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THÈME PHARE – LES ULTRAPAUVRES

La Déclaration de Paris peut-elle


aider à lutter contre la pauvreté ?
Les 450 millions de petites exploitations agricoles (de deux hectares maximum) que compte
le monde sont souvent des producteurs efficaces avec un bon rendement par hectare et
pourraient être encore plus productifs et fournir du travail et des revenus aux hommes et femmes
extrêmement pauvres dans tout le monde en développement. Les engagements de la Déclaration
de Paris peuvent-ils les aider ?

En 2005, la Déclaration de Paris a • appropriation, cace à accroître les dépenses dispo-


marqué un tournant dans la formali- • alignement, nibles pour le tiers le plus pauvre de
sation et le recentrage des efforts pour • harmonisation, la population que les investissements
le développement d’un plan d’action • gestion axée sur les résultats, dans le reste de l’économie (Banque
international visant à améliorer l’ef- • responsabilité mutuelle. mondiale : RDM 2008).
ficacité de l’aide et sa contribution Comme l’indique le Rapport sur le
au développement. Fruit de la crise développement dans le monde (RDM)
L’agriculture :
de confiance en l’aide qui a grandi 2008, le développement macroécono-
un indicateur clé de l’efficacité
dans les années 90, reconnue par mique des économies basées sur l’agri-
de la Déclaration de Paris
les donneurs, les pays partenaires, culture, soit la majorité des nations
les citoyens et la société civile, elle L’agriculture offre d’importantes en développement, est stimulé par le
a convenu de la nécessité d’actions perspectives dans l’application des développement de l’agriculture. Pour-
jointes, fondées sur une série d’« enga- engagements de partenariat de Paris, tant, la proportion de l’aide publique
gements de partenariats » entre pays et à la fois en tant que secteur disposant au développement destinée à l’agricul-
« partenaires » afin de rendre l’aide, d’un potentiel d’effet majeur sur la
et plus largement les efforts de déve- réduction de la pauvreté et en tant que
Les donneurs doivent développer leurs
loppement, plus efficaces, et d’at- secteur recevant de l’aide. Il est empi- programmes de soutien au secteur
teindre les Objectifs du Millénaire riquement prouvé que la croissance agricole en s’alignant sur les stratégies
pour le Développement (OMD) fixés agricole est au moins 2,5 fois plus effi- nationales.
ensemble. La déclaration engagea à
la fois les pays et leurs organismes
à continuer à augmenter les efforts
d’harmonisation, d’alignement et de
gestion axées sur les résultats avec des
actions et des indicateurs à suivre. Les
56 engagements de partenariat s’arti-
culent autour des cinq principes clés
suivants :

Brian Baldwin
Président, Comité de coordination,
Plateforme mondiale des donneurs
pour le développement rural et
Conseiller principal pour la gestion
des opérations,
Fonds international pour le
développement de l’agriculture
Photo : IFAD

Rome, Italie
B.Baldwin@ifad.org

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ture a chuté en dessous de 3 pour cent tation des budgets qui en découle au
Les sources de financement
alors qu’elle représentait 18 pour cent niveau législatif pour l’agriculture (de
du total de l’aide en 1979. subsistance) et le développement rural, Au fil du temps, les fondations privées
les questions hommes/femmes et l’envi- et les philanthropes sont devenus
d’importantes sources de financement
1. Appropriation : « Les pays parte- ronnement. En général, il manque une
et d’investissement dans l’agriculture
naires exercent une réelle maîtrise sur ligne directrice clairement définie entre
africaine. Dans le même temps, la
leurs politiques et stratégies de dévelop- les stratégies de réduction de la pauvreté Chine, le Brésil et l’Inde sont subite-
pement et assurent la coordination de et les stratégies sectorielles, avec pour ment devenus des partenaires fiables
l’action à l’appui du développement » conséquence une faible intégration en matière d’investissement agricole.
Les populations rurales ayant du mal des priorités sectorielles aux processus A ce titre, le financement pour le
à se faire entendre et étant mal représen- (budgétaires) nationaux. En Tanzanie, développement devrait reconnaître la
tées dans les processus nationaux, on l’engagement des donneurs à s’aligner diversité des partenaires financiers :
note des déviations politiques condui- comme principe de base s’est avéré fondations publiques et privées ;
donneurs traditionnels ; rôle d’entités
sant à des distorsions et à de graves fos- un bon instrument pour sortir les don-
philanthropiques telles que l’AGRA,
sés en termes d’appropriation (étude neurs et le gouvernement de moments et notamment utilisation productive
Platform CSO). La faiblesse des insti- difficiles et même de confrontations des dons de la diaspora (atteignant
tutions rurales, la participation rurale lors de la progression de la stratégie plus de 300 milliards de dollars US et
limitée et le défaut de confiance entre d’assistance conjointe (Joint Assistance dépassant l’aide publique au dévelop-
gouvernements et organisations de la Strategy, JAS). pement (l’APD) dans certains pays).
société civile ont créé des « fossés » L’influence de ces nouveaux donneurs/
d’appropriation dans la formulation des 3. Harmonisation : « Les actions des acteurs sur l’efficacité collective du
soutien des donneurs à l’agriculture
politiques, les stratégies et les affecta- donneurs sont mieux harmonisées et
doit donc faire l’objet d’une analyse et
tions de ressources, discriminant sou- plus transparentes, et permettent une
d’une réflexion plus poussées.
vent les parties prenantes rurales. plus grande efficacité collective »
Dans plusieurs pays (Ghana, Kenya, Dans les pays ou des JAS et des
Ouganda, Zambie et Tanzanie), les SWAps (approches sectorielles, de rurales. Les déclarations politiques en
stratégies d’assistance conjointe (« Joint l’anglais « sector-wide approaches ») matière d’harmonisation ne sont pas
Assistance Strategies », JAS) incluant le ont été initiées par des pays partenaires accompagnées de changements de
secteur agricole ont été menées par le (Honduras, Mozambique, Nicaragua, processus internes adéquats et de mesu-
gouvernement. Au Mozambique, en Ouganda, Vietnam, Tanzanie, Ghana, res incitatives de la part des donneurs
Tanzanie, au Vietnam, au Nicaragua Kenya et Zambie) pour le secteur agri- comme des partenaires du développe-
et en Bolivie, les stratégies de réduc- cole, les donneurs bilatéraux et multila- ment. Cela a été l’un des points clés des
tion de la pauvreté sont en place et des téraux ont développé leurs programmes débats du Forum de haut niveau d’Accra
stratégies sectorielles sont en cours de de soutien en s’alignant sur ces straté- qui s’est tenu en septembre 2008.
développement. Toutes les politiques gies nationales. Cela a facilité l’utili-
doivent réfléchir sur les choix poli- sation des systèmes nationaux pour la 4. Gestion axée sur les résultats :
tiques, difficiles (par exemple entre gestion financière et l’approvisionne- « Gérer les ressources et améliorer le
consommateurs et producteurs ou sec- ment national. Toutefois, des concepts processus de décision en vue d’obtenir
teurs), le besoin d’un plus grand dialo- clairs font encore défaut pour que les des résultats »
gue entre parties prenantes et minis- donneurs agissent en harmonie avec le Dans le monde entier, budgets serrés
tères et l’amélioration des capacités secteur de l’agriculture ; par exemple, il et citoyens exigeants mettent de plus en
nécessaires pour ces choix politiques. est nécessaire de distinguer le dévelop- plus les gouvernements sous pression,
pement rural en tant que domaine spé- qui doivent montrer qu’ils utilisent bien
2. Alignement : « Les donneurs font cifique et le développement agricole en l’argent. Les parties prenantes poussent
reposer l’ensemble de leur soutien sur tant que secteur économique. les gouvernements des pays partenaires
les stratégies nationales de développe- Il faut également se préoccuper du et les agences de donneurs à prouver les
ment, les institutions et les procédures fait que le temps et les ressources impli- résultats et l’efficacité de l’aide. La ges-
des pays partenaires » qués dans l’élaboration de l’architecture tion axée sur les résultats du dévelop-
Cet aspect fondamental de la Décla- de processus ne font que grever encore pement constitue la base cruciale qui
ration de Paris reconnaît les difficultés davantage une fonction publique déjà fait de cette relation mutuelle une réa-
causées par les niveaux élevés de contri- faible et cela au prix de garantir que lité. La définition de cibles en matière
butions internationales non alignées qui les ressources nouvelles et existantes de performances agricoles au niveau
déséquilibrent souvent la définition des fournissent des services et des investis- national demeure une condition clé de
niveaux de priorité du pays et l’affec- sements plus efficaces dans les zones l’évaluation de la progression vers les

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cibles agricoles et de la justification des


L’effet de la crise du prix des aliments
allocations d’aide par les donneurs. La
société civile peut jouer un rôle impor- Pour exploiter leur potentiel, les petits paysans ont besoin d’aide. En effet, nom-
tant dans la définition et le suivi de ces bre d’entre eux sont des acheteurs nets de produits alimentaires. Or, le coût des
cibles. Le développement des capacités fertilisants et d’autres intrants importants a augmenté, alors que le prix plus élevé
des aliments ne se répercute pas au niveau de la ferme où de nombreux fermiers
au niveau des pays partenaires et la sen-
pauvres doivent pourtant vendre. Pour accroître leurs récoltes, ils doivent recourir au
sibilisation politique sont les principaux microcrédit pour acheter les fertilisants, les graines et les outils indispensables car ils
éléments du soutien futur. doivent avoir accès à la technologie pour stimuler leur productivité. Par ailleurs, ils
sont nombreux à dépendre d’une terre qu’ils ne possèdent pas vraiment. Aujourd’hui
5. Responsabilité mutuelle : « Les que cette terre prend de la valeur, il leur faut un faire valoir sûr mais aussi un accès à
donneurs et les pays partenaires sont l’eau, aux routes et aux informations sur les marchés afin de connaître les meilleurs
responsables des résultats obtenus en prix de ce qu’ils vendent. Tout cela requiert l’utilisation efficace de l’aide et souligne
matière de développement » la nécessité que les donneurs « alignent » leurs interventions en « harmonie » avec les
La Déclaration de Paris reconnait plans nationaux (appropriation) et garantissent que les « résultats » escomptés soient
clairement énoncés et réalisables. Ainsi, la « responsabilité mutuelle » sera assurée et
que pour que l’aide devienne vérita-
des résultats pourront être obtenus.
blement efficace, des mécanismes de
responsabilité mutuelle plus forts et
plus équilibrés sont requis à différents La responsabilité mutuelle nationale des cité de l’aide. Accra a ainsi reconnu la
niveaux. Au niveau international, la gouvernements des pays partenaires et nécessité d’élargir le dialogue à de nou-
Déclaration de Paris constitue un méca- des agences de donneurs envers leurs veaux acteurs, hors du modèle classique
nisme pour lequel donneurs et béné- publics respectifs est complétée par la donneur-gouvernement. Toutefois, de
ficiaires de l’aide sont tenus mutuel- responsabilité mutuelle des donneurs façon fondamentale, pour accélérer
lement responsables et dans lequel la et des bénéficiaires. Dans l’agricul- l’évolution de la Déclaration de Paris,
conformité dans le respect des engage- ture cependant, les organisations de la il faut une maîtrise politique de cha-
ments fait l’objet d’un suivi public. Au société civile ne sont pas suffisamment que côté afin de tracer une voie pour la
niveau national, la Déclaration de Paris impliquées dans le processus d’évalua- poursuite d’une action internationale
encourage les donneurs et partenaires tion de la responsabilité du donneur sur l’efficacité de l’aide.
à évaluer jointement la progression ou du pays partenaire et il n’existe pas La Déclaration de Paris perdurera
de chacun dans la mise en œuvre des d’autres lieux d’expression en dehors du ou s’effondrera selon que ses résultats
engagements convenus sur l’efficacité processus parlementaire. En outre, hor- bénéficieront ou non aux gens, et parti-
de l’aide en utilisant au mieux les méca- mis les protocoles d’accord des appro- culièrement à ceux d’une extrême pau-
nismes locaux. En outre, les donneurs ches sectorielles (SWAps), rares sont les vreté, dans les pays partenaires (Rap-
et les bénéficiaires de l’aide s’obligent initiatives visant à établir des paramètres port intermédiaire sur l’évolution de
mutuellement à prouver qu’ils tiennent de performance et de prestation des l’efficacité de l’aide, 2 juillet 2008).
leurs engagements et leurs promesses. donneurs et des pays partenaires. Elle a en tous cas déplacé le débat
sur l’efficacité de l’aide et autonomisé
les pays partenaires ayant la capacité
Après Accra
et le désir de jouer un rôle de maî-
Le troisième Forum de trise plus grand dans le travail avec les
haut niveau sur l’effica- donneurs. Elle a créé un ensemble de
cité de l’aide qui s’est normes et d’objectifs faisant autorité et
tenu à Accra en septem- servant d’étalon dans l’évaluation des
bre 2008 avait pour but pratiques de tous les donneurs et des
de faire le point sur la pratiques de gestion de l’aide des gou-
façon dont la Déclaration vernements des pays partenaires. Elle a
de Paris avait progressé aidé ces derniers tirer les donneurs vers
pour améliorer l’effica- des standards de pratique plus élevés et
autonomisé les réformateurs dans les
agences de donneurs. Enfin, elle a créé
un ensemble d’engagements sur les-
La crise du prix des
quels partenaires et donneurs peuvent
aliments exige encore
être appelés à rendre des comptes par
Photo : IFAD

plus d’« alignement » et


d’« harmonisation » dans les parlements, les citoyens informés et
l’utilisation de l’aide. les organisations de la société civile.

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