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La bataille de Paris
17 octobre 1961
Texte intégral
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ISBN 2-02-051061-8
(ISBN 2-013547-7, 1re publication)
Couvre-feu
1. La guerre en France
Là-bas, en Algérie, la guerre dure depuis bientôt sept ans. Une guerre
que, pendant longtemps, les gouvernements successifs n’ont pas voulu
appeler par son nom. On parlait de « maintien de l’ordre », de
« pacification ». L’ennemi y était appelé « rebelle » ou bien « hors-la-loi »,
car, officiellement, l’Algérie, c’était la France. Ses habitants, après avoir été
des « indigènes », sont maintenant des Français musulmans d’Algérie, des
FMA. Ils ont une carte d’identité française.
Une guerre pourtant, et des plus meurtrières. Elle a déjà fait des centaines
de milliers de victimes algériennes. Une guerre à laquelle, depuis novembre
1954, près de 3 millions de militaires français ont participé. Des cercueils
reviennent en France. Il y en aura 30 000.
Pendant longtemps, jusqu’à l’été 1957, le territoire métropolitain a été
épargné. Cette guerre restait lointaine. Cela ne pouvait pas durer.
En France, la guerre d’Algérie, ce fut tout d’abord une terrible guerre
civile entre les deux mouvements nationalistes rivaux : le Front de
libération nationale, le FLN, et le Mouvement national algérien, le MNA.
Guerre civile sans pitié au cours de laquelle des hommes qui, les uns et les
autres, avaient pour but l’indépendance de l’Algérie s’entre-tuèrent. Chacun
des deux mouvements refusait à l’autre le droit d’exister et voulait contrôler
la masse des 400 000 immigrés algériens vivant en France, source, par leur
travail, de considérables revenus financiers.
Le MNA fut d’abord dominant. Il le devait à l’immense prestige de son
chef, le fondateur historique du nationalisme algérien, Messali Hadj,
longtemps détenu dans les prisons françaises. À partir de 1957, il perdit de
plus en plus de terrain. A Paris et dans la région parisienne, il est
maintenant pratiquement éliminé et son influence réduite à quelques hôtels.
En revanche, il conserve de solides positions dans l’est et le nord de la
France.
Dans certains arrondissements de Paris, cette guerre fut particulièrement
meurtrière. Dans le 18e, elle fit au moins 100 morts entre 1957 et
1958 1 Mitraillages de cafés et assassinats se succédaient. Le commissaire
Paul Roux, qui appartenait alors aux Renseignements généraux, se souvient
que « quand il y avait 3 morts, on disait que c’était le FLN et quand il y en
avait 7, que c’était le MNA. C’était notre premier réflexe, et, souvent,
c’était vérifié après 2 ».
En mai 1959, un rapport interne au FLN signale froidement : « Nous
avons eu 3 éléments messalistes EX... dont 1 interpellé dans la rue. Après
l’avoir interrogé et fouillé, il a avoué appartenir au MNA. » En février
1960, un autre rapport indique : « Nous avons détecté un de nos éléments
qui était avec eux, leur donnait des renseignements sur notre surveillance.
Ce dernier a été puni. » La « punition », dans le vocabulaire du FLN, c’est
la mort.
Cette guerre dans la guerre contribua à désorienter l’opinion publique
française.
Les gouvernements français, pour leur part, cherchèrent à en tirer parti.
Le FLN est persuadé de la collusion du MNA avec la police française. En
février 1959, on lit, dans un rapport interne du FLN :« [...] La police ne
néglige aucune aide aux tueurs. Au 36 rue Petit, que nous avons pris
récemment, la police a arrêté tous nos militants et les a remplacés par des
messalistes [...]. Le MNA s’est manifesté par des fusillades à la rue de
Meaux, le 11e arrondissement [...] la police précédé toujours leurs coups,
ainsi ils ne risquent pas d’avoir d’opposants avec des moyens égaux. »
Jusqu’à l’été 1958, il arriva que des Français, civils ou policiers, soient
victimes des retombées de ces affrontements entre FLN et MNA, mais ils
n’étaient pas directement visés.
C’est au mois d’août 1958 seulement que le FLN lança une offensive
militaire sur l’ensemble du territoire métropolitain. Par son ampleur, elle est
restée unique. De nombreux attentats furent alors commis, notamment
contre des installations pétrolières, à Mourepiane, et des commissariats de
police. À Paris, 3 policiers furent tués, boulevard de l’Hôpital. Le
commissariat du 13e fut mitraillé, la cartoucherie de Vincennes attaquée et 1
policier tué. Les attentats se poursuivirent jusqu’à la fin septembre 1958.
Au cours des diverses opérations, des militaires français, des policiers et des
membres des groupes armés du FLN furent tués. De simples passants
italiens et portugais furent également abattus par des policiers qui les
avaient pris pour des Algériens...
Le 15 septembre 1958, Jacques Soustelle, l’ancien gouverneur général de
l’Algérie, devenu ministre de l’Information du général de Gaulle, échappa
de justesse à un attentat qui le visait.
En engageant ces opérations, le FLN cherchait à soulager ses combattants
sur le sol algérien et à faire prendre conscience à l’opinion française que la
guerre d’Algérie la concernait. Mais, en définitive, elles demeurèrent très
limitées et sans commune mesure avec ce que souffrait l’Algérie. Le
commandant en chef des troupes françaises en Algérie, le général Salan,
n’annonçait-il pas, alors, qu’il y avait chaque jour 100 morts en Algérie ?
Chiffre en dessous de la réalité, car beaucoup d’exécutions sommaires
étaient tout simplement passées sous silence 3.
En fait, le FLN ne voulut jamais porter la guerre sur le sol français. Cela
pour une raison essentielle : 80 % des ressources financières du
gouvernement provisoire de la République algérienne, le GPRA,
proviennent de France. La collecte de l’argent auprès des Algériens vivant
en France est même la principale mission de la Fédération de France du
FLN. Pour la mener à bien, il faut que règne en métropole une situation
suffisamment calme 4.
En juin 1960, le GPRA ordonna même à la Fédération de France de
cesser toute action armée, qu’elle vise des Français ou des Algériens. Mais
la Fédération de France désapprouva cet ordre, et des attentats ponctuels
continuèrent contre les policiers.
2. Le gouvernement français
Un autre ministre agit très discrètement dans le même sens que lui. Il
s’agit du ministre des Travaux publics, Robert Buron. Celui-ci informe la
presse, et notamment le journaliste Albert-Paul Lentin, qui travaille au
quotidien que dirige Emmanuel d’Astier de La Vigerie, Libération 17.
3. La Fédération de France du FLN
Dès les premiers jours du mois d’août 1961, alors que la France est en
vacances et que l’article 16 de la Constitution est toujours en vigueur, les
perquisitions et les rafles s’intensifient à Paris et dans sa banlieue. Elles se
succèdent les unes aux autres. Policiers et supplétifs de la FPA, parfois
accompagnés de chiens, descendent dans les hôtels à toute heure du jour et
de la nuit. Le 7 août, aux 13 rue de l’Échiquier, 83 et 88 rue Quincampoix,
72 rue Saint-Martin, 46 rue Volta, 18 rue de la Mare, les Algériens sont
emmenés, beaucoup sont frappés. Certains, gravement blessés, doivent être
hospitalisés. Au cours des fouilles, des déprédations sont commises dans les
chambres. Ce même jour, la rue Tiquetone et la rue des Gravilliers sont
bloquées de 19 à 21 heures. Des passants algériens sont frappés dans la rue.
Des scènes semblables se répètent tous les jours. Dans la rue, les policiers
ne demandent même plus leurs papiers à ceux qu’ils croient être algériens.
C’est la chasse au faciès. Les individus aux cheveux frisés et au teint basané
sont emmenés, mains sur la tête, dans les postes de police où ils sont
frappés avant d’être expédiés au centre d’identification de Vincennes. Dans
le 18e arrondissement, les supplétifs circulent en patrouilles et frappent les
Algériens qu’ils croisent. À chacun de leur passage, on relève une vingtaine
de blessés.
Les Français qui assistent à ces scènes demeurent, dans leur majorité,
indifférents.
Cette offensive policière se produit alors que le FLN a cessé ses attentats
à Paris et en banlieue depuis plusieurs semaines.
Au sein du FLN, des voix s’élèvent en faveur d’une reprise des
opérations armées. Dans un rapport, un chef FLN de Nanterre écrit : « On
ne doit pas rester dans les circonstances pareilles d’humiliation. Plusieurs
de nos éléments suggèrent une action jusqu’à la victoire finale [...]. Nous
pourrions rencontrer des difficultés dans le cas où on resterait les bras
croisés [...]. Nous demandons un ordre pour la contre-répression et d’armer
tous les éléments de GA. »
Mohammedi Saddek va dans ce sens. Il souhaite le déclenchement de
véritables opérations militaires. Il préconise l’attaque de la poudrière de
Vincennes, un attentat contre l’aéroport d’Orly alors en fin de travaux,
l’attaque du fort de Noisy où sont cantonnés les supplétifs depuis le mois de
juillet. Ces opérations sont refusées par le comité fédéral 62.
Tout au long du mois, les attentats de l’OAS se multiplient sans
encombre. Dans la seule nuit du 23 août, quinze attentats à l’explosif sont
commis à Paris et dans la banlieue. Deux d’entre eux visent des hôtels où
demeurent des Algériens, provoquant des blessés.
Le 24 août, un remaniement ministériel est annoncé. Edgard Pisani
devient ministre de l’Agriculture, Louis Terrenoire est nommé ministre
délégué auprès du Premier ministre. Mais, surtout, Edmond Michelet est
démis de ses fonctions de ministre de la Justice. Il est remplacé par Bernard
Chenot, jusque-là ministre de la Santé. De Gaulle sacrifie Edmond Michelet
pour satisfaire Michel Debré. Cela faisait longtemps que le Premier ministre
et son entourage voulaient en arriver là. Bien sûr, les formes ont été
respectées. Le président de la République a convoqué Edmond Michelet et
lui a demandé : « Michelet, voulez-vous être Premier ministre ? »
Interloqué, Edmond Michelet a refusé, comme prévu. « Ce n’est pas dans
ma vocation », a-t-il répondu. « Alors, a poursuivi de Gaulle, il faut que
vous quittiez le ministère de la Justice. Debré ne veut plus être Premier
ministre si vous restez ministre de la justice 63. » Bien entendu, le président
de la République n’a jamais envisagé sérieusement qu’Edmond Michelet
accepte le poste de Premier ministre. Pour mener à bien sa politique, il a
encore bien trop besoin de Michel Debré.
En cette fin d’août, de Gaulle s’apprête à relancer la négociation avec le
GPRA en faisant une concession décisive sur la question du Sahara, qui
constitue le point de blocage essentiel. Il sait que cela va susciter un beau
tollé et doit à tout prix contraindre Michel Debré - qu’il tient à l’écart de sa
réflexion - à appliquer sa politique pour neutraliser ceux qui, en France et
en Algérie, sont influencés par lui et pourraient se transformer en
comploteurs actifs. Il sait que, de toute façon, Edmond Michelet et ceux
qu’il représente lui demeureront acquis.
Mais, en se séparant d’Edmond Michelet, de Gaulle indique aussi qu’il
accepte un durcissement de la répression contre le FLN. Il faut relancer la
négociation en position de force.
Le 5 septembre, au cours d’une conférence de presse, devant ses
ministres pris au dépourvu, le président de la République reconnaît la
souveraineté du futur État algérien sur le Sahara. Cependant, il se déclare
décidé à y préserver les intérêts français, c’est-à-dire l’exploitation du
pétrole et du gaz, le champ d’essai nucléaire de Reggane, la base militaire
de Mers-el-Kébir. Le Premier ministre n’a pas été prévenu de cette
initiative. Il en désapprouve la forme et le fond. L’ignorance dans laquelle il
a été tenu est une marque de méfiance et, quoi qu’il en soit, il demeure
partisan du maintien de la souveraineté française sur le Sahara et ses
richesses pétrolières. Michel Debré, qui, jusque-là, et même s’il l’a fait à
contrecœur, a accepté les évolutions de la politique présidentielle, décide de
démissionner.
Mais, le 8 septembre, l’OAS tente d’assassiner le général de Gaulle. Il
s’en faut de peu que l’attentat ne réussisse. La fidélité de Michel Debré à la
personne de De Gaulle et les risques de crise majeure le conduisent à
surseoir à sa démission. Sa décision, pourtant, est prise, et il en informe le
président de la République : il quittera ses fonctions dès que possible.
L’OAS a entamé une nouvelle phase de son action. Après l’échec du
putsch d’avril, de Gaulle a repris l’armée en main. Pour qu’elle bascule, il
faut le tuer. L’un des auteurs de l’attentat est immédiatement arrêté. Mais
qui renseigne l’OAS sur les déplacements du président de la République ?
Le commissaire Delarue, un des responsables de la lutte anti-OAS,
parviendra à la conclusion que l’organisation a des informateurs à l’Élysée
même, notamment un officier de gendarmerie 64.
Pendant ce temps, du côté algérien, du 9 au 27 août, se tient à Tripoli, en
Libye, la réunion du Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA),
l’instance suprême. Elle a lieu dans un climat de très profondes divisions. À
la tête du FLN, il y a trois hommes forts : le Kabyle Krim Belkacem, vice-
président du GPRA, ministre des Affaires étrangères, chef de la délégation
algérienne dans les négociations avec la France ; Lakhdar Ben Tobbal,
originaire du Constantinois, ministre de l’Intérieur, qui contrôle l’appareil
du FLN ; Abdelhafid Boussouf, ministre de l’Armement et responsable des
services de renseignements.
Entre ces trois hommes, les rapports sont faits d’alliance et de rivalité. À
Tripoli, ils tombent d’accord pour que le président du GPRA, Ferhat Abbas,
soit remplacé. Il est suspecté de manquer de fermeté dans les négociations
avec la France. Durant de nombreuses années, bien avant le déclenchement
de la guerre, il a cherché à obtenir des réformes de la part des
gouvernements français successifs afin de maintenir la possibilité d’une
union entre la France et l’Algérie. Il a exploré toutes les possibilités de
l’action légale. En vain. C’est sous sa présidence que le GPRA a donné
l’ordre à la Fédération de France de cesser toute action armée en France à la
veille des premiers contacts de Melun. Les trois hommes forts du GPRA
sont donc d’accord pour le démettre. Mais aucun d’entre eux ne veut que
l’un des deux autres lui succède. Cette rivalité profite à Benyoucef Ben
Khedda, qui devient le nouveau président du GPRA. « Je me méfiais des
effets de la “négociationnite” alors en vogue, dira-t-il plus tard, et voyais
que seul le renforcement de la résistance pouvait favoriser une vraie
négociation. Je n’étais pas un jusqu’au-boutiste. J’étais pour la paix mais
pas à n’importe quel prix 65. »
Et puis, à Tripoli, éclate aussi la rivalité entre les civils du GPRA et les
militaires de l’état-major général de l’armée des frontières avec, à leur tête,
le colonel Houari Boumedienne. Les militaires refusent la nomination de
Ben Khedda. Leurs représentants quittent la session du CNRA.
Dans la lutte pour le pouvoir, la Fédération de France et son potentiel
financier constituent un enjeu important. Des représentants de l’état-major
se rendent en Allemagne pour tenter de rallier le comité fédéral de la
Fédération de France 66. L’état-major est hostile aux négociations et estime
que l’on s’oriente vers une solution « néo-colonialiste ». En fait, il mise sur
la poursuite de la guerre qui lui permettrait de se renforcer au détriment de
la résistance intérieure déjà très affaiblie. Chacun sait que l’on s’achemine
vers une solution et se prépare à la prise du pouvoir du futur État. Les
tentatives d’alliance avec la Fédération de France échoueront : ses
dirigeants ont pris conscience de leur force.
À Tripoli, Belkacem Krim devient ministre de l’Intérieur du GPRA. Il a
la responsabilité de l’appareil du FLN. Ses origines kabyles le rapprochent
de plusieurs des dirigeants de la Fédération de France (Boudaoud, Ladlani,
Haroun...).
Bien entendu, ces rivalités et ces alliances demeurent secrètes.
« J’héritais de Ferhat Abbas le grave conflit de l’état-major général dirigé
par le colonel Houari Boumedienne, écrira Benyoucef Ben Khedda. Il
fallait reprendre les négociations interrompues à Lugrin en juillet 1961 en
offrant l’image d’un FLN uni. Un déchirement entre nous, dirigeants à
l’extérieur, aurait non seulement exercé des effets démoralisants sur le
peuple mais encouragé de Gaulle à raidir ses positions et à exploiter la
division parmi nous, politique à laquelle il n’avait jamais renoncé. D’où ma
temporisation et celle de la majorité du GPRA en ce qui concerne le conflit
avec Boumedienne, chef d’état-major. Nous ne pouvions réussir à vaincre
les deux difficultés placées devant nous, c’est-à-dire les négociations et la
rébellion de Boumedienne en s’attaquant simultanément à elles, la stratégie
de lutte voulant que face à deux difficultés les efforts doivent être portés sur
la plus importante, le destin de tout un peuple étant en jeu. » Dans le
processus de négociation, Ben Khedda est favorable, à la différence de
Ferhat Abbas, à ce que des pressions suffisamment fortes s’exercent sur le
gouvernement français. Pour négocier, il faut être en position de force :
Charles de Gaulle et Benyoucef Ben Khedda sont d’accord là-dessus.
Dès la clôture de la réunion de Tripoli, des attentats sont commis contre
des gendarmes et des policiers. Le 29 août, à Bezons, un gendarme est visé
par deux Algériens, mais n’est pas atteint. À Petit-Colombes, sur le marché,
le gendarme René Hubert est tué. À Saint-Denis, l’officier de police André
Langlet est blessé par balles. À Paris, l’inspecteur Aimé Curtelin est atteint
de deux balles au ventre. À Paris encore, le policier Charles Batillot est
blessé. Le 3 septembre, à Saint-Denis, le brigadier Pierre Grandjouan est
tué. À Nanterre, la gendarmerie est attaquée, un gendarme est blessé. 11
policiers seront ainsi tués et 17 autres blessés, de la fin août au début
octobre 1961.
À la fin du mois de septembre, de source officielle, on indique que,
depuis quatre ans, sur l’ensemble du territoire métropolitain, 61 membres
de la police ont été tués et 384 blessés. On indique également que, du ler
janvier au 31 août 1961, 460 Algériens ont été tués. Ces attentats, ordonnés
par Mohammedi Saddek, provoquent des désaccords jusque parmi les plus
proches soutiens du FLN. « C’est pas normal que vous foutiez en l’air un
gars qui est devant un poste de police », dit Georges Lepage à Mohammedi
Saddek. « Écoute, Georges, lui répond ce dernier, dans ce commissariat on
a eu des camarades qui ont été arrêtés et on ne les revoit plus. C’est la loi du
talion : œil pour œil, dent pour dent ! - Mais, objecte encore “le Gros”, tu ne
crois pas que ça finit par vous faire du mal ? C’est mal perçu par la
population et même par certaines personnes qui vous soutiennent. - S’il faut
payer la facture, on paiera la facture ! », conclut Mohammedi Saddek 67.
Tout en les justifiant publiquement, le comité fédéral lui-même est agacé
par ces attentats. Le 7 octobre, il donne l’ordre d’y mettre fin. « Nous
donner des précisions sur les policiers abattus, les circonstances, les
mobiles, les noms et les lieux où ils ont été abattus, écrit Kaddour Ladlani
dans une lettre adressée à Mohammedi Saddek. Dans une directive datée du
27.8.61, nous vous avons posé la question, à savoir sur quel principe ou
directive se base-t-on pour abattre des simples gardiens de la paix ? Dans
une autre directive datée du 16.9.61 la même question vous a été reposée,
nous n’avons reçu aucune explication à ce sujet jusqu’à ce jour. Nous vous
demandons de cesser toute attaque contre les policiers et, s’il y a légitime
défense et qu’un policier est abattu, nous fournir un rapport
circonstancié 68 »
9. Police parisienne
Je fus pris par le bras par un brigadier de police qui braquait sur
moi, à 10 centimètres de ma poitrine, un pistolet automatique, tandis
que deux autres policiers me tenaient en respect. Il pleuvait à ce
moment et j’avais les mains dans les poches de mon imperméable.
L’agent m’a alors donné un grand coup sur le bras en me disant :
« Sors tes mains et ne bouge pas, sinon je te descends. » Après une
fouille minutieuse, j’ai pu exhiber ma carte d’identité. Voyant que
j’étais parlementaire, l’agent, sans un mot d’excuses, me dit : « Ça
va. » 89.
Oudina Moussa sort de chez lui, 25 rue de Chartres, pour se rendre à son
travail. Quatre policiers et un brigadier lui intiment l’ordre de mettre les
mains en l’absous la menace d’une mitraillette. Ils le fouillent. En route
pour le poste de police, ils arrêtent trois Algériens dont l’un s’appelle Ferrât
et demeure 32 rue de Chartres. Les deux autres, il les connaît de vue. L’un
habite à la même adresse que Ferrât. L’autre est le frère d’un de ses amis.
Les quatre Algériens sont emmenés au poste de la Vigie. Là, on les fait
rentrer à coups de crosse de mitraillette, à coups de pied et de poing. Dans
la salle, il y a déjà six ou sept Algériens qui gémissent. L’un des policiers
dit à Oudina Moussa : « Tiens, tu as une belle montre », et, d’un coup de
manchette, il le frappe. Il prend la montre et la jette à terre. Un policier le
prend par les pieds, un autre par les mains. À plusieurs reprises, ils le
projettent en l’air et le laissent retomber à terre. Puis, alors qu’il est au sol,
ils le frappent à coups de pied sur tout le corps. Il entend un policier
demander à l’un des Algériens : « As-tu une cigarette ? » L’Algérien lui en
tend une. « Eh bien, mange-la ! » lui ordonne-t-il avant de l’obliger à en
manger deux ou trois autres. On leur fait boire, de force, de l’eau mélangée
à de l’eau de Javel qu’on leur apporte dans des boîtes de conserve. On les
fait boire jusqu’à ce qu’ils vomissent 100.
Thiais-Cimetière parisien
Lieu inconnu
Paris 18e
Assemblée nationale
Lieu inconnu
Paris 18e
Sannois, Seine-et-Oise
Asnières
Place Voltaire, une centaine d’Algériens sont alignés, sous la garde des
policiers et des CRS.
Pont de Neuilly
Stains
Issy-les-Moulineaux
Saint-Denis
Les Algériens commencent à partir pour l’Étoile. Les bus sont pleins, les
taxis aussi. Beaucoup vont à pied. La pluie ne cesse de tomber.
Dix-neuf heures quinze
Argenteuil
Aux portes de Paris, toutes les bouches de métro sont cernées par des
policiers. Les passants au faciès nord-africain sont systématiquement
interpellés, et les Algériens conduits dans des cars de police. Les autobus
doivent stopper et les voyageurs algériens sont arrêtés.
Porte de la Chapelle
Courbevoie
Porte de Pantin
Il pleut. Il fait froid. Le bus 151 arrive de Drancy. Cent mètres environ
avant la porte de Pantin, il s’arrête. Des policiers montent et font descendre
tous ceux qui leur paraissent ressembler à des Algériens ; en particulier
ceux qui ont les cheveux bruns et frisés. Des Espagnols, des Italiens disent :
« Attention, je ne suis pas algérien ! » Les Algériens sont conduits aux abris
des bus de la porte de Pantin. Là, il s’en trouve déjà des centaines sous la
garde de CRS et de policiers parisiens armés de mitraillettes. Tous ceux qui
sortent du métro sont également raflés et amenés à cet endroit. Les policiers
sont dépassés par le nombre. Ils bousculent les gens, les poussent, les
frappent à coups de bâton pour les obliger à se tasser. Les Algériens mettent
les mains sur la tête pour essayer de se protéger des coups. Des cars de
police et des autobus de la RATP arrivent. Les cars de police ne suffisent
plus aux arrestations dans Paris. Maurice Papon a donc décidé de
réquisitionner des autobus de la RATP, avec leurs chauffeurs, pour
transporter les Algériens vers les centres de détention. La dernière fois que
des bus parisiens avec leurs machinistes ont été réquisitionnés, c’était en
1942. Les 16 et 17 juillet 1942, plusieurs dizaines de chauffeurs d’autobus
de la Compagnie du métropolitain avaient tranquillement conduit leurs
véhicules, bondés de juifs raflés, devant les portes du Vel’ d’Hiv’ et du
camp de Drancy.
Les policiers font monter les Algériens en les poussant avec leur bâton.
Dans l’autobus, conduit par un employé de la RATP, ils sont insultés,
bousculés par les policiers. Certains n’étaient pas au courant des
manifestations. Ils revenaient simplement du travail. L’autobus roule vers le
centre d’identification de Vincennes 108.
Argenteuil
Paris 12e
Autobus 190
Tahouche Salah descend de l’autobus. Il rencontre d’autres Algériens qui
lui disent : « Il faut faire demi- tour. » Il n’est au courant de rien. « Où est-
ce que vous allez ? » leur demande-t-il. « On va à Paris à la manifestation. »
Il prend l’autobus, puis le métro.
Puteaux
Nanterre
Les bouches de métro des lieux prévus pour les rassemblements sont
cernées par des cordons de policiers en civil et en uniforme. Les Algériens
qui descendent du métro sont conduits vers des cars.
Michel Legris est journaliste au Monde depuis maintenant cinq ans ; il
travaille au service des informations générales, les faits divers 112. Il
s’occupe aussi des affaires algériennes en France. Le directeur du service
lui a demandé d’aller à l’Étoile. Ce n’est pas un lieu que fréquentent
habituellement les Algériens. Cela crée de l’étonnement parmi les passants
et peut-être même, lui semble-t-il, une certaine crainte. Une vingtaine
d’Algériens descendent de chaque rame de métro. À l’intérieur des couloirs
du métro et à la sortie, avenue de Wagram, des agents de police les
attendent, les interpellent, leur font mettre les mains en l’air et les dirigent
vers les cars. Les Algériens se laissent appréhender sans protester. Michel
Legris ne remarque pas de violences particulières de la part des policiers. Il
observe même, dans le couloir du métro, un Algérien tenant un enfant de 2
ans dans ses bras, sa femme en portant un autre de 3 ans et donnant la main
à un troisième de 5 ans ; avant que la famille n’arrive aux escaliers, un
policier en civil leur conseille de faire demi-tour, ce qu’ils font.
Le journaliste Robert Barrat passe à l’angle de l’avenue de Wagram et de
la place de l’Étoile. Il voit une femme algérienne qui se tient, sous la pluie,
contre la grille d’un immeuble, les deux mains, paumes en l’air, à la hauteur
de la poitrine, selon la tradition des suppliants. Sur sa tête, un foulard vert
d’où sortent des tresses noires et les anneaux d’argent qu’elle porte aux
oreilles. Un agent de police tente vainement de la faire circuler et se taire.
Elle crie : « On en a assez des flics tous les soirs, des rafles, des
arrestations, des tortures ! Tuez-nous ! Mais tuez-nous donc ! » Des
passants s’attroupent, partagés entre la curiosité, un début de compassion et
la crainte d’être pris dans une bagarre. Trois jeunes s’approchent et
s’écrient : « Il n’y a qu’à les renvoyer chez eux, tous ces ratons, et fusiller
les meneurs ! » Une femme âgée, bien habillée, prend l’Algérienne par le
bras : « Voyons, rentrez chez vous, ma pauvre dame, lui dit-elle, vous allez
prendre froid, vous risquez d’attraper des coups... - Qu’est-ce que ça peut
me faire les coups ? Vous savez ce qu’ont fait les harkis et vos paras à nos
frères, en Kabylie 113 ? »
L’éditeur François Maspero gare sa moto place de l’Étoile. Il voit des
Algériens sortir du métro et passer au milieu de nombreux policiers armés
de « bidules ». Les Algériens, triés au faciès, sont embarqués
systématiquement dans des cars. La manœuvre est brutale, mais ne donne
lieu à aucune violence spectaculaire.
Un jeune Algérien sort du métro, l’air complètement paniqué. Avant qu’il
soit arrêté, François Maspero et sa femme l’encadrent et l’accompagnent
jusqu’aux Ternes. Le jeune garçon prend l’éditeur pour un policier venu
l’arrêter 114.
Opéra
Boulevard Bonne-Nouvelle
Le photographe Élie Kagan collabore au journal Libération, dont les
locaux se trouvent dans l’immeuble de L’Humanité, boulevard Bonne-
Nouvelle. Il s’aperçoit que des gens, plutôt bruns, commencent à circuler en
nombre sur le boulevard. C’est inhabituel. Il comprend tout de suite que
c’est la manifestation des Algériens qui se prépare. Des policiers surgissent
et matraquent. En face de L’Humanité se trouve une sorte de salle de jeux
avec des flippers et des machines à sous. Des Algériens s’y précipitent pour
se cacher. Des policiers les y poursuivent et les matraquent. Sur le
boulevard, les Algériens s’enfuient. Certains essaient de pénétrer dans
l’immeuble de L’Humanité pour y trouver refuge. Élie Kagan constate alors
que les grilles se ferment devant eux. À une fenêtre de l’immeuble, il
aperçoit un homme qui fait des photos.
Il monte sur son scooter Vespa et fonce en direction de la Concorde 116.
Vingt heures
Paris 20e
Des centaines d’Algériens sont dans les rues. Aux stations de métro
Avron, Bagnolet, Père-Lachaise, Ménilmontant, de longues files
d’Algériens patientent pour faire poinçonner leur ticket. 500 à 600 autres
décident de partir à pied jusqu’à la République.
Paris 18e
Paris 19e
Pont de Clichy
J’en ai même vu certains qui ont tiré dedans et qui les ont balancés
par-dessus le pont. Ça, je l’ai vu. Il y a eu des coups de feu, de
nombreux coups de feu. C’était des coups de feu individuels, pas en
rafale, au pistolet. On a prétendu que c’étaient des Algériens qui
avaient tiré sur les policiers et que c’était la raison pour laquelle ils les
avaient jetés par-dessus bord. C’est ce qui a été dit par certaines
autorités. Mais, en réalité, on se débarrassait de gens qui avaient été
tués en les jetant dans la Seine. Le courant les emmenait, ça nettoyait
le crime. Des balles ont ensuite été distribuées aux policiers pour
remplacer leurs chargeurs. Des balles ont été données, le lendemain, à
certains policiers pour qu’ils puissent témoigner qu’ils n’avaient pas
tiré s’ils passaient devant l’IGS ou s’ils étaient interviewés par leur
patron ou dans leur service. Ils avaient le nombre de cartouches
suffisant pour justifier qu’ils n’avaient pas tiré.
Mais, à leur grande déception, ils n’ont pas à intervenir. Les compagnies
de district n’auront pas besoin d’eux.
Quand il descend du car, Paul Rousseau voit le pont de Clichy.
Étoile
Il pleut.
Jean Clay, journaliste à Témoignage chrétien sous le pseudonyme de Jean
Carta, voit les Algériens sortir du métro, un par un. Dès qu’ils aperçoivent
les policiers, ils mettent les mains en l’air. On les fouille, on les bouscule,
on leur donne des coups de pied. Ils sont pacifiques. Presque souriants,
trouve-t-il. En quelques minutes, il en voit ainsi arriver un millier. Plus leur
nombre s’accroît, plus les policiers frappent 120. Il entend des passants dire :
« Qu’est-ce qu’ils viennent faire là, ces ratons ? Qu’ils restent chez eux ! »
Champs-Élysées
Concorde
Quand il arrive à la Concorde, les CRS sont sur les quais. Ils divisent les
Algériens en deux groupes. Dans les escaliers, il se retrouve collé contre un
mur parmi la foule des Algériens. Installés au milieu des escaliers, les
policiers en uniforme frappent sur les têtes à coups de barre de fer, de
crosse, de matraque. C’est un massacre. Il les voit s’acharner sur des gens
dont le sang gicle de la tête. À la vue du sang, les policiers frappent pour
achever leur victime. Il pense aux abattoirs de la Villette qu’il connaît. C’est
un carnage. Du sang s’écoule sur les escaliers. Autour de lui, des gens
s’effondrent. Il y a des morts. Il reçoit un coup de crosse sur la tête 122.
Sur un quai du métro, Elie Kagan voit les Algériens parqués, mitraillettes
dans les reins. Au-dessus d’eux, il remarque, ironie, le panneau de la
station : Concorde...
Il prend le métro, descend à la station suivante, change de quai, revient
vers Concorde. Il a caché son appareil photo sous sa veste. Quand le métro
s’arrête, les portes s’ouvrent sur un groupe d’Algériens gardés par des
policiers. Il a le temps de faire deux ou trois photos. Le métro repart. Il n’a
pas été vu. À Solférino, sur le quai, il aperçoit un Algérien qui a reçu une
balle dans l’épaule. L’homme est assis sur un banc, la main droite posée sur
son épaule gauche. Il souffre. Élie Kagan photographie. La poinçonneuse de
billets, qui l’a vu faire, accourt et lui dit : « Mais vous savez, monsieur, que
c’est interdit de prendre des photos sur les quais du métro ! » Très
vivement, il lui répond : « Et ce n’est pas interdit de tuer les gens ? Vous
n’avez même pas un geste de sollicitude pour lui essuyer le sang ou lui
donner un verre d’eau et vous me dites à moi que c’est interdit de faire des
photos, alors que je me contente de faire mon métier ! » Dans la rue, les
policiers chargent. Il voit un jeune, militant du PSU, qui distribue des
tickets de métro aux Algériens pour leur permettre de partir plus vite. Rue
de Lille, il voit des policiers frapper, frapper, frapper. Il a peur. Il se cache
dans une pissotière. Les policiers passent devant elle. Il a peur que l’un
d’eux n’entre et ne le voie. Son angoisse est telle qu’il avance la tête vers
l’eau qui coule le long de la paroi pour se rafraîchir... Une fois qu’ils sont
passés, il entend crier : « Non, pas par là ! Par là ! » Et les voilà qui
repassent, casqués. En arrivant sur le pont de la Concorde, il voit, de loin,
des policiers qui lui font signe. « Ça y est, se dit-il, je suis foutu ! Ils vont
me fouiller... » Il récupère la pellicule et, discrètement, la jette. Les policiers
le fouillent, cherchent la pellicule. Ils ne trouvent rien. Plus tard, il la
récupérera sur le quai de la Seine. Il part vers le pont de Neuilly 123.
Pierre Berger, journaliste à Démocratie 61, arrive sur le quai de la ligne
porte de la Chapelle-porte de Versailles. Ce qu’il voit lui rappelle des scènes
dont il a été témoin en 1941. La plus grande partie du quai est interdite aux
usagers. Les Français sont autorisés à monter dans le dernier wagon, mais
pas dans les autres, car des policiers en font descendre les Nord-Africains.
Sur le quai et dans les couloirs qui y mènent, il voit 200 à 300 Algériens, les
mains en l’air. Ceux que des policiers font descendre des wagons sont
fouillés et plaqués contre le mur 124.
Soltani Djelloul voit sur le quai des CRS armés de mitraillettes et de
manches de pioche. Des policiers montent dans les wagons et en font
descendre les Algériens et tous ceux qu’ils prennent pour tels, à coups de
poing. Sur le quai, toujours, il voit une dizaine de corps allongés, inanimés.
« On vous a coincés comme des rats ! » disent des policiers. « Rats »,
« ratons », c’est ainsi que, depuis des années, certains appellent les
Algériens. La « ratonnade », c’est la chasse aux Algériens. « On va vous
fusiller comme les cadavres que vous voyez ici ! » lancent-ils. « Dites au
revoir au FLN ! » Ils poussent les Algériens dans les couloirs de
correspondance où il fait terriblement chaud et où l’air devient irrespirable.
Des gens s’évanouissent 125.
« Mains en l’air ! » entend crier Lakmine Layachi, âgé d’environ 58 ans.
Il se retourne et reçoit un coup de crosse. Il s’effondre.
Ouail Rabah entend des coups de feu venus il ne sait d’où. Mekki
Daoudji Mhamed voit des Algériens tomber sous les balles des gardes
mobiles.
Pont de Neuilly-Défense
Sur le pont de Neuilly, il voit des policiers, mais aussi des supplétifs, qui
interdisent le passage 130. Les manifestants crient : « Algérie algérienne ! »
Brusquement, dans la nuit, c’est la charge, les matraquages. Des femmes
algériennes avec leurs enfants tentent de passer. Des policiers les frappent à
coups de matraque ou de crosse. Une femme gît à terre, blessée à la tête.
Elle saigne abondamment.
Idir Belkacem et ses compagnons sont en autobus 131. En arrivant aux
abords du pont, il veut descendre. Le chauffeur lui dit : « Vous ne pouvez
pas descendre ici, regardez ce qui se passe dehors... ! » Idir Belkacem
essuie la buée qui couvre la vitre et voit énormément d’hommes, de femmes
et d’enfants, qui veulent à tout prix traverser le pont. L’autobus avance. Il
voit des policiers qui frappent des femmes à terre. Des hommes aussi,
blessés. Des femmes courent, nus pieds ; elles ont perdu leurs chaussures.
Un policier les poursuit, armé d’une matraque. L’autobus traverse le pont.
Grâce à la bienveillance du chauffeur, Idir Belkacem et ses copains
franchissent le barrage de police. Le bus les dépose à la station de métro
Pont-de-Neuilly. Quand il descend de l’autobus pour prendre le métro, Idir
Belkacem entend des rafales de mitraillette.
Sur le pont, Mohamed Lamine voit, autour de lui, des gens tomber. Il
s’évanouit... Il est atteint de trois balles. L’une à un pied, deux autres au
flanc gauche.
Daoui Si Mokrane, en entendant les coups de feu, se couche à terre.
Quand il se relève, il constate qu’il y a trois cadavres à côté de lui. Il ignore
leurs noms, mais sait qu’ils habitaient rue Dubois, à Nanterre.
Des policiers français tirent, des supplétifs aussi. L’un d’eux change à
trois reprises le chargeur de son pistolet.
Au début de la fusillade, un manifestant affirme que les armes sont
chargées à blanc. « Des cartouches à blanc ! » s’exclame un supplétif qui l’a
entendu ; et il tire en rafales. Un autre supplétif se saisit d’un manifestant,
lui loge une balle dans la tête et s’en va 132.
Saïdani Saïd, âgé de 58 ans, né à Dra El Mizan, demeurant 142 avenue de
la République, à Nanterre, est l’un des tués du pont de Neuilly. Tahraoui
Slimane, Khéiri Salem, Saâdoune Moubarek, Ben Fed’ha Meliani sont
quelques-uns des blessés par balles.
Le cortège se disloque. Des gens courent en tous sens, affolés. Des
femmes crient. Des militants tentent d’encadrer le reflux de la foule vers la
Défense. Des Algériens portent des hommes blessés sur leur dos. Une
femme, le crâne fracturé, est emmenée en voiture avec quatre autres
blessés.
Étoile
Champs-Élysées
Boulevard Saint-Germain
La pluie, toujours.
Marie-Lucie Lanfranchi appartient à un réseau de soutien au FLN. Elle
effectue des passages de frontières. Un jour, elle a fait sortir de France un
blessé algérien. Quand il a fallu passer au poste-frontière, le douanier
martiniquais a compris de quoi il s’agissait et a fermé les yeux. Au mois de
juillet, elle a fait passer un condamné à mort qui s’était évadé. Georges
Mattei lui a demandé d’observer les événements tout le long du boulevard.
Au métro Pont-de-Neuilly, dans les couloirs et sur les quais, elle a vu des
policiers munis d’armes à feu ou de matraques poursuivre des Algériens.
Des voyageurs aidaient les policiers en courant après les Algériens pour les
rattraper. Quand elle arrive boulevard Saint-Germain, au carrefour de la rue
du Bac, elle voit des policiers pourchasser des Algériens et les frapper. Elle
entre dans le café L’Escurial, où des Algériens se réfugient. Le patron lui
fait signe de se mettre au bout du bar. Les Algériens ont entre 30 et 40 ans.
Il n’y a aucun signe de violence de leur part. Des policiers entrent dans le
café et les en font sortir. Les consommateurs sont indifférents.
Entre la rue du Bac et la rue des Saints-Pères, les policiers poursuivent
tous les Algériens qu’ils aperçoivent. Certains sont plaqués contre les
murs ; des policiers les fouillent. Ils ne disent rien. À la hauteur de la rue
des Saints-Pères, des Algériens traversent pour s’enfuir alors qu’arrive un
bus. Le chauffeur proteste : « Qu’est-ce qu’ils viennent nous faire chier
ici ! » lance-t-il. Près de la place Saint-Germain-des-Prés, les poursuites
continuent. Des étudiants, bon chic-bon genre, sont là. Une jeune fille
s’exclame : « Chouette ! Ce soir on s’emmerdait ! Enfin du spectacle !» Il y
a des gens dans la rue, mais personne n’intervient ou ne proteste. Entre
Saint-Germain et Odéon, des Algériens sont face à un mur. On les fouille.
Marie-Lucie poursuit son chemin. À Maubert, elle voit des femmes
algériennes. Certaines d’entre elles ont des enfants sur les bras. Elles sont
vêtues de robes traditionnelles de couleur, bleues ou roses. Les mêmes
scènes se répètent, mais les femmes ne sont pas arrêtées. Marie-Lucie
Lanfranchi est surprise par l’absence totale de protestation des Français.
Elle n’a été témoin d’aucune manifestation de générosité 139.
Opéra
Des policiers se précipitent sur Bououden Moktar, lui font mettre les
mains en l’air, lui donnent des coups dans les côtes en lui disant : « Tu es le
bienvenu ! » Avec une centaine d’autres Algériens, il est conduit dans une
bouche de métro. Là, des policiers matraquent et plaisantent entre eux :
« Ça grouille, les ratons, aujourd’hui 140 ! »
République
Gennevilliers
Jean Goyer finit de dîner. Une pétition circule dans son immeuble. Un
voisin algérien et l’un de ses fils ne sont pas rentrés. La femme se lamente.
On l’a informée que des policiers ont tiré sur son mari et son fils, au pont
d’Argenteuil, alors qu’ils revenaient du travail. Le garçon a sauté dans la
Seine.
Ce soir, Jean Goyer, qui est fonctionnaire à un poste de responsabilité au
ministère de l’Intérieur, est rentré en retard. Il a pris l’autobus 165 à la porte
Champerret. Au pont d’Asnières, sur la petite place de la station de bus, des
gardes mobiles ont arrêté le véhicule et, casqués, crosse en avant, sont
montés. Ils ont fait descendre les Algériens qui se trouvaient là et les ont
fait monter dans des fourgons. Le bus est reparti.
Quand il est arrivé à Gennevilliers, quelqu’un a dit à Jean Goyer qu’entre
Gennevilliers et Argenteuil la police a jeté des Algériens dans la Seine 142.
Asnières
Champs-Élysées
Boulevard Saint-Michel
Opéra
Préfecture de police
Grands Boulevards
Boulevard Saint-Michel
La Défense
Les manifestants refluent du pont de Neuilly. Ils sont poursuivis par des
policiers qui tirent à nouveau. De leurs fenêtres, des Français jettent des
bouteilles sur les Algériens. Plusieurs vitrines sont cassées, quelques
voitures renversées. Des chauffeurs de taxi qui ne veulent pas prendre
d’Algériens sont giflés par des manifestants 153.
La police saisit des pellicules photographiques.
Gare Saint-Lazare
Les policiers observent les visages. Quand ils croient avoir identifié un
Algérien, ils se précipitent. L’homme est emmené. Certains sont séparés de
leur famille.
Amara Elmahfoud a pris le train à Argenteuil. En descendant, il est
arrêté.
Le brigadier-chef André Hulot, lui, est de contrôle. Il a pour mission
d’intercepter les Algériens. Avec un brigadier, neuf gardiens de la paix,
deux civils, des policiers du premier district, il monte dans les trains qui
viennent de la banlieue. Certains Algériens appréhendés disent qu’ils ont
été menacés et contraints de venir. Ils sont conduits en cars à l’ancien
hôpital Beaujon et à la préfecture de police 154.
Beaujon
Opéra
Boulevard Saint-Michel
Boulevard Saint-Germain
Opéra
Pont de Neuilly
Élie Kagan voit des autobus réquisitionnés et conduits par des employés
de la RATP. Au fur et à mesure que les policiers ramènent des Algériens, ils
les font monter dans les bus. À l’intérieur, les Algériens ont les mains sur la
tête.
Le photographe apprend que des coups de feu ont été tirés à Nanterre.
Après avoir photographié l’un de ces autobus, sur le flanc duquel s’étale
une publicité, « Un mot sur toutes les lèvres - Pschitt bonbons » », il s’y
rend en scooter 159.
Vingt et une heures trente-sept
Boulevard Bonne-Nouvelle
Paris 18e
Martine Laulhère termine ses études de médecine. Elle et son mari, Jean,
hébergent des Algériens depuis déjà un certain temps 167. En 1953, après
son service militaire au Maroc, Jean, qui est chrétien, a voulu mieux
connaître le monde qu’il avait croisé. Il est parti en Algérie, à Souk-Arras,
où il a travaillé comme terrassier avec des Algériens. Il a vécu avec eux
dans un fondouk, une sorte de bidonville, où il a fait la connaissance d’un
dirigeant nationaliste, Badji Mokhtar, qui, se souvient-il, lui faisait penser à
saint François d’Assise. De retour en France, il a vécu dans un hôtel, au 172
rue Nationale, dans le 13e, parmi les Algériens. Ouvrier à la SNECMA, il
passe son BEPC à l’âge de 29 ans et adhère au Parti communiste. Sa carte
lui sera retirée après qu’il eut hébergé des Algériens, à titre individuel
pourtant. Martine, elle, a milité, dans le milieu étudiant, pour la paix en
Algérie. Tahar, un Algérien qu’ils hébergent et dont ils ne connaissent que
le prénom, leur demande parfois d’accueillir d’autres Algériens. Ce soir, il a
dit à Martine Laulhère : « Il faut que tu viennes, il y a eu des
matraquages... »
Un autre Algérien, Ait Larbi Larbi, demeurant 7 rue Caillié, dans le 18e,
est laissé pour mort dans le bois de Montreuil.
Nanterre
Quand il arrive sur son scooter, le photographe Elie Kagan entend tirer en
rafales. Rue des Pâquerettes, non loin du bidonville, il cache sa Vespa. Il
entend gémir. Un homme gît sur un petit mur, comme arrêté dans le
mouvement qu’il faisait pour franchir l’obstacle. Il est mort. Un autre, juste
derrière lui, est étendu sur le sol, ensanglanté, face contre terre. Il est blessé.
Comme beaucoup de ses compatriotes, il avait revêtu sa tenue du dimanche.
Élie Kagan photographie. Il entend dire : « Laisse, laisse ! Il fait des photos,
laisse-le faire ! » Ce sont des Algériens, cachés, qui attendent qu’il ait fini
pour secourir les blessés et récupérer les morts. Elie Kagan compte trois ou
quatre morts. Les policiers sont à quelques centaines de mètres de là. Quand
il photographie, il les entend crier : « Y a des flashs ! Y a des flashs ! » Une
Volkswagen s’arrête, un type en descend. Sur son imperméable, il porte un
macaron de presse. C’est un journaliste américain qui se met à insulter le
photographe en lui disant : « Mais comment peux-tu faire des photos des
blessés et des morts alors qu’ils souffrent ! -Tu m’emmerdes, je fais mon
métier ! » rétorque Élie Kagan avant d’ajouter : « Si t’es tellement
charitable, on va en prendre un et l’emmener à l’hôpital de Nanterre. »
L’Américain est d’accord. Il aide un Algérien couvert de sang à se relever.
Le visage de l’homme est déformé par un rictus de douleur. Il pleure. Le
journaliste et le photographe l’aident à s’asseoir dans la voiture. Alors que
la Volkswagen s’éloigne, des Algériens viennent ramasser leurs morts. À
l’hôpital, on fait asseoir le blessé dans un fauteuil roulant ; l’employé qui le
pousse s’exclame, le mégot à la bouche : « Et un raton, un ! » Mais Élie
Kagan voit aussi des médecins s’opposer à l’entrée des policiers venus à
l’hôpital pour y interroger ou y rechercher des blessés 169.
Argenteuil
Quartier latin
Porte de Champerret
Amar Mallek sort d’un café. Passe un car de police. Des policiers
entourent Amar Mallek et le font monter. Avec d’autres personnes, il est
conduit, semble-t-il, d’abord au palais des Sports, puis au stade de
Coubertin 170.
Venant de l’Opéra, Khederi Ahmed descend d’un car entre deux haies de
gardes mobiles et de policiers qui frappent à coups de pied, de crosse et de
gourdin. Avec d’autres prisonniers, il tombe à terre, couvert de sang. Ceux
qui les suivent les piétinent. Les gardes mobiles disent aux policiers
parisiens : « Ce n’est pas notre travail de balayer le sang. » Les policiers
prennent des seaux d’eau pour nettoyer. Khederi Ahmed gît sur le ciment
171.
Dans les bâtiments du CIV, il y a beaucoup de détenus. Ils sont serrés les
uns contre les autres. Beaucoup sont couverts de sang.
Porte de la Villette
Préfecture de police
Quand les Algériens descendent des cars, ils sont accueillis par une
centaine de policiers qui les frappent à coups de poing, de pied, de crosse,
de manche de pioche. Kerdouh Boudjamaâ est frappé à la tête à coups de
matraque. Il voit des morts et des blessés. Beybou Mohamed passe entre
deux rangs de policiers qui tapent. Un Algérien s’effondre, probablement
mort. On l’emporte. Plus tard, un supplétif dira qu’il a été jeté à la Seine.
Larbi Mohamed voit des morts. Des policiers volent à Daouadji Abdallah
les 15 000 francs qu’il a sur lui. Zidani Amar est frappé, puis on lui prend
ses 12 000 francs. Quatre policiers s’acharnent sur Gana Brahim. 8 000
francs lui sont volés. Un commerçant porte sur lui 1 million de francs, en
billets de 50 000 francs l74. Ils lui sont dérobés.
Quand Amara Majid et ses compagnons arrivent, on les oblige à sortir du
car par une fenêtre. Chaque tête qui se présente ainsi est matraquée. Voyant
cela, Amara Majid sort les jambes en avant. On les lui frappe. La rotule de
sa jambe droite est brisée.
Vingt-deux heures trente
Radio Luxembourg fait état de blessés par balles devant le cinéma Rex,
de heurts violents boulevards Saint-Michel et Saint-Germain, avenue de la
Grande-Armée, au rond-point de la Défense, sur les Grands Boulevards.
Des dizaines d’Algériens ont été blessés par balles et des centaines d’autres
ont été matraqués, précise la radio.
Opéra
Boulevard Bonne-Nouvelle
René Dazy, après avoir rédigé son article pour Libération, rentre chez lui.
Sur le boulevard, devant le cinéma Gaumont-Théâtre, une énorme flaque de
sang a éclaboussé jusqu’au mur. Deux femmes se penchent.
-Dis, qu’est-ce que c’est... là... ces caillots... de la cervelle ? demande
l’une.
-Non, penses-tu. On l’a opéré des amygdales... répond l’autre en riant.
Des gens discutent.
- Ces gens-là, voyez-vous, ne respectent que la force.
- Ce sont des hommes comme les autres. Il y en a des bons, il y en a des
mauvais. Les flics y sont allés fort.
- La police, elle en a marre de leur servir de cible.
En rentrant chez lui, René Dazy vomit 175.
Préfecture de police
Gare Saint-Lazare
Lieu inconnu
Concorde
Boulevard Saint-Michel
Paris 16e
Paris 18e
Les policiers nous ont dit qu’ils nous emmenaient chez un docteur.
Nous sommes montés tous les deux dans la voiture. Il y avait le
chauffeur et un agent armé d’une mitraillette. Quand la voiture a
démarré, je ne sais si le policier fut saisi d’une crise de folie ou s’il a
agi par esprit répressif, en tout cas, il avait la bave à la bouche, les
yeux fous. Il élevait son gourdin à hauteur de sa tête et nous l’abaissait
de toutes ses forces sur tous les membres du corps. Le frère qui était
avec moi est tombé évanoui sous les coups. Quand la voiture s’est
arrêtée, le chauffeur est descendu et nous a dit de descendre. Toujours
sous la menace de la mitraillette, nous sommes descendus et ce que
nous avons vu nous a fait entrevoir que notre mort était proche. On a
commencé à faire des prières, nous avons compris. L’eau froide de la
Seine était à 2 mètres. C’est cela le docteur pour mettre fin à nos
souffrances.
On ne pouvait pas bouger, nous avions deux visions hallucinantes, le
canon de la mitraillette et l’implacable eau froide.
Un des policiers a levé sa matraque blanche et commençait ses
sévices. Il nous matraquait dans l’espoir de nous faire perdre
connaissance pour couler plus vite et avoir une mort certaine. Dans un
suprême élan de conservation, le frère algérien et moi nous nous
sommes enlacés et nous avons invoqué nos mères et Dieu à notre
secours. Le policier, fou de haine et voyant que nous étions solidaires
même devant la mort, a porté un coup de matraque si terrible, oui, si
terrible que le cerveau de mon pauvre compagnon m’a éclaboussé la
figure. Je n’ai pu entendre qu’un râle d’agonie, le frère martyrisé est
mort dans mon bras. Voyant cela, le policier m’a assené un dernier
coup sur la nuque. Avant de tomber dans l’inconscience, j’ai entendu
dire le policier : « Ils sont morts, balance-les ! »
Quand j’ai repris la notion des choses, je croyais qu’il pleu vait,
j’étais tout bonnement dans l’eau. Je flottais au ras de l’eau et c’est la
providence si je n’ai pas coulé. Sur la nappe d’eau, il y avait des taches
de sang, mon pauvre compagnon a coulé. La voiture des policiers a
disparu, j’ai pu regagner la rive et, par des efforts surhumains, je
regagne le quai et je retombe dans l’inconscience. Je n’ai pas eu la
notion du temps, je ne sais combien je suis resté évanoui. En tout cas,
j’ai pris mon courage à deux mains et, malgré le sang qui m’aveuglait,
j’ai regagné dans la nuit le foyer de Stains où les quelques frères
rescapés m’ont soigné, revêtu de linge propre et m’ont offert un lit.
J’ai passé le restant de la nuit au foyer et le matin j’ai pu regagner le
domicile mien à Villiers-le-Bel.
Mes frères, je porte à votre connaissance que la répression m’a pris
mon portefeuille et mes papiers d’identité. Ils m’ont aussi pris de
l’argent.
Pour le moment, je ne puis guère circuler puisque je n’ai aucune
preuve justificative de mon identité.
Je n’ai que deux regrets, celui d’avoir perdu mon compagnon de
souffrance et de ne pas avoir vu la manifestation 179.
Saint-Denis
Saint-Denis
Geghal Ahmed est jeté dans le canal après que des policiers lui eurent
pris ses papiers. Il échappe à la noyade.
Stains
Nanterre
Paris 13e
Bois de Boulogne
Appréhendé par des policiers en civil, May Smaïl est frappé dans la
voiture qui l’emmène au bois de Boulogne. Là, il est matraqué et reçoit un
coup de couteau. Il est abandonné. Il reviendra à lui le lendemain et sera
transporté à l’hôpital par un automobiliste belge.
Lieux divers
Gennevilliers
[...] Il m’a été pénible d’assister à des actes indignes d’êtres civilisés
[...] des actes d’une bestialité révoltante ont été commis de propos
délibéré par des policiers qui n’avaient même pas participé au maintien
de l’ordre lors de la manifestation. Systématiquement, les musulmans
descendant des cars étaient assommés à coups de matraque, jetés au
sol et piétinés. Le nombre de doigts écrasés, de côtes enfoncées et de
fractures du crâne ne se compte plus [...]. Je ne m’étendrai pas sur ce
sinistre tableau d’une sauvagerie inouïe. Il faut cependant se poser la
question : comment des policiers en sont-ils arrivés là ? Toute cette
affaire a été orchestrée sciemment dans la coulisse par ceux qui ont
intérêt à semer le désordre dans la capitale. Dès le début des
manifestations, on a fait courir dans les services le bruit que des
dizaines de gardiens de la paix avaient été tués et qu’il y avait des
centaines de blessés parmi nos collègues. Il va de soi qu’une telle
nouvelle a survolté immédiatement le climat et a incité certains à la
violence. Pourquoi l’administration n’a-t-elle pas démenti
immédiatement ces fausses nouvelles ? Elle en a les moyens et elle ne
l’a pas fait. Il y a donc des responsables à notre tête qui ne sont plus à
leur place 187. D’autre part, je tiens à stigmatiser l’attitude de M. Paris,
contrôleur général du 6e district, qui a assisté à ces actes de barbarie et
qui n’a rien fait pour faire cesser les violences... J’estime que ce
monsieur a failli à son devoir et a fui ses responsabilités de chef. Ici je
parle au nom de la grosse majorité de mes camarades du 15e, car tous
ceux qui ont assisté à ces actes inqualifiables sont écœurés. Face à
cette situation je pense que notre organisation ne peut rester dans
l’immobilisme et qu’elle ne peut se solidariser avec des gens qui ont
déshonoré leur uniforme et abandonné toute dignité humaine 188.
Cette nuit-là, Joseph Gommenginger ne pénètre pas dans les bâtiments du
palais des Sports. Là, sont entassées 6 000 personnes environ, la plupart
blessées et ensanglantées. Beaucoup gisent à même le sol. D’autres
s’effondrent. Quand un interné demande à aller aux WC, il est frappé par
les policiers de garde. Si bien que les prisonniers sont obligés de faire leurs
besoins sur place, au milieu de leurs compagnons.
Dans cette foule, il y a des morts. À coté de Harfouchi Ahmed, un
Algérien gravement blessé à la tête succombe. Douadji Mostefa voit des
policiers mettre le cadavre d’un compatriote dans un sac. Salhi Aïssa voit
d’autres prisonniers transporter deux cadavres.
Des haut-parleurs haranguent la foule. « Si vous êtes venus manifester,
c’est parce que les meneurs du FLN vous y ont obligés... », entend-on. Un
Algérien dit à ses compagnons, dans leur langue : « Je prends le risque de
leur répondre que ce qu’ils disent est faux », et il ajoute : « Je sais que je
vais mourir. » Aussitôt, en français, il crie : « Ce ne sont pas les meneurs du
FLN qui nous y ont obligés, nous sommes venus de notre propre gré pour
lutter contre le couvre-feu raciste... » Un coup de feu le tue sur place. Les
prisonniers observent une minute de silence, puis un brouhaha s’élève de la
foule et des cris : « Algérie indépendante ! », « Libérez Ben Bella ! »,
« Vive le GPRA ! ».
À un autre moment, sur la scène du palais des Sports, un officier
supplétif s’adresse en arabe aux prisonniers : « Pourquoi vous avez
manifesté ? Il faut obéir au couvre-feu ! » « Ferme ta gueule, on n’a pas
besoin de toi ! » lancent des voix, dans la foule. Il menace : « Vous allez
tous passer par mes mains ! » Il donne l’ordre à ses hommes d’évacuer un
coin du palais des Sports et d’y installer un rideau pour le mettre à l’abri des
regards. Un par un, des prisonniers seront appelés et conduits derrière ce
rideau. On ne les verra plus revenir, mais, de temps en temps, venant de cet
endroit, on verra passer des CRS portant un brancard recouvert d’une
couverture.
Dans la nuit, Dan Sperber croit entendre des coups de feu du côté du
palais des Sports. Il se dit qu’il a dû se tromper, qu’il se monte la tête.
III
L’étouffement
1. 18 octobre 1961
Métro Solférino.
Solférino : un jeune Français aide un Algérien blessé.
Ensanglanté, l’homme achète un ticket de métro.
Nanterre, rue des Pâquerettes. Sur le mur. un homme est mort.
Un autre, gravement blesse, gémit.
Un journaliste américain a transporté le blessé à l’hôpital de Nanterre.
Un employé hospitalier, mégot à la bouche, s’exclame : « Et un raton,
un ! »
Ahmed Khalfi
DES DISPARUS
Mohamed Khadraoui
Abelmadjid Gacem
Abdelaziz Baali
Mohamed Saïd Ould Saïd
DESDISPARUS
LakhdarGides
.........................................
Dans la nuit, alors que l’Assemblée nationale est en train de discuter des
prix agricoles, le ministre de l’Agriculture, Edgard Pisani, cède la place à
son collègue de l’Intérieur pour lui permettre de faire une déclaration sans
débat sur les manifestations :
[...] Des coups de feu ont été échangés, affirme Roger Frey, qui ont
fait deux morts et huit blessés par balles, ainsi qu’un certain nombre de
blessés parmi le service d’ordre [...]. Des coups de feu ont été
échangés boulevard Bonne-Nouvelle [...]. N’eût été la fermeté et la
stricte discipline des forces de maintien de l’ordre, gardiens de la paix,
CRS et gendarmes, une telle manifestation aurait pu se solder par un
bilan plus sanglant encore que celui que nous avons à déplorer.
Deux autres appelés du service de santé passent parmi les détenus pour
s’occuper des plus gravement atteints. Un Algérien, étendu, souffre d’une
rétention d’urine, à la suite des coups de pied qu’il a reçus dans le bas-
ventre. Il devra attendre le lendemain pour être évacué vers un hôpital. Un
autre a reçu plusieurs coups de matraque sur la tête. Un militaire lui fait un
pansement à l’infirmerie. Pendant ce temps, un Algérien est devenu fou.
Cinq policiers le frappent. À terre, il gémit. Un autre encore est pansé. Une
demi-heure plus tard, il revient à l’infirmerie ; il vient de recevoir un coup
de crosse sur le visage 222.
Au palais des Sports, le récital de Ray Charles commence comme prévu à
20 h 40. Les spectateurs y sont accueillis par des employés vêtus d’un
pantalon noir et d’une veste rouge. 6 000 spectateurs ce soir : la salle est
pleine. Il y en aura 35 000 en cinq jours. Les organisateurs sont soulagés :
ils craignaient que la proximité des Algériens internés ne perturbe le
spectacle. Or, il n’en est rien. Vers 21 heures, les retardataires peuvent tout
de même entendre des chants algériens s’élever du parc des Expositions.
Certains dissertent sur le folklore algérien. À 22 h 30, un journaliste de
Libération, Jacques Flurer, réussit à se faufiler quelques instants dans le
parc des Expositions. Il y entend des cris de douleur 223.
Dans la nuit, Mohamed Badache, arrêté dans son hôtel et gravement
blessé, dénombre cinq morts au parc des Expositions 224.
Bouchama Aïssa, de son côté, est emmené au CIV, à Vincennes. Il y
entend des détenus hurler, comme si on les frappait à mort.
Frère,
Au sujet de la manifestation du 17 dernier, des renseignements réels
nous manquent. Donc, nous nous trouvons dans l’impossibilité de
donner le moindre aperçu initialement prévu pour demain, le 21 [...].
Nombreux sont les cadres moyens arrêtés, d’où les difficultés
éprouvées par les permanents pour rassembler les informations que
nous crûmes obtenir immédiatement [...]. Le nombre de morts et
blessés est certainement plus élevé que celui avancé par diverses voies.
Sur cette affaire, nous ne serons définitivement fixés que d’ici une
semaine et même [...] plus, car il va nous falloir rétablir la liaison entre
divers comités et au sein de nombreuses régions, procéder à leur
reconstitution.
Dans la journée, des Algériens internés sont déportés (par avion ou par
bateau) vers des camps d’Algérie. Certains journaux se font l’écho de la
mise en scène de la veille. « Classe touriste pour les expulsés », titre Paris-
Jour. Dans Le Figaro, on lit : « Les musulmans algériens ont été traités
comme les passagers de la classe touriste. »
Georges Arnold est prêtre. Depuis 1956, il vit dans un hôtel insalubre, à
Saint-Denis, 18 rue des Brise-Échalas, parmi des ouvriers algériens et
tunisiens 229. Il décide d’adresser une lettre à l’archevêque de Paris, le
cardinal Feltin. « [...] Les événements actuels, par leur dureté particulière,
me font un devoir de vous écrire [...] » Il rapporte des faits. Et notamment
ceux-ci : « Quatre Algériens sont libérés de Vincennes à 21 h 30, donc après
le couvre-feu. Un car de police passe, les ramasse pour être dehors à cette
heure-là, les emmène dans la campagne, en plein bois. Là, ils sont tellement
malmenés que l’un d’eux est considéré comme mort, tandis que les trois
autres sont achevés sur place. Le fait a été connu par le survivant, qui est
actuellement à l’hôpital 230. »
Régulièrement, il participe à des réunions avec des assistantes sociales,
des infirmières, des aides familiales, qui appartiennent à l’Action catholique
des milieux sanitaires et sociaux (ACMSS). Elles écriront également au
cardinal Feltin pour l’informer de faits dont elles ont eu connaissance :« [...]
L’une d’entre nous, infirmière, voyageant avec un commissaire de police,
l’entend déclarer : “Moi, j’en ai vu descendre 15 qui refusaient de lever les
bras.” [...] Au cours d’une visite à domicile, un jeune Algérien confie à une
assistante sociale qu’il s’est réfugié chez son beau-frère, il n’ose plus sortir.
Au cours d’une précédente vérification d’identité, ses papiers ont été
déchirés et lui jeté à la Seine [...] Un garçon de 22 ans détenu à la porte de
Versailles a dit à une infirmière : “Oui, pour moi ça va, je n’ai rien, mais j’ai
eu 5 morts entre les bras, oui 5 que j’ai portés.” [...] L’arrestation récente de
nombreux pères de famille a encore aggravé la vie des jeunes, des femmes
et des enfants : perte des salaires, rafle des économies, angoisse de ne pas
savoir où les hommes se trouvent, la préfecture de police et les hôpitaux
refusant de donner toute indication à leur sujet [...] 231. »
4. 21 octobre 1961
La famille a reçu un avis qu’il s’était évadé, qu’on avait tiré sur lui.
Je l’ai vu avec le docteur Klotz. Ecchymoses multiples de la région
cervicale, blessé à l’abdomen, pas par balles, et une blessure dans les
parties sexuelles qui n’était pas compatible avec la thèse de l’évasion.
Ces faits ne sont pas isolés, dit le médecin au tribunal. Je dois dire
qu’ils se sont produits non par dizaines mais par centaines. Je me fais
l’interprète des médecins qui accomplissaient avec moi leur mission. Il
s’agit de faits qui nous rappellent ceux que nous avons connus pendant
la guerre. Je suis un ancien interné évadé. En dehors de tout esprit
partisan, j’ai été très impressionné et un peu honteux de ce qui s’était
passé.
« Aux premières heures, lit-on dans La Croix, des précisions avaient été
données officiellement sur le chiffre des morts. Ou bien ceux qui nous les
ont apportées nous ont menti, ou bien ils se sont laissé induire en erreur par
les mensonges des subordonnés, et le résultat est finalement pareil. »
Ce jour-là, salle de la Mutualité, 2 000 étudiants tiennent un meeting
corporatiste. Le représentant des étudiants en médecine s’exclame :
« Devant le racisme contre les Algériens, nous sommes tous des
Algériens. » Il est applaudi.
Maurice Papon interdit un meeting de protestation contre la répression.
Le lendemain, les organisateurs, Jacques Madaule, Jean-Marie Domenach,
Georges Montaron, l’abbé Depierre, le pasteur Roser, Emmanuel d’Astier
de La Vigerie, tiennent une conférence de presse à l’hôtel Moderne. Ils
protestent contre l’interdiction du meeting et annoncent la création d’un
« centre de coordination des témoignages ».
Ce 27 octobre, dans Témoignage chrétien, on lit le récit d’une femme
algérienne blessée lors des manifestations :
Les policiers ont mis en joue mes enfants. Je me suis précipitée pour
arracher l’arme... Alors ils m’ont battue à coups de poing, de crosse de
fusil, l’un m’a prise par les cheveux et traînée par terre... pour me faire
monter dans la voiture qui a des grillages. Et la fusillade a éclaté... Ma
fille a vu devant elle une femme tomber, son enfant accroché sur le dos
(vous savez, comme chez nous) : la même balle les avait transpercés
243.
Il n’y a pas de soir, écrit-il, où dans Paris depuis sept ans ne retentit
le cri des hommes que l’on roue de coups jusqu’au coma dans les
paniers à salade de nos braves agents de la circulation ; sur les plus
grandes artères de notre capitale, l’obscène rituel du « contrôle
d’identité » n’attire plus le regard que de quelques touristes allemands
étonnés. Voici deux mois, fin septembre 1961, nous avons été avertis
qu’un rescapé des noyades en séries de la Seine voulait faire une
conférence de presse, donner des détails et des noms. C’était la
première indication précise qui nous parvenait, la première fois que
l’on citait ces pratiques. Il nous a été impossible de réunir le moindre
journaliste stagiaire. Chacun se récusait. Il n’y avait pas matière à
article, paraît-il, et puis c’était dangereux et enfin il y avait la saisie...
Mieux valait continuer à boire sagement la bonne eau de la Seine
polluée de la pourriture de bougnoule [...].
Les heurts qui ont eu lieu en certains endroits ont été provoqués par
des militants du FLN qui ont délibérément pris une attitude agressive à
l’égard du service d’ordre [...]. Les unités ont fait preuve de tout le
sang-froid désirable et n’ont eu recours à la contrainte qu’au moment
où la tournure prise par la manifestation, en certains points, constituait
une grave menace pour l’ordre public et risquait, en tournant à
l’émeute, de compromettre la sécurité de la population.
ministres. La demande formulée par les deux ministres est rejetée. Par qui,
si ce n’est par le président de la République lui-même ? Le général de
Gaulle ne prendra d’ailleurs aucune position marquante, ni publiquement ni
en privé 256. Il couvre sa police.
A la fin du mois de novembre, des écrivains s’adressent publiquement à
lui. Parmi les signataires, il y a Lucie Faure, Clara Malraux, Charles
Vildrac, Claude Aveline, Jean-Marie Domenach, Jean Duvignaud, Max-Pol
Fouchet, Georges Friedmann, Roger Ikor Jules Isaac, Louis Martin-
Chauffier, David Rousset. Ils lui demandent « si, étant informé des faits qui
rappellent honteusement les pires sévices de l’occupation, il accepte de les
couvrir de sa haute autorité et d’en assumer pour l’histoire la responsabilité
morale et politique ».
Non seulement le gouvernement renonce à créer une commission
d’enquête, mais il s’apprête à s’opposer aux diverses propositions d’élus en
ce sens. Dans différentes assemblées, des voix s’élèvent en effet.
Le vendredi 27 octobre, le Conseil municipal de Paris se réunit en session
extraordinaire, en présence de Maurice Papon. Claude Bourdet, le directeur
de France- Observateur, est aussi conseiller municipal ; il intervient
longuement et pose des questions au préfet de police 257. « Est-il vrai, lui
demande-t-il, que dans la cour d’isolement de la Cité une cinquantaine de
manifestants arrêtés apparemment dans les alentours du boulevard Saint-
Michel sont morts ? Et que sont devenus leurs corps ? C’est vrai ou ce n’est
pas vrai ? » Claude Bourdet se fait ainsi l’écho de ce que lui ont dit les
policiers venus le voir dans la nuit du 17 octobre. Des exclamations, des
protestations, des rires fusent à droite de l’assemblée des élus parisiens. « Il
ne suffit pas de se moquer ! » leur rétorque l’ancien membre du Conseil
national de la Résistance. A ce moment, on entend Maurice Papon : « C’est
en rire bien tristement. » Ce sera la seule réaction du préfet de police aux
questions précises de Claude Bourdet. Il n’y répondra ni ce jour ni plus tard.
Il se gardera également de poursuivre France-Observateur qui reprendra les
questions de Claude Bourdet. Il intentera bien, au début de 1962, un procès
à Claude Bourdet pour « injures à fonctionnaire public », mais pour des
accusations portées contre son action dans le Constantinois 258...
Claude Bourdet dépose une proposition de commission d’enquête :
Une enquête sera menée sur l’ensemble des incidents qui se sont
produits dans la région parisienne entre les manifestants algériens et la
police, par une commission spéciale comprenant une représentation de
tous les groupes du Conseil municipal. Ses membres seront habilités à
recueillir tout témoignage et à interroger tout fonctionnaire et toute
autre personne. La commission fera son rapport au Conseil municipal
au cours d’une session extraordinaire.
Par 43 voix contre 39, le Conseil municipal rejette cette demande.
Lors de cette session, on entend le conseiller Alex Moscovitch dire :
Les temps que nous vivons sont difficiles. Ils sont pourtant à la
mesure des hommes que vous êtes. Soldats de l’ordre public, vous
faites face à vos missions avec le sens traditionnel de l’honneur et du
devoir qui est celui de la préfecture de police [...]. Le 17 octobre, vous
avez remporté, au prix de durs sacrifices depuis longtemps consentis,
la victoire sur le terrorisme algérien [...]. Vous savez, notamment après
le 17 octobre, que vos intérêts moraux ont été défendus avec succès,
puisque l’intention des adversaires de la préfecture de police de mettre
en place une commission d’enquête a échoué.
détenus. Or, dans ce même rapport, le député fait également état d’une note,
émanant de la préfecture de police, qui indique : « [...] Le 6 novembre,
1 710 Français musulmans se trouvaient hébergés à Vincennes [...]. » Il ne
s’y arrête pas, et ce chiffre, semble-t-il, passe inaperçu. Le rapporteur UNR
ne se demande pas, et personne ne le fait, ce que signifie cette troublante
différence de 210 détenus. Pourquoi la préfecture de police annonce-t-elle
un nombre d’internés aussi nettement supérieur à celui qu’ont constaté les
trois députés ?
Le 12 novembre, à nouveau devant l’Assemblée nationale, Roger Frey
réaffirme : « À la date du 6 novembre, le centre d’identification de
Vincennes hébergeait 1 710 individus. » Personne ne réagit.
Pourquoi cette différence de 210 internés ? A-t-on voulu dissimuler des
morts en en faisant des « assignés à résidence », comme cela s’était fait à
Alger, en 1957, quand le général Massu y exerçait les pouvoirs de police ?
Certains des hommes qui figuraient sur des listes d’internés avaient en fait
été assassinés. C’est ce qu’avait pu constater alors Paul Teitgen, chargé des
affaires de police à la préfecture d’Alger. En pleine « bataille d’Alger », cet
ancien résistant, déporté à Dachau, compagnon d’Edmond Michelet, qui
s’opposait aux méthodes du général Massu, décida de vérifier par lui-même
ce qu’étaient devenus les « assignés à résidence ». Dans ce but, il se rendit
au camp de Paul-Cazelles et y constata que le tiers des détenus supposés
manquaient à l’appel. Ils avaient « disparu ». Poursuivant ses recherches, il
établit qu’à Alger, sur 24 000 «assignés à résidence», 3 024 avaient ainsi
disparu266.
En 1961, à Paris, il n’y a pas de Paul Teitgen. Et il n’y aura pas non plus
de commission d’enquête pour chercher à connaître l’identité des 210
internés en question, et vérifier où ils se trouvent réellement.
En novembre 1961, le journal Vérité-Liberté indique : « Les services de
l’Inspection générale de la police estiment à 140 le nombre des morts à la
suite de la manifestation du 17 octobre. » Pierre Vidal-Naquet a eu cette
information par l’administrateur-gérant de France-Observateur, Maurice
Laval, qui lui-même a été renseigné par un membre du service de presse de
la préfecture de police 267.
En novembre et décembre 1961, la Fédération de France du FLN procède
au recensement du nombre des victimes. Mohammedi Saddek, qui
centralise les informations, dénombre 327 morts et disparus 268. Mais il
n’est pas impossible que certains de ces disparus aient été, en fait, déportés
et internés en Algérie. Tenant compte de cette hypothèse, Omar Boudaoud
et Ali Haroun, deux dirigeants de la Fédération de France, estiment le
nombre de morts à 200 269.
C’est une évaluation très vraisemblable 270. Et il se trouve qu’elle
correspond aux mystérieux 210 « hébergés » de Vincennes.
11. Cessez-le-feu
La mémoire
« Que restera-t-il dans la mémoire des Parisiens, des Français, de cette
tragique soirée du 17 octobre 1961 ? », demandait Paul Thibaud, dans la
revue Esprit, au mois de décembre 1961 :
À lire ces articles et ces livres, on pourrait penser que l’oubli est vaincu
et que le problème n’est plus aujourd’hui que d’établir ce qui s’est vraiment
passé le 17 octobre 1961 et les jours suivants. Mais est-ce si sûr ? Au mois
d’août 1990, pour la première fois à une heure de grande écoute, une chaîne
de télévision française, FR3, diffuse une série d’émissions consacrées à
l’histoire de la guerre d’Algérie. Ce documentaire d’origine britannique a
été réalisé par Peter Batty. Il n’y est pas question du 17 octobre. Mais les
photographies qu’il présente pour illustrer la répression de la manifestation
du 8 février 1962 à Charonne sont celles qu’avait prises Élie Kagan le 17
octobre 1961. Preuve que l’ignorance et l’oubli pèsent toujours de tout leur
poids.
Quant au secret, il reste la consigne des autorités. C’est ce que j’ai pu
vérifier.
En 1987, le préfet de police, nommé par le gouvernement de Jacques
Chirac, s’appelait Jean Paolini. J’avais demandé à pouvoir consulter les
registres de l’Institut médico-légal pour l’année 1961. Ne prenant pas la
peine de me répondre par courrier, le cabinet du préfet de police me
téléphona le 12 février 1987 pour me dire que les registres de l’Institut
médico-légal n’étaient pas consultables. « Ce n’est pas possible, me dit-on,
il y a des renseignements confidentiels. Il faut attendre soixante ans. »
En 1989, le préfet de police, nommé par le gouvernement de Michel
Rocard, s’appelait Pierre Verbrugghe. J’avais à nouveau demandé à pouvoir
consulter les registres de l’Institut médico-légal. Le 21 avril 1989, une lettre
du chef de cabinet du préfet m’indiquait : « J’ai le regret de vous faire
savoir qu’en application de la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les
archives il ne m’est pas possible d’accorder une suite favorable à votre
requête. »
J’avais également demandé à pouvoir consulter les archives de la
préfecture de police concernant le 17 octobre 1961 et les jours suivants. Le
21 juin 1989, le chef de cabinet du préfet me répondait : « J’ai le regret de
vous faire connaître que, malgré tout l’intérêt que présente votre requête, il
ne me paraît pas possible de déroger aux dispositions de la loi du 3 janvier
1979 sur les archives qui, en l’occurrence, interdisent la communication de
documents ayant moins de soixante ans. »
J’avais aussi écrit au ministre de l’Intérieur, Pierre Joxe, dont le père,
Louis Joxe, fut ministre du général de Gaulle, afin de pouvoir consulter les
archives de son ministère sur le sujet. Le 10 mars 1989, le cabinet du
ministre m’écrivait : « [...] Les archives concernant les manifestations
algériennes du 17 octobre 1961 ne sont communicables qu’au bout de
soixante ans [...]. » On me précisait que toute demande de dérogation devait
être adressée à la direction des Archives de France et on me précisait : « [...]
Les services du ministère de l’Intérieur n’ont remis aux Archives nationales
qu’un seul carton concernant des “exactions policières en 1961” (MI 1455,
versé par les Renseignements généraux). Il ne vous en apprendra peut-être
pas plus que ce que vous savez déjà. »
Je demandai néanmoins une dérogation à la direction des Archives de
France. Le directeur, Jean Favier, me répondit : « J’ai le regret de vous faire
savoir que je ne puis vous autoriser à consulter l’article MI 1455 versé par
le ministère de l’Intérieur aux Archives nationales. »
Les plus récents manuels d’histoire destinés aux lycéens continuent, pour
la plupart, à ignorer le 17 octobre 1961. Il en est un, cependant, où l’on peut
lire : « [...] Le 17 octobre 1961, les forces de l’ordre tuent à Paris près d’une
centaine d’Algériens 295. »
Jean-Luc Einaudi
Annexes
I. 5 octobre 1961.
1. Couvre-feu.
Le couvre-feu est applicable pour les Français musulmans algériens de
20 h 30 à 5 h 30 du matin. Ceux qui seront interpellés pendant ces heures
sur la voie publique devront être conduits au poste, pour être dirigés sur le
centre d’identification de Vincennes.
Toutefois, ceux d’entre eux qui seraient obligés, pour des raisons
professionnelles, de se trouver dehors pendant la durée du couvre-feu, soit
qu’ils se rendent sur leur lieu de travail ou qu’ils en reviennent, doivent
représenter une attestation de leur employeur visée par le service
d’assistance technique aux Français musulmans algériens. Ce visa est
valable un mois. À l’issue de ce délai, il doit être renouvelé. Il reste bien
entendu que ce laissez-passer ne devra pas être considéré comme valable si
le Français musulman algérien qui le présente est manifestement soit hors
de l’itinéraire qu’il doit normalement suivre pour aller ou revenir de son
travail à son domicile, soit dans un temps où sa présence sur la voie
publique ne peut s’expliquer par l’horaire de son travail.
« Cher frère,
reçu votre courrier du 7.10.61.
Après étude de la situation créée par les nouvelles mesures répressives
prises (couvre-feu, transferts en Algérie, exécutions sommaires de
compatriotes) et après avoir pris connaissance de votre rapport du 7 octobre
1961, le comité fédéral a pris les décisions suivantes :
Les mesures énumérées doivent être combattues énergiquement par une
action en trois phases :
1re phase
1) Les Algériens boycotteront le couvre-feu. A cet effet, et à compter du
samedi 14 octobre 1961, ils devront sortir en compagnie de leurs femmes et
de leurs enfants, en masse. Ils doivent circuler dans les grandes artères de
Paris. Exemple : Champs-Élysées, boulevards Saint-Michel, Saint-Germain,
Montmartre, etc.
2) Les commerçants ayant des établissements fixes doivent fermer durant
24 heures en signe de protestation contre le couvre-feu à caractère raciste
qui est imposé à nos compatriotes cafetiers et restaurateurs. Cette fermeture
aura lieu le lendemain du boycott massif, c’est-à-dire le dimanche 15
octobre 1961.
Observations :
a) Vous devez faire votre possible afin d’appliquer les points ci-dessus
aux dates indiquées. Au cas où le temps matériel ne vous le permettra pas,
déclencher ces opérations au plus tard à partir du mardi 17.10.61. L’action
des commerçants devra toujours se faire le lendemain de l’action de boycott
massif.
b) Les deux premiers jours de boycott avec participation de toute la
colonie algérienne de Paris et sa banlieue (femmes, enfants, vieux, jeunes,
hommes, etc.) doivent être spectaculaires. À partir du troisième jour, tous
les hommes sortiront normalement comme par le passé, comme si la mesure
du couvre-feu n’existe pas.
c) Les cadres importants, permanents, recherchés doivent éviter toutes
ces manifestations par mesure de sécurité.
2e phase
Selon les développements de la première phase de l’action qui se
déroulera à Paris, il est à prévoir l’extension de l’action à l’ensemble de la
France. À cet effet, nous prévoyons le programme suivant :
1) Action de solidarité sous forme de manifestation des femmes
algériennes devant les préfectures des grands centres de province avec les
mêmes slogans ci-dessus.
2) Pour votre information : les autres services de la Fédération
développeront une action d’information et d’explication auprès des partis
politiques, syndicats, milieux universitaires, personnalités de gauche, etc.,
pour leur demander le soutien approprié.
3e phase
Déclenchement d’une grève générale de tous les Algériens. La durée de
la grève est de 24 heures. Le lundi est à suggérer. Les commerçants
participeront à cette grève générale par la fermeture de leurs établissements.
Pour information : les détenus algériens dans toutes les prisons feront la
grève de la faim le même jour que la grève générale. Les étudiants feront la
grève des cours si ceux-ci auront commencé.
Observations générales
Mettre en application la première phase qui concerne la région parisienne
seulement. Au fur et à mesure du déroulement de chaque action, nous tenir
au courant par des rapports détaillés.
Après l’application de la première phase, ne passez à la deuxième puis à
la troisième qu’après directive expresse de la Fédération.
Fraternellement, Kr. »
IV. 19 octobre 1961.
« Informations
En réponse à la note reçue le 10.10.61 - directives générales n° 2 - et par
laquelle vous nous rappelez la directive datée du 27.8.61 soit : sur quel
principe ou directive nous nous basons pour abattre de simples gardiens de
la paix, nous déclarons que seuls les policiers tortionnaires sont châtiés, des
preuves irréfutables ayant été maintenues contre eux.
Ci-joint deux rapports différents gardés entre nos mains pour agir au
moment voulu et confirmant nos dires.
Nulle action n’a été encore entreprise à l’égard de ces assassins en
application du paragraphe C de la note du 10.10.61 1.
Fraternellement. »
2e Kasma. »
1. Le paragraphe C de cette note du comité fédéral, rédigée le 7 octobre 1961 et reçue le 10, indique :
« Nous vous demandons de cesser toute attaque contre les policiers et, s’il y a légitime défense et
qu’un policier est abattu, nous fournir un rapport circonstancié » (NdA).
2. L’orthographe de ces textes a été respectée (NdA).
3. J’ai pu vérifier qu’il n’existait aucune trace de cet assassinat dans la presse de l’époque (NdA).
V. 27 octobre 1961.
« Ce qui s’est passé le 17 octobre 1961 et les jours suivants contre les
manifestants pacifiques, sur lesquels aucune arme n’a été trouvée, nous fait
un devoir d’apporter notre témoignage et d’alerter l’opinion publique. Nous
ne pouvons taire plus longtemps notre réprobation devant les actes odieux
qui risquent de devenir monnaie courante et de rejaillir sur l’honneur du
corps de police tout entier.
Aujourd’hui, quoique à des degrés différents, la presse fait état de
révélations, publie des lettres de lecteurs, demande des explications. La
révolte gagne les hommes honnêtes de toutes opinions. Dans nos rangs,
ceux-là sont la grande majorité. Certains en arrivent à douter de la valeur de
leur uniforme.
Tous les coupables doivent être punis. Le châtiment doit s’étendre à tous
les responsables, ceux qui donnent les ordres, ceux qui feignent de laisser
faire, si haut placés soient-ils. Nous nous devons d’informer.
Quelques autres...
À Saint-Denis, les Algériens ramassés au cours des rafles sont
systématiquement brutalisés dans les locaux du commissariat. Le bilan
d’une nuit récente fut particulièrement meurtrier. Plus de 30 malheureux
furent jetés, inanimés, dans le canal après avoir été sauvagement battus.
À Noisy-le-Sec, au cours d’un très ordinaire accident de la route, une
Dauphine a percuté un camion. Le conducteur de la Dauphine, un Algérien,
gravement blessé, est transporté à l’hôpital dans un car de police. Que s’est-
il passé dans le car ? Toujours est-il que l’interne de service constate le
décès par balle de 7,65. Le juge d’instruction commis sur les lieux a été
contraint de demander un supplément d’information.
À Saint-Denis, Aubervilliers et dans quelques arrondissements de Paris,
des commandos formés d’agents des Brigades spéciales des districts et de
gardiens de la paix en civil “travaillent à leur compte”, hors service. Ils se
répartissent en deux groupes. Pendant que le premier arrête les Algériens, se
saisit de leurs papiers et les détruit, le second groupe les interpelle une
seconde fois. Comme les Algériens n’ont plus de papiers à présenter, le
prétexte est trouvé pour les assommer et les jeter dans le canal, les
abandonner blessés, voire morts, dans des terrains vagues, les pendre dans
le bois de Vincennes.
Dans le 18e, des membres des Brigades spéciales du 3e district se sont
livrés à d’horribles tortures. Des Algériens ont été aspergés d’essence et
brûlés “par morceaux”. Pendant qu’une partie du corps se consumait, les
vandales en arrosaient une autre et l’incendiaient.
Ces quelques faits indiscutables ne sont qu’une faible partie de ce qui
s’est passé ces derniers jours, de ce qui se passe encore. Ils sont connus
dans la police municipale. Les exactions des harkis, des Brigades spéciales
des districts, de la Brigade des agressions et violences ne sont plus des
secrets. Les quelques informations rapportées par les journaux ne sont rien
au regard de la vérité.
Il s’agit d’un impitoyable processus dans lequel on veut faire sombrer le
corps de police. Pour y parvenir, les encouragements n’ont pas manqué.
N’est-elle pas significative la manière dont a été appliqué le décret du 8 juin
1961 qui avait pour objet le dégagement des activistes ultras de la
préfecture de police ? Un tel assainissement était pourtant fort souhaitable.
Or, on ne trouve personne qui puisse être concerné par cette mesure ! Pour
sauver les apparences, 62 quasi-volontaires furent péniblement sollicités qui
obtiennent chacun trois années de traitement normal et, à l’issue de cette
période, une retraite d’ancienneté... Ce n’est là qu’un aspect de la
complaisance du préfet. En effet, au cours de plusieurs visites dans les
commissariats de Paris et de la banlieue, effectuées depuis le début de ce
mois, M. Papon a déclaré : “Réglez vos affaires avec les Algériens vous-
mêmes. Quoi qu’il arrive, vous êtes couverts.” Dernièrement, il a manifesté
sa satisfaction de l’activité très particulière des Brigades spéciales de
districts et s’est proposé de doubler leurs effectifs. [...]
Le climat ainsi créé porte ses fruits. La haine appelle la haine. Cet
enchaînement monstrueux ne peut qu’accumuler les massacres et entretenir
une situation de pogrom permanent.
Nous ne pouvons croire que cela se produise sous la seule autorité de M.
le Préfet. Le ministre de l’Intérieur, le chef de l’État lui-même ne peuvent
les ignorer, au moins dans leur ampleur. Sans doute, M. le Préfet a-t-il
évoqué devant le conseil municipal les informations judiciaires en cours. De
même, le ministre de l’Intérieur a parlé d’une commission d’enquête. Ces
procédures doivent être rapidement engagées. Il reste que le fond de la
question demeure : comment a-t-on pu ainsi pervertir non pas quelques
isolés, mais, malheureusement, un nombre important de policiers, plus
spécialement parmi les jeunes ? Comment en est-on arrivé là ?
Cette déchéance est-elle l’objectif de certains responsables ? Veulent-ils
transformer la police en instrument docile, capable d’être demain le fer de
lance d’une agression contre les liber tés, contre les institutions
républicaines ?
Nous lançons un solennel appel à l’opinion publique. Son opposition
grandissante à des pratiques criminelles aidera l’ensemble du corps de
police à isoler, puis à rejeter ses éléments gangrenés. Nous avons trop
souffert de la conduite de certains des nôtres pendant l’occupation
allemande. Nous le disons avec amertume mais sans honte puisque, dans sa
masse, la police a gardé une attitude conforme aux intérêts de la nation. Nos
morts, durant les glorieux combats de la Libération de Paris, en portent
témoignage.
Nous voulons que soit mis fin à l’atmosphère de jungle qui pénètre notre
corps. Nous demandons le retour aux méthodes légales. C’est le moyen
d’assurer la sécurité des policiers parisiens qui reste notre préoccupation. Il
en est parmi nous qui pensent, à juste titre, que la meilleure façon d’aboutir
à cette sécurité, de la garantir véritablement, réside en la fin de la guerre
d’Algérie. Nous sommes, en dépit de nos divergences, le plus grand nombre
à partager cette opinion. Cependant, nous le disons nettement : le rôle qu’on
veut nous faire jouer n’est nullement propice à créer les conditions d’un tel
dénouement, au contraire. Il ne peut assurer, sans tache, la coopération
souhaitable entre notre peuple et l’Algérie de demain.
Nous ne signons pas ce texte et nous le regrettons sincèrement. Nous
constatons, non sans tristesse, que les circonstances actuelles ne le
permettent pas. Nous espérons pourtant être compris et pouvoir rapidement
révéler nos signatures sans que cela soit une sorte d’héroïsme inutile. Nous
adressons cette lettre à M. le Président de la République, à MM. les
membres du gouvernement, députés, sénateurs, conseillers généraux du
département, aux personnalités religieuses, aux représentants de la presse,
du monde syndical, littéraire et artistique.
Nous avons conscience d’obéir à de nobles préoccupations, de préserver
notre dignité d’hommes, celle de nos familles qui ne doivent pas avoir à
rougir de leurs pères, de leurs époux.
Mais aussi, nous sommes certains de sauvegarder le renom de la police
parisienne, celui de la France. »
Tués
ABADOU Abdelkader Noyé, date indéterminée
ABADOU Lakhdar Noyé le 17.10.61
ABBAS Ahmed Arrêté le 10.10.61 ; inhumé le 9.12.61
ACHEMANNE Lamara Tué le 17.10.61
ADRAR Salah Tué le 12.9.61
AIT LARBI Larbi Tué le 17.10.61
AKKACHE Amar Tué le 28.9.61
ALHAFNAOUSSI Mohamed Retiré de la Seine le 27.9.61
AREHAB Belaïd Tué le 18.10.61
BARACHE Rabah Retrouvé noyé le 30.9.61
BEDAR Fatima Noyée, repêchée le 31.10.61
BEKEKRA Abdelghani Tué par balles, date indéterminée
BELKACEMI Achour Tué par balles le 18.10.61 ; inhumé le 7.11.61
BENACER Mohand Tué le 8.10.61
BENNAHAR Abdelkader Tué par balles, date indéterminée ; inhumé le 7.11.61
BOUCHADOU Lakhdar Noyé, retiré de la Seine le 21.10.61
BOUCHEBRI Arrêté le 2.10.61 ; décès annoncé le 12.10.61
BOUCHRIT Abdallah Tué par balles, date indéterminée
BOUSSOUF Achour Noyé le 7.10.61 ; inhumé le 17.10.61
CHABOUKI Kassa Arrêté le 25.9.61 ; repêché le 29.9.61
CHAMBOUL Abdelkader Tué le 2.10.61
CHAOUCHE Rabah Tué par balles, date indéterminée
CHEMLOUL Amrane Tué le 3.10.61
CHEVALIER Guy Tué le 17.10.61
DAKAR Ali Noyé, date indéterminée
DALOUCHE Ahmed Tué par balles ; inhumé le 12.12.61
DAOUI Si Mokrane Tué le 17.10.61
DEROUAG Abdelkader Noyé le 17.10.61
DEROUES Abdelkader Tué le 17.10.61 ; inhumé le 31.10.61
DJEBALI Mohamed Arrêté le 15.9.61 ; tué, date indéterminée
DOUIBI Salah Tué le 17.9.61
FERDJANE Ouali Noyé le 14.10.61
FERHAT Mohamed Tué par balles, date indéterminée
GARGOURI Abdelkader Tué par balles, date indéterminée ; inhumé le 10.11.61
GARNA Brahim Tué le 18.10.61
GUENAB Ali Arrêté et tué le 3.10.61
GUERRAL Ali Tué par balles, date indéterminée
HABOUCHE Belaïd Tué le 22.9.61
HAGUAM Mohamed Noyé, date indéterminée
HAMIDI Mohand Tué le 11.10.61 ; inhumé le 18.10.61
HAMOUDA Mallak Tué le 11.10.61
HOUBAD Lakhdar Noyé le 17.10.61
KARA Brahim Blessé le 18.10.61 ; mort le 20.10.61 ; inhumé le 31.10.61
KASSOURI Areski Arrêté le 2.11.61 ; inhumé le 9.11.61
KELIFI Repêché le 30.10.61
KOUIDJI Mohamed Date indéterminée
LAMARE Achemoune Tué le 17.10.61
LAMRI Dahmane Tué le 5.10.61
LAROUSSI Mohamed Noyé, date indéterminée
LASMI Smaïl Tué le 8.10.61 ; inhumé le 10.11.61
LATIA Younès Noyé le 6 ou 7.9.61
LOUCIF Lakhdar Noyé, date indéterminée
MALLEK Amar Arrêté le 17.10.61 ; décès annoncé le 21.10.61
MAMIDI Mohand Tué le 11.11.61
MEHDAZE Cheriff Tué le 27.9.61
MERAKEB Mohamed Tué le 2.9.61 ; repêché le 10.10.61 ; inhumé le 21.10.61
MERRAOUCHEMoussa Tué le 10.10.61
MESSADI Saïd Tué le 27.9.61
MEZIANE Akli Disparu le 17.10.61 ; inhumé le 25.10.61
MEZIANE Mohamed Tué le 17.10.61
OUICHE Mohamed Tué le 24.9.61
SAADADI Tahar Date indéterminée
SAIDANI Saïd Tué le 17.10.61
SLIMANI Amar Date indéterminée
SMAIL Ahmed Tué le 27.9.61
TARCHOUNI Abdelkader Tué le 9.10.61
TELDJOUN Aïssa Noyé, date indéterminée
TELEMSANI Guendouz Tué le 17.10.61 ; inhumé le 4.11.61
THELDJOUN Ahmed Tué le 18.10.61
YAHLAOUI Akli Tué par balles, date indéterminée ; inhumé le 17.10.61
YAHIAOUI Larbi Tué le 17.10.61
ZEBIR Mohamed Tué par balles ; inhumé le 7.11.61
ZEBOUDJ Mohamed Tué le 11.9.61
ZEMAN Rabah Tué le 11.9.61
Disparus
Pour mener à bien cette enquête, je me suis notamment appuyé sur les
archives internes de la Fédération de France du FLN, les archives du
Syndicat général de la police parisienne, la presse française et étrangère, les
comptes rendus officiels des débats au conseil municipal, à l’Assemblée
nationale, au Sénat, les archives de maître Nicole Rein, de maître Pierre
Kaldor.
Illustrations
Les photos reproduites dans le cahier central et sur la jaquette de
couverture ont été réalisées par Élie Kagan, le 17 octobre 1961, à
l’exception des photos de disparus, qui proviennent des archives de la
Fédération de France du FLN.
Notes