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Côte d’Ivoire : les enjeux


d’un système d’assurance
maladie universelle
M
oins de trois décennies après limité, notamment, par le pouvoir d’achat
Didier Gobbers les indépendances, les pays afri- des citoyens2. Dans un contexte de
Ingénieur-conseil en organisation, cains francophones (mais aussi libéralisme, les gouvernements ivoiriens
ingéniérie du développement, membre les autres) sont obligés de renoncer à la ambitionnent de trouver des formules
de l’Association des professionnels de santé gratuite pour tous, philosophie qui régénérant les solidarités ; les intentions
santé en coopération prévalait dans une offre publique de soins politiques affichées en 1994 en faveur
omniprésente. Le paiement des actes de d’un système d’assurance maladie verront
soins (recouvrement des coûts) instauré finalement le jour en 2001.
au début des années quatre-vingt-dix ne
La Côte d’Ivoire permet pas d’autofinancer l’appareil sani- La Côte d’Ivoire en bref3
taire, qui obtient de moins en moins de La Côte d’Ivoire (17 millions d’habitants)
est le premier financement étatique. présente des indicateurs péjoratifs de
pays d’Afrique L’équité dans l’accès aux soins modernes l’état de santé. Les mortalités maternelle
est autant limitée par une faible accessi- et infantile sont élevées, des endémies
subsaharienne à bilité économique que par l’absence de majeures (paludisme, tuberculose, sida…)
qualité, principalement dans les structures et des pathologies classiques (diarrhées
se doter d’un réel publiques, qu’attendent les usagers. L’ab- infantiles, anémies, etc.) conduisent à une
sence de couverture sociale pour 90 % de espérance de vie médiocre et en diminution
système d’assurance la population1 ne permet pas de compenser en raison de la prévalence du sida, de
la défaillance des États. l’ordre de 50 ans.
maladie universelle. L’urbanisation mal maîtrisée progresse à
Cette réforme est La question toujours un rythme soutenu, faisant apparaître les
contemporaine du financement problèmes classiques de santé publique
porteuse d’immenses de la santé du tiers monde… Le PNB par habitant
La Côte d’Ivoire, dont la réussite écono- est de l’ordre de 1 000 dollars par an,
espoirs, d’autant mique est reconnue et enviée par ses cachant d’énormes disparités entre les
voisins, n’échappe pas à ces caractéris- couches sociales.
que les événements tiques : les indicateurs sanitaires restent Pour leur santé, les Ivoiriens connaissent
médiocres et le recours aux soins modernes depuis 1994 la règle du recouvrement des
politiques de coûts (en application de l’Initiative dite de
1. Dans tous les pays d’Afrique subsaharienne il
Bamako) et l’accessibilité aux soins est
septembre 2002 font existe des institutions dites de sécurité sociale, mais
médiocre autant pour des raisons écono-
aucune ne couvre le « risque maladie »; certaines
repousser en 2004 le offrent parfois à leurs ressortissants des prestations
sanitaires au moyen de services médico-sociaux, la
miques que par insuffisance de l’offre de

lancement de l’AMU plupart du temps sur des fonds d’action sanitaire


et sociale. Pour les salariés de l’État, c’est le statut
2. Cf. l’article « L’équité dans l’accès aux soins en
Afrique de l’Ouest ». Adsp, mars 2002, n° 38.
de la fonction publique qui offre de manière annexe 3. Monnaie, le franc CFA (1 000 FCFA = 1,52 euro),
prévu en 2003. des prestations sanitaires complétées parfois par commun aux pays de l’Union économique et monétaire
des mutuelles. de l’Afrique de l’Ouest, UEMOA.

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soins qui est de piètre qualité, en parti- y habitant légalement, peuvent prétendre
culier dans le secteur public. Le taux de à la prise en charge de leurs dépenses de
couverture est d’environ un médecin pour santé ; le caractère universel de l’AMU est
8 500 habitants. également synonyme d’obligatoire.
Alors que le budget de l’État consacré La loi ne consacrant pas la notion d’ayant
à la santé en 2002 avoisine les 100 mil- droit, tous les individus sont assurés
liards de FCFA, soit de l’ordre de 5 %, la sociaux à part entière et à ce titre assujettis
dépense nationale de santé est estimée au versement d’une contribution6.
à 380 milliards, dont une centaine pour Agriculteurs, commerçants, salariés,
���������������� les produits pharmaceutiques. inactifs, jeunes, artisans, retraités, riches
Le pays s’est doté en 1996 d’un Plan ou pauvres, les consommateurs de soins
Abidjan
national de développement sanitaire (PNDS) participent ainsi à la vie du régime.
visant à améliorer tant l’offre et la qualité La participation citoyenne vaut pour le
des soins que la culture de gestion ; les financement par les bénéficiaires, mais
objectifs du PNDS ne seront pas atteints aussi dans la gestion des organismes dans
en 2005, principalement en raison du lesquels ils sont impliqués ainsi que les
Données générales délabrement du système de santé et du acteurs des soins.
manque de ressources publiques affectées
Population
aux investissements. Le déficit de struc- Un financement adapté
17 millions d’habitants dont 3,5 à Abidjan
tures de soins touche autant le monde aux besoins
Croissance supérieure à 3 % par an
rural que les villes. Le financement de l’AMU (garanti par l’État
ISF : 5,2
Le secteur libéral de soins, qui se déve- grâce à un contrat de plan passé avec
Urbanisation : 45 %
loppe rapidement, concentre dans Abidjan les trois caisses nationales) provient de
Scolarisation : 60 %
l’essentiel du millier de cabinets médicaux deux sources : les contributions des béné-
Immigration : 30 %
et infirmiers. ficiaires et les ressources parafiscales.
Économie La médecine dite d’entreprise, mélange Chaque bénéficiaire potentiel acquiert la
Secteur agricole : 60 % du PIB de médecine du travail et de médecine qualité d’assuré social par une contribution
1er producteur mondial de cacao générale, concerne seulement les grandes obligatoire dont l’assiette, le montant et
Salariés : < 10 % de la population active entreprises privées ; mais, du fait des con- les modalités de paiement varient selon sa
Budget État : 1 600 Mds FCFA traintes de gestion, celle-ci présente un situation personnelle. Les mesures sont
PNB : 1 000 $/habitant intérêt par ses modalités d’organisation marquées par les concepts de solidarité,
(recherche de l’efficacité). d’équité, d’attractivité et de transparence,
Entre la mutualité, qui est encore de et intègrent en toile de fond l’équilibre entre
Données sanitaires portée limitée, et les compagnies d’as- les recettes et les dépenses7.
surance privées, on estime à moins de L’estimation de l’effort contributif des
Espérance de vie : < 55 ans
1,2 million les personnes bénéficiant d’une assurés est détaillée dans le tableau 1.
Mortalité maternelle : 5,5 ‰
couverture des dépenses de santé. En fonction des éléments connus ou
Vaccination à 2 ans : < 60 %
Votée en octobre 2001, la loi instituant projetés, la masse des charges a été
Dépense nationale de santé : 380 Mds/an
l’assurance maladie universelle (AMU) offre calculée sur la base de « fréquences de
Recours aux soins : < 2 par an
aux Ivoiriens un système de protection très consommation », de tarifs unitaires et de
Pathologies dominantes original contre les frais de la maladie, dont l’application d’un ticket modérateur de
Paludisme, IRA, MRVI, tuberculose on indiquera à grands traits les caracté- 20 % à 30 %, ce qui conduit pour l’année
Taux prévalence du VIH : 10 % ristiques essentielles. de lancement à 328 milliards de FCFA
Les modalités de mise en œuvre de loi de dépenses (consultations 25 %, Phar-
sur l’AMU ont fait l’objet d’intenses travaux macie 40 %, hospitalisation 25 %, actes
Carte sanitaire pendant plus d’une année, mobilisant une de biologie et imagerie 10 %). Les frais
4 CHU, 12 CHR, 55 HG centaine de personnes de tous les horizons de gestion technique sont dans la norme
1 500 C. publics, Santé primaire de la vie politique et sociale ivoirienne. internationale de 7 %.
10 EPN (CNTS, INHP, I. cardio…)
Fac. médecine+écoles paramédicales Les grands traits de l’AMU :
5. Cette clause n’est pas de pure forme puisqu’en
Budget santé publique : 100 Mds FCFA universalité et participation
Côte d’Ivoire un habitant sur trois est ressortissant
2 000 médecins citoyenne d’un autre pays (les plus forts contingents étant
2 000 sages-femmes L’adjectif « universelle » de l’AMU signifie que originaires de pays frontaliers : Burkina, Mali,
5 000 infirmiers tous les individus résidant en Côte d’Ivoire4, Guinée).
c’est-à-dire les Ivoiriens et les étrangers5 6. À l’exception des enfants âgés de moins de
600 pharmaciens 6 ans.
300 dentistes 7. Une étude actuarielle indépendante a permis
4. Mais également les Ivoiriens de l’étranger, pour d’apporter un éclairage précieux sur la viabilité du
les soins consommés en Côte d’ivoire. régime pour les cinq années à venir.

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tableau 1 ticket modérateur. L’AMU est adaptée à la
Estimation de l’effort contributif des assurés logique du système de santé ivoirien, dans
lequel prédomine encore l’offre publique
Contributions basées sur le revenu (en FCFA) de soins, basée sur le concept de paquet
Pourcentage de cotisation sur revenu minimum d’activités (PMA).
Salariés Indépendants agricoles Le PMA adapté à chaque niveau d’offre
Tranche mensuelle de revenu (part patronale=50 %) Actifs Informels de soins de la pyramide sanitaire permet
Retraités 2 aux malades de recevoir l’ensemble des
prestations utiles à leur état : de l’examen
Jusqu’à 50 000 6 Forfait 30 000/an
médical banal et des médicaments jus-
Jusqu’à 300 000 6 5 qu’aux traitements complexes (cancers…),
De 300 001 à 3 500 000 3 à 0,5 3 sans méconnaître les actions de prévention
Au-delà de 3 500 000 0 0 et de promotion de la santé.
L’AMU associe des pathologies à des
Contributions sur productions agricoles structures capables de les prendre en
Assiettesa Cotisation charge, ce qui suppose la définition de
Valeur CAF des produits d’exportation du groupe 1 5% règles pour certaines situations (hospita-
Valeur CAF des produits d’exportation du groupe 2 2% lisation, grossesse, médicaments) (voir
tableau 2).
Contributions forfaitaires À chaque niveau de la pyramide sani-
Montant annuel taire sont édictées des normes pour la
Catégories de cotisants de la cotisation configuration des plateaux techniques et
Personnels des cultes 25 000 les personnels.
Demandeurs sociauxb et aides familiales de 19 à 21 ans 12 000 Les prestataires de soins sont à la fois
Enfants de 0 à 5 ans 0 des professionnels et des structures ; les
uns et les autres doivent être inscrits au
Enfants de 6 à 12 ans scolarisés ou non 500
répertoire des prescripteurs.
Élèves des établissements secondaires et non scolarisés 2 500
Les prescriptions (de médicaments,
13 à 18 ans
d’examens biologiques…) sont de deux
Étudiants 7 500
types, interne et externe, selon qu’elles
Ressources parafiscales sont ou non réalisables dans la structure
Prélèvement de 0,5 % sur le chiffre d’affaires des sociétés de production de produits de soins fréquentée.
néfastes pour la santé (tabacs, alcools, polluants). Les acteurs de santé seront liés à l’AMU
par le biais de conventions en cours d’éla-
a. Groupe 1 : Cacao, Café, Anacarde et Coton ; Groupe 2 : Caoutchouc, Ananas, Hévéa, Sucre, Huile de palme..
boration ; ces conventions constituent une
b. L’expression « demandeurs sociaux » désigne les chômeurs, indigents, invalides et sans emploi.
charte de qualité auxquels s’engagent les
professionnels privés et publics.
Les actes de soins sont classés selon
L’équilibre financier de l’AMU devait être sur des correspondants locaux9 liés par une nomenclature et également par lettres
assuré dès sa mise en application. convention et rémunérés par un pour- clés auxquelles on affecte un coefficient
La faisabilité économique a été appréciée centage des cotisations. qui s’élève avec la complexité de l’acte,
tant du point de vue macro-économique Les prestations couvertes10 par l’assu- chaque lettre clé ayant une valeur moné-
que de celui des ménages ; la pression a rance maladie maternité résultent d’une taire11 : c’est sur cette base que l’AMU a
été jugée supportable par les uns et les série de paramètres compris dans la repris la tarification en vigueur.
autres, mais la conjoncture que connaît politique sanitaire : l’organisation sani- Cependant, pour le suivi pré- et post-
la Côte d’Ivoire depuis septembre 2002 taire, les prestataires de soins, les actes natal ainsi que pour les hospitalisations,
va conduire à une révision sensible des de soins et leur coût, les médicaments, la tarification à l’acte cède la place à des
taux de cotisations, certainement en les auxquels se superposent les concepts de forfaits.
réduisant pour l’année de lancement8. contrôle médical, de tiers payant et de La prise en charge des médicaments
Pour les adhésions et le recouvrement est basée d’une part sur la prescription
9. Responsables des différentes filières de la
des contributions, les organismes gestion- en dénomination commune internationale
Chambre de commerce ou des filières de la Fédération
naires de l’AMU s’appuieront également ivoirienne des commerçants de RCI, des coopératives (DCI) pour permettre facilement la substi-
d’épargne et de crédits COOPEC, des banques, des tution, l’utilisation des conditionnements
8. Hypothèse réaliste sans diminution de la trésoreries départementales, des centres de santé hospitaliers, la délivrance de la quantité
couverture, au prix d’une application résolue de et des chefs de village.
la politique des médicaments sous DCI et d’une 10. Les prestations ne comprennent pas l’indemni- 11. Bases de la tarification Actes, lettres clés, tarifs
actualisation des tarifs des soins curatifs publics sation de la perte de gain pour maladie et maternité en FCFA : C = Consultations : 5 000, D = Soins den-
plus modérée que ne le souhaite le ministère de la qui dans le secteur moderne de l’économie, peut faire taires : 1 000, B = Actes de biologie : 180, K = Actes
Santé publique. l’objet d’accords entre employeurs et salariés. de chirurgie : 750, Z = Actes d’imagerie : 750.

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tableau 2
Structure de l’AMU
Services Niveau primaire (I), Niveaux de référence (II et III),
centres de santé hôpitaux généraux-régionaux et universitaires
Soins curatifs Paludisme Consultation médecine générale, pédiatrie, gynéco,
Pneumopathie chirurgie générale, orthopédie
Infections associées au sida Consultation de 1er contact
Diarrhées… Soins d’urgence
Services de maternité Soins prénataux Accouchement dystocique
Accouchement et soins post partum Vaccination de rattrapage
Vaccination : tétanos… Consultation post-natale (obstétrique, PF…)
Soins aux enfants Pesée. PEV. Dépistage systématique
Maladies de l’enfance
Soins généraux…
Soins maladies chroniques Tuberculose. Grandes endémies
Hypertension artérielle. Diabète
Infections liées au sida. Handicap…
Examens complémentaires Albumine/sucre Biologie
Dépistages simples Bilan sanguin standard
Urine, selles, frottis vaginal…
B-imagerie radiographie scopie
Échographie, électrocardiogramme
Planification familiale Avis. Conseils. IEC
Consultation de PF
Fourniture de contraceptifs
Soins spécialisés - Soins bucco-dentaires, ORL, ophtalmologie
Dermatologie
Soins chirurgicaux - Traumatologie/orthopédie
Peumothorax
Césarienne. Grossesse extra-utérine
Hernie inguinale

tableau 3
Exemple
DCI, dosage et forme Nom commercial Niveau de la pyramide
Acide acétyl salicylique Aspirine 500 mg, comprimés I, II, III
500 mg, VO Catalgine 500 mg, sachets
Aspirine UPSA, comprimés effervescents
Sédergine, comprimés
Morphine sulfate Moscontrin 10 mg, comprimés III
10 mg, VO Skénan 10 mg, gélule
Atrophine sulfate, 0, 25 mg, inject Atropine sulfate 25 mg, ampoules II, III
N-Butylhyoscine, 10 mg, VO Buscopan 10 mg, comprimés I, II, III

exacte de médicaments en détaillant le pharmaciens) contrôlent et apprécient sur d’un désaccord entre la caisse et le
conditionnement, et d’autre part sur une le plan médical le droit d’un bénéficiaire prestataire) complètent l’organisation du
liste de médicaments essentiels en fonction aux prestations réglementaires. Des ser- contrôle médical qui également procède
de la pyramide sanitaire, selon l’exemple vices du contentieux — qui confirment ou à l’analyse des activités médicales des
du tableau 3. infirment les décisions pour les demandes professionnels publics et privés de santé
Les services du contrôle médical ayant eu un avis défavorable des médecins et propose des actions correctives et des
(régional et départemental, composés conseils — et d’expertise médicale (avant directives.
de médecins, chirurgiens dentistes et l’action judiciaire en cas de persistance Afin de faciliter l’accès aux soins, pour

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tous les actes le tiers payant est la règle. par un numéro personnel unique à 16 une dizaine d’années, si chaque dépar-
Ce sont les prestataires de soins qui sont chiffres, est titulaire d’une carte dont la tement accueille une représentation des
les créanciers de l’AMU, ce qui suppose validité est actuellement de cinq années ; trois caisses nationales.
que des avances de trésorerie leurs soient elle comporte une zone cryptée de sécu- C’est le Centre ivoirien de formation des
consenties. risation. cadres de sécurité sociale (Cifocs) de la
Tant pour responsabiliser les assurés Pour accompagner le processus d’im- CNPS14 qui assurera la formation initiale
sociaux que pour pouvoir faire face à un matriculation, la production de documents d’une durée d’environ six mois.
accroissement de la dépense de santé administratifs et les inscriptions scolaires Bien que modeste15, la place des
généré par la solvabilisation de la demande, et universitaires sont subordonnées à la mutuelles de santé et des assurances
l’AMU fait supporter aux assurés un ticket présentation par le demandeur de sa maladies privées rendait un service que
modérateur allant de 0 (primaire, y compris carte AMU. la mise en place de l’AMU ne peut ignorer ;
le sida et les maladies chroniques, pré- deux solutions sont en cours de mise en
ventif, accouchements) à 30 % (niveaux Des organismes de gestion place : celles intervenant au premier
II et III). Le schéma organisationnel général tel que franc devront disparaître ou s’adapter à
Finalement, la question majeure à défini par la loi de d’octobre 2001 et les leur rôle complémentaire et dans ce cas
laquelle les responsables politiques de décrets d’avril 200212 repose sur : elles devraient intervenir comme relais
l’AMU doivent faire face est celle de l’indis-  la déconcentration à trois niveaux. de l’AMU à l’instar des mutuelles dites
pensable accroissement de l’offre de soins Central : conception et contrôle, dépar- décompteuses en France.
et de l’amélioration de sa qualité. temental : activités opérationnelles
(des délégations) et local : information, Le regard de la communauté
Une identification sécurisée prévention et identification ; internationale
L’identification (processus particulièrement  le rôle du Fnamu de payeur aux profes- D’une manière générale, les institutions
important puisque l’AMU concerne toute la sionnels de santé après ordonnancement bi et multilatérales d’aide au dévelop-
population ivoirienne et les étrangers vivant par les caisses et de teneur de comptes pement ont peu investi les questions du
en Côte d’Ivoire) concerne les bénéficiaires et gestionnaire de trésorerie ; financement de la santé sur le continent
potentiels des prestations ainsi que les  le recours par les trois organismes africain et l’assurance maladie ne faisait
différentes familles d’acteurs de l’AMU. à une même base informatisée de visiblement pas partie des considérants des
Les acteurs de l’AMU sont classés en données. « développeurs », hormis le Bureau interna-
deux groupes : Les missions, grandes fonctions et tional du travail qui y faisait référence dans
 économiques : 245 groupes de pro- activités des organismes sont assez son plaidoyer pour la protection sociale16.
fessions, soit un millier d’occupations, analogues à celles des institutions iden- La situation a commencé à évoluer avec la
sont identifiés par les caisses de l’AMU tiques en France. publication en 1993 du rapport de la Banque
en liaison avec d’autres partenaires Les trois caisses nationales sont des mondiale « Investir dans la santé ».
(Chambre de commerce…) ; organismes de droit privé ; chacune est L’OMS et l’Unicef ne sont guère plus
 prestataires de soins (médecins, administrée par un conseil d’administration présentes, hors quelques programmes
pharmaciens, dentistes et chirurgiens tripartite (État, bénéficiaires, acteurs écono- intégrant l’Initiative de Bamako comme
dentistes) : les établissements sanitaires miques), dont les membres sont désignés moyen de surmonter la crise des finance-
(publics et privés agréés par le ministère par leurs pairs et agréés par le ministre ments publics de la santé.
de la Santé et conventionnés par l’AMU) et de tutelle. La Coopération française s’est longtemps
les individus titulaires d’un diplôme reconnu Le Plan comptable de l’AMU suit glo- spécialisée dans l’appui à l’offre de soins,
par l’État et inscrits à l’Ordre. balement la nomenclature du Plan comp- notamment hospitalière, et, dans une vision
L’identification des bénéficiaires, pri- table général des entreprises du Système de santé publique, ciblait certaines patho-
mordiale du fait du caractère universel comptable ouest africain (Syscoa) et les logies. Dans ce cadre elle a contribué à la
de la couverture offerte, est réalisée par procédures comptables, riches, y compris création et à la revitalisation d’établisse-
les structures de l’AMU en liaison avec celles de comptabilité analytique, sont éta- ments, à la formation de personnels de
un Office national de l’identification (ONI) blies dans l’esprit de la culture commune
maillon incontournable pour obtenir les de gestion impulsée par la Cipress13. 14. Caisse nationale de prévoyance sociale
documents d’identité (carte nationale, Les personnels devraient évoluer entre 15. En 2000, on chiffrait le secteur mutualiste
carte de séjour…). C’est une opération un millier d’agents lors du lancement des comme suit : nombre : 60, adhérents : 230 000,
complexe, du fait du couplage de l’identifi- activités pour atteindre le quadruple dans bénéficiaires : 880 000, prestations versées : 11,8
Mds de FCFA. Le secteur des assurances privées
cation des citoyens et des assurés sociaux,
draine une clientèle moins nombreuse, à plus forte
qui associe des structures organisées éta- 12. Instituant la Caisse sociale agricole (CSA) solvabilité, pour un chiffre d’activités de l’ordre de
tiques ou privées selon le milieu rural et pour les secteurs agricole, pêche, forêt, la Caisse 10 Mds de FCFA.
le milieu urbain (organisations, syndicats nationale de l’assurance maladie (Cnam) pour les 16. Le BIT met désormais en avant l’importance de
et ordres professionnels, chefs de village, autres secteurs et le Fonds national de l’assurance l’extension de la protection sociale dans le cadre
maladie (Fnamu) organe commun pour la gestion de la lutte contre la pauvreté ; il s’intéresse à la
directeurs d’école et de centre de santé, financière des recettes et des dépenses. couverture maladie dans le secteur de l’économie
préfectures et mairies) 13. Conférence inter-africaine de prévoyance informelle par la promotion de la micro-assurance
Chaque bénéficiaire de l’AMU, identifié sociale. de santé.

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tous niveaux et à l’assistance directe à et la Coopération française ; mais leurs s’affronteraient des courants de pensée
la distribution de soins et à la prévention. engagements ont été suspendus en politique. Or, la recherche de la sécurité en
En matière de financement, elle prêtait février 2003. matière de santé fait partie des nombreux
exclusivement une attention particulière déterminants des flux migratoires24.
aux mutuelles de santé17, dont la propa- Les enjeux de l’AMU Chaque fois que cela est possible « tech-
gation sur le terrain est lente et limitée. En Côte d’Ivoire, longtemps un slogan poli- niquement », toute action permettant de
Depuis deux ans, la coopération française tique, l’assurance maladie est désormais rendre efficaces des dispositifs d’assu-
aborde de façon plus structurée mais très une réalité légale et administrative dont la rance maladie dans les pays en dévelop-
ponctuelle les problèmes du financement mise en application prévue pour le milieu de pement, contribuera à alléger la pression
de la santé, au moyen d’actions de sensi- l’année 2003 va être différée de quelques migratoire au Nord, tout en constituant
bilisation sous-traitées à des opérateurs mois, en raison des événements politiques une contribution réelle au processus de
tel l’Adecri18. de septembre 2002 qui ont partagé le pays développement économique et social des
En Côte d’Ivoire, à cette action s’ajoutent en deux et gelé son économie. pays du continent africain.
d’autres initiatives soit informatives (Institut Si l’AMU est reconnue par tous les Enfin, le risque politique d’un mauvais
multilatéral d’Afrique), soit de coordination acteurs de la vie politique et sociale ivoi- exemple doit être évité. La Côte d’Ivoire
des réflexions (BIT-Step19, Ramus20, « la Con- rienne comme le seul moyen d’accroître est le premier pays d’Afrique francophone
certation »), soit d’expérimentation (Projets tant l’accès aux soins que leur qualité, il qui traduit une volonté politique en textes
GTZ — coopération allemande —, belge et y a un intérêt stratégique majeur pour la législatifs et réglementaires aussi ambi-
PDSSI — Programme de développement France et l’Europe à ce que le projet ivoirien tieux ; d’autres sont dans l’antichambre de
des services de santé intégrée — avec la ne soit pas un échec. telles décisions (en particulier le Gabon,
Banque mondiale), toutes consacrant la Pour ne parler que de la France, nous le Cameroun, et le Sénégal). L’échec
primauté des mutuelles. voyons trois enjeux : entraînerait dans la sous-région25 une
Récemment (mai 2002), le Centre En premier lieu, la solidarité en matière stérilisation de toute initiative dans ce
d’études stratégiques de l’Afrique (Cesa), de santé22 et de maladie va comporter de domaine et une fragilisation de la situation
institution du ministère américain de la plus en plus un volet international où les politique ivoirienne avec des conséquences
Défense, a réuni 200 participants à Dakar nations riches paieront pour les nations géopolitiques potentiellement graves. E
sur le thème de l’impact de la santé sur pauvres : médicaments, épidémies, risques
la sécurité en Afrique21. industriels, risques alimentaires…
Finalement, en 2001 lors du vote de la Alors que la Côte d’Ivoire vient d’être
loi sur l’AMU, la pensée de la communauté déclarée bénéficiaire d’une aide de 96
internationale était très frileuse sur l’assu- millions de dollars par le Fonds mondial
rance maladie, estimant, comme la France paludisme-tuberculose-sida, on peut
en fonction de sa propre histoire, que la imaginer la simplicité, la fiabilité et la
mutualité était le point de passage obligé transparence que peut apporter l’AMU
vers des mécanismes plus globaux. dans la gestion de ces fonds23.
En 2002, hors les soutiens de principe Deuxièmement, la sécurité et l’im-
de l’OMS et de la GTZ, seuls deux par- migration sont devenues des sujets
tenaires au développement ont émis un extrêmement sensibles en France et en
avis de principe favorable à la demande Europe, et on peut avancer qu’il ne s’agit
d’aide du gouvernement ivoirien : le BIT pas de questions ponctuelles sur lesquelles

17. Dans aucun des pays de la Zone de solidarité prio- 20. Ramus : Réseau d’appui aux mutuelles de an, montant cofinancé par le Fonds de solidarité
ritaire, la coopération française n’a investi le terrain santé. thérapeutique internationale.
de la sécurité sociale et de l’assurance maladie, 21. Cette réunion a estimé que « les éléments de 24. En juin 2002, de source consulaire, on estimait
certainement pour des raisons historiques liées au pauvreté et de politique qui relient la santé des à environ 80 000 le nombre d’Ivoiriens en France,
partage des rôles entre les différentes directions personnes à la santé des nations sont complexes dont la moitié en situation irrégulière. Sur les
techniques du ministère des Affaires étrangères- et en grande partie non étudiés », confortée par le 25 000 Ivoiriens qui obtiennent chaque année le
Coopération et d’autres partenaires institutionnels. président du Sénégal : « En ce qui concerne la santé, visa touristique « court séjour », 20 % ne reviennent
Seul le ministère « couvrant » la sécurité sociale en on ne peut pas développer un pays quand on passe pas. Si ce flux annuel se poursuit, en dix ans il
France a eu quelques actions extrêmement limitées son temps à soigner des malades ou à enterrer des représentera l’équivalent d’une ville moyenne de
en ampleur et dans le temps (cf. la Cipress, les morts. Or l’Afrique n’est pas très loin de ça, à cause 50 000 habitants.
structures de formation et de contrôle, la promotion des ravages des maladies qui menacent l’essentiel À l’heure actuelle, les économies potentielles pour
de la comptabilité Ocam). de nos ressources humaines. le système français de protection sociale seraient
18. L’Association pour le développement et la 22. Peu de pays africains conduisent la lutte contre de l’ordre de 15 millions d’euros par an pour la
coordination des relations internationales a ainsi les endémies majeures (paludisme, tuberculose, sida, consommation de soins ambulatoires des Ivoiriens
organisé en Côte d’Ivoire des séminaires prin- lèpre) sur leurs ressources propres; ce sont les insti- résidant en France.
cipalement destinés aux cadres supérieurs des tutions bi- ou multilatérales d’aide au développement 25. Le coût d’un projet de soutien à la mise en place
ministères sociaux. qui assurent les programmes de vaccination. de l’AMU en Côte d’Ivoire est très faible, surtout
19. BIT-Step : Bureau international du Travail et Pro- 23. Pour mémoire, on rappellera que pour la prise si l’on considère que ce projet pourrait servir de
gramme stratégie et techniques contre l’exclusion en charge en tri-thérapie d’environ 2 000 malades, plate-forme à une action souhaitée par les pays
sociale et la pauvreté. la Côte d’Ivoire dépense 1 million de dollars par membres de l’UEMOA.

66 adsp n° 43 juin 2003

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