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La galaxie Internet

Liens électroniques

www.SiliconVallev.com
Site des cultures de la Silicon Valley.
www.hackerethic.org
Chapitre 3
Sources sur la culture hacker, établies à partir du livre de
Pekka Himanen (2001).
www.nettime.org Le « cybermonde des affaires ))
Réseau des cultures alternatives d'lnternet (basé à Amster- et la nouvelle économie
dam).

Autre référence Dès que la technologie d'lnternet est devenue accessible au


cours des années 1990, c'est dans le monde des affaires que sa
Feldman (2000), communication personnelle. diffusion a été la plus rapide et la plus large. Comment s'en
Riemens, Patrice (2001), communication personnelle.
étonner, dans une société où l'entreprise privée est la source
principale de création de richesse ? Internet change tout pour
elle : ses rapports avec ses fournisseurs et ses clients, sa gestion,
ses processus de production, sa façon de coopérer avec les
autres firmes, son mode de financement, la cotation de ses
actions sur les marchés financiers. Savoir s'en servir est devenu
un facteur crucial de productivité et de compétitivité dans tous
les secteurs. Les sociétés .com, en dépit des grandes envolées
qu'elles suscitent, ne sont qu'une petite avant-garde de francs-
tireurs du nouveau monde économique. Comme dans toute
expédition hardie, certains mirages s'évanouissent et le paysage
est jonché d'épaves. Mais ces projets-là tiennent aussi du phé-
nix. Beaucoup ne cessent de renaître de leurs cendres. On tire
les leçons et on recommence, dans une féconde spirale de des-
truction créatrice. En 2000, aux États-Unis, les entreprises ont
réalisé sur la Toile un chiffre d'affaires de 400 milliards de dol-
lars. En 2003, ce sera 3 700 milliards, à en croire les projections
publiées en mars 2001 par le Gartner Group, une société
d'études de marchés. Et il faut tenir compte de l'expansion
accélérée du commerce électronique dans le monde.

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires» et la nouoelk économie

En 2004, selon les prévisions d'lnternational Data Corpo- tentions d'inventer l'avenir, et récompensé leur hardiesse par
ration, les transactions américaines pourraient représenter une valeur boursière ahurissante — pour un temps... Et les
moins de 50 % de la valeur totale négociée sur Internet, contre détenteurs de capital-risque ont été séduits par leurs perspec-
74 % en 1999 : on s'attend à une croissance plus rapide de ce tives : ils leur ont consacré assez d'investissements pour amor-
type d'affaires en Europe dans les premières années du cer la pompe d'un secteur d'activité entièrement neuf — et, plus
xxi' siècle. Le Gartner Group estime qu'au niveau mondial, encore, d'une nouvelle économie —, avanr que les rêves se dissi-
malgré le ralentissement de la net-économie, le B2B ' pourrait pent.
atteindre 6 000 milliards de dollars environ en 2003. Et les pro- Du tourbillon des sociétés .coin est sorti un nouveau paysage
jections de Forrester Research avancent, pour l'ensemble du économique, dont le cœur est le cybermonde des affaires.
commerce électronique mondial, le chiffre de 6 800 milliards de J'entends par là l'ensemble des entreprises dont les opérations
dollars en 2004, dont 90 % en B2B (Business Week, 26 mars essentielles en matière de gestion, de financement, d'innova-
2001, p. 128). tion, de production, de distribution, de vente, de relations avec
Mais l'importance du cybermonde des affaires est loin de se le personnel et de relations avec les clients s'effectuent majori-
résumer à un effet de quantité. En 2001, environ 80 % des tairement par et sur Internet ou d'autres réseaux de réseaux
transactions réalisées sur la Toile sont B2B : cela suppose une d'ordinateurs, indépendamment du type de lien entre leurs
restructuration en profondeur de la façon dont opère l'entre- dimensions virtuelle et physique. En utilisant Internet comme
prise. Les réseaux internes qui mettent en communication les moyen fondamental de communiquer et de traiter l'informa-
salariés entre eux et avec la direction sont essentiels à son fonc- tion, ces entreprises adoptent une forme d'organisation : le
tionnement. L'ensemble de son organisation doit se mouler sur réseau. Cette mutation socio-technique pénètre en profondeur
la technologie qui la relie à ses clients et à ses fournisseurs. De l'ensemble du système économique et modifie tous les modes
plus, comme dans ce type d'économie les acteurs individuels se de création, d'échange et de distribution de la valeur. Sous son
multiplient, ses relations sur Internet avec les consultants et impact, le capital et le travail, fondements de toute entreprise,
sous-traitants deviennent aussi importantes que ses activités changent de profil et de mode d'intervention. Certes, les lois de
propres. Ce qui émerge de tout cela n'est pas une «économie l'économie de marché opèrent toujours au sein de ce paysage
l .coin p), c'est une économie en réseaux dont le système nerveux en réseaux, mais d'une façon particulière, qu'il est essentiel de
est électronique. comprendre pour vivre, survivre et réussir dans le Nouveau
Non que je considère les firmes «purement en ligne» comme
un phénomène anecdotique et transitoire des premiers balbu- Monde économique.
Je vais donc analyser successivement : la transformation de la
tiements de l'ère de l'information. Les aol, Yahoo !, Amazon, pratique dans l'entreprise ; les rapports entre Internet et les
E-bay, E-trade, E-toy et tant d'autres start-up audacieuses ont
marchés des capitaux; le rôle du travail et de l'emploi flexible
bel et bien inventé un nouveau modèle d'entreprise, en saisis-
dans le modèle de l'entreprise en réseau; et la spécificité de l'in-
sant les possibilités offertes par Internet et en apprenant par la
novation, source de la croissance de la productivité du travail,
pratique. Les marchés financiers ont d'ailleurs cru à leurs pré-
dans l'économie électronique. Je réunirai ensuite ces fils
conducteurs en une synthèse, afin de dégager le vrai sens de
l. B2B signifie business lu business. Il s'agit du commerce entre les entreprises, l'économie dite «nouvelle )). Nous n'entrons pas dans un monde
par opposition au commerce entre les entreprises et les consommateurs privés, le
B2C. idéal de croissance forte illimitée qui abolirait le cycle des

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires» et la nouvelle économie

affaires et ignorerait les crises. Si économie nouvelle il y a, nous de coopérations et de concurrences, en fonction du moment,
connaîtrons bien sûr des formes nouvelles de cycle et en défini- du lieu, du processus de production et du produit.
tive de crise — déterminées par les modes spécifiques de cette L'entreprise en réseau n'est ni un réseau d'entreprises, ni une
économie. J'avancerai donc pour conclure, et en m'inspirant de entreprise dont l'organisation interne est en réseau. Ce serait
l'observation de la période mars 200O-mars 2001, quelques plutôt un dispositif «léger» d'activité économique, construit
hypothèses sur les caractéristiques du nouveau cycle et de sa autour de projets précis, qui sont mis à exécution par des
réseaux de composition et d'origine diverses : le réseau est l'en-
crise potentielle, déclenchée par une chute brutale de la valeur
treprise qui entreprend. La firme reste l'unité pertinente pour
boursière des actions technologiques.
l'accumulation du capital, la gestion des droits de propriété (en
général) et le management stratégique, mais chacune de ses
La cyberorganisation : l'«entreprise en réseau» activités concrètes est accomplie par des réseaux constitués
pour l'occasion. Ils ont la flexibilité et l'adaptabilité requises par
Comme d'autres technologies dans le passé, Internet s'est une économie mondialisée soumise à une innovation technolo-
diffusé très vite au cours de la décennie 1990 parce que cet outil gique incessante, et stimulée par une demande qui change vite.
était parfaitement adapté au modèle d'entreprise qu'avaient éla- La complexité propre à ce type de structures au-delà d'une
boré, dans la pratique, les firmes les plus productives et les plus certaine dimension aurait été ingérable sans les réseaux d'infor-
compétitives depuis les années 1980 au moins. Celui que, sur la mation et de communication fondés sur la microélectronique.
base d'un travail empirique, j'ai conceptualisé il y a quelques C'est bien pourquoi, depuis le milieu des années 1980, les
années sous le vocable d'« entreprise en réseau ') (Castells réseaux comme 1'edi', et d'autres, plus primitifs, à base de fax
1996/2000). Je désigne sous cette expression l'organisation et de lignes téléphoniques interconnectées, ont joué un rôle
autour de projets réalisés en coopération par des segments diE essentiel dans la vaste réorganisation structurelle qui a balayé le
férents de firmes différentes : ils s'interconnectent pour la durée monde des entreprises. Libre choix du moment d'accès aux
de l'opération, et reconfigurent leurs réseaux différemment à données, grosse capacité et grande vitesse de transmission,
l'occasion de chaque projet. Ce modèle s'est constitué par asso- communication interactive : tous ces besoins ont été satisfaits
ciation de plusieurs «stratégies du réseau». par les réseaux de communication informatique, dont Internet.
La première est la décentralisation interne des grandes entre- Les «sociétés en ligne» et les firmes les plus novatrices de l'in-
prises : elles se sont dotées de structures horizontales «légères }) formatique et des télécommunications, conscientes du poten-
de coopération et de concurrence, coordonnées autour d'objec- tiel d'lnternet, ont été les premières à saisir l'occasion de se
tifs stratégiques globaux au niveau de toute la firme. La réorganiser entièrement sur cette base, donnant ainsi aux
deuxième est la coopération entre petites et moyennes entre- clients et aux fournisseurs un accès direct à leur information et
prises : elles ont regroupé leurs moyens pour peser plus lourd.
à leurs opérations. Elles ont aussi installé des intranet 2, pour
créer des canaux de communication électronique au sein de
La troisième est l'entrée en relation de ces réseaux de pme avec
leur personnel, et entre direction et salariés. À ce stade de l'ana-
les composantes diversifiées des firmes géantes, qui a fini par
susciter des alliances et partenariats stratégiques entre ces l. Échange de données informatisé - Electmnic Data Interchang'.
firmes et des réseaux auxiliaires. Conjointement, ces évolutions 2. Un intranet est un réseau interne à une organisation, fondé sur les proto-
ont transformé la gestion d'une entreprise en géométrie variable coles d'internet mais accessible uniquement aux utilisateurs internes.

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires» et la nouûelle économie

Iyse, quelques exemples empruntés à la pratique des entreprises Bref, ne tenons pas Cisco pour battu (notamment s'il renou-
&eront mieux comprendre l'importance et l'originalité de cette velle son architecture de logiciel et améliore sa technologie de
mutation organisationnelle, mise en œuvre à l'aide d'internet et réseaux optiques). Et à moins que nous ne sombrions dans une
d'autres réseaux d'ordinateurs. «Grande Crise Internet», il devrait, à l'horizon des cinq pro-
Le pionnier de la nouvelle entreprise de l'économie Internet chaines années, continuer à dominer la conception et la fabri-
pourrait être Cisco Systems. Je n'aime guère mettre en avant cation des réseaux d'lnternet, secteur manifestement en
une firme particulière, mais une brève présentation de son expansion dans le monde. Il reste donc pertinent d'analyser le
« modèle de l'entreprise en réseau» peut donner, me semble-t-il, modèle d'une des firmes technologiques les plus avancées pour
une image concrète de ce qui se passe. Les chiffres portent sur comprendre la relation entre production d'lnternet et utilisa-
la situation courant 2000, sauf ceux de la baisse de ses revenus tion d'lnternet dans la production.
et de sa valeur en Bourse, qui datent d'avril 2001. Certes, Cisco doit une bonne part de ses résultats à la qualité
Cisco Systems, dont le siège social est à San Jose dans la de ses ingénieurs et à une conjoncture particulièrement favo-
Silicon Valley, est le plus grand fabricant d'équipement pour rable (il était prêt à fournir la «tuyaurerie» d'lnternet au
épines dorsales d'lnternet, avec une part d'environ 85 % du moment précis de son immense expansion), mais des firmes
marché mondial des routeurs, ces ordinateurs qui organisent et aussi puissantes que LucentTechnologies étaient également sur
dirigent le trafic sur le réseau. Né en 1984 d'une idylle entre un ce marché. Or, en 2000, Cisco a eu trois fois plus de revenus par
expert en sciences informatiques et une enseignante de l'école personne employée que LucentTechnologies, et sa part de mâi9
d'affaires de l'université de Stanford, il devait atteindre à son ché s'est accrue au fil des ans.
apogée, en mars 2000, une valeur de capitalisation boursière de À en croire un très large consensus dans les milieux d'af"
555 milliards de dollars, la première du monde. La chute spec- faires, le «modèle Cisco» est pour beaucoup dans cette comRb
taculaire des valeurs technologiques en 2000-2001 a mis à très titivité et cette productivité. L'entreprise est organisée autoW
rude épreuve l'action Cisco. Après des rendements annuels d'un réseau accessible à la fois aux fournisseurs et aux clients :
avoisinant les 100 % pendant la période 1996-mars 2000, sa Cisco's Connection Online (CCO) a eu en 2000 environ 15000Ô
valeur a chuté de 78% entre mars 2000 et avril 2001, mois où, utilisateurs enregistrés et a été visité 1,5 million de fois RU
ses revenus ayant diminué de 30 % en un trimestre, la firme a mois. Quand ils entrent dans le système par le site Internet dO ._
licencié 8 500 de ses 44 000 salariés - mais la plupart de ces Cisco, les clients précisent leurs besoins et sont aidés par " "
licenciements concernaient des travailleurs temporaires, et agents de «Fixation de prix et Configuration», qui permetttŒ ; .
d'autres relevaient du «taux d'usure ') annuel normal (5 %). des milliers de représentants autorisés de la clientèle et aux p "
J'analyserai le retournement brutal des perspectives de Cisco tenaires de la firme de définir en ligne le produit Cisco et
dans la dernière section de ce chapitre, puisqu'il faut le resituer prix. Lorsque cette interaction aboutit à un accord, les fout
dans le cadre de la crise générale de la nouvelle économie. Cela seurs de Cisco fabriquent le produit (dans la plupart des ca
dit, ses infortunes de 2001 n'annulent pas son extraordinaire l'expédient directement au client. Le service à la clientC[
succès des années 1990 : dans la seconde moitié de cette décen- l'assistance technique sont très automatisés : l'essentiel do
nie, ses ventes ont augmenté de 50 à 70 % par an, et ses revenus formation technique est envoyé en ligne. Cisco offre
pour l'année fiscale 2000 - 18,9 milliards de dollars - représen- un service gratuit de conseil et de formation sur l'installati
taient plus de quatre fois le niveau atteint quatre ans plus tôt. maintenance et la réparation des réseaux de communi

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires » et la nouûelle économie

par ordinateurs. Grâce à ce système, dans les six premiers mois besoins de chaque service et de chaque membre du personnel
de 2000, Cisco a vendu en ligne pour 40 millions de dollars par au moment qui lui convient. Les procédures comptables ont été
jour, soit 90 % de ses commandes. Environ 60 % de celles qui rationalisées et elles s'effectuent sur un intranet, ce qui permet
passent par Internet sont pleinement automatisées : elles n'exi- à la fin du trimestre de clore les livres de comptes en deux jours.
gent pas la moindre intervention du personnel de Cisco. Près de La pierre angulaire de ce modèle d'entreprise en réseau est la
80 % des demandes des clients en service après vente sont éga- boucle de rétroaction en temps réel entre le client et la fabrica-
lement gérées sur la Toile. tion. Le p-dg de Cisco, John Chambers, maître d'œuvre de ces
D'autre part, Cisco a aussi organisé sa production en ligne : il
innovations, était à l'origine un commercial, et cela se voit. En
s'est doté d'un environnement de fabrication en réseau sous la
enregistrant et en personnalisant les demandes des clients sur
forme d'un extranetl, Manufacturing Connection Online (MCO),
Internet, et en renvoyant cette information en temps réel à la
créé en juin 1999 et librement accessible à ses fournisseurs, à
chaîne de production, Cisco parvient à corriger les principaux
ses salariés, à ses partenaires logistiques. Cette firme, qui
défauts de fabrication en un temps record, et avec précision.
compte parmi les fabricants industriels les mieux cotés du
monde, fabrique très peu elle-même : elle a externalisé plus de Enfin, l'organisation en réseau permet aussi à Cisco de
90 % de sa production à un réseau de fournisseurs certifiés. mettre en œuvre un modèle d'innovation technologique effi-
Mais elle contrôle de près sa chaîne d'approvisionnement, en cace, source ultime de la compétitivité. Comme tant d'autres
l
intégrant des fournisseurs très importants à ses systèmes de firmes de la Silicon Valley, il investit massivement dans la
production, en automatisant le transfert de données par edi, en recherche-développement, environ 13 % de ses revenus en
automatisant la collecte des informations provenant des four- 1999-2000. Mais sa principale stratégie pour conserver sa supé-
nisseurs sur les produits, et en décentralisant les procédures de riorité de numéro un, c'est une politique active d'acquisitions.
test sur le lieu de production, avec des critères et des méthodes Il achète des entreprises qui ont la technologie et les compé-
surveillés de très près par les ingénieurs de Cisco. Donc, Cisco tences nécessaires dans des domaines dont il a besoin et qu'il ne
est bien un industriel, mais il s'appuie pour ce faire sur une maîtrise pas. Cisco s'est servi pour cela de sa précieuse action
usine virtuelle mondiale, dont il assume la responsabilité en dans la période où son cours était très élevé : de 1993 à 2000, il
dernier ressort pour ce qui concerne la recherche-développe- a acheté soixante-dix firmes. Ainsi, en août 1999, il a payé
ment, la conception du prototype, le contrôle de qualité et la 6,9 milliards de dollars une start-up prometteuse, Cerent,
marque. Il a aussi automatisé sa gestion des stocks, à l'aide d'un société californienne dont les ventes annuelles sont de 10 mil-
système informatisé dynamique qui a prévenu plusieurs fois de lions de dollars seulement, mais qui détient une technologie
graves problèmes d'approvisionnement. De plus, la Cisco cruciale dans les réseaux optiques. Or, cet achat et bien d'autres
Employée Connection est un intranet qui offre un moyen de com- auraient été effectués en pure perte si l'intégration de ces entre-
munication instantanée à des milliers de salariés, dans le même
prises à Cisco avait perturbé l'alchimie subtile de l'innovation.
immeuble ou à l'autre bout du monde. De la conception com-
Et c'est là que joue le modèle en réseau : il permet de les laisser
mune du produit au marketing et à la formation, l'information
continuer à faire ce qu'elles faisaient avant d'être achetées, tout
circule directement dans tout le réseau pour répondre aux
en reliant leurs efforts, leurs recherches et leurs stratégies au
l. Un extranet est l'interconnexion des diverses composantes d'une organisa- projet global de Cisco. En internalisant les ressources en sou-
tion uia Internet. Il est donc accessible de l'extérieur. plesse, celui-ci devient le nœud et le nom de marque d'un vaste

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réseau d'entreprises en réseau qui projette sur les marchés travaille en étroite interaction avec eux : élaboration des pro-
.financiers l'image de sa compétence. duits en commun, perfectionnement des processus de produc-
Certes, Cisco est un concurrent impitoyable et, si la satisfac- tion. Elle coopère aussi activement avec de très grandes firmes,
tion des salariés paraît élevée (la rotation du personnel est extrê- dont ses concurrents directs, dans la recherche-développement
mement faible), tout n'est pas rose dans sa pratique des affaires. et la mise au point de technologies nouvelles, comme la pro-
Les Latino-Américains des équipes de nettoyage de ses bureaux metteuse technologie de communication à courte distance
(embauchés par des sous-traitants, naturellement) vous le Bluetooth et le protocole de communication IPv6, dans le cadre
diront : ils ne voient rien de grandiose à être payés 8 dollars de de 1'Internet EngineeringTask Force ' (Ali-Yrkko 2001).
l'heure et à vivre dans de misérables taudis au milieu de l'opu- En 2000 a débuté une vaste réorganisation qui, selon ses diri-
lence de la Silicon Valley. Malgré tout, l'audacieuse aventure geants Jorma Ollila et Pekka Ala-Pietila, va faire de Nokia une
économique qu'a incarnée le modèle Cisco dans les années cyberentreprise mondiale se donnant tous les moyens de l'élec-
1990 a inauguré une nouvelle façon de créer des richesses, tronique pour assurer l'ensemble de ses activités : elle passera
parce qu'il a associé l'option du réseau et Internet dans un ainsi «d'une chaîne de valeur statique à un réseau de valeur».
cercle vertueux d'innovations distribuées et de boucles de rétro- «Nous ne créons pas une organisation électronique qui va sim-
action positives entre les dirigeants de l'entreprise, les produc- plement doubler l'ancienne et coexister avec elle, soulignent-ils.
teurs et les consommateurs. Nous nous réinventons, nous nous requalifions pour nous pré-
La firme Cisco n'est nullement un cas isolé. Il est seulement, parer à une vie entièrement neuve.» Cette mutation, en cours
avec d'autres, l'une de celles qui ouvrent la voie. Certains obser- de réalisation en 2000-2001, devait avoir si bien pénétré l'en-
vateurs estiment d'ailleurs que le vrai pionnier du modèle de semble du réseau Nokia en 2003 que «matériellement, tous
1'«entreprise en réseau sur Internet» est Dell, le premier pro- les revenus de la firme seront réalisés électroniquement»
ducteur mondial d'ordinateurs portables. Dell travaille aussi sur (Nokia/lnsight 2001, p. 4). Les premiers résultats? Nokia, entre-
la base d'un site bien conçu, mis à jour en temps réel, que les prise au bord de la disparition en 1991, est devenue la firme
clients utilisent pour dessiner eux-mêmes l'ordinateur qu'ils dominante des communications mobiles. En 2001, elle a porté
veulent en recourant à toute une gamme d'options. En 2000, sa part du marché mondial des téléphones mobiles à 35 %, soit
90 "i) de ses commandes se traitaient en ligne. Comme Cisco, une très confortable avance sur Motorola (14 %) et Ericsson
Dell externalisé l'essentiel de sa production dans un réseau (9 %). En 2000, elle s'est assuré des revenus de plus de 30 mil-
mondialisé de fabricants connectés par Internet. liards d'euros (en progrès de 54% sur 1999) et des bénéfices
Le modèle de l'entreprise en réseau devient rapidement la d'exploitation de près de 6 milliards d'euros (en progrès de
forme d'organisation dominante dans l'industrie électronique,
l. Ainsi nommé en l'honneur du roi Harald à la Dent Bleue, qui christianisa le
où Nokia, Hewlett-Packard, ibm, Suri Microsystems et Oracle Danemark au x" siècle, Bluetooth est un projet de technologie de connexion par
comptent parmi les firmes les plus avancées dans la restructura- micro-ondes entre appareils portables, ordinateurs et téléphones dans le cadre
d'un pan (réseau personnel, à rayon limité) ; lancé par quelques grandes firmes
tion autour d'lnternet, tant pour ce qui concerne le produit que
(ibm, Intel, Nokia, Ericsson etToshiba), il est aujourd'hui soutenu par plus d'un
le processus de production. millier de sociétés.
Nokia, en particulier, s'est ainsi réorganisée au cours des IPv6 signifie Internet Pmtocol version 6. C'est la nouvelle version d'lP de la
années 1990 : elle a édifié un réseau multi-couches, qui réunit décennie 2000, prévue pour dépasser la limite des 4 milliards d'adresses (elles
sont codées sur 32 bits avec le protocole des années 1990, IPv4, et elles le seront
des centaines d'industriels en Finlande et dans le monde. Elle sur 128 bits avec IPV6).

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48 %). Au premier trimestre 2001, en dépit du marasme général sée pour mettre sur pied un modèle, fondé sur Internet, de
du secteur technologique, les ventes de Nokia ont augmenté de (c commerce coopératif» entre fournisseurs, fabricants et clients
22 % par rapport à la période correspondante de 2000, et ses dans le cadre d'un (c système de production de masse personna-
profits de 9,4 %. Attendons-nous à voir ses concurrents s'enga- lisé extrêmement flexible l), comme le dit son nouveau p-dg.
ger aussi dans ce type de stratégie électronique dans les pro- Mais il est un exemple probablement plus frappant encore de
chaines années. l'émergence du modèle de l'entreprise en réseau dans l'en-
Mais le modèle de l'entreprise en réseau, propulsé par semble du monde des affaires, et on le trouve dans l'un des sec-
Internet, ne se limite pas au secteur de la haute technologie. Il teurs d'activité les plus traditionnels, la confection. Zara est une
progresse vite dans toutes les branches d'activité. On retrouve, entreprise familiale espagnole de La Corogne (Galice), qui des-
par exemple, les mêmes méthodes de management, de produc- sine, fabrique et vend, dans sa chaîne de magasins sous licence,
tion et de distribution chez Valeo, fabricant français de pièces du prêt-à-porter mode à prix modéré. En quelques années, à la
détachées automobiles, qui sert 50 % de ses commandes en fin de la décennie 1990, elle a surgi du néant pour concurren-
ligne; ou chez Webcor, entreprise de construction de San cer de très grands succursalistes du vêtement comme Gap. À la
Mateo, Californie, devenue l'un des grands noms du bâtiment fin de 2000, Zara avait 2001 magasins répartis dans 34 pays,
en mettant sur son site toute l'information pertinente pour dont plusieurs à New York, Londres et Paris, et elle s'orientait
chaque projet, si bien que les architectes, les ouvriers, les four- vers la vente en ligne aux États-Unis. Sa société mère avait
nisseurs et les clients peuvent entrer en interaction et procéder atteint une valeur de capitalisation boursière de 2 milliards de
à des ajustements tout au long de la construction; ou encore dollars, chiffre qui n'impressionnera guère dans la Silicon Valley,
chez Weyerhauser, société du Wisconsin spécialisée dans les mais qui est sûrement respectable dans le commerce de détail
portes métalliques, qui, en automatisant sur un réseau interactif de l'habillement. Le secret de son succès, outre la bonne qualité
l'ensemble de ses opérations, a réduit ses frais de livraison et de du dessin dans la grande tradition de la mode galicienne, c'est
distribution, réduit ses erreurs et doublé ses revenus. Je pourrais sa structure en réseau informatisé. Sur le point de vente, les
parler du projet de Général Motors, Ford et Daimlerfhrysler employés du magasin ont en main un appareil programmé avec
de créer ensemble une bourse d'échange en ligne pour mournis- un modèle profilant, où ils peuvent enregistrer toutes les trans-
seurs de pièces détachées automobiles, ce qui pourrait bien actions. Ces données sont traitées, tous les jours, par le gérant
devenir la plus grande des entreprises électroniques, avec, selon du magasin, et envoyées au centre de La Corogne, où 200 sty-
les projections, des revenus de 6,9 milliards de dollars en 2002 ; listes travaillent sur les réactions du marché et redessinent leurs
ou de John Deere, la multinationale des machines agricoles, qui produits en temps réel. Les nouveaux dessins sont transmis à
met aussi en place des relations en réseau avec ses fournisseurs des découpeuses à laser informatisées dans l'établissement cen-
et ses clients; ou de Mérita Nordbanken, conglomérat bancaire tral de Galice, puis le tissu est assemblé conformément aux
finno-suédois qui gérait en 2000 la plus grande banque en ligne patrons, essentiellement dans des usines de la région. Grâce à
du monde, avec 1,2 million de clients, qui peuvent effectuer des ce système en réseau, Zara produit 12 000 modèles par an et
dépôts par téléphone mobile et payer électroniquement avec des réapprovisionne ses magasins dans le monde entier deux fois
cartes à puce et des téléphones intelligents, ce qui virtualise par semaine. La flexibilité de cette production en réseau permet
totalement l'argent; ou cî'abb, la plus grande firme de génie civil à l'entreprise de faire passer un nouveau patron de la planche à
du monde, qui, au début de 2001, s'est complètement réorgani- dessin au magasin en deux semaines. Dans les années 1980, le

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Le «cybermonde des affaires » et la nouuelle économie
La galaxie Internet
ligne avaient l'intention d'utiliser ces marchés, qui sont des
pionnier de ce modèle dans l'habillement, Benetton, avait un
bourses d'échange électroniques spécialisées, en 2002.
cycle dessin/production/distribution de six mois. Il a été dépassé
Une autre enquête de Forrester Research, au début de 2001,
par Gap lorsque la firme américaine a réduit ce cycle à deux a révélé que 35 % des l 000 plus grandes firmes nord-améri-
mois. Aujourd'hui, Zara met deux semaines : c'est la vitesse
caines vendaient déjà des produits en ligne, aux consommateurs
Internet. ou à d'autres entreprises, et que 46 % projetaient de le faire.
Les sociétés «purement en ligne )), comme les portails, les
I 'essence de l'entreprise électronique, c'est la connexion en
fournisseurs de contenus Internet en général et le commerce
réseau, interactive, par Internet, entre les producteurs, les
exclusivement électronique, s'appuient davantage encore sur
consommateurs et les fournisseurs de services. Là encore, le
Internet — on pouvait s'y attendre — pour organiser la gestion, la
message, c'est le réseau. C'est la possibilité d'un dialogue
production et la distribution (Vlamis et Smith 2001). Dans la
interactif, de la réception et de la distribution de données à
chaîne de valeur du commerce électronique, on a d'ailleurs ten-
l'échelle mondiale sur un mode personnalisé, qui entraîne la
dance à accorder plus d'importance aux systèmes de distribu-
réduction des coûts, la qualité, l'efficacité et la satisfaction du
tion de l'information qu'à l'information elle-même. Mais on
client — à moins que la gestion de la complexité n'aboutisse à
aurait tort de penser que l'activité de ces sociétés reste confinée
à la sphère purement virtuelle. Amazon, le vendeur en ligne l'effondrement du système, comme c'est trop souvent le cas,
d'abord de livres et de disques, puis d'une vaste gamme de biens révélant ainsi aux consommateurs indignés qu'ils pourraient
et de services, est aussi au centre d'un gigantesque système bien être les dindons de la farce de ce nouveau modèle d'en-
d'entrepôts et de transports, dont la majeure partie est externa- treprise. , , .
lisée à d'autres sociétés comme ups. De plus, un nouveau sec- Mais si l'organisation en réseau a précède la diffusion
teur se développe : ce qu'on appelle les entreprises {c Click and d'lnternet, quelle est la contribution spécifique de ce support
Mortar'», c'est-à-dire les firmes traditionnelles qui passent en technologique au nouveau modèle? Il permet la variation
ligne afin d'établir des relations directes avec leurs clients, tant d'échelle, l'interactiuité, la gestion de la j7exibilité, l'attribution de la
pour prendre les commandes que pour améliorer le service marque et la personnalisation dans l'économie en réseaux.
après vente. Par exemple decoratetoday.com, émanation en La variation d'échelle : le réseau peut comprendre autant ou
ligne d'American Blind & Wallpaper; ou performancebike.com, aussi peu de composantes, au niveau local ou mondial, qu'il en
faut pour chaque opération et pour chaque transaction. Être
filiale de Performance Technologies, très grand fournisseur
américain de pièces détachées de bicyclettes ; ou encore la cen- local ou mondial ne lui pose aucun problème technique, et il
trale d'achat sur Internet créée en commun par les grands dis- peut évoluer, s'étendre ou se contracter selon la géométrie
tributeurs Sears Roebuck et Carrefour pour gérer 80 milliards variable de la stratégie d'entreprise, sans avoir à subir le coût
de dollars par an d'approvisionnements. Les marchés électro- écrasant de capacités de production inutilisées puisque le sys-
niques, véritables grandes surfaces virtuelles, se développent à tème de production peut être reprogrammé ou réorienté par
un tel rythme que, selon une enquête effectuée par Forrester une procédure simple.
Research en 2000, les deux tiers des acheteurs et vendeurs en L'interactiuité, en temps réel ou choisi, avec les fournisseurs,
les clients, les sous-traitants et les salariés, a lieu dans le cadre
l. Expression calquée sur «Brick and Mortar» (des briques et du ciment). Les d'un système d'information et de prise de décision multi-
entreprises « Click and Mortar» n'ont pas seulement une présence en ligne (le directionnel, qui fait l'économie des canaux de communication
click), mais aussi une solide infrastructure matérielle.

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires )) et la nouuelle économie

verticale, mais ne perd pas pour autant la trace de la transac- la responsabilité du coordinateur de tout l'enchaînement d'opé-
tion. Il s'ensuit une information de meilleure qualité et un rations : le détenteur du nom de marque.
meilleur ajustement entre partenaires. La personnalisation est la clé du nouveau comportement des
La gestion de la flexibilité permet de garder le contrôle d'un entreprises. Avec le changemenr culrurel et la divcrsité de la
projet tout en étendant son espace d'exécution et en diversifiant demande mondiale, il est toujours plus difficile de satisfaire le
ses collaborateurs en fonction des besoins. Cette aptitude à marché par une production de masse standardisée. Mais les
associer direction stratégique et multiples interactions décentra- économies d'échelle comptent toujours : on a besoin de pro-
lisées avec des partenaires est cruciale pour atteindre les objectifs duire en gros volumes pour réduire les coûts marginaux. On
que la firme se fixe. Internet apporte la technologie nécessaire peut réaliser l'équilibre optimal entre volume et personnalisa-
pour intégrer d'autres firmes, dans une économie où la bonne tion en exploitant un réseau de production à grande échelle et
gestion des fusions et acquisitions est une question de vie ou de en personnalisant le produit final (qu'il s'agisse d'un bien ou
d'un service) à l'intention du consommateur individuel. C'est
mort pour les conglomérats issus de ces stratégies de regroupe-
ce qu'accomplit le va-et-vient personnalisé de l'interaction élec-
ment.
tronique. Mais une autre technique est à cet égard fort pré-
La marque est un signe de reconnaissance essentiel de la qua-
cieuse : le profilage automatisé intégré au modèle des
lité dans un monde économique où les clients sont confrontés à
transactions en ligne, qui permet à l'entreprise de cibler les pré-
une offre considérable, et où les investisseurs ont besoin d'un
symbole de capacité garantie à créer de la valeur. Mais com- férences spécifiques des consommateurs. Nous verrons plus
ment s'attribue la marque dans la pratique d'une économie où loin que ce profilage pose de graves problèmes, du point de vue
tout projet est le fruit d'un vaste effort multilatéral? La firme du respect de la vie privée et des droits des consommateurs.
nominalement responsable de chaque projet en récolte le succès Mais c'est une méthode efïicace pour cibler la publicité et les
ou l'échec, et accumule de la valeur symbolique sur son nom. ventes, et construire une base de données dynamique permet-
Mais, pour pouvoir l'attribuer sans courir de risque majeur de tant l'adaptation continue de la production à la demande du
marché. Si la personnalisation est le secret de la compétitivité
perdre son image de marque, elle doit faire en sorte que le
dans la nouvelle économie mondialisée, Internet est l'outil
contrôle qualité soit exercé tout au long de la chaîne de valeur.
«Intel imide» («Intel à l'intérieur») était une stratégie de marke- essentiel pour l'assurer dans le cadre d'une production et d'une
ting géniale pour faire reconnaître le produit et se donner un distribution de masse.
nom de marque de qualité. Certes, elle était facile à mettre en Ce qu'lnternet ajoute au modèle de l'entreprise en réseau,
œuvre sur un marché oligopolistique comme celui des ordina- c'est donc la capacité d'évoluer en liaison organique avec l'in-
teurs personnels à base Intel. Mais, dans un monde de produc- novation, les systèmes de production et la demande du marché,
tion complexe et de réseaux de distribution, attribuer sa marque tout en restant concentré sur l'objectif premier de toute entre-
suppose que deux conditions principales soient remplies : il faut prise : gagner de l'argent. Mais le problème, c'est que la façon
dominer l'innovation et contrôler étroitement le produit final. dont on le gagne dans la net-économie n'est pas aussi simple et
Les systèmes d'information fondés sur Internet autorisent les directe qu'à l'ère industrielle - car les réseaux d'ordinateurs ont
boucles de rétroaction positives dans les processus de produc- aussi transformé les marchés financiers, arbitres ultimes de la
tion et de vente — en provenance de toutes les composantes du valeur de chaque firme.
réseau —, ainsi que la détection et la correction des erreurs, sous

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires )) et la nouûelle économie

À mon sens, comme je vais l'expliquer, cette croissance


Capital électronique et cotation boursière
n'était pas pour l'essentiel spéculative ou (c exubérante», la cota-
À L'ÈRE D'ÏNTERNET
tion élevée des actions technologiques ne saurait être réduite à
La transformation des marchés des capitaux est à la source du une «bulle financière l), en dépit de la surévaluation évidente de
développement des sociétés Internet, et d'ailleurs de l'ensemble nombreuses firmes. Mais je ne pense pas pour autant que nous
de la nouvelle économie. Sans le financement des start-up inno- soyons dans une économie qui défie les lois de la gravité. Il res-
vantes par les firmes de capital-risque, il n'y aurait eu aucune sort de l'expérience historique et de la théorie économique que
croissance (c net-économique ». Et les détenteurs de capital- les valeurs qui montent finissent par descendre, ce qu'elles ont
risque n'ont pu se lancer dans une orgie de financements fait en 2000, et qu'elles peuvent remonter. Les questions, les
risqués, en dépit du taux de mortalité élevé de leurs investisse- vraies questions, sont : quand, de combien, et pourquoi? Pour y
ments (environ un tiers des projets aux États-Unis), qu'en rai- répondre, il nous faut examiner la mutation des marchés finan-
son des retours élevés assurés par la valeur de capitalisation ciers dans la dernière décennie, sous l'impact de la déréglemen-
boursière sans précédent que les marchés financiers ont tation, de la libéralisation, de l'innovation technologique et de
octroyée à beaucoup de ces entreprises novatrices. La chute la restructuration des entreprises.
brutale du cours des actions technologiques, qui a commencé le Nous assistons aujourd'hui au développement progressif
d'un marché financier mondialisé, interdépendant, fondé sur
10 mars 2000, n'a pu effacer l'extraordinaire croissance en
des réseaux d'ordinateurs, et qui suit des règles nouvelles pour
valeur réalisée par les firmes du secteur, dont les sociétés .coin
l'investissement des capitaux et l'évaluation des actions et des
survivantes, dans la dernière décennie. Malgré la liquidation, titres en général. À mesure que les technologies de l'informa-
dans le monde entier, de nombreuses start-up Internet dont les
tion se font plus puissantes et plus flexibles, et que les régle-
perspectives commerciales étaient trop fragiles pour survivre au
mentations nationales sont battues en brèche par les flux de
changement d'humeur du marché, la masse de capitaux attirés
capitaux et la transaction électronique, les marchés financiers
par les rémunérations élevées du secteur de la technologie de
s'intègrent et finissent par fonctionner comme une entité
pointe au cours des années 1990 et au-delà a été le carburant de unique, en temps réel et à l'échelle du globe. La possibilité de
la nouvelle économie. Si l'on observe ce qui s'est passé en cinq mettre en réseau par ordinateur les systèmes de transactions
ans, de 1996 au début de 2001, sur un marché financier d'une transforme donc les marchés financiers, et leurs nouvelles
grande volatilité, et même après le passage à la phase baissière règles apportent le capital nécessaire au financement de la net-
en 2000-2001, toutes les grandes firmes rechnologiques et un économie. Reprenons point par point ce raisonnement, fonda-
nombre important de start-up Internet ont accru considérable- mental mais complexe.
ment leur valeur boursière. D'ailleurs, après sa chute spectacu- Par quel mécanisme les marchés de capitaux financent-ils les
laire en 2000-2001, l'indice Nasdaq se trouvait en février 2001 innovations des entreprises électroniques ? Voici un enchaîne-
à environ trois fois son niveau de 1996. Il est tout à fait possible ment typique de la Silicon Valley à la fin des années 1990. Au
qu'il tombe encore, pour des raisons que j'analyserai plus loin, départ, il y a un projet audacieux d'activité lucrative, et une cer-
mais la longue période de croissance forte des années 1990 a taine connaissance de la façon dont la technologie Internet peut
d'ores et déjà transformé l'économie américaine et le noyau de y contribuer, mais par une innovation commerciale plus que
l'économie mondiale. technologique. N'oublions pas qu'alors la technologie est sou-

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires» et la nouuelle économie


vent en open-source, «hors commerce» : la vraie question est de capitalisation boursière pour obtenir davantage de capitaux, et
savoir ce qu'on pourrait en faire, et l'ingrédient essentiel ici est entre alors dans les affaires sérieuses. Non qu'elle espère faire
le talent. Or le talent s'achète, avec de l'argent, beaucoup d'ar- des profits rapidement : elle espère susciter assez d'espoirs soit
gent — ou, plus souvent, la promesse d'en donner. C'est sur cette pour devenir une entreprise viable, soit pour se faire acheter à
base que le projet est vendu à une société de capital-risque. Ces mi-parcours par une firme plus riche qui, en général, paie en
capitalistes-là sont tout près, dans la Silicon Valley. Un tiers de actions. Donc, au lieu de devenir de vrais milliardaires, les
tout le capital-risque des États-Unis est investi dans la baie de entrepreneurs qui vendent s'enrichissent sur le papier; ils
San Francisco. Dans la plupart des cas, il ne s'agit pas de socié- deviennent parties prenantes d'un plus grand rêve, qui a davan-
tés purement financières. Elles sont souvent issues du monde de tage de chances d'impressionner le marché financier à long
la technologie de pointe. Parfois, de riches entrepreneurs de ce terme. En principe, celui-ci finira par réagir en fonction du critère
secteur (les «anges ») investissent à titre personnel dans des pro- de base de l'économie : la capacité de la firme à faire rentrer de
jets prometteurs. Généralement, des investisseurs connaissant l'argent et à dégager des profits. Mais le moment où il jugera
bien la branche créent une société de capital-risque et entrent selon ce critère est extrêmement variable. Les anticipations de
en relation avec des firmes de placement extérieures, qui brû- retours élevés peuvent prolonger la patience des investisseurs, et
lent d'entrer sur un tel marché d'avenir. Les sociétés de capital- donner ainsi à l'innovation une chance supplémentaire de se
risque travaillent en contact étroit avec leurs start-up, guident révéler payante.
leurs initiatives, veillent sur leurs activités tant qu'elles les consi- Ce modèle de croissance forte associe l'innovation technolo-
dèrent comme un investissement potentiellement lucratif. gique, la créativité commerciale et le financement par le marché
Néanmoins, beaucoup de projets échouent. Ils n'atteignent sur la base des anticipations. Il n'est pas limité aux start-up
jamais la phase opérationnelle, ou sont battus par la concur- Internet; il explique aussi le succès des nouveaux grands de la
rence sur le marché. Mais le retour sur investissement de ceux technologie de pointe (Intel, Cisco, Suri Microsystems, Dell,
qui réussissent est si important qu'en moyenne les détenteurs Oracle, emc, aol, Yahoo !, E-bay, Amazon, et même Hewlett
de capital-risque font des profits bien supérieurs au rendement Packard et Microsoft à leurs débuts aventureux). Le destin des
des autres placements financiers (Gupta 2000; Zook 2001). grandes firmes traditionnelles qui se sont réinventées dans la
C'est bien pourquoi ils continuent, même s'ils resserrent leur nouvelle économie (comme Nokia, Ericsson, IBM) dépend aussi
emprise quand la Bourse est à la baisse - car, en dernière ana- de leur aptitude à séduire les investisseurs sur le marché bour-
lyse, le succès d'un projet dépend du jugement porté sur lui par sier par leur cotation. Et celle-ci est fonction de l'innovation
les marchés financiers. Avec le capital de départ obtenu de ce technologique, de l'innovation commerciale et de la «fabrica-
type de capitalistes, les entrepreneurs créent une firme, embau- tion d'image» dans les milieux financiers. Par exemple, l'expan-
chent des professionnels de talent, qu'ils paient essentiellement sion mondiale réussie de Nokia a eu trois piliers : Sé8
en stock options, c'est-à-dire en revenu différé (ou en espérance innovations technologiques (générations successives de télé-
d'un tel revenu), et travaillent assez pour pouvoir se transformer phone portable, avec toute une gamme d'applications, dont
en société anonyme par un ipo (Initial Public Offering). L'accueil 1'Internet mobile; et nouvelles technologies dans l'infrastruœ
que reçoit 1'ipo, c'est-à-dire la façon dont les investisseurs turc des réseaux) ; l'efficacité de son modèle de managemem
jugent le projet sur le marché financier, décide de sa vie ou de sa (intégration au noyau, réseau à la périphérie, organisation non
mort. Si le succès est suffisant, la société utilise sa valeur de hiérarchique) ; et son haut profil sur les marchés bourdOPO

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires » et la nouuelle économie

(avant d'être à son tour frappée par l'effondrement général des ces crises ne se sont pas étendues aux Bourses des États-Unis et
valeurs technologiques) (Ali-Yrkko et al. 2000). Ainsi le nou- d'Europe occidentale, et cela pour une simple raison : si l'on
veau marché financier est-il bel et bien la clé de la nouvelle éco- parlait alors beaucoup des marchés émergents, ils ne représen-
nomie.Voici ses traits principaux. taient à l'époque que 7 % de la valeur financière mondiale et
On constate d'abord qu'une dynamique toujours plus nette leur intégration aux très grandes Bourses était encore limitée.
de mondialisation et d'interdépendance anime les marchés À mesure qu'ils prennent de l'importance et que les réseaux
financiers. Les réglementations nationales comptent certes électroniques les relient plus étroitement aux grands centres,
encore (les différences d'un pays à l'autre offrent d'ailleurs des l'ampleur et la rapidité de la diffusion des mouvements finan-
occasions de spéculer), mais la liberté de circulation des capi- ciers vont probablement s'accroître, ce qui va accentuer l'inter-
taux, qui passant d'un marché à l'autre, achètent et revendent dépendance des marchés et multiplier les sources de volatilité.
sans entrave titres et devises, et la nature hybride des produits Deuxièmement, le système de transaction électronique trans-
financiers dérivés, souvent composés de titres d'origines forme les marchés financiers. Les ECN (Electronic Communication
diverses, enchevêtrent les marchés à un rythme accéléré. Cette Networks, réseaux de communication électroniques) se sont
interdépendance financière repose technologiquement sur un développés à partir des transactions du Nasdaq. Le Nasdaq,
réseau de réseaux d'ordinateurs, qui permet d'effectuer des créé en 1971, et qui a fusionné avec 1'American Stock Exchange
opérations et de prendre des décisions à l'échelle planétaire en en 1998, est, comme le New York Stock Exchange', une asso-
temps réel. À strictement parler, ces réseaux ne sont pas ciation à but non lucratif qui organise le commerce des actions.
Internet, parce qu'ils ne sont pas fondés sur ses protocoles, mais Mais il n'a pas de lieu central. C'est un marché électronique,
ce sont des réseaux d'ordinateurs et ils sont connectés à fondé sur des réseaux d'ordinateurs. Il a joué un rôle essentiel
Internet. L'intégration mondiale des marchés financiers rend de dans le développement de la nouvelle économie, car les firmes
plus en plus difficile leur réglementation par des institutions innovantes ont émis leurs offres publiques sur ce marché, en
nationales, ou même internationales. Avec des marchés des profitant de sa plus grande flexibilité. Les ecn mis en place par
changes pesant en moyenne, en 2000, nettement plus de 2 000 des agents de change, comme Instinct aux États-Unis (filiale du
milliards de dollars par jour, il est facile de comprendre pour- Reuters Group pIc), offrent aux investisseurs individuels la pos-
quoi l'intervention commune des banques centrales de 1'Union sibilité de trouver des informations et d'investir en ligne. Des
européenne, des États-Unis et du Japon pour soutenir l'euro en firmes comme Charles Schwabb et E*Trade ont accru considé-
septembre 2000 n'a pu enrayer sa baisse, jusqu'au moment où rablement leur part de marché en créant un réseau de comptes
les marchés ont changé d'avis. Il s'ensuit que les mouvements individuels sur Internet. Les sociétés financières et agents dc
financiers qui affectent n'importe quel marché n'importe où change traditionnels, comme Merrill Lynch, après avoir pro-
dans le monde sont potentiellement susceptibles de s'étendre à clamé qu'ils résisteraient à cette dérive, ont fini par ouvrir leurs
d'autres marchés, quelles que soient les différences entre éco- propres réseaux d'investissement électronique, car il était clair
nomies nationales et valeurs boursières. Cet effet de contagion que l'action, et l'argent, s'orientaient vers Internet, tant pour
a été typique de la crise des marchés financiers émergents en accéder à l'information que pour procéder aux opérations. Les
1997-1999 : les crises asiatique, russe et brésilienne se sont
l. Le New York Stock Exchange (NYSe) est la première Bourse de NewYork,
nourries entre elles, bien que les économies de ces trois régions celle que l'on appelle souvent Wall Street. L'American Stock Exchange, qui a
du monde soient fort dissemblables. Malgré certaines craintes, fusionné avec le Nasdaq, était la seconde.

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires» et la nouuelle économie

(c spéculateurs du quotidien )), acteurs individuels qui utilisent table. Les Bourses française, néerlandaise et belge ont décidé de
leurs propres outils d'information et de communication, ont s'unir dans Euronext, et les Bourses espagnole et italienne
peuplé la scène financière américaine à la fin des années 1990 et devraient graviter vers l'un des deux ou trois méga-marchés en
fait quelques incursions en Europe, avant d'être rudement gestation en Europe. Il est significatif que le projet de joim-uen-
secoués puis totalement décimés par la volatilité croissante du turc entre le Nasdaq et les Bourses de Londres et de Francfort
marché, à laquelle ils avaient contribué. Les ecn se sont déve- incluait la Bourse de Tokyo sur la base d'un système de tran-
loppés plus lentement en Europe, en raison du morcellement saction électronique : il créait ainsi un cadre pour le développe-
entre pays et d'une réglementation plus rigoureuse. Mais avec ment d'un Nasdaq planétaire. Wall Street prépare aussi un
l'arrivée de l'euro, la mutation technologique et la déréglemen- système mixte de transactions, électroniques et sur place. De
tation, les opérations électroniques se sont amplifiées dans la plus, sous la pression de la concurrence,Wa11 Street, le Nasdaq,
seconde moitié des années 1990. Easdaq, Tradepoint et yimay, les Bourses de Londres, de Stockholm et d'ailleurs s'orientent
entre autres, sont devenus des systèmes de transaction majeurs vers un statut à base d'actionnariat, qui les rendra plus flexibles,
sur les marchés européens. En mars 2000 a été créé à Londres plus compétitifs, et estompera leur image d'instances de régle-
E-crossnet, système de transaction directe entre investisseurs aux mentation. Bref, on s'oriente vers un rôle crucial de la transac-
intentions complémentaires, soutenu par de grandes firmes tion électronique, qui va devenir le cœur du marché financier, et
mondiales de gestion de fonds. vers l'unification des Bourses du monde entier en un petit
Les Bourses elles-mêmes deviennent électroniques. Pour ce nombre de nœuds capables d'attirer les investisseurs par leur
qui concerne les opérations à terme, les futures, la Bourse élec- masse et leur flexibilité. L'interdépendance des marchés finan-
tronique germano-suisse Eurex a dépassé le Chicago Board of ciers mondiaux va donc s'accroître en même temps que le
Trade en 1999, devenant ainsi le plus grand marché à terme du volume et la vitesse des transactions.
monde. Puis, en 2001, le Chicago Board ofTrade a fini par se Pourquoi la technologie des opérations est-elle importante?
joindre au mouvement et a fait alliance avec Eurex. Le matie' et Elle réduit les coûts de transaction d'au moins 50 %, ce qui
le liffe, les Bourses française et britannique des transactions à attire davantage d'investisseurs et augmente le nombre d'opéra-
terme, sont aussi passés à l'électronique dans la période 1998- tions. Elle offre des occasions d'investir en ligne, avec quatre
2000. À New York, Cantor Fitzgerald Broker, premier courtier conséquences.
en obligations du monde, a lancé en 1998 une Bourse électro- l. Elle porte le volume du marché à des montants sans pré-
nique pour acheter et vendre des contrats à terme sur les bons cédent, du fait qu'il devient capable de mobiliser l'épargne de
du trésor des États-Unis. La menace de la transaction électro- partout pour l'investir partout, tout en accélérant la rotation
nique a suscité des projets de fusion entre Bourses européennes. des investissements. Par exemple, le us Depository of Trust &
En 2000, la Bourse de Londres et celle de Francfort ont essayé Clearance Corp (DTCC), la principale chambre de compensa-
de s'entendre sur une fusion : il y aurait eu un marché à Londres tion américaine des actions et obligations, a traité en 1999 pour
pour les valeurs établies et un autre à Francfort, en joint-venture 70 000 milliards de dollars de titres et, au premier semestre
avec le Nasdaq, pour les valeurs de croissance. L'accord n'a pas 2000, le volume des transactions a augmenté de 66 % par rap"
tenu, en grande partie du fait de l'initiative de la Bourse sué- port à la même période de 1999 (ce qui représente, en chifFeS
doise om qui a tenté de s'emparer de la Bourse de Londres. annualisés, plus de dix fois la valeur du pib des États-unis..N
Mais les marchés financiers savent que fusionner est inéluc- cette date).

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires )) et la nouuelle éconoiniè

2. L'information en ligne devient pour les investisseurs un Le mécanisme d'évaluation sur les marchés financiers est le
élément essentiel de la prise de décision. processus décisif de notre économie. Certes, l'important pour
3. Il y a davantage de possibilités de désintermédiation, parce la croissance économique, du point de vue structurel, c'est la
que les investisseurs individuels et les courtiers en ligne productivité. Du point de vue de l'entreprise, ce sont les reve-
contournent les agents de change et les firmes d'investissement nus et les profits. Mais la croissance économique commence
traditionnels. par l'investissement, et pour les investisseurs, ce qui compte,
4. Les investisseurs réagissent instantanément aux change- c'est le retour sur investissement. C'est cela que détermine
ments de tendance du marché, car ils doivent rester en alerte l'évaluation des actions qui représentent leur investissement sur
face aux mouvements de cet univers complexe qui évolue à le marché financier. Autrement dit, ce qui motive l'investisse-
grande vitesse, et ils ont les moyens technologiques de mettre à ment, c'est la hausse du cours des actions, et non les revenus et
exécution leurs décisions financières en temps réel. les profits. Certes, peut-être y a-t-il un lien direct entre les pro-
Bref, la transaction électronique augmente le nombre fits et la hausse de l'action, et dans ce cas le critère d'évaluation
d'investisseurs, qui appliquent des stratégies extrêmement sur le marché financier devrait être tout aussi direct, et
diversifiées, en utilisant un réseau décentralisé de sources d'in- dépendre entièrement des résultats mesurables de la firme en
termes de revenus et de profits. Mais ce n'est pas ce que nous
vestissements, sur un marché mondial interdépendant qui fonc-
observons empiriquement à l'aube du xxi' siècle.
tionne à très grande vitesse. Le résultat net, c'est une croissance
Depuis près de dix ans, l'écart entre la valeur des actions et le
exponentielle de la volatilité — puisque la complexité, le volume
bénéfice par action n'a cessé de s'accroître régulièrement. Il est
et la rapidité suscitent un comportement de réaction rapide des
attesté que l'évaluation boursière des firmes s'est éloignée de
investisseurs, qui disposent d'lnternet, d'où une dynamique du
plus en plus de ce qu'en disaient leurs livres de compte. Il est
chaos et d'innombrables tentatives de deviner le marché en
certain que le jugement des marchés financiers sur les actions
temps réel plus vite que lui. La transformation des réalités tient compte des profits et des revenus. Mais ce ne sont pas les
financières et celle de la technologie des transactions ont donc seuls critères, loin de là. Des éléments immatériels intervien-
un effet convergent : elles font de la volatilité du marché une nent : selon certaines études, chaque dollar d'équipement infor-
tendance systémique. matique installé dans une entreprise fait monter son action de
C'est dans ce nouveau contexte technologico-financier que cinq dollars au moins, après contrôle des autres actifs.
les marchés évaluent les entreprises, et d'ailleurs tout ce qui est L'évaluation de la firme est même plus favorable encore quand
évaluable, puisque le nouveau calcul financier équipé de puis- l'investissement en technologies de l'information s'associe à un
sants modèles informatiques en est venu à coter pratiquement changement d'organisation (Brynjolfsson, Hitt et Yang 2000).
tout : les pays entiers (c'est la doctrine du (c plafond de souverai- D'autres facteurs immatériels importants du point de vue des
neté» fixé par l'évaluation financière), les obligations émises par marchés sont la marque, l'image de la société, l'efficacité de la
les Églises, les programmes écologiques, les institutions cultu- direction, et le secteur d'activité. Voilà pourquoi, ayant décidé
relles et pédagogiques, les municipalités, les régions ou les pro- qu'lnternet était la technologie de l'avenir, ils ont octroyé ins-
duits financiers dérivés (titres synthétiques qui combinent la tantanément un bonus à toute action qui lui était liée, sans tenir
valeur présente et future d'actions, d'obligations, de matières compte de l'importance du risque et, trop souvent, de l'irréa-
premières et de devises). lisme des perspectives commerciales de la firme. De même,

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires» et la nouuelle économie
après mars 2000, lorsque les marchés ont réagi négativement à lité. Mais les grands institutionnels, qui eux aussi réagissent à la
ce qui leur est apparu comme une surévaluation des actions vitesse d'lnternet en mobilisant des fonds colossaux, peuvent
technologiques, la dévalorisation de beaucoup de ces actions a distordre et gauchir l'évolution du marché selon une imprévi-
eu lieu, pour l'essentiel, sans prendre en considération les résul- sible résultante de l'interaction entre décisions privées et ten-
tats réels de chaque entreprise. dances systémiques.
Mais les marchés réagissent aussi aux conditions macroéco- Globalement, les marchés financiers ne sont contrôlés par
nomiques, et aux décisions politiques. Ou à leur anticipation. personne. Ils sont devenus une sorte d'automate, dont les mou-
Ou à l'écart entre ce qu'ils attendaient et ce qui s'est vraiment vements brusques ne répondent à aucune logique économique
passé. Ils réagissent également selon des critères non écono- rigoureuse, mais bien à une logique de complexité chaotique,
miques. Ils sont influencés par ce que j'appelle des turbulences de celle qui résulte de millions de décisions réagissant en temps
l'information d'origines diverses, comme l'incertitude politique, réel et sur une échelle planétaire à des turbulences de l'infor-
tels événements d'ordre juridique ou judiciaire (par exemple le mation d'origines diverses — dont les annonces économiques
procès antitrust contre Microsoft), telles prévisions technolo- sur les profits et les revenus. Ou leur anticipation. Ou l'événe-
giques (la mort de l'ordinateur personnel, ou l'essor de PInter- ment contraire à celui qu'on attendait.
net mobile), mais aussi les humeurs et les déclarations des Cette irruption du réel dans le fonctionnement concret des
grands décideurs (Greenspan ou Duisenberg, par exemple). marchés financiers à l'ère d'lnternet aide à mettre en perspec-
Comme l'a écrit Paul Volcker dans une analyse de la mutation tive le bruyant débat sur la surévaluation des sociétés Internet,
mondiale des marchés : «Les flux de capitaux et leur évaluation et plus largement de la nouvelle économie dans son ensemble.
sur des marchés financiers libres sont autant influencés par des Certes, on a assisté, et on assiste toujours — y compris après le
perceptions que par la réalité objective - disons, pour être plus retournement à la baisse -, à d'importantes surévaluations des
précis, que la perception est la réalité» (Volcker 2000, p. 78). chances de nombreuses sociétés de devenir un jour des entre-
Ce n'est pas vraiment nouveau. Mais, comme pour tout ce prises rentables. Mais prévoir que les percées technologiques et
qui touche à l'information, un saut qualitatif se produit à l'ère l'innovation commerciale vont apporter de bons retours sur
d'lnternet. On voit d'abord proliférer des rumeurs et des nou- investissement ne paraît pas être un signe d'exubérance irra-
velles facilement accessibles à tous. Les gourous financiers de tionnelle, comme dit Shiller dans le livre à succès où il critique
tout acabit publient en ligne les lettres d'information privilé- l'évaluation financière de la nouvelle économie (Shiller 1999).
giées qu'ils adressaient jusque-là à leurs clients dirigeants d'en- D'ailleurs, certaines des célèbres (c bulles )) financières histo-
treprise. Des firmes spécialisées comme Whisper.com mettent riques (si souvent évoquées, ces temps-ci, par les tenants du
en circulation sur Internet des rumeurs et des fuites qui, autre- conservatisme économique) ne semblent pas, avec le recul,
fois, ne sortaient pas de petits cercles d'initiés. Les nouvelles avoir été aussi spéculatives qu'on le pensait (Garber 2000).
visant à manipuler le marché ou à l'impressionner favorable- Considérer qu'lnternet ou le génie génétique sont les moteurs
ment — certaines sérieuses, d'autres non, mais qui peut savoir? —, technologiques de l'économie du xxi' siècle et investir dans les
créent un environnement marqué par l'incertitude. Dans ce firmes productrices ou premières utilisatrices de ces grandes
contexte, les investisseurs doivent réagir en temps réel, avant innovations indépendamment de leur rentabilité à court terme
que la vitesse du marché ne leur fasse payer leur hésitation. Les ne paraît pas entièrement irrationnel. Ce serait même moins
individuels, par leur nombre, multiplient les sources de volati- «exubérant» que de parier sur le maintien du statu quo en pleine

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Le «cybermonde des affaires » et la nouuelle économie
La galaxie Internet
50 % de leur valeur parce que leurs revenus n'étaient pas aussi
révolution technologique du traitement de l'information, dans
brillants qu'on l'avait prévu. Yahoo ! a consolidé sa position de
une économie où une bonne moitié de la population active
premier portail du monde, continué à augmenter ses revenus et
traite de l'information.
à annoncer des profits, et pourtant son action a perdu 80 % de
Donc, certaines actions ont été ou sont surévaluées. Mais de
sa valeur - et son p-dg a dû démissionner en mars 2001.
combien? La réponse habituelle ("le marché en décidera ») est
Nlicrosoft, menacé de démantèlement antitrust et s'accrochant
purement tautologique, parce que c'est précisément le marché
au monopole d'un marché en voie de disparition (celui de l'or-
qui leur a conféré une valeur aussi élevée au départ, bien supé-
dinateur personnel), a baissé également, mais pas plus que
rieure à celle que l'application des critères traditionnels leur
d'autres firmes qui n'étaient pas confrontées à une conjoncture
aurait reconnue. Donc, on suppose implicitement que le mar-
ché finira ,par fixer la «vraie valeur». Mais quand ? À quel aussi critique. Et son action est remontée en octobre 2000 sans
que ses perspectives globales aient fondamentalement changé.
moment? A long terme? Le long terme n'est pas un décret du
T 'action Amazon est tombée de 60 % au cours de l'été 2000 en
destin, il résulte de la succession des courts termes. Il n'est pas
dépit d'une augmentation spectaculaire de ses ventes (84 %) au
écrit d'avance, il est enfermé dans une trajectoire contingente
deuxième trimestre 2000, qui lui a permis d'atteindre un chiffre
issue d'événements contingents. En outre, si nous observons le
de ventes total de près de 3 milliards de dollars pour l'année.
comportement des marchés financiers au cours du second
Certes, Amazon n'avait pas encore annoncé le moindre profit,
semestre 2000, nous constatons qu'ils ont sonné le glas des
mais cela ne l'avait jamais empêchée, depuis sa création, de
valeurs de la nouvelle économie. Pourtant, la surévaluation s'est
séduire les investisseurs, persuadés que l'entreprise qui s'impo-
accompagnée de sous-évaluations, si l'on en juge par les critères
serait rapidement dans le métier de la vente des livres et des
traditionnels de la saine gestion. Oui, beaucoup de start-up
disques en ligne construirait une base solide de futurs profits
Internet n'étaient pas viables, et l'épreuve des marchés finan-
dans le cadre de sa courbe d'apprentissage. Ce qui ne paraît pas
ciers était peut-être nécessaire pour qu'une correction darwi-
déraisonnable. Malgré tout, l'humeur a tourné à l'aigre, par
nienne vienne muscler la net-économie. Mais en même temps,
contagion de la déception ressentie face à des start-uP plus
de très grandes firmes technologiques, à la pointe de l'innova-
aventureuses — ce qui a contraint Amazon à licencier des mil-
tion, gérées efficacement, engrangeant des revenus et déclarant
liers de salariés et à fermer deux entrepôts au début de l'année
des profits, se sont vu infliger par les marchés un châtiment
totalement disproportionné aux causes manifestes de leur 2001. , .
baisse de résultat. L'action Nokia, par exemple, a enregistré un Bref, le choc 2000-2001 n'a pas touché seulement, ni même
principalement, les sociétés Internet naissantes. Il a frappé pra-
recul majeur, en dépit des bons résultats économiques de l'en-
tiquement toutes les compagnies technologiques, et plus encore
treprise : celle-ci avait annoncé que la sortie du modèle suivant
la Bourse en général, globalement. Des entreprises saines, à la
de téléphone mobile était retardée, et que ses revenus augmen-
situation impeccable au regard des critères d'évaluation tradi-
teraient plus lentement au trimestre suivant. Cisco a continué à
tionnels, sont tombées en même temps qu'une foule de start-uP
accumuler des recettes et des profits, et accru sa part de marché
faisant n'importe quoi. Seule une poignée de firmes ont
dans le domaine essentiel des équipements d'épine dorsale
échappé à la dévalorisation sur le marché boursier, en particu-
Internet. En vain : son action a considérablement baissé. Dell,
lier les compagnies de distribution d'électricité, bien connues
premier fabricant d'ordinateurs portables, et Intel, chef de file
des Californiens pour leurs pratiques irréprochables. En
reconnu de l'industrie microélectronique, ont perdu chacun

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"m

La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires » et la nouuelle économie

revanche, l'habileté à faire de grandes phrases, ou à soigner son important que jamais dans une économie qui repose sur la
image, s'est révélée payante pour ralentir la baisse du cours. capacité à récupérer, traiter et mettre en œuvre l'information,
Nokia en a donné un bel exemple. Ayant très durement appris et toujours plus souvent en ligne. Le fait est là : nous vivons
ce que coûtent les déclarations malvenues quand son action a une véritable explosion de l'information. Suivant une étude de "
chuté au cours de l'été 2000, elle a annoncé le 19 octobre 2000 l'université de Californie Berkeley (Lyman etVarian 2000), il y
des revenus prometteurs pour la fin du trimestre. Son action est a environ 550 milliards de documents sur la Toile (dont 95 %
montée de 27 % en un jour, relançant l'indice Nasdaq — bien en accès libre) et l'information en ligne augmente de 7,3 mil-
que Nokia ne se négocie pas au Nasdaq ! Cependant, les actions lions de pages par jour. La production quotidienne de e-mails
Nokia ont finalement été, elles aussi, prises au piège du marché est 500 fois supérieure à celle des pages. La production
baissier. annuelle mondiale d'information sous toutes ses formes repré-
Ce n'est donc pas un retour aux critères traditionnels de juge- sente 1,5 milliard de gigaoctets - et elle était numérique à 93 %
ment qui aura marqué le retournement brutal du cours des en 1999. Donc, d'un côté, les entreprises ont désormais accès
actions technologiques en 2000-2001, mais l'ampleur de la à une gamme extraordinaire d'informations, qui, grâce au sto-
volatilité sur les marchés financiers, et notamment sur les mar- ckage magnétique, au traitement numérique et à Internet, peu-
chés à croissance forte où les investisseurs circulent et agissent vent être recombinées et appliquées à toute fin dans tout
à la vitesse d'lnternet. Il n'en ressort pas qu'il y a eu «exubé- contexte. De l'autre, cette situation fait peser sur le personnel
rance irrationnelle )} suivie d'un dégrisement soudain, mais au une pression extraordinaire. L'économie électronique ne peut
contraire nervosité paniquarde imposée structurellement par la fonctionner sans actifs capables de naviguer, tant technique-
mondialisation, la déréglementation et la transaction électro- ment que pour ce qui concerne le contenu, sur cet océan
nique. Cette expérience ne témoigne pas du retour en force du d'informations, en l'organisant, en le ciblant, et en le transfor-
cycle des affaires habituel, mais de l'émergence d'un nouveau mant en savoir spécifique approprié à la nature et au but de
type de cycle, d'un nouveau climat des affaires, en fait : il se leur travail.
caractérise par la volatilité et l'alternance de mouvements très Ce type de main-d'œuvre doit être très instruite et capable de
violents de l'évaluation boursière à la hausse et à la baisse, pro- prendre des initiatives. Les entreprises, petites ou grandes,
voqués par des turbulences de l'information qui associent les dépendent ainsi de la qualité et de l'autonomie de leur person-
critères économiques à d'autres facteurs de jugement (Mandel nel. Qualité qui ne se mesure pas seulement au nombre d'an-
2000). À l'ère d'lnternet, caractérisée par la volatilité systé- nées d'études, mais aussi au type d'éducation reçue. Dans
mique de marchés financiers mus par l'information, l'aptitude à l'économie électronique, le travailleur doit savoir se reprogram-
vivre dangereusement devient un impératif quotidien des entre- mer, au niveau de ses compétences, de ses connaissances, de
prises. son mode de pensée, en fonction de l'évolution de ses tâches
dans un contexte économique qui se transforme. Le travailleur
autoprogrammable doit avoir reçu une éducation qui lui per-
Le travail dans l'économie électronique mette d'étendre et de modifier, tout au long de sa vie profes-
Si l'évaluation des marchés financiers fournit le socle de l'ac- sionnelle, le stock de connaissances et d'informations accumulé
tivité de l'entreprise, le travail reste la source de la productivité, dans son esprit.Tout cela a un impact extraordinaire sur ce qu'il
de l'innovation et de la compétitivité. Il est d'ailleurs plus faut demander au système éducatif, tant pendant les années de

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires » et la nouvelle économie

formation initiale qu'au cours de la formation permanente et de efficaces et les plus brillants dans la prochaine belle aventure.
la réacquisition de connaissances qui se poursuivent à l'âge En 1999, il y avait environ 65 nouveaux «millionnaires sur le
adulte. Entre autres conséquences, une cyberéconomie a besoin papier» par jour dans la Silicon Valley. Même la grande décep-
qu'un cyberapprentissage accompagne constamment la vie pro- tion consécutive au retournement du marché en 2000 n'a pas
fessionnelle. Quels sont ses impératifs principaux? D'une part, anéanti cette motivation, mais inspiré simplement plus de cir-
savoir apprendre : la plupart des informations particulières conspection à ceux qui associaient un peu trop rapidement
deviendront probablement obsolètes en quelques années, options de vie et stock options.
puisque nous vivons dans une économie qui change à la vitesse La rémunération par stock options est en fait une excellente
d'lnternet. D'autre part, pouvoir transformer en savoir spéci- affaire pour l'entreprise. Non seulement parce qu'elle contribue
fique l'information obtenue en apprenant. à lui attacher son personnel, mais aussi parce que le montant
des salaires à payer s'allège d'autant. En outre, aux États-Unis,
Mais la main-d'œuvre autoprogrammable ne peut déployer
ses capacités dans le contexte rigide de l'entreprise tradition- les firmes peuvent déduire de leurs impôts la valeur des stock
nelle. Bresnahan, Brynjolfsson et Hitt (2000) ont décrit empiri- options. C'est ainsi que certaines grandes entreprises ne paient
quement les boucles de rétroaction positives entre technologies pas du tout l'impôt sur les sociétés grâce à cette faille de la
de l'information, flexibilité organisationnelle et personnel très réglementation fiscale, vestige d'une époque où les stock options
qualifié au niveau de l'entreprise. La firme électronique, en étaient une procédure exceptionnelle réservée à une poignée de
ligne comme hors ligne, est fondée sur la hiérarchie minimale, le très hauts dirigeants. Quant aux salariés, le paiement en stock
travail en équipe et l'interaction facile et ouverte entre salariés options ressuscite à leur intention le vieil idéal anarchiste de
et cadres de direction, entre services et entre niveaux. L'entre- l'autogestion, puisqu'ils se retrouvent copropriétaires, copro-
prise en réseau est mise en œuvre par des travailleurs en réseau, ducteurs et cogérants de l'entreprise.
qui mobilisent tout le potentiel d'lnternet et sont équipés de T 'autonomie, l'engagement et cette forme modérée de pro-
leur propre capital intellectuel.
priété coopérative ont un prix : le dévouement total aux projets
Le talent est le facteur de production essentiel de l'entreprise de l'entreprise, bien au-delà de ce que stipulent les contrats.
électronique.Tout, absolument tout, repose sur la capacité d'at- Pour les professionnels employés dans les firmes de la Silicon
tirer, de retenir et d'utiliser efficacement des professionnels de Valley ou autour d'elles, travailler plus de 65 heures par
talent. Sur un marché du travail aussi difficile et concurrentiel semaine est la norme, et il n'y a pas de nuit de sommeil à la
que celui de la main-d'œuvre autoprogrammable, les firmes veille de la remise d'un grand projet. Ce type d'horaires est,
recourent à plusieurs incitations pour conserver leurs meilleurs semble-t-il, omniprésent dans la branche Internet, de Barcelone
salariés. Outre les astuces classiques (avantages, cadeaux, à Paris ou à Helsinki.
primes), la principale stratégie pour les attacher à l'entreprise La résurrection historique de l'autonomie du travail après la
consiste à les rémunérer partiellement en stock options, afin de bureaucratisation de l'ère industrielle est encore plus évidente
les intéresser directement à la capitalisation boursière. Leur sort dans le développement des microentreprises, très souvent com-
personnel est ainsi lié au succès de la firme — au moins pour un posées d'un seul individu qui travaille comme consultant et
temps, jusqu'à ce qu'ils aient gagné assez d'argent pour prendre
sous-traitant. Ces entrepreneurs possèdent leurs moyens de
leur indépendance. Les exemples de capitalisation boursière
production : un ordinateur, une ligne téléphonique, un télé-
prodigieuse servent d'aimant pour attirer les éléments les plus phone portable, un lieu quelque part (souvent chez eux), leur

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La galaxie Internet Le «cybermonde des aûaires » et la nouuelle économie

instruction, leur expérience, et leur actif principal — leur cer- propre entreprise. Selon une étude d'Anna Lee Saxenian, sur
veau. Ils accumulent leur propre capital, qu'ils investissent sou- l'ensemble des nouvelles sociétés fondées dans la Silicon Valley
vent en actions des entreprises pour lesquelles ils travaillent. Ce au cours des années 1990, environ 30 % étaient dirigées par un
double mouvement de concentration du capital et de désagré- p-dg immigré venu dinde ou de Chine (Saxenian 1999). Et ce
gation de la main-d'œuvre est l'une des surprises historiques pourcentage n'inclut pas les nombreux entrepreneurs immigrés
induites par l'économie électronique. venus d'autres pays, en particulier de Russie, d'lsraël et du
Le rôle essentiel que joue le travailleur autoprogrammable Mexique.
dans le cybermonde des affaires a créé une pénurie de ce type L'Europe, en dépit de sa xénophobie croissante, a compris
de main-d'œuvre dans les branches et les régions du monde les qu'elle avait vraiment besoin de main-d'œuvre immigrée pour
plus dynamiques. De la Silicon Valley à Stockholm, de répondre à ses besoins dans ces domaines : les projections pour
1'Angleterre à la Finlande, c'est devenu le plus grave problème 2004 ont indiqué que plus de 25 % des offires d'emploi dans les
des entreprises d'avant-garde : où trouver des ingénieurs, des
technologies de l'information ne pourraient être satisfaites par
programmeurs, des professionnels du commerce électronique,
les marchés du travail européens. En 2000, le Royaume-Uni a
des analystes financiers, ou simplement des salariés capables
adopté une législation accordant 100 000 visas spéciaux d'im-
d'acquérir de nouvelles compétences, comme l'exige un marché
migration par an, et 1'Allemagne en a fait autant, sur fond de
toujours changeant? De plus en plus nombreuses à obtenir des
protestation de l'opinion, pour 20 000 visas. En Finlande,
diplômes universitaires et entrées en masse dans la population
Nokia ne cesse de demander au gouvernement que l'impôt sur
active rétribuée, les femmes sont une source majeure de cette
le revenu, très élevé, soit plafonné à un taux maximal de 30 %
main-d'œuvre compétente, flexible et autonome que réclame
l'économie électronique. Même si la discrimination entre les pour les salariés travaillant dans le pays pendant une période
sexes persiste dans le monde des entreprises, elles sont désor- limitée. Sinon, elle ne parviendra pas à attirer le type de profes-
mais bien présentes à tous les niveaux de la hiérarchie profes- sionnels dont elle a besoin pour être en mesure de gagner les
sionnelle et, sous leur pression, l'écart des salaires avec leurs prochaines batailles de l'innovation technologique.
homologues masculins s'est réduit au cours des années 1990. Il n'est pas sans intérêt de noter que, selon les études d'Anna
L'intégration structurelle des femmes au marché du travail a été Lee Saxenian et d'autres, l'immigration dans la Silicon Valley
la base indispensable au développement de la nouvelle écono- n'est pas nécessairement une perte pour les pays d'origine
mie, avec les conséquences que l'on devine sur la vie de famille (Saxenian 1999; Balaji 2000). Beaucoup d'immigrés, dès qu'ils
et l'organisation sociale dans son ensemble. sont installés dans un grand centre technologique et commer-
L'autre grande source d'approvisionnement en talents a été cial, créent en effet des entreprises dans leurs pays et jettent un
l'immigration, en particulier aux États-Unis. En 2000-2001, ce pont entre la Californie et l'inde, Taïwan, Israël, le Mexique,
pays absorbe plus de 200 000 travailleurs étrangers très qualifiés etc. Ces nouvelles firmes établissent leurs propres réseaux dans
par an, munis de visas spéciaux, en plus des dizaines de milliers ces pays, si bien que de nouveaux entrepreneurs émigrent vers
d'autres qu'il emploie en ligne, en les faisant travailler soit dans la Silicon Valley et reproduisent tout le processus. Autrement
leurs pays d'origine, soit dans des (c centres de développement» dit, globalement, ce n'est pas à une nouvelle vague de drainage
off-shore, notamment dans les Caraïbes. Après avoir obtenu leur des cerveaux que nous assistons, mais à une circulation accrue
titre de séjour permanent, beaucoup d'immigrés créent leur des cerveaux.

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires» et La nouuelle économie

Certes, toute la main-d'œuvre n'est pas autoprogrammable, sociales, les priorités des entreprises et les structures d'inégalité
ni dans l'économie traditionnelle ni dans la net-économie. J'ai jouent en sens inverse, la main-d'œuvre générique reste néces-
proposé, dans mes écrits précédents, de distinguer entre main- saire quantitativement, et non qualitativement, dans la contri-
d'œuvre autoprogrammable et main-d'œuvre générique. Cette bution décisive du travail à la productivité et à l'innovation de
dernière rassemble les travailleurs qui n'ont pas de qualification l'économie électronique.
spéciale, ni d'aptitude spéciale à en acquérir dans le processus Une transformation fondamentale des rapports sociaux dans
de production, autre que celle qui est nécessaire pour exécuter l'entreprise touche à la fois les mains-d'œuvre autoprogram-
les instructions de la maîtrise. La main-d'œuvre générique peut mable et générique : la flexibilité. La réorganisation en réseau
être remplacée par des machines, ou par une autre main- des entreprises, le rythme accéléré de l'économie mondiale et
d'œuvre générique n'importe où dans le monde, et le dosage l'aptitude des individus et des firmes à travailler en ligne appel-
entre machines, personnel local et personnel à distance dépend lent une structure flexible de l'emploi. La notion de plan de car-
des calculs propres à chaque entreprise. L'appartenance à la rière prévisible, avec travail à temps plein, dans une seule
main-d'œuvre générique n'a évidemment rien à voir avec les entreprise ou dans le secteur public, sur une longue période, et
qualités individuelles. C'est le résultat d'un manque d'investis- dans le cadre d'une définition précise, stipulée par contrat, de
sement social et personnel en capital intellectuel dans un être droits et d'obligations communs à une grande partie de la
humain. Précisons aussi que les tâches exécutées par la main- main-d'œuvre, est en voie de disparition dans la pratique des
d'œuvre générique sont nécessaires à l'économie dans son entreprises — quand bien même elle persiste sur certains mar-
ensemble, et ne sont pas forcément «non qualifiées )) par nature. chés du travail extrêmement réglementés et dans le secteur
C'est le jugement de l'organisation sociale qui les rend telles. public (partout en reflux). Martin Carnoy (2000) a bien mon-
Pensons aux agents de sécurité privés, l'un des métiers de ser- tré, dans son livre pionnier sur la mutation de la main-d'œuvre
vice peu qualifiés qui se développent le plus vite dans tous les dans la nouvelle économie, que le travail indépendant, le temps
pays. En elle-même, cette activité devrait être particulièrement partiel, le travail temporaire, la sous-traitance et les activités de
qualifiée : porter une arme, avec autorisation de s'en servir, conseil sont en plein essor dans toutes les économies avancées.
devrait nécessiter une formation appropriée, pas seulement Dans la plupart des économies moins développées, la majorité
dans le tir et les arts martiaux, mais en droit, en psychologie, en de la population active urbaine travaille dans le secteur informel
maîtrise de soi dans les situations de stress et d'extrême tension. entièrement dérèglementé et fondé sur l'emploi précaire. La
Toutes ces qualités devraient réclamer une formation supé- tendance générale est claire : l'homme de l'organisation, c'est
rieure, et l'aptitude générale à autoprogrammer ses compétences fini; la femme flexible, ça commence.
en fonction des contextes et de l'évolution technologique. Mais Les recherches de Chris Benner (2001) ont démontré que les
les institutions sociales sont loin de privilégier ces emplois en pratiques de flexibilité de l'emploi instaurées par le recours aux
termes de salaires, de formation et de procédures de recrute- intermédiaires et les politiques d'embauche flexibles sont le
ment, si bien qu'ils sont occupés par un personnel générique, et signe distinctif de l'économie de la Silicon Valley. Une étude
que la qualité d'exécution des tâches laisse souvent à désirer. empirique de l'ucsMField Institute (1999) sur un échantillon
Puisque le savoir et l'information se diffusent dans l'ensemble représentatif de la main-d'œuvre de Californie en 1999 a révélé
de la société et du monde, toute la population active pourrait et que la proportion des structures traditionnelles de l'emploi s'est
devrait être autoprogrammable. Mais, tant que les institutions considérablement amenuisée. Sur la base d'une définition très

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires» et la nouuelle économie

stricte de l'emploi traditionnel - un emploi unique, qu'on lution réelle du taux de productivité et sur ses sources oppose
occupe à temps plein, toute la journée, toute l'année, en qualité depuis des années les économistes. Mesurer la productivité est
de salarié permanent, rétribué par la firme pour laquelle on toujours une opération risquée, et elle est particulièrement
effectue le travail, sans travailler à domicile ou en tant que sous- compliquée dans notre économie pour trois grandes raisons : la
traitant indépendant —, cette étude a établi que 33 % seulement plupart des actifs travaillent dans les services, là où la producti-
des travailleurs de Californie se trouvaient dans ce cas. Ajoutons vité du travail est la plus difhcile à évaluer; les catégories statis-
à ce statut «traditionnel» une condition supplémentaire — trois tiques élaborées à l'ère industrielle sont lamentablement
ans d'ancienneté au moins dans la même entreprise —, et le inadaptées à l'économie de l'information (le département du
pourcentage tombe à 22 %. Travail des États-Unis, par exemple, a classé jusqu'en 1998 les
Les marchés du travail européens ont moins de flexibilité, achats de logiciels parmi les dépenses de consommation et non
mais l'évolution générale va dans le même sens, comme le d'investissement) ; les entreprises travaillent au sein de réseaux
montre Carnoy (2000). Ce qui varie d'un pays à l'autre, en planétaires de production et de distribution, si bien que la
fonction de la législation du travail et du code des impôts, c'est mesure de la productivité devrait en fait porter sur les contri-
la forme de cette flexibilité. Par exemple, 1'Italie et le Royaume- butions respectives à la productivité tout au long de la chaîne de
Uni ont le pourcentage de travailleurs indépendants le plus valeur, ce dont les méthodes comptables actuelles sont bien
élevé de 1'ocde, tandis que les Pays-Bas sont passés d'un taux incapables. Ajoutons le décalage temporel qu'ont observé les
de chômage considérable dans les années 1980 au plus bas historiens de l'économie entre les révolutions technologiques et
d'Europe en 2000 en créant de très nombreux emplois à temps leur impact concret au niveau de l'entreprise, et nous compren-
partiel (essentiellement occupés par des femmes) assortis d'une drons mieux le «paradoxe de la productivité» qui a laissé per-
couverture sociale complète, assurée par PÉtât. plexes les économistes pendant des années.
La flexibilité du travail, les modèles variés de l'emploi, la Cependant, de récents changements dans les catégories sta-
diversité des conditions de travail et l'individualisation des rela- tistiques des États-Unis et de meilleures procédures comptables
tions salariés-patronat sont des traits caractéristiques de l'entre- semblent indiquer que les investissements massifs en technolo-
prise électronique. Mais, à partir du noyau de la nouvelle gies de l'information, couplés aux changements organisation-
économie, les pratiques du travail flexible se diffusent progressi- nels privilégiant les réseaux, ont eu pour effet une forte
vemenr sur l'ensemble du marché du travail, contribuant à créer croissance de la productivité. Après tout, en bonne théorie éco-
une forme nouvelle de structure sociale, celle que j'ai définie par nomique, seule une hausse de la productivité peut expliquer
le concept de société en réseaux. qu'une économie ait un taux de croissance régulièrement élevé
sur une longue période dans une situation de plein emploi ou
presque, d'augmentation des revenus et d'inflation faible,
La productivité, l'innovation et la nouvelle économie
comme cela s'est passé aux États-Unis de 1993 à la fin de 2000.
Si l'on est en droit de parler de nouvelle économie, c'est parce Si, au cours de la décennie 1985-1995, la productivité du travail
que l'on assiste à une forte poussée de croissance de la produc- a connu dans ce pays un taux de croissance annuel moyen de
tivité. Sans cette très vive accélération, nous pourrions toujours 1,4 %, celui-ci a doublé dans la période 1996-2000 : 2,8 %,
dire qu'il y a révolution technologique, mais pas nécessairement Dans les douze mois qui séparent le deuxième trimestre 1999
nouvelle économie. Voilà pourquoi un débat acharné sur l'évo- du deuxième trimestre 2000, la productivité du travail a aug-

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"

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mérité au taux ahurissant de 5,2 %. Diverses estimations fixent Brynjolfsson et Hitt dans l'étude qu'ils ont consacrée à 600
la croissance projetée de la productivité pour la décennie 2000- firmes américaines de 1987 à 1994 (1998) : ils ont ainsi démon-
2010 quelque part entre 2,3 et 4 % par an - bien que la baisse tré que la décentralisation interne et la réorganisation en
du cours des actions en 2000-2001 et au-delà risque de modi- réseaux étaient les conditions nécessaires pour que les techno-
fier sensiblement les prévisions en ralentissant l'investissement, logies de l'information contribuent à augmenter la productivité.
donc l'innovation, la croissance de la productivité et la crois- Lucas (1999) a aussi prouvé, sur la base d'une série d'études de
sance économique. Néanmoins, au quatrième trimestre 2000, cas, que les bénéfices de l'investissement en technologies de
période où l'économie américaine ralentissait fortement, la pro- l'information pour l'entreprise, s'ils sont généralement positifs,
ductivité du travail a augmenté à un taux annualisé de 2,4 %, sont de divers types. Ils ne sont pas tous mesurables en termes
inférieur à celui du trimestre précédent, mais sufhsant pour por- de retour sur investissement. Mais la technologie est en général
ter la croissance annuelle de la productivité sur l'ensemble de un facteur essentiel pour bien positionner la firme au niveau du
l'année 2000 à 4,3 %. Ainsi, même si l'on s'en tient à la valeur produit, du processus de production et du marché.
basse des estimations, qui situe la croissance future de la pro- En résumé, les États-Unis ont connu, pendant la seconde
ductivité autour de 2,3 % par an, on constate une importante moitié des années 1990, une importante augmentation de l'in-
amélioration de l'évolution de la productivité américaine par vestissement en technologies de l'information et en logiciels,
rapport aux deux décennies précédentes, et celle-ci pose les qui en 2000 représentait 50 % de l'investissement total des
bases de l'essor d'une nouvelle économie dont les contours et la entreprises. Cet effort, et la refonte organisationnelle simulta-
logique ne sont pas encore pleinement apparus. née, en particulier la diffusion du réseau à base Internet comme
Les études de Stephen Oliner et Daniel Sichel à la Federal pratique d'entreprise tout à fait courante, semblent être les fac-
Réserve Bank de Washington, de Dale Jorgenson à Harvard et teurs cruciaux qui ont déterminé la croissance de la producti-
de Kévin Stiroh à la Federal Réserve de NewYork, entre autres, vité du travail - source ultime de la création de valeur et base de
ont conclu que l'investissement en technologies de l'informa- la nouvelle économie.
tion et la forte productivité de l'industrie informatique ont été Dans d'autres régions du monde, tant l'investissement en
des facteurs décisifs pour stimuler la croissance de la producti- technologies de l'information que la diffusion du réseau pro-
vité (Sichel 1997; Oliner et Sichel 1994; Jorgenson et Stiroh gressent rapidement aussi, en particulier en Scandinavie, en
2000 ; Jorgenson et Yip 2000). Effectivement, le secteur des Europe occidentale et dans les pays industrialisés d'Asie. Mais
technologies de l'information a accru sa propre productivité à on n'observe pas encore l'impact de ces changements sur la pro-
un taux annuel de 24 % au cours des années 1990. L'expé- ductivité du travail mesurée au niveau des économies nationales.
rience historique montre que les inventeurs et producteurs des Cela peut s'expliquer par l'effet conjugué de plusieurs facteurs :
technologies nouvelles sont les premiers à s'en servir, les pre- l'inadaptation des catégories statistiques, encore plus obsolètes
miers aussi à former leur personnel et à changer leur mode qu'aux États-Unis; la part plus faible des technologies de l'in:
d'organisation en conséquence. Les utilisateurs initiaux sont formation dans l'équipement total des entreprises (environ 3 %
les premiers à bénéficier de la croissance de la productivité, en Allemagne et au Japon contre 7 % aux États-Unis) ; et l'im-
mais, à mesure que leur modèle d'entreprise se diffuse dans portant retard des firmes européennes en matière de réorganisa-
d'autres secteurs en même temps que la nouvelle technologie, tion structurelle et de flexibilité du travail. Néanmoins, les
la productivité y augmente aussi. C'est ce qu'ont observé études de cas d'entreprises électroniques, et les statistiques de la

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires » et la nouûelle économie

productivité et du ratio «revenu par salarié» dans les secteurs des Mais, si le travail est la source de la productivité, son poten-
techno1o,gies de l'information, semblent aller dans le même sens tiel de créativité et l'efficience de l'organisation de l'entreprise
qu'aux Etats-Unis. D'ailleurs, la nouvelle économie étant une dépendent en dernière analyse de l'innovation. Celle-ci est elle-
économie mondialisée, si le cybermonde des affaires devait être même fonction d'un personnel extrêmement qualifié, et de
confiné au sein des frontières des États-Unis, son expansion fini- l'existence d'organisations de création du savoir. Et son élabo-
rait par s'arrêter : la croissance de sa productivité dépasserait ration est également transformée dans l'économie électronique,
celle des marchés planétaires, ce qui provoquerait une crise de puisque les modes d'utilisation d'lnternet jouent dans ce pro-
surproduction. L'apparition du Do Co Mo ' au Japon, les nou- cessus un rôle fondamental.
veaux réseaux de jeunes entreprises dans les industries de pointe
à Taïwan et en Corée du Sud, la croissance rapide des industries L'innovation DANS L'ÉCONOMIE ÉLECTRONIQUE
et des services de la télécommunication mobile en Scandinavie,
la restructuration des industries automobiles française et alle- Dans une économie électronique fondée sur du savoir,
mande autour d'un modèle d'entreprise en réseau, le réoutillage de l'information et des immatériels (comme l'image et les
des industries microélectroniques néerlandaise et allemande, ou connexions), l'innovation est la fonction primordiale. Elle
encore l'émergence de services financiers en ligne concurrentiels dépend de la production de savoir facilitée par le libre accès à
à Londres et à Francfort, sont autant d'illustrations d'une pro- l'information. Et l'information est en ligne. Mon analyse du
fonde mutation de l'économie planétaire, qui engage celle-ci mouvement de l'open-source au chapitre précédent a montré le
dans la voie de cette «croissance technologique de la producti- rôle essentiel de la coopération, et du libre accès, dans le pro-
vité» d'abord observée aux États-Unis. Si ces évolutions, comme cessus d'innovation. La relation entre coopération et innovation
j'en suis persuadé, ont leur source dans la transformation du peut être analysée, dans les catégories de la théorie économique
modèle de l'entreprise et dans la diffusion des technologies de formelle de Brian Arthur', comme le résultat d'effets de réseau,
l'information, elles devraient avoir raison du retournement de la de dépendance de chemin, et de retours croissants dans l'éco-
fin 2000-2001. Mais il faudrait pour cela apprendre à gérer le nomie de l'information.
nouveau type de cycle des affaires : c'est à cette question que je Effets de réseau : plus il y a de nœuds dans le réseau, plus les
voudrais consacrer la fin de ce chapitre. apports positifs du réseau sont importants pour chaque nœud.
Dépendance de chemin : une fois qu'une innovation a été
La nouvelle économie, dont le fer de lance est le cybermonde
réalisée, les trajectoires technologiques auront tendance à
des affaires, n'est pas une économie en ligne, mais une écono-
suivre le chemin ouvert par cette innovation, ce qui donnera
mie propulsée par les technologies de l'information, reposant
une supériorité décisive à ses découvreurs et à ses premiers uti-
sur la main-d'œuvre autoprogrammable et organisée autour de
lisateurs. C'est ce système où «le gagnant rafle la mise» qui
réseaux d'ordinateurs. Telles sont apparemment les sources de
caractérise la concurrence des entreprises dans la nouvelle éco-
la croissance de la productivité du travail, donc de la création de
richesse, à l'ère de l'information. nomie.
Retours croissants : dans une économie fondée sur l'innova-
l. Le Do Co Mo, de la société japonaise ntt (devenue ntt Do Cd Mo), est un tion, les coûts d'investissement les plus élevés interviennent aux
téléphone mobile qui permet de surfer sur Internet. Il est fondé sur un système
appelé le «i-Mode», concurrent du u.'ap (voir ci-dessous, p. 277, note). Il compte l. Brian Arthur, professeur au Santa Fe Institute, est un spécialiste de l'écono-
déjà plus de 17 millions d'abonnés au Japon. mie du secteur technologique.

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires )) et la nouoelle économie

phases initiales, et les coûts marginaux baissent rapidement bien sous une technologie en open-source, comme Sun Micro-
quand l'innovation est intégrée au produit. Pour créer un nou- systems avec Jaua et Jini.
veau logiciel ou un nouveau médicament, les coûts de La logique de l'innovation par la coopération et l'open-source
recherche-développement sont en général très élevés. Le pre- n'est pas limitée aux logiciels. Elle anime l'ensemble du secteur
mier cd ou la première pilule peuvent donc revenir à plusieurs des services en ligne, puisque les portails donnent accès à des
milliards. Quant au deuxième cd ou à la première plaquette de informations et à des services afin de vendre de la publicité et
pilules, leurs coûts de production sont souvent négligeables. d'obtenir des informations réutilisables pour le marketing.
Voyons maintenant comment fonctionnent ces mécanismes C'est une logique où les clients sont aussi les producteurs : ils
dans un processus d'innovation effectué en open-source et facilité fournissent l'information cruciale sur leurs comportements et
par une interaction en ligne. Un produit de qualité supérieure
leurs demandes, ce qui aide les entreprises électroniques à
(par exemple un logiciel) est créé par l'effort collectif d'un modifier continûment les biens et services qu'elles offrent.
réseau. Un effort où chaque participant est récompensé par Dans une pratique orientée client, la capacité d'interaction avec
l'apport gratuit des efforts des autres. L'innovation reste donc le
les consommateurs, qui sont une source d'information primor-
diale, est une composante essentielle du modèle. Donc, coopé-
produit d'un travail intellectuel, mais il s'agit d'un intellect col-
ration dans la recherche, concurrence dans les applications et
lectif. Aucun service de recherche-développement ne peut riva-
les services : telle paraît être la division du travail dans la nou-
liser avec la puissance d'un réseau de coopération planétaire —
velle économie. La même logique est à l'œuvre dans les méca-
c'est d'ailleurs ainsi que la science fondamentale se développe,
nismes internes de l'entreprise électronique. L'ingénierie en
et ses résultats sont extraordinaires. Une fois que l'innovation ligne et les systèmes de gestion en accès libre au sein d'une
est produite, la «dépendance de chemin» qui caractérise sa mise entreprise permettent aux salariés d'organiser des dispositifs de
en œuvre avantage ceux qui ont contribué à son élaboration en coopération ciblée quand leurs tâches le demandent. Lorsque
réseau. Ils ont été les premiers à l'adopter, les premiers à l'utili- l'information et l'interaction sont organisées sous forme d'ex-
ser, les premiers à avoir appris à s'en servir, et ce sont eux qui tranets, les clients et les fournisseurs (et même les concurrents)
savent le mieux quels types de produits et de processus peuvent entrent sur le réseau.
être développés à partir de ce chemin d'innovation. J'ai analysé plus haut les avantages économiques de ce
Ainsi, le processus d'innovation dans l'économie électronique modèle du réseau. Mais il y a autre chose. Quand on intègre en
est en train d'émigrer peu à peu vers des réseaux de coopération temps réel les réactions de toutes les parties prenantes à un pro-
en oPen-source, constitués non seulement d'individus autonomes cessus de production/gestion, l'innovation est testée dès le
mais aussi d'entrepreneurs et de salariés d'entreprise, car les départ : le produit et le processus de production se renouvellent
firmes ont intérêt à contribuer à l'innovation pour bénéficier constamment par interaction entre producteurs et consomma-
parmi les premières des résultats de l'effort collectif. teurs, dans une dynamique commune de retours croissants
Comment les entreprises peuvent-elles faire des profits sur la pour tous les participants au réseau.
base de cette innovation produite en coopération? En conce- Tout cela instaure une relation de type nouveau entre rap-
vant des applications, en vendant des services, en «emballant» et ports de propriété et rapports de production dans la création et
en personnalisant, comme Red Fiat avec Linux, comme ibm la possession des richesses. Il y a des zones de coopération et
avec APache. Ou alors en vendant des matériels qui tournent d'appropriation collective liées à des zones de concurrence et

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires» et la nouoelk économie

d'appropriation privée. Ces évolutions sont encore embryon- conduire à la récession, et même à une Grande Crise écono-
naires, mais elles pourraient annoncer des mutations profondes mique (Mandel 2000). Cette économie est apparue au milieu
dans la logique sociale de l'innovation, de la productivité et de des années 1990 aux États-Unis, où elle a inauguré la plus
la croissance économique. longue ,période de croissance ininterrompue du dernier demi-
siècle. A la fin de la décennie, elle a commencé à s'étendre aux
secteurs dynamiques d'autres pays du monde, en particulier en
La nouvelle économie et sa crise Europe. Le 10 mars 2000, les actions technologiques ont connu
Le lecteur l'aura maintenant compris : le cybermonde des une chute spectaculaire, et leurs cours n'ont plus cessé de glis-
affaires ne se réduit pas aux entreprises qui n'existent qu'en ser par la suite, entraînant un ralentissement de la croissance
ligne, il englobe toutes celles qui, dans tous les secteurs, économique, lequel se poursuivait un an plus tard.
travaillent par, avec et sur Internet et d'autres réseaux d'ordina- Ce qui permet d'affirmer l'existence d'une nouvelle écono-
teurs - reliés, sous diverses formes, aux processus de production mie, c'est la hausse de la productivité du travail et la meilleure
sur site et aux transactions physiques. Ce cybermonde est au compétitivité des entreprises, dues à l'innovation. L'innovation
cœur de l'émergence d'une nouvelle économie, qui se caracté- porte sur la technologie, les processus de production et les pro-
rise par le rôle crucial de la main-d'œuvre autoprogrammable, duits eux-mêmes. Les nouvelles technologies de l'information
de l'innovation technologique et de l'évaluation des marchés et de la communication, et notamment Internet et les réseaux
financiers dans la dynamique économique. Comme dans toutes d'ordinateurs en général, jouent un rôle clé dans des économies
les économies, la croissance de la productivité du travail est le essentiellement fondées sur le traitement de l'information et la
moteur du développement, et l'innovation est la source de la communication. Le processus de production est transformé par
productivité. Ces facteurs sont tous mis en œuvre et transfor- la mise en réseau, forme efficiente et flexible de gestion et d'or-
més par Internet, moyen indispensable d'organisation, de mise ganisation. La mise en réseau dépend au plus haut point de la
en réseau, de traitement de l'information et de création du technologie de communication. Comme lors des précédentes
savoir. C'est ainsi que l'électronique transforme graduellement révolutions technologiques, cette mutation socio-technique
la vieille économie en une économie nouvelle qui s'étend à l'en- ouvre la voie à une nuée de produits nouveaux — plus ou moins
semble de la planète, sur un mode extrêmement inégal il est adaptés à la demande du marché et aux besoins sociaux. Le
vrai. téléphone portable, par exemple, qui représente une innovation
Nous tenons à présent les fils qui, pris ensemble, constituent mineure sur un produit, est l'appareil de communication qui
la nouvelle économie. En explorant la configuration de leurs connaît le plus grand succès à l'échelle du monde.Tandis que la
structures et la dynamique de leurs interactions, nous pouvons télévision interactive, qu'on a tant portée aux nues, attend
aussi comprendre les mécanismes de la récession et de la crise encore capacité de transmission et contenu attractif pour deve-
dans cette économie, qui relèvent d'un cycle des affaires de type nir une affaire rentable.
nouveau. L'innovation est elle-même fonction de trois grands facteurs.
À ses débuts historiques, la nouvelle économie s'est caractéri- Le premier est la création d'un savoir nouveau, dans les
sée par une longue phase de croissance forte à base technolo- sciences, la technologie et la gestion. Il suppose un système de
gique, avec quasi-plein emploi et inflation faible, suivie d'un recherche-développement bien au point (tant public que privé),
retournement violent qui, dans certaines conditions, pourrait en mesure de fournir à l'innovation ses bases fondamentales. Le

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires )) et la nou'uelle économie

deuxième est l'existence d'une main-d'œuvre autoprogram- pation par le capital-risque : tels ont été les mécanismes qui ont
niable, très instruite, capable de mobiliser le savoir nouveau mobilisé les capitaux de toute origine (et en particulier ceux des
pour accroître la productivité. En général, elle est fonction du grands investisseurs institutionnels, comme les fonds de pen-
nombre et de la qualité des diplômés qui sortent du système sions) et les ont canalisés vers l'innovation.
scolaire. Mais, dans le cas des États-Unis, l'immigration de La grande question est alors : pourquoi la cotation des
techniciens a joué un rôle tout aussi important dans le dévelop- actions a-t-elle atteint de tels sommets? J'ai expliqué plus haut
pement de la nouvelle économie. Le troisième facteur est la pré- son mécanisme : il dépend beaucoup de turbulences de l'infor-
sence d'entrepreneurs compétents, et disposés à prendre les mation où interviennent les critères économiques traditionnels,
risques qu'implique le passage du projet innovant à l'activité mais aussi bien d'autres facteurs qui se combinent pour influ-
commerciale. Ce qui suppose l'existence d'une culture de l'en- encer le comportement des investisseurs. Parmi eux, je voudrais
trepreneur, mais aussi une attitude positive des institutions souligner un ingrédient manifestement essentiel : les anticipa-
sociales à l'égard de la création d'entreprise. Ainsi, dans le tions, l'attente d'une valeur plus élevée à long terme.
contexte américain, l'ouverture des pouvoirs publics à l'immi- Les investisseurs ont parié, en fait, sur la révolution technolo-
gration et l'aisance avec laquelle on peut créer de nouvelles gique. Ce n'était pas une idée folle. Se dire que les premiers à
entreprises font des États-Unis, et en particulier de certaines produire et à adopter les nouvelles technologies et les nouveaux
régions comme la Californie ou New York, un centre d'attrac- modèles d'entreprise vont se trouver parmi les gagnants du
tion pour les entrepreneurs en puissance de toute la planète. futur marché, ce n'est pas de la spéculation. C'est une prise de
Mais on ne saurait limiter la notion d'entrepreneur aux jeunes risque, un investissement lié au développement de l'innovation
dirigeants de start-up ou aux immigrants qui réalisent leurs dans l'économie, aux effets de réseaux potentiels dans la crois-
rêves. Quand Jorma Ollila et son équipe ont restructuré le sance des nouvelles formes d'entreprise, et à l'anticipation de
groupe Nokia en 1992, la firme était sur le point d'être vendue, retours croissants sur le capital investi. De fait, l'évolution de la
ployant sous le poids de ses investissements divers sur de mul- productivité et la croissance économique soutenue à inflation
tiples marchés parvenus à maturité et peu lucratifs. La décision faible ont confirmé cette analyse. Mais, pour que la nouvelle
de vendre la plupart de ses actifs et de concentrer toute son acti- économie continue à croître, il fallait que l'innovation et la pro-
vité sur la téléphonie mobile et l'infrastructure des réseaux était ductivité en fassent autant à bon rythme, ce qui exigeait un flux
à l'époque un choix risqué. Un acte d'entrepreneur. régulier d'investissements, donc le prolongement des anticipa-
Mais même les entrepreneurs les plus audacieux qui dispo- tions de forte rémunération chez de nouveaux investisseurs.
sent de la meilleure technologie et ont conçu un bon projet ne Comme ces anticipations ne distinguaient pas les projets com-
peuvent faire grand-chose sans argent. Le financement de la merciaux risqués mais sains des folles aventures, elles étaient
nouvelle économie est la pierre angulaire de son existence, et il exposées à un retournement violent dès que surviendraient les
provient essentiellement de la Bourse et du capital-risque, sui- premiers échecs. Mais, malgré tout, on ne comprend pas très
vant le mécanisme analysé plus haut. Autrement dit, si la pro- bien pourquoi le marché a piqué du nez en 2000-2001 sans
ductivité et la compétitivité sont les piliers de la croissance forte véritablement faire la part entre les actions technologiques aux
sans inflation, et si l'innovation est le moteur de la nouvelle éco- perspectives commerciales peu favorables et les autres. Les
nomie, le financement est la source de tout. L'évaluation forte actions .coin (qui étaient manifestement les projets les plus
de l'innovation potentielle par le marché financier et son antici- risqués) sont tombées les premières, mais toutes les actions

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires )) et la nouuelle économie

technologiques ont suivi, et leur chute a eu un impact sur les prévu. Malgré toutes les assurances sur la sécurité des cartes de
cours dans la plupart des autres branches. En mars 2001, l'in- crédit, les clients se sont montrés réticents à donner leurs réfé-
dice Nasdaq est tombé de 60%, le Standard & Poor de 23 % et rences en ligne, et à juste titre. La publicité comme moyen prin-
le Dow Jones de 12 % par rapport à leur point haut de début cipal de financer l'apport de contenus indépendants sur la Toile
2000. Sur le marché boursier américain, près de 4 600 milliards a été un fiasco monumental. On avait fait ce choix parce qu'on
de dollars de richesse nominale se sont évanouis, soit environ n'avait pas compris la spécificité d'lnternet par rapport à la
50 % du pib des États-Unis ou quatre fois les pertes subies dans télévision. La publicité ciblée (au mépris de la vie privée des
le krach d'octobre 1987. Au Royaume-Uni et en Allemagne, la consommateurs) a aussi essuyé une rebuffade partielle, car tous
valeur moyenne des actions a baissé de 10 % en 2000-2001 les internautes ne supportent pas d'être (l profilés ». La mar-
(Business Week, 26 mars 2001, p. 116 sq.). chandisation rapide d'lnternet a en partie trahi la promesse de
Selon certains observateurs, cet « ajustement de marché » cor- liberté d'accès, si bien que de nombreux clients potentiels ont
respond à l'éclatement longtemps retardé d'une bulle spécula- décidé de contourner tous les sites payants, sauf ceux qui
tive. La métaphore de la (( bulle )) me paraît fallacieuse, parce répondent à leurs besoins directs. Le marché en ligne des ani-
qu'elle renvoie implicitement à l'idée d'un équilibre naturel du maux domestiques, un moment en plein boom, a été bien vite
marché, manifestement peu apte à rendre compte d'un univers saturé...
de marchés financiers mondialisés, interdépendants, opérant à La restructuration technologique dans la branche des tech-
très grande vitesse et traitant en temps réel des turbulences d'in- nologies de l'information a fait monter l'incertitude. L'antici-
formation complexes. Ce qui ressort de l'observation, c'est que, pation de la fin de l'ère de l'ordinateur personnel et la baisse
dans la période 1996-2000, le marché a récompensé sans bien réelle des commandes de pc ont touché Intel, Hewlett-
grande discrimination les actions technologiques de toute Packard et Microsoft. Le procès contre Microsoft a réjoui beau-
nature, et qu'en 2000-2001 le même marché a puni toutes les coup de monde dans la Silicon Valley, mais n'en a pas moins
actions technologiques d'une façon tout aussi égalitaire. Il n'a jeté l'ombre du doute sur l'avenir des géants de la haute tech-
prêté aucune attention aux résultats concrets des entreprises, nologie. Les anticipations fortes sur 1'«Internet mobile )), bien
comme je l'ai illustré plus haut par quelques exemples. Que qu'elles aient été, selon moi, justifiées à long terme, se sont
s'est-il donc passé ? Si nous essayons d'ouvrir la boîte noire des muées en déception immédiate devant les diMcultés techniques
turbulences de l'information qui ont frappé le marché en 2000, et commerciales, en particulier sur le marché américain. En
et renversé les anticipations, nous découvrons un ensemble bien Europe, les sommes ahurissantes payées à 1'État pour obtenir
disparate. des licences umts1 de téléphonie mobile ont effrayé les mar-
La plupart des sociétés .côni n'ont pas été à la hauteur de leur chés, qui se sont posé des questions sur la solidité financière des
modèle. Le commerce électronique B2C ' a sous-estimé le coût très grandes compagnies de télécommunication.
et la complexité de la livraison matérielle aux clients. Le com- On a assisté aussi, en 2000, à une baisse importante du taux
merce virtuel a découvert la réalité des affaires (c Click and de croissance des dépenses des entreprises en technologies de
Mortar }) — qui exigent beaucoup plus d'investissements, de l'information, en particulier aux États-Unis. Ce taux a peut-être
logistique et de compétences gestionnaires qu'il ne l'avait été la seule véritable victime de la pseudo-crise du bogue de l'an

l. B2C signifie business to consumers : il s'agit des ventes des entreprises aux l. Uniuersal Mobile 7ëlecommunicaiions Systems : réseaux téléphoniques cellu-
consommateurs privés, par opposition au commerce inter-entreprises, le B2B. laires permettant de transmettre aussi des données.

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires » et la nouuelle économie

2000. Confrontés (ou se croyant confrontés) à la nécessité de Enfin, sur un marché financier qui opère à très grande vitesse
renouveler leurs systèmes vieillissants avant la date fatidique, sur la base d'anticipations et d'informations, les perceptions des
beaucoup d'entreprises et de services publics ont décidé de sau- investisseurs sont influencées par les valeurs et les idées de l'es-
ter le pas, d'adopter une nouvelle technologie en réseau et des tablishment du monde des affaires et des experts des universités.
logiciels très performants. D'où un boom de l'investissement en Il est notoire que certains économistes universitaires de tout
technologies de l'information et des communications en 1998 premier plan n'ont jamais cru à l'existence de la nouvelle éco-
et 1999 : on a réalisé ces années-là des remplacements qui nomie, qu'ils ont nié l'importance des technologies de l'infor-
étaient programmés pour une date ultérieure, et cela a fait bais- mation, dédaigné et récusé les preuves de la croissance de la
ser le taux de renouvellement de l'équipement en 2000-2001. productivité et de l'innovation des entreprises, et continué à
Lorsque, sur un marché nerveux, les grandes firmes technolo- méditer sur l'éclatement inévitable de la bulle — une de ces pro-
giques (comme Cisco) ont annoncé des revenus inférieurs aux phéties qui œuvrent à leur propre réalisation. Jusqu'au jour où
prévisions en raison d'une baisse des dépenses d'équipement ils ont eu le plaisir de voir leur prédiction s'accomplir, bien des
des entreprises, l'humeur sombre des investisseurs s'est alour- années après l'avoir délivrée pour la première fois. Plusieurs
économistes universitaires, dont les propos ont été fidèlement
die.
repris par des chefs traditionnels d'entreprises traditionnelles,
Notons également que beaucoup de ces investisseurs, en par-
ont joué un grand rôle pour réduire les anticipations sur la
ticulier les institutionnels et les banques, avaient acheté des
moisson d'innovations à attendre de l'économie de l'informa-
actions pendant le boom, bien au-delà de ce qu'aurait dû leur
tion. Rétrospectivement, c'est d'ailleurs un miracle que les
conseiller la prudence dans la gestion de l'argent qui leur est
investisseurs aient pu alimenter si longtemps la net-économie
confié. Ils l'ont fait parce qu'ils avaient foi dans leurs systèmes
de leurs attentes face à tant d'opinions autorisées négatives.
d'information : ils leur enverraient le signal d'alarme à temps
Si, malgré les prédictions des Cassandres, les marchés ont
pour se retirer du marché à risque avant que les pertes ne vien-
cru à ce qu'ils voyaient, le mérite en revient probablement à
nent effacer leurs énormes gains. Donc, quand le marché a Alan Greenspan. Il n'a cessé de défendre la réalité de la nou-
piqué du nez, beaucoup de très grands investisseurs n'ont pas velle économie fondée sur l'investissement en technologies de
pu s'offrir le luxe d'attendre : ils ont redéployé leurs investisse- l'information et sur la croissance de la productivité. En partie
ments en fonction d'une stratégie conservatrice, contribuant parce qu'il était entouré, à la Fédéral Réserve, de certains des
ainsi à dévaloriser les actions technologiques qu'ils détenaient. meilleurs cerveaux des États-Unis en analyse économique de
L'instabilité politique a largement contribué, elle aussi, aux productivité (comme Oliner et Sichel, entre autres). Et en par-
incertitudes du marché, notamment dans deux cas. Le Japon, tie parce que son instinct très sûr lui disait que seule une force
en 2000-2001, se dirigeait clairement vers une nouvelle crise poussant la productivité à la hausse pouvait expliquer, en toute
politique : la mauvaise gestion et la corruption de son gouver- rigueur théorique, le comportement d'une économie dont il
nement s'étalaient publiquement, et son économie, la deuxième sentait battre le pouls en temps réel. Dès que des signes de
du monde, semblait incapable de sortir de la stagnation. Aux retournement sont apparus sur le marché boursier, beaucoup
États-Unis, le mauvais feuilleton de l'élection présidentielle d'économistes conventionnels et de vétérans de l'ordre écono-
contestée a accru l'incertitude et retenu les investisseurs alors mique ancien ont poussé un grand soupir de soulagement, et
que le marché traversait une période de transition critique. sauté sur l'occasion pour réclamer avec force un retour au statu

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quo ante. Mais il est probable que le monde des affaires ne suite de l'histoire. Mais pas sa fin - parce que nous n'assisterons
pourra plus jamais retrouver sa configuration d'antan, trans- par à la fin de la nouvelle économie, mais au début de sa
formé comme il l'a été par près d'une décennie de développe- deuxième phase.
ment de la nouvelle économie. Ainsi, il y a bien un cycle des affaires dans la nouvelle écono-
Dans ces conditions, sous l'effet d'un système complexe de mie, mais ce qui le distingue de celui de l'économie industrielle
turbulences de l'information, les anticipations d'évaluation des — et sur ce point aussi je suis d'accord avec l'analyse remar-
actions du secteur technologique se sont inversées, asséchant quable de Michael Mandel -, c'est que les fluctuations du mar-
l'investissement de capital-risque, donc ralentissant le rythme ché boursier sont en synchronie avec lui, pour la bonne raison
de l'innovation, dans un enchaînement analysé, et en fait prédit, que la Bourse est la force motrice des cycles de l'investissement
par Michael Mandel à l'été 2000 (Mandel 2000) - même si sa et de l'innovation. La convergence du cycle financier, du cycle
sombre prédiction d'une (c Grande Crise Internet l) totale ne se de l'innovation et du cycle des affaires les accentue tous les trois
réalisera pas, comme cela est probable, et pour des raisons qu'il dans la dynamique de leurs reprises et de leurs chutes. La crois-
explique d'ailleurs lui-même. sance est donc plus rapide et la récession plus grave.
Ne me risquant jamais à prédire l'avenir, je me concentrerai La crise de l'une des firmes phares de la nouvelle économie,
ici sur les conséquences théoriques du ralentissement de la nou- Cisco Systems, illustre à merveille le lien entre cycle financier et
velle économie en 2000-2001. Dans l'analyse que j'ai esquissée, cycle des affaires. Confrontées à un climat économique très
la force motrice de la nouvelle économie est le marché financier. incertain après l'effondrement des valeurs boursières, et puis-
Sans les ipo, sans les stock options et sans l'anticipation d'une qu'elles avaient beaucoup acheté de matériels Internet en 1999,
les entreprises, aux États-Unis et dans le monde, ont freiné leurs
forte ascension des valeurs boursières, il ne saurait y avoir d'in-
vestissement de capital-risque et, par conséquent, l'esprit d'en- dépenses d'équipement dans la seconde moitié de 2000, à com-
treprise et l'invention technologique ne se traduiront pas en mencer par les équipements de mise en réseau. Cisco n'a pas
innovation commerciale. Sans innovation, la hausse de la pro- interprété correctement le marché. Au cours des trimestres pré-
ductivité ralentit et la croissance est limitée, ce qui autorise cédents, il venait de laisser échapper des ventes parce qu'il avait
potentiellement les firmes traditionnelles à augmenter leurs prix sous-estimé le rythme d'expansion de la demande. Puisque la
et à relancer l'inflation, comme le suggère Mandel. Un fléchis- croissance trimestrielle de ses revenus dépassait 50 % en 1999-
sement de la croissance accompagné d'une réduction de l'em- 2000, il a continué à accroître ses capacités de production et ses
ploi et d'une hausse de l'inflation a pour effet de réduire la stocks à l'automne 2000. Ses modèles prévisionnels n'ont pu
consommation, donc d'accroître la gravité du retournement de saisir l'extrême volatilité du marché. Au premier trimestre
tendance. Puisque les entreprises et les ménages ont emprunté 2001, la demande ayant baissé, ses revenus ont diminué de 5 %
massivement pendant le boom, souvent en garantissant leurs par rapport à l'année précédente, pour la première fois en une
emprunts surleurs actifs, et qu'une bonne partie de leur fortune décennie d'expansion extraordinairement vigoureuse, et une
s'est évaporée dans l'effondrement de la Bourse, les perspec- nouvelle baisse était prévisible pour le trimestre suivant. Cisco
tives de récession augmentent. Néanmoins, si le marché bour- a alors licencié des milliers de travailleurs et passé en perte
sier rebondissait avant que le désinvestissement ait fait trop de 2,5 milliards de dollars pour dépréciation de stocks. Son action
dégâts, le moteur de la croissance de la nouvelle économie pour- s'est effondrée, tombant à 18 dollars, soit 78 % de moins qu'à
rait vite repartir. Quand vous lirez ces lignes, vous connaîtrez la son zénith de mars 2000. Avec un tel cours, Cisco n'avait plus

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les moyens financiers de continuer sa politique d'acquisition, organiquement, car c'est elle qui pourra aider l'entreprise à
élément crucial de sa stratégie de développement technologique regagner sa compétitivité, donc à redresser le cours de son
par achat du savoir-faire et de l'expertise de firmes innovantes. action. La crise relative de Cisco, ce fabricant très innovant et
Ainsi, la dévalorisation de l'action, la baisse des revenus et des productif d'équipements essentiels à la mise en réseau, montre
profits et l'affaiblissement de la capacité technologique se sont que le retournement de la nouvelle économie en 2000-2001 ne
entre-alimentés. se réduit pas au simple éclatement de la bulle financière des
Cela a fragilisé la position de Cisco face à certains de ses sociétés .coin. Il s'inscrit dans une nouvelle forme de cycle des
concurrents, notamment sur le marché des routeurs haut de affaires qui touche l'ensemble des secteurs, avec des consé-
gamme où j'unjper Netu'orks a mordu dans sa part : elle est pas- quences particulièrement graves pour les firmes dont la straté-
sée de 78 % en 1999 à 65 % en 2000. Cisco prévoit, malgré tout, gie repose sur la croissance forte : celle-ci peut soudain s'inverser
une croissance de ses revenus de 30 % pour la période 2002- en très vive décélération.
2005, grâce à une nouvelle vague d'expansion mondiale Récapitulons les leçons théoriques. La nouvelle économie est
d'lnternet. Peut-être a-t-il raison, et de toute manière il restera régie par un marché boursier extrêmement sensible, qui finance
parmi les grands fabricants d'équipement de réseau — un mar- l'innovation à haut risque dont est issue la vive croissance de la
ché clairement porteur dans la décennie qui commence. productivité. C'est une économie aux enjeux très élevés : la
La signification théorique de la crise de Cisco est double. croissance forte et l'extraordinaire création de richesse s'ac-
Premièrement, l'usage du réseau électronique ne saurait com- compagnent de retournements potentiellement violents et de
penser une mauvaise stratégie. La volatilité de la nouvelle éco- destruction de richesse. Une fois les mécanismes d'évaluation
nomie est systémique, donc les entreprises ne peuvent pas boursière sur la pente descendante, l'effondrement ne s'arrêtera
appuyer leurs projections sur les chiffres du passé, même immé- pas mécaniquement, par simple effet de prix. Il faudra un ren-
diat. Ce que leur apporte le réseau flexible, c'est la possibilité de versement des anticipations. Sinon, quand les actions seront en
«réagir en juste-à-temps )) aux signaux des marchés. De ce point solde, il risque de se trouver trop peu d'argent pour les acheter,
de vue, le modèle d'entreprise en réseau de Cisco a encore et beaucoup trop de panique dans l'air pour que l'épargne
beaucoup de progrès à faire : sa technologie semble meilleure quitte les refuges sûrs apparus dans la période de repli. Même
que la théorie économique implicite de son modèle de gestion. de nouvelles vagues d'innovations technologiques (dans les bio-
technologies, 1'Internet mobile, les nanotechnologies l) ne
Deuxièmement, le lien étroit entre financement, innovation et
demande menace d'un violent retour de bâton toute entreprise pourront réactiver l'économie sans que renaisse la confiance
qui connaît une longue période de croissance forte. Si par dans leur avenir commercial.
exemple elle s'en remet, pour stimuler l'innovation technolo- La nouvelle économie, au fond, est une question de culture :
elle repose sur la culture de l'innovation, la culture du risque, la
gique, à des acquisitions que lui permet le cours élevé de son
culture des anticipations, et finalement la culture de l'espoir en
titre, elle devient trop dépendante de la valeur de son action. Si
l'avenir. Ce n'est qu'à la condition que cette culture-là survive
elle se retrouve sans grand moyen de lever des capitaux et n'a
à sa négation par les tenants de l'ancienne économie indus-
pas de potentiel d'innovation autonome, une entreprise de la
nouvelle économie est en situation très difficile. Il est essentiel l. Les nanotechnologies sont les technologies futuristes qui permettraient
de maintenir une capacité endogène de recherche-développe- d'envisager des nanomachines, dont la taille physique est de l'ordre du nanomètre
ment pour que l'innovation puisse (( pousser» de l'intérieur, (un millionième de millimètre).

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La galaxie Internet Le «cybermonde des affaires » et la nouoelle économie
trielle que la net-économie pourra de nouveau prospérer. Mais, and organization structure affects stock market valuations }),
puisque nous connaissons désormais - pour en avoir fait l'expé- Cambridge, ma, w"r-Sloan School Center for e-business, docu-
rience - la fragilité de ce processus de création de richesse, peut- ment de travail.
être vivrons-nous sa deuxième phase d'une autre façon, avec en Bunnell, David (2000), Making thé Cisco Connection. Thé
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volume de l'information sous toutes ses formes dans le monde. L'émergence du moyen de communication inédit qu'est
Internet a donné lieu à des prises de position contradictoires
sur l'avènement de nouveaux modes de sociabilité. D'un côté,
Autre référence on a vu dans la constitution de communautés virtuelles, essen-
tiellement fondées sur la communication en ligne, le point cul-
Business Week (2001), " Rethinking the Internet. Spécial minant d'un long processus historique, la séparation entre le
report», 26 mars, p. 116 sq. local et le convivial dans la formation du lien social : des rap-
ports humains choisis remplacent ceux qui étaient liés au terri-
toire. De l'autre, les adversaires d'lnternet, et nombre d'articles
et d'émissions qui s'appuient parfois sur des travaux de
recherche, soutiennent que son expansion répand l'isolement
social, rompt la communication et détruit la vie de famille : des
individus sans visage pratiqueraient une sociabilité aléatoire en
renonçant aux relations humaines véritables, fondées sur le face
à face dans un milieu de vie réel. Ajoutons qu'on s'est beaucoup
intéressé aux échanges sous fausse identité et aux jeux de rôles.
On a donc accusé Internet d'amener chacun, peu à peu, à vivre
en ligne ses propres fantasmes, à s'évader du réel pour entrer
dans une culture que domine de plus en plus la réalité virtuelle.
Trois limites ont pesé lourd dans ce débat assez stérile. La
première, c'est qu'il a commencé bien avant la diffusion mas-
sive d'lnternet : on a donc raisonné à partir de l'observation
d'une poignée d'expériences chez ses premiers utilisateurs — ce

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