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Estelle Brack
BPCE
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All content following this page was uploaded by Estelle Brack on 23 October 2017.
La transformation
digitale de
l’intermédiation
bancaire
Estelle Brack est directrice de programme au sein de la Direction
des paiements du groupe BPCE. Titulaire d’un doctorat en sciences
économiques, elle a publié de nombreux articles sur les questions
bancaires et financières internationales, ainsi que deux ouvrages sur les 167
mutations du système bancaire et financier africain et sur l’économie et
les systèmes bancaires arabes, publiés aux Éditions L’Harmattan. Elle
enseigne à l’Université Paris-II Panthéon-Assas, est experte auprès de
l’OCDE pour la promotion des femmes entrepreneures dans la région
MENA et trésorière de l’iReMMO (Institut de recherche et d’études sur le
Maghreb et Moyen-Orient).
| Estelle BRACK |
à l’argent ; le voilà alors (re)mis au centre des préoccupations des
entreprises bancaires et autres prestataires de paiement. L’entreprise
bancaire est ainsi devenue connectée (multicanal e-commerce,
applications mobiles, tablettes, paiement intégré, etc.), intelligente
(exploitation des données pour la banque, monétisation des données
client, identité numérique, développement de la transversalité entre
les différentes branches, etc.), agile (nouveaux moyens de paiement,
bring your own device, dématérialisation, cloud) et sociale (image de
marque, crowdfunding, médias sociaux, économie sociale).
La banque de détail s’en trouve transformée, et cela se traduit
par l’optimisation, via Internet, de l’expérience du client, de la
transformation des processus opérationnels, de l’évolution des
organisations et des modes de fonctionnement internes, et de la
transformation du business model des banques. L’organisation et
les modes de fonctionnement de la banque de détail évoluent et
168 impactent ses métiers : activités, environnement et compétences clés.
Selon Michel Serres, la révolution numérique en cours aura des effets
au moins aussi considérables qu’en leur temps l’invention de l’écriture
puis celle de l’imprimerie ; les notions de temps et d’espace en sont
totalement transformées et les façons d’accéder à la connaissance
profondément modifiées. Il écrit, dans Petite Poucette (2012) : « Oui,
nous vivons une période comparable à l’aurore de la paideia, après
que les Grecs apprirent à écrire et démontrer ; comparable à la
Renaissance qui vit naître l’impression et le règne du livre apparaître ;
période incomparable pourtant, puisqu’en même temps que ces
techniques mutent, le corps se métamorphose, changent la naissance
et la mort, la souffrance et la guérison, l’être-au-monde lui-même, les
métiers, l’espace et l’habitat. »
Le smartphone change la donne, car il permet de construire une
relation continue dans le temps avec le consommateur. Il devient aussi
interface de pilotage de services. En tant qu’amplificateur de la relation
client, il permet aux banques d’entrer dans le quotidien des individus
en leur apportant de nouveaux services, par exemple en envoyant
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des alertes SMS. Mais, en contrepartie, face à la multiplication des
objets connectés, le défi consiste à proposer une plate-forme unique
pour simplifier la gestion par l’utilisateur et apporter une cohérence
d’ensemble. La transformation de l’expérience client ne constitue,
cependant, que la face immergée de la transformation numérique
de la banque, qui impacte pour une grande part ses processus
opérationnels. L’automatisation des processus constitue en effet une
opportunité forte de croissance pour la banque, lui permettant de
raccourcir et de simplifier les démarches bancaires. C’est donc une
révolution externe et interne à la banque qu’induit et que permet
l’innovation.
| Estelle BRACK |
Au Nord, si l’innovation a pu mettre du temps à se traduire
par de nouvelles offres plus agiles, le développement des nouvelles
technologies et l’assouplissement de la réglementation européenne
ont eu un effet accélérateur pour les fintechs et le transfert d’argent est
devenu un de leurs terrains de jeu privilégié. Pour concurrencer les
banques, les nouveaux entrants ont mis l’accent sur des délais réduits
de transfert (une journée quand il faut aux banques deux jours de délai)
et des barèmes affichés au moment de l’initiation de la transaction.
Avec un avantage, dû à la taille de leurs bases clients, la densité
de leur réseau (domestique, filiales en réception, correspondants
étrangers), les banques ont répondu et développé des briques pour
réaliser ces transactions, en domestique ou à l’international : pour
le cas des françaises, BNP Paribas a noué un partenariat fort avec
Orange, BPCE a lancé S-money, la Société générale a lancé une
offre de transfert domestique au Sénégal. Un retour en arrière n’est
plus possible. L’adoption de la monnaie électronique a de multiples
170
avantages pour l’utilisateur. Un des principaux tient à la sécurité :
pour David Bounie, professeur d’économie à Télécom ParisTech, « le
paiement électronique est donc déjà plus sécurisé que le papier et les
nouveaux moyens de paiement vont encore accentuer ce phénomène.
Un piratage est toujours théoriquement possible, mais, dans les faits,
on voit bien que les fraudes demeurent infinitésimales et d’ailleurs
plutôt liées à des erreurs humaines comme celle d’un utilisateur qui
communique par mégarde son code secret. »
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services de téléphonie, de SMS, d'accès IP fournis par les réseaux
des opérateurs mobiles sans avoir aucun accord de quelque nature
que ce soit avec ces derniers et qui utilisent leurs infrastructures.
La capacité des réseaux télécom à véhiculer des paquets de données
de plus en plus importants a permis d’évoluer du Global System
for Mobile Communication (GSM) – de deuxième génération (2G),
le Radiocom analogique ayant représenté la première génération
(1G) – vers l’Universal Mobile Telecommunications System (UMTS)
de troisième génération (3G) puis le Long Term Evolution (LTE,
4G). Le GSM permet de véhiculer la voix, le WAP, le fax (ou les
fonctions d’un modem filaire classique), les SMS et MMS, les renvois
d’appels ou la présentation du numéro ainsi que les services de
localisation, d’information à la demande (météo, horoscope) et de
banque (consultation de compte, recharges de compte prépayées),
avec un débit de 9,05 kilobit par seconde. L’UMTS (et ses différentes
évolutions ensuite sous la terminologie High Speed Packet Access
171
(HSPA) a véritablement rendu possible l’échange de données – aux
côtés de la voix – sous l’appellation 3G, avec un débit compris entre
144 kilobits par seconde et 1,9 mégabits par seconde. Le système
HSPA (entre 3,6 mégabits par seconde et 14,4 mégabits par seconde)
a ensuite évolué vers LTE, la quatrième génération 4G (à partir de 40
mégabits par seconde jusqu’à 1 gigabit par seconde).
Le déficit de bande passante sur le continent africain a été dépassé
par l’utilisation de navigateurs moins consommateurs (tels que Opera
mini, disponible sur Android ou iOS), sur des smartphones à 100
euros produits par la Chine. Aujourd’hui, un nombre non négligeable
d’employés sont équipés de smartphones sous Android pour accéder
à toute heure du jour et de la nuit à Internet, dépassant les limites que
posait la génération précédente d’outils : les ordinateurs de bureau.
Les acteurs tels Apple (via Facetime), Viber, Skype, Whatsapp
ou Facebook (via Messenger), en particulier, ont profité de ce bond
technologique rapide pour développer des offres de communication
gratuites et disruptives : alors que la téléphonie fixe ou mobile
| Estelle BRACK |
traditionnelle cherchait à assurer la stabilité d’une communication
téléphonique une fois engagée (et donc que la communication ne soit
coupée que lorsque l’un des interlocuteurs le décide), les inventeurs
de Skype ont utilisé la technologie VoIP (Voice over IP) permettant le
transport de la voix sur un réseau de données (IP). Devant la possibilité
de l’instabilité du réseau de données, ils sont partis du principe que
le système permettant de mettre en contact gratuitement par la voix
et l’image des personnes aux deux extrémités de la planète pouvait
se permettre des ruptures, au prétexte qu’il est extrêmement simple
de réémettre l’appel en contre partie du gain financier substantiel
à accéder à un service gratuit alors que les appels internationaux
« classiques » sont très onéreux. Messenger, Skype, Viber, Whatsapp,
etc. proposent un service de messagerie et de voix gratuitement à
qui a déjà un accès wifi sur son mobile. En détournant ainsi une
partie des consommations sur réseaux mobiles, les applications sont
massivement utilisées dans le monde, et en particulier dans les pays
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émergents. Les services de VoIP au Maroc ont été bloqués deux mois
début 2016 (d’abord sur les réseaux de téléphonie mobile puis sur
les lignes fixes) avant d’être ré-ouverts. La coupure de Whatsapp
au Brésil le 17 décembre dernier (exigée par un juge du tribunal de
Sao Paulo devant le refus de Whatsapp de le laisser accéder à des
données personnelles d’utilisateurs) a ainsi provoqué une véritable
rébellion numérique. Vu par les internautes comme une « entrave à
l’Internet libre », le blocage du service a duré 48 heures avant d’être
rétabli par un autre juge qui ne souhaitait pas pénaliser plus de 20
millions d’utilisateurs dans le pays. Le service au Brésil ne subit pas
uniquement des pressions de la part de la justice. Comme au Maroc,
les opérateurs téléphoniques accusent ces acteurs de concurrence
déloyale : ils dénoncent la baisse de leurs abonnés et déplorent un
important manque à gagner.
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Quelle est alors la place pour
les acteurs traditionnels ?
| Estelle BRACK |
Pour Céline Lazorthes, fondatrice de Leetchi, « le numérique est
preuve d’opportunités. La création de Leetchi ne s’est pas faite en
opposition des banques. Elle s’est plutôt faite par-dessus. C’est un
service de cagnotte en ligne qui n’existait pas. Et en fait, le nombre
d’emplois créés s’est finalement fait… ce sont de nouveaux emplois
qui ont été créés et pas des emplois détruits ».
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Maroc et d’Afrique subsaharienne. Pour son directeur, Anas Drihany,
cette solution a l’avantage d’être « multi-banques et multi-régions,
avec un seul catalogue de services monétiques time to market, un
seul développement et une seule mise en production. Un seul process,
un seul back office central, avec un back office léger dans les filiales
pour gérer les réclamations. Le délai pour le lancement d’un nouveau
produit est ainsi passé de 4-6 mois à 1 mois ». Une passerelle a été
ouverte avec le Groupement interbancaire monétique de l'Union
économique et monétaire ouest Africaine (CIM UEMOA) et est en
cours de négociation avec le Groupement interbancaire monétique
de la Communauté économique et monétique d'Afrique centrale
(GIM CEMAC).
| Estelle BRACK |
Poste a développé une application sur smartphone interopérable tous
portefeuilles de monnaie électronique, en concertation avec le switch
monétique.
La reverse innovation ou
du Sud vers le Nord… vers le Sud
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toujours leurs flux quinze ans plus tard. Avec le boom du financement
participatif et des cagnottes en ligne, de nouveaux acteurs comme
Lemon Way sont arrivés pour gérer leurs wallets, une offre qui n’avait
pas été développée par les acteurs historiques. »
| Estelle BRACK |
automobiles aux acteurs de la domotique ou du paiement, tous
n’avaient qu’une question : comment intégrer le mobile dans leur
stratégie ?
L’émergence de nouveaux acteurs dans le secteur des flux,
pouvant profiter du manque d’agilité des acteurs ayant acquis une
taille critique à l’échelle de marchés européens voire internationaux,
menacerait 10 à 40% des revenus de ces gros acteurs. Malgré leur
indéniable volonté à participer activement à cette innovation, les
acteurs bancaires sont ralentis pour ce faire par le cadre spécifique
de leur activité, en particulier pour ce qui concerne la lutte contre
le blanchiment et le financement du terrorisme, qui imposent une
parfaite connaissance de l’origine et de la destination des flux, ainsi
que du client. Mais, parallèlement, les grands acteurs disposent de
nombreuses ressources, informatiques en particulier, largement
compétentes pour prendre en charge cette innovation, sous forme de
178 cellules dédiées et réorganisées en mode start-up.
Faut-il, finalement, opposer ces acteurs entre eux ? Les
expériences de filialisation de Payment Service Providers récentes
en la matière, ne serait-ce qu’en France, démontrent au contraire
la forte complémentarité entre ces acteurs, les uns expérimentés en
quête d’agilité, les autres, nouveaux entrants, en quête d’expérience
et de cette taille critique. L’expérience des opérateurs de téléphonie
mobile cherchant à obtenir des agréments bancaires, ou les banques
une licence d’opérateur de téléphonie mobile virtuelle pour asseoir
la diffusion de leurs services financiers (Mobile Virtual Network
Operator), montrent, encore une fois que les fintechs ne se substituent
pas aux banques mais qu’elles sont complémentaires dans un
écosystème en pleine évolution et créent de la valeur. Si Lavoisier a
raison et que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »,
alors la coopération entre acteurs demeure, plus que jamais, la voie
idoine d’une évolution harmonieuse du secteur.
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Résumé
Abstract
The digital tools are now ubiquitous and impact the economic actors on
the long term. In the financial services sector, they transformed the client's 179
relationship to money and the Bank. The new agile and innovative players,
fintechs, have upset the balance set by longstanding actors.It appears that
the finest results of this innovation will be found in a complementarity
relationship rather than fierce competition. These digital tools also enable
important generational gains where infrastructures are lacking (especially
in emerging countries) and reveal real influence in the North-South, South-
South but also South-North areas.
| Estelle BRACK |
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