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Récemment, le problème du financement des soins de santé est devenu une préoccupation
majeure non seulement des pays industrialisés mais aussi des nations en développement. Dans
ce cadre, les Comptes Nationaux de la Santé (CNS) constituent une approche utile et
réalisable, même dans les pays où le système d’information n’est pas très développé. Ils
constituent un important outil de circonscription et d’appréhension du système national de
santé, de planification et d’aide à la prise de décision. Ces comptes peuvent être utilisés
comme un instrument de diagnostic afin d’identifier des problèmes d’allocation des
ressources, de proposer des pistes de solution et d’évaluer le degré de progression vers un
objectif déterminé.
Afin de maximiser l’utilité des CNS tel qu’ils sont décrits ci-dessus, il est important de
définir, au préalable, les éléments clés de la politique de santé ainsi que les indicateurs des
CNS portant sur ces mêmes éléments. Cet exercice se doit de précéder la conceptualisation
des CNS, ou du moins l’accompagner, car le choix des indicateurs sous-tendra partiellement
la méthodologie appliquée et constituera un guide pour le choix des directions de travail à
privilégier.
Ce papier n’est qu’un simple essai pour faire approcher les Comptes Nationaux de la Santé du
Maroc des priorités nationales dans le domaine sanitaire pris dans un sens assez large. Ainsi,
il essaie d’abord de mettre en exergue, d’une manière succincte, les problèmes vécus par le
système national de santé 1 , les objectifs et les stratégies de santé ; ensuite, il tente de définir, à
priori, la méthodologie et la conceptualisation des CNS en fonction de ces priorités et
objectifs.
Au cours des années à venir, le système national de santé marocain devra non seulement faire
face aux problèmes sanitaires caractérisant les pays en développement, mais s’occuper
également des problèmes sanitaires émergents ou réémergents caractérisant les pays
industrialisés. En effet, malgré le recul des maladies transmissibles durant la dernière
décennie, elle représentent toujours une charge relativement importante en terme d'actions de
prévention et de lutte. A leur tour, les maladies non transmissibles, les accidents et
1
« Un système de santé est un agencement complexe des activités des professionnels de la santé et des divers
agents qui participent à leur financement (soins et autres activités connexes). Les activités financées dépassent le
simple cadre des soins (hospitaliers et ambulatoires) et des biens médicaux pour toucher d’autres secteurs liés à
la santé, à savoir l’enseignement, l’hygiène, la prévention collective et la recherche. » (ZINE EDDINE E. MY
D. , 1998b, p. 24).
Définition selon le projet de loi relatif au système national de santé et à l’offre de soins (Carte Sanitaire) :
« … le système national de santé se définit comme l’ensemble des ressources humaines, matérielles et
financières ainsi que les institutions et les activités destinées à assurer la promotion, la protection, la restauration
et la réhabilitation de la santé de la population. » (Ministère de la Santé, 1998, p.1).
traumatismes pèsent, eux aussi, lourdement sur le système de soins, en particulier sur l’hôpital
puisque c’est à ce niveau qu’ils sont généralement pris en charge (LAAZIRI M., 1998). Une
étude réalisée sur la charge de morbidité globale à partir des causes de décès déclarés de 1992
a estimé que les années de vie perdue en raison d’un décès prématuré sont causées
principalement par les affections d'origine périnatale, les maladies infectieuses et parasitaires,
les maladies de l'appareil circulatoire, les traumatismes et les tumeurs malignes.
Les problèmes posés par la santé de la mère et de l’enfant au Maroc demeurent préoccupants
en dépit des améliorations constatées depuis plusieurs années. Les indicateurs cités dans le
tableau n°1 ci-dessous permettent de mesurer l’ampleur de ces problèmes.
Ce tableau met également en exergue les écarts importants qui subsistent entre les milieux
urbain et rural. Ces écarts peuvent être expliqués en partie par les iniquités de l’offre et de
l’accès aux soins qui demeurent très manifestes. En dépit des efforts entrepris par le MS, les
populations rurales ont toujours un accès difficile aux établissements de soins.
( 1 ) Ministère de la Santé (1997), Enquête National sur la Santé de la mère et de l'enfant, Rabat
( 2 ) CERED, Projection de la population : 1994 - 2014, Rabat.
La difficulté d’accès de la population rurale aux soins constitue encore une insuffisance
majeure du système. En effet, les données concernant la couverture de la population rurale par
les Etablissements de Soins de Santé de Base appréciées par rayon kilométrique montrent que
les distances entre la population et les formations sanitaires sont importantes. En 1996, près
de 31 % de cette population se trouve à plus de 10 kilomètres d’une formation sanitaire. La
population éloignée est sensée être couverte par un mode mobile qui a été mis en place pour
compléter la couverture par le mode fixe. Cependant, les performances de ce mode mobile en
terme de couverture et de contribution à l’offre de soins sont faibles, si bien que l’on peut dire
qu’une grande proportion de la population rurale n’a que très peu accès aux soins (DPRF /
MS, 1998).
De surcroît, la population rurale accède plus difficilement aux soins hospitaliers, seulement le
quart des nuitées de l’hôpital public sont consommées par celle-ci. Cette situation est due en
partie au faible développement des petits hôpitaux intermédiaires type Polyclinique de Santé
Publique. Le problème d’accès est d’autant plus aigu que le MS est pratiquement le seul
prestataire de soins présent en milieu rural. En effet, l'encadrement par les cabinets de
consultation privés, montrant un fossé entre l'urbain et le rural (1 cabinet pour 95.418
habitants en rural contre 1 pour 4.354 en urbain 2 ), est à l'origine d'un grand déséquilibre entre
les deux milieux dans l'encadrement médical global. S’ajoute à cela le problème de l’accès
aux médicaments vu l’insuffisance quantitative de pharmacies et de dépôts de médicaments
en milieu rural (1 dépôt pour 46.000 habitants) (DPRF / MS, 1998).
- La répartition de ce budget entre les divers niveaux de santé est inégale et favorise le
réseau hospitalier au détriment de la santé primaire.
- Le taux de recouvrement des coûts des prestations fournies par les hôpitaux publics est
très faible (moins de 15 %). Le même problème est vécu par les cliniques de la CNSS.
2
Certains centres considérés comme urbains par le recensement légal de la population sont en réalité des
centres ruraux. C’est pour cela que ces ratios doivent être pris avec beaucoup de réserves.
Autres
7%
Ministère de la Santé
29%
Ménages
Coopération internationale 43%
2%
Mutuelles et Assurances
19%
Ces objectifs sont choisis sur la base des besoins minimaux définis à partir de l’analyse des
problèmes de santé ainsi que des ressources potentiellement mobilisables au cours des cinq
prochaines années. Leur atteinte à l’horizon 2003, reste liée à une bonne organisation du
système, aux performances de sa gestion et à une optimisation de l'utilisation de toutes les
ressources disponibles.
Afin d’atteindre ces objectifs, une série de stratégies a été établie. Elles sont choisies en
fonction de leur degré de pertinence et de faisabilité.
Au-delà des résultats standards des Comptes Nationaux de la Santé, notamment les matrices
sur la dépense nationale de santé, sa structure par activité, par source de financement, par type
de dépenses, etc. (RANNAN-ELIYA & BERMAN, 1993 ; BERMAN P., 1996), ces comptes
se doivent de s’intéresser également à quelques aspects particuliers du système national de
santé. En effet, l’énumération de quelques problèmes, des principaux objectifs et des
stratégies de la santé au Maroc permet de préciser des axes prioritaires auxquels il faut porter
une attention bien particulière :
L’enchaînement objectifs-stratégies-axes prioritaires des CNS permet de faire le lien entre les
problèmes qui sous-tendent les réformes, d’une part, et la configuration des CNS comme outil
d’évaluation de ces mêmes réformes mais aussi en tant qu’instrument de diagnostic pour une
meilleure appréhension du problème, d’autre part. A titre illustratif, l’analyse détaillée des
dépenses du MS, en particulier celles liées à la santé maternelle et infantile, contribue
partiellement à l’évaluation des efforts entrepris dans le cadre de la stratégie de renforcement
des programmes SMI (stratégie A) qui a pour but d’atteindre une utilisation efficiente et
efficace des ressources et leur ciblage sur cette priorité, c’est-à-dire la SMI (objectif II), afin
de réduire la mortalité infantile et maternelle.
Stratégies Mettre en place Etendre Renforcer la Revaloriser et Appliquer une Mettre en place Améliorer la
la réforme l’assurance prévention remobiliser les politique des les directions couverture
hospitalière maladie et ressources médicaments régionales des sanitaire et
institutionnali- humaines socialement services de corriger les
ser la prise en efficiente santé iniquités
charge des éco. * régionales
faibles
(D) (C) (A) (G) (E) (F) (B)
Axes CNS Recouvrement Poids de la Financement du Intégration des La pharmacie et Financement du Les iniquités
des coûts par couverture MS: la santé de indicateurs son poids
son poids dans
dans MS: la
MS: la prise
prise en
en liées à la
divers médicale par la mère et de d’activité et de le système
le système charge
charge médicale répartition des
prestataires l’assurance l’enfant performance médicale
des des
éco. faibles ressources et
maladie éco. faibles
dans les des dépenses
dans lespublics
hôpitaux hôp.
(4) publics
(3) (2) (1a) (6) (4) (1b) (5)
* Pour cette stratégie, ce qui prime c’est surtout le renforcement institutionnel des équipes locales par le travail sur les CNS (voir section sur le mise en œuvre)
La figure n° 1 ci-dessus décrit cet enchaînement constitué par les divers liens existant entre
ses composantes, c’est-à-dire les objectifs, les stratégies et les axes prioritaires des CNS.
Une partie de ces indicateurs pourrait ne pas être disponible. Il est possible aussi que les
contraintes matérielles et temporelles ne permettraient pas d’avoir toute l’information
nécessaire sur ces indicateurs. Dans le premier cas, il faut élaborer les comptes avec
l’information disponible tout en précisant qu’il est impératif lors de la préparation des
prochains CNS de mettre en œuvre un mécanisme informationnel pour que le système se prête
à fournir les données manquantes actuellement. Dans le second cas, il est nécessaire de lier le
choix des indicateurs en fonction des priorités du Ministère de la Santé.
Indicateurs
• Dépenses dans les services publics destinées à la SMI (faire autant que possible la
distinction entre ce qui est financé directement par le budget et les activités financées par
la coopération internationale).
• Dépenses des ménages à ce niveau tirées des enquêtes ménages (EDS, ENNVM)
• Dépenses des ONG
Les données hors MS complètent les informations relatives aux dépenses de ce
département. Elles sont nécessaires pour quantifier ce qui est dépensé au niveau national
pour la SMI et pour évaluer la part du MS dans cette dépense.
Il serait important également de séparer la PF des autres activités liées à la SMI en raison
du retrait ultérieur et progressif de l’USAID qui demeure le principal bailleur de fonds de
cette activité.
Par ailleurs, il faut inclure dans les CNS, une matrice supplémentaire relative à la contrepartie
comptable des dépenses des prestataires
Cette matrice (voir tableau n° 2) ne sera pas exactement la transposée de la 2ème matrice du
modèle Harvard sur les flux liant les agents de financement aux prestataires. Il faut voir dans
la configuration de celle-ci un souci de mise en évidence d’éléments que l’on ne retrouve dans
aucune autre. L’apparition dans ce tableau du « Reste à Recouvrer » par exemple est très utile
dans un environnement caractérisé par un taux de recouvrement peu élevé pour de nombreux
prestataires (hôpitaux publics, CHU, polycliniques de la CNSS, …). Pour schématiser, on
peut dire que la 2ème matrice répond à la question adressée aux agents de
financement « combien transférez-vous aux prestataires ? », l’autre répond, quant à elle, à la
question destinée aux prestataires « quelle est la contrepartie comptable de vos dépenses? ».
Cette question est capitale, pourtant elle n’apparaît pas dans le modèle NHA de Harvard.
Pourquoi est-elle importante ? Les CNS sont un outil nécessaire à la planification et à la prise
de décision. Or si ceux-ci passent sous silence d’un problème aussi important, ils ne pourront
point jouer ce rôle convenablement. A titre d’exemple : ce reste à recouvrer permet de
s’intéresser à ce que doit recevoir le prestataire. Si cette rubrique (R à R) est importante dans
la comptabilité de ce prestataire, ceci veut dire que nous touchons à un problème du
financement du système.
Si l’hôpital public ne peut recouvrer une bonne partie de ses recettes potentielles :
- il sera fortement subventionné par l’Etat ;
- il vivra des problèmes d’insuffisances en matière d’équipements, des problèmes de
maintenance, des pénuries des médicaments et d’autres biens médicaux, etc. ;
- il fera participer les ménages dans un cadre a-légal ;
- il ne permettra pas aux personnels d’exercer correctement et/ou à plein temps leur
métier.
Prestataires
Contreparties comptables des CHU Hôp. publics Cliniques Mut. Etc. Total
dépenses
Min. de la Santé
Min. de l’Enseignement Sup.
FAR
Autres Ministères
Assurances
Mutuelles
Ménages
Coopération
ONG
Produits financiers (intérêts)
Autres
Reste à recouvrer
Total
5ème axe prioritaire : Les iniquités liées à la répartition des ressources et des dépenses
• Répartition des dépenses en soins ambulatoires entre les régions et corrélation avec leurs
niveaux socio-économiques.
• Dépenses en soins ambulatoires publics par personne et par utilisateur dans chaque région.
• Part des utilisateurs des services des Centres Hospitaliers Universitaires provenant des
régions hors Casablanca et Rabat.
Si cette donnée est disponible, il sera possible de déterminer, en procédant aux
ajustements nécessaires, les dépenses publiques en soins hospitaliers par individu et par
région.
• Dépenses en soins préventifs publics par personne et par milieu (urbain/rural).
• Dépenses en soins hospitaliers (SEGMA et si c’est possible tous les hôpitaux publics) du
MS au profit des économiquement faibles par région (faire la corrélation avec le niveau
socio-économique de chaque région).
• Dépense de santé par ménage et par niveau socio-économique (enquête ménage).
• Part de la santé dans les dépenses totales des ménages par niveau socio-économique et par
région.
• Utilisation des services publics de soins par niveau socio-économique et par région
(enquête ménages).
Quelques exemples :
• Dépenses hospitalières par lit fonctionnel.
• Dépenses hospitalières par lit occupé.
• Dépenses hospitalières par journée d’hospitalisation.
• Dépenses en consultations externes par consultation.
• Dépenses relatives aux soins ambulatoires curatifs par médecin.
• Dépenses relatives aux soins ambulatoires curatifs par consultation.
• Etc.
Au-delà du lien entre les questions prioritaires, d’une part, et l’envergure ainsi que la
configuration des CNS, d’autre part, ces indicateurs demeurent importants pour l’évaluation
ex post des réformes en cours (développement de la solidarité institutionnalisée et de la
mutualisation du risque maladie, réforme hospitalière du secteur public, etc.) grâce à une
comparaison des résultats entre les comptes en élaboration actuellement et les futurs CNS.
Configuration et
Feed-back : quelques envergure des
réponses, éléments CNS, Période 1 Evaluation
de prise de Comparaison des
décisions… réformes
CNS, Période 2
L’équipe qui a la charge des CNS a proposé aux institutions du système de santé les plus
importantes une sorte de partenariat pour l’élaboration de la partie (des CNS) qui les concerne
individuellement (voir annexe). Elle a opté aussi pour un travail commun avec une province
pilote du Ministère de la Santé afin de l’utiliser comme un « laboratoire d’essai » mais aussi
comme un modèle flexible pour les autres provinces3 . Au-delà des avantages techniques qu’il
offre, ce travail pilote, quels qu’en soient les résultats, permet de renforcer les capacités
institutionnelles des cadres locaux dans la perspective d’une déconcentration progressive et
inéluctable.
Dans les projets de partenariat et celui de la province pilote on retrouve toujours une suite
d’étapes allant du simple au compliqué. A chaque étape un ensemble de supports de collecte
d’information (tableaux) est préparé en fonction des indicateurs fixés auparavant.
L’information qui doit être contenue dans les tableaux de la première étape constitue le niveau
minimal des données à collecter (sources de financement, classification économique des
dépenses par exemple) permettant d’élaborer les matrices suivantes : sources de
financement/agents de financement ; agents de financement/prestataires ; classification
3
Afin de généraliser ces travaux, celles-ci seront invitées à participer à des séminaires régionaux animés par les
responsables de la province pilote et par les membres de l’équipe chargée des CNS.
économique des dépenses des prestataires ; contrepartie comptable des dépenses des
prestataires (recouvrement des coûts).
Durant la deuxième étape, les tableaux évoluent afin d’admettre des éléments d’informations
permettant des analyses plus fines des dépenses (clivages ambulatoire/hospitalier,
soins/enseignement ou recherche, etc.). Ainsi, cette étape cherche essentiellement à effectuer
une classification fonctionnelle non détaillée des dépenses des prestataires.
L’ultime étape se base sur un ensemble de tableaux et de questions pointues déterminées par
les indicateurs de départ afin de compléter l’analyse fonctionnelle de la seconde étape (clivage
soins ambulatoires curatifs/ soins ambulatoires préventifs) et de répondre aux besoins des
axes prioritaires des CNS (iniquité, quantification de la dépense relative à la santé de la mère
et de l’enfant, etc.).
Le projet de travail dans la province pilote est à un stade intermédiaire entre ces deux
dernières étapes.
Le contact, les discussions avec les responsables locaux de la provinces pilote et les
représentants des institutions concernées par les CNS, la consultation des documents existant
au niveau central ainsi que l’absences des études de coûts vont rendre ce travail très difficile.
Mais jusqu’à présentant rien n’indique non plus que la tâche sera impossible.
Conclusion
Les CNS représentent un des outils les plus importants pour la planification et l’aide à la prise
de décision. Toutefois, il est nécessaire de préciser que l’appréhension et l’évaluation des
réformes de santé et du système en général ne peut s’effectuer qu’au travers d’approches
diversifiées admettant des instruments pluridisciplinaires. Les CNS produisent des indicateurs
financiers qui doivent être complétés par d’autres indicateurs (épidémiologiques, socio-
démographiques, d’activité, de performance…) afin d’avoir une vision complète du système
national de santé.
Bibliographie
Annexe
Tableau 3 : Projets de partenariat avec les institutions concernées par les CNS
Par :
M. Driss ZINE EDDINE EL IDRISSI
Tania DMYTRACZENKO