Vous êtes sur la page 1sur 21

Conférence syndicale sur « 

la crise mondiale et l’efficacité de l’Aide.


Nouvelles approches pour le développement. »

« L’AFRIQUE FACE À LA
CRISE MONDIALE »
Par Octave Nicoué K. BROOHM
Ministre du Travail, de l’Emploi
et de la Sécurité Sociale du Togo
Introduction
S’il est vrai que les crises font partie des leviers essentiels qui
font évoluer les peuples et les sociétés, il est tout aussi vrai
qu’elles comportent en elles des facteurs de contagion qui
passent au travers des frontières et barrières économiques,
financières, douanières, sociologiques. La crise mondiale actuelle
est l’illustration de l’interdépendance des économies du monde et
surtout de l’idée de communion et même de communauté des
risques et des dangers. On peut alors paraphraser la déclaration
de Philadelphie pour dire : Les risques, quels qu’ils soient et où
qu’ils soient, constituent un danger pour tous. C’est ce principe
ou cette réalité qui explique le fait que l’Afrique, aussi loin des
spéculations suicidaires boursières, aussi éloignée des artifices
économiques et financiers a dû subir les conséquences
ravageuses d’une crise mondiale d’une telle ampleur.
Elle doit pouvoir réagir et pro-agir pour en juguler les
conséquences si elle veut se maintenir avec dignité et efficacité
dans le concert impitoyable des Nations où les préceptes de
solidarité ne sont pas les plus valorisés. Comment a-t-elle réagi
ou doit-elle réagir ? La réponse à cette question passera par la
maîtrise des impacts de la crise sur l’Afrique, les défis qu’elle a
engendrés pour le continent et les conditions minimales pour la
réussite de toute riposte contre cette crise. L’affinement de la
réponse sera envisagé en fin de compte à travers le concept de
travail décent comme solution pertinente à la crise.
I – L’IMPACT DE LA CRISE SUR LE CONTINENT
AFRICAIN
La crise mondiale qui a été financière, économique et sociale a eu
des effets néfastes sur la société africaine dans beaucoup de
domaines. Les secteurs les plus touchés sont : l’aide au
développement, les transferts directs de la diaspora, les
investissements étrangers, les réformes structurelles économiques
et financières, les prix, l’emploi et les équilibres sociaux.

 En ce qui concerne l’aide au développement, elle s’est


drastiquement amenuisée parce que l’effort que doivent fournir les
pays développés pour gérer la crise chez eux ne leur permet pas ou
plus de répondre aux sollicitations et aux obligations en matière
d’aide. Leurs secteurs bancaire et financier en crise avaient même
des difficultés pour gérer l’aide avec les anciens paradigmes ; en
plus ils n’avaient pas une vision claire des choses pour asseoir de
nouveaux schémas de gestion de l’aide.
 Quant aux transferts directs venant de la diaspora, ils se
sont tassés à un niveau très bas réduisant ainsi le flux global
monétaire à destination du continent africain. La rareté de ces
fonds de transfert qui constituent des soutiens importants aux
secteurs tels que le bâtiment, les micro et petites entreprises,
les institutions de micro-finances et de micro-assurances a fait
basculer lesdits secteurs dans un marasme sans précédent.
Beaucoup de ménages vivaient de ces transferts comme revenu
de complément. Ils ont donc vu leur situation subitement
précarisée du fait du tarissement de cette source de revenu.
 Les investissements étrangers vers l’Afrique ont connu un
ralentissement sensible parce que les besoins se sont amplifiés en
occident et les perspectives économiques incertaines
n’encourageaient pas les rares volontés qui avaient encore des
disponibilités en termes de capitaux à investir. Les grands groupes
financiers devenus frileux n’osaient pas s’aventurer dans une
Afrique ou la visibilité en matière de croissance est devenue floue.
 

 Pour les réformes économiques structurelles en cours sur le


continent africain, elles ont connu un ralentissement substantiel
créant un attentisme et même une inquiétude quant à leur durabilité
et leur pertinence. La tendance extravertie de nos économies a
enregistré une baisse sans que l’élan introverti n’apparaisse. Les
finances publiques déjà fragilisées ont connu une déroute due aux
efforts exceptionnels qu’elles doivent fournir pour réduire les
déséquilibres au niveau des grands agrégats économiques.
 En matière de prix, l’on a assisté à une inflation sans précédent et
à une flambée des prix des produits de première nécessité. Le
pouvoir d’achat des masses laborieuses s’est ainsi érodé alors que
les besoins et les charges se sont accrus. Des familles entières ont
ainsi vu leur vie se dégrader au fil des ans. La crise énergétique
(pétrole, gaz et électricité) est venue aggraver la situation des
ménages qui sont obligés d’opter pour des solutions de survie avec
tout ce que cela comporte comme privations et misère.
 

 Le secteur emploi a été durement touché. Les acteurs de


l’économie informelle ont perdu leurs affaires ; beaucoup
d’entreprises ont soit fermé, soit procédé à des restructurations avec
suppression des postes, soit suspendu le fonctionnement de branches
importantes de leurs activités. Le taux de chômage et de sous-
emploi a connu une hausse inquiétante laissant en marge de la
société des milliers de jeunes prêts à offrir leur force de travail.
Les équilibres sociaux se sont rompus ou altérés par endroit
exacerbant les inégalités et générant des exclusions de plus en
plus pernicieuses pour la survie du groupe qui n’a souvent pas
l’énergie nécessaire pour inventer à lui seul des solutions
adéquates et durables. Les formes de solidarités traditionnelles,
les embryons de système moderne de protection sociale ont été
mis à mal tant dans leur fondement que dans leur
fonctionnement.
Toutes ces influences négatives ont eu pour conséquences
finales : le ralentissement de la croissance économique et du
progrès social sur le continent, la remise en cause des
modèles économiques en vigueur, la fragilité des équilibres
sociaux, la remise en cause de la paix sociales, civile et
politique. Cette situation qui engendre de nouveaux défis,
exige un repositionnement global intégrant le social et
l’économique dans une perspective plus réelle que spéculative.
II – LES DÉFIS DE L’AFRIQUE FACE À LA CRISE

Les anciens défis de développement se sont actualisés


et de nouveaux défis sont nés pour cette Afrique en
quête d’une voie nouvelle et rassurante pour son
avenir dans le cheminement global de l’humanité vers
de lendemains meilleurs. Ces défis sont entre autres :
une meilleure gouvernance, une intégration
politique, économique et sociale plus féconde, un
réarmement philosophique et sociologique plus
authentique.
 En ce qui concerne la gouvernance, il faut noter que les
multiples crises que les Nations africaines ont connues
relativement à leur développement ont été pour la plupart,
des crises d’objectifs et de résultats. Pendant longtemps,
l’on s’est contenté d’un mimétisme stérile ou d’un
conformisme nuisible aux intérêts des peuples. Soit l’on n’a
pas vraiment su définir avec rigueur et lisibilité la vision et
les objectifs de développement, ou l’on n’a pas réussi à
déterminer avec précision les voies par lesquelles l’on
pourra les réaliser. Les approximations, les navigations à
vue, les tâtonnements ont caractérisé la gestion de nos Etats
d’Afrique pendant plusieurs décennies.
 Que ce soit dans le domaine politique, économique
ou social, l’orthodoxie qui devrait présider au choix
des options de développement n’a pas toujours été
de règle. Aujourd’hui plus que jamais, l’Afrique,
pour juguler la crise qui n’est peut-être que
l’annonciatrice d’enjeux nouveaux pour notre
humanité en quête de grandeur et de noblesse, doit
revoir sa pratique de la gestion des affaires
publiques et de définition des grandes orientations.
 La gouvernance politique, la gouvernance économique, la
gouvernance sociale et la gouvernance administrative doivent
prendre racine sur la terre africaine avec tout ce qu’elles
impliquent comme rigueur et rationalité, comme participation
et concertation, comme compte rendu et responsabilité, comme
partage et équité, comme transparence et lisibilité. Il ne s’agit
pas seulement de prendre son destin en main mais surtout de
définir comment prendre en main ce destin. Bref, il faut un
leadership nouveau pour une Afrique debout et prospère. Un
des aspects particulier de cette nouvelle gouvernance et sur
lequel il est utile d’insister est la participation citoyenne dont
la forme la plus pertinente est le dialogue social.
 Le défi de l’intégration régionale apparaît ici, non plus
comme un slogan ou une idéologie mais comme une
stratégie de développement. Il s’agira d’aller avec
courage et détermination au-delà de la balkanisation
réalisée par l’histoire pour créer une Afrique sociale et
économique sans frontières internes, une Afrique
mettant en valeur toutes ses potentialités qui se
complètent si avantageusement, une Afrique qui profite
de toutes les opportunités que lui offrent sa sociologie,
ses traditions et ses valeurs humaines, une Afrique une
et unifiée avec des politiques publiques régionalisées
cohérentes et adaptées à ses réalités.
 Ce ne sont pas les ressources humaines qui manquent
en Afrique, ce ne sont pas non plus les ressources
minières et moins encore les ressources énergétiques
qui manquent. Il en est de même des atouts
géographiques, géologiques, environnementaux et
même climatiques. La mise en commun de ces
patrimoines, dans une approche intégrative
responsable et cohérente est une opportunité réelle
sur le chemin vers l’épanouissement de l’homme
africain.
 L’autre défi que soulèvent les préoccupations de l’heure réside
dans un réarmement philosophique et sociologique plus
authentique. Ce réarmement constitue une condition de réussite
tant pour la définition des options stratégiques que pour la
détermination des moyens pour les mettre en route. Aucune
politique de développement, aucune stratégie de croissance ne
peut porter durablement des fruits si elle n’est soutenue par un
faisceau de valeurs éthiques et morales cohérentes servant de
guide ou de lignes directrices pour toutes les démarches. La crise
mondiale actuelle trouve certainement une de ses causes dans
l’absence de valeurs, dans l’absence de morale qui caractérise le
système financier en vigueur depuis quelques décennies.
 La crise étant une crise de valeurs, il faut dans la riposte
revisiter ou recréer des valeurs pour la juguler. La
création de ses valeurs ou nouveaux paradigmes passe
par l’invention de nouveaux concepts remettant
l’homme et la femme au centre de toutes les
préoccupations. La finalité, le but ultime de toute action
économique ou sociale doit redevenir l’homme et son
épanouissement. Et c’est là que le concept de travail
décent apparaît comme un fil conducteur résumant
l’ensemble des défis et conduisant à la refondation
d’une nouvelle économie basée sur la paix et la justice
sociales.
III - L’AGENDA DU TRAVAIL DÉCENT COMME
RÉPONSE PERTINENTE À LA CRISE
 Eu égard aux conséquences de la crise et aux défis qu’elle
met en exergue, l’agenda du travail décent s’offre comme
une alternative crédible et sérieuse pour la gérer de façon
efficiente et diligente. Il prend en compte les
préoccupations majeures de tout humain depuis la
formation jusqu’à la retraite en passant par l’emploi et la
carrière. Il propose la réorganisation de l’économie
mondiale autour d’axes offrant aux acteurs des solutions
mutuellement avantageuses.
 La mise en valeur des ressources humaines à travers une
formation de qualité tout au long de la vie et en adéquation avec
les besoins des entreprises constitue une première prise en charge
des hommes et des femmes en vue de leur insertion dans les
divers processus de production des biens et services.
 Les soutiens multiformes aux entreprises tant par la fiscalité, les
appuis directs que par les facilités d’accès aux marchés en vue de
la création et de la conservation des emplois ne peut offrir
meilleures opportunités pour protéger le tissu économique mis à
mal par la crise.
 La protection sociale, fonds de trame du concept du travail
décent, offre à l’Afrique les moyens pour avancer avec assurance
dans la mise en place des fondamentaux pour donner aux
populations une couverture minimale en termes de risques santé,
vieillesse, maternité, accident, décès et autres.
 Le respect des normes essentielles reste un facteur important dans
l’humanisation des relations économiques et sociales. Il constitue
un élément de moralisation des systèmes économiques imposent
des limites face aux excès que peuvent générer lesdits systèmes.
 La concertation et le dialogue social, cadre naturel des échanges en
vue de la prise des décisions restent un outil primordial de
gouvernance dans un monde où la survie nécessite la capitalisation
et la mutualisation de toutes les énergies. Le travail décent en fait la
promotion.
Bref, le travail décent propose une démarche globale à même de
créer un barrage aux effets dévastateurs d’une crise mondiale qui a
surpris tous les acteurs de l’économie et de la finance.
Conclusion
C’est vrai que la crise a eu des effets très néfastes sur l’Afrique.
C’est vrai que les conséquences seront ressenties pendant encore
quelques années. Mais il faut aller au-delà de cette lecture
conjoncturelle et analyser cette crise mondiale comme une
opportunité pour l’Afrique. Elle doit lui permettre de s’interroger
sur son destin, de revisiter son histoire et d’amorcer un nouveau
départ sur des bases plus solides. L’essentiel pour elle, c’est de
comprendre les leçons et d’avancer.

Je vous remercie

Vous aimerez peut-être aussi