et les « blancs » (les SAMU) qui se
joue depuis des décennies autour d’un futur
« numéro unique » défendu par les représen­
tants des premiers, honnis par les seconds.
Avec un enjeu central : la prise en charge des
dizaines de millions d’appels arrivant vers les
différents services d’urgence chaque année.
« Tout le monde en convient, le sujet est
complexe, mais il y a surtout beaucoup trop
d’acteurs concernés, d’intérêts en jeu, et d’en­
jeux de pouvoir », relève un observateur.
Les pompiers défendent le 112 Surchargés
par des sollicitations de toute nature,
les pompiers réclament depuis des années la
refonte du système pour pouvoir se concen­
trer sur les interventions cruciales, avec un
numéro unique, le 112. Pour plus de lisibilité
pour les citoyens, pour plus d’efficacité au
« décroché » en arrêtant de mettre dans la
même file d’attente l’arrêt cardiaque et la
grippe… « Nous passons notre temps à
nous transférer des appels avec le SAMU, à
nous dicter des adresses, ce n’est pas fluide,
dit Patrick Hertgen, vice­président de la Fédé­
ration nationale des sapeurs­pompiers de
France, rappelant que 85 % des interventions
des pompiers concernent du secours d’ur­
gence aux personnes (6 % des incendies). Il se­
rait beaucoup plus efficace d’être ensemble, de
pouvoir échanger de vive voix, de faire chacun
notre boulot mais les uns à côté des autres,
avec un opérateur initial qui répartirait les ap­
pels selon la dominante. »
A côté de ce numéro réservé à l’urgence,
un numéro médical pour les soins non pro­
grammés existerait. « Les SAMU confisquent le
débat en faisant croire que nous voulons tuer
la régulation médicale, alors que ce n’est pas
du tout le cas, c’est de la désinformation »,
s’énerve le médecin, qui rappelle qu’Emma­
nuel Macron s’était engagé en faveur du nu­
méro unique, en 2017.
Les SAMU veulent conserver une porte
d’entrée médicale Du côté de l’hôpital et
des SAMU, où l’on souligne que l’on reçoit
31 millions d’appels par an, soit 40 % de l’en­
semble des appels vers des numéros d’ur­
gence, l’opposition est frontale envers ce
qu’on considère d’abord comme une vo­
lonté des pompiers de prendre la main sur
l’ensemble du système. « Le “décroché” doit
rester médical, les premiers éléments donnés
par la personne au téléphone sont très im­
portants, cela permet de gagner du temps
et d’être le plus pertinent possible dans l’en­
gagement de moyens (envoi d’une ambu­
lance, d’un SMUR…), défend François Braun,
à la tête du syndicat SAMU­Urgences de
France. Ce serait une perte de temps d’ajou­
ter un intermédiaire, ça n’a pas de sens. »
Il s’agirait en outre de « demander aux Fran­
çais de faire la différence entre l’urgence et la
non­urgence », rejette­t­il.
La Fédération des hôpitaux de France
(FHF) lui emboîte le pas en alertant aussi
sur le risque d’aggravation de la situation
des urgences hospitalières, avec un recours
qui y serait plus systématique en l’absence
d’un avis médical donné dès le départ.
« C’est ce que l’on voit dans plusieurs pays
européens ayant ce numéro unique », défend
Frédéric Valletoux, son président.
Un « service d’accès aux soins » testé de­
puis janvier Dans les rangs des SAMU et de
la FHF, on défend ainsi un tout autre numéro
unique : un numéro « santé », sur le modèle
du système expérimenté depuis janvier sur
22 sites sous la forme du « service d’accès aux
soins », le « SAS ». Ces dispositifs doivent unir
« NOUS PASSONS  SAMU et médecine de ville pour répondre à
NOTRE TEMPS À  toute demande imprévue de soins, qu’elle
qu’en soit la gravité ou l’urgence.
NOUS TRANSFÉRER  Créé dans la foulée du pacte de refonda­
tion des urgences engagé par le gouverne­
DES APPELS  ment à l’automne 2019, le SAS a reçu le sou­
tien des urgentistes et des associations de
AVEC LE SAMU,  patients, mais a aussi soulevé inquiétudes
À NOUS DICTER DES  et réticences dans les rangs des syndicats
de médecins libéraux. Ces derniers se posi­
ADRESSES, CE N’EST  tionnent en effet en faveur d’un numéro
propre (le 116­117) pour ce qui relève de la de­
PAS FLUIDE » mande de soins non programmés, souhai­
PATRICK HERTGEN tant disposer d’une autonomie dans la ges­
vice-président tion de ces appels et ne pas être sous la
de la Fédération nationale coupe des SAMU.
des sapeurs-pompiers
de France Une nouvelle expérimentation en vue
Cette reprise de la passe d’armes entre les ac­
teurs du soin et des secours n’intervient pas
en terrain neutre. Quelques semaines à peine
avant la panne sur les numéros d’urgence,
la proposition de loi du député (La Républi­
que en marche, Var) Fabien Matras, « visant à
consolider notre modèle de sécurité civile et va­
loriser le volontariat des sapeurs­pompiers », a
ravivé les tensions.

Au SAMU de Moselle, un système de tri des urgences plus efficace

Testé depuis janvier au centre hospitalier de Metz, le service d’accès aux soins permet d’améliorer le traitement des appels

REPORTAGE tion des services des urgences.

Dans la cité du Grand­Est, où les
« NOUS ATTEIGNONS « D’ores et déjà, nous atteignons
95 % d’appels répondus après
ché par un enseignant. « On fait de
tout en médecine générale, rappel­
médecin traitant », dit le docteur
Obrecht. Pour ça, il dispose d’une
metz ­ envoyée spéciale
médecins généralistes travail­ 95 % D’APPELS  moins de trente secondes d’attente, le­t­il. Dans ce cas­là, il n’y avait application donnant une liste des

O n ne se rend pas compte,

mais ça va très vite
trente secondes. » Installé
à l’un des postes des répondants
au service d’aide médicale urgente
(SAMU) de Moselle, à Metz, l’auxi­
liaire de régulation médicale
Maxime Dufour vient de terminer
avec une dame « un peu dure de la
feuille », dit­il avec le sourire, après
avoir dépassé son objectif de quel­
ques unités. « Urgences santé bon­
jour », enchaîne­t­il en cliquant sur
un nouvel appel.
Trente secondes, c’est le temps
maximum que doit respecter le
jeune homme de 29 ans pour « ca­
tégoriser l’urgence », c’est­à­dire
« faire le tri entre l’urgence vitale et
l’urgence relative », avant de trans­
férer l’appel vers l’une des deux
filières de la salle du centre mes­
sin : les urgentistes et les médecins
généralistes.
Metz fait partie des 22 sites pilo­
tes du service d’accès aux soins, le
« SAS », expérimentés sur le terri­
toire depuis janvier. Avec un objec­
tif : rapprocher SAMU et médecine
de ville, afin de mieux répondre
aux besoins et d’éviter la satura­
laient déjà en étroite collaboration
avec le SAMU depuis 1992, le nou­
veau système expérimenté a per­
mis de passer à la vitesse supé­
rieure. Avec, en premier lieu, le
« décroché biniveau », instauré dès
le mois de novembre 2020, ce
triage initial effectué par Maxime
Dufour, en première ligne, le ven­
dredi 11 juin, avec une collègue.
Dans le dos du jeune homme
s’affiche, en direct, le temps
moyen d’attente des appelants.
« 17 secondes », à cette heure méri­
dienne, soit un bon score. Plu­
sieurs numéros mènent jusqu’au
centre de réception installé au rez­
de­chaussée de l’hôpital de Mercy,
l’un des sites du centre hospitalier
régional de Metz­Thionville : le 15,
mais aussi le 112 (numéro d’ur­
gence européen), ou encore Medi­
garde, la ligne de la permanence de
soins des généralistes.
« Les trois quarts du temps, les
choses sont claires », reprend
l’auxiliaire de régulation, mon­
trant sur son bureau la liste des
« détresses vitales », comme l’arrêt
cardiaque ou l’accouchement im­
minent, pour lesquelles il peut dé­
RÉPONDUS APRÈS MOINS 
DE TRENTE SECONDES 
D’ATTENTE, CONTRE 80 %  L’objectif est d’atteindre 99 %.
À 85 % AUPARAVANT »
FRANÇOIS BRAUN
patron du SAMU de Moselle
clencher immédiatement des
« moyens » (structure mobile d’ur­
gence et de réanimation, ambu­
lance…). Parfois, démêler le fil est
plus complexe. « Pour une douleur
thoracique ou abdominale, cela
part vers le SAMU la plupart du
temps, mais cela peut être une crise
d’angoisse pouvant être traitée de
ce côté­là », explique­t­il en mon­
trant les bureaux du pôle de mé­
decine générale, que certains ur­
gentistes appellent encore la « bo­
bologie ». Pour déterminer la gra­
vité, M. Dufour doit enchaîner des
questions sur « l’irradiation de la
douleur », la « gêne respiratoire » et
les « antécédents » de la personne,
énumère­t­il mécaniquement.
contre 80 % à 85 % auparavant, se
réjouit François Braun, patron du
SAMU de Moselle et chef du pôle
urgences du centre hospitalier.
L’homme de 58 ans, président du
syndicat SAMU­Urgences de
France, est un des fondateurs du
concept du SAS et fervents défen­
seurs de cette « porte d’entrée uni­
que pour tout problème de santé
considéré par quelqu’un comme
urgent ». La crise liée au Covid­19
est venue donner un « coup d’ac­
célérateur » au dispositif, avec la
mise en place de ce premier tri à
l’arrivée dès la première vague épi­
démique qui a frappé violemment
la région. « C’est ce qui nous a per­
mis de tenir », précise le médecin,
rappelant que les appels avaient
été multipliés par trois en vingt­
quatre heures.
A quelques mètres, chez les
confrères de médecine générale
du docteur Braun, Jacques
Obrecht vient de terminer de gé­
rer le cas d’un jeune homme de
13 ans, « avec idées suicidaires », ta­
pe­t­il sur son clavier, qui a tenté
de se défenestrer et en a été empê­
plus de risque vital immédiat, nous
avons envoyé une ambulance pour
l’emmener aux urgences pédiatri­
ques. » 60 % des appels sont trans­
férés après triage du côté de la mé­
decine générale.
C’est « plus fluide »
Avec le SAS, le médecin généra­
liste de 64 ans comme ses collè­
gues le soulignent : c’est « plus
fluide ». « On peut échanger direc­
tement en cas de problème, et re­
basculer l’appel d’un côté ou de
l’autre si besoin. » Plus fluide aussi
grâce à des répondants plus nom­
breux. Les généralistes qui tour­
nent sur la régulation ont doublé,
passant d’un à deux en journée
(jusqu’à six durant le week­end),
de même que les auxiliaires de ré­
gulation médicale qui sont passés
de cinq à sept – d’autres doivent
être embauchés prochainement.
Le financement annuel alloué
pour développer ce projet pilote
est de 1,9 million d’euros.
« Nous faisons du conseil médi­
cal, ou bien nous essayons de trou­
ver un rendez­vous chez un méde­
cin, si ce n’est pas possible chez le
médecins volontaires dans le sec­
teur, et sur son deuxième écran
s’affiche la plate­forme de réserva­
tion en ligne Doctolib.
Son confrère Alain Prochasson,
à l’initiative lui aussi du SAS, ne
manque pas de le souligner : on ne
« régule » pas de la même façon
des deux côtés de la salle. « Les ur­
gentistes ne savent pas, ou moins
bien, réguler la médecine libérale,
de même que nous ne savons pas
faire leur métier, résume le généra­
liste, membre de la Confédération
des syndicats médicaux français.
Ici, c’est chacun chez soi, mais nous
avons la chance d’avoir l’habitude
de travailler ensemble, nous avons
fait notre place dans l’hôpital. »
Reste plusieurs points­clés à dé­
terminer avec l’Assurance­mala­
die pour une extension plus large
du dispositif, tel le montant de
l’incitation financière qu’espè­
rent obtenir les médecins généra­
listes qui participeraient au SAS
en libérant des plages dans leurs
agendas. A cette fin, les discus­
sions avec les syndicats ont repris
ce mois­ci. 
c. st.
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021 france | 15

Laïcité : l’éducation
nationale lance
un plan de formation
Un rapport de Jean­Pierre Obin,
ancien inspecteur général, souligne
une « confusion intellectuelle » sur le sujet

L’article 31 prévoyait initialement l’expéri­
mentation d’un numéro unique d’appel
d’urgence pour la police, les pompiers et les
SAMU, provoquant une levée de boucliers
dans le monde médical. Modifié en commis­
sion, le texte – adopté le 27 mai à l’Assemblée
nationale mais qui doit encore être examiné
au Sénat à la rentrée – inscrit finalement trois
configurations possibles pour ce numéro
unique, à tester sur trois ans : un rapproche­
ment de l’ensemble des services (pompiers,
police, SAMU), une fusion sans police se­
cours, ou le regroupement du SAMU et des
médecins de la permanence des soins, en
interconnexion avec les autres services d’ur­
gence. « Une solution de sagesse », juge le rap­
porteur du texte, Fabien Matras, qui a évoqué
devant la représentation nationale un article
« rédigé en collaboration avec les ministères
de la santé et de l’intérieur [dont relèvent
les sapeurs­pompiers] ». Un texte remanié
qui a reçu en outre l’assentiment de l’ensem­
ble des acteurs, souligne­t­il.
Vers un statu quo ? Il n’empêche, chez les
pompiers, très favorables à la version initiale
de la proposition de loi, « on s’attend à des ré­
sistances énormes de la part des SAMU [pour
Au centre
de réception
et de régulation
des appels
du SAMU 57
L’ éducation nationale for­
me­t­elle suffisamment
ses enseignants à répon­
dre aux atteintes à la laïcité ? Clai­
rement non, répond Jean­Pierre
(à gauche), Obin, ancien inspecteur général
au CHR de Metz­ de l’éducation nationale, dans un
Thionville, rapport remis au ministre de
en Moselle, l’éducation, lundi 14 juin. Déjà à
le 11 juin. l’origine d’un rapport alarmant,
François Braun en 2004, sur le respect de la laïcité
(à droite), à l’école, l’auteur de Comment on a
directeur du laissé l’islamisme pénétrer l’école
SAMU 57 et chef (Hermann, 2020) a été missionné,
du pôle urgences le 1er février, par le ministre de
du CHR. l’éducation, Jean­Michel Blanquer,
NICOLAS LEBLANC/ pour rendre des propositions sur
ITEM « POUR LE MONDE » la formation des enseignants.
La mission intervient dans le
contexte du projet de loi confor­
tant le respect des principes de la
République, mais aussi du Gre­
nelle de l’éducation, qui a révélé
une demande sur le sujet – et dans
la foulée des « incidents » qui ont
émaillé les hommages scolaires à
Samuel Paty, assassiné le 16 octo­
l’expérimentation du numéro unique], re­ bre par un terroriste islamiste.
AVANT LA PANNE,  prend Patrick Hetgen. Et avec le calendrier Dans son rapport, Jean­Pierre
LA PROPOSITION  politique, une expérimentation sur trois ans Obin fait état d’une « confusion in­
lancée en 2021… On sait bien que c’est extrê­ tellectuelle » constatée après avoir
DE LOI « VISANT À  mement précaire. » interrogé enseignants, élèves et
Si le gouvernement, favorable à la dernière personnels de l’éducation natio­
CONSOLIDER NOTRE  rédaction de l’article 31, ne s’est pas pro­ nale sur leur définition de la laïcité
MODÈLE DE SÉCURITÉ  noncé en faveur d’un modèle plutôt qu’un et des valeurs républicaines. Il pro­
autre, au ministère de la santé, on retient pose un plan de formation qui per­
CIVILE ET VALORISER  d’abord de ce « projet équilibré » qu’il pro­ mettrait, en quatre ans, d’offrir
pose « d’expérimenter plusieurs configura­ un « premier niveau de formation
LE VOLONTARIAT DES  tions des numéros d’urgence dont le service à la laïcité » aux personnels, par
d’accès aux soins ». le biais d’une journée de forma­
SAPEURS­POMPIERS »  Dans ce paysage de plus en plus complexe tion dans chaque établissement
AVAIT DÉJÀ RAVIVÉ  entre le SAS et ces nouvelles expérimenta­ scolaire du territoire. Jean­Michel
tions en vue, « plus personne ne sait où on Blanquer a détaillé, lundi, les prin­
LES TENSIONS va », déplore pour sa part Patrick Pelloux, à cipaux points retenus. Dès la ren­
la tête de l’Association des médecins urgen­ trée 2021, un plan de formation sur
tistes de France. Son association se distin­ quatre ans sera lancé. Mille forma­
gue, dans les rangs des acteurs médicaux, teurs suivront d’abord un ensei­
par son soutien à un numéro unique comme gnement intensif, avant de rayon­
celui défendu par les pompiers, plutôt qu’à ner dans « chaque école, collège ou
un numéro « santé ». « On doit arrêter de lan­ lycée », a précisé le ministère.
cer ces expérimentations sans jamais tran­ « Tous les personnels, quel que soit
cher, reprend le docteur Pelloux. Il faut re­ leur statut », seront formés.
mettre tout le monde autour de la table, et La formation initiale des ensei­
qu’il y ait une décision politique. »  gnants évolue également, en
camille stromboni conformité avec les propositions
de Jean­Pierre Obin : des « repè­
res » sur la laïcité ont été adressés
aux Inspé, les centres universitai­
Sainte­Honorine (Yvelines), quel­
ques jours avant l’assassinat de
Samuel Paty, qui y enseignait.
La mort de ce professeur d’his­
toire­géographie – après un cours
sur la liberté d’expression au cours
duquel il avait montré plusieurs
caricatures de Mahomet – a ravivé
un sentiment d’impuissance, chez
une partie des enseignants, face à
l’incompréhension de certains
élèves du droit au blasphème.
« Les enseignants ont peur »
« L’autocensure des enseignants,
qui craignent de dire quelque
chose qui pourrait créer une alter­
cation, atteint des proportions
inquiétantes depuis cet événe­
ment, assure Jean­Pierre Obin au
Monde. De nombreux chefs d’éta­
blissement et directeurs d’école
m’ont parlé de ce phénomène.
Selon eux, les enseignants ont
peur, mais ne disent rien. » Dans
une enquête IFOP pour la Fonda­
tion Jean Jaurès et Charlie Hebdo
publiée le 6 janvier, 49 % des pro­
fesseurs disaient s’être déjà auto­
censurés dans leur enseignement
autour des questions religieuses.
Le rapport note en outre la pro­
gression chez les élèves de la vi­
sion d’une « laïcité coercitive,
voire punitive, conçue pour brider
l’expression des religions, et d’en­
seignants insensibles voire hosti­
les à leurs convictions ». Les élèves
en question entraîneraient dans
leur sillage ceux qui n’ont pas
d’appartenance religieuse. « A
l’évidence, nous n’avons pas su (…)
faire comprendre à nos élèves
combien le principe constitution­
nel de laïcité était protecteur des
libertés », ajoute Jean­Pierre Obin.
Face à ce problème, les ensei­
gnants, mais aussi les autres per­
sonnels de l’éducation nationale,
font montre de connaissances
« disparates », faisant entrer dans
les « valeurs de la République » des
notions qui n’y figurent pas, et en
oubliant d’autres. « La “diversité”
est fréquemment citée et apparaît
comme thème de formation aux ni­
veaux académique et national »,
relève par exemple le rapport,

Les soignants dans la rue pour l’hôpital public res dans lesquels les candidats se
préparent aux concours de l’ensei­
gnement, pour « faciliter la prépa­
Les personnels, qui devaient manifester mardi, demandent hausses de salaire et recrutements ration » de l’épreuve d’admission,
qui comporte une évaluation sur
la transmission des valeurs de la
République. Une anthologie de
textes de référence sur la laïcité
ajoutant que les acteurs sont « en
peine de citer un texte l’ayant insti­
tuée comme principe républicain ».
Les professeurs réclament une
définition claire et commune des
« valeurs de la République » qu’ils
sont tenus d’enseigner à leurs
élèves, constate l’ancien inspec­

A lors que la pression à l’hô­

pital diminue à la faveur
d’une baisse du nombre
de patients contaminés par le
Covid­19, les professionnels de
santé devaient de nouveau être
dans la rue, mardi 15 juin. Un an
quasiment jour pour jour après
les manifestations post­première
vague, et avec les mêmes mots
d’ordre, plusieurs syndicats et col­
lectifs du monde de la santé appel­
lent à manifester pour l’hôpital pu­
blic. Des rassemblements étaient
prévus dans toute la France.
Au cours de cette année mar­
quée par la pandémie, les accords
du Ségur de la santé – le plan acté
par le gouvernement en juil­
let 2020 pour l’hôpital – ont prévu
une hausse des rémunérations de
183 euros pour les personnels pa­
ramédicaux et non médicaux
des établissements hospitaliers
et des établissements d’héberge­
ment pour personnes âgées dé­
pendantes (Ehpad), appliquée de­
puis six mois. A compter du 1er oc­
tobre, les grilles salariales des
personnels paramédicaux de la
fonction publique hospitalière
doivent aussi être revalorisées.
Mais pour les organisations qui
appellent à la mobilisation et à la
grève (CGT, SUD­Santé, Action pra­
ticiens hôpital, SNPI­CFE­CGC, Col­
lectifs inter­hôpitaux et inter­ur­
gences…), le compte n’y est pas. El­
les réclament une hausse des ré­
munérations pour atteindre les
300 euros demandés en novem­
bre 2019, un recrutement massif
et l’arrêt des fermetures de lits.
« Lors de la troisième vague, l’hô­
pital s’est retrouvé dans une situa­
tion toujours plus dégradée, avec
moins de personnels », dénonce
Christophe Prudhomme, délégué
national à la CGT­Santé. La fuite de
soignants, constatée par les syn­
dicats après l’été 2020, a repris se­
lon eux depuis le 1er juin, avec la fin
du plan blanc dans de nombreux
hôpitaux, qui gelait toute de­
mande de mise en disponibilité.
Les mesures du Ségur n’ont pas eu
l’effet d’attractivité escompté.
Si aucun chiffre ne permet de
mesurer l’ampleur de cette fuite
de l’hôpital public, une enquête de
la Fédération hospitalière de
France menée auprès de 300 éta­
blissements recensait, au len­
demain de la première vague,
en septembre 2020, 12 200 départs
d’infirmières et d’aides­soignants,
un chiffre en « légère hausse » par
rapport aux années précédentes.
« Avant le Ségur, les infirmiers se
situaient à – 20 % par rapport au
salaire moyen européen, souligne
Thierry Amouroux, porte­parole
du Syndicat national des profes­
sionnels infirmiers­CFE­CGC. De­
puis la revalorisation, on est encore
à – 10 %. »
« A flux tendu en permanence »
Laure Murawski, infirmière en
réanimation à Paris, a pris sa déci­
sion. Et ce, depuis la fin de la pre­
mière vague : elle va quitter l’hôpi­
tal. « Trop c’est trop, souffle­t­elle.
On nous demande de faire trop d’ef­
forts, tout le temps, on est à flux
tendu en permanence… On peut
faire preuve de toute la résilience
qu’on veut, au bout d’un moment,
ce n’est plus possible. » En poste en
réanimation depuis sept ans, en
première ligne durant la crise sa­
nitaire, la jeune femme a fondu en
larmes devant des collègues dans
un groupe de parole encadré par
un psychiatre, en mars. En décem­
bre, elle raccrochera sa blouse
pour devenir coach sportif.
Ces départs sont symptomati­
ques de la dégradation des condi­
tions de travail dans l’hôpital pu­
blic, et liés au manque d’effectifs
criant, selon les syndicats. La CGT
chiffre les recrutements nécessai­
res à 400 000 personnes, entre
l’hôpital, les Ehpad, l’aide à domi­
cile, le secteur du handicap.
Enfin, les organisations deman­
dent l’arrêt des fermetures de lits,
qui se poursuivent malgré la pan­
démie, selon elles. Dernier exem­
ple : la fusion des hôpitaux Bichat
(18e arrondissement de Paris) et
Beaujon (Clichy, Hauts­de­Seine)
pour créer l’hôpital Grand Paris­
Nord à l’horizon 2028, se solderait
par la fermeture de plusieurs cen­
taines de lits.
Plusieurs collectifs de soignants
(Collectifs inter­urgences et inter­
hôpitaux), et de citoyens se sont
rassemblés dans l’association No­
tre hôpital, c’est vous. Ils ont pré­
senté, le 3 juin, un projet de réfé­
rendum d’initiative partagée pour
garantir l’accès aux soins pour
tous à l’hôpital public. « En tant
que soignants, nos moyens d’ac­
tion sont très faibles, dit le cardio­
logue Olivier Milleron, membre
du Collectif inter­hôpitaux. C’est à
la population de se mobiliser pour
montrer son attachement au sys­
tème hospitalier. » Avec l’espoir
d’imposer le sujet dans le débat
des présidentielles. 
margueritte de lasa
devrait également être éditée et
distribuée dans toutes les écoles et
établissements scolaires.
Ce ne sont pas les premières
mesures prises par le ministre de
l’éducation, tenant d’une ligne
ferme sur la laïcité. Peu après son
arrivée Rue de Grenelle, il avait
mis en place un conseil des sages
de la laïcité, dont les principales
têtes pensantes ont été interro­
gées par Jean­Pierre Obin. Des
équipes « laïcité et valeurs de la
République » ont également été
créées dans les rectorats. Elles sont
chargées de recueillir les signale­
ments et d’accompagner les ensei­
gnants en difficulté. Un référent
laïcité du rectorat de Versailles
était d’ailleurs intervenu au col­
lège du Bois­d’Aulne de Conflans­
Mille formateurs
suivront
un enseignement
intensif, avant de
rayonner dans
« chaque école,
collège ou lycée »
teur général, ainsi que des sup­
ports pédagogiques concrets sur
lesquels s’appuyer, et un accompa­
gnement lorsqu’ils font l’objet de
menaces ou d’altercations avec les
élèves ou leurs parents sur ce sujet.
Les raisons de ces lacunes sont à
chercher dans la formation conti­
nue des enseignants. Les heures
de formation obligatoires sont
orientées en priorité, dans le
premier degré, vers les fondamen­
taux – mathématiques et français.
« On a lancé un plan pour les
maths, il faut pouvoir faire pareil
pour la laïcité », commente Jean­
Pierre Obin, dont le rapport souli­
gne qu’un enseignant du premier
degré sur 100 avait reçu une
formation sur la laïcité au cours de
l’année scolaire 2018­2019,
cinq fois inférieur à ce qu’il était
trois ans plus tôt.
L’autre priorité, souligne
M. Obin, est de former « rapide­
ment » tous les assistants d’éduca­
tion, pour qu’ils puissent répon­
dre aux atteintes à la laïcité dans le
cadre de la vie scolaire. « Par défini­
tion, les assistants d’éducation ont
une plus grande proximité avec les
jeunes, donc ils ne sont pas témoins
des mêmes choses. » 
violaine morin

16 | france
Terrorisme : « Les algorithmes sont une nécessité »
Boaz Ganor, expert israélien, pense que l’intelligence artificielle peut aider à détecter les « loups solitaires »
ENTRETIEN
A
lors que le projet de loi
sur la prévention des
actes de terrorisme et
le renseignement est
en cours d’examen au Sénat, Boaz
Ganor, fondateur et directeur exé­
cutif de l’Institut international
pour le contre­terrorisme (ICT),
détaille l’usage fait par Israël des
algorithmes et de l’intelligence ar­
tificielle (IA) en matière de lutte
contre le terrorisme. La principale
nouveauté du texte de loi tient à la
pérennisation de l’usage des algo­
rithmes, surnommés « boîtes noi­
res », et à leur extension aux URL,
c’est­à­dire aux noms de domai­
nes consultés sur Internet.
Depuis quand Israël utilise l’IA
et les algorithmes en matière
de contre­terrorisme ?
En 2015, Israël a été confronté à
une vague massive d’attaques au
couteau, menées par des « loups
solitaires » palestiniens, qui a duré
deux ans et demi. Ce phénomène
a débuté en 1987 lors de la pre­
mière Intifada. Mais, en 2015, les
services de sécurité et de rensei­
gnement ont été pris de court par
son ampleur. C’est là qu’ils ont eu
recours à l’IA, qui s’est révélée plu­
tôt efficace.
Quel est l’intérêt de l’IA contre
ce type d’attaques ?
Parmi les différents types de ter­
roristes, les « loups solitaires » sont
des assaillants individuels, qui
n’ont pas de lien opérationnel avec
un groupe. Cela ne veut pas dire
qu’ils ne sont pas inspirés par telle
ou telle organisation, mais ils
n’ont pas été recrutés et n’ont pas
reçu d’aide pour mener à bien leur
projet. Or, les « loups solitaires » ne
discutent pas de leurs plans au té­
léphone ou avec leur famille, ils ne
reçoivent pas d’ordre. Ils passent à
l’acte, c’est tout. Et, parmi eux, il y a
des « assaillants spontanés » qui
ne savent pas qu’ils vont mener
une attaque le matin même. C’est
le fruit d’une opportunité, d’un
état d’esprit ou d’une contrariété.
La radicalisation était déjà là, mais
pas le projet. Ce sont les plus diffi­
ciles à appréhender, car ils échap­
pent à toute surveillance classi­
que, et même leur famille ne se
doute souvent de rien.
On s’est aperçu que la plupart
des « loups solitaires » palesti­
niens donnaient des signaux pré­
coces de cette radicalisation dans
A Bobigny, un ancien juré jugé pour avoir révélé le verdict d’un procès
En 2019, un homme avait dévoilé sur Snapchat les peines que le président de la cour d’assises était encore en train de rédiger
D’ abord, il y a « Djo », dit
le « petit du 13 », avec
sa raie tondue, sillon
net sur cheveu ras. Jean et t­shirt
noir, silhouette trapue, l’air de
sortir de l’œuf malgré ses 25 ans.
Cet ancien juré suppléant de cour
d’assises comparaît, lundi 14 et
mardi 15 juin, devant le tribunal
correctionnel de Bobigny, pour
avoir dévoilé, en février 2019, le
verdict du procès sur le réseau
social Snapchat, alors que le prési­
dent était encore en train de le
rédiger. L’affaire, inédite, avait
fait grand bruit. « Sept et qua­
torze ans, tous les autres acquit­
tés », avait pianoté Joaquim Du­
flos sur son téléphone : huit petits
mots qui peuvent lui coûter un an
de prison et 15 000 euros
d’amende pour violation du se­
cret professionnel.
Les deux autres prévenus, Mo­
hamed Aziz, dit « Razmo » 37 ans,
et Anthony Filiberti, dit « Butch »,
36 ans, sont soupçonnés d’avoir
exercé sur lui menaces et intimi­
dations et cherché à peser sur la
le cadre de leurs interactions sur
les réseaux sociaux. Contraire­
ment aux criminels de droit com­
mun, les terroristes agissent par
« altruisme » : ils défendent leurs
valeurs, leur religion ou leur pa­
trie et le font savoir. L’IA est capa­
ble de brasser une quantité phé­
noménale de données et d’isoler
des signaux extrêmement fai­
bles, une activité ou un état inha­
bituel, que l’intelligence humaine
n’aurait pas repérés. Par ailleurs,
une étude que nous avons menée
sur des « loups solitaires » con­
damnés à des peines de prison en
Israël montre un niveau élevé
d’instabilité mentale. Il est possi­
ble de chercher à détecter ce genre
de comportement en ligne.
Comment mesurer l’efficacité
des algorithmes et de l’IA ?
En 2015, on a recensé 163 atta­
ques de « loups solitaires » en Is­
raël. En 2016, il y en a eu cent huit
et, en 2017, cinquante­quatre.
D’après les données publiées par
l’Israel Security Agency [ISA, le
service de sécurité intérieure israé­
lien], plus de deux mille attaques
ont été empêchées en 2015­2016,
et mille cent en 2017. L’ISA parle
d’« attaques potentielles ».
décision des jurés. Le but étant
d’obtenir l’acquittement de deux
de leurs proches, « Afo », ou « le
Zient » (pour le Tunisien) et le
« Docteur », dans ce fameux pro­
cès hors normes. Huit personnes
étaient jugées du 24 janvier au
7 février 2019 par la cour d’assises
de Seine­Saint­Denis pour avoir
séquestré et torturé avec une par­
ticulière barbarie leur passeur
de drogue qu’ils soupçonnaient,
à tort, de leur avoir volé une par­
tie de leur marchandise.
Requalification des faits
L’atmosphère du procès, très
lourde au regard de la gravité des
actes commis, s’était encore dé­
gradée le jour où un homme avait
réussi à photographier les jurés,
sans pouvoir être interpellé, un
incident parmi d’autres. Au point
que le président de la cour d’assi­
ses, Philippe Jean­Draeher, avait
envoyé une note à sa hiérarchie,
révélée par Le Parisien en septem­
bre 2019, sur « la difficulté de ju­
ger les criminels en Seine­Saint­
« L’IA est
une technologie
en cours de
développement,
dont nous
ne maîtrisons pas
toutes les
conséquences »
Que recouvre ce concept
d’« attaque potentielle » ?
Ici, on prend en compte deux cri­
tères : le niveau de préparation et
le niveau de motivation. Or, la plu­
part des attaques de « loups soli­
taires » sont menées à l’arme blan­
che ou à la voiture­bélier et ne ré­
clament donc aucune prépara­
tion. Le seul moyen de juger de la
potentialité d’une attaque revient
donc à analyser la motivation.
Mais c’est un critère très complexe
à évaluer : je ne voudrais pas être
mal compris, mais chaque Palesti­
nien des territoires occupés pour­
rait avoir des raisons de commet­
tre un attentat, et pourtant ils ne le
font pas. Le concept de « terroriste
potentiel » est très problématique.
Denis » – sans pour autant sus­
pendre le procès. Acquittés mais
rejugés en appel en juin 2020,
« Afo » et le « Docteur », étaient
condamnés à quinze et neuf ans
de prison.
Rien de rocambolesque ne sur­
git, lundi, au tribunal correction­
nel de Bobigny. D’emblée, le subs­
titut du procureur, Adrien Lu­
neau, propose une requalifica­
tion des faits en « entrave au bon
fonctionnement de la justice ». Ce
qui ferait tomber le chef d’« asso­
ciation de malfaiteurs » et rédui­
rait les peines encourues. Pour
autant, la gravité des faits ne cesse
d’être rappelée aux trois hommes
qui manifestent leurs regrets. Le
président du tribunal, Benoît
Descoubes, lit le serment prêté
par les jurés de cour d’assises, te­
nus ad vitam au secret et inter­
roge Joaquim Duflos.
« On vous a lu cette formule ?
[Le jeune homme hoche la tête.]
– Qu’est ce qui n’est pas clair
dans cette formule ?
– C’est clair, M. le Président. »
Je n’ai aucun doute quant au fait
que l’IA est devenue une nécessité
en matière de contre­terrorisme
et a fait la preuve de son efficacité.
Mais j’ai des inquiétudes, car c’est
une technologie en cours de déve­
loppement, dont nous ne maîtri­
sons pas toutes les conséquences.
Quelles sont vos inquiétudes ?
Je partage les réserves d’Henry
Kissinger dans son célèbre article
sur l’IA dans The Atlantic.
D’abord, les algorithmes peuvent
donner des résultats non désirés :
vous fixez les règles, mais la ma­
chine apprend et change les rè­
gles pour les rendre plus efficaces.
Deuxièmement, on donne à la
machine le pouvoir de tirer des
conclusions sur les comporte­
ments et valeurs humaines. Com­
ment voulez­vous qu’une ma­
chine cherche des terroristes
alors qu’on n’est pas d’accord sur
la définition du terrorisme ? Der­
nier problème majeur : la ma­
chine donne des résultats que le
scientifique qui l’a conçue ne
peut parfois pas expliquer. Par
exemple, il y a des algorithmes
qui surveillent les mouvements
de foule enregistrés par les camé­
ras de surveillance et sont capa­
Le juge veut savoir ce qu’il a dit
à Aziz et Filiberti lorsque ces der­
niers sont venus le tirer de son bar
à chicha et l’ont fait monter dans
leur voiture.
« Vous leur avez dit que vous
n’aviez pas le droit de parler ?
– Non, j’ai pas dit ça.
– Alors que leur dites­vous ?
– Ce que je leur dis ? » Le président
répète sa question.
« Ils voulaient savoir l’ambiance
du débat. Ce que les jurés pensaient.
– Cela dure combien de
temps [trois heures de conversa­
tion dans une voiture close] ?
La gravité
des faits
ne cesse d’être
rappelée aux
trois hommes
qui manifestent
leurs regrets
bles de désigner la personne sur le
point de commettre un attentat.
Ces algorithmes fonctionnent à
partir d’exemples passés, mais les
programmateurs sont bien inca­
pables de dire exactement quels
critères la machine a sélection­
nés. Ce n’est pas de la science­fic­
tion, cela se passe en ce moment.
Pour revenir à Israël, quelle po­
pulation a été soumise à l’algo­
rithme : les Palestiniens des ter­
ritoires occupés, ceux d’Israël
également ou tout le monde ?
Je ne sais pas, en ce qui concerne
l’époque de la vague d’attaques au
couteau. Mais ce dont je suis sûr,
c’est que cette technologie a été
utilisée dans le cadre de la lutte
contre le Covid­19 sur l’ensemble
de la population en Israël, Juifs
comme Arabes. Et, alors qu’il n’y
avait eu aucun débat sur la protec­
tion de la vie privée lorsque les al­
gorithmes ont été utilisés contre
les attaques terroristes, ces ques­
tions ont été soulevées lors de la
pandémie.
Qu’a fait le gouvernement
avec les personnes identifiées
par l’algorithme entre 2015
et 2017 ? Ont­elles été arrêtées
– Je pensais que ça avait duré as­
sez rapidement mais finalement
c’était longtemps. »
Les questions se succèdent, rapi­
des, claires, précises, mais Joa­
quim Duflos hésite, laisse planer
de longs silences. Pourquoi n’a­t­il
rien dit de ces contacts ? « Ben,
c’était par rapport au regard… Je
sais que vous n’aimez pas entendre
ça, mais j’habite dans un quar­
tier… » La cour s’assure toujours
qu’il a bien compris les questions.
« J’ai des regrets sur les dégâts que
j’ai pu causer à la justice. J’ai fait une
faute grave. J’ai eu beaucoup d’em­
brouilles avec ma famille. J’ai perdu
mon travail. » Il a retrouvé un em­
ploi, installateur de fibre optique
et il s’est marié samedi.
« Razmo », contraction de Aziz et
Mohamed, puis surnom d’un rat
mécanicien dans un dessin
animé, comme il l’explique à la de­
mande de la cour, semble incarner
l’accablement et la consternation.
Il dit « sincèrement », toutes les
deux phrases ce qui n’est jamais
bon signe. « Directeur général »
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
préventivement alors qu’elles
n’avaient rien fait ?
D’après ce que je sais, les conclu­
sions de l’algorithme n’ont pas
servi à arrêter un individu, mais à
le mettre en garde dans la plupart
des cas, lui ou sa famille. Il a sou­
vent suffi de passer un coup de fil
aux parents en leur disant : « Votre
fils ou votre fille file un mauvais
coton et se radicalise à votre insu,
faites attention ! »
Un chercheur danois a évoqué,
dans un article sur les algorith­
mes prédictifs, le chiffre de
100 000 « faux positifs » poten­
tiels pour chaque terroriste…
Je ne sais pas si cette étude est en­
core valable, mais ce qui est en jeu
ici, ce sont des vies innocentes.
Pour moi, la vraie question est la
suivante : quelle est la consé­
quence d’un « faux positif » ? Si
c’est un léger embarras, cela en
vaut la peine. Si c’est ôter la vie ou
la liberté d’un innocent, ce n’est
pas acceptable. Mais ce n’est pas la
machine qui décide de ça.
N’y a­t­il pas un risque accru
de profilage de certaines
catégories de la population ?
Cela peut paraître surprenant,
mais cette technologie élimine
justement le risque de profilage
parce que l’utilisation des datas
n’est pertinente que si on prend en
compte toute la société. Si vous ap­
pliquez la même technologie à
tout le monde, seuls les comporte­
ments dangereux et extrémistes
seront pointés et non pas ceux
d’une partie de la population. La
machine est aveugle. Au contraire,
lorsque Facebook a concentré ses
moyens contre la propagande dji­
hadiste, la menace des supréma­
cistes blancs a été négligée.
Quels autres pays utilisent
cette technologie ?
Le Royaume­Uni et les Etats­
Unis. Dans un futur proche, tous
les pays occidentaux vont s’y met­
tre. La Chine, bien sûr, utilise mas­
sivement ces techniques et, dans
une moindre mesure, la Russie. La
Chine est le pire des cas. Cela doit
être un repoussoir pour les démo­
craties occidentales. Les algorith­
mes sont très efficaces et peuvent
sauver des vies. Tout le problème
est de trouver le bon équilibre en­
tre les potentialités et le respect
des libertés individuelles. 
propos recueillis par
christophe ayad
d’un garage, il minimise son rôle
dans ce dossier. « J’avais pas de dé­
marche dans ma tête. Je fais ça
comme ça. J’ai pas tilté sur la gra­
vité de la chose. » Comme son co­
prévenu, il a déjà un casier judi­
ciaire chargé.
« Butch », ou Abdallah depuis sa
conversion à l’islam, dit ignorer
d’où lui vient son surnom. An­
thony Filiberti est un grand écha­
las dont la longue barbe blond
roux mêlée de blanc, dépasse lar­
gement sous le masque. Il a connu
Joaquim Duflos à la mosquée, d’où
l’idée de le contacter, uniquement
« par curiosité », « pour informa­
tion ». La juge Gwenaëlle Koskas
lui demande ce qu’il lui est passé
par la tête pour lui envoyer un
message pendant le délibéré.
« Mais Mme, je ne sais pas ! Je lui
demande comment ça se passe et
il m’envoie le résultat !
– Pourquoi le diffusez­vous alors ?
– Je ne sais pas ! Je reconnais la bê­
tise. Pour moi, ça restait entre quel­
ques personnes. » 
béatrice gurrey
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
L’Haÿ­les­Roses,
dossier épineux
pour la droite
Des projets immobiliers portés par
le maire, proche de Valérie Pécresse,
sont visés par une plainte au pénal
I
l faut croire que tous les che­
mins menaient à la roseraie
de l’Haÿ­les­Roses, ce der­
nier dimanche de mai. Ceux
de la gauche du Val­de­Marne qui,
à trois semaines des élections dé­
partementales et régionales, vou­
lait profiter du cadre pour parler
transition écologique. Et celui des
soutiens de Valérie Pécresse, arri­
vés dans un car aux couleurs de la
présidente (Libres !) de la région
Ile­de­France, plutôt d’humeur
chantante. La gauche a appelé la
police pour disperser les chœurs
non déclarés qui jouaient les trou­
ble­fêtes. « Fébrilité », a réagi Vin­
cent Jeanbrun, le maire de l’Haÿ,
et président de la majorité à la ré­
gion. Pas mieux, rétorque la gau­
che, candidate à sa réélection à la
tête du département, et qui rêve
d’une victoire contre la femme du
maire, candidate sur le canton.
Fébrilité de fin de campagne ? La
scène est en réalité le reflet de ten­
sions bien plus profondes qui agi­
tent depuis des années cette com­
mune du sud de Paris, et dont les
derniers rebondissements pour­
raient embarrasser la droite à l’ap­
proche du scrutin. Au cœur de la
bataille, un projet immobilier
– 136 logements, une place pavée,
des commerces – qui doit s’élever
au pied de la roseraie, laquelle, ins­
crite à l’inventaire des monu­
ments historiques, abrite l’une
des plus importantes collections
de roses anciennes au monde.
En aucun cas, cette « revitalisa­
tion » du centre­ville et les résiden­
ces de standing d’Emerige de trois
étages ne défigureront l’œuvre
imaginée par Jules Gravereaux, au
XIXe siècle, assure la municipalité.
Les opposants s’étranglent. Le ter­
rain retenu abritait de très grands
arbres qui apportaient de la fraî­
cheur et dont le vert permettait,
par contraste – les fondateurs
l’avaient théorisé comme tel – de
mieux apprécier la variété de tein­
tes de fleurs. S’il est trop tard pour
sauver les tilleuls et les marron­
niers, abattus cet hiver, l’affaire est
toujours devant le Conseil d’Etat.
Plainte contre X
Mais le dossier a récemment pris
une nouvelle épaisseur. Selon les
informations du Monde, une
plainte contre X pour « favori­
tisme, détournement de biens
publics, prise illégale d’intérêts et
trafic d’influence » rédigée par les
avocats de l’association Anticor a
été transmise au Parquet national
financier (PNF), le 12 avril. Dans
cette plainte de trente pages, tou­
jours en cours d’analyse, il est de­
mandé à la justice de s’intéresser
au montage financier de l’opéra­
tion « cœur de ville », mais aussi à
celui du réaménagement du
quartier du marché Locarno, qui
se trouvera non loin de la future
gare Chevilly­Trois­Communes
de la ligne 14.
Ces deux projets ont été confiés
à l’aménageur privé Citallios. Ce
SEINE-SAINT-DENIS
Puteaux
Paris
HAUTS- L’Haÿ-les-Roses
DE-SEINE
Chevilly-Larue
VAL-DE-MARNE
5 km
dernier, né de la fusion de quatre
sociétés d’économie mixte dont
la SEM 92 et la SEM 78, et qui a été
créé pour concurrencer Grand Pa­
ris Aménagement, son homolo­
gue public, est actuellement pré­
sidé par Vincent Franchi, premier
adjoint et fils de la maire (LR) de
Puteaux (Hauts­de­Seine), Joëlle
Ceccaldi­Raynaud.
Or, l’association anticorruption
s’étonne du montant des subven­
tions accordées par la ville (la
compétence aménagement a en­
suite été transférée à l’établisse­
ment public territorial) à cet ac­
teur privé, sans qu’il y ait, à ses
yeux, de contrepartie significative
en termes d’équipements publics.
Il est aussi question des terrains
qui seront cédés à Citallios, les­
quels, selon Anticor, sont valori­
sés à des prix bien en deçà de ceux
du marché et devraient être re­
vendus à des prix bien supérieurs
aux promoteurs. D’autant que
l’arrivée du métro devrait faire
grimper l’attractivité de la ville.
« Ce dossier, c’est d’abord la pro­
blématique de la cession du do­
maine public au profit du privé,
soulignent l’avocat Jérôme Kar­
senti et sa collaboratrice Juliette
Dorier. Comment comprendre
qu’une commune s’appauvrisse
volontairement au profit d’une en­
treprise privée ? » Citallios n’a pas
souhaité répondre aux questions
du Monde. Le maire Vincent Jean­
brun exprime « son étonnement »
en « découvr[ant] l’existence de
cette plainte » mais se dit « très se­
rein » : « tout a été fait dans une très
grande transparence », et dans le
respect des procédures, assure­t­il.
Le jour du rassemblement sur le
parvis, fin mai, un couple de retrai­
tés est venu tout spécialement
écouter la tonalité des interven­
tions des candidats de la gauche
au sujet du jardin remarquable. Ils
ne sont pas militants. N’adhèrent
à aucun parti, assurent­ils. Jus­
qu’en 2018, ils ne fréquentaient
pas les réunions publiques. Colette
Burnod, musicologue, qui a grandi
à l’Haÿ, voue en revanche une pas­
sion à la roseraie, au point d’aller
chaque matin surveiller l’état des
floraisons et de reporter ses obser­
vations dans un grand tableau qui
recense, par espèces (pour les ro­
siers botaniques) et variétés (pour
« les horticoles anciens » et « les
horticoles modernes »), le nombre
de pieds encore présents.
Son mari, Yves Burnod, ancien
directeur de laboratoire à l’In­
serm, a passé sa vie à étudier le
cerveau et à démêler « les liens en­
tre ce qu’on nous communique, et
la réalité ». Ce sont eux, et d’autres
esprits tenaces, membres de l’as­
sociation locale d’urbanisme de
l’Haÿ (Aludhay), parmi lesquels fi­
gurent des opposants historiques
du maire, qui sont derrière la
plainte Anticor.
Depuis qu’ils ont compris,
en 2018, que le projet « cœur de
ville » allait se faire, ils s’efforcent,
par tous les moyens, de le combat­
tre. Passe les pétitions et les ras­
semblements. Ils ont surtout tout
lu, tout épluché : les comptes ren­
dus de conseils municipaux, les
traités de concessions d’aménage­
ment, comme les 1 500 pages du
permis de construire disponible
en mairie mais que personne ne
consulte. Ces données rassem­
blées, à la manière d’un scientifi­
que, Yves Burnod a redessiné des
plans pour dénoncer « la commu­
nication trompeuse » des plaquet­
tes immobilières : « les perspecti­
ves sont fausses, les images sont
france | 17
La palissade du chantier aux abords de la roseraie de L’Haÿ­les­Roses (Val­de­Marne), le 14 juin. CHRISTOPHE CAUDROY POUR « LE MONDE »
fausses, les arguments sont faux. sants s’interrogent aussi sur une brun diffère quelque peu. Ces
Non seulement les citoyens ne peu­
« Comment subvention de 4 millions d’euros 4 millions permettront « de boni­
vent pas vérifier, mais les person­ comprendre attribuée par la région Ile­de­ fier les projets, d’avoir des espaces
nes qui sont censées juger ne peu­ France à la commune de l’Haÿ­les­ verts plus généreux, d’être plus
vent pas se prononcer, si elles ne
qu’une commune Roses, dans le cadre du dispositif ambitieux sur la salle polyvalente,
voient pas la réalité ». s’appauvrisse d’aide aux « 100 quartiers inno­ mais aussi d’absorber les surcoûts
Le rideau d’arbres qu’il est prévu vants et écologiques ». des projets, notamment ceux liés à
de replanter pour dissimuler les
volontairement Cette somme a été reversée à Ci­ la pénurie de matériaux ». En fonc­
résidences aux visiteurs de la rose­ au profit d’une tallios. La participation de la col­ tion de l’orientation que le par­
raie ? « Quand on fait une image lectivité en sera­t­elle réduite quet donnera à cette première
des constructions vues en été au
entreprise d’autant ? La délibération munici­ plainte, Anticor déposera une
bout de quinze ans, en s’éloignant à privée ? » pale du 11 février dernier précise plainte avec constitution de par­
200 mètres, on voit que l’impact vi­ qu’elle « devra obligatoirement [l’] tie civile pour qu’un juge d’ins­
JÉRÔME KARSENTI
suel dégrade toute la roseraie », ré­ être », répondent les services du truction soit nommé. 
avocat
pond M. Burnod. C’est après avoir maire. La version de Vincent Jean­ émeline cazi
décortiqué le bilan prévisionnel
(dépenses/recettes) de l’aména­
geur tel qu’il a été présenté aux
conseillers municipaux et territo­
riaux, qu’ils ont contacté Anticor.
« Sous-évaluation »
Il est notamment un mécanisme
sur lequel s’attarde la plainte et
qui, selon les avocats, relève du
détournement de biens publics.
Pour chacune des opérations, en
échange de la promesse de créa­
tion d’équipements publics (une
place, des parkings et une salle
polyvalente ; une nouvelle halle
de marché et une médiathèque),
la collectivité doit verser une sub­
vention en numéraire à Citallios
(3,8 millions d’euros pour le pro­
jet cœur de ville ; 5,7 millions
d’euros pour Locarno), à laquelle
s’ajoutent des apports en nature,
les terrains.
Or, dans le bilan prévisionnel
de l’aménageur, expliquent­ils,
les parcelles qui collent le mur de
la roseraie (6 207 mètres carrés)
sont estimées à 819 080 euros, ce
qui revient à un prix de 132 euros
du mètre carré. Les terrains du
C E
projet Locarno (13 300 mètres car­
Z À
rés) sont valorisés 5,8 millions
D E
d’euros soit 436 euros du mètre
N
S
carré. Dans les deux cas, ces prix
O
É P
O
sont largement sous­évalués, es­
R S
timent les opposants.
A titre de comparaison, pour
deux autres projets d’aménage­
ment menés sur la commune, les
terrains ont été vendus à la So­
© Laurin Schmid / SOS MEDITERRANEE
ciété du Grand Paris, en 2017, et
Eiffage, aménageur, en 2020, un
peu plus de 1 000 euros du mètre
carré. Au minimum, cela repré­
sente donc « une sous­évaluation
globale du foncier apporté par la
ville à l’aménageur Citallios de
plus de 12 800 000 euros », « ce qui
constitue un appauvrissement in­
justifié tant financier que patrimo­
nial de la ville », dénonce Anticor.
La mairie répond qu’il s’agissait
de « chiffres estimatifs » selon les
valeurs de 2016­2017, mais que « le
bilan d’aménagement sera actua­
lisé en fonction de la valeur réelle
de cession des terrains » établie
par le Domaine. Ce service de Votre don est vital
Bercy est chargé de renseigner les
collectivités sur la valeur d’un
pour sauver des vies.
bien. Mais sa charte précise qu’il don.sosmediterranee.org
est « indispensable » de disposer
de l’avis « avant de mener [les] né­
gociations financières ». Les oppo­
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
18 |
En France, une reprise plus qu’encourageante
Selon la Banque de France, la croissance pourrait atteindre 5,75 % fin 2021, au lieu des 5,5 % prévus en mars
C’
est l’euphorie géné­
rale, tous nos clients
sont débordés. La
principale préoccu­
pation des chefs d’entreprise,
aujourd’hui, est de gérer les problé­
matiques de ressources humai­
nes ! » Pour Céline Chicot, associée
au sein du cabinet d’expertise­
comptable GMBA, la reprise est là.
Son confrère Frédéric Maillard, du
réseau Exco, qui accompagne
nombre d’entreprises tertiaires,
notamment dans la restauration,
renchérit : « On ne peut même pas
dire que ça reprend crescendo : la
reprise a été immédiate et très dy­
namique. Hormis quelques hôtels
qui n’ont pas retrouvé leur clientèle,
mes clients sont plutôt confrontés
à des problèmes d’approvisionne­
ment – et des prix d’achat qui aug­
mentent… celui du veau, par exem­
ple, a doublé. Les chefs d’entreprise
ont des cernes sous les yeux, mais
ils sont heureux. »
La Banque de France, qui a pu­
blié son enquête mensuelle de
conjoncture lundi 14 juin, le
confirme : l’activité a sensible­
ment accéléré en mai, à la suite
des étapes de déconfinement, et
le rebond s’annonce même plus
rapide que prévu. Le produit inté­
rieur brut (PIB) devrait regagner
un demi­point au deuxième tri­
mestre 2021, après avoir reculé de
0,1 point au premier trimestre.
Les perspectives permettent à
l’institution financière de réviser
à la hausse ses projections. La
croissance de l’économie fran­
çaise pourrait atteindre 5,75 % fin
2021, au lieu des 5,5 % prévus en
mars. Un chiffre nettement supé­
rieur à celui de la moyenne de la
zone euro (4,6 %). La croissance
du PIB s’établirait ensuite à 4 %
en 2022, puis à 2 % en 2023. « Elle
retrouverait alors le même rythme
que ce que l’on estimait à cet hori­
zon avant la crise sanitaire », indi­
que la Banque de France.
Ce sont en grande partie les
Français qui alimentent, par leurs
dépenses, cette dynamique. Faute
de pouvoir partir en week­end,
frustrés de sorties, ils se sont non
seulement agglutinés aux terras­
ses des restaurants dès la levée
des restrictions, mais se sont rués
sur les articles de bricolage, les té­
léphones ou les ordinateurs por­
tables, les livres, les bicyclettes et
autres deux­roues. Les ventes de
détail hors alimentation ont crû
de 28 % en mai, les ménages ayant
des économies à dépenser.
Les contrats de professionnalisation ont connu un recul brutal en 2020
La baisse, qui concerne l’ensemble des régions et tous les grands secteurs d’activité, s’explique par le succès écrasant de l’apprentissage
E n 2020, nous avons recruté
5 100 alternants, dont 80 %
en contrat d’apprentissage
et 20 % en contrat de profession­
nalisation, contre respectivement
60 % et 40 % pour les 4 600 alter­
nants de 2019 », explique Rachel
Compain, directrice développe­
ment social et diversité du groupe
Engie. A la SNCF, la dynamique
est semblable : 25 % des alter­
nants recrutés en 2020 étaient en
professionnalisation, contre 57 %
en 2019 et 64 % en 2018.
Ces exemples confirment les
chiffres de la Direction de l’ani­
mation de la recherche, des étu­
des et des statistiques (Dares, rat­
tachée au ministère du travail)
publiés lundi 7 juin : l’attractivité
des contrats de professionna­
lisation s’est effondrée en 2020.
En dépit des primes à l’embau­
che mises en place par le gou­
vernement pour lutter contre la
crise, seuls 112 742 contrats pros
ont été signés en 2020, soit une
Selon les derniers chiffres,
« l’épargne Covid » a atteint
142 milliards d’euros fin mars et
pourrait avoisiner les 180 mil­
liards à la fin de l’année. « Cela re­
présente une réserve de croissance
pour les années suivantes pouvait
aller jusqu’à 7 points de PIB », sou­
ligne Olivier Garnier, chef écono­
miste de la Banque de France. En­
viron 20 % de cette épargne serait
dépensée ou investie dès cette an­
née, dans l’aménagement du lo­
gement notamment.
Effet vertueux
L’autre moteur de la croissance
reste l’investissement des entre­
prises, une situation paradoxale
compte tenu de la violence de la
crise. Grâce aux mesures de sou­
tien, elles ont pu dans leur
baisse d’environ 48 % par rapport
à 2019 (218 700). La chute
concerne toutes les régions mé­
tropolitaines, ainsi que tous les
grands secteurs d’activité.
Le contrat de professionnalisa­
tion, qui relève de la formation
continue, est fondé sur l’articula­
tion entre un temps théorique
dans un établissement d’ensei­
gnement externe et une forma­
tion pratique en entreprise. « L’ob­
jectif, c’est de se qualifier. On pense
que c’est le meilleur outil de réin­
sertion pour les personnes éloi­
gnées de l’emploi », estime Francis
Lévy, secrétaire général de la Fé­
dération française des groupe­
ments d’employeurs pour l’inser­
tion et la qualification (GEIQ), as­
sociations pilotées par des entre­
prises qui ont des difficultés de
recrutement et embauchent
souvent en contrat pro.
Celui­ci s’adresse non seule­
ment à des jeunes de 16 à 25 ans,
mais aussi à des demandeurs
grande majorité conserver une
trésorerie confortable : alors que
la dette brute s’est élevée à
224 milliards d’euros fin 2020, les
sociétés françaises ont 215 mil­
liards d’euros en banque. Seules
6 % à 7 % d’entre elles sont consi­
dérées dans une situation de fra­
gilité financière, un chiffre qui
monte à 10 % dans le secteur de
l’hôtellerie­restauration. La crise
a même eu un effet vertueux, en
incitant les dirigeants à mettre
en place des outils de pilotage fi­
nancier plus réguliers, témoigne
Céline Chicot.
Revers de la médaille de ce dy­
namisme retrouvé, les difficultés
d’approvisionnement apparues
cet hiver dans l’industrie, en par­
ticulier du côté des semi­conduc­
teurs, touchent près d’une entre­
d’emploi de 26 ans et plus et aux
bénéficiaires de prestations so­
ciales comme le RSA. D’après la
Dares, 31,4 % des nouveaux signa­
taires de contrats pros ont entre
26 et 44 ans, contre 24,1 % en 2019 :
le recul des entrées en profession­
nalisation est concentré sur les
moins de 30 ans, qui sont égale­
ment éligibles à l’apprentissage.
Ce contrat peut être en CDD
de six à douze mois (dans cer­
tains cas, jusqu’à trente­six mois)
ou en CDI. Le commerce, l’indus­
Avec 495 000
contrats en 2020
pour les
16-29 ans,
l’apprentissage
a atteint un
nouveau record
prise sur deux. Matériaux, bois,
produits électriques, chimiques,
et même produits agroalimen­
taires comme certaines bières, de
la limonade et du ketchup man­
quent à l’appel pour répondre à la
demande. Loin de se résorber, ces
difficultés se sont même accen­
tuées courant mai, d’autant que le
niveau des stocks est jugé très bas.
Ces pénuries alimentent la
hausse des prix : l’inflation, selon
la Banque de France, pourrait at­
teindre 1,5 % en 2021 et 1,2 % les
deux suivantes.
L’autre grande préoccupation
des chefs d’entreprise est de trou­
ver la main­d’œuvre dont ils ont
besoin. « L’un des clients restaura­
teurs a refusé jusqu’à 80 couverts
sur une seule journée, car il ne peut
pas accueillir autant de clients
trie, la propreté ou l’aide à domi­
cile sont des secteurs qui en
usent particulièrement. Martine
Laurent, directrice de Présence
verte services, une association
héraultaise de services à la per­
sonne, en recrute chaque année
une dizaine par le biais des GEIQ.
« Le contrat pro permet de bien
s’imprégner du travail et, à côté,
l’entreprise a plus de contrôle sur
les formations réalisées. »
Malgré ces atouts, le contrat pro
a pâti de la promotion faite par
le gouvernement en faveur de
l’apprentissage, qui a atteint
495 000 contrats en 2020 pour les
16­29 ans. Un record. « Le finance­
ment du contrat d’apprentissage
est devenu généralement plus
avantageux pour les organismes
de formation que celui de profes­
sionnalisation », peut­on lire dans
un rapport de l’inspection géné­
rale des finances publié en
avril 2020. La SNCF le confirme :
« Les conditions de financement
Sur la terrasse
d’un café parisien,
le 19 mai.
LUCAS BARIOULET/AFP
Les difficultés
de recrutement
touchent
une entreprise
sur cinq dans
l’hébergement
et la restauration
faute de personnel », déplore Fré­
déric Maillard. Les difficultés de
recrutement touchent une entre­
prise sur cinq dans l’héberge­
ment et la restauration, mais
beaucoup plus dans le travail
temporaire, le nettoyage, les ser­
vices à la personne, le transport et
la logistique…
sont plus intéressantes pour l’ap­
prentissage et la loi a assoupli les
règles pour créer un CFA [centre de
formation d’apprentis]. » « Il y a un
transfert, juge M. Lévy. Une partie
des contrats pros préparaient des
diplômes et des titres via des orga­
nismes qui n’étaient pas des CFA, et
la réforme leur a permis de faire de
l’apprentissage. C’est plus rapide et
simple à mettre en œuvre. L’essen­
tiel de la bascule est lié à cela. »
Mise en garde
La ministre du travail, Elisabeth
Borne, a d’ailleurs reconnu que
l’envolée des contrats d’appren­
tissage résultait en partie « d’un
transfert de 80 000 contrats de
professionnalisation ». De quoi
relativiser le succès de l’appren­
tissage, même si le nombre total
de contrats en alternance a nette­
ment crû en 2020.
Sur le terrain, les réalités des
deux contrats ne sont pourtant
pas les mêmes, et certains défen­
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
Plusieurs grains de sable grip­
pent la machine. « Il faut gérer les
changements de vie, les reconver­
sions, les gens qui s’interrogent sur
le sens de leur métier, mais aussi le
retour sur site des équipes, pour le­
quel on ne constate pas un fort en­
gouement, détaille Céline Chicot.
Dans certaines entreprises, faire
revenir les gens ne serait­ce que
trois jours par semaine s’avère
compliqué. » Les effets de la crise
s’ajoutent à l’inadéquation entre
l’appareil de formation et les de­
mandes des entreprises dont
souffre l’économie française de­
puis longtemps. En la matière, le
monde d’avant est revenu au ga­
lop, puisque c’était déjà le souci
numéro un des sociétés en 2019,
avant la pandémie de Covid­19. 
béatrice madeline
dent les spécificités d’un contrat
pro menacé et invisibilisé par
l’apprentissage. « Les entreprises
ne connaissent simplement pas le
contrat pro, et c’est dommage, car
dans des secteurs comme l’agroa­
limentaire elles ont d’énormes dif­
ficultés à trouver des salariés »,
note Christophe Drone, directeur
de site chez Agis, à Avignon.
En contrat pro, les formations
sont calibrées pour répondre aux
besoins de recrutement des en­
treprises et, à terme, créer des
emplois. « On a des publics qui ne
seront jamais diplômés et ne peu­
vent pas faire d’apprentissage, il
ne faut pas les oublier. Ils veulent,
eux aussi, un emploi ! », justifie
M. Lévy. Les employeurs mettent
donc en garde : malgré l’omnipré­
sence de l’apprentissage, les pro­
fils de plus de 29 ans, en reconver­
sion ou éloignés de l’emploi de­
puis longtemps, auront bien be­
soin du contrat pro. 
jules thomas
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
Ligue 1 de football : le grand saut
dans le vide de Canal+
Avec son retrait annoncé du championnat de France au profit d’Amazon,
la chaîne pourrait perdre des abonnés et subir un manque à gagner
C
anal+ peut­il vivre sans
la Ligue 1 (L1) ? L’ex­par­
tenaire historique du
football français a brisé
un tabou, vendredi 11 juin, après
l’attribution de 80 % du cham­
pionnat à Amazon. Il a annoncé
« se retirer de la Ligue 1 », même s’il
est tenu de diffuser deux matchs
hebdomadaires jusqu’en 2024. A
ce jour, le championnat de France
de football et le cinéma restent les
deux principaux ressorts d’abon­
nement du groupe de télévision
payante, sachant que les goûts
des téléspectateurs au sein d’un
même foyer sont, la plupart du
temps, multiples.
Lors de la dernière assemblée
générale de la Ligue de football
professionnel (LFP), le 3 juin, le
président du directoire de Canal+,
Maxime Saada, est revenu sur
l’appétence de ses abonnés pour
la L1. Sur les 4,7 millions de sous­
cripteurs aux chaînes Canal+ de
2020, 2,5 millions de téléspecta­
teurs s’intéressent au champion­
nat français, explique­t­on au
Le CNC presse les professionnels
sur la chronologie des médias
Le Centre national du cinéma (CNC) a adressé, lundi 14 juin, une
proposition d’accord sur la chronologie des médias, qui fixe la
diffusion des œuvres sur les différents supports après leur sortie
en salle. Selon le texte, consulté par Le Monde, Canal+ pourrait
diffuser les films avant huit mois, à condition d’avoir un accord
avec les professionnels. En revanche, la durée d’exploitation
d’un film est revue à la baisse, passant de neuf à six mois. Les
plates-formes comme Netflix devraient attendre quatorze mois,
durée qui pourrait descendre à douze mois au terme d’un accord
spécifique. Mais la durée d’exploitation des œuvres serait limitée,
afin de préserver la fenêtre des chaînes gratuites, qui s’ouvre au
bout de vingt-deux mois. Les plates-formes devraient donc reti-
rer les fictions au bout de huit à dix mois. Le CNC a demandé aux
professionnels de s’exprimer sur ce texte d’ici dimanche (20 juin),
avant une réunion le 21 ou le 22 juin.
Thalys, toujours dans le rouge, devra
se redresser avant de s’unir à Eurostar
La fusion entre filiales de la SNCF est repoussée à 2022 en raison de difficultés liées au Covid­19
D ans la gare de Bruxelles­
Midi, les deux engins se
font face. A gauche, la
motrice rouge rubis du Thalys
4303 qui vient d’arriver de Paris, à
droite la locomotive verte des an­
nées 1950 qui assurait la même
desserte des décennies aupara­
vant. Ce lundi 14 juin est un jour
spécial. Les deux actionnaires de la
compagnie ferroviaire Thalys, la
SNCF (60 % du capital) et son ho­
mologue belge, la SNCB (40 %), ont
décidé, en sortant les vieilles locos,
de célébrer le « cent septante­cin­
quième » anniversaire de la ligne
Paris­Bruxelles. C’était en 1846 et
on ne mettait pas une heure vingt­
deux, comme en 2021, mais deux
jours pour relier en train la capi­
tale belge. Cent soixante­quinze
ans plus tard, les Thalys, qui fêtent
leurs vingt­cinq ans, veulent faire
de ce moment une renaissance.
Pour la première fois depuis des
mois, la compagnie met en place,
ce 14 juin, onze allers­retours Pa­
ris­Bruxelles par jour (contre sept
la veille), soit la moitié de son plan
de transport d’avant­crise due au
Covid­19. Car la compagnie fran­
co­belge, reliant France, Belgique,
Pays­Bas et Allemagne, sort,
comme toutes les entreprises de
transport international, de quinze
mois d’une tempête sanitaire sans
précédent. « Après une année 2019
record où nous avions transporté
8 millions de passagers et réalisé
sein de la filiale de Vivendi. Mais
ce total masquerait une forte dis­
parité entre aficionados et specta­
teurs épisodiques. Ce chiffre in­
clurait, par exemple, ceux qui ne
suivent que Neymar et Kylian
Mbappé, les deux stars du PSG.
En réalité, seulement 1 million
de clients seraient « très fans » du
championnat de France, fait­on
valoir chez Canal+. Et sur ce nom­
bre, « 50 % s’intéressent autant à la
Ligue des champions ». Un témoin
de l’assemblée générale tempère :
« Saada nous a dit que les clients
s’abonnaient davantage pour la
Ligue 1 que pour la Ligue des
champions. »
Psychodrame
De fait, le championnat européen
a été longtemps absent des écrans
de l’ancienne chaîne cryptée, qui
l’a repris avec BeIN Sports à RMC
pour les saisons 2021­2024. Les
matchs du samedi soir et du di­
manche à 17 heures ont réalisé des
audiences moyennes de 540 000
téléspectateurs, à peine supérieu­
L’entreprise
ferroviaire
compte retrouver
70 % de ses
fréquences
habituelles en
juillet, puis 80 %
en septembre
550 millions d’euros de chiffre d’af­
faires, nous avons pris les vagues
du Covid­19 de plein fouet, raconte
Bertrand Gosselin, directeur géné­
ral de Thalys. Le trafic et les ventes
ont baissé de 70 % en 2020, mais ce
fut plutôt de 90 % à 95 % au plus
fort de la crise pandémique. Et le
premier trimestre 2021 a été une ca­
tastrophe, marqué par la dureté
des mesures de restriction de dépla­
cement pour freiner l’épidémie. »
Malgré un plan d’économies de
300 millions d’euros, des projets
ralentis ou annulés, et une réduc­
tion des effectifs (passage de 700 à
600 salariés), la crise a fini par
mettre l’entreprise au bord de la
cessation de paiements. « Nous
avons dû faire appel aux banques
fin mai. Elles nous ont suivis pour
120 millions d’euros, remboursa­
bles sur quatre ans », précise
M. Gosselin. Il reste maintenant à
redresser la barre. Thalys compte
Le cabinet Oddo
pense que la
casse sera limitée
à 700 000
clients. Barclays,
de son côté, table
sur 1,21 million
res à celles du Top 14 (360 000), et
très inférieures à la F1 (1,3 million)
ou à la Moto GP (1,053 million), a
calculé Canal+.
De leur côté, les analystes procè­
dent à leurs propres estimations.
Le cabinet Oddo pense que la casse
sera limitée à 700 000 abonnés,
soit un manque à gagner de
294 millions d’euros, sur un chif­
fre d’affaires de 3 milliards en
France en 2020. Mieux, l’écono­
mie réalisée sur les droits n’aurait
« pas d’impact sur l’ebitda » (le ré­
sultat brut d’exploitation). Bar­
clays, pour sa part, chiffre la perte
à 1,21 million d’abonnés, et le man­
que à gagner à 633 millions de
chiffre d’affaires, avec un impact
de 265 millions sur le résultat. De
quoi amputer le bénéfice de 2022
de 45 %. La banque y voit là le « scé­
nario le plus probable », même si
prédictions vont de 700 000 à
1,89 million de départs.
Depuis 2015, les chaînes pre­
mium de Canal+, prises en étau
par BeIN Sports, Netflix et Ama­
zon Prime Video ont perdu 1 mil­
lion de clients, même si, en 2020,
année de pandémie de Covid­19,
elles en ont regagné 200 000.
Pourquoi Canal+ n’a­t­il pas fait
un effort financier pour l’empor­
ter sur Amazon, dont il savait la
venue ? « Economiquement, nous
monter en charge graduellement
et atteindre 70 % de ses fréquen­
ces habituelles en juillet, puis
80 % en septembre. La rentrée
sera l’occasion de présenter une
offre repensée pour la clientèle
professionnelle, et de dévoiler des
rames rénovées, baptisées
« RubY », à l’intérieur remis au
goût du jour et capables de trans­
porter 7 % de passagers en plus.
Quant au plan d’affaires, il pré­
voit, sauf nouvel aléa sanitaire,
d’atteindre l’équilibre financier
en 2022 et de retrouver des ni­
veaux de trafic comparables à
ceux de 2019 en 2023 ou 2024.
Les rapports de force ont bougé
L’enjeu dépasse la question de
l’avenir du seul Thalys, car l’entre­
prise doit prochainement fusion­
ner avec Eurostar par un projet
baptisé « Green Speed ». Or, la
compagnie transmanche, qui re­
lie Londres à Paris et Bruxelles, est
encore plus mal en point que Tha­
lys. L’entreprise détenue à 55 % par
la SNCF (et à 5 % par la SNCB) est
toujours plombée par les restric­
tions sanitaires liées au variant
Delta, dit « indien ». Elle reste,
pour l’heure, bloquée à deux al­
lers­retours Paris­Londres par
jour, et qui sont loin d’être pleins.
Le directeur de Voyages SNCF,
Alain Krakovitch, devait annon­
cer, ce 14 juin, que la fusion effec­
tive entre Eurostar et Thalys était
économie & entreprise | 19
ne pouvions pas aller au­delà de ce
que nous avons proposé », se justi­
fie­t­on chez Canal+. Dans le foot­
ball hexagonal, d’aucuns pensent
que Vincent Bolloré, premier ac­
tionnaire de Vivendi, n’avait pas
envie de la Ligue 1.
Le psychodrame entre Canal+ et
la LFP masque un autre duel qui se
joue en coulisses entre l’ex­chaîne
cryptée et BeIN Sports. Pour bou­
cler son offre, Canal+ souhaitait
que le qatari investisse 100 mil­
lions d’euros et diffuse les matchs
dont la filiale de Vivendi n’avait
pas besoin. Mais le bouquet de
sports payant a longtemps traîné
des pieds avant de rallier Canal+,
vendredi 11 juin. Et pour cause.
En 2019, il lui a revendu son lot de
deux matchs acquis à 332 millions
d’euros lors de l’appel d’offres de
2018. Corollaire de cette cession, il
a signé avec le français un contrat
de distribution exclusif pour une
somme comprise entre 200 mil­
lions et 230 millions d’euros par
an, selon nos informations.
Pour la filiale de Vivendi, c’était
le prix à payer pour faire de ce con­
current un partenaire, alors que
l’espagnol Mediapro devait débar­
quer en 2020. Sauf qu’aujour­
d’hui, BeIN Sports, devenu bénéfi­
ciaire pour la première fois depuis
son arrivée en France en 2012, se­
lon des sources industrielles, n’a
plus d’intérêt à investir dans la Li­
gue 1. En annonçant qu’il va arrê­
ter de payer BeIN Sports et de dif­
fuser ses matchs, Canal+ ne cher­
che­t­il pas à remettre en cause cet
accord onéreux ? « Non, nous som­
mes engagés », affirme­t­on au
sein du groupe. Jusqu’à présent,
les deux partenaires affichent
leur solidarité. Pour combien de
temps ? 
sandrine cassini
repoussée à 2022, alors que, jus­
qu’ici, l’objectif était de parvenir à
un mariage avant la fin de l’année.
Mais ce n’est que reculer pour
mieux sauter, car l’union des deux
filiales est stratégique pour la
SNCF, qui réalise jusqu’à 30 % de
son chiffre d’affaires TGV à l’inter­
national. « Green Speed, ce sera un
losange ferroviaire Londres­Paris­
Francfort­Amsterdam, avec Bruxel­
les comme centre de gravité, dé­
taille M. Krakovitch. Le projet nous
permettra de fortes synergies de
coûts dans la distribution, l’infor­
matique, le service à bord et surtout
dans le taux d’utilisation des ra­
mes, fondamental dans l’équilibre
économique du train. »
Si le projet, qui devrait débou­
cher sur une marque unique, a
pris du retard, c’est évidemment à
cause de la pandémie de Covid­19.
Non seulement parce qu’elle a
mobilisé les énergies ailleurs que
dans Green Speed, mais aussi
parce que les rapports de force
ont bougé. Eurostar, qui était le
maillon fort avec 10,5 milliards
d’euros de chiffre d’affaires avant­
crise, s’est affaibli, et les discus­
sions entre actionnaires impli­
quant aussi la Caisse de dépôt et
placement du Québec (30 %
d’Eurostar) et le fonds Hermes In­
frastructure (10 %) tournent
autour des poids respectifs de
chacun dans la nouvelle entité. 
éric béziat
PERTES & PROFITS | QWANT
par phili ppe esc ande
La Chine au secours
du Google français
En voyage sur le Vieux Continent,
le président des Etats­Unis, Joe
Biden, fait la leçon à l’Europe.
Oubliez Moscou, l’ennemi com­
mun est désormais à Pékin. On
espère que le président n’a pas
trop surfé sur l’Internet français.
Il y aurait appris, suite à un arti­
cle du site Politico, que le moteur
de recherche français Qwant, sur­
nommé le « Google européen » et
soutenu à bout de bras par la
France, l’Allemagne et la Com­
mission européenne, venait de
décrocher un financement de
8 millions d’euros de la part de
Huawei, la bête noire de
Washington. Le champion chi­
nois des équipements télécoms,
qui dépense des fortunes en lob­
bying pour restaurer son image
en Europe, vole au secours d’un
espoir déçu de plus. Bien sûr, le
très actif septuagénaire Joe Biden
pourra afficher un air condescen­
dant. Ces 8 millions ne représen­
tent même pas deux heures de
bénéfice net de Google. Et puis
Qwant, fondé en 2013 sur les pro­
messes du respect de la vie privée
et d’une certaine indépendance
par rapport aux mastodontes ca­
liforniens, est en fait dans la
main d’un autre titan, Microsoft.
Ce dernier assure en effet près
de 60 % des résultats de recher­
che de Qwant avec son propre
moteur, Bing. De plus, c’est égale­
ment Microsoft qui assure la régie
publicitaire ainsi qu’une bonne
part de l’infrastructure informati­
que du français. En matière de
Safran et General Electric
préparent l’avion du futur
Le motoriste français et le groupe américain
vont développer un moteur moins polluant
L’ avion du futur ne volera
pas au mieux avant 2035,
mais il a déjà son moteur.
Le français Safran et l’américain
General Electric (GE), réunis au
sein du partenariat à 50­50 CFM
International, ont annoncé, lundi
14 juin, le lancement d’un pro­
gramme de développement de
nouvelles technologies pour
équiper un moteur de nouvelle
génération beaucoup moins pol­
luant et gourmand en carburant
que les modèles actuels.
Baptisé « RISE » – pour « Revolu­
tionay Innovation for Sustainable
Engines » (« innovation révolu­
tionnaire pour des moteurs dura­
bles »), ce projet vise à mettre en
service un moteur de prochaine
génération au milieu de la pro­
chaine décennie. Selon Olivier An­
driès, directeur général de Safran,
et John Slattery, PDG de GE Avia­
tion, il est prévu que le futur pro­
pulseur consomme 20 % de carbu­
rant en moins et réduise d’autant
ses émissions de dioxyde de car­
bone (CO2). Une estimation basse,
car chez Safran, on s’attend à une
vraie rupture technologique.
Ce moteur de nouvelle généra­
tion, dont le rotor ne sera plus ca­
réné, devrait même être encore
plus performant avec l’ajout « des
biocarburants décarbonés ac­
tuels », précise François Bastin, di­
recteur de la division moteurs ci­
vils de Safran Aircraft Engines.
Avec ces biofiouls, « décarbonés à
50 % », la consommation pourrait
être réduite de 60 %, anticipe le di­
rigeant. Ce ne sera qu’une étape. A
terme, « le futur moteur pourra
fonctionner avec des carburants
totalement décarbonés », précise
M. Bastin. Il pourra même être ali­
menté par de l’hydrogène liquide
et, partant, réduire totalement
ses émissions de CO2.
souveraineté, on pourrait faire
mieux. L’idée de départ était
pourtant louable : s’affranchir de
la tutelle d’un outil américain qui
a construit son hégémonie et l’ef­
ficacité de son service sur l’exploi­
tation des données personnelles
de ses utilisateurs. Et après tout, le
coréen Naver ou le russe Yandex
ont démontré que l’on pouvait
réussir à faire prospérer un mo­
teur de recherche local. De plus,
les initiatives à base de logiciel li­
bre, comme DuckDuckGo, ont el­
les aussi trouvé leur chemin. Mais
il a manqué à Qwant les moyens
de ses ambitions. Trois ans après
sa création, à Séoul en 1999, Na­
ver avait fusionné avec un portail
de jeu très populaire et s’était in­
troduit en Bourse, puis lancé dans
la messagerie instantanée.
Qwant n’a pourtant pas man­
qué de soutien public. La Banque
européenne d’investissement, la
Caisse des dépôts, l’Allemand
Axel Springer ont apporté leur
soutien financier. L’administra­
tion française l’a installé par dé­
faut sur ses ordinateurs. Mais,
en 2013­2015, il était déjà trop
tard dans cette spécialité haute­
ment capitalistique de la recher­
che sur Internet avec une tech­
nologie balbutiante et sans mo­
dèle d’affaires solide. En 2020, la
société a réduit ses pertes à
13 millions d’euros, soit presque
deux fois son chiffre d’affaires.
Pour affronter les titans, il faut
une stratégie, des moyens et un
bon sens du timing. Pas facile. 
Pour Safran et GE, la première
phase sera la mise au point d’un
démonstrateur, d’ici à 2025. Le
nouveau moteur devrait englou­
tir l’essentiel du budget de recher­
ches et technologies (R&T) du
motoriste français et du groupe
américain. Olivier Andriès et John
Slattery n’ont pas chiffré cet effort
financier.
Enjeu considérable
Néanmoins, le projet RISE pour­
rait capter une bonne part des
« 75 % de [l’]effort financier [de Sa­
fran] pour réduire les émissions de
CO2 », souligne son directeur gé­
néral. En 2020, le budget total du
motoriste dévolu à la R&T s’est
élevé à 1,21 milliard d’euros. GE
consacrerait une enveloppe équi­
valente à la mise au point de tech­
nologies moins polluantes.
Pour mettre tous les atouts de
leur côté, Safran et GE ont égale­
ment annoncé la prolongation de
dix ans de leur partenariat au sein
de CFM International, une société
commune fondée en 1974. L’enjeu
est considérable. En effet, le projet
RISE est destiné à développer le
successeur du Leap, le moteur de
la majorité des avions moyen­
courriers de nouvelle génération
d’Airbus, les A320NEO, et de la to­
talité des Boeing 737 MAX. Un
propulseur déjà livré à plus de
35 000 exemplaires.
Le futur moteur devrait intéres­
ser Airbus. L’avionneur européen
songe au successeur de son best­
seller A320. « Au bout du compte,
ce sera aux avionneurs de décider
quand et comment ils vont lancer
leur programme de futur avion et
nous voulons être en situation de
leur proposer les meilleures op­
tions possibles pour les moteurs »,
conclut Olivier Andriès. 
guy dutheil
 0123
22 | économie & entreprise MERCREDI 16 JUIN 2021

L
a rechute est violente.
Après s’être persua­
dée qu’elle avait
réussi à se débarras­
ser du nouveau coro­
navirus, l’Inde de Na­
rendra Modi s’était prise à rêver,
au début de 2021, d’une crois­
sance économique à deux chif­
fres, mantra que ne cesse de res­
sasser le dirigeant nationaliste
hindou depuis son accession au
pouvoir, en 2014. La deuxième va­
gue épidémique de Covid­19, par
sa rapidité et son ampleur, quatre
fois supérieure à celle de la pre­
mière vague qui avait culminé en
septembre 2020, a anéanti tout
espoir de reprise.
Lundi 31 mai, le National Statis­
tical Office, équivalent local de Un atelier dans le bidonville de Dharavi, l’un des plus grands d’Asie, à Bombay, le 25 septembre 2020. RAJANISH KAKADE/AP
l’Insee, a annoncé que le produit
intérieur brut (PIB) ne reprendrait
pas de la vigueur avant 2022. « Les
perspectives mondiales et natio­
nales, marquées par une extrême
incertitude, s’assombrissent une
PLEIN CADRE
fois de plus », avait prévenu la ban­
que centrale (Reserve Bank of In­
dia) dans son rapport annuel, pu­
blié le 27 mai.
Certes, au premier trimestre
2021, le PIB a commencé son re­
Le grand bond en arrière persistance de la crise des moyens
de subsistance et compte toujours
sur une reprise économique en V,
qui serait aussi rapide que la des­
dressement, avec une progres­
sion de 1,6 % en rythme annuel, ce
qui a permis de limiter la chute
annuelle à 7,3 % sur l’exercice fis­
cal 2020­2021 ayant pris fin le
de l’économie indienne cente aux enfers l’a été », s’indigne
M. Drèze. Sans un coup d’accélé­
rateur à la campagne de vaccina­
tion et sans nouveau plan d’aide
de l’Etat, la crise humanitaire tra­
31 mars. Le gouvernement de
droite de M. Modi s’attendait à
En Inde, la pandémie de Covid­19 aurait causé près d’un million gique de 2020 va se reproduire,
pronostique­t­il.
une récession à 8 %, mais c’est
tout de même le résultat le plus
de morts, selon les scientifiques, et a, notamment, fait plonger Même le patronat partage ce
diagnostic. Dans un entretien ac­
mauvais de toute l’histoire du
pays depuis que celui­ci a acquis
230 millions personnes sous le seuil de pauvreté cordé au quotidien Mint, le
27 mai, Uday Kotak, président de
l’indépendance, en août 1947. la Confédération de l’industrie
Avec, en prime, un déficit public indienne, homologue du Medef,
représentant 9,3 % du PIB, du ja­ a ainsi affirmé que les mois de
mais­vu, là encore. SmartCoin Financials. Il s’agis­ Sachant que le ralentissement [en 2020], se sont endettés et en juillet, août et septembre s’an­
Alors que Delhi continue de pa­ sait pour elle d’assumer les dé­ économique a commencé à se ont été réduits à faire des écono­
« Le pire nonçaient comme « la période la
rier sur une croissance de 10,5 % penses de santé d’urgence des fa­ manifester bien avant l’arrivée du mies sur la nourriture », précise est à venir, plus difficile pour l’Inde », sauf si le
cette année, le groupe public State milles, en l’absence d’assurance­ nouveau coronavirus, dès le dé­ Amit Basole, l’un des auteurs de gouvernement débloque de nou­
Bank of India, numéro un de la fi­ maladie, « notamment dans les but de l’année 2018, le deuxième ladite enquête.
car les inégalités veaux crédits budgétaires pour
nance dans le sous­continent, a petites villes et les campagnes ». pays le plus peuplé au monde Dans une étude publiée en mai, vont maintenant soutenir la consommation et l’in­
douché cet optimisme béat, en ta­ Les données collectées par Goo­ (1,38 milliard d’habitants) aura ac­ l’université Azim Premji de Ban­ vestissement.
blant sur « 7,9 %, au mieux ». « Les gle India montrent que la fré­ cusé, en trois ans, un manque à galore a affirmé que le Covid­19
s’accroître »
prévisions de croissance sont re­ quentation des magasins a chuté gagner de production de riches­ avait fait plonger 230 millions PALANIAPPAN CHIDAMBARAM FATALISME PROVERBIAL
vues fortement à la baisse, car la de 65 % en mai et celle des bu­ ses de 20 000 milliards de roupies d’Indiens sous le seuil de pau­ ancien ministre des finances Un scénario qui laisse Pratap
multiplication des destructions reaux de 51 %, tandis que les paie­ (225 milliards d’euros), calcule vreté, fixé à 375 roupies par jour du Parti du Congrès Bhanu Mehta pour le moins du­
d’emplois et des défauts de paie­ ments de TVA au Trésor public M. Chidambaram, qui conclut par (4,20 euros). Comparée aux bitatif. Commentateur réputé de
ment laisse présager une reprise ont baissé de 14 %. un verdict sans appel : « Cela va se 270 millions d’habitants qui la vie politique, économique et
plus lente, après le choc financier Ancien ministre des finances du traduire par des pertes d’emploi, étaient sortis de la pauvreté entre grave encore. Rien qu’à Delhi, plus sociale de l’Inde, cet universitaire
de la pandémie de Covid­19 », a ex­ Parti du Congrès (centre gauche), des pertes de revenus, des pertes 2005 et 2015, ainsi que l’avait de 800 000 travailleurs migrants s’inquiète en effet du fatalisme
pliqué le journal Business Stan­ Palaniappan Chidambaram con­ d’épargne, des pertes de logement, avancé à l’époque la Banque mon­ se sont encore enfuis pour rega­ proverbial de ses concitoyens et
dard, dans son édition du 2 juin. sidère que l’Inde n’a encore rien des pertes d’investissement, des diale, cette donnée montre que gner leur campagne. de leurs dirigeants.
vu de la calamité qui l’attend. pertes d’éducation, des pertes de l’Inde vient de faire un bond en « Au printemps 2020, le confine­ « C’est la première fois en une gé­
« ENDETTEMENT » « Ceux qui pensent que la soins de santé… » arrière vertigineux de seize ans. ment de l’Inde avait provoqué une nération que l’Inde vit une telle si­
Si le moral des économistes re­ deuxième vague de Covid­19 a été Le Centre for Monitoring Indian terrible crise alimentaire. Un tuation, mais au lieu de faire des
plonge, c’est que bien des signaux la pire période de leur vie, avec l’an­ Economy (CMIE), société d’études « TERRIBLE CRISE ALIMENTAIRE » grand nombre de gens avaient eu cauchemars, nous faisons sem­
montrent l’étendue des dégâts goisse de la mort au quotidien, indépendante sise dans la capi­ Lors du premier confinement, qui du mal à nourrir leur famille, et la blant d’être soulagés de ne pas
causés par la crise sanitaire, qui a vont être déçus : le pire est à venir, tale financière, Bombay, évalue à avait duré plus de deux mois, en­ nourriture avait diminué en ter­ glisser encore plus bas sur l’échelle
fait officiellement 374 305 morts car les inégalités vont maintenant « plus de 10 millions » le nombre tre mars et mai 2020, 100 millions mes qualitatifs et quantitatifs mondiale », analyse­t­il. Para­
dans le pays (au 14 juin), dont près s’accroître et une large majorité de de personnes qui ont perdu leur de personnes avaient perdu leur pour une majorité de la popula­ doxal, quand on sait qu’avant
de la moitié sur les seuls mois la population va s’appauvrir, s’en­ travail depuis le mois de mars. Le emploi et 15 % d’entre elles n’ont tion, avec une baisse particulière­ même la deuxième vague de Co­
d’avril et mai 2021 : le nombre de foncer dans l’endettement et le taux de chômage, toujours diffi­ pas retrouvé de travail lorsque la ment marquée de la consomma­ vid­19, la classe moyenne in­
chèques en bois s’envole et jamais malheur », prédit­il. cile à déterminer dans un pays où situation sanitaire est revenue tion de protéines animales », rap­ dienne avait perdu 32 millions
les quantités de bijoux en or hy­ 90 % de l’économie est infor­ momentanément à la normale, pelle Jean Drèze, chercheur à d’individus, selon le Pew Re­
pothéqués n’ont été si importan­ melle, aurait, d’après lui, crû de en décembre 2020. l’université de Ranchi, dans l’Etat search Center de Washington.
tes. Pour la majorité des scientifi­ 8 % à 14,5 % de la population ac­ Le deuxième confinement a été du Jharkhand (nord­est). Pendant ce temps­là, la Bourse
ques, le bilan de l’épidémie est en Le nombre tive entre avril et juin. multiforme, l’Etat fédéral ayant Par la suite, des aides alimen­ de Bombay caracole comme si de
réalité beaucoup plus élevé, Le CMIE a mené une enquête de cette fois préféré reporter la res­ taires et financières ont été déblo­ rien n’était, au simple motif, ob­
autour de 1 million de morts.
de chèques terrain auprès d’un échantillon ponsabilité des retombées écono­ quées par l’Etat, « mais elles n’ont servent les analystes, que l’épidé­
L’Inde est vraisemblablement le en bois s’envole de 175 000 foyers. Il en ressort une miques désastreuses de la mise à pas permis à l’emploi, aux revenus mie est en train de refluer à
pays où le SARS­CoV­2 aura eu les donnée particulièrement préoc­ l’arrêt du pays sur les épaules des et à l’alimentation de retrouver les grande vitesse dans le sous­conti­
effets les plus douloureux.
et jamais cupante : 97 % des personnes in­ Etats fédérés. Mais s’il s’est mis en niveaux qui prévalaient avant la nent. Pas moins de 20 entreprises
Avec la deuxième vague de Co­ les quantités terrogées ont vu leurs revenus di­ place en ordre dispersé, il a fini pandémie ». ont déclaré leur intention d’en­
vid­19, dont le pic a été atteint le minuer depuis le début de la pan­ par paralyser une nouvelle fois le Aujourd’hui, en dépit de la tra­ trer sur le marché coté depuis
9 mai, « la génération des millé­
de bijoux en or démie. « La deuxième vague de Co­ sous­continent, et la plupart des gédie qu’a traversée le pays, avec avril. Au total, les introductions
niaux [les Indiens âgés de 25 à hypothéqués vid­19 a déferlé, alors que régnait restrictions de déplacement et des pénuries de lits d’hôpitaux, en Bourse pourraient dépasser
40 ans] a emprunté 20 % d’argent une situation déjà très précaire. d’activité ont été prolongées jus­ d’oxygène, de médicaments et, cette année les 1 500 milliards de
en plus que d’ordinaire au prin­
n’ont été si Beaucoup de gens sont tombés qu’à la fin du mois de juin. Son désormais, de vaccins, « le gouver­ roupies. Le double de 2020. 
temps », note la société d’analyse importantes dans la pauvreté l’année dernière impact sera nécessairement plus nement semble nier béatement la guillaume delacroix
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
Deschamps,
un Basque
sur une galère
bordelaise
LE TOUR DE FRANCE D’UN SÉLECTIONNEUR 2|4 Prêté
par l’OM aux Girondins, le joueur
montrera sa force de caractère
D
idier Deschamps voit
encore la scène.
En 1982, une Cadillac
« plus longue que la
maison » stationne devant chez
ses parents. Le président borde­
lais, Claude Bez, souffle sur son
gros cigare et propose à l’adoles­
cent de rejoindre le centre de
formation des Girondins.
Malgré la proximité régionale,
le Bayonnais de 14 ans a déjà
choisi le FC Nantes. Le projet et
les manières des « Canaris »
conviennent mieux aux valeurs
de la famille. « Bez est allé jusqu’à
dire à mes parents : “Mettez le
chiffre que vous voulez”. C’est là
où mon grand­père a dit : “Mais
c’est un maquignon celui­là” », se
souvient le sélectionneur des
Bleus trente­huit ans plus tard au
micro de France Bleu.
A l’été 1990, le destin finit par
envoyer le tout frais international
à Bordeaux. Didier Deschamps
découvre à 21 ans le club et sa vie
de château, au centre du Haillan.
Les Girondins vivent à crédit et la
bulle va bientôt exploser, ce que
le joueur ignore encore. Il débar­
que à reculons et avec sa tête
– dure – des mauvais jours.
Mécontent de sa première
saison à l’Olympique de Mar­
seille (OM), Bernard Tapie l’a
envoyé en prêt – « pour lui faire
les pieds » – chez Claude Bez, ce
rival qui inspire haine et mépris
au président de l’OM. « Après
Nantes, la marche était un peu
haute pour Didier à Marseille. Il
voulait rester, mais Tapie lui
promettait de cirer le banc toute
la saison, alors il a fait la part des
choses », se souvient Christophe
Hutteau, correspondant borde­
lais de L’Equipe à l’époque.
Après tout, il existe pire situa­
tion que rejoindre un vice­cham­
Burak Yilmaz, le briscard qui porte les espoirs de la Turquie
Capitaine et buteur indéboulonnable de sa sélection, l’attaquant charismatique de 35 ans n’a pas toujours fait l’unanimité dans son pays
PORTRAIT
U n drapeau turc noué
autour du cou, qui flotte
dans son dos telle une
cape de Superman. Voilà
comment Burak Yilmaz a célébré
le titre de champion de France
remporté par Lille, son club, aux
dépens du Paris­Saint­Germain
(PSG), le 23 mai, au stade
Raymond­Kopa d’Angers.
Débarqué à l’été 2020 en France,
l’attaquant de 35 ans s’est révélé
comme l’un des meilleurs joueurs
du championnat. Par son cha­
risme, sa rage de vaincre commu­
nicative et des buts aussi décisifs
que spectaculaires, le joueur turc a
été un grand artisan du titre de son
équipe. Il a même pu partager cet
exploit avec deux de ses compa­
triotes, Zeki Celik et Yusuf Yazici.
Ce qui a provoqué quelques va­
gues dans le Bosphore.
« En Turquie, cette saison, tous les
matchs du LOSC ont été suivis
comme si c’était l’équipe nationale.
Ça rendait fier le peuple turc »,
s’enthousiasme Mevlüt Erding,
qui évolue dans le championnat
pion de France en titre et son ef­
fectif constellé d’internationaux.
L’un d’eux, Jean­Philippe Du­
rand, devine pourtant que la cu­
vée 1990­1991 risque de virer au
vinaigre. « Bez n’a pas supporté de
perdre le titre dans les dernières
journées contre l’OM. Il ne faisait
plus confiance à certains joueurs
et a viré la moitié de l’équipe à
l’intersaison », regrette encore le
milieu de terrain.
Le ton est donné. « C’est très vite
la catastrophe, poursuit le me­
neur de jeu, Jean­Marc Ferreri.
Raymond Goethals s’en va début
août et c’est le début de l’enchaîne­
ment de tous nos malheurs. »
Après neuf journées, Didier
Deschamps a déjà connu trois
entraîneurs (Goethals, l’intéri­
maire Gernot Rohr et Gérard Gili).
« Du grand n’importe quoi »
Poussé vers la sortie, à Marseille,
par l’arrivée de Franz Becken­
bauer, Gérard Gili retrouve à Bor­
deaux Deschamps, quitté quel­
ques semaines plus tôt à l’OM.
« Didier n’a qu’un objectif : retour­
ner à Marseille et montrer à Tapie
qu’il a eu tort, explique le techni­
cien. Peu importe le contexte, son
intérêt, c’était d’être bon parce
qu’il se savait observé. »
Mais Didier Deschamps observe
surtout la chute de Claude Bez,
fâché avec la fiscalité. En novem­
bre 1990, un audit révèle un
déficit de 242 millions de francs.
Bez (mort en 1999) démissionne
avant de finir la saison en
détention préventive. « A partir de
là, c’est du grand n’importe quoi,
on ne sait même pas si le club va
finir la saison », dit Christophe
Hutteau. Pour ne rien arranger,
Deschamps se fracture le coude
début décembre. « Ce qu’il a vécu à
Bordeaux est l’opposé de ce qu’il
Faire briller de
nouveau l’équipe
nationale,
c’est la mission
qui incombe
au « Kral »
local. Devant sa télé, le Franco­Turc
a fait primer le patriotisme sur son
attachement au PSG. « Même moi
qui suis un ancien joueur parisien,
j’étais obligé de soutenir le LOSC »,
avoue le vainqueur de la Coupe de
France 2010 avec le club de la
capitale. En 2008, Erding faisait
partie de la sélection turque qui a
atteint les demi­finales de l’Euro.
Depuis, la Turquie n’a plus dé­
passé le premier tour d’un grand
tournoi – elle n’était pas qualifiée
pour le Mondial 2018. Faire briller
de nouveau l’équipe nationale,
qui, mercredi 16 juin, affronte le
Pays de Galles à l’Euro, c’est la mis­
sion qui incombe au « Kral » (« roi »,
en turc), le surnom de Burak Yil­
maz. Lors du match d’ouverture
Didier Deschamps lors du match retour Bordeaux­Glenavon en Coupe de l’UEFA, en octobre 1990. LUTTIAU/PRESSE SPORTS
est, ajoute Christophe Hutteau,
recroisé plus tard comme agent
de joueurs. Lui aime les choses
bien organisées. Je pense que cela
l’a conduit à beaucoup se méfier
par la suite par rapport à toute
l’agitation qu’il peut y avoir
autour du football. »
Sur le terrain, le professionnel
fait le métier après son retour de
blessure en février. Pourtant, la
paye ne tombe plus toujours (ou
sous forme d’AGS, le régime de
garantie des salaires) et les réu­
nions avec l’administrateur judi­
ciaire se glissent entre deux en­
traînements. « C’était tellement
folklorique qu’on préférait en rigo­
ler », avoue Jean­Marc Ferreri.
L’ex­joueur bordelais a encore
en tête une scène typique de l’hu­
mour de celui qu’il appelle « la
Dèche ». « Quand Alain Afflelou
rachète le club, “la Dèche” regarde
le château du Haillan et me dit : “Il
est beau hein ? Et dire qu’on a dû le
vendre une misère à Afflelou”. »
La destination finale ne fait plus
de doute : la relégation adminis­
trative en Division 2. « Mais mal­
gré ça et le problème des salaires, il
était hors de question de faire
grève, assure Jean­Marc Ferreri.
“La Dèche”, Jean­Philippe Durand
et moi étions en équipe de France
et ce n’était pas concevable. » Di­
contre l’Italie (perdu 3­0), le 11 juin,
on l’a toutefois vu peu à son aise. Il
y a quelques années, Erding faisait
la paire avec lui au sein de l’attaque
de la sélection turque. « Je me sou­
viens d’un joueur généreux et im­
posant par son charisme », re­
trace l’ancien joueur du PSG, de
Sochaux et de Saint­Etienne.
Dans un vestiaire, Yilmaz n’a
jamais été du genre à raser les
murs. Ni à garder sa langue dans sa
poche, comme l’a constaté Yilmaz
Vural, l’un de ses premiers coachs
à Antalyaspor. « Un jour à l’entraî­
nement, il est passé devant moi et
s’est arrêté en ouvrant très grand la
bouche, racontait Vural en octo­
bre 2020 sur le site de France Foot­
ball. Je lui ai demandé ce qu’il fou­
tait. Il m’a répondu : “Même si j’at­
trape un oiseau avec ma bouche, tu
ne me ferais pas jouer !” (Rires). »
Un homme va réussir à dompter
ce caractère : Senol Günes. C’est
sous ses ordres que la carrière de
Yilmaz décolle à Trabzonspor
(2010­2012). Sacré deux fois cham­
pion de Turquie sous les couleurs
de Galatasaray (en 2013 et 2015),
Yilmaz voit sa cote décroître les
dier Deschamps montre déjà des
talents de joueur de belote et des
qualités de meneur d’hommes.
Gérard Gili en parle comme « la
clé de voûte de l’équipe, celui vers
lequel les autres se tournent ».
Jean­Philippe Durand tique un
peu. « Je n’ai pas ce souvenir.
Didier est encore assez jeune et se
retrouve dans un groupe avec des
fortes personnalités, des Sénac,
Thouvenel ou Battiston, au club
depuis des saisons. Ce n’est pas lui
qui prenait la parole. »
Le dernier mot
Avec les médias, le jeune homme
s’ouvre peu, pèse et soupèse ses
mots. « On ne faisait pas copain­
copain avec lui, contrairement à
d’autres, note Christophe Hut­
teau. Il se méfiait déjà à l’époque.
Mais, il n’était pas le coéquipier
calculateur, un peu froid qu’on a
parfois dit. Dans l’intimité du
vestiaire, c’était un gros cham­
breur plutôt apprécié. »
Alors que les Girondins termi­
nent la saison à une anecdotique
dixième place, le futur capitaine
des Bleus n’a pas l’intention d’être
de l’opération « remontée » avec
les jeunes Bixente Lizarazu et
Christophe Dugarry. Pour lui, ce
sera Marseille et nulle part
ailleurs. Tapie vient aux rensei­
années suivantes. En janvier 2019,
Günes le convainc de le rejoindre à
Besiktas, juste avant d’être
nommé sélectionneur national.
Yilmaz va alors reconquérir sa
place de titulaire avec la Turquie.
En octobre 2019, lors du match
France­Turquie au Stade de
France, le capitaine de la sélection
effectue avec ses coéquipiers des
saluts militaires en guise de célé­
bration de but, en lien avec une
offensive de l’armée turque au
nord de la Syrie.
Soutien affiché à Erdogan
« Depuis des décennies, l’environ­
nement footballistique turc a des
liens avec la politique nationaliste,
ultranationaliste », contextualise
Daghan Irak, auteur d’un ouvrage
sur les engagements sociopoliti­
ques des supporteurs en Turquie
(Football Fandom, Protest and De­
mocracy, Routledge, 2019, non
traduit). Le sociologue voit dans
ces saluts militaires un reflet de la
perception de la société turque au
sujet de la politique étrangère.
« En Turquie, les gens sont majori­
tairement nationalistes et milita­
sports | 23
Sur le terrain,
le professionnel
fait le métier
après son retour
de blessure en
février. Pourtant,
la paye ne tombe
plus toujours
gnements auprès de Gérard Gili :
« Je lui confirme que Didier a été
très, très sérieux malgré le contexte
et qu’il mérite de retourner à l’OM. »
Le patron en doute et menace
de le transférer ou le prêter à
nouveau. Pour lui, son niveau ne
cadre pas avec ses grandes ambi­
tions européennes. Mais au
moment de le lui annoncer, un
« non » ferme et définitif sort de
la bouche de Deschamps. La
scène a été racontée et déformée
au point d’imaginer le joueur
perché sur une table et hurlant
sur le futur ministre de la ville.
En réalité, le dialogue a eu lieu
au téléphone. Mais l’ancien Nan­
tais a eu le dernier mot. « Même
s’il n’était pas la tasse de thé de
Tapie », selon Christophe Hut­
teau, Didier Deschamps revient
ristes. » Deux ans plus tôt, Yilmaz
avait montré un soutien sans
équivoque à Recep Tayyip Erdo­
gan. Il affirmait dans une vidéo sa
volonté de voter en faveur d’une
réforme constitutionnelle renfor­
çant les pouvoirs du président is­
lamo­conservateur.
En décembre 2020, l’attaquant
du LOSC faisait marche arrière
dans une interview à Canal+,
déclarant que « c’était une erreur de
[sa] part » d’afficher ses convic­
tions politiques. Yilmaz se garde
aujourd’hui de poster sur les
réseaux sociaux des photos au
côté du président turc comme il a
pu le faire il y a quatre ou cinq ans.
« C’est plus risqué de soutenir M. Er­
dogan en 2021, décrypte Daghan
Irak. Car il n’est plus aussi populaire
qu’en 2017. C’est un leader très affai­
bli avant les prochaines élections. »
Le « Kral » porte le brassard de
capitaine de la sélection. A 35 ans –
bientôt 36 en juillet –, l’attaquant
n’a jamais semblé aussi perfor­
mant. Surtout, il est adulé dans
son pays. Ce qui était loin d’être
gagné au regard de son parcours.
Yilmaz a la particularité d’être l’un
endurci de son exil bordelais et
gagne sa place de titulaire.
Quand Jean­Marc Ferreri signe à
l’OM au début de la saison
1992­1993, sa « Dèche » porte le
brassard de capitaine, après le
départ de Jean­Pierre Papin, rem­
placé brièvement par Bernard
Casoni. « A partir de là, il explose
comme joueur et leader. Il est
vraiment le boss. »
Un soir de mai 1993, Didier
Deschamps soulève à Munich la
première (et dernière pour
l’instant) coupe « aux grandes
oreilles » du football français
après la victoire contre l’AC Milan
en Ligue des champions. Bor­
deaux est alors déjà très loin.
Plus tard, Jean­Louis Triaud,
alors président des Girondins,
tentera bien d’asseoir le futur
champion du monde 2018 sur le
banc. « Avec le président Triaud, on
a pu avoir des discussions, confesse
Didier Deschamps en 2015 dans
Sud­Ouest. Mais soit je n’étais pas
disponible, soit les Girondins ne
voulaient pas : ça aurait pu se faire,
ça ne s’est pas fait. » Comme celle
du joueur, sa carrière d’entraîneur
tend vers Marseille. 
alexandre pedro
Prochain article Naissance d’un
grand entraîneur en Principauté
des rares joueurs ayant porté le
maillot des trois clubs­phares d’Is­
tanbul : Galatasaray, Fenerbahçe et
Besiktas. « Aujourd’hui, Burak re­
çoit l’amour de tout le monde, alors
qu’avant on le détestait à Besiktas
parce qu’il jouait à Galatasaray et
inversement quand il a changé de
club », retrace Mevlüt Erding. Ajou­
tez à cela une réputation de simu­
lateur – il avait l’habitude de se
laisser tomber dans la surface
pour provoquer des penaltys –, et
vous aviez une figure controver­
sée du championnat local.
« Désormais, il y a un respect et
une fierté unanimes à son égard. Et
ça, c’est extrêmement difficile à ob­
tenir pour un joueur turc », appuie
le sociologue, en ajoutant que le
succès peut être éphémère. « Si Bu­
rak Yilmaz fait une bonne presta­
tion à l’Euro, il peut devenir l’égal
des plus grands anciens joueurs.
Mais s’il échoue, son passé contro­
versé pourrait revenir à la surface. »
Dans tous les cas, ce tournoi pour­
rait bien être la dernière chance du
« Kral » de porter la sélection sur
ses larges épaules. 
florian lefèvre
24 | carnet
Marc Tomsin
Ancien correcteur
au « Monde »
A Paris, en 2016.
ÉDITIONS LIBERTALIA
M
arc Tomsin, liber­
taire et éditeur, an­
cien correcteur du
Monde, est mort à
70 ans, le 8 juin, des suites d’une
chute accidentelle survenue dans
la ville crétoise de La Canée, où il
s’était établi. Cet accident aux
conséquences mortelles a eu lieu
à proximité d’un squat emblé­
matique, Rosa Nera, « reconquis »
par des militants et des habitants
après son évacuation en septem­
bre 2020, après seize années
d’occupation pacifique.
C’est paradoxalement au cours
de la fête célébrant cette « réap­
propriation » d’un lieu délaissé
pendant des décennies et appar­
tenant à l’université technique de
Crète, qui voulait le récupérer
pour la réalisation d’un projet
hôtelier contesté, que Marc Tom­
sin est tombé et a sombré dans le
coma. S’il l’avait anticipée, sa
mort aussi brutale qu’inattendue,
dans ce contexte festif et militant,
ne lui aurait peut­être pas déplu,
lui qui gardait le sourire en toutes
circonstances, les yeux toujours
pétillants de malice.
Fils d’un enseignant mort pré­
maturément et d’une infirmière
partageant les idées libertaires, il
est né à Paris, dans le 19e arrondis­
sement, le 15 juin 1950. Lycéen, il
s’est engagé, dès avant Mai 68,
dans le mouvement anarchiste,
influencé notamment par le situa­
tionnisme, après la lecture déter­
minante du Traité de savoir­vivre à
l’usage des jeunes générations, de
Raoul Vaneigem (Gallimard, 1967).
L’intérêt pour les ouvrages de
référence n’allait plus le quitter.
« Indien métropolitain »
Licencié en philosophie, il exerça
dès 1971 plusieurs « petits mé­
tiers » (magasinier aux Nouvelles
Messageries de la presse pari­
sienne ou chauffeur­livreur au…
Monde), avant de devenir correc­
teur. Après l’Encyclopædia Uni­
versalis, c’est au journal du Parti
communiste français, L’Huma­
nité (de 1987 à 1999), puis au
Monde (de 1999 à 2006) que ce li­
bertaire incorrigible poursuivit sa
carrière professionnelle. « L’uni­
vers, l’humanité et le monde » : un
clin d’œil à ses convictions uni­
versalistes, disait­il.
Parallèlement, il exerça des
responsabilités au Syndicat des
correcteurs. Pépinière de mili­
tants, ce syndicat de métier affilié
à la CGT, dissident avant l’heure,
puisait ses racines dans le passé
anarcho­syndicaliste de la confé­
dération et une opposition réso­
lue au stalinisme. Ce n’était évi­
demment pas pour déplaire à
Marc Tomsin, qui y anima la
15 juin 1950 Naissance à Paris
1985 Cofonde les éditions Ludd
1995 Soutient la révolte des
Indiens zapatistes du Chiapas,
au Mexique
1999-2006 Correcteur
au « Monde »
8 juin 2021 Mort à La Canée
(Crète)
commission de solidarité interna­
tionale. Il s’engagea lui­même
résolument dans le soutien à la ré­
bellion zapatiste du Chiapas, au
Mexique, qui avait alors pour por­
te­parole le charismatique sous­
commandant Marcos. Ce n’est pas
moins de dix séjours qu’y effec­
tua, entre 1996 et 2006, cet « In­
dien métropolitain », qui déton­
nait dans les couloirs du Monde,
avec son pantalon de cuir, son
crâne rasé et sa natte à la mand­
choue soigneusement tressée.
Professionnel exigeant, maîtri­
sant la langue, la grammaire, l’or­
thographe et les subtilités de la
typographie, imprégné d’une lit­
térature qui donne à penser, c’est
presque naturellement qu’il de­
vint également éditeur. C’est avec
les éditions Ludd (du nom d’un
mouvement de protestation con­
tre la mécanisation du travail en
Angleterre au début du XIXe siè­
cle) qu’il entreprit en parte­
nariat, à partir de 1985, cette autre
« carrière », forcément peu lu­
crative. Composées à l’ancienne,
au plomb, tirées à 1 000 exem­
plaires, ces petites pépites édito­
riales avaient pour auteurs Oskar
Panizza, Karl Kraus, Frank Wede­
kind ou Raoul Vaneigem.
L’aventure éditoriale se pour­
suivit à partir de 2007 avec les
éditions Rue des Cascades (du
nom d’une rue du Paris populaire,
à Ménilmontant), où il publia
Georges Bataille, l’écrivain et spé­
cialiste de la typographie Jérôme
Peignot, le sous­commandant
Marcos lui­même, le surréaliste
Adrien Dax ou des historiens de
l’anarchisme.
Cinéphile passionné par l’ex­
pressionnisme allemand, Marc
Tomsin était également un ama­
teur de blues et de rébétiko, une
musique populaire grecque origi­
naire des bas­fonds. Et c’est dans
une île grecque, comme dans une
de ces chansons tragiques de
taverne où le destin prend son
tribut, que la vie de cet humaniste
revendiqué s’est interrompue
brutalement. 
lucien jedwab
[« Le Monde » présente ses condoléances
à sa famille, à ses proches et à toutes
celles et ceux qui l’ont apprécié durant
ses années passées au journal.]
Le Carnet
Vous pouvez nous faire
parvenir vos textes
soit par e-mail :
carnet@mpublicite.fr
(en précisant impérativement
votre numéro de téléphone
et votre éventuel numéro
d’abonné ou de membre
de la SDL)
soit sur le site :
https://carnet.lemonde.fr
L’équipe du Carnet
reviendra vers vous
dans les meilleurs délais
pour vous confirmer
la parution.
carnet@mpublicite.fr
https://carnet.lemonde.fr
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Mme Andrée Beyk,
son épouse,
Leïla et Philippe, Walid, Nader,
Mouna et Philippe,
ses enfants,
Lena, Laura, Noé, Antoine,
ses petits-enfants,
Maya, Nora, Bazil,
ses arrière-petits-enfants,
Sa famille
Et ses proches,
ont l’infinie tristesse de faire part du
décès, survenu le 4 juin 2021, à Paris,
de
M. Hassan BEYK,
docteur en droit
de l’université de la Sorbonne,
né le 10 décembre 1915,
à Alep, en Syrie.
L’inhumation a eu lieu le lundi
14 juin, à 11 heures, au cimetière du
Père-Lachaise, Paris 20e.
« Boire le verre de la vie
en subissant, c’est l’enfer.
Boire le verre de la mort
en étant libre et respecté,
c’est le paradis. »
Antar.
191, rue des Pyrénées,
75020 Paris.
Le père Provincial
de la Compagnie de Jésus,
Sa communauté,
Et sa famille,
font part du retour à Dieu du
père Olivier de DINECHIN,
décédé à Paris, le samedi 12 juin 2021,
dans sa quatre-vingt-sixième année
et la soixante-et-unième de sa vie
religieuse.
Les funérailles seront célébrées le
jeudi 17 juin, en l’église Saint-Ignace,
33, rue de Sèvres, 75006 Paris.
Paris. Ivry-sur-Seine.
Concepcion,
son épouse,
Malika, Vladimir et Bruno,
ses enfants
et leurs conjoints, Benoit, Hélène et
Prune,
Diane, Léonard et Abèle,
ses petits-enfants,
ont le profond chagrin de faire part
du décès du
docteur
Bernard DORAY,
né le 3 août 1945,
survenu le 3 juin 2021, à son domicile,
à l’âge de soixante-quinze ans.
« Il est urgent de débusquer
et de nommer les causes
des souffrances psychiques, pour que
l’humanité se reconstruise. »
Bernard Doray.
Lyon. Thônes (Haute-Savoie).
M Simone Gallat,
me
sa mère,
Geneviève,
sa sœur,
Bruno et Pierre,
ses frères,
Laura,
sa belle-fille
et leur famille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Henri GALLAT,
docteur en droit,
avocat à la cour,
survenu le 11 juin 2021,
à l’âge de cinquante-sept ans.
Les obsèques ont eu lieu en l’église
Saint-Maurice, à Thônes, ce mardi
15 juin, à 10 heures.
La famille remercie ceux et celles
qui n’ayant pu se déplacer, se sont
associés à sa douleur.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Pierre et Jérôme Galloni d’Istria,
ses fils,
Françoise de Oliveira,
son amie,
Florence Barbier,
sa belle-fille,
Adrien, Mathilde, Joseph, Nino,
ses petits-enfants
Ainsi que toute la famille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
M. Marc GALLONI d’ISTRIA,
survenu le 8 juin 2021, dans sa
quatre-vingt-neuvième année.
La cérémonie religieuse sera
célébrée le jeudi 17 juin, à 10 h 30,
en l’église Saint-Etienne-du-Mont,
place Sainte-Geneviève, Paris 5e.
Cet avis tient lieu de faire-part.
29, boulevard Saint-Michel,
75005 Paris.
Alexandre, Raphaël et Maryse,
Lucie, Victor, Yaël, Georges et Simon,
ont la douleur de faire part du décès,
survenu le 13 juin 2021, à Paris, à l’âge
de quatre-vingts ans, de
Danielle GOUREVITCH,
née LEHERPEUX,
ancien directeur d’études à l’EPHE.
Nous associons,
Michel,
à nos pensées.
21, rue Béranger,
75003 Paris.
Ariane Beinert,
sa fille,
Sirrine et Madih Laalou,
sa sœur et son frère,
Romain Delory,
son beau-frère,
Sa famille proche,
Ses amis,
Ses collègues,
ont la douleur de faire part du décès
de
Théma LAALOU,
survenu le 30 mai 2021.
Les obsèques auront lieu le
mercredi 16 juin, à 13 heures, en la salle
de cérémonie du centre funéraire de
Strasbourg, 15, rue de l’Ill.
Philippe, François, Bruno,
ses fils
et leurs épouses,
Mathieu, Pauline, Marie-Charlotte
et Camille,
ses petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décès
de
Geneviève LAMY,
née LACROIX,
ancienne adjointe au maire
du 15e arrondissement de Paris
(1983-1989),
responsable associative,
survenu le lundi 7 juin 2021,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
La cérémonie religieuse sera
célébrée le jeudi 17 juin, à 10 h 30, au
crématorium du cimetière du Père-
Lachaise, Paris 20e.
Elle sera inhumée aux côtés de
son mari, dans la stricte intimité
familiale le même jour, au cimetière
du Montparnasse Paris 14e.
Ni fleurs ni couronnes.
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
Monique, Il y a cinquante ans, le 16 juin 1971,
son épouse,
Catherine et Jean-Bruno, Patrick
et Cathy, Éric et Gina, Thierry, Gilles
et Anne-Florence,
sur une route d’Algérie,
André LEBLOIS,
ses enfants et leurs conjoints,
Ian, Camille, Guilain, Cécile,
Augustin, Julien, Mathieu, Alice,
Diego, Caroline, Mateo, Emilio,
ingénieur en chef d’agronomie,
chevalier de la Légion d’honneur,
Maxime,
ses petits-enfants,
chevalier
dans l’ordre du Mérite agricole,
chevalier
dans l’ordre du Mérite saharien,
ont la très grande tristesse de faire
part du décès de
était enlevé à l’affection des siens.
Jacques ROYER,
Son épouse,
survenu le 11 juin 2021, à son Sa fille et son fils,
domicile, à l’âge de quatre-vingt-
quatorze ans.
rappellent son souvenir à ceux qui
La célébration a lieu le mardi l’ont connu et aimé.
15 juin, à 14 h 30, en l’église Saint-Merry,
76, rue de la Verrerie, Paris 4e. Communication diverse
L’inhumation suivra au cimetière
du Montparnasse, Paris 14e.
Marseille. Cap-Ferret.
Marie-Annick Varlamoff,
son épouse,
Arcadie et Vanina,
ses filles,
Pierre-François Morin,
son gendre, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Ulysse, Nikita, Caliste et Pia,
ses petits-enfants, Les bénévoles de SOS Amitié
ont la profonde tristesse de faire part écoutent
du décès de par téléphone et/ou par internet
ceux qui souffrent de solitude,
Serge VARLAMOFF, de mal-être et peuvent avoir
architecte et artiste-peintre,
des pensées suicidaires.
survenu le 11 juin 2021, à son
domicile de Marseille, à l’âge de Nous recherchons des écoutants
soixante-dix ans. bénévoles
sur toute la France.
La crémation a eu lieu ce lundi
L’écoute peut sauver des vies
14 juin, à 15 heures, à Marseille.
et enrichir la vôtre !
mavarlamoff@wanadoo.fr Choix des heures d’écoute,
formation assurée.
Le département de Sciences de
l’éducation et de la formation de
Université de Paris
En IdF RDV sur
www.sosamitieidf.asso.fr
témoigne de sa grande tristesse à
En région RDV sur
l’annonce du décès de
www.sos-amitie.com
Gérard VERGNAUD.
Archives
Ses apports et les perspectives Les archives professionnelles de
scientifiques qu’il a ouvertes sont
immenses. André Voisin
(1935-2020),
Anniversaires de décès pionnier de la formation des adultes
(1963-2020)
membre fondateur et vice-président
Yves BELLORGEY,
10 juin 1948 - 6 juin 2019, en 2000 du Groupe étude histoire
journaliste. de la formation des adultes,
ont été transférées aux Archives
Nicole, départementales de la Seine-Saint-
son épouse, Denis (secteur des archives privées)
Ses enfants
contact@gehfa.com
Et ses petits-enfants,
Sa famille,
Ses amis, Transmettre ce legs personnel
et collectif était le désir ultime de cet
pensent à lui. homme passionné et passionnant.
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, Philippe Broussard, Nicolas
Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Alexis Delcambre,
Marie-Pierre Lannelongue, Harold Thibault
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
Rédaction en chef Laurent Borredon, Laetitia Clavreul, Michel Guerrin, Christian Massol, Franck Nouchi (Débats et Idées)
Chef d’édition Sabine Ledoux
Directrice du design Mélina Zerbib
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Photographie Nicolas Jimenez
Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président
ANNONCEZ
VOS ÉVÉNEMENTS LE CARNET
CULTURELS
Expositions, signatures, lectures,
projections-débats, festivals...
Pour toute
Pour toute information
information: :
01 57 28 28 28
carnet@mpublicite.fr
carnet@mpublicite.fr
Tarif à la ligne : 29,50 € TTC
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
ouagadougou ­ correspondance
H
amidou flotte dans son
treillis couleur sable ; un
filet de sueur coule de son
front. Qu’importe le soleil,
ce soldat de 22 ans ne res­
sent « ni fatigue ni soif » et
ne pense qu’à une chose : « attraper les terro­
ristes » cachés dans un bâtiment à quelques
mètres de lui. La mission est risquée, il est en
première ligne. Un œil fermé, l’autre derrière
le viseur de son AK­47, il est prêt à tirer. Avan­
cer. Ne pas trembler. Rester concentré. Sans
un mot, d’un simple coup de coude à son
camarade posté derrière, il lance l’assaut. « Re­
pos ! », interrompt l’instructeur. Hamidou re­
prend sa respiration. Ce matin, c’est juste un
exercice, il peut se permettre des gestes mala­
droits, mais, dans quelques semaines, il
pourra se retrouver, comme les centaines
d’autres stagiaires, face à de vrais terroristes.
Nous sommes au centre d’entraînement
commando et de formation aux opérations
spéciales (CEC­FOS) de Pô, à 140 kilomètres au
sud de Ouagadougou, la capitale burkinabée.
Près de 200 hectares de champs de tir, de par­
cours d’obstacles, au cœur des collines et des
forêts du Nahouri, non loin de la frontière
ghanéenne. Un endroit où ont été formés
1 600 stagiaires depuis sa création, en 2019.
Début juin, Le Monde a pu y passer deux jours
avec les recrues avant leur déploiement en
opération, alors que le feu djihadiste et les
représailles intercommunautaires ne cessent
de gagner le pays. En six ans, les violences ont
fait plusieurs milliers de morts et forcé plus
de 1 million de personnes à fuir. Le 5 juin, au
moins 160 personnes ont été tuées à Solhan,
dans le Nord­Est. Jamais le Burkina Faso
n’avait connu un tel massacre.
Au camp de Pô, les détonations résonnent
nuit et jour. Le rythme de la formation est
intense : exercices tactiques, simulations
d’attaque, cours théoriques… C’est ici que
sont formées les forces spéciales. Différentes
unités de l’armée participent aussi à des « sta­
ges d’aguerrissement ». Idem pour une poi­
gnée de militaires étrangers – une dizaine par
an –, venus du Niger, du Tchad ou du Togo.
Tous ont un même objectif : faire face à la
menace terroriste. D’où ces journées passées
à tirer, à combattre, à courir, « vingt heures sur
vingt­quatre, six jours sur sept ! », d’après Ro­
drigue Compaoré, le commandant du centre.
Le repos ? Limité à quatre heures par jour. Et
encore : en plusieurs fois. Les soldats doivent
apprendre le « sommeil fractionné ». « C’est
ça, l’esprit commando : repousser ses limites,
malgré la fatigue », insiste le chef de bataillon.
« GUERRE ASYMÉTRIQUE »
Hamidou (les prénoms des stagiaires ont
été modifiés) n’a dormi que deux heures.
Ses traits sont tirés, sa voix un peu cassée,
mais il tient bon. L’uniforme, c’était l’un de
ses rêves d’enfant, comme le football profes­
sionnel. En 2019, l’attaque du détachement
de Koutougou, dans le nord du pays (vingt­
quatre militaires tués), l’a choqué, et il a dé­
cidé de s’engager. « Je veux défendre ma na­
tion ! », martèle­t­il, avant d’évoquer son hé­
ros : Jack Bauer, l’invincible agent antiterro­
riste de la série 24 Heures chrono.
A l’image d’Hamidou, de nombreux stagiai­
res se sont engagés en voyant le pays plonger
dans l’horreur. Safiatou, par exemple, l’une
des deux seules femmes de la formation. Sa
mère voulait qu’elle soit infirmière. A 24 ans,
elle rêve de « ramener la paix » dans son
village, dans l’Est, où des djihadistes ont
égorgé son cousin sous ses yeux. Depuis, elle
ne peut plus y retourner. Avec ses cheveux
rasés, elle se ferait tuer. Hamidou, lui, n’a
encore jamais vu de terroristes, à part sur
écran, mais il assure qu’il n’a « pas peur » et
confie même avoir « hâte de partir ».
A Pô, il n’y a pas de douches ni de lits. Les
recrues dorment à la belle étoile, se lavent au
seau, mangent dans une popote. « C’est ça la
réalité du terrain, estime le commandant
Compaoré. Nous avons en face de nous des
groupes qui sont nés et vivent dans ces
conditions hostiles. Vous pensez que les terro­
ristes boivent de l’eau en bouteille ? »
Ce soir­là, comme un signe, l’électricité
saute dans le camp. L’obscurité est totale. Des
petites lumières s’allument dans la nuit, cel­
les des portables utilisés par les soldats pour
aller remplir leurs seaux. « Normalement, je
sanctionne ! Chaque torche est une cible pour
l’ennemi », glisse le commandant. La nuit, les
stagiaires doivent apprendre à se repérer avec
les étoiles et à « aiguiser leurs sens ». Le chant
des grillons et des bruits des animaux sauva­
ges résonnent dans l’obscurité. A côté du bi­
vouac, une sentinelle guette, l’arme pointée.
Dans cette zone d’Afrique, la menace est dif­
Au centre d’entraînement commando et de formation aux opérations spéciales (CEC­FOS) de Pô, au Burkina Faso, le 1er juin. SOPHIE GARCIA/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
Au Sahel, l’esprit
commando
A l’heure où le Burkina Faso est confronté aux attaques
djihadistes, nos reporters ont pu suivre la formation
de jeunes volontaires, appelés à combattre les groupes
terroristes d’Afrique de l’Ouest
fuse, souvent invisible, le danger peut venir
de partout, d’un guetteur en bord de route,
d’une mine cachée sous un tas de terre… Et
puis, il y a la nature. Des dunes de sable du
Sahel aux forêts de l’Est, elle impose sa loi.
« On a déjà vu des armes fondre avec la
chaleur, il faut souvent se déplacer à moto
dans les zones difficiles d’accès, parfois même
en pirogue », poursuit Compaoré.
Devant l’aggravation de la menace, l’armée
tente donc de s’adapter. « Nous avons ren­
forcé nos capacités de renseignement, nos
moyens matériels et nous avons gagné en
mobilité et en réactivité », indique le lieute­
nant­colonel Didier Yves Bamouni, chef
adjoint des opérations interarmées, même
s’il reconnaît encore des « insuffisances ».
En face, les djihadistes, affiliés au Groupe
de soutien à l’islam et aux musulmans et à
l’organisation Etat islamique au grand
Sahara, ont affiné leurs modes opératoires,
en multipliant les embuscades et les atta­
ques à l’artillerie lourde. « On se bat contre
des hommes qui ont les mêmes armes que
nous », résume un officier. Au Burkina Faso,
30 % du territoire échappe aux forces de
sécurité et seulement 18 % des troupes sont
en première ligne, selon un rapport de l’ONG
International Crisis Group. Dans l’est du
pays, de nombreux villages sont sous l’em­
prise des terroristes, qui contrôlent des
checkpoints et minent les axes afin de ralen­
tir les mouvements de l’armée.
Retour à Pô. Sur un terrain de terre ocre,
une compagnie de stagiaires s’entraîne à
riposter à une simulation d’attaque. Un mili­
taire enturbanné joue le rôle d’un djihadiste.
Caché derrière un arbre, il tire à blanc. Les sol­
dats ont deux secondes pour réagir. Trois,
« c’est trop tard », prévient l’instructeur.
« L’ennemi utilise l’effet de surprise. Souvent, ce
n’est que quand les assaillants commencent à
tirer qu’on peut les localiser », poursuit­il.
Autre problème : les groupes armés se dépla­
cent à moto, ils sont mobiles et se dissimu­
lent parmi la population. « Des paysans avec
une daba [une houe] le jour, une kalachnikov
horizons | 25
la nuit, c’est ça toute la difficulté de cette
guerre asymétrique », insiste le lieutenant­
colonel Didier Yves Bamouni.
L’armée burkinabée, comme les forces
maliennes et nigériennes, est régulièrement
visée par des accusations d’exactions. A Pô, les
stagiaires sont donc formés au droit interna­
tional humanitaire, le DIH. A l’ombre d’un ar­
bre, ils prennent des notes et échangent.
« Comment est­ce qu’on peut tuer des terroris­
tes avec le DIH ? », interroge l’un d’eux. « Votre
mission est de distinguer les combattants des
civils, de les arrêter et de les envoyer à la police
ou à la gendarmerie, on ne doit pas agir sur la
« NOUS AVONS  base de préjugés », répond Abass, l’instructeur.
EN FACE DE NOUS  bâtiments abandonnés témoignent de ce
SE PRÉPARER AU PIRE
DES GROUPES  Tous savent l’ampleur des dangers à venir. En
classe de détection des engins explosifs
QUI SONT NÉS  improvisés – les « IED », dans le jargon mili­
ET VIVENT DANS  taire –, l’instructeur fait défiler des photos sur
le mur du réfectoire, devant une centaine de
CES CONDITIONS  stagiaires. Une route creusée par un cratère,
un cadavre de soldat… « Vous passez, c’est la
HOSTILES. VOUS  bouillie. » Hamidou, assis en tailleur, écoute,
PENSEZ QUE LES  sans frémir. Il a déjà vu de telles images et sait
aussi combien le souvenir de camarades bles­
TERRORISTES  sés ou morts hante certains de ses compa­
gnons. Depuis 2015, plus de trois cents militai­
BOIVENT DE L’EAU  res burkinabés ont été tués, d’après les chiffres
officiels. Il faut donc se préparer au pire. Au
EN BOUTEILLE ? » cours de secourisme, un instructeur montre
RODRIGUE COMPAORÉ comment fabriquer un garrot de fortune avec
commandant du camp un foulard et deux bouts de bois. Wilfried, le
d’entraînement caporal infirmier de 28 ans, dit voir de plus en
plus de blessures graves. En 2020, il a sauvé un
de ses compagnons, blessé par balle à l’abdo­
men. Les mines, c’est différent, il se sent
impuissant. Souvent, « il ne reste plus rien ».
Derrière ses marmites fumantes, le ser­
gent Ali, le chef cuisinier de 24 ans, raconte
avoir vu la mort en face, lui aussi. C’était le
22 mai 2020. Une embuscade, dans une fo­
rêt du Nord­Est. Une balle a transpercé sa lè­
vre. D’où cette large cicatrice au coin de sa
bouche. Deux camarades ont été tués.
« J’avais la rage, je voulais repartir au combat
les aider », se rappelle le jeune cuistot. Assis
à côté, Rodrigue Compaoré était son chef de
corps pour cette mission. Après l’attaque, il
a convoqué ses troupes pour discuter, en­
courager, rassurer aussi. Comme Boubacar,
23 ans, qui a riposté « de 18 heures à 4 heures
du matin » et « neutralisé soixante­dix terro­
ristes ». C’était la première fois qu’il voyait
des cadavres. « Je n’ai pas pu manger pen­
dant deux jours », confie­t­il. La mission de­
vait continuer, malgré l’émotion. « Pas le
choix, c’est nous ou eux. »
La question des séquelles psychologiques
est souvent taboue au sein de l’armée. Mais
tout indique que les cas de troubles de stress
post­traumatique se multiplient. Alors, à Pô,
on tente de former les esprits au pire, d’ensei­
gner la gestion de la peur. Par exemple avec
l’épreuve de la « falaise », l’une des plus redou­
tées ici. Au sommet d’une colline d’une
dizaine de mètres de haut, le stagiaire doit
sauter en tyrolienne, attaché à un baudrier en
nœud de pêcheur. Certains ne sont pas rassu­
rés. Tant pis, il faut y aller. « Si la corde lâche,
c’est fini », résume le commandant Compaoré.
A lui seul, ce camp pourrait résumer l’his­
toire militaire du pays. De la révolution de
Thomas Sankara (1983) à celle du coup d’Etat
de Blaise Compaoré (1987), en passant par la
création du régiment de sécurité présiden­
tielle (RSP), dissous lors d’une transition
pacifique en 2015, Pô a formé les chefs mili­
taires et vécu les épisodes charnières du
Burkina Faso, jusqu’à son basculement dans
une crise sécuritaire inédite, avec l’extension
des conflits djihadistes au Sahel.
Quelques slogans révolutionnaires, peints
çà et là sur les murs, et de mystérieux
passé. C’est le président Sankara qui avait créé,
en 1976, le centre national d’entraînement
commando (CNEC, devenu CEC­FOS). Son am­
bition : mettre en place une unité d’élite au
sein des forces nationales. « Il était très exi­
geant et détestait la nonchalance, il voulait
faire briller notre armée », se rappelle Apiou
Pascal Bassorobou, un ancien de la classe 1974.
A l’époque, le CNEC était même devenu un
centre de référence dans la sous­région.
Trente­quatre ans ont passé depuis l’assassi­
nat de Sankara, en 1987. L’armée a été profon­
dément fragilisée et fracturée par une série de
bouleversements sociopolitiques. Le Burkina
Faso a plongé dans une spirale de violences,
toujours plus meurtrières. Souvent, Hami­
dou, la jeune recrue, pense à Sankara, son
autre héros. Il a installé son bivouac en haut de
la fameuse « falaise », juste en face des fonda­
tions de l’ancien poste de commandement. Ce
matin­là, quand il enfile ses bottes, range la
bâche qui lui sert de lit et descend rejoindre
ses camarades sur la place d’armes, le temps
semble s’être arrêté au camp de Pô. Les soldats
chantent l’hymne national, « la patrie ou la
mort, nous vaincrons ». 
sophie douce
Retrouvez en ligne l’ensemble de nos contenus
 SCIENCE & MÉDECINE
0123
26 | MERCREDI 16 JUIN 2021

VOLCANOLOGIE

Mieux surveiller les volcans assoupis
Une panoplie d’instruments
sophistiqués est déployée
afin de mieux prévoir
les éruptions et leurs
conséquences. Mais seule
une poignée de volcans actifs
est suivie de près
à travers le monde

I
l dormait depuis janvier 2002. Le
22 mai, le Nyiragongo, le volcan le plus
actif d’Afrique, situé au nord de Goma,
en République démocratique du
Congo, est à nouveau entré en éruption,
sans qu’aucune alerte n’ait été lancée. On
déplore 32 morts et plus de 400 000 dépla­
cés. Pourtant, un organisme était bien
chargé de surveiller ce géant de 3 470 m :
l’Observatoire volcanologique de Goma,
créé en 2002. Mais il tournait au ralenti de­
puis quelques mois, faute de financements…
Cet énième sursaut du volcan considéré
comme le plus dangereux d’Afrique s’inscrit
dans un contexte de forte activité volcani­
que au niveau mondial : éjections de lave
près de Reykjavik en mars et au sommet de
l’Etna (Sicile) en février.
Le 9 avril, à 8 h 41, le bleu azur du ciel des
Caraïbes s’est brusquement teinté de gris,
quand la Soufrière de l’île de Saint­Vincent,
dans l’arc des Petites Antilles, s’est soudain
réveillée. Une première explosion a projeté
une gigantesque colonne de gaz et de cen­
dres jusqu’à 8 km d’altitude. Puis une
deuxième, encore plus haute, est survenue
au milieu de l’après­midi, au moment où
les autorités achevaient d’évacuer les
13 000 habitants de la zone la plus mena­
cée. Une trentaine d’autres ont suivi, em­
pestant l’air d’une odeur de soufre et recou­
vrant l’ensemble du territoire d’une épaisse
couche de cendre noire et collante. Pous­
sées par les vents, les plus petites de ces
poussières ont survolé l’océan avant de re­
tomber sous forme de pluie sur les îles de la
Barbade et de Sainte­Lucie. Une infime par­
tie d’entre elles a même atteint les rivages
de la Martinique, à 177 kilomètres de là…
A Saint­Vincent, contrairement à Goma, ce
déchaînement des forces telluriques qui,
dans les jours suivants, a pris la forme d’une
série d’écoulements pyroclastiques – ces mé­
langes de gaz et de fragments de lave solidi­
fiée dévalant pentes et vallées à plusieurs cen­
taines de kilomètres par heure en détruisant
tout sur leur passage – n’a, semble­t­il, pas fait
de victimes. Les habitants ont toutefois eu à
subir des pannes de courant et des coupures
d’eau. De plus, le brassage des populations du
nord de l’île, évacuées, avec celles du sud a,
dans le contexte de pandémie de Covid­19,
fait craindre une résurgence du virus.

UNE NOUVELLE ÈRE

Heureusement, les volcanologues avaient
su anticiper les changements rapides du ré­
gime de l’éruption qui, en quelques heures
à peine, est passée d’une phase « effusive »,
marquée par l’émission de coulées de lave,
à une phase « explosive », comparable, en
termes de volume de matière éjectée, à celle
qui, en mai 1902, coûta la vie à 28 000 habi­
tants de la Martinique, au moment de la
catastrophe de la montagne Pelée. Ainsi,
l’expérience d’autres cataclysmes et une
connaissance approfondie de l’histoire du
volcan ont évité, cette fois­ci, qu’aux désas­
tres humanitaire et économique vienne
s’ajouter une tragédie.
Quarante et un ans après la catastrophe du
mont Saint Helens, aux Etats­Unis (57 morts),
qui lui donna un second souffle, la volcano­
logie connaît une nouvelle ère. Une profu­
sion de données, à haute résolution tempo­
relle ou spatiale, produites par une armée Le 9 avril,
de capteurs installés au sol ou à bord de sa­ des panaches de
tellites, associée à une augmentation des cendres atteignant souterrains et qu’elle est confrontée à une données transmises par les instruments, li­ dizaines d’années d’études géologiques réa­
moyens de calcul et au développement de 6 000 mètres forte disproportion des moyens et des situa­ mite aussi la capacité d’anticipation. Résul­ lisées sur le terrain leur avaient permis
nouvelles techniques auraient, en quelques d’altitude tions, selon les pays. « Alors que 18 % de la tat : des drames surviennent. De l’éruption d’établir que ce volcan de zone de subduc­
années, considérablement amélioré la com­ s’échappent du population mondiale vit à moins de 100 kilo­ très soudaine du mont Ontake (Japon) tion a connu plusieurs éruptions au cours
préhension qu’ont les scientifiques du fonc­ volcan en éruption mètres des 1 000 à 1 500 volcans actifs de la en 2014 (57 morts) au tsunami dans le détroit de son histoire, dont la dernière, en 1979,
tionnement des systèmes volcaniques. Au la Soufrière, sur l’île planète, seule une poignée de ces derniers de la Sonde, situé entre Java et Sumatra, pro­ avait, elle aussi, produit des nuées ardentes
point d’aboutir à des avancées dans le do­ caribéenne Saint- sont étroitement surveillés », rappelle Patrick voqué par l’effondrement du volcan indo­ et nécessité l’évacuation de la population.
maine de la prévision des éruptions et de Vincent-et-les- Allard, directeur de recherche CNRS émérite nésien Anak Krakatao en 2018 (430 morts), De plus, comme l’expliquent les volcanolo­
leurs conséquences. Grenadines. AFP à l’Institut de physique du globe de Paris ces événements incitent à l’humilité face gues Audrey Michaud­Dubuy et Guillaume
Certes, la discipline est encore loin d’être (IPGP) et président de l’Association inter­ aux forces indomptables de la nature. Carazzo dans un article paru sur le site de
en mesure de rivaliser avec des sciences nationale de volcanologie et de chimie de Mais les progrès n’en sont pas moins l’IPGP, la Soufrière montrait des signes de
comme la météorologie ou la sismologie l’intérieur de la Terre. La difficulté à inter­ réels. Ainsi, le réveil de la Soufrière de Saint­ réactivation. Au mois de décembre 2020,
pour ce qui concerne l’évaluation des aléas. préter correctement les signes précurseurs Vincent n’a, tout brusque qu’il fût, aucune­ un dôme de lave était apparu à son som­
Notamment parce que les phénomènes sont des éruptions, dans le flux quotidien des ment surpris les scientifiques. En effet, des met, aboutissant à un renforcement de la
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
surveillance avec le déploiement d’instru­
ments supplémentaires sur le terrain.
Grâce à ce réseau étoffé, les chercheurs ont
été capables de détecter, à partir du 23 mars,
des changements suspects de l’activité sis­
mique, indicateurs d’une probable fractura­
tion des roches à une profondeur de 5 kilo­
mètres. Enfin, dans la journée du 8 avril, des
émanations gazeuses en surface, la crois­
sance d’un nouveau dôme et des épisodes
de trémors (signaux sismiques produits par
le mouvement des fluides souterrains) leur
ont annoncé la remontée rapide d’un
magma riche en gaz. Tous ces éléments
cumulés indiquant l’imminence d’une érup­
tion explosive, le gouvernement de l’Etat de
Saint­Vincent­et­les­Grenadines a décrété
l’alerte rouge dans la soirée. Par comparai­
son, en 1979, le danger n’avait été identifié,
presque par hasard, que dans les ultimes
heures précédant le cataclysme.
Typiquement, un changement de l’activité
sismique est souvent le premier signe de
réactivation d’un volcan. Une éruption com­
mence quand le magma émerge à la surface.
Mais, bien avant cela, la remontée de ce der­
nier à travers l’écorce terrestre se traduit par
l’émission d’ondes sismiques. La cassure de la
roche, le remplissage des réservoirs souter­
rains et l’écoulement des fluides dans les
conduits mettent les compartiments du sol
en vibration, aboutissant à la génération
d’une variété de signaux caractéristiques que
les réseaux de sismomètres des observatoires
sont chargés de capter et d’analyser.
Ainsi, ce fut à la suite de la détection d’épi­
sodes de trémors que les scientifiques du
CNRS, de l’Ifremer et du Bureau de recher­
ches géologiques et minières purent, en no­
vembre 2018, trouver une explication à la
succession presque ininterrompue de trem­
blements de terre qui frappaient Mayotte
depuis sept mois : un volcan sous­marin
était en formation par 3 500 mètres de fond,
à une cinquantaine de kilomètres à l’est de
l’île. Sa découverte est intervenue plus tard,
en mai 2019.
PRÉDIRE LA QUANTITÉ DE LAVE
La pression exercée par le magma en ascen­
sion peut aussi provoquer une inflation du
volcan qui se met à gonfler tel un ballon de
baudruche. Grâce à des inclinomètres, des
stations GPS et des relevés géodésiques par
le biais de l’interférométrie radar InSaR, ef­
fectués par satellite, les spécialistes sont à
même de suivre, au millimètre près, ces va­
riations de pente équivalant à celles qui se­
raient créées en glissant deux pièces de
monnaie sous une barre d’un kilomètre de
longueur. Ils peuvent ainsi accéder indirec­
tement à la position et à la profondeur des
sources magmatiques. « Mais aussi, depuis
peu, observer en temps quasi réel comment
ces dernières changent de forme et de volume
au cours de la remontée de magma, voire,
sous certaines conditions, prédire la quantité
de lave qui va être émise », explique François
Beauducel, géophysicien à l’IPGP détaché
pendant cinq ans en Indonésie par l’Institut
de recherche pour le développement (IRD).
Le code numérique de ce chercheur, fondé
sur un nouveau type de modèle analytique,
compte parmi les derniers outils informa­
tiques de pointe mis à la disposition des
observatoires volcanologiques français.
Enfin, les gaz livrent, eux aussi, des indi­
ces. Un magma est un mélange de roches li­
quéfiées, de cristaux et de bulles de gaz.
Comme celles du soda, ces dernières gros­
sissent et accélèrent sous l’effet de la décom­
pression provoquée par la remontée. Au
point, parfois, de s’échapper du volcan avant
le début d’une éruption pour délivrer un
message sur les cataclysmes en préparation.
En effet, expliquent les spécialistes, ces bul­
les varient en composition selon le niveau
du magma. Très enrichies en gaz carboni­
que lorsque ce dernier est en profondeur,
elles sont chargées en eau et en dioxyde de
soufre, ou encore en chlore et en fluor
quand il est proche de la surface. Ainsi,
en 1991, l’augmentation anormale des émis­
sions de dioxyde de soufre alarma les scien­
tifiques de l’imminence de l’éruption du
mont Pinatubo, aux Philippines. Les habi­
tants de la région furent mis à l’abri à temps.
Il reste que la récupération de ces gaz n’est
pas toujours aisée. Les géochimistes n’ont
longtemps eu d’autre choix que d’aller
les échantillonner dans des champs de fu­
merolles crachant des vapeurs toxiques à
plusieurs centaines de degrés ou juste
au contact de la lave des cratères. Cette opé­
ration à haut risque donnait à leur métier la
réputation d’être l’un des plus dangereux du
« 18 % DE LA POPULATION
MONDIALE VIT
À MOINS DE 100 KM DES
1 000 À 1 500 VOLCANS
ACTIFS DE LA PLANÈTE »
PATRICK ALLARD
DIRECTEUR DE RECHERCHE
À L’INSTITUT DE PHYSIQUE
DU GLOBE DE PARIS
monde. Mais, depuis une vingtaine d’an­
nées, toute une armada de dispositifs fonc­
tionnant en mode automatique ou à dis­
tance est venue faciliter leur travail. Conçus
pour mesurer en continu le flux de dioxyde
de soufre en provenance des profondeurs de
la Terre, des réseaux de stations Multi­GAS,
couplées à des spectromètres et à des camé­
ras UV, ont commencé à être déployés sur un
nombre toujours plus important de volcans.
De nouveaux instruments capables d’ana­
lyser à distance et en temps réel la composi­
tion de tous ces gaz émis au cours des érup­
tions, effusives comme explosives, sont éga­
lement entrés en service : « Ce sont des
spectromètres infrarouges dits à “transfor­
mée de Fourier” », explique Patrick Allard,
qui fut, en 2000, l’un des promoteurs de cet
outil à même de tirer parti de la lumière
rayonnée par la lave. Utilisé par plusieurs
équipes à travers le monde, le système est
aujourd’hui couramment employé pour ca­
ractériser les gaz moteurs des « fontaines de
lave » de l’Etna, ces jets de plusieurs centai­
nes de mètres de hauteur crachés à nouveau
début 2021 par le volcan sicilien.
Seul problème : ces équipements ne sont
pas toujours faciles à déployer. En particulier
quand l’infrastructure est déficiente ou lors­
que le cratère sur le bord duquel ils sont cen­
sés fonctionner est inaccessible. D’où l’idée
de plusieurs équipes, dont celle d’Emma Liu
de l’University College à Londres, de recourir
aux voies aériennes. Avec ses collègues du
projet international Above, cette chercheuse
a imaginé une nouvelle gamme d’appareils
Multi­GAS miniatures, suffisamment légers
pour être transportés sur des drones à long
rayon d’action (10 kilomètres), capables de
survoler des cônes volcaniques à plus de
2 000 mètres d’altitude. « Testé en octo­
bre 2018 et en mai 2019, sur le volcan de Ma­
nam, une île de la Papouasie­Nouvelle­Guinée
qui avait été évacuée en 2005 à la suite d’une
éruption, le système transmet en temps réel
des informations sur les gaz qui sont immé­
diatement combinées avec les données des sta­
tions au sol et des satellites », explique Emma
Liu. Désormais intégrés à l’équipement de
l’observatoire volcanologique local, ces ap­
pareils ont récemment effectué des mis­
sions au­dessus des geysers de lave apparus
DES TECHNIQUES D’INVESTIGATION ÉTONNANTES
L a sismologie, la géodésie et
l’étude des gaz ne sont pas les
seuls moyens d’observer l’ac­
tivité d’un volcan. Ces dernières
années, plusieurs disciplines se sont
dotées d’une gamme d’autres tech­
niques d’investigation, parfois éton­
nantes. A commencer par les plus
anciennes de ces spécialités : la pétro­
logie et la minéralogie, qui béné­
ficient des progrès réalisés dans le
domaine de la « chronométrie de
diffusion » (diffusion chronometry
en anglais).
Les dépôts de roches et de cendres
volcaniques recèlent de minuscules
minéraux à même de livrer des infor­
mations sur le scénario des éruptions
du passé. En particulier, certains cris­
taux présentent des changements
de composition chimique entre leur
cœur et leurs bordures, plus ou
moins nets selon la durée pendant
laquelle ils ont été exposés à un
magma différent de celui à l’intérieur
duquel ils ont été formés. « En me­
surant précisément ces variations, on
est désormais capable d’estimer en
combien de temps le réservoir d’où
sont parties les éruptions successives
d’un volcan a été déstabilisé par l’in­
jection d’un nouveau magma venu
le 19 mars dans les environs de Reykjavik. Ils
pourraient bientôt faire l’objet d’une autre
campagne d’essais, au Mexique, sur le Popo­
catepetl, le deuxième volcan d’Amérique du
Nord par la taille : 5 465 mètres !
Que ces appareils fonctionnent ou non à
ces hautes altitudes, ils ne seront pas, en
tout cas, les premiers à regarder ces structu­
res géologiques de haut. Des satellites géo­
stationnaires et défilants les observent déjà
depuis un bon moment. Au point que, les
résolutions spatiales et temporelles des
instruments de bord augmentant, cette
gamme de satellites a trouvé sa place parmi
les équipements de base de la volcanologie.
IMAGERIE UV ET INFRAROUGE
A l’instar d’autres disciplines, la volcanolo­
gie a d’abord profité des progrès considéra­
bles réalisés dans le domaine de la technique
InSaR. En comparant des images radars du
sol prises par un seul et même satellite à des
moments différents, ce procédé développé
dans les années 2000 permet de suivre les
déformations de la surface des volcans in­
duites par les mouvements souterrains du
magma. Inflation, déflation mais également
formation d’une caldeira, voire coulées de
lave… Une fois tous les trois ou quatre jours,
au mieux pour l’instant. Avec des limitations
dues à la présence éventuelle de végétation.
Mais avec l’avantage, par rapport aux sta­
tions géodésiques installées au sol, de four­
nir non pas des données sur quelques points
mais une carte générale des changements
survenus à l’échelle d’une région entière.
La discipline a, ensuite, tiré parti des avan­
cées dans le domaine de l’imagerie UV et in­
frarouge par satellite. Cette dernière sait non
seulement détecter les coulées de lave, mais
également le dioxyde de soufre (un gaz dont
les volcans constituent l’une des sources
principales) rejeté dans l’atmosphère, et les
cendres. Au point d’être en mesure d’esti­
mer la concentration et la surface de leur pa­
nache et d’en suivre, en temps réel, la pro­
gression. Résultat : diverses institutions,
comme, en France, l’Observatoire de physi­
que du globe de Clermont­Ferrand, ont re­
cours à cette solution pour surveiller l’acti­
vité volcanique au niveau global. Avec un
objectif, explique Mathieu Gouhier, cores­
ponsable du service national d’observation
en volcanologie du CNRS : « Localiser les
vingt ou trente éruptions qui sont en cours à
chaque instant et prévenir leurs conséquen­
ces, notamment sur le trafic aérien, qui peut,
comme ce fut le cas en 2010 au moment du
réveil du volcan islandais Eyjafjallajökull, être
paralysé par les émissions de cendres volcani­
ques. » Une mission dont les volcanologues
ont, là encore, su s’acquitter avec succès au
mois d’avril, au moment du lancement de
l’alerte rouge sur l’île de Saint­Vincent. 
vahé ter minassian
des profondeurs », résume Séverine
Moune, physicienne à l’Institut de
physique du globe de Paris (IPGP),
dont l’équipe a découvert que, pour la
Soufrière de Guadeloupe, ce délai a
parfois été très court : trente­quatre
jours seulement. Une information
que les chercheurs devront désor­
mais prendre en compte dans leurs
modèles de prévision.
La géophysique a, elle aussi, connu
de belles avancées avec l’arrivée de
nouvelles méthodes de tomographie,
non plus basées sur une mesure de la
conductivité électrique du sol mais
sur celle des muons. Ces particules,
très pénétrantes, produites par la
rencontre des rayons cosmiques avec
l’atmosphère terrestre, forment un
flux constant et permanent venu du
ciel, dont il est possible de tirer parti
pour réaliser des images en trois di­
mensions de la structure interne des
édifices volcaniques. C’est ce que s’ef­
force de faire, depuis dix ans, l’équipe
de Marina Rosas­Carbajal, chargée de
recherche CNRS à l’IPGP, grâce à des
détecteurs de muons disposés au­
tour de la Soufrière de Guadeloupe.
En combinant les données récoltées
par ces instruments à d’autres, ces
chercheurs sont, en 2016, parvenus à
science & médecine | 27
« La France connaît une 
situation inédite depuis 
plusieurs siècles »
Le volcanologue Jean-Christophe Komorowski
détaille le dispositif de vigilance mis en place
J ean­Christophe Komorowski,
physicien de l’Institut de phy­
sique du globe de Paris (IPGP),
estime que la France fait face
à une situation exceptionnelle.
Quelle est la situation actuelle
des volcans français ?
Les principaux volcans actifs
français sont observés par l’IPGP.
Trois observatoires suivent l’ac­
tivité de la montagne Pelée à la
Martinique, de la Soufrière à la
Guadeloupe et du piton de la Four­
naise à La Réunion. Et un réseau de
surveillance baptisé « Revosima »,
placé sous la coresponsabilité de
l’Observatoire volcanologique du
piton de la Fournaise et du BRGM,
a été créé depuis peu à Mayotte.
La situation actuelle de la
France est hors norme. La Sou­
frière de la Guadeloupe connaît
depuis 1992, et particulièrement
depuis 2018, une phase de réacti­
vation importante. De même que
la montagne Pelée, depuis le
printemps 2019. A cela s’ajoutent
quatre ou cinq éruptions par an
au piton de la Fournaise et une
autre majeure à Mayotte qui a
abouti, à partir de mai 2018, à la
formation, à 50 kilomètres à l’est
de l’archipel, d’un volcan sous­
marin qui a déjà émis 6 kilomè­
tres cubes de lave. Une telle coïn­
cidence d’événements, sans rap­
port les uns avec les autres, est
inédite, depuis au moins plu­
sieurs siècles.
La France vient de se doter
d’un quatrième observatoire
volcanologique à Mayotte.
Le précédent avait été créé voici
quarante ans. Quels progrès
a­t­on réalisés entre­temps ?
Rappelons que la France pos­
sède le deuxième plus ancien
observatoire volcanologique du
monde, celui de la montagne
Pelée, créé en 1902. Au cours de
ces vingt dernières années, la
connaissance des systèmes volca­
niques et les techniques pour les
étudier ont fait des progrès consi­
dérables. Un peu à la façon de
l’imagerie fonctionnelle pour le
localiser des zones de fragilité qui se­
raient, selon eux, susceptibles de
provoquer, un jour, un effondrement
du volcan. Ils sont depuis allés plus
loin en démontrant que cet outil peut
être employé pour suivre la circula­
tion des fluides à l’intérieur des struc­
tures hydrothermales. Comme celles
qui sont susceptibles d’être impli­
quées dans le déclenchement de cer­
taines éruptions dites phréatiques,
aujourd’hui imprévisibles.
Une carte des retombées
Enfin, d’importants efforts ont été
réalisés en vue d’évaluer les retom­
bées des éruptions. En effet, même
s’ils ne constituent pas forcément
une menace pour la vie humaine,
des volcans comme l’Etna crachent
des cendres et des lapilli qui peu­
vent, en se dispersant, gêner la cir­
culation routière, obstruer des cana­
lisations, gâter des cultures ou en­
core provoquer la paralysie des aéro­
ports. Savoir jusqu’où ces particules
sont susceptibles de se déplacer est
l’un des défis qu’a relevés Costanza
Bonadonna. Cette professeure à
l’université de Genève a développé
un modèle numérique à même de
fournir, sur la base d’informations
corps humain, on peut désor­
mais visualiser en trois dimen­
sions les principaux processus à
l’œuvre à l’intérieur de ces struc­
tures, puis suivre leurs évolu­
tions dans l’espace et le temps.
L’augmentation des moyens de
calcul s’est aussi traduite par des
avancées dans le domaine de la
modélisation mathématique des
différents types de phénomènes
associés au volcanisme : disper­
sions des cendres, coulées de lave,
avalanches de débris, tsunamis…
Nous sommes maintenant non
seulement en mesure de « re­
jouer » le scénario de l’éruption à
l’origine de ces aléas, mais aussi
capables d’associer à ces derniers
des probabilités d’occurrence.
Enfin, une bonne connaissance
du passé étant l’une des clés pour
anticiper l’avenir, les méthodes
d’analyse des échantillons re­
trouvés dans des sédiments en
terre, en mer ou dans les ancien­
nes coulées de lave, se sont énor­
mément développées apportant
un type d’informations inédites.
Vous avez récemment participé,
à bord du « Pourquoi­Pas ? »,
à la campagne de l’Ifremer et
de l’IPGP consacrée à l’étude du
volcan sous­marin apparu voici
trois ans au large de Mayotte.
Comment est­il surveillé ?
A Mayotte, le Revosima surveille
le nouveau volcan sous­marin,
mais aussi, et surtout, une longue
chaîne volcanique découverte au
large de Grande­Terre. Cette acti­
vité est, pour l’instant, observée
grâce à un réseau de stations ins­
tallées en terre et en mer, et au
cours de campagnes faisant appel
à des navires de la flotte océano­
graphique française. Tout cela a un
coût. C’est pourquoi la France a dé­
cidé de se doter, d’ici à 2029, dans
le cadre du projet Marmor, de son
premier observatoire volcanolo­
gique permanent sous­marin. La
mise en place de cette infrastruc­
ture sera un réel défi. Il s’agit d’al­
ler installer certains instruments à
1 500 mètres de profondeur ! 
propos recueillis par v. t. m.
sur la hauteur des panaches s’échap­
pant du volcan, des cartes d’accumu­
lation des poussières et des gros frag­
ments dans les zones périphériques
de l’Etna.
Gravimétrie, mesure des ondes in­
frasonores… d’autres procédés sont
à l’étude ou d’ores et déjà opération­
nels. Mais que faire en cas d’éruption
sous­marine ? Tel est le dilemme au­
quel est confrontée la communauté
scientifique française depuis l’ap­
parition, voici trois ans, d’un volcan,
par 3 500 mètres de fond, à l’est de
Mayotte. Coordonné par l’Ifremer, le
projet Marmor de l’Agence nationale
de la recherche, lancé au mois de mars,
prétend relever ce défi. « Il va consister
à développer tout un parc d’instru­
ments nouveaux à même d’équiper un
futur observatoire sous­marin câblé »,
explique Arnaud Lemarchand, de
l’IPGP. Constitué d’une dizaine de
stations de mesure permanentes, ré­
parties sur trois nœuds reliés par
l’intermédiaire de fibres optiques,
celui­ci se déploiera, à 10 et 22 km des
côtes, sur deux zones où la profon­
deur atteint les 1 500 mètres. De
quoi, là encore, largement occuper
les volcanologues… 
v. t. m.

28 | science & médecine
TÉLESCOPE
b Cancer du sein métastatique : des patientes
E S PAC E
Retour de l’Europe autour de Vénus
L’Agence spatiale européenne a décidé,
le 10 juin, de lancer entre, 2031 et 2033, une
nouvelle mission vers la planète Vénus, la
plus proche de la Terre. Baptisée « Envision »,
elle succédera à « Venus Express » (2006­
2014) et cherchera à mieux comprendre
l’atmosphère de cette planète ainsi que l’état
et l’activité de sa surface, grâce à des survols
entre 220 et 540 kilomètres d’altitude. Une
semaine auparavant, la NASA, qui collabo­
rera à un instrument d’Envision, avait aussi
annoncé le lancement de deux missions
vers Vénus, Davinci + et Veritas, preuve de
l’intérêt pour cette planète, dont les astrono­
mes voudraient comprendre pourquoi elle
n’a pas suivi l’évolution de la Terre.
Le rover chinois Zhurong prend
son premier « selfie » sur Mars
L’agence spatiale chinoise (CNSA) a diffusé,
vendredi 11 juin, le premier « selfie » pris par
son rover martien Zhurong. Devant un ciel
couleur saumon, le robot mobile, ses quatre
panneaux solaires déployés, pose près de
la plate­forme qui a procédé à son atterris­
sage sur la Planète rouge, le 15 mai. L’image
a surpris certains observateurs car, contrai­
rement aux autoportraits des rovers améri­
cains qui sont réalisés en assemblant plu­
sieurs clichés pris par les caméras dont les
engins sont équipés, celui de Zhurong a été
fait à l’aide d’une caméra que l’astromobile
chinoise a déposée au sol à quelques mè­
tres, avant de revenir se placer devant l’ob­
jectif. Lors d’une conférence de presse tenue
le 12 juin, la CNSA a annoncé que les six ins­
truments scientifiques de Zhurong avaient
été mis en route et testés. La mission du
rover est censée durer trois mois. PHOTO CNSA
N EUR O S C IE NC E S
Des milliers de neurones
à disposition
Une équipe des laboratoires de Google
a mis en ligne et à la disposition des cher­
cheurs la plus grosse et précise image en
trois dimensions d’un cerveau humain,
avec tous ses neurones et leurs connexions
(synapses). Dans le fichier de plus de
1 000 téraoctets, se retrouvent environ
50 000 cellules neuronales (neurones
et cellules gliales), leurs 130 millions de
connexions, ainsi que leurs différentes
parties : noyau, axone, dendrite… L’ensem­
ble correspond à un volume de seulement
un millimètre cube de cerveau. Le travail
a nécessité 326 jours de prises de vue
au microscope électronique, à partir de
5 000 tranches découpées dans l’échantillon.
> A. Shapson­Coe et al. « Biorxiv » du 30 mai
20 000
C’est, en kilomètres, la distance parcourue
par une baleine grise entre mai et juillet 2013,
entre les côtes de l’Asie du Nord-Est et la
Namibie. Cette migration constitue un record
pour un mammifère non humain, souligne
la revue britannique The Scientist, qui note
que, sur la terre ferme, le plus endurant est
un loup ayant parcouru 7 000 kilomètres en
peu de temps. Le périple de cette baleine grise
a été documenté grâce à deux prélèvements
d’ADN qui ont permis de constater qu’il s’agis-
sait du même individu, un mâle. Rus Hoelzel
(université de Durham) et ses collègues, qui
ont effectué ces analyses génomiques,
les présentent dans Biology Letters du 9 juin.
Ils estiment que ce représentant de l’espèce
Eschrichtius robustus a pour origine un groupe
nord-asiatique d’environ 200 individus. Ils
évoquent trois parcours possibles : traversée
du Pacifique et contournement de l’Amérique
du Sud ; passage par l’océan Arctique ; traver-
sée de l’océan Indien puis contournement
de la pointe de l’Afrique.
privées d’un traitement innovant
SANTÉ - Le laboratoire Gilead réserve pour les Etats-Unis le Trodelvy, qui accroît la survie de plusieurs mois
A
gée de 35 ans, Aude a un
cancer du sein métasta­
tique, un cancer agres­
sif difficile à soigner.
« Mon espérance de vie
est limitée. Les traitements actuels ne
me permettront pas de voir grandir
mon petit garçon de 3 ans », dit­elle
dans une vidéo adressée à Daniel
O’Day, PDG du laboratoire américain
Gilead Sciences, par le biais du site de
l’association RoseUp. Les témoigna­
ges de patientes sont nombreux.
Ce cancer du sein est dit « triple né­
gatif » car il n’exprime aucun récep­
teur hormonodépendant de surface
aux œstrogènes, à la progestérone,
au HER2, fréquemment retrouvés
dans les cancers du sein. Il représente
15 % de ces tumeurs, soit environ
9 000 nouveaux cas par an. Ce sont
souvent des jeunes femmes, avec des
enfants en bas âge. La maladie est dif­
ficile à prendre en charge, le taux de
récidive est souvent élevé.
Comme d’autres, Aude demande à
avoir accès au Trodelvy (sacituzumab
govitecan), qui s’adresse aux femmes
ayant déjà reçu deux types de chimio­
thérapie, et souvent en impasse théra­
peutique. Ce médicament, qui com­
bine un anticorps monoclonal à de la
chimiothérapie, est commercialisé
depuis avril 2020 aux Etats­Unis. Dé­
posée en mars, l’autorisation de mise
sur le marché (AMM) est en cours
d’évaluation à l’Agence européenne
des médicaments (AEM), dans le cadre
d’une procédure accélérée.
En attendant, en France, l’Agence
nationale de sécurité du médica­
ment (ANSM) a accordé des autorisa­
tions temporaires d’utilisation (ATU)
nominatives fin 2020. Mais l’agence
s’est très vite heurtée, fin janvier, à
un problème d’approvisionnement,
et a dû stopper ce processus. « Gilead
nous a indiqué que sa capacité de
production était insuffisante et ne
permettait pas de commencer de
nouveau traitement en dehors des
Etats­Unis », indique l’ANSM. Toute­
fois un dispositif d’accès précoce par
ATU de cohorte « sera mis en place en
décembre 2021 pour prendre en
Un nouvel outil pour traquer les études « bidon »
ÉTHIQUE - Une méthode élaborée par deux Français débusque les articles scientifiques générés
automatiquement par des logiciels dans le but d’étoffer le CV de chercheurs indélicats
D e nombreux théoriciens de
l’information seraient d’ac­
cord pour dire que, sans les
superpages, l’émulation de la rastéri­
sation n’aurait peut­être jamais eu
lieu. (…) Nous construisons une nou­
velle technologie authentifiée, réfu­
tant le fait que les tubes à vide et la ta­
ble de partition sont régulièrement in­
compatibles. » Cette citation, même
en anglais, sa langue originale, n’a
aucun sens. Pourtant elle a bien été
publiée, en 2017, par un éditeur scien­
tifique, comme compte rendu d’une
conférence en ingénierie. Sa particu­
larité est d’être extraite d’un texte gé­
néré par le logiciel Scigen, écrit et mis
en ligne en 2005 par trois étudiants
du MIT qui voulaient se moquer
d’éditeurs peu regardants.
Malheureusement, plus de quinze
ans après ce premier canular, la super­
cherie ne s’est pas arrêtée, comme le
constatent Cyril Labbé (université
Grenoble­Alpes) et Guillaume Caba­
nac (université de Toulouse), le 25 mai
dans The Journal of the Association for
Information Science and Technology.
Ils ont trouvé 243 articles rédigés en­
tre 2008 et 2020 par des robots, à 90 %
signés par des chercheurs chinois ou
indiens – ce qui leur permet de gon­
fler sans effort la liste des publications
charge un plus grand nombre de pa­
tientes », promet l’ANSM.
Le laboratoire américain Gilead a
acheté, en octobre 2020 et pour
17,7 milliards d’euros, la société de
biotechnologie Immunomedics qui
fabriquait le Trodelvy. « Cette petite
société a été intégrée fin 2020, mais
compte tenu de la nature du médica­
ment, complexe à produire, la disponi­
bilité pour l’Europe est prévue pour la
fin de l’année », nous explique Michel
Joly, président de Gilead France.
L’ANSM, les associations de patients,
le collectif de femmes #Mobilisation­
Triplettes, les oncologues… tous ont
bataillé auprès du laboratoire pour ob­
tenir, début juin, un nouvel accès au
médicament, permettant à la France
« d’être le seul pays à avoir ce petit
plus », note l’ANSM. « Ce traitement
semble être une avancée importante
pour les patientes dont le pronostic est
très défavorable. Nous nous battons
pour que toutes ces femmes éligibles
puissent en bénéficier », indique la doc­
teure Isabelle Yoldjian, à la tête de la
direction médicale médicaments à
l’ANSM. Mais ce sera au compte­gout­
tes. Soixante­quatre patientes avaient
reçu des ATU en France en janvier et,
au total, seules soixante­dix­huit fem­
mes pourront en bénéficier.
Mille Françaises éligibles par an
« C’est loin d’être suffisant », regrette
Claude Coutier, porte­parole de #Mo­
bilisationTriplettes. Né fin 2020 sur
les réseaux sociaux, ce collectif mène
un combat non seulement pour que
ce traitement et les autres prises en
charge innovantes deviennent acces­
sibles, mais aussi pour faire connaître
le cancer du sein triple négatif. Lan­
cée en avril, une pétition pour l’accès
au Trodelvy a même recueilli près de
60 000 signatures à ce jour.
Chaque année, de 600 à 1 000 fem­
mes seraient éligibles à ce traitement,
selon une enquête du collectif de pa­
tientes. « Pour vous donner un ordre
d’idée, nous avons reçu 26 demandes
en deux jours », précise Isabelle Yold­
jian. « Si rien n’est fait, à la fin de l’année,
certaines seront décédées », redoute
mentionnées sur leur CV. Seulement
197 de ces articles avaient été rétractés
par les éditeurs.
Pire, certains de ces journaux sont
respectables, appartenant à des pro­
priétaires réputés comme Institute
of Physics, Elsevier, IEEE (une société
savante internationale spécialisée
en informatique et ingénierie), ou
encore recensés par les bases de don­
nées de référence. Tous ne sont donc
pas ce qu’on appelle des « revues pré­
datrices », des journaux sans scru­
pule qui, moyennant finance, pu­
blient à peu près n’importe quoi
et rapidement.
« Rire jaune »
« Je suis scandalisé par le fait que peu
de drapeaux rouges se lèvent contre
ces inconduites, qui n’ont pas leur place
dans la science », insiste Guillaume
Cabanac. Son coauteur préfère « rire
jaune » de ces textes. Lui­même avait
montré l’absurdité du système
en 2010 en inventant un chercheur,
Ike Antkare, dont la réputation a
augmenté à l’aide d’une centaine de
faux articles générés automatique­
ment. En 2014, il avait aussi contri­
bué au retrait d’une centaine d’arti­
cles ainsi bidonnés. Cela lui avait valu
de collaborer, avec l’éditeur Springer,
« J’AI DU MAL À
ACCEPTER QU’ON
N’AIT PAS ACCÈS À CE
MÉDICAMENT ALORS
QUE CE CANCER
TOUCHE SOUVENT
DES FEMMES
TRÈS JEUNES »
SUZETTE DELALOGE
ONCOLOGUE À L’INSTITUT
GUSTAVE-ROUSSY
Claude Coutier. Quand la maladie de­
vient métastatique, la médiane de sur­
vie (soit le moment où la moitié des
patientes ont succombé à la maladie)
est évaluée à quatorze mois. « Quand
on commence les réunions des Triplet­
tes chaque semaine, et qu’à chaque fois,
on vous dit que deux femmes sont
décédées, c’est très très dur », confie
Céline Lis­Raoux, fondatrice de Rose
magazine, un journal gratuit destiné
aux femmes atteintes d’un cancer.
Les résultats de phase 3 du Trodelvy,
comparé à une chimiothérapie, ont
été publiés dans le New England Jour­
nal of Medicine le 22 avril. L’étude a
concerné 529 patientes dont le cancer
du sein triple négatif métastatique
était résistant à au moins deux autres
lignes de traitement. Les résultats
montrent que les tumeurs régressent
chez un tiers des femmes traitées, que
la médiane de survie sans progression
de ces tumeurs est augmentée de qua­
tre mois et que la médiane de survie
globale est doublée (12,1 mois contre
6,7 mois avec la chimiothérapie).
Ce médicament « intelligent » et
hautement technologique est com­
posé d’un anticorps monoclonal lié à
une chimiothérapie, précise Suzette
Delaloge, oncologue à l’Institut Gusta­
ve­Roussy. L’anticorps monoclonal
cible l’antigène de surface cellulaire
du trophoblaste 2 (Trop­2), exprimé
dans la majorité des cancers du sein et
dans d’autres types de cancer. Ce mé­
dicament porte en lui la chimiothéra­
à un outil de détection, SciDetect.
Springer, devenu Springer Nature,
n’apparaît pas dans la nouvelle mois­
son publiée le 25 mai. Sauf qu’en
mars de cette année il a racheté At­
lantis Press, qui pointe en troisième
position du palmarès avec 39 articles
problématiques.
SciDetect utilise la fréquence d’ap­
parition des mots pour estimer une
proximité entre textes. D’autres mé­
thodes analysent les références bi­
bliographiques ou tirent profit du fait
que le fichier compressé d’un texte
aléatoire est plus lourd que celui d’un
vrai texte. Mais leur défaut est de
devoir accéder au texte intégral des
articles, ce qui n’est pas toujours
possible. Alors, les chercheurs ont uti­
lisé le point faible des robots bidon­
neurs, qui construisent des textes à
partir de phrases toutes faites dont
les trous sont remplis aléatoirement.
Grâce à la base de données Dimen­
sions, de l’entreprise Digital Science,
ils ont testé la présence de bouts de
phrase suspects, appelés « emprein­
tes », dans des millions d’articles. A
la main, ils ont ensuite validé le fait
que les textes les plus riches en em­
preintes sont aussi dénués de sens.
Ce « scanner », précis à plus de 80 %,
permet d’analyser chaque jour désor­
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
pie et l’adresse aux cellules tumorales
spécifiquement. « Ce nouveau type de
médicament, les anticorps conjugués,
pourrait s’adresser à des patients chez
qui la chimiothérapie était trop toxi­
que », explique Michel Joly.
« J’ai du mal à accepter qu’on ne
puisse pas avoir accès à ce médica­
ment alors que ce cancer touche sou­
vent des femmes très jeunes, en re­
chute. Nous l’avons testé en essai clini­
que. Par rapport aux patientes traitées
par chimiothérapie, le gain est de six
mois en survie, en médiane, et bien
plus chez certaines patientes, constate
Suzette Delaloge. C’est un espoir car
une telle amélioration n’a pas été
constatée depuis une vingtaine d’an­
nées pour ce type de cancer. »
« Des miettes »
« Nous sommes dans l’incompréhen­
sion totale ! L’enjeu est bien de gagner
des mois de vie, mais aussi de gagner
du temps pour espérer qu’une nouvelle
thérapie nous permette de survivre »,
insiste Claude Coutier, elle­même
touchée par ce type de cancer du sein.
« Le nombre d’ATU accordées… ce sont
des miettes !, s’indigne l’oncologue
Mahasti Saghatchian, responsable de
l’unité sein à l’Hôpital américain de
Paris. Et cela génère une mise en com­
pétition des patientes et des oncolo­
gues et une énorme inégalité d’accès
selon les centres. » Il poursuit : « Ce qui
est absolument scandaleux, non éthi­
que, c’est que ce traitement, produit
par Gilead aux Etats­Unis, n’y est pas
du tout contingenté. » Le Trodelvy y a
en effet obtenu une nouvelle AMM
pour soigner le cancer de la vessie.
« La situation de ces femmes jeunes
est très dure, on travaille pour que le
Trodelvy soit accessible en Europe à la
fin de l’année, répond Michel Joly. Nos
équipes surveillent au quotidien l’évo­
lution de la situation pour mettre à
disposition le plus vite possible des
traitements supplémentaires pour les
patientes, en dehors des Etats­Unis
lorsque cela est possible. »
Quant au coût, il est élevé, de l’ordre
de 60 000 euros par patiente. 
pascale santi
mais la production mondiale. De­
puis la publication, la liste s’est enri­
chie de dix articles générés pas Scigen
et vingt si l’on ajoute deux autres
outils, Mathgen ou SBIR.
Certains éditeurs, respectant les
standards éthiques en la matière, ont
rétracté les articles signalés en les
affublant d’un bandeau rouge et en
publiant une note expliquant les rai­
sons du retrait. Mais d’autres font
disparaître purement et simplement
le texte, ou n’indiquent pas la date de
retrait, privant le lecteur d’informa­
tions précieuses. Pour garder des tra­
ces de ces forfaits, Cyril Labbé et
Guillaume Cabanac publient réguliè­
rement leurs « trouvailles » sur Twit­
ter et sur PubPeer, un site de critiques
d’articles déjà publiés.
« Nous cherchons à faire en sorte
que les choses marchent mieux ! »,
explique le duo, engagé également
dans le projet européen NanoBub­
bles, qui essaie d’expliquer « pour­
quoi la science échoue à se corriger
elle­même ». La tâche sera rude car
les progrès en intelligence artifi­
cielle modifient les manières de
générer automatiquement des tex­
tes. « On y travaille aussi ! », affir­
ment­ils en chœur. 
david larousserie
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
PORTRAIT
Dominique Garcia, l’homme qui mange,  CARTE BLANCHE
respire, rêve archéologie
Le président de l’Institut national de recherches archéologiques préventives aime par-dessus tout
comprendre comment se construit l’identité d’un peuple. Mais reste discret sur ce qui fonde la sienne
D isons­le tout de go, on a,
un peu partout en
France, arpenté bien des
chantiers de fouilles au côté de
Dominique Garcia, le président
de l’Institut national de recher­
ches archéologiques préventives
(Inrap). Avec, parfois, la tentation
facile de presser un bouton pour
que l’enseignant qu’il est aussi
raconte par le menu, de cette
voix teintée d’un accent langue­
docien pas tout à fait gommé,
l’histoire du site et la problémati­
que scientifique de la fouille
en cours. Et l’impression vivace
que cet homme respire archéo­
logie, mange archéologie, rêve
archéologie…
Ainsi, quand on vient le ren­
contrer au siège de l’Inrap, dans
le 14e arrondissement de Paris,
ses premiers mots sont pour
évoquer une coïncidence : le
bâtiment est sis rue d’Alésia, du
nom de l’oppidum gaulois dont
la quête, sous Napoléon III, a en
grande partie fondé la recherche
archéologique sur le sol national.
Autre exemple : lorsqu’on remar­
que, aux murs de son bureau,
des reproductions de tableaux
de Picasso, Dominique Garcia
embraye illico sur cette exposi­
tion qui, au musée de Santander,
explore les liens entre l’artiste
espagnol et les œuvres protohis­
toriques des Ibères…
Il faut gentiment le tirer par
la manche pour le ramener à l’ob­
jet de notre visite : son portrait.
Dominique Garcia, mi­désolé mi­
désemparé, reconnaît qu’il n’est
pas à l’aise à l’idée de parler de lui,
de remonter quarante­six années
en arrière pour se remémorer son
adolescence dans l’Hérault, près
du lac du Salagou, quand, à l’âge
de 13 ans, il participe au club d’ar­
chéologie tenu par son « profes­
seur de lettres classiques, pour qui
c’était une sorte d’éducation popu­
laire ». Il apprend à lire les paysa­
ges et la géologie de son départe­
ment natal, du littoral méditerra­
néen jusqu’au Larzac. « Paysage »,
« terre », ces mots reviennent
souvent dans sa bouche : « L’es­
pace géographique est pour beau­
coup dans la manière dont se
construisent une culture, une civi­
lisation », dit­il.
Terrain de jeu
Son baccalauréat en poche, il
s’inscrit à l’université en psycho­
logie et en histoire de l’art où il
pense « croiser de l’archéologie ».
L’étudiant va surtout la trouver
sur le terrain : les grands travaux
d’aménagement du territoire qui
ont lieu à partir de la fin des an­
nées 1970 impliquent de réaliser
ce que l’on appelle à l’époque des
« fouilles de sauvetage ». Le prin­
cipe est simple : sauvegarder le
patrimoine enfoui avant que les
bulldozers ne passent. L’Inrap
n’existe alors pas (il sera créé par
une loi de 2001) et c’est sous
l’égide de son ancêtre, l’Associa­
tion pour les fouilles archéologi­
ques nationales, qu’officie Domi­
nique Garcia. « On pouvait payer
nos études avec l’archéologie, mais
on ne savait pas encore que l’on
pouvait en vivre », se rappelle­t­il.
Au cours des années 1980, il
élargit son champ d’action et
fouille en Grèce, en Italie puis en
Syrie. Son terrain de jeu sera
donc la Méditerranée, avec une
prédilection pour le sud de la
France. Quant à sa période favo­
rite, il s’agira de ce que les spécia­
listes appellent la protohistoire,
Dominique Garcia, dans les locaux de l’Inrap, à Paris, le 11 décembre 2017. MARTIN COLOMBET POUR « LE MONDE »
ce premier millénaire avant notre
ère au cours duquel « des sociétés
traditionnelles issues de l’âge du
bronze entrent en contact avec
des sociétés ayant un autre niveau
de culture – Grecs, Etrusques, Ro­
mains… ». Les premières n’ont en
général pas d’écriture et sont dé­
crites dans les textes des secon­
des, qui en disposent, d’où ce
terme de protohistoire, qui veut
recouvrir cette transition entre
préhistoire et histoire.
« Ces contacts entre sociétés
font émerger de nouvelles cultu­
res », poursuit Dominique Garcia,
qui travaille sur ce qu’il appelle
« l’ethnogenèse ». « Je ne nie pas
l’identité, mais je montre com­
ment elle se fabrique, parce que
les peuples ne sont pas des identi­
tés immuables, mais des construc­
tions. Il n’y a pas une racine du
peuple français mais un peuple
qui se met en route à travers des
influences variées », que l’enquête
archéologique fait émerger par
l’étude des vestiges matériels.
Cette thématique qui lui est
chère, le président de l’Inrap la
développe dans son dernier
ouvrage de vulgarisation, Les
Gaulois à l’œil nu, paru en mai
(CNRS Editions, 160 p., 19 €). « J’ai
voulu montrer que les Gaulois
n’avaient pas toujours existé »,
dit­il avec un semblant de fré­
tillement dans ses yeux bleus. Le
livre souligne à quel point la
Gaule est un espace en grande
partie inventé par César lors de sa
conquête et que c’est par le re­
gard des autres cultures et par le
jeu d’interactions avec elles « que
s’est montée la culture gauloise ».
Pour Dominique Garcia, « faire
de l’archéologie, ce n’est pas tant
attribuer des racines à certains que
d’offrir des repères à tous, de per­
mettre d’inscrire sa propre histoire
dans un paysage qui garde des tra­
ces laissées par d’autres avant, le
paysage étant appelé à changer ou
à s’agrandir ». A l’appui de ce dis­
cours, il y a une jolie anecdote
prenant pour scène la fouille
effectuée à Vitry­sur­Seine (Val­
de­Marne) à l’occasion du prolon­
gement de la ligne 14 du métro,
fouille au cours de laquelle ont
émergé une nécropole gallo­ro­
maine et quelques tombes médié­
vales. « C’était fascinant de voir les
gosses du quartier s’interroger sur
l’endroit où ils jouaient au foot,
un endroit qui avait notamment
connu une occupation par les Ro­
mains, mais aussi un changement
de religion à la période chré­
tienne. On a besoin d’avoir des fon­
dations. Notre boulot à nous
autres, historiens et archéologues,
c’est de les pointer. »
« Homme de la frontière »
Il faut une nouvelle fois remettre
Dominique Garcia sur le chemin
de sa biographie… Après sa thèse,
il commence à enseigner à l’uni­
versité d’Aix­Marseille et les res­
ponsabilités déboulent : direc­
teur du centre de recherche
Camille­Jullian ainsi que d’une
école doctorale, vice­président du
Conseil national de la recherche
archéologique de 2012 à 2014.
C’est à ce titre que la ministre de la
culture de l’époque, Aurélie Filip­
petti, lui confie la présidence
d’une commission chargée d’éva­
luer l’archéologie préventive et,
par conséquent, l’Inrap, en déficit
chronique et en recul face à des
opérateurs privés moins chers
– mais aussi moins performants
sur le plan scientifique. Le Livre
blanc qu’il rend prône une vision
raisonnable, apaisée, du secteur,
loin d’une confrontation idéolo­
gique public­privé, si bien qu’on
science & médecine | 29
lui propose de mettre en œuvre
ce qu’il a préconisé. Attrapé dans
son propre piège…
C’est ainsi que Dominique Gar­
cia prend en 2014 la tête de l’Inrap,
paquebot de 2 000 personnes et
d’autant d’opérations annuelles
sur le terrain. Pour le spécialiste
du néolithique Jean Guilaine,
professeur émérite au Collège de
France, qui faisait partie de son
jury de thèse et a souvent colla­
boré avec lui, il est parfaitement
à sa place : « Je considère que c’est
un homme d’écoute avec des qua­
lités d’arbitrage. Comment expli­
quer cela ? C’est un homme de la
frontière. Il vient d’une région, la
vallée de l’Hérault, qui faisait la
séparation entre les Ligures et les
Ibères, une région où se rencon­
trent les influences de différentes
cultures. Peut­être cet atavisme
fait­il qu’il est un homme de conci­
liation et de synthèse… »
Une chose est certaine : l’Inrap
a renoué avec l’équilibre budgé­
taire en 2018 et regagné des parts
de marché pour redevenir l’opé­
rateur majoritaire en France.
Et Dominique Garcia a les yeux
résolument tournés vers le futur,
en préparant le remplacement
de toute une génération d’ar­
chéologues, la sienne… Que fera­
t­il lors des Journées européen­
nes de l’archéologie les 18, 19 et
20 juin ? « J’aimerais voir les ate­
liers où l’on fabrique la réplique
de la grotte Cosquer, mais aussi
des sites de l’Inrap ! Les archéolo­
gues aiment montrer ce qu’ils
fouillent et cela faisait un an
qu’on ne pouvait plus accueillir le
public sur les chantiers. » Et
quand, pour terminer, on lui de­
mande ce qu’il fait de son temps
libre, la réponse ne surprend
pas : « Je lis de l’archéologie. » 
pierre barthélémy
Le Soleil, gigantesque 
flipper à photons
Par ÉTIENNE GHYS
L es grands prix des fondations de l’Ins­
titut de France ont été remis le 2 juin à
douze lauréats : écrivains, artistes, ou
scientifiques. Josselin Garnier, professeur de
mathématiques à l’Ecole polytechnique, a
remporté le prix de la Fondation Simone et
Cino Del Duca sur le thème « Phénomènes
de diffusion : théorie mathématique et appli­
cations ». Cette distinction permettra à son
équipe d’étudier la propagation des ondes
dans des milieux aléatoires. Les phénomènes
ondulatoires sont omniprésents : le son, la
lumière, les ondes radio, la houle dans les
océans, les tsunamis, une corde de guitare,
les tremblements de terre, sans oublier les
fameuses vagues successives apportées par
la pandémie. Les mathématiciens comme les
physiciens s’y intéressent au moins depuis le
XVIIe siècle. Aujourd’hui, notre compréhen­
sion des ondes s’est considérablement enri­
chie mais il reste encore beaucoup à faire.
Lors de la remise des prix, Josselin Garnier
a donné un exemple pour illustrer son pro­
pos. La vitesse de la lumière dans le vide est
de 300 000 kilomètres par seconde et la dis­
tance entre le Soleil et la Terre est de 150 mil­
lions de kilomètres, si bien que la lumière
met environ huit minutes pour venir jus­
qu’à nous. Mais, bien entendu, cette lumière
est créée quelque part à l’intérieur du Soleil
et il faut d’abord que les photons qui portent
la lumière trouvent un chemin qui les mène
à la surface. Cette recherche de la « sortie »
nécessite quant à elle quelques dizaines… de
milliers d’années.
Enchaînement frénétique
L’intérieur du Soleil est un plasma incroya­
blement dense et chaud. Des noyaux d’hy­
drogène fusionnent en permanence pour
former de l’hélium. Des photons sont absor­
bés et d’autres sont créés et repartent dans
une direction aléatoire. C’est cet enchaîne­
ment frénétique d’absorptions et d’émis­
sions, qui met quelques dizaines de milliers
d’années pour produire un photon à la sur­
face, qui peut alors s’échapper et arriver chez
nous huit minutes plus tard. On peut penser
à la bille d’un flipper gigantesque qui percute
toutes sortes de bumpers avant de finir par
sortir du plateau. On peut aussi penser à la
marche d’un ivrogne qui fait des pas dans
des directions aléatoires. Dans ces condi­
tions, il faut bien sûr beaucoup de temps
pour trouver la sortie. De grands progrès ont
été réalisés ces dernières années dans la
théorie de la diffusion des ondes dans les mi­
lieux aléatoires, à la frontière entre la théorie
des probabilités et l’analyse mathématique.
En 1946, le physicien Léon Brillouin affir­
mait que « toutes les ondes ont des comporte­
ments analogues ». Des idées et des métho­
des communes s’appliquent en effet à des
ondes de natures très différentes et consti­
tuent aujourd’hui un chapitre important de
la physique mathématique. Josselin Garnier
s’intéresse principalement à la propagation
des ondes sismiques, pour mieux décrire la
structure interne de la Terre. La première
difficulté provient du fait que l’intérieur du
globe n’est pas homogène et contient des
irrégularités réparties de manière aléatoire :
les ondes ont donc tendance à se comporter
un peu comme la lumière dans le Soleil.
C’est surtout l’existence de la croûte terres­
tre qui complique le problème, car les ondes
de volume, qui traversent la Terre, interagis­
sent avec les ondes de surface.
Les recherches du lauréat se concentreront
donc sur la propagation des ondes à l’inté­
rieur d’un corps hétérogène et limité par
une surface. Nul doute que, selon l’adage de
Léon Brillouin, les progrès réalisés pour les
ondes sismiques permettront de mieux
comprendre la propagation des ondes dans
des tissus biologiques, comme, par exemple,
dans un corps humain, lui aussi irrégulier et
possédant également une surface. De belles
applications concrètes en perspective. 
Etienne Ghys
Mathématicien, secrétaire perpétuel
de l’Académie des sciences, directeur
de recherche (CNRS) à l’ENS de Lyon.
etienne.ghys@ens-lyon.fr
 CULTURE
0123
30 | MERCREDI 16 JUIN 2021

 CHEF­D'ŒUVRE           À  NE  PAS  MANQUER           À  VOIR           POURQUOI  PAS           ON  PEUT  ÉVITER

CINÉMA

Les Podalydès, un duo 
au parfum d’enfance
Rencontre avec deux frères, Denis et Bruno,
qui ont fait de leur complicité et de leur
histoire le moteur de leurs fictions, avant
la sortie du film « Les Deux Alfred »

Ç
a commence sérieux. « Le
point de départ des Deux Al­
fred remonte à il y a plus de
trente ans. Du temps où je
tournais des films d’entre­
prise pour vivre. Dans ce
monde­là, avoir des enfants
n’était pas très bien vu. Je
m’étais alors demandé : s’il fallait cacher
l’existence des miens, comment je m’y pren­
drais ? » Bruno Podalydès sirote son café.
Denis, son frère, lui fait face. Les Deux Al­
fred du titre, ce ne sont pas eux mais deux
petits singes en peluche, deux doudous
que le héros du film cache pour obtenir un
travail.
Et puis voilà que, posant sa tasse, le réali­
sateur commence à faire semblant d’en­
voyer un texto à une baby­sitter imagi­
naire : « Aujourd’hui, suggère­t­il, on pour­
rait au contraire inventer une situation où
l’on devrait s’inventer un enfant. » Denis se
marre : « Ah oui, c’est bien comme idée, le
mec il crée tout un personnage, et puis… » A
son tour, le comédien se met à mimer…
« Tu devrais garder l’idée. » Et les voilà par­
tis. On n’est pas avec eux depuis cinq minu­
tes que, sans même s’en rendre compte, ils
plongent dans un ping­pong créatif.
Le plus étonnant, c’est qu’avec les
Podalydès les lois de la gravité les amènent
toujours et innocemment à la profondeur.
Denis Podalydès a eu son premier enfant à
50 ans, et sa fille trois ans plus tard. « Ça me
revenait beaucoup, le fait de ne pas en avoir.
On me le rappelait : “Alors ? Toujours
pas ?” Ça me perturbait », confie­t­il, sans
changer de registre. L’enfant du film,
Gabriel, est joué par son fils, Georges. Seule
entorse à la réalité, les deux Alfred s’appel­
lent Alphonse dans la vraie vie. Chez les
Podalydès, entre la fiction et la vie, il n’y a
que l’épaisseur d’un rideau de théâtre ou
d’un écran de cinéma. « Tu serais ça, je
serais ça… »
Tout a commencé le jour où les deux ga­
mins rapprochent les lits de leur chambre
commune pour en faire une scène. Ils habi­
tent Versailles. La grand­mère y tient la cé­
lèbre librairie Ruat, leur mère, l’aînée de sa
fratrie, a épousé un pharmacien avec le­
quel elle aura quatre garçons. Tout ce petit
monde cohabite dans l’immeuble familial
avec aussi leur oncle, leur tante… Une tribu
bouillonnante et un couple parental haut
en couleur – mère de gauche, père « horrifié
par le PCF » – qui s’engueule, finira par rom­
pre à leur adolescence, mais mettra plus de
dix ans à consommer la rupture.
VALISES DE MAGICIEN ET DE CLOWN
Au milieu de tout ça, les deux aînés cher­
chent la parade. Ils créent leurs premiers
spectacles : Cirque­sketchs, La Piste aux
étoiles (l’un fait le fauve, l’autre le domp­
teur), Tour de chant… Ils reprennent les
gags de Pifou poche. L’accumulation primi­
tive du capital culturel, dirait­on, pour pa­
raphraser Marx (le politique, pas le comi­
que). Un moyen de réconcilier les parents
qui leur offriront à l’un une valise de magi­
cien, à l’autre une valise de clown ? Ils ont 7
et 9 ans lorsque, en plein spectacle, ils ap­
prennent la mort de leur grand­mère. Ils fi­
niront le spectacle, rappelle Bruno d’un la­
conique : « The show must go on. »
Leur père les aide à construire un théâtre
de marionnettes, fignolé jusqu’aux cintres
qui permettent d’escamoter les décors.
Puis arrive la technologie. La mise en son
« AVEC DENIS ÇA FUSE. 
ON CRÉE UNE ESPÈCE 
D’ÉTAT DE JEU, 
D’IMPROVISATION
QUI PEUT LIBREMENT 
DÉRAILLER » de diapos de Walt Disney. C’est l’aîné qui
s’occupe des appareils. « Ça dicte des impé­
BRUNO PODALYDÈS ratifs. Je me sentais responsable. On faisait
les voix et les bruitages. C’est là qu’on a me­
suré le pouvoir de l’audiovisuel. Requiem de
Mozart quand les nains portent le cercueil :
nos cousins pleuraient, et nous aussi, du
coup », raconte le gamin devenu réalisa­
teur, qui a gardé l’amour des engins, des
gadgets, des appareils en tout genre et des
télescopages que produit la technique. Il
est le magicien – les malices du prestidigi­
tateur apparaissent dans tous ses films.
Les bandes­son existent toujours. Les en­
fants de Denis réclament régulièrement de
les écouter. On y entend Bruno, qui a reçu
une guitare pour ses 14 ans mais ne sait pas
l’accorder, accompagner un Robin des bois.
Sur une autre bande, Denis fait la sorcière.
Celle­ci tombe dans un trou. « Aaaaaa­
hhhh. » Quand Bruno appuie sur stop sur le
magnéto, ça fait « konggg ». « Le résultat
était bluffant. Il y a des trucs qui ne viennent
qu’au tournage. Et les accidents y sont les
bienvenus. » « Tu te souviens ? », demande
Bruno à Denis, avec son air farceur de faux
naïf. Ils se marrent de leur audace. Qui est
celle de leur cinéma, joyeux et spontané.
DEUX CHEMINS PARALLÈLES
Depuis, leur auditoire a grandi. Denis
Podalydès – éternellement plongé dans un
livre, passé par Fénelon, Henri­IV et le Con­
servatoire – est devenu le comédien prolifi­
que que l’on connaît. Et Bruno, l’aîné, l’in­
génieur (« l’intello », dit son frère) qui maî­
trisait la technique, a plus d’une dizaine de
succès à son actif. Deux chemins parallèles
qui se sont nourris l’un de l’autre. « Je ne me
sentais pas à l’aise dans mon corps, je me
sentais largué. C’est grâce à Versailles rive
gauche que je me suis senti acteur, affirme
Denis. Bruno m’a dit : “Mais tu es vraiment
drôle, tu sais.” Cela m’a fait un bien intense.
Ce qui veut dire que j’en doutais. Parce que
entre nous on riait énormément, mais cela

Contre la société ubérisée, la douceur de deux doudous

Dans un monde ultra­connecté, saturé de bricoles technologiques, le binôme affiche un humour à la Jacques Tati

et généralise la concurrence. De toute la boîte l’existence de ses rer dans les rapports humains. bre­service, ses trampolines et Les Podalydès répondent a con­
LES DEUX ALFRED la part des frères acteurs et réali­ deux enfants, et en premier lieu à Comme ces drones s’échouant en ses murs végétalisés, cache, trario par un grand retour d’en­
 sateurs, qui œuvrent ensemble Séverine (Sandrine Kiberlain), sa masse sur les trottoirs (et, parfois, en réalité, une agressivité fance, à travers les yeux de laquelle

L e dernier film des frères

Podalydès – Denis devant
la caméra et Bruno de part
et d’autre – porte le nom d’un
doudou, un singe en peluche
qu’un père a offert en double à
ses deux enfants. C’est dire,
d’abord, le registre de douceur
qui est le sien au moment de tirer
le portrait d’un monde de brutes :
celui de la fameuse « start­up
nation » et de ses illuminations
connectées qui passent ici, par
une jubilation sans frein, à la
moulinette de la satire. Mais dans
l’image de ces jouets jumeaux se
joue également une sorte de pro­
gramme minimal : former des
duos, des alliances improbables,
des associations brinquebalan­
tes, serait déjà une première ré­
ponse à apporter à une société
ubérisée, qui parcellise les tâches
depuis plus de trente ans, on n’at­
tendait pas moins que cet éloge
réjouissant du binôme.
Alexandre (Denis Podalydès),
père au chômage et en période de
probation auprès d’une femme
partie en déplacement, est contre
toute attente pris à l’essai dans une
start­up d’événementiel nommée
The Box, parée de tous les attri­
buts de la nouvelle entreprise. La
frontière entre travail et détente y
est savamment estompée pour
que le premier puisse prendre
toute la place. Ainsi demande­t­on
aux employés d’être corvéables
« H24 » et, surtout, de ne pas avoir
d’enfant : « No child » est ainsi l’un
des nombreux mots d’ordre sous
forme de slogans placardés aux
quatre coins des bureaux.
Pour conserver son poste,
Alexandre doit donc cacher à
supérieure hiérarchique, d’une
sécheresse toute « corporate ». Et
comme pour toute comédie il
faut bien un Scapin, ce sera
Arcimboldo (Bruno Podalydès),
microentrepreneur éparpillé en­
tre mille tâches aberrantes, qui
apportera au père en galère un
soutien inespéré.
Gags visuels
La dérision en passe donc ici par
l’habitus en crise de deux
hommes ringardisés par la société
connectée, et qui tentent de s’y
convertir à leurs dépens. Bruno
Podalydès n’a pas à pousser le
bouchon très loin pour imaginer
un Paris de la sous­traitance géné­
ralisée (on y emploie des gens
pour aller en manifestation à sa
place !), saturé de bricoles techno­
logiques qui s’acharnent à interfé­
sur la tête des passants), ces voitu­
res sans chauffeur dysfonction­
nelles, ces montres trop bavardes
ou ces hordes d’applications qui
tendent à régir nos moindres faits
et gestes.
Pétri de gags visuels, le film
regorge de trouvailles loufoques,
comme la description hilarante
qu’il fait de la néoentreprise, dont
la façade « cool », avec ses tables
de ping­pong, ses bonbons en li­
LA COMÉDIE REPOSE
ICI SUR UNE SORTE
DE FOLIE SOCIALE,
UN RAPPORT MALADIF
À LA TECHNOLOGIE
ultra­concurrentielle Avec un hu­
mour s’assumant comme rétro­
grade, proche en cela d’un Jacques
Tati, les Podalydès visent le faux
nez d’une frénésie régressive qui
se vend comme un progrès.
Car la comédie repose ici sur
une sorte de folie sociale, un
rapport maladif à la technologie.
Envahis par les machines, les
êtres ne cessent de se comparer à
elles, de se jauger en matière d’ef­
ficacité ou de performance, ob­
session qui infiltre jusqu’au lan­
gage (le franglais de rigueur dans
le parler start­up ou le tic de se
dire « en mode »). Le film ne se
prive pas d’épingler cette morgue
grotesque des petits soldats de la
performance, qui aboutit à la né­
gation de l’enfance (le « no child »
comme symptôme de la stérilité
de ce nouveau monde).
ils regardent la « start­up nation »
s’agiter, tourner en rond : un réser­
voir d’adultes qui s’entêtent à faire
joujou avec une pléthore de jouets
connectés et veulent rester
enfants à la place des enfants. Un
regard tendre qui ne permet pas
de porter l’estocade jusqu’au bout
et finit par arrondir les angles
dans un dernier tiers sans doute
trop réconciliateur. Mais produire
de la tendresse est aussi au pro­
gramme d’un film qui, ce faisant,
et sur un plan symbolique, dé­
pouille la société ubérisée de sa
principale capacité de nuisance :
son vilain esprit de sérieux. 
mathieu macheret
Film français de et avec Bruno
Podalydès. Avec Denis Podalydès,
Sandrine Kiberlain, Yann Frisch,
Luana Bajrami (1 h 32).
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021 culture | 31

Le regard gracieux de Suzanne

Bruno (à gauche)
Lindon sur l’adolescence
et Denis
Podalydès
Pour son premier film, la fille de Sandrine Kiberlain et Vincent
dans « Les Deux Lindon fait preuve d’une maîtrise et d’une finesse remarquables
Alfred ».
UGC DISTRIBUTION
Tout est à cette aune. Dans la fi­
SEIZE PRINTEMPS A 21 ans, nesse de touche des choses obser­
 la réalisatrice vées. Dans le pas de côté stylisti­

E
st­ce vraiment une
bonne idée de se lancer
dans le cinéma quand ses
parents se nomment
Sandrine Kiberlain et Vincent Lin­
don ? Suzanne Lindon a pensé
que oui. Et elle a eu raison. En
dépit des exemples navrants qui
abondent dans la profession et
des sourires entendus qui l’atten­
dent au tournant. La manière
dont ce double cachet généalogi­
que lui colle à la peau ne lui sera
pas comptée pour circonstance
atténuante. Pas davantage que le
sujet de cette première œuvre
qu’elle réalise aujourd’hui, projec­
tion d’elle­même en jeune fille de
16 ans interprétée par nulle autre
qu’elle­même à 21 ans.
Seize printemps n’en est pas
moins – pour un film s’inscrivant
dans le canon du film de forma­
tion adolescente – d’une simpli­
cité d’action, d’une économie de
mots, d’une grâce remarquables.
Une histoire esquissée, élégante,
chorégraphiée. Un prélèvement
de sentiment plutôt qu’une his­
toire, peut­être. Celui d’une jeune
fille farouche et néanmoins déci­
dée, qui s’éveille à son propre dé­
sir, s’absente avec ses camarades
de lycée, et trouve en ville, sur le
chemin qui la mène à la maison,
place Charles­Dullin, devant le
Théâtre de l’Atelier, un bel acteur
songeur (Arnaud Valois), qui
interprète sa
propre projection
en jeune fille
de 16 ans
double son âge et fait son affaire.
Liane brune flottante, il y a déjà
toute la force de la volonté dans
cette jeune conquérante. L’attrait
magnétique qu’elle ressent au
premier regard pour cet homme,
elle s’arrange, avec une maestria
discrète, jour après jour, pour
qu’il soit finalement partagé.
A la maison, la jeune fille part se­
crètement en vrille amoureuse,
sous les yeux de Florence Viala et
Frédéric Pierrot qui campent à
merveille, généralement à l’heure
du petit déjeuner, les parents cir­
conspects, mais très aimants,
d’une adolescente qui commence
à leur échapper. Chacun de ses ges­
tes, chacune de ses paroles, aussi
comptés soient­ils, manifestent
ainsi une douce excentricité qui
ne ramène qu’à son secret. Belle
rencontre nocturne entre le père
et la fille au détour d’un couloir,
où elle lui demande si c’est grave
quand de l’huile coule du moteur
d’une moto. Mine éberluée du
père. Mais sourire du spectateur
qui l’a vue dans la journée regar­
der son désiré réparer sa Vespa.
que d’un numéro dansé qui réunit
les amants. Dans l’énigme d’un
corps, celui de l’héroïne, qui sem­
ble bouillir de l’intérieur et n’as­
pire qu’à sortir de lui­même. Dans
un jeu subtil de références qui affi­
chent un goût délibérément ana­
chronique pour une jeune fille de
16 ans, depuis le romanesque de
Christophe jusqu’au sacré du Sta­
bat Mater, en passant par ce poster
rare de Suzanne, de Maurice Pialat,
titre initial d’A nos amours (1983)
et prénom du personnage qu’y in­
terprète Sandrine Bonnaire. Les
parents déchirés de la Suzanne de
Pialat ne sont pas ceux, harmo­
nieux et complices, de la Suzanne
de Seize printemps, encore qu’ils
désignent, en une rapide et silen­
cieuse citation, la séparation réelle
des parents de la réalisatrice.
Il y a donc de la maîtrise et du
brillant dans cette mise en scène,
quand bien même le film, plus
convenu en certains moments, se­
rait imparfait. Mais c’est bien ce ca­
ractère de geste inaugural, de belle
et sensible ébauche, qui le fera
aimer pour ce qu’il est : l’histoire
d’une jeune fille qui entreprend
d’exister par et pour elle­même. 
jacques mandelbaum
Film français de et avec
Suzanne Lindon. Avec Arnaud
Valois, Florence Viala,
Frédéric Pierrot (1 h 14).

suit le comédien, qu’à chacun de ces films

LA PHRASE « ET Y A PAS  on rejoue une même scène : celle de la
DE ?… NON Y EN A PAS »,  consultation. J’incarne un homme perdu
qui va chercher conseil auprès de Bruno, le­
PRONONCÉE POUR LA  quel est une sorte de type un peu vendeur,
un peu tricheur, à qui il accorde sa sympa­
PREMIÈRE FOIS EN 1998  thie et sa confiance, alors que c’est un zigo­
mar. » C’est le vendeur de bateaux de Liber­
PAR DANIEL CECCALDI  té­Oléron, le croque­mort d’Adieu Berthe, le 10 septembre – 9 octobre / Odéon 6e 18 septembre – 17 octobre / Berthier 17e

« DANS DIEU SEUL ME  quincaillier de Bancs publics… Comment Comme tu me veux Fraternité,

VOIT », EST DÉSORMAIS
UN GIMMICK DANS  réactive le lien qui me permet d’improvi­
CHACUN DE LEURS FILMS
restait au sein de la famille. » Bruno, lui, fait
systématiquement appel à son cadet et pio­
che les premiers ferments de sa famille
recomposée parmi les copains de son frère
au Conservatoire (Michel Vuillermoz,
Isabelle Candelier…) ou du cours Florent
(Jean­Noël Brouté)
Les Deux Alfred est le sixième film de
Bruno dont Denis, non content d’incarner
le personnage principal, cosigne égale­
ment le scénario. Ceux­là ont une saveur
particulière. Ils plongent dans leur enfance
commune. Sous le couvert de l’humour,
Liberté­Oléron – dédié à leur frère Eric, qui
s’est suicidé – fut leur premier film à
affronter le passé. « Cela commence comme
Les bronzés font du ski et cela finit en
Shining, analyse Bruno. Denis y est allé à
fond. Le film a grandi hors écriture, sur le
plateau. J’étais très mal. Il y avait une vio­
lence, une puissance de jeu… » Denis com­
plète : « Je réglais un contentieux avec notre
père. De la meilleure façon qui soit, par la
comédie. En exagérant – et encore ! – sa vio­
lence. Mais je réglais aussi un contentieux
avec les adolescents passifs que nous étions,
dos courbés, une vie au service, réveil au clai­
ron. Le film nous a libérés. »
On les imagine dans leurs réunions de
travail : les dialogues cocasses de Denis, les
sorties pince­sans­rire de Bruno tapant avi­
dement sur le clavier. « Je n’enregistre que
très rarement. Pourtant, je devrais : avec
Denis, ça fuse. On crée une espèce d’état de
jeu, d’improvisation qui peut librement dé­
railler. Si je travaillais avec un coscénariste, il
n’y aurait pas cette liberté, cette autorisa­
tion à s’affranchir d’une vision standardi­
sée. » Ils en ont bien conscience tous les
deux : c’est « lié à un état d’esprit, un état
d’enfance réactivé », observe Denis. « On ne
le fait pas exprès, mais j’ai remarqué, pour­
ne pas penser à ces deux gamins dont le ca­ de Luigi Pirandello
mise en scène Stéphane Braunschweig
conte fantastique
det a toujours recherché la validation de création
texte et mise en scène Caroline Guiela Nguyen
son grand frère ? « Cette scène récurrente
22 octobre – 13 novembre / Odéon 6e
Les Frères Karamazov
ser », reconnaît le comédien.
d’après Fédor Dostoïevski
mise en scène Sylvain Creuzevault
JEUX DE PISTE ET JEUX DE MOTS
« D’un film à l’autre, rebondit Bruno 5 novembre – 4 décembre / Berthier 17e 2 – 19 décembre / Odéon 6e
Podalydès, la figure du Albert Jeanjean de La Seconde Surprise Le Passé
Dieu seul me voit et le père de Liberté­Olé­
ron reviennent, tels deux personnages fantô­
de l’amour de Léonid Andréïev
mise en scène Julien Gosselin
de Marivaux
mes, figures aimantées qui ressuscitent. » Le mise en scène Alain Françon
réalisateur aime les jeux de piste, les jeux de
10 – 18 décembre / Berthier 17e
mots et les clins d’œil. Tous les rôles de
Denis ont un prénom qui commence par A. Avremo ancora l’occasione
La phrase « Et y a pas de ?… Non, y en a pas », di ballare insieme
prononcée pour la première fois en 1998 [Nous aurons encore l’occasion de danser ensemble]
d’après Ginger & Fred de Federico Fellini
par Daniel Ceccaldi dans Dieu seul me voit, un projet de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini
est désormais un gimmick dans chacun de en italien, surtitré en français
leurs films. De même que la « glaviole », cet
6 – 28 janvier / Théâtre Nanterre-Amandiers 7 janvier – 20 février / Odéon 6e
engin non identifié, apparu dans Liberté­
Oléron, au nom improvisé en pleine prise. La réponse La Cerisaie
Même fortuit, l’autoréférencement est des Hommes d’Anton Tchekhov
mise en scène Tiago Rodrigues
une arme. Au point qu’on va désormais texte et mise en scène Tiphaine Raffier
voir un film des Podalydès autant pour le
21 janvier – 20 février / Berthier 17e 5 mars – 1er avril / Berthier 17e
sujet (en l’occurrence une critique de la
« start­up nation », dont l’aliénation pointe Une mort Entre chien
sous les oripeaux libertaires) que pour eux­ dans la famille et loup
mêmes. De même qu’on allait voir Les texte et mise en scène Alexander Zeldin d’après Dogville de Lars von Trier
création un spectacle de Christiane Jatahy
Temps modernes, de Charlie Chaplin,
autant pour ce que cela racontait (une criti­
8 mars – 3 avril / Odéon 6e 12 – 27 avril / Berthier 17e
que du taylorisme, dont l’aliénation poin­
tait sous les oripeaux progressistes) que Le Ciel de Nantes Ils nous ont oubliés
un spectacle de Christophe Honoré d’après La Plâtrière de Thomas Bernhard
pour Charlot. mise en scène Séverine Chavrier
Autrefois, Bruno a tenu une chronique 10 – 26 mai / Odéon 6e
dans les Cahiers du cinéma, intitulée « L’un
n’empêche pas l’autre ». Contrairement à
Kliniken
de Lars Norén
son frère Denis (vingt ans sur le divan), mise en scène Julie Duclos
Bruno le prestidigitateur refuse l’idée de 13 mai – 3 juin / Berthier 17e 18 – 26 juin / Odéon 6e
s’en remettre à Freud, de peur qu’il n’assè­ Antoine et Cléopâtre Vernon Subutex 1
che son inconscient. Mais on ne peut s’em­ de William Shakespeare de Virginie Despentes
pêcher de penser que le nom de la rubrique mise en scène Célie Pauthe mise en scène Thomas Ostermeier
– « un cri contre le fait de devoir choisir son en allemand, surtitré en français
camp, Chaplin ou Keaton, Truffaut ou
Godard… » – s’applique parfaitement à cette theatre-odeon.eu / 01 44 85 40 40
complicité inaltérable qui finirait par vous
faire regretter de n’avoir pas grandi avec un
frère. « Tu serais ça, je serais ça… » 
laurent carpentier

32 | culture
Un nuage de
sauterelles vampirise
le monde rural
Pour son premier long­métrage, le
réalisateur Just Philippot réussit l’alchimie
du drame paysan et du genre fantastique
LA NUÉE

A
vant d’entrer dans la
serre où Virginie (Su­
liane Brahim, pension­
naire de la Comé­
die­Française) élève ses sauterel­
les, un mot pour situer La Nuée, de
Just Philippot, dans le ciel étoilé
des films de genre : d’emblée, pré­
cisons que ce premier long­mé­
trage ne ressemble à aucun autre
thriller, malgré son cousinage as­
sumé avec quelques monuments
tel Les Oiseaux (1963), d’Alfred Hit­
chcock, les insectes faisant écho à
la menace entêtante des goélands
et corbeaux.
Issu du laboratoire Sofilm de
genre, créé en 2016 par Thierry
Lounas, producteur et cofon­
dateur de Capricci (Le Monde du
9 juin), La Nuée crée un suspense
made in France, au sens où le fan­
tastique se nourrit du réel le plus
tristement banal de la société
contemporaine.
En ce début de XXIe siècle, les
réalisateurs n’ont presque plus
besoin d’inventer une catastro­
phe : celle­ci est en train d’adve­
& CIVILISATIONS
& CIVILISATIONS
L’ÉPOPÉE VIKING
UN HORS-SÉRIE DE 196 PAGES - 14,50 €
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
nir, à pas lents ou à battements
d’ailes. Et si nos yeux n’étaient
pas encore dessillés, un billet de
cinéma suffira à les ouvrir, grâce à
un effroi intelligemment sé­
quencé. Alors, il faut courir en
salle, et ce message s’adresse
aussi bien aux accros de films
de genre qu’aux citoyens férus
d’alternatives paysannes, alimen­
taires, économiques, et tout ce
que l’on voudra.
Virginie, la quarantaine, an­
cienne aide­soignante, s’est re­
convertie dans l’élevage de saute­
relles après la mort de son compa­
gnon. Ses deux enfants, une ado­
lescente prénommée Laura
(Marie Narbonne) et son petit
frère Gaston (Raphaël Romand),
continuent de grandir à l’ombre
de cette mère qui les voit à peine,
tant elle est accaparée par son tra­
vail. La production d’insectes co­
mestibles reste insuffisante pour
être rentable, et les bestioles ne
sont pas assez charnues au goût
des acheteurs.
Virginie ne s’en sort pas, jus­
qu’au jour où elle se rend compte
que les sauterelles retrouvent de
la vigueur en absorbant du sang,
NOUVEAU
H O R S -S É R I E
Virginie
(Suliane
Brahim).
THE JOKERS/CAPRICCI
comme tout bon vampire qui se
respecte. La Nuée, c’est Irma Vep,
du nom de la créature du feuille­
ton Les Vampires (1915), de Louis
Feuillade, transposée dans une
veine réaliste. On n’en dévoilera
pas plus. Disons juste qu’à partir
d’un drame paysan les deux
coscénaristes Jérôme Genevray et
Franck Victor réussissent à tisser
une histoire des plus singulières
et effrayantes.
Terrain documentaire
Les personnages secondaires,
bien ancrés dans la terre, Karim
(Sofian Khammes), le voisin at­
tentif qui se lance dans la vigne,
ou encore le vieil homme obser­
vateur (Christian Bouillette) et
son chien, resserrent les boulons
d’un récit a priori invraisembla­
ble. Le réalisateur a puisé sa
matière sur le terrain documen­
taire – notamment dans des
films tel Anaïs s’en va­t­en guerre
(2014), de Marion Gervais, pour
plonger dans le fantastique,
un peu comme d’autres cinéas­
tes se sont intéressés à l’histoire
coloniale et aux récits de
migrants pour écrire un film de
zombies : Atlantique (2019), de
Mati Diop, ou Zombi Child (2019),
de Bertrand Bonello. Avant eux,
Jeff Nichols s’était penché sur le
dérèglement climatique (Take
Shelter, 2012), ce dernier ayant
inspiré Just Philippot dans un
court­métrage de fin du monde,
Acide (2018).
Les traits durcis, le corps sacri­
fié, Suliane Brahim est, comme
l’arbre sec, prête à s’effriter. Pour
son premier grand rôle au cinéma
(Le Monde du 27 avril), la comé­
Just Philippot : « Mon frère a eu un
rôle fondateur dans mon parcours »
Le réalisateur de « La Nuée » confie que son histoire familiale « à part »
est une source d’inspiration qui lui a donné l’envie de faire du cinéma
ENTRETIEN
N é en 1982 en région pari­
sienne, Just Philippot ob­
tient en 2007 un master
en cinéma à la faculté de Paris­VIII.
Scénariste et réalisateur, il est
l’auteur de quatre courts­métra­
ges. La Nuée est son premier long­
métrage.
Votre père, Claude Philippot,
était distributeur, producteur
et réalisateur. Quelle part a­t­il
joué dans votre choix de faire
du cinéma ?
Le fait que j’ai baigné dans les
cassettes vidéo et les émissions de
télé sur le cinéma m’a forcément
influencé. J’ai vécu avec mon père
un cinéma très exigeant et ciné­
phile qui relevait, pour lui, de l’en­
gagement politique. Donc je n’ai
pas grandi dans un milieu décon­
necté. Mais surtout, nous étions
quatre enfants, et parmi nous
mon frère, Gildas, polyhandicapé
à 99 % qui est mort en 2008, sans
jamais nous avoir parlé. Toute ma
vie, j’ai vécu dans un mystère, en
m’interrogeant sur ce qu’il restait
dans ce 1 % de validité. Nous avi­
ons donc une histoire à part qui
nous a rendus à même d’aimer les
histoires et de les raconter. Mon
frère a eu un rôle fondateur dans
mon parcours et la façon dont
j’aborde mes films, avec toujours
le souci d’éviter l’imposture, la fa­
cilité, d’aller gratter à des endroits
où il est difficile de parler
d’amour. Cela crée des équilibres
qui peuvent être très instables,
complexes mais c’est aussi une
source d’inspiration et un cap.
Tout cela m’a conduit à Paris­
VIII. J’y ai fait des rencontres for­
midables, comme celle avec Pas­
cale Risterucci qui dispensait un
cours sur le monstre dans le ci­
néma. La façon hypersensible
Le film crée un
suspense made
in France,
où le fantastique
se nourrit
du réel le plus
tristement banal
de la société
dienne casse la baraque. Virginie
a la rage, tente de se contenir et
d’offrir à ses enfants une vie nor­
male. Elle y parvient parfois, et le
film offre quelques échappées
poétiques. Dans cette ferme du
Lot­et­Garonne, le petit garçon
est attaché à sa chèvre… et la jeune
avec laquelle elle en parlait m’a
rappelé ce que j’aimais chez mon
frère, cette dimension hors
norme, incomprise par les autres.
C’est ce qui m’a donné envie de ra­
conter des histoires sur des êtres
que l’on regarde trop hâtivement
et que l’on ne comprend pas bien.
Par quels chemins êtes­vous
parvenu à réaliser vos
premiers courts­métrages ?
Ayant quitté Paris pour Tours,
j’ai fréquenté le Ciclic [agence ré­
gionale du Centre pour le livre,
l’image et la culture numérique]
qui m’a donné la possibilité de vi­
vre du cinéma, notamment en
étant intervenant dans les lycées
et collèges où j’ai fait beaucoup
d’éducation à l’image. J’avais déve­
loppé plusieurs courts­métrages,
Ses Souffles (en 2015), drame social
d’une mère qui vit dans sa voiture
avec sa fille, et Gildas a quelque
chose à nous dire (en 2016), sur la
dernière année de mon frère.
J’étais donc bien identifié par le Ci­
clic qui m’a proposé de participer
à une résidence d’écriture dont le
thème était le fantastique. C’est
ainsi que j’ai écrit et réalisé Acide.
« La Nuée » vous a­t­il été pro­
posé sur un scénario déjà écrit ?
Oui, les auteurs Jérôme Gene­
vray et Franck Victor avaient écrit
un scénario dans le cadre d’un ap­
pel à projet sur le film de genre,
lancé par le magazine So film. Ils en
avaient respecté les contraintes :
leur histoire mettait en scène des
sauterelles mutantes avec lesquel­
les une femme développait un lien
particulier, presque un superpou­
voir. Le scénario était plein de pro­
messes mais n’était pas à l’endroit
où j’avais envie d’aller. Je trouvais
l’histoire un peu hors sol, les per­
sonnages pas assez racontés, ni as­
sez ancrés dans des gestes qui, sur
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
fille fait ce qu’elle peut pour aider
sa mère.
Mais le système est plus fort
qu’eux, et le déraillement dans le
fantastique figure l’impossible al­
ternative rurale. Virginie cherche à
tourner la page d’une agriculture
intensive et polluante ? On l’en
empêche et la voici au bout du
rouleau de plastique, à construire
toujours plus de serres et à dérou­
ler des mètres de bâche translu­
cide qui, la nuit venue, se mettent
à briller comme des lucioles
bruyantes et dévorantes. C’est l’un
des rares clins d’œil de La Nuée aux
films de science­fiction vintage. 
clarisse fabre
Film français de Just Philippot.
Avec Suliane Brahim, Sofian
Khammes, Marie Narbonne,
Raphaël Romand (1 h 41).
un tournage, permettent de diri­
ger les acteurs. Je sentais aussi que,
techniquement, c’était trop lourd.
J’ai dit aux producteurs, Thierry
Lounas et Manuel Chiche, que le
film se trompait de monstre. Se­
lon moi, ce dernier n’était pas les
sauterelles mutantes mais l’hé­
roïne : une mère courage qui perd
le contrôle au point d’effrayer ses
enfants. Ils ont été d’accord.
Et l’aspect trop lourd
de la technique…
Une question a fourni la porte
d’entrée à tout le film. Un jour, ma
directrice de production m’a de­
mandé combien de sauterelles je
voulais avoir sur le plateau.
Quand j’ai avancé le nombre de
sept cent mille, elle m’a stoppé
net, en précisant que je ne devais
pas en espérer plus de cinq mille.
Elle a creusé un fossé presque
béant qu’il m’a fallu combler. C’est
là que je me suis dit : « Il faut que
cela ressemble à une histoire
vraie, donc que cette femme ait un
métier auquel je crois. » Et j’ai
commencé à dessiner la salle des
pontes, envisager les différents es­
paces, structurer son agriculture.
Comment avez­vous utilisé
les effets spéciaux ?
On les a tous utilisés, du ma­
quillage aux techniques numéri­
ques. Mais toujours pour tendre à
quelque chose de sobre. Je voulais
éviter le spectaculaire pour le
spectaculaire et que le fantastique
serve à renforcer le réalisme du
film. Il fallait que La Nuée conser­
ve, malgré la dimension fantasti­
que, son caractère de « documen­
taire rural », avec des personnages
enracinés. Car je n’aime pas que le
genre déconnecte le cinéma de
son terrain. 
propos recueillis par
véronique cauhapé
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021 culture | 33

Shane MacGowan, une épopée

 Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr
L E S   A U T R E S   F I L M S   D E   L A   S E M A I N E

     À N E PA S M A N Q U E R
143 rue du Désert

rock et déjantée
Documentaire algérien d’Hassen Ferhani (1 h 40).
Après le splendide Dans ma tête un rond­point (2015), qui filmait
le quotidien des employés d’un abattoir à Alger, le cinéaste re­
prend sa tentative d’épuisement d’un lieu avec 143 rue du Désert,
soit l’adresse de Malika, 74 ans, qui tient une buvette au milieu
du Sahara où font halte ceux qui empruntent la nationale 1 qui
relie Alger à Tamanrasset. Un huis clos où Malika devient la té­
Le cinéaste britannique Julien Temple brosse un portrait captivant
moin, involontaire mais curieuse, de la vie des clients.  m. jo. de l’enfant terrible du folk­rock irlandais, le chanteur des Pogues
Il n’y aura plus de nuit
Documentaire français d’Eléonore Weber (1 h 15).
Metteuse en scène, performeuse et cinéaste, Eléonore Weber pour le documentaire, de témoi­ une relation d’amour et de haine.
s’est emparée d’images prises d’hélicoptère sur le théâtre d’opé­ CROCK OF GOLD gnages, de conversations filmées à
Aussi culotté, « Je me suis toujours senti coupa­
rations de guerre (Afghanistan entre autres), que des vétérans  l’insu de Shane MacGowan. Ce profond, punk ble de ne pas m’être sacrifié pour

A
de l’armée américaine ont postées sur YouTube. La réalisatrice ffaissé dans son fau­ dernier ayant été clair avant le l’Irlande, de ne pas avoir eu le
les livre sans les couper au montage ni les commenter. teuil roulant, l’enfant tournage – « No fucking inter­
que l’artiste courage de rejoindre l’IRA [l’Armée
La voix off de Nathalie Richard, à la douceur inquiétante, vient terrible du folk­punk view ! » –, Il a fallu ruser. La con­ auquel il s’attache, républicaine irlandaise] », souli­
imprimer un rythme. Ces silhouettes fantômes semblent reve­ irlandais, le chanteur trainte fut une aubaine. Elle a gne MacGowan dont l’exil le
nir des premières heures du cinéma muet.  cl. f. des Pogues, ricane d’un racle­ obligé le réalisateur à prendre des
« Crock of Gold » plonge, dès son arrivée, dans une
ment de gorge – les cordes vocales chemins de traverse pour attein­ reconstitue profonde dépression.
    À VO I R et la voix usées. Shane MacGo­ dre la face la plus intime de « la star Son combat passera par la mu­
Médecin de nuit wan, 63 ans, a beau nous apparaî­ pourrie gâtée, la moins coopéra­
une légende sique, à travers son premier
Film français d’Elie Wajeman (1 h 22). tre le corps à bout de course, exté­ tive » qu’il ait connue. La créativité groupe The Nipple Erectors qui
Famille et trahison occupent depuis ses débuts l’univers ciné­ nué par trop d’excès, il conserve dont a fait preuve Julien Temple perce sur la scène punk londo­
matographique d’Elie Wajeman. Dans son troisième long­mé­ l’esprit vif du lascar à qui on ne la s’est finalement hissée à hauteur dansent jusqu’au matin. A 5 ans, nienne ; puis The Pogues qui,
trage, tourné dans la nuit parisienne. Mikael (Vincent raconte pas. Et de sa vie il n’a rien de son extravagant sujet et a pro­ Shane boit sa première bière. Il ne dans les années 1980, remet la
Macaigne), médecin de nuit tiraillé entre sa femme et sa oublié. Son enfance en Irlande, duit des étincelles. Le film, épopée s’est plus jamais arrêté. musique traditionnelle irlan­
maîtresse, fournit illégalement en produits de substitution les son exil en Angleterre, la famille, rock et déjantée, où le sublime se La journée, le gamin aide dans daise – mêlée au rock – à la mode.
drogués de la capitale. Exténué par ce mode de vie, Mikael les excès d’alcool et de drogue, la juxtapose au désastre, captive de les champs, apprend le caté­ Une façon pour l’auteur­compo­
décide de tout arrêter pour sauver sa famille. C’est alors que les musique, la politique… Il remonte bout en bout. Que l’on connaisse chisme avec sa tante Nora qui lui siteur­interprète d’imposer sa
ennuis commencent. Une incontestable ambition (puisée du le temps sans regrets, le caractère ou pas Shane MacGowan. fournit alcool, cigarettes et choco­ culture. « J’ai été désigné par Dieu
côté de James Gray), réservant de très beaux moments, n’empê­ irascible mais le discours intelli­ lat. Le dimanche, la messe. « J’étais pour sauver la musique irlan­
che pas, hélas, le film de manquer à l’incarner.  j. ma. gent, poétique et drôle. Enfance et atmosphère biblique tellement défoncé au moment de daise, la rendre plus populaire
Il est un personnage sur lequel Tout commence par des séquen­ recevoir l’hostie que le corps et le qu’elle n’a jamais été », déclare
Les Racines du monde pourraient s’écrire plusieurs ces reconstituées en noir et blanc sang du Christ coulaient en moi, se MacGowan. L’alcool, les drogues,
Film allemand et mongol de Byambasuren Davaa (1 h 36). films. Celui qu’a réalisé le cinéaste qui ramènent à l’enfance du chan­ souvient Shane MacGowan. la tristesse chaotique, les virées
Dans la steppe de Mongolie, Amra (Bat­Ireedui Batmunkh), britannique Julien Temple, connu teur. Une ferme, des oies, des ânes, J’étais devenu un fervent catholi­ nocturnes, la scène le consu­
12 ans, va à l’école et se prépare aux sélections d’un concours de pour ses documentaires musi­ des meules de paille : c’est dans que. Ma famille voulait que je de­ ment. En 1988, une tournée mon­
chant télévisé qui, s’il le remporte, le mènerait à Oulan­Bator et caux (Joe Strummer : The Future Is cette atmosphère biblique du vienne prêtre car j’étais intelligent. diale lui impose 363 concerts, il
lui apporterait la notoriété. Un combat que la cinéaste filme à Unwritten, consacré au fondateur comté irlandais de Tipperary que Jusqu’à l’âge de 11 ans, j’y pensais s’écroule, un cancer est diagnosti­
hauteur d’enfant, dans l’immensité et la luminosité changeante des Clash ; L’Obscénité et la Fureur, grandit jusqu’à l’âge de 6 ans le sérieusement. » La lecture de Karl qué, les médecins ne lui donnent
des paysages mongols. Son film embrasse l’infiniment petit et sur les Sex Pistols), en contient, à jeune Shane, au milieu de ses pa­ Marx, plus tard, le dissuadera de plus que six mois à vivre. Plus
l’infiniment grand, allie sensibilité et beauté, crée des vibrations lui tout seul, quelques­uns. rents et de sa famille maternelle. suivre cette voie. de trente ans plus tard, MacGo­
aux subtiles nuances.  v. cau. Crock of Gold, aussi culotté, pro­ « C’était un peu vieillot mais très ré­ Ces premières années en Ir­ wan est toujours là, des souvenirs
fond, punk que l’artiste auquel il publicain », s’amuse­t­il. Dans la lande composent une bonne par­ à la pelle. 
    P O U R Q U O I PA S s’attache, reconstitue une légende maison, ni eau ni électricité, mais tie du film. Elles orientent toute la véronique cauhapé
Cinquième set en usant d’images d’archives, de Noël tous les jours, des fêtes cha­ vie du gamin qui, à l’âge de 6 ans,
Film français de Quentin Reynaud (1 h 53). scènes reconstituées, d’extraits de que nuit durant lesquelles oncles, se retrouve en Angleterre, pays Film documentaire britannique et
Le film de Quentin Reynaud ne quitte pas d’une semelle films, de dessins animés réalisés tantes, voisins boivent, chantent, avec lequel il a toujours entretenu irlandais de Julien Temple (2 h 04).
Thomas Edison (Alex Lutz), ancien grand espoir de la terre
battue qui n’a jamais digéré son échec dix­sept ans plus tôt. A
37 ans, persuadé qu’il peut encore gagner Roland­Garros, il se
lance dans la course des qualifications. Cinquième set rend
compte de cette préparation, montre la solitude du sportif, l’op­ « Conjuring 3 » domine
les sorties en France
" U N R E GA L ! "
portunisme du milieu, les dégâts des entraînements. Dommage
que le film n’approfondisse jamais l’histoire du sportif. De­ Le recul du couvre­feu L’OBS
meure le spectacle de la performance d’un acteur. En la matière, à 23 heures et l’augmentation

"S A U VAG E E T LU M I N E U X "

Alex Lutz est un champion toute catégorie.  v. cau. de la jauge à 65 % profite à la
fréquentation des salles, qui TÉLÉRAMA
Sans un bruit 2 bondit par rapport au mer­
Film américain de John Krasinski (1 h 37).
Sans un bruit 2 vient perpétuer les aventures de la famille
Abbott, aux prises avec des monstres extraterrestres ultrasensi­
credi précédent (+ 66 %). La
dynamique est aussi encoura­
gée par la sortie du nouveau
"UN DOCUMENTAIRE FASCINANT” JDD

bles au bruit. Dans cette suite, le concept ne trouve que peu de volet de la série horrifique, FILMS DE FORCE MAJEURE et NEW STORY
débouchés hors une maximalisation des effets sonores et le Conjuring 3. Sous l’emprise présentent
renforcement des clichés familialistes.  ma. mt. du diable. Le couple d’exorci­
seurs mis en scène par
Un tour chez ma fille Michael Chaves a envoûté,
Film français d’Eric Lavaine (1 h 25). en cinq jours, 553 670 specta­
En 1996, Stéphanie (Alexandra Lamy), à la suite d’un accident de teurs. Après son triomphe
carrière, se retrouvait à quarante ans chez sa mère, Jacqueline, aux Oscars (trois statuettes
(Josiane Balasko), gentille mais invivable. Dans cette suite, c’est à remportées), Nomadland,
Jacqueline de se déplacer, en raison de travaux, chez sa fille de la cinéaste américaine
aînée Carole (Mathilde Seigner), peau de vache sur les bords, et d’origine chinoise Chloé Zhao,
son gendre Alain (Jérôme Commandeur), crème d’homme. Le se place sur la deuxième mar­
couple bat d’ailleurs de l’aile : mauvais timing. La cohabitation che du podium, en réalisant
sera tendue, plus encore attendue, mais soigneusement enro­ 98 433 entrées dès la première
bée d’une douce désuétude.  j. ma. semaine. Il est suivi
par la comédie française
À L’A F F I CH E É GA L E M E N T Le Discours, de Laurent Tirard,
Douce France qui a attiré 96 204 curieux.
Documentaire français de Geoffrey Couanon (1 h 35). The Father, de Florian Zeller
Josée, le tigre et les poissons et son protagoniste, Anthony
Film d’animation japonais de Kotaro Tamura (1 h 38). Hopkins, continuent leur pro­
Sound of Metal gression avec 360 943 tickets
Film américain de Darius Marder (2 heures). vendus sur trois semaines
L’un des nôtres d’exploitation.
Film américain de Thomas Bezucha (1 h 55).
« Sans un bruit 2 »
en tête du box-office
américain
Ce week­end, Sans un bruit 2
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE a repris la tête du box­office
Evolution aux Etats­Unis. Réalisé par
Nombre par rapport Total
John Krasinski, le film raconte
de semaines Nombre Nombre à la semaine depuis
d’exploitation d’entrées (*) d’écrans précédente la sortie l’histoire d’une famille vivant
dans un monde post­apoca­
Conjuring 3 1 553 670 518 553 670 lyptique hanté par des mons­
tres qui se repèrent grâce aux
Nomadland 1 98 433 243 98 433
sons. Il est le premier à dépas­
Le Discours 1 96 204 624 96 204 ser la barre des 100 millions
The Father 3 69 087 681 ↓ – 35 % 360 943 de dollars (82,5 millions
d’euros) aux Etats­Unis depuis un film de
Adieu les cons 5 67 356 796 ↓ – 46 % 1 663 198 le début de la crise sanitaire. diane sara bouzgarrou & thomas jenkoe
Tom & Jerry 4 40 359 621 ↓ – 49 % 459 438 D’où l’on vient, adapté par Jon
M. Chu de la comédie musi­
Les Bouchetrous 3 40 255 577 ↓ – 47 % 188 574

actuellement
cale de Lin­Manuel Miranda, a
Demon Slayer 4 40 210 530 ↓ – 48 % 650 498 engrangé 11,4 millions alors
Nobody 2 33 194 354 ↓ – 51 % 113 634 que l’on prédisait des recettes
de 15 millions à 20 millions
Chacun chez soi 2 30 940 501 ↓ – 59 % 120 044 de dollars. Le film est diffusé
AFFICHE SOAZIG PETIT.

simultanément, sans surcoût

AP : avant­première * Estimation pour les abonnés, sur la plate­
Source : « Ecran total » Période du 9 au 13 juin inclus forme HBO Max.
34 | télévision
Affaire Skripal, autopsie d’une alerte au Novitchok
Une minisérie revient sur l’impact pour une petite ville britannique d’un attentat perpétré par les services russes
ARTE.TV
À LA DEMANDE
SÉRIE
O
n a connu la chaîne
franco­allemande plus
respectueuse du con­
sommateur : le titre
français de cette remar­
quable minisérie britannique est
un contresens délibéré destiné à
faire croire au chaland qu’il peut
s’attendre à une plongée dans les
enfers du renseignement postso­
viétique. Or, en quatre épisodes,
on ne fera qu’entrevoir Sergueï
Skripal, agent russe du MI6 bri­
tannique recruté au sein du GRU
(renseignement militaire russe),
emprisonné dans son pays natal
avant d’être échangé et de s’instal­
ler à Salisbury, au Royaume­Uni.
En 2018, Skripal et sa fille Ioulia
furent victimes d’une tentative
d’empoisonnement par deux
agents russes, avec un poison de la
famille du Novitchok, celui­là
même qui faillit être fatal à Alexeï
Navalny, en août 2020.
Menace inconnue
Le titre original, The Salisbury Poi­
sonings, peut se traduire par « les
intoxications de Salisbury ». Cette
description clinique convient
mieux à une œuvre dépassion­
née, qui ambitionne de cerner une
réalité à travers la fiction. La réalité
en question, c’est l’irruption d’une
Au comptoir de Léa Salamé, plus de nostalgie que de grain de folie
Dans ce volet du « Doc stupéfiant », les entretiens se mêlent à l’histoire érudite des troquets, sans parvenir à en recréer la convivialité
FRANCE 5
MERCREDI 16 - 20 H 50
MAGAZINE
I ls nous ont tellement man­
qué, les bistrots, les troquets,
pendant les confinements,
que l’absence, inconsciemment,
a aiguisé notre appétence pour
le sujet. Nous l’attendions donc
avec impatience ce Café des artis­
tes, proposé ce soir dans « Le Doc
stupéfiant », pour y retrouver
l’ambiance, la proximité de ces
lieux indissociables de notre pa­
trimoine culturel. Trop peut­être ?
GRILLE N° 21 - 137
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I la cour du sultan. Ne devrait plus
II
III
IV
V 2
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 21 - 136
HORIZONTALEMENT I. Spontanément. II. Ah. Iole. Muer. III. Loteries.
EPO. IV. Atèle. STO. Eu. V. Mol. AB. Epure. VI. Acariâtres. VII. Lomé. Ise-
ran. VIII. Epona. Ara. Io. IX. Cintreraient. X. Sésame. Stria.
VERTICALEMENT 1. Salamalecs. 2. Photocopie. 3. Télamons.
4. Niel. Renta. 5. Toréai. Arm. 6. Ali. Bai. Ee. 7. Nées. Tsar. 8. Stéreras.
9. Mm. Opérait 10. Eue. USA. Er. 11. Neper. Nini. 12. Trouer. Ota.
Dave Minty (Darren Boyd) et Tracy Daszkiewicz (Anne­Marie Duff). HUW JOHN, CARDIFF/JOHN HUW 2019
menace inconnue dans la vie
d’une prospère cité du sud­ouest
de l’Angleterre, jusqu’ici surtout
connue pour sa cathédrale.
A rebours des règles de la fiction,
le protagoniste ne sera ni agent se­
cret ni policier, mais la directrice
des services de santé du Wiltshire,
le comté où est situé Salisbury.
Declan Lawn et Adam Patterson,
les créateurs, prennent à peine le
temps de mettre en scène un
breakfast dans la vie de Tracy
Les caméras s’installent dans
le magnifique Bouillon Julien, la
brasserie chic du 10e arrondisse­
ment créée à Paris en 1906. Entre
peintures vert d’eau et jeux de mi­
roirs, c’est ici que vont se succéder
les invités. D’emblée, la journaliste
et écrivaine Abnousse Shalmani
capte l’attention par son regard
pétillant et la vivacité de ses pro­
pos. Elle rappellera, entre autres,
que les Françaises ont beaucoup
de chance de pouvoir consommer,
seules, au café. Vincent Laisney,
maître de conférences à Nanterre,
fait également mouche lors de ses
7 8 9 10 11
Daszkiewicz (Anne­Marie Duff)
avant que celle­ci ne soit convo­
quée d’urgence. Sur un banc d’un
parc, un sexagénaire et une jeune
femme ont été pris de convulsions
et de vomissements. En quelques
heures, Tracy Daszkiewicz passe
dans une autre dimension : ce que
les autorités avaient pris pour une
surdose est, en réalité, un attentat
perpétré à l’aide d’un agent neuro­
toxique, dont on ignore presque
tout à Salisbury.
interventions, de même que
Pierre Assouline, journaliste
et écrivain, l’historien Pascal Ory
ou Jean­Michel Ribes, metteur
en scène des Brèves de comptoir,
de Jean­Marie Gourio, qu’il cite
toujours avec gourmandise.
Lieu de sociabilité, de débat…
Les monologues, illustrés d’archi­
ves, sont regroupés en séquences :
le café, lieu de sociabilité ; le café,
lieu de débat politique ; la musi­
que au café… Quelques entretiens
ponctuent l’ensemble, menés par
Léa Salamé dans des lieux en lien
HORIZONTALEMENT
I. Même de bonne foi, est toujours
fausse. II. Fin de parcours pour Noé et
son Arche. Tamise la lumière. III. Gro-
tesques mais pas mortels.
12
Paresse dans les arbres. IV. Officier à
mordre. V. Regarde avec attention.
Nous transforment en citrons.
VI. Préposition. Fît l’innocent. Laissa
aller son imagination. VII. Alimenta-
tion de base. Son éclat peut être très
brusque. Demi-queue. VIII. Un peu
de textes dans beaucoup d’images.
Dieu du Tonnerre. IX. Personnel.
Bout de banane. Touché en pleine
tête. X. Facile de les faire disparaître.
VERTICALEMENT
1. Dangereusement craquant sous
la dent. 2. Pleines de fantaisie et
d’étrangeté. 3. Félix Tournachon. Per-
sonnel. 4. Entre levée et distribution.
Roula dans la farine. 5. Subdivision
chez les animaux. Oncle d’Amérique.
6. Prépare son avenir. 7. Tous ceux
qui ouvrent Le Monde. 8. Laisse
échapper les gaz. Mit bas à l’étable.
9. Gardera sa place. En hibernation.
10. Personnel. Grande tranche d’his-
toire. Semblable. 11. Elimina. La fus-
tanelle lui va si bien. 12. Facilitent
l’évacuation des eaux du lac.
Rarement l’adjectif « procedu­
ral », qui désigne ce pan de la fic­
tion policière voué à la description
minutieuse des méthodes, aura
été aussi adéquat. A cela près qu’il
ne s’agit pas de montrer des en­
quêteurs lancés à la poursuite des
coupables, mais une fonction­
naire déterminée à contenir la me­
nace qui pèse sur ses concitoyens.
On suivra bien le detective ser­
geant Nick Bailey (Rafe Spall), mais
il se retrouve vite du côté des victi­
avec ses interlocuteurs. Olivia
Ruiz a ainsi choisi le petit Café de
la terrasse, à Marseillette (Aude),
dans lequel elle a grandi. La chan­
teuse en parle avec simplicité
et émotion – mais les deux fem­
mes semblent un peu gênées,
seules sur leurs hauts tabourets.
Plus dansante, l’évocation des ju­
ke­box et des Scopitone permet de
retrouver Claude Lelouch, qui en
produisait à la chaîne en 1962­
1963. Le cinéaste défend toujours
sa façon « un peu sexy » de filmer
Françoise Hardy, avant d’entraîner
le téléspectateur pour une visite
SUDOKU
N°21­137
8 3
1 7
3 7
7 9 4 1 Complétez
4 9 Chaque chiffre ne doit
5 9 6 1
3 5 4
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
« Face au dérèglement climatique,
il n’y a pas de plan B car il n’y a pas
de planète B ». Ban Ki-Moon
ET SUR BOUTIQUE.LEMONDE.FR
288 pages
Format : 180 x 270mm
mes, empoisonné à son tour. La
mise en scène précise, dépourvue
de pathos, de Saul Dibb expose
avec clarté les mécanismes qu’une
société moderne met en œuvre
face à une urgence sanitaire.
Le spectacle est d’autant plus
fascinant que, depuis le prin­
temps 2020, l’expérience qu’a tra­
versée Salisbury a été plus ou
moins reproduite à l’échelle pla­
nétaire. On retrouve dans le mi­
crocosme britannique les élé­
ments qui ont tourmenté l’huma­
nité ces derniers mois : contrain­
tes de la prévention, insoluble
contradiction entre la nécessité de
préserver la tranquillité publique
et le devoir d’information… Le bi­
lan final de l’attentat de Salisbury
semble aujourd’hui dérisoire et
les auteurs du documentaire se
placent résolument dans le camp
des défenseurs du principe de pré­
caution : s’ils ont fait de Tracy
Daszkiewicz leur héroïne, c’est
parce qu’elle a préféré dépenser
des millions de livres pour net­
toyer le centre de Salisbury plutôt
que de prendre le risque de voir,
par exemple, l’un des clients du
restaurant où les Skripal avaient
déjeuné pris de convulsions. 
thomas sotinel
Affaire Skripal : l’espion
empoisonné, par Declan Lawn
et Adam Patterson, réalisée par
Saul Dibb (R­U, 2020, 4 × 45 min).
– extérieure – du Moulin de la Ga­
lette, à Montmartre.
Virage historique, à mi­parcours,
avec Le Procope, café parisien de­
puis 1686, puis Montmartre, à la
rencontre de ses auteurs et pein­
tres. La faune artistique migrera
ensuite vers Montparnasse, où
les cafés, plus grands, se font bras­
series. A La Rotonde, QG des artis­
tes, Modigliani tirait, paraît­il,
le portrait des clients pour un
franc ; à La Coupole, Léa Salamé re­
trouve l’académicien Pierre Nora,
qui se souvient de Jean­Paul Sar­
tre, « assis là », et ne peut réprimer
5 6 3 2 7 4
7 9 1 8 5 3
8 4 2 1 6 9
1 5 4 8 5 6 1 2
9 2 7 3 4 5
4 3 1 6 9 8 7 4
1 7 8 4 2 6
2 5 9 7 3 8
6 3 4 5 9 1
5 8 Facile
toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
6 par colonne et par
carré de neuf cases.
0123
EN VENTE EN LIBRAIRIE
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
NOTRE
SÉLECTION
ME RC R ED I 16 J UIN
LCP
Tchernobyl,
la dernière bataille de l’URSS
20.30 Retour sur l’explosion
du réacteur nucléaire en Ukraine,
le 26 avril 1986, ses conséquences
tragiques pour les 49 000 habitants
de la ville voisine de Pripiat
et géopolitiques pour la planète
ainsi que pour le régime soviétique.
TMC
Soirée « rock’n’soul »
21.15 Bohemian Rhapsody : la vraie
histoire de Queen, un documentaire
inédit sur le groupe de Freddie
Mercury, formé il y a cinquante ans.
23.00 Amy Winehouse, 10 ans déjà
revient sur le destin tragique
de la diva de la soul, disparue
le 23 juillet 2011, en pleine gloire,
à 27 ans, l’âge maudit des rockers.
Toute l’Histoire
Qu’est-il arrivé
à Rosemary Kennedy ?
21.40 Le documentaire de Patrick
Jeudy enquête sur la disparue
de la « famille royale américaine ».
Rosemary, sœur de « JFK » et Bobby,
déficiente mentale, fut lobotomisée
à 23 ans, en 1941, sur décision
du patriarche Joseph Kennedy.
France 2
L’Amie prodigieuse
22.50 Série adaptée du roman
d’Elena Ferrante, par Saverio
Costanzo. Six décennies d’histoire de
l’Italie qui valaient bien huit épisodes.
un rire en se remémorant l’am­
biance de « son » café, L’Espérance.
L’ambiance… C’est le seul ingré­
dient qui manque au cocktail
servi ce soir. Selon Pierre Assou­
line, ce grain de folie caractéristi­
que des troquets serait, « il faut
bien l’admettre », imputable à l’al­
cool. Mais aussi à la convivialité,
pas encore retrouvée lors du tour­
nage du Café des artistes. 
catherine pacary
Le Café des artistes, d’Elise
Le Bivic et de Gabriel Garcia
(Fr., 2021, 90 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
9 1 8
2 4 6 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
3 5 7 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
7 3 9 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
Par courrier électronique :
6 8 1
abojournalpapier@lemonde.fr.
2 5
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
5 9 3
1 6 4 Courrier des lecteurs
8 7 2 Par courrier électronique :
courrier-des-lecteurs@lemonde.fr
Internet : site d’information : www.lemonde.fr ;
Emploi : www.talents.fr/
Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microfilms : 03-88-04-28-60
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0722 C 81975 ISSN 0395-2037
Présidente :
Laurence Bonicalzi Bridier PRINTED IN FRANCE
67-69, avenue
Pierre-Mendès-France
75013 PARIS
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France. Taux de fibres recyclées : 100 %.
Ce journal est imprimé sur un papier UPM issu de forêts gérées
durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001.
Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
GASTRONOMIE
E
lle a parfois fait grimacer les
enfants, mais la rhubarbe fait
aujourd’hui sourire les chefs.
« J’adore sa couleur, la fraîcheur
de ses parfums d’herbe coupée, de mus­
cat, de fleurs blanches… Sa vitalité syno­
nyme de printemps », se délecte la pâtis­
sière Claire Damon, qui, gamine, boudait
son acidité, pour finalement mettre en
vedette contrastes de douceur et d’aci­
dulé dans ses boutiques parisiennes Des
gâteaux et du pain du boulevard Pasteur
et de la rue du Bac.
A Valence, la triple étoilée Anne­Sophie
Pic a craqué pour le rouge profond de la
valentine ; comme Claire Damon, l’iconi­
que Michel Guérard, à Eugénie­les­Bains
(Landes), ne jure que par le vert pétant de
la mira. Arnaud Lallement, maestro trois
macarons de l’Assiette champenoise, à
Reims (Marne), a préféré la vivacité de
l’early victoria à l’acidité trop sage de la
grand mums, quand, à La Grenouillère,
son restaurant deux étoiles de La Ma­
delaine­sous­Montreuil (Pas­de­Calais),
l’ultra­créatif Alexandre Gauthier prend
plaisir à s’adapter, au rythme d’une sai­
son durant grosso modo de mai à octo­
bre, à la palette chromatique et gustative
des arrivages de goliaths, mikoots, fram­
bozen roods et autres elmblitz.
Point commun de tous ces coups de
cœur, un fournisseur d’exception, Ma­
thieu Vermès, infatigable promoteur de
la diversité inattendue de ce « légume qui
se prend pour un fruit », dont il collec­
tionne plus de 100 variétés dans ses ri­
ches terres picardes de Saint­Riquier
(Somme). Loin de l’anonyme plant s’épa­
nouissant au fond du jardin, la rhubarbe
foisonne ici en star sur deux hectares
doucement vallonnés, entre élevage
d’holsteins et champ de lin.
L’œil non exercé aura d’abord du mal à
distinguer qui est qui parmi cette jungle
de larges feuilles couvrant l’argument
essentiel de la plante : ses tiges. En guide
passionné, Mathieu Vermès s’enthou­
siasme en écartant les amples parasols
pour découvrir les pétioles charnus.
« C’est magique ! », s’émerveille­t­il à la
vue de ces bâtons aux couleurs, tailles et
épaisseurs multiples, dévoilant l’identité
de ces touffes vivaces.
Pamplemousse et crème fouettée
Après un début de printemps trop frais,
les premières chaleurs de cette fin mai
vont enfin muscler ses goliaths, dont les
longues et épaisses tiges vertes striées
de rose, prisées par l’industrie de la com­
pote, peuvent peser jusqu’à un kilo.
« Avec le soleil sur cette terre humide, elles
peuvent prendre jusqu’à 20 ou 30 centi­
mètres en une journée », explique l’horti­
culteur devenu, en vingt­cinq ans, le pro­
ducteur de référence des cuisiniers. Le
cueilleur tourne la tige avant de l’arra­
cher. Avec un long couteau faisant office
de machette, il se débarrasse de la feuille
(toxique) et taille la base du pétiole (co­
mestible), découvrant la chair fibreuse
et luisante de suc. Celle vert vif de la
mikoot ou de la mira, celle marbrée de
rose de la frambozen rood, celle rouge
sang des plus douces cawood delights
ou valentines…
Originaire de Sibérie, membre de la
famille de l’oseille (les polygonacées) et
connue en Chine pour ses qualités médi­
cinales (riche en vitamine C, en potas­
sium et en phosphore), cette plante, dont
le nom latin – Rheum rhabarbarum, « ra­
cine barbare » – dévoile la rusticité, s’est
adaptée aux sols frais et humides du
nord de l’Europe et de la France.
Au XVIIe siècle, les médecins de Molière
vantaient les vertus laxatives de sa ra­
cine (« Passez­moi la rhubarbe, je vous
passerai le séné »), mais c’est au
XVIIIe siècle que les Anglais commencè­
rent à l’exploiter dans leurs potagers.
Elle reste aujourd’hui une vedette des
desserts britanniques, sous forme de pie
(« tourte »), crumble ou de rhubarb fool,
ce délice estival où compote de rhubarbe
et crème fouettée se mêlent aussi har­
monieusement que pluie et soleil
d’outre­Manche.
La rhubarbe est un membre de la famille de l’oseille. KEROUÉDAN/PHOTOCUISINE
Ruée sur la rhubarbe
C’EST DE SAISON ! 2|3 Cette longue tige épaisse au vert strié de rose,
autant boudée par les uns qu’appréciée par les autres
pour son acidité, est aujourd’hui la reine des desserts.
Mais elle sait aussi se faire apprécier en version salée
En France, la rhubarbe a longtemps été
plus synonyme de dessert familial que de
raffinement pâtissier. « Quand j’ai com­
mencé à mettre un premier entremets à la
rhubarbe en vitrine, il y a une dizaine d’an­
nées, c’était assez osé, se souvient Claire
Damon. Ce fruit était clivant. Soit la tarte
de la grand­mère paraissait une “made­
leine” indépassable, soit les gens trou­
vaient cela trop acide. » L’Auvergnate, dis­
ciple de Pierre Hermé passée par les cuisi­
nes ducassiennes du Plaza Athénée, dé­
cline aujourd’hui cette verve printanière
en en soulignant différentes caractéristi­
ques. Son chou à la rhubarbe, coiffé d’un
cercle de gelée et de tronçons de tige po­
chés, en magnifie d’abord le parfum, en
emplissant le souple et croustillant petit
coussin d’une crème sans œuf où la rhu­
barbe compotée est simplement liée d’un
peu d’amidon et de beurre.
La pâtissière aime jouer de son acidité,
en l’associant à celle d’un pample­
mousse corse dans le Paradisi, mais
aussi de sa gourmandise, dans un bâton
de rhubarbe domptant l’intensité acidu­
lée de la « racine barbare » grâce à une
crème voluptueusement vanillée. Celle
qui propose également un chausson
caramélisé – le bichon – à la rhubarbe et
une crème glacée devenue l’un de ses
best­sellers, se félicite d’un nouvel en­
gouement pour ce « fruit » longtemps
sous­estimé, « l’un des seuls [avec le
coing] qui ne se croque pas à cru ».
« Les gens redécouvrent la rhubarbe de­
puis une petite dizaine d’années », con­
firme Mathieu Vermès, qui, avec son fils
Valentin, produit par an plus de 35 ton­
nes de ces tiges destinées à quelques
grossistes, à une centaine de chefs et pâ­
tissiers, ainsi qu’aux commandes en li­
gne de particuliers (sur le site Le Do­
maine de la source). « Cela va sans doute
de pair avec la vogue des légumes “an­
ciens” et des produits “nature”. »
L’Alsace est l’une des régions françaises
à être restée la plus fidèle à ce légume­
fruit. « Tous les jardins en possèdent au
moins un plant », assure Christine Ferber,
qui, dans sa pâtisserie du village de Nie­
dermorschwihr (Haut­Rhin), près de Col­
mar, perpétue la tradition de la tarte me­
ringuée à la rhubarbe. Magicienne des
confitures, célébrée jusqu’au Japon, l’Al­
sacienne nous livre le secret de ses pots
au vert presque fluorescent, dont on par­
vient à distinguer les petits dés de fruit
styles | 35
au lieu des masses uniformes proposées
habituellement. « Il faut d’abord l’émin­
cer en petits morceaux très réguliers, puis
lui faire rendre son eau pendant une nuit
en la mélangeant avec du sucre. » Egout­
tée séparément, cette eau sera le lende­
main réduite en un sirop dans lequel
pocheront ensuite les dés de rhubarbe,
remués très délicatement pour ne pas
être réduits en compote.
Rochelaise grandie en Alsace, Nina Mé­
tayer connaît toute la valeur des fameux
pétioles. « Petite, je trouvais cela trop
acide, mais en me mettant à la pâtisserie,
j’ai découvert son potentiel de dingue. »
La jeune trentenaire, ancienne complice
d’Amandine Chaignot à l’Hôtel Raphaël
(Paris 16e) et de Jean­François Piège au
Grand Restaurant (Paris 8e), désignée
« pâtissier de l’année » par les magazines
Le Chef (2016) et Gault & Millau (2017),
aime jongler avec différentes textures
en réunissant, par exemple, le lisse cré­
meux d’une compote, la mâche fon­
dante de tronçons pochés et le craquant
émoustillant d’une brunoise crue. Elle
vante les mérites de son eau, transfor­
mée en sirop ultra­rafraîchissant avec
un peu de miel et de thym citron.
Céleri et granité de langoustines
Pendant le premier confinement, réfu­
giée dans sa maison normande, Nina Mé­
tayer a potassé le sujet « rhubarbe » pen­
dant tout le printemps 2020. Résultat, les
premières gourmandises de Délicatisse­
rie, la pâtisserie en ligne que la chef con­
sultante vient de lancer pour fournir ses
clients sur commande, au rythme des
saisons. Soit une aérienne charlotte aux
fraises et à la rhubarbe, qui, sur une
mousse au fromage blanc et quelques
grains de riz soufflé, rappelle à quel point
la suave acidité des tiges se marie divine­
ment aux fruits rouges. Et une étonnante
« couronne de printemps », accordant dé­
licatement rhubarbe et fleurs de sureau,
sur fond de sablé surmonté de chantilly
et du rose transparent de copeaux de
rhubarbe séchés.
Reine des desserts, l’excentrique plante
verte peut aussi se distinguer en version
salée. « Quand vient le printemps, ce peut
être la guerre entre la cuisine et la pâtisse­
rie pour savoir qui aura la rhubarbe à sa
carte », s’amuse la chef étoilée Nolwenn
Corre, depuis l’Hostellerie de la Pointe
Saint­Mathieu, qu’elle orchestre à Plou­
gonvelin, en bout de Finistère. Marquée
par les énormes pieds de rhubarbe du
jardin de sa grand­mère – « en bord de
mer, c’étaient nos seuls fruits, avec les
pommes » – et les kilos de confitures pré­
parés enfant, la Bretonne en marbre
aujourd’hui un foie gras, mais assortit
surtout ce peps fruité aux produits de la
pêche. « Iode et rhubarbe font très bon
ménage, assure­t­elle. Que ce soit avec les
coquillages, les crustacés ou le poisson. »
En témoignent une huître surmontée
d’une petite gelée de rhubarbe, un ma­
quereau à peine cuit, accompagné d’une
julienne mêlée de céleri et rhubarbe, et
un étonnant granité de langoustines.
« Après avoir fait revenir les carcasses,
je verse une eau de rhubarbe, avant de
glacer et turbiner cela au Pacojet [sorbe­
tière émulsionneuse] et de surmonter ce
« Quand vient “sorbet” d’une brunoise de rhubarbe crue
le printemps, venant booster le tout », explique la chef.
Après tout, Louis Outhier, pionnier de la
ce peut être nouvelle cuisine à L’Oasis, son restaurant
la guerre trois étoiles de La Napoule (Alpes­Mariti­
mes), ne servait­il pas un saint­pierre à la
entre la cuisine rhubarbe dès la fin des années 1970 ?
et la pâtisserie Chef inspiré de la baie de Somme,
Alexandre Gauthier vante aussi les méri­
pour savoir qui tes « citronnés » d’une rhubarbe dont il
aura la rhubarbe utilisera l’eau, extraite à la centrifugeuse,
pour déglacer le beurre de cuisson d’une
à sa carte » sole meunière. « Avec des moules mari­
NOLWENN CORRE nières, un bout de tige de rhubarbe pourra
chef étoilée aussi remplacer une branche de céleri »,
suggère le voisin de Mathieu Vermès, qui
cuisinera aussi les multiples variétés de
son fournisseur préféré en simple cla­
foutis (« pour accueillir dans leur cham­
bre les clients de La Grenouillère ») ou en
un très sophistiqué rouleau de goliaths
confits au sirop de bouleau. 
stéphane davet
 IDÉES
36 |
Pascal Canfin
La décennie qui s’ouvre
peut être celle
de la mondialisation
progressiste
Les contours d’une mondialisation différente, à même
d’inventer un modèle de prospérité compatible avec les limites
de la planète, sont en train de s’esquisser, estime le président de
la commission environnement du Parlement européen
A
près trente ans de mondialisa­
tion libérale, un nouveau cycle
s’ouvre devant nous. Sans rom­
pre avec les bénéfices de
l’ouverture, il recrée les condi­
tions de la souveraineté publi­
que et place les enjeux climatiques au
cœur d’un nouveau modèle de prospé­
rité. Il est essentiel de consolider ce nou­
vel âge de la mondialisation, cette « mon­
dialisation du progressisme », si nous
voulons échapper à la montée des natio­
nalismes autoritaires et aux conséquen­
ces délétères d’une démondialisation
non coopérative.
La reconquête de la souveraineté publi­
que est d’abord fiscale. La crise financière
de 2008 a exigé des dépenses publiques
faramineuses pour « sauver les banques »
et le financement de l’économie, rendant
intolérable ce qui avait été jusqu’alors to­
léré : l’optimisation fiscale massive orga­
nisée par les plus riches et les plus gran­
des entreprises. Depuis, la riposte des
grands Etats s’organise. C’est ainsi
qu’en 2014 les Etats se sont mis d’accord
pour mettre fin au secret bancaire : désor­
mais, lorsqu’une banque détient le
compte d’un particulier étranger, elle
doit en référer à l’Etat de domiciliation
fiscale principale de l’intéressé. Ainsi, les
données de 5 millions de comptes déte­
nus à l’étranger par des ressortissants
français ont été transférées à l’adminis­
tration fiscale.
Une deuxième étape s’ouvre à présent,
qui s’attaque à l’optimisation fiscale des
grandes entreprises. Cette négociation
devrait aboutir cet été à un impôt mon­
dial sur les multinationales d’au mini­
L’OPTION CONSISTANT
À LAISSER LA CHINE
DE CÔTÉ EST UNE IMPASSE.
IMPOSSIBLE DE GAGNER
LA BATAILLE DU CLIMAT
SANS LE PREMIER ÉMETTEUR
DE CO2 DE LA PLANÈTE
mum 15 % sur la totalité des bénéfices
réalisés partout dans le monde. De
500 milliards à 600 milliards de dollars
(de 412 milliards à 495 milliards d’euros)
de bénéfices, qui échappent aujourd’hui
à tout impôt, seront demain taxés dans le
pays où ils ont été réalisés ou dans le pays
où se trouve le siège de l’entreprise. Ainsi
les bénéfices des géants du numérique ne
pourront plus être localisés en Irlande,
puis dans les îles Caïmans sans jamais
être taxés, ni aux Etats­Unis ni dans les
pays où les achats sont réalisés. Le par­
tage de ce nouvel impôt mondial doit en­
core faire l’objet de négociations, mais cet
accord signera de fait la fin de l’impunité
fiscale des multinationales.
Taux d’intérêt faibles, voire négatifs
L’accord européen qui a été trouvé début
juin sur le « reporting pays par pays » va
dans le même sens. Il obligera toutes
les grandes entreprises européennes à
publier les bénéfices qu’elles réalisent
dans chaque pays européen, et non plus
seulement leur résultat consolidé. Désor­
mais, les grandes entreprises devront
jouer à livre ouvert. Et tout cela rapporte :
en 2019, l’Etat français a ainsi récupéré
12 milliards d’euros de recettes fisca­
les supplémentaires grâce à la lutte
contre l’évasion fiscale. Et, selon les pre­
mières estimations, l’accord sur les mul­
tinationales pourrait rapporter plus de
100 milliards de dollars par an à se parta­
ger entre les Etats.
Au retour de la souveraineté fiscale
s’ajoute celui de la souveraineté moné­
taire et budgétaire. La généralisation du
« quantitative easing » après la crise fi­
nancière de 2008 a donné à la politique
monétaire une puissance de feu qui a
permis d’étouffer la spéculation sur les
dettes publiques. La crise du Covid­19 a
ajouté une deuxième couche à l’augmen­
tation des bilans des banques centrales.
Les Etats ont ainsi pu répondre à la crise
économique et sociale générée par la
pandémie en s’affranchissant de toute li­
mite budgétaire.
Pour autant, la question de l’achat par
les marchés de cette quantité supplémen­
taire de dettes publiques ne s’est jamais
posée parce que les acheteurs de dette pu­
blique (banques, fonds de pension, com­
pagnies d’assurances…) ont la certitude
de pouvoir déposer ces obligations d’Etat
en collatéral auprès de leurs banques cen­
trales respectives. Cette monétisation
partielle de la dette publique offre une
protection exceptionnelle à l’action de la
puissance publique et assure des taux
d’intérêt faibles, voire négatifs, qui per­
mettent aux Etats de financer leur dette
publique à bas coût.
Ce coussin monétaire permet de don­
ner corps à des politiques publiques
progressistes en faveur de la protection
sociale et de l’investissement dans les
secteurs d’avenir. Les Etats­Unis ont
ainsi inventé de toutes pièces un Etat
providence conjoncturel, tandis que les
Européens ont complété leur modèle
social en l’ajustant à la crise. Ce mouve­
ment est l’exact opposé des politiques
monétaires ultrarestrictives mises en
place au moment de la révolution libé­
rale dans les années 1980.
En Europe, il contraste aussi fortement
avec la gestion de la crise de 2009 : là où
l’Union avait échoué à se mettre d’accord
sur un plan de relance commun et res­
serré trop tôt les vannes budgétaires, elle
s’est dotée cette fois­ci d’un plan de re­
lance inédit de 750 milliards d’euros et a
suspendu, dès le printemps 2020, les
règles du pacte de stabilité et de crois­
sance. En Allemagne, on discute dans la
campagne électorale des moyens d’ac­
croître l’investissement public. Et, en
France, on réfléchit à un deuxième plan
d’investissement, européen voire natio­
nal, dans des secteurs­clés comme le nu­
mérique ou la transition écologique.
La nouvelle synthèse progressiste ap­
pelle également une autre forme de sou­
veraineté : la souveraineté climatique.
Le progressisme du XXe siècle a créé
l’Etat­providence et l’économie sociale de
marché tandis que se généralisait en pa­
rallèle la société de consommation. Mais
à aucun moment ne s’est posée la ques­
tion de la soutenabilité environnemen­
tale de son modèle. Les premières alertes
sont apparues dans les années 1970 et il a
fallu encore quarante ans pour qu’elles
soient prises au sérieux. Le tournant est
enfin pris avec l’accord de Paris en 2015.
Même Donald Trump n’aura pas réussi à
le « tuer ». Le cadre multilatéral du « pre­
mier accord du XXIe siècle » a survécu à
son offensive. Et, dès le premier jour de
son mandat, Joe Biden a pu y faire revenir
les Etats­Unis.
Les planètes sont désormais suffisam­
ment alignées pour que le nouveau pro­
gressisme commence à déployer à
grande échelle les politiques publiques
qui contribueront à inventer un modèle
de prospérité compatible avec les limites
de notre planète. L’heure d’une nouvelle
révolution industrielle a sonné, celle de
l’économie zéro carbone. L’Europe a tiré
la première en adoptant en 2019 l’objectif
de neutralité climatique pour 2050, rapi­
dement suivie par les Etats­Unis, le Japon,
la Corée du Sud et même la Chine qui s’est
fixé cet objectif pour 2060.
Le Green Deal européen conduit à la ré­
vision de plus de cinquante lois euro­
péennes et les Etats­Unis sont mainte­
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
nant engagés dans un processus simi­
laire. Ces quatre dimensions – fiscale,
monétaire, budgétaire et climatique –
doivent désormais créer des boucles
d’interaction positive. On l’a vu pour les
politiques monétaire et budgétaire. C’est
aussi le cas des politiques monétaire et
climatique. Dans une forme de révolu­
tion silencieuse, mais aux conséquences
considérables, les banques centrales
considèrent maintenant le changement
climatique comme un risque systémi­
que sur la stabilité financière. Or, le
maintien de cette stabilité est au cœur
de leur mandat et cela justifie donc
qu’elles mettent leur puissance de feu au
service de la réduction des émissions de
gaz à effet de serre.
On le voit, le moment politique dans
lequel nous nous trouvons dessine les
contours d’une mondialisation à bien des
égards opposée au modèle précédent. Si
les dernières décennies du XXe siècle ont
été celles d’un âge libéral de la mondiali­
sation, la décennie qui s’ouvre peut être
celle d’un âge progressiste. Ce mouve­
ment se heurte, bien sûr, à des résistan­
ces et comporte ses propres tensions in­
ternes. Il est essentiel de les identifier
pour les dépasser.
« Realpolitik climatique » avec la Chine
La relation avec la Chine est un premier
défi. Elle est aujourd’hui la deuxième
puissance économique mondiale. En
2015, elle a détrôné la France comme pre­
mier partenaire commercial de l’Allema­
gne. Or la Chine est l’un des régimes les
plus autoritaires de la planète. Quelle
forme de coopération internationale
peut­on imaginer avec une telle puis­
sance ? L’option consistant à laisser la
Chine de côté est une impasse. Impossi­
ble de gagner la bataille du climat sans le
premier émetteur de CO2 de la planète.
Les progressistes devront donc trouver
l’équilibre entre les sujets de confronta­
tion et de coopération avec Pékin. Quels
que soient nos désaccords, une forme de
« realpolitik climatique » impose de sécu­
riser l’espace de coopération avec la
Chine sur ce sujet, comme sur le sujet fis­
cal et commercial. Et elle impose de faire
en parallèle deux paris.
Le premier est que le pacte implicite qui
lie le régime et sa population (« je te
donne l’accès aux richesses matérielles et
tu renonces aux libertés politiques ») de­
vra intégrer des éléments qui nourriront
l’agenda de coopération. Ainsi, l’effroya­
ble pollution de l’air dans les villes chi­
noises est la première cause de mobilisa­
tion des classes moyennes sur les ré­
seaux sociaux. Or, impossible de régler ce
problème sans diminuer les émissions
liées au charbon et sans passer à la mobi­
lité électrique. Ce qui, dans les deux cas,
est aussi bon pour le climat.
Le second pari est que, pour des raisons
de leadership industriel, la Chine ne
pourra pas rester à l’écart d’une dynami­
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021
que portée ensemble par l’Union euro­
péenne et les Etats­Unis. La bataille de
la neutralité carbone est aussi une ba­
taille de normes, de technologies, de bre­
vets, de sites de production, de règles
d’accès au marché… Et la Chine est dé­
pendante de ses principaux marchés
d’exportation que sont les Etats­Unis et
l’Europe. Elle doit donc s’adapter aux nor­
mes que nous fixons.
La modification des règles du jeu com­
mercial constitue un autre défi. L’histoire
nous apprend que la mondialisation de la
coopération politique va toujours de pair
avec celle des flux commerciaux. Et, à l’in­
verse, que la montée des tensions politi­
ques s’accompagne toujours d’une con­
traction des échanges. Un progressisme
mondialisé implique donc d’apporter
une réponse innovante à cette équation.
Tout d’abord en assumant que toute
mondialisation des flux économiques
n’est pas bonne à prendre. Cette vision,
longtemps dominante au sein de la Com­
mission européenne, a conduit à intégrer
la Chine en 2001 au sein de l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) sans
aucune contrepartie. Deux considéra­
tions stratégiques animaient alors les
Occidentaux. La première était que la di­
vision internationale du travail et la
transformation de la Chine en « atelier du
monde » allaient apporter davantage de
pouvoir d’achat aux consommateurs
américains et européens grâce à la baisse
des prix des produits importés.
Etat stratège, régulateur, investisseur
Cela s’est effectivement réalisé dans de
nombreux secteurs (textile, électroni­
que, etc.). Mais l’arrivée sur le marché
mondial du géant asiatique a créé dans
les pays développés une césure entre
gagnants et perdants : d’un côté, ceux
dont l’emploi n’était pas menacé par la
concurrence chinoise et qui en ont donc
bénéficié en tant que consommateur ;
de l’autre, ceux qui se sont retrouvés en
concurrence directe avec des salariés
beaucoup moins payés et qui ont fini
par perdre leur emploi et, avec lui, les
gains de pouvoir d’achat escomptés.
Cette césure est aujourd’hui l’un des
clivages les plus profonds des sociétés
occidentales et éclaire puissamment les
comportements électoraux.
La seconde considération était que l’in­
tégration de la Chine dans le commerce
mondial diffuserait progressivement un
mode de vie, des valeurs et des aspira­
tions qui finiraient par attirer le régime
communiste dans l’orbite des démocra­
ties libérales. Cette stratégie a, au moins à
ce jour, totalement échoué.
Face à cet échec, certains sont tentés
d’opter pour une démondialisation non
coopérative à coups de dénonciation des
accords commerciaux, de politiques uni­
latérales contraires aux règles de l’Orga­
nisation mondiale du commerce (OMC),
etc. C’est la logique du trumpisme,
comme de l’extrême gauche et de l’ex­
trême droite européennes. Comme toute
stratégie de la tension, on sait quand et
comment on y entre, mais pas du tout
quand et comment on en sort.
Surtout, elle revient à vider de leur
substance les règles du jeu multilatéral,
celles de l’OMC, par exemple, y compris
les mécanismes permettant de les faire
respecter comme l’Organe de règlement
des différends. Or il est impossible d’ima­
giner une mondialisation de la gouver­
nance et de la coopération lorsque cela
nous arrange, si notre stratégie est de la
supprimer quand elle nous dérange.
Refuser cette démondialisation non
coopérative ne signifie pas renoncer à la
relocalisation de certaines activités. En
plus de la relocalisation d’activités jugées
stratégiques, que la crise du Covid a mises
en évidence, il s’agit de mettre en œuvre
une « démondialisation par le bas » à tra­
vers des politiques publiques qui démon­
dialisent de fait l’économie sans remettre
en cause les accords internationaux et
l’architecture multilatérale, c’est­à­dire
sans enclencher une démondialisation
non coopérative « par le haut ».
Dans ce domaine, les exemples à ampli­
fier sont nombreux : développement de
l’économie circulaire, multiplication des
signes de qualité et d’origine dans
les clauses des marchés publics, passage
des voitures thermiques aux voitures
électriques permettant de remplacer du
pétrole importé par de l’électricité pro­
duite en Europe, etc.
En complément, il est souhaitable
d’explorer une troisième voie : condition­
ner les règles commerciales à des stan­
dards sociaux et environnementaux dé­
finis par les grands textes internatio­
naux. Dans la géopolitique mondiale,
c’est à l’Europe qu’il revient d’écrire cette
nouvelle page. Elle présente les deux
conditions pour y parvenir : des opinions
publiques plus mûres qu’ailleurs et une
puissance de marché qui permet de créer
un rapport de force suffisant. Un élément
est déjà acquis : l’Europe ne signera plus
d’accord commercial avec un pays qui
sortirait de l’accord de Paris. Mais il faut
aller plus loin.
Avant la fin de l’année, l’Europe va défi­
nir sa nouvelle doctrine commerciale. Il
est essentiel qu’elle exige pour tout nou­
vel accord des chapitres « développe­
ment durable » contraignants et capa­
bles de générer des sanctions filière par
filière ou produit par produit. Enfin, une
autre bataille est en cours : la mise en
place d’un mécanisme d’ajustement
carbone aux frontières. Alors que le prix
du carbone va significativement aug­
menter pour les industries européennes
avec le Green Deal, il est logique de pré­
server la compétitivité de ces entreprises
en s’assurant que leurs concurrents
paient le même prix du carbone lors­
qu’ils vendent le même produit dans
l’Union. La proposition de loi va être faite
en juillet par la Commission. Il s’agit au
fond de faire entrer l’enjeu climatique
dans les règles du jeu commercial.
Le progressisme du XXIe siècle n’a pas
vocation à définir au niveau internatio­
nal ce qu’est une « société juste ». L’enjeu
est de recréer les conditions pour que la
justice sociale et fiscale puisse s’exercer,
selon des modalités qui relèvent de choix
nationaux. Cette approche pragmatique
est celle des négociations internationales
en cours en matière de reconquête de
la souveraineté fiscale. Il ne s’agit pas de
se mettre d’accord sur le « bon » taux de
taxation des entreprises multinationales
mais de fixer un plancher, autour de 15 %
à 20 %, qui mette fin de facto aux paradis
fiscaux. Rien n’empêche ensuite chaque
Etat d’aller bien au­delà.
On pourrait imaginer une telle appro­
che concernant la fiscalité des patrimoi­
nes les plus élevés, disons le fameux 1 %,
voire moins. Il est improbable que les
Etats parviennent un jour à un accord
sur une taxation identique des grandes
fortunes. En revanche, je suis persuadé
que viendra le temps d’une discussion
sur la possibilité d’un prélèvement obli­
gatoire minimal de quelques points de
pourcentage sur les plus fortunés, y
compris dans les pays émergents et en
développement, pour financer des biens
publics mondiaux.
D’autres éléments de la construction de
règles fiscales internationales sont en
discussion et leur conclusion positive
viendra, je l’espère, consolider l’ambition
de la nouvelle synthèse progressiste. Je
pense notamment à la taxe européenne
sur les transactions financières, en débat
depuis une décennie. Trouver un accord
entre les onze Etats européens qui font
partie de ce qu’on appelle la coopération
renforcée serait un signal politique fort.
Le progressisme doit par ailleurs conti­
nuer à structurer des politiques publi­
ques qui établissent de nouvelles rela­
tions entre l’Etat et le marché. Le XXe siè­
cle a été marqué par l’affrontement entre
les tenants de la propriété publique et
ceux du libre jeu des marchés.
Aujourd’hui, il s’agit de prendre le
meilleur des deux mondes.
Le rôle de l’Etat est désormais réaf­
firmé sous trois formes : stratège, régu­
lateur et investisseur. Le fait que la
puissance publique soit en capacité
d’orienter les choix économiques est
une idée­force aussi bien du pro­
gramme de l’administration Biden que
de la nouvelle vision européenne de la
souveraineté industrielle dans des filiè­
res stratégiques qui doivent être maîtri­
sées par les Européens. L’Etat régula­
teur trouve toute sa place, notamment
dans la réorientation de l’économie
vers la neutralité climatique. Enfin,
l’Etat investisseur a retrouvé une place
prééminente avec les plans de relance.
Loin de se faire contre le marché, ce
retour de l’Etat est conçu pour faire levier
sur les investissements privés. L’enjeu
central est d’organiser la collaboration
entre les sphères publique et privée pour
optimiser le rôle de chacune. Dans le do­
maine climatique se déploie maintenant
un logiciel commun consistant à se met­
tre d’accord sur des feuilles de route pour
accélérer les investissements de manière
optimale. Les climate tables des Pays­Bas
ou l’initiative Fossil Free Sweden en
Suède servent d’inspiration. Ces feuilles
de route sont maintenant reconnues
dans la loi européenne sur le climat adop­
tée au printemps 2021, comme d’ailleurs
dans la loi Climat et résilience française.
Une méthode complémentaire est de
changer les règles du jeu du système fi­
nancier. Les marchés financiers ont
longtemps été le cœur de l’idéologie libé­
rale et ont bénéficié dans les années 1980
d’une dérégulation massive. La crise fi­
nancière de 2007­2008 qui en a résulté a
remis les régulateurs et la maîtrise du
risque au centre du jeu. Nous franchis­
sons maintenant une nouvelle étape en
cherchant à mettre la puissance des
marchés financiers au service de la tran­
sition climatique.
Les grandes places financières mondia­
les sont toutes en train de revoir leur ré­
glementation pour mieux capturer les
risques associés à la crise climatique, les
internaliser dans les comportements des
entreprises et accélérer le financement
de l’action climatique. Ces initiatives pré­
figurent un « capitalisme responsable »
qui naîtra de la combinaison de deux for­
ces : l’action publique progressiste et la
prise de conscience de la gravité de la
crise climatique par un nombre suffisant
d’acteurs privés. Il faut continuer à avan­
cer sans tabou sur ce chemin.
Il passera notamment par une révision
des règles comptables, sujet majeur pour
l’évolution du système car elles régissent
la façon dont on évalue la valeur des en­
treprises. Il est d’ailleurs notable que
l’une des réformes­clés de la vague libé­
rale ait été d’imposer la « fair value » don­
nant à la finance de marché un rôle
dominant dans l’évaluation comptable
des entreprises. Je suis persuadé que
nous n’irons pas au bout du modèle pro­
gressiste si nous ne modifions pas ces rè­
gles car dans l’économie « ce qui n’est pas
compté ne compte pas ».
C’est une nouvelle frontière qu’il nous
faudra explorer rapidement. Il en va de
même de l’encadrement des droits des
actionnaires pour favoriser les participa­
tions de long terme. Il est anormal que
des spéculateurs qui entrent au capital
d’une société pour quelques minutes ou
quelques jours aient autant de droits
qu’un actionnaire qui y demeure pen­
dant des années.
Le nationalisme, un élément-clé
Enfin, il ne faut pas le nier, les évolutions
profondes que cherche à atteindre le pro­
gressisme auront des effets négatifs pour
certains pays. Les paradis fiscaux seront,
par exemple, affectés par l’impôt mon­
dial minimal sur les bénéfices des multi­
nationales. Mais ces pays n’ont pas suffi­
samment de puissance pour engendrer
des risques de déstabilisation au­delà de
leur propre champ national.
Le risque est différent en ce qui con­
cerne la fin annoncée de la rente pétro­
lière et gazière liée à l’invention d’une
économie neutre en carbone. De nom­
breux régimes doivent leur stabilité et
l’essentiel de leurs revenus à l’exporta­
tion de gaz et de pétrole : l’Arabie saou­
dite, le Qatar, la Russie, l’Algérie…
Plus de 50 % des recettes fiscales de
l’Etat russe sont issues des exporta­
tions d’énergies fossiles. Ces régimes
sont des régimes autoritaires et la dimi­
nution progressive de la rente fossile
les affaiblira. En tant que démocrate, je
m’en réjouis. Mais, comme toute désta­
bilisation, elle est porteuse de risques,
d’opportunités et de résistances. Penser
ces évolutions est une nécessité géo­
politique, stratégique et démocratique.
Car les « printemps arabes » l’ont encore
démontré récemment, l’effondre­
ment des régimes autoritaires d’hier ne
mène pas nécessairement à des régi­
mes démocratiques.
Au seuil de la décennie 2020, le pro­
gressisme mondialisé est cependant loin
d’être le seul horizon possible. Le natio­
nalisme peut s’imposer comme l’idéolo­
gie dominante. Il faut ici bien distinguer
le « fait national » et le nationalisme. Le
premier est incontournable et tous ceux
qui l’ont oublié s’en sont mordu les
doigts. La nation est le creuset fondamen­
tal de nos identités politiques. Mais, à la
différence du nationalisme, le fait natio­
nal ne postule aucune supériorité, aucun
impérialisme, aucun monopole de la
construction politique. Le nationalisme,
lui, repose sur l’instrumentalisation du
idées | 37
LE XXE SIÈCLE A ÉTÉ
MARQUÉ PAR
L’AFFRONTEMENT ENTRE
LES TENANTS DE LA
PROPRIÉTÉ PUBLIQUE ET
CEUX DU LIBRE JEU DES
MARCHÉS. AUJOURD’HUI,
IL S’AGIT DE PRENDRE
LE MEILLEUR DES DEUX
MONDES
fait national pour fabriquer du conflit en­
tre un « nous » et des « eux ».
Il est aujourd’hui un élément­clé du
trumpisme, de la voie chinoise de
Xi Jinping, des brexiters, de Bolsonaro,
des conservateurs du régime islamiste
iranien comme de la droite israélienne…
Il peut devenir demain la force domi­
nante qui régit nos relations. Dans ce cas,
oublions le projet d’une mondialisation
organisée et progressiste puisque toute
discussion partira d’un argument sim­
ple : « je fais ce que je veux chez moi ».
Cette bataille idéologique entre pro­
gressistes et nationalistes est l’une des li­
gnes de force de la période politique que
nous vivons. Pour la gagner, les progres­
sistes ne doivent pas viser à dépasser le
« fait national », mais assumer la cons­
truction d’identités politiques multiples
qui permettent de penser et d’actionner
les différentes échelles d’action pour ré­
soudre les problèmes de notre temps.
Nous sommes donc à un moment
charnière où la mondialisation du pro­
gressisme peut se structurer et s’accélé­
rer. Se structurer en mettant davantage
en avant son existence même. Un projet
politique est d’abord un projet qui donne
du sens, qui explique le monde, l’évolu­
tion des sociétés, leurs aspirations, leurs
tensions… Avant d’être une action, la poli­
tique est un récit. Le récit de l’avancée du
progressisme est à mettre en scène.
Un sommet des leaders progressistes
mondiaux prêts à faire avancer cette vi­
sion du monde serait de ce point de vue
un moment utile et important. Son accé­
lération est par ailleurs rendue possible
par un alignement des planètes inédit
dont le principe central est une nouvelle
alliance entre les Etats­Unis et l’Europe.
Le cœur de son réacteur politique va
des partis écologistes de gouvernement
au centre droit en passant par les
sociaux­démocrates et les centristes. Il
peut prendre la forme d’une coalition
entre plusieurs partis ou d’une syn­
thèse à l’intérieur d’un parti aux fron­
tières larges (à l’instar du Parti démo­
crate aux Etats­Unis).
Ce progressisme n’appartient à aucune
force politique en soi. Tout dépend des
systèmes partisans, électoraux, cultu­
rels… qui structurent les vies politiques
nationales. Comme ce fut le cas pour la
construction de l’Etat­providence au
XXe siècle, le progressisme mondialisé
gagnera en agrégeant des forces politi­
ques différentes. Il offre aujourd’hui une
opportunité historique à la fois puissante
et encore fragile. C’est le combat que
nous devons gagner. 
Une version développée de ce texte sera
disponible sur le site de Terra Nova,
Tnova.fr
Pascal Canfin est président de la com-
mission de l’environnement, de la santé
publique et de la sécurité alimentaire
du Parlement européen. Il a été le
ministre délégué au développement de
François Hollande entre 2012 et 2015,
directeur général du Fonds mondial
pour la nature (WWF) de 2016 à 2019,
et, depuis 2019, eurodéputé (groupe
Renaissance). En France, il se situe
dans la majorité présidentielle
 0123
38 | idées MERCREDI 16 JUIN 2021

Au Proche-Orient, le feu sous la glace

ANALYSE projets ambitieux d’infrastructures ou de
zones franches qui ne verront jamais le jour,
d’Israël. Une partie de la gauche américaine
établit un lien victimaire entre les Palesti­
d’apartheid est fort si on continue à aller
dans une logique à un Etat ou de statu quo ».

Q
uoi de neuf dans le conflit israé­
lo­palestinien ? Posée de façon
triviale, la question peut sur­
prendre. Une guerre en soi est un
événement et une nouvelle a eu
lieu récemment. Plus de 4 300 roquettes ont
été tirées en onze jours de la bande de Gaza,
de façon indiscriminée, vers les zones d’habi­
tation civiles israéliennes. L’armée, elle, dit
CE QUI SE JOUE avoir frappé 1 500 cibles dites « militaires »,
À PRÉSENT EN  attribuées aux factions palestiniennes. Des
tirs prétendument « chirurgicaux » sur le pe­
ISRAËL, CE SONT tit territoire palestinien supplicié, tuant plus
de 200 personnes, dont 66 enfants. Un scéna­
LA COHÉSION  rio semblable à l’été 2014, à une échelle diffé­
rente et sans présence de troupes au sol.
NATIONALE, Et ? Rien. Tout ce feu n’a servi à rien. Il n’a
LA NATURE DE  pas modifié la donne sécuritaire, malgré les
communiqués triomphants de part et
L’ÉTAT HÉBREU d’autre sur les coups portés à l’adversaire, ni
la donne politique. L’Egypte s’impose, évi­
ET SES FRONTIÈRES,  demment, comme incontournable média­
LA PLACE teur. Un cessez­le­feu est entré en vigueur
jusqu’au prochain désastre. Il est à nouveau
DES MINORITÉS question − rires nerveux − d’un retour de
l’Autorité palestinienne à Gaza, qu’elle né­
glige depuis si longtemps. On peut aussi es­
compter une nouvelle conférence de dona­
teurs. Le Qatar, l’Arabie saoudite, les Emirats
arabes unis seront invités à contribuer. Les
Gazaouis attendront une nouvelle becquée,
puisqu’on les réduit à l’état de mendiants
privés de tout droit. On jettera sur papier des
mirages éternels.
Mais, derrière ce constat déprimant, il serait
erroné de croire que les eaux demeurent sta­
gnantes. Il faut opérer une distinction entre
l’évolution des opinions publiques et l’équili­
bre des forces, entre la perception du conflit
et ses paramètres. Nous venons d’assister à
plusieurs phénomènes concomitants.
D’abord, la fin d’une séparation tradition­
nelle − psychologique et politique − entre les
territoires palestiniens occupés et ce qu’il se
passait en Israël même, à l’intérieur de la li­
gne verte. Longtemps, on a considéré les 19 %
d’Arabes israéliens comme une minorité
soumise, cherchant une place plus favorable
au soleil, tournant le dos à leurs frères de
Cisjordanie et de Gaza. Les récentes émeutes
dans plusieurs villes du pays, les actes
d’agression entre Juifs et Arabes, ont percé
cette bulle, qui permettait aux Israéliens de
se désintéresser de l’occupation, de son cor­
tège quotidien de violences, d’humiliations,
de discriminations et d’expropriations. Ce
qui se joue à présent, ce sont la cohésion na­
tionale, la nature de l’Etat hébreu et ses fron­
tières, la place des minorités. L’occupation,
ce n’est pas ailleurs, loin, derrière un mur.
C’est aussi une question intérieure.
Le deuxième phénomène est la mue de la
cause palestinienne : entre Palestiniens des
différents territoires d’abord, malgré leur
fragmentation, mais aussi aux Etats­Unis,
chambre d’écho puissante et allié central
niens et le mouvement Black Lives Matter, la
cause des Noirs. L’objectif politique d’un Etat
palestinien s’efface comme une promesse
écrite dans le sable ; la demande de droits civi­
ques, d’un opprimé à l’autre, prend le dessus.
On peut opposer deux réserves à cette asso­
ciation. Aplanissant les subtilités du conflit,
elle permet aussi − mais pas seulement − à des
pulsions antisémites de s’exprimer, ma­
quillées de façon sommaire. Ensuite, il est im­
possible de dépasser l’évidence suivante :
aucune issue n’existe à ce conflit sans Israël,
sans qu’un gouvernement y trouve un inté­
rêt, sans qu’une majorité de citoyens épouse
ce projet, plutôt que de lui préférer l’ambi­
guïté rassurante de l’occupation sans fin.
Incertitude de l’ère post-Nétanyahou
Hélas, sur le plan politique, on assiste à une
forme de glaciation. Internationale, tout
d’abord, par lassitude. Joe Biden, fort de sa
longue expérience, ne comptait guère se
consacrer à ce dossier au­delà de la gestion
de crise ponctuelle. Depuis des décennies,
les diplomates occidentaux fréquentent les
vapeurs de ce conflit comme un salon
d’opium : épuisés, ne distinguant plus
vraiment la réalité, ils emploient des ex­
pressions en boucle et cherchent la sortie.
Parfois, ils sursautent. Fin mai, Jean­Yves
Le Drian avait provoqué la colère − pré­
visible et chorégraphiée − des autorités is­
raéliennes, en expliquant que « le risque
L’emploi du mot « apartheid », même sous
forme d’hypothèse, était très inhabituel
dans la bouche d’un responsable français.
Mais, dans l’ensemble, les dirigeants euro­
péens préfèrent regarder ailleurs.
Opinions publiques en pleine mue, diplo­
mates occidentaux sans marge de manœu­
vre : à cette équation il convient d’ajouter la
politique intérieure. Chez les Palestiniens,
tout est paralysé jusqu’au départ de Mah­
moud Abbas [le président de l’Autorité palesti­
nienne]. De son côté, Israël s’engage dans l’in­
certitude de l’ère post­Nétanyahou, même si
le vétéran du Likoud ne compte pas s’effacer.
Le nouveau premier ministre − Naftali Ben­
nett − est ouvertement pro­annexion.
Mais la coalition bigarrée, constituée par le
centriste Yaïr Lapid, ne penche pas vers ces
positions extrémistes. Par sa diversité, elle
maintient un flou sur les questions existen­
tielles qui se posent à l’Etat d’Israël, même
s’il faut saluer la présence historique en son
sein d’un parti arabo­palestinien. Un tabou
est levé, un espoir se dessine, celui de dépas­
ser la stigmatisation raciste de la minorité
arabe, organisée par la droite nationaliste.
Mais cette coalition de papier, et non de
convictions, tient par son plus petit dénomi­
nateur commun : le rejet de « Bibi ». Il faut
croire à la transcendance pour l’imaginer en
promoteur courageux de l’intérêt général, de
l’égalité des droits et de la tolérance. 
piotr smolar

CHRONIQUE  | PAR JULIEN BOUISSOU LIP, LE COMBAT D’UNE VIE

L’émancipation LIVRE producteur, à part entière ; ci­
toyenne/citoyen à part entière. »
d’un défaut de démocratie. » « Le
leader ne vaut pas le collectif »,

accélérée des Saoudiennes A lui seul, il est une légende

ouvrière, la figure emblé­
matique du combat de
Lip, cette entreprise horlogère de
Besançon qui occupa le devant de
Pour Piaget, la société de demain
sera « celle d’une économie au
service de toutes et tous ; une éco­
nomie assurant des biens plus
égalitaires ; une économie respec­
martèle­t­il. Et il reconnaît ses
contradictions : « Je voulais cette
prise en charge totale de la lutte par
les groupes autonomes de ré­
flexion, de propositions et d’action.

L es chercheurs du club de ré­

flexion américain Brookings
Institution n’y ont d’abord rien
compris. Nayib Rivera, Johannes
Koettl et Sofia Gomez Tamayo ont dé­
couvert, non sans stupeur, que le taux
d’activité des femmes dans la très
conservatrice Arabie saoudite avait
bondi de 64 % en seulement deux
ans. Un phénomène d’une ampleur
rarement observée : entre 2018 et
2020, le taux d’activité des Saoudien­
nes, c’est­à­dire celles qui travaillent
ou sont à la recherche d’un emploi,
est passé de 19,7 % à 33 %.
Dans le secteur de l’hôtellerie et la
restauration, elles représentent désor­
mais 40 % de la population active. Ce
mouvement de féminisation était en­
core inimaginable il y a quelques an­
nées : c’est seulement en 2012 que les
femmes ont été autorisées pour la pre­
mière fois à travailler ailleurs que dans
des bureaux à l’abri des regards, dans
des magasins. Et pas n’importe les­
quels : uniquement dans des commer­
ces de lingerie et de cosmétiques.
Avec le lancement, en 2016, de Vision
2030, le plan de réformes économi­
ques et sociales du prince héritier
Mohammed Ben Salman, la place des
Saoudiennes dans la société change
rapidement. Les restrictions à l’emploi
de nuit ou dans le secteur industriel
sont assouplies, et elles sont plus
nombreuses à étudier. Depuis que les
femmes sont autorisées à conduire,
par exemple, il est plus facile pour el­
les d’occuper un emploi, comme l’écri­
vent les chercheurs de la Brookings
Institution dans leur article, publié en
mars. Mais cette politique n’explique
qu’en partie la féminisation spectacu­
laire de la population active.
A la mi­mai, d’autres chercheurs du
même club pensent avoir trouvé une
explication plus plausible. Celle­ci
serait l’une des conséquences – inat­
tendues – de la pandémie de Covid­19.
De nombreux migrants ont en effet
quitté le pays au premier semestre
2020, laissant leurs postes vacants. Et
LES RESTRICTIONS  d’entre eux y ont inscrit leurs épouses,
À L’EMPLOI DE NUIT OU DANS  contre 23 % dans un groupe de
LE SECTEUR INDUSTRIEL  l’opinion de la majorité. Autrement
SONT ASSOUPLIES,  sont pas tant dictés par les convictions
ET ELLES SONT PLUS  personnelles que par la crainte d’une
NOMBREUSES À ÉTUDIER
lorsque l’économie saoudienne a re­
démarré, au troisième trimestre 2020,
les entreprises se sont tournées vers
les Saoudiennes pour remplacer les
migrants indiens, philippins ou pakis­
ON FABRIQUE, 
ON VEND, 
la scène sociale à partir de
juin 1973. Face aux menaces de li­
cenciements, les ouvrières et les
ouvriers de l’usine remettent la
production en marche, sans pa­
tueuse de l’environnement et des
êtres vivants ». Militant de la
CFDT, il pratique l’unité d’action
avec la CGT, mais le conflit va dis­
tendre les liens, surtout que
Mais, en même temps, je voulais
néanmoins tout contrôler, vérifier,
car j’étais toujours inquiet. Des Lip
m’ont alors remis en place : “Tu par­
les d’autonomie et tu ne la respec­
ON SE PAIE. LIP 1973 
tanais. Elles sont plus nombreuses à de Charles Piaget tron. Leur lutte devient le sym­ Piaget ne veut pas laisser la tes pas. Laisse­nous respirer.” » Il
les remplacer que les Saoudiens, car Syllepses, bole d’une unique expérience conduite de la lutte aux syndi­ rappelle même l’épisode d’une
« elles acceptent plus facilement de tra­ 86 pages, 5 euros d’autogestion en France, qui cats et ne jure que par le « collec­ négociation avec André Giraud, le
vailler pour des bas salaires », écrivent s’achèvera par une semi­victoire tif ». Le syndicat, insiste­t­il, « doit ministre de l’industrie, où, s’étant
Jumana Alaref et Johannes Koettl dans suivie de moult péripéties. A pousser les salarié(e)s à se pren­ éloigné de la « position com­
un article publié le 19 mai. 92 ans, Charles Piaget, qui, selon dre en main, à diriger progressive­ mune », il se vit interdire de parole.
sa formule, était rentré après et ment la lutte par eux­mêmes ». Charles Piaget ne fait pas de
Cas unique au monde durant dix ans dans sa « co­ révélations. Il n’entre pas dans
Si, dans le royaume, le salaire des fem­ quille », prend la plume pour « Laisse-nous respirer » tous les détails de cette longue
mes est en moyenne 2,2 fois supé­ livrer son témoignage. Avec Pour faire plier le patron, Fred Lip, aventure. C’est un prétexte pour
rieur à celui des migrants, il reste plus humilité et franchise, il raconte, l’arme des salariés, c’est le comité livrer son acte de foi : « Egalité,
bas que celui des hommes. La fémini­ sans utiliser à aucun moment le d’action, « une sorte d’école de la sobriété, coopération, émulation.
sation de la population active saou­ mot « autogestion », son épopée. revendication concrète et de la Respect de la nature et des êtres
dienne est donc un succès en trom­ Quarante­huit ans après, la fou­ négociation » où tous sont « sur un humains. Il s’agit bien d’abolir la
pe­l’œil : il cache des inégalités gue révolutionnaire de Charles pied d’égalité ». Si le conflit a compétition, le toujours plus, les
salariales importantes. Le cas saou­ Piaget est intacte. « Le salariat, consacré sa notoriété, Charles folles inégalités, la soif de pouvoir
dien reste toutefois unique au écrit­il, n’est que la suite de l’escla­ Piaget, à l’origine très croyant, ne et de fric. » Ce qui donne de la
monde. Dans les autres pays de la vage et du servage. Il faut chan­ la recherchait pas. Bien au force à ce petit ouvrage, c’est la
planète, de nombreux emplois fémi­ ger tout cela. Changer la société contraire. « Tout leader, affirme­ sincérité de son auteur. 
nins, concentrés dans le secteur pour que chaque être humain soit t­il, homme ou femme, est le signe michel noblecourt
informel ou plus précaires, ont en ef­
fet été détruits ces derniers mois.
Reste à voir si les Saoudiennes conser­
veront leurs emplois et ne seront pas
remplacées, à terme, par les migrants,
une fois la pandémie terminée et la
Un nouveau monde | par serguei
liberté de circulation retrouvée.
Autre observation des chercheurs :
les Saoudiennes arrivées sur le mar­
ché du travail ont vite trouvé un
emploi. Alors qu’elles étaient de plus
en plus nombreuses à chercher un
travail au cours des deux dernières
années, leur taux de chômage a pour­
tant diminué, passant de 32 % à 24 %.
Comme quoi les habitudes, ou les
croyances sociales, changent vite. Ou
plutôt, elles ne sont pas ancrées dans
des pays réputés conservateurs aussi
largement qu’on pourrait l’imaginer.
En 2017, plusieurs chercheurs du
Poverty Action Lab avaient mené une
expérience intéressante en Arabie
saoudite. Ils avaient réuni un groupe
d’hommes à qui l’on apprenait que la
majorité de leurs concitoyens étaient
favorables au travail des femmes,
avant de les laisser décider d’inscrire
ou non leur épouse sur une plate­
forme de recherche d’emploi ; 32 %
contrôle qui n’était pas renseigné sur
dit, les comportements et attitudes ne
réprobation de la société, qui repose
parfois sur une perception fausse. 
0123
MERCREDI 16 JUIN 2021 0123 | 39

FRANCE | CHRONIQUE FOOTBALL : 

par fr ançoi se f re ssoz
LE SAUT DANS  800 millions d’euros, s’est révélé incapable sponsors, qui représentent un cinquième
de tenir ses engagements. A la recherche de leurs recettes. Or, pour le numéro un
L’INCONNU 
A gauche, quatre DE LA LIGUE 1
d’un diffuseur de substitution, la LFP a
tenté dans un premier temps de s’entendre
avec Canal+. Mais, face à l’inflexibilité des
mondial du commerce électronique, sa pla­
te­forme de diffusion, Amazon Prime, n’est
qu’un produit d’appel pour attirer un
vérités bonnes à dire deux parties et à la crainte du football fran­
çais d’être trop dépendant de la filiale de Vi­
vendi, les dirigeants de club ont fini par si­
maximum d’abonnés à son service de li­
vraison gratuite.
Les fans de foot répondront­ils présents à
gner avec Amazon. ce qui ressemble surtout à une offre com­
Pour le football français, il s’agit d’un saut merciale, plus qu’à la proposition d’une

O
n peut être en désac­
cord avec Arnaud
Montebourg et néan­
moins saluer la contri­
bution que le frondeur socialiste
vient d’apporter au débat public.
L’ancien ministre de l’économie,
du redressement productif et du
numérique en a apparemment
fini avec sa phase transgressive. Il
a tourné la page du quinquennat
précédent au cours duquel il ne
s’était pas contenté de critiquer le
président de la République qu’il
servait. Il s’était moqué de Fran­
çois Hollande en lui présentant,
par caméra interposée, la fameuse
« cuvée du redressement » qui al­
lait marquer, en août 2014, son dé­
part du gouvernement ainsi que
celui de Benoît Hamon et d’Auré­
lie Filippetti. L’épisode, peu glo­
rieux, restera comme l’une des
principales étapes de la déliques­
cence de la gauche gouvernemen­
tale et le point de départ de l’as­
cension d’Emmanuel Macron. Il
eût été bon qu’il le reconnaisse.
Six ans ont passé. Cette fois, la
gravité domine. Reconverti dans
la production bleu­blanc­rouge,
mais toujours intéressé par la poli­
tique, Arnaud Montebourg pointe
le double risque d’une marginali­
sation durable de la gauche et
d’une victoire de Marine Le Pen à
 ARNAUD MONTEBOURG  dans l’inconnu. D’abord, Canal+ l’a inter­
POINTE LE DOUBLE  guerre. La chaîne cryptée avait récupéré
RISQUE D’UNE  pour 332 millions, grâce à un contrat de
MARGINALISATION 
DURABLE DE 
LA GAUCHE ET D’UNE 
VICTOIRE DE MARINE  de France. Le choix d’accorder, vendredi
LE PEN EN  2022
neuve dans le dernier numéro de
la revue socialiste L’Ours (hors sé­
rie n° 94­95). « J’ai vu les différen­
tialismes émerger, qui conduisent
à penser la République comme
une mosaïque où les identités sont
fixées. Cette inflexion m’est très
vite apparue comme porteuse
d’un risque de dissolution à terme
de la nation », ajoute­t­il.
Oui, le tournant écologique que
toutes les composantes de gau­
che ont fini par prendre à plus ou
moins grande vitesse recèle en
réalité des visions du monde pro­
fondément différentes qui dé­
bouchent sur des projets difficile­
ment compatibles.
Oui, enfin, la posture populiste
de Jean­Luc Mélenchon, qui cède
désormais à la rhétorique com­
L es polémiques à répétition entre la
Ligue de football professionnel (LFP)
et les diffuseurs télé risquent bientôt
de devenir plus passionnantes que le spec­
tacle offert sur les terrains du championnat
11 juin, les droits de retransmission de l’es­
sentiel des matchs de Ligue 1 à Amazon, à la
barbe de Canal+, constitue pour le football
français un spectaculaire rebondissement.
Un de plus après la défaillance de Media­
pro, qui a plongé les clubs dans des turbu­
lences financières inédites.
La bulle spéculative autour des droits du
foot a éclaté en pleine pandémie, quand, en
octobre 2020, le groupe sino­espagnol Me­
diapro, qui avait négocié en 2018 la retrans­
mission de 80 % des matchs de Ligue 1 pour
prété comme une véritable déclaration de
en 2019 la diffusion de 20 % de la Ligue 1
sous­licence avec BeIN Sports. Elle a de quoi
se sentir lésée par rapport aux 250 millions
consentis par Amazon pour 80 % des
matchs. La LFP et Canal+ s’engagent dans
une bataille judiciaire à l’issue incertaine.
Voilà bien longtemps que les deux ne
sont plus vraiment des « partenaires » mais
des frères ennemis, qui multiplient les ac­
tions en justice et les coups bas pour pré­
server leurs intérêts respectifs devenus au
fil du temps incompatibles. Les clubs, accu­
lés sur le plan financier, n’ont trouvé
d’autre échappatoire que de se tourner vers
un diffuseur qui n’a qu’une expérience ré­
cente dans ce domaine.
C’est là que se situe la seconde inconnue.
Amazon aura­t­il la capacité d’assurer aux
clubs de Ligue 1 une exposition médiatique
suffisante ? Celle­ci est cruciale pour les
chaîne qui fait du sport sa priorité ? La ré­
ponse sera d’autant plus difficile à évaluer
qu’Amazon ne communique pas sur ses
audiences. En outre, il ne faut pas exclure
un certain ras­le­bol des passionnés, qui,
ces dernières années, n’ont cessé d’être bal­
lottés de diffuseur en diffuseur. Amazon
pourrait être celui de trop.
Quoi qu’il en soit, le géant de l’Internet a
su profiter de la passe difficile que traverse
l’élite du football français. Pour se recons­
truire sur des bases saines, celle­ci doit
maintenant s’atteler à deux chantiers. Le
premier consiste à effectuer un travail ob­
jectif d’évaluation du prix de la Ligue 1.
A trop regarder les championnats dans les
pays voisins, beaucoup plus attractifs, la
LFP s’est laissé entraîner dans une spirale
qui l’a conduite à ne plus être maîtresse de
son destin. Le second chantier consiste à
bâtir un modèle économique moins dé­
pendant des droits de retransmission. L’at­
terrissage risque d’être brutal, mais la LFP a­
t­elle le choix ? 

l’élection présidentielle de 2022.
De la recomposition politique
en cours il retient l’affrontement
entre un « bloc bourgeois » in­
carné par Emmanuel Macron et
un « bloc réactionnaire » conduit
FESTIVAL
plotiste pour camper coûte que
coûte le candidat antisystème, est
devenue problématique pour le
reste de la gauche. Est­il encore
dans la République ou s’emploie­
t­il à la dynamiter ? Qu’il ait fallu

par la présidente du Rassemble­
ment national. Pour tenter de des­
serrer l’étau, il se propose de cons­
truire un troisième bloc républi­
cain susceptible de stabiliser un
corps central composé des classes
moyennes et populaires. Son of­
INTERNA-
attendre le mois de juin 2021 pour
que quelqu’un, à gauche, ose
émettre ces quatre vérités mon­
tre l’ampleur du drame.
Paresse et petits calculs
La gauche est en pleine confusion.

fre politique s’inscrit dans les
canons traditionnels de la politi­
que : affirmation d’une vision,
puis construction d’un projet.
Tout le contraire du brouhaha am­
biant fait d’invectives, de provoca­
TIONAL
Pire, elle s’y complaît. Aucun bilan
sérieux n’a été tiré du précédent
quinquennat, sans doute parce
qu’il eût fallu pour cela que cha­
cun balaie devant sa porte. Per­
sonne n’y était prêt. Ni d’ailleurs à

tions ou de silences coupables.
Les délais impartis – il reste
moins d’un an avant la présiden­
tielle –, autant que les conditions
posées – rompre avec Jean­Luc Mé­
lenchon, accepter un aggiorna­
mento autour des questions de sé­
DE JOUR-
réaliser que l’élection d’Emma­
nuel Macron en 2017 signifiait
autre chose qu’un simple accident
qu’il serait facile de surmonter en
collant au front du nouvel élu l’éti­
quette de « président des riches ».
La paresse a pris le dessus, sans

NALISME
curité et d’immigration, se mettre compter les petits calculs électo­
au clair sur le nucléaire ou encore raux qui tantôt poussent au ras­
sur l’Europe, etc. –, rendent la mis­ semblement de toute la gauche,
sion tout à fait impossible. L’inté­ tantôt à l’ostracisation de Jean­
rêt de la tribune réside donc Luc Mélenchon. Lorsque Anne Hi­
moins dans la perspective qu’elle dalgo, la maire de Paris s’offusque
tente d’ouvrir que dans les quatre (au demeurant mollement) des
vérités qu’elle assène à son camp. propos complotistes du leader de
Oui, la gauche, comme d’ailleurs
la droite, s’est considérablement
La France insoumise, la candidate
qu’elle soutient en Ile­de­France,
9, 10, 11 juillet 2021
affaiblie ces dernières années en Audrey Pulvar, se garde d’en ra­
se coupant de l’électorat populaire jouter : elle pourrait avoir besoin
qui vote d’abord pour Marine Le
Pen lorsqu’il ne s’abstient pas. Sa
des voix des « insoumis » lors du
second tour des élections régio­ Couthures-sur-Garonne
reconquête devrait être affichée nales. Comprenne qui pourra.
comme une priorité absolue au Sur cette ambiguïté fondamen­
nom de l’idée de progrès qu’elle a tale s’en greffent beaucoup
toujours portée. d’autres, alimentées par la com­
Oui, le combat libéral et sociétal pétition de plus en plus vive entre
que la gauche a mené au nom Verts et socialistes qui prétendent
de la défense des minorités a fini l’un et l’autre au leadership du
par affaiblir sa capacité à porter
un discours universaliste. « A la
camp réformiste, mais sur un rap­
port au progrès et sur une con­ REJOIGNEZ-NOUS CET ÉTÉ !
fin des années 1980, beaucoup de ception à la République si flot­
camarades considèrent que l’uni­ tants qu’à ce stade aucune vision
versalisme doit composer, parfois commune n’a pu émerger. festivalinternationaldejournalisme.com
même s’effacer face au “droit à Dans L’Ours, toujours, l’historien
la différence’’ », raconte l’ancien Alain Bergounioux met sur le
premier ministre Bernard Caze­ compte de l’affaiblissement des
partis politiques qu’il déplore l’im­ U N É V É N E M E N T PA R R A I N É PA R L E G R O U P E L E M O N D E
passe programmatique actuelle.
La quasi­disparition du PS en tant
AUCUN BILAN SÉRIEUX  qu’émetteur de projets est de fait
significative. L’époque, souligne­
N’A ÉTÉ TIRÉ DU  t­il, est « à la confrontation de
PRÉCÉDENT  personnalités… sur les enjeux du
moment, sélectionnés par les mé­
QUINQUENNAT SANS  dias. Pire même, la politisation se
fait, souvent, de manière négative,
DOUTE PARCE QU’IL EÛT  la dénonciation des autres can­
FALLU QUE CHACUN  didats devenant la norme. » Raison
de plus pour savourer le moment
BALAIE DEVANT SA PORTE Montebourg. 
LOUIS VUITTON
DEFILE CRUISE
15JUIN2021
14H00
DECOUVREZ SUR
LOUISVUITTON.COM

#LVCRUISE