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Série In Amenas (1), le

mystérieux commanditaire de
l’attaque terroriste
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 La rédaction de Mondafrique
 -
26 août 2020

293PARTAGES
281

12

Dans cette série de 4 articles écrits pour Mondafrique par Jeremy


Keenan à partir de son Rapport sur In Amenas: enquête sur
l’implication et la couverture par l’Occident de crimes d’Etat
algériens (2016), le professeur invité à l’école de droit de l’Université
de la Reine Marie à Londres (QMUL) raconte une histoire
passionnante, à l’arrière plan d’une prise d’otages et d’un siège
interminable qui ont marqué  l’histoire récente de l’Algérie : celle des
services de renseignement algériens à l’intérieur d’un pouvoir
conflictuel et de leur collaboration, souvent trouble, avec
l’Occident. Socio-anthropologue, Jeremy Keenan est spécialiste du
Sahara-Sahel sur lequel il travaille depuis 1964. Le Rapport sur In
Amenas a été publié par l’Initiative Internationale sur les crimes
d’Etat (ISCI), logée à l’école de droit de la QMUL. On peut le consulter
en entier par le  lien
suivant : http://statecrime.org/data/2016/11/KEENAN-IN-AMENAS-
REPORT-FINAL-November-2016.pdf

(Les notes renvoyant à davantage d’informations dans le rapport sont


indiquées par un R suivi du numéro de page.)

Jeremy Keenan, l’auteur du Rapport sur In Amenas


Le mercredi 16 janvier 2013, l’énorme plateforme gazière de Tiguentourine
au Sahara, gérée par la joint venture de production réunissant la compagnie
nationale algérienne de pétrole, Sonatrach (51%), BP (24.5%) et Statoil
(renommée Equinor) (24.5%), est attaquée par des terroristes. Tiguentourine
est située à peu près à 50 km à l’ouest-sud-ouest de la ville d’In Amenas et à
78 km de la frontière libyenne. In Amenas se trouve à 1 583 km par la route
d’Alger, 731 km du gisement de pétrole de Hassi Messaoud et 246 km au
nord de la capitale de la wilaya (préfecture), Illizi. Au moment de l’attaque,
Tiguentourine fournissait environ 12% de la totalité de la production de gaz
naturel de l’Algérie.

En ce 16 janvier 2013, plus de 130 des 800 employés travaillant sur le site
sont des expatriés de près de 30 nationalités différentes. Les autres sont
algériens. Lorsque l’armée algérienne a repris le contrôle de l’usine, le 19
janvier, près de 80 personnes étaient mortes: 40 expatriés, 29 des 32
terroristes et 9 ou 10 Algériens, parmi lesquels au moins un garde.

En quelques secondes, deux balles s’écrasèrent sur le pare-


brise. Paul Morgan fut le premier à mourir.

L’attaque a commencé à 05h47 (Central European Time), lorsqu’un bus


transportant 12 expatriés, dont deux pilotes qui se rendaient à l’aéroport d’In
Amenas ou en ville pour renouveler des documents administratifs, a été pris
à partie. Le bus se trouvait au centre d’un convoi de 5 véhicules: 3 de la
gendarmerie, transportant chacun quatre gendarmes armés, et le véhicule de
sécurité liaison, avec à son bord Paul Morgan, l’un des officiers de sécurité qui
quittait le complexe pour rentrer chez lui en Angleterre le jour-même, ainsi
que son chauffeur. Le véhicule de Morgan était le deuxième du convoi,
suivant le véhicule de tête des gendarmes et devançant le bus. Alors qu’ils
approchaient du check-point, Morgan a allumé la lumière intérieure de
l’habitacle, pour que les gardes en faction au check-point puissent le
reconnaître. En quelques secondes, deux balles s’écrasèrent sur le pare-brise.
Paul Morgan fut le premier à mourir.

Une fusillade s’ensuivit entre les assaillants armés et les gendarmes qui
escortaient le bus. Elle dura environ 45 à 60 minutes. Bien que criblé de
balles, le bus ne fut pas pris et aucun de ses passagers ne mourut. A un
certain moment, certains des assaillants, comprenant, peut-être, que le bus
était trop bien défendu, s’éloignèrent et s’introduisirent à l’intérieur de
Tiguentourine, après des échanges de coups de feu avec les trop faibles
forces de sécurité qui défendaient le site. Certains pénétrèrent à l’intérieur de
la Base de Vie (BdV) à l’extrême sud du complexe; d’autres se dirigèrent vers
la zone de production, où se trouvent l’Installation Centrale de Traitement
(CPF) et la Base Industrielle d’Opérations (IBO), trois kilomètres au nord de
la BdV et reliée à celle-ci par une route goudronnée.

Vers 07h00, ou juste avant, alors que les assaillants se trouvaient tous
désormais à l’intérieur de la plateforme, les soldats de la base militaire d’In
Amenas arrivèrent sur place et commencèrent à encercler l’usine, prenant au
piège les 32 terroristes à l’intérieur de son périmètre.

Quatre jours de cauchemar pour les otages et pour ceux qui


essayaient de rester cachés pendant que les terroristes les
traquaient.

Le siège de quatre jours qui suivit fut un cauchemar pour les otages ainsi que
pour ceux qui essayaient de rester cachés pendant que les terroristes les
traquaient. Lorsque l’armée algérienne reprit le contrôle des lieux, 80
personnes étaient mortes.

L’enquête sur la mort de six citoyens britanniques et d’un résident


britannique tués pendant l’attaque débuta à Londres le 15 septembre 2014,
vingt mois plus tard, et s’acheva le 26 février 2015.  Au fil des trente jours
d’audience, presque chaque seconde terrifiante des quatre jours de siège fit
l’objet d’une enquête légale attentive et minutieuse. .Les actes d’héroïsme,
d’extraordinaire courage, de tragédie, de souffrance, de mort, d’évasion, de
survie et même d’amour, qui firent souvent pleurer le public, furent tous bien
documentés.

Toutefois, nonobstant les preuves rapportées par plus de 70 témoins,


l’enquête londonienne évita scrupuleusement la question clé, échappant,
selon elle, à ses attributions, portant sur le commanditaire de l’attaque et son
mobile. A l’instar des media dominants, la cour fit sienne la thèse d’une
attaque d’In Amenas par des membres d’Al Qaida au Maghreb islamique
(AQMI), sous le commandement du célèbre terroriste algérien Mokhtar ben
Mokhtar (alias Belmokhtar, MBM). La seule preuve en était la désinformation
produite par les autorités algériennes, soutenant que MBM avait revendiqué
sa responsabilité dans l’attentat.

Pourtant, les autorités algériennes avaient, jusqu’à l’audience de Londres,


refusé toute coopération, prétextant de leur intention de mener leur propre
enquête judiciaire. Cette dernière ne vit jamais le jour, sans surprise pour
ceux qui connaissent l’Algérie.

Mokhtar Belmokhtar, commanditaire de l’attentat ou pion du DRS ?


Une précédente enquête judiciaire en France n’avait pas davantage bénéficié
de la coopération algérienne. La Direction Centrale du Renseignement
Intérieur (DCRI) française n’a jamais reçu l’autorisation de pénétrer en
Algérie et les demandes de coopération judiciaire sont restées sans réponse.
Dans son livre In Amenas, Histoire d’un piège (2014), Murielle Ravey, qui a
survécu à l’attentat, écrit que le manque de transparence entre Alger et Paris
était pharamineux. (R.67-9).

Des deux associés de Sonatrach, BP n’a jamais ordonné d’enquête et a gardé


le silence. A l’inverse, Statoil a mené une enquête dont le rapport a été rendu
public en septembre 2013. Mais le mandat des enquêteurs évitait
scrupuleusement de soulever la question du mobile de l’attentat et de son
commanditaire. Le mandat, rédigé de façon à ne pas fâcher les Algériens,
était ainsi libellé : « Il est important dès le début de préciser que ce sont les
terroristes [désignés par Statoil comme étant AQMI et Mokhtar Belmokhtar]
et personne d’autre qui portent la responsabilité de cet attentat vicieux et
tragique. »

Ainsi, au moment où l’enquête de Londres s’est achevée, plus de deux ans


après l’attentat, les questions de « qui » avait ordonné l’opération et
« pourquoi » n’avaient toujours pas trouvé de réponse. La désinformation et
le refus de coopérer de l’Algérie, approuvés par les services de
renseignement américain, britannique et français, renforcèrent la version
officielle de l’attentat qui en attribuait la responsabilité à MBM et AQMI.

Les premiers soupçons sur l’implication du DRS ont surgi


immédiatement, tout simplement parce que la majorité des
incidents terroristes depuis 2002 était le fait d’une collusion entre
le DRS et les groupes armés.

Toutefois, après quatre ans d’enquête, l’auteur du Rapport sur In Amenas,


page 281, éclaire d’une lumière sensiblement différente les mobiles de
l’attaque. Et révèle que MBM et AQMI n’ont guère été que des pions.

Dès la nouvelle de l’attentat, des suspicions d’implication des services secrets


algériens –  à travers le Département du Renseignement et de la Sécurité
(DRS) – étaient apparues. En réalité, n’importe quel spécialiste de sécurité
connaissant bien l’Algérie devait immédiatement soupçonner une collusion
entre le DRS et les assaillants, tout simplement parce que la majorité des
incidents terroristes en Algérie depuis 2002/3 (comme dans les années 90)
impliquait une collusion entre le DRS et les terroristes (R.42-5).

C’était justement le problème sur lequel John Schindler – officier supérieur


américain du renseignement (R.42-4) – avait essayé d’attirer l’attention des
gouvernements et services de renseignement occidentaux en juillet 2012 et,
de nouveau, à la veille d’In Amenas. Le 10 juillet 2012, Schindler publia un
article intitulé « La laide vérité sur l’Algérie » ( The Ugly Truth about Algeria,
R43), qui décrivait comment le DRS, pendant plus de deux décennies, avait
créé ses propres terroristes et les avait utilisés pour conduire ses propres
opérations.

John Schindler
Le GIA était une création du DRS; utilisant des méthodes soviétiques
d’infiltration et de provocation, l’agence l’organisa pour discréditer les
extrémistes. La majorité des leaders du GIA était des agents du DRS, qui ont
jeté le groupe dans la fuite en avant des crimes de masse, tactique brutale
qui discrédita le GIA partout en Algérie. Ses opérations majeures furent
l’oeuvre du DRS, y compris la vague d’attentats commis en France en 1995.
Certains des massacres de civils les plus spectaculaires furent commis par
des unités militaires spéciales se faisant passer pour des moujahidine ou par
des unités du GIA contrôlées par le DRS. (R.43)

Le fait que les assaillants d’In Amenas avaient pu traverser sans se faire
repérer l’une des zones militaires les plus sûres d’Algérie, protégée, selon
l’armée algérienne, par environ 7 000 membres des forces armées, était
suspect. Tout aussi suspect était le fait que les autorités algériennes
donnèrent cinq versions différentes en cinq jours du trajet emprunté par les
terroristes. (R.42).

Mais la base la plus solide, à ce moment-là, du soupçon d’implication du DRS


résidait dans les déclarations des autorités algériennes affirmant que
l’attentat avait été organisé par MBM et conduit, sur le terrain, par Mohamed
Lamine Bouchneb (alias Tahar). Les deux hommes étaient connus de l’auteur
pour être des agents du DRS. MBM avait conclu dix ans plus tôt un accord
avec le DRS, dont l’auteur fut le témoin, aux termes duquel il s’engageait à
ne pas attaquer les compagnies étrangères de gaz ou de pétrole ni leurs
installations en Algérie. Les emails de l’ancienne Secrétaire d’Etat américaine
Hillary Clinton ont confirmé par la suite que MBM avait conclu un accord
encore plus récent, moins d’un an avant l’attentat, avec le DRS (voir plus
bas.)

Bouchneb, qui fut tué pendant le siège, était connu de l’auteur pour avoir été
le responsable des enlèvements et du trafic de drogue autour d’Illizi (Djanet),
dans la région du sud-est de l’Algérie et au Fezzan libyen voisin. Il était aussi
connu pour être un visiteur fréquent du camp d’entraînement d’Al Qaida à
Tamouret, géré par le DRS, au sud d’In Amenas.

Mohamed Lamine Bouchneb, le chef du commando d’In Amenas, un fidèle


lieutenant de Mokhtar Belmokhtar. (Crédit Duncan Gardham)
Toutefois, la preuve la plus flagrante de l’implication du DRS n’apparut que
près de trente mois plus tard, en août 2015, six mois après la fin de l’enquête
de Londres.
Lors du siège d’In Amenas, l’armée algérienne avait capturé trois
terroristes. Mais on ne sut rien de leurs dépositions jusqu’en
août 2015.

Lors du siège d’In Amenas, l’armée algérienne avait capturé trois terroristes.
Selon certaines sources, ils auraient été pris à l’intérieur du site; selon
d’autres, ils se seraient échappés mais auraient été rattrapés ultérieurement
par une unité de l’armée à l’extérieur. Leurs noms, probablement faux – –
Derouiche Abdelkader (alias Abou al Barra), Kerroumi Bouziane (alias.
Redouane) et Laaroussi Ederbali – ont été publiés par le quotidien algérien El
Watan, proche du DRS, et ainsi portés à la connaissance des autorités
britanniques et américaines (R.153f.).

Mais on ne sut rien de leurs dépositions, au moins publiquement, jusqu’en


août 2015. Les raisons de ce secret seront expliquées dans la IVe partie. Pour
le moment, il nous suffit de dire que leurs confessions touchaient au plus
profond de la structure du pouvoir algérien. Au moment d’In Amenas, le
clivage politique principal à l’intérieur du régime se situait entre la Présidence
de Bouteflika et l’armée, d’une part, et le DRS commandé par le puissant
général « Toufik » Mediène, de l’autre. Les relations étaient glaciales entre le
général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée, et le général
Mediène.

Les trois terroristes avouèrent qu’ils avaient été armés par le général
Abdelkader Aït Ouarabi (alias Hassan), commandant le célèbre Groupement
d’Intervention Spécial (GIS), la force de frappe du DRS. (voir IIe partie) et le
Service de coordination opérationnelle et de renseignement antiterroriste
(SCORAT). Cette information fournit au général Gaïd Salah les munitions dont
il avait besoin pour entreprendre le démantèlement du DRS puis la chute et
l’emprisonnement du général Hassan d’abord et du général Mediène, enfin.
(voir IVe partie).

La Présidence et le commandement de l’armée sachant que le DRS se


trouvait derrière l’attaque d’In Amenas, il n’est pas surprenant que l’Algérie
ait manifesté aussi peu de désir de coopération, aussi bien dans le cadre de
l’enquête judiciaire française que britannique, sans jamais s’impliquer non
plus dans sa propre enquête judiciaire de façade.

Les premiers à parler publiquement de l’implication du DRS


furent deux anciens capitaines du service. Ils affirmaient que le
général Mediène avait ordonné l’attentat.

Pourtant, même avant que ces aveux ne soient rendus publics, il y eu


plusieurs déclarations, dans les mois qui suivirent l’attentat, qui, bien que ne
rapportant pas de preuve définitive de l’implication du DRS, commencèrent à
en faire germer le soupçon. Les premiers à parler, sur les réseaux sociaux,
furent Haroune Hacine, un ancien capitaine du DRS, et Ahmed Chouchane, un
ancien capitaine et instructeur du GIS commandé par le général Hassan
(R.75). Ils affirmaient que le général Mediène avait ordonné l’attaque d’In
Amenas parce qu’il était furieux de l’autorisation de survol accordée par
Bouteflika à la France pour attaquer les islamistes dans le nord du Mali, dont
les chefs – Abdelhamid Abou Zaïd et Iyad ag Ghali – travaillaient avec le
DRS.

L’éditeur François Gèze et le journaliste Nicolas Beau, directeur de publication


de Mondafrique, accordèrent quelque crédit à cette thèse. Beau cita une
interview, rapportée par Gèze, dans laquelle le colonel Ali Benguedda
(surnommé ‘Petit Smaïn’), assistant de feu le général Smaïn Lamari, chef de
la sécurité interne du DRS et du directorat du contre-espionnage, confirmait
comment le DRS entraînait et gérait les groupes islamistes et encourageait
leurs actions violentes pour apparaître, aux yeux de ses soutiens
occidentaux, comme un partenaire incontournable dans la lutte contre le
terrorisme. C’est précisément ce qu’écrivait en 2012 l’officier américain John
Schindler. Gèze et Beau évoquaient eux-aussi la colère du DRS contre
l’intervention française au Mali.

Le premier anniversaire de l’attaque fit l’objet d’un torrent d’articles dans la


presse algérienne dont deux au moins, par inadvertance, apportèrent de
nouvelles preuves de l’implication du DRS. L’un, écrit par Salima Tlemçani,
connu pour ses liens étroits avec le DRS, contredisait la plupart des
informations officielles : le nombre de terroristes impliqués dans l’attaque, le
nombre de terroristes capturés et le nombre de morts. A la première lecture,
l’article pouvait apparaître comme une tentative délibérée de semer la
confusion dans les enquêtes française et britannique. Toutefois, à la
deuxième lecture, l’article apparaissait plutôt comme une tentative
d’éclabousser l’armée, qui, à l’insu du public, était en possession des aveux
des terroristes capturés et s’apprêtait déjà à démanteler le DRS et isoler son
chef tout puissant, le général Mediène (R.70-4).

Trois jours après l’article de Tlemçani, l’agence de presse Xinhua publia un


article(R.74), sourcé auprès des opérations militaires françaises dans le nord
du Mali, qui nommait 10 individus basés dans le septentrion malien n’ayant
pas « été directement impliqués dans l’attentat mais ayant sponsorisé
l’opération à travers leur contribution stratégique et logistique. » Ce que ne
savait pas Xinhua, c’est que certains d’entre eux étaient liés, d’une manière
ou d’une autre, avec le DRS. Par exemple, Sultan Ould Badi était directement
placé sous la protection du général Rachid (‘Attafi’) Lallali, le chef de la
Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE) du DRS.

Trois ans après l’attentat, des interceptions audio semblent


démontrer que les terroristes croyaient bénéficier d’une certaine
protection de l’armée algérienne.

Le pays qui perdit le plus de ressortissants dans l’attaque fut le Japon. Dix
employés de la compagnie japonaise JGC Corp furent tués. Le 5 décembre
2015, près de trois ans après l’attentat, le journal japonais Nikkan-
Gendai affirmait s’être procuré des interceptions audio surprises lors de
l’assaut final des terroristes par l’armée algérienne à l’intérieur du site de
Tiguentourine. Les interceptions, certifiées authentiques, révèlent que les
terroristes croyaient bénéficier d’une certaine protection du commandement
militaire algérien. L’un d’eux, Abdoul Afman, dit ces mots: « L’armée a violé
son serment et nous a déçus! Ils (l’armée algérienne) ont frappé les véhicules
transportant les otages et nos amis, et tout le monde est mort! » Un certain
Abderrahmane crie: « Le gouvernement algérien n’a pas de
parole. » (R.189).
C’est en mars 2016, plus de trois ans après In Amenas, que le dernier clou
sur le cercueil de l’implication du DRS dans l’attentat fut rendu public, quand
Wikileaks publia les emails privés de la Secrétaire d’Etat américaine de
l’époque, Hillary Clinton (R.195). Pendant le siège, madame Clinton reçut
deux emails, les 17 et 19 janvier (2013), de Sidney Blumenthal, l’ancien
conseiller à la Présidence de Bill Clinton que madame Clinton continuait
d’employer à titre privé en tant que Secrétaire d’Etat. Dans le premier mail,
Blumenthal informait madame Clinton que le gouvernement Bouteflika était
surpris et désorienté par l’attentat d’In Amenas, ayant conclu un accord
secret avec MBM en avril 2012 selon lequel MBM cantonnerait ses opérations
au Mali ou aux intérêts marocains dans le Sahara occidental mais seulement
avec « l‘encouragement » du DRS (R.197-202). Le deuxième email confirmait
que le DRS avait reçu l’ordre [de la Présidence et/ou du gouvernement) de
rencontrer MBM ou ses lieutenants dans le nord de la Mauritanie pour
découvrir pourquoi « MBM avait violé son engagement et lancé des attaques
à l’intérieur de l’Algérie ». (R.200).

Il faut noter deux choses concernant ces emails. Tout d’abord, l’auteur pense
que l’accord entre MBM et le gouvernement Bouteflika en vigueur en avril
2012 est la continuité de l’accord conclu par MBM avec le DRS dans la période
2001-2003, dont l’auteur a été le témoin. Deuxièmement, la raison pour
laquelle la Présidence et le gouvernement sont surpris par la violation de cet
accord par MBM est qu’ils ne savent pas que MBM, précisément, n’a pas, en
réalité, violé son engagement. Au moment où Blumenthal envoie ses emails à
Hillary Clinton, les 17 et 19 janvier, l’armée ne connaît pas encore le rôle qu’a
joué le général Hassan dans l’armement des terroristes. Il n’est donc pas
étonnant que la Présidence soit surprise d’apprendre, par ses services de
renseignement – le DRS – que MBM est derrière l’attaque. En fait, la
Présidence n’a alors aucun moyen de savoir que le DRS–qui était
effectivement un Etat dans l’Etat – a parrainé l’attentat, du moins jusqu’à la
fin de l’interrogatoire des trois terroristes capturés par l’armée, à une date
ultérieure au deuxième email de Blumenthal le 19 janvier.

Même si nous avons désormais des preuves écrasantes du fait que c’est le
DRS, et non MBM et AQMI, qui ordonna l’attentat d’In Amenas, il reste deux
questions essentielles: Quel était le mobile du DRS pour ordonner cette
attaque ? Et pourquoi l’opération fut un désastre ?

Ces deux questions trouveront leur réponse dans la IIe partie de notre série.

In Amenas (2), le DRS de Toufik


en perte de vitesse
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 La rédaction de Mondafrique

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27 août 2020

202PARTAGES
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Dans un premier article, Jeremy Keenan a présenté les preuves


substantielles de l’implication du Département du Renseignement et
de la Sécurité (DRS) algérien dans l’attentat contre l’usine de gaz de
Tiguentourine, près d’In Amenas, dans le Sahara algérien, le 16
janvier 2013. Ce second article répond aux questions sur le mobile du
DRS, dirigé par le général Mohamed Mediène, dit Toufik, confronté à
une perte d’influence face aux alliés occidentaux et à des tensions
grandissantes avec le Président Bouteflika.

Lors des auditions, en septembre 2016, de l’enquête de Londres (qui sera


évoquée en 3e partie) sur la mort de six citoyens britanniques et d’un
résident britannique, plusieurs expatriés ayant survécu à l’attentat ont attiré
l’attention des juges sur un conflit du travail qui durait depuis plusieurs mois
sur le site. Ils imaginaient que ce conflit pouvait être lié aux événements et
que les grévistes avaient communiqué des informations aux terroristes. Dans
la négative, comment les assaillants s’étaient-ils procuré les détails du plan
du site et les noms de certains personnels clé?
Pourtant, il n’existe pas de preuve permettant de relier le DRS à ce conflit
social ni de preuve reliant l’attentat au conflit. L’enquête révéla d’ailleurs que
la connaissance que les terroristes avaient de l’usine était relativement
limitée. En fait, les informations en possession des assaillants, comme les
noms de certains agents, pouvaient aussi bien être venues du DRS, dont
nous savons maintenant qu’il était derrière l’attaque.

Beaucoup de commentateurs, comme les autorités algériennes, ont lié


l’attaque à l’intervention militaire française au Mali, lancée le 11 janvier, cinq
jours plus tôt. Ceci conduisit à répandre l’hypothèse que l’attaque d’In
Amenas était la vengeance des terroristes contre l’Algérie pour avoir autorisé
le survol de son territoire aux avions militaires français.

Le DRS aurait surtout été mécontent de ce que l’offensive


française au Mali mettait en danger la vie de ses propres agents
sur place.

Ceux qui soupçonnaient, ou même qui savaient, que le DRS algérien était
d’une manière ou d’une autre impliqué dans l’attentat, soutenaient que le
DRS était fâché par l’autorisation de survol de l’Algérie accordée par le
Président Bouteflika à la flotte française pour attaquer les djihadistes du nord
du Mali, car cette décision transférait effectivement le contrôle du Mali et du
Sahel –arrière-cour du DRS – à la France. Le DRS aurait surtout été
mécontent de ce que l’offensive française mettait en danger la vie de ses
propres agents sur place, tels que Abdelhamid Abou Zaïd and Iyad ag Ghali.

Si le DRS peut en effet avoir été contrarié par l’assistance apportée par le
Président Bouteflika à la France, ce qui pourrait accréditer la thèse d’une
implication du DRS dans l’opération d’In Amenas pour se venger et mettre
Bouteflika dans l’embarras à l’extérieur des frontières, la préparation et la
mise en œuvre d’une telle opération sous faux pavillon par le DRS en si peu
de temps paraît difficile, voire presque impossible. Il est donc plus
vraisemblable que le mobile de l’attaque soit à rechercher dans les
événements qui ont précédé l’intervention militaire de la France au Mali.
Mais une brève incidente est nécessaire pour expliquer les tensions existant
entre le DRS et la présidence Bouteflika, le ressentiment du DRS contre
l’intervention de la France au Mali et l’implication du DRS lui-même au Mali.

Le Président Abdelaziz Bouteflika

Comme il sera expliqué dans la 4e partie, la tension entre le DRS et la


présidence Bouteflika a été croissante pendant les trois ou quatre ans qui ont
précédé l’attaque d’In Amenas. Pour le comprendre, il faut retourner en
arrière jusqu’à l’histoire post-coloniale de l’Algérie. L’un des aspects les moins
connus de l’accord post colonial conclu entre les services français et algériens
était de confier au DRS la gestion du terrorisme en Afrique du Nord. C’est
ainsi que fin 2011 et début 2012, le DRS prit l’initiative de soutenir une
insurrection islamiste dans le septentrion malien afin de contrer la rébellion
touareg en cours en faveur de l’indépendance de l’Azawad (l’appellation
touareg pour désigner le nord du Mali.)

Tandis que la rébellion du Niger était largement apaisée en 2010,


celle du Mali flamba de plus belle en 2011, avec le retour de
centaines de Touaregs en colère et lourdement armés contraints
de quitter la Libye.

Les rébellions touareg ont été récurrentes dans l’histoire post-coloniale aussi
bien du Niger que du Mali, avec un dernier épisode dans ces deux pays en
2007. Toutefois, tandis que la rébellion au Niger était largement apaisée en
2010, celle du Mali flamba de plus belle en 2011, avec le retour de centaines
de Touaregs très en colère et lourdement armés, contraints de quitter la
Libye après la chute du régime de Kadhafi. Fin 2011, les rebelles touaregs du
Mali ainsi renforcés, désormais organisés sous le nom de Mouvement national
de libération de l’Azawad (MNLA), menaçaient sérieusement l’Algérie, dont
l’extrême sud est sensible à l’irrédentisme touareg.

La réponse du DRS à ce danger fut d’encourager la création, fin 2011, de


deux nouveaux groupes terroristes islamistes à côté d’Al Qaida au Maghreb
islamique (AQMI). Il s’agissait d’Ansar al-Dine, dirigé par Iyad ag Ghali,
longtemps proche du DRS, et du Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en
Afrique de l’Ouest (MUJAO). Le plan du DRS était que ces trois groupes dont
il contrôlait les chefs s’allient  avec le MNLA puis l’absorbent politiquement et
militairement dans une insurrection islamiste et, ainsi, détruisent
durablement sa crédibilité.

Du point de vue algérien, la stratégie mise en oeuvre sur le terrain pour le


DRS par le Groupement d’Intervention Spécial (GIS) du général Hassan
(Abdelkader Aït Ouarabi), qui fournit aux insurgés armes, carburant et autres
biens essentiels, fut couronnée de succès. Mais vers la fin 2012, la situation
au Mali avait échappé au contrôle de l’Algérie, les insurgés menaçant la
capitale, Bamako. Le 11 janvier 2013, cinq jours avant l’attaque d’In Amenas,
la France répondit à la demande d’aide de Bamako en lançant une offensive
militaire pour chasser les islamistes du Mali.

Comme déjà évoqué, cependant, même si le général Mediène, chef du DRS,


fut effectivement furieux du droit de survol accordé à la France et de
l’intervention française, le temps ne lui permettait pas de préparer et lancer
l’attaque d’In Amenas. Les raisons ayant présidé à l’implication du DRS dans
In Amenas doivent donc plutôt être recherchées dans les événements
antérieurs.

La cause de l’attaque d’In Amenas est l’abandon progressif de


l’Algérie, ou plutôt du DRS, par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et,
à moindre échelle, par la France.

Le Rapport sur In Amenas a conclu que l’événement décisif qui avait été la
cause de l’attaque d’In Amenas était un abandon progressif de l’Algérie, ou
plutôt du DRS, par les Etats-Unis et le Royaume-Unis, et à  moindre échelle,
par la France (R.45). Durant les deux ans qui ont précédé la révolution
libyenne de 2011, les relations entre l’Algérie et ses alliés occidentaux
s’étaient tendues. La cause en était une histoire complexe commencée en
2003, quand l’Algérie, nouvel allié des Etats-Unis dans la guerre globale
contre la terreur (GWOT), entreprit la première d’une série d’opérations sous
faux pavillon permettant aux Etats-Unis de lancer le « second front » ou
« front trans-saharien »de sa guerre globale contre la terreu
Abderrazak El Para

Cette complicité profonde entre le Groupe américain, nouvellement créé, des


Opérations Pro-actives et Préventives (P2OG) et le DRS algérien, a été
planifiée à la fin de l’été 2002 et mise en oeuvre en février ou mars 2003,
avec l’enlèvement de 32 touristes européens au Sahara algérien. L’opération
était conduite par un officier du DRS, Abderrazak Lamari, plus connu sous le
surnom d’ « El Para », bien que l’Algérie ait d’abord accusé Mokhtar bel
Mokhtar, futur organisateur de l’attaque d’In Amenas dix ans plus tard. El
Para et 64 « terroristes » séparèrent les otages en deux groupes. L’un fut
libéré dans le cadre d’une opération héliportée extraordinairement bien
organisée dans le massif d’Ahaggar, dans le Gharis, qui ne fit aucune victime
parmi les otages. Le deuxième groupe d’otages fut acheminé au nord du Mali
et libéré plus tard, contre rançon. Du point de vue de l’alliance P2OG-DRS,
cette opération fut un succès remarquable

L’Occident s’inquiétait aussi de la nature et de l’échelle de


l’implication du DRS dans des activités criminelles, notamment le
trafic de drogue et les enlèvements, certains analystes parlant
même d’Etat mafieux.

Même si les opérations sous faux pavillon d’El Para avaient aidé les Etats-Unis
à légitimer leur guerre globale contre le terrorisme, elles plaçaient cependant
les Etats-Unis et leurs alliés, particulièrement britanniques, dans une position
éthique discutable de couverture du terrorisme d’Etat algérien. Vers 2010, les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui à ce moment-là avaient développé des
alliances anti-terroristes fortes avec le DRS, commencèrent à s’inquiéter de
plus en plus de l’infiltration tellement profonde d’AQMI par le DRS que
beaucoup de gens dans la région considéraient qu’AQMI et le DRS étaient
finalement la même organisation. L’Occident s’inquiétait aussi de la nature et
de l’échelle de l’implication du DRS dans les activités criminelles, notamment
le trafic de drogue et les enlèvements d’otages, certains analystes parlant
même désormais de l’Algérie comme d’un Etat « mafieux ».
Le problème, en permettant à une relation aussi dangereuse de se perpétuer
et de se développer, n’était pas seulement que cela soulevait la question de
la complicité des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne avec le terrorisme,
mais aussi que les deux pays étaient devenus tellement dépendants du DRS
en matière de renseignement qu’ils n’étaient plus capables de comprendre
vraiment ce qui se passait dans la région.

Vers la mi -2011, les relations entre l’Algérie et l’Occident – surtout les Etats-
Unis, la Grande-Bretagne et la France, se détériorèrent, alors que les alliés de
l’OTAN commençaient à comprendre que l’Algérie soutenait en secret le
régime de Kadhafi, par une aide militaire et logistique substantielle. L’année
suivante, les mêmes pays furent contraints de lire les rapports prouvant
l’implication du DRS, leur partenaire dans la lutte antiterroriste, dans le
soutien à l’insurrection islamiste au Mali.

Des détachements de mercenaires envoyés par l’Algérie pour


soutenir les forces de Kadhafi furent repérés, pour la première
fois, dans la ville de Zawiyah.

Dès le début de l’intervention militaire de l’OTAN (France, Grande-Bretagne


et Etats-Unis) en Libye, en mars 2011, il y eut des rapports sur le soutien
constant fourni par l’Algérie au régime de Kadhafi (R.208-15). Des
détachements de mercenaires envoyés par l’Algérie pour soutenir les forces
de Kadhafi furent repérés, pour la première fois, dans la ville de Zawiyah, où
plusieurs furent capturés et identifiés. Le Conseil national de Transition (CNT)
fit état, plus tard, de la capture de 15 mercenaires algériens et de la mort de
trois autres dans des combats près d’Ajdabiya. Le CNT affirma également que
le DRS employait beaucoup de membres de la sécurité privée de l’ex
Président tunisien Zine El Abidine Ben Ali et les envoyait en Libye pour
combattre aux côtés du régime de Kadhafi. Après la défection de pilotes
libyens à Malte, au début du conflit, l’Algérie envoya 21 pilotes à la base
aérienne de Mitiga, à Tripoli. Furent également rapportés de nombreux cas de
transport, à bord d’avions militaires algériens, de mercenaires originaires de
pays d’Afrique sub-saharienne. A en croire les données collectées par la tour
de contrôle de Benghazi, 22 vols algériens furent opérés vers des
destinations libyennes, en particulier Syrte et Sebha, entre le 19 et le 26
février. En mars, le CNT estimait à 51 le nombre de vols algériens ayant
acheminé des munitions, des armes, des combattants algériens et des
mercenaires à l’aéroport Mitiga de Tripoli.

La preuve finale du soutien de l’Algérie à Kadhafi apparut le 18 avril, lorsque


des conseillers militaires français en mission auprès des rebelles libyens
découvrirent que des jeeps et camions militaires de Kadhafi, abandonnés
après une attaque de l’OTAN, portaient des numéros de série les identifiant
comme vendus à l’Algérie par Alain Juppé. Cette preuve fut transmise à leurs
alliés de l’OTAN mais elle aussi présentée à l’Algérie. Mourad Medelci, le
ministre algérien des Affaires étrangères, fut « invité » à rencontrer la
Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton à Washington. Malgré la
bonhommie du communiqué de presse officiel, Medelci fut fustigé pour le
soutien de l’Algérie à Kadhafi.

Après cette réprimande, l’Algérie envoya l’un de ses plus durs apparatchiks,
Sadek Bouguetaya, participer au rassemblement des tribus libyennes convié
par Kadhafi le 8 mai. Dans un discours populiste, Bouguetaya fit part du
soutien inconditionnel de l’Algérie à Kadhafi et condamna les opérations de
l’OTAN en Libye. Il qualifia d’héroïques les efforts de Kadhafi pour se
maintenir au pouvoir, ajoutant qu’il était sûr que le peuple libyen vaincrait la
France, comme les forces révolutionnaires algériennes l’avaient fait en 1962.

La cause de la progression ridiculement lente de la campagne de


l’OTAN contre Kadhafi était le remplacement par des blindés
algériens de meilleure qualité du matériel libyen détruit par les
frappes aériennes.

Au moment où Bouguetaya vilipendait l’OTAN à Tripoli, l’ambassadeur de


Libye en Algérie annonçait publiquement que son ambassade venait d’acheter
500 véhicules « de classe militaire » à des marchands algériens, avec
d’autres encore en perspective, pour soutenir les forces de Kadhafi.

Washington, Londres et Paris répondirent à la démonstration de bellicisme de


l’Algérie en demandant à cheikh Hamad bin Khalifa al-Thani, l’émir du Qatar
et proche allié de l’Algérie dans le Golfe, de convaincre l’Algérie de ne pas
réapprovisionner Kadhafi en chars et véhicules blindés. Selon Robert Fisk, le
correspondant de The Independent au Moyen-Orient, la cause de la
progression ridiculement lente de la campagne de l’OTAN contre Kadhafi était
le remplacement par des blindés algériens de meilleure qualité du matériel
libyen détruit par les frappes aériennes. Mais la visite d’une journée d’Al-
Thani à Alger ne suffit pas. L’Algérie persista dans son déni public de tout
soutien à Kadhafi.

Encore pire pour les alliés de l’OTAN, à cause de leur implication antérieure
dans des opérations terroristes clandestines à travers l’association du P2OG
avec le DRS, les Etats-Unis n’eurent pas d’autre choix que d’avaliser les
démentis algériens. L’humiliation suprême fut atteinte le 1er juin, lorsque le
général Carter Ham, commandant d’AFRICOM, fut envoyé à Alger pour y
prononcer un discours très médiatisé dans lequel il disait qu’il « ne pouvait
voir aucune voir aucune preuve » du soutien de l’Algérie à Kadhafi.

En résumé, ni les Etats-Unis, ni l’Algérie ne pouvaient se


permettre la révélation de leurs sales affaires au grand jour.

Le discours du général Ham faisait partie d’un accord global conclu lors de
discussions entre des officiels français et américains de haut niveau et le DRS
algérien. Ces pourparlers avaient deux objectifs. Le premier était de faire
échapper le régime algérien au sort de Ben Ali en Tunisie, de Moubarak en
Egypte et bientôt, espérait-on, de Kadhafi, en l’encourageant à mettre
rapidement en œuvre des réformes politiques significatives. L’autre était de
réhabiliter effectivement le régime algérien auprès de l’OTAN et du
Pentagone. L’accord était à la fois une réaffirmation de l’importance
stratégique de l’Algérie pour les Etats-Unis et un rappel aux deux parties
qu’ils partageaient trop d’opérations de renseignement clandestines récentes,
à la lumière de leurs activités conjointes P2OG-DRS dans le GWOT, pour se
fâcher. En résumé, ni les Etats-Unis, ni l’Algérie ne pouvaient se permettre la
révélation de leurs sales affaires au grand jour. La substance de l’accord était
que l’Algérie cessait de soutenir Kadhafi tandis que les Etats-Unis sauvaient
l’Algérie de la condamnation internationale en réitérant l’absence de preuve
énoncée par le général Carter Ham sur le soutien de l’Algérie à Kadhafi.
Après son soutien à Kadhafi et sa manipulation de l’insurrection islamiste au
Mali, le DRS a sans doute compris qu’il tirait sur la corde de la coopération
au-delà de ce que l’Occident pouvait accepter et que ses relations avec les
puissances occidentales clé, en particulier le Royaume-Uni et les Etats-Unis,
et peut-être même la France, devraient inéluctablement être réexaminées.
C’est ainsi qu’il lança un avertissement à l’Ouest, sous la forme d’un article
publié dans le journal algérien El Khabar le 12 novembre 2012 (R.47; 61-2;
136-42; 220-23; 246-50), tout juste deux mois avant l’attaque d’In Amenas.
L’article, écrit par un journaliste connu pour ses liens avec le DRS, avait pour
objet de mettre en garde  l’Occident et de lui rappeler que l’Algérie était le
seul pays de la région réellement capable de contrer le terrorisme. La
principale histoire racontée par l’article – désinformation – décrivait comment
les forces de sécurité algériennes avaient démantelé un réseau terroriste
mené par Mohamed Lamine Bouchneb, qui devait peu de temps après
conduire l’attaque d’In Amenas. Selon le journal, ce réseau menaçait des
installations pétrolières/gazières dans la région de Hassi Messaoud.
Autrement dit, le DRS rappelait à l’Occident qu’il était le gendarme de la
région appointé par l’Ouest et qu’il n‘abandonnerait pas ce rôle facilement.

Les assaillants rencontrèrent une résistance imprévue des


gendarmes qui gardaient le bus. Ne parvenant pas à s’emparer
du bus, les hommes de Bouchneb commirent l’erreur de pénétrer
à l’intérieur du complexe.

L’enquête de Londres ne permit pas de savoir si les services de


renseignement britanniques avaient lu l’article d’ El Khabar ou s’ils n’avaient
tout simplement pas compris qu’il s’agissait d’un avertissement. L’attaque
d’In Amenas eut lieu telle que décrite par l’article. Bouchneb reçut l’ordre
d’enlever des otages étrangers pendant qu’ils quittaient le site de
Tiguentourine dans le bus sous escorte. On peut imaginer qu’ils auraient dû
être emmenés au Mali et libérés à la faveur d’une opération de sauvetage
militaire ou en échange d’une rançon, les deux stratagèmes utilisés avec tant
de succès par El Para en 2003.
Pourquoi l’opération de Bouchneb échoua-t-elle? La réponse, semble-t-il, est
que les assaillants rencontrèrent une résistance imprévue des gendarmes qui
gardaient le bus. Ne parvenant pas à s’emparer du bus, les hommes de
Bouchneb commirent l’erreur de pénétrer à l’intérieur du complexe à la
recherche d’otages. Et bien qu’ils réussirent à trouver des otages, ils se
trouvèrent rapidement assiégés par les unités de l’armée qui s’étaient
déployées à partir d’In Amenas. Encerclés et pris au piège à l’intérieur du
complexe, ils continuèrent à communiquer à travers des téléphones mobiles.
Les preuves tirées de ces communications suggèrent que les attaquants
croyaient faire partie d’un deal avec les forces de sécurité et pouvoir négocier
une sortie du complexe sans encombre et un passage jusqu’au Mali.

Vraisemblablement, le DRS, qui avait pris le commandement du


siège, voulait que les preuves de son implication soient détruites.
Cela signifiait qu’il fallait tuer les 32 terroristes.

Ce que les assaillants ne savaient sans doute pas, c’est que le DRS et les
commandants de l’armée conduisant le siège se disputaient le
commandement supérieur. L’armée, en ce temps-là, ignorait complètement
que l’attaque avait été orchestrée par le DRS, d’où l’insistance du général
Athman « Bashir » Tartag, le commandant du DRS sur le site, pour assumer
le commandement supérieur de la situation. L’armée ne savait probablement
rien du jeu du DRS jusqu’à l’interrogatoire des trois terroristes faits
prisonniers. De même, il est possible, après le matin du 17 janvier, le
deuxième jour du siège, quand un hélicoptère tira dans la base de vie
blessant Bouchneb lui-même, que les assaillants aient pensé qu’ils avaient
été trahis. En effet, les pertes élevées en vies humaines, tant des otages que
des terroristes, furent certainement la conséquence des ordres donnés à
l’armée par le général Tartag d’ouvrir le feu sur les cinq véhicules – où se
trouvaient les otages et les terroristes – tandis qu’ils essayaient, plus tard ce
deuxième jour, de se précipiter de la base de vie vers la zone de production.

Le discours du gouvernement algérien sur le nombre élevé de morts fut que


sa politique était de tuer tous les terroristes et de ne pas négocier avec eux,
quel que soit le risque pour les otages. Plus vraisemblablement, le DRS, qui
avait pris le commandement du siège, voulait que les preuves de son
implication soient détruites. Cela signifiait qu’il fallait tuer les 32 terroristes.
Si certains otages étaient tués pendant ce processus, on pourrait dire que
c’était conforme à la politique du gouvernement. Malheureusement pour le
DRS, trois des terroristes tombèrent dans les mains de l’armée, à laquelle ils
expliquèrent le rôle qu’avait joué le général Hassan dans leur armement.

Dans la 3e partie, on expliquera pourquoi l’Occident dissimula les preuves de


l’implication du DRS.

In Amenas (3), l’Occident a


couvert les services de
renseignement algériens
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 La rédaction de Mondafrique

 -

28 août 2020

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Dans ce troisième article de la série écrite pour Mondafrique par


Jeremy Keenan sur l’attaque du site gazier algérien d’In Amenas, en
janvier 2013, à partir de son Rapport sur In Amenas : enquête sur
l’implication et la couverture par l’Occident de crimes d’Etat
algériens, l’auteur poursuit son implacable analyse d’un épisode aussi
brutal que décisif de l’histoire récente de l’Algérie. Attaché à prouver
que l’attentat est, en réalité, l’oeuvre du tout puissant service de
renseignement algérien DRS, dont il signa la perte, Jeremy Keenan
démontre ici comment l’Occident, soucieux de cacher sa collaboration
occulte avec le DRS, lui accorda sa couverture.

Dès le début, il y eut des signes que l’implication du DRS dans l’attaque d’In
Amenas allait être couverte par les alliés occidentaux de l’Algérie, en
particulier les Etats-Unis, le Royaume Uni et la France. Après les premières
expressions d’indignation et le fait que beaucoup d’otages perdirent la vie à
cause de l’action des forces armées algériennes, le Premier ministre David
Cameron changea promptement de ton. Deux semaines après l’attaque, dès
sa descente de l’avion au retour d’une visite de deux jours à Alger en
compagnie de Sir John Sawers, le chef du MI6, il apparut au grand jour qu’il
existait une sorte d’arrangement entre « l’Etat profond » du Royaume Uni et
l’Algérie, les deux se définissant comme « du même côté » au sein de la
guerre globale contre le terrorisme.

Le soutien infaillible et de longue date du régime algérien par le Royaume Uni


a toujours été énigmatique. Bien qu’étant un pays pétrolier, l’Algérie n’est
pas un partenaire commercial important du Royaume Uni et ne fait pas partie
des 25 premiers partenaires du pays. De surcroît, le Royaume Uni se place
très loin derrière la France et les Etats-Unis en termes d’influence sur
l’Algérie. Pourtant, bien que ce soit les Etats-Unis et la France qui donnèrent
leur feu vert au coup d’Etat militaire de 1992 et à la « guerre sale » qui
s’ensuivit contre les islamistes, le Royaume-Uni, obéissant peut-être une fois
de plus au coup de sifflet de Washington, leur emboîta le pas. Aucune autre
raison logique, si ce n’est, peut-être, l’anti-islamisme, ne peut expliquer
pourquoi trois ministres britanniques de premier plan – – Jack Straw
(Secrétaire d’Etat), Geoffrey Hoon (ministre de la Défense) et Robin Cook
(Secrétaire aux Affaires Etrangères) – prirent le risque de signer un faux
certificat d’immunité d’intérêt public (PII), l’équivalent d’un parjure en faveur
du régime algérien en 1998 (R.52). 

La vérité sur l’attaque d’In Amenas aurait pu surgir lors de


l’enquête ouverte devant la Cour de Justice royale de Londres, le
15 septembre 2014. Mais il n’en fut pas ainsi.
La vérité sur l’attaque d’In Amenas aurait pu surgir lors de l’enquête ouverte
devant la Cour de Justice royale de Londres, le 15 septembre 2014. Mais il
n’en fut pas ainsi. Le gouvernement britannique recourut, à nouveau, au rare
instrument du PII pour empêcher la révélation des preuves. Le représentant
légal du gouvernement au procès, David Bar Q, dit que le PII était requis
pour des raisons de « sécurité nationale. » Pourtant, comme il est écrit dans
le Rapport sur In Amenas (R.219), il s’agissait surtout de dissimuler la
connaissance des preuves qu’avait le gouvernement, concernant par exemple
le rôle joué par le général Hassan ou la transmission au département d’Etat
américain des emails d’Hillary Clinton concernant Mokhtar bel Mokhtar
(MBM).

Lors d’une audition de l’enquête préliminaire, la coroner, qui fut remplacée


plus tard par un magistrat plus gradé, dit aux familles des victimes qu’elle
allait élargir le champ de l’enquête, à la demande des équipes légales, pour
enquêter sur tous les événements qui avaient conduit à l’attaque. Les
familles, qui craignaient un enterrement de l’affaire, interprétèrent ces propos
comme la promesse que toutes les pierres seraient retournées pour tenter de
découvrir toutes les circonstances ayant conduit à l’attentat – en d’autres
termes, qui avait décidé l’attaque et pourquoi (R.36).

L’enquête remplit, certes, ses obligations légales mais laissa de


côté beaucoup de questions, notamment celle du « pourquoi ».
Elle n’essaya jamais d’éclairer les mobiles de l’attaque.

Le devoir d’une enquête, en vertu de la Loi sur les Coroners et la Justice


(2009), est d’établir l’identité des victimes et de préciser comment, quand, et
où elles ont trouvé la mort. Il n’y a pas d’obligation légale concernant la
question « pourquoi ». Ainsi, tandis que l’enquête établit méticuleusement les
détails des événements à In Amenas et la cause précise des décès, la Cour
n’essaya pas vraiment de comprendre le contexte du terrorisme au Sahara,
les identités des terroristes et, finalement, leurs mobiles pour entreprendre
cette attaque. Bien que l’auteur du Rapport sur In Amenas ait confié des
preuves détaillées répondant à ces questions à la Police Métropolitaine, aux
services de renseignement et au parquet, ces preuves ne furent pas versées
au dossier. L’enquête accomplit, certes, ses obligations légales mais laissa de
côté beaucoup de questions, notamment celle du « pourquoi ». Elle n’essaya
jamais d’éclairer les mobiles de l’attaque et de découvrir qui étaient les vrais
commanditaires.

Il est probablement vrai que l’enquête de Londres, comme l’enquête


judiciaire française, un peu plus tôt, aurait enregistré peu de progrès, même
si elle avait essayé de répondre à la question du « pourquoi », simplement à
cause de l’absence totale de coopération de la part de l’Algérie. L’Algérie
savait qu’elle pouvait traiter ses alliés occidentaux avec dédain, puisqu’ils
n’avaient d’autre choix que de garder le secret le plus total sur ce qui s’était
passé à In Amenas. Il y avait deux raisons de nature à rassurer l’Algérie sur
le silence de l’Occident. (R. 50).

Si la complicité entre l’Occident et le DRS algérien dans la


promotion du terrorisme d’Etat était révélée au public, le château
de cartes de la guerre globale contre le terrorisme pouvait
s’écrouler.

L’une était que les alliés occidentaux de l’Algérie, notamment les Etats-Unis,
et, dans une moindre mesure le Royaume-Uni et la France, auraient été
accusés de complicité dans la promotion du terrorisme si l’implication du DRS
dans l’attaque d’In Amenas avait été rendue publique. Depuis fin 2002, les
Etats-Unis et le DRS algérien étaient liés à travers leur accord secret P2OG,
décrit dans la première partie, pour aider à justifier et promouvoir la guerre
globale contre le terrorisme. Les services de renseignement britanniques et le
bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth (FCO) étaient tenus
parfaitement informés de cette relation et parfois même, en furent les
complices. La France, bénéficiant de beaucoup plus de renseignement de
terrain en Algérie que les Etats-Unis et le Royaume-Uni, fut informée du
recours par l’Algérie au terrorisme d’Etat et du soutien occidental dont ce
dernier bénéficiait pour atteindre les objectifs de la guerre globale contre le
terrorisme initiée par les Etats-Unis. Si la complicité entre ces pouvoirs
occidentaux et le DRS algérien dans la promotion du terrorisme d’Etat était
révélée au public, le château de cartes de la guerre globale contre le
terrorisme pouvait bien s’écrouler.
Sans surprise, les Etats-Unis jouèrent un rôle encore plus important que leurs
alliés européens pour essayer d’empêcher la révélation de l’implication du
DRS dans l’attaque d’In Amenas. Ils exercèrent des pressions sur l’Algérie
pour qu’elle abandonne les poursuites contre le général Abdelkader Aït
Ouarabi (alias général Hassan) -qui avait armé les assaillants d’In Amenas –
du chef de « création de groupe armé », un crime de trahison.

L’affaire du général Hassan, comme elle fut appelée désormais, était


extrêmement complexe et dura pendant presque deux ans, de son départ
officiel du DRS en janvier 2014 jusqu’à son emprisonnement, en novembre
2015.

Le général Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée algérienne.

Les informations obtenues par le général Gaïd Salah, chef d’état-major, avec
la capture des trois terroristes d’In Amenas lui fournit les munitions pour s’en
prendre à son grand adversaire, le général Mohamed « Toufik » Mediène,
chef du DRS. Toutefois, il lui fallait agir avec prudence et stratégie, car
Mediène et son DRS étaient encore immensément puissants. Il patienta donc
près d’un an avant d’agir. Le 13 janvier 2014, Gaïd Salah ordonna le
limogeage du général Hassan, trois semaines avant son arrestation pour le
crime de « création de groupe armé ». C’était la stratégie retenue par la
Présidence et Gaïd Salah pour faire tomber Mediène.

La cause d’une si longue attente pour arrêter Hassan a peut-être été la


volonté de protéger la réputation internationale de l’Algérie en évitant
d’introduire le rôle joué par le DRS dans le système judiciaire et ainsi, dans le
domaine public. Plus vraisemblablement, Gaïd Salah attendait davantage de
preuves contre Hassan et le DRS. Quelle qu’en fût la raison, des preuves
supplémentaires permettant de poursuivre Hassan furent mises au jour après
les événements de Tunis, fin 2013. 

L’intervention militaire de la France au Mali chassa beaucoup


d’islamistes hors d’Algérie. Certains furent redéployés par le
général Hassan en Tunisie.
L’intervention militaire de la France au Mali début 2013 chassa beaucoup
d’extrémistes islamistes hors du pays. Certains de ceux qui étaient sous le
contrôle effectif du DRS furent redéployés par le général Hassan en Tunisie.
Vers la fin 2013, un certain nombre d’entre eux furent tués par l’armée
tunisienne dans la région frontalière du Mt Chaambi. Une analyse des cartes
SIM de leurs téléphones cellulaires révéla leurs communications avec des
officiels du DRS à Alger, y compris leurs numéros de téléphone et leurs
surnoms. L’armée tunisienne transmit l’information aux services de
renseignement américains qui se tournèrent vers les autorités militaires
algériennes, donnant ainsi, peut-être par inadvertance, encore plus de
munitions à Gaïd Salah pour poursuivre le DRS.

L’arrestation de Hassan débuta une période de conflit vicieux entre l’armée et


le DRS, au risque de faire éclater le régime. Mais Washington ne pouvait pas
tolérer que son allié régional clé explose. Ni que les secrets des accords
passés entre les groupes terroristes et le général Hassan et le DRS ne
tombent dans le domaine public à la suite des tensions à l’intérieur du
régime.

On ne sait pas quel genre de pression les Etats-Unis exercèrent


sur leur allié. Ce qu’on sait, c’est qu’on n’entendit plus parler du
général Hassan pendant dix-huit mois.

On ne sait pas quel genre de pression les Etats-Unis exercèrent sur leur allié.
Ni quel genre d’accord fut conclu entre Mediène et ses ennemis à la
Présidence Bouteflika et dans l’état-major de l’armée. Tout ce que nous
savons, c’est qu’une réunion eut lieu au quartier général du DRS à Alger, en
présence de représentants des services de renseignement américains et
britanniques. Est-ce que cette réunion portait sur la déstabilisation de la
Tunisie par l’Algérie, l’arrestation de Hassan ou les deux ? On ne sait. Ce
qu’on sait, c’est qu’on n’entendit plus parler du général Hassan ou des
charges retenues contre lui pendant dix-huit mois.

En août 2015, alors que le DRS avait été beaucoup affaibli et que beaucoup
d’autres choses avaient changé en Algérie, Gaïd Salah fit un nouveau geste
contre le général Hassan, l’arrêtant pour une deuxième fois le 27. Le même
jour, avant même que les media n’évoquent l’arrestation de Hassan, James
Clapper, le directeur du renseignement national américain (DNI), se rendit à
Alger. Washington s’inquiétait des dommages que pourrait causer aux
intérêts américains la révélation publique des activités du général Hassan au
DRS, surtout se rapportant à l’attaque d’In Amenas. Le résultat de
l’intervention de Clapper fut que les charges antérieures de « création de
groupes armés » furent abandonnées à l’encontre de Hassan. Il fut poursuivi,
en revanche, pour deux délits complexes en relation avec le mouvement des
armes. Son procès, derrière les portes closes du tribunal militaire de Mers El
Kebir, dura à peine dix heures. Ni la famille de Hassan, ni les journalistes ni
aucun public ne furent autorisés à y assister. Hassan ne fut pas davantage
autorisé à citer ses propres témoins en défense. Il fut ensuite emprisonné
pendant cinq ans.

Près du camp secret de Tamouret.

La deuxième et beaucoup plus pressante raison pour l’Occident de continuer


à garder le secret avait trait aux relations entre l’attaque d’In Amenas et
l’existence d’un camp d’entraînement d’Al Qaida non loin de là. Le camp
d’entraînement, désigné, dans le Rapport sur In Amenas, par le pseudonyme
de Tamouret, était situé dans la montagne de Tassili-n-Ajjer, à 260 kms au
sud d’In Amenas, mais dans la même wilaya (préfecture) d’Illizi., et non loin
de l’Oued Samene, où le DRS garda prisonniers certains des 32 otages
européens kidnappés pendant l’opération sous faux pavillon d’El Para, en
2003. Tamouret était loin d’être un camp d’entraînement d’Al Qaida, même si
c’est ainsi qu’il était présenté à ses potentiels clients terroristes du monde
entier. Il était, en réalité, géré par le DRS.

Le camp fut créé vers 2004-05 et fut opérationnel jusqu’en 2008-09, date à
laquelle il fut déménagé au sud-ouest, dans le Tassili-n-Ahaggar, avant d’être
relocalisé entièrement dans le nord du Mali vers 2009.

Notre connaissance du camp, tel que détaillé dans le Rapport sur In


Amenas (R.53-7), provient de trois témoins. Des rumeurs de camps
d’entraînement terroristes dans le Sahara algérien circulaient déjà quand la
confirmation de l’existence de Tamouret fut apportée par Bachir
(pseudonyme), désigné dans l’enquête de Londres comme « témoin A », bien
qu’il ne fût jamais autorisé à témoigner pour des raisons expliquées dans
le Rapport sur In Amenas (R.119-28).

Bachir avait passé sept mois à Tamouret vers 2007. En 2008, il


réussit à échapper à l’étau du DRS et à fuir en Europe.

Bachir avait passé sept mois à Tamouret vers 2007. En 2008, il réussit à
échapper à l’étau du DRS et à fuir en Europe. Son témoignage, enregistré
pendant les quatre années qui suivirent son évasion, fut corroboré par deux
autres témoins, dont l’un avait pu situer et photographier les tombes et les
cadavres des personnes tuées dans le camp.

Bachir a pu donner des détails sur les identités de la hiérarchie du camp.


Abdelhamid Abou Zaïd, le chef DRS d’AQMI au Sahara, en était le
responsable. Abdullah al-Furathi était en charge de l’entraînement, tandis que
MBM, qui venait toutes les deux semaines, était décrit comme en charge de
la « logistique. » Mohamed Lamine Bouchneb, qui devait plus tard conduire
l’attaque d’In Amenas, et Yahia Djouadi (alias Djamel Okacha, Yahia Abou al-
Hamman), un autre cadre du DRS qui remplaça Abou Zaïd à sa mort en
2013, mort lui-aussi en 2019, y étaient des visiteurs réguliers.

Bachir a également pu identifier certains officiers de l’armée et du DRS qui


fréquentaient le camp, souvent quasi quotidiennement, parmi lesquels le
général Rachid « Attafi » Lallali, le responsable du Directorat de la Sécurité
Extérieure du DRS (DDSE) à cette époque.

Tombe partiellement exhumée à Tamouret.

Bouchneb était l’un des visiteurs les plus assidus au camp. Bachir l’a vu
régulièrement en compagnie d’Abou Zaïd, de MBM quand il venait et des
officiers de l’armée/DRS, surtout le général Lallali.

Toujours selon Bachir, le camp servait à endoctriner et entraîner de jeunes


marginalisés, se situant à différents niveaux d’aliénation par rapport à leurs
communautés en Afrique du Nord, au Sahel et même au-delà, pour
commettre des atrocités dans des communautés algériennes avec lesquelles
ils n’avaient pas de relations. Ils étaient généralement exécutés après avoir
accompli leurs tâches, ou avant s’ils exprimaient la moindre once de
désaccord.

Selon Bachir, les recrues du camp étaient le plus souvent au nombre de 270.
La majorité étaient des Algériens, il a également croisé quelques Egyptiens,
plusieurs Tunisiens, quelques jeunes du Maroc et de Libye, quelques uns
venus du sud du Sahara, notamment du Nigeria, du Yémen et de Somalie et
même, d’Asie centrale. A partir de ce chiffre, on peut estimer que 3000
personnes au total ont fréquenté le camp.

Le témoin a également fourni des informations précises sur les


entraînements, notamment au tir et à l’égorgement.

Le témoin a également fourni des informations précises sur les


entraînements, notamment au tir et à l’égorgement. Les tireurs d’élite
jouissaient de davantage de liberté et de privilèges que les autres au sein du
camp. L’égorgement, en arabe al-mawt al-baTii’ (« la mort lente »), était la
manière de tuer la plus courante.

Des prisonniers, appelés à être tués dans le cadre de l’entraînement, étaient


livrés au camp par l’armée algérienne/DRS sur la base d’un flux plus ou
moins continu (4 fois par semaine en moyenne). Bachir a raconté comment 2
à 3 hommes en moyenne étaient exécutés dans le cadre de l’entraînement
tous les 3 ou 4 jours. Parmi les personnes tuées figuraient des officiers et des
soldats de l’armée ayant franchi la ligne ou jugés « suspects » ainsi que des
« civils » ou criminels de droit commun venus des prisons. Parmi ces
derniers, certains des milliers d’Algériens disparus aux mains du régime dans
le cadre de la « sale guerre » des années 1990. C’est ainsi que Bachir dit
avoir assisté à environ 180 meurtres pendant son séjour de sept mois au
camp.

Il est inconcevable que les agences de renseignement américaines et


britanniques, qui travaillaient main dans la main avec le DRS dans ces
années-là, n’aient pas su ce qui se passait à Tamouret. Pire, Tamouret était
certainement un grand atout pour les agences de renseignement
occidentales. Car lorsque les recrues arrivaient au camp, leurs identités, y
compris leurs photographies (et peut-être même leur ADN), étaient
enregistrées par les officiers du DRS. Ces données étaient envoyées à Alger
avant d’être ensuite transmises aux agences de renseignement américaine et
britannique.

Tamouret a peut-être été une brillante opération de contre-


terrorisme. Née d’un crime monstrueux.

Dans le cadre de la politique de contre-terrorisme menée conjointement par


l’Occident et le DRS algérien, l’opération de Tamouret pourrait avoir permis
de fournir à l’Occident les identités de centaines, peut-être de milliers de
terroristes d’Al Qaida. Ceci pourrait expliquer comment tant d’attaques
terroristes ont été éventées ces années-là. S’il en est ainsi, Tamouret a peut-
être été une brillante opération de contre-terrorisme. Toutefois, son succès,
si l’on peut le qualifier ainsi, est né d’un crime monstrueux : le meurtre de
sang-froid de centaines, sinon de milliers, d’innocentes victimes. C’est pour
cette raison que l’existence de Tamouret, et sa connaissance par les services
occidentaux, seront toujours démenties.

Si l’auteur ou Bachir (« Témoin A ») avaient été autorisés à déposer dans le


cadre de l’enquête de Londres, la Cour les aurait interrogés sur leur
connaissance de la relation entre Bouchneb et le DRS, ce qui aurait
inévitablement conduit à la révélation de l’existence de Tamouret. Avec
l’armée d’avocats et de journalistes assistant aux débats, les secrets les plus
odieux de l’une des opérations occidentales de contre-terrorisme les plus
efficaces auraient fait les gros titres en quelques minutes. Ni l’Algérie, ni
l’Ouest ne pouvaient se permettre de dire la vérité sur Tamouret. C’est
pourquoi In Amenas ne fera jamais l’objet d’une véritable enquête
approfondie – du moins pendant encore très longtemps.
In Amenas (4), la guerre de
tranchée entre Bouteflika et le
DRS
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 La rédaction de Mondafrique

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29 août 2020

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Ce quatrième et dernier article de la série écrite pour Mondafrique


par Jeremy Keenan, à partir de son Rapport sur In Amenas : enquête
sur l’implication et la couverture par l’Occident de crimes d’Etat
algériens conduit le lecteur jusqu’à l’actualité la plus récente de
l’Algérie. L’attaque d’In Amenas fut l’événement politique le plus fort
en termes d’impact sur le cours et la forme de la politique clanique du
régime depuis l’annulation des élections de janvier 1992 et le coup
d’Etat qui s’ensuivit. In Amenas ne changea pas seulement l’équilibre
du pouvoir politico-militaire dans le pays : aujourd’hui, plus de sept
ans plus tard, les répercussions de cet épisode dramatique se font
encore sentir.

Au moment de l’attaque d’In Amenas, en janvier 2013, le régime était


dangereusement polarisé entre la présidence Bouteflika et l’armée, dirigée
par le général Ahmed Gaïd Salah, d’une part, et le puissant Département du
Renseignement et de la Sécurité (DRS), dirigé par le général Mohamed
« Toufik » Mediène., de l’autre. Mediène était sans conteste la personne la
plus puissante d’Algérie, le DRS étant devenu un Etat dans l’Etat redouté. Il
ne s’appelait pas lui-même « le Dieu de l’Algérie » sans raison.
Depuis l’Indépendance en 1962, la tension entre la Présidence et les services
de renseignement avait fréquemment surgi dans les luttes de pouvoir
récurrentes à l’intérieur du régime. En 1987, le Président Chadli Benjedid
pensait que la Sécurité Militaire (SM), l’ancêtre du DRS, était devenue trop
puissante. Il la démantela donc partiellement, la réorganisant en deux
organisations : la Délégation générale de la prévention et la sécurité (DGPS),
sous les ordres du général Lakehal Ayat, et la Direction Centrale de la
Sécurité de l’Armée (DCSA), sous les ordres de l’ancien commandant de la
SM, le général Mohamed Betchine. A ce moment-là, Mediène était le
président d’une structure éphémère et peu connue, le Département pour la
Défense et la Sécurité, qui servait à coordonner les services de sécurité. Avec
la démission de Betchine en 1988, Mediène fut nommé à la tête de la DCSA.
Puis, en septembre 1990, le ministre de la Défense Khaled Nezzar nomma
Mediène directeur du nouveau DRS.

En 1996, le Président Liamine Zeroual parvint à une conclusion similaire,


c’est-à-dire que le DRS, et en particulier le général Mediène, était devenu
trop puissant. Zeroual décida alors de le remplacer par le général Saïdi Fodil.
La réponse de Mediène ne se fit pas attendre : Fodil périt dans un accident de
la route.

Vue d’Alger

Un an plus tard, Zeroual essaya encore, cette fois en décidant de nommer


Mohamed Betchine, l’ancien chef de Mediène, au portefeuille de ministre de la
Défense afin de se débarrasser de Mediène. A nouveau, les représailles de
Mediène furent rapides et préventives. Il organisa des massacres de civils
devant passer pour des actions terroristes commises par le Groupe Islamique
Armé (GIA) à une échelle massive – à Raïs, Bentalha, Beni-Messous et
ailleurs – semant l’horreur et la psychose aux portes d’Alger et renforçant la
dépendance du régime à l’égard du DRS. Au même moment, il lança la
machine du DRS pour détruire le business et la réputation de Betchine, le
poussant, brisé, à la démission. Zeroual démissionna peu après, préparant la
voie au soutien par l’armée et Mediène en particulier de l’accès de Bouteflika
à la Présidence en 1999.
La rumeur était que Bouteflika nourrissait le projet de fonder une
dynastie et de laisser le pouvoir à son jeune frère Saïd.

Le conflit entre Bouteflika et Mediène, qui dominait la scène politique lors de


l’attaque d’In Amenas, filtra hors des frontières fin 2009, après ce qui était
juste un peu plus qu’une rumeur, à la veille de la troisième victoire de
Bouteflika à la présidentielle. La rumeur était que Bouteflika nourrissait le
projet de fonder une dynastie et de laisser le pouvoir à son jeune frère Saïd.
Selon cette rumeur, parvenue, semble-t-il, aux oreilles de Mediène, Saïd
Bouteflika, dont les relations avec Mediène étaient plutôt froides, projetait de
nommer Betchine, l’ancien supérieur de Mediène, en tant que conseiller à la
sécurité et futur successeur de Mediène.

La réponse de Mediène fut de lancer ses enquêteurs sur l’implication des


membres du clan Bouteflika dans ce qu’on appelait la corruption du deuxième
niveau, concernant surtout les contrats de construction de l’autoroute est-
ouest. Alors que ces avertissements étaient ignorés, Mediène passa à la
vitesse supérieure en dirigeant ses investigations sur les niveaux massifs de
corruption au coeur de la Sonatrach, la compagnie pétrolière nationale, qui
était dirigée à ce moment-là par un ami proche et homme fort du Président
Bouteflika, le ministre de l’Energie et des Mines Chakib Khelil. A nouveau, le
clan Bouteflika n’y prêta pas attention et le résultat fut, en janvier 2010, la
supervision par Mediène de l’arrestation du président directeur général de la
Sonatrach, de quatre de ses cinq vice-présidents et d’un certain nombre
d’autres cadres supérieurs. Le scandale secoua tout le monde du pétrole.
Mediène avait effectivement mis le régime à genoux.

La nomination du général Gaïd Salah comme chef d’état-major de


l’armée en 2004 contenait les germes du conflit à venir entre Gaïd
Salah et Mediène, qui éclorait au grand jour après In Amenas.

La réaction de Bouteflika entraîna le régime dans une direction encore plus


risquée. En février 2010, il lança une ‘commission de sécurité indépendante’
pour enquêter sur certains dossiers restés non élucidés des ères précédentes,
notamment le rôle joué par le DRS de Mediène dans les assassinats de
Mohamed Boudiaf (1992), du premier président du Haut Comité d’État (HCE)
et du général Saïdi Fodil (1996). La commission rapportant des preuves de
l’implication du DRS dans ces assassinats, la situation devint explosive,
menaçant les intérêts américains à un tel point que Washington dut
intervenir, de la même façon que dans l’affaire du général Hassan (3),
ordonnant la fin de l’enquête.

La nomination par le Président Abdelaziz Bouteflika du général Gaïd Salah en


remplacement du général Mohamed Lamari comme chef d’état major de
l’armée en 2004 fut une énorme promotion. Tandis qu’elle garantissait la
loyauté totale de Gaïd Salah à Abdelaziz Bouteflika, elle contenait les germes
du conflit à venir entre Gaïd Salah et Mediène, qui éclorait au lendemain de
l’attaque d’In Amenas. 

Mediène avait encouragé et assumé la nomination de Gaïd Salah,


parce que les nombreuses faiblesses de ce dernier le rendaient
vulnérable au chantage.

Mediène avait encouragé et assumé la nomination de Gaïd Salah, parce que


les nombreuses faiblesses de ce dernier le rendaient vulnérable au chantage
de Mediène. Gaïd Salah n’avait pas seulement été relevé de son
commandement par le Président Boumediene après sa piètre performance à
la bataille d’ Amgala (contre l’armée marocaine) en 1976, mais il avait aussi
été rejeté de l’armée dans les années 1980 pour son homosexualité, bien que
rapidement réhabilité grâce à ses relations avec la famille du Président
Chadli. En 2007, Robert Ford, l’ambassadeur des Etats-Unis en Algérie,
décrivit Gaïd Salah dans un télégramme au département d’Etat américain
comme l’officier le plus corrompu de l’appareil militaire.

Mediène était pleinement conscient de l’homosexualité de Gaïd Salah et des


délits qu’il commettait, ce qui rendait impossible pour Gaïd Salah de
s’opposer à la main mise de Mediène sur l’armée. Des officiers supérieurs de
la DCSA supervisaient presque toutes les décisions prises, à tous les niveaux,
par la hiérarchie militair

Photo de la prise d’otages d’In Amenas réalisée à l’aide d’un téléphone


portable.
Lors de l’attaque d’In Amenas en janvier 2013, Mediène était sans aucun
doute au sommet de son pouvoir. Pourtant, les interrogatoires des trois
terroristes capturés sur le site gazier par l’armée fournirent à Gaïd Salah les
moyens de renverser la table une fois pour toutes. Gaïd Salah travailla, de
façon systématique et prudente, au démantèlement du puissant DRS et de sa
structure de commandement. Lorsque Mediène fut finalement démis de ses
fonctions par Gaïd Salah, le 13 septembre 2015, il ne dirigeait plus qu’une
coquille vide. La plupart de ses généraux les plus puissants avaient été
transférés ou mis à la retraite et leurs directorats placés sous le contrôle de
la Présidence ou de l’armée et le général Hassan, comme décrit
précédemment, était  sur le chemin de la prison.

En janvier 2016, le DRS fut officiellement rebaptisé Direction des Services de


Sécurité (DSS).  Mais ce nouveau nom ne fut pas adopté par la rue. La
plupart des Algériens font toujours allusion aux services de renseignement,
quelle que soit leur branche, sous le vocable de DRS. Le sigle est devenu
synonyme de répression ou de sécurité d’Etat. L’une des raisons en est que la
plupart des Algériens n’ont jamais vraiment compris que Mediène, une figure
quasi mythique, et son DRS, avaient vraiment disparu. Et certains
événements, discutés plus bas, laissent entendre qu’ils ont raison.

En 2016 et 2017, Gaïd Salah dépensa beaucoup d’énergie dans le


développement de ses intérêts d’affaires familiaux, surtout en
collusion avec Bahaeddine Tliba, un homme d’affaires corrompu
et milliardaire

En 2016 et 2017, Gaïd Salah dépensa beaucoup d’énergie dans le


développement de ses intérêts d’affaires familiaux, surtout en collusion avec
Bahaeddine Tliba, un homme d’affaires corrompu et milliardaire, député
d’Annaba, qui était impliqué avec Gaïd Salah et sa famille dans des affaires
de racket foncier, d’extorsion de fonds, de trafic de drogue, de blanchiment
d’argent, d’exploitation minière illégale, de mauvaise utilisation des fonds de
la défense, de trafic d’influence et plus encore. Le DRS de Mediène ne
pouvant plus surveiller le ministère de la Défense, Gaïd Salah utilisa sa
position en tant que ministre de la Défense adjoint (gérant effectivement le
ministère pour le compte du Président Bouteflika malade) non seulement
pour donner plusieurs contrats de fournitures  militaires à des membres de sa
famille mais aussi pour détourner de grosses sommes à travers la
surfacturation, la non livraison et autres moyens frauduleux, sur les contrats
de fournitures de matériel militaire du ministère.

Pourtant, tandis que les élections présidentielles du printemps 2019 se


rapprochaient, sans successeur en vue, la possibilité d’un cinquième mandat
de Bouteflika devint une perspective de plus en plus menaçante. Gaïd Salah
consacra, dès lors, l’essentiel des années 2018 et 2019 à renforcer l’assise de
son propre pouvoir et son rôle potentiel de faiseur de roi. Un nombre sans
précédent d’officiers supérieurs furent placés à la retraite et remplacés par
ses propres fidèles. De même, toutes les branches des services de
renseignement,  à l’exception de certains services de coordination sous le
contrôle du général Athman « Bachir » Tartag, qui rendaient compte
directement à la Présidence, furent soumis à l’autorité des généraux et
officiers supérieurs choisis par Gaïd Salah. La plupart des hommes de
Mediène furent remplacés, certains étant déjà emprisonnés tandis que
d’autres devaient suivre ce chemin par la suite.

La chute du général Mediène dans la presse algérienne.

Au début de 2019, le régime n’avait pas trouvé de solution satisfaisante au


problème de succession, ce qui permettait au clan Bouteflika de progresser
dans son projet de cinquième mandat. Bouteflika se trouvant médicalement
incapable et pouvant mourir à tout moment, la cabale d’oligarques, de
généraux, de ministres et d’apparatchiks corrompus qui soutenaient la
Présidence Bouteflika ont pu continuer à voler le pays des richesses restantes
et de continuer leur fuite en avant dans la crise économique et politique.

Le 22 février, des millions d’Algériens, pour lesquels la perspective d’un


cinquième mandat de Bouteflika était aussi humiliante qu’intolérable sortirent
dans les rues et, dans le cadre d’un mouvement de manifestations pacifiques
baptisé hirak, intimèrent l’ordre de dégager à Bouteflika et à l’ensemble de
son système. Cette situation se présentait aux yeux de Gaïd Salah comme un
défi entièrement nouveau. Pour commencer, il fit le pari de soutenir le hirak.
In Amenas (5), l’impossible
replâtrage du régime algérien
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 La rédaction de Mondafrique

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29 août 2020

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Durant l’été dernier, Gaïd Salah, exhibant tous les attributs d’un
dictateur militaire, trônait effectivement à la tête de l’Etat, tandis
que presque tout « le gang » de Bouteflika, était soit en prison,
soit sur le point d’y entrer. Voici le dernier volet de notre série sur
l’Algérie signée par Jeremy Keenan

Le Président Tebboune, choisi par le géénral Gaïd Salah, ne dispose


d’à peu près aucune marge de manoeuvre réelle face à l’institution militaire

Sous la pression croissante du hirak, Bouteflika démissionna le 2 avril et il fut


remplacé par le chef d’Etat par interim Abdelkader Bensalah, qui devait
reporter l’élection du 18 avril au 4 juillet. Deux jours plus tard, Gaïd Salah
ordonnait le limogeage immédiat du général Tartag, qui avait comploté
contre lui avec Saïd Bouteflika et Mediène. A la fin du mois, une brochette
d’oligarques et d’anciens ministres de Bouteflika étaient arrêtés sur les ordres
de Gaïd Salah pour corruption. Début mai, Saïd Bouteflika, Mediène et Tartag
furent arrêtés, poursuivis pour avoir sapé l’autorité de l’armée et pour
conspiration contre l’autorité de l’Etat. Ils furent rejoints à la prison El
Harrach, une semaine plus tard, par les anciens Premiers ministres
Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia et une dizaine d’anciens ministres de
Bouteflika, qui purgent actuellement de long peines de prison ou ont fui le
pays.

A l’été, Gaïd Salah, exhibant désormais tous les attributs d’un dictateur
militaire, trônait effectivement à la tête de l’Etat, tandis que presque tout « le
gang » de Bouteflika, comme Gaïd Salah les appelait désormais, était soit en
prison, soit sur le point d’y entrer. Même si les élections du 4 juillet ont dû
être reportées à cause de la marée d’opposition émanant du hirak, Gaïd
Salah ne pouvait plus être délogé. Vers la moitié de l’été, il fut clair qu’il
n’avait aucune intention de soutenir le hirak et qu’il insistait pour que les
élections présidentielles se tiennent le 12 décembre, que le hirak soit
d’accord ou pas.

Par une coïncidence extraordinaire, le premier jour


d’emprisonnement de Mediène fut le début d’une chaîne
d’événements rapide qui devait conduire à la mort de Gaïd Salah.

Tandis que les condamnations de Saïd Bouteflika, Mediène et Tartag à quinze


ans de prison, le 24 septembre 2019, six ans et huit mois après l’attaque d’
In Amenas et quatre ans après le limogeage de Mediène, peuvent apparaître
comme la sanction du pouvoir de Gaïd Salah à son zénith, cela ne dura pas
très longtemps. Par une coïncidence extraordinaire, le premier jour
d’emprisonnement de Mediène fut le premier d’une chaîne d’événements
rapide qui devait conduire à la mort de Gaïd Salah.

Nommé ministre de la Justice en août, Belkacem Zegmati commença à


enquêter sur les affaires de Bahaeddine Tliba. Tliba avait répliqué en faisant
valoir son immunité parlementaire mais le 25 septembre, Zegmati ordonna la
levée de son immunité et lui ordonna de comparaître pour répondre à des
questions sur des soupçons de corruption. A ce moment-là, certains émirent
l’hypothèse que Gaïd Salah avait, peut-être, abandonné Tliba. Cependant, on
sut après coup que le général Bouazza Ouassini (désormais emprisonné), le
protégé de Gaïd Salah, qui avait été rapidement propulsé à la tête du
Directorat de la Sécurité intérieure (DSI) et du contre-espionnage, avait
l’oreille de Zegmati et complotait contre Gaïd Salah, dans le but final,
semble-t-il, d’être nommé à sa place.
Comprenant que le piège se refermait sur lui, Tliba prit la fuite pour la Tunisie
fin septembre, tout en mandatant Saïd Bensedira, depuis Londres, comme
porte-parole. A partir de la Tunisie, Tliba prit la mer pour Malte, fit
l’acquisition d’un passeport Schengen et se débrouilla pour se rendre en
Irlande. Il comptait dès lors, grâce aux bons offices de Bensedira, demander
l’asile politique au Royaume Uni, soutenant qu’il était persécuté en Algérie à
cause de son opposition aux régimes Bouteflika et Gaïd Salah. Peu après,
Bensedira menaça de publier des rapports établis par Tliba détaillant les
crimes commis par la famille Gaïd Salah.  Bensedira fit savoir que Tliba était
prêt à témoigner sur la participation des fils de Gaïd Salah dans la mort
mystérieuse, en novembre 2014, de Mohamed Mounib Sendid, le wali (préfet)
d’Annaba, et dans beaucoup d’autres crimes. Bensedira rendit aussi publique
une vidéo menaçant de révélations explosives à partir des documents en
possession de Tliba.

Tliba devait être stoppé. Les services secrets algériens


réussirent à le piéger et le faire revenir de Malte en Tunisie, où il
fut enlevé et ramené en Algérie sous bonne garde.

Une telle publication pouvait gravement porter atteinte à l’Algérie et à son


armée. Tliba devait être stoppé. Les services secrets algériens réussirent à le
piéger et le faire revenir de Malte en Tunisie, où il fut enlevé et ramené en
Algérie sous bonne garde à la prison El Harrach.

Pour Gaïd Salah, le jeu était terminé. Le choc du départ de Tliba et des
menaces de Bensedira, qui atteignirent Gaïd Salah pendant qu’il se trouvait à
Oran, étaient de trop. On dit qu’il tomba malade puis fut hospitalisé. Selon le
ministère de la Défense, il souffrait d’hypertension. Certains évoquèrent un
accident vasculaire cérébral. Des généraux proches de Gaïd Salah, y compris
Bouazza Ouassini dans son double jeu, Saïd Chengriha, qui devait remplacer
Gaïd Salah en tant que chef d’état-major de l’armée et Abdelhamid Ghriss,
secrétaire général du ministère de la Défense, étaient conscients des dégâts
que les révélations de Tliba pouvaient causer à l’armée et à l’Algérie. Ils
comprirent que Gaïd Salah devait quitter ses fonctions et ils commencèrent à
préparer son retrait.
Gaïd Salah mourut le 23 décembre, officiellement d’une crise cardiaque, onze
jours après l’élection présidentielle qu’il avait convoquée. Parmi les cinq
candidats approuvés par le régime, Gaïd Salah avait jeté son dévolu sur
Abdelmajid Tebboune. Mais Tebboune n’était pas le choix de Ouassini. Il était
un ami de Gaïd Salah et, en tant qu’ancien Premier ministre, bien trop
conscient du fonctionnement du régime pour être facilement manipulé par
Ouassini. Pour cette raison, Ouassini préférait que l’élection soit truquée en
faveur d’Azzedine Mihoubi, sans charisme ni expérience et supposément
homosexuel. Un accord aurait été conclu entre Azzedine Mihoubi et Ouassini
en faveur du départ de Gaïd Salah et de son remplacement par Ouassini. Le
complot faillit réussir. A midi, les premiers résultats plaçaient Mihoubi loin
devant les autres candidats. Toutefois, quand Gaïd Salah eut vent du complot
d’Ouassini, il intervint immédiatement et ordonna que Tebboune soit déclaré
vainqueur et Ouassini placé en résidence surveillée. Bien que la participation
officielle ait été annoncée à 39,3%., elle se situait plutôt, selon les rapports
des observateurs et les témoignages recueillis dans le pays, autour de 8%.
Les Algériens avaient boycotté l’élection, comme ils avaient promis de le faire
depuis le début. Tebboune fut, quoi qu’il en soit, investi en force en tant que
dernier Président en date, illégitime et fantoche, de l’Algérie.

Abdelmajid Tebboune, le dernier Président en date de l’Algérie

Les huit mois depuis l’investiture de Tebboune ont connu des développements
significatifs, notamment l’apparition de la pandémie de COVID-19 et, comme
on pouvait s’y attendre, une restructuration quasi complète des services de
renseignement. Les hommes nommés par Gaïd Salah ont été remplacés par
beaucoup de « professionnels » ayant travaillé avec Mediène, qui avaient été
chassés par Gaïd Salah. Peut-être symboliquement, tandis que Bouazza
Ouassini reste incarcéré en attendant le début d’un nouveau procès, le
général Hassan devrait être libéré prochainement. Mediène lui-même, bien
qu’officiellement toujours emprisonné, serait désormais en un lieu
« beaucoup plus confortable » et en contact avec plusieurs de ses anciens
officiers supérieurs qui conseillent désormais la Présidence Tebboune et
occupent les positions les plus élevées dans les services de renseignement.
Tandis qu’In Amenas conduisit à la « de-mediènisation » du système, les huit
mois de la Présidence de Tebboune ont vu sa « re-mediènisation ».
Malgré la propagande de Tebboune sur sa volonté de dialogue avec ce qu’il
appelle le « hirak béni », ses services de renseignement « re-mediènisés »,
plus brutalement professionnels, ont utilisé le prétexte de la crise du COVID-
19 pour accroître la répression, le harcèlement, l’intimidation et
l’emprisonnement des activistes du hirak,  des journalistes indépendants et
autres opposants réels ou imaginaires du régime.

Alors que la crise politique et économique s’amplifie et que la répression


s’intensifie, la question primordiale est : où va désormais l’Algérie ?

Sauf miracle, l’économie se dirige inexorablement vers la


banqueroute. Les réserves de change du pays seront épuisées
vers la fin 2021.

Le retour du hirak, quand l’Algérie s’ouvrira à nouveau, vraisemblablement en


septembre, donnera des indications sur sa stratégie. Il est possible qu’il
encourage une désobéissance civile ciblée. Quant au régime, il est confus et
sur la défensive. Quelle est, selon lui, la plus grande menace sur son
existence : le peuple algérien ou l’économie ? Des deux, la trajectoire de
l’économie est sans doute la plus prévisible. Sauf miracle, elle se dirige
inexorablement vers la banqueroute.  Les réserves de change du pays seront
épuisées vers la fin 2021. Alors, malgré les protestations de souveraineté de
Tebboune, un administrateur, que ce soit la Banque Mondiale, le FMI, la
Russie, la Chine ou une bonne fée, devra entrer en lice. La banqueroute,
quelle que soit la forme qu’elle prendra, sera une bénédiction déguisée pour
la plupart des Algériens, en marquant le point final du régime, ainsi privé de
toute crédibilité ou légitimité. De ces cendres, une nouvelle Algérie pourra
renaître.

In Amenas fait désormais partie de l’histoire; sa couverture, au moins jusqu’à


aujourd’hui, a été totale. Tamouret reste un secret bien gardé. Peu, si ce
n’est aucun autre événement en Algérie, à l’exception des massacres des
années 1990, n’a révélé les contradictions du régime avec autant de
sévérité : l’infiltration, la manipulation et l’utilisation des groupes terroristes
et la mascarade de la guerre globale contre le terrorisme ; le conflit entre la
Présidence, l’armée et les services de renseignement ; la lutte entre les
clans; l’absence d’enquête judiciaire dans un pays qui s’enorgueillit de sa Loi
Fondamentale et de sa conformité avec les conventions judiciaires
internationales, de façon seulement virtuelle apparemment ; et la bavure
d’une prise d’otages créée de toutes pièces, aboutissant au meurtre des
otages pour masquer sa propre culpabilité.

In Amenas fut le point le plus bas de l’histoire contemporaine de l’Algérie,


dont elle n’a pas pu se relever. Et l’on peut se demander si la situation
d’aujourd’hui serait différente si In Amenas n’avait pas existé. Les
événements politiques extraordinaires de ces sept dernières années –
l’ascension et la chute des généraux Gaïd Salah, Bouazza Ouassini, Ait
Ouarabi (« Hassan ») et de plusieurs autres qui ne sont pas mentionnés ici –
ne peuvent s’expliquer sans In Amenas. Par ailleurs, si les services de
renseignement étaient restés sous la coupe de Mediène, il est peu
vraisemblable que le pays aurait atteint le niveau de chaos qui a permis
l’émergence du hirak, bien que le hirak aurait certainement été déclenché, tôt
ou tard, par un autre concours de circonstances. Ceci n’est que spéculation.
Toutefois, deux choses n’auraient pas changé : la nature fondamentalement
répressive du système de sécurité algérien ainsi que l’économie du pays,
deux dynamiques qui ont semé depuis longtemps les graines de leur propre
destruction.

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