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ANDY NGO
DÉMASQUÉS
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ÉDITIONS RING
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de reproduction et d’adaptation
réservés pour tout pays.
« À qui sont ces rues ? À nous ! » scandait la foule qui, en ce mois de juin
2019, manifestait en plein centre de Portland. Certains affichaient leurs
sympathies marxistes, chemises rouges et bandanas, agitant le drapeau rouge
et rose du parti des Socialistes démocrates d’Amérique. Ils furent rejoints par
les anarcho-communistes, entièrement vêtus de noir. La crise du Covid n’était
pas encore passée par là, et pourtant la plupart étaient masqués. Nombre
d’entre eux portaient un casque et des armes improvisées. Les manifestants,
quatre-cents personnes environ, bloquaient la circulation : rien que de très
habituel à la Cité des roses{1}. Comme d’habitude, la police restait à distance,
bien placée pour savoir à qui appartenait la rue…
Muni de mon téléphone et d’une caméra GoPro, je me frayai un chemin
vers la tête du cortège. J’étais en reportage ; quelques manifestants m’ont
reconnu, dévisagé, puis se sont mis à faire des messes basses. Luis Enrique
Marquez m’a regardé droit dans les yeux. À Portland, ce militant de 48 ans
est de toutes les manifestations violentes ; il s’est si souvent fait arrêter qu’il
ne se donne même plus la peine de se masquer. Quoiqu’il en fût, j’ignorai les
regards et poursuivis ma route. À ce moment-là, le slogan a changé : « Pas de
haine, pas de peur ! » a commencé à crier la foule. J’avais à peine parcouru
quelques mètres que quelqu’un – ou quelque chose – m’a violemment heurté
l’arrière du crâne ; le choc fut tel que j’en suis presque tombé. N’ayant jamais
été bagarreur, j’ai naïvement pensé que, peut-être, quelqu’un derrière moi
avait trébuché. J’eus à peine le temps de me retourner qu’une armada vêtue
de noir m’encerclait. En arrière-fond, j’entendais toujours la foule scander :
« Pas de haine ! »
Cruelle ironie, je me suis dès cet instant confronté à l’incarnation même
de la haine. Entouré d’une meute informe de fantômes sans visages, j’étais
tétanisé. Soudain, tombant de tout côté, une pluie de coups s’est abattue sur
ma tête. Sous l’assaut, mon genou droit a vrillé. Mes agresseurs masqués, qui
me frappaient à coups de poing, portaient des gants spéciaux, rigidifiés par de
la fibre de verre. Il n’est pas impossible que certains aient aussi utilisé des
poings américains. En signe de reddition, j’ai levé les bras, ce qui eut pour
seul effet d’accroître leur férocité à mon égard. On m’a alors arraché ma
caméra, la seule preuve dont je disposais. Désespérément, j’ai tenté de la
garder. En vain. Le voleur masqué s’est fondu dans la foule, technique
typique des black blocs{2}. Quelqu’un s’est rué vers moi, me décochant deux
coups de pied à l’entrejambe. On m’a frappé à l’arrière du crâne, sans doute
avec un panneau.
L’agression m’a laissé en sang, complètement désorienté. Mon oreille
saignait, j’avais des plaies sur tout le visage. Je sentais mes yeux s’injecter de
sang. Je pensais que le lynchage était terminé… jusqu’à ce qu’une grêle de
« milkshakes » façon antifa, d’œufs et d’objets divers s’abatte sur ma tête. Je
titubais sous la mitraille, tandis que la foule hurlait de rire.
Plusieurs cameramen me suivaient : j’ai cru qu’ils allaient venir à secours,
mais ils se sont contentés de prendre des photos et de filmer. « Putain de
vendu, salope ! » a hurlé un militant local, transsexuel et membre des
Antifascistes sataniques de Portland. À moitié aveuglé, je me suis dirigé vers
le tribunal du comté en passant par lownsdale Square, puis j’ai perdu
l’équilibre. Plus tard, aux urgences de l’hôpital universitaire, on m’a dit que
j’avais une hémorragie cérébrale. Lorsque je suis passé devant le Palais de
justice du comté Multnomah, bâtiment qui regroupe le commissariat central,
le bureau du shérif et les tribunaux, j’étais à l’agonie, anéanti par la foule
déchaînée. À aucun moment la police n’est intervenue. Jim Ryan, reporter
pour l’Oregonian{3} a filmé une partie du lynchage avec son portable.
Pendant que j’étais aux urgences, la vidéo a tourné sur les réseaux
sociaux, affichant des centaines de milliers de vues. Mon nom a commencé à
circuler sur Twitter, alors que le grand public ne me connaissait pas. La
presse progressiste, le New York Times, la BBC et CNN n’ont pas pu taire les
faits. On avait raconté aux Américains que les antifa étaient de gentils
« antifascistes », et voilà que sur cette vidéo, on voyait une meute masquée
lyncher un journaliste, au cœur d’une grande ville américaine et sans que
personne n’intervienne. Ces images confirmaient ce que certains dénonçaient
depuis des années : sous couvert d’« antifascisme », ces militants étaient des
extrémistes qui avaient fait le choix de la violence, et qui n’avaient pas
uniquement les fascistes en ligne de mire.
En mai 2020, après des mois de confinement, des émeutes raciales ont
éclaté. La mort de George Floyd, survenue à Minneapolis pendant son
interpellation, a mis le feu aux poudres. Dans des dizaines de villes, casseurs
et pillards ont incendié des bâtiments, braqué des magasins, agressé les forces
de l’ordre au nom de Black Lives Matter. Les antifa leur ont prêté main-forte.
On a recensé plus de vingt morts.
Alors qu’ils avaient directement assisté aux événements, les media et les
responsables politiques de gauche ont refusé d’admettre le rôle qu’avaient
joué les antifa. Lors d’un débat au Congrès, le président de la Commission
des affaires judiciaires, Jerrold Nadler, membre des Démocrates de New
York, a parlé d’une mouvance « imaginaire ». La population avait vu des
militants masqués déclencher des émeutes et y prendre une part active, et
pourtant, on s’obstinait à lui raconter que l’existence d’un mouvement antifa
organisé n’était « nullement prouvée ». « Qui a provoqué les violences
pendant les manifestations ? Pas les antifa » affirmait le Washington Post
dans un fact-checking{5} complètement lunaire.
Les media américains nous mettent sans cesse en garde contre l’extrême
droite et la suprématie blanche, menace ultime s’il en est. Aucun honnête
homme ne niera le fait qu’il existe une violence de ce type aux États-Unis,
comme en témoignent les rapports de police. Mais le nombre et l’influence de
ceux qui la mettent en œuvre sont grossièrement exagérés par des media
idéologisés. On enquête bien moins sur les antifa que sur l’extrême droite.
Pourtant, je soutiens que leur idéologie et leur méthode, de plus en plus
violente, représentent tout autant une menace, si ce n’est davantage, pour la
démocratie libérale américaine des prochaines années. Je le démontrerai dans
ce livre.
Par l’analyse de documents inédits, Démasqués dévoile quelques-uns des
acteurs-clés qui sont à la manœuvre au sein de la mouvance. Il révèle leur
stratégie de recrutement et de formation, la façon dont ils radicalisent leurs
sympathisants et l’opinion publique. La violence urbaine n’est qu’une partie
de leur projet. Leur projet, c’est la révolution. Quand nous faisons mine de ne
pas voir les antifa, quand nous les dédouanons, ce sont nos libertés que nous
mettons en danger.
Une rixe entre antifa et militants de droite, en pleine
rue, au centre-ville de Portland, le 30 juin 2018.
Photo : Chelly Bouferrache
Antifacistes de Colorado Springs (chutes du
Colorado)
Une statue en bronze de Georges Washington
déboulonnée par les émeutiers de BLM en juin
2020. Photo : Andy Ngo
CHAPITRE 1
INSURRECTION
À peu près au même moment, toujours sur les réseaux sociaux, des
activistes ont fait circuler une vidéo : on y voyait Ahmed Arbery, un jeune
homme noir de 25 ans, abattu par deux vigiles blancs, un homme et son fils.
C’était dans le comté de Glynn, en Virginie. Gregory et Trevis McMichael
soupçonnaient Arbery d’être un cambrioleur revenu dans le quartier. Ils
l’avaient donc interpelé tandis qu’il déambulait dans les rues, puis avaient
attendu l’arrivée de la police. C’était à ce moment-là qu’avait eu lieu
l’altercation ; sur la vidéo, on voit Arbery se ruer sur Travis pour le frapper.
Ce dernier, armé d’un fusil, tire sur son agresseur, qui décède sur le coup. Ce
fait divers avait eu lieu le 23 février 2020, plusieurs mois avant la mort de
Floyd. Pourtant, ce n’est qu’au mois de mai que la vidéo a été diffusée,
assortie d’un récit mensonger selon lequel Arbery était un simple jogger,
assassiné à cause de sa couleur de peau. On a soufflé sur les braises et les
tensions liées à la question raciale et aux violences policières se sont
exacerbées.
Si la mort d’Arbery n’impliquait pas directement la police, il se trouve
que Gregory, le père, était un policier à la retraite. Les procureurs locaux
n’avaient pas porté plainte contre les deux hommes. Pourtant, après la
diffusion de la vidéo, le bureau des enquêtes de Géorgie les a tous deux mis
en examen, pour crime et agression aggravée. L’affaire avait également
provoqué quelques manifestations. Là encore, les antifa ont profité de
l’occasion pour diffuser de fausses informations, histoire de radicaliser
l’opinion et de la rallier à leur cause. On a cru reconnaître Gregory
McMichael sur les photos d’un défilé du Ku Klux Klan. Le défilé,
insignifiant, avait eu lieu en 2016. Sur Facebook et Twitter, la photo a
massivement tourné, incitant Georgia Followers, un site d’information très
suivi, à la retwitter à ses 1,5 millions d’abonnés. Un article bidon
accompagnait la photo. Plus tard, le site l’a purement et simplement
supprimé, au lieu de faire ce qu’imposait la déontologie : publier un
rectificatif et indiquer que les faits rapportés étaient faux.
La violence qui s’était exercée dans cette partie de la ville a ensuite gagné
le reste de Minneapolis. Toute la nuit, des dizaines de magasins ont été
vandalisés, pillés et détruits. On a incendié un chantier de futurs logements
sociaux, devenu la proie de flammes qui montaient jusqu’au ciel. La chaleur
dégagée par le feu a pratiquement fait fondre les voitures. Au matin, une
trentaine de commerces avaient été vandalisés et réduits en miettes. Les
violences cependant étaient loin d’être terminées. Mues par un inexorable
mécanisme, elles ont perduré même après que le maire Jacob Frey, un
démocrate mesuré, a déclaré l’état d’urgence. On en était au troisième jour
d’émeute. Un petit groupe de vandales masqués et tout de noir vêtus s’en est
pris à O’Reilly’s, un autre magasin de pièces détachées. Ils ont cassé la
devanture et pillé la boutique, avant de la saccager entièrement.
Voilà qui nous rappelle quelque chose : en 2020 en effet, la plupart des
éditorialistes de gauche ont commencé à contester la notion même de droit à
la propriété. « Détruire des biens, qui sont par nature remplaçables, ne relève
pas de la violence » avait ainsi affirmé Nikole Hannah Jones en juin 2020
lors d’une interview à CBS News. Hannah Jones, journaliste au New York
Times, a remporté le prix Pulitzer grâce à un article truffé d’erreurs dans
lequel elle prétendait que l’existence même de l’Amérique était fondée sur
l’esclavage, article qu’elle avait rédigé dans le cadre du Projet 1619{11}. Avant
elle, Alicia Garza, co-fondatrice de BLM, avait défendu la même idée. « Nous
n’avons pas le temps de faire la morale aux manifestants en leur disant de
respecter la propriété. On peut reconstruire. Ceux qui ont été touchés ré-
ouvriront. Les magasins ré-ouvriront. Les assurances sont là pour ça. Ce que
ne couvrent pas les assurances en revanche, c’est notre sécurité et la vraie
justice » avait confié Garza au New Yorker Magazine en juin 2020.
INSURRECTIONS
Beaucoup de gens ont été choqués par les scènes de violence qui ont eu
lieu dans le Minnesota. Pourtant, une partie de la population américaine a
ouvertement soutenu les émeutes. Le Minnesota Freedom Fund (MFF), une
organisation d’extrême gauche, a récolté plus de 35 millions de dollars de
dons, grâce à l’aide de personnalités comme Drake, Chrissy Teigen ou Steve
Carrell. (Plus tard, le MFF a avoué n’avoir consacré que 200 000 dollars au
paiement des remises en liberté sous caution.) Dans tout le pays, des groupes
antifa ont exprimé leur soutien aux émeutiers du Minnesota. « Cette nuit,
solidarité de NYC avec tous les vrais gens de Minneapolis ! » a twitté New
York City Antifa le 27 mai 2020. Antifa Seven Hills, un groupe de
Richmond, a posté sur Twitter des liens vers les cagnottes destinées à
soutenir les manifestants de Minneapolis. La branche portlandaise du Youth
Liberation Front, un nouveau groupe antifa, sur Twitter encore : « De
Portland à Minneapolis, pour la libération de la jeunesse ! On vous verra sur
place ! » Sur leur tweet, les émojis « drapeau noir » et « flammes ».
Encouragés par le succès retentissant des émeutes du Minnesota, dopés
par le soutien dont elles avaient bénéficié au sein de l’élite médiatique, les
antifa ont alors organisé des émeutes « de solidarité ». Le 28 mai 2020, les
Colorado Springs Anti-Fascists ont annoncé sur Twitter qu’ils organisaient
trois jours « d’actions solidaires » au Capitole de l’état. « Vous n’avez
aucune excuse pour ne pas y aller. Si vous matez les émeutes sur les réseaux
sociaux, vous êtes redevable aux radicaux de Minneapolis. Soyez solidaires
avec eux. #ACAB{12} » ont-ils écrit sur Twitter. De la même façon, les antifa de
Portland avaient placardé dans toute la ville des affiches qui annonçaient que
le 19 mai aurait lieu une manifestation « I can’t breathe »{13}, elle aussi
organisée « en solidarité avec Minneaoplis ». Sur Twitter, le Youth
Liberation Front avait promu l’événement, puis fait monter la mayonnaise
avec une pub parue sur le blog antifa It’s going down. Le terme de solidarité
peut sembler anodin ; en réalité, il constitue dans les milieux d’extrême
gauche un stimulus qui déclenche toujours le même genre de passage à l’acte.
En l’occurrence, « solidarité » est synonyme de violence.
Parler des violences urbaines de Minneapolis comme d’un spectacle à
« mater » permet de mieux comprendre la conception du monde des antifa :
voilà comment ils considèrent le fait de détruire, de piller, tout ce carnage qui
détruit des vies et tue des gens. À Minneapolis, un prêteur sur gages dont le
commerce avait subi de gros dégâts pendant les émeutes a abattu un pillard
présumé. Deux mois plus tard, parmi les décombres d’un commerce incendié
pendant les émeutes, on a retrouvé un corps carbonisé.
Avant ce mois de mai 2020, je n’avais jamais pensé que les antifa
puissent atteindre cet objectif, pas même partiellement. En interview, on me
demandait souvent s’ils pouvaient l’emporter. Je répondais toujours par la
négative, dès lors que pour un antifa, l’emporter signifie la disparition de
l’Amérique, le but ultime à ses yeux. Les usa possèdent une des armées les
plus puissantes au monde, un état de droit stable et une société civile bien
ancrée. Si le Yémen devait représenter la version achevée de ce qu’est un état
failli, les États-Unis se trouveraient à l’autre extrémité du spectre. Et
pourtant, lorsque les émeutes ont éclaté fin mai, j’ai commencé à penser qu’il
me fallait sans doute revoir ma position. Pour la première fois de ma vie, je
voyais les plus grandes métropoles américaines lutter et échouer, incapables
de protéger les droits fondamentaux du citoyen : le droit à la vie et le droit à
la propriété. Des jours durant, les victimes des émeutes ont appelé sans
relâche le 911, sans jamais être secourues. La suite des événements à Seattle,
Portland et dans d’autres villes a montré la balkanisation de certains
territoires, devenus des no-go zones interdites à la police et aux personnes
non autorisées par les antifa.
Sous nos yeux, BLM et antifa ont incendié des villes, les unes après les
autres. Des gens sont morts pour rien. Du jour au lendemain, des vies se sont
brisées. Ceux qui pensaient que l’agenda de ce mouvement ne pouvait pas
aboutir, du moins pas de façon significative (point de vue que j’ai un temps
partagé) ont sous-estimé la vitesse à laquelle les antifa avancent leurs pions.
Grâce à la dynamique qu’ils avaient initiée, les extrémistes ont pu essaimer
dans d’autres villes.
Parmi eux, Matthew Banta, un militant antifa confirmé proche du groupe
Fox Valley Antifa, dans le nord-est du Wisconsin. Sous divers pseudonymes,
comme « Commandant rouge », Banta a posté des photos sur lesquelles on le
voit masqué, à l’occasion d’événements organisés dans le Wisconsin. Il
arbore l’emblème antifa, le logo à deux drapeaux. Début août 2020, à
Waupaca, il défile avec eux lors d’une de leurs manifestations. Au cours de
celle-ci, il pointe son arme, un fusil semi-automatique chargé, sur un policier.
Puis il se bat avec lui et le blesse. Sur les photos prises lors de son arrestation,
on le voit porter les emblèmes antifa. Inculpé pour activités criminelles, il est
rapidement relâché contre une caution de 10 000 dollars en liquide. À la fin
du mois d’août, Banta manifeste à Green Bay, lors d’un rassemblement BLM-
antifa. La police rapporte qu’il est arrivé dans le centre-ville muni d’un lance-
flammes, de grenades fumigènes de type militaire, de mortiers, et de tracts.
La manifestation avait été interdite. Banta est accompagné d’un groupe armé
de battes de baseball. On l’inculpe pour entrave à l’action policière et pour
n’avoir pas respecté les conditions de sa libération sous caution. Moins de
24 heures après, il est à nouveau dehors.
LA NATION
LA PLUS JEUNE DU MONDE
Pendant la semaine que j’ai passée à CHAZ, j’ai pu observer les diverses
manœuvres qui des semaines durant allaient alimenter le chaos. Bien que je
n’aie pas été dans le secret des cœurs de mes « camarades » chefs et
organisateurs de la zone, qui eux avaient été cooptés selon les règles, ils me
faisaient suffisamment confiance pour parfois baisser la garde lorsque nous
discutions. Par bien des aspects, vivre avec eux pouvait se comparer au fait
de vivre avec des djihadistes. Entre eux, ils faisaient preuve de bienveillance
et de camaraderie, d’entraide, d’empathie. En revanche, tous ceux qui
faisaient obstacle à leur agenda politique devaient être anéantis.
Les dysfonctionnements ne manquaient pas dans la zone autonome, il n’y
avait pas l’eau courante, par exemple. Pourtant, les organisateurs semblaient
se dévouer essentiellement à la « sécurité » du lieu, y consacrant toute leur
énergie et des heures d’entraînement. Cela se remarquait à l’équipe de
surveillance qu’ils avaient mise en place, qui avait pour mission d’assurer la
garde armée des checkpoints, mais aussi de calmer les esprits échauffés et
d’assurer les secours en cas d’urgence. En résumé, les vigiles de CHAZ avaient
le même mode de fonctionnement que la police, l’expérience professionnelle
en moins. Et ils n’avaient de comptes à rendre à personne.
La direction de ladite milice, du moins pendant quelques temps, était
assurée par une petite femme du nom de Créature. Les vigiles bénévoles
usent tous de pseudos lorsqu’ils parlent les uns des autres. Elle portait un
casque blanc pour être facilement repérable au milieu de la foule. Créature et
son équipe communiquaient par talkie-walkie et oreillette. À l’intérieur de la
zone, on attribuait à chaque vigile une zone spécifique. Quelques-uns
paradaient avec des fusils, des revolvers, des battes de base-ball, des
couteaux. J’ai croisé Créature au moment où elle s’occupait d’une résidente
en pleine crise.
Au beau milieu d’un carrefour, devant un des checkpoints à l’entrée de la
zone, une femme assise hurlait, inconsolable. Les vigiles voulaient qu’elle se
déplace pour que leur véhicule puisse circuler. À vrai dire, ce genre d’épisode
psychotique était assez courant à CHAZ, où avaient afflué SDF et vagabonds
attirés par les distributions alimentaires. On racontait que quelques jours
auparavant, une ambulance était venue pour une overdose. Avant que
Créature n’ait pu s’occuper de la femme qui hurlait, elle a reçu un appel
urgent sur son talkie-walkie. Je n’ai pas entendu ce qu’elle disait ; elle a
subitement quitté les lieux pour se rendre ailleurs dans la zone. J’ai tenté de la
suivre, mais elle s’est fondue dans la foule. La nuit, les bagarres entre
résidents étaient monnaie courante. Les vigiles tentaient de jouer les
médiateurs, en vain le plus souvent.
Comme cela avait été le cas lorsque Simone avait pris le pouvoir, ceux
qui étaient perçus comme des rivaux ou une menace payaient le prix fort. En
juin, le journaliste conservateur Kalen d’Almeida, de Los Angeles, a filmé
une réunion nocturne de Simone et de sa milice. Un des hommes de main du
rappeur, qui l’avait repéré pendant qu’il filmait avec son portable, est allé lui
réclamer des comptes, exigeant qu’il éteigne son téléphone. Quand
d’Almeida a refusé, la bande a voulu le traîner jusqu’à la tente de la sécurité,
installée devant le restaurant de tacos. Parmi ses assaillants, d’Almeida a
reconnu Dejuan Young. Plus tard, à CHAZ, Young sera victime d’une
fusillade. Il n’a jamais été inculpé, ni arrêté. « Il me répétait : “Tu vas me
donner ton téléphone ou je te démonte la gueule et je te le prends.” » raconte
d’Almeida.
D’Almeida s’en est tiré en se réfugiant sur le chantier situé à l’entrée de la
zone, où il s’est caché en attendant que la police réponde à son appel. « J’ai
quitté la zone autonome en courant ; ils étaient tous à vouloir me traîner à la
tente de la sécurité pour m’interroger » poursuit-il. J’ai vu d’Almeida juste
après son agression. Son blouson était dans un sale état, lui-même était sous
le choc. Il a eu de la chance de pouvoir quitter CHAZ en n’ayant que quelques
contusions et des bleus.
D’autres journalistes se sont fait agresser à CHAZ. Dan Springer, reporter à
Fox News, s’est fait piéger pendant qu’il était au volant, cerné de casseurs qui
ont pris sa voiture d’assaut. Une autre fois, à CHAZ encore, on l’a suivi et
expulsé.
Si le quartier était devenu un laboratoire à ciel ouvert de l’anarchie et du
chaos, c’était aussi une entreprise de propagande qui tournait bien. Les
résidents contrôlaient de très près ce que les journalistes étaient autorisés à
filmer. Ainsi, il y eut cette fois où un Noir avait déambulé, le drapeau
américain à la main. La foule, dans laquelle se trouvaient des antifa masqués,
l’avait immédiatement entouré et suivi, hurlant des insultes racistes. « Traître
à ta race ! Traître à ta race ! » criait sans relâche un homme au mégaphone.
« Fox News va récupérer les images ! » avait riposté quelqu’un lorsque des
casseurs avaient voulu s’emparer du drapeau. À CHAZ, cette phrase était une
rengaine que l’on ressortait au moindre conflit. La réalité ne revêtait aucune
importance aux yeux des défenseurs de la zone autonome qui préféraient que
les media évoquent une utopie inventée de toutes pièces.
Ceux qui avaient le malheur d’habiter le quartier n’avaient pas eu leur
mot à dire lorsqu’étaient arrivés leurs nouveaux seigneurs et maîtres. Ils
s’épanchaient fort discrètement auprès de la presse locale. Quelques-uns
avaient provisoirement déménagé. La nuit, on signalait des coups de feu et
des « hurlements de terreur ». Un jour, alors que j’étais sur place, un habitant
est sorti à deux reprises de son immeuble pour demander aux manifestants de
quitter l’allée sur laquelle donnait la porte de son appartement. Ils ont fait
mine de ne pas entendre. La rue, très dégradée, était couverte de graffitis et
de slogans radicaux. Dans cette même rue, se trouvait la porte de service du
Commissariat Est. Depuis que les antifa avaient exprimé leur volonté d’y
faire intrusion pour y mettre le feu, des bénévoles effectuaient des tours de
garde pendant la nuit. Selon la chef de la police, il existait une « menace
sérieuse » que le bâtiment soit incendié. Plus tard, on a appris que
l’information émanait du FBI.
La façon dont les media ont couvert CHAZ souffre d’un point aveugle
évident : ils ont toujours occulté le fait qu’on y diffusait une idéologie
extrémiste et qu’on y prônait la violence. Plutôt que de se pencher sur les
appels pourtant très explicites à tuer les flics et à renverser le gouvernement,
les reportages consacrés à la zone se contentaient de reprendre les mots
d’ordre en vogue, entre « justice raciale » et « pas d’argent pour la police ».
Des centaines de graffitis bordaient l’endroit, des cadavres de porcs dessinés
avec des casquettes de police. « Interdit au boulot. Interdit aux flics. Stop à ce
monde de merde » pouvait-on lire. Ou encore : « Vote et reste à l’étable. Les
politiciens sont tous minables. »
Les antifa marquaient également leur territoire autour de CHAZ. Sur
plusieurs bâtiments, on avait peint le drapeau rouge et noir des anarcho-
communistes. Des autocollants du groupe « Action Antifaciste » étaient
collés un peu partout. À CHAZ, j’ai croisé Luis Marquez, un membre actif de
Rose City Antifa, et ses amis. Pour ceux qui n’auraient pas vu les graffitis qui
s’étalaient partout, on avait prévu des affiches, des panneaux. « Le virus,
c’est le covid 19. La pandémie, c’est le capitalisme » lisait-on aux abords de
la zone. Une grande affiche manuscrite accusait le système d’entraîner
racisme et pauvreté, avant de conclure : « Mort au capitalisme ! »
Les militants des partis traditionnels s’étaient eux aussi déplacés à CHAZ,
pour séduire de nouvelles recrues et faire d’une pierre deux coups. Les
Socialistes démocrates d’Amérique y figuraient en bonne place et tenaient un
stand. Le parti avait acquis une certaine respectabilité aux yeux de l’opinion,
grâce à la popularité croissante du sénateur Bernie Sanders et de la députée
au Congrès Alexandria Ocasio-Cortez. Pourtant, à la lecture de leur
manifeste, on voit que ces derniers se situent sans ambiguïté possible dans la
droite ligne de la tradition socialiste : ils aspirent, comme leur programme
l’annonce clairement, à l’« abolition du capitalisme ». Quant aux Socialistes
Révolutionnaires de Seattle, également présents à CHAZ, ils partagent le même
agenda que les Socialistes démocrates, tout en formulant plus explicitement
encore leurs ambitions révolutionnaires.
Fait révélateur, le parti démocrate n’était pas représenté. Dans le sillage
de l’élection de Trump, les Démocrates avaient certes décalé le curseur sur
leur gauche, mais aux yeux de révolutionnaires qui rêvent d’abolir la police,
le capitalisme et les États-Unis, ils restaient des tièdes. Lorsque les antifa
scandent : « Pas Trump, pas de mur ! Pas d’Amérique du tout ! », ils y croient
vraiment.
Tandis que la ville cédait aux sirènes extrémistes de CHAZ, une quatrième
fusillade a éclaté. Le 29 juin 2020, avant l’aube, deux adolescents ont
commis l’erreur tragique de se rendre dans la zone au volant d’une jeep
blanche. Les témoins ayant refusé de coopérer avec les forces de l’ordre, on
ignore ce qui s’est passé exactement. Cependant, sur les vidéos de
surveillance, on entend une salve d’une dizaine de coups de feu. Après un
silence de quelques minutes, nouvelle salve de dix-huit coups, puis la Jeep va
s’écraser contre une barricade. On sait que de là, un adolescent noir de seize
ans a été emmené à l’hôpital, où on a constaté son décès. Quant au passager,
âgé de quatorze ans, il a survécu, bien que grièvement blessé.
Les photos et vidéos prises par la suite exposent des détails
épouvantables. La voiture était criblée de balles, sans doute tirées par les
services de « sécurité » de CHAZ. Une balle avait été tirée à bout portant à
travers le pare-brise, côté conducteur. C’est elle qui, très vraisemblablement,
a tué le jeune homme au volant. À l’intérieur du véhicule, les sièges étaient
imbibés de sang. Lorsque la police est arrivée sur les lieux, elle a noté que
des indices avaient disparu, ou avaient été déplacés. Bien entendu, personne
n’a voulu parler. Sur une vidéo prise quelques instants après la fusillade, on
voit un groupe de « résidents » ramasser les balles et donner des ordres en ce
sens. « Si vous en voyez une, ramassez-la et mettez-la dans votre poche.
Ramenez-les chez vous » ordonnait un homme.
Grâce aux réseaux sociaux et aux comptes de sympathisants antifa, dont
certains s’étaient possiblement trouvés dans la zone autonome pendant la
fusillade, on a commencé à y voir un peu plus clair. Avant que l’identité des
victimes ne soit connue, des antifa affirmaient sur les réseaux sociaux que le
service de sécurité de CHAZ avait « neutralisé » une menace suprématiste
blanche. « Deux mecs dans un 4x4 volé ont mis le feu à #chop cette nuit »
twittait @MaliceBD. « Ils sont arrivés et ont tiré 15 fois, et peut-être un quart
d’heure après, ils ont traversé la zone Cal Anderson avant d’ouvrir à nouveau
le feu. C’était le 4x4 qu’ils conduisaient. Tir super précis. » Pour information,
aucune vidéo, aucun élément n’indique que des coups de feu aient été tirés
depuis la voiture. Et @MaliceBD de poursuivre : « Je ne devrais pas exalter la
mort et la violence, mais pour dire les choses, si tu t’en prends à un innocent
et que tu lui tires dessus, tu mérites de t’en prendre plein la gueule. » Ceci en
commentaire des tweets qui tournaient, dont les auteurs remerciaient les
vigiles de CHAZ d’avoir « protégé » les résidents. « Félicitations ! Je suis fier
de vous, les anarchistes ! Grâce à vous, nous, les marxistes-léninistes, on se
sent comme des vieux tout fiers de leurs fils et de leurs petits-fils. Vous faites
du bon boulot, continuez ! » a par exemple twitté @JaredComrade.
Il s’est avéré par la suite que les victimes de la fusillade étaient deux
hommes noirs désarmés. Marty Jackson, un secouriste, a expliqué à l’antenne
de la radio publique d’État que les services de sécurité de la zone avaient tiré
sur la voiture, et qu’une des deux victimes, touchée à la tête, avait été tuée sur
le coup. Malgré le désir qu’affichaient les antifa de protéger les Noirs des
racistes blancs, le bilan était sans appel : 100 % des victimes de CHAZ étaient
noires. Pour information, un seul suspect a été arrêté. La police de Seattle a
délivré un mandat d’arrêt contre Marcel Levon Long, accusé du meurtre
d’Horace Lorenzo Anderson Jr.
« Pendant les émeutes, près d’une centaine de policiers ont été blessés.
Aucun élu de Seattle ne m’a contacté pour prendre de leurs nouvelles »
poursuit Solan. Les agents blessés lors des émeutes souffraient surtout de
plaies et de brûlures, mais on recensait aussi des fractures, des lésions
neurologiques et des pertes d’audition. « Les engins explosifs improvisés,
l’arme de prédilection des antifa, ont joué un rôle majeur dans les pertes
d’audition qui ont affecté les agents » explique Solan. « Ce genre de
traumatisme met du temps à disparaître. Dans certains cas, il peut rester
chronique. Mais c’est surtout sur le plan psychique que les policiers ont le
plus souffert… » Il remarque que certains présentaient des symptômes de
stress post-traumatique.
Deux jours après la manifestation du 23 juillet 2020, les antifa se sont de
nouveau rassemblés à Capitol Hill. Il s’agissait cette fois-là d’exprimer leur
solidarité envers leurs frères militants de Portland, qui avaient plusieurs
semaines d’émeutes au compteur. À coup de battes de base-ball et de
marteau, ils ont cassé voitures et mobilier urbain. En plein jour, ils ont défilé
à travers la ville et lancé des bombes artisanales sur des baraquements de
chantier, déclenchant de violents incendies. Ils ont fracassé la devanture d’un
Starbucks qu’ils ont pillé et saccagé. La police a fini par déclarer qu’il
s’agissait bien d’une situation d’émeute. Lorsqu’elle est intervenue, les antifa
lui ont lancé des feux d’artifice explosifs.
Par ailleurs, ils avaient toujours le Commissariat Est en ligne de mire. Ils
ont lancé une bombe sur le bâtiment : une explosion a retenti, la structure a
été touchée. En fin de compte, 59 agents de police ont été blessés. Ils
n’avaient pas le droit de recourir au gaz lacrymogène pour disperser les
casseurs. Sur les photos de la police de Seattle, on voit des plaies, des
brûlures, des ecchymoses. Un policier a même été brûlé par un tir de mortier
à travers son short.
Comme d’habitude, les violences ne se sont pas arrêtées là et se sont
étalées sur plusieurs semaines. Le 16 août 2020, les antifa en black bloc ont
défilé jusqu’au siège du Syndicat de police. Pour pouvoir entrer, ils ont utilisé
des explosifs. Les agents qui sont intervenus se sont fait bombarder à coups
de pierres, de bouteilles et de bombes artisanales. On a arrêté 18 personnes.
De nombreux policiers ont été blessés, un d’entre eux a fini à l’hôpital.
Malgré cela, les antifa ont juré de poursuivre le carnage, que pour leur part ils
qualifiaient d’« insurrection ».
Le 24 août 2020, ils se sont de nouveau agglutinés autour du
Commissariat Est. Certains ont escaladé la grille qui entourait le bâtiment et
ont condamné une issue de secours, sans doute avec du ciment à séchage
rapide. Ils ont ensuite incendié une aile du commissariat, alors que des agents
se trouvaient à l’intérieur. Cette téméraire tentative d’assassinat visant des
policiers au sein même de leurs locaux (que les antifa avaient en outre
incendiés après en avoir barricadé l’issue de secours) a alerté le Service des
Alcools, du Tabac et des Armes à feu et des Explosifs. J’ai posé la question à
Mike Solan : pourquoi la police donnait-elle le sentiment de laisser chaque
semaine, si ce n’était chaque jour, les casseurs revenir au même endroit alors
qu’elle savait pertinemment qu’ils allaient le mettre à feu et à sang ? Voilà sa
réponse, brute de décoffrage : « Aujourd’hui, nos chefs veulent éviter le
conflit avec certains des groupes qui vadrouillent en ville. Si nous avons
recours à la force pour empêcher le prochain saccage, la police de Seattle
n’aura pas le soutien des élus. De ce fait, nos supérieurs ne nous défendront
pas publiquement. »
Le 23 septembre 2000, lors d’une émeute à Capitol Hill, un militant
masqué a frappé un policier à la tête avec une batte en métal. Le casque s’est
fendu sous le choc et l’agent n’a échappé que de justesse à l’agression. Par la
suite, on a arrêté un jeune de 19 ans, aussitôt mis en examen pour plusieurs
chefs d’inculpation criminels. Il était apparenté à un ancien député démocrate
de la législature d’état. Quant à son complice présumé, c’était un agent
immobilier de l’agglomération de Seattle. D’après l’acte d’inculpation établi
par le comté de King, l’analyse de son téléphone prouvait que tous deux
avaient communiqué par le biais d’une messagerie cryptée. Leurs échanges
laissent penser qu’ils fomentaient un attentat contre la police de Seattle.
Bien que l’épisode CHAZ (ou CHOP) ait duré relativement peu de temps, il
me hante encore aujourd’hui. Cette « zone autonome » a permis d’entrevoir
ce qu’il advient des territoires laissés aux mains des antifa : ils se
transforment en zone de chaos, de violence et de mort. « Quand on y
réfléchit, l’élément le plus dingue de l’histoire, c’est quand même le fait que
CHAZ ait pu exister » commente Rantz, animateur radio et journaliste. « La
mairie de Seattle a littéralement abandonné à leur sort six blocs de la ville, un
parc, l’ensemble des commerçants et des habitants qui s’y trouvaient, et
même un commissariat. Ceux qui étaient dans la zone se sont retrouvés
complètement seuls. » De fait, c’est ce qui m’était arrivé, et cela n’avait pas
échappé aux antifa.
J’étais censé rester à CHAZ un certain temps, mais au bout d’une semaine
sur place, j’ai été dénoncé. Et par qui donc ? Par nulle autre que Nicholas
Armstrong, la militante antifa transsexuelle qui m’avait auparavant traqué et
menacé sur les réseaux sociaux. Malgré ma tenue intégrale de black bloc, elle
avait fini par me reconnaître, après avoir passé quelques jours à m’observer.
J’étais en train de filmer une bagarre, lorsqu’Armstrong m’a désigné au
groupe qui s’était rassemblé. Elle s’est mise à hurler : « C’est Andy Ngo !
C’est un facho ! » Mon sang s’est glacé. Je me trouvai devant le
Commissariat Est, que tout le monde avait déserté ; je savais qu’aucune
institution ne serait en mesure de m’aider. Je suis aussitôt sorti de la zone, me
ruant sur le VTC que je venais de commander.
À ce jour, je pense n’avoir pas encore pris la pleine mesure de la
motivation et la finesse des antifa dans la mise en œuvre de leur agenda
politique : détruire leurs opposants et détruire l’État. Ils sont obsessionnels et
pulsionnels ; ils sont prêts à tout pour atteindre leur but, à envoyer leurs
sbires aux trousses de ceux qui les critiquent, à mentir, à se comporter en
brutes sans foi ni loi.
Par-delà l’épisode CHAZ, la terreur que les Antifa ont imposée aux
habitants de Seattle a provoqué des effets à long terme. En août 2020, la
cheffe de police du SPD a annoncé sa démission. Carmen Best, qui était au
service de la ville depuis 1992, fut la première femme noire à diriger la police
de Seattle. Mais, comme elle l’a elle-même déclaré lors d’une de ses
dernières conférences de presse : « J’en ai marre. J’y arriverai pas. » La
veille, le conseil de la ville avait voté des coupes dans le budget de la police,
dont la suppression d’une centaine de postes.
En quittant Seattle, je souffrais pour tous ces honnêtes gens que l’on avait
terrorisés et réduits au silence. Leurs élus les avaient trahis. Quant à la presse,
malgré les violences organisées qui s’étaient déroulées au vu et au su de tous,
elle persistait à nier l’existence des antifa. « Jusqu’où peuvent aller les
politiques dans l’acceptation de la violence et du chaos ? » : voilà la question
que je me posai une fois dans le train qui m’emmenait loin de la ville.
Malheureusement, la suite a prouvé qu’ils pouvaient aller très loin…
À Louisville, Kentucky, une manifestante porte un
fusil d’assaut. Photo : Ford Fischer/News2Share.
Drapeau antifa pendant un match Portland Timbers
(football), en 2019
Le 29 mai 2020, première nuit d’émeute Black Lives
Matter à Portland et pillage de l’Apple store. Photo :
Andy Ngo
Frites de piscine garnies de clous. Destinées à crever
les pneus. Photo : Portland Police Bureau
Femmes utilisées comme bouclier humain lors des
émeutes d’août 2020. Photo : Andy Ngo
Tweet du Pacific Northwest Youth Liberation Front
CHAPITRE 3
PORTLAND
Entre mai et août 2020, il y eut, en plus des susmentionnés, bien d’autres
groupes « d’entraide » qui se sont installés à Portland. Par le biais de
plateformes de paiement comme Venmo et Cash app, ils ont collecté des
centaines de milliers de dollars : les dons anonymes affluaient de tout le pays,
parfois même de l’étranger. Dans tous les États-Unis, des milliers de gens
soutenaient les antifa et l’extrême gauche, alimentant les cagnottes. Les
hommes politiques et les stars vantaient leurs mérites, la presse locale les
présentait sous leur meilleur jour. Cet été-là, Riot Ribs a clairement remporté
la palme du groupe d’entraide le plus performant : après avoir récolté plus de
330 000 dollars, l’équipe s’est évaporée par une belle nuit de juillet, la
cagnotte dans ses bagages…
Pour autant, quelles qu’aient pu être les sommes collectées, elles faisaient
pâle figure à côté de ce qu’avait récolté le Portland General Defense Comittee
grâce à GoFundMe. À l’instar du Minnesota Freedom Fund, redoutablement
efficace dès lors qu’il s’agissait de faire libérer les casseurs (y compris ceux
qui étaient inculpés pour meurtre), le comité de Portland avait en effet levé
plus de 1,37 million de dollars. Un afflux considérable qui lui avait permis de
payer les cautions des émeutiers arrêtés, d’acquitter les frais d’avocats, de
financer leur hébergement et leurs téléphones, et avec le reste, de faire des
dons à qui bon lui semblait. Lorsque les poursuites étaient levées ou
abandonnées, et elles l’étaient dans l’écrasante majorité des cas, le fonds
récupérait l’argent de la caution pour le réinvestir dans quelque autre cause
diabolique.
Sur son site, le Portland General Defense Commitee a publié son bilan
financier. Je ne peux que présumer de l’exactitude des informations qui y
figurent. Selon celles-ci, 20 000 dollars ont été versés à un fonds de réserve
situé à Eugene, dans l’Oregon, qui était destiné à régler les cautions. Ces
dernières, dont le montant allait de quelques centaines de dollars à 50 000
dollars, ont ainsi pu être acquittées, et plus d’une centaine de prisonniers a été
libérée. Le comité passe certes par GoFundme, mais il finance en réalité des
causes que proscrit la plateforme : les conditions générales d’utilisation du
site interdisent en effet les cagnottes destinées à aider les auteurs de délits
violents. Pourtant, c’est exactement ce que fait le Portland General Defense
Commitee en acquittant les cautions des antifa arrêtés.
Au fil des jours, les armes se faisaient plus élaborées, plus dangereuses.
Aux pierres, aux parpaings, aux bouteilles sont venus s’ajouter les feux
d’artifices explosifs. Les tirs de mortier permettaient de déconcentrer et de
perturber les policiers, pendant que d’autres les bombardaient de projectiles.
Des agents qui se trouvaient à proximité des tireurs ont parfois été brûlés, ou
atteints de lésions auditives.
Ce qui m’avait stupéfié, c’était l’aspect complètement inoffensif de ces
armes, qu’elles soient ou non artisanales. À les voir directement ou en photo,
on ne pouvait penser à mal. Là réside précisément la subtilité de la
communication antifa : qui irait penser qu’une bouteille d’eau puisse être une
arme dangereuse, potentiellement mortelle ? Pourtant, les black blocs les
congèlent pour les rendre dures comme la pierre. En recevoir une sur la tête
peut entraîner d’importantes lésions cérébrales, voire la mort. Il y avait, en
plus des bouteilles en plastique, celles qui étaient en verre, ou des boîtes de
conserve. Parmi les armes en vogue chez les antifa, on trouvait aussi les
lance-pierres : les casseurs, à quelques dizaines de mètres de distance, s’en
servaient pour lancer des roulements à bille, en marbre ou en métal. Sur les
photos pourtant, ils ressemblent à des jouets : impression fausse… Et quid
des parapluies, utilisés comme boucliers à caméra ? On a la preuve qu’une
fois au moins, les casseurs ont attaché des lames à la pointe de leur
parapluie : double usage, protection et arme d’attaque.
Chaque nuit, les rues de la ville étaient mises à feu et à sang. Au milieu du
chaos, la police de Portland a vécu un traumatisme supplémentaire, celui de
voir partir sa cheffe. La première semaine de juin 2020 en effet, Jami Resch
annonçait sa démission. Cela faisait à peine six mois qu’elle occupait ce
poste, précédemment occupé par Danielle Outlaw, recrutée en 2017 par le
maire Wheeler. Outlaw étant noire, Wheeler et la gauche progressiste avaient
sans doute escompté qu’elle mette en exergue son identité de « genre et de
race ». Au lieu de quoi, Outlaw avait tout simplement fait son travail : diriger
la police d’une des plus grandes villes d’Amérique, faire respecter la loi et
maintenir l’ordre. Cela lui avait valu la colère et la haine des antifa, qui ne
manquaient pas une occasion de la traiter de « traître à sa race ». Quant à la
presse locale de gauche, elle la diabolisait volontiers, cheffe d’une police
selon elle exagérément hostile aux manifestants. En novembre 2018,
Wilamette Week, lui avait ainsi consacré un dossier. En couverture figurait
une caricature du plus mauvais goût : le visage d’Outlaw, les traits accusés à
l’extrême. L’association de la police de Portland avait publié une tribune et
qualifié le dessin de raciste. Fin décembre 2019, Outlaw démissionnait de son
poste pour prendre la tête de la police de Philadelphie. D’après mes sources,
elle avait bien essayé de rétablir l’ordre à Portland au moment des grandes
rixes de 2017 et 2018, qui avaient opposé antifa et groupes de droite. Le
conseil municipal cependant ne l’avait pas suivie.
En mai et juin, près de 280 personnes ont été arrêtées. Elles ont presque
toutes été aussitôt relâchées, sans demande de caution ou d’aménagements
particuliers. Cette indulgence valait aussi pour ceux qui s’étaient rebellés au
moment de leur arrestation, ou qui avaient enfreint la loi sur le port d’arme.
Les règles sanitaires du comté pendant l’épidémie de Covid-19 stipulaient
que seuls les suspects les plus dangereux devaient être maintenus en
détention. Pourtant, même dans ce cas de figure, le fonds de cautions était
intervenu pour les faire immédiatement libérer. Et les casseurs s’en
retournaient tout simplement casser, parfois au cours de la même journée. Ils
n’ont jamais eu à rendre compte de leurs actes.
Entre fin juillet et début août, les deux journées apaisées qui avaient
succédé au retrait de la police fédérale avaient donc été d’un calme trompeur.
En réalité, les antifa avaient mis ces 48 heures à profit pour redéfinir leur
stratégie et préparer le coup d’après. N’ayant plus d’agents fédéraux à
combattre, ils avaient décidé de délocaliser les émeutes : dès le mois d’août,
les violences les plus intenses que l’on ait connues se sont déroulées dans les
quartiers résidentiels de la ville.
Chaque jour, les BLM-antifa se retrouvaient dans des parcs aux alentours
de Portland ; ils y distribuaient tenues et matériel d’émeute, nourriture et
tracts. En vue des émeutes du soir, ils s’entraînaient aussi aux tactiques de
formation en bouclier. Ils alternaient les lieux à incendier et vandaliser,
tournant principalement entre les postes de police de Portland nord, est, et
sud-est. À plusieurs reprises, les casseurs ont également visé l’appartement
du maire Wheeler, situé dans un quartier huppé du nord-ouest de la ville. Au
début de l’automne, ils s’en sont régulièrement pris aux bureaux locaux du
Service d’immigration et des douanes.
De mai à août 2020, des centaines d’antifa ont été placés en détention par
les autorités. Quasi systématiquement, le procureur du comté de Multnomah
abandonnait les poursuites, y compris lorsque les faits commis étaient graves.
Assarrah Butler par exemple, qui ravitaillait les émeutiers. En juin, elle s’était
enfuie en voiture, entrant en collision avec d’autres véhicules. À l’origine,
elle était inculpée pour participation à des émeutes, non-assistance à personne
blessée, acte mal veillant, délit de fuite, conduite dangereuse et mise en
danger d’autrui. Toutes ces plaintes ont été classées sans suite. De la même
manière, la jeune incendiaire qui avait revendiqué auprès de ses colocataires
son appartenance à la mouvance antifa n’a jamais été poursuivie. L’abandon
ou la révocation des mises en examen pour crime avaient perdu tout caractère
exceptionnel : désormais, c’était la norme.
Aux États-Unis, c’est le procureur du district élu par le comté qui décide
de donner suite aux plaintes déposées localement. En la matière, il dispose
d’un pouvoir discrétionnaire. À Portland, où règne l’uniformité politique, le
bureau du procureur du district Multnomah a intérêt à bien réfléchir avant
d’engager des poursuites : mieux vaut pour lui ne pas froisser la population
woke{19} de la ville, toujours prompte à pousser de hauts cris. À Portland, la
justice n’est pas aveugle : à peine les émeutiers antifa et BLM passent-ils par
la case prison qu’ils sont presque aussitôt relâchés.
BOMBES INCENDIAIRES
Le 5 septembre, comme ils l’avaient déjà fait moult fois, les émeutiers ont
défilé jusqu’au Commissariat Est pour le prendre d’assaut. Là, pour la
première fois, ils ont lancé des bombes incendiaires. Les mois précédents, la
police de Portland avait certes saisi des cocktails Molotov, mais il n’en avait
jamais été fait usage pendant les émeutes. Cette nuit-là en revanche, un
émeutier masqué en a lancé un en direction de la police. Il a manqué sa cible
de peu, et la bouteille a atterri au pied d’un groupe de manifestants. Deux
d’entre eux ont pris feu. Un homme s’est mis à s’agiter comme un beau
diable et à se rouler au sol, les pieds disparaissant dans les flammes. Les
policiers ont éteint le feu et lui ont proposé leur aide.
Pendant les quatre heures qui ont suivi, les casseurs ont continué à
incendier les rues et à tirer au mortier sur la police. Un de ces engins a touché
un sergent, blessé à la main et brûlé à travers ses gants. Les policiers se
faisaient bombarder à coups de pierres. Pour disperser la foule, ils ont
répandu du gaz lacrymogène. La rue, où habitaient de nombreuses familles,
était envahie par la fumée du gaz et des incendies. Cette nuit-là, plus de
cinquante personnes ont été arrêtées, dont Kristina Narayan, directrice des
affaires législatives du cabinet de Tina Kotek, elle-même porte-parole des
Démocrates de l’Oregon. On a également arrêté Joseph Robert Sipe, 23 ans,
inculpé pour tentative de meurtre au premier degré, tentative d’agression au
premier degré, incendie volontaire et détention de matériel dangereux. Selon
les minutes du tribunal, il a reconnu avoir allumé la mèche d’un cocktail
Molotov et avoir lancé celui-ci en direction de la police. Par la suite, le
procureur du district a abandonné trois des quatre chefs d’accusation les plus
graves. Une semaine plus tard, le maire Wheeler annonçait l’interdiction
totale du recours au gaz lacrymogène pendant les émeutes.
À Portland, on estime qu’entre 2017 et 2019, les antifa ont été impliqués
dans au moins deux manifestations qui ont dégénéré. À l’époque, c’était un
nombre conséquent. Ce genre d’événements étaient généralement organisés
par City Rose Antifa, groupe activiste de premier plan, ainsi baptisé en
référence au surnom donné à la ville.
Les antifa ont passé la vitesse supérieure début 2017 organisant des
manifestations géantes au moment où Donald Trump est entré en fonction.
En quelques mois, ils ont réussi à mettre sur pied un fonctionnement
complexe qui entremêlait différents registres stratégiques : propagande,
communication, sécurité, reconnaissance de terrain, techniques de combat
collectif. Faisant mentir le credo selon lequel « il n’y a pas d’organisation »
antifa, j’ai pu constater qu’à l’évidence leurs opérations supposaient une
élaboration en amont, une coordination, des ressources financières et un
recrutement énergique. D’une émeute à l’autre, ils étaient plus nombreux,
plus performants dans leur stratégie de destruction généralisée.
Voilà le planning :
Depuis 2016, media partisans et apologistes des antifa martèlent que ces
derniers ne constituent pas un mouvement structuré. Ils mentent. Bien qu’il
n’existe pas en effet de structure Antifa avec un A majuscule, ni de chef
identifié, il y a bel et bien des cellules, des groupes locaux dont la
constitution et le recrutement obéissent à des règles strictes. Les cellules en
question n’ont pas de chef officiel, et pourtant, il s’agit bien de structures
organisées.
BIBLIOGRAPHIE
La bibliographie de Rose City Antifa, fascicule d’une quinzaine de pages,
se divise en neuf « modules ». Chacun d’entre eux porte sur une dimension
spécifique du combat antifa, et présente une liste de lectures obligatoires ou
facultatives, celles-ci étant destinées à « l’étude approfondie » de certains
sujets. Le premier module est une présentation de Rose City Antifa : son
histoire, son fonctionnement, ses objectifs. L’organisation fait partie du
réseau Torch, constitué de groupes violents, qui sont à la fois disséminés sur
le territoire américain et reliés entre eux. Officiellement, on ignore qui dirige
le réseau. Pourtant, si on fait une recherche à partir des noms de domaine, le
nom de Michael Novick apparaît. Novick a fait partie du groupe terroriste
Weather Underground.
Il y a la section de Portland, à laquelle s’ajoutent les huit suivantes :
Antifa Sacramento, Antifa de la Caroline du Nord-Ouest, Rocky Mountain
Antifa, Les antifacistes d’Atlanta, Le collectif des travailleurs anti-facistes du
Pacifique Nord-Ouest, Antifa sept collines (Richmond, Virginia), l’Action
antiraciste du Texas du centre (Austin, Texas) et l’Action antiraciste de
Caroline du Nord.
Sur son site, Rose City Antifa réaffirme son choix de l’action directe, ce
au nom de l’antiracisme. Régulièrement, le groupe publie les coordonnées et
les informations personnelles de ses adversaires. Le but ? Que ses
sympathisants puissent les avoir en ligne de mire et les harceler, que ce soit
sur les réseaux sociaux ou dans la vraie vie. C’est ce qui m’est arrivé, peu de
temps avant mon agression physique de 2019 : mon nom et mon adresse
avaient été publiés dans un article.
Le deuxième module de la formation Rose City Antifa porte sur la mise
en œuvre de mesures de sécurité avancées, appelée « OPSEC ». La sécurité fait
partie de l’ADN des antifa et de leurs sympathisants, à qui on apprend à se
méfier de tous ceux qu’ils connaissent, y compris de leurs familles et de leurs
amis. Ils savent qu’ils sont hors la loi. Pour déjouer les forces de l’ordre ou de
possibles enquêteurs, ils prennent soin donc d’effacer leurs traces sur le Net
et font en sorte de ne pas être détectés.
MODULE 2 : LA SÉCURISATION
Quelques mois plus tard, lorsque Trump a pris ses fonctions en janvier
2017, ils ont réitéré. À Washington DC, la police s’est trouvée dépassée par
des bandes de black blocs en maraude qui fracassaient les vitres et la
bombardaient de projectiles. Ils ont mis le feu à la limousine d’un immigré
musulman. Les émeutes ont provoqué plus de 100 000 dollars de dégâts.
Moins de deux semaines après, la violence antifa s’exerçait encore, cette
fois sur la côte ouest. Le 1er février 2017 à Berkeley, université de Californie
et foyer du « Mouvement pour la libre expression », près de 1 500
manifestants se sont rassemblés sur le campus pour faire annuler la
conférence du trublion Milo Yiannopoulos{21}, dont la venue était
programmée de longue date. Les antifa ont allumé des feux sur le campus,
cassé, jeté des bombes incendiaires, bombardé la police à coups de pierres,
agressé le public qui faisait la queue devant le Sproul Hall. Comme à
Portland, les émeutes et les violences qui agitaient Berkeley ont duré tout
l’été 2017.
LA RÉPUBLIQUE DE WEIMAR
À l’issue de la Première Guerre mondiale, une grande instabilité politique
a succédé à la défaite de l’Allemagne. Si le traité de Versailles, signé en juin
1919, était conçu comme un accord de paix, les conditions qu’il imposait ont
en réalité favorisé l’accession de Hitler au pouvoir. Ses clauses prévoyaient
notamment que l’Allemagne verse de lourdes pénalités aux Alliés, à titre de
réparations pour le rôle qu’elle avait joué pendant la guerre. Son territoire et
ses effectifs militaires avaient par ailleurs été drastiquement amputés.
La soudaine abdication de l’empereur Guillaume II a aggravé la confusion
dans laquelle était déjà plongé le tout jeune état-nation. De 1919 à 1920, la
République de Weimar a dû faire face à plusieurs soulèvements, de gauche
comme de droite. En janvier 1919, près de 50 000 communistes, les
Spartakistes, avaient pris la tête d’une insurrection armée à Berlin, tentative
sévèrement réprimée qui n’aboutit pas.
Au mois d’août de cette même année, dans la ville de Weimar, on adopta
une nouvelle constitution. Mais l’Allemagne, de par sa tradition et son
histoire, n’était pas prête à la démocratie, et le gouvernement de Weimar est
resté extrêmement impopulaire.
La Grande Dépression a accentué l’hyperinflation, due aux réparations
que le pays n’était pas en mesure d’acquitter : en 1923, la monnaie allemande
ne valait pratiquement plus rien. L’instabilité politique chronique qui
caractérisait le pays depuis sa création est allée croissant. Sur les photos de
l’époque, on voit la population allemande brûler des liasses de billets pour se
chauffer.
Pendant les années 20, les milices politiques se sont multipliées ; partis et
organisations formaient leurs adhérents, dans l’objectif de prendre le pouvoir
et de se débarrasser des mouvements d’opposition. Lors des rassemblements,
ces milices faisaient office de services de sécurité, mais elles servaient aussi à
faire le coup de poing. La valse incessante des règlements de compte minait
la République. De gauche ou de droite, ces groupes paramilitaires étaient
connus pour leur violence, ne rechignant pas à liquider leurs adversaires
politiques. Dans les années 20, le gouvernement a voulu en dissoudre
certains. En pure perte, puisqu’ils se reformaient aussitôt sous un autre nom.
Les partis avaient quasiment tous leurs propres milices, des communistes
aux fascistes (bien sûr !), en passant par le centre. Pour des raisons évidentes,
on se souvient aujourd’hui des Sections d’assaut, les SA : c’était à l’origine un
groupe paramilitaire issu du Parti national-socialiste des travailleurs
allemands, le NSDAP, plus connu sous le nom de parti nazi. Les « Chemises
brunes », ainsi nommées en raison de l’uniforme que portaient ces miliciens,
étaient les hommes de main d’Hitler, ceux qu’il destinait à ses basses œuvres.
Grâce aux historiens et aux survivants de la Deuxième Guerre mondiale, nous
sommes aujourd’hui mieux renseignés sur le mal absolu qu’incarnèrent
d’abord les SA, puis plus tard les Shutzstaffel, les SS. La SS, formée des gardes
du corps des chefs nazis, s’est en effet substituée à la SA, mettant en œuvre la
solution finale planifiée par Hitler.
Dans les années 20, la Ligue rouge des combattants du front faisait preuve
d’une extrême violence, affrontant sans relâche les milices de gauche. Dois-je
répéter ? Oui, vous avez bien lu : la milice communiste se souciait davantage
de combattre libéraux et socialistes que d’affronter les milices nazies. Dirigé
par Ernst Thälmann, le Parti communiste allemand et ses diverses
ramifications mettaient en effet sociaux-démocrates, socialistes et nazis dans
le même sac. Selon l’Internationale communiste fondée par Vladimir Lenin,
laquelle avait vocation à diffuser le communisme à l’échelle mondiale, la
social-démocratie menait inéluctablement au fascisme.
Les chercheurs estiment qu’avant sa dissolution, la Ligue rouge avait
connu une forte hausse du nombre de ses adhérents, comptant jusqu’à
130 000 membres. Elle a été dissoute en 1929, après des émeutes qui avaient
fait des morts.
ACTION ANTIFASCISTE
En mai 1932, le Parti communiste allemand a annoncé la création d’une
nouvelle milice, l’Action antifasciste, communément surnommée Antifa.
L’Antifa originel, le modèle de référence qui a inspiré les antifa du monde
entier, était né. L’organisation avait vocation à fédérer les communistes, et à
créer une communauté capable de combattre leurs adversaires politiques.
Bien que le groupe se soit baptisé Action antifasciste, les responsables qui
siégeaient au bureau exécutif faisaient partie de la galaxie marxiste. En bref,
il s’agissait bel et bien d’une organisation communiste, ce que dissimulait à
peine sa nouvelle appellation. Elle organisait des rassemblements et concevait
ses propres outils de propagande. L’emblème des antifa actuels reprend
exactement son logo original, composé de deux drapeaux rouges symbolisant
l’union du communisme et du socialisme.
Comme les milices communistes qui l’avaient précédée, l’Action
antifasciste faisait le coup de poing pendant les rixes. Ses membres
travaillaient également comme vigiles et gardes du corps pour les
responsables du Parti, qui partageaient des appartements dans les quartiers
huppés.
Le terme dévoyé d’« antifascisme » est toujours de mise chez les antifa,
qui prônent eux aussi la fin des démocraties libérales et l’abolition du
capitalisme. De la même façon, ils ont repris à leur compte le principe de la
surveillance généralisée, qui constitue un élément essentiel de leur action.
L’exemple de l’Allemagne de l’est, ou celui de CHAZ pour ce qui nous
occupe, met en évidence le fonctionnement concret de l’idéologie antifa, dès
lors que celle-ci s’applique à une population.
L’EUROPE
Bien que leur idéologie se soit diffusée à l’ensemble du monde occidental,
les groupes antifa qui comptent le plus grand nombre d’activistes, qui sont les
plus violents et les mieux organisés se trouvent en Allemagne. L’histoire du
pays, l’holocauste et le nazisme, expliquent en partie ce phénomène :
n’importe quel mouvement « antifasciste » provoquera la sympathie de ceux
qui ne connaissent rien à l’histoire. Il existe par ailleurs en Allemagne
d’authentiques groupes néo-nazis. Ironie du sort, ils sont pour l’essentiel
concentrés dans la partie orientale du pays, laquelle faisait autrefois partie de
l’Allemagne de l’est, « antifasciste » donc. L’apparition en Allemagne d’une
mouvance anti-État remonte aux années 60 et aux manifestations étudiantes,
qui ont permis à des groupuscules d’extrême gauche de s’implanter dans
plusieurs villes, d’y croître et d’y prospérer.
L’Allemagne d’aujourd’hui est une démocratie libérale puissante, stable
et prospère, dont le PIB est le plus élevé d’Europe. Pourtant, le pays a
conservé un paysage politique extrêmement polarisé. Selon les statistiques
des services allemands du renseignement intérieur, la violence d’extrême
gauche a augmenté au cours des dernières années. Entre 2012 et 2017, le
nombre de gauchistes identifiés comme violents a crû de 27 %, passant de
7 100 à 9 000 individus. Durant la même période, le nombre d’incidents
violents impliquant l’extrême gauche a augmenté, faisant un bond de 88 %.
Les services de renseignement surveillent aussi les sympathisants de
l’ultragauche : entre 2017 à 2018, leur nombre est passé de 29 500 à 32 000,
connaissant une hausse de 8 %.
L’ITALIE ET L’ESPAGNE
Dans une moindre mesure, les groupes antifa s’inspirent aussi des
mouvements qui, en Italie, combattaient la dictature fasciste de Benito
Mussolini. Mussolini, à l’origine membre du Parti socialiste italien, avait créé
en 1919 les « Faisceaux italiens de combat », constitués de brigades
paramilitaires, les Chemises noires. Ces brigades, ainsi nommées à cause de
leur uniforme, rappellent bien entendu les Chemises brunes nazies qui par la
suite ont vu le jour en Allemagne.
En 1921, l’anarchiste Argo Secondari fondait à Rome une organisation
militante antifasciste, les Arditi del popolo, composée de communistes, de
socialistes, d’anarchistes et d’anti-monarchistes. Dans les petites villes de
province, ils se battaient contre les Chemises noires. L’histoire de ces
combats constitue un pan de la mythologie antifa, de la tradition dont ils se
réclament lorsqu’ils se battent dans les rues de Portland, de Berkeley et
d’ailleurs.
Bien que Franco, qui était un catholique traditionnaliste, n’ait pas été
fasciste, l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie lui avaient apporté un important
soutien militaire pendant la guerre d’Espagne. En 1939, Franco gagne la
guerre et instaure une dictature qui durera jusqu’à sa mort, en 1975.
LES ANTIFA DANS L’EUROPE D’AUJOURD’HUI
Sous la République de Weimar, l’Action antifa annexait des bâtiments,
des rues, voire des quartiers entiers ; les antifa d’aujourd’hui ne procèdent pas
autrement. Ceci vaut notamment à Berlin, dans les quartiers de Kreuzberg-
Friedrichshain et de Neukölln, où des squatteurs ont illégalement investi des
friches et des immeubles vides. Par lâcheté, les autorités locales ont laissé
pourrir la situation, et les squatteurs sont restés plusieurs dizaines d’années.
Résultat : des contre-sociétés qui défient l’autorité de l’État et l’état de droit
ont vu le jour, et se sont installées dans la durée. À CHAZ, dans le quartier de
Capitol Hill, les antifa ont tenté une reformulation américaine de la chose.
Tous les 1ers mai, les habitants des quartiers investis dans la cause antifa
se livrent à des actes de violence.
LA MUTATION AMÉRICAINE
Lorsque les conservateurs ont commencé à défiler, ils se sont trouvés face
aux black blocs. Les deux groupes se sont regardés en chien de faïence.
Soudain, quelqu’un a lancé une grenade assourdissante sur les manifestants.
L’explosion a agi comme un signal et déclenché une bagarre généralisée.
Les deux groupes se sont rués l’un vers l’autre, balançant coups de poing,
coups de bâton et de matraque. Ceux qui tombaient se faisaient tabasser et
piétiner. Des antifa casqués lançaient des pierres et des bouteilles. Alors que
les manifestants des deux bords étaient en train de se battre jusqu’au sang,
pas un seul policier à l’horizon.
Après que les deux parties s’étaient enfin séparées, de nouvelles bagarres
ont éclaté dans une rue voisine. C’est à ce moment-là qu’eut lieu l’affaire du
coup de poing. Un antifa masqué, habillé de noir et armé d’une matraque
télescopique, est rejoint par des camarades. Il frappe un des manifestants, qui
tombe sous le choc. Ensuite, il avise Ethan Nordean, 28 ans, un membre des
Proud Boys : il lui décoche deux coups de poing et le frappe à coups de
matraque. Nordean, qui ne bronche pas, lui envoie alors son poing en plein
figure, faisant valser ses lunettes de soleil. Le militant s’effondre, avant d’être
emmené par ses camarades. L’incident, qui a été filmé, a fait sensation auprès
des fans de Donald Trump. Pour nombre d’Américains conservateurs, peu au
fait des subtilités antifa, la vidéo ne posait aucun problème de
compréhension : un gauchiste s’en était pris à un supporter de Trump, et il
était tombé sur un os.
Pendant que Portland subissait ces tensions, je passai mon été à voyager
au Royaume-Uni et en Europe, enquêtant sur de tout autres sujets. Les vidéos
et les photos prises dans ma ville, qui avaient été publiées par la presse
internationale, avaient fait leur chemin. De ce fait, j’ai pu demander aux
Européens ce qu’ils pensaient de ce nouveau phénomène américain. Ils
n’étaient pas étonnés. « Vous n’aviez pas ça chez vous, avant ? Nous, ça fait
des dizaines d’années qu’on subit les combats de rue entre hooligans » a réagi
un Anglais, qui a reconnu au passage les crânes rasés et les tenues punk de
quelques antifa.
Avant d’atteindre les États-Unis, le mouvement antifa s’est diffusé du
continent européen vers l’Angleterre. Là, il s’est greffé à la sous-culture
punk, donnant naissance à un nouveau profil, exclusivement anglophone.
ANTIFA BRITANNIQUES
Avant qu’elle ne développe un rejeton outre-Atlantique, la mouvance
antifa avait pris pied en Angleterre par le biais de la scène punk-rock des
années 70, plus spécifiquement grâce à la sous-culture « Oi ! », qui réunissait
punks et skinheads de la classe ouvrière londonienne. Bien qu’on ait tendance
aujourd’hui à associer les skinheads aux néo-nazis, la sous-culture skinhead
peut être de gauche, de droite, ou apolitique. À ses débuts, dans le Londres de
la fin des années 60, c’était un mouvement très métissé, fortement influencé
par la musique et la culture urbaine jamaïcaines. Au milieu des années 70
pourtant, une tendance influencée par l’idéologie raciste d’extrême droite
avait émergé.
ANTIFA AMÉRICAINS
Bien que l’on associe de nos jours les antifa américains aux grandes villes
de la côte Ouest, comme Portland ou Seattle, c’est dans le Midwest que sont
apparus les premiers groupes « antifascistes » des États-Unis. À la fin des
années 80, un groupe de skinheads d’extrême gauche, les Baldies{22}, se
réunissent à Minneapolis. Ils veulent combattre leurs homologues d’extrême
droite, qui commencent à monter en puissance dans les milieux néo-nazis
américains.
Les Baldies, influencés par la presse anarchiste anglaise et des titres
comme Drapeau noir ou Guerre des classes, qui préconisent entre autres
l’insurrection, privilégient le recours à l’action violente. Avec des skinheads
de gauche venus de tout le Midwest, ils créent un des premiers réseaux antifa
répertorié. Ils ont nommé ce réseau, constitué de nombreux groupes dont
l’Action Antiraciste, la « Coopérative ».
Si les crimes de haine sont relativement rares aux États-Unis, tout récit
peut potentiellement provoquer un traumatisme collectif, et créer un vent de
panique. Ainsi, l’assassinat de neuf paroissiens noirs à Charleston en
Caroline du Sud par le tireur d’extrême droite Dylann Roof a dominé
l’actualité plus longtemps que ne l’ont fait les 14 personnes tuées par un
couple de djihadistes à San Bernardino, en Californie. Les deux événements
ont pourtant eu lieu la même année.
Les gens se souviennent du meurtre de Heather Heyer, commis en 2017 à
Charlottesville en Virginie, mais rares sont ceux qui connaissent le nom de la
victime du tireur antifa de Portland, en 2020. Les récits qui font état d’un
racisme blanc et violent, bien que très rares, exercent une grande influence
sur l’opinion publique américaine, car ils renvoient à l’histoire de
l’Amérique. Et les antifa savent jouer de cette sensibilité pour justifier leur
violence et leur extrémisme.
Les élus sensibles à la cause leur ayant donné leur quitus, les violences
commises par les antifa se sont pour suivies en ville. Le 15 avril 2017, Eric
Clanton, professeur associé d’une université locale, aurait frappé plusieurs
personnes avec un antivol en acier trempé : sur une vidéo devenue virale, on
peut voir une personne masquée, dont il y a tout lieu de penser qu’il s’agit de
Clanton, utiliser un antivol pour frapper un supporter de Trump à la tête.
Clanton, qui a été arrêté, n’a pas contesté le délit. L’accusation d’agression
criminelle a néanmoins été abandonnée. Suite à un accord unilatéralement à
son avantage, il n’a écopé que d’une peine avec sursis. Clanton n’était pas le
seul universitaire impliqué auprès des antifa : c’était également le cas de
Mark Bray, l’auteur d’Antifa : le manuel antifasciste.
À Portland, en 2020, on comptait nombre d’universitaires parmi ceux qui
avaient été arrêtés, des professeurs et des maîtres de conférence qui
enseignaient dans la région.
De 2017 à 2020, les violences ont prospéré sur les campus. Le radicalisme
d’extrême gauche n’a pas faibli ; chaque année, les étudiants semblaient
vouloir repousser davantage les limites, comme pour damer le pion à ceux
qui les avaient précédés. En 2020, pendant Halloween, quelques 150
étudiants de l’Université du Nord-ouest se sont associés à des casseurs
extérieurs. Ensemble, ils se sont rendus à Evanston, dans l’Illinois, pour
prendre part aux manifestations « contre les violences policières ». Là, ils ont
fracassé fenêtres et vitrines, jeté des briques, tiré à coups de mortier sur les
policiers qu’ils aveuglaient au laser. L’Université du Nord-ouest est un centre
de recherche, un des instituts privés les plus réputés au monde. Et pourtant,
des étudiants y ont fomenté des émeutes, se comportant exactement comme
les antifa de Portland. Comment se fait-il que les hauts lieux de
l’enseignement supérieur américain alimentent ainsi la violence d’extrême
gauche ?
LA THÉORIE CRITIQUE
Les antifa considèrent que ce qu’ils font, ces gestes prémédités dont ils
ont toujours l’initiative, ne relève pourtant pas de la violence. Une des
facettes de leur stratégie consiste en effet à remodeler les mots pour leur
prêter un sens inédit. Il s’agit là d’une tendance qui prend sa source dans la
tradition philosophique fondée au XXe siècle par Herbert Marcuse. Les idées
de Marcuse, philosophe et sociologue allemand, ont de fait profondément
marqué la gauche moderne. Bien qu’ils n’en aient sans doute pas conscience,
les théories de Marcuse constituent aujourd’hui le socle idéologique des
antifa, ainsi que celui des soi-disant défenseurs de la justice sociale.
Né à Berlin en 1898, Marcuse est resté toute sa vie un gauchiste engagé.
Adulte, il étudie l’œuvre de Marx et vote pour le Parti communiste allemand.
En 1933, il intègre l’Institut en recherche sociale, un cercle de réflexion de
l’université de Francfort, plus connu sous le nom d’École de Francfort.
L’essor du fascisme en Europe pousse nombre d’intellectuels à fuir aux États-
Unis. C’est dans ces années-là que les penseurs de l’École de Francfort
deviennent des membres influents du corps universitaire américain.
L’université Columbia de New York City, notamment, accueille quelques-
uns de ses chercheurs.
Cela fait des dizaines d’années que l’université américaine marine dans
les théories de Marcuse et qu’elle en imprègne l’élite en devenir, futurs
responsables politiques, dirigeants, activistes etc.
Des associations de défense des libertés civiles, comme l’ACLU par
exemple, ont massivement recruté dans le vivier de ces jeunes diplômés
rompus à la théorie critique. Résultat des courses, l’ACLU revient aujourd’hui
sur son principe fondateur, la défense de la liberté d’expression.
En 2018, l’association diffuse auprès de ses adhérents un document
intitulé Gestion et lignes directrices de l’ACLU : conflit et rivalité des valeurs
et des priorités. Par cette brochure, l’association répond à l’avalanche de
reproches et de critiques suscitée par sa défense de Jason Kessler, de Unite
the right. Unite the right est une association d’extrême droite qui avait obtenu
l’autorisation de défiler à Charlottesville, jusqu’à ce qu’au dernier moment, la
ville décide de déplacer le rassemblement. En août 2017, l’ACLU avait
soutenu Jason Kessler au nom du premier amendement{25} lors du procès qui
l’opposait à la ville. Pourtant, un an plus tard, lorsque l’ACLU répond aux
critiques de la gauche, elle écrit : « La décision de l’ACLU de représenter une
organisation suprémaciste blanche est susceptible… d’encourager un agenda
qui contrevient à notre mission et à nos valeurs. Cette décision peut par
ailleurs offenser ceux qui nous écoutent. »
Le recul de la gauche classique sur la question de la liberté d’expression,
valeur éminemment libérale, a profité aux antifa de bien des façons.
Aujourd’hui, non seulement la gauche en général excuse la violence antifa,
mais elle œuvre en outre à bâillonner toute forme d’op position, incitant par
exemple les grandes entreprises et les GAFA à supprimer les comptes de leurs
adversaires.
Après que Donald Trump a prêté serment et pris ses fonctions, le Los
Angeles Times a interviewé la cofondatrice de BLM, Patrisse Cullors. En août
2017, on lui avait demandé si BLM était disposé à s’entretenir avec le
président. Elle avait rétorqué : « En tant que mouvement, nous ne nous
assoirons pas à la même table que Trump, pas plus que nous ne l’aurions fait
avec Hitler. Trump est l’incarnation au sens propre du mal, de tous les maux
qui rongent ce pays, qu’il s’agisse du racisme, du capitalisme, du sexisme ou
de l’homophobie. »
À sa façon, la cofondatrice de BLM venait de prouver que l’idéologie de
son mouvement rejoignait celle des antifa. Pour les uns comme pour les
autres, il est primordial, au nom de l’antiracisme et de l’antifascisme, d’abolir
la police, les fondements du droit, les frontières et le libre-marché. Et BLM,
comme les antifa, aspire à restreindre la liberté d’expression.
L’IDÉOLOGSIE MARXISTE
BLM est généralement présenté comme un mouvement antiraciste, qui
combat les violences policières commises sur les Noirs et le « racisme
systémique » ; il en va de même des soulèvements du même nom.
L’appellation BLM résulte d’une très efficace stratégie de marque qui masque
la véritable idéologie de ce mouvement, radical s’il en est.
Cette psalmodie est tirée d’un manifeste rédigé par Shakur en 1973, alors
qu’elle était en prison pour avoir pris part au meurtre de Werner Fœrster, un
soldat du New-Jersey. Dans sa lettre, elle se dépeint en « Révolutionnaire
noire » ayant « déclaré la guerre aux riches et à tous les robots sans âme et
sans cœur qui les protègent, eux et leurs biens ». La référence aux chaînes est
directement inspirée du Manifeste du parti communiste.
BLM fait par ailleurs partie du Movement for black lives (M4BL), collectif
d’extrême gauche cultivant lui aussi le projet de renverser le capitalisme et de
déstabiliser les États-Unis. Sur une page qui n’est plus accessible
aujourd’hui, M4BL dressait la liste de ses revendications :
Après cette nuit de pillage intensif, BLM Chicago décida d’organiser une
manifestation de soutien aux casseurs interpelés sur les lieux. L’évènement
s’est déroulé devant le commissariat de South Loop. Ils avaient déployé une
banderole où on pouvait lire la phrase suivante, écrite en majuscules :
« venge-toi et pille ». Le comité a également publié un communiqué : les
vrais pilleurs, y lisait-on, c’étaient les commerçants du centre-ville, qui
n’avaient eu de cesse de spolier la communauté noire. Ariel Atkins,
organisateur de la section locale de BLM, interviewé par NBC Chicago : « Je
me fous que des gens veuillent piller une boutique Gucci, Macy’s, ou Nike.
Au moins, je sais qu’ils auront de quoi manger. »
Malgré les violences qu’a provoquées BLM en 2016, malgré les émeutes
de 2020, les media persistent à défendre le mouvement. Joy Reid, reçue en
2020 sur le plateau de MSNBC, l’a affirmé haut et fort : « Il n’y a rien, aucune
preuve, zéro preuve que Black Lives Matter ait prôné la moindre action
violente, ni qu’il ait incité à agresser la police ». Son discours entre en
résonance avec le déni journalistique de la violence antifa, martelé à longueur
d’année, BLM est le vecteur qui a permis aux antifa de diffuser leur idéologie
dans l’opinion. Surfant sur le sentiment d’urgence et la panique ambiante,
ceux-ci ont su tirer profit de la rhétorique du racisme et de la suprématie
blanche.
Fidèle à la convergence des luttes, King a mis au service des antifa son
énorme force de frappe sur les réseaux sociaux ; il a fait leur publicité, les
présentant comme des interlocuteurs de choix, ceux vers qui se tourner en
premier lieu. En août 2017, il twittait : « Je soutiens les antifa. Pour tout dire,
je leur suis reconnaissant. Plusieurs personnes m’ont dit qu’à Charlottesville,
ils leur avaient sauvé la vie ». Il poursuit, sur le même fil Twitter : « Tout
mon soutien aux communistes et aux socialistes qui s’opposent publiquement
à Trump, à la bigoterie et à la suprématie blanche ».
En mai 2018, il écrit sur Twitter : « Je l’ai dit et je le répète, je suis
reconnaissant à tous les contre-manifestants #Antifa [sic] qui d’un bout à
l’autre du pays combattent la bigoterie. On ne vous aime pas autant que vous
le méritez ». En soutenant l’« action directe » chère aux antifa, King a changé
de braquet : ce qu’il soutient en l’occurrence, c’est le terrorisme.
En juillet 2019, le Centre de détention des services d’immigration et des
douanes américaines de Tacoma fait l’objet d’une tentative d’attentat
commise par Willem van Spronsen, un militant antifa. Deux jours après
l’évènement, King parle de Van Spronsen comme d’un « martyr ». Sur
Twitter, il partage le manifeste laissé par celui-ci, qualifiant le texte de
« lettre magnifique, douloureuse, bouleversante ».
VIOLENCE
Au commissariat, deux secouristes ont installé Ngo sur un brancard. Ils l’ont
mis à l’arrière de l’ambulance ; j’ai alors remarqué que Ngo était sur Twitter.
Il a demandé aux secouristes que je puisse rester avec lui. C’est là que je me
suis rendu compte d’une chose : il avait perdu sa caméra GoPro, son copain
pigiste avait disparu dans la nature, et j’étais le seul témoin de son agression,
journaliste qui plus est. Je suis monté à l’avant et nous avons roulé des
collines du sud-ouest de Portland jusqu’à l’hôpital universitaire de l’Oregon.
C’est vrai, j’étais sur Twitter, pour savoir si quelqu’un avait pu filmer mes
agresseurs ou les prendre en photo. Je voulais la justice. À l’hôpital, on m’a
emmené aux urgences, toujours sur mon brancard. Bernstein est resté avec
moi. Naïvement, je le considérais comme mon gardien. Pendant que je me
faisais lyncher, c’était le seul à ne pas avoir ri, ni applaudi. En réalité, il
n’était resté que pour glaner des infos pour son article. Avant de partir, il m’a
demandé si tout cela en avait valu la peine. J’ai répondu que non. À l’instar
de celle de mes détracteurs, sa position était très cynique : il pensait que
j’avais délibérément cherché les ennuis pour faire le buzz.
Beaucoup de gens ont fait une fixation sur ce que la police avait déclaré, à
savoir qu’il n’était pas impossible que les « milkshakes » susmentionnés aient
pu contenir du ciment à prise rapide. De quoi provoquer une intense partie de
ping-pong entre police et journalistes sensibles à la cause antifa, ces derniers
entendant réfuter l’hypothèse. Dans un rapport de police datant du jour, le
lieutenant Richard Stainbrook a écrit qu’une femme, couverte d’un liquide
épais, lui avait dit que le gobelet était rempli de Quickrete, un mélange qui
sert à faire du béton. Le ciment présente un PH élevé et peut causer des
brûlures.
« J’ai examiné cette femme, dont la tête et les épaules étaient couvertes
d’une substance grisâtre qui commençait à sécher. Je fais à l’occasion des
travaux, et j’utilise du béton, plus précisément du Quickrete. C’est un
mélange que j’ai souvent utilisé pour faire du béton » écrit Stainbrook. « La
substance qui recouvrait cette femme sentait le Quickrete. J’ai par ailleurs
remarqué qu’en séchant, elle prenait une consistance crayeuse, ce qui d’après
mon expérience correspond à du béton en train de sécher. »
Des journalistes de gauche, comme Katie Shepherd, une ancienne du
Willamette Week, ont à cette occasion commis une petite fantaisie : l’équipe
du journal s’est prise en photo en train de bombarder un mannequin à coups
de crème glacée enrichie au Quickrete. Le conseiller en sécurité publique du
maire a pris le parti de la police : on lui avait signalé qu’une personne, qui
avait elle aussi reçu un milkshake au visage, s’était plainte d’avoir la peau et
les yeux irrités. Quoi qu’il en soit, la police de Portland n’a finalement pas
récupéré d’échantillon pour analyse.
En dehors des observations de terrain du lieutenant et d’un mail de
menaces envoyé à la police, lequel comprenait la recette du fameux ciment-
shake, il n’existe pas de preuve concluante confirmant l’hypothèse de la
police. L’accent mis sur cette histoire de ciment à prise rapide, juste après les
émeutes, était un moyen de faire diversion. J’ignore en vérité la nature de ce
qu’on m’a lancé à la figure ce jour-là. Le visage me démangeait, certes, mais
c’était peut-être à cause des contusions et des plaies. À Portland, lors de
précédentes émeutes, des black blocs avaient rempli des ballons d’urines,
d’excréments et de produits chimiques, avant de les expédier au lance-pierre.
LE LANCER DE MILKSHAKE
En distribuant gratuitement des milkshakes, PopMob avait clairement
annoncé la couleur. Le chef de PopMob fait partie d’un syndicat marxiste
révolutionnaire et anarchiste, les Travailleurs industriels du monde. PopMob
avait baptisé l’événement « Shake back the streets » (« On va secouer la
rue ! »). Pour le promouvoir, des affiches et une vidéo montraient un jet blanc
dressé vers le ciel. Au stade de Providence Park, pendant un match des
Timbers, PopMob avait distribué des centaines de flyers appelant les
« antifascistes » à venir combattre « la violence fasciste ». Tout ceci n’était
qu’un message subliminal adressé aux manifestants : on allait passer au
lancer de milkshake. En aspergeant leurs ennemis, les antifa les désignent à la
vindicte et les humilient à la fois.
HÉMORRAGIE SOUS-ARACHNOÏDIENNE
Après quelques heures passées aux urgences, sur le brancard et dans la
salle d’attente, un médecin est enfin venu me communiquer les résultats du
scanner. J’avais une hémorragie sous-arachnoïdienne. Ce terme médical
m’était inconnu. « Vous avez une hémorragie cérébrale, dans la partie
supérieure du cerveau » m’expliqua-t-il. N’ayant jamais souffert de
traumatisme crânien ni de lésion cérébrale, je n’ai pas saisi la gravité de la
situation. « Qu’est-ce qu’on fait, alors ? » ai-je demandé. Je pensais qu’on
allait me renvoyer chez moi en me disant que tout allait bien. Pas du tout :
l’hôpital allait me garder en observation pendant 24 heures. Comme
beaucoup de jeunes gens, j’avais été induit en erreur par l’hubris de me croire
invincible.
Cette nuit-là, on m’a installé dans une chambre individuelle. Je n’aspirais
qu’à dormir. La journée, riche en événements, semblait ne jamais devoir finir.
Mais l’infirmière m’a dit que si je m’endormais, on me réveillerait pour voir
comment j’évoluais sur le plan physique et cognitif. Les tests, qui avaient lieu
toutes les heures, consistait à répondre à des questions simples, à suivre un
mouvement des yeux, et à réagir aux sollicitations physiques.
LÉGITIME DÉFENSE
Mon chemin vers la guérison, encore aujourd’hui, comporte des soins
physiques, psychologiques, cognitifs, ainsi que de l’ergothérapie. J’ai des
problèmes de vue, je souffre de troubles de la mémoire et de l’équilibre. Mais
le plus grand défi pour moi reste cette peur, aussi handicapante que
paradoxale : la peur d’être parmi les gens et la peur d’être seul. Lorsque je
fais mes courses ou que je retourne à ma voiture, j’ai régulièrement des
flashbacks, angoissé à l’idée que, dans mon dos, quelqu’un est peut-être en
train de s’élancer pour me frapper.
Je ne voulais plus déménager, mais les antifa connaissaient mon adresse.
En décrivant ces angoisses à ma psy, elle me répondit que cela lui faisait
penser au PTSD. Syndrome de stress post-traumatique ? Dans mon esprit,
c’était réservé aux gens qui avaient vécu une guerre, un viol ou d’autres
horreurs du même genre. Elle m’a dirigé vers un spécialiste. La violence dont
j’ai notamment fait l’expérience avec les antifa ne se limite pas à celle que
j’ai vécu ce jour-là, ni même aux émeutes en général. La passion des antifa
pour la violence est si puissante qu’ils en arrivent même parfois à se retourner
contre les leurs. Le 4 août 2018, à une manifestation qu’ils organisaient, des
black blocs ont frappé un gauchiste de leurs amis à coups de club de golf.
Pour quelle raison ? Paul Welch avait commis la regrettable erreur d’arborer
un drapeau américain. Pensant qu’il était de droite, les antifa l’avaient alors
frappé avant de le laisser, baignant dans le sang qui coulait de son crâne. « Je
me suis effondré, sous le choc. Il m’a fallu quelques secondes pour me rendre
compte que certains me donnaient des coups de pied. J’essayai de protéger
ma tête » raconte Welch.
Rares sont ceux qui comprennent que les antifa sont spécialement formés
aux violences urbaines. Les media, lorsqu’ils en parlent, mettent presque
toujours l’accent sur le fait qu’ils ne sont « pas organisés », qu’ils ne
constituent « pas un groupe ». Ce n’est pourtant pas par l’effet du hasard si
des militants vêtus du même uniforme organisent de concert agressions et
destructions. Project Veritas, média d’investigation, a réussi ce que je pensais
impossible, à savoir l’infiltration de Rose City Antifa, organisation connue
pour sa méfiance et son opacité. De 2017 à 2018, un de leurs journalistes a pu
intégrer le groupe sous couverture. Il y est resté plusieurs mois. Ses vidéos et
ses comptes-rendus (lesquels à ce jour restent les seuls documents à avoir
fuité d’un groupe antifa) ont permis d’accéder aux coulisses du recrutement,
de la radicalisation et de la formation des aspirants « antifascistes ». C’était
une grande première.
En juin 2020, Project Veritas a publié la première vidéo d’une série
intitulée #ExposeANTIFA. Un journaliste masqué, sous le pseudo de Lion,
commente les images. Pour des raisons de sécurité, ni son visage ni son
identité n’apparaissaient. Coopérer avec les forces de l’ordre constitue pour
les antifa un péché mortel, suivi de près par la trahison. À l’image, Lion porte
un sweat à capuche noir portant l’inscription Rose City Antifa. Depuis 2017,
pendant les émeutes, les manifestations, ou lorsqu’ils passent dans les media,
les membres de l’organisation portent parfois des vêtements siglés. Ils le font
en partie pour des raisons de propagande. À Portland, cela accroît leur
notoriété, tout en leur permettant de sympathiser entre camarades. Rose City
Antifa, c’est un gang. Les deux drapeaux antifa se détachent sur la silhouette
de l’Oregon, et les mots « Combat le fascisme depuis 2007 » s’ornent d’une
rose rouge.
La vidéo du Project Veritas s’ouvre par un discours de Lion : « Depuis le
mois de juillet… [censuré], j’infiltre Rose City Antifa. Si les circonstances
font qu’un jour, je me fais attraper ou démasquer, les choses risquent de
dégénérer. Ils seront violents ». C’est un doux euphémisme.
Sur la vidéo, on assiste aux séances clandestines d’entraînement qui se
déroulaient au centre communautaire féministe In Other Words, librairie
féministe et espace communautaire aujourd’hui fermés. Créée en 1993 par un
sociologue de l’université de Portland et par deux militantes œuvrant dans le
domaine de la santé, la librairie s’est surtout fait connaître en devenant le lieu
de tournage de la série comique Portlandia, diffusée sur IFC. Fred Armisen et
Carrie Brownstein y jouaient le rôle de deux libraires féministes absolument
dénuées d’humour. La plaisanterie était sans doute trop réaliste : en 2016, la
librairie a publiquement interdit le tournage de la série, accusant celle-ci
d’être raciste et « trans-misogyne », lui reprochant aussi de contribuer à
l’embourgeoisement du quartier.
LIBRAIRIES
Qu’une librairie serve aux antifa de centre d’entraînement clandestin n’est
pas propre à Portland. Il existe en réalité tout un réseau de librairies et de
« centres communautaires » prévus à cet effet, dont le Collectif Lance-pierres
est le plus réputé. Sur le site du collectif, tous ces lieux affinitaires sont
répertoriés par continent. Je recommande à mes lecteurs de consulter ce site
pour voir quels sont les espaces de ce type en activité dans leur état ou leur
ville.
Avant de fermer, In Other Words faisait partie du collectif en question. Il
n’y a rien d’étonnant à trouver des librairies d’extrême gauche sur les côtes
est et ouest des États-Unis, elles-mêmes libérales. Pour autant, les états où
l’on vote majoritairement républicain ne sont pas à l’abri. Une des plus
grandes plateformes antifa se trouve ainsi au sud des États-Unis : Firestorm
Cafe and Books, librairie coopérative et lieu de rencontre situé à Asheville en
Caroline du Nord, est la Mecque des anarchistes de la côte sud-est. Parmi les
livres fièrement exposés en vitrine, on trouve le Manuel antifaciste de Mark
Bray, et l’Antifa Cornic book de Gord Hill.
À l’instar de celui d’In Other Words, leur modèle économique n’est pas
viable. C’est intentionnel. La raison d’être de de cette librairie n’est pas de
vendre des livres, mais bien plutôt de faire se rencontrer des camarades que
l’on va initier à la radicalité. Firestorm vit de cotisations mensuelles versées
par des gens qui se sont engagés à les soutenir. Pendant des années, In Other
Words a vécu de dons à grande échelle. La librairie s’est néanmoins
retrouvée à sec lorsque l’Université d’état de Portland a mis fin à l’accord
qui, pendant très longtemps, lui avait permis de se financer, à savoir le
monopole de la vente des manuels féministes sur le campus.
Dans le sud-est des États-Unis, Asheville se démarque par son
positionnement gauchiste, son côté hippie et sa scène artistique. Une
coloration politique qui permet à Firestorm de percevoir des subventions. Des
habitants cependant ont alerté sur le rôle possiblement joué par la librairie
dans la hausse notable de la criminalité. En novembre 2019, des habitants
inquiets sont intervenus lors d’une réunion du Conseil des entrepreneurs
indépendants d’Asheville ouest : selon eux, le programme d’échange de
seringues mis en place par Firestorm servait surtout à attirer délinquants et
vagabonds, dans le but inavoué de « dégentrifier » le quartier.
« À mon avis, ce n’est pas un hasard si une librairie sert de façade,
installant l’anarchie sous prétexte d’aide aux toxicomanes » a dit pendant la
réunion John Miall, employé de la ville. L’exaltation du crime et du chaos est
indissociable de l’idéologie antifa. Pour faire perdre sa légitimité au pouvoir
local, ils s’attachent à perturber le cadre de vie habituel des gens. Ensuite, ils
mettent en place leurs propres actions de « solidarité », pour faire croire que
l’État est incapable de répondre aux besoins fondamentaux des habitants, et
qu’eux, les antifa, représentent dès lors la seule issue possible.
Il y a donc Firmestorm, dans le sud-est du pays. À Philadelphie, il y a
Wooden Shœ Book, autre librairie réputée du collectif Lance-pierres. Peinte
sur le plafond de la librairie, une grande fresque montre des esclaves
enchaînés maltraités par des Blancs. La librairie, qui a le statut d’association
caritative à but non lucratif, insiste lourdement pour que les gens fassent des
dons, via les liens qu’elle met en avant sur son site. L’équipe de la librairie a
recommandé à un de mes amis d’acheter le Manuel antifa de Bray.
Sur la deuxième vidéo de la série #ExposeANTiFA publiée par Project
Veritas, on peut voir des images prises à La Base{30}, « centre anarcho-
politique » situé à New York dans le quartier de Brooklyn. Pendant la
journée, le lieu semble fonctionner comme une librairie. Pourtant, on sait
qu’il organise des échanges épistolaires entre fans et camarades antifa
emprisonnés, rebaptisés pour l’occasion « prisonniers politiques ».
David Campbell, justement, fait partie de ces « prisonniers politiques »
qui bénéficient du soutien antifa et du programme de correspondants. C’est
un militant black bloc, condamné pour avoir participé à la traque et à la
strangulation d’un supporter de Trump, un Juif de 56 ans. C’était à l’occasion
d’une rencontre organisée par les conservateurs, à Manhattan. Lorsque les
premiers secours étaient intervenus, la victime parvenait à peine à respirer.
Plus tard, elle était revenue à elle. Campbell a également été inculpé pour
avoir agressé un agent de la police de New York, pendant son arrestation. En
octobre 2019, après avoir plaidé coupable pour deux motifs d’inculpation, il a
été condamné à 18 mois d’emprisonnement. Selon un de mes contacts à la
police de New York, Campbell a refusé de coopérer, fidèle à la loi antifa qui
interdit absolument de parler aux flics.
Dans tout le pays, les antifa ont pris fait et cause pour Campbell et
défendu les violences qu’il avait commises. En janvier 2020, un concert de
solidarité a été organisé pour alimenter son fonds de soutien. À l’heure
actuelle, le site Free David Campbell collecte encore des dons pour lui venir
en aide.
Les librairies sensibles à la cause antifa ne se contentent pas de vendre
une littérature extrémiste, et des livres de propagande. Certaines leur servent
aussi de salle d’entrainement ; pendant les séances, on s’initie au combat de
rue et on apprend à faire mal.
« Si vous leur filez un bon coup dans le foie ou dans les reins, ils vont
avoir du mal à s’en remettre », comme le dit un certain Chris sur la vidéo de
Project Veritas. Chris est antifa et donne des cours de combat à La Base. « Si
vous arrivez à leur casser une côte flottante » dit-il en désignant l’endroit
concerné, « c’est hyper douloureux, ils ne pourront plus bouger. Ils auront du
mal à reprendre leur souffle ». En arrière-plan, on voit du matériel
d’entraînement, des tapis, des poids. Que vient faire ce type d’équipement
dans une librairie ?
L’entraîneur poursuit : « Un coup bien placé, ils se tortillent de douleur, et
ça vous laisse le temps de partir. Sinon, si c’est quelqu’un que vous n’aimez
pas, vous pouvez aussi lui coller une grosse raclée ». Dans un autre extrait,
Chris énonce explicitement l’intention criminelle qui prélude à
l’entraînement : « Ici, on veut redéfinir le concept de légitime défense ».
L’endroit où ont lieu les séances d’entraînement pose certes question,
mais il faut aussi s’interroger sur le profil de ceux qui y participent. Sur les
images filmées en caméra cachée, on aperçoit Andrew Gittlitz qui travaille
ses coups. C’est un écrivain new-yorkais, producteur du podcast anarcho-
communiste The Antifada, qui publie sous le nom d’A. M. Gittlitz. Il a publié
des tribunes dans le New York times, il a écrit pour Salon, pour vice et pour
d’autres journaux. En 2017, le New York Times a publié un des articles de
Gittlitz, dans le cadre de sa série Le Siècle rouge, qui rend hommage à
l’héritage de la révolution russe. J’ai contacté Gittlitz par Twitter pour
recueillir ses impressions : il n’a pas donné suite.
Soyons honnêtes, il n’est pas déplacé d’apprendre à immobiliser
quelqu’un pendant un cours d’autodéfense. Dans le contexte habituel d’un
entraînement de ce type, on peut même penser qu’apprendre à faire mal est
plutôt cohérent. Mais lorsque la formation est mise au service d’une idéologie
qui enseigne qu’il faut « anéantir » ses adversaires politiques « quoi qu’il en
coûte », cela se termine par la violence, le crime et le terrorisme. Jamais par
un combat de boxe, ni même par un combat tout court.
LES FLINGUES
Dans le reportage que Lion a consacré à Rose City Antifa, on explique
aux nouvelles recrues qu’elles doivent apprendre à manier les armes à feu.
Les entraînements ont lieu à The Place to Shoot, un club de tir du nord de
Portland qui n’a pas souhaité répondre à nos questions. Dans la troisième
vidéo de la série #ExposeANTiFA publiée par Project Veritas, une journaliste
raconte comment, en 2018, elle a infiltré une section locale de Redneck
Revoit, à Shelby en Caroline du Nord.
Redneck revoit est un groupe paramilitaire très proche du John Brown
Gun Club, une de ses branches de la côte nord-ouest. Redneck revoit, créé en
2009, a acquis une audience médiatique nationale vers 2017, en soutenant
activement les antifa lors des manifestations et rencontres organisées par ces
derniers. Ses membres, en tenue militaire, sont armés de revolvers et de fusils
semi-automatiques. Ils assument complètement le fait de menacer leurs
adversaires et se qualifient eux-mêmes d’antifascistes, d’anticapitalistes,
opposés à l’État-nation et militant pour le port d’armes. Ils se considèrent
comme des révolutionnaires. En d’autres termes, ce sont des antifa armés et
formés pour tuer.
Sur la vidéo, on peut voir un certain Matt, membre de Redneck revoit, se
livrer à l’interrogatoire de la journaliste infiltrée. Ceci participe du processus
normal d’initiation. « Si un agent de l’État vient frapper à ta porte pour
t’interroger sur ton positionnement politique et sur les gens que tu fréquentes,
qu’est-ce que tu lui réponds ? » demande Matt, qui cherche ainsi à savoir si
son interlocutrice peut dissimuler ses opinions et son affiliation à
l’organisation. « Si tu tiens un stand à un salon des armes à feu, que
quelqu’un t’accuse devant tout le monde d’être un terroriste, ou une antifa,
comment tu réagis ? » poursuit-il.
Sur son compte Facebook, la section Redneck revoit de Shelby a
finalement annoncé sa sécession de l’instance nationale, qui avait selon elle
adopté un « fonctionnement interne calqué sur les valeurs capitalistes » :
Nous nous appelons désormais le Collectif des travailleurs de Caroline.
Par ce geste, nous nous engageons à bâtir à nouveau une communauté
d’entraide et de protection pour les pauvres et la classe ouvrière. Nous
sommes contre l’État. Nous sommes contre la suprématie blanche. Nous
sommes contre le patriarcat. Nous travaillerons activement au
démantèlement du système capitaliste, qui est hiérarchique, nuisible, et
propre à notre culture.
Si vous suivez ce qui se dit des antifa sur les réseaux sociaux, vous avez
certainement déjà vu des mèmes de droite, qui les présentent en jeunes gens
fragiles et efféminés. Avant même que je ne subisse concrètement leur
hostilité, ces mèmes me dérangeaient. On se trompe en faisant des antifa des
tigres de papier. Comme on le voit sur les vidéos prises en caméra cachée,
certains sont très sportifs et entraînés au combat. Quant aux autres, ils
peuvent toujours avoir recours aux armes décrites plus haut. Ce, sans parler
du fait que n’importe qui, sportif ou pas, peut apprendre à tirer… On commet
une erreur tragique en misant sur la fragilité des antifa. Ils ne se battent pas à
la loyale. Ils visent les yeux, les parties génitales : tout est bon dès lors qu’il
s’agit de « casser du facho ». Si pour cela, il faut la jouer à 20 contre un, ils le
feront. Et s’il leur faut tuer pour servir la cause, ils n’hésiteront pas.
Traces de balles sur le Centre de détention pour
migrants de Tacoma. Photo : Andy Ngo
Checkpoint de la Zone autonome de Capitol Hill, à
Seattle. Photo : Andy Ngo
Devant le domicile de l’auteur. Photo : Andy Ngo
29 mai 2020, une salle du Palais de justice de
Portland après le passage des casseurs. Photo : us’
Attorney’s Office
CHAPITRE 9
VIOLENCE MORTELLE
La première fois que j’ai vu une photo de van Spronsen, c’était sur un site
d’informations. Son visage me disait quelque chose, mais comme cela faisait
des années que je couvrais les manifestations et les émeutes, j’étais incapable
de me rappeler précisément où je l’avais rencontré. J’ai remonté le fil de mes
souvenirs, et finalement, cela m’est revenu : mairie de Seattle, fin 2018.
Le 1er décembre 2018, je m’étais rendu à Seattle pour couvrir une
manifestation d’extrême gauche qui défilait contre Washington Three
percenters, un club conservateur opposé à l’interventionnisme d’État. C’était
par erreur que les antifa et les militants avaient classé ce club dans les rangs
des « fascistes » : ils avaient en fait confondu son nom avec celui d’un autre
groupe qui avait défilé à Charlottesville lors de la manifestation Unite the
Right{31}. Ce jour-là, lorsque j’ai voulu filmer la manifestation, certains sont
venus me réclamer des comptes. Je me suis retrouvé encerclé. Ils m’ont
refoulé jusqu’à une barrière et se sont mis à me hurler dessus, à me balancer
leurs pancartes à la figure. Deux de mes assaillants arboraient ostensiblement
des fusils semi-automatiques. Plus tard, j’ai su que c’était des adhérents du
club de tir Puget Sound John Brown, une filiale régionale de Redneck Revolt.
Un autre me fixait, le visage à quelques centimètres du mien. Les yeux
injectés de sang, il s’est penché vers moi pour me dire, très posément : « Les
gens savent que je baratine pas. On est pas venu pour taper la discute, en fait.
Y en a ici qui sont venus pour mourir, mon gars. T’as vraiment envie de
mourir pour une pauvre vidéo sur Youtube ? La mort approche, mon gars…
Tu nous espionnes, tu fais ces trucs de naze ? Tu vas prendre cher ».
J’ignorais son identité, mais lui m’avait sans doute reconnu. Par la suite, j’ai
appris que c’était un fervent soutien de la cause antifa, qui œuvrait à Portland
comme à Seattle. Sur sa page Facebook, il posait avec des membres de Rose
City Antifa. J’ai signalé les menaces à la police de Seattle, mais il ne s’est
rien passé.
Mis à part les cris et les hurlements, la manifestation était restée
pacifique, bien encadrée par la police. Avant mon départ, un homme d’un
certain âge s’était dirigé vers moi, puis était resté là un moment. Je lui aurais
donné 60 ou 70 ans ; en tout cas, il dépassait de loin la moyenne d’âge des
autres manifestants. Sur sa casquette, on pouvait lire JBGC : l’acronyme de
John Brown Gun Club. C’était Willem van Spronsen.
Gardez la foi !
Le pouvoir au peuple !
Bella ciao…
Pour ma part, je ne pense pas que van Spronsen soit un martyr. Je vois
plutôt en lui la victime d’une idéologie haineuse qui l’a complètement
dévoré. La philosophie antifa, si on suit sa logique jusqu’au bout, mène non
seulement à la mort de ses propres militants, mais aussi à celle de ceux qui
ont le malheur de faire partie de leur entourage. C’est en exploitant le
ressentiment que la philosophie antifa se montre la plus efficace. Il n’est pas
interdit de penser que si van Spronsen avait fait de l’État son ennemi, c’était
pour éviter d’avoir à assumer les violences conjugales dont l’accusait son ex-
femme.
Un an après l’attentat, il m’est arrivé de tomber sur le nom, le visage ou le
manifeste de van Spronsen lors d’événements où vont généralement les antifa
et les gauchistes. Le club de tir Puget Sound John Brown n’a pas renié son
défunt adhérent, bien au contraire. Ils sont flattés que leur nom soit associé au
sien, et ne manquent pas de diffuser son manifeste sur leurs stands.
En novembre 2019, un de leurs adhérents manifestait contre la tenue à
Portland d’un colloque organisé par Dinesh D’Souza{32}. Ayant moi-même été
invité pour faire une conférence, je suis sorti de la salle pour voir ce qui se
passait ; un homme est alors venu vers moi et m’a tendu le manifeste de van
Spronsen. Je l’ai reconnu, c’était bien un membre du club de tir. Je ne suis
pas certain que son geste ait été menaçant. Sur la brochure, il y avait un
dessin : un camion du centre de détention en train de brûler. Nick Vasily, lui
aussi adhérent, porte une chaîne avec en pendentif un fusil qui ressemble à
celui de van Spronsen. Ils sont fiers de lui.
CHARLIE LANDEROS
On se souvient généralement de l’attentat commis par van Spronsen,
parce c’est le premier terroriste identifié à avoir laissé un texte qui exposait
explicitement ses liens à la mouvance antifa. Mais à vrai dire, ce n’était pas le
premier (et ce ne sera malheureusement pas le dernier) à s’inspirer des antifa
pour détruire, agresser et tuer. Six mois auparavant, à Eugene dans l’Oregon,
un antifa radical avait tiré sur les agents administratifs d’un collège.
Heureusement, il n’avait touché personne.
La vidéo prise par la caméra que portait sur lui l’officier Timm a été
rendue publique. Malgré le fait qu’elle disculpe entièrement les deux
officiers, les antifa n’ont cessé de réitérer leur mensonge : Charles Landeros
avait été exécuté par des flics racistes. La procureur a annoncé qu’elle ne
poursuivrait pas les deux agents ; quatre jours plus tard, à Eugene, on trouvait
des explosifs placés à proximité du siège de la police. Ils ont été découverts
avant d’exploser et les démineurs dépêchés sur place les ont désamorcés.
L’enquête sur cette tentative d’attentat est toujours en cours. Depuis janvier
2019, les autorités n’ont publié aucune information à ce sujet. Pour Shayla, ce
sont les antifa qui ont organisé l’attentat dans le but de venger Charles. Ce
n’est pas une affirmation gratuite : Charles faisait partie d’un réseau antifa
qui théorisait la guerre contre l’État et qui s’y entraînait. « Je l’aimais, je me
souciais de son sort. Mais vu le train où ça allait et la direction qu’il avait
prise, ça ne pouvait pas finir autrement. »
CONNOR BETTS
S’il convient d’analyser la personnalité des martyrs politiques et de
connaître leurs opinions, leurs textes, leur biographie, il est tout aussi
essentiel d’étudier le profil de ceux qui en font des martyrs. Ainsi Connor
Stephen Betts, 24 ans, qui depuis l’Ohio avait joint sa voix au chœur des
antifa lorsqu’ils avaient érigé Willen van Spronsen en martyr. Le 4 août
2019, de sa propre initiative, il tire dans la foule, en plein quartier
commerçant de Dayton : il tue neuf personnes, dont sa sœur, et fait 27
blessés. Moins d’une minute après, il est abattu par la police.
À ce que nous savons, Connor Stephen Betts n’a laissé aucun manifeste.
Sous le pseudo @iamthespookster, il était néanmoins très présent sur Twitter.
Mieux qu’un manifeste, son compte, fermé après la fusillade, permet d’avoir
un aperçu de ses idées. Le constat est sans appel : Betts appartenait à la
mouvance antifa. Sur sa biographie Twitter, court formulaire rempli par ses
soins, il se présente comme « gauchiste » et dresse la liste des pronoms à
utiliser le concernant. L’examen de ses posts, semaine après semaine, mois
après mois, montre qu’il ne prônait pas un « antiracisme » lambda : en réalité,
Betts avait complètement intégré l’idéologie antifa. En août 2018, il écrit :
« Tuez tous les fascistes ! », formule qui reprend mot pour mot les graffitis et
slogans antifa. Courant 2018 et 2019, ses tweets deviennent de plus en plus
violents. « Hé toi, si t’aimes bien les nazis ou assimilés, dégage de mes
followers pq les nazis méritent de mourir et rien d’autre » peut-on lire en
octobre 2018. Sur le Net, Betts traitait volontiers de nazis ceux qui n’étaient
pas d’accord avec lui, fidèle au manichéisme selon lequel, si on est pas
« antifasciste », alors c’est qu’on est nécessairement « profasciste ».
En décembre 2018, il contacte la Socialist Rifle Association, club de tir
proche des antifa, pour se renseigner sur les bump stocks. Un bump stock est
un accessoire qui permet d’utiliser un fusil semi-automatique en augmentant
sa vitesse de tir.
Betts appelle de ses vœux l’affrontement final. Commentant la tribune de
Mehdi Hassan, journaliste de gauche, parue dans Intercept : « Oui, battons
Trump ou destituons-le, mais que faire s’il reste à la Maison blanche ? »,
Betts écrit : « Armez-vous, entraînez-vous, préparez-vous ». Et en juin 2019,
toujours sur Twitter : « Je me bats pour le socialisme et je n’attendrai pas que
les débiles aient compris de quoi il retourne ».
Le jour même de l’attentat de van Spronsen, Betts fait de ce dernier un
« martyr ». Conformément aux thèses antifa, Betts éprouvait une haine
inextinguible pour la protection des frontières et le contrôle de l’immigration.
« Coupez les barbelés. Crevez les pneus des voitures du Service de
l’immigration et des frontières. Et jetez les pinces par-dessus les barbelés »
écrit-il dans un tweet. Une semaine avant la fusillade, il retweete des posts
qui comparent les centres de détentions pour migrants à des « camps de
concentration ». Une reprise supplémentaire des propos tenus par la
congressiste Ocasio-Cortez et par van Spronsen. Il partage d’autres posts à la
gloire de van Spronsen, ce « vieux camarade ».
Tout aussi éclairants, les profils de ceux avec qui Betts échangeait sur
Twitter, ou de ceux dont il partageait les écrits. Parmi ces derniers, Kim
Kelly, journaliste freelance, souvent retweetée par Betts. Pigiste régulière
pour Teen vogue, elle est l’auteur d’un article sur la passion de l’extrême
gauche pour les armes. Elle a par ailleurs commis quelques séduisants
portraits d’anarchistes et, sur les plateaux, elle défend régulièrement la
fermeture des prisons. Pour elle, van Spronsen est un « camarade ». Dans un
tweet qu’elle a depuis supprimé, elle prend sa défense et incite ses lecteurs à
prendre exemple sur lui. « Grâce à Van Spronsen et aux courageux
camarades qui l’ont précédé (et il y en a eu un certain nombre…), nous
savons qu’il existe bien des façons de combattre un régime fasciste et violent.
Il serait peut-être temps de se remettre à cogiter… » écrit Kelly.
Emily Gorcenski, autrefois Edward Gorcenski, fait elle aussi partie des
essayistes d’extrême gauche prisés par Betts. Gorcenski s’est fait connaître
chez les antifa et dans les cercles militants en diffusant en ligne les
informations personnelles de gens supposément d’extrême droite. Sur les
réseaux sociaux, elle tient des discours radicaux et appelle à prendre les
armes. C’est cette doxa antifa qui a attiré Betts. Il a partagé ce tweet de
Gorcenski : « Ce que je suis en train d’expliquer, c’est que l’autodéfense
armée n’est pas seulement une bonne chose pour la communauté : en fait, elle
est indispensable ». Un autre tweet, provenant d’un compte anonyme,
également retweeté par Betts : « L’action antifasciste, c’est de l’auto défense.
C’est bon, légitime et nécessaire ».
Les dernières semaines de sa vie, Betts, dans ses posts et ses partages,
diabolise Ted Cruz, sénateur du Texas, et Bill Cassidy, sénateur de la
Louisiane, qui avaient tous deux déposé une résolution opposée aux antifa. Il
partage de nombreux posts de soutien aux activistes d’extrême gauche, y
compris une photo du symbole de l’Iron front, et le contenu de comptes
comme celui d’Antifa international.
Ceux qui refusent toujours de voir l’éléphant au milieu du couloir (à
savoir que Betts professait de toute évidence des thèses « antifascistes »)
diront sans doute qu’il ne s’agit là que de traces sur le Net. Ils ont tort. Betts a
mis ses idées en pratique en devenant vigile bénévole, un de ces black blocs
armés qui assuraient le service de sécurité des manifestations. En mai 2019,
sur la place du tribunal de Dayton, il fait partie des 500 contre-manifestants
venus s’opposer à un rassemblement du Ku Klux Klan. Il est venu masqué,
armé d’un pistolet modifié, vraisemblablement le même que celui dont il se
servira plus tard, en août, pour tirer dans la foule. Hasan Karin, qui a connu
Betts personnellement, l’y a croisé et a discuté avec lui. Cette information est
restée confidentielle. La presse a préféré cibler ses recherches sur d’anciens
camarades de collège, qui évoquaient des souvenirs vieux de sept ans :
d’après eux, il n’était pas impossible que Betts eût été misogyne… L’objectif
était évidemment de détourner l’attention de la sphère antifa en trouvant de
tout autres explications à son geste.
Le FBI n’a pas encore divulgué les résultats de l’enquête sur la fusillade,
mais ils ont déclaré que Betts, sans conteste possible, versait bien dans les
« idéologies violentes ». Les deux derniers tweets qu’il a liké réagissaient à la
fusillade d’El Paso, quelques heures après qu’elle se soit produite : l’auteur
qualifiait la fusillade de « terrorisme nazi intérieur » et il la reliait au
président Trump.
Un an après la fusillade d’El Paso, le hashtag #ElPasoStrong, créé à la
mémoire des victimes, a fait le buzz sur les réseaux sociaux. L’auteur du
massacre était d’extrême droite et les media ont consacré des articles entiers à
la souffrance des victimes, essentiellement latinos. Bizarrement, le
lendemain, aucun hashtag #DaytonStrong n’avait été lancé. Cela ne m’a pas
étonné. Pour les media américains, certains sont plus victimes que d’autres.
MICHAEL REINŒHL
En 2020, ma ville natale, Portland, faisait à nouveau la une de la presse
nationale et étrangère, toujours pour les mêmes mauvaises raisons. En
réaction à la mort de Georges Floyd et dans le sillage de BLM, des
manifestations, des émeutes avaient éclaté dans des dizaines de villes.
Portland néanmoins s’est distinguée par la durée de ces affrontements, qui
dans la Cité des roses se sont étalés sur plusieurs mois.
À Seattle, lors de mon séjour à CHAZ, j’avais pu observer ce qui se passait
lorsque les autorités municipales donnaient l’ordre à la police de ne pas
intervenir : anarchistes et extrémistes de tout poil débarquaient et faisaient la
loi. Et la violence ne leur fait pas peur, loin de là. On peut même dire que
c’est leur carburant. Comme j’avais pu le constater à CHAZ, les plus violents,
les plus cruels et les plus brutaux de tous étaient bien les « gardiens » auto-
proclamés de la justice raciale. Le 29 août 2020, en plein centre-ville, trois
mois après les émeutes de Portland, un vigile BLM-antifa de 48 ans a tué un
supporter de Trump.
Grâce à un gros tatouage qu’il avait sur la nuque, le poing levé du Black
power, les enquêteurs en ligne et les forces de l’ordre ont pu identifier
Reinœhl en toute certitude. À partir de là, ils sont remontés jusqu’à une
interview du Bloomberg News datée du 27 juillet 2020. Reinœhl était
interrogé, on voyait son visage et son tatouage. La société civile dans son
enquête se révélait bien plus rapide que la police, qui à ce moment-là n’avait
toujours pas identifié la victime. En attendant, le tireur courait toujours…
Dès que j’ai eu confirmation que le tireur était bien Reinœhl, j’ai consulté
ses comptes sur les réseaux sociaux.
Les antifa ont tendance à systématiquement dissimuler leur présence en
ligne, mais Reinœhl était encore actif sur Instagram, postant au fur et à
mesure des émeutes qui avaient eu lieu cet été-là. Il ne m’a pas fallu fouiller
bien loin pour avoir la confirmation de ce que je soupçonnais dès le début :
Reinœhl n’était pas seulement un soutien obsessionnel de BLM, c’était aussi
quelqu’un qui se définissait comme « 100 % antifa » et qui écrivait de longs
posts sur la nécessité d’une révolution armée. Ainsi son post du 16 juin
2020 :
Toute révolution exige des gens qui veulent se battre et qui sont prêts au combat. Parmi nous, il y
en a beaucoup qui manifestent sans avoir la moindre idée de ce que ça va donner. Ce n’est que le
début, c’est comme ça que commence le combat. Si vous en êtes là et que vous l’assumez, c’est
vraiment sympa d’avoir participé, mais soyez gentils, laissez la place à ceux qui veulent vraiment se
battre. Je suis antifa à 100 %, jusqu’au bout ! Impatient de me battre pour mes frères et sœurs !
Même si par ignorance ils ne sont pas tous conscients des vrais enjeux du combat…
Nous avons aujourd’hui l’occasion de tout remettre d’aplomb. Ce sera
un combat à nul autre pareil. Ce sera la guerre et comme dans toutes les
guerres, il y aura des morts. Je suis passé par l’armée. J’ai détesté. Je ne
me sentais pas de me battre pour eux, ce n’était une cause juste. Les
manifestants, les antifa sont aujourd’hui mes frères d’armes.
Pour information, Reinœhl n’a jamais servi sous les drapeaux. Ses posts
sur Instagram déclinent le thème des émeutes, prélude au combat
révolutionnaire armé. Apparemment, Reinœhl n’a jamais porté la tenue noire
des black blocs. Il n’en reste pas moins qu’il adhérait complètement à
l’idéologie « antifasciste ». En prônant l’abolition de la police, Reinœhl
faisait en réalité acte de candidature auprès des BLM-antifa qui rêvent de
substituer aux forces de l’ordre des communautés « d’auto-défense » armées.
Celles-là mêmes qui avaient fait des morts à Seattle pendant CHAZ, tandis
qu’à Portland, on avait évité de justesse qu’elles ne provoquent un drame.
DOXING
En 2019, ma nuit d’Halloween fut digne d’un film d’horreur. Chez moi,
les lumières étaient éteintes ; j’étais au lit lorsque l’on a sonné à la porte. Je
n’ai pas bougé, pensant qu’il s’agissait sans doute d’un gamin
particulièrement motivé. On a continué à sonner, puis j’ai entendu que l’on
tambourinait à la porte. Ce n’était pas normal. J’ai attrapé mon téléphone
pour composer le 911. Cela faisait des mois que les antifa faisaient circuler
sur Twitter l’adresse de mes parents et mon numéro de téléphone.
Mais j’ai aussitôt reposé mon portable : pas question que la police
traumatise un enfant et sa famille sous prétexte qu’il sonnait chez moi.
Grossière erreur… Je suis allé à la porte d’entrée, car maintenant, on cognait
aux fenêtres. Non, décidément, un gamin, même hyper motivé, n’a pas ce
genre de comportement. Sans allumer, j’ai jeté un coup d’œil à travers le
judas : six personnes habillées en black blocs se tenaient sur mon palier. Elles
portaient toutes le même masque, sur lequel était imprimé mon propre visage.
J’ai battu en retraite et appelé la police. Le temps qu’elle arrive, mes visiteurs
antifa avaient quitté les lieux. Les policiers ont fait un rapport, qui, comme
d’habitude à Portland, n’a pas été suivi d’effet.
J’ignore ce qu’ils étaient venus faire cette nuit-là. Avaient-ils voulu entrer
chez moi par effraction ? Avaient-ils seulement voulu me faire comprendre
que je n’étais plus en sécurité chez moi ? Je penche pour cette dernière
hypothèse. Sur la vidéo de surveillance, on les voit rassemblés, masqués, les
yeux ostensiblement levés sur la caméra. Le message était sans équivoque :
ils m’avaient à l’œil.
Dès mes premiers contacts avec les antifa, fin 2016, leur rapidité et leur
efficacité en matière d’identification m’avaient étonné, tout comme leur
capacité à publier le résultat de leurs « recherches ». En réalité, leur image de
marque repose en grande partie sur leur aptitude au renseignement. Stanislav
Vysotsky, professeur en sociologie et criminologie associé à l’université du
Wisconsin, est un des rares universitaires à avoir écrit sur les antifa
américains. Selon lui, « ces pratiques de collectes de renseignement et
d’information forment l’essence même de l’activisme antifasciste ».
Sur Twitter en effet, des groupes comme Rose City Antifa recensent les
noms des participants aux rencontres publiques de droite, leurs lieux de
travail, leurs conjoints, leurs amis, la marque de leur voiture, etc. Ces fils
Twitter, partagés entre 100 et 1 000 fois, sont enrichis au fur et à mesure.
Au printemps 2019, à Portland, les antifa et leurs amis ont misé sur le
crime de haine, diffusant la fausse rumeur que des membres de la
communauté LGBT se faisaient frapper, enlever et tuer en pleine rue. Tout a
commencé par la déclaration anonyme d’une femme transsexuelle, qui
affirmait avoir été frappée à coups de batte de baseball sur la tête. Les
coupables ? Des hommes transphobes. En lien avec ces accusations
inquiétantes, une cagnotte en ligne avait permis de récolter quelques milliers
de dollars. En enquêtant, je me suis rendu compte que les accusations
provenaient d’une activiste trans d’extrême gauche. Le compte-rendu de la
police ne cadrait pas avec le texte alarmant qui présentait la cagnotte en ligne.
L’agent de police qui s’était occupé de l’affaire avait noté que la victime était
alcoolisée, et qu’elle ne se souvenait de rien. Quant à ses blessures, elles
correspondaient à celles de quelqu’un qui aurait fait une chute après avoir
trop bu.
Quoi qu’il en soit, une accusation du même acabit est publiée sur le Net
dans les jours qui suivent. Selon une activiste qui se définissait elle-même
comme lesbienne et en surpoids, « deux jeunes hommes blancs » conduisant
un SUV couleur bordeaux avaient frappé sa copine. Les faits se seraient
produits en plein jour, à un carrefour très passant du sud-est de Portland. Elle
affirmait avoir signalé les faits à la police. J’ai vérifié : il n’existe aucune
trace de sa déclaration. À vrai dire, elle avait même refusé d’aider les forces
de l’ordre, qui l’avaient contactée après avoir lu sa déclaration sur le Net.
Dans le sillage de ces deux scandales, plus d’une dizaine de déclarations,
aussi fracassantes qu’imprécises, ont circulé sur les réseaux sociaux, faisant
état de crimes de haine ayant eu lieu à Portland. Elles appelaient le maire Ted
Wheeler, les groupes LGBT et les Socialistes Démocrates d’Amérique à réagir.
Non contents de répandre des rumeurs infondées, les antifa jetaient de
l’huile sur le feu en exhumant de leurs dossiers quelques individus qu’ils
jetaient en pâture à leurs sympathisants. Sur le Net ou par tract, ils diffusaient
les noms et les photos d’hommes blancs, repérés pour avoir participé à des
événements organisés par la droite.
« Voilà à quoi ressemblent les agresseurs qui terrorisent la communauté
queer/trans depuis quelques temps. Si vous tombez sur un de ces visages,
frappez-le à coup de briques : la police ne fait rien pour les empêcher de
nuire » disait un post largement partagé sur Instagram. Robert Zerfing,
habitant à Battle Ground dans l’état du Washington, a fait partie de ces
hommes faussement accusés. Pour la seule raison que, sur une des photos
qu’ils avaient prises, on le voyait au volant d’un SUV bordeaux, en route pour
un meeting conservateur, les antifa l’avaient cloué au pilori. La
correspondance entre les véhicules était pour le moins imprécise, fondée sur
une seule accusation publiée sur Twitter. Zerfing m’a montré la preuve que
son SUV avait été saisi des mois auparavant. Les antifa ayant diffusé son nom,
il avait reçu d’innombrables appels, ainsi que des menaces. Ils connaissaient
par ailleurs son adresse.
Les manœuvres d’intimidation des antifa, comme le doxing, jouent sur les
limites de la loi. Peu après l’épisode d’Halloween, alors que j’étais en Floride
pour une conférence, j’ai reçu un message audio en numéro masqué. C’était
une voix d’homme : « Je suis bien chez le lèche-cul qui habite à… ». À ce
moment-là, il a donné mon adresse, puis embrayé en continuant à m’insulter.
J’ai appelé la police de Miami, qui m’a appris qu’il n’y avait « rien d’illégal »
à communiquer une adresse et qu’en conséquence de quoi, personne ne
s’occuperait de cette histoire.
À Portland, tous les signalements que j’ai adressés à la police pour avoir
reçu des menaces de ce type sont restés lettre morte. Idem pour les menaces
de mort ou d’agression physique, qui relèvent de la « liberté d’expression »,
dès lors qu’elles ne sont pas suffisamment précises. En soi, elles ne
constituent pas un délit. Le fait que les antifa n’aient jamais eu à rendre
compte de leurs méthodes, entre harcèlement et doxing, ne peut que les
encourager à appeler publiquement à la violence contre leurs ennemis. En
2020, à Portland, des inscriptions telles que « Tuez Andy Ngo ! » ou
« Assassinez Andy Ngo ! » ornaient couramment les murs du centre-ville. Par
principe, la police en prenait note, sans rien faire de plus…
Une des techniques liées au doxing consiste à diffuser sur Twitter et par
messagerie des alertes permettant à la communauté de localiser en temps réel
une personne ou un groupe. Cette technique porte le nom de « cyber-meute ».
N’importe qui, dès lors qu’ils l’accusent d’être un flic ou un « fasciste », peut
en faire les frais. Les tweets de cette nature se rangent habituellement sous le
hashtag « Defend », suivi du nom de la ville. Par exemple, si la cible se
trouve à Portland, on utilisera #DefendPDX. Leurs intentions sont évidentes :
les antifa veulent mobiliser les camarades pour que ceux-ci aillent aussitôt
suivre, provoquer et agresser les cibles qu’ils leur ont désignées. L’objectif,
comme ils le disent eux-mêmes, est de faire en sorte que les « fascistes »
n’osent plus sortir de chez eux. Trop souvent néanmoins, la chasse don-
quichottesque aux « fascistes » les pousse à harceler des gens qui n’ont rien à
voir avec la politique et qui n’ont agi que dans le cadre de leur travail. Ainsi,
à l’été 2018, lorsque les antifa ont assiégé le bâtiment des Services de
l’immigration et des douanes de Portland, ils ont repéré, suivi et harcelé un
des agents de l’institution, sur un parking où celui-ci était venu chercher sa
fille rentrée de colonie de vacances.
J’ai moi-même été victime de cette chasse en meute 2.0. Les antifa
retweetent les habitants de Portland qui disent m’avoir vu à tel ou tel endroit.
Ils se trompent souvent et mettent en danger des gens qui n’ont aucun rapport
avec ma personne. En juillet 2020, pendant une manifestation qui avait lieu
dans le nord de Portland, des black blocs ont accosté un Asiatique qu’ils
avaient confondu avec moi. « Vous me prenez pour Andy Ngo ? C’est ce que
vous pensez, bande de salopes racistes ? » les a interpelés l’homme pendant
l’incident qui a été filmé. « C’est la troisième fois que ça m’arrive, et la
deuxième fois que ça m’arrive en manif. »
Parfois ils ne se trompent pas et signalent l’endroit où je me trouve en
effet. En mai 2019, j’étais à ma salle de sport, où je me suis fait agresser et
dépouiller. Je descendais l’escalier lorsque j’ai reçu de l’eau sur la tête. J’ai
remonté les escaliers à toute allure et vu mon agresseur, qui avait encore la
bouteille à la main. C’était John Hacker, un activiste d’extrême gauche qui à
Portland est de tous les rassemblement BLM-antifa. Il m’a insulté, m’accusant
de mettre en danger les manifestants que je filmais pour mes enquêtes. Je
m’apprêtai justement à filmer l’incident lorsque le directeur de la salle s’est
interposé. À ce moment-là, Hacker qui tentait de me frapper, a fait tomber
mon téléphone. Il s’en est emparé, prêt à décamper, mais un employé de la
salle l’en a empêché. J’ai appelé la police et raconté l’incident. Un officier a
pris en note ma déclaration mais, malgré le fait qu’on ait identifié Hacker et
que l’agression et le vol se soient déroulés devant témoin, il ne s’est rien
passé.
LA VOIE « DÉMOCRATIQUE »
FAKE NEWS
Voilà quelques gros titres qu’a pu glaner l’Américain moyen et sans
engagement politique particulier au cours de l’année 2017. « Les antifascistes
combattront le fascisme de Trump dans la rue. » « Ouragan Harvey : les
antifa sur le terrain au Texas, au secours des victimes des inondations. »
« Rappel : si vous n’êtes pas antifa, vous êtes profa. » « En 25 ans, 0 meurtre
pour les antifa américains. » « Qui provoquent les violences pendant les
manifs ? Pas les antifa. »
Ceci n’est qu’un échantillon des articles consacrés aux antifa depuis 2016,
du Guardian au Washington Post. Quelqu’un qui ignore les subtilités de la
guerre politico-culturelle en cours aux États-Unis, comme mes parents par
exemple, aura tendance à penser, par pure ignorance, que les antifa sont les
« gentils ». Les gens travaillent, s’occupent de leurs enfants et n’ont pas
toujours le temps de vérifier ce que raconte la presse. Les media ont pour
mission d’informer, mais hélas, dès qu’il est question des antifa, nous
sommes gavés de fausses informations. Il ne me semble pas en l’occurrence
que les journalistes libéraux induisent délibérément leur lectorat en erreur. Je
crois plutôt que c’est par ignorance que des journalistes connus, comme Joy
Reid de MSNBC ou Chris Cuomo de CNN, déclinent le mantra selon lequel
« antifa » n’est « que l’abréviation d’“antifasciste” ».
Pour autant, il convient de ne pas occulter une autre réalité, qui s’est
dévoilée au fur et à mesure de mon enquête : il existe bel et bien un réseau
d’auteurs et de soi-disant journalistes qui, par conviction, se mettent
délibérément au service de l’idéologie antifa. Leurs articles, unilatéralement
biaisés, relèvent de la propagande. Si la plupart sont de simples compagnons
de route de l’extrême gauche, d’autres sont de vrais militants.
Dans un chapitre précédent, j’ai évoqué Kim Kelly, ancienne pigiste de la
National public radio aujourd’hui journaliste à Teen vogue, exemple-type de
la journaliste sympathisante de l’extrême gauche. « Tout ce que j’espère,
c’est que le travail que je fais actuellement à @TeenVogue et ailleurs portera
un jour ses fruits, que la graine germera » twittait-elle en novembre 2019.
L’exemple de Kelly est certes significatif, mais il est loin de constituer un cas
isolé.
L’EFFACEMENT
En 2019, après mon tabassage en règle par les racailles antifa, je me suis
confronté à un phénomène inattendu : de nombreux journalistes se mettaient
à m’attaquer sur les réseaux sociaux, faisant preuve d’une telle hargne, d’une
telle mauvaise foi que plus rien ne semblait les distinguer de ceux qui
m’avaient agressé. Des journalistes avec lesquels je n’avais jamais eu le
moindre échange se sont mis à me traquer avec acharnement. J’en venais à
me demander s’il ne s’agissait pas d’une vendetta personnelle. Leur objectif
n’était pas uniquement de me décrédibiliser, il fallait aussi que je devienne
infréquentable, que plus personne ne veuille travailler avec moi. Dans ce but,
ils tronquaient la vérité, ils mentaient, et avaient même parfois appelé à la
violence contre moi.
Si le réseau des journalistes pro antifa est puissant, ce n’est pas tant parce
qu’ils travaillent pour les media que parce qu’ils peuvent se protéger
mutuellement, en reprenant et diffusant à grande échelle les articles de leurs
collègues. Peu importe si ces articles sont mensongers et diffamatoires : ils
finissent sur Wikipédia, et apparaissent en tête des recherches Google. Ainsi,
quand on tape mon nom, ce sont les articles diffamatoires qui s’affichent en
premier. « Gros malaise pour Andy Ngo, le blogger de droite qu’on voit en
train de comploter contre les antifa » titre Tess Owen dans vice News.
Courtney Hagle de Media Matters for America écrit : « Les media disent
d’Andy Ngo, l’arnaqueur d’extrême droite, que c’est un vrai journaliste. Il
vient de se faire choper en train de protéger des terroristes d’extrême droite
qui s’apprêtaient à passer à l’action ».
Je doute que ces gens aient regardé les 18 minutes que dure la vidéo
clairement orientée de « Ben ». Heureusement, il y eut au moins un
journaliste pour le faire : Robby Soave du magazine Reason. Voilà son
compte-rendu, daté de septembre 2019.
Comme je le montre dans ce livre, les antifa n’ont pas besoin d’avoir
recours à la force pour terrifier, doxer, harceler ou intimider les gens. Leur
redoutable efficacité tient au fait qu’ils ont infecté la presse. Sans presse, il
n’existe pas de société libre. Mais paradoxalement, les media servent
aujourd’hui à restreindre la liberté d’expression, tout comme ils œuvrent à la
destruction des normes, de la culture, et de l’histoire de la nation.
Binh Ngo, vers la fin des années 50. Photo : Andy
Ngo
1980, les noces de Mai et Binh Ngo. Photo : Andy
Ngo
Mai Ngo vers 1974. Photo : Andy Ngo
Postface
Dans un autre contexte, leur union n’aurait pas été de soi ; elle aurait
même sans doute provoqué un petit scandale. Mai, la jeune femme, venait de
la classe moyenne, fille de bijoutiers qui avaient réussi. Sa famille vivait à
Vung Tau, une ville balnéaire prisée des habitants de Saigon. Binh quant à lui
venait d’une famille pauvre de Long Dien, une petite ville des environs de
Vung Tau. Son père, un immigré Hakka originaire de Chine du sud, était
mort lorsqu’il était enfant.
Sans la chute de Saigon, en 1975, ces deux-là ne se seraient probablement
jamais croisés, leur naissance et leur éducation les ayant placés dans des
sphères trop éloignées socialement. Mai était une brillante étudiante. Elle
adorait l’histoire, la littérature et la musique. Elle prenait des cours de
mandoline. Elle apprenait l’anglais. Son frère aîné faisait partie des rares
étudiants vietnamiens à avoir eu la possibilité d’aller suivre des études en
France. Mai elle-même devait appartenir à la première génération de jeunes
femmes vietnamiennes à aller à l’université. À titre de comparaison, Binh
avait arrêté l’école vers l’âge de 15 ans, contraint de travailler pour subvenir
aux besoins de sa mère et de ses neveux et nièces.
Si la vie les avait fait naître et grandir aux deux extrêmes de la société
sud-vietnamienne, Mai et Binh allaient pourtant subir la même déchéance. Au
début des années 70, les États-Unis ont commencé à réduire leur présence
militaire au Vietnam. En 1973, le président Nixon ordonnait le retrait total
des troupes. Bien qu’ils n’aient pas subi de défaites militaires significatives,
les Américains étaient moralement à bout, usés par cette guerre qui n’en
finissait pas. À l’époque, ce conflit était le plus long que l’Amérique ait
connu. Près de 50 000 soldats étaient morts au combat. Quant à ceux que
cette guerre avait détruits, les mutilés, les drogués, ceux qui souffraient de
syndrome post-traumatique, on ne les comptait plus. Les incessantes
manifestations contre la guerre au Vietnam, la mauvaise image du conflit
donnée par la presse nationale et le scandale du Watergate avaient redéfini les
priorités du gouvernement.
Ne bénéficiant plus désormais du soutien militaire américain, l’armée
sud-vietnamienne s’était avérée incapable de contenir l’offensive de l’armée
populaire, ainsi que l’avancée de la guérilla communiste qui sévissait dans le
sud du pays. Le 19 avril 1975, les tanks des communistes ont fait leur entrée
à Saigon, après avoir conquis sans difficulté les lieux stratégiques du pays.
Aux dernières heures de la guerre, seules les élites fortunées et dotées d’un
bon réseau avaient les moyens de partir et de monter à bord des quelques
hélicoptères restés sur place. Les autres devaient se contenter d’assister au
désastre, ou de suivre les bulletins d’informations à la radio.
L’incertitude et le chaos furent de courte durée. Le lendemain, le palais
présidentiel, l’équivalent sud-vietnamien de la Maison-Blanche, est tombé
aux mains des communistes. Le drapeau rouge et jaune à trois bandes du
Vietnam du sud a été mis en berne et n’a plus jamais flotté sur le pays. Au
bout de presque 10 ans de conflit, la guerre était finie. Pour la République du
Vietnam et pour les États-Unis, ce fut une défaite humiliante. La première
puissance militaire au monde n’avait pas su battre un pays en voie de
développement, qui n’avait été aidé que par deux armées de moindre
envergure, celles de la Chine et de l’URSS. Les quelques Vietnamiens qui ont
pu s’enfuir et quitter le pays avant 1975 ont eu de la chance. On allait
réunifier le pays sous l’égide communiste, et les vainqueurs n’allaient pas
manquer de faire un sort aux contre-révolutionnaires…
LE CAMP
Dans les mois qui ont suivi la chute de Saigon, des centaines de milliers
de sud-vietnamiens ont reçu l’ordre de suivre un stage de « rééducation »,
selon l’euphémisme institué par le nouvel État. On faisait croire aux
concernés que c’était l’affaire de quelques jours. En réalité, ils étaient
envoyés dans des camps au fin fond du pays, condamnés pour comportement
« contre-révolutionnaire » et « collaboration avec l’ennemi » américain. La
durée de détention allait de quelques mois à 17 ans. L’État communiste visait
ceux qui, d’une façon ou d’une autre, avaient été liés à l’ancien
gouvernement, ce qui comprenait les fonctionnaires, les soldats, mais aussi
les chefs religieux et la classe moyenne.
Binh, qui avait 21 ans, s’est trouvé pris dans leurs filets. À Ba Ria, il
n’était qu’un agent débutant assigné à des tâches administratives, mais aux
yeux du nouveau gouvernement, il avait fait partie de la police de l’ancien
régime. Binh passa donc l’année à travailler aux champs, dans la jungle de
Bau Lam, une commune rurale du sud-est du pays. Les prisonniers devaient
cultiver et récolter des produits qui jamais n’atterrissaient dans leur assiette.
On les nourrissait mal ; ils mourraient de faim, détenus dans des conditions
qui leur faisait subir de plein fouet les aléas météorologiques, les maladies et
les parasites. Binh se souvient encore des prisonniers, dont la peau était
ravagée par les puces et les moustiques. Sans médicaments et sans soins, les
contusions et les piqûres s’infectaient.
Non seulement le travail était rude, mais les prisonniers, surtout les plus
jeunes, étaient constamment interrogés. « Dis-nous où tes parents ont caché
les bijoux, et on vous laisse partir » disaient les chefs du camp aux enfants.
Ils pensaient que la famille avait dissimulé des bijoux et de l’or pour les
soustraire à la confiscation.
Non contents de subir les travaux forcés aux champs, les prisonniers
étaient parallèlement soumis à un endoctrinement intensif. Chaque jour, ils
devaient lire et apprendre par cœur les textes communistes. On attendait
d’eux qu’ils confessent leurs « péchés » contre le peuple vietnamien. Plus ils
s’accusaient, même faussement, plus les chefs du camp étaient contents. Les
cours d’endoctrinement avaient pour but de briser la volonté, l’esprit,
l’individualité des prisonniers. Une fois ce stade atteint, il était plus facile de
les modeler pour en faire de bons citoyens socialistes.
BOAT PEOPLE
De la fin des années 70 aux années 80, des centaines de milliers de
Vietnamiens ont fui la république socialiste, montant à bord de frêles esquifs
en mauvais état. Ils tentaient de rejoindre les pays frontaliers, lesquels
refusaient de les accueillir. Un nombre incalculable de gens a péri en mer.
Selon les estimations du Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU, ils
seraient plus de 400 000 à avoir trouvé la mort en fuyant l’Indochine par voie
maritime. D’après les survivants, la mort était d’ailleurs un moindre mal,
comparée à ce qui les guettait. Le golf de Thaïlande était infesté de pirates
qui visaient leurs embarcations. Il y avait les vols, mais aussi les viols
collectifs, l’enlèvement de ceux qui avaient échappé au meurtre. Les familles
qui projetaient de s’enfuir étaient parfaitement conscientes des risques, mais à
leurs yeux, le jeu en valait la chandelle.
Lorsqu’ils étaient libérés, les prisonniers les plus démunis devaient encore
affronter la répression constante de l’État. Soumis à un régime de probation
étendu, continuellement surveillés, ils n’avaient pas le droit de quitter le pays.
Leurs enfants ne pouvaient pas aller à l’école. Les dysfonctionnements de
l’économie socialiste faisaient que la nourriture manquait, situation
jusqu’alors inconnue au sud-Vietnam. Pendant la période de probation, on
n’avait pas droit à l’aide de l’État. On ne pouvait pas non plus critiquer le
régime, sous peine d’être directement renvoyé au camp. Confrontés à ce
système d’oppression, des centaines de milliers de gens avaient préféré
braver la mort, et embarquer sur de misérables bateaux. Ces réfugiés, on les a
appelés les boat people.
La vie n’est pas simple quand on arrive dans un pays dont on ne maîtrise
ni la langue ni la culture. Malgré cela, ils chérissaient la liberté qui leur était
offerte, liberté de parole et d’expression. Comme dit Mai, « L’Amérique,
c’est numéro un ! ». Binh travaillait à la chaîne dans une usine où il avait
sympathisé avec des immigrés asiatiques. Le travail était rude, mais
n’exigeait pas de parler anglais. Mai postula pour laver les légumes en
cuisine, dans un hôtel du centre-ville. À eux deux, ils ne roulaient pas sur
l’or, juste de quoi louer un petit appartement qu’ils partageaient avec une
famille vietnamienne. Ils avaient le mal du pays. Ils se languissaient de leurs
familles, de leurs amis, sans aucun moyen de les contacter. La nourriture de
là-bas leur manquait : au début des années 80, il n’y avait pas de supermarché
vietnamien à Portland, ni même de magasin asiatique. Mai eut du mal à
s’habituer à la cuisine américaine, même si avec le temps elle a fini par
apprécier les spaghetti bolognaise. Jusqu’au début des années 90, des
dizaines de milliers de réfugiés vietnamiens se sont installés aux États-Unis,
diaspora qui a créé plusieurs « petit Saigon », que ce soit à San José ou en
Californie, dans le comté d’Orange.
MON HISTOIRE
Le lecteur l’aura d’ores et déjà deviné, Mai et Binh sont mes parents. Leur
histoire, qui recoupe celle de la diaspora vietnamienne en Occident, est une
partie de mon histoire. En grandissant, j’ai pu connaître quelques bribes de
leur vie d’avant, mais il me manquait la vision d’ensemble. Parfois, ma mère
évoquait devant moi le sentiment d’horreur que l’on éprouvait en pleine mer,
à dériver pendant cinq jours et cinq nuits sans savoir comment on allait s’en
sortir, ni même si on allait s’en sortir. Elle exprimait aussi sa rancœur envers
le régime communiste du Vietnam. Je n’y comprenais rien. Comme la plupart
des immigrés de la deuxième génération, je vivais dans une espèce
d’immédiateté, peu au fait des raisons qui avait mené mes parents dans ce
pays, peu conscient des sacrifices qu’ils avaient dû consentir. J’étais comme
tous les jeunes gens de mon âge : je consommais et je m’amusais, sans
comprendre que ce qui me permettait de vivre dans une société prospère
tenait à une certaine culture, aux libertés et aux droits qui y étaient liés.
Ce n’est qu’une fois installé dans l’âge adulte que j’ai commencé à
réfléchir à ce que signifiait le fait d’être américain. Était-ce une simple
étiquette administrative, une convention arbitraire, comme l’affirmaient les
gens de gauche ? Non. J’ai eu la chance inouïe de naître dans une société où
la liberté et l’égalité ne sont pas uniquement inscrites dans le droit, mais où
elles font partie intégrante de la culture, une société dans laquelle liberté et
égalité sont les valeurs dominantes. À l’échelle de la population mondiale,
c’est un privilège. Ici, les conflits doivent se résoudre par le dialogue et la
médiation, non par la guerre tribale ou l’auto-défense. La plupart de mes pairs
millenials ignorent que, dans les pays en voie de développement, les conflits
se règlent par la violence clanique et la loi du talion, ce qui se produit
systématiquement lorsque la justice d’État fait défaut. Plus d’un tiers de
l’humanité vit ainsi dans des États autoritaires, des pays qui ne sont « pas
libres » et privent les gens de leurs droits civiques et politiques
fondamentaux.
Ce n’est pas par hasard que les États-Unis sont prospères. Des siècles de
rationalisme, la philosophie des Lumières, celle des pères fondateurs qui
étaient aussi de puissants penseurs politiques, tout ceci a façonné la
Constitution et le cadre juridico-politique dans lequel nous vivons. Même si
mes parents n’ont pas fait fortune comme le voudrait le rêve américain, ils
ont pu accéder dans ce pays à ce qui pour eux était l’essentiel, la possibilité
d’être libres.
Le communisme et le fascisme constituent l’antithèse du libéralisme. Par
libéralisme, je n’entends pas la même chose que la gauche et les démocrates
américains contemporains. Par libéralisme, j’entends la philosophie morale et
politique de penseurs tels que John Milton, John Locke, et James Madison.
Le libéralisme, c’est le cadre qui permet d’être libre, qui protège l’égalité, le
droit à la propriété, la libre parole et la liberté d’expression. Quelle cruelle
ironie tout de même que le fils de Mai et Binh, des dizaines d’années après
que ceux-ci se sont réfugiés aux États-Unis pour fuir le communisme
révolutionnaire, subisse à son tour sur le sol américain le joug de l’idéologie.
Les antifa, leurs copains d’extrême gauche et leurs idiots utiles ont
convaincu l’opinion que le patriotisme était synonyme de fascisme et de
racisme. Je réfute cette thèse et j’invite toutes les honnêtes gens à en faire
autant. Ce livre, qui a pour thème les antifa, est aussi une lettre de
remerciement au pays qui a accueilli mes parents, ces réfugiés sans le sou de
la république socialiste du Vietnam, et qui leur a permis de devenir des
citoyens à part entière. Les antifa aspirent à détruire le principe philosophique
qui a fondé l’Amérique, l’État au sens premier du terme. Dans une certaine
mesure, ils y sont parvenus. Quant à ceux qui seraient attirés par les sirènes
de l’« antiracisme », de l’« antifascisme » et de l’« équité », qu’ils
considèrent ce que donnent ces idées une fois mises en pratique. Personne
n’hérite jamais d’une utopie ou d’une civilisation. En héritage, ils n’auront
que des cendres, du sang, et des ruines souillées d’excréments.
Remerciements
Avant 2019, peu de gens avaient entendu parler de moi ou de mon travail.
J’étais un petit journaliste régional de la côte nord Pacifique, qui couvrait
Portland et les émeutes antifa et bénéficiait d’une petite audience en ligne. Je
me rappelle très bien ce que je ressentais, lorsque tous les sujets que je
proposais étaient refusés, ou pire encore, lorsque les rédactions ne prenaient
même pas la peine de me répondre. Mais je me souviens mieux encore de
ceux qui étaient à mes côtés, qui m’ont aidé et guidé pas à pas sur la voie du
journaliste et de l’écrivain que je suis devenu, ceux qui ont su résister à la
pression que faisaient subir mes détracteurs à ceux qui ne craignaient pas de
se compromettre avec moi.
Je sais gré à ma famille des sacrifices qu’elle a faits pour moi. J’ai
tendance à tenir pour acquises la liberté et la sécurité pour lesquelles ils ont
risqué leur vie.
Je tiens à remercier ces personnes pour le rôle qu’elles ont joué dans
l’écriture de ce livre, et pour celui que certaines d’entre elles ont joué dans
ma vie personnelle : James O’Keefe et Project Veritas, Asra Nomani,
Douglas Murray, Michelle Malkin, Harmeet Dhillion, John D., Brittany,
Chelly Bouferrache, Keith Urbahn et Javelin, les rédacteurs en chef et
l’équipe de Center Street.
Je suis infiniment reconnaissant à ceux qui soutiennent mon travail et mes
frais de justice par leur engagement et leurs dons. Les bonnes causes ne
manquent pas et on ne peut pas donner à tout le monde. Vous pensez malgré
tout que ce que je fais mérite d’être reconnu. Merci. Vous me faites l’honneur
de me suivre, de réagir à mon travail et de me soutenir.
SOURCES