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POLITIQUE

Côte d’Ivoire : le nouveau système


Ouattara
En nommant un vice-président, le chef de l’État a mis la
dernière main à la recomposition de son équipe
bouleversée par la mort des Premier ministre Amadou
Gon Coulibaly et d’Hamed Bakayoko en 2021.
Décryptage.

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31 mai 2022 à 17:17

Par Vincent Duhem


Mis à jour le 31 mai 2022 à 17:17

Devant le Congrès réuni à Yamoussoukro, le 19 avril 2022, (de g.à dr.), le


Premier ministre, Patrick Achi, le vice-président, Tiémoko Meyliet Koné, le
président, Alassane Ouattara, ainsi que Jeannot Ahoussou Kouadio et Adama
Bictogo, respectivement présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. ©
SIA KAMBOU/AFP
Avec ses grandes allées rarement embouteillées, ses larges trottoirs
et ses luxueuses villas, le quartier de Beverly Hills, dans la commune
de Cocody, à Abidjan, regroupe quelques-unes des plus grosses
fortunes du pays. Hommes d’affaires, directeurs généraux, hommes
et femmes politiques de premier plan y ont élu domicile : la ministre
des Affaires étrangères, Kandia Kamara, ou l’actuel chef du
gouvernement, Patrick Achi. Tiémoko Meyliet Koné, le tout nouveau
vice-président, est son voisin.

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Meyliet Koné pour la vice-présidence

En cette soirée du 23 avril, Achi parcourt les quelques mètres qui


séparent leurs résidences pour une réunion au sommet. Le 15 avril à
Abidjan, puis le 21 à San Pedro, les services de sécurité ivoiriens ont
mis la main sur une importante cargaison de drogue, plus de 2
tonnes de cocaïne en provenance d’Amérique latine. Elle a été
estimée à 41,1 milliards de F CFA (62,6 millions d’euros). Informé,
Alassane Ouattara (ADO) a décidé de confier ce dossier sensible à
Tiémoko Meyliet Koné. C’est la raison de la présence d’Achi chez lui.
Le secrétaire général de la présidence, Abdourahmane Cissé, ainsi
que les ministres Birahima Téné Ouattara (Défense) et Vagondo
Diomandé (Intérieur et Sécurité) sont de la partie.

FMI et BCEAO

Pour Tiémoko Meyliet Koné, c’est non seulement un sacré baptême


du feu quelques jours seulement après avoir quitté le siège dakarois
de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), dont
il était le gouverneur depuis 2011, mais aussi le signe de la place que
compte lui accorder Alassane Ouattara. « Symboliquement, voir le
Premier ministre se déplacer chez lui, c’était important. Ça a donné le
ton », analyse un membre du gouvernement.

Tout juste après sa nomination, Tiémoko Meyliet Koné s’est rendu


dans plusieurs capitales ouest-africaines afin de faire ses adieux aux
autorités locales et, parfois, de transmettre un message du chef de
l’État. De retour à Abidjan, il a reçu le représentant spécial du
secrétaire général des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le
Sahel, Mahamat Saleh Annadif Khatir, avant de représenter le
président lors de la célébration de la Nuit du destin.
Par le flou dont elle entoure le poste de vice-président, la
Constitution permet à ADO de lui donner le poids qu’il souhaite. Mais
le chef de l’État n’entend pas faire de Tiémoko Meyliet Koné un
nouveau Daniel Kablan Duncan, qui s’était retrouvé cantonné à un
rôle de représentation. Les deux hommes ont pourtant certains
points communs, comme celui d’être de bons technocrates passés
par le FMI et la BCEAO. Ce qui est également le cas d’Alassane
Ouattara.
Tiémoko Meyliet Koné applaudi lors de sa désignation, à
Yamoussoukro, le 19 avril 2022. © Ange Servais Mahouena-Ivory
Coast Presidency/ Handout via REUTERS
À 72 ans, Tiémoko Meyliet Koné sait que sa nomination ne doit pas
être vue comme un possible tremplin vers une candidature à la
présidentielle de 2025. « Le chef de l’État ne voulait pas nommer de
personnalité politique à ce poste pour éviter toute interprétation,
comme ce fut le cas avec Duncan », explique l’un de ses vieux
amis.

Cette absence d’ambition politique semble pousser ADO à lui confier


un certain nombre de dossiers importants. Le président veut qu’il se
familiarise rapidement avec leur contenu. C’est pour cette raison qu’il
a tenu à choisir le directeur de cabinet du vice-président, Emmanuel
Ahoutou Koffi, qui a assuré cette fonction auprès de ses trois derniers
Premiers ministres (Amadou Gon Coulibaly, Hamed Bakayoko et
Patrick Achi).

ADO désire également échapper à certaines contraintes, notamment


des obligations nationales, continentales ou internationales. Il reste
néanmoins à la manœuvre. Le 15 avril, il a quitté Abidjan pour aller
passer une semaine en France. En son absence, le Conseil des
ministres hebdomadaire n’a pas eu lieu.

À LIRECôte d’Ivoire : le vide institutionnel s’installe au sommet de


l’État

Cercle rapproché

Le chef de l’État est un homme qui prend rarement des décisions


dans la précipitation. « Il a le temps pour lui. Et le temps lui a
jusque-là donné raison », assure l’un de ses visiteurs du soir. ADO
prend également un malin plaisir à surprendre. À dire une chose et à
faire son contraire. Mi-mars, il avait confié en privé vouloir attendre
juillet pour remanier son gouvernement. De plus, il concédait à
certains ses réticences à nommer un nouveau vice-président, poste
resté vacant depuis la démission de Daniel Kablan Duncan, en juillet
2020. « En laissant filtrer ces informations, il voulait tester les
réactions. En réalité, il avait déjà défini son calendrier : réaménager
le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix
(RHDP), puis le gouvernement, et nommer un vice-président dans la
foulée », assure l’un de ses proches.

En procédant de la sorte, Alassane Ouattara achève de remodeler un


système bouleversé par la mort d’Amadou Gon Coulibaly, en juillet
2020, et de Hamed Bakayoko, en mars 2021. Avant cela, ADO avait
perdu le soutien de Duncan et celui de Marcel Amon Tanoh, son
ancien directeur de cabinet, qui a depuis fait amende honorable et
été nommé au Conseil de l’entente. En juin 2021, il avait nommé
Claude Sahi chef de cabinet, fonction assumée jadis par le
ministre Sidi Tiémoko Touré et inoccupée depuis plusieurs mois.
Ancien proche d’Ibrahim Coulibaly, Sahi est un bon connaisseur de
l’administration. Il fut l’un des piliers du ministère de l’Intérieur, où il
était le directeur des affaires politiques. Hamed Bakayoko l’avait
recruté en 2014.

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Ben Yahmed

L’arrivée de Tiémoko Meyliet Koné redéfinit légèrement le rapport


des forces entre les membres de son cercle rapproché. C’est tout
particulièrement le cas de son Premier ministre. Relégué d’un rang
dans l’ordre protocolaire, Patrick Achi doit-il s’inquiéter de l’arrivée
d’une nouvelle personnalité de poids dans l’entourage du chef de
l’État ? Depuis sa nomination, il est soumis à une forte pression et a
parfois montré certaines difficultés à imposer son autorité sur un
gouvernement pléthorique.

Selon nos informations, ses relations se seraient compliquées


avec Abdourahmane Cissé, secrétaire général de la Présidence depuis
fin mars 2021 et autre élément essentiel du nouveau système
Ouattara. Courroie de transmission entre la Présidence et le
gouvernement, il est au cœur de l’appareil exécutif. Il s’entretient
quotidiennement avec le chef de l’État.

En privé, Achi s’est plaint de voir Cissé s’immiscer régulièrement


dans ses dossiers. Il juge trop ambitieux celui que certains, dans les
couloirs de la présidence, surnomment même « Macron », en
référence à son jeune âge et à ses potentielles envies
présidentielles.

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nouveau secrétaire général de la présidence

« Même s’il aura une certaine autorité, Koné ne va pas faire d’ombre
à Achi. Ils ne sont pas concurrents. Le vice-président va assister le
Premier ministre dans certains dossiers et lui permettre de se
concentrer sur d’autres sujets. Le président veut le mettre dans les
meilleures conditions », souligne un intime d’Alassane Ouattara qui
rappelle qu’Achi et Koné se connaissent et s’apprécient. Ils ont déjà
travaillé ensemble, notamment lors de la préparation de la réforme
du franc CFA, annoncée en décembre 2020 à Abidjan par Alassane
Ouattara et Emmanuel Macron.

Bien que Tiémoko Meyliet Koné ne soit pas un pur politicien, son
entrée en scène pourrait aussi avoir une incidence sur la géopolitique
électorale. Depuis le décès d’AGC et de Hamed Bakayoko, aucun
cadre du nord de la Côte d’Ivoire n’a réellement émergé pour le
moment. Originaire de Ferkessédougou par son père et de Tarifé, où
il possède un ranch, une résidence secondaire et un complexe
hôtelier, par sa mère, l’ancien gouverneur de la BCEAO est un
éminent représentant du septentrion. Sa zone d’influence est
mitoyenne de celle d’un autre proche du chef de l’État, Fidèle
Sarassoro. Lui aussi est cité comme l’un des potentiels successeurs
d’ADO, dont il est le discret directeur de cabinet depuis cinq ans.
C’est d’ailleurs à la demande de ce dernier qu’il s’était présenté aux
dernières élections législatives dans son fief de Sinématiali (Nord), où
il a été élu facilement. Une manière pour le président de faire
apparaître une nouvelle figure en pays sénoufo. Sarassoro, qui
cumule déjà sa fonction à la présidence avec celle de secrétaire du
Conseil national de sécurité (CNS), avait également vu ses
compétences élargies.

L’émergence d’une autre personnalité du Nord pourrait-elle contrarier


sa montée en puissance ? « Sarassoro est jeune. Il a le temps,
contrairement à Koné. Et puis le boss n’a pas joué sa dernière carte.
Alassane Ouattara va sûrement tester son nouveau système pendant
un ou deux ans. Il n’est pas exclu qu’il effectue par la suite un autre
remaniement plus important que le dernier et nomme un autre vice-
président avant 2025 », précise-t-on dans l’entourage du chef de
l’État. Encore une fois, ADO reste le maître des horloges du temps
politique de son pays.

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