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252 | 2008
Guerre et cinéma
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/rha/361
ISBN : 978-2-8218-0516-3
ISSN : 1965-0779
Éditeur
Service historique de la Défense
Édition imprimée
Date de publication : 15 septembre 2008
ISSN : 0035-3299
Référence électronique
Revue historique des armées, 252 | 2008, « Guerre et cinéma » [En ligne], mis en ligne le 16 septembre
2008, consulté le 07 août 2020. URL : http://journals.openedition.org/rha/361
SOMMAIRE
Dossier
Variations
Vincennes
Le fichier général des militaires de l'armée française décédés au cours de la Première Guerre
mondiale
Christian Lemarchand
Lectures
François Rouquet, Fabrice Virgili et Danièle Voldman (dir.), Amours, guerres et sexualité
1914-1945
Gallimard – BDIC/Musée de l’armée, 2007, 176 pages
Benoît Lagarde
Dossier
1 Après la naissance de la technique photographique dans les années 1830, les autorités
militaires furent sensibilisées rapidement, mais en vain, au potentiel que la
photographie pouvait représenter pour la stratégie et l’instruction des troupes 1.
En 1895, les frères Lumière mettent au point le cinématographe. Avant même que
l’armée ne s’intéresse directement à ce nouveau vecteur d’information, les premiers
films tournés comptent des scènes à caractère militaire : plus d’une centaine de « vues
militaires » sont ainsi réalisées par les Lumière et leurs opérateurs dès 1896, en France
et à l’étranger 2. Vingt ans après, l’armée française engagée dans un conflit mondial se
dote d’un organisme dédié à la prise de vues animées de ses opérations : la section
cinématographique de l’armée. Dès lors, elle n’aura de cesse d’utiliser cet outil pour
réaliser en temps de guerre comme en temps de paix les films qui serviront à étayer son
discours et à écrire son histoire. Retracer en quelques pages l’évolution de cette
structure et de la façon dont l’armée s’est organisée pour filmer la guerre depuis 1915
relève de la gageure. Nous tenterons d’en préciser les principales caractéristiques, en
invitant le lecteur à consulter les ouvrages indiqués en bibliographie 3.
général commandant les armées du Nord et du Nord-Est les deux objectifs principaux
de cet outil, « permettre la réunion d’archives aussi complètes que possible concernant toutes
les opérations militaires » et « rassembler, pour la propagande française à l’étranger, des clichés
et des films susceptibles de montrer la bonne tenue des troupes, leur entrain et les actions
héroïques qu’elles accomplissent ». Cette ligne de conduite dans la réalisation des images
et dans leur conservation à titre d’archives sera désormais, le vocabulaire évoluant,
celle de l’organisme chargé de produire photographies et films pour l’armée. Qu’il
s’agisse de la Section cinématographique, du Service cinéma des armées, puis de
l’Établissement cinématographique et photographique de l’armée et enfin de l’ECPAD,
ceux-ci ont toujours exercé simultanément des fonctions de production et de
conservation.
3 Les premiers opérateurs de la SCA sont des cameramen issus de maisons privées. Leur
travail sur le terrain est rigoureusement encadré : déplacement uniquement sur ordre
de mission du ministère de la Guerre ou du Grand Quartier général, prise en charge sur
le front par un officier d’état-major... Photographes et cameramen travaillent toujours
de concert : leurs images portent ainsi sur les mêmes thèmes. Le matériel utilisé est au
départ celui des opérateurs dans le civil, puis des caméras sont louées. Chacun envoie
ses négatifs à la maison de production à laquelle il est rattaché, qui est chargée du
tirage et du développement des films. Les épreuves montées et dotées de commentaires
sur des cartons sont présentées en commission de censure militaire. L’interdiction par
la censure porte avant tout sur des images qui pourraient nuire au moral de l’arrière et
des troupes ou qui divulgueraient le secret des opérations. Un exemplaire de chaque
film, même censuré, est remis aux archives du ministère de la Guerre avec les épreuves
de tournage. Enfin, le bureau parisien de la section se charge de l’inventaire et de
l’archivage des documents. Des copies de projection sont réalisées pour être diffusées
dans les salles de cinéma françaises et étrangères. À partir de 1917, un film d’actualités
est composé toutes les semaines : sous le titre des Annales de la Guerre, il présente cinq à
six sujets militaires, politiques, internationaux ou artistiques. Chaque numéro des
Annales est tiré à vingt-cinq exemplaires et envoyé dans les pays où des contrats
d’exploitation ont été signés. Ces images sont destinées à rassurer les familles et à
divertir les soldats. En effet, la SCA crée des structures de diffusion spécifiques : le
« cinéma aux poilus » en 1915 et en 1917 « le ciné cantonnements », dans près de
400 salles de projection. Les « tournées cinématographiques » permettent enfin de
projeter ces images dans les zones rurales. Avec le théâtre aux armées, le cinéma des
armées devient le mode de distraction favori des poilus.
4 Neuf cent trente films ont été réalisés par la section entre 1915 et juillet 1919 4. Les
conditions de tournage des images, dans un contexte très encadré, avec la contrainte
d’un matériel encombrant et lourd – l’opérateur transporte caméra, trépied et bobines
en nitrate de cellulose – expliquent que la section filme surtout les à-côtés de la
bataille : les transports de troupes ou d’artillerie, les blessés, les prisonniers, les
cantonnements... Pour compléter ces images, on réalise des mises en scènes. Les images
tournées grâce à des caméras à manivelle sont en noir et blanc et muettes. L’action est
mise en valeur par les cartons, les titres et les intertitres, ou certaines techniques de
colorisation comme le teintage ou le virage. En 1915 et 1916, les nombreux films courts
réalisés constituent des petits sujets sur toutes les facettes de la guerre, et véhiculent
un discours engagé et patriotique.À partir de 1917, le savoir-faire des opérateurs de la
section et les exigences du public contribuent à l’évolution de la production vers un
réalisme accru. Les cadavres apparaissent à l’écran, les premiers assauts sont filmés en
juillet 1916 dans la Somme et sur la cote 304 à Verdun en juillet 1917. Outre les Annales
de la guerre, le catalogue de la section s’enrichit de films documentaires et de longs
métrages « récapitulatifs » 5. Certains films sont enfin tournés à partir d’un scénario
élaboré, avec des acteurs professionnels dirigés par un réalisateur chevronné 6.
5 Après l’Armistice et avec la démobilisation, la raison d’être de la SPCA disparaît. La
structure est dissoute par arrêté du 10 septembre 1919, les pellicules et les plaques
photographiques sont remises au ministère de l’Instruction publique, les hommes sont
démobilisés.
monteurs, dont beaucoup connaîtront une longue carrière dans le cinéma (Jean
Delannoy, René Le Hénaf, Marcel Ichac) sont dédiés à ce Journal de guerre. Les épreuves
de tournage sont soumises à la censure militaire au Grand Quartier général et à la
censure politique du commissariat à l’Information de Jean Giraudoux. Une fois validés,
les films sont sonorisés et commentés, grâce notamment à la voix des journalistes de la
radio nationale. Des copies sont diffusées en France, mais aussi dans les pays alliés et
neutres. La section devient une véritable firme d’actualités militaires, sous la brillante
direction du lieutenant-colonel Calvet, au détriment des maisons civiles dont les
infrastructures ne peuvent pas suivre. En avril 1940, le journal hebdomadaire est
complété par un magazine, Nouvelles du monde, dont seuls huit numéros paraîtront
jusqu’en juin 1940, date à laquelle la section doit se replier en Indre-et-Loire, puis à
Bordeaux. Malheureusement, une partie des archives du service confiées à une
camionnette militaire disparaissent entre Paris et Tours.
8 Avec la signature de l’armistice franco-allemand qui prévoit la démobilisation, l’effectif
du service est réduit à celui du temps de paix. En octobre 1940, le Service géographique
de l’armée (SGA), auquel la section était rattachée, devient un organisme civil, l’Institut
géographique national (IGN). La section cinématographique est alors subordonnée à la
Direction de l’artillerie, sous le nom de Service cinématographique des armées. En
novembre 1940, le service s’installe à Marseille dans les studios de la maison Pagnol.
Son organisation est repensée : il est désormais rattaché administrativement au service
du matériel, et dépend dans son travail du 3e bureau de l’état-major des armées pour ce
qui concerne l’instruction, et du cabinet du ministre (bureau de presse et propagande)
pour les autres productions. En août 1940, le lieutenant-colonel Calvet a été remplacé
par le commandant Brouillard, ancien du 2e bureau. Sous le pseudonyme de Pierre
Nord, celui-ci perpétue l’activité du service qui s’est vu attribuer par l’état-major la
mission de contribuer au message de redressement du pays prôné par l’État français et
d’avoir sur la troupe et sur la jeunesse un effet moralisateur. Dans les faits, le service
bénéficie d’une certaine indépendance pour réaliser les films d’instruction et de
propagande, dont le magazine La France en marche, initié par Pierre Nord, et des films de
long métrage. Il poursuit également son activité de cinémathèque des armées, en
assurant la diffusion de films divertissants et moralisants dans les unités de l’armée
d’armistice. À la fin de l’année 1941, il devient un « service civil du département de la
Guerre », avec les missions suivantes, « concourir à l’instruction et à l’éducation morale de
l’armée ; collaborer à la propagande faite soit pour favoriser le recrutement de l’armée, soit pour
mettre en valeur le rôle que joue celle-ci dans l’éducation morale du pays et dans la sauvegarde
de l’Empire » 8. Par ailleurs, en plus des annexes de la section à Alger et Rabat, des
centres de production sont créés pour les armées de Terre et de l’Air en Algérie, et pour
la marine au Maroc.
9 Le débarquement allié en Afrique du Nord et l’occupation de la zone sud de la France
par les Allemands, en novembre 1942, bouleversent cette organisation : de Marseille, le
service se replie à La Bourboule, dans le Puy-de-Dôme. Pierre Nord, recherché par les
Allemands, entre dans la clandestinité, laissant la direction au commandant Blech.
L’activité du service métropolitain entre dans une période d’atonie. En revanche, pour
les structures présentes en Afrique du Nord, comme la section d’Alger dont l’activité
s’était bornée depuis juin 1940 à la projection de films récréatifs, l’arrivée des alliés
marque le début d’une nouvelle ère. Des équipes renforcées permettent de couvrir les
opérations qui mèneront les troupes alliées et celles de la France libre de l’Afrique du
Nord à la Provence. Les ressources des trois armées sont mises en commun et l’on tente
d’obtenir des Américains du matériel et de la pellicule, qui n’arriveront qu’à l’été 1944.
À la Libération, le personnel du service se regroupe à La Bourboule avant de regagner
Paris le 1er septembre 1944. Le service produit alors le magazine France-Libre actualités et
des films d’instruction, tout en s’efforçant de rentrer en possession des films dispersés
ou saisis en 1940 par les autorités d’occupation allemandes. Les sections des trois
armées sont réunies, sous la direction du chef d’escadron Raphel, préféré au cinéaste
René Clair. Le service cinématographique des armées, organisme unique pour les trois
armées, est enfin créé par décret du 26 juillet 1946 ; il quitte en septembre 1947 ses
locaux dispersés dans la capitale pour s’installer au Fort d’Ivry.
BIBLIOGRAPHIE
Études concernant l’ensemble de la période :
DARRET (André), « Le cinéma au service de l’armée : 1915-1963 », Revue historique des armées, n°
2/1962, p. 121-131.
LE SEIGNEUR (Jacques) et MOUNIER (Claude), L'image au service de l'histoire ; histoire du cinéma aux
armées, ECPA, 1975.
RATTE (Philippe), Armée et communication, une histoire du SIRPA, SIRPA/ADDIM, 1989, 287 pages.
Images des 90 ans de l’ECPAD, colonel Yann PÉRON (dir.), ECPAD, 2005, 124 pages.
Présentation de l’ECPAD dans Patrimoine sonore et audiovisuel français : entre archives et témoignages,
LEMOINE (Hervé) et CALLU (Agnès) (dir.), Paris, Belin, 2004, 7 tomes.
BOROT (François), L’Armée et son cinéma, 1915-1940, thèse, université de Nanterre, 1986.
VÉRAY (Laurent), Les films d’actualités français de la Grande Guerre, Paris, éd. SIRPA/AFRHC, 1995.
DENIS (Sébastien), L’État, l’armée et le cinéma pendant la guerre d’Algérie, thèse, université Paris I,
2004.
ANNEXES
Le film documentaire : l’autre vie des archives
Dans un silence uniquement troublé par la voix pénétrante de Jacques Perrin, les
images défilent sur la toile blanche qui sert d’écran. Assis en cercle, les jeunes
spectateurs boivent les paroles de cette voix venue d’ailleurs tandis que leurs arrière-
grand-pères, ou même leurs grand-pères passent devant eux au rythme maladroit du
cinéma « d’époque ».
Nous sommes à Dakar, dans la cour du centre culturel français, en plein mois d’août.
Les élèves du secondaire viennent de découvrir La Force noire, un film documentaire
produit par l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la
Défense (ECPAD) et réalisé par Éric Deroo. Les applaudissements autant que les
questions qui fusent à la fin de la projection consacrent l’aboutissement d’un projet
audiovisuel de longue haleine. Fruit d’une patiente recherche documentaire et d’un
long travail de numérisation, La Force noire met les archives filmées du ministère de la
défense à la disposition du public en conjuguant sur une « galette » le traitement
documentaire, historique et scientifique d’un sujet ayant suscité polémiques, débats et
finalement intérêt pédagogique.
Traitement scientifique
Présenté la première fois en septembre 2007 aux derniers survivants des régiments de
tirailleurs sénégalais, le film a reçu un accueil ému comme si une partie de cette
mémoire commune était tout à coup éclairée des feux de la légitimité. Mais il est
intéressant d’observer au fil de la diffusion de La Force noire que le film, d’abord
catalyseur des débats, devient petit à petit le support des discussions et trouve un
public parmi les enseignants du secondaire.
Une tendance observée quantitativement aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois parmi
les personnes attachées à l’éducation nationale, au monde associatif combattant et aux
sociétés historiques. Cet intérêt s’est également confirmé à l’étranger puisque le film et
l’exposition pédagogique qui y est associée ont successivement voyagé à Dakar, Bamako
et Tananarive à la demande des instances dirigeantes de ces pays. Cette reconnaissance
étant due en grande partie à l’objectivité et au caractère rigoureux de la réalisation,
n’omettant aucun sujet sensible comme « Thiaroye » ou « le gel des pensions ».
Les bienfaits de la numérisation
Arrivant chez des spectateurs avant tout intéressé par l’information immédiate mais
vers lesquels les fresques historiques, qu’elles soient exactes ou non, trouvent un bon
écho, le documentaire, construit autour des archives, permet aussi de répondre aux
nouvelles interrogations qui sont suscitées dans la société comme, par exemple, la
restitution d’éléments patrimoniaux aux anciennes colonies. Mais surtout, en extirpant
la pellicule de sa boîte métallique et en lui permettant de devenir éternelle, le
conservateur, l’archiviste et le réalisateur offrent à la vision filmée originale la
possibilité d’être comprise car vue et analysée dans un contexte bien souvent apaisé ou
tout au moins expliqué.
Les bienfaits de la numérisation ne résident pas alors seulement dans la conservation
pérenne d’œuvres et de témoignages mais deviennent des sources d’information
immédiates, dont la diffusion s’accélère par l’intégration aux nouveaux médias.
Le documentaire : juge de paix ?
Ainsi aux moyens traditionnels de diffusion que sont la télévision et le DVD viennent
s’ajouter les millions d’ordinateurs connectés à Internet et pour lesquels les lourds
investissements financiers consentis pour la sauvegarde de cette mémoire prennent
toute leur justification. Le « média de demain » est avant tout celui d’aujourd’hui et
permet déjà aux images de voyager bien au-delà de la simple connaissance du fait
historique. Il offre également au public « profane » un accès à des situations ou à des
périodes historiques connues auparavant seulement au travers d’écrits ou, plus encore
dans le cas de La Force noire, véhiculées par la tradition orale.
Il importe donc que le travail de recherche, de documentation et de scénarisation soit
mené avec un réel souci de mise en perspective. L’image « militante » a existé et existe
encore mais dans la restitution de la mémoire, elle nécessite plus que jamais d’en
connaître les limites. Si elle a été manipulée, mise en scène et déformée grâce à l’image,
dès ses débuts, la réalité historique a cet avantage qu’elle se rappelle souvent à ses
pourfendeurs par les mêmes moyens.
Le documentaire comme juge de paix ? Sans doute pas. Mais comme facteur
d’apaisement, c’est un peu ce qu’ont voulu dire Lansana Diara et ses camarades
tirailleurs dans La Force noire quand ils nous ont adressé leurs sourires et leur fierté
d’avoir été les acteurs de notre histoire commune.
Chef de bataillon Jean-Luc Messager,
chef du pôle commercial, chargé du développement et de la diffusion de l’ECPAD
NOTES
1. En 1861, le photographe Disdéri présente au ministre de la Guerre, le maréchal Randon, son
rapport, De l’emploi de la photographie dans l’armée, des avantages qui peuvent en résulter, des moyens
pratiques de l’y organiser. Sur les représentations photographiques de la guerre, se reporter au
catalogue de l’exposition : Voir, ne pas voir la guerre, BDIC, Somogy, 2001, 351 pages.
2. Voir : AUBERT (Michelle) et SEGUIN (Jean-Claude) (dir.), La production cinématographique des Frères
Lumière, Paris, CNC-BIFI, 1997, 557 pages.
3. Cet article fait suite à celui d’André Darret, « Le cinéma au service de l’armée : 1915-1962 »
paru dans la Revue historique des armées en 1962.
4. L’inventaire des films encore conservés fait apparaître des lacunes très importantes : pour les
années 1915 et 1916, environ 50 % de la production manque à l’appel, contre seulement 14 % pour
1917-1919.
5. Le service de santé des armées est un cas particulier dans cette production : une centaine de
films lui sont consacrés, avec pour objet l’activité du service ou encore des interventions
chirurgicales enregistrées pour servir de films d’instruction.
6. Dix ans avant Belphégor, Henri Desfontaines réalise pour la SPCA L’Alsace attendait (1917), La
Femme française pendant la guerre (1918), Les Enfants de France pendant la guerre (1918).
7. Cité par J. Leseigneur, L'image au service de l'histoire ; histoire du cinéma aux armées,ECPA, 1975, p.
27.
8. Journal officiel cité par J. Leseigneur, op.cit.
9. Les plus emblématiques de ces films sont les saynètes Chiffonnard et Bonnaloy réalisées par
Pierre Lhomme en 1954.
10. Pierre Schoendoerffer raconte que les reporters ne développaient pas eux-mêmes leurs
pellicules, et qu’il a ainsi découvert ses images à son retour en métropole.
11. Grue légère portant une caméra au bout d'un bras articulé, du nom de ses inventeurs Lavalou
et Masseron.
RÉSUMÉS
En 1915, l’armée française se dote d’un outil spécifique pour produire des images, photographies
et films, qui serviront à l’information mais aussi à l’histoire de la guerre. La section
cinématographique de l’armée, supprimée en 1919, est recréée en 1939. Au sortir de la Deuxième
guerre mondiale, le service cinéma des armées devient interarmées et s’installe au fort d’Ivry,
tandis que le ministère s’organise dans le domaine de l’information et de la communication. Les
équipes de reporters du SCA gagnent leur surnom de « soldats de l’image » au cours de la guerre
d’Indochine et en Algérie. Après les conflits de décolonisation, les caméramans participent aux
opérations extérieures et contribuent à la réalisation de films d’instruction et d’information au
bénéfice de toutes les armées. Les évolutions techniques et le développement de la télévision puis
des nouvelles technologies de l’information permettent aujourd’hui une large diffusion de ces
images d’actualité et des archives cinématographiques de l’ECPAD.
Cinema in the service of defence, 1915-2008. In 1915, the French army had a special unit to produce
images, photographs and films, which provided information about, as well as, the history of the
war. The film section of the army, abolished in 1919, was recreated in 1939. After the Second
World War, the film service supported all the armed forces and operated out of Fort d'Ivry, while
the ministry functioned in the field of [public] information and communication. The teams of
reporters of the SCA gained their nickname "image soldiers" during the wars in Indochina and
Algeria. After the conflicts of decolonization, the cameramen became involved in field
operations and contributed to the making of training films and documentaries for the benefit of
all the armed forces. Technical advances and the development of television, as well as the new
information technologies, now allow wide dissemination of the cinematographic images and
archives of ECPAD.
INDEX
Mots-clés : cinéma, ECPAD
AUTEUR
VIOLAINE CHALLÉAT
Archiviste paléographe et conservateur du patrimoine, elle est chef du pôle archives à l’ECPAD
Claire Aslangul
productions divertissantes, qui font oublier les rigueurs du conflit. Évoquer le cinéma
dans la guerre, c’est donc aussi, paradoxalement, parler d’une certaine éviction de la
guerre au cinéma – du moins dans le film de long métrage, car d’autres documents
montrent au contraire les combats à l’envi. Nous verrons à cet égard le rôle
complémentaire des différentes images filmiques. Mais pour comprendre les stratégies
mises en œuvre par les dirigeants nazis, il faut commencer par présenter leurs
conceptions en matière de cinéma et les moyens qu’ils se sont donnés pour les
concrétiser.
film, par sa capacité à agir prioritairement sur le sens poétique et l’émotion, donc sur ce qui ne
relève pas de l’intellect, a, d’un point de vue de la psychologie des masses et de la propagande, un
effet particulièrement profond et durable. » 10 La foi des nazis en leur propagande
cinématographique se révèle dans des épisodes tristement célèbres : on sait par
exemple que le film Le Juif Süss (Jud Süss) était projeté aux commandos SS comme
« mise en condition » avant les exécutions de masse 11. Le film Retour au foyer
(Heimkehr), une des productions-clés de la propagande nazie, utilise un intéressant
procédé de « mise en abyme » pour montrer, dans le film lui-même, la puissance
mobilisatrice du cinéma : le tournant est constitué par un épisode où un couple
d’Allemands de Pologne, pendant une projection, refuse de chanter l’hymne polonais
qu’entonnent des spectateurs transportés par le visionnage des actualités montrant
leurs troupes en parade…
6 Le régime nazi reconnaît aussi très rapidement la capacité du film à « chasser l’ennui et
les soucis » 12, bref à divertir les populations au sens étymologique du terme. Dans son
nazis : ils sont conçus pour attirer le spectateur dans les salles obscures 20, où il devra
subir le martèlement des actualités.
et le spectateur garde en mémoire la mélodie de la bande son, qui deviendra l’une des
chansons les plus populaires de la Seconde Guerre mondiale, au titre éminemment
consolateur : « Un jour, un miracle se produira » (« Es wird einmal ein Wunder geschehen »).
Mais il s’agit bien d’un film de propagande guerrière, au cours duquel l’héroïne,
incarnée par Zarah Leander, apprendra l’abnégation et le sens du devoir. D’ailleurs,
comme Concert pour la Wehrmacht, Le grand amour contient des scènes tirées des
actualités tournées sur le front. Et il s’achève sur le couple réuni, qui regarde confiant
vers l’avenir, tandis que le ciel est traversé par des escadrons de bombardiers
allemands.
24 Les différentes formes de documents filmiques visaient à un conditionnement total de
la population, avant et pendant la guerre. Les documentaires et les actualités, avec leur
valeur de « preuve objective », faisaient davantage appel à la raison, au bon sens
commun, tandis que des comédies, dessins animés divertissants, mélodrames et
publicités misaient essentiellement sur l’imagination. La manipulation des émotions
était assurée par d’éloquentes bandes son, commentaires guidant l’interprétation ou
musique habilement choisie. La guerre dans la production filmique nazie apparaît ainsi
comme un thème chatoyant : la guerre « réelle » y est tantôt un véritable sujet, avec ses
héros et ses martyrs, tantôt un simple décor et l’arrière-plan des actions individuelles ;
le combat des bons contre les méchants apparaît de manière plus pernicieuse dans des
productions qui déplacent la lutte dans d’autres temps et d’autres lieux.
25 Diffuser les valeurs essentielles à l’engagement puis à la poursuite des hostilités (le sens
du devoir, le respect de l’autorité, la fidélité jusqu’à la mort), mais aussi faire oublier les
rigueurs du sacrifice, voilà donc ce que devait permettre le cinéma. On ne saurait
évaluer précisément dans quelle mesure l’image animée a effectivement rempli le rôle
que lui avaient assigné les dirigeants nazis ; il n’en reste pas moins qu’elle apparaît
comme un facteur important dans le soutien de la population à la politique
expansionniste de Hitler. Et c’est bien mus par l’idée d’un cinéma de propagande
dangereusement efficace que les alliés, après 1945, ont interdit de diffusion la plupart
des films évoqués dans cet article 28…
ANNEXES
Extraits du discours de Joseph Goebbels à la Chambre cinématographique du Reich, le
15 février 1941. Traduit d’après l’original reproduit in : ALBRECHT (Gerd), Der Film im 3.
Reich, Karlsruhe, Schauburg & Doku Verlag, 1979, p. 70-97.
« Nous autres Nationaux-socialistes sommes les premiers à avoir eu une représentation pratique
de la totalité de la guerre, c’est-à-dire de l’implication absolue et entière de tout le peuple dans la
guerre, (…) loin de l’idée réactionnaire que la guerre serait seulement le fait des soldats (…). C’est
pourquoi nous avons engagé dans le domaine spirituel et psychologique les préparatifs
nécessaires pour ne pas devoir revivre un drame national similaire à celui du 9 novembre 1918.
(…)
Pour cette raison, ce que nous entendons par propagande, le combat pour l’âme d’un peuple,
prend une autre signification (…). Il ne s’agissait pas pour nous avant tout ou seulement de
conquérir le pouvoir, mais de conserver le pouvoir et de mettre en œuvre tous les facteurs
pouvant nous assurer la conservation de ce pouvoir et du peuple ; le peuple devait garantir notre
pouvoir. Cela veut donc dire que nous devions transporter dans l’esprit de la masse des schémas
de pensée lapidaires, (…) nous devions les rendre primaires, simples, les brosser à grands traits,
de sorte que n’importe quel homme de la rue soit en mesure de les comprendre. (…)
Le film n’est dans ce contexte pas seulement un moyen de distraire, c’est un moyen pour
éduquer, (…) éduquer un peuple à faire valoir ses revendications vitales. Cela, le film peut le faire
cependant aussi par le moyen du divertissement. (…) Il est d’ailleurs tout à fait conseillé de
dissimuler le rôle pédagogique (du cinéma), de ne pas le laisser apparaître au grand jour, d’agir
selon le principe que l’intention ne doit pas être remarquée si l’on ne veut pas ennuyer. C’est bien
cela, le vrai grand art, éduquer sans monter sur scène avec la revendication de l’éducateur,
réaliser certes une mission d’éducation, mais sans que l’objet de l’éducation ne remarque en
aucune manière qu’il est éduqué, c’est cela, d’une manière générale, la véritable mission de la
propagande. La meilleure propagande, ce n’est pas celle dans laquelle les véritables éléments de
la propagande sont visibles, la meilleure propagande, c’est celle qui pour ainsi dire agit de
manière invisible, qui imprègne toute la vie publique sans que les gens, d’aucune manière que ce
soit, aient la moindre conscience qu’il s’agit d’une initiative propagandiste. »
NOTES
1. Lettre de Ludendorff au ministère de la Guerre le 4 juillet 1917, citée in : W OLFGANG (Jacobsen),
ANTON (Kaes), H ELMUT (Prinzler Hans), Geschichte des deutschen Films, Stuttgart/Weimar, Metzler,
2004, p. 37.
2. ROFFAT (Sébastien), Animation et propagande. Les dessins animés pendant la Seconde Guerre mondiale,
Paris, L’Harmattan, 2005, p. 15.
3. HITLER (Adolf), Mein Kampf (1925), Munich, Eher, 1934, p. 739.
4. Cf. le discours de politique étrangère d’Hitler à Munich, le 10 novembre 1938 : « Il était
nécessaire de changer progressivement la psychologie du peuple allemand et de lui montrer lentement qu’il
y a des choses qui, quand on ne peut pas les obtenir par des moyens pacifiques, doivent être imposées par la
force. Pour cela, il fallait non pas propager la violence en tant que telle, mais présenter au peuple allemand
certains faits (…) de telle manière que ce soit la voix intime du peuple lui-même qui finisse lentement par
réclamer, à corps et à cris, la violence. », cité d’après W OLFGANG (Michalka) (éd.), Das Dritte Reich, vol 1,
Munich, DTV, 1985, p. 262.
5. Suite à la réalisation par Disney de films antinazis, les dessins animés américains sont
interdits de diffusion en Allemagne. Goebbels se vante pourtant de pouvoir se les procurer pour
contenter le Führer : « J’ai offert au Führer 12 films de Mickey Mouse pour Noël. Il se réjouit de ce trésor
», note-t-il dans son journal le 20 décembre 1937. Voir les documentaires de Ulrich Stoll, Quand
Hitler rêvait de Mickey – Dessin animé et croix gammée, De Campo, WDR, ARTE, 1999, et Sharon K
Baker, Cartoons go to war, Teleduction, A&E Network, 1995.
6. C ARSTEN (Laqua), Wie Micky unter die Nazis fiel. Walt Disney und Deutschland, Reinbek, Rohwoldt,
1992.
7. Cette continuité/complémentarité entre « guerre des esprits » et « guerre sur le terrain »
apparaît bien dans la première phrase de l’accord conclu entre Goebbels et le chef de la
Wehrmacht, le général Wilhelm Keitel, à propos de la mise sur pied des « compagnies de
propagande » qui accompagneront bientôt les troupes :« La guerre de propagande est reconnue dans
ses principes essentiels comme aussi importante dans la conduite du conflit que la guerre des armes »,
d’après : HOFFMANN (Hilmar), Und die Fahne führt uns in die Ewigkeit“. Propaganda im NS-Film,
Francfort, Fischer Taschenbuch, 1988, p. 288.
8. Discours du 28 mars 1933.
9. D’après : L EISER (Erwin), "Deutschland erwache!". Propaganda im Film des Dritten Reiches, Reinbek,
Rowohlt, 1968, p. 40.
10. Hippler dans le journal Film-Kurier du 5 avril 1944, cité ici d’après Hoffmann, 1988, op.cit., p. 5.
11. COURTADE (Francis), CADARS (Pierre), Histoire du cinéma nazi, Paris, Eric Losfeld, 1972, p. 196.
12. Goebbels, discours du 28 mars 1933.
13. O’ BRIEN (Mary-Elizabeth), Nazi cinema as enchantment. The politics of entertainment in the Third
Reich, New York, Camden House, 2004.
14. Cf. son discours à la chambre cinématographique du Reich le 15 février 1941. On notera au
passage que parmi les difficultés qui surgissent pour qui analyse de nos jours les films nazis, il y a
justement celle qui est de saisir à sa juste mesure l’intention propagandiste, car en visionnant ces
documents, on est tenté de voir partout de la propagande, ou de ne plus la voir nulle part à force
d’y être plongé. Et on risque aussi de commettre des contresens, car certaines allusions nous sont
aujourd’hui difficilement déchiffrables : les images filmiques ne prenaient autrefois leur sens
qu’insérées dans un réseau d’images courantes pour le public de l’époque – photos de presse,
affiches, illustrations des livres pour enfants, cartes postales, etc.
15. Cf. Courtade & Cadars, 1972, op.cit., p. 31. D’une manière générale, la période nazie étant une
page sombre de l’histoire du cinéma, on est embarrassé de parler des prouesses techniques (et
esthétiques) des années 1933-1945. La diffusion des films de Leni Riefenstahl, par exemple,
provoque chaque fois le même type de controverse. Il faut pourtant bien reconnaître que la
période nazie a été un puissant vecteur de modernisation de l’industrie cinématographique, et le
champ d’expériences artistiques qui ont laissé une empreinte durable sur la culture visuelle de
toute la suite du XXe siècle. Pour une discussion critique de cet épineux sujet et notamment le
décryptage de l’influence de L. Riefenstahl sur le cinéma contemporain, voir par exemple : K ULLER
(Christiane), « Der Führer in fremden Welten : das Star-Wars-Imperium als historisches
Lehrstück ? », Zeithistorische Forschungen/Studies in Contemporary History, 3 (2006).
16. D ELAGE (Christian), La vision de l’histoire à travers le cinéma documentaire du Troisième Reich,
Paris, L’âge d’homme, 1989.
17. H OFFMAN (Kay), « “Nationalsozialistischer Realismus” und Film-Krieg. Am Beispiel der
“Deutschen Wochenschau” », in : Segeberg Harro (éd.), Mediale Mobilmachung. Das Dritte Reich und
der Film, Munich, Fink, 2004, p. 151-180.
18. AGDE (Günter), « Das Ornament der Sache. Werbe- und Trickfilm im Dritten Reich », Segeberg,
2004, op.cit., p. 45-70.
19. Un seul ouvrage français prend au sérieux les dessins animés comme media privilégié de la
propagande : voir Roffat, 2005, op.cit. Et si l’Allemagne y est bien présentée, il manque encore une
monographie sur le sujet ; en Allemagne, les ouvrages sur le film d’animation donnent le plus
souvent une place marginale à période nazie en particulier et à la potentielle dimension
propagandiste du support en général (voir par exemple : S CHOEMANN (Annika), Der deutsche
Animationsfilm. Von den Anfängen bis zur Gegenwart 1909-2001, Gardez ! Verlag, Sankt Augustin,
2003).
20. Le journal hollandais Film en Kultuur de mars 1944, commentant la diffusion du dessin animé
Verwitterte Melodie qui a bien rempli cette fonction : « Il faut bien avouer que l’amateur des salles
obscures n’aime pas rater les dessins animés. (…). Il y a tellement de choses qui nous manquent pendant la
guerre. On s’est ainsi habitué à ne plus voir de dessins animés américains. Mais voilà qu’arrivent sur les
écrans, et en couleurs, ces sympathiques animaux. »(cité par Roffat, 2005, op.cit., p. 75).
21. DOMENACH (Jean-Marie), La propagande politique, Paris, PUF, 1954.
22. « Il est mauvais de donner à la propagande les nuances que l’on trouve par exemple dans un
enseignement scientifique. La capacité d’absorption de la grande masse n’est que très limitée, sa
compréhension faible, et en même temps sa capacité à oublier très grande. À partir de ces constats, il faut
que la propagande se limite à un très petit nombre de points et qu’elle martèle ces derniers jusqu’à ce que
l’homme le plus simple parvienne à se représenter ce qu’on veut qu’il se représente », Mein Kampf, op.cit.,
p. 198.
23. Cf. le thème et les illustrations du livre pour enfants d’Elvira Bauer, édité en 1936 par Julius
Streicher aux éditions Stürmer : « Ne te fie pas au renard dans le vert champ, ni au Juif dans son
serment! (Trau keinem Fuchs auf grüner Heid und keinem Jud bei seinem Eid!) », ou le dessin animé Le
petit arbre qui voulait d’autres feuilles (Vom Bäumlein, das andere Blätter hat gewollt, 1940): le Juif
cupide qui dépouille l’arbre de ses feuilles d’or est accompagné du renard et du corbeau.
24. Pour l’écrivain Jelinek Elfriede, qui a inséré dans sa pièce Burgtheater des extraits de
dialogues de ce film, c’est « le film le plus terrible de la propagande nazie », cf. l’interview de Jelinek
dans le magazine Format,15 mai 2000. Pour une présentation de l’intrigue et des procédés à
l’œuvre dans ce film, voir : TRIMMEL (Gerald), Heimkehr (Strategien eines nationalsozialistischen Films),
Vienne, Werner Eichbauer, 1998.
25. Dans Le Juif éternel, la version destinée aux femmes et aux enfants fait l’économie de la scène
de la fin, dans laquelle on voit l’abattage rituel des animaux, qui doit présenter les Juifs comme
des « barbares » et légitimer leur exclusion, voire leur élimination. On soulignera que la loi du
16 février 1934 ayant aboli l’interdiction d’entrée dans les cinémas pour les moins de 6 ans, des
enfants très jeunes, avant même leur entrée dans la Hitlerjugend, peuvent assister aux séances
entières… et voir y compris le(s) documentaire(s) et les actualités !
26. Les Allemands ont inventé à ce propos une catégorie de films spécifique, les Durchhaltefilme ;
littéralement, ce sont les « films qui aident à tenir ».
27. On pourrait citer ici aussi D III 88, de1939, et L’escadron Lützow (Kampfgeschwader Lützow)
de1941.
28. Cf. le site www.filmportal.de, sur les critères d’interdiction actuels en Allemagne («
Kriterienkatalog verbotener NS-Filme »). Je tiens ici à remercier les personnes suivantes, qui ont mis
à ma disposition leurs archives privées et m’ont aidée lors de la recherche documentaire : F.Beau,
dessinateur de films animés, S.Roffat et E. Glon, chercheurs, B.Capitain (Deutsches Filminstitut,
Wiesbaden), P.Feindt (Institut des wissenschaftlichen Films, Göttingen), A. Eckardt (Deutsches Institut
für Animationsfilm, Dresde).
RÉSUMÉS
Les dirigeants nazis ont reconnu précocement que le cinéma était « l’un des moyens de
manipulation des masses les plus modernes »(Goebbels, 1934). Des moyens considérables ont alors été
réquisitionnés pour soutenir la politique expansionniste de Hitler et remporter également la
« guerre culturelle ». Au-delà de la diffusion de valeurs martiales, les images filmiques devaient
aussi divertir et faire oublier les rigueurs du conflit. Films historiques et de fiction,
documentaires, « actualités », dessins animés, publicités : avec des stratégies de communication
extrêmement raffinées, le régime a encouragé le développement de productions
cinématographiques aux fonctions complémentaires, et a fait des salles obscures un véritable lieu
de « culture populaire ». Difficiles d’accès, car soupçonnés d’être aujourd’hui encore très
efficaces, les documents filmiques de cette époque méritent l’attention des chercheurs, qui ont
longtemps négligé certaines sources comme les dessins animés.
War and Cinema in the Nazi era: Movies, documentaries, news, and cartoons in the service of
propaganda.The Nazi leaders recognized early that cinema was “one of the most modern means of
manipulating the masses” (Goebbels, 1934). Considerable resources were then requisitioned to
support the expansionist policies of Hitler and also win the “cultural war”. Beyond the spread of
martial values, film images could also entertain and make people forget the hardships of the
conflict. Fictional and historical films, documentaries, “news”, cartoons, and advertisements:
With communication strategies extremely refined, the regime encouraged the development of
film productions in complementary areas, and made obscure theatres a veritable place of
“popular culture”. Difficult to access, due to suspicions of its still being very effective, the film
footage of that era deserve the attention of researchers, who have long viewed some sources as
cartoons.
INDEX
Mots-clés : Allemagne, cinéma, Deuxième Guerre mondiale, propagande
AUTEUR
CLAIRE ASLANGUL
Normalienne, agrégée d’allemand, diplômée de Sciences-po Paris et docteur en études
germaniques, Claire Aslangul est maître de conférences à l’université Paris IV-Sorbonne. Ses
travaux portent sur la culture visuelle de la guerre dans les œuvres d’art, cartes postales et
affiches du XXe siècle.
1 À la fin des années 1930, dans un contexte de plus en plus marqué par une possible
guerre contre l’Allemagne, le potentiel de l’outil cinématographique en matière de
propagande et de contre-propagande commence a être pris au sérieux par le
gouvernement français. Une circulaire du 25 octobre 1937, signée par le directeur du
service de contrôle des films Edmond Sée, modifie le fonctionnement de la censure en
refusant notamment le visa de production aux films tendant à ridiculiser l’armée ou
susceptibles d’amoindrir son prestige, à ceux pouvant porter atteinte aux sentiments
nationaux des peuples étrangers et ainsi provoquer des incidents diplomatiques.
Ensuite, la circulaire indique que la commission n’accorderait son visa qu’aux films de
guerre et d’espionnage ainsi qu’aux films à scénario militaire ou policiers de toute
nature 1. En effet, les sujets concernant l’armée sont très présents à cette époque dans
la production française : on retrouve à l’écran la figure du militaire dans le film
colonial, le film d’espionnage, la représentation de la Première Guerre mondiale (La
Grande illusion de Jean Renoir sort en 1937), mais aussi d’une manière moins reluisante
dans le comique troupier qui connaît alors un grand succès. La Défense nationale a son
mot à dire dans ce domaine, à la fois en matière de censure, en siégeant à la
commission de contrôle, et, en matière de production, en mettant à disposition de
divers productions du matériel et des troupes ; toutes ces questions sont du ressort de
la Section cinématographique de l’armée (SCA) 2. Cette dernière est l’héritière de la
Section photographique et cinématographique de l’armée (SPCA) créée pendant le
premier conflit mondial et chargée de prendre des images de guerre 3, puis dissoute en
septembre 1919. L’année suivante, le ministère de la Guerre se dote d’une Section
d’enseignement par l’image bientôt appelée Section cinématographique, rattachée au
Service géographique de l’armée (SGA), qui s’attelle à produire des films d’instruction ;
à sa tête, on retrouve des hommes de qualité 4, aidés par des techniciens venant des
firmes civiles lors de leur service militaire. En 1926, le capitaine Joseph Calvet 5 prend la
Le cinéma mobilisé
2 Le 29 juillet 1939 est créé le Commissariat général à l’information (CGI) dirigé par Jean
Giraudoux, chargé d’organiser, d’animer et de coordonner les services d’information et
de propagande français 7. Un service cinéma en fait partie, d’abord dirigé par Yves
Chataigneau puis par l’avocat Henry Torrès. Si l’un des objectifs de départ de ce service
est de produire des films de propagande comme Sommes-nous défendus ?, son travail est
peu à peu absorbé par la censure. Dans cette organisation, quel est le rôle joué par la
Section cinématographique de l’armée dès le début de la guerre ? Tout d’abord, la SCA
voit ses effectifs renforcés en septembre 1939 avec la mobilisation d’opérateurs de
prises de vues des firmes d’actualités mais aussi de l’industrie privée avec l’arrivée,
entre autres, de Jean Renoir dont Calvet note qu’il a été « volontaire pour des prises de
vues aux armées, il en a réalisé en Alsace de tout premier ordre. Technicien de valeur, très épris
de son art, excellent camarade et militaire au port correct » 8.Des équipes d’opérateurs sont
constituées au sein des groupes de canevas de tir des neuf corps d’armée et dépendent
du 6e groupe autonome d’artillerie ; leur rôle est de filmer et de photographier 9 le front
mais aussi de divertir la troupe en organisant des projections 10. Mais l’heure n’est plus
aux films d’instruction et les images prises sont envoyées à la section, qui délaisse ses
quartiers sis boulevard Mortier pour s’installer au début des hostilités dans les locaux
de la Gaumont au 35 rue du Plateau dans le 20e arrondissement de Paris. Les prises de
vues servent à la confection du Journal de guerre dont le montage est notamment
effectué par le réalisateur Jean Delannoy. Pendant la « Drôle de guerre » et jusqu’en
mai 1940, son contenu est composé pour l’essentiel d’images de scènes de vie dans les
armées 11; ce journal hebdomadaire filmé a la particularité d’être projeté à la troupe par
les équipes de la section cinématographique, ainsi qu’en Europe et en Amérique du
Nord, mais non dans les salles de métropole, résultat de l’accord réservant la projection
d’images du front aux firmes d’actualités et à leurs journaux. Les intérêts de la presse
filmée sont représentés par Roger Weil-Lorac 12 qui travaille en liaison constante avec la
SCA, seule habilitée à filmer dans la zone des armées et dont les images sont soumises à
la censure exercée par des officiers du Grand Quartier général. De son côté, le Service
cinématographique de la marine (SCM), dirigé par le commandant Coquelin, est chargé
de la distraction des équipages, de la production de films de propagande en liaison avec
l’industrie privée comme Marine 39 et Front de mer, mais ces films intègrent aussi les
images tournées par ses propres opérateurs embarqués. Enfin, le Service
cinématographique de l’Air 13 (SC Air), installé rue Saint Didier à Paris sous les ordres
du capitaine Lasquellec, fait un travail comparable dans son emploi à celui de la SCA
tout en mettant l’accent sur des techniques spécifiques comme les prises de vues au
ralenti et les photographies panoramiques continues réalisées à bord d’avion. Au mois
de juin, les images de Narvik et de la bataille de Dunkerque sont diffusées dans le
dernier numéro du Journal de guerre et devant l’avancée allemande, la Section
cinématographique de l’armée se replie sur Ballan-Miré 14, à partir du 19 juin 1940,
avant de repartir pour Sauveterre Saint-Denis où son personnel est démobilisé le
15 août (le SC Air se replie quant à lui sur Amboise puis Toulouse). Les films négatifs de
la section, demeurés en Touraine, sont ultérieurement découverts et pris par les
Allemands 15.
L’armée de Vichy
3 Quel est le devenir du cinéma au sein de l’armée d’armistice ? Avec l’État français, on
assiste à une remise en cause de l’industrie cinématographique avec comme leitmotiv
de préserver l’indépendance de cet outil vis-à-vis des Allemands. C’est ainsi qu’est créé
le Comité d’organisation de l’industrie cinématographique (COIC) chargé de défendre
les intérêts du cinéma français 16, et un journal d’actualités unique Journal France-
Actualités-Pathé commence à être diffusé le 15 octobre 1940. Dans l’armée, il est clair
qu’un service cinématographique subsiste et tente de s’organiser après divers aléas. En
effet, le SGA, tutelle de la section cinéma, est dissous dès le mois de juin pour donner
naissance à l’Institut géographique national rattaché au ministère des
Communications ; le matériel de la section est convoité par le nouveau service
cinématographique de l’information, héritier de celui du CGI. Mais grâce à
l’intervention du secrétaire d’État à la Guerre, le général Huntziger, évoquant
l’importance du service « pour l’instruction et la récréation de la troupe [qui] s’est encore
accrue dans l’armée d’armistice à laquelle nous devons consacrer tous nos soins » 17, une entité
cinématographique reste ainsi au sein de l’institution militaire. Comment expliquer
cette volonté des chefs de l’armée de garder un service cinéma ? Tout d’abord, le
général Huntziger 18 est un des seuls à croire au potentiel de l’image animée et ce dès la
campagne de 1940 ; ensuite dans le grand dessein qui est de donner un rôle moteur à
l’armée dans la refondation du pays, le cinéma trouve sa place car son potentiel en
matière d’instruction doit permettre de mettre en pratique les directives du 3 e bureau
de l’armée, dont certains officiers, à l’instar de son responsable le colonel Touzet du
Vigier, sont favorables à une reprise des combats. La direction du nouveau service
cinématographique de l’armée est confiée, à partir du 15 décembre 1940, au
commandant André Brouillard. Cet officier, saint-cyrien, s’est distingué pendant la
guerre du Rif et écrit des romans d’espionnage sous le pseudonyme de Pierre Nord,
dont il signe certaines adaptations pour le grand écran. À la déclaration de la guerre,
Brouillard est chef des services spéciaux de la 9e armée, capturé, il s’évade et travaille
un temps à l’office central de traduction. Les raisons de sa nomination en tant que chef
de service ne sont pas exactement connues, mais l’on sait qu’il signe un mémento
développé sur l’utilité et les risques du cinéma en matière de propagande et qu’en tant
que patriote et militaire, ancien des réseaux Corvignolles 19 et du Centre d’informations
et d’études du colonel Groussard, il fait partie de ces hommes de droite qui ont comme
projet de continuer le combat contre l’occupant 20.
4 Dès le début de l’année 1941, le SCA devient un service civilisé au sein de l’armée
d’armistice et dépend du service du matériel, mais il n’aura une autonomie complète
qu’à partir de janvier 1942. Le service se trouve en ordre de marche avec comme
mission principale la production « des films d’instruction et d’action morale au profit de
l’Armée, des films de propagande en faveur des engagements et des rengagements, des films
mettant en valeur le rôle de l’Armée dans l’éducation morale du Pays, et dans la sauvegarde de
l’Empire »21. Afin de mener à bien ce programme, le commandant Brouillard se trouve à
Vichy où il est en liaison avec les autorités auxquelles il propose les scénarii à tourner :
le 3e bureau pour les questions d’instruction et le cabinet du secrétariat d’État à la
Guerre pour les questions de propagande 22. L’équipe technique est regroupée au 360
rue Paradis à Marseille, dirigée par Jean Blech et secondé notamment par Jean Velter
chargé du cinéma d’instruction et André Vuatrin pour la diffusion ; ces officiers étaient
déjà présents à la section cinématographique dans les années 1930, élément important
pour une bonne relance de l’activité du service. Le personnel s’élève à 113 personnes
dont près de la moitié sont des techniciens, parfois venus du cinéma privé et engagés
sous contrat. Dans ce dispositif, la réalisation de films d’instruction s’avère être la
priorité du chef du SCA et il est indéniable que les sujets abordés le sont dans l’optique
de préparer la troupe à une possible reprise des combats ; ainsi à l’été 1941, se trouve
terminé un film ayant pour thème l’emploi des explosifs et la mise en chantier d’un
film« d’une certaine ampleur au sujet de l’emploi offensif des unités de l’armée d’armistice » 23;
une partie des tournages s’effectue au camps de Caylus. Un autre volet, et non des
moindres, consiste en la livraison de scènes militaires aux actualités filmées (voir
tableau), mais le rapprochement franco-allemand dans le domaine de la presse filmée
aboutit à la création du journal unique France-Actualités et pousse Brouillard à
développer sa coopération avec le magazine La France en marche produit par Verdet-
Kleber. Ainsi le SCA participe à la production de divers documentaires sur la vie
militaire, interdits de diffusion en zone nord 24 , pour cette société ; d’autre part, le
service réalise des films de propagande avec la mise en avant des troupes d’élite de
l’armée d’armistice, tel le titre Cavalerie française sur le 2 e régiment de dragons du
colonel Schlesser basé à Auch. L’Empire est loin d’être oublié et des équipes 25
sillonnent l’Afrique française pour montrer l’œuvre de l’armée d’Afrique, notamment
auprès des populations du désert ; de même, l’opérateur Potentier est envoyé en Syrie
pour couvrir les événements de l’été 1941. Parallèlement, André Brouillard, en tant
qu’homme de cinéma, s’attelle à produire des films romancés sous son nom de plume.
Un projet intitulé Et d’abord de la tenue est abandonné par manque de costumes
historiques, mais le film La Belle vie 26 est bel et bien réalisé par Robert Bibal et évoque
les raisons de l’engagement de quatre hommes aux origines différentes. Or le film est
mal reçu, car le SCA, étant un service d’État, ne peut concurrencer les productions
privées. Finalement, le général Huntziger demande à ce que le long métrage soit
découpé en quatre parties. Si l’on veut dresser un bilan de l’activité du SCA pour les
années 1941 et 1942, il semble avoir rempli sa mission au vu des 124 films produits
(instruction, actualités, documentaires et deux films romancés) et des 173 reportages
photos effectués 27. En novembre 1942, le coup de tonnerre que constitue l’occupation
par les Allemands de la zone libre change la physionomie du service. En premier lieu,
André Brouillard rejoint la clandestinité où il joue un rôle important comme agent de
renseignement au sein du réseau Eleuthère et l’on peut affirmer qu’à la tête du SCA, il
mena certaines actions au vu des reproches qui furent faits sur ses nombreux
déplacements en voiture, notamment sur la côte sud-est. Henri Fabiani 28, jeune
opérateur de prises de vues sous contrat en 1941, évoquait quant à lui la présence de
caisses de munitions au sein du matériel technique lors de déplacements en zone libre.
5 Après le départ de Brouillard, le SCA se replie à la Bourboule (Puy-de-Dôme) avec à sa
tête le commandant Jean Blech ; l’équipe en place profite du déménagement pour
camoufler du matériel « de prises de vues et ses archives dans la montagne, en particulier sur
la commune de Murols. Une autre partie de ce matériel était stockée chez des paysans aux
alentours même de la Bourboule : c’était le cas pour les lampes de projection et les tubes radio
(…). C’est ce matériel qui a permis au SCA de reprendre rapidement l’activité qu’il a eu dès
septembre 1944 »29. Sur place, le service ne bénéficie que d’une pension de famille pour
installer son matériel et son effectif tombe à 71personnes ; quant à son activité, elle se
heurte au manque de pellicule qui frappe l’ensemble du territoire. Le SCA 30 réalise des
reportages photographiques et quelques films au profit de la garde et des chantiers de
jeunesse avant de se lancer dans un grand projet de long métrage, qui ne verra jamais
le jour, sur la vie du général révolutionnaire Marceau avec comme réalisateur Henri
Decoin. L’entité cinématographique de la marine, notamment avec des annexes à
Casablanca et à Dakar, subsiste et travaille principalement à des productions
documentaires pour La France en marche.
La France libre
6 Même s’il est embryonnaire à sa création, un service cinématographique existe dès
juillet 1940 à Londres. Son noyau dur est constitué de Français ralliés d’origine
anglaise : le sous-lieutenant Francis Mac Connel, ancien chef de la mission de la SCA en
Norvège en 1939-1940, et Jacques Curtis appelé au SCM qui rejoint Londres après un
périple par le Portugal. Avec un budget minimum, du matériel est acheté, une caméra
et de la pellicule sont prêtées par la Paramount ; l’équipe constituée accompagne le
général de Gaulle dans son périple africain qui commence au mois de septembre avec
l’opération Menace et le projet de débarquement sur Dakar. Dépendants du 2 e bureau,
les opérateurs sont dotés d’une autorisation leur permettant de filmer et photographier
dans tous les territoires britanniques sous contrôle des Forces françaises libres 31.
Parallèlement, le quartier-maître Guy Mas s’occupe des questions cinématographiques
et photographiques au sein du service de propagande des Forces navales françaises
libres (FNFL), il met d’abord en place des séances de cinéma récréatif à bord des navires
français, puis petit à petit filme et photographie les activités FNFL dans tout le
Royaume-Uni, ce qui s’avère être un programme chargé 32. Conjointement, le service de
l’information se dote, dès la fin de l’année 1940, d’un bureau photographique et cinéma
dirigé par Claude Divonne de Boisgelin ; dans un premier temps, le manque de
personnel français fait que les photographies sont faites par des reporters anglais et la
Paramount assure l’exclusivité des prises de vues pour la France libre, avant que
Maxime de Cadenet n’intègre le service en tant que cinéaste et le renfort de Guy Mas.
7 Après le débarquement manqué de Dakar, le SCA des FFL suit la 1 re division française
libre jusqu’à Damas. À Beyrouth, il se trouve rattaché au Service d’information et de
radiodiffusion du gouvernement provisoire du Levant à partir de septembre 1941.
L’équipe initiale est renforcée par la venue de Jean Bramy, ancien chauffeur du général
de Gaulle, et Jean Costa 33 ; malgré des problèmes d’infrastructure liés notamment au
est créée avec comme buts la constitution d’archives de guerre pour les besoins
historiques, l’instruction avec l’adaptation et la projection de films de l’armée
américaine et éventuellement la production de films d’instruction, la propagande avec
l’édition d’un Journal de guerre, enfin la distraction de la troupe sous le contrôle du 2 e
bureau ; en parallèle, des sections air et marine font partie du service. Le SCA recrute 43
alors des cameramen comme Raymond Méjat et Roger Monteran, anciens reporters en
AFN pour France-Actualités, mais ces derniers doivent venir avec leur propre caméra ; en
outre, une partie du personnel et du matériel, notamment un camion Optiphone équipé
pour les prises de son, provenant de l’équipe du film romancé Destin venu en tournage à
Colomb Bechar juste avant le débarquement, se trouvent intégrés 44. Le siège du service
se trouve 8 rue Wembrenner à Alger et il est dirigé par le commandant Raphel depuis le
mois de juillet 1943. Pendant l’année 1944, des tractations seront menées pour confier
les rênes d’un SCA aux compétences étendues en prévision de la libération du territoire
national au cinéaste René Clair exilé à Hollywood ; celles-ci n’aboutiront pas pour un
faisceau de raisons à la fois politiques et personnelles 45. D’autre part, un fait majeur en
matière de propagande filmée intervient avec la création à Alger en avril 1943 de
l’Office français d’information cinématographique (OFIC) dépendant du commissariat à
l’Information, chargé de « la production, la distribution et la présentation à titre onéreux ou
gratuit de films d’intérêt national concernant les actualités, la propagande ou l’éducation, que
l’initiative privée n’est pas en situation de produire, distribuer ou représenter dans les mêmes
conditions pendant la guerre » 46. L’OFIC, créé pour faire contrepoids à la mainmise
anglaise en matière d’information filmée et par souci d’indépendance, possède divers
bureaux (Alger, Casablanca, Tunis, Le Caire, Londres avec Boisgelin et New York)
chargés de distribuer ses films dans les territoires de la France libre et se dote d’un
magazine d’actualités nommé Ici, la France ; en outre, des images de l’office sont
incorporés à hauteur d’un tiers au magazine d’actualités allié Le Monde libre. Dans cette
organisation, le SCA continue son travail au sein des armées mais se doit de fournir
l’OFIC. Sur le terrain, l’année 1943 voit la couverture de la campagne de Tunisie et la
libération de la Corse ; un renfort important de matériel venant d’une compagnie
photographique américaine 47 entraîne le recrutement de nouveaux personnels au
début de l’année 1944. Pour la campagne d’Italie, une équipe du SCA, dirigée par le
sous-lieutenant Albert Plécy, est détachée auprès du Corps expéditionnaire français
(CEF) avec reporters photographes et cinéastes en nombre variable, et chargée de
recueillir les prises de vues pour les besoins historiques et la confection du Journal de
guerre ainsi que la projection de films récréatifs ou de propagande pour les troupes
dans les cantonnements de repos. L’état-major du CEF est « à même d’orienter son activité
vers les secteurs intéressants »48. Les images prises sont envoyées au siège du service à
Alger pour tous les travaux annexes.
9 Dès juin 1944, le SCA basé à la Bourboule joue un rôle au sein des FFI et les reporters de
l’armée française prennent pied en métropole avec le débarquement de Provence. La
convergence se fait à Paris. Passée l’euphorie, l’armée se remet en ordre de marche
pour la libération du territoire ; le service cinématographique reprend son activité,
notamment grâce au matériel camouflé dans le Puy-de-Dôme, au sein du service de
presse (5e bureau) de la 1re armée. On y retrouve à sa tête le lieutenant-colonel André
Brouillard 49 installé dans des locaux sis au 72 avenue des Champs-Élysées. Bien que
certains membres du SCA basé à Alger reviennent en France, l’heure est à trouver des
cameramen pour couvrir les combats qui s’intensifient à l’hiver 1944, notamment en
Alsace. Pour ce faire, des opérateurs sont engagés sous contrat, ce qui n’est pas du goût
des techniciens de l’industrie privée. Ainsi, lors du passage du cameraman Henri Persin,
engagé sous contrat comme second opérateur par le SCA, devant le comité d’épuration
de la presse filmée, Henri Alekan (membre du jury et futur chef opérateur de La Bataille
du rail), évoque le fait que « du point de vue professionnel, cette question a besoin d’être
éclaircie car l’on constate que l’armée ne passe pas par les syndicats et ne s’entoure d’aucune
garantie (…) d’une façon générale, il est anormal que quelqu’un qui a été quelques mois en
travail puisse être second opérateur, alors qu’au studio, il faut vraiment des années » 50. En
filigrane se dessine la rivalité qui oppose le SCA au Comité de libération du cinéma
français et aux syndicats de techniciens, souvent d’obédience communiste, notamment
au sujet des actualités filmées 51. Pour l’heure, chaque division et corps d’armée doit
disposer d’une équipe, appartenant au service cinématographique, constitué de trois
reporters 52. À titre d’exemple, un tableau d’effectifs du SCA en date du 22 février 1945
mentionne trente-quatre premiers et seconds opérateurs de prises de vues dans la zone
des armées 53, alors que huit étaient présents au siège parisien du service. Sur le front,
cameramen et photographes font preuve d’un grand courage souvent salué par la
hiérarchie militaire dans la couverture du conflit jusqu’en Allemagne et certains y
laisseront leur vie tels Robert Boissière, Roland Faure, Sivan ou Gaston Madru tué à
Berlin. Parallèlement, le Service cinématographique de la marine 54 reprend ses
activités en liaison avec la production française notamment pour le film La Marine au
combat de Jean Arroy. Quant au SC Air, il se réinstalle rue Saint Didier en
septembre 1944 et s’attelle à produire documentaires et films d’instruction. Mais
surtout, le service recrute dès le début de l’année 1945 de nombreux jeunes techniciens
engagés pour quatre ans, une formation leur étant dispensée à l’école de cinéma du
Signal Corps basée à Astoria près de New York, et devant participer au programme de
propagande aéronautique mis en place avec la création de nouvelles sections dans les
colonies, notamment en Indochine 55. Le SCA envoie lui aussi des reporters en
formation à l’école d’Astoria dès l’été 1945. Sa production est partagée entre la
conception d’un journal d’actualités consacré surtout aux événements militaires avec
des reportages sur la présence française en Allemagne (organisation des
gouvernements militaires, installation des troupes) et un programme de près de trois
cents films d’instruction, certains étant le doublage de films américains. Enfin, le
service se lance dans un rôle de « coproducteur, fournissant la partie technique, c’est-à-dire
la figuration militaire, le matériel de guerre, la documentation, la possibilité d’entrer dans les
zones d’opération ou d’occupation réservées » 56, pour les longs métrages suivants: Fils de
France de Pierre Blondy sur les régiments de chars ou encore Les Démons de la nuit
(d’abord intitulé Âmes qui vivent)d’Yves Allégret évoquant l’action des commandos.
10 Ainsi les services cinématographiques dès la fin de la guerre s’efforcent, comme le note
judicieusement l’historienne Sylvie Lindeperg, de clarifier l’image de l’institution
militaire, brouillée par le legs des années 1940-1944, de soigner les blessures nationales
en procédant à une réécriture cohérente et subtilement lacunaire du dernier conflit et
enfin à justifier les choix politiques du général de Gaulle en redéfinissant le rôle des
différents artisans de la Libération 57, en omettant souvent le rôle des Forces françaises
de l’intérieur. S’il est un bilan à tirer de l’emploi du cinéma pendant le conflit, il est
indéniable que son rôle a été reconnu au sein des armées françaises au regard de
l’existence des différentes entités qui filmaient et photographiaient les faits et gestes
dans une optique de propagande et dans une moindre mesure d’instruction.On peut
voir dans la création en juillet1946 du Service cinématographique des armées, qui
s’installera au Fort d’Ivry à la fin de la décennie, un symbole de la prise de conscience
NOTES
1. JEANCOLAS (Jean-Pierre), Le cinéma des Français. Quinze ans d’années trente (1929-1944), Paris,
Nouveau monde éditions, 2004, p. 204.
2. SHD/DIMI, 3 R 145, dossier 1, films de cinéma : appui et participation de l’armée, notamment
aux films Napoléon d’Abel Gance, Quatre de la légion (1924-1939) ; dossier 2, films, actualités
cinématographiques, surveillance des prises de vues durant les manœuvres (1932-1939) ;
dossier 3, films, projet de réorganisation du service géographique de l’armée (section
cinématographique), prises de vues de la ligne Maginot, commission de contrôle
cinématographique, contrôle des prises de vues dans les enceintes militaires et les manœuvres
(1928-1939).
3. VÉRAY (Laurent), Les films d’actualités français de la Grande Guerre, Paris, AFRCH/SIRPA, 1996,
245 pages.
4. SHD/DAT, 8 Y e 56 248, dossier de carrière du chef de bataillon Raymond Hoffmann, chef de la
Section d’enseignement par l’image, avec le grade de capitaine, du 7 octobre 1920 au 1 er avril
1926. Sur la proposition du chef du SGA, il a été désigné par l’état-major de l’armée pour remplir
du 18 mai au 31 juillet 1928, une mission de propagande, au titre de l’enseignement, auprès du
ministère de la Défense nationale turque (académie militaire) ayant pour objet l’installation d’un
institut cinématographique et la confection de films d’instruction.
5. SHD/DAT, 8 Y e 39 559, dossier de carrière du colonel Joseph Calvet. Son activité au sein de la
SCA est reconnu comme en témoignent des lettres de félicitations du ministre de la Guerre : «
S’est tout particulièrement signalé par l’intelligente activité et le dévouement dont il a fait preuve au cours
d’une mission accomplie auprès (…) de l’Armée du Rhin »(8 mars 1928) ; « a créé en outre un grand film
sur l’histoire coloniale française qui constitue un document sans précédent »(9 mai 1932).
6. DUTAILLY (lieutenant-colonel Henry), Les problèmes de l’armée de terre française, 1935-1939, Paris,
SHAT, 1980,p. 236. L’auteur rappelle que « la coopération interarmes provoquée par l’apparition des
chars et de l’aviation contraint [les corps de troupes] à demander le concours d’unités extérieures qui ne
stationnent pas nécessairement dans la même garnison et qui ne sont pas toujours disponibles. Le cinéma
et son dérivé le ciné tir, pallient partiellement cette carence ». Dans cette optique, la circulaire du
25 février 1937 mentionne que l’instruction par le cinéma fait partie des prérogatives du
commandement.
7. MEGRET (Maurice), « Les origines de la propagande de guerre française (1927-1940) », Revue
historique de la Deuxième Guerre mondiale, no 41, janvier 1961, p. 19.
8. SHD/DAT, 8 Y e 9 912, dossier du lieutenant de cavalerie Jean Renoir, notation, 1 er septembre
1940. Deux fois blessé pendant la Première Guerre mondiale, le cinéaste est affecté en qualité de
spécialiste au SGA en octobre 1938 puis mobilisé avec le grade de lieutenant. En décembre 1939, à
la demande du CGI, il part tourner Tosca à Rome et s’exile à Hollywood à la fin de l’année 1940.
9. La photographie représente une part importante du travail, notamment en matière de
propagande, au sein de la SCA et l’appellation « cinématographique » des différentes sections et
services étudiés tout au long de cet article englobe l’image fixe. Pour 1939-1940, la Section
photographique de l’armée a vu travailler en son sein l’historien du cinéma Georges Sadoul et
Henri Cartier-Bresson. Voir : SADOUL (Georges), Journal de guerre (2 septembre 1939- 20 juillet 1940),
Paris, L’Harmattan, 1994 (2e édition), 250 pages.
10. SHD/DAT, 27 N 84, dossier 6, « Note au sujet du service cinématographique aux armées »,
Grand Quartier général, État-Major général, 3e bureau, 29 septembre 1939.
11. BOROT (François), L’Armée et son cinéma 1915-1940, thèse de doctorat de 3 e cycle sous la direction
de Marc Ferro, Paris X-Nanterre, 1987, p. 285-308. Plus largement sur la SCA de la « drôle de
guerre » consulter la troisième partie « L’effort de guerre de la propagande française 1939-1940 »
(p. 219-334), avec notamment un intéressant dictionnaire des opérateurs aux armées (p. 274-278).
12. Ce dernier démissionnera de son poste à la suite de la décision du CGI de diffuser le Journal de
guerre sur les écrans français à partir de mai 1940.
13. SHD/DIMI, 9 R 727, dossier 16, rapport n o 1501 du capitaine Lasquellec au sujet du
fonctionnement du Service cinématographique de l’Air depuis le début des hostilités, 9 pages,
5 mars 1940. Une autre note fait état de 18 films d’instruction et 8 films de propagande réalisés
avant la guerre ; depuis septembre 1939, outre des documents réalisés dans la zone aux armées
destinés aux actualités hebdomadaires, deux films de propagande sont réalisés : Les Mécaniciens de
l’air sur l’école de Rochefort et Femmes françaises sur l’utilisation de la main-d’œuvre féminine
dans une usine de construction aéronautique. En juin 1940, 12 films de propagande étaient en
cours de sonorisation. En outre, le rapport préliminaire no 1/40 du 3 novembre 1940 sur le SC Air
précise que depuis le conflit, environ 100 000 photographies ont étés prises et 2 films de
propagande réalisés, enfin 2 films d’instruction étaient en préparation.
14. WEIL-LORAC (Roger), Cinquante ans de cinéma actif, Paris, Dujarric, 1977, p. 71. L’auteur précise
qu’une commission avait établi les plans d’un laboratoire de développement et de tirage destiné à
travailler en cas de guerre dans cette commune d’Indre et Loire.
15. SHD/DIMI, 9 R 48, dossier 5, rapport particulier n o 3 au sujet du SCA, 17 février 1941, p. 5 et 6.
16. BERTIN-MAGHIT (Jean-Pierre), Le cinéma français sous l’Occupation, Paris, Perrin, 2002. Voir le
chapitre III « Les premières négociations », p. 34-48. À l’armistice, Jean-Louis Tixier-Vignancour,
partisan de Pierre Laval, est nommé secrétaire général adjoint à l’information responsable du
cinéma et de la radio ; il est relevé de ses fonctions à la fin du mois de janvier 1941. Le COIC servit
de base à la création du Centre national de la cinématographie en 1946.
17. SHD/DAT, 2 P 62, dossier 1, note n o 5199/SP du général Huntziger au vice-président du
Conseil, 30 septembre 1940.
18. BOROT, op.cit., p. 284 et 298.
19. EPSTEIN (Simon), Un paradoxe français. Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la
Résistance, Paris, Albin Michel, 2008, p. 410. Pour l’auteur, Brouillard s’est rapproché des réseaux
militaires d’extrême droite « redoutant le pacifisme et le défaitisme qu’il croit voir triompher avec le
Front populaire ».
20. SHD/DIMI, fonds BCRA, DP 3 242-75, dossier André Brouillard. Note n o D 2 399/BCRA-C,
France combattante, état-major particulier du général de Gaulle, Londres, 5 septembre 1942. La
note précise que : « Brouillard a été séduit par la possibilité d’avoir un emploi semi-militaire en dehors de
l’armée (…). Il était intéressé et s’est dit : "je vais entrer au SCA". Il en a pris la charge, a commencé par
faire des films de propagande militaire. Il a fait des choses extrêmement bien (…). C’était à Vichy que devait
être le centre de la résistance. »
21. SHD/DIMI, 9 R 48, dossier 5, annexe 4 au rapport d’enquête n o 1 du 31 mars 1943, note no
6439/PRS/CAB pour l’EMA, secrétariat d’État à la Guerre, cabinet du ministre, Vichy, 5 avril 1941.
22. SHD/DIMI, 9 R 48, dossier 5, rapport d’enquête n o 1 du 31 mars 1943, p. 10. Véritable mine
d’informations sur le fonctionnement du SCA de 1941 à 1942, ce rapport précise qu’en matière
d’emploi, le service relevait de deux organes différents : « De l’EMA, pour les questions
d’organisation, de réalisation des films d’instruction, de dotation des corps de troupe en salle de cinéma,
matériels de projection, de photographie, de cinétirs et de formation des opérateurs des corps de troupe ; du
Cabinet du Secrétariat d’État pour les réalisations de films de propagande et l’organisation des tournées de
propagande. »
23. SHD/DAT, 2 P 62, dossier 1, rapport n o 442 SCA/V du commandant Brouillard sur le
fonctionnement du SCA dans le 1er semestre 1941, secrétariat d’État à la Guerre, SCA, Vichy,
7 juillet 1941, p. 3. Il est évoqué aussi en matière d’instruction la production de quatre films de
cinétir distribués à douze corps de troupe sur seize, la préparation d’un film sur la DCA et la
présentation au 3e bureau d’un film documentaire sur l’alcoolisme.
24. Archives de Paris, 901/64/1 n o 258, dossier de Noël Ramettre, opérateur de La France en
marche,devant le comité d’épuration, 9 novembre 1944.
25. SHD/DAT, 2 P 62 dossier 22, films sur l’Empire colonial français par la mission dirigée par
Maurice Noël avec André Persin et Raymond Picon-Borel comme opérateurs.
26. ECPAD, FT 729, film La Belle vie. Cette production est réalisée en 1941 au studio Nicéa de
Saint-Laurent du Var et bénéficie du travail sur l’image de Willy qui travailla sur les films de
Pagnol, la distribution comporte des acteurs connus comme Claude Dauphin. Un second film
intitulé Un gars de la terre scénarisé par Pierre Nord et réalisé par Robert Bibal se trouve au
montage en mars 1943, malheureusement nous n’avons pu retrouver sa trace après cette date.
27. SHD/DIMI, 9 R 48, dossier 5, rapport d’enquête sur le SCA, Vichy, 31 mars 1943, p. 20 et 21.
28. SHD/DITEEX, 3 K 98, témoignage oral d’Henri Fabiani, CD II plage 1. De même, lors d’une
rencontre avec Jean Blech à Paris vers la fin de l’Occupation, ce dernier laissa entendre à Fabiani
qu’il était dans la Résistance.
29. SHD/DIMI, Résistance, dossier de demande d’homologation FFI de Jean Velter.
30. Sur le sujet du SCA basé en métropole de 1940 à 1944, se reporter à : LAUNEY (Stéphane), Le
Service cinématographique de l’armée de Vichy 1940-1944, maîtrise d’histoire sous la direction de G.-H.
Soutou, Paris IV-Sorbonne, 2005, 112 pages. Consulter aussi la cote SHD/DAT, 2 P 62, qui
renferme la majeure partie des archives du service et SHD/DIMI 9 R 48, dossier 5 qui contient
deux intéressants rapports (en date du 17 février 1941 et du 31 mars 1943) sur le fonctionnement
du SCA.
31. SHD/DITEEX, 1 KT 1 565, papiers Jacques Curtis. Note FFL, état-major 2 e bureau, Londres,
8 août 1940.
32. SHD/DM, TTC 36, dossier propagande, « Frais de transport de films et matériel
cinématographique », FNFL, état-major, Londres, 16 septembre 1942. Cette note nous permet de
suivre une partie de l’activité de Guy Mas : il effectue des prises de vues cinéma à Harwich (côte
est de l’Angleterre) le 12 août, une projection à Beaconsfield (nord-ouest de Londres) le 15 août ;
de nouvelles prises de vues cinéma à Dundee (Ecosse) du 18 au 22 août et à Penzance
(Cornouailles) du 4 au 6 septembre. Enfin, pendant cette courte période, Guy Mas effectue une
projection cinéma à Dundee, le 9 septembre, avant de finir par des prises de vues à Criccieth (côte
du Pays de Galles) du 7 au 13 septembre 1942.
33. Les personnes suivantes ont travaillé au service cinématographique ou en ont accompagné
les équipes : les opérateurs de prises de vues B. Poirée et Jouckadar ; l’adjudant Quigley,
journaliste américain engagé aux FFL ; le sergent Lenhardt, spécialiste du radio reportage ; le
sergent féminin de Segrais ; le sergent pilote Skeddvanoff ; le sergent Février, ingénieur du son ;
le commissaire de la marine Ladune, attaché de propagande FNFL dans le Moyen-Orient.
34. SHD/DIMI, 4 H 327, dossier 1, compte rendu du sous-lieutenant Mac Connel, Beyrouth,
17 novembre 1941. Dans une note no 360/P du 12 décembre 1941, Lassaigne, chef du service
d’information et de radiodiffusion, prend la défense de Mac Connel parti sans ordre de mission
signé de Catroux pour couvrir dans l’urgence l’inspection par Astier de Villatte de l’escadrille des
Forces aériennes françaises libres en Libye. Lassaigne pointe le fait que Londres et New York
réclament des documents sur l’aviation de la France libre. Pour faire face aux demandes, une
seconde équipe est mise sur pied au sein du service cinéma.
35. SHD/DIMI, 4 H 327, dossier 1, note n o 447/2 du général Koenig sur la propagande par la
photographie, FFL Force L, état-major, 2e bureau, QG, 25 mars 1942.
36. SHD/DIMI, 4 H 327, dossier 1, note n o 459/2 du général Kœnig à l’état-major, 2e bureau FFL
Levant, FFL Force L, état-major, 2e bureau, 27 mars 1942. Kœnig précise qu’« il ne faudrait pas, en
effet, que, trompant notre bonne foi et arguant du fait que la censure anglaise a déjà opéré au Caire, ces
agents profitent de leur passage dans cette ville pour publier des documents non censurés par vous ».
37. SHD/DIMI, 4 H 325, dossier 1, note n o 539/P de Jean Lassaigne, chef du Service d’information
et de radiodiffusion du Levant au général d’armée commandant en chef des FFL au Levant, état-
major, 2e bureau, Beyrouth, 16 avril 1942.
38. SHD/DIMI, 4 H 325, dossier 1, note n o 272/P du Service d’information de la France libre au
Levant au directeur du cabinet militaire, Beyrouth, 27 février 1942. Les attributions du sous-
lieutenant Dalmas sont de trois ordres : liaison avec la délégation de la France libre au Caire pour
tout ce qui concerne la propagande et le service photographique et cinématographique ; liaison
avec les autorités britanniques du bureau de presseet enfin liaison avec les FFL.
39. SHD/DIMI, Résistance, dossier FFL de Francis Mac Connel. Affecté dans les transmissions
en juillet 1943, il finira la guerre au sein de la 2 e DB. À noter que les sous-lieutenants Bongard et
Aubin commanderont successivement le SCA du Moyen-Orient.
40. SHD/DITEEX, 3 K 106, témoignage oral de Jacques Curtis, cameraman du SCA FFL Moyen-
Orient.
41. SHD/DAT, 8 Y e 5 145, dossier du lieutenant de cavalerie Henri Chomette. Né en 1896, frère
aîné du cinéaste René Clair, il vécut dans l’ombre de son cadet héritant du sobriquet « clair
obscur ». Réalisateur du premier film parlant tourné en France (Le Requin, 1930), il est connu pour
avoir eu des positions antisémites.
42. Pour cette partie, consulter la cote SHD/DAT, 7 P 38, dossier 2, organisation et
fonctionnement, notes sur le matériel et l’équipement du SCA, État-Major général de la guerre,
novembre 1943-mars 1946.
43. De manière non exhaustive, l’on peut citer comme membres du SCA basé en AFN : le
capitaine André Lenoël (adjoint au chef du service), Bertrand Flornoy, les cameramen Jean
Hudelot, Goreau, Tahar Hanache, Gilbert Grosjean (Air), Gérard Py (Marine), Éric Hurel, Raymond
Dubois, les photographes Jacques Belin et Marcel Viard, ainsi que Albert Moulin (services
techniques), Kronegger ou encore Jean Jabely.
44. SHD/DITEEX, 3 K 107, témoignage oral d’Albert Moulin, CD I, plage 4.
45. BILLARD (Maurice), Le mystère René Clair, Paris, Plon, 1998, p. 255.
46. AN, 3 AG 271, dossier 3 : « Ordonnance relative à l’OFIC », commissariat à l’Information,
10 mars 1944. L’OFIC est créé par décret du 16 avril 1943, en théorie ses activités prendront fin à
la signature du traité de paix. L’office possédait ses propres reporters notamment militaires dont
les équipes étaient dirigées en opérations par Roger Leroi : les cameramen François Villiers
(SHD/DITEEX, 3 K 133, témoignage oral), Jacques Manier, Marcel Lucien et Paul Adreani (de
l’équipe du film Destin), Christian Gaveau et Maxime Dely, Saffar ; on peut y ajouter les
photographes Pierre Cludy, Fernand Mourier et Germaine Krull. Après la dissolution de l’OFIC,
certains intégrèrent le SCA. Lire aussi l’article « Comment sont produites à Alger les actualités
cinématographiques », Filmafric (Bibliothèque du film), février 1944.
47. Dans les forces américaines, chaque arme possédait son service cinéma et photo. Celui de
l’armée de terre relevait du Signal Corps (Transmissions) et de nombreux techniciens de
Hollywood y travaillèrent, notamment Franck Capra qui commanda le 834 e détachement photo et
produisit la série de documentaires Why we fight. Fait peu connu, le cinéaste John Ford, officier de
marine, dirigea la Field Photographic Branch de l’Office of Strategic Services, chargée notamment de
recueillir des preuves audiovisuelles des crimes nazis en vue du procès de Nuremberg, voir : MAC
BRIDE (Joseph), À la recherche de John Ford, Arles, Institut Lumière/Actes Sud, 2007, p. 455 à 562.
48. SHD/DAT, 7 P 38, dossier 2. « Équipe du SCA détachée auprès du CEF », projet annexe à la
note no 1267/SCA pour le cabinet du ministre signé Raphel, Alger, 30 mai 1944. Il est fait mention
de quatre équipes de reportages avec chacune un photographe, un cinéaste et un assistant.
49. SHD/DAT, 61/9496, dossier de carrière du colonel André Brouillard. Après avoir appartenu à
l’état-major des FFI, il réintègre l’armée au sein du SCA le 1 er novembre 1944 puis est affecté à la
Direction générale des études et recherches au mois de février 1945. Parallèlement, sous le
pseudonyme de Pierre Nord, il signe le scénario de Peloton d’exécution d’André Berthomieu,
adaptation d’un de ses romans qui sort sur les écrans en octobre 1945.
50. Archives de Paris, 901/64/1 n o 241, dossier d’Henri Persin devant le comité d’épuration de la
presse filmée, 8 novembre 1944.
51. LINDEPERG (Sylvie), Clio de 5 à 7. Les actualités filmées de la Libération : archives du futur, Paris,
CNRS éditions, p. 50-55.
52. SHD/DAT, 10 P 222, note n o 277/5-A « Directives pour le fonctionnement des 5e bureaux des
corps d’armée et des divisions », 1re armée française, état-major, PC, 17 décembre 1944. D’autre
part, une note intitulé « Compte rendu sur l’activité du service propagande » (SHD/DAT 10 P 223)
du 5 novembre 1944 mentionne que : « 2 850 mètres de films ont été pris et envoyés au SCA. Les
actualités ont commencé à les utiliser depuis un mois. Deux films documentaires sont en préparation à
Paris. Un sur le débarquement de Provence, un sur l’ensemble des opérations de l’armée française avant le
débarquement. Ces deux films seront terminés avant un mois. »
53. SHD/DAT, 7 P 33, dossier 6, note n o 894 SCA/D du chef d’escadron Raphel au commandant
Meyer, directeur des services de presse, ministère de la Guerre, cabinet du ministre, SCA, Paris,
22 février 1945. Il est fait état d’un effectif total de 268 personnes. À noter qu’à partir du 1 er
mai 1945 est créée une compagnie autonome de SCA sis au 27 rue de Berri à Paris.
54. Le Film Français, no 39, 31 août 1945, p. 3. La reconstitution d’archives cinématographiques, la
production d’un long métrage sur l’épopée du Jean Bart et de films d’instruction ainsi que le
divertissement du personnel figurent dans les tâches du SCM basé rue Saint Florentin et
commandé par le lieutenant de vaisseau Tremelat.
55. Le Film Français, n° 41, 14 septembre 1945, p. 4.
56. Le Film Français, no 33, 13 juillet 1945. Des images du SCA sont communiquées aux Actualités
françaises ainsi qu’au pool allié à Londres. Le journal d’actualités militaires produit par le service,
qui se doit d’équiper les corps de troupe notamment en Allemagne, est tiré quant à lui à 35 copies
en 35 mm et 43 copies en 16 mm. Mensuellement, les trois services cinématographiques de la
Défense nationale reçoivent 50 000 mètres de pellicule, dont 30 000 mètres pour le SCA.
57. LINDEPERG (Sylvie), Les écrans de l’ombre. La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français
(1944-1969), Paris, CNRS éditions, p. 108. Plus largement, consulter le chapitre IV sur le SCAmiroir
de la « Franceéternelle »(p. 105-130) et le chapitre V « Terre de France » : dans les marges du
cinéma officiel (p. 131-144).
RÉSUMÉS
En septembre 1939, le cinéma est présent au sein de l’armée française sous la forme d’entités
propres à chaque arme produisant en partie des films d’instruction. La mobilisation voit leurs
cameramen et photographes couvrir le conflit. L’armistice de juin 1940 ne met pas en sourdine,
loin de là, l’emploi de l’image filmée. Dans l’armée de Vichy un service cinématographique dirigé
par André Brouillard, connu sous son nom de plume Pierre Nord, s’attelle à produire des films à
la fois de propagande mais aussi d’instruction dans le but avoué de former la troupe à une reprise
des hostilités. Que ce soit au sein des FFL de Londres à Beyrouth ou encore en Afrique du Nord
avec la France combattante les services cinématographiques militaires gravent sur la pellicule les
combats auxquelles participent les armées françaises. Leur mission se poursuit avec la libération
du territoire national et ce jusqu’en Allemagne. La hiérarchie militaire reconnaît l’utilité de
l’image en créant en 1946 le Service cinématographique des armées.
Cinematographic Services in the French military during the Second World War.In September 1939,
cinema is present in the French army in the form of entities in each branch of service in part to
produce training films. Mobilization saw their cameramen and photographs cover the conflict.
The Armistice of June 1940 did not silence, far from it, use of the filmed image. In the Vichy Army
a cinematographic production directed by André Brouillard, known under the pseudonym of
Pierre Nord, began to produce films that simultaneously were propaganda but also instruction
with the avowed aim of training troops for a resumption of hostilities. Whether in the FFL from
London to Beirut or in North Africa with French fighting forces military service films captured on
film combat involving the French armies. Their mission continued with the liberation of the
national territory and on into Germany. The military recognized the usefulness of the
cinematographic image by creating in 1946 the Cinematic Service of the Armies.
INDEX
Mots-clés : cinéma, Deuxième Guerre mondiale, ECPAD
AUTEUR
STÉPHANE LAUNEY
Titulaire d’un master 2 en histoire contemporaine. Auteur d’un mémoire de maîtrise intitulé, Le
Service cinématographique de l’armée de Vichy 1940-1944, sous la direction du professeur Georges-
Henri Soutou et soutenu en 2005 à la Sorbonne (Paris IV). Il est actuellement en poste au sein du
bureau des témoignages oraux du Service historique de la Défense.
1 Les liens entre la Résistance et le cinéma sont, pour ainsi dire, consubstantiels. Dès sa
naissance, la Résistance se donne à voir comme mise en scène d’elle-même. Ostensible
avec les appels du général de Gaulle, souterraine pour la résistance intérieure,
triomphale lors de la descente des Champs-Élysées le 26 août 1944 dans l’unité
nationale enfin retrouvée. Les quatre années de résistance n’ont pas trahi ces débuts
prometteurs. Coups d’éclat, exploits individuels ou collectifs, rendez-vous mystérieux,
mots de passe, voyages clandestins, amitiés, rivalités, trahisons constituent un
matériau sans pareil pour le cinéma. Celui-ci ne manquera pas d’en tirer parti et plus
d’un film inspiré par la période de l’Occupation compte parmi les chefs-d’œuvre du
cinéma français.
chargé de rebâtir l’industrie du cinéma. Il doit en particulier veiller à ce que les films
contribuent à reforger une identité nationale mise à mal par les années de guerre et
d’occupation. C’est ainsi que le cinéma de l’immédiat après-guerre sera un des vecteurs
du mythe de la France résistante. Dans l’euphorie de la victoire, l’opinion accepte cette
vision sans rechigner. À rebours, tout film qui n’y souscrit pas court le risque de l’échec
commercial, tel Les Portes de la nuit de Marcel Carné.
4 Encore faut-il empêcher les opportunistes de profiter de la situation. René Château 5
rapporte comment l’acteur René Lefèvre attaque violemment Jeff Musso qui commence
le tournage de Vive la Liberté : « Un film sur la Résistance ne doit pas permettre à des gens
sans scrupules de gagner de l’argent sur le sang des martyrs. » Et Château de citer un article
anonyme des Lettres françaises du 28 octobre 1944, satisfait de la procédure de contrôle
stricte instituée par la Direction générale du cinéma (DGC) : tout projet de film sera
soumis au CLCF puis au Conseil national de la résistance (CNR), la décision finale
revenant à la DGC. Nous évoquerons trois films produits en cette brève mais
exceptionnelle période : La Bataille du rail (René Clément), Jéricho (Henri Calef) et Le Père
tranquille (Noël-Noël assisté par Clément).
5 La Bataille du rail est probablement le film emblématique de l’immédiat après-guerre
comme du « film de résistance » en général. René Clément s’était illustré dans le genre
du documentaire dont l’un, Ceux du rail, était une sorte d’ébauche de La Bataille du rail.
Ce dernier fut donc envisagé comme un court métrage documentaire en l’honneur de
Résistance-Fer (la Résistance des cheminots). Mais sa qualité lui valut d’être transformé
en long métrage de fiction sur la résistance d’un peuple à l’oppression. Son réalisme,
salué par la critique, relève moins d’un parti pris esthétique que d’un manque de
moyens matériels. En tout cas, il est admis qu’il véhicule une image de la Résistance
digne de son sujet.
6 Jericho d’Henri Calef se situe sur un autre registre. Partant d’un fait réel, le
bombardement de la prison d’Amiens par la RAF en 1944 afin de libérer un groupe
d’otages, il montre la France « non point comme un pays en guerre, mais comme un territoire
soumis à la lie du vainqueur, avec le concours des autorités françaises » (S. Lindeperg) 6.
Animé par un souci de réalisme psychologique, il évitait le manichéisme auquel
l’époque souscrivait volontiers (les héros et les traîtres) pour décrire des personnages
hésitants sur l’attitude à adopter. Autre différence avec La Bataille du rail : le film était
affaire de professionnels. Henri Spaak en était le scénariste, Pierre Brasseur, Pierre
Larquey, Louis Seigner, Jacques Charon et Raymond Pellegrin les interprètes. Il reste
encore très actuel aujourd’hui. Le Père tranquille est un « film à la gloire du Français moyen
apparemment pantouflard et attentiste mais dissimulant sous ses allures bonasses et prudentes
son activité de chef de réseau de résistance locale ». (Jacques Siclier cité par Philippe
d’Hugues) 7. Inspiré d’Alphonse Vergeau, ami du réalisateur et fondateur du réseau
Foch, Édouard Martin, villageois amateur de jardinage n’a rien d’impressionnant mais
cette façade anodine masque d’importantes activités de résistant. Pour Sylvie
Lindeperg, le succès du film s’explique parce qu’il a permis la « cristallisation d’un modèle
héroïque forgé à l’usage exprès du Français moyen » 8. Selon Michel Jacquet, Le Père
tranquille, « laissait planer sur cette passivité l’ombre d’un doute bienveillant » 9.
7 Notons aussi la démystification du faux patriotisme : c’est le traître (le capitaine
Jourdan) qui proclame le sien le plus haut. Enfin, la sensibilité gaulliste de l’œuvre
apparaît d’abord dans le comportement téméraire des maquisards et dans la reprise des
activités antérieures à la fin du film : la Résistance est terminée. On a affaire à un «
ensemble assez homogène en soi, que définissent quelques traits communs, comme la
dénonciation de la barbarie nazie ou plutôt allemande (les persécutions anti-juives tiennent une
place assez effacée) et le souci de préserver le mythe de l’unité nationale en offrant le visage
d’une France résistante, sauf la poignée de traîtres nécessaires à toute bonne intrigue » 10. Pour
autant, le filon s’épuise assez vite pour avoir été trop exploité. Le public commençait à
se lasser.
11 Après La Bataille du rail (1945), Jeux interdits (1952), Le Jour et l’heure (1962), Paris brûle-t-
il ? est le quatrième film que René Clément consacre à la Résistance. Mais le projet
connaît bien des vicissitudes : le livre de Lapierre et Collins, point de départ du film,
étant favorable à la France libre, le PCF s’inquiète de l’orientation idéologique du film
(or, dans la profession, le personnel est, à cette date, majoritairement syndiqué à la CGT
proche du PCF) ; une rivalité oppose les deux producteurs possibles, Zanuck et Gratz.
Bref, la gestation de l’œuvre est très difficile. Au final, malgré la présence de vedettes
(Alain Delon notamment), le film est peu convaincant. Comme le note Sylvie Lindeperg :
« Première grande fresque de reconstitution française consacrée à la Seconde Guerre mondiale,
[Paris brûle-t-il ?] portait néanmoins le label de la Paramount. » La Bataille du rail exaltait la
Résistance, Paris brûle-t-il ? l’exploite à des fins mercantiles. L’évolution de Clément
montre à quel point les mentalités ont changé en vingt ans.
12 Dans Un jardin bien à moi 12, Chabrol revient sur La Ligne de démarcation. Il explique à
François Guérif que cette œuvre de commande(initialement proposée à Anthony Mann
par le colonel Rémy, auteur de l’ouvrage) est une « utilisation d’un genre, un film de
tradition (…) un pastiche de film sur la Résistance »13 ; plus loin, il précise : « La ligne (…)
c’était un peu des images d’Épinal. C’était l’époque où on voulait faire croire que tous les Français
avaient été résistants. »14 Ainsi, le film de résistance est un « genre » avec ses codes.
Désormais, il ne s’agit plus de films sur la Résistance, mais sur une représentation de la
Résistance.
13 La Grande vadrouille, comédie au succès public phénoménal (Bourvil et de Funès n’y sont
pas pour rien) inverse les codes. Elle abandonne le registre épique ou dramatique sans
pour autant transgresser l’image convenue de la France unie et résistante. Apparaît ici
de manière éclatante un personnage déjà entrevu (Babette s’en va-t’en guerre, Christian-
Jaque1959) et promis à un bel avenir, celui du « héros malgré lui » 15. Ce n’est pas le cas
des personnages de L’Armée des ombres de J.-P. Melville. Gerbier, Mathilde et leurs
compagnons ont choisi d’entrer en Résistance, fût-ce au prix de leur vie. Melville a déjà
abordé le thème (Le Silence de la mer 1949 et Léon Morin prêtre 1961). Ici, il montre les
activités quotidiennes d’un groupe de résistants, leur force et leur détermination mais
aussi leurs faiblesses (s’il faut éliminer l’un des leurs).
14 Basé sur un scénario tiré du récit éponyme de Joseph Kessel, composé lui-même à partir
de souvenirs de résistants, une solide distribution (J.-P. Cassel, P. Crauchet, C. Mann, S.
Signoret, L. Ventura) et une mise en scène très sobre, L’Armée des ombres peut être
considéré comme une œuvre classique. Mais ce film, qui coïncide avec le retrait du
général de Gaulle de la vie politique, marque la fin d’une époque.
« années noires », ce film offre le tableau d’une France en demi-teinte, avec très peu de
collaborateurs, très peu de résistants, quelques profiteurs et beaucoup d’attentistes. Il
eut un grand retentissement dans l’opinion.
17 Lacombe Lucien de Louis Malle (1974) pose, à travers le cas du personnage éponyme, le
problème des modalités de l’engagement. Lucien Lacombe est un jeune paysan lotois,
assez fruste, marginal. Il veut entrer dans la résistance locale mais n’est pas accepté.
Dépité, il devient collaborateur, commet des exactions ; hébergé par des Juifs
recherchés par la Gestapo, il tombe amoureux de leur fille, France, s’enfuit avec elle
lorsque le père est arrêté. Peu après, il sera abattu par des résistants 17. Sans doute
influencé par son scénariste, Patrick Modiano, Malle ne condamne pas son « héros ». Il
montre la relativité des engagements idéologiques (ce qui fut peu apprécié par les
associations de résistants) et, mieux, soulève une interrogation qui hantera les
réalisateurs nés après la guerre : en 1940, quel camp aurais-je choisi ?
18 La contestation du mythe résistant passe également par la réhabilitation d’épisodes
oubliés par l’histoire officielle. Frank Cassenti s’y emploie avec L’Affiche rouge (1976)
consacré à l’affaire Manouchian, groupe de la MOI (main-d’œuvre immigrée) dont les
membres ont été exécutés en février 1944. Réalisé avec peu de moyens (en trois
semaines, joué par des acteurs de la troupe d’Ariane Mnouchkine, dans le décor de la
Cartoucherie de Vincennes). Ce film a valeur de témoignage.
19 Judith Therpauve de Patrice Chéreau (1978) choisit un autre angle d’attaque. Veuve d’un
héros de la résistance, cette femme mène son dernier combat : sauver un journal fondé
par des résistants (La Libre République) convoité par une grande entreprise de presse
(allusion à Paris-Normandie racheté par Robert Hersant). Ayant échoué dans sa
mission, elle se suicide. Auparavant, elle a lancé à ses anciens camarades : « La
Résistance ! Les résistants ! C’est fini tout ça. Regardez-vous, regardez-nous, des vieux, des
vieilles, des veuves. » 18 Judith Therpauve clôt ce que l’on peut appeler le cycle Simone
Signoret et la Résistance. Résistante à contrecœur dans Le Jour et l’heure, par choix dans
L’Armée des ombres et finalement désabusée.
20 Entamée avec Le Chagrin et la pitié, cette période de démystification s’achève avec
l’iconoclaste Papy fait de la Résistance de Jean-Marie Poiré (1983). Celui-ci considère que
son œuvre rend un « hommage parodique » aux films sur la Résistance tels que Le Père
tranquille, Le Silence de la mer, La Grande vadrouille, L’Armée des ombres. Faire de la fin du
film une caricature de l’émission Les Dossiers de l’écran est une trouvaille : il ne s’agit
plus de traiter de la Résistance mais de ses représentations. Bien reçu par la
commission de contrôle des films comme par la critique (communiste exceptée), Papy
fait de la Résistance est salué comme une entreprise de démythification. L’historien
Henry Rousso l’analyse ainsi : « Papy (…) est peut-être l’amorce d’une rupture
cinématographique, qui annonce un tournant dans l’imaginaire collectif de cette époque. » 19 Le
succès populaire du film montre que les tabous sont définitivement levés.
Claude Chabrol scrute de nouveau la Résistance. D’abord avec Le Sang des autres (1984)
tiré d’un ouvrage de Simone de Beauvoir. Voici ce qu’il en pense : « Ce qui m’intéressait (
…) c’était qu’est-ce que les gens du câble américain recherchent dans cette histoire de Résistance
française ? » 21 ; il observe: « Je pense que la façon dont est montrée l’Occupation dans Le sang
des autres est déjà plus juste [que dans La ligne de démarcation]. » 22
22 Une Affaire de femmes (1988), œuvre plus personnelle, est nettement meilleur. Ce film
s’inspire d’un authentique fait divers. En 1943, Marie-Louise Girard est exécutée pour
avoir pratiqué vingt-six avortements clandestins. Chabrol place l’histoire de Marie
(Isabelle Huppert) en province. Son mari prisonnier (François Cluzet), elle doit subvenir
aux besoins de ses deux enfants. Elle aide une voisine à interrompre une grossesse non
désirée et s’aperçoit qu’il s’agit d’une activité rentable car la demande, si l’on ose
écrire, est forte : liaisons avec des Allemands, passades en l’absence des maris… Marie
entre ainsi dans une voie sans issue. Elle est emprisonnée puis guillotinée. Dans ce film,
il s’agit moins de la Résistance que de la difficulté, surtout pour une femme, de
rechercher l’indépendance et le bonheur sous le régime de Vichy.
23 C’est précisément ce dernier que Chabrol dénonce dans L’Œil de Vichy (1993) en
s’appuyant sur des archives (Pathé, Gaumont, ECPAD) pour montrer la manipulation
des esprits par l’image. L’action de Blanche et Marie de Jacques Renard (1985) se déroule
en 1941 dans un quartier ouvrier d’une petite ville de province. Il s’attache à suivre
l’entrée des deux jeunes femmes (Miou-Miou et Sandrine Bonnaire) dans la Résistance,
l’activité qu’elles y déploient puis, dès la guerre finie, la reprise des travaux qu’elles
effectuaient antérieurement. C’est qu’elles n’ont pas rejoint la Résistance par
conviction personnelle mais pour suivre leur mari. Émouvant, ce film n’a pas trouvé
son public.
24 En revanche, Uranus de Claude Berri (1990) a connu le succès grâce à une distribution
brillante (G. Depardieu, F. Luchini, J.-P. Marielle, P. Noiret entre autres) et à la verve de
Marcel Aymé. On constate que si l’œuvre a été écrite en 1946, il fallut attendre plus de
quarante ans pour que le cinéma ose s’attaquer à ce « brûlot » sur les excès de la
Libération et de l’épuration. Enfin, même si ce n’est pas le cœur de notre sujet, il faut
s’arrêter sur les films relatifs à la mémoire juive. Dès le début des années 1970, l’intérêt
des historiens, comme celui du public, s’est tourné vers l’Holocauste au détriment de la
Résistance. Le cinéma a suivi ce mouvement. Encore faut-il faire une exception pour le
magistral documentaire d’Alain Resnais, Nuit et Brouillard (1955) 23.
25 Avec Le Vieil homme et l’enfant (1966), Claude Berri aborde la question sous un angle plus
intimiste. Suivront Les Violons du bal de Michel Drach (1973) et, plus tard, Shoah de
Claude Lanzmann (1985) et Au revoir les enfants de Louis Malle (1987). Parallèlement,
certaines affaires ont contribué à sensibiliser le public à cette question : grâce accordée
au milicien Paul Touvier par le président Pompidou, attaques contre Maurice Papon
pour son action pendant la guerre, polémiques suscitées par les thèses négationnistes
de Robert Faurisson et enfin, publication par L’Express en 1978 d’une interview de
Darquier de Pellepoix (ancien commissaire aux questions juives) intitulée : « À
Auschwitz, on n’a gazé que les poux. » 24
aînés. Dès 1971, on l’a vu, le mythe de la France résistante avait vécu. En 1995, le
nouveau président Chirac s’inscrit dans cette lignée lorsqu’il reconnaît officiellement la
responsabilité de la France (et pas seulement celle de Vichy contrairement à ses
prédécesseurs) dans les mesures antisémites. Le temps des films épiques est révolu
mais aussi celui de la dérision. Pour Michel Jacquet 25, on est entré dans celui « des
hommages » et il développe : « Le temps de l’Occupation et de la Résistance [prend] statut
d’histoire ancienne. » Par conséquent, produire un film sur cette époque revient
essentiellement à sacrifier au « devoir de mémoire ». C’est le cas de Lucie Aubrac (1997)
de Claude Berri qui retrace l’action de cette résistante exceptionnelle.
27 Deux films montrent que la participation à la Résistance, réelle ou fictive, était, après la
guerre, une référence indispensable à toute carrière. Un héros très discret de Jacques
Audiard (1995), d’après un récit de J.-F. Deniau, dépeint l’itinéraire d’un jeune homme
imaginatif et solitaire, élevé par sa mère (son père est mort au cours de la Première
Guerre mondiale). Pour échapper à la médiocrité et par désœuvrement, il se forge de
toutes pièces un passé de résistant grâce auquel il parvient à des postes de plus en plus
élevés jusqu’à ce que son imposture soit découverte. Effroyables jardins de Jean Becker
(2003) utilise des ressorts analogues. Un instituteur fait le clown le dimanche pour
gagner un peu d’argent. Afin de rehausser son prestige aux yeux de son fils, un ami lui
raconte les exploits de résistant de l’instituteur.
28 Jacquet 26 constate que si la « "veine" des années quarante est apparemment loin d’être
épuisée,(…) on perçoit une tendance à utiliser l’épisode tragique de la débâcle ou l’occupation du
territoire national qui s’ensuivit comme un cadre, une sorte de "paysage" propre à dramatiser
des situations et des caractères relativement banals ». Cette remarque s’applique au film Bon
voyage de Jean-Paul Rappeneau et à celui d’André Téchiné Les Égarés (sortis en 2003).
29 Les deux films qui suivent, Monsieur Batignole de Gérard Jugnot (2002) et Laissez-passer de
Bertrand Tavernier (2002) témoignent d’une « nostalgie respectueuse » (Jacquet). Dans le
premier, Jugnot incarne un charcutier sans opinion très arrêtée mais, harcelé par un
gendre adepte de la Révolution nationale et une épouse arriviste, il va dénoncer son
voisin, un médecin juif que la Gestapo arrête avec sa famille. Batignole peut alors
occuper son appartement et devient le fournisseur attitré de la Gestapo. Mais Simon, un
des fils du médecin, s’échappe et revient à son ancien domicile. D’abord tenté de se
débarrasser de l’enfant, Batignole s’aperçoit qu’il a envoyé une famille en déportation.
Abandonnant sa vie confortable, il emmène l’enfant (et deux cousines également en
danger) en Suisse. Loin de se poser en donneur de leçons, Jugnot reprend à son compte
l’interrogation de Lacombe Lucien : qu’aurais-je fait, à vingt ans, en 1940 ? Par ailleurs, le
film est riche de multiples références : La Traversée de Paris, La Grande vadrouille, Le Vieil
homme et l’enfant notamment.
30 Laissez-passer de Tavernier offre un grand intérêt documentaire puisqu’il présente le
milieu du cinéma pendant l’Occupation. À travers cette description, il renouvelle la
question rituelle du choix en comparant le destin de deux hommes, Jean Aurenche
(Denis Podalydès) et Jean Devaivre (Jacques Gamblin). Le premier refuse
systématiquement les offres d’emploi qui lui sont adressées par la société de production
allemande, la Continental. Devaivre, passionné par son métier, consent à travailler pour
cette entreprise mais c’est aussi une façade car il accomplit des missions pour la
Résistance. Tavernier ne tranche pas entre ces deux attitudes mais montre qu’il y avait
plusieurs manières de résister. Comme le rappelle Jean-Luc Douin 27, ce film souleva une
polémique assez vive. Il fut reproché à Tavernier d’avoir « signé un film poujadiste,
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
BAZIN (André), Le cinéma de l’Occupation et de la Résistance, Paris, UGE, 1975 [il s’agit d’un recueil
d’articles initialement publiés à l’époque dans des revues universitaires à la parution aléatoire vu
la pénurie de papier ; l’ouvrage est précédé d’une préface de F. Truffaut, André Bazin, l’Occupation
et moi].
BERTIN-MAGHIT (Jean-Pierre), Le cinéma français sous l’Occupation, PUF, Que sais-je, 1994.
CHÂTEAU (René), Le cinéma français sous l’occupation, 1940-1944, éd. René Château, coll. La mémoire
du cinéma français, 1995.
JACQUET (Michel), Travelling sur les années noires. L’Occupation vue par le cinéma français depuis 1945,
Paris, Alvik, 2004.
JEANCOLAS (Jean-Pierre), Histoire du cinéma français, Paris, Armand Colin, 2 e éd., 2007.
LANGLOIS (Suzanne), La Résistance dans le cinéma français de fiction (1944-1994), novembre 1996, thèse
de doctorat en histoire université Mac Gill, Montréal, Canada.
LINDEPERG (Sylvie), Les écrans de l’ombre. La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français
(1944-1969), Paris, CNRS éditions, 1997.
MAHUZIER (Albert), Caméra sous la botte, Paris, Les Presses de la Cité, 1963.
SICLIER (Jacques), La France de Pétain et son cinéma, Henri Veyrier, coll. L’Histoire en question, 1981
WEBER (Alain), La Bataille du film, 1933-1945. Le cinéma français entre allégeance et Résistance, Paris,
Ramsay coll. Cinéma, 2007.
ANNEXES
Les héroïnes de la Résistance
Suzanne Langlois en propose une typologie pertinente : « Les résistantes ne sont
représentées que par quelques catégories qui arrivent à l’écran dans une chronologie
longue :
- La jeune femme célibataire, souvent agent de liaison (…) parfois saboteuse ou
exécutrice, est un personnage qui affirme le parti pris de l’action (…). Il est facilement
transposable dans un récit cinématographique.
- Les femmes et les mères de famille (…) [apparaissent] au tournant des années
1950-1960. [Elles] sont associées à des formes de Résistance plus sédentaires tels les
relais des filières d’évasion, l’aide aux clandestins et aux réfugiés, la presse clandestine,
le camouflage du matériel. Le poids de la vie quotidienne (…) intéresse peu alors que ces
formes de Résistance sont vitales à la survie au jour le jour des clandestins.
- C’est dans les années 1980 que se retrouvent ensemble à l’écran plusieurs générations
de résistantes. Aux motivations classiques s’en ajoutent d’autres, morales et
humanistes La présence plus importante des résistantes contribue à accentuer le
caractère civil d’une grande partie de la Résistance. L’introduction des préoccupations
de la vie quotidienne ramène le monde des résistants vers celui des simples mortels. »
La Résistance ne modifie guère la « représentation des femmes dans la guerre (…). Par
contre, les personnages féminins ont largement contribué à changer la représentation
cinématographique de la Résistance. » Nous en avons déjà rencontré quelques-unes
(Thérèse Dutheil, Mathilde, Judith Therpauve, Blanche et Marie, l’autre Marie, Une
affaire de femmes). Afin de compléter cette série de portraits, voici Marie-Octobre et
Barny.
Marie-Octobre de Julien Duvivier (1959) est un film inspiré d’une histoire de Jacques
Robert. Marie-Hélène Dumoulin (dite Marie-Octobre) incarnée par Danielle Darrieux,
apprend par un ancien officier allemand, quinze ans après la guerre, que son fiancé
Castille, également chef du réseau Vaillance, a été dénoncé par un membre du réseau.
Afin de démasquer le traître, elle convoque ses anciens camarades, dix hommes
d’origine sociale diverse et exerçant des métiers différents, ce qui était souvent le cas
dans la Résistance. Les interprètes sont Blier, Reggiani, Ventura notamment.
Cette vengeance « à retardement », pourrait-on dire, offre une situation inédite.
Comme l’indique Michel Jacquet : « Le personnage féminin, élément central du film, est
le catalyseur d’une situation qui conteste les approches les mieux admises et les plus
édifiantes de l’Occupation et de la Résistance. Personnage symbolique, Marie-Octobre
paraît très isolée dans le paysage cinématographique d’après-guerre. » Le film fut très
bien accueilli par le public, la critique étant plus réservée. Conçue initialement pour le
théâtre, l’histoire réécrite par Jeanson et Robert, Marie-Octobre deviendra une pièce
trois ans plus tard.
Contrairement à Marie-Octobre, Barny (Emmanuelle Riva), jeune veuve d’un Juif
communiste, peu concernée par la situation née de la défaite et de l’Occupation, sinon
dans ses retombées sur sa vie personnelle. Ayant rencontré un jeune prêtre, Léon
Morin (J.-P. Belmondo), elle tombe amoureuse de lui. Mesurant l’étendue des interdits
qui pèsent sur elle, Barny finit par s’opposer au régime de Vichy qu’elle juge
responsable. Ce film de Melville, dont l’Occupation forme la trame, porte témoignage de
la précarité de la condition féminine à l’époque. Si différents soient-ils, ces personnages
féminins apportent au cinéma sur la Résistance une tonalité spécifique, intimiste et
forte à la fois.
Sorti le 5 mars 2008, Les Femmes de l’ombre de Jean-Paul Salomé a bénéficié d’une large
promotion et d’une sortie dans 450 salles. Pour autant, l’accueil de la critique a été très
mitigé. De fait, après quelques lignes d’explication sur le Special Operation Executive
(SOE) qui lui tiennent lieu de caution historique, le réalisateur accumule
invraisemblances et clichés. Oscillant entre Les Douze Salopards pour l’action et Lucie
Aubrac pour l’imagerie, ce film long et pesant recèle en outre un certain parfum de
bigoterie : le langage est celui du sacrifice, du devoir et du rachat (sont recrutées une
ex-prostituée et l’ex-fiancée d’un officier allemand), un clergyman bénit l’avion et ses
passagères qui partent en mission, le résistant joué par Robin Renucci a pour pseudo
« Melchior » (l’un des rois mages). Quant au personnage de Gaëlle, il frise la caricature.
Elle porte en permanence une chaînette avec une croix, se réfère au catéchisme, fait
promettre à ses compagnes de faire brûler un cierge à la fin de la guerre ; la scène de
son suicide, les bras en croix en récitant une prière, est franchement ridicule. À tout
prendre, le seul personnage attachant est Eddy, le petit voyou qui trafique avec les
Allemands en 1941 et les conduit au poteau s’exécution en 1944 avec la même bonne
humeur. Bref, ces femmes de l’ombre ne risquent pas d’en faire beaucoup à leurs
glorieuses aînées.
Le « héros malgré lui »
Babette s’en va-t’en guerre et La grande vadrouille avaient abordé le thème du « héros
malgré lui » sous l’angle comique. Autres exemples de « héros malgré eux » rencontrés
en chemin : Thérèse Dutheil (Le Jour et l’heure) et Monsieur Batignole (Monsieur
Batignole).
Avec Le Vieux fusil (1975), Robert Enrico propose un film beaucoup plus dur.
Chirurgien à l’hôpital de Montauban, Julien Dandieu (Noiret) proclame volontiers qu’il
ne fait pas de politique. En 1944, les Allemands en pleine déroute remontent vers le
Nord ; inquiet pour sa femme (Romy Schneider) et sa fille, il les envoie dans sa
propriété, un petit château en plein Quercy. Mais un groupe de soldats allemands s’y
est installé et les assassine ainsi que les habitants du village voisin. En le découvrant,
Dandieu est pris d’une frénésie de vengeance ; guidé par sa connaissance des lieux, il va
exécuter méthodiquement les auteurs du massacre. On assiste à une sorte de western
animé par un véritable « héros malgré lui ».
Le Franc-tireur de J.-M. Causse et R. Taverne (1972, ressorti en 2002) montre un
personnage comparable. Juillet 1944. Installé chez sa grand-mère, dans le Vercors, non
loin de Grenoble, Michel Perrat (Philippe Léotard) attend la fin de la guerre ; il est
parfaitement neutre. Sa maison bombardée, il s’enfuit dans la montagne et se joint à un
groupe hétérogène de maquisards. Pendant trois jours et trois nuits, ils se battent,
espérant en vain le secours des alliés. Seul survivant du groupe, il rentre chez lui et nul
n’entendra plus parler de lui.
L’intérêt du « héros malgré lui » est d’être une personne ordinaire, nullement destinée
à l’héroïsme et que l’événement oblige à sortir de ses schémas comportementaux
habituels.
Liste des films présentés au Festival du film sur la Résistance, intitulé « Le cinéma de ceux qui
ont su dire non » (27, 28, 29 novembre 1998) au Forum des images videothèque de Paris, réalisée
par l’Association mémoire et espoir de la Résistance, présidée par François Archambault, et
placée sous le haut patronage de la Fondation de la Résistance :
- La Bataille du rail, NB, 1945, R. Clément.
- La Libération de Paris, documentaire français tourné du 15 au 26 août 1944, à
l’initiative du CLCF.
- Au cœur de l’orage, documentaire débuté en juin 1944 à l’instigation du CLCF, mais
remanié par J.-P. Le Chanois (et projeté en avril 1948 suivi de « Nous » de J.-P. Vernant).
- Jéricho, NB, 1945, H. Calef.
- Le Père tranquille, 1946, Noël-Noël assisté par R. Clément.
- Le Silence de la mer, NB, 1949, J.-P. Melville.
- Court métrage sur Madame Claude Gérard responsable des Mouvements unis de
Résistance.
- Un condamné à mort s’est échappé, NB, 1956, R. Bresson.
- La Longue marche, NB, 1965, A. Astruc.
- L’Armée des ombres, 1969, J.-P. Melville suivi de La Rose et le réséda documentaire de
9 minutes.
Les acteurs dans la Résistance
Si les acteurs de la Résistance ont beaucoup intéressé les historiens, ce n’est pas le cas
des acteurs dans la Résistance. Les intéressés sont sans doute les premiers responsables
de cette lacune, car ceux qui ont laissé des mémoires sont généralement laconiques sur
la période. Les commentateurs ne sont guère plus loquaces. Ainsi, les vignettes du
dictionnaire de Jean Tulard sont-elles plus que succinctes sur le sujet (il est vrai qu’il
recense non seulement les acteurs français mais aussi étrangers). Certes, René Château
(op.cit.) et Alain Weber (op.cit.) y consacrent quelques pages. Mais c’est à Marie-Agnès
Joubert que l’on doit le premier ouvrage d’ensemble sur la question.
Dans la profession, certains choisirent l’exil (Dalio, Gabin, Michèle Morgan), d’autres la
collaboration (par exemple, en participant au rapprochement culturel franco-allemand
mené par la Propaganda Staffel puis de la Propaganda Abteilung sous l’égide de
l’ambassadeur Otto Abetz et de son subordonné Karl Epting ou en s’affichant dans les
événements de la vie mondaine parisienne aux côtés des Allemands, ce que fit Arletty
au grand dam de sa carrière). De meme, René Bergeron « entraine dans la voie de la
collaboration par Le Vigan, il eut sa carriere brisee en 1944 ». Pierre Blanchar se
montra plus habile : « Pendant la guerre, il tourne plusieurs films dont deux qu’il met
en scene. Mais à la Liberation, invoquant son interpretation de Pontcarral comme un
acte de resistance, il joue, semble-t-il, les épurateurs à l’egard de ses confreres. » Ceux
qui refusent le régime de Vichy sont confrontés à un dilemme : peut-on exercer le
métier de comédien dans un pays soumis à la censure sans se compromettre avec les
autorités ? Et à un problème pratique : de quelle manière un acteur peut-il résister ?
Marie-Agnès Joubert résout la première question avec élégance : « [Le théâtre] acquit
dans les années 40 toute sa dimension politique. La problématique de la réception,
constante sous l’Occupation est ramenée bien souvent par la critique à un débat
manichéen entre "pièces de collaboration" et "pièces résistantes", est là pour en
témoigner. Chaque réplique devenait prétexte à interprétation. Rien d’étonnant alors à
ce que la pratique théâtrale, sans modifier l’attitude de spectateurs peu désireux de
participer aux affrontements idéologiques de l’époque, ait tourné avec le temps à la
démonstration. Démonstration qui pouvait aussi bien aller dans d’une parade favorable
à l’ordre nouveau, que d’un raidissement face à une situation insoutenable. Dans les
deux cas, le théâtre n’avait de cesse d’agiter sous les yeux de l’occupant l’image d’une
France culturellement intacte. » (op.cit., Introduction, p. 22).
Mais ce patriotisme professionnel, si l’on peut dire, ne suffit pas à certains acteurs qui
veulent s’engager davantage. Mais comment ? Alain Weber note que « sous les feux de
la rampe ou sous les projecteurs, rien ne les prédispose à agir dans l’ombre ». Mené par
la CGT du spectacle, notamment par le réalisateur et scénariste Claude Vermorel, le
combat est à la fois corporatiste ou, plus exactement à usage interne (défense des
conditions de travail), mais également antinazi (il faut échapper au STO).
Distributions de tracts, prises de parole au cours de tournées théâtrales, tous les
moyens sont bons. « En mars 1944, ajoute Weber, la branche du Front national animée
par Julien Bertheau et le décorateur André Barsacq ainsi qu’Armand Salacrou, unissent
leurs efforts avec la CGT. »
Enfin, Weber évoque longuement le sort malheureux de trois acteurs, Harry Baur,
Sylvain Itkine et Robert Lynen, lesquels « représentent ces gens du spectacle qui ont
osé dire non… et qui ont fait selon l’expression de l’époque, leur « devoir de patriote ».
Très jeune (23 ans), Lynen prit le pseudonyme hautement symbolique de l’Aiglon et
proclama que sa mission (convoyer des postes émetteurs) serait « le plus beau rôle de
sa vie ». Ce qui montre que chez les acteurs, la réalité et la fiction se confondent
souvent.
Une structure particulière : le Centre national du cinéma (CNC)
En 1945, le cinéma français est sinistré : salles de projection, labos, studios ont été
endommagés, voire détruits par les bombardements ; ce qui subsiste est trop vétuste
pour être utilisé. Les hommes (acteurs, techniciens, cinéastes) manquent également à
l’appel : il reste encore de nombreux prisonniers, d’autres ne sont pas revenus d’exil,
l’épuration guette ceux qui ont collaboré. Bref, tout est à rebâtir. Cela peut se faire soit
à l’instigation de l’État, ce qui révolte certains, soit à celle de la profession mais celle-ci
est traversée par des conflits d’ordre professionnel et d’ordre personnel.
La loi du 26 octobre 1946 porte création du Centre national du cinema ; assortie de
textes d’application techniques, elle entre en vigueur début 1947. Michel Fourré-
Cormeray est nommé directeur général de l’organisme. Ce dernier est un établissement
public administratif placé sous la tutelle d’un ministre (de l’Information puis de
l’Industrie et, depuis 1959, de la Culture). Son fonctionnement est assuré par des
NOTES
1. RIOUX (J.-P.) (dir.), Bruxelles, Complexe coll. Questions au XX e siècle, 1990, p. 293-313.
2. Paris, Perrin, 2001, 4. « Vivre ou survivre », 5. « Se distraire », p. 157.
3. Sur ce sujet, voir : A SSOULINE (Pierre), L’épuration des intellectuels, Bruxelles, Complexe coll.
Historiques, 1996 [1985] et LOTTMAN (Herbert), L’épuration 1943-1953, Paris, Fayard, 1986.
4. La Bataille du film 1933-1945, le cinéma français entre allégeance et Résistance, Paris, Ramsay coll.
Cinéma, 2007 « Vers la victoire 1944-1945 », « Épuration en tout genre », p. 220.
5. Le cinéma français sous l’occupation 1940-1944, éditions René Château, 1995, « La Résistance au
cinéma », p. 489-498.
6. « Les écrans de l’ombre », La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français (1944-1969), CNRS
éditions, Paris, 1997.
7. « La Résistance prise sur le vif » dans Le cinéma et la guerre, HUGUES (Philippe d’) et C OUTAU-B
ÉGARIE (Hervé) (dir.), Paris, Economica, bibliothèque Stratégie, 2006, p. 141.
8. LINDEPERG (Sylvie), Les écrans de l’ombre. La Seconde Guerre mondiale dans le cinéma français, Paris,
CNRS, 1997, p. 170-171.
9. J ACQUET (Michel), Travelling sur les années noires. L’Occupation vue par le cinéma français depuis
1945, Paris, Alvik.
10. H UGUES (Philippe d’), Les écrans de la guerre.Le cinéma français de 1940 à 1944, Paris, éditions de
Fallois, p. 145.
11. C’est le premier des six films où joue Bourvil et qui se déroulent pendant la Seconde Guerre
mondiale, soit, par ordre chronologique, La Traversée de Paris de Claude Autan-Lara, Le Chemin des
écoliers de Michel Boisrond, Fortunat d’Alex Joffé, Les Culottes rouges d’Alex Joffé, Le Jour le plus long
de Annakin, Martin et Wicki, La Grande vadrouille de Gérard Oury, Le Mur de l’Atlantique de Marcel
Camus. Sur la carrière de l’acteur normand, voir : DUREAU (Christian), Bourvil. Á fleur de cœur,
Paris, éditions Didier Carpentier, 2007.
12. Paris, éditions Denoël coll. Conversations avec…, 1999.
13. 4e conversation, p. 94.
14. 7e conversation, p. 172.
15. Voir annexe II.
16. Sur ce procédé, voir : F ERRO (Marc), Cinéma et histoire, [Denoël/Gonthier 1977], Gallimard,
Folio, 1993, 3e partie « Les modes d’action du langage cinématographique », XIII : De l’interview
chez Ophüls, Harris et Sédouy, p. 162.
17. Pour l’anecdote, on retiendra que Pierre Blais qui incarnai Lucien Lacombe, ne joua dans
aucun autre film.
18. Cité par L ANGLOIS (Suzanne), La résistance dans le cinéma français de fiction (1944-1994), thèse de
doctorat en histoire, université Mac Gill, Montréal, Canada, 1996, p. 516.
19. Vingtième siècle, no 2, avril 1989, p. 98.
20. LANGLOIS (Suzanne), op.cit., p. 550.
21. 3e conversation, p. 55-57.
22. 7e conversation, p.172.
23. Ce film connut bien des démêlés avec les autorités. La photo d’un gendarme français gardant
le camp d’internement de Pithiviers ayant suscité l’émoi de la Défense nationale, Resnais dut
masquer le képi du militaire avec de la gouache. Sur cette polémique, voir : LINDEPERG (S.), op.cit.,
pages 314 et suivantes.
24. Sur ce point, voir : R OUSSO (Henri), Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Seuil Points
Histoire, 1990 [1987], p. 163 et suivantes.
25. Op.cit., p. 105.
26. Op.cit., p. 119.
27. Bertrand Tavernier, cinéaste insurgé, Paris, Ramsay poche cinéma, 2006, p. 98-101.
28. De même, certains acteurs ont joué dans plusieurs films sur ce sujet : Bourvil, Jugnot,
Signoret, Ventura.
29. Ainsi, Jean-Paul Salomé s’y est-il risqué avec Les femmes de l’ombre sorti le 5 mars 2008 et
analysé à l’annexe I « Les héroïnes de la Résistance ».
RÉSUMÉS
Sous l’Occupation, le cinéma est le divertissement populaire par excellence. Malgré leurs efforts,
les Allemands ne parviennent pas à imposer leur production et, dans l’ensemble, la profession est
peu encline à collaborer. L’épuration sera d’ailleurs très limitée. Dans l’immédiat après-guerre
émerge un courant patriotique rapidement tari. Sous la IVe République, la reconstruction mais
surtout la guerre d’Algérie font un peu oublier la Seconde Guerre mondiale et la Résistance. Le
retour du général de Gaulle entraîne un regain d’intérêt pour celle-ci. S’ouvre, en 1970, une
période de remise en cause du mythe de la France unie et résistante qui prévalait jusqu’alors.
Apparaît également un intérêt nouveau pour les aspects méconnus de la Résistance: la mémoire
juive, l’action des étrangers, le rôle des femmes, les excès de la Libération. Depuis une douzaine
d’années, la Résistance est devenue une lointaine référence à laquelle le cinéma rend hommage.
Successive Representations of the Resistance in French Cinema.During the Occupation, the cinema was
the pre-eminent popular diversion. Despite their efforts, the Germans were unable to interfere
with their production and, on the whole, the profession was little inclined to collaborate. The
purge will be very limited. Immediately after the war a patriotic current rapidly dried up. Under
the Fourth Republic, the reconstruction but above all the war in Algeria overshadowed the
Second World War and the Resistance. The return of General de Gaulle brought a renewal of
interest in it. In 1970 began a period of questioning the myth of united and strong France that
had prevailed previously. A new interest in neglected aspects of the Resistance also appeared:
Jewish memory, the action of foreigners, the role of women, the excesses of the Liberation. For a
dozen years the Resistance has become a distance reference to which cinema renders homage.
INDEX
Mots-clés : cinéma, Deuxième Guerre mondiale, Résistance
AUTEUR
JEAN-FRANÇOIS DOMINÉ
Docteur en histoire, il est attaché d’administration du ministère de la Défense. Affecté au Service
historique de la Défense depuis 1999, il se consacre plus particulièrement aux questions
juridiques intéressant le monde combattant liées notamment aux statuts.
Cyril Buffet
Guerres du peuple
3 Poursuivant avant tout des buts politiques, le cinéma est-allemand privilégie les
guerres populaires. La DEFA consacre ainsi deux films biographiques à la guerre des
paysans du XVIe siècle. Le premier dresse le portrait de Thomas Müntzer (Martin
Hellberg, 1956), chef religieux dépeint en révolutionnaire guidant les masses
laborieuses, qui renvoie au rôle que le parti communiste s’est lui-même attribué. Celui-
ci surveille du reste attentivement la fabrication de ce film monumental, qui mélange
des séquences théâtrales et des reconstitutions de bataille dont les figurants sont des
policiers habillés en costumes d’époque. Malgré une mise en scène académique et le jeu
hiératique de l’acteur principal, il attire 1,8 million de spectateurs. Dans la mesure où
son message évoque l’unité allemande, la censure opère vingt ans plus tard des coupes,
afin d’éviter de soulever la question nationale. Le second film retrace le destin de Jörg
Ratgeb (Bernhard Stephan, 1978), un peintre contraint de s’impliquer dans la vie
politique. Bien qu’inspiré formellement du western-spaghetti, c’est un cuisant échec
commercial.
4 La guerre de Trente Ans fournit un immense succès, La Demoiselle Christine (Arthur
Maria Rabenalt, 1949) : pour suivre un militaire qu’elle aime, une jeune fille se déguise
en cornette, mais elle réalise que la guerre a transformé cet homme en une brute
épaisse, au point de devoir le tuer en duel. Le film est vu par 4,2 millions de spectateurs,
qui se détournent des tristes « films de ruines » et cherchent à se divertir 3. Pourtant, le
Parti communiste le critique sévèrement, l’accusant de formalisme et d’embellir la vie
de Lansquenet 4. C’est pourquoi il disparaît ensuite de la programmation des
cinémas.Quant à l’adaptation du drame de Brecht, Mère Courage (Peter Palitzsch et
Manfred Wekwerth, 1961), elle souffre de la comparaison avec les mises en scène du
Berliner Ensemble.
5 La Guerre de Sept Ans sert d’abord de toile de fond à Minna von Barrnhelm (Martin
Hellberg, 1962), adaptation conventionnelle du classique de Lessing sur les amours
contrariées du nom d’une noble saxonne amoureuse d’un major prussien. Sur le mode
de la guerre en dentelles, Erwin Stranka réalise deux comédies, l’une pétillante
(Hussards à Berlin, 1971) sur l’occupation de la capitale prussienne par une troupe
hongroise, l’autre moyennement drôle (La bataille volée, 1972) sur le siège de Prague par
Frédéric II. Les guerres napoléoniennes sont presque ignorées, à l’exception de Lützower
(Werner W. Wallroth, 1972), film raté sur un corps franc prussien combattant
l’envahisseur français. Pareillement, la Première Guerre mondiale apparaît rarement,
ouvrant seulement la biographie jdanovienne du leader communiste Ernst Thälmann
(Kurt Maetzig, 1954-1955) ou restant à l’arrière-plan de La Femme et l’Étranger (Rainer
Simon, 1985), racontant l’histoire d’un prisonnier de guerre allemand qui s’évade et
rejoint la femme d’un compagnon de captivité. Bien que le film remporte l’Ours d’or du
festival de Berlin-Ouest, sa diffusion demeure confidentielle.
Prélude espagnol
6 En vérité, la DEFA se concentre sur les guerres perçues comme la continuation de la
lutte antifasciste. C’est pourquoi elle accorde une importance toute particulière à la
guerre d’Espagne. Ignorant les contradictions internes au camp républicain et
valorisant les combattants communistes, elle présente la guerre d’Espagne comme le
prélude à la Seconde Guerre mondiale. Elle aborde ce thème, en même temps d’ailleurs
que le cinéma ouest-allemand qui conte dans Tant que tu vis (Harald Reinl, 1955)
l’histoire d’une franquiste sauvant un aviateur de la Légion Condor. La DEFA choisit
naturellement l’autre camp.
7 En quatre ans, elle produit trois films sur la guerre d’Espagne qui obtiennent un succès
notable, attirant chacun 1,3 million de spectateurs. Tout d'abord, J’ai soif (Karl Paryla,
1956) raconte l’amour en 1936 d’un paysan et d’une étudiante tuée lors d’un
bombardement de chasseurs allemands ; le paysan rejoint les Brigades internationales,
y rencontre des Allemands antinazis et réalise que leur ennemi est commun. Si le début
impressionne – au pied d’un crucifix planté au milieu de champs arides, un paysan
émiette entre ses doigts la terre desséchée, alors que retentit la supplique du Christ
« J’ai soif » –, la suite souffre d’une interprétation minimaliste et de l’agencement
maladroit de bandes d’actualités et de scènes en studio. Le scénariste est Walter
Gorrisch (1909-1981), qui est successivement officier des Brigades internationales,
interné en France, livré aux autorités nazies, incarcéré trois ans en pénitencier, envoyé
sur le front de l’Est dans un bataillon disciplinaire dont il déserte pour incorporer
l’Armée rouge. Après la guerre, il se consacre à l’écriture et plusieurs de ses livres sont
portés à l’écran.
8 Ensuite, Où tu vas (Martin Hellberg, 1957) est fondé sur un roman qui devait être déjà
adapté en 1949, mais le projet avait alors été abandonné, car les extérieurs devaient
être tournés en Yougoslavie, ce qui n’était plus possible avec le schisme titiste. Ce film
suit l’itinéraire d’un antifasciste allemand qui rejoint les républicains espagnols, suivi
par une doctoresse suisse apolitique qui, par amour, se met au service des Brigades
internationales. Après la victoire franquiste, il est emprisonné dans un camp et elle est
expulsée vers son pays d’origine. C’est un film bâclé, qui soulève la polémique en raison
d’une scène de bordel où la caméra s’attarde sur les cuisses et la poitrine d’une
danseuse, ce qui scandalise de pudibonds apparatchiks. Enfin, Cinq Douilles (Frank
Beyer, 1960) est une réussite indéniable qui met provisoirement un terme à la
désaffection du public à l’égard des productions de la DEFA. Sur un autre scénario de
Walter Gorrisch, c’est un film prenant et expressif. Il rassemble, autour du commissaire
politique allemand Witting, cinq brigadistes de nationalités différentes (un Russe, un
Français, un Espagnol, un Polonais et un Bulgare) chargés de couvrir le repli de leur
bataillon. Mortellement blessé, Witting confie à ses compagnons un message pour le
quartier général – message divisé en cinq morceaux et caché dans des douilles. Hormis
le Français qui se fait abattre par l’ennemi au bord d’une fontaine, ils réussissent à
remplir leur mission et apprennent le contenu du message : la solidarité internationale
et la discipline révolutionnaire sont les garants de la survie et du succès. Ce film se
réfère clairement au genre du western : images fortes, dialogues brefs, scènes d’action.
Sa qualité réside dans la description des tensions physiques auxquelles sont soumis les
brigadistes qui doivent non seulement échapper à leurs poursuivants franquistes, mais
surmonter la canicule, la soif et la faim. Le difficile tournage en Bulgarie contribue à la
crédibilité de l’histoire. Le réalisateur, Frank Beyer (1932-2006), fait du paysage aride et
inhospitalier de la Sierra un véritable personnage. Il réussit à libérer les productions de
la DEFA de la pesante esthétique du réalisme socialiste 5. Le film remporte un large
succès grâce aussi à l’interprétation des acteurs principaux (Erwin Geschonneck,
Manfred Krug, Armin Mueller-Stahl). Ce n’est pas le cas d’une des dernières
coproductions de la DEFA, Nous restons fidèles (Andrei Maljukov, 1989), qui croise les vies
de six brigadistes entre 1936 et 1946 – un film qui a toutefois le mérite de montrer les
brimades auxquelles sont soumis les combattants soviétiques de retour dans leur pays.
éternellement (Frank Wisbar, 1959)… Ces films visent à convaincre les Allemands de
l’Ouest de la nécessité du réarmement, au moment de la création de la Bundeswehr et de
son intégration dans l’OTAN. Ils associent la campagne de Russie aux souffrances des
soldats et aux exactions de l’Armée rouge, afin de souligner que l’URSS est l’ennemie
mortelle de l’Allemagne8. Par contre, les deux films relatant l’attentat du comte
Stauffenberg contre Hitler (C’est arrivé le 20 juillet, Georg Wilhelm Pabst, 1955 ; Le 20
juillet, Falk Harnack, 1956) passent inaperçus. Cette vague ouest-allemande s’achève
avec Le Pont (Bernhard Wicki, 1959) – œuvre pacifiste sur de jeunes endoctrinés tués
lors d’une opération inutile.
13 À l’instar d’autres cinématographies d’Europe de l’Est, qui profitent du mouvement de
déstalinisation pour s’initier à de nouvelles problématiques et esthétiques, la
production est-allemande développe une introspection rigoureuse qui s’impose avec
Dupé jusqu’au Jugement dernier (Kurt Jung-Alsen, 1957). Inspiré de la nouvelle Camarades
de Franz Fühmann (1922-1984), qui fut SA dans sa jeunesse puis prisonnier de guerre en
URSS, ce film est l’un des plus convaincants tournés par la DEFA durant ces années de
dégel. En juin 1941, trois sous-officiers, stationnés près de la frontière lituanienne,
tuent accidentellement la fille de leur capitaine. L’un des soldats se confie à son père,
un général SS qui sait comment régler l’affaire. Le jour de l’attaque hitlérienne contre
la Russie, il fait « découvrir » le cadavre de la jeune fille et accuse les Soviétiques du
crime. En représailles, le capitaine éploré fait exécuter des otages, mais la vérité lui est
révélée par l’un des soldats qui est abattu par un complice.
14 Dans un style réaliste et laconique, le réalisateur développe une réflexion sur la
perversion des concepts de camaraderie et de communauté, en montrant que la
culpabilité de quelques soldats est inséparable de la responsabilité du peuple allemand.
D’abord comédien en Autriche et en Allemagne, Kurt Jung-Alsen (1915-1976) a, lui aussi,
été soldat et prisonnier de guerre. De retour de captivité, il dirige des théâtres, avant de
passer en 1954 derrière la caméra. Tournant dix films pour la DEFA, il se consacre
ensuite à la télévision. Il réalise, avec Dupé jusqu’au Jugement dernier, son film le plus
exigeant qui est souvent comparé à Ils aimaient la vie ; tous deux sont d’ailleurs
sélectionnés au festival de Cannes en 1957, ce qui constitue une première pour la DEFA.
Mais, si le film de Wajda obtient le prix spécial du Jury, l’œuvre de Jung-Alsen est
seulement projetée hors compétition, sur insistance du gouvernement de Bonn qui
revendique d’être le seul représentant allemand.
15 Le film est cependant vendu à une dizaine de pays dont la Grande-Bretagne. Le Times de
Londres fait l’éloge de cette « allégorie concise et forte sur l’armée allemande » et d’une
mise en scène « remarquable, rigoureuse, dotée d’une âpre poésie » 9. Malgré cette
reconnaissance internationale que couronne un succès public (1,5 million de
spectateurs en RDA), le film suscite les préventions de bureaucrates communistes qui
lui reprochent non seulement d’opérer une distinction spécieuse entre la Wehrmacht et
la SS, mais aussi de risquer de « renforcer certaines tendances pacifistes » au sein de la
population est-allemande, alors que le régime met en avant l’engagement de la RDA au
sein du Pacte de Varsovie.
16 Ce film demeure une rareté dans la production de la DEFA, puisque d’autres projets
thématisant la psychologie des soldats en guerre sont abandonnés. C’est en particulier
le cas de La Maison en feu. Le scénario s’inspire du roman Les heures des yeux morts publié
en 1957 par Harry Thürk (1927-2005), qui participe aux ultimes combats de la guerre.
Bien que le ministère est-allemand de la Culture dénonce son « objectivisme » et son «
style américain », le livre du « Konsalik de l’Est » remporte un large succès. Dès 1958,
Herbert Ballmann envisage de le porter à l’écran, car il recoupe sa propre biographie : il
est incorporé à dix-huit ans et passe quatre ans en captivité. Il estime
rétrospectivement que c’était le sujet auquel il a été le plus attaché. L’histoire se
déroule durant l’hiver 1944 en Prusse orientale où la jeune Maria cache un officier
russe évadé, en toute connaissance d’un parachutiste allemand qui ne les dénonce pas.
Quand la zone passe du côté soviétique, l’Allemand abat son supérieur qui veut détruire
la ferme de Maria. Le parachutiste se fait tuer par ses compatriotes et l’officier russe
meurt également.
17 Mais Ballmann ne peut mener à terme ce projet, car il en est déchargé à l’été 1959 par
la direction du studio. Déçu de ne pouvoir faire le « un film-clef » pour les jeunes de sa
génération, il quitte en novembre 1959 la RDA, d’autant qu’il craint d’être empêché de
voir sa femme, la comédienne Gisela Uhlen engagée par un théâtre de Berlin-Ouest, où
lui-même fait ensuite carrière comme producteur. La DEFA confie alors à Carl Balhaus
(1905-1968) le projet assorti de substantielles transformations : la figure de l’officier
soviétique est renforcée et le parachutiste allemand doit volontairement passer à
l’ennemi. Le tournage commence en novembre 1959, mais il est interrompu trois mois
plus tard, bien que la moitié du film soit déjà tournée. La représentation des deux
personnages centraux continue de poser un problème idéologique. Malgré
l’introduction de changements supplémentaires et l’appel lancé aux autorités
culturelles par l’actrice principale, Inge Keller, la DEFA abandonne un projet qualifié de
« particulièrement raté » ; la pellicule est considérée comme détruite. Si elle témoigne de
la sorte « d’un manque de courage à l’égard des problèmes de la jeunesse élevée à l’époque du
fascisme » 10, elle manifeste par contre une constance envers le génocide juif, ce qui lui
est rarement reconnu. Elle a en effet eu le mérite de s’intéresser très tôt au sort des
Juifs sous le IIIe Reich, bien avant le cinéma de RFA.
L’étoile de Jacob
18 En même temps qu’il suspend le tournage de La Maison en feu, le studio de RDA produit
Étoiles (Konrad Wolf, 1959), le premier film de fiction allemand entièrement consacré à
l’extermination des Juifs. Il devance de vingt ans la série américaine Holocaust qui,
en 1979, émeut 20 millions d’Allemands de l’Ouest 11. Le scénario est rédigé par
l’écrivain juif bulgare Angel Wagenstein, qui fut un partisan sauvé in extremis de la
peine de mort par l’arrivée de l’Armée rouge. Il conte la déportation vers Auschwitz
en 1943 de Juifs grecs qui font étape dans une petite ville bulgare, où est stationné le
sous-officier allemand Walter que la guerre a transformé en nihiliste. Celui-ci s’éprend
de l’enseignante juive Ruth. À travers cet amour, l’ancien étudiant en art, qui voulait
accomplir son devoir patriotique en tant que soldat, commence à évoluer. Il s’oppose à
son supérieur et ami Kurt, un militaire arrogant et brutal. Ne pouvant empêcher la
déportation de Ruth vers les camps de la mort, il décide de rejoindre les résistants
bulgares.
19 Étoiles est remarquable à plus d’un titre. C’est un film poétique, symbolique et
pénétrant qui s’éloigne de l’habituelle orthodoxie antifasciste. Konrad Wolf décrit
Walter de manière nuancée, avec ses doutes et ses hésitations. Alors que le ministère
est-allemand de la Culture redoutait un mélodrame sentimental, le cinéaste engage une
réflexion profonde sur les dangers menaçant une société et la nécessité impérieuse de
les combattre. De son côté, le gouvernement de Sofia n’apprécie guère que soit brisé le
tabou de la collaboration bulgare. Ces critiques se taisent après que le film a attiré
1,7 million de spectateurs et obtenu en 1959 le Prix spécial du jury à Cannes, mais en
tant que production bulgare en raison des pressions exercées par la République
fédérale.
20 Comme déjà le premier film de la DEFA, Les Assassins sont parmi nous (Wolfgang Staudte,
1946), Étoiles évoque les crimes de la Wehrmacht, 35 ans avant une exposition
controversée en Allemagne. Le film replace le génocide juif au centre de la barbarie
hitlérienne, ce qui le distingue de la doctrine marxiste classique, qui interprète le
nazisme comme une forme extrême du capitalisme et l’antisémitisme comme une
manœuvre destinée à détourner l’énergie des masses. La lutte des races ne pouvant
supplanter la lutte des classes, la RDA établit une hiérarchie officielle des victimes du
fascisme : les combattants politiques sont valorisés, alors que les persécutés raciaux ou
religieux sont marginalisés ; les Juifs n’occupent que la douzième position 12.
21 Minimisant, elle aussi, la spécificité du phénomène hitlérien, la DEFA inscrit
l’Holocauste dans la logique inhumaine du nazisme. Elle insiste bien davantage sur son
anticommunisme viscéral que sur son racisme 13. Cette perspective est notamment
développée dans Nu parmi les loups (Frank Beyer, 1963), qui est toutefois le premier film
de fiction sur un camp de concentration où est caché un enfant. Le film héroïse le
combat des déportés communistes qui sont nettement identifiés, alors que les Juifs sont
présentés comme des victimes anonymes. L’action a lieu à Buchenwald, où le scénariste
Bruno Apitz a lui-même été interné huit ans. Ce camp fait figure de principal mémorial
de la RDA, en raison, d’une part, de l’exécution du leader communiste Ernst Thälmann
et, d’autre part, de la forte présence de communistes censés avoir seuls libérés
Buchenwald, comme le montre le film, en omettant de mentionner l’arrivée imminente
des forces américaines. Mais le réalisateur se charge lui-même de réviser le mythe de la
glorification de la résistance communiste, en faisant de Jacob le Menteur (1975) le
véritable héros de la tragédie juive. Ce chef-d’œuvre, sur la déportation d’un ghetto
d’Europe orientale, conjugue intensité émotionnelle et message humaniste, ce qui
explique sans doute qu’il soit la seule production de la DEFA jamais sélectionnée aux
Oscars.
rendre chaude. Or, la sortie du film intervient justement lors d’un tel événement, la
construction du Mur de Berlin. Cette malheureuse concordance le condamne à la
confidentialité, car les rapprochements historiques semblent trop évidents. En outre, la
vision austère de Klein est perçue par le Parti comme « une esthétisation du fascisme » 14.
Le réalisateur présente tout de même son œuvre en 1963 à Hambourg, mais il est
écœuré de constater que la salle est remplie d’anciens SS dont Naujocks.
23 Un autre film de la période traite, lui, de la fin de la guerre : dans Archives secrètes sur
l’Elbe (Kurt Jung-Alsen, 1963), un officier SS négocie avec les services de renseignement
américains la remise du fichier des agents de la Gestapo opérant dans toute l’Europe,
mais un major soviétique, aidé par des résistants allemands, s’en empare et le
transporte en URSS. C’est une histoire édifiante sans grand intérêt historique ou
cinématographique, comme La foudre gelée (Janos Veiczi, 1967), pesante démonstration
relative à un savant qui participe à la construction à Peenemünde des V1 et V2, avant
de se rallier au combat antifasciste. Par contre, Enfants de roi (Frank Beyer, 1962) se
caractérise par un souci de recherche formelle, par l’utilisation d’une composition
calligraphique, de cadrages sophistiqués et d’effets de lumières pour décrire la mise à
l’épreuve d’un grand amour et l’amitié virile d’un communiste et d’un SA qui,
ensemble, rallient les lignes soviétiques.
24 C’est aussi durant la brève phase de relative libéralisation que connaît la RDA après
l’érection du Mur qu’est tourné le principal film de guerre est-allemand. Il s’agit des
Aventures de Werner Holt (Joachim Kunert, 1965), qui entreprend une réévaluation de la
période de la guerre, comme l’avait vainement tentée La Maison en feu. C’est le film
qu’attendait toute une génération et c’est la réplique est-allemande au Pont. Il remporte
un succès phénoménal puisqu’il se classe au premier rang du box office, avec 2,3 millions
d’entrées. Il correspond à une nouvelle approche de la DEFA qui cherche à convaincre
la jeunesse de la justesse de la lutte antifasciste, dans le double but de réaffirmer la
légitimité de la RDA et de susciter son adhésion à « l’État des ouvriers et paysans ».
Rompant avec les fresques staliniennes désincarnées, le studio est-allemand privilégie
désormais l’individualisation des personnages, susceptible de favoriser les processus
d’identification.
25 Inspiré du roman éponyme de Dieter Noll, le film retrace le parcours personnel du
jeune bourgeois Holt, qui a pour ami d’enfance Gilbert Wolzow, un fils d’officier : à la
fin de la guerre, ils sont chargés de défendre une position face aux troupes soviétiques ;
Holt se remémore les principales expériences de sa vie, notamment son engagement
dans l’armée et la rencontre avec la mort. Renonçant à « l’éthique guerrière », il
s’humanise, aidant ainsi une partisane slovaque à fuir. Quand Wolzow exécute un jeune
déserteur, Holt s’empare d’une mitrailleuse et décime des SS fanatisés. Finalement, il
quitte son poste, rentrant à la maison pour retrouver celle qu’il aime. Ce film marque
une triple rupture dans la représentation officielle de l’histoire : le héros est issu de la
bourgeoisie, il ne se convertit pas à la fin au communisme, il ne se range pas non plus
du côté soviétique. Il offre en somme une vision différenciée de la guerre et explore
finement les motivations et les réactions des Allemands face au conflit.
26 Trois ans plus tard, Konrad Wolf entreprend une démarche similaire, mais en
présentant cette fois le point de vue d’un Allemand combattant au sein de l’Armée
rouge. J’avais dix-neuf ans (1968) est en grande partie un récit autobiographique. Comme
Gregor Hacker, le personnage principal du film, le réalisateur a quitté l’Allemagne nazie
pour se réfugier en URSS dont il a acquis la nationalité. En avril 1945, Hacker-Wolf
L’aventure de la guerre
29 Si la DEFA poursuit dans la veine de la personnalisation, elle cherche cependant à
séduire le public – de moins en moins nombreux et de plus en plus jeune –, en
recourant davantage au divertissement. C’est le temps des comédies musicales, des
westerns, du 70 mm, de la couleur. Le film de guerre n’échappe pas à cette tendance.
Ainsi, Mon Année Zéro (Joachim Hasler, 1970) est présenté comme « une aventure excitante
entre les fronts ». Ce film est du reste réalisé par Joachim Hasler (1929-1995), un
spécialiste du film de genre. Produit pour célébrer le 25 e anniversaire de la fin de la
guerre, il bénéficie du concours des studios moscovites et des unités soviétiques
stationnées en RDA. Il raconte, à la première personne du singulier, comment un soldat
allemand, d’origine ouvrière, survit au désamorçage d’une bombe ordonné par un
supérieur méprisant (interprété au demeurant par le metteur en scène Kurt Jung-
Alsen). Envoyé en éclairage, il est fait prisonnier par l’Armée rouge. Les Russes le
persuadent que le meilleur moyen « de terminer la guerre au plus vite » consiste à enlever
un officier allemand, afin d’obtenir des informations. Avec deux militaires soviétiques,
avec lesquels il finit par sympathiser, il mène à bien la mission émaillée de multiples
NOTES
1. WILKENING (Albert), BAUMERT (Heinz) et LIPPERT (Klaus) (dir.), Kleine Enzyklopädie Film, Leipzig,
VEB Bibliographisches Institut, 1966, p. 828.
2. ALLAN (Sean) et SANDFORD (John) (dir.), DEFA. East German Cinema 1946-1992, Londres, Berghahn,
1999, p. 75-76.
3. MÜCKENBERGER (Christiane) et JORDAN (Günter), « Sie sehen selbst, Sie hören selbst… »Die DEFA von
ihren Anfängen bis 1949, Marburg, Hitzeroth, 1994, p. 138-141.
4. HEYMANN (Stefan), «Von allen Kunstarten die Wichtigste… », Berlin, Neuer Weg, 1950, n° 10.
5. SCHENK (Ralf) (dir.), Regie: Frank Beyer, Berlin, Hentrich, 1995, p. 164-169.
6. Cité par Christel Drawer, So viele Träume, Berlin, Vistas, 1996, p. 122.
7. HAKE (Sabine), German National Cinema, Londres, Routledge, 2002, pp. 97 et 101.
8. RAIMUND (Fritz) (dir.), Der geteilte Himmel, vol 2, Vienne, Filmarchiv Austria, 2001, p. 82-84.
9. Cité par Horst Knietzscht, Film gestern und heute. Leipzig, Urania-Verlag, 1967, p. 250.
10. Cité par Ralf Schenk, Das zweite Leben der Filmstadt Babelsberg, Berlin, Henschel, 1994, p.
123-124.
11. Pendant longtemps, il n’y a que deux films « ouest-allemands » (produits avant la partition
du pays) qui abordent la Shoah : d’une part, La route est longue (Herbert Fredersdorf et Marek
Golstein, 1947) qui raconte l’histoire d’une famille juive de Varsovie, depuis sa déportation
jusqu’à son émigration en Palestine ; d’autre part, Morituri (Eugen York, 1948) sur des déportés
juifs qui s’évadent et se réfugient dans une forêt.
12. BERGHAHN (Daniela), Hollywood behind the Wall, Manchester, MUP, 2005, p. 87.
13. FRITZ (Raimund) (dir.), Der geteilte Himmel, op. cit., p. 86-87.
14. POSS (Ingrid) et WARNECKE Peter (dir.), Spur der Filme. Zeitzeugen über die DEFA, Berlin, Ch. Links
Verlag, 2006, p. 168-169.
15. Film und Fernsehen, juillet-septembre 1977, p. 285.
RÉSUMÉS
Le cinéma de RDA intègre la Seconde Guerre mondiale dans le combat antifasciste commencé en
1933 et mené principalement par les communistes. Au-delà des buts de propagande, il contribue
d’une manière exemplaire à explorer le passé nazi, notamment en insistant très tôt sur le
génocide juif. Il reflète également les tensions et les contradictions de la guerre froide. Avec la
Wars of the DEFA: The anti-fascist vision of East German cinema.Begun in 1933 and led mainly by the
communists, the film of RDA integrates World War II into the anti-fascist struggle. Beyond
propaganda purposes, it contributes in an exemplary manner to the exploration of the Nazi past,
particularly in its focusing on early Jewish genocide. It also reflects the tensions and
contradictions of the Cold War. With de-Stalinization, East German filmmakers question anti-
fascist ideology which seems distant to new generations.
INDEX
Mots-clés : Allemagne, guerre froide, cinéma
AUTEUR
CYRIL BUFFET
Historien, spécialiste de l’Allemagne, il est notamment l’auteur de : Défunte DEFA. Histoire de l’autre
cinéma allemand, Paris, Corlet/7e Art, 2007, 359 pages
Variations
Jean-Philippe Zanco
1 « La musique militaire est à la musique, ce que la justice militaire est à la justice » : la justice
militaire n’a pas fait l’objet que de railleries, parfois perfides, comme celle de
Clemenceau, elle a été aussi régulièrement la cible de critiques fort vives, non sans
raison. La justice maritime, sœur de la justice militaire, n’a pas eu son « Affaire
Dreyfus » ; elle a pourtant subi, au début du XXe siècle, le contrecoup du scandale :
entre 1894 et 1926, pas moins de trente-deux propositions parlementaires projetèrent
la réforme de la justice militaire et maritime. Mais le Code de justice maritime, datant
de 1858 (celui de justice militaire, de 1857), se maintiendra à travers tous les vents
politiques jusqu’en 1938. C’est l’histoire qui entoure l’élaboration de ce Code que j’ai
voulu retracer brièvement ici.
9 Ces deux institutions perpétuent la tradition d’une justice maritime partagée entre
justice des hommes et justice du matériel. Mais, depuis les réformes de la Révolution,
de l’Empire et de la Restauration, s’ajoutent encore :
• les juridictions des corps organisés de la marine, composées de conseils de guerre et de
conseils de révision permanents, et qui jugent les individus appartenant aux corps organisés
de la marine (troupes de marine, équipages de la flotte, gendarmerie maritime, gardes-
chiourmes, etc.) selon les lois et règlements en vigueur pour l’armée de Terre ;
• les juridictions de désertion, composées de conseils de guerre et de conseils de révision
permanents des ports et dont la composition diffère selon que le prévenu appartient aux
troupes de marine ou aux équipages de la flotte ;
• le tribunal spécial du bagne, chargé de juger les forçats selon une procédure exceptionnelle,
qui notamment exclut l’intervention du jury et même, dans certains cas, d’un défenseur.
patient au bout de la vergue (...). Lorsqu’on a donné le temps à tous les équipages
des bâtiments en rade de le voir, on le laisse tomber librement et de tout son poids
à la mer pour le re-hisser tout de suite à la même hauteur et le replonger autant de
fois qu’il y est condamné. »
13 Une loi du 2 novembre 1790 était déjà venue réglementer les châtiments corporels dans
le sens d’un adoucissement. La peine du cabestan, celle du grand mât, furent abolies,
ainsi que la vieille tradition de la « liane », en vertu de laquelle « les maîtres d’équipage et
principaux maîtres portaient, pour signe de commandement, une liane dont il leur était permis
de se servir pour punir les hommes de mauvaise volonté dans l’exécution des manoeuvres » 2. Il
fut interdit de faire courir la bouline plus de quatre fois de suite et de faire frapper le
condamné par plus de trente hommes, ainsi que, pour le supplice de la cale, de plonger
le « patient » plus de trois fois de suite. En 1848, subsistaient donc les coups de corde, la
cale et la bouline. Du moins en théorie, car en vérité, tous ces traitements brutaux
avaient disparu de la pratique depuis assez longtemps. « Les plus vieux marins de nos jours
attestent que la cale, comme la plupart des autres châtiments, était presque devenue une lettre
morte, et qu’ils ont à peine vu quelque exécution de ce genre. » 3Seuls les coups de corde
continuaient encore à punir les voleurs 4. Le décret du 12 mars 1848 fut donc salué
comme un progrès, mais on ne manqua pas de souligner en même temps sa dimension
essentiellement symbolique.
14 Pourtant, les commandants de navire se sentirent soudain désarmés, privés
d’instruments dont la simple menace constituait une garantie de tenue de la discipline.
Le décret du 12 mars 1848 prévoyait une peine de substitution : l’emprisonnement au
cachot pour une durée de quatre jours à un mois. Châtiment humain, républicain, mais
qui s’avérait peu adapté aux conditions de vie à bord :
• enfermer un matelot, c’était se priver d’une main-d’œuvre essentielle à bord de bâtiments
où la composition de l’équipage était en général calculée au plus juste ;
• d’autre part, ainsi qu’on peut le lire dans une note du ministre Chasseloup-Laubat, en 1851, «
la prison est une peine d’une application difficile et quelquefois dangereuse à bord : le lieu où elle doit
être subie est et doit être dans les parties basses du bâtiment : l’habitation continue de ces lieux est
dangereuse pendant une durée qui peut s’étendre à un mois : elle serait impossible ou mortelle dans les
climats chauds »5. Et on peut imaginer sous quelles conditions pires encore se présente
l’enfermement dans les œuvres basses des nouveaux navires à vapeur, à proximité des
chaudières.
15 Un vrai tableau des peines de substitution aux châtiments corporels restait donc à
imaginer. Ce sera l’objet d’un décret du 26 mars 1852. Mais on envisage aussi de revenir
sur le décret du 12 mars 1848. Le 17 mars 1852, le conseil d’amirauté reçoit un projet
signé d’un juriste spécialiste du droit militaire, Durat-Lasalle, dans lequel l’auteur
prétend « obvier aux plus pressants besoins de la justice à bord des vaisseaux et dans les ports,
en attendant qu’il soit possible de réunir dans un même code un ensemble de dispositions
propres à régulariser complètement le service de la justice maritime » 6. Durat-Lasalle propose
donc l’abrogation pure et simple du décret du 12mars 1848 et il est appuyé par le
directeur du personnel du ministère de la Marine, Layrle, dont dépend le service de la
justice maritime. Le conseil les suit dans ses conclusions et émet le souhait de voir
conféré « implicitement au commandant, dans les cas de nécessité exceptionnelle laissés à son
appréciation, sous sa responsabilité, le droit de recourir aux châtiments corporels supprimés
en 1848 ». Mais, « tout en regrettant l’abolition des coups de corde, en usage en Angleterre, aux
États-Unis, et reconnus comme le châtiment le plus efficace et le plus prompt », l’idée est
repoussée d’abroger le décret de 1848, non par humanité, mais parce que le conseil juge
que seuls les coups au cabestan constituent une peine efficace ; la bouline, à ses vues,
est « illusoire », quant à la cale, si elle est « une punition assez rigoureuse sur un vaisseau et
l’hiver, [elle] n’est la plupart du temps qu’un jeu sur les petits navires et dans les climats que
parcourent généralement nos bâtiments ». Il propose même d’introduire un nouveau
supplice : l’arrimage dans les haubans. « Cette peine, explique le conseil, est une de celles
qui, sans offrir de danger pour la santé des hommes, atteint le plus vivement les mauvais sujets.
»
16 On reste confondu devant de telles opinions qui, si elles inspirèrent effectivement le
projet de décret de 1852 (l’arrimage dans les haubans était retenu comme peine
alternative à l’escouade de punition), furent heureusement écartées dans le texte
définitif. Finalement, le décret du 26 mars 1852, établit une véritable échelle des peines
alternatives, pour compléter le décret de 1848 :
• à la place des coups de corde au cabestan : dix jours de cachot ou de double boucle, au pain
et à l’eau ;
• à la place de la cale: inaptitude à l’avancement avec retenue de solde, et vingt jours de
cachot ou de double boucle, au pain et à l’eau de deux jours l’un ;
• à la place de la bouline: l’inaptitude à l’avancement, et trente jours de cachot ou de double
boucle.
17 Remarquons enfin que, dans les années 1850, la France fait figure de nation
éminemment progressiste, puisque les châtiments corporels restent en usage partout
ailleurs, aussi bien dans la marine que dans l’armée de Terre, en Allemagne, aux États-
Unis, et bien sûr en Angleterre. « La supériorité de la discipline des Anglais (...), écrit le
commandant La Roncière Le Noury7, n’est que factice, car elle n’est obtenue qu’à la suite de
traitements souvent cruels, de flagellations réitérées qui répugnent violemment à nos habitudes
et à nos sentiments. Malgré ces modes énergiques de répression cependant, les exemples de grave
insubordination sont bien plus fréquents chez eux que chez nous. » Le « flogging » ne sera aboli
qu’en 1879, et le tristement célèbre « cat o’ nine tails » fait aujourd’hui encore partie de
la dimension épique de l’histoire de la Royal Navy, popularisée par une certaine
imagerie.
IIe République : « L’armée de mer et l’armée de terre son sœurs (...). Pour l’une comme pour
l’autre, la règle, la discipline, la fidélité au devoir sont la première condition de force et de
vitalité et c’est pourquoi l’une comme l’autre a toujours tenu à se placer sous la sauvegarde
d’une législation criminelle qui lui fût propre. » 16 L’existence de juridictions spéciales pour
les militaires et les marins peut se justifier par l’existence de deux types d’arguments :
• d’une part, que certains faits ne constituent des infractions que parce qu’ils sont commis par
des militaires ; des juges militaires sont alors les mieux placés pour examiner la portée de
tels actes ;
• d’autre part, que les militaires, quelles que soient les infractions qu’ils puissent commettre,
ne peuvent être jugés, par souci de maintenir la discipline, que par des militaires, censés
être les mieux à même de trancher avec sévérité et exemplarité.
29 Le premier argument peut être qualifié de « technique », le second de « social ». Les deux
sont facilement confondus à l’époque qui nous intéresse.
« On a souvent répété que la discipline était l’âme des armées et leur première
condition d’existence. Mais cette vérité trouve dans les armées navales une de ses
applications les plus saisissantes. La vie du marin est, en effet, toute exceptionnelle.
L’officier qui commande un vaisseau, soumis, même en dehors du temps de guerre,
à des dangers et à des préoccupations incessantes, isolé souvent au milieu de
l’immensité des mers, placé sous le coup de l’énorme responsabilité que lui impose
le salut de son équipage, la conservation d’un matériel de grand prix et quelquefois
l’accomplissement d’une mission importante ; entouré d’hommes qui se voient
éloignés de leur patrie, et que peuvent aigrir l’ennui, les privations et la contagion
d’un mauvais exemple ; ne pouvant compter sur aucune assistance du dehors, cet
officier a besoin, pour lutter contre toutes les éventualités d’une navigation
lointaine et comme condition essentielle de l’exercice du commandement, d’être
investi, dans certaines circonstances, d’un pouvoir absolu, et de disposer, dans tous
les cas, de moyens énergiques de répression. » 17
30 Pouvoir « absolu » n’est pas une expression exagérée, puisque l’article 365 du Code
de 1858, sans aucun équivalent dans le Code de justice de l’armée de Terre, stipule :
« Dans les cas de crime de lâcheté devant l’ennemi, de rébellion ou de sédition, ou de tous autres
crimes commis dans un danger pressant, le commandant d’un navire de l’État, sous sa
responsabilité, peut punir ou faire punir, sans formalité, les coupables. » Aucun homme en
France n’a, à cette époque, plus de pouvoir qu’un officier de marine commandant un
navire de l’État. Il est à noter que, de tous les projets de réforme de la justice militaire
ou maritime qui se sont succédé jusqu’en 1938, aucun n’a spécialement proposé
d’abroger l’article 365, particulièrement contradictoire avec les valeurs démocratiques
les plus fondamentales.
31 De fait, la justice maritime est extrêmement sévère. Sont ainsi punis de mort : trahison,
embauchage, espionnage, révolte, voies de fait sur un supérieur, refus d’obéissance en
présence de l’ennemi, voies de fait sur une sentinelle, abus d’autorité, désertion à
l’ennemi, pillage, destruction volontaire, perte volontaire d’un bâtiment, fait d’amener
le pavillon alors que le bâtiment est encore en état de se défendre, fait d’abandonner
volontairement un convoi ou de se séparer volontairement de son chef militaire, fait de
faillir volontairement à sa mission en temps de guerre, abandon de poste en présence
de l’ennemi. Les circonstances atténuantes n’existent pas. Les juges n’ont qu’une
alternative : l’acquittement ou la condamnation à la peine capitale par fusillade. Les
acquittements sont peu nombreux : dans les premières années d’application du Code,
entre 1859 et 1880, ils varient entre 13 % et 21 % du total des jugements prononcés, et
n’évoluent pas de façon significative. Mais une pratique existe, qui permet d’atténuer la
sévérité de la loi : les juges du conseil de guerre, ainsi que le défenseur de l’accusé, le
commissaire et le rapporteur, signent conjointement une demande de grâce ou
commutation de peine. Cette pratique se développe rapidement pour devenir quasi
systématique : entre 1859 et 1871, 43 condamnations à mort sont prononcées, pas une
ne sera exécutée. Le nombre de recours en grâce, commutations ou réductions de peine
passe de 91 pour 732 condamnations prononcées en 1859 à 260 pour 303 condamnations
prononcées en 1882.
organisation calquée sur celle de la justice militaire (le tribunal maritime est le pendant
du tribunal militaire) et de fait, ne se justifie plus en tant que justice autonome que
pour autant que la marine continue de relever d’une administration spéciale. Le
ministère de la Marine, cantonné à la seule marine militaire depuis 1931, devient un
simple sous-secrétaire d’État après 1945, et disparaît totalement en 1958 avec la
création d’un grand ministère de la Défense. De la même façon, la loi du 8 juillet 1965
refond la justice militaire pour lui donner l’aspect qu’on lui connaît aujourd’hui, celui
d’un Code unique pour les trois armées de Terre, de Mer et de l’Air.
NOTES
1. Amiral Hamelin, ministre de la Marine, « Exposé des motifs concernant le projet de Code de
justice militaire pour l'armée navale », 7 février 1858. Publié dans J.-B. Duvergier, Collection
complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État, Imprimerie
administrative 1858.
2. Idem.
3. Idem.
4. Si l'on en croit La Roncière Le Noury, « La marine et l'enquête parlementaire », Revue des Deux
Mondes, 15 décembre 1849, p. 1073. Il ajoute ces mots, révélateurs de l’état d'esprit des marins de
l'époque : « Depuis le décret, les équipages font eux-mêmes justice des voleurs, et la discipline ne paraît
pas avoir souffert de l'abolition de cette peine, qui était déjà presque abolie en fait. »
5. SHD/DM, CC3-1473, projet de Code de justice pour l’armée navale, par la commission instituée
le 25 février 1850. Exemplaire imprimé annoté par Chasseloup-Laubat.
6. SHD/DM, BB8-882, conseil d’amirauté, séance du 20 mars 1852.
7. LA RONCIÈRE LE NOURY, « La marine et l'enquête parlementaire », Revue des Deux Mondes,
15 décembre 1849, p. 1073.
8. SHD/DM, BB 8-63, cabinet, Compte rendu à M. le ministre par la commission mixte instituée par
décision ministérielle du 25 février 1850, 1er avril 1851.
9. SHD/DM, CC3-1473, projet de Code de justice pour l’armée navale, par la commission instituée
le 25 février 1850. Exemplaire imprimé annoté par Chasseloup-Laubat
10. SHD/DM, CC3-1476, rapport de Casy au ministre, 29 mars 1851.
11. FOURNIER, NEVEU, Traité d'administration de la marine, Berger-Levrault, 1885.
12. SHD/DM, BB8-92, pièce 14. Extrait d’un dossier constitué d'un ensemble de rapports de la
direction du personnel concernant la justice maritime (1855).
13. Amiral Hamelin, ministre de la Marine, « Exposé des motifs concernant le projet de Code de
justice militaire pour l'armée navale », 7 février 1858. Publié dans J.-B. Duvergier, Collection
complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État, Imprimerie administrative,
1858.
14. LA RONCIÈRE LE NOURY, « La marine et l'enquête parlementaire », Revue des Deux Mondes,
15 décembre 1849, p. 1073
15. SHD/DM, BB8-56, amiral Hamelin, rapport confidentiel au ministre, Toulon, 9
novembre 1850.
16. Rigaud, « Rapport fait au nom de la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif au
Code de justice militaire pour l’armée de Mer », 31 mars 1858. Publié dans la Collection complète des
lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État, par J.-N. Duvergier, Imprimerie
administrative, 1858, p. 345-383.
17. Amiral Hamelin, ministre de la Marine, « Exposé des motifs concernant le projet de Code de
justice militaire pour l'armée navale », 7 février 1858. Publié dans J.-B. Duvergier, Collection
complète des lois, décrets, ordonnances, règlements et avis du Conseil d’État, Imprimerie
administrative 1858.
18. Projet de loi portant suppression des conseils de guerre permanents dans les armées de Terre
et de Mer et des tribunaux maritimes et portant suppression des établissements pénitentiaires
militaires, présenté au nom de Armand Fallières, président de la République française, par Guyot-
Dessaigne, garde des sceaux, ministre de la Justice, par le général Picquart, ministre de la Guerre,
et par Thomson, ministre de la Marine. Journal officiel, Documents parlementaires, session ordinaire,
séance du 21 janvier 1877, annexe no 673, p. 63.
19. Rapport de M. Labori au nom de la commission de la réforme judiciaire, Journal officiel,
Documents parlementaires, session ordinaire, séance du 7 mai 1907, annexe n o 920 p. 336.
Déclaration de Georges Clemenceau à la commission.
20. G ONFREVILLE, Organisation et compétence des juridictions criminelles de la marine militaire,
Rousseau, 1941.
RÉSUMÉS
Si l'on retient l'œuvre de Napoléon Ier en matière législative (Code civil de 1804, Code pénal de
1810), c'est au Second Empire que l'on doit la première codification moderne de la justice
militaire, à travers deux lois, celle du 9 juin 1857 proclamant le Code de justice militaire, et celle
du 4 juin 1858 proclamant le Code de justice pour l'armée navale. Ce dernier texte va régir la
justice militaire maritime pendant quatre-vingt ans. Cet article tente de mettre en lumière
quelques éléments concernant la complexité d'une justice maritime qui ne s'est jamais vraiment
débarrassée de traditions remontant à l'Ancien Régime, en même temps qu'il se penche sur le
lent processus juridique qui mènera au Code de 1858. Enfin, il évoque la remise en cause de la
justice maritime en tant que justice d'exception, au lendemain de l'affaire Dreyfus et de la
Première Guerre mondiale.
The Code of Maritime Justice (1858-1965) – a short history of maritime justice. If we look back to the
work of Napoleon 1st in the realm of legal organisation (the Civil Code of 1804, the Penal Code of
1810), it is to the era of the Second Empire that we must turn to find the first modern codification
of military justice by means of two laws. These were the Law of 9 June 1857 that promulgated the
Code of Military Justice, and that of 4 June 1858 which promulgated the Code of Justice for the
Navy. This latter text went on to regulate maritime justice for the next eighty years. This article
attempts to highlight a few elements concerning the complexity of a code of naval justice, a code
that never really threw off traditions that dated back to the Ancien Régime, at the same time as it
lays emphasis on the slow processes that culminated in the Code of 1858. Finally, it deals with
how the whole area of naval justice was called into question as being a form of ‘exceptional
justice’, in the aftermath of the Dreyfus Affair and the First World War.
INDEX
Mots-clés : justice militaire, marine
AUTEUR
JEAN-PHILIPPE ZANCO
Docteur en droit, il a publié Le ministère de la Marine sous le Second Empire, Service historique de la
Marine, 2003 (ouvrage primé par l’Académie de marine en 2005) et plusieurs articles consacrés à
l’histoire administrative et à l’histoire maritime.
La coopération aéronautique
franco-italienne pendant la Grande
Guerre
Patrick Facon
fils d’une étude dont l’élaboration n’a guère été facilitée, loin s’en faut, par la rareté des
documents et la relative pauvreté des fonds d’archives.
6 En à peine une année, l’emprise de l’État sur l’activité d’un marché initialement fondé
sur des bases pour le moins libérales s’est donc fait de plus en plus sentir. Toutefois,
l’évolution vers une emprise complète des pouvoirs publics se révèle bien plus lente :
c’est seulement en 1917 que les exportations directes de matériels aéronautiques sont
totalement interdites par le ministère de la Guerre. En procédant de la sorte, Paris ne
fait que réglementer un marché à caractère éminemment stratégique ; mais il n’en
parvient pas moins par là même à convaincre ses grands alliés de l’idée selon laquelle
leurs intérêts seraient mieux défendus par les autorités officielles que par les
industriels eux-mêmes.
7 La définition d’une politique générale et la coordination des besoins exprimés par les
alliés n’en restent pas moins une pure vue de l’esprit. En avril de cette même
année 1917, un service interallié de l’aviation est bien constitué afin de réaliser une
certaine unité dans les programmes, mais aussi et surtout pour encadrer le processus
de coopération franco-américain, incluant à la fois les besoins qui concernent
l’aéronautique militaire française et ceux des aviations de l’Entente. L’existence de cet
organisme n’en reste pas moins des plus éphémères puisque sa suppression intervient
quelques mois plus tard. Le député d’Aubigny, qui a pris à cœur les problèmes
d’aviation au sein de la commission de l’armée, regrette cette dernière initiative, en
soulignant qu’elle s’identifie non seulement à une erreur grave, mais qu’elle marque
l’arrêt presque définitif de tous les efforts entrepris en ce sens 5.
8 À une Italie précipitée dans le conflit européen en mai 1915, la France est-elle en
mesure d’apporter le soutien d’une industrie qui commence à peine à s’adapter aux
nécessités et aux exigences d’un conflit de longue durée ? Pour cette seule année, les
ateliers sortent 4 489 avions et 7 086 moteurs, et la vocation exportatrice que le pays
s’est forgée avant les hostilités continue de s’affirmer avec force. Les avionneurs et les
motoristes français jouent bien « une fonction vitale » 6 à l’égard des aéronautiques
alliées, notamment celle de la Russie et de la Belgique, un peu moins celle de la Grande-
Bretagne. Cette « fonction vitale » transparaît à travers quelques chiffres éloquents, tel
celui d’une production qui dépassera, en quatre années et demie, plus de 50 000 cellules
(représentant 965 types d’appareils différents) et un peu plus de 90 000 moteurs. Aucun
doute n’est possible, l’avionnerie française est assurément parée d’un rôle dominant.
9 La part de ce total dont bénéficient les Italiens constitue à l’évidence un indicateur
précieux de la façon dont les deux pays ont envisagé et conduit leur coopération en
matière de fournitures industrielles. Une première remarque concerne l’antériorité des
rapports franco-italiens dans ce domaine. C’est en effet dès avant la Grande Guerre que
la France, qui voue un quart de sa production aéronautique à l’exportation, noue des
liens avec l’Italie. Si cette dernière se situe assez loin derrière la Grande-Bretagne et la
Russie, son aviation n’en est pas moins équipée, lorsque Rome déclare la guerre à
l’Autriche-Hongrie, d’une quinzaine d’escadrilles dont les matériels sont presque tous
français, qu’il s’agisse des Blériot, des Nieuport et des Maurice Farman (ces derniers
sont produits sous licence par des ateliers situés à Varèse et Turin).
10 Globalement parlant, quelle proportion des avions fabriqués en France tout au long de
la Grande Guerre est-elle délivrée à l’aéronautique militaire italienne de 1915 à 1918 ?
Sur les 51 700 appareils sortis d’usine du 1er août 1914 au 31 décembre 1918, quelque
9 460 (soit environ 20 %) sont pris en compte par les pays de l’Entente 7.
13 Avec 4,5 %, l’Italie en acquiert près de douze fois moins que les Britanniques et six fois
moins que les Russes. Elle vient aussi largement derrière la Grande-Bretagne, qui reçoit
presque la moitié de ce que reçoivent les alliés.
procèdent en fonction d’un principe simple qui consiste à commander en France les
matériels qui leur font le plus défaut. Toutefois, parce qu’elles ne disposent elles-
mêmes pas des matériels concernés ou encore qu’elles accordent la priorité au
développement de leur propre aviation ou aux aéronautiques d’autres alliés, les
autorités françaises sont amenées à faire des choix 9.
17 La preuve en est que quelques semaines après son entrée en guerre, à l’été 1915, l’Italie
fait part de son intention d’acquérir dans les plus brefs délais une douzaine de
chasseurs Nieuport pour assurer des missions de défense aérienne sur le front qu’elle
vient d’ouvrir face à l’Autriche-Hongrie. Les demandes s’amplifient en mars 1916 où ce
pays, ayant décidé de s’engager dans un vaste un plan d’accroissement de son
aéronautique, compte bien sur la France pour l’aider à concrétiser son projet. Il s’agit
de construire une « flotte offensive » qui supposerait la livraison de 60 Nieuport
supplémentaires, d’une centaine de moteurs Le Rhône et de 400 mitrailleuses Lewis,
tout en assurant la formation d’une douzaine de pilotes à l’École Nieuport. Les autorités
italiennes sont en effet dans un grand embarras : elles n’ignorent pas que la maison
Macchi, à Varèse, demande de trois à quatre mois pour fournir les avions nécessaires,
et elles savent que les Le Rhône seront très difficiles à faire fabriquer par les motoristes
nationaux. Aussi, pour intéresser les Français à leur cas, insistent-elles sur l’urgence de
la situation et la nécessité d’aller vite, sous peine de graves conséquences militaires.
18 Après traitement par la 12e direction du ministère de la Guerre, la demande est
expédiée au Grand Quartier général (GQG), qui estime impossible de répondre de façon
positive. Joffre argue d’abord du fait qu’il reste 15 escadrilles de Nieuport à former au
sein de sa propre aviation et que les 45 Nieuport fournis mensuellement aux armées du
Nord et du Nord-Est sont à peine suffisants pour assurer le ravitaillement des unités
déployées sur le front. Révélant l’importance mineure qu’il accorde au programme de
son alliée transalpine, il conclut : « Je regrette de ne pas avoir été consulté au sujet de la
cession de Nieuport monoplaces consentie en février au gouvernement italien ; j’aurais
certainement émis un avis défavorable en raison de nos besoins et de ceux des Russes. » 10 La
déception est grande chez les Italiens qui tentent d’actionner de nombreux leviers,
dont le chef de la mission militaire française auprès du GQG, « pour obtenir que le
gouvernement français retire la défense d’exportation et donne à l’armée italienne alliée l’aide
dont elle a en ce moment si grand besoin » 11. Si, au cours du premier semestre de 1916, le
même Joffre autorise la cession de 20 cellules Nieuport pour Le Rhône de 110 ch, il
prévient qu’il n’est pas question de fournir les moteurs correspondants. À ses yeux, ce
sont en effet les besoins du front français qui prédominent et, par ailleurs, il accorde la
priorité à une commande britannique devant être honorée pendant le second semestre.
« Il doit être entendu avec les Italiens, écrit le chef du 1 er bureau du GQG, que la cession de
20 cellules Nieuport pour Rhône 110 HP ne leur confère aucun droit à une fourniture
supplémentaire de moteurs. » 12
19 Les autorités françaises, le GQG de Chantilly en particulier, fondent leur politique sur
un principe des plus simples et élémentaires : l’armement et la constitution des
escadrilles du front occidental passent avant toute autre préoccupation, quelle qu’elle
soit. Dans le même temps, les processus à travers lesquels vont être gérées les
demandes formulées par les alliés de l’Entente dans le domaine de l’aéronautique se
mettent en place. Dès les dernières semaines de 1915, la Direction de l’aéronautique
militaire ne prend plus aucune décision en matière d’exportation de matériels aériens
sans avoir pris auparavant l’avis du commandant en chef.
20 À la lecture des archives, d’autres éléments d’explication n’en émergent pas moins. Ils
montrent à quel point les facteurs d’ordre stratégique et diplomatique entrent en ligne
de compte dans les choix faits par les militaires français. Se référant aux premières
commandes italiennes, Joffre précise qu’il entend renforcer avant toute chose l’aviation
russe. Les retards enregistrés dans les livraisons de Le Rhône sont même si
considérables que le GQG préconise d’orienter les exportations sur d’autres types de
moteurs, tant pour l’Italie que pour la Russie. Solution « très désirable » selon lui 13, le
commandant en chef français propose même de réduire de façon conséquente la part
italienne pour mieux servir les Russes. Enfin, Chantilly souhaiterait amener l’alliée
transalpine à développer sa propre industrie de manière à pourvoir à ses besoins,
l’instruction d’un certain nombre de pilotes italiens sur Nieuport étant accordée en
effet pour « inciter le gouvernement italien à pousser sa propre fabrication » 14.
21 Les mêmes arguments reviennent sous la plume des militaires français lorsque, en
novembre 1916, la Missione Militare in Francia approche la Direction de l’aéronautique
militaire, confiée à l’époque au colonel Régnier, pour solliciter d’importantes quantités
de matériel : acquisition du plus grand nombre possible de moteurs Hispano-Suiza de
150 ch, parce que les usines SCAT de Turin sont dans l’incapacité de les fournir avant
avril 1917 15 ; achat de Le Rhône de 110 ch, du fait que les ateliers Gnome-et-Rhône de
Turin ne pourront en produire en grandes séries avant le mois de février 1917 ; cession
de chasseurs SPAD Hispano-Suiza de 150 ch, avec leur armement (mitrailleuse Vickers).
Le GQG, toujours préoccupé par l’armement de sa propre aéronautique, limite les
exportations à une vingtaine de SPAD pour le premier semestre de 1917, non sans
susciter une grande déception à Rome 16. Il en va de même en octobre de la même année
où l’Italie souhaite s’équiper du plus grand nombre possible de cellules Nieuport
de 120 ch et de SPAD de 150 ch. La France répond qu’elle peut seulement céder 50 des
premiers et 25 des seconds (il s’agit d’appareils réparés). Le sous-secrétariat d’État à
l’aéronautique militaire et maritime, à l’initiative de son responsable, Jacques-Louis
Dumesnil, ne consent à produire un réel effort qu’après la bataille de Caporetto, en
proposant de lui vendre certains de ses matériels aéronautiques parmi les plus
modernes (50 cellules de SPAD 180 ch sans moteur, 6 SPAD à moteur 180 ch réparés,
20 SPAD à moteur 200 et 75 SPAD 200 ch sans moteur provenant du service des
fabrications de l’aviation) 17.
porter sur des centaines d’engins de la sorte dans les mois à venir 18. Elle n’en prend pas
moins rapidement une tournure difficile, et aucun des deux partenaires ne parvient à
honorer les engagements pris. Les Italiens, arguant du fait que les industriels concernés
ne sont pas à même de produire au rythme prévu, font savoir qu’ils ne pourront livrer
que 200 Fiat et qu’il leur faudra prélever une partie de la commande sur les lots
destinés à l’armée russe. De leur côté, les autorités françaises tardent à faciliter les
livraisons de matières premières venues des États-Unis en vue de permettre le
lancement du processus de fabrication.
24 L’Italie constitue aussi un recours pour une France qui, en attendant la réalisation d’un
avion de bombardement gros porteur national, s’intéresse à l’acquisition, hormis de
Handley Page britanniques, de bombardiers lourds conçus par Caproni. Le processus
s’enclenche en novembre 1916, lorsque la Direction générale de l’aéronautique
italienne demande l’expédition de l’autre côté des Alpes de moteurs Hispano-Suiza de
200 ch qui pourraient être montés sur des appareils de bombardement Caproni,
fabriqués dans les usines de Milan. « Il s’agirait, précise le capitaine Beltrano, chef de la
Sezione Aviazione, d’un essai qui améliorerait beaucoup notre avion de bombardement en
puissance et rayon d’action, et qui pourrait peut-être permettre à l’industrie aéronautique
italienne de porter unréel concours à l’aviation de notre sœur latine. » 19 On le voit bien à
travers ces quelques lignes, se développer l’idée d’un processus de transfert
technologique profitable à la fois aux Français et aux Italiens. En juin 1917, le capitaine
Pierra, chef de la mission aéronautique française à Turin, confirme le rendement
considérable du Caproni, malgré sa faible puissance motrice : « On peut imaginer
facilement l’installation d’une fabrication de Caproni en France, ajoute-t-il, mais on peut songer
à ravitailler l’escadrille actuelle avec des biplans dont la construction et le rendement paraissent
tout à fait intéressants. » 20 Le capitaine de Kérilis conclut dans des termes identiques, à
l’issue d’une étude qu’il mène sur les Caproni et les services qu’ils ont rendus au front.
25 La France s’intéresse aussi de près à la cession de Caproni à moteurs Isotta, beaucoup
plus puissants. Pierra, lors de sa mission de l’autre côté des Alpes, reçoit l’assurance
que quelques-uns de ces appareils pourraient être livrés à l’été 1917 afin de permettre
des essais opérationnels. Cette proposition prend corps au début de l’automne, lorsque
les autorités italiennes entrent en contact avec le colonel Olivari, attaché militaire
adjoint à l’ambassade de France et chef de la mission militaire française de
ravitaillement en Italie. Les Français ayant donné leur accord, des équipages sont
dépêchés sur place en novembre.
26 Toutefois, dans ce domaine encore, la déception est au rendez-vous. L’aéronautique
militaire française a prévu en effet de se doter d’un contingent de 600 avions de
bombardement pour le mois d’avril 1918, parmi lesquels 250 Breguet 14, 300 Voisin-
Renault et 50 Caproni ; mais les réalisations n’atteignent que 430 appareils en réalité 21.
Dans une lettre en date du 10 juillet 1918, la commission de l’armée signale au
ministère de la Guerre « la faillite des promesses » 22 qui ont été faites. Le Caproni suscite
de grandes désillusions chez les aviateurs et les industriels français. Alors même que
l’aviation de bombardement lourde aurait dû être prête à s’engager dans des opérations
de représailles sur les villes du Rhin dès le printemps 1918, la commission de l’armée de
la Chambre des députés remarque que « les Caproni ont échoué aux essais statiques d’une
façon lamentable. C’était prévu. Un rapport du colonel Dorand, retournant de mission en Italie,
avait signalé que les essais statiques n’avaient pas été faits par la section technique italienne et
qu’il y avait lieu de s’assurer de la solidité des avions avant de passer une commande en France.
Les ministres responsables, malgré tout, donnèrent un avis favorable à la commande de ces
avions. Et on lança la fabrication. Par leur faute, des mois ont été perdus… » 23
Conclusion
ANNEXES
Livraison d’avions aux pays de l’Entente
NOTES
1. C HADEAU (Emmanuel), « Alliances stratégiques et intérêts industriels : Les avatars de la
politique aéronautique alliée (1914-1918) », colloque international d’histoire militaire et d’études
de défense nationale « Forces armées et systèmes d’alliances », Montpellier, 3-5 septembre 1981,
actes, Paris, Fondation pour les études de défense nationale, tome II, 1983, p. 506.
2. C HADEAU (Emmanuel), « État, entreprise et développement économique : l’industrie
aéronautique, en France », thèse présentée pour le doctorat es-lettres et sciences humaines, sous
la direction du professeur Maurice Levy-Leboyer, 1985, université de Paris X-Nanterre, tome 2,
p. 361, dactyl.
3. CHADEAU (Emmanuel), « Alliances stratégiques et intérêts industriels », op.cit.
4. Ibidem, p. 361. Cela pour éviter que les prix pratiqués à l’égard de l’aéronautique militaire
nationale ne connaissent une hausse importante, dopés par les prix à l’exportation.
5. SHD/DAA, 1A061, analyse du rapport sur la situation de l’aviation par monsieur d’Aubigny,
membre de la commission de l’armée, s.d.
6. CHADEAU (Emmanuel), « Alliances stratégiques et intérêts industriels », op.cit., p. 506.
RÉSUMÉS
De 1914 à 1918, la France est le principal fournisseur des pays de l’Entente en matériels
aéronautiques, qu’il s’agisse de cellules, de moteurs ou d’équipements. Parmi ceux de ses alliés
qui bénéficient de son aide figure, à partir de 1915, dès le moment où elle entre en guerre, l’Italie.
Les relations franco-italiennes dans le domaine de l’industrie aéronautique constituent une
illustration éclairante de la politique générale conduite par les autorités françaises à l’égard de
leurs différents partenaires. Elles montrent que loin de tous les considérer sur un pied d’égalité,
elles procèdent à une véritable hiérarchisation du concours qu’elles sont décidées à leur
accorder, en tenant compte de facteurs aussi divers et variés que l’importance stratégique de tel
ou tel front, les circonstances militaires de l’instant et l’intérêt politique ou diplomatique qu’elles
peuvent avoir à un moment quelconque du conflit à agir de la sorte. Par ailleurs, contrôlées de
plus en plus étroitement par l’État, les exportations d’aéroplanes et de moteurs dépendent aussi
d’un autre facteur primordial : celui de l’équipement de l’aviation militaire nationale, qui passe
avant toute autre considération. En définitive, contrairement aux pratiques instituées avec les
États-Unis, la Grande-Bretagne ou encore la Russie, dont elle attend un soutien conséquent, voire
déterminant, la France ne s’intéresse guère avec l’Italie, hormis pendant la dernière année du
conflit et dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, à la définition d’une stratégie
générale commune, intégrant des sphères aussi larges que le politique, le stratégique, le
militaire, l’industriel, l’économique et le financier.
Franco-Italian Aeronautical Cooperation during the Great War.From 1914 to 1918 France is the main
supplier for the Entente countries of aircraft equipment whether frames, motors, or equipment.
Among those allies who benefit from this aid was, after 1915, from the moment when it entered
the war, Italy. Franco-Italian relations in the aviation industry are an illuminating illustration of
the political conduct by French authorities with respect to their various partners. They show that
far from considering all on an equal footing, they proceed by ranking the cooperation they
choose to give them, taking into account factors as diverse and varied as the strategic
importance of this or that front, the circumstances of the moment, and the military, diplomatic
or political interest they may have at any time in the conflict. In addition, monitored more
closely by the state, exports of airplanes and engines also depend on another important factor:
that of equipping the nation's military aviation, which comes before any other consideration.
Ultimately, unlike the practice established with the United States, Great Britain or Russia, from
which it expects substantial, if not decisive, support, France does little with Italy, except during
the last year of conflict and in wholly exceptional circumstances, to define a common strategy
that integrates spheres as wide as political, strategic, military, industrial, economic and financial.
INDEX
Mots-clés : aviation, Italie, Première Guerre mondiale
AUTEUR
PATRICK FACON
Docteur en histoire habilité à diriger des recherches et qualifié aux fonctions de professeur des
universités, il est directeur de recherches au département de l’armée de l’Air du Service
Carl Pépin
1 Le présent article s’intéresse au monde des artistes européens dits d’« avant-garde » et
de leurs œuvres à travers la Première Guerre mondiale. Il s’agit de voir et de
comprendre comment cette guerre, premier conflit où la machine semblait dicter de
nouvelles façons de combattre, a pu affecter les manières de penser et de pratiquer l’art
selon le point de vue des avant-gardes (cubisme en France, expressionnisme en
Allemagne et vorticisme en Grande-Bretagne). Ce n’est pas uniquement dans la guerre,
mais aussi à travers la guerre que les artistes mériteraient d’être approchés. Les
anticipations et les conséquences d’un conflit aux dimensions totales sont parties
intégrantes d’une réflexion sur les manières et difficultés de représenter l’horreur. La
recherche se fonde non seulement sur une compréhension des rapports entre style et
technique, mais sur une échelle plus générale entre la conjoncture politico-militaire et
les produits de la culture formelle de cette époque.
2 Bien avant la guerre, les artistes d’avant-garde étaient conscients de leur place dans le
monde moderne. L’industrialisation et la technologie amenèrent un dynamisme qui
accréditait l’idée que le monde ancien se mourait à petit feu. Mais qu’était-ce que la
modernité selon les avant-gardes ? En fait, la question est de savoir comment on peut
comprendre le travail des avant-gardes de cette période dans une optique où le concept
de l’esthétisme d’alors était associé à toutes ces idées de la société : machine, bruit,
vitesse et dynamisme.
7 Nous pensons que c’est dans un contexte où des nouvelles réalités et réactions
humaines, suscitées par la brutale mécanisation de la guerre, venant s’intégrer aux
fondements (philosophie, méthodes, sujets, etc.) de la peinture d’avant-garde que les
artistes convertis à ces mouvements durent, au moment de la Grande Guerre, repenser
et redéfinir leur art dans la recherche de l’expression picturale de la bataille. Plus
précisément, l’idée d’une prétendue « impossibilité de peindre la guerre » hantait l’esprit
des peintres. Elle édifiait en ce sens le postulat de la première guerre de l’ère de la
modernité tendant à échapper de manière picturale aux avant-gardes. Ne pouvant
comprendre pourquoi, il s’avérait ardu de peindre une sorte d’« inexprimable » liée à
l’horreur des batailles modernes, les artistes ont, pendant et après la conception des
œuvres, amorcé une réflexion que nous nommons « combat intérieur » afin de savoir
s’il était possible de peindre la réalité mouvante et souffrante des batailles.
8 Une fois les œuvres de guerre peintes, il y eut des réactions de la part des critiques et
des artistes eux-mêmes qui se questionnèrent sur les possibilités de « représenter
adéquatement » les horreurs du front de même que sur la valeur symboliquement
guerrière des toiles engendrées. Cet état d’esprit pourrait prendre le nom de « critique
de la réception de l’art ». Enfin, les critiques d’art, le public et quelques peintres en
vinrent à la conclusion que la peinture des avant-gardes traitait de la souffrance et de
l’horreur, mais sans nécessairement être faite de façon toujours naturaliste et palpable.
Peut-on en conclure alors de la force de cette expression picturale d’avant-garde?
mort dans leur travail. » 4 L’idée que la mort pouvait affecter le travail des peintres, voire
en devenir l’élément central dans l’exécution, n’allait pas de soi au départ. Bon nombre
d’artistes partirent à la guerre avec l’idée que celle-ci serait courte et même
enrichissante pour leur art. Certains artistes perçurent les premiers signes d’horreur de
la bataille non pas d’une manière positive, mais surtout étonnée. Prenons par exemple
le témoignage du peintre cubiste Raymond Duchamp-Villon : « J’ai été capable d’examiner
et de suivre toutes les facettes de la guerre ; une merveille d’un génie incroyable. Parce qu’il faut
l’avouer, la grandeur du front est impressionnante et fournit à l’esprit une nouvelle
compréhension des choses. » 5 Il faut retenir de cette citation l’idée que le front était
d’abord quantitatif dans les moyens matériaux immédiats qui s’y déployaient. Avant de
parler de l’horreur et des difficultés de production reliées aux dures conditions
climatiques, les avant-gardes voyaient d’abord la guerre sous ses formes métriques et
matérielles.
telle surface, tant d’hommes par mètre et à l’heure fixe en ordre. Tout cela se déclenche
mécaniquement. C’est l’abstraction pure, plus pure que la Peinture Cubiste soi-même. » 7
15 L’importance qu’occupait le canon, cette machine de mort, dans les témoignages fit
naître chez les artistes cette idée qu’il était désormais impossible de dissocier le
désespoir et la folie de la compréhension du carnage en cours. En fait, on se rend
compte que cette guerre n’était pas mécanisée, mais qu’elle subissait un processus de
mécanisation. Au fond de lui-même, l’artiste cherchait à fuir cette idée de mécanisation
du combat, car il gardait espoir que l’homme pût reprendre sa place. Peut-on alors
parler de véritable synthèse entre l’homme et la machine si le premier est la cause de
l’existence du second ? Pourquoi les artistes témoignent-ils de l’absence d’humanité
dans une guerre faite par des machines ? L’homme est en fait la victime de sa folie
créatrice et devient par conséquent le sauf-conduit permettant l’incompréhension de la
réalité. Les artistes étaient donc les parfaits boucs émissaires de ces difficultés de
peindre la guerre, car ils ne la comprenaient pas comme ils l’auraient voulu et, en
somme, la représentation leur échappait 8.
16 En d’autres termes, la guerre ramenait un supposé « Je » conscient de l’homme vers un
« Ça » inconscient, mais acquis avec la douloureuse expérience des combats.
L’impuissance des artistes à écrire et à peindre les combats n’aurait-elle pas résidé dans
cette transformation des sens, liée et acquise avec l’expérience de la bataille ? L’artiste
devait entretenir un dialogue informel avec le spectateur. Voulait-il faire comprendre
au spectateur ce qu’il avait vu ou ce qu’il avait ressenti des combats ? Le problème
aurait peut-être été dans cette difficulté de combiner les deux approches. D’un côté, il
aurait eu l’impression de faire de la peinture de bataille classique à la Édouard Detaille.
De l’autre, l’artiste aurait peint sa guerre, ses tentatives d’exprimer son traumatisme
sans nécessairement se soucier de faire passer un message convaincant.
17 Finalement, toute cette réflexion ouvrait et fermait à la fois la boucle d’un cercle
vicieux que l’expressionniste allemand Max Beckmann nommait la « désolation éternelle
». C’est dire que l’on ne peut pas transcrire dans des mots ou des images particulières
des émotions qui le sont tout autant face au combat. La désolation éternelle consiste
par ailleurs en un certain laisser-aller dans les efforts entrepris afin de décrire ce qu’on
a vu. Le peintre d’avant-garde britannique Percy W. Lewis laissait transparaître ce
laisser-aller de la description dans son témoignage : « (…). Il n’y a pas de réelle raison, ni
de place, à faire l’éloge des soldats, sauf par la voie d’un hymne abstrait. » 9 Lewis se référait à
l’abstraction afin de cacher ce qu’il ne pouvait décrire.
poussant une logique jusqu’au bout, ces désirs de toujours aller plus loin en continuité
et en même temps en discontinuité avec le progrès technique. Autrement dit, l’intérêt
porté à la modernité ne semble pas s’être atténué dans les tranchées. La diffusion des
mouvements tels le cubisme, l’expressionnisme et le vorticisme a contribué avant la
guerre à cette « internationalisation du débat esthétique » dont parle Philippe Dagen 10. Il y
avait déjà un vaste réseau d’échanges d’idées qui du jour au lendemain s’est disloqué
pour se retrouver au front avec ce même souci d’expérimentation. Comme le souligne
Modris Eksteins : « La guerre jouait ainsi le rôle d’instigatrice du renouveau révolutionnaire
pour lequel l’avant-garde s’était battue. » 11 Eksteins fait référence à ce nouveau contexte
imposé par la guerre et l’influence de celui-ci sur les manières de peindre. Cette idée
vient quelque peu en contradiction avec celle de Christian Derouet qui soutient que la
guerre avait cassé net le développement des milieux d’avant-garde 12. Nous pensons que
les avant-gardes ont eu à faire face à une adaptation des pratiques artistiques d’avant-
guerre devant la réalité du combat. Il ne semble pas être question de cassure ou de
dislocation dans les manières de peindre par rapport aux acquis d’autrefois, ni d’une
rupture formelle des correspondances entre les artistes.
Les réactions
20 Ce que nous appelons la « critique de la réception » des toiles peintes à travers le thème
de la Grande Guerre se divise en deux catégories : les toiles jugées par leurs auteurs et
ensuite par les critiques. Avant d’être soumises aux critiques, les toiles le furent devant
leurs auteurs eux-mêmes. Nous avons évoqué tout au long de cet article les difficultés
rencontrées par les artistes afin de peindre la guerre. Or, nous pouvons penser que le
produit final n’a pas toujours satisfait son auteur. Certains artistes ont exprimé
clairement leur insatisfaction face à leurs toiles alors que d’autres ont émis un avis
contraire.
21 Le problème de satisfaction ou d’insatisfaction face aux toiles n’était pas seulement
imputable à la présence des artistes au front. Il pouvait l’être en rapport avec toutes les
injonctions imposées aux avant-gardes par les pouvoirs politiques, injonctions qui
forçaient d’une certaine manière les artistes à s’engager en faveur de l’effort de guerre
13
. En d’autres termes, cette problématique s’inscrivait dans un contexte plus général, à
savoir la dualité idéologique entre le front et l’arrière. Les avant-gardes ont jugé leurs
toiles en suivant certaines injonctions politiques. Celles-ci furent souvent émises par
des autorités loin des combats et soucieuses de préserver le moral de la nation
éprouvée. Bien souvent, les artistes ont été critiqués sévèrement parce qu’ils ne
respectaient pas à la lettre toutes ces injonctions.
22 Par ailleurs, le public avait besoin d’être rassuré en temps de crise. Il ne cherchait pas
obligatoirement à comprendre ni à analyser ce qui se passait et l’évolution de la
situation l’intéressait dans la mesure où les faits, même teintés d’éventuels mensonges
et de propagande, étaient clairement expliqués. Chaque individu sait que la guerre
apporte son lot de deuils et de malheurs. Collectivement, il est bon de se donner une
image de confiance et cela passe notamment par des moyens d’expression
traditionnels. Cela pourrait en partie expliquer pourquoi les avant-gardes ont
généralement travaillé chacun pour eux sans nécessairement penser à l’impact que
pouvaient avoir leurs toiles sur l’ensemble de la collectivité. Le public ne se contentait
pas que d’un exemple unique, car il avait besoin de se rattacher à des normes. C’est Jean
Conclusion
NOTES
1. C ORK (Richard), A Bitter Truth. Avant-Garde Art and the Great War, New Haven & Londres, Yale
University Press, 1994, p. 13. Traduction auteur.
2. Concept élaboré par l’historien américain George L. Mosse. M OSSE (George L.), De la Grande
Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachettes Littératures, 1999
(1990, 1re éd.). 291 pages.
3. E KSTEINS (Modris), Le sacre du printemps. La Grande Guerre et la naissance de la modernité, Paris,
Plon, 1991, p. 106.
RÉSUMÉS
Cet article propose un regard sur le monde des artistes européens dits d’« avant-garde » et de
leurs œuvres à travers la Grande Guerre. Il s’agit de voir et de comprendre comment cette guerre
a pu affecter les manières de penser et de pratiquer l’art selon les vues des avant-gardes. Ce n’est
pas uniquement dans la guerre, mais aussi à travers la guerre que les artistes mériteraient d’être
approchés. Les anticipations et les conséquences d’un conflit à dimensions totalitaires sont
parties intégrantes d’une réflexion sur les manières et difficultés de représenter l’horreur. Cet
article se fond non seulement sur une compréhension des rapports entre style et technique, mais
sur une échelle plus générale entre la conjoncture politico-militaire et les produits de la culture
formelle de cette époque.
Avant-garde artists in battle: The evolution and redefinition of the practice of art during the First World
War (1914-18).This article looks at the world of the so-called ‘avant-garde’ European artists and
their work during the Great War, with a view to seeing and comprehending how the war affected
ways of thinking and practicing art, in the views of the artistic avant-garde. It is not just within
the war but through the war that these artists are worth approaching. The expectations and
consequences of a conflict on a total scale are integral parts of a reflection on the ways and the
difficulties of representing the horror. The article rests not only on an understanding of the
relationships between style and artistic technique but, on a more general scale, on grasping the
relationships between the era’s politico-military conjuncture and its formal cultural production.
INDEX
Mots-clés : art, Première Guerre mondiale, représentations
AUTEUR
CARL PÉPIN
Né dans la province de Québec (Canada) en 1977, il est doctorant en histoire à l’université de
Laval (province de Québec). Ses recherches, menées sous la direction du professeur Talbot Imlay,
portent sur les relations entre la France et le Québec au cours de la guerre de 1914-1918.
Le personnel de l’aérostation
maritime française (1917-1919)
L’exemple des patrouilles de Bretagne et de la Loire
Thierry Leroy
Introduction
1 La marine française a mené des expériences d’aérostation depuis les années 1880 à
Toulon, mais ce service a été supprimé en 1904, et au moment où la Grande Guerre a
éclaté, rien n’était plus en place. Ce n’est donc que du 1er mai 1916 que date la décision
d’organiser véritablement une aérostation maritime. Il s’agissait d’un programme
relativement ambitieux, s’inspirant du modèle britannique, qui prévoyait la
construction de douze centres d’aérostation et la commande de trente ballons 1.
2 Les premiers CAM (Centres d’aérostation maritime) ont vu le jour à Boulogne-Marquise
(cédé par les Anglais avec les ballons qui l’équipaient), au Havre-Sainte-Adresse et à
Bizerte-Sidi Ahmed. D’autres devaient suivre à Rochefort, Aubagne, Cherbourg-
Montebourg, Brest-Guipavas, Alger, etc. L’armée, qui n’utilisait plus de ballons à la suite
des mésaventures de l’été 1914, en céda alors plusieurs à la marine. Quant aux hommes,
le génie fournit bien un certain nombre de spécialistes, dans le but d’encadrer les
marins, mais en 1917, la guerre sous-marine poussa la marine à élargir encore le
nombre de ses bases sur le littoral, à un moment où l’armée se retrouvait justement
dans un contexte général de pénurie de personnel.
général (circulaire du 1er avril 1917) et les marins recevaient alors des points
d’avancement en proportion de la note obtenue.
4 Le personnel spécialisé (volant et d’ateliers) était régi par une circulaire ministérielle
du 19 juin 1917, mais le personnel volant a fait ensuite l’objet d’une nouvelle circulaire
le 18 février 1918. En 1917, des critères physiques de sélection venaient d’être posés par
les médecins militaires pour le recrutement des aviateurs. Ils furent donc également
acceptés pour l’aéronautique maritime, mais ils n’avaient encore rien à voir avec ceux
exigés aujourd’hui. L’acuité visuelle devait être « normale » (cette notion étant laissée à
l’appréciation des médecins) pour un œil et au moins égale à 3/5 e pour l’autre. Le port
de lunettes était néanmoins interdit. Le champ binoculaire faisait également l’objet de
tests, ainsi que la capacité à distinguer les couleurs. De même, l’ouïe devait être
« normale », ainsi que la respiration, le cœur, la résistance aux chocs sensoriels.
5 En 1916, les spécialistes des ballons dirigeables étaient tous formés à Saint-Cyr, sur la
base du génie. Mais en 1917, l’armée régularisa la situation en acceptant de faire passer
celle-ci sous l’autorité de la marine, et le 26 novembre, le ministre de la Marine créa
officiellement le Centre d’aérostation maritime de Saint-Cyr pour accueillir la CEPD
(Commission d’études pratiques des dirigeables 2) qui devait former les officiers pilotes
de dirigeables, les pilotes de direction, les mécaniciens de bord, les mitrailleurs-
canonniers, ainsi qu’une partie des personnels d’ateliers (mécaniciens et tailleurs). Les
radio-TSF étaient formés à l’École d’aérostation maritime de Rochefort. Les
observateurs et les arrimeurs d’aérostation passaient quant à eux, à l’École annexe des
captifs de Brest, en même temps que ceux versés ensuite aux ballons captifs avec
lesquels ils constituaient un corps unique.
6 À partir du 2 août 1918, la formation des équipages des ballons dirigeables fut déplacée
vers l’École d’aérostation de Rochefort, sauf les observateurs qui demeurèrent à Brest 3.
Le personnel des bases d’aérostation progressa encore en nombre jusqu’à la fin de la
guerre, suivant l’agrandissement des centres et l’augmentation du nombre de ballons
affectés. Le CAM Guipavas (Brest) comptait 125 hommes en juillet 1917 et 332 en
novembre 1918 (314 marins et 18 officiers). Dans l’intervalle, le Centre était passé de
zéro à cinq ballons.
La mission
Le départ
15 Ces départs avaient lieu au petit matin, car les ballons ne volaient jamais de nuit, ni par
plafond bas ou lorsque le vent dépassait 7 m/s au sol. Comme le jour n’était pas
toujours levé, le champ devait être éclairé par des projecteurs. Le ballon était d’abord
sorti du hangar à bras d’hommes, puis le plein des réservoirs d’essence était fait grâce à
des bidons de 50 litres et à une pompe Japy. C’était à ce moment aussi que les
colombophiles (des militaires détachés) apportaient à l’équipage une ou deux boîtes en
osier contenant de deux à quatre pigeons voyageurs élevés au colombier du Centre et
destinés à donner l’alerte en cas d’amerrissage forcé 8. La pesée permettait ensuite de
savoir la charge offensive qu’on allait pouvoir embarquer, ainsi que sa répartition. Le
commandant ordonnait ensuite de lâcher le lest, d’abord des sacs de sable (quelques
dizaines de kilos selon le volume du ballon), puis après une montée à quelques mètres,
100 litres d’eau qui arrosaient généralement les matelots les plus proches.
La patrouille ou l’escorte
16 Pour des raisons liées aux températures, les dirigeables en patrouilles ne s’élevaient
jamais à de très fortes altitudes et croisaient à peine plus haut que les hydravions avec
lesquels ils travaillaient à proximité des convois de navires (1 000 m au maximum).
Comme il avait été découvert à bord d’un U-boot échoué en Manche que les sous-marins
allemands avaient ordre de ne pas attaquer un convoi protégé par dirigeable, il fut
décidé d’assurer cette escorte chaque fois que la météo le permettrait ; mais en
Manche, Atlantique et mer du Nord, en automne et hiver, la sécurité de la navigation
était souvent confiée aux seuls hydravions.
17 Développée sur les côtes de Bretagne au cours du printemps 1917, l’aérostation
maritime a pu participer pour la première fois aux recherches à partir du 15 juillet. Ce
jour-là, le Capitaine-Caussin, basé à Paimbœuf, repéra un premier champ de mines, et le
25, trois nouveaux objets furent signalés par le même équipage. La réticence du
commandant Rondeleux, chef des patrouilleurs de la Loire, devant les fausses alertes
des équipages des avions de La Baule et de Quiberon, fut alors balayée, car les aérostats
permettaient une identification plus précise que les avions, et au moment où
s’annonçaient les premiers convois américains, il était important de ne pas détacher
inutilement de précieux dragueurs de mines. Lorsque les navires, réunis en convois
depuis le printemps 1917, franchissaient le 22e méridien ouest, ils entraient dans la
zone d’action des sous-marins. Ils commençaient alors à naviguer en virages successifs.
18 L’amirauté fixait chaque semaine quatre ou cinq nouvelles routes d’approche
surveillées vers Brest ou Saint-Nazaire, qui devaient amener les convois à des points
situés à 30 ou 40 milles de la côte. Là, les navires retrouvaient les moyens aériens et de
surface envoyés à leur rencontre pour leur permettre de rallier le port si possible avant
la nuit. Les hydravions ne s’éloignant que rarement au-delà de 20 milles (et les avions
ne quittant pas la côte, pour des raisons de sécurité), les navires étaient alors confiés
aux ballons dirigeables et aux ballons captifs. Les jours de beau temps, les dirigeables
pouvaient même se porter jusqu’à 100 voire 120 milles au large ; le record étant
probablement tenu par un ballon du CAM Guipavas qui se porta à 215 milles de son port
au secours d’un navire en danger.
19 Les rencontres avec les sous-marins furent cependant assez peu nombreuses, en raison
probablement du respect qu’intimaient les aérostats aux sous-mariniers. J’en ai relevé
trois en Bretagne en deux ans. La première est datée du 16 juillet 1917, lorsque le
Capitaine-Caussin lâcha huit bombes sur un sillage suspect, mais il fallut attendre ensuite
le 4 juillet 1918 pour que le CM-2 (enseigne de vaisseau Martinier) du CAM Guipavas pût
lâcher trois bombes au sud-ouest de Penmarch, et le 10 août 1918 pour voir le CM-4
(lieutenant de vaisseau Lidy) attaquer un adversaire de quatre bombes, encore près de
Penmarch où les sous-marins menèrent une partie de leurs attaques cette année-là.
22 Les hangars à dirigeables étaient de grandes dimensions pour être capables d’accueillir
deux ou trois ballons chacun. À Guipavas, près de Brest, existaient en 1918, deux
hangars en bois recouverts de fibrociment sur chape de ciment. Le hangar nord
mesurait 200 m de long, 24 m de large, pour 26 m de haut. Le hangar sud était un peu
plus petit, avec 200 m de long, 20 m de large et 22 m de haut. En 1918, un troisième
hangar s’ajouta un peu plus loin sur le champ, pour la marine américaine. Les portes,
en madrier, étaient très lourdes (plusieurs tonnes) mais elles se déplaçaient sur des
rails et grâce à un treuil, deux matelots suffisaient à les manœuvrer.
23 Pour la sécurité, un extincteur, une toile et une baille à eau avaient été disposés entre
chaque ferme de charpente (soit 76 par hangar), et il y avait quatre bouches d’incendie
de chaque côté (soit 8 dans chaque hangar). Les usines à hydrogène étaient en béton car
elles se trouvaient à proximité immédiate des hangars. L’usine de Guipavas comprenait
deux salles abritant les appareils de production (système Lelarge, pour une production
journalière de 600 m³ 11), communiquant avec deux magasins pour la soude caustique et
le ferrosilicium. L’hydrogène était ensuite envoyé directement vers une nourrice de
1 300 m³) d’où une canalisation souterraine le distribuait aux hangars. Des joints d’eau
permettaient de couper à volonté la communication avec les ballons. Les déchets
silicatés étaient ensuite répandus dans des fosses cimentées puis envoyés à la mer par
camions-citernes. Pour les mêmes raisons de sécurité, les soutes à munitions étaient
installées le plus loin possible des avant-ports et de l’hydrogène (200 m au moins), dans
un abri bétonné.
24 Les CAM se trouvant rarement aux environs de villes importantes, ils n’étaient pas
desservis par le réseau électrique local, mais étaient équipés de groupes électrogènes et
d’une batterie d’accumulateurs qui assurait l’éclairage des logements des officiers, de
l’usine à hydrogène et des hangars. Par contre, à la différence de la plupart des unités
de l’aviation maritime, ces centres disposaient de lignes téléphoniques directes avec
leur préfecture maritime, mais uniquement en raison de leur relative proximité des
ports, car dans un premier temps, seuls les établissements les plus proches avaient été
équipés 12.
La vie à bord
25 Les officiers étaient logés dans des baraquements de bois et de ciment recouverts
d’ardoises, comprenant des chambres individuelles, un carré, des douches, etc. Les
officiers mariniers étaient logés dans des baraquements en fibrociment (deux par
chambre pour les seconds maîtres et chambres individuelles pour les maîtres). Ils
disposaient aussi d’un poste pour les seconds maîtres et d’un autre pour les maîtres.
Mais les équipages (matelots et quartiers-maîtres) étaient logés dans des bâtiments en
fibrociment ou en bois par chambrée de 96 à 192 lits, dont l’isolation n’était pas bonne,
et souvent les matelots se plaignaient du froid en hiver, car les poêles à charbon ne
suffisaient pas toujours à enlever l’humidité des murs.
26 La discipline à bord d’un centre d’aérostation n’avait rien à voir avec celle d’un centre
d’aviation à la même époque. L’état d’esprit y était différent car beaucoup d’officiers de
l’aviation maritime (en particulier les commandants d’unité) avaient servi auparavant
dans des escadrilles de l’armée, au milieu de pilotes issus de l’aviation sportive pour
lesquels le tutoiement était de rigueur, ou venus de la cavalerie où l’individualisme
était considéré comme une qualité. Au contraire, dans l’aérostation, mise en place par
le plan Lacaze de 1916, c’était l’esprit de la flotte qui avait pris le dessus. Le
commandant de Brossard écrit d’ailleurs dans son livre 13, qu’on parle de « sortie de
dirigeable, et rarement de vol »et que « cela le classe dans la famille du bateau. Un dirigeable,
ajoute-t-il, prend l’air comme un bateau la mer. » Alors que la discipline était dans
l’aviation assez « familiale », dans l’aérostation, comme sur les navires de ligne, la
moindre faute était punie de quatre à huit jours de cellule, et on y voit des marins
accumulant les peines. Le local disciplinaire de Guipavas disposait pour cela de douze
places.
27 Dans les CAM, les non-volants étaient considérés comme personnel « à terre ». Aussi, à
part les spécialistes, l’affectation d’un marin ne devait pas en théorie excéder un an et
la plupart venaient du dépôt de la marine le plus proche. Les spécialistes (arrimeurs,
mécaniciens et voiliers) n’étaient donc qu’une minorité des personnels de la base et se
différenciaient des autres par un insigne de bras qui les autorisait, bien que n’étant pas
du personnel volant, à participer ponctuellement à des vols techniques. Le
commandant du CAM, les officiers, les officiers mécaniciens et les éventuels ingénieurs
portaient également cet insigne pour les mêmes raisons.
28 Les qualifications de ces marins, regroupés par analogie, définissaient bien leur
domaine de compétence et faisaient apparaître encore des différences entre l’aviation
poches (surtout pas de clefs ou de couteaux de poche) pour ne pas risquer la moindre
étincelle. Le silence était de rigueur pour entendre les ordres.
32 Dans le sol du grand avant-port de Guipavas, il y avait quatre filières parallèles à l’axe
central. Deux étaient à 25 m de l’axe et servaient au garage du ballon entre les missions.
Deux autres étaient à 15 m de l’axe et servaient à la manœuvre. Dans le petit avant-
port, deux filières étaient placées parallèlement à l’axe central, à 15 m de chaque côté
de l’axe, et pouvaient servir au garage ou à la manœuvre. Sur le champ, des maillons de
chaînes étaient ancrés au sol et formaient un triangle pour l’amarrage des ballons. Les
hommes du troisième groupe étaient chargés du fonctionnement de la base. Ils étaient
en moyenne 10 % des personnels. On comptait quatre ou cinq fourriers, quatre ou cinq
fusiliers marins, six ou sept personnels de bouche, deux colombophiles, des
téléphonistes, un infirmier, un armurier.
33 En 1919, une équipe météo composée d’un ou deux officiers mariniers et de deux ou
trois quartiers-maîtres ou matelots, a été versée dans chaque CAM (circulaire du
18 décembre 1918). Ces hommes dépendaient du service météo de l’aéronautique
maritime et se trouvaient en relation téléphonique avec les sémaphores et les stations
météorologiques des ports militaires. Il était prévu qu’ils fassent des observations à
heures fixes (1 h, 7 h, 13 h, 18 h) et transmettent leurs observations au service de la
météo maritime à Paris. Le chef de station pouvait donc décider de lâcher des ballons
sondes gonflés à l’hydrogène s’il le jugeait utile.
34 En outre, à la fin de 1918, les CAM disposèrent de quelques civils, en vertu de la loi sur
les arsenaux de la marine qui permettait de combler les manques non seulement par
des hommes (les mutilés de guerre avaient une priorité depuis une circulaire de
décembre 1915) mais aussi par des femmes, employées principalement dans des postes
administratifs (dactylographe, secrétaire-copiste, employés aux écritures). Leur
nombre restait néanmoins limité ; pas plus de deux ou trois par CAM. Ce même déficit
en personnel amena également la marine à faire appel à la fin de la guerre à des marins
grecsen assez grand nombre. Les premiers arrivèrent sur l’Atlantique en février 1918,
aussi bien dans les centres d’aérostation que dans les centres d’aviation. Ils
remplaçaient les Français, et de fait, 49 marins grecs inscrits sur le rôle de Guipavas en
novembre 1918 (des gabiers, des mécaniciens, un charpentier et une majorité de
matelots sans-spécialité) représentaient 1/6e du personnel total.
35 En 1918, le fonctionnement des centres d’aérostation maritime était plutôt comparable
à celui des ports de patrouilleurs qu’à celui des bases d’aviation. La proximité de l’air
n’y changeait rien. Le nombre important des non-spécialistes y fut évidemment pour
quelque chose, car dans les unités d’aviation maritime, théoriquement semblables, le
personnel était plus réduit et composé en majorité de techniciens brevetés, volontaires,
soucieux de conserver cette affectation. Mais, il convient de ne pas négliger non plus la
spécificité d’emploi de ces grands aérostats qui les rapprochait davantage aux yeux de
tous, des unités de surface d’où étaient d’ailleurs issus les officiers et les cadres d’une
manière générale et où la discipline était connue pour sa rudesse.
BIBLIOGRAPHIE
- LEROY (Thierry), La guerre sous-marine en Bretagne (1914-1918) ; Victoire de l'aéronavale, Bannalec,
1990, 254 pages.
- VERCKEN (vice-amiral Roger), Histoire succincte de l’aéronautique navale, 1910-1988, Paris, ARDHAN,
1993, 173 pages.
Sources
- BROSSARD (capitaine de frégate de), Lâchez-tout !, Paris, France-Empire, 1956, 318 pages.
- BRUNOFF (Maurice de), L’aéronautique pendant la guerre mondiale, Ed. Maurice de Brunoff, Paris,
1919, 734 pages.
- PLESSIS (J. du), La vie héroïque de Jean du Plessis, commandant du Dixmude, 1892-1923, Plon, Paris,
1924, 350 pages.
SHD/DM (Brest) :
Rôles d’équipages
NOTES
1. En novembre 1918, l’aérostation maritime française mettait en œuvre 12 CAM totalisant
37 unités souples. Son personnel comprenait 104 pilotes, 175 hommes d’équipages et 2657 non-
volants (vice-amiral Roger Vercken Histoire succincte de l’aéronautique navale 1910-1988, ARDHAN,
1993, p. 34).
2. La CEPD travaillait en relation avec l’Établissement d’aérostation militaire de Chalais-Meudon
et les instructeurs restaient pour la plupart des militaires.
3. Leur école devenant alors une annexe du Centre de Rochefort. Les examens y étaient effectués
par une commission locale qui transmettait ensuite ses résultats (Bulletin officiel, 2 e
semestre 1918).
4. Ordre du 10 avril 1918 (Bulletin officiel, 1er semestre 1918) modifié par l’ordre du 19 août 1918,
(Bulletin officiel, 2e semestre 1918). Il y en avait donc trois dans l’année.
5. PLESSIS (J. du), La vie héroïque de Jean du Plessis commandant du Dixmude, 1892-1923, Paris, Plon,
1924, p.187-188.
6. DUCOM (René), « Les dirigeables en Manche 1914-1918 », Neptunia, n°164/1986-4.
7. La vie aérienne, 6 mars 1919.
8. L’expérience aurait prouvé que loin des côtes, ils avaient tendance à avoir des problèmes
d’orientation et ne rejoignaient pas toujours leurs cases, ce qui les obligeait à en prendre
plusieurs.
9. Bulletin officiel, 1er semestre 1917, p. 24-27. Ces équipements furent utilisés jusqu’en 1937 et la
fin de l’aérostation maritime française.
10. Les élèves pilotes, s’ils remplissaient les conditions présentées par la circulaire (12 heures de
vol dans le semestre précédent et 24 heures dans le semestre en cours), ouvraient leur droit à ce
supplément.
11. L’usine utilisait de la soude caustique ainsi que du ferrosilicium et de l’eau (2NaOH + Si + H2O
= Na2SIO3 + 2H2). Ce système était préféré à l’électrolyse en raison de la faiblesse de la production
électrique.
12. Thierry LE ROY, La guerre sous-marine en Bretagne (1914-1918) - Victoire de l'aéronavale, autoédité,
Bannalec, 1990.
13. BROSSARD (commandant de), Lâchez-tout !, Paris, France Empire, 1956.
RÉSUMÉS
La marine a mené des expériences d’aérostation à la fin du XIX e siècle mais c’est du 1 er mai 1916,
pour faire face au nouveau péril sous-marin, que date son organisation véritable. Il n’y avait pas
d’équipage type. L’équipage était fonction du volume du ballon, même si certaines spécialités
étaient obligatoires. Le pilote d’altitude était un officier. Il pouvait cumuler cette fonction avec
celle de commandant de bord. Les autres personnels étaient marins ou officiers-mariniers (pilote
de direction, mécanicien, radio-TSF, canonnier, etc.). Cette étude, menée à partir des rôles
d’équipages, a permis de dégager trois groupes : les techniciens, la manœuvre au sol, les autres
marins du CAM. Les spécialistes (brevetés d’ateliers d’aéronautique) étaient peu nombreux. Les
matelots sans-spécialité constituaient même la moitié des personnels de l’aérostation, ce qui
n’était pas le cas dans l’aviation. Le fonctionnement d’un Centre d’aérostation était différent de
celui d’un Centre d’aviation. L’origine des cadres, le nombre important de non-spécialistes
rapprochait davantage ces CAM des ports de patrouilleurs, que des unités d’aviation au personnel
composé de spécialistes.
The personnel of French maritime aerostation (1917-1919): The example of Brittany and Loire patrols.The
Navy conducted aerostation [balloon and dirigible] experiments in the late nineteenth century
but facing the new submarine threat, it began a special study on 1 May 1916. There was not one
type of crew. Although some specialties were required, the crew was based on the volume of the
balloon. The flight pilot was an officer. He could combine this function with that of the captain.
The other personnel were sailors or petty officers (navigator, mechanic, radio operator, gunner,
etc.). The study focused on the duties of crew members and identified three groups: technicians,
ground control, and other sailors. Specialists (with certified aeronautical skills) were few. Crew
members without a specialty constituted about half the aerostation personnel, which was not the
case in aviation. The operation of an aerostation center was different from that of an aviation
center. The origin of the cadres, the large number of non-specialists made the aerostation
centers resemble patrols in ports more than aviation units composed of specialists.
INDEX
Mots-clés : aérostation, Première Guerre mondiale
AUTEUR
THIERRY LEROY
Docteur en histoire, enseignant dans le secondaire, chercheur associé au CERHIO (UHB Rennes 2,
UBS Lorient), il est l’auteur de La Guerre sous-marine en Bretagne 1914-1918 : victoire de l’aéronavale
(1990, « diplôme Histoire » de l’Aéroclub de France) ; Les Bretons et l’aéronautique des origines à 1939
(2002) et co-auteur de L’Aviation maritime française pendant la Grande Guerre (1999, médaille de
l’Académie de marine) ainsi que de nombreux articles sur l’histoire de l’aviation dans des revues
françaises et étrangères.
Israël-États-Unis, de la
reconnaissance historique à
l’alliance stratégique
Histoire des relations stratégiques et diplomatiques, 1948-2004
Gérard Claude
Préambule
davantage par des considérations de politique intérieure que par les exigences de
l’environnement géostratégique de la région.
3 La société américaine de l’après-guerre nourrit, en effet, un profond sentiment de
sympathie à l’égard de la cause sioniste. Ce courant est d’abord alimenté par la
communauté juive américaine, anciennement implantée, bien intégrée, puissante et
nombreuse (environ 6 millions de personnes à cette époque). Dans le contexte des
élections présidentielles, elle constitue une force politique majeure et le soutien
traditionnel du Parti démocrate. Les fondamentalistes protestants, fort nombreux dans
les États du sud et du centre-ouest du pays, sont également un atout pour la cause
sioniste. Ils sont influencés par le concept biblique selon lequel la reconstruction de
l’État hébreu en Palestine est la condition du retour de Jésus sur Terre. Vision
prophétique, qui est à l’origine de leur engagement, et certainement de celle du
président Truman que l’on sait profondément croyant. À la fin des années 1940, la
communauté noire est aussi pro-israélienne. Elle l’est car elle partage avec son
homologue juive le sentiment d’être une minorité, ce qui suscite une solidarité de fait.
La communauté juive ne soutient-elle pas dès l’origine le mouvement des « Civils Rights
» ? Il est naturel que les Noirs partagent les revendications nationalistes du
mouvement sioniste. Plus largement encore, les Américains, dans leur majorité, sont
acquis à la cause israélienne par l’image qu’ils ont de ce jeune État : un pays pionnier,
une terre refuge, qui incarne les valeurs occidentales dans un environnement arabe,
hostile par nature. Un peuple courageux, tenace et laborieux. Que de points de
similitude avec l’histoire de l’Amérique et de ses premiers colons. Il n’est pas étonnant
qu’un sondage réalisé en 1948 révèle que neufs Américains sur dix approuvent
l’existence de l’État juif. Les médias et le Congrès se font les relais de ce large sentiment
de sympathie. On comprend, dans ces conditions, l’attitude du président américain.
Mais des considérations stratégiques opposées rendent compte également d’une
certaine réserve de sa politique à l’égard d’Israël. La reconnaissance de son existence ne
signifie nullement une alliance stratégique.
4 La haute administration américaine ne partage pas en effet la sympathie du président
pour la cause sioniste. Elle raisonne selon une logique différente. Pour le secrétaire
d’État John Marshall, son sous-secrétaire R. Levett, et le chef du département du
Proche-Orient Loy Henderson, toute alliance avec Israël porterait ombrage à l’influence
américaine dans la région auprès des États arabes. Le président Roosevelt est très
attentif à cet équilibre lorsqu’il affirme que rien ne sera entrepris en Palestine sans
l’accord de l’Arabie Saoudite et de la Syrie. À Washington, on craint dans ce contexte de
guerre froide naissante, où Américains et Soviétiques se disputent des zones
d’influence, que le rapprochement avec Israël ne favorise des alliances entre l’URSS et
certaines monarchies arabes, ce qui aurait un effet inverse à l’objectif de la « doctrine
Truman » de « l’endiguement ». À cet argument stratégique, Marshall en ajoute un autre,
d’essence historique, emprunté à l’exemple de l’ancienne puissance mandataire dans la
région. Si la Grande-Bretagne est parvenue à se maintenir aussi longtemps en
Méditerranée orientale, c’est grâce à ses alliances durables avec les États arabes. Au
moment où Washington s’apprête à prendre le relais de l’ancienne puissance déchue, il
convient qu’elle adopte, pour « durer », la même ligne de conduite.
5 Ces considérations expliquent le caractère très mesuré des relations entre les États-
Unis et Israël au lendemain de la guerre, et permettent de comprendre la raison pour
laquelle l’alliée stratégique et militaire de l’État hébreu dans les années qui suivent sa
fondation est la France. Jusqu’à la fin des années cinquante, les Américains refusent en
effet de livrer le moindre armement à Tel-Aviv, laissant ce privilège à la France. Un
rapport, datant du 7 mai 1953, à la veille de la visite au Proche-Orient du nouveau
secrétaire d’État John Foster Dulles, donne clairement les raisons de cette « réserve »
américaine : « À moins d’affaiblir les intérêts américains dans cette région et de subordonner
les impératifs stratégiques américains à la cause sioniste, la relation privilégiée entre les États-
Unis et Israël est considérée comme détournant et affaiblissant la poursuite de la politique
étrangère des États-Unis au Proche-Orient. » On ne peut être plus clair sur les principes de
la diplomatie américaine dans la région. Le nouveau président Eisenhower entend
poursuivre et amplifier la politique « d’endiguement » de son prédécesseur, et la mettre
en application dans la région en ralliant à l’Amérique le plus grand nombre d’États
arabes possible, afin de stopper la progression soviétique. Ce sera le pacte de Bagdad
de 1955. Cela explique la réaction très vive de Washington dans les crises qui
impliquent l’État hébreu, en 1953 et 1956. Le 15 octobre 1953, Israël déclenche une
opération de représailles sur le village jordanien de Qibya, suspecté d’abriter des
feddayins palestiniens responsables de plusieurs raids meurtriers sur ses localités de la
frontière jordanienne. L’opération est vigoureusement dénoncée par les États-Unis à la
tribune de l’ONU. Trois ans plus tard, l’État hébreu décide de s’associer à l’expédition
punitive franco-anglaise contre l’Égypte de Nasser. Il s’agit de se prémunir contre une
éventuelle agression égyptienne. Guerre préventive. Une nouvelle fois Washington fait
pression sur Tel-Aviv (Londres et Paris) pour obtenir, après négociation, le retrait de
Tsahal.
6 L’année 1958, et le second mandat présidentiel de Eisenhower, marquent une première
inflexion dans la diplomatie américaine. Désormais, Israël n’est plus considéré comme
un obstacle à l’établissement d’un ordre américain au Proche-Orient, mais comme un
atout, un allié potentiel. Plusieurs événements rendent compte de ce retournement
progressif de la position américaine. Il faut d’abord considérer la « nouvelle donne »
géopolitique résultant du fiasco de l’expédition militaire franco-anglaise de Suez
en 1956. Elle marque le terme de l’influence de ces deux puissances coloniales en
Méditerranée orientale. La place est désormais vacante. Américains et Soviétiques vont
se disputer dans le cadre de la guerre froide les faveurs des États arabes. La crise
de 1956 montre également l’efficacité du potentiel militaire israélien, le seul
véritablement opérationnel dans la région. La fin des années cinquante est marquée au
Moyen-Orient par le développement d’un mouvement panarabe qui trouve en Abdel
Nasser un leader charismatique de premier plan, et dans la création de la République
arabe unie (qui associe, en un seul État, l’Égypte et la Syrie), sa manifestation la plus
concrète. Le communisme n’est donc plus l’unique menace dans la région. Israël peut
désormais faire obstacle au nationalisme arabe. Les crises qui se produisent en 1957
et 1958 vont lui en offrir l’opportunité.
7 C’est en premier lieu le resserrement de l’alliance militaire syro-soviétique. Elle suscite
la réaction militaire des États-Unis, associés à la Turquie, la Jordanie et l’Irak. Simple
manifestation de force à la frontière syrienne, qui suffit pour calmer les ardeurs du
nouveau régime de Damas. Plus grave est la crise libanaise de 1958 puisqu’elle nécessite
l’intervention militaire américaine. Elle est déterminante dans le retour de la paix
civile. La crise jordanienne de l’été 1958 marque le point d’orgue de cette série de
tensions. Le régime du roi Hussein, en proie à une coalition de nationalistes jordaniens
et de palestiniens, fait appel aux États-Unis qui interviennent avec les troupes
israéliennes pour rétablir l’ordre dans le royaume hachémite. Ces événements
et Jérusalem. L’objet ultime étant de tisser entre des États qui s’ignorent des accords de
désengagement limité, afin de créer les conditions d’une paix durable. Le projet
américain est de sécuriser l’environnement géopolitique et stratégique d’Israël. Le
problème comprend deux paramètres : les États arabes, unis et toujours hostiles à
l’existence de l’État hébreu, et le peuple palestinien, sans État, représenté par la jeune
Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat. Sur le dossier
palestinien, la diplomatie américaine va échouer. La conférence de Genève
d’octobre 1977 a montré l’intransigeance des deux parties qui refusent de se
reconnaître mutuellement, malgré les efforts conjugués des Américains (convaincus
que cette question est désormais une donnée incontournable de la résolution du conflit
régional) et des Soviétiques (associés à ce dossier grâce à leur implication en Syrie et en
Égypte).
10 En revanche, la diplomatie américaine parvient à fissurer le « front arabe du refus » en
dissociant l’Égypte de l’alliance anti-juive, et en l’amenant à conclure un traité de paix
et de reconnaissance mutuelle avec Israël. Ce seront d’abord les accords du Sinaï I et II,
en mars et septembre 1975, qui marquent le succès de la « diplomatie Kissinger », puis
quatre ans plus tard, sous l’Administration Carter, ceux de Camp David signés en
mars 1979 qui fixent « le cadre de paix au Proche-Orient » et posent le principe de la «
pleine autonomie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza ». Ces accords, dont la conclusion
est permise par le « retournement diplomatique » du président égyptien Anouar al-Sadate,
consacrent le succès de la « doctrine Carter », qui s’inscrit en opposition à celle définie
par Kissinger dans la mesure où elle propose une approche globale des questions
diplomatiques. Même si à moyen terme l’objectif des stratèges de la Maison-Blanche
n’est pas atteint (l’Égypte ne parvient pas à entraîner dans son sillage les autres nations
arabes en créant une dynamique de paix autour d’Israël), l’essentiel est acquis pour
Washington : sécuriser la frontière sud de l’État hébreu et conforter son influence dans
la région. Ce traité ouvre également la voie à une redéfinition de la place stratégique
d’Israël dans la politique américaine au Moyen-Orient.
11 Il faut rappeler que le contexte géostratégique de la région est brutalement bouleversé
en 1979 par deux événements majeurs : la révolution iranienne conduite par l’ayatollah
Khomeyni et l’invasion soviétique de l’Afghanistan. Les Américains perdent en peu de
temps deux positions stratégiques essentielles. On comprend, dès lors, la proposition
d’un mémorandum qui renforce la sécurité (et l’alliance) avec Israël, dont la position
stratégique revêt une importance nouvelle. L’article 3 du texte précise que « si une
violation du traité de paix est jugée une menace pour la sécurité d’Israël, les États-Unis seront
prêts à envisager de toute urgence des mesures telles que le renforcement de leur présence dans
la région, des fournitures d’urgence à Israël et l’exercice de droits maritimes pour mettre fin à la
violation ». En clair, les États-Unis s’engagent ouvertement auprès de l’État hébreu pour
garantir militairement sa sécurité. Ainsi que l’intégrité de toute la zone du Golfe
persique, sur laquelle l’invasion soviétique de l’Afghanistan fait planer une menace
réelle. Le président Carter, quelques mois plus tard, affirme sa détermination à
protéger l’ensemble de la région, en déclarant que « toute tentative par une force
extérieure de contrôler la région du Golfe persique sera considérée comme un assaut contre les
intérêts vitaux des États-Unis, et un tel assaut sera repoussé avec tous les moyens nécessaires, y
compris la force militaire ». Cette nouvelle position de l’Administration Carter sera à
l’origine de la Rapid Deployment Force, créée en 1980. Elle annonce également
l’engagement américain qui caractérisera la présidence de Ronald Reagan.
terre d’Islam, mais a minimisé la position stratégique d’Israël. Un autre élément est
intervenu pour expliquer la nouvelle orientation des relations américano-israéliennes à
partir du début des années 1990. C’est la question palestinienne et l’évolution qu’elle a
connue. La « première Intifada », déclenchée en 1987, a ému la communauté
internationale et l’opinion publique américaine, choquée par le sort des Palestiniens de
« l’intérieur » (Cisjordanie et bande de Gaza), victimes de la politique de
« harcèlement » conduite par le Likoud. En décembre 1987, la résolution 605 des
Nations Unies dénonce « les pratiques d’Israël qui viole les droits du peuple
palestinien ». Le prestige de l’OLP en sort restauré, ce qui permet à son leader, Yasser
Arafat, d’aller plus loin dans ses concessions et ses positions. Dans les différentes
tribunes qui lui sont offertes, il affirme sa volonté de créer un État palestinien
autonome et déclare vouloir reconnaître l’État d’Israël. Pour donner à son organisation
une image de respectabilité reconnue, il affirme également son désir de paix et son
refus du recours au terrorisme. Cette nouvelle posture de la cause palestinienne et la
physionomie plus conciliante de l’OLP vont conduire les États-Unis, et la nouvelle
Administration démocrate Clinton, à considérer la question palestinienne comme
essentielle pour le rétablissement de la paix dans la région. Dans ces conditions, les
relations avec Israël sont placées dans une perspective différente et l’État hébreu est
pressé par son partenaire de contribuer efficacement à la solution de paix.
17 Le processus de paix sera désormais le cadre au sein duquel évoluera l’alliance
américano-isaélienne. L’Administration Clinton va s’impliquer largement dans
l’élaboration de ce processus. Elle est favorisée dans sa démarche, dans un premier
temps, par le retour au pouvoir du Parti travailliste en Israël et l’élection, en juin 1992,
d’Ytzhak Rabin. Le cycle des négociations s’était ouvert en octobre 1990 à Madrid. La
conférence avait inauguré une série de rencontres bilatérales et multilatérales entre
Israël, l’OLP et les États arabes. Les États-Unis encouragent le dialogue sans prendre
part officiellement aux rencontres. Elles aboutissent à l’ouverture des négociations
d’Oslo, au début de 1993, dont le « Processus » conduit à la signature des accords de
Washington du 13 septembre 1993, scellés par une historique poignée de mains entre
Arafat et Rabin, sous le regard entendu et satisfait du président Bill Clinton. Les États-
Unis parviennent à récupérer à leur profit les années de laborieuses négociations entre
Israéliens et Arabes, sans s’y impliquer directement. La « déclaration de principes »,
signée entre les deux parties en septembre 1993, sera complétée par l’accord d’Oslo II,
deux ans plus tard, en septembre 1995.
18 Mais le « Processus d’Oslo » va vite montrer ses limites, car, sur le terrain, la situation
entre les communautés reste tendue, le Hamas refusant toute reconnaissance de l’État
sioniste et cherchant à poursuivre l’Intifada. Les colons juifs, pour leur part, restent
très méfiants et hostiles aux accords. Le principal obstacle à la réussite du processus de
paix a été sa « progressivité » voulue par l’Administration américaine, qui pensait qu’on
ne pouvait résoudre des années de conflit d’un seul coup. Il convenait de procéder
progressivement, « à petits pas », afin de résoudre un à un les problèmes pour arriver
plus sûrement à une solution finale du problème. Erreur de stratégie politique, car peu
à peu, à partir de 1996, les obstacles s’accumulent, la confiance s’érode et la violence
regagne du terrain. Le processus est affecté par l’élection en mai 1996 de Benyamin
Netanyahou, dont le programme comprend une triple négation : non à un État
palestinien, non à toute concession sur le Golan, et non à la division de Jérusalem. Le
nouveau Premier ministre, qui n’a jamais dissimulé son hostilité aux accords d’Oslo,
multiplie les gestes de provocation, comme la reprise de la colonisation en Cisjordanie.
Il entre en conflit avec l’Administration Clinton qui entame un second mandat et qui
entend faire de la paix israélo-palestinienne la réussite de sa politique proche-
orientale. Le président américain va donc s’impliquer personnellement dans le
processus de paix, et parvenir à imposer au chef du gouvernement israélien l’accord
intérimaire de Wye Plantation d’octobre 1998. Ses efforts sont servis par l’élection
d’Ehud Barak à la tête d’un nouveau gouvernement travailliste en mai 1999. Le Premier
ministre entend donner à la diplomatie israélienne une orientation toute différente de
celle de ses prédécesseurs et de ce fait souhaite renforcer l’alliance avec les États-Unis.
Les Premiers ministres israéliens avaient toujours fait passer les intérêts et la sécurité
d’Israël avant les intérêts stratégiques de leur allié américain et ils avaient toujours
satisfait les revendications de Washington si elles ne portaient pas atteintes aux
intérêts de l’État hébreu. Ehud Barak inverse l’ordre des priorités en voulant satisfaire
les exigences américaines quelles que soient les incidences pour son pays. Cet ancien
chef d’état-major des forces armées considère que la guerre conventionnelle n’est pas
la principale menace qui pèsera sur Israël dans les années à venir, mais le terrorisme et
l’usage d’armes de destruction massive (ADM). Il convient donc de renforcer l’alliance
avec les États-Unis, seuls capables de l’aider à répondre à de telles menaces. Mais ces
considérations stratégiques ne permettent pas de conclure à un accord avec les
Palestiniens et à Camp David en juillet 2000, malgré l’insistance du président Clinton,
les deux partis ne peuvent s’entendre sur un projet global de paix, consacrant l’échec
de la diplomatie américaine sur ce dossier. Pourtant, les efforts de la Maison Blanche
pour apporter une solution de paix ne sont pas vains, car à la veille de l’élection du
président républicain George W. Bush, l’alliance entre les deux États semble la clé la
plus sûre pour parvenir à la résolution de la question israélo-palestinienne.
19 Les attentats du 11 septembre 2001 bouleversent à nouveau la donne des relations
israélo-américaines et les conflits en Afghanistan et en Irak renforcent ces nouvelles
orientations. Les événements du 11 septembre infléchissent d’une façon déterminante
la politique extérieure du nouveau président. Les premiers mois de son mandat sont
caractérisés par une politique étrangère volontairement « humble et modeste », peu
ouverte sur le monde, résolument opposée à celle de son prédécesseur. N’a-t-il pas
déclaré dans un débat présidentiel lors de la campagne électorale qu’il « attachait plus
d’importance au Mexique qu’au Moyen-Orient » ? Même s’il faut nuancer ces perspectives, il
est certain que l’intérêt du président se porte davantage sur le Golfe persique et son
pétrole que sur le Proche-Orient et ses problèmes politiques. La résolution de la
question israélo-palestinienne passe à l’évidence au second plan des préoccupations de
la nouvelle Administration républicaine, qui semble souhaiter se désengager de ce
« bourbier », laissant aux protagonistes le soin de sortir de leurs propres
contradictions. Le déclenchement de la « seconde Intifada » en 2000 semble donner
raison aux stratèges de la Maison Blanche, et expliquer leur prudence dans ce dossier.
20 Le 11 septembre projette l’Amérique sur la scène internationale, et renvoie directement
les Américains aux problèmes moyen-orientaux. C’est de là que vient l’agression. La
région devient donc la zone prioritaire pour la sécurité du pays. Stratégiquement, elle
entre dans le « premier cercle », au centre duquel se trouve Israël. L’objectif des néo-
conservateurs au pouvoir à Washington est de lutter contre le terrorisme international
et de promouvoir la paix dans le monde, en exportant le modèle démocratique et
libéral américain. Quel va être, dans cette perspective, le rôle attribué aux relations
avec Israël ?
21 Dans leur projet de lutter contre les pays de « l’axe du mal », l’Iran, la Syrie, l’Irak et la
Libye, Israël occupe une place de choix et s’avère un allié stratégique de première
importance. Il présente des atouts majeurs : une expérience de la lutte contre le
terrorisme, un service de renseignement et une armée de qualité (qui a su développer
des tactiques d’interception et de duels aériens, ainsi que des opérations en zones
désertiques). Israël jouit enfin d’une position qui en fait une excellente base logistique
pour conduire des opérations contre les « États parias » voisins. De ce fait, la nouvelle
politique extérieure américaine entend-elle faire de l’alliance avec l’État hébreu l’une
de ses priorités afin de redessiner la carte politique du Moyen-Orient. L’objectif de «
double containment » dirigé contre l’Iran et l’Irak défini par les stratèges de Washington
s’accorde parfaitement avec les projets politiques du gouvernement israélien. Toute la
question est de savoir comment y parvenir ? Israël, partisan de la méthode forte, a
soutenu l’intervention militaire américaine en Irak en 2003 et cautionne le maintien de
ses troupes dans le pays jusqu’à sa pacification complète. Il est aussi favorable à la
méthode coercitive à l’égard de l’Iran des ayatollahs, suspecté d’enrichir de l’uranium à
usage militaire et de financer les organisations islamistes radicales au Liban et en
Palestine. Sur ce terrain, la position américaine diverge de celle de Tel-Aviv.
Washington préfère mettre en avant la négociation et la tempérance. Mais les États-
Unis savent qu’ils pourront compter sur l’alliance d’Israël dans l’éventualité (peu
probable) d’un conflit ouvert avec l’Iran.
22 Le président Bush fait en 2004 du règlement de la question palestinienne l’une de ses
priorités. Elle s’est exprimée dans la publication d’une « feuille de route », d’avril 2003.
Celle-ci prévoyait la formation d’un État palestinien démocratique, libre et reconnu,
ainsi que le gel de la colonisation juive. Un consensus semblait acquis autour de ce
programme. Mais quatre ans après son élaboration, le projet a échoué. Parmi les
nombreux éléments qui en expliquent les raisons, il convient d’avancer les réticences
du gouvernement d’Ariel Sharon et le soutien tacite de Washington. Dans ce dossier, on
perçoit encore l’identité de vue et la « complicité » qui existe entre les deux alliés.
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
BEN-ZVI (Abraham), Eisenhower, Kennedy and the origins of the American-Israeli alliance, Columbia
University Press, 1998.
BEN-ZVI (Abraham), The United-States and Israel. The limits of the special relationship, Columbia Press,
1993.
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LIEBER (Robert), “United-States and Israeli relations since 1948”, Middle East review of international
affairs, vol. 2, no 3, September 1998, p. 2-11.
RYNHOLD (Jonathan), “Israeli-American relations and the peace process”, Middle East review of
international affairs, vol. 4, no 2, June 2000, p. 28-56.
RÉSUMÉS
L’alliance entre les États-Unis et l’État d’Israël est récente. La reconnaissance de l’État hébreu en
mai 1948 n’augurait nullement d’une attente ultérieure et répondait à des considérations de
politique intérieure américaine et non à un calcul géostratégique lié à la situation internationale
au Moyen-Orient. Ce sont les circonstances liées à la conjoncture internationale, la compétition
naissante entre l’Union soviétique et l’Amérique qui révéla l’importance stratégique de l’État
d’Israël. Le second mandat du président Eisenhower, à la fin des années 1950, marque de ce point
de vue une étape importante dans le rapprochement entre les deux pays. Ce sont les années 1980
qui marquent cependant l’apogée de l’entente américano-israélienne. C’est le temps où la
« guerre fraîche » retrouve de la vigueur, où Israël recouvre son intérêt stratégique pour
Washington. Une importance qu’elle ne cessera pas de conserver malgré des désaccords et des
tensions passagères, liées au problème israélo-palestinien que les États-Unis s’emploient à
négocier à partir des années 1990. Ce dossier, ainsi que d’autres, montrent combien les rapports
entre les deux puissances ont été ces cinquante dernières années complexes et sont l’une des
clefs pour comprendre le jeu des relations internationales au Moyen-Orient.
Israel-USA, the historical recognition of a strategic alliance. History of strategic and diplomatic relations,
1948-2004.The alliance between the USA and the State of Israel is recent. The recognition of the
Jewish state in May 1948 by no means foresaw any subsequent expectations and responded to
domestic American political considerations and not a geo-strategic calculation linked to the
international situation in the Middle East. It was the circumstances surrounding the
international situation, the emerging competition between the Soviet Union and America that
revealed the strategic importance of the state of Israel. The second term of President Eisenhower
in the late 1950s marked an important step in the rapprochement between the two countries. It
was the years of the 1980s that marked, however, the height of the US-Israeli agreement. This is
the time when the "second cold war" renewed its intensity, when Washington regained its
strategic interest in Israel. This importance continued despite passing disagreements and
tensions, related to the Israeli-Palestinian problem that the USA attempted to negotiate in the
1990s. This experience, and others, shows how the relationship between the two powers these
past fifty years was complex and is one of the keys to understanding the game of international
relations in the Middle East.
INDEX
Mots-clés : Etats-Unis, Israël, relations internationales
AUTEUR
GÉRARD CLAUDE
Agrégé et docteur en histoire contemporaine, il enseigne actuellement à l’Institut d’études
politiques d’Aix-en-Provence la géopolitique et l’histoire des relations internationales en
Méditerranée. Il a publié notamment deux ouvrages sur ces questions : Migrations en Méditerranée
(2002) et Géopolitique et relations internationales en Méditerranée (2007). Il appartient, en outre, au
groupe de recherches « Histoire militaire, défense et sécurité » dirigé le professeur Jean-Charles
Jauffret à l’Institut d’études politiques d’Aix.
Vincennes
harnachements et ferrures, dont les stocks, vidés par la mobilisation, doivent être
reconstitués d’urgence 10, et celui des transports : entre août et décembre 1914, le parc
voit défiler une moyenne de 100 camions par jour. C’est aussi au parc qu’ont lieu, au
printemps 1915, les premières expérimentations d’armes chimiques françaises, en
réponse aux attaques chimiques allemandes lancées sur Ypres en avril. Dès le mois de
mai, des expériences sont pratiquées quotidiennement au polygone sur des agents
asphyxiants et lacrymogènes, et aboutissent en particulier à la mise au point de la «
vincennite » 11.
5 Le 12 juin, le général Curmer, chargé de mission au Grand Quartier général, donne un
compte rendu saisissant des essais qui lui ont été présentés : « J’ai assisté à Vincennes à
l’essai de projectiles de 75 chargés de : acide cyanhydrique, 20 % ; chlorure d’arsenic, 80 %. Les
effets constatés sur les animaux soumis à ces essais ont montré que le mélange ci-dessus remplit
les conditions demandées pour le chargement des obus destinés à produire des gaz asphyxiants
dans des milieux limités, tels que cantonnements réduits, espaces clos, etc. (…). Des projectiles
appropriés chargés en acide cyanhydrique et chlorure d’arsenic pourraient en outre être utilisés
par les avions dans les mêmes conditions que ci-dessus ou pour atteindre des batteries
dissimulées sous bois. » 12 Conséquence de cette activité effrénée, l’extension
géographique du parc se poursuit tout au long de la guerre : entre octobre 1915 et
juillet 1916, plus de cinquante baraques supplémentaires sont élevées dans le bois,
provoquant autant de contentieux avec les services de la ville de Paris ; au cours de
l’année 1916, les locaux, à l’étroit dans l’enceinte de la Cartoucherie et des ateliers,
débordent la route de la Pyramide et s’étendent sur le champ de manœuvre. En mai
1917, ils se séparent définitivement des ateliers et sont transférés au polygone, entre
les hangars de la Pyramide et les magasins de la Caponnière 13.
6 Le deuxième centre nerveux de Vincennes pendant la guerre se situe à l’atelier. Comme
pour les parcs, l’activité de fabrication connaît une extension formidable. Entre août et
décembre 1914, 90 000 obus et 290 000 gargousses sortent des ateliers de chargement,
dont les effectifs passent en trois mois de 140 à 600 ouvriers. Ils sont mille au
printemps 1918, portant les effectifs de l’ensemble des ateliers à 4 160 personnes le
jour, et 1 581 la nuit. En 1920, on estime que, « pendant la période de 1914 à 1918, la
production journalière des cartouches à l’Atelier de fabrication de Vincennes a cru dans le
rapport de 1 à 16 », alors que « l’accroissement prévu était de 1 à 5 » 14. Le total des balles,
étuis et chargements fabriqués à Vincennes durant toute la guerre s’élève à près d’un
milliard et demi de pièces 15. La présence d’une forte population ouvrière a des
incidences sociales non négligeables. Dès 1914, on installe une crèche de fortune pour
les enfants des personnels de la Cartoucherie et de l’atelier de fabrication ; mais le
recours croissant à la main-d’œuvre féminine, encouragé par le sous-secrétaire d’État à
l’artillerie 16, suscite de nouveaux besoins. En septembre 1916, on bâtit une crèche-
garderie en dur, puis, sur le même terrain, une cuisine coopérative, qui compte
2 000 places lorsqu’elle ouvre ses portes en 1917 17.
7 Les conditions de travail, difficiles, provoquent des tensions entre les ouvriers salariés
des ateliers et les personnels à statut militaire du parc 18, mais aussi entre les ouvrières
de la Cartoucherie et leurs patrons. Au motif que les barèmes réglementant les salaires
ne sont pas respectés, celles-ci se mettent en grève au printemps 1917 : « Dans la nuit du
1er au 2 mars, les 300 femmes travaillant dans l’atelier des balles cessent le travail. Une heure
plus tard, les ateliers des étuis et du chargement se joignent à la protestation (…). À six heures,
l’équipe de jour, forte de 1 500 femmes, se joint à la grève. » 19 L’importance stratégique de la
NOTES
1. Archives de Paris, Pérotin 10653 20, lettre du préfet de la Seine au conservateur du bois, Saint-
Mandé, 28 décembre 1917.
2. SHD/DAT, archives rapatriées de Russie, direction de l’artillerie, dossiers relatifs à la gestion
des commandants de dépôts d’artillerie, « Tableau des commandements en temps de guerre des
dépôts des corps d’artillerie, du train et des parcs d’artillerie de corps d’armée », 23 décembre
1915.
3. SHD/DAT, 9 Yd 633, dossier individuel de J.-J. Rouquerol.
4. SHD/DAT, 13 Yd 63, dossier individuel de H. Dauvé.
5. SHD/DAT, 10 Yd 1083, dossier individuel d’E. Malesset.
6. SHD/DAT, archives rapatriées de Russie, unités de la Première Guerre mondiale, dossier
« camp retranché de Paris ».
7. Arch. Paris, Pérotin 10653 124.
8. Il est parfois difficile de distinguer dans les sources les fonctions respectives du parc
d’artillerie de corps d’armée et du parc d’artillerie de place.
9. SHD/DAT, 23 N 53, « Notice sommaire relatant les opérations faites par l’artillerie du camp
retranché [de Paris] depuis le 27 août 1914 », 31 janvier 1915. La place de Vincennes abrite aussi
le siège du « noyau central » de l’artillerie du camp retranché de Paris.
10. Le service de harnachement du parc est chargé en juillet 1916 de l’ensemble des marchés de
cuir de la région parisienne, afin de limiter la concurrence des établissements de l’artillerie entre
eux et la hausse des prix (SHD/DAT, archives rapatriées de Russie, direction de l’artillerie,
rapport du contrôleur Gache sur les marchés de harnachement et de cuir du parc d’artillerie de
Vincennes, novembre 1917).
11. L EPICK (O.), La grande guerre chimique : 1914-1918, Paris, Presses universitaires de France, 1998,
p. 113.
12. SHD/DAT, 16 N 903, commentaires de M. Kling, direction du laboratoire municipal de Paris
(obus et gaz asphyxiants), juin-septembre 1915.
13. Le parc d’artillerie régional de Vincennes resta après la guerre du côté ouest de la route de la
Pyramide, en bordure du champ de manœuvre.
14. SHD/DAT, 2 W 197, renseignements fournis aux officiers stagiaires lors de leur visite du
9 février 1920.
15. Ibid.
16. SHD/DAT, 7 N 292, lettre du sous-secrétaire d’État à l’artillerie aux chefs d’établissements
constructeurs, 8 janvier 1916.
17. Bulletin des usines de guerre, lundi 6 août 1917, p. 2.
18. SHD/DAT, 23 N 53, compte rendu de visite des ateliers de Vincennes, 25 octobre 1915.
Certains ouvriers des parcs partirent au front pour se faire rappeler comme ouvriers d’usine
travaillant pour la guerre.
19. CROIX (A.) (dir.), Histoire du Val de Marne, Paris, Messidor, 1987, p. 232.
20. Ibid.
21. Sur l’organisation du service automobile entre 1914 et 1918, voir : NAVARRE (A.-J.), Les services
automobiles pendant la guerre, Paris, 1919.
22. SHD/DAT, 7 N 483 et 487, états de situation du CAMA de Vincennes.
23. Le centre d’approvisionnement de matériel automobile de Vincennes, 1916, anonyme, s.l., non
paginé.
24. SHD/DAT, 10 Yd 1083, dossier individuel de L. Liénard.
25. Centre d’organisation d’artillerie automobile de Vincennes. Cours d’automobilisme appliqué [par le
capitaine Blanchet, professeur au cours pratique d’artillerie à tracteurs], Paris, Dunod et Pinat,
1918.
26. Arch. Paris, Pérotin 10653 25.
27. SHD/DAT, 23 N 65, « Rapport sur les travaux effectués par le groupe de canevas de tir du
GMP », 26 octobre 1917.
28. SHD/DAT, 4 W 354, note de la Direction de l’artillerie, 11 avril 1917.
INDEX
Mots-clés : Première Guerre mondiale, Vincennes
AUTEURS
ALAIN MARZONA
Attaché d’administration, chargé de recherches au département de l’armée de Terre du Service
historique de la Défense
EMMANUEL PÉNICAUT
Conservateur du patrimoine, chef de la division archives du département de l’armée de Terre du
Service historique de la Défense
1 Le Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC) conserve, à
Caen (Calvados), sous l'autorité du département interarmées ministériel et
interministériel (DIMI) du Service historique de la Défense (SHD), sur 204 mètres
linéaires, le fichier nominatif de près d' 1 400 000 militaires de l'armée française,
décédés entre le 3 août 1914 et le 1er juin 1919 1.
2 Il s'agit d'un fichier patronymique, d'abord à usage administratif, composé de trois
éléments distincts selon que la mention « Mort pour la France » 2 a été attribuée,
refusée ou n'a fait l'objet d'aucune instruction. Tandis que se manifestent à son égard
un intérêt croissant de la part des familles, des collectivités territoriales et des
historiens, la pertinence de son utilité administrative demeure entière en raison de
l'absence de forclusion opposable aux demandes d'attribution de la mention « Mort
pour la France » au titre de la Première Guerre mondiale.
3 La mise en ligne sur Internet des images, indexées sur le patronyme, des fiches des
militaires morts pour la France au cours de la Grande Guerre, par le ministère de la
Défense, à la date du 11 novembre 2003, sous l'appellation : Mémoire des hommes 3, a
comblé la recherche individuelle familiale et généalogique. L'exploitation séquentielle
à des fins mémorielle ou de recherche historique, dont le critère d'investigation diffère
du nom de famille, reste, quant à elle, du domaine de l'investigation manuelle ou
aléatoire.
4 Ce fichier résulte de l'action du Service de l'état civil, des renseignements aux familles
et successions militaires dont a été doté le ministère de la Guerre, par la loi du
18 février 1916 4, en remplacement de la section du Bureau des archives qui recevait et
enregistrait déjà les avis de décès des militaires aux armées, en application de la loi du
8 janvier 1893 et des instructions du 23 juillet 1894.
5 Ce fichier a une double fonction :
• informer sur la régularisation du décès des militaires tués, disparus ou décédés pendant la
durée de la guerre ;
• informer sur l'attribution de la mention « Mort pour la France ».
droits dont on ne fera pas ici l'énumération ont tantôt le caractère d'un hommage
direct rendu à la mémoire de la victime (individualité et perpétuité de la sépulture
confiée à la garde de l'État, monuments aux morts), tantôt en faveur des ayants cause
(adoption par la nation des orphelins). La loi du 2 juillet 1915 a été modifiée par une loi
du 28 février 1922.
NOTES
1. Dont 1 322 000 soldats français. Les pertes totales jusqu’au premier juin 1919 ont été évaluées
à presque 1 400 000 hommes, dont 70 000 indigènes coloniaux et nord-africains et
5 000 légionnaires. Parmi les 1 322 000 Français qui ont péri se trouvait une minorité d’hommes
venus d’Algérie, de Tunisie, des anciennes colonies et de l’étranger, qui n’étaient donc pas
présents en France avant la guerre. Cf. Insee : mouvement de la population 1914-1919 ; et M.
HUBER (Insee) : La situation démographique en 2004 - Mouvement de la population. La pyramide des
âges au 1er janvier 1921. Informations en ligne sur le site Internet de l'Insee.
2. La mention « Mort pour la France » a été créée par la loi du 2 juillet 1915, modifiée par la loi
du 28 février 1922.
3. Mémoire des hommes est une banque d'images numérisées rassemblant toutes les fiches des
militaires « Morts pour la France » durant la Première Guerre mondiale dans le respect du code
du patrimoine. Elle est accessible à l'adresse suivante :
www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr. Il s'agit d'une réalisation du Secrétariat général
pour l'administration mise en œuvre et administrée par la Direction de la mémoire, du
patrimoine et des archives.
4. La loi du 18 février 1916 a créé deux services : le Service des pensions et secours et le Service
de l'état civil, des renseignements aux familles et successions militaires. C'est à ce dernier qu'a
incombé la mission de suivre le sort des militaires entrés dans les formations sanitaires ou
capturés par l'ennemi et de recueillir et d'acheminer les objets ou papiers trouvés sur les
militaires décédés. (Ministère des Pensions, Recueil officiel des sépultures militaires, 2 e édition, 1934.
Historique du Service des sépultures militaires).
5. Les armées, conformément à une instruction du Grand Quartier général du 2 juin 1915, étaient
déjà pourvues d'un officier responsable du Service de l'état civil et des sépultures militaires
quand fut promulguée la loi du 18 février 1916 créant l'état civil militaire (Ministère des
Pensions, Recueil officiel des sépultures militaires, 2 e édition, 1934 – Historique du Service des
sépultures militaires).
6. La loi du 18 avril 1918 introduit temporairement la rectification administrative des actes de
décès comportant des erreurs d'ordre matériel ou des lacunes à la condition que celles-ci ne
mettent en doute ni le fait du décès, ni l'identité du décédé : cette rectification est faite hors la
saisine du tribunal, sous le contrôle du parquet qui peut soit être à l'origine de la rectification,
soit en être saisi par le ministre des Armées et l'autorité municipale qui doit transcrire l'acte de
décès sur les registres de sa commune ou la famille du défunt.
AUTEUR
CHRISTIAN LEMARCHAND
Chef du bureau des archives des victimes des conflits contemporains (Caen) du département
interarmées, ministériel et interministériel du Service historique de la Défense
Lectures
Jean-Pierre Bois
même temps que Bercheny n’a jamais perdu le souvenir de sa patrie natale. Rétabli
dans les titres, honneurs et privilèges de sa maison en Hongrie grâce à l’accord entre
Louis XV et Marie-Thérèse, il achève sa vie en 1778 dans son château de Luzancy. Le
régiment de hussards qu’il a créé en 1720 reste le plus ancien que compte encore
l’armée française, maintenant 1er régiment de hussards parachutistes.
Alain Marzona
touchent l’ensemble de la planète. Cet ouvrage se veut une réflexion sur le monde
contemporain et un point de vue occidental sur les affaires internationales. L’auteur,
tout en prenant en compte les nouvelles données mondiales comme la prolifération
nucléaire et le développement des fondamentalismes religieux, se fait l’avocat d’un
rapprochement entre Occidentaux car la capacité à éviter les conflits « reste aussi
largement entre leurs mains ».
Valérie Caniart
1 L’auteur, dans son introduction générale, destine son travail aux étudiants, souhaitant
mettre à leur disposition un inventaire non exhaustif des textes officiels qui ont régi la
politique coloniale de la France des origines au milieu des années 1960. Cet ouvrage, qui
ne constitue que le premier tome sur trois, couvre la période allant des origines (de la
colonisation) au 4 septembre 1870. Une première partie présente la persistance du fait
colonial dans la politique française sur la période définie, la seconde est découpée en
chapitres thématiques tels que l’organisation administrative, judiciaire, les questions
de défense, etc. Chaque chapitre est constitué d’un commentaire de l’auteur agrémenté
de nombreuses citations et est suivi d’un corpus d’annexes. On ne peut que louer
l’auteur d’une telle initiative, d’autant qu’un tel travail présenterait un réel intérêt.
Malheureusement, l’ouvrage souffre de nombreuses approximations tant sur le fond
que sur la forme. On regrette entre autres que l’auteur ne s’explique pas davantage sur
le choix des textes ou sur son découpage chronologique qu’il qualifie lui-même
« d’arbitraire », les références bibliographiques sont bien maigres étant donné
l’ampleur du sujet et le vocabulaire relatif aux institutions de l’Ancien Régime est très
imprécis, voire erroné. Le résultat est davantage un état des lieux des connaissances de
l’auteur sur la colonisation qu’un manuel de référence pour les étudiants.
Anne-Aurore Inquimbert
1 Avec cette édition critique des écrits politiques de Robert de Caix, tout un pan de la
politique française en Syrie et au Liban est mis en lumière. Après des études à l’École
libre des sciences politiques (section diplomatique), Robert de Caix de Saint-Aymour
devient, entre autres, publiciste au Journal des Débats. Ses articles sur l’Orient, et à
travers eux sa vision de la politique coloniale de la France, sont vite remarqués. Au
début des années 1900, il se lie avec Philippe Berthelot (qui lui ouvrira les portes du
ministère des Affaires étrangères) et entretient une correspondance avec le maréchal
Lyautey. Au cours de la Première Guerre mondiale, le Quai d’Orsay fait appel à ses
services et lui offre d’intégrer la Maison de la presse (organe de propagande).
S’intéressant à la question du démembrement de l’Empire ottoman au moment des
accords Sykes-Picot en 1916 (Britanniques et Français se partagent les provinces
levantines de l’Empire ottoman), Robert de Caix devient un farouche partisan d’un
mandat français en Syrie. Si bien, qu’en 1919, c’est lui que le secrétaire général du
ministère des Affaires étrangères – Philippe Berthelot – envoie pour négocier avec
l’émir Faysal puis pour épauler le général Gouraud nommé haut-commissaire de la
République en Syrie. Dans les faits, la marge de manœuvre dont il dispose est
conséquente et c’est à lui que revient le rôle délicat de dessiner les lignes de la politique
française en Syrie et au Liban. Cependant, lorsqu’en 1923, le général Gouraud quitte ses
fonctions de haut-commissaire, ce n’est pas Robert de Caix que l’on choisit pour le
remplacer. L’arrivée du général Weygand met donc un terme à son travail au Levant.
Comme le stipule Gérard D. Khoury dans son introduction critique, la mise en œuvre
d’une politique de fractionnement des territoires arabes sous mandat français par
Robert de Caix est la parfaite illustration des principes colonialistes alors défendus par
la Société des Nations. Principes que l’on ne manque pas de retrouver aujourd’hui dans
la politique américaine en Irak et dont, une nouvelle fois, on ne peut que constater la
faillite.
Gilles Krugler
1 Premier tome d’une série faisant le point sur les différentes versions du Mirage F1, ce
petit ouvrage se donne pour objectif de relater les débuts de la version « C » et « B » de
l’avion français. Dans un style très clair, où la synthèse technique fait souvent place aux
témoignages et aux anecdotes, l’auteur décrit la carrière française du F1 C de la genèse
mouvementée du programme au retrait de l’intercepteur en 2003, en passant par ses
déploiements au Tchad ou aux Émirats arabes unis (opération « Méteil »). Également
évoquée, la version « E » du F1, qui opposé au F-16 lors du fameux « marché du siècle »
ne connut pas le succès attendu, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège
préférant le chasseur de General Dynamics. La version B eut un peu plus de succès
puisque cette version biplace fut commandée à une cinquantaine d’exemplaires dont
vingt pour l’armée de l’Air qui l’utilise encore actuellement pour la transformation
opérationnelle. Avion qualifié de « transition », le F1 marque une réelle amélioration
pour les pilotes français. œuvrant dans les escadres du CAFDA (Commandement air des
forces de défense aériennes), les F1 C et C-200 permettent avant l’arrivée du « 2000 », de
disposer d’un vecteur de défense aérienne crédible, tant par ses capacités propres que
par son électronique (radar Cyrano IV) et surtout par son armement avec notamment le
missile Super 530 F capable d’aller chercher une cible hostile volant à Mach 3 à
60 000 pieds avec un dénivelé de plus 10 000 par rapport au chasseur français. Court,
très bien illustré et bien mené, ce fascicule résume au mieux les trente années de
carrière de la version de chasse pure du F1.
AUTEUR
GILLES KRUGLER
Alain Marzona
1 Exceptés les travaux de Georges Castellan et ceux, plus récents, de Nathalie Clayer,
l’historiographie en langue française consacrée à l’Albanie reste confidentielle. Cet
ouvrage tend donc à combler ce vide en retraçant l’histoire du peuple albanais, de ses
origines souvent controversées à son actualité la plus récente marquée en dernier lieu
par la guerre du Kosovo en 1999. La première partie de l’ouvrage, intitulée « La langue
fonde la nation », met en évidence l’importance de la langue albanaise comme ciment de
l’identité nationale et comme forme de résistance aux différentes puissances
environnantes. L’auteur insiste sur le développement du sentiment national albanais à
partir de la création de la Ligue de Prizren au Kosovo en 1878, alors que les Albanais
sont à l’époque éparpillés dans les Balkans et soumis à la domination ottomane.
L’histoire médiévale et moderne, avec ses grandes figures et événements comme le
héros national albanais Skanderberg ou la bataille du Champ des merles en 1389, pose
des points de repère essentiels de la conscience nationale albanaise. Ils seront
régulièrement utilisés par les promoteurs de la création d’un État albanais, puis par les
partisans d’une grande Albanie. L’auteur montre également que les différences
linguistiques et religieuses ont souvent freiné l’expression d’un sentiment national
commun. Dans cette première partie, les développements relatifs aux origines du
peuple albanais apparaissent confus, ne permettant pas au lecteur d’avoir une idée la
plus claire possible sur une question, il est vrai, très complexe. La seconde partie « Une
nation éclatée » met en lumière la grande difficulté des Albanais pour apparaître dans le
concert des nations. En effet, la déclaration d’indépendance en 1912 ne rencontre que
peu d’intérêt de la part des puissances européennes. De plus, le découpage étatique
consécutif au démembrement de l’Empire ottoman en 1913 est défavorable aux
Albanais, la moitié des territoires albanophones revenant au royaume du Monténégro,
à la Serbie et à la Grèce. En 1920, l’Albanie retrouve son indépendance même si celle-ci
demeure contrariée par les ambitions territoriales de ses voisines mais également par
l’Italie qui y voit une possibilité d’étendre son influence dans les Balkans. Au cours de la
Seconde Guerre mondiale, l’Italie constitue même une grande Albanie regroupant les
populations albanophones d’Albanie, du Kosovo et d’une partie de la Macédoine afin de
lutter contre les volontés expansionnistes grecques et yougoslaves. Dans cette
deuxième partie, l’auteur met fortement l’accent sur la question du territoire du
Kosovo, tiraillé entre Albanais et Serbes. L’histoire de cette province ex-yougoslave est
particulièrement bien décrite, notamment les parties consacrées au développement de
l’indépendantisme kosovar dans le courant des années 1970 et à la montée de
l’intransigeance serbe sous l’impulsion de Slobodan Milosevic à partir du milieu des
années 1980. À partir de cette date, un régime de ségrégation est instauré au Kosovo,
renforçant par là même la volonté d’émancipation de la population albanaise. La guerre
du Kosovo et l’arrivée des troupes occidentales dans la région en 1999, conjuguée à
l’isolement de la Serbie et à la chute de Milosevic en 2000, tendent à rendre possible
l’indépendance. Serge Métais conclut sa démonstration par un plaidoyer pour une
reconnaissance internationale de l’indépendance du Kosovo et pour un rapprochement
entre l’Albanie et l’Union européenne. Pour l’auteur, les Européens doivent aussi
prendre en compte l’importance numérique des populations albanophones présentes
également en Macédoine et au Monténégro.
Robert Doughty
1 Les auteurs de ce livre estiment que Benjamin Franklin est « l’Américain par excellence ».
Fils d’un artisan, fabricant de bougies et de savon, il parvint à dépasser une éducation
primaire limitée pour devenir l’un des plus importants publicistes et écrivains de
l’histoire américaine. Après avoir gagné beaucoup d’argent, il concentra sa grande
intelligence et sa curiosité insatiable sur des inventions et des projets scientifiques.
Puis, en vieillissant, il s’intéressa de plus en plus à la politique. Tout d’abord membre de
l’Académie de Pennsylvanie, il s’impliqua pour la première fois en diplomatie en 1753
au cours des négociations de l’État avec les Indiens. Avant la Révolution américaine, il
vécut plusieurs années à Londres où il représentait l’État de Pennsylvanie puis, par la
suite, d’autres États. En 1776, il aida Thomas Jefferson à écrire la Déclaration
d’Indépendance. Mais son œuvre la plus importante se déroula de 1776 à 1785, lorsqu’il
servit comme ambassadeur en France. Profitant de ce que les citoyens français
appelaient « la franklinomania », il conclut une alliance avec la France qui fut vitale dans
les succès américains dans la guerre contre l’Angleterre. Il joua aussi un rôle
fondamental dans les négociations du traité de Paris de 1783, qui réprima
définitivement la rébellion. Quelques années plus tard, il fut l’un des signataires de la
Constitution des États-Unis qui mit un terme à la fragmentation qui nuisait au nouveau
pays. Au-delà de ces nombreuses contributions, Franklin reste, comme le souligne les
auteurs, un homme paradoxal et complexe. Les Américains se sont souvent référés à lui
au plan de la moralité et de la famille, alors qu’il avait un fils illégitime qui a
ardemment soutenu l’Angleterre au cours de la Révolution et qui a été le dernier
gouverneur britannique du New Jersey. Les Américains le citent aussi dans des
publications sur la frugalité et la vie simple, alors qu’il appréciait au plus haut point les
plaisirs des salons les plus chers de Paris. Les auteurs concluent que Franklin ne peut
pas être vu simplement comme le stéréotype de l’Américain. Ils avancent, cependant,
de manière persuasive qu’il était l’homme universel dont les idées ont touché les
Européens comme les Américains et dont la vie et le travail continuent à parler aux
gens du XXIe siècle.
Benoît Lagarde
1 Un thème léger et surprenant que celui des rapports amoureux et de la sexualité dans
les deux guerres mondiales ? Sûrement pas. Amours, guerres et sexualité 1914-1945,
l’ouvrage dirigé par François Rouquet, Fabrice Virgili et Danièle Voldman , publié à
l’occasion de l’exposition éponyme organisée par la BDIC (Bibliothèque de
documentation internationale contemporaine) et le Musée de l’Armée, nous en apporte
la preuve. À la croisée de l’histoire des genres et de l’histoire des guerres, ce livre nous
donne à comprendre et à voir comment et en quoi les conflits mondiaux ont influé sur
les rapports entre hommes et femmes, entre combattants et civils de l’arrière, sur le
plan de la vie intime. Depuis la mobilisation et jusqu’à la fin de la guerre, les auteurs
déterminent six thèmes d’études. Ainsi dès l’entrée dans le conflit, une vision
esthétisée du corps humain pousse chaque pays au combat : soldats virils, femmes
séduisantes à l’arrière et nations incarnées sous des traits féminins font corps pour
marcher vers la victoire. Cette marche implique la séparation des couples et des
familles, séparation durant laquelle il faut maintenir des liens avec l’absent(e) et en
tisser de nouveaux avec les compagnons de fortune. Le contrôle de la sexualité
représente ensuite un enjeu majeur pour les autorités, car les maladies, les mœurs et la
production culturelle demandent à être canalisées. Amour et rencontres trouvent
néanmoins leur place : joie des permissions, homosexualité dans la troupe ou amours
partagées avec l’ennemi font de la guerre un théâtre de passions. Les violences de
guerre comprennent aussi les violences sexuelles, lesquelles apportent humiliation et
souffrance. Enfin le dénouement de la guerre permet aux couples de se reformer et
oblige les combattants à retrouver une place dans la société. Outre la très riche et
parfois étonnante iconographie tirée de l’exposition, l’intérêt de ce livre réside dans les
passionnants articles et les nouvelles perspectives de recherche qui sont proposées au
lecteur. Trente articles d’auteurs d’Europe et des États-Unis, professeurs et chercheurs
Antoine Boulant