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18/02/2022

RDC POLITIQUE

Pourquoi Tshisekedi a placé son

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sécurocrate Beya aux arrêts
Depuis l'arrestation, le 5  février, de son conseiller sécurité
François Beya, le président congolais Félix Tshisekedi observe un
mutisme absolu sur le dossier, alimentant les rumeurs les plus
folles. Africa Intelligence révèle pourquoi le chef d'Etat a fait
interpeller son maître-espion, et dans quelles circonstances.

Le président congolais Félix Tshisekedi (à droite) et son conseiller sécurité


François Beya. © Présidence de RDC

Le 15 février au soir, une loge du Parc des Princes, à Paris, est restée vide. Le
président congolais Félix Tshisekedi, qui avait prévu d'assister au 8e de finale de la
Ligue des champions entre le Paris Saint-Germain (PSG) et le Real Madrid avant

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de se rendre, le lendemain, au sommet Union européenne-Union africaine


organisé à Bruxelles, a préféré rester à Kinshasa. Un choix qui donne, en creux, la
mesure des inquiétudes du chef d'Etat, quinze jours après l'arrestation, le 5 février

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dans l'une de ses villas, "Perle", non loin du fleuve Congo, de son conseiller
sécurité François Beya.

Depuis son appréhension, François Beya a vu les fonctionnaires de l'Agence


nationale de renseignement (ANR) congolaise perquisitionner, le 8 février, les
locaux du Conseil de sécurité, qu'il préside. Le 14 février, les enquêteurs visitaient
ses bureaux privés, au cinquième étage de l'hôtel Sultani, à Kinshasa, géré par
l'influente femme d'affaires Nicole Sulu. Ils ont saisi ses ordinateurs, ses
téléphones, ses dossiers ainsi que l'agenda noir dans lequel le conseiller
présidentiel consignait ses obligés. Dans les mains des enquêteurs, toutes ces
pièces deviennent autant de preuve de trahison sur lesquels le conseiller
présidentiel, soumis depuis le début de la semaine à un interrogatoire serré, est
sommé de s'expliquer.

Le maître-espion aux mille réseaux

Car c'est bien la centralisation des canaux de communication politiques,


diplomatiques et sécuritaires dans les mains de son conseiller qui, au final, a
déclenché l'ire du président congolais. Comme tous les maîtres-espions, Beya
parlait à la fois à Israël et aux hommes d'affaires libanais proches du Hezbollah,
aux alliés de Tshisekedi comme à ses pires ennemis dans l'entourage de son
prédécesseur Joseph Kabila, ainsi qu'à tous les sécurocrates des pays voisins,
jusqu'en Europe et aux Etats-Unis (voir nos révélations, AI du 10/02/22).

Cet activisme tous azimuts, souvent conduit depuis ses bureaux de l'hôtel Sultani,
a fonctionné tant que le chef d'Etat est resté persuadé qu'il était mené à son usage
exclusif. Mais, il y a trois mois, Félix Tshisekedi, qui vit depuis 2019 dans
l'angoisse d'un coup de force du camp Kabila (AI du 19/04/21), a commencé à avoir
des doutes sur la loyauté de François Beya. Ces soupçons, largement entretenus
par son premier cercle, dans lequel François Beya compte des adversaires déclarés,
sont allés croissant jusqu'à la soirée du 4 février. Ce soir-là, le président congolais
appelle depuis Addis-Abeba, en Ethiopie - où il est venu assister au sommet des
chefs d'Etat de l'Union africaine (UA) - le directeur de l'ANR, Jean-Hervé Mbelu
Biosha, pour lui demander de procéder dès le lendemain à l'arrestation de
François Beya.

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L'ère du soupçon

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Le détonateur de la paranoïa présidentielle est un vol qu'a effectué François Beya à
l'automne dernier. Officiellement, il s'agissait d'un déplacement en Centrafrique,
où le conseiller sécurité de Félix Tshisekedi entretient des rapports suivis avec le
président centrafricain Faustin-Archange Touadéra.

Très vite, cependant, l'entourage présidentiel s'est rendu compte que le plan de vol
soumis par Beya ne correspondait pas à la réalité. Le sécurocrate, loin de s'être
rendu à Bangui, avait en réalité voyagé à Harare, au Zimbabwe. Dans ce pays, ont
soufflé plusieurs conseillers à Félix Tshisekedi, il est soupçonné d'avoir rencontré
le général John Numbi, figure tutélaire de la police congolaise sous la présidence
de Joseph Kabila et resté proche de l'ex-président. Exilé au Zimbabwe depuis le
printemps dernier - il est accusé d'avoir commandité, en 2020, le meurtre de deux
activistes -, John Numbi se rend très régulièrement en Afrique du Sud, où une
partie de la galaxie de l'ex-chef de l'Etat congolais et rival de Tshisekedi opère
depuis plus d'un an un regroupement. Félix Tshisekedi vit très mal la révélation de
ce qui est décrit par son premier cercle comme une preuve du "double jeu" de
Beya.

Quelques semaines plus tard, un second incident vient nourrir la paranoïa


présidentielle. Alors qu'il assiste, à la mi-octobre, au Global Business Forum Africa
à Dubaï, le président est témoin d'un coup de sang de son conseiller sécurité, qui
l'accompagne. Apprenant que la villa de Zoé Kabila, frère de l'ex-dirigeant
congolais, dans le quartier de la Gombe, a fait l'objet d'une tentative de saisie par
l'Etat, François Beya s'insurge contre l'opération et s'active pour la faire annuler.
L'incident perturbe le voyage présidentiel, dans lequel le maître-espion joue un
rôle de premier plan : c'est en effet un de ses proches, l'homme d'affaires Kao
Mandungu, qui s'est imposé comme l'intermédiaire incontournable entre les
Emirats arabes unis et la RDC. Les deux hommes se connaissent par le biais de
Mandungu Bula Nyati, père de Kao Mandungu et ministre des affaires étrangères
de Mobutu Sese Seko, sous lequel Beya a commencé sa carrière. C'est Kao
Mandungu qui a épaulé les premiers contacts entre la RDC et DP World, nouvel
opérateur du port en eaux profondes de Banana (AI du 15/02/22) et a même assuré
le rôle de traducteur pour le président congolais lors d'entrevues avec des
dignitaires émiratis.

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La troisième alerte survient peu après, alors que Félix Tshisekedi est en route vers
Israël, où il effectue dans les derniers jours d'octobre sa première visite d'Etat.

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Dans l'avion qui l'emmène vers la capitale de l'Etat hébreu, il s'ouvre à quelques
conseillers d'un autre soupçon à l'encontre de François Beya, très introduit à Tel
Aviv, où il a reçu une formation sous la présidence de Mobutu. Selon le chef d'Etat,
Beya, qui avait autorité sur la Direction générale de migration (DGM) sous la
présidence de Joseph Kabila, aurait facilité la fuite d'un autre hiérarque de l'ancien
régime recherché, comme John Numbi, par la justice congolaise : Kalev Mutond,
ex-directeur de l'ANR.

Contre-enquête

En pleine crise de confiance envers François Beya, Félix Tshisekedi cherche des
appuis pour étayer ses soupçons ou, au contraire, les dissiper. Son choix se porte
sur Jean-Hervé Mbelu Biosha, qui est alors le numéro deux de l'ANR. Mandaté par
le président, Mbelu se rend en Afrique du Sud pour conférer avec les responsables
sécuritaires locaux et évoquer d'éventuels regroupements des réseaux Kabila dans
le pays. Zoé Kabila, frère de l'ex-chef d'Etat, vit une partie de l'année dans ce pays,
où réside sa famille. Les informations obtenues par Mbelu viennent confirmer les
inquiétudes de la présidence : les alliés de Kabila usent effectivement de l'Afrique
du Sud comme d'une plateforme. Motif d'irritation supplémentaire pour Félix
Tshisekedi : François Beya ne l'a jamais averti sur les dangers de cette filière sud-
africaine.

Le 10 décembre, Mbelu est promu à la tête de l'ANR, et ce sans que François Beya
soit consulté. Entre le chef de l'Etat et son conseiller sécurité, les non-dits
accumulés finissent par créer une distance perceptible. Le dernier jour de l'année
2021, les deux hommes sont au Kasaï, à Kananga, à seulement quelques villas de
distance. François Beya passe la soirée à attendre que le président l'appelle pour
l'inviter à passer le réveillon avec lui. Mais le coup de fil ne vient pas et les deux
hommes entrent séparément dans l'année 2022.

Les amitiés particulières

Désormais en disgrâce, François Beya va voir tous les atouts qui l'ont rendu
indispensable aux yeux de la présidence se transformer en menaces potentielles.
C'est notamment le cas de son exceptionnel réseau, qui couvre tous les partis

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politiques congolais - il est l'un des architectes de "l'union sacrée", la coalition qui
forme le socle de l'exécutif - et s'étend à l'ensemble des pays de la sous-région,
jusqu'au Liban. François Beya est notoirement proche d'hommes d'affaires chiites

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libanais actifs au Congo, notamment Rachid el-Chaer, un responsable du groupe
familial d'agroalimentaire Congo Futur, et Saleh Ali Assi, qui gère la boulangerie
industrielle Pain Victoire (AI du 20/10/21). Au temps de sa splendeur, cette
proximité était considérée comme un avantage : la communauté libanaise en RDC
ne constitue-t-elle pas à la fois un pôle économique important et un sujet d'intérêt
constant de la part de deux alliés clés de l'administration Tshisekedi, à savoir les
États-Unis et Israël ?

Mais privé de la confiance du chef de l'Etat, François Beya n'est plus un maître-
espion entretenant ses réseaux. Il devient, aux yeux de Félix Tshisekedi, un
intrigant frayant avec des partis potentiellement hostiles. Ses alliés libanais, qui
disposent chacun d'une galaxie de sociétés en RDC et ont été soupçonnés par
Washington de contribuer au réseau financier du Hezbollah, sont considérés par
le pouvoir congolais comme des fondés de pouvoir de Joseph Kabila, pour lequel
ils auraient géré des comptes. Proche d'eux, Beya se retrouve associé à cette
galaxie financière, d'autant plus que l'une des lignes téléphoniques qu'il utilisait a
été ouverte par l'un de ses contacts libanais.

Toujours en cours, l'enquête sur François Beya n'en finit plus d'avoir des
conséquences sur la vie politique congolaise, mais également sur la diplomatie du
pays. Première répercussion directe de l'arrestation du conseiller sécurité de Félix
Tshisekedi : le coup de frein brutal à la "filière sud-africaine" mise en place par la
famille de Joseph Kabila. Le 9 février, Zoé Kabila a ainsi été interdit de se rendre
en Afrique du Sud depuis Kinshasa. Quatre jours plus tôt, le jour même de
l'arrestation de François Beya à Kinshasa, c'est son frère et ancien chef de l'Etat
congolais qui séjournait en Afrique du Sud, d'où il est rentré, en jet privé, le
11 février.

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