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Aux origines du crash des


démocraties
Thomas Cantaloube
6-8 minutes

Le creusement des inégalités est vécu d’autant


plus cruellement que tout le monde en est informé

En Grande-Bretagne, les dégâts des politiques de l’austérité


conduites sous tous les gouvernements successifs depuis
Thatcher, travaillistes compris, et encore renforcées par les
conservateurs depuis 2012, commencent à montrer leurs effets :
bibliothèques publiques fermées par centaines, droits
d’inscription à l’université en hausse, enfants arrivant à l’école le
ventre vide.

Dans ce panorama, le Brésil devrait présenter un visage différent


puisque les politiques sociales poursuivies par Lula Inacio da
Silva de 2003 à 2010 ont permis à des millions de foyers de
sortir de la pauvreté, de se loger, de s’alimenter correctement.
Mais, dans le même temps, les classes moyennes brésiliennes
ont souffert des mêmes maux que les européennes : emplois
moins bien payés, loyers en hausse, économie en berne.
Surtout, dans une société inégalitaire, parfois à la limite de la
féodalité, comme celle du Brésil, la progression des conditions
de vie des plus pauvres a privé ceux qui étaient un cran au-
dessus dans l’échelle sociale du bénéfice qu’ils tiraient de cette

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situation : plus de jardinier, plus de cuisinier, de gardien ou de


nounou à domicile à bas prix.

L’augmentation des inégalités n’est de toute manière pas le fait


d’un appauvrissement des pauvres, mais d’une explosion des
richesses de quelques-uns qui ont bénéficié des politiques mises
en œuvre par les gouvernements démocratiques : taxation
injuste des revenus du capital par rapport à ceux du travail,
tolérance à l’égard de l’évasion fiscale, remise en cause de la
progressivité de l’impôt.

Si l’on compare le déclassement des classes moyennes et la


précarisation du plus grand nombre à la situation démesurément
confortable d’une petite élite plus connectée, plus maligne ou
plus chanceuse que la moyenne, ce phénomène est d’une
violence symbolique incroyable. Quand des entreprises qui ne
paient presque pas d’impôts tout en utilisant les routes ou les
câblages électriques bâtis par le budget national ont un chiffre
d’affaires supérieur au PIB de certains États, quand des chefs
d’entreprise gagnent en une année plus que la majorité de leurs
employés durant toute leur carrière, comment ne pas aboutir au
ressentiment né de ce sentiment d’injustice ?

Jair Bolsonaro ou Rodrigo Duterte ont fait campagne sur la


violence physique, bien réelle, qui gangrène leurs pays, Vladimir
Poutine ne cesse de promettre « moi ou le chaos » à ses
concitoyens, mais ces dirigeants tirent également le bénéfice de
cette violence symbolique que représente une caste d’ultra-
riches pas nécessairement plus intelligente ou plus douée, mais
qui a profité d’un système pipé en sa faveur, surplombant ses
contemporains qui se débattent pour surnager.

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L'armée brésilienne sous la dictature un spectre que promet de


ressusciter Bolsonaro

Ce creusement des inégalités est vécu d’autant plus cruellement


que tout le monde est informé comme jamais dans l’histoire de
l’humanité. La révolution numérique de même que l’expansion de
l’alphabétisation ont fait reculer l’ignorance de ce qui se passe
près ou loin de soi. Cela s’est également accompagné de deux
phénomènes qui affaiblissent les démocraties. Le premier est la
maîtrise des codes médiatiques par les citoyens. Les
gouvernants qui avaient l’habitude d’être crus sur parole
lorsqu’ils parlaient dans un microphone voient désormais leur
sincérité remise en doute. Les ruses des spin doctors sont de
plus en plus identifiables.

Le revers de cette médaille est que les candidats ou les élus qui
« passent mal à la télévision » sont écartés au profit de hâbleurs
et de personnalités charismatiques plus ou moins authentiques.
Fernando Haddad, le candidat du parti des travailleurs brésilien,
excellent maire de São Paulo, est jugé terne face à Bolsonaro,
l’homme sans bilan mais qui parle fort. Hillary Clinton, corsetée
par les conseillers en communication, est jugée moins
convaincante que la star de la téléréalité Trump.

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Le second impact de ce bouleversement médiatique est bien


évidemment l’essor des réseaux sociaux, de leurs silos de
pensée et des « fake news ». Quand un individu peut presque
tout lire ou regarder, il est contraint à des choix et se rapproche
de ce qu’il connaît déjà ou de ce qui lui semble le plus attrayant.
C’est le paradoxe d’une ère où tous ceux qui désirent s’informer
le peuvent mais ne le font pas de crainte de s’y noyer. Des
bidonnages envoyés via WhatsApp par Bolsonaro à ses
supporters aux manœuvres de Cambridge Analytica pour Trump
en passant par les bonnes vieilles recettes de l’autocensure en
Russie ou en Turquie, il est devenu facile de désinformer des
gens qui fuient la surinformation.

Les « fake news » sont devenues d’autant plus aisées à


fabriquer et à disséminer que la parole des référents dans les
démocraties – élus, grands entrepreneurs et journalistes – s’est
démonétisée à coups de scandales et de fausses promesses.
Aucun État n’a été épargné par des affaires de corruption
politique, qu’il s’agisse de financements de partis ou
d’enrichissement personnel. Des opérations Mani Pulite à Lava
Jato, du financement opaque du Parti socialiste sous François
Mitterrand à celui de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012,
des élus au Congrès américain acceptant les cadeaux de
lobbyistes au président de la Commission européenne s’en allant
cachetonner chez Goldman Sachs, comment ne pas penser que
le service du public fait fonction de marchepied pour intégrer le
club des 1% ? D’autant que quasiment tous ceux pris la main
dans le sac plaident l’innocence quand bien même les preuves
s’accumulent contre eux. Le mensonge corrompt même les
aveux.

Les promesses qui n’engagent que ceux qui les croient sont
l’autre facette de cette extorsion de l’argent public. Combien de

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dirigeants admettent qu’ils n’ont pas tenu leurs engagements de


campagne électorale ? Combien apparaissent sur les écrans de
télévision pour proclamer que telle loi va servir à peindre en
blanc avec de la peinture rouge ? Les exemples de cette attitude
orwellienne consistant à proclamer que « la paix c’est la guerre »
sont bien trop nombreux et fréquents pour être cités, mais leur
pouvoir cumulatif est tel que dès qu’un politicien ouvre la bouche,
il est aujourd’hui spontanément admis qu’une couleuvre va en
sortir.

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