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Coup d’État au Niger : et si le

pétrole expliquait tout ?


Le 27 juillet, la création d’une nouvelle société pétrolière
baptisée PétroNiger devait être validée en conseil des
ministres. Mais, la veille, le président Mohamed Bazoum
était renversé. Enquête sur ce qui pourrait être tout sauf
une coïncidence.
Par Mathieu Olivier le 22 août 2023 à 16:53

Mohamed Bazoum (à g.) et Sani Issoufou, fils de Mahamadou Issoufou. © Montage JA ; Tagaza
Djibo pour JA ; Vincent Fournier pour JA

LES SECRETS D’UN COUP D’ÉTAT (3/3). Au bout de la


longue table du conseil des ministres, Mahamadou Issoufou s’assoit une
nouvelle fois - la dernière - à la place du président. Mohamed Bazoum,
son successeur élu, prêtera serment le 2 avril. L’homme de Tahoua sait
que ses heures à la tête de l’État sont comptées. Il a accepté plusieurs
mois plus tôt de passer la main et de s’en tenir à la limite constitutionnelle
fixée à deux mandats. Le choix n’a peut-être pas été facile, mais
qu’importe : en ce 12 février 2021, Mahamadou Issoufou tient à faire son
travail, comme si de rien n’était.

Au titre du ministère du Pétrole de son compère Foumakoye Gado, et


sous le regard de son successeur, il officialise l’attribution de trois blocs
pétroliers – R5, R6 et R7, situés dans la région d’Agagem - à une
coentreprise, Niger Oil Company (NOC), constituée notamment de deux
entités, Amko et la Société nigérienne de pétrole (Sonidep). Un geste
anodin ? Pas vraiment. Ces blocs ont été rétrocédés à l’État cinq ans plus
tôt par la China National Petroleum Corporation (CNPC), qui les avait
acquis en 2008. Depuis, ils faisaient l’objet de toutes les convoitises.

Le mystérieux Moussa Kouanda


Qui se « cache » derrière l’attelage de la NOC ? Un nom retient l’attention,
celui du Burkinabè Moussa Koanda, directeur non-exécutif d’Amko.
« Koanda est l’une des connexions privilégiées d’Issoufou avec le monde
des affaires », résume un homme d’affaires nigérien. Koanda a pris la
place dans l’entourage du président d’un autre opérateur économique, le
milliardaire nigérian Alhaji Dahirou Mangal, qui a lui aussi fait fortune
durant des années dans le négoce des produits pétroliers nigériens,
faisant fructifier la bienveillante amitié du chef de l’État.

R5, R6 et R7 en poche, la NOC et Moussa Koanda doivent cependant


valider leur ticket d’entrée en payant leur bonus de signature. Mais les
mois passent et l’argent - une vingtaine de millions de dollars - ne vient
pas. Mohamed Bazoum, qui a prêté serment le 2 avril 2021, s’impatiente.
Il a fait du pétrole l’un des vecteurs de développement de son pays et ne
supporte pas de voir ce dossier prendre la poussière au ministère du
Pétrole, qu’il a confié à un proche de Mahamadou Issoufou, le fils de ce
dernier, Sani, dit Abba. En novembre, le nouveau chef de l’État tranche :
il remet les blocs sur le marché. Le ballet des ambitieux reprend.

Un autre acteur entre en jeu : le trader Trafigura. Un de ses dirigeants, le


Suisse Constantin de Bartha, fait le siège du ministère du Pétrole, jusqu’à
convaincre Sani Issoufou de proposer sa société comme acquéreur des
blocs. « Après l’éviction de Koanda, Sani Issoufou a cherché à reprendre
la main en proposant Trafigura », explique un conseiller de la présidence.
Mais la manœuvre échoue. Trafigura n’a pas bonne presse, et R5, R6 et
R7 restent à acquérir. Ils seront attribués à la China Petroleum and
Chemical Corporation (Sinopec) en mai 2023, sur décision du chef de
l’État.

L’audit disparu de la Sonidep


Mais Mohamed Bazoum a-t-il réellement, en ce début de premier mandat,
la main sur le pétrole ? Le chef de l’État a en réalité une épine dans le
pied : la Sonidep. Selon plusieurs sources, celle-ci cumule alors environ
200 millions de dollars de dettes. Les rentrées d’argent – notamment
tirées de la vente des produits de la Société de raffinage de Zinder
(Soraz), qui s’effectuent en partie via des intermédiaires – n’y sont pas
assurées : les auditeurs extérieurs estiment alors les pertes dues à la
fraude entre 50 et 70 millions de dollars par an pour l’État, soit 5 % des
recettes fiscales nigériennes.

Le Fonds monétaire international (FMI), qui n’a rien d’un lanceur d’alerte,
s’est même permis d’attirer discrètement l’attention du gouvernement.
Résultat : Mohamed Bazoum décide en novembre 2021 de remplacer le
directeur général de la Sonidep, Alio Touné, proche de Mahamadou
Issoufou, par l’un de ses propres hommes, Ibrahim Mamane. Originaire
de Zinder, région d’origine du président, celui-ci doit remettre de l’ordre
dans la société et y juguler les trafics. Il lance un audit de l’entreprise. Les
cadres, issus de l’ancienne administration Issoufou, grognent.

En juin 2022, deux effractions sont constatées dans les bureaux de la


Sonidep. Des documents sont volés. L’audit ne verra jamais le jour, tandis
que l’enquête de police n’apporte rien. « C’est à ce moment que Bazoum
s’est dit que la Sonidep était perdue », se souvient un visiteur régulier du
chef de l’État. Ce dernier se décide à créer une autre société : PetroNiger.
« L’idée était de diluer le rôle – néfaste – de la Sonidep dans le pétrole »,
résume notre source. « Il fallait aussi donner des gages au FMI, qui avait
eu sous les yeux les comptes de la Sonidep », ajoute un conseiller du
président.

PétroNiger contre Sonidep


« Bazoum avait l’idée de lutter contre la fraude, et pas vraiment de se
lancer dans une bataille contre Issoufou », précise notre visiteur du soir.
Quand bien même : depuis son accession au pouvoir en 2011, le
prédécesseur de Mohamed Bazoum y a placé ses hommes. Sous la
direction d’Alio Touné, les ressortissants de la région de Tahoua, dont est
originaire l’ancien président, ont la part belle. Selon une source ayant eu
accès aux comptes de la société, plus de 200 militants de la section
régionale du parti au pouvoir y sont même embauchés de manière fictive.
« Issoufou avait verrouillé la Sonidep », résume notre conseiller, qui parle
de « caisse noire du PNDS [Parti nigérien pour la démocratie et
le socialisme] version Issoufou ».

Le projet PétroNiger de Mohamed Bazoum va mettre le feu aux poudres.


Sani Issoufou, soutenu par son prédécesseur Foumakoye Gado, s’y
oppose, d’autant que, depuis avril 2022, ses relations avec le chef de
l’État se sont détériorées. Mohamed Bazoum a en effet décidé de
nommer Ibrahim Yacouba au ministère de l’Énergie et des Énergies
renouvelables, portefeuilles qu’Abba cumulait jusqu’ici avec celui du
Pétrole. Le président a bien pris soin d’avertir en personne Mahamadou
Issoufou, mais le choc n’en est pas moins grand pour le fils de ce dernier.
C’est un affront.

« Ils se parlaient de moins en moins », se souvient un proche des deux


hommes. « Au départ, Sani ne voulait pas de cette nouvelle société, qui
menaçait la Sonidep », poursuit notre source. Mais Mohamed Bazoum
avance ses pions. Le ministre du Pétrole change donc de stratégie : il
propose au président sa propre version de PétroNiger, avec une
participation de l’État à hauteur de 40 % et de la CNPC autour de 35 %.
« C’était ubuesque : dans aucun pays de la région, l’État ne peut assumer
une telle part », analyse un acteur du dossier. Le FMI émet le même avis
défavorable. Mais Sani Issoufou passe outre, espérant imposer à la tête
de la société un ami, Ibrahim Diop, fils de l’ex-ministre des Finances,
Mamadou Diop.

L’ombre d’Issoufou
À la présidence, Mohamed Bazoum est circonspect. Lui-même défend un
PétroNiger où l’État ne serait actionnaire qu’à hauteur de 15 %, pour
environ 49 % à la CNPC. Une nouvelle fois, le chef de l’État et le fils de
son prédécesseur s’opposent. La relation se tend encore, Abba
n’apparaissant plus qu’occasionnellement lors des visites d’État, où il était
auparavant incontournable. Puis, en juin 2023, Mohamed Bazoum se
décide à trancher. Il impose sa répartition. Les statuts de PétroNiger,
que Jeune Afrique a pu consulter, sont couchés sur le papier et portés
pour signature à Sani Issoufou et à son homologue des Finances, Ahmat
Jidoud.

Ce dernier décide ensuite de le soumettre en conseil des ministres pour


validation, espérant mettre la brouille derrière lui. Une date est arrêtée :
le jeudi 27 juillet. La veille, le général Tiani et ses hommes placent le chef
de l’État en détention et officialisent leur prise de pouvoir. Mohamed
Bazoum a-t-il payé sa volonté de s’attaquer à la Sonidep, cette « caisse
noire » qui aurait alimenté - entre autres - les rangs de l’armée ? Les
putschistes sont-ils passés à l’action de peur de perdre l’accès à la manne
pétrolière ?

TIANI ÉTAIT LE DERNIER À POUVOIR PASSER À


L’ACTE
Plusieurs conseillers du président renversé en sont convaincus, d’autant
que la production nigérienne devait rapidement passer de 20 000 barils
par jour à 120 000. « On parle à terme d’un revenu espéré de 7 à 8
millions d’euros par jour », glisse un expert du secteur. « C’était
maintenant ou jamais. Tiani était le dernier à pouvoir passer à l’acte »,
affirme un proche de Bazoum. Le 10 août, la junte a mis fin aux fonctions
d’Ibrahim Mamane à la Sonidep. Malgré nos efforts, Sani Issoufou n’a pas
pu être contacté sur son numéro de téléphone habituel.

Quant à son père, il a alimenté les spéculations pendant de longues


semaines en choisissant de ne pas s’exprimer, expliquant en privé se
consacrer à des tentatives de médiation avec le général Tiani, l’homme
dont il a favorisé l’ascension. Mahamadou Issoufou a pris la parole le
17 août, affirmant dans Jeune Afrique souhaiter la libération et le retour
au pouvoir de son successeur. Mais cette déclaration n’a pas dissipé les
soupçons.

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