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L’Afrique face aux défis

de la mondialisation
Mohamed Daouas

L
A MONDIALISATION est multidimensionnelle miques (OCDE) se soient engagés à consacrer 0,7 % de leur
et touche tous les domaines de la vie économique, PIB à l’aide publique au développement, les versements n’en
culturelle, environnementale et sociale — jus- représentent en moyenne que 0,25 % actuellement. En valeur
qu’aux relations entre les États et les nations des absolue, la différence entre le montant engagé et le montant
cinq continents. effectivement versé se chiffre à 100 milliards de dollars par an.
La mondialisation se caractérise surtout par l’intensification Face à ce constat, il nous appartient d’examiner les diffé-
des relations par-delà les frontières, favorisée par une libérali- rentes facettes de la mondialisation, d’évaluer ses bienfaits et
sation rapide et les progrès des technologies de l’information, ses risques, à la lumière des récents événements écono-
dans les domaines du commerce, des flux financiers et de l’in- miques et financiers qui ont secoué différentes parties du
vestissement direct étranger. Tout cela a contribué à faire de la monde et diverses économies des plus riches et des plus
poursuite du développement et de la préservation de la stabi- pauvres. Cette approche devrait permettre d’améliorer les
lité interne et externe des tâches aussi difficiles que délicates. chances de succès d’une intégration sans heurt de l’Afrique
D’un côté, la mondialisation offre des promesses de croissance à l’économie mondiale.
du commerce et de l’investissement international; de l’autre, En dépit d’un environnement international parfois dé-
elle accroît les risques d’instabilité et de marginalisation. favorable, ponctué de catastrophes naturelles qui ont affecté
un grand nombre de pays de la
La mondialisation région, l’Afrique a enregistré dans
et l’Afrique l’ensemble des taux de croissance
Si la globalisation a concouru au relativement satisfaisants au cours
cours des dernières années à une des dernières années. Tandis que
plus forte croissance et à la richesse, seulement 18 pays de la région affi-
ce constat ne s’étend pas à l’en- chaient une croissance de 3 % ou
semble des continents et des pays. plus en 1992, on en compte 30 au-
Dans les moins développés d’entre jourd’hui, qui œuvrent à une amé-
eux, et en particulier en Afrique, la lioration sensible du PNB par habi-
dégradation des déséquilibres exis- tant tout en maîtrisant l’inflation.
tants a fait entrave au développe- Mais cette performance a été réa-
ment et aggravé la pauvreté. La mar- lisée au prix de réformes structu-
ginalisation de ces pays se reflète relles coûteuses qui ont le plus sou-
dans leur faible part du commerce vent fragilisé les couches sociales les
(2 % à peine), de la production plus vulnérables.
(guère plus élevée) et de l’investisse- En outre, l’Afrique est encore
ment mondial (1 %). loin d’atteindre son objectif d’un
Cette situation est aggravée par un taux de croissance supérieur à 7 %
niveau d’endettement extérieur in- par an, indispensable pour aligner
soutenable et par les promesses non son niveau de vie sur celui des
tenues d’aide publique, à un mo- autres pays en développement. Cet
ment où la plupart des pays ne objectif n’est pas hors d’atteinte
peuvent pas poursuivre leurs efforts pour les pays d’Afrique, mais ils ne
de réforme et de développement sans pourront y parvenir qu’en s’inté-
appui financier. Bien que les pays grant à l’économie mondiale et en
membres de l’Organisation de déve- accélérant les réformes avec deux
loppement et de coopération écono- objectifs fondamentaux :

4 Finances & Développement / Décembre 2001


• créer les conditions les plus propices
«L’action de l’État solider la mise à niveau de leurs économies
à l’investissement privé en favorisant une doit se recentrer sur au rang mondial, le développement d’un
plus grande ouverture des échanges inté- partenariat qui assurerait non seulement
rieurs et extérieurs; le développement l’introduction de know-how au niveau lo-
• rendre l’économie nationale plus effi- cal, mais aussi une valeur ajoutée qui met-
ciente en redéfinissant le rôle de l’État et en social du pays, trait les produits du continent au niveau de
réformant la fonction publique pour amé- la demande et de la concurrence interna-
liorer le climat des affaires, et en instaurant notamment la santé tionales. Enfin, ce soutien pourrait égale-
un cadre juridique et réglementaire trans- ment se traduire par la concrétisation des
parent, à même d’encourager l’investisse- et l’éducation.» engagements financiers pris pour réduire
ment privé. L’action de l’État doit se re- la pauvreté.
centrer sur le développement social du Nous ne devons pas négliger les efforts
pays, notamment la santé et l’éducation, des instances internationales, garantes du
afin de combler l’important déficit qui caractérise la plupart système économique mondial, pour contenir les risques de la
des pays africains sur ces deux volets. mondialisation tout en améliorant le niveau de vie pour tous
Le secteur financier, vecteur essentiel pour la conduite et la et en développant les opportunités. L’objectif primordial de
réussite de ces réformes, doit être inclus dans tout pro- ces institutions est d’assurer une croissance saine et durable,
gramme. L’assainissement, la restructuration et la moderni- sans choc majeur, et de réduire ainsi la pauvreté. Plus parti-
sation du secteur bancaire ainsi que le développement des culièrement, le FMI et la Banque mondiale doivent continuer
marchés de capitaux et des institutions financières sont im- à travailler conjointement à la mise en œuvre d’une stratégie
portants. Mais pour assurer le succès des réformes, compte participative de réduction de la pauvreté. Ils doivent aller au-
tenu des expériences passées, ce programme doit être adapté delà de la promotion d’une discipline macroéconomique, de
aux spécificités propres de l’environnement économique et la libéralisation et de la limitation du rôle de l’État dans
social, aux priorités et au développement de chaque pays. l’économie pour pousser les réformes dans les domaines liés
au renforcement de l’environnement institutionnel, en par-
Le rôle des partenaires ticulier les règles de marché, de droit et de bonne gouver-
dans le développement nance, en vue de parvenir à une convergence des textes et des
Si la réalisation des objectifs de réforme et de développement institutions entre pays en développement et pays développés.
relève en premier lieu et exclusivement de la responsabilité des Les institutions internationales doivent œuvrer ensemble à la
pays africains eux-mêmes, il est néanmoins du devoir de la réalisation de l’objectif unique qui est de faire de la mon-
communauté et des organisations internationales de soutenir dialisation un processus d’intégration, et non pas d’exclu-
leurs efforts. Si la volonté manifeste de notre continent de se sion. Les récentes crises financières en Asie du Sud-Est, en
mettre à niveau et d’adhérer à l’économie mondiale se con- Amérique latine et en Russie sont autant de signes qu’il est
jugue avec une détermination plus forte des pays industrialisés urgent de renforcer la cohésion des programmes des diffé-
d’honorer leurs engagements et d’ouvrir leurs marchés, avec rentes institutions.
l’appui des organisations tant régionales qu’internationales, Enfin, l’intégration régionale et l’intensification de la
nous pourrons arriver à renforcer la croissance et à réduire la coopération économique constituent également un axe im-
pauvreté, et à établir ainsi le fondement de la stabilité poli- portant pour l’insertion de l’Afrique dans l’économie in-
tique, économique et sociale. ternationale. En effet, à l’heure où prédomine la mondia-
Les pays partenaires pourront appuyer les efforts des pays lisation et où les regroupements régionaux, politiques et
africains tout d’abord en donnant libre accès sur leurs mar- économiques, représentent les principales forces influentes
chés aux exportations de ces derniers, ce qui permettra plus sur la scène mondiale, il appartient aux dirigeants africains
particulièrement aux pays pauvres très endettés de mieux d’approfondir ces mécanismes d’intégration, notamment
s’intégrer au système commercial mondial. L’abolition des en développant des liens verticaux et horizontaux à l’échelle
barrages frontaliers devrait, selon certaines études, engendrer du continent au-delà des sensibilités ethniques ou ré-
des flux de recettes représentant trois fois l’aide extérieure gionales. L’élargissement des zones de libre-échange et la
fournie aux pays en développement. Ceci nous amène au promotion de projets de développement conjoints en sont
point crucial relatif à la disponibilité des ressources, jusque-là deux exemples.
insuffisantes pour bon nombre de pays africains : l’allégement Nos organisations régionales doivent être traitées comme
de leur dette extérieure, par annulation ou restructuration, des instruments de facilitation de l’intégration des pays d’Afrique
permettrait à ces pays d’épargner des ressources qui seraient dans l’économie mondiale en améliorant l’accès des produc-
affectées à l’investissement productif, générateur de crois- teurs africains aux marchés régionaux. Elles ne doivent ni se
sance et de justice sociale. limiter à la protestation, ni s’ériger en forteresses protection-
Par ailleurs, l’appui de ces mêmes partenaires pourrait se nistes contre la mondialisation, mais développer des pro-
concrétiser par l’encouragement des flux de capitaux privés grammes et des stratégies pour consolider davantage la cohé-
vers nos pays, notamment sous forme d’investissement direct, sion régionale. F&D
non générateur de dette et qui contribue à la création d’em-
plois et au transfert de technologie. En effet, les richesses na- Mohamed Daouas est le Gouverneur de la Banque centrale
turelles et minières des pays africains nécessitent, pour con- de Tunisie.

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