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TRACES

n° 19 BELGIQUE - BELGIË
PP
Mars BRUXELLES X
2016 1/9464

DE MÉMOIRE
PÉDAGOGIE ET TRANSMISSION
CENTRE D’ÉTUDES ET DE DOCUMENTATION
MÉMOIRE D’AUSCHWITZ ASBL
| TRIMESTRIEL N° 19 | JANVIER - FÉVRIER - MARS 2016
| BUREAU DE DÉPÔT : BRUXELLES X | N° AGRÉGATION P 801056

SOMMAIRE
ACTUALITÉ
Rescue the Perishing.
Eleanor Rathbone a défendu
la cause des fugitifs du fascisme
de 1933 à sa mort en 1946.
p. 2

AUSCHWITZ
Un aperçu d’Auschwitz
en chiffres
p. 4

APPROFONDISSEMENT
La révolte comme ultime
possibilité de survie
p. 6

SAVIEZ-VOUS...?
Qu’un ordre ne pouvait
pas être refusé ?
(Dixit Rudolf Höß)
p. 10
© DR

RÉFLEXION
Donnez-moi vos enfants ! Eleanor Rathbone à Trafalgar Square, Londres, le 18 septembre 1938
p. 11 Elle parle à des milliers de participants d´un mouvement pacifique pour assurer
le respect du droit international pendant la crise tschécoslovaque
INTERROGATION
À partir de 1938, Eleanor Rathbone continue sans
À quel point sommes-nous
libres ?
p. 12
relâche sa campagne en faveur du sauvetage des
VARIA
p. 15 réfugiés juifs et exige une réponse de la part du
gouvernement britannique. Nous commémorons
Éditeur responsable
le 70e anniversaire de sa mort.
Henri Goldberg
ASBL Mémoire d’Auschwitz Lire p. 2
65, rue des Tanneurs - 1000 Bruxelles
ACTUALITÉ

Rescue the Perishing.


Eleanor Rathbone a défendu la cause
des fugitifs du fascisme de 1933
à sa mort en 1946.

E n 2016, nous com-


mémorerons le 70e
anniversaire de la
Liverpool, la situation nan-
cière désastreuse des veuves
et des femmes de soldats, les
dante du Combined English
Universities et utilise sa nou-
velle place pour faire cam-
mort d’Eleanor Florence Rath- subventions locatives et l’éga- pagne contre le mariage des
bone, la député britannique lité des femmes. Elle mène enfants, l’inégalité du droit de
et militante humanitaire qui a également une longue cam- vote pour les femmes en Inde
consacré l’essentiel de sa car- pagne pour que les alloca- et en Palestine, l’excision au
rière politique à sauver les réfu- tions familiales soient directe- Kenya et les enjeux humani-
giés Juifs dans et hors de l’Eu- ment payées aux mères. En taires durant la Guerre civile
rope nazie et à se préoccuper 1909, elle est la première d’Espagne. Cependant, c’est
de leur bien-être. femme à être nommée au l’accession d’Hitler au pouvoir
Née en 1872, Eleanor Rath- Conseil municipal de Liverpool en 1933 qui va changer le
bone – dont le père William et devient la femme politique cours de son travail et de sa
Rathbone VI était un commer- la plus inuente de la ville, se vie. Le 13 avril 1933, lorsqu’elle
çant prospère de Liverpool, un battant pour de meilleurs lo- dénonce le régime nazi à la
philanthrope et un homme gements, salaires et droits des Chambre des Communes, elle
politique – est élevée dans femmes, ainsi que pour une met en garde contre le dan-
une famille où la responsabilité meilleure éducation. En 1929, ger qui menace « la paix et la
sociale et le devoir moral font elle est élue au Parlement en liberté du monde » et qui-
partie de la vie quotidienne. tant que députée indépen- conque dont la race, la reli-
C’est une femme instruite, elle
est entrée au Somerville Col-
lege d’Oxford en 1893, où elle
Susan COHEN. Rescue The Perishing.
a étudié les langues et lettres Eleanor Rathbone And The Refugees.
anciennes, ainsi que la philo- London, Vallentine Mitchell & Amp, 2010
sophie. Elle y fait ses débuts de
féministe et de suffragette. En
1896, elle retourne à Liverpool
et décide de suivre l’exemple
de son père, à savoir consa-
crer sa vie au service public et
à la réforme de la sécurité so-
ciale. Elle œuvre pour un
grand nombre de causes, no-
tamment le système de travail
© DR

occasionnel sur les docks à

2 TRACES DE MÉMOIRE
Portrait d’Eleanor Rathbone, nement remontent le moral
1933
des réfugiés et jouent un rôle
dans la fermeture des pires
camps et l’amélioration des
conditions de vie dans les
autres. Elle est impliquée dans
de nombreux autres comités
de réfugiés et, à la n de 1943,
elle met sur pied une nouvelle
organisation, le National Co-
© Kenneth Norton Collins

mittee for Rescue from Nazi


Terror, qui est un moyen d’in-
former le public britannique
de la Shoah. Elle publie égale-
ment des plans pour des opé-
rations de sauvetage à petite
échelle qui l’amènent, une fois
gion ou les convictions poli- combattant les irrégularités, encore, à entrer en conit
tiques ne sont pas conformes les lois, les règlementations et avec les responsables du gou-
à celles des nazis. Ce faisant, les restrictions du système judi- vernement.
elle s’investit dans les affaires ciaire. Ses efforts pour qu’ils Eleanor meurt soudainement
étrangères et s’oppose avec soient traités de manière juste le 2 janvier 1946, épuisée par
véhémence à Chamberlain et et humaine prennent de l’am- ses campagnes pour les réfu-
sa politique d’apaisement. À pleur après que le système giés. Jusqu’à la n, elle s’est
la suite des accords de Mu- d’internement massif est mis battue pour un traitement hu-
nich et de l’occupation de la en place en mai 1940 et que main des réfugiés, maintenant
région des Sudètes par les na- 27 600 réfugiés, des Juifs alle- nommés « personnes dépla-
zis, elle lutte pour sauver les ré- mands et autrichiens pour la cées », pour une patrie en Pa-
fugiés Tchèques menacés, fai- plupart, sont mis « sous protec- lestine pour les Juifs et pour la
sant appel au Parliamentary tion ». Elle pose inlassablement campagne de Victor Gol-
Committee on Refugees, co- des questions à la Chambre, lancz, Save Europe Now.
mité parlementaire, bénévole plus de 80 rien que sur l’inter- Comme Gollancz l’a écrit à
et multiparti créé à la n de nement, rassemble des parti- son propos dans sa nécrologie
1938. Soutenue par près de sans, harcèle ses collègues dé- dans AJR Information en fé-
200 membres tous partis con- putés et rédige des mémoran- vrier 1946, « celui qui n’a pas
fondus, elle introduit des ques- dums, des rapports et des eu le privilège de travailler au
tions parlementaires, mène lettres à la presse. Dans un quotidien avec Eleanor Rath-
des délégations, exhorte le même temps, elle organise et bone ne peut avoir la moindre
gouvernement à délivrer plus conduit des missions et idée de ce qu’elle a fait pour
de visas et accorder le prêt d’autres choses encore. Elle les réfugiés en général, et pour
promis aux Tchèques. Dès le est en grande partie à l’origine les réfugiés juifs en particulier. »
début de la guerre en 1939, du débat majeur sur les réfu-
elle devient l’avocate des ré- giés qui se déroule à la
fugiés, considérés alors Chambre des Communes le
comme des « ennemis étran- 10 juillet 1940. Par la suite, ses © Susan Cohen 2016
gers » en Grande-Bretagne, visites dans les camps d’inter- Traduction: Baudouin Massart

n° 19 - MARS 2016 3
AUSCHWITZ

Un aperçu d’Auschwitz en chiffres


Combien de personnes sont mortes à Auschwitz ?

la totalité
Des 1 300 000 personnes qui ont été
déportées à Auschwitz, environ 1,1
million de personnes y ont laissé la vie.
Attention : une distinction doit être
faite entre mourir dans le camp de
concentration, d’une part, et être as- 85%
sassiné immédiatement dans le centre 15% ONT survécus
de mise à mort, d’autre part. 85% SONT décédés
enrEgistrés dès l’arrivée 15%
Des 1,3 million de personnes qui ont
été déportées à Auschwitz-Birkenau,
environ 900 000 ont été assassinées im-
médiatement et 400 000 ont été enre-
gistrées en tant que détenus dans le
camp de concentration.
De manière générale, une survie est
« possible » face aux cruautés,
comme la famine, l’esclavagisme, les
maladies etc, dans un camp de con-
centration. Le passage dans le centre 30%
de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau,
situé à sept endroits : les 2 Bunkers et 30% camp de concentration
les 5 Krematoria, bâtiments fournise- 70% centre de mise à mort
quipés de chambres à gaz et créma-
toires, mène à l’impossibilité de sur-
vivre.
70%
Des sélections sont effectuées à l’arri-
vée des convois ; Trois possibilités se
présentent pour les dépotés : être re-
pris dans le système concentration-
naire, être immédiatement transféré
vers un autre camp ou être amené
aux chambres à gaz.

la mortalité dans le camp


de CONCENTRATIon 49%
Sur l’ensemble des détenus enregis-
trés, environ 400 000 personnes, à peu 49% ONT survécus
près 202 000 personnes sont morts. 51% SONT décédés
Autrement dit, la moitié n’est pas
morte dans le complexe de camps de
concentration d’Auschwitz.
51%
Des décès au sein du camp de con-
centration sont dus principalement à
la famine, suite au travail forcé et à la
sous-nutrition. Les détenus décèdent
d’une mort « naturelle », mais parfois

4 TRACES DE MÉMOIRE
Ruines du Krematorium V à Auschwitz II-Birkenau
ce processus est accéléré dans le
camp-même. Des personnes « usées »
© Md’A/Georges Boschloos

(les « Muselmänner ») sont assassinées


de plusieurs manières, entre autre par
gazage.

nombre de décès à
AUSCHWITZ-BIRKENAU
Des 1,1 million de personnes qui sont
décédées dans les complexes
d’Auschwitz-Birkenau (le camp de
concentration et le centre de mise à
mort), environ 900 000 ont été tuées
dans le centre de mise à mort.
Ce graphique démontre parfaitement
que dans le « cas d’Auschwitz-Birke-
18% nau » nous avons à faire à un « che-
vauchement » de deux systèmes ; le
82% assassinéS immédiatement complexe du camp de concentration
18% mortS après une période d’Auschwitz (avec tous ses camps sa-
tellites) correspond à l’aspect écono-
dans le camp 82% mique. Le centre de mise à mort, sorte
d’annexe, à Birkenau fonctionne dans
le cadre du génocide idéologique.

AssAssinéS immédiatement dès l’arrivée


Des 900 000 personnes qui ont été as-
sassinées immédiatement dans le
centre de mise à mort d’Auschwitz-Bir-
Assassinés immédiatement dès l’arrivée kenau dès leur arrivée, la grande ma-
Juifs Environ 865 000 jorité étaient des Juifs.
Cette représentation graphique dé-
Polonais Environ 10 000 montre que la « race juive » (en con-
Tsiganes Environ 2 000 cordance avec les lois de Nuremberg
de 1935) a été assassinée dès l’arrivée
Prisonniers de guerre Sov. Environ 3 000 et que le centre de mise à mort – tout
TOTAL Environ 880 000 comme les autres centres d’extermi-
nation – mérite une clarication et une
Source: F. Piper
distinction concernant le système
concentrationnaire et le système
d’extermination nazi !
À l’exception de ce graphique, au-
cune trace d’eux ne subsiste. Ils n’ont
pas été repris dans le camp de con-
centration. Faute de se voir octroyer
une nouvelle identité, ils ont été effa-
>98% juifs cés dès leur arrivée !
<2% autres
98% 2%
Johan Puttemans
ASBL Mémoire d’Auschwitz

n° 19 - MARS 2016 5
APPROFONDISSEMENT

La révolte comme ultime


possibilité de survie
La résistance à une mort certaine dans le
centre d’extermination de Treblinka

L ’invasion de la Deu-
xième République de
Pologne par les
Des conseils juifs spéciaux sont mis
en place en vue de pouvoir loca-
liser la population juive, mais aussi
d’éliminer tous les Juifs d’Europe.
Bientôt, les premières mesures
choquantes sont prises pour
troupes de l’Allemagne nazie, le de pouvoir la réinstaller dans les mettre cette décision à exécu-
1er septembre 1939, marque le grandes villes. Les ghettos2 consti- tion. Début décembre 1941 est
déclenchement de la Seconde tuent dès ce moment-là une solu- déclenchée l’extermination mas-
Guerre mondiale. Mais le régime tion satisfaisante pour les nazis. sive des Juifs, qui (sur)vivent géné-
dictatorial d’Adolf Hitler n’est pas À 80 kilomètres au nord-est de ralement dans des ghettos. Celui
le seul à nourrir des projets de con- Varsovie, non loin du nœud ferro- de Litzmannstadt4 alimentera le
quête : le 17 septembre, le anc viaire de Małkinia, se trouve une premier centre d’extermination5.
est de la Pologne de l’entre-deux- gravière qui va constituer une im-
guerres est attaqué par le dicta- portante source d’approvisionne- (1) Le 23 août 1939, les ministres de l’Intérieur
ment pour l’occupant nazi, sur- Molotov (pour l’URSS) et von Ribbentrop
teur soviétique Joseph Staline, le
(pour l’Allemagne nazie) signèrent un
tout nouvel allié de l’Allemagne tout d’un point de vue militaire. Le pacte de non-agression.
nazie1. Après la victoire éclair, la gravier, qui entre dans la fabrica- (2) Les ghettos sont des quartiers, isolés ou
tion du béton, devait être extrait non du monde extérieur, où il règne une
Pologne occupée est partagée
mortalité élevée à cause de la surpopula-
en trois, en octobre 1939. L’URSS pour les besoins de l’armée alle- tion, de la pauvreté, de la famine et des
s’empare de la partie orientale, mande qui préparait l’Opération maladies. Le premier ghetto a vu le jour à
Otto, la préparation de l’attaque Piotrków Trybunalski, peu après la conquête
tandis que la partie occidentale
de la Pologne. Mais c’est Varsovie, la capi-
est annexée au Troisième Reich contre son allié mais aussi son plus tale de l’ancienne Deuxième République
d’Hitler, qui veut recréer la grand ennemi : l’Union soviétique. de Pologne, qui va devenir le plus grand
En 1941, avant même l’Opération ghetto, allant jusqu’à compter plus de
« Grande Allemagne » du 19e
400 000 Juifs sur un territoire qui ne repré-
siècle. Le reste, la partie centrale Barbarossa3, l’occupant alle- sente que 2,4% de celui de la ville.
de l’ancienne Pologne, devient mand s’empare de la gravière et (3) ‘Opération Barbarossa’ était le nom de
y établit un Arbeitslager, autre- code pour désigner l’invasion de l’URSS. Le
un État tampon, sous contrôle de
22 juin 1941, Hitler rompt son pacte avec
l’Allemagne nazie. Il convient tou- ment dit un camp de travail forcé. Staline. Les troupes militaires sont immédia-
tefois de faire remarquer que le Comme il se trouve sur le territoire tement suivies des Einsatzgruppen, ces es-
du village de Treblinka, ce camp cadrons de la mort qui avaient pour mission
Gouvernement général compte
d’abattre la population juive locale.
un nombre très élevé d’habitants prendra le nom de « Treblinka (I) ». (4) Litzmannstadt est le nom germanisé de
juifs, ce qui entraîne un paradoxe Bien que cette région ait été asso- la ville polonaise de Łódź. Cette ville indus-
pour le régime nazi : en étendant ciée plus tard aux centres d’exter- trielle est annexée en 1939 au Troisième
Reich et fait ainsi partie de la nouvelle pro-
son territoire an de créer davan- mination des nazis, il ne faut pas vince (Gau) de Wartheland.
tage « d’espace vital » pour le en déduire que le camp de travail (5) Le centre d’extermination de Kulmhof
peuple allemand, il augmente ait été transformé en un lieu d’ex- est situé dans l’ancien village polonais de
Chełmno-nad-Nerem. Les Juifs venant du
aussi sensiblement le nombre de termination massive : les deux en- ghetto de Litzmannstadt y sont assassinés
ses ressortissants juifs « indési- droits resteront distincts à tous au monoxyde de carbone, dans des ca-
rables ». points de vue. mions spécialement aménagés, avant
d’être enterrés non loin de là, du moins du-
Les premières mesures antisémites À la n de l’été ou au début de rant la première phase, dans des fosses
ne tardent pas à être proclamées. l’automne 1941, Hitler décide communes dans le bois de Rzuchów.

6 TRACES DE MÉMOIRE
se servent pour cela d’un terrain
plat, mais très boisé, compris entre
le nœud ferroviaire de Małkinia et
le camp de travail de Treblinka,
qu’ils baptisent du nom de « SS-
Sonderkommando Treblinka » (le
centre de mise à mort Treblinka
(II)).
1942 est une année désastreuse
pour les Juifs (ou, conformément
à la terminologie nazie, pour la
« race juive »), comme en atteste
le nombre gigantesque de vic-
times : un télégramme envoyé
début 1943 mentionne (après cor-
rection) le chiffre de 713 555 per-
sonnes pour T(reblinka)9.
Entre 800 000 et 900 000 Juifs se-
ront assassinés au centre d’exter-
mination de Treblinka, ce qui signi-
e qu’environ 80% d’entre eux le
© USHMM
seront en 1942 (c’est-à-dire en
cinq mois à peine).
Wanneer in de late zomer - begin centrum Joodse gedeporteerden
Photo de groupe de participants
à la révolte de Treblinka Suite à la page 8

Lors de la Conférence de Wann- La spécicité de ces centres est (6) C’est cette conférence, prévue initiale-
ment plus tôt, qui va permettre à l’adminis-
see6, le 20 janvier 1942, le secré- d’être implantés dans des lieux tration et à la bureaucratie allemande de
taire d’État en charge des terri- stratégiques, où sont établis de s’adapter au génocide prévu et décidé par
toires polonais occupés, le juriste nombreux de Juifs. Les ghettos Hitler. Elle est présidée par Reinhard Hey-
drich, qui dirigera aussi l’élimination des Juifs
dr. Bühler, exprime le souhait que font partie de ces endroits où des d’Europe.
le Gouvernement général soit la Juifs vivent en masse, dans des (7) http://www.ghwk.de/ghwk/deut/proto-
première zone à être débarrassée conditions effroyables. Comme koll.pdf
(8) Aktion Reinhardt est le nom de l’opéra-
de ses Juifs7. nous l’avons dit, le ghetto de Var- tion d’extermination des Juifs résidant dans
L’Aktion Reinhardt8 devient une sovie contient une énorme con- le Gouvernement général et le Bezirk Bialys-
réalité macabre le 17 mars 1942, centration de population juive : tok. Les comptes rendus qui ont ltré de la
Conférence de Wannsee révèlent qu’il était
date à laquelle des déportés juifs celle-ci sera estimée à environ prévu de tuer quelque 2 684 000 Juifs origi-
sont assassinés dès leur arrivée 320 000 personnes au moment du naires de ces deux zones distinctes.
(9) Le ‘télégramme Höe’ a été retrouvé en
dans le premier centre d’extermi- déclenchement des déportations
2000 dans des archives anglaises. Hermann
nation créé dans le cadre de massives. Höe, responsable des convois de déporta-
cette opération. Ce centre de Comme Małkinia se situe entre tion vers les camps d’extermination, men-
tionne le nombre des victimes dans les
mise à mort (Bełżec) servira Varsovie et Białystok et – ce qui est quatre camps. http://www.holocaustre-
d’ébauche pour le déroulement capital – à proximité d’une liaison searchproject.org/ar/images/hoe-
ultérieur de la Shoah dans le reste ferroviaire d’importance majeure, e%20tele.jpg
de la Pologne. Deux autres lieux, les SS vont passer cette région au
conçus dans un souci « d’efca- peigne n pour y implanter le troi-
cité » toujours plus grande, seront sième (et dernier) centre d’exter-
construits. mination de l’Aktion Reinhardt. Ils

n° 19 - MARS 2016 7
APPROFONDISSEMENT

Suite de la page 7

Le modus operandi à Treblinka


correspond à celui des autres

© ASBL Mémoire d’Auschwitz/Georges Boschloos


centres d’extermination, notam-
ment en ce qui concerne l’éva-
cuation des chambres à gaz rem-
plies de cadavres. Des hommes Dans la plaine où se trouvaient
jeunes et costauds sont spéciale- les chambres à gaz, se dresse
ment sélectionnés, dès leur arri- aujourd´hui un cimetière
vée au centre, pour effectuer symbolique de 17 000 pierres
qui portent toutes un nom
cette tâche psychologiquement
de village, de ville ou de pays
insupportable. Ces Arbeitsjuden, d´où ont été déportés
qui sont hébergés sur les lieux, re- les Juifs qui ont été assassinés
présentent un énorme danger po- à Treblinka
tentiel pour les nazis parce qu’en
leur qualité de travailleurs forcés,
ils sont en contact direct et per-
manent avec les atrocités et les
crimes commis. Chacun d’eux
devient ainsi un Geheimnisträger une résistance organisée. prévu. En raison de la chaleur tor-
(porteur de secret). En avril 1943, alors que les dépor- ride qui règne en ce jour d’été, les
Au début de 1943, le Reichsführer- tations massives ont pris n et SS décident d’aller se rafraîchir en
SS Heinrich Himmler ordonne d’ex- qu’on n’assiste plus qu’à de petits se baignant dans une rivière toute
humer les cadavres des fosses transports locaux, les Arbeitsjuden proche, la Bug. Ce changement
communes et de les incinérer en voient leur (sur)vie gravement me- de programme provoque une ré-
plein air. Toutes les traces doivent nacée. En effet, leur approvision- action anticipée de la part des
être effacées pour les générations nement dépend dans une large travailleurs juifs, désireux de ven-
futures. Ce sont également les Ar- mesure des denrées qu’ils récupè- ger les membres de leur famille.
beitsjuden qui devront se charger rent dans les bagages des Juifs De violents combats les opposent
de cette tâche sordide. déportés et la nourriture dont ils aux nazis.
Plusieurs évènements survenus au peuvent disposer diminue donc Sur le millier d’Arbeitsjuden de Tre-
printemps 1943 vont permettre au même rythme que le nombre blinka, 20% environ réussissent à
aux travailleurs forcés juifs de de convois. s’échapper. Mais seuls 57 d’entre
prendre conscience de leur iné- Les derniers cadavres exhumés eux survivront à la Seconde
luctable et fatal destin. sont incinérés à l’été 1943. Les tra- Guerre mondiale et plus précisé-
Le centre est la proie d’une grave vailleurs forcés juifs en déduisent ment, dans leur cas, au judéocide
épidémie de typhus. Pour les na- logiquement qu’ils seront bientôt et à la mort certaine qui les atten-
zis, un travailleur forcé qui est con- assassinés à leur tour. dait.
taminé ne représente pas seule- Ceux de Treblinka décident de
ment un élément « économique- passer à l’action : une insurrection
ment non productif », mais aussi générale contre les assassins de
un risque de contagion : contrai- « leur peuple » est prévue pour le
rement aux nazis, le typhus ne fait 2 août 1943, à 17 heures.
pas de distinction entre Juifs et Ce jour-là, ils doivent prendre les (10) Le Lazarett est un endroit spécialement
aménagé pour abattre d’une balle dans la
Aryens ! C’est la raison pour la- armes contre les nazis en utilisant nuque des personnes qui se déplaçaient
quelle une centaine d’Arbeidsju- une clé de contrefaçon qui difcilement, comme des personnes âgées
den sont fusillés dans le Lazarett10. donne accès au dépôt de muni- et des handicapés, ainsi que des orphelins.
Il était déguisé en inrmerie (avec un dra-
Cette exécution pousse les autres tions. Mais les choses ne vont pas peau de la Croix-Rouge) pour endormir la
travailleurs juifs à mettre en place tout à fait se passer comme méance des victimes.

8 TRACES DE MÉMOIRE
© www.infocenters.co.il

Samuel Willenberg (décédé le 19 février 2016)


a dessiné une vue d´ensemble
du centre d´extermination de Treblinka

Le dernier convoi de déportés fut EN PRATIQUE


“traité” à Treblinka le 21 août Historique :
1943. L’infrastructure (entre autres ARAD, Y. Belzec, Sobibor, Treblinka. « Sur les traces de la Shoah en Po-
les chambres à gaz) sera ensuite The Operation Reinhard Death logne » est un voyage d’études
démantelée et le terrain sera re- Camps. Press, 1987. organisé par la Fondation
boisé an que plus rien ne rap- Bloomington, Indiana University Auschwitz qui se déroulera du 11
WEBB, Ch. & CHOCHOLATY, M. The juillet au 18 juillet 2016 inclus.
pelle la réalisation d’un projet pro- Ce voyage est construit de ma-
Treblinka Death Camp – History, Bi-
venant d’une des pages les plus nière logique et chronologique :
ographies, Remembrance. nous commençons par visiter les
sombres de l’histoire de l’huma- Stuttgart, ibidem-Verlag, 2014 anciens ghettos, puis on passe
nité. par les lieux de rassemblement
S’il ne reste plus aucune trace vi- Littérature (témoignages) : d’où partaient les convois de dé-
sible du centre d’extermination, RAJCHMAN, Chil. Je suis le dernier portation pour terminer chaque
celui-ci a laissé, en un an à peine, Juif – Treblinka (1942-1943) tour sur les lieux de mise à mort.
Paris, Éditions des Arènes, 2009 Ce voyage passe par Chełmno
une trace indélébile de destruc- et Majdanek, et par les trois
tion dans la mémoire humaine ! WILLENBERG, Samuel. Surviving Tre- centres de l’Aktion Reinhardt :
blinka. Oxford, Blackwell’s, 1989 Bełżec, Sobibór et Treblinka.
GLAZER, Richard. Trap with a
Green Fence: Survival in Treblinka Renseignements et inscriptions :
Chicago, University of Chicago
Johan Puttemans Press, 1995 johan.puttemans@auschwitz.be
ASBL Mémoire d’Auschwitz
Traduction : Michel Teller

n° 19 - MARS 2016 9
SAVIEZ-VOUS QUE... ?

Saviez-vous qu’un ordre ne pouvait pas


être refusé ? (Dixit Rudolf Höß)
Rudolf Höß, l’ancien comman- Le Dr Gustav M. Gilbert, un alié-

A
dant du camp d’Auschwitz (de niste qui avait un contact privilé-
près des années de mai 1940 à novembre 1943 et, à gié avec les ex-dignitaires nazis,
guerre, de violence et nouveau, de mai 1944 à janvier eut l’occasion de poser quelques
de meurtres à grande 1945). Son témoignage devait dé- questions à Höß. Le 9 avril 1946, il
échelle, le procès de Nuremberg charger Kaltenbrunner de sa res- eut des échanges avec l’ex-com-
devait rendre la justice. Le procès ponsabilité, ce qui n’a toutefois mandant d’Auschwitz dans la cel-
commença le 20 novembre 1945, pas permis à ce dernier d’échap- lule de ce dernier :
six mois après la capitulation in- per à l’échafaud. Il fut condamné (traduction libre par Johan Putte-
conditionnelle de l’Allemagne à mort et fut pendu le 16 octobre mans)
nazie et se termina le 1er octobre 1946. - R. Höß : « Je n’avais rien à dire ;
1946. C’est le juriste anglais Geof- je ne pouvais dire que Jawohl ! En
frey Lawrence qui en eut la prési- C’est le 15 avril 1946 que Höß t fait, c’était assez rare qu’il [le
dence. Le lieu choisi fut le palais son témoignage, après avoir ex- Reichsführer-SS, H. Himmler
de justice à Nuremberg, et ce pliqué le processus génocidaire à N.D.L.R.] me demande des expli-
dans un but double qui était aussi Auschwitz de façon technique, il cations. Il ordonnait, j’exécutais. »
pragmatique qu’idéologique. prononça cette terrible déclara- […]
C’est en effet à Nuremberg que tion : - R. Höß : « Quand un ordre
les lois raciales de 1935 furent (traduction libre par Johan Putte- m’était donné, je ne pensais
émises et rendre justice en ce lieu mans) qu’au fait qu’il allait de soi. »
précis donna au procès un carac- - K. Kauffmann : N’avez-vous ja- - Je [Dr Gilbert N.D.L.R.] lui deman-
tère moral. Vingt-quatre diri- mais eu pitié de vos victimes, ne dais s’il pouvait refuser de suivre
geants politiques et militaires ainsi deviez-vous pas penser à votre ces ordres.
que sept organisations criminelles propre femme et à vos enfants ? - R. Höß : « Non, par notre forma-
(parmi elles, la SS, le SD et la Ges- - R. Höß : Oui. tion, la non-exécution d’un ordre
tapo) y furent jugés par les Alliés - K. Kauffmann : Comment vous ne correspondait pas à notre vi-
(la France, la Grande-Bretagne, était-il désormais possible de sion, et ce quel qu’il fût… Je ne
l’URSS et les États-Unis). Les diri- commettre tout ceci ? pense pas que vous pouvez com-
geants qui avaient conduit le ré- - R. Höß : Malgré tous mes doutes, prendre notre monde. […] »
gime meurtrier nazi durent se justi- le seul argument décisif demeu- Johan Puttemans
er pour leurs actes selon un sys- rait l’ordre strict et les raisons don- ASBL Mémoire d’Auschwitz
tème juridique moderne. Parmi nés par le Reichsführer Himmler. Traduction : Frédéric Crahay
eux se trouvait Ernst Kaltenbrun-
ner, le chef du Reichssi-
cherheitshauptamt (l’ofce cen- - DESELAERS, Manfred. “And Your Con-
tral de la sécurité du Reich qui re- science Never Haunted You?” – The Life
of Rudolf Höß, Commander of Auschwitz
groupait les différents services de and the question of his responsibility be-
police). Nommé comme succes- fore God and human beings,Oświęcim,
Auschwitz-Birkenau State Museum, 2013.
seur à ce poste en remplacement - HÖß, Rudolf. Commandant of Ausch-
de Reinhard Heydrich qui fut as- witz. The Autobiography of Rudolf Höß .
London, Phoenix Press, 1995.
sassiné en 1942, Kaltenbrunner fut - GILBERT, G. M., Nuremberg Diary,New
défendu par son avocat, Kurt York, The New American Library, 1961.
- Testimony of Rudolf Höß , Commandant
Kauffmann. Sa stratégie de dé- of Auschwitz :
fense était de minimiser le rôle de http://law2.umkc.edu/faculty/pro-
jects/ftrials/nuremberg/hoesstest.html
son client dans le judéocide,
chose qu’il tenta de faire en utili-
sant un témoignage. Le témoin
© DR

en question n’était autre que Rudolf Höß témoigne au proces de Nuremberg

10 TRACES DE MÉMOIRE
RÉFLEXION

inTRODUCTION « Donnez-moi vos enfants ! »


Lorsque durant l’été 1942, la popula-
tion juive du ghetto de Litzmannstadt
(Łódź, à situer au centre de la Po-
logne. Cherchez éventuellement ce
lieu sur Internet ou dans un atlas géo-
graphique) est liquidée par les nazis, le
dirigeant juif du ghetto, Chaïm Rum-
kowski, s’en mêle. Il demande l’impos-
sible aux habitants :

« Un coup douloureux a frappé le


ghetto. Ils nous demandent d’aban-
donner le meilleur de ce que nous
avons – les enfants et les vieillards. Je
n’ai pas été digne d’avoir moi-même
un enfant, j’ai donc donné les plus
belles années de ma vie aux enfants.
J’ai vécu et respiré avec les enfants, je
n’imaginais pas que je serais forcé de
faire ce sacrice sur cet autel de mes
propres mains. Dans mon vieil âge, je
dois tendre les mains et supplier : frères
et sœurs ! Remettez-les-moi ! Pères et
mères : donnez-moi vos enfants ! »
Source : Wikipédia

DEVOIRS
© DR

 Après l’introduction, lisez, silencieu-


sement, le discours de Rumkowski indi-
viduellement. (Extension : vous pouvez Rumkowski s’adresse à la population du ghetto
éventuellement consulter sur Internet
le texte ci-dessus dans une autre
langue) Lisez ensuite ce texte à haute
voix en classe.
 Formulez vos impressions et émo- Cet rubrique a pour objectif d’offrir Appel à projets :
tions concernant ce que vous venez aux enseignant(e)s de religion et Êtes-vous un(e) jeune ensei-
de lire. (Extension : écrivez sur le ta- de morale une réexion qui peut gnant(e) débutant(e) ou un(e) en-
bleau ou une feuille qui circule en être utilisée durant un cours. Le su- seignant(e) expérimenté(e) ? Don-
classe vos émotions et réexions) jet, lié aux génocides et aux droits nez-vous un cours philosophique ou
 Réexions éthiques : de l’homme, vise à développer le voulez-vous partager une réexion
 Peut-on sacrifier les enfants et les sens civique des jeunes citoyens d’ordre moral ? Envoyez-nous votre
vieillards pour sa propre survie ? par une réexion personnelle et so- (ou vos – si vous le faites avec plu-
N’oubliez pas que parmi eux peu- ciétale. sieurs enseignants) réexion(s) et
vent se trouver des membres de sa voyez votre sujet publié dans un de
famille ! Public cible : à partir du 3e degré nos prochains numéros de Traces
 Lorsque l’on apprend que les (tout type d’enseignement) de Mémoire.
nazis vont assassiner les enfants, on Méthode d’enseignement : discus- Pour ceux qui aiment le dé : impli-
peut être certain qu’on suivra à un sion de groupe quez éventuellement vos élèves !
moment donné ! Traitez à nouveau Durée : 1 à 2 périodes
la première question. Envois ou suggestions :
 Qui a le droit de décider qui sera johan.puttemans@auschwitz.be
et qui ne sera pas déporté ?

n° 19 - MARS 2016 11
INTERROGATION

À quel point
sommes-nous libre ?
Ojfn foerl ligt dos kelbl,

L
Ligt geboendn met a sjtrik.
a chanson « Dona, Hojch in himl it dos sjvelbl,
dona » fut écrite par Sho- Frejt zich, drejt zich hin oen tsoerik.
lem Secunda et Aaron
Zeitlin. Elle est également connue en Chor:
Yiddish comme « dos kelbl » – qui est Lacht der vind in korn,
comparable à l’allemand das Kalb et Lacht un lacht un lacht,
son diminutif das Kälbchen. Lacht er op a tog a gantsn
Sholem Secunda (né dans l’Empire Mit a halber nacht.
russe en 1894 et décédé à New York Dona, dona dona…
en 1974) émigra vers les États-Unis
avec sa famille, après que la Russie Schrajt dos kelbl, zogt der pojer:
eut connu plusieurs pogroms1 violents. Ver zche hejst dir zajn a kalb?
Son talent musical s’y développa et il Volst gekent doch zajn a fojgl,
devint compositeur. Durant des dé- Volst gekent doch zajn a sjvalb.
cennies, il réalisa de nombreuses
œuvres musicales, entre autres pour Chor
l’opéra.
Aaron Zeitlin (né en Biélorussie en Blinde kelber toet men bindn
1898 et mort à New York en 1973) étu- Oen men sjlept zej oen men sjecht
dia la littérature et fut invité en 1939 à Ver s’hot igl, it arojftsoe
New York où il s’établit. Iz baj kejnem nicht kejn knecht.
Ensemble, ils ont écrit et composé
la musique de la chanson « Dona, Texte original en Yiddisch Chor Transcription : Johan Puttemans
dona » pour la pièce de théâtre Es-
terke en 1940-41. Sur un marché se trouve le petit veau,
La pièce Esterke2 se déroule au Il est attaché avec une corde.
temps du roi Casimir III le Grand. De- Là-haut dans le ciel vole la petite hirondelle,
puis le 15e siècle, il existe une rumeur – En s’amusant, elle va et vient.
devenue virulemment antisémite au
cours du 19e – qui disait qu’une cer- Refrain :
taine Esterke, une Juive polonaise, se- Le vent rit dans le blé,
rait la maitresse du roi. L’accusation vi- Il rit, rit et rit encore.
sait en fait les privilèges des Juifs, qui Il rit tout au long du jour,
connurent un apogée sous le règne Et une demi-nuit.
de Casimir le Grand, monarque favo- Dona, dona, dona …
rable aux Juifs.
Le veau crie, le fermier dit :
« Pourquoi devais-tu être un veau ?
Tu aurais pu être un oiseau.
Tu aurais pu être une hirondelle. »

Refrain

(1) Le mot russe pour destruction, po- De pauvres veaux doivent être attachés,
grom, signie une persécution soudaine On doit les trainer et les abattre
et violente d’une minorité, plus particu-
lièrement une minorité juive.
Celui qui a des ailes s’envole,
(2) Pour en savoir plus sur la légende N’est jamais l’esclave de personne.
concernant Esterke, consultez le site En-
cyclopedia Judaica. Refrain Traduction : Johan Puttemans

12 TRACES DE MÉMOIRE
Le thème du concours annuel de la
Fondation Auschwitz pour l’année 2013 était :
LA LIBERTÉ EST DE POUVOIR ÊTRE ET DE NE
PAS DEVOIR ÊTRE
Amber Mainil du Stedelijk Lyceum Cadix
à Anvers était une des gagnantes avec sa photo
intitulée La liberté, comment ça marche ?

conditions de vie lamentables. C’était ApPLICATION PÉDAGOGIQUE


l’antichambre de la mort qui les atten- e e
Public cible : 2 et 3 degré
dait dans les centres d’extermination.
L’image qui montre le peuple juif qui
se laisse mener sans broncher à
l’abattoir provient partiellement de
l’historien américain Raul Hilberg Début du cours
(1926-2007). Cet historien, né en Au- Faites lire le texte individuellement
triche et d’origine juive, est plus connu par les élèves (ou dans une autre
© Amber Mainil

du grand public pour son œuvre prin- langue pour une approche interdisci-
cipale qui date de 1961 The destruc- plinaire).
tion of the European jews [« La des- Écoutez la chanson en yiddish
truction des Juifs d’Europe »]. Ce tra- et/ou dans une autre langue.
vail capital laisse sous-entendre que [Chercher sur internet : donna donna]
les Juifs se sont laissé mener à l’abat- Chanson à écouter sur YouTube :
La chanson « Dona, dona » fut initiale- toir comme des moutons. Ceci ne cor- https://www.you-
ment écrite en Yiddish3 et interprétée respond toutefois pas avec la réalité, tube.com/watch?v=nZN80LDku2A
ensuite en différentes langues, dont le car dès le début, la résistance et les ré- [taper : Zupfgeigenhansel – Dos kelbl
français et l’anglais. La chanson se voltes étaient bien présentes. (donna donnaj)]
compose de trois couplets.
Le premier introduit le questionne- Symbolisation
ment à venir, on y présente les person- Johan Puttemans Quel animal ou objet correspond
nages centraux. La chanson raconte ASBL Mémoire d’Auschwitz selon toi le plus à la « liberté » ?
l’histoire d’un veau, qui symbolise la Traduction : Frédéric Crahay Quel animal ou objet correspond
soumission. L’animal incarne ceux qui selon toi le plus à la « soumission » ?
ne résistent pas, ceux qui se laissent sa-
crier, bref : le symbole de l’animal à (3) Le Yiddish pourrait être considéré Comparer vos réponses (cela peut se
abattre. À l’opposé se trouve l’hiron- comme « l’allemand juif ». La langue faire également en groupe) aux ques-
delle et plus communément l’oiseau, vers l’an mille dans la région rhénane tions suivantes :
symbole de liberté, qui tel le vent qui parmi les Juifs qui y vivaient dans diffé- « À quel point es-tu libre ? » versus
peut se mouvoir sans encombre au- rentes villes. Ils formaient la commu- « À quel point voudrais-tu être libre ? »
nauté juive ashkénaze et vers la n du
dessus de la surface de la Terre. Développer cette question éventuel-
Moyen-âge, quand les communautés
Le deuxième couplet pose la ques- parlant le yiddish migrèrent vers l’est, le
lement avec :
tion qui domine la chanson : pourquoi yiddish s’étendit également en Europe « (…), supposez que vous êtes en
être soumis ? Ce n’est pas unique- de l’Est, dont la Pologne où il se déve- situation d’occupation ou pendant
ment la fatalité que l’on retrouve dans loppera davantage. La langue n’ap- une guerre ? »
ce couplet, c’est également la possi- partient pas aux langues sémites,
bilité d’être autre chose que ce que la comme c’est le cas pour l’hébreu, bien Thèse : « Ma liberté s’arrête là où com-
que le yiddish soit écrit avec des carac- mence celle des autres ! »
fatalité nous impose ou nous impose-
tères hébreux de droite vers la gauche,
rait. La question évoquée est immé- mais est bien une langue germanique.
Est-ce correct selon toi ?
diatement complétée par d’autres Vers la n du 19 e, début du 20e siècle, En parler en classe ou écrire un petit
possibilités (au choix) de la vie. Nous une littérature abondante en yiddish se texte pour conclure cette leçon.
pouvons tous choisir d’être libres développe (citons, par exemple, l’écri-
comme un oiseau ! vain Sjolem Alechem), en Europe de Quand est-ce que quelqu’un doit pas-
Le troisième et dernier couplet l’Est. Dans les villes polonaises telles que ser de la « soumission » à l’« insoumis-
Varsovie, la capitale, près de la moitié
traite de la nalité et de ses consé- sion » ?
des habitants parlaient le yiddish et
quences où les deux caractères op- dans certains « shtetls » (yiddish pour
Peut-on, selon toi, parler d’une
posés obtiennent ce qu’ils méritent. « petites villes »), 100 % de la population forme ultime de « liberté » ? (qui équi-
Ceux qui choisissent de vivre comme parla cette langue. Ce fut le cas dans le vaudrait à : « je suis confronté à une si-
un veau – la soumission – méritent village d’Izbica. La Seconde Guerre tuation à laquelle je dois résister en di-
l’abattage. Cela contraste fortement mondiale vit la n de la langue et de la sant et en faisant ce qui est néces-
avec la vie que l’oiseau s’est choisie. culture yiddish en Pologne, après que saire »)
ces locuteurs eurent été déportés et ex-
En faisant le choix d’être libre, le per-
terminés. De nos jours, on parle encore
sonnage ne sera jamais soumis. le yiddish aux États-Unis, où s’est déve-
Conseil pour l’enseignant :
À l’heure où le texte fut écrit, les Juifs loppé un yiddish de New York propre, Copier la page suivante qui est uti-
vivaient dans la Pologne occupée par en Israël et dans la communauté juive lisable directement en classe avec les
les nazis, dans des ghettos avec des d’Anvers. élèves.

n° 19 - MARS 2016 13
APPLICATION
À quel point sommes-nous libre ?
PÉDAGOGIQUE

N O M
CLASSE
Vous trouverez chaque trimestre dans votre TRACES DE MÉMOIRE une application pédagogique avec une fiche didactique à utiliser en classe et/ou à conserver

Lis le texte de “Donna, donna” en silence,


consulte éventuellement des versions en d’autres langues

Quel est l’animal ou l’objet que tu pourrais le mieux associer avec :

LIBERTÉ

SOUMISSION

Compare les deux questions suivantes :


À QUEL POINT SOMMES-NOUS LIBRE ? et À QUEL POINT VOULONS NOUS ÊTRE LIBRE ?

Donne ton opinion sur le dicton suivant :


« MA LIBERTÉ S’ARRÊTE LÀ OÙ CELLE DE L’AUTRE COMMENCE »

Sous quelles conditions pourrais-tu passer de  ‘soumis ’ à  ‘insoumis ’ ?


Parlez-en ensemble en classe

Remarques de l’enseignant/e TRACES DE MÉMOIRE


est une publication
trimestrielle de
l’ASBL Mémoire d’Auschwitz

www.auschwitz.be

FICHE PÉDAGOGIQUE N° 1 - TRACES DE MÉMOIRE N° 19


VARIA

Passeurs d’images
Deuxième édition d’un ciné-club
avec des films qui racontent les
Un des plus grands thèmes du ci-
néma restera toujours la guerre et
histoires des victimes et de leurs les effets de ces guerres sur
l’homme.
bourreaux, des résistants et des
survivants
Aujourd’hui, plus que jamais, l’infor-
mation prends de la vitesse et de-
mande une distribution rapide et
efcace :
l’image a quelque peu pris le relais
En 2015, l'ASBL Mémoire d’Auschwitz a Le thème de cette année est « La
des écrits et a pour beaucoup de
lancé un tout nouveau projet: un ciné- zone grise. Héros ou criminels ? »
jeunes plus d’impact que les longs
club de lms de ction avec quatre Nous avons tous notre propre point de
textes à lire.
projections par an. Des projections de vue sur l’homme et ses actions. Pour
lms qui racontent les histoires des vic- l’un on est considéré comme un héros,
Avez-vous des projets avec votre
times de guerre, de génocides, de pour l’autre comme un vulgaire crimi-
classe concernant le cinéma?
meurtres de masse, les histoires de ces nel.
Avez-vous vu des lms qui vous
bourreaux qui ont contribué à écrire Voici les titres que nous avons choisi
semblent intéressants à visionner
ces pages sombres de notre histoire, pour vous pour cette édition 2016 :
avec vos élèves ?
les histoires de ceux qui n’ont pas IDA
Aimeriez-vous des conseils ou des
baissé les bras, qui ont rejoint la résis- de Pawel Pawlikowski (2013)
informations sur certains lms ?
tance et de ceux qui ont survécus les SAUL FIA
Aimeriez-vous travailler sur le sujet
pires horreurs. de László Nemes (2015)
de l’image et de la propagande ?
DER STAAT GEGEN FRITZ BAUER
C’est le Cinéma AVENTURE en plein de Lars Kraume (2015)
N’hésitez pas à me contacter pour
centre de Bruxelles qui a bien voulu IM LABYRINTH DES SCHWEIGENS
toutes vos questions concernant la
nous accueillir et qui nous offre une de Giulio Ricciarelli (2014)
photo, le cinéma et l’image en gé-
salle professionnelle et chaleureuse.
néral.
Nous avons vu augmenter le nombre Toutes les projections se déroulent le
de visiteurs à chaque séance, ce qui mardi à 19 h 30 au Cinéma AVENTURE,
georges.boschloos@auschwitz.be
nous a motivé pour réitérer l’expé- Rue des Fripiers, Galerie du Centre,
rience cette année. pour le prix sympathique de €6.00.
Le thème de 2015 était « La recherche
de l’identité de la victime » et nous
avions programmé les lms suivants :

LORE
de Cate Shortland (2012)
EVERYTHING IS ILLUMINATED
de Liev Schreiber (2005)
PHOENIX
de Christian Petzold (2014)
THE READER
de Stephen Daldry (2008)

n° 19 - MARS 2016 15
VARIA

Pawel- Pawlikowski, réalisateur d’IDA :


« Dans les années 1960 la Pologne était le pays le
plus libéral de l’ensemble du bloc de l’Est »
Le cinéaste polonais Paweł Pawlikowski, connu pour La femme du V e , Summer of Love
et The Last Resort, tourne pour la première fois dans son pays natal avec IDA. Le film est
surprenant, tant au niveau du fond que de la forme, et a remporté différents prix, entre autres
à Londres, à Toronto, à Varsovie, à Gijon et en 2015 il reçoit l’Oscar pour le meilleur film en langue
étrangère. Une discussion sur les Juifs polonais, John Coltrane et les avantages de filmer
en numérique.

Est-ce que le scénario est basé sur une chanteurs et cinéastes, par exemple, plosion de jazz a eu lieu, avec des tas
histoire vraie ou est-ce une histoire c- étaient d'origine juive. Mais, outre la de concerts et de nouveaux groupes.
tive ? culture traditionnelle juive des shtetls Une culture jeune est née avec un vif
PP : Il y a des tas de récits historiques (villages à prédominance juive avant intérêt pour le jazz et le cinéma. Mais
d’orphelins qui, par la suite, décou- la Shoah, N.D.L.R.), il y avait égale- ils vivaient toujours dans un régime to-
vrent leur origine juive, mais à ma con- ment beaucoup de Juifs assimilés vi- talitaire, il fallait donc rejoindre le parti
naissance il n'y a pas d'histoire connue vant en parfaite symbiose avec les si vous vouliez faire carrière. Mais il y
d'une religieuse. Et comme pour autres Polonais. Quelque chose de avait chez nous des possibilités qui
Wanda, la tante d’Ida, on connait cet esprit vit encore aujourd'hui dans n’existaient pas ailleurs. En Union so-
beaucoup de gures de ce type. une certaine forme d'humour, un sens viétique et en Bulgarie, le jazz était
Beaucoup de Juifs ont fait partie de la de l'absurde. toujours interdit dans les années 1960.
résistance contre le régime nazi pen- Le lm se déroule au début des an- Dans les revues, vous pouviez décou-
dant la Seconde Guerre mondiale. nées 1960, comment était alors la vie vrir des écrivains occidentaux comme
Nombre d'entre eux sont allés à Mos- en Pologne ? Hemingway. Il y avait même des
cou et en sont revenus fanatiquement PP : Jusqu'en 1956, il y avait un règne Russes qui apprenaient le polonais
communistes. Il y avait alors un grand de la terreur, les gens vivaient cons- pour être en mesure de lire ces revues.
enthousiasme pour le communisme. tamment dans la peur. Les années Prenez par exemple le personnage du
L'écrivain tchèque Milan Kundera, par 1960 ont été l'ère de ce qu'on appelle saxophoniste dans IDA, il ressemble à
exemple, a d'abord été un marxiste la « normalisation ». La terreur calmée, un beatnik d'un lm américain. En
convaincu. C’est seulement après la censure était moins sévère et il y a 1961, Polański a tourné La lame dans
1956, quand on a connu les atrocités eu une grande libération que les gens l'eau, mais il y avait aussi les premiers
de Staline, que cet enthousiasme est ont immédiatement embrassée. Dans lms de Skolimowski ou le travail
retombé. les arts, des choses très intéressantes d'Andrzej Munk.
Quel rôle joue l'héritage juif en Po- se sont passées. Dans le théâtre, vous Pourquoi avoir opté pour le format
logne aujourd'hui ? Y a-t-il un com- aviez des personnages d’avant-garde presque carré 4/3 ? Cela ressemble à
plexe de culpabilité au sujet du traite- tels que Kantor et Grotowski, dans le un retour au lm muet ?
ment des Juifs polonais pendant la cinéma ils ont abordé des thèmes dif- PP : Parce que c’est comme ça que je
guerre ? ciles, la musique occidentale était à me suis souvenu de cette époque. Je
PP : Il y a une grande fascination et nouveau autorisée. La Pologne a été voulais délimiter le champ de vision et
même de la nostalgie pour la culture le pays le plus libéral de l'ensemble du me concentrer sur un nombre limité
juive disparue. Par exemple, de nom- bloc de l'Est. d'éléments, donc c’est aussi pour cela
breux colloques et expositions sont or- Pouvez-vous dire quelque chose de que je ne déplace pas la caméra. Le
ganisés. Avant la guerre, 3,5 millions plus sur l'aspect musical ? Dans le lm, format fonctionne très bien pour les vi-
de Juifs vivaient en Pologne. La plu- on trouve, à côté de Bach, le jazz de sages, pensez aux lms de Ingmar
part d'entre eux ont péri, mais pas tous. John Coltrane et des chansons pop de Bergman dans les années 1960. Pour
Après la guerre, ils étaient très en vue l’époque. les paysages, cela fonctionne parfois
dans la société. De nombreux poètes, PP : À partir de 1958, une véritable ex- moins bien. D'où les paysages verti-

16 TRACES DE MÉMOIRE
caux dans le lm, avec beaucoup de d’amusant. Cela m'a forcé à penser toujours clair et c’est ce qu'ils aiment
vues du ciel. C’est un format qui ne sé- et à puiser en moi-même. J’ai mis en Amérique. Kieslowski a fait des
duit pas, le spectateur doit faire plus quelques idées de scénarios sur pa- choses merveilleuses en Pologne, par
d'efforts. pier et c’est comme ça que The Last exemple ses documentaires et le Dé-
Pourquoi en noir et blanc ? Resort a émergé. calogue, mais ses lms français ne me
PP : C’est la façon dont les images Ce lm semble encore avoir une ap- plaisent pas du tout. Il est toujours dan-
sont venues à moi pendant l'écriture. proche documentaire ? gereux de se laisser atter par les cri-
Nous avons tourné en numérique, PP : Mais je l'ai complètement inventé tiques français, vous commencez à
c’était la première fois pour moi. Avec à partir de rien ! J'ai toujours eu une croire à vos propres idées ! (rires)
la pellicule, vous avez très peu de con- aversion pour l’approche journalis- Quelle est la situation de l'industrie ci-
trôle sur le résultat nal et de moins en tique et The Last Resort n’était pas du nématographique polonaise ?
moins de laboratoires développent un tout conçu comme un lm voulant PP : Il y a beaucoup de productions et
lm en noir et blanc. Nous avons pro- aborder un thème socialement perti- vous pouvez même faire un lm pour
cédé comme il faut et utilisé une nent. Ce qui est étrange, c’est que la moins d’un million d'euros. Mais on n'a
bonne caméra avec une résolution réalité apparaît a posteriori de plus en plus la témérité des années 1950 et
élevée, les meilleures lentilles et ltres plus dans mon lm et, avant de m’en 1960, lorsque le cinéma polonais avait
de lumière. En postproduction, nous rendre compte, j'ai été invité à toutes sa propre identité et que l’on trans-
avons juste ajouté un peu de grain. les tables rondes traitant des réfugiés. gressait des frontières aussi bien sur le
En raison du sujet, du style ascétique Tout comme je dois maintenant aller contenu que sur la forme. De nos jours,
et des gros plans, je me suis souvenu parler constamment de l'héritage juif tout le monde joue la sécurité. Les
de Carl Theodor Dreyer et de ses lms et de la culpabilité polonaise. jeunes cinéastes polonais réalisent en
La Passion de Jeanne d'Arc, ORDET et Vous sentez-vous proche de cinéastes série des comédies romantiques ou
Gertrud. Vous sentez-vous lié à lui ? polonais qui ont déménagé à l'Ouest des lms abordant des sujets plus
PP : J’ai vu ces lms il y a longtemps et pour pouvoir continuer à faire des graves, des lms qui ne fonctionnent
je les aime aussi, mais cela n'a pas été lms ? Par exemple Polański, Żuławski, que dans leur propre pays. Ils n’ont
un processus conscient. À un certain Kieslowski, Holland. plus la verve du passé.
moment, j’ai beaucoup regardé Bres- PP : Non, parce que j’ai quitté la Po-
son et le Vivre Sa Vie de Godard qui se logne à l’âge de quatorze ans et j’y
réfère à La passion de Jeanne d'Arc. suis seulement revenu vivre récem-
Inconsciemment, ces lms m'ont cer- ment. Ces cinéastes ont une histoire
tainement inuencé. Mais pendant les personnelle très différente. Agnieszka
préparatifs, je regardais particulière- Holland, par exemple, a fait trois lms Interview: Gorik de Henau
ment 8½ de Fellini, comme une sorte en Pologne avant de devoir quitter le ASBL Mémoire d’Auschwitz
Première publication dans
de comfort food. pays. Elle est très bonne dans l'ap- Filmmagie 643 (mars 2014)
Cela at-il été une bénédiction de proche directe, ce qu'elle veut dire est Traduction : Emmanuel Verschueren
commencer votre carrière en tant que
réalisateur de documentaires ? Et Affiche du film IDA
comment avez-vous évolué vers la
ction ? Mardi 22 mars 2016 - 19 h 30
PP : Je ne fais pas de documentaires I
classiques, j'ai toujours essayé de leur de Pawel- Pawlikowski (2013)
donner forme via quelque chose qui
me concernait personnellement et je Mardi 24 mai 2016 - 19 h 30
continue à faire des lms de la même S S
manière. Je considère mes scénarios de László Nemes (2015)
comme une étape dans un processus
PASSEURS D’IMAGES

qui, entrant en collision avec la réalité, Mardi 20 septembre 2016 - 19 h 30


D S
PROGRAMMATION

prend sa forme dénitive. J'ai eu la


chance d’avoir commencé à travail-
ler à la n des années 1980 en Angle- F B
terre où l'on pouvait encore assez fa- de Lars Kraume (2015)
cilement monter un projet. Mais, vers
Mardi 22 novembre 2016 - 19 h 30
1995, la BBC a été restructurée en une
entreprise classique, ils ont créé des I L
S
2016

groupes de discussion et vous deviez


dès lors rendre compte à quelques bu- de Giulio Ricciarelli (2014)
© DR

reaucrates idiots. Il n'y avait plus rien

n° 19 - MARS 2016 17
VARIA

Le passé nous revient à la vitesse d ’un TGV


L’approche européenne de la crise des réfugiés rappelle les années 1930 selon
Herman Van Goethem, historien et candidat-recteur depuis peu à Anvers. « Non, cela
ne signifie pas que nous allons vers une nouvelle Shoah. »

« Dire que les musulmans sont taines démocraties sont faibles, tualisées avec tout ce qui les
misogynes n'a pas de sens. Il y a ce qui n’est pas le cas en Europe accompagne, même les cou-
deux milliards de musulmans de l’Ouest. L'Allemagne a une leurs de combat et les chants
dans le monde. Le musulman démocratie très forte. Là où cela guerriers. Très occasionnellement,
n'existe pas. Tout comme le Juif devient vraiment dangereux, les choses tournent mal. Ensuite,
n’existe pas », dit Herman Van c’est quand un système politique on en arrive à des groupes qui
Goethem (57). L'historien, avocat récupère la violence venant scandent “tous les paysans sont
et cofondateur de Kazerne Dos- d’en bas. C’est pourquoi la me- des pédés”, comme récemment.
sin – Musée et Centre de Docu- sure danoise doit nous inquiéter. » Souvent, ce sont des pères de
mentation sur l'Holocauste et les En sommes-nous sufsamment famille respectables. Essayer de
Droits de l’Homme à Malines – conscients ? comprendre cela à partir de la
observe ces derniers temps HVG : « Non. Nous sommes des pensée de notre responsabilité
l’actualité avec un intérêt parti- enfants des Lumières qui ont individuelle ne fonctionne pas ;
culier. « Ce qui me surprend, grandi avec l'idée que nous vous ne pouvez expliquer cela
c’est à quel point nous sommes sommes des individus auto- que dans un contexte de
naïfs. Après les événements de nomes. Nous nous habillons de la groupe. »
Cologne, tout le monde a dit : même façon, mangeons les Des supporters turcs de football
“Ces étrangers ont l’air d’avoir un mêmes repas... Cependant, nous ont sifé pendant la minute de
autre point de vue que le nôtre ne réalisons pas sufsamment à silence pour les attentats de Pa-
sur les rapports hommes- quel point nos pensées et nos ris.
femmes”. Comme si nous ne actions sont déterminées par des HVG : « Cela ne me surprend pas.
savions pas cela auparavant. mécanismes de groupe. » Il devient de plus en plus difcile
Ces derniers mois, nous avions « C’est l'une des raisons pour de donner un sens précis à de
surtout vu croître la solidarité, lesquelles nous avons créé tels messages des médias. Après
aujourd'hui la résistance gran- Kazerne Dossin. Entre 1942 et Paris, il a d’abord semblé qu’il n'y
dit. » 1944, 25 491 Juifs et 354 Tziganes avait pas de déclarations de
ont été déportés de cet endroit. soutien venant du Moyen-Orient.
Est-ce que cela ne déclenche À peine cinq pour cent sont re- Mais il y en a pourtant bien eu,
pas une sonnette d'alarme chez venus vivants d'Auschwitz. Lors- seulement elles ont été publiées
vous lorsque vous lisez que des que nous avons construit ce mu- un jour plus tard dans notre
gangs pourchassent les étrangers sée il y a quelques années, nous presse. Le rôle des médias de
dans des villes allemandes ? avions pris la résolution de faire masse est toujours plus grand et
HVG : « Oui. Et aussi dans plus que commémorer la souf- son effet de polarisation ne doit
l’annonce que le Danemark veut france. Nous devons expliquer pas être sous-estimé. Il devrait y
rendre possible la conscation aux gens comment la violence avoir plus de recherches sur cette
des biens de valeur des deman- de masse surgit. » question. Dans les années 1930,
deurs d'asile. Les parallèles avec Comment le faire ? la radio s’est développée. C’est
les années 1930 sont sans équi- HVG : « Des forces de groupe ainsi que la propagande est en-
voque. La violence de nos jours a potentiellement dangereuses trée pour la première fois sous
la même structure qu’avant la sont présentes dans chaque so- forme orale dans les foyers. Si un
guerre. Mais tout ne revient pas. ciété. Le football est l'un des rares attentat avait lieu dans les an-
Et je ne prétends pas que nous endroits où les groupes peuvent nées 1980, on voyait le lende-
nous dirigeons vers une nouvelle encore se défouler collective- main une photo en noir et blanc
Shoah. En Europe de l’Est, cer- ment. On y voit des batailles ri- dans le journal. Aujourd'hui, on a

18 TRACES DE MÉMOIRE
© ASBL Mémoire d’Auschwitz/Ph.M.

éviter toute généralisation. À


Kazerne Dossin, nous donnons
Herman Van Goethem
notamment une formation à des
Historien, juriste et cofondateur
de la Kazerne Dossin - le musee et agents de police. Il y a des le-
le centre de documentation sur la çons à tirer de la façon dont la
Shoah et sur les droits de l’homme police a collaboré à l'arrestation
à Malines des Juifs. Ensemble avec les poli-
ciers, nous examinons d'abord les
PV de l’époque : le langage
l'impression d’y être lorsque cela gutmachung [réparation]. En utilisé, comment les agents se
arrive. » Allemagne, l'extrême droite ra- couvraient les uns les autres
L'ensemble de la crise des réfu- ciste n'a plus jamais eu l’occasion quand il arrivait quelque chose et
giés est un événement média- de resurgir, parce qu'elle a été ainsi de suite. Au cours de ces
tique ? réprimée. Je soupçonne fort formations, les langues se délient
HVG : « Cela semble cynique, qu'une partie de ces idées ex- et les agents évoquent ce qui se
mais dans un sens oui. L'Europe a trêmes sont restées vivantes au passe mal dans leur unité. Ce
connu d’autres pics de réfugiés, sein des foyers. Elles reviennent type de conversation est très
mais jamais accompagnés par maintenant, trois générations plus utile. »
autant d'attention que mainte- tard. » La N-VA se voit souvent repro-
nant. Après la Seconde Guerre Les Allemands sont-ils par leur cher d’accentuer la polarisation.
mondiale, il y avait douze millions passé plus sensibles aux ex- Êtes-vous d'accord ?
de personnes déplacées en Eu- trêmes que nous ? HVG (évasif) : « Vous n’allez pas
rope. Au moment de la guerre HVG : « Je n’ai pas dit cela. Nous me faire tenir des propos polari-
des Balkans, il y avait deux mil- avons accueilli beaucoup moins sants. Un homme politique, tout
lions de réfugiés. Certes, en 2015 de réfugiés, donc il y a moins de politicien qui, aujourd'hui, dit que
il y a eu une augmentation signi- causes de tension. Chez nous les musulmans ne peuvent pas
cative par rapport à l'année aussi, la solidarité et la violence vivre ensemble avec les Euro-
précédente. Et pourtant, je me grandissent côte à côte, mais la péens doit bien se rendre
demande pourquoi cela est ac- violence reste surtout verbale compte qu'il envoie un message
tuellement omniprésent dans pour le moment. » de radicalisation et de polarisa-
l’actualité. Qu'est-il arrivé entre Comment pouvons-nous arrêter tion. Que l'islam soit inconciliable
2014 et 2015 ? » la polarisation ? avec d'autres cultures n’est
Est-ce que nous réagissons de HVG : « Je vois régulièrement des d’ailleurs historiquement pas
façon excessive ? jeunes issus de l’immigration arri- correct. Justement, l'Empire ot-
HVG : « Les gens ont l'impression ver dans le musée avec des pré- toman a été longtemps un em-
que le monde devient toujours jugés. Jusqu'à ce qu'ils se rendent pire multiculturel. Lorsque Jules
plus insécurisant. En tant que compte qu'ils ont beaucoup en Destrée écrit en 1912 son “Sire, il
scientique, je peux vous présen- commun avec les Juifs. La com- n'y a pas de Belges”, il parlait de
ter des chiffres pour prouver que munauté juive dans les années Flamands émards et de Wallons
ce n’est pas exact. Mais si les 1920 et 1930 était en grande travailleurs. Aujourd'hui, le dis-
gens le ressentent de cette fa- partie une communauté immi- cours populaire est complète-
çon, une telle preuve ne sera pas grée qui n’était que partielle- ment inversé. La vérité est que de
pertinente. Des réexes nationa- ment intégrée. Beaucoup pen- telles généralisations ne corres-
listes surgissent clairement. Tout sent que ce sont des gens qui pondent tout simplement pas.
passe, sauf notre passé qui nous vivaient depuis longtemps en Même après Cologne, il faut
revient à la vitesse d’un TGV. Belgique, professionnellement continuer à dire que le musulman
Lorsque la chancelière alle- actifs et bien intégrés. Ce n’était n’est pas misogyne. »
mande Angela Merkel prononce pas le cas. Il s’agissait d’un mé-
les mots “wir schaffen das” [nous lange de migrants économiques
(devons) le faire], ils contiennent et de réfugiés politiques. »
une part du traumatisme de la « Nous devons faire attention à Gwen Declerck, Barbara Moens
Première publication : De Tijd
Seconde Guerre mondiale et de ce que nous disons et en même 16 janvier 2016
la pensée de la Wieder- temps ne pas fuir la discussion. Et Traduction : Emmanuel Verschueren

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POUR UNE PRISE ASBL Mémoire d’Auschwitz - Tél.: 02/5127998 info@auschwitz.be


DE CONTACT Fondation Auschwitz
Rue des Tanneurs 65, 1000 Bruxelles
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20 TRACES DE MÉMOIRE - N°19 - MARS 2016

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