Vous êtes sur la page 1sur 12

17 octobre 1961

Des crimes d'Etat non encore reconnus par la France officielle

Dans la nuit du 17 octobre 1961, des milliers d'Algériens et d'Algériennes, parfois


accompagnés de leurs enfants, avaient, à l'appel de la Fédération du Front de Libération nationale
(FLN ) en France, manifesté pacifiquement dans la capitale française pour dénoncer le couvre-feu
injuste et discriminatoire décrété à leur encontre par le préfet de police de l'époque Maurice
Papon.
Plusieurs d'entre eux avaient été exécutés sommairement par balles, jetés vivants dans la
Seine ou battus à mort, selon les témoignages de survivants et d'anciens policiers français.Ces
manifestations, réprimées par la police française et ses supplétifs avec une violence que l'Europe
n'avait pas connue depuis la Seconde Guerre mondiale, avaient fait plus de 400 victimes, selon les
estimations de la Fédération du Front de libération nationale en France. Quinze mille autres
Algériens et Algériennes avaient été arrêtés lors de ces évènements et transférés au palais des
sports, au parc des Expositions et au stade Coubertin, détenus dans des conditions effroyables,
battus et longtemps laissés sans nourriture et sans soins.
Maurice Papon avait, lors de l'occupation de la France par les troupes nazies et alors qu'il
était secrétaire général de la préfecture de la Gironde (Sud-Ouest de la France), entre 1942 et
1944, participé à l'arrestation des juifs de la région bordelaise et à leur déportation vers les camps
d'extermination d'Auschwitz. S'il avait été condamné en 1998 par la justice française à dix ans de
réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l'humanité, il n'a jamais été inquiété, par
cette même justice, pour les massacres d'Algériens à Paris.
Les manifestations du 17 octobre 1961 dans la capitale française furent un épisode
important dans l'histoire de la Révolution et la répression sanglante subis par les Algériens qui y
avaient participé avait révélé au monde entier le visage hideux du colonialisme et hâté
l'avènement des négociations pour l'indépendance de l'Algérie.
Le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, a décidé en 2021 de décréter
l'observation d'une minute de silence, le 17 octobre de chaque année à 11h à travers tout le
territoire national, à la mémoire des victimes de ces évènements tragiques.

https://monument.palais-portedoree.fr/
Pour une lecture objective de l'histoire

Le président de la République avait considéré la question de la mémoire


comme un point central des relations algéro-françaises, affirmant que
l'Algérie n'y renoncera jamais.

Le président Abdelmadjid Tebboune et son homologue français


Emmanuel Macron ont signé le 28 août dernier à Alger la "Déclaration
d'Alger pour un Partenariat renouvelé entre l'Algérie et la France", dans
laquelle les deux parties estiment que "le moment est venu pour
favoriser une lecture objective et de vérité d'un pan de leur histoire
commune, tenant compte de l'ensemble de ses étapes afin
d'appréhender l'avenir dans l'apaisement et le respect mutuel".

Alger et Paris ont convenu, dans ce cadre, d'établir une commission


conjointe d'historiens algériens et français chargée de "travailler sur
l'ensemble de leurs archives de la période coloniale et de la guerre
d'indépendance".

"Ce travail scientifique a vocation à aborder toutes les questions, y


compris celles concernant l'ouverture et la restitution des archives, des
biens et des restes mortuaires des résistants algériens, ainsi que celles
des essais nucléaires et des disparus, dans le respect de toutes les
mémoires. Ses travaux feront l'objet d'évaluations régulières sur une
base semestrielle", souligne le texte de la Déclaration.

Pour de nombreux historiens, la non reconnaissance par la France de ses


crimes coloniaux constitue un véritable obstacle au développement de
véritables relations d'amitié et de coopération entre les deux pays.

La France doit "impérativement" reconnaitre et condamner les crimes


commis le 17 octobre 1961 à Paris contre des manifestants algériens
pacifiques, a réclamé Henri Pouillot, témoin de la Guerre de libération et
militant anticolonialiste. "C'est à ce prix qu'un traité d'amitié entre
l'Algérie et la France est possible", a-t-il affirmé.

Ces massacres "doivent être, enfin, qualifiés de façon précise comme


crimes d'Etat par le président de la République, et l'Etat (français),
responsable et coupable, nommé comme tel", a abondé dans le même
sens l'historien et politologue français, Olivier Le Cour Grandmaison.
Bataille d’El Djorf: la "plus puissante armée coloniale au monde" démystifiée
mercredi, 20 septembre 2023 18:30
TEBESSA - La grande bataille d’El Djorf (22-28 septembre 1955) qui fit rage, une semaine durant, dans la
montagne El Djorf (commune de Stah Guentis, dans la wilaya de Tébessa), était bien plus qu’un simple
affrontement entre une armée coloniale décidée à étouffer le cri de liberté qui déchira la nuit une année
auparavant, et des Moudjahidine ayant fait le serment de libérer leur pays du joug de l’oppression.
“J’avais 14 ans et j’étais scout. J’habitais chez ma grand-mère, au 11 boulevard Pereire, dans le 17e
arrondissement de Paris. Quand je rentrais des scouts, je descendais à la station de métro Étoile, puis je
prenais l’autobus. Je crois que c’était le 52, il m’emmenait jusqu’au pont Cardinet. En sortant du métro, je
me suis retrouvé dans une tourmente dramatique. Je n’étais pas au courant qu’il y avait une manifestation.
J’étais jeune, je ne m’intéressais pas vraiment à l’actualité. Je ne savais pas que des Algériens avaient appelé
à manifester sinon je ne serais pas descendu à la station Étoile.

Il était 5 h du soir, mais en octobre, il fait déjà nuit, pas complètement, mais c’est la pénombre. Il n’y
avait que des hommes. Les policiers les attrapaient à la sortie de la bouche de métro et les tapaient. Ils les
faisaient monter dans les cars de police en les piquant avec des aiguilles. Ça m’a traumatisé. Ils hurlaient, ils
gémissaient. Je me souviens des cris de douleur, de la violence.

Je suis parti le plus vite possible, sans courir car je ne voulais pas attirer l’attention. Je savais très bien
que quelqu’un qui court devant la police, ça n’est pas bien vu. J'ai marché vite, je me suis dépêché d’aller
vers la station d’autobus mais pas la première. Je suis allé plus loin.

J’étais complètement traumatisé. À cette époque, on était habitué à une certaine violence urbaine. Des sacs
de sable protégeaient les commissariats. J’étais au lycée Janson de Sailly (dans le 16e), on nous fouillait les
cartables. Un jour, j’étais allé chez le dentiste avec ma grand-mère, boulevard Bonne-Nouvelle, et à deux
mètres de moi, un type a sorti un revolver et a tiré une balle dans la tête d’un Algérien.

On était dans cette atmosphère, mais je ne pouvais pas imaginer ça de la part de policiers. À l'époque,
on avait un grand respect pour la police, l’autorité, l’uniforme. C’était quelque chose d’incompréhensible
pour moi.

Mon oncle était importateur de tapis. Sa société, Les deux pélicans, rue des Gravilliers, dans le 3e,
employait des Marocains. Ils mettaient les tapis sur l’épaule pour les vendre et faisaient du porte-à-porte un
peu partout. Pendant ces jours dramatiques que Paris a connus, il y a eu des ratonnades. Ses employés
n’étaient pas Algériens, mais les policiers ne faisaient pas la différence. C'était vraiment un délit de faciès.
Quatre ou cinq employés, sur les dix, ont été pris et jetés dans la Seine. Heureusement qu’on ne leur avait
pas lié les mains ! Ils ont réussi plus ou moins à nager et il n’y a eu qu’un mort. J’ai su après qu’il y avait des
Maghrébins à qui on avait noué les mains dans le dos et qui s’étaient noyés. Mais je peux témoigner de la
violence terrible qu’ils ont subie, surtout de la part de l’État français.

J’ai écouté les informations. J’ai compris qu’il y avait eu une manifestation interdite et que le préfet de
police, pour éviter de la disperser, avait ordonné des arrestations en amont. On ne donnait pas de détails. On
ne parlait pas de violences impardonnables. On disait seulement que les gens avaient été arrêtés.
Ils n’étaient pas armés. S’ils l’avaient été, ils se seraient battus. Tous les hommes que j’ai vus étaient
piqués avec des épingles pour qu’ils montent dans les cars. S'ils avaient eu des bâtons, ils se seraient
révoltés. Ces hommes étaient courageux, ils savaient que c’était interdit. Il y a eu plus de morts officieux
qu’officiels, des noyés surtout. Ils ont été emportés par le courant, pas comptabilisés.

À l’époque, il y avait une sorte d’apartheid. Les Maghrébins ne vivaient pas du tout dans les mêmes
quartiers. Il n’y avait pratiquement que des hommes, ils venaient pour travailler. Les Algériens et Marocains
vivaient dans des foyers, il n’y avait même pas de banlieue ouvrière. Ils étaient en dehors de notre société.
C'était deux mondes à part.

Maintenant, je me dis que les Français avaient peut-être peur des attentats, mais ils n’étaient même pas
dirigés contre eux. Les attentats, c’était le MNA [Mouvement national algérien, NDLR] contre le FLN et
inversement, et contre les commissariats de police.

J’ai réalisé la portée de tout cela à 17 ans. J’ai commencé à lire Le Monde quotidiennement, on parlait de
Maurice Papon qui avait déporté les juifs de Bordeaux. J’ai su alors que la police agissait sous les ordres du
préfet.

Pour moi, l’Homme est foncièrement sauvage. La seule chose qui le retient c’est la loi, la civilisation. Si
ceux chargés de l’appliquer disent que l’on a quartier libre, alors on tombe dans la sauvagerie. On a vu ça
avec tous les génocides, la barbarie nazie. La responsabilité n’incombe pas tellement au flic qui cognait sur
les Maghrébins ce jour-là, mais à la hiérarchie.

On a enlevé la Légion d’honneur de Papon pour la déportation des enfants juifs à Bordeaux, mais pas pour
octobre 1961. Sa défense, c’était de dire qu’il était haut fonctionnaire et qu’il obéissait aux ordres. C’est
étonnant que [le général] de Gaulle, qui était tout sauf raciste, l’ait nommé préfet de police. C'est un poste-
clef, l’État dans l’État. Et il savait très bien qu’il était loin d’être un résistant, mais plutôt un infame collabo.

Je pense que les violences policières sont rarement admises, quel que soit le pays où elles ont lieu. Admettre
que le bras armé de la République ait pu commettre des fautes serait perçu comme un aveu de faiblesse. La
hiérarchie policière aurait dû dénoncer. C’est ce qui s'est passé avec la rafle du Vél d’Hiv, toute proportion
gardée. Le 17 octobre, il n’y a pas eu des milliers de victimes, mais c’est tout de même insupportable.
L’idée, c’était de terroriser cette population maghrébine pour qu'elle reste tranquille, certainement pour que
l’Algérie reste française.

C'est une page méconnue. J’en parle parce que je l’ai vécue, je l’ai vue de mes propres yeux. J’en parle à des
personnes de mon âge ou des plus jeunes, personne n’est au courant. Il y a un travail de mémoire à faire, la
justice de la mémoire à réaliser.

Il y a eu huit morts à Charonne le 8 février 1962. Une semaine après, une manifestation de protestation a
réuni peut-être un million de personnes dans la rue. Là, pour les victimes algériennes, des personnes qui ont
été assassinées, il n’y a pas eu de protestation. Rien.

Que la France, puissance colonisatrice, se soit mal comportée dans les colonies, comme les autres pays
européens, c’est une chose. Mais qu’elle se comporte mal sur son propre sol, c’est ça qui interpelle, qui
choque. Je n’étais qu’un scout qui rentrait d’une sortie, un scout avec ses principes de solidarité. Je suis
tombé sur un massacre en plein Paris, place de l’Étoile. Des scènes de guerre.

Reconnaître qu’il y a soixante ans, il y a eu des fautes inadmissibles commises, serait à l’honneur de
l’administration française.”
“J’avais un bébé dans les bras, j’avais peur qu’on le tue”

Djamila Amrane a 87 ans. Son père est arrivé en France en 1914 après avoir été réquisitionné pour travailler
dans une usine. Née rue Danielle-Casanova, à Saint-Denis, en banlieue parisienne, c’est après un voyage en
Algérie que naît son militantisme pour l’indépendance. Le 17 octobre, son dernier-né dans les bras, elle se
rend à la manifestation. Elle doit probablement sa vie à une inconnue. Djamila Amrane gardera le silence sur
la tragédie jusqu’en 1987, date de la création de l’association antiraciste et féministe Africa, à La
Courneuve. Depuis, elle se bat pour que cette nuit ne tombe pas dans l’oubli.

“Après 18 h, on n’avait plus le droit d’être dehors. Ça me paraissait invraisemblable parce que tous les
Algériens travaillaient dans des usines comme Renaud, Citroën, et faisaient les trois-huit, comme on disait à
l’époque. Les enfants allaient au sport le soir, les parents faisaient leurs courses le soir. C’était une grande
injustice venant de Papon.

La Fédération de France du FLN avait donc demandé à ce qu’on fasse une manifestation pacifique, une sorte
de marche blanche. J’insiste parce qu’il nous était interdit de prendre ne serait-ce qu’une épingle à nourrice.

Nous avions formé un petit groupe de femmes pour aller à Paris. Nous sommes toutes parties avec les
enfants. Moi, avec mon dernier fils, né en juillet. Nous avons atterri à Bonne-Nouvelle. Malheureusement,
dès que nous sommes arrivées, nous avons trouvé la police.

Ce qui m’a marquée, c’est la façon dont les policiers nous tapaient dessus. Peu importe si on était une
femme, si on avait un bébé ou si on était un homme. Tout le monde était pris à part. Les coups venaient de
partout. On entendait tout, sans savoir qui allait tomber par terre. La seule question qu’ils posaient, c’était
“Est-ce que tu sais nager ?”. Si vous aviez le malheur de répondre non, ils vous emmenaient pour vous jeter
à la Seine.

J’avais un bébé dans les bras, j’avais peur qu’on le tue, qu’il prenne un mauvais coup. Il n’avait que
quelques mois. Je crois que je devais être inconsciente, la folie de la jeunesse, je ne voyais pas le danger.
J’avais cette rage en moi.

Ce qui m’a sauvée, c’est cette femme. Elle a ouvert une porte cochère en bois, m’a attrapée par le bras et m’a
fait entrer dans le hall de chez elle. Elle m’a dit “Mais qu’est-ce que tu fais dans la rue à cette heure ma
petite fille, avec ton petit frère dans les bras ? Ta maman n’est pas consciente !” Je lui ai dit “Non, c’est mon
fils.”

Je revois cette femme avec des cheveux blonds, c’est fou comme j’ai l’impression qu’elle est là, devant moi.
Elle m’a gardée une bonne heure. Sans cela, peut-être qu’aujourd’hui je ne serais pas là pour vous dire tout
cela. J’ai presque un seul reproche à me faire... Nous étions tellement pris dans cette guerre que je ne lui ai
même pas demandé son nom.
L'envie d’indépendance de l’Algérie m’est venue quand je suis allée là-bas, en 1954-1955. J’avais fait des
études, j’étais déjà bien plus libre que ces femmes. J’ai été choquée de ne voir que des femmes ignorantes,
des femmes de ménage, elles étaient en bas de l’échelle. Elles étaient plus jeunes que moi. Pourquoi
n’avaient-elles pas le droit d’aller à l’école ? Je ne comprenais pas. Algérie française ? Je n’arrivais pas à
concevoir la différence entre les petits Français et les ‘bougnoules’ comme ils nous appelaient. C'était un
électrochoc. Ça m’a traumatisée. Je me suis dit, si un jour il y a quelque chose, j’y participe. Dès que je suis
rentrée en France, je me suis engagée.

De nombreux participants à cette marche ont été tués. Ils n’ont jamais voulu donner le nombre, mais on sait
qu’il y en a eu beaucoup. J’ai un cousin, c’était presque un frère pour moi car ma mère l’avait élevé, on ne
l’a jamais retrouvé. Deux ou trois jours après, on a appris qu’il y avait de nombreux disparus, lors d’une
réunion du FLN.

J'étais la première à ne pas parler du 17 octobre. Personne ne savait. Même mes enfants ne l’ont su qu’après.
Intérieurement, je crois que je n’avais plus envie de revivre cette scène. C’est comme quand on a vu un
mauvais film, on n’a plus envie de le revoir. J'avais dû l’enfouir quelque part. C’est grâce à Mimouna
Hadjam, présidente de l’association Africa, que c’est ressorti. Elle en parlait, je lui ai dit que j’étais là. Je
n’aurais jamais pensé qu’un jour je reparlerais de tout ça... Ce n’est pas un bon souvenir. J’aurais pu non
seulement mourir mais aussi perdre la vie de mon fils. Ça m’a fait un bien fou par la suite.

Quand j’ai commencé à travailler avec Africa, on me demandait souvent “C’est quoi le 17 octobre ? C’est
une date ? C’est une fête ?”. Non, des gens sont morts le 17 octobre. D’autres ont été battus, pris comme du
bétail pour les emmener dans un parc, je crois que c’était le parc de Vincennes.

Il ne faut pas que les gens oublient ce que les Allemands ont fait aux juifs. Ils les ont exterminés. Nous, c’est
pareil avec le 17 octobre 1961. J’aimerais avant tout qu’on n’oublie pas. C'est important. Il faut reconnaître
que c’est une date dans l’Histoire.

C'est le 60e ‘anniversaire’, si on peut appeler ça comme ça. J'attends de l’État français qu’il reconnaisse que
le 17 octobre on a tué des Algériens, des Algériennes. Qu’en France, et ailleurs dans le monde, on en parle
dans les lycées, les collèges, les écoles parce que, malheureusement, c’est méconnu.

On se rassemble chaque année avec des personnes présentes ce jour-là. Je ne le fais pas pour être honorée.
Aujourd'hui, je suis là. Mais je ne suis pas éternelle. Bientôt, il n’y aura plus personne pour dire le 17
octobre.

Si je parle, ce n'est pas pour avoir des honneurs. Les honneurs, je les ai par mes enfants et mes petits-enfants
qui m’appellent ‘mamie courage’. Ils sont très fiers de moi. Mais je voudrais qu’il y ait une relève, que ça se
perpétue pour que tous ces gens ne soient pas partis pour rien. C'est un jour triste pour nous, il ne faut pas
l’oublier.”

https://webdoc.france24.com/17octobre1961-manifestation-algeriens-paris-massacre-victimes/index.html
“J’ai passé la nuit dans le parc de Vanves”

Mahfoud dit “Rahim” Rezigat est né en 1940 dans le douar Maâdid, dans la région de Sétif, en Algérie. En
1948, accompagné de trois frères plus âgés, il s'installe à Saint-Étienne où leur demi-frère aîné tient un hôtel
meublé. Membre du FLN, il est arrêté en 1958, torturé puis envoyé dans les camps d’internement du Larzac
et de Thol. Libéré en 1961, interdit de séjour dans la Loire et le Rhône, il s’installe à Vanves, en banlieue
parisienne. Le 17 octobre, c’est parce qu’il a croisé, dans le métro, des Algériens qui revenaient de la
manifestation, qu’il a fait demi-tour. Interpellé à son hôtel quelques jours plus tard, il a subi sévices et
humiliations au centre de tri de Vincennes. Aujourd'hui, président de l’Association pour la promotion des
cultures et du voyages (APCV) basée à Saint-Denis, il œuvre pour la mémoire du 17 octobre, notamment
en intervenant dans les lycées.

“Le 17 octobre, je revenais du travail, à Issy-les-Moulineaux, avec mon ami Saâd et un groupe d’Algériens
de l’hôtel où nous vivions. Il était 17 h. Le responsable de la cellule du FLN nous a demandé de nous diriger
vers Charles-de-Gaulle-Étoile pour manifester contre le couvre-feu. Il a été instauré le 5 octobre, donc tous
les regroupements d’Algériens, ou plutôt de basanés, étaient interdits. J’étais souvent contrôlé.

Les consignes du FLN était claires : on ne devait pas prendre d’arme avec nous ; on devait être bien habillés
pour montrer qu’on était fiers d’être Algériens. C’est avec cet état d’esprit que nous sommes partis.

Nous avons pris le métro à Corentin-Celton. Arrivés Porte de Versailles, d’autres Algériens, qui revenaient
de Paris, nous ont crié : “N’y allez pas !”. Ils avaient commencé à arrêter les gens.

Nous sommes retournés à notre hôtel. Il était en face du commissariat de Vanves. La rue Pierre-Semard était
en descente, on voyait de loin que l’hôtel était déjà encerclé par les CRS et la police.

Avec mon ami Saâd, on s’est demandé quoi faire. Nous sommes donc allés dans une brasserie, boire un pot.
À 20 h 30, nous sommes retournés à l’hôtel mais la police était toujours là. Nous avons dû passer la nuit
dans le parc de Vanves, qui était juste à côté. À 6 h, nous avons rejoint notre lieu de travail, à Issy-les-
Moulineaux.

Le vendredi, il y a eu une descente de police terrible dans cet hôtel. J’étais à la fenêtre. On a tiré sur
quelqu’un qui faisait ses ablutions avant la prière. Il a été abattu. On a passé une nuit terrible.

Les harkis – et je n’ai aucune haine envers eux –, les supplétifs, étaient autorisés à être bien plus virulents.
On entendait : “Vous voulez l’indépendance, vous allez voir sales fellagas, ratons, pouilleux !”. Insultes,
crachats... Ils avaient aménagé une pièce au fond de l’hôtel et tous les gens qu’ils soupçonnaient y étaient
emmenés pour être torturés.
Tous les résidents ont été embarqués, y compris moi, au centre de tri de Vincennes. Il était connu pour ses
détentions provisoires très difficiles avec transfèrement ou expulsion des détenus. Il y avait deux files de
policiers ou de CRS, et comme on passait au milieu, on recevait des coups de bâton, des coups de pied, des
crachats. Comme j’étais petit, je m’en suis pas mal sorti. On ne nous laissait pas dormir. On nous jetait de
l’eau pour nous réveiller.

Le lendemain, on m’appelle pour me dire ‘Vous êtes libre’. J'étais étonné, mais je suis parti. En fait, ils ne
savaient pas que j’avais fait trois ans dans les camps, sinon ils ne m’auraient pas libéré.

Il y a eu des attentats contre les policiers au mois d’août. D’après le FLN, étaient visés ceux qui pratiquaient
la torture sur les Algériens arrêtés. Par la suite, Papon a dit : “Pour un policier tué, dix Algériens” ("Pour un
coup reçu, nous en rendrons dix"). Il est aussi possible que cette répression ait eu pour but de torpiller les
négociations entre le gouvernement français et le FLN puisqu'on commençait les accords d’Évian.

Aujourd’hui, j’attends du président Macron qu’il qualifie le 17 octobre de crime d’État et qu’il donne l’accès
aux archives. J’espère, surtout, qu’à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, l’an
prochain, il reconnaîtra la colonisation comme un crime contre l’humanité. Il l’avait affirmé quand il était
encore candidat à la présidentielle.”

https://webdoc.france24.com/17octobre1961-manifestation-algeriens-paris-massacre-victimes/index.html

“Ça tirait de tous les côtés, les femmes et les enfants autour de moi avaient très peur”

Monique Hervo a 92 ans. Née dans un milieu modeste, d’un père breton “bretonnant” (sic), d’une mère
savoyarde, elle fait l’école des arts décoratifs à Grenoble puis les Beaux-Arts à Paris. Elle a connu l’exode,
les bombes, le mitraillage sous l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Puis, à la
libération, son engagement scout lui fait escorter des déportés à leur retour du camp de Buchenwald. Elle est
“marquée à vie”. Elle décide alors de s’engager au sein du Service civil international. En 1959, elle s’installe
dans le bidonville de Nanterre, où vivent 10 000 Algériens. Le 17 octobre, elle était dans le cortège quand les
CRS ont tiré sur les manifestants qui arrivaient au pont de Neuilly. Elle les a ensuite secourus, soignés.
Devenue Algérienne en 2018, elle veut laisser une trace de cette histoire vécue.

“Avant le 17 octobre, le FLN me demandait chaque soir de dormir chez les femmes qui étaient seules dans le
bidonville. Leurs frères, les pères avaient été embarqués ou avaient pris des dispositions pour coucher sur le
lieu de travail. Il n’y avait pas d’hommes, à part quelques responsables du FLN. Depuis le mois de janvier, il
y avait des arrestations, des tabassages.

Le 17 au soir, je rentrais avec une petite équipe qui s’était engagée pour l’indépendance de l’Algérie. Je suis
arrivée vers 6 h du soir pour passer la nuit comme d’habitude. Et là, et je vois une masse d’Algériens et
d’Algériennes, d’enfants qui sortent du bidonville. Je me dis alors qu’il se passe quelque chose. À ce
moment-là, un homme que je connaissais me dit ‘tu viens avec nous’. Tout le monde est sorti, sauf les
femmes qui allaient accoucher. Elles ont gardé les bébés des autres.

Il y avait une dizaine de femmes. Ils ne voulaient pas de militants extérieurs ou de Français. Parce que je
vivais au bidonville depuis 1959, j’en faisais partie. J'avais pris position pour l’indépendance de l’Algérie. Je
suis une des seules Françaises qui ont pu tout voir.

Des personnes arrêtaient tous les hommes à la sortie du bidonville pour vérifier qu’ils n’aient pas même un
canif sur eux. On est partis et, au rond-point des Bergères (à Puteaux, NDLR), on a vu arriver tous ceux qui
venaient des banlieues d’à côté : Colombes, Gennevilliers... une masse considérable. J’ai toujours dit il y
avait eu au moins 40 000 manifestants.

On a descendu l’avenue qui allait au pont de Neuilly dans un silence impressionnant. La seule chose que j’ai
entendue, c’est ‘Algérie à nous’. C’était le slogan, il n’y en avait pas d’autre. Les femmes et les enfants
étaient mélangés aux hommes. Tous les trottoirs étaient envahis par des Algériens et des Algériennes.

À 200 mètres, mais c’est difficile à situer parce que c’était en pente à l’époque, on a vu les CRS sur le pont
de Neuilly. Et d’un seul coup, les CRS ont tiré. À balles réelles ! Je vois encore les hommes du premier rang
tomber. Ce n'était pas la première fois que ça se produisait. Il y a eu énormément d’Algériens qui se sont fait
tirer dessus avant d’être jetés dans la Seine. J’en ai vus. J’en ai vus qui étaient blessés et qui essayaient de
s’accrocher au bord de la Seine pour se sauver. Ce n’est pas quelque chose qu’on imagine.

Ça tirait de tous les côtés, les femmes et les enfants autour de moi avaient très peur. Je ne sais pas comment
ça a pu se produire, mais les hommes les ont extraits du cortège. Ils disaient que c’était trop grave, qu’ils
pensaient qu’on allait à une marche pacifique. Les femmes et les enfants sont partis sur le côté, vers Puteaux,
et ont rasé les murs pour retourner au bidonville de Nanterre. On ne faisait surtout pas de bruit de peur qu’on
nous tire dessus, parce qu’il y avait des gens aux fenêtres.

Au bidonville, on ne savait pas ce qu’il se passait sur Paris. Au petit matin, vers 5 ou 6 h, on a vu des
hommes arriver complètement esquintés. Certains en portaient d’autres qui ne pouvaient même plus
marcher. C'est là qu’on a compris.

Le bidonville est devenu un hôpital de campagne. Brigitte, une assistante sociale française, et une amie sont
venues soigner les blessés. On a fait comme on pouvait. On bandait les membres cassés. On l’a fait pendant
des jours. L’hôpital, c’était la maison départementale de Nanterre. Raymond Montaner avait créé les FPA,
dont les membres habitaient une annexe de l’hôpital. Si les Algériens allaient là-bas, ils étaient enfermés,
matraqués ou envoyés dans les camps de Rivesaltes.

Il y a des hommes qui ne se sont jamais remis du 17 octobre, à la fois physiquement et moralement. Ça a été
quelque chose de très puissant pour les Algériens et Algériennes qui étaient mobilisés pour la reconquête de
leur pays. Ça a été un accélérateur.
Les médias en ont un peu parlé et le bilan ne correspondait pas à la réalité. C’est quelque chose dont il ne
fallait pas parler. Ce n'était pas une guerre, il faut se le rappeler. C’était les ‘événements d’Algérie’. On était
en porte-à-faux.

En 1999, Maurice Papon a intenté un procès à Jean-Luc Einaudi pour son livre sur les événements et
l’emploi du mot ‘massacre’. J’ai témoigné. À la fin, le président a déclaré qu’il y avait bien eu un massacre.
Ce mot est important. Souvent on dit il y a eu répression. Non ! Il y a un monde entre répression et massacre.

Ça n’a pas eu énormément d’écho dans la presse. Ça arrivait après le procès de Maurice Papon à Bordeaux,
où il avait été condamné. Ça a été passé un peu sous silence.

Je reçois beaucoup de jeunes. Ils connaissent la situation d’aujourd’hui, mais ne savent rien de leur pays
d’hier. C’est inquiétant. Après la guerre, les parents ont dit ‘vous allez faire les études que nous n’avons pas
eues’, nous restons pour vous, pour l’école. Ils n’ont pas raconté à leurs enfants ce qu’ils avaient vécu pour
qu’ils s’intègrent à l’école. Ils sont devenus des petits Français. Les parents n’ont pas imaginé qu’en ne
racontant pas toutes les difficultés, les enfants seraient un peu perdus. Aujourd’hui, les jeunes gens de
l’immigration ne se rendent pas compte de ce que ça pouvait être parce qu’ils ne l’ont pas vécu.

J’ai été naturalisée en 2018. On m’avait proposé une carte d’identité algérienne à l’indépendance, mais on
était tellement pris avec ceux qui repartaient, ceux qui voulaient rester que je n’ai pas eu le temps de m’en
occuper. Je me sens proche des Algériens parce que j’ai connu les grands-parents et les parents. Pour moi,
c’est l’humain qui compte.”

https://webdoc.france24.com/17octobre1961-manifestation-algeriens-paris-massacre-victimes/index.html

Vous aimerez peut-être aussi