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Bilan : Guerre d’anéantissement, guerre génocidaire

La violence de masse existe dès le début du conflit. Dès 1937, le Japon franchit un seuil de violence lors des
massacres du « sac de Nankin ».

Mais le front pacifique et le front de l’Est sont les lieux de violence paroxystique et de criminalisation de la
guerre à partir de la fin de l’année 1941. Plus de 3,2 millions de soldats soviétiques meurent durant leur captivité, de
faim, d’épuisement, de mauvais traitements. On peut établir un rapport direct entre les violences extrêmes et la
déshumanisation systématique de l’image de l’ennemi. Ceci explique que certaines pratiques de cruauté puissent
parfois être présentes dans le camp allié à l’exemple des Américains qui se représentent le soldat japonais en termes
simiesques et qui prélèvent parfois les oreilles des cadavres nippons. Ces formes de violence extrême sont
généralement moindres sur les fronts d’Afrique du Nord et d’Europe occidentale, même si elles n’en sont pas
absentes, à l’exemple de l’assassinat de 1 500 à 3 000 soldats noirs français par l’armée allemande lors de la
campagne de 1940.

Par ailleurs, le second conflit mondial brouille la différence habituelle entre le front et l’arrière et les civils
sont désormais les principales victimes du conflit. Des soldats de la division SS Das Reich massacrent ainsi les
habitants d’Ouradour-sur-Glane, le 10 juin 1944. Le bombardement des villes s’intensifie et devient très mortifère,
comme lors de la nuit du 13 au 14 février 1945 à Dresde (Allemagne), qui cause la mort de 25 000 à 40 000
personnes. Les violences faites aux femmes sont particulièrement marquées durant ce conflit. Par exemple, des
dizaines de milliers de Chinoises et Coréennes sont prostituées de force comme « femmes de réconfort » pour les
soldats japonais et l’on estime à deux millions le nombre de femmes allemandes violées par les soldats soviétiques.
D’autres interdits moraux sont franchis lorsque l’armée japonaise installe près d’Harbin son « Unité 731 », qui mène à
des expériences sur des êtres humains, leur inoculant la peste ou le choléra en vue d’une éventuelle guerre
bactériologique. Dans plusieurs camps, les médecins nazis utilisent eux aussi les déportés pour des expériences
pseudo-scientifiques. Certains groupes de la population, comme les Juifs et les Tsiganes sont victimes d’une politique
d’extermination.

Au début du conflit, Hitler souhaite expulser les Juifs du Reich. Avec l’invasion des territoires de l’Est,
l’Allemagne contrôle désormais trois millions de Juifs polonais. Les persécutions vont alors s’intensifier les Nazis
décident de les regrouper dans des ghettos, comme à Cracovie, Lodz ou Lublin. Dans celui de Varsovie s’entassent
400 000 personnes qui meurent de faim, de maladie et d’épuisement. Ensuite, avec l’attaque de l’URSS le 22 juin
1941, un nouveau pas est franchi. Pour Hitler, la guerre prend son véritable sens « d’anéantissement du judéo-
bolchevisme ». La mission Reinhart est lancée. Les Einsatzgruppen fusillent en masse les Juifs au fur et à mesure de
l’avancée allemande. C’est ainsi dans le ravin de Babi-Yar les 29 et 30 septembre 1941, près de Kiev, 33 771
personnes sont assassinées en deux jours.

Après un débat au sein de l’appareil nazi, les Tsiganes sont considérés comme racialement inférieurs mais
surtout comme des « asociaux nomades et criminels ». Les communautés tsiganes présentes en Allemagne
appartiennent à deux groupes : les Sinté présents depuis plusieurs siècles et les Roms, arrivés d’Europe de l’Est au
XIXe siècle. Aussi, dès 1933, des camps municipaux d’internement sont ouverts en Allemagne et, à partir de 1937, les
Tsiganes peuvent être transférés en camp de concentration. On perçoit alors bien le processus de racialisation
cumulative. En 1940, les premiers groupes de Tsiganes provenant d’Allemagne et d’Autriche sont envoyés dans le
ghetto de Lodz en Pologne où ils sont décimés par la faim et les maladies, les rares survivants étant gazés à Chelmno
en 1942. En décembre 1942, la persécution s’intensifie avec la décision d’Himmler d’envoyer les Tsiganes dans « le
camp des familles » d’Auschwitz. C’est le cas pour 23 000 Tsiganes, dont une majorité d’enfants. Les derniers
survivants sont tués dans la nuit du 2 au 3 août 1944. Le bilan global est estimé entre 220 000 et 500 000 morts pour
une population d’un peu moins d’un million de Tsiganes. Idéologiquement différente, cette extermination
systématique se rapproche de celle des Juifs.

En décembre 1941, la décision d’exterminer les Juifs est prise. Afin de permettre une extermination plus
rapide, plusieurs camps sont construits en Pologne à Auschwitz-Birkenau, Treblinka, Majdanek, Chelmno, Belzec et
Sobibor. La conférence de Wannsee du 20 janvier 1942 planifie la « Solution finale de la question juive en Europe ».
1942 est véritablement l’acmé du processus puisque plus de 2,7 millions de Juifs sont assassinés cette année-là. La
mise à mort s’organise alors à l’échelle industrielle ; ainsi, le camp d’Auschwitz-Birkenau fait à lui seul plus d’un
million de victimes. Si le nazisme porte évidemment la responsabilité de l’extermination, d’autres gouvernements,
parmi lesquels l’État français, ont contribué au génocide en collaborant avec lui. Le bilan global de la Shoah s’établit
entre 5,7 et 6,2 millions de juifs exterminés, soit les 3/5e de la population juive européenne, dont 1,5 million d’enfants.
Annexes :

La population juive en Europe en 1939


Part de la population juive victime de la Shoah, par pays.

Pays-Bas 84%
Grèce 80%
Allemagne 75%
Pologne 70 à 75%
Tchécoslovaquie 70 à 75%
Yougoslavie 70 à 75%
Hongrie 50%
Autriche 30 à 35%
Norvège 30 à 35%
Roumanie 30 à 35%
Belgique 28%
URSS 23%
France 20%
Italie 20%
Danemark 1%

Nombre de victimes, par camp de mise à mort

Camps de mise à mort Nombre de morts


AUSCHWITZ 1.200.000
BELZEC 550.000
CHELMNO 200.000
MAIDANEK 400.000
SOBIBOR 250.000
TREBLINKA 800.000
Lexique de la violence génocidaire

Caractériser et nommer l’évènement

Guerre d’anéantissement : une guerre qui se caractérise par sa dimension idéologique et par la disparition de la
distinction entre le front et l’arrière, ce qui favorise les crimes de masse (dont bombardements stratégiques).

Les crimes de guerre : définis par les conventions de Genève (1864, 1906, 1929), ce sont les mauvais traitements
(assassinat, viol, déportation, pillage, destruction) infligés à des civils ou à des militaires alors que les exigences
militaires ne les justifient pas.

Génocide : Destruction physique, intentionnelle, systématique et programmée d’un groupe ou d’une partie d’un
groupe en raison de ses origines ethniques ou religieuses. Le terme de génocide a été forgé par Raphaël Lemkin en
1944 à partir de la racine grecque γένος : « naissance » et de la racine latine caedere : « tuer ». Il désigne le meurtre de
masse et la destruction d’un groupe spécifique.

Le tribunal pénal international de la Haye sous l’égide de l’ONU n’a pas autorité à identifier les crimes de masse
comme des génocides. Cependant, le tribunal peut confirmer ou infirmer les suggestions faites en ce sens.

Sont reconnus comme génocides la Solution Finale, le génocide arménien par les Ottomans de 1915, le génocide
d’Holodomor de 1924 (la grande famine ukrainienne orchestrée par Staline) le génocide cambodgien par les Khmers
rouges du début des années 1970, le génocide kurde commandé par Saddam Hussein en Irak dans les années 1980, le
génocide rwandais des Tutsis par les Hutus de 1994, le génocide bosniaque par les Serbes en Yougoslavie de 1995, le
génocide du Darfour par le Soudan dans les années 2000. En 2015, le crime colonial perpétré par l’Allemagne contre
les Hereros et les Namas au début du XXe siècle est reconnu par Angela Merkel comme un génocide. Les historiens
éclairent les nombreuses ressemblances entre ce génocide en situation coloniale et la Shoah.

Shoah : terme popularisé dans les années 1980 par le documentaire éponyme de Claude Lanzmann (1985). En hébreu,
le terme signifie « grande catastrophe » et est davantage approprié que le terme d’holocauste qui signifie « feu
rédempteur ». Cependant, le terme hébreu n’implique que les juifs et non pas toutes les victimes de la barbarie nazie.
Le terme khorbn peut aussi être utilisé. Il est plus proche du réel car il est issu du yiddish, la langue des juifs d’Europe.
Mais il est moins universel puisque 90% des locuteurs sont morts dans le génocide.

Holocauste : Sacrifice religieux et rédempteur dans la religion hébraïque. La mini-série Holocaust (1978) a
durablement enraciné cette appellation du génocide des Juifs dans la culture anglo-saxonne, mais celle-ci porte un
contresens vivement critiqué.

Solution Finale : de l’allemand « Endlösung », euphémisme employé par les autorités nazies afin de désigner le
génocide des Juifs. A n’utiliser que dans le cadre d’une étude historique.

L’univers concentrationnaire et génocidaire

La sélection : à l’arrivée des convois dans les centres de mise à mort, l’immense majorité des populations juives ont
été déclarés inaptes au travail, envoyés dans les chambres à gaz et immédiatement assassinés. Seuls ceux qui passèrent
la sélection, dans la grande majorité des cas des hommes capables de travailler, reçurent un matricule.

Appelplatz : lieu où quotidiennement les détenus doivent répondre durant des heures à l’appel. C’est là que peut
s’opérer les sélections suivantes.

Block : baraque de logements des détenus contenant jusqu’à 1200 personnes sur 350 mètres carrés.

Centres de mise à mort : Lieu où les assassinats sont immédiats et systématisés. Préférez ce terme à celui de « camp
d’extermination » qui suppose une installation durable des détenus, ce qui est inexact.

Convois : les trains à bestiaux réquisitionnés pour les transports des Juifs vers les camps. Ces convois utilisent le
réseau ferroviaire européen. La rapidité d’exécution doit également être mise en exergue. Exemple de la France : entre
le 27 mars 1942 (date du premier convoi parti de France vers Auschwitz) et le 30 septembre 1942 (convoi n°39) la
moitié des victimes juives parties de France ont déjà été déportées ; les trois quarts le sont au 7 décembre 1943
(convoi n°64). Nous pouvons considérer qu’entre mars 1942 (début de l’opération Reinhardt) et novembre 1943 les
trois-quarts des Juifs victimes de la Shoah sont morts. En 1944, 434 000 Juifs de Hongrie sont déportés en 7 semaines
vers Auschwitz-Birkenau (du 16 mai au 9 juillet1944).

Einsatzgruppen (« groupes spéciaux ») : Unités de tuerie mobiles nazies formées de policiers et de SS. À partir de
l’invasion de l’URSS en 1941, elles sont chargées de fusiller les Juifs et les responsables politiques soviétiques.

Ghetto : Initialement un quartier de Venise dans lequel sont forcés à vivre les juifs à Venise au XVI e siècle. Dans le
Reich, c’est un quartier isolé du reste de la ville par des barbelés ou un mur dans lequel les nazis forcent les
populations juives à vivre dans des conditions misérables.

Kommando : formation de travail dépendant d’un camp. Les déportés sont associés à des kommandos en fonction de
leur état de santé. Ne pas être apte à un kommando conduit à une mort certaine.

Sonderkommando : les déportés chargés de vider les cadavres des chambres à gaz.

Commandement du camp : Les déportés sont sous l’autorité des SS. Les SS sont allemands, mais certains pas depuis
très longtemps (les Volkdeutscher) qui parlent encore polonais et baragouinent l’allemand. Ils sont assistés de kapos.
Leur chef est le Lagerkapo. Le reste de la hiérarchie est composés de déportés juifs. Les kapos ont sous leurs ordres
des Blockältester, dont le chef est le Lagerälterster. Les Blockälterste choisissent des Stubendienst, des assistants. Ils
choisissent aussi les Vorarbeiter, les chefs des travailleurs.
Chaque niveau de la hiérarchie à partir des SS a droit de vie ou de mort sur tous les niveaux inférieurs.

Kapo : ainsi, les centres de mise à mort comme Auschwitz-Birkenau compte en réalité peu de SS. La sélection à
l’arrivée, la surveillance, la mise au travail et les mises à mort systématiques sont prises en charge par les kapos. Ce
sont la plupart du temps des prisonniers de droit commun sortis de prison et armés. Ils peuvent être allemands mais la
plupart sont polonais ou bien même juifs eux-mêmes. Ils ne sont pas libres, sont mal nourris, doivent des comptes aux
SS et peuvent eux aussi être mis à mort de manière arbitraire, ce qui les rend encore plus cruels.

Les marches de la mort : En janvier 1945, devant l’avancée des Soviétiques, les responsables nazis décident d’évacuer
les camps situés en Pologne pour réquisitionner le peu de main d’œuvre restante dans les camp allemand. Les
différents camps qui forment Auschwitz-Birkenau sont évacués vers les camps de Buchenwald et Gross-Rosen. Des
milliers de déportés qui avaient survécu à Auschwitz-Birkenau sont abandonnés dans une désorganisation totale sur
les routes à la fin du mois de janvier 1945, les trois quarts d’entre eux périssent, d’autres mourront d’épuisement dans
les camps suivants. Les marches de la mort sont un symbole du khorbn car la plupart des survivants en sont passés
par là.

Nacht und Nebel : Nuit et Brouillard, catégorie de déportés, résistants d’Europe de l’Ouest, transférés discrètement en
Allemagne et condamnés à disparaître sans laisser de traces.

Triangles roses : nom donné par l’historiographie aux hommes déportés en raison de leur identité sexuelle. L’histoire
des triangles roses est difficile à établir dans la mesure où les archives ont préféré les effacer pour respecter la volonté
des familles et la mémoire des défunts après-guerre, alors que l’homosexualité était encore criminalisée.

Quelques concepts historiographiques clefs.

Extermination : étape ultime du processus de gestion des populations juives par les nazis mis en lumière par l’historien
américain Raul Hilberg dans La destruction des Juifs d’Europe, 1961 : définition, exclusion et spoliation,
concentration et liquidation, extermination.

Banalité du mal : l’absence de pensée d’un bureaucrate de la mort qui peut être plus dommageable, plus criminelle que
tous les mauvais instincts inhérents à l’homme. C’est un concept proposé par Hannah Arendt en 1966 dans
Eichmann à Jérusalem, à la suite du procès Eichmann à Jérusalem.
Dans Eichmann avant Jérusalem (2016), Bettina Strangneth remet en question cette vision par l’étude des carnets de
bord d’Eichmann qui révèle une grande violence et la volonté d’Eichmann de mettre en scène son procès.

Les bourreaux volontaires : Daniel Goldhagen forge ce concept dans Les bourreaux volontaires d’Hitler, 1996. Selon
lui, depuis Luther, les Allemands sont antisémites et n’attendaient qu’Hitler. Sa théorie a eu beaucoup de succès car
elle germanise le crime plutôt que de l’humaniser.
Les hommes ordinaires : expression de l’historien Christopher Browning pour qualifier les assassins des centres de
mise à mort. Il étudie l’aptitude ordinaire des hommes à une extraordinaire inhumanité mais également à la
soumission aveugle à la Loi, à l’obéissance à l’autorité légitimée par l’idéologie et l’endoctrinement, au souci de
conformité au groupe qui constituent des facteurs pouvant conduire des hommes ordinaires à devenir des assassins
selon les circonstances.

Historikerstreit : la querelle des historiens. Lancée par le philosophe allemand Jürgen Habermas en 1986, cette
controverse se concentra surtout sur les travaux de l’historien Ernst Nolte (La guerre civile européenne, traduit en
français en 2000). Elle porte sur la place à accorder à la Shoah dans l’histoire allemande et sur le caractère
exceptionnel ou pas des crimes du nazisme dans le contexte des crimes européens de l’époque. Ersnt Nolte défend
l’idée très controversée que le nazisme, comme tous les fascismes, sont des réponses au communisme.

La machine de guerre SS : c’est le terme utilisé par l’historien Christian Ingrao dans Croire et détruire, 2010. Il
s’agit des penseurs des crimes du IIIe Reich. Le livre suit le parcours de 80 jeunes allemands impliqués dans les
crimes du IIIe Reich. Élevés dans la croyance que l’Allemagne pourrait disparaître, ils élaborent une pensée utopique
qui nécessite l’éradication du Juif, ennemi de la race. Plaçant son étude dans la conjoncture de l’Entre-deux-guerres
allemande, Ingrao dépasse les enjeux de Goldhagen, Browning et Habermas.

Intentionnalistes vs fonctionnalistes : Ces termes désignent les deux grands courants historiographiques nés dans les
années 1970 pour expliquer le génocide des Juifs d’Europe. Pour les intentionnalistes, Hitler est à l’origine de toutes
les décisions, sans exception, qui permettent la mise en application du programme qu’il a lui-même conçu. Pour les
fonctionnalistes, au contraire, Hitler ne fait que fixer des objectifs encore relativement imprécis, même s’ils sont
radicaux. Les réseaux de pouvoir qui, au sein de l’État et du parti, se disputent la faveur de Hitler, pratiquent une
surenchère de plus en plus exterminatrice et réalisent ainsi « la volonté du Führer ». En outre, les décisions se
radicalisent avec la guerre, notamment dans les territoires de l’Est à partir de l’automne 1941.

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