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mediapart.fr

Au Venezuela, des opposants


racontent la torture
Jean-Baptiste Mouttet
6-7 minutes

Ils étaient une centaine de Vénézuéliens à suivre le cortège


funèbre de Fernando Albán, le 10 octobre. « Assassins ! »,
« Nous exigeons la justice ! », pouvait-on lire sur les pancartes.
Le gouvernement explique que le conseiller municipal du parti
d'opposition Primero Justicia (PJ) s'est suicidé deux jours
auparavant en se lançant du 10e étage du siège des services de
renseignement vénézuéliens (Sebin), en plein centre de la
capitale Caracas. Mais, pour l'opposition, il a été tué « par le
régime ».

Fernando Albán était suspecté d'avoir participé à l'attaque aux


drones contre le président Nicolás Maduro en août dernier. Sa
mort brutale n'étonne pas les anciens prisonniers politiques.
« Les conditions auxquelles sont soumis les prisonniers, la
terreur, peuvent amener à ce qu’une personne mette fin à sa vie.
Cela montre la violence de cet organisme [le Sebin – ndlr] »,
nous explique Lorent Saleh, 30 ans, libéré le 12 octobre dernier
et envoyé en Espagne après quatre ans de détention. Il a lui-
même tenté de mettre fin à sa vie en avril 2015.

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Un manifestant arrêté à Caracas le 27 juillet 2017. © Reuters

Or, comme le souligne l'avocat Alfredo Romero, le directeur de


l'ONG Foro Penal qui assiste juridiquement des personnes
emprisonnées arbitrairement, « l'État est responsable des
détenus » – l'article 43 de la Constitution le rappelle. Le frêle
Lorent Saleh est une figure honnie des maduristes. Pour le
gouvernement, il était un « terroriste », proche d'Alvaro Uribe, qui
planifiait des attentats au Venezuela. Quand il raconte la torture,
son flot de paroles devient plus saccadé. Il décrit les « coups »
encaissés lorsqu'il a changé de centre de détention, ou encore
ce commissaire qui lui a « sauvé la vie » alors que des
fonctionnaires l'asphyxiaient.

L'asphyxie, tout comme l'électrocution, sont des supplices qui


reviennent systématiquement dans les témoignages des 8
anciens prisonniers politiques que Mediapart a pu interroger. Le
Colombien Juan Pedro Lares, arrêté le 30 juillet 2017 et retenu
par le Sebin durant 10 mois alors qu’il avait 23 ans, l’a subie. Il
détaille la procédure : « Ils remplissent un sac de pesticides ou
de gaz lacrymogène », le passent autour du cou et « frappent à
l'estomac pour t'obliger à respirer ».

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Les théâtres de ces sévices sont bien connus des Vénézuéliens.


À Caracas, l'Hélicoïde est un des centres de détention qui
possède la plus triste réputation. Cet imposant bâtiment,
ressemblant à une termitière, a été construit au début des
années 1960 pour accueillir un centre commercial ou un hôtel de
luxe. C'est aujourd'hui une prison contrôlée par le Sebin.
« Bienvenue en enfer ! » C'est par ces mots que Villca
Fernández a été accueilli dans l'édifice par un commissaire. À
son arrivée, l'ancien dirigeant étudiant de l'Universidad de Los
Andes (ULA) est resté un mois, « jour et nuit », le bras gauche
menotté à une grille dans un « couloir obscur avec des rats
grands comme des lapins ».

Pour Villca Fernández, les geôliers ont agi ainsi « pour [le]
soumettre, [le] ramollir ». Accusé d'incitation à la haine,
divulgation de fausses informations, le jeune homme costaud se
lève pour faire du café quand il s'agit de nous raconter par
visioconférence son traitement à l'Hélicoïde. « Je ne savais pas
qu'un être humain pouvait faire tant de mal à un autre être
humain », dit-il. Libéré et directement envoyé au Pérou en juin
2018, il est resté en prison deux ans et demi.

Il se rappelle les déambulations nocturnes du commissaire


surnommé « El Perro » (le Chien) et de sa batte en bois
« géante ». « Il sortait les prisonniers des cellules, les dénudait et
les frappait jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus tenir sur leurs
pieds. » Dans les souvenirs resurgissent comme des fantômes
les noms et les surnoms des bourreaux les plus sadiques.

Alexander Tirado alias « El Gato de Aragua » (le Chat d'Aragua),


membre fondateur du parti Voluntad Popular, était un des
meneurs des manifestations antigouvernementales connues
sous le nom de mouvement « La salida » (la sortie), en 2014,
dans l'État d'Aragua. Il fut arrêté le 21 mars 2014 et libéré quatre

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ans plus tard, le 3 juin 2018. Lui aussi a un nom qui le hante, et
qu'il prononce avec précaution : Julio César Perez, directeur de
la communauté pénitentiaire de Fénix, dans l'État de Lara.

Le 19 novembre 2014, Julio César Perez « est venu avec


environ 8 personnes vêtues de noir, avec des fusils, nous
chercher [lui et Raúl Emilio Baduel, fils du général Baduel]. Ils
nous ont amenés sur un terrain goudronné, nous ont demandé
d'enlever nos habits. En pleine journée, ils nous ont obligés à
nous coucher ». Sous le soleil vénézuélien, avec l'asphalte
brûlant, « mon pénis s'est enflammé. J'ai toujours des marques.
Et ils frappaient si on bougeait. » Raúl Emilio Baduel a eu des
côtes cassées.

Ceux qui sont passés par le centre pénitencier de la Uribana,


comme « El Gato », se souviennent de cette batte de cricket
utilisée pour frapper les prisonniers et qui portait une inscription
ironique : « défense des droits de l'homme ».

Les mauvais traitements peuvent survenir sans raison, par


sadisme, pour soumettre un détenu ou lui extorquer des
informations. Le 23 mai, en marge des manifestations contre le
gouvernement, Yunior López, assistant du maire (Primero
Justicia) de Mérida, est arrêté par la Direction générale de
contre-intelligence militaire. « Ils m'ont dit : “Oublie ton avocat. Tu
es à nous maintenant.” Ils voulaient le code de mon téléphone
portable. L'un d'entre eux a chargé un pistolet et me l'a mis sur la
nuque. C'est là que j'ai donné le code de mon portable. » Il sera
par la suite accusé d'espionnage, de trahison à la patrie et jugé
devant un tribunal militaire.

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