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La couverture médicale

au Maroc (*)

Résumé Zine Eddine El


Dans un contexte caractérisé par la faiblesse des revenus et par la cherté
Idrissi M. Driss
des soins, le taux de recours aux soins au Maroc est en moyenne de 65,5 % Chef de la Division de la
planification et des
(45,1 % seulement pour les plus démunis, qui représentent 20 % de la études au ministère de
population). Ce faible recours aux soins est l’un des facteurs explicatifs de la Santé
la modestie de la dépense globale de santé. Par habitant, celle-ci ne dépasse
pas 56 US$ contre 134 $US en Jordanie, 103 $US en Iran, 118 $US en Tunisie
(*) Ce document est
et 398 $US au Liban. extrait du rapport rédigé
Cette situation est exacerbée par les insuffisances de la couverture par l’auteur pour le
médicale dont témoignent : compte de l’OMS en
– le caractère facultatif de l’assurance maladie qui ne couvre que 16,4% de 2001-2002. Il représente
les idées personnelles de
la population ; l’auteur et n’engage
– les dysfonctionnements majeurs du système de délivrance des certificats aucunement le
d’indigence utilisés dans le cadre de l’assistance médicale dans les hôpitaux Département au sein
publics. Ces dysfonctionnements sont à l’origine d’iniquités dans l’accès duquel celui-ci travaille.
aux services de santé.
Ainsi depuis plus d’une décennie, l’Etat marocain essaie de réformer, sans
y parvenir, le financement de la santé. Après plusieurs péripéties, la
réforme a pris un tournant décisif vers la concrétisation. Le gouvernement
Youssoufi a élaboré un Code de couverture médicale de base qui a été adopté
par le Parlement à la fin de l’été 2002 (Code de couverture médicale
obligatoire de base).
Ce Code se fonde sur deux composantes :
• L’assurance maladie obligatoire (AMO) : elle se généralisera
progressivement à pratiquement toute la population sur une longue période
dont la durée reste indéterminée. Dans une première phase, elle profitera
aux pensionnés et aux employés (ainsi que leurs ayants droit) du secteur
moderne ou formel (personnes inscrites à la Caisse nationale de sécurité
sociale et agents de l’Etat). Elle sera gérée par deux organismes : la CNSS
pour le secteur privé et la CNOPS restructurée pour le secteur public. La
régulation s’effectuera par une Agence nationale d’assurance maladie
(ANAM) qui se chargera également du contrôle et de la supervision du
système. Le financement, quant à lui, sera principalement contributif.
• Le régime d’assistance médicale (RAMED) : est destiné à couvrir les dépenses
occasionnées par les soins des économiquement faibles dans les structures
de soins du ministère de la Santé. Son financement, dont la gestion sera
confiée à l’ANAM, sera essentiellement fiscal. Ce financement serait séparé

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Zine Eddine El Idrissi M. Driss

du budget du Ministère de la Santé contrairement à ce qui se fait


actuellement.
Le Code de couverture médicale de base (AMO et RAMED) constitue sans
aucun doute une avancée importante pour la société et l’économie
marocaine en dépit des faiblesses qu’il recèle. Reste que pour que le Code
soit mis en oeuvre, une action volontariste du gouvernement est nécessaire :
pour surmonter les hésitations des décideurs et des institutions de
représentativité, et pour lever les obstacles dressés par les divers groupes
d’intérêt.

Introduction
Contexte socio-économique
La croissance de l’économie marocaine est sensible aux aléas climatiques
et conjoncturels (pluviométrie, cours des devises influentes, prix des
(1) Les sources de hydrocarbures…). Durant la dernière décennie (1), elle ne fut que de 2 %
données pour cette en moyenne annuelle par habitant, soit à peine plus que l’accroissement
section sont variées :
Direction de la statistique démographique qui a atteint, au cours de la même période, un taux moyen
(différentes années) ; de 1,8 %. Le PIB par habitant n’a pas dépassé 12 300 Dh en 1999, soit
ministère de l’Economie moins de 1 300 $US.
et des Finances
(différentes années) ; Au-delà des aspects conjoncturels et sectoriels, la faiblesse de la croissance
divers rapports de Bank est due, entre autres, à l’insuffisance de l’épargne et de l’investissement.
Al Maghrib et toute la Le poids de la Formation brute de capital fixe (légèrement supérieure à
documentation nationale
sur le plan quinquennal l’Epargne nationale brute) dans le PIB, en quasi-stagnation depuis plusieurs
2000-2004. années, avoisine 22 %.
Cette croissance n’a pas engendré suffisamment d’emplois pour
atténuer les déséquilibres observés sur le marché du travail : entre l’offre
et la demande d’emplois, d’une part, entre les revenus distribués et les besoins
monétaires des ménages pour des fins de consommation, d’autre part.
Ainsi, le taux de chômage a atteint 22 % en 1999 en milieu urbain (il
est difficile à évaluer en milieu rural, en raison du sous-emploi et du caractère
informel du marché). Le taux de pauvreté est passé de 13 % en 1990-1991
à 19% de la population en 1998-1999. Quant au taux de vulnérabilité
(population pauvre ou susceptible de basculer vers la pauvreté à cause d’une
dégradation de la conjoncture économique), il a atteint 42 % de la population
en 1998-1999.
Ce contexte a eu une influence défavorable sur le budget de l’Etat dont
la répartition et l’allocation demeurent statiques et modestement sensibles
aux véritables priorités du pays. L’endettement (interne et externe) n’a fait
qu’aggraver la situation puisque plus du quart des dépenses du Trésor public
est consacré au paiement du service de la dette.
Les soldes extérieurs, quant à eux, connaissent des déficits autant au niveau
de la balance commerciale que celle des paiements. Le taux de couverture
des importations par les exportations demeure en deçà de 70 %, soit un déficit

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La couverture médicale au Maroc

de la balance commerciale de près de 10 % du PIB. Concernant le compte


courant, il dégage un solde négatif moins lourd, en terme de poids par rapport
aux richesses créées, se situant autour de 1 % du PIB.
C’est dans ce contexte macro-économique que s’effectue le financement
du système national de santé qui se caractérise par un effet de ciseaux : d’un
côté les restrictions budgétaires induites par la politique d’austérité et la
stagnation du pouvoir d’achat, de l’autre la hausse des coûts due
essentiellement à la transition démographique et épidémiologique, à
l’avènement de technologies et de traitements nouveaux et coûteux ainsi qu’aux
attentes accrues de la population (Ministère de la Santé/DPRF et DRC, 1999).

Problèmes de santé au Maroc


Les maladies transmissibles, bien qu’en net recul durant la dernière
décennie, représentent toujours une charge relativement importante en terme
d’actions, de prévention et de lutte (Ministère de la Santé/DPRF, 1999).
Quant aux maladies non transmissibles, les accidents et traumatismes, ils
pèsent lourdement sur le système de soins. Une étude réalisée sur la charge
de morbidité globale à partir des causes de décès déclarés de 1992 a estimé
que les années de vie perdues en raison d’un décès prématuré sont causées
principalement par les affections d’origine périnatale, les maladies
infectieuses et parasitaires, les maladies de l’appareil circulatoire, les
traumatismes et les tumeurs malignes (Laaziri M. et Azelmat M., 2000).
En outre, les problèmes posés par la santé de la mère et de l’enfant
demeurent préoccupants en dépit des améliorations constatées depuis
plusieurs années. Des écarts importants subsistent entre les milieux urbain
et rural. Ces écarts peuvent être expliqués en partie par les iniquités de l’offre
et de l’accès aux soins qui demeurent très manifestes (tableau 1).

Tableau 1
Quelques indicateurs de santé (1997)

Indicateurs Urbain Rural National


Quotient de mortalité infanto-juvénile 29,9 61,1 45,8
(pour mille) (1)
Quotient de mortalité néonatale (pour mille) (1) 15,1 22,1 19,7
Taux de mortalité maternelle, pour 100 000 125,0 307,0 228,0
naissances vivantes (1)
Espérance de vie à la naissance (2) 72,2 65,9 68,8
Espérance de vie corrigée de l’incapacité (3) 59,1

(1) Ministère de la Santé (1998), Enquête nationale sur la santé de la mère et de l’enfant, Rabat.
(2) Direction de la statistique (non daté), Profil socio–démographique de la population marocaine,
Rabat.
(3) OMS (2000), Rapport sur la santé dans le monde, Genève.

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La difficulté d’accès de la population rurale aux soins constitue une


insuffisance majeure du système. En 1996, près de 31 % de cette population
se trouve à plus de 10 kilomètres d’un établissement de santé. La population
éloignée est censée être couverte par un système mobile qui a été mis en
place pour compléter la couverture par le mode fixe. Cependant, les
performances de ce mode mobile en terme de couverture et de contribution
à l’offre de soins sont faibles.
De surcroît, la population rurale accède plus difficilement aux soins
hospitaliers, le quart seulement des nuitées de l’hôpital public est consommé
par celle-ci. Cette situation est due en partie au faible développement des
petits hôpitaux intermédiaires type Polyclinique de santé publique. Le
problème d’accès est d’autant plus aigu que le MS est pratiquement le seul
prestataire de soins présent en milieu rural. En effet, l’encadrement par les
cabinets de consultation privés montre un fossé entre l’urbain et le rural
(2) Certains centres (1 cabinet pour 95 418 habitants en rural contre 1 pour 4 354 en urbain) (2).
considérés comme S’ajoute à cela le problème de l’accès aux médicaments vu l’insuffisance
urbains par le
recensement de la quantitative de pharmacies et de dépôts de médicaments en milieu rural
population sont en réalité (1 dépôt pour 46 000 habitants) (Ministère de la Santé/DPRF, 1999).
des centres ruraux. C’est Le niveau de la charge de morbidité est élevé. Ainsi, pour l’espérance
pour cela que ces ratios
doivent être pris avec de vie corrigée de l’incapacité, le dernier rapport de l’OMS (OMS, 2000)
beaucoup de réserves. classe le Maroc à la 110e place (sur un total de 191 pays). Ce rang passe à
111 lorsqu’il s’agit d’inégalité en matière de santé mesurée par les différences
entre les classes de revenus, entre les ruraux et les citadins…
Par ailleurs, ce rapport juge sévèrement la réactivité du système national
de santé, considérée comme faible. Ce qui classe le Maroc à la 152e place
(sur 191). Les raisons d’un tel classement sont multiples. Cependant, il est
important d’en citer deux :
– une extrême complexité du système national de santé qui se
caractérise par une multitude d’intervenants (voir tableau 2) sans
coordination et harmonisation de leurs activités ;
– un financement quantitativement faible et fragmenté.

Problématique du financement de la santé


Dans un pays dont le revenu moyen est réduit (le PIB per capita est
inférieur à 1 300 US$) et où le taux de pauvreté atteint 19 % de la population
et le taux de vulnérabilité économique 42 %, les coûts liés à la santé
constituent des obstacles majeurs au recours aux soins et à l’accès économique
aux médicaments. Cette situation est aggravée par la modestie de la solidarité
institutionnalisée et de la mutualisation du risque maladie à cause, d’une
part, des dysfonctionnements du système des certificats d’indigence utilisés
dans le cadre non institutionnalisé de l’assistance médicale, et d’autre part,
de la faiblesse de l’assurance maladie facultative qui couvre 16,4 % de la
population totale.

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La couverture médicale au Maroc

Dans ce qui suit, après un rappel sur les caractéristiques du financement


des services de santé (chapitre préliminaire), seront développés (chapitre
premier), la situation présente de la couverture médicale au Maroc, puis
(chapitre deux), les grandes lignes du Code de couverture médicale de base
ainsi que l’inventaire des défis qui devront être relevés.

Tableau 2
Système de soins et de prévention au Maroc

Secteurs Prestataires Capacité/nombre Activités principales


Public :
Min. Santé • Réseau de soins de santé de • Nombre d’établissements • Soins ambulatoires
base (RSSB) : de SSB : 2 396 curatifs et préventifs +
équipes mobiles, dispensaires, centres • Nombre de médecins : 3 144 prévention sanitaire
de santé, structures d’appui, hôpitaux • Nombre de paramédicaux : collective.
locaux… 9 856
• Réseau hospitalier :
polycliniques de Santé publique, • Nombre d’hôpitaux : 120 • Soins hospitaliers
hôpitaux mono-spécialisés, centres • Nombre de lits : 25 571 complets et partiels +
hospitaliers semi-autonomes • Nombre de médecins : 4 619 recherche + formation.
– SEGMA – centres hospitaliers • Nombre de paramédicaux :
universitaires. 13 608
Min. Défense • Instituts et laboratoires nationaux. • Prévention, recherche
• Etablissements des Forces armées …………………………… et expertise.
Autres royales. Soins hosp. et amb. +
départements • Unités spécialisées dans : formation
– la prévention sanitaire collective,
– le transport des accidentés et des
malades,
– la médecine pénitentiaire…
• Bureaux municipaux d’hygiène
(BMH).
Collectivités • Nombre de médecins des • Prévention sanitaire
locales BMH : 327 collective
Privé à but non • Cliniques et cabinets des mutuelles. • Nombre total (sans CRM ni • Soins ambulatoires et
lucratif • Cliniques de la CNSS. ligues et fondations) : 27 hospitaliers
• Etablissements des offices. • Nombre de lits : 1 729
• Etablissements du Croissant rouge
marocain.
• Etablissements des ligues et
fondations.
Privé à but • Cabinets libéraux : • Nombre de cabinets • Soins de ville
lucratif – soins médicaux, libéraux : 5 752 (ambulatoire)
– soins dentaires,
– soins paramédicaux.
• Laboratoires. • Nbre de laboratoires : 307 • Analyses de laboratoires
• Cliniques privées. • Nbre de cliniques privées : • Soins hospitaliers
229 (4 845 lits)
• Pharmacies. • Nbre de pharmacies et de • Médicaments et autres
• Fournisseurs d’autres biens médicaux. dépôts : 5 238 biens médicaux
• Cabinets de radiologie. • Nombre de cabinets de • Examens et analyses de
radiologie : 180 radiologie
Source : Ministère de la Santé/Service de la carte sanitaire-DPRF (2002), Données de routines, janvier.

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 35


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1. Le financement de la santé au Maroc : faits saillants


1.1. Faible niveau de la dépense de santé et cherté des soins
La dépense globale de santé (toutes les dépenses du système de santé)
a atteint un peu plus de 15 milliards de Dh en 1997-1998. C’est-à-dire
près de 550 Dh par habitant (56 $US au taux de change courant en 1997-
1998 ou 135 $US en termes de parité de pouvoir d’achat). Elle représente
à peine 4,5 % du PIB. Ce qui constitue un décalage assez important par
rapport à des pays de la région (tableau 3).

Tableau 3
Niveau de la dépense globale de santé : comparaisons avec des pays à
développement économique similaire (1997-1998)

Dépense de santé Dépenses de santé


PIB per capita
Pays per capita en $US par rapport au PIB
en $US (1998)
(au taux de change courant) (en %)
Maroc 1 260 56 4,5
Jordanie 1 520 134 9,4
Iran 1 780 103 5,8
Tunisie 2 110 118 5,6
Liban 2 660 398 9,8

Sources : Présentations nationales à l’Atelier régional (MENA) sur les comptes nationaux de la santé, Amman,
mai 2000.

Le niveau de la consommation médicale (dépenses relatives uniquement


aux soins, aux médicaments et aux dispositifs médicaux) a atteint, quant
à lui, près de 13,5 milliards de Dh durant la même période, soit moins de
500 Dh par habitant et par an. Etant donné que celle-ci est égale à la somme
des produits entre des prix et des quantités correspondantes, elle est faible
si les prix et/ou les quantités le sont. Or, en examinant les prix en termes
relatifs par rapport aux revenus et au PIB, on découvre des ratios très élevés.
A titre illustratif :
– le coût moyen d’une ordonnance médicale atteint près de 250 Dh,
soit l’équivalent de quatre journées de travail rémunérées au salaire
minimum (SMIG) ou 2 % du PIB per capita ;
– une consultation chez un médecin spécialiste coûte en moyenne
150 Dh, soit l’équivalent de deux journées et demi de travail rémunéré
au SMIG ou 1,2 % du PIB per capita.
Ce qui signifie que c’est plutôt le recours aux soins qui est faible et non
les prix. Ainsi, le taux de consultation des personnes déclarées malades s’établit,
selon l’ENNVM 1998-1999, à 65,5 %. Plus du tiers de la population malade
s’abstient de se faire soigner. Une analyse plus poussée permet de soulever

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La couverture médicale au Maroc

des écarts importants entre les différentes strates de la population. En effet,


la demande insatisfaite est de 2,4 fois plus élevée chez les malades les plus
pauvres (54,9 %) que chez les plus riches (23,1 %).

Tableau 4
Le non-recours aux soins selon le milieu de résidence,
le niveau de vie et la couverture médicale (1998-1999)

Milieu Niveau de vie Couverture


de résidence (Quintiles de dépenses) médicale
1er quintile 5e quintile
2e 3e 4e Non
Urbain Rural (20 % les plus (20 % les plus Couverts
quintile quintile quintile couverts
pauvres) riches)

Taux de 28,63 44,01 54,93 46,16 35,3 29,34 23,06 21,67 37,26
non recours

Sources : Direction de la statistique (2000), ENNVM (1998-1999), ministère de la Santé (2001), Comptes nationaux de la santé au Maroc
1997-1998.

1.2. Financement collectif de la santé insuffisant


La part la plus importante des dépenses de santé demeure celle des
paiements directs des ménages (54 %) ; le financement collectif de la santé
à travers des mécanismes solidaires (au sens large) ne concerne que 41 %
de la dépense globale de santé (3). Les coûts du système de santé marocain (3) Même aux Etats-Unis,
ne sont donc pas répartis selon les capacités de paiement des individus à le système le plus libéral
au monde où 41 millions
travers un mécanisme de mutualisation du risque ou de solidarité nationale de personnes ne sont pas
mais plutôt en fonction du risque maladie supporté essentiellement pas les couvertes, près de 46 %
paiements directs des ménages (4). Ce type de financement fragmenté des sources de
financement sont publics
engendre, par ailleurs, des difficultés de contrôle, de régulation et de maîtrise (budget santé, medicaid
du système national de santé. et medicare). La
couverture médicale
privée assure près de
31 % du financement du
système. D’où un
financement collectif
total de la santé de 77 %.
(4) Au chapitre sur
« l’équité de la
contribution financière
aux systèmes de santé »,
le Maroc est mal classé
(126e rang) par l’OMS.

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Tableau 5
Sources par nature du financement (1997-1998)

En dirhams courants En %

Ressources fiscales (Budget) 3 553 201 234 23,61 %


Collectivités locales 155 086 124 1,03 %
Contributions au financement Total 2 467 579 123 16,40 %
de la couverture médicale
Ménage 849 775 496 5,65 %
Etat 410 575 399 2,73 %
Entreprises publiques 577 275 686 3,84 %
Entreprises privées 325 108 500 2,16 %
Collectivités Locales 32 975 000 0,22 %
Autre 271 869 041 1,81 %
Ménages : paiement direct 8 075 631 490 53,66 %
Employeurs (entreprises 538 640 640 3,58 %
publiques et privées)
Coopération internationale 153 981 375 1,02 %
Autres 104 717 605 0,70 %
Total 15 048 837 591 100,00 %

Source : Ministère de la Santé (2001).

1.3. Une répartition des ressources incompatible avec les priorités et


les besoins essentiels de santé
Le système national de santé consacre plus de 37 % de ses ressources à
l’achat de médicaments et biens médicaux en tant que bien de
consommation finale par le patient et non pas en tant qu’intrant utilisé
par les professionnels de santé dans le cadre des soins (il existe d’autres
dépenses en médicaments qui sont comprises dans les soins hospitaliers et
ambulatoires).
Les soins ambulatoires représentent près de 31 % des dépenses du système
national de santé alors que les soins hospitaliers n’en constituent que 20 % ;
il est à noter que les examens et consultations externes ainsi que les urgences
sont considérés comme des soins ambulatoires. Si on intègre ces prestations
aux soins hospitaliers, les poids respectifs des deux types de soins se
trouveraient inversés (20 % pour les soins ambulatoires et 31 % pour les
soins hospitaliers).
Le poids de l’encadrement du système via son administration ne dépasse
pas 7 %.

38 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

Une part infime des dépenses (1 %) est consacrée à la formation, à la


recherche et à l’enseignement (le même pourcentage que la médecine
traditionnelle). En enlevant les salaires payés par le ministère de
l’Enseignement supérieur aux enseignants pratiquant dans les CHU et les
dépenses des Instituts de formation des paramédicaux (IFCS, ministère de
la Santé), il ne resterait qu’un montant négligeable (0,1 %).
La prévention sanitaire collective, quant à elle, ne bénéficie que de 3 %
des ressources mobilisées par le système de santé.
D’une manière générale, le système national de santé, où coexistent
de multiples intervenants, est complexe. Son financement est très
fragmenté, et sa répartition est inéquitable. Le paiement direct par les
ménages (net de remboursements des assurances et mutuelles) constitue
la source de financement principale du système alors que le financement
collectif (fiscal et contributif ) ne dépasse guère 41% du financement global
(25 % pour la fiscalité et 16 % pour le système contributif c’est-à-dire
l’assurance maladie). Cette situation n’est pas adaptée au financement d’un
secteur où les dépenses des individus sont, en général, imprévisibles. Des
milliers de familles s’endettent lourdement afin de pouvoir offrir les soins
nécessaires à leurs membres souffrant de maladie (s) chronique (s). Bien
évidemment, la situation de la population la plus pauvre est parfois
dramatique.
La dépense globale de santé est faible dans un contexte caractérisé,
d’une part, par la cherté des soins et des biens médicaux par rapport à
un pouvoir d’achat limité et stagnant et, d’autre part, par la faiblesse de
la couverture par l’assurance-maladie qui concerne 16,4 % de la population
seulement.
Les ressources mobilisées par le système national de santé sont consacrées,
pour une grande part, aux médicaments. Le poids, assez faible, des soins
ambulatoires est exacerbé par l’indigence de celui de la prévention sanitaire
collective, alors que les attentes à ce niveau sont élevées.

2. La couverture médicale au Maroc


Au Maroc, la solidarité institutionnalisée dans le domaine de la couverture
médicale est faible. En effet, l’assurance maladie est facultative : elle ne couvre
que 16,4 % de la population marocaine, dont l’écrasante majorité est citadine ;
plus des deux tiers de la population couverte sont des agents de l’Etat ou
assimilés ainsi que leurs ayants droit. Par ailleurs, la prise en charge médicale
des pauvres n’est pas institutionnalisée. Le système actuel des certificats
d’indigence pour des soins “gratuits” à l’hôpital est inéquitable et inefficient.
Ce chapitre se compose de deux sections : la première est consacrée à
l’assurance-maladie et la seconde au système de certificats d’indigence utilisés
dans le cadre de la prise en charge médicale gratuite des indigents dans les
hôpitaux du ministère de la Santé.

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 39


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2.1. L’assurance-maladie au Maroc


2.1.1. Bref historique
L’assurance-maladie est gérée par quatre types de régimes (voir point
1.2).
La CNSS, quant à elle, n’admet pas l’assurance-maladie dans son paquet
de prestations sociales. Elle se contente d’offrir, depuis 1981, une “aide
sanitaire familiale” forfaitaire, de faible valeur et non indexée aux dépenses,
pour les familles des adhérents, sur présentation d’un dossier médical.
Historique de la mutualité
Les premières créations de sociétés de secours mutuels par les
fonctionnaires français remontent aux premières années du protectorat (entre
1912 et la Première Guerre mondiale). Vu les effectifs réduits de leurs
adhérents, ces sociétés avaient beaucoup de problèmes financiers et
n’arrivaient pas à offrir des prestations satisfaisantes. C’est ce qui amena
l’administration à encourager leur regroupement dès la fin de la Première
Guerre mondiale (Guedira N., 1992 ; Samahi F., 1982). Ainsi, cinq mutuelles
furent créées :
– la Société fraternelle de secours mutuels et orphelinats du personnel
de la Sûreté nationale en 1919 ;
– la Mutuelle des douanes et impôts indirects au Maroc en 1928 ;
– la Mutuelle OMFAM en 1944 ;
– la MGPAPM en 1946 ;
– la Mutuelle des PTT en 1946.
L’OMFAM et la MGPAPM sont des mutuelles à caractère général, c’est-
à-dire qu’elles acceptent l’adhésion de toute personne ayant le statut de
fonctionnaire, d’agent de l’Etat ou un statut assimilé, quelle que soit
l’institution qui l’emploie.
Après la Seconde Guerre mondiale, ces mutuelles créèrent un comité
de coordination afin de demander aux autorités l’application au Maroc du
régime institué en France en 1945 et l’élaboration d’un statut de la mutualité.
Ce processus allait déboucher sur la création, en 1950, d’une fédération
qui allait prendre le nom de Caisse marocaine des organismes de prévoyance
sociale du personnel des administrations et services publics (CNOPS). Après
l’indépendance (1956), la Direction des mutuelles de cette fédération allait
être progressivement marocanisée (Guédira N., 1992).
Quelques années après, en 1963, un texte organisant la Mutualité au
Maroc verra le jour : dahir n° 1-57-187 du 24 joumada II (12 novembre
(5) L’article 1 du texte 1963) portant statut de la mutualité (5).
précise que les sociétés Comme annoncé ci-dessus, le secteur mutualiste marocain se compose
mutualistes sont des
groupements à but non de trois types d’institutions. Il s’agit notamment de :
lucratif qui mènent, dans – la CNOPS, fédération composée à sa création, en 1950, de 5 sociétés,
l'intérêt de leurs membres aujourd’hui au nombre de neuf en comptant celle des FAR ;

40 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

– la CMIM (Caisse mutualiste interprofessionnelle marocaine) créée et de leurs familles, une


action de prévoyance, de
en 1977 et ayant pris en charge les activités auparavant assurées par la solidarité et d'entraide
CIPC ; tendant à la couverture
– les mutuelles des entreprises et établissements publics sur lesquelles des risques pouvant
atteindre la personne
l’information est imparfaite voire inexistante. (A notre connaissance, en humaine (maladie-
dehors des travaux sur les comptes nationaux de la santé (voir ci-dessous) maternité, vieillesse,
qui ont fourni une estimation de la population concernée et les prestations accidents, invalidité et
décès...). Elles peuvent
fournies par ces mutuelles, il n’existe pas de travaux sur ce volet de la
également signer des
mutualité au Maroc.) conventions avec les
professionnels de santé
Evolution de l’assurance-maladie offerte par les compagnies d’assurance ou avec leurs
privées organisations
professionnelles.
Les premières données, assez évasives, remontent au début des années
quatre-vingt (MS/Icône-Sedes, 1989). D’après ces estimations, près de
310 000 personnes étaient couvertes par les assurances privées. Ce nombre
a peu évolué pour passer à 380 000 à la fin de la même décennie. Aujourd’hui,
elles assurent un peu plus de 800 000 individus sur un total de 4,5 millions
de personnes couvertes par l’un des régimes d’assurance-maladie facultatifs
cités ci-dessus, soit 18 %.
2.1.2. Population couverte par l’assurance-maladie
La couverture médicale est assurée par plusieurs régimes dont la gestion
incombe à diverses institutions :
• Les mutuelles des agents publics et assimilés au nombre de neuf
(Forces armées royales (6), Poste, Enseignement, Administration centrale, (6) La Mutuelle des FAR
s’est retirée récemment de
Collectivités locales, Forces auxiliaires, Police, Office d’exploitation des
la fédération.
ports, Douanes), sont chapeautées par la Caisse nationale des organismes
de prévoyance sociale (CNOPS) qui gère pour leur compte l’assurance-
maladie du secteur commun (elle s’occupe également de la perception des
cotisations des employeurs, du tiers-payant, des œuvres sociales, de la
signature des conventions avec les prestataires de soins…). Ces mutuelles
couvrent les salariés et les retraités ainsi que leurs ayants droit. Le taux
de couverture des prestations assurées est assez élevé. Cependant, des
distorsions entre les tarifs de responsabilité et les prix du marché font que
ces mutuelles couvrent 50 %, en moyenne du coût réel des prestations
prises en charge.
Le financement de cette prise en charge s’effectue essentiellement par
des cotisations : près de 6 % pour les actifs (2,5 % à la charge des salariés)
et 1,7 % pour les retraités.
• Les mutuelles internes (régimes internes) sont des assurances-maladie
gérées par des établissements et entreprises publics (OCP, ONCF, CNSS,
RAM, Régie des tabacs, Bank Al Maghrib, Banque populaire…) au profit
de leurs employés. Les cotisations varient d’un établissement à l’autre ; en
général, la part patronale dépasse celle des salariés. Il arrive parfois que ces

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 41


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

derniers ne cotisent aucunement (cas des employés actifs de l’OCP). Les


taux de remboursement varient également. D’une manière générale, la
couverture est beaucoup plus généreuse que celle des mutuelles du secteur
public.
• La Caisse mutualiste interprofessionnelle marocaine (CMIM) couvre
essentiellement des employés de 256 entreprises travaillant dans les secteurs
des banques et des hydrocarbures. Les cotisations sont partagées à parts
égales entre les employeurs et les employés. La couverture des prestations
assurées est élevée (la plus importante au niveau national).
• Les compagnies d’assurance privées couvrent les employés de quelques
entreprises privées (un peu plus de 3 000 unités). Cette couverture s’effectue
dans le cadre d’une assurance-maladie de groupe contractée par les
entreprises. Les primes, variant selon la couverture choisie, sont déterminées
soit en pourcentage de la masse salariale soit selon des taux forfaitaires. En
général, la part patronale est similaire à celle des employés. Les taux de
remboursement des prestations assurées se situent entre ceux des mutuelles
du secteur public et ceux des mutuelles des entreprises publiques et privées
(CMIM).

Tableau 6
Taille de la population couverte par les divers
régimes facultatifs d’assurance-maladie (1997-1998)

Institutions Adhérants Ayants droit Bénéficiaires Parts en %


CNOPS 996 000 2 099 900 3 095 900 68,6
CMIM 18 800 41 200 60 000 1,3
Régimes internes 120 000 424 000 544 000 12,0
Compagnies 234 300 580 800 815 100 18,1
d’assurance
Total 1 369 100 3 145 900 4 515 000 100,00

Source : Ministère de la Santé (2001).

2.1.3. Ressources et dépenses de l’assurance-maladie

Hormis la CMIM dont les ressources par bénéficiaire atteignent 1 732 Dh


par an (contre 307 pour la CNOPS, 1 102 Dh pour les régimes internes
et 670 pour les compagnies d’assurance), tous les autres régimes sont
déficitaires (voir tableau 7). L’équilibre financier de la CNOPS est seulement
artificiel. En raison de problèmes techniques rencontrés pour déterminer
les dépenses effectives de la Caisse surtout en terme de remboursements
durant l’année de l’étude, on a estimé que les remboursements se font en
fonction du recouvrement des recettes. En réalité, la CNOPS vit un déficit
chronique qui l’empêche d’honorer ses engagements dans des délais assez

42 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

courts. Les dettes vis-à-vis du secteur public et des prestataires privés sont
très élevées (quelques centaines de millions de Dh), et les remboursements
des adhérents s’étalent sur plusieurs mois, voire plus d’une année.
Les régimes internes connaissent un léger décalage entre les ressources
et les dépenses qui est en général couvert par un apport supplémentaire de
l’employeur.
Les compagnies d’assurance ont des ressources qui atteignent à peine
71 % de la totalité de leurs charges. Ces pertes réalisées sur le produit
“assurance-maladie” sont compensées par les résultats positifs réalisés sur
les autres produits (accidents de travail et maladies professionnelles,
assurances dommages…) qui font partie du package que les compagnies
d’assurance proposent à leurs clients. En fait, l’assurance maladie joue le
rôle de produit d’appel pour ce secteur.

Tableau 7
Ressources et charges des régimes facultatifs d’assurance maladie (1997-1998)

Charges Ressources Prestations Charges


Ressources en Dh par par totales par
Institutions
en Dh bénéficiaire bénéficiaire bénéficiaire
Prestations Adminis. Total
CNOPS* 950 794 000 907 919 000 42 875 000 950 794 000 307 293 307
CMIM 103 949 000 97 313 000 6 178 000 103 491 000 1 732 1 622 1 725
Régimes 599 344 683 604 418 090 9 251 576 613 669 666 1 102 1 111 1 128
internes
Compagnies 546 410 000 663 662 058 109 282 000 772 944 058 670 814 948
d’assurance
Total 2 200 497 683 2 273 312 148 167 586 576 2 440 898 724 487 504 541

* L’équilibre financier de la CNOPS est artificiel.


Source : Ministère de la Santé (2001).

2.1.4. Charges de l’assurance maladie

Seront analysés dans ce point les paiements effectués par les divers régimes
d’assurance-maladie facultative dans le cadre du système du tiers payant ainsi
que la structure des charges totales de ces régimes en dehors des dépenses
administratives. Ces charges se composent des paiements directs (tiers-payant)
et des remboursements des adhérents.
Les paiements directs des prestataires (tiers-payant)

Dans le cadre du système du tiers-payant, ce sont les établissements


hospitaliers privés qui bénéficient des flux les plus importants (près des deux
tiers) ; les cliniques privées reçoivent près de 51 % de l’ensemble des paiements.
En dépit de la faible participation de la CNOPS, la part des cabinets
privés est assez importante. Il s’agit surtout des cabinets de radiologie et

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 43


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

des laboratoires d’analyses qui signent des conventions avec les différents
régimes d’assurance-maladie.
Les hôpitaux publics, quant à eux, bénéficient à peine de 6,2 % de
l’ensemble des paiements directs des organismes gestionnaires des divers
régimes d’assurance-maladie.

Tableau 8
Paiements des prestataires dans le cadre du système du tiers-payant (1997-1998)

Montants en Dh
Prestataires %
CNOPS CMIM Rég. Inter. Ass. Priv. Ensemble
Hôpitaux publics 48 321 600 0 3 070 265 1 144 740 52 536 605 6,2 %
CHU 36 967 600 0 N.D. N.D.
Autres hôpitaux 11 354 000 0 N.D. N.D.
Instituts et laboratoires N.D. N.D. 3 936 N.D. 3 936 0,0 %
nationaux
Polycliniques de la CNSS 473 100 1 686 946 40 009 873 20 469 697 62 639 615 7,4 %
Cliniques et cabinets 62 805 100 1 825 000 13 248 0 64 643 348 7,6 %
des mutuelles
Cliniques privées et 255 259 800 16 871 054 72 582 923 85 031 805 429 745 582 50,7 %
assimilées
Cabinets privés 26 092 500 11 775 000 50 887 546 59 347 182 148 102 228 17,5 %
(yc radiologie et labo)
Autres prestataires 77 994 800 0 11 144 078 0 89 138 878 10,5 %
Total 470 946 900 32 158 000 177 711 869 165 993 424 846 810 193 100,0 %

N.D. : le système d’information des institutions concernées ne permet pas de préciser les paiements effectués au profit des instituts et
laboratoires nationaux et ne fait pas de distinction entre les CHU et les autres hôpitaux du ministère de la Santé.
Source : Ministère de la Santé (2001).

Les priorités de chaque régime et ses propres conventions avec les


prestataires déterminent la part des prestataires dans les paiements directs
de ce régime :
– La CNOPS a peu de conventions avec les cabinets privés (5,5 %).
Ses paiements vont principalement aux cliniques privées (54,2 %) et dans
une moindre mesure aux cliniques et cabinets des mutuelles (13,3 %) et
aux hôpitaux publics (10,3 % dont 7,8 % aux CHU et 2,4 % aux autres
hôpitaux du MS).
– Les autres régimes donnent plus d’importance aux soins ambulatoires.
La part des cabinets privés va de 28,6 % (régimes internes) à 36,6 % (CMIM
et compagnies d’assurance). La part de l’hôpital public est très négligeable,
voire nulle (la CMIM n’a pas de conventions avec les hôpitaux publics).
– Les ressources de la couverture médicale (2,44 milliards de Dh) profitent
essentiellement au secteur pharmaceutique (31 %) et au secteur de soins

44 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

privé (30 % pour les cliniques privées, 17 % pour les cabinets privés et 6 %
pour les cliniques et cabinets mutualistes). Un peu moins de 7 % sont
consacrés à l’administration des mutuelles et des compagnies d’assurance
Les hôpitaux publics, qui représentent plus de 80 % de la capacité litière
nationale, bénéficient, quant à eux, de moins de 5 % de ces ressources.

Graphique 1
Parts des prestataires du tiers-payant (1997-1998)

100 %

90 %

80 %

70 %

60 % Autres prestataires
Cabinets privés (y compris
50 % laboratoires et radio)

Cliniques privées
40 %
Cabinets et cliniques mutualistes
30 %
Polycliniques CNSS

20 % Hôpitaux publics

10 %

0%
CNOPS CMIM Rég. internes Assur. priv. Ensemble

Source : Ministère de la Santé (2001).

Niveaux des prestations couvertes par les différents régimes d’assurance-maladie


facultative

La part des médicaments et des biens médicaux dans les charges totales
(hors administration) de la couverture médicale atteint près de 32 %. Ils
sont suivis de l’hospitalisation dont le poids est équivalent à 29 % de ces
charges. Les soins et prestations ambulatoires atteignent ensemble 39 % :
15,7 % pour les consultations ; 12,1 % pour les analyses et examens des
cabinets de radiologie et des laboratoires d’analyses médicales ; 11,2 % pour
les soins dentaires.
A l’exception du poste “pharmacie” et biens médicaux qui représente
au moins le quart des dépenses pour tous les régimes, la part des autres

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 45


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

prestations varie selon l’organisme gestionnaire. La CNOPS (et mutuelles


du secteur public) et les régimes internes consacrent une bonne partie de
leurs dépenses à l’hospitalisation (respectivement 37,8 % et 33,2 %). Par
contre, la part la plus importante dans les dépenses des compagnies
d’assurance (en dehors de la pharmacie et des biens médicaux) va aux soins
dentaires avec 29,6 % de ces dépenses. Par ailleurs, on peut noter le poids
exceptionnellement élevé du poste radiologie et analyses médicales dans
les dépenses des régimes internes (25,6 %).

Tableau 9
Montants des charges (tiers-payant et remboursements)
supportées par les régimes d’assurance-maladie facultative (1997-1998)

Catégories de Montants en Dh
%
prestations CNOPS CMIM Rég. Inter. Assur. Priv. Ensemble
Consultations et autres 195 202 585 12 644 851 56 652 209 92 406 423 356 906 068 15,7%
actes ambulatoires
Hospitalisation 343 193 382 20 241 104 200 635 590 95 370 974 659 441 050 29,0%
Soins dentaires 32 412 708 7 979 666 18 550 383 196 575 696 255 518 454 11,2%
Médicaments 267 836 105 37 173 566 147 434 062 166 001 325 618 445 058 27,2%
Biens médicaux hors 21 790 056 8 563 544 26 017 776 50 110 006 106 481 381 4,7%
médicaments
Radio et analyses 46 303 869 10 704 430 155 008 352 63 144 472 275 161 123 12,1%
Autres 1 180 295 5 839 119 718 53 163 1 359 015 0,1%
Total 907 919 000 97 313 000 604 418 090 663 662 058 2 273 312 148 100,0%

Source : Ministère de la Santé (2001).

2.1.5. Problème d’encadrement institutionnel

Les régimes facultatifs d’assurance-maladie sont sous la tutelle directe


ou indirecte de plusieurs départements. Cependant, aucun ministère n’a
un droit de regard complet sur toutes les institutions qui gèrent ces régimes
et particulièrement sur “l’assurance maladie” séparée des autres prestations
qu’elles offrent. Par voie de conséquence, la régulation se fait par le marché
où sévit une sélection sévère des personnes à assurer (particulièrement de
la part des compagnies d’assurance privées), le parasitisme, la sélection adverse
et le non-contrôle de l’évolution de la consommation médicale et de sa
structure (en dehors du mécanisme d’exclusion des mauvais risques…).

46 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

Graphique 2
Prestations couvertes par les différents régimes
d’assurance-maladie facultative (1997-1998)

100 %

80 %

60 % Radio et analyses

Médicaments et biens médicaux

Dentaire
40 %

Hospitalisation

Consultations
20 %

0%
CNOP CMI Rég. interne Assu . priv. Ensemble

Source : Ministère de la Santé (2001).

2.2. La prise en charge médicale des pauvres


Les indigents sont, en général, pris en charge gratuitement dans les
hôpitaux du ministère de la Santé. Aucun texte n’institutionnalise cette prise
en charge qui se pratique selon des décisions administratives de routine
ayant la vie longue même si elles sont décriées par tout un chacun.
2.2.1. Le système des certificats d’indigence
Chaque citoyen marocain désirant se faire soigner gratuitement à l’hôpital
public peut demander un certificat d’indigence auprès des autorités locales.
Ce certificat n’est délivré, en principe, qu’aux personnes ayant une capacité
contributive faible.
2.2.2. Les principaux inconvénients du système des certificats d’indigence
Les faiblesses de ce système sont nombreuses. C’est ainsi que :
– Les critères d’éligibilité ne sont pas standardisés et demeurent subjectifs.
L’attribution du certificat dépend des responsables locaux.
– La lourde bureaucratie empêche les pauvres d’obtenir rapidement leur
certificat d’indigence. Une fois ce certificat obtenu, il ne peut servir qu’une
seule fois. Si le bénéficiaire a besoin de deux services différents dans deux
structures séparées, il doit faire prévaloir à chaque fois son éligibilité à la
prise en charge gratuite par un certificat original.

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 47


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

– Accès difficile aux soins. Les personnes bénéficiaires du certificat


d’indigence subissent les longs délais de rendez-vous, particulièrement pour
des services rares et/ou très demandés.
– Non séparation entre le budget des hôpitaux et l’enveloppe consacrée
à la prise en charge médicale des indigents. Cette situation engendre un
manque à gagner pour l’hôpital et crée un certain flou autour de son budget
qui ne peut être négocié dans de bonnes conditions avec le ministère des
Finances. Par conséquent, l’hôpital devant garantir des prestations de soins
fait office également d’institution d’assistance sans les moyens adéquats pour
le faire et sans qu’on ne lui reconnaisse cette fonction.
– L’administration qui délivre les certificats, qui sont autant d’autorisations
de soins, n’est pas responsable du financement de ces soins pour lesquels elle
fait engager les dépenses d’un autre département.

3. Projets de réforme du financement de la santé au Maroc


En 1989-1990, le ministère de la Santé réalise la première étude
d’envergure sur le financement de la santé qui a notamment recommandé
l’extension de l’assurance-maladie, son obligation ainsi que la mise en place
d’un Fonds national de l’assistance médicale (FNAM) destiné à la population
démunie.
Ainsi, durant la période 1990-1995, plusieurs avant-projets de loi relatifs
à l’obligation de l’assurance-maladie ont été élaborés, de nombreuses études
et expertises sur les mécanismes de financement à instaurer ont été réalisées,
et un projet de prise en charge des indigents à travers le FNAM a été
préparé.
A la fin de cette période, c’est-à-dire en 1995, le Conseil du gouvernement
a approuvé un projet de loi instaurant l’assurance-maladie obligatoire (AMO),
mais a différé le projet FNAM. Toutefois, le projet d’AMO ne fut jamais
examiné en conseil des ministres, d’autant que les experts nationaux de la
(7) Protocole d'accord commission de la couverture médicale issue du dialogue social (7), et les experts
signé le 2 août 1996 entre internationaux ont émis les critiques résumées ci-après :
le gouvernement, les
syndicats et le patronat. – solidarité non élargie (couverture non généralisée : exclusion de
Le ministère de la Santé certaines catégories socioprofessionnelles, des ascendants et des
avait la responsabilité de étudiants) ;
présider la commission de
la couverture médicale.
– sort indéfini des économiquement faibles ;
– faiblesse de la couverture préconisée (taux de remboursement et
plafond) ;
– exclusion des accidents de travail et des maladies professionnelles ;
– multiplicité des gestionnaires ;
– partage égal de la cotisation ;
– absence d’un mécanisme de financement des hôpitaux publics
(dotations globales) ;
– prééminence de la logique financière par rapport aux préoccupations
sociales ;

48 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

– désengagement de l’Etat au niveau de l’équilibre financier du régime ;


– insuffisance de certaines dispositions relatives au contrôle médical,
au système d’information…
Au début de l’année 2000, le Premier ministre du gouvernement
d’Alternance a constitué une commission interministérielle (Santé, Finances,
Plan, Affaires générales, Intérieur, Secrétariat général du gouvernement et
Développement social) et désigné un groupe d’experts chargé de faire la
synthèse des travaux réalisés par les différents départements concernés (en
particulier la Santé et le Développement social) et d’accélérer le rythme
d’avancement des deux projets. Leurs travaux ont abouti à l’élaboration d’un
Code de couverture médicale obligatoire de base constitué de deux
composantes : l’Assurance maladie obligatoire de base (AMO) et le Régime
d’assistance médicale (RAMED) dans les structures de soins publiques. Ce
code fut publié par le Bulletin officiel au mois de novembre 2002.
3.1. L’Assurance-maladie obligatoire de base
L’Assurance-maladie obligatoire de base (AMO) constitue, selon le Code
de couverture médicale, une composante essentielle du financement de la
santé au Maroc qui est fondé sur les principes de la solidarité et de l’équité.
Cette assurance doit se baser, à son tour, sur le principe contributif et sur
celui de la mutualisation des risques.
3.1.1. Population éligible à l’AMO
Les catégories éligibles à cette couverture sont les suivantes :
1. Les fonctionnaires et agents de l’Etat, des établissements publics et
des collectivités locales ainsi que les pensionnés des trois institutions.
Présentement, ces catégories de la population sont couvertes par deux
types de régimes facultatifs : la CNOPS et les régimes internes des entreprises
et établissements publics. L’ensemble représente plus de 1,1 million
d’adhérents, soit 3,6 millions de bénéficiaires, c’est-à-dire près de 13 % de
la population totale du Maroc.
Avec la généralisation (et l’obligation) de l’assurance-maladie à toutes
ces catégories, le nombre d’adhérents passera à 1,3 million et celui des
bénéficiaires à près de 4 millions, soit un peu plus de 14,5 % de la population
marocaine.
Le poids moyen des pensionnés dans ce groupe est de 16,5 % contre
un peu moins de 16 % dans le secteur privé. Cependant, la pension moyenne
dans le premier secteur est 1,4 fois supérieure à celle dans le second. Il en
est de même pour la masse salariale moyenne par adhérent. Par contre, le
risque-maladie dans le secteur privé est beaucoup plus important que dans
le public (cols bleus versus cols blancs). Dans ces conditions, une gestion
bipolaire séparant le privé du public impose deux taux de cotisation différents
afin d’assurer le même niveau de prestations pour les personnes couvertes
des deux secteurs.

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 49


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

2. Les personnes assujetties au régime de sécurité sociale (pour le secteur


privé formel, y compris les pensionnés).
Actuellement, leur nombre dépasse 1,2 million de personnes dont 21 %
bénéficient d’une assurance-maladie facultative soit par le biais d’une
compagnie d’assurance privée, soit par la CMIM.
L’instauration d’une assurance-maladie obligatoire permettra de couvrir
l’ensemble de ces personnes ainsi que leurs ayants droit, soit 4,2 millions
de bénéficiaires ou près de 15,3 % de la population.
3. Les travailleurs indépendants, les professions libérales et les actifs non
salariés.
Si la catégorie socioprofessionnelle des “professions libérales” constitue
un groupe assez homogène (un peu plus de 1 % de la population active
occupée), il en est autrement pour celle des “indépendants et actifs non
salariés” qui représente un groupe “fourre-tout” allant du réparateur de micro-
ordinateurs ayant pignon sur rue jusqu’au possesseur de véhicule à traction
animale en passant par les porteurs, les “hommes à tout faire”, les employés
des unités de production et de services non inscrits à la CNSS… En fait,
il s’agit essentiellement du secteur dit “informel” qui représente, selon les
estimations du CERED (1998) près de 41,3 % de la population active
occupée dans le milieu urbain.
Cette catégorie socioprofessionnelle, difficile à appréhender, à caractère
plutôt hétérogène, constitue, par déduction, entre 6 et 7 millions de personnes.
Ce qui représente un peu plus de 19,3 millions de personnes en comptant
les “ayants droit”, soit près de 70 % de la population marocaine totale.
4. Les étudiants non éligibles en tant qu’ayants droit.
Le nombre d’étudiants atteint près de 300 000. Une partie des étudiants,
selon des estimations grossières 140 000, ne sera éligible en tant qu’ayant
droit ni à l’AMO dans sa première phase, ni au RAMED. Cette tranche
sera couverte directement en tant qu’adhérents. Le Code de couverture
médicale de base ne précise pas les modalités pratiques de cette adhésion.
Comme il a été précisé ci-dessus, à moyen terme (2003-2004), l’AMO
concernera toutes les catégories énumérées ci-dessus, soit près de 30 %
seulement de la population.
3.1.2. Prestations couvertes par l’AMO
L’assurance-maladie obligatoire donne droit au remboursement et
éventuellement à la prise en charge directe des frais de soins curatifs,
préventifs et de réhabilitation médicalement requis par l’état de santé du
bénéficiaire et afférents aux prestations suivantes :
– soins préventifs et curatifs notamment ceux liés aux programmes
prioritaires entrant dans le cadre de la politique sanitaire de l’Etat ;
– actes de médecine générale et spécialisée ;
– soins relatifs à la santé reproductive, y compris le suivi de la grossesse,
à l’accouchement et ses suites ;

50 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

– soins liés à l’hospitalisation et aux interventions chirurgicales y compris


les actes de chirurgie réparatrice médicalement requis ;
– analyses de biologie médicale ;
– imagerie médicale ;
– exploration fonctionnelle ;
– médicaments admis au remboursement dans les conditions définies
par voie réglementaire ;
– fourniture de dispositifs médicaux et d’implants nécessaires aux
différents actes médicaux et chirurgicaux compte tenu de la nature
de la maladie ou de l’accident et du type de dispositifs ou d’implants ;
– fourniture d’appareils de prothèse et d’orthèse médicales dans les
conditions définies par voie réglementaire ;
– fourniture d’optique médicale et de lunetterie ;
– soins dentaires ;
– actes de rééducation fonctionnelle et de kinésithérapie ;
– actes paramédicaux.
Cette liste peut être modifiée par voie réglementaire.
Sont exclues du champ des prestations garanties par l’assurance-maladie
obligatoire les interventions de chirurgie plastique et esthétique, les cures
thermales, l’acupuncture, la mésothérapie, la thalassothérapie, l’homéopathie,
les prestations dispensées dans le cadre de la médecine dite douce ou de
soins faisant l’objet de publicité.
3.1.3. Les modalités de gestion de l’AMO
Le Code de couverture médicale propose une gestion bipolaire de l’AMO.
La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) est chargée de la gestion de
l’assurance-maladie du secteur privé ; alors que celle du secteur public est
confiée à la CNOPS transformée en un établissement public avec un nouveau
statut adapté à la gestion d’un régime d’assurance maladie obligatoire.
Ceci veut dire que la CNSS doit modifier ses statuts afin de s’adapter
à son nouveau rôle de co-gestionnaire de l’assurance-maladie obligatoire.
En effet, la gestion du régime de l’AMO par la Caisse doit obéir à des règles
spécifiques d’organisation et de gestion qui garantissent l’autonomie des
prestations de l’assurance maladie par rapport aux autres branches de sécurité
sociale. De plus, la mise en place de l’AMO va induire une reconfiguration
des prestations de sécurité sociale de court terme et de nouvelles règles de
coordination entre les prestations de l’AMO, les prestations d’indemnité
journalière de maladie et de maternité et la prestation d’invalidité.
Le code opte pour une gestion bipolaire, privé/public, de l’AMO par deux
caisses et pour une agence de régulation (Agence nationale de l’assurance-maladie)
qui se charge également de la gestion financière du RAMED (voir ci-dessous).
Cette multiplication d’institutions aurait pu être évitée par la création d’une
seule caisse gérant toutes les personnes couvertes par l’AMO et par le RAMED.
Le choix d’une caisse unique présente plusieurs avantages, en particulier :

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 51


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

– concernant la mission (plutôt régulation que gestion financière) de


l’Agence nationale de l’assurance-maladie, l’équivoque pourrait être
levée ;
– elle crée des ponts entre l’AMO et le RAMED c’est-à-dire le basculement
d’un régime vers un autre (par exemple le passage d’une situation de salarié
à celle de chômeur) ;
– elle évite la création d’une agence de régulation qui pourrait s’effectuer
par l’Administration (santé et finances par exemple) ;
– elle crée une base de solidarité plus élargie et favorise des économies
d’échelle ;
– elle permet également la gestion d’un nouveau régime par une nouvelle
mentalité ;
– elle constitue une base de données unique et exhaustive…
Toutefois, l’option “bipolaire” proposée paraît plus adaptée au contexte
actuel que celle de la multiplicité des gestionnaires ; les expériences
(8) Banque mondiale internationales et les publications sur l’économie de santé (8) le montrent
(1993 et 1997) ; Banque clairement. Selon la Banque mondiale (1997), « en raison du coût et de la
inter-américaine de
développement (1996) ; défaillance avérée du marché au niveau des assurances privées, cette option
Banque asiatique de n’est pas fiable pour la socialisation des risques au niveau national dans les
développement (1999) ;
pays à revenus faible et moyen… (9) ». Pour les chercheurs de l’INSEE et
OMS (1999 et 2000) ;
CREDES et INSEE du CREDES (2000), l’ouverture du secteur aux assurances privées par
(2000). quelques pays (Chili, Singapour…) recèle des risques importants d’iniquité.
(9) Même dans les pays Pour le cas du Chili, la Banque inter américaine du développement (1996)
avancés de l’OCDE,
l’assurance privée
note le “comportement opportuniste” des assurances privées (malgré
représente peu (en l’existence d’un organe de contrôle, la Superintendentia) qui éliminent le
général moins de 10 %) mauvais risque (la population la plus exposée à la maladie) et font retomber
dans les dépenses totales
de santé. Les deux cette responsabilité sur le secteur public.
grandes exceptions sont
les Etat-Unis (34 %) et 3.1.4. Encadrement du régime
les Pays-Bas (18 %).
Le code prévoit la création d’une Agence nationale de l’assurance-maladie
qui sera dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière.
L’Agence nationale de l’assurance-maladie (ANAM) a pour mission
d’assurer l’encadrement technique de l’Assurance maladie obligatoire de
base et de veiller à la mise en place des outils de régulation du système dans
le respect des dispositions législatives et réglementaires s’y rapportant.
Ainsi, elle est chargée de :
– s’assurer, de concert avec l’Administration, de l’adéquation entre le
fonctionnement de l’assurance-maladie obligatoire de base et les
objectifs de l’Etat en matière de santé ;
– conduire, dans les conditions prévues par voie réglementaire, les
négociations relatives à l’établissement des conventions tarifaires entre
les gestionnaires de l’assurance-maladie obligatoire de base et les
producteurs de soins et les fournisseurs de biens et de services médicaux ;

52 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

– proposer aux pouvoirs publics les mesures nécessaires à la régulation


du système d’assurance maladie-obligatoire de base (en particulier les
mécanismes appropriés de maîtrise des coûts de l’assurance-maladie
obligatoire de base) et veiller à leur respect ;
– veiller à l’équilibre global entre les ressources et les dépenses pour chaque
régime d’assurance-maladie obligatoire de base ;
– apporter l’appui technique aux organismes gestionnaires pour la mise
en place d’un dispositif permanent d’évaluation des soins dispensés
aux bénéficiaires de l’assurance-maladie obligatoire de base dans les
conditions et selon les formes édictées par l’Administration ;
– assurer l’arbitrage en cas de litige entre les différents intervenants dans
l’assurance-maladie ;
– assurer la normalisation des outils de gestion et des documents relatifs
à l’assurance-maladie obligatoire de base ;
– tenir les informations statistiques consolidées de l’assurance-maladie
obligatoire de base sur la base des rapports annuels qui lui sont adressés
par chacun des organismes gestionnaires.
L’agence peut également proposer des projets de textes législatifs et
réglementaires relatifs à l’assurance-maladie. Elle est saisie par l’administration
sur toutes autres questions relatives à cette question. En outre, elle est chargée
d’éditer annuellement un rapport global relatant les ressources, les dépenses
et les données de consommation médicale des différents régimes
d’assurance-maladie obligatoire de base.
Enfin, l’Agence est chargée de la gestion des ressources financières du
régime d’assistance médicale (voir ci-dessous).
3.1.5. Le financement de l’AMO
En raison de la nature de la couverture médicale proposée, le
financement s’effectuera principalement au travers des cotisations
obligatoires des employés et des employeurs.
3.2. Le Régime d’assistance médicale
La mise en place d’un régime d’assistance médicale (RAMED) aux
économiquement faibles permet de pallier les dysfonctionnements en
s’orientant vers plus d’équité et de justice sociale. Ce régime s’articule autour
de deux composantes :
– l’identification des économiquement faibles sur la base de critères socio-
économiques objectifs ;
– le financement de la prise en charge des frais de soins dispensés,
uniquement dans les structures publiques, aux personnes admises au
RAMED dans le respect du principe de séparation entre financeurs
et producteurs de soins.
Il se fonde sur les principes suivants :
– solidarité élargie ;

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 53


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

– équité ;
– égal accès aux prestations de soins hospitaliers ;
– garantie des soins par l’Etat.
3.2.1. Les bénéficiaires
Plusieurs catégories de la population sont éligibles au régime d’assistance
médicale, à savoir :
– les personnes qui ne sont assujettis à aucun régime d’assurance-maladie
obligatoire de base et ne disposant pas de ressources suffisantes pour
faire face aux dépenses inhérentes aux prestations médicales listées dans
le point (2.2.2.) ci-dessous ;
– leur(s) conjoint(s) ;
– leurs enfants à charge non salariés âgés de 21 ans au plus et non couverts
par une assurance-maladie obligatoire de base ; cette limite d’âge peut
être prorogée jusqu’à 26 ans en cas de poursuite des études ;
– leurs enfants handicapés quel que soit leur âge, qui sont dans
l’impossibilité totale et permanente de se livrer à une activité rémunérée
par suite d’incapacité physique ou mentale ;
– les ascendants à leur charge, non couverts par une assurance-maladie
obligatoire de base et vivant sous le même toit.
Sont admis également à l’assistance médicale les bénéficiaires des soins
gratuits fixés par une législation spécifique pour une partie ou pour l’ensemble
des prestations garanties par le RAMED.
Les critères d’éligibilité ne sont pas définis dans le code. Ainsi, pour la
circonscription de la population éligible, plusieurs possibilités demeurent
plausibles :
– le RAMED couvrira moins de 20 % de la population s’il ne prend
en charge que la population vivant en dessous du seuil de pauvreté ;
– le régime couvrira un peu plus de 40 % de la population s’il prend
en charge la population économiquement vulnérable ;
– la couverture atteindra 52 % de la population si le RAMED choisit
un seuil de discrimination en fonction des capacités contributives des
ménages aux coûts des soins.
Ces divers scénarios sont synthétisés dans le tableau (n° 10) qui reprend
également le pourcentage de la population couverte par l’AMO à moyen
et à long terme (intégration des indépendants, des professions libérales…).

54 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

Tableau 10
Scénarios relatifs aux projections de la population bénéficiaire
de l’AMO et du RAMED, en % de la population, simulations basées sur l’année 1998

Pourcentage de
Assurance-maladie obligatoire la population
qui sera couverte

Scénarios Application Application RAMED ou


à moyen terme à long terme RAMED à moyen à long
(salariés publics et privés, (catégories précédentes terme terme
pensionnés et étudiants) + indépendants,
professions libérales…)
Scénario 1 : 49 % 67 %
Population éligible 30 % de la population 48 % de la population
à l’AMO
Population éligible
au RAMED :
Personnes vivant 19 % de la
au-dessous du seuil population
de pauvreté
Scénario 2 : 73 % 91 %
Population éligible 30 % de la population 48 % de la population
à l’AMO
Population éligible
au RAMED :
Personnes vivant 43 % de la
au-dessous du seuil population
de vulnérabilité
Scénario 3 : 82 % 100 %
Population éligible 30 % de la population 48 % de la population
à l’AMO
Population éligible
au RAMED :
Personnes ne 52 % de la
pouvant pas payer population
les prestations de soins

Source : Ministère de la Santé (2000).

L’addition de ces deux populations (éligibles aux deux systèmes) donne


des pourcentages de la couverture de la population allant de 49 % à 82 %
pour le moyen terme (selon les scénarios du RAMED), et entre 67 % et
100 % à long terme.
3.2.2. Les prestations

Le régime d’assistance médicale couvre les prestations suivantes :


– les consultations médicales ;

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 55


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

– Les prestations médicales ambulatoires ;


– l’hospitalisation ;
– les interventions chirurgicales ;
– la grossesse, l’accouchement et ses suites y compris la prise en charge
des prématurés ;
– les examens de laboratoire, les explorations d’imagerie médicale et les
explorations fonctionnelles ;
– les évacuations sanitaires inter-hospitalières ;
– la rééducation fonctionnelle et la kinésithérapie ;
– les articles de prothèse et d’orthèse ;
– les produits pharmaceutiques administrés ou prescrits pour la
pathologie prise en charge ;
– le sang et ses dérivés administrés ou prescrits pour la pathologie prise
en charge
– les soins dentaires.
Les interventions de chirurgie plastique et esthétique, à l’exception des
actes de chirurgie réparatrice et d’orthopédie maxillo-faciale médicalement
requis, sont exclus du champ du régime d’assistance médicale.
Certaines prestations (appareils de prothèse et d’orthèse médicales,
opérations requérant une haute technologie…) font l’objet d’un accord
préalable avant leur prise en charge totale ou partielle, en raison de leur
caractère coûteux.
3.2.3. Les sources de financement
Les sources de financement sont principalement publiques et para-
publiques au travers de la solidarité nationale et locale (Etat et collectivités
locales). A ces sources peuvent s’ajouter :
– la participation des économiquement faibles “relatifs” (par opposition
aux économiquement faibles absolus ne disposant pas d’un minimum
de revenu leur permettant de participer même symboliquement au
financement du régime) ;
– les produits financiers ;
– les dons et legs…
3.2.4. Encadrement institutionnel
Le Code de couverture médicale se contente de stipuler que la gestion
du régime est assurée par l’Administration et que sa gestion financière est
confiée à l’Agence nationale d’assurance-maladie.
3.3. Etapes restantes pour l’AMO et le RAMED
Au niveau réglementaire, les textes d’application doivent être réalisés
dans les plus brefs délais.
Au niveau institutionnel, en plus des restructurations de la CNOPS et
de la CNSS, la mise en place du code induira des répercussions fortes sur

56 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

le secteur public de soins qui est en train de vivre une réforme hospitalière
et du réseau de soins à même de faciliter l’arrimage du ministère de la Santé
à cette réforme du financement.
En outre, le problème posé par les structures de soins gérées
actuellement par la CNSS et la CNOPS doit être réglé avant la mise en
application de la réforme du financement de la santé.
3.4. Ampleur des défis à relever
La difficulté de la mise en place du code ainsi que des mesures
d’accompagnement, le risque actuariel inhérent à la couverture médicale
et la progressivité projetée de celle-ci constituent autant de challenges que
le Maroc doit relever à court, à moyen et à long termes.
3.4.1. A court et moyen termes
Problème institutionnel des organismes de gestion (CNSS et CNOPS)
A cause du problème de gouvernance, les caisses sous tutelle publique,
concernées par cette réforme, sont très critiquées par les médias, la population
concernée, les syndicats et les hommes politiques. Toutefois, des progrès, dans
les domaines de la gestion de ces caisses et des relations avec les affiliés et
les prestataires de soins (création d’une atmosphère de confiance et de
transparence), ont été réalisés ces dernières années. La nomination de nouveaux
responsables, la réalisation de différents audits, la remise en marche des travaux
du Conseil d’administration de la CNSS… sont autant d’éléments positifs
(même s’ils demeurent insuffisants) qu’il faut mettre à l’actif de ces caisses.
D’autres grands défis doivent être relevés par les caisses : ils concernent
(encore) l’amélioration de leur gestion, la déconcentration (particulièrement
pour la CNOPS), le système d’information et la mise en place de mécanismes
de contrôle efficaces.
La mise en place de l’ANAM
Les attributions de l’ANAM sont importantes, mais aussi nouvelles dans
le champ de la prévoyance sociale : on passe d’un système d’assurance maladie
facultative à un système obligatoire. S’il est relativement facile d’élaborer
les textes de lois qui régiront son fonctionnement, il en est autrement pour
sa mise en place effective qui exige entre autres :
– l’élaboration d’un organigramme détaillé décrivant les objectifs et les
tâches de chaque unité de l’Agence ; la subtilité de cet organigramme doit
être de rigueur en raison des risques d’empiètement sur les attributions des
départements de la Santé, du Développement social et de l’Economie et
des Finances ;
– le déblocage des fonds, dans les meilleurs délais, pour le financement
de l’investissement et celui des étapes initiales du fonctionnement ; il est
à préciser que le financement de l’ANAM est assuré essentiellement par
un prélèvement uniforme sur les cotisations et les contributions dues aux

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 57


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

organismes gestionnaires de l’AMO ainsi que sur les ressources du RAMED ;


il est donc nécessaire que l’Etat finance les débuts de l’Agence ;
– le recrutement et la formation du personnel (y compris le directeur
général) qui auront pour charge d’assumer des responsabilités et des
prérogatives nouvelles dans le cadre de la couverture médicale obligatoire.
Cette liste non exhaustive montre que la tâche est lourde et impose une
vélocité ainsi qu’une rigueur extrême afin que le montage et le
commencement du fonctionnement de l’ANAM soient optimaux.
Les modalités de gestion du RAMED
Les expériences de terrain effectuées entre 1995 et 2000 ont porté
uniquement sur le processus d’identification ; par contre, elles n’ont intéressé
ni le système d’information, ni les modalités de l’attribution des cartes, ni
la connexion avec la gestion financière. Toute la difficulté réside dans cette
connexion et dans le choix institutionnel des autres intervenants (en plus
du ministère de la Santé et de l’ANAM) qui peuvent être nombreux :
ministère de l’Intérieur, collectivités locales, ministère des Finances, autres
départements…
Les mesures d’accompagnement et de mise en œuvre
Une multitude de mesures d’accompagnement et de mise en œuvre est
nécessaire à l’instauration du Code de couverture médicale de base. On se
contente ici d’en examiner quelques-unes qui nous paraissent très importantes :
a. Renforcement des capacités de négociation de l’Administration et des
structures de soins publics bénéficiant du statut d’établissement public
(CHU) : le ministère de la Santé n’a pas l’habitude de mener des négociations
pour l’établissement des contrats de conventions avec les organismes
gestionnaires de l’assurance-maladie, particulièrement dans un cadre de
couverture obligatoire. Bien entendu, il n’a pas l’habitude non plus d’effectuer
l’évaluation et le suivi de ces conventions. Ainsi le renforcement de telles
aptitudes est incontournable.
b. Modalités de paiement des prestataires : le choix des méthodes de
paiements (paiement à l’acte, forfait, paiement par cas ou épisode, capitation,
budget global…) a un impact non seulement sur la taille de la
consommation médicale, mais également sur l’efficience et la qualité des
soins, l’équité et l’accessibilité (Wouters A., non daté ; Maceira D., 1998).
Cependant, ce choix n’est guère aisé car la mise en place d’un système de
paiement nécessite un cadre juridique, financier et informationnel
particulier dont la complexité peut s’avérer très élevée, comme pour le cas
de la capitation par exemple.
c. Maîtrise des dépenses ou de la consommation médicale des
personnes couvertes : l’organisation de l’offre de soins, les modalités de
paiement (voir ci-dessus), la mise en place de référentiels médicalement
opposables, les moyens de contrôle et de supervision, le système

58 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

d’information, la politique du médicament, les options technologiques, le


carnet ou la carte de bénéficiaire… sont des éléments décisifs dans la
trajectoire de la consommation médicale. Des choix judicieux relatifs à ces
déterminants permettront de réduire les effets néfastes du hasard moral,
du parasitisme et de l’asymétrie de l’information sur l’inflation des dépenses.
d. Compromis entre la rareté des ressources financières (dont l’impact
est important sur la compétitivité et la trésorerie des entreprises) et la volonté
de bien couvrir la population éligible : quels seraient le taux de cotisation
de l’AMO et le taux moyen de remboursement qui garantiraient ce
compromis ? Les études menées à ce jour (CNSS/Forces, 1999 ;
CNOPS/Groupe Secor, 2002 ; Ministère de la Santé/SES-DPRF, 1999)
montrent que le taux de cotisation plancher serait de près de 6% pour une
couverture oscillant entre 50 % et 60 % de la consommation médicale. Ceci
veut dire que pour compenser l’effort additionnel à déployer par le secteur
privé, la reconfiguration de la sécurité sociale est nécessaire afin de réduire
quelques taux (notamment celui des allocations familiales qui dégagent des
excédents importants) et d’éliminer les prestations qui deviendraient inutiles
(aide sanitaire par exemple) une fois l’AMO mise en place. Par ailleurs, la
fixation de taux de remboursement pour chaque groupe et sous-groupe de
prestations requiert un dosage fin dans le but de respecter l’équilibre financier
tout en offrant des prestations de couverture médicale à la hauteur des attentes
des bénéficiaires potentiels.
e. La réforme hospitalière initiée par le ministère de la Santé et appuyée
par la Banque mondiale (Projet de financement et gestion du secteur de
la santé, PFGSS) et l’Union européenne dans le cadre du Projet MEDA1
dans la région de l’Oriental (PAGSS) s’achèvera en l’an 2004-2005. Cette
réforme concerne la mise à niveau des hôpitaux publics ainsi que d’autres
mesures telles que :
– la mise en place d’un processus et d’une dynamique d’assurance qualité ;
– l’introduction d’un système d’information médico-économique,
d’un plan comptable et d’une comptabilité analytique ;
– le développement de la planification ;
– l’amélioration de la gestion financière et des ressources humaines ;
– l’amélioration de la facturation et du recouvrement ;
– la révision de la tarification…
Il est probable que l’accroissement des capacités institutionnelles et de
l’efficacité des hôpitaux publics (81 % des lits) aura un impact favorable
sur la qualité des soins sur l’équité (rappelons que le RAMED ne concerne
que les structures de soins publics) et sur l’atténuation du risque
d’exacerbation de la dualité des soins hospitaliers (privé vs public) en termes
de qualité et de vitesse de progression ;
f. La période transitoire de 5 années renouvelable relative au maintien
des régimes facultatifs d’assurance-maladie induit un danger certain pour
l’équilibre financier du régime obligatoire que gérera la CNSS en raison

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 59


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

de la faiblesse de la masse salariale moyenne des futurs assurés potentiels


(pensionnés, salariés à faibles revenus essentiellement) qui ne sont pas
actuellement couverts. Il est dans ce cas nécessaire de trouver des solutions
adéquates afin de limiter les conséquences sur la CNSS qui risquent de
remettre en cause tout le régime.
3.4.2. A long terme
Progressivité de la généralisation de l’AMO

Le plus grand obstacle qui se dressera devant la généralisation de


l’assurance maladie obligatoire et le basculement du RAMED vers l’AMO
est sans aucun doute la capacité de l’économie marocaine à réduire la
pauvreté et à intégrer le secteur informel. Le principal défi à ce niveau est
d’assurer une croissance économique soutenue et durable durant une très
longue période. Afin d’illustrer partiellement l’effort qui est à faire, nous
rappelons que le Plan quinquennal en cours (2000-2004) précise qu’il faut
une croissance économique minimale égale au moins à 5,5 % annuellement
pour pouvoir réduire significativement le taux de chômage. En d’autres
termes, afin d’aller au-delà de la réduction du chômage (lutter efficacement
contre la pauvreté et intégrer le secteur informel), la croissance
économique doit certainement dépasser 6 % annuellement sur le très long
terme. Cette croissance doit être accompagnée d’un renforcement
institutionnel à même d’améliorer la capacité de l’Administration à recouvrer
ses recettes, à optimiser ses dépenses, à faire progresser son contrôle et sa
régulation de l’économie…
Intégration des accidents du travail et des maladies professionnelles

Le Code de couverture médicale de base exclut des prestations garanties,


les maladies professionnelles et les accidents de travail. Ce choix est-il
judicieux ? Sinon, peut-on les intégrer à long terme afin de compléter le
panier des bénéfices ? Quelles en seront les conditions, les modalités ? Quelles
seront les mesures d’accompagnement ? Etc.
Création d’une structure unique de gestion de la couverture médicale

Lors des débats sur la gestion de l’assurance-maladie, le scénario d’une


gestion du régime par une caisse unique a été rejeté. Les arguments avancés
ont été les suivants :
– coût (à prendre en charge par l’Etat) jugé trop élevé de l’investissement ;
– risque d’exacerbation des lourdeurs bureaucratiques ;
– libre jeu de la concurrence et compétition (entre caisses) empêchés ;
– non prise en compte des spécificités sectorielles.
Cependant, en raison de ses énormes avantages (voir point 1.3. ci-dessus),
certains ont suggéré de faire coïncider son avènement avec celui de la
généralisation de l’assurance-maladie.

60 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

Figure 1
Evolution de la couverture médicale au Maroc à moyen et long termes
selon un scénario optimiste

Secteur formel et étudiants Secteur formel et autres statuts


(30 %) (70 %)

Population éligible au RAMED Population


(scénario généreux) non éligible
(52 %) (18 %)

AMO A moyen terme RAMED

Secteur formel et étudiants + secteur Population éligible au RAMED


informel supérieur A long terme 1 (scénario généreux)
(30 % + 18 % = 48 %) (52 %)

Secteur formel et étudiants + secteur Population éligible au RAMED


informel supérieur + n % A long terme 2
(52 % – n %)

Secteur formel et étudiants + secteur Population éligible au RAMED


informel supérieur A long terme 3 (52 % – n % – m %)
+n%+m%

Le transfert de l’éligibilité du RAMED à l’AMO s’effectuera progressivement selon la capacité économique et


institutionnelle du Maroc à lutter contre la pauvreté et à “intégrer” le secteur informel.

Conclusion
En dépit de quelques faiblesses (particulièrement le maintien provisoire
des régimes facultatifs), le Code de couverture médicale de base au Maroc
constitue une avancée certaine dans le domaine de financement de la santé.
Au-delà des forces et des faiblesses du code, il est nécessaire de noter
qu’il constitue une amélioration certaine par rapport à la situation actuelle
du financement collectif de la santé. Par voie de conséquence, le discuter
est utile, mais l’adopter le plus rapidement possible est encore mieux.
En effet, depuis plus d’une décennie, le projet de réforme du
financement de la santé au Maroc est en discussion permanente sans qu’il
ne voie le jour. Il est certain que le sujet est difficile, délicat et très sensible,

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 61


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

non seulement au niveau national, mais pour tous les pays du monde. A
chaque fois qu’une nation désire réformer son système de couverture médicale
(ou de sécurité sociale d’une manière générale), les passions se déchaînent,
les calculs politiques, corporatistes et sectoriels se multiplient. Les intérêts
divergents, et les visions étriquées des parties concernées par le projet
(syndicats, patronat, Etat, population, ONG et médias) rendent la tâche
très difficile pour les gouvernements qui, face aux obstacles qui se dressent
devant eux, hésitent. C’est le cas notamment du Maroc où les différents
gouvernements qu’a connus le pays durant les dix dernières années n’ont
pu mettre en œuvre cette réforme. En dépit de l’importance du projet pour
la population et sa portée économique et sociale ainsi que ses retombées
politiques positives, les hésitations se sont certes allégées avec l’avènement
du gouvernement d’alternance, mais elles ne se sont pas évaporées pour autant.
Les nombreux défis de la société marocaine dans sa quête pour le
développement économique et social nécessitent, entre autres et
obligatoirement, la mise en place de filets de sécurité sociale afin d’éviter
au Maroc d’adopter un capitalisme sauvage et d’exacerber la marginalisation
d’une grande partie de la population. L’urgence du problème est criante,
le gouvernement et toutes les parties prenantes sont appelés à mettre tout
en œuvre afin d’accélérer la cadence, à dépasser leurs divergences et à boucler
la mise en place finale du Code le plus tôt possible.
Parmi les effets positifs du projet on peut citer :
Premièrement, l’accroissement du financement collectif de la santé
développera une solidarité institutionnalisée quantitativement plus
importante et mieux organisée (une opportunité pour une sorte de mise à
niveau de la couverture médicale). Ainsi, le Maroc pourra éviter
l’exacerbation du problème du financement de la santé où les paiements
directs des ménages représentent près de 54 % et atteindront 59 % en 2014
si rien n’est fait pour briser leur tendance ascendante.
Deuxièmement, ce financement collectif et solidaire sera bénéfique non
seulement pour les malades qui ne recourent pas aux services de soins à
cause de leur niveau de vie ou des prix prohibitifs exercés sur le marché,
mais également pour les malades chroniques qui s’endettent ou se ruinent
afin de pouvoir s’offrir les biens et services médicaux qui leur sont nécessaires.
Troisièmement, la solvabilisation de la demande par l’AMO et le RAMED
constitue un des outils de solidarité et de redistribution des revenus les plus
efficaces pour lutter contre la pauvreté, d’une part, et pour hausser les revenus
indirects de toutes les catégories de la population concernées par le projet.
Quatrièmement, la réforme du financement de la santé, particulièrement
le RAMED, contribuera à renforcer la mise à niveau des hôpitaux publics
(81% de la capacité litière nationale) et la qualité des soins qu’ils prodiguent
à la population.
Enfin, le projet de financement de la santé influera également sur la
macro-économie. On a souvent tendance à omettre que le système de santé

62 Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003


La couverture médicale au Maroc

n’est pas seulement un ensemble d’institutions et d’activités consommatrices


pour le bien-être de la population, c’est aussi une source de création de
richesses tangibles. Le système de santé investit, emploie, distribue des
revenus et crée de la valeur ajoutée. En partant du principe que les dépenses
des uns constituent des revenus pour les autres, les ressources financières
additionnelles de l’AMO et du RAMED (10), couvrant la couverture (10) Avec la mise en place
additionnelle et la demande induite, vont permettre à l’offre (industrie de l’AMO et du
RAMED, la dépense
pharmaceutique, professionnels de santé, cliniques privées, structures globale de santé per
publiques…) de répondre à cette sollicitation (accroissement de la solvabilité capita sera de 74 $US
et de la demande effective) par une participation plus importante à la contre 65 $US en cas de
statu quo.
formation brute du capital fixe (investissement) et par conséquent par une
contribution plus conséquente à l’emploi et au PIB.
Néanmoins, le succès de cette entreprise dépend de nombreuses
conditions, notamment :
– L’implication plus élargie de toutes les parties à même de contribuer
au montage final du projet (décrets d’application, arrêtés, planification de
la mise en œuvre, autres mesures d’accompagnement…) ; celles-ci doivent
taire leurs divergences et leurs intérêts sectoriels au bénéfice de l’intérêt de
la collectivité.
– La volonté politique d’aller de l’avant et de faire aboutir rapidement
le projet, en privilégiant une vision globale à long terme et non pas une
logique comptable.
– Le succès des réformes du ministère de la Santé, à savoir la réforme
hospitalière et le renforcement des capacités institutionnelles du département
(déconcentration, amélioration des systèmes d’information, développement
des outils de planification et d’aide à la prise de décision…).
– Un bon montage final de l’ANAM et une bonne mise en œuvre
conditionneront un démarrage rapide et sans à-coup de cette agence qui
sera l’Institution de mise en œuvre du code.
– Un subtil compromis entre les difficultés liées à la mobilisation des
ressources et la recherche d’une couverture équitable des risques de santé.
En effet, une couverture faible de la consommation médicale ôterait toute
sa substance au Code alors qu’un taux de cotisation élevé serait préjudiciable
pour la compétitivité des entreprises et le développement de l’emploi formel.
– Ne pas opter pour le choix facile de ne couvrir que la population très
pauvre par le RAMED. Cette option exclurait une bonne frange de la
population marocaine non couverte par un régime d’assurance-maladie et
n’ayant pas la capacité de supporter des charges liées aux soins,
particulièrement pour les malades chroniques.
– Garantir un financement minimal et stable pour le RAMED. Ce
financement peut être indexé, d’une manière assez souple, sur l’accroissement
démographique et sur le coût de la vie et des soins par exemple. Un sous-
financement de ce régime conduirait à la reconduite de (ou retour à) la
situation actuelle de recours et d’accès aux soins dans les hôpitaux publics.

Critique économique n° 10 • Printemps-été 2003 63


Zine Eddine El Idrissi M. Driss

– Adopter le plus tôt possible des outils de planification et de régulation


de l’offre de soins (la loi sur la carte sanitaire ou des schémas régionaux
d’organisation sanitaire afin que l’Administration puisse réguler l’offre de
soins et que les flux monétaires de l’AMO et du RAMED irriguent mieux
le territoire marocain.

Acronymes
ANAM : Agence nationale de l’assurance maladie
AMO : Assurance maladie obligatoire
CL : Collectivités locales
CERED : Centre des études et des recherches démographiques
CHU : Centre hospitalier universitaire
CMIM : Caisse marocaine interprofessionnelle des mutuelles
CNOPS : Caisse nationale d’organismes de prévoyance sociale
CNSS : Caisse nationale de sécurité sociale
Dh : Dirham (1 $US ≅ 9,8 Dh en 1997-1998 ; ≅ 10,6 Dh en
2000)
DPRF : Direction de la planification et des ressources financières
DRC : Direction de la réglementation et du contentieux
EEP : Entreprises et établissements publics
ENNVM : Enquête nationale sur les niveaux de vie des ménages
FAP : Femmes en âge de procréation
FMSAR : Fédération marocaine des sociétés d’assurance et de
réassurance
IFCS : Instituts de formation aux carrières de santé
ILN : Instituts et laboratoires nationaux
MS : Ministère de la Santé
Medicaid : Couverture médicale des populations défavorisées aux USA
Medicaire : Couverture médicale des personnes âgées aux USA
MENA : Moyen-Orient et Afrique du Nord
OCP : Office chérifien des phosphates
ODEP : Office d’exploitation des ports
ONCF : Office national des chemins de fer
ONE : Office national de l’électricité
ONEP : Office national de l’eau potable
ONG : Organisations non gouvernementales
RAM : Royal Air Maroc
RAMED : Régime d’assistance médicale
RSSB : Réseau de soins de santé de base
SCS : Service de la carte sanitaire
SES : Service de l’économie sanitaire
SMIG : Salaire minimum interprofessionnel garanti

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La couverture médicale au Maroc

Références bibliographiques
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