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SECRÈTE
Histoire des services spéciaux français
de 1918 à 1939
LA RÉPUBLIQUE
SECRÈTE
Histoire des services spéciaux
français de 1918 à 1939
1. Sophie Cœuré, Frédéric Monier, Frédéric Naud, « Le retour des archives fran-
çaises de Moscou. Le cas du fonds de la Sûreté », in Vingtième Siècle. Revue d’histoire,
nº 45, janvier-mars 1995, p. 133-139. Sophie Cœuré, Frédéric Monier, « De
l’ombre à la lumière. Les archives françaises de retour de Moscou (1940-2002) », in
Sébastien Laurent (dir.), Archives « secrètes », secrets d’archives ? Historiens et archivistes
face aux archives sensibles, Paris, CNRS éditions, 2003, p. 133-148.
2. Georges-Henri Soutou, Jacques Frémeaux, Olivier Forcade (dir.), L’Exploita-
tion du renseignement en Europe et aux États-Unis des années 1930 aux années 1960,
Paris, Economica, 2001, p. 332. Claire Sibille, « Les archives du 2e bureau SR-SCR
récupérées de Moscou », in G.-H. Soutou, J. Frémeaux, O. Forcade, op. cit.,
p. 27-47. La Seconde Guerre mondiale. Guide des archives conservées en France sur la
Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Paris, Archives nationales, 1994, 1217 p.
3. Claire Sibille avec F. Cuinier, C. Ponnou, A. Guéna, Inventaire des archives de
la guerre. Supplément de la série N (1872-1940), 4 vol., Vincennes, SHD/DAT,
1997.
4. Sophie Cœuré, La Mémoire spoliée : les archives des Français, butin de guerre
nazi puis soviétique de 1940 à nos jours, Payot, 2007, p. 17-22.
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10. Voir notre étude, « Michel Debré et les fins politiques du renseignement
1959-1962 », actes du colloque Michel Debré, chef de gouvernement organisé par le
CHEVS-FNSP, Palais du Luxembourg, 14-16 mars 2002, sous la direction de Serge
Berstein, Pierre Milza, Jean-François Sirinelli, Paris, PUF, 2005, p. 489-513.
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10. Jean-Noël Luc (dir.), Gendarmerie, État et société au XIXe siècle, Paris, Publica-
tions de la Sorbonne, 2002, 510 p. et Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie.
Guide de recherche, Maisons-Alfort, SHGN, 2005, 1 000 p.
11. Marc-Olivier Baruch, Vincent Duclert, op. cit.
12. Sébastien Laurent, « Aux origines de la “guerre des polices” : militaires et
policiers du renseignement dans la République (1870-1914) », in Revue historique,
CCCXIV/4, p. 767-791.
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16. Sébastien Laurent, « Aux origines de la “guerre des polices” », op. cit.,
p. 769-770.
17. AN 351 AP 2, Papiers Victor-Henri Schweisguth, carnets et notes 1935,
prise de fonction à l’EMA.
18. Sébastien Laurent, « L’argent secret de l’État. Les fonds secrets ministériels
sous la République (1848-1914) », dans Tanguy Wuillème (dir.), Autour des secrets,
Paris, L’Harmattan, 2004, p. 139-154.
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19. Sébastien Laurent, « Aux origines de la “guerre des polices” », op. cit.,
p. 774-775.
20. Arnaud-Dominique Houte, Le Métier de gendarme national au XIXe siècle. Pra-
tiques professionnelles, esprit de corps et insertion sociale de la Monarchie de Juillet à la
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34. William Serman, Les Officiers dans la nation 1848-1914, Paris, Aubier, 1982,
281 p. et Olivier Forcade, « Les officiers et l’État 1900-1940 », in Marc-Olivier
Baruch, Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’adminis-
tration française 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 261-278.
35. SHD/DAT 1KT 526 carton 1, Mémoires du général Dupont, sur la coopéra-
tion entre la section de renseignement qui avait pris la suite du bureau de statistique
supprimé en 1899. Ce dernier devient chef du 2e bureau de l’EMA en 1913 jusqu’à
la fin de la guerre.
36. SHD/DAT 7NN 2 101, note du ministre de la Défense nationale, SCR/
EMA2 du 18 décembre 1936 au ministre de l’Intérieur, direction de la Sûreté géné-
rale, au sujet de l’organisation des services de contre-espionnage.
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39. Pierre Sicot, Servitudes et grandeur policières. Quarante ans à la Sûreté, Paris,
Les Productions de Paris, 1959, p. 26-27.
40. Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées 1830-1930, Vincennes,
SHAT, 2 vol., 1992 et 1994 ; Jacques Frémeaux, Les Bureaux arabes dans l’Algérie de
la conquête, Paris, Denoël, 1993 ; Sébastien Laurent, op. cit., p. 181-185.
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sans son assentiment. Ce sera un progrès car la question allemande domine tout,
le colonel Dupont en a la plus grande habitude et il sait peser la valeur de tout
renseignement 46(…). »
Durant la guerre, les responsables civils et militaires sont toujours
prêts à prendre en compte un renseignement opérationnel, tactique ;
mais ils rechignent à l’intégrer dans une conception politico-stratégique
qui semble gêner leurs modes de raisonnement. Sur le front occidental,
statique entre 1915 et le printemps 1918, la percée et l’exploitation sont
rendues impossibles par la saturation défensive des belligérants, relativi-
sant l’intérêt du renseignement stratégique. Chaque État perce successi-
vement les intentions et les moyens de l’adversaire, interdisant la surprise
et invalidant largement l’effet attendu du renseignement. Le scepticisme
à l’encontre de l’intérêt du renseignement tactique dans les états-majors
trouve sans doute ici un ressort inattendu au fait qu’il n’apporte pas de
résultat décisif dans la guerre d’usure. Par ailleurs, la transition du rensei-
gnement militaire stricto sensu au renseignement politique constitue un
obstacle supplémentaire à sa prise en compte au sommet de l’État. Dans
ses Mémoires parus après-guerre, Raymond Poincaré, président de la
République élu en 1913, exprime une attention permanente au rensei-
gnement stratégique et diplomatique, sans toutefois le replacer dans son
contexte de production 47. Après 1918, Poincaré conserva d’ailleurs un
intérêt vif pour le renseignement en général. À la fin de la guerre, la prise
en compte du renseignement stratégique a évolué, ainsi que le démontre
l’entourage du général Foch, notamment avec le rôle du général Rie-
dinger au quartier général allié à Senlis. À l’heure de l’offensive générale
alliée contre l’Allemagne à l’été 1918, il s’agit progressivement de passer
de la rupture stratégique à une décision politique revenant à la recherche
des meilleures conditions pour faire la paix. Erreur humaine et sûreté de
la machine ? Les premiers mois de la guerre consacrent certes le rensei-
gnement d’origine radioélectrique, couplé à l’aviation, comme moyen
privilégié d’information des états-majors anglais et français. Sa valeur
dépend toutefois du théâtre des opérations et de la phase de la guerre,
dans une combinaison des sources changeante tant pour les troupes
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Français 55. Après la guerre, les deux pays continuèrent d’écouter les
conversations diplomatiques de leurs adversaires, des neutres et de leurs
alliés. Commencée sous l’Ancien Régime, la bataille des codes diploma-
tiques se poursuit au XXe siècle.
En France, le GQG exploite progressivement ses décryptements au
niveau opérationnel et tactique. Jusqu’au niveau divisionnaire, les armées
françaises y recourent systématiquement au début de 1916. En défini-
tive, des basculements stratégiques s’opèrent véritablement à la faveur de
renseignements à la fin de la guerre. Ainsi l’information de l’offensive
allemande entre Compiègne et Montdidier, déclenchée le 8 juin 1918,
est-elle obtenue le 3 juin par les décryptements du capitaine Georges
Painvain à la section du chiffre française 56. La coopération technique du
renseignement militaire entre Alliés est demeurée imparfaite, mais des
échanges de renseignements se sont peu à peu systématisés. Celle-ci
n’excède pas le cadre bilatéral franco-britannique, comme le niveau tac-
tique et opérationnel, car il y a plusieurs fronts dont les opérations sont
imparfaitement ou peu coordonnées. En effet, les champs de bataille ne
sont jamais considérés par l’ensemble des belligérants comme un front
unique, dans la conduite sinon dans la conception même des opéra-
tions. Par le commandement unique des armées alliées progressivement
établi au printemps 1918, il revenait au maréchal Foch de mettre en
œuvre une exploitation du renseignement stratégique des armées alliées
sur le front occidental pour éviter la surprise d’une attaque allemande 57.
Il écrit ainsi qu’il fallait « poursuivre sous toutes ses formes et active-
ment l’obtention de renseignements ». Mais si une coopération élémen-
taire en matière d’exploitation s’institue au sein des états-majors alliés,
elle ne se conçoit pas encore pour la collecte. Elle intervient lors de l’ana-
lyse du renseignement technique, au niveau tactique et opérationnel, lors
des grandes offensives allemandes du printemps 1918 (Somme, Aisne,
Flandre, Oise). David Kahn fait état d’une coopération technique
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60. Elli Lemonidou, La Grèce vue de France pendant la Première Guerre mondiale,
entre censure et propagandes, thèse du doctorat en histoire, sous la direction de M. le
professeur Georges-Henri Soutou, Université de Paris IV-Sorbonne, 2007, 2 vol.,
563 p., annexes et index des noms, vol. 1, p. 241-248.
61. Gérald Sawicki, Les services de renseignements à la frontière franco-allemande
(1871-1914), op. cit., p. 91-93. Dépendant de l’autorité militaire, ce dernier a été
mis sur pied à la frontière dans les années 1880, distinct des commissariats spéciaux
du Territoire de Belfort installés en 1871. Ce poste permanent est maintenu après
1919.
62. Gisèle Loth, Un Rêve de France. Pierre Bucher, une passion française au cœur
de l’Alsace allemande 1869-1921, Strasbourg, La Nuée bleue, 2000, p. 179-183.
Pierre Bucher naît en 1869 et meurt en 1921.
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63. Philippe Nivet, Les Réfugiés français de la Première Guerre mondiale. Les
Boches du Nord, Paris, Economica, 2004, p. 64-66.
64. Olivier Lahaie, op. cit., p. 1027 décrit les missions Mougeot en Allemagne en
1916, en liaison avec Ignatieff en France.
65. Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Points-Seuil,
1990, p. 226-242.
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3. Philippe Vial, « Une place à part : les militaires et les relations extérieures de la
France en temps de paix depuis 1870 », in Matériaux pour l’histoire de notre temps,
janvier-juin 2002, nº 65-66, p. 41-47.
4. Ministère de la Marine, Annuaire de la Marine et des Colonies, 1882.
5. Alexandre Sheldon-Duplaix, « Le renseignement naval français des
années 1850 à la Seconde Guerre mondiale », in Revue historique des armées,
décembre 2001, nº 225, p. 47-64.
6. Michel Goya, La Chair et l’acier, Paris, Tallandier, 2004, p. 167.
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une spécialisation des officiers qui plonge ses racines dans les cultures des
armes et des armées. Statistiquement, les officiers affectés dans les ser-
vices spéciaux militaires sont majoritairement issus des rangs de l’armée
de terre. Les services de renseignement des théâtres opérationnels dans
l’empire ont aussi une part dans cette histoire 7. En Afrique ou au Levant,
des expériences nouvelles sont menées, issues de la tradition des bureaux
des affaires arabes et indigènes dont les officiers illustrent l’excellence du
renseignement de contact, immergés dans les populations, entre adminis-
tration et politique 8. Ainsi Gabriel Puaux imagina-t-il en 1940 un projet
de corps civil des services spéciaux du Levant calqué sur le corps civil des
affaires indigènes au Maroc 9. La situation de la gendarmerie est particu-
lière. À la différence des autres armes assumant des missions de rensei-
gnement tactique de finalité exclusivement militaire, elle reçoit des
missions spécifiques de répression de l’espionnage et de renseignement,
déjà prévues dans l’ordonnance de 1820 sur le service de gendarmerie. Le
décret du 20 mai 1903 sur l’organisation et le service de la gendarmerie
définit les prérogatives et les attributions de l’arme. Notamment, ses rela-
tions avec les autorités ministérielles, à qui elle adresse des rapports spé-
ciaux sur les arrestations des espions (titre II) et ses attributions en
matière de police judiciaire (titre III) sont précisées en matière de lutte
contre l’espionnage 10. Quoique collectant de l’information depuis 1820,
l’arme de la gendarmerie devient, dans la seconde moitié du XIXe siècle,
un auxiliaire essentiel de la Sûreté générale pour le service de contre-
espionnage 11. La gendarmerie prévôtale reçoit des missions propres de
7. Cf. chapitre 7.
8. Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées (1830-1930), Vincennes,
2 vol. 1993-1995 et Les Bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Paris, Denoël,
1993, p. 25 ; Jean-David Mizrahi, Genèse de l’État mandataire. Services de renseigne-
ment et bandes armées au Syrie et au Liban dans les années 1920, Paris, Publications de
la Sorbonne, 2003, 462 p.
9. Hervé Pierre, L’officier français au Levant pendant l’entre-deux-guerres
(1919-1939). Entre mandat et protectorat, mémoire de DEA, sous la direction de
Jacques Frémeaux, Paris IV-Sorbonne, 2001, p. 37.
10. Arnaud-Dominique Houte, Le métier de gendarme national au XIXe siècle,
op. cit., p. 539-540.
11. Jean-Noël Luc (dir.), Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie. Guide
de recherche, Maisons-Alfort, SHGN, 2005, p. 329-338.
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12. Jean-Noël Luc (dir.), Gendarmerie, État et société au XIXe siècle, Paris, Publica-
tions de la Sorbonne, 2002, 510 p.
13. Louis Panel, Gendarmerie et contre-espionnage (1914-1918), Maisons-Alfort,
Service historique de la Gendarmerie nationale, 2004, p. 123.
14. SHD/DAT 7NN 2 101, instruction du ministère de la Guerre sur le service
de contre-espionnage, chapitre 7 sur le rôle de la gendarmerie en matière de contre-
espionnage, 1938.
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dans l’ombre les exploits au service de leur pays. Cette psychologie allait faciliter
le recrutement des missions spéciales 16. »
Concernant l’organe d’exploitation du renseignement qu’est un
e
2 bureau, la guerre de 1914-1918 n’a apporté que des aménagements
administratifs et formels à l’organisation établie depuis 1871. Pour
l’essentiel, ce 2e bureau conserve l’organisation de l’avant-guerre. Auprès
du commandement se place un organe de centralisation des résultats des
opérations, chargé d’établir une synthèse unique et de diffuser les rensei-
gnements. Un 2e bureau est un organe d’exploitation du renseignement,
à la différence d’un organe de collecte de l’information. Dans des unités
non pourvues d’état-major, il s’agit d’un officier de renseignements.
À l’EMA, le chef d’un 2e bureau a quatre missions principales 17. Il doit
préciser, par l’établissement d’un plan de renseignement, les informa-
tions à recueillir. Il organise leur collecte en appliquant un programme
de recherche des informations. Il interprète les renseignements et en fait
une synthèse à l’intention du commandement. Il diffuse le renseigne-
ment à tous les destinataires intéressés.
« Renseigner un chef, c’est lui présenter, en une synthèse unique, sous une
forme immédiatement exploitable par lui, tous les renseignements concernant
l’ennemi susceptibles de déterminer ou modifier sa décision 18. »
De fait, les renseignements reçus par les 2es bureaux sont d’une nature
très diverse. À l’échelon d’une armée, il y a trois catégories de renseigne-
ments collectés. Il y a d’abord ceux analysés dans les bulletins ou dans
les avis de renseignements du GQG qui sont prêts à être diffusés. Une
seconde catégorie renvoie à ceux contenus dans les synthèses des grandes
unités, soit les corps d’armée et de division de cavalerie, les services de
renseignement de l’artillerie et de l’aéronautique, les services spéciaux de
l’armée. Ils ont fait l’objet de classements et d’études. Enfin une troi-
sième catégorie provient des observatoires spéciaux, des photographies
aériennes, des documents saisis, des déclarations de prisonniers, du maté-
riel pris à l’ennemi, des messages ennemis captés. Ces renseignements
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Ministère de la Guerre
État-major de l’armée
19. Sébastien Laurent, Aux origines de la « guerre des polices », op. cit., p. 775.
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La Marine met sur pied son 2e bureau d’état-major en 1920. Son évolu-
tion aboutit dans les années 1920 à une autonomisation. Le capitaine de
frégate Jean Fernet parachève son organisation à la fin des années 1920 22.
Un 2e bureau de l’Air est mis en place en 1934 23. Pour autant, la sec-
tion de renseignement (SR) et la section de centralisation de renseigne-
ment (SCR) qu’on baptise « services spéciaux militaires » sont des
sections du 2e bureau de l’EMA. À dominante terrienne, elles n’en
accueillent pas moins des officiers de Marine et de l’Air. Le cas est avéré
dans les postes clandestins sur le territoire et notamment à l’étranger,
qualifiés de mixtes ou de doubles. Le capitaine André Sérot, aviateur, est,
à ce titre, affecté au service central des services spéciaux militaires dans les
années 1930. Ces sections SR et SCR mettent en œuvre la recherche des
informations sur la base de plans de renseignements. Amendables, ceux-ci
orientent leurs recherches.
22. SHD/DAT 7NN 2 324, note nº 255 du capitaine de frégate Fernet, EMG2
Marine, du 11 mai 1927 au sujet de la recherche de renseignements sur le SR alle-
mand. Le contre-amiral Jean Fernet fut l’adjoint du secrétaire général du CSDN en
1938-1940, puis secrétaire général du CSDN du 17 juin au 22 juillet 1940. Jérôme
Cotillon, Ce qu’il reste de Vichy, Paris, Colin, 2003, p. 15. Membre du Conseil
national de Vichy en 1940-1941, le vice-amiral Fernet publia Aux côtés du maréchal,
souvenirs 1940-1941, Plon, 1957.
23. Pascal Vennesson, L’Institutionnalisation de l’armée de l’air, thèse de sciences
politiques, IEP de Paris, 1992, 2 vol., 672 p., p. 560.
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spéciaux par région militaire est jointe à chaque fois avec une apprécia-
tion de la nature de cette coopération. Chaque région militaire en
compte une dizaine ainsi qu’un commissaire de CST qui centralise leur
travail au niveau de la région avec l’autorité militaire. Cette collaboration
est exemplaire dans la plupart des cas de figure. Pour la région militaire
à Lille, elle est estimée « excellente ou très bonne » dans sept cas sur onze.
Leur coopération s’oriente dans trois directions, à savoir la surveillance
des fortifications, la surveillance des usines et des ports, les enquêtes sur
des suspects et les étrangers entrant dans la région militaire 31. Dans la
région militaire d’Amiens, le général Corap se loue du concours des cinq
commissaires spéciaux. Pour la région militaire de Rouen, le bilan dressé
de leur activité fait état de nombreuses enquêtes, sans compter celles sur
les personnels dans les établissements récemment nationalisés demandées
par les ingénieurs 32. Les liaisons administratives avec l’armée sont sou-
vent rendues délicates par la conception exagérément hiérarchique pro-
jetée par les officiers, encouragés par la société militaire à un esprit de
déférence qui se combine parfois avec une défiance de corps à l’encontre
des policiers.
31. SHD/DAT 7NN 2 366, dossier sur les relations entre les commissaires de la
surveillance du territoire et la SR-SCR dans les régions militaires en novembre 1937.
Note du général commandant la 1re région militaire sur la liste des commissaires spé-
ciaux et l’appréciation de leur esprit de collaboration, 29 novembre 1937.
32. SHD/DAT 7NN 2 366, note du général Corap, commandant la 2e région
militaire au ministre de la Guerre, SCR/EMA2 du 2 décembre 1937 (sièges à
Amiens, Charleville-Mézières, Verdun, Laon, Beauvais).
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pays neutres, est encore à l’ordre du jour en 1923. Mais ce n’est qu’au
début de 1925 que les consulats suisses cessent d’abriter des agents du
contre-espionnage militaire français. Dans l’accord d’août 1923, il est
admis que les attachés adjoints bénéficient d’un certain nombre de faci-
lités des postes diplomatiques. L’acheminement par la valise diploma-
tique et sous pli fermé adressé aux ministres de la Guerre, de la Marine
et de l’Air de la correspondance relative aux services de renseignement est
autorisé. Ils sont en outre munis d’un passeport diplomatique. Situation
nouvelle tranchant avec les longs débats de l’avant-guerre, les attachés
adjoints disposent d’un chiffre pour correspondre, en ce qui concerne
leur service spécial, avec les autorités ministérielles. Ils ne peuvent tou-
tefois recevoir des informateurs au siège de la mission diplomatique ou
du consulat. Ils ne recherchent que des renseignements militaires, navals
ou aéronautiques à l’exclusion de tout renseignement d’ordre poli-
tique 50. En 1932, le ministre de la Guerre rappelle encore à l’attaché
militaire de France à Washington que le contre-espionnage concernant
les États-Unis était limité. S’appliquant aux pays limitrophes des
États-Unis, il doit s’appliquer en temps de guerre à un contre-espion-
nage et à un renseignement économique caractérisés : les activités des
colonies ennemies, la propagande ennemie, les stocks et les mouvements
des matières premières, les fabrications de guerre, l’aide fournie à
l’ennemi pour son ravitaillement. Son organisation est renvoyée au temps
de guerre pour un poste dont les services officiels devaient utiliser les
moyens courants d’informations, à l’exclusion de tout procédé secret.
C’est confirmer la consécration du renseignement ouvert depuis la Pre-
mière Guerre mondiale 51, auquel l’attaché naval prête son concours
depuis janvier 1919. Il centralise déjà un renseignement exploité par le
2e bureau de l’état-major de la Marine 52.
L’organisation des postes à l’étranger a été interarmées. La recherche
d’économies due à la déflation des budgets militaires conduit dès 1925
à fusionner, lorsque cela est possible, certains services des attachés
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61. SHD/DAT 7N 2 495, compte rendu SR/EMA2 d’une liaison avec la Marine
du 17 mai 1932 au sujet de la révision du tableau du service de renseignement
Marine-Guerre réseau.
62. Pascal Vennesson, Les Chevaliers de l’Air : aviation et conflits au XXe siècle,
Paris, PFNSP, 1997, 210 p.
63. SHD/DAT 7N 2 495, note nº 438 du ministère des Affaires étrangères,
direction des affaires politiques et commerciales, du 9 mars 1937 au sujet de la créa-
tion d’un attaché de l’Air à Prague.
64. SHD/DAT 7N 2 495 note SR/EMA2 du 28 octobre 1928 au sujet des
conséquences de la création du ministère de l’Air sur l’organisation et le fonctionne-
ment du 2e bureau de l’EMA.
65. Pascal Griset, « La mission militaire française en Pologne : industrie aéronau-
tique et logique militaire », Revue historique des armées, nº 2, juin 1987, p. 93-103.
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temps de guerre. Mais il fallut attendre 1934 pour que le 2e bureau fût
réellement mis sur pied.
Enfin, en avril 1929, après de longues conférences interministé-
rielles, les instructions anciennes sont remplacées par une instruction
unique des Affaires étrangères ayant pour objet la collaboration des
consuls aux services de renseignement de la Guerre et de la Marine 66. Or,
la recherche de renseignement intéressant la Défense nationale n’est pas
compatible avec le statut des agents des Affaires étrangères à l’étranger.
En temps de paix comme de guerre, la collaboration directe est écartée.
Sans s’y livrer, l’instruction envisage les circonstances dans lesquelles les
agents peuvent prêter leur concours à la recherche, à la transmission et à
la critique de renseignements d’ordre militaire. En temps de paix, les
consuls recherchent par des moyens ordinaires d’information, sans
aucune opération clandestine, des renseignements dans le domaine
public, sans s’exposer aux lois locales. Les états-majors leur adressent des
questionnaires types, énumérant les questions locales et les mesures de
mobilisation du pays en cas de tension politique. Les informations sont
transmises par courrier quand elles sont d’ordre commercial. Ces cour-
riers sont remis en mains propres à des agents de la représentation diplo-
matique pour une transmission par la valise si leur contenu est sensible.
La transmission chiffrée par télégramme est possible. En théorie, les chefs
de mission diplomatiques exercent un contrôle sur les renseignements
transmis par les attachés, spécialement ceux de nature politique, y
compris sur les agents. Mais ce contrôle étroit visant à se prémunir d’agis-
sements caractérisés d’espionnage n’était-il pas largement illusoire ? Des
précautions pratiques très strictes sont encouragées pour ne pas éveiller
les susceptibilités des autorités locales, ne compromettre personne et
garantir le secret : la discrétion ; l’utilisation d’un coffre-fort pour l’ins-
truction, les questionnaires, les réponses ; la destruction des documents
et des brouillons de rapports ; la rédaction générale des analyses ; le refus
des informateur spontanés 67. Les Affaires étrangères rappelèrent en 1931
que les consuls ne jouissaient pas de l’immunité diplomatique et que leur
concours pour acheminer des plis par la valise diplomatique était
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une activité définie comme étant illégale en temps de paix. Elle atténue
la répression du Code pénal en prévoyant la compétence de la juridic-
tion civile correctionnelle. Les peines encourues sont des peines légères
de moins de cinq ans de prison. Cette loi doit permettre de punir la
communication de certaines informations à la presse, en souvenir de
1870-1871. Elle préserve la confidentialité de documents administratifs
en réprimant les négligences lors de leur communication. À ce titre, elle
marque une nouveauté au regard du Code pénal, mais ne répond pas à
toutes les situations avant même 1914, notamment pour le temps de
guerre. En 1895 et en 1911, des tentatives de modification échouent
pour introduire la distinction entre la trahison de Français et l’espion-
nage commis par des étrangers. Bien qu’elle soit à l’origine d’une radica-
lisation des projets législatifs en matière d’espionnage, l’affaire Dreyfus ne
conduit pas à une révision de la loi du 18 avril 1886. On sait que celle-ci
connaît huit tentatives vaines de révision avant 1914, notamment dans
les années 1890, la dernière lancée en juillet 1911 83. Or, Joseph Caillaux,
ministre de l’Intérieur et président du Conseil, a déposé un projet de loi
le 12 juillet 1911, qui ne souhaite ni criminaliser l’espionnage, ni toucher
au Code pénal. Son « projet de loi contre l’espionnage et la divulgation
d’objets, de documents et renseignements intéressant la sûreté extérieure
de l’État » ne touche pas à l’échelle des peines et aux juridictions chargées
de les appliquer. Était proposé d’ajouter le mot « objets », de mieux qua-
lifier les procédés de diffusion des renseignements et la vente de photo-
graphies d’objets de défense. En juillet 1913, la commission de réforme
judiciaire examine le projet, retouché à la fin de l’année après un accord
voulu par Alexandre Millerand entre le ministère de la Guerre et la
Sûreté. Durant l’été 1913, l’affaire Maggi-Kub déclenche une polémique
de presse, longuement menée par Léon Daudet dans L’Action française,
qui dénonce une officine dissimulant des activités d’espionnage alle-
mandes 84. À partir du 9 juillet 1913, le quotidien titre sur les dévelop-
pements de cette affaire d’espionnage. La société Kub et Maggi est
défendue devant le tribunal civil par les avocats Alexandre Millerand,
André Paisant et Fernand Labori contre les allégations de L’Action
81
82
87. Cf. chapitre 6 ; Roger Faligot, Rémi Kauffer, As-tu vu Cremet ?, Paris,
Fayard, 1991, p. 13-15.
83
84
93. Journal officiel, Débats parlementaires, 23 juin 1933, nº 2131, p. 1372, inter-
vention de Georges Pernot sur les atermoiements de la Chambre des députés qui
l’adopte avec modifications le 29 février 1932, après le rapport de M. Schuman de la
commission de législation civile et criminelle.
85
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87
88
103. SHD/DAT 7NN 2 270, note nº 7924 de la SCR pour le secrétariat général
du CSDN, 30 novembre 1933.
104. Cf. chapitre 11.
89
90
91
92
exigée. Elle corrige largement les inconvénients révélés lors des pour-
suites contre des agents en rapport avec un service d’espionnage dont
l’activité secrète est difficilement démontrée. L’article 6 prévoit que les
dessins, les photographies, les levés sur des ouvrages de la Défense natio-
nale, dans une zone désormais définie par l’autorité militaire, sont
interdits. Le souvenir de l’affaire Frogé, intendant militaire soupçonné
d’avoir livré des informations secrètes sur la place forte de Belfort à l’Alle-
magne et jugé en 1934, influence la modification. Leur publication et
leur mise en vente sont interdites. L’interdiction est étendue au matériel à
usage militaire, existant ou en construction. L’article 7 permet d’empê-
cher le séjour d’étrangers dans des zones intéressant la Défense nationale.
L’achat de terrains pour la chasse ou la pêche peut être empêché à proxi-
mité des fortifications. Enfin, la spécialisation de certains tribunaux mili-
taires ou maritimes facilite les poursuites au terme de l’article 8. Les trois
derniers articles doivent trouver des précisions pratiques dans leur appli-
cation en 1938-1939. Il reste au législateur à fondre cet héritage législatif
de cinquante années dans un texte unique sur l’espionnage et la trahison.
Il y parvient en promulguant un nouveau décret-loi le 29 juillet 1939 qui
introduit les dispositions pénales relatives à la lutte contre l’espionnage et
la trahison dans le code pénal.
Ce décret-loi définit aussi, pour la première fois, la notion de secret
de la Défense nationale 113. Le crime de trahison est puni de mort. Il vise
des actes favorisant une puissance étrangère, à savoir le port des armes
contre la France, la livraison de troupes, de sites, le passage à l’ennemi ;
la destruction d’équipements de nature à servir à la Défense nationale ;
la livraison « d’un secret de la Défense nationale ». L’espionnage, visant
des actes définis par les trois articles 75, 76 et 77, et puni de mort, est
la seconde incrimination. Différents actes constituent l’atteinte à la sûreté
extérieure de l’État, considérés comme des délits en temps de paix et des
crimes en temps de guerre : les actes favorisant une puissance étrangère ;
le fait de s’assurer d’un secret de la Défense nationale ; la communica-
tion, sans autorisation préalable, d’une invention intéressant la Défense
nationale ou des renseignements s’y rapportant, à une personne agissant
pour une puissance ou une entreprise étrangère. La répression des actes
d’espionnage repose sur la notion juridique nouvelle de « secret de la
113. Bertrand Warusfel, op. cit., p. 152-155 sur les infractions réprimées par le
décret-loi du 29 juillet 1939 et la notion de secret de la Défense nationale.
93
114. AN BB18 6 099, dossiers 20 BL 614, 618, 622 et 627 sur les condamna-
tions pour espionnage de ressortissants allemands, 1925-1940.
115. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet sur les
arrestations pour infraction à la loi du 26 janvier 1934 en septembre 1937.
116. SHD/DAT 7NN 2 101, note du lieutenant-colonel Rivet, chef de la
SR-SCR du 17 juin 1937 au sujet de la SR.
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50
0
1933 1934 1935 1936 1937
117. SHD/DAT 7NN 2 701, note de la SCR/EMA2 de juillet 1937 au sujet des
statistiques des arrestations et des expulsions en application de la loi du 26 janvier
1934.
95
96
1886 se fait par des étapes successives de 1934 à 1939, depuis la loi du
26 janvier 1934 jusqu’aux décrets-lois de 1935, 1938 et 1939. Elle est un
compromis entre la sauvegarde de la République libérale et la protection
de la sûreté intérieure et extérieure de l’État.
98
l’armée a cru bon de fixer ses attributions secrètes dans le cadre plus
général des activités de son 2e bureau. De sorte que l’usage a instauré une
définition minutieuse de la fonction, résumée dans un vade-mecum du
chef des services spéciaux militaires, comme pour mieux conjurer son
imprévisibilité par une rationalité administrative 1. En matière d’espion-
nage, cet officier supérieur est appelé à mettre en œuvre les orientations
du plan de renseignement, tout en ayant la libre appréciation des instruc-
tions particulières données aux postes aux frontières et à l’étranger par
des programmes de recherche de renseignements. Les missions sont alors
exécutées sur ordre du chef du poste, recevant les instructions du chef des
services spéciaux militaires à Paris. Ces programmes sont complétés ou
corrigés pendant leur exécution par des instructions soit écrites, soit
orales. L’acquisition de nouvelles informations en temps de crise invita
d’ailleurs, dès les années 1920, à multiplier les instructions particulières
entre le service central et les postes de renseignement.
En matière de contre-espionnage, plusieurs responsabilités incom-
bent au chef de la SR-SCR, en liaison étroite avec le commandement, le
commissaire chef de la sûreté dans l’armée et les officiers de contre-
espionnage. Il lui revient d’abord la centralisation des renseignements de
contre-espionnage, tout en assurant leur caractère secret. L’expression
« protection du secret » a été peu à peu consacrée, au point de résumer
la mission essentielle de préservation des informations secrètes lors de
leur diffusion. Dans le cycle du renseignement, la diffusion qui donne
une publicité au renseignement en dehors des seuls services secrets est
évidemment un moment critique de sa vulnérabilité. La surveillance du
moral accompagne cette attribution, c’est-à-dire l’action d’enrayer les
campagnes démoralisatrices sinon défaitistes d’un ennemi potentiel dans
le corps de troupe. Or, cette préoccupation a marqué durablement les
armées pendant la Première Guerre mondiale, plus attentives aux fac-
teurs externes de démoralisation qu’à ceux internes aux forces armées. La
crainte d’une action subversive débouchant sur des troubles révolution-
naires pouvant disloquer l’unité de l’armée fut obsessionnellement pré-
sente à l’esprit des chefs militaires français au XXe siècle, en particulier
entre 1917 et 1940.
99
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101
dizaine d’individus. Parmi les officiers affectés dans les différentes sec-
tions du 2e bureau de l’EMA, ceux de la SR puis, à partir de mai 1915,
de la nouvelle SCR, retiennent notre attention 4. L’après-guerre réunit
dans les mains d’un seul officier la direction des deux sections, alors
qu’une situation différente a prévalu de 1899 à 1915. L’itinéraire du
futur général Dupont épouse cette évolution de l’organisation adminis-
trative des services spéciaux militaires. À sa sortie de l’École supérieure de
guerre (ESG) le capitaine Dupont est affecté à la section de recherche
jusqu’en 1904. Après la tourmente de l’affaire Dreyfus, il est chargé, en
dépit de ses réticences, de réorganiser la section de recherche dont il
prend la responsabilité en février 1908. Après avoir commandé la section
de renseignement de 1908 à 1913, le colonel Dupont commande pen-
dant la guerre un 2e bureau qui coiffe notamment la section de renseigne-
ment et la section de centralisation de renseignement. Cette dernière est
animée par le commandant Georges Ladoux (1875-1933) depuis sa créa-
tion en mai 1915 jusqu’en avril 1917. Après des scandales et des affaires
de presse qui compromettent Georges Ladoux, le colonel Goubet réorga-
nise les moyens de renseignement au printemps 1917 5. À cet instant, il
estime l’action de Ladoux à la SCR suspecte, et celle du commandant
Bouvard à la tête de la SR depuis 1915 inefficace.
« Placé à la tête du très important service des renseignements, le comman-
dant Bouvard s’est parfois laissé absorber par des questions d’intérêt secondaire
et accessoire. A manqué d’initiative et d’audace pour améliorer le niveau du
recrutement des agents. Au “kolossal” système allemand, n’a opposé qu’un ser-
vice timide et extrêmement prudent… M. le commandant Bouvard a commencé
très tard à faire du renseignement 6 »,
souligne sévèrement le colonel Goubet. La Première Guerre mondiale
confirme bien l’idée d’une spécialisation des officiers de renseignement
initiée depuis l’avant-guerre, agrégeant un groupe peu à peu fermé aux
officiers des armes qui ont connu une brève affectation dans les services
de renseignement. De fait, cette spécialisation rend plus difficile aux
102
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105
10. Voir notre étude « Les officiers et l’État 1900-1940 », in Marc Olivier
Baruch, Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’adminis-
tration française 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 261-277.
11. Cf. chapitre 12. On verra le cas du capitaine Beaune du poste de Nice, passé
de la Cagoule au mouvement de Darnand.
12. SHD/DAT 14 Yd 493, dossier personnel et d’état de services d’Edmond
Laurent (1882-1971).
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112
sur le ressort idéologique des choix du général Roux que Réquin avait
jugé d’un tempérament indécis en 1940.
Louis Rivet (1883-1958), qui dirige la SR-SCR de juin 1936 à
avril 1944, a un singulier parcours 25. Menuisier engagé volontaire de
2e classe au 140e RI en 1902, il suit les cours de l’École d’infanterie en
1909 dont il sort sous-lieutenant en 1911. Affecté dans un régiment de
tirailleurs algériens, il est blessé en Belgique le 24 août 1914, puis prison-
nier pendant toute la durée de la guerre. Affecté au 2e bureau de l’EMA
en janvier 1920, Rivet fait un stage de six mois à la section de renseigne-
ment jusqu’en octobre 1920 pour être envoyé au 2e bureau de la mis-
sion française en Pologne du 20 décembre 1920 au 15 juin 1924. Du
15 juin 1924 au 22 février 1928, le capitaine Rivet est à la « mission de
recherche des disparus en Allemagne ». Cette couverture permet un tra-
vail de recherche de renseignement en Allemagne en liaison avec l’armée
française du Rhin et les postes français à Düsseldorf, Mayence et Aix-La-
Chapelle. Puis il est responsable du poste de Belfort, l’un des postes les
plus importants de la SR-SCR, de février 1928 à octobre 1930. Il
commande un bataillon en 1931-1933. Son itinéraire est pensé et voulu
par le colonel Lainey qui le prépare aux fonctions de chef de service.
Lainey aurait vu en lui son successeur possible dès les années 1920 26.
Parmi les officiers les mieux notés de la SR-SCR, Rivet est affecté à l’état-
major de la Ire région militaire à Lille, pour créer et organiser le bureau
d’études du nord-est qu’il commande du 1er juin 1933 au 11 novembre
1935. Lieutenant-colonel en décembre 1935, il revient à l’EMA pour
devenir l’adjoint au colonel Roux, chef des services spéciaux militaires.
L’avis de mutation est signé par le général Colson le 6 juin 1936 pour
qu’il succède à Roux à la tête du service. Sa nomination ne doit rien à
un choix politique motivé par l’arrivée du Front populaire au pouvoir.
Il a alors 53 ans. Il ouvre un Journal de bord le 22 juin 1936. Colonel le
113
27. Un portrait vivant est donné par Paul Paillole, Services spéciaux (1935-1945),
Paris, Laffont, 1975, p. 24.
28. SHD/DAT 7N 2 488, Mobilisation du 5e bureau de l’EMA, nº 4028 SR
2/11, 4 mai 1925. Note pour la section du personnel du service d’état-major du
colonel Fournier, chef du 2e bureau-EMA.
29. Ibidem, p. 2. Sont remis à la disposition de leur arme ou service les capitaines
d’infanterie de réserve F.-A. Bonnet-Dauphine, A. Mahe de Berdouare, Carpentier
Étienne, Raio de San Lazaro, les lieutenants d’infanterie de réserve Georges Chabot,
Désiré Prévost, Joseph Caubere, l’officier d’administration François Guillian et
Georges Domienne. Le capitaine Jean de Baralle, actuellement à la section écono-
mique, serait affecté à la SCR-5e bureau et le commandant d’active L.-J. Bataillard
maintenu au 5e bureau.
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40. SHD/DAT 7N 2 488, état des officiers affectés pour le cas de mobilisation
au 5e bureau de l’EMA, aux 2es bureaux de l’EMA et du GQG, 23 mars 1931. Voir
tableau 7 en annexe.
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49. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, vol. 1, 31 juillet 1936.
50. Paul Paillole, op. cit., p. 22-26.
51. SHD/DAT Fonds 1K 173 carton 1, note sur les affectations du lieutenant-
colonel Andlauer, juin 1921.
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65. SHD/DAT 7NN 2 262, document daté de 1929, liste des personnes rési-
dant à Genève susceptibles de rendre, de façon suivie ou occasionnelle des services de
renseignement à des fonctionnaires de l’administration ou de la police française.
66. Cf. annexe 2.
128
d’agents est typique des agents traités par un officier sur un objectif géo-
graphique. Or, le suivi de ces agents par le poste de Besançon est exa-
miné étroitement par Belfort qui s’interroge sur les possibilités réelles
qu’ils ont d’obtenir une information de qualité 67. Le nombre d’informa-
teurs recrutés ne garantit pas la qualité de l’information collectée. La
diversité des professions, des domiciliations, des missions facilite le tis-
sage d’un réseau d’informations de sources variées. Cette situation est
recherchée par les officiers recruteurs afin d’élargir la gamme des infor-
mations trouvées. Un tournant s’amorce dans l’entre-deux-guerres. Dans
les années 1934-1936, entre l’installation des nazis au pouvoir et la crise
rhénane du printemps 1936, l’accent est mis par les chefs successifs des
services spéciaux sur le traitement d’un petit nombre d’agents de pénétra-
tion et d’agents doubles, capables de donner des renseignements de qua-
lité majeure. Car le renseignement politique, économique et militaire des
agents et des honorables correspondants est d’une qualité très variable.
Dans les années 1930, les chefs des services spéciaux sont unanimes à
demander aux chefs de poste de limiter le recrutement d’agents. La valeur
et le rendement des agents sont désormais des critères déterminants indi-
quant la voie du recrutement à suivre. Cette orientation des services spé-
ciaux militaires heurte frontalement des usages et un confort poussant la
majorité des chefs de poste, encore après la Première Guerre mondiale, à
recruter un grand nombre d’informateurs, souvent inefficaces.
Indépendamment de son agent au Luxembourg et en Allemagne sur-
veillé depuis 1930, le poste de Metz (BREM) compte 25 agents orientés
vers l’Allemagne, dont 19 en fonction et 6 en sommeil en 1936. Durant
l’année 1936, 34 nouveaux agents ont été recrutés, dont 12 seulement
sont encore actifs en janvier 1937. Ce chiffre tient au recrutement
d’agents occasionnels lors de la crise de la remilitarisation de la Rhénanie
et dans les mois qui ont suivi. Le but est de multiplier les informateurs
afin d’élaborer un renseignement d’alerte crédible en cas de nouvelle
agression allemande. Mais durant la seule année 1936, 32 agents n’ont
plus donné signe de vie, dont 9 ont probablement été arrêtés. Plus sûre-
ment, la répression nazie est à l’œuvre, neutralisant les espions étrangers
activement. Le chef de poste ne sait pas s’ils ont été condamnés, témoi-
gnant d’un traitement de ses agents largement erratique. Le total est donc
67. SHD/DAT 7N 2 485, appréciations sur la valeur des agents de Besançon par
le commandant Raphène, janvier 1926.
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75. Amicale des anciens de la France combattante, Les Réseaux action de la France
combattante, Paris, 1986. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France libre, Paris, Galli-
mard, 1996 et Rémy (colonel), Mémoires d’un agent de la France libre, rééd. 2002,
Paris, Gallimard, préface de Jean-Louis Crémieux-Brilhac.
76. Henry Koch-Kent, op. cit., p. 18.
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134
vices secrets nazis y sont anciennes 81. Gérar-Dubot multiplie les contacts
avec les responsables français et belges de l’espionnage, afin d’asseoir sa
connaissance des « officiers traitants » des informateurs aux frontières
franco-belge et belgo-hollandaise. Fin septembre 1939, Gérar-Dubot a
déjà évoqué dans ses notes personnelles l’hypothèse d’une réactivation du
réseau allié de la Première Guerre mondiale en Belgique, « la Dame
blanche ». Ce réseau de renseignement a travaillé contre l’occupant alle-
mand en Belgique depuis l’automne 1914 jusqu’à la fin de la guerre.
Imaginé par le commandant Perruche avec ses adjoints Navarre et
Lafont, le projet anima quelque temps les débats des contre-espions
français 82. Ainsi la reconstitution des moyens secrets, sous des camou-
flages éprouvés entre 1914 et 1918 fut à nouveau explorée, notamment
à propos du bureau de presse qu’Émile Haguenin, ancien directeur du
budget, avait alors constitué comme couverture à Berne en Suisse 83.
81. SHD/DAT 1 K 545, fonds Paillole, nouvelle cote 787, Journal de marche de
Gérar-Dubot, vol. 2, 13 septembre 1939.
82. Journal de bord de Gérar-Dubot 1951-1954, op. cit., cote 827,
décembre 1952. Il y évoque le rôle de Lafont-Verneuil, alors adjoint de Darbou au
CLF de Lille, étudiant avec lui le projet. Le projet est évoqué entre septembre et
novembre 1939. Il fut dévoilé par une indiscrétion du journal Gringoire. Il revint sur
ce projet non réalisé en décembre 1952, évoquant après guerre la résurrection
échouée de ce réseau.
83. Raphaëlle Ulrich-Pier, René Massigli (1888-1988). Une vie de diplomate,
Bruxelles PIE-Peter Lang, 2006, tome 1, p. 39-41.
135
84. Claude Paillat, Dossiers secrets de la France contemporaine, tome 4, op. cit.,
p. 38 ne cite pas sa source qui est probablement Paul Paillole. Il propose le chiffre de
1 500 agents et honorables correspondants, majoritairement Allemands, Polonais,
Tchèques, Slovaques.
85. On laisse de côté le cas spécifique des officiers du service de renseignement
du Levant étudié par Jean-David Mizrahi, Genèse de l’État mandataire. Services de
renseignement et bandes armées en Syrie et au Liban dans les années 1920, Paris, Publi-
cations de la Sorbonne, 2003, 462 p.
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139
le renseignement », in Frédéric Guelton, Abdil Bicer (dir.), op. cit., p. 189-210. Non
consultables, les papiers de la Conférence de la Paix à Paris et des organes interalliés
(conférence des ambassadeurs, commissions diverses) ont été restitués dans la der-
nière partie du fonds de Moscou des archives militaires. Leur traitement est en cours.
Ils recoupent notamment les papiers Mantoux conservés à la BDIC.
3. Jean-Jacques Becker, Le Traité de Versailles, Paris, PUF, 2002, p. 57 sur les
revendications des peuples à disposer d’eux-mêmes.
4. Louis Dupeux, « Les Allemands et la paix 1918-1925 », in Claude Carlier,
Georges-Henri Soutou (dir.), 1918-1925. Comment faire la paix ?, Paris, Economica,
2001, p. 17-18.
140
5. SHD/DAT 7NN 2 151, note SR/EMA2 sur la répartition du travail entre les
SR, 10 novembre 1918, 4 p.
6. Philippe Nivet, « Les réfugiés en Haute-Savoie au XXe siècle », in Olivier For-
cade, Philippe Nivet (dir.), Les Réfugiés en Europe aux périodes moderne et contempo-
raine, actes du colloque d’Amiens, 23-24 mars 2007, à paraître.
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du Maroc, enflammé par la guerre du Rif 29. D’autre part, il est d’obtenir
des informations des autorités hollandaises sur les suspects de commu-
nisme se rendant en France et Belgique. Les relations entre l’attaché mili-
taire et le poste sont aplanies. Au début de l’année 1926, le bureau de
Mayence est rapatrié à Aix-La-Chapelle. Celui-ci ne doit pas recruter
d’agents en zone belge, en accord avec Bruxelles, et voit son domaine
d’action tourné vers la Hollande, en liaison étroite avec l’attaché
militaire 30.
Le poste de Copenhague est rattaché à La Haye en février 1928. Le
but poursuivi est de réunir les moyens d’investigation sur la Hollande et
le Danemark pour réaliser un poste plus puissant sous l’autorité de
l’attaché militaire. Il doit agir sur la région nord-ouest de l’Allemagne et
sur les côtes de la Baltique, en ciblant les informations sur les relations
germano-russes, germano-suédoises et germano-norvégiennes. Copen-
hague conserve les enquêtes de contre-espionnage en Scandinavie, en gar-
dant tous ses informateurs. Concrètement, cela se traduit par l’envoi du
bulletin de renseignement de Copenhague, d’une copie de ses fiches
d’agents, d’un double de sa correspondance à Paris au poste de La Haye.
La liaison entre les deux postes se fait par des télégrammes chiffrés offi-
ciels (code des attachés militaires), par des lettres chiffrées d’allure privée,
par des lettres privées à l’encre sympathique. Les liens avec le ministère de
la Marine sont précisés, transitant par la centrale à Paris 31.
La menace italienne et la défense de l’empire sont un autre enjeu. La
lente réorganisation du renseignement français à la frontière italienne est
achevée en 1928, au terme de trois années d’évolution. Un nouveau
poste de renseignement est installé à Marseille le 15 décembre 1928,
dirigé par le capitaine Barbaro, en vue de diriger et d’exploiter le rensei-
gnement collecté sur les frontières franco-italienne et italo-suisse. Une
liaison est établie avec la section d’études africaines à Alger, bientôt
commandée par le capitaine Delor. Les antennes sont déchargées de tout
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38. Jean Doise, Maurice Vaïsse, Diplomatie et outil militaire, op. cit., p. 295-296.
39. SHD/DAT 7N 2 485, rapport sur la mobilisation du 5e bureau de l’EMA du
colonel Lainey (ER) au sous-chef d’état-major, 19 octobre 1932, 18 p.
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calqués sur ceux de de la section des armées étrangères (SAE) qui reçoit
les informations secrètes de la SR-SCR pour son analyse 52.
La SCR ou section de centralisation des renseignements a été créée
par arrêté d’Alexandre Millerand du 29 mai 1915, afin de réorganiser en
temps de guerre le contre-espionnage, en liaison avec le ministère de
l’Intérieur 53. Le régime de l’état de siège en application de la loi du
9 août 1849 donne à l’autorité militaire des facultés inédites en matière
de contre-espionnage sur le territoire national, dévolues au ministre de
l’Intérieur en temps de paix. La SCR compte des sous-sections. Deux
sont géographiques : la section d’Allemagne, dirigée par Robien en
1932-1935, Paillole en 1936-1937 et Bonnefous en 1937-1939, et celle
d’Italie, commandée par les capitaines Ollé-Laprune puis Brun. La sec-
tion de défense préventive est créée en 1937, mettant en œuvre des
mesures de protection du secret et des lieux intéressant la Défense natio-
nale, dont des usines. Il y a ensuite la section des archives. Enfin une sec-
tion de propagande révolutionnaire surveille théoriquement les
ingérences politiques dans l’armée. Elle est, pour cette raison, directe-
ment rattachée au cabinet du ministre, suivie par le commandant Serre,
puis par le capitaine Jacquot à la fin des années 1930. Elle ne tient pas
de rôle actif en réalité durant tout l’entre-deux-guerres. La SCR a comme
chefs successifs les commandants Grosjean de 1925 à 1936, Schlesser de
1936 à 1938, puis le capitaine Paul Paillole en 1939.
La SR-SCR compte enfin des services communs. La section du
chiffre, dite « section D » (pour « décryptement »), fournit les codes spé-
ciaux et cherche à pénétrer les chiffres adverses. La section A a en charge
l’administration, avec un officier d’administration principal à sa tête. Elle
traite par exemple des questions pratiques des frais de déplacements, de
52. La section allemande de la SR est par exemple animée par le capitaine Lau-
rent en 1926-1928, puis par le commandant Perruche de 1933 jusqu’en 1937, par le
commandant Navarre entré au service en juillet 1936. Celle du Midi sur l’Italie et la
Méditerranée a été notamment commandée par le commandant Curet de 1938 à
1939. La section russe l’est en 1922-1925 par le capitaine Marie-Joseph Mendras,
dans les années 1930 par le commandant Josset. Des sections anglaise et espagnole
les complètent.
53. AN 470 AP 32, fonds Alexandre Millerand, arrêté du 28 mai 1915 créant la
SCR. Dans son article 2, il stipule qu’elle a entre autres pour attribution « d’orienter
et de documenter les enquêtes de la Sûreté générale sur le contre-espionnage et d’en
recevoir en échange les renseignements se rapportant au même sujet. »
161
54. SHD/DAT 7N 2 498, note secrète sans timbre relative à l’organisation des
liaisons TSF des SR mobilisés en 1935-1937, 25 mai 1935.
55. Voir notre étude, « La IIIe République, la sécurité nationale et ses fichiers de
surveillance 1871-1940 », les jeudis du CHEAR, 15 novembre 2007, à paraître.
162
163
Postes
Crédits Crédit
(dates de
de fonctionnement de fonctionnement Remarques
création et
1918-1927 en 1933-1936
durée d’existence)
Belgrade 2 000 4 000, puis Déficit de 3 000 F
2 000 en 1936 mensuels en 1936.
Réserve de 40 000 F
Copenhague 32 350 en 1927
Belfort 65 000 fin 1918, 105 000 115 000 F
80 000 en 1925 demandés en 1937
Besançon, 20 000
1925-1930
Chambéry, 1919 12 000
Marseille 1928
Lille 1933
Nice
Alger, 1925 15 000 30 000 35 000 dépensés en
1936
La Haye, 1919 45 000 65 000 Dont 10 000 pour
deux agents
Mayence, 23 000
1919-1930
Beyrouth, 1932 30 000 Avance 80 livres
sterling-or en 1933
Djibouti, 1933 50 000 (1933) 65 000 F
d’équipements en
supplément en 1933
Constantinople 16 000, dont 6 500
pour agents
TOTAL 235 350 F 280 000 F
164
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168
169
69. SHD/DAT 7NN 2 463, réunion des chefs de poste des 11-13 janvier 1939 à
Paris.
70. SHD/DAT 7NN 2 463, rapport SR-SCR de la réunion de fin janvier 1938
sur le travail de l’année 1937.
71. Cf. chapitre 11.
170
72. Cf. annexe 3 Les effectifs des postes de renseignement sur le territoire
national et dans les colonies en 1928 et en 1935.
171
172
173
consulats de Bâle et Zurich jusqu’en 1925. Les agents recrutés par Belfort
ont été, par prédilection, des Alsaciens, avant comme après 1914-1918.
Cette donnée perdure imparfaitement après 1919. Aussi faut-il réorienter
le recrutement en 1919 vers des Allemands de nationalité, nombreux en
raison de la démobilisation rapide de l’armée allemande et des condi-
tions économiques de vie dégradées en Allemagne. Andlauer quitte le
commandement du poste de renseignements de Belfort en mars 1920.
Le service de Belfort compte une vingtaine d’officiers affectés en 1928
comme en 1935. En 1925, l’adjonction des deux annexes de Besançon
et de Mulhouse justifie cet accroissement du nombre d’officiers affectés.
Besançon recherche tous les types de renseignements sur l’Allemagne, sur
la Suisse ensuite et accessoirement sur l’Italie. Installé en temps de paix
dans la caserne du Vieux-Séminaire à Besançon, cette annexe rassemble
quatre agents autour de son responsable, le capitaine Doucet en 1925 81.
Ce dernier est en relation avec les commissaires spéciaux de la Sûreté
générale de Delle, Pontarlier, Morteau, Montbéliard, Besançon, Saint-
Claude, Gex. En temps de guerre, il est prévu que Besançon se trans-
forme en annexe du bureau de Strasbourg, installé à Berne pour
renseigner sur l’Allemagne depuis la Suisse jusqu’à Delle au nord et
Genève au sud. Les crédits de fonctionnement s’élèvent à 20 000 F men-
suels. Un compte rendu de renseignements non périodique est adressé à
Paris, à Chambéry et à Mayence.
En novembre 1926, le poste de Belfort a son effectif complet et une
mission définie après les réorientations de Lainey. Doté en 1927 d’une
partie des missions du poste de Strasbourg qui devient une antenne, il
dispose de moyens de communication TSF, mais aussi des pigeons
entraînés sur les directions Strasbourg-Forbach-Ludwigshafen et Mul-
house-Saint-Louis-Pontarlier, « agents volatiles » opérationnels au début
de 1927. Sa zone géographique d’action se dessine en liaison avec celles
attribuées à Mayence jusqu’en 1930, puis à Metz à partir de 1930 et à
Lille à compter de juin 1933. Elle comprend alors la Suisse, la ligne du
Rhin, l’Autriche et l’Allemagne. Ses annexes sont toujours Forbach,
Besançon couvrant Berne, Mulhouse suivant désormais les consulats de
Bâle, Zurich et Saint-Louis. Affecté en avril 1928 au poste de Belfort, le
174
175
176
177
procédures établies à leur nom…) et qu’au contraire, nous les aiderons avec le
plus grand désintéressement, travaillerons dans une liaison sans cesse plus
franche, sans cesse plus étroite. Bien des préventions qu’ont ces fonctionnaires à
l’endroit de l’armée et du SR tomberont, j’en suis sûr, et les nouveaux venus (qui
semblent infiniment supérieurs en culture et mentalité au vieux commissaire spé-
cial datant d’avant guerre) se rapprocheront de nous, en cordiale confiance pour
le meilleur bien du contre-espionnage 90. »
L’enquête démontre le concours déterminant des policiers aux
enquêtes sur les agents ennemis. Dix-huit commissaires spéciaux ont été
gratifiés de primes en 1937. Les indications sur la nature de la coopéra-
tion peuvent fluctuer. Ainsi les arrestations opérées en 1937 en liaison
avec le commissaire spécial Sabaterie à Saint-Louis ne le font pas appré-
cier pour autant. D’importants agents allemands ont été arrêtés : Kno-
chel le 20 mai, Auer le 21 mai, Knapp le 9 juin, Richter et Jaudas le
18 août, Bacelard, Dengler, Gies, Wisslé, Freyburger et Bornèque le
20 novembre 1937. En dépit de ces résultats, le capitaine Lombard
estime que le commissaire spécial Sabaterie « a des rapports extérieure-
ment corrects. Protestation constante de bonne volonté… Mais au fond
ce commissaire spécial n’aime pas le SCM. Sans grande intelligence, petit
esprit, envieux, n’a aucune envergure, manque de franchise 91. » Le juge-
ment de valeur est sévère. Il rappelle les préventions qui opposent entre
eux les fonctionnaires policiers et militaires.
178
179
groupe de lettres ou de chiffres sont indifféremment utilisés après guerre. Les dic-
tionnaires sont utilisés en état-major par des officiers spécialistes.
97. SHD/DAT 7N 2 626, lettre du général Nollet, président de la commission
militaire interalliée de contrôle à Berlin au ministre de la Guerre du 20 août 1921,
au sujet du dictionnaire chiffré « 77 777 » qui serait tombé aux mains des Sovié-
tiques.
98. Givierge (colonel), Conférence sur le chiffre, Paris, cycle d’information des
officiers généraux et colonels, 1926, confidentiel, 24 p.
99. Ibidem, p. 4-5.
180
181
182
183
communications des moyens aériens surtout depuis 1932, est encore sans
appel en octobre 1933.
« Le nombre de messages interceptés et utilement exploités aurait été de
600 environ en 1932, dont 80 % en clair : il n’y en aurait eu que 350 environ
en 1933, dont 40 % seulement en clair. En 1933, les messages interceptés
auraient néanmoins suffi à expliquer à l’ennemi les différentes phases des opéra-
tions (à l’exception des petites opérations isolées) 108. »
Par ailleurs, les opérations de brouillage auraient gêné les communi-
cations françaises. Le bilan est si médiocre qu’il confirme l’idée que les
manœuvres françaises se font à livre ouvert pour les Allemands jusqu’en
1933 au moins. En 1934, les écoutes de l’armée allemande renforcent
leurs capacités aux frontières, à partir du centre directeur de Stuttgart
interceptant les communications des manœuvres à une distance comprise
entre 150 et 380 km. Le contre-espionnage français a pu se rendre
compte que les exploitations sont faites quotidiennement par les écoutes
allemandes. En 1934, les exercices de défense aérienne de Lyon des
25-27 juillet, puis les manœuvres de cavalerie de Soissons des 21-27 août
n’ont ainsi pas eu de secrets pour l’Allemagne 109. Les messages chiffrés et
surchiffrés avec le code de service TSF sont alors lus couramment par les
centres d’écoute allemands. Ceux-ci interceptent les trafics radio relatifs
aux manœuvres françaises.
Cependant, les imprudences et les erreurs de chiffrages des unités
françaises énoncées depuis les années 1920 reculent encore très notable-
ment jusqu’en 1939. Mais il faut alors compter sur les retards criants des
transmissions des nouveaux systèmes d’armes français depuis les années
1920, notamment dans les chars en 1939 110. Au total, les difficultés tech-
niques n’ont pas été toutes surmontées en 1939. Dans l’aide-mémoire
que le colonel Gauché, chef du 2e bureau de l’EMA, rédige à l’intention
des officiers du 2e bureau d’armée en juillet 1939, il insiste encore sur le
fait que la TSF doit rester exceptionnelle en raison de l’éveil qu’elle peut
108. SHD/DAT 7N 2 492, compte rendu très secret des résultats des écoutes des
manœuvres françaises par la section du chiffre du 2e bureau de l’EMA, 19 octobre
1933.
109. SHD/DAT 7N 2 498, note nº D1290 de la SR/EMA2 au sujet de l’écoute
par les Allemands des trafics radiotélégraphiques militaires français.
110. Pascal Griset, « Les industries d’armement : l’exemple des transmissions »,
in Christine Levisse-Touzé (dir.), La Campagne de 1940, Paris, Tallandier, 2001,
p. 334-340.
184
185
186
sont par exemple celles d’un dessinateur d’études chargé du central télé-
phonique de l’arsenal maritime de Toulon, suspecté en mai 1939 de
communiquer des informations à la Thomson Houston à l’heure d’une
modernisation des transmissions dans les armées 117. Force est de recon-
naître que le tournant de la mutation du renseignement technique a été
manqué après 1919, en dépit de la voie ouverte par la Première Guerre
mondiale. L’après-guerre se perd dans la querelle des instructions minis-
térielles et interministérielles de la protection des communications, de la
formation défaillante des unités et des cadres au chiffrage, du partage des
résultats, inégaux, des diverses écoutes entre des administrations rivali-
sant de prérogatives. Les télégrammes diplomatiques comme les commu-
nications militaires français semblent avoir été décryptés durablement si
l’on suit Douglas Porch. Celui-ci affirme que les Britanniques les lisent
de 1919 à 1935 118. La question du renseignement technique est une
somme d’insuccès et d’abandon par les services spéciaux militaires de
toutes les tentatives de modernisation en matière de cryptologie et de
cryptanalyse, alors que l’Allemagne se dote d’Enigma en 1927. Serait-ce
un défi technologique non relevé, à l’heure où le grand savant Paul Pain-
levé est au ministère de la Guerre en 1925-1929 119 ? En réalité, la ques-
tion ne semble pas avoir été posée au ministère de la Guerre 120. Dans le
domaine de l’exploitation des écoutes, les tentatives d’organiser une
exploitation commune entre les ministères demeure, en 1935, sans lende-
main. Si l’écoute téléphonique des légations étrangères débute en 1936,
le bilan du renseignement d’origine technique est médiocre en France en
1939.
187
121. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, 27 juillet 1936, p. 7.
122. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 1, 20 août
1936, p. 11.
188
189
190
Observations Observations
Heure Renseignements Observations
BCR poste SR
10 h 10 Diebold insiste Il s’agit d’un Le CST a été Vu.
pour avoir un rv habitant de prévenu.
avec Wagner. Saint-Dié qui Surveillance
Entendu pour le téléphone organisée.
21/5/39, 12h fréquemment (au
Palais de la Bière consulat).
11 h Schmidt de Schmidt va Le SR avisé. Possibilités de
Tahnn voudrait souvent en Enquête en cours. Schmidt étudiées
aller en Allemagne. le cas échéant.
Allemagne.
Demande de
passer pour visa.
D’accord.
15 h Messer, industriel Wagner avait l’air Vu. Indication Exploité. Voir
allemand à Épinal très calme et très téléphonée au CR spécial
s’inquiète de la assuré. poste le 20/5/39 à nº 140 du 21 mai
situation 19h. 1939.
internationale et
demande s’il doit
renvoyer sa
famille. Réponse
de Wagner, non
aucune
inquiétude pour
le moment.
16 h Mme Lohengrin Mme Schaeffer CST prévenu. Vu.
demande si est le Estime
Mme Schaeffer et 1er secrétaire. Mme Lohengrin
son mari Mme Lohengrin douteuse.
pourront venir est en relation Surveillance
dîner ce soir à avec ce ménage. correspondance
22h. Réponse : en cours.
oui.
191
192
133. SHD/DAT 7NN 2 101, note manuscrite sans timbre administratif signée
par le sous-chef d’état-major EMA, sans doute fin juin ou début juillet 1939.
134. SHD/DAT 7NN 2 101, note secrète nº 6770 Rivet, chef SR-SCR/EMA2
du 16 juin 1939 au sujet de l’extension des antennes du SIS au troupes du Maroc et
du Levant.
193
194
199
1. Cf. chapitre 5 et 7.
2. Jackson Peter et Maiolo Joseph, « Strategic Intelligence, Counter-Intelligence
and Alliance Diplomacy in Anglo-French relations before the Second World War »,
in Militärgeschichtliche Zeitschrift, 65 (2006), Heft 2, p. 417-461.
200
201
6. Nigel West, op. cit. Robert Boucard, The Secret services of Europe, London,
Stanley Paul, 1940, 260 p. et La Guerre des renseignements. Des documents. Des faits,
Paris, Éditions de France, 1939, 229 p.
7. Emmanuel Debruyne, Laurence van Ypersele, De la guerre de l’ombre aux
ombres de la guerre, 2004, Bruxelles, Labor, p. 34-37.
8. SHD/DAT, fonds privé Paillole 1J 545, Journal de bord de Gérar-Dubot
1951-1954, cote 827, décembre 1952. La mention revient quatre fois dans les écrits
de Paul Gérar-Dubot le 24 septembre, les 3, 8 et 21 octobre 1939, le projet ayant
sans doute fait long feu en octobre 1939, en dépit de la volonté du commandant
Perruche de poursuivre le 21 octobre le journal Gringoire qui y consacra une série
d’articles. Dans ses carnets personnels, il revint sur cet objectif en 1952.
202
9. SHD/DAT 7NN 2 827, coopération à partir de 1916 avec les services de ren-
seignement anglais et italien.
10. SHD/DAT 7NN 2 151, note CE/356 du 1er mai 1918 de l’officier inter-
prète Noiriel, chef adjoint du bureau de contrôle des passeports au chef de la
SR-SCR 2e bureau, ministère de la Guerre, 3 p. Le chef du bureau des passeports à
Londres, 18 Bedford square WCI est le capitaine de La Chapelle. Les visas sont
accordés ou refusés en liaison avec le contre-espionnage. Voir aussi : SHD/DAT
1K 221, fonds de La Panouse, correspondance 1912-1914.
11. SHD/DAT 7NN 2 151, note CE/356 du 1er mai 1918 de l’officier inter-
prète Noiriel, chef adjoint du bureau de contrôle des passeports au chef de la
SR-SCR 2e bureau, ministère de la Guerre, p. 2.
12. SHD/DAT 7NN 2 151, courrier du 2 mai 1918 du général de la Panouse,
attaché militaire à Londres jusqu’en 1925, au président du Conseil, ministre de la
Guerre, EMA-2e bureau 1, au sujet de l’accréditation de Noiriel comme chef du
contre-espionnage auprès du contre-espionnage anglais et américain et de l’affecta-
203
tion d’un personnel nouveau. SHD/DAT 1K 221 carton 1, fonds privé Artus de La
Panouse (1863-1945) ; SHD/DAT 13 Yd 673, état de service d’Artus de La
Panouse.
13. SHD/DAT 7NN 2 151, note nº 10641 du colonel Fournier, chef du
2e bureau de l’EMA aux bureaux de l’EMA, 11 décembre 1919.
204
205
206
19. SHD/DAT 7NN 2 248, note pour la préfecture de Police 5e section RG, de
la SCR/EMA2 ministère de la Guerre, 4 mai 1938, au sujet des services de rensei-
gnement japonais à Paris utilisant des réfugiés russes et arméniens.
20. Cette correspondance ne fait pas l’objet d’un classement. Elle est éparse dans
les dossiers des services spéciaux français.
207
208
« (Depuis janvier 1936), les Anglais demandent des renseignements sur nos
bases et voudraient que nous y prenions des mesures de mobilisation. Réponse :
nous ne pouvons mobiliser avant que les Anglais ne le fassent. Par ailleurs on
donne des renseignements et un torpilleur anglais vient 24 heures à Bizerte pour
se rendre compte lui-même. Actuellement nous demandons des renseignements
sur les bases anglaises et l’on viendra probablement à une entente sur les procédés
d’utilisation réciproques (signaux secrets…). L’amiral Durand-Viel (chef d’état-
major de la Marine) veut converser avec les généraux George et Colson 26. »
En réalité, l’ouverture anglaise est davantage conditionnée par l’atti-
tude italienne en Éthiopie et en Méditerranée que par la recherche d’un
partenariat sincère avec Paris.
À l’orée de l’année 1936, les conversations d’état-major franco-britan-
niques promettent d’être plus décisives. Elles doivent notamment tenter
de déterminer des objectifs communs entre les deux appareils de rensei-
gnement 27. Mais elles valent d’être interrogées sous l’angle de la coopé-
ration secrète des deux pays 28. Les archives du secrétariat général du
CSDN, du CSG et les carnets Schweisguth en épousent la chronologie 29.
De mars 1936 à l’été 1939, ces conversations d’état-major franco-britan-
niques donnent la ligne générale d’un possible approfondissement de la
coopération secrète. En principe, les relations diplomatiques et politiques
franco-anglaises précèdent les échanges d’état-major. Elles prédétermi-
nent donc théoriquement la réalité de la coopération des services spé-
ciaux militaires des deux pays. Le constat est particulièrement vrai après
la crise rhénane de mars 1936. La remilitarisation de la Rhénanie donne
209
210
211
212
213
42. SHD/DAT 2N 227, note secrète de l’EMA de l’air sur les propositions de
l’EMA de l’air britannique transmise par Gamelin, au secrétaire général du CSDN,
1er juillet 1938, sur les échanges de renseignements et la coordination des opérations
des deux armées de l’air.
43. SHD/DAT 2N 227 dossier des conversations franco-britanniques du
28 avril 1938.
44. Frederick Winterbotham (colonel), Ultra, Paris, Robert Laffont, 1976,
p. 21-26. Ce dernier ne mentionne aucun souvenir de ces liaisons dans les souvenirs
publiés quanrante ans après.
45. Peter Jackson, op. cit.
214
46. Paul Stehlin, Témoignage pour l’histoire, Paris, Robert Laffont, 1964, 381 p.
Il est adjoint de l’attaché de l’air depuis 1933. Journal de bord de Louis Rivet,
volume 2, 19 janvier et 3 février 1938, p. 15 et 16.
47. SHD/DAT 2N 227, note pour le CEMG, ministère de l’air, 2e bureau,
EMA de l’air, 24 février 1936, programme de la réunion du 2 mars 1936.
48. SHD/DAT 2N 227, note du 28 mars 1938 du 2e bureau air au CEMG air,
inspecteur de la DAAT sur les objectifs communs industriels des 2es bureaux air des
ministères français et anglais en territoire allemand et italien, 6 p. Les dossiers
d’objectifs et de documentation listent les dépôts de carburants, les usines d’essence
synthétique, les grands barrages, les usines de plomb tétraéthyl, de roulements à
billes, d’aluminium, les points sensibles des réseaux de canaux, les grosses usines
métallurgiques en Italie.
215
49. SHD/DAT 2N 227, lettre du ministre des Affaires étrangères, direction des
affaires politiques et commerciales, Europe, au président du Conseil, ministre de la
Guerre au sujet des conversations franco-britanniques du 28 avril 1938, 6 mai 1938,
5 pages, p. 2.
216
50. Martin Alexander, The Republic in danger. General M. Gamelin and the
politics of French Defense 1933-1940, Cambridge, Cambridge University Press, 1992,
573 p., p. 456 sq.
51. Ibidem, note très secrète de Gamelin aux CEMG des trois armées, 18 mai
1938, 2 p.
52. Martin Alexander, William Philpott, op. cit., p. 70-71.
53. SHD/DAT 7N 2813-2814, dossiers de l’attaché militaire français à Londres,
1938-1939.
54. SHD/DAT 2N 228, conversations franco-britanniques au premier semestre
1939.
55. SHD/DAT 7NN 2 463, comptes rendus des réunions des chefs de poste en
1937, 1938, 1939 sur le bilan des années 1936 à 1938.
217
56. SHD/DAT 7NN 2 502, compte rendu de mission à Londres des 30-31 jan-
vier 1939 du commandant Schlesser, très secret.
57. Ibidem, p. 3.
218
58. SHD/DAT 7NN 2 502, compte rendu de mission à Londres des 30-31 jan-
vier 1939 du commandant Schlesser, très secret, p. 4.
219
220
59. Henri Navarre, op. cit., p. 73, consacre un simple paragraphe de 20 lignes sur
un service avec lequel les relations seraient étroites et confiantes, sans l’évocation
d’une date ni d’un fait. La liaison existait côté français avec le capitaine Winterbo-
tham dès 1936, mais elle n’existait pas côté français à l’Intelligence Service.
60. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, cahier 3, p. 54, 17 et
18 janvier 1939. Aucune remarque n’accompagne l’information.
221
61. SHD/DAT 7NN 2 502, compte rendu de mission de Schlesser, op. cit.,
p. 11-13.
62. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, cahier 3, p. 59,
24 février 1939.
63. SHD/DAT 7NN 2 151, dossier sur les postes d’étude extérieure, leur organi-
sation et leur fonctionnement, sous-dossier La Haye 1925-1939.
222
223
224
72. Ibidem, note de Schlesser, chef de la SCR pour le BENE, 20 mars 1939.
73. SHD/DAT 7NN 2 425, note nº 7907/R du Bureau d’études du Nord-Est à
Lille, au sujet d’un agent double travaillant contre les Italiens, 27 juin 1939.
74. Ibidem, note de renseignement nº 8073/R sur l’entrevue Rinaldini-Cellier à
Londres du 28 juin 1939, BENE, Lille, 11 juillet 1939, 2 p. à EMA/SCR.
225
travailler pour le BCR de Tours depuis mai 1940 75. Sa culpabilité n’est
ni prouvée ni infirmée.
En dépit de sa médiocre originalité, l’affaire de l’agent français
Raphaël B. illustre le partenariat prudent des services français et anglais,
mettant en place progressivement une coopération au niveau des services,
indépendamment des conversations d’état-major et diplomatiques durant
l’année 1939. Elle répond directement aux menées subversives des agents
italiens et allemands en Europe occidentale. Cette traque commune aux
espions étrangers laisse ses marques dans les dossiers personnels de sus-
pects, à l’instar de la situation en Belgique en 1938-1939. La Belgique
et les Pays-Bas sont bien le terrain privilégié de cette coopération depuis
1914-1915 76.
De 1919 à 1939, la coopération franco-anglaise est passée par trois
étapes. Elle existe entre alliés depuis l’automne 1914 dans le domaine du
contre-espionnage et s’approfondit au bureau de Folkestone jusqu’en
1919. Anglais et Français retrouvent des objectifs nationaux largement
exclusifs après 1919. Seule une liaison en matière de contre-espionnage
est active de 1920 à 1934, avec une intensité variable, valorisant les
liaisons avec le commissariat spécial de Calais. Elle s’applique spéciale-
ment à la lutte contre les Bolcheviks puis contre les menées de l’URSS, à
l’instar de l’affaire Arcos en 1926-1927. Toutefois, les rivalités impé-
riales justifient, de 1919 à 1938, la poursuite d’intérêts parallèles sinon
concurrents. Aussi faut-il attendre les conversations d’états-majors en
1936-1938 pour que les Français espèrent obtenir une coopération conti-
nentale des deux services spéciaux. Londres la retarde, puis l’Intelligence
Service s’y engage résolument à partir du début de 1938. Le domaine du
contre-espionnage est à nouveau partagé en priorité pour lutter contre les
agents nazis. L’intérêt anglais pour l’exploitation des renseignements
obtenus par les agents doubles français est explicite, notamment en Hol-
lande. La crainte d’une agression aérienne allemande sur Londres est
manifeste depuis le printemps 1938. Cette coopération d’intérêt, non
75. SHD/DAT 7NN 2 425, pièces d’instruction de l’affaire B., juge d’instruc-
tion militaire Evrard, tribunal militaire permanent de la 13e région militaire, 13 sep-
tembre 1941. Déclarations de comparution de B. les 12 et 14 juin 1941 à la police
de surveillance du territoire de Tours.
76. Jean Bardanne, L’Intelligence Service en Belgique, Paris, éditions Baudinière,
1934, 247 p.
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227
80. John Horne, Alan Kramer, 1914 Les Atrocités allemandes, Paris, Tallandier,
2005, p. 29-44 et 59-63 ; Annette Becker, Oubliés de la Première Guerre mondiale.
Humanitaire et culture de guerre 1914-1918. Populations occupées, déportés civils, pri-
sonniers de guerre, Paris, Éditions Noésis, 1998, p. 27-29 ; Philippe Nivet,
« Réfugiés », in Encyclopédie de la Première Guerre mondiale, op. cit., p. 804-806. Au
total, il y a un million de Belges aux Pays-Bas fin 1915, 250 000 en Grande-Bre-
tagne et 115 000 en France. Un certain nombre retourna en Belgique devant la pro-
messe allemande de respecter les libertés individuelles et de ne pas être incorporé
dans les troupes allemandes, ni d’être déporté.
81. Laurence Van Ypersele, Emmanuel Debruyne, De la guerre de l’ombre aux
ombres de la guerre. L’espionnage en Belgique durant la guerre de 1914-1918,
Bruxelles, Éd. Labor, 2004, 316 p. Emmanuel Debruyne, « Les services de renseigne-
ment alliés en Belgique occupée », in S. Jauman, M. Amara, B. Majerus et A. Vrints
(dir.), Une guerre totale ? La Belgique durant la Première Guerre mondiale. Nouvelles
tendances historiographiques, Bruxelles, 2005, actes du colloque international des
15-17 janvier 2003.
82. Jean Bardanne, L’Intelligence Service en Belgique, Paris, Éd. Baudinière, 1935,
p. 51-67 sur le réseau de la Dame blanche. Emmanuel Debruyne, Laurence Van
Ypersele, op. cit.
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Laurent, ancien chef des services spéciaux de 1928 à 1934, fut envoyé
comme attaché militaire à Bruxelles en juillet 1937. Sa mission est bien
de renouer les liens distendus. Il y parvient difficilement. Ses échanges
avec Rivet sont fréquents. Il est reçu le 29 septembre 1937, puis le
26 octobre 1937 par Rivet. Celui-ci lui expose les accords oraux avec le
chef de la sûreté belge qu’il a rencontré le 25 juillet 1937 à Paris.
L’attaché adjoint, chargé de l’espionnage et du contre-espionnage, est le
commandant Fustier. Il assure généralement les liaisons avec la capitale
française. En janvier et en février 1938, il est à Paris 96. Il informe de la
présence d’un nouveau service de renseignement belge, peu actif, mais
peu disposé à collaborer. Cela entraîne une difficulté et des obligations de
prudence inédites en Belgique. À la réunion des chefs de poste de jan-
vier 1938, le responsable de la liaison avec Bruxelles, Charles, expose que
les relations de coopération sont « courtoises mais sans relations tan-
gibles. Avec l’état-major belge, elles sont nulles ». Le colonel Louis Rivet
lui donne alors pour instruction de « maintenir cette liaison en la rédui-
sant au strict nécessaire. Il faut attendre l’occasion favorable de nouer des
relations avec le jeune SR belge et envoyer tous les agents possibles sur
le poste de Lille 97 ». Quelques jours plus tard, un entretien télépho-
nique entre Laurent et Rivet révèle l’importance du théâtre belge pour
Paris. Informé de la préparation d’une loi sur l’espionnage en Belgique,
Rivet demande au colonel Laurent d’agir pour « s’efforcer de l’empêcher
d’aboutir ». Le but est de ne pas exposer les agents travaillant pour Paris à
une loi répressive 98.
En définitive, la coopération a été active au début des années 1920.
Conditionnelle de 1925 à 1936, elle s’appliqua davantage au contre-
espionnage. Mais elle s’estompe progressivement, par la volonté belge
d’appliquer la conception d’une neutralité active après 1925. Elle s’étiole
encore après 1935-1936 pour devenir minimale en 1938-1939. La
menace allemande à peine voilée sur les neutres aggrave la tentation du
repli protectionniste. En revanche, les relations avec la Hollande répon-
dent à une évolution sensiblement différente.
96. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 2, 4 janvier
1938, p. 13.
97. SHD/DAT 7NN 2 463, compte rendu de la réunion des chefs de poste à
Paris fin janvier 1938, au sujet des liaisons avec le autorités militaires étrangères.
98. Archives privées Rivet, op. cit., 8 février 1938, p. 17.
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obtenus 106. Aux contacts de l’IPU figure une société à Cassel, la firme
Messing, suspectée d’être la couverture du poste d’espionnage allemand
de Cassel ou de Munster sur la France. L’IPU espionne en réalité le
commerce des matières premières, des produits alimentaires et du pétrole
vers la France, la Grande-Bretagne et la Belgique de 1920 à 1932 107. Les
agents, à l’instar de Jaeger en 1928-1929, les boîtes aux lettres et les
menées de l’IPU sont constamment identifiés dans les années 1920 au
point que son activité semble neutralisée en 1931-1932. De nouveaux
agissements sont suspectés en 1938-1939, mais désormais sur instruc-
tions directes de la légation d’Allemagne à La Haye.
La position du renseignement français s’élargit peu à peu en Hol-
lande dans l’entre-deux-guerres, grâce à l’action de l’attaché militaire
adjoint à La Haye et l’antenne installée à Amsterdam depuis le prin-
temps 1924. L’organisation est classique, car un camouflage commercial
pose toujours le problème de la sécurité des archives. Lestanville et Vau-
trin sont affectés à Amsterdam de 1924 à 1926 108. Temporairement, le
renseignement sur la Hollande a été rattaché au poste à Trèves de 1925 à
1929 avec Mangès. Dorange le dirige enfin à partir de 1929. Par ail-
leurs, le poste de Copenhague, tenu par le capitaine Sorne, attaché mili-
taire adjoint, est réorganisé pour dépendre de l’attaché militaire de La
Haye. Celui-ci est le colonel Burin des Roziers à partir du 1er février
1927. L’Allemagne du Nord en est la cible. Burin des Roziers conçoit :
« une situation inverse du poste de Copenhague de celle des postes de Hol-
lande : il y a une grande liberté d’allures et une assez grande difficulté de recru-
tement. C’est sur le recrutement des agents que doivent porter pour le moment
les efforts (du capitaine Sorne). Au lieu de chercher à percer la barrière du
Schleswig, il aura plus de chance d’opérer par les grands centres, Hambourg,
Kiel, Stettin. Le concours des consuls pourra lui être utile de même que les indi-
cations qui pourraient lui être données par la SR sur les organes ayant fonctionné
en Allemagne sous le couvert de la Commission de contrôle 109. »
106. Ibidem, lettre de Menzies, chef de l’IS, à Lainey, 9 décembre 1925 au sujet
de P. Kîrner.
107. SHD/DAT 7NN 2 531, note de renseignement nº 2975 du poste de La
Haye à SCR/EMA2 du 13 novembre 1925, au sujet de l’enquête de la police de la
Haye sur l’IPU à la demande de l’I DE Londres.
108. SHD/DAT 7NN 2 151, compte rendu de Vautrin, chef de l’antenne
d’Amsterdam à SR/EMA2, 12 juillet 1924.
109. SHD/DAT 7NN 2 151, rapport du colonel Burin des Roziers, attaché
militaire à La Haye et à Copenhague à SR/EMA2, 1er avril 1927.
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en s’appuyant réellement sur notre pays 112. » En réalité, les autorités hol-
landaises sont partagées dans ce choix, ainsi que le démontre la collabo-
ration poursuivie entre les polices néerlandaise et allemande après 1933.
En 1936, les Hollandais craignent alors davantage le bolchevisme que
l’hitlérisme. En 1938, le service de renseignement civil policier néer-
landais du commissaire Broekhof est encore suspecté par le poste français
de Lille (BENE) de travailler avec les Allemands, précisément contre les
menées communistes en Hollande 113. Le service de renseignement alle-
mand agit depuis le consulat allemand.
Pourtant, les résultats sont inégaux dans les années 1929-1939.
À défaut d’accord officiel, les échanges de renseignements se font à titre
plus personnel. Depuis le début des années 1930, le commandant
Darbou (alias Dorange), chef du poste de La Haye, s’efforce d’accélérer
les échanges de renseignements militaires et politiques. Mais il peine à
obtenir une véritable coopération, tant du côté de l’état-major de l’armée
à Paris que du côté hollandais. Le général Schweisguth s’efforce de faci-
liter des contacts passablement compliqués en 1935.
« Vu Roux qui se plaint que le général Loizeau (alors premier sous-chef
d’état-major à l’EMA) l’ai empêché de se rencontrer avec le chef du SR hol-
landais, d’aller en Italie et à Prague pour une mission importante 114. »
À l’approche de l’orage rhénan, le même Schweisguth encourage
l’attaché militaire français, le colonel de Fonsegrive, à sonder l’état-
major hollandais et son 2e bureau le 6 mars 1936 en cas d’une interven-
tion aérienne franco-anglaise depuis les aérodromes hollandais. On sait
que les Anglais sont informés depuis février d’un souhait de l’EMA d’un
pont aérien anglais en cas de coup de force allemand. Fin avril 1936, le
colonel Van Œrschoot, chef des services secrets hollandais, se déplace à
Paris pour faire le point de la situation allemande, persuadé que les géné-
raux allemands ne sont pas prêts à marcher dans un nouveau coup de
force, vraisemblablement en Autriche dans son esprit 115. L’information
intéresse l’EMA, car il est contredit par le colonel de Villelume qui tient
238
une information sur un projet nazi en Autriche dans les six semaines à
venir. Ce renseignement est démenti par les faits.
À sa prise de fonction, Louis Rivet se déplace les 6 et 7 juillet 1936
en Hollande pour y rencontrer les autorités militaires nationales. Il voit
les généraux Roëll, chef de l’armée en campagne, et Reynders, chef de
l’EMA, ainsi que le ministre de France à La Haye, M. de Vitrolle, et le
consul de Rotterdam.
« Entretien avec le colonel Van Orschoot, chef du 2e bureau et de ses offi-
ciers. Étudié mobilisation de l’AM avec le lieutenant-colonel Gauché, de l’arsenal
(cdt d’Alès). Accueil aimable et réservé des généraux hollandais. (Roëll) approuve
ces contacts, sans plus. Manifestation de collaboration étroite et franche du
colonel V. O. contre la menace allemande. Visite de l’installation de Fontès au
consulat de Rotterdam. Impression : désir de neutralité chez les Hollandais, réso-
lution de mobiliser contre une violation du territoire, impuissance de l’armée,
force des obstacles. SR non organisé et sans moyens sur l’Allemagne 116. »
Rivet et le colonel Gauché, chef du 2e bureau de l’EMA français, sont
sans illusions sur les perspectives de la coopération de renseignement avec
la Hollande et l’analyse des réalités stratégiques. Le BENE à Lille, qui a
dans son champ d’activité la Hollande et la Belgique, construit difficile-
ment un partenariat avec la Hollande neutre, en répartissant ses
recherches entre Liège et le Limbourg d’une part, le reste de la Hollande
d’autre part. Ainsi Paris obtient officieusement en 1937 du service cen-
tral de renseignement néerlandais des informations sur les mouvements
révolutionnaires en Hollande, sur l’activisme communiste, sur l’identité
des réfugiés allemands, antifascistes et communistes qui y transitent 117.
La création du poste permanent à Rotterdam en 1936 est sans consé-
quence pratique pour le bureau d’études du Nord-Est.
Cette création, sans doute en raison de la faible sympathie des popu-
lations pour la France dans le nord de la Hollande, n’accroît pas en 1936
et 1937 le recrutement d’agents hollandais. Dans son rapport d’activité
de 1936, le BENE souligne l’aide « à peu près nulle apportée par les
autorités hollandaises ». Certes, les échanges de renseignements avec le
poste hollandais de Maastricht grâce à l’intervention de deux honorables
correspondants ont progressé de février à avril 1936. Mais l’arrestation de
116. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 1, 6-7 juillet
1936, p. 4.
117. SHD/DAT 7NN 2 321, dossier sur la surveillance de la Hollande et les
menées communistes, 1934-1937.
239
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tard. Aussi le service de renseignement a-t-il prévu en Allemagne même une série
de postes munis d’appareils TSF pour donner l’alerte, tant en cas d’attaque
aérienne qu’en cas d’attaque brusquée par des éléments motorisés. Une certaine
entente est même intervenue entre le colonel Van Oorschot et le chef de l’Intel-
ligence Service, le commander Fletscher, [par] laquelle les postes anglais installés
en Allemagne pourront utiliser des relais hollandais pour transporter leurs mes-
sages. Cette organisation doit être mise sur pied d’accord avec le SR néerlandais
et le représentant de l’Intelligence Service à La Haye, Mr Dalton, chargé des pas-
seports à la légation de Grande-Bretagne 119. »
Ces informations sont échangées alors oralement entre l’attaché mili-
taire français et le chef du renseignement hollandais craignant une
attaque sur les villes hollandaises, pour interdire toute intervention exté-
rieure, notamment anglaise 120. Mais si l’accord est mis en œuvre avec les
Anglais, ceux-ci n’en informent la France qu’ultérieurement. Car depuis
le second semestre 1938, Français et Anglais agissent ensemble en Hol-
lande afin de partager le renseignement qu’ils y collectent de façon plus
systématique en 1939. La surveillance très étroite des frontières hollando-
allemandes, dans le Limbourg notamment, rend déjà très difficile l’entrée
des agents en Allemagne en 1937-1938 121. Le poste français en Hol-
lande maintient un réseau comptant une petite dizaine d’agents perma-
nents en 1937 122. En janvier 1938, Dorange peut affirmer à la réunion
annuelle des chefs de poste que les relations sont excellentes avec ses
interlocuteurs hollandais, notamment sur le plan du contre-espion-
nage 123. On peut en conclure que l’articulation des dispositifs de coopé-
ration franco-belge et anglo-hollandaise ne s’est faite que très tardivement
en 1939. En outre, les tentatives françaises pour arrimer une coopération
stratégique franco-hollandaise en matière de renseignement ont régulière-
ment échoué depuis 1934.
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146. SHD/DAT 7NN 2 262, notation du major Gautier, 42e promotion ESG,
par le général Debeney, 3 août 1922.
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étrangères sur le sol suisse. Il est appliqué à partir du mois de juin 1935.
Il réprime désormais les actes commis au profit d’une puissance étran-
gère sur le territoire suisse, qu’il s’agisse d’un renseignement politique,
économique (secret de fabrication et d’affaires), militaire. La notion de
délit est définie précisément, punissable de prison et d’expulsion du ter-
ritoire suisse. Depuis 1918, la difficulté réside dans le fait que les actes
d’espionnage commis sur le sol suisse ne sont pas nécessairement
contraires aux intérêts suisses 147. La période 1935-1939 est un nouveau
chapitre des relations avec les États européens. L’organisation volontaire
de défense (SERVO) est créée pour sensibiliser les Suisses à l’espion-
nage. Les affaires d’espionnage fleurissent, entraînant une multiplication
des arrestations d’agents allemands et français. Les autorités cantonales
arrêtent, logiquement, sans distinction de nationalité. À Paris, des diver-
gences de position se font jour entre le Quai d’Orsay, hostile à des
menées d’espionnage dans un pays neutre, et le ministère de la Guerre.
Pourtant, l’arrestation de Français soupçonnés d’espionnage fait l’objet
d’une dénégation du général Colson : l’agent arrêté n’appartient ni aux
services centraux ni aux postes de Belfort et Metz 148. Il s’agit en l’occur-
rence d’un agent relevant d’une agence de police privée à Bâle. Les procès
se multiplient, comme les condamnations à la prison et à l’interdiction
de séjour en Suisse.
En novembre 1936 survient une autre affaire d’espionnage français.
Des agents sont allés inspecter les nouvelles défenses allemandes sur la
rive remilitarisée du Rhin. La population suisse est chaque jour plus sen-
sibilisée par le gouvernement fédéral aux menées diverses des espions
étrangers. En 1937, de nouveaux suspects sont arrêtés et condamnés en
janvier 1938 149. Certes, les agents français sont moins dénoncés que les
espions allemands ou italiens, mais la nécessité d’une neutralité stricte
147. SHD/DAT 7NN 2 262, note manuscrite du Basler national Zeitung analy-
sant les termes de l’arrêté du 29 avril 1935. Extrait du recueil des lois fédérales,
Assemblée fédérale de la Confédération suisse, arrêté du 29 avril 1935.
148. SHD/DAT 7NN 2 262, lettre du ministre des Affaires étrangères, direction
des affaires politiques et commerciales au ministre de la Guerre, 16 avril 1935, au
sujet des arrestations de Français soupçonnés d’espionnage. La réponse du général
Colson est datée du 4 mai 1935.
149. SHD/DAT 7NN 2 262, note du lieutenant-colonel de La Forest-Divonne,
28 décembre 1937, à EMA2, sur les arrestations de deux agents français ayant
reconnu la mise sur pied d’un réseau à la police de Zurich.
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de Poincaré après 1924 153. Par ailleurs, les organisations de Bâle et dans
le duché de Bade démontrent que la Suisse sert de relais et de porte
d’entrée en France aux agents allemands. Il y a bien une continuité des
moyens allemands déployés en Suisse et tournés vers la France après
1933 154. Les objectifs ont simplement changé de nature avec le régime
nazi après 1933. Mais les agents allemands engagés dans les années 1930
ont commencé leur activité depuis la Première Guerre mondiale, creuset
de l’espionnage jusqu’à la guerre mondiale suivante. Le cas de l’agent
allemand Erich Weinzinger, avocat et journaliste autrichien, diplômé de
l’École des langues orientales à Paris, est révélateur. Porté sur la liste des
suspects interalliés en 1918 et dans sa nouvelle édition de 1924, il
espionne en Suisse comme agent du SR de Lörrach en 1914-1918. Il est
installé à Berne, comme secrétaire de la légation d’Autriche, puis à
Zurich en 1918. Depuis 1919, il recrute d’anciens agents de l’Entente et
travaille pour l’Allemagne ; pour bénéficier d’une carte de journaliste et
masquer ses activités, il lance brièvement la Revue des questions diploma-
tiques. Entre 1929 et 1935, il s’installe en Abyssinie, devenu un proche
du Négus. Présent en Turquie puis en Syrie, Weinzinger en est expulsé
par les autorités françaises en juin 1935 pour espionnage en faveur de
divers gouvernements 155.
En définitive, la position de neutralité singulière de la Suisse a tenu
durant tout l’entre-deux-guerres. Les autorités françaises ont tantôt neu-
tralisé, tantôt minimisé la portée d’un espionnage français principale-
ment défensif et tourné vers la répression des menées allemandes. Mais le
constat est que la France n’a pas établi de coopération particulière avec
la Suisse. Celle-ci continue après 1919 d’être un des principaux champs
de bataille de la guerre secrète en Europe occidentale. Elle le doit à sa
position géopolitique comme à la présence de la Société des Nations. La
crainte d’une invasion allemande lui fait tenir une neutralité, en principe
équidistante, avec les démocraties et les dictatures européennes.
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158. SHD/DAT 7NN 2 151, note sur la répartition du travail des postes SR en
Europe, 10 novembre 1918.
159. SHD/DAT 7NN 2 151, note EMA2, ministère de la Guerre, à l’attaché
militaire à Vienne, 29 mars 1923.
160. SHD/DAT 7NN 2 151, lettre du colonel Roux, chef de la SR-SCR au
commandant Denis, SR Prague, du 1er mai 1933, au sujet de la sécurité des commu-
nications chiffrées et par pigeons.
161. SHD/DAT 7NN 2 477, note de renseignement SCR/EMA2 du 2 mars
1923 au sujet des objectifs du SR allemand organisant ses postes de Breslau et Cassel.
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175. Cité par Jan-Arnaud Puig, op. cit., p. 102-104. Fonds Moravec, dossier
37-224, note SCR/EMA2 au sujet du poste de liaison entre les services tchécoslo-
vaques et français le 8 juin 1936.
176. SHD/DAT 7NN 2 151, note de SRT/EMA2 à PL, Gouyou, 28 mai 1934,
au sujet de l’utilisation de son code.
177. SHD/DAT 7NN 2 151, note du chef de poste de liaison au chef de la sec-
tion technique/EMA2, novembre 1937.
178. SHD/DAT 7N 3 107, lettre du 4 novembre de Gouyou à SCR/EMA2.
SHD/DAT 7NN 2 151, lettres du 5 septembre 1936 et du 15 juin 1938 de Gouyou
à SCR/EMA2.
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182. SHD/DAT 7NN 3 103, compte rendu du colonel Gauché, chef EMA2, au
sujet de sa mission de liaison à Prague 9-12 novembre 1937, 16 novembre 1937.
183. Mathieu Novotny, op. cit., p. 30-40.
184. SHD/DAT 7N 3 103, note SAE/EMA2 de Gauché pour le général Dentz,
15 mars 1938 sur l’efficacité perdue du poste de liaison et note du 10 avril sur la
désignation d’un officier de liaison, futur attaché militaire à Prague.
185. SHD/DAT 7N 3 103, note de la section du chiffre/EMA2, fin mars 1938
au sujet d’un rectificatif à trois télégrammes reçus de Prague sur les doléances tché-
coslovaques de n’avoir rien reçu du poste de liaison de Gouyou. On trouve un autre
refus français sur une demande de Prague d’information sur les mines anti-chars
dites A/C en mars 1938.
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transité vers Paris et vers Londres au début d’août 1939, via la valise
diplomatique française. L’équipe polonaise Z du colonel Langer, comp-
tant une quinzaine d’analystes et de décrypteurs, est à Paris au début
d’octobre 1939. La défaite militaire polonaise est déjà consommée. Deux
autres exemplaires d’Enigma sont, à cette occasion, donnés. Ceux-ci per-
mettent de travailler sur les décryptements des communications alle-
mandes avec les Anglais 238.
Pour le renseignement français, Prague est longtemps passé avant Var-
sovie. Les souvenirs des agents français reconstruisent une réalité
sublimée des relations secrètes franco-polonaises. La sincérité des
échanges de renseignement n’a pas été totale entre 1926 et 1935. En
1936, le pacte franco-soviétique, ratifié, a suspendu une collaboration des
services de renseignement, en réalité plus lourde d’indétermination que
de résultats effectifs. Après 1935, la suspicion avec Varsovie domine peu
à peu les relations. Si la coopération secrète est asymétrique, les livraisons
françaises d’informations sur Enigma continuent, d’une valeur inesti-
mable. Elles sont maintenues par la volonté des seuls services spéciaux
militaires, notamment par le capitaine Bertrand. Maintenues, les liaisons
techniques dissimulent des faux-semblants. À bien des égards, la coopé-
ration secrète franco-polonaise est d’infortune.
En définitive, la coopération en matière de renseignement est-elle un
égalisateur de puissance ou un jeu à somme nulle ? La France a déployé
des efforts constants pour nourrir des coopérations variables au profit
incertain. Il n’y a pas eu de coopération continue avec quelque service
spécial que ce soit de 1919 à 1939. Dans le cadre de ses alliances, la
France peine à mettre en œuvre une coopération bilatérale sincère avec
les États de la Petite Entente et avec la Pologne. Les contradictions et les
différends entre ses alliés d’Europe centrale et orientale invalident toute
tentative de coopération multilatérale en matière de renseignement.
L’échec de la mise en œuvre tardive de liaisons chiffrées en temps de paix
au sein de la Petite Entente de 1934 à 1937, alors que l’alliance se défait,
est explicite. La France a conçu des coopérations qui, répondant d’abord
à ses intérêts nationaux, ne peuvent durer, à l’instar des relations avec la
238. SHD/DAT 1K 545 carton 12, fonds privé Paillole, récit du commandant
Bertrand chef de la section du chiffre sur cette coopération en matière de renseigne-
ment technique tardive. Gustave Bertrand, Enigma ou la plus grande énigme de la
guerre 1939-1945, Paris, Plon, 1973, p. 73.
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239. Renaud Melz, Le mage et le régent. Alexis Léger, thèse de doctorat d’histoire,
Univeristé de Paris IV-Sorbonne, sous la direction de Jean-Paul Bled, 2005.
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définitive, les services français, tenus à un apolitisme strict par une Répu-
blique sourcilleuse de la neutralité politique de son armée, ne se sont sans
doute pas donnés tous les moyens d’une réponse technique et politique
aux défis de l’espionnage allemand. Leurs moyens humains agissent
contre un régime disposant progressivement de moyens d’espionnage
supérieurs. Mars 1936 change la nature d’une menace désormais présente
aux frontières. Il y a un tournant de la remilitarisation de la Rhénanie
qui radicalise la lutte secrète des deux appareils de renseignement. Elle a
changé de nature et d’échelle depuis la fin de 1936.
Après 1936, les réponses consistent à retarder l’alliance des services
secrets des dictatures eropéennes. La volonté de ne pas jeter l’Italie dans
les bras de l’Allemagne justifie, au moins un temps, la tentation d’un par-
tenariat secret franco-italien entre 1935 et 1937. Ce dernier doit corriger
une rivalité secrète installée dans les relations franco-italiennes depuis le
début des années 1920. Aussi la perception de l’action secrète de l’Italie
est-elle complexe, sinon contradictoire, à maintes reprises.
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prêtes à aviser aussitôt les bureaux de renseignement de tous les transports qui
pourraient se produire 15. »
Le comte Speickert, avec le titre officiel de commissaire du Reich
pour l’ordre public, est chargé en février 1920 de mettre sur pied un
réseau d’agents. Il gagne la confiance de la commission de gouverne-
ment et de plébiscite d’Opole en faisant croire à sa mission de lutte
contre le bolchevisme 16. La géographie des antennes d’espionnage alle-
mandes se confond avec celle des troubles qui éclatent aux printemps
1920 et 1921 à Beuthen, à Rybnik, à Kattowitz et à Opole, sans que le
lien soit toujours explicitement établi 17. Après le partage du territoire de
Haute-Silésie en mai 1922, le poste de Breslau élargit ses recherches en
débordant de la Haute-Silésie et de la Poméranie vers l’Europe centrale, à
Prague, à Varsovie, à Budapest et à Vienne. La Pologne et la Tchécoslo-
vaquie restent ses cibles privilégiées dans les années 1930.
Les réactions de l’opinion publique allemande aux conditions de vie
et d’occupation militaire sont observées attentivement 18. Les comités de
secours aux démobilisés allemands sont perçus comme des lieux exposés
à la propagande communiste. Depuis l’automne 1919, la Sûreté géné-
rale intercepte toutes les informations sur la propagande révolutionnaire
dans la zone occupée, sans pouvoir neutraliser les officines allemandes
orchestrant la subversion antifrançaise depuis les villes allemandes de la
rive droite du Rhin et depuis la Suisse. La prise de conscience de l’affir-
mation d’un renseignement économique allemand défensif s’expose dans
les notes de la Sûreté générale durant l’hiver 1919-1920. Son expression
est renforcée de 1921 à 1922 par la menace française de prise des gages.
En 1923-1924, l’occupation est un tournant qui nourrit une opposition
irréductible des services secrets des deux pays.
286
19. SHD/DAT 7NN 2 324, note SCR nº 10928, 30 mai 1922 au sujet d’un
questionnaire remis par le SR allemand à un agent le 2 mai 1922, 2 p.
20. Jacques Bariéty, Les Relations franco-allemandes après la Première Guerre mon-
diale 1918-1925. 10 novembre 1918-10 janvier 1925 de l’exécution à la négociation,
Paris, Pedone, 1977, 797 p. ; Jacques Bariéty (dir.), Aristide Briand, la Société des
Nations et l’Europe, 1919-1932, Strasbourg, PUS, 2007 ; Stanislas Jeannesson, La
France, Poincaré, la Ruhr (1922-1924). Histoire d’une occupation, Strasbourg, PUS,
1998, 432 p. et « Pourquoi la France a-t-elle occupé la Ruhr ? », in Vingtième Siècle.
Revue d’histoire, nº 51, juillet-septembre 1996, p. 56-67 ; Jean-Jacques Becker, Serge
Berstein, Histoire de l’anticommunisme en France, tome 1, 1917-1940, Paris, Olivier
Orban, 1987, p. 162-165 notamment sur l’occupation de la Ruhr et la mobilisation
des partis communistes européens aux côtés du PCF pour s’opposer à l’intervention
militaire décidée par Poincaré le 11 janvier 1923.
21. Stanislas Jeannesson, « Pourquoi la France a-t-elle occupé la Ruhr ? », op. cit.,
p. 58.
22. Bibliothèque de l’Institut, Fonds du général Edmond Buat (1868-1923), II
(5391), 1918-1923, carnets personnels sur la préparation du volet militaire de
l’occupation rhénane.
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23. MAE PA-AP 217, Papiers Massigli, vol. 98, correspondance de Massigli à
Hesnard, 25 février 1920. Voir aussi Raphaële Ulrich-Pier, René Massigli
(1888-1988) : une vie de diplomate, Bern, Peter Lang, 2006, 2 vol., vol. 1.
24. Andrew Barros, « Le 2e bureau dans les années 1920 : l’impact de la guerre
totale sur les renseignements », op. cit., p. 205-206.
25. SHD/DAT 7N 2 503, Bulletin de renseignement nº 2 du 1er février 1923,
p. 5 au sujet de l’opération de la Ruhr et de la justification de l’action franco-belge.
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Sûreté générale durant toute l’année 1922 29. La surveillance des agents
soviétiques, leur identification et leurs liens avec les activités des partis
communistes en France et en Allemagne redoublent au second semestre
1922, parallèlement au renseignement économique. Les échanges de
notes de renseignement se multiplient entre les ministères de la Guerre et
des Affaires étrangères. Dans les dossiers du secrétariat général du conseil
supérieur de la Défense nationale, les mesures préparant l’occupation de
la Ruhr envisagent en effet, dès la réunion du 5 janvier 1923, la saisie des
douanes et la perception des taxes allemandes 30. Ces informations sont,
en outre, bien tardives, à quelques jours de l’entrée des troupes fran-
çaises dans la Ruhr. Incontestablement, le CSDN n’est pas une instance
convoquée dans le premier cercle de décision du gouvernement. Le récit
retracé par François Roth des intentions et des hésitations manifestes de
Poincaré, président du Conseil, en confirme l’hypothèse. La décision a
été prise dans d’autres cercles, et en premier lieu au Quai d’Orsay 31. La
directive du 27 février 1923 de Poincaré, président du Conseil, sur la
prise de gages dans la Ruhr à l’ambassadeur de France en Allemagne,
donne le cadre de la politique des sanctions économiques applicables par
la France à l’Allemagne. Il revient au général Serrigny, secrétaire général
du CSDN, de préparer une note à la présidence du Conseil pour prévoir
l’organisation d’une Rhénanie indépendante, État autonome et tampon.
Le rapport du général Mangin, ancien commandant de l’armée du Rhin,
puis celui du général Degoutte, plaident également pour la création d’un
État autonome en Rhénanie, afin d’assurer la sécurité des frontières de
la Belgique et de la France. Leurs conclusions ne sont pas sous-tendues,
pourtant, par une vision économique, mais par une analyse essentielle-
ment sécuritaire 32. La multiplication des agents français en Allemagne
n’est pas une fausse perception qui serait due à une phobie antifran-
çaise. Jusqu’en 1924, Paris a systématiquement soutenu les tentatives
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80 000 livres turques 41. L’épisode est important en 1923. Il donne corps,
dans l’esprit de l’opinion publique française, aux allégations consistant à
assimiler les militants communistes à des agents de Moscou. La main des
services secrets soviétiques est dénoncée tous azimuts. Cette accusation
joue à plusieurs reprises, spécialement avec l’éclatement de l’affaire des
rabcors quelques années plus tard.
L’occupation militaire de la Ruhr est un tournant majeur dans
l’affrontement des services spéciaux français et allemand. Pendant l’année
1923, l’occupation de la Ruhr est l’occasion pour les services spéciaux
français de jouer les communistes allemands contre les grands patrons de
la Ruhr. Sous la République de Weimar, l’épisode est d’ailleurs aux ori-
gines de l’engagement de certains des plus grands patrons allemands dans
une résistance antifrançaise qui déciderait, pour une minorité d’entre
eux, du soutien à Hitler dès les années 1920, à l’exemple d’Hugo
Stinnes 42. La multiplication exceptionnelle du nombre d’agents recrutés
par les services spéciaux militaires français, mais également par la Sûreté
générale, est une réalité rendue possible par l’occupation militaire fran-
çaise depuis 1919. L’occupation militaire et la prise de gages relèvent
d’une vision géostratégique de « sécurité nationale », bien davantage
qu’européenne. L’existence d’États tampons, détachés d’une Allemagne à
la puissance sans cesse bridée, répond aux vues des généraux Mangin et
Degoutte. Celles-ci sont largement partagées dans le corps des officiers
français généraux et supérieurs. Leurs thèses rencontrent aussi dans les
milieux politiques à Paris une sympathie certaine en 1923, y compris au
sein de l’Action française. Dans le même temps, le renseignement alle-
mand recourt à une propagande déterminée qui réactive des thèmes de
la Première Guerre mondiale, parmi lesquels la violence guerrière des
troupes coloniales françaises et l’espionnage industriel 43. Ces vecteurs de
la propagande antifrançaise se retrouvent durant toutes les années 1920
et ponctuellement dans les années 1930. En outre, l’occupation mili-
taire rhénane polarise l’orientation des activités des services français et
41. AN F7 13 426, note SCR du 23 mars 1923 sur une livraison de céréales par
les Soviétiques.
42. Henry Ashby Turner Jr, Big Business and the rise of Hitler, Oxford-New
York, Oxford University Press, 1985, 504 p.
43. Jean-Yves Le Naour, La Honte noire : l’Allemagne et les troupes coloniales fran-
çaises, 1914-1945, Paris, Hachette littératures, 2003, 276 p.
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en rien ignorés 51. Plus tard, l’agence Nuntia a des relations notoires avec
l’Abwehr, et informe le ministère de la Reichswehr, notamment sur les
agissements des hommes politiques allemands. L’agence Nuntia semble
avoir été dissoute en 1929, à l’exception de ses bureaux à Berlin et à
Lindau, très actifs sur la Suisse. Les services de contre-espionnage français
axent leurs efforts sur l’identification des moyens et des responsables de
la réorganisation de ce renseignement. Depuis Berlin, les agents recrutés
après-guerre traquent toutes les informations possibles sur les initiatives
dans les milieux militaires. Au point que des renseignements collectés par
le contre-espionnage militaire voient la main du général von Seckt dans
cette entreprise à l’automne 1921 52. Cette réactivation rapide en 1919 et
1920 est rendue possible par les antennes du renseignement allemand
maintenues à l’étranger. La liaison avec le service autrichien joue, à cet
égard, un rôle actif. Elle n’est que le prolongement d’une relation étroite
au cœur de la guerre de 1914-1918. Les échanges d’informations entre
les consulats allemands et autrichiens en Suisse ont été très actifs depuis
1915 53. Lausanne, Berne et Zurich en sont, par ordre d’importance, les
pôles d’organisation dont seul subsiste Zurich depuis l’armistice 54. Pour
l’Allemagne, la Suisse neutre est un champ de bataille majeur de l’action
secrète, avant comme après la guerre 55. Après guerre, les bulletins de ren-
seignements de l’état-major français ne manquent pas de rappeler le foi-
sonnement d’une propagande qui trouve d’autres terrains antifrançais à
compter de l’occupation militaire des territoires allemands. Précisément,
51. SHD/DAT 7NN 2 734, note de la SCR du 16 avril 1926 au sujet des
conducteurs de wagons-lits employés par le SR allemand. Zimmerwaldien de gauche,
il est l’un des principaux dirigeants du Komintern en 1919.
52. AN F7 13 424, note de renseignements nº 6748 de la SCR/EMA2 du
18 octobre 1921 au sujet d’informations données par un officier français en villégia-
ture en Allemagne durant l’été 1921.
53. SHD/DAT 7NN 2 404, note sur l’organisation de l’espionnage autrichien
en Suisse, SCR/EMA2, 21 novembre 1916, 4 p.
54. SHD/DAT 7NN 2 404, note de l’attaché militaire à Berne du 20 juin 1919
au sujet des services austro-hongrois en Suisse. Les services austro-hongrois avaient
surtout œuvré pendant la guerre à neutraliser les irrédentismes dans l’empire. Depuis
la Suisse, ils agissaient en Italie quand les services allemands bornent alors leurs acti-
vités aux seuls cantons suisses.
55. Ses moyens de recherche de renseignements et de propagande s’y sont épa-
nouis durant les années 1914-1918. La légation de Berne, les consulats de Lausanne,
Zurich, Lucerne, Bâle y jouèrent alors un rôle central.
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Cette présentation statique des postes allemands n’a d’intérêt que rap-
portée au déploiement des moyens d’espionnage français. Il y a en effet
un parfait parallélisme entre la couverture des réseaux français et alle-
mand. Les tranchées de 1914-1918 sont remplacées par une ligne de
front invisible marquant l’affrontement des deux appareils de renseigne-
ment. Les replis français sont suivis d’une délocalisation des postes alle-
mands (Abwehrstellen) et de leurs antennes (Aussenstellen et
Nebenstellen). La chronologie de leur déploiement coïncide avec celle
des retraits d’occupation en 1926, après la signature des accords de
Locarno, de la Sarre en 1927, puis en 1930 de la Rhénanie. La dissolu-
tion de l’Abwehrstelle d’Elberfeld en août 1926 se traduit par une redis-
tribution de ses moyens à Düsseldorf et Münster 65. Düsseldorf dispose
désormais de moyens inédits de contre-espionnage de la Reichswehr à
partir d’octobre 1926 pour agir sur les territoires occupés et en Bel-
gique 66. Le contre-espionnage militaire français actualise constamment la
liste des agents combattant la présence française, des postes et des
antennes comme de leurs missions. Le plan de renseignement sur l’Alle-
magne de décembre 1924, qui a été conçu à la fin de l’occupation de la
Ruhr, dessine les objectifs stratégiques pour le temps de paix, le temps
de crise et en période de couverture 67. Il définit les buts majeurs du ren-
seignement à acquérir sur l’Allemagne du point de vue militaire, écono-
mique, politique. Les manifestations d’une mobilisation militaire et
économique annonciatrice d’une agression de « l’adversaire le plus pro-
bable de la France et du soutien des pays susceptibles de l’appuyer » sont
observées 68. Les renseignements relatifs à une possible mobilisation de
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l’été 1933 80. Émile Charvériat prend soin de rappeler l’évocation du sujet
avec le colonel Laurent, chef de la SR-SCR, ce même 30 août 1933. L’été
1933 est le tournant d’une tentative de prise en main des services
d’espionnage allemands par le parti nazi. Les objectifs assignés au rensei-
gnement en Suède sont délibérément militaires et idéologiques dès
l’année 1933.
Étroitement lié à une propagande d’après-guerre cherchant à corriger
l’image de l’agressivité militaire et diplomatique de 1914-1918, le rensei-
gnement allemand en Suède est essentiellement commercial et politique
dans les années 1920. Il favorise et protège le développement commer-
cial de firmes spécialisées dans les matériels électriques, aéronautiques et
blindés d’armement. Il aide au réarmement clandestin par la constitu-
tion de dépôts d’armements à l’étranger en 1928-1931, puis par la
contrebande d’armes à partir de 1931. Les services d’espionnage sont pris
en main en Suède par le parti nazi à partir du printemps 1933. Après
1933, l’influence française en Suède persiste. Le 2 mars 1936, dans
l’esprit du colonel Rusterholz, attaché militaire français à Stockholm, la
perception du danger extérieur fait craindre aux Suédois prioritairement
l’URSS, puis l’Allemagne nazie 81.
80. SHD/DAT 7NN 2 476, note d’Émile Charvériat, sous directeur d’Europe,
direction des affaires commerciales et politiques, ministère des Affaires étrangères au
ministre de la Guerre, SCR/EMA2 du 30 août 1933 au sujet des activités allemandes
en Suède, 5 p.
81. AN 351 AP 2, notes du général Schweisguth après une visite de Rusterholz le
2 mars 1936.
82. Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, Paris, tome 5, de Buccard, 1925.
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armes égales que la main-d’œuvre étrangère est présente dans des entre-
prises françaises travaillant pour la Défense nationale. Dans certains
départements, il avance le chiffre d’une main-d’œuvre étrangère à plus de
50 % 85. Les nationalisations d’entreprises œuvrant pour la Défense
nationale ont, de façon imprévue, indirectement aggravé la situation. En
réalité, l’analyse de Rivet laisse dans l’ombre l’aspect central des rensei-
gnements obtenus grâce aux agents doubles français dans les services
allemands.
Une dernière question s’impose à ce stade. Les arrestations d’agents
ont-elles permis de réels succès ? Les arrestations se multiplient véritable-
ment au premier semestre 1937. Les premières arrestations nombreuses
ont lieu en février 1938. L’arrestation à Lille de l’agent recruteur Jahn de
l’Abwehrstelle de Düsseldorf, ancien responsable du renseignement naval
allemand en Hollande, a une conséquence importante. Elle éclaire le
contre-espionnage français sur l’organisation, les missions et les méthodes
du poste de l’Abwehr de Düsseldorf. L’utilisation des consulats alle-
mands comme couverture est patente, à l’instar de celui d’Épinal. Cette
arrestation permet de donner également des renseignements sur l’organi-
sation générale de l’Abwehr, en signalant le faible rendement des agents
allemands en France, imparfaitement recrutés. Mais la SR-SCR en tire la
conclusion que l’Allemagne était déjà bien informée sur les fortifications
du nord-est, qu’elle a des facilités tirées du recrutement d’informateurs
en Alsace et de la manipulation aisée de la presse française. L’arrestation
de Jahn entraîne la neutralisation d’une trentaine d’agents allemands en
Belgique, en France et en Angleterre 86.
De façon symptomatique, les Mémoires succints de Walter Schellen-
berg, entré au service secret des SS, le Sicherheitsdienst, retracent la sur-
veillance politique des Allemands dès les débuts du régime nazi 87. La
neutralisation des oppositions et des résistances était inscrite dans les
85. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet, chef SR-
SCR/EMA2 de la réunion interministérielle du renseignement au ministère de l’Inté-
rieur du 28 mai 1937.
86. SHD/DAT 7NN 2 726, note nº 1094 de la SCR/EMA2 du 18 février 1938
au sujet de l’arrestation de Jahn.
87. Walter Schellenberg, Le chef du contre-espionnage nazi parle (1933-1945),
Paris, Julliard, 1957, p. 17-18.
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93. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet, chef SR-
SCR/EMA2 de la réunion interministérielle du renseignement au ministère de l’Inté-
rieur du 17 novembre 1937, p. 2. André François-Poncet, Souvenirs d’une ambassade
à Berlin, Paris, Flammarion, 1946, p. 5.
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1935, les premiers contacts sont si encourageants qu’il est recruté par le
poste de renseignement de l’Abwehr de Lindau. L’Abwehrstelle de
Lindau travaille essentiellement sur la France et sur la Suisse. Les détails
de ce recrutement par le Dr Gombart, chef de l’Abwehrstelle de Lindau,
ne sont pas contenus dans le dossier de Fritz R. Le 30 octobre 1935,
Fritz R., alias Florimond, remet une première fourniture, c’est-à-dire des
informations obtenues sur l’Allemagne, à partir d’un questionnaire des
services spéciaux français. Il ne s’agit pas moins que du programme de
recherche de l’Abwehr sur la France, révélant les intentions stratégiques
de Hitler. Sans grande originalité, ce plan de recherche des services de
renseignement allemands, concernant les indices de tension militaire
dans les industries de guerre, vise à anticiper les réactions militaires de la
France en cas d’agression extérieure. Il comprend trois rubriques, à savoir
les achats, les approvisionnements, les dépôts et les restrictions d’achats
de matières premières, de combustibles et de produits alimentaires ; les
adaptations, la production et la distribution des fabrications indus-
trielles, notamment militaires ; les hausses des primes d’assurances indi-
quant un risque de guerre, la saisie des avoirs à l’étranger, la hausse des
actions boursières d’armements et les crédits aux industries d’arme-
ment 96. Le document est transmis au 1er bureau de l’EMA pour son
information. À ce stade, rien ne prouve cependant que Fritz R. n’est pas
un agent de pénétration de l’Abwehr.
Traiter un agent double depuis Paris est ardu. En janvier 1936, l’offi-
cier traitant de Florimond devient le lieutenant Paul Paillole, affecté
depuis le 1er décembre 1935 à la SCR 97. La Sûreté nationale suit conjoin-
tement l’agent qu’elle a indiqué à la SCR. La coopération est désormais
exemplaire entre les policiers de la Sûreté nationale et les militaires de la
SCR. Le 14 janvier 1936, Paillole se rend à la Sûreté nationale pour
remettre à Florimond des informations en présence du commissaire
Oswald 98. Des documents, d’importance variable, sont donnés avec
l’agrément des 1er et 4e bureaux de l’EMA, parmi lesquels des notices sur
le correcteur Peycru et sur la composition d’une division de cavalerie
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Londres ne veut pas appliquer les garanties prévues par Locarno et veut
ménager l’Allemagne. L’arrangement franco-britannique du 19 mars est
minimaliste : s’en tenir aux dispositions de Locarno si la France ou la
Belgique étaient envahies, en dépit de la violation unilatérale du traité de
Locarno par l’Allemagne. Inaugurées par la mission du général Schweis-
guth, du général Moucard et de l’amiral Abrial les 15-16 avril 1936, les
conversations franco-britanniques d’état-major confirment l’impression
générale française d’une réticence anglaise à s’engager.
Le contact avec le poste de Belfort offre un suivi de l’activité de
l’Abwehrstelle de Lindau en mars 1936. Grosjean donne l’instruction au
poste de Marseille (SER) de ne donner à Florimond que des informa-
tions sur les troupes stationnées normalement à Marseille, sans évoquer
l’arrivée possible de contingents coloniaux. L’antenne de Marseille pos-
tera elle-même le courrier de Florimond à Lindau. Par une mention laco-
nique, Grosjean conclut sur le fait que Florimond « a tendance à
s’attribuer une importance qu’il n’a pas en réalité. Néanmoins son
contact présente de l’intérêt et il y a avantage à le sauvegarder 109 ». Sa
correspondance et ses contacts avec Gombart sont analysés jusqu’à la fin
de mars 1936, révélant que l’Abwehr envoie plusieurs agents sur les
mêmes objectifs. Le 20 mai 1936, les directives de son officier traitant
Paillole réorientent ses recherches de renseignements. Paillole note que la
confiance de son correspondant allemand est incertaine et que Flori-
mond, « à l’esprit lent et aux moyens limités », a un rendement
médiocre 110. En juin 1936, la section technique de l’armement de l’état-
major de l’armée autorise cependant qu’il donne aux Allemands la
maquette de l’appareil lance-fusée de l’ingénieur Damblanc. En juillet
1936, Lindau le suspecte d’être un agent double et suspend les liaisons
jusqu’à l’automne 1936. Côté français, il continue d’être utilisé jusqu’au
début de 1938 pour identifier les agents déployés par les Abwehrstellen
de Lindau et de Stuttgart en France. Son dossier s’interrompt alors.
En définitive, le jeu n’est-il pas à somme nulle ? Cet agent double de
seconde importance démontre cependant la technique de sa
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111. SHD/DAT 7NN 2 101, note sur l’évolution des effectifs de la SCR de
1933 à 1937, juin 1937.
112. SHD/DAT 7NN 2 101, note sur l’adaptation du contre-espionnage mili-
taire aux menaces « Le contre-espionnage : ce qu’il est. Ce qu’il doit être », décembre
1936.
113. SHD/DAT 7NN 2 707, note de la SCR/EMA2 de février 1935 au sujet du
SR allemand, soit l’Abwehr du ministère de la Guerre allemand.
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125. Paul Paillole, Services spéciaux (1935-1945), Paris, Robert Laffont, 1975,
565 p. et Notre Espion chez Hitler, Paris, Robert Laffont, 1985, 285 p.
126. SHD/DAT 7NN 2 101, note du lieutenant-colonel Rivet, chef de la SR-
SCR/EMA2 du 19 juin 1937 au sujet des moyens humains et des missions de la
SCR.
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127. SHD/DAT 7NN 2 726, dossier de suivi par la SRC/EMA2 des activités des
postes de Cologne, Düsseldorf, Cassel en 1938-1940.
128. SHD/DAT 7NN 2 726, note de la SER de Marseille à la SCR/EMA2 du
25 juin 1938 au sujet des adresses pour l’envoi de renseignement de Bob à l’Abwehr.
129. AN 351 AP 3, notes de Schweisguth les 21 avril, 14 mai et 22 juin 1936 ;
Paul de Villelume, Journal d’une défaite, août 1939-juin 1940, Paris, Fayard, 1976,
p. 11-suivantes.
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1935 134. Puis, à compter d’octobre 1936, un nouveau plan fut élaboré
par les 2e et 3e bureaux de l’EMA pour accréditer l’idée d’une offensive
d’initiative française, dès le début d’une tension avec l’Allemagne. Cette
offensive fondait l’hypothèse d’une action par la Belgique, entre la
Moselle et le Rhin, pour aller sur Mayence dans une première phase, afin
de prendre des gages sur le Rhin. La seconde phase chercherait à réaliser
la liaison au sud du Main avec la Tchécoslovaquie. Rivet était lui-même
réservé en raison des difficultés opérationnelles considérables d’une telle
intention 135. Depuis l’effondrement du système d’alliances français,
l’esprit de Locarno sur le respect des frontières est déjà loin à l’automne
1936. Enfin, le général Colson, chef d’état-major de l’armée, et le général
Gérodias, sous-chef d’état-major, ont rejeté en décembre 1936 l’idée a
priori d’un plan de fausses nouvelles. À leurs yeux, le viol du territoire
des neutres et la question des alliances stratégiques se trouvent posées en
des termes insolubles. Surtout, le Quai d’Orsay s’y oppose formelle-
ment. La doctrine de la contre-offensive reste la doctrine officielle à
laquelle la France se tient vis-à-vis de ses alliés 136. Le général Gérodias
donne l’instruction de livrer au renseignement allemand de faux rensei-
gnements fragmentaires 137. Aussi, le plan de fausses nouvelles briève-
ment imaginé par le contre-espionnage militaire à la faveur d’une
situation inédite du renseignement n’est pas davantage envisagé durant
l’été 1938. L’activité du contre-espionnage ne baisse cependant pas
d’intensité.
Des succès tactiques ne peuvent masquer l’impuissance stratégique
française en 1939. À Metz, un renseignement précieux est établi le
7 février 1939. Selon ses conclusions, le fait que l’Abwehr espace ses
entrevues avec ses agents tendrait à confirmer qu’il n’y a pas, à court
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terme, l’imminence d’une tension politique 138. Dans une synthèse de son
travail sur le poste de Cologne, les responsables français soulignent que
le contact avec cet Abwehrstelle a été maintenu continûment depuis
1932, donnant un crédit aux signes de relâchement du travail secret. Où
ne serait-ce pas précisément une intoxication ? Un agent double a permis
d’identifier une bonne partie du personnel des agents de l’Abwehr à
Cologne, dont Rudolph, Wilhelm Franke, Hans Rumpe, Werber Hertel,
Fritz Schaub. Les numéros de téléphone du poste sont connus. Une
dizaine d’informateurs et de collaborateurs du service sont identifiés à
Sarrebrück : S., dentiste ; B. et W., policiers ; S. photographe ; F. por-
tier… L’arrestation de neuf agents allemands en France et de plusieurs en
Belgique a été rendu possible 139. Et les questionnaires militaires facilitant
l’interrogatoire des agents allemands arrêtés sont régulièrement actua-
lisés. Les moyens de liaison sont aussi mis à jour. Une dizaine d’agents
de Stuttgart ont également été arrêtés grâce à l’action du BREM en
février 1939 140. Le 11 mai 1939, un nouveau renseignement confirme le
fait que « le responsable du poste [de l’Abwehr] de Cologne estime que
l’heure n’est pas encore venu pour l’Allemagne de faire un nouveau coup
de force ». La note conclut qu’une action immédiate contre la Pologne
n’est pas envisagée actuellement. Dans leurs conversations, ses chefs envi-
sageraient qu’une telle action ne serait pas déclenchée avant l’automne. Il
est convaincu que la question de Dantzig et du couloir se réglera suivant
le désir de l’Allemagne, sans verser de sang. Il a ajouté : « Nous sommes
passés maîtres dans ce genre d’opérations 141. » Dans sa note d’impres-
sion d’ensemble, le BREM estime que l’Abwehr cherche peu de rensei-
gnements en mai et souhaite simplement maintenir le contact avec ses
agents. Exagérément optimiste, il conclut alors que « les agents du ser-
vice allemand semblent se raréfier ; la crainte d’encourir la peine capitale
est certainement pour beaucoup dans cet état de chose. » Il rappelle expli-
citement les effets psychologiques attendus de l’application du décret-loi
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145. Gamelin (général), Servir, tome 3, La guerre septembre 1939-19 mai 1940,
Paris, Plon, 1947, p. 388-389.
146. SHD/DAT 7NN 2 726, note nº 1464/CE du BREM à SCR/EMA2 du
25 août 1939 au sujet de l’entrevue d’un agent double traité par Metz avec un agent
de l’Abwehrstelle de Stuttgart.
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151. SHD/DAT 7NN 2 737, note secrète de la SCR/EMA2 de janvier 1938 sur
les activités allemandes en Belgique à Bruxelles, Anvers, Liège, 16 p.
152. François-Charles Roux, Souvenirs diplomatiques : une grande ambassade à
Rome (1919-1925), Paris, Fayard, 1961, p. 211-212 sur les défis posés à Paris par la
nouvelle politique étrangère affichée de Mussolini à son installation au pouvoir en
1922-1923.
333
153. Jean-Louis Miège, L’impérialisme italien de 1870 à nos jours, Paris, Sedes,
1968, 419 p.
154. Didier Musiedlak, Mussolini, Paris, Presses de Sciences Po, 2005,
p. 391-396 sur la décision et la politique étrangère et Parlementaires en chemise noire.
Italie 1922-1943, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007,
p. 191-200.
155. SHD/DAT 7NN 2 284, note de renseignement SR/EMA2 au sujet d’un
questionnaire du SR italien récupéré par le SR Marine, 23 octobre 1923. Dossier sur
les activités du SR italien sur la France de 1922 à 1928.
334
ouvrages militaires, dont ceux concernant les ports, les forces aéronau-
tiques. Ce renseignement militaire traditionnel oppose deux pays aux
ambitions méditerranéennes souvent rivales, notamment sur les côtes
d’Afrique du Nord.
En décembre 1924, la susceptibilité romaine rend impossible le main-
tien des moyens de renseignement installés à Rome à la faveur de la
guerre. Le capitaine Rollin est donc rappelé à Paris et le poste fermé à
Noël 1924 156. L’enjeu est de concevoir autrement la recherche de rensei-
gnements sur un État fasciste qui multiplie peu à peu ouvertement les
contestations de la présence française en Méditerranée. Ce renseigne-
ment est donc offensif sur l’Italie, tirant les conséquences de la fin de
l’alliance de la Première Guerre mondiale. L’impérialisme italien s’oppose
à la France, et, symboliquement, cherche à nouer des alliances tournées
contre la France, à l’instar du rapprochement tenté avec l’Espagne au
printemps 1926. Mais l’activité des services secrets italiens est beaucoup
plus dynamique au milieu des années 1930 157. Elle a des incidences sur la
réorganisation des moyens secrets français en Italie depuis 1925-1926 158.
Le commandant Thomas a jeté les bases de la réorganisation de l’espion-
nage français sur l’Italie en 1925. En 1926, il centralise ce renseignement
pour son exploitation exclusive au bénéfice du 2e bureau de l’EMA 159.
En novembre 1926, il en présente les enjeux, dans une conférence des-
tinée aux officiers stagiaires de l’École supérieure de guerre au 2e bureau
de l’EMA. Il y récapitule trois années de fonctionnement et d’organisa-
tion du renseignement français sur l’Italie, de 1924 à 1926 160. La diffi-
culté de ces années tient à l’activité du contre-espionnage italien qui peut
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170. SHD/DAT 7NN 2 798, renseignement non recoupé d’un agent sur le
concours allemand étroit au colonel Ponzo, frère de l’attaché militaire italien à Paris,
et en mission en Allemagne, juin 1931.
171. Henri Navarre, op. cit., p. 43. Sur la Libye, voir André Martel, La Libye
1835-1990. Essai de géopolitique historique, Paris, PUF, 1991, p. 102-114.
172. Anne-Laure Anizan, Paul Painlevé, un savant en politique, op. cit.
173. AN Fonds Painlevé 313 AP 226, correspondances anonymes de Bari en
mars 1926, d’un agent à Modane le 30 septembre 1926. Anne-Laure Anizan ne s’y
arrête pas.
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inédit rédigé en 1944, 71 p. Le général Parisot a été attaché militaire à Rome de sep-
tembre 1933 à juillet 1938, puis à nouveau de décembre 1939 à juin 1940.
188. AN 351 AP3, notes du général Schweisguth, 7 janvier 1936.
189. SHD/DAT 1 Kmi 95, fonds privé Serge-Henri Parisot, « Résumé de mon
rôle avant et à Rome, très secret », op. cit, p. 37-38. Le général Parisot ne parle que
brièvement des agents des SR sans tirer de conséquences sur l’effet des échanges de
renseignement sur l’état des relations franco-italiennes.
190. SHD/DAT 7 N 2 911, dossier 2, rapport SR-SCR 2e bureau EMA du
6 août 1936 sur la reprise des activités de recherche des services italiens en France et
le journal personnel du général Parisot, op. cit.
191. Archives privées Rivet, Journal de bord du colonel Louis Rivet, volume 1,
p. 2, 26 juin 1936. Il est intéressant de noter que Rivet ouvre quasiment son Journal
de bord, à sa prise de fonction, sur la question italienne.
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dans la reprise SR contre Italie. Depuis la lettre du 12 juillet des AE qui autori-
sent cette reprise, la situation avec l’Italie a tendance à se détendre. 14 août Vis-
conti-Prada est venu dire au général Gamelin que Badoglio se considérait
toujours comme lié par les accords de 1935 et que VP serait son agent de liaison
personnel. »
Le 10 août, Gamelin donne l’instruction à Rivet de relancer les
recherches françaises, confirmée le 18 et le 19 août par une discussion des
modalités de la reprise des activités des services français en 1937 197. Les
livraisons d’armes à l’Espagne par l’Italie ont raison de l’engagement de
1935. Les atermoiements du haut commandement sont un indicateur
intéressant de la volonté d’explorer jusqu’au bout la possibilité de déta-
cher les services secrets italiens de l’Allemagne. Le 29 septembre, Parisot
vient prendre les nouvelles instructions à la centrale à Paris. Rivet auto-
rise néanmoins le capitaine Beaune à sonder une ultime fois Navale,
membre du contre-espionnage italien, à San Remo le 30 octobre 1937.
Les généraux Colson, chef d’état-major de l’armée, et Schweisguth, sous-
chef d’état-major, en sont très étroitement informés au début de
novembre 1937. Au regard des intentions du Quai, le décalage est ins-
tructif sur la doctrine politique d’engagement ou pas des services secrets
afin de ménager une évolution favorable en marge de la diplomatie offi-
cielle. Jusqu’en octobre 1937, les responsables français des services spé-
ciaux militaires s’efforcent de ralentir la reprise d’une rivalité ancienne
avec l’Italie. L’enjeu est de retarder au maximum, sinon d’empêcher, une
coopération d’alternative entre les services spéciaux italien et allemand.
De fait, celle-ci est déjà engagée en raison du double jeu italien depuis le
printemps 1937.
Jeu de faux-semblants ou espionnage de faible intensité ? Pour la cen-
trale des services spéciaux militaires à Paris, le bilan des années 1935 et
1936 tient alors dans la neutralisation de ses moyens d’espionnage sur
l’Italie. Réactivé progressivement au second semestre 1936, le poste de
Marseille est incapable de produire un renseignement de rendement effi-
cace en 1936. Les instructions font état d’un renseignement de veille sur
l’Italie jusqu’au milieu de l’année 1937 sur les instructions de Gamelin
lui-même 198. Un renseignement maintenu à un niveau qualitatif délibé-
rément médiocre n’affecte pas les relations officielles entre les
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199. SHD/DAT 7NN 2 502, rapport secret sur l’activité du poste en 1936 du
commandant Barbaro, SER, nº 73, 13 janvier 1937, 5 p.
200. SHD/DAT 7NN 2 502, op. cit., p. 2.
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202. SHD/DAT 7NN 2 273, note de l’attaché militaire français à Rome au haut
commandement du 9 juillet 1937. Le général Visconti-Prasca a été rappelé après un
incident du SR italien en Yougoslavie.
203. SHD/DAT 7NN 2 273, note de renseignement de la SR-SCR à la DGSN,
9 juillet 1937.
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spéciaux militaires ont apporté une réponse nuancée à cette menace dans
le temps. La raison tient à ce que la responsabilité du contre-espionnage
sur le sol national incombe au ministère de l’Intérieur. La liaison entre
l’espionnage sur l’URSS, à l’extérieur des frontières, et le contre-espion-
nage, notamment dans l’empire colonial, aurait-elle été imparfaite ? Le
danger communiste intérieur invite à des adaptations des méthodes du
contre-espionnage militaire et policier à la fin des années 1930. Ces
moyens ont été constamment défensifs depuis 1919. À un autre point de
vue, le choix inédit d’un contre-espionnage offensif en 1937-1938 pro-
cède en partie de ce constat. Comme dans le cas de l’Allemagne après
1933, les services secrets français affrontent une société soviétique fermée,
policière, aux frontières surveillées. Pénétrer la société et l’État soviétique
a constitué un défi constant.
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35. Rémi Kauffer, Roger Faligot, op. cit., p. 233-237. Les accusés étaient
défendus Me Pierre Berthon, découvreur de l’existence du carnet B avant-guerre, et
Me Henri Torrès, ténor du barreau de Paris. Rémi Kauffer, Roger Faligot, L’Hermine
rouge de Shanghai, Les Portes du Large, Rennes, 2005.
36. Annie Kriegel, Les Communistes français : essai d’ethnographie politique, Paris,
Seuil, 1968, rééd. 1985, p. 131, 242 et 263. Cremet disparaît en Chine en 1931,
meurt en 1973.
37. Christopher Andrew, Vassili Mitrokhine, Le KGB contre l’Ouest 1917-1991,
Paris, Fayard, 2000, p. 66 ; Serge Berstein, Jean-Jacques Becker, op. cit., p. 193-197.
38. Géo London, Elle a dix ans, la Russie rouge !, Paris, Fayard, 1927,
p. 221-223, Maurice Laporte, Espions rouges. Les dessous de l’espionnage soviétique en
France, Paris, Librairie de la Revue française, 1929.
39. Sophie Cœuré, op. cit., p. 54 et p. 127-128 sur l’image de l’URSS en 1927.
L’Arcos ferme son implantation de Paris en 1923 pour ne garder, un temps, que celle
de Londres.
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44. SHD/DAT 7NN 2 228, note de la SCR sur des membres de la délégation
commerciale travaillant pour l’OGPU.
45. Pierre Broué, Histoire de l’Internationale communiste 1919-1943, Paris,
Fayard, 1997, p. 15-19 ; Taline Ter Minassian, Colporteurs du Komintern. L’Union
soviétique et les minorités au Moyen-Orient, Paris, Presses de Sciences Po, 1997,
p. 84-100 sur les structures mouvantes de la diplomatie soviétique.
46. Sophie Cœuré, op. cit., p. 75-76.
363
47. AN F7 13 424, note de la Sûreté nationale de mars 1921 au sujet des centres
de propagande de la Troisième Internationale en Europe.
48. Victor Loupan, Pierre Lorrain, L’Argent de Moscou : l’histoire la plus secrète du
PCF, Paris, Plon, 1994, p. 17-20.
364
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52. SHD/DAT 7NN 2 648, copie du rapport de P. Semard sur les débats du
5e congrès de l’Internationale communiste, 17 p., communiquée par la Sûreté géné-
rale à la SCR le 12 mai 1925.
53. Ibidem, p. 4
54. Jacques Girault, Benoît Frachon communiste et syndicaliste, Paris, PFNSP,
1989, p. 75-77 et 91-92.
55. Jean-Jacques Becker, Serge Berstein, op. cit., p. 124-126.
56. Le Matin, 2 mai 1925.
57. Francine Amaury, Histoire du plus grand quotidien de la Troisième Répu-
blique : le Petit Parisien (1876-1944), Paris, 1972, volume 2, p. 210-212.
58. Taline Ter Minassian, op. cit., p. 141-144. Il fut assassiné en Belgique par le
NKVD en 1938. Le Matin, 26-30 octobre 1930.
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59. SHD/DAT 7NN 2 449, compte rendu de renseignements spéciaux des ren-
seignements généraux adressé à la SCR/EMA2 le 14 janvier 1924 au sujet des rela-
tions du Komintern avec les partis communistes étrangers.
60. SHD/DAT 7NN 2 648, note nº 7 de l’EMAC du 1er février 1926 au sujet
de la situation du PCF appréciée par les milieux communistes genevois.
61. SHD/DAT 7NN 2 648, compte rendu de renseignements spéciaux nº 116
du 8 janvier 1923 sur le communisme et les activités de la mission soviétique en
Tchécoslovaquie.
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72. José Gotovitch, Mikhaïl Narinski et alii, Komintern : l’histoire et les hommes.
Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste, Paris, Les Éditions
ouvrières, 2001, 604 p. Annie Kriegel, op. cit., 1985, p. 302-303.
73. SHD/DAT 7NN 2 425, dossier individuel de la SCR/EMA2 sur Otto Katz,
né le 27 mai 1895 en Tchécoslovaquie.
74. Sophie Cœuré, op. cit., p. 49-52 sur le rôle de Münzenberg dans la propa-
gande du Komintern à Paris depuis 1926.
75. Christopher Andrew, Oleg Gordievski, op. cit., p. 193-194.
371
76. SHD/DAT 7NN 2 425, note pour la direction générale de la Sûreté natio-
nale de la SCR/EMA5 nº 16013 du 14 décembre 1939, signée Rivet, à propos
d’Otto Katz.
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86. AN 313 AP 226, note de renseignements sur l’URSS d’octobre 1927 à Paul
Painlevé d’un informateur non identifié.
87. Ibidem, p. 3-4.
88. Rémi Kauffer, Roger Faligot, As-tu vu Cremet ?, Paris, Fayard, 1991,
p. 188-191 ; proche de Trotski, Albert Tommasi (1886-1926) meurt à Moscou en
mai 1926.
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94. AN 313 AP 226, note de renseignements sur l’URSS d’octobre 1927 à Paul
Painlevé d’un informateur non identifié.
95. AN 313 AP 226, note de renseignements sur l’URSS d’octobre 1927 à Paul
Painlevé d’un informateur non identifié, p. 9. Georges Vidal, La Grande Illusion ?,
op. cit., p. 245.
96. Sabine Jansen, Pierre Cot. Un antifasciste libéral, Paris, Fayard, 2002,
p. 291-300.
97. Ibidem, p. 304-305.
378
personnelle pour Pierre Cot 98. Il n’y a alors pas eu de contacts per-
sonnels de Pierre Cot avec des membres des services secrets soviétiques.
Ceux-ci sont supposés en juin 1942 par des messages cryptés « Venona »,
échangés entre la résidence du NKVD à New York et Moscou dans les
années 1940, interceptés par les États-Unis 99. Ces télégrammes ont été
partiellement décryptés, après la déclassification progressive des archives
américaines depuis 1995. Naturellement, il y a un pas entre des contacts
avec des responsables du NKVD, « probables dès le milieu des années
1930 », selon Christopher Andrew et Vassili Mitrokhine, et le recrute-
ment comme agent 100. À New York où Cot s’est réfugié entre 1940 et
1943, le général Zaroubine, responsable de la résidence du NKVD,
aurait tenté de le recruter comme agent dès l’été 1940, sous le nom de
code « Dédale ». À cette heure, si l’hypothèse de son enrôlement par les
Soviétiques n’est pas vraisemblable, il a bien eu des contacts avec des
agents du NKVD. Sabine Jansen réfute méthodiquement la démonstra-
tion de Thierry Wolton. Elle récuse l’idée selon laquelle Pierre Cot a été
un agent du NKVD, avant comme après 1942, quoiqu’il « cherche
auprès des services soviétiques un appui et des moyens d’action qui lui
font défaut et il pense les obtenir en s’engageant dans la voie d’une coo-
pération étroite avec l’une des deux grandes puissances en guerre 101 ».
379
102. Alexandre Courban, « Une autre façon d’être lecteur de L’Humanité durant
l’Entre-deux-Guerres : “Rabcors” et “CDH” au service du quotidien communiste »,
in Le Temps des médias. Revue d’histoire, nº 7, hiver 2006-2007, p. 205-217.
103. Serge Berstein, Jean-Jacques Becker, Histoire de l’anticommunisme en France,
op. cit., p. 207.
104. SHD/DAT 7NN 2 750, note de la SCR sur l’affaire d’espionnage Fan-
tomas et consorts, 13 avril 1932.
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militaire, pas plus que le partage d’informations techniques sur les sys-
tèmes d’armes des deux pays 108. Les préventions réciproques et les
soupçons d’espionnage du PCF dans les usines d’armement sont toujours
vivaces. Le souvenir du procès des rabcors en 1932 est encore vif dans
de nombreux esprits 109. La nature des régimes combattus ne fait guère de
mystère aux responsables du renseignement et aux diplomates. Charvé-
riat informe précisément en juin 1937 la commission interministérielle
du renseignement de l’actualité des purges staliniennes touchant l’armée
et « la vieille équipe révolutionnaire de Lénine » après l’arrestation de
Toukhatchewsky. Le 3 juin 1937, Charvériat explique alors la position
du Quai d’Orsay :
« La persistance de l’influence allemande dans maints domaines de l’activité
intellectuelle et scientifique de la Russie, les nombreuses relations conservées avec
l’Allemagne par des dirigeants de l’armée soviétique, donnent sérieusement à
penser que le rétablissement d’une collaboration germano-russe peut entrer dans
les réalités de demain 110. »
Au début des années 1930, l’Allemagne est également une terre
d’espionnage soviétique. Les nouvelles inventions et les procédés de fabri-
cation des machines sont suivis minutieusement par les Soviétiques qui
pilleraient un capital de savoir et d’expérience selon le contre-espionnage
allemand 111. Son espionnage n’est pas réservé à la France.
De 1919 à 1939, l’URSS et l’Allemagne ont polarisé les investiga-
tions des services spéciaux français. Dans la même période, l’Allemagne
est le théâtre de l’organisation des services étrangers de la Tchéka et des
moyens du Komintern depuis Berlin. La présence de nombreux réfugiés
russes y favorise l’épanouissement des activités de la délégation commer-
ciale russe qui espionne sous couverture économique. Exceptionnelle-
ment, les services allemands et soviétiques coopèrent, dans l’esprit des
accords de Rapallo, contre la Pologne dans les territoires étant frontaliers.
383
Au XXe siècle, les empires coloniaux ont été un objet spécifique des
rivalités géostratégiques et de la concurrence économique entre les États
européens. Ces empires coloniaux sont également un autre terrain de la
guerre secrète européenne 1. Dans les années 1930, la politique de
Défense nationale française s’est efforcée de subordonner la « sécurité
impériale » à la sécurité nationale, le renseignement colonial au rensei-
gnement national. Pourtant, dans l’esprit des élites dirigeantes tradition-
nelles en France, le pari d’une vision stratégique reliant les deux espaces,
national et impérial, les deux conceptions, européenne et mondiale, est
largement artificiel. En dépit des proclamations que les responsables
français ont multiplié entre 1919 et 1939, la contribution de l’empire à la
Défense nationale n’a guère été concrétisée par des actions claires 2. Son
impréparation à jouer un rôle substantiellement différent de celui qu’il a
1. Jean Meyer et alii, Histoire de la France coloniale, Paris, tome 1, Des origines à
1914, Colin, 1991 et tome 2, 1914 à nos jours, 1991 ; Jacques Frémeaux, Les
Empires coloniaux dans le processus de la mondialisation, Paris, Maisonneuve et Larose,
2002, p. 262-278 ; Jean-David Mizrahi, Genèse de l’État mandataire. Service des ren-
seignements et bandes armées en Syrie et au Liban dans les années 1920, Paris, Publica-
tions de la Sorbonne, 2003, 462 p. ; Martin Thomas, Empires of Intelligence. Security
Services and Colonial Disorder after 1914, Berkeley, University of California press,
2007, 446 p.
2. Christine Levisse-Touzé, L’Afrique du Nord et la Défense nationale française
1919-1939, doctorat de 3e cycle sous la direction de Guy Pedroncini, Le Mans,
1980 ; Martin Thomas, The French Empire between the Wars. Imperialism, Politics
and Society, Manchester University Press, 2005, 408 p.
385
386
spéciaux. En effet, le classement des dossiers par les services français ins-
truit artificiellement une guerre secrète qui aurait commencé depuis les
années 1920. S’amplifiant avec Mers-El-Kébir et la guerre en Syrie en
1941, le régime de Vichy justifia sa rivalité, a posteriori, par une relec-
ture connotée des relations franco-britanniques depuis 1918. De fait, la
Sûreté générale du ministère de l’Intérieur traque déjà les agissements des
agents anglais dans l’empire français, notamment en Syrie, dès le début
des années 1920 5. L’idée d’une rivalité indépassable masque une réalité
plus nuancée.
Au Proche-Orient, les deux puissances mandataires ont suivi des poli-
tiques propres qui épousent leurs intérêts nationaux. La France a tout
d’abord répondu aux menaces bédouines de guérilla larvée dans ses
mandats aux frontières turco-syriennes au début des années 1920, dans
le prolongement du conflit de Cilicie. Puis ce fut sur la frontière sud en
1923-1924, annonciatrice de la révolte druze de 1925-1927. La création
du service de renseignement du Levant en juin 1921 permit d’identifier
les menaces pesant sur les mandats. Il facilita la surveillance des popula-
tions de Syrie, et fut aidé dans les années 1930 par la section d’études du
Levant de Beyrouth (SEL) qui couvrait le Proche-Orient 6. La mise sur
pied de la SEL est aussi une réponse à la rivalité franco-britannique. Ce
service de renseignement se trouve surtout placé au cœur de la stratégie
mandataire, au profit du haut-commissariat français, devenant par là-
même l’organe commun fédérateur d’une pluralité d’autonomies. Le SEL
est un outil privilégié de la politique mandataire. La réduction des
franges d’insoumission de Syrie méridionale et septentrionale a scellé la
solidité impériale franco-britannique dans les années 1920. Mais elle
s’effrite à partir des années 1930, lorsque la consolidation de la dynastie
hachémite en Transjordanie devient l’objectif anglais. Le partenariat avec
la France s’avère décevant pour Londres. L’une des causes tient dans
l’absence de liaison des deux puissances mandataires à l’échelon des
organes d’exécution de leurs services spéciaux. Les contacts entre Dom-
ville, officier de l’Intelligence service responsable de la Transjordanie, et
la section d’études du Levant à Beyrouth confirment l’exclusive nationale
387
7. SHD/DAT 7NN 2 229, notice sur J.-P. Domville de la SEL, 4 janvier 1932,
d’une « très bonne source ».
8. SHD/DAT 7NN 2 228, note de renseignement nº 534/J de la SEA (Alger) du
24 mars 1936 à la SR-SCR au sujet des activités des services spéciaux britanniques.
9. SHD/DAT 7NN 2 229, dossier 108 sur les activités de l’IS en France de 1936
à octobre 1942 et dossier 109 sur la propagande anglaise à l’étranger en 1940-1941.
N’excluons pas un reclassement des pièces par les services spéciaux allemands après
qu’ils les ont saisies fin 1942. Sur l’anglophobie française, l’analyse est révisée par la
thèse de Fabrice Sérodes, Au-delà des lieux communs : dirigeants français et britan-
niques face à l’anglophobie de Fachoda à Mers-El-Kébir, Universités de Tours et Sal-
ford, 2007, 640 p., 2 vol.
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marocain et ses habitants 13. Les officiers des affaires indigènes ont multi-
plié les agents d’information et les correspondants sur un terrain qu’ils
connaisssent bien. Bourmance Say est un informateur direct de la rési-
dence dans le Rif, puis un honorable correspondant de la SR-SCR.
« D’intelligence vive, un peu bohème, intermédiaire naturel entre l’Algérie et
la côte riffaine, connaît familièrement tous les personnages d’Abd el-Krim et s’est
amusé à les instruire au moment de la création de leur État. Il a longtemps été
personna grata auprès du maréchal [Lyautey] mais [leur relation] s’est depuis
refroidie : ses renseignements donnés sous forme de conseils puis d’avertissement
avant le conflit n’ont pas été entendus ni écoutés. Tout à fait disposé à nous ren-
seigner, il ne veut pas y aller pour “espionner” mais pour causer 14. »
Dans ce terrain de jeu du bureau des affaires indigènes, les moyens
secrets français en Afrique du Nord s’efforcent de voir dans Abd el-
Krim une menace pour l’Afrique du Nord, sans doute à tort. Au début
de l’année 1938, elles dévoilent l’identité des agents et les contacts du
capitaine Gordon Canning. Mrs Arnall « fut un des principaux agents
lors des tractations avec Abd el-Krim » comme l’agent libanais Karem
Assaad. Ce dernier, actif lors des événements du Rif de 1934, est en rela-
tion suivie avec Menebhi, le Glaoui et des activistes marocains.
« Le retour de Gordon Canning à Tanger n’est pas celui d’un touriste en
quête de souvenirs… Sa fameuse équipe, reformée autour de lui, se prépare à
agir, dans un but encore mal défini, étendant dès à présent ses intrigues dans la
zone française 15. »
Les déplacements d’agents britanniques ou supposés britanniques
s’expliquent aussi par la richesse minière en wolfram dans la région
d’Oulmes en particulier 16.
Les manipulations des nationalistes musulmans par les agents britan-
niques ont, lontemps, été dénoncées, écartant la réalité des contestations
anticoloniales dans l’esprit des dirigeants français 17. L’argument fut repris
après 1940. La surveillance des agents anglais est suspendue au début de
390
18. SHD/DAT 7NN 2 798, note nº 550 de la SCR au poste de la SEL à Bey-
routh du 26 janvier 1933, au sujet d’une liaison très vraisemblable entre services ita-
lien et anglais sur la Grèce ; voir aussi Abdil Bicer, Le Service de renseignement français
en Grèce 1915-1922, op. cit. ; voir son article, « Le Service de renseignement : outil
de la politique orientale de la France au lendemain de la Première Guerre mon-
diale ? », in Revue historique des armée, 3e trimestre 2003, p. 77-89.
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396
connues des Anglais, dont la firme Vickers monte les nouvelles batteries
côtières à Ferrol, Carthagène et Mahon. Et le poste anglais de Gibraltar,
relié par câble diplomatique avec l’ambassade anglaise à Madrid, sur-
veille le Maroc espagnol, Tanger, le Maroc français et les confins de
l’Oranie 39. Mais les postes français d’Hendaye et de Perpignan sont un
moyen crucial de rétorsion en 1937. En définitive, ce bureau de liaison
et d’échange de renseignements a été déterminant dans une période
diplomatique pourtant tendue entre la France en Espagne. La défiance
est encore présente en 1932, mais sans empêcher cette coopération
pragmatique.
397
Extrême-Orient n’a cessé d’inquiéter Paris depuis 1920. Or, c’est préci-
sément au Japon et en Sibérie que les efforts allemands se découvrent au
travers des rapports de l’attaché militaire français à Tokyo, depuis le prin-
temps 1920 43. Cette action clandestine allemande est l’œuvre d’agents
très actifs, dont le propagandiste von Knorr, ancien attaché militaire à
Tokyo avant 1914, et des prisonniers allemands restés au Japon. Après
1919, ces derniers y travaillent comme ingénieur ou contremaître pour
l’industrie privée japonaise : moteur, béton armé, sous-marins à Takes-
hiki, Tsushima 44… Les dérobades de Berlin au paiement des répara-
tions et le développement de partenariats industriels permettant de
maintenir la veille technologique des firmes allemandes dans les indus-
tries d’armement polarisent l’espionnage français. Bientôt, le développe-
ment de l’activité des services secrets allemands au Japon alerte sur la
nature du partenariat nippo-allemand. Trois objectifs sont assignés : la
recherche de renseignements militaires, politiques et économiques ; le
développement du commerce allemand ; une propagande antifrançaise
au Japon, en Sibérie, en Indochine et en particulier sur la côte occiden-
tale d’Amérique du Sud 45. C’est dire si le partenariat voulu par la France
est contradictoire avec les échanges réguliers entre le Japon et l’Alle-
magne durant toutes les années 1920. En 1929, les visites de commis-
sions d’études japonaises s’attachent aux chemins de fer allemands ; puis,
après 1934, l’espionnage se porte sur les forces navales et aéronau-
tiques 46. Enfin, ce partenariat est contradictoire avec les échanges de ren-
seignements franco-britanniques sur l’espionnage naval japonais en
Europe, depuis les conférences navales de Washington en 1922 et de
Londres en 1930. En dépit de ce contexte politico-stratégique
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401
402
63. Paul Paillole, Services spéciaux 1935-1945, Paris, Laffont, 1975, p. 75.
64. Pierre-Louis Dubois, op. cit., p. 15.
65. SHD/DAT 7NN 2 151, compte rendu du capitaine Vanlande, chef du poste
SR de Tunis, 6 janvier 1925.
403
66. Pierre-Louis Dubois, op. cit., p. 20-22. SHD/DAT 7NN 2 151, compte
rendu d’entretien entre le capitaine Coulomb et le général Lamothe, 22 octobre
1924.
67. SHD/DAT 7NN 2 151, compte rendu du capitaine Vanlande, chef de
l’antenne de Tunis de la SEA, 6 janvier 1925, au sujet du projet de création d’un SR
de la Légion à Oran.
68. SHD/DAT 7NN 2 151, instruction nº 5555 du ministre de la Guerre, SR-
SCR/EMA2 du 22 juin 1925 au sujet de la réorganisation du SR de la Légion en
Algérie.
404
405
et particulièrement des mineurs ayant travaillé en France et ayant fait partie des
syndicats et des cellules 71. »
L’usage est double pour la Légion étrangère et pour les services spé-
ciaux militaires. En effet, il oriente vers la SR-SCR les légionnaires démo-
bilisés susceptibles de devenir des agents d’espionnage ou suspects
d’opinions politiques extrêmes. Le SIL est désormais en contact avec les
services spéciaux, aussi bien les postes SR que la centrale. Le système
irrigue d’informations et de dossiers personnels les services spéciaux de la
fin des années 1920 à 1939. Cette contribution atypique est-elle pour
autant intéressante pour les services spéciaux ?
De 1926 à 1939, les responsables de la Légion étrangère renforcent
la liaison avec les services spéciaux militaires. Les rapports annuels du SIL
dressent la carte d’une extraordinaire activité de 1931 à 1937 72. L’état-
major de l’armée procède à une ultime et fondamentale réorganisation du
renseignement de la Légion, par l’instruction signée du général Colson,
chef d’état-major de l’armée, le 17 février 1937. Preuve que l’EMA
assigne bien à la Légion étrangère une mission stratégique et intégrée aux
moyens de renseignements secrets. Cette instruction porte la création du
bureau des statistiques de la Légion étrangère (BSLE), absorbant le
BLA 73. Ses missions se font au bénéfice de la Légion d’une part, et au
bénéfice exclusif du service de centralisation des renseignements de l’état-
major de l’armée pour l’espionnage de la France par des agents intro-
duits à l’intérieur de la Légion d’autre part. Le SIL devient un organe
subordonné du BSLE. Il est chargé des recherches et des surveillances en
France, avant ou après l’embarquement des légionnaires, en liaison avec
les dépôts de la Légion et les services SCR du 2e bureau de l’EMA. Il tra-
vaille notamment au profit de la section d’outre-mer du 2e bureau de
l’EMA. Situé à Sidi-Bel-Abbès, le BSLE est donc l’organe directeur du
renseignement de la Légion étrangère, qui dépend directement de l’état-
major de l’armée-service de renseignement, en liaison étroite avec le poste
71. SHD/DAT 7NN 2 129, dossier 515, rapport du SDO d’Oran à SR-SCR/
EMA2 du 13 janvier 1928 au sujet d’agents communistes engagés à la Légion étran-
gère.
72. SHD/DAT 7N 1 011-2 Supplément, rapports d’activités du SIL de 1931 à
1937.
73. SHD/DAT 7N 2 151, instruction SR-SCR/EMA2 réglant l’organisation, le
fonctionnement et les attributions du service de renseignement de la Légion étran-
gère du 17 février 1937.
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77. SHD/DAT 7NN 2 121, dossier 1157 sur les renseignements reçus du BSLE
concernant les légionnaires mars 1938-octobre 1940.
78. SHD/DAT 7NN 2 208, note du capitaine Pasteur, chef du SIL à la SR-
SCR/EMA2 du 3 février 1936 au sujet des agissements allemands auprès des légion-
naires libérés à Marseille.
79. SHD/DAT 7NN 2 121, dossier 1157 sur les renseignements reçus du BSLE
concernant les légionnaires mars 1938-octobre 1940.
80. SHD/DAT 7NN 2 122, contrôle postal des correspondances diverses de
légionnaires, 1930-1932.
81. SHD/DAT 7NN 2 466, mission du commandant Schlesser, chef de la SCR,
à Marseille en mars 1937 au sujet de la surveillance des frontières du Sud-Est.
408
82. Jacques Frémeaux, op. cit., Paris, Maisonneuve et Larose, 2002, p. 274-279.
83. Jean-David Mizrahi, op. cit., p. 408 et Martin Thomas, op. cit., p. 197-210.
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assurait depuis 1931 85. Elle concentre ses recherches extérieures de ren-
seignement au profit de la SR-SCR à Paris. Il y a bien une surimposition
de deux systèmes dépendant du commandement supérieur des troupes
du Levant d’une part et des services spéciaux militaires à Paris d’autre
part. Les modalités d’application du décret du 10 février 1939 condui-
sent à la création au Levant d’un poste de commissaire de surveillance du
territoire et l’affectation d’un officier spécialisé en matière de contre-
espionnage à son état-major.
La création en temps de guerre d’un poste à Djibouti est contempo-
raine de cette première évolution 86. La proposition de mettre sur pied ce
poste mixte Marine-Guerre émane du ministère de la Guerre. En mai
1931, la Marine y voit l’intérêt de renforcer en cas de conflit la surveil-
lance, assumée déjà par la division navale du Levant, de la ligne de
communication de la mer Rouge, la zone d’Aden et Djibouti, puis le
trafic des pétroles du golfe Persique. Le ministère de la Guerre accroî-
trait ainsi les moyens de recherche de renseignements sur l’Érythrée, la
Somalie et l’Arabie du Sud 87. En juin 1933, le principe d’un poste dès
le temps de paix, en accord avec la direction des troupes coloniales, a che-
miné. Il est finalement mis en place en août 1933, dépendant du
commandant des troupes de la Côte des Somalis 88. Le poste de Dji-
bouti reçoit pour instruction, en liaison avec la SR-SCR, la recherche de
renseignements, non sur la colonie et son secteur géographique, mais sur
l’évolution de la situation en mer Rouge et dans l’océan Indien. En parti-
culier, les renseignements visent les intentions de création d’une fédéra-
tion des États musulmans sous l’autorité de Fayçal d’Irak ou d’Ibn Séoud
en Arabie wahabite. Les évolutions des jeunes États arabes en Assyr, les
contestations contre les Wahabites au Hedjaz et les Hachémites sont
guettées. Les agissements des puissances étrangères allemande, italienne et
soviétique sont suivis attentivement. Le poste s’abstient de rechercher des
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colonies étrangères voisines de nos possessions coloniales serait d’un grand intérêt
[…] et l’Indochine par ses propres moyens pourrait rechercher des renseigne-
ments à ses frontières avec les provinces siamoises et chinoises (Kouangtoung,
Kouangsi, Yunan) 104 ».
Les synthèses et les renseignements de la section des armées étran-
gères, de la section de renseignement et de la section d’outre-mer doi-
vent être adressées dorénavant au comité consultatif et réciproquement.
Dans ce schéma d’organisation, le gouvernement n’est pas directement
destinataire des renseignements élaborés. L’Indochine nécessite des dis-
positions spéciales à son égard, expliquant l’attention particulière que le
service de renseignement intercolonial lui accorde d’emblée. Le général
Billotte donne un accord favorable le 1er avril 1936, soucieux d’une prise
en compte, dans le plan de renseignement du 2e bureau de l’EMA, des
enjeux impériaux 105.
Dépendant de l’état-major du ministère des Colonies, le service de
renseignement intercolonial est alors mis sur pied dans le courant de
l’année 1937. Son apparition est donc largement postérieure à la
conquête de l’empire. Moins qu’un organisme de recherche, il est l’ins-
trument d’une coordination et d’une centralisation de la documentation
sur l’empire par des moyens de renseignements variés. Sans le nom, il
présente l’objectif d’exploiter le renseignement au profit du ministre des
Colonies. Sans doute le ministre des Colonies, des protectorats et de
l’Algérie renforce-t-il en 1938 son autorité sur un département ministé-
riel écartelé historiquement entre les ministères de la Marine, des Affaires
étrangères et de la Guerre. Ce service est rattaché au cabinet du ministre
des Colonies. En effet, l’état-major des Colonies n’est créé que postérieu-
rement, en 1938 ; il est confié à l’inspecteur général des troupes colo-
niales, le général Bührer 106. Le SRI adresse alors ses synthèses à
l’état-major des Colonies dont le chef fait son entrée statutaire au conseil
supérieur de la Guerre en 1938. Le service de renseignement
417
418
adressées pour avis au 2e bureau de l’EMA 111. Mais les colonies gardent
leur autonomie par l’élaboration d’un plan de renseignement sur les puis-
sances étrangères distincts du plan annuel du 2e bureau de l’EMA. L’inté-
gration et la coopération du SRI avec la SR-SCR sont exemplaires, au
point que ses crédits sont sur une ligne du budget de la SR-SCR en
1938 112. Raoul Salan établit un lien naturel avec les sections du 2e bureau
de l’EMA, en particulier de la SR-SCR 113, avec le SR Marine et avec les
organes du contre-espionnage militaire et policier. En réalité, le SRI ne
se substitue en rien aux organes de collecte de renseignements dans les
théâtres d’opération des colonies. Il renforce leurs sources extérieures au
territoire colonial. C’est spécialement le cas dans les territoires de
l’AOF 114. Huit sections géographiques couvrent son territoire de
recherche à partir de postes ou d’antennes de la SR-SCR existant déjà.
Les postes de Shanghai, de Djibouti ou de Hanoï sont d’autant plus rapi-
dement actifs qu’ils préexistent au SRI. Les postes couvrent des secteurs
larges. Secteur 1 Shanghai : Pacifique nord, Russie d’Asie, Japon, Chine.
Secteur 2 Hanoi : Chine nationaliste, Yunan, Thaïlande, Birmanie,
Malaisie, Philippines, îles de la Sonde. Secteur 3 : Nouméa : Polynésie,
Mélanésie, Australie, Pacifique austral. Secteur 4 Djibouti : Afrique
orientale italienne, Afrique orientale anglaise, Arabie et golfe Persique.
Secteur 5 Tananarive : Afrique orientale anglaise et portugaise, Afrique
du Sud orientale, île Maurice et autres îles. Secteur 6 Dakar : Libye, Rio
de Oro, Canaries, Cap vert, Guinée portugaise, Bissagos, Liberia, Gold
Coast, Nigeria, Gambie, Brésil, Uruguay, Argentine. Secteur 7 Brazza-
ville : Tripolitaine, Soudan, Égypte ; Fernando Po, Guinée espagnole,
Rio Mouni, Congo belge, Angola. Secteur 8 à Fort-de-France : îles anti-
llaises, Venezuela, Guyane. Trois objectifs lui sont assignés dans le bul-
letin de renseignement mensuel rédigé entre autres par le commandant
Salan. Les menées de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon font peser des
menaces explicites sur les colonies françaises comme sur des zones
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119. SHD/DAT 7NN 2 693, stages à effectuer pour les officiers du SRI en
octobre-décembre 1938.
120. Hervé Desplanches, Les Français face à l’Afrique orientale italienne
1938-1940. L’action subversive en pays abyssin, mémoire de maîtrise de l’université de
Provence sous la direction de Marc Michel, 1991, 255 p. et annexes.
121. SHD/DAT 6N 309, note du général Gamelin, CEMG à Édouard Dala-
dier, ministre de la Défense nationale, président du Conseil, septembre 1938, au
sujet d’un projet de soulèvement par le SR en Afrique orientale italienne.
421
pour contrer la présence italienne 122. Face aux menées et aux incursions
italiennes, le poste de Djibouti conçoit une action de soutien aux maquis
des hauts plateaux de l’Ouest éthiopien, dans la province d’Amhara
proche du Soudan anglo-égyptien. Le contexte est celui de la crise des
relations franco-italiennes du 30 novembre 1938. À deux reprises, en
décembre 1938 et en juin 1939, des opérations subversives sont lancées
par la volonté de Mandel et avec le soutien de Charles-Michel Côte,
homme d’affaires lyonnais, ancien directeur des chemins de fer franco-
éthiopiens d’Addis-Abéba. Entre-temps, une note du directeur des
affaires européennes et méditerranéennes à Rome, Gino Buti, est tombée
le 27 janvier 1939 entre les mains des services français. Décryptée, cette
information dévoile les projets mussoliniens d’internationaliser les
détroits méditerranéens (Gibraltar, Suez, Bosphore), d’en finir avec Dji-
bouti sous influence française et de diviser la Tunisie en cinq territoires
autonomes 123. Le poste de Djibouti orchestre avec Salan la première opé-
ration, menée avec un honorable correspondant des services, le comman-
dant Paul Monnier, et un conseiller du Négus réfugié à Londres, Lorenzo
Taezaz. La seconde est conçue avec l’accord de Daladier et après informa-
tion du conseil supérieur de la Défense nationale. Elle reçoit le soutien
des Anglais depuis l’Égypte et le Soudan. Ces missions de destruction des
moyens militaires italiens tournent court en novembre 1939, paradoxale-
ment après le début de la guerre qui aurait pu leur donner une exten-
sion. Il subsiste cette expérience originale qui préfigure les « opérations
actions » dans la Seconde Guerre mondiale.
L’empire colonial est autant apparu comme un espace de rivalités
propres que comme une caisse d’amplification des propagandes et des
actions subversives internationales. Il y a certes des affrontements loca-
lisés, dans le temps et l’espace, entre les services secrets britannique et
français, mais aussi à l’inverse des coopérations inattendues avec le Japon,
l’Espagne, répondant à l’intérêt de l’heure. L’empire donne une profon-
deur stratégique à la Défense nationale, au-delà des seules conceptions
stratégiques euro-méditerranéennes ou euro-africaines dans les années
1920 et 1930. Ces conceptions ne sont pas nécessairement partagées,
422
423
1. Jean-Jacques Becker, Le Traité de Versailles, Paris, PUF, 2002, p. 40-46 sur les
réparations ; Denise Artaud, La Question des dettes de guerre interalliées et la recons-
truction de l’Europe (1917-1929), 2 tomes, Atelier de reproduction des thèses de
Lille, 1978, 999 p.
2. Dominique Barjot (dir.), Les entreprises et les mobilisations industrielles durant
les deux guerres mondiales, actes du colloque de 2005, à paraître ; Dominique Pestre,
« Le système français d’innovation en matière d’armement depuis deux siècles : une
proposition générale », in Deux siècles d’histoire de l’armement, op. cit., p. 5-18.
3. Jean Monnet, Mémoires, Livre de poche, 1988 (Fayard, 1976), p. 67-95 sur les
« Executive » interalliés, pools organisant les transports et le ravitaillement progressi-
vement entre 1915 et 1918. Pierre Chancerel, Les travaux publics sous le ministère de
Marcel Sembat 1914-1916, Thèse de l’École des Chartes, 2008, 448 p.
427
largement illusoire. Aux côtés et parfois avec l’État, des agences de rensei-
gnement commercial, apparues à la faveur de la seconde révolution
industrielle depuis la fin du XIXe siècle, développent une fonction inédite
dans l’activité secrète. À bien des égards, elles sont le truchement, para-
public, des actions économiques secrètes de l’État auprès des entreprises
privées. À ce titre, leur histoire est singulière. Entre 1922 et 1938, l’effort
a trouvé un terrain d’élaboration doctrinale, à travers la lente prépara-
tion d’une loi sur l’organisation économique de la nation en vue du
temps de guerre. Des textes ont préalablement formulé une prédoctrine
publique du renseignement économique, parmi lesquels l’instruction
ministérielle du 8 décembre 1928 sur l’action économique de l’État à
l’étranger et le décret interministériel du 13 mai 1939 sur l’espionnage
économique.
428
Commerce, 18 juin 1918. Il est question d’une liaison pour orienter l’exploitation
des renseignements intéressant ces départements.
6. Pierre Bruneau, Le Rôle du haut commandement au point de vue économique de
1914 à 1921, Paris, Berger-Levrault, 1921, 90 p., tend à accentuer le rôle dominant
de l’armée.
7. Aimée Moutet, « La rencontre des traditions militaires et civiles de rationali-
sation à l’occasion de la Première Guerre mondiale et ses conséquences », in Deux
siècles d’histoire de l’armement en France, op. cit., p. 241-259.
8. Patrice Bret, « Du modèle académique au modèle technocratique : l’État et
l’invention en matière d’armement (1763-1830) », in Deux siècles d’histoire de l’arme-
ment en France, op. cit., p. 38-46 et Luciano Segreto, « Industrie de l’armement et
relations internationales aux XIX-XXe siècles », in Deux siècles d’histoire de l’armement,
op. cit., p. 221-240.
9. Gérald Sawicki, op. cit., p. 292-297.
429
10. Robert Frank, « L’entrée des attachés financiers dans la machine diploma-
tique », in Relations internationales, nº 32, hiver 1982, p. 489-505 ; Laurence Badel,
« Les acteurs de la diplomatie économique en France au XXe siècle : les mutations du
corps des attachés commerciaux (1919-1959) », in Relations internationales, nº 114,
2003, p. 189-211.
430
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16. Robert Frank, op. cit., p. 490-491. Un décret du 26 décembre 1919 précise
leurs attributions et leur position de détachement dans les ambassades. Les premiers
postes, contrôlés par l’inspection des Finances, sont Londres, et New York pendant
la guerre, Rome et Bruxelles en 1926, Berlin en 1930. Les titulaires assument plu-
sieurs responsabilités à Paris, avec une astreinte de résidence à partir de 1926, sauf à
Bruxelles. Ils sont issus de l’inspection des Finances et de l’administration centrale
des Finances, qui contrôlent leur nomination.
17. Robert Frank, op. cit., p. 499-501.
18. Georges-Henri Soutou, « Les dimensions économiques du conflit », in Paul-
Marie de La Gorce (dir.), op. cit., p. 304.
19. SHD/DAT 7N 2485, note du 22 août 1919 de la section économique du
2e bureau à sa transformation en temps de paix, par un rédacteur anonyme. En
1919, le démantèlement de la section économique est programmé.
432
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21. Jean Baillou (dir.), Les Affaires étrangères et le corps diplomatique français,
tome II, 1870-1980, Paris, CNRS, 1984.
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spécialisée 44. En octobre 1926, les premières études sur les bombarde-
ments urbains sollicitées par le haut commandement dressent les objectifs
prioritaires, à savoir « les grandes villes, puis les grosses agglomérations
industrielles et éventuellement les usines particulièrement importantes »
en Allemagne 45. Mais il faut véritablement attendre les plans de rensei-
gnement du 2e bureau des années 1930 pour qu’une dimension effecti-
vement économique entre dans les faits. Le 2e bureau, en liaison avec le
CSDN, en est à l’origine, ainsi que l’attestent les échanges de rapports
sur la Russie soviétique en 1929 46. Mais ce plan est de conception mili-
taire, non le fruit d’une élaboration interministérielle. Il ne le fut d’ail-
leurs jamais dans l’entre-deux-guerres. Les plans généraux de
renseignement de 1930 et 1933 établissent ainsi la liste des objectifs éco-
nomiques précis sous trois catégories générales : les industries de guerre
et les accords commerciaux pour l’importation de matières premières et
de vivres ; le développement des industries de guerre métallurgiques, chi-
miques, aéronautiques ; leurs succursales ou filiales à l’étranger, en pays
neutres notamment ; la création de réserves monétaires en Allemagne et
à l’étranger ; le développement de moyens de communications et de
transports 47. Le plan de mai 1931 y ajoute la constitution de réserve de
carburants et de charbon, la mobilisation de la main-d’œuvre indus-
trielle, les passations de marchés pour l’approvisionnement en vivres 48.
La gamme des informations recherchées est retrouvée à l’identique dans
les plans de 1933 et de 1935.
Pourtant, l’expertise du CSDN est largement impuissante. Entre
1925 et 1930, le rôle du secrétariat général en matière de renseignement
442
443
sur les contrebandes d’armes par les postes des services spéciaux mili-
taires à l’étranger ou aux frontières. La question n’est pas nouvelle mais
elle gagne en gravité et en fréquence.
En réalité, une doctrine de renseignement économique fait défaut à
l’organisation du travail du CSDN. Les bulletins d’informations qu’il
doit produire sont tout aussi décevants à ce titre 52. Et les dossiers écono-
miques qu’il constitue par pays sont inégaux et rassemblent une docu-
mentation officielle d’origine variée. Le dossier sur les renseignements
économiques sur les Pays-Bas est très pauvre 53. Les informations du
CSDN sur l’Italie proviennent de pièces d’origines diverses, dont les
sources sont l’attaché militaire Parisot et la direction des affaires commer-
ciales et politiques des Affaires étrangères : celles-ci concernent la carto-
graphie des importations italiennes et des zones d’approvisionnement,
l’étude sur les ports, les conséquences des accords commerciaux italiens
avec l’URSS et l’Allemagne en 1938-1939. Il n’y a pas d’analyse
d’ensemble, en dépit d’informations brutes de qualité 54. Dans les années
1930, des critiques sont faites par des figures militaires marquantes, à
l’instar de Weygand ou de Charles de Gaulle, affecté au CSDN de 1931
à 1937 55. Après 1936, le CSDN gagne des missions nouvelles qui sont
précisées par une inflation d’instructions et de décrets ayant pour but de
coordonner plus étroitement l’action des ministères rattachés à la
Défense nationale. Un institut de recherche scientifique répondant aux
questions de Défense nationale est créé en 1938, relevant du CSDN 56.
Cette situation explique le rôle inédit du CSDN dans l’établissement
d’une réglementation sur l’espionnage économique après la crise de
Munich de l’automne 1938. Espacées après 1930, les réunions s’inter-
rompent en 1935. Les chefs militaires n’ont pas de voix délibérative en
444
son sein, et, surtout, ne croient plus en ses facultés d’influencer le cours
des décisions politico-militaires. Son efficacité est aussi conditionnée par
une organisation de la présidence du Conseil qui fait défaut jusqu’en
1935-1936. Trop lourd, jugé impuissant, le CSDN ne jour pas de rôle
actif durant la crise de la remilitarisation de la Rhénanie en 1936.
445
57. SHD/DAT 2N 51, note sur les conditions dans lesquelles pourrait être orga-
nisée la protection contre l’espionnage économique, 19 novembre 1938, 4 p. et
annexe, 2 p. sur les affaires d’espionnage économique et les réponses déjà apportées
par les administrations publiques.
58. SHD/DAT 2N 52, Lettre 177/DNI du ministre du président du Conseil,
ministre de l’Intérieur au ministre du Commerce concernant les enquêtes commer-
ciales effectuées en France par les consuls américains, 2 avril 1936.
446
59. SHD/DAT 2N 51, note secrète pour les 2e, 3e et 4e sections du secrétariat
général du CSDN par le colonel Batier, chef de la 1re section, 25 février 1939, 2 p.
60. SHD/DAT 2N 51, procès-verbal de la réunion de la commission interminis-
térielle du 13 décembre 1938, 12 p. Y participent : pour le ministère de la Défense
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Ils l’ont fait dans une conception exhaustive du secret militaire concer-
nant leurs armements et l’implantation des bases, des ports, des arse-
naux 64. En revanche, il n’y a pas de circulaire au ministère des Colonies
selon son représentant civil Allard. Aucun renseignement sensible
n’aurait été diffusé par la presse coloniale. Il est disposé à ce que les sta-
tistiques de production coloniale continuent d’être publiées. Il est
démenti par le représentant de l’état-major des Colonies du général
Bührer, demandant de ne plus publier les statistiques des réserves des
mines et les travaux de prospection des colonies. Le diplomate Félix,
représentant la direction des affaires commerciales et politiques des
Affaires étrangères, note qu’il n’y a pas de publication de son ministère
portant sur les questions de Défense nationale ayant donné lieu à des
indiscrétions sur les questions économiques. Pour M. Jeannin, du minis-
tère des Finances, le problème posé est celui du bien-fondé de publica-
tions officielles, des douanes entre autres, qui offrent des données
beaucoup plus nombreuses que dans les autres pays. C’est vrai du bul-
letin de statistique ainsi que des publications sur le budget qui fournis-
sent trop d’indications, en dépit des efforts faits pour diminuer la
transparence de ces imprimés. Rassurant, il rappelle que, si ces indica-
tions ont baissé depuis la loi de 1934 sans résultat significatif, elles restent
de toute façon plus détaillées que celles de l’URSS ou de l’Allemagne.
M. Coiffard, du ministère de l’Économie nationale, souligne que les sta-
tistiques générales de son ministère ne fournissent que rarement des indi-
cations sur la Défense nationale et que par ailleurs le Conseil national
économique n’effectue que des études. En définitive, l’économie du ren-
seignement ouvert est mise en évidence, sans que la plupart des représen-
tants des ministères civils en aient véritablement conscience. À l’inverse,
cette vision est intériorisée jusqu’à la phobie chez les responsables mili-
taires. Le lieutenant-colonel Robert du CSDN n’alla-t-il pas jusqu’à pro-
poser que les renseignements des débats parlementaires, lors de l’examen
des budgets, ne soient pas publiés, dans une conception du travail parle-
mentaire pour le moins réformiste ? On était, naturellement, loin de cette
situation en 1938… Au ministère du Commerce, les bulletins des
chambres de commerce et des régions économiques jouant un rôle dans
64. Comité pour l’histoire de l’armement, Les Bases et les arsenaux français
d’outre-mer du Second Empire à nos jours, Panazol, Lavauzelle, 2002, 396 p. Le goût
du secret sur leur construction et leur fonctionnement est délibéré.
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dans un sens ou dans l’autre, mais vraisemblablement sur certains points, dans le
sens d’un moindre libéralisme 74. »
La tension entre une certaine culture politique républicaine, sou-
cieuse du libéralisme économique et politique, et d’une politique de sécu-
rité nationale qui s’élargit au domaine économique et juridique,
s’exprime ici de façon latente. Le 23 juin 1939, l’attention est attirée sur
les échanges d’informations administratives avec les gouvernements
étrangers qu’il faut restreindre, puis sur la nécessité d’urgence de prendre
des décisions. Attachés à un certain libéralisme, le ministère des Finances
et les douanes sont réticents à un texte trop restrictif. Et les limites des
textes sont déjà criantes, puisqu’ils ne s’appliquent pas au domaine privé.
Le gouvernement resta ici impuissant. Les limites juridiques de l’action
publique en matière d’informations ouvertes, publiques ou privées, se
révélaient grandes. En dépit de ces progrès difficiles, le questionnement
est inédit dans la sphère gouvernementale. À peine abordée, la situation
des agences commerciales de renseignement privées est réservée. Confiée
au CSDN et au ministère du Commerce, une étude sur la situation juri-
dique de ces firmes, en France et à l’étranger, est repoussée sine die 75 ;
mais elle n’eut pas de suite avant la guerre.
Ni l’existence ni les effets attendus du décret du 15 mai 1939 et de
cette instruction interministérielle du 14 septembre 1939 ne sont passés
à la postérité. Le décret du 15 avril 1939 sur la mobilisation écono-
mique du pays était autrement frappant. Sans doute le décret du 15 mai
est-il apparu dans la continuité du décret-loi du 15 avril 1939, sa matière
technique offrant peu d’intérêt en outre pour la curiosité publique. Par
ailleurs, il n’a pas pu produire les résultats escomptés à quelques semaines
de la guerre, englouti par la défaite et disqualifié après 1945. Curieuse-
ment, il est souvent ignoré dans l’examen des moyens juridiques permet-
tant, entre 1934 et 1939, de mettre en œuvre une répression affermie des
menées d’espionnage en France. Or, le décret-loi du 29 juillet 1939 qui
refonde les textes sur l’espionnage et la trahison depuis 1934, en institu-
tionnalisant la notion de secret de la Défense nationale, en tient
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86. SHD/DAT 2N 51, lettre de Georges Bonnet, 16 juin 1939, op. cit., p. 3
87. Cf. chapitre 12 ; Olivier Forcade, « L’exploitation du renseignement straté-
gique en France en 1936-1938 », in Georges-Henri Soutou, Jacques Frémeaux, Oli-
vier Forcade (dir.), op. cit., p. 92-97.
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Les bénéfices sont déposés à la Deutsche Bank à Berlin ». Elle publie une
lettre bihebdomadaire dont l’abonnement s’élève à 3 000 marks par
mois 99. Certes, l’agence est privée mais ses utilisateurs sont, à l’occasion,
des institutions ou des gouvernements. Ainsi le gouvernement allemand
n’hésite pas à se procurer du renseignement auprès de nombreuses
agences de renseignement économique. Des subventions du ministère des
Affaires étrangères allemand à des agences de renseignement écono-
mique travaillant sur la Russie se multiplient. Le russe Oretschkin dirige
une agence publiant un bulletin Russ Press, à petit tirage, qui puise ses
sources dans le milieu russe réfugié en Allemagne. Une édition est vendue
en Allemagne dans le commerce, destinée aux organes officiels alle-
mands. Elle fait une publicité sur les produits russes à destination de
potentiels acheteurs allemands 100. Toutefois, les agences allemandes qui
se sont créées font indifféremment du renseignement commercial et poli-
tique dans l’Allemagne occupée.
« Elles ne s’occupent pas a priori de renseignements politiques, mais leurs
agents, peu payés, élargissent leurs recherches à des informations d’ordre poli-
tique pour leur compte. [Il faut] connaître et surveiller ces agences dans les pays
occupés (Länder) et dans la Ruhr. À Aix-La-Chapelle, c’est l’Auskunftei Merkus
d’Alfred Schwart, la Barmen-Eberfel du detektiv Neuburg, ancien fonctionnaire
de police, à Bochum l’Institut Greif et l’Internationales Detektivinstitut und
Auskunften Puscher, à Coblence l’International Detektivgesellschaft du Dr
Schiffer, à Dortmund l’Argus International Detektive, avec une succursale à
Düsseldorf et à Essen 101 »
En 1921, le contre-espionnage français en recense déjà une quin-
zaine dans une simple liste. Leur possible rôle au profit des autorités alle-
mandes ou étrangères ne fait pas de doute pour les autorités françaises.
S’agit-il d’un espionnage caractérisé ou d’un complot imaginaire ? À vrai
dire, ces agences démontrent les ressorts d’un renseignement économique
privé qui plonge ses racines dans le XIXe siècle et vers lequel ne rechignent
pas de se tourner incidemment les gouvernements, sinon les centrales de
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renseignement 102. À Paris, les recours plus fréquents des centrales de ren-
seignement à ces agences reposent sur un faisceau d’enquêtes menées
dans les années 1920. Si l’utilisation, à des fins d’espionnage, de la société
France-Expansion par l’ambassade d’Allemagne à Paris en 1927 ne fait
pas sens, en revanche le recours à d’autres agences a bien cours. À tort,
les services français y voient d’ailleurs systématiquement la main de
l’Allemagne. Ainsi en est-il de l’agence économique France-Europe créée
à Paris en 1920 par extension des affaires hollandaises de la société
Camindo d’Amsterdam. Fondée en août 1920, celle-ci est liée à des
entreprises allemandes. L’enquête de la SCR démontre les liens avec la
Suddeutsch Disconto Gesellschaft à Mannheim et l’Allgemeine Gesells-
chaft für Industrielle Unterwehmungen Gmb de Berlin. Celle-ci a réussi
à se prévaloir de patronages qui ne soupçonnent pas la couverture de
l’agence. En définitive, le meilleur exemple des relations complexes entre-
tenues par les services spéciaux avec les agences privées de renseigne-
ment commercial est le cas de l’agence Wys Müller entre 1915 et 1941.
Le contre-espionnage français démystifie l’ambiguïté et les indétermina-
tions résumant les relations entre le monde des services secrets et celui du
commerce d’informations, prises entre la conception de la sécurité natio-
nale et la force des échanges internationaux.
À l’automne 1915, l’attention des services spéciaux militaires français
est attirée par les relations commerciales internationales suspectes d’une
agence de renseignement commercial et de recouvrement de créances,
l’agence Wys Müller. Fondée en 1862 à Amsterdam par Daniel Wys
Müller et Guillaume Gombertz, la société est désormais en nom col-
lectif et dirigée par le seul Gombertz en 1868. Son fils Paul Gombertz
en hérite et la dirige depuis 1891 jusqu’en 1930. Il étend son réseau en
Europe avec une quarantaine de succursales, notamment dans plusieurs
villes allemandes et françaises. Les agences étrangères étant frappées de
suspicion, l’agence Wys Müller fait l’objet d’une enquête. Celle-ci
n’aboutit pas, mais la surveillance administrative est maintenue 103. Sa
clientèle est largement allemande et sa correspondance transiterait par les
États neutres. Mais les relations illicites avec l’ennemi ne sont pas
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autrichien lui confient des enquêtes personnelles rémunérées 114. Cela lui
vaut, à l’été 1913, une campagne de dénonciation dans l’ambiance du
Paris d’avant guerre à laquelle Léon Daudet prête sa plume dans les
colonnes de L’Action française 115. En 1914, les succursales de Schim-
melpfeng à Paris et à Londres furent mises sous séquestre, comme les
bureaux français de Lille, Bordeaux, Lyon, Marseille, Le Havre. Le
bureau de Metz est animé par un officier de réserve, Paul Petzold qui
devient le chef du SR allemand de Metz pendant la Grande Guerre. Il y
recrute un agent, Louise Puchot, qui travaille en réalité pour le renseigne-
ment français de janvier 1915 à février 1916. Démasqué et arrêté par les
Allemands, l’agent double français a eu le temps de révéler les agisse-
ments de la Schimmelpfeng 116. Mais les bureaux continuent leur travail,
en particulier dans les pays neutres comme la Suisse, l’Espagne, la Suède.
À Barcelone, le courrier de l’agence Schimmelpfeng, dirigée par le Belge
Frantz Bosschaerts, ancien directeur général de la société pour la France,
la Belgique et le Portugal, est intercepté à partir de la fin de l’année 1915.
Face aux effets du blocus allié, des recherches de renseignement écono-
mique attirent l’attention sur des biens matériels faisant défaut en Alle-
magne tels les articles de cordonnerie en janvier 1916 117. Les échanges
de correspondance se font entre Barcelone et l’agence Bradstreet’s de
Zurich d’une part, avec l’agence Schimmelpfeng de Copenhague, trans-
mettant au siège à Berlin d’autre part. En mars 1916, les Alliés ont une
vision précise du réseau tissé et le démantèlent partiellement 118. L’agence
de Bâle, quoique concurrencée par les agences Michel et Aetoffer et
Michelin et Cie (autrefois Comptoir Tritscher), continue de recevoir du
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courrier sous le timbre Bradstreet’s pendant la guerre. Il est retiré par les
employés de Schimmelpfeng. Elle s’efforce de reconstituer ses agences de
France, de Grande-Bretagne et d’Italie, afin de travailler sur les puis-
sances de l’Entente depuis la Suisse. Sous la raison sociale Bradstreet’s,
l’agence de Zurich travaille sur l’Italie, ce qui pousse les autorités ita-
liennes à demander son inscription sur la liste noire italienne en août
1916, comme pour les agences de Lisbonne, Porto et Madrid 119.
Durant la guerre, d’autres incidents révèlent l’ampleur de l’espionnage
économique auquel se livrait la célèbre agence au profit du gouverne-
ment allemand et de ses services commerciaux officiels et d’espionnage,
en utilisant la couverture de l’agence Bradstreet’s. En 1916, la découverte
par des commerçants hollandais que les fiches de renseignements qu’ils
ont remplies pour l’agence de renseignement commercial leur valent
d’avoir été portés sur la liste noire allemande des entreprises ayant fait des
affaires avec les Alliés fait scandale 120. La réputation de l’agence en est
durablement ternie après guerre dans les milieux d’affaires néerlandais.
Puis la découverte au Caire par les services britanniques des archives du
bureau de la succursale de W. Schimmelpfeng en Égypte, fermée en août
1914, achève de la discréditer, au moins le temps de la guerre. Déjà, en
octobre 1914, le consul de France à Alexandrie, Reffye, a formulé l’hypo-
thèse que la fermeture de ses bureaux n’avait pas interrompu son activité,
grâce à l’arrangement avec la société Bradstreet’s et via un intermédiaire
en Suisse adressant son courrier sous le timbre de l’agence britan-
nique 121. Aussi une enquête discrète est-elle menée qui amena Taylor,
fonctionnaire anglais des Finances, à retrouver les instructions et les
fiches commerciales du bureau de la Schimmelpfeng du Caire. L’enjeu
est alors de retourner l’information commerciale à l’avantage des services
spéciaux anglais. Les renseignements sont envoyés à Berlin et à Zurich
pour être traduits, avant diffusion aux succursales dans le monde pour
abonner des clients à des carnets de 10, 25 ou 50 renseignements. La
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a pour objet l’exploitation en France et dans ses filiales de tous les rensei-
gnements commerciaux et financiers délivrés à des abonnés sur des firmes
ou des personnes intéressées dans des entreprises commerciales. Sa répu-
tation se fonde aussi sur les indications des meilleurs agents intermé-
diaires pour vendre des marchandises sur les places françaises et
étrangères. En réalité, son accord en 1897 avec la Schimmelpfeng traduit
l’extension de ses recherches à des matières qui ne sont pas exclusivement
commerciales. L’accord entre les deux sociétés les engage à se repré-
senter mutuellement, la Bradstreet’s Cy assurant le service des renseigne-
ments aux États-Unis, au Canada et en Australie, et la Schimmelpfeng
se chargeant du service européen. Or, les deux sociétés cohabitent dans
le même immeuble parisien. Les subventions du gouvernement alle-
mand à la seconde justifient sa mise sous séquestre en France et en
Grande-Bretagne en août 1914. La société américaine ne peut l’ignorer,
sauf à faire remarquer que l’espionnage militaire de la Schimmelpfeng n’a
jamais été démontré formellement en 1914. Les relations sont inter-
rompues entre les deux sociétés. La société américaine crée donc une
filiale en France après la guerre puisque son associée ne peut désormais
plus s’y installer.
En 1924, un industriel français signale aux services spéciaux l’espion-
nage économique dont sa société lyonnaise a été victime. Le lieutenant-
colonel Lainey, alors chef de la SR-SCR, prend l’affaire très au sérieux.
Le 1er juillet 1924, il reçoit Pierre Gounod, délégué général de l’Union
des industries chimiques, accompagné du lieutenant-colonel Rivière,
membre du secrétariat général du CSDN. Pierre Gounod porte un cour-
rier de la société Bradstreet’s France, se présentant comme une agence de
renseignement financier et économique avec 171 filiales dans le monde,
et qui a été adressé à un fonctionnaire de la Savoie 131. Le courrier pose
des questions très précises, en proposant des doubles commissions pour
le fonctionnaire zélé qui répondrait 132. La lettre se présente comme un
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135. Sur les responsabilités ministérielles du général Nollet, on suit Marc Sorlot,
« Le général Nollet au ministère de la Guerre 15 juin 1924-10 avril 1925 », in Oli-
vier Forcade, Éric Duhamel, Philippe Vial (dir.), Militaires en Républiques
1870-1962, op. cit., p. 235-244. Sur l’espionnage anglais à Berlin à l’abri de la
CMIC, on voit SHD/DAT 7NN 2 394, renseignement de source sûre sur les acti-
vités de l’Intelligence Service, sous l’autorité du colonel Steward Roddie et du major
Breens, ancien chef du Pass Control Office au consulat général d’Angleterre à Berlin,
12 mai 1923.
136. SHD/DAT 7NN 2 175, lettre du ministre de l’Intérieur, Sûreté générale,
police judiciaire nº D1021, au ministre de la Guerre, 10 janvier 1925. La SCR en a
copie le 13 janvier.
137. SHD/DAT 7NN 2 175, lettre du ministère du Commerce et de l’Industrie,
direction des affaires commerciales et industrielles, 3e bureau, 14 mars 1925.
138. SHD/DAT 7NN 2 175, lettre de l’ambassadeur de Grande-Bretagne à
Paris au ministre des Affaires étrangères français au sujet des activités des sociétés
Brastreet’s, 5 juin 1925, 5 p.
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11. SHD/DAT 7NN 2 504, note du SR de Madrid nº 7766 pour la SCR (sec-
tion économique) au sujet des activités économiques allemandes en Espagne, 26 jan-
vier 1920, et rappelant les notes du 25 novembre 1919 et du 23 décembre 1919 sur
ces questions.
12. SHD/DAT 7NN 2 504, note de renseignement du poste de renseignement
de Madrid du 26 janvier 1920 à la SCR/SE, Paris, au sujet de l’intermédiaire Hubert
Hopf.
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15. John Maynard Keynes, The Economic Consequences of the Peace, New York,
Harcourt, 1920, p. 9-23.
16. Denise Artaud, La Question des dettes de guerres interalliées et la reconstruction
de l’Europe (1917-1929), op. cit., tome 1, p. 169-suiv. sur les milieux bancaires amé-
ricains et la crise des liquidités européennes.
17. Georges Clemenceau, Grandeurs et misères d’une victoire, Paris, Plon, 1930,
p. 261-274 sur les mutilations financières du traité de Versailles.
18. Paul Tirard, La France sur le Rhin. Douze années d’occupation rhénane, Paris,
Plon, 1930, p. 8. Restituées avec les archives de Moscou, les archives de Paul Tirard
attendent encore largement d’être explorées.
19. AN F7 13 424, liasse des notes de renseignement reçues de la mission fran-
çaise en Allemagne par la Sûreté générale consacrée à novembre et décembre 1919 ;
Bruno Cabanes, La Victoire endeuillée : la sortie de guerre des soldats français, Paris,
Seuil, 2004, p. 234.
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24. SHD/DAT 7NN 2 477, note secrète de la SCR du 10 mars 1922, CR des
renseignements spéciaux nº 426. Contre-espionnage (de source sûre).
25. Sylvain Schirmann, Les Relations économiques et financières franco-allemandes
1932-1939, Paris, CHEF, 1995, p. 25-32.
26. SHD/DAT 7NN 2 473, dossier sur le contre-espionnage de la SCR sur les
activités des Allemands en Finlande 1918-1928, compte rendu du 12 mai 1921 de
l’attaché militaire de la légation de Suède à la SCR.
27. AN F7 13 424, notes de la Sûreté nationale en 1921 sur l’organisation du
Komintern en Allemagne.
28. AN F7 13 424, note SCR 2e bureau EMA nº 1275 au sujet d’une loi contre
l’espionnage économique en Allemagne, 1921.
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32. François-Charles Roux, op. cit., p. 166-170 ; François Roth, Raymond Poin-
caré, Paris, Fayard, 2001, p. 413-414.
33. AN F7 13 425, note du 22 mai 1922 sur les clauses économiques du traité de
Rapallo. Ces notes se retrouvent en partie dans les archives de la direction des affaires
commerciales et politiques du ministère des Affaires étrangères, qui collecte une riche
information économique.
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négocié vers la Russie 37. Les activités des descendants d’Alfred Krupp et
du baron von Thyssen sont étroitement suivies par le contre-espionnage
français 38. Par l’étendue de ses activités, la société Krupp est ainsi
concernée par les échanges avec la Russie. Des concessions de territoires
lui sont octroyées, comme pour Stinnes, à Salsk dans la région du Don.
Des machines agricoles allemandes sont importées et des agronomes alle-
mands sont envoyés afin de trouver des solutions permettant d’enrayer
la famine en Russie. Et la note de souligner que la condition de l’accord
est que « les dirigeants soviétiques soient conciliants sur les concessions
agricoles demandées par les Allemands en territoires russes 39 ». Les
accords de Rapallo entre les Allemands et les Russes provoquent, en
marge de la conférence de Gênes, un choc dans l’opinion publique et
chez les dirigeants français. Jusqu’au début de 1923, ces accords ont
marqué une véritable obsession des services spéciaux militaires et policiers
français en Allemagne. La question rhénane les fit passer au second plan,
à partir du printemps 1923. En effet, les notes d’information écono-
mique sur les relations germano-russes cessent après l’été 1923. Laco-
nique, la SCR date d’août 1924 la liquidation de la mission commerciale
soviétique de Berlin. Elle signale que l’activité commerciale russe a bas-
culé vers Paris et Londres, à la faveur de la reconnaissance officielle de
l’URSS à l’automne 1924 40. C’est dire si la question des réparations et
des questions économiques qui leur sont subordonnées est prioritaire
dans l’esprit des dirigeants français.
L’Allemagne et la France partagent une inquiétude similaire devant
l’espionnage économique étranger et l’idée d’un abaissement économique
national 41. En 1920, la chambre de commerce de Trèves lie précocement
37. AN F7 13426, note de la SCR du 13 août 1923 au sujet des activités d’Hugo
Stinnes.
38. SHD/DAT 7NN 2 642, dossier sur les déplacements et renseignements
divers sur le baron von Thyssen, 1919-1942.
39. AN F7 13 426, note de la SCR du 24 août 1923 au sujet des activités en
Russie d’Arthur Krupp.
40. AN F7 13 426, note de la SCR P 9902-U, du 7 juillet 1924, au sujet de la
liquidation de la mission commerciale russe à Berlin. Berlin renonce à accorder la
clause d’extraterritorialité aux Soviétiques de la mission, après l’incursion de la police
allemande à son siège pour soupçon d’espionnage.
41. Robert Frank, La Hantise du déclin : le rang de la France en
Europe 1920-1960 : finances, défense et identité nationale, Paris, Belin, 1994, 316 p.
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47. Éric Bussière, op. cit., p. 161-187. La première phase fut la mise en place de
l’occupation économique, avec le bouclage douanier puis les prélèvements sur la pro-
duction et les stocks disponibles de coke et de charbon. La seconde fut le succès de
ces mesures et les résistances allemandes.
48. AN F7 13 426, note du 8 octobre 1923 de la SCR (source : un correspon-
dant) au sujet des conséquences de l’occupation de la Ruhr par la France pour la
politique soviétique.
49. AN F7 13 426, note de la SCR au sujet de l’interception d’une note des ser-
vices spéciaux soviétiques à Moscou du 6 novembre 1923, sur les conséquences de
l’occupation de la Ruhr.
500
l’accoutumée, au prix le plus bas, mais dans une vente continue de francs
depuis un an et demi (7 millions et demi vendus). À Barcelone, la Royal
Bank of Canada semble y avoir participé et, à Madrid, la Banque his-
pano-américaine et la banque Bauer auraient nourri la baisse du franc en
1924. En l’espèce, l’information financière du renseignement français
paraît n’avoir été que très marginale en 1924, lors de la crise du franc 50.
Toutes les rencontres de dirigeants d’affaires allemands, à l’instar de
la firme Krupp qui ambitionne de développer ses activités en Espagne en
1922, sont l’objet d’une surveillance étroite 51. Dans le programme de
recherche de la SCR sur l’Espagne en décembre 1925, les informations
sur l’organisation du service de renseignement allemand et les succur-
sales des agences de renseignement commercial Schimmelpfeng, Brads-
treet, Burgel figurent naturellement parmi les objectifs 52. Le poste de
renseignement français à Barcelone n’a jamais, en la matière, désarmé
depuis 1919 jusqu’à la fin des années 1930 53. Le 1er janvier 1923, une
nouvelle société financière espagnole, la banque Lopez Quesada liée au
Banco espagnol de Credito, est ouverte à Berlin sous la raison sociale
Spanische Deutsche Bank. Son capital est de 200 millions de marks. Le
poste d’espionnage français de Barcelone démonte le mécanisme consis-
tant à faire travailler les capitaux issus de comptes courants et de dépôts
constitués lors de la vague de spéculation sur le mark en Espagne 54. En
définitive, les spéculations monétaires et boursières jouent, comme à
l’accoutumée, leur rôle annonciateur des crises internationales.
501
55. Paul Tirard, La France sur le Rhin. Douze années d’occupation rhénane, Paris,
Plon, 1930, 520 p.
56. AN F7 13 424, comptes rendus sur l’espionnage commercial et économique
des services allemands de CE.
502
57. SHD/DAT 7NN 2 276, analyse des mesures prises par le commandement
allemand pour lutter contre l’espionnage français, octobre 1924, 5 p.
58. SHD/DAT 7NN 2 276, note du 13 février 1925 de la SCR/EMA2.
59. Ibidem, copie de la note secrète allemande sur les mesures contre l’espionnage
français dans les usines de Haute-Silésie allemande interceptée par le contre-espion-
nage français, 2 avril 1924 (source polonaise), mission militaire de Varsovie, BR
nº 219 du 7 mai 1925.
60. SHD/DAT 7NN 2 276, note SCR/EMA2, 11 août 1925 sur la note secrète
du ministre des Finances Zapf.
503
504
d’ouvriers ou d’employés travaillant dans nos usines. Ils y ont réussi à plusieurs
reprises par la corruption 64. »
Et de dénoncer le centre de cet espionnage dans le Rhin inférieur. Son
intervention résume largement l’état d’esprit dominant de protection
nationaliste de l’industrie et de ses brevets sur fond de dénonciation des
pratiques déloyales d’une puissance d’occupation, à l’abri du traité de
Versailles.
Dès lors, ces réunions se multiplient pour sensibiliser le patronat et
les syndicats à des mesures de protection et de surveillance des étrangers
dans l’Allemagne non occupée. Dans ce climat, l’affaire d’espionnage
industriel français de Ludwigshafen est le signal d’une répression poli-
cière et judiciaire plus forte. La conscience d’une protection industrielle
n’est pas inédite en Allemagne, active dans les milieux militaires de la
Reichswehr et des associations nationalistes depuis les années 1890. Ce
sentiment est très prononcé dans les milieux industriels chimiques privés,
à l’occasion d’une nouvelle réunion du patronat industriel à Ludwigs-
hafen en février 1929. La protection des voies navigables contre l’espion-
nage et le sabotage, notamment des communistes, est aussi à l’ordre du
jour. Klepp, responsable de la sécurité des chantiers navals à Hambourg
le rappelle. La législation allemande réprimant l’espionnage est jugée
insuffisante. Aussi sa révision est-elle à l’ordre du jour d’autres réunions,
à l’instar de celle à Lübeck au printemps 1929. Durant l’année 1930, les
mesures de protection redoublent contre les anciens légionnaires alle-
mands démobilisés, suspectés d’être des agents français, comme les poli-
ciers français mariés à des Allemandes. La surveillance des six bureaux de
contrôle postal français ne cesse pas jusqu’à l’évacuation des territoires
occupés en 1930 65. Les tentatives de recrutement d’ingénieurs, de chi-
mistes, de dessinateurs, d’experts des industries notamment aéronau-
tiques se sont multipliées en 1929. En 1929, la réaction des milieux
dirigeants politiques, d’affaires et militaires prépare une politique systé-
matique de mesures préventives contre l’espionnage économique en Alle-
magne. Les premiers effets de la profonde crise économique de 1929 s’y
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jugée hostile et celle d’Herriot trop zélée par certains dirigeants sovié-
tiques 73. L’espionnage du milieu diplomatique soviétique à Berlin donne
au contre-espionnage français un point de vue intéressant sur les attentes
impatientes de l’URSS à l’égard de la reprise des relations économiques
avec la France 74. L’URSS escompte de la reconnaissance de jure du
28 octobre 1924 une certaine ouverture dans les milieux économiques et
d’affaires français. Cependant, la campagne anticommuniste qui agite le
pays, depuis la prise de position du PCF contre l’occupation de la Ruhr
en 1923, tarde à s’éteindre. La presse révèle l’organisation de la CGTU
pour mettre en place des cellules de quartier et d’entreprise comme
« poste d’écoute du parti 75 ». Elle est affiliée au PCF pour les consignes
du 5e congrès de l’Internationale communiste 76. On est encore loin de
l’accueil chaleureux d’une organisation officielle russe, mise sur pied
autour d’une représentation diplomatique qui attend l’ambassadeur Kras-
sine à la fin novembre 1924 77. À l’automne 1924, Moscou prévoit que
le bureau militaire soviétique de Berlin, sous la responsabilité de Kras-
sine, sera chargé de développer les relations commerciales avec la France.
L’instruction de Moscou est de « faire des offres fermes aux industriels et
aux commerçants français 78 ». On a déjà évoqué la délégation commer-
ciale soviétique à Berlin, organisée au début de l’année 1922 et liquidée
durant l’été 1924, à la faveur du développement des relations écono-
miques avec Londres et Paris. Les bureaux de la délégation commerciale
soviétique se sont établis en Allemagne, mais également en Finlande et
en Tchécoslovaquie. Deux bureaux se trouvent à Prague, l’un russe et
l’autre ukrainien, adjoints précisément aux délégations commerciales.
Toute leur activité est dirigée contre les émigrants russes, en liaison avec
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Royal Dutch Shell. Depuis 1922, un projet d’accord secret entre Deter-
ding et Moscou avait promis le monopole d’exportation du pétrole russe
à la compagnie anglaise, au grand mécontentement de la Standard Oil
américaine. Révélée par un journal français, l’affaire avait alors échoué et
l’embargo sur le pétrole russe fut maintenue jusqu’en 1926 86. L’affaire
Arcos intervient précisément au moment de la tentative de reprise des
échanges commerciaux entre Londres et Moscou. Les échanges entre la
City et les soviétiques ont conduit à l’accord de crédits de la West-
minster Bank à l’URSS pour acheter de l’outillage industriel. L’heure est
au rapprochement et à la reconstruction économique de la Russie avec
le lancement de la nouvelle politique économique (NEP). Après quatre
années de blocus international financier de la Russie soviétique, cette
décision marque un tournant. L’intervention de Llyod George, interpel-
lant le Premier ministre Neville Chamberlain, replace l’enjeu dans son
contexte économique. Des accords français et anglais permettent
d’importer du pétrole russe par la Russian Oil Cy, aidée par Arcos. Le
raid sur Arcos tombe après la signature du contrat que les Soviétiques
menacent de rompre désormais. Cela signifierait que les emprunts se
feraient auprès des banques françaises, mais non anglaises. Aussi Paul
Painlevé souhaite-t-il préserver les relations économiques avec la Russie
en mai 1927, sans s’appesantir sur l’affaire Arcos 87. Accessoirement, les
services français prennent conscience des contournements de l’embargo
sur les produits pétroliers soviétiques vers l’Europe à la fin de l’année
1927. La Société espagnole de pétrole de Porto Pi et la Société fermière
espagnole du monopole du pétrole rivalisent pour acheter les mêmes
cargaisons 88.
En définitive, l’affaire Arcos apparaît aux yeux des services français
comme une nouvelle preuve des menées soviétiques en France en
1926-1927. Arcos n’est que la couverture commerciale de l’espionnage
soviétique, économique comme politique. L’URSS n’en eut que plus de
86. Daniel Yergin, Les Hommes du pétrole, tome 1, Les fondateurs, Paris, Stock,
1991, p. 156-162 sur la pénétration de la Royal Dutch Shell en Russie, en Roumanie
et au Caucase avant 1914.
87. AN Fonds Paul Painlevé 313 AP 226, note de l’économiste Francis Delaisi à
Paul Painlevé, ministre de la Guerre, au sujet des relations entre l’URSS et la
Grande-Bretagne, novembre 1927, p. 2.
88. SHD/DAT 7NN 2 648, note de renseignement (source bien informée) du
2 février 1928 au sujet des pétroles soviétiques en Espagne.
513
89. SHD/DAT 7NN 2 228, note de la SCR du 30 janvier 1932 sur les diffi-
cultés des échanges commerciaux avec les soviets.
90. SHD/DAT 7NN 2 248, lettre de Menzies à Lainey, chef de la SR-SCR,
9 mars 1925
91. SHD/DAT 7NN 2 248, lettre de Menzies à Lainey du 6 juin 1925 au sujet
de Margoulisse.
92. Cf. supra chapitre 5 sur les relations secrètes franco-anglaises dans les années
1920.
514
93. SHD/DAT 7NN 2 248, note de renseignement au sujet des services de ren-
seignement japonais, SCR, mai 1929 (source généralement très bonne) et dossier sur
les activités de l’attaché militaire à Paris, 1917-1938.
94. AN F7 13 429, note du commissaire spécial d’Annemasse du 2 mars 1932
sur des informations du commissaire spécial des ponts et des ports de Strasbourg,
2 mars 1932.
95. SHD/DAT 7NN 2 276, note de renseignement du poste de La Haye à la
SCR/EMA2 du 7 juillet 1933 au sujet de l’espionnage industriel en Allemagne.
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très subtil qui a longtemps écarté les soupçons, puis brouillé la surveil-
lance dans les années 1923-1935. En avril 1935, un premier rapport
alerte les autorités françaises sur l’espionnage commercial et militaire de
la société en France et dans ses colonies, pour le compte du gouverne-
ment japonais 110. Une enquête est diligentée par le contre-espionnage
militaire en liaison avec la Sûreté générale. Le groupe, qui a de nom-
breuses succursales en Europe et en Extrême-Orient, approvisionne le
Japon en houille, en matières premières (minerais et métaux) pour les
industries de défense et en produits agricoles. Entre 1935 et 1939, les
usines métallurgiques et d’aviation sont sa première cible 111. Le rensei-
gnement commercial qu’il pratique est agressif. Les entreprises françaises,
spécialement en Indochine, découvrent sa concurrence. Les prix des pro-
duits, la nature des importations et des exportations françaises, la sur-
face des terres cultivées en riz, maïs, caoutchouc et les mines des pays de
l’Union indochinoise constituent des informations économiques. Le
bureau de Hong Kong de la Bussan suit l’Indochine. La firme est pré-
sente au Tonkin, en liaison avec la société de charbonnage Hongay et les
sociétés minières japonaises. Sa flotte commerciale assure l’importation
des produits indochinois depuis le port d’Haiphong dans les années
1930. En 1937, le colonel Kato, attaché militaire à Paris, charge la
Bussan de représenter le gouvernement japonais pour négocier l’achat de
110 avions bombardiers. Mais les conditions posées (livraison sous huit
mois) interdisent la conclusion du marché, finalement passé avec l’Italie.
En janvier 1938, la SCR est en mesure de prouver que la société appointe
deux agents français aux usines Gnome et Rhône d’une part, au minis-
tère de l’Air d’autre part 112. Des informations de source sûre ont en effet
permis de connaître les dépenses du bureau de l’attaché naval japonais à
520
Paris, identifiant des versements à la société Bussan 113. Dès lors, l’écoute
et la surveillance du bureau naval japonais à Paris ne vont plus cesser et
dévoiler progressivement le réseau d’agents français et étrangers se livrant
à de l’espionnage industriel ainsi que les chargements de matériel par la
Bussan à Marseille 114. L’enquête progresse rapidement en février 1938,
grâce à une dénonciation permettant d’identifier les agents de nationalité
française 115. Le témoignage éclaire la situation :
« Les relations de cette société avec le bureau militaire de l’ambassade du
Japon sont certaines. Paul V., ingénieur au service des fabrications aéronautiques
et actuellement directeur de l’arsenal de l’air, qui passe pour être appointé par
la société Bussan, a eu de fréquents rapports avec le colonel Kato. V. aurait été
en relation avec Yvette D., inculpée d’espionnage dans l’affaire actuellement ins-
truite par le tribunal militaire de Paris. B., ingénieur de Gnome et Rhône, a
négocié en 1929 l’achat par la maison Bussan de moteurs K19 et serait à la solde
de cette firme. Il a été signalé, en août 1938, de source excellente que la société
Bussan avait sur les échéances d’août 1938 de l’attaché naval japonais une
créance de 34 290 livres sterling en contrepartie d’une livraison d’un motor
compressor 116. »
Ce faisceau de présomptions ne fait pas naturellement des preuves à
charge. Et l’absence de procès ultérieur rend difficile la caractérisation des
actes commis. À la fin de l’année 1939, la culpabilité de V. n’est pas
prouvée. Il a interrompu ses relations avec les milieux d’affaires et mili-
taires japonais qu’il entretenait depuis l’accueil fait à Paris à la mission
militaire du général Hito en 1935. Ses relations suspectes n’ont pas été
démontrées. Dans le même temps, les agents japonais de la Mitsui-
Bussan sont peu à peu identifiés en France, dans les colonies françaises,
au Proche-Orient et en Indochine. Leur activité est partiellement enrayée
quand la guerre éclate 117.
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Un enjeu technologique
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132. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, tome 2, 10 novembre
1937, p. 7 ; 15 décembre 1937, p. 11 au sujet d’un échange avec le contrôleur Beau.
133. Robert Boucard, Les Dessous de l’espionnage anglais, Paris, Henry Étienne
éditeur, 1926, p. 48-49 et p. 198-205 sur les menées de l’IS en Syrie pour évincer la
France.
529
pétrolières bien réelles 134. Si une histoire des sources d’énergie et des
sociétés pétrolières n’est pas à l’ordre du jour, l’intérêt croissant des ser-
vices secrets pour le renseignement économique sur les compagnies
pétrolières remonte au début du siècle 135. Les États se sont précocément
intéressés à organiser et contrôler la production, puis le ravitaillement en
produits énergétiques, charbon et pétrole. En Europe, l’Amirauté britan-
nique a racheté, par la volonté de Churchill, les participations de William
Knox d’Arcy dans l’Anglo Persian Oil Cy le 20 mai 1914. De son côté, le
Comité général du pétrole, créé en juillet 1917 et confié par Clemen-
ceau, en novembre 1917, au sénateur Henry Bérenger, confirme le carac-
tère stratégique du pétrole 136. En mars 1918, ce dernier met sur pied un
consortium des importateurs français pour négocier avec les sociétés
étrangères l’approvisionnement en pétrole. En France, cette activité se
conçoit, après 1918, d’un double point de vue. Il s’agit d’abord de la
volonté de compléter la documentation ouverte réunie par le secrétariat
général du Conseil supérieur de la Défense nationale sur un produit stra-
tégique dont il convient d’assurer la production, l’importation, donc le
transport et le stockage en France. Plus simplement, la simple sécurité
des stocks et des dépôts d’hydrocarbures ou d’essence est prise en
compte, à l’exemple du dépôt de la Standard Oil Petroleum de Port-
Jérôme à Lillebonne dont certains personnels d’origine allemande sont
suspects d’espionnage 137. Les enquêtes sur des entreprises françaises ou
étrangères travaillant sur le marché français sont l’écho d’une préoccupa-
tion grandissante de préparer et de garantir l’approvisionnement énergé-
tique en cas de guerre. Il s’agit donc d’obtenir des informations assez
habituelles sur la direction, sur les administrateurs et sur l’actionnariat
des sociétés en identifiant les capitaux étrangers. Cette recherche d’infor-
mation économique n’est naturellement pas inédite dans le domaine
énergétique.
530
En février 1938, une enquête est menée sur la société CIPAN et sur
son administrateur délégué Charles Strohl par le poste des services
français à Alger 138. Né à Strasbourg de nationalité allemande en 1890,
ce spécialiste du pétrole dont l’activité s’étend, en Afrique du Nord, de
Dakar à Gabès, a embrassé la nationalité française en 1918. « Considéré
comme pouvant avoir une activité antinationale, Strohl n’a néanmoins
pas encore été signalé par la Sûreté locale en raison de ses relations dans
la colonie 139 ». La suspicion s’élargit lorsque l’enquête révèle que le
groupe CIPAN-CIMAR est lié à la Vacuum Oil Cy, filiale de la Stan-
dard Oil. Mais les conclusions de l’investigation font apparaître que les
renseignements de la SCR ont pour origine une agence commerciale non
mentionnée 140. Les informations collectées par l’enquêteur sont sans sur-
prise : création de la société anonyme en 1904, prorogée en 1934, capital
de 150 millions de francs, conseil d’administration de dix membres dont
deux Anglo-Saxons. Ayant absorbé des sociétés françaises de transport de
produits pétroliers, la société possède des wagons, des chalands, des
camions-citernes et trois navires-citernes. Elle a signé des accords avec la
Socony Vacuum Oil Cy, qui entrevoit « des appuis germano-améri-
cains ». Elle a une raffinerie à Frontignan (145 000 tonnes raffinées en
1936). Notamment en raison de l’application des décrets de 1936 sur les
salaires et la constitution de stocks de réserve, la société a connu des
pertes en France, au Maroc et en Algérie en 1936 où elle cherche à déve-
lopper ses activités. L’enquête est assez caractéristique d’un renseigne-
ment économique élémentaire, mêlé de considérations sur la Défense
nationale. Elle conclut à la nécessité de garantir et de sécuriser l’approvi-
sionnement de la France en temps de guerre et d’éviter de voir passer la
société sous influence de capitaux étrangers.
Il y a un second point de vue dans les analyses de renseignement éco-
nomique. Celui-ci relève de la volonté de conserver la rente énergétique
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161. SHD/DAT 7NN 2 336, note secrète nº 23290 SCR (bonne source) du
23 février 1937 sur le réarmement anglais et les conséquences pour l’Allemagne.
162. SHD/DAT 7NN 2 714, renseignements sur la société minière Penarroya et
son conseil d’administration, 1936 ; Gérard Chastagnaret, op. cit., p. 869-873.
537
539
La décision de ne rien faire a été plus fréquente que celle d’agir sur
la base des renseignements obtenus. La décision d’agir sans utiliser ou
sans tenir compte des avertissements des renseignements l’emporte aussi
sur l’attitude inverse : les Mémoires des acteurs de l’entre-deux-guerres
sont formels sur ce point. Le renseignement n’entre que progressive-
ment dans la culture des grands corps de l’État, armée y compris, en
dépit d’une accoutumance progressive à son recours dans l’entre-deux-
guerres. L’acculturation est lente dans la société politique et dans l’État.
La démarche du renseignement, eu égard à la formation des grands corps
et une notion juridique d’espionnage souvent méconnue dans les pra-
tiques politiques, économiques, diplomatiques, expliquent son omission
dans les décisions politico-stratégiques. Encore convient-il de définir ce
que signifie alors le cycle du renseignement dans l’État. La chronologie
de sa prise en compte croissante doit être recherchée de 1918 à 1939. Le
domaine de la Défense nationale, de la sécurité nationale au sens large,
est retenu comme un champ d’expérimentation privilégié du recours au
renseignement. L’étude de cas proposée est celle de la période
1936-1939. L’exposition du renseignement aux enjeux idéologiques de
pouvoir est un défi pour des services d’espionnage. À l’instar de ceux
policiers, les services spéciaux militaires sont couramment dénoncés ou
instrumentalisés par le pouvoir devant l’opinion publique en particulier.
De l’affaire Dreyfus à celle de la Cagoule à la fin des années 1930, d’un
anticommunisme outrancier à un fascisme supposé, les critiques ont été
nombreuses et parfois contradictoires. Les relations des services spéciaux
militaires au pouvoir politique appellent quelques éclaircissements qui
dépassent les figures rhétoriques du renseignement perdu par la politique
et de l’information introuvable par les services secrets.
Le cycle du renseignement
Les conditions d’émergence d’un ensemble de règles et de pratiques
professionnelles du renseignement autorisent à parler d’un « cycle du ren-
seignement ». Il est aux origines d’une rationalisation du renseignement
au XXe siècle. De 1918 à 1939, la professionnalisation des services en
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Le cycle du renseignement
Orientation Collecte Traitement Analyse Exploitation-diffusion
Le cycle de l’information
Information renseignement brut renseignement élaboré
3. Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 1990,
p. 235-238.
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18. Paul Paillole, Notre espion chez Hitler, Paris, Laffont, 1985, p. 22-25 sur le
recrutement de Hans Thilo Schmidt ; Gustave Bertrand, Enigma ou la plus grande
énigme de la guerre 1939-1945, Paris, Plon, 1973, p. 17-55.
19. Voir notre étude, « Le renseignement face à l’Allemagne au printemps 1940
et au début de la campagne de France », communication au colloque international
La campagne de 1940, tenu les 16-18 novembre 2000, organisé par le Mémorial du
maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris et du Musée Jean
Moulin, sous la direction de Christine Levisse-Touzé, Tallandier, 2001, p. 140-143 ;
voir aussi Ernest R. May, Strange Victory Hitler’s conquest of France, New York, Hill
and Wang, 2000, 594 p. ; David Kahn, The Codebreakers, New York, Scribner,
1996, p. 321 sq.
20. Paul Paillole, op. cit., p. 98. Le Forschungsamt aurait intercepté en 1935 et
traité pas moins de 30 millions de communications allemandes et étrangères selon
Paul Paillole. 34 000 communications extérieures et 8 500 extérieures, anglaises,
françaises, italiennes auraient été retenues pour une exploitation en 1935. Christo-
pher Andrew, Secret service. The Making of the British Intelligence Community,
London, Heinemmann, 1985, p. 297-298.
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550
28. SHD/DAT 7NN 2 463, compte rendu sommaire de la réunion des chefs de
poste à Paris du 11 au 13 janvier 1939, p. 1-2.
29. Ibidem, p. 3.
551
crise de septembre 1938. Son service a certes situé, mais avec une grande
approximation, les événements en Autriche, qui furent, dès lors, suivis
très étroitement. Toute l’ambiguïté du renseignement, aux yeux des déci-
deurs de la fin de la IIIe République, tient ici : le renseignement suivrait
plus souvent les faits qu’il ne les devancerait ! Les services spéciaux
auraient ensuite prévenu le commandement de la tentative allemande de
mai 1938 sur la Tchécoslovaquie. Puis ils ont situé, avec une anticipation
de trois mois, la crise de septembre 1938, observant tous ses préparatifs.
Rivet s’adjuge un satisfecit en affirmant que l’affaire a ensuite été suivie
heure par heure :
« Au cours de la même année, le SR a pu, maintes fois, mettre en garde, en
temps voulu, le commandement contre les innombrables fausses nouvelles
répandues par une certaine presse. En résumé, grâce aux expériences précédentes,
le SR a pu au moment de la grave crise de septembre, remplir très largement sa
mission 30. »
Le personnel de service a été augmenté, malgré la difficulté de recru-
tement des officiers, pour faciliter la politique de « l’œil militaire dans les
consulats ». Le rendement et le recrutement des agents, surtout pour les
agents doubles, ont été bons en 1938 selon Rivet. La question des
liaisons est ensuite traditionnellement traitée sans nouveauté au regard de
1937. Malheureusement, cette évaluation ne s’élève qu’au sein des ser-
vices, sans l’écho qu’un contrôle externe aux services et à l’armée, sinon
au pouvoir exécutif, pourrait lui donner. Encore n’a-t-elle pas vocation,
par nature, à être rendue publique en 1939. Rivet n’aborde pas ainsi les
informations, très cloisonnées pour en protéger la source allemande,
ayant permis d’obtenir le plan d’expansion hitlérien dévoilé lors de la
réunion à la chancellerie du Reich le 5 novembre 1937 31.
Une nette autosatisfaction est décelable. L’analyse est lucide sur le
fonctionnement du service et sa production de renseignements. Mais elle
fait l’impasse sur les enjeux de l’exploitation politico-stratégique du ren-
seignement produit et diffusé notamment lors de l’affaire tchécoslovaque.
Or, il y a sans doute ici l’un des nœuds du défi à surmonter pour le ren-
seignement : comment convaincre les décideurs de sa valeur et comment
le protéger d’une déformation inévitablement exercée par ses utilisa-
teurs ? Les notes des 17 mars, 8 avril, 23 juillet et 23 septembre 1938 du
30. SHD/DAT 7NN 2 463, compte rendu sommaire de la réunion des chefs de
poste à Paris du 11 au 13 janvier 1939, p. 4-5.
31. Paul Paillole, op. cit., p. 107-110.
552
32. Élisabeth du Réau, op. cit., p. 234-237 ; Peter Jackson, op. cit., p. 247-297.
33. AN Fonds Daladier, 496 AP 8, dossier 5 sur « Avril 1938-octobre 38
Munich » et « Munich » par É. Daladier, 128 p. où il reconnaît avoir disposé d’une
information précise. Voir aussi 496 AP 11 sur les notes du 2e bureau concernant
l’annexion de la Tchécoslovaquie conservées par Daladier.
553
34. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, tome 2, 12 novembre
1937, p. 7.
35. Paul Paillole, op. cit., p. 107-110.
36. Archives nationales, Fonds É. Daladier 496 AP 36, notice sur l’activité du SR
allemand en France pendant l’année 1937 : ses objectifs et ses moyens, septembre
1937. Ibidem, notice du SR-SCR 2e bureau EMA sur les activités du SR italien en
France, 13 novembre 1937. De nombreux rapports du 2e bureau se trouvent dans
son fonds privé.
37. Bernard Lachaise, Yvon Delbos, Périgueux, Fanlac, 1993, p. 183-186. René
Rémond, Quarante ans de cabinets ministériels 1936-1976, Paris, FNSP, 1982,
275 p. Louis Rivet, Journal de bord, vol. 1, op. cit., p. 5.
554
38. Georges Stehlin, Témoignage pour l’histoire, Paris, R. Laffont, 1960, p. 32.
39. Fonds privé Louis Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, vol. 1, 12 septembre
1936, p. 13.
40. Ibidem, 28 octobre 1936.
41. Jean-Baptiste Duroselle, La décadence, op. cit., p. 269-275 sur la machine
diplomatique et les figures de la direction des affaires politiques et commerciales en
1932-1939.
555
556
45. Colette Barbier, Henri Hoppenot, diplomate (25 octobre 1891-10 août 1977),
Paris, ministère des Affaires étrangères, 1999, p. 109-119.
46. Élisabeth du Réau, op. cit., p. 204-206.
47. André François-Poncet, Souvenirs d’une ambassade à Berlin, Paris, Flamma-
rion, 1946, p. 279.
48. Archives privées Rivet, op. cit., vol 1, où il rencontre Rivet lors de ses passages
à Paris le 30 octobre, puis le 12 novembre 1936 par exemple. Paul Paillole, op. cit.,
557
p. 50. À la fin d’une brillante carrière diplomatique, Maurice Dejean fut ambassa-
deur de France en URSS au début des années 1960, rappelé en 1964. À son propos,
voir Henri Froment-Meurice, Vu du Quai. Mémoires 1945-1983, Paris, Fayard,
1998, p. 82-83 et 96-97.
49. Document diplomatique français, 2, VII, nº 196, André François-Poncet,
6 novembre 1937.
50. Paul Paillole, op. cit., p. 107-120. Général Gauché, op. cit., p. 34.
51. SHD/DAT 2N 24, procès-verbal du comité permanent de la Défense natio-
nale du 8 décembre 1937.
558
52. Sur le CSG dans les années 1930, on lira Frédéric Guelton (lieutenant-
colonel), Le « Journal » du général Weygand 1929-1935, Montpellier, CEDMDN,
1998, 371 p. Sur Weygand, Philip Bankwitz, Maxime Weygand and Civil-Military
Relations in modern France, Cambridge, Harvard University Press, 1967, 445 p.
53. Frédéric Guelton, « Les relations militaires franco-soviétiques dans les années
trente », in Mikhail Narinski et alii (dir.), La France et l’URSS dans l’Europe des
années 1930, Paris, PUPS, 2005, p. 64. Voir aussi Frédéric Guelton, Le « Journal »
du général Weygand, op. cit., p. 82.
54. Gauché (général), op. cit., p. 46-47 ; Martin Alexander, op. cit., p. 345.
55. Archives privées Rivet, op. cit., vol. 1, 5 janvier, puis 8 janvier 1937, p. 27.
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561
64. Frédéric Guelton, « Les relations militaires franco-soviétiques dans les années
1930 », op. cit.
65. Georges Loustaunau-Lacau, Mémoires d’un Français rebelle, Biarritz, J. et D.
Ed., 1994 (1948), p. 89-suiv.
66. Henri Navarre, op. cit., p. 45-46. L’ouvrage tint le rôle longtemps d’une his-
toire quasi officielle des services de renseignement.
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71. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, 8 juillet 1936, p. 4.
72. Les termes de la réunion ne sont pas connus.
73. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du capitaine Paillole au chef de la
SCR/EMA2 du 28 janvier 1937 de la conférence hebdomadaire de la Sûreté natio-
nale.
74. Claude Paillat, Dossiers secrets de la France contemporaine, tome 4, Le désastre
de 1940. La répétition générale, Paris, Robert Laffont, 1983, p. 43. Claude Paillat a
retrouvé la lettre nº 5544 SCR/EMA2 adressée le 19 janvier 1937 par Daladier à
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77. SHD/DAT 7NN 2 101, compte rendu par le capitaine Paillole de son entre-
tien du 9 juin 1939 au cabinet du ministre des PTT à la demande du directeur de
l’exploitation postale. Le récit ne manque pas d’intérêt.
78. SHD/DAT 7NN 2 101, note secrète du chef de la SR-SCR/EMA2 pour les
postes de Lille, Belfort, Metz, Marseille et Bordeaux, 14 juin 1939.
567
79. Jean-Marie Mayeur, La Vie politique sous la IIIe République 1870-1940, Paris,
Points-Seuil, 1984, p. 100-101 et 379 ; René Rémond, La République souveraine. La
vie politique en France 1879-1939, Paris, Fayard, 2002, p. 110-111. La conception
d’une présidence du Conseil sans portefeuille est apparue dans le dernier gouverne-
ment Poincaré, puis chez Gaston Doumergue et enfin avec Léon Blum.
80. Nicolas Roussellier, Du gouvernement de guerre au gouvernement de la Défaite.
Les transformations du pouvoir exécutif en France (1913-1940), mémoire de recherche
inédit, p. 198-204, IEP de Paris, juin 2006, vol. 1 du dossier d’habilitation à diriger
les recherches, Vers une histoire de la loi. L’installation des services de la présidence du
Conseil dans l’hôtel Matignon se fait au printemps 1935. Maître des requêtes au
Conseil d’État, Georges Dayras est secrétaire général du 23 mai 1935 au 6 juin
1936, organisant l’équipe des hauts fonctionnnaires.
81. Gérard Conac, « Le secrétariat général du gouvernement. Cinquante ans
d’histoire », in Institut français des sciences administratives (dir.), Le Secrétariat
général du gouvernement, Paris, 1986.
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« Il s’agit en substance :
1º/ de coordonner, dans les principales recherches intéressant la sécurité
nationale, l’activité des organes d’information, civils, militaires et policiers qui
assument ces recherches. À cet effet, il est apparu indispensable que la présidence
du Conseil et les grands services de l’État s’informent mutuellement et périodi-
quement de leurs desiderata en matière de renseignements.
2º/ de fournir à ces services l’occasion d’échanger régulièrement les résultats
de leurs recherches.
3º/ de souder ainsi plus étroitement que par le passé les activités concou-
rant à la Défense nationale. De permettre à des chefs de service qui se voient trop
rarement ou pas du tout, de s’entretenir verbalement des questions entrant dans
leurs attributions et d’atteindre, par ce moyen, un bénéfice supérieur et plus
immédiat au profit de chacun.
M. Blum et Dormoy ont souligné qu’il ne s’agissait pas de créer un “minis-
tère de la police générale” rappelant celui de Fouché, mais d’instituer un orga-
nisme d’État dans lequel le chef de gouvernement pourra trouver à chaque
instant l’essentiel de ce qu’il doit savoir des événements touchant à la sécurité du
pays 86. »
Il s’agit non de modifier les attributions, mais bien d’accélérer l’infor-
mation réciproque en adaptant cette réunion ad hoc lors des séances heb-
domadaires à l’hôtel Matignon, tous les jeudi à 11 heures. Les chefs de
service présents à la première réunion seront chaque fois présents et le
secrétariat permanent tenu par le directeur de la Sûreté nationale. Les
chefs de 2e bureau des états-majors des trois armées seront présents, la
présence du chef des services spéciaux militaires étant obligatoire. Le
procès-verbal souligne qu’il ne serait pas rédigé à l’avenir de procès-ver-
baux pour que les débats restent rigoureusement secrets. Mais Rivet
prend alors l’initiative (a-t-il des instructions ?) d’établir un compte
rendu succint « pour le commandement seul », en contradiction fla-
grante avec l’instruction orale de Léon Blum. Il le mentionne laconique-
ment dans son journal de bord, en parlant de la première réunion des
« services d’information de l’Intérieur », pour évoquer désormais la
commission interministérielle d’information 87. Il ne semble pas avoir
mesuré, ou voulu retenir, la portée exacte de la réunion prescrite par le
ministère de l’Intérieur. Défiance de corps ou de spécialiste de l’espion-
nage ? Le 11 février 1937, il y envoie son adjoint, le lieutenant-colonel
570
88. Pierre Renouvin, René Rémond (dir.), Léon Blum, chef de gouvernement
1936-1937, Paris, PFNSP, 1981, p. 41, intervention de Jules Moch dans la discus-
sion sur les qualités intellectuelles de Blum le prédisposant à une information tech-
nique parfaite.
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étrangères, le chef des services spéciaux militaires, les chefs des trois
2es bureaux des états-majors d’armées.
Le déroulement de la réunion du 25 février 1937 en est symptoma-
tique. Très rapidement, ces réunions interministérielles facilitent les
échanges de renseignement entre les différents services de renseigne-
ment. Des questions plus variées y sont traitées. La quatrième réunion du
25 février aborde successivement les grèves de 15 000 ouvriers aux usines
Peugeot de Montbéliard et celles en Allemagne, les activités des groupe-
ments professionnels et associatifs allemands en France, la propagande
terroriste à l’étranger, la disparition du général Toukhachevsky, le retour
des brigadistes internationaux d’Espagne en France, les interventions
diplomatiques allemandes pour obtenir la libération de leurs nationaux
arrêtés pour espionnage en France. Rivet annote son propre compte
rendu pour souligner les instructions qu’il a données aux services après la
réunion.
« I. M. Marx Dormoy cite le “cas extraordinaire” de la grève récemment
déclenchée aux usines Peugeot, à Montbéliard, par un certain Herzog, ouvrier
carrossier, agitateur professionnel et repris de justice, que la direction de l’usine
avait cru devoir changé de poste, dans le même atelier et sans modification de
salaire. Herzog a provoqué, à cette occasion, la grève de 15 000 ouvriers. Des
renseignements sont à rechercher sur cet agitateur.
En marge de ses notes, Rivet mentionne « Herzog n’est pas connu à SCR. »
M. Marx Dormoy a été informé du mauvais esprit qui régnerait en Alle-
magne parmi les ouvriers travaillant dans les usines en guerre. Des renseigne-
ments seraient désirables.
Annotation en marge de Rivet « SCR à demander au capitaine Stehlin qui est
très documenté »
II. M. Moitessier, directeur de la Sûreté nationale, et M. Langeron, préfet
de Police, déclarent n’avoir pas été informés du déplacement de von Wissener,
chef des légitimistes autrichiens, qui vient de faire un séjour à Paris. Cette
constatation remet en discussion le rôle attendu des Affaires étrangères, ainsi que
des commissaires spéciaux aux frontières, dans des cas analogues. Aucune déci-
sion n’est prise.
M. Moitessier signale l’activité des groupements allemands en France, à Paris
en particulier. Un échange de vue a lieu entre M. Charvériat, M. Langeron et
M. Moitessier au sujet des mesures qui pourraient être prises contre ces groupe-
ments. Ces hauts fonctionnaires conviennent qu’il est difficile d’entrer au sein
des réunions d’Allemands, qui se rassemblent à titre privé, et de savoir exacte-
ment les questions qui y sont discutées.
L’étude des procédés d’investigation sera poursuivie.
Annotation de Rivet : « la question est suivie à la PP. »
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de transit n’est pas encore dans les esprits 94. De nombreux renseigne-
ments militaires sont communiqués aux membres de la commission. Les
événements d’Espagne sont à nouveau observés lors de la réunion du
22 avril 1937. Les trafics d’armes sont abordés. L’activité politique des
Espagnols accueillis dans le sud-ouest de la France crée des problèmes
grandissants que Dormoy veut résoudre lors de la réunion du 17 sep-
tembre. Le franchissement clandestin fréquent des frontières souligne les
limites de l’action de la Sûreté nationale pour mettre en œuvre une poli-
tique répressive. À aucun instant une coopération avec les services secrets
républicains espagnols n’est abordée ni envisagée par la commission 95.
D’autre part, les menées italiennes et allemandes en France sont un
sujet constamment alimenté par les échanges de renseignement. À deux
reprises, le 18 février et le 4 mars, Charvériat et Rivet abordent la coopé-
ration des représentations diplomatiques françaises en matière de contre-
espionnage. La tradition du corps diplomatique s’oppose à l’idée d’y
installer des officiers de renseignement. La faiblesse des communautés
françaises à l’étranger, dans les pays concernés, rendrait la mesure inopé-
rante selon Charvériat 96. D’autre part, l’usage fait par des offices diplo-
matiques étrangers pour abriter des services d’espionnage en est la
seconde raison. Rivet demande si l’expulsion des faux diplomates qui s’y
dissimulent sous couverture diplomatique est envisagée par les Affaires
étrangères, à moins qu’elles n’accordent les mêmes facilités aux services
français. Charvériat recommande la première solution. Exceptionnelle-
ment, il envisagerait, au cas par cas, la possibilité d’étendre l’installation
d’officiers de renseignement dans les consulats. La question demeure
pourtant sans suite, le département des Affaires étrangères faisant valoir
que les attachés militaires adjoints tiennent déjà, de fait, ce rôle, dans cer-
taines ambassades. Leur application est toutefois imparfaite en 1937
comme en 1938 dans les faits. La préparation de l’Exposition universelle
donne lieu à plusieurs débats sur l’autorisation à donner ou pas à la venue
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101. Archives privées Rivet, op. cit., vol. 2, 27 septembre 1937, p. 62.
102. Jean-Charles Jauffret (dir.), Le devoir de défense en Europe aux XIX-XXe siècles,
Paris, Economica, 2002, 344 p.
103. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du capitaine Paillole, SCR/EMA2
du 27 janvier 1937 au sujet de la conférence au Collège des hautes études de la
Défense nationale de Rayon-Targe, chef de cabinet de M. Chautemps, ministre
d’État sur l’organisation de la Sûreté nationale et de son rôle. Il est auparavant chef
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120. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 3, 11-18 mars
1938, p. 20-21.
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13. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 2, 12 avril et
3 mai 1937, p. 41-42.
14. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu de la 4e commission interministé-
rielle d’information du 22 février 1937, p. 1.
15. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu de la 10e commission interministé-
rielle d’information du 29 avril 1937, p. 3.
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17. Nicole Racine, Louis Bodin, Le Parti communiste français dans l’entre-deux-
guerres, Paris, PFNSP, 1982, p. 241-suiv. Jean-Pierre Azéma, Antoine Prost, Jean-
Pierre Rioux (dir.), Le Parti communiste français des années sombres 1938-1941, Paris,
Seuil, 1986, 316 p.
18. Michel Dreyfus, Histoire de la CGT, Bruxelles, Complexe, 1995, p. 176-184.
19. Georges Vidal, « Le haut commandement et la crainte de “l’ennemi inté-
rieur” en juin 1940 : origines et caractéristiques de la peur du complot communiste
dans la hiérarchie », in Christine Levisse-Touzé (dir.), La Campagne de 1940, Paris,
Tallandier, 2001, p. 357-388, notamment p. 378-380.
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35. SHD/DAT 7NN 2 486, note du 10 février, op. cit., p. 1-2. On parla du
réseau Corvignolles ultérieurement, par évocation du colonel de Corvignolles sur la
tombe duquel avait été prononcé un serment de lutte anticommuniste le 8 février
1937 ; Frédéric Monier, op. cit., p. 314-315.
36. SHD/DAT 7NN 2 486, lettre de Camille Chautemps, vice-président du
Conseil, du 2 mai 1938 à Édouard Daladier, président du Conseil, ministre de la
Défense nationale au sujet de G. Eisele, candidat à une école militaire d’officier et
soupçonné d’appartenir au CSAR.
603
l’antenne des services spéciaux à Nice sont une pièce à charge 37.
L’antenne à Nice du SER est chargée spécialement de la collecte d’infor-
mations sur l’Italie, recrutant, à ce titre, des agents dans les milieux
franco-italiens de part et d’autre de la frontière, notamment dans les
familles binationales et parmi les réfugiés italiens. Le recrutement
d’agents constitue certes le maillon le plus sensible des services spéciaux.
Leur nombre comme leur qualité constituent une permanente interroga-
tion de la centrale sur leur « rendement effectif ». Le risque de leur mani-
pulation par des services secrets étrangers pèse toujours. Affecté depuis
1932 au bureau de liaison de Nice, le capitaine Beaune est connu pour
ses fréquentations d’extrême droite. Selon le scénario le plus certain, il
recrute les activistes Joseph Darnand, Gombert et Agnély comme hono-
rables correspondants du SER. La date exacte n’a pas été établie. Si le
renseignement collecté par ces trois cagoulards immatriculés « honorables
correspondants » est de médiocre qualité, ils ont pu, en revanche, se pré-
valoir de leurs liens avec les services spéciaux militaires avant et après
1939 38. Ils le firent notamment lors de leur procès en 1945 et lors du
procès de la Cagoule en 1948. Philippe Bourdrel propose une version de
l’assassinat des frères Rosselli « par ordre du 2e bureau », sans avancer
d’archives emportant la conviction.
Les échanges de renseignement entre les services spéciaux français et
ceux italiens constituent un élément antérieur et extérieur à l’affaire. Le
colonel Emmanuele, chef du contre-espionnage italien et le commandant
Navale, chef du poste de Turin, se sont bien rendus à Paris au printemps
1937 pour rencontrer Rivet. À la date du 3 mai 1937, ses carnets attes-
tent la tenue de cette réunion technique. Si des instructions formelles ou
orales de Gamelin n’ont pas logiquement laissé de traces, Rivet l’évoqua
lors du grand rapport de l’état-major de l’armée du 27 avril 1937. L’objet
de cette réunion fut bien d’apprécier les formes d’une coopération tech-
nique et d’échanges de renseignements entre les deux services, non de
nouer des projets de coopération clandestine incluant la Cagoule. Mais
37. SHD/DAT 1 K 545, carton 15, note sur les rapports de la SER de Marseille
avec les milieux d’extrême droite du colonel Gallizia à Paul Paillole, 13 mars 1974.
38. Philippe Bourdrel, op. cit., p. 228, évoque le rôle des cagoulards réfugiés en
Italie et se vantant de faire du renseignement pour le 2e bureau SR-SCR avant-
guerre. Jean Delperrié de Bayac, Histoire de la Milice, Paris, Fayard, 1969, p. 25-26
au sujet de la mission donnée à Darnand et Gombert en Italie à la fin d’août 1939.
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39. SHD/DAT 1 K 545, fonds privé Paillole, carton 15. Dans le carton 16, une
note rédigée par le colonel Paillole postérieurement à la guerre, revient sur les liens
de la Cagoule et du contre-espionnage italien. Paul Paillole, Services spéciaux
(1935-1945), op. cit., p. 84-86. Il s’agit de l’oncle de l’ancien président de la
Ve République, Valéry Giscard d’Estaing.
40. SHD/DAT 1 K 545, carton 15, lettre du colonel Gallizia à Paul Paillole,
13 mars 1974. Le contact boîte aux lettres était Esmiol, honorable correspondant de
la SER et Malacarne, propriétaire des bains de Rull-Plage, proche de Darnand
jusqu’en 1942.
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607
carnet B est en bonne place 44. Les départements qui l’ont appliqué briè-
vement au début de 1914, à l’instar du Nord et du Pas-de-Calais, ont
laissé des archives administratives retrouvées dans celles du contre-espion-
nage militaire après 1919. Dans ces deux départements, le carnet B
continue d’être actualisé de 1922 à 1939 par les préfets 45. En février
1933, le ministre de l’Intérieur décide d’étendre aux « indésirables de
toute nationalité » les mesures d’inscription au carnet B spécial 46.
Défendue par la Sûreté générale, la mesure doit permettre l’arrestation de
suspects en cas de tension politique ou à la veille d’un conflit avec une
puissance voisine. Ce carnet B spécial doit rester rigoureusement secret.
L’arrivée du nazisme au pouvoir en Allemagne n’est évidemment pas
étrangère à la mesure. Christian von Hahn, employé par compagnie ciné-
matographique allemande UFA, arrive en France en 1925. Domicilié à
Paris, il fait l’objet d’une inscription au carnet B dans le département du
Loiret. Suspecté d’agir au profit de l’Abwehr, sa surveillance ainsi
garantie par la gendarmerie du Loiret ne permet pas de prouver ses agis-
sements d’espionnage 47. Les brigades de gendarmerie poursuivent le
fichage des individus suspects à l’échelon du canton, facilitant une vision
fine des menées d’espionnage sur le territoire national. Les services spé-
ciaux militaires ont continué de voir dans les inscrits au carnet B des sus-
pects possibles d’espionnage. Depuis la fin des années 1920, la
surveillance de militants et d’élus communistes voisine avec celle de bri-
gadistes internationaux partant ou revenant d’Espagne en 1937-1938. En
réalité, le carnet B est la source d’un fichier supplémentaire des individus
soupçonnés de contacts avec Moscou pour le contre-espionnage militaire
et la Sûreté générale.
En effet, la surveillance des menées d’espionnage a conduit la SCR à
constituer, dès 1915, un fichier des suspects qu’elle a enrichi par des
44. Jean-Jacques Becker, Serge Berstein, op. cit., p. 229. Jean-Pierre Deschodt,
« Le carnet B après 1918 », in RIHM-CFHM, nº 82, 2002, site web stratisc.org.
45. SHD/DAT 7NN 2 046, dossier sur les inscrits au carnet B dans le départe-
ment du Nord de 1932 à 1939 et 7NN 2 750, inscrits au carnet B par le préfet dans
le département du Nord de 1922 à 1939.
46. SHD/DAT 7NN 2 046, note du président du Conseil, ministre de la
Guerre, du 23 février 1933 au sujet de l’extension du carnet B spécial aux indési-
rables de toutes les nationalités.
47. SHD/DAT 7NN 2 733, dossier de Christian von Hahn, né en 1898, sus-
pecté de travailler pour l’Abwehr.
608
échanges jusqu’en 1939. Elle l’a d’abord complété par les échanges de
noms portés sur les listes interalliées de suspects de 1915 à 1919. Dans
son actualisation en 1924, Paris et Londres communiquent encore des
informations sur des suspects. Cet élément de coopération entre les ser-
vices spéciaux français et anglais est maintenu, mais irrégulièrement, dans
l’entre-deux-guerres. Dès les années 1920, plusieurs fichiers coexistent en
France sans se recouper totalement. La préfecture de Police de Paris a son
fichier, dont se sépare sans doute celui du 5e bureau des renseignements
généraux chargés du contre-espionnage dans le département de la Seine.
Il ne se confond pas avec celui de la Sûreté générale qui intègre, vraisem-
blablement en partie, le fichier propre de la surveillance du territoire
réorganisée à maintes reprises jusqu’en 1937. Enfin, la section de centra-
lisation de renseignement a alimenté son propre fichier par des échanges
avec les services de la police. Mais ces recoupements ne font pas une
coordination absolument totale 48. Le carnet B s’ajoute aux fichiers par
ailleurs beaucoup plus importants. Précisément, les fiches individuelles
issues du carnet B communiquées au contre-espionnage militaire et à la
Sûreté générale ne sont qu’un complément. Celles conservées sont issues
en majorité de départements frontaliers. Ces départements ont une tradi-
tion administrative de surveillance étroite de la population locale. Les
fiches retenues intéressent principalement les départements de la Seine et
du Nord de 1932 à 1939.
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militaire de certaines catégories de réservistes dans la région de Paris. Voir aussi Pré-
fecture de police de Paris, BA 2273, application du carnet B dans le département de
la Seine 1932-1939. Cité par Jean-Pierre Deschodt.
52. SHD/DAT 7NN 2 782, op. cit., p. 7.
53. SHD/DAT 7NN 2 701, fichier de surveillance des activités de propagande
communiste et antimilitariste. Les fiches recensent les dossiers se référant à ces agis-
sements dans un classement chronologique et par provenance des informations,
1927-1938. Voir aussi Sophie Cœuré, La Grande lueur à l’Est, op. cit., p. 133-142.
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54. Sophie Cœuré, La Grande lueur à l’Est : les Français et l’Union soviétique
1917-1939, Paris, Seuil, 1999, p. 155-183.
55. SHD/DAT 7NN 2 046, note du préfet du Nord du 28 novembre 1931.
614
Entre 1918 et 1939, les services secrets français sont devenus une
administration ordinaire de la République. À n’en pas douter, leur his-
toire relève d’abord d’une économie politique de l’information dans
l’État. Les relations de l’État à l’espionnage et de l’appareil d’État au ren-
seignement montrent une place singulière, désormais omniprésente, du
renseignement dans le jeu des institutions françaises. À cette étape de son
histoire, le renseignement moderne trouve peu à peu une définition qui
n’est pas si éloignée de la définition actuelle. L’institutionnalisation des
services spéciaux militaires et policiers est essentiellement l’œuvre de la
IIIe République. Certes, l’espionnage contemporain plonge ses racines
dans un long XIXe siècle, qui hérite des apports des codes militaires et juri-
diques du Premier Empire. Pourtant, l’espionnage est tardivement régle-
menté en France, entre 1886 et 1939, par à-coups. Les crises nationales
et internationales l’ont façonné juridiquement, quand la Première Guerre
mondiale a plutôt accéléré sa bureaucratisation et sa professionnalisation,
déjà engagées depuis la guerre franco-prussienne de 1870-1871.
En France, l’histoire politique et culturelle de l’espionnage est restée
tardivement amarrée au souvenir de l’affaire Dreyfus. La Première Guerre
mondiale a pu en atténuer les souvenirs, mais elle n’a pas changé, dans
l’esprit des Français et de leurs dirigeants, la représentation centrale de
l’espionnage : le commerce avec l’ennemi, la trahison nationale. Avant et
après l’affaire Dreyfus, les procès pour espionnage ont des retentisse-
ments nationaux car ils débordent toujours d’un simple épisode judi-
ciaire pour interroger, au cœur de la nation, son identité et ses valeurs.
La Révolution française avait su jouer de la fonction symbolique des
procès d’espionnage, qui départageaient les citoyens vertueux et les
ennemis du peuple. La République assuma parfaitement cet héritage
idéologique. Après 1918, les nombreux procès pour commerce avec
616
l’ennemi ont instruit une mémoire, sans doute régionale, voire locale, de
la trahison en temps de guerre. Elle n’en fut pas moins forte, dans les
départements envahis du nord et de l’est de la France, pour écrire les
pages noires des premières collaborations avec l’ennemi et des formes iné-
dites de résistance à une occupation militaire étrangère. Ainsi, après
1918, l’espion est encore le traître, voué aux gémonies de la Répu-
blique, symboliquement ostracisé dans une culture patriotique marquée
par la guerre de 1914-1918 : le crime d’espionnage fut puni de mort à
la fin des années 1930. Pourtant, cette évolution ne répond pas alors
exactement à un appel de l’opinion publique ; elle exprime plutôt
l’inquiétude montante des responsables de la sécurité nationale, inté-
rieure et extérieure, en France. Partagée par les responsables civils et mili-
taires, cette notion, remontant à la Révolution française, consacre en fait
une mutation qui affecte les services secrets, policiers et militaires, et les
appareils d’État : l’information ouverte et fermée est une clé de la sécu-
rité nationale. Or, les mutations techniques des communications, l’entrée
dans l’ère statistique liée aux débuts de la mécanographie et des machines
à calcul, transforment l’administration de l’information. Pour beaucoup
de Français, l’espionnage demeurait un délit, voire un crime, une tra-
hison nationale, mais rarement une manifestation de la nouvelle guerre
de l’information dans laquelle la Première Guerre mondiale avait fait
entrer les États européens. Désormais, la capacité à mobiliser des infor-
mations de source policière, militaire et diplomatique relève autant des
moyens secrets des États que d’une volonté gouvernementale de les
exploiter avec lucidité quand l’existence du pays est en jeu. Il y a donc
une nécessité à détenir une information vitale à la survie de son pays.
Cela signifie-t-il que l’autorité politique s’est efforcée d’unifier les
marchés du secret et d’établir un monopole d’État sur l’information
publique ? L’État rationnel, planificateur et stratège n’est pas une utopie
politique ; mais il n’est pas non plus une réalité historique, tant les riva-
lités humaines, bureaucratiques, institutionnelles, idéologiques enfin ont
pu jouer le rôle d’un frein en France entre 1918 et 1939. Canaliser,
contrôler et utiliser l’information publique intéressant la sécurité ne tra-
duit pas nécessairement une volonté de monopole. À ce titre, la
IIIe République écrit bien la préhistoire des fichiers modernes de surveil-
lance des individus. Les fichiers de la Sûreté générale et de la préfecture
de Police de Paris ont été complétés par ceux de la Légion étrangère pour
les engagés et du carnet B. Cette obsession publique des fichiers est
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Strasbourg 1920 Mulhouse, Zurich, Cible : Allemagne
Ludwigshafen
Belgrade 1919 Ljubljana en 1934 Cible SR : Italie, Hongrie.
Berlin 1919-1926 Berlin Disparition en 1926, poste à
Dantzig
Berne Bâle, Lausanne, Zurich Devient antenne repliée à
(supprimées en 1925) Besançon en 1925
Bruxelles Anvers, Ostende, Charleroi Cible : Belgique
Bucarest 1920 Cernowitz Cible : Balkans
Copenhague Rattaché à La Haye en 1927
La Haye 1919 Amsterdam 1924-1926 Anvers, Rotterdam en 1937, Cible : Hollande, Belgique,
Bruxelles Allemagne du Nord
Londres, Dublin
Mayence 1919-1930 Bonn, Coblenz, Wiesbaden, Suppression de Bonn.
Trêves Aix-La-Chapelle créé 1926
poste.
Berne 1925 Rome, Vienne, Berlin Suppression de Vienne en
Rome 1925 avril 1938
Prague 1920 Vienne Vienne Cible : Hongrie, Autriche,
Allemagne
Athènes
Sofia
Varsovie 1919-1926 Liaison 1926
Riga Revel, Kovono Suppression de Revel
Création Moscou
Helsingfors
Constantinople But : renforcer mer Noire
Angora
Stockholm Cible : pays scandinaves,
URSS
Beyrouth 1931 Port Saïd, Suez, Le Caire,
Alexandrie
627
Alger 1925 Tunis (1919), Oran (1919), Cible : Afrique du Nord,
Annexes
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journalistes taux, des journalistes
Su 200 Lucerne Commerçant Milieux lucernois Milieux allemands de Lucerne. Allées venues
d’étrangers, surveillance de l’Hôtel du Lac
P1 Lausanne Rentier Relations mondaines Recrutements d’agents, étude de la mentalité suisse,
La République secrète
préparation de la propagande
Pd Lausanne Professeur Représentant suisse de l’office Surveillance des centres aéronautiques en Suisse
de l’Ain (Dübendorf). Mouvements avions
Retro Annemasse Architecte Recrutement d’agents. Surveillance du Tessin, des
milieux militaires italiens
Agents éventuels
B. Lausanne et Berne Ingénieur de la maison Zeller Surveillance des usines dans les secteurs de Lausanne
et de Berne
S. Aarau Professeur Surveillance région germanophile d’Aarau
D. Bienne Commerçant Surveillance région de Bienne
O. Genève Représentant Allées et venues de sujets ennemis et de leurs agents en
Suisse
629
Rabat 8/6 4/3 30/ ? 5 officiers (4 de réserve) affectés à la mobilisation
Annexes
Tanger 3/ ? 7/ ? 13/ ?
1. Claire Sibille, op. cit., Ninon Seguin, Historique des fonds rapatriés de Moscou.
Moscou 1 et 2 (séries « N supplément : NN et NNN), Vincennes, Service historique de
la Défense, 2004, 27 p.
2. Simon Kitson, Vichy et la chasse aux espions nazis 1940-1942. Complexité de la
politique de collaboration, Paris, Autrement, 2005, 268 p. Olivier Forcade, « Services
spéciaux militaires 1940-1944 », « Travaux Ruraux : le contre-espionnage clandestin
1940-1944 », in François Marcot, Christine Levisse-Touzé, François Leroux (dir.),
Dictionnaire de la Résistance, Paris, Bouquins-Laffont, 2006, p. 211-213 et
p. 216-217.
631
Exploitées par les nazis en Allemagne, elles furent ensuite récupérées par
les Soviétiques. Cette double capture d’archives a bouleversé le classe-
ment interne du fonds français. Après 1942, les « consultations » alle-
mandes et soviétiques ont affecté l’archivage des dossiers dans le fonds.
Le classement français a très probablement été perdu. Aussi, les dos-
siers ne sont pas classés par sections (SR, SCR, technique…), ni par
sous-sections géographiques (section allemande, russe, italienne…). En
outre, les réorganisations successives du fonds ne se sont pas traduites
par des ruptures internes 3. Le fonds a connu les déclassements alle-
mands en 1942-1944. Saisies en Allemagne, les archives françaises
furent reclassées et nouvellement cotées par les Soviétiques après 1945.
À la fin des années 1990, le traitement du fonds nouvellement coté
« 7NN » n’a donné lieu ni à un classement ni à l’établissement d’un
inventaire détaillé. Un inventaire dactylographié liste les dossiers dans
les 1 200 premiers cartons référencés lors du versement de 1994. En
outre, l’identification des documents contenus dans les dossiers est très
sommaire. L’accès au fonds en est rendu difficile. S’il n’est pas possible
de présenter leur contenu à cette heure, la seconde partie du fond res-
titué en 2000 promet déjà d’être très riche sur la Première Guerre mon-
diale, sur la Conférence de la Paix, sur les missions et les occupations
militaires françaises des années 1920. Cet essai est donc la première
exploration méthodique des dossiers généraux, complétée par de larges
sondages, certes encore insuffisants, dans les dossiers personnels, des
archives des services spéciaux militaires depuis la Première Guerre mon-
diale jusqu’à 1939. L’investigation est interrompue au seuil des archives
de la Sûreté générale (nationale après 1934), déposées à l’annexe du
Caran à Fontainebleau. Des historiens nous ont précédé, mais qui n’ont
pu accéder à ces archives de Moscou que pour de simples sondages, à
l’instar de Peter Jackson 4. Quant aux dossiers diplomatiques secrets
conservés dans une chambre forte, ils furent brûlés dans la chaudière du
632
5. Sophie Cœuré, La mémoire spoliée : les archives des Français, butin de guerre
nazi puis soviétique de 1940 à nos jours, Payot, 2007, p. 19.
633
634
fonds des attachés militaires qui ont été fréquemment utilisés par son-
dages. Celles du 2e bureau de l’état-major de l’armée donnent à voir son
organisation interne et son activité par les bulletins de renseignements
rédigés en vue de leur exploitation stratégique. Les archives des orga-
nismes militaires jouant un rôle dans la conception et dans la mise en
œuvre de la Défense nationale sont sollicitées : secrétariat général du
Conseil supérieur de la Défense nationale, Conseil supérieur de la
guerre. Des fonds privés, parmi lesquels les fonds Andlauer, Mast,
Colson, Rivet, Paillole, Schweisguth ont été sondés.
I. SOURCES MANUSCRITES
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640
Surveillance de la Hollande
7NN 2335, Dossier 3 Renseignement hollandais, surveillance des sus-
pects de 1915 à février 1940. Dossier 4 Hollande, questions politiques
et économiques 1922-1934
7NN 2511, Dossier sur les firmes hollandaises camouflant des organi-
sations de renseignements allemandes, la firme Félix Rhodius
1920-1940.
7NN 2 321, Surveillance des communistes en Hollande, 1934-1939,
637 p.
7NN 2 351 Dossier 1 sur le renseignement allemand aux Pays-Bas,
1920-1939 dont International Press Union. Dossier 2 Renseignement
allemand aux Pays-Bas et au Luxembourg, 1919-1940
La Suisse et la SDN
7 NN 2 366, surveillance de la Société des Nations 1920-1937
7NN 2 510 Dossier 1 Services de renseignement britanniques en Suisse,
1918-1924. Dossier 2 sur des suspects en Suisse, 1918-1934. Dossier 3
Félix Platten en Suisse, 1917-1926
641
642
Surveillance de l’Italie
7NN 2273 Surveillance de l’Italie par la SER à Marseille, 1920-1939.
Suivi des postes.
7NN 2274-2275 Organisation des services de renseignement, activités,
surveillance des postes 1921-1939
7NN 2284 Espionnage italien et allemand dans les colonies françaises
1925-1939. SR italien en Espagne 1923-1939. Agissements en France
1922-1928
7NN 2467 Surveillance des activités des services italiens 1931-1939
7NN 2714 Contre-espionnage français et italiens, 1931. Liaisons. Dos-
sier écoute des Italiens 1938
643
Surveillance de l’URSS
7NN 2007 Lutte contre le communisme en Suède, au Danemark et en
Norvège 1928-1940
7NN 2110 Renseignements sur les services de renseignement sovié-
tiques 1925-1930
7NN 2228 Renseignements sur les activités soviétiques (agence
commerciale, ambassade) 1923-1930
7NN 2 230 Dossier relatif à l’affaire d’espionnage Cremet-Clarac,
agents du SR soviétique, membres de la Troisième Internationale
7NN 2449 Agissements russes 1921-1923. Affaire Donner de Viern.
Tchéka 1921. Divers
7NN 2456 Surveillance des Russes en France 1920-1939
7NN 2456 Projets de voyage de Zinoviev, responsable de la Troisième
Internationale, en France, Italie, Allemagne, Tchécoslovaquie,
1920-1922
7NN 2457 Surveillance d’agents du Komintern, : Rolland Grinberg,
Charles Friemann, Victor Farkas, 1921-1924
7NN 2459 Surveillance des organisations bolchévistes, octobre
1921-février 1923
7NN 2564 Relations militaires et politiques germano-russes, agents
russes, 1920-1936
7NN2648 Komintern. PCF. Affaire Suzanne Giraud, 1924-1925
7NN 2626 Tchéka à Berlin. Dossier Wassilief, agent du Komintern,
1924
7NN 2944 Relations hispano-soviétiques 1921-1933
644
Le renseignement impérial
7NN 2 281 Espionnage aux colonies françaises à la fin des années 1930
7NN 2530 Agissements étrangers sur le Maroc 1937-1938
7NN 2 481 Ligue contre le colonialisme et les cruautés coloniales
1927-1936
7NN 2608 Agissements étrangers contre les territoires sous mandat
français (TMSF) : pétrole, Djezireh, divers, 1934-1940 Agissements
turcs contre les territoires sous mandat, 1934-1939.
645
646
Espionnage économique
7NN 2137 Dossier Siemens-AEG 1919-1937
7NN 2398 Dossier Siemens-France. Technique des télécommunica-
tions 1935-1942
7NN 2714 Dossier Siemens 1935-1939. Enquête sur industrie chi-
mique en France. Société Penarroya
7NN 2404 Agence Wys Müller 1916-1942
7NN 2175 Agences de renseignement France-Expansion, Schimmelp-
feng et Bradstreet, 1915-1939. Différentes sociétés
7NN 2864 Agence de renseignement Réforme de Crédit, 1940-1941
647
Écoutes et interceptions
7NN 2626 Sections du Chiffre 1921-1922
7NN 2732 Lignes téléphoniques de l’hôtel Majestic 1937-1938
7NN 2101 Service d’informations spéciales 1938-1939
648
Dossiers personnels
La recherche des dossiers d’agents et de suspects se conduit par une
recherche rétrospective en 1940-1942 puisque la plupart des dossiers
individuels contiennent des pièces débordant des années 1920 et sur-
tout, des années 1930. Le fichier manuel des suspects est constitué de
fiches cartonnées, non inventoriées, portant des indications sommaires
d’état-civil, d’événements divers (filature, surveillance, arrestation…)
renvoyant à un dossier numérique. L’exploitation informatique n’est
pas possible car elle doit être précédée d’une saisie fastidieuse de ces
dizaines de millier de fiches. Nous ne retenons que les dossiers exploités
largement.
7NN 2912 Liste d’agents allemands en liaison avec les services français
1923-1940
7NN 2455 Agents divers. 1921-1925
7NN 2425 Dossiers personnels de suspects et dossiers d’agents :
Koerber Albert, journaliste ; Raphaël B., alias Dumont, 1938-1939 ;
dossier 43 189, Schreider alias Schiller, 1937-1941
7NN 2565 dossiers individuels d’agents russes et allemands1922-1938
7NN 2733 Dossier Von Hahn. Suspects carnet B Loiret 1934-1937
7NN 2912 Renseignements sur des agents, listes d’agents
7NN 2425 Dossier Otto Katz 1934-1939
7N 2732 Dossier Ernst Klee, agent français travaillant pour le SR
polonais 1935-1939
7NN 2731 Dossier Philby 1933-1939
7NN 2457 Dossier Farkas, agent du Komintern 1922-1934
7NN 2328 Dossier Vogel, agent du Komintern
7NN 2425 Dossier individuel A.-L. Lafosse, directeur de l’hôtel Astoria
1936-1939
7NN 2175 Dossier individuel sur Paul Petzol, 1916-1923
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Fonds privés
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2. ARCHIVES NATIONALES
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653
Sénat
Cartons 158-161Commission de l’armée du Sénat, procès-verbaux et
auditions, 1914-1918.
Commission de l’armée, procès-verbaux et auditions, 1919-1939
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655
656
Le roman et l’histoire
Bardanne Jean, L’Intelligence Service en Belgique, Paris, éditions Baudi-
nières, 1934, 247 p.
Benoît Pierre, La Châtelaine du Liban, Paris, Le Livre de poche, 1995.
Boucard Robert, The Secret services of Europe, London, Stanley Paul,
1940, 260 p.
Boucard Robert, La guerre des renseignements. Des documents. Des faits,
Paris, Éditions de France, 1939, 229 p.
Boucard Robert, Les dessous de l’espionnage anglais, Paris, Henry Étienne
éd., 1926, 281 p.
Lucieto Ch., La guerre des cerveaux. Livrés à l’ennemi, Paris, Berger-
Levrault, 1928, 297 p.
Nord Pierre, Double crime sur la ligne Maginot, Paris, Fayard, 1951,
244 p.
III. BIBLIOGRAPHIE
Méthode et archives
Cœuré Sophie, Monier Frédéric, Naud Frédéric, « Le retour des
archives françaises de Moscou. Le cas du fonds de la Sûreté », in
Vingtième Siècle. Revue d’histoire, nº 45, janvier-mars 1995,
p. 133-139.
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659
Études théoriques
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661
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664
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666
667
La police et la gendarmerie
Berlière Jean-Marc, Le Monde des polices en France, Bruxelles,
Complexe, 1996, 275 p.
Berlière Jean-Marc, Peschanski Denis (dir.), Pouvoirs et polices au
XXe siècle, Bruxelles, Complexe, 1997, 323 p.
Berlière Jean-Marc, Peschanski Denis (dir.), La Police française
(1930-1950) entre bouleversements et permanences, Paris, La Docu-
mentation française, 2000, 324 p.
Brunet Jean-Paul, La Police de l’ombre. Indicateurs et provocateurs dans la
France contemporaine, Paris, Seuil, 1990, 347 p.
Kalifa Dominique, Naissance de la police privée. Détectives et agences de
recherches en France 1842-1942, Paris, Plon, 2000, 328 p.
L’État et sa police en France (1789-1914), Genève, Librairie Droz, 1979,
213 p.
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Travaux de recherche
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676
677
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262, 277, 548, 620, BOULÉ, capitaine, 127 CAMPIONNET, Émile, 22,
630, 640, 654 BOURDIN, Janine, 456, 620
BERTRAND, Louis, 120 523 CANARIS, amiral, 320,
BESSON, général, 544 BOURGEOIS, Maurice, 321
BÉTEILLE, 603 124 CANNING Gordon, 390
BÉTHOUART, colonel, BOURLET, Michael, 41, CARCHERY, général, 544
265 42, 44, 123, 173, 662, CARLIER, Claude, 140,
BÉZY Jean, 447, 545, 675 251, 490, 670
664 BOURRET, 554 CARRÉ, Claude, 21, 436,
BICER, Abdil, 36, 38, 42, BOUVARD, Almire 666
49, 139, 356, 391, colonel, 102, 103, CARRIAS, Eugène, 56,
665, 670, 675 104, 640 125, 638
BIGEWALD, Andrée, 177 BRAUN, 172 CASTAGNA, comman-
BIGHAM, colonel, 46 BRIAND, Aristide, 58, dant, 339
BILLOTTE, général, 416, 284, 287, 295, 438, CASTAING, 60, 61, 91,
417, 418, 544, 638 459, 471, 523, 670 565
BIRIOUKOV, 423 BROCHU, 168 CATOIRE, capitaine, 341
BLANCHARD, général, BROUÉ, Pierre, 292, 363, CAUBERE, 114, 125, 435
544 370, 670 CAVILLON, 122, 478,
BLOCH-LAINÉ, François, BRUNEAU, Pierre, 429 630
78 BRUSSET, 423 CAWELL, Miss, 202
BLUM, Léon, 268, 519, BUAT, Edmond général, CAZENAVE, colonel, 148
568, 569, 570, 571, 32, 33, 287, 413, 582, CHABRIER, 179
574, 575, 579, 580, 583, 620, 654 CHALET, Marcel, 60
581, 588, 591, 594, BUCHER, Dr., 39, 172, CHAMBERLAIN, Neville,
599, 668 173, 663 205, 220, 513, 652
BOB, 131, 325, 326 BÜHRER, Jules général, CHAMPCOURT, Henri de,
BODY, général, 266 417, 421, 424, 450, 177
BÖHM, 504 638, 654 CHARLES, 170, 225, 233,
BONNEFOND, 117, 630 BURIN DES ROZIERS, 70, 680
BONNEFOUS, 121, 161, 236 CHARRAS, Igor, 581
510, 630 BUSCH, von Henri, 523, CHARVÉRIAT, Émile,
BONNET, Georges, 438, 525 306, 307, 308, 311,
458, 459, 460, 555, BUSSIÈRE, Éric, 490, 498, 383, 456, 458, 555,
652, 656, 672 500, 507, 523, 530, 556, 565, 569, 572,
BONNEVAY, 421 533, 670 573, 576, 620
BORODIUK, 353 CHATELET DU, 121
BORSARD, 179 C CHAUTEMPS, 268, 571,
BOTACCI, 225 CABOS, 242, 533 574, 580, 588, 594,
BOUCARD, Robert, 202, CACHIN, Marcel, 292, 597, 603
529, 534, 657 357, 358, 380 CHENOUARD, 358
BOULANGER, général, 13, CAMBON, Jules, 64, 533, CHESNOT, 479, 480, 481
19, 25, 27, 80, 345, 656 CHIAPPE, 123, 127
587, 593, 600, 667 CAMPENON, général, 80 CHILJIAN, 518
682
683
684
FROGÉ, 93, 175, 314 GÉRODIAS, général, 315, GUDIN DE PAVILLON, 73,
FUSTIER, commandant, 328, 550, 553, 560, 252
223, 224, 233 561, 583, 599, 602, GUELTON, Frédéric, 36,
605 38, 41, 42, 49, 139,
G GESSMAN, 312, 314, 315 275, 382, 444, 543,
GAILLARD, Georges, 525 GHEBALI, Pierre Yves, 559, 562, 655, 658,
GALBERT, Oronce de, 33, 245 663, 665, 680
34, 677 GILLES, 125 GUILLAUMAT, général,
GALLIENI, Joseph GIRAULT, Jacques, 366 142, 144, 147, 205,
général, 30 GIRAULT, Suzanne, 358, 282
GAMELIN, Maurice, 78, 364, 365, 366 GUNSBURG, Paul, 523,
202, 208, 209, 210, GIVIERGE, colonel, 35, 525
214, 215, 217, 227, 179, 180, 181, 182, GUTEMBERG, 312
232, 267, 268, 275, 183, 185, 650
276, 304, 312, 315, GLAOUI, 390 H
326, 330, 331, 341, GLEYZES, 179 HABER, Fritz, 305
345, 346, 347, 413, GLICHITCH, 267 HALDENWANG, lieute-
415, 421, 543, 544, GOERING, 214, 320, 548 nant, 249
550, 553, 559, 560, HALIFAX, Lord, 214, 216
GOMBART, Dr., 313,
HAMANT, colonel, 117,
562, 579, 582, 583, 314, 318
162, 435, 630
588, 599, 602, 604, GOMBERTZ, Guillaume,
HAUSER, Henri, 43, 44,
638, 652, 666 465
664
GARDER, Michel, 272, GOOTES, général, 254
HAWKER, 218
655 GORCE DE LA PAUL-
HEINRICHS, 493
GARNIER, Louis, 120, MARIE, 44, 432, 663
HEPP, Pierre, 172
123, 630 GORDIEVSKI, Oleg, 292, HÉRING, général, 544
GAUCHÉ, général, 184, 354, 371 HERRIOT, Édouard, 142,
239, 259, 275, 342, GOTOVITCH, José, 371, 373, 375, 510
345, 547, 549, 550, 671 HERTEL, W., 329
554, 558, 559, 560, GOUNOD, Pierre, 473, HIBIKI, 518, 519
563, 569, 579, 580, 474 HIMMLER, 321
588, 655 GOUYOU, commandant, HINCHLEY-COOK,
GAULIER, Marc, 456 169, 255, 257, 259, colonel, 213, 219, 220
GAULLE DE CHARLES, 53, 260 HITLER, 108, 109, 167,
54, 132, 418, 444, GRAILLE, 421 216, 219, 243, 272,
656 GRAUX, Paul, 471 275, 293, 313, 315,
GEMP, major, 296, 463 GRENIER, 159, 335 317, 324, 333, 463,
GEORGE, 209, 415, 544, GRESSET, 421 548, 554, 557, 558,
637, 638 GROS, 311, 447 651, 655, 670
GÉRAR-DUBOT, Paul, GROSJEAN, 78, 121, 161, HOFFMANN, 179
133, 134, 135, 202, 312, 313, 317, 318, HOFMAN, M., 610
621, 650 343, 630 HOLB-WILSON, Erich,
GERBET, Pierre, 245 GRUNBERG, Willy, 472 218
685
686
LAMER, 124, 435 LEMOINE ALIAS REX, 123, MALVY, 30, 607
LAMEZAN VON, 296 323, 474 MANDEL, Georges, 418,
LAMOTHE, général de, LE ROND, 285, 286 420, 421, 422, 423,
404 LERROUX, 395 424, 653
LANGER, colonel, 275, LESAGE, 168 MANGIN, général, 283,
277 LESTANVILLE DE, capi- 290, 293, 433, 639
LANGERON, 569, 572, taine, 147, 236 MANNESMAN, 235
573 LEVISSE-TOUZÉ, Chris- MANOUILSKY, Dimitri,
LA PANOUSE DE, général, tine, 134, 146, 184, 357
203, 621, 650 186, 231, 310, 385, MANZONI, 298
LAPOMARÈDE, colonel, 413, 548, 598, 631, MARCEAU-PIVERT, 593,
398 672, 674, 680 594
LAROCHE, Jules, 272, LEWAL, Jules, 19, 21, 35 MARCHAND, René, 367
656 LIEBERMANN, 377 MARCILLY DE, 149
LAURENT, Edmond, 77, LIESER, 296 MARGUET, Antoine, 677
86, 87, 88, 104, 105, LIMASSET, général, 344, MAROGNA-REDWITZ,
106, 107, 108, 109, 580 comte, 253
110, 116, 118, 120, LITVINOV, 397 MARRAUD, Pierre, 58
134, 152, 155, 161, LLOYD, George, 205, MARTEL, Henri, 415,
165, 166, 167, 182, 642 610
208, 233, 307, 325, LOHENGRIN, 191 MARTIN, 64, 117, 630
479, 480, 555, 582, LOIZEAU, général, 111, MASSIET, général, 544
621, 630, 639 208, 238, 273, 342, MASSIGLI, René, 71, 135,
LAURENT, Sébastien, 10, 345, 561, 621 288, 341, 344, 345,
13, 17, 18, 19, 20, 22, LOMBARD, colonel, 62, 555, 556, 561, 621,
23, 24, 25, 26, 27, 31, 63, 118, 178, 647 673
35, 47, 48, 55, 65, 66, LOMBARD, commandant, MAST, général, 399, 400,
79, 80, 81, 84, 120, 175, 176, 177, 310 401, 635, 650
336, 440, 541, 583, LONGRIGG, major, 535 MATA, Hari, 584, 663
593, 658, 659, 661, LOTH, Gisèle, 39, 172, MATIGNON, 268, 461,
669, 676, 680 663 568, 569, 570, 575,
LAVAL, Pierre, 112, 333, LOTHAR, Philippe, 508 577, 578, 581, 646
341, 412, 519, 597 LOUSTAUNAU-LACAU, MATTHES, 478
LAZITCH, 268 112, 562, 594, 601, MAUGRAS, Roger, 71
LEBET, 176 602, 615, 655 MAYEUR, Jean-Marie,
LÉGER, Alexis, 216, 275, LOUZON, 511 521, 568, 667
279, 341, 456, 459, LULLÉ-DESJARDINS, 156 MÉJAN, 122, 630
460, 550, 555, 556, MENDRAS, colonel, 115,
620 M 161, 375, 622, 640,
LÉGER DE CHAUVIGNY, MAGLINSE, général, 227, 650
179 229, 230 MENZIES, Stuart colonel,
LEHIDEUX, 124, 478 MALLET, 77 206, 207, 208, 212,
LELONG, général, 211, MALRAISON, colonel, 213, 214, 219, 220,
217 189, 571 221, 222, 223, 224,
687
235, 236, 278, 332, MOUTET, Marius, 416, OLLIER, Alexandre, 35,
343, 514 653 179, 663
MERLIN, 192 MOUTON, Marie-René, ONNO, commandant,
MERSON, Jean général, 245, 672 412
64, 65, 70, 108, 109, MOYRAND, général, 88, ORSCHOOT, van colonel,
113, 114, 117, 118, 412 239
125, 159, 163, 229, MÜNZENBERG, Willy, OSWALD, commissaire,
622, 630, 640 370, 371, 372 60, 61, 190, 312, 313
METZGER, Chantal, 420, MURAILLE, 377 OTO, 518
674 MUSIEDLAK, Didier, 334,
MIÈGE, Jean-Louis, 672 672 P
MILLERAND, Alexandre, MUSSOLINI, Benito, 208, PAGEOT, colonel, 294,
30, 32, 44, 45, 81, 333, 334, 339, 341, 487, 488
102, 161, 172, 431, 350, 392, 672 PAILLAT, Claude, 136,
435, 509, 582, 622, 565, 672
667 N PAILLOLE, Paul, 61, 114,
MILLET-TAUNAY, Jean- NAVALE, commandant, 121, 133, 135, 136,
Hilaire, 210, 549, 677 347, 604, 605 156, 161, 167, 189,
190, 202, 272, 275,
MINVIELLE, Olivier, 341, NAVARRE, Henri général,
277, 312, 313, 314,
677 134, 135, 156, 159,
318, 323, 324, 403,
MITROKHINE, Vassili, 161, 202, 221, 272,
525, 548, 552, 554,
361, 379 338, 561, 562, 581,
557, 558, 565, 566,
MITTELHAUSER, général, 655
567, 580, 604, 605,
544 NEUBURG, 464
609, 622, 630, 635,
MIZRAHI, Jean-David, NICHOLSON, Harold, 647, 650, 655
51, 122, 136, 137, 317, 656, 672 PAINLEVÉ, Paul, 131,
385, 387, 409, 535, NOËL, Léon, 77, 260, 132, 151, 187, 205,
665 272, 274, 556, 656 206, 333, 338, 339,
MOCH, Jules, 569, 571, NOIRIEL, capitaine, 202, 373, 375, 376, 377,
656, 667 203 378, 392, 439, 440,
MOITESSIER, 311, 569, NOLLET, Charles général, 512, 513, 546, 582,
572, 575, 577, 599, 142, 143, 180, 288, 634, 651
601 474, 475, 499, 503, PAINVAIN, Georges, 37
MONIER, Frédéric, 10, 655 PAISANT, André, 81
13, 345, 375, 383, NOVOTNIK, Matthieu, PANINE, comtesse, 253
577, 593, 600, 603, 523 PAPEN VON, 295
657, 658, 667 NYO, colonel, 418, 630 PARENTY, 362
MONTAIGU, Bertram, PARISOT, général, 341,
388 O 343, 344, 346, 347,
MONTIGNY, 448 OKOLOWICZ, colonel, 349, 444
MORAVEC, F. colonel, 270 PAROUTIAN, Virginie,
254, 255, 256, 257, OLLÉ-LAPRUNE, Pierre, 64, 69, 665, 677
258, 260, 261 120, 161, 630 PASTEUR, capitaine, 408
688
PAUL, V., 521 PONS, Jean, 435 RHODIUS, A., 234, 235,
PAUL-BONCOUR, Joseph, PORCH, Douglas, 185, 641
87, 88, 306, 438, 439, 187, 402, 660, 662, RICHARD, Marthe, 468,
546, 656 665, 674 584, 585
PAULIER, 179 POUCHARINE, 366 RICHTER, 178, 479, 480,
PECH, Yannick, 576, 669 POUPARD, capitaine, 252 481
PEDRONCINI, Guy, 19, PRÉTELAT, général, 544 RIOU, 245
139, 385, 437, 674 PREUDHENTAL, von M., RITTER VON, Eberlein
PELLET, général, 251, 252 Baron, 283
672 PRIMO DE RIBÉRA, 392 RIVET, Louis général, 60,
PELUSO, Edmund, 244 PSALMON, 630 94, 104, 105, 108,
PENDARIÈS, capitaine, PUAUX, Gabriel, 51 110, 113, 121, 123,
243 PUCHOT, Louise, 469 126, 130, 134, 155,
PERRIER, 58, 379 PUIG, Jean-Arnaud, 251, 158, 159, 167, 170,
PERRUCHE, comman- 253, 255, 256, 257, 175, 188, 189, 190,
dant, 134, 135, 161, 261, 262, 678 192, 193, 202, 212,
168, 202, 630 PUJO, commandant, 213, 215, 221, 222,
PÉTAIN, Philippe, 281, 251, 252 224, 232, 233, 239,
282, 413, 437, 438, 258, 267, 270, 276,
562, 594, 599, 601, R
308, 309, 311, 319,
602 RADEK, Carl, 296, 354,
324, 327, 328, 332,
PETZOLD, Paul, 469 357, 366
344, 345, 346, 347,
PEUGEOT, François, 572, RAFFESTIN, colonel, 630
372, 383, 416, 447,
596 RAMADIER, Paul, 86
448, 449, 452, 453,
PEYRE, 336, 360 RAMELLA, 341
455, 522, 523, 529,
PHILPOTT, William, 209, RAMETTE, député, 90
217 RANDON, maréchal, 66 550, 551, 552, 553,
PIECHE, colonel, 342, RAPHAËL B. ALIAS H. 554, 555, 556, 557,
343 DUMONT ALIAS LI, 558, 559, 560, 561,
PIGEARD, capitaine de 223, 226, 649 562, 563, 565, 566,
vaisseau, 66 RAU, Carl, 296 569, 570, 572, 573,
PILSUDSKI, 270, 272, RÉAU, Élisabeth du, 209, 574, 575, 576, 577,
656 211, 422, 456, 549, 578, 579, 580, 581,
PIQUET, 148 553, 557, 602, 668, 582, 583, 588, 594,
PLATTEN, Fritz, 245, 641 671, 672 596, 598, 599, 600,
POCHHAMMER, 189 REID, 534 601, 604, 605, 622,
POINCARÉ, Raymond, RÉMOND, René, 456, 630, 635, 640, 650
34, 67, 131, 250, 287, 523, 554, 568, 569, RIVIÈRE, 473
290, 333, 356, 373, 571, 594, 668 ROATTA, général, 341,
374, 476, 495, 564, RENOUVIN, Pierre, 42, 342, 345, 349
568, 634, 639, 672, 569, 571, 594, 668 ROBERT, 450
673 RÉQUIER, André, 380 ROBIEN DE, comman-
POINSOT, Annie, 486, RÉQUIN, général, 112, dant, 118, 121, 161,
634, 651 113, 544 312, 317, 630
689
690
Annexes
Tableau des postes de renseignement français en
1919-1939 ............................................................................ 626
Les missions à donner aux agents de Besançon en 1926 ........... 628
Les effectifs des postes de renseignement sur le territoire
national et dans les colonies en 1928 et en 1935 .................. 629
Les effectifs de la SR-SCR à Paris entre 1925 et 1939 .............. 630
Sigles ............................................................................................ 7
Introduction ................................................................................. 9
PREMIÈRE PARTIE
LES SERVICES SECRETS MILITAIRES,
LES POUVOIRS PUBLICS ET LA RÉPUBLIQUE 1871-1939
695
696
DEUXIÈME PARTIE
LA FRANCE, LA GUERRE SECRÈTE
ET L’INVENTION DE LA « SÉCURITÉ NATIONALE »
697
698
TROISIÈME PARTIE
LES RESSORTS DE L’ESPIONNAGE
DANS L’ÉCONOMIE ET LA POLITIQUE
699
700
701
ANNEXES
Annexe 1. Tableau des postes de renseignement français
en 1919-1939 ......................................................................... 626
Annexe 2. Les missions à donner aux agents de Besançon en
1926 ....................................................................................... 628
Annexe 3. Les effectifs des postes de renseignement sur le
territoire national et dans les colonies en 1928 et en 1935 . 629
Annexe 4. Les effectifs de la SR-SCR à Paris entre 1925 et
1939 ....................................................................................... 630