Vous êtes sur la page 1sur 135

Couverture : Daniel Benharrosh

© Armand Colin, 2018


Armand Colin est une marque de
Dunod Éditeur, 11 rue Paul Bert 92240 Malakoff
ISBN 978-2-200-62296-1
Préface

Une fois de plus, l’Afrique est au centre des attentions du reste du monde,
notamment de la part des grandes puissances économiques et financières –
que ce soit les nations en tant que telles ou les diverses institutions d’aide
au développement. À certains égards, notre époque n’est pas sans rappeler
la ruée sur l’Afrique des années 1881-1914, quand les puissances de ce
monde se disputaient les ressources de notre continent. Une chose est sûre,
l’Afrique est à la mode. On cite souvent l’exemple, parce que c’est une
image très forte, de l’un des magazines les plus influents au monde, un
hebdomadaire britannique qui d’une décennie à l’autre est passé du
diagnostic le plus brutal d’un « continent sans espoir » à des prévisions qui
frisent parfois l’hyper-optimisme sur un continent avec « une réelle chance
de marcher sur les traces de l’Asie ».
Les statistiques décevantes sur la pauvreté et la croissance africaines de la
fin des années 1990, puis le rebond expérimenté cette décennie, dans un
contexte économique morose et de fortes tensions politiques en Occident,
ne justifiaient pas plus le pessimisme excessif d’alors qu’elles n’autorisent
l’optimisme parfois démesuré d’aujourd’hui.
Mais encore. Il est loisible à chacun, observateurs ou praticiens du
développement, de s’épancher sur les « malheurs » ou « le potentiel » de tel
ou tel pays africain et du continent de façon générale. Ce n’est pas une
option pour les responsables publics, les intellectuels, les entrepreneurs et
les acteurs de la société civile en Afrique. Ils n’ont pas le choix, pas plus
que les populations africaines, dont le bien-être et la sécurité demeurent la
priorité absolue.
Pour d’autres, ce n’est pas une question de mode, mais d’urgence, et ils
n’ont jamais perdu l’espoir. Ibrahim Assane Mayaki est de ceux qui n’ont
pas eu « le choix ». Et qui ne l’ont d’ailleurs jamais recherché. Des
amphithéâtres de l’université aux salles des conseils de ministres, des
intenses conciliabules entre responsables africains aux conférences
multilatérales où tant de décisions importantes pour le futur du continent
sont prises, il a été présent avec la même rigueur intellectuelle et morale, et
cette recherche constante d’une solution qui servirait l’Afrique et ses
populations.
Dans cet ouvrage, il tire les leçons de quarante années d’une carrière aux
multiples facettes qui l’a amené à bien connaître la réalité du continent et de
ses dirigeants, et l’a mené aux contacts de ceux qui, des centres financiers
de Johannesburg et de Casablanca jusqu’aux marchés informels de Kigali et
de Niamey, vivent et font vivre cette Afrique réelle, loin des apitoiements et
des clichés.
Et ce qu’il vient dire est essentiel.
Le cynisme est peut-être, de tous les pièges qui guettent les réformateurs
en Afrique, le plus difficile à déjouer. Tantôt il prend la forme du
pessimisme ou de la résignation, tantôt celle d’un soi-disant « réalisme »,
pourtant détaché de toute réalité. Dans la période incertaine et complexe
que traversent le monde et l’Afrique, Ibrahim Assane Mayaki échappe à ces
écueils.
Son constat est que se profilent, pour la décennie à venir, des changements
majeurs pour l’Afrique et le monde. Une période charnière qu’il sera
difficile de rattraper si nous ratons le coche.
Nous ? C’est-à-dire tous ceux qui ont aujourd’hui les moyens et la
possibilité d’influer, par leurs décisions, leurs réflexions, leurs
investissements et leurs actions (sociale, culturelle, morale), sur la marche
de l’Afrique.
Au-delà de ce constat, cet ouvrage donne de nombreuses clés sur les
actions à mener, les pièges à éviter et rappelle l’importance d’allier
l’intelligence stratégique à la rigueur morale et à l’ouverture. Parmi les
pistes qu’il évoque, j’ai été particulièrement frappé par l’originalité de son
regard sur les défis et les opportunités présentés par le changement
climatique, les propositions, notamment en matière de co-production des
politiques publiques, et son appel – urgent – à retrouver notre souveraineté
intellectuelle. Le socle fondamental de toutes ces solutions, et cela
n’étonnera pas ceux qui connaissent Ibrahim Assane Mayaki, c’est la bonne
gouvernance.
Je vous encourage à lire et relire cet ouvrage, certain que vous y trouverez
comme moi de ces propositions innovantes qui appellent à la discussion – et
à l’action.

Son excellence Olesugun Obasanjo, GCFR, PhD,


Ancien président de la République fédérale du Nigéria
Introduction

Ce manifeste est adressé à la génération qui accédera aux postes de


responsabilité en Afrique dans les deux prochaines décennies.
C’est un avertissement et un viatique.
Je voudrais l’envisager comme le message d’un Africain qui est arrivé au
pouvoir sans le chercher, qui a perçu et analysé les échecs de sa génération,
et entrevoit une période cruciale de changement et veut vous en avertir.
Pour faire simple, je vous écris : voici « l’Afrique que vous pouvez ».
C’est à la fois un retour d’expérience, un diagnostic et un plaidoyer. Et, je
l’espère, un examen franc, original et lucide sur « comment l’Afrique en est
arrivée là ».

Afrique et mondialisation
L’Afrique a plutôt bien négocié le début de son intégration dans les circuits
mondiaux, profitant des vents ascendants de la mondialisation dans les
années 2000. La croissance a atteint des niveaux sans précédent. Pourtant,
malgré cette décennie qui a vu naître un concept à la mode (l’afro-‐
optimisme), on ne peut éluder le fait que l’Afrique abrite toujours près de
400 millions de personnes vivant dans une extrême pauvreté. Et que sa part
dans le PIB mondial ne dépasse pas les 3 %.
En outre, comme le reste de la planète, notre continent est entré dans une
zone de turbulences. Elles se sont manifestées avec un temps de retard par
rapport à la crise financière de 2008, mais la mondialisation a fini par
rattraper l’Afrique avec son train de perturbations, de questionnements et de
soubresauts.

Un ralentissement propice aux réformes


Le ralentissement des moteurs de la croissance africaine, qu’il soit
endogène – stabilisation de l’inflation et des monnaies locales, hausse des
investissements dans les infrastructures, sécurisation accrue malgré le
risque terroriste – ou exogène – demande chinoise, coût de la dette, super-‐
cycle des matières premières – laisse présager encore d’autres turbulences.
Les premiers effets sont déjà visibles dans nombre de pays du continent,
notamment les plus riches en matières premières. Cet ajustement est le
signal qu’une période propice aux réformes est en train de s’ouvrir. Les
prouesses économiques présentées en taux de croissance du PIB ne peuvent
plus masquer les immenses progrès qui restent à accomplir.

Dix années décisives


Les défis à relever durant les dix prochaines années sont bien différents de
ceux des vingt dernières. Pour y parvenir, il faudra donc à l’Afrique un
leadership bien différent de celui de cette époque.
Gardons à l’esprit que, dans dix ans, une nouvelle génération gouvernera
l’Afrique. Nos dirigeants actuels, dont une large majorité ne sera plus aux
commandes en 2027, devraient avoir pour objectif essentiel de préparer
l’avenir. Or, force est de constater que la plupart des États africains ne sont
pas en phase avec la rapidité à laquelle les sociétés changent : de
nombreuses transitions politiques chaotiques s’annoncent, qui peuvent
mettre en péril des années de progrès.
Les dix prochaines années doivent être mises à profit pour constituer le
socle d’une juste intégration de l’Afrique dans les flux mondiaux.
Dix ans, c’est le temps dont l’Afrique dispose pour faire son examen de
conscience et se réformer. Car la mondialisation n’est pas un choix, c’est
une force qu’il faut canaliser. Or les dix prochaines années seront aussi
décisives pour le futur de la mondialisation. Elles décideront, entre autres,
de la prochaine génération des puissances mondiales. La mondialisation
n’est pas un jeu à somme nulle, mais produira des gagnants et des perdants.

User de nos ressources


Les leaders et les jeunes Africains doivent d’abord comprendre qu’ils ont en
eux-mêmes les ressources nécessaires pour assurer leur futur : 80 % des
pays africains pourraient se passer de l’aide publique au développement. On
l’oublie, mais cette aide publique n’est plus une composante essentielle du
financement de l’économie africaine. Elle représente un petit tiers des flux
de financement extérieurs et environ un dixième des capacités de
financement internes des États1.
Les fortes turbulences économiques engendrées par la crise financière
de 2008 continuent de déplacer le centre de gravité de l’économie
mondiale. Les forces en présence sont en train de se recomposer. Les
puissances occidentales et certaines puissances asiatiques, fortes malgré
tout de leur immense capital intellectuel, préparent l’avenir. La Chine
effectue un recalibrage de son économie en dynamisant son marché
intérieur tout en jetant les bases d’une politique extérieure à travers les
nouvelles routes de la soie. L’Afrique ne peut donc plus s’exonérer de la
question de son enrichissement économique (forces démographiques,
emploi, jeunesse, etc.).

La clé institutionnelle
L’Afrique recèle de plusieurs exemples de succès économiques. Quant aux
solutions techniques aux défis de notre continent, elles sont connues. Si
elles ne prennent pas, ce n’est ni par manque d’argent ni par manque de
bonne volonté. C’est parce qu’il y a peu de pays où les institutions sont à la
hauteur de ces défis. C’est aussi parce qu’on constate un manque
d’appropriation. Je voudrais partager ici une leçon transmise par l’ancien
Premier ministre éthiopien Meles Zenawi lors de notre première rencontre,
en 2009 : « Formulez votre diagnostic dans vos propres termes. » C’est
l’absence de diagnostic propre qui a trop souvent été la cause essentielle de
l’échec des politiques de développement tentées un peu partout en Afrique,
par manque d’appropriation.
La tâche de gouverner est complexe et demande que les meilleurs s’y
consacrent. Trop de pays n’ont pas les ressources humaines nécessaires.
Leurs meilleurs cerveaux sont allés chercher ailleurs ce qu’ils ne pensaient
pas pouvoir trouver en Afrique. Trop de pays se reposent sur des
consultants extérieurs pour définir leurs plans de développement à moyen
terme.
Le travail pour l’Afrique, et elle n’aura pas trop de dix ans pour le mener
à bien, consiste à se doter des solides institutions qui seront la clé aussi bien
de ses capacités endogènes que de sa résistance aux chocs exogènes.
Cela fait une quarantaine d’années que mon parcours m’a permis
d’analyser les nombreuses facettes, à la fois de l’économie du
développement et de l’exercice du pouvoir, d’abord en tant que responsable
de grandes entreprises nigériennes, puis en tant qu’homme politique au
Niger, en tant que professeur et enfin en tant que secrétaire exécutif du
NEPAD2. Les neuf dernières années passées à la tête du NEPAD m’ont
ouvert à une réalité panafricaine dont je ne soupçonnais pas la puissance.
Mon intention n’est autre que de rendre fidèlement compte de ce que j’ai
vu, d’entreprendre de lever les blocages et les résistances et de proposer une
feuille de route orientée sur quelques grandes thématiques, à l’usage de
toute personne mobilisée pour l’avenir de notre continent.
Les défis
1

Le spectre de la recolonisation

Fin 2016, durant la campagne présidentielle aux États-Unis, le candidat


républicain aurait déclaré : « La plupart des pays africains devraient être
recolonisés pendant un siècle parce que [les Africains] ne connaissent pas le
leadership. » En réalité, non, Donald Trump n’a jamais prononcé cette
phrase1. Inventée de toutes pièces par la presse « alternative », la «
déclaration » du 45e président américain a pourtant vite fait le tour de la
technosphère africaine, reprise par des sites pourtant sérieux2 et des milliers
de fois sur les réseaux sociaux, provoquant l’indignation, mais aussi des
hochements de tête chez ceux qui « ont toujours su » que tel est depuis
longtemps le plan secret de Washington.
Depuis leur accession à l’indépendance au tournant des années 1960, le
spectre d’une reprise en main des pays africains par les puissances
occidentales ou par les maîtres du deuxième monde émergent (Chine, Inde,
Arabie Saoudite…), est omniprésent. Dans un ouvrage publié en 19653, le
président ghanéen Kwame Nkrumah s’élevait déjà contre ce « néo-‐
colonialisme, stade avancé du capitalisme », dans lequel « le capital
étranger est utilisé pour l’exploitation plutôt que pour le développement des
régions moins développées du monde » et où « l’investissement […]
augmente plutôt qu’il diminue l’écart entre les pays riches et les pays
pauvres ».
Cinquante ans après, on retrouve cette crainte dans les critiques que
formulait il y a peu l’ex-président zimbabwéen Robert Mugabe contre la
détention du capital productif par la minorité blanche de son pays et la
mainmise des entreprises étrangères. On retrouve cette inquiétude en
Afrique du Sud, où les appels à la redistribution des richesses se font
entendre à chaque rendez-vous électoral.
Appliquées à la percée des groupes chinois en Afrique, des voix plus
modérées, telle celle du banquier nigérian Lamido Sanusi (ex-gouverneur
de la Banque centrale du Nigeria, aujourd’hui Muhammadu Sanusi II,
57e émir de Kano), tirent également la sonnette d’alarme : « La Chine prend
nos produits primaires et nous vend des produits manufacturés. C’était déjà
l’essence du colonialisme. Les Britanniques sont allés en Afrique et en Inde
pour sécuriser les matières premières et les marchés. L’Afrique s’ouvre
[aujourd’hui] volontiers à une nouvelle forme d’impérialisme »4.
À ceci près que, de nos jours, la hantise d’une recolonisation de l’Afrique
est multiforme. De la prépondérance des langues occidentales dans les
écoles publiques à la survivance du franc CFA, des accords de partenariats
économiques avec Bruxelles à la multiplication des bases militaires
américaines, des conditions de l’aide au développement des pays de
l’OCDE aux clauses des prêts concessionnels de Pékin, de l’essor des droits
des minorités aux controverses sur « l’accaparement des terres », de la
pêche illicite dans les eaux africaines à l’emprise des cours arbitrales et des
tribunaux internationaux sur l’économie et la justice en Afrique, tout ou
presque est sujet à l’évocation de cette menace jamais réalisée, mais vivante
et semble-t-il impossible à conjurer.
Cette inquiétude constante, même si l’on peut trouver ses discours
excessifs, reste liée à des éléments factuels concernant la détention du
capital et des moyens de production, la répartition des fruits de la croissance
et les rapports de force dans les relations internationales. Il importe
d’expliciter ces craintes avant d’en montrer les limites et de lever les
confusions qu’elles suscitent.

Une détention injuste du capital ?


Il est impossible, aujourd’hui, d’avoir une estimation satisfaisante de la part
du capital productif en Afrique détenue par des structures étrangères. Mais
il ne faut pas creuser bien longtemps pour obtenir des exemples concrets du
poids considérable des entreprises, investisseurs et fonds étrangers dans les
sociétés africaines. Le capital du plus grand opérateur téléphonique du
continent, le Sud-Africain MTN Group, est détenu à 61 % par des
investisseurs non-locaux. Son compatriote, Bidvest, premier groupe
diversifié africain, est à 54 % aux mains d’actionnaires étrangers. Le capital
du leader africain de la brasserie SABMiller était déjà à 90 % étranger,
avant son absorption par le belge AB InBev. La plus grande banque
africaine, Standard Bank Group (128,5 milliards de dollars d’actifs
fin 2014), est à moitié détenue par des actionnaires extérieurs – parmi
lesquels ICBC, l’une des quatre plus grandes banques d’État chinoises, qui
s’est octroyée une participation d’environ 20 % en 20075. Idem pour 44 %
du capital du premier assureur africain, Sanlam. Comme le relève une étude
publiée fin 2015 : les actionnaires étrangers contrôlent près de la moitié des
40 premières entreprises du Johannesburg Stock Exchange, de loin la
première place boursière du continent6. Le plus ancien groupe de
distribution « panafricain », CFAO, est basé à Paris avec un actionnariat
japonais (Toyota Tsusho Corporation, 100 % du capital).
De fait, hormis l’algérien Cevital, détenu par l’homme d’affaires Issad
Rebrab, quelques opérateurs publics – les entreprises nationales
d’hydrocarbures Sonatrach, Sonelgaz et Naftal (Algérie), Sonangol
(Angola), le logisticien Suez Canal Authority (Égypte), le producteur de
phosphates OCP, le gestionnaire d’eau et d’électricité Onep (Maroc),
l’énergéticien Eskom (Afrique du Sud) –, et quelques opérateurs privés
monopolistiques comme le raffineur Samir (Maroc), l’écrasante majorité
des 50 premières entreprises africaines recensées dans le classement annuel
du magazine panafricain Jeune Afrique7 est pour l’essentiel contrôlée par
des acteurs étrangers. De plus, il ne s’agit ici que de participation
majoritaire étrangère. Mais comme s’en émeut l’économiste français
Thomas Piketty : « Les bénéfices et les revenus rapatriés par les entreprises
étrangères [en Afrique] atteignent entre 5 % à 10 % du PIB des pays, ce qui
est considérable. Et encore ne s’agit-il ici que des flux licites qui ne
comptabilisent pas tout l’argent qui s’évade vers des paradis fiscaux. C’est
en tout cas bien plus que l’aide publique au développement. »8
L’influence grandissante de la Chine en Afrique ne fait aucun doute. En
quinze ans, les échanges commerciaux avec l’empire du Milieu ont été
multipliés par près de vingt, pour atteindre 189 milliards de dollars
en 20169. Pékin est aujourd’hui le premier partenaire commercial et le
principal bailleur de fonds de l’Afrique. Environ 1 million de ressortissants
chinois y sont installés et, en juillet 2016, les investissements d’entreprises
du géant asiatique y étaient en hausse de +515 % sur un an et atteignaient
14 milliards de dollars.
Les manifestations des influences externes se retrouvent aisément dans
d’autres domaines de la vie des sociétés africaines. Elles peuvent être
anecdotiques : en 2016, trois des quatre textes proposés au bac d’un pays
africain francophone étaient le fait d’auteurs français (Patrick Modiano,
Jean Dausset et Charles Baudelaire). Ou beaucoup plus sérieuses : au début
de cette décennie, deux tiers des demandes de dépôts de marques
commerciales reçues par l’Organisation africaine de la propriété
intellectuelle, qui rassemble une quinzaine de pays d’Afrique subsaharienne
francophone, provenaient de pays tiers. Dans le domaine juridique,
l’influence du droit français sur le droit communautaire Ohada, appliqué au
droit des affaires dans 17 pays subsahariens, a été maintes fois documentée.
Sur tous ces points, il est évident que l’Afrique est affectée par les grands
mouvements capitalistiques, économiques, juridiques et idéologiques
mondiaux. Passer de ce constat à celui d’une recolonisation rampante du
continent par des forces étrangères est toutefois une erreur profonde.

Les Africains détiennent le pouvoir


Cela revient d’abord à dévaluer et minimiser l’horreur du fait colonial, son
idéologie englobante (droit, société, culture, économie…) et sa violence
systématique. Mais plus important, le brandissement du spectre de la
recolonisation omet une donnée majeure : le pouvoir d’action de l’Afrique
et des Africains.
Les dérives et les abus constatés sur le continent sont trop souvent les
conséquences de la mauvaise gouvernance, du manque de transparence et
de la corruption. De fait, l’énergie mise à guetter la résurgence du fait
colonial reflète en creux les travers bien actuels et modernes des États
africains, complique la recherche de solutions durables et affaiblit les
capacités du continent à influencer son propre destin et celui du monde.
La question de la détention du capital productif en Afrique est obscurcie
au point qu’on oublie, comme le rappelle judicieusement une étude publiée
par la Banque mondiale, que la propriété majoritaire étrangère « crée des
incitations appropriées et offre une plus grande opportunité d’augmenter la
valeur ajoutée au niveau de l’entreprise ». Ce qui est vrai en Afrique
comme dans d’autres régions du monde10. Comment cette plus-value est
captée et distribuée, utilisée par la puissance publique et réinvestie dans les
économies africaines est une question plus pressante et cruciale pour la
croissance à long terme du continent que la stricte répartition de
l’actionnariat. Cela ne revient pas à dire que la promotion et
l’encouragement des industries et entreprises locales sont sans effet. Bien
au contraire, mais il y a une marge entre cette défense de l’entrepreneuriat
local et le rejet définitif des entreprises et des investissements étrangers.
Ainsi, il est souvent fait grand cas des acquisitions de terres arables sur le
continent par des entités étrangères, souvent en provenance du Moyen-‐
Orient et du Golfe persique. Ce sujet majeur est traité comme si ces contrats
n’étaient pas validés par les autorités publiques africaines. Car c’est à elles
qu’il revient de s’assurer que les clauses ne sont pas léonines, que le droit
local est appliqué, les populations autochtones dédommagées et
l’environnement protégé. Le prisme du néo-colonialisme est inopérant dans
un contexte où le problème vient non de l’étranger, mais de la répartition
inégale des terres entre nationaux. En Afrique du Sud, 13,7 % de la
population contrôle 89 % des terres arables, tandis qu’en Namibie, 11,1 %
en détient un peu plus de 40 %. Au Zimbabwe, la moitié des surfaces
cultivables est encore aux mains de seulement 0,8 % des habitants. Par
ailleurs, « plus de 20 % des terres végétales en Afrique sont classées
comme dégradées – dont 66 % sont modérément voire gravement dégradées
», alerte un rapport conjoint de la Banque africaine de développement, de
l’Union africaine et de la Commission économique de l’ONU pour
l’Afrique11, qui ajoute que « cette détérioration de la qualité de la terre
devrait s’intensifier au cours des trente prochaines années en raison de la
croissance démographique et de la variabilité climatique croissante ». Face
aux inégalités criantes d’accès à la terre et à la dégradation accélérée des
surfaces cultivables, les mises en garde intempestives contre
d’hypothétiques invasions extérieures ont un caractère Don quichottesque.

La société civile doit bien choisir ses combats


Les polémiques les plus violentes sur le sujet de l’exploitation et du «
néocolonialisme » en Afrique concernent le plus souvent d’une part les
industries extractives, et d’autre part les interventions comme les dispositifs
militaires étrangers en Afrique. Cela va des « diamants du sang » aux bases
américaines et chinoises à Djibouti, des contrats « ressources contre
infrastructures » de Pékin au rôle de la France dans la crise ivoirienne ou la
chute de Mouammar Kadhafi. Il ne s’agira pas ici de départager les
responsabilités ou les torts sur ces questions d’ordres diplomatique et
stratégique, encore moins de nier l’impact négatif des sorties illicites de
capitaux sur les économies africaines. Selon le Groupe des personnalités de
haut-niveau (GPHN) contre les flux financiers illicites en provenance
d’Afrique, des sommes colossales, entre 50 et 60 milliards de dollars,
sortent illégalement du continent chaque année12.
Toutefois, il est important de noter que le continent africain n’est pas le
seul affecté par ces questions. La crise au Moyen-Orient et les tensions en
mer de Chine méridionale sont connues. Les transferts illégaux de capitaux
affectent également les pays riches, comme l’ensemble des pays en
développement (l’ONG Global Financial Integrity estime que pour chaque
dollar d’aide qui entre dans un pays en développement, 10 dollars en sortent
de manière illicite13).
Cependant, aborder ces problématiques sous le seul angle d’un plan
concerté pour la reprise en main de l’Afrique élude non seulement leur
dimension planétaire, mais surtout omet les progrès réalisés grâce
notamment à l’Initiative pour la Transparence dans les Industries
Extractives (ITIE), une norme mondiale visant à promouvoir une gestion
ouverte et responsable des ressources extractives, et la coalition « Publiez
Ce Que Vous Payez » qu’elle a permise. Sur l’ensemble de ces points, des
avancées majeures et incrémentielles sont possibles, à travers davantage de
transparence et de reddition de compte de la part des autorités publiques et
du secteur privé. Mais pour que la greffe prenne durablement, une
implication plus forte de la société civile et des populations africaines sera
indispensable. Les efforts de mobilisation et d’éducation à ces enjeux
publics ne sont guère facilités par la rhétorique défaitiste qui sous-tend les
exhortations au « combat contre les forces impérialistes » et autres
dénonciations du même acabit. On voit les formes extrêmes que cela peut
prendre dans un pays comme le Venezuela.
Qu’il s’agisse de l’exploitation illégale qui épuise nos forêts, de la non-‐
réglementation et de la surpêche dans nos mers par d’autres pays, ou du
braconnage des espèces protégées, la mauvaise application des lois locales
est un facteur clé, au moins aussi important que les actions des acteurs
étrangers.
Pour le progrès économique et l’émancipation sociale du continent, le mot
d’ordre reste le même qu’il y a soixante ans : l’implication de la société
civile et de la jeunesse. Depuis les coalitions de femmes togolaises,
ivoiriennes et sénégalaises qui ont marché contre le joug colonial dans les
années 1930 et 1940, jusqu’aux mouvements citoyens qui réclament plus de
transparence dans la conduite des affaires publiques et ne tolèrent plus les
cas de corruption et de mauvaise gouvernance, il y a une filiation directe et
un engagement intact pour l’indépendance passée, présente et future du
continent.
2

Migrations et commerce : l’Afrique a le choix des


armes

Contrairement à une opinion encore trop souvent répandue, l’Afrique est


depuis toujours l’un des grands carrefours des interactions humaines.
Berceau de l’humanité, le continent a permis de peupler le reste de la Terre
par vagues de migrations successives. Le continent a aussi contribué
à approvisionner le monde de multiples richesses, alimentant au passage des
réseaux commerciaux extrêmement puissants – et lucratifs –, pour le
meilleur et le pire : les caravanes transsahariennes, le commerce
triangulaire, les comptoirs coloniaux ou, plus récemment, l’or et le platine
sud-africains ou le coltan congolais qu’on retrouve dans tous les téléphones
à travers le monde.
La liste est longue. Surtout, elle dit quelque chose de préoccupant sur
l’Afrique : le continent a vécu au rythme des différentes périodes de la
mondialisation, sans toujours en avoir conscience, sans pouvoir vraiment la
maîtriser ou même l’influencer, encore moins en tirer des bénéfices.

Le temps de la prise de conscience et de l’action


L’Afrique n’a pas suffisamment tiré parti de ces vastes mouvements de
circulation des biens et des personnes. De fait, selon bien des mesures, elle
apparaît comme déconnectée du reste du monde, et ce malgré les progrès
réalisés grâce au décollage économique observé depuis le début des
années 2000. L’Afrique ne représente que 2,4 % des exportations mondiales
(1,7 % pour l’Afrique subsaharienne), elle est encore faiblement intégrée
dans les chaînes de valeur mondiale pour les produits transformés1.
Bien qu’intégrée dans les circuits d’échange, l’Afrique en a été trop
longtemps spectatrice, comme à la périphérie de la politique globale, et son
rôle dans le système de gouvernance international a ainsi été marginalisé.
C’est en réponse à cela que, au début des années 2000, l’Afrique s’est
mobilisée pour jeter les bases des institutions qui lui permettraient de parler
d’une seule voix (cf. chapitre 8) et de décider pour elle-même.
L’Afrique se rend peu à peu compte de la nécessité d’une intégration
assumée, réfléchie et stratégique dans les flux mondiaux. Comment passer
d’une intégration subie à une appropriation maîtrisée de la mondialisation ?
Car c’est ainsi que fonctionnent les interactions entre les puissances
nationales ou les grands blocs régionaux de la planète.
La période actuelle est d’autant plus propice que les complaintes
africaines contre les iniquités et déséquilibres du système commercial
mondial sont désormais beaucoup moins solitaires qu’auparavant.
Longtemps, les voix venues du continent et, plus largement, du tiers-monde
se sont soulevées contre les règles de la mondialisation, souvent sans
trouver d’écho. Aujourd’hui de Washington (sous Donald Trump)
à Bruxelles (avec la robuste opposition au Partenariat transatlantique de
commerce et d’investissement) et à Londres (comme le prouve le Brexit),
les anciennes revendications du continent pour une mondialisation plus
maîtrisée et des termes de l’échange plus équilibrés se font entendre un peu
partout.
L’Afrique n’a pas toujours le choix des règles, mais elle a le choix des
armes. Plutôt que d’être un acteur passif, il convient de prendre acte des
règles du jeu et d’y participer en connaissance de cause.
Nous pourrions multiplier les prismes à travers lesquels disséquer la
mondialisation, mais retenons deux mesures des interactions de l’Afrique
avec le reste du monde : les flux démographiques et les flux commerciaux
et financiers.
C’est autour de ces deux grands axes que je voudrais construire ma
réflexion, en commençant par les flux démographiques, car ils concernent
des dizaines de millions de personnes en Afrique, et aussi parce qu’ils sont
souvent source de tragédies insupportables autant que d’anxiété politique
dans les pays d’accueil au nord (cf. chapitre 5). Ils détermineront une
grande partie de l’avenir économique de l’Afrique et des évolutions
politiques des pays riches.

Des migrations en pleine mutation


L’ampleur du phénomène des migrations apparaît sans précédent. Et les
chiffres en valeur absolue sont là pour le prouver. On recense plus de
247 millions de migrants dans le monde. Parmi eux, 34 millions d’Africains
(à comparer aux 104 millions d’Asiatiques)2. Les tragédies que l’on
constate en Méditerranée ou la résurgence des pratiques esclavagistes dans
les camps libyens sont autant d’appels à une réflexion de fond et à l’action
sur ces questions. Le contrôle aux frontières ne permettra pas de résoudre la
cause de ces mouvements qui reste avant tout la promesse d’une vie
meilleure, moins pire tout au moins, vers d’autres rivages.
L’analyse économique le rappelle : certains mouvements migratoires,
notamment l’immigration circulaire, avec des va-et-vient entre pays de
départ et pays d’accueil, peuvent constituer un accélérateur de la croissance
dans les pays en développement3. Les diasporas africaines à travers le
monde contribuent de manière considérable à sa capacité de financement.
Ainsi, on calcule aujourd’hui que les transferts d’argent des migrants
totalisent 64,6 milliards de dollars4. Ces montants, très certainement sous-‐
évalués étant donné l’ampleur de ces flux souvent mal mesurés, contribuent
directement au développement de l’Afrique et indirectement à la
stabilisation des populations.
D’autre part, on estime qu’un certain niveau d’émigration des cerveaux
aurait plutôt des effets positifs que négatifs. On constate ainsi que les liens
créés par les diasporas dans les pays d’accueil se transforment souvent en
réseaux d’affaires très puissants. Les enfants de deuxième ou troisième
génération gardent souvent un lien avec leur lointain pays d’origine.
Nombreux sont ceux qui, parmi eux, font le choix du retour, tout du moins
d’un bout de parcours professionnel africain. Ces choix nourrissent à mon
sens un cercle vertueux qu’il convient d’encourager.
Pourtant, je crois que notre attention est beaucoup trop largement
accaparée par les migrations Sud-Nord, sans doute parce que les caisses de
résonance médiatiques sont bien plus puissantes dans les pays riches. Je
suis persuadé que le plus grand défi se joue à un tout autre niveau, avec un
phénomène de migrations Sud-Sud de plus en plus dynamique. Les
migrants ont tendance à aller au plus proche. Ceux qui quittent les pays en
développement pour les pays développés forment toujours le premier
contingent (119 millions), mais les migrations entre pays en développement
ne cessent d’augmenter, si bien qu’elles représentent 79,6 millions
d’individus5.
Les Africains sont plus nombreux à migrer en Afrique qu’en Europe
occidentale par exemple (18 millions contre 9 millions6). Aussi, on calcule
que 1,5 million de Burkinabè vivent en Côte d’Ivoire. En valeur relative, ils
sont plus nombreux que les Indiens en Grande-Bretagne, les Turcs en
Allemagne ou les Mexicains aux États-Unis.
Plusieurs leviers peuvent être actionnés afin de bâtir la capacité de nos
États à absorber ce choc migratoire.
En tant qu’Africains, le premier levier sur lequel nous pouvons agir
concerne la libre circulation des personnes, couplée, et c’est le sujet de la
démonstration qui va suivre, à la libre circulation des marchandises et des
capitaux.
Les migrations répondent à un besoin de meilleure allocation des
ressources : la force de travail se déplace là où elle peut trouver
à s’employer. Entraver ce mouvement, c’est courir le risque de voir des
populations pauvres captives d’un cercle vicieux d’appauvrissement et les
zones les plus dynamiques privées de la force de travail qui leur permettrait
d’atteindre leur plein potentiel.
Pour reprendre notre exemple en Afrique de l’Ouest, la Banque mondiale
estime que 343 millions de dollars de transferts de migrants ont circulé de la
Côte d’Ivoire vers le Burkina Faso en 2014, contre 335 millions de dollars
vers le Mali et jusqu’à 612 millions vers le Nigeria, pourtant la première
économie du continent7. Le montant exact est impossible à connaître, mais
l’importance de ces envois de fonds à courte portée est simple
à comprendre.
Cette reconfiguration des distances parcourues pourrait bien s’étendre aux
autres régions du Sud : vers le milieu du siècle, la Chine, l’Inde et presque
toute l’Amérique latine, y compris le Mexique, auront rejoint les taux de
fécondité bas des pays riches. Seule l’Afrique subsaharienne sera alors
encore en période de transition démographique (faible mortalité – haute
natalité).
Il faut donc s’attendre à un nombre énorme de migrants africains
potentiels, et sans doute peu ou pas assez d’endroits ou de volonté pour les
accueillir en Occident, sans même parler des aspects politiques complexes
associés à cette question. Il est donc probable qu’ils se dirigeront de plus en
plus vers d’autres pays africains, au Moyen-Orient et peut-être même en
Asie. Des pays comme la Chine et la Corée du Sud n’ont pas encore connu
l’immigration de masse, mais auront à leur tour besoin de rajeunir leur
population. Ces grands mouvements sont encore peu anticipés par nos pays.
Ces populations sont une richesse. Je le répète : le fait qu’elles cherchent
à s’employer ailleurs dans le monde n’est pas un problème en soi, bien au
contraire. Mais si elles partent, c’est bien parce qu’elles sont
insuffisamment incitées à rester en Afrique. C’est donc une force de travail
qui, d’une certaine manière, va profiter aux autres. L’évolution naturelle de
nos relations au niveau du continent devrait donc nous amener vers une plus
grande harmonisation de nos procédures d’entrée et de sortie des territoires.
Nous devons également mettre en œuvre les corridors cohérents qui
permettront de rationaliser les lieux d’implantations des migrants, et de les
amener vers les zones les plus demandeuses en main-d’œuvre (voir à ce
sujet le chapitre 5).
Il existe de nombreux exemples en Afrique de véritables réussites
d’intégration régionale, malheureusement incomplètes. Par exemple, la
CEDEAO (Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest) est
réputée pour la liberté de mouvement qu’elle assure aux habitants des
15 pays qui la composent. La East African Community, à l’inverse, a mis en
œuvre un véritable marché commun pour la circulation des marchandises…
En réalité, chacune de ces régions trace partiellement la route à suivre.
Reste à ce qu’enfin l’Afrique s’inspire d’elle-même quand elle conçoit les
réformes pour son avenir.

Échanges asymétriques et concurrence déloyale


Malgré des conditions d’accès préférentielles aux marchés de plusieurs
zones économiques (Union européenne, États-Unis…), l’Afrique produit
peu de biens de consommations transformés qu’elle pourrait exporter. Et
cela en dépit de quelques exceptions comme l’industrie automobile en
Afrique du Sud et au Maroc, les composants aéronautiques en Tunisie et,
également, depuis le royaume chérifien ou encore le Botswana, cas rare en
Afrique avec 94 % de « produits manufacturés » dans ses exportations
(essentiellement des diamants taillés)8.
La part du continent dans le commerce international est faible, surtout si
on la compare à son poids démographique. L’Afrique ne contribue qu’à 3,5
% du commerce mondial, soit dix fois moins que la contribution de l’Union
européenne. Lorsque l’on examine l’historique des échanges commerciaux
de l’Afrique, on observe peu d’améliorations. L’OMC estime qu’en 2015, la
part dans le commerce mondial de tous les pays membres de la COMESA
(Marché commun de l’Afrique Orientale et Australe) est restée à son niveau
de 1995, soit 0,5 %.
Pourtant, à l’inverse, dans de nombreuses régions d’Afrique
subsaharienne, le commerce extérieur – mesuré en termes d’importations et
d’exportations de biens et de services – représente plus de 50 % du PIB9. Ce
paradoxe souligne bien l’asymétrie dont est frappée l’Afrique dans ses
échanges avec le reste du monde. Alors qu’elle n’y pèse guère, elle en est
fortement dépendante pour sa prospérité.
Les importations de l’Afrique subsaharienne sont pour les deux tiers
d’entre elles des produits finis. Dans le même temps, les exportations
depuis l’Afrique subsaharienne vers le reste du monde restent dominées par
les matières premières. Près des deux tiers proviennent des carburants, des
minerais et des métaux, sans compter 15 % de produits agricoles. La part de
produits manufacturés sur l’ensemble des exportations africaines, estimée à
16 %, est évidemment trop faible.
Pourtant, il est vrai que l’avenir de l’Afrique continuera aussi de dépendre
de paramètres sur lesquels son influence est limitée.
La situation est paradoxale. En effet, si les marchés en Europe ou en
Amérique du Nord sont ouverts aux exportations du continent, il reste
encore trop de distorsions préjudiciables aux productions africaines,
notamment pour les matières premières agricoles qui souffrent d’une
concurrence déloyale de la part de ces mêmes marchés qui pourraient être
des débouchés potentiels.

Une plus grande diversification des partenariats est urgente !


L’Afrique souffre de systèmes de production asymétriques. Étant donné son
exclusion des grandes discussions sur les traités de libre-échange
multilatéraux engagés en dehors de l’OMC, le libre-échange incontrôlé
pourrait lui être préjudiciable. Le traité TTIP (Transatlantic Trade and
Investment Partnership) entre l’Union européenne et l’Amérique du Nord,
proposé sous la présidence de Barack Obama, rejeté par Donald Trump,
mais que Bruxelles et Berlin continuent de défendre10, pourrait ainsi mettre
en concurrence directe les producteurs de bananes américains avec les pays
d’Afrique, par exemple pour l’accès au marché de l’UE, débouché
traditionnel de la production africaine.
De même que pour résoudre la difficile équation démographique et
migratoire, il faudra à l’Afrique accélérer la mise en œuvre de ses marchés
régionaux. C’est en jouant collectif qu’elle pèsera plus lourd dans
l’économie mondiale et sera mieux à même de développer sa compétitivité
et créer des marchés équitablement concurrents au sein d’une même zone
de libre-échange au niveau continental.
Sur le plan de la production agricole, qui est un volet important de la
création de marchés uniques africains, la prochaine étape consistera
à mettre en place un système qui garantisse les prix et l’écoulement (ou le
stockage) de la production, associé à un système de prélèvements variables
aux frontières extérieures de l’Afrique (taxation des importations)
protégeant les productions de la concurrence éventuelle de produits venant
de l’extérieur. Nos États n’ont pas pleinement pris conscience de leur
pouvoir en matière de protectionnisme intelligent, même si certains pays
comme le Rwanda expérimentent des mesures de protection sélective de
leurs industries naissantes. Bien sûr, la définition de ces instruments et leur
calibrage devront être le fruit d’une négociation intense entre les États, mais
toujours sous l’autorité commune de l’Union africaine. En parallèle, le
soutien aux petits exploitants agricoles et à l’agro-industrie est fondamental.
Ces deux stratégies sont complémentaires.
En matière financière, l’Afrique trouve peu à peu sa place dans les flux
d’investissements internationaux, non seulement en direction de ses places
financières, mais aussi souvent par le biais des fonds de capital-‐
investissement. En 2000, le continent comptait une douzaine de Bourses
pour une capitalisation de 257 milliards de dollars. Aujourd’hui, les
18 premières places du continent, sur un total de 23 Bourses africaines,
affichent une capitalisation de plus de 1 123 milliards de dollars, soit
l’équivalent du PIB de l’Afrique subsaharienne.
Depuis 2010, les capital-investisseurs actifs en Afrique ont levé
16,2 milliards de dollars et la tendance est à la hausse. Ces derniers
apportent non seulement des financements, mais aussi une expertise,
souvent dans des secteurs liés à la croissance endogène du continent et non
pas au secteur extractif. Ils sont ainsi de plus en plus nombreux à financer
des infrastructures d’électricité ou de transport11. La relocalisation de la
production industrielle des pays émergents et développés vers l’Afrique est
appelée à s’amplifier, produisant un cercle vertueux à même d’attirer
toujours plus d’entreprises internationales et donc d’investissements directs
étrangers. Les pays d’Afrique de l’Est notamment sont un exemple de la
façon dont le continent peut exploiter ses avantages comparatifs.
Ainsi, si l’Union européenne et les États-Unis restent les plus grands
investisseurs en Afrique, les économies émergentes sont devenues une
source vitale de fonds pour le continent. La part des projets transfrontaliers
issus d’autres pays africains est par exemple passée de 10 % environ
pendant la période 2003-2008 à 18 % entre 2009 et 2013, selon FDI
Markets. Ces chiffres soulignent l’importance de créer des marchés
régionaux (cf. chapitre 9). Les principaux investisseurs émergents sont la
Chine, l’Afrique du Sud, l’Inde, Singapour et la Malaisie. Les investisseurs
issus du Moyen-Orient, qui ont injecté plus de 100 milliards de dollars au
cours de la dernière décennie, ont ouvert la voie.
C’est pourquoi il convient d’encourager les centres financiers africains
comme Maurice et Casablanca Finance City au Maroc, ou comme
Johannesburg en Afrique du Sud. Ces places financières permettent de
relier l’Afrique au reste du monde. Elles sont attractives notamment pour le
niveau des compétences qu’on y trouve dans les métiers de la finance, leur
bilinguisme à la frontière de plusieurs mondes (Amérique, Asie et Europe
pour Maurice, Europe et Moyen-Orient pour le Maroc…). Les pays
africains ont aussi compris l’intérêt d’harmoniser leurs réglementations en
matière financière, non seulement pour améliorer les questions de
gouvernance et de transparence et pour faciliter les contrôles, mais aussi
pour devenir des destinations d’investissement attractives. Cela va de pair
avec le développement de plateformes identifiées et fiables, à l’instar de
Singapour ou Hong Kong pour l’Asie.
La place de l’Afrique dans la mondialisation doit être pensée à long terme.
Surtout, elle doit prendre en compte les nouveaux partenariats. Où se
dirigeront les Africains dans trente ans ? D’où viendront réellement les flux
d’investissement étrangers et les investisseurs privés ? Si nous ne nous
posons pas cette question, nous ne parviendrons pas plus à tirer profit de
notre démographie et de nos diasporas qu’à mettre en valeur nos ressources
naturelles.
3

Les Afriques, bombe à fragmentation

L’Amérique aura bientôt son mur, « payé par le Mexique » à en croire le


président Donald Trump. Il viendra s’ajouter à ceux, notoires, de Berlin
(Europe) et de Cisjordanie (Moyen-Orient), ainsi qu’à la « ligne de contrôle
» du Cachemire et à la zone démilitarisée coréenne (Asie). L’Afrique
semble, à première vue, le seul continent dépourvu de ces barrières.
À première vue seulement. De fait, si l’Afrique est moins connue pour ses
« murs », cicatrices modernes plus visibles du séparatisme et de la défiance,
c’est peut-être parce qu’elle en porte déjà depuis longtemps : plus de
150 frontières délimitent les 55 pays du continent. Héritées de la conférence
de Berlin de 1884-1885, des luttes pour l’indépendance ou de guerres
civiles post-indépendance (Érythrée, Soudan du Sud…), elles ont fait de
l’Afrique la région du monde qui compte le plus de pays par kilomètre
carré. Un pays africain a en moyenne quatre pays voisins, contre 2,3 en
Amérique latine.
Le thème de la « balkanisation » du continent par les puissances coloniales
est l’un des plus anciens regrets de l’Afrique indépendante et est
régulièrement invoqué comme un des obstacles à son développement. «
Tant que nous resterons désunis, tant que nous resterons balkanisés
régionalement ou territorialement, nous serons à la merci du colonialisme et
de l’impérialisme », écrivait Kwame Nkrumah, héraut du panafricanisme,
dans Africa Must Unite1. Cinquante ans plus tard, on retrouve la
même thématique chez le président Paul Kagame : « Les longues périodes
d’instabilités dans certaines parties de l’Afrique, les coûts élevés de
l’énergie et du transport, les économies fragmentées et non intégrées, et une
forte dépendance à l’égard des produits primaires, sont quelques-uns des
obstacles bien connus [au développement du continent]2. »
Il est difficile de mesurer la part exacte jouée par les divisions
administratives et frontalières en Afrique dans la faible part du commerce
intra-régional (la part du commerce intra-africain dans le commerce total de
l’Afrique a été de 10 % au cours de la dernière décennie, quand 20 % des
importations proviennent de pays membres de l’Association des nations de
l’Asie du Sud-Est, 35 % de l’espace de l’Accord de libre-échange nord-‐
américain et plus de 60 % de l’Union européenne3), en raison notamment de
la difficile prise en compte des échanges informels et de la mauvaise qualité
des infrastructures de transports, laquelle, même en l’absence de frontières
et à l’intérieur d’un même pays, réduit drastiquement le volume du
commerce.
Aussi, les pays peu développés échangent généralement peu entre eux, et
lequel du sous-développement ou des faibles échanges qui engendre l’autre
est difficile à déterminer : les importations en provenance des pays
membres du Marché commun de l’Amérique centrale représentent à peine 8
% du total, contre 10 % dans la CEDEAO. Mais comme le note avec raison
une étude de la Banque mondiale : « L’Afrique s’est intégrée au reste du
monde plus rapidement qu’avec elle-même ». On estime ainsi que l’Afrique
échange deux fois plus avec l’Europe qu’avec elle-même. Et les bienfaits
qu’aurait une intégration économique plus forte en Afrique sur le
développement économique, l’industrialisation et le niveau de vie ne sont
contestés par personne.
Dans la seconde partie de cet ouvrage (cf. chapitre 9), je reviendrai sur ce
point et montrerai comment l’intégration économique et une coopération
régionale plus poussées sont indispensables pour surmonter plusieurs des
difficultés auxquels les pays africains sont confrontés. J’aimerais plutôt
exposer ici trois périls, sous-estimés et peu étudiés, auxquels le continent
est confronté du fait de sa fragmentation actuelle.

La rupture engendre la rupture


Le premier et le moins évident des risques est celui d’une fragmentation
encore plus grande. La rupture engendre la rupture. C’est l’une des
contributions les plus importantes de la sociologie moderne : les enfants
issus de familles fragmentées ont tendance à créer, devenus adultes,
d’autres familles fragmentées. De même, les pays issus de la fragmentation
d’entités préexistantes4 sont tôt ou tard confrontés ou soumis à d’autres
fragmentations. Les exemples abondent à travers la planète5 : la partition
des Indes engendra le Pakistan, qui à son tour fut scindé pour donner
naissance au Bangladesh ; celle issue de la fin du mandat britannique sur la
Palestine aboutit à une autre balkanisation (Israël, Cisjordanie, bande de
Gaza, diaspora palestinienne en Jordanie…).
Plus récemment, le « Brexit » a ouvert la possibilité d’une sortie de
l’Écosse du Royaume-Uni, qui à son tour renforcerait la probabilité d’une
indépendance de la Catalogne en Espagne. Inspirés par ces exemples, les
indépendantistes corses préparent une nouvelle phase de leur combat. La
liste ne cesse de s’allonger. En Afrique aussi, les exemples sont légions.
Des sécessions katangaise et biafraise des années 1960 à la « déclaration
d’indépendance de l’État de l’Azawad » en 2012 – rejetée par le Mali et la
Communauté internationale –, en passant par la rébellion de la Casamance
au Sénégal.
Il faut le dire : l’Afrique fragmentée est une bombe à fragmentation.
Pourquoi est-ce important de le rappeler ? Parce que l’option de la partition
est très souvent l’une des « solutions » régulièrement proposée face aux
troubles des pays africains, du Rwanda des années 1990 au Soudan (puis au
Soudan du Sud) des années 2010, de la Côte d’Ivoire de 2002 à la Libye
post-Kadhafi. La « solution bien connue – soignée, plausible et… fausse »6
de la partition ne manque jamais de faire son apparition dans les crises qui
se déclenchent encore sur le continent.
Le risque d’une fracturation encore plus grande et continuelle du continent
a très tôt été compris par les pères fondateurs de l’Organisation de l’unité
africaine, qui ont fait de l’unité future de l’Afrique un objectif, et de
l’inviolabilité des frontières post-indépendance un principe de la nouvelle
institution panafricaine. On peut questionner la rigidité de ce principe, et le
dénoncer quand il devient complice de violations manifestes des droits de
l’homme et sert d’excuse à la non-assistance aux minorités nationales
réprimées et en danger. Mais il est, je crois, dangereux de prétendre qu’à
défaut d’une unité à marche forcée, morceler davantage l’Afrique est la
seule option possible. On ne répare pas un vase cassé avec un marteau.

La course effrénée vers la première place


Le deuxième péril auquel font face « les Afriques » est l’approche du « tout
au vainqueur ». Elle est rarement explicite, parfois inconsciente peut-être,
mais l’idée selon laquelle la mondialisation fait forcément des gagnants et
des perdants et que les pays africains doivent se résigner à cette logique
engendre une course effrénée vers la première place qui est assez
dangereuse.
À l’heure où j’écris ces lignes, des investissements massifs sont réalisés
aux ports d’Abidjan, de Dakar, de Lomé et de Tema (Ghana) dans le but
implicite de faire de ces entrées la principale plateforme portuaire pour
desservir l’hinterland ouest-africain7 – le Nigeria, grand marché presque
autonome de la CEDEAO, n’est pas non plus épargné par cette course.
Certes, ces investissements créent sans doute des emplois et surviennent
après des années d’indifférence et de délabrement de ces infrastructures.
Certes encore, les capacités d’absorption du marché régional sont loin
d’être comblées et sont même appelées à croître du fait de la formidable
croissance démographique attendue. Mais on peut raisonnablement penser
que tous ces efforts antagonistes ne seront pas tous récompensés. Peut-on
douter qu’une plus grande concertation entre les pays de la région misant
sur une spécialisation (produits agricoles, miniers, vrac, automobile…) de
ces différentes infrastructures, avec une mise en commun des
investissements et une répartition des retombées économiques, ne serait pas
plus utile pour tous les pays concernés ?
De la même façon, les faiblesses du transport aérien dans la région et
l’échec de la compagnie panafricaine Air Afrique ont engendré une autre
course à la suprématie nationale. Les compagnies Air Côte d’Ivoire et Asky
Airlines, basée à Lomé, sont engagées dans une bataille sourde mais intense
pour s’imposer en Afrique de l’Ouest8. Dans le même temps, la compagnie
Ethiopian Airlines, activement soutenue par Addis-Abeba, déploie ses ailes
à travers le continent, capturant chaque fois plus de parts de marché, au
grand dam de Kenya Airway et de South Africa Airways ou même de Royal
Air Maroc qui, soumises à un environnement économique national plus
concurrentiel, désespèrent de se déployer de la même façon à travers
le continent.
Pour être clair : il me semble évident qu’une concurrence entre acteurs
économiques peut être bénéfique pour les consommateurs et accroître, de
façon générale, l’efficacité de chacun d’entre eux et du secteur concerné.
Mais peut-on raisonnablement affirmer que cette concurrence exacerbée –
et largement subventionnée par les États – est intrinsèquement meilleure
qu’une approche plus coordonnée, concertée et négociée ? Qu’il soit permis
d’en douter. D’ailleurs, il est intéressant de noter que plus cette bataille fait
rage, moins les pays africains sont enclins à respecter l’accord de
Yamoussoukro (2000) par lequel ils s’engagent à ouvrir leurs frontières
aériennes aux compagnies de leurs voisins.
Dans le même temps, des compagnies étrangères (d’Air France-KLM
à Emirates et Turkish Airlines) profitent des accords bilatéraux conclus
entre leurs pays et les États africains pour renforcer considérablement leur
offre en Afrique9. On retrouve ce même schéma – une concurrence
exacerbée entre pays africains qui ouvre la voie à la percée d’acteurs
étrangers plus solides – dans la finance10, les mines ou l’agro-industrie, avec
pour chacun de ces secteurs une bataille de l’attractivité privilégiée par
rapport aux solutions concertées et à la coopération régionale. La
fragmentation n’engendre pas seulement l’émiettement, mais engendre le «
chacun pour soi » et, demain, la désillusion pour tous.

Des vertus de la diversité


La diversité de l’Afrique comporte des vertus que l’on aurait tort de sous-‐
estimer. C’est le troisième péril auquel l’Afrique morcelée se trouve
exposée.
L’Afrique du Sud est, aux côtés de l’Inde, de la Chine, de la Russie et du
Brésil, membre fondatrice de la New Development Bank (NDB), la
puissante nouvelle banque des BRICS, qui prévoyait pas moins de
2,5 milliards de dollars de financement en 201711. Le Maroc est un
partenaire privilégié du Conseil de coopération du Golfe, dont les membres
se sont engagés à investir 120 milliards de dollars en dix ans dans le
royaume chérifien12. Après bien des tergiversations durant la présidence de
Barack Obama, et en dépit du réalignement nationaliste proposé par Donald
Trump, il est clair que le Nigeria bénéficiera durant les prochaines années
d’une coopération militaire renforcée avec les États-Unis dans le cadre de la
lutte contre le terrorisme13.
Que montrent ces exemples ? Que la diversification économique,
religieuse et géopolitique de l’Afrique peut être bénéfique à l’ensemble du
continent. Les investissements des BRICS en Afrique du Sud peuvent
dégager des fonds supplémentaires et encourager les entreprises de la
Nation Arc-en-ciel à rechercher des opportunités sur le reste du continent.
Les flux en provenance des pays du Golfe ne peuvent que renforcer
l’expansion panafricaine, déjà très engagée, des opérateurs marocains. Les
bénéfices du rétablissement de la sécurité au Nigeria sur l’économie et la
sécurité en Afrique occidentale et en Afrique centrale sont évidents.
C’est parce que le Maroc dispose historiquement de liens avec le Golfe,
que l’Afrique du Sud s’est clairement engagée aux côtés des BRIC devenus
BRICS, et que les enjeux économiques des entreprises pétrolières
américaines sont ce qu’ils sont, que chacun des partenariats et bénéfices que
je viens d’évoquer sont possibles. Il en va de même, à divers degrés, pour
certains pays francophones et anglophones avec la France et le Royaume-‐
Uni ou encore pour certains pays d’Afrique de l’Est et de l’Océan Indien
avec l’Inde ou le Moyen-Orient… La diversité historique, religieuse,
sociale, culturelle et idéologique de l’Afrique peut faire bénéficier
l’ensemble du continent des avantages de chacun des États qui le
composent si elle est clairement comprise et mise à contribution.
La condition sine qua non est la confiance, c’est-à-dire le dialogue. Rien
n’éclaire davantage l’impasse vers laquelle mène la défiance et – encore
une fois – la non-coopération, que la course aux armements à laquelle se
livrent nombre de pays africains, avec les effectifs pléthoriques et les
risques de trafics d’armes qu’elles engendrent. Et, in fine, le risque de
déstabilisations politique, militaire et sociale qui en découle directement.
Les efforts en vue d’une armée ouest-africaine, à travers la force de
déploiement de la CEDEAO, illustrent les avantages de la coopération.
Sans l’appui explicite et l’approbation de cette force collective, le Sénégal
n’aurait par exemple pas obtenu l’accord du Conseil de sécurité pour
franchir, en janvier 2017, les frontières de la Gambie.
L’unité n’est ni l’uniformité, ni l’unification, certes. Mais il faut le répéter
parce que ce n’est pas toujours une évidence : l’union, oui l’union, fait la
force.
4

Les États africains face aux bouleversements


climatiques

Les « Martiens » de Tassili-n-Ajjer1, dans le Sahara algérien, l’attestent :


s’il y a une région du monde qui a constamment su s’adapter aux
bouleversements climatiques qui ont marqué notre planète, c’est bien
l’Afrique. Ces peintures rupestres figurant des géants à têtes rondes, des
hippopotames, des éléphants et des hommes, tracées il y a plusieurs milliers
d’années dans un vaste territoire allant de l’Algérie à la Libye, rappellent
qu’avant d’être un désert cette zone était une terre fertile, à la végétation
luxuriante2. Les éléphants ont disparu, les buffles se sont réfugiés en zone
tropicale, la végétation a été ensevelie sous le sable, mais les Africains sont
encore là.
C’est une leçon de résilience et d’optimisme, alors que la planète doit
à nouveau faire face à un changement climatique d’une très grande ampleur,
et que le continent africain, en particulier, est confronté à une dégradation
sans précédent de ses terres. Il est estimé qu’environ 494 millions
d’hectares de terres en Afrique (sur un total de 2 966 millions d’hectares)
sont en état d’appauvrissement3. C’est équivalent à la surface de
l’Amazonie.
Ces dégradations ont des effets dévastateurs sur les communautés rurales
africaines qui composent encore plus de la moitié de la population. Pire,
elles frappent de façons disproportionnées les femmes. À une échelle plus
locale et notamment dans les zones rurales défavorisées, ces dernières sont
directement impliquées dans la gestion des ressources naturelles telles que
l’eau, le bois et les récoltes. Ce sont par conséquent elles aussi qui sont le
plus directement victimes du changement climatique et de la pauvreté.

Des signaux de détresse proviennent de toute l’Afrique


Le changement climatique a toujours eu pour moi, en tant que Nigérien, une
résonance très concrète. Le terme est tellement entendu qu’on ne saisit plus
l’ampleur de ses conséquences. Pourtant le changement climatique est
beaucoup plus qu’une simple formule. Les difficultés rencontrées
aujourd’hui par mes compatriotes au Niger, une zone sahélienne
particulièrement exposée aux rigueurs du bouleversement climatique, ne
peuvent laisser personne indifférent.
Ce changement, ce ne sont pas uniquement quelques degrés de plus sur un
thermomètre, ce sont des inondations incontrôlables suivies de sécheresses
impitoyables, ce sont des milliers de bêtes qui ne peuvent plus boire et se
nourrir selon leurs besoins, ce sont des dérèglements dans les saisons qui
perturbent les cycles habituels des cultivateurs… En fin de compte, ce sont
des communautés entières qui doivent revoir des modes de vie anciens de
plusieurs siècles, voire de millénaires. Ces signaux de détresse émanent de
partout en Afrique.
Une forte exposition à la désertification dans la région du Sahel et les
inondations dans les villes côtières d’Afrique de l’Ouest ne sont que deux
exemples parmi tant d’autres de ces conséquences alarmantes. On estime
qu’avec un réchauffement compris entre 1,5 et 2 °C, la sécheresse et
l’aridité pourraient rendre entre 40 et 80 % des terres agricoles en Afrique
impropres à la culture du maïs, du mil et du sorgho d’ici à 2030-20404.
Notre continent est plus exposé que les autres aux changements
climatiques à l’œuvre sur le globe. Et, comble de l’injustice, ce sont
finalement les populations les plus éloignées de la mondialisation et du
développement industriel, que ce soit sur le plan de la responsabilité ou de
la simple géographie, qui en sont les premières victimes. Et ce sont souvent
ces personnes et ces communautés qui sont les plus difficiles à aider au-delà
des manifestations de bonne volonté de la part des philanthropes et agences
diverses et variées qui se sont saisis de cette question à travers le monde.
Le nombre d’Africains souffrant de la faim (240 millions en 2014)
pourrait augmenter de 25 % d’ici à 2050, en cas d’un réchauffement de
1,2 degré Celsius, et de 95 % pour une hausse de 1,9 degré5.

L’adaptation est une opportunité, mais…


À première vue, l’augmentation prévisible des émissions de gaz à effet de
serre (GES) plaiderait pour mettre l’accent sur l’atténuation des
changements climatiques. De fait, si les émissions de GES continuent de
croître au rythme actuel, tous les efforts d’adaptation seront consentis en
vain. Pour autant, à l’échelle du continent africain, qui ne contribue que
pour 4 % à ces émissions, c’est la logique inverse qui paraît la plus
indiquée, l’Afrique étant la plus affectée par les phénomènes de
désertification et de baisse des récoltes.
Dès lors, faire porter l’essentiel des efforts sur l’adaptation aux
changements climatiques semble être la voie la plus rationnelle au niveau
du continent, mais comment faire en sorte que le ratio défavorable des
financements (seulement 20 % consacrés à l’adaptation) envers ce versant
de l’aide pour le climat cesse d’être un handicap ?
Les pays africains sont livrés à eux-mêmes sur les questions complexes de
l’adaptation, qu’il s’agisse des dangers d’inondation, de désertification, de
diminution de la production agricole, etc. La faible capacité d’adaptation du
continent est aggravée par la pauvreté et le manque d’infrastructures.
Ce défi est souvent présenté comme une opportunité pour l’Afrique. Je
suis partisan de cette vision optimiste, mais je veux rester réaliste dans mon
approche : le risque, bien réel, est de voir les effets négatifs l’emporter sur
les bénéfices potentiels. Ce risque pourrait se matérialiser si les États
africains abordent la question du changement climatique de façon
unilatérale. Dans ce domaine, peut-être encore plus que dans d’autres,
l’union fera la résilience et la capacité à proposer des modèles d’adaptation
innovants.
En raison des incertitudes qui pèsent sur la volonté réelle des puissances
étrangères à financer l’effort d’adaptation, la mise en commun des
ressources africaines représente la seule vraie solution de long terme. Il
suffit d’observer les déclarations de la nouvelle administration américaine,
dirigée par un climato-sceptique notoire. Rien ne garantit qu’elle tienne les
engagements environnementaux pris par l’administration Obama. Cela
pourrait à terme affecter la détermination d’autres grands pollueurs comme
la Chine, qui a été une force positive au cours de la COP 22 et s’est montrée
plus sensible aux dérèglements climatiques ces dernières années6.
Parce qu’elle est relativement neuve et donc libérée de certaines
contingences, je crois même que la gestion du défi climatique pourrait nous
permettre d’esquisser de nouveaux modes de coopération. C’est ce que je
voudrais explorer ici à travers deux points : la bonne coordination des
efforts pour le financement de l’adaptation d’une part, de l’autre l’adoption
de solutions ambitieuses sur les territoires menacés par les extrêmes
climatiques. Une chose doit être clairement comprise : l’action disparate,
même courageuse, de quelques-uns ne pourra pas se substituer en termes
d’efficacité à l’action coordonnée de nos 55 États.

La mobilisation des moyens techniques et financiers est


indispensable
Dix ans après l’Accord de Kyoto (2007) qui avait, entre autres, vu le
lancement du Mécanisme de Développement Propre (MDP)7, lequel visait
à fournir un appui technologique et financier aux pays en voie de
développement pour atténuer les impacts des changements climatiques,
c’est à Marrakech que l’Afrique a pu plaider pour une action climatique
ambitieuse.
Des décisions de fond sur la mise en œuvre de l’Accord historique de
Paris, conclu un an avant à l’occasion de la COP 21, y ont été prises. Le
succès relatif de l’Afrique à la COP 22 doit énormément à la capacité du
continent de présenter un front commun dans les négociations. Les
négociateurs n’ont pas épargné leurs efforts pour faire entendre la voix de
l’Afrique. Cette dynamique est précieuse et doit être à tout prix entretenue
et renforcée.
La mobilisation du financement reste une priorité absolue. Les pays
africains ont besoin d’une visibilité de long terme sur les flux d’aide
à l’adaptation auxquels ils peuvent s’attendre afin de faire face aux
changements climatiques et de soutenir le développement de leurs
infrastructures. Cela comprend la collecte de données, la diplomatie
climatique et la recherche.
Les changements climatiques représentent, tout particulièrement pour
l’Afrique, une occasion de repenser les modèles de développement. Il
importe dès maintenant d’encourager les financements privés pour
compléter l’aide publique qui demeure encore insuffisante pour préparer
l’Afrique aux défis climatiques des prochaines décennies. D’après l’OCDE,
le montant de l’aide publique pour le climat devrait monter jusqu’à
67 milliards de dollars annuels en 2020, alors qu’il en faudrait un total
compris entre 77 et 133 milliards pour financer la totalité des objectifs de
réduction des émissions de GES. Le complément viendra nécessairement du
privé.
Je constate avec intérêt que les signes d’une forte prise de conscience de la
part des financeurs privés sont déjà visibles. À l’occasion du One Planet
Summit qui s’est tenu fin 2017 à Paris, 91 entreprises françaises,
représentant au total 1 500 milliards d’euros de chiffres d’affaires, ont lancé
ensemble le « French Business Climate Pledge », une initiative d’au moins
60 milliards d’euros d’investissements industriels et de R&D dans les
énergies renouvelables et l’efficacité énergétique.
L’Afrique doit porter cette problématique du financement de façon urgente
à l’attention de ses partenaires publics et privés si elle veut gagner son
combat contre les effets des changements climatiques. Dans le cadre de
l’Union africaine, les dirigeants africains ont adopté un Plan d’action pour
l’environnement (PAE) pour faire face aux défis environnementaux du
continent8. Ce plan d’actions vise à promouvoir l’utilisation durable des
ressources naturelles de l’Afrique, à renforcer l’appui public et politique
aux initiatives environnementales et à favoriser l’intégration des questions
environnementales dans les stratégies de développement.

La restauration des terres, clé du ré-enracinement des populations


Je crois que la restauration des terres est l’un des domaines prioritaires de la
reprise de souveraineté sur nos territoires, en permettant de ré-enraciner les
communautés qui autrement se désintégreraient sous les effets du
changement climatique. Comme je le disais plus haut, je viens d’un pays où
la menace de la désertification a toujours eu une signification très concrète.
Nombre de mes compatriotes vivent de l’agriculture et de l’élevage malgré
cette épée de Damoclès qui se fait de plus en plus menaçante. Avec des
ressources limitées, le pays est néanmoins parvenu à valider le tout premier
Plan national pour l’environnement et le développement durable, et se place
aujourd’hui comme l’un des champions de la lutte contre la désertification
avec des résultats importants sur la quantité de terres dégradées récupérées.
Concentrons-nous plus particulièrement sur l’exemple de la région du Lac
Tchad, qui traverse aujourd’hui une crise dont les racines plongent bien au-‐
delà de la zone. Passé en 50 ans d’une superficie de 25 000 km2 à près de
800 km29, le lac dont dépendent plus de 30 millions de personnes pour leur
subsistance10, se trouve à un de ses plus bas niveaux depuis un siècle. Les
conséquences drastiques de cette situation se jouent à plusieurs niveaux :
environnemental, économique, social et sécuritaire.
L’amenuisement des ressources aquatiques se traduit par une raréfaction
des poissons et une progression de la désertification affectant l’agriculture
dans la région. Les difficultés des agriculteurs engendrent des tensions
violentes avec les éleveurs pour une terre de plus en plus rare. En
conséquence, de nombreuses populations se voient contraintes à migrer
hors de la zone, laissant derrière eux une jeunesse sans travail, fragilisée,
susceptible de rejoindre les rangs des groupes mafieux et djihadistes. La
désertification du bassin du lac Tchad condense ainsi toute une chaîne de
problèmes intimement imbriqués, et que seule une coordination régionale
forte pourra résoudre.
Le moment est venu d’agir énergiquement, car à l’heure actuelle et malgré
de violentes résurgences, les attaques de Boko Haram sont en train de
décliner. Cela laisse espérer une pacification de la région qui permettrait le
retour des populations chassées dans le passé récent. Il serait impensable de
ne pas saisir cette accalmie pour faire avancer les objectifs de
développement qui permettront à la région de reprendre son essor
économique dans un contexte pacifié.
S’il fallait résumer par un mot l’esprit général de ces interventions, il
faudrait utiliser celui de « ré-enracinement », terme véritablement approprié
à un ensemble d’initiatives visant à réimplanter des remparts naturels
environnementaux et sociaux durables à la désertification et à ses
conséquences sur le tissu socio-économique et sur la sécurité régionale.
La première étape est celle du rétablissement de la sécurité des personnes
et des infrastructures. D’abord en appliquant les mécanismes prévus par la
politique de Reconstruction et de Développement Post-Conflit de l’Union
Africaine (RDPC)11, qui repose sur six piliers : la sécurité, l’assistance
humanitaire et d’urgence, la mise en place d’une gouvernance efficace, la
reconstruction et le développement socio-économique, la justice et la
réconciliation, et l’égalité entre les sexes.

Enrayer les migrations climatiques


Pour réussir sur ces points, une coordination forte entre les communautés
économiques régionales est indispensable. Grâce à elle, les processus les
plus efficaces peuvent se voir généralisés et harmonisés entre les différents
partenaires. Appliqué au cas du Lac Tchad, le cadre d’intervention consiste
en priorité à venir en aide aux populations touchées par la faim. Cela
suppose de renforcer les réseaux d’infrastructures de transport et d’énergie,
de communication, d’eau potable et de santé, et de lier fermement aide
d’urgence et développement de long terme.
Le ré-enracinement des populations dans un cadre productif sécurisé
repose donc d’une part sur la lutte contre la désertification, et d’autre part
sur une aide au développement agricole et piscicole grâce à des
apports technologiques, des financements et des programmes de formation
pour favoriser l’accès à l’emploi sur la zone. Ce cadre nécessite de repenser
en profondeur les modèles d’intervention classiques pour les adapter aux
réalités de terrain proprement africaines, en axant les interventions autour
d’un ou de plusieurs pays-pivots.
Enfin, une veille attentive quant à l’efficacité des projets engagés est
cruciale pour faire évoluer les processus et les améliorer en continu. Dans
d’autres régions du monde, des évolutions qui semblaient inévitables ont pu
être ralenties voire inversées : que l’on pense à la Mer d’Aral, où la
construction d’un barrage en 2005 pour réorienter le fleuve qui l’alimente
traditionnellement lui a permis de regagner 30 % de sa superficie12. Avec
une volonté politique forte, un désastre écologique vieux de cinquante ans
a pu être endigué.
La seconde étape permettra de voir au-delà de la région du Lac Tchad et
de trouver des solutions pour l’ensemble de la zone sahélo-saharienne. Car
les problèmes du Lac Tchad sont de nature similaire à ceux qui touchent la
zone qui s’étend du Sénégal à Djibouti.
Le projet de Grande Muraille Verte (GMV) est précisément une réponse
ambitieuse à cette situation. Elle concerne 11 pays13 sur environ 7 000 km
de long et 15 km de large. Par une action concertée visant au reboisement,
à l’installation de systèmes agricoles, à la promotion d’activités génératrices
de revenus et à la création d’infrastructures sociales de base, la GMV crée
des digues pour lutter contre la désagrégation de l’environnement naturel
des populations locales et du tissu socio-économique.

La voix singulière de l’Afrique


L’Afrique a eu une voix singulière dans les négociations environnementales
mondiales, et préconise un plus grand respect du principe des
responsabilités : communes certes, mais différenciées. Le Premier ministre
éthiopien Meles Zenawi a joué un rôle considérable dans la promotion des
positions communes africaines dans ce domaine. Les négociateurs africains
devraient inciter les pays développés à accroître leurs appuis financiers
à l’adaptation avant la période 2020 et à mieux répondre aux besoins
immédiats des États africains vulnérables. Pour cela, ils leur faut plus que
jamais pouvoir peser dans les négociations. Là encore, une prise de parole
cohérente représente le seul moyen d’avancer en terrain sûr.
L’Afrique, du fait de son retard dans le processus d’industrialisation, peut
tracer son propre chemin en tirant les leçons des transformations
industrielles passées tout en exploitant les nouvelles technologies, et ce afin
de déployer un modèle de développement à faible teneur en carbone qui
puisse être une source d’inspiration pour le reste du monde.
5

Une démographie originale et incontrôlée

La seule grande question que j’aimerais que tous les hommes politiques se
posent aujourd’hui en Afrique est la suivante : comment transformer ce qui
risque d’être une opportunité démographique manquée en un dividende
démographique, levier essentiel de notre développement ? Ce n’est pas un
hasard si la thématique choisie par l’Union africaine pour l’année 2017 était
: « Tirer pleinement profit du dividende démographique en investissant dans
la jeunesse1 ». Je souscris totalement à cet engagement.
Je voudrais en outre rappeler que, même si elle est souvent présentée
comme un continent surpeuplé, l’Afrique souffre en réalité d’une densité de
population très hétérogène, très faible dans certaines régions du continent,
et, en moyenne, moitié inférieure aux autres pays émergents au poids
économique similaire. C’est l’une des conséquences les plus durables du
grand dépeuplement subi du XVIIe au XIXe siècle.
En 2016, il n’y avait que 44 habitants au kilomètre carré en Afrique
subsaharienne, contre une moyenne de 57 dans le monde, 39 en Afrique du
Nord et au Moyen-Orient, 370 en Asie du Sud et 32 en Amérique latine et
aux Caraïbes. Mais les situations des pays subsahariens sont très diverses :
3 habitants au kilomètre carré en Namibie, 8 au Gabon, 17 en Algérie, 46 en
Afrique du Sud, 75 en Côte d’Ivoire et 204 au Nigeria2. Au-delà de ces
divergences, une évidence : en 2100, l’Afrique représentera près de 40 % de
la population mondiale : 4,47 milliards d’Africains sur un total mondial de
11,184 milliards d’humains3.

La croissance démographique se prévoit et se gère


Ne nous trompons pas de débat. Il ne s’agit pas de savoir s’il faut plus ou
moins d’Africains, mais d’évaluer les courbes démographiques des pays au
regard des capacités et des niveaux de développement des états de la région.
Derrière la fameuse « transition démographique » se cache une question de
dynamique, de gestion des flux et de mise à disposition de ressources.
Le défi n’est pas la démographie en tant que telle, mais plutôt les
infrastructures et les personnels d’accueil, de soin, d’accompagnement et de
formation. Pour 1 000 nouveaux nés, il faut un minimum de sages-femmes,
puis de médecins, d’instituteurs, de formateurs professionnels, de places en
universités, d’emplois, de retraites… La croissance démographique se
prévoit et se gère. C’est à cette condition qu’elle devient une force.
Rappelons quelques données essentielles pour saisir l’ampleur du défi. La
population africaine reste majoritairement rurale, avec 6 personnes sur 10
vivant dans les campagnes à ce jour. Plus important encore, la lenteur de la
transition démographique de l’Afrique implique que cette population rurale
continuera à croître dans les prochaines décennies. En effet, la croissance de
la population ne ralentit pas aussi rapidement que les démographes l’avaient
prévu. En 2004, l’ONU avait prédit que la population du continent passerait
d’un peu plus de 900 millions à l’époque à environ 2,3 milliards en 2100.
Aujourd’hui, l’institution internationale table sur quasiment le double.
Ce processus démographique sans précédent exercera une pression
significative sur les marchés du travail, en milieu rural et urbain. La main-‐
d’œuvre africaine devrait augmenter de 880 millions de personnes
entre 2015 et 2050 (dont près de 90 % seront en Afrique subsaharienne), ce
qui représente les deux tiers de la croissance de la main-d’œuvre mondiale.
En 2050, l’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants avec un âge médian
de 24 ans, si bien que nous constaterons mécaniquement une pression
exceptionnelle sur le marché du travail. Au rythme actuel, seulement 10 %
d’entre eux parviendront à décrocher des métiers dans le secteur formel
avant leurs 30 ans4.
Cette longue transition démographique, j’ai eu l’occasion de l’observer de
près au Niger, qui reste le pays au monde où les femmes ont le plus
d’enfants, 7,6 en moyenne.
On est tenté de penser que trop nombreux sont les états et les sociétés
à travers l’Afrique qui n’ont pas, dans leur forme actuelle, la capacité de
gérer cette lame de fond démographique. Pourtant, ce n’est pas une fatalité.
Dans ce domaine, les États doivent réfléchir à long terme et se demander en
fin de compte s’ils sont capables :
1. de mettre partout en œuvre les politiques de planning familial qui ont fait
leur preuve à travers les pays émergents ;
2. de planifier la bonne formation des ressources dans la fonction publique
tout en faisant levier sur les apports et innovations du secteur privé ; et
3. de mener à bien une transformation rurale de fond au moyen de l’agro-‐
industrie pour permettre aux campagnes d’absorber le choc
démographique.

Prévention : les clés de la réussite


Les seuls pays où les femmes continuent à enfanter plus sont les pays les
plus pauvres. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la guerre, la famine
et autres catastrophes ont tendance à stimuler la population à long terme, en
gardant les taux de fécondité élevés. Plusieurs études ont montré l’existence
d’une corrélation entre la hausse des chances de survie des enfants et la
réduction du taux de fécondité5.
Réduire les taux de fécondité afin d’accélérer la transition démographique
est essentiel pour une croissance économique durable. On connaît les
quelques conditions préalables à une baisse du taux de fécondité : un
minimum de stabilité politique et de sécurité physique, un certain niveau
d’éducation (en particulier pour les femmes) et un accès facilité aux moyens
de contraception. Plus ces conditions sont rapidement satisfaites, plus les
taux de natalité sont bas.
Quelques pays africains ont connu des baisses marquées de leur fertilité,
à l’image du Burundi, de l’Éthiopie et du Sénégal, en ayant recours au
même genre de campagnes de contrôle des naissances. En Éthiopie, le taux
de fécondité a diminué d’environ 0,15 % par an au cours de la décennie
écoulée, ce qui est considérable dans le temps démographique. Ce progrès
résulte en grande partie d’un réseau national de près de 38 000 « agents de
vulgarisation de la santé »6, soit un agent pour 2 500 habitants. Leur travail
consiste à effectuer des visites régulières dans chaque ménage de leur
localité et à fournir un encadrement sur la santé publique, depuis les vaccins
jusqu’à l’hygiène. La planification familiale figure parmi les seize sujets
dans lesquels ils apportent une formation à chaque Éthiopien. Toutes les
femmes ont accès à des services gratuits de planification familiale à partir
d’un établissement de santé7.
Le Sénégal présente lui aussi un cas intéressant en ceci qu’il illustre bien
les avantages d’une coopération entre les pouvoirs politique et religieux
pour avancer sur les questions sociales. En 2012, le gouvernement a doublé
son budget pour les moyens de contraception et annoncé une stratégie
nationale de planification familiale avec l’objectif ambitieux d’accroître le
taux de prévalence des moyens de contraception de 12 % à 27 % en 2015.
Dans les premières années de l’épidémie de sida, les confréries musulmanes
avaient conseillé aux croyants de se protéger, une coopération qui s’était
avérée indispensable8. Malgré les réticences d’une partie des dignitaires
religieux face aux questions de contrôle des naissances, un millier d’imams
du réseau Islam et Population coopèrent avec le gouvernement pour
sensibiliser les croyants aux avantages du planning familial.
À plus long terme, l’effort porté à favoriser la planification familiale doit
être répliqué à tous les niveaux dans le renforcement de nos capacités.
Autrement, nous pourrions nous diriger vers un scénario catastrophique où
les migrations forcées vers les pays plus riches augmenteraient rapidement.
C’est seulement grâce à des politiques et des actions qui peuvent
transformer les populations actuelles et futures en une population active, en
bonne santé et instruite, que nous pourrons déclencher une croissance
économique réelle et durable qui arrachera les Africains de la pauvreté.

Le dividende démographique et la révolution verte


Il est important aussi, au-delà de la planification démographique, d’évoquer
dès maintenant les moyens de canaliser vers l’emploi et le développement
ces « ressources » démographiques.
J’aborde aussi cette question dans un chapitre ultérieur (cf. chapitre 12)
consacré au continuum entre villes et campagnes, si particulier à l’Afrique,
ainsi que dans celui consacré à la figure de l’agriculteur (cf. chapitre 13).
Ici, je préfère me concentrer sur la question de la transformation agro-‐
industrielle et sur la responsabilité des états à identifier les corridors
existants et de les soutenir au maximum de leurs capacités.
Selon les estimations actuelles, le volume des échanges en Afrique
subsaharienne sera multiplié par trois, passant de 102,6 millions de tonnes
en 2009 à 384 millions de tonnes en 2030, à l’unique condition que les
corridors soient menés à bien9. Ce sont eux qui permettront aux campagnes
de se développer en créant un accès à des nouveaux marchés et en
démultipliant les liens entre zones rurales et péri-urbaines pour créer les
industries de première transformation, maintenir la chaîne du froid
nécessaire, etc., et, in fine, créer les emplois de demain.
Alors qu’aujourd’hui le défi consiste à identifier de nouveaux outils pour
une croissance économique durable, fondée sur des principes d’inclusion et
d’équité tout en maintenant un taux de croissance stable, nul secteur mieux
que l’agriculture ne saurait créer les emplois nécessaires pour faire face à la
lame de fond démographique évoquée dans ce chapitre.
Les principes d’inclusion et d’équité impliquent l’adoption d’approches et
de politiques territoriales qui garantissent que les zones rurales bénéficient
des mêmes développements et initiatives que les zones urbaines, que des
investissements responsables soient réalisés dans les zones rurales et que les
femmes et les jeunes aient accès à la fois aux facteurs de production – en
particulier la formation, la terre, l’eau, les financements, les énergies
renouvelables et les marchés – et à des revenus qui reflètent leur travail.

Les corridors agro-industriels :


de l’informel à la création de richesse partagée
Les « corridors » sont la clé pour atteindre cet objectif. L’Afrique offre de
nombreux exemples de corridors, que nous pouvons appeler également
routes commerciales, mis en place spontanément par les populations. Ces
corridors reposent sur des circuits informels d’échange de ressources
agricoles complémentaires entre deux régions. Par exemple, le corridor
Ouagadougou-Accra, entre le Ghana et le Burkina Faso en Afrique de
l’Ouest, qui repose sur un circuit complexe incluant le niébé, le maïs et
l’igname10. Des projets de développement rural inclusifs ont émergé dans
les régions transfrontalières, notamment le Programme de croissance rurale
du Nord et de l’Autorité de développement accélérée de Savannah au
Ghana, et du Pôle de croissance de Bagré, au Burkina Faso. Au-delà de
l’interconnexion des zones qu’il couvre, le corridor Ouagadougou-Accra
offre un type d’intégration hybride, qui n’est ni tout à fait institutionnalisé
ni complètement informel.
Grâce au dynamisme de ses canaux de distribution alimentaire, ce corridor
est un laboratoire d’inclusion spatiale plus générale, qui génère des emplois
et du développement en milieu rural.
Un peu plus loin, au nord-ouest du corridor Ouagadougou-Accra, Ségou,
l’une des grandes capitales agricoles de l’Afrique de l’Ouest (qui bénéficie
notamment de sa localisation aux portes du delta intérieur du Niger) fait
face à des défis qui ne sont pas étrangers à d’autres endroits de l’Afrique.
La population de la région de Ségou s’est multipliée par 3,1 entre 1960
et 2015, soit 2,7 millions de résidents supplémentaires (3,3 pour l’ensemble
du Mali). Cette croissance s’est traduite jusqu’ici par une extension des
terres agricoles et une densification rurale. On assiste à un étalement des
petites villes et villages qui complètent le maillage des villes secondaires.
La population devrait plus que doubler d’ici à 2050 et atteindre 6,5 millions
d’habitants, soit environ un million d’emplois à générer entre 2015 et 2035.
Aujourd’hui, le rythme des extensions prévues de l’Office du Niger11 et
des autres périmètres irrigués dans la région devrait être multiplié par trois
ou quatre pour que l’effet d’absorption des nouveaux actifs soit significatif.
L’agriculture devra faire l’objet d’une attention renouvelée, avec
notamment une évolution vers des systèmes de production mieux adaptés
à la gestion des ressources, moins coûteux en intrants, pourvoyeurs
d’emploi, valorisant et développant les compétences des agriculteurs
locaux. Cela signifie un appui aux exploitations familiales et à leur
développement. Les nouvelles orientations de la politique de
décentralisation du gouvernement malien, avec la mise en place des
Agences de développement régional et la création de nouvelles régions,
vont dans ce sens.
Je le répète en matière de conclusion, mais la réponse au défi
démographique ne doit pas être instrumentalisée au nom de politiques
d’exclusion. Cette problématique doit au contraire être abordée avec la tête
froide et la rigueur du planificateur. Car l’Afrique ne risque pas tant la
surpopulation que l’impréparation.
6

La jeunesse africaine entre tradition et modernité

La jeunesse africaine est certainement l’un des plus vieux « problèmes » de


l’Afrique indépendante. Dans Les Damnés de la terre (1961), Franz Fanon
s’inquiétait déjà des influences « dissolvantes » de l’Occident sur « la
jeunesse urbaine inactive et souvent illettrée » des pays du continent1. La
crise de mai 1968, née à l’université de Dakar, puis étendue aux syndicats
professionnels, a failli mettre à terre la présidence de Léopold Sédar
Senghor. Un essai de 1981 intitulé – déjà – La Jeunesse africaine entre la
tradition et la modernité, du sociologue sénégalais Boubakar Ly (arrêté
pendant les événements de 1968) estimait que la jeunesse africaine «
moderne » avait pour « caractéristique essentielle » d’être « mal adaptée,
objectivement et psychologiquement à la société »2. L’essayiste américain
Robert Kaplan, dans un article très influent paru en 1994, s’alarmait de ces
« hordes de jeunes gens » dans les villes d’Afrique de l’Ouest, semblables
selon lui à « des molécules lâchées dans un liquide social très instable, un
fluide qui est clairement sur le point de s’enflammer »3. La complainte
continue ainsi jusqu’à ce jour, renforcée par des chiffres alarmants et de
sinistres prédictions sur le futur du continent.
Une des corrélations les plus étonnantes, relevée dans Le Choc des
civilisations de Samuel Hungtinton, est le risque accru de violence –
alimenté par la difficulté d’accès à l’emploi, les frustrations qu’elle
engendre et la radicalisation à laquelle elle ouvre la porte – dans les pays où
la proportion des personnes âgées de 15 à 24 ans dépasse le cap des 20 %
de la population. L’essayiste américain notait en 1996 que ce cap serait
atteint durant la décennie actuelle en Syrie, au Yémen et en Libye… En
Afrique, cette tranche d’âge représentait 19 % de la population en 2015,
pour 41 % âgés de moins de 15 ans4. D’ici le milieu de la prochaine
décennie, la part des 15-29 ans dans la population africaine est attendue à
28 %5.
Que ces préoccupations anciennes et ces « lois » démographiques soient
justifiées ou non, il faut y ajouter, à l’âge de Facebook et de YouTube,
plusieurs facteurs inédits, qui devraient interpeller les puissances publiques.

L’effet démultiplicateur du numérique


Premièrement, Internet a accéléré et démultiplié la métamorphose des
goûts, influences et aspirations de la jeunesse africaine, qui n’a jamais été
aussi exposée aux référentiels extérieurs et « internationaux ».
Une illustration : mi-décembre 2016, le ministre camerounais des Sports,
Pierre Ismaël Bidoung Kpwatt a fait les frais de cette évolution, devenant
malgré lui une star des réseaux sociaux en Afrique et au sein de la diaspora.
Pour une courbette. Conduisant une délégation de l’équipe féminine de
football, finaliste de la Coupe d’Afrique des nations, le ministre s’était
incliné face au président Paul Biya, dans une révérence jugée excessive et
moquée à souhait par la jeunesse camerounaise et africaine6. La photo de
leur rencontre a obtenu l’onction ultime des temps modernes : devenir un
meme. Mille fois détourné sur Internet, reproduit dans des contextes chaque
fois plus imaginatifs, le #BidoungChallenge a même fait des émules parmi
les joueurs de l’équipe masculine de football, championne d’Afrique début
février, qui ont reproduit la même révérence devant le chef de l’État
camerounais, rieur7. À l’âge du selfie, pratiqué aussi bien par le président
américain que par les princes britanniques, certaines attitudes et poses
traditionnelles dans le rapport au pouvoir peuvent paraître désuètes en
Afrique. Sous-estimer les manifestations d’impatience devant les pratiques
archaïques des gouvernants africains, c’est oublier que la satire précède
souvent de peu la révolte.
Deuxièmement, la nouvelle ère numérique a rendu plus visible et moins
supportable que jamais le décalage entre les aspirations des jeunes Africains
et la réalité socio-économique et politique à laquelle ils sont confrontés.
Il serait erroné de laisser penser que le chômage était « plus supportable »
avant Facebook. Ce qui est vrai en revanche, c’est qu’il est impossible
aujourd’hui de faire croire à cette jeunesse qu’il s’agit d’une quelconque
fatalité, d’une « conjoncture défavorable », d’une « épidémie » contre
lesquelles rien ne serait possible…
Ce message a d’autant moins de chance de passer qu’en moyenne, les
jeunes d’aujourd’hui ont reçu une éducation plus poussée que leurs parents.
Selon les résultats d’enquêtes menées à travers 18 pays africains, entre 1999
et 2006, un quart (27 %) des adultes (>30 ans) n’avait reçu aucune
éducation formelle, contre seulement 13 % des moins de 30 ans. Ces
derniers étaient en moyenne 45 % à avoir reçu une formation secondaire,
contre 23 % pour les plus âgés. Malgré un niveau d’éducation supérieur
à celui de leurs parents, ces jeunes sont plus affectés par le chômage et
l’incertitude. Comme le notent les auteurs de cette étude : « La coexistence
d’un taux de chômage élevé et d’un haut niveau de scolarité chez les jeunes
est une menace potentiellement incendiaire pour la stabilité sociale et
politique […] en raison des attentes élevées de ce groupe »8.
À cette insatisfaction due au chômage et aux attentes déçues s’ajoute le
fait que ces jeunes rejettent fortement aujourd’hui les explications
empreintes de fatalisme dont pouvaient peut-être se satisfaire les plus
anciens, encore marqués par un modèle façonné par les déterminismes et la
révérence face au « Destin ».
Ils se rendent compte que leur situation n’est pas une fatalité, pas plus
qu’elle n’est universelle. Le chômage des 15-24 ans, selon les estimations
de l’Organisation internationale du travail (OIT), est de 13 % en moyenne
en Afrique subsaharienne et de 30 % en Afrique du Nord et au Moyen-‐
Orient, mais de 10 % en Chine, 8 % en Éthiopie, 7,8 % au Nigeria et 3,3 %
au Rwanda. Répondre aux aspirations de ces jeunes en disant « c’est
l’Afrique » ou « c’est la crise », c’est ne rien comprendre à la situation. Eux
savent ou peuvent aisément savoir que le chômage des jeunes a chuté de 26
% à 15 % au Brésil entre 2000 et 20139. Il est donc possible de le réduire.
Troisièmement, si la jeunesse est par essence impatiente, celle
d’aujourd’hui en Afrique l’est encore plus que les précédentes. J’en veux
pour preuve le cas des « brouteurs », spécialistes de la fraude et de
l’arnaque en ligne, qui s’enrichissent à une vitesse phénoménale en utilisant
Internet et les réseaux sociaux. Dans bien des cas, le « talent » – parce qu’il
s’agit bien d’aptitudes peu courantes – dont font preuve les brouteurs
d’Abidjan et de Lagos aurait pu servir à construire une carrière légitime et
respectable dans les nouvelles technologies et la finance (ou le théâtre).
Mais cela demanderait une patience – perçue de plus en plus comme un
manque d’ambition – et un certain optimisme – considéré malheureusement
de plus en plus comme de la naïveté par rapport à « la réalité du système » –
qui manquent cruellement.
L’érosion d’un système de valeurs traditionnelles – humilité, confiance en
les autres, obéissance parfois excessive aux autorités et à la loi – est
magnifiée par la recherche de preuves ostentatoires de richesses et de
réussite que l’on retrouve de plus en plus, jusque dans la pratique religieuse
: des megachurchs de pasteurs aux villas luxueuses de « marabouts » qui se
multiplient sur le continent, de la course aux « likes » aux appels aux dons
sur les pages Facebook de « saints hommes » autoproclamés. Imagine-t-on
Jésus ou Mahomet en jet privé ?

Le paradoxal effet compensatoire des traditionalismes


Il serait regrettable toutefois de tirer de ces constats une condamnation
définitive d’une jeunesse devenue cupide, impatiente, explosive et égoïste.
C’est l’un des paradoxes les plus saisissants de notre époque : cette
jeunesse africaine hyper-connectée, exposée quotidiennement à la
télévision, sur Internet ou à la radio, aux référentiels extérieurs et «
internationaux », conserve un attachement profond, quasi-ombilical, à « une
certaine idée » – en adaptant l’imagerie de Charles de Gaulle et de Félix
Éboué – de leur pays et de l’Afrique.
Les jeunes Camerounais qui se sont gaussés de la révérence du ministre
Bidoung ont applaudi l’élévation de Yannick Noah au rang de « Nkukuma
», chef, à la suite de son père et de son grand père, de la « grande famille
Etoudi »10. Au Burkina Faso, les jeunes révoltés qui ont obtenu après les «
jours de colère » le départ du président Blaise Compaoré, ont accepté
l’intercession du Moro Naba, « roi des Mossis », un empire traditionnel
dont les bases remontent au XIIe siècle. Nombre de jeunes Marocains issus
de la société civile et partisans d’une réforme de la monarchie admettent
volontiers leur admiration des coutumes multiséculaires attachées à la
royauté chérifienne. Les pèlerinages de Popenguine et de Touba au Sénégal
restent des moments clés pour la jeunesse de ce pays. Partout à travers le
continent, les manifestations de la vigueur – et de la complexité – de ces
liens entre jeunesse et traditions africaines sont nombreuses.
La métamorphose accélérée due aux nouveaux modes de communication
a également engendré de nouvelles formes de citoyenneté et des rapports
innovants à la vie publique. Les « influenceurs » du Web africain, qu’ils
agissent sur le mode humoristique ou qu’ils œuvrent à davantage de
transparence par des appels à la mobilisation, sont clairement des enfants du
nouveau monde numérique, tout en étant les dignes descendants des
révoltés de la lutte pour l’émancipation. La voix qu’ils font entendre
aujourd’hui a beau être chargée des mots de passe et références modernes –
open data, reddition de compte, évaluation ex-post des politiques
publiques –, elle n’en reste pas moins celle de l’engagement civique et,
c’est important, panafricain, qui est la marque la plus indélébile de
l’activisme africain depuis un siècle au bas mot.
Il est intéressant ici de noter la corrélation entre l’influence de ces
mouvements de la société civile, adepte des réseaux sociaux, et la
croissance des écosystèmes de start-up dans une région donnée. Ce n’est
pas par hasard que Dakar et Nairobi sont à la fois des places fortes de la
technosphère africaine et des centres bouillonnants de l’activisme civique.
La bataille du moderne et de l’ancien n’est pas inéluctable. Ces capitales
africaines en donnent chaque jour la preuve.
Les clés
7

Retrouver notre souveraineté intellectuelle

La tradition africaine recèle de trésors de créativité. Ainsi, on a récemment


redécouvert1 les nombreux avantages de la technique architecturale dite de
la « voûte nubienne », pourtant très largement répandue dans le Sahel il y a
plus de 3 000 ans. Les habitations construites selon ce modèle ancestral,
venu selon certains de l’Égypte ancienne, sont moins coûteuses, parce
qu’elles utilisent la terre locale comme matériau de construction, plus
pérennes (une cinquantaine d’années), mieux isolées que les maisons de
terre couvertes de tôles, et écologiques puisqu’elles n’utilisent pas de bois.
Je ne prétends pas là démontrer que l’Afrique détient dans son passé tous
les défis posés par le temps présent. Nombre de réponses restent à découvrir
pour avancer sur la route du progrès. Je voudrais en revanche tenter
d’expliciter à quel point la richesse de notre capital culturel et intellectuel
peut constituer une ressource précieuse – et à quel point nous l’avons ignoré
ou oublié. Ce que cela nous apprend plus largement, c’est que,
indépendamment de ses ressources physiques (son capital matériel en
quelque sorte), les vraies richesses de l’Afrique proviennent de son passé et
de sa capacité à s’appuyer dessus pour inventer et bâtir son futur.
Une tentative originale de la Banque mondiale, publiée dans une étude
de 2006, avait estimé la valeur du « capital immatériel » (travail brut,
capital humain, capital social, qualité des institutions…) en Afrique
subsaharienne à 6 746 dollars US par habitant (année 2000), contre 1
449 dollars pour le « capital produit » (matériel) et 2 535 dollars pour le
capital naturel (ressources minières, réserves d’hydrocarbures, terres
agraires, bois…)2. La façon dont nous parvenons à ressusciter ces richesses
de l’Afrique et à les faire fructifier déterminera notre capacité à nous insérer
dans la mondialisation.

Une grande cassure


Cette idée qui peut paraître évidente ne l’est pas pour notre continent. En
effet, la colonisation a causé un grand bouleversement dans la transmission
de nos savoir-faire et de nos traditions. Dans son livre fondateur Amkoullel
l’enfant peul3, le grand écrivain malien Amadou Hampate Ba raconte
comment, au moment de la Première Guerre mondiale, la conscription
a soudainement provoqué une cassure dans la transmission des savoirs en
Afrique de l’Ouest en arrachant à leurs activités toute une génération de
jeunes hommes. Des métiers en tous genres, qui se transmettaient de père
en fils ou de maître à apprenti, n’ont pas survécu à quatre ans de guerre
européenne. Le cycle normal de la préservation des techniques a été
irrémédiablement perturbé. La tradition orale a également souffert de
manière irréparable à cette époque. Le patrimoine culturel et intellectuel
ainsi gaspillé a été à jamais perdu, sans même parler de l’immense
préjudice moral causé par une disparition soudaine des repères qui
régissaient le fonctionnement des nombreuses sociétés traditionnelles de
l’Afrique de l’Ouest.
Au-delà de cet exemple de la grande cassure, constatée à des degrés divers
dans toutes les régions colonisées, je crois profondément que nous avons
été anesthésiés, humiliés même, au point d’en arriver à une forme
d’autodépréciation intellectuelle. Je pense aux premiers fonctionnaires noirs
du Congo belge qui se surnommaient les « évolués » et développaient un
troublant complexe de supériorité sur leurs compatriotes4.
Ces inepties n’ont pas lieu d’être, mais, pour absurdes qu’elles soient,
elles ont de graves et sérieuses conséquences. Elles contribuent en partie
à la « malédiction des ressources » dont sont frappés les pays d’Afrique.
Elles expliquent pourquoi nos jeunes éduqués préfèrent souvent faire
carrière hors d’Afrique. Elles font partie des raisons pour lesquelles nous
sommes encore insuffisamment industrialisés. Symboliquement, elles
expliquent en somme pourquoi la technique de la voûte nubienne a été
abandonnée au profit de constructions en parpaings et en tôle ondulée.

Investissements étrangers :
pourquoi il faut être vigilant
Alors qu’aujourd’hui, et c’est une trajectoire à long terme, l’Afrique attire
des investissements directs étrangers de plus en plus nombreux et d’origines
de plus en plus diverses, il importe d’alerter les gouvernants sur la nécessité
absolue du développement intellectuel et culturel comme prérequis
indispensable au bon usage des ressources naturelles et financières dont
nous disposons ou serons amenés à disposer. Pour gérer et exploiter le
capital physique, pour négocier les transactions financières les plus
équitables possibles, pour bâtir les meilleures protections juridiques, le
savoir est un prérequis essentiel.
J’aimerais dans ce chapitre placer les jalons d’une réappropriation
intellectuelle et pédagogique de l’Afrique qui, je crois, n’a pas encore été
réalisée. Je suis intimement persuadé que l’éducation est à la racine du
meilleur comme du pire. C’est pourquoi j’ai souhaité ouvrir cette deuxième
partie à propos des « clés » par une réflexion sur ce thème. Car c’est
l’éducation qui permettra de véritablement déverrouiller l’immense
potentiel de notre continent. Notre avenir dépend de notre capacité
à reprendre notre souveraineté intellectuelle.

Éducation de base, formation supérieure et recherche


Pendant longtemps, les pays africains ont choisi comme priorité «
l’éducation pour tous » dans le but éminemment louable que chacun puisse
apprendre à lire, écrire et compter. Si cela est en effet indispensable, il est
tout aussi évident que le rôle de l’éducation dans le développement ne se
limite pas à l’alphabétisation. Il faut aussi prendre en compte ces millions
de jeunes Africains qui n’ont pas achevé l’école primaire et peinent à entrer
sur le marché de l’emploi.
J’aimerais tout d’abord donner mon opinion sur un débat qui agite
beaucoup les esprits en ce moment : l’intervention de plus en plus
prononcée du secteur privé dans l’éducation primaire.
Dans un contexte où les États africains peinent à financer leurs dépenses
de base, il leur faut apprendre à faire levier sur le potentiel du privé pour
accélérer leurs efforts. Les nouvelles technologies, couplées à l’initiative
privée, ont le pouvoir de révolutionner notre capacité à éduquer nos jeunes.
Alors que notre continent devra éduquer plus d’enfants d’ici 2025 que la
Chine durant ces vingt dernières années, l’heure n’est plus au débat, mais
à l’action. L’État doit jouer son rôle de grand coordonnateur, mais a déjà
fait la preuve de ses insuffisances en matière de capacité à former ses
populations. Il nous faut expérimenter, ajuster et améliorer sans cesse notre
école.
Plus avant dans les cursus, il est souvent fait mention de l’inadéquation
des formations par rapport aux besoins du marché du travail5. Je ne crois
pas néanmoins que l’on puisse affirmer qu’aujourd’hui l’Afrique souffre
d’un excès de quelque profession que ce soit, si ce n’est à quelques très
rares exceptions. S’il est indispensable d’adapter les systèmes d’éducation
et de formation aux besoins économiques africains, il ne faut pas non plus
croire que nous devons faire machine arrière et abandonner les acquis que
nous avons dans les sciences humaines. La rénovation de l’éducation
supérieure passe non seulement par le renforcement des formations
techniques et professionnelles, aujourd’hui trop peu nombreuses, mais aussi
par le fait de réfléchir au renforcement de la pertinence des formations ainsi
que du contenu de leurs programmes, ceci en lien avec les entreprises.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de former pour qualifier, mais de
former pour insérer. La coopération avec le privé est vitale pour y parvenir.
Des efforts sont faits dans ce domaine, mais ils restent encore insuffisants.
Je pense notamment aux centres de formation professionnels nés de
partenariats entre les secteurs publics, privés et associatifs. Parmi eux, on
trouve le technopôle d’accompagnement à l’entrepreneuriat de l’Institut
international de l’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iEE) au
Burkina Faso6, les centres de formations à l’agriculture et aux métiers du
pétrole au Gabon7, le Centre des métiers de l’électricité (CME) de
Bingerville en Côte d’Ivoire8 ou encore le programme « Jeunes diplômés »
au Cameroun9.
Mais plus important : pour se développer, il ne faut pas dépendre
totalement de la technologie des autres, ne pas être uniquement un suiveur.
Pour être maître de son destin et participer à la marche du monde, il est
indispensable d’avoir une recherche de haut niveau. Se pose enfin, comme
une clé de voûte de cette réappropriation de notre souveraineté
intellectuelle, la question de l’éducation supérieure et de la recherche pure.
Une initiative louable allant dans ce sens est celle des « Centres
d’excellence africains » appuyée par la Banque mondiale et qui vise
à mettre en commun les ressources de plusieurs institutions éducatives de
haut niveau à travers le continent, réunies par domaines de compétences10.
De tels efforts sont à encourager et à soutenir. Plus encore : ils doivent être
encore plus nombreux, pour permettre l’émergence d’un savoir et d’un
savoir-faire réellement africains et à même d’apporter des réponses pensées
par et pour l’Afrique.

Prioriser et mesurer l’efficacité de l’éducation


Aujourd’hui, force est de constater que la plupart de nos états ne sont pas
prêts. Même en excluant des cas dramatiques et exceptionnels comme le
Liberia, où les enfants ont été privés plusieurs années de suite de toute
forme d’éducation en raison de la guerre civile, les pays africains ne
prennent pas véritablement l’éducation au sérieux. Qu’on ne s’y trompe
pas, les budgets de l’éducation restent souvent importants, mais sont le plus
souvent entièrement consacrés à la gestion de la masse salariale, rarement
aux investissements dans les infrastructures et dans la formation. Dans une
des premières économies de l’Afrique de l’Ouest francophone, environ
336 milliards de Franc CFA de crédits ont été ouverts en 2016 pour les
dépenses de fonctionnement du ministère de l’Éducation, contre
40 milliards pour l’investissement. Et cette situation est loin d’être une
exception.
J’aimerais à ce propos soulever ici la question de la mesure des efforts
consentis et des progrès réalisés. Dans l’état actuel des choses, il n’existe
pas de véritable baromètre, pas de concurrence, pas de système de
comparaison de l’efficacité de l’éducation. Il existe un risque de course au
nombre de diplômés sans autre paramètre d’évaluation. Cela, il faut l’éviter
à tout prix. Pour créer les fondations de notre émancipation intellectuelle,
plusieurs paramètres doivent être pris en compte. L’émulation entre pays est
nécessaire, et pour y parvenir, il faut mobiliser le secteur public, le privé et,
pourquoi pas, le confessionnel.
Les mécanismes d’évaluation comme le Programme international pour le
suivi des acquis des élèves (PISA), mené par l’OCDE, devraient nous
inspirer pour mettre en place des systèmes africains d’évaluation qui nous
permettent de réaliser un état des lieux récurrent de nos performances, et
à mettre les pays face à leurs responsabilités. L’engouement de nos pays
pour engager des réformes pro-business doit beaucoup aux célèbres
classements Doing business de la Banque mondiale. Je crois qu’il est temps
de mener le même type d’efforts dans l’éducation. Il est d’ailleurs frappant
de constater que l’Afrique est totalement absente des célèbres études PISA
menées par l’OCDE11…

Le patrimoine culturel,
pilier de notre souveraineté intellectuelle
Pour en revenir à notre exemple de départ sur la voûte nubienne, la
protection intellectuelle doit également faire partie de cette réflexion. Le
patrimoine intellectuel est difficile à préserver par lui-même. À long terme,
ce qui compte, c’est le patrimoine génétique, agricole et culturel (nous
pouvons penser au riz basmati pour les Indiens), les techniques
traditionnelles en matière de construction, de pratiques agricoles, etc. Il faut
à tout prix préserver ce patrimoine.
Je pense par exemple au long combat mené par l’Éthiopie contre le géant
américain Starbucks pour récupérer les appellations d’origine de ses plus
fines variétés de café : Yirgacheffe, Sidamo et Harrar. En l’occurrence,
David a vaincu Goliath, et ces trois noms sont aujourd’hui des marques
éthiopiennes enregistrées12. Grâce à cette initiative, les quelques 15 millions
de personnes vivant du secteur caféier en Éthiopie ont vu leurs revenus
augmenter, alors que l’État a exporté davantage. L’Éthiopie est aujourd’hui
l’un des leaders du continent en matière de protection de la propriété
intellectuelle.
Un autre exemple bien connu concerne les Maasaï, une ethnie répandue
entre le Kenya et la Tanzanie, qui est devenue l’une des mieux identifiées
à l’extérieur du continent. Ces derniers se sont organisés pour faire en sorte
que leur nom et leur culture ne soient plus détournés au profit d’initiatives
sans rapport aucun – et sans qu’il ne leur soit rien donné en échange de ce «
pillage ». Nombreuses sont les entreprises qui se sont inspirées des célèbres
motifs traditionnels maasaï, notamment dans le domaine du luxe. La mise
en place d’un organisme de sauvegarde du patrimoine culturel masaï, la
Maasai Intellectual Property Initiative (MIPI), a permis d’attirer l’attention
sur leurs conditions de vie, souvent bien éloignées des clichés véhiculés par
la culture mondiale, mais aussi de faire en sorte que l’usage de la « marque
» maasaï puisse leur rapporter quelque chose13.
Alors qu’Internet permet de véhiculer toujours plus de « biens culturels »,
l’Afrique doit faire entendre son originalité. C’est aussi cela qui lui rendra
sa fierté. Car c’est grâce à leurs racines et à leur assise culturelle que les
peuples peuvent donner du sens au présent et regarder l’avenir avec
confiance.
8

Ce que le panafricanisme veut dire

« L’Afrique n’est pas un pays ! » Qui n’a jamais entendu ce rappel à l’ordre
intimé à ceux qui oseraient vouloir réduire l’Afrique, continent de plus
d’1 milliard d’individus, à un territoire homogène en tirant des conclusions
à tout va sur « l’Afrique » ? Pourtant, je ne voudrais pas non plus me
risquer à affirmer que je n’ai moi-même jamais succombé à la facilité d’une
telle généralisation. Et je crois qu’en réalité il me plaît d’envisager notre
continent comme une entité cohérente. L’Afrique fait face à des défis
souvent comparables, qu’une approche concertée lui permettrait de relever
avec une efficacité démultipliée. Je trouve aussi qu’il importe d’insister sur
ce qui nous rassemble plutôt que sur ce qui nous divise, alors que le grand
clivage idéologique de ce début de troisième millénaire oppose les tenants
d’un monde ouvert à ceux qui défendent une forme de repli.
C’est pourquoi je voudrais d’abord revenir ici sur le cheminement
historique et intellectuel qui nous a permis de commencer à penser notre
organisation économique et politique sur une base commune. Il me semble
également important de démontrer comment c’est cela qui nous permet de
tirer le meilleur parti de nos relations multilatérales et bilatérales. L’intérêt
croissant de la plupart des grandes puissances du monde pour l’Afrique
devrait également plus que jamais nous pousser à approfondir une approche
commune. Il faut dire enfin un mot du grand projet de l’intégration
africaine, avec la création de vastes marchés communs qui devraient être
notre réponse à la panne actuelle de l’idée de globalisation.

De l’Afrique sous influence à l’émancipation collective


Je voudrais redire brièvement, sans pour cela remonter aux origines du
courant panafricaniste, d’où nous vient cette tradition. En matière de
politique industrielle ou économique, les idées nous ont longtemps été
imposées de l’extérieur. Sans même revenir à la période coloniale,
parenthèse de non-existence politique de nos pays, la période postcoloniale
a dessiné une Afrique sous influence – ce malgré les tentatives éparses de «
non-alignement »1. Selon que tel ou tel pays faisait partie de l’une ou l’autre
des deux grandes sphères d’influence de l’époque de la guerre froide, il
copiait-collait en quelque sorte un système qu’il tentait d’insérer tant bien
que mal dans les institutions héritées du schéma coercitif de la colonisation.
L’indépendance économique n’était donc pas acquise.
Je crois qu’il faut dater le début de l’émancipation collective de notre
continent, non pas aux indépendances, mais au tournant du millénaire.
Lorsque les pères fondateurs du NEPAD (Thabo Mbeki, Olusegun
Obasanjo, Abdelaziz Bouteflika, Hosni Moubarak et Abdoulaye Wade),
mus par la philosophie de renaissance africaine, ont eu l’idée de cette
institution, ils avaient précisément cet objectif en tête : reprendre le
leadership sur le développement du continent, et ce dans des dimensions
panafricaines afin de donner à l’Afrique une voie originale et un rôle d’égal
à égal dans ses échanges avec ses partenaires internationaux2.
Ce renouveau intervenait après plusieurs décennies « d’ajustement
structurel » qui avaient vidé les administrations de leurs capacités
opérationnelles et institutionnelles. L’idée même du panafricanisme était
tombée en désuétude après les désillusions post-indépendance, lorsque les
projets d’unité africaine s’étaient fracassés sur les deux écueils de la guerre
froide et de la realpolitik des États. Peut-être l’idée même de l’Afrique
comme ensemble politique cohérent était-elle trop neuve à l’époque.
Ce qui s’est passé en 2001, c’est que certains des chefs d’État les plus
influents du continent ont donné un nouveau souffle à ces idées en retenant
comme principe directeur un pragmatisme à la fois économique et politique.
C’est ainsi que le NEPAD s’est fixé pour objectif de réfléchir, puis
d’impulser enfin, l’indépendance économique de l’Afrique, socle qui
permettrait, espérait-on, de pousser plus loin son intégration politique.
Cette émancipation s’est également traduite dans la relation que l’Afrique
a commencé à construire avec les différents bailleurs, multilatéraux ou
bilatéraux, faussement interprétée par certains critiques comme du
néolibéralisme. La naissance du NEPAD a permis d’engager un dialogue
dans lequel la voix de l’Afrique était entendue et reconnue. Ainsi ont été
défendues des idées qui aujourd’hui paraissent avoir toujours existé dans le
crédo panafricain, notamment dans sa façon originale de faire levier sur les
investissements du secteur privé pour financer les grands projets de
développement régionaux. L’institution a réconcilié planification publique
et financements privés en offrant une approche axée sur les résultats, en
apaisant et en facilitant les conditions du dialogue public-privé. Sur la
thématique des échanges commerciaux, le NEPAD a également défendu un
apprentissage au niveau régional avant la confrontation aux marchés
internationaux.

L’intégration : une innovation politique ambitieuse


Je reste enfin persuadé que, pour les pays africains, l’interdépendance
mondiale devrait commencer localement en renforçant l’intégration
économique régionale. En l’état, plusieurs facteurs sont susceptibles
d’entraver la croissance rapide et soutenue de nombreux pays africains : la
petite taille de la plupart de nos économies, le fait que nombre d’entre elles
sont enclavées, avec des infrastructures peu développées, une stabilité
économique et sociale insuffisante, etc. Il est peu probable que les pays qui
ne peuvent être compétitifs à l’échelle régionale soient compétitifs
à l’échelle mondiale. Il convient donc de réaliser d’abord la cohérence
commerciale des grands ensembles géographiques de l’Afrique.
Notre intégration économique régionale représente notre innovation
politique la plus ambitieuse depuis la vague de décolonisation qui
a commencé à la fin des années 1950. L’Afrique a fait des progrès
considérables, même dans son intégration continentale, à la réunion de
Niamey qui s’est tenue fin 2017. Signé en mars 2018 par 44 pays d’Afrique,
l’Accord de Zone de libre-échange continental (ZLEC) couvre un marché
de 1,2 milliard de personnes et un PIB combiné de 2 200 milliards de
dollars. Cette ZLEC recèle un potentiel considérable et signale
idéologiquement la proposition de l’Afrique pour une intégration graduelle
dans la mondialisation.
Alors que l’Union européenne cherche par exemple à approfondir une
structure de gouvernance centralisée, le modèle d’intégration de l’Afrique
se concentre sur le renforcement de l’intégration commerciale régionale
sans menacer la souveraineté des États membres. Cette approche est alignée
sur les tendances émergentes de la mondialisation, selon lesquelles les
identités locales et les réseaux mondiaux sont renforcés de façon
concomitante. Cette régionalisation, plutôt que d’être contraire à la
mondialisation, est précisément ce qui devrait permettre notre participation
réussie à la mondialisation. C’est une façon aussi de résoudre le fameux
clivage idéologique évoqué au début de ce chapitre.
Le projet de redéfinir la place de l’Afrique sur la scène mondiale doit être
construit sur notre propre modèle d’intégration régionale et, à terme,
continentale. À l’heure où se forment les grands ensembles qui
détermineront la marche du monde de demain, il nous faut absolument
cultiver les traits distinctifs de nos peuples, tout en cultivant ce qui nous
rassemble en tant que masse géographique et historique cohérente.
C’est la tension permanente entre ces deux exigences apparemment
contradictoires qui rend l’Afrique puissante quand elle parle d’une seule
voix.
J’ose même espérer que la progression de l’unité africaine sera peut-être la
tradition essentielle que la génération politique actuelle aura su préserver et
ancrer un peu plus profondément dans la conscience collective des
Africains.
9

La perspective régionale comme solution aux défis


nationaux

La chute des prix des hydrocarbures, à partir de mi-2014 (de 117 USD le
baril à 30 USD entre juillet 2014 et décembre 2015, avant de remonter
à près de 50 USD en 2017), l’a rappelé à ceux qui feignaient de l’ignorer :
les États et les peuples africains ont des intérêts souvent divergents, parfois
même antagonistes1. C’est une évidence qui est rarement affirmée, au nom
de « l’unité de l’Afrique », objectif louable, certes, mais irréalisable tant
qu’on ne tient pas compte de la plus simple réalité.
Ainsi, l’Algérie et le Nigeria souffrent profondément de la chute de leurs
revenus pétroliers tandis que le Maroc et le Kenya se réjouissent de la
baisse de leur facture énergétique. Les pays de la Communauté économique
et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) voient leurs réserves de
change tarir alors que ceux de l’East African Community (EAC)
applaudissent le rééquilibrage progressif des termes de l’échange. De
même, au milieu des années 2000, la hausse des prix mondiaux du blé (qui
ont doublé entre 2005 et 2007) a provoqué une crise alimentaire majeure
à travers nombre de pays africains, mais alimenté les trésors publics et
réjoui les agriculteurs marocains et sud-africains.
Ce sont là des évidences. Mais il faut pourtant les redire pour expliquer en
quoi la coopération régionale n’est pas basée sur une vision romanesque du
continent ou une ignorance des réalités économiques. Au contraire, c’est
précisément en raison de ces réalités économiques que nous devons
défendre les vertus de la concertation (comme je l’ai évoqué dans le
chapitre 3 sur la fragmentation de l’Afrique).
Toute solution durable repose sur l’assentiment éclairé de la population.
Prétendre défendre l’intérêt commun régional en affirmant que les besoins
de la Guinée et du Nigeria, ou encore du Burundi et du Kenya sont à tout
instant et en toutes circonstances les mêmes, est une illusion qui ne peut
tromper les citoyens des pays concernés. Une approche plus efficace car
plus honnête demande de reconnaître les antagonismes éventuels entre pays
africains – parfois dans le cas d’un même pays à différentes étapes de son
développement : il est possible que dans quinze ans le Sénégal souffre de la
baisse du prix du pétrole, alors que le pays en bénéficie aujourd’hui.
Au-delà des bénéfices évidents du partage d’infrastructures, la coopération
régionale est indispensable pour corriger ou renforcer d’autres aspects du
développement africain. Ainsi en est-il de la négociation des accords
commerciaux extérieurs, de la mise en place de Bourses régionales
(l’Afrique orientale montre le chemin avec le segment agricole de la Bourse
de Kigali), des règles communes pour différentes professions, de
l’homologation des diplômes, de l’harmonisation des qualifications, etc. Je
propose de montrer ici comment les intérêts les plus strictement nationaux
peuvent être résolus par la coopération interétatique, à travers deux
problématiques majeures : la sécurité et la santé.

Les enjeux sécuritaires


ne connaissent pas de frontières
Quel est le point commun entre du pétrole, des migrants sans papiers, des
armes à feu, des médicaments contrefaits et de la cocaïne ? Un seul : il
s’agit, faute d’un meilleur mot, de « commodités » régulièrement
transportées par des trafiquants, passeurs et contrebandiers à travers
l’Afrique de l’Ouest et le Sahel2. Que leur origine soit russe (arrivée par
cargo) ou colombienne (déposée par avion en Guinée-Bissau) ou que leur
destination soit les caches de mouvements indépendantistes, la rive nord de
la Méditerranée ou les marchés informels d’Abidjan, ne change rien
à l’affaire, du point de vue logistique. Les vieilles routes multiséculaires
utilisées par les caravanes d’antan sont remises à jour et modernisées, les
réseaux informels traditionnels sont réactualisés et orientés vers de
nouveaux usages, le pot-de-vin est plus ou moins élevé, le douanier plus ou
moins ailleurs, les frontières forcément poreuses, la loi bafouée et l’État
absent.
Et, toujours, les conséquences sont terribles et durables. C’est qu’il y a un
cercle vicieux et une version ouest-africaine de la loi de Gresham : les
circuits clandestins remplacent les voies légales et se renforcent. L’argent
du pétrole volé est recyclé dans le trafic d’armes. Les agents du trafic
d’êtres humains « progressent » et deviennent transporteurs de « mules »,
terme qui désigne ceux qui transportent la cocaïne. Ceux qui ferment les
yeux devant une tonne de médicaments contrefaits ne les ouvriront pas
soudainement devant une cargaison de pistolets. On l’oublie parfois, mais
dix ans avant l’avènement de Boko Haram, nombre d’experts avaient tiré la
sonnette d’alarme sur les risques sécuritaires posés par la prolifération
d’armes légères individuelles en Afrique occidentale. En vain.
En janvier 2002, les autorités nigérianes se félicitaient d’avoir saisi
environ 1 600 fusils, taisant le fait qu’1 million d’armes étaient illégalement
détenues dans le pays3 et issues, souvent, de trafics clandestins provenant du
Bénin et du Ghana. Certaines de ces armes ont fini entre les mains de « fous
de Dieu » massacrant civils comme soldats, de Maiduguri à Port Harcourt.
Pendant longtemps, les autorités de Bamako et de Ouagadougou ont fermé
les yeux devant les flux d’armes circulant vers la Côte d’Ivoire. Ces mêmes
caches clandestines ont été mises à contribution en septembre 2015 durant
le coup d’État avorté au Burkina et durant les mutineries de mai 2017 en
Côte d’Ivoire4.
Le premier pouvoir régalien est celui du « monopole de la violence
légitime », pour reprendre la terminologie de Max Weber5. En Afrique de
l’Ouest, où aucun « droit inaliénable » au port d’arme n’est reconnu, ce
monopole est érodé, détruit, par la prolifération d’armes individuelles
circulant illégalement.
Pendant quinze ans au moins, les États de la Communauté économique
des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont fermé les yeux
précisément devant les risques posés par la circulation d’armes légères
à travers la région. Violant, de fait, une convention juridiquement
contraignante de 2006, qui proclame en son article 2 :
« Les objectifs de la présente Convention sont de : 1. prévenir et
combattre l’accumulation excessive et déstabilisatrice des armes légères et
de petit calibre dans l’espace CEDEAO ; 2. pérenniser la lutte pour le
contrôle des armes légères et de petit calibre dans la CEDEAO. »6
Qui peut prétendre aujourd’hui, à l’heure des horreurs de Boko Haram et
des violations des droits de l’homme commises par de multiples mini-‐
factions indépendantistes à travers l’Afrique de l’Ouest, qu’une véritable
coordination régionale – impliquant partage d’informations, opérations
commandos communes et ciblées, quartier général plurinational et task
force régionale – n’aurait pas évité les bains de sang et la terreur subis par
cette partie du continent. À preuve, les États de la région ont accepté ce
même type de coopération pour la « lutte contre le terrorisme ». Une
différence majeure : c’était sous l’impulsion des États-Unis et de la France,
à travers des initiatives séparées, imposées de l’extérieur…
Quand les accords pris collectivement par des États africains face
à l’urgence évidente de problématiques nationales sont négligés, on arrive
à Boko Haram et aux attentats de Bamako, Ouagadougou et Bassam. Aucun
mystère ici, sinon la résistance des États à œuvrer collectivement pour le
bien-être national.

La fragmentation des talents


Une énigme subsiste quant à la santé. Quel est le plus important pour un
pays : un médecin ou un garagiste ? En réalité, la réponse est sans
importance : un garagiste ivoirien, muni de l’agrément de CFAO, peut créer
des succursales à Dakar. Idem : un médecin diplômé à Paris peut exercer
sans beaucoup de difficultés dans n’importe quel hôpital ouest-africain. Un
chirurgien ivoirien doit se faire homologuer parfois par Paris pour pouvoir
exercer certaines spécialités dans la zone UEMOA. On compte sur les
doigts d’une seule main le nombre de gastro-entérologues dans plusieurs
pays d’Afrique centrale. Ils sont une foule, originaire d’Afrique centrale,
exerçant en Europe.
Il en va de même pour les urologues en Côte d’Ivoire, les cancérologues
au Cameroun, les médecins généralistes au Bénin7 ou les infirmiers au
Malawi. La liste est inépuisable de spécialisations en médecine obtenues en
Afrique et qu’il faut faire homologuer dans un autre pays d’Afrique.
Pourtant, il y a vingt ans, un électricien formé à l’École des métiers de
l’électricité de Bingerville pouvait exercer son métier (en fait était
cordialement accepté) dans d’autres pays africains…
Des officiers nigériens sont formés à l’École nationale des officiers
d’active au Sénégal. Des ingénieurs camerounais à Lagos. Des imams
maliens au Maroc. Et pourtant, c’est aujourd’hui encore un calvaire que de
faire accepter dans un pays africain des diplômes en santé obtenus dans un
autre pays africain.
Outre les bienfaits liés aux économies d’échelle induits par la
mutualisation des efforts de formation, la reconnaissance réciproque,
à l’échelle régionale, des diplômes obtenus dans les pays africains
a l’avantage de fixer les populations, d’encourager la mobilité
géographique, donc la concurrence, et, partant, les niveaux de
rémunération.
L’Afrique australe et orientale trace une voie intéressante. La région
éprouve des difficultés à trouver de la main-d’œuvre compétente pour
accompagner et anticiper sa croissance économique. Les niveaux
d’éducation et de formation actuels dans le secteur tertiaire sont très bas et
portent sur des sujets qui ne sont pas directement en ligne avec les défis de
ces régions. Dans ce contexte, la Banque mondiale a mis en place un
programme intitulé Africa Centers of Excellence (ACE), qui privilégie une
approche régionale dans les domaines des sciences et de la technologie et
l’enseignement supérieur. ACE renforce les institutions d’enseignement
supérieur africaines existantes sélectionnées afin de produire des formations
de niveau mondial pour répondre aux priorités des secteurs économiques. Et
prévoit d’inscrire plus de 3 500 étudiants diplômés dans leurs domaines de
spécialisation d’ici à cinq ans8.
Soyons clair : il n’est pas question de sous-estimer les risques et de
prétendre que toutes les formations diplômantes se valent à travers le
continent. Mais la forte réticence des États à instaurer et respecter des règles
fortes et claires sur l’homologation des diplômes à l’échelle régionale est
une autre de ces aberrations de l’Afrique contemporaine, dont on ne trouve
même pas l’origine sous la colonisation. On l’oublie, mais, en Afrique de
l’Ouest, l’école William Ponty de Dakar9 formait indifféremment futurs
instituteurs, médecins et administrateurs pour toute l’Afrique de l’Ouest
francophone, indépendamment de leurs régions, contrées et ethnies
d’origine. Ce qui était encore possible sous le joug colonial est-il
soudainement impossible au « Soleil des indépendances », pour reprendre le
titre du très beau livre d’Ahmadou Kourouma ?
10

Pour une co-production des politiques publiques

Si Athènes a donné au monde l’agora pour son système démocratique,


Rome le prétoire pour sa justice, peut-être que l’Afrique peut lui offrir l’«
indaba », l’une des multiples illustrations de la capacité africaine au débat et
au consensus (ubuntu, arbre à palabres) pour la redéfinition et la mise en
œuvre des politiques et du débat public1. Un indaba est conçu pour
permettre à chaque partie d’exprimer son opinion, tout en parvenant
rapidement à un consensus. Cela fonctionne parce que les opinions et les
arguments ne peuvent être exprimés que d’une seule manière : au lieu de
répéter les positions énoncées, chaque partie est encouragée à parler
personnellement et à exprimer les « lignes rouges » qu’elle ne veut pas
franchir. Mais tout en énonçant ses limites aux autres, chaque partie est
invitée à proposer des solutions pour trouver un terrain d’entente2.
De nombreux médias présents à la Convention-cadre des Nations unies sur
les changements climatiques (COP21) qui s’est déroulée à Paris en 2015 ont
rapporté l’efficacité de l’indaba. Ainsi, Akshat Rathi de Quartz observe : «
Quand, vers le 10 décembre, certains points d’achoppement ont compromis
les négociations, une série d’indabas a eu lieu dans des salles privées sans
interruption. Différentes délégations ont alterné les fonctionnaires pour que
tout le monde puisse dormir. »3 John Vidal du Guardian rapporte même
que, « en incluant tout le monde et en permettant à des pays souvent
hostiles de parler à voix haute des observateurs, [un indaba] a réalisé une
percée remarquable en trente minutes4 ». Les indabas avaient été introduits
pour la première fois dans les négociations sur le climat à Durban en 2011.
Pour éviter que les discussions ne prennent fin, la présidence sud-africaine
a demandé aux représentants des principaux pays de former un cercle
permanent et de parler directement les uns avec les autres5.
Présent dans de nombreuses sociétés africaines traditionnelles, l’indaba
représentait à la fois un espace de discussions sur les projets de la vie
communautaire et un lieu de règlement de conflits. Il s’inscrit dans une
grande tradition africaine liée au pouvoir de l’oral dans nos sociétés, du
concept de l’ubuntu tant vanté par Desmond Tutu6 jusqu’à l’arbre à palabres
de nos ancêtres. Dans son autobiographie, Nelson Mandela met en avant le
rôle déterminant des « assemblées » dans la vie politique africaine – et
universelle – affirmant que « tous ceux qui voulaient parler le faisaient.
C’était la démocratie sous sa forme la plus pure »7.
À ma modeste mesure, j’ai créé en 2000 CAP2, un think tank sur l’analyse
des politiques publiques au Niger. Nous sommes à ce moment parvenus
à un petit miracle en rassemblant autour de la table des Nigériens de toutes
tendances politiques qui analysent et trouvent des solutions ensemble. Ce
concept de réflexion commune fondée sur une discussion directe et franche
me semble plus que jamais utile comme moyen de revigorer la façon dont
les priorités des sociétés africaines sont discutées, définies et réalisées.

À propos des systèmes législatifs


En réalité, le cadre parlementaire est rarement, sur le continent, l’espace de
débats et de construction législative imaginé par les textes constitutionnels.
Ce n’est nullement un problème exclusivement africain, mais il est exacerbé
et prend des formes extraordinaires sur le continent. Dans une lettre sans
concession, envoyée en janvier 20168 aux sénateurs et aux députés
nigérians, l’ex-président Olusegun Obasanjo critiquait le manque de
transparence sur la constitution du budget et l’absence de travail
parlementaire. L’ancien chef de l’État écrit : « Le but de l’élection
à l’Assemblée législative, en particulier au niveau national, est de servir la
nation et non le service personnel et l’intérêt des membres aux dépens de la
nation, ce qui semble avoir été la mentalité, la psychologie et la pratique au
sein de l’Assemblée nationale depuis le début de la restauration de la
démocratie. Où est le patriotisme ? Où est l’engagement ? Où est le service
? ». Cette interrogation peut être reprise, mot pour mot, dans bien des pays
africains.
Plusieurs explications sont souvent avancées pour expliquer cette léthargie
du système législatif en Afrique et – au-delà – l’absence de débat et de
participation politique. L’une des causes serait « l’hyper-présidentialisation
» héritée des anciens pouvoirs coloniaux – thèse qui feint d’ignorer que,
durant le plus fort de cette période, la France et l’Angleterre vivaient dans
des régimes essentiellement parlementaires et qu’en 1960, la constitution de
la Ve Répu-
blique n’avait que deux ans. Une autre hypothèse, plus plausible, est celle
du clientélisme, de la « politique du ventre » popularisée par Jean-François
Bayart (1989)9 : dans un contexte d’État patrimonial, le plus urgent est
moins l’écriture des textes de lois que la captation de la part du lion dans la
distribution des prébendes publiques.
Comment alors expliquer la survivance de ce phénomène après la vague
de libéralisation souvent à marche forcée des économies, la fin des partis
uniques et les alternances démocratiques plus nombreuses que jamais sur le
continent : Sénégal, Ghana, Kenya, Zambie, mais aussi Maroc, Tunisie,
Côte d’Ivoire (dans la douleur certes) ? Un autre facteur soulevé est celui du
système électoral : type de scrutin, durée des mandats, nombre d’élus…
L’économie politique s’est longtemps penchée sur ces questions et, sans
surprise, les réponses varient selon les auteurs et l’époque.
Les efforts pour imposer une « règle d’or » dans ce domaine sont futiles10.
Le Gabon, république unitaire bicamérale, compte environ 1 législateur
pour chaque groupe de 7 500 habitants. Le même ratio est de 1 pour 50
000 habitants dans la monarchie constitutionnelle bicamérale marocaine, de
1 pour 380 000 au Nigeria, république fédérale comptant Sénat et
Assemblée nationale. Toute l’exégèse des professeurs de droit serait épuisée
avant d’arriver à un verdict unanime sur la qualité des systèmes de lois qui
régissent ces différents pays. Une dernière explication mise en avant : le
niveau d’éducation. « Comment avoir une démocratie sans partis politiques
dignes de ce nom et avec une population dont 50 % ne sait ni lire ni écrire ?
En Afrique, la démocratie n’est pas le vote mais la participation de toutes
les tribus au pouvoir », regrettait en 2015 l’ancien secrétaire général de
l’ONU Boutros Boutros Ghali11.
Chacune de ces thèses a ses mérites et ses faiblesses. Il ne s’agit pas ici de
les trancher. Mais j’aimerais, dans ce débat sur le système institutionnel et
législatif en Afrique, rappeler une faiblesse majeure et peu étudiée : le
manque de consultation de la population. Les citoyens sont appelés à voter
tous les cinq ans, sur des slogans plutôt que des programmes, dont les
détails leur sont, de toute façon, rarement dévoilés. Entre ces échéances, ils
n’ont jamais la parole. Ou alors celle-ci est intermédiée par des partis
politiques aux ambitions et aux idéologies mal déterminées.
Il ne s’agit pas d’établir une hypothétique « démocratie directe », mais
d’accroître les formes et les canaux de participation des citoyens dans la vie
publique en Afrique. Ce serait une sorte de « syncrétisme institutionnel »,
en ce qui concerne la définition et la mise en œuvre des politiques
publiques. Et c’est là qu’interviennent les vertus de l’indaba.
En clair, il s’agit de créer des espaces au sein desquels les populations sont
informées, consultées et impliquées dans la sélection et la réalisation des
principaux chantiers censés – c’est le but, après tout, de la démocratie –
assurer et promouvoir leur bien-être.
Le béton cimente un nom pour la postérité. C’est connu. D’où la
multiplication de ponts, stades, universités et aéroports qui portent les noms
de tels ou tels leaders. Mais ces infrastructures sont-elles toujours les plus
urgentes pour la population ? Ne sont-elles pas plus souvent le fruit
d’arbitrages politiques ou de renvois d’ascenseur, ou encore l’application
peu réfléchie des « priorités » en vogue, à ce moment précis ? Ou parfois
même, des sources de rétro-commissions ? In fine, quelle est leur utilité
quand la définition même du projet tombe d’en haut sans que quiconque ait
demandé aux populations ce qu’elles jugent utiles et prioritaires ?
Certes, l’élection « valide » le programme. Mais qui a lu ce programme ?
Qui est consulté sur son évolution potentielle au vu des inévitables
changements de conjoncture ? La réponse est simple : le FMI et les
bailleurs de fonds internationaux mais aussi panafricains, qui mettent
volontiers en avant les études d’impact environnemental et social de tel ou
tel projet, sans aborder une question pourtant simple : est-ce la priorité
selon la population directement impactée ?

L’intervention citoyenne
et la question de l’appropriation
J’ai eu l’occasion de le rappeler en introduction de cet ouvrage, mais l’une
des rencontres les plus déterminantes de ma vie a été celle avec le Premier
ministre éthiopien Meles Zenawi, en 2009. Je découvre un homme
extrêmement brillant qui m’énonce une stratégie que je n’ai jamais oubliée
et que j’ai le plus possible imprimée dans mes décisions ultérieures : «
Formulez votre diagnostic dans vos propres termes ». C’est l’absence de
diagnostic propre qui a trop souvent été la cause essentielle de l’échec des
politiques de développement tentées un peu partout en Afrique, par manque
d’appropriation. Comment voulez-vous prononcer un diagnostic pertinent si
vous n’êtes pas en mesure d’écouter votre population ?
Cette carence ne concerne pas que les infrastructures, loin de là. Les «
Visions » (2020, 2025, 2030…) qui se multiplient sur le continent sont plus
« révélées » que construites, fruit du travail de consultants en stratégie
souvent peu concernés par les problématiques auxquelles ils doivent «
répondre ». Cela touche aux thématiques courantes : santé, éducation,
infrastructures, énergie et imposition. Mais ce défi de consultation
démocratique concerne aussi des questions stratégiques : promotion des
énergies renouvelables, traités de défense et de sécurité, accords de libre-‐
échange et même la coopération régionale. Si les citoyens africains sont
assez mûrs pour voter, ils le sont aussi pour décider de ces questions. En
tout cas, pour être consultés régulièrement sur ces sujets. Le « travail
parlementaire » est souvent inexistant.
Quelques réformes simples peuvent contribuer à la synthèse du mode
moderne d’organisation législative et des vertus traditionnelles de l’arbre
à palabres – certaines sont d’ailleurs déjà appliquées dans plusieurs pays, de
la Tunisie au Sénégal, de l’Afrique du Sud au Nigeria. Pour les propositions
suivantes, dont la liste n’est pas exhaustive, un délai raisonnable de
consultation du public et une recension des remarques des populations
doivent être organisés et rendus publics, sous réserve des précautions
strictement liées à la défense de l’intérêt général et de la sécurité nationale,
qui seront clairement définies par des textes (rendus eux aussi publics).
1. Tout projet financé par le public (ou avec une dette garantie par le secteur
public) au coût supérieur à 10 millions de dollars US devra
obligatoirement faire l’objet d’une consultation publique dont les
conclusions seront accessibles à tous. Et cela, six mois en amont de
l’appel à proposition. Un panel (un jury en fait) sélectionné de façon
impartiale devra être constitué et consulté pour les projets dont le coût
dépasserait 100 millions de dollars US.
2. Tous les projets et toutes les propositions de lois (en particulier les lois de
finance) doivent être mis en ligne à la disposition du public, avec un
moyen de contacter ses promoteurs (téléphone, e-mail, adresse de la
permanence législative ou du ministère concerné).
3. Tous les titres (permis, autorisations, requêtes) miniers et pétroliers
doivent être rendus publics.
4. Toutes les données statistiques (commerce, investissements, coût de la
vie, recettes et dépenses publiques…) doivent être facilement accessibles
au public.
5. Les rapports de la Cour des comptes et de toutes les autres instances de
contrôle de l’action des administrations doivent être accessibles au
public.
Pour toutes ces actions, des canaux clairs (télé, radio, courriels,
permanences téléphoniques, réseaux sociaux) doivent être établis en
direction du grand public, dans les principales langues locales, pour que ce
dernier puisse exprimer son avis.
Ce sont quelques esquisses de solution, applicables au contexte africain.
Mais pas seulement.
Dans un magnifique morceau de son Cahier d’un retour au pays natal,
Aimé Césaire écrit :

« [I]l n’est point vrai que l’œuvre de l’homme est finie


que nous n’avons rien à faire au monde
que nous parasitons le monde
qu’il suffit que nous nous mettions au pas du monde
mais l’œuvre de l’homme vient seulement de commencer ».

Pour toute justice post-conflit, la communauté internationale n’a eu


comme repère que l’exécution de traîtres, l’amnistie collective ou l’exemple
de Nuremberg. L’Afrique du Sud, avec sa Commission « vérité et
réconciliation », et le Rwanda avec ses « tribunaux gacaca » ont montré que
l’Afrique pouvait puiser dans sa sagesse ancestrale des ressorts originaux
pour guérir les plaies des âges modernes. Et, partant, les offrir au monde.
J’y souscris entièrement : l’œuvre de la démocratie ne fait que
commencer. Et elle se joue désormais en Afrique.
11

Informel, nouvelles technologies et industrialisation :


le triangle impossible ?

C’est parfois dans les événements les plus anodins que certaines idées se
révèlent. L’histoire qui va suivre pourrait sembler banale, mais elle
a déclenché en moi la première réflexion sur ce qui pourrait arriver
à l’Afrique si nous parvenons à anticiper et orienter la transition
technologique actuellement à l’œuvre sur le continent. Lors d’un séjour au
Rwanda en 2016, j’ai voulu effectuer un achat dans un village à quelques
dizaines de kilomètres de Kigali. Dépourvu d’argent liquide, je m’apprêtai
à renoncer quand le revendeur m’a proposé un terminal de carte bancaire
relié à son téléphone. Quelques minutes plus tard, mon souvenir était payé
et emballé. Cela m’a reporté quelques mois plus tôt, au Japon, lorsque
j’avais dû purement et simplement renoncer à un achat faute de liquide dans
une situation comparable.
Cette anecdote est évidemment révélatrice du potentiel de la technologie
pour faciliter des transactions qui n’auraient pas eu lieu sans elle, ouvrant la
possibilité pour des acteurs économiques locaux de vivre de leur
production. Car ce qui est possible pour un souvenir le devient pour les
produits agricoles, les services de transport ou de réparation mécanique, les
soins de santé, les services publics… De là aux vraies conséquences de
cette anecdote il y a comme une évidence. Ce qui se passe chez cet artisan
rwandais, c’est qu’il est sorti de l’informel. Il fait officiellement partie du «
système ». Il est enregistré au registre du commerce, il a un numéro de
TVA, il paye ses impôts et son électricité via son compte bancaire en ligne.
Il est une petite entreprise à lui tout seul. Déjà il gagne de quoi élever ses
enfants dignement.

L’informel est un mode de vie…


Quand on parle du « secteur informel » africain, on a vite tendance à oublier
que les transactions avaient encore lieu en monnaie traditionnelle pendant
une bonne part du XXe siècle dans la majeure partie de l’Afrique. Les
puissances coloniales avaient installé les premières infrastructures
financières au service exclusif de leur système économique parallèle. Les
interconnexions étaient limitées entre les deux mondes. Cette dichotomie
s’est prolongée et a muté jusqu’au système que nous observons aujourd’hui.
Les ponts se sont multipliés, mais il est clair que deux économies
continuent de coexister sans guère échanger.
Il faut bien comprendre que l’informel est plus qu’une simple
dénomination administrative désignant les activités échappant au contrôle
de l’État ; il est un mode de vie, une tradition. Il est l’économie africaine
originelle et endogène. Selon une étude du Fonds monétaire international
(FMI) parue en 2017, le secteur informel est une composante essentielle de
la plupart des économies subsahariennes, où sa contribution au PIB
s’échelonne entre 25 % et 65 % et où il représente entre 30 % et 90 % de
l’emploi non agricole1. Le secteur informel, ce sont des artisans, des
mécaniciens, des tailleurs, des marchands, des chauffeurs de taxi, des
maçons… en somme des travailleurs qui se débrouillent pour gagner
maigrement leur vie pour l’immense majorité d’entre eux. Le plus souvent,
le secteur informel n’est autre que l’employeur de dernier recours pour les
personnes ayant peu d’autres options.
Si le secteur informel fonctionnait plus efficacement, il pourrait
grandement améliorer le sort de centaines de millions de nos concitoyens.
Pour l’instant, le secteur informel n’a pas diminué avec la croissance
économique. Au contraire, il a eu tendance à croître plus rapidement que le
reste de l’économie. Et en réalité, ce qu’il faut en retenir, c’est que les
pratiques informelles forment un continuum dans toutes les strates des
économies africaines. Certaines des entreprises informelles sont sous-‐
traitantes des grands groupes implantés localement, étrangers ou nationaux.
Nombreuses sont les entreprises « formalisées » qui tiennent une double
comptabilité pour échapper aux contrôles officiels.
Je ne veux pas m’attarder sur les raisons pour lesquelles le secteur
informel ne prospère pas aujourd’hui, à de rares exceptions – la plupart des
trop rares grands groupes africains ayant commencé dans l’informel. Je
préfère considérer la question de l’informel comme un état de fait qui
nécessite une réponse, sans pour autant oublier ce qu’il peut nous enseigner
en termes d’énergie créatrice et de pépinière d’entrepreneurs. Vérifiez par
vous-même en vous déplaçant dans n’importe quel bidonville africain : la
densité de population déclenche une friction créatrice impressionnante,
libérée de toute « interférence » de l’État. Robert Neuwirth, un journaliste
américain, a été jusqu’à décrire Olusosun, la plus grande décharge de
Lagos, comme un formidable incubateur d’entreprises2.

… qui reste encore brutal et dysfonctionnel


La vérité, c’est que l’informel est le lieu où s’exercent les forces de marché
les plus brutales sans les institutions et l’état de droit pour les contenir et les
orienter. La vitalité du secteur informel ne doit pas être tuée dans l’œuf
comme elle l’a été en Afrique du Sud, quand le gouvernement a voulu
accélérer la formalisation de l’économie ; la chasse à l’informel explique en
partie pourquoi 50 % des jeunes Sud-Africains sont aujourd’hui au
chômage.
Pourtant, l’informel est fondamentalement dysfonctionnel et ne peut pas,
dans sa forme actuelle, permettre à nos économies d’émerger. Les auteurs et
les chercheurs qui vantent la vitalité des bidonvilles ont raison de mettre en
valeur ce qu’il y a de positif, mais ces résultats sont obtenus malgré des
conditions de base extrêmement abusives. La plupart des services obtenus
dans les bidonvilles sont souvent contrôlés par des gangs criminels qui
n’ont aucun souci de justice sociale ou de règlementation.
D’autre part, si les systèmes monétaires traditionnels ont disparu,
l’économie parallèle fonctionne toujours sur le même modèle : l’argent
liquide non déclaré a remplacé les cauris, mais il ne passe pas pour autant
dans le système bancaire, pas plus que par la grande machine redistributrice
de l’État. Il n’irrigue pas le reste de l’économie, ne participe pas à l’effort
de construction national. Il reste sous-employé.
Même sur un plan strictement comptable, l’informel offre sans doute des
avantages de court terme, mais il ne garantit que faiblement, voire pas du
tout – et presque par définition – les droits de propriété.
Les entreprises de l’informel sont victimes de mauvaise gouvernance,
potentiellement de la prédation d’une quelconque autorité supérieure, voire
des problèmes de succession dans le cas d’entreprises familiales, la forme
dominante de la gouvernance d’entreprise en Afrique subsaharienne. Les
entreprises informelles sont aussi moins productives que leurs homologues
du secteur formel. En moyenne, le FMI évalue, sur la base de la production
réelle par salarié, que la productivité n’atteint que 25 % de celle des petites
entreprises du secteur formel et 19 % de celle des entreprises moyennes3.
Elles payent des salaires inférieurs et craignent de se développer, au risque
de se trouver dans le collimateur du percepteur… Elles ne créent ni richesse
partagée, ni croissance inclusive.

Pour une transition réfléchie et en douceur vers le secteur formel


La question de l’impôt est cruciale. Il est connu que les États africains
peinent à lever l’impôt, ce qui donne l’impression qu’ils taxent
insuffisamment leur économie. Pourtant, ils sont aussi ceux qui prélèvent le
plus lourdement leurs entreprises. L’effort fiscal repose très fortement sur
une minorité de contributeurs. Ainsi, si les entreprises informelles préfèrent
rester sous le radar, c’est notamment pour échapper à l’impôt. Et d’abord
parce qu’il est perçu comme excessif. L’Afrique a le nombre moyen le plus
élevé de paiements d’impôts et le deuxième taux d’imposition total le plus
élevé au monde4. Pourtant, la taxation des entreprises informelles pourrait
être un moyen efficace d’accroître la part des impôts directs dans le PIB
qui, actuellement, ressort en moyenne à 6 % en Afrique, contre 22 % dans
les pays développés, mais à la condition de ne pas étouffer ces entreprises5.
Ensuite, il faut que cette imposition s’accompagne d’un niveau de service
public qui soit à la hauteur des attentes des entreprises, notamment en
matière d’infrastructures, ne serait-ce que d’électricité. Les entreprises
africaines sont en grève fiscale, non par choix, mais par défaut et parce que
rien ne les incite à participer à l’effort collectif. « No taxation without
public service6 », pourrait-on dire en travestissant le cri de guerre des
premiers indépendantistes américains. Sous-alimentés, les États ne
parviennent pas à financer les infrastructures qui justifieraient leurs
prélèvements… L’informel est donc là encore au centre d’un cercle vicieux
de sous-développement.
Je crois que les nouvelles technologies nous offrent une opportunité
unique de briser ce cercle vicieux en créant le lien entre ces deux mondes
économiques parallèles décrits plus haut et en impulsant une nouvelle ère
économique pour l’Afrique. Je crois même que les nouvelles technologies
peuvent enfin contribuer à une diversification et une industrialisation
africaines. Ceci à un certain nombre de conditions, détaillées dans les
prochains paragraphes.

Les nouvelles technologies : des outils pour l’emploi, l’accès au


crédit et la fiscalité
Je ne vais pas revenir sur ce qu’il est convenu d’appeler la révolution
technologique en Afrique. Le continent comptait plus de 350 millions
d’internautes début 2017, soit un taux de pénétration d’environ 30 %. C’est
beaucoup, même si cela reste insuffisant pour provoquer immédiatement
cette révolution. Cependant, la tendance à court et moyen termes est
inéluctable. Si l’on ajoute la tendance à l’équipement massif de la
population en smartphones de plus en plus puissants et bon marché, ou
encore les projets intéressants – et néanmoins intrigants – de réseaux
comme Facebook et son initiative Internet.org, il est clair que tôt ou tard
chacun aura son identité virtuelle.
Les réseaux sociaux permettent déjà aux différentes composantes du « bas
de la pyramide » d’avoir une existence au-delà des frontières physiques de
leur région d’origine (nous avons déjà mentionné à plusieurs reprises dans
cet ouvrage que plus de 50 % de la population africaine vit en zone rurale).
Les réseaux sociaux leur offrent en fin de compte une meilleure
représentation et proposent de nouveaux outils pour travailler ou
commercialiser des biens et services en ligne. Théoriquement, ils peuvent
même changer la nature de l’emploi.
Les nouvelles technologies pourraient aussi simplifier énormément les
complexités liées au paiement de l’impôt. Dans une récente étude7, l’OCDE
a évalué que le coût de la collecte varie de 1 % à 4 % du total collecté en
Afrique. Dans la plupart des pays interrogés, les investissements dans les
technologies de l’information représentent moins de 2 % du total des
dépenses administratives. Le cabinet d’audit et de conseil PwC note que
dans seulement 3 des 55 économies africaines, la majorité des entreprises
utilisent le paiement en ligne pour l’ensemble de leurs taxes8.
Au-delà des aspects administratifs et fiscaux9, la technologie peut
également rendre la formalisation attractive en permettant aux entreprises
d’accéder au crédit. Beaucoup de start-up utilisent des enregistrements
numériques, que ce soit pour leurs factures de téléphone ou leurs achats
d’applications online. Ces achats permettent déjà d’évaluer la capacité d’un
emprunteur potentiel à rembourser. L’équipement croissant des adultes en
smartphones signifie que toujours plus de transactions seront enregistrées
numériquement. Les entrepreneurs informels auront ainsi de plus en plus de
mal à mener leurs affaires uniquement en espèces.
Soulignons que l’accès au crédit reste l’un des problèmes les plus
pressants pour les entrepreneurs africains qui en sont souvent réduits
à recourir aux systèmes traditionnels de tontine ou autre. On entend souvent
dire que ce qui manque ce ne sont pas les fonds, mais les projets viables. Si
cela est vrai pour les grands projets d’infrastructures, je suis convaincu que
c’est faux pour les micro-entrepreneurs africains. Les banques
traditionnelles restent frileuses et préfèrent gagner confortablement de
l’argent auprès des États (qui les rémunèrent autour de 20 % d’intérêts dans
le cadre de leurs émissions obligataires). Elles ne prennent pas encore
réellement la peine d’apprendre à analyser les risques liés au secteur
informel ou à l’entrepreneuriat, même si l’on note le développement
graduel d’un discours plus favorable à cet égard.
D’autre part, une nouvelle génération de banques digitales propose des
prêts basés sur des analyses big data du comportement des emprunteurs.
Par exemple, une start-up du Botswana a constaté que si un utilisateur
classe son répertoire par noms et prénoms au lieu d’un patronyme unique, il
est 16 % moins susceptible de faire défaut. Au Rwanda, des agriculteurs se
sont rassemblés en association pour proposer leurs récoltes à des grossistes
mis en concurrence au sein d’un même groupe WhatsApp10, une application
de discussion en ligne extrêmement répandue en Afrique. Ces progrès sont
très prometteurs.

Que peuvent faire les États


pour accélérer cette transition ?
Comme nous le disions plus haut, la distinction entre le statut formel et
informel de l’entreprise devrait être considérée de façon continue et non pas
dichotomique. Comme le recommande le chercheur sénégalais Ahmadou
Aly Mbaye11, la politique économique devrait refléter cette hétérogénéité :
les grandes entreprises qui pourraient sans problème se formaliser, mais qui
choisissent de ne pas le faire, devraient être sanctionnées, alors que les
entreprises de taille très réduite devraient plutôt bénéficier d’assistance pour
améliorer leur productivité.
Alors que les pratiques et les organisations actuelles sont encore largement
enracinées dans les contextes locaux et dans les traditions communautaires,
le rapport avec les autorités centrales va devoir rapidement changer pour
continuer de fonctionner (cf. chapitres 6 et 9). Entre autres, les dirigeants
politiques devront peut-être commencer à écouter les entrepreneurs et les
travailleurs du secteur informel pour formuler des politiques plus inclusives
qui pourraient à terme s’avérer plus pertinentes pour le développement de
l’Afrique.
Dans son étude déjà citée plus haut12, le FMI ajoute que « pour les
dirigeants, le défi consiste à créer un environnement dans lequel le secteur
formel puisse prospérer, tout en offrant la possibilité aux travailleurs du
secteur informel de conserver voire d’améliorer leur niveau de vie ». Faire
entrer ces entreprises souvent individuelles ou familiales dans le droit
général n’est pas chose facile, mais il existe des moyens et surtout un
argument de poids : entrer dans le système permet de lutter contre la
précarité, notamment si des politiques saines d’assurance de santé et de
retraite accompagnent cette régularisation. En aucun cas les politiques ne
doivent apparaître comme une surcharge fiscale des micro- et très petites
entreprises informelles. Les politiques doivent favoriser l’accès aux services
bancaires et la productivité de ces entreprises, afin qu’elles créent plus
d’emplois, payent des cotisations pour les salariés, et dans un second temps,
viennent abonder les recettes fiscales de l’État. La réduction de
l’informalité ne peut pas être le point de départ de la politique fiscale.
Les pays du continent se sont globalement embarqués dans un effort
d’amélioration du climat des affaires afin de ne pas surcharger
administrativement les entreprises qui se formalisent, mais on constate que
ces efforts, s’ils sont indispensables, sont insuffisants. Ils valent pour les
entreprises nouvellement créées, mais ne participent guère à formaliser
ceux qui évoluent déjà dans l’informel.
Il convient de mener en parallèle des politiques incitatives et originales.
Le Brésil a par exemple instauré une « loterie de tickets de caisse », inspirée
d’une politique expérimentée avec succès à Taïwan dans les années 1950.
Chaque semaine, un numéro de ticket de caisse est tiré au sort et celui qui
peut le produire gagne une grosse somme d’argent ou bien le droit
d’apparaître dans un jeu télévisé célèbre. On estime que les revenus
déclarés par les commerçants de Sao Paulo ont crû de plus de 20 % dans les
quatre ans qui ont suivi cette mesure13. Les autorités fiscales peuvent
également avoir recours à des plateformes numériques pour surveiller
l’activité économique. Certains pays européens offrent des logiciels gratuits
de tenue de compte aux entreprises dans le but d’inciter celles qui
fonctionnent en liquide à rejoindre le secteur formel14.
Les TIC ne peuvent pas tout,
mais elles peuvent favoriser l’industrialisation
L’un des principaux écueils à mon sens pour les États serait de croire que
les nouvelles technologies peuvent tout. En réalité, les nouvelles
technologies sont un instrument, un facilitateur. Les États ne pourront en
aucun cas se dédouaner de leurs obligations. Celles-ci incluent notamment
la construction des infrastructures indispensables à la propagation des
nouvelles technologies au cœur des territoires ruraux. Le taux d’équipement
est encore insuffisant. Ainsi, on se félicite, notamment au Rwanda, des
premières expérimentations de livraisons par drones15. C’est sans
contestation possible un progrès immense. Néanmoins, jamais ces drones ne
pourront remplacer les routes, ne serait-ce que pour le transport des
personnes – l’administration rwandaise en est heureusement consciente. De
même, pour que les nouvelles technologies réalisent leur plein effet
transformateur, il faut déployer un réseau de fibre et de télécommunications
solide et dense.
Mais c’est sans doute pour le rôle qu’elles pourraient jouer dans
l’industrialisation de nos pays que les nouvelles technologies donneront une
impulsion décisive au secteur informel. Comme le soulignait le regretté
économiste kényan Calestous Juma (décédé en décembre 2017), dans une
étude publiée quelques mois plus tôt16, du point de vue de la gouvernance,
les pays et les villes africaines devront capitaliser sur le rôle crucial que
jouent les infrastructures dans l’esprit d’entreprise et le développement.
Il constate que le déploiement des nouvelles technologies et des grands
réseaux de télécommunication n’a pas permis l’émergence d’une industrie
ou d’une classe d’entrepreneurs. Il est impossible, constate-t-il, de passer
directement à une économie de service sans passer par la case de
l’industrialisation.
L’opportunité la plus incontournable et la plus évidente aujourd’hui
consiste à faire du haut débit généralisé le déclencheur de cette nouvelle ère
de croissance. Mais pour que cet effort d’investissement profite réellement
à l’Afrique, il doit favoriser un dialogue et une coopération de fond entre
les différents acteurs de l’écosystème – entreprises, milieu universitaire et
gouvernement – en les intégrant dès le départ. Des mesures importantes
devront être adoptées pour développer la formation en ingénierie. La
révolution mobile ainsi que d’autres technologies émergentes, telles que
l’impression en 3D, les drones et l’énergie solaire, offrent d’importants
points de départ pour une nouvelle vague d’innovations « made in Africa ».
Il faut que l’Afrique parvienne à développer des savoir-faire qui
constituent des pierres angulaires de son développement, un peu à la
manière dont Taïwan a su construire toute une diversification économique
autour des semi-conducteurs. Parce que c’est une technologie « plateforme
» qui peut aussi bien s’orienter vers les téléphones et autres smartphones
que vers le matériel informatique. C’est ainsi que Taïwan abrite deux des
plus grands fabricants de PC au monde. Ce n’est pas parce que Taïwan est
riche en silicium que le pays a choisi cette voie – et c’est pour cela que je
partage l’opinion du très regretté Calestous Juma : il ne nous sera pas
possible de nous industrialiser seulement en transformant nos matières
premières. La relation de causalité est inverse : c’est parce que l’Europe, les
États-Unis, plus tard le Japon, puis la Chine, avaient des industries qui
exprimaient un besoin de matières premières qu’ont été développées les
capacités de transformation. Cela ne sera pas différent pour l’Afrique.
Une fenêtre d’opportunité très claire se dessine dans ce domaine pour les
dix prochaines années. Dans ce domaine comme dans d’autres, la
coopération de nos Communautés économiques régionales et de nos
institutions panafricaines sera clé, que ce soit pour négocier les meilleurs
contrats, établir les meilleures synergies, concevoir les bonnes pratiques
communes – notamment en termes de fiscalité – ou pour obtenir les
meilleures conditions financières. La conjugaison des forces vives de
l’informel avec la capacité presque organique des nouvelles technologies
à connecter et à organiser une nouvelle interaction économique peut tout
déclencher. À nous de les coordonner.
12

Ruralisation des villes ou urbanisation des


campagnes ?

L’urbanisation de l’Afrique est abordée dans le débat public comme un «


fait accompli », comme une évidence où données et prédictions
s’entremêlent, avec force invocation de corrélations historiques et
d’opportunités inédites. Évacuons toute ambiguïté : les investissements
dans les infrastructures publiques et privées, dans l’éducation et la santé
dans les villes africaines sont urgents et il ne s’agit pas ici de les remettre en
question. Je propose d’y ajouter une dimension supplémentaire, souvent
oubliée dans le débat général sur ces questions : la continuité entre villes et
campagnes africaines. Et cette continuité est, à mon avis, une source
exceptionnelle d’emplois à la fois pour les villes et pour les campagnes
d’Afrique. C’est-à-dire dans le potentiel de « ruralisation » des villes et d’«
urbanisation » des campagnes.
Mais abordons d’abord les principaux éléments du discours habituel sur
l’urbanisation de l’Afrique, avant d’en montrer les faiblesses, puis
d’indiquer les opportunités souvent mal perçues qui découlent de ces
dernières.

Le phénomène de l’urbanisation du continent


Environ 190 millions de nouveaux urbains sont attendus sur le continent
pour la période 2015-2025 (660 millions de personnes et 15 villes de plus
de 5 millions d’habitants à cette échéance, contre 470 millions et 6 villes
en 2015). En moyenne, 24 millions de nouveaux urbains sont attendus
chaque année en Afrique d’ici 2045, où le taux d’habitants des villes
dépassera celui des campagnes (54 % contre 46 %)1. De ces projections sont
tirées diverses recommandations en matière d’investissements dans les
infrastructures, de réforme du droit foncier et de la planification urbaine, de
construction de logements… De la réalisation de ces recommandations est
attendue la réalisation pleine et entière des bénéfices de l’urbanisation :
productivité et niveau de vie accrus, revenus discrétionnaires supérieurs
pour les ménages, diversification de l’économie, gains d’échelle pour
l’industrie et rendements plus importants des investissements publics (santé,
éducation, routes, électricité…).
« L’urbanisation a une forte corrélation avec le taux de croissance du PIB
réel, car la productivité dans les villes est plus du double de celle de la
campagne : le PIB urbain de l’Afrique par personne était de 8 200 dollars
en 2015, contre 3 300 dollars dans les zones rurales. Une productivité plus
élevée se traduit par des revenus plus élevés. Et les villes offrent un
meilleur accès à l’infrastructure, à l’éducation et aux nouveaux marchés, ce
qui entraîne une croissance plus rapide de la consommation des ménages et
des entreprises. Le défi sera de faire face au stress de l’expansion urbaine
rapide, y compris la fourniture de logements et de services », écrivent les
analystes de McKinsey.
Voilà qui est propre et net. Et qui omet juste quelques aspects originaux de
« l’urbanisation de l’Afrique ».

Modalités africaines de l’urbanisation


Premièrement, la corrélation entre augmentation des populations urbaines et
croissance économique semble des plus ténue en Afrique. « La population
urbaine moyenne des pays africains a augmenté de +5,2 % par an sur la
période 1970-1995, alors que le PIB par habitant a diminué à un taux
annuel de –0,66 % », révélait en l’an 2000 une étude publiée par la Banque
mondiale2. « Cela implique que l’urbanisation s’est produite sans générer
les ressources (publiques ou privées) et les possibilités d’emploi pour
répondre à cette poussée de la population urbaine », alertaient déjà les
auteurs de cette étude.
Deuxièmement, l’urbanisation en Afrique s’effectue selon des modalités
assez différentes des formes constatées dans d’autres régions du monde et
dans d’autres épisodes historiques. Certes, en un siècle, le nombre d’urbains
en Afrique a été multiplié par 37. Certes encore, le taux d’urbanisation est
passé de 10 % en 1970 à 37 % en 2010, mais ces évolutions n’ont
nullement été uniformes. Le phénomène classique de croissance urbaine
créée par la migration des populations rurales vers les villes, qui
représentait environ deux tiers de l’augmentation des populations urbaines
dans les années 1960-1970, a cédé la place à un mouvement plus original.
Dans une étude de 20123, Deborah Potts, professeur en géographie au
King’s College de Londres, note que « les populations urbaines continuent
de croître en Afrique subsaharienne, dans de nombreux cas rapidement.
Mais cette croissance est en grande partie attribuable à l’augmentation
naturelle puisque les naissances dépassent les décès dans les villes, en
particulier parmi les couches les plus pauvres de la population.
L’émigration rurale à grande échelle, permanente ou semi-permanente,
requise pour générer des augmentations soutenues des niveaux
d’urbanisation s’est évaporée depuis les années 1980 », écrit-elle. Mieux :
dans une dizaine de pays africains, du Bénin à l’Ouganda en passant par le
Congo-Brazzaville et le Sénégal, on observe un tassement, voire une
régression, des taux d’urbanisation au cours des dernières décennies. Après
avoir crû de 11,2 % à 37,5 % en 1990, le taux d’urbanisation moyen en
Afrique francophone a reculé à 36,6 % en 1994 avant de remonter
légèrement à 39,6 % au milieu des années 20004.
Aussi, en plus d’être désormais principalement alimentée par la croissance
démographique des populations urbaines – plutôt que le déplacement des
campagnes vers les villes –, le phénomène d’urbanisation du continent ne
répond plus à la rupture classique observée ailleurs. Comme le note le
professeur Potts, « les flux des migrants ruraux-urbains sont sensiblement
contrariés par ceux des migrants urbains-ruraux et la durée moyenne du
temps passé dans les villes a diminué. L’impact d’une migration circulaire
plus importante et plus rapide est […] de ralentir l’urbanisation. Confrontés
à l’insécurité économique et à d’autres difficultés pires que d’origine, les
gens se comportent aussi rationnellement en Afrique que partout ailleurs. »
Enfin, bien que les populations urbaines soient, en général, mieux loties
que celles des campagnes, « l’urbanisation en Afrique a été largement
traduite par l’augmentation des bidonvilles, l’augmentation de la pauvreté
et des inégalités »5. Plus de 70 % des urbains en Afrique sont pauvres et
l’inégalité dans les villes du continent, avec un coefficient de Gini6 de 0.58,
est l’une des plus élevées au monde.
D’autres questions, telles que les incertitudes des données
démographiques et économiques africaines, l’extrême diversité des villes du
continent – avec un décalage exceptionnel entre la ville la plus peuplée et
les villes secondaires – et l’absence de consensus sur ce qui constitue
vraiment une « zone urbaine » sur le continent, restent sans réponse. Tout
cela est évacué en notes de bas de page ou confiné aux revues
universitaires, aux rapports d’institutions de développement.

Repenser la relation entre villes et campagnes


À la vue de ces « spécificités » africaines, je considère que l’urbanisation
est un autre domaine original dans lequel les phénomènes observés ailleurs
ne pourront pas être transposés facilement. Et je suggère que les
responsables publics, les investisseurs, les entrepreneurs et les bailleurs de
fonds réfléchissent à des modèles originaux pour assurer une urbanisation
moins chaotique et, surtout, pour permettre la réalisation des retombées
économiques attendues et observées ailleurs.
Loin de la dichotomie souvent observée dans les faits, plutôt qu’une
rupture, villes et campagnes africaines forment un continuum, soit du fait de
l’augmentation des zones urbaines par absorption des zones auparavant
identifiées comme péri-urbaines, voire rurales, soit du fait des migrations
circulaires, soit par ce que les géographes appellent la « rur-urbanisation »,
c’est-à-dire le développement rapide de villes urbaines et de villes
intermédiaires parallèlement à l’explosion des mégalopoles du continent.
Les années 1970-1990 ont été marquées par d’intenses controverses sur le
risque d’une dépendance alimentaire du continent induite par
l’augmentation des populations urbaines. L’idée était que cette dernière va
souvent de pair avec une révolution des palais (les spaghettis plutôt que
l’attiéké, le couscous de blé plutôt que celui de mil ou le fonio). Et, par
conséquent, une baisse relative de la production alimentaire locale vis-à-vis
des importations alimentaires internationales.
Malgré une hausse des importations alimentaires – l’Afrique est passée
d’un excédent régulier durant les décennies post-indépendance à un déficit
estimé à 20 milliards de dollars par an au milieu des années 2000 –
la crainte de cette « dépendance » ne s’est pas matérialisée.

Effet d’entraînement
Cela avait déjà été relevé dans les années 19807. Des études plus récentes le
confirment : « La production alimentaire par habitant a nettement augmenté
depuis les années 1980 pour l’Afrique de l’Ouest, et depuis les années 2000
pour l’Afrique centrale. Cet accroissement s’est fait plus vite que celui de la
population rurale, suggérant que la production alimentaire n’est plus
uniquement destinée à l’autoconsommation. Elle semble être devenue une
production commerciale destinée aux marchés intérieurs des pays, et
notamment aux marchés urbains, ce qui pourrait confirmer que
l’urbanisation a eu un effet d’entraînement sur la production alimentaire des
pays […] »8.
C’est sur cet effet d’entraînement que j’attire l’attention.
Nombre de spécialités professionnelles n’existent pas dans la plupart des
pays africains. Soit parce que les besoins sont inexistants (rééducateur
physique d’astronautes, traducteur Kirghize-Kazakh…), soit parce que leur
potentiel est mal perçu.
Par exemple, l’urbanisation en Afrique subsaharienne a eu un effet
d’entraînement sur la modernisation des chaînes d’approvisionnement en
produits agricoles (réseaux commerciaux, entreposage et transport)9. Malgré
ces progrès, la FAO estime que la quantité de nourriture gaspillée
(essaimage, récolte, post-récolte, transformation, distribution,
consommation) atteint 100 millions de tonnes chaque année en Afrique
subsaharienne. En ce qui concerne les seules céréales, cela représente une
perte de 4 milliards de dollars par an, soit les besoins calorifiques de
48 millions de personnes et plus que la valeur totale de toute l’aide
alimentaire reçue dans la région pendant une décennie !10 Et encore, il ne
s’agit ici que de « gaspillage », et non des gains à espérer d’une
augmentation de la production et de la productivité.
Il semble clair que des opportunités immenses de création de valeur et
d’emplois sont en réserve, sous-exploitées, souvent même ignorées, en
matière d’efficacité agricole, mais aussi dans les structures de transport et
d’entreposage, les industries de transformation, d’emballages et de
conservation, les réseaux d’approvisionnement des centres de distribution
(marché en vrac et centres commerciaux modernes). La ruralisation des
villes africaines n’est rien d’autre que la mise en valeur, à destination des
centres urbains africains, des métiers et de la production des zones rurales
du continent. Ce gisement d’emplois est rarement pris en compte dans les
décisions d’investissements en infrastructures et en éducation. Il est temps
que cela change.

L’« appel des villes » est aussi un appel des campagnes


L’idée – en fait, le cliché – de la vie rurale harassante, dédiée entièrement
aux travaux champêtres, dénuée des attraits et des opportunités de loisir,
mais aussi de la diversité des emplois dont seules les villes bénéficieraient,
semble définitivement ancrée dans l’esprit des jeunes Africains. Comme
s’en inquiétait en 2014 Jean-Marc Anga, secrétaire général de
l’Organisation internationale du café et du cacao, l’âge moyen des
producteurs de cacao est compris entre 50 et 60 ans en Côte d’Ivoire, où la
population des moins de 25 ans est majoritaire et le chômage des jeunes
paraît endémique11.
Dans le prochain chapitre, j’explorerai les moyens de revaloriser le travail
d’agriculteur et son rôle crucial d’entrepreneur dans les économies
africaines. J’aimerais rappeler ici un autre potentiel : celui des emplois
non-agricoles en zones rurales.
Une étude publiée en février 2017, à partir de sondages menés entre 2005
et 2013 dans 25 000 ménages ruraux à travers une demi-douzaine de pays
africains (à savoir l’Éthiopie, le Malawi, le Niger, le Nigeria, la Tanzanie et
l’Ouganda), montre que 42 % d’entre eux exploitent au moins une
entreprise non-agricole (indépendamment ou parallèlement aux activités
agricoles), du transport à la restauration12. S’il est en dessous des 50 %
observés en Amérique latine et en Asie, l’emploi non-agricole représente
quand même 35 % des revenus en zone rurale en Afrique subsaharienne13. «
L’urbanisation des campagnes » à laquelle j’appelle passera par la création
en zones rurales de métiers longtemps considérés comme urbains :
mécaniciens, informaticiens, jusqu’aux notaires et aux médecins, aux
agronomes et aux spécialistes de l’éolien… La campagne africaine peut
rester la campagne, mais avec des métiers modernes.
Dans l’engouement en faveur de l’émergence africaine et dans les projets
d’investissements publics en vigueur sur le continent, le développement en
zone rurale des aménités et de certains métiers longtemps réservés aux
villes est une source d’emplois et de croissance trop souvent négligée. C’est
aussi un moyen sûr de maintenir les populations sur place et de réduire la
pression démographique des villes africaines. Dans cette période de crises
migratoires aiguës, les pouvoirs publics ont tout intérêt à y réfléchir.
13

L’agriculteur africain, un entrepreneur comme un


autre

Du tristement célèbre discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, en juillet 2007,


les intellectuels et responsables publics africains ont le plus souvent critiqué
cette phrase : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas
assez entré dans l’histoire ». Très peu ont commenté les morceaux qui
suivaient immédiatement cette déflagration : « Le paysan africain, qui
depuis des millénaires vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en
harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du
temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes
paroles. […] Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour
s’inventer un destin »1.
Je crains que, sans forcément la partager, ni même en être pleinement
conscients, nombre de penseurs et dirigeants du continent conservent une
image d’Épinal du paysan africain2, qui diffère peu de celle proposée par
Nicolas Sarkozy : daba et machette en main, débroussaillant saison après
saison les mêmes surfaces, plantant les mêmes semences, victime des
mêmes caprices de la météo…

Le handicap d’un cliché dépassé


Cette image d’immobilisme et d’arriération est fausse. Elle l’était déjà sous
le joug colonial, lorsque les cultures d’exportation (café, cacao, hévéa…)
ont commencé à faire leur apparition aux côtés des cultures vivrières
(céréales, manioc, bananes…)3. Elle l’est encore plus à une époque où,
à tort ou à raison, les producteurs mondiaux d’organismes génétiquement
modifiés sont engagés dans une course à la séduction des exploitants
agricoles en Afrique4. Il est aberrant dans ce cas, de parler de « répétition
des mêmes gestes » et de « recommencement ».
Pourquoi donc persiste cette représentation ? Elle tient en partie au
décalage croissant au fil des décennies entre élites urbaines et monde rural.
Il est intéressant de noter que plusieurs leaders de l’indépendance du
continent (Félix Houphouët Boigny, Jomo Kenyatta, Julius Nyerere…)
étaient issus de familles d’exploitants agricoles et ont conservé un fort
attachement à la terre et au monde rural. C’est moins le cas aujourd’hui.
Mais plus largement, c’est parce que l’exode rural qui a marqué le continent
dans les années 1970 et 1980 a ancré solidement dans les esprits une image
passéiste de l’agriculteur africain. La modernité et les emplois nouveaux
étaient en ville, il fallait y être.
Ce cliché n’a jamais collé à la réalité. Les chiffres le prouvent : plus de 60
% des emplois et près de 25 % du PIB des pays africains proviennent du
secteur agricole. Quant à la pénibilité du travail agricole, il reste à prouver
qu’un docker au port de Lagos ou un maçon sur un chantier à Dakar
exercent un métier moins éreintant, physiquement, qu’un agriculteur du
Fouta-Djalon.
La perception du métier d’agriculteur en Afrique est en train d’évoluer.
D’abord en raison d’un simple calcul : environ 49 % des Africains vivant
dans les principales zones agro-industrielles du continent vivent avec moins
de 1,25 USD par jour, soit plus de 400 millions de personnes. En même
temps, seuls 3 millions d’emplois formels sont disponibles chaque année
sur le continent, quand 12 millions de jeunes arrivent dans le même temps
sur le marché du travail, selon les données de la Banque africaine de
développement5.
La réserve d’emplois que recèle le secteur agricole ne passe nullement
inaperçue. Et, à travers le continent, nombre d’initiatives locales,
régionales, nationales et supranationales visent à promouvoir l’emploi dans
le secteur agricole. La Banque africaine de développement a lancé le
ENABLE Youth Program, visant à soutenir 300 000 agro-entrepreneurs
entre 2015 et 2025 et, par-là, créer au moins 8 millions d’emplois à travers
30 pays africains.
Le constat est largement partagé parmi les décideurs africains : il est temps
de reconnaître qu’un agriculteur est un entrepreneur comme un autre.
Comme n’importe quel autre entrepreneur, il doit prendre en compte les
questions de flux, la gestion de sa trésorerie, la préservation et la
diversification des actifs (période de jachère, partage des parcelles entre
cultures vivrières et culture d’exploitation)…
Pourtant, ce constat a du mal à entraîner une véritable révolution des
habitudes et des économies. Début septembre 2017, en marge de la
7e édition du Forum pour la révolution verte en Afrique (AGRF) à Abidjan,
Edson Mpyisi, Chief financial economist à la BAD et coordonnateur du
programme ENABLE Youth, regrettait les difficultés à opérer une
révolution des mentalités afin de commencer à voir l’agriculture comme un
secteur sérieux, éloigné du maniement de la houe, mais intégré à la
construction d’une chaîne de valeur industrielle6.
Ce n’est pas exactement une surprise. Malgré les constats d’urgence et les
appels à l’action, la modernisation du regard posé sur le métier
d’agriculteur en Afrique n’a pas encore pleinement imprégné toutes les
mentalités. Il ne faut pas se fier aux slogans.

Comment développer l’emploi agricole ?


C’est une chose honorable et recommandable que de vouloir doper l’emploi
agricole. Mais la promesse est rompue d’avance quand aucune réforme du
cadastre et du droit foncier n’est menée et que, par conséquent, il n’existe
que peu de moyens – à coût abordable – pour l’agriculteur de formaliser la
propriété de son terrain et d’y adosser un financement par exemple.
Les gouvernants africains peuvent créer autant de « fonds d’innovation »
dans le domaine agricole qu’ils le souhaitent, il est peu probable que ces
véhicules financent grand-chose quand les conditions d’accès au crédit
restent aussi strictes que dans le secteur bancaire, ou quand l’expertise et les
coûts de la composition du dossier de candidature restent hors de portée de
la plupart des demandeurs d’emplois et des salariés agricoles du continent.
De même, les chances de réussite des programmes de « retour à la terre »
paraissent bien minces quand aucune des aménités et des infrastructures
modernes (hôpitaux, dispensaires, écoles, mais aussi commerces, lieux de
loisir, logements…) nécessaires ne voient le jour ou ne sont planifiés.
Si les agriculteurs africains étaient vraiment considérés comme les
entrepreneurs qu’ils sont ou peuvent devenir, l’épineuse question du «
modèle » d’agriculture à suivre serait davantage prise au sérieux et plus
rigoureusement étudiée. Il est possible, clairement, qu’une agriculture plus
« inclusive » – laissant aux producteurs individuels, propriétaires de petites
parcelles, une grande liberté de choix pour unir leurs moyens, sans être
absorbés par un groupe privé – soit efficace dans certaines zones. Après
tout, 75 % de la nourriture produite sur le continent est le fait de petites
exploitations agricoles (moins de 20 hectares), tandis que 80 % des
51 millions d’exploitations agricoles du continent ont une surface inférieure
à 2 hectares7.
La possibilité existe, en même temps, que la faible productivité agricole en
Afrique soit la conséquence des faibles économies d’échelles réalisées dans
ce secteur. S’il ne s’agit pas de choisir obligatoirement entre le modèle «
inclusif » et l’agriculture commerciale et de transformation à grande
échelle, il est néanmoins important que les contradictions entre ces
approches soient pleinement analysées et prises en compte dans la
définition des politiques agricoles sur le continent. On ne peut pas dire que
ce soit suffisamment le cas.

Les méthodes de financement alternatives


Avec la sécurisation des droits fonciers, l’accès aux marchés, les modalités
et localités de la transformation agricole, la question du financement est un
autre enjeu majeur. Et son traitement par les acteurs publics et privés
africains révèle, encore une fois, la distance entre les propos volontaristes
sur l’agro-entrepreneur africain et la réalité des faits. Réduites à peau de
chagrin dans le cadre des politiques d’ajustements structurels des
années 1990 – ou entièrement supprimées dans certains cas – les banques
de développement agricole peinent à jouer leur rôle. Pire, celles qui ont
existé jusque-là étaient plus souvent des caisses de distribution pour
acquérir des faveurs électorales plutôt que des agents d’accompagnement de
l’agriculture au-delà de la culture et vers la création de valeur ajoutée agro-‐
industrielle.
Les sources traditionnelles de financement et d’investissement dans le
secteur agricole en Afrique ne suffisent plus et les expériences du passé ont
donc confirmé la nécessité de recourir à des méthodes de financement
alternatives et innovantes proposées par le secteur privé. Du fait de leur
caractère holistique, collaboratif et stratégique, associé à une gestion
multilatérale, ces financements innovants contribuent à une productivité
accrue et au développement agricole en catalysant l’investissement privé et
en remédiant aux défaillances du marché.
Il s’agit par exemple d’outils de gestion des risques comme l’assurance
climatique indicielle mise en place par la African Risk Capacity, qui aide
les agriculteurs à atténuer les risques climatiques. En 2015, l’ARC a versé
plus de 26 millions de dollars après une période de sécheresse au Sahel.
Avec cet argent, le gouvernement sénégalais a déclaré avoir distribué non
seulement de l’aide alimentaire à 750 000 personnes et permis à 87 000
éleveurs d’accéder à des biens alimentaires subventionnés pour leur bétail,
mais aussi de financer plusieurs programmes d’assistance facilitant l’accès
au financement des petits exploitants8.
Bien entendu, la croissance explosive de la téléphonie mobile à travers
l’Afrique offre de multiples opportunités de réaliser des innovations
transformatrices pour améliorer le financement du développement rural.
Le Nigeria et le Kenya ont ainsi été les premiers pays à mettre au point des
systèmes de distribution de subventions à l’achat d’engrais directement aux
agriculteurs, grâce à des partenariats avec des sociétés de technologie
mobile et des fournisseurs de réseaux. Au Nigeria, on estime à 10,5 millions
le nombre d’agriculteurs ayant bénéficié du programme de portefeuilles
mobiles pour l’octroi de subventions à l’achat d’engrais de Cellulant9,
tandis que le coût par agriculteur recevant des subventions à l’achat
d’engrais aurait baissé de 225-300 dollars US en 2011 à 22 dollars US
en 2013.

La protection des droits des agriculteurs


au centre des futures politiques
Pour finir sur ces questions de financement, on ne peut qu’être frappé par la
part importante des emplois du secteur agricole africain et le peu de
protection dont ils bénéficient réellement, tout comme le peu d’incitations
(fiscales, réglementaires…) à la création de valeur ajoutée qui lui sont
fournies. Aucun gouvernement ne songerait à encourager la création de
banques sans engager des réformes macro-économiques et macro-‐
prudentielles. Aucune politique industrielle digne de ce nom n’est possible
sans engagement à encourager l’investissement, à sécuriser les voies de
recours juridique et à protéger les droits de propriété.
Pourtant, l’effervescence autour de la révolution agricole africaine
s’exerce en dehors de tout programme d’investissements massifs dans
l’ouverture de nouvelles écoles agricoles, sans véritables incitations des
entreprises du secteur à renforcer leurs programmes de formation, souvent
sans même la mise en place de structures de certification de la qualité… Un
manque de coordination et de préparation qu’on ne retrouve pas dans les
programmes d’appui à l’entrepreneuriat « normal » (il suffit de voir
l’explosion des programmes de BTS technique et informatique sur le
continent) et qui pourtant est systématique en matière de politique agricole.
Il faut néanmoins noter que la déclaration faite à Malabo en 2014 va dans le
sens d’une plus grande harmonisation entre politique économique et
politique agricole.
Je le répète, l’agriculteur africain est un entrepreneur comme un autre. Il
est grand temps de le prendre au sérieux et d’encourager la multiplication
d’initiatives liées à l’autonomisation des agriculteurs au moyen des
nouvelles technologies, notamment en matière de financement.
Épilogue

Pour clore cet ouvrage, je voudrais évoquer six moments clés qui sont
autant d’étapes sur mon « Chemin de Damas ».
Le premier concerne ma prise de conscience de l’environnement. Je viens
d’un pays pour lequel la menace de la désertification a toujours eu une
signification très concrète. Nombre de mes compatriotes vivent de
l’agriculture et de l’élevage malgré cette épée de Damoclès qui se fait de
plus en plus lourde. Avec des ressources limitées, le pays est néanmoins
parvenu à valider le tout premier Plan national pour l’environnement et le
développement durable, et se place aujourd’hui comme l’un des champions
de la lutte contre la désertification avec des résultats importants sur la
quantité de terres dégradées récupérées. Ma propre sensibilité aux questions
environnementales, je la tiens de mon père, un des tout premiers, si ce n’est
le premier, ingénieur en agriculture au Niger.
Le deuxième concerne la stratégie. Lorsque j’ai rencontré pour la
première fois l’ancien Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, en 2009,
j’ai découvert un homme extrêmement brillant qui m’a énoncé une stratégie
que je n’ai jamais oubliée et que j’ai le plus possible appliquée dans mes
décisions ultérieures : « Formulez votre diagnostic dans vos propres termes.
» C’est l’absence de diagnostic propre qui a trop souvent été la cause
essentielle de l’échec des politiques de développement tentées un peu
partout en Afrique, par manque d’appropriation. Ce mot a d’ailleurs une
double signification en français : « C’est approprié quand c’est approprié. »
Cette citation rejoint mon goût pour les arts martiaux, dont l’un des
fondements philosophiques est bien résumé dans ce dicton : « Lorsque
l’élève est prêt, le maître apparaît. »
Le troisième remonte à une rencontre récente, en 2017, avec des élèves de
la Oxford Africa Conference. Elle m’a appris une leçon intéressante sur la
jeunesse africaine. Les débats portaient sur les moyens de débloquer
l’investissement en Afrique. À aucun moment l’un d’entre eux n’a évoqué
l’État. En réalité, ils font plus confiance à leurs capacités individuelles qu’à
l’État : « Nous ne comptons pas sur l’État, nous comptons sur notre
capacité d’entreprendre. » Ils ne sont pas en adéquation avec la manière
dont les États fonctionnent et ne cherchent même pas à réparer le
gouvernement. Cela m’a semblé présager d’un avenir plus dynamique. Ce
n’est pas à l’État de mener le changement. L’État doit remplir sa mission et
servir le bon fonctionnement d’un territoire donné.
À ma modeste mesure, j’ai créé en 2000 CAP2, un think tank sur l’analyse
des politiques publiques au Niger. Nous sommes à ce moment parvenus
à un petit miracle de cohésion politique et sociale en rassemblant autour de
la table des Nigériens de toutes tendances politiques qui analysent ensemble
et trouvent des solutions ensemble. Ce concept de réflexion commune
fondée sur une discussion directe et franche me semble plus que jamais
utile comme moyen de revigorer la façon dont les priorités des sociétés
africaines sont discutées, définies et réalisées. Cette minorité active,
plurielle et porteuse de solutions, a pu influencer la définition des politiques
de développement nationales dans un sens plus pragmatique et, surtout, plus
conforme aux réalités du terrain et en accord avec le plus large éventail de
sensibilités.
À l’occasion des Assemblées générales de l’ONU, en septembre 2016
à New York, j’ai eu l’occasion de débattre au NASDAQ avec les plus
importants fonds de pension africains, avec une capitalisation de 1,5 trillion
de dollars. Il subsiste un grand mythe sur les ressources financières
africaines. La question du développement en Afrique n’est pas liée à un
manque de ressources, mais à un manque de stratégie et d’appropriation. Si
nos propres fonds souverains et fonds de pension préfèrent consacrer une
part si importante de leurs actifs à des placements « sans risque », comme
les obligations européennes ou américaines, c’est qu’il nous faut travailler
plus dur à les convaincre que les partenariats public-privé sont efficients et
protègent convenablement leurs intérêts.
J’ai commencé ce témoignage en citant mon père. Je voudrais le terminer
en rappelant le souvenir de celle qui m’a introduit au monde, elle qui
illustrait si parfaitement ce trait africain fondamental entre tous : la
solidarité. Elle qui ne cessait de parcourir le quartier de Niamey où nous
habitions pour s’enquérir de la santé d’un tel, de la scolarité des enfants de
telle autre. Rien ne lui échappait et je me rappelle encore ses appels au
secours, alors que nous ses enfants étions disséminés à travers le monde,
pour solliciter de l’aide au nom de l’un de ses voisins en difficulté. Cela
n’est pas sans rappeler des pratiques qui ont toujours cours en milieu rural :
offrir de l’eau à celui qui passe, échanger avec son voisin une partie
équivalente du produit de la même récolte…
Notes

Introduction
1. « African Economic Outlook », AfDB, OECD, UNDP, 2017.
2. L’Agence du NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) a été créée au
tournant du millénaire. Aujourd’hui, le NEPAD coordonne le cadre stratégique de l’Union Africaine
pour le développement socio-économique du continent. Son rôle a été réaffirmé dans la stratégie
2063 énoncée par l’Union africaine en 2013. C’est au NEPAD qu’incombe la responsabilité de mettre
en œuvre les grands chantiers de l’Afrique du futur.

1. Le spectre de la recolonisation
1. Trésor Kibangula, « Info ou intox : Donald Trump a-t-il (vraiment) dit ça sur l’Afrique et les
Africains ? » Jeune Afrique, 18 novembre 2016.
http://www.jeuneafrique.com/374723/politique/info-intox-donald-trump-
a-t-vraiment-dit-ca-lafrique-africains/
2. Sabine Cessou, « Clinton, Trump : quelle vision de l’Afrique ? », RFI, 30 septembre 2016.
http://www.rfi.fr/hebdo/20160930-etats-unis-afrique-vue-candidats-presidence-trump-clinton-obama
3. Kwame Nkrumah, Neo-colonialism: The Last Stage of Imperialism, Thomas Nelson, 1965.
4. William Wallis, « Africa told to view China as competitor », Financial Times, 11 mars 2013.
https://www.ft.com/content/58b08eb0-8a6c-11e2-9da4-00144feabdc0
5. Alec Russell, William MacNamara, « ICBC pays $5.5bn for Standard Bank stake », Financial
Times, 25 octobre 2007.
https://www.ft.com/content/a7215c94-828b-11dc-a5ae-0000779fd2ac
6. Alec Hogg, « Foreign shareholders now control almost half the JSE’s Top 40 companies »,
BizNews, Décembre 2015.
https://www.biznews.com/sa-investing/2015/12/02/foreign-shareholders-
now-control-almost-half-the-jses-top-40-companies/
7. Jeune Afrique, « Spécial entreprises 2017 ».
http://www.jeuneafrique.com/hors-series-top-500/
8. Laurence Caramel, « Thomas Piketty fustige des Européens qui « se donnent bonne conscience »
en Afrique », Le Monde, 11 septembre 2015.
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/09/11/faute-de-transparence-les-
inegalites-en-afrique-sont-tres-sous-estimees-selon-thomas-piketty_4753088_
3212.html
9. China-Africa Research Initiative, « China Exports to African Countries ».
http://www.sais-cari.org/data-china-africa-trade/, UNComtrade data from 1992-2016,
http://comtrade.un.org/data/
10. Ramachandran V. & Shah M. K., « Foreign Ownership and Firm Performance in Africa:
Evidence from Zimbabwe, Ghana and Kenya », (1998, 2000).
11. UNECA, « Land Policy In Africa: A Framework To Strengthen Land Rights, Enhance
Productivity And Secure Livelihoods », 2011.
https://www.uneca.org/publications/land-policy-africa-framework-strengthen-land-rights-enhance-
productivity-and-secure
12. Thabo Mbeki : « L’Afrique perd chaque année 60 milliards de dollars dans des transactions
financières illicites », Jeune Afrique, 1er avril 2014.
http://www.jeuneafrique.com/11106/economie/thabo-mbeki-l-afrique-perd-chaque-ann-e-60-
milliards-de-dollars-dans-des-transactions-financi-res-illicites/
13. Global Financial Integrity, « Illicit Financial Flows From Africa: Hidden Resource For
Development », 26 mars 2010.

2. Migrations et commerce : l’Afrique a le choix des armes


1. Evita Schmied, « Africa’s Position in Global Trade – Free Trade Agreements, WTO and
Regional Integration », 2016.
https://www.giz.de/expertise/downloads/giz2016-en-08_Trade_Newsletter_August_2016.pdf
2. www.un.org, « Migration Report 2015 ».
3. Hein De Haas, « International migration, remittances and development: myths and facts », Third
World Quarterly, Volume 26, 2005, Issue 8.
4. « African Economic Outlook 2016 », AfDB.
5. McKinsey Global Institute, « Global Migration’s impact and Opportunity », Novembre 2016.
6. www.un.org, « Migration Report 2015 ».
7. https://countryeconomy.com/demography/migration/remittance/ivory-coast
8. https://data.worldbank.org/indicator/TX.VAL.MANF.ZS.UN?year_
high_desc=true
9. http://data.worldbank.org/indicator/NE.EXP.GNFS.ZS
10. « Angela Merkel welcomes US offer to resume TTIP talks », DW, 27 juin 2017.
http://www.dw.com/en/angela-merkel-welcomes-us-offer-to-resume-ttip-talks/a-39446579
11. Clément S. Thibault, « Infrastructures en Afrique : un chantier taillé pour le private equity »,
CFnews Magazine, novembre 2015.
http://docs.cfnews.net/magazine/novembre-15/?utm_source=Campagne+
magazine&utm_medium=email&utm_campaign=Magazine+novembre+2015+-
+abonn%C3%A9s&utm_content=florence.jouffroy%40cms-bfl.com

3. Les Afriques, bombe à fragmentation


1. Kwame Nkrumah, Africa Must Unite, Frederick A. Praeger, 1963.
http://feintandmargin.com/wp-content/uploads/2015/04/Africa-Must-Unite.pdf
2. Discours prononcé à l’ouverture des 49e rencontres annuelles de la Banque africaine de de
développement, à Kigali, le 22 mai 2014.
http://www.paulkagame.com?p=3216
3. Mwangi S. Kimenyi, Zenia A. Lewis, Brandon Routman, « Introduction: Intra-African Trade in
Context », Brookings Africa Growth Initiative, 2012.
4. La question du caractère naturel ou artificiel des frontières des pays africains, longtemps
considérée comme tranchée (en faveur de la seconde hypothèse), connaît un renouveau. Il sera
intéressant d’observer ce débat et de suivre les conclusions auxquels aboutiront les historiens.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/04/06/l-afrique-n-est-pas-victime-de-ses-
frontieres_4610391_3212.html
5. Christopher Hitchens, « The Perils of Partition », The Atlantic, mars 2003.
https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2003/03/the-perils-of-partition/
302686/
6. H. L. Mencken : « Il y a toujours une solution bien connue à chaque problème humain – soignée,
plausible et… fausse », 1917.
7. Olivier Caslin « Dossier transport maritime : ces futurs ports qui changeront la donne en Afrique
», Jeune Afrique, 1er décembre 2014.
http://www.jeuneafrique.com/5030/economie/dossier-transport-maritime-
ces-futurs-ports-qui-changeront-la-donne-en-afrique/
8. Stéphane Ballong, « Aérien : entre Air Côte d’Ivoire et Asky Airlines, match de haut vol »,
Jeune Afrique, 16 mars 2016.
http://www.jeuneafrique.com/mag/308671/economie/aeronautique-entre-
air-cote-divoire-asky-airlines-match-de-haut-vol/
9. Morgane Le Cam, « À la conquête du ciel africain », Le Monde, 4 novembre 2015.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/11/04/a-la-conquete-du-ciel-africain_4802901_3212.html
10. Joël Té-Léssia, « Capital – Investissement : bataille de l’attractivité entre Abidjan et Dakar »,
Jeune Afrique, 9 mai 2017.
http://www.jeuneafrique.com/mag/433800/economie/capital-investissement-
bataille-de-lattractivite-entre-abidjan-dakar/
11. Xinhua, « BRICS New Development Bank aims to offer 2.5 bln USD of loans in 2017 »,
25 novembre 2016.
http://en.people.cn/n3/2016/1125/c90000-9146910.html
12. Zainab Calcuttawala, « Morocco to Receive $120 billion of Investments from GCC Countries
in Next Decade », Morocco World News, 20 avril 2016.
https://www.moroccoworldnews.com/2016/04/184676/morocco-to-receive-120-billion-of-
investments-from-gcc-countries-in-next-decade/
13. Helene Cooper, Dionne Searcy, « Push to Sell Planes Shows U.S. Thaw With Nigeria », New
York Times, 15 mai 2016.
https://www.nytimes.com/2016/05/16/world/africa/boko-haram-nigeria-us-arms-sales-
warplanes.html?_r=0

4. Les États africains face aux bouleversements climatiques


1. France Culture : « Les plus anciennes peintures du Tassili-n-Ajjer (Sahara central) »,
21 mars 2012.
https://www.franceculture.fr/emissions/le-salon-noir/les-plus-anciennes-
peintures-du-tassili-n-ajjer-sahara-central
2. Source : African World Heritages Sites – Tassili N’Ajjer.
https://www.africanworldheritagesites.org/natural-places/deserts/tassili-najjer-national-park-
algeria.html
3. UNEP, « The Economics of Land Degradation in Africa », septembre 2015. http://www.eld-
initiative.org/fileadmin/pdf/ELD-unep-report_07_spec_72dpi.pdf
4. « L’Afrique face au réchauffement climatique, les raisons d’une autre instabilité », Le Matin,
16 octobre 2014.
https://lematin.ma/journal/2014/impact-politique_l-afrique-face-au-rechauffement-climatique-les-
raisons--d-une-autre-instabilite/210652.html
5. Afrique Renouveau, « L’Afrique face au changement climatique – Édition spéciale agriculture »,
2014.
http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/%C3%A9dition-sp%C3%A9ciale-agriculture-
2014/l%E2%80%99afrique-face-au-changement-climatique
6. « China Unveils an Ambitious Plan to Curb Climate Change Emissions », The New York Times,
19 décembre 2017.
https://www.nytimes.com/2017/12/19/climate/china-carbon-market-climate-change-emissions.html
7. Source : https://en.wikipedia.org/wiki/Clean_Development_Mechanism
8. Voir aussi la tribune « Ce que l’Afrique peut attendre de la COP 22 », publiée le
15 novembre 2016.
http://www.jeuneafrique.com/374417/societe/lafrique-attend-de-cop-22/
9. « Sahel : le changement climatique joue un rôle dans l’instabilité de la région, selon l’ONU »,
centre d’actualités de l’ONU, 26 mai 2016.
http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=37325#.WjvRebSdUnM
10. « Lac Tchad : une réserve d’eau douce, menacée par la désertification », Géopolis Afrique,
France Info, 2017.
http://geopolis.francetvinfo.fr/lac-tchad-une-reserve-deau-douce-menacee-par-la-desertification-
53577
11. « Projet de cadre de la politique de reconstruction et du développement post-conflit (RDPC) »,
Union Africaine, 9 juin 2006.
12. « La mer d’Aral renaît grâce à un grand barrage », The New York Times in Courrier
International, 17 mai 2006.
13. Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Nigéria, Sénégal, Tchad, Soudan, Ethiopie, Erythrée et
Djibouti.

5. Une démographie originale et incontrôlée


1. Assemblée Générale de l’Union Africaine, vingt-sixième Session Ordinaire, 30-31 Janvier 2016
à Addis Ababa, Éthiopie – « Feuille de route de l’UA sur tirer pleinement profit du Dividende
Démographique en Investissant dans la Jeunesse ».
http://wcaro.unfpa.org/fr/publications/feuille-de-route-de-lua-sur-tirer-pleinement-profit-du-
dividende-d%C3%A9mographique-en
2. Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et Banque mondiale, « Densité de la
population (personnes par kilomètre carré de superficie des terres) ».
https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/EN.POP.DNST
3. United Nations Department of Economic and Social Affairs/Population Division, « World
Population Prospects: The 2017 Revision, Key Findings and Advance Tables ».
https://esa.un.org/unpd/wpp/Publications/Files/WPP2017_KeyFindings.pdf
4. IMF, « How Can Sub-Saharan Africa Harness the Demographic Dividend? » in Regional
Economic Outlook 2015.
http://www.imf.org/external/pubs/ft/reo/2015/afr/eng/
5. « Children and Development in the 1990s: A UNICEF Sourcebook : on the Occasion of the
World Summit for Children », 29-30 septembre 1990.
https://www.unicef.org/about/history/files/sourcebook_children_1990s_part2.pdf
6. OMS, « Donner aux femmes l’accès aux services de planification familiale en Afrique », 2017.
http://www.who.int/bulletin/volumes/95/9/17-020917/fr/
Unicef, « En Éthiopie, un important programme utilisant des agents sanitaires a permis de réduire la
mortalité de l’enfant dans tout le pays », 2013.
https://www.unicef.org/french/infobycountry/ethiopia_70372.html
7. UNFPA, « Giving women choices: Family planning options increase in rural Ethiopia »,
Janvier 2016.
https://www.unfpa.org/news/giving-women-choices-family-planning-options-increase-rural-ethiopia
8. Alain Faujas, « En Afrique, la maîtrise de la démographie n’est plus un tabou », Le Monde,
2 avril 2014.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/04/02/en-afrique-la-maitrise-de-la-demographie-passe-
par-une-cooperation-entre-les-pouvoirs-civil-et-religieux_4394010_3234.html
9. « NEPAD launches the MoveAfrica Initiative, to bring down hurdles to continental trade »,
2016.
http://www.nepad.org/content/nepad-launches-moveafrica-initiative-bring-down-hurdles-continental-
trade
10. « Atlas : Une nouvelle ruralité émergente en Afrique », CIRAD, NEPAD.
11. L’Office du Niger est une zone de culture irriguée de 100 000 ha, aménagée sur le delta
inférieur du Niger, au Mali. On y cultive principalement du riz.

6. La jeunesse africaine entre tradition et modernité


1. Édition François Maspero, Paris, 1961 ; p. 184.
2. Unesco, « La jeunesse dans les années 1980 », 1981, pp 154-186.
http://unesdoc.unesco.org/images/0004/000468/046867eo.pdf
3. Robert Kaplan, « The Coming Anarchy », The Atlantic, Février 1994.
https://www.theatlantic.com/magazine/archive/1994/02/the-coming-
anarchy/304670/
4. United Nations Department of Economic and Social Affairs/Population Division 1, « World
Population Prospects: The 2015 Revision, Key Findings and Advance Tables », 2015.
https://esa.un.org/unpd/wpp/Publications/Files/Key_Findings_WPP_2015.pdf
5. Justin Yifu Lin, « Youth Bulge: A Demographic Dividend or a Demographic Bomb in
Developing Countries? », Banque mondiale, 5 janvier 2012.
http://blogs.worldbank.org/developmenttalk/youth-bulge-a-demographic-dividend-or-a-demographic-
bomb-in-developing-countries
6. France24, « Au Cameroun, les courbettes d’un ministre devant Paul Biya amusent le Web »,
12 décembre 2016.
http://observers.france24.com/fr/20161212-cameroun-courbettes-ministre-bidoung-challenge-paul-
biya-meme-web, archivé le 15 mai 2017.
7. France24, « Un “Bidoung Challenge” face à Paul Biya : des footballeurs camerounais ont osé ! »
; 08 février 2017.
http://observers.france24.com/fr/20170208-footballeurs-cameroun-bidoung-challenge-paul-biya-
chantal-lions-indomptables, archivé le 15 mai 2017
8. Chikwanha A. et Masunungure E., « Young and Old in Sub-Saharan Africa: Who are the Real
Democrats? », Afrobarometer Working Paper, n° 87, décembre 2007.
9. World Development Indicators.
http://databank.worldbank.org/data/reports.aspx?
source=2&series=SL.UEM.1524.ZS&country=#advancedDownloadOptions
10. « Yannick Noah devient chef de village », Je Wanda, 25 janvier 2017.
http://www.jewanda-magazine.com/2017/01/people-yannick-noah-devient-chef-de-village/ archivé le
02 mai 2016.
7. Retrouver notre souveraineté intellectuelle
1. Agnès Rougier, « La voûte nubienne au Sénégal: le retour à la terre », RFI, 24 novembre 2015.
http://www.rfi.fr/science/20151124-senegal-construction-voute-nubienne-
materiau-retour-terre
2. Banque mondiale, « Where is the wealth of Nations », 2006, p. 26.
http://siteresources.worldbank.org/INTEEI/214578-1110886258964/20748034/All.pdf
3. Éditions Actes Sud, 1991.
4. Colette Braeckman, « L’apartheid “soft” des Belges au Congo. », Le Soir, 28 avril 2010.
http://www.resistances.be/apartheidcongo.html
5. Paul Giniès : « L’offre de formation doit tenir compte de la demande du secteur privé », Jeune
Afrique, 03 mai 2012.
http://www.jeuneafrique.com/141905/archives-thematique/paul-gini-s-l-offre-de-formation-doit-
tenir-compte-de-la-demande-du-secteur-priv/
6. http://www.2ie-edu.org/index.php/fr/technopole-2ie/favoriser-l-emergence-
d-entreprises-innovantes
7. « Le Gabon ouvre deux centres de formation aux métiers agricoles et du pétrole »,
29 novembre 2017.
http://www.afrik.com/le-gabon-ouvre-deux-centres-de-formation-aux-metiers-agricoles-et-du-petrole
8. « Eranove veut des électriciens “prêts à l’emploi” », Jeune Afrique, 8 décembre 2015.
http://www.jeuneafrique.com/mag/280619/economie/eranove-veut-electriciens-
prets-a-lemploi/
9. https://www.mtncameroon.net/fr/careers/want-to-join-our-team/the-mtn-
graduate-programm/
10. « La Banque mondiale lance les “centres d’excellence africains” », Jeune Afrique,
16 avril 2014.
http://www.jeuneafrique.com/10770/economie/la-banque-mondiale-lance-
les-centres-d-excellence-africains/
11. http://www.oecd.org/pisa/aboutpisa/pisa-en-francais.htm
12. « The Coffee War: Ethiopia and the Starbucks Story », 2010.
http://www.wipo.int/ipadvantage/en/details.jsp?id=2621
13. http://maasaiip.org/about-us/

8. Ce que le panafricanisme veut dire


1. Voir à ce sujet « Vies et mort du tiers-monde », Manière de Voir n° 87, Le Monde diplomatique,
juin-juillet 2006.
https://www.monde-diplomatique.fr/mav/87/
2. http://www.nepad.org/fr/content/%C3%A0-propos-du-nepad ;
voir aussi « NEPAD : Le temps de l’action », Afrique Renouveau, Janvier 2010.
http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/january-2010/nepad-le-temps-
de-l%E2%80%99action

9. La perspective régionale comme solution aux défis nationaux


1. Mark Doumba, « La concurrence stratégique entre les pays africains est réelle », Jeune Afrique,
17 juin 2016.
http://www.jeuneafrique.com/334644/economie/gagnants-perdants-africains-
mutations-economiques-mondiales/
2. Francis Maertens, Amado Philip de Andrés, « NATO Review, 2009 : “West Africa: trafficking
central station?” »
https://www.nato.int/docu/review/2009/Organized_Crime/Transnational_Trafficking_West_Africa/E
N/index.htm
3. Abdel-Fatau Musah, « Small Arms: A Time Bomb Under West Africa’s Democratization Process
», Brown Journals of World Affairs.
https://www.brown.edu/initiatives/journal-world-affairs/sites/brown.edu.initiatives.journal-world-
affairs/files/private/articles/9.1_Musah.pdf
4. Marwane Ben Yahmed, « Côte d’Ivoire : Docteur Guillaume et Mister Soro », Jeune Afrique,
8 juin 2017.
http://www.jeuneafrique.com/mag/444893/politique/cote-divoire-docteur-
guillaume-mister-soro/
5. « Il faut concevoir l’État contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites
d’un territoire déterminé – la notion de territoire étant une de ses caractéristiques – revendique avec
succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime », Max Weber, Le
Savant et le politique, 1919.
6. La Convention de la CEDEAO sur les armes légères et de petit calibre
https://www.reseau-rafal.org/node/204
7. Christian Losson, « Il y a plus de médecins béninois en Ile-de-France qu’au Bénin », Libération,
20 juillet 2007.
http://www.liberation.fr/futurs/2007/07/20/il-y-a-plus-de-medecins-beninois-
en-ile-de-france-qu-au-benin_98611
8. Eastern and Southern Africa Higher Education Centers Of Excellence :
http://www.ace2.iucea.org/
9. « L’école William-Ponty et la faculté de médecine de Dakar », Le Monde, 1980.
http://www.lemonde.fr/archives/article/1980/08/04/correspondance-l-ecole-william-ponty-et-la-
faculte-de-medecine-de-dakar_3069997_1819218.html

10. Pour une co-production des politiques publiques


1. Christian B.N. Gade, « The Historical Development of the Written Discourses on Ubuntu »,
Department of Philosophy and History of Ideas, Aarhus University.
2. « Paris climate talks: governments adopt historic deal – as it happened, Live coverage from
COP21 in Paris, as nearly 200 governments prepare to officially adopt a climate change deal on how
to cut carbon emissions post-2020 », Blog, The Guardian.
https://www.theguardian.com/environment/live/2015/dec/12/paris-climate-talks-francois-hollande-to-
join-summit-as-final-draft-published-live?page=with:block-566c2f9be4b052107bd8b51d#liveblog-
navigation
3. Akshat Rathi, « This simple negotiation tactic brought 195 countries to consensus », Quartz
Africa, 12 décembre 2015.
https://qz.com/572623/this-simple-negotiation-tactic-brought-195-countries-to-consensus-in-the-
paris-climate-talks/
4. Voir note 2.
5. Voir note 3.
6. Desmond Tutu Peace Foundation, « Striving for Ubuntu ».
http://www.tutufoundationusa.org/2015/10/06/striving-for-ubuntu/
7. Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté, Fayard, 1996.
8. https://www.facebook.com/PeoplePowerToChange1Nigeria/posts/920828
394659560
9. L’État en Afrique : la politique du ventre, « L’espace du politique », Fayard, 1989.
10. Emmanuelle Auriol, Robert J. Gary-Bobo « The More the Merrier? Choosing the optimal
number of representatives in modern democracies », Vox.eu, Octobre 2007.
http://voxeu.org/article/optimal-number-representatives-democracy
11. Laurent de Saint Perier, « Boutros Boutros Ghali : “L’Égypte est en guerre” », Jeune Afrique,
14 octobre 2015.
http://www.jeuneafrique.com/271676/politique/boutros-boutros-ghali-legypte-
guerre/

11. Informel, nouvelles technologies et industrialisation : le triangle


impossible ?
1. FMI, « Perspectives économiques régionales : Faire redémarrer la croissance », mai 2017.
https://www.imf.org/fr/Publications/REO/SSA/Issues/2017/05/03/sreo0517
2. Robert Neuwirth, « The power of the informal economy », TED Talk, juin 2012.
https://www.ted.com/talks/robert_neuwirth_the_power_of_the_informal_economy
3. Voir note 1.
4. PwC – Banque mondiale : « Paying Taxes 2017 ».
https://www.pwc.com/gx/en/services/tax/paying-taxes-2017/key-findings.html
5. « Perspectives économiques en Afrique », OCDE/BAD, 2017.
http://www.oecd.org/fr/dev/perspectives-economiques-en-afrique-19991037.htm
6. « Pas de taxation sans service public. »
7. OECD, « Africa’s tax system: A survey », 2011.
http://oecdobserver.org/news/fullstory.php/aid/3510/Africa_s_tax_system:_A_survey.html
8. PwC – Banque mondiale, « Paying Taxes », 2014.
https://www.pwc.com/gx/en/paying-taxes/assets/pwc-paying-taxes-2014.pdf
9. Voir également l’étude « Mobilisation des recettes fiscales dans l’Uemoa, l’obstacle de
l’informel, le levier du mobile money », L’Afrique des Idées, juillet 2017.
http://www.lafriquedesidees.org/presentation-rapport-mobilisation-recettes-fiscales-luemoa/
10. « WhatsApp for Agriculture: Digital Farming highlights the need for Digital Agriculture
Extension », GFAR.
https://blog.gfar.net/2016/12/08/whatsapp-for-agriculture-digital-farming-highlights-the-need-for-
digital-agriculture-extension/
11. « Le rôle du secteur informel pour la croissance, l’emploi et le développement durable »,
professeur Ahmadou Aly Mbaye (Université Cheikh Anta Diop de Dakar), 2014.
https://www.francophonie.org/IMG/pdf/secteur_informel_emplois_et_
transformation_structurelle.pdf
12. Voir note 1.
13. « Bringing light to the grey economy », The Economist, 15 octobre 2016.
https://www.economist.com/news/international/21708675-new-technology-may-persuade-informal-
businesses-and-workers-become-formal-bringing-light
14. « How governments can nudge informal businesses to leave the grey economy », The
Economist, 14 octobre 2016.
15. « Au Rwanda, des poches de sang livrées par drones », Le Monde, 31 juillet 2017.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/07/31/au-rwanda-des-poches-de-sang-livrees-par-
drones_5166888_3212.html
16. Calestous Juma, « The Misplaced Promise of Africa’s Mobile Revolution », The Breakthrough,
Q2, 2017.

12. Ruralisation des villes ou urbanisation des campagnes ?


1. McKinsey Global Institute, « Lions on the move, Lions on the move II: Realizing the potential of
Africa’s economies », Septembre 2016.
2. Marianne Fay, Charlotte Opal, « Urbanization without Growth: A not so uncommon
phenomenon », Banque mondiale, 2000.
http://documents.banquemondiale.org/curated/fr/287181468741917609/Urbanization-without-
growth-a-not-so-uncommon-phenomenon
3. Deborah Potts, « Whatever happened to Africa’s rapid urbanisation? », Africa Research Institute,
2012.
http://africaresearchinstitute.org/newsite/wp-content/uploads/2013/03/Whatever-happened-to-
Africas-rapid-urbanisation.pdf
4. Koffi Attahi, Daniel Hinin-Moustapha et Kouamé Appessika, « Revisiting Urban Planning in the
SubSaharan Francophone Africa », 2009.
https://unhabitat.org/wp-content/uploads/2010/07/GRHS2009Regional
FrancophoneAfrica.pdf
5. Mthuli Ncube, « Urbanization in Africa », in blog : « AfDB: Championing inclusive growth
across Africa », 13 décembre 2012.
https://www.afdb.org/en/blogs/afdb-championing-inclusive-growth-across-africa/post/urbanization-
in-africa-10143/
6. Mesure statistique de la dispersion d’une distribution dans une population donnée. Le coefficient
de Gini est un nombre variant de 0 à 1, où 0 signifie l’égalité parfaite et 1 signifie une inégalité
parfaite (par exemple un seul salarié dispose de tous les revenus et les autres n’ont aucun revenu).
7. Olivier Sudrie, « Dépendance alimentaire et urbanisation en Afrique subsaharienne : une relation
controversée », Revue Tiers-Monde, 1985.
http://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1985_num_26_104_3525
8. Nicolas Bricas, Claude Tchamda, Pauline Martin, « Les villes d’Afrique de l’Ouest et du Centre
sont-elles si dépendantes des importations alimentaires ? », Cahiers Agricultures, Septembre-
octobre 2016.
https://www.cahiersagricultures.fr/articles/cagri/full_html/2016/05/cagri160015/cagri160015.html
Voir aussi : Bill Vorley, Fréderic Lançon, « Urban Food consumption, urbanisation and rural
transformation: The trade dimensions », International Institute for Environment and Development,
Mai 2016.
http://pubs.iied.org/pdfs/10767IIED.pdf
9. Joël Assoko, « Urbanization and Poverty Dynamics in sub-Saharan Africa: a research agenda »,
2013.
https://www.academia.edu/3780304/
10. Robert Van Otterdijk, « Improving food security in sub-Saharan Africa by reducing food losses
and improving agri-food chain efficiency », 2014.
https://www.slideshare.net/FAOoftheUN/save-food-africa-20140519
11. Olivier Caslin, Jean-Marc Anga : « Il faut faire revenir les jeunes dans le cacao », Jeune
Afrique, 24 juin 2014.
http://www.jeuneafrique.com/8854/economie/jean-marc-anga-il-faut-faire-
revenir-les-jeunes-dans-le-cacao/
12. Paula Nagler et Wim Naudé, « Non-farm entrepreneurship in rural sub-Saharan Africa: New
empirical evidence », Food Policy, Volume 67, février 2017, p. 175-191.
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0306919216303876
13. Thomas Reardon, Kostas Stamoulis, Prabhu Pingali, « Rural nonfarm employment in
developing countries in an era of globalization », Agricultural Economics, volume 37, 2017, p. 173-
183.
https://tci.cornell.edu/wp-content/uploads/2017/06/2007-Reardon-Stamoulis-Pingali-Rural-Nonfarm-
Employment-in-Developing-Counstries-in-an-Era-of-Globalization.pdf

13. L’agriculteur africain, un entrepreneur comme un autre


1. « Le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy », Le Monde, 9 novembre 2007.
www.lemonde.fr/afrique/article/2007/11/09/le-discours-de-dakar_976786_3212.html
2. Il est intéressant, d’ailleurs, de noter qu’aucun chapitre de L’Afrique répond à Sarkozy. Contre le
discours de Dakar (dirigé par Makhily Gassama. Ed. Philippe Rey, 2008), n’est consacré à réfuter
l’image de la paysannerie africaine dressée par Nicolas Sarkozy.
3. Voir par exemple La Vie quotidienne dans un village guéré (Chap.1, pages 6-70), Alfred
Schwartz, Inades, Abidjan, 1975.
4. Marion Douet, « OGM : l’Afrique à tout prix », Jeune Afrique, 12 mai 2016.
http://www.jeuneafrique.com/mag/320506/economie/ogm-lafrique-a-prix/
5. « Jobs for Youth in Africa, 2016-2025 », AfDB, 2016.
https://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Boards-
Documents/Bank_Group_Strategy_for_Jobs_for_Youth_in_Africa_2016-2025_Rev_2.pdf
6. « AfDB steadily pioneers major strategy shift in Africa’s agriculture financing », AfDB,
5 septembre 2017.
https://www.afdb.org/en/news-and-events/afdb-steadily-pioneers-major-strategy-shift-in-africas-
agriculture-financing-17306/.
7. AGRA, « Africa Agriculture Status Report 2017 – The Business of Smallholder Agriculture in
Sub-Saharan Africa », 2017.
8. Assia Sidibe, « A tale of two droughts: one killed 260,000 people, the other none. Why? », The
Guardian, 20 avril 2017.
https://www.theguardian.com/global-development-professionals-network/2017/apr/20/a-tale-of-two-
droughts-one-killed-260000-people-the-other-none-why
9. Bolaji Akinboro, « The Consultative Group to Assist the Poor, Bringing Mobile Wallets to
Nigerian Farmers ».
http://www.cgap.org/blog/bringing-mobile-wallets-nigerian-farmers
Glossaire

ACE : Africa Centers of Excellence


BAD : Banque africaine de développement
Communauté Économique des États
CEDEAO :
de l’Afrique de l’Ouest
Communauté économique et monétaire
CEMAC :
de l’Afrique centrale
Marché commun de l’Afrique Orientale
COMESA :
et Australe
21e Conférence des parties sur le changement climatique
COP 21 :
(Paris, 2015)
22e Conférence des parties sur le changement climatique
COP 22 :
(Marrakech, 2016)
EAC : East African community
Organisation des Nations unies pour l’alimentation et
FAO :
l’agriculture
PIB : Produit intérieur brut
NEPAD : Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique
FMI : Fonds monétaire international
GPHN : Groupe des personnalités de haut-niveau
Initiative pour la Transparence
ITIE :
dans les Industries Extractives
MDP : Mécanisme de développement propre
OCDE : Organisation de coopération
et de développement économique
OIT : Organisation internationale du travail
OMC : Organisation mondiale du commerce
OMS : Organisation mondiale de la santé
PAE : Plan d’action pour l’environnement
Programme for International Student Assessment –
PISA : Programme international
pour le suivi des acquis des élèves
Reconstruction et Développement
RDPC :
Post-Conflit de l’Union Africaine
UA : Union africaine
UEMOA : Union économique et monétaire ouest-africaine
UNECA : Commission économique des Nations unies pour l’Afrique
Programme des Nations unies
UNEP :
pour l’environnement
ZLEC : Zone de libre-échange continentale
Index des noms propres

A
Abdelaziz Bouteflika 78
Abdoulaye Wade 78
Ahmadou Aly Mbaye 106
Ahmadou Kourouma 89
Aimé Césaire 98
Amadou Hampate Ba 70

B
Barack Obama 32, 41, 46
Blaise Compaoré 65
Boubakar Ly 61
Boutros Boutros Ghali 94

C
Calestous Juma 109
Charles de Gaulle 65

D
Desmond Tutu 92
Donald Trump 17, 26, 32, 35, 41

E
Edson Mpyisi 121

F
Félix Éboué 65
Félix Houphouët Boigny 120
Franz Fanon 61

H
Hosni Moubarak 78
I
Issad Rebrab 20

J
Jean-François Bayart 93
Jean-Marc Anga 117
Jomo Kenyatta 120
Julius Nyerere 120

K
Kwame Nkrumah 17, 36

L
Léopold Sédar Senghor 61

M
Max Weber 86
Meles Zenawi 12, 52, 96, 127
Moro Naba 65
Mouammar Kadhafi 23, 38
Muhammadu Sanusi 18

N
Nelson Mandela 92
Nicolas Sarkozy 119

O
Olusegun Obasanjo 78, 93

P
Paul Biya 62
Paul Kagame 36
Pierre Ismaël Bidoung
Kpwatt 62

R
Robert Kaplan 61
Robert Mugabe 18
Robert Neuwirth 101

S
Samuel Hungtinton 62

T
Thabo Mbeki 78
Thomas Piketty 20

Y
Yannick Noah 65
Index général

#BidoungChallenge 63
2iEE (Institut international
de l’ingénierie de l’eau
et de l’environnement) 73

A
Abidjan 39, 85
accaparement des terres 18
accès au crédit 122
accord de Kyoto 47
accord de libre-échange
nord-américain 36
accord de Yamoussoukro 40
accord de Zone de libre-échange continental
(ZLEC) 80
accord historique de Paris 47
ACE (Africa Centers of Excellence) 74, 88
adaptation aux changements climatiques 45
African Risk Capacity 124
Afrique centrale 41, 87, 116
Afrique de l’Est 33, 41
Afrique de l’Ouest 29, 41, 44, 70, 74, 85, 89, 116
Afrique du Nord 64
Afrique du Sud 18, 20, 22, 31, 34, 41, 54, 97, 98, 102
Afrique orientale 84
Afrique subsaharienne 26, 29, 31, 55, 58, 64, 70, 103, 113, 116, 118
AGRF (Forum pour la révolution verte
en Afrique) 121
agriculture commerciale 123
agriculture inclusive 123
Algérie 20, 43, 54, 83
Angola 20
Arabie Saoudite 17
armes à feu 85
association des nations
de l’Asie du Sud-Est 36
autoconsommation 116
autorité de développement accélérée de Savannah 59

B
BAD (Banque africaine
de développement) 22, 121
balkanisation 35
banque mondiale 29, 74, 75, 88
Bassam 87
Bénin 86, 114
Biafra 38
bidonvilles 102
Bidvest 19
biens de consommations transformés 30
Boko Haram 50, 85
Botswana 31
bourse de Kigali 84
bourses 33
Brésil 41, 108
BRICS 41
brouteurs 64
budgets de l’éducation 74
Burkina Faso 29, 59, 65, 73, 86
Burundi 56, 84

C
Cameroun 73
CAP2 92, 128
capital culturel 69
capital intellectuel 69
capital matériel 69
Casablanca Finance City 34
Casamance 38
CEDEAO (Communauté Économique des États
de l’Afrique de l’Ouest) 30, 36, 39, 42, 86
CEMAC (Communauté économique et monétaire
de l’Afrique centrale) 83
Cevital 20
CFAO 19
changement climatique 43
Chine 11, 17, 20, 29, 34, 41, 46, 72
chômage 63
CME (Centre des métiers
de l’électricité) 73
cocaïne 85
coefficient de Gini 114
colonisation 70
COMESA (Marché commun
de l’Afrique Orientale
et Australe) 31
commerce extérieur 31
commerce intra-régional 36
commerce mondial 31
commission économique
de l’ONU pour l’Afrique 22
commission « vérité et réconciliation » 98
communautés économiques régionales 110
conférence de Berlin 35
Congo belge 71
Congo-Brazzaville 114
conseil de coopération
du Golfe 41
consultation démocratique 96
COP21 47, 91
COP22 46, 47
corridor Ouagadougou-Accra 59
corridors 58
Côte d’Ivoire 24, 28, 29, 38, 54, 73, 86, 94
crédit bancaire 105
croissance démographique 23, 53, 114
croissance économique 58, 113
cultures d’exportation 120
cultures vivrières 120

D
Dakar 39, 66
dégradation des terres 43
densification rurale 59
dépendance alimentaire 115
désertification 49
diasporas 27
Djibouti 23, 51
droit communautaire Ohada 21
droit foncier 122
Durban 92

E
EAC (East African Community) 30, 83
école des métiers de l’électricité 87
école nationale des officiers d’active 88
éducation 72
éducation supérieure 73
Égypte 20
émigration rurale 113
emplois formels 121
emplois non-agricoles 118
ENABLE Youth Program 121
entreprise familiale 102, 107
entreprise individuelle 107
entreprise non-agricole 118
Érythrée 35
Eskom 20
État de l’Azawad 38
États-Unis 87
Éthiopie 56, 64, 75, 118
exode rural 120
exportations mondiales 26

F
Facebook 63, 104
FAO 116
financement 123
flux commerciaux 27
flux démographiques 27
flux financiers 27, 33
flux financiers illicites 23
FMI (Fonds monétaire international) 95, 100
formalisation 105
franc CFA 18
France 87
French Business Climate Pledge 48

G
Gabon 54, 73, 94
Gambie 42
gaz à effet de serre (GES) 45
Ghana 39, 59, 86, 94
GMV (Grande Muraille Verte) 51
GPHN (Groupe
des personnalités
de haut-niveau) 23
guerre froide 78
Guinée 84
Guinée-Bissau 85

H
habitants au kilomètre carré 53
Harrar 75
hinterland ouest-africain 39
homologation des diplômes 87
hyper-présidentialisation 93

I
immigration circulaire 27
impôt 103, 105
indaba 91
Inde 17, 34, 41
indépendance économique 79
industrie automobile 30
infrastructures 33
intégration économique continentale 81
intégration économique mondiale 80
intégration économique régionale 79
Internet 62, 64, 65
Islam et Population 57
ITIE (Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives) 24

J
jeunesse 61
Johannesburg 34
Johannesburg Stock Exchange 19

K
Katanga 38
Kenya 83, 84, 94, 124

L
Lac Tchad 49
Lagos 88, 101
Liberia 74
libre circulation des marchandises
et des capitaux 29
libre circulation des personnes 29
libre-échange 32
Libye 38, 43
loi de Gresham 85
Lomé 39
lutte contre le terrorisme 41, 87

M
Maasaï 76
Maiduguri 86
Malabo 125
Malaisie 34
Malawi 118
Mali 29, 38, 59, 60, 86
manque de transparence 93
marché commun de l’Amérique centrale 36
marché du travail 73
marchés régionaux 32
Maroc 20, 31, 41, 65, 83, 88, 94
Marrakech 47
matières premières 31
Maurice 34
MDP (Mécanisme de Développement Propre) 47
mégalopoles 115
micro-entrepreneurs 105
migrations 27
migrations circulaires 114, 115
migrations Sud-Nord 28
migrations Sud-Sud 28
MIPI (Maasai Intellectual Property Initiative) 76
mondialisation 26
Moyen-Orient 22, 29, 34
MTN Group 19

N
Naftal 20
Nairobi 66
Namibie 22, 54
NASDAQ 129
NDB (New Development Bank) 41
NEPAD 13, 78
Niger 44, 49, 55, 118
Nigeria 29, 39, 41, 54, 64, 83, 84, 94, 97, 118, 124
non-coopération 42
nouvelles technologies 104, 108

O
OCDE 18, 48, 75, 105
Office du Niger 59
OIT (Organisation internationale du travail) 64
Olusosun 101
OMC 31
Onep 20
One Planet Summit 48
Organisation africaine de la propriété intellectuelle 21
Organisation de l’unité africaine 38
Organisation internationale
du café et du cacao 117
organismes génétiquement modifiés 120
Ouganda 114
Oxford Africa Conference 128

P
PAE (Plan d’action
pour l’environnement) 48
panafricanisme 77
patrimoine culturel 75
patrimoine intellectuel 75
pêche illicite 18
Pékin 23
PIB de l’informel 100
PIB par habitant 113
PIB rural 112
PIB urbain 112
PISA (Programme international pour le suivi des acquis
des élèves) 75
Plan national pour l’environnement et le développement durable 49
planning familial 55
plateforme portuaire 39
pôle de croissance de Bagré 59
Popenguine 66
Port Harcourt 86
Première Guerre mondiale 70
pression démographique 118
prix du blé 83
prix du pétrole 83
produits agricoles 31
programme de croissance rurale du Nord 59
programme « Jeunes diplômés » 73
protection intellectuelle 75

R
RDPC (Reconstruction et Développement Post-Conflit de l’Union Africaine) 50
recolonisation 17
ré-enracinement 51
répartition inégale
des terres 22
réseaux sociaux 64, 104
réunion de Niamey 80
ruralisation 111
rur-urbanisation 115
Russie 41
Rwanda 33, 38, 64,
98, 106, 108

S
SABMiller 19
Sahel 44, 69, 85, 124
Samir 20
Sanlam 19
santé 87
secteur informel 100, 106
secteur privé 72, 79
sécurité 85
sécurité des personnes 50
Ségou 59
Sénégal 24, 38, 42, 51, 56, 66, 84, 88, 94, 97, 124
Sidamo 75
Singapour 34
Sonangol 20
Sonatrach 20
Sonelgaz 20
Soudan 38
Soudan du Sud 35, 38
Standard Bank Group 19
Starbucks 75
Suez Canal Authority 20
système bancaire 102
système électoral 94
système législatif 93, 96

T
Taïwan 108, 109
Tanzanie 118
Tassili-n-Ajjer 43
taux de croissance 58
taux d’éducation 63
taux de fécondité 56
taux d’imposition 103
taux d’urbanisation 113
téléphonie mobile 124
Tema 39
Togo 24
Touba 66
transition démographique 29, 56, 57
transition technologique 99
tribunaux gacaca 98
TTIP 32
Tunisie 94, 97

U
ubuntu 91, 92
UEMOA 87
Union africaine 22, 33, 48, 53
Union européenne 36
urbanisation 111

V
Venezuela 24
villes intermédiaires 115
voûte nubienne 69

Y
Yirgacheffe 75

Z
Zambie 94
Zimbabwe 22
zones péri-urbaines 58
zones rurales 58, 105
zones urbaines 58
Table des matières

Préface
Introduction
Afrique et mondialisation
Un ralentissement propice aux réformes
Dix années décisives
User de nos ressources
La clé institutionnelle

Les défis
1. Le spectre de la recolonisation
Une détention injuste du capital ?
Les Africains détiennent le pouvoir
La société civile doit bien choisir ses combats
2. Migrations et commerce : l’Afrique a le choix des armes
Le temps de la prise de conscience et de l’action
Des migrations en pleine mutation
Échanges asymétriques et concurrence déloyale
Une plus grande diversification des partenariats est urgente !
3. Les Afriques, bombe à fragmentation
La rupture engendre la rupture
La course effrénée vers la première place
Des vertus de la diversité
4. Les États africains face aux bouleversements climatiques
Des signaux de détresse proviennent de toute l’Afrique
L’adaptation est une opportunité, mais…
La mobilisation des moyens techniques et financiers est indispensable
La restauration des terres, clé du ré-enracinement des populations
Enrayer les migrations climatiques
La voix singulière de l’Afrique
5. Une démographie originale et incontrôlée
La croissance démographique se prévoit et se gère
Prévention : les clés de la réussite
Le dividende démographique et la révolution verte
Les corridors agro-industriels : de l’informel à la création de richesse
partagée
6. La jeunesse africaine entre tradition et modernité
L’effet démultiplicateur du numérique
Le paradoxal effet compensatoire des traditionalismes

Les clés
7. Retrouver notre souveraineté intellectuelle
Une grande cassure
Investissements étrangers : pourquoi il faut être vigilant
Éducation de base, formation supérieure et recherche
Prioriser et mesurer l’efficacité de l’éducation
Le patrimoine culturel, pilier de notre souveraineté intellectuelle
8. Ce que le panafricanisme veut dire
De l’Afrique sous influence à l’émancipation collective
L’intégration : une innovation politique ambitieuse
9. La perspective régionale comme solution aux défis nationaux
Les enjeux sécuritaires ne connaissent pas de frontières
La fragmentation des talents
10. Pour une co-production des politiques publiques
À propos des systèmes législatifs
L’intervention citoyenne et la question de l’appropriation
11. Informel, nouvelles technologies et industrialisation : le triangle
impossible ?
L’informel est un mode de vie…
… qui reste encore brutal et dysfonctionnel
Pour une transition réfléchie et en douceur vers le secteur formel
Les nouvelles technologies : des outils pour l’emploi, l’accès au crédit et
la fiscalité
Que peuvent faire les États pour accélérer cette transition ?
Les TIC ne peuvent pas tout, mais elles peuvent favoriser
l’industrialisation
12. Ruralisation des villes ou urbanisation des campagnes ?
Le phénomène de l’urbanisation du continent
Modalités africaines de l’urbanisation
Repenser la relation entre villes et campagnes
Effet d’entraînement
L’« appel des villes » est aussi un appel des campagnes
13. L’agriculteur africain, un entrepreneur comme un autre
Le handicap d’un cliché dépassé
Comment développer l’emploi agricole ?
Les méthodes de financement alternatives
La protection des droits des agriculteurs au centre des futures politiques

Épilogue
Notes
Glossaire
Index des noms propres
Index général
Table des matières
À propos de l’auteur
À propos de l’auteur

Dr Ibrahim Assane Mayaki est le secrétaire exécutif du Nouveau partenariat


pour le développement de l’Afrique (NEPAD).
Né au Niger en 1951, il a obtenu une maîtrise de l’École nationale
d’administration publique (ENAP), au Québec, Canada, et un doctorat en
sciences de l’administration de l’Université Paris I, en France.
Il a d’abord travaillé en tant que professeur d’administration publique au
Niger et au Venezuela entre 1978-1982 et 1985-1987. Entre 2000 et 2004, il
est professeur invité à l’Université de Paris XI, où il donne des conférences
sur les relations et les organisations internationales. Il a également été
directeur de recherche au Centre de recherche sur l’Europe et le monde
contemporain au sein de cette université.
Sa carrière politique débute en 1997. Sous la présidence de Ibrahim Bare
Mainassara, il rejoint le gouvernement en tant que ministre de l’Intégration
africaine et de la Coopération, puis ministre des Affaires étrangères. Il
exerce la fonction de Premier ministre entre 1997 et 2000.
Il a créé le Centre d’analyse des politiques publiques, think tank qui
travaille sur les politiques de santé et d’éducation.
Il est nommé secrétaire exécutif du NEPAD en janvier 2009.

Vous aimerez peut-être aussi