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BELGIQUE - BELGIË

PP

TRACES 31 BRUXELLES X
1/9464

DE MÉMOIRE
PÉDAGOGIE ET TRANSMISSION
UNE PUBLICATION TRIMESTRIELLE DE N° 31 | JANVIER - FEVRIER - MARS 2019

L’ASBL MÉMOIRE D’AUSCHWITZ

AVANT-PROPOS
page 2

ACTUALITÉ
La propagande raciste avant et pendant
le génocide des Tutsis du Rwanda de 1994.
page 3

DÉFINITION
Sept éléments clefs pour décrire
un crime sans précédent.
page 6

NO COMMENT
Déogratias de Jean-Philippe Stassen.
page 9

APPROFONDISSEMENT
L’histoire du Rwanda contemporain.
page 10

L’INTERROGATION
Dire un mot pour un autre :
lapsus, déni masqué ou racisme résiduel ?
page 19
+ fiche pédagogique page 23 © Teun Voeten Photographers and wounded Hutu.
Kigali, Rwanda 1994.
SAVIEZ-VOUS...
… que dans le cas du génocide au Rwanda,
vous devez faire attention aux termes
ACTUALITÉ
que vous utilisez ?
page 24

RÉFLEXION
Tutsis, Hutus et Twas.
La propagande raciste
Comment des êtres humains ont été
divisés en groupes ethniques.
page 26
qui a contribué
VARIA
page 28
au génocide des Tutsis
du Rwanda
Éditeur responsable Entretien de Mélanie Moreas avec
Henri Goldberg
ASBL Mémoire d’Auschwitz
Félicité Lyamukuru, présidente d’IBUKA-Belgique,
Rue aux Laines 17/Boîte 50 - 1000 Bruxelles sur le rôle de la presse dans le génocide.
Bureau de dépôt BRUXELLES X
Numéro d’agrégation P801056
avant-propos

Cette année nous commémorons le 25e anniversaire de l’horreur qui a frappé le Rwanda en 1994.

Chère lectrice
Cher lecteur
© DR

L
a formule des thèmes an- mergés quotidiennement. Pen- le massacre de près d’un million
nuels a prouvé son efca- sons à la profusion d’absurdités sur de personnes.
cité : le nombre d’abon- les réseaux sociaux (les fameux in-
nés augmente chaque mois, ce fox ou fake news ) que nos en- Centre d’Études et de Documen-
dont nous vous sommes recon- fants, futurs citoyens adultes, ac- tation qui ne se penche pas uni-
naissants et ce qui renforce notre ceptent parfois sans se poser de quement sur la Shoah, mais aussi
conviction que l’ASBL Mémoire questions... sur des questions plus larges tou-
d’Auschwitz joue un rôle impor- En 2019, les quatre numéros de chant aux génocides, aux mas-
tant en matière d’éducation à la votre bulletin pédagogique fami- sacres et aux violences de masse,
mémoire en Belgique. lier Traces de mémoire aborde- l’ASBL Mémoire d’Auschwitz a dé-
Le thème choisi pour l’année 2019 ront les chapitres suivants : cidé de consacrer l’entièreté de
est « la propagande ». Selon le La propagande qui conduisit ce premier numéro de 2019 à la
nouveau Petit Robert, la propa- au génocide au Rwanda ; commémoration du génocide
gande est une action exercée sur La propagande dans l’Alle- des Tutsis au Rwanda.
l’opinion pour l’amener à avoir magne nazie ;
certaines idées politiques et so- La propagande sous le com- Au nom de toute l’équipe, je vous
ciales, pour soutenir une politique, munisme ; souhaite à tous un thème annuel
un gouvernement, un représen- La propagande contempo- instructif et intéressant.
tant. raine.
En tant qu’enseignant, je n’insiste- En avril 1994, il y a un quart de Johan Puttemans
rai jamais assez sur le fait que le siècle, ou pour le dire autrement, Coordinateur pédagogique
siècle passé ne fut pas la seule ère un demi-siècle après la Shoah, ASBL Mémoire d’Auschwitz
de la propagande. Nos jeunes l’humanité était une nouvelle fois Traduit du Néerlandais
d’aujourd’hui aussi en sont sub- confrontée à un génocide, avec par Ludovic Pierard

2 TRACES DE MÉMOIRE
actualité

Les parents de Félicité Lyamukuru habitaient au Rwanda à l’époque du génocide.

LA PROPAGANDE
RACISTE
AVANT ET PENDANT LE

GÉNOCIDE
DES TUTSIS
DU RWANDA DE 1994
Interview de
Félicité Lyamukuru
© DR

Présidente d’Ibuka-Belgique

Quand et comment la propa- les chants. C’était un moyen sour- du Rwanda de « passer au-des-
gande raciste à l’encontre des nois. Et ceux qui « entendaient » sus » de ces discriminations ou de
Tutsis s’est-elle installée au bien, comprenaient qu’il s’agis- ces massacres tel un conditionne-
Rwanda avant le génocide ? sait de discours contre les Tutsis. ment d’aller de l’avant et de ne
Ensuite, il y a eu une accalmie de pas relever les nouvelles manières
C’est toute la période avant le 1962 jusqu’au coup d’État de de discriminer.
génocide de 1994. Les pogroms 1973 quand Habyarimana a pris le À l’école primaire, je me souviens
anti-tutsis ont existé très tôt, depuis pouvoir soutenu par les Hutus du que mes parents étaient effarés
1959 « avec les incendies systé- Nord. Les événements ont pris une de ce que nous apprenions à
matiques des maisons, suivis de autre tournure. En effet, Juvénal l’école ! Nous apprenions que les
pillages des biens et de mas- Habyarimana qui venait du Nord Tutsis tuaient les Hutus. Nous ap-
sacres de Tutsis. De ces troubles orchestre un coup d’État et il ren- prenions aussi que la reine mère
est né l’exil des Tutsis qui n’allait se verse le pouvoir de Grégoire Kayi- (tutsie) devait planter une lance
terminer qu’en 1994 avec le re- banda qui vient du Sud. Dès lors, dans le corps de bébés hutus pour
tour au pays de ces réfugiés 1 . » ce n’était plus les Tutsis contre les garder son trône. C’était écrit
Avec ces pogroms, il y a eu une Hutus mais une séparation entre le dans les manuels d’histoire et
sorte de propagande mise en Nord et le Sud. À ce moment, les nous pensions que c’était comme
place, notamment la façon d’en- souffrances des Tutsis sont voilées cela. En somme, c’est une façon
seigner l’histoire du Rwanda dans par ce changement. Ce qui ne si- de dire que ce qui est enseigné
les écoles. Par exemple, quand gnie pas que la propagande soit est vrai parce que c’est écrit.
on parlait de la monarchie, on la arrêtée puisqu’il y avait des discri- Cette discrimination a engendré
disait meurtrière pour culpabiliser minations dans les écoles, au tra- des quotas dans les écoles et
les Tutsis. C’est une propagande vail, etc. À cette période, on dirait dans les domaines de l’emploi.
qu’on retrouvait surtout à travers qu’il y avait une volonté des Tutsis « Suite aux violences de 1973,

N° 31 - MARS 2019 3
dont un des objectifs était de faire Dans les années 1980, presque façon décontractée, elle dénigre
déguerpir les Tutsis de ces écoles, chaque famille avait un poste de les Casques bleus belges, elle dé-
le régime de la Deuxième Répu- radio. Chaque paysan avait aussi nigre les Accords d’Arusha, etc. Il
blique avait décidé l’application un poste radio. Comme il n’y avait y a eu un vrai tournant ! C’était
rigoureuse des quotas ethniques. que Radio Rwanda qui diffusait, choquant car elle osait ce que
[…] Ces quotas étaient appliqués c’était le seul moyen d’atteindre Radio Rwanda n’osait pas car
dans l’enseignement secondaire le peuple. Donc, tout le monde c’était une radio privée.
et supérieur et dans l’emploi, tant écoutait les mêmes chants, les En parallèle, Radio Rwanda exis-
public que privé2. » mêmes discours, les mêmes pro- tait encore : elle a continué ses
À la n des années 1980, le régime grammes. Cette radio était la voix émissions habituelles. Elle n’a ja-
d’Habyarimana s’est bien solidi- du gouvernement. mais dénoncé les massacres. Ces
é. Les réfugiés qui demandaient De plus, « l’ORINFOR (Ofce rwan- médias étaient complices.
le retour au pays n’obtenaient dais de l’information) veillait à ce Malgré tout, les gens étaient nos-
pas l’autorisation de rentrer. Dans que la presse écrite et Radio talgiques et cette radio nous te-
ses discours, le Président Habyari- Rwanda relaient les appels aux nait compagnie. Il y avait parfois
mana clamait qu’il n’y avait pas meurtres à peine déguisés des dis- de belles émissions. Nous écou-
de place pour eux car le Rwanda coureurs publics, politiques ou mi- tions car c’était notre vie.
était un pays trop petit. Une autre litaires 3 . » Depuis 1990, cet orga-
forme de violence pour ces per- nisme était dirigé par Ferdinand En quoi consistait la propagande
sonnes qui avaient leur famille au Nahimana, « un brillant historien ». raciste qui s’afchait dans des or-
Rwanda. C’est un discours auquel Après les Accords d’Arusha, il de- ganes de presse et sur une radio
personne ne s’opposait. Les gens viendra Ministre de l’Enseigne- proche du pouvoir d’Habyari-
avaient peur. ment supérieur et de la Culture. Il mana ?
À nouveau, il y avait plus de mas- fera partie des fondateurs de la
sacres comme avant. Nous ap- RTLM. En 1996, il sera arrêté au Ca- Dès les premières attaques du FPR
prenons beaucoup de choses de meroun et sera condamné à per- en 1990, il y a eu la naissance de
cette époque maintenant. Les pétuité par le Tribunal pénal inter- plusieurs partis politiques. Au
anciens pensaient qu’il fallait se national pour le Rwanda. même moment apparaissent des
taire pour s’en sortir. La Radio/Télévision Libre des Mille journaux. Nous avions l’impression
Quant aux médias, citons la radio Collines (RTLM) apparait en juillet que c’était une ouverture sur la li-
nationale « Radio Rwanda » qui 1993. Elle a été créée à l’image berté d’expression. Par exemple,
diffusait lesdits chants et mes- du processus génocidaire qui se le journal Kangura voit le jour.
sages ainsi que le journal catho- mettait déjà en place. Au début, C’est la version écrite de la radio
lique Kinyamateka pour lequel les tout le monde aimait bien cette RTLM. Ce journal publiait des cari-
articles racistes ne pouvaient pas radio. Quand j’étais jeune, j’ap- catures. Leurs chiffres de ventes
être censurés car cette presse préciais son humour décontracté, étaient énormes car nous étions
écrite avait des liens amicaux ses grossièretés, elle passait les nous-mêmes obligés d’acheter
avec l’État. tubes du moment. Elle était bien ce journal. Quand je sortais de
pensée. Elle était très attirante ! l’école, je m’organisais pour pas-
Quels médias alliés à la propa- Elle était branchée ! ser à la boutique pour acheter un
gande raciste ont vu le jour avant Ses premières diffusions musclées exemplaire et je le « dévorais ».
1994 ? Existait-il des médias et/ou correspondent au moment des Nous avions l’impression que ce
une forme de propagande qui s’y Accords d’Arusha. Elle change de qui allait nous arriver était écrit.
opposait ? visage : elle diffuse des insultes de Ce journal donnait l’information

4 TRACES DE MÉMOIRE
C’est depuis cet immeuble que la Radio Télévision Libre des Mille Collines
diffusait sa propagande pendant le génocide.

n’avait pas émis pendant le


génocide, on n’aurait pas atteint
le nombre de un million de per-
sonnes massacrées en trois mois.
Leurs messages précisaient les
« scores » par journée, ils compa-
raient les nombres de morts entre
les communes, ils diffusaient les
chiffres par heure… La RTLM s’ins-
crit dans une forme de rentabilité
en encourageant à tuer le plus de
victimes dans le plus court laps de
© DR
temps imparti. La RTLM transmet-
tait aussi des précisions telles que
des noms de personnes qui en ca-
de façon croustillante et crue. message qui disait : « attention, il chaient d’autres. Autre exemple,
C’était très cruel ! Le lendemain va se passer quelque chose d’ici elle dénonçait aussi la MINUAR 5
de la parution des articles, nous deux jours. » Nous prenions tous qui cachait des gens à l’hôtel des
pouvions observer les réactions très au sérieux cette radio. Quand Mille Collines an que personne
des gens aux coins des rues et des l’avion est abattu, RTLM appelle ne s’échappe. Il y a même eu des
bars. Il y a eu également des jour- au meurtre. Les messages insistent gens qui ont arrêté de se cacher
naux d’opposition comme sur le fait de ne pas laisser échap- car les informations transmises par
Kanguka. La presse écrite avait per un seul Tutsi. Ils rappellent de la RTLM étaient très précises.
une volonté de dénoncer les dis- ne pas oublier que ceux qui ont fui À la n du génocide, les respon-
criminations et toutes les actions le Rwanda étaient des bébés. Il sables de la RTLM ont fui avec le
du gouvernement d’Habyari- fallait tous les tuer. C’était répété gouvernement.
mana. Nous avions l’impression à longueur de journée. Après le génocide, tout a été
qu’il y avait une balance. C’était Je me souviens que le 7 avril la cassé.
réconfortant. En 1994, ces journa- RTLM donnait les informations sur
listes de l’opposition ont été rapi- ceux qui avaient déjà été tués. Mélanie Moreas
dement tués. Par exemple, nous pouvions en- HE2B Defré
tendre que tel enseignant ou tel 1 Antoine MUGESERA, Les conditions
Précisément, quels étaient les curé, un sacré cafard, a été as- de vie des Tutsi au Rwanda de 1959 à
rôles joués par les radios et la sassiné. À travers ces messages, la 1990, Edition Dialogue, Kigali & Izuba
presse écrite lors du génocide des RTLM encourageait les Intera- Editions, Miélan, 2014, p.17.
2 KIMONYO Jean-Paul, Un génocide
Tutsis du Rwanda en 1994 ? hamwe. Ces milices étaient tou-
populaire, Editions Karthala, 2008,
jours incitées à commettre le pire. p.79
La presse écrite a connu moins de À certains moments, des miliciens 3 Les médias de la haine à perpétuité.

stabilité pendant le génocide. se sont remis en question. Ils ne En ligne : http://www1.r.fr/actufr/arti-


La Radio/Télévision Libre des Mille voulaient plus aller tuer. Pour les cles/048/article_26848.asp, consulté
Collines est considérée comme le motiver, la RTLM diffusait des mes- le 21 novembre 2018.
4 Date à laquelle le Président
quartier général du génocide. sages : « si vous ne les tuez pas, ce Habyarimana est assassiné.
Quelques jours avant le 6 avril 4 , sont eux qui reviendront vous 5 Mission des Nations unies pour l'assis-

nous entendions à la RTLM un tuer. » Je pense que si cette radio tance au Rwanda.

N° 31 - MARS 2019 5
Définition
7 ÉLÉMENTS CLEFS POUR DÉCRIRE
UN CRIME SANS PRÉCÉDENT
Qu'est-ce qu'un génocide et
en quoi se distingue-t-il
du crime contre l'humanité ?
Le génocide s'en distingue par au moins
sept caractéristiques spécifiques.

1°) Un crime collectif qui vise un pénale internationale au titre de « race » et celui qui vise une
groupe. « crimes contre l'humanité ». classe, tient à ce que nul ne peut
Le génocide est au groupe ce échapper à sa race (pour les na-
que l'homicide est à l'individu. Il se 3°) Un contexte de haine raciale ra- zis, le Juif étant marqué par ses
caractérise par le refus du droit à dicale. « gènes », même les convertis au
l'existence d'un groupe humain. La caractérisation (pseudo) biolo- catholicisme sont gazés), tandis
C'est la simple appartenance gique du groupe cible explique la que changer de classe reste en
théorique au groupe visé qui dé- radicalité de toute entreprise gé- théorie toujours possible. L'aver-
termine le destin individuel du per- nocidaire. Le génocide constitue sion des bolcheviks pour la Po-
sécuté et ce, quand bien même le point d'aboutissement – logique logne et pour la noblesse en gé-
ce groupe « en tant que tel » n'est mais non obligatoire – d'une wel- néral, n'a pas empêché le Conseil
souvent qu'une construction fan- tanschauung (conception du des commissaires du peuple (Sov-
tasmatique des persécuteurs. Il se monde) raciste (Empire colonial narkom) de coner la Tcheka, puis
distingue ainsi du crime contre allemand, Allemagne nazie, le Gépéou à Félix Dzerjinski, rien
l'humanité par l'introduction de la Rwanda) ou ultranationaliste moins qu'un membre de la pe-
notion de groupe et par la vo- (Jeunes-Turcs). Ce n'est pas sans tite... noblesse polonaise. C'est à
lonté de détruire le groupe en raison que les nazis utilisèrent l'ex- l'Ukrainien Khrouchtchev qu'il re-
tant que tel. pression « Solution nale » pour vint de succéder au bourreau de
caractériser le processus de des- l'Ukraine. Aussi faut-il se garder de
2°) La caractéristique « communau- truction des Juifs européens. Le recourir, selon nous, aux termes
taire » du groupe persécuté. génocide signe, en effet, la dispa- de génocide « de classe » et ce,
Les victimes d'un génocide doi- rition dénitive de l'objet maudit, même, lorsqu'il s'agit d'évoquer
vent faire partie d'un « groupe na- détesté, haï. Il n'y a pas de com- l'épisode tragique de la Grande
tional, ethnique, racial ou reli- promis possible avec l'Autre « ra- famine de 1932-33, dont on sait
gieux ». Si les actions impliquées cial » ou « ethnique » ; une fois en- aujourd'hui qu'elle a été parfaite-
sont dirigées contre des individus, clenché, le génocide ne peut ment orchestrée par Staline.
ce n'est pas dans leur capacité in- qu'aller à son terme à moins d'un Dans les cas de génocide, il ne
dividuelle mais comme membres effondrement (défaite). L'ennemi doit en principe rien rester de l'en-
du groupe « communautaire ». à abattre est ainsi systématique- tité ennemie ; d'où le double pro-
Sont donc exclus les groupes poli- ment déshumanisé : il est un re- cessus parallèle d'effacement des
tiques (trotskistes), culturel (ethno- présentant d'une sous-humanité traces matérielles (ici, destruction
cide des Grecs d'Anatolie), so- dont l'existence ne se justie plus de synagogues, là, de monas-
ciaux (victimes des Khmers (Herero), un corps étranger dont il tères) et de réécriture négation-
rouges), sexuels (triangles roses), faut absolument se débarrasser niste. Tout génocide s'accom-
socioéconomiques (la « classe » (Arménien), un principe micro- pagne nécessairement d'une dy-
des koulaks). D'autres concepts bien (Juif), un cancrelat (Tutsi). namique négationniste.
s'appliquent à ces crimes : « mas- Aucun compromis, aucune con-
sacre de masse », « politicide », version, aucune échappatoire 4°) L'intention d'extermination to-
« ethnocide », « épuration eth- n'est envisageable. La différence tale du groupe visé.
nique », tous passibles de la Cour entre un crime qui vise une Le génocide ne procède pas

6 TRACES DE MÉMOIRE
Cet arrêt sur image montre
durant les premiers jours le
massacre au Rwanda.

© Dark Stories

d'une simple volonté d'expulser la destruction du groupe. Le gé- voir de fait. Seul le pouvoir d'un
des civils d'un territoire donné nocide des Tutsi du Rwanda fut État avec son armée, sa police,
(épuration ethnique). L'objectif soigneusement préparé (achats son administration, ses divers relais
est de détruire le groupe dans sa massifs de machettes, constitution dans la société permet le déploie-
totalité, hommes, femmes, vieil- de milices, création de média ment d'une entreprise criminelle à
lards et surtout enfants, sans la pousse-au-crime). Comme tout grande échelle. Ce pouvoir dis-
moindre possibilité de fuite. Toutes génocide, il eut son moment zéro pose en général des moyens né-
les actions visent à détruire les fon- (l'attentat du 6 avril contre Juvé- cessaires pour légaliser ses actes
dations mêmes de la vie du nal Habyarimana) où tout bas- après coup, ce qui justie le re-
groupe cible. Dans ce contexte, cula sans possibilité de retour. Plus cours à une législation internatio-
on comprendra que les enfants, d'un million de Tutsi périrent en- nale d'exception (Ternon). Les
parce que porteurs d'avenir, sont suite en près de 100 jours. Pour massacres commis par des
les cibles prioritaires des tueurs. Le chaque génocide, ces moments bandes ou organisations illégales
fait que des enfants arméniens clés sont connus : mai 1904 (arri- relèvent de la justice nationale or-
aient été kidnappés et convertis vée de von Trotha en Namibie), dinaire, sauf s'il est prouvé que ces
de force n'enlève rien à la volonté 24 avril 1915 (600 notables armé- bandes ont été organisées et sou-
jeune-turque d'en terminer déni- niens sont assassinés sur ordre du tenues par le pouvoir en place.
tivement avec le peuple armé- gouvernement), juillet et octobre
nien. C'est ce qu'exprime le terme 1941 (extermination des Juifs so- 7°) Un processus continu et dyna-
de phrase « tout ou partie » dans viétiques puis européens). mique.
la convention de 1948. À défaut Presque systématiquement, la Tout génocide est constitué par
de la totalité, c'est bien la « part guerre est l'élément clef qui ouvre une multiplicité d'actions qui, lé-
substantielle » du peuple cible qui l'espace entre l'intention et le pas- tales ou non létales (i.e. transfert
doit disparaître à jamais, de ma- sage à l'acte. C'est la guerre, co- d'enfants), visent, toutes, à dé-
nière telle qu'il ne puisse plus assu- loniale (Herero), internationale truire les bases de survie du
rer sa reproduction. A contrario, si (Turquie), idéologique (opération groupe en tant que groupe. De
un groupe humain est éliminé sans Barbarossa) ou encore civile par son caractère systématique,
que personne n'ait eu l'intention (Rwanda) qui permit la libération un génocide se construit sur des
de le faire, ce n'est pas un géno- des pulsions meurtrières : « Le milliers de crimes de masse. Un
cide (Amérindiens). séisme rompt les barrières mo- crime isolé, même aussi odieux
rales. Le potentiel de destruction que celui de Srebrenica en Bos-
5°) La mise en œuvre systématique accumulé au cours des décen- nie, ne peut dans ce cas consti-
(donc préméditée) de la volonté nies par un État contre un groupe tuer à lui tout seul un crime de gé-
génocidaire. se déchaîne brusquement » (Ter- nocide. Il est tout évident qu'une
Pour qu'il y ait génocide, le plan non). fois enclenché, un génocide ne
concerté doit nécessairement prendra n qu'au seul cas d'une
être complété d'une décision. Un 6°) Un crime d'État. défaite militaire (Rwanda). Son
génocide n'a rien de spontané. Il Le terme de génocide ne s'ap- caractère monstrueux, même aux
ne peut se comprendre que dans plique qu'à des crimes ordonnés yeux de ses instigateurs, oblige à
le cadre d'un complot qui vise à par un gouvernement ou un pou- aller jusqu'au bout et ce, notam-

N° 31 - MARS 2019 7
© str8talk Magazine
Un génocide ne fait pas de différence : les hommes, femmes,
enfants, adultes et vieillards sont massacrés.

ment pour éviter, dixit Himmler, qu'il soit à la guerre, le génocide ment pour ce qu'il est, un être nui-
que les « enfants ne deviennent ne se confond pas avec celle-ci sible (crime immotivé).
un jour les vengeurs de leur père. » et peut même lui être antagoniste Enn, la haine absolue dont sont
Il en est différemment dans le cas puisqu'il peut jusqu'à contrarier la l'objet les victimes d'un génocide
des crimes contre l'humanité. conduite des opérations. En 1945, explique en quoi ses effets sont
Toute meurtrière et surtout crimi- alors qu'ils savaient la guerre per- toujours irréversibles : il ne reste
nelle qu'elle fut (cinq millions de due, les nazis ne songèrent nulle- plus que 60 000 Arméniens en Tur-
morts, dont au moins quatre mil- ment à interrompre le processus quie soit 8 fois moins qu'en France,
lions d'Ukrainiens), l'Holodomor, d'extermination des Juifs. tout au plus 20 000 Juifs en Po-
cette famine organisée n'a pas logne sur les 3,3 millions qu'elle
pour objectif de supprimer jus- Il ressort de ce qui précède que, comptait en 1939, quelques di-
qu'aux derniers les paysans contrairement aux idées reçues, zaines de milliers de Tutsi dits de
d'Ukraine mais bien de leur briser un génocide n'implique pas né- l'intérieur au Rwanda. Quant à
l'échine. C'est Staline qui y mit n, cessairement un critère quantita- l'ethnie des Herero, autrefois ma-
c'est-à-dire à sa propre politique tif. Si le génocide des Herero ne joritaire, elle ne constitue plus au-
d'extermination par la faim, dès concerna « que » 60 000 individus, jourd'hui que 7 % de la mosaïque
qu'il jugea la leçon comprise. Et il faut parler de génocide dans la ethnique namibienne. C'est pour
tout rentra effectivement dans mesure où ceux-ci constituaient cette raison que les Juifs ont choisi
l'ordre... stalinien : les Ukrainiens 80 % de la population herero to- le terme Shoah pour caractériser
acceptèrent le joug soviétique et tale. De même, si on évalue à en- leur génocide. Ce mot tiré de la
kolkhozien. Contrairement au gé- viron soixante millions le nombre Bible, sans être pour autant de na-
nocide, le politicide à une visée de morts pendant la Seconde ture religieuse, désigne une catas-
rédemptrice. Il ambitionne avant Guerre mondiale, parmi ceux-ci trophe irréversible, après laquelle
tout à une reconstruction socio- seuls les six millions de Juifs, et sans rien ne saurait plus être comme
politique précise, certes, par une doute les Tsiganes, doivent être avant. Ce caractère irréversible
pédagogie de la violence ex- considérés comme victimes du n'est pas systématique dans le cas
trême. L'objectif avoué et insensé génocide nazi. Seul le million de des autres crimes contre l'huma-
des Khmers rouges était bien de Tutsi exterminés doivent être con- nité : toutes profondes que purent
régénérer leur peuple, pas de le sidérés comme victimes d'un gé- être les saignées en Ukraine, en
détruire. nocide ; les milliers de Hutu démo- Bosnie et au Cambodge, ces trois
Ainsi, si un crime contre l'humanité crates furent, eux, victimes d'un peuples sont toujours majoritaires
traduit bien la subordination des « politicide », au sens de Ted Gurr dans leur pays.
moyens à une n (soumission d'un et de Barbara Harff, c'est-à-dire
peuple ou contrôle exclusif d'un d'un massacre dirigé contre une
territoire), il en est tout autrement opposition supposée ou réelle. Joël Kotek
(lic. histoire contemporaine et
avec le crime de génocide. Le L'Hutu modéré est un opposant.
dr. sciences politique) est professeur
crime de génocide est une n en On le tue individuellement pour d'université. Ses intérêts se tournent
soi. La destruction de l'Autre cons- ce qu'il a fait (crime motivé) ; le vers l'antisémitisme et les génocides
titue même le but de guerre prin- Tutsi est intrinsèquement inno- ainsi que vers le nationalisme
cipal. En cela, tout intimement lié cent : on l'extermine collective- et la construction européenne.

8 TRACES DE MÉMOIRE
no comment

Dans cette nouvelle rubrique,


nous vous présentons une image,
un texte, un lien internet, sans
commentaire. Remplissez vous-
même cet espace de vos propres
réexions et commentaires. Soyez
critique avec les informations re-
çues.

Georges Boschloos
DÉOGRATIAS de Jean-Philippe Stassen. ASBL Mémoire d’Auschwitz

N° 31 - MARS 2019 9
approfondissement

Rwanda avec une troupe de sol- tricts, une « tutsication » de la

L’HISTOIRE DU dats armés. Il devint le premier Eu-


ropéen à obtenir une audience
auprès du Mwami (roi) Kigeli IV
structure administrative coloniale
eut lieu, entraînant la déposition
de quelque 400 chefs hutus et de

RWANDA
Rwabugiri, qui régna de 1853 à 40 chefs twas. Concrètement,
1895. von Götzen devint égale- cela signiait que le pouvoir colo-
ment le premier gouverneur de nial belge s'appuya sur la minorité
l'Afrique de l'Est allemand. En tutsie (14 % de la population) du

CONTEMPORAIN
1899, le roi reconnut la souverai- pays. Selon la tactique coloniale
neté de l'Empire allemand et lui consistant d'une part à corrompre
céda les relations extérieures de les relations entre les gens (dans le
son pays. Quelques années plus cas qui nous occupe, en interpré-
tard, les Allemands créèrent éga- tant les appartenances sociales
lement des bases militaires dans le existantes comme apparte-
Le génocide des Tutsis pays. Cependant, l'ingérence al- nances ethniques) et d'autre part
au Rwanda en 1994 lemande ne fut pas très profonde à favoriser parmi ceux-ci des rela-
porte ses racines dans si bien que les relations sociocultu- tions privilégiées avec les plus
relles entre Rwandais restèrent nantis. Se produisit aussi, dans la
l'histoire récente de la pratiquement intactes. même foulée, un changement de
région. L'ingérence des Cette situation durera jusqu'à la religion, à la religion traditionnelle
Européens à partir de Première Guerre mondiale, au rwandaise (un monothéisme) se
cours de laquelle les colonies alle- substituera la religion des coloni-
1884 a été décisive mandes et belges, suivant la situa- sateurs, et ce avec la collabora-
pour l'évolution de l'an- tion en Europe, se combattront. tion de Léon-Paul Classe, vicaire
tagonisme entre Hutus En 1916, les troupes belges atta- apostolique du Rwanda. Sa vision
quèrent Shangi, dans l'ouest du des Tutsis, qu'il considérait comme
et Tutsis. Vous lirez ici Rwanda. À la suite de cette at- les « leaders naturels » du pays,
un bref aperçu de l'his- taque, le Rwanda tomba entre les joua un rôle important dans les
toire du Rwanda au mains des Belges. Après la défaite décisions des colonisateurs
allemande en 1918, le mandat of- belges. C'est aussi à cette
cours du siècle dernier. ciel belge sur le Rwanda - Urundi époque que furent introduites les
fut conrmé par la Société des fameuses cartes d'identité por-
Nations. Ce mandat aurait nor- tant la mention ethnique hutu,
malement dû durer de 1926 à tutsi ou twa. Ce qui conforta la di-
1931, mais se poursuivra jusqu'en vision de la société.
Comme la plupart des régions in- 1962, quoique (à partir de 1947) Après la Seconde Guerre mon-
térieures africaines, le Rwanda sous le nom ofciel de « territoire diale, la Belgique signa un accord
demeurait une terra incognita sous mandat ». Cela signiait qu'à avec les Nations unies (l'organisa-
pour les Européens. La Confé- partir de ce moment, les Belges tion qui succéda à la Société des
rence de Berlin de 1884-1885 durent préparer la région à l'indé- Nations) pour préparer le Rwanda
changera radicalement la pendance future. Cependant, - Urundi à l'indépendance par le
donne. Les superpuissances euro- l'impact belge sur la société rwan- biais d'un processus démocra-
péennes divisèrent l'Afrique selon daise sera beaucoup plus pro- tique. Dans la pratique, on pensait
leurs différentes sphères d'inu- fond que l'impact allemand ne le que cela prendrait plusieurs dé-
ence. L'Empire allemand obtint le fut jamais. En 1926 eut lieu la « ré- cennies. Les conits entre les Tutsis
contrôle de la région du Rwanda forme Mortehan », du nom du ré- et les Hutus, que les Belges
- Urundi1. Dix ans après l'octroi de sident (administrateur colonial) de avaient attisés pendant toutes
la région aux Allemands, le comte l'époque, Georges Mortehan ces années, réapparurent dans
Gustav Adolf von Götzen (1866- (1883-1955). En plus d'une réduc- l'après-guerre et suscitèrent beau-
1910) passa deux mois au tion drastique du nombre de dis- coup d'émoi chez les Hutus qui re-

10 TRACES DE MÉMOIRE
présentaient 83 % de la popula- Ce manifeste, dont le titre original Il fut considéré par les Tutsis
tion. Mais dans la mesure aussi où était « Note sur l'aspect social du comme une provocation, il re-
les Tutsis manifestèrent les pre- Problème racial indigène au connaissait en effet l'existence de
miers des velléités d'indépen- Rwanda », comportait dix pages deux peuples différents cohabi-
dance, le pouvoir colonisateur, rédigées par neuf intellectuels hu- tant sur la terre du Rwanda, un
opportuniste, changea de parte- tus et adressées au gouverneur peuple majoritaire (les Hutus) et
naire et s'appuya désormais sur les général adjoint du Rwanda. Le un autre minoritaire (les Tutsis) qui
Hutus, exportant par la même oc- manifeste dénonçait l' « exploita- ne pouvait dorénavant en aucun
casion au Rwanda le conit qui tion » subie par les Hutus. La dis- cas bénécier des mêmes droits,
existait à l'époque en Belgique tinction ethnique entre Hutus et alors que jusque-là, comme déjà
entre la minorité francophone ex- Tutsis conduisit progressivement à évoqué, tous les habitants du
ploitant la majorité amande. Le une radicalisation des conits. Ce pays étaient considérés comme
ressentiment des Hutus à l'égard manifeste peut donc être consi- les sujets du Mwami (roi du
des Tutsis se cristallisa en 1957 déré comme le point de départ Rwanda).
avec le « Manifeste des Bahutu ». de l'action politique des Hutus. La création de divers partis poli-

© www.un.org

N° 31 - MARS 2019 11
tiques à partir de 1959 constituera (Union nationale rwandaise) fut seules les troupes françaises restè-
la continuation active des idées fondée au Kenya. Ce mouve- rent sur place : la France se vit de
du manifeste. Le parti le plus im- ment, avec l'aide des opposants ce fait attribuer un rôle privilégié
portant sera le Parmehutu de Gré- hutus au régime Habyarimana, dans la région. Avec ces interven-
goire Kayibanda (1924-1976), qui évoluera vers le FPR (Front patrio- tions étrangères et une armée tut-
deviendra président lorsque le tique rwandais). sie du FPR à ses frontières, le ré-
Rwanda passera d'un régime mo- À plusieurs reprises au cours des gime affaibli de Habyarimana dut
narchiste à un régime républicain années 1980, les pays voisins ten- faire des concessions à ses oppo-
et indépendant en 1962. L'année tèrent de renvoyer les exilés tutsis sants politiques comme à son allié
1959 vit également le début des au Rwanda, mais à chaque fois ils français (conférence de La Baule
affrontements violents entre Hutus furent refoulés par Habyarimana. de François Mitterrand). En 1991,
et Tutsis, car en novembre fut ini- Son régime connaissait à ce mo- la Constitution fut modiée, ce qui
gée la « Toussaint rwandaise », ment aussi d'autres problèmes, de entraîna l'introduction d'un sys-
une série de massacres contre les nature économique cette fois. En tème multipartite et la liberté de
Tutsis qui t environ 20 000 morts. 1989, la crise s'aggrava, les prix la presse. Les partisans de la ligne
Plusieurs dizaines de milliers de sur- des produits d'exportation tels dure des Hutus virent ces évolu-
vivants choisirent de fuir vers les que le café et le thé baissèrent, la tions d'un très mauvais œil. La pro-
pays voisins du Rwanda. Entre corruption augmenta, tout pagande anti-tutsi, telle que les
1959 et 1963, environ 200 000 Tutsis comme les arrestations des oppo- « Dix commandements des Ba-
fuirent vers l'Ouganda, le Zaïre sants au régime. La situation inté- hutu », fut distribuée en masse,
des jeunes liés au MRND com-
mencèrent à former des milices
violentes (dont les fameux Intera-
hamwe). Les meurtres contre les
Tutsis devinrent alors monnaie
courante au cours de l'année
1992. Avec l'approbation de Ha-
byarimana, une campagne de
propagande commence, visant
à aliéner encore davantage les
La radio était le moyen de Hutus des Tutsis. Les Tutsis, en tant
communication par que boucs émissaires, sont crimi-
excellence pour mettre nalisés, une méthode éprouvée
les Interahamwe sur la
© Medium.com
trace de leurs victimes.
qui avait déjà été utilisée par
d’autres régimes dictatoriaux.
(maintenant la République démo- rieure du pays était déjà très ten- Kangura (Réveille-toi), un journal
cratique du Congo) et le Burundi. due lorsqu'en octobre 1990, les rwandais inuent, a publié les « Dix
Plusieurs épisodes de persécution troupes du FPR commencèrent à Commandements Hutu ». Ceux-ci
des Tutsis au Rwanda suivront en envahir le Rwanda par la frontière xent des règles pour les contacts
1967 et 1973, année où le Hutu Ju- ougandaise, provoquant la re- des Hutus avec les Tutsis.
vénal Habyarimana (1937-1994) prise de la guerre civile. Des arres- « Les dix commandements hutu »
arriva au pouvoir après un coup tations et des massacres de Tutsis visaient à convaincre la popula-
d'État. En 1975, il fonda le MRND suivront. Les puissances étran- tion hutu et que les Tutsis étaient
(Mouvement républicain national gères interviendront également : leurs ennemis par excellence. La
pour la démocratie), qui fut le seul des troupes belges, zaïroises et propagande évoquait des
parti à exister jusqu'en 1991. Ce- françaises apporteront leur aide images de guerre, d'esclavage,
pendant, les Tutsis qui avaient fui au régime de Kigali, mais dans le d'oppression, d'injustice, de mort
à l'étranger ne s'avouèrent pas but prioritaire de mettre leurs et de cruauté. Des images fabri-
vaincus et espérèrent un retour compatriotes en sécurité. En no- quées à partir de dépôts de muni-
dans leur patrie. En 1979, la RANU vembre de la même année, tions inexistants du FPR, par

12 TRACES DE MÉMOIRE
exemple, ou de Tutsis suspects, la station et son style de présenta- Rwanda. Le 6 avril 1994, l'avion du
ont conduit les Hutus à avoir peur tion informel ont encouragé les Président Habyarimana et du Pré-
et à s'armer pour se protéger gens à se mettre à l'écoute. Les sident burundais Ntaryamira, re-
contre l'ennemi tutsi. bulletins d'information de RTLM et venant d'un sommet en Tanzanie,
Malgré une mauvaise distribution, les bulletins de nouvelles locales fut touché par une roquette lors
Kangura a atteint un large public. étaient pleins de ragots et de de son atterrissage. L'assassinat
D'autres journaux et magazines scandales. Les auditeurs étaient de Habyarimana marque le dé-
ont copié des articles parus dans encouragés à appeler la radio et but du génocide des Tutsis au
Kangura. Malgré le fait que seule- étaient mis à l’antenne. Rwanda. Le 7 avril, les membres
ment 66 % des Rwandais savaient L'intelligentsia rwandaise a égale- du pouvoir hutu prennent de
lire, la propagande était très ef- ment été inuencée par la propa- facto le pouvoir et font assassiner
cace : les articles étaient abon- gande. Comme le système édu- le Premier ministre Agathe Uwilin-
damment illustrés par des dessins catif était nancé par le gouver- giyimana (1953-1994), femme
qui transmettaient un message in- nement, la plupart des conféren- hutu modérée, et sa garde com-
dubitablement malveillant. De ciers voyaient peu de place pour posée de dix paras commandos
plus, la culture orale rwandaise si- une position indépendante ou cri- belges. Entre le 7 avril et le 17 juil-
gniait que les dix commande- tique. L'un des professeurs d’uni- let 1994, entre 800 000 et un million
ments hutus étaient transmis à de versité les plus inuents, Léon de Tutsis seront tués à la machette
nombreuses personnes analpha- Mugesera, un propagandiste et à l'arme à feu. Les tueurs pou-
bètes. hutu de la ligne dure, a prononcé vaient être aussi bien des soldats,
En raison du taux élevé d'anal- le fameux discours du 22 no- des miliciens que des voisins. Des
phabétisme, la radio était l'outil vembre 1992 au motif que l'en- postes de contrôle furent installés
de propagande le plus efcace. nemi voulait détruire tous les Hu- à divers points stratégiques des
En 1991, seulement 29 % de tous tus. Certaines parties de ce dis- villes. Après vérication des cartes
les ménages possédaient une ra- cours ont été diffusées, dix-huit d'identité, les Hutus étaient autori-
dio, mais les Rwandais qui mois avant le génocide. sés à passer, mais les Tutsis étaient
n'avaient pas de radio écoutaient En février 1993, le FPR poursuivit assassinés sur place. Outre les Tut-
les émissions dans les cafés locaux son offensive contre le régime de sis, les Hutus modérés devaient
ou ailleurs. Jusqu'en 1992, la seule Kigali dans le nord du Rwanda. également craindre pour leur vie
station du pays, Radio Rwanda Malgré le soutien français au ré- s'ils choisissaient de venir en aide
(NNR), diffusait principalement gime, quelque 750 000 agricul- aux Tutsis. Ici aussi, les Européens
des discours présidentiels, des an- teurs prirent la fuite vers le sud, loin (Belges et Français) choisirent de
nonces gouvernementales of- de la zone de conit. En mettre en sécurité leurs compa-
cielles, des résultats d'examens et août 1993, les Accords d'Arusha triotes en priorité.
des bulletins d'information censu- (en Tanzanie) devaient offrir une Contrairement à l'afrmation, er-
rés. Il n'existait pas de station de issue pacique à la transition dé- ronée, qui interprétait la première
radio indépendante. Quand, en mocratique, mais ce même mois phase des tueries comme une ré-
1991, le FPR a mis en ondes sa les émissions de RTLM, se mirent à action conduisant à un règlement
propre station, Radio Muhabura, il diffuser quotidiennement sur les de compte interethnique, la
s'est rapidement fait connaître ondes la propagande raciste et donne en 1994 était évidemment
des Rwandais. En réponse à cela, violente des extrémistes hutus. très différente. Il s'agissait d'un vé-
le gouvernement a créé la Radio Au début de 1994, le général ca- ritable génocide, patiemment
Télévision Libre des Mille Collines nadien Roméo Dallaire, qui diri- préparé pendant des années
(RTLM). Le musicien très populaire geait la mission de l'ONU au sous forme de propagande et par
Simon Bikindi (1954-2018) et tous Rwanda, informa ses supérieurs à l'achat d'armes à l'étranger. Fina-
les collaborateurs de RTLM étaient New York qu'il avait été mis au lement, la victoire militaire du FPR
issus de l'élite qui entourait Habya- courant que des partisans de la sous la direction du Tutsi Paul Ka-
rimana, l’Akazu (la maisonnée). ligne dure des Hutus (le Hutu Po- game mettra un terme au géno-
RTLM attire rapidement un large wer) préparaient un génocide cide et par la même occasion à
public. La musique entraînante de contre la population tutsie au la guerre civile. Les organisateurs

N° 31 - MARS 2019 13
Première page du
périodique de
propagande Kangura,
juillet 1993.

affaibli, pour pouvoir commencer


le génocide et s'emparer du pou-
voir par la même occasion.
Depuis 1994, Paul Kagame, le diri-
geant du FPR, est l'homme fort au
Rwanda et depuis 2000, il est éga-
lement président du pays. De
nombreux observateurs appré-
cient Paul Kagame pour avoir ap-
porté la stabilité et la croissance
économique à ce pays dévasté.
L'efcacité de la lutte contre la
corruption au Rwanda, y compris
contre les membres de la famille
de Paul Kagame, est désormais
reconnue internationalement.
D'autre part, des ONG comme
Human Rights Watch et Amnesty
International sont très critiques à
l'égard de ce qu'elles considèrent
comme des violations des droits
humains, notamment en ce qui
© Genocide Archive Rwanda

concerne la liberté de la presse et


le climat durant les périodes élec-
torales. Ses opposants considè-
rent son régime comme une auto-
cratie répressive.

Frédéric Crahay
du génocide se réfugièrent au naux populaires, appelés gaca- Directeur
Zaïre et ne seront jugés que par- cas pour rendre la justice. Après ASBL Mémoire d’Auschwitz
tiellement. Le 9 novembre 1994, le 25 ans, il n'est toujours pas établi
Conseil de sécurité des Nations ofciellement qui a exactement
unies adopta la résolution 995 por- tiré la roquette sur l'avion prési-
tant sur la création d'une Cour in- dentiel, mais tout indique dans les
ternationale de justice pour le recherches récentes que la garde (1)À partir de 1962, la région se
Rwanda. Mais en raison du grand présidentielle (les partisans de la composait de deux pays :
nombre d'assassins individuels, il ligne dure hutue) a éliminé Ha- Rwanda, capitale Kigali et Bu-
fut décidé de créer aussi des tribu- byarimana, alors politiquement rundi, capitale Bujumbura.

14 TRACES DE MÉMOIRE
Catalogus

Montez à bord du Train des 1000 !

Wanted : 1000 jeunes enthousiastes qui embarqueront dans le


Train des 1000 à destination d’Auschwitz-Birkenau en mai 2020 !

Le War Heritage Institute (WHI) et l’ASBL Mémoire d’Auschwitz


recherchent 1000 élèves pour le projet éducatif
« À la rencontre de la Mémoire »,
dont le point culminant sera un voyage à
Auschwitz-Birkenau du 05 au 10 mai 2020 à bord
d’un train pour la mémoire.

Ce convoi très spécial traversera toute l’Europe en hommage


aux victimes déportées de la Seconde Guerre mondiale.
Vous êtes enseignant ?
Saisissez la chance de faire vivre l’Histoire à vos élèves, de
découvrir avec eux ces lieux hautement symboliques, de
rencontrer les derniers rescapés des camps, et de fraterniser
avec des jeunes venus de toute l’Europe !

Pour faire partie du voyage, rendez-vous dès maintenant sur


www.traindes1000.be où vous trouvez toutes les informations sur
le projet et où vous pouvez vous inscrire
jusqu’à vendredi 24 mai 2019 au plus tard !

TRAIN
DES

2020
L’historique Le nouveau projet
En mai 2020, la Fondation Qui sera dans
Auschwitz et le War Heritage Insti-
1995 tute coorganiseront, avec le con- le train ?
cours de divers partenaires inter-

L
a Ville de Namur et la nationaux (telle la Fédération in-
Fondation Auschwitz or ternationale des Résistants et Elèves de 17/18 ans de
ganisent un grand événe- autres), le déplacement d’un mil- Belgique et d’Europe. Il est prévu
ment mémoriel, le Train des Mille, lier de jeunes de Bruxelles à que les élèves viennent par classe
qui avait emmené 1000 jeunes de Auschwitz, grâce à un train spé- avec leur encadrement profes-
Namur à Auschwitz. cialement affrété par la SNCB soral. Il est à noter que le Train
pour la circonstance : le Train des même amènera physiquement
1000. parlant quelque 750 personnes
mais que ce nombre sera aug-

2008 Ce train au départ de Bruxelles


(Bruxelles-midi) embarquera éga-
menté par certains groupes pro-
venant d’autres pays européens
lement un certain nombre de qui se rendent directement sur

L
’Institut des Vétérans – jeunes dans les différentes gares place (pour les pays plus proches
INIG et la Fédération In- où il fera arrêt. Il emmènera et ras- d’Auschwitz comme la Répu-
ternationale des Résis- semblera ainsi un millier1 de blique tchèque, la Pologne, la
tants (FIR) organisent le Train de la jeunes Belges et autres Européens Russie, etc)
Liberté. Ce train « spécial » a em- qui commémoreront, en pré- Les élèves seront issus des
mené 350 jeunes Belges (issus de sence des derniers survivants du différents réseaux et types d’en-
toutes les provinces du Royaume), camp, la victoire des forces dé- seignement des 3 communautés ;
ainsi qu’une centaine d’Espa- mocratiques sur l’Allemagne na- en même temps, il sera tenu
gnols, de Français et de Portugais zie. compte d’une répartition géogra-
de Bruxelles à Weimar (Buchen- Outre la Commémoration, le phique aussi équitable possible
wald) en Allemagne. Sur place, voyage présente plusieurs objec- entre les 10 provinces ainsi que la
les 450 jeunes ont rejoint un millier tifs : Région de Bruxelles – capitale.
d’autres jeunes en provenance Éducatif : permettre à ces Pays participants (sous réserve) :
du reste de l’Europe, représentant 1000 jeunes de visiter le Musée Belges, Français, Hollandais,
tous ensemble 22 nationalités eu- d’Auschwitz et le camp d’extermi- Luxembourgeois, Allemands, Ita-
ropéennes. nation de Birkenau, et de prendre liens, Portugais, Espagnols, Polo-
connaissance de visu du système nais, Hongrois, Grecs, etc.)
concentrationnaire et génoci- Des « Anciens », ex-dépor-
daire nazi tés d’Auschwitz et d’autres camps
Mémoriel : visiter le camp participeront au voyage.
en compagnie de rescapés et de Des experts et autres spé-

2012 & 2015 témoins


Citoyen : se conscientiser
cialistes de la Mémoire
Des représentants des Ins-
clairement de la thématique con- titutions (de par le passé nous
centrationnaire et par là avons eu quelques parlemen-

L ’IV-INIG et la Fondation
Auschwitz organisent
conjointement un nouveau Train
des Mille pour Auschwitz, en par-
même de la négation absolue
des Droits de l’Homme.
Médiatique : La rencontre
devrait être, comme pour les édi-
taires (de différents partis)

Ce mode opératoire que nous uti-


lisons depuis plusieurs éditions per-
tenariat avec la Fédération inter- tions précédentes, fortement mé- met une représentation harmo-
nationale des Résistants et diatisée an de mettre en évi- nieuse de l’ensemble du territoire
d’autres associations/institutions dence cette mobilisation massive belge.
étrangères, regroupant près de et symbolique d’une jeunesse eu-
1.000 jeunes de l’enseignement ropéenne se rassemblant pour la Les groupes étrangers sont sélec-
secondaire de Belgique et d’Eu- Démocratie et contre l’extré- tionnés par la FIR et/ou les autres
rope. misme politique. partenaires.
du 5 au 10 mai 2020

Renseignements
Préparation pratiques
pédagogique Les groupes sont répartis dans 6
différents hôtels de Cracovie.
Les
Tous les repas seront pris en
charge par l’organisation (pen-
organisateurs
Le projet préparatoire s’étale sur sion complète avec repas en hô-
une année et comprend toute la tel ou restaurants lors des journées La Fondation Auschwitz/
période d’activité scolaire de de visite), en ce compris lors du ASBL Mémoire d’Auschwitz
septembre 2019 à juin 2020. No- trajet aller/retour en train de Rue aux Laines, 17 Bte 50
tamment (pour les élèves belges, Bruxelles-Cracovie, au cours du- 1000 Bruxelles
français et hollandais), les activi- quel des lunch-packets et petits
tés suivantes seront mises sur déjeuners seront offerts aux voya- Le War Heritage Institute
pied : geurs, excepté pour le repas du Avenue de la Renaissance, 30
Des visites de Breendonk soir le jour du départ (les partici- 1000 Bruxelles
et de la Kazerne Dossin pants ramènent leur casse-
Des visites de l’espace croûte)
Bordiau III au MRA (consacré à la
n de la 2ème Guerre mondiale et Un compartiment spécial avec Les partenaires
à la Déportation) médecins et inrmiers militaires
Des exposés dans les sera aménagé dans le train. Sur
écoles participantes réalisées par place, une structure médicale vo- La Fédération Internatio-
l’équipe Mémoire de l’Institut et lante sera mise en place. nale des Résistants - FIR, ONG re-
expliquant notamment les ori- Tous les participants seront assurés connue par l’ONU, Franz Mehring
gines du système concentration- par l’organisation. Platz 1D, 10243 Berlin. Celle-ci four-
naire, en ce compris les diffé- nira des groupes de jeunes de la
rences entre la déportation poli- Le coût réel par personne est de plupart des pays européens où la
tique et la déportation raciste. 520,00 €. L’organisation se charge Fédération est représentée (Alle-
Des colloques et autres de couvrir une grande partie de magne, Portugal, Grèce, Hol-
journées d’étude pour les profes- ses frais sur fonds propres et via lande, Espagne, Hongrie, etc)
seurs des subventions. L’Ofce National des An-
La remise d’une docu- ciens Combattants (France) qui
mentation et d’un package pé- La participantion est xé à enverra une trentaine de jeunes
dagogique 250,00 € par élève et par ensei- L’Association nationale
Le soutien pour la réalisa- gnant. des Partisans italiens (la plus
tion de projets pédagogiques di- grande association patriotique
vers (comme la création de pop- Pour plus d’infos et inscriptions : italienne) qui amènera une tren-
up monuments, de concours pho- www.traindes1000.be taine de jeunes issus de toute la
tos, de mini-expos, etc.) jusqu’au 24 mai 2019. péninsule italienne
Programme

05/05/20
- 12h30 : Accueil des groupes à la Gare du midi
- 13h30 : Cérémonie du départ en présence de 600 jeunes et des
autorités dans un endroit dédié à la Gare du Midi
(Présence des autorités belges)
- 14h15 : Embarquement dans le train
- 15h00 : Départ du train
- 15h00 : Accueil des groupes au départ de Namur ou Liège en
gare de Namur ou de Liège (TBC)
- 16h00 : Embarquement à Namur/ ou Liège (TBC)
- 18h30 : Embarquement à Wasserbilig (Grand-Duché) (TBC)
- 23h00 : Embarquement à Francfort (Allemagne)

06/05/20
- Arrivée à Cracovie vers 17h00 et installation dans les hôtels
- Soir : soirée libre

07/05/20
- 7h30 : Départ pour Auschwitz
- 9h00 : Visite du musée
- 13h00 : Déjeuner dans des restaurants d'Auschwitz ;
- 14h30 : Poursuite de la visite jusqu'à 17h00
- 19h00: Spectacle Kamp ; spectacle hollandais de poupées
représentant le processus d'extermination à Auschwitz
(pour 500 jeunes).
- 19h00 : Concert du groupe de musique Kletzmer Kroke (pour les
500 autres jeunes)

08/05/20
- 7h30 : Départ pour Birkenau (descente des cars à la « Jude
rampe » et marche à pieds
- 13h00 : Cérémonie internationale au monument d'Auschwitz II
- 15h00 : Concert du groupe de musique Kletzmer Kroke (pour les
500 jeunes qui, la veille ont vu Kamp)
- 15h00 : Spectacle Kamp (pour les 500 jeunes qui la veille ont vu
Kroke)
- Soir : Soirée festive

09/05/20
- Visite de Cracovie (aspects de la vie juive avant l'extermination)
- 13h00 : Départ pour la Belgique

10/05/20
- 16h00 : Arrivée à Bruxelles Midi (sous réserve des impondérables
du trajet)
DIRE UN MOT
POUR UN AUTRE : interrogation
LAPSUS, DÉNI MASQUÉ OU
RACISME RÉSIDUEL ?

COMPRENDRE LES RÉCITS DU


GÉNOCIDE DES TUTSIS AU RWANDA
a propagande peut revêtir alimentée, il est vrai aussi, par les part, issus du Bund, mouvement

L plusieurs costumes, pré-


senter plusieurs visages. Et
placer le citoyen ordinaire (et a
tensions générées dans le cadre
du conit israélo-palestinien et la
couverture médiatique souvent
socialiste) et des rescapés (parmi
lesquels pas mal de religieux) con-
tinue à poser au jeune État un pro-
fortiori les jeunes), souvent peu au partielle, voire partiale, qui en est blème d’identité en même temps
courant des faits, dans une situa- faite. Fonder l’existence de l’État que psychologique (la raison
tion de perplexité. Le récit du gé- d’Israël sur le génocide est histori- d’être d’un État peut-elle s’ac-
nocide des Tutsis au Rwanda, se quement faux (même si Israël fait compagner en permanence du
manifeste aujourd’hui de trois fa- aussi de la Shoah un récit fondant traumatisme résultant du projet
çons : selon les ressources de l’his- sa légitimité, imposé à tous ses res- d’extermination de tous ses
toire, selon les intentions du ré- sortissants au moins) : les « pères membres ?).
gime politique en vigueur, récit fondateurs », les premiers sionistes, Au Rwanda, s’il est clair pour tout
présenté souvent par ses détrac- sont bien antérieurs au génocide. le monde que le FPR a réussi à ar-
teurs comme « version ofcielle » La coexistence d’ailleurs de leurs rêter le génocide, ce ne fut évi-
et enn selon le point de vue des descendants (laïcs pour la plu- demment pas de la manière la
négationnistes. Si le récit « of-
ciel » a revêtu les atours d’une
épopée (et c’est bien ainsi qu’est
L’exposition au Mémorial de Gisozi est basée uniquement sur des faits historiques.
conçue l’exposition permanente
au Musée du Parlement à Kigali),
elle se nourrit en réalité et fonda-
mentalement de celle-là (expo-
sée cette fois au Mémorial de Gi-
sozi). Cette situation représente à
la fois une force : l’épopée du FPR
et de son chef, l’actuel Président
Paul Kagamé, est effectivement
fondée sur la recherche historique
(traces, procès, témoignages et
archives), mais aussi une fai-
blesse : la vérité historique consi-
dérée comme « soutien au ré-
gime » fait le lit des négationnistes
dans la mesure où tout discours
contraire au leur est suspecté
d’obéir aux ordres de la Prési-
dence.
La même confusion règne en ma-
tière d’antisémitisme, d’antisio-
nisme et de négation de la Shoah, © Thierry De Win

N° 31 - MARS 2019 19
Les Noirs ont prétendument
la machette facile ...

plus douce : une guerre reste une lontaire (dans certains cas), mais quer des tueries rituelles et régu-
guerre, elle tue et fait couler de toutes façons condamnable, lières ! Ce type de discours n’était
beaucoup de sang. Et beaucoup et volontaire (c’est encore le cas pas rare à l’époque. Il ne l’est tou-
d’encre depuis. Il est clair, toute- de la France aujourd’hui) des jours pas.
fois, que la légitimité de l’actuelle pays occidentaux et de leurs mé- Ainsi euriront des expressions et
République du Rwanda ne se dias. Ces petits arrangements des termes qui n’auront d’autre
fonde pas sur la victoire des Tutsis avec l’actualité et puis avec l’his- fonction que de faire écran sur la
contre les Hutus, mais sur le pari toire sont favorisés par la coexis- réalité de l’histoire : plutôt que de
(risqué) de la réconciliation de tence de la guerre et du géno- reconnaître le génocide, on par-
tous les Rwandais. Ce qui n’em- cide. Celle-là pouvant d’une cer- lera de préférence de « mas-
pêche évidemment pas des sen- taine façon dissimuler celui-ci de sacres » ; plutôt que d’identier la
timents de frustrations, de ven- toutes sortes de manières. Le sens cible principale du génocide, à
geance ou autres revanches du mot « génocide » tend alors à savoir les Tutsis, on parlera de « gé-
d’apparaître. Sans compter les se dissoudre dans la relation de nocide rwandais » ; certains, plus
multiples tentatives de vouloir re- faits de crimes de guerre, de mas- avisés, plus habiles, comprenant
faire l’histoire ! sacres, de représailles ou encore sans doute l’inanité de nier le gé-
Bien entendu, le génocide des dans le scénario très répandu de nocide des Tutsis, soumettront sa
Tutsis fut un événement difcile à la réaction populaire par rapport reconnaissance à celle d’un
camouer : couvert au quotidien à certains événements forts. L’at- autre « génocide », celui qui, à
par les caméras de télévision, il fut tentat perpétré contre l’avion de leurs yeux, aurait été perpétré
donné en pâture au public assorti l’ancien Président Juvénal contre les Hutus. C’est la thèse du
d’explications approximatives, Habyiarimana et la propagande « double génocide », véhiculée
souvent malheureuses, désorien- mortifère diffusée par la Radio des notamment par le Président de la
tées par nombre d’idées reçues. Mille Collines en sont de bons République française de
La réalité des exactions, portée à exemples. Ils sont signicatifs à l’époque, François Mitterrand
la connaissance de tous, entraîna plus d’un titre : il est très aisé d’en (« tout le monde tue tout le
(et entraîne encore) du côté des faire des instruments de contre ré- monde », disait-il), qui a encore
thèses négationnistes (sachant cits, des occasions d’occulter à la de beaux jours devant elle ! On
que tout génocide organise tou- fois le processus génocidaire aura du mal à considérer ces dé-
jours son propre effacement) un (commencé pourtant dès 1959 !) tournements de sens comme de
autre type d’argumentaire que et l’organisation effective (et hé- simples « lapsus » !
celui développé pour la négation las efcace) de celui-ci. Extermi- Ainsi, sans formation historique
de la Shoah. Comme il est impos- ner plus d’un million de personnes précise (à faire remonter jusqu’à
sible de dissimuler les traces du en une centaine de jours résiste la période de la colonisation),
génocide des Tutsis, le processus mal à la thèse réactive, mais s’ac- sans formation aux stratégies de
de négation porte sur le choix des commode très bien des relents ra- communication, il y a de quoi, en
mots utilisés, rendu possible par un cistes et méprisants qui courent effet, y perdre son latin, d’autant
détournement de sens des situa- toujours en Europe : les Noirs ont que l’Europe, comme les USA et le
tions concernées. Avec probable- prétendument la machette facile Canada, abritent en leur sein
ment la complicité à la fois invo- et la fâcheuse habitude de prati- quantité de génocidaires qui y vi-

20 TRACES DE MÉMOIRE
Des caméras télé filmaient l’horreur
au jour le jour, on aurait eu du mal à cacher
le génocide en cours.

portant les faits tout en analysant


la abilité et la pertinence des do-
cuments et témoignages s’y rap-
portant, le second, dans sa partie
rhétorique, en enseignant et dé-
cortiquant les mécanismes du dis-
cours (en y associant la formation
aux médias) tout en attirant, cette
fois, l’attention sur l’importance
de détecter toute altération du
langage utilisé, dans la mesure où
sa nature arbitraire ne lui garantit
malheureusement aucune stabi-
lité. Tous les mots ne se valent
pas : on l’aura compris, massa-
cres, crimes de guerre, crimes
contre l’humanité, génocide,
entre autres, ne sont pas des syno-
nymes (même si au demeurant les
souffrances ne se comparent
pas !)
À titre d’exemple, une étude me-
née en 2006 par Emmanuel Fre-
son(1) expose les tâtonnements
des médias belges (les quotidiens
Le Soir et La Libre Belgique, ainsi
que l’hebdomadaire Le Vif/L’Ex-
© Thierry De Win press) en temps de crise événe-
mentielle : comment expliquer,
vent en toute impunité, y briguent L’éducation et la pédagogie sont comprendre et surtout comment
même parfois des postes impor- susceptibles à coup sûr de consti- nommer les faits horribles qui s’ex-
tants, sous leur véritable identité tuer de puissants antidotes contre posaient alors en direct via les ca-
ou sous un nom d’emprunt, que ces dérives à condition d’être dis- naux télévisuels ? Aucun des mé-
leurs descendants sont tentés pensées avec rigueur, assorties dias étudiés n’échappa tout à fait
bien souvent de relayer les thèses d’une bonne connaissance histo- à l’hésitation ni à l’attentisme. Re-
négationnistes qui circulent dans rique des faits et de la prise en layant davantage l’information
leur milieu, sans compter que les compte de la fragilité inhérente à au jour le jour plutôt que d’en pro-
librairies regorgent d’ouvrages re- tout système de signes ! Le cours poser une analyse exhaustive por-
levant de cette tendance ou qui d’histoire et de français font ici tant sur une vision claire et distan-
le sont de manière plus sournoise. bon ménage ! Le premier en rap- ciée par la connaissance histo-

N° 31 - MARS 2019 21
Tous les mots ne se valent pas :
on l'aura compris, massacres, crimes de guerre,
crimes contre l'humanité,
génocide, ne sont pas des synonymes.

proportionnellement à l’épaisseur
des substrats à partir desquels elle
se diffuse et qui dans cette me-
sure la permettent ! Pays lointain
pour l’Europe, mais proche à la
fois au regard d’une histoire com-
mune, le Rwanda suscite encore,
25 ans après le génocide, des ré-
actions en sens divers, d’autant
que les protagonistes de
l’époque, en particulier celles et
© Therry De Win
ceux qui s’y sont de près ou de
loin compromis, sont pour la plu-
part encore en vie et n’appré-
rique des forces en présence, ce (pas tous spécialistes du Rwanda cient guère de voir leur sommeil
qui fut donné à lire ne permit pas et de l’Afrique des Grands Lacs) ou leur tranquillité d’esprit troublés
de se former une idée précise ou est relative, bien entendu, à par de piquants rappels qu’ils
tout à fait pertinente du drame en l’orientation de la ligne éditoriale n’auront de cesse de démentir !
cours, pas forcément ou immé- des organes de presse, concur-
diatement identié en tant que rents, qui les emploient mais aussi Thierry De Win
génocide d’ailleurs (c’est La Libre à la ligne politique du gouverne- Commission pédagogique
Belgique qui utilisa le terme pour ment belge, à la capacité d’assu- ASBL Mémoire d’Auschwitz
la première fois le 13 avril dans un mer les suites de la colonisation et
éditorial de Jean-Paul Duchâ- de la décolonisation, sans oublier
teau), ne permit pas non plus de le rôle inuent de la famille royale
réaliser clairement le rôle exercé comme celui des intérêts de (1) Emmanuel Freson, « Le géno-
et à exercer par le FPR (cette fois, l’Église catholique dans cette ré- cide au Rwanda et la presse fran-
ce sera Colette Braeckman qui gion du monde. La relation d’un cophone belge de référence :
mettra en évidence le rôle du FPR événement de cette nature se rencontre d’un pays meurtri avec
comme artisan de la résolution du doit de passer par quantité de un média tâtonnant », Re-
conit et de l’avenir du Rwanda). « ltres » avant de revêtir une cherches en communication, n°
La grille de lecture des journalistes forme plus ou moins adéquate, 25, UCL, 2006.

22 TRACES DE MÉMOIRE
application Public cible : classes de 6ème année (rhétorique)
pédagogique

Nom et prénom Classe / Cours


Vous trouverez chaque trimestre dans votre TRACES DE MÉMOIRE une application pédagogique avec une fiche didactique à utiliser en classe ou à conserver.

Cours :
Un projet interdisciplinaire avec les cours d’histoire, de français (incluant l’éducation
aux médias) de formation géographique et sociale, de religion, de morale ou encore
de citoyenneté.

Heures de cours nécessaires :


Au moins quatre séances de deux heures en projet interdisciplinaire.

A prévoir et à organiser en amont :


Lecture (commune pour les quatre cours) de l’ouvrage de Colette Braeckman,
Rwanda. Mille collines, mille douleurs, Éditions Nevicata, Bruxelles, 2014,
Lecture (spécique au cours de français) de l’article de Francis Martens, Arbi-
traire du signe, précarité du sens, publié dans la revue Louvain en 1992.
Ces fiches sont également à télécharger sur notre site internet www.auschwitz.be sous l ’onglet « pédagogie ».

Au cours du projet :
Lecture d’extraits (pour les quatre cours) de la revue Dialogue consacrée à la
lutte contre le négationnisme, publiée à Kigali en juin 2014 (n° 206-207), ainsi que de
l’article de J. D. Bizimana, « L’Église catholique et le génocide des Tutsi : de l’idéologie
à la négation », mis en ligne le 21 octobre 2008,
Invitation de témoins et de rescapés du génocide (en contactant Ibuka Mé-
moire - Justice à Bruxelles),
Fourniture de documents cartographiques et géopolitiques du Rwanda et de
la région.
En mobilisant tout cela, demander aux élèves, répartis en groupes, de faire des
recherches complémentaires sur le génocide, le sens du terme, sur les deux premières
Républiques, sur le FPR, sur Paul Kagamé, sur les Casques bleus belges assassinés à
Kigali, sur l’Opération Turquoise, etc., an de proposer une problématique portant sur
la difculté de dire, de raconter le génocide des Tutsis et ses conséquences, au re-
gard des points de vue associés aux quatre cours (proposer un état de la question
suivi d’une argumentation, à déposer par écrit et à présenter oralement).

Après le projet :
Proposer la lecture (pour le cours de français) de Notre-Dame du Nil de Scholastique
Mukasonga ou de Petit Pays de Gaël Faye et ouvrir la discussion sur le racisme latent
ou avéré qui subsiste aujourd’hui par rapport à la population africaine.

Remarques de l’enseignant/e TRACES DE MÉMOIRE


est une publication trimestrielle de
l’ASBL Mémoire d’Auschwitz

www.auschwitz.be

FICHE PÉDAGOGIQUE N° 12 - TRACES DE MÉMOIRE N° 31


saviez-vous...

Woluwe-Saint-Pierre : une œuvre est commandée chez le sculpteur belge Tom Frantzen.

… QUE DANS
LE CAS DU © ASBL Mémoire d’Auschwitz/Frédéric Crahay

GÉNOCIDE
AU RWANDA
VOUS
DEVEZ u début des années 2000, comme victime. Or, cette indiffé-

FAIRE A l'idée germa de construire


deux monuments an de
commémorer le génocide des
renciation représente bien la stra-
tégie exercée par les partisans du
soi-disant « double génocide ».
Tutsis au Rwanda, l'un à Kigali et Cette théorie prétend que les Tut-

ATTENTION l'autre à Bruxelles. Une œuvre fut


commandée au sculpteur belge
Tom Frantzen, qu’il baptisa « Sous
sis furent effectivement assassinés
par les Hutus (du régime génoci-
daire de Kigali) mais aussi les Hu-

AUX le même ciel ». En 2004, la stèle de


Woluwe-Saint-Pierre fut inaugurée
par l'ambassadeur du Rwanda en
tus par les Tutsis (du Front patrio-
tique rwandais).
La date ofcielle de la commé-

TERMES
Belgique en compagnie des re- moration fut xée au 7 avril, car
présentants du ministre belge des c’est à partir de cette date que
Affaires étrangères et de la muni- les meurtres commencèrent à se
cipalité elle-même. Le panneau répandre rapidement dans la ville

QUE VOUS placé au pied du monument pro-


clamait alors que cette stèle était
dédiée « au génocide commis au
de Kigali, puis ailleurs, en cette an-
née fatidique de 1994. Les néga-
tionnistes et les partisans du

UTILISEZ ? Rwanda en 1994 ».


Cependant, cette formulation
s'avéra problématique à cause
double génocide voulurent ce-
pendant changer la donne. Jus-
qu'en 2007, une commémoration
de son manque de clarté. était organisée tous les 6 avril par
Ce qui eut pour conséquence des ressortissants rwandais, qui es-
qu’elle devint une aubaine pour timaient que l’événement n'avait
alimenter le discours des néga- pas commencé le 7 avril, mais
tionnistes et des révisionnistes de bien le 6, date à laquelle l'avion
tous bords. du président Juvénal Habyari-
L’identité approximative des vic- mana avait été abattu. Ainsi, la
times du génocide permettait de stèle devint bien vite un lieu de
considérer a priori tout le monde désaccord, mettant les autorités

24 TRACES DE MÉMOIRE
La nouvelle plaque à la base du monument « Sous le même ciel ».

© ASBL Mémoire d’Auschwitz/Frédéric Crahay


municipales dans l’embarras et autorités belges à ne pas donner l'ambassade et aux autorités
dans l’incertitude quant à la réac- aux négationnistes l’occasion de belges l'importance de rectier le
tion à envisager. Si les autorisa- « profaner » la stèle en les autori- texte posé sous la stèle.
tions commémoratives furent ac- sant à suivre un agenda différent Un an à peine après le génocide
cordées dans un premier temps de l’ofciel. Désormais, l'inscrip- des Tutsis en 1994, des survivants
sans distinction, en 2007 toutefois, tion indique clairement que les et des rescapés du génocide,
le ministère des Affaires étran- victimes du génocide furent bien tant au Rwanda qu’en Belgique,
gères demanda au bourgmestre les Tutsis. s’organisèrent au sein de l'ASBL
de la commune de refuser doré- Ce changement fut également Ibuka. En kinyarwanda, cela signi-
navant que le mémorial soit l’ob- favorisé par la persévérance des e : « Souviens-toi ».
jet d’une commémoration à une dirigeants de l'association belge
autre date que la date ofcielle, des survivants du génocide
à savoir le 7 avril. De plus, il fut dé- contre les Tutsis, « Ibuka Mémoire Frédéric Crahay
cidé que les mots déposés au et Justice ». Invariablement, ils Directeur
pied de la stèle devaient corres- n’eurent de cesse de rappeler à ASBL Mémoire d’Auschwitz
pondre à la réalité du génocide
an d’éviter les confusions et les
détournements de sens. Il est vrai L’ancienne plaque contestée.
que quelques années seulement
après l'érection du monument,
l'ambassade du Rwanda et les
survivants du génocide avaient
déjà pris leurs distances par rap-
port à la symbolique de la stèle.
Finalement, après une longue ba-
taille, la correction des mots sur le
panneau de la stèle devint réa-
lité. C’est entre autres grâce à l’in-
sistance de l'ambassade rwan-
© DR

daise qui ne cessa d'exhorter les

N° 31 - MARS 2019 25
réflexion Tutsis, Hutus et Twas
Comment des êtres humains ont été divisés en groupes ethniques

L
orsque les explorateurs ter les impôts. La pression sur les
européens découvrent la Hutus par les Tutsis est ainsi main-
région située entre le lac tenue, sans renvoyer (provisoire-
Kivu et le lac Victoria au 19e ment) à une stratication (raciale)
siècle, ils délimitent les territoires. soi-disant scientique.
© https://slideplayer.com

C’est ainsi que naît un « nouveau Lorsque l’Empire allemand de


pays », le Rwanda-Urundi. Les Eu- Guillaume II perd la Première
ropéens y distinguent trois peu- Guerre mondiale, le Traité de Ver-
plades : les Hutus, les Tutsis et les
sailles le prive de toutes ses pos-
Twas, des appellations en réalité
sessions coloniales. La Belgique re-
très peu utilisées par la population
çoit un mandat sur le Rwanda-
locale. Ce sont les Européens qui
Cette illustration montre clairement qu’une Urundi et donne ainsi le coup
les attribuent.
- Les Tutsis, un quart de la popula- distinction est faite entre les groupes eth- d’envoi de son inuence sur le
tion, constituent l’élite. D’un point niques découverts sur la base de différences pays. Cette présence ne passe
physiques. pas inaperçue : les Belges ont une
de vue physique, ils se distinguent
par leur (plus) grande taille. Ils vi- volonté d’ingérence sociale bien
L’Ubwoko (ethnicité) est irrévocablement
vent surtout de l’élevage. indiquée/marquée au fer rouge sur le pro- plus profonde que les Allemands.
- Les Hutus, de plus petite taille par duit de la modernité : la carte d’identité. Ils se prévalent du darwinisme so-
rapport aux Tutsis, forment la ma- cial et de la taxinomie raciale ap-
jorité (près de trois quarts) et vi- parus au 19e siècle.
vent principalement de l’agricul- Les anthropologues européens
ture. de l’époque sont convaincus que
- Les Twas, à peine un pour cent la race hamitique (descendant
© www.alamy.com

de la population, vivent de la de Cham, un des ls de Noé) est


chasse et de l’artisanat. Vu leur supérieure à la race négroïde. Les
petite taille, ils sont assimilés aux Belges reconnaissent aux Tutsis,
pygmées. en tant que descendants directs
des Hamites, une supériorité so-
À l’origine, et contrairement à la À l’instar des autres pays euro- ciale/raciale sur les Hutus, puisque
vision européenne basée sur des péens, le Second Empire alle- les Tutsis sont ou seraient plus
différences de classe clairement mand lorgne aussi la colonisation proches des Européens (blancs)
appliquées, on ne tient que peu de l’Afrique. À partir des années sur le plan racial.
compte de la structure sociale en 1880, les Allemands arrivent au Les Belges transforment donc la
place à cet endroit ; on peut Rwanda. Ils ne se mêlent toutefois différence (sociale), à l’origine
changer de « classe ». Un riche pas des coutumes sociales lo- peu prise en compte, en une véri-
fermier (qui possédait du bétail) cales. Ce qui les intéresse avant table stratication de races : pour
est considéré comme riche, avec tout, ce sont les richesses du pays. eux, les Hutus et les Tutsis sont deux
un certain statut. Bien que l’élite En revanche, la bureaucratie co- groupes ethniques à distinguer.
(les rois) regarde les agriculteurs loniale a la mainmise sur la classe Les Tutsis sont considérés comme
de haut, elle conclut des contrats dirigeante tutsie pour mettre la supérieurs et plus civilisés, tandis
de mariage avec eux et leur oc- pression sur les Hutus agricoles, que les Hutus sont taxés d’arriérés
troie titres et prestige. avec une seule intention : collec- et d’inférieurs.

26 TRACES DE MÉMOIRE
© IBZ

Cette subdivision pseudoscienti- Tutsis. Rien d’étonnant, dès lors,


que est institutionnalisée et of- qu’une véritable frustration naisse
cialisée par la bureaucratie au sein de la majorité de la popu-
belge. Les Belges ne se conten- lation : les Hutus regardent les Tut-
tent pas d’accentuer les diffé- sis avec une certaine hostilité.
rences sociales, ils les gonent et En n de compte, les Belges appli-
ils les gent. À ce moment-là, les quent la stratégie du « diviser pour
Comparez ces trois cartes d’identité Tutsis sont considérés comme un mieux régner ». En interne, ils don-
belges « différentes ». groupe ethnique à part entière, à nent le pouvoir à la minorité (dont
Quelle grande différence remarquez- qui est attribué un statut social on peut donc espérer moins de
vous ? plus important. Ce statut appelle rébellion), de telle sorte que celle-
en anglais pour les germanophones. le contrôle nécessaire pour mener ci peut, sans trop d’efforts de la
lons/francophones et en allemand et les Hutus à la baguette. Cette part du véritable envahisseur
en français et en anglais pour les Wal- nouvelle subdivision, (soi-disant) (belge), dominer la majorité de la
en anglais pour les néerlandophones, scientiquement prouvée, est population.
carte d’identité sont en néerlandais et
épousée avec fanatisme par les À partir de 1933, la présence ad-
Les informations mentionnées sur la
La différence/distinction linguistique : Tutsis eux-mêmes ; ils peuvent dé- ministrative belge ofcialise con-
sormais adopter sans crainte une crètement la classication eth-
attitude supérieure et dominante nique entre les groupes de popu-
réflexion éthique à l’égard des Hutus. lation. Dès ce moment, la carte
La subdivision locale précolo- d’identité ethnique est introduite,
Dès 1933, on introduit la carte d’iden-
niale, où seule existait une distinc- mentionnant, comme « marqué
tité ethnique pour subdiviser ofcielle-
ment les gens. tion entre les groupes sociaux, est au fer rouge », qui est Tutsi, Hutu
En 1994, pendant le génocide, cette remplacée par une ethnicité sé- ou Twa. Ofciellement, chaque
carte d’identité (ethnique) signie paratiste après la venue de l’en- Rwandais, au départ de sa natio-
pour les Rwandais la différence entre vahisseur belge. nalité rwandaise, est aussi
la vie et la mort : lorsqu’on la de- Toutefois, pour les Belges, le con- « classé » en fonction de son eth-
mande à un citoyen, impossible de
texte économique de la région nicité héréditaire.
cacher ou de nier l’ethnicité qui lui a
été imposée ! joue, avec sa population locale,
un rôle dans l’attribution de
- La carte d’identité est le produit de « l’ethnicité » ; une personne opu-
la modernité ! Es-tu d’accord avec lente, qui, par exemple, possède
cette afrmation ? plus de dix têtes de bétail, reçoit
- Selon toi, quel est le premier et prin-
cipal objectif d’une carte d’identité ?
un titre aristocratique (Tutsi). Le
- Selon toi, pourrait-on aujourd’hui en- problème, en contradiction avec
core faire une distinction au sein la stratication raciale, est l’opu-
d’une population ? lence de plusieurs Hutus, considé-
- Prends le temps de rééchir au géno- rés comme inférieurs sur le plan ra-
cide rwandais : des médecins assassi- Johan Puttemans
cial. L’administration coloniale Coordinateur Pédagogique
nent leurs patients, des instituteurs
massacrent leurs élèves, des gens as- belge va peu à peu spolier les Hu- ASBL Mémoire d’Auschwitz
sassinent leurs proches (par al- tus de leurs possessions et déman- Traduit du Néerlandais
liance)... ! teler leur domination au prot des par Ludovic Pierard

N° 31 - MARS 2019 27
varia

BALISES
POUR LA
CITOYENNETÉ

Nous nous demandons de plus en Toutes les écoles secondaires du Les premières écoles ayant reçu
pays sont contactées et infor- le label (le 26 janvier 2018)
plus souvent comment préparer
étaient :
nos enfants pour qu'ils compren- mées de la possibilité d’être re-
nent ce monde qui bouge sans connues pour leur travail et nous Le Stedelijk Lyceum
*
cesse, comment leur apprendre à les invitons à nous envoyer une Cadix à Antwerpen.
rééchir de façon critique et indé- simple demande de participation * Le Collège du Sacré-
pendante, comment les aider à accompagnée du court ques- Cœur à Ganshoren.
tionnaire ci-joint. * Le Lycée Saint-Jacques
communiquer avec l’autre avec
à Liège.
respect et compréhension.
C’est la date de la commémora- Le 28 janvier 2019 nous avons ho-
« Enseigner les valeurs de la ci- tion de la libération du camp noré les écoles suivantes :
toyenneté est aussi important que d’Auschwitz, le 27 janvier, (ou la
veille/lendemain si le 27/01 tombe * Le KTA2 – Villers à
d’apprendre à lire et à écrire. » Hasselt.
un week-end) que nous avons
* Le Onze-Lieve-
choisie pour la cérémonie de re-
L’ASBL Mémoire d’Auschwitz a Vrouwecollege à
mise des labels, et l'Atelier Marcel Oostende.
décidé, en collaboration avec ses
Hastir à Bruxelles pour des raisons Le IC DIEN – HBO Ver-
deux commissions pédagogiques, *
historiques : c’est dans ce lieu que pleegkunde à
la francophone et la néerlando-
trois jeunes gens ont pris la déci- Roeselare.
phone, de mettre en lumière les Le Collège Saint-Roch à
sion d’arrêter le XXe convoi de *
écoles qui font des efforts particu- Ferrières.
Malines vers Auschwitz.
liers dans le domaine de l'éduca-
tion de la mémoire et qui pren- Envie de remporter ce label pour
nent l'initiative d'enseigner tolé- Sans aucun doute l’acte ultime votre école?
rance, respect et responsabilité de citoyenneté !
Envoyez-nous votre demande
civique, en leur attribuant le label avec le questionnaire complété
« Balises pour la citoyenneté ». Pour la remise des prix, nous invi- avant le 1 novembre 2019 à
tons les directeurs, les enseignants l’adresse suivante :
ATTENTION ! et si possible une délégation
Il ne s’agit en aucun cas d’un d’élèves, des écoles choisies. ASBL MÉMOIRE D’AUSCHWITZ
Les ministres de l’Enseignement À l’attention de G. Boschloos
nouveau concours.
Rue aux Laines 17 Boîte 50
de chaque région représentée 1000 Bruxelles
Nous voulons reconnaître chaque seront invités ainsi que les éche-
année les efforts de citoyenneté vins de l’Enseignement des villes Ou par courriel :
qui ont été faits dans les écoles. gagnantes. georges.boschloos@auschwitz.be

28 TRACES DE MÉMOIRE
BULLETIN DE PARTICIPATION POUR DEVENIR ÉCOLE LABELLISÉE
« BALISES POUR LA CITOYENNETÉ » ANNÉE SCOLAIRE 2018-2019

Nom et adresse de l’établissement

Nom et courriel du directeur

Nom et courriel de l’enseignant responsable

Règlement
Avez-vous déjà participé à cette initiative ?
1. L’école participe ou a participé
de façon active (des dons d’ar-
Si oui, en quelle année ?
gent sans actions entreprises ne
comptent pas comme
participation active) à un ou des
Avez-vous déjà obtenu le label une autre année ?
projets humanitaires, sociaux
et/ou de mémoire. Le projet
sera décrit en détail.
Si oui, en quelle année ?
2. Les projets peuvent être des
collaborations avec d’autres
institutions ou des initiatives Décrivez ci-dessous quel(s) projet(s) vous avez mené cette année.
individuelles de l’école. (Précisez le nom et but du (des) projet(s), s’il s’agit d’une collaboration
3. Chaque école pourra participer avec d’autres associations (précisez) ou d’une (des) action(s)
chaque année, même après uniquement portée(s) par votre école, et le nombre d’enseignants et
avoir été récompensée une an- élèves qui y ont participé).
née antérieure. Si vous disposez d’articles de presse, de photos ou d’autres
4. Les projets n’auront aucun but informations, merci de les ajouter à votre dossier.
lucratif ni pour l’école ni pour
les élèves.
5. Les institutions lauréates s’en-
gagent à être présentes lors de
la remise du label.
6. Les institutions lauréates auto-
risent l’ASBL Mémoire
d’Auschwitz à utiliser leur nom
pour des raisons de communi- Date, signature de la direction et cachet de l’établissement.
cation.

Nous vous souhaitons à tous de


faire partie bientôt de cette
« chaîne de citoyenneté ».

N° 31 - MARS 2019 29
varia

26 mars

Ciné-club STALINGRAD (ENEMY AT THE GATES)


Jean-Jacques Annaud - 2001

PASSEURS
D’IMAGES
Thème de l’édition 2019 :
PROPAGANDE
30 avril
VALLEY OF THE WOLVES: IRAQ
Serdar Akar & Sadullah Sentürk - 2006

Pour la 5e année consécutive, Chaque année, nous dénissons


l’ASBL Mémoire d’Auschwitz orga- toutefois un thème qui sert de l
nise son ciné-club PASSEURS D’IM- rouge entre les œuvres que nous
AGES, qui ne cesse de gagner en présentons :
notoriété. De quatre projections En quête d’identité en 2015, La
annuelles en 2015, avec une fré- zone grise - Héros ou criminels ? en
quentation moyenne de 30 ciné- 2016, Une enfance perdue en
philes, nous sommes passés en 2017 et Au-delà des frontières
2017 et 2018 à six séances et un pour l’édition 2018. Cette année-
doublement du public moyen. ci nous avons choisi comme
thème la Propagande.
Le cinéma AVENTURE, situé au
cœur de Bruxelles, nous accueil- Cette année, nous poursuivons 28 mai
lera une fois de plus dans son mini- également notre CYCLE DE DO- LE CUIRASSÉ POTEMKINE
Sergeï M. Eisenstein - 1925
complexe chaleureux, ce dont CUMENTAIRES, dans le cadre du-
nous lui sommes particulièrement quel nous vous proposons trois
reconnaissants. L’entrée est de productions de non-ction dont le
6 € par ticket. Chaque mois, nous l rouge est le témoignage du res-
passerons également sur Radio capé. Ces séances sont gratuites
Campus, la radio de l’ULB, pour mais il est conseillé de réserver.
offrir plusieurs places gratuites à Vous trouverez ci-dessous les infor-
ses dèles auditeurs. Chaque lm mations et les titres des neuf
est bien entendu placé sous le séances qui vous seront présen-
signe des guerres et des conits, tées cette année.
de l’occupation et de la libéra-
tion, des bourreaux et des vic-
times, de la résistance et de la Georges Boschloos
collaboration. ASBL Mémoire d’Auschwitz

30 TRACES DE MÉMOIRE
24 septembre Programmation de notre
L’INTERVIEW QUI TUE (THE INTERVIEW) CYCLE DE DOCUMENTAIRES
Evan Goldberg & Seth Rogen - 2014
29 janvier
SURVIVRE ET RÉSISTER À AUSCHWITZ
Sarah Timperman - Stéphanie Perrin (2019)

29 octobre
LE DICTATEUR (THE GREAT DICTATOR)
Charles Chaplin - 1940 25 juin
VIENNE AVANT LA NUIT
Robert Bober - 2017

En pratique :

Chaque séance commence


à 19 h 30.

Ça se passe où ?
Cinéma AVENTURE
Rue des Fripiers 15
(Galerie du Centre) - 1000 Bruxelles
À 10 minutes à pied de :
Bruxelles Centrale
26 novembre Stations de métro
LA CHUTE DU FAUCON NOIR (BLACK HAWK DOWN) BOURSE et DE BROUCKERE 17 décembre
Ridley Scott - 2001 Parking MONNAIE
TREBLINKA. JE SUIS LE DERNIER JUIF
Guillaume Ribot - 2016

Ciné-club : Le ticket est à 6 €uro

Documentaires : l’entrée est


gratuite mais la réservation est
souhaitée par courriel :
georges.boschloos@auschwitz.be

Cycle de documentaires :
Trois films de témoignages de
rescapés de la Shoah.

Ciné-club « Passeurs d’images »


3 films de fiction au printemps et
3 films de fiction en automne.

N° 31 - MARS 2019 31
VARIA
Collection « Paroles d’Archives »
Les témoins racontent...
Les documentaires de la collection « Paroles d'archives » s’inscrivent
dans le cadre d’actions et d’activités participant au projet de reconnais-
sance de la mémoire des victimes de la Shoah et de la terreur nazie,
lancé par l’ASBL Mémoire d’Auschwitz.
On sait que l’on reconstruit la mé- d’une période historique. Volume 1
moire du passé à travers les traces Néanmoins, la particularité de 1930-1942. Mémoire Juive du quartier
laissées par ceux qui l’ont vécu : l’archive visuelle nous place dans Marolles-Midi Bruxelles.
lettres, journaux intimes, photos, un rapport plus intime avec les té- (Marta Marín-Dòmine, 2012)
mais aussi, et surtout, à travers les moins : leur image sur l’écran,
narrations de ceux qui nous font leurs gestes, leurs voix avec ses Volume 2
parvenir leurs souvenirs. propres cadences, ses silences, 1942-1944. La Caserne Dossin à Mali-
C’est pourquoi la Fondation les sourires et, parfois, avec la nes. Des témoins racontent…
(Sarah Timperman et Stéphanie Perrin,
Auschwitz a eu parmi ses princi- rage et la tristesse ajoutant une di-
2013)
paux objectifs la collecte de té- mension actuelle au passé qui
moignages des survivants des nous est raconté.
Volume 3
camps de concentration et des Ce projet a été animé par le sou- Déportés de Malines à Auschwitz. Des
centres d’extermination nazis, ac- hait de faire circuler l’archive, de témoins racontent…
tivité qui, entamée en 1992, a per- redonner vie aux témoignages en (Sarah Timperman et Stéphanie Perrin,
mis de rassembler plus de 235 en- les mettant en rapport avec un 2015)
registrements (1 300 heures). présent qui sait très peu ou
L’archive est un lieu de préserva- presque rien de leur existence. Volume 4
tion de données et de repérages Quatre volumes sont déjà sortis sur Survivre et résister à Auschwitz. Des té-
à travers lesquels on peut recons- DVD, le cinquième (Le retour des moins racontent…
truire, toujours de façon approxi- rescapés) sera présenté début (Sarah Timperman et Stéphanie Perrin,
mative, la vie et les événements 2020. 2018)

Les DVD sont à commander par e-mail à l’adresse suivante : info@auschwitz.be - Prix : 12,50 €/pce + frais d’envoi
POUR UNE PRISE ASBL Mémoire d’Auschwitz - Tél. : 02 512 79 98 info@auschwitz.be
DE CONTACT Fondation Auschwitz
Rue aux Laines, 17 bte 50 - 1000 Bruxelles
Fax : 02 512 58 84 www.auschwitz.be

Publication réalisée grâce au soutien de


Directeur de la publication : Henri Goldberg
Rédacteurs en chef : Frédéric Crahay, Johan Puttemans
Secrétaire de rédaction : Georges Boschloos
Comité de rédaction : Marjan Verplancke, Thierry
De Win, Yves Monin, Jean Cardoen, Yannik van Praag SPF Sécurité Sociale
Graphiste : Georges Boschloos Services des
Imprimeur : EVM Print Victimes de la Guerre

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