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La transformation digitale de l’intermédiation bancaire

Article · January 2016


DOI: 10.3917/geoec.081.0079

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Estelle Brack
BPCE
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Estelle BRACK

La transformation
digitale de
l’intermédiation
bancaire
Estelle Brack est directrice de programme au sein de la Direction
des paiements du groupe BPCE. Titulaire d’un doctorat en sciences
économiques, elle a publié de nombreux articles sur les questions
bancaires et financières internationales, ainsi que deux ouvrages sur les 167
mutations du système bancaire et financier africain et sur l’économie et
les systèmes bancaires arabes, publiés aux Éditions L’Harmattan. Elle
enseigne à l’Université Paris-II Panthéon-Assas, est experte auprès de
l’OCDE pour la promotion des femmes entrepreneures dans la région
MENA et trésorière de l’iReMMO (Institut de recherche et d’études sur le
Maghreb et Moyen-Orient).

L e digital (ou numérique) est devenu un impératif pour


l’entreprise et aucune région de la planète ne peut
aujourd’hui échapper à son influence. Dans les pays les moins
dotés en infrastructures, le numérique permet de réaliser des gains
générationnels importants, dépassant les limites qu’ont imposé
jusqu’alors ces déficits structurels. Dans les pays les plus novateurs
en la matière, en Europe, aux États-Unis ou en Asie, il permet au
client d’être davantage impliqué comme acteur de sa propre relation

| Estelle BRACK |
à l’argent ; le voilà alors (re)mis au centre des préoccupations des
entreprises bancaires et autres prestataires de paiement. L’entreprise
bancaire est ainsi devenue connectée (multicanal e-commerce,
applications mobiles, tablettes, paiement intégré, etc.), intelligente
(exploitation des données pour la banque, monétisation des données
client, identité numérique, développement de la transversalité entre
les différentes branches, etc.), agile (nouveaux moyens de paiement,
bring your own device, dématérialisation, cloud) et sociale (image de
marque, crowdfunding, médias sociaux, économie sociale).
La banque de détail s’en trouve transformée, et cela se traduit
par l’optimisation, via Internet, de l’expérience du client, de la
transformation des processus opérationnels, de l’évolution des
organisations et des modes de fonctionnement internes, et de la
transformation du business model des banques. L’organisation et
les modes de fonctionnement de la banque de détail évoluent et
168 impactent ses métiers : activités, environnement et compétences clés.
Selon Michel Serres, la révolution numérique en cours aura des effets
au moins aussi considérables qu’en leur temps l’invention de l’écriture
puis celle de l’imprimerie ; les notions de temps et d’espace en sont
totalement transformées et les façons d’accéder à la connaissance
profondément modifiées. Il écrit, dans Petite Poucette (2012) : « Oui,
nous vivons une période comparable à l’aurore de la paideia, après
que les Grecs apprirent à écrire et démontrer ; comparable à la
Renaissance qui vit naître l’impression et le règne du livre apparaître ;
période incomparable pourtant, puisqu’en même temps que ces
techniques mutent, le corps se métamorphose, changent la naissance
et la mort, la souffrance et la guérison, l’être-au-monde lui-même, les
métiers, l’espace et l’habitat. »
Le smartphone change la donne, car il permet de construire une
relation continue dans le temps avec le consommateur. Il devient aussi
interface de pilotage de services. En tant qu’amplificateur de la relation
client, il permet aux banques d’entrer dans le quotidien des individus
en leur apportant de nouveaux services, par exemple en envoyant

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des alertes SMS. Mais, en contrepartie, face à la multiplication des
objets connectés, le défi consiste à proposer une plate-forme unique
pour simplifier la gestion par l’utilisateur et apporter une cohérence
d’ensemble. La transformation de l’expérience client ne constitue,
cependant, que la face immergée de la transformation numérique
de la banque, qui impacte pour une grande part ses processus
opérationnels. L’automatisation des processus constitue en effet une
opportunité forte de croissance pour la banque, lui permettant de
raccourcir et de simplifier les démarches bancaires. C’est donc une
révolution externe et interne à la banque qu’induit et que permet
l’innovation.

Les fintechs, enjeu de la stabilité financière ?

L’annonce a surpris le monde des banques et des fintechs à la fin du


mois de février 2016 : le Conseil de stabilité financière (FSB), l’organe 169
chargé de détecter les grandes menaces sur la stabilité financière
mondiale et de préconiser des réformes, a annoncé enquêter sur les
risques systémiques liés aux fintechs. Il a pour objectif de présenter
une feuille de route au G20 en avril. Pour cette instance, présidée par
Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, « un certain
nombre d’innovations technologiques, avec des conséquences
potentiellement transformatrices pour le système financier, ses
intermédiaires et ses utilisateurs, font dorénavant l’objet d’une
attention particulière ». C’est la première approche mondiale du sujet.
En Afrique, le secteur des fintechs s’est d’abord saisi du domaine du
transfert de fonds. Les acteurs historiques du transfert d’argent Nord-
Sud ont été concurrencés par les banques à partir de 2008, notamment
sous l’impulsion de la Banque européenne d’investissement (et de sa
Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat) et
de Charles Milhaud, alors président des Caisses d’épargne françaises,
méditerranéen convaincu. Puis les fintechs sont entrées massivement
sur le marché du transfert Nord-Sud.

| Estelle BRACK |
Au Nord, si l’innovation a pu mettre du temps à se traduire
par de nouvelles offres plus agiles, le développement des nouvelles
technologies et l’assouplissement de la réglementation européenne
ont eu un effet accélérateur pour les fintechs et le transfert d’argent est
devenu un de leurs terrains de jeu privilégié. Pour concurrencer les
banques, les nouveaux entrants ont mis l’accent sur des délais réduits
de transfert (une journée quand il faut aux banques deux jours de délai)
et des barèmes affichés au moment de l’initiation de la transaction.
Avec un avantage, dû à la taille de leurs bases clients, la densité
de leur réseau (domestique, filiales en réception, correspondants
étrangers), les banques ont répondu et développé des briques pour
réaliser ces transactions, en domestique ou à l’international : pour
le cas des françaises, BNP Paribas a noué un partenariat fort avec
Orange, BPCE a lancé S-money, la Société générale a lancé une
offre de transfert domestique au Sénégal. Un retour en arrière n’est
plus possible. L’adoption de la monnaie électronique a de multiples
170
avantages pour l’utilisateur. Un des principaux tient à la sécurité :
pour David Bounie, professeur d’économie à Télécom ParisTech, « le
paiement électronique est donc déjà plus sécurisé que le papier et les
nouveaux moyens de paiement vont encore accentuer ce phénomène.
Un piratage est toujours théoriquement possible, mais, dans les faits,
on voit bien que les fraudes demeurent infinitésimales et d’ailleurs
plutôt liées à des erreurs humaines comme celle d’un utilisateur qui
communique par mégarde son code secret. »

Qui sont les fintechs ?

Les fintechs sont un nouveau type d’opérateurs du domaine des


télécommunications ; ils s’appuient sur les réseaux mis en place
par les opérateurs de télécom pour fournir des services à leurs
abonnés au travers d’applications (smartphones) et de sites internet
(ordinateur). Ces opérateurs Over-The-Top (OTT) utilisent les

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services de téléphonie, de SMS, d'accès IP fournis par les réseaux
des opérateurs mobiles sans avoir aucun accord de quelque nature
que ce soit avec ces derniers et qui utilisent leurs infrastructures.
La capacité des réseaux télécom à véhiculer des paquets de données
de plus en plus importants a permis d’évoluer du Global System
for Mobile Communication (GSM) – de deuxième génération (2G),
le Radiocom analogique ayant représenté la première génération
(1G) – vers l’Universal Mobile Telecommunications System (UMTS)
de troisième génération (3G) puis le Long Term Evolution (LTE,
4G). Le GSM permet de véhiculer la voix, le WAP, le fax (ou les
fonctions d’un modem filaire classique), les SMS et MMS, les renvois
d’appels ou la présentation du numéro ainsi que les services de
localisation, d’information à la demande (météo, horoscope) et de
banque (consultation de compte, recharges de compte prépayées),
avec un débit de 9,05 kilobit par seconde. L’UMTS (et ses différentes
évolutions ensuite sous la terminologie High Speed Packet Access
171
(HSPA) a véritablement rendu possible l’échange de données – aux
côtés de la voix – sous l’appellation 3G, avec un débit compris entre
144 kilobits par seconde et 1,9 mégabits par seconde. Le système
HSPA (entre 3,6 mégabits par seconde et 14,4 mégabits par seconde)
a ensuite évolué vers LTE, la quatrième génération 4G (à partir de 40
mégabits par seconde jusqu’à 1 gigabit par seconde).
Le déficit de bande passante sur le continent africain a été dépassé
par l’utilisation de navigateurs moins consommateurs (tels que Opera
mini, disponible sur Android ou iOS), sur des smartphones à 100
euros produits par la Chine. Aujourd’hui, un nombre non négligeable
d’employés sont équipés de smartphones sous Android pour accéder
à toute heure du jour et de la nuit à Internet, dépassant les limites que
posait la génération précédente d’outils : les ordinateurs de bureau.
Les acteurs tels Apple (via Facetime), Viber, Skype, Whatsapp
ou Facebook (via Messenger), en particulier, ont profité de ce bond
technologique rapide pour développer des offres de communication
gratuites et disruptives : alors que la téléphonie fixe ou mobile

| Estelle BRACK |
traditionnelle cherchait à assurer la stabilité d’une communication
téléphonique une fois engagée (et donc que la communication ne soit
coupée que lorsque l’un des interlocuteurs le décide), les inventeurs
de Skype ont utilisé la technologie VoIP (Voice over IP) permettant le
transport de la voix sur un réseau de données (IP). Devant la possibilité
de l’instabilité du réseau de données, ils sont partis du principe que
le système permettant de mettre en contact gratuitement par la voix
et l’image des personnes aux deux extrémités de la planète pouvait
se permettre des ruptures, au prétexte qu’il est extrêmement simple
de réémettre l’appel en contre partie du gain financier substantiel
à accéder à un service gratuit alors que les appels internationaux
« classiques » sont très onéreux. Messenger, Skype, Viber, Whatsapp,
etc. proposent un service de messagerie et de voix gratuitement à
qui a déjà un accès wifi sur son mobile. En détournant ainsi une
partie des consommations sur réseaux mobiles, les applications sont
massivement utilisées dans le monde, et en particulier dans les pays
172
émergents. Les services de VoIP au Maroc ont été bloqués deux mois
début 2016 (d’abord sur les réseaux de téléphonie mobile puis sur
les lignes fixes) avant d’être ré-ouverts. La coupure de Whatsapp
au Brésil le 17 décembre dernier (exigée par un juge du tribunal de
Sao Paulo devant le refus de Whatsapp de le laisser accéder à des
données personnelles d’utilisateurs) a ainsi provoqué une véritable
rébellion numérique. Vu par les internautes comme une « entrave à
l’Internet libre », le blocage du service a duré 48 heures avant d’être
rétabli par un autre juge qui ne souhaitait pas pénaliser plus de 20
millions d’utilisateurs dans le pays. Le service au Brésil ne subit pas
uniquement des pressions de la part de la justice. Comme au Maroc,
les opérateurs téléphoniques accusent ces acteurs de concurrence
déloyale : ils dénoncent la baisse de leurs abonnés et déplorent un
important manque à gagner.

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Quelle est alors la place pour
les acteurs traditionnels ?

Quand les banques deviennent des opérateurs virtuels (MVNO),


sans infrastructure radio GSM ni de banque de fréquence attribuée
mais en utilisant en location les réseaux d’autres opérateurs, ces
derniers achètent des réseaux bancaires, comme Orange l’a annoncé
début janvier dernier ; l’opérateur français, très présent en Afrique,
négocie avec Groupama afin d’acquérir 65 % du capital de sa filiale
bancaire Groupama Banque. Le 12 février 2016, Orange Digital
Ventures a annoncé une prise de participation (aux côtés de Xange
et d’investisseurs privés) dans KissKissBankBank Technologies, le
leader français du financement participatif (ou crowdfunding). Cette
dernière propose trois plate-formes en ligne répondant à un besoin
de financement. KissKissBankBank permet de financer des projets
d’artistes ou de jeunes créateurs en échange de contreparties non 173
financières. Hellomerci est l’acteur de référence du prêt solidaire
participatif entre particuliers. Enfin, Lendopolis est la plate-forme de
prêts aux entreprises par des particuliers ou des sociétés, rémunérés
par des intérêts de 5 à 12 % par an. Dans un marché du crowdfunding
en pleine expansion en Europe, KissKissBankBank propose une
solution efficace aux besoins de financement des particuliers ou
entreprises en se basant sur l’intelligence collective et la solidarité
émanant du web. Le récent rachat de la cagnotte française Leetchi
par le groupe Crédit Mutuel en septembre 2015 démontre qu’il y
a une certaine complémentarité entre les start-ups et les grands
groupes qui ont mutuellement besoin de l'autre Cette collaboration
apparaît d’intérêt pour la start-up qui a besoin des ressources d’un
groupe bancaire, et en particulier de ses connaissances et de son
expertise métier qu’une jeune pousse de 5 ou 6 ans d’existence n’a
pas encore développé. Et inversement, le groupe bancaire recrute des
compétences, une façon de fonctionner agile, un chiffre d’affaires.

| Estelle BRACK |
Pour Céline Lazorthes, fondatrice de Leetchi, « le numérique est
preuve d’opportunités. La création de Leetchi ne s’est pas faite en
opposition des banques. Elle s’est plutôt faite par-dessus. C’est un
service de cagnotte en ligne qui n’existait pas. Et en fait, le nombre
d’emplois créés s’est finalement fait… ce sont de nouveaux emplois
qui ont été créés et pas des emplois détruits ».

Les acteurs traditionnels innovent eux aussi

Le Ghana a mis en place un système de cartes de paiement


interbancaire qui fonctionne avec 31 banques, alors que 14 seulement
sont sur le réseau Visa. Le système utilise des cartes biométriques. Pour
Archie Hesse, Directeur général du système monétique du Ghana,
« au Ghana circulent encore beaucoup d’espèces, il faut changer de
stratégie pour les systèmes de paiement. Pour résoudre les problèmes
174 d’accessibilité et d’utilisation, nous avons créé cette année un portail
générique pour accéder à la banque et ouvrir un compte. On a créé
aussi du branchless banking dans les régions rurales. Les obligations
en matière de Know Your Customer sont une raison importante
qui limite la bancarisation : on utilise la biométrie avec un système
qui permet l’enrôlement en cinq minutes en prenant les empreintes
digitales ». Afin de développer un maillage fin du réseau, l’entreprise
a « mis en œuvre un plan de départ des plus âgés à la retraite (la
moyenne d’âge est de 53 ans), qui repartent dans leur village en
étant point de contact local de la Poste, avec service de transfert
d’argent, indique Isaac Gnamba, Directeur général adjoint de La
Poste ivoirienne. Douze cybercentres sont en outre opérationnels
aujourd’hui dans les bureaux de poste, 5000 le seront à terme ».
Afin de réduire les délais de traitement et pouvoir fonctionner
en mode start-up, la Banque populaire marocaine, avec quinze
ans d’expérience à date dans le domaine digital, a créé une entité
monétique distincte, et a ouvert ses services aux autres banques du

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Maroc et d’Afrique subsaharienne. Pour son directeur, Anas Drihany,
cette solution a l’avantage d’être « multi-banques et multi-régions,
avec un seul catalogue de services monétiques time to market, un
seul développement et une seule mise en production. Un seul process,
un seul back office central, avec un back office léger dans les filiales
pour gérer les réclamations. Le délai pour le lancement d’un nouveau
produit est ainsi passé de 4-6 mois à 1 mois ». Une passerelle a été
ouverte avec le Groupement interbancaire monétique de l'Union
économique et monétaire ouest Africaine (CIM UEMOA) et est en
cours de négociation avec le Groupement interbancaire monétique
de la Communauté économique et monétique d'Afrique centrale
(GIM CEMAC).

Les enjeux de l’interopérabilité

Lors du Mobile World Congress de février 2016 à Barcelone, la 175


plate-forme de virement international HomeSend (une joint-venture
associant MasterCard, eServGlobal et BICS) a présenté une nouvelle
étape de son partenariat avec Vodafone en ouvrant en 2016 cinq
nouveaux pays à la liste des pays bénéficiant du paiement mobile
M-Pesa de pays à pays en temps réel : le Congo, le Ghana, le Lesotho,
le Mozambique et l’Albanie. Ces pays rejoindront alors le Kenya,
la Tanzanie et la Roumanie. Lancé en mars 2007 par Safaricom au
Kenya, le paiement mobile M-Pesa s’est largement développé depuis,
avec 24,6 millions d’utilisateurs sur onze marchés au 31 décembre
2015. Il existe beaucoup d’initiatives dans les différents pays, mais
aussi des difficultés pour la conversion de monnaies entre les pays de
la région pour les jeunes, par exemple, partis étudier dans un autre
pays que celui de leurs parents, dans une autre zone monétaire. Le
Ghana a dans ce cadre ouvert des discussions avec le GIM UEMOA
pour faire en sorte que les cartes bancaires du switch du Ghana
soient utilisables en UEMOA, et inversement. En Côte d’Ivoire, La

| Estelle BRACK |
Poste a développé une application sur smartphone interopérable tous
portefeuilles de monnaie électronique, en concertation avec le switch
monétique.

La reverse innovation ou
du Sud vers le Nord… vers le Sud

Sébastien Burlet, fondateur de Lemon Way, avait déjà mis en place


dans les années 2000 des services de paiement mobile en Afrique,
à Madagascar et au Mali en particulier. Ils ont été adoptés par des
banques locales comme la filiale d’Attijariwafah au Mali. Fort de
cette expérience, il s’est ensuite intéressé au marché européen... avant
de s’intéresser à l’Afrique à nouveau sous la marque Lemon Way, avec
la nomination, début mars, de Stéphane Drai au poste de directeur
général de Lemon Way Africa, filiale africaine de la société, avec
176 pour objectif affiché d’accélérer son développement sur le continent.
Pour Damien Guermonprez, président de Lemon Way, « pour
chacun des différents métiers de la banque, les fintechs essaient de
se glisser dans la chaîne de valeur pour se positionner le plus près
possible du client afin de capter une partie de la valeur. Nous avions
déjà connu une vague d’intermédiation avec les courtiers en crédit
depuis une vingtaine d’années. Résultat, les plate-formes bancaires
se sont consolidées pour traiter davantage de volume et compenser
ainsi la rémunération accordée aux courtiers. Ici, nous sommes dans
un process d’intermédiation assez identique avec l’ajout d’acteurs
nouveaux qui apportent de vrais avantages aux clients sans coût
supplémentaire. Ce sont les banques qui risquent de voir leur
marge se réduire en pourcentage mais pas en montant car elles vont
poursuivre leur mouvement de concentration.
Dans le paiement, de nouveaux acteurs apparaissent chaque fois
qu’une innovation majeure est lancée. Ainsi, l’e-commerce a vu
naître, au début des années 2000, de nouveaux acteurs qui traitent

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toujours leurs flux quinze ans plus tard. Avec le boom du financement
participatif et des cagnottes en ligne, de nouveaux acteurs comme
Lemon Way sont arrivés pour gérer leurs wallets, une offre qui n’avait
pas été développée par les acteurs historiques. »

Concurrence versus complémentarité

La révolution Fintech marque ainsi une évolution majeure, et


pas des moindres, qu’expérimente également la banque de détail en
Afrique dans le cadre des grands bouleversements de ces dernières
années, résumés par Sébastien Bazin, actuel PDG d’AccorHotels :
« pendant 50 ans, j’ai pensé produit, j’ai pensé marque. Alors que,
dans les années qui viennent, je ne peux penser que client ». L’arrivée
de ces nouveaux acteurs est réellement vue comme une menace
par les acteurs traditionnels. Il semble plus juste de considérer la
complémentarité dont ont besoin tous ces acteurs : les banques 177
sont susceptibles de jouer encore longtemps ce rôle de coffre-fort
de confiance final dans lequel est conservée la monnaie, les autres
acteurs créant un niveau d’intermédiation supplémentaire entre la
banque et l’individu. Pour Jean-Noël Georges, Directeur des études
du cabinet Frost & Sullivan, « il faut que le moyen d’échange suscite la
confiance de l’utilisateur. Aujourd’hui, il n’y a plus de frontière entre
les mondes physique et digital. Le paiement est le moment critique
lors d’un achat, il faut donc qu’il soit le plus fluide possible, ce que
permet le sans contact. Le cloud a, lui, permis de baisser les coûts
sur les transactions. Il ne semble pas opportun de tout entrer dans
le téléphone mais de voir ce qui peut être fait autour ». La course aux
moyens de paiement globaux, simplifiés et peu chers est bien ouverte.
Après la vague des pure players, qui ont transformé la banque
de détail, voici celle des mobile natives : le Mobile World Congress
de Barcelone rassemble maintenant des entreprises au-delà des
opérateurs télécoms et fabricants de smartphones. Des constructeurs

| Estelle BRACK |
automobiles aux acteurs de la domotique ou du paiement, tous
n’avaient qu’une question : comment intégrer le mobile dans leur
stratégie ?
L’émergence de nouveaux acteurs dans le secteur des flux,
pouvant profiter du manque d’agilité des acteurs ayant acquis une
taille critique à l’échelle de marchés européens voire internationaux,
menacerait 10 à 40% des revenus de ces gros acteurs. Malgré leur
indéniable volonté à participer activement à cette innovation, les
acteurs bancaires sont ralentis pour ce faire par le cadre spécifique
de leur activité, en particulier pour ce qui concerne la lutte contre
le blanchiment et le financement du terrorisme, qui imposent une
parfaite connaissance de l’origine et de la destination des flux, ainsi
que du client. Mais, parallèlement, les grands acteurs disposent de
nombreuses ressources, informatiques en particulier, largement
compétentes pour prendre en charge cette innovation, sous forme de
178 cellules dédiées et réorganisées en mode start-up.
Faut-il, finalement, opposer ces acteurs entre eux  ? Les
expériences de filialisation de Payment Service Providers récentes
en la matière, ne serait-ce qu’en France, démontrent au contraire
la forte complémentarité entre ces acteurs, les uns expérimentés en
quête d’agilité, les autres, nouveaux entrants, en quête d’expérience
et de cette taille critique. L’expérience des opérateurs de téléphonie
mobile cherchant à obtenir des agréments bancaires, ou les banques
une licence d’opérateur de téléphonie mobile virtuelle pour asseoir
la diffusion de leurs services financiers (Mobile Virtual Network
Operator), montrent, encore une fois que les fintechs ne se substituent
pas aux banques mais qu’elles sont complémentaires dans un
écosystème en pleine évolution et créent de la valeur. Si Lavoisier a
raison et que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »,
alors la coopération entre acteurs demeure, plus que jamais, la voie
idoine d’une évolution harmonieuse du secteur.

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Résumé

Le digital (ou numérique) est aujourd’hui omniprésent et impacte


durablement les acteurs économiques. Dans le secteur des services financiers,
il transforme la relation du client vis-à-vis de l’argent et de la banque. Les
nouveaux acteurs agiles et innovants, les fintechs, ont bouleversé l’équilibre
instauré par les acteurs présents de longue date. Il apparaît que les fruits
de cette innovation seraient davantage à rechercher sous la forme d’une
complémentarité plutôt que d’une concurrence acharnée entre ces acteurs.
Il permet également de réaliser des gains générationnels importants là où
les infrastructures font défaut (en particulier dans les pays émergents) et
fait émerger dans ce domaine une réelle influence Nord-Sud, Sud-Sud mais
aussi Sud-Nord.

Abstract

The digital tools are now ubiquitous and impact the economic actors on
the long term. In the financial services sector, they transformed the client's 179
relationship to money and the Bank. The new agile and innovative players,
fintechs, have upset the balance set by longstanding actors.It appears that
the finest results of this innovation will be found in a complementarity
relationship rather than fierce competition. These digital tools also enable
important generational gains where infrastructures are lacking (especially
in emerging countries) and reveal real influence in the North-South, South-
South but also South-North areas.

| Estelle BRACK |
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