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ÉTUDES

Santé publique 2004, volume 15, no 1, pp. 37-51

Douze ans après l’initiative


de Bamako : constats
et implications politiques
pour l’équité d’accès
aux services de santé
des indigents africains
Twelve years after the Bamako initiative :
established facts and political implications
for greater equity in access to health
services for indigents’ Africans
V. Ridde (1), J.-E. Girard (1)

Résumé : L’initiative de Bamako, adoptée en 1988, se voulait une politique de relance


de la stratégie des soins de santé primaires tout en renforçant l’équité d’accès aux
soins. Dix ans après, deux recherches, au Mali et Ouganda puis au Burkina Faso ont
constaté le fait a) que cette politique ne s’est pas traduite en un meilleur accès aux
services de santé parmi les plus démunis, b) qu’elle n’a fait que marginaliser davantage
certains sous-groupes déjà très vulnérables au profit d’une plus grande viabilité
financière des structures et c) que l’exemption du paiement pour les indigents est une
solution viable mais socialement non envisagée. Cet état de fait implique, pour revenir
aux principes d’équité, que les états africains doivent organiser des mesures
incitatives, que les ONG doivent penser la planification comme un outil de changement
social et que les bailleurs de fonds s’assurent d’un investissement axé, en priorité, sur
le principe d’équité.

Summary : Launched in 1988, the Bamako Initiative was considered as a policy aimed at
revitalizing the primary health care strategy while strengthening equity in access to health
care. A decade later, two research initiatives conducted in Mali and Uganda, and later in
Burkina Faso, concluded that a) this policy did very little to improve or increase access to

(1) Université Laval, département de médecine sociale et préventive, Cité Universitaire, Québec, Canada.

Tiré à part : V. Ridde Réception : 05/09/2002 - Acceptation : 07/10/2003


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health care among the most deprived and excluded vulnerable population groups, b) this
policy only served to marginalize certain population groups already disenfranchised due
to the emphasis on financial sustainability and viability of health care organisations, and c)
the exemption mechanisms for alleviating the burden of payment and financial barriers for
the poorest represent a technically feasible solution, while one not socially advocated.
The current state of affairs requires that in order to give impetus to the principles of equity
and the initial goals of the Bamako Initiative, African states should implement incentives,
NGOs should consider planning as a tool for social change and donors need to ensure
investments which are centred upon and prioritise principles of equity.

Mots-clés : initiative de Bamako - équité - implications politiques.


Key words : Bamako initiative - equity - political implications.

Introduction débats depuis plus de 15 ans. Nous


savons, sans aucun doute, que les
En 1990, l’Association Canadienne frais aux usagers représentent une
de Santé Publique (ACSP) a ressenti barrière financière à l’utilisation des
le besoin, à la suite de la politique de services pour les pauvres [7]. Une
relance de la stratégie des soins de partie de la population (de 5 % à
santé primaires (SSP) qu’était l’Initia- 30 %) reste incapable de payer et de
tive de Bamako (IB), de réunir un ce fait n’a pas accès aux soins [25].
groupe de travail afin de l’aider à De plus le discours a changé et on ne
prendre position au sujet des consé- parle plus de recouvrement des coûts
quences probables en ce qui concer- des médicaments essentiels afin de
ne l’équité. La conclusion de cette les rendre accessibles – comme le
réflexion, appuyant les résolutions discours de James Grant l’entendait
d’une conférence organisée en Sierra en 1987 lors de l’annonce de l’initia-
Leone en 1989 par des organisations tive [16] – mais de partage des frais
non gouvernementales (ONG) [26], de fonctionnement, ce qui va bien
était on ne peut plus clair : « the finan- plus loin concernant le fardeau finan-
cial requirement of attaining and sus- cier pour la communauté.
taining PHC must not be met by
imposing an increased financial bur- Le prétexte habituellement utilisé
den on the poorest and most vulne- affirmant que le réseau traditionnel va
rable in society… [6, p. 7] ». À cette pouvoir prendre en charge les plus
époque, alors que l’UNICEF et l’OMS pauvres n’est pas si évident [4], et par-
mettaient en œuvre tout un arsenal ticulièrement depuis la dévaluation
financier et technique pour appliquer du FCFA en 1994 et les programmes
l’IB, la communauté scientifique s’in- d’ajustements structurels. Il existe
quiétait d’une possible dérive [14]. deux types d’exclusion des services
de santé [8]. L’exclusion temporaire
En outre, la littérature reste très due essentiellement à un manque de
controversée concernant l’impact de ressources à un moment donné de
l’un des instruments privilégiés de l’IB, l’année, d’une part, et l’exclusion per-
le paiement direct des usagers, sur manente qui a pour conséquence une
l’accessibilité aux services, notam- impossibilité totale de bénéficier des
ment pour les plus pauvres [9, 18]. Ce soins modernes, d’autre part. Le pre-
sujet est l’objet de très nombreux mier type d’exclusion peut être abordé
DOUZE ANS APRÈS L’INITIATIVE DE BAMAKO : CONSTATS ET IMPLICATIONS 39
POLITIQUES POUR L’ÉQUITÉ D’ACCÈS AUX SERVICES DE SANTÉ
DES INDIGENTS AFRICAINS

par le système de pré-paiement ou de Pour répondre à cette question en


partage des risques. Mais nous s’appuyant sur deux projets d’ONG
savons que le système d’assurance a canadiennes, une étude a été entre-
un potentiel de génération de revenus prise en 1997 au Mali et en Ouganda.
très limité, particulièrement dans les Les résultats ont rendu indispensable
pays pauvres [24] et que les systèmes la réalisation d’une recherche appro-
de mutuelles restent peu étendus, fondissant un aspect particulier
récents (deux tiers d’entre elles ont (l’exemption du paiement), durant
moins de trois ans) et leurs activités ne l’année 2000, au Burkina Faso. Les
profitent qu’à une faible partie de la résultats de ces deux travaux sont
population et surtout pas aux pauvres présentés et discutés dans les pro-
[2]. Des mesures d’exemption pour les chaines pages, juste après les as-
plus pauvres peuvent être une solution pects méthodologiques.
au second type d’exclusion, mais la lit-
térature reste partagée sur ses résul-
tats et concerne plus souvent le systè- Cadre théorique
me de paiements au niveau national et méthodologique
que l’IB [23]. Ces mesures d’exemp-
tion peuvent avoir un coût administra- Le modèle théorique, commun aux
tif important, dans certains cas leur deux recherches, est essentiellement
gestion peut être délicate. Des pro- issu de la philosophie des soins de
blèmes peuvent également se poser santé primaires et de l’Initiative de
quant aux critères de sélection des Bamako. C’est-à-dire que les frais
bénéficiaires de ces mesures (targe- aux usagers (le « recouvrement des
ting or means testing : ciblage ou p/r coûts ») organisés suivant le proces-
aux ressources). Quelques études ont sus d’implantation de l’IB, doivent
montré que les mesures d’exemption permettre d’atteindre l’équité d’accès
dans les structures publiques don- aux soins par une juste redistribution
naient plus de gratuité aux « non- des revenus permettant ainsi aux
pauvres » qu’aux pauvres [15]. D’autres indigents d’utiliser les services de
ont prouvé que dans les dispensaires première ligne. La mise en place des
appliquant l’IB il n’existait pas de cor- frais aux usagers est l’un des outils
rélation entre le revenu familial et de l’Initiative de Bamako, mais il doit
l’exemption, qui finalement ne profite être, selon nous, utilisé pour accroître
qu’à 1 % de la population [10]. Enfin, l’accès aux soins des plus démunis.
Stierle F. et al. (1999) résument les En d’autres termes, les objectifs
difficultés de mise en œuvre des me- d’équilibre financier, d’amélioration
sures d’exemption (directives floues, de la qualité des services et de capa-
capacité de management…) pour cité à rendre les médicaments essen-
rendre le système efficace, par les tiels disponibles font partie de l’IB,
quatre éléments suivants i) l’identifica- mais nous considérons que, face à
tion des indigents, ii) l’application cor- l’impossibilité des États d’agir pour
recte des critères, iii) la validité des protéger les indigents et dans le
mesures de revenus (inflation) des contexte de la décentralisation et de
ménages et iv) la détérioration de la la responsabilisation communautaire,
situation économique nationale. il est indispensable que le revenu des
frais aux usagers (donc des membres
Dix ans après la déclaration de de la communauté) soit rendu dispo-
l’ACSP, qu’en est-il de l’équité d’ac- nible pour permettre l’accès aux
cès aux soins pour les indigents ? soins des indigents issus de cette
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Processus
d'implantation de l'IB Effet de redistribution

Equité d'accès
Frais aux usagers aux soins

Figure 1 : Les liens entre les frais aux usagers et l’équité.

même communauté [21]. Les liens vaient au Mali (Safo en milieu rural,
logiques entre les frais aux usagers et Bamako en milieu urbain) et deux
l’équité forment le modèle théorique autres en Ouganda (Apac en milieu ru-
schématisé par la figure 1 [13]. ral, Kampala en milieu urbain). L’ana-
lyse comparative est intéressante
Les deux recherches ont utilisé la
puisque d’un côté le Mali a officielle-
stratégie de l‘étude de cas descriptive
ment adhéré à l’IB depuis le début, et
[27] puisqu’il s’agissait d’éclairer un
de l’autre, l’Ouganda n’encourage que
processus décisionnel et de répondre
depuis récemment la mise en place de
aux questions types du pourquoi et du
mécanismes de recouvrement des
comment. La rigueur des résultats
coûts sans officiellement adhérer à
provient de la triangulation des outils
l’IB.
et des sources d’évidences établies
par une analyse croisées de plusieurs Au niveau des instruments de col-
cas. lecte de données, il a été utilisé l’ob-
servation directe, six entrevues de
La recherche initiale a retenu le de-
groupes, auprès du personnel de
vis de « cas multiples avec niveaux
santé (2) et des membres de comité
d’analyse imbriqués ». Elle a été réali-
de gestion (4) et 113 entrevues indivi-
sée par une équipe canado-africaine
duelles semi-structurées auprès d’uti-
en association avec des organisations
lisateurs de services (82), de non uti-
non gouvernementales (ONG) (2) parti-
lisateurs (15), du personnel de santé
cipant au programme canadien d’im-
(5), des membres de comité de ges-
munisation internationale (PCII2). Les
tion (2) ou de décideurs (9). Le recru-
projets sélectionnés pour cette re-
tement des utilisateurs de services
cherche devaient, d’une part, faire
s’est fait à la sortie du centre de
partie du programme, et d’autre part,
santé de façon aléatoire, alors que les
disposer d’un volet de recouvrement
personnes n’utilisant pas les services
des coûts. Ensuite, nous voulions
ont été identifiées à l’aide des utilisa-
nous assurer que des sites à la fois ru-
teurs et d’informateurs-clés.
raux et urbains et des établissements
sanitaires à caractère privé et public La recherche centrée sur l’exemp-
pouvaient être retenus tant du côté tion du paiement, rendue nécessaire
francophone qu’anglophone sur le par les résultats de la recherche initia-
continent africain. Deux sites se trou- le, s’est déroulée au Burkina Faso

(2) La coopération avec des ONG est relativement rare dans le domaine de la recherche académique
et cette initiative a été saluée lors de la 8e conférence canadienne de santé internationale, en novembre
2001 à Ottawa.
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POLITIQUES POUR L’ÉQUITÉ D’ACCÈS AUX SERVICES DE SANTÉ
DES INDIGENTS AFRICAINS

Tableau I : Variables correspondant aux phénomènes étudiés et aux résultats


recherchés

Recherche
Recherche Mali et Ouganda Burkina Faso

Équité
Phénomènes Recouvrement Processus Effet d’accès aux Équité d’accès
étudiés des coûts d’implantation de redistribution services aux soins

Variables Systèmes Qualité Mécanismes Profils des Mesures


de tarification des services d’exemption utilisateurs et d’identification
en place des indigents non-utilisateurs des indigents
des services
Extension à la Mécanismes de Ampleur des coûts Processus de
gamme des subventions de substitution et prises de décision
services essentiels croisées dans autres obstacles
l’offre de services
Participation Proportion dans la Capacité
communautaire à mobilisation des financière de prise
la gestion et à dépenses de en charge
l’allocation des ménage entre le des indigents
fonds secteur privé et
public
Mécanismes
de solidarité
Résultats Frais aux usagers Disponibilité des Accessibilité des Utilisation des Exemption
recherches services par la services aux plus services par les du paiement des
revitalisation des démunis plus démunis frais aux usagers
SSP

dans le district rural de Kongoussi. Les variables correspondant aux


Les instruments utilisés étaient consti- phénomènes étudiés et aux résultats
tués de la documentation (rapports recherchés dans le cadre des deux
d’évaluations, documents de pro- études sont présentées dans le
jets, etc.), des rapports statistiques, tableau I.
une étude économique (comptes de
résultats, trésoreries) selon les normes La stratégie analytique générale de
habituelles [12], neuf entrevues indivi- ces deux études repose sur la pré-
duelles centrées auprès d’indigents misse proposée dans notre modèle
(3), de membres du comité de ges- théorique initial. Le mode d’analyse
tion (3) et d’agents de santé (3) et trois utilise une logique de modèle trans-
entrevues de groupes (villageois(es) posé (pattern-matching logic). Nous
(2) et personnel de santé (1)). Deux avons donc tenté de vérifier dans
indigents ont été sélectionnés par quelle mesure l’approche de l’IB
l’intermédiaire de membres d’une anime ou non les acteurs dans la
congrégation religieuse. Les villageois réalité, comment les mécanismes en
(es) et une indigente ont été rassem- place favorisent ou non les plus
blés à l’aide d’animateurs d’ONG démunis et si la population perçoit ou
locales. Les membres du comité de non des obstacles à l’utilisation des
gestion et les agents de santé ont été services. Le traitement des données
choisis en fonction de leur ancienneté qualitatives a été effectué à l’aide des
dans la région et dans la participation logiciels d’analyse HyperResearch©
au processus d’implantation de l’IB. et QSR-NUDIST©.
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Les résultats tefois, la majorité avoue devoir faire


des deux recherches d’énormes sacrifices pour payer les
frais de santé. En fait, l’utilisation des
Les démunis et l’accès
services de santé est un peu leur der-
aux services dans le contexte
nier recours. L’endettement et les pri-
du Mali et de l’Ouganda
vations font ainsi partie des solutions
L’accès aux soins des plus dému- envisagées, lorsque les utilisateurs
nis a été analysé au niveau de quatre n’ont plus le choix devant la maladie.
variables liés au recouvrement des Ainsi les gens sont prêts à payer, mais
coûts : (i) l’aspect abordable des ser- n’ont pas nécessairement la capacité
vices, (ii) leur disponibilité, (iii) leur de le faire. Ici, nous pouvons faire une
accessibilité et (iv) l’utilisation des légère différence entre le Mali et l’Ou-
services comme résultats du recou- ganda quant à la perception du carac-
vrement des coûts. tère abordable des services. Au Mali,
l’IB y est implantée officiellement de-
La communauté scientifique en santé puis quelques années et les gens
publique a réagi de façon très critique à semblent avoir développé des méca-
l’égard de l’Initiative de Bamako et a nismes de solidarité autant en ville
soulevé d’importantes préoccupations qu’en campagne. Toutefois, ceci
concernant divers enjeux : l’équité n’empêche pas de facilement identi-
d’accès aux soins de santé, les pro- fier des indigents/non-utilisateurs de
blèmes d’intégration, de gestion et de services dans le milieu urbain où cette
logistique sur les programmes exis- solidarité est considérée plus faible.
tants, l’importance accordée aux médi- La médecine traditionnelle, en raison
caments comme moyen de mobilisa- de ses modalités de paiement et du
tion en santé communautaire, la péren- faible coût des plantes médicinales,
nité des initiatives à l’échelon local avec représente un premier rempart. En
la participation communautaire et les Ouganda, où le gouvernement n’a pas
compressions importantes effectuées officiellement adhéré à la politique de
par les gouvernements dans les ser- l’IB, mais où des mécanismes de re-
vices publics. En faisant la synthèse couvrements des coûts prennent de
des résultats obtenus dans les deux plus en plus forme, la population
pays, c’est toute la question relative à la semble davantage démunie, recon-
prise en considération des personnes naissant clairement l’impact négatif
les plus démunies qui est abordée face que ces frais d’utilisation peuvent
à la mise en place des processus de ré- avoir auprès des indigents. S’il existe
forme socio-sanitaire en Afrique sub- le même clivage entre les milieux ur-
saharienne et dans le monde en déve- bains et ruraux, les Ougandais ne
loppement. choisiraient pas spontanément les tra-
dipraticiens dans leur itinéraire théra-
L’aspect abordable des services peutique. Finalement, parmi les
de santé constats effectués dans les deux
La majorité des gens acceptent de pays :
devoir payer pour les soins de santé • il n’existe pas d’accès gratuit aux
au Mali comme en Ouganda. Ils re- services de santé, à l’exception de
connaissent entre autres l’importance l’immunisation infantile et des soins
d’avoir des services de soins de santé aux malades chroniques ;
primaires, la disponibilité des médica- • aucune solution de rechange
ments, un maximum d’hygiène dans pour les démunis ne semble exister
les salles d’accouchement, etc. Tou- dans tous les sites de l’étude ;
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POLITIQUES POUR L’ÉQUITÉ D’ACCÈS AUX SERVICES DE SANTÉ
DES INDIGENTS AFRICAINS

• on retrouve de véritables « non- L’accessibilité des services de santé


utilisateurs » de services de santé en
milieu urbain. Il est clair que la mise en place de
mécanismes d’exemptions n’est pas
simple et qu’actuellement elle n’est pas
La disponibilité des services de santé fonctionnelle. Les critères d’identifica-
tion des indigents ne sont pas établis
Les données nous indiquent que les et, même si théoriquement une carte
frais aux usagers permettent prioritai- d’exemption pour les plus démunis
rement de maintenir les services exis- existe aux différents Ministères de la
tants et le personnel sur place. Le re- santé, en pratique on ne l’utilise pas.
couvrement des coûts actuellement L’exemption, quand elle existe, se fait
en place ne permet pas, comme il sur la base « discrétionnaire » du per-
avait été souhaité, une augmentation sonnel de santé, selon les bonnes
de la gamme de services de soins de grâces de ce dernier. Les comités de
santé primaires. Les montants obte- gestion des centres de santé observés
nus, grâce aux frais aux usagers, cou- n’ont pas été en mesure d’identifier les
vrent à peine les frais d’achat de médi- critères d’exemption et les caractéris-
caments, les salaires du personnel et tiques pour définir ce qu’est un indi-
l’entretien des équipements. Par gent. Autant au Mali qu’en Ouganda il
ailleurs, il semble que la participation est clair que les indigents ne sont pas
communautaire soit faible et ce, tant au courant des possibilités d’exemp-
au Mali qu’en Ouganda dans les six tions. La majorité de ces personnes vi-
sites étudiés. La population mention- vent dans l’isolement et sont presque
ne ne pas bien connaître le rôle des totalement inconnues du personnel de
comités de gestion et la façon dont santé. D’ailleurs, en Ouganda, en mi-
elle pourrait participer à la gestion des lieu urbain, des membres du personnel
activités et des ressources à l’échelle de santé ont mentionné ne pas être
locale. L’information circule difficile- certains qu’il puisse y avoir des gens
ment au sein des populations, tant sur qui n’utilisent jamais les services de
les mécanismes de recouvrement des santé, puisque les services gratuits
coûts que de l’utilisation des fonds, sont disponibles dans les structures de
entraînant un impact négatif sur la santé. Pourtant, bien des personnes in-
qualité du processus d’implantation terrogées qui disent ne pas pouvoir uti-
de telles mesures et la possible re- liser ces mêmes services devraient ver-
structuration du système de santé ser des pots-de-vin au personnel de
avec leur implication. Au Mali, dans santé pour obtenir des soins, en plus
l’éventualité où les retraits de la co- des médicaments. Ainsi, il est possible
opération extérieure sont annoncés, la de conclure que :
préoccupation véhiculée se cristallise • la question des mécanismes
sur « comment les mécanismes de re- d’exemption pour les groupes dému-
couvrement de coûts mis en place par nis n’est pas claire ;
la communauté et le comité de ges-
• il existe des contradictions au
tion vont permettre au centre de santé
sujet des perceptions des « non-
de s’autofinancer » ? En Ouganda, les
utilisateurs » potentiels et des plus
conséquences négatives de l’applica-
pauvres.
tion de la tarification et l’animosité de
la communauté envers la politique L’utilisation des services de santé
sont attribuées au fait que la commu-
nauté n’a pas été prise en considéra- Selon les personnes interrogées,
tion et n’a pas été consultée. tant au Mali qu’en Ouganda, les
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groupes vulnérables identifiés comme La faisabilité de l’exemption


devant avoir droit à l’exemption des du paiement au Burkina Faso
frais de services sont : les personnes
âgées, les veuves, les handicapés, Selon l’hypothèse de départ de
les très pauvres, les mendiants. Tou- l’étude initiale, la présence d’un pro-
tefois, comme nous l’avons dit, les cessus d’implantation des méca-
critères pour désigner de telles per- nismes de recouvrement des coûts et
sonnes, surtout les très pauvres et une redistribution des revenus géné-
les mendiants, ne sont pas détermi- rés par les frais aux utilisateurs per-
nés. Dans la mesure où les méca- mettraient de lever l’obstacle financier
nismes d’identification et d’exemp- à l’équité dans l’utilisation des ser-
tions ne sont pas en place ou ne sont vices par les couches les plus défavo-
pas fonctionnels, il est logique de dé- risées de la population. Les conditions
duire que les plus démunis se trou- nécessaires pour préserver l’équité
vent devant la même obligation que dans un tel contexte n’ont pas été ré-
tout le monde soit celle de payer les unies au sein des sites observés au
frais de services et les médicaments. Mali et en Ouganda. Au-delà de ces
Seule, la compassion d’un agent de difficultés, il était essentiel d’aller véri-
santé peut à l’occasion permettre fier la faisabilité tant opérationnelle
une exemption. Au Mali, surtout en que psychologique d’une mesure véri-
milieu rural, en cas de difficultés, les tablement articulée sur l’équité d’ac-
gens font appel au réseau de solida- cès aux soins en exemptant les plus
rité (parents, amis ou autres connais- pauvres du paiement. Le Burkina Faso
sances) pour contracter des crédits. a été choisi comme terrain d’enquête
D’autres préfèrent se tourner vers les car cela nous a permis de croiser les
tradipraticiens, lorsqu’ils ne dispo- résultats et de confronter à nouveau
sent pas d’argent pour faire soigner nos hypothèses de recherche dans un
les membres de leur famille. En Ou- pays organisant l’IB.
ganda, les gens ont surtout recours à
la vente de biens personnels et à Les mesures d’identification
l’endettement. Certains arrivent mê- des indigents
me à quitter le centre de santé avant À propos de la prévalence de l’indi-
la fin du traitement pour éviter de gence, tous nos interlocuteurs affir-
payer. Nous pouvons mentionner ment sans conteste que les Burkinabè
que, dans le cadre de cette étude, sont tous pauvres et indigents. Nous
l’utilisation des services de santé par pourrions qualifier ces réponses d’au-
les plus démunis est très difficile. tomatismes tellement elles ont été
Lorsque les agences internationales récurrentes. Cependant, la plupart
affirment que, depuis le recouvre- d’entre eux ont rapidement eu l’hon-
ment des coûts, l’amélioration de la nêteté de préciser qu’il existe bel et
qualité de services de santé a fait bien des couches et des niveaux d’in-
augmenter leur taux d’utilisation, les digence. En résumé, les habitants du
résultats de cette étude nous condui- district de Kongoussi à l’instar des
sent à nous demander qui sont main- autres Burkinabè sont dans une situa-
tenant celles et ceux qui utilisent tion économique difficile mais la pré-
les services de santé ; et si nous fai- sence de strates dans la pauvreté est
sons face au même segment de la po- tout à fait identifiée par la population.
pulation qu’avant l’introduction des
mécanismes de recouvrement des Pour nos interlocuteurs, les critères
coûts. qualifiant les indigents sont relative-
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POLITIQUES POUR L’ÉQUITÉ D’ACCÈS AUX SERVICES DE SANTÉ
DES INDIGENTS AFRICAINS

ment facilement décelables bien que notamment vis-à-vis des indigents,


pour les décideurs et les « dévelop- alors que le décret portant statut des
peurs » cela constitue le nœud gordien COGES précise qu’ils ont pour mis-
de l’exemption. Les indigents se re- sion « d’assurer une accessibilité de
connaissent par : a) leur réseau fami- tous aux soins de santé ». Ceci s’ex-
lial, b) leur statut matrimonial, c) leur plique peut-être par le fait que les
statut de travailleur, d) leur capacité mythes de l’État-providence et de la
physique à travailler, e) leur niveau de gratuité des soins sont encore pré-
consommation et de vie (l’indigent est sents. Évidemment, lorsque l’on parle
« celui qui n’a rien ») et enfin f) le type de prise en charge des indigents, cer-
de recours aux soins. Sur ce dernier tains préconisent que cela relève de la
point, l’indigent est celle ou celui qui responsabilité du niveau central.
ne se rend pas au centre de santé et
de promotion social (CSPS) et si fina- En ce qui concerne la probléma-
lement il s’y rend, c’est au stade ulti- tique de la prise de décision au sein de
me de sa maladie et souvent pour y la communauté et des COGES, plu-
demander une ordonnance « amputée » sieurs sujets ont été abordés par nos
au maximum. informateurs et soulignés par notre
étude. D’abord, on constate de sé-
Dans le contexte de notre étude, rieuses difficultés dans la nomination
nous avons découvert que dans l’aire des membres lors de l’élection initiale.
de santé d’un CSPS, il est clairement On note que les villages semblent ré-
établi que tous les habitants se gis par des lois internes, pas toujours
connaissent. De ce fait, ils sont ca- connues par l’infirmier en poste, ce
pables d’identifier les indigents et ils qui démontre le caractère fermé de la
les connaissent tous. « comme tu société et de la distribution du pou-
connais les gens, les cours, les vil- voir. Les mandataires associatifs sont
lages, voilà je peux reconnaître en tout plus ou moins toujours les mêmes et
cas les vrais indigents, les gens qui se naviguent d’un groupement à l’autre
présentent devant toi » nous informe et d’une instance politique à l’autre.
une matrone. Non seulement ils se Les indigents sont absents du débat
connaissent tous, mais en plus, ils et suivent la machine en marche, com-
sont capables de connaître leur niveau me l’explique très bien ce proverbe ci-
de vie ainsi que leurs revenus. té par un indigent « quand un éléphant
te tire, tu suis sa volonté ». En ce qui
Le processus de prise de décisions concerne la capacité d’expression de
la population et sa participation aux
Le Médecin Chef de District (MCD) séances de rétro-informations des
dispose d’une aura indéniable, non COGES, il apparaît que ces dernières
seulement au sein de son équipe et ne sont pas si évidentes que cela. De
des infirmiers chefs de postes (ICP) l’aveu même des résidents inter-
mais aussi et surtout auprès de la po- viewés, tant l’existence d’un COGES
pulation. Les comités de gestion que ses membres sont inconnus.
(COGES) se reposent fortement sur Cette méconnaissance justifie l’ab-
les chefs de postes qui eux-mêmes se sence de la population aux réunions.
réfèrent à l’équipe cadre du district, on
retrouve à l’échelon du district l’orga- Les capacités financières pour la prise
nisation pyramidale du système sani- en charge des indigents
taire national. En outre, les membres
des COGES n’ont ainsi qu’une faible Confrontés aux affirmations à pro-
connaissance de leurs prérogatives, pos de la difficulté pour les respon-
46 V. RIDDE, J.-E. GIRARD

sables des COGES de débloquer des sée en commun accord avec les mem-
sommes afin d’aider les indigents à bres des comités de gestion. Mais
avoir accès aux soins, nous avons ju- précisons immédiatement que ces
gé nécessaire de voir comment évo- médicaments sont donnés gratuite-
luaient les comptes d’exploitation des ment (3) car ils ont été également don-
dépôts de médicaments essentiels nés aux dispensaires. En aucun cas,
génériques (DMEG) entre 1994 et nous avons trouvé de DMEG utilisant
2000. L’étude économique, auprès de son stock renouvelé par le finance-
six DMEG du district, dont la métho- ment communautaire pour donner des
dologie et les résultats détaillés sont MEG gratuitement. En outre, rien n’est
présentés par ailleurs [22], montre systématique et la compassion et l’al-
bien que personne ne connaît réelle- truisme de la part du personnel de
ment l’état des comptes de résultats. santé sont ponctuels et réalisés au
De surcroît, malgré cette méconnais- cas par cas. Concernant la solidarité
sance de la nature des résultats finan- entre les usagers, il ne semble pas que
ciers (pertes ou bénéfices), les mem- cela soit de coutume dans la région.
bres des COGES ont décidé d’aug- Les mutuelles, qui sont une forme de
menter, en moyenne, 2,7 fois plus les solidarité ou à tout le moins l’organisa-
dépenses que les recettes et ce, sans tion du partage des risques entre ses
prendre en compte la baisse de l’utili- adhérents, ne sont en place dans le
sation des services dû à l’implantation district que depuis deux ou trois ans. Il
du paiement des consultations en ad- est clair que l’ampleur de la prise en
dition de celui des médicaments es- charge demeure très faible, et ce, pour
sentiels. Á cette constatation, il faut trois raisons. D’abord à cause du très
ajouter que si l’on s’en tient à la même petit nombre de cotisations qui rend
période de comparaison (94/96 vs très difficile voire impossible la viabi-
99/2000), la trésorerie a augmenté lité financière d’une telle structure. En-
dans des proportions importantes. suite, parce que les risques couverts
sont faibles au regard du montant de
On cherche avant tout à pérenniser la cotisation qui demeure importante
la formation sanitaire car on a tout à (300 F CFA/mois). Enfin, parce que
fait compris que tant l’État que les près de deux ans après la mise en
bailleurs de fonds sont dans une pha- place de ces mutuelles, on n’a pas
se de désengagement. Clairement, noté d’augmentation significative du
comme un sociologue de l’Université recours au service médical.
de Ouagadougou le précisait [20], on
constate une tendance évidente à la Une solution envisagée par certains
thésaurisation chez les gestionnaires est celle de la gratuité pour les plus
communautaires. pauvres. Pour les uns il s’agira d’avoir
des « produits gratuits pour les mal-
Les mécanismes de solidarité heureux » pour les autres, c’est une
exonération qui est à proposer. Dans
À propos des mécanismes en place ce dernier cas, cet infirmier nous ex-
au niveau des CSPS, nous avons relevé plique que cette solution est viable et
la distribution gratuite de certains mé- envisageable : « si nous nous tenons à
dicaments. Cette pratique, dans les ceux que nous avons identifié comme
formations périphériques a été organi- indigents, je pense que notre comité

(3) Nous n’avons pas pu vérifier ces affirmations car aucun système de comptabilisation des dons n’est
en place.
DOUZE ANS APRÈS L’INITIATIVE DE BAMAKO : CONSTATS ET IMPLICATIONS 47
POLITIQUES POUR L’ÉQUITÉ D’ACCÈS AUX SERVICES DE SANTÉ
DES INDIGENTS AFRICAINS

de gestion est en mesure de prendre l’administration, les agents de santé


en charge ». Cependant, le problème que les membres du COGES se réfu-
des critères d’identification est mis en gient finalement derrière ces critères
avant de manière récurrente pour ex- pour ne rien envisager pour les indi-
pliquer les difficultés et les raisons de gents. Cela démontre que, d’une part,
l’absence actuelle d’un tel système. la philosophie première de l’IB n’est ni
comprise, ni intégrée, et d’autre part,
Le mythe de la solidarité africaine que le problème de l’indigence n’est
[20], bien qu’il demeure dans l’imagi- pas une priorité actuelle dans le dis-
naire des populations vivant en dehors trict. Certes, cela pourrait être com-
de ces contrées, n’est plus évoqué préhensible dans une société où la
par les africains eux-mêmes. Malgré prévalence de l’indigence serait extrê-
cela, certains nostalgiques de cette me, or nous avons prouvé que ce
époque, croient que l’entraide est en- n’était pas le cas et qu’il existait bien
core là, mais ne peuvent nous en don- des « grands pauvres et des petits pau-
ner des exemples concrets lors de nos vres ». Maintenant, on pourrait aussi
entrevues ! Les changements sociaux prétexter que les CSPS se dérobent
ont apporté tant « jalousie » qu’« indivi- de leurs responsabilités sous prétexte
dualisme » disent nos interlocutrices. Il que le réseau social est puissant et
ne manque pas d’exemples pour illus- que les indigents sont soutenus par les
trer cet état de faits à Kongoussi. Les autres habitants du village. Malheureu-
tontines ou autres types de caisses de sement, nous avons vu que la solidari-
solidarité demeurent peu présentes té avait la fâcheuse tendance à dispa-
dans la région. La solidarité au village raître, comme la cassette de Monsieur
se manifeste plus par la visite au mala- Harpagon. L’individualisme se conju-
de que par le soutien financier à ce gue aujourd’hui aussi en Mouré.
dernier. Ainsi, en mode de subsistan- Certes, il est encore possible de trou-
ce quotidienne, il est difficile de ver des exemples d’entraide, mais
concevoir une fenêtre ouverte pour la dans une société où les programmes
solidarité. Si cette dernière existe, elle d’ajustement structurel ajoutent leurs
a des limites, n’est pas toujours évi- méfaits à la mondialisation de Davos,
dente au sens de la famille et ne peut il est évident qu’elle ne peut se mani-
se concevoir au niveau de la commu- fester pleinement. Lorsque l’on vit en
nauté dans son ensemble. mode de survie, il est évidemment
difficile voire impossible d’aider son
cousin et encore moins son voisin.
Discussion
Au regard des résultats de notre Alors quelles solutions pour les indi-
étude sur l’exemption et l’indigence gents et l’équité d’accès aux soins ?
au Burkina Faso, il ressort que les Notre étude nous a permis de montrer
membres de la communauté, tout au que le niveau de financement commu-
moins pour les habitants de l’aire de nautaire est important et à l’échelle
santé du CSPS, se connaissent tous. des budgets familiaux, on peut même
Non seulement ils se connaissent affirmer qu’il est énorme. Les CSPS
tous, mais en plus ils nous apprennent de Kongoussi, même s’ils ont des taux
qu’ils sont tout à fait capables d’iden- de fréquentation très bas comparati-
tifier les indigents. Ceci laisse en- vement à d’autres pays ayant organisé
tendre que la définition de critères l’IB, attirent malgré tout des milliers de
d’indigence est un faux problème dans personnes. Et ces patients paient, ru-
le contexte rural de notre étude. Tant bis sur l’ongle, leurs médicaments
48 V. RIDDE, J.-E. GIRARD

quand ce n’est pas leurs consulta- fortement les équipes cadres de dis-
tions. Malgré les baisses de consulta- tricts et les membres des COGES à se
tions dans les CSPS ayant mis en pla- préoccuper de l’exclusion permanen-
ce la tarification des actes [22], les te. Le niveau central, même dans un
responsables locaux n’ont pas freiné processus de décentralisation, se doit
leurs dépenses et n’ont pas hésité, de gérer et définir les objectifs straté-
quant il le fallait, à débourser des giques. En adhérant à l’IB, les États
sommes importantes pour le fonction- africains se sont prononcés pour une
nement du centre ou du district : deux plus grande équité [17] et pour des ré-
poids, deux mesures ! Pour prendre en formes prenant en compte les indi-
charge les indigents, il nous faut des gents [19]. Les États doivent organiser
critères et de l’argent. Pour construire des mesures incitatives (principale-
une morgue ou participer au finance- ment fondées sur l’éthique et l’autorité
ment du plan de développement du [5]), résultant de modalités organisa-
district des liquidités sont mobilisées tionnelles, afin d’influencer les déci-
alors que l’on ne sait pas si le DMEG sions des acteurs et d’être le garant
réalise des bénéfices ou des déficits. des valeurs de justice distributive.
Nous avons également montré com-
bien les trésoreries des DMEG de- B - Les agences d’exécutions (ONG,
meurent à un niveau important. OI…), doivent maintenant dépasser les
objectifs purement opérationnels. Ces
Ainsi, cette recherche à Kongoussi organisations sont maintenant deve-
s’appuyant sur les résultats de celle nues pour la plupart très efficaces ; les
du Mali et de l’Ouganda, nous permet hommes et les femmes qui les compo-
d’avancer que les CSPS ont large- sent sont de véritables professionnels.
ment les capacités financières de Les outils de planification de projets
prendre en charge les indigents que la sont au point depuis bien longtemps
communauté aura initialement identi- que ce soit les cadres logiques d’inter-
fiés sans aucun problème. vention créés au début des années 70
ou la méthode de planification par ob-
jectifs (4) de la coopération allemande
Conclusion et implications datant de 1983. Il nous semble que la
politiques logique technicienne et l’obsession de
Si nous revenons maintenant à l’efficacité ont pris le pas sur les va-
notre modèle théorique et à l’objectif leurs qui sous-tendent l’IB. Comme
d’équité qui sous-tend la philosophie nous le disions dans l’exorde de cet
de l’IB, nous pouvons nous question- article, l’IB va bien plus loin que la seu-
ner quant à l’impossible accès aux le gestion des MEG ou la construction
soins pour les indigents. Il nous paraît de nouveaux centres de santé. Il faut
maintenant prioritaire, 12 ans après la revenir à l’essentiel de la planification
mise en œuvre de l’IB, que l’équité re- opérationnelle ; que ce soit la vision de
vienne au devant de la scène et soit Henrik L. Blum abordée dans son ou-
mise au cœur de nos interventions (fi- vrage de référence aujourd’hui vieux
gure 2). de 20 ans : le changement social [3] ;
ou celle de Green dans un autre ouvra-
A - Les États africains doivent user ge célèbre à propos de l’objectif des
de leur pouvoir régalien pour inciter SSP : l’équité [14].

(4) ZOPP = zielorientierte projektplanung.


DOUZE ANS APRÈS L’INITIATIVE DE BAMAKO : CONSTATS ET IMPLICATIONS 49
POLITIQUES POUR L’ÉQUITÉ D’ACCÈS AUX SERVICES DE SANTÉ
DES INDIGENTS AFRICAINS

BAILLEURS AGENCES
DE FONDS D’EXECUTIONS

ETATS AFRICAINS

Politique Mesures incitatives Planifier pour le


de financement d’ordre éthique changement social
et d'autorité

Un processus
Des effets de redistribution
d’implantation de l’IB
des revenus visant une meilleure
qui vise une meilleure
accessibilité des services
disponibilité des services
et une pérennité

Des mécanismes de Une équité d’accès


recouvrements des coûts aux services donc une
pour une grande équité meilleure utilisation
d’accès aux soins des services par les
plus démunis

Figure 2 : Les implications politiques pour une plus grande équité d’accès aux soins

C - Enfin, les bailleurs de fonds et doivent « mettre l’accent sur les popu-
notamment l’Agence Canadienne de lations les plus démunis […] favoriser
Développement Internationale (ACDI), l’équité [… et] viser un accès universel
devraient se sentir solidaires avec aux services essentiels [1, p. 12] »,
notre positionnement. Bien que l’ACDI nous avons montré l’existence d’un
affirme que ses programmes de santé décalage entre la discussion et les
50 V. RIDDE, J.-E. GIRARD

réalités de terrain. Dans ses finance- d’énoncer des principes, encore faut-il
ments, l’ACDI devrait veiller à ce que les faire respecter et évaluer leur état
ses principes directeurs d’équité d’avancement. Il n’est pas question ici
soient effectivement respectés, « …la de proposer une politique de condi-
réduction de l’inégalité devant la santé tionnement de l’aide, mais plutôt d’at-
relève donc avant tout d’un préalable tirer l’attention des décideurs sur le re-
de nature politique et non d’un simple centrage nécessaire des politiques
choix à caractère technique [11, de financement sur l’équité et la ré-
p. 33] », dit Fassin. Il ne suffit pas duction des inégalités.

REMERCIEMENTS
L’équipe de la recherche initiale était également composée en Ouganda de Narathius Asingwire et de
Achilles Ssewaya, au Mali de Djeneba Diarra Kouyaté et au Québec de Marie-France Allen. Le finan-
cement a été fourni par l’Association canadienne de santé publique (ACSP), à travers monsieur Jim
Chauvin, et les projets de terrain étaient mis en œuvre au Mali par « l’Entraide universitaire mondiale du
Canada » (EUMC) et en Ouganda par le « Canadian Physicians for Aid Relief » (CPAR). La recherche sur
l’exemption a bénéficié du soutien financier du Centre de Coopération Internationale en Santé et Déve-
loppement (CCISD Inc.) et du DMSP de l’Université Laval. Le secrétaire général de la santé au Burki-
na Faso, le Dr Mathias Somé, l’équipe cadre du district de Kongoussi ainsi que les organisations « Save
the Children Pays-Bas » et « Plan International » ont été d’un grand secours. Enfin, nous tenons à remer-
cier tous nos collègues professionnels de santé ainsi que l’ensemble de la population ayant participé
aux travaux de recherche, tant au Mali qu’en Ouganda et au Burkina Faso.

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