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FONDAMENTAUX DE L’ÉCONOMIE

NUMÉRIQUE

Dr Komlan KADAGALI

©Dr Komlan KADAGALI 1


Plan du cours

I. Introduction
II. L’économie numérique et les lois de l’économie
III. Les deux moteurs de la révolution numérique : numérisation et dématérialisation
de l’information
IV. Modèles d’affaire d’une entreprise numérique (travail à faire)

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I. Introduction

Qu’est-ce que l’économie numérique ?


Même si la littérature est variée et riche il n’existe pas de définition exacte de l’économie
numérique. L’économie numérique ne se limite pas à un secteur d’activité particulier, elle
englobe des concepts très différents. L’économie numérique regroupe des champs différents
selon les acteurs et observateurs du secteur. Compte tenu de la difficulté à définir l’économie
numérique et de la complexité pour la quantifier, on utilise une définition de synthèse. Elle
peut se définir comme l’ensemble des activités relatives aux Technologies de l’Information et
de la Communication (TIC), à la production et à la vente de produits et services numériques.

Le numérique, une innovation drastique


La dématérialisation croissante de l’économie et de la société modifie les modes d’action et
d’interaction entre les personnes. L’un des traits distinctifs des diverses transformations
numériques a été la prolifération exponentielle des informations lisibles par des machines,
dites « données numériques », sur Internet. Ces données sont au cœur de toutes les
technologies numériques en pleine expansion, notamment de l’analyse des données, de
l’intelligence artificielle (IA), de la chaîne de blocs, de l’Internet des objets, de l’informatique
en nuage et de tous les services basés sur Internet, et elles sont devenues une ressource
économique fondamentale. La pandémie de Covid-19 a accéléré les processus de transition
numérique, car beaucoup de personnes se sont efforcées, dans toute la mesure possible, de
poursuivre leurs diverses activités par le biais de canaux en ligne en particulier pour travailler,
étudier, communiquer, vendre et acheter, ou se divertir. L’utilisation d’internet, par exemple,
a permis le rassemblement des personnes et de moyens en dématérialisant la distance
physique pour créer, développer et partager leurs idées donnant lieu à de nouveaux concepts,
nouveaux contenus et par conséquence à la naissance d’une nouvelle génération
d’entrepreneurs et de marchés. Les données et les flux de données, tant nationaux
qu’internationaux, peuvent procurer de nombreux avantages et contribuer à résoudre des
problèmes de société, dont ceux liés aux objectifs de développement durable. Les données
sont bien plus qu’une simple ressource économique, elles sont également en lien avec la vie
privée et d’autres aspects des droits de l’homme, ainsi qu’avec la sécurité nationale, d’où la
nécessité d’adopter une approche intégrée et holistique de l’élaboration des politiques
relatives aux données.

II. L’économie numérique et les lois de l’économie


La Nouvelle économie ou économie numérique présente tellement de paradoxes que c’est
bien un nouveau paradigme. Les lois économiques classiques ont du mal à s’appliquer à
l’économie numérique.

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2.1. La question de la valeur
En économie numérique, ce qui crée la valeur d’un bien, ce n’est pas seulement le travail
nécessaire à sa création ni la qualité et le service rendu mais plutôt la position qu’il occupe sur
le marché, sur le réseau.

2.2. Paradoxe de Solow (1987)


Selon Robert Solow, Prix Nobel 1988, théoricien de la croissance, la productivité : c’est
produire plus avec moins de travail et de capital. La productivité est la vraie mesure de
l’enrichissement et de la croissance d’une nation. Pour lui, l’introduction massive des
ordinateurs dans l’économie ne se traduisait pas par une augmentation statistique de la
productivité. Cette constatation a reçu le nom de paradoxe de Solow, formulé sous la forme :
« L'informatique se voit partout, sauf dans les statistiques ». A mesure que l’investissement
dans les technologies de l’information augmente, la productivité des travailleurs peut baisser
au lieu d’augmenter. Cette observation a été fermement étayée par des preuves empiriques des
années 1970 au début des années 1990. Un certain nombre de théories proposées ont expliqué
le paradoxe de la productivité. Les idées vont de l’idée d’une mesure inadéquate de la
productivité à la période de latence nécessaire avant que l’on puisse constater des gains de
productivité. Les innovations sont longues à pénétrer dans la production, l’électricité par
exemple a mis une vingtaine d’année à être utile à l’industrie et à se mesurer en termes de
productivité. Jusqu’à récemment, ces explications n’étaient guère plus que des théories, mais
bon nombre d’entre elles ont maintenant des preuves irréfutables, en raison d’études
démontrant une forte augmentation de la productivité dans les entreprises qui investissent
massivement dans l’informatique.

2.3. Coûts marginaux décroissants


En économie numérique, le coût de production d’un nouveau logiciel est très important, le
coût de fabrication de chaque nouvelle licence vendue du logiciel tend à être presque nul mais
pas le prix de vente.

2.4. Biens non-rivaux


Les consommateurs ne sont pas rivaux pour l’achat d’un bien en économie numérique à
l’opposé par exemple d’un bien de type automobile : la Ferrari vendue à un client ne peut pas
être vendue à un autre. Les biens communs informationnels ne s’épuisent pas si trop
d’utilisateurs en profitent. Au contraire, grâce à l’effet réseau, plus il y a d’utilisateurs, plus le
modèle est efficace. De plus il n’y a pas de problème de ‘Passager clandestin non plus’
(quelqu’un qui profite du système sans y contribuer).

2.5. L’économie numérique se construit sur des standards

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L’économie numérique est une économie de l’information. Historiquement, le premier
système d’information créé par l’homme est le langage. Il est impossible de se parler, de
communiquer si on n’a pas le même langage, la même façon de coder l’information. La
création d’un langage commun, cette première standardisation est constitutive de l’espèce
humaine et de l’économie numérique.

2.6. Les externalités de réseaux


L’économie d’échelle est liée à la demande d’un bien. Les externalités de réseaux par contre
profitent à un bien dont la valeur augmente lorsqu’il est acheté et consommé par d’autres
utilisateurs. On note deux types d’effets :
- Effets directs : les effets de club (téléphone, fax, internet, le standard Word etc.) ;
- Effets indirects : importance de l’offre complémentaire (les logiciels compatibles
Windows).
En effet, Google, Facebook ou Amazon se sont hissés en quelques années aux premières
places des plus grosses capitalisations boursières de la planète en proposant des services
innovants à leurs clients, en rupture avec les usages passés. Cette révolution repose sur la
constitution de communautés virtuelles qui fonctionnent en réseau. Trois lois empiriques de
l’économie numérique permettent de comprendre les fantastiques transformations intervenues
ces 20 dernières années :
- La loi de Moore : du nom de Gordon Moore, alors ingénieur chez Fairchild, puis co-
fondateur du géant mondial des semi-conducteurs Intel. Exprimée en 1965 et
reformulée en 1975, cette loi empirique prédisait que les capacités d’un
microprocesseur doubleraient tous les deux ans, avec pour conséquence, une
progression exponentielle de la puissance et une baisse fantastique des coûts. Une
prophétie qui s’est révélée proche de la réalité jusqu’à une période récente. De fait, la
puissance de calcul des équipements électroniques, jusqu’au smartphone, a progressé
de façon spectaculaire tandis que le coût unitaire s’effondrait. Certes on s’interroge
désormais sur le prolongement de cette courbe intuitive de Moore, mais les faits sont
là : un nombre croissant de produits et services électroniques bénéficient d’une
augmentation spectaculaire de puissance et d’une baisse drastique des coûts.
- La loi de Metcalfe : du nom de Robert Metcalfe, fondateur de l’équipementier réseau
3Com. Dès les années 1980, il expliquait que la valeur d’un réseau de
télécommunications était proportionnelle au carré du nombre de terminaux connectés.
En d’autres termes, plus un réseau a d’utilisateurs, plus ce réseau a de la valeur : votre
application de messagerie ou votre compte sur un réseau social a d’autant plus
d’intérêt que vos proches, vos amis, vos collègues, vos connaissances et les
connaissances de vos connaissances y sont également présents. Cette loi donne un fort
avantage initial au premier entrant afin qu’il puisse acquérir une taille significative
créatrice de valeur. Cet effet réseau explique la concentration naturelle de certains
services autour d’une poignée d’opérateurs.
- La loi de Reed : du nom de David Reed, spécialiste des réseaux et pionnier des
technologies Internet. Au début des années 2000, il avançait que le potentiel de mise
en réseau suggéré par Metcalfe était encore sous-estimé car les utilisateurs d’un réseau

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peuvent former des groupes, des communautés, en un mot collaborer pour générer
encore plus de valeur. Cette loi est notamment centrale dans la bonne compréhension
de toutes les dynamiques collaboratives où cette dimension collective est susceptible
de créer de la valeur.
Ces dynamiques, exponentielles et cumulatives, expliquent ce sentiment d’accélération du
progrès porté par la transition numérique. Elles consacrent le fonctionnement en réseau et
transforment le jeu concurrentiel en énorme course à la taille. Elles structurent les marchés
autour d’une poignée d’opérateurs dominants. Elles accélèrent la constitution de structures
géantes qui peuvent aboutir, potentiellement, à des situations d’abus de position dominante.

2.7. Demande de marché


En économie numérique les biens sont des biens d’expérience : l’utilité n’est pas connue à
l’avance ; il faut un réseau social pour éclairer les choix des consommateurs. C’est en utilisant
ce réseau social que l’on se rend compte de l’intérêt de l’outil. L’action même d’utiliser une
technologie en renforce l’attractivité et l’intérêt de cette dernière (Autorenforcement). De plus
l’Effet feedback fortifie les forts et affaiblit les faibles.

2.8. Structure de marché


Les marchés numériques ne peuvent fonctionner de façon concurrentielle (Monopoles,
Oligopoles). La firme qui a la croissance la plus précoce et soutenue va acquérir les parts de
marché (« winner take all »). Mais cette concentration du marché ne signifie pas que
l’entreprise dominante soit un exemple de concurrence car les monopoles sont moins durables
dans l’économie numérique que dans les activités traditionnelles :
- Faibles coûts d’entrée ;
- Propagation rapide de nouveaux processus ou de nouvelles fonctionnalités ;
- Indépendance des utilisateurs ;
- Concurrence par une entreprise en position dominante dans un autre marché.
On peut expliquer cette faible durabilité des monopoles par un faible coûts d’entrée des
marchés numériques, on a aussi une propagation très rapide des nouveaux procédés, et les
utilisateurs sur ces marchés ont complètement indépendants, l’adoption d’une plateforme
dépend donc de la confiance des utilisateurs en celle-ci, et si la confiance est rompue, alors les
utilisateurs peuvent facilement switcher sur une autre plateforme. On observe aussi une
concurrence accrue en économie numérique car certaines très grandes entreprises présentes
sur le marchés vont exercer une autre concurrence au très grandes entreprises sur leur secteur
d’activité.
En économie numérique, maîtriser un standard vous donne une position de monopole et tout
monopole garantie une rente. Comme il n’y a pas de concurrence, rien ne vous empêche
d’augmenter les prix, ou de ne pas les baisser (Prix de vente en monopole > Prix de marché en
concurrence et Prix de vente en monopole – Prix en concurrence = Surprofit).
Acronyme de Google, Apple, Facebook et Amazon, auquel est parfois adjoint Microsoft, les
GAFA(M), entreprises stars de la Silicon Valley californienne, ont envahi notre quotidien.

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Elles ont même fait des petits avec les NATU pour Netflix, Airbnb, Tesla et Uber. Ces
entreprises ont su renouveler au XXIe siècle le mythe américain des chercheurs d’or ou de
pétrole devenus milliardaires en quelques coups de pioche. Ces entreprises ont parfois à peine
20 ans (Facebook a été créé en 2004 et Google en 1998) et pourtant la capitalisation de
chacune d’elles dépasse les 1 000 milliards de dollars.

2.9. Abondance et gratuité à l’acte


Dans la transition menant de l’économie pré-numérique à l’économie numérique, les coûts et
les utilités se déforment : leur part variable en fonction des quantités se contracte, tandis que
leur part fixe se dilate. S’agissant des coûts, les réseaux électroniques de nouvelle génération
engendrent des frais très importants d’installation des capacités, mais une fois consentis ces
investissements initiaux, des volumes de trafic considérables peuvent être écoulés sans coût
supplémentaire notable. De même, les contenus véhiculés sur les réseaux électroniques sont
onéreux à créer, mais la réplication et la distribution numériques des moules originels
s’opèrent à coût variable négligeable. Et, s’agissant des utilités, la satisfaction d’un
consommateur réside moins désormais dans le nombre de ses minutes de communication que
dans la variété des services, applications et contenus auxquels il peut accéder via son
abonnement à un réseau : le bien acheté n’est plus un volume d’usage « monoservice »,
comme au temps du bon vieux téléphone, mais plutôt une option d’usage multiservice, telle
que la proposent déjà les opérateurs. L’environnement pré-numérique, dans lequel les coûts et
les utilités dépendaient fortement des quantités, était un monde de rareté, dans lequel il était
pertinent de contenir le volume du trafic téléphonique en deçà du seuil de saturation du
réseau, par le biais d’une tarification au volume. Le futur environnement numérique, après
résorption des problèmes transitoires de congestion accompagnant la montée en puissance des
nouveaux réseaux, filaires en fibre optique ou mobiles de quatrième génération, est au
contraire un monde d’abondance. Le volume du trafic y est potentiellement illimité, et la
tarification pertinente devient forfaitaire, revêtant ainsi très logiquement la même structure
fixe que celle des coûts et des utilités. On entre dans une économie de l’attraction, ainsi
dénommée par référence aux parcs de loisirs où, une fois l’entrée payée, les manèges sont
gratuitement accessibles.

2.10. « Infomédiation » et communautés


Les biens numérisables, culturels au premier chef, mais aussi les nombreux biens et services
qui incorporent une composante informationnelle croissante sont le plus souvent des biens «
d’expérience » : leur utilité n’est que très imparfaitement connaissable avant leur
consommation et elle n’est révélée qu’à travers leur usage ; par exemple, la qualité perçue
d’un livre ou d’un film n’est connue qu’après l’avoir lu ou vu, celle d’un jeu vidéo qu’après
l’avoir pratiqué.
Dans une économie où foisonnent biens d’expérience et biens complexes, et où le rythme
rapide de l’innovation renouvelle en permanence les caractéristiques de ces biens,
l’infomédiation, telle qu’elle se développe sur les communautés en ligne, devient une
assistance essentielle au fonctionnement du marché, une sorte de méta-marché où les
interactions, pour être non marchandes, n’en sont pas moins indispensables au bon

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déroulement des transactions… un peu à la manière dont, dans certaines sociétés primitives,
l’échange gracieux d’objets rituels entre tribus est l’utile complément des relations
commerciales, qu’il prépare et rend possibles. Cette vision d’un marché assisté d’un méta-
marché informationnel contraste avec celle du marché parfait des néoclassiques : ici, le
marché n’est pas un mécanisme déterministe par lequel des producteurs, sachant par avance
ce qu’ils doivent fournir, vendent de manière anonyme à des acheteurs sachant par avance ce
qu’ils désirent consommer. Il s’agit plutôt d’un processus aléatoire et auto-organisé par lequel
acheteurs et vendeurs, ignorant initialement les caractéristiques des biens qu’ils échangeront
en définitive, coinventent et coadaptent ces caractéristiques, au gré d’interactions ciblées et
informatives. Dans l’économie numérique, dont le périmètre n’est pas cantonné aux seuls
biens numérisables, mais s’étend à tous les biens requérant une infomédiation, les producteurs
et les consommateurs participent à un même algorithme social : les seconds s’érigent en «
consommateurs », en agissant comme testeurs, voire comme coproducteurs, tandis que les
premiers définissent leurs produits et les différencient à la carte, analysant finement les
requêtes de la demande révélées sur le méta-marché.

2.11. Réseaux électroniques et culture numérique


Dans un organisme vivant, l’information joue deux rôles : en tant que flux, elle active des
algorithmes biologiques en connectant des organes distants ; en tant que stock, elle code la
structure de l’organisme et permet sa reproduction, ainsi que son adaptation dynamique à
l’écosystème environnant, par mutation-sélection. De même, au sein d’un système socio-
économique, les technologies numériques exercent deux fonctions : d’une part, comme on l’a
vu, elles enrichissent et prolongent les algorithmes régissant les relations et les échanges entre
les agents du système ; d’autre part, elles contribuent à la formation des goûts, des
représentations et des savoirs, elles façonnent la trame qui assure la permanence du tissu
social et engendre son renouveau. Chez les économistes néoclassiques pré-numériques, en
quelque sorte les goûts et les représentations ne constituent pas un construit endogène, mais
un donné exogène, inexpliqué par la modélisation : une chaîne causale linéaire mène ainsi des
« représentations » des agents, en entrée, à leurs « comportements », en sortie. Or, pour
théoriser l’économie numérique, il convient de la comprendre comme une économie circulaire
de la « connaissance », dans laquelle les représentations individuelles et collectives sont
influencées et transformées par les comportements mêmes qu’elles engendrent.

2.12. Internet comme marché biface


Le réseau d’un fournisseur d’accès à Internet (FAI) apparaît comme une plate-forme à
laquelle accèdent simultanément des internautes et des éditeurs, les deux faces du marché de
l’accès à Internet, les seconds fournissant des contenus aux premiers. Les deux faces exercent
l’une sur l’autre des effets croisés positifs, une variété accrue des contenus augmentant
l’utilité de chaque internaute et, réciproquement, chaque éditeur bénéficiant d’un
accroissement du nombre des internautes, via un surcroît de recettes publicitaires. Dans la
configuration actuelle du marché biface d’Internet, le FAI gestionnaire de la plate-forme ne
facture qu’une seule des deux faces. Il se rémunère grâce aux forfaits des internautes, mais il
ne perçoit rien en revanche au titre du transport des contenus consultés par ces derniers, les

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fournisseurs de contenus payant par ailleurs leur connectivité et leur hébergement aux
opérateurs qui les leur procurent. Une subvention croisée en résulte, la face de fourniture des
contenus étant subventionnée par la face de leur consommation. Ce schéma n’était pas a priori
le seul possible : on aurait pu envisager un monde « retourné », dans lequel les internautes
auraient bénéficié d’un accès gratuit et où seuls les fournisseurs de contenus auraient financé
les réseaux d’accès. À l’autre extrême, aurait aussi pu exister un monde dans lequel la
subvention consentie à ces fournisseurs aurait excédé son niveau actuel, les FAI payant pour
accéder aux contenus d’Internet, de la même façon qu’ils payent les ayants droit pour accéder
aux contenus audiovisuels. Définissant l’optimum collectif comme l’état qui maximise le
surplus global – somme des surplus de toutes les parties prenantes au système, gestionnaire de
la plate-forme et agents présents sur les deux faces du marché –, la théorie des marchés
bifaces énonce que le gestionnaire doit, à l’optimum, pratiquer un tarif inférieur au coût –
voire nul ou négatif – sur la face qui engendre le plus fort effet croisé positif au bénéfice de
l’autre face. En vertu de cette propriété, entretenir sur Internet une subvention croisée en
faveur des fournisseurs de contenus est justifié si l’externalité positive que ces derniers
procurent aux internautes l’emporte sur l’externalité réciproque, c’est-à-dire si restreindre
dans une proportion donnée la variété des contenus disponibles pénaliserait davantage les
internautes que restreindre la population des internautes dans la même proportion pénaliserait
les fournisseurs de contenus. Or, trois effets viennent conforter cette hypothèse :
 Effet de longue traîne. Une multitude de contenus de niche, dont la valeur est modeste
lorsqu’on les considère chacun individuellement, forment la « longue traîne » d’un
corpus informationnel global dont la valeur est élevée pour l’internaute. Ce corpus
constitue un « bien public » au sens des économistes et serait donc sujet à un risque de
sous-production en l’absence d’incitations appropriées. En dégrader la qualité et la
variété, par le biais d’une facturation des fournisseurs de contenus, qui pénaliserait au
premier chef les plus petits d’entre eux, s’avérerait donc fortement dommageable, non
seulement pour ces éditeurs mais également pour les internautes.
 Effet de sélection. Les leaders d’Internet sont autant d’exemples d’un processus
d’émergence aléatoire, engendrant un grand nombre d’insuccès pour un petit nombre
de réussites. Par conséquent, toute pratique tarifaire ayant pour effet de réduire le flux
des entrepreneurs audacieux qui alimente le processus risquerait de tarir le filtrat des
quelques innovations transformées en succès de la toile et drainant une majorité
d’internautes.
 Effet d’exposition. L’anticipation qu’un fournisseur de contenus forme initialement de
sa future viabilité et qui commande donc sa décision d’entreprendre repose sur
l’assurance de ne pas avoir à payer pour tenter sa chance, c’est-à-dire sur la garantie
de pouvoir acquérir une visibilité universelle sur la toile, sans avoir à négocier
préalablement avec les FAI pour être vu de leurs abonnés. Majorer les coûts d’entrée
pour un aspirant fournisseur de contenus découragerait des projets prometteurs et
rétrécirait ainsi la halle d’exposition ouverte aux internautes.

2.13. Neutralité d’Internet et partage des valeurs


Les réseaux de communication électronique, en général, et singulièrement Internet,
constituent des plates-formes d’échanges, marchands ou non, entre les agents économiques et

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sociaux qui y sont connectés que ce soit pour s’exprimer et dialoguer, pour consulter des
informations, pour éditer des contenus, pour proposer des services et des applications, ou pour
y accéder. Afin d’assurer la liberté et la symétrie de ces divers échanges, chaque utilisateur
pouvant être tour à tour récepteur ou émetteur de contenus, il est essentiel que le réseau
observe autant qu’il est possible un principe normatif de neutralité qui répond à une double
exigence de non-ingérence et d’équivalence. D’une part, les échanges entre utilisateurs ne
doivent être ni empêchés ni restreints par les pratiques des opérateurs de réseau ; d’autre part,
des requêtes soumises au réseau dans des conditions équivalentes doivent être traitées par
celui-ci de manière équivalente.
S’agissant d’abord de la liberté d’expression, ou encore du respect de la vie privée, ces droits
fondamentaux ne sont évidemment pas garantis de la même façon, selon l’étendue des
entorses à la neutralité considérées comme admissibles. En particulier, si non seulement une
éventuelle congestion du réseau mais également l’illégalité présumée de certains contenus
figuraient parmi les motifs permettant à un opérateur d’intervenir de manière non neutre, alors
les droits fondamentaux du citoyen en seraient potentiellement affectés.
S’agissant ensuite du partage de la valeur entre opérateurs de réseaux et fournisseurs de
contenus, le mode d’interconnexion prévalant jusqu’ici, dans lequel les deux types d’acteurs
coproduisent « entre pairs » et sans reversements mutuels le service composite qu’ils
fournissent ensemble au consommateur, est aujourd’hui contesté par certains opérateurs. Ces
derniers estiment en effet que les nouveaux usages fortement consommateurs de bande
passante, comme le téléchargement de vidéos, saturent les infrastructures de cœur de réseau et
les équipements d’interconnexion, si bien que les gestionnaires des sites engendrant ces
usages devraient selon eux contribuer au financement des extensions de capacité de tous les
réseaux acheminant leur trafic, même s’ils n’en sont pas directement clients.

III. Les deux moteurs de la révolution numérique : numérisation et


dématérialisation de l’information

3.1. Numérisation de l’information


La numérisation, c’est-à-dire la transcription de données de toute nature sous la forme de
séquences de bits d’information, reconnaissables, stockables et traitables par des machines
informatiques, transportables et distribuables par des réseaux de communication électronique,
entraîne deux conséquences : d’une part, une gestion homogène des données tout au long de
la chaîne qui conduit de leur création à leur livraison ; d’autre part, une dématérialisation des
contenus, désormais accessibles à l’état libre, sans inscription sur un support matériel, tel un
livre ou un disque. C’est l’ultime étape d’un progrès technique multiséculaire qui, de
Johannes Gutenberg à Bill Gates, a rendu de plus en plus ténu le lien entre l’information et ses
marqueurs physiques, en abaissant les coûts de réplication de ces derniers, avant de
finalement permettre leur total effacement.
La numérisation bouleverse le modèle économique traditionnel de la fourniture et de la
commercialisation des biens culturels littérature, musique ou cinéma qui reposait auparavant
sur la vente à l’unité des marchandises supports de l’information : livres, CD ou DVD.

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Lorsqu’un contenu est numérisé, sa valeur ne disparaît pas, mais elle n’est plus attachée à une
marchandise et doit donc être recueillie autrement, par exemple à travers une facturation
forfaitaire de l’accès à Internet ou par la publicité. Certains biens, comme les logiciels ou les
jeux vidéo, numériques à l’état natif, donnent lieu à des schémas de distribution et de
valorisation originaux, couplant le gratuit et le payant, le téléchargement d’une version de
base étant gratuit mais les options nécessaires à un usage évolué, attractif et personnalisé,
étant payantes.
La numérisation conduit aussi à prolonger certains services de l’économie réelle dans
l’univers virtuel, comme dans le cas du tourisme ou de l’immobilier, où l’exploration visuelle
en ligne vient compléter, voire remplacer, l’exploration physique. Enfin, des biens matériels,
comme aujourd’hui l’automobile, demain le réfrigérateur ou la machine à laver, s’enrichissent
d’une électronique leur permettant non seulement de mieux fonctionner localement mais
encore de recevoir, de traiter et d’émettre des informations. Ces machines se transforment en
terminaux communicants : peu à peu, l’Internet des ordinateurs se mue en celui des objets du
quotidien, ouvrant la voie à une multitude de nouveaux usages : activation à distance d’un
distributeur de boissons, ouverture d’une porte de garage à partir d’un terminal mobile,
contrôles de sécurité sans contact par reconnaissance d’une puce électronique, traçage des
produits alimentaires, etc.

3.2. Définitions et caractéristiques des données


Il existe un manque de clarté dans la définition des données car plusieurs caractéristiques
essentielles les différencient des biens et des services. La dématérialisation d’un produit ou
d’une activité (que l’on peut généralement appeler « événement ») implique sa conversion ou
son codage en un langage binaire composé de « 0 » et de « 1 ». Ainsi, sur Internet, tout n’est
que chiffres, et donc données. Chaque « 0 » ou chaque « 1 » représente un bit d’information
lisible par les machines, en l’occurrence le plus petit élément d’information lisible
numériquement. Ils peuvent être considérés comme la représentation « virtuelle » de la vie
« réelle ». La traduction des événements de la vie réelle en codes « 0 » et « 1 » lisibles par une
machine est réalisée par des logiciels. Ces événements codés peuvent ensuite être transmis et
stockés sur un support informatique (par exemple, transférés via des câbles sous-marins et
stockés dans des centres de données). Internet est un réseau de réseaux ; à partir du moment
où les bits quittent les périphériques de l’utilisateur et arrivent sur le réseau, les données
circulent. Les flux de données désignent les transferts de ces événements codés
numériquement (en « 0 » et « 1 ») entre des dispositifs numériques. Ces flux de données ne
sont pas des transactions commerciales à proprement parler ; ils correspondent simplement à
la transmission des informations lisibles par les machines via le réseau. Le fonctionnement
d’Internet et de l’économie numérique repose fondamentalement sur les modalités de
circulation de ces données au sein des pays et entre eux. Internet étant un réseau mondial, la
plupart de ces flux sont transfrontières.
Sur un plan général et plus particulièrement pour la réglementation, l’important c’est ce que
ces « 0 » et « 1 » représentent dans la vie réelle, en termes d’informations « lisibles par
l’homme », ou ce qui est compréhensible par l’esprit humain. Malgré l’importance acquise
par les données dans cette économie numérique en constante évolution, il n’existe pas de
concept de données qui soit communément accepté, d’où la confusion et la complexité

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croissante des analyses et des débats politiques. En effet, dans la littérature et les débats, la
notion de « données » est généralement considérée comme allant de soi et comprise par tous.
Il s’agirait d’une entité quelque peu homogène et homothétique. Or c’est loin d’être le cas et
ce concept manque cruellement de clarté. Les données ont été comparées à de nombreuses
autres ressources (notamment le pétrole), mais elles ne ressemblent à rien d’autre et ces
comparaisons sont sans grand intérêt pour l’élaboration des politiques. Les données sont
d’une nature différente des biens et services. Pour le comprendre et prendre conscience de
leur valeur, il est important de connaître leurs spécificités. À cet égard, si les flux
transfrontières de données peuvent avoir des implications économiques, ils constituent un
type de flux « économique » international très différent des autres flux économiques
internationaux, tels que le commerce des biens et des services ou les flux financiers
internationaux. C’est pourquoi il convient de les aborder dans une perspective différente et
plus large. Les données sont de petits éléments d’information « lisibles par l’homme » sans
lien entre eux (points de données), qui peuvent être des chiffres, mais peuvent aussi révéler
des aspects qualitatifs. La combinaison de ces données et leur traitement produisent des
informations, des connaissances et une clairvoyance permettant d’éclairer les décisions. Les
données peuvent concerner les personnes (par exemple des données démographiques,
comportementales ou relationnelles), les organisations (leurs types, leurs activités et leurs
relations commerciales), l’environnement naturel, l’environnement bâti ou les objets
manufacturés. Elles peuvent être utilisées pour prendre des décisions ayant des impacts
économiques, environnementaux ou des effets sur la santé, l’éducation ou la société en
général.
Les données sont immatérielles et non rivales, ce qui signifie que de nombreuses personnes
peuvent utiliser les mêmes données simultanément, ou au fil du temps, sans que ces dernières
s’épuisent. Parallèlement, l’accès aux données peut être limité par des moyens techniques ou
juridiques, entraînant ainsi divers degrés d’exclusion. En termes techniques, les données
peuvent être soit un bien public, soit un bien privé, soit un bien de club (lorsque l’accès à ces
données est réservé à un groupe de personnes). La place des données dans le spectre de la
rivalité et de l’exclusivité est illustrée dans la figure ci-dessous :

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Les données englobent fréquemment des externalités positives ou négatives. La valeur des
données agrégées est souvent supérieure à la somme des valeurs individuelles. Les données
ont par ailleurs une valeur relationnelle, de nombreux types de données gagnant en valeur
lorsqu’ils sont combinés avec d’autres données complémentaires. D’autre part, les données
individuelles n’ont a priori aucune valeur, cette dernière ne prenant corps qu’une fois les
données agrégées, traitées et utilisées ; ainsi, les sources de données individuelles auront une
valeur d’usage ou potentielle « optionnelle », de sorte qu’elles pourraient gagner en intérêt dès
lors qu’elles permettent de répondre à de nouvelles questions qui ne se posaient pas
auparavant. Plus les données sont détaillées et granulaires, plus elles sont exploitables, car
elles peuvent être filtrées, agrégées et combinées sous différentes formes pour fournir des
informations différentes. La valeur naît de leur utilisation et dépend donc fortement du
contexte.
En termes économiques, les données peuvent apporter non seulement une valeur privée, pour
ceux qui les collectent et les contrôlent, mais aussi une valeur sociale pour l’ensemble de
l’économie, ce qui met en évidence les avantages potentiels d’un élargissement de l’accès aux
données, collectées par des organismes publics ou privés, dans l’intérêt général. Comme les
marchés ne sont pas en mesure de garantir à eux seuls la valeur sociale, une politique est
indispensable, ne serait-ce que pour des raisons d’efficacité. Elle l’est également par souci
d’équité, car la répartition des revenus privés est très inégale. Les données partagent certaines
caractéristiques avec d’autres éléments, mais leur nature multidimensionnelle les rend très
spécifiques et incomparables. D’un point de vue économique, les données peuvent être
considérées comme une ressource économique, à l’instar du capital, des immobilisations ou
du travail, ou encore comme une forme d’infrastructure. Mais certaines dimensions non
économiques sont également à prendre en compte, car les données sont étroitement liées à la
vie privée et aux autres droits de l’homme, ainsi qu’à la sécurité nationale. Quoi qu’il en soit,
les données doivent être abordées sous tous leurs aspects.
Les données sont de types variés et peuvent être classées selon différentes taxonomies. Une
distinction importante est à établir entre les données communiquées volontairement et les
données observées. Les données fournies spontanément par l’utilisateur seront constituées par
exemple de détails personnels partagés sur une plateforme de médias sociaux ou
d’informations relatives à une carte de crédit pour les achats en ligne. Par contre, les données
observées sont recueillies par une application ou un logiciel tiers, avec ou sans la
connaissance ou le consentement de l’utilisateur, par exemple des données de localisation et
le comportement de navigation sur le Web. Elles sont extraites des activités sur Internet,
notamment par des plateformes numériques et des applications, des machines connectées et
des capteurs, le plus souvent sans aucune contrepartie, et couvrent divers aspects, dont la
localisation géographique, les préférences, les relations et le comportement personnel. La
prolifération exponentielle des données grâce aux progrès des technologies numériques, en
particulier l’analyse des données, concerne principalement le deuxième type de données.
Ainsi, la plupart des données sont à l’heure actuelle des données observées.
Une autre distinction importante est à établir entre les données structurées et celles qui ne le
sont pas. Les données structurées sont les plus faciles à chercher et à organiser, car
généralement présentées sous forme de lignes et de colonnes, et leurs éléments peuvent être
rangés dans des champs fixes prédéfinis. Les statistiques sont un exemple de données
structurées. À l’inverse, les données non structurées ne se prêtent pas à une présentation en

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ligne-colonne de type base de données, et ne sont associées à aucun modèle de données. À
l’instar des données observées, le phénomène des « mégadonnées » est principalement lié à
des données non structurées. Selon les estimations, 90 % de l’ensemble des données seraient
non structurées.
Il est également important d’établir une distinction entre les différentes formes de données.
D’abord, les données et informations associées à des transactions commerciales, telles que les
données de facturation, les données bancaires, le nom, l’adresse de livraison, etc., peuvent
circuler d’un pays à l’autre lorsque ces transactions sont internationales. Que ce soit dans le
monde physique ou numérique, elles ne sont généralement pas destinées à être
commercialisées en tant que telles, et sont transférées dans le cadre de pratiques et règles
commerciales ordinaires. Ces données sont principalement fournies volontairement et ne
devraient pas poser de problème, tant que les acteurs de la nouvelle économie numérique
appliquent les mêmes règles que celles en vigueur dans l’économie conventionnelle. Les
données brutes recueillies à partir d’activités, de produits, d’événements, de comportements
individuels, etc. n’ont pas de valeur en soi, mais peuvent en générer une fois agrégées, traitées
et monétisées, ou utilisées à des fins sociales. Les flux internationaux de ces données brutes,
qui constituent un type de flux différent des autres flux économiques internationaux, sont
actuellement peu réglementés au niveau mondial. En l’absence d’un système international
approprié de réglementation de ces flux, ce sont principalement les plateformes numériques
d’envergure internationale (ou les entreprises leaders dans les chaînes de valeur mondiales) et
les pouvoirs publics qui ont accès aux données, sont en mesure de les collecter et de les
contrôler, disposent des ressources et de la capacité de les affiner et de les exploiter (voire
d’en abuser ou d’en faire un mauvais usage), et en tirent profit. Ainsi, les données « brutes »
(principalement observées et non structurées), massivement collectées grâce aux progrès des
technologies numériques, et leur circulation entre les pays créent une nouvelle dimension pour
l’élaboration de politiques internationales destinées à relever les nouveaux défis connexes.
Ces données brutes correspondent au niveau le plus bas de la pyramide.
La pyramide des données

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Le traitement des données brutes en vue de leur conversion en informations numériques sous
forme de statistiques, de bases de données, de renseignements, etc., aboutit à la création de
« produits de données ». Ceux-ci correspondent aux niveaux « informations »,
« connaissances » et « sagesse » dans la pyramide des données. Ils peuvent être considérés
comme des services, et leurs flux transfrontières (lorsqu’ils sont rémunérés) sont pris en
compte dans les statistiques et les réglementations commerciales. Cependant, l’évolution des
technologies liées aux données, et l’expansion du commerce des nouveaux produits ou
services de données qui l’accompagne, sont principalement basées sur le traitement des
données brutes.

IV. Modèles d’affaire d’une entreprise numérique (travail à faire)

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