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LA RÉPUBLIQUE

SECRÈTE
Histoire des services spéciaux français
de 1918 à 1939

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Collection « Le Grand Jeu »

David Bankier (dir.), Les services secrets et la Shoah, 2007

Suivi éditorial : Sabine Sportouch


Corrections : Catherine Garnier
Maquette : Facompo

Contact presse : Carine Fadat

© Nouveau Monde éditions, 2008


24, rue des Grands-Augustins – 75006 Paris
ISBN : 978-2-84736-229-9
N º d’impression : •••••
Dépôt légal : mars 2008
Imprimé en France par Laballery

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Olivier Forcade

LA RÉPUBLIQUE
SECRÈTE
Histoire des services spéciaux
français de 1918 à 1939

nouveau monde éditions

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À Leila, à Iris et à Charles

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Sigles

ABWEHR : Amt Ausland-Abwehr (service de renseignement de l’armée)


AEK : Affaires étrangères K
AN : Archives nationales
BCR : bureau central de renseignement
BENE : bureau d’études du Nord-Est (Lille)
BNF : Bibliothèque nationale de France
BREM : Bureau de renseignements et d’études militaires
CA : corps d’armée
CE : contre-espionnage
CEMA : chef d’état-major de l’armée
CEMGDN : chef d’état-major général de la Défense nationale
CGST : contrôle général de la surveillance du territoire
CGTU : Confédération générale du travail unitaire
CIG : centre d’information gouvernemental
CLF : centre de liaison français
CMIC : commission militaire interalliée de contrôle
CSAR : Comité secret d’action révolutionnaire
CST : commissaire de surveillance du territoire
EMA : état-major de l’armée
EMGA : état-major général de l’Air
EMGM : état-major général de la Marine
ESG : École supérieure de guerre
GESTAPO : Geheime Staatspolizei (police secrète d’État)
HCITR : haute commission interalliée des territoires rhénans
GQG : grand quartier général
IS : Intelligence Service
KPD : parti communiste allemand
MAE : ministère des Affaires étrangères
MI5 : Military Intelligence 5
MI6 : Military Intelligence 6

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La République secrète

MMF : mission militaire française


OGPU : direction centrale de la police politique
PCF : parti communiste français
PSF : parti social français
RG : Renseignements généraux
SCM : section des communications militaires (Belfort)
SCR : section de centralisation des renseignements (ou de renseigne-
ment)
SD : Sicherheitsdienst (service de sécurité de la SS)
SDN : Société des nations
SEA : section d’études africaines
SEL : section d’études du Levant
SER : section d’études de renseignement (Marseille)
SFIO : section française de l’Internationale ouvrière
SHD/DAT : Service historique de la Défense, direction de l’armée de terre
SIS : service des informations spéciales
SR : section de renseignement ou, par extension, service de renseigne-
ment
STCA : service territorial de corps d’armée
SS : section de statistique
ST : surveillance du territoire
TOE : théâtre d’opérations extérieures

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Introduction

Avant d’être une affaire d’État, le renseignement est en premier lieu


une affaire de l’État. La distinction résume implicitement l’ambition
d’une histoire politique du secret dans la société et l’État, à l’épreuve des
relations internationales. Aussi cette étude a-t-elle pour objet une his-
toire générale des services spéciaux militaires, de l’autorité politique et des
pouvoirs publics en France dans la mise en œuvre de la sécurité natio-
nale de 1918 à 1939. Si la chronologie s’étire d’une guerre à l’autre, de
l’armistice du 11 novembre 1918 à la déclaration de la guerre en sep-
tembre 1939, les regards en amont de la guerre de 1914-1918 et sur l’his-
toire républicaine antérieure ont paru nécessaires. L’héritage de la
Première Guerre mondiale est important pour appréhender ces muta-
tions après 1918. Le choix d’interrompre l’analyse en septembre 1939
donne son unité chronologique à l’étude. En effet, le temps de guerre
projette, à la mobilisation, une organisation des services spéciaux mili-
taires sensiblement différente de celle du temps de paix. En outre, cette
chronologie n’est pas le fruit d’un caprice ou d’une inclination, mais de
l’exploitation d’une partie notable des 1 300 cartons d’archives qui
constituent le premier bloc d’archives internes des services spéciaux mili-
taires entre 1914 et 1942 disponible pour les historiens.
Le pari de cette étude est autant archivistique que méthodologique.
L’exploration structurelle des services secrets fut rendue possible aux his-
toriens en France, à partir du milieu des années 1990, par l’ouverture
exceptionnelle des archives internes des services spéciaux militaires de
1914 à 1942. Sans égales avant 1914 en dépit de la richesse des fonds
nationaux et départementaux des archives françaises, ces sources n’auront
sans doute pas d’équivalent pour l’après-1945, en dépit des attentes
comblées par les fonds privés conservés par les archives publiques en
France. La réapparition des archives des services spéciaux militaires et de

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La République secrète

la Sûreté générale autorise-t-elle à écrire une histoire raisonnée des ser-


vices secrets, des pouvoirs publics et de l’État 1 ? Elle est naturellement
une condition objective d’un tel essai d’écriture. Elle en est la condition
et elle en est le piège tout à la fois, qui ne peut être contourné que par
le recours à des archives autres que celles des services secrets. L’enquête
historique doit prémunir d’une schizophrénie sécuritaire, car la surveil-
lance des menées étrangères et la répression de la trahison par les ser-
vices secrets militaires et policiers renvoient à l’obsession d’établir la
sécurité à tout prix. Ces archives génèrent un habituel effet d’écran avec
la réalité. Le croisement avec d’autres fonds d’archives s’est donc révélé
nécessaire. La collaboration fructueuse des archivistes et des historiens a
rendu possible l’exploitation de ces archives 2. Les archives revenues de
Moscou entre 1993 et 2000 ont fait l’objet d’un premier traitement et
d’un inventaire partiel, quoique en quatre volumes 3. Dans le même
temps, l’histoire de la police, notamment de la Sûreté générale, a déjà
commencé de bénéficier de l’apport des archives nationales spoliées par
l’Allemagne et la Russie, également restituées à la France dans les
années 1990 4. Ces archives, que certains n’hésiteraient pas à qualifier de
« sensationnelles », permettent un regard raisonné et critique sur une
administration de l’État qui ouvrait traditionnellement à l’histoire mieux
connue du secret du roi, de la diplomatie royale ou de la police secrète,
qu’à l’histoire contemporaine de l’État et de la société. Progressivement,

1. Sophie Cœuré, Frédéric Monier, Frédéric Naud, « Le retour des archives fran-
çaises de Moscou. Le cas du fonds de la Sûreté », in Vingtième Siècle. Revue d’histoire,
nº 45, janvier-mars 1995, p. 133-139. Sophie Cœuré, Frédéric Monier, « De
l’ombre à la lumière. Les archives françaises de retour de Moscou (1940-2002) », in
Sébastien Laurent (dir.), Archives « secrètes », secrets d’archives ? Historiens et archivistes
face aux archives sensibles, Paris, CNRS éditions, 2003, p. 133-148.
2. Georges-Henri Soutou, Jacques Frémeaux, Olivier Forcade (dir.), L’Exploita-
tion du renseignement en Europe et aux États-Unis des années 1930 aux années 1960,
Paris, Economica, 2001, p. 332. Claire Sibille, « Les archives du 2e bureau SR-SCR
récupérées de Moscou », in G.-H. Soutou, J. Frémeaux, O. Forcade, op. cit.,
p. 27-47. La Seconde Guerre mondiale. Guide des archives conservées en France sur la
Seconde Guerre mondiale (1939-1945), Paris, Archives nationales, 1994, 1217 p.
3. Claire Sibille avec F. Cuinier, C. Ponnou, A. Guéna, Inventaire des archives de
la guerre. Supplément de la série N (1872-1940), 4 vol., Vincennes, SHD/DAT,
1997.
4. Sophie Cœuré, La Mémoire spoliée : les archives des Français, butin de guerre
nazi puis soviétique de 1940 à nos jours, Payot, 2007, p. 17-22.

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Introduction

une génération de chercheurs attentifs à l’histoire de l’État et des pou-


voirs publics, de ses corps administratifs et de ses agents s’est penchée sur
l’histoire du secret. La principale approche consiste en une analyse des
pratiques et des logiques du secret dans le fonctionnement de l’État. Le
renseignement, c’est-à-dire l’information élaborée à partir de données
ouvertes ou secrètes et recherchées par des moyens clandestins quoique
publics, trouve un terrain propice appliqué au domaine de la Défense
nationale, sinon de la sécurité nationale. À vrai dire, l’étude du renseigne-
ment ne vaut qu’à l’instant où elle fait entrer dans l’histoire nationale et
internationale, en suscitant une relecture de l’histoire générale politique,
économique, culturelle.
En effet, le postulat initial est que, loin d’être une anomalie ou un
dysfonctionnement, le secret est présent dans le fonctionnement même
du pouvoir démocratique, tant du côté de l’exécutif qui est essentielle-
ment la matière de ce livre, que de celui du législatif qui l’assume dans
ses délibérations. Les historiens du politique ont rarement parlé d’un État
secret, d’un État au secret, pour chercher à comprendre le fonctionne-
ment du pouvoir démocratique. Longtemps, le constat historiogra-
phique a été que le secret s’arrête, pour ne pas dire doit s’arrêter, au seuil
de la transparence démocratique. Naturellement, l’étude du secret ouvre
à une compréhension des relations du pouvoir au mystère, de la souve-
raineté au sacré. En réalité, le secret est une pratique incontournable dans
tout système politique, progressivement assumée et bientôt naturelle dans
l’exercice du pouvoir démocratique. Le secret renvoie souvent aux limites
du pouvoir et de son exercice, qui connaît des interdits et des frontières
invisibles. Il y a, dans la politique, dans l’économie, dans les relations
internationales, des actions occultes et des pratiques du secret. Sur ce
front historiographique, il ne s’agit pas de disqualifier cet interdit. Élargir
notre réflexion aux domaines, aux logiques et aux pratiques du secret est
inévitable pour saisir ses fonctions dans la décision publique, puis dans
la délibération démocratique. Cette exploration des sources de la démo-
cratie est moins paradoxale qu’il n’y paraît a priori. Or la démocratie ne
vit jamais sans secret. Le secret est pris en charge par la délibération
démocratique, par les pouvoirs publics et par le droit dans la Répu-
blique. La démocratie ne s’interrompt-elle pas au seuil des officines et du
complot, dont l’étude offre, certes, une explication du secret. Mais le
complot demeure une subversion du secret ; il est un détournement de
fonctions inévitables, logiques du secret dans les pratiques du pouvoir, un

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La République secrète

dévoiement, une confiscation illégitime de la décision publique 5. En


définitive, cette histoire est donc celle des frontières de l’action publique,
des silences de la parole officielle, de l’implicite et du non-dit. Cette
démarche est parfois impuissante, en l’absence de traces laissées par une
instruction secrète quand celle-ci est orale, et affiche des faiblesses, par sa
limitation thématique et chronologique. Enfin, cette exploration est tri-
plement conditionnée par l’existence même d’archives consultables, par
la faisabilité technique du travail de chercheur dans la fabrique de l’his-
toire et par la neutralité déontologique de l’historien dans une écriture du
secret.
Par définition et par nécessité, il n’y a pas de territoire fermé à l’histo-
rien. Il s’agit de construire un objet nouveau, et qui a été, jusqu’à
aujourd’hui, envisagé essentiellement sous ses manifestations militaires et
culturelles. Le pari est de placer l’histoire du renseignement dans le
champ des relations internationales, de l’histoire politique, économique,
afin de reconstruire une histoire de la décision publique, une histoire
politique des pouvoirs publics, une histoire administrative de l’État. Par
des questionnements inédits, l’histoire de l’espionnage, au sens de
« l’information fermée et ouverte », longtemps interdite aux regards, est
visible et observable. Principalement appliqué aux années postérieures à
la Première Guerre mondiale, le renseignement a été façonné par la
guerre et par l’épreuve des crises internationales nombreuses des
années 1920 et 1930. Durant ces années, la République a étonnamment
administré la contradiction d’une démocratie d’opinion en temps de
guerre et de crises avec une pratique ordinaire du secret dans la mise en
œuvre de sa sécurité. Et il semble que le contexte d’une guerre mon-
diale comme les menaces idéologiques du communisme et du nazisme
n’aient été qu’une justification externe, sinon postérieure, au renforce-
ment du secret. Avant même 1914, cette logique du secret ne procède-
t-elle d’ailleurs pas d’une conception de la « sûreté intérieure et
extérieure » directement héritée de la Révolution française, puis de l’idéo-
logie républicaine, à l’adresse de l’étranger et du citoyen français ? Cette
doctrine façonne les principes de la sécurité nationale dans les
années 1920-1930. Dans tout système politique, le renseignement, qui
est l’information du décideur, du pouvoir, déborde des seules activités de

5. Alain Dewerpe, Espion. Une anthropologie politique du secret d’État contempo-


rain, Paris, Gallimard, 1994, p. 90-95.

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Introduction

l’espionnage à l’étranger et du contre-espionnage ; il est englobé dans un


système d’information plus large qui inclut souvent la censure, la propa-
gande, la désinformation des opinions publiques. Sur le plan idéologique,
la République a donc su très tôt dépasser la contradiction entre l’instau-
ration d’un régime de libertés publiques et ses limitations théoriquement
exceptionnelles 6.
Le secret n’est évidemment ni le premier ni le seul ressort de l’his-
toire des pouvoirs publics et de l’exercice du pouvoir 7. Les politiques
intérieure et extérieure de la France relèvent de logiques autrement déter-
minantes que le secret, la censure ou des motivations inavouables de
l’intérêt national. À l’inverse, son bannissement du spectre des causalités
historiques n’est pas réaliste. Il ne s’agit pas plus d’ajouter un chapitre
supplémentaire à quelque histoire secrète de la France qui réveille les
mythologies politiques. L’histoire du complot, sous ses manifestations
réelles et fantasmées, a ses historiens précurseurs 8. L’espionnage et le
contre-espionnage plongent leurs racines dans une histoire du secret dans
l’État et de l’État, commencée sous l’Ancien Régime et sous la Révolu-
tion française. Le XIXe siècle a néanmoins joué un rôle déterminant dans
ses origines modernes 9. En définitive, l’approche se veut une contribu-
tion à la connaissance d’une administration singulière de l’État. L’auto-
rité politique et les pouvoirs publics entretiennent des relations
complexes au secret. L’autorité politique feint souvent d’ignorer le carac-
tère institutionnel des services spéciaux militaires, balaye leur rôle réel

6. Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés ?, Paris, PFNSP, 1976,


461 p.
7. Peter Jackson, « Historical Reflections on the Uses and Limits of Intelli-
gence », in P. Jackson, J. Siegel (eds.), Intelligence and Statecraft : the use and limita-
tions of intelligence in international society, Wesport, Praeger, 2005, p. 11-51.
8. Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Paris, Points-Seuil, 1990
(1986), p. 25-62 ; Alain Dewerpe, op. cit. ; Frédéric Monier, Le Complot dans la
République. Stratégies du secret de Boulanger à la Cagoule, Paris, La Découverte, 1998,
339 p. ; Olivier Dard, La Synarchie. Le mythe du complot permanent, Paris, Perrin,
1998.
9. Sébastien Laurent, « Pour une autre histoire de l’État. Le secret, l’information
politique et le renseignement », in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, juillet-sep-
tembre 2004, nº 83, p. 173-184 et son dossier d’habilitation à diriger les recherches,
« Au cœur de l’État : le renseignement, le politique et la formation de l’État secret
dans la France contemporaine XIXe-XXe siècles », Sciences Po Paris, sous la direction
de Jean-François Sirinelli, 2007.

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La République secrète

dans l’élaboration de la décision politique, dénonce leurs responsabilités


silencieuses dans les échecs de la politique. Notre démarche est une ten-
tative pour mieux apprécier le poids de « l’information élaborée » dans le
fonctionnement théorique et pratique de l’État, principalement en
matière de sécurité nationale 10.

10. Voir notre étude, « Michel Debré et les fins politiques du renseignement
1959-1962 », actes du colloque Michel Debré, chef de gouvernement organisé par le
CHEVS-FNSP, Palais du Luxembourg, 14-16 mars 2002, sous la direction de Serge
Berstein, Pierre Milza, Jean-François Sirinelli, Paris, PUF, 2005, p. 489-513.

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PREMIÈRE PARTIE

Les services secrets militaires,


les pouvoirs publics
et la République 1871-1939

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Chapitre 1
Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

Si le renseignement est une affaire de l’État, il entre logiquement dans


la mission des administrations publiques, servies par des fonctionnaires
de l’État 1. En effet, la IIIe République et la Première Guerre mondiale
ont étendu l’activité du renseignement, débordant de l’espionnage stricto
sensu, à toute une économie politique de l’information dans l’État. En ce
sens, la multiplication des échanges et des circuits d’information est
notable. Il y a bien une part secrète de l’action et de l’histoire de l’État.
L’organisation des moyens humains du renseignement mérite un premier
regard. Une distinction est établie entre les spécialistes de la recherche
secrète de l’information, par des moyens au besoin clandestins et illégaux,
et ceux de l’information ouverte, légale. La frontière entre la recherche
secrète et illégale par les services spéciaux militaires et la collecte d’infor-
mation par l’appareil policier et diplomatique est nette. L’espionnage
d’État a historiquement trois corps administratifs, soumis à un pro-
cessus de bureaucratisation en France 2. La diplomatie, au moins depuis
les XVIe et XVIIe siècles, sinon à remonter aux diplomaties royales et
communales du Moyen Âge, la police au XVIIIe siècle à partir de la
Régence dans la lieutenance de Paris, puis sous le Premier Empire, enfin
l’armée au XIXe siècle forment les trois corps de fonctionnaires des admi-
nistrations du secret qui ont émergé dans l’État depuis l’Ancien Régime.

1. Marc-Olivier Baruch, Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire


politique de l’administration française 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, 587 p.
2. Alain Dewerpe, op. cit., p. 133 ; Sébastien Laurent, « Le service secret de
l’État : la part des militaires (1870-1945) », in Marc-Olivier Baruch, Vincent
Duclert, Serviteurs de l’État, op. cit., p. 288-291.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Au sein de l’armée, un renseignement d’armes plus ancien, renvoyant


explicitement à l’acquisition de l’information tactique et opérationnelle,
parfois stratégique, répond par avance à une fonction proprement mili-
taire. Celle-ci n’est qu’exceptionnellement politique et diplomatique.
Depuis le XIXe siècle, ces trois corps du renseignement assument une
fonction de renseignement que la croissance de l’État moderne rend pro-
gressivement incontournable 3. Il y a donc un processus de construction
de l’État, puis de bureaucratisation et enfin de professionnalisation de la
fonction de renseignement dans l’État. En effet, l’activité d’espionnage
est le fait de l’État avant d’être celui de personnes privées en France, au
XIXe siècle puis de 1918 à 1939.

La rénovation du renseignement par la IIIe République

Les réformes institutionnelles depuis 1871


À partir de septembre 1870, les ingénieurs polytechniciens Joseph
Cuvinot et Charles de Freycinet, ministre de la Guerre du gouverne-
ment de Défense nationale, mettent sur pied un organe de renseigne-
ment de « Défense nationale » inédit, appelé à centraliser l’information
des autorités civiles et militaires. Pourtant, une première structure
bureaucratique a déjà été créée au ministère de la Guerre sous la monar-
chie de Juillet pour collecter exclusivement des informations ouvertes,
marquant l’avènement d’un organe de renseignement militaire jamais
remis en cause par la suite. Hors du dépôt de la Guerre, c’est-à-dire au
dépôt des fortifications et au ministère de la Marine, l’espionnage se met
en place pour obtenir des informations techniques sur les fortifications
et les flottes étrangères. Plus original, dans les colonies en Afrique, les
bureaux arabes sont le cadre de la collecte d’un renseignement politique
par les officiers. Enfin, les attachés militaires ont recours à la pratique de
l’espionnage sous le Second Empire, en dépit des interdictions formelles
de son emploi. Après la bataille de Sadowa en 1866, une première

3. Sébastien Laurent, L’État secret, l’information et le renseignement en France au


XIXe siècle. Contribution à une histoire du politique (1815-1914), mémoire de
recherche inédit d’habilitation à diriger les recherches, Sciences Po Paris, 2007,
p. 98-100.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

coopération entre les civils (préfets et policiers spéciaux) et des officiers,


parmi lesquels Jarras, Lewal et Ducrot, s’esquisse 4. Aussi la IIIe Répu-
blique est-elle l’héritière de ces initiatives qui ont institutionnalisé le ren-
seignement dans certains corps de l’appareil d’État depuis la monarchie
de Juillet. Le rôle central des diplomates et des policiers est, à partir de
1870, concurrencé par l’engagement plus décisif des militaires dans le
domaine du renseignement étatique. Le service de renseignement mili-
taire permanent qui apparaît à la faveur de la reconstruction institution-
nelle, humaine et matérielle des armées après la défaite de 1870-1871,
n’est donc pas, à proprement parler, le premier 5. De 1871 à 1914, une
lente maturation des conceptions du renseignement, puis de son appro-
priation par les pouvoirs publics, enfin de son orientation politico-straté-
gique au sommet de l’État accélère la réforme des services de
renseignement. Pourtant, la conception de nouveaux moyens de rensei-
gnements, qui avaient tant fait défaut dans les opérations militaires de la
guerre franco-prussienne, est antérieure à la rénovation doctrinale des
armées. Elle accompagne une modernisation de l’État engagée depuis le
6
XVIIIe siècle . Les crises franco-allemandes de la décennie 1870, le boulan-
gisme puis la crise Schnaebelé du printemps 1887 en sont le premier cha-
pitre 7. L’affaire Dreyfus et les crises coloniales achèvent alors d’en
façonner l’épée à plusieurs lames 8.
En effet, des administrations et des corps distincts ont assumé l’infor-
mation du pouvoir politique au sein de l’État 9. Entendu au sens

4. Sébastien Laurent, op. cit., p. 48-151 et p. 300-301.


5. Jean-Charles Jauffret, Parlement, gouvernement, commandement : l’armée de
métier sous la Troisième République 1871-1914, thèse de doctorat d’État, Université
de Paris I Panthéon-Sorbonne, 2 vol., 1987, 1349 p. ; Alain Dewerpe, op. cit.,
p. 122-127.
6. André Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, tome 3, Guy Pedroncini,
De 1871 à 1940, Paris, PUF, 1992 ; Jean Doise, Maurice Vaïsse, Diplomatie et outil
militaire 1871-1969, Paris, Imprimerie nationale, 1987, 587 p.
7. Jean-Charles Chapuzet, Le Général Boulanger et le boulangisme : des passions
politiques à l’oubli (1886-2005), thèse de doctorat, sous la direction de Jean-François
Sirinelli, IEP de Paris, 3 vol., 2005, 619 p. ; Philippe Levillain, Boulanger, fossoyeur
de la monarchie, Paris, Flammarion, 1982, p. 165-167.
8. Marcel Thomas, L’Affaire sans Dreyfus, Paris, Fayard, 1961, 586 p. ; Vincent
Duclert, Alfred Dreyfus. L’honneur d’un capitaine, Paris, Fayard, 2006, 1 260 p.
9. Olivier Forcade, Sébastien Laurent, Secrets d’État. Pouvoirs et renseignement
dans le monde contemporain, Paris, Colin, 2005, 238 p.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

générique, le renseignement ne recouvre l’information militaire, diplo-


matique, économique, politique dans l’appareil d’État. Les agents collec-
tant l’information ne sont pas exclusivement des militaires, mais
également des civils, des diplomates et des policiers en premier lieu, aux
côtés desquels s’impliquent, à des degrés divers, des administrations aussi
différentes que les douanes, les Eaux et Forêts, les gardes-côtes, la gendar-
merie nationale enfin, issue de la maréchaussée de Paris du XVIIIe siècle 10.
Ces administrations ont pour caractère d’être présentes sur tout le terri-
toire, dans un maillage de leurs services à différentes échelles politico-
administratives, du département à la commune en passant par le canton.
Entre les pouvoirs locaux et le pouvoir central se met en place un premier
échange politique de l’information où les administrations, fortes de leurs
corps de fonctionnaires, tiennent une place spécialisée, complémentaire,
mais aussi parfois concurrente 11. Elles incarnent l’État dans une France
essentiellement rurale. En 1914, la collecte et l’exploitation du renseigne-
ment général ne consacrent donc aucun monopole d’une administration
sur une autre. Mais les forces de police et les militaires ont cependant
occupé une position majeure au cœur de l’appareil de renseignement
républicain après 1871 12. Au sein de l’État, les pratiques d’espionnage et
de contre-espionnage ont été principalement prises en charge par deux
ministères, l’Intérieur et la Guerre, entre une collaboration et une riva-
lité de la police avec la Marine et l’armée de terre. Pour l’information
économique, le rôle des ministères du Commerce et de l’Industrie tend
régulièrement à croître depuis la fin du XIXe siècle, puis grâce à l’Office
national du commerce extérieur. Les rapports des consuls remontent aux
ministères des Affaires étrangères et du Commerce depuis 1898.
À l’automne 1915, Étienne Clémentel, nouveau ministre du Commerce
et de l’Industrie, favorise la centralisation de l’information économique,
voulue sur le modèle anglais. En 1918, il établit un contrôle du minis-
tère du Commerce sur l’information économique qui ne fut reconsidéré

10. Jean-Noël Luc (dir.), Gendarmerie, État et société au XIXe siècle, Paris, Publica-
tions de la Sorbonne, 2002, 510 p. et Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie.
Guide de recherche, Maisons-Alfort, SHGN, 2005, 1 000 p.
11. Marc-Olivier Baruch, Vincent Duclert, op. cit.
12. Sébastien Laurent, « Aux origines de la “guerre des polices” : militaires et
policiers du renseignement dans la République (1870-1914) », in Revue historique,
CCCXIV/4, p. 767-791.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

qu’après 1945. En ayant obtenu de nommer les attachés commerciaux en


1918, prérogative conservée jusqu’en 1945, le ministère du Commerce
assoit sa centralisation sur la collecte de l’information économique en
France et à l’étranger 13. Ce transfert des services de l’expansion commer-
ciale du ministère des Affaires étrangères au ministère du Commerce est
une rupture dans la conduite future de la diplomatie économique.
L’enjeu en est ensuite la diffusion de l’information économique dans
l’appareil d’État aux termes de ce « cycle clémentélien ». Plusieurs étapes
marquent donc l’invention des services spéciaux militaires modernes
avant 1914.
Au sein d’un courant de rénovation de l’armée, notamment du dépôt
de la Guerre à la fin du Second Empire, des officiers créent le premier
service de renseignement militaire permanent 14. Paradoxalement, cette
évolution n’est pas explicitement pensée comme un élément de la réno-
vation des états-majors et du service d’état-major. Parmi ceux-ci, le
commandant Émile Vanson et le colonel Jules Lewal, qui participe à la
création de l’École supérieure de guerre, figurent en bonne place pour
forger les armes secrètes de la revanche 15. La création d’un état-major du
ministre, par l’arrêté de Thiers du 8 juin 1871, met en place deux
bureaux, dont la section chargée de la statistique au sein du 2e bureau.
Celle-ci reprend la place du dépôt de la Guerre créé sous l’Ancien

13. Laurence Badel, « Pour une histoire de l’information économique en


France », in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, nº 90, 2006/2, p. 169-185 ; Laurence
Badel, L’État à la conquête des marchés extérieurs au XXe siècle. Aux sources de la diplo-
matie économique de la France, manuscrit inédit de l’HDR, Université de Paris 1
Panthéon-Sorbonne, 2007, p. 28-34.
14. Carré Claude (général), Histoire du ministère de la Défense, Panazol, Lavau-
zelle, 2001, Jean-Charles Jauffret, op. cit. et « L’œuvre des militaires à la commission
de réorganisation de l’armée 1871-1875 », in Olivier Forcade, Éric Duhamel, Phi-
lippe Vial (dir.), Militaires en République 1870-1962. Les officiers, le pouvoir et la vie
publique en France, Paris, Publication de la Sorbonne, 1999, p. 293-302.
15. Jules Lewal, Introduction à la partie positive de la stratégie, édition commentée
par Allain Bernède, Paris, Economica, 2002, 246 p. ; Jules Lewal, La Réforme de
l’armée, Paris, Librairie militaire J. Dumaine, 1871, p. 155 ; Henry Contamine, La
Revanche 1871-1914, Paris, Berger-Levrault, 1957, 280 p. analyse l’histoire du
2e bureau, qu’on peut élargir à la biographie de Vanson (1825-1900) et de Lewal
(1823-1908).

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Régime, réorganisé sous le Premier Empire 16. En novembre 1871, le


commandant Vanson crée la Revue militaire de l’étranger du 2e bureau de
l’état-major, chargée de l’étude des armées étrangères, grâce aux rapports
des attachés militaires et au dépouillement de la presse étrangère générale
comme technique. Le 2e bureau est un organe d’exploitation du rensei-
gnement au profit de l’état-major de l’armée. La nécessité d’informa-
tions plus fines conduit à la mise sur pied au début de 1873 d’un nouvel
organe de collecte, la section de statistique autour de quelques officiers
affectés, et constituée, secondairement, d’agents extérieurs rémunérés ou
bénévoles. Cette section de statistique assure les missions clandestines
d’espionnage à l’étranger et de contre-espionnage en France pour la col-
lecte d’informations. Se distinguant en cela du 2e bureau, organe d’état-
major et d’exploitation, la section de statistique est l’origine directe des
services spéciaux militaires de la IIIe République. Par décret du 12 mars
1874 créant l’état-major général du ministre de la Guerre, six bureaux
d’état-major se substituent bientôt aux deux initialement créés, dont un
2e bureau exclusivement chargé désormais du renseignement. Celui-ci est
baptisé « statistique militaire-bureau historique ». Il est sous l’autorité de
l’un des deux sous-chefs d’état-major, ayant autorité sur le 2e bureau et
le 3e bureau. Ce principe d’organisation n’est pas remis en question
jusqu’en 1939, avec parfois trois sous-chefs d’état-major 17. Rapidement,
la section de statistique, commandée par les commandants Abraham
Samuel, puis Émile Campionnet, relève directement de l’un des deux
sous-chefs d’état-major, gagnant une autonomie précoce, disposant des
fonds secrets et mettant les agents en action 18. Ce principe de séparation
fonctionnelle supposé protéger l’autorité du ministre et de l’état-major de
l’action clandestine n’est pas remis en question sous la IIIe République,
quoiqu’il soit artificiel à certains points de vue. La mise sur pied de
filières d’informations du 2e bureau, tant militaires (missions militaires,
attachés militaires, section de statistique) que civiles (ministères des

16. Sébastien Laurent, « Aux origines de la “guerre des polices” », op. cit.,
p. 769-770.
17. AN 351 AP 2, Papiers Victor-Henri Schweisguth, carnets et notes 1935,
prise de fonction à l’EMA.
18. Sébastien Laurent, « L’argent secret de l’État. Les fonds secrets ministériels
sous la République (1848-1914) », dans Tanguy Wuillème (dir.), Autour des secrets,
Paris, L’Harmattan, 2004, p. 139-154.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

Affaires étrangères, de la Marine, de l’Intérieur, préfecture de Police) est


également, à terme, le moyen d’une centralisation de l’information stra-
tégique et d’intérêt national. Cette centralisation est voulue et pensée par
Vanson, chef du 2e bureau, comme la tentative d’établir un quasi-mono-
pole sur l’information des ministères des Affaires étrangères, de l’Inté-
rieur et de la Guerre. Il en fait d’ailleurs ouvertement la demande en
1878, rejoint ensuite par le colonel Sandherr, chef de la section de statis-
tique de 1886 à 1895 19. Largement illusoire, cette prétention ne manque
pas d’exciter de façon durable les conflits avec les autres ministères
jusqu’en 1914, sinon au-delà. L’absence d’un organisme centralisateur et
interministériel devait favoriser durablement les rivalités entre les admi-
nistrations pour le contrôle de l’exploitation du renseignement, avec des
intensités variables dans le temps. Régulièrement évoquées lors des ten-
sions ou des crises internationales, les tentatives de centralisation intermi-
nistérielle se placent pendant la guerre de 1914-1918 et à la fin de la
IIIe République, précisément en 1937. Au terme de cette première étape,
la spécialisation des fonctions entre la recherche et l’exploitation est mise
en œuvre, même s’il subsiste une certaine perméabilité entre elles.

Le partage des attributions entre la police, l’armée et la gendar-


merie 1871-1919
Dans le même temps, la IIIe République a accepté, sous bénéfice
d’inventaire, les structures institutionnelles de la gendarmerie et de la
police sur l’histoire desquelles il n’y a pas lieu de s’étendre ici. À la fin de
la Première Guerre mondiale, la gendarmerie est, entre police et armée,
idéalement préparée pour participer au travail de contre-espionnage. Des
recherches récentes ont mis en évidence le rôle singulier de la gendar-
merie sur le renseignement. De façon complexe et évolutive au XIXe siècle,
la gendarmerie participe au contrôle politique et social de l’opinion, grâce
au déploiement de gendarmes nationaux dans des brigades de cinq ou six
hommes, atteignant en 1914 un effectif de 23 000 hommes, par un qua-
drillage des départements jusqu’au canton 20. À l’article premier de

19. Sébastien Laurent, « Aux origines de la “guerre des polices” », op. cit.,
p. 774-775.
20. Arnaud-Dominique Houte, Le Métier de gendarme national au XIXe siècle. Pra-
tiques professionnelles, esprit de corps et insertion sociale de la Monarchie de Juillet à la

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

l’ordonnance du 29 octobre 1820, remplacée par l’ordonnance du


1er mars 1854, le service de gendarmerie prévoit en effet une mission per-
manente et générale de « surveillance continue et répressive qui constitue
l’essence de son service ». De fait, la mission est explicitement la collecte
d’informations diverses sur les populations. Au cours du siècle, ce
contrôle politique connaît un déplacement progressif vers celui des grèves
ouvrières, des milieux syndicalistes et anarchistes, pour avoir du rensei-
gnement à tout prix. Les missions de contre-espionnage sur le territoire
au XIXe siècle, sous l’angle de la surveillance des étrangers et de l’espion-
nage étranger, s’affinent à partir de 1886. Une instruction ministérielle
du 9 décembre 1886 prescrit à la gendarmerie de surveiller les étrangers
portés sur des listes de suspects. Les carnets A recensent désormais les
noms des étrangers résidant en France en âge de servir les armées et les
carnets B ceux des étrangers et des Français soupçonnés d’espionnage ou
d’antimilitarisme 21. Depuis 1855, cette mission de surveillance générale
est partagée avec la police républicaine, notamment la police spéciale
pour la surveillance des anarchistes. Toutefois, la gendarmerie rechigne
progressivement à assumer, depuis les années 1880-1890, un travail de
contre-espionnage auquel elle contribue pourtant de façon centrale pen-
dant la guerre de 1914-1918, préférant l’image d’une mission de protec-
tion du citoyen au rôle répressif qui lui était attaché depuis 1820 22. Dès
lors, cette action incomba essentiellement à la police spéciale, en particu-
lier sur les frontières françaises. Créé par décrets impériaux en 1855, le
corps particulier de la « police des chemins de fer », composée de
commissaires et d’inspecteurs spéciaux, a pour fonction la surveillance
politique et celle des étrangers. Auxiliaires du préfet sur les lignes de
chemins de fer, garantissant des compétences géographiques et d’un droit
de suite, ils ont aussi des attributions dans leur département de rési-
dence depuis 1893. À ce titre, ils surveillent à partir de 1861 les oppo-
sants, y compris les étrangers dans les ports et aux frontières, gagnant la

Première Guerre mondiale, thèse de doctorat d’histoire, sous la direction de Jean-Noël


Luc et Jean-Marc Berlière, 2 tomes, 2006, 978 p.
21. Cf. infra chapitre 11. Jean-Jacques Becker, Le Carnet B. Les pouvoirs publics et
l’antimilitarisme avant la guerre de 1914, Paris, Klincksieck, 1973, p. 105-106 ;
Sébastien Laurent, L’État secret, l’information et le renseignement en France. Contribu-
tion à une histoire de l’État (1815-1914), op. cit., p. 133-135.
22. Arnaud-Dominique Houte, op. cit., p. 539-541.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

dénomination de « police spéciale ». Véritable police politique férue de


surveillance, de fichage et d’interception du courrier, elle est conservée
par la IIIe République qui accroît ses effectifs progressivement de
200 membres en 1879 à 400 au début du siècle 23. Les policiers de la
Sûreté générale établissent progressivement leur compétence en matière
de contre-espionnage, initialement partagée avec l’autorité militaire, au
terme d’une véritable bataille interministérielle pour le contrôle du ren-
seignement dans les années 1880-1890 24.
Le système militaire de renseignement est parachevé en juillet 1874
par le général de Cissey. Cette réorganisation mesurée donne lieu à la
mise sur pied d’une organisation territoriale du contre-espionnage dans le
cadre des corps d’armée et des régions militaires 25. À la différence de la
police spéciale des frontières, ce service est clandestin. L’organisation du
renseignement militaire semble définitive quand le corps d’armée devient
une structure de renseignement de temps de paix, grâce aux services terri-
toriaux du corps d’armée (STCA) en janvier 1887, après un accord des
ministres de l’Intérieur et de la Guerre 26. Les officiers d’active y côtoient
ceux de la réserve et les anciens conscrits versés dans l’armée territoriale
pour couvrir les régions militaires en liaison avec la gendarmerie, afin
d’assurer un travail de contre-espionnage en temps de paix et en vue de
la mobilisation. À ce moment, cette organisation exprime la volonté du
général Boulanger de renforcer la surveillance des étrangers, en particulier
ceux travaillant au profit de puissances étrangères, dans le contexte d’une
tension renouvelée avec l’Allemagne. Au profit des STCA, qui adressent
les dossiers les plus sensibles à la section de statistique, elle centralise les
informations de la police municipale, de la police spéciale, de la gendar-
merie, des procureurs et des préfets sur les étrangers. Arrivé au ministère
de la Guerre en janvier 1886, Boulanger décide alors la création du
carnet B par la circulaire du 9 décembre 1886, recensant les étrangers

23. Jean-Marc Berlière, L’Institution policière en France sous la Troisième Répu-


blique, thèse de doctorat d’État, Université de Bourgogne, 1991, 1 304 p.
24. Sébastien Laurent, op. cit., p. 452-488.
25. Georges Gugliotta, « Un grand commis de la République : le général de
Cissey (1810-1882), réorganisateur de l’armée française », in Olivier Forcade et alii
(dir.), Militaires en République 1870-1962, op. cit., p. 217-222.
26. Sébastien Laurent, « Aux origines de la “guerre des polices” », op. cit.,
p. 779-780.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

suspects dans chaque département 27. Le ministre de la Marine et le


ministre de la Justice apposent leurs signatures. En définitive, l’informa-
tion arrive à la section de statistique par les voies militaires, mais aussi
policière et préfectorale. La surveillance des frontières, notamment face
à l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne avant 1914, est prioritaire pour la
police spéciale. Dans un espace stratégique pour la France et l’Alle-
magne, face au Reichsland qui ampute les anciens départements français,
une vingtaine de postes frontières et intérieurs relevant de la police spé-
ciale de l’Est, dans les départements de Meurthe-et-Moselle, des Vosges
et du Territoire de Belfort, ont écrit une page de la guerre secrète franco-
allemande jusqu’en 1914 28. Le département de Meurthe-et-Moselle en
est la pièce maîtresse avec ses treize postes, dont celui de Pagny-sur-
Moselle sous l’autorité du commissaire de police spéciale Guillaume
Schnaebelé entre 1871 et 1887 29. En liaison avec les six brigades de gen-
darmerie aux maigres effectifs (soit trente hommes) le long de la fron-
tière et les services des Eaux et Forêts, ces postes sont la principale source
d’informations militaires et politiques pour le ministère de l’Intérieur,
parallèlement au service de renseignement et au commissariat spécial de
Belfort, pivots français de la collecte de renseignements sur l’Alle-
magne 30. Ainsi, la période est une étape de l’émergence du

27. Sébastien Laurent, L’État secret, l’information et le renseignement en France.


Contribution à une histoire de l’État (1815-1914), op. cit., p. 631-633 ; Olivier For-
cade, « Le carnet B, un outil du contre-espionnage sous la Troisième République »,
in Sébastien Laurent (dir.), actes du colloque de l’université de Bordeaux III,
18-19 octobre 2007, à paraître.
28. Gérald Sawicki, Les services de renseignement à la frontière franco-allemande
(1871-1914), thèse de doctorat sous la direction François Roth, Université de
Nancy II, 2006, 3 volumes et un volume iconographique, 796 p.
29. Gérald Sawicki, « Un outil du renseignement français sur l’empire allemand :
la police spéciale de la frontière de l’Est (1871-1914) », in Olivier Forcade (dir.), Le
Secret et la puissance. Le renseignement et les services spéciaux aux XIXe-XXe siècles,
Amiens, Encrage, 2007, p. 24-44. La gare d’Igney-Avricourt voit ainsi 25 trains
internationaux franchir la frontière franco-allemande chaque jour, dont l’Orient-
Express depuis 1883. L’analyse spatiale met en évidence une géographie de la guerre
secrète, qui s’incarne dans l’univers interlope du train et dans la gare, à la fois fron-
tière, lieu de passage et d’affrontement. À Paris, la gare de l’Est est un symbole.
Depuis 1852, Paris est ainsi reliée à Strasbourg via Commercy, Longwy, Nancy.
30. Gérald Sawicki, op. cit., volume 1, p. 38-40. Au tournant de 1886-1888, le
IIe Reich avait organisé face aux moyens français des services de renseignement qu’il

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

renseignement politique moderne au cœur des États, en France et en


Allemagne. Côté français, la coopération entre les policiers et les mili-
taires s’approfondit sur le terrain, avec une bonne coopération de la
police spéciale, de la gendarmerie et des services territoriaux de corps
d’armée déployés dans les départements. La subordination de la police
spéciale à la section de statistique en matière de contre-espionnage est
désormais bien acceptée, de l’aveu même des directeurs successifs de la
Sûreté. À Paris, dans le ressort de la préfecture de Police, les officiers de la
section de statistique doivent s’adresser à cette rivale de la Sûreté ou uti-
liser discrètement les policiers de la police spéciale mis à leur disposi-
tion. Le contact avec les agents est réservé aux policiers de la spéciale en
vertu d’une conception morale de l’état d’officier qui lui interdisait théo-
riquement le contact avec des agents étrangers ou français. Le ministère
de la Guerre, qui cofinance des postes de police spéciale, impose vite une
coordination « impérieuse » des administrations et des actions, justifiant
les correspondances personnelles désormais habituelles entre les commis-
saires spéciaux et le chef de la section de statistique à Paris. Celles-ci illus-
trent les règles ordinaires de la collaboration militaro-policière sur la
répression de l’espionnage étranger jusqu’au début des années 1890 31.
L’affaire Dreyfus a plusieurs conséquences en raison de l’engagement
militant antidreyfusard outrancier des officiers de la section de statis-
tique depuis 1894, spécialement au procès de Rennes en août 1899 32. Le
ministre de l’Intérieur, par ailleurs président du Conseil, signe la circu-
laire du 1er mai 1899 qui donne exclusivement la mission de contre-
espionnage à la Sûreté. La subordination de la police spéciale à l’armée
en matière de contre-espionnage en temps de paix a cessé d’exister. Les

adapte en Alsace-Lorraine, l’action secrète organisée par Zahn et le rôle de plaque


tournante dévolu au Zentralpolizeistelle de Strasbourg.
31. Sébastien Laurent, op. cit., p. 591. Après l’instruction Boulanger de
décembre 1886 sur le contrôle des étrangers, la police spéciale s’efforce de découvrir
pour le compte de la section de statistique les espions le long des frontières et des lit-
toraux, près des ports, des ouvrages militaires, des casernes et des fabriques d’arme-
ment. La section de statistique entreprend de correspondre désormais directement
avec la police spéciale, sans l’intermédiaire ni des préfets ni de la Sûreté.
32. Christophe Prochasson, « État de droit et ordre militaire : les officiers dans
les grands procès de l’affaire Dreyfus », in Militaires en République 1870-1962,
op. cit., p. 587-612. Vincent Duclert, L’Affaire Dreyfus, Paris, La Découverte, 1994,
p. 94 et L’Affaire Dreyfus, l’honneur d’un patriote, Paris, Fayard, 2006, 1 259 p.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

secteurs territoriaux de contre-espionnage incombent aux commissaires


de police spéciale, échappant à la tutelle de la section de statistique. Cette
compétence exclusive du ministre de l’Intérieur de 1899 à 1913 lui fait
disposer, à cet effet, des 122 commissariats spéciaux de la Sûreté géné-
rale, sans compter les 387 commissaires spéciaux de la police spéciale se
consacrant à la sécurité publique, dont l’activité de contre-espionnage.
En outre, le général de Galiffet, ministre de la Guerre, décide le 12 sep-
tembre 1899 de réorganiser les structures militaires du renseignement. Il
transforme la section de statistique en section de renseignement,
désormais rattachée à l’autorité du chef du 2e bureau, y compris sur le
plan financier. De façon définitive, ce modus operandi qui met fin à
l’indépendance de la section de statistique demeure valable sur le prin-
cipe, sinon dans la pratique, en dépit d’un assouplissement à partir de
1915, jusqu’à la fin de la IIIe République. Rompant radicalement avec
l’organisation mise sur pied depuis 1871, cette décision, très mal
accueillie au sein de l’armée, sanctionne l’engagement politique et anti-
dreyfusard de la section de statistique. Soutiens de la « vieille armée », les
ligues nationalistes et le mouvement Action française qui commence de
s’organiser accusent alors le pouvoir de désarmer les moyens secrets de la
Défense nationale, avivant la polémique lors de l’explosion du navire Iéna
en 1907 33. Léon Daudet dénonce la responsabilité des services de rensei-
gnement allemands dans l’explosion que les services secrets français, déca-
pités par l’affaire Dreyfus, n’auraient pu neutraliser. Plus profondément,
la conséquence en est la dégradation des relations entre les policiers et les
militaires divisés sur le soutien à la République et à Dreyfus, interrom-
pant la collaboration étroite instaurée depuis 1871. Celle-ci est progressi-
vement réactivée par le colonel Dupont, nouveau chef du 2e bureau en
1908, sans qu’elle ait retrouvé en 1914 la réalité connue avant 1899. La
double essence policière et militaire des moyens de renseignement de
l’État apparaît bien comme une dynamique interministérielle, mais aussi

33. Olivier Forcade, « Les milieux militaires et l’Action française de 1898 à


1940 », à paraître dans les actes du colloque des 21-23 mars 2007 réunis par Jacques
Prévotat et Michel Leymarie, L’Action française. Culture, société, politique, Université
de Lille 2-IEP de Paris, Presses du Septentrion ; Bertrand Joly, « L’affaire Dreyfus
comme conflit entre administrations », in Marc-Olivier Baruch, Vincent Duclert
(dir.), op. cit., p. 229-244 ; Bertrand Joly, « La France et la Revanche, 1871-1914 »,
in Revue d’histoire moderne et contemporaine, 46/2, 1999, p. 325-347.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

comme une dialectique de rivalités administratives avant 1914. Incidem-


ment, les éléments sociologiques tenant au recrutement de ces fonction-
naires de l’État ont pu aviver des oppositions de corps, a fortiori après
1899 34. En 1908, le service de contre-espionnage est formellement rat-
taché au contrôle général des recherches judiciaires qui est un simple
cadre administratif. Nommé directeur de la Sûreté générale en 1907 par
Clemenceau, Célestin Hennion développe les relations avec la section de
renseignement du 2e bureau de l’état-major de l’armée que commande le
colonel Charles-Édouard Dupont depuis 1908 35. Tous deux s’emploient
à reconstruire la coopération entre les policiers et les militaires. L’instruc-
tion ministérielle du 30 juin 1913 sur le contre-espionnage rappelle la
répartition des compétences. Elle réaffirme l’attribution au ministère de
la Guerre du contre-espionnage à l’étranger et au ministère de l’Inté-
rieur sur le territoire national, comprenant la surveillance des frontières
et la coordination de la répression par un contrôle général des services de
recherche judiciaire. Les secteurs territoriaux dirigés par des commis-
saires spéciaux sont institués au voisinage des frontières terrestres et mari-
times. Ces commissaires spéciaux ont pour mission de collaborer avec les
officiers de renseignement 36. Fondamentale, cette instruction, légère-
ment remaniée en 1924, et qui reste en vigueur jusqu’au 10 février 1939,
n’est en réalité que la répétition de textes plus anciens. Il faut sans doute
y déceler la preuve d’une rivalité sourde et jamais désarmée entre des
administrations différentes.
Pendant la guerre, l’état de siège attribue de nouvelles facultés en matière
de police à l’autorité militaire. La section de recherche du 2e bureau accueille
des policiers de la Sûreté générale, dirigés par le commissaire Sébille. Les bri-
gades mobiles participent au contre-espionnage, en liaison plus étroite avec

34. William Serman, Les Officiers dans la nation 1848-1914, Paris, Aubier, 1982,
281 p. et Olivier Forcade, « Les officiers et l’État 1900-1940 », in Marc-Olivier
Baruch, Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’adminis-
tration française 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 261-278.
35. SHD/DAT 1KT 526 carton 1, Mémoires du général Dupont, sur la coopéra-
tion entre la section de renseignement qui avait pris la suite du bureau de statistique
supprimé en 1899. Ce dernier devient chef du 2e bureau de l’EMA en 1913 jusqu’à
la fin de la guerre.
36. SHD/DAT 7NN 2 101, note du ministre de la Défense nationale, SCR/
EMA2 du 18 décembre 1936 au ministre de l’Intérieur, direction de la Sûreté géné-
rale, au sujet de l’organisation des services de contre-espionnage.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

l’autorité militaire. Alexandre Millerand, ministre de la Guerre, signe à cette


intention un arrêté portant création d’une section de centralisation de ren-
seignement le 28 mai 1915. Celle-ci a notamment pour attribution
« d’orienter et de documenter les enquêtes de la Sûreté générale sur le
contre-espionnage et d’en recevoir en échange les renseignements se rappor-
tant au même sujet 37. » Attachée au 2e, puis au 5e bureau de l’état-major
de l’armée, elle centralise les actions des bureaux centraux de renseignement
(BCR) de chaque région militaire. Elle oriente les recherches de la Sûreté
générale, en liaison avec un centre de recherche créé au sein de la préfecture
de Police de Paris, confié à l’inspecteur spécial Faux-Pas-Bidet. L’instruc-
tion du 26 janvier 1916 sur la police du contre-espionnage en France et à
l’étranger pendant la durée de la guerre a modifié l’état de droit pour fixer
de nouvelles attributions aux différents ministères intéressés. Celles-ci
demeurent valables jusqu’au printemps 1921. Elle assure une collaboration
entre les ministères de la Guerre, de l’Intérieur et de la Marine. Or, si la
répression de l’espionnage va au ministre de l’Intérieur dans la zone de
l’intérieur et au général commandant en chef dans la zone des armées, elle
appartient aussi au ministre de la Guerre à l’étranger, en liaison avec les
polices alliées, et dans certains cas exclusifs à la Marine. Elle organise donc
la coopération pratique par des liaisons entre les ministères de l’Intérieur et
de la Guerre : un bureau militaire auprès de la direction de la Sûreté géné-
rale, puis un éphémère comité interministériel de la Sûreté générale siégeant
à l’Intérieur en septembre 1917 pour centraliser le contre-espionnage 38. La
coordination progresse, à la faveur de la création d’un 5e bureau de
novembre 1915 à avril 1917. Sa dissolution installe la SCR aux côtés de la
SR comme une section du 2e bureau de l’état-major de l’armée. La guerre
a donc accéléré la coordination du contre-espionnage entre la police et
l’armée. Puis elle a centralisé, de fait, les recherches sous l’autorité du minis-
tère de la Guerre. En 1919, en dépit de son contrôle au sein de l’appareil
d’État de l’essentiel des moyens et des prérogatives en matière de répression
des menées secrètes ennemies sur le territoire, la police ne peut assumer seule

37. AN 470 AP 32, Fonds Alexandre Millerand, copie de l’arrêté du 28 mai


1915 créant la section de centralisation de renseignement. Le commandant Ladoux
commande la SCR de 1915 à avril 1917.
38. SHD/DAT 7NN 2 151, projet d’instruction commune des ministères de la
Marine, de la Guerre et de l’Intérieur, 23-26 mai 1916, signé par Gallieni, Lacaze et
Malvy, 4 p.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

le contre-espionnage. Plusieurs défis se posent à la Sûreté générale qui


conduit des missions qui sont plus étendues que le seul contre-espionnage.
Parmi les enjeux, la rivalité est continuelle avec la préfecture de police de
Paris, ayant autorité sur le département de la Seine qui concentre un grand
nombre d’affaires d’espionnage en France. Ainsi, enrichis par les données
des sommiers judiciaires des tribunaux, les fichiers de suspects alimentent les
archives de la préfecture de Police de Paris, mais non celles de la Sûreté
générale. L’inexistence d’une école professionnelle pour des commissaires
spéciaux de la Sûreté, formés sur le tas et l’absence de laboratoire de police
technique expliquent les difficultés d’assumer seule les missions de contre-
espionnage, après des années de croissance dues à la guerre 39. Plusieurs
étapes importantes de l’histoire de l’institution policière et du contre-espion-
nage ont donc mené à cette situation en 1919.

Les leçons de la guerre de 1914-1918

La place nouvelle du renseignement dans la tactique et la


stratégie
Sur le plan de l’histoire militaire, les cultures d’armes de la cavalerie
et du génie en matière de renseignement opérationnel font le pont avec
les reconnaissances organisées au XVIIIe siècle. Dans la seconde moitié du
XVIIIe siècle, les relevés topographiques sont réalisés par « les ingénieurs-
géographes des camps et des armées », institués en corps par l’ordon-
nance de 1744. Ils se spécialisent dans les reconnaissances, c’est-à-dire la
collecte de renseignements militaires 40. Pourtant, cent cinquante ans plus
tard, la guerre de 1914-1918 engage une nouvelle évolution par une prise
en compte plus systématique du renseignement dans la conduite des opé-
rations. Pour autant, il n’y a vraisemblablement pas eu d’amalgame tac-
tique de ces cultures d’armes que la Première Guerre mondiale aurait pu
fondre en une véritable culture professionnelle du renseignement. Sep-
tembre 1914 est une première étape de l’appréciation méthodique du

39. Pierre Sicot, Servitudes et grandeur policières. Quarante ans à la Sûreté, Paris,
Les Productions de Paris, 1959, p. 26-27.
40. Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées 1830-1930, Vincennes,
SHAT, 2 vol., 1992 et 1994 ; Jacques Frémeaux, Les Bureaux arabes dans l’Algérie de
la conquête, Paris, Denoël, 1993 ; Sébastien Laurent, op. cit., p. 181-185.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

renseignement, au niveau stratégique, dans les états-majors d’armées et de


corps d’armée. Lors de la bataille de la Marne, le généralissime Joffre et
le GQG utilisent le renseignement opérationnel de la cavalerie qui n’a
plus pour fonction des charges de rupture et, de façon plus inédite, celui
de l’aviation dans sa fonction de reconnaissance, rattachant les escadrilles
aux 2es bureaux d’armée. Enfin, le renseignement technique commence
d’être considéré. Cette conversion a des raisons stratégiques, mais aussi
psychologiques et intellectuelles 41. En effet, les premiers insuccès de
l’été 1914 ont souligné les carences en matière de renseignement général,
et notamment militaire 42. Côté français, l’absence de plan de renseigne-
ment stratégique, mieux appréciée après l’échec des premières offensives
françaises d’août 1914, a constitué une faiblesse dans la conduite des opé-
rations. La condition de l’émergence du renseignement dans la pensée
stratégique tient, vraisemblablement pour partie, à la fin du culte de
l’offensive à outrance dans le commandement après l’été 1914 43. Par
« goût » pour les télégrammes interceptés ou grâce à l’interrogatoire de
prisonniers, les officiers supérieurs et généraux croient davantage à
l’information brute qu’au renseignement élaboré, car celui-ci est suspecté
de déformation. Il en est de même d’ailleurs dans l’entourage du cabinet
militaire des successifs ministres de la Guerre de 1914 à 1918. Le témoi-
gnage du colonel Edmond Buat, chef du cabinet militaire de Millerand
en 1914-1915, est édifiant. Après la bataille de la Marne, les responsabi-
lités sont recherchées car les interceptions des messages radio ont révélé
aux Franco-Anglais les erreurs, mais surtout, les intentions allemandes de
manœuvre. Après la bataille de la Marne en septembre 1914, Buat écrit
laconiquement :

41. Olivier Lahaie, Renseignement et services de renseignement en France en


1914-1918. 2e/5e bureaux-2e bureau GQG/SR-SCR. Évolutions et adaptations, thèse de
doctorat d’histoire sous la direction de Georges-Henri Soutou, Université de Paris
IV-Sorbonne, 2006, vol. 1, p. 400-419 ; John Kieger, France and the world since
1870, Londres, Arnold, 2001, p. 87-88 ; Michel Goya, La chair et l’acier, Paris, Tal-
landier, 2004, p. 163, 167-172.
42. Adolphe Goutard, La Marne, victoire inexploitée, Paris, Robert Laffont, 1968,
p. 207-209.
43. Dimitry Queloz, De la « manœuvre napoléonienne » à « l’offensive à outrance ».
La tactique générale dans la pensée et dans la doctrine de l’armée française 1871-1914,
thèse de doctorat, Université de Neufchâtel, sous la direction de Philippe Marguairaz
et Georges-Henri Soutou, 2006, p. 27-34.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

« Si la décision est lente, j’en attribue la faute au 2e bureau. Constitué avec


une majorité d’officiers ayant appartenu au service de renseignement, ce bureau
– par profession – n’admet la réalité d’un fait que quand il a été recoupé par une
série de comptes rendus. Mais, alors, quand le fait est reconnu, il est déjà périmé,
il est trop tard pour y parer ; nous suivons le jeu alors qu’il faudrait le
devancer 44. »
À cet instant, Buat exprime l’impuissance de l’homme d’action face
à un renseignement élaboré constamment dégradé par le temps : l’infor-
mation secrète est en permanente recomposition. Dans sa génération, le
souvenir des officiers de la section de statisitique compromis par leurs
mensonges dans l’affaire Dreyfus est encore un repoussoir. Mais la
défiance intellectuelle d’une pensée militaire, encore réticente au rensei-
gnement dans l’ordre stratégique, est un facteur d’explication tout aussi
puissant en 1914 45. Pendant la guerre, les deux maillons faibles du cycle
du renseignement au niveau stratégique sont moins l’exploitation que la
diffusion et l’analyse. À l’échelle opérationnelle et tactique, les difficultés
s’expriment plutôt aux niveaux de l’exploitation et de la diffusion. L’inté-
grité de la chaîne du renseignement garantit théoriquement l’élaboration
d’un renseignement de qualité. Mais moins qu’un problème de cycle du
renseignement, l’efficacité du renseignement en 1914-1918 relève plutôt
d’un changement de seuil tantôt tactique, opérationnel ou stratégique
dans les contextes de sa prise en compte. En réalité, l’intérêt du rensei-
gnement change constamment selon les théâtres d’opération, les
moments de la guerre et la nature des opérations. Le journal du
commandant de Galbert, officier d’ordonnance de Joffre en 1915-1916,
met ce fait explicitement en évidence.
« 9 février 1916. Le colonel Dupont, chef du 2e bureau, n’a plus que la direc-
tion de la partie Nord-Est depuis la séparation du théâtre d’opération exté-
rieure. Il en résulte un peu de décousu dans les travaux des 2es bureaux, les
Anglais s’en sont aperçus. Le général (Joffre) décide que le colonel Dupont aura
la haute main sur l’ensemble et qu’aucun travail de renseignement ne paraîtra

44. Bibliothèque de l’Institut, fonds Buat Ms 5390, cahier 1, Souvenirs


d’Edmond Buat, futur chef d’état-major de l’armée en 1920-1923, 17-22 septembre
1914.
45. Hervé Couteau-Bégarie, « Le renseignement dans la culture stratégique fran-
çaise », in Pierre Lacoste (dir.), Le renseignement à la française, Paris, Economica,
1998, p. 141-159 ; « Le renseignement dans la pensée militaire française », in Straté-
gique, nº 73, 1/1999, p. 9-36 ; Traité de stratégie, Paris, Economica, 2006 (1re éd.,
1999), 1 049 p.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

sans son assentiment. Ce sera un progrès car la question allemande domine tout,
le colonel Dupont en a la plus grande habitude et il sait peser la valeur de tout
renseignement 46(…). »
Durant la guerre, les responsables civils et militaires sont toujours
prêts à prendre en compte un renseignement opérationnel, tactique ;
mais ils rechignent à l’intégrer dans une conception politico-stratégique
qui semble gêner leurs modes de raisonnement. Sur le front occidental,
statique entre 1915 et le printemps 1918, la percée et l’exploitation sont
rendues impossibles par la saturation défensive des belligérants, relativi-
sant l’intérêt du renseignement stratégique. Chaque État perce successi-
vement les intentions et les moyens de l’adversaire, interdisant la surprise
et invalidant largement l’effet attendu du renseignement. Le scepticisme
à l’encontre de l’intérêt du renseignement tactique dans les états-majors
trouve sans doute ici un ressort inattendu au fait qu’il n’apporte pas de
résultat décisif dans la guerre d’usure. Par ailleurs, la transition du rensei-
gnement militaire stricto sensu au renseignement politique constitue un
obstacle supplémentaire à sa prise en compte au sommet de l’État. Dans
ses Mémoires parus après-guerre, Raymond Poincaré, président de la
République élu en 1913, exprime une attention permanente au rensei-
gnement stratégique et diplomatique, sans toutefois le replacer dans son
contexte de production 47. Après 1918, Poincaré conserva d’ailleurs un
intérêt vif pour le renseignement en général. À la fin de la guerre, la prise
en compte du renseignement stratégique a évolué, ainsi que le démontre
l’entourage du général Foch, notamment avec le rôle du général Rie-
dinger au quartier général allié à Senlis. À l’heure de l’offensive générale
alliée contre l’Allemagne à l’été 1918, il s’agit progressivement de passer
de la rupture stratégique à une décision politique revenant à la recherche
des meilleures conditions pour faire la paix. Erreur humaine et sûreté de
la machine ? Les premiers mois de la guerre consacrent certes le rensei-
gnement d’origine radioélectrique, couplé à l’aviation, comme moyen
privilégié d’information des états-majors anglais et français. Sa valeur
dépend toutefois du théâtre des opérations et de la phase de la guerre,
dans une combinaison des sources changeante tant pour les troupes

46. Gilles Neviaski, Le Journal du commandant de Galbert, officier d’ordonnance


du général Joffre, 1915-1916, mémoire de maîtrise, sous la direction de Georges-
Henri Soutou, Université de Paris IV-Sorbonne, 1998, vol. 2, p. 112.
47. Raymond Poincaré, Au Service de la France. Neuf années de souvenirs, Paris,
Plon, tomes IV à X, 1927-1933.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

anglaises que françaises. Si la formation au renseignement existe bien


dans le corps des officiers d’état-major, son apport tactique retient priori-
tairement l’intérêt des officiers du corps de troupe. En 1918, la forma-
tion passe par des stages qui ne font pas toutefois une école du
renseignement. Et les leçons de la guerre sont vite oubliées après 1919.
En définitive, la Première Guerre mondiale a engagé en France, lato
sensu, une spécialisation des activités de renseignement, sans faire émerger
toutefois une filière professionnelle 48. De manière plus vraisemblable, ce
processus de professionnalisation est à l’œuvre de part et d’autre de la
guerre.

En 1919, un État peut-il se passer du renseignement ?


Avant d’être une expérience culturelle inédite de la guerre secrète, la
Première Guerre mondiale est un laboratoire technique du renseigne-
ment 49. En effet, la cryptographie est consacrée au rang de moyen
désormais essentiel et permanent d’information des états-majors 50. La
cryptographie est l’opération de chiffrement rendant inintelligible un
texte clair à l’origine, par des modifications diverses le transformant en
texte chiffré ou « cryptogramme ». Le déchiffrement modifie un texte
codé en texte clair. Le capitaine Étienne Bazeries met au point un sys-
tème de chiffrement original en 1891 51. La France a été précurseur en
matière de chiffrement-déchiffrement et de décryptement, grâce à
l’avance prise par la cryptographie militaire lancée par le général Lewal
dès 1886-1890, et à la cryptanalyse avant 1914 52. Depuis 1907, l’organi-
sation de la section du chiffre, attachée à l’état-major de l’armée, est
accomplie par le colonel Givierge et par Cartier. Il revient désormais aux

48. Olivier Lahaie, op. cit., p. 791.


49. Olivier Forcade, Sébastien Laurent, op. cit.
50. David Kahn, The Codebreakers. The Comprehensive history of Secret Commu-
nication from Ancient Times to the Internet, New York, Scribner, 1996 (1re éd. 1967),
1 181 p.
51. Sébastien Laurent, op. cit., p. 313. Remarqué par le président du Conseil
Charles de Freycinet, il fut mis à disposition du ministère des Affaires étrangères en
1893-1894 pour l’aider sur le plan cryptographique. Il est régulièrement consulté
après 1901 par les diplomates qui ont alors une avance réelle sur le ministère de la
Guerre en matière de cryptographie.
52. Alexandre Ollier, La Cryptographie militaire avant la guerre de 1914, Panazol,
Lavauzelle, 2002, 224 p.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

états-majors d’exploiter les décryptements au niveau opérationnel et tac-


tique. Toutefois, les avancées du renseignement ne se limitent pas au seul
domaine militaire. L’intérêt d’intercepter les télégrammes diplomatiques
des États belligérants et neutres est stratégique, car les jeux d’alliance per-
mettent d’imaginer des ruptures d’équilibre depuis l’entrée en guerre, à
commencer par la Turquie, puis l’Italie au printemps 1915 et la Bulgarie
à l’automne 1915. Aussi, l’interception des communications diploma-
tiques est capitale, précisément pour les Alliés. À ce titre, l’interruption
en France du décryptement diplomatique du Quai d’Orsay au prin-
temps 1914 confirme a contrario l’importance qu’il revêt désormais 53.
Ces indiscrétions de la presse française sur l’espionnage des télégrammes
diplomatiques étrangers, révélé en 1918 lors de l’affaire judiciaire Cail-
laux, ont eu pour conséquence de confier, dès l’été 1914, à la section du
chiffre du GQG les interceptions des communications ennemies pen-
dant la guerre. La section du chiffre décrypte ainsi progressivement les
radiotélégrammes diplomatiques des États belligérants comme ceux des
États neutres (Espagne, Grèce…). Londres agit de même pendant la
guerre, et tire parti après guerre des apports du renseignement aux déci-
sions du gouvernement 54. En août 1914, Winston Churchill, premier
lord de l’Amirauté, confie à l’universitaire Alfred Ewing la tâche de créer
un premier service de décryptage rattaché à l’Amirauté britannique. La
Grande-Bretagne a mesuré très tôt son importance, au point de dévouer
ce nouveau bureau – le Room 40 – à l’interception et au décryptement
des communications diplomatiques adverses. La Grande-Bretagne le fait
en les interceptant sur les câbles télégraphiques internationaux, égale-
ment utilisés par ses adversaires et les neutres germanophiles, à l’exemple
de la Suède. Ayant noué des accords d’échange avec la France avant
1914, elle communique vraisemblablement une partie de ses résultats aux

53. Christopher Andrew, « Déchiffrement et diplomatie : le cabinet noir du


Quai d’Orsay sous la Troisième République », Relations Internationales, nº 5, 1976,
p. 37-64.
54. John Ferris, « Connaissances, influence et pouvoir : le service de renseigne-
ment britannique et la Première Guerre mondiale », in Naissance et évolution du ren-
seignement dans l’espace européen (1870-1940), sous la direction de Frédéric Guelton
et Abdil Bicer, Vincennes, SHD/DAT, 2006, p. 101-104.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

Français 55. Après la guerre, les deux pays continuèrent d’écouter les
conversations diplomatiques de leurs adversaires, des neutres et de leurs
alliés. Commencée sous l’Ancien Régime, la bataille des codes diploma-
tiques se poursuit au XXe siècle.
En France, le GQG exploite progressivement ses décryptements au
niveau opérationnel et tactique. Jusqu’au niveau divisionnaire, les armées
françaises y recourent systématiquement au début de 1916. En défini-
tive, des basculements stratégiques s’opèrent véritablement à la faveur de
renseignements à la fin de la guerre. Ainsi l’information de l’offensive
allemande entre Compiègne et Montdidier, déclenchée le 8 juin 1918,
est-elle obtenue le 3 juin par les décryptements du capitaine Georges
Painvain à la section du chiffre française 56. La coopération technique du
renseignement militaire entre Alliés est demeurée imparfaite, mais des
échanges de renseignements se sont peu à peu systématisés. Celle-ci
n’excède pas le cadre bilatéral franco-britannique, comme le niveau tac-
tique et opérationnel, car il y a plusieurs fronts dont les opérations sont
imparfaitement ou peu coordonnées. En effet, les champs de bataille ne
sont jamais considérés par l’ensemble des belligérants comme un front
unique, dans la conduite sinon dans la conception même des opéra-
tions. Par le commandement unique des armées alliées progressivement
établi au printemps 1918, il revenait au maréchal Foch de mettre en
œuvre une exploitation du renseignement stratégique des armées alliées
sur le front occidental pour éviter la surprise d’une attaque allemande 57.
Il écrit ainsi qu’il fallait « poursuivre sous toutes ses formes et active-
ment l’obtention de renseignements ». Mais si une coopération élémen-
taire en matière d’exploitation s’institue au sein des états-majors alliés,
elle ne se conçoit pas encore pour la collecte. Elle intervient lors de l’ana-
lyse du renseignement technique, au niveau tactique et opérationnel, lors
des grandes offensives allemandes du printemps 1918 (Somme, Aisne,
Flandre, Oise). David Kahn fait état d’une coopération technique

55. Alexandre Sheldon-Duplaix, « Le renseignement naval français et la Première


Guerre mondiale », in Naissance et évolution du renseignement dans l’espace européen
(1870-1940), op. cit., p. 153.
56. Sophie de Lastours, La France gagne la guerre des codes secrets, Paris, Tallan-
dier, 1998, p. 15-18 et Sophie de Lastours (dir.), Le chiffre, le renseignement et la
guerre, Paris, L’Harmattan, actes du colloque de Péronne de mars 2001, 2002,
258 p.
57. Ferdinand Foch, Mémoires, Plon, 1931, tome II, p. 113.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

franco-anglaise, puis américaine, certes plus ancienne, mais aussi ren-


forcée. Les manœuvres combinées alliées de l’automne 1918 renforcent
cette coopération, principalement opérationnelle et tactique, entre les
sections du chiffre des quartiers généraux américain, anglais et français.
Un renseignement stratégique largement national prévaut encore en
1918. L’unité de commandement allié a été tardive et incomplète. Et
l’héritage de cette coopération est vite dissipé après la guerre.
La Première Guerre mondiale a également été une formidable bataille
de l’information, entre propagandes et censures, par des journaux inter-
posés, créés de toute pièce ou rachetés, diffusés auprès des populations de
l’adversaire ou des pays neutres pour les faire basculer. Les opérations de
déception sont alors davantage le fait des Britanniques et des Allemands
que des Français qui tardent à l’intégrer à leurs plans stratégiques. Dif-
fuser de fausses bonnes nouvelles ou de vraies mauvaises nouvelles pour
rompre le front des opinions publiques constitue un enjeu en soi. Aussi
les services secrets ont trouvé un terrain propice à ces actions clandes-
tines de désinformation-propagande dans les pays neutres, notamment en
Suisse, en Hollande et en Espagne, en Grèce d’une autre manière et dans
les pays scandinaves dans une moindre mesure 58. En Grèce, les services
de renseignement militaires français s’essayent à une politique
d’influence, au risque de brouiller l’image de la position française en
1915-1917. Ces moyens secrets sont mis au service d’une politique de
force délibérée contre la Grèce perçue comme germanophile, faisant
jusqu’en février 1917 la démonstration d’un usage étendu du renseigne-
ment 59. Jusqu’aux manifestations et aux échauffourées antifrançaises
éclatant à Athènes en décembre 1916, l’action secrète des attachés mili-
taires et navals accrédite, à Paris, l’analyse, pourtant erronée, d’une opi-
nion publique grecque peu favorable au roi Constantin et qui attendrait

58. SHD/DAT 7NN 2 263, dossier sur l’organisation de l’espionnage et du


contre-espionnage français en Suisse depuis 1917 et 7NN 2 264, dossier sur l’action
du renseignement français aux Pays-Bas pendant la Première Guerre mondiale,
1915-1916.
59. Abdil Bicer, « La genèse des services de renseignement français en mer Égée
et dans la péninsule grecque en 1915-1916 », in Frédéric Guelton, Abdil Bicer (dir.),
Naissance et évolution du renseignement dans l’espace européen (1870-1940), op. cit.,
p. 157-185. Abdil Bicer, Le Service de renseignement français en Grèce de 1915 à
1922. Création, organisation, perspectives, mémoire de DEA sous la direction de
Jacques Frémeaux, Université de Paris IV-Sorbonne, 2002, 133 p.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

le retour de l’ancien Premier ministre Vénizélos. L’anecdote rappelle


qu’un décideur n’est prêt à croire un renseignement que lorsqu’il est psy-
chologiquement disposé, comme par avance, à en accepter la vraisem-
blance. Le blocus économique allié mis en place à l’hiver 1916 permet
d’exercer une forte pression sur le roi Constantin et ses sujets grecs au
1er semestre 1917. Fin 1915, les missions du 2e bureau étaient passées
sous l’autorité d’un nouveau 5e bureau, couvrant le renseignement, la
propagande et désormais la guerre économique. Avec un soutien anglais
peu empressé, le coup de force de la déposition du roi Constantin, allié
par son mariage aux Hohenzollern, a lieu en juin 1917 60.
Différemment, la propagande à l’égard des populations entre bientôt
dans la pratique du renseignement français. Le centre de renseignement
de Réchésy, au sud-est de Belfort, dans le Sundgau proche de la frontière
suisse, est, à ce titre, original. Cette structure secrète est animée dès 1914
par un médecin alsacien patriote, Pierre Bucher, recruté par le colonel
Andlauer, responsable de l’antenne du service de renseignement à Bel-
fort 61. Pierre Bucher et des patriotes alsaciens éditent d’abord un bul-
letin à destination des populations locales et des Alsaciens réfugiés, à
partir de janvier 1915. Les populations réfugiées représentent un milieu
déraciné et interlope privilégié pour recruter des agents ou collecter des
informations sur les territoires de leur provenance. Les agents de Réchésy
dépouillent aussi la presse allemande et les documents interceptés, inter-
rogent les prisonniers, dans un travail habituel du renseignement mili-
taire 62. Désinformer, manipuler l’information dans la presse, contrer les
actions des agents doubles ou de pénétration ennemis en temps de
guerre, autant de techniques du renseignement moderne qui s’affinent

60. Elli Lemonidou, La Grèce vue de France pendant la Première Guerre mondiale,
entre censure et propagandes, thèse du doctorat en histoire, sous la direction de M. le
professeur Georges-Henri Soutou, Université de Paris IV-Sorbonne, 2007, 2 vol.,
563 p., annexes et index des noms, vol. 1, p. 241-248.
61. Gérald Sawicki, Les services de renseignements à la frontière franco-allemande
(1871-1914), op. cit., p. 91-93. Dépendant de l’autorité militaire, ce dernier a été
mis sur pied à la frontière dans les années 1880, distinct des commissariats spéciaux
du Territoire de Belfort installés en 1871. Ce poste permanent est maintenu après
1919.
62. Gisèle Loth, Un Rêve de France. Pierre Bucher, une passion française au cœur
de l’Alsace allemande 1869-1921, Strasbourg, La Nuée bleue, 2000, p. 179-183.
Pierre Bucher naît en 1869 et meurt en 1921.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

lors de la Première Guerre mondiale. La croissance des moyens humains,


financiers et techniques donnés au renseignement date de 1914-1918,
même si le retour à la paix leur fit connaître une sévère déflation.
Enfin, la résistance à l’occupation est une expérience, politique et
culturelle, qui a lieu sur la frontière franco-allemande après 1871, puis
pendant la Première Guerre mondiale dans les départements français
occupés et en Belgique. La forte population des Belges ayant fui devant
l’invasion allemande, puis retournant avant 1914 en Belgique, et des
Français des départements du Nord constitue un extraordinaire vivier de
recrutement d’informateurs, sinon d’agents 63. Ces déplacements massifs
de population pendant la guerre sont une aubaine pour les recruteurs
d’agents de réseaux de renseignement qui naissent de la résistance à
l’occupation militaire allemande. Entre 1914 et 1918, 2 millions de
Français, fuyant l’invasion et les zones d’opérations militaires, ont égale-
ment été déplacés à l’intérieur du territoire national. Avant eux, les
optants lorrains et alsaciens avaient quitté les départements annexés au
Reichsland après 1871. Eux aussi avaient alimenté une filière de patriotes,
alsacienne et anti-allemande ; cette dernière est toujours dynamique en
1914-1918 puis après la guerre, facilitant l’engagement d’informateurs
par les postes de renseignement à l’est, tels ceux de Belfort, Metz et Stras-
bourg. Sur les réseaux, les techniques de la guerre secrète longtemps attri-
buées à la Seconde Guerre mondiale doivent être imputées à la Première,
jusque dans l’utilisation des moyens aériens et l’infiltration des agents en
profondeur dans les lignes adverses. Le contre-espionnage offensif est
expérimenté en 1914-1918 64.

L’expérience de la guerre économique en 1914-1918


Pendant la Première Guerre mondiale, la guerre économique est aux
origines du renseignement économique dans l’État 65. Certes, une préoc-
cupation en matière d’information économique émerge peu à peu en
France depuis la fin du XIXe siècle, tant dans les milieux diplomatiques

63. Philippe Nivet, Les Réfugiés français de la Première Guerre mondiale. Les
Boches du Nord, Paris, Economica, 2004, p. 64-66.
64. Olivier Lahaie, op. cit., p. 1027 décrit les missions Mougeot en Allemagne en
1916, en liaison avec Ignatieff en France.
65. Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Points-Seuil,
1990, p. 226-242.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

que commerciaux et financiers 66. Les industries d’armement concen-


trent déjà les recherches des attachés militaires français depuis les
années 1830 et des attachés militaires étrangers en France 67. Les milieux
d’affaires et financiers manifestent un intérêt précoce pour l’information
économique. La Banque de France et la Chambre de commerce de Paris
sont attentives à l’information économique avant même la guerre de
1914-1918. Pendant la guerre, des départements ministériels différents,
à savoir ceux du Commerce, de l’Industrie, des Finances, des Affaires
étrangères et, plus inattendu, de la Guerre, sont en concurrence pour
influencer le cours de la politique extérieure économique de la France.
Formellement, le vocabulaire relativement inédit de la « guerre écono-
mique » recouvre, dans l’esprit des responsables civils et militaires, toutes
les formes de rivalités économiques découlant de la situation de belligé-
rance, étendues à l’activité des sociétés commerciales et les mesures
apportées par les États. Par « guerre économique », les responsables poli-
tiques et militaires ont entendu, au sens étroit, le contrôle, instauré dès
août 1914, des informations télégraphiques et téléphoniques, qu’elles
soient financières et commerciales. Ce contrôle recouvre l’organisation
du ravitaillement du pays et de la coalition alliée et la prise en compte
de mesures économiques incluant le blocus des adversaires, y compris les
échanges de leurs entreprises et de leurs établissements financiers. Cette
conception générale inspire une réflexion sur le rôle de l’État dans l’orga-
nisation économique en temps de guerre et sur celui des entreprises
privées, débordant du seul contrôle public des industries d’armement. La
guerre de 1914-1918 consacre ainsi le succès de l’expression « guerre éco-
nomique », même si l’on parla plus volontiers d’« organisation écono-
mique de la nation » et de « mobilisation industrielle » immédiatement
après la guerre. Progressivement depuis 1915, l’organisation de l’éco-
nomie dans la guerre moderne a orienté la réflexion publique de la
« guerre économique » vers la protection économique et de l’information
vers l’espionnage économique 68. Après 1919, cette prise de conscience

66. Laurence Badel, « Pour une histoire de l’information économique en


France », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, avril-juin 2006, nº 90, p. 175-176.
67. Dominique Pestre (dir.), Deux siècles d’histoire de l’armement en France : de
Gribeauval à la force de frappe, Paris, éd. du CNRS, 2005, 427 p.
68. Frédéric Guelton, « La naissance du renseignement économique en France
pendant la Première Guerre mondiale », in Revue historique des armées, 2001/4,

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

publique tire les leçons de la guerre de 1914-1918 pour préparer, dès le


temps de paix, l’organisation économique de la nation projetée en temps
de guerre 69. En effet, l’héritage de la Première Guerre mondiale s’est fait
sentir durant tout l’entre-deux-guerres. Sans doute est-il l’une des clés de
la compréhension des conditions d’apparition du renseignement écono-
mique 70. Au début de l’année 1915, le renseignement économique s’est
organisé au sous-secrétariat de l’Intendance pour les mesures de défense
économique et au ministère de la Guerre pour la guerre économique 71.
Or, le rôle de la section économique du 2e bureau de l’état-major de
l’armée est progressivement devenu déterminant en 1915 avec la mise en
place du blocus allié contre les puissances centrales 72. Au cœur du dispo-
sitif de renseignement des armées, la section de contrôle télégraphique,
puis postal et téléphonique, permet d’intercepter les communications des
adversaires, mais aussi des neutres notamment sur le plan commercial et
financier. Rattachée à la section économique du 2e bureau de l’EMA,
cette mission est plus précisément définie dans les attributions du

p. 73-88 ; Mickaël Bourlet, « Jean Tannery (1878-1939) à l’origine de la guerre éco-


nomique », in Guerres mondiales et conflits contemporains, nº 214, 2004, p. 81-95.
69. SHD/DAT 2N 201, étude sur l’organisation des pouvoirs publics en temps
de guerre : enseignements tirés de 1914-1918, Conseil supérieur de la Défense natio-
nale, 1922 et SHD/DAT 2N 49, études sur les leçons de la mobilisation industrielle
en 1914-1918 en matière de mobilisation économique, CSDN 1922. Pierre
Renouvin, Les Formes du gouvernement de guerre, Paris, 1925, 190 p. ; Patrick Fri-
denson, « 1914-1918. L’Autre front », in Cahiers du Mouvement social, nº 2, Paris,
Les éditions ouvrières, 1977, 235 p.
70. Emmanuelle Braud, Impératifs stratégiques et économie de guerre : le renseigne-
ment économique militaire en France pendant la Première Guerre mondiale, mémoire
de DEA sous la direction de Dominique Barjot, Université de Paris IV-Sorbonne,
2005, 136 p. ; Fabien Senger, La Prise en compte de l’intelligence économique par l’ins-
titution militaire française au cours du premier conflit mondial (1914-1918), sous la
direction de Robert Belot, Université de technologie Belfort-Montbéliard, 2005,
126 p.
71. Mickaël Bourlet, « La section économique du 2e bureau de l’état-major de
l’armée pendant la Première Guerre mondiale », in Frédéric Guelton, Abdil Bicer,
Naissance et évolution du renseignement dans l’espace européen (1870-1940), Vin-
cennes, SHD/DAT, 2006, p. 117-135, notamment p. 177. On parle du 5e bureau
de l’EMA, de décembre 1915 jusqu’au printemps 1917, avant de revenir à l’appella-
tion de 2e bureau.
72. Georges-Henri Soutou, L’Or et le Sang. Les buts de guerre économique de la
Première Guerre mondiale, Paris, Fayard, 1989, p. 146.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

5e bureau de l’EMA en décembre 1915. Sa fonction de renseignement


économique a pour but principal la surveillance des échanges de mar-
chandises produites ou importées en France et chez ses alliés, en applica-
tion du blocus économique mis en place contre l’Allemagne et les
puissances centrales. Un Bulletin économique de l’état-major de l’armée
voit le jour en 1916 73. Frédéric François-Marsal et Jean Tannery,
conseiller référendaire à la Cour des comptes, ont illustré la préoccupa-
tion montante de la guerre économique 74. Tannery joue un rôle central
dans la conduite de la guerre économique, notamment dans la création
d’un bureau interallié du renseignement à l’automne 1915, afin
d’orienter l’échange d’informations vers le renseignement écono-
mique 75. Néanmoins, cette ambition militaire d’une coordination de
l’action interministérielle en matière d’information économique fit long
feu pendant et après la guerre de 1914-1918, et, à vrai dire, de manière
peu réaliste. Or, l’action d’Étienne Clémentel au ministère du Commerce
et de l’Industrie, à partir de novembre 1915, relève d’une vision dyna-
mique concurrente 76. Créé auprès du président du Conseil en
juillet 1915, un bureau d’études économiques a regroupé des parlemen-
taires, des hauts fonctionnaires, l’universitaire Henri Hauser et Edmond
Théry, directeur de la revue L’Économiste européen, pour réfléchir à des
buts de guerre communs au ministère du Commerce et au ministère des

73. AN F12 7989 à 7992, Bulletin économique de l’état-major de l’armée,


1916-1919.
74. Michel Rouffet, Frédéric François-Marsal, thèse de doctorat de 3e cycle,
Paris I Panthéon-Sorbonne, 1982, 2 vol., 559 p., sénateur du Cantal de 1921 à
1930, ministres des Finances en 1920 et 1924, formant un ministère de droite les
9-10 juin 1924, récusé par la nouvelle Chambre.
75. Regroupant des représentants de la France, de l’Italie, de la Russie et de la
Grande-Bretagne, ce bureau reçoit plusieurs missions dont l’établissement de listes
communes de suspects d’espionnage et l’échange d’informations économiques sur les
maisons commerçant avec les neutres et les adversaires de l’Entente.
76. Guy Rousseau, Étienne Clémentel (1864-1936) : entre idéalisme et réalisme,
une vie politique. Essai biographique, Clermont-Ferrand, Archives départementales du
Puy-de-Dôme, 1998. En 1914, il est vice-président de la Chambre des députés et
rapporteur du budget après avoir été plusieurs fois ministre. Député-maire de Riom,
Étienne Clémentel est ministre du Commerce de 1915 à 1919, se voyant adjoindre
d’autres départements ministériels (Industrie, Postes et Télégraphes, Agriculture,
Travail…) qui lui donnent quasiment la responsabilité de toute l’économie nationale
et du ravitaillement après 1915.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Affaires étrangères 77. Sans la théoriser, la surenchère pour contrôler en


temps de guerre l’information économique a indubitablement joué entre
les trois ministères de la Guerre, des Affaires étrangères, puis du
Commerce jusqu’en 1918. Parallèlement à la Grande-Bretagne, l’affer-
missement de la tutelle de l’Etat sur le dispositif du commerce extérieur
allait passer par la réforme de l’office national extérieur du commerce
extérieur en 1919, marqué par la création de la Banque française du
commerce extérieur en 1920 78.
Durant la Première Guerre mondiale se renforcent enfin des alliances
secrètes bilatérales, parfois esquissées dans la seconde moitié du
79
XIXe siècle . De 1915 à 1919, le bureau interallié de renseignement offre
le cadre inédit de premières coopérations secrètes alliées, bilatérales et
multilatérales, au XXe siècle. À bien des égards, sa création en France en
septembre 1915 est un acte fondateur de l’âge international du renseigne-
ment 80. Cette instance secrète alliée a permis une coopération progres-
sive, réellement approfondie, entre les Français, les Anglais, les Belges, les
Italiens et les Russes. L’unité de la collecte et, surtout, de l’exploitation
du renseignement suppose alors une unité de commandement des
troupes alliées en France. Or, celle-ci n’était pas à l’ordre du jour des
conversations franco-anglaises menées par Alexandre Millerand, ministre
de la Guerre en 1915. Ministre du Commerce et de l’Industrie en
1899-1902, puis de la Guerre en 1912-1913, l’intérêt de Millerand pour

77. Georges-Henri Soutou, « Les dimensions économiques du conflit », in Paul-


Marie de La Gorce (dir.), La Première Guerre mondiale, Paris, vol. 1, 1991,
p. 308-309 ; Gérard Chastagnaret, « Du bon usage de l’optimisme : une lecture fran-
çaise de la crise financière espagnole de 1898 », in Gérard Chastagnaret (dir.), Crise
espagnole et nouveau siècle en méditerranée, Université de Provence et Casa de Velaz-
quez, 2000, p. 25-36 ; Georges-Henri Soutou (dir.), « Henri Hauser et la Première
Guerre mondiale », in Henri Hauser (1866-1946). Humaniste. Historien. Républicain,
sous la direction de Georges-Henri Soutou, Paris, PUPS, 2006, p. 147-183.
78. Laurence Badel, L’État à la conquête des marchés extérieurs au XXe siècle. Aux
sources de la diplomatie économique de la France, op. cit., p. 43-47.
79. Cf. chapitre 4.
80. Michaël Bourlet, Le Bureau interallié de renseignement de l’EMA
(1915-1919). Création, activités et évolution, personnels, mémoire de DEA sous la
direction de Jacques Frémeaux, Université de Paris IV-Sorbonne, 2002, 118 p.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

l’information, en particulier économique, est alors indéniable 81. Avec


l’objectif d’une coopération interalliée, Millerand rend possible une pre-
mière coopération en matière de renseignement. Il veut mettre sur pied
un organe commun de centralisation du renseignement en matière de
contre-espionnage. Ce bureau interallié ne se substitue en rien aux appa-
reils militaires d’espionnage et de contre-espionnage nationaux ; à vrai
dire, celui-ci a pour objectif de donner réalité à une « bourse de rensei-
gnements », au sens de banques de données individuelles partagées entre
les belligérants alliés. À cette fin, des archives communes doivent être
constituées en vue d’établir une centralisation des renseignements : les
fiches de suspects, la surveillance des frontières, les rapports sur les déser-
teurs et les insoumis, les rapports du contrôle postal et télégraphique, les
données sur le commerce d’importation et d’exportation ennemi comme
sur l’approvisionnement des pays alliés dans les pays neutres en constituè-
rent la base documentaire. Le ravitaillement des populations civiles, les
stocks de matières premières, les matériels de guerre en sont les premières
cibles 82. L’équipe française compte précisément à Folkestone le capitaine
Wallner et le capitaine Henry Béliard du 2e bureau de l’EMA pour super-
viser la collecte et l’analyse des informations économiques. En France,
des « listes noires » répertorient les sociétés nationales suspectées de
commercer avec l’ennemi et à l’étranger depuis 1915. À l’inverse, les
maisons de commerce neutres favorables à la France sont portées sur des
« listes blanches » depuis 1914, cruciales pour le ravitaillement français 83.
Le bureau archive les informations alliées économiques, notamment
commerciales 84. Il donne à la France et à la Grande-Bretagne des
résultats probants concernant l’information économique au terme de six

81. Marjorie Milbank Farrar, Principled Pragmatist. The Political Career of


Alexandre Millerand, Oxford, Berg Publishers Limited, 1991, p. 179-183 sur les rela-
tions de Millerand avec les Britanniques.
82. SHD/DAT 7N 890, note de la SCT pour le chef d’état-major général,
29 mars 1916.
83. AN F12 7861 à 7874, maisons de commerce suspectes (listes noires) en
France et à l’étranger 1915-1920 et F12 7876, maisons neutres favorables à la France
(listes blanches), 1914-1919.
84. SHD/DAT 7N 1 017 à 1 022, répertoire de renseignements du bureau inte-
rallié, avec les documents anglais, septembre 1915 à janvier 1919.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

mois d’existence 85. En matière de contre-espionnage, les listes de sus-


pects dressées pendant la guerre semblent révisées régulièrement jusqu’en
1919. La révolution communiste en Russie va leur donner une utilité qui
ne devait pas se démentir après 1918. Ces listes sont actualisées en France
en 1924, devenant la matrice d’un fichier des suspects étrangers, sur la
base duquel la Sûreté générale et les services de renseignement militaires
coopèrent activement. L’anticommunisme d’État et la répression de
l’espionnage étranger en France justifient, à eux seuls, l’intérêt de son
actualisation. À bien des égards, cette expérience, qui prolonge la coopé-
ration policière naissante des années 1880, débouche sur la création
d’Interpol en 1923 86. En définitive, ces deux premières tentatives sont
novatrices. Les réticences nationales à partager le renseignement et à
l’exploiter en commun s’y expriment pleinement, au premier chef dans
le domaine du renseignement militaire. Les appareils militaires demeu-
rent en effet nationaux. Pourtant, les idées sont lancées et l’amorce d’une
exploitation commune envisagée. Les dossiers élaborés entre les alliés sur
les suspects d’espionnage sont la documentation quantitativement la plus
importante. Ces dossiers du bureau interallié sont la matrice d’un fichier
des suspects entre les Anglais et les Français. Celui-ci est complété après
guerre par le contre-espionnage français. De fait, les listes de suspects
confectionnées par le contre-espionnage français se retrouvent dans les
archives françaises secrètes revenues de Moscou 87. Le fonctionnement du
bureau interallié intéresse donc tout particulièrement la coopération
franco-anglaise dans la guerre 88.

85. SHD/DAT 7N 890, note de la section de contrôle télégraphique au ministre


de la Guerre, 31 mars 1916 « sur les résultats les plus probants obtenus dans le
domaine de la guerre économique ».
86. Laurent Greilsamer, Interpol. Policiers sans frontières, Paris, Fayard, 1997,
p. 16 omet l’expérience de la guerre de 1914-1918, fondatrice à certains égards des
coopérations policières d’après-guerre.
87. SHD/DAT 7NN 2 044, dossier 182, listes interalliées brochées des suspects,
Paris, Imprimerie nationale, 1919. SHD/DAT 7NN 2 828, liste de suspects fournie
par la mission russe à la SR-SCR 1916-1918.
88. SHD/DAT 7NN, 2 708, compte rendu des entrevues de Lord Bertie et du
colonel Bigham avec le 2e bureau de l’EMA en France au sujet du fonctionnement
du bureau interallié, novembre 1917-mars 1918, entre novembre 1917 et
mars 1918.

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Les héritages de l’espionnage d’État en 1918

Au total, la Première Guerre mondiale a été le théâtre de trois évolu-


tions 89. Elle a révélé l’importance inédite et accrue du renseignement
technique pour les armées. Elle a accéléré l’organisation des appareils
militaires et civils de renseignement, en renforçant le rôle des sources
humaines, sans révolutionner la place du renseignement dans le fonction-
nement de l’État. Elle a imposé un cadre stratégique international aux
États, campant sur une organisation encore largement nationale de leurs
moyens. Les États ont partagé des expériences d’exploitation du rensei-
gnement en matière économique, en raison des implications du blocus et
de contre-espionnage, avec l’établissement de listes de suspects interalliés
enfin.

89. Olivier Forcade, Sébastien Laurent, op. cit., p. 98-106.

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Chapitre 2
Les rouages de l’État secret

L’histoire administrative des trois groupes de fonctionnaires, à savoir


les militaires, les policiers et les diplomates, se ramène à celle de trois
corps de l’État secret. Ceux-ci sont entendus au sens d’administrations
publiques et de groupes socioprofessionnels ayant des conceptions et des
pratiques propres au secret dans l’action publique en temps de paix et de
guerre. Cette notion peut s’appliquer au contexte des années 1918-1939
qui constitue une étape cruciale de la cristallisation déjà engagée depuis
la fin du XIXe siècle 1. Naturellement, les usages, les doctrines, les délimi-
tations du secret diffèrent nécessairement entre le policier spécialisé en
matière de contre-espionnage, le militaire qui est l’acteur principal de
l’acquisition de l’information secrète, sinon illégale, à l’étranger, et le
diplomate qui négocie et échange des informations, incluant les données
économiques des consuls avant 1914, tantôt confidentielles, tantôt
secrètes. Les usages et les acceptions mêmes du secret évoluent dans le
droit, sans forcément s’arrêter à la matière restrictive du seul « secret de
la Défense nationale ». En réservant l’histoire du secret aux policiers de la
Sûreté générale (nationale à partir du décret du 28 avril 1934), spécia-
lisés dans la surveillance du territoire, aux diplomates et en plaçant au
second plan les gendarmes, la démarche vise essentiellement à saisir le
groupe socioprofessionnel des militaires dans leurs relations avec les deux
autres corps.

1. Olivier Forcade, Sébastien Laurent, Secret d’État. Renseignement et pouvoirs


dans le monde contemporain, op. cit., p. 59-65 ; Sébastien Laurent, L’État secret,
l’information et le renseignement en France au XIXe siècle. Contribution à une histoire du
politique (1815-1914), op. cit., p. 306-309.

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Les rouages de l’État secret

Les trois corps du secret dans la République :


une « communauté du renseignement » ?

L’armée a-t-elle plusieurs cultures de l’espionnage ?


Les spécialistes de renseignement des services spéciaux militaires appar-
tiennent à un organisme militaire précis. Ils sont affectés aux sections de ren-
seignement et de centralisation des renseignements pour le contre-espionnage
militaire, attachées au 2e bureau de l’état-major de l’armée. Les postes de ren-
seignement aux frontières et à l’étranger sont liés à ces deux sections. La coor-
dination et la centralisation des « corps du renseignement » sont un enjeu
autrement intéressant pour appréhender l’attention de l’État à l’espionnage
et de l’appareil d’État à l’information secrète. Le siège central des services spé-
ciaux militaires et ses postes interarmées sont l’œil de l’espionnage en France
et à l’étranger. L’objet d’étude n’est donc pas la fonction du renseignement
dans les armées, pas plus que dans l’ensemble des corps de l’État qui s’inté-
ressent à l’information en général. L’histoire des services spéciaux militaires
n’est pas toute l’histoire du renseignement dans l’État.
À la fin de la guerre, l’organisation des services spéciaux militaires en sec-
tions du 2e bureau de l’état-major de l’armée demeure valable. Ces services
sont profondément marqués par une armée dont les forces terrestres l’empor-
tent en nombre, en missions et en puissance sur la Marine et la gendar-
merie. À la fin de la guerre, l’aviation est une arme relevant du
commandement des forces terrestres. Elle est une direction d’arme en 1922
avant de devenir une armée autonome en 1928. L’individualisation d’un
2e bureau à l’état-major de la Marine, puis à l’état-major de l’armée de l’air
avec le colonel Ronin en 1934, ne doit pas créer l’illusion d’une absence de
renseignement de la Marine ou de l’Air. Il y a une culture ancienne et pro-
prement navale du renseignement. Au XIXe siècle, le dépôt de la marine, les
ingénieurs hydrographes et les ingénieurs du génie maritime des chantiers
navals ont un rôle majeur dans la collecte de l’information ouverte et fermée.
La Marine a naturellement des moyens de renseignements, mais sans se doter
toutefois de moyens de contre-espionnage dans l’entre-deux-guerres qui sont
coordonnés par le contre-espionnage militaire. Les commandants de bâti-
ments font en permanence du renseignement tactique et opérationnel 2. De

2. Alexandre Sheldon-Duplaix, « Le renseignement français naval et la Grande


Guerre », in Frédéric Guelton, Abdil Bicer, op. cit., p. 137-155.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

même, ils renseignent traditionnellement l’état-major de la Marine sur les


mouvements de navires et de troupes observés à la faveur de leurs escales por-
tuaires. Sous l’Ancien Régime, la responsabilité incombant à la Marine dans
le réseau consulaire français jusqu’à la Convention oriente son intérêt vers un
renseignement stratégique et politique précoce. La place des militaires dans la
politique extérieure française a bien été constante, avec des modalités et des
intensités variables 3. Elle se maintient au XIXe siècle. En 1882, un bureau de
statistique maritime et d’études des marines étrangères est mis sur pied 4. Il
assume la fonction de renseignement dévolue traditionnellement à la Marine,
organisée dans le cadre de la 1re section de l’état-major de la Marine. Il dis-
pose d’un premier attaché naval en 1860, puis à partir de 1886 de plusieurs
postes d’attachés navals. En 1914, sept attachés navals sont recensés. En
outre, le renseignement est mis en œuvre grâce à l’action progressive des
attachés navals, puis des attachés de l’air plus tardivement dans les ambas-
sades après la Première Guerre mondiale. Le renseignement est donc bien
pris en compte par le commandement naval avant l’émergence du 2e bureau
de l’état-major général de la Marine en février 1920 5. Au début des
années 1920, ces 2es bureaux sont généralement communs aux forces armées,
mêlant des marins et des « terriens », avant une individualisation progressive
du renseignement naval, qui regagne sa tradition d’autonomie antérieure à
la Première Guerre mondiale, dans les postes mixtes et doubles. La fonction
de reconnaissance de l’aviation sur les champs de bataille est une leçon de la
Première Guerre mondiale. C’est désormais l’une des trois missions fonda-
mentales assignées aux forces aériennes qui comptent des unités de reconnais-
sance, de chasse, de bombardement 6.
Dans les armées, le renseignement tactique relève des armes, c’est-
à-dire des spécialités techniques de la cavalerie pour la reconnaissance, du
génie pour la reconnaissance des places fortes et du relief, de l’infanterie
et de l’artillerie, de la gendarmerie pour les troubles à l’ordre public, de
l’aéronautique. Le renseignement militaire renvoie donc préalablement à

3. Philippe Vial, « Une place à part : les militaires et les relations extérieures de la
France en temps de paix depuis 1870 », in Matériaux pour l’histoire de notre temps,
janvier-juin 2002, nº 65-66, p. 41-47.
4. Ministère de la Marine, Annuaire de la Marine et des Colonies, 1882.
5. Alexandre Sheldon-Duplaix, « Le renseignement naval français des
années 1850 à la Seconde Guerre mondiale », in Revue historique des armées,
décembre 2001, nº 225, p. 47-64.
6. Michel Goya, La Chair et l’acier, Paris, Tallandier, 2004, p. 167.

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Les rouages de l’État secret

une spécialisation des officiers qui plonge ses racines dans les cultures des
armes et des armées. Statistiquement, les officiers affectés dans les ser-
vices spéciaux militaires sont majoritairement issus des rangs de l’armée
de terre. Les services de renseignement des théâtres opérationnels dans
l’empire ont aussi une part dans cette histoire 7. En Afrique ou au Levant,
des expériences nouvelles sont menées, issues de la tradition des bureaux
des affaires arabes et indigènes dont les officiers illustrent l’excellence du
renseignement de contact, immergés dans les populations, entre adminis-
tration et politique 8. Ainsi Gabriel Puaux imagina-t-il en 1940 un projet
de corps civil des services spéciaux du Levant calqué sur le corps civil des
affaires indigènes au Maroc 9. La situation de la gendarmerie est particu-
lière. À la différence des autres armes assumant des missions de rensei-
gnement tactique de finalité exclusivement militaire, elle reçoit des
missions spécifiques de répression de l’espionnage et de renseignement,
déjà prévues dans l’ordonnance de 1820 sur le service de gendarmerie. Le
décret du 20 mai 1903 sur l’organisation et le service de la gendarmerie
définit les prérogatives et les attributions de l’arme. Notamment, ses rela-
tions avec les autorités ministérielles, à qui elle adresse des rapports spé-
ciaux sur les arrestations des espions (titre II) et ses attributions en
matière de police judiciaire (titre III) sont précisées en matière de lutte
contre l’espionnage 10. Quoique collectant de l’information depuis 1820,
l’arme de la gendarmerie devient, dans la seconde moitié du XIXe siècle,
un auxiliaire essentiel de la Sûreté générale pour le service de contre-
espionnage 11. La gendarmerie prévôtale reçoit des missions propres de

7. Cf. chapitre 7.
8. Jacques Frémeaux, L’Afrique à l’ombre des épées (1830-1930), Vincennes,
2 vol. 1993-1995 et Les Bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Paris, Denoël,
1993, p. 25 ; Jean-David Mizrahi, Genèse de l’État mandataire. Services de renseigne-
ment et bandes armées au Syrie et au Liban dans les années 1920, Paris, Publications de
la Sorbonne, 2003, 462 p.
9. Hervé Pierre, L’officier français au Levant pendant l’entre-deux-guerres
(1919-1939). Entre mandat et protectorat, mémoire de DEA, sous la direction de
Jacques Frémeaux, Paris IV-Sorbonne, 2001, p. 37.
10. Arnaud-Dominique Houte, Le métier de gendarme national au XIXe siècle,
op. cit., p. 539-540.
11. Jean-Noël Luc (dir.), Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie. Guide
de recherche, Maisons-Alfort, SHGN, 2005, p. 329-338.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

renseignement depuis le XIXe siècle 12. Des missions traditionnelles de sur-


veillance la placent au cœur d’un flux d’informations considérable : elles
touchent la circulation, les populations et les frontières. Après 1914,
celles-ci se prolongent par des missions de traque des agissements dou-
teux à l’instar des menées antipatriotiques ou de la colombophilie. Elles
débouchent sur des missions de recherche des suspects, signalées par
l’autorité militaire à la Sûreté générale. La mission de prévention des sus-
pects et de lutte contre l’espionnage la fait participer naturellement à la
production de renseignement et à la police de contre-espionnage. Cette
mission s’est affermie en 1914-1918 dans la zone de l’intérieur avec la
police de surveillance du territoire. Cette dernière se fait en liaison avec
la hiérarchie militaire qui a autorité sur la police de contre-espionnage
dans la zone des armées 13. L’observation des personnes, de l’opinion, des
écrits, la prévention des menées préjudiciables au secret la place au cœur
de l’appareil de renseignement de l’État en 1918. La gendarmerie
concourt donc au premier chef au contre-espionnage sur le territoire en
liaison avec les commissaires spéciaux, chefs de secteur qui gardent auto-
rité en matière de contre-espionnage sur le territoire français. En dernier
ressort, l’autorité sur la police de contre-espionnage appartient, dès les
textes de la fin du XIXe siècle, à la Sûreté générale 14. La liaison est prévue
au niveau des commandants de section entre le commissaire de la surveil-
lance du territoire et le commissaire spécial, l’autorité commandant la
région militaire (2e bureau) et la sous-direction de la gendarmerie. Le
commandant de brigade est en liaison avec le commissaire de la surveil-
lance du territoire, le commissaire spécial chargé du secteur et le
commandant de section de gendarmerie. Enfin, la gendarmerie a un rôle
de recherche et de surveillance, menant des opérations de police propres
ou prescrites par le commissaire spécial : vérifications d’identité, fouilles,
perquisitions, recherches, surveillances, enquêtes. Dans les armées en
campagne, l’organisation des prévôtés à l’échelon d’une division ou d’un

12. Jean-Noël Luc (dir.), Gendarmerie, État et société au XIXe siècle, Paris, Publica-
tions de la Sorbonne, 2002, 510 p.
13. Louis Panel, Gendarmerie et contre-espionnage (1914-1918), Maisons-Alfort,
Service historique de la Gendarmerie nationale, 2004, p. 123.
14. SHD/DAT 7NN 2 101, instruction du ministère de la Guerre sur le service
de contre-espionnage, chapitre 7 sur le rôle de la gendarmerie en matière de contre-
espionnage, 1938.

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Les rouages de l’État secret

corps d’armée assure la mission de répression de l’espionnage. La gendar-


merie conserve ces missions après la guerre avec des attributions précises.
Selon le temps de paix ou de guerre, l’orientation en matière de contre-
espionnage incombe au bureau de centralisation de renseignement de la
région militaire ou au 2e bureau de l’état-major de l’armée. Le règlement
du service de gendarmerie aux armées prévoit les relations entre les pré-
vôtés et les services de sûreté aux armées 15.
Dans le vocabulaire des services spéciaux militaires, la section de ren-
seignement est appelée la « SR ». Jusqu’en 1915, elle couvre seule
l’espionnage, au point de parler indistinctement de « la SR » ou « du
SR ». Le contre-espionnage relève de 1899 à 1915 du seul ministère de
l’Intérieur. Dans les années 1920, les espions parlent plutôt du SR, sans
disqualifier l’appellation de « la SR », qui demeure une section du
2e bureau de l’EMA. Le SR est chargé de l’acquisition de renseigne-
ments par des procédés de recherche légaux et illégaux sur l’adversaire.
Aussi dispose-t-il de moyens de recherche humains et techniques. Par
extension, l’abréviation « SR » en est venue à désigner jusqu’en 1915
l’espionnage français en général. Par assimilation, les contemporains par-
lent du « 2e bureau » en confondant l’organe d’état-major d’exploitation
avec les organes de recherche des informations. De Gaulle lui-même a
cédé à cette représentation dans ses Mémoires de guerre :
« Par une sorte d’obscure prévision de la nature, il se trouvait qu’en 1940 une
partie de la génération adulte était, d’avance, orientée vers l’action clandestine.
Entre les deux guerres, en effet, la jeunesse avait montré beaucoup de goût pour
les histoires de 2e bureau, de service secret, de police, voire de coups de main et
de complots. Les livres, les journaux, le théâtre, le cinéma, s’étaient largement
consacrés aux aventures de héros plus ou moins imaginaires qui prodiguaient

15. SHD/DAT 7NN 2 101, note de la SCR/EMA2 du 31 juillet 1933 sur la


participation de la gendarmerie au service de contre-espionnage, 23 p. et rectification
à la note de 1933 du 20 avril 1937. Cette note de 1937 distingue en temps de guerre
les attributions de la gendarmerie entre la zone de l’intérieur et la zone des armées.
Dans la zone de l’intérieur en état de siège, la gendarmerie informe le BCR de la
région militaire et le commissaire spécial de la surveillance du territoire des affaires
d’espionnage qui se déclareraient. Le BCR donne les directives d’enquête. Dans la
zone des armées, ce rôle est assumé par la SCR du 2e bureau de l’EMA, après que la
gendarmerie a informé le CST et le BCR.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

dans l’ombre les exploits au service de leur pays. Cette psychologie allait faciliter
le recrutement des missions spéciales 16. »
Concernant l’organe d’exploitation du renseignement qu’est un
e
2 bureau, la guerre de 1914-1918 n’a apporté que des aménagements
administratifs et formels à l’organisation établie depuis 1871. Pour
l’essentiel, ce 2e bureau conserve l’organisation de l’avant-guerre. Auprès
du commandement se place un organe de centralisation des résultats des
opérations, chargé d’établir une synthèse unique et de diffuser les rensei-
gnements. Un 2e bureau est un organe d’exploitation du renseignement,
à la différence d’un organe de collecte de l’information. Dans des unités
non pourvues d’état-major, il s’agit d’un officier de renseignements.
À l’EMA, le chef d’un 2e bureau a quatre missions principales 17. Il doit
préciser, par l’établissement d’un plan de renseignement, les informa-
tions à recueillir. Il organise leur collecte en appliquant un programme
de recherche des informations. Il interprète les renseignements et en fait
une synthèse à l’intention du commandement. Il diffuse le renseigne-
ment à tous les destinataires intéressés.
« Renseigner un chef, c’est lui présenter, en une synthèse unique, sous une
forme immédiatement exploitable par lui, tous les renseignements concernant
l’ennemi susceptibles de déterminer ou modifier sa décision 18. »
De fait, les renseignements reçus par les 2es bureaux sont d’une nature
très diverse. À l’échelon d’une armée, il y a trois catégories de renseigne-
ments collectés. Il y a d’abord ceux analysés dans les bulletins ou dans
les avis de renseignements du GQG qui sont prêts à être diffusés. Une
seconde catégorie renvoie à ceux contenus dans les synthèses des grandes
unités, soit les corps d’armée et de division de cavalerie, les services de
renseignement de l’artillerie et de l’aéronautique, les services spéciaux de
l’armée. Ils ont fait l’objet de classements et d’études. Enfin une troi-
sième catégorie provient des observatoires spéciaux, des photographies
aériennes, des documents saisis, des déclarations de prisonniers, du maté-
riel pris à l’ennemi, des messages ennemis captés. Ces renseignements

16. Charles de Gaulle, Mémoires de Guerre, tome 1, L’Appel 1940-1942, Paris,


Plon, 1954, p. 162.
17. SHD/DAT 7N 2 490, note du 2e bureau sur le rôle et le fonctionnement du
e
2 bureau, 1929. Instruction provisoire sur l’emploi tactique des grandes unités,
1921.
18. SHD/DAT 7N 2 490, note du 2e bureau sur le rôle et le fonctionnement du
2e bureau, 1929, p. 3.

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Les rouages de l’État secret

contiennent des informations brutes incompréhensibles pour quiconque


ne sait pas les interpréter, les traduire, les décrypter. Pour les trans-
former en renseignements utilisables, ces informations sont étudiées par
des sections de spécialistes du 2e bureau. Dans les grandes unités, ce sont
les sections spécialisées d’études du terrain (cartographie, restitution des
photographies aériennes), la section des interrogatoires et des dépouille-
ments des documents ennemis, la section du chiffe et des sections
d’études analysant les renseignements mis en forme par les sections
spécialisées.

Ministère de la Guerre

État-major de l’armée

presse nationale étrangère


2e bureau presse spécialisée étrangère
sources militaires régulières
section de statistique (SS puis SR) :
espionnage et contre-espionnage sources non militaires occasionnelles
Ministère des Affaires étrangères
Ministère de la Marine
attachés militaires Ministère de l’Intérieur
presse nationale et spécialisée étrangère Préfecture de Police de Paris
échange avec les autorités militaires et
les attachés militaires étrangers
espionnage
Missions militaires à l’étranger

Les sources de renseignement du 2e bureau de l’état-major de l’armée 19

Ainsi, un 2e bureau renseigne et organise la recherche de renseigne-


ments. Il renseigne en établissant une synthèse du 2e bureau, qui délivre
la quintessence des renseignements exploitables. Il permet également la
rédaction d’un bulletin de renseignement périodique, destiné aux
commandants des unités, aux services des grandes unités et des

19. Sébastien Laurent, Aux origines de la « guerre des polices », op. cit., p. 775.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

états-majors, par lequel tous les renseignements sont présentés. Ce der-


nier classe les renseignements par pays en distinguant les situations géné-
rale, militaire, économique 20.
À la fin de la Première Guerre mondiale, le 2e bureau de l’état-major
de l’armée est schématiquement partagé en deux groupes de sections. Il
conserve cette répartition générale de 1918 à 1939. En premier lieu, les
recherches sont assurées par la section de renseignement ou de recherche
(SR) qui effectue, par des procédés secrets, des investigations à l’étranger
que les organes officiels ne peuvent accomplir. Elle dispose de postes
qu’elle dirige et coordonne aux frontières et à l’étranger. En effet, les
commissions de contrôle, les missions militaires, les attachés militaires,
les représentations diplomatiques ne peuvent se livrer théoriquement à
l’espionnage. La section de centralisation de renseignement (SCR) est
quant à elle un organe défensif chargé du contre-espionnage. Leur nature
originelle a pu évoluer au gré des missions confiées à la fin des
années 1930. En second lieu, une section d’études des armées étrangères
(SAE) se subdivise en sections répondant à des objectifs géographiques,
soit les sections allemande, italienne, anglo-méditerranéenne, orientale
(Russie, pays d’Europe centrale et balkanique). Elle provoque et dirige les
recherches. Elle reçoit des informations de toutes provenances, dont
celles de la SR et de la SCR, des attachés militaires, des missions mili-
taires, de la presse, pour en dresser une synthèse 21. La mission du
2e bureau demeure de fournir au commandement toutes les informa-
tions utiles à l’établissement des plans stratégiques et le renseignement
pour exécuter des missions attribuées à l’armée. Le 2e bureau centralise
les renseignements des grandes unités (depuis la division jusqu’à l’armée)
et ceux obtenus par les sections spécialisées dans l’espionnage à l’étranger
et le contre-espionnage sur le territoire national. Depuis le début de
l’organisation des états-majors en bureaux spécialisés au début de la
IIIe République, chaque armée a son état-major avec ses bureaux propres.

20. SHD/DAT 7N 2 503, Bulletin de renseignement de l’état-major de l’armée,


2e bureau, 1er juin 1921, p. 3-9. Il aborde la situation générale de l’Allemagne (répa-
rations, ultimatum du 5 mai 1921, crise ministérielle, question de Haute-Silésie) et
sa situation économique (accord germano-russe, clauses financières de l’ultimatum
des Alliés du 5 mai 1921 sur les réparations). Différents pays sont ensuite étudiés. Le
bulletin compte 60 p.
21. SHD/DAT 7NN 2 101, étude sur le 2e bureau en temps de paix du capitaine
Eugène Carrias, octobre 1925.

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Les rouages de l’État secret

La Marine met sur pied son 2e bureau d’état-major en 1920. Son évolu-
tion aboutit dans les années 1920 à une autonomisation. Le capitaine de
frégate Jean Fernet parachève son organisation à la fin des années 1920 22.
Un 2e bureau de l’Air est mis en place en 1934 23. Pour autant, la sec-
tion de renseignement (SR) et la section de centralisation de renseigne-
ment (SCR) qu’on baptise « services spéciaux militaires » sont des
sections du 2e bureau de l’EMA. À dominante terrienne, elles n’en
accueillent pas moins des officiers de Marine et de l’Air. Le cas est avéré
dans les postes clandestins sur le territoire et notamment à l’étranger,
qualifiés de mixtes ou de doubles. Le capitaine André Sérot, aviateur, est,
à ce titre, affecté au service central des services spéciaux militaires dans les
années 1930. Ces sections SR et SCR mettent en œuvre la recherche des
informations sur la base de plans de renseignements. Amendables, ceux-ci
orientent leurs recherches.

Le contre-espionnage partagé entre la police et l’armée après


1919
Simple instance centrale d’exploitation des informations en matière
de contre-espionnage, la section de centralisation de renseignement ne
dispose donc pas, après 1919, de moyens d’investigation humains qui
sont, en la matière, dans les mains de la police. Elle compte tout au plus
quelques officiers à Paris et dans ses antennes les plus importantes en pro-
vince dans les années 1920-1930, notamment à Metz et Belfort. Tirant
les leçons des menées subversives sur le territoire national pendant la
guerre, un commissariat de la Sûreté nationale est créé par décret le
12 février 1918 pour réunir les représentants des différents ministères
concernés, l’Intérieur, la Guerre, la Marine, les Affaires étrangères,
l’Armement. Au nom du président du Conseil, il prend les décisions

22. SHD/DAT 7NN 2 324, note nº 255 du capitaine de frégate Fernet, EMG2
Marine, du 11 mai 1927 au sujet de la recherche de renseignements sur le SR alle-
mand. Le contre-amiral Jean Fernet fut l’adjoint du secrétaire général du CSDN en
1938-1940, puis secrétaire général du CSDN du 17 juin au 22 juillet 1940. Jérôme
Cotillon, Ce qu’il reste de Vichy, Paris, Colin, 2003, p. 15. Membre du Conseil
national de Vichy en 1940-1941, le vice-amiral Fernet publia Aux côtés du maréchal,
souvenirs 1940-1941, Plon, 1957.
23. Pascal Vennesson, L’Institutionnalisation de l’armée de l’air, thèse de sciences
politiques, IEP de Paris, 1992, 2 vol., 672 p., p. 560.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

relatives au service de contre-espionnage jusqu’en janvier 1920. Un ser-


vice d’enquête et de contrôle des passeports est mis en place auprès des
ambassades, permettant de refuser aux suspects l’entrée de la France. Une
nouvelle note interministérielle prévoit d’amender les dispositions du
temps de guerre en février 1920. Elle propose le maintien du dispositif
et la création inédite d’un organe interministériel auprès du président du
Conseil pour coordonner la coopération des ministères. Serait-ce la fin
des rivalités administratives et des tensions institutionnelles ? En réalité,
le temps de paix renforce les arguments d’une solution consistant à faire
basculer le service de contre-espionnage au ministère des Affaires étran-
gères. Mener des enquêtes de contre-espionnage à l’étranger en temps de
paix a toujours été problématique, a fortiori lorsque les attachés mili-
taires et les ambassadeurs y étaient mêlés. La possibilité de les faire diriger
par un attaché militaire adjoint, protégeant le statut diplomatique de
l’attaché militaire, fut envisagée. Au-delà de l’affrontement de deux
cultures administratives, l’enjeu était tel que ce règlement fut repoussé à
1921 24. En 1921, le ministère des Affaires étrangères entend encore éta-
blir son autorité sur les activités de contre-espionnage à l’étranger. En
vain. En mars 1921, le directeur de la Sûreté générale défend le principe
d’une coopération renforcée avec la direction des services spéciaux mili-
taires sur la question du contre-espionnage et de la lutte contre le « bol-
chevisme » en France. En réalité, le ministre de l’Intérieur, Pierre
Marraud, a déjà exprimé son refus de voir le ministère des Affaires étran-
gères prendre le contre-espionnage à l’étranger à son compte 25. Il sou-
haite également maintenue la coopération équilibrée née entre les
départements de l’Intérieur et de la Guerre depuis 1915. L’obsession du
péril bolchévique nourrit son analyse. Or, si les Affaires étrangères peu-
vent s’accommoder de ces implications à l’étranger en temps de guerre, le
temps de paix revêt des enjeux diplomatiques très différents 26. Le modus
vivendi est trouvé entre le cabinet du ministre de l’Intérieur, le directeur

24. Bertrand Warusfel, Contre-espionnage et droit du secret. Histoire, droit et orga-


nisation de la sécurité nationale en France, Panazol, Lavauzelle, 2000, p. 22-23.
25. Appartenant à la gauche républicaine, Pierre Marraud est ministre de l’Inté-
rieur dans le cabinet Briand (16 janvier 1921-12 janvier 1922).
26. SHD/DAT 7NN 2 151, compte rendu du capitaine Mossaz, SCR/EMA2 du
29 avril 1921 au sujet de la conférence à la direction de la Sûreté générale du chef de
cabinet du ministre de l’Intérieur, M. Perrier, avec les représentants des Affaires
étrangères au sujet des attributions en matière de contre-espionnage.

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Les rouages de l’État secret

de la Sûreté générale Sicard et la SCR dans une nouvelle réunion au


début de mai 1921. Le service de contre-espionnage à l’étranger demeure
au ministère de la Guerre en temps de paix. Les Affaires étrangères
renoncent à modifier l’équilibre né dans la guerre. Durant toutes les
années 1920 et 1930, cette situation constitue le principe qui régit la
répartition interministérielle des attributions en matière de
contre-espionnage.
À la fin de la guerre, il y a donc une organisation du contre-espion-
nage dans le cadre administratif des régions militaires et centralisée par
l’autorité militaire. Après la guerre, ses missions de contre-espionnage
donnent lieu à une définition précise avec le ministère de l’Intérieur dont
le principe, en dépit de quelques aménagements, est stable jusqu’en
1939. Depuis la fin de la Première Guerre mondiale, la SCR dispose
d’un bureau de centralisation de renseignement (BCR) dans chaque
région militaire. Cet organe militaire est, de fait, lié à un contrôleur
général de la surveillance du territoire. Ce dernier est désigné par la direc-
tion de la Sûreté générale du ministère de l’Intérieur. Il coiffe l’ensemble
des commissaires spéciaux de la Sûreté générale de la région militaire.
Cette centralisation au profit de la SCR du 2e bureau de l’EMA vaut en
France comme à l’étranger. L’organisation des bureaux centraux de ren-
seignements (BCR) pose jusqu’en 1939 des difficultés dans la réparti-
tion des attributions des militaires et des policiers œuvrant de concert au
service de contre-espionnage. La liaison des deux structures et leur cen-
tralisation par les services spéciaux militaires à Paris butent sur des spéci-
ficités professionnelles et des dispositions psychologiques qui en freinent
l’application. Plusieurs instructions précisent l’articulation des moyens de
contre-espionnage des ministères de l’Intérieur et de la Guerre.
Les instructions ministérielles en matière de contre-espionnage furent
renouvelées à plusieurs reprises entre le début des années 1920 et le début
de la Seconde Guerre mondiale en 1939. L’instruction du 26 novembre
1924 reprend ainsi les principes débattus depuis 1919 pour les fondre
dans un texte resté en vigueur jusqu’en 1939. L’autorité militaire prête
son concours à la Sûreté générale. En 1925, l’organisation des secteurs
frontaliers est étendue à l’ensemble du territoire. Le vote de la loi du
2 janvier 1934 et l’affaire Stavisky créent un contexte propice à une
réforme de la Sûreté générale. Cette situation permet, d’une part, de
mettre en évidence la faiblesse des moyens de la Sûreté, d’autre part
l’insuffisance de spécialisation de son personnel de recherches judiciaires

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

qui n’est pas formé à la répression du contre-espionnage. L’institution de


la Sûreté nationale à la place de la Sûreté générale, par le décret du
28 avril 1934, devait répondre à ces deux défis. Le contrôle général des
services de la surveillance du territoire (CGST) est créé. Les services de
contre-espionnage lui sont rattachés 27. Le poste de contrôleur général du
contre-espionnage est confié à Ducloux. Ce contrôle général de la surveil-
lance du territoire est divisé en onze circonscriptions administratives en
1935. Il a une vocation purement répressive 28. À la fin des années 1930,
le haut commandement n’a pas renoncé à essayer de contrôler des
enquêtes de contre-espionnage, dont il n’a de fait ni les moyens humains
et administratifs, ni les compétences judiciaires.
Cette organisation est encore rationalisée par le décret du 9 mars
1937. Animée par les commissaires Oswald et Castaing qui ont des liens
étroits avec Rivet, le contrôle général dispose désormais d’une centaine
de fonctionnaires, regroupés en six régions de contre-espionnage et ren-
forcées par dix commissariats spéciaux de surveillance dans les régions
militaires. Dans une parfaite continuité avec la police spéciale, la police
de surveillance du territoire devient une police autonome, avec ses
moyens propres pour la première fois depuis 1899. L’organisation terri-
toriale se superpose à celle militaire pour renforcer l’efficacité de la coor-
dination avec le ministère de la Guerre. Cette réforme coïncide avec la
réorganisation du contre-espionnage militaire, préventif pour la protec-
tion du secret militaire et offensif en vue de la pénétration des services
d’espionnage ennemis 29. La dernière instruction qui en découle est celle
du 10 février 1938. À l’imitation de nombreuses réformes administra-
tives, celle-ci récapitule plus qu’elle ne pose de nouveaux principes fonda-
mentaux, largement repris des années écoulées. Le premier confirme que
la direction de la lutte contre l’espionnage en temps de paix appartient
bien au ministère de l’Intérieur. L’équilibre né de l’affaire Dreyfus n’est
pas retouché. Au-delà des frontières, la recherche de renseignement de

27. SHD/DAT 7NN 2 101, note du ministre de la Défense nationale, SCR/


EMA2 du 18 décembre 1936 au ministre de l’Intérieur, direction de la Sûreté géné-
rale, au sujet de l’organisation des services de contre-espionnage.
28. Marcel Chalet, « La DST, service français de contre-espionnage », in Pierre
Lacoste, Le Renseignement à la française, Paris, Economica, 1998, p. 306.
29. 7NN 2366, Dossier sur le contrôle de la surveillance du territoire et la SCR
1937-1941.

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Les rouages de l’État secret

contre-espionnage continue d’incomber au ministre de la Guerre. Cet


état de fait rappelle l’entente de 1921 et 1924 forgée contre la position
défendue par le Quai d’Orsay. Le ministère de la Guerre centralise égale-
ment, au bénéfice des ministères de la Marine, puis de l’Air dans les
années 1930, tous les renseignements de contre-espionnage. Par ailleurs,
la liaison est étroitement établie entre les différents services policier, mili-
taire et de gendarmerie collaborant au contre-espionnage sur le territoire
national.

En temps de paix, les postes SR-SCR gardent, en relation directe avec


la centrale à Paris, la direction des moyens de contre-espionnage sur le
territoire. Les postes de la SR-SCR aux frontières commencent à donner
des directives de contre-espionnage plus précises, sur instruction de Paris,
dans les années 1920. Or, les officiers des armées et de la gendarmerie,
tout comme les commissaires de surveillance du territoire, ne compren-
nent pas toujours la logique hiérarchique de cette organisation centra-
lisée. Cette situation durable explique l’évolution du contre-espionnage
après la crise internationale rhénane de 1936. Depuis Paris, les commis-
saires Castaing et Oswald coordonnent désormais étroitement, pour la
Sûreté nationale, le contrôle de la surveillance du territoire dans
l’ensemble des régions administratives réorganisées en 1937 en liaison
avec la SCR. En 1938-1939, les inspections diligentées par la SCR pour
éprouver l’efficacité du dispositif démontrent ses failles. En avril 1938, le
capitaine Paillole, adjoint du chef du contre-espionnage militaire, sou-
ligne encore « l’état embryonnaire des BCR à Toulouse et à Montpel-
lier ». Certes, leurs rapports avec la Sûreté nationale et la gendarmerie
étaient très bons, quoique trop peu fréquents. Mais il jugeait leur colla-
boration « de fortune avec le poste d’espionnage 30 » couvrant la frontière
franco-espagnole.
En 1937, un questionnaire adressé par le 2e bureau de l’EMA au
commandement des régions militaires avait déjà fait le point sur la coo-
pération entre les policiers et les militaires. La liste des commissaires

30. SHD/DAT N 2 400, compte rendu de mission du capitaine Paillole, adjoint


au chef de la SCR à SCR/EMA2 d’avril 1938 au sujet de sa mission à Montpellier et
Toulouse sur les bureaux de centralisation de renseignements. Il s’agit du bureau
d’études pyrénéennes en place depuis 1937 à Bayonne et à Perpignan, dans le
contexte particulier de la guerre civile espagnole.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

spéciaux par région militaire est jointe à chaque fois avec une apprécia-
tion de la nature de cette coopération. Chaque région militaire en
compte une dizaine ainsi qu’un commissaire de CST qui centralise leur
travail au niveau de la région avec l’autorité militaire. Cette collaboration
est exemplaire dans la plupart des cas de figure. Pour la région militaire
à Lille, elle est estimée « excellente ou très bonne » dans sept cas sur onze.
Leur coopération s’oriente dans trois directions, à savoir la surveillance
des fortifications, la surveillance des usines et des ports, les enquêtes sur
des suspects et les étrangers entrant dans la région militaire 31. Dans la
région militaire d’Amiens, le général Corap se loue du concours des cinq
commissaires spéciaux. Pour la région militaire de Rouen, le bilan dressé
de leur activité fait état de nombreuses enquêtes, sans compter celles sur
les personnels dans les établissements récemment nationalisés demandées
par les ingénieurs 32. Les liaisons administratives avec l’armée sont sou-
vent rendues délicates par la conception exagérément hiérarchique pro-
jetée par les officiers, encouragés par la société militaire à un esprit de
déférence qui se combine parfois avec une défiance de corps à l’encontre
des policiers.

Les enquêtes diligentées par les commissaires spéciaux en 1937


dans la région militaire de Rouen

Région militaire Rouen Dieppe Le Havre Évreux Caen Cherbourg


de Rouen
Nombre 526 37 451 67 691 152
d’enquêtes
engagées en 1937

Chef du poste de Belfort, le capitaine Lombard se félicite pourtant de


la coopération avec la trentaine de commissaires spéciaux du Haut-Rhin
et du Bas-Rhin en avril 1938. Cependant, il regrette que des moyens

31. SHD/DAT 7NN 2 366, dossier sur les relations entre les commissaires de la
surveillance du territoire et la SR-SCR dans les régions militaires en novembre 1937.
Note du général commandant la 1re région militaire sur la liste des commissaires spé-
ciaux et l’appréciation de leur esprit de collaboration, 29 novembre 1937.
32. SHD/DAT 7NN 2 366, note du général Corap, commandant la 2e région
militaire au ministre de la Guerre, SCR/EMA2 du 2 décembre 1937 (sièges à
Amiens, Charleville-Mézières, Verdun, Laon, Beauvais).

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Les rouages de l’État secret

insuffisants ne permettent pas de poursuivre et de résoudre rapidement


toutes les affaires de contre-espionnage. Seize étaient ainsi en souffrance
au début de 1938. De son point de vue, les attributions multiples des
commissaires spéciaux freinent leur activité de contre-espionnage. « Il
s’ensuit qu’ils se considèrent plutôt comme des agents d’information et
se bornent à faire de la répression quand les faits d’espionnage sont évi-
dents 33. » Il gratifie donc ceux d’entre eux, à l’image du commissaire
Wenger, « vieux collaborateur du service des communications militaires
(SCM) remarquablement dévoué » à Lauterbourg ou Burger à Saint-
Louis, qui consacrent une part notable de leur temps au recrutement
d’agents et aux entrevues avec eux. Mais tous ne collaborent pas au
contre-espionnage militaire avec la même ardeur, rompant l’image d’une
parfaite harmonie entre l’armée et la police. L’équipe de Strasbourg, qui
n’avait jamais opéré avec le service des communications militaires à Bel-
fort en 1937, s’habitue ainsi à une liaison contraignante. Elle apprécie les
directives du poste militaire de Belfort comme des empiètements régu-
liers qui vont s’atténuant. Leur contribution au contre-espionnage est très
concrète et variée. La filature de suspects est la plus fréquente. Le recru-
tement d’agents parmi les réfugiés est une activité plus délicate. Après
1935, suivre des agents allemands parmi les Sarrois réfugiés dans la
France entière fut ainsi une tâche très difficile. À Lille, le bilan met en
relief des résultats décevants pour l’année 1937. À la fin des années 1930,
le bureau d’études du nord-est à Lille, avec une zone à cheval sur la pre-
mière (Lille) et la seconde (Amiens) région militaire, observe la conclu-
sion négative des affaires suivies depuis un an par les services du CST. Il
collabore avec dix-huit commissaires spéciaux donnant en règle générale
toute satisfaction 34. Les raisons en sont multiples. L’activité des agents
ennemis et les difficultés de communication gênent les arrestations par
un personnel limité. Des difficultés pécuniaires des fonctionnaires de la

33. SHD/DAT 7NN 2 366, note nº 306-CE du capitaine Lombard, chef du


SCM à Belfort du 28 avril 1938 au sujet des affaires de contre-espionnage en ins-
tance.
34. SHD/DAT 7NN 2 366, note nº 1325/A du commandant Darbou, chef du
BENE du 22 novembre 1937 au chef de la SR-SCR/EMA2 au sujet de la liste des
commissaires spéciaux et de leur coopération.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Sûreté limitent leur déplacement 35. Dans le même temps, le poste


SR-SCR de Metz travaille efficacement en liaison avec une quinzaine de
commissaires spéciaux. On voit donc que les postes ont une appréciation
décalée de celle des commandants des régions militaires. Le travail réel de
contre-espionnage met au contact les services policiers et militaires à leur
échelon administratif et territorial, dans des pratiques de surveillance dis-
tinctes. Si la coopération est globalement satisfaisante en 1937-1938, la
coordination des actions de contre-espionnage souffre encore des réti-
cences réciproques de certains fonctionnaires policiers et militaires à coo-
pérer sans arrière-pensées depuis 1919.

La diplomatie, les attachés militaires et l’espionnage


La diplomatie et l’espionnage ont-ils toujours fait bon ménage ? Si la
diplomatie est un berceau historique de l’espionnage en France sous
l’Ancien Régime, le diplomate n’a plus après 1919 qu’une parenté très
éloignée avec l’ambassadeur d’Ancien Régime, souvent accompagné par
l’espion 36. Dans son portrait du diplomate, Jules Cambon, ancien
ambassadeur de France à Londres de 1898 à 1920, ne voit pas de
commerce naturel entre le diplomate et le militaire ; au point de ne pas
citer le mot d’espion dans son opuscule, sans doute en raison d’un juste
« esprit de corps des diplomates 37 ». L’ambassadeur de France aux
États-Unis, Jusserand, s’était par exemple opposé à deux reprises, en jan-
vier 1916 et 1917, à la mise sur pied d’un service de renseignement
animé par le commandant Martin auprès de l’attaché naval à Was-
hington 38. Lorsque le commandant Merson, adjoint au chef de la

35. SHD/DAT 7NN 2 366, note nº 1537/CE du capitaine Bernier, adjoint


contre-espionnage du chef du BENE du 26 avril 1938 au chef de la SR-SCR/EMA2
au sujet de la résolution des affaires d’espionnage en cours.
36. Lucien Bély, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris, Fayard,
1990, 905 p. ; Alain Hugon, Au Service du roi catholique. « Honorables ambassa-
deurs » et « divins espions ». Représentation diplomatique et service secret dans les rela-
tions hispano-françaises de 1598 à 1635, Madrid, Bibliothèque de la Casa de
Velazquez, vol. 28, 2004, p. 359-464.
37. Jules Cambon, Le Diplomate, Paris, Hachette, 1926, p. 64 ; Laurent Villate,
La République des diplomates. Paul et Jules Cambon, 1843-1935, Paris, Science
Infuse, 2002, 350 p.
38. Virginie Paroutian, « L’attaché naval à Washington et le renseignement
français aux États-Unis (1899-1939) », in Revue Historique des armées, 2000/4, p. 20.

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Les rouages de l’État secret

SR-SCR, envoya une équipe accompagner le ministre des Affaires étran-


gères Louis Barthou, à sa demande, à la conférence de Gênes en avril-
mai 1922, il le fit comme militaire, non comme diplomate 39.
L’espionnage est interdit, banni du vocabulaire de la diplomatie moderne
qui s’efforce de tourner le dos à la diplomatie des négociations secrètes,
honnie par le XXe siècle naissant. Deux points de vue dominent ici pour-
tant. Le service diplomatique des attachés militaires délimite le domaine
secret dans les postes diplomatiques. D’autre part, les prises de position
officielles du ministère des Affaires étrangères rappellent la doctrine en
vigueur. Le commerce du secret entre le ministère des Affaires étran-
gères et de la Guerre est tout différent de celui établi avec le ministère
de l’Intérieur. Précisément, Sébastien Laurent a démontré que les attribu-
tions des attachés militaires répondent à ces défis plus précocement qu’il
n’était admis jusqu’à présent par l’historiographie 40. Au XIXe siècle, des
officiers deviennent attachés militaires dès la Restauration, pouvant être
mis « à la disposition » des Affaires étrangères pour remplir des « missions
diplomatiques » dans les ambassades, à partir de l’ordonnance royale du
10 décembre 1826 sur le corps royal d’état-major datant la naissance des
« attachés aux ambassades », plus tard dénommés « attachés militaires » 41.
L’ordonnance fait la distinction entre les missions diplomatiques « sous la
tutelle des Affaires étrangères et la position d’attaché sous la double sujé-
tion de la Guerre et des Affaires étrangères ». Les premiers furent envoyés
en Espagne dès 1823, en Angleterre dès 1826, à Constantinople en 1830
pour que le dépôt de la Guerre dispose d’un relais militaire d’informa-
tion en territoire étranger. Au total, Sébastien Laurent en a recensé une

39. Jean Merson (Général), « Notre doyen se souvient », in Bulletin de l’Associa-


tion des anciens des services spéciaux de la Défense nationale, nº 81, 1974/1, p. 18-23.
40. Maurice Vaïsse, « L’évolution de la fonction d’attaché militaire en France au
XXe siècle », in Relations internationales, hiver 1982, nº 32, p. 507-524 ; Jean-Claude
Montant, « Les attachés navals français au début du XXe siècle », Relations internatio-
nales, nº 60, hiver 1989 ; Lothar Hilbert, « Les attachés militaires français : leur
statut pendant l’entre-deux-guerres », Guerres mondiales et conflits contemporains,
nº 215, octobre 2004, p. 25-33.
41. Sébastien Laurent, L’État secret, l’information et le renseignement en France au
XIXe siècle, op. cit., p. 236-238 sur le repérage des premiers attachés militaires dès
1826, et non 1860 comme il était admis plus couramment, révisant l’analyse du
capitaine A. Beauvais, Attachés militaires, attachés navals et attachés de l’Air, Paris,
Pedone, 1937, 214 p.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

dizaine entre 1826 et 1851, date d’interruption de l’envoi d’attachés dans


les ambassades françaises pendant dix ans 42. Or, l’existence déjà ancrée
d’attachés militaires, notamment prussiens et anglais, encourage le maré-
chal Randon, ministre de la Guerre, à nommer quatre attachés militaires
en 1860 en vue d’établir des « reconnaissances militaires » à Londres,
Vienne, Saint-Pétersbourg et Berlin. Plusieurs officiers s’y succédèrent
dans les années 1860, y compris un attaché naval à Londres en 1860, le
capitaine de vaisseau Pigeard. Représenter le souverain, collecter des
informations ouvertes militaires en recevant des instructions du ministre
de la Guerre : tels sont les principes posés par le rapport de Randon le
18 janvier 1860 qui a valeur officielle jusqu’en 1899, bien qu’il n’ait pas
été publié dans le Journal militaire officiel 43. Parmi les plus fameux, le
commandant Stoffel fut affecté à Berlin de 1866 à 1870, recevant une
mission plus explicite et tout aussi atypique d’espionnage caractérisé. La
pratique de l’espionnage se généralisa chez les attachés militaires jusqu’en
1914.
Avant comme après 1918, l’attaché militaire et les services qui lui sont
adjoints ont des attributions précises. Dans l’entre-deux-guerres, le statut
des attachés reste défini par l’instruction du 21 février 1903 du ministère
des Affaires étrangères qui règle leurs rapports avec le chef du poste diplo-
matique en temps de guerre et de paix. Après 1918, les moyens secrets
qui sont rattachés à un poste sont désormais animés par un attaché mili-
taire adjoint, afin de ne pas entacher l’immunité diplomatique dont jouit
l’attaché militaire. Ce principe a toutefois fait débat entre les autorités
militaires et le Quai d’Orsay qui le contestait. Dans les représentations
diplomatiques les plus importantes, ces moyens militaires secrets auprès
de l’attaché militaire recouvrent un service de contre-espionnage chargé
de dévoiler les agents de l’ennemi et un service de renseignement mili-
taire. Au terme du statut de 1903, les attachés militaires et navals ne sont
pas des plénipotentiaires militaires, mais bien des agents sous l’autorité
du chef de poste qui assume toutes les responsabilités. Ils sont donc des
auxiliaires du chef de mission diplomatique, sans caractère de représenta-
tion, devant exécuter les instructions du chef de poste, pour leur
conduite et la discipline. Le caractère est formel, mais net. Ils reçoivent

42. Sébastien Laurent, op. cit., p. 239-242.


43. Mémoires du maréchal Randon, Paris, Typographie Lahure, 1877, tome II,
p. 49, cité par Sébastien Laurent, op. cit., p. 242-244.

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Les rouages de l’État secret

directement leurs instructions des ministres de la Marine et de la Guerre


pour leurs travaux. En revanche, ils communiquent au chef de mission
leur correspondance et lui fournissent tout rapport qu’il leur demande.
Depuis le XIXe siècle, cet enjeu est demeuré un conflit latent entre les
deux administrations, suscitant des interventions récurrentes du minis-
tère des Affaires étrangères pour affirmer que la communication des
attachés militaires et navals ne devait pas se faire à l’insu du diplomate,
chef de poste. Tout rapport doit lui être préalablement adressé, avant
l’envoi aux ministères de la Guerre et de la Marine, afin de préserver
« l’unité d’action politique de la France à l’étranger 44 ».
Par ailleurs, les attachés militaires et navals doivent afficher une « cor-
rection absolue » dans les procédures employées pour se renseigner et
s’abstenir de toute pratique d’espionnage. Le vœu devait demeurer tout
théorique. Le courrier est adressé aux ministres par l’entremise du chef
de poste. Ils se déplacent avec l’agrément du chef de poste. L’organisa-
tion d’un poste d’attaché militaire comprend alors les services officiels du
poste : le service de presse et d’information chargé de l’exploitation de
la presse étrangère au point de vue du renseignement et du contre-
espionnage, le service de propagande, le service économique réunissant la
documentation nécessaire de l’EMA et pour guider les missions d’achats
éventuellement, le service de liaison avec le pays. D’autre part, il y a les
services secrets opérant sous les ordres de l’officier adjoint avec une sec-
tion chargée du contre-espionnage et une seconde section chargée du ser-
vice de renseignement. Cette organisation générale, qui peut susciter des
réclamations de la part des Affaires étrangères, est adaptée à l’importance
de chaque représentation diplomatique entre 1918 et 1939 45. Après
1919, les attachés militaires de Berne, Prague, Belgrade, Athènes, Buca-
rest, Varsovie, Stockholm, Copenhague, La Haye affichent un intérêt
tout particulier pour les services secrets français. Le poste de La Haye
offre ainsi un avantage indéniable en prévision de l’évacuation de la rive
gauche du Rhin qui entraînerait la suppression du poste d’Aix-La-Cha-
pelle. Très logiquement, cet enjeu a donné lieu à un débat vif avec les

44. SHD/DAT 7N 2 495, lettre de Raymond Poincaré, ministre des Affaires


étrangères, président du Conseil du 2 octobre 1922 au ministre de la Guerre sur les
règles de correspondance des attachés militaires et navals.
45. Les Affaires étrangères et le corps diplomatique français, Paris, Éd. du CNRS,
1984, tome 2, p. 145-146.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Affaires étrangères qui sont restées systématiquement défavorables à ce


que les représentations diplomatiques abritent des espions 46. Constam-
ment, l’EMA s’est appuyé sur les attachés militaires pour obtenir du ren-
seignement ouvert, et sur les attachés militaires adjoints pour recueillir,
au besoin, des informations secrètes. En effet, le constat de l’extension
des menées du bolchevisme dans le monde fut rapidement alarmiste,
alors que les moyens français de contre-espionnage à l’étranger étaient
encore embryonnaires en Amérique, en Extrême-Orient, en Angleterre et
en Italie 47. Ces enjeux sont l’objet d’une longue tractation avec le minis-
tère des Affaires étrangères pour déboucher sur l’accord survenu entre les
deux ministères concernant le service des attachés militaires, trouvant une
traduction dans la note du 24 août 1923 48. Celle-ci réitère l’interdiction
formelle faite à l’attaché militaire de participer au service de renseigne-
ment, toujours soumis à l’instruction de 1903. Le service de renseigne-
ment est assuré par un officier adjoint à l’attaché militaire. Mais il peut
désormais être civil. En vertu de cet accord, il est chargé de rechercher
des renseignements sur les pays voisins de celui où résident l’attaché mili-
taire et son adjoint. Il lui est donc formellement interdit de rechercher
des renseignements sur le compte du pays où ils sont accrédités 49. Dans
la pratique, des situations confuses ont attiré des conflits entre les deux
administrations. Précisément, l’instruction de mai 1913 donnant compé-
tence au ministère de la Guerre pour le contre-espionnage à l’étranger
continue d’empoisonner les relations officielles entre les deux administra-
tions de façon récurrente. Le maintien de cette compétence au profit du
ministère de la Guerre n’a pas simplifié les relations officieuses entre la
direction des affaires politiques et commerciales et l’état-major de
l’armée. Le rapatriement des officiers faisant du contre-espionnage sous
couverture diplomatique dans les consulats depuis 1915, notamment des

46. SHD/DAT 7NN 2 151, note SR/EMA2 du 4 février 1920 au sujet de la


participation des attachés militaires aux services de renseignement.
47. SHD/DAT 7NN 2 151, note SCR/EMA2 du 11 avril 1921 au sujet de
l’organisation du service de contre-espionnage et de surveillance du bolchevisme à
l’étranger.
48. SHD/DAT 7N 2 495, étude de l’EMA2 sur la mobilisation des postes
d’attachés militaires du 31 mai 1930.
49. SHD/DAT 7N 2 495, instruction nº 7970 sur la mobilisation des postes
d’attachés militaires, d’attachés navals et d’attachés de l’Air du 21 novembre 1930
des ministères de l’Air, de la Guerre et de la Marine.

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Les rouages de l’État secret

pays neutres, est encore à l’ordre du jour en 1923. Mais ce n’est qu’au
début de 1925 que les consulats suisses cessent d’abriter des agents du
contre-espionnage militaire français. Dans l’accord d’août 1923, il est
admis que les attachés adjoints bénéficient d’un certain nombre de faci-
lités des postes diplomatiques. L’acheminement par la valise diploma-
tique et sous pli fermé adressé aux ministres de la Guerre, de la Marine
et de l’Air de la correspondance relative aux services de renseignement est
autorisé. Ils sont en outre munis d’un passeport diplomatique. Situation
nouvelle tranchant avec les longs débats de l’avant-guerre, les attachés
adjoints disposent d’un chiffre pour correspondre, en ce qui concerne
leur service spécial, avec les autorités ministérielles. Ils ne peuvent tou-
tefois recevoir des informateurs au siège de la mission diplomatique ou
du consulat. Ils ne recherchent que des renseignements militaires, navals
ou aéronautiques à l’exclusion de tout renseignement d’ordre poli-
tique 50. En 1932, le ministre de la Guerre rappelle encore à l’attaché
militaire de France à Washington que le contre-espionnage concernant
les États-Unis était limité. S’appliquant aux pays limitrophes des
États-Unis, il doit s’appliquer en temps de guerre à un contre-espion-
nage et à un renseignement économique caractérisés : les activités des
colonies ennemies, la propagande ennemie, les stocks et les mouvements
des matières premières, les fabrications de guerre, l’aide fournie à
l’ennemi pour son ravitaillement. Son organisation est renvoyée au temps
de guerre pour un poste dont les services officiels devaient utiliser les
moyens courants d’informations, à l’exclusion de tout procédé secret.
C’est confirmer la consécration du renseignement ouvert depuis la Pre-
mière Guerre mondiale 51, auquel l’attaché naval prête son concours
depuis janvier 1919. Il centralise déjà un renseignement exploité par le
2e bureau de l’état-major de la Marine 52.
L’organisation des postes à l’étranger a été interarmées. La recherche
d’économies due à la déflation des budgets militaires conduit dès 1925
à fusionner, lorsque cela est possible, certains services des attachés

50. Les informations politiques qui leur parviendraient de façon occasionnelle


sont obligatoirement transmises au chef du poste diplomatique, par la voie de
l’attaché.
51. SHD/DAT 7N 2 495, lettre SM/EMA2 du ministre de la Guerre du 16 sep-
tembre 1932 à l’attaché militaire à Washington.
52. Virginie Paroutian, op. cit., p. 16-18.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

militaires et navals dans le même poste diplomatique. Par exemple, le


poste permanent de Copenhague fut supprimé par mesure d’économie,
au profit d’un seul attaché militaire dans les pays scandinaves 53. À Stock-
holm se trouve désormais un attaché militaire travaillant sur la Suède et
la Norvège. À La Haye réside désormais le colonel Burin des Roziers,
accrédité en Hollande et au Danemark, avec des officiers adjoints. Par
ailleurs, les services secrets des postes d’attachés militaires agissent au
bénéfice du poste d’attaché de l’Air le plus fréquemment. Ponctuelle-
ment, des officiers de l’armée de l’air participaient à ce service. Dans cette
situation, les demandes de renseignements aéronautiques figurent dans
les programmes de recherche que les services centraux adressent aux
postes à l’étranger. Dans les postes éloignés, cette coopération entre les
attachés des trois armées permet de coordonner les recherches et de cen-
traliser les renseignements d’un certain nombre de postes. À la fin des
années 1920, les postes scandinaves de Stockholm ou d’Helsingfors qui
travaillent sur la Russie et les pays Baltes adoptent ce principe d’organi-
sation. Dans ce cas, l’officier chargé de la centralisation ne peut pas se
rendre dans un pays autre que celui où il est accrédité. En juillet 1926, la
section de renseignement prépare des fiches de prescriptions particulières
pour chaque poste d’attaché militaire en matière d’action secrète dres-
sant les hypothèses les plus vraisemblables sur l’attitude du pays en cas
de guerre. Par exemple, le poste d’attaché militaire d’Helsingfors doit
tenir compte de l’état des relations de la France avec la Finlande et de la
Finlande avec ses amis, avec les neutres bienveillants ou hostiles, avec ses
voisins (pays Baltes, Russie, pays scandinaves).
Affecté à Stockholm, le colonel Jean Merson se voit confier cette mis-
sion de 1931 à 1934. À partir de 1934, le lieutenant-colonel Marcel Rus-
terholz y est envoyé comme attaché militaire. Son itinéraire illustre
parfaitement le contournement opéré des principes réglementant le ser-
vice d’attaché militaire à l’étranger. Il montre une belle stabilité dans son
affectation au 2e bureau de l’EMA de 1922 à 1934. À la section alle-
mande du SR de 1925 à 1933, il est chargé de diriger le groupe d’exploi-
tation des nombreux renseignements arrivant quotidiennement 54. Ses

53. SHD/DAT 7N 2 495, note EMA2/service des missions du 28 décembre


1926 au sujet de l’attaché militaire à Copenhague.
54. SHD/DAT 6 Ye 24 253, note de l’année 1922 du commandant Rusterholz
par le colonel Fournier, chef du 2e bureau de l’EMA : « D’un caractère sympathique,

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Les rouages de l’État secret

analyses permettent « d’aboutir à des conclusions indispensables sur les


prévisions du commandement allemand en matière de mobilisation et de
concentration, lui conférant la qualité d’un excellent chef de cette sec-
tion » selon le chef du 2e bureau en 1933. Après dix ans d’état-major
général, il quitte son affectation au printemps 1934 pour devenir attaché
militaire en Suède, Norvège et Danemark « d’où on peut observer encore
indirectement le Reich 55 ». Sa mission continue bien d’être la surveil-
lance de l’Allemagne. À l’EMA, le général Schweisguth, qui coiffe de son
autorité désormais le 2e bureau de l’EMA, estime alors qu’il rend « les
meilleurs services non seulement par la valeur des renseignements qu’il
adresse à l’EMA, mais aussi par la situation personnelle qu’il a su se faire
dans les milieux militaires scandinaves 56 ». Il s’est taillé une réputation de
premier choix auprès de l’armée suédoise. Paradoxalement, celle-ci est
d’ordinaire prudente à l’égard des officiers français dans les années 1930,
en raison de la proximité géographique de l’Allemagne nazie. Roger
Maugras, ministre plénipotentiaire à Stockholm, et Massigli, directeur
adjoint des affaires commerciales et politiques Quai d’Orsay, se louent,
en septembre 1937, de l’influence de Rusterholz dans des milieux mili-
taires suédois longtemps germanophiles :
« Je ne crois pas avoir besoin d’insister d’autre part sur l’abondance et la
valeur des informations adressées au ministère de la Guerre par notre attaché
militaire. Il y en a beaucoup qui ont un grand intérêt pour le département des
Affaires étrangères 57. »
En décembre 1926, les ministères de la Marine et de la Guerre sont
convenus que leurs moyens peuvent être mis en commun pour établir
une collaboration étroite. Des postes mixtes sont envisagés entre les
2es bureaux des deux états-majors 58. Ainsi sont créés des postes

d’une intelligence très vive et ayant beaucoup de décision, le commandant Ruster-


holz peut être employé dans n’importe quel emploi d’état-major et fait déjà un excel-
lent officier de SR. »
55. Ibid., note du colonel Koeltz, chef du 2e bureau de l’EMA, 25 octobre 1934.
56. SHD/DAT 6 Ye 24 253, dossier personnel du Saint-Cyrien Marcel Ruster-
holz.
57. Ibid. lettre de Roger Maugras, ministre plénipotentiaire à Stockholm au
ministre des Affaires étrangères, 15 septembre 1937 et lettre de Massigli au ministre
de la Guerre, 12 octobre 1937.
58. SHD/DAT 7N 2 495, note nº 1 792 SR/EMA2 du ministre de la Guerre du
1er février 1927 au ministre de la Marine au sujet de l’organisation de moyens mixtes
de renseignements entre les ministères de la Guerre et de la Marine.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

particuliers où un seul département est représenté, Marine ou Guerre. Il


y a ensuite des postes mixtes dirigés par le ministère principalement inté-
ressé, l’autre département ne constituant qu’une section du poste, avec
un partage des fonds et des archives. Il y a enfin des postes doubles
comprenant deux postes accolés travaillant en étroite liaison, au rythme
d’une conférence journalière commune. En 1927, un tableau des postes
particuliers, mixtes et doubles est progressivement mis en œuvre dans les
années suivantes et révisé annuellement 59. Cette évolution répond aussi
à l’apparition d’attachés navals en France depuis les débuts de la
IIIe République et à l’extension de leur nombre entre 1899 et 1918 : il
y a sept attachés navals pour dix-huit attachés militaires de terre en
1918 60. En 1927, les postes de renseignement naval sur le territoire
national et à l’étranger sont redéfinis. Des officiers de marine sont
affectés à des postes de renseignement, mesure progressivement étendue
à l’armée de l’air dans les années 1930. Et en 1932, des modifications
corrigent ainsi la situation de plusieurs postes. Un officier de marine est
employé au poste de Metz travaillant sur l’Allemagne pour surveiller le
poste allemand de l’Abwehr à Hambourg.

Le statut des postes de renseignement 1927-1939

1927 Date d’évolution du statut


Poste Belfort (terre), Tunis
particulier (marine), Bangkok
Poste mixte Strasbourg, Alger, Saïgon, Belfort (T-M 1932)
Shanghai
Poste double Riga, Nice, Constantinople, Rome (1929),
Washington, Rio de Janeiro Strasbourg-Dunkerque (T-M 1932)

Cette évolution lente laisse au ministère de la Guerre un quasi-mono-


pole de fait sur l’appareil de renseignement dans les postes aux frontières
et à l’étranger. Les fonctions d’attachés adjoints sont statistiquement
exercées par une minorité de marins et d’aviateurs dans les années 1930.

59. SHD/DAT 7N 2495, Tableau de l’organisation des postes SR de la Marine


et de la Guerre en temps de paix et à la mobilisation, février 1927.
60. Geneviève Salkin-Laparra, Marins et diplomates, les attachés navals
1860-1914, Vincennes, SHM, 1990, 500 p.

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Les rouages de l’État secret

Dès 1932, la Marine cherche à s’émanciper d’un dispositif qui contrarie


sa vision géostratégique des intérêts français en faisant monter en force
des moyens de renseignement organisés auprès des attachés militaires
navals. Le capitaine de frégate Bucaille affirme alors que la Marine a
l’ambition de créer un réseau mondial de renseignement. Trois postes
centralisateurs navals à Pékin, Bangkok et Santiago, dont la mise sur pied
est annoncée subrepticement par l’état-major de la Marine en mai 1932,
facilitent la coordination du dispositif 61. Pour autant, celui-ci reste plus
terrien que naval ou aérien en 1939. Les attachés de l’Air apparaissent
progressivement dans les postes diplomatiques à la faveur de l’institution-
nalisation de l’armée de l’air 62. À Prague, la création d’un poste d’attaché
de l’air pour la Tchécoslovaquie et l’Autriche, occupé par le lieutenant-
colonel Gudin de Pavillon, ancien membre de la mission militaire fran-
çaise à Prague, est décidée en mars 1927 63. Leur place est prise en
compte après 1925-1926. La création du ministère de l’Air invite le
ministère de la Guerre à adapter l’organisation de son 2e bureau à
l’automne 1928, anticipant les besoins spécifiques d’un 2e bureau Air qui
ne manquerait pas d’être créé 64. Le renseignement aéronautique, intéres-
sant notamment les missions commerciales ou d’achats et les fabrica-
tions à l’étranger, est appelé à terme à basculer du 2e bureau de l’EMA
vers un nouvel organe d’état-major 65. En 1928, seulement trois avia-
teurs sont au service central et dans des postes de la SR-SCR. La note du
28 octobre 1928 encourage l’extension des postes mixtes au ministère de
l’Air. À partir de 1930, les attachés de l’air sont pris en compte au même
titre que dans les deux autres ministères dans les plans de mobilisation du

61. SHD/DAT 7N 2 495, compte rendu SR/EMA2 d’une liaison avec la Marine
du 17 mai 1932 au sujet de la révision du tableau du service de renseignement
Marine-Guerre réseau.
62. Pascal Vennesson, Les Chevaliers de l’Air : aviation et conflits au XXe siècle,
Paris, PFNSP, 1997, 210 p.
63. SHD/DAT 7N 2 495, note nº 438 du ministère des Affaires étrangères,
direction des affaires politiques et commerciales, du 9 mars 1937 au sujet de la créa-
tion d’un attaché de l’Air à Prague.
64. SHD/DAT 7N 2 495 note SR/EMA2 du 28 octobre 1928 au sujet des
conséquences de la création du ministère de l’Air sur l’organisation et le fonctionne-
ment du 2e bureau de l’EMA.
65. Pascal Griset, « La mission militaire française en Pologne : industrie aéronau-
tique et logique militaire », Revue historique des armées, nº 2, juin 1987, p. 93-103.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

temps de guerre. Mais il fallut attendre 1934 pour que le 2e bureau fût
réellement mis sur pied.
Enfin, en avril 1929, après de longues conférences interministé-
rielles, les instructions anciennes sont remplacées par une instruction
unique des Affaires étrangères ayant pour objet la collaboration des
consuls aux services de renseignement de la Guerre et de la Marine 66. Or,
la recherche de renseignement intéressant la Défense nationale n’est pas
compatible avec le statut des agents des Affaires étrangères à l’étranger.
En temps de paix comme de guerre, la collaboration directe est écartée.
Sans s’y livrer, l’instruction envisage les circonstances dans lesquelles les
agents peuvent prêter leur concours à la recherche, à la transmission et à
la critique de renseignements d’ordre militaire. En temps de paix, les
consuls recherchent par des moyens ordinaires d’information, sans
aucune opération clandestine, des renseignements dans le domaine
public, sans s’exposer aux lois locales. Les états-majors leur adressent des
questionnaires types, énumérant les questions locales et les mesures de
mobilisation du pays en cas de tension politique. Les informations sont
transmises par courrier quand elles sont d’ordre commercial. Ces cour-
riers sont remis en mains propres à des agents de la représentation diplo-
matique pour une transmission par la valise si leur contenu est sensible.
La transmission chiffrée par télégramme est possible. En théorie, les chefs
de mission diplomatiques exercent un contrôle sur les renseignements
transmis par les attachés, spécialement ceux de nature politique, y
compris sur les agents. Mais ce contrôle étroit visant à se prémunir d’agis-
sements caractérisés d’espionnage n’était-il pas largement illusoire ? Des
précautions pratiques très strictes sont encouragées pour ne pas éveiller
les susceptibilités des autorités locales, ne compromettre personne et
garantir le secret : la discrétion ; l’utilisation d’un coffre-fort pour l’ins-
truction, les questionnaires, les réponses ; la destruction des documents
et des brouillons de rapports ; la rédaction générale des analyses ; le refus
des informateur spontanés 67. Les Affaires étrangères rappelèrent en 1931
que les consuls ne jouissaient pas de l’immunité diplomatique et que leur
concours pour acheminer des plis par la valise diplomatique était

66. SHD/DAT 7N 2 495, Instruction du ministère des Affaires étrangères AEK


pour les agents diplomatiques et consulaires, avril 1929, 15 p.
67. SHD/DAT 7N 2 495, Instruction AEK, op. cit., p. 7-8.

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Les rouages de l’État secret

simplement un usage 68. En principe, la valise diplomatique ne dessert pas


les consulats, mais, utilisée par les attachés, elle peut être un moyen de
communication sûre pour les autres ministères. La tolérance existe et les
relations personnelles des agents à l’étranger doivent faire le reste. Les
frontières du secret sont donc soigneusement réglementées dans les pra-
tiques administratives du ministère des Affaires étrangères.

La coopération interministérielle des Affaires étrangères, de


l’Intérieur et de la Guerre
La coordination administrative des services de l’État est un défi per-
manent à son efficacité. Elle invite à une lecture déglobalisée de l’his-
toire de l’État, administration par administration 69. Elle est envisagée à
deux niveaux. L’échelon des directions d’administration centrale du
ministère des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Guerre et des états-
majors est le plus fréquemment sollicité. Les chefs des services ou des
bureaux d’état-major et les directeurs d’administration centrale traitent
au même niveau de responsabilités. L’essentiel du travail administratif
entre les ministères se joue à cet échelon de décision et de responsabi-
lité. Les enjeux plus généraux et stratégiques font passer à l’échelon poli-
tique du ministre et de son cabinet, puis des gouvernements français et
étrangers. Au premier échelon sont mis en œuvre les textes réglemen-
taires dans un processus de décision administrative. La planification est
un autre visage de la bureaucratisation du renseignement. En second lieu,
les relations privilégiées entre les personnes pèsent sur le travail intermi-
nistériel. Plusieurs étapes confirment cette évolution après la Première
Guerre mondiale. De fait, les années 1920 voient l’instauration d’une
coopération technique fructueuse entre la Sûreté générale et les services
spéciaux qui, pour baisser parfois d’intensité ou d’efficacité, n’est jamais
remise en question jusqu’en 1939. Elle forge une coopération privilégiée
dans la répression des suspects de bolchevisme et des agissements
communistes qui correspond bien à l’esprit anticommuniste des
années 1920 70. Concrètement, elle se traduit dès 1921 par la

68. SHD/DAT 7N 2 495, note EMA2 du 20 février 1931.


69. Pierre Rosanvallon, op. cit., p. 11-12.
70. Jean-Jacques Becker, Serge Berstein, Histoire de l’anticommunisme en France,
tome 1, 1917-1940, Paris, Olivier Orban, 1987, p. 116-136 sur l’argumentaire anti-
communiste et sur l’anticommunisme d’État.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

participation des fonctionnaires de la Sûreté générale au contre-espion-


nage à l’étranger et en France sur les indications des postes de la SR-
SCR. Elle satisfait aux demandes de personnel, de crédits et aux
améliorations que les services spéciaux militaires estimaient nécessaires
auprès de la Sûreté générale. Cette collaboration exemplaire, scellée dans
la répression de la propagande et des agissements communistes, n’interdit
pas naturellement l’envoi des rapports des fonctionnaires de la Sûreté
générale à l’étranger directement au ministère de l’Intérieur. Celle-ci se
fait dans la mise en commun des moyens et des recherches, mais l’exploi-
tation n’est en réalité pas encore totalement commune en 1921. La
liaison est désormais permanente pour apprécier la valeur des informa-
tions fournies. L’intérêt pour la Sûreté générale réside aussi dans les
échanges de questionnaires sur le communisme que le ministère de la
Guerre pouvait accorder. Aux yeux du ministère de l’Intérieur, la pré-
sence des attachés militaires à l’étranger n’est pas sans avantage 71. Ainsi,
un questionnaire de la Sûreté générale sur les organisations communistes
et bolchevistes a été adressé, sous couvert du ministre de la Guerre, aux
attachés militaires en septembre 1920 72.
Nul doute que le renforcement de cette coopération s’explique large-
ment par la naissance du PCF quelques semaines plus tard. L’équilibre
instauré est confirmé par les instructions du ministère de la Guerre du
1er octobre 1924 et du 26 novembre 1924. Celles-ci réexaminent les
modalités de la coopération au niveau local entre les officiers et les
commissaires spéciaux, précisément dans les régions frontalières. Le
ministère de l’Intérieur étend bientôt la portée de ces instructions à
l’ensemble du territoire en le divisant en secteurs qui correspondraient à
ceux des bureaux centraux de renseignement, qui mettraient en œuvre
cette coopération. Ces mesures instaurent une coordination et une coo-
pération sous la direction unique du ministère de la Guerre. Cette direc-
tion unique entraîne parfois un relâchement de l’esprit même de la
coopération, car elle peut être vécue comme une tutelle omnipotente par

71. SHD/DAT 7NN 2 151, compte rendu confidentiel de la SCR/EMA2 au


sujet de la conférence du 15 mars 1921 à la direction de la Sûreté générale, 19 mars
1921.
72. SHD/DAT 7NN 2 151, note secrète nº 6917 SCR/EMA2, 6 septembre
1920, du ministre de la Guerre aux attaché militaires au sujet de la propagande bol-
cheviste demandant un rapport au 15 novembre 1920.

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Les rouages de l’État secret

certains dirigeants de la Sûreté générale. L’instruction du 1er octobre


1924 qui subordonne, dans la pratique, le travail des commissaires spé-
ciaux de l’Intérieur à la section de centralisation de renseignement est cri-
tiquée pour son esprit en dépit d’une efficace coopération opérationnelle.
Dans les années 1950, Roger Wybot qui préside à l’organisation de la
DST, ou le général Guy Schlesser, responsable de la SCR en 1938-1939,
rappelaient les effets possibles d’une telle subordination. Elle relativise les
responsabilités du ministère de l’Intérieur dans la lutte contre l’espion-
nage en France avant 1939 73.
En 1931, le colonel Laurent regrette ainsi la dégradation des relations
entre les services spéciaux et la Sûreté générale, dans le domaine du recru-
tement des informateurs notamment :
« Heureusement la situation va s’améliorer, M. Sébille va être remplacé par
M. Mallet, tout dévoué aux intérêts de la Guerre et ayant l’expérience de l’avant-
1914. Le directeur de la Sûreté générale, M. Noël, est disposé à nous accorder
son appui (ne pas manquer de faire connaître à SR 75 les fonctionnaires hos-
tiles ou peu dévoués pour être signalés à M. Noël). Il est inacceptable que, dans
les périodes actuelles, les commissaires spéciaux négligent de signaler, parmi les
nombreux Allemands qui leur passent sous les yeux, ceux qui peuvent être
touchés. Primes en argent et décorations ne seront pas ménagées aux commis-
saires spéciaux qui rendront service 74. »
Les relations avec la Sûreté générale connaissent des oscillations
conjoncturelles. Si la coopération fondée dans la Première Guerre mon-
diale s’est progressivement renforcée dans la lutte contre le bolchevisme
et l’Allemagne depuis 1919, il y a pourtant des déceptions réciproques
qui tiennent aussi à l’engagement fluctuant des responsables successifs,
tant militaires que policiers. Ainsi, le colonel Lainey, après avoir quitté le
service actif, ne craint-il pas de souligner dans un rapport en 1932 qu’il
y a une « urgence après tant d’années à l’organisation d’un service de
contre-espionnage actif sur le territoire national », sans négliger la fron-
tière pyrénéenne en raison de l’activité des Allemands et des Italiens 75.
Sans doute mesure-t-il alors d’abord les carences d’un contre-espionnage

73. Bertrand Warusfel, op. cit., p. 24 ; Guy Schlesser, « Le contre-espionnage en


1938-1939 », in Bullletin de l’ASSDN, janvier 1956, p. 12-20.
74. SHD/DAT 7NN 2 693, résumé de l’intervention du colonel Laurent à la
réunion des chefs de poste à la centrale SR-SCR les 16-18 décembre 1931.
75. SHD/DAT 7N 2 485, rapport du colonel Lainey (ER), chef désigné du
5e bureau en temps de guerre, du 19 octobre 1932 au sous-chef d’état-major au sujet
de la mobilisation du 5e bureau.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

militaire qui n’a ni la mission ni logiquement les moyens de mettre en


œuvre la surveillance des suspects, leur arrestation sinon leur interroga-
toire. Ces attributions incombent à la Sûreté générale 76. La mise en
œuvre d’une coopération effective bute naturellement sur la complémen-
tarité à inventer entre les missions, les structures et les hommes du
contre-espionnage. À l’automne 1935, les efforts de coordination pro-
gressent, suivis par le chef des services spéciaux et l’état-major de l’armée.
Comme sous-chef d’état-major de février 1935 à septembre 1937, le
général Victor-Henri Schweisguth suit alors pour l’état-major de l’armée
l’action des services spéciaux militaires, en liaison directe avec les géné-
raux Colson et Gamelin. Dans ses carnets, il rappelle cette préoccupation
permanente, exprimée lors du grand rapport hebdomadaire des respon-
sables militaires, le plus souvent présidé par le général Gamelin :
« 6 novembre 1935. Été avec Roux (chef de la SR-SCR) voir M. Magny,
directeur général de la Sûreté au sujet du décret-loi réformant la police adminis-
trative et instituant un commissaire directeur par département. M. Magny pré-
cise que l’organisation des onze secteurs de contre-espionnage prévue par le
décret de 1934 sera remplacée par la centralisation par département de toutes les
polices, y compris le contre-espionnage. »
Les conditions d’une coordination efficace supposent une centralisa-
tion de l’information de la Sûreté nationale au profit de la SCR à Paris
dans l’esprit des chefs militaires français. Aussi Gamelin propose-t-il, en
novembre 1935, une centralisation aux frontières distinguant les cibles 77.
Mais cette organisation s’avère encore imparfaitement satisfaisante un an
et demi plus tard. Les inspections par la SR-SCR du travail des postes
et des BCR révèlent à l’occasion des difficultés, sinon des insuccès. Une
mission du commandant Schlesser, désormais responsable de la SCR,
apprécie la surveillance des frontières dans le sud-est en mars 1937. Il
conclut à l’inégalité de la coopération dans certains départements, préci-
sément aux frontières, nécessitant une surveillance plus fine des services
d’espionnage étrangers. Ainsi en va-t-il de la frontière avec l’Italie. Selon

76. AN 351 AP2, Fonds général Victor-Henri Schweisguth, mémentos, rapports


et conférences, 29 novembre 1935, à propos de l’interrogatoire dans l’affaire Magon-
deau qui ne peut être fait que par la Sûreté selon le commandant Grosjean, respon-
sable de la SCR en 1935. Général de brigade puis de division à compter de
décembre 1935, il est l’un des trois sous-chefs d’état-major à l’EMA avec Doumenc
et Bloch en 1936-1937, sous les ordres de Colson, CEMA et Gamelin CEMGA.
77. Ibidem, rapport du 12 novembre 1935.

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Les rouages de l’État secret

Schlesser, le travail des commissaires spéciaux de Menton, de Marseille,


de Toulon et de Beausoleil à la frontière italienne manque de la plus sin-
gulière rigueur. Les Italiens franchissent la frontière sans difficulté et sans
fouilles. Dans ce secteur, il conclut à un rendement insuffisant du travail
de la Sûreté nationale dans la lutte de contre-espionnage, à un tournant
des relations secrètes franco-italiennes 78. Les fiches des suspects pour
transmission au CGST à Paris étaient imparfaitement remplies, en raison
de l’insuffisance des effectifs.

L’État, le droit, l’espion : la législation sur l’espionnage

L’héritage de la Révolution française et de la loi de 1886


L’économie souterraine du secret d’État diffère des pratiques du secret
dans l’État, qu’elles soient autorisées ou tolérées. Si elle n’est pas visible,
cette dernière activité n’en est pas moins publique. Depuis la fin du
XIXe siècle, elle est peu à peu réglementée par des instructions ministé-
rielles et interministérielles, par des décrets et des lois qui ont délimité
la notion de secret. De 1918 à 1939, l’histoire du droit fait progresser la
notion d’espionnage et de trahison. Déjà, le XIXe siècle a largement
concouru à l’émergence d’un droit public moderne, faisant ressortir les
notions de « sûreté intérieure » et de « sûreté extérieure de l’État ». La
notion de secret est liée à celle de « sûreté intérieure et extérieure de
l’État », apparue sous la Révolution française dans l’article 7 de la consti-
tution de 1791 et surtout dans le Code pénal adopté par l’Assemblée
nationale le 26 septembre 1791 79. La « sûreté intérieure » concerne alors
les atteintes au souverain et les tentatives de fomenter une guerre civile,
traduisant la volonté d’assurer la défense des institutions et des valeurs de
la Révolution française. Reprises dans l’article 47 de la constitution de
l’an VIII, les deux acceptions de la « sûreté » sont précisées par le Code
pénal de 1810. Confronté à l’espionnage, l’État devait relever préalable-
ment l’enjeu juridique d’une définition catégorielle de l’espionnage et de

78. SHD/DAT 7NN 2 466, compte rendu de mission du commandant


Schlesser, chef de la SCR, au chef de la SR-SCER/EMA2, mars 1937, p. 3-4. Il
conclut à la « nullité » de trois des quatre commissaires spéciaux. Cf. infra chapitre 6.
79. Sébastien Laurent, L’État secret, l’information et le renseignement au XIXe siècle,
op. cit., p. 624-636.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

la trahison. La question d’une éthique des services secrets vint ultérieure-


ment. La définition n’était pas simple à trouver pour un régime poli-
tique dont les ennemis ont été, dès la naissance, intérieurs et extérieurs.
Sans distinguer le temps de paix et de guerre, le cas de trahison, passible
de la peine de mort, touche les nationaux, civils ou militaires, en un
temps de guerre ininterrompue depuis 1792. Le Code pénal distingue,
non sans ambiguïtés, la sûreté extérieure de l’État, portant sur la tra-
hison, et la sûreté intérieure concernant diverses incriminations (complot
contre le souverain, trouble de l’État par la guerre civile, emploi illégal
de la force armée, dévastation et pillage public). Héritier lointain du
décret révolutionnaire du 16 juin 1793 – punissant de mort les espions
de l’étranger – et du Code pénal napoléonien de 1810 dans son
article 76, le code militaire de 1857 prévoit la peine de mort en temps
de paix et en temps de guerre pour les actes d’espionnage et de trahison
des militaires 80. La IIIe République hésite soixante-huit ans entre une
défense des libertés à laquelle certains ne voulaient rien sacrifier et une
Défense nationale à laquelle d’autres voulaient tout subordonner dans les
années 1930. La préparation de la loi du 26 janvier 1934 allait le
montrer.
La loi du 18 avril 1886 réprimant l’espionnage est restée en vigueur
un demi-siècle, jusqu’en janvier 1934. Au XIXe siècle, les infractions
commises en temps de paix sont peu nombreuses, limitées à la livraison
de secrets à des agents étrangers. La répression de l’espionnage est alors
très imparfaite. Déjà, la pratique en a démontré les limites au début de
la IIIe République 81. En tant que tel, l’espionnage de temps de paix ne
peut être puni. Préparée sous le ministère du général Campenon
(1819-1891), la loi est votée en avril 1886 alors que le général Boulanger
est au ministère de la Guerre 82. La loi de 1886 qualifie d’illégales les acti-
vités de ressortissants étrangers sur le territoire français. Pour la pre-
mière fois, un texte de loi mentionne clairement l’espionnage, à savoir

80. Sébastien Laurent, « Délimiter et réglementer l’État secret au XIXe siècle en


France : faiblesse du droit, puissance de l’État », in journée d’étude du centre
d’études nord-américaines de l’EHESS du 22 juin 2005, Des secrets ordinaires, à
paraître.
81. Bertrand Warusfel, op. cit., p. 143-149.
82. Journal Officiel. Chambre des députés. Débats parlementaires, séance du
15 avril 1886, p. 796.

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Les rouages de l’État secret

une activité définie comme étant illégale en temps de paix. Elle atténue
la répression du Code pénal en prévoyant la compétence de la juridic-
tion civile correctionnelle. Les peines encourues sont des peines légères
de moins de cinq ans de prison. Cette loi doit permettre de punir la
communication de certaines informations à la presse, en souvenir de
1870-1871. Elle préserve la confidentialité de documents administratifs
en réprimant les négligences lors de leur communication. À ce titre, elle
marque une nouveauté au regard du Code pénal, mais ne répond pas à
toutes les situations avant même 1914, notamment pour le temps de
guerre. En 1895 et en 1911, des tentatives de modification échouent
pour introduire la distinction entre la trahison de Français et l’espion-
nage commis par des étrangers. Bien qu’elle soit à l’origine d’une radica-
lisation des projets législatifs en matière d’espionnage, l’affaire Dreyfus ne
conduit pas à une révision de la loi du 18 avril 1886. On sait que celle-ci
connaît huit tentatives vaines de révision avant 1914, notamment dans
les années 1890, la dernière lancée en juillet 1911 83. Or, Joseph Caillaux,
ministre de l’Intérieur et président du Conseil, a déposé un projet de loi
le 12 juillet 1911, qui ne souhaite ni criminaliser l’espionnage, ni toucher
au Code pénal. Son « projet de loi contre l’espionnage et la divulgation
d’objets, de documents et renseignements intéressant la sûreté extérieure
de l’État » ne touche pas à l’échelle des peines et aux juridictions chargées
de les appliquer. Était proposé d’ajouter le mot « objets », de mieux qua-
lifier les procédés de diffusion des renseignements et la vente de photo-
graphies d’objets de défense. En juillet 1913, la commission de réforme
judiciaire examine le projet, retouché à la fin de l’année après un accord
voulu par Alexandre Millerand entre le ministère de la Guerre et la
Sûreté. Durant l’été 1913, l’affaire Maggi-Kub déclenche une polémique
de presse, longuement menée par Léon Daudet dans L’Action française,
qui dénonce une officine dissimulant des activités d’espionnage alle-
mandes 84. À partir du 9 juillet 1913, le quotidien titre sur les dévelop-
pements de cette affaire d’espionnage. La société Kub et Maggi est
défendue devant le tribunal civil par les avocats Alexandre Millerand,
André Paisant et Fernand Labori contre les allégations de L’Action

83. Sébastien Laurent, L’État secret, l’information et le renseignement, op. cit.,


p. 636-645.
84. Olivier Forcade, Les Milieux militaires et l’Action française, 1898-1939,
op. cit., à paraître.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

française 85. Si le tribunal prend en compte les demandes d’enquête de la


ligue, celle-ci échoue à obtenir la condamnation réclamée. En réalité,
Daudet s’adresse directement à l’opinion publique, par-delà le tribunal
civil. Mais la Chambre des députés n’a toujours pas discuté ce projet
quand éclate la guerre en 1914. Or, les inadaptations aux circonstances
et à la nature de l’espionnage moderne de la loi du 18 avril 1886 sont
encore plus criantes après 1914.
En effet, la loi de 1886 ne permet d’atteindre que les auteurs de divul-
gation de plans, d’écrits ou de documents secrets intéressant la défense du
territoire ou la sûreté extérieure de l’État. Elle atteint aussi les individus
qui, par négligence ou inobservation des règlements, ont laissé sous-
traire, enlever ou détruire des plans, des documents secrets qu’on leur a
confiés en raison de leur fonction ou de leur mission. Elle touche aussi
des individus livrant des documents et des renseignements qu’ils détien-
nent sans pouvoir le justifier. Le délit d’espionnage n’est donc pas néces-
sairement caractérisé et ne tombe sous le coup de la loi que si l’autorité
militaire peut prouver que le renseignement divulgué est secret. Et c’est
bien cette difficulté pratique de prouver le caractère secret d’un rensei-
gnement devant le juge qui rend l’application de la loi si délicate, moins
en 1914-1918 qu’après la guerre. L’instruction du 20 juillet 1933 relative
à la protection des fabrications et des ravitaillements de guerre souligne
la difficulté qui s’élevait à caractériser d’espionnage les agissements des
services secrets étrangers en France 86. La protection des industries privées
et publiques travaillant notamment pour la Défense nationale a été levée
en 1919. L’espionnage des secrets industriels et des fabrications mili-
taires s’aggravait depuis les années 1920. La France n’est d’ailleurs pas la
dernière puissance à pratiquer ce nouvel espionnage économique. Le
manque récurrent de précaution dans la manipulation et la diffusion de
cette documentation rend souvent impossible la preuve de son caractère
indiscutablement secret devant les tribunaux correctionnels. De nom-
breux cas de figure ont exposé au grand jour les lacunes de la loi face à
des individus soupçonnés d’avoir livré sciemment à des agents d’espion-
nage de tels renseignements. La majorité d’entre eux n’avait été passible

85. L’Action française, 9, 11, 17, 20, 21, 27 juillet 1913.


86. SHD/DAT 7NN 2 714, instruction du 20 juillet 1933 relative à la protec-
tion des fabrications de guerre et des approvisionnements de réserve contre les inves-
tigations des services de renseignement étrangers, 11 p.

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Les rouages de l’État secret

d’aucune sanction pénale. C’est notamment le cas des « rabcors », corres-


pondants ouvriers communistes dans les industries de Défense nationale
à partir de 1928-1929, communiquant des informations régulières à un
rédacteur du journal L’Humanité 87. Jugée en décembre 1932, l’affaire
avait fait grand bruit au printemps précédent. Elle a montré les limites
de l’action judiciaire. Aussi, l’affaire des rabcors ne fit que relancer la
volonté, déjà ancienne, de réviser la loi de 1886.

Les aspirations à une loi plus répressive entre 1920 et 1934


La Première Guerre mondiale a accéléré dans l’État la volonté de ren-
forcer la répression contre les délits d’espionnage. L’interrogation sur le
dispositif pénal réprimant l’espionnage en temps de paix continue
d’agiter un débat officiel qui n’était public que lorsque éclataient des
affaires d’espionnage caractérisées. On a vu l’échec de l’Action française à
installer le débat devant l’opinion publique dans l’enceinte parlemen-
taire, traduisant l’impuissance d’un parti antiparlementariste à agir dans
le système politique de la IIIe République. Il y a à cette évolution plu-
sieurs raisons. L’action des services de renseignement étrangers pendant
la guerre s’est traduite par un plus grand nombre d’arrestations de sus-
pects d’espionnage. Après-guerre, les pays européens renforcent rapide-
ment leur législation de répression de l’espionnage en l’assortissant de
peine de mort. Inspirés par des idéologies nationalistes, les États autori-
taires qui prennent racine en Europe procèdent à des révisions répres-
sives de leur législation sur l’espionnage. Par ailleurs, la Grande-Bretagne
révise sa loi de 1911 sur le secret par celle plus répressive du 20 décembre
1920. Dans le même temps, la France découvre que les départements
occupés par l’Allemagne ont été, à des échelles certes différentes, en
1914-1918, le théâtre de relations entre les populations, les pouvoirs
locaux et l’occupant. On parle alors plus volontiers de « commerce avec
l’ennemi » et de trahison que de « collaboration ». Il n’est pas alors ques-
tion d’une épuration judiciaire et politique à l’échelle nationale. L’atti-
tude antipatriotique de certains Français, pendant l’occupation
allemande des départements du nord et de l’est, a souvent eu pour consé-
quence des poursuites devant les juridictions civiles criminelles après

87. Cf. chapitre 6 ; Roger Faligot, Rémi Kauffer, As-tu vu Cremet ?, Paris,
Fayard, 1991, p. 13-15.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

1918 88. Les inculpations pour « intelligence avec l’ennemi » conduisent


des centaines de suspects devant les tribunaux civils. En 1920-1921, les
tribunaux civils sont déjà encombrés d’affaires dont la procédure d’ins-
truction est rendue difficile par la perte des preuves matérielles dans les
territoires envahis puis libérés. Entre 1886 et 1914, 193 poursuites
avaient été engagées, 85 condamnations prononcées, avec un fort taux de
non-lieux prononcés faute de preuves suffisantes 89. Faibles et n’expri-
mant que les dossiers instruits après l’engagement de poursuites et les
condamnations, ces chiffres ne reflètent par la réalité de l’espionnage
avant 1914. Dans le ressort de la cour d’appel de Douai, les 600 affaires
instruites depuis 1919 n’ont ainsi donné lieu en 1923 qu’à quelques
dizaines de condamnations 90. En Picardie par exemple, ces faits divers ne
passionnent pas l’opinion publique à la différence de la Belgique
libérée 91. Le recensement statistique de cette répression judiciaire n’est
cependant pas facile à établir. En réalité, la faiblesse de la répression
contre les menées d’espionnage frappe par son contraste avec les nom-
breuses arrestations et les condamnations d’agents français en Allemagne
après 1919. De 1919 à 1924, le contre-espionnage allemand a traité
1 337 affaires d’espionnage et de trahison. 444 ont été retenues par les
tribunaux et 660 personnes personnes condamnées dans différentes
affaires. À la faveur de l’occupation des territoires rhénans, les services
d’espionnage français ont, au début des années 1920, recruté des cen-
taines d’agents et mené une intense activité d’espionnage 92.

88. Voir AN BB18 6001, 20BL, Espionnage 1888-1938.


89. AN BB18 6080 à 6086, dossiers d’affaires de la direction des affaires crimi-
nelles et des grâces, ministère de la Justice, cités par Sébastien Laurent, L’État secret,
l’information et le renseignement, op. cit., p. 661-667.
90. AN BB18 6 092, dossier 20 BL 259, note du procureur général à la direction
des affaires criminelles et des grâces, ministère de la Justice, décembre 1923. Rap-
ports sur les affaires d’intelligence avec l’ennemi.
91. Philippe Nivet, « Les relations entre occupants et occupés en Picardie
(1914-1918) », in Olivia Carpi, Philippe Nivet (dir.), La Picardie occupée, Amiens,
Encrage, 2005, p. 132-133.
92. SHD/DAT 7NN 2 770, note nº 54/2 du commissaire spécial Lemée,
commissariat spécial du gouvernement militaire de Paris au colonel Lainey, chef de
la SR-SCR/EMA2 au sujet des réformes de l’organisation du contre-espionnage en
France, 9 janvier 1926.

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Les rouages de l’État secret

Les condamnations pour espionnage en Allemagne


en 1919-1924

Année 1919 1920 1921 1922 1923 Juin 1924


Nombre
de condamnations 16 22 87 196 186 153

En retour, l’efficacité défensive et répressive du contre-espionnage


français fait pâle figure. Cette situation a frappé psychologiquement les
dirigeants français du contre-espionnage, appelant rapidement à un ren-
forcement de la loi de 1886 en France devant la faiblesse des condamna-
tions d’espions étrangers. Plus largement, la faiblesse répressive de la loi
de 1886 et la passivité des tribunaux civils sanctionnent l’impuissance des
services spéciaux et la Sûreté générale, une fois les suspects identifiés et
arrêtés. Les condamnations des espions étrangers sont rares jusqu’au
début des années 1930. En fait, le renforcement de la législation passa
par plusieurs phases.
Depuis 1921, le débat public sur un durcissement de la loi de 1886,
suspendu en juillet 1914, est rouvert. Pour les pouvoirs publics, l’objectif
est de corriger la faiblesse de ces peines qui ne distinguent pas entre les
actes de trahison et ceux d’espionnage caractérisé. La difficulté à apporter
la preuve matérielle de la culpabilité nourrit un débat juridique : faut-il
faciliter les condamnations sur la base d’une simple relation avec des ser-
vices secrets étrangers ou sur la base juridique largement indéterminée de
menées d’espionnage ? La culpabilité ne serait pas constituée sur la base
du vol de documents ou de la connaissance de secrets de la Défense
nationale, mais sur la preuve d’un simple contact avec une entreprise
d’espionnage. Reprenant certains éléments présents dans le projet de
l’été 1914 auxquels l’expérience de la guerre donne un nouvel éclairage,
l’état-major de l’armée concourt à préparer un projet de loi en
1921-1922. Celui-ci est déposé au Sénat en février 1922 93. Le Sénat vote
le projet de loi le 26 octobre 1922. Cependant, la Chambre des députés
met sept ans avant que sa commission de législation civile et criminelle

93. Journal officiel, Débats parlementaires, 23 juin 1933, nº 2131, p. 1372, inter-
vention de Georges Pernot sur les atermoiements de la Chambre des députés qui
l’adopte avec modifications le 29 février 1932, après le rapport de M. Schuman de la
commission de législation civile et criminelle.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

ne se saisisse du projet 94. Paul Ramadier propose deux amendements le


14 janvier 1929. Le premier amendement vise l’intention consciente de
manœuvre frauduleuse pour s’introduire dans un établissement de la
Défense nationale ou industriel. Le deuxième détermine les critères de
protection des établissements et l’intervention du ministre de l’Intérieur
et des conseils municipaux à cette fin. Mais le second amendement ne
convient pas au ministère de la Guerre qui le repousse. Des modifica-
tions nouvelles opposent la commission et le ministre de la Guerre sur
l’article 9 qui ne clarifie pas la définition du but d’espionnage, difficile à
démontrer 95. De 1922 à 1932, le projet de loi est en suspens. Des appré-
ciations divergentes entre la commission de législation civile et crimi-
nelle de la Chambre des députés et le ministère de la Guerre portent sur
la possibilité de poursuivre un agent d’espionnage avant que tout délit ou
tentative ne soient accomplis. En novembre 1930, le ministère de la
Guerre se rallie à la dernière proposition de la commission sur l’énoncé
de l’article 9 du projet de loi qui porte que la provocation à l’espionnage
est répréhensible. Le lieutenant-colonel Laurent y est favorable, ainsi qu’il
l’exprime lors de la réunion des chefs de poste en décembre 1931 :
« Nous avons trouvé à Bruxelles et à Strasbourg de nombreuses fiches
d’agents abandonnées par les Allemands, ce qui a permis de nombreuses arresta-
tions ; malheureusement notre législation trop douce et l’amnistie ont empêché
la répression d’être complète. La loi de 1886 va heureusement être remplacée par
une loi plus sévère 96. »
Son témoignage exprime l’attente impatiente d’une révision de
l’arsenal juridique répressif. Une centaine de suspects ont été condamnés
pour espionnage depuis 1919, ce qui place les statistiques françaises au
dernier rang des pays européens. Le lobbying de la haute hiérarchie mili-
taire intervient au moment où l’Allemagne menace de basculer vers le
nazisme. L’ensemble du projet est à nouveau déposé sur le bureau du
Sénat le 25 mars 1932. En 1932, la réforme de la loi de 1886 continue
d’être ardemment souhaitée par la haute hiérarchie militaire comme

94. AN C 14 687, procès-verbaux de la commission de législation civile et crimi-


nelle de la Chambre des députés, registres du 11 avril 1920 au 9 avril 1924.
95. SHD/DAT 7NN 2 270, note sur le projet de loi tendant à modifier la loi du
18 avril 1886 sur l’espionnage.
96. SHD/DAT 7NN 2 693, résumé de la conférence du colonel Laurent aux
chefs de poste travaillant sur l’Allemagne à Metz, La Haye, Belfort, Prague, Vienne,
Riga, 15 décembre 1931.

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Les rouages de l’État secret

policière et par les services spéciaux militaires. L’état-major de l’armée et


les services spéciaux militaires en liaison avec le secrétariat général du
Conseil supérieur de la Défense nationale (CSDN) poursuivent, durant
toute l’année 1932, une puissante action en faveur d’une loi d’urgence.
Le projet de loi est très précisément analysé par le lieutenant-colonel Lau-
rent, chef des services spéciaux, à l’intention du haut commandement.
Dans une note à sa hiérarchie, il en souligne les principaux caractères au
printemps 1932 :
« En général, ce projet n’est qu’une refonte de la loi du 18 avril 1886. Il
introduit cependant dans cette loi des éléments nouveaux. Il prévoit la répres-
sion de l’espionnage dans le domaine de la mobilisation industrielle et écono-
mique du pays (art. 1). Il prévoit la répression de la provocation d’espionnage
(art. 9 entièrement nouveau). Il prévoit la répression de la divulgation des rensei-
gnements relatifs à des enquêtes ou informations en cours, au sujet d’un délit
d’espionnage (art. 12 entièrement nouveau). Il prévoit l’application dans des
conditions particulières aux individus condamnés pour espionnage la peine de la
relégation (art. 15). Pour le reste du projet de loi, on se contente de renforcer, de
préciser ou d’étendre les dispositions de la loi de 1886. Il conserve en particu-
lier aux faits d’espionnage le caractère d’un délit, la trahison demeurant réprimée
par le Code pénal. Le Sénat a adopté ce projet de loi sans difficultés et sans y
apporter de modifications notables. Nous avons dû par contre insister beaucoup
auprès de la commission de législation civile et criminelle de la Chambre pour
lui faire admettre notre point de vue sur certaines questions particulières et nous
avons dû faire quelques concessions. (…) La discussion a duré assez longtemps et
il y a avant tout intérêt à aboutir 97. »
Le lieutenant-colonel Laurent accompagne sa note d’une étude
comparée des articles de la loi de 1886 et de ceux du projet de loi.
Durant l’été 1932, des rencontres discrètes ont lieu entre des sénateurs
membres de la commission sénatoriale de législation civile et criminelle,
les services spéciaux militaires et le cabinet de Joseph Paul-Boncour,
ministre de la Guerre. Pour des motifs plus politiques, les relations pro-
gressivement dégradées et conflictuelles entre le ministre de la Guerre et
le haut commandement affectent le suivi du dossier en 1932 98. Le
12 juillet 1932, le sénateur Eccard se rend au siège des services spéciaux
militaires et est reçu par le commandant Lacape, adjoint du lieutenant-
colonel Laurent. Le premier évoque les travaux d’une commission peu

97. SHD/DAT 7NN 2 270, note du lieutenant-colonel Laurent, chef de la SR-


SCR/EMA2 au chef du 2e bureau de l’EMA du printemps 1932, 2 p.
98. Jean Doise, Maurice Vaïsse, op. cit., p. 295.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

assidue et les responsabilités du rapporteur de la loi sur l’espionnage, le


sénateur Delthil, dans le lent examen du projet de loi. La conclusion
repose sur l’idée que des améliorations supplémentaires retarderaient
encore le vote du texte par le Sénat. Les commandants Sabatier et Vallet
suivent l’avancement du projet pour le secrétariat général du CSDN,
placé auprès du président du Conseil 99. À l’issue de la réunion, la posi-
tion finale arrêtée se résume à amener le rapporteur du projet de loi à
accepter ce point de vue. Dans la journée, l’état-major de l’armée
exprime sa doctrine par la voix du général Moyrand au 2e bureau SR-
SCR, favorable au vote du projet de loi en son état. Le commandant
Vallet fait savoir quelques heures plus tard par téléphone au comman-
dant Lacape que le cabinet du ministre de la Guerre a répondu qu’il
convient de laisser le Sénat amender le texte qui lui est soumis 100. Cette
décision du cabinet du ministre de la Guerre entraîna un retard, dès lors
inévitable, dans l’examen du texte par le Sénat. Joseph Paul-Boncour
n’en donna pas d’explication ultérieurement 101. En 1932-1933, le but
politique était encore d’obtenir, non une révision de la loi de 1886, para-
lysée par la commission de législation civile et criminelle de la Chambre
depuis 1922, mais une nouvelle loi 102.
Dès lors, quel texte législatif pouvait-il prendre forme ? Le travail sur
le projet de loi est suivi étroitement par le secrétariat général du CSDN
et par le 2e bureau de l’EMA. Le texte déposé devant la commission de
législation civile et criminelle a été jugé insuffisant quant à la répression
de l’espionnage. L’état-major de l’armée exprime cependant une position
pragmatique à l’automne 1933, à savoir voter, dans les meilleurs délais,

99. SHD/DAT 7NN 2 270, note confidentielle du commandant Lacape au lieu-


tenant-colonel Laurent, chef de la SR-SCR/EMA2, du 13 juillet 1932 au sujet de
l’entretien à la centrale des services avec le sénateur Eccard, membre de la commis-
sion de législation civile et criminelle au Sénat. Le commandant Lacape précise par
une annotation manuscrite que le sénateur Eccard souhaite que cette conversation
strictement privée ne sorte pas de l’EMA.
100. SHD/DAT 7NN 2 270, compte rendu du commandant Lacape des
échanges avec l’état-major de l’armée, le secrétariat général du CSDN et le cabinet
du ministre de la Guerre, 12 juillet 1932.
101. Joseph Paul-Boncour, Entre-deux-guerres. Souvenirs sur la IIIe République,
tome II, Les lendemains de la victoire, Paris, Plon, 1945, p. 234.
102. AN C 15 010, procès-verbaux de la commission de législation civile et cri-
minelle de la Chambre des députés, printemps 1932 à janvier 1934.

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Les rouages de l’État secret

une nouvelle loi que des décrets postérieurs aménageraient si nécessaire.


En ce début d’année 1933, l’inquiétude est forte en raison de l’installa-
tion du nazisme au pouvoir, de la paralysie de la conférence sur le désar-
mement et des résultats médiocres de la répression française de
l’espionnage allemand depuis plus d’un an. Au CSDN, la position du
chef des services spéciaux militaires est largement écoutée.
« Il ne convient pas pour des raisons d’opportunité d’essayer de la modifier,
mais au contraire que tous les efforts doivent tendre à la faire voter par la
Chambre, afin que la loi nouvelle puisse entrer en vigueur dans les délais les plus
courts. Si le texte en cause était modifié, il faudrait qu’il revînt une fois de plus
devant le Sénat si bien que, compte tenu de l’expérience, il serait absolument
impossible de prévoir, même approximativement, la date du vote définitif. En
somme, l’état-major de l’armée estime qu’il est préférable d’avoir avant six mois
une loi meilleure que celle de 1886, quoique nettement imparfaite, au lieu de ris-
quer d’avoir, peut-être, dans un temps indéterminé, une loi excellente. D’ail-
leurs, par la suite, à la faveur des circonstances, il sera probablement possible par
un nouveau texte d’améliorer la loi qui sera votée 103. »
Par ailleurs, la note prescrivit de préparer un projet de loi qui serait
votée de toute urgence en cas de péril national pour permettre l’arresta-
tion éventuelle des personnes inscrites au carnet B 104.
En 1933, le projet de loi présente des innovations. Il prévoit la répres-
sion de l’espionnage économique et de la mobilisation industrielle, de
l’espionnage diplomatique, élargissant le domaine de lutte militaire
contre l’espionnage. Il faut y voir l’influence du secrétariat général du
CSDN sur la préparation de la mobilisation économique de la nation en
temps de guerre, toujours orpheline d’une loi en 1933. De nouvelles
infractions apparaissent. Son article 9 proposait de réprimer la provoca-
tion à l’espionnage et son article 12 la divulgation de renseignements sur
des enquêtes ou d’informations sur des affaires d’espionnage en cours.
Inédit, l’article 11 élargit les mesures de relégation et de confiscation des
objets trouvés sur les agents en l’étendant aux colonies, à l’heure des pre-
mières difficultés en Syrie et en Indochine. En dépit de l’opposition mar-
ginale des parlementaires communistes, la loi est votée d’autant plus
facilement qu’elle survient dans le contexte des poursuites engagées
contre les rabcors en 1932. Après son vote le 7 avril 1933 par le Sénat, la
Chambre adopte le texte de la loi sans débats. Son adoption a été retardée

103. SHD/DAT 7NN 2 270, note nº 7924 de la SCR pour le secrétariat général
du CSDN, 30 novembre 1933.
104. Cf. chapitre 11.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

par deux renvois devant la commission de législation civile et criminelle


de la Chambre des députés les 23 novembre 1933 et 11 janvier 1934,
sur la demande du député Ramette, qui dénonçait le renforcement de
l’arsenal répressif contre le mouvement ouvrier révolutionnaire 105. De
fait, L’Humanité dénonce la loi, nouvel outil de l’impérialisme français
préparant la mobilisation industrielle pour faire la guerre 106. À vrai dire,
les dispositions qu’elle vise dans le domaine de l’espionnage économique
ne font que répondre à celles de la loi allemande du 9 mars 1932 sur
l’espionnage industriel, passible de cinq ans de prison. Cette dernière
concerne les vols de secrets de fabrication industrielle et l’offre de les
livrer, qui rend possibles des procès à huis clos. L’intérêt était d’éviter à
un concurrent commercial de porter plainte pour diminuer les dom-
mages à verser. Elle est en vigueur depuis le 1er avril 1932. Mais les peines
encourues en France en 1934 restent encore en deçà de celles prévues par
les législations étrangères qui envisagent une peine maximale de mort.
L’espionnage est passible de peine de mort en Italie, avec la loi du
19 octobre 1930, en Allemagne avec la loi de 1934, puis en Pologne, en
Tchécoslovaquie, en URSS. En France, les peines encourues sont des
amendes de 2 000 à 5 000 F et la prison, entre deux et cinq ans. Sur ce
point, la loi de 1934 ne marque pas d’avancée majeure sur celle de 1886.
Son application peine encore à distinguer la trahison de l’espionnage.
Progressivement, les juridictions civiles et militaires se sont appropriées
les ressources de cette loi du 20 janvier 1934 pour accroître les condam-
nations. Si la loi de 1886 avait pénalisé l’espionnage, la loi de 1934 ren-
force son caractère répressif mais de façon insuffisante aux yeux des
services de contre-espionnage. Sa publicité est faite au printemps 1934
dans la presse par un communiqué des ministères de la Guerre, de la
Marine et de l’Intérieur. Son application rencontre l’incrédulité, car elle
marque peu d’avancées au regard de la loi de 1886. Elle suscite l’incom-
préhension des services de police et de gendarmerie par son manque de
nouveauté 107 ! À peine votée, son application montre ses limites pour

105. Journal Officiel, débats parlementaires, 23 novembre 1933, nº 2578,


p. 251-256 et 11 janvier 1934, nº 2863, p. 27.
106. L’Humanité, 26 janvier 1934, p. 1.
107. SHD/DAT 7NN 2 270, note nº 695 du capitaine Lagache, chef de la SER
à Marseille, au chef de la SR-SCR/EMA2 au sujet de la méconnaissance de la nou-
velle loi du 26 janvier 1934, 7 avril 1934. L’Écho de Paris, 12 mai 1934.

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Les rouages de l’État secret

réprimer un espionnage étranger qui redouble depuis l’installation du


régime nazi et face aux menées soviétiques et italiennes.

Renforcer la répression de l’espionnage :


l’espionnage passible de la peine de mort
La loi du 26 janvier 1934 était-elle insuffisamment répressive ? De
1934 à 1939, une constante amélioration, du point de vue d’un renfor-
cement répressif, lui est apportée. Cette évolution procède du constat de
ses insuffisances, révélées par les poursuites engagées contre des agents
suspectés d’espionnage avec l’Allemagne ou l’URSS. Dès 1934, les
condamnations prononcées démontrent qu’elle est un moyen insuffisant
de répression judiciaire 108. Deux juridictions compétentes facilitent
l’application de la loi. Le décret-loi du 30 octobre 1935 donne compé-
tence au tribunal militaire pour juger les infractions à la loi du 26 jan-
vier 1934 commises « dans un but d’espionnage » et prononcer des
peines de détention. Le tribunal correctionnel est compétent pour les
autres infractions. Saisi, un procureur de la République confie la
recherche des preuves à un juge d’instruction civil. Cette situation très
neuve a pour objectif de faciliter le suivi de l’instruction du dossier. Le
juge d’instruction civil se dessaisit ensuite au profit d’un juge d’instruc-
tion militaire, s’il estime que l’infraction fait apparaître un but d’espion-
nage constitué. À l’automne 1938, la SCR et la Sûreté générale font un
bilan de l’application de la loi du 26 janvier 1934. Le constat est dressé
des faiblesses mêmes des peines encourues et des atermoiements des juri-
dictions criminelles civiles : la loi de 1934 n’a pas permis une répression
vigoureuse. À cet instant, la SCR et la Sûreté générale partagent deux
buts. Le premier enjeu est de renforcer la loi de 1934 par un article addi-
tionnel pour créer l’infraction d’espionnage sur le territoire national entre
les agents de deux puissances étrangères. Le second enjeu est de limiter le
nombre de postes privés émetteurs de TSF autorisés sur le sol français 109.
Avant 1914, cette inquiétude, qui n’a pas totalement disparu, concernait

108. AN BB18 6 093, dossiers 20 BL 357 et 358, affaires d’espionnage au profit


de l’URSS et AN BB18 20 BL 6 095, dossier 20 BL 440, affaires d’espionnage au
profit de l’URSS de 1934 à 1937.
109. SHD/DAT 7NN 2 270, compte rendu de l’entretien entre le capitaine
Brun de la SCR et le contrôleur général Castaing de la Sûreté nationale, 8 octobre
1937.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

les colombiers. Une raison inattendue a pu, incidemment, affaiblir la


répression par les parquets des tribunaux militaires des délits d’espion-
nage. En 1936, l’éloignement géographique des implantations de cer-
tains commissariats de police des parquets militaires ralentit l’instruction
des enquêtes sur l’espionnage. Ce fut particulièrement vrai en Alsace et
en Lorraine, dont les tribunaux à Nancy et à Besançon étaient trop
éloignés de la direction de la Sûreté nationale de Strasbourg et Belfort 110.
Dès le 12 février 1936, le contre-espionnage militaire appuie l’idée d’un
renforcement de la répression. Dans cet esprit, trois décrets-lois successifs
ont été promulgués de 1935 à 1939, dont le décret-loi relatif à la répres-
sion de l’espionnage promulgué le 17 juin 1938.
Enjeu d’importance depuis 1886, ce décret-loi modifie des caractéris-
tiques essentielles de la législation en vigueur. Il ôte tout caractère poli-
tique aux infractions d’espionnage. Il renforce les dispositions répressives
de la loi du 26 janvier 1934 et du décret du 30 octobre 1935 111.
L’espionnage est désormais un crime réprimé par des peines de droit
commun (art. 1 du décret du 17 juin 1938) 112. Les infractions à la loi
commises dans un but d’espionnage sont désormais punies de la peine
de mort ou des travaux forcés (art. 2 du décret du 17 juin 1938). Il fixe le
critère de nationalité pour différencier l’acte d’espionnage, commis par
un étranger à l’encontre de la France, et l’acte de trahison, commis par
un Français contre son propre pays. Cette disposition est fondamentale, à
l’heure d’une surveillance accrue des étrangers en France. La divulgation
d’inventions, d’études ou de procédés de fabrication susceptibles d’inté-
resser la Défense nationale est interdite sans autorisation préalable. Sur
ce point, le texte est plus libéral que la loi allemande du 9 mars 1932.
L’article 4 étend le champ d’application de la loi aux personnes en
contact avec un service d’espionnage ennemi, sans en avoir avisé l’auto-
rité compétente. Cette disposition permet désormais d’étendre les pour-
suites sans qu’une preuve matérielle autre que le simple contact soit

110. SHD/DAT 7NN 2 270, note secrète nº 65 de la section du contentieux et


de la justice militaire et de la gendarmerie du 11 février 1936 pour la SR/EMA2 au
sujet des difficultés de liaison entre les parquets des tribunaux militaires et la Sûreté
nationale à Strasbourg et Belfort.
111. SHD/DAT 7NN 2 270, note de la SCR sur les décrets relatifs à la répres-
sion de l’espionnage du 17 juin 1938.
112. Journal officiel du 29 juin 1938, p. 7472.

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Les rouages de l’État secret

exigée. Elle corrige largement les inconvénients révélés lors des pour-
suites contre des agents en rapport avec un service d’espionnage dont
l’activité secrète est difficilement démontrée. L’article 6 prévoit que les
dessins, les photographies, les levés sur des ouvrages de la Défense natio-
nale, dans une zone désormais définie par l’autorité militaire, sont
interdits. Le souvenir de l’affaire Frogé, intendant militaire soupçonné
d’avoir livré des informations secrètes sur la place forte de Belfort à l’Alle-
magne et jugé en 1934, influence la modification. Leur publication et
leur mise en vente sont interdites. L’interdiction est étendue au matériel à
usage militaire, existant ou en construction. L’article 7 permet d’empê-
cher le séjour d’étrangers dans des zones intéressant la Défense nationale.
L’achat de terrains pour la chasse ou la pêche peut être empêché à proxi-
mité des fortifications. Enfin, la spécialisation de certains tribunaux mili-
taires ou maritimes facilite les poursuites au terme de l’article 8. Les trois
derniers articles doivent trouver des précisions pratiques dans leur appli-
cation en 1938-1939. Il reste au législateur à fondre cet héritage législatif
de cinquante années dans un texte unique sur l’espionnage et la trahison.
Il y parvient en promulguant un nouveau décret-loi le 29 juillet 1939 qui
introduit les dispositions pénales relatives à la lutte contre l’espionnage et
la trahison dans le code pénal.
Ce décret-loi définit aussi, pour la première fois, la notion de secret
de la Défense nationale 113. Le crime de trahison est puni de mort. Il vise
des actes favorisant une puissance étrangère, à savoir le port des armes
contre la France, la livraison de troupes, de sites, le passage à l’ennemi ;
la destruction d’équipements de nature à servir à la Défense nationale ;
la livraison « d’un secret de la Défense nationale ». L’espionnage, visant
des actes définis par les trois articles 75, 76 et 77, et puni de mort, est
la seconde incrimination. Différents actes constituent l’atteinte à la sûreté
extérieure de l’État, considérés comme des délits en temps de paix et des
crimes en temps de guerre : les actes favorisant une puissance étrangère ;
le fait de s’assurer d’un secret de la Défense nationale ; la communica-
tion, sans autorisation préalable, d’une invention intéressant la Défense
nationale ou des renseignements s’y rapportant, à une personne agissant
pour une puissance ou une entreprise étrangère. La répression des actes
d’espionnage repose sur la notion juridique nouvelle de « secret de la

113. Bertrand Warusfel, op. cit., p. 152-155 sur les infractions réprimées par le
décret-loi du 29 juillet 1939 et la notion de secret de la Défense nationale.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Défense nationale », défini par l’article 78 du décret-loi. Les décrets-lois


de 1938 et de 1939 marquent donc une avancée qui arme la justice dans
la lutte du contre-espionnage français contre les menées d’espionnage
étrangères. Toutefois, les condamnations plus nombreuses et plus sévères
n’ont pas eu le temps d’enrayer les actions d’espionnage en France en
1939 114. L’application de la loi en montre rapidement les insuffisances
les plus patentes entre 1934 et 1938.
La République libérale peut-elle gagner la guerre contre l’espion-
nage ? En 1933, la loi sur les garanties des libertés individuelles a pu
apparaître comme contradictoire à certains promoteurs d’un projet de loi
sur l’espionnage plus répressif. Les débats de la commission de législa-
tion civile et criminelle de 1922 à 1933 ont souligné l’attachement des
députés à la défense des libertés publiques et individuelles. La révision de
la loi de 1886, en définissant plus étroitement des interdictions et de
nouvelles incriminations, menace-t-elle de restreindre l’exercice pratique
de certaines de ces libertés ? Le danger est peu vraisemblable, mais la
portée symbolique est forte. Le compromis obtenu par la loi de 1934 ne
satisfait personne. En excluant les condamnations consécutives à l’espion-
nage en 1914-1918, les condamnations pour infraction à la loi de 1886
se sont élevées à une centaine du milieu des années 1920 à 1934. Qu’en
est-il de l’efficacité de la loi de 1934 ? De 1934 à 1937, celle-ci est rela-
tive, car les poursuites engagées par les juridictions civiles ont été rares et
les peines prononcées encore faibles. Le décret-loi de 1938 commence de
donner des effets au printemps 1939. À vrai dire, la loi est constam-
ment retouchée de 1935 à 1939. Les arrestations et les condamnations
augmentent en 1937. En cinq mois de l’année 1937, le nombre d’arres-
tations pour infraction à la loi du 26 janvier 1934 est égal à celui de
l’année 1936 soit 110 115. 93 arrestations le sont pour acte d’espionnage
nettement caractérisé. Ce nombre est quatre fois supérieur à celui des
années 1933-1934 116. Les chiffres sont un indicateur imparfait pourtant.
Les expulsions et les refoulements croissent également de 1935 à 1937

114. AN BB18 6 099, dossiers 20 BL 614, 618, 622 et 627 sur les condamna-
tions pour espionnage de ressortissants allemands, 1925-1940.
115. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet sur les
arrestations pour infraction à la loi du 26 janvier 1934 en septembre 1937.
116. SHD/DAT 7NN 2 101, note du lieutenant-colonel Rivet, chef de la
SR-SCR du 17 juin 1937 au sujet de la SR.

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Les rouages de l’État secret

pour menées d’espionnage 117. Les effets escomptés du renforcement


répressif se firent sentir en 1938-1939. Par doctrine, le ministère des
Affaires étrangères rechignait aux arrestations encore à la fin des
années 1930.
250

200

150

100

50

0
1933 1934 1935 1936 1937

Les arrestations pour espionnage en France de 1933 à 1937

En définitive, deux étapes ont marqué la répression judiciaire entre


1918 et 1939. Difficilement appliquée en raison de l’encombrement des
tribunaux civils après 1920, la loi de 1886 produit une faible répression
de l’espionnage. Aussi sa réforme est-elle engagée en 1921. Mais les
divergences d’appréciations du législateur et des ministères de l’Intérieur
comme de la Guerre en retardent le vote par la Chambre des députés.
Le chantier législatif, relancé en 1932, aboutit à la loi du 26 janvier 1934.
Remaniant modérément les dispositions de la loi de 1886, la loi du
26 janvier 1934 est corrigée par trois décrets-lois en 1935, 1938 et 1939.
La peine de mort est envisagée pour les crimes de trahison et d’espion-
nage en 1938. Les arrestations se multiplient parallèlement en
1937-1938. Mais les condamnations viennent tardivement en
1938-1939. Le contre-espionnage policier et militaire est resté orphelin
d’une loi sur l’espionnage véritablement répressive jusqu’en 1938.
De 1918 à 1939, le renseignement entre dans une catégorie d’acti-
vité de l’appareil d’État qui se développe. Depuis 1886, le secret est pro-
gressivement réglementé, défini par des instructions ministérielles et
interministérielles. Si l’organisation de l’activité secrète dans l’État est

117. SHD/DAT 7NN 2 701, note de la SCR/EMA2 de juillet 1937 au sujet des
statistiques des arrestations et des expulsions en application de la loi du 26 janvier
1934.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

principalement militaire au sortir de la Première Guerre mondiale, le


secret relève néanmoins essentiellement de la pratique de trois adminis-
trations. Les activités secrètes de la diplomatie, de la police et de l’armée
s’apparentent au fonctionnement de trois « corps du renseignement ».
Faiblement coordonnées avant 1914, articulées plus étroitement par les
cabinets de guerre en 1914-1918, ces activités secrètes sont progressive-
ment liées par la mise en œuvre des moyens d’espionnage français à
l’étranger. Les nécessités du contre-espionnage accélèrent la coordina-
tion des moyens de renseignement des trois ministères, sous l’autorité du
ministère de la Guerre. Celui-ci conserve durant toutes les années
d’après-guerre l’autorité sur le contre-espionnage à l’étranger et partage
avec l’Intérieur l’exploitation des renseignements sur le territoire
national. À cet égard, la coopération instaurée avec la Sûreté générale,
puis nationale après 1934, est exemplaire. Elle est érigée en modèle par
le département de la Guerre qui aspire à Paris à une relation aussi fruc-
tueuse avec la préfecture de Police, sans toutefois y parvenir toujours. Elle
trouve sa traduction dans les aménagements constants de la liaison entre
les bureaux de centralisation de renseignement des régions militaires et
une sectorisation plus fine de la surveillance du territoire. Cette coopéra-
tion est constamment rationalisée jusqu’en 1937 pour répondre aux
attentes du contre-espionnage militaire, notamment dans les
années 1930.
Le monopole de l’activité de contre-espionnage à l’étranger par le
ministère de la Guerre a constitué, entre 1919 et 1924, un point de
divergence avec le ministère des Affaires étrangères. En avril 1928, la
nouvelle instruction du Quai d’Orsay marque, de fait, un tournant qui
facilite le travail de contre-espionnage et d’espionnage à l’abri des
consulats. Au milieu des années 1920, l’instauration d’attachés militaires
adjoints chargés de l’espionnage dans les représentations diplomatiques
garantit théoriquement l’intégrité de la mission des attachés militaires.
Ceux-ci poursuivent la collecte d’un renseignement ouvert, tout en coif-
fant le dispositif de renseignement fermé dans les représentations diplo-
matiques françaises. En définitive, le partage des informations entre les
deux ministères, au niveau des directions et des bureaux de l’administra-
tion, a progressé de 1919 à 1939, encore conditionné par les relations
personnelles des hauts fonctionnaires. Mais les outils juridiques d’une
politique efficace manquent. La révision de la loi sur l’espionnage de

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Les rouages de l’État secret

1886 se fait par des étapes successives de 1934 à 1939, depuis la loi du
26 janvier 1934 jusqu’aux décrets-lois de 1935, 1938 et 1939. Elle est un
compromis entre la sauvegarde de la République libérale et la protection
de la sûreté intérieure et extérieure de l’État.

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Chapitre 3
Les espions de la République

L’espion, un fonctionnaire de la République ? L’idée pourrait sur-


prendre si l’on ne s’arrêtait qu’aux différents informateurs, aux corres-
pondants officieux des services secrets, aux traîtres stipendiés qui livrent
des secrets d’État. Paradoxalement, la dynamique de bureaucratisation du
métier enclenchée avant 1914 gagne en vitesse grâce à la guerre. La
guerre a d’abord rationalisé les appareils de renseignements, accéléré la
coordination et la centralisation du renseignement au profit des armées
en temps de guerre, élargi les coopérations internationales secrètes. Les
procédures de recueil du renseignement de sources technique et humaine
se sont affinées, en dépit d’une production d’informations quantitative-
ment non maîtrisable par l’homme. Serviteur de l’État, l’officier de ren-
seignement est l’acteur d’un système d’information instauré par les États,
en quête d’un monopole sur l’information depuis la guerre de
1914-1918. Quoique secrète, cette activité est néanmoins publique et ces
étranges fonctionnaires travaillent souvent, mais pas tous, à visage
découvert.

À l’ombre des services spéciaux, des carrières militaires

Les attributions réglementaires du chef des services spéciaux


militaires
Pour curieux que cela puisse paraître, la fonction du chef des services
spéciaux militaires s’est trouvée définie, progressivement sinon stricte-
ment, au cours de la IIIe République. Au point que l’état-major de

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Les espions de la République

l’armée a cru bon de fixer ses attributions secrètes dans le cadre plus
général des activités de son 2e bureau. De sorte que l’usage a instauré une
définition minutieuse de la fonction, résumée dans un vade-mecum du
chef des services spéciaux militaires, comme pour mieux conjurer son
imprévisibilité par une rationalité administrative 1. En matière d’espion-
nage, cet officier supérieur est appelé à mettre en œuvre les orientations
du plan de renseignement, tout en ayant la libre appréciation des instruc-
tions particulières données aux postes aux frontières et à l’étranger par
des programmes de recherche de renseignements. Les missions sont alors
exécutées sur ordre du chef du poste, recevant les instructions du chef des
services spéciaux militaires à Paris. Ces programmes sont complétés ou
corrigés pendant leur exécution par des instructions soit écrites, soit
orales. L’acquisition de nouvelles informations en temps de crise invita
d’ailleurs, dès les années 1920, à multiplier les instructions particulières
entre le service central et les postes de renseignement.
En matière de contre-espionnage, plusieurs responsabilités incom-
bent au chef de la SR-SCR, en liaison étroite avec le commandement, le
commissaire chef de la sûreté dans l’armée et les officiers de contre-
espionnage. Il lui revient d’abord la centralisation des renseignements de
contre-espionnage, tout en assurant leur caractère secret. L’expression
« protection du secret » a été peu à peu consacrée, au point de résumer
la mission essentielle de préservation des informations secrètes lors de
leur diffusion. Dans le cycle du renseignement, la diffusion qui donne
une publicité au renseignement en dehors des seuls services secrets est
évidemment un moment critique de sa vulnérabilité. La surveillance du
moral accompagne cette attribution, c’est-à-dire l’action d’enrayer les
campagnes démoralisatrices sinon défaitistes d’un ennemi potentiel dans
le corps de troupe. Or, cette préoccupation a marqué durablement les
armées pendant la Première Guerre mondiale, plus attentives aux fac-
teurs externes de démoralisation qu’à ceux internes aux forces armées. La
crainte d’une action subversive débouchant sur des troubles révolution-
naires pouvant disloquer l’unité de l’armée fut obsessionnellement pré-
sente à l’esprit des chefs militaires français au XXe siècle, en particulier
entre 1917 et 1940.

1. SHD/DAT 7NN 2 463 Vade-mecum du chef des services spéciaux de


l’Armée, ministère de la Guerre, EMA-2e bureau SCR, principes, 9 juin 1940.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Le chef des services spéciaux militaires (SR-SCR) centralise le rensei-


gnement de contre-espionnage recueilli par le corps de troupe, les ser-
vices de l’armée, les organes de recherche relevant du 2e bureau (sûreté
aux armées, officiers de contre-espionnage). À partir de 1937, la pra-
tique s’est instaurée de la transmission du renseignement centralisé aux
BCR des régions militaires pour orienter leurs enquêtes. À son tour, le
BCR saisit alors pour enquête les commissaires de surveillance du terri-
toire. Dans les affaires urgentes nécessitant une perquisition, sinon une
arrestation, les éléments de procédure sont donnés par les chefs des ser-
vices spéciaux et du BCR intéressé. Une liaison fréquente entre les ser-
vices spéciaux et les BCR s’est établie au terme des années 1930. Par
ailleurs, le chef de la SR-SCR fait veiller à une application rigoureuse de
toutes les mesures destinées à assurer la protection du secret dans le corps
de troupe et les services administratifs. L’apposition du timbre « secret »,
« très secret », « confidentiel » sur les documents en découle. Les règles
formelles pour la transmission, la garde et la destruction éventuelle de ces
documents sont un héritage du XIXe siècle, renforcées après l’affaire
Dreyfus. De près ou de loin, tout ce qui touche au secret relève du
contrôle de cet « architecte du secret militaire » : aussi ses services véri-
fient-ils que le matériel et l’armement secrets soient à leur place. Après la
Première Guerre mondiale, cette disposition, qui remontait au XIXe siècle,
justifiait les visites d’usines fabriquant des matériels d’armement touchant
au secret de la Défense nationale. Dans les années 1930, elle connut
même un renforcement consécutif à l’affaire des rabcors de L’Humanité,
à l’espionnage des matériels militaires et des technologies plus générale-
ment. De même, le secret absolu des opérations militaires, des
manœuvres et des exercices, des mouvements de troupe devait être pro-
tégé, au besoin par des mesures de camouflage dont la guerre de
1914-1918 avait mesuré l’intérêt 2. Le chef des services spéciaux mili-
taires veille à la surveillance des points sensibles temporaires ou perma-
nents dans la zone de l’avant, dont les dépôts de carburants et de
munitions. Un « point sensible » doit être compris comme étant un

2. Danielle Delouche, « Camouflage », in Stéphane Audoin-Rouzeau, Jean-


Jacques Becker (dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre, op. cit., p. 287-296.

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Les espions de la République

objectif potentiel d’un service de renseignement ennemi 3. Par ailleurs, la


propagande ennemie sapant le moral des troupes conduit le chef des ser-
vices secrets à centraliser les renseignements touchant au moral des
troupes et à la propagande défaitiste recueillis par le commandement, les
BCR et les commissions de contrôle – postal et télégraphique – en temps
de guerre. Il s’agit, en ce cas, de rechercher toutes les causes qui peuvent
influer sur le moral du soldat, en mettant en œuvre les moyens pour
lutter contre le défaitisme, au besoin par des missions spéciales des offi-
ciers de contre-espionnage. Enfin, le chef de la SR-SCR s’efforce d’établir
une centralisation du renseignement de contre-espionnage en France, aux
fins de contrôler la diffusion de la documentation. Le monopole de cette
information continue d’être un enjeu dans l’appareil d’État. À ce titre, il
est « l’animateur » des directives en matière de contre-espionnage, rap-
pelées par des causeries aux officiers de contre-espionnage et des réu-
nions, par l’affichage de slogans, dans des tournées d’inspection. Les
attributions du chef des services spéciaux militaires sont donc très soi-
gneusement délimitées par ces instructions, par les plans de renseigne-
ment, par les instructions ministérielles. En définitive, le secret n’échappe
ni au principe de sa réglementation publique, ni à une administration
que l’on pourrait presque dire « ordinaire ». Aussi les responsables des
services spéciaux militaires furent-ils autant choisis pour leurs qualités
d’administration que pour leur compréhension du secret dans l’armée et
dans l’appareil d’État. Ces deux caractéristiques ne suffisent évidemment
pas à faire un chef des services secrets, chez qui l’action le dispute à
l’organisation. Le portrait de groupe des différents responsables des ser-
vices spéciaux militaires entre 1919 et 1940 en donne une assez juste
idée.

Être le chef des services spéciaux militaires :


une filière du « secret ordinaire » dans l’armée ?
L’existence d’un cursus honorum secret de la République n’est jamais
apparue comme antinomique avec le caractère démocratique du régime.
Ce constat tient d’abord à l’étroitesse du groupe considéré, comptant une

3. À savoir des fortifications, des établissements militaires, un établissement tra-


vaillant pour la Défense nationale, terrains de manœuvre ou opérations, d’aviation,
moyens de communication, sources et transport d’énergie.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

dizaine d’individus. Parmi les officiers affectés dans les différentes sec-
tions du 2e bureau de l’EMA, ceux de la SR puis, à partir de mai 1915,
de la nouvelle SCR, retiennent notre attention 4. L’après-guerre réunit
dans les mains d’un seul officier la direction des deux sections, alors
qu’une situation différente a prévalu de 1899 à 1915. L’itinéraire du
futur général Dupont épouse cette évolution de l’organisation adminis-
trative des services spéciaux militaires. À sa sortie de l’École supérieure de
guerre (ESG) le capitaine Dupont est affecté à la section de recherche
jusqu’en 1904. Après la tourmente de l’affaire Dreyfus, il est chargé, en
dépit de ses réticences, de réorganiser la section de recherche dont il
prend la responsabilité en février 1908. Après avoir commandé la section
de renseignement de 1908 à 1913, le colonel Dupont commande pen-
dant la guerre un 2e bureau qui coiffe notamment la section de renseigne-
ment et la section de centralisation de renseignement. Cette dernière est
animée par le commandant Georges Ladoux (1875-1933) depuis sa créa-
tion en mai 1915 jusqu’en avril 1917. Après des scandales et des affaires
de presse qui compromettent Georges Ladoux, le colonel Goubet réorga-
nise les moyens de renseignement au printemps 1917 5. À cet instant, il
estime l’action de Ladoux à la SCR suspecte, et celle du commandant
Bouvard à la tête de la SR depuis 1915 inefficace.
« Placé à la tête du très important service des renseignements, le comman-
dant Bouvard s’est parfois laissé absorber par des questions d’intérêt secondaire
et accessoire. A manqué d’initiative et d’audace pour améliorer le niveau du
recrutement des agents. Au “kolossal” système allemand, n’a opposé qu’un ser-
vice timide et extrêmement prudent… M. le commandant Bouvard a commencé
très tard à faire du renseignement 6 »,
souligne sévèrement le colonel Goubet. La Première Guerre mondiale
confirme bien l’idée d’une spécialisation des officiers de renseignement
initiée depuis l’avant-guerre, agrégeant un groupe peu à peu fermé aux
officiers des armes qui ont connu une brève affectation dans les services
de renseignement. De fait, cette spécialisation rend plus difficile aux

4. AN 470 AP 1, fonds Millerand, note du 29 mai 1915 sur la création de la


SCR au ministère de la Guerre.
5. Olivier Alary, « Le commandant Ladoux, chef du contre-espionnage pendant
la Grande Guerre 1915-1917 », in Olivier Forcade (dir.), Le Secret et la puissance. Les
services spéciaux et le renseignement aux XIXe et XXe siècles, Amiens, Encrage, 2007,
p. 45-58.
6. SHD/DAT 6 Ye 41 707, dossier des états de service du colonel Almire Bou-
vard (1872-1941).

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Les espions de la République

officiers non spécialisés dans le renseignement l’entrée au 2e bureau de


l’EMA après la guerre. Officier d’infanterie sorti de Saint-Cyr
(1893-1895) et breveté de l’ESG (1904-1906), le lieutenant-colonel
Almire Bouvard (1872-1941) est venu tardivement au renseignement.
Affecté à la SR du 2e bureau de l’EMA à partir d’avril 1914 par son chef
le lieutenant-colonel Dupont, il la commande à compter de
novembre 1915 jusqu’en avril 1917 dans une parfaite entente avec
Dupont et avec le colonel Zopff qui couvre les mêmes responsabilités au
GQG. Placé à la direction des étapes sud du groupe d’armées de l’est en
avril 1917, il commande brièvement un bataillon au 132e régiment
d’infanterie au feu, avant de rejoindre l’état-major de la mission mili-
taire française auprès de l’armée belge durant l’année 1918. En dépit de
l’appréciation peu flatteuse de Goubet, il commande à nouveau la SR à
l’EMA depuis décembre 1918 jusqu’en août 1920. « Exceptionnelle-
ment méritant… le commandant Bouvard est un modèle d’officier
d’état-major [et] dirige le service de renseignement avec une compétence
et un tact parfaits. » conclut a contrario le colonel Fournier, chef du
2e bureau de l’EMA à l’été 1919 7. Querelle de chefs ? Bouvard a été
injustement emporté dans le tourbillon des affaires de presse et de défai-
tisme en 1917 avec Georges Ladoux, son alter ego à la SCR. En outre,
l’année 1919 est une période de transition caractérisée par les négocia-
tions de paix et la démobilisation des armées françaises, dans l’attente
d’une réorganisation profonde des moyens de renseignement militaires
repoussée à 1920.
Après le lieutenant-colonel Bouvard qui quitte la SR à l’été 1920, le
lieutenant-colonel Robert Lainey a autorité sur les deux sections, de
juin 1920 à septembre 1928. Désormais, en temps de paix, le chef de ser-
vice unit dans son commandement la recherche des renseignements et la
coordination du contre-espionnage militaire. Né à Brest en 1873, Lainey
présente la carrière type d’un officier d’infanterie. Passé par l’École
d’infanterie en 1899 après avoir échoué à Saint-Cyr et Polytechnique, il

7. Ibidem, notation du colonel Fournier, chef du 2e bureau de l’EMA, 17 août


1919. En octobre 1920, ce père de sept enfants demande pour des raisons de famille,
à être affecté à Nantes. Il y devient chef du service de l’instruction physique à
Nantes, en activité jusqu’en 1931, préparant les officiers de réserve. Gardant le
contact avec les services, il anime dans les années 1930 des conférences sur les ser-
vices spéciaux à l’intention des officiers de réserve.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Les responsabilités des chefs des services spéciaux militaires


au 2e bureau de l’EMA

Affectation Chef de la section


Chef de la section
au 2e bureau de centralisation
de renseignement
de l’EMA de renseignement
Almire Bouvard avril 1914-avril 1er nov. 1915-avril
(1872-1941) 1920 1917
2 déc. 1918-juin
1920
Robert Lainey juin 1918-sept. juin 1920-mai 1928 juin 1920-mai 1928
(1873-1937) 1930
chef 2e bureau
1928-1930
Edmond Laurent oct. 1923-mars sept. 1928-mars sept. 1928-mars
(1882-1971) 1934 1934 1934
Henri Roux 1922-1936 mars 1934-juin mars 1934-juin
(1884-1967) 1936 1936
Louis Rivet 1920-1943 juin 1936-1943 juin 1936-1943
(1883-1958) (retraite avril 1944) (retraite avril 1944)

est affecté dans des régiments d’infanterie coloniale. Prototype de l’offi-


cier colonial, il combat à Madagascar en 1901-1903, avant de se distin-
guer sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale où il est
blessé à deux reprises. Il opte alors pour les services de renseignement aux
armées en juillet 1917 8. Au 2e bureau de l’EMA en juin 1918, il devient
le grand réorganisateur du renseignement militaire après guerre, jouis-
sant du plein soutien du colonel Fournier, chef du 2e bureau de l’EMA
de 1920 à 1925. À la tête de la SR et de la SCR depuis juin 1920, cet
« officier hors de pair… a [remonté] les services avec maestria, efficacité,
compétence et esprit de suite [au point d’obtenir] de merveilleux
résultats 9 ». En octobre 1923, le colonel Fournier renouvelle ses encoura-
gements en soulignant que les services de renseignement ne pouvaient
être en de meilleures mains. Puis Lainey devient chef du 2e bureau de
l’EMA le 1er octobre 1928. Il le demeure jusqu’en septembre 1930,

8. SHD/DAT 6 Ye 48 746, état de services de Robert Lainey (1873-1937).


9. SHD/DAT 6 Ye 48 746, notation du colonel Robert Lainey en 1920 et 1923
par le colonel Fournier, chef du 2e bureau de l’EMA.

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Les espions de la République

assumant une véritable tutelle sur la section des armées étrangères et la


SR-SCR, commandée par son ancien subordonné Laurent.
Edmond Laurent offre le parcours militaire le plus conforme du
groupe. Polytechnicien, cet officier d’artillerie alterne des temps de
commandement et des affectations en état-major. Il retrouve régulière-
ment le 2e bureau de l’EMA entre 1907 et 1928. Il reçoit un commande-
ment de régiment après sa direction des services en 1934-1936, suivant
une carrière traditionnelle d’officier supérieur puis général. La carrière du
lieutenant-colonel Roux présente le même écart au groupe, se rappro-
chant du parcours d’un officier des armes plus classique. Mais Laurent
comme Roux ont été formés à leurs fonctions par des affectations longues
dans les 2es bureaux d’état-major ou dans les sections des services spé-
ciaux militaires. Il n’y a pas chez eux de commandement opérationnel
dans les postes de renseignement. En revanche, Louis Rivet offre la car-
rière le plus proche de celui de Robert Lainey. Son parcours d’officier est
voué non plus à la carrière des armes, mais au métier du renseignement,
dans un itinéraire professionnel aux étapes désormais obligées. Il alterne
ainsi des affectations dans des postes de renseignement, dans des missions
de couverture d’activités d’espionnage en Allemagne et des passages à la
section allemande du 2e bureau de l’EMA. Puis, après y avoir été pré-
paré en étant l’adjoint du colonel Roux en 1935-1936, il commande les
services spéciaux militaires. Le colonel Lainey l’a coopté et porté à la
fonction. Deux types d’itinéraires professionnels conduisent à la tête des
services secrets militaires. D’une part, il y a les officiers des armes consa-
crant leur passage en état-major à un temps de commandement des ser-
vices spéciaux. D’autre part, il y a les officiers spécialisés par une
affectation stable et exclusive dans les services de renseignement, en
dehors des armes. Cette évolution s’est dessinée progressivement de part
et d’autre de la guerre.
Les années d’après-guerre installent un parcours type qui ne souffre
plus de dérogation dans les années 1930. Il y a bien une professionnali-
sation progressive des services spéciaux si l’on entend par là l’émergence
d’un groupe de spécialistes façonnés par l’emploi et par l’affectation
stable. Cette stabilité favorise la spécialisation. Mais elle n’interdit pas
une affectation hors des services spéciaux. Il faut pondérer ce constat en
rappelant que la gestion des carrières et la progression dans les grades,
fixés par le statut de l’officier de 1834, définissait un temps long des

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

affectations sous la IIIe République 10. L’affectation pendant plusieurs


années, voire pendant une dizaine d’années, dans un même emploi
s’accommodait aisément de la très lente progression hiérarchique des
grades subalternes. Elle se confirme par l’observation du groupe des offi-
ciers affectés dans les services dans l’entre-deux-guerres. Le temps de pas-
sage dans les services secrets est long, favorisant une spécialisation.
Comme pour mieux se démarquer des souvenirs de l’affaire Dreyfus, les
nominations des chefs des services spéciaux n’ont plus eu de caractère
politique dans l’entre-deux-guerres, à l’inverse d’un Ladoux soutenu par
les radicaux-socialistes par exemple. Nommer un chef des services secrets
relève d’une décision du haut commandement, sans que l’intervention
politique du ministre de la Guerre n’ait été déterminante. Aussi, le choix
d’un nouveau chef des services spéciaux se fait sur des critères de techni-
cité professionnelle et d’appartenance au cercle fermé des services avant
tout en 1920, en 1928, en 1934 ou en 1936. Faut-il parler d’un temps
de relatif dépolitisation de la fonction 11 ? Sans doute. Par ailleurs, il y a
une méconnaissance, sinon un certain mépris, de la haute hiérarchie mili-
taire et du corps des officiers pour les services de renseignement. L’idée
d’une carrière à l’ombre des services spéciaux est assez étrangère à la
société militaire. Paradoxalement, cette situation favorise une spécialisa-
tion fonctionnelle des services. En dehors des corps ou des armes tech-
niques, l’émergence d’une filière professionnelle du renseignement en est
facilitée.
Edmond Laurent (1882-1971) présente une carrière typique d’offi-
cier d’artillerie 12. Entré à l’École polytechnique en 1905, cet artilleur fait
toute la Première Guerre mondiale dans son arme, commandant d’une
batterie d’artillerie lourde en 1915-1916, participant aux offensives de
l’automne 1918. Instructeur à l’école d’artillerie en 1917, il est affecté en
1918 à l’Inspection générale de l’artillerie, dont il devient le chef d’état-
major du 2e bureau. Il reprend un commandement au front en 1918,

10. Voir notre étude « Les officiers et l’État 1900-1940 », in Marc Olivier
Baruch, Vincent Duclert (dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’adminis-
tration française 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000, p. 261-277.
11. Cf. chapitre 12. On verra le cas du capitaine Beaune du poste de Nice, passé
de la Cagoule au mouvement de Darnand.
12. SHD/DAT 14 Yd 493, dossier personnel et d’état de services d’Edmond
Laurent (1882-1971).

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Les espions de la République

présent au Chemin des Dames. Il participe aux offensives de septembre-


octobre 1918 sur la ligne Hindenburg et sur la Sambre. Après l’École
supérieure de Guerre en 1920-1921, il est affecté à un état-major et fait,
à ce titre, un stage au 2e bureau de l’EMA. De manière décisive pour
l’orientation de sa carrière future, il y est affecté comme capitaine
d’octobre 1923 à mai 1927. Il est alors destiné à la section allemande de
la section de recherche, cœur des services spéciaux militaires dont il
devient bientôt le chef. Il convient naturellement de bien dissocier
celle-ci de la section allemande des armées étrangères (SAE), au cœur de
l’analyse du renseignement, en opérant la synthèse des informations de
source ouverte et secrète au 2e bureau de l’EMA. La SAE est bien le cœur
du 2e bureau, irriguant de ses analyses les bulletins hebdomadaires et
mensuels du 2e bureau de l’EMA comme les revues militaires spécia-
lisées (Revue de l’infanterie, Revue de l’artillerie, Revue des armées étran-
gères…). Elle est la source de l’information des états-majors, mais aussi
des milieux dirigeants civils français, sinon européens, par le biais des
coopérations secrètes entre les États. Section d’analyse du 2e bureau, la
SAE participe à l’orientation stratégique de la recherche des renseigne-
ments sur l’Allemagne. La section de renseignement regroupe quelques
spécialistes de l’Allemagne, avec pour mission la collecte d’informations
essentiellement secrètes grâce à des agents à l’étranger. Cette « filière alle-
mande » émerge dans l’appareil français de renseignement des
années 1920 et 1930. L’affectation dans une ambassade comme attaché
militaire ou son adjoint, dans les missions militaires françaises à
l’étranger, mais aussi plus circonstanciellement dans les commissions de
réquisition, d’inspection ou de vérification de l’application des traités à
l’étranger, sont des couvertures au recours fréquent. Non sans surprise,
un prisme idéologique précoce déforme la collecte comme l’analyse des
informations sur l’Allemagne. Cet état d’esprit affecte couramment la
perception de la menace allemande par les officiers de renseignement. En
ce sens, on peut parler d’un « habitus allemand » des officiers de rensei-
gnement français après 1914.
Si le capitaine Laurent échappe le plus souvent au reproche, cela n’est
pas toujours systématique à l’heure de l’occupation militaire de la Ruhr
déclenchée en janvier 1923 par les Français et les Belges. Mais la variété
de ces canaux d’information excède déjà les seules sources secrètes
humaines. À vrai dire, pas un des responsables de renseignement français
n’a échappé à ce tropisme antiallemand. À la même période, Jean

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Merson, adjoint du colonel Lainey placé à la tête de la SR-SCR, y occupe


une position centrale.
« Quand nous avons découvert le traité de paix de 1919, au SR et au
2e bureau, nous avons conclu que cela recommencerait d’ici 15, 20 ans au plus…
Cette fois [après 1945], comme l’Allemagne est plus éreintée, la paix peut durer
30 ou 40 ans… L’Allemagne produit des Hitler comme un pommier produit des
pommes 13. »
Si la portée du témoignage est certes relativisée par l’expérience de la
Seconde Guerre mondiale chez Merson, il n’en demeure pas moins que
son attitude intellectuelle est typique de l’atmosphère antiallemande qui
domine alors dans les années 1920. De surcroît, nombreux sont les offi-
ciers des services spéciaux militaires qui ont été blessés (Lainey) ou pri-
sonniers (Rivet) en Allemagne pendant la guerre de 1914-1918. Le
capitaine Laurent est noté comme un officier « de grande valeur, très tra-
vailleur, très méthodique, d’une grande intelligence, précieux collabora-
teur pour son chef de bureau ». Le caractère stéréotypé des notations
administratives ne doit pas dérouter. Selon le colonel Fournier, chef du
2e bureau de l’EMA en 1925, il ne « mérite que des éloges » pour sa
connaissance de l’armée allemande et de son artillerie qui le conduit à
participer aux exercices du Conseil supérieur de la guerre depuis 1924,
dans le groupe des officiers spécialistes mis à disposition des officiers
généraux qui y siègent pour mettre en œuvre des scénarios de conflits 14.
Une excellente notation lui permet de prendre « au pied levé » la direc-
tion du service de renseignement en septembre 1928, pour y obtenir des
résultats qui satisfont le colonel Lainey. Promu à la tête du 2e bureau de
l’EMA, Lainey l’a poussé à lui succéder dans cette responsabilité.
« Vient d’être appelé brusquement à prendre la direction du service des ren-
seignements à l’EMA. S’emploie à fond pour se mettre au courant, de façon
rapide et complète, de son lourd et nouveau service. Les résultats qu’il a acquis
dès maintenant, grâce à ses connaissances étendues, à une grande puissance de
travail, à une intelligence très vive, permettent d’affirmer qu’il sera en peu de
mois en état de diriger complètement et seul la SR et la SCR 15. »

13. Jean Merson (général), « « Témoignage », in Bulletin de l’amicale des anciens


membres des services spéciaux de la Défense nationale, nº 52, 1996/IV, p. 4.
14. SHD/DAT 14 Yd 493, notes de l’année courante 1924, signée par le colonel
Fournier le 19 octobre 1925.
15. Ibidem, note de l’année courante 1928, signée par le colonel Lainey le
1er octobre 1928.

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Les espions de la République

Le colonel Lainey l’a-t-il désigné comme son successeur par défaut ?


Par ses silences, la notation administrative est parlante. Il n’est pas prévu
pour diriger les services spéciaux militaires. Seul le départ de Lainey
explique sa promotion rapide. De fait, il parfait son temps de comman-
dement en prenant un groupe au 182e régiment d’artillerie lourde de mai
à août 1929, alors suppléé par le commandant Merson. Promu lieute-
nant-colonel en décembre 1929, il est donc à la tête de la SR-SCR de
septembre 1928 à mars 1934. Lainey estime qu’il a « acquis en
1929-1930 une connaissance parfaite du lourd et délicat service qu’il
dirige, méritant pleinement à ce titre la confiance du commandement ».
Les relations avec Lainey se sont sans doute quelque peu distendues par
la suite. En effet, Lainey est désigné comme chef du 5e bureau en temps
de guerre en 1932. La décision signifie que Laurent retomberait sous ses
ordres en cas de mobilisation. En outre, les rapports que Lainey établit
lors d’une inspection des services, à la demande de l’état-major de l’armée
en octobre 1932 et en octobre 1933, ont sans doute gauchi leurs rela-
tions. En octobre 1933, Lainey critiqua sévèrement les mesures que son
successeur n’aurait pas préparées pour la mobilisation en cas de guerre.
Le colonel Laurent réfute alors point par point le rapport de Lainey au
sous-chef d’état-major à l’EMA qui suit le 2e bureau 16. En réalité, la tran-
sition que connaissent les services de 1930 à 1933 tient naturellement à
l’évolution de la situation allemande. Depuis l’évacuation définitive de la
Rhénanie en juin 1930 jusqu’à l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la question
allemande invite à réagir à un contexte sans cesse changeant avec des
moyens stables. La fermeture du poste de Mayence comme le nombre
croissant d’exilés allemands à Paris ont poussé la centrale à traiter direc-
tement des agents qui l’étaient précédemment par les postes en Alle-
magne. Le travail de la centrale s’en est trouvé alourdi.
Edmond Laurent est sans doute l’un des plus méconnus des chefs de
service dans cette période charnière qui voit la transition de la grande
réorganisation des années 1925-1928 aux adaptations du milieu des
années 1930. Il est cependant à l’origine de cette évolution qu’il met en
œuvre. Durant son temps de commandement, les services spéciaux élar-
gissent le réseau de postes avec la création de Lille, de Beyrouth ou de

16. SHD/DAT 7N 2 485, compte rendu du colonel Laurent, chef du la SR-


SCR/EMA2 du 1er décembre 1933 au sujet de l’état actuel de la préparation de la
mobilisation du SR suivi de propositions.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Djibouti 17. Les figures de Lainey et de Rivet encadrent son temps de


commandement des services pour le renvoyer dans l’anonymat de leur
histoire. À l’automne 1934, il prend le commandement du 42e régiment
d’artillerie, conservé jusqu’en 1936. Il suit alors les cours du Centre des
hautes études militaires en 1937 où le général Bineau, responsable du
centre et de la notation des stagiaires, lui trouve une « propension hési-
tante à la décision ». La remarque est davantage de défiance intellectuelle
que de lucidité critique, à l’encontre des spécialistes du renseignement,
inéluctablement taxés dans leurs notations d’une inclination pour
l’introspection plutôt qu’à l’action. Malgré tout, le colonel Laurent
devient attaché militaire à Bruxelles le 11 mai 1937. Dans la continuité
parfaite de ses affectations antérieures, cette nomination est importante
car Bruxelles abrite l’un des postes sensibles de la SR-SCR auprès de
l’attaché militaire. Neutre, le pays se défie d’une coopération active en
matière de renseignement. Les généraux Dentz et Colson saluent son pas-
sage à Bruxelles dans leur notation en 1938 et 1939. Promu général de
brigade le 12 décembre 1939, il commande alors la subdivision militaire
des Basses-Pyrénées à Pau. Il est placé en congé d’activité le 1er janvier
1942. Passé par le 2e bureau de l’EMA, il est à la section allemande qui
est la voie de passage incontournable pour une carrière d’officier de ren-
seignement dans les années 1920-1930. Sa promotion rapide aux ser-
vices, en raison d’un parcours professionnel parfait, ne retient pas le fait
qu’il n’a pas connu d’affectation dans les postes aux frontières ou à
l’étranger. Il présente davantage le profil d’un officier breveté d’état-
major que d’un spécialiste du renseignement. Il est une figure intermé-
diaire entre celle de Lainey qui marque autrement les services spéciaux
militaires dans les années 1920 ou de Rivet, pur produit des services
spéciaux.
En mars 1934, Henri Roux succède à Edmond Laurent pour
commander les services jusqu’en juin 1936. Il illustre le parcours type de
l’officier spécialisé dans le renseignement que les années 1920 et 1930
façonnent. Né en 1884, cet officier d’infanterie est sorti en 1906 trente-
sixième d’une promotion de Saint-Cyr comptant trois cents élèves. Ger-
maniste accompli, il connaît l’avancement d’un officier de troupe
caractéristique de l’époque. Capitaine en 1914, il fait la guerre sur tous
les fronts à Verdun, au Chemin des Dames, dans la Somme. À la sortie

17. Cf. chapitre 5.

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Les espions de la République

de la guerre, il est brièvement affecté à l’état-major à Belfort, mettant sur


pied son annexe à Strasbourg pendant quatre mois en 1919. Sa nota-
tion salue « l’officier de renseignement de tout premier ordre qu’il est
devenu rapidement 18 ». Breveté de l’École supérieure de guerre en 1922,
il alterne dès lors des affectations en état-major, dans les services de ren-
seignement et en corps de troupe. Il illustre parfaitement la filière alle-
mande du parcours professionnel des spécialistes de renseignement dans
les années d’après-guerre. À l’état-major de l’armée française du Rhin en
1922-1923, il se spécialise sur l’Allemagne. Il est affecté au poste de
Strasbourg, adjoint du colonel Koeltz, chef du poste de renseignement
d’Alsace en 1923-1924. Celui-ci le recommande dans sa notation en
1923 comme futur chef de poste sur le Rhin, en particulier à Strasbourg
par sa connaissance du secteur Alsace-Suisse. Au 1er semestre 1924,
Koeltz dit du jeune commandant Roux qu’il est « l’officier de renseigne-
ment parfait » qui excelle dans la neutralisation du contre-espionnage
allemand très actif. De fait, il lui succède au poste de Strasbourg de 1924
à 1926, avant de rejoindre, comme adjoint du chef de la SR, le 2e bureau
de l’état-major de l’armée en 1926.
Dans sa notation de 1928, le colonel Lainey lui trouve la trempe d’un
chef de la SR. Après un temps en corps de troupe en 1928-1930, il
retrouve le 2e bureau de l’EMA comme chef de la section allemande des
armées étrangères, chargé de suivre le réarmement de l’Allemagne au
moment de la conférence sur le désarmement de février 1932 à
Genève 19. Officier de liaison à l’état-major de l’armée de l’air à la satis-
faction du général Denain, le lieutenant-colonel Roux assure le lien entre
les 2es bureaux des deux armées 20. Son parcours l’a porté à la tête des ser-
vices du 1er mars 1934 au 21 juin 1936. Sous-chef d’état-major à l’EMA
en 1935-1936, le général Loizeau estime qu’il est aux services spéciaux
un « collaborateur précieux » par la netteté de ses vues. Après le comman-
dement d’un régiment en 1936-1938, il suit la formation du Centre des
hautes études militaires en 1939. Général de brigade en septembre 1938,

18. SHD/DAT 14 Yd 237, dossier personnel du général Henri Roux


(1884-1967). Feuillet individuel de campagne, 1919.
19. Jean Doise, Maurice Vaïsse, Diplomatie et outil militaire, Paris, IN, 1987,
p. 294-296 et Henri Castellan, Le Réarmement clandestin du Reich vu par le deuxième
bureau de l’état-major 1930-1935, Paris, Plon, 1954, 573 p.
20. SHD/DAT 14 Yd 237, feuillet individuel de campagne 1931-1934.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

il commande la 45e division rattachée à la IVe armée du général Réquin


qui affirma après la défaite qu’il n’était pas préparé au commandement
d’une grande unité 21. Capturé en 1940, il est prisonnier en Allemagne
jusqu’en août 1941. Libéré, il est nommé par l’amiral Darlan, ministre
de la Défense nationale, à la direction du Centre d’information gouver-
nemental (CIG), rattaché à la vice-présidence du Conseil en
octobre 1941. Dans un long récit joint à son dossier, le général Roux
explique qu’Huntziger, avant de décéder accidentellement en
octobre 1941, l’y fait nommer avec l’intention de protéger l’activité des
services spéciaux clandestins de l’armée d’armistice contre les empiète-
ments de Darlan. De fait, il est la carte que veut jouer Huntziger après
que les activités de Groussard et Loustaunau-Lacau depuis l’été 1940 ont
été interrompues par leur arrestation sur l’ordre de Darlan en
juillet 1941. Il entre dans le calcul de Weygand et Huntziger pour per-
mettre de coordonner, sans fusion, les services secrets militaires et éviter
que tous les pouvoirs ne basculent dans les mains de Darlan. Au
contraire, pour Darlan qui les soupçonne de poursuivre des activités anti-
allemandes au 1er semestre 1941, il s’agit de les contrôler et de donner à
la police de Darnand les prérogatives du contre-espionnage, retiré à
l’armée d’armistice 22. La connaissance qu’il a acquise avant-guerre des
chefs des bureaux des menées antinationales (BMA) et du réseau « Tra-
vaux ruraux » fut prise en considération par Huntziger. À Vichy, Roux
accepte cette mission de protection politique des services spéciaux mili-
taires que Laval s’emploie à neutraliser par la dissolution des bureaux des
menées antinationales (BMA) en août 1942 23. Rapide, le compte rendu
du général Roux évoque une démission qu’il justifie par son opposition
à la personne et à la politique de Laval en juin 1942 24. Le parcours du
général Roux en 1940-1942 s’inscrit assez naturellement dans l’itinéraire
des officiers vichysto-résistants. Sa démission laisse entière l’interrogation

21. SHD/DAT 14 Yd 237, lettre du général Réquin du 27 août 1942 donnant


les « notes au général de division Roux de 1939 à juin 1940 ».
22. Hervé Coutau-Bégarie, Claude Huan, Darlan, Fayard, 1989, p. 454-455.
23. Simon Kitson, Vichy et la chasse aux espions 1940-1942. Complexités de la
politique de collaboration, Paris, Autrement, 2005, 268 p.
24. SHD/DAT 14 Yd 237, compte rendu du général Roux sur ses activités de
juin 1940 à 1944, 25 avril 1945.

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Les espions de la République

sur le ressort idéologique des choix du général Roux que Réquin avait
jugé d’un tempérament indécis en 1940.
Louis Rivet (1883-1958), qui dirige la SR-SCR de juin 1936 à
avril 1944, a un singulier parcours 25. Menuisier engagé volontaire de
2e classe au 140e RI en 1902, il suit les cours de l’École d’infanterie en
1909 dont il sort sous-lieutenant en 1911. Affecté dans un régiment de
tirailleurs algériens, il est blessé en Belgique le 24 août 1914, puis prison-
nier pendant toute la durée de la guerre. Affecté au 2e bureau de l’EMA
en janvier 1920, Rivet fait un stage de six mois à la section de renseigne-
ment jusqu’en octobre 1920 pour être envoyé au 2e bureau de la mis-
sion française en Pologne du 20 décembre 1920 au 15 juin 1924. Du
15 juin 1924 au 22 février 1928, le capitaine Rivet est à la « mission de
recherche des disparus en Allemagne ». Cette couverture permet un tra-
vail de recherche de renseignement en Allemagne en liaison avec l’armée
française du Rhin et les postes français à Düsseldorf, Mayence et Aix-La-
Chapelle. Puis il est responsable du poste de Belfort, l’un des postes les
plus importants de la SR-SCR, de février 1928 à octobre 1930. Il
commande un bataillon en 1931-1933. Son itinéraire est pensé et voulu
par le colonel Lainey qui le prépare aux fonctions de chef de service.
Lainey aurait vu en lui son successeur possible dès les années 1920 26.
Parmi les officiers les mieux notés de la SR-SCR, Rivet est affecté à l’état-
major de la Ire région militaire à Lille, pour créer et organiser le bureau
d’études du nord-est qu’il commande du 1er juin 1933 au 11 novembre
1935. Lieutenant-colonel en décembre 1935, il revient à l’EMA pour
devenir l’adjoint au colonel Roux, chef des services spéciaux militaires.
L’avis de mutation est signé par le général Colson le 6 juin 1936 pour
qu’il succède à Roux à la tête du service. Sa nomination ne doit rien à
un choix politique motivé par l’arrivée du Front populaire au pouvoir.
Il a alors 53 ans. Il ouvre un Journal de bord le 22 juin 1936. Colonel le

25. SHD/DAT 13 Yd 1 345, dossier personnel du général Louis Rivet. État de


service du général Louis Rivet. Maintenu à la tête des services spéciaux clandestins de
l’armée d’armistice, il est replacé « en situation d’activité » le 17 novembre 1942 par
Darlan, haut commissaire en AFN. Il refuse un poste de conseiller technique auprès
de la direction de la DGSS puis est mis à la retraite avec le grade de général de bri-
gade le 15 avril 1944.
26. Merson (général), « La Maison en 1921-1928 », op. cit., p. 12.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

26 décembre 1939, il est maintenu en activité pendant la guerre. Il


décède le 12 décembre 1958 27.

Les gardiens du secret

À Paris, au siège central des services secrets militaires


Cerner le portrait de groupe des personnels des services secrets mili-
taires n’est pas aisé. Rarement conservés dans les archives pour protéger
leur identité, les tableaux d’effectifs et leurs états de services individuels
dévoilent la gestion, froidement administrative, de leur carrière. Et les
mémoires sont rares et stéréotypés. En 1925, l’état des officiers égrène la
liste des affectés au service central de la SR-SCR, dans le contexte de
déflation des effectifs d’après-guerre 28. Aux côtés du lieutenant-colonel
Robert Lainey et de son adjoint Jean Merson, la section de renseigne-
ment compte 11 officiers, dont un d’administration. En 1920, la section
de centralisation de renseignement regroupe encore 16 officiers, signe de
la montée en force du contre-espionnage dans les années 1920. La situa-
tion est exceptionnelle, car ses effectifs sont très vite appelés à chuter, par
une déflation des effectifs typique des sorties de guerre. La note établit
la liste des officiers remis à la disposition de leur arme et leur maintien
ou leur affectation à la SR-SCR 29. Au début des années 1920, la centrale
compte donc environ 70 personnes autour d’une petite vingtaine d’offi-
ciers. Ce chiffre est à rapporter à la quarantaine d’officiers répartis dans la

27. Un portrait vivant est donné par Paul Paillole, Services spéciaux (1935-1945),
Paris, Laffont, 1975, p. 24.
28. SHD/DAT 7N 2 488, Mobilisation du 5e bureau de l’EMA, nº 4028 SR
2/11, 4 mai 1925. Note pour la section du personnel du service d’état-major du
colonel Fournier, chef du 2e bureau-EMA.
29. Ibidem, p. 2. Sont remis à la disposition de leur arme ou service les capitaines
d’infanterie de réserve F.-A. Bonnet-Dauphine, A. Mahe de Berdouare, Carpentier
Étienne, Raio de San Lazaro, les lieutenants d’infanterie de réserve Georges Chabot,
Désiré Prévost, Joseph Caubere, l’officier d’administration François Guillian et
Georges Domienne. Le capitaine Jean de Baralle, actuellement à la section écono-
mique, serait affecté à la SCR-5e bureau et le commandant d’active L.-J. Bataillard
maintenu au 5e bureau.

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Les espions de la République

vingtaine de postes dispersés dans le monde en 1925, essentiellement en


France et en Europe 30.
De 1919 à 1939, deux phases se dégagent. Le groupe constitué après
la guerre est, pour l’essentiel, en place jusqu’à la fin des années 1920. Un
renouvellement progressif est engagé de 1930 à 1935, ponctué par une
stabilité des officiers à la centrale des services de 1935 à 1939. Dans les
années 1920, la composition de la section de renseignement et de la sec-
tion de centralisation de renseignement compte des officiers d’active et
de réserve formés au renseignement durant la Première Guerre mon-
diale. C’est une autre originalité que cette forte présence d’officiers de
réserve, embrassant parfois la carrière des armes après la fin de la guerre.
En outre, les officiers de réserve démobilisés rejoindraient les services spé-
ciaux en cas de mobilisation. Quelques figures ressortent qui illustrent
trois situations. Pour un officier d’active, un passage bref mais décisif
(Mendras) tranche avec une affectation durable, sinon exclusive dans le
renseignement (Rusterholz) ; pour un officier de réserve (Béliard), des
périodes régulières de stage maintiennent un contact constant d’hono-
rable correspondant. Ainsi le jeune officier polytechnicien et artilleur
Henry Mendras (1882-1964) fait un passage à sa sortie de l’ESG au
2e bureau de l’EMA de novembre 1921 à mai 1925. Parmi les officiers
de la SR, ce spécialiste de la langue russe est chargé, pendant trois ans,
des études concernant la Russie. Avec brio, il analyse des renseigne-
ments, en vue de leur exploitation par l’EMA, très appréciés de ses supé-
rieurs, notamment du colonel Fournier qui décèle chez lui en 1923 « une
intelligence supérieure et un collaborateur parfait pour le chef de la
SR 31 ». Après deux années de régiment, puis des fonctions de professeur
de russe à l’ESG de 1927 à 1933, il devient attaché militaire près
l’ambassade de France à Moscou en mars 1933 jusqu’en novembre 1934,
accompagnant encore le général Loiseau en URSS en 1935 lors de mis-
sions qui préludent au pacte franco-soviétique de mai 1935. Jamais
considéré comme un pur spécialiste du renseignement, il garde néan-
moins le contact avec le 2e bureau.

30. SHD/DAT 7N 2 486, liste des postes SR en temps de paix en 1927.


31. SHD/DAT 14 YD 48, état de service du général Henry Mendras
(1885-1964), notation du capitaine Mendras, 10 octobre 1923.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Rattaché à la section de renseignement en 1925, le commandant Rus-


terholz (1885-1938) montre un autre type de parcours 32. Saint-Cyrien
(1905-1907), cet officier d’infanterie oriente sa carrière vers le renseigne-
ment à l’automne 1913 en étant affecté au service de renseignement à
Nancy. Entre les états-majors et le front, le capitaine Rusterholz se spé-
cialise dans le renseignement entre 1914 et 1918, brièvement affecté au
service de renseignement de Mayence à la fin de la guerre. Après l’ESG
en 1919-1921, il ne quitte plus le 2e bureau de l’EMA entre 1922 et
1934. D’emblée, il lui est confié l’exploitation des renseignements parve-
nant quotidiennement à la SR. Avec une « perspicacité, des qualités de
jugement et de prudence remarquables » selon le colonel Fournier, il
affiche la solidité d’un analyste exemplaire 33. Dans le petit univers du
2e bureau, il est alors considéré comme l’un des meilleurs officiers de ren-
seignement de sa génération, pilier de la section allemande de la SR de
1925 à septembre 1933.
Le commandant de réserve Henri Béliard (1875-1954) illustre les
liens alors profonds de l’armée avec la société civile 34. Capitaine au SR
en août 1914, Henri Béliard est un industriel français vivant à Anvers,
installé à Folkestone à l’automne 1914. Il y passe pratiquement toutes les
années de guerre, à l’exception de quatre mois de mars à juillet 1917,
comme attaché militaire auprès de l’armée belge. Il est maintenu comme
commandant au 2e bureau où il fait des périodes de réserve jusqu’en
1937. En 1933, le commandant Lacape l’imagine très bien à la tête de
la SCR à la mobilisation, en dépit de son âge 35. En septembre 1939, à
64 ans, il refuse toutefois l’ordre d’appel. En constantes relations avec le
2e bureau, ce collaborateur de l’EMA y est très apprécié pour ses

32. SHD/DAT 6 Ye 24 253, état de service de Marcel Rusterholz (17 décembre


1885-28 juin 1938).
33. Ibidem, notation du colonel Fournier, chef du 2e bureau de l’EMA,
10 octobre 1924.
34. SHD/DAT 6 Ye 51 322, état de service du lieutenant-colonel de réserve
Henry Béliard (1875-1954).
35. SHD/DAT 6 Ye 51 322, état de service du lieutenant-colonel de réserve
Henry Béliard, notation du 14 mai 1933 du commandant Lacape, adjoint du
colonel Laurent.

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Les espions de la République

connaissances industrielles 36. Il continue après guerre d’animer les asso-


ciations qui groupent les officiers de réserve en Belgique.
En décembre 1925, la liste des capitaines des 2e et 3e bureaux de
l’EMA non inscrits au tableau d’avancement affine le portrait de groupe
des officiers du service de renseignement. Après avoir été lieutenant
d’active huit ans au moins, Rusterholz, Hamant, Bonnefond et Lacape
ont le grade de capitaine depuis 1915 (soit dix ans), depuis 1918 pour
Martin et Jeanbat. Cette ancienneté est conforme dans la carrière des
officiers d’infanterie de leur génération. La progression dans les grades est
très lente dans l’entre-deux-guerres, toujours conditionnée par le statut
de l’officier datant de 1834. Frappant est le renouvellement du groupe
des officiers à la centrale. Après 1919, la démobilisation de la Première
Guerre mondiale se marque par un renouvellement assez large des offi-
ciers d’active, tempéré par la stabilité relative des officiers de réserve. De
nouveaux adjoints au chef de la SR et de la SCR confortent Lainey. Le
commandant Jean Merson est affecté aux services de renseignement du
2e bureau de l’EMA d’octobre 1921 à février 1925 37. Né en 1882, ce
Saint-Cyrien (1900-1902), breveté en 1912, est un officier d’infanterie
passé par les chasseurs. Affecté au 2e bureau de la IXe armée en
avril 1917, il devient chef du 2e bureau de l’état-major de la IIe armée en
1918-1919 38. Il organise le poste de renseignement d’Aix-La-Chapelle de
février 1919 à octobre 1921, rattaché à l’état-major de l’armée française
du Rhin. Responsable du contre-espionnage sur l’Allemagne en 1921, il
est nommé adjoint au chef de service en 1922 en raison de ses remar-
quables qualités d’officier de renseignement 39. Après un commandement
de bataillon en 1925-1927, il rejoint le cabinet militaire du ministre de la

36. Ibidem, notation du colonel Dumont, chef du 2e bureau de l’EMA,


2 décembre 1926.
37. SHD/DAT 14 YD 740G, dossier personnel de Jean Casimir Merson né en
1882. Merson (général), « Notre doyen se souvient », in Bulletin de l’Amicale des
anciens membres des services spéciaux et de la Défense nationale, nº 81, 1974/1,
p. 18-23. Ce témoignage fut rédigé à une cinquantaine d’années de distance des faits,
avec des imprécisions nombreuses.
38. SHD/DAT 14 Yd 740 dossier personnel, feuillet de personnel de Jean
Merson.
39. SHD/DAT 14 Yd 740 dossier personnel, notation de Jean Merson de 1921
à 1925 par le colonel Fournier, chef du 2e bureau de l’EMA. Ses qualités d’intelli-
gence et de calme sont louées.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Guerre de 1927 au début de 1931. Au printemps 1931, il est accrédité


comme attaché militaire dans les pays scandinaves à Stockholm. Il le reste
jusqu’en 1934. Sa fonction est alors d’organiser le contre-espionnage
français en Suède, face à l’URSS qui a fait de Stockholm, depuis 1919,
une plaque tournante de l’organisation du Komintern. Sa responsabilité
est cruciale, puisque l’identification des agents du Komintern retient
l’attention de la police spéciale et des services spéciaux militaires dans
l’ambiance caractéristique d’un fort anticommunisme d’État depuis les
années 1920. En 1931, le renouvellement des officiers d’active affectés est
en cours à la centrale. Le groupe trouva sa stabilité au milieu des
années 1930 40.

Un groupe socioprofessionnel défini ?


Il y a donc perméabilité des personnels au sein des sections du
2e bureau de l’EMA, avec un passage qui n’est pas rare de la section des
armées étrangères à la section de renseignement ou à la section de centra-
lisation de renseignement. Les officiers de renseignement d’active alter-
nent logiquement des affectations dans les postes et dans les antennes de
la SR-SCR. Mais ils passent aussi par les services de renseignement des
armées, en France ou à l’étranger. Enfin, ils connaissent des mutations
dans les bureaux d’état-major d’armée ou de l’EMA. Après un long pas-
sage au service, certains deviennent attachés militaires à l’instar des
colonel Rusterholz, nommé à Stockholm en 1934, et Laurent, nommé à
Bruxelles en juillet 1937. En 1939, le commandant de Robien est en
poste à Sofia, le colonel Jean Merson à Belgrade, le lieutenant-colonel
Hoppenot à Riga et le lieutenant-colonel Lombard à Washington. Six
attachés militaires sur une trentaine sont, à cet instant, issus des services
spéciaux militaires. Ces affectations sont délibérées. Elles contournent les
objections des Affaires étrangères quant à un cloisonnement strict du tra-
vail des attachés militaires et de l’espionnage. La mobilité est forte pour
un petit groupe, appelé aux plus hautes responsabilités, qui connaît des
affectations dans une grande variété de postes pour mieux assumer les
fonctions de commandement. Par ailleurs, le 2e bureau de l’EMA veut

40. SHD/DAT 7N 2 488, état des officiers affectés pour le cas de mobilisation
au 5e bureau de l’EMA, aux 2es bureaux de l’EMA et du GQG, 23 mars 1931. Voir
tableau 7 en annexe.

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Les espions de la République

surmonter durant tout l’entre-deux-guerres l’obstacle d’un vivier très


étroit d’officiers d’active comme de réserve dans lequel il peut désigner
les responsables de section et des services de renseignement aux armées.
Le groupe des officiers de renseignement en activité dans les sections de
renseignement et de centralisation de renseignement n’excède pas, stricto
sensu, une petite trentaine à la centrale. Ils sont vingt-neuf en mai 1925
et vingt-quatre en janvier 1936 (trente-trois si l’on compte la section
d’examen et la section des courriers extérieurs) 41. Il faut compléter ce
chiffre par les personnels affectés dans les postes, composition parfois dif-
ficile à établir en dépit des effectifs théoriquement connus pour chaque
région militaire. Pour le service de communications militaires de Belfort
appartenant à la VIIe région militaire, il y a par exemple, en 1927, vingt-
trois officiers d’active et de réserve, dans l’un des postes les plus impor-
tants travaillant sur l’Allemagne. En comptant les sous-officiers et les
hommes de troupe (dont les plantons et les chauffeurs), il y a quarante-
trois personnes. En cas de mobilisation, il est prévu en 1927 que l’effectif
théorique soit doublé pour s’élever à quatre-vingt dix-sept personnels 42.
Mis sur pied en 1927-1928 pour coiffer les recherches sur l’Italie, le poste
de Marseille compta ainsi une vingtaine d’agents, rehaussé en 1930 par la
dizaine de personnes dans son antenne à Nice 43.
Paradoxalement, la faiblesse du nombre de spécialistes de l’espion-
nage et du contre-espionnage, dans un corps d’officier comptant plus de
cinquante mille officiers des armes, est un facteur externe de stabilité des
officiers de renseignement en France 44. Il n’y a pas d’arme du renseigne-
ment qui identifierait un parcours type et une carrière de l’officier de ren-
seignement dans les armées. Cette situation ne suffit pas à expliquer les
carences de la professionnalisation de l’armée dans le domaine du rensei-
gnement. Aussi les officiers viennent-ils de toutes les armes. Il y a, en
outre, une institutionnalisation tardive du renseignement dans les états-
majors d’armées à la fin du XIXe siècle. Comme pour l’État, elle se situe

41. SHD/DAT 7N 2 488, composition (officiers) du 5e bureau mobilisé au


31 janvier 1936, EMA.
42. SHD/DAT 7N 2 488, état des personnels du SCM, 7e région militaire,
novembre 1927.
43. SHD/DAT 7N 2 488, état nominatif et répartition par emploi du personnel
de la SER, 1er juillet 1930.
44. Voir notre étude « Les officiers et l’État 1900-1940 », op. cit., p. 261-278.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

principalement après la défaite de 1870-1871 45. Cette faiblesse numé-


rique plaide en faveur d’une stabilité des officiers de renseignement. La
difficulté était la même dans les organes de renseignement des armées. Le
chef du 2e bureau de l’EMA rappelle régulièrement le maintien ou l’affec-
tation d’officiers spécialistes du renseignement.
« Les fonctions de chef d’un SR d’armée sont très délicates, elles exigent des
officiers connaissant à fond le service et ayant déjà fait preuve des qualités néces-
saires dans des postes analogues. Ces officiers sont très rares et le 2e bureau a la
plus grande peine à en trouver de nouveaux 46. »
Le renouvellement du début des années 1930 fait émerger des noms
omniprésents dans l’histoire des services spéciaux des années 1930-1940.
Dans le courant de l’année 1931, de nouvelles affectations ont lieu. Cinq
officiers d’active rejoignent la centrale des services spéciaux : Guy
Schlesser, Eugène Josset, Roger Stéfanini, Jacques Faudeuilhe et Gus-
tave Bertrand, ancien chiffreur à la VIIIe armée. Appartenant à l’arme de
la cavalerie, Guy Schlesser est responsable de l’Allemagne à la SR en
1931-1935. Il fait un temps de commandement, avant d’animer le
contre-espionnage militaire de l’été 1936 à 1938. Mieux connu par ses
souvenirs, le capitaine Bertrand est durablement à la section du chiffre 47.
En 1931, quatre officiers entrent à la section de centralisation de rensei-
gnements. Ce sont le commandant Lacape, les capitaines Pierre Ollé-
Laprune – affecté jusque-là au poste de Belfort –, Robert Simoutre et
Louis Garnier. Trois affectations sont proposées pour la section écono-
mique, les capitaines de réserve Louis Bertrand et Maurice Dubrulle, le
lieutenant François Legueu 48. En définitive, le nombre d’officiers en per-
manence à la centrale oscille entre dix-sept et vingt-sept de 1919 à 1939.
En 1933, la SCR ne compte plus que six officiers. En juillet 1936, le
général Colson, sous-chef d’état-major de l’armée, autorise le SR à porter

45. Sébastien Laurent, « Le service secret de l’État : la part des militaires


(1870-1945), in M.-O. Baruch, V. Duclert, op. cit., p. 282-291.
46. SHD/DAT 7N 2 488, note du Colonel Koeltz, chef du 2e bureau, pour la
section du personnel du service d’état-major, 20 décembre 1932, p. 1. Il demande
l’affectation des capitaines Gillenkranz et Veynante dans les SR d’armée.
47. Gustave Bertrand (général), Enigma ou la plus grande énigme de la guerre
1939-1945, Paris, Plon, 1973, p. 76.
48. SHD/DAT 7N 2 488, propositions au 1er bureau de l’EMA sur le personnel
à affecter aux organes mobilisés par le 2e bureau pour combler les vacances par le
lieutenant-colonel Laurent, chef de la SR-SCR, 10 novembre 1931.

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Les espions de la République

l’effectif de ses officiers de seize à dix-huit 49. En 1938, de nouvelles affec-


tations ont modifié la composition de la SCR. Dirigée par le comman-
dant Schlesser depuis juillet 1936, elle compte les capitaines Devaux,
Paillole (intégré en décembre 1935), Bonnefous, Lambert, Du Chatelet.
Paul Paillole a brossé une description très vivante de la centrale en
1935-1936. Accueilli par le commandant de Robien, il fut affecté à la
SCR pour suivre la question allemande 50.
L’effectif est relativement stable dans les années 1919-1939 avec un
temps d’affectation moyen des officiers subalternes à la centrale des ser-
vices inférieur à cinq ans. Mais il faut intégrer aussi le temps passé dans
les postes aux frontières ou à l’étranger. Il allonge le temps d’affectation
dans les services spéciaux militaires. La stabilité est alors plus grande
qu’en corps de troupe. Certains officiers supérieurs y sont affectés plus
durablement, à l’instar du commandant Grosjean qui y passe une dizaine
d’année pour quitter le contre-espionnage au printemps 1936. Le
commandant Barbaro resta dix ans à Marseille de 1928 à 1938. S’il n’y
a pas d’arme ou de corps des officiers de renseignements en 1939, des
affectations cohérentes esquissent une spécialisation au renseignement
dans la pratique du métier des armes. Enfin, les officiers d’active passés
en seconde section sont nombreux qui gardent un contact étroit avec le
service. La figure du lieutenant-colonel Andlauer est significative à ce
titre. Affecté au 2e bureau de l’EMA en 1914, responsable du service des
communications militaires de 1913 à 1920 à Belfort, il concourt à mettre
sur pied l’antenne de Strasbourg à partir de 1919 avant d’être versé dans
la réserve en 1920 51. L’officier vit retiré à Saint-Dié, dans les Vosges,
dans les années 1920 et 1930. Il incarne la figure de l’officier de rensei-
gnement jamais démobilisé. Le parcours des officiers de réserve doit être
scruté avec attention. Groupe largement méconnu, les officiers de réserve
ont eu un rôle historique décisif dans les organes et les services de
renseignement.
Il demeure enfin le cas spécifique des officiers sur les théâtres d’opéra-
tions extérieures écartés du cœur de notre échantillon. Dernier avatar du
bureau des affaires arabes né un siècle plus tôt, le SR du Levant est, au

49. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, vol. 1, 31 juillet 1936.
50. Paul Paillole, op. cit., p. 22-26.
51. SHD/DAT Fonds 1K 173 carton 1, note sur les affectations du lieutenant-
colonel Andlauer, juin 1921.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

début des années 1920, un corps de spécialistes. Formés pour la plupart


en Afrique du Nord avant 1914, ils ont souvent poursuivi au Levant une
carrière inspirée par la vocation. Ils ont été rejoints par une majorité
d’officiers plus jeunes, ayant le plus souvent commencé leur carrière en
1914-1918, affectés à des théâtres d’opérations extérieures, en Syrie et au
Liban. Au SR du Levant, la logique d’un recrutement d’officiers novices
en matière coloniale passe en dix ans de la moitié au tiers des entrants,
avec une diminution des officiers issus du rang au profit des sous-offi-
ciers et des officiers sortant des écoles. Cette situation est typique d’un
recrutement de temps de paix substitué à celui du temps de guerre et du
passage du temps de l’occupation à celui de l’administration coloniale.
Dans les TOE, les spécialistes des affaires indigènes s’effacent au profit
de ceux passés par l’encadrement des troupes locales au tournant des
années 1930. Après avoir eu recours aux spécialistes formés sur d’autres
théâtres d’opérations au début des années 1920, le dispositif mandataire
finit par sécréter son propre circuit à la fin des années 1920 52.

Les officiers de réserve ou la République des compétences


La spécialisation des officiers de renseignement n’évince pas pour
autant les spécialistes de la société civile. La Première Guerre mondiale a
été gagnée par l’armée de conscription de la nation. Il est certes abusif
de présenter des individualités devant à leur affectation dans un organe
d’état-major en 1914-1918 d’être comptées parmi les espions de la Répu-
blique. Le groupe des officiers est paradoxalement plus ouvert qu’on ne
le dit et plus composite si on l’élargit à la réserve mobilisable en temps
de guerre. Plus difficile est l’esquisse du portrait de groupe élargi aux offi-
ciers de réserve. Les tableaux des officiers corrigent en permanence les
hypothèses d’affectation. En cas de mobilisation en 1931, des officiers de
réserve sont prévus pour rejoindre les rangs du contre-espionnage mili-
taire comme de Boutray, Cavillon 53, Méjan, ancien banquier et séna-
teur du Gard, ou encore Lafenestre, ancien du 5e bureau en 1915-1917,

52. Jean-David Mizrahi, « Prosopographie des officiers du service de renseigne-


ment au Levant 1921-1931 », in Olivier Forcade (direction), Le Secret et la puis-
sance : les services spéciaux et le renseignement aux XIXe-XXe siècle, Amiens, Encrage,
2007.
53. Après la guerre, Cavillon fut sénateur de la Somme, membre de la commis-
sion de l’armée au Sénat.

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Les espions de la République

sous-directeur à la préfecture de Police, ancien chef de cabinet de


M. Chiappe, de Baralle, centralien, secrétaire de l’association des anciens
élèves. Des civils, par ailleurs officiers de réserve, sont présents dans les
services spéciaux. Darbou est au contre-espionnage, Lemoine (alias Rex)
recruteur et agent atypique. Garnier règne sur les archives des
100 000 fiches et 25 000 dossiers généraux et individuels de la SCR en
1935. Le frère de Darbou commande le poste de Lille, y succédant à
Rivet en 1935.
Le recours à des linguistes justifie l’attachement d’un certain nombre
d’entre eux aux services spéciaux. Ils sont rappelés pour des périodes de
réserve en fonction des besoins du service. Parfois, ce sont des collabora-
teurs permanents irremplaçables pour traduire des langues rares. Beau-
coup ont été recrutés en 1914-1918, notamment parmi d’anciens élèves
normaliens spécialistes des langues étrangères, parfois après guerre 54.
Joseph Doudot fut ainsi affecté à Aix-La-Chapelle en octobre 1922, puis
recruté comme officier de réserve dans les services spéciaux en 1924 pour
ne plus les quitter jusqu’à la Seconde Guerre mondiale 55. Ainsi, l’univer-
sitaire spécialiste de civilisation et de langue italienne, le lieutenant Henri
Bédarida (1887-1955), est officier interprète d’italien dans les services de
contrôle postal en 1914-1915. Rattaché à la mission française près
l’armée italienne, il œuvre dans un service de propagande et d’informa-
tion en 1916-1918 56. Cette expérience fait de lui un officier de réserve
correspondant durable des services de renseignement français après 1918.
Aussi est-il mobilisé au 5e bureau de l’EMA en 1939-1940 pour recueillir
des informations sur les régions balkanique et italienne. Pierre Bachelard
(1877-1938) illustre le patriotisme des officiers de réserve dans l’itiné-
raire type du groupe de la SR 57. Soldat versé dans l’infanterie en 1899,
il fait des périodes de réserve annuellement comme sous-officier en régi-
ment. Bon germaniste, devenu officier de réserve dans le service

54. Mickaël Bourlet, « Des normaliens dans les services de renseignement du


ministère de la Guerre (1914-1918) », in Revue historique des armées, nº 247, 2e tri-
mestre 2007, p. 31-41.
55. Henry Koch-Kent, Doudot, figure légendaire du contre-espionnage français,
Paris, Castermann, 1976, p. 17.
56. SHD/DAT 1 K 935 fonds privé Henry Bédarida (1887-1955), carton 1 sur
ses conférences en 1916-1918.
57. SHD/DAT 6 Ye 53 904, état de service du commandant Pierre Bachelard
(1877-1938).

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

d’état-major à partir de 1909 et affecté au 2e bureau de l’EMA en 1911,


il fait régulièrement des voyages à l’étranger « en vue de connaître l’armée
allemande ». Il est aisé de faire franchir la frontière à des officiers de
réserve pour espionner sur le territoire allemand les effectifs, les matériels
et évaluer les conditions possibles de la mobilisation allemande si elle sur-
venait. Dupont, qui le connaît depuis quatre ans et a orchestré ses mis-
sions en Allemagne, estime qu’il « a le feu sacré et nous a rendu les plus
grands services pour la préparation à la guerre » ; aussi le fait-il venir au
2e bureau du GQG à l’entrée en guerre 58. Excellent cavalier, les services
spéciaux l’encouragent à créer à Nancy en 1913 une « société de prépa-
ration militaire des armes à cheval », dénommée « l’Escadron de Lor-
raine », parfaite couverture pour faire des reconnaissances cavalières à la
frontière. De fait, il est envoyé le 20 juillet 1914 à la frontière germano-
belge dès le début de la tension politique, signalant en Belgique les pre-
mières violations de la frontière belge par les Allemands. Il fait la guerre
au front, partageant ses affectations entre des détachements d’armée et le
renseignement d’état-major, avant d’être désigné pour la mission mili-
taire de Berlin de décembre 1918 à juillet 1919. Démobilisé, retiré à
Paris, il incarne cette génération de soldats, sinon d’officiers de réserve,
désœuvrée par la fin de la guerre. En mai 1920, il garde le contact avec
les services spéciaux en faisant régulièrement des périodes de réserve à la
SR jusqu’en 1931. À nouveau, la Première Guerre mondiale est l’école
d’expériences, mais aussi le creuset de toute une génération des officiers
de renseignement des années 1920.
La section économique n’existerait pas sans les officiers de réserve qui
doivent la rejoindre à la mobilisation. Jean Tannery est désigné en 1920
pour prendre sa tête en cas de guerre. Sont rayés des contrôles de cette
section en 1925 Jean Tannery, le commandant Louis Descroix, les capi-
taines Armand Sonolet, Pierre Lamer, Bernard de Saint-Affrique, Albert
Wehrle, Yvan Pons, Maurice Bourgeois, et l’interprète Lehideux 59. Fré-
déric François-Marsal est désigné pour succéder à Tannery en 1925, à la

58. Ibidem, notation du colonel Vignal, chef du 2e bureau de l’EMA, 15 octobre


1912 et notation du lieutenant-colonel Dupont, chef du 2e bureau de l’EMA, le
1er mai 1913 et le 30 octobre 1913.
59. SHD/DAT 7N 2 488, note 2e bureau-SR du colonel Fournier pour la sec-
tion du personnel d’EMA, au sujet de la mobilisation de la section économique du
5e bureau, 8 juin 1925.

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Les espions de la République

tête d’une section économique en cas de mobilisation. Il fut proposé par


le général Debeney, chef d’état-major général de l’armée. Le lieutenant-
colonel d’active Joseph Clere, déjà en charge des questions économiques
au 2e bureau de l’EMA, serait son adjoint. Ils seraient rejoints par les offi-
ciers de réserve André François-Poncet, François Bloch-Laîné, inspecteur
des Finances, directeur de la Banque du commerce extérieur, Bavière,
alors directeur général de la Banque de l’union parisienne, Gilles, qui a
été chef du service commercial de l’ambassade de France à Berlin,
Dumont, pratiquant l’allemand, l’anglais, l’italien, l’arabe et recom-
mandé par le colonel Merson, et Paul Tirard en surnombre. Les person-
nalités réservistes proposées ne manquent pas de compétences
économiques ! La réorganisation tient certes à une question de généra-
tion et à une compression des effectifs après la guerre 60. Elle projette sur-
tout le rôle d’une section économique, pensée comme stratégique dans la
conduite de la guerre économique si un conflit éclatait. À peu de choses
près, cette composition perdure en 1931.

Agents, honorables correspondants et serviteurs inconscients de l’État

Le recrutement des agents


Un service de recherche de renseignements a en premier lieu pour
objectif de recruter et former des agents. En ce sens, cela revient à créer
des sources d’information humaine. Un agent recruteur doit donc décou-
vrir et créer des agents directs, pouvant pénétrer ou séjourner en pays
ennemis. Dans une conférence donnée en octobre 1925 sur « le 2e bureau
en temps de paix », le capitaine Carrias reprend la vieille distinction entre
les agents bénévoles, de toutes origines, et les agents rémunérés parmi les-
quels les traîtres 61. En réalité, la véritable distinction est ailleurs. Elle joue
surtout entre les agents occasionnels et permanents. Ils peuvent être « en
sommeil ». L’officier qui maintient le contact avec eux ne leur donne pas
d’instructions de recherche d’informations. Ils sont « réactivés » en temps

60. SHD/DAT 7N 2 488, note du colonel Fournier, chef du 2e bureau de


l’EMA, pour le cabinet du ministre de la Guerre, 24 juin 1925. C’est le cas du capi-
taine Caubere qui est radié en attendant une vacance de poste (budgétaire).
61. SHD/DAT 7N 2 501, conférence du capitaine Carrias en octobre 1925 sur
le 2e bureau en temps de paix, 24 p.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

de crise ou de guerre. Au début des années 1930, la profusion d’agents


recrutés est compensée par leur caractère occasionnel. Cette situation
pose le problème de la valeur de leurs informations, rarement véri-
fiables. Rémunérés ou pas, ces agents sont en situation, par leur profes-
sion ou par leur localisation, d’obtenir des informations. Il y a une
seconde distinction technique qui porte sur les agents de pénétration et
les agents doubles. L’agent de pénétration est introduit dans un orga-
nisme, qui n’est ni nécessairement militaire ni obligatoirement un ser-
vice de renseignement adverse. L’agent double travaille déjà pour un
organisme ou un service de renseignement adverse quand il est recruté
par les services spéciaux français. Il garde donc une situation de double
activité. Il est « traité » par un officier. « L’officier traitant » est le contact
de l’agent auquel il donne des instructions et qu’il rémunère éventuelle-
ment. Il n’est pas nécessairement le recruteur de l’agent.
L’informateur est l’autre visage de l’agent. À ce titre, la gendarmerie, la
police, notamment la Sûreté générale, et les services spéciaux militaires
recourent à des agents. La différence entre l’indicateur et le provocateur est
étroite. L’utilisation d’agents occasionnels et de provocateurs, aux fins
d’opérations d’intoxication, se conçoit souvent en temps de guerre. Mais les
services spéciaux militaires s’efforcent plus volontiers de former des agents
permanents. Cette tendance générale de 1919 à 1939 n’écarte pas a priori
l’utilisation plus exceptionnelle d’agents exécutant des missions d’élimina-
tion physique. Un exemple tardif est explicitement mentionné dans un rap-
port de mission en septembre 1939 après la déclaration de la guerre. « Le
chef de la section d’études régionales, antenne des services à Marseille, a été
invité à rechercher des hommes de main susceptibles d’intoxiquer ou de
supprimer les agents du SR adverse en territoire neutre (Suisse et Italie pour
l’instant) 62. » L’exemple des agents traités par un poste de la SR-SCR est
éclairant. La fin de la Première Guerre mondiale a été, dans tous les sens,
une démobilisation des espions. Or, le recrutement d’agents spéciaux dans
les pays adverses est un défi en temps de paix. Ils sont recrutés et formés
pour pénétrer des organismes publics, civils et militaires, plus rarement
privés, en prévision de la mobilisation. Certains agents ont pour mission de
n’être actifs qu’en temps de guerre. En 1922, quoique réserviste, Andlauer

62. SHD/DAT 7NN 2 400, compte rendu du capitaine Lambert de la SCR au


chef colonel Rivet, chef de la SR-SCR/EMA5, au sujet de sa mission auprès des BCR
des 8e, 14e, et 15e régions militaires du 18 au 22 septembre 1939.

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Les espions de la République

suggère encore la création de réseaux d’« agents dormants », même si la for-


mule n’est consacrée que plus tard. Des nationaux des pays visés par
l’espionnage français lui semblent souhaitables en petit nombre. Il faut
tenter de s’attacher des agents fixes, ayant des professions en vue, corres-
pondants réguliers. En 1922, le débat porte déjà sur la nécessité ou non
d’agents en grand nombre. Des informateurs ordinaires offrent leurs ser-
vices spontanément ou sont rémunérés pour des petites informations col-
lectées aux frontières, le long des voies de communication. L’univers des
agents renvoie aux contacts et aux moyens de liaison pour les joindre 63. Les
moyens de transmission doivent être pensés dès le temps de paix. Les boîtes
aux lettres ne servent pas toujours, rendant nécessaires des pigeons et des
pigeonniers, facilement décelables, en France et à l’étranger. Ils sont sup-
plantés peu à peu après 1919 par l’aviation, par les annonces dans les jour-
naux et par des liaisons techniques par TSF et radiogoniométrie 64.
À la fin des années 1920, le service de renseignement français recrute
à Genève des Français et des Suisses susceptibles de faire du renseigne-
ment politique et économique. En 1929, il dispose à cette intention
d’une liste d’agents, d’honorables correspondants et de boîtes aux lettres
actives d’une cinquantaine de noms, recrutant dans toutes les profes-
sions pour la ville de Genève simplement. Parmi eux, on retrouve des
publicistes et des correspondants de journaux français à l’instar du
Français Georges Dejean, de François Laya pour Le Temps, Paul Du
Bochet, journaliste suisse correspondant à Genève du Petit Parisien et
rédacteur à La Tribune de Genève, Henri Fischer, reporter-photographe
accrédité à l’agence de presse Akcham, Jean Guignebert, né en 1889, cor-
respondant du Petit Journal et rédacteur Au moment. La liste est longue
des journalistes rémunérés par les services spéciaux français contre des
informations dont ils se défient par ailleurs méthodiquement. Accrédités
à la SDN, ces journalistes sont pourtant précieux. Les avocats sont aussi
nombreux, en retenant Marcel Guimard, installé à Bellegarde dans l’Ain,
« en liaison avec les services français et italiens », et Léon Gouy à Genève,
en relation avec le préfet Chiappe. Il y a aussi des administrateurs de

63. SHD/DAT 7N 2 485, note de Lainey, SR-SCR/EMA2 au sujet de l’entrevue


Boulé-Andlauer, 19 octobre 1922.
64. SHD/DAT 7N 2 485, rapport du capitaine Boullé au lieutenant-colonel
Lainey après l’entrevue avec le commandant Andlauer du 12 octobre, 16 octobre
1922.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

sociétés comme René Kister et Émile Kohler, « en relation avec le consul


de France à Genève Jean Perron 65 ». Les services ne sont pas dupes des
agents vendant à plusieurs services secrets leurs informations de qualité
variable, à l’exemple de Carlo Prato, ancien membre du cabinet du
ministre des Affaires étrangères italien Sfarza ; correspondant de Paris-
Soir à Genève, il émarge aux services français, italiens et yougoslaves…
Les services spéciaux recourent à une véritable noria de correspondants,
rémunérés ou pas. Leur nombre n’est pas évaluable, mais pourrait s’élever
à plusieurs centaines entre 1918 et 1939.

Les agents recrutés par les postes SR-SCR


En 1925, le poste de La Haye, camouflé auprès de l’attaché militaire
français, exploite la production d’une dizaine d’informateurs perma-
nents et d’une cinquantaine d’agents occasionnels bénévoles pour couvrir
la Hollande. En 1925, le poste de Berne a une liste de plus de cin-
quante honorables correspondants sans compter ses agents permanents.
Si les réorganisations administratives ont modifié le réseau des postes, le
capital humain des agents recrutés pendant la Première Guerre mon-
diale n’est pas dilapidé. Les services spéciaux militaires ont constam-
ment adapté leur dispositif depuis 1871 et l’annexion de départements
français intégrés au Reichsland jusqu’en 1918. Pour quel résultat ? Leur
choix alimente le débat sur le rendement des agents ordinaires. Avant
1914, les minorités allemandes, alsaciennes-lorraines, polonaises et les
neutres sont des viviers privilégiés de sélection des agents. En 1919, les
réfugiés, les exilés, les prisonniers de guerre facilitent le recrutement.
Mais le temps de paix annonce un tarissement de ces viviers.
Les agents du poste de Besançon pour travailler sur la Suisse en 1926
présentent ainsi une valeur inégale 66. Ils sont traités, c’est-à-dire ins-
truits, orientés vers une mission et éventuellement rémunérés par l’offi-
cier responsable de cette antenne du poste de Belfort. Le seul poste de
Besançon a alors une quinzaine d’agents au début de l’année 1926. Cette
liste dévoile la variété des agents recrutés. La liste de cette quinzaine

65. SHD/DAT 7NN 2 262, document daté de 1929, liste des personnes rési-
dant à Genève susceptibles de rendre, de façon suivie ou occasionnelle des services de
renseignement à des fonctionnaires de l’administration ou de la police française.
66. Cf. annexe 2.

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Les espions de la République

d’agents est typique des agents traités par un officier sur un objectif géo-
graphique. Or, le suivi de ces agents par le poste de Besançon est exa-
miné étroitement par Belfort qui s’interroge sur les possibilités réelles
qu’ils ont d’obtenir une information de qualité 67. Le nombre d’informa-
teurs recrutés ne garantit pas la qualité de l’information collectée. La
diversité des professions, des domiciliations, des missions facilite le tis-
sage d’un réseau d’informations de sources variées. Cette situation est
recherchée par les officiers recruteurs afin d’élargir la gamme des infor-
mations trouvées. Un tournant s’amorce dans l’entre-deux-guerres. Dans
les années 1934-1936, entre l’installation des nazis au pouvoir et la crise
rhénane du printemps 1936, l’accent est mis par les chefs successifs des
services spéciaux sur le traitement d’un petit nombre d’agents de pénétra-
tion et d’agents doubles, capables de donner des renseignements de qua-
lité majeure. Car le renseignement politique, économique et militaire des
agents et des honorables correspondants est d’une qualité très variable.
Dans les années 1930, les chefs des services spéciaux sont unanimes à
demander aux chefs de poste de limiter le recrutement d’agents. La valeur
et le rendement des agents sont désormais des critères déterminants indi-
quant la voie du recrutement à suivre. Cette orientation des services spé-
ciaux militaires heurte frontalement des usages et un confort poussant la
majorité des chefs de poste, encore après la Première Guerre mondiale, à
recruter un grand nombre d’informateurs, souvent inefficaces.
Indépendamment de son agent au Luxembourg et en Allemagne sur-
veillé depuis 1930, le poste de Metz (BREM) compte 25 agents orientés
vers l’Allemagne, dont 19 en fonction et 6 en sommeil en 1936. Durant
l’année 1936, 34 nouveaux agents ont été recrutés, dont 12 seulement
sont encore actifs en janvier 1937. Ce chiffre tient au recrutement
d’agents occasionnels lors de la crise de la remilitarisation de la Rhénanie
et dans les mois qui ont suivi. Le but est de multiplier les informateurs
afin d’élaborer un renseignement d’alerte crédible en cas de nouvelle
agression allemande. Mais durant la seule année 1936, 32 agents n’ont
plus donné signe de vie, dont 9 ont probablement été arrêtés. Plus sûre-
ment, la répression nazie est à l’œuvre, neutralisant les espions étrangers
activement. Le chef de poste ne sait pas s’ils ont été condamnés, témoi-
gnant d’un traitement de ses agents largement erratique. Le total est donc

67. SHD/DAT 7N 2 485, appréciations sur la valeur des agents de Besançon par
le commandant Raphène, janvier 1926.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

de 91 agents différents en activité en 1936 pour le BREM. Par ailleurs,


le poste a interrogé 450 candidats à la Légion étrangère, véritable vivier
de recrutement, dont 18 ont été retenus pour son service et 6 ont donné
des « résultats ». Les officiers traitants totalisent 450 entrevues avec des
agents et des informateurs, ayant travaillé à la rédaction de 1 722 bul-
letins de renseignements, périodiques et spéciaux. Les résultats sont mul-
tiples. Un renseignement a donné l’alerte le 19 février 1936 d’une
tension à venir avec l’Allemagne et a contribué à l’arrestation de
9 espions en France et 10 en Belgique 68. Le brassage d’agents révèle bien
que le travail de recherche des postes consiste d’abord à créer des sources
humaines pour élaborer un renseignement. Or, la production du rensei-
gnement se conçoit dans un cycle de production et de dégradation rapide
de l’information. Les rapports des postes sur leurs activités en 1936 sont
très précieux sur ce point particulier. Pourtant, le colonel Rivet est par-
tisan en janvier 1937 de baisser leur nombre. Les postes estiment que leur
nombre est respectable, même si ceux productifs sont peu nombreux.
Rivet estime que :
« cette poussière d’agents coûte cher ; ne donne que broutille. Tendre,
comme cela est proposé par les postes – vers la qualité – vers l’agent bien placé.
Peu d’agents mais très bien en place. Le recrutement doit aller vers des agents
dans les unités allemandes à la frontière ou constituées récemment, dans les tra-
vaux de fortification 69. »
Plus difficile est le recrutement des agents doubles ou « W » dans le
vocabulaire de la section de centralisation des renseignements. Jusqu’en
1936, le contre-espionnage militaire a été essentiellement défensif. Aussi
la SCR commence-t-elle à recruter et à former résolument des agents
doubles dans les années 1935-1936 dans l’intention d’une stratégie plus
offensive 70. En juin 1937, ses trop faibles moyens en personnel ne lui
permettent pas une politique véritablement active d’agents doubles. Peu
nombreux, leur recrutement et leur traitement sont suivis de près par la
centrale. S’il y a peu d’exemples d’agents doubles recrutés par la

68. SHD/DAT 7NN 2 502, rapport nº 3269/D du lieutenant-colonel chef du


BREM à SR/EMA2, section E, 8 janvier 1937 au sujet de l’activité du poste en
1936.
69. SHD/DAT 2 702, bilan de l’année 1936 par le colonel Rivet, chef de la SR-
SCR, 20 janvier 1937.
70. SHD/DAT 7NN 2 101, note sur le service de renseignement du lieutenant-
colonel Rivet, chef de la SR-SCR/EMA2 du 17 juin 1937.

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Les espions de la République

gendarmerie, la Sûreté générale a été plus active dans ce domaine


d’action. Leur formation et leur maniement relèvent de la responsabilité
des spécialistes du contre-espionnage à la centrale des services spéciaux
militaires. Si l’on doit parler de centaines d’agents recrutés par les postes
de 1919 à 1939, ceux-ci ne recrutent que quelques dizaines d’agents
doubles dans la même période. Au début de 1939, le poste de Marseille
ne traite par exemple que deux agents doubles, « Bob » sur l’Allemagne
et « Touchet » sur l’Italie 71. Le traitement d’un agent double répond à
des règles strictes de sécurité et de cloisonnement d’un service de rensei-
gnement. Le secret peut être gardé sur son identité à l’intérieur même des
services spéciaux dont les postes en France et à l’étranger ne sont pas
informés. L’enjeu est de ne pas l’exposer aux actions du contre-espion-
nage du service adverse que l’on s’efforce de pénétrer. Les principaux
agents doubles travaillent sur l’Allemagne et l’Italie. Le nombre exact des
agents doubles n’est pas connu en l’absence d’une liste de la SCR. Les
dossiers individuels des services spéciaux militaires retracent les étapes de
leur recrutement et de leur activité, souvent très banale. Leur rôle dans
l’intoxication de l’ennemi peut être déterminant.

Les agents manipulés par les hommes publics et les honorables


correspondants
Au sommet de l’État, les hommes publics n’hésitent pas parfois à
recourir, à la marge des services, à des agents qu’ils manipulent et rému-
nèrent sur les fonds secrets de leur ministère. Les agents latéraux mani-
pulés comme des sources directes par les plus hautes autorités de l’État,
par défiance des militaires, par idéologie ou par calcul politique, entrent
enfin dans une catégorie d’informateurs originale, qui se distinguent des
personnalités diverses qui informent occasionnellement. Alors président
du Conseil, Poincaré recourt lui-même en 1923-1924 aux informations
du commandant Richert en Allemagne 72. En suivant ses archives person-
nelles, Paul Painlevé agit de même dans les années 1920. Son

71. SHD/DAT 7NN 2 400, compte rendu du capitaine Lambert à la SCR/


EMA5 au sujet de sa mission d’inspection des BCR de la 8e, 14e et 15e régions mili-
taires du 18 au 22 septembre 1939 et de leur liaison avec la SER.
72. François Roth, Poincaré, Paris, Fayard, 2000, p. 415 ; Stanislas Jeannesson,
Poincaré, la France et la Ruhr : 1922-1924 : histoire d’une occupation, Strasbourg,
PUS, 1999, 432 p.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

information sur l’Italie repose sur des rapports d’agents occasionnels et


des lettres dénonçant les agissements secrets italiens dans le sud-est de la
France au printemps 1926 73. Les courriers lui sont directement adressés.
Ces informations sur des menées d’espionnage ne sont certes pas inhabi-
tuelles chez l’homme exerçant des hautes responsabilités publiques ; elles
furent vraisemblablement transmises par le cabinet de Painlevé au
2e bureau de l’EMA. À l’échelon politique le plus élevé du pays, ces infor-
mations confirment l’attention portée à la question italienne et à celle
soviétique. En dépit d’archives personnelles peu significatives de sa
conception du secret dans l’exercice du pouvoir, Daladier recourut égale-
ment à des sources occasionnelles, par défiance envers les services de ren-
seignement militaires, avant comme après l’affaire de la Cagoule en
1937-1938 74. Ne convenait-il pas d’être encore informé lorsqu’on n’était
plus aux affaires de l’État, pour mieux y revenir ?
L’histoire des « honorables correspondants » est, le plus clair du
temps, insaisissable. Elle est cruciale pourtant à qui veut comprendre la
réalité du travail des services de renseignement militaires dans une his-
toire des pouvoirs publics. Car le renseignement suscite un fort intérêt
et des sympathies souvent désintéressées. Les motivations sont essentiel-
lement idéologiques et patriotiques. La Première Guerre mondiale a été
une extraordinaire période de recrutement dans une société brassée par la
guerre. De fait, nombreux sont les soldats et les officiers de réserve démo-
bilisés qui ont gardé le contact ou repris « du service » avec le renseigne-
ment. Cette situation joue dans des domaines aussi complémentaires que
les milieux d’affaires et financiers, les institutions culturelles et scienti-
fiques qui font rayonner la pensée et la culture académique à l’étranger,
les fonctionnaires de différents ministères opérant à l’étranger. L’atmo-
sphère des années 1920 et 1930 y invite d’ailleurs, comme Charles de
Gaulle lui-même le reconnut dans ses Mémoires de guerre. Certes, de
Gaulle pense davantage aux Dewavrin, Wybot, Rémy et aux premiers
chefs des réseaux de la France combattante qu’aux honorables

73. AN Fonds Painlevé 313 AP 226, correspondances anonymes de Bari en


mars 1926, d’un agent à Modane le 30 septembre 1926.
74. AN 496 AP 7, rapports avec l’Italie en juin 1935. Négociations militaires
avec l’URSS et rapports Schweisguth, septembre 1936-1937. 496 AP 10, notes du
2e bureau de l’EMA, septembre 1938.

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Les espions de la République

correspondants des services spéciaux militaires qu’il ignorait sans doute


encore alors 75.
Il y a lieu de distinguer ici les personnalités quand elles sont identi-
fiées ou ont revendiqué publiquement leur coopération désintéressée avec
les services de renseignement, ainsi que les situations historiques qui font
affluer des collaborations intellectuelles et patriotiques, à l’instar de
l’Alsace et de la Lorraine détachées de la France de 1871 à 1918. Des per-
sonnalités aussi différentes que l’ambassadeur Maurice Dejean, en poste
à Berlin dans les années 1930, le journaliste Paul Gérar-Dubot, secrétaire
général du Journal, ou des universitaires, en particulier les germanistes du
Centre d’études germaniques de l’université de Strasbourg, illustrent la
diversité des collaborations qui affluaient vers les services de renseigne-
ment militaires. Si Paul Paillole considère comme exemplaire la collabo-
ration officieuse de Maurice Dejean en poste à Berlin en 1937-1939, les
diplomates rechignent le plus clair du temps à œuvrer directement pour
les services, en s’affranchissant à l’occasion de leur autorité hiérarchique.
Maurice Dejean puise dans son affectation au Centre de liaison français
d’Aix-La-Chapelle en 1924 son expérience du renseignement 76. Cette
conception atteste de l’imprégnation d’une certaine conception du ser-
vice de l’État qui ne peut se confondre avec des jeux d’informations et
de pouvoirs qui s’affranchissent trop librement des logiques administra-
tives hiérarchiques comme de l’esprit de corps. Les diplomates n’ont-ils
pas soigneusement décliné l’invitation de l’accompagnement des espions
à la conférence de Cannes en 1922 ? La position est évidemment
compréhensible pour préserver l’intégrité de l’action diplomatique, qui
n’aurait pas manqué d’être déconsidérée si l’espion faisait tomber le
masque du diplomate. Pourtant, le commerce de l’espion et du diplo-
mate a longtemps été complexe.
Né à la fin du XIXe siècle dans une famille républicaine et patriote,
Paul Gérar-Dubot présente le parcours type de l’officier de réserve formé
sur les champs de bataille en 1914-1918. En décembre 1914, il est déjà
affecté comme sous-lieutenant au service de renseignement du secteur de

75. Amicale des anciens de la France combattante, Les Réseaux action de la France
combattante, Paris, 1986. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France libre, Paris, Galli-
mard, 1996 et Rémy (colonel), Mémoires d’un agent de la France libre, rééd. 2002,
Paris, Gallimard, préface de Jean-Louis Crémieux-Brilhac.
76. Henry Koch-Kent, op. cit., p. 18.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Bessoncourt. Il dépend bientôt du capitaine Andlauer de l’antenne des


services à Belfort depuis 1913, en liaison avec le commissariat spécial de
Belfort qui surveillait l’immigration, traquant l’espionnage allemand en
Suisse et en France depuis 1871 77. Il fait la guerre au 407e régiment
d’infanterie et est présent notamment à Verdun en 1916. Honorable cor-
respondant des services spéciaux militaires à partir de 1923 – c’est-à-dire
correspondant civil régulier, non rémunéré, acceptant des missions de
recherche d’information sur des cibles désignées par la centrale pari-
sienne –, il a pour couverture son activité professionnelle de secrétaire
général du grand quotidien d’information Le Journal 78. Durant toutes
ces années, il est en contact constant avec les colonels Laurent de 1928
à 1934, Roux de 1934 à 1936, puis Rivet de 1936 à 1944. En 1938,
Gérar-Dubot accepte d’être affecté au poste secret de Lille, car la guerre
secrète fait rage avec l’Abwehr, et devient le coordonnateur de son
antenne stratégique à Charleville-Mézières de septembre à
décembre 1939. Immédiatement, le commandant Perruche et le capi-
taine Navarre ont attiré son attention sur l’importance de la recherche
d’informations en Belgique et dans le grand-duché de Luxembourg. La
Belgique est considérée comme un « tampon » entre les armées alle-
mandes et le dispositif français 79. Des liaisons avec les capitaines Lafont
et André Brouillard sont établies à Longwy 80. Les rivalités avec les ser-

77. Gérald Sawicki, Les Services de renseignement à la frontière franco-allemande


(1871-1914), op. cit., p. 91-92. et 195-201 sur le service de renseignement de Belfort
avant 1914.
78. Jean Bitchakadjian, Charles Humbert sénateur de la Meuse. Presse, affaires, pro-
blèmes militaires sous la Troisième République 1900-1920, thèse de doctorat de
3e cycle, Paris IV, 1988, 681 p. et Olivier Forcade, La Censure politique pendant la
Grande Guerre, thèse de doctorat d’histoire, Université de Paris X Nanterre, 1998,
p. 470-474. Patrick Eveno, L’Argent de la presse française des années 1820 à nos jours,
Paris, CTHS, 2003, p. 77-80. Après avoir été mêlé à des affaires de presse et à des
tentatives d’achat par l’argent allemand en 1914-1918, le capital du Journal est
renouvelé après la direction de Charles Humbert (1866-1927).
79. Bruno Chaix, « Les plans opérationnels en 1940 : aller en Belgique ou
non ? », in Christine Levisse-Touzé (dir.), La Campagne de 1940, Paris, Tallandier,
2001, p. 52-62.
80. Pierre Nord, La Guerre du renseignement. Mes camarades sont morts, Loos-lez-
Lille, 1965 (Fayard, 1947), tome 2, p. 27-29. Lafont est plus connu sous le nom de
Verneuil après l’été 1940 et André Brouillard sous celui de Pierre Nord.

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Les espions de la République

vices secrets nazis y sont anciennes 81. Gérar-Dubot multiplie les contacts
avec les responsables français et belges de l’espionnage, afin d’asseoir sa
connaissance des « officiers traitants » des informateurs aux frontières
franco-belge et belgo-hollandaise. Fin septembre 1939, Gérar-Dubot a
déjà évoqué dans ses notes personnelles l’hypothèse d’une réactivation du
réseau allié de la Première Guerre mondiale en Belgique, « la Dame
blanche ». Ce réseau de renseignement a travaillé contre l’occupant alle-
mand en Belgique depuis l’automne 1914 jusqu’à la fin de la guerre.
Imaginé par le commandant Perruche avec ses adjoints Navarre et
Lafont, le projet anima quelque temps les débats des contre-espions
français 82. Ainsi la reconstitution des moyens secrets, sous des camou-
flages éprouvés entre 1914 et 1918 fut à nouveau explorée, notamment
à propos du bureau de presse qu’Émile Haguenin, ancien directeur du
budget, avait alors constitué comme couverture à Berne en Suisse 83.

Dépassant la crise ouverte par l’affaire Dreyfus sur la reconnaissance


professionnelle des officiers de renseignement, l’État accorde une recon-
naissance à ses espions après la Première Guerre mondiale. Ils apparais-
sent plus nettement comme des fonctionnaires spécialisés dans l’activité
secrète de l’État. Ils appartiennent à des administrations soumises aux
règlements et aux lois de la République. La République a constamment
réglementé leurs activités aux moyens de décrets et d’instructions minis-
térielles, parfois interministérielles. La Première Guerre mondiale est un
tournant déterminant dans la réhabilitation de la mission de l’espion
dans la République. À défaut de gloire, il y conquiert une réputation qui
lui était interdite depuis l’affaire Dreyfus. Il est bien un fonctionnaire
dont le travail s’épanouit à l’intérieur de l’appareil d’État : l’espion est
d’abord un administrateur du secret dans l’État. Les officiers de

81. SHD/DAT 1 K 545, fonds Paillole, nouvelle cote 787, Journal de marche de
Gérar-Dubot, vol. 2, 13 septembre 1939.
82. Journal de bord de Gérar-Dubot 1951-1954, op. cit., cote 827,
décembre 1952. Il y évoque le rôle de Lafont-Verneuil, alors adjoint de Darbou au
CLF de Lille, étudiant avec lui le projet. Le projet est évoqué entre septembre et
novembre 1939. Il fut dévoilé par une indiscrétion du journal Gringoire. Il revint sur
ce projet non réalisé en décembre 1952, évoquant après guerre la résurrection
échouée de ce réseau.
83. Raphaëlle Ulrich-Pier, René Massigli (1888-1988). Une vie de diplomate,
Bruxelles PIE-Peter Lang, 2006, tome 1, p. 39-41.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

renseignement forment un groupe cohérent de quelques dizaines de spé-


cialistes, circulant de la centrale aux postes, avec des temps de comman-
dements brefs en corps de troupe et en état-major. De 1918 à 1939, le
groupe a pu compter entre 200 et 300 officiers subalternes et supérieurs,
renforcés de sous-officiers à l’effectif inconnu. Si le nombre des agents,
évalué par Claude Paillat à 1 500, ne peut être ni confirmé ni infirmé,
celui des honorables correspondants est impossible à fixer. Il s’établit
vraisemblablement à quelques centaines, sans doute entre un et deux
milliers 84.
En outre, la guerre a entraîné un double mouvement de spécialisa-
tion et de professionnalisation des officiers français de renseignement.
L’essentiel de leur carrière active se passe désormais dans les services spé-
ciaux militaires, renforçant la logique professionnelle de leurs activités. Ils
n’appartinrent pourtant jamais à un corps ou à une arme spécialisée de
l’espionnage, tout en ayant des affectations plus stables dans des respon-
sabilités tournées, peu ou prou, vers le renseignement 85. À défaut d’école
d’arme ou d’une instruction orientée à l’heure de l’École supérieure de
guerre, une véritable filière des officiers de renseignement émerge à la
faveur d’une plus grande cohérence des affectations dans des unités opé-
rationnelles, dans des états-majors, dans les sections spécialisées du
2e bureau de l’EMA ou des armées. Elle se poursuit par des affectations
dans les commissions militaires, les missions militaires et par des fonc-
tions d’attachés militaires, ou adjoints. À l’intérieur des services spé-
ciaux, cette spécialisation fait alterner les temps en poste, à la centrale,
dans les unités ou les états-majors des régions militaires. Celle-ci
s’acquiert par des stages de formation, linguistiques comme techniques,
lors des affectations. Évidente au regard de l’avant-guerre, cette évolu-
tion d’un corps spécifique des officiers de renseignement s’accompagne
d’une spécialisation qui lui est contemporaine dans les services de rensei-
gnement dans l’empire et des territoires sous mandat. L’exemple de la

84. Claude Paillat, Dossiers secrets de la France contemporaine, tome 4, op. cit.,
p. 38 ne cite pas sa source qui est probablement Paul Paillole. Il propose le chiffre de
1 500 agents et honorables correspondants, majoritairement Allemands, Polonais,
Tchèques, Slovaques.
85. On laisse de côté le cas spécifique des officiers du service de renseignement
du Levant étudié par Jean-David Mizrahi, Genèse de l’État mandataire. Services de
renseignement et bandes armées en Syrie et au Liban dans les années 1920, Paris, Publi-
cations de la Sorbonne, 2003, 462 p.

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Les espions de la République

centaine d’officiers du service de renseignement en Syrie et au Liban,


étudiés par Jean-David Mizrahi pour les années 1920, a mis en évidence
cette spécialisation professionnelle et la constitution d’un itinéraire de
carrière type des officiers de renseignement pour le Levant 86. La spéciali-
sation administrative et la nature politique du traitement des popula-
tions font différer naturellement les missions des officiers du Levant de
celles des spécialistes du renseignement de la SR-SCR. Demeure tou-
tefois l’idée d’une articulation plus nette entre la spécialisation du métier
et l’émergence d’une filière professionnelle cristallisant, non un corps,
mais une génération d’officiers du renseignement, plus marquée par
l’expérience de la Première Guerre mondiale que par le souvenir de la
guerre de 1870.

86. Jean-David Mizrahi, op. cit., p. 185-223.

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Chapitre 4
L’organisation et le fonctionnement des services
spéciaux militaires de 1918 à 1939

La Première Guerre mondiale est une phase d’évolution de l’appareil


de renseignement. La menace d’une déflation budgétaire et la compres-
sion de ses effectifs se profilent en 1919. En réalité, si les moyens budgé-
taires et en personnel du temps de guerre diminuent, les missions
dévolues aux services spéciaux militaires sont plus nombreuses. Or, il y
a une adaptation dynamique aux menaces de l’entre-deux-guerres. Loin
de figer dans une organisation statique leur dispositif de renseignement,
les armées adaptent leurs moyens de renseignement humains aux nou-
veaux défis stratégiques. L’organisation d’un siège central des services
rayonne sur des postes aux frontières et à l’étranger. Deux réorganisa-
tions du dispositif des postes permettent de prendre en compte les chan-
gements de contexte stratégique et d’alliance diplomatique. Elles laissent
largement en suspens l’enjeu d’une évolution des moyens techniques. La
première prend place en 1924-1926, au moment d’une stabilisation des
frontières européennes issues des traités d’après-guerre. La seconde se
déroule en 1930-1933 après l’évacuation des derniers territoires alle-
mands occupés. De nouveaux postes sont alors créés à Lille, à Beyrouth,
à Djibouti, orientés vers les agissements de l’Allemagne et de l’Italie.
L’Allemagne constitue la menace prioritaire. Il convient de la surveiller
en 1919 dans les territoires occupés, puis après 1930 grâce à une organi-
sation remaniée des postes. L’Italie et l’URSS représentent la seconde
menace, dans l’empire comme sur le territoire métropolitain. La réponse
se fait par une collaboration renforcée entre le contre-espionnage mili-
taire et policier en France et dans l’empire. Si les moyens opérationnels

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

de contre-espionnage sont policiers, les services spéciaux militaires gar-


dent l’autorité sur le dispositif en vue d’une exploitation globale des dos-
siers d’espionnage et de contre-espionnage.

La sortie de guerre des services secrets

De la démobilisation à la réorganisation : désarmer et surveiller


l’Allemagne 1919-1925
Les services de renseignement ne démobilisent ni ne passent sous l’Arc
de Triomphe en novembre 1918. Ils se projettent dans la sortie de guerre
en préparant les actions du temps de paix. Dès le 8 novembre 1918, une
note du 2e bureau expose les conséquences de la fin des combats et du
repli allemand.
« Si l’armistice avec l’Allemagne vient à être signé, il n’est pas douteux que les
services de renseignement doivent continuer leur activité, dans un sens légère-
ment modifié, mais dans l’ensemble peu différent de leurs bases actuelles en ce
qui concerne l’Allemagne et les pays neutres… Mais il serait imprudent de ne pas
prendre les mesures nécessaires pour que nous soyons avertis en temps utile d’un
revirement qui pourrait se produire dans l’attitude d’un ou de plusieurs de nos
alliés (pour si peu probable qu’il paraisse). Sans vouloir suivre les Anglais dans
la voie où ils se sont engagés à ce point de vue, en Italie et un peu chez nous, il
serait bon, en particulier, de procéder à une organisation discrète nous permet-
tant de garder le contact en Angleterre et en Italie. Des renseignements pourront
nous être utiles pendant la période où l’on négociera la paix. En particulier il est
possible que des tractations aient lieu en pays neutre. La connaissance que nous y
avons du personnel employé par nos alliés, pourra, le cas échéant, être précieuse
en n’employant qu’un nombre restreint d’agents absolument sûrs 1. »
Naturellement, tout organisme militaire défend sa raison d’être quand
survient la paix. Pourtant, la réorientation des activités du renseigne-
ment, en liaison avec les services de renseignement britanniques à Sofia
et dans les Balkans rappelle ici les enjeux des missions du temps de paix
de l’outil militaire 2. À ce titre, l’évocation non voilée des possibilités

1. SHD/DAT 7NN 2 151, note anonyme SR/EMA2 au sujet de l’activité du SR


après l’armistice, 8 novembre 1918.
2. Jean Doise, Maurice Vaïsse, Diplomatie et outil militaire, Paris, Imprimerie
nationale, 1987, p. 263-292. André Corvisier, Histoire militaire de la France, tome 3,
De 1870 à 1940, sous la direction de Guy Pedroncini, Paris, PUF, p. 327-344.
Andrew Barros, « Le 2e bureau dans les années 1920 : l’impact de la guerre totale sur

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

d’espionner les débats des négociations de paix, si précocement exprimée,


est parlante. Ce serait oublier que la diplomatie voisine déjà avec
l’espionnage dans les États modernes. Rien ne permet d’affirmer donc à
ce stade que l’espionnage ait fleuri pendant les négociations lors de la
Conférence de la paix à Paris en 1919, pour un bénéfice qui eût sans
doute été illusoire eu égard à leur nature largement unilatérale 3. Cela
n’empêchait pas, de toute façon, les participants et les absents de la
conférence d’être largement tenus au courant de la teneur des débats
depuis janvier 1919 par des centaines de journalistes, d’informateurs
divers et de paroles officielles autorisées 4.
Une seconde note postérieure, datée du 10 novembre 1918, complète
les dispositions opérationnelles pour les services de renseignement
d’armées et les postes étrangers de la SR-SCR. Les mesures à prendre
dans les États neutres, en particulier en Hollande et en Belgique, comme
sur la ligne de front au fur et à mesures du recul allemand, sont exa-
minées. L’utilisation des prisonniers et des internés rapatriés est à privi-
légier. Les postes de renseignement d’Annemasse, de Milan et celui de
l’attaché militaire à Berne comme les moyens de renseignements des
armées sont donc orientés différemment. La création rapide de postes
dans les Balkans et en Bohême est aussi envisagée. Les postes scandi-
naves de Stockholm et de Copenhague, en liaison avec Milan et les
moyens de la Royale, revêtent un nouvel enjeu qui tient au rôle de la
Suède et du Danemark dans le contrôle de l’espace balte pour l’Alle-
magne. À Stockholm, le poste centralise désormais tout ce qui touche à
la Russie. La nécessité d’utiliser pleinement les ressources offertes par les
rapatriés des centres militaires de Lyon, Évian et Dieppe est

le renseignement », in Frédéric Guelton, Abdil Bicer (dir.), op. cit., p. 189-210. Non
consultables, les papiers de la Conférence de la Paix à Paris et des organes interalliés
(conférence des ambassadeurs, commissions diverses) ont été restitués dans la der-
nière partie du fonds de Moscou des archives militaires. Leur traitement est en cours.
Ils recoupent notamment les papiers Mantoux conservés à la BDIC.
3. Jean-Jacques Becker, Le Traité de Versailles, Paris, PUF, 2002, p. 57 sur les
revendications des peuples à disposer d’eux-mêmes.
4. Louis Dupeux, « Les Allemands et la paix 1918-1925 », in Claude Carlier,
Georges-Henri Soutou (dir.), 1918-1925. Comment faire la paix ?, Paris, Economica,
2001, p. 17-18.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

symptomatique de la sortie de guerre 5. Les réfugiés constituent un milieu


de recrutement habituel des services secrets à la fin des conflits 6.
La démobilisation des services de renseignement n’a donc jamais été
envisagée, d’autant que leur conception de la paix est armée. Certes, la
démobilisation progressive des organismes d’états-majors et interalliés
prive peu à peu les services de renseignement de nombreux réservistes et
de spécialistes à partir de janvier 1919. Elle a une conséquence double
et immédiate. La dissolution de la structure alliée de renseignement de
Folkestone ferme partiellement la porte à des coopérations internatio-
nales opérationnelles. Le fichier interallié des suspects est néanmoins
encore actualisé en 1924, toutefois sans la participation de l’Italie musso-
linienne qui se défie de la France. Pour Londres, la lutte contre les bol-
cheviks a rapidement supplanté celle contre l’Allemagne. Les objectifs
avec Paris divergent donc rapidement sur la nature de cette coopération.
Celle-ci revêt une autre forme à Vienne avec la création de l’Organisa-
tion internationale de la police criminelle en 1923. L’objectif est priori-
tairement policier. Le renseignement militaire, coordonné par le
2e bureau au profit de l’état-major de l’armée, est cantonné à une fonc-
tion d’abord défensive et sécuritaire dans le cadre des missions militaires
françaises et de l’occupation de l’Allemagne. En réalité, la diminution des
effectifs du 2e bureau en temps de paix tarit l’apport précieux des offi-
ciers de réserve. Il entraîne la disparition effective de la section écono-
mique de l’état-major de l’armée à laquelle ne sera plus désormais affecté
qu’un officier d’active. La question de la mobilisation est récurrente dans
les années 1920. Elle est inédite, car l’entrée en guerre en 1914 s’est faite
dans une large improvisation pour la mobilisation des services spéciaux et
de leurs postes.
Désarmer et surveiller l’Allemagne ont été les priorités. Dès 1919,
l’orientation de postes relevant de l’armée française du Rhin favorise une
activité défensive sur l’Allemagne depuis les territoires occupés. En juin
1919, trois postes de renseignement dans la région rhénane occupée et
en Alsace-Lorraine sont actionnés par Paris. Il s’agit du centre de liaison

5. SHD/DAT 7NN 2 151, note SR/EMA2 sur la répartition du travail entre les
SR, 10 novembre 1918, 4 p.
6. Philippe Nivet, « Les réfugiés en Haute-Savoie au XXe siècle », in Olivier For-
cade, Philippe Nivet (dir.), Les Réfugiés en Europe aux périodes moderne et contempo-
raine, actes du colloque d’Amiens, 23-24 mars 2007, à paraître.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

français à Düsseldorf, des postes d’Aix-La-Chapelle et de Mayence, rat-


tachés administrativement à l’état-major de l’armée d’occupation des
pays rhénans. Le poste de Strasbourg est mis sur pied fin 1919 par le
capitaine Henri Roux, futur chef des services spéciaux en 1934. Rat-
taché à l’état-major de la plus haute autorité militaire à Strasbourg, il est
en liaison avec les postes en Allemagne. Les directives leur sont données
par le 2e bureau de l’EMA pour la recherche de renseignements d’ordre
militaire, politique, économique et de contre-espionnage. La liaison est
établie avec la commission militaire interalliée de contrôle à Berlin,
commandée par le général Charles Nollet en 1919-1924 7. En vue d’éta-
blir les synthèses, les commissions de contrôle alliées sont demeurées dans
les années 1920 l’une des principales sources d’information du 2e bureau
sur le potentiel militaire et économique allemand. Par ailleurs, le
2e bureau a pu être largement instrumentalisé par l’état-major de l’armée
pour accréditer la réalité d’une menace allemande postérieure à 1919. En
effet, entre 1919 et la fin de 1922, l’idée que l’Allemagne ne désarme pas
totalement et qu’elle applique avec une mauvaise volonté explicite les
clauses du traité de Versailles domine l’état d’esprit du haut commande-
ment français. Cette vue s’exprime toutefois longtemps contre l’opinion
de certains parlementaires français. À l’issue d’une mission en Allemagne
au début de l’année 1922, le député Jean Fabry, officier d’active entré en
politique à la faveur des élections de 1919, nuance le sentiment partagé
à Paris sur les réalités du réarmement et du revanchisme allemand 8.
S’opposant à cette représentation d’une menace allemande largement
surestimée que démentent les informations qui lui parviennent, le général
Nollet est invité en janvier 1922, après la mission parlementaire Fabry, à
venir s’expliquer à l’état-major général sur son analyse par trop rassurante

7. Charles Nollet, Une expérience de désarmement. Cinq ans de contrôle militaire


en Allemagne, Paris, 1932. Charles Nollet (1865-1941), Polytechnicien et artilleur,
est général de division à la fin de la guerre quand il est nommé président de la
commission militaire interalliée de contrôle à Berlin en septembre 1919. Il devient
membre du CSG le 11 octobre 1921. Proche du général Guillaumat, membre du
Grand Orient de France, hostile d’idées au Bloc national, il est choisi comme
ministre de la Guerre par Édouard Herriot au printemps 1924.
8. Jean Fabry (1876-1968), saint-cyrien, est blessé et amputé d’une jambe en
1915. Devenu chef de cabinet de Joffre en 1917, il est envoyé en mission aux
États-Unis. Devenu directeur de L’Intransigeant, il est élu député de Paris en 1919
avant d’entamer une carrière parlementaire, puis ministérielle, jusqu’en 1945.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

de l’état d’esprit général en Allemagne. Le général Nollet est déjà perçu


à l’état-major de l’armée comme un officier général aux idées politiques
avancées 9. Lors d’un entretien avec le colonel Fournier, chef du
2e bureau, il réfute l’idée de la possibilité d’un rapide réarmement alle-
mand pouvant constituer une menace pour la France « puisque l’Alle-
magne lui [apparaissait alors] au point de vue effectif et matériel à peu
près complètement désarmée » 10. Nollet ne nie pas alors la réalité du
revanchisme allemand, mais d’une menace militaire immédiate fondée
sur l’état exact des moyens militaires allemands évalués par la commission
de contrôle. Pour l’état-major de l’armée, la menace allemande est déjà
le meilleur argument politique dans le débat budgétaire annuel ! Aussi le
2e bureau est-il continûment mis à contribution pour étayer technique-
ment une action de lobby des chefs militaires, jamais démentie dans les
années 1920 et 1930, d’autant qu’il a un quasi-monopole de fait au sein
de l’appareil d’État sur l’information militaire intéressant l’Allemagne 11.
À l’exception des informations de la commission de contrôle de
Berlin, les renseignements proviennent depuis 1919 des moyens de
l’armée française du Rhin et des postes actionnés par la SR-SCR en Alle-
magne. Pour autant, les échanges d’information entre les postes SR et les
moyens de renseignement de l’armée du Rhin ne sont pas systématiques.
Ces postes travaillent d’abord au profit de Paris. En effet, les VIIIe et
Xe armées d’occupation ne doivent pas théoriquement rechercher de ren-
seignements en avant de leur front. C’est pourquoi elles ont rétrocédé à
la SR-SCR leurs agents déjà recrutés et qu’elles ne traitent plus directe-
ment 12. Le contre-espionnage des services spéciaux militaires à l’étranger
a pour objet de démanteler les centres d’action du contre-espionnage

9. Marc Sorlot, « Le général Nollet au ministère de la Guerre (15 juin


1924-10 avril 1925) », in Militaires en République 1870-1962, op. cit., p. 235-244.
10. SHD/DAT/DAT 7N 2 612, compte rendu de l’entretien du colonel Four-
nier, chef du 2e bureau de l’EMA avec le général Nollet, 26 janvier 1922, 4 p.
11. Andrew Barros, « Le 2e bureau dans les années 1920. L’impact de la guerre
totale sur le renseignement », in Naissance et évolution du renseignement dans l’espace
européen (1870-1940), op. cit., p. 200-201.
12. Les archives de l’armée française du Rhin relèvent essentiellement du dernier
versement de la Russie à la France en 2000. À ce titre, elles sont en cours de traite-
ment encore en 2007, non ouvertes aux chercheurs.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

ennemi, d’identifier les agents et de démasquer leurs procédés 13. Des


effectifs importants leur sont attribués soit une cinquantaine de mili-
taires (dont douze officiers) à Strasbourg et une trentaine à Mayence et
à Aix-La-Chapelle. En octobre 1922, l’affectation comme linguiste au
poste d’Aix-La-Chapelle de Joseph Doudot, né en 1902 à Altrippe, dans
le Saint-Avold, illustre le recrutement de Lorrains aux côtés des Alsa-
ciens 14. Doudot mit au point un annuaire des officiers allemands ser-
vant dans la Reichswehr jusqu’en 1930, à la faveur de la récupération des
archives de l’état-major français de Mayence, lors de l’évacuation de la
Rhénanie par l’armée française. Ce renseignement est explicitement
tourné vers l’Allemagne, et est à la fois défensif et contre-offensif. La
conséquence est que l’armée du Rhin, commandée par le général
Degoutte, n’a pas de service de renseignement propre, se bornant à des
activités de contre-espionnage en zone occupée depuis la signature du
traité de Versailles. En 1920, cette situation fait l’objet d’un échange de
correspondance entre l’état-major de l’armée et le commandement de
l’armée du Rhin. En théorie, il y a une complémentarité stricte des
moyens de renseignement propres des armées, tactiques et opérationnels,
et de ceux des services spéciaux militaires, stratégiques. Les postes de ren-
seignement dépendant de la SR-SCR adressent leurs comptes rendus aux
2es bureaux d’armée et répondent aux demandes de renseignement que
ceux-ci leur adressent 15. En 1921, l’affectation d’officiers de renseigne-
ment aux armées du Rhin est prévue en cas de déclenchement du dispo-
sitif de couverture.
De 1921 à 1924, des exercices de couverture préparent la mobilisa-
tion de ces officiers de renseignement aux armées du Rhin, en liaison
avec les trois postes. Leur rôle, au contact de la population allemande, est
important. En période de tension, il s’agit d’obtenir des informations sur
les indices de la mobilisation allemande, militaire comme industrielle et
économique. Ces indices sont les réquisitions, les constitutions de stocks

13. SHD/DAT 7N 2 486, note SRA/EMA2 nº 8400 sur l’organisation et le


fonctionnement au GQG des SR du Rhin, 24 juin 1919.
14. Henry Koch-Kent, Doudot, figure légendaire du contre-espionnage français,
Paris, Castermann, 1976, p. 17-18.
15. SHD/DAT 7N 2 486, note nº 6144 du général Degoutte commandant
l’armée du Rhin au général Guillaumat, 23 décembre 1920.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

de blé, de cuivre et de produits sensibles 16. Les zones à surveiller sont la


région du Rhin, notamment le bassin de la Ruhr, le secteur de la fron-
tière hollandaise, la région de Munich, foyer d’agitation nationaliste, la
région industrielle de la Saxe et de la Silésie, la région de Berlin et ses
terrains d’aviation. L’armée du Rhin n’a donc pas, très vraisemblable-
ment, réservé ses activités de renseignement à la seule Rhénanie. Elle a
très certainement agi au-delà de la zone qui lui était attribuée grâce à des
informateurs alors recrutés en grand nombre. Les sites précis à surveiller
sont ensuite listés. Les trois postes en Allemagne démontrent tout
l’intérêt d’une occupation territoriale militaire pour le déploiement de
moyens de renseignement, en liaison avec la flottille du Rhin pour le ren-
seignement naval 17. Ce renseignement d’alerte fonctionne en perma-
nence, anticipant sur un cas d’opération militaire surprise allemande dans
les territoires occupés, serait-elle lancée par Berlin pour réprimer un coup
d’État militaire ou une insurrection communiste.

Cette réorganisation du dispositif des postes de 1925-1926 est-elle


stratégique ? Le 8 septembre 1925, Lainey dresse un premier bilan de la
réorganisation du dispositif français en temps de paix 18. Le dispositif
prévu à la mobilisation rétablirait de surcroît des postes pour acquérir du
renseignement depuis Trèves et Berne.
« Ces directives (définitives) provoqueront différentes questions telles que la
liaison avec les Belges et la Marine. Quant aux SR établis à l’étranger, il est
entendu dès maintenant que tous subsistent, sauf ceux que les circonstances poli-
tiques nous obligeront à replier. Au surplus, le fonctionnement des services de
renseignement dans les pays avec lesquels nous avons une convention militaire
déjà réalisée ou en projet (Pologne, Tchécoslovaquie, Roumanie, Yougoslavie,
Empire britannique) ne peut pas être réglé avant que les études actuellement en
cours ou en projet avec l’EMA et les états-majors des pays intéressés aient pris
forme 19. »

16. SHD/DAT 7N 2 486, note SR/EMA2 sur la recherche de renseignements au


cours de tension politique et pendant les premiers jours de la mobilisation, du
22 juillet 1924.
17. Alexandre Sheldon-Duplaix, « Le renseignement naval français des années
1850 à la Deuxième Guerre mondiale », in Revue historique des armées, 4/2001,
p. 47-64.
18. Cf. annexe 1 Les postes français de renseignement en 1918-1939.
19. SHD/DAT 7NN 2 101, note pour Mob, 8 septembre 1925 au sujet de la
réorganisation des moyens français.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Le tableau présente les postes principaux et secondaires de 1919 à


1939. Ces postes sont maintenus après la déclaration de guerre de 1939,
durant la drôle de guerre et durant la campagne de France. L’armistice
du 25 juin 1940 entraina leur réorganisation et leur camouflage dans des
organismes clandestins, les « Travaux ruraux » et les « Bureaux des
menées antinationales » 20. Il faut par ailleurs distinguer les postes fronta-
liers sur le territoire national des postes à l’étranger et des antennes auprès
des attachés militaires. Les postes en France dessinent un arc frontalier.
Ce tableau rend visible l’évolution dynamique du réseau de postes de
1919 à 1939.

Un renseignement d’occupation défensif 1925-1930


L’évacuation de la Ruhr en août 1925 et la signature du traité de
Locarno par la France et l’Allemagne en octobre 1925 ont eu des consé-
quences importantes pour le renseignement français. La réorganisation
projetée est mise en œuvre en 1925-1926. Le haut commandement, en
particulier le général Debeney, chef d’état-major de l’armée, accepte
toutes les propositions des services spéciaux militaires. Pourtant, des
interrogations demeurent sur l’attitude des neutres, invitant à réviser ou
retoucher la nouvelle organisation. Les relations avec la Suisse et avec la
Belgique font difficulté. De 1925 à 1930, l’adaptation concerne les
postes de La Haye, auquel est rattaché Copenhague en 1927, et de Mar-
seille en 1928. Sur l’Allemagne, cinq postes font du renseignement
contre-offensif et défensif jusqu’en 1930, coordonnés par la centrale de
renseignement de Paris. Il y a bien une évolution dynamique du réseau
par une prise en compte de situations stratégiques évolutives.
En Allemagne, le poste de Mayence, absorbant Düsseldorf le 1er mai
1925, sert désormais de pivot du dispositif dans les territoires occupés 21.
Le poste, en liaison avec Strasbourg qui garde son antenne de

20. Olivier Forcade, « Travaux ruraux » et « Services spéciaux militaires », in Dic-


tionnaire historique de la Résistance, sous la direction de François Marcot, Bruno
Leroux, Christine Levisse-Touzé, Robert Laffont, 2006, p. 216-217 et 211-213.
Simon Kitson, Vichy et la chasse aux espions nazis 1940-1942, Paris, Autrement,
2005.
21. SHD/DAT 7N 2 486, note du général Debeney, CEMG, du 13 mai 1925
au sujet de l’organisation et du fonctionnement du service de renseignement EMA2
en territoires occupés.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

Ludwigshafen, agit difficilement en liaison avec le 2e bureau de l’armée


française du Rhin. Mayence peut recruter des agents en territoires
occupés, mais le service de sûreté de l’armée du Rhin garde jalousement
cette prérogative. Lainey effectue une mission en mars 1925 auprès du
général Guillaumat, commandant l’armée française du Rhin, pour faire
entériner ces nouvelles dispositions 22. L’enjeu stratégique est la centrali-
sation du renseignement français sur l’Allemagne par les services spé-
ciaux militaires depuis Paris. Les différends avec le commandement de
l’armée du Rhin ne sont pas simplement des querelles de prérogatives
militaires et des chevauchements d’attribution. Elles sont définitivement
réglées en accordant au général Guillaumat la possibilité de rechercher
hors des territoires occupés toute information intéressant la Rhénanie. Il
y a sans conteste ici une régularisation d’une situation de fait, eu égard
à la situation explosive de l’Allemagne et à l’occupation militaire de la
Ruhr par la France en 1923-1924. La situation politique et économique
de l’Allemagne était alors très dégradée. Le contre-espionnage relève
d’abord du service de sûreté de l’armée française du Rhin. La coordina-
tion entre son 2e bureau et celui de l’EMA est désormais renforcée ainsi
qu’avec le poste unique de Mayence. En septembre 1925, les différentes
antennes de Mayence sont Coblentz, Bonn et Trèves. Après l’évacuation
de la zone de Cologne, une antenne vient les renforcer à Aix-La-Cha-
pelle en décembre 1925 pour conserver un contact avec la Hollande, le
Hanovre et la Wetphalie. À l’exception de la suppression des postes de
contrôle en zone neutre sur la rive droite du Rhin décidée le 2 décembre
1925 par le comité militaire allié de Versailles en application des accords
de Locarno, le dispositif ne change plus jusqu’en 1930. Son démantèle-
ment appelle alors la recherche d’autres solutions. La France dispose
donc de formidables moyens de renseignement sur l’Allemagne jusqu’en
1930.
Sur la Hollande, les moyens reposent sur un service dépendant de
l’attaché militaire à La Haye, dirigé par le capitaine de Lestanville et un
service dépendant du centre de liaison français (CLF) à Mayence, le
bureau d’Amsterdam. Le camouflage de l’antenne du CLF de Mayence
à Amsterdam permet d’assurer la sécurité de moyens. En 1924, les

22. SHD/DAT 7N 2 486, compte rendu de mission près l’armée du Rhin du


lieutenant-colonel Lainey, 24 mars 1925 au sujet de l’organisation des services de
renseignement et de sûreté en Rhénanie.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

réticences du ministre de France, Charles Benoist, et de l’attaché mili-


taire, le colonel Cazenave, à accueillir une antenne des services spéciaux
se sont exprimées par leur ignorance officielle de son activité. Un cloison-
nement total est maintenu continûment entre l’attaché militaire et les
deux bureaux en juin 1925 encore 23. Une mission de liaison a pourtant
été effectuée en février 1925 par le chef de bataillon Mangès, comman-
dant du centre de liaison français de Mayence. Celle-ci vise à sensibiliser
les consulats d’Amsterdam, de Rotterdam, de Zvolle, de Groningue et de
Delfzyl à l’action des services spéciaux militaires 24. À Zvolle, le consul
Piquet est prêt à fournir du renseignement économique et politique, à
donner des contacts pour créer des agents. Maintenu par Mangès avec les
consuls, ce contact donne des résultats inégaux. La coopération du réseau
diplomatique avec les services spéciaux militaires est souvent conflic-
tuelle. Il y a pourtant un mode opératoire original, car reposant totale-
ment sur les liens individuels avec les diplomates, que les consuls soient
français ou hollandais. En effet, le ministère des Affaires étrangères est
hostile à ce que les postes diplomatiques ou consulaires soient mêlés de
quelque manière que ce soit à l’activité des services spéciaux. L’instruc-
tion d’avril 1929 régla les difficultés en définissant les attributions et les
prérogatives respectives. Seules des liaisons pour le transport du courrier
sont alors imaginables en 1925 25. Le poste compte une dizaine d’agents
permanents rétribués, dont un aux usines Fokker, recherchant toutes les
informations sur l’Allemagne depuis la Hollande, et une cinquantaine de
bénévoles occasionnels. La rétribution des agents fixes revient à environ
15 000 F par mois, soit un tiers des 45 000 F de dépenses mensuelles de
La Haye et d’Amsterdam.
Dans le rapport d’activité de l’antenne d’Amsterdam de décembre
1924, Vautrin souligne que la documentation réunie sur les firmes étran-
gères et sur des agents ennemis est déjà importante. En 1925, l’objectif
est de créer des boîtes aux lettres et des points d’observation à la frontière

23. SHD/DAT 7NN 2 101, note du chef de la SR-SCR/EMA2 au sujet de la


réorganisation du SR Hollande, 8 juin 1925.
24. SHD/DAT 7NN 2 101, rapport du chef de bataillon Mangès au chef de la
SR-SCR, 10 février 1925 après sa mission d’organisation en Hollande.
25. SHD/DAT 7NN 2 101, note nº 1436 du chef de la SR-SCR/EMA2 au
bureau de Strasbourg du 12 février 1925 au sujet des annexes en Suisse.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

germano-hollandaise 26. Si le Limbourg est déjà investi, le travail de


recrutement d’agents doit être accéléré dans le Brabant et le Zeeland
après 1925. Il ne convient pas d’entrer dans le fonctionnement pratique
d’une antenne. Mais il faut simplement rappeler que la liaison par la
valise diplomatique La Haye-Paris et Amsterdam-Düsseldorf prend, pour
les plis volumineux, de deux à trois semaines en 1924. Le renseigne-
ment collecté sur l’Allemagne depuis la Hollande est de nature poli-
tique, économique et militaire. Sur la Hollande, les fabrications de guerre
et la contrebande ainsi que les activités des services concurrents sont
obtenues par l’agent déjà en place « Ai 92 ». Cette situation prolonge un
commerce de contrebande déjà actif depuis 1915, faisant des Pays-Bas
une des plaques tournantes commerciales pendant le blocus économique
allié.
Trois hypothèses de camouflage du poste sont dressées. Un camou-
flage commercial, une installation en Belgique ou dans les territoires alle-
mands occupés présentaient des inconvénients qui devaient conduire à
les rejeter 27. La difficulté tient d’abord à la conception de leur neutralité
par les Hollandais. Aussi le poste est-il en définitive maintenu à La Haye
auprès de l’attaché militaire. Lainey effectue une mission à La Haye fin
novembre 1925, afin de régler les problèmes en Hollande. Il rencontre
M. de Marcilly, ministre de France, qui accepte la nouvelle organisation
du poste avec son antenne à Amsterdam. Il recommande toutefois la plus
grande prudence, en réservant la possibilité d’ouverture d’autres
antennes 28. Sur le plan du contre-espionnage, l’examen des missions de
la dizaine d’agents fixes en Hollande confirme leur travail de recherche
d’information sur le communisme, les trafics de matériel de guerre, en
relation avec la police, les cheminots et les douaniers hollandais. Mais
l’objectif prioritaire est bien la surveillance de l’Allemagne. En novembre
1925, le programme de recherche du poste fixé par Lainey est aussi
d’identifier les trafics de matériel, transitant par Rotterdam, à destination

26. SHD/DAT 7NN 2 101, rapport du lieutenant Vautrin, chargé du BCA à La


Haye au comandant Mangès, chef du CLF à Mayence, 10 décembre 1924, 7 p.
27. SHD/DAT 7NN 2 101, note du chef de la SR-SCR Lainey au sujet de la
réorganisation du SR Hollande, 8 juin 1925, 3 p.
28. SHD/DAT 7NN 2 101, compte rendu du voyage à La Haye du lieutenant-
colonel Lainey du 19 au 22 novembre 1925, 27 novembre 1925, 8 p.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

du Maroc, enflammé par la guerre du Rif 29. D’autre part, il est d’obtenir
des informations des autorités hollandaises sur les suspects de commu-
nisme se rendant en France et Belgique. Les relations entre l’attaché mili-
taire et le poste sont aplanies. Au début de l’année 1926, le bureau de
Mayence est rapatrié à Aix-La-Chapelle. Celui-ci ne doit pas recruter
d’agents en zone belge, en accord avec Bruxelles, et voit son domaine
d’action tourné vers la Hollande, en liaison étroite avec l’attaché
militaire 30.
Le poste de Copenhague est rattaché à La Haye en février 1928. Le
but poursuivi est de réunir les moyens d’investigation sur la Hollande et
le Danemark pour réaliser un poste plus puissant sous l’autorité de
l’attaché militaire. Il doit agir sur la région nord-ouest de l’Allemagne et
sur les côtes de la Baltique, en ciblant les informations sur les relations
germano-russes, germano-suédoises et germano-norvégiennes. Copen-
hague conserve les enquêtes de contre-espionnage en Scandinavie, en gar-
dant tous ses informateurs. Concrètement, cela se traduit par l’envoi du
bulletin de renseignement de Copenhague, d’une copie de ses fiches
d’agents, d’un double de sa correspondance à Paris au poste de La Haye.
La liaison entre les deux postes se fait par des télégrammes chiffrés offi-
ciels (code des attachés militaires), par des lettres chiffrées d’allure privée,
par des lettres privées à l’encre sympathique. Les liens avec le ministère de
la Marine sont précisés, transitant par la centrale à Paris 31.
La menace italienne et la défense de l’empire sont un autre enjeu. La
lente réorganisation du renseignement français à la frontière italienne est
achevée en 1928, au terme de trois années d’évolution. Un nouveau
poste de renseignement est installé à Marseille le 15 décembre 1928,
dirigé par le capitaine Barbaro, en vue de diriger et d’exploiter le rensei-
gnement collecté sur les frontières franco-italienne et italo-suisse. Une
liaison est établie avec la section d’études africaines à Alger, bientôt
commandée par le capitaine Delor. Les antennes sont déchargées de tout

29. Francesco Correale, Échange et contrebande d’armes au Maroc et dans la région


saharo-mauritanienne entre 1912 et 1918, thèse de doctorat d’histoire, Université
d’Aix-Marseille 1, 2003, 724 p., voir le volume 6, 1916-1918.
30. SHD/DAT 7NN 2 101, note pour l’état-major général, bureau de Mayence
de la SCR/EMA2 du 28 décembre 1925 au sujet de l’installation d’une annexe à
Aix-La-Chapelle.
31. SHD/DAT 7NN 2 101, note de la SR-SCR/EMA2 au sujet du rattache-
ment de Copenhague à La Haye, 19 février 1927, 3 p.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

travail administratif et d’archivage des dossiers pour se concentrer sur le


recrutement et le traitement des agents. Leur mobilité les rend plus diffi-
ciles à neutraliser par le contre-espionnage italien, très actif en France.
Les postes annexes de Marseille sont Nice et Chambéry. À Marseille, le
poste surveille les colonies italiennes de Marseille, Avignon, Lyon, Mont-
pellier, Toulouse et les liaisons maritimes avec l’Italie (Palerme, Mes-
sine, Naples, Livourne). Nice et Chambéry poursuivent leur mission avec
un secteur géographique réduit. Lugano est une annexe à créer, pour dis-
poser de sources en cas de fermeture de la frontière franco-italienne. La
couverture de l’officier sera diplomatique ou commerciale. Le poste cen-
tral de Marseille assume le travail d’exploitation des renseignements
recueillis (étude de documents, rédaction de bulletins…), la tenue des
archives, l’établissement du journal de mobilisation et la gestion des
fonds. Il dirige le travail des annexes 32. Ce sont des moyens importants,
à la mesure des inquiétudes suscitées par le révisionnisme territorial ita-
lien en Méditerranée et en Europe. Heurtant les intérêts impériaux médi-
terranéens français, les projets italiens sont étroitement suivis par Paul
Painlevé 33.
Précisément, la dimension impériale est prise en compte au travers de
la création d’un poste à Alger en août 1925. L’enjeu tranche avec les
préoccupations européennes qui ont dominé jusqu’à ce que les contesta-
tions surviennent presque simultanément au Maroc et en Algérie,
troublés par des contestations indigènes et communistes. La surveillance
navale et militaire est donc renforcée en Afrique du Nord. Ce poste de
renseignement à Alger a pour mission initiale de rechercher en Afrique
du Nord et dans le bassin occidental de la Méditerranée tous les rensei-
gnements d’ordre militaire et de contre-espionnage pour les communi-
quer au commandant de la XIXe région militaire à Alger. La Libye et les
pays riverains du bassin occidental de la Méditerranée sont englobés. Les
deux bureaux existant déjà à Oran et Tunis deviennent ses annexes, avec
Tanger en antenne d’Oran. Alger oriente et centralise leurs comptes
rendus, en laissant aux troupes françaises stationnées le renseignement de
contact avec la population musulmane. Trois officiers dont le capitaine

32. SHD/DAT 7NN 2 101, ordre de réorganisation du service de renseignement


sur la frontière italienne, SR-SCR, 16 novembre 1928.
33. Cf. chapitre 6.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Kouadi, originaire d’Algérie, lui sont affectés 34. Le capitaine Vanlande


organise le poste en liaison étroite avec les autorités militaires locales à
qui il adresse ses renseignements comme à la centrale à Paris. Les offi-
ciers du poste sont en civil en permanence. À Tunis, l’annexe travaille en
étroite liaison avec le général à la tête de la division d’occupation, avec les
services de la résidence, avec les affaires indigènes et la Sûreté. Le prin-
cipe est le même à l’annexe d’Oran, sous couverture civile, avec des
échanges de comptes rendus prévus avec le « SR Légion » récemment mis
sur pied 35. À son ouverture en septembre 1925, la liaison doit être éta-
blie avec la résidence générale de Rabat. La création de postes à Rabat
et à Bordeaux agissant sur l’Espagne et le Portugal en 1925 complète le
dispositif de renseignement sur la Méditerranée occidentale et les pays
intéressés à l’Afrique du Nord. En 1926, l’orientation des recherches de
la section d’études africaines (SEA) d’Alger s’étend aux îles Baléares, aux
régions de Valence, de Murcie et d’Andalousie 36. Extérieur à l’Afrique du
nord, cet espace géographique est en fait bientôt réservé aux postes en
Espagne et au poste mixte franco-espagnol créé à Malaga en 1926 37.
De 1919 à 1930, la perception des menaces oriente prioritairement
les moyens humains du renseignement français vers l’Allemagne et
l’Italie, avant l’URSS. Les adaptations des postes de renseignement
démontrent que la notion de sécurité collective s’efface devant la pri-
mauté de l’intérêt national. La posture des services de renseignement
français est défensive. L’intérêt national et la sécurité du territoire, contre
une Allemagne dont on craint le relèvement militaire par le potentiel éco-
nomique et industriel, obsèdent le commandement. Après la désigna-
tion de son successeur, le lieutenant-colonel Laurent, Lainey conserve son
influence pour consolider ces évolutions en prenant le commandement
du 2e bureau de 1928 à 1930.

34. SHD/DAT 7N 2 596, note nº 7542 SR-SCR/EMA2 d’organisation d’un


service de renseignement en Afrique du Nord, 20 août 1925.
35. SHD/DAT 7N 2 596, note SR-SCR/EMA2 sur la réorganisation du service
de renseignement du 2e bureau EMA en Afrique du Nord, 20 août 1925, p. 3-4.
36. SHD/DAT 7N 2 596, note de la SR/EMA2 du 29 janvier 1926 au capitaine
Vanlande, commandant la SEA.
37. 7N 2 596, note du lieutenant-colonel Lainey SR-SCR/EMA2 à SEA,
1er mars 1926.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

Un renseignement contre-offensif pour une stratégie défensive,


1930-1939
Dans les années 1930, l’Allemagne et l’empire colonial déterminent
les inflexions stratégiques du renseignement français. Après 1930, l’éva-
cuation des territoires rhénans puis de la Sarre prive le renseignement
français de son poste avancé en territoire allemand. Deux modifications
sont donc apportées de 1930 à 1939. Le réseau des postes est redéployé
face à l’Allemagne après les évacuations de 1930, pour maintenir les
sources d’information du 2e bureau de l’EMA sur l’Allemagne qui cesse
de payer les réparations en 1932, puis quitte bientôt la conférence de
désarmement et la SDN 38. Et des postes sont mis sur pied dans l’empire
colonial, jusqu’à l’organisation du service de renseignement intercolonial
en 1937, rattaché à l’état-major du ministère des Colonies. Le haut
commandement confie alors au colonel Lainey deux enquêtes sur l’orga-
nisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires en 1932 et
1933. Peu habituelle, la mission lui vaut de rédiger deux rapports dis-
tincts en octobre 1932 et octobre 1933. À bien des égards, ceux-ci don-
nent une vision dynamique des enjeux d’évolution des services spéciaux
militaires. Les amendements apportés en 1932-1933 sont donc appréciés
en octobre 1933. Il faut nuancer certaines appréciations critiques portées
par Lainey sur le travail de son successeur. En octobre 1932, il souligne
fondamentalement plusieurs insuffisances 39.
Il pointe d’abord le manque de préparation des procédures de mobili-
sation propres aux moyens secrets. La section de mobilisation des ser-
vices spéciaux a été rattachée après le départ de Lainey en 1928 au
2e bureau de l’état-major de l’armée. Or, les services spéciaux n’eurent
dès lors plus de moyens administratifs propres pour préparer leur mobili-
sation en cas de tension politique ou de guerre. Cette question avait été
une cause directe de l’impréparation du 2e bureau de l’EMA et des ser-
vices spéciaux à l’entrée en guerre en 1914. En 1933, l’hypothèse d’une
crise internationale débouchant sur la guerre était désormais mieux prise
en compte. En temps de crise ou de guerre, la difficulté majeure est tou-
jours le maintien des liaisons entre la centrale et les postes

38. Jean Doise, Maurice Vaïsse, Diplomatie et outil militaire, op. cit., p. 295-296.
39. SHD/DAT 7N 2 485, rapport sur la mobilisation du 5e bureau de l’EMA du
colonel Lainey (ER) au sous-chef d’état-major, 19 octobre 1932, 18 p.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

géographiquement les plus éloignés. Comment communiquer et


échanger des informations face aux possibles interceptions ennemies ?
À l’instar des postes récents, comme Sofia ou Téhéran, la préparation
technique des postes constitue encore un défi en 1933 : les moyens de
correspondance, les moyens de liaison, le matériel de franchissement de
frontières pour les agents et les courriers, le matériel d’ouverture de
locaux, la liste de suspects, la mobilisation des réservistes, l’interroga-
toire des suspects aux frontières par les centres de renseignements mis sur
pied en temps de guerre 40. Ces derniers recevraient alors pour mission
l’interrogatoire des suspects, des étrangers, des réfugiés et des prisonniers
en temps de guerre. Par ailleurs, la connaissance des ressources documen-
taires et des matériels spéciaux de la centrale n’est pas toujours connue
des postes en 1932.
En 1932 et 1933, la seconde carence concerne, selon Lainey, le fonc-
tionnement du réseau national et étranger des postes, en appréciant les
missions respectives qu’on peut leur demander. Dès 1932, il recom-
mande la création d’un poste à Lille, avec une antenne à Dunkerque, et
d’un autre en Corse, mais laisse subsister le poste de Metz. En effet,
l’organisation de trois postes à la frontière nord-est nécessite à l’automne
1932 d’achever au plus vite la mise en place du BENE à Lille, à côté du
BREM à Metz et du SCM à Belfort. L’Allemagne reste bien la cible prio-
ritaire. Le BENE devait absorber progressivement les ressources du
BREM sur la Hollande et la Belgique à partir de 1933. Le BREM ame-
nuiserait son action en la limitant au Luxembourg et à la Sarre. Le poste
de Lille est effectivement créé en juin 1933.
Pourtant, plusieurs questions surprenantes restent en suspens en
1933. Les moyens de transmission radioélectrique sont un problème
récurrent, affaiblissant la coordination effective du réseau des postes par
la centrale à Paris. Ainsi, la liaison technique internationale avec les
postes et leurs antennes à l’étranger n’est toujours pas établie en 1932 !
Le contrôle des transmissions de renseignement avec le ministère des
Affaires étrangères est également déficient. Et les moyens colombophiles
sont imparfaits entre la centrale et les postes. Le problème demeure en
1939, rendant incontournables les liaisons humaines. Par ailleurs, les
postes de renseignement à l’étranger sont classés par ordre d’importance

40. SHD/DAT 7N 2 485, rapport du colonel Lainey sur le fonctionnement de


la SR-SCR, octobre 1933, 8 p.

154

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

dans le rapport de Lainey de 1932. Dès cette date, il encourage la mise


sur pied de postes mixtes avec les alliés en Pologne et en Tchécoslova-
quie, à l’image de celui en Belgique, pour renforcer la liaison avec les
États alliés ou neutres, signe des carences des coopérations alliées secrètes.
En dépit de l’absence de liaison avec les Affaires étrangères, la préparation
des postes est satisfaisante en 1933 41. En dernier lieu, la mise en place
de centres de renseignement, chargés de l’interrogatoire des suspects aux
frontières, devait répondre à la recherche d’informations aux frontières.
Cette organisation est parachevée en 1934. À Charleville-Mézières, un tel
centre était, par exemple, prévu en 1936. Mais la fulgurance de l’inva-
sion allemande en mai 1940 ne permit pas leur mise sur pied efficace
devant le torrent des réfugiés de l’exode. Le centre de Charleville-
Mézières fut ainsi submergé entre le 12 et le 14 mai 1940 par des milliers
de Belges et de Français, débouchant sur l’ouverture des frontières 42.
Au printemps 1933, le lieutenant-colonel Laurent, chef de la SR-
SCR, a décidé la création du bureau d’études du nord-est afin de redé-
ployer son observation de la Belgique et le Luxembourg. Le
commandement français est obnubilé par le souvenir de l’invasion de
1914 par la Belgique. Ce nouveau poste est installé dans la citadelle de
Lille en juin 1933. La mise sur pied du poste est confiée au commandant
Louis Rivet, ancien des services, qui vient de laisser le commandement de
son bataillon au 35e RI de Belfort. Il est affecté à Lille entre juin 1933 et
mars 1935.
« Chargé en juin 1933 de la création d’un poste de SR dans la région du
Nord, a réussi, en moins d’un an, malgré de nombreuses difficultés, à mettre au
point d’une façon parfaite cette nouvelle organisation. La dirige de façon
parfaite 43. »
Les trois postes de Lille, Metz et Belfort observent donc l’Allemagne
au printemps 1933. Le bureau d’études du nord-est, animé par les
commandants Rivet, puis Darbou (1935-1939), recherche bientôt en
profondeur du renseignement sur l’Allemagne du Nord à travers la Bel-
gique et la Hollande. Il a pour antennes Rotterdam, La Haye et Anvers.

41. SHD/DAT 7N 2 484, rapport du colonel Lainey (ER) au sous-chef EMA,


19 octobre 1933, op. cit., p. 1-2.
42. Voir notre étude, « La drôle de guerre secrète à Amiens en 1939-1940 : le
contre-espionnage dans la tourmente », op. cit., p. 124-126.
43. SHD/DAT 13 Yd 1 345, feuillet personnel de Louis Rivet, notation de
l’année 1934.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Le bureau régional d’études militaires de Metz, commandé successive-


ment par les lieutenants-colonels Mangès et Kühnmünch, puis par le
commandant du Crest de Villeneuve en 1939, oriente ses activités sur le
Luxembourg, la frontière franco-allemande, les pays rhénans et la Sarre.
Il a des antennes à Luxembourg, à Forbach et à Thionville. Enfin, le ser-
vice des communications militaires à Belfort agit sur la ligne du Rhin, à
travers la Suisse, vers l’Allemagne du Sud et l’Autriche. Il a des antennes
à Mulhouse, Besançon et à Strasbourg avec un relais à Haguenau.
Sur l’Italie, le dispositif en place en 1928 ne bouge plus jusqu’en
1939 à l’exception du rattachement de l’antenne d’Annemasse. Celle-ci
est partagée avec le SCM de Belfort en 1939 pour échanger le renseigne-
ment sur la Suisse. La SEA d’Alger conserve ses missions, avec son annexe
de Tunis regardant vers la Libye. Le poste de Bordeaux, travaillant sur
l’Espagne, évolue également face à la situation nouvelle créée par la
guerre d’Espagne en 1936. Des observateurs résident initialement à
Bayonne et Perpignan. L’enquête du commandant Schlesser en sep-
tembre 1936 débouche sur la création d’un poste de renseignement à
Bayonne au début de 1937. Commandé par le lieutenant Lullé-Des-
jardins, il a une annexe à Perpignan avec six officiers dont un de contre-
espionnage et deux de la Marine. Ce bureau d’études pyrénéennes (BEP)
collecte des informations sur l’Espagne, et par extension sur les agisse-
ments allemands et italiens en Espagne. Il reçoit le soutien des postes de
Rabat et Tanger sur les activités espagnoles et par l’annexe d’Oran du
poste d’Alger 44. En avril 1938, l’action des cinq officiers dévoués au
contre-espionnage satisfait la centrale de Paris. Le capitaine Paillole sou-
lignait alors l’excellente impression donnée par l’action contre les Alle-
mands en Espagne 45.
Cette adaptation dynamique du réseau des postes relève-t-elle tous les
défis sécuritaires ? Ces postes prennent en compte les menaces portées par
de nouveaux contextes stratégiques. Ils répondent ensuite aux ambitions
des nouveaux régimes aux frontières de la France. Ils réagissent enfin aux

44. Henri Navarre et un groupe d’anciens membres du SR, Le Service de rensei-


gnement 1871-1944, Paris, Plon, 1979, p. 44-47 présente le dispositif des postes à la
fin des années 1930 sans revenir sur leur évolution depuis 1919.
45. SHD/DAT 7NN 2 400, compte rendu de mission du capitaine Paillole,
adjoint au chef de la SCR, d’avril 1938 au sujet de la liaison du bureau études pyré-
néennes avec les BCR.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

évolutions du système d’alliance français. Il n’y a pas d’organisation sta-


tique mais une constante adaptation du réseau des postes à l’évolution
des menaces. Son maillage est sans cesse fait et défait de 1919 à 1937.
La méthode est caractérisée par la création d’antennes souples, réactives,
redéployées et sans moyens logistiques qui exposent à l’action du contre-
espionnage des adversaires. Ce sont des moyens humains et légers, autour
de quelques hommes, avec un camouflage diplomatique ou commercial,
en dépit des réticences manifestes et permanentes, souvent légitimes, des
ministères des Affaires étrangères et des Finances. Avec leurs antennes, les
postes aux frontières, dans l’empire, à l’étranger, tissent une toile étendue
d’agents permanents et occasionnels. Les postes mixtes entre les minis-
tères de la Marine et de la Guerre sont révisés en outre régulièrement
pour prendre en compte la dimension maritime des menaces. Un tableau
« Guerre-Marine » des affectations d’officiers des deux armées dans les
postes mixtes est révisé annuellement. La classification des postes, parti-
culière ou mixte, évolue. Des renseignements navals sont recherchés
depuis les postes de Belfort, Metz et Strasbourg, avec une antenne à
Dunkerque ouverte en mai 1933. Tunis est un « poste particulier
Marine », Alger est désormais « mixte Marine-Guerre » 46.
En définitive, les aménagements se sont faits en deux phases dis-
tinctes. De 1919 à 1926, la réorganisation du réseau des postes de rensei-
gnement aux frontières du territoire national prend en compte les
modifications stratégiques et diplomatiques de la France. L’évolution des
relations diplomatique avec les neutres a ainsi déterminé l’adaptation du
réseau de postes à l’étranger. À partir de 1932-1933, les créations et les
redéploiements répondent précisément aux défis stratégiques et aux crises
diplomatiques, pouvant avoir des incidences sur la création, le déplace-
ment ou la fermeture d’un poste de renseignement. La création des
postes de Beyrouth en 1931 ou de Djibouti en 1933, de Lille en juin
1933 ou de Bayonne au début de 1937 répond à des adaptations tac-
tiques et opérationnelles. Pour autant, celles-ci ne remettent en cause, à
aucun instant, la stratégie générale des services spéciaux.
En dépit des adaptations techniques, les objectifs sont constants. Le
tableau des postes montre l’articulation des postes en France et à
l’étranger dans un maillage principalement européen, secondairement

46. SHD/DAT 7N 2 596, compte rendu d’une liaison du SR-SCR/EMA2 avec


le capitaine de frégate Bucaille à la Marine, 17 mai 1933.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

extra-européen. Les redéploiements, les créations ou les fermetures ne


rendent pas impuissant le renseignement français sur une zone géogra-
phique ou un pays. Toute une panoplie d’accords de liaisons, d’échanges
de renseignements, d’antennes repliées dans des pays frontaliers facilité la
recherche de renseignements. Au pire, un dispositif de veille de rensei-
gnement, grâce au contact maintenu avec des « agents dormants », est
mis en place. Durant les années 1919-1939, l’objectif des services spé-
ciaux est d’éviter toute rupture de la chaîne d’acquisition d’informations.
En outre, les postes à l’étranger se renforcent dans l’empire à la faveur des
années 1930. Il y a donc progressivement un resserrement du réseau face
aux menaces pesant sur le territoire national, avec un regard plus aigu sur
les enjeux coloniaux.
Enfin, il y a des faiblesses. Si l’Europe centrale et balkanique est relati-
vement bien couverte depuis Sofia, Prague, Varsovie et Bucarest, l’obser-
vation de la Russie depuis les postes de Riga, Stockholm et Varsovie est
en revanche insuffisante. Cette situation se traduit en 1937-1938 par un
regard pratiquement aveugle du renseignement français sur l’URSS.
Marx Dormoy le signale dans les réunions de la commission interminis-
térielle d’information le 27 mai 1937 47. La menace intérieure commu-
niste a fait passer au second plan une menace extérieure soviétique à
laquelle sont consacrés de faibles moyens de renseignements. L’URSS
aurait-elle polarisé le contre-espionnage et aurait-elle été délaissée par
l’espionnage militaire ? Différemment, des moyens modestes sont mis en
œuvre face aux alliés anglo-saxons. Cependant, les rivalités impériales avi-
vent les différends franco-anglais. Un sentiment colonial antibritannique
est sans doute l’explication du redoublement des actions et du renforce-
ment des moyens dans l’empire dans les années 1930. Le regard change
d’échelle depuis la centrale de renseignement à Paris qui n’accorde pas la
même importance à des rivalités impériales localisées.

47. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet de la


commission interministérielle du renseignement du 27 mai 1937, p. 1.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

Le cœur et la périphérie : la centrale et les postes de renseignement

Le service central à Paris


Installé au 75 rue de l’Université après la guerre, dans le 7e arrondis-
sement à Paris, le service central, ou « la centrale », est le siège adminis-
tratif et de commandement des services spéciaux militaires de 1918 à
1939 48. Il est déménagé au 2 bis, allée de Tourville, dans le bâtiment des
Invalides en 1932. Aussi les membres des services spéciaux évoquent-ils
indifféremment le « service central », « la centrale », « la SR-SCR » ou le
« SR ». Après 1932, ils parlent du « 2 bis » pour nommer les services spé-
ciaux militaires à Paris. La centrale compte un groupe de commande-
ment, soit le chef et son adjoint, puis des officiers spécialisés, soit 18 en
1925. En 1936, il y a 16 officiers à la SR et 6 à la SCR. Ce chiffre
somme toute modeste est pondéré par les effectifs des postes 49. Le chef
des services spéciaux militaires commande deux sections du 2e bureau de
l’EMA. Administrativement, il est désigné comme chef de la SR-SCR du
2e bureau de l’état-major de l’armée. Sur la base du plan de renseigne-
ment du 2e bureau de l’EMA, le chef de service oriente par ses directives
et ses programmes de recherche de renseignements l’action de chaque
poste. À cet effet, il transpose les objectifs stratégiques établis par le plan
de renseignement du 2e bureau de l’état-major de l’armée. Si le plan de
renseignement et le programme de recherche d’un poste sont en règle
générale annuels, des instructions de recherches et des commandes ponc-
tuelles peuvent les compléter. Les postes mettent en œuvre la recherche
pour produire du renseignement qu’ils exploitent généralement en partie
et qu’ils transmettent systématiquement à la centrale à Paris.
Le chef de service a un adjoint qui le supplée. Il s’agit des comman-
dants Jean Merson de 1922 à 1925, de Grenier de 1925 à 1928, du
commandant Lacape au début des années 1930 ou de Louis Rivet de
1935 à 1936 50. La fonction prépare aussi au commandement éventuel du
service, durablement ou par intérim, à l’instar de Merson pendant
quelques mois en 1928. Le travail de l’officier adjoint est d’administra-
tion et de dévouement. Le vade-mecum de sa fonction a été fixé en

48. Henri Navarre, op. cit., p. 38-42.


49. Cf. infra.
50. SHD/DAT 7N 2 485, tableau des officiers de la SR/EMA2, février 1925.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

1938 51. Il est le conservateur des archives du service par sa connaissance


de leur classement. Au coffre, il trouve les dossiers confidentiels des per-
sonnels administrés par la section Mo (mobilisation) ; les journaux de
mobilisation des postes de renseignement et ceux auprès des attachés
militaires ; les instructions générales relatives à la mobilisation de
l’armée ; les tableaux d’effectifs de guerre ; les plans C, D, D bis (le
plan E vient en 1938) ; les plans de recherche des renseignements,
anciens et nouveaux ; les plans de transmission ; les dossiers des préfets.
Dans l’armoire du bureau, il a accès aux dossiers du chef, avec les notes
générales ; aux dossiers courants, aux courriers ; aux dossiers de travail
avec la documentation courante sur les questions importantes ; aux dos-
siers numérotés antérieurs à 1930 ; aux dossiers des conférences et des
effectifs de guerre. Dans les armoires des secrétariats se trouvent les dos-
siers de personnel, de mobilisation, ceux chronologiques en cours. Les
archives datant de la guerre de 1914-1918, dont celles du poste de Bel-
fort, sont conservées à Paris. Celles du contrôle postal et télégraphique de
1914-1918 sont conservées au ministère de la Guerre. Ensuite, il tient à
jour les contrôles de mobilisation des personnels et suit l’administration
du personnel au Journal officiel (avancement, décoration). Cela consiste
à répartir les feuilles de notes, préparer le travail d’avancement, assurer la
convocation des officiers de réserve. Il traite enfin de toutes les questions
d’affectation des personnels.
Le service central ou la centrale SR-SCR s’organise en sections spécia-
lisées. C’est pourquoi l’on a assimilé dans les années 1920 la dénomina-
tion section de recherche au service de recherche ou SR, et
symétriquement avec la SCR pour le contre-espionnage. Il y a donc le
chef de la SR-SCR ayant autorité sur l’ensemble des sections qui y sont
rattachées. La SR, c’est-à-dire la section de recherche, est indifférem-
ment appelée le SR, ou « service de renseignement ». Émanant histori-
quement du bureau de statistique qui disparaît en 1899, la section de
renseignement, rattachée au 2e bureau de l’EMA, existe seule de 1899 à
1915. Elle recherche des informations en France et à l’étranger, par des
moyens légaux et illégaux, pour élaborer un renseignement principale-
ment militaire, à destination de l’état-major de l’armée. La section de
recherche affecte un secteur géographique à ses officiers. Ceux-ci sont

51. SHD/DAT 7N 2 485, vade-mecum de l’officier adjoint du chef de service de


la SR-SCR, 30 septembre 1938.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

calqués sur ceux de de la section des armées étrangères (SAE) qui reçoit
les informations secrètes de la SR-SCR pour son analyse 52.
La SCR ou section de centralisation des renseignements a été créée
par arrêté d’Alexandre Millerand du 29 mai 1915, afin de réorganiser en
temps de guerre le contre-espionnage, en liaison avec le ministère de
l’Intérieur 53. Le régime de l’état de siège en application de la loi du
9 août 1849 donne à l’autorité militaire des facultés inédites en matière
de contre-espionnage sur le territoire national, dévolues au ministre de
l’Intérieur en temps de paix. La SCR compte des sous-sections. Deux
sont géographiques : la section d’Allemagne, dirigée par Robien en
1932-1935, Paillole en 1936-1937 et Bonnefous en 1937-1939, et celle
d’Italie, commandée par les capitaines Ollé-Laprune puis Brun. La sec-
tion de défense préventive est créée en 1937, mettant en œuvre des
mesures de protection du secret et des lieux intéressant la Défense natio-
nale, dont des usines. Il y a ensuite la section des archives. Enfin une sec-
tion de propagande révolutionnaire surveille théoriquement les
ingérences politiques dans l’armée. Elle est, pour cette raison, directe-
ment rattachée au cabinet du ministre, suivie par le commandant Serre,
puis par le capitaine Jacquot à la fin des années 1930. Elle ne tient pas
de rôle actif en réalité durant tout l’entre-deux-guerres. La SCR a comme
chefs successifs les commandants Grosjean de 1925 à 1936, Schlesser de
1936 à 1938, puis le capitaine Paul Paillole en 1939.
La SR-SCR compte enfin des services communs. La section du
chiffre, dite « section D » (pour « décryptement »), fournit les codes spé-
ciaux et cherche à pénétrer les chiffres adverses. La section A a en charge
l’administration, avec un officier d’administration principal à sa tête. Elle
traite par exemple des questions pratiques des frais de déplacements, de

52. La section allemande de la SR est par exemple animée par le capitaine Lau-
rent en 1926-1928, puis par le commandant Perruche de 1933 jusqu’en 1937, par le
commandant Navarre entré au service en juillet 1936. Celle du Midi sur l’Italie et la
Méditerranée a été notamment commandée par le commandant Curet de 1938 à
1939. La section russe l’est en 1922-1925 par le capitaine Marie-Joseph Mendras,
dans les années 1930 par le commandant Josset. Des sections anglaise et espagnole
les complètent.
53. AN 470 AP 32, fonds Alexandre Millerand, arrêté du 28 mai 1915 créant la
SCR. Dans son article 2, il stipule qu’elle a entre autres pour attribution « d’orienter
et de documenter les enquêtes de la Sûreté générale sur le contre-espionnage et d’en
recevoir en échange les renseignements se rapportant au même sujet. »

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

subsistance et de logements lors des missions. La section Mo (pour


« mobilisation ») prépare les postes à la situation de la mobilisation lors
d’une tension politique ou à la déclaration de la guerre. Cette préparation
se fait dès le temps de paix. Elle est assurée par le commandant Hamant
de 1925 à 1932. La section des moyens généraux (Mg) règle les ques-
tions logistiques. La section T traite des moyens techniques, à savoir la
correspondance, les liaisons, le matériel divers d’ouverture de locaux et de
coffres… ou de franchissement. En mai 1935, elle met en œuvre un plan
d’organisation des liaisons TSF des postes de renseignement avec leurs
antennes en lançant l’achat d’appareils clandestins pour liaisons radio-
phoniques à longue distance (250 km) et à moyenne distance (60 km),
des appareils TSF à ondes courtes installés sur des voitures automobiles,
des appareils clandestins et ceux destinés à franchir les frontières 54. Les
premiers exemplaires sont achetés en 1935, et l’achat d’équipement est
étalé jusqu’en 1937, en raison du coût budgété de 336 000 F. La sec-
tion E est celle des recherches. La section des interceptions spécialisées,
dite « Nemo », est créée en 1936 pour procéder à des écoutes télépho-
niques secrètes. Mais la fonction n’est pas nouvelle. Enfin, la section
chimie-radio-photo, dite « CRP », réunit en 1937 des moyens qui exis-
taient déjà, mais dispersés.
La centrale conserve ses archives. Elle dispose d’un fichier central de
tous les dossiers de suspects fichés par les postes. Ce fichier manuel de
20 000 dossiers est constamment alimenté depuis la Première Guerre
mondiale. Il fusionne les fichiers issus du bureau interallié de renseigne-
ment avec celui propre de la SR-SCR. Il se présente sous une forme
papier classée dans des tiroirs alphabétiques avec toutes les informations
portées chronologiquement sur chaque suspect. Au moment de la pre-
mière mécanisation des fichiers grâce à la technique mécanographique et
à la prise en compte de l’outil statistique dans les années 1930, l’adminis-
tration du secret demeure artisanale. Si la surveillance des suspects
d’espionnage est méthodique, il n’y a pas lieu de conclure à son caratère
systématique en France. Pour assurer sa sécurité, la République n’a pas
multiplié les fichiers de surveillance 55. Les échanges des dossiers

54. SHD/DAT 7N 2 498, note secrète sans timbre relative à l’organisation des
liaisons TSF des SR mobilisés en 1935-1937, 25 mai 1935.
55. Voir notre étude, « La IIIe République, la sécurité nationale et ses fichiers de
surveillance 1871-1940 », les jeudis du CHEAR, 15 novembre 2007, à paraître.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

s’établissent avec les centrales étrangères. Avec Londres, la centrale par-


tage des indications sur des suspects jusqu’à l’actualisation de la liste inte-
ralliée des suspects en 1924. La centrale archive le double de toutes les
correspondances adressées aux postes et le courrier qu’elle en reçoit. En
1932, des instructions strictes rappellent l’obligation aux antennes et aux
postes mixtes d’adresser prioritairement à la centrale tout leur courrier
que celle-ci redistribue aux postes intéressés. Elle conserve les comptes
rendus de missions menées par des membres de la centrale dans les postes
aux frontières et à l’étranger. Mais la prescription est souvent oubliée, au
point d’être rappelée en 1929 56.
Les fonds alloués aux postes et à leurs antennes donnent une idée rela-
tive des moyens d’action des services spéciaux militaires. Ces moyens sont
difficilement appréciables. À noter que les crédits alloués prennent éven-
tuellement en compte, à l’étranger, les traitements des personnels d’un
poste. Les fonds se divisent en crédits de fonctionnement mensuels et en
crédits de roulement pour les imprévus laissés à l’appréciation du poste. Il
y a ensuite les fonds attribués en période de tension politique. À Bel-
fort, le SCM a en 1930, par exemple, une avance de fonds en dollars
équivalente à un mois de crédits de fonctionnement. Elle ne peut être
engagée que sur une instruction de la centrale. Une certaine somme,
indéfinie, serait envoyée à la mobilisation. Cette règle est commune à
tous les postes 57. Dans le tableau présenté figurent les informations déli-
vrées par les archives, sans exhaustivité des postes en France et à
l’étranger.
Au début des années 1930, le budget de la centrale avoisinerait la
somme conséquente de 10 millions de francs annuels 58. En l’absence
d’archives retrouvées, l’examen des crédits de fonctionnement est un pre-
mier indicateur. En 1934, la centrale a réalisé une réserve de fonds secrets
de 400 000 F, portée à 425 000 F. Elle la destine à ses différents postes à
la mobilisation 59. La plupart des indications ne donnent que les crédits

56. SHD/DAT 7N 2 485, note pour les sections de la centrale SR-SCR,


23 octobre 1929.
57. SHD/DAT 7N 2 486, compte rendu de la SR sur la réunion du 3 décembre
des postes à la section mobilisation, 3 décembre 1930, p. 6.
58. Jean Merson, in Bulletin de l’ASSDN, 1966/IV, nº 52 op. cit.
59. SHD/DAT 7N 2 499, note nº 1873 du 2e bureau/EMA au 1er bureau EMA
au sujet des fonds secrets à la mobilisation.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Les crédits (francs) de fonctionnement alloués mensuellement


aux postes SR-SCR

Postes
Crédits Crédit
(dates de
de fonctionnement de fonctionnement Remarques
création et
1918-1927 en 1933-1936
durée d’existence)
Belgrade 2 000 4 000, puis Déficit de 3 000 F
2 000 en 1936 mensuels en 1936.
Réserve de 40 000 F
Copenhague 32 350 en 1927
Belfort 65 000 fin 1918, 105 000 115 000 F
80 000 en 1925 demandés en 1937
Besançon, 20 000
1925-1930
Chambéry, 1919 12 000
Marseille 1928
Lille 1933
Nice
Alger, 1925 15 000 30 000 35 000 dépensés en
1936
La Haye, 1919 45 000 65 000 Dont 10 000 pour
deux agents
Mayence, 23 000
1919-1930
Beyrouth, 1932 30 000 Avance 80 livres
sterling-or en 1933
Djibouti, 1933 50 000 (1933) 65 000 F
d’équipements en
supplément en 1933
Constantinople 16 000, dont 6 500
pour agents
TOTAL 235 350 F 280 000 F

mensuels de fonctionnement, hors traitement des personnels affectés. Il


s’agit des dépenses générées par les locaux des postes, par des achats de
matériels divers et des rétributions des agents fixes ou occasionnels. Des
indications ont été retrouvées pour les années 1925-1926 et 1935.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

Les réunions annuelles de chefs de poste à la centrale de 1936 à


1939
Dès les années 1920, l’orientation des programmes de recherche
secrète par la centrale a justifié les premières réunions de postes, encore
irrégulières, à Paris. Les rapports annuels ne sont pas alors systématique-
ment demandés aux postes en France et à l’étranger. Le poste de Bel-
grade ne rédige ainsi un rapport de ses activités que pour les années 1924
et 1936, avec un silence de douze années sur son fonctionnement 60. En
novembre 1926 se déroule à Paris une première réunion regroupant les
chefs des seuls postes travaillant sur l’Allemagne. Celle-ci est symptoma-
tique de la perception géopolitique par les services spéciaux militaires de
la principale menace sur la France. Il s’agit en 1926 de prendre acte de
l’entrée de l’Allemagne dans la SDN et de l’évacuation progressive des
territoires occupés pour établir les orientations des recherches à venir 61.
Le séparatisme rhénan, les agissements secrets de l’Allemagne dans la
Sarre et en Alsace-Lorraine, les relations germano-russes sont inscrits à
son programme. Avant ces réunions annuelles, des réunions plus ponc-
tuelles permettent à des chefs de poste travaillant sur un même pays de
traiter de leurs activités avec la centrale à Paris. En décembre 1930, les
colonels Andlauer, ancien commandant du poste de Strasbourg, et
Mangès, commandant celui de Metz, soulignent ainsi l’organisation par
trop rigide qui semble désormais l’emporter au détriment de l’initiative
en cas d’entrée en guerre 62. Le colonel Andlauer, qui commandait le
poste SR de Belfort en 1914, rappela son point de vue sur l’improvisa-
tion de la coordination avec la Sûreté nationale en 1914.
En février 1931, le colonel Laurent fait le bilan des activités de l’année
1930 et conclut à l’intensification du recrutement sur l’Allemagne,
notamment par l’aide mutuelle des postes entre eux. Dans le sud-est de la
France, la crise économique a fait rentrer de nombreux Allemands dans

60. SHD/DAT 7NN 2 502, rapport sur le fonctionnement du poste de Belgrade


nº 3869/c en prescription de la note SR-SCR du 28 novembre 1936, 12 p.
61. SHD/DAT 7NN 2 693, note nº 9760 SR-SCR/EMA2 pour le capitaine
Lacape au sujet du stage d’information de 1926 des postes travaillant sur l’Alle-
magne, 5 novembre 1926.
62. SHD/DAT 7N 2 485, compte rendu de la réunion du 3 décembre 1930 à la
section mobilisation. Présents : colonel Andlauer, lieutenant-colonel Mangès, Cdt
Schütz, Cdt Thiervoz, Cdt Halmant, capitaine Bierre.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

leur pays d’origine, rendant difficile le recrutement de nouveaux agents


par le BREM de Metz. Le milieu des fonctionnaires allemands, frappé
par la crise, doit désormais constituer une cible privilégiée. La réunion est
avancée au mois de décembre 1931, car l’activité des services promet,
selon le colonel Laurent, « d’être lors de la conférence de désarmement
en février 1931 à son maximum ». Du 16 au 18 décembre 1931, les chefs
des postes travaillant sur l’Allemagne, l’Italie et l’Europe centrale sont
donc conviés. Ils sont toutefois encore réunis séparément 63. Quelques
semaines avant la conférence sur le désarmement, le colonel Laurent leur
expose les objectifs d’intensification du recrutement d’agents principale-
ment sur l’Allemagne. Moins facile qu’avant 1914 et en dépit d’une col-
laboration imparfaite de la Sûreté générale, l’ambition est toujours de
percer l’organisation et les effectifs militaires allemands en 1931. Le tra-
vail sur la correspondance doit être mieux apprécié selon lui. Naturelle-
ment, les réfugiés et les infortunés de la crise économique continuent
d’être des cibles prioritaires des recruteurs. Il rappelle les mesures de sécu-
rité élémentaires. L’évolution de la répression annonce une nouvelle loi,
devant remplacer celle de 1886, et qui fut votée le 26 janvier 1934 64.
Pour 1932, les objectifs fixés par le colonel Laurent consistent à trouver
les indices d’une mobilisation militaire et industrielle allemande comme
premiers signes d’une volonté de guerre. La mobilisation industrielle est
appréciée par les recrutements de personnels spécialisés, de machines-
outils et de matières premières, comme le nickel, le chrome, le tungstène,
le cuivre, le soufre, servant à des fabrications militaires. Les informa-
tions politiques, économiques et financières sur l’Allemagne sont tou-
tefois jugées suffisantes. Les informations militaires sur la Reichswehr font
en revanche défaut. Laurent est partisan de chercher désormais des agents
importants et bien placés, car la France ne jouit plus de l’avantage de
l’occupation militaire en Allemagne. L’efficacité du contre-espionnage
allemand contre la présence française et la forte répression judiciaire
contre les agents espionnant au profit de l’étranger sont manifestes depuis
la fin des années 1920. Les gouvernements allemands ont encore rehaussé
son intensité en 1930-1931. Le discours du colonel Laurent a le ton de
l’alerte patriotique face à l’esprit de revanche de l’Allemagne. Il affiche

63. SHD/DAT 7NN 2 693, résumé de la conférence du colonel Laurent aux


chefs de poste, 16 décembre 1931, 9 p.
64. Cf. chapitre 1.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

une vision nettement pessimiste des intentions allemandes, a fortiori si


Hitler « prend seul le pouvoir… et ferme les frontières 65 ». De fait, la
pénétration des organismes militaires allemands est très médiocre en
1931. Elle est véritablement inaugurée en septembre 1932 avec le recru-
tement d’Hans Thilo Schmidt. Elle fut renforcée par la pénétration
d’agents doubles dans les organismes militaires allemands à partir de
1936-1937 66. À la veille de la conférence sur le désarmement de février
1932, l’Allemagne capte donc l’attention d’un renseignement militaire
français. Les réunions deviennent annuelles après 1932 67.
La réunion de janvier 1937 a valeur de bilan de la difficile année 1936
pour les services spéciaux. En effet, la réunion des 18-20 janvier 1937
rassemble les chefs des postes de Lille, Belfort, Marseille, Metz, Bor-
deaux, Alger et La Haye. Cette réunion a plusieurs buts. Il s’agit d’abord
d’informer les chefs de poste de la conjoncture des pays les intéressants. Il
est ensuite question de faire un point de situation des moyens du ser-
vice SR-SCR en temps de paix et en cas de mobilisation après les mul-
tiples crises internationales de 1936. Enfin, celle-ci s’attache à définir les
bases du travail de 1937 et à régler les questions courantes. Minutieuse-
ment préparé, son programme est inauguré le 18 janvier 1937 par le chef
de service, le lieutenant-colonel Louis Rivet, qui présente un examen
d’ensemble des activités du service central et des postes en 1936. Il brosse
le cadre de l’année 1936, marqué par la crise du 7 mars, par le conflit
éthiopien, par les affaires d’Espagne, par le danger allemand en Europe
centrale et par le réarmement nazi. Il est suivi par un exposé d’un offi-
cier du 2e bureau de l’EMA sur l’Allemagne, en distinguant ce qu’en
connaît l’EMA, les lacunes de la documentation et les recherches
urgentes à lancer. Puis l’après-midi est consacré à nouveau aux directives
de recherche sur l’Allemagne par Rivet, enchaînant sur des séances avec
les sections techniques d’écoute (E) et de décryptement (D). Le 19 jan-
vier, la réunion met à nouveau l’accent sur l’Allemagne avec un exposé

65. SHD/DAT 7NN 2 693, résumé de la conférence du colonel Laurent aux


chefs de poste, op. cit., p. 7.
66. Paul Paillole, Notre espion chez Hitler, Paris, Laffont, 1975, 285 p.
67. Ces conférences sont désormais annuelles dans les années 1930, sans que
nous ayons retrouvé les comptes rendus de celles tenues entre 1932 et 1935. Tou-
tefois, les archives les concernant sont déclassées, offrant une documentation inégale
des programmes de ces réunions en 1931, puis de 1935 à 1939. Des rapports inté-
ressants du fonctionnement de quelques postes sont produits pour l’année 1936.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

par le commandant Schlesser, chef de la SCR, sur l’Abwehr et le contre-


espionnage français. Puis il examine successivement le recrutement, les
facilités de pénétration et de circulation des agents français en Alle-
magne. Le capitaine Perruche présente ensuite un exposé sur le réseau
d’alerte et les transmissions, descendant jusqu’à la mobilisation des postes
avec le capitaine Lesage et le commandant Jouteaud. Les observations et
les propositions des postes sont exposées. L’après-midi du 19 janvier est
consacré à l’analyse des officiers du 2e bureau de l’EMA sur la situation
en Italie, en Espagne et en URSS. L’état des connaissances et des objectifs
est dressé. Les questions de logistique sont examinées avec le comman-
dant Ferrand. La troisième journée prévoit des exposés sur l’étude des
moyens techniques par les capitaines Perruche, Brochu et le comman-
dant Bergeat. Suit un exposé des officiers de la section d’outre-mer sur la
situation dans le bassin méditerranéen. Les problèmes musulmans, l’infil-
tration et la propagande allemande, italienne, russe avec leurs répercus-
sions possibles sont évalués. Les questions individuelles et de détail sont
réservées à la dernière demi-journée avant l’exposé des conclusions et des
directives générales par le chef de service pour 1937 68.
Cette réunion annuelle propose une étonnante évaluation de l’acti-
vité des services à l’orée de l’année 1937. Les méthodes de recherche sont
jugées globalement satisfaisantes, mais prennent en compte les sugges-
tions des postes en douze rubriques. Cinq conclusions générales s’en
dégagent. En premier lieu, les relations entre les postes et le service cen-
tral ne donnent pas lieu à des observations importantes. Les postes inter-
viennent désormais directement avec les autorités locales, policières,
militaires et diplomatiques, en France et à l’étranger. Les différends ne
manquent pas de surgir avec la centrale. Les questions techniques sont
traitées par les sections compétentes sauf lorsque le sujet abordé en
concerne plusieurs, auquel cas le chef de service ou son adjoint coor-
donne les avis et décide. Par ailleurs, les postes regrettent les trop rares
liaisons de Paris avec eux, en raison des communications impossibles
entre les postes et les services étrangers, par cloisonnement et sécurité.
L’inconvénient éclate si la centralisation est un frein à la coordination.
De fait, les missions de la centrale dans les postes sont accélérées au début
de 1937. La remarque rappelle incidemment l’absence de liaisons

68. SHD/DAT 7NN 2 502, programme de la réunion des chefs de poste à la


centrale SR-SCR à Paris les 18-20 janvier 1937.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

techniques sécurisées encore en 1937. À Prague, le commandant Gouyou


regrette régulièrement que ces liaisons ne soient pas plus fréquentes. En
outre, les chefs de poste souhaitent un retour d’évaluation plus systéma-
tique de la valeur des renseignements adressés, n’existant que pour les
plus importants ou les plus médiocres. Sans retour des exploitations de
renseignement de Paris, la carence de l’analyse des informations envoyées
gêne la réorientation de la recherche des informations par les postes à
l’étranger. La taille critique des services est parfois en jeu. Le problème
est aussi celui d’une coupure entre la collecte de l’information et l’ana-
lyse qui en est faite par la section des armées étrangères du 2e bureau de
l’EMA dans ses bulletins. En second lieu, les postes distinguent les rela-
tions avec les autorités militaires en territoire national, généralement
bonnes, de celles avec les autorités étrangères de qualité plus variable.
Ainsi les échanges sont-ils estimés intéressants avec les Baltes et les rap-
ports bons, mais sans résultats matériels, avec la Finlande par le poste de
Riga. En Hollande, les rapports estimés satisfaisants sont en voie de se
resserrer pour des résultats encore décevants en matière d’espionnage,
mais plus efficaces en matière de contre-espionnage avec les autorités hol-
landaises. À Belgrade, les rapports sont basés sur des relations person-
nelles entre les agents, avec une certaine méfiance. À Istanbul, la
méfiance est jugée quasi malveillante. Par ailleurs, le chapitre des rela-
tions avec les autorités civiles reprend des points pouvant être étendus à
l’entre-deux-guerres. La collaboration avec le ministère de l’Intérieur en
matière de contre-espionnage est estimée bonne à l’échelon local par les
postes de renseignement. Ce niveau administratif est jugé efficace selon
la centrale. Trop souvent, la collaboration avec le ministère des Affaires
étrangères apparaît défectueuse. La centrale répond aux chefs de poste
que les démarches faites depuis longtemps n’ont pas modifié la nature de
la coopération espérée. Par ailleurs, le remplacement du personnel subal-
terne des consulats, souvent autochtone, ne garantit pas toute la sécurité
possible du point de vue des postes. La centrale le reconnaît sans pouvoir
y répondre. En outre, les liaisons latérales entre les postes sont assurées
par des échanges d’informations et de rapports avec la centrale afin de ne
pas disperser les moyens de recherche humains. Cela implique une défi-
nition précise des secteurs d’activités, pouvant connaître une extension
temporaire afin de suivre le développement de certains dossiers. Ce fut
le cas du BREM qui coiffa des enquêtes concernant des agents allemands
jusqu’à Paris en 1937, débordant de son secteur géographique imparti.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

À l’étranger, des antennes peuvent être mises en place temporairement,


à l’instar de celle de Suède pour le poste de Lille en 1937. Mais l’impossi-
bilité de recruter et les difficultés à trouver des candidats freinent ces évo-
lutions. L’appréciation des postes et de la centrale diverge sur le nombre
d’agents qu’il faut baisser selon Rivet, maintenir stable selon les chefs de
poste. Enfin, des questions pratiques sur les moyens radio, photo, de
déplacement et sur les locaux sont ensuite abordées. Il n’y a pas de recru-
tement nouveau de personnel.
Sans surprise, le programme de ces réunions, désormais régulières, est
stéréotypé d’une année sur l’autre. Des études ponctuelles sont mises au
programme. Ainsi le programme de travail de la réunion de janvier 1939
inscrit-il l’étude des trois crises de 1938 en analysant les réponses au
niveau du 2e bureau de l’EMA, de la centrale et des postes de renseigne-
ment 69. Le chef des services spéciaux renoue avec l’exercice du bilan et
de l’orientation des recherches fin janvier 1938. Le résumé bref qui en
est donné ne retient que les questions que les chefs de poste présents ont
posées à la centrale. Celle-ci estime l’année 1937 « bonne au point de vue
des résultats de recherche de renseignements et très bonne au point de
vue des résultats du contre-espionnage ». La mobilisation des postes est
parachevée face à l’Allemagne et à l’Italie. De l’avis des postes, les obser-
vations faites en janvier 1937 ont été prises en compte. Ils souhaitent
néanmoins des liaisons toujours plus fréquentes entre eux et la centrale.
Les postes à l’étranger font un bilan mitigé de la coopération des auto-
rités militaires des États neutres avec eux, à l’exception du chef de poste
en Hollande qui note d’excellentes relations 70. La réunion annuelle sui-
vante se déroule à Paris du 11 au 13 janvier 1939. Douze chefs de poste
sont présents, à savoir Charles, Dorange, Désert, Dethon, Devisse,
Delambre ainsi que ceux de Lille, Metz, Belfort, Marseille, Alger et Dji-
bouti. La réunion a pour ordre du jour la présentation des enseignements
à tirer des trois crises de l’Anschluss, de l’alerte de mai puis de la crise de
septembre 1938 en Tchécoslovaquie. Les orientations générales du travail
pour l’année 1939 sont enfin présentées 71. La mobilisation du service,

69. SHD/DAT 7NN 2 463, réunion des chefs de poste des 11-13 janvier 1939 à
Paris.
70. SHD/DAT 7NN 2 463, rapport SR-SCR de la réunion de fin janvier 1938
sur le travail de l’année 1937.
71. Cf. chapitre 11.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

l’équipement technique et les liaisons des postes, leur organisation et le


recrutement du personnel en découlent.

L’exemple du service des communications militaires à Belfort


entre 1919 et 1939
Dans la vie d’un poste, la gestion des personnels, en temps de paix
et en cas de mobilisation, requiert une administration permanente des
moyens, des effectifs, au travers des journaux de mobilisation des postes.
La première responsabilité du chef de poste est la mise à jour du journal
de mobilisation. Il y a une préparation théorique et pratique des dispo-
sitions à prendre en cas de tension politique : mesures de couverture et
de mobilisation à la déclaration de la guerre. Parmi ces procédures, la
préparation de l’affectation des personnels d’active et de réserve aux bons
postes nécessite une gestion stratégique du personnel. Cette exigence
éclaire mieux les dispositions prises entre la centrale et les postes, dans
une correspondance administrative lancinante, pour affecter les per-
sonnels requis. Or, le vivier des officiers volontaires et aptes au travail de
renseignement est étroit. Les récriminations du chef de la SR-SCR ou des
responsables de poste au 2e bureau de l’EMA sur les affectations encom-
brent les échanges épistolaires. Cette question facilite l’établissement du
tableau des officiers affectés dans les services spéciaux militaires, centrale
et postes compris 72. La Première Guerre mondiale a accru les moyens
humains. Sans compter les effectifs de Strasbourg non trouvés, on
compte environ 80 officiers, 65 interprètes, souvent réservistes, des sous-
officiers et des hommes de troupe pour un effectif total de 470 personnes
en 1928. Le groupe des spécialistes, officiers, sous-officiers et inter-
prètes, est donc environ compris entre 150 et 200 personnes dans les
postes aux frontières et à l’étranger. Cette proportion ne se modifie pas
en 1935. L’exemple du poste de Belfort, baptisé en 1925 « bureau », puis
« service des communications militaires » afin de masquer ses activités à
la presse et à l’opinion publique, est des plus révélateurs.
Dans une conférence qu’il donna aux officiers du service à Paris le
24 octobre 1925, le lieutenant-colonel Andlauer est revenu sur l’histoire

72. Cf. annexe 3 Les effectifs des postes de renseignement sur le territoire
national et dans les colonies en 1928 et en 1935.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

du poste de Belfort de 1913 à 1920 73. Non dénué d’autosatisfaction et


d’une défiance à l’encontre des policiers héritée de relations concur-
rentes avant guerre, son récit démontre la mutation administrative et
professionnelle du métier à la faveur de la Première Guerre mondiale. Le
capitaine Andlauer devient le chef du poste en juin 1913 pour le rester
jusqu’en mars 1920 74. Ce petit service orienté vers la Suisse, à travers elle
vers l’Allemagne, ne comptait en 1913 que trois personnes. Le
11 novembre 1918, ils sont une dizaine à Belfort et une quinzaine à
Réchésy, ainsi que les agents recrutés en Suisse. Les dépenses mensuelles
ont crû de 15 000 F en 1914, 26 500 en 1915, 35 500 en 1916-1917 à
65 000F en 1918. Ce centre se signale à l’attention de Millerand en
1914, puis de Clemenceau en 1917. Son réseau d’agents en Suisse et le
dépouillement de la presse suisse et allemande lui valent des succès tac-
tiques renouvelés. Une note de synthèse, qui révélait l’annexion du bassin
de Briey et de Longwy demandée par les grandes associations métallur-
giques allemandes au gouvernement allemand en 1917, fut très appréciée
en haut lieu, jusqu’au sein du gouvernement.
En janvier 1919, le poste de Belfort voit se dissoudre l’équipe réunie
autour du docteur Bucher à Réchésy depuis la fin de l’année 1914 75. Ce
centre de Réchésy a été spécialisé par Andlauer sur la Suisse et l’Alle-
magne aux fins d’exploiter un « renseignement économique et politique
aussi important dans la guerre moderne que le renseignement mili-
taire 76 ». Il compte en 1919 dix membres et quatre secrétaires. Parmi
eux, André Hallays, homme de lettres à qui l’on doit une étude sur l’opi-
nion publique pendant la guerre parue en 1918 77, Paul Acker, Jean
Schlumberger, Pierre Hepp. À l’image de son adjoint le capitaine de
réserve Braun, lorrain, agrégé d’histoire, de jeunes normaliens, passés par
l’agrégation de grammaire ou d’histoire, y travaillent de concert à

73. SHD/DAT 7N 2 501, conférence du colonel Andlauer sur le poste de Bel-


fort d’avril 1913 à mars 1920 aux officiers du SR, octobre 1925, 72 p.
74. SHD/DAT 1K 173, fonds privé Andlauer, pièces personnelles sur son affec-
tation à Belfort en avril 1913.
75. Gisèle Loth, Un rêve de France. Pierre Bucher, une passion française au cœur de
l’Alsace allemande, Strasbourg, Éditions de l’Est, 2000, p. 179-272.
76. SHD/DAT 7N 2 501, conférence d’Andlauer, op. cit., p. 46.
77. André Halley, L’Opinion publique pendant la guerre, Paris, Perrin, juillet
1918.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

dépouiller les journaux nationaux et provinciaux, les revues techniques 78.


L’enjeu est de suivre les évolutions de la situation économique et sociale
en Allemagne, au travers de la vie quotidienne, pour traquer les effets du
blocus sur la population civile et l’évolution de l’opinion publique alle-
mande. Les appels à la population, les informations fausses, les statis-
tiques truquées de la production agricole ou industrielle sont analysés. En
janvier 1915 avait paru l’édition d’un premier bulletin de renseignement,
édité jusqu’en janvier 1919 79. Ce bulletin fut continuellement envoyé au
GQG pour exploitation. Le centre de Réchésy était devenu indispen-
sable au point que Clemenceau a désigné Bucher aux côtés de l’ambassa-
deur Dutasta à Berne en avril 1918. Les renseignements obtenus à Berne
font l’objet d’un bulletin de renseignement spécifique et périodique 80.
En novembre 1918, les antennes du poste de Belfort en Suisse sont ainsi
camouflées par Andlauer et Bucher à Bâle et à Zurich. Industriel avant
guerre, un officier de réserve de Belfort a la couverture d’attaché
commercial à Bâle en 1918-1919. En 1919, la liaison est garantie par la
valise diplomatique. Elle le reste jusqu’au printemps 1925. Durant la
guerre et dans l’immédiat après-guerre, Andlauer refuse toutefois d’uti-
liser le chiffre diplomatique. Il sait d’expérience que les télégrammes
chiffrés diplomatiques sont interceptés et déchiffrés. N’a-t-il pas lui-
même obtenu et fait déchiffrer tous ceux que l’ambassade d’Allemagne à
Berne câble à Berlin pendant la guerre ? Précisément, cet enjeu de la
sécurité des liaisons téléphoniques et télégraphiques est permanent après
1919. Belfort et les postes s’en tiennent ainsi à des liaisons télégra-
phiques, en évitant d’utiliser le chiffre diplomatique qu’ils savent réguliè-
rement percé par les adversaires. La fin de la guerre marque une déflation
des moyens et une démobilisation des combattants affectés à Belfort.
Par ailleurs, Belfort perd en 1919 son réseau d’antennes établies pen-
dant la guerre. Seuls les postes camouflés de Suisse sont conservés. Le
centre de Réchésy, le contrôle postal, les postes frontières du Jura dispa-
raissent. Fin 1919, une antenne est ouverte à Strasbourg pour suivre les

78. Mickaël Bourlet, « Des normaliens dans les services de renseignement du


ministère de la Guerre (1914-1918) », in RHA 247, 2/2007, p. 32-33.
79. SHD/DAT 16N 1 228-1270 sur le bulletin de renseignement adressés par
le SR de Belfort au SRA, et 23N 78-113 pour analyser les bulletins de presse.
80. SHD/DAT 16N 1310-1311, bulletins de renseignement de Berne,
1917-1919 et 16N 1 312-1 313, Bulletins de renseignement d’Alsace, 1917-1919.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

consulats de Bâle et Zurich jusqu’en 1925. Les agents recrutés par Belfort
ont été, par prédilection, des Alsaciens, avant comme après 1914-1918.
Cette donnée perdure imparfaitement après 1919. Aussi faut-il réorienter
le recrutement en 1919 vers des Allemands de nationalité, nombreux en
raison de la démobilisation rapide de l’armée allemande et des condi-
tions économiques de vie dégradées en Allemagne. Andlauer quitte le
commandement du poste de renseignements de Belfort en mars 1920.
Le service de Belfort compte une vingtaine d’officiers affectés en 1928
comme en 1935. En 1925, l’adjonction des deux annexes de Besançon
et de Mulhouse justifie cet accroissement du nombre d’officiers affectés.
Besançon recherche tous les types de renseignements sur l’Allemagne, sur
la Suisse ensuite et accessoirement sur l’Italie. Installé en temps de paix
dans la caserne du Vieux-Séminaire à Besançon, cette annexe rassemble
quatre agents autour de son responsable, le capitaine Doucet en 1925 81.
Ce dernier est en relation avec les commissaires spéciaux de la Sûreté
générale de Delle, Pontarlier, Morteau, Montbéliard, Besançon, Saint-
Claude, Gex. En temps de guerre, il est prévu que Besançon se trans-
forme en annexe du bureau de Strasbourg, installé à Berne pour
renseigner sur l’Allemagne depuis la Suisse jusqu’à Delle au nord et
Genève au sud. Les crédits de fonctionnement s’élèvent à 20 000 F men-
suels. Un compte rendu de renseignements non périodique est adressé à
Paris, à Chambéry et à Mayence.
En novembre 1926, le poste de Belfort a son effectif complet et une
mission définie après les réorientations de Lainey. Doté en 1927 d’une
partie des missions du poste de Strasbourg qui devient une antenne, il
dispose de moyens de communication TSF, mais aussi des pigeons
entraînés sur les directions Strasbourg-Forbach-Ludwigshafen et Mul-
house-Saint-Louis-Pontarlier, « agents volatiles » opérationnels au début
de 1927. Sa zone géographique d’action se dessine en liaison avec celles
attribuées à Mayence jusqu’en 1930, puis à Metz à partir de 1930 et à
Lille à compter de juin 1933. Elle comprend alors la Suisse, la ligne du
Rhin, l’Autriche et l’Allemagne. Ses annexes sont toujours Forbach,
Besançon couvrant Berne, Mulhouse suivant désormais les consulats de
Bâle, Zurich et Saint-Louis. Affecté en avril 1928 au poste de Belfort, le

81. SHD/DAT 7N 2 485, note sur le rôle et l’organisation du SR de Besançon,


4 septembre 1925. Personnels : un sous-officier, un secrétaire-dactylographe, un
planton, un chauffeur.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

commandant Louis Rivet en prend la direction de 1929 jusqu’en octobre


1930, en y révélant ses qualités d’organisateur 82. Il s’attèle à préparer la
mobilisation du poste en rédigeant un journal de mobilisation qu’il
achève au printemps 1930 83. Son travail d’organisation du poste de Bel-
fort est salué par ses chefs. En novembre 1930 lui succède le comman-
dant Schütz, qui anime le poste de Belfort jusqu’à son décès pour
maladie le 12 août 1936 84. Le poste traverse les soubresauts de l’affaire
Frogé, intendant militaire soupçonné d’avoir dérobé les plans de la place
forte de Belfort pour les livrer à l’Allemagne, avant d’être réhabilité par
un procès à la fin des années 1930. À la disparition de Schütz, le
commandant Lombard est nommé chef du SCM par Rivet le 18 août
1936, et prend ses fonctions le 1er octobre 1936. En 1937, le comman-
dant Lombard rappela que déjà : « L’atmosphère de guerre retient la
population qui craint une répression désormais féroce » 85.
De fait, pour Belfort, le bilan de l’année 1936 est médiocre. Certes,
la crise du 7 mars a été annoncée par deux agents et suivie de près par
le poste. Mais la décision française de ne rien faire contre l’Allemagne,
condamnée à l’impuissance par les réticences de son allié anglais, marque
pour Paris une défaite diplomatique et politique incalculable 86. Pour-
tant, les relevés des fortifications et des constructions allemandes en cours
ont été suivis par des agents en nombre croissant. La surveillance des
usines métallurgiques et chimiques, en particulier de la firme allemande
Rheinmetall à Soleure et de la Zahnradfabrik à Fridrichschafen, a été effi-
cace. Grâce à des reconnaissances aéronautiques, des photographies
aériennes ont été prises en Allemagne dans les régions de Munich, Salz-
bourg, Donauschingen, Villingen et au-dessus du lac de Constance.
Intercepté par les Suisses en octobre 1936, l’équipage qui opérait dans ces
missions de reconnaissance aérienne est remplacé en 1937. Les clauses du
traité germano-autrichien ont été percées à jour par l’agent du Terrier,
permettant de suivre la politique autrichienne. En Suisse, l’activité des

82. SHD/DAT 13 Yd 1 345, dossier d’états de service du colonel Louis Rivet.


83. SHD/DAT 7N 2 485, note nº 7/7 du capitaine Rivet, chef du SCM, au chef
de la SR/EMA2, 7 janvier 1929.
84. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 1, 12 août
1936.
85. SHD/DAT 7NN, réunion des chefs de poste de janvier 1937 à Paris.
86. Jean-Baptiste Duroselle, La Décadence 1932-1939. Politique étrangère de la
France, Paris, Imprimerie nationale, 1979, p. 153-179.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

agents Su 140 et Su 141 est efficace. Toutefois, si l’activité de recrute-


ment s’est maintenue, aucun agent d’envergure n’a été recruté en 1936,
en dépit du concours de la Sûreté générale. C’est une des conséquences
de la fermeture des frontières allemandes et de l’agressivité du contre-
espionnage nazi après le 7 mars 1936. Le renforcement de contre-espion-
nage est prévu au poste avec l’affectation du capitaine Hugon. Le
recrutement d’agents doubles est renforcé en 1936, permettant des arres-
tations de provocateurs et d’agents, à l’instar de Klein en Suisse. Le défi
d’une meilleure coordination avec les commissaires spéciaux de la Sûreté
nationale est toujours d’actualité. Les conditions du recrutement promet-
tent d’être désormais plus difficiles. Les déplacements étrangers depuis et
en Allemagne sont moins fréquents ; les candidats légionnaires sont
moins nombreux. Par ailleurs, les partis politiques allemands SPD et
KPD sont neutralisés et les réfugiés sont peu utilisables car suspectés
d’être contrôlés par les nazis. En outre, les arrestations d’agents ont pour
conséquence indirecte le coût élevé de prise en charge de leurs familles
en France. Enfin, l’arrestation en Suisse des agents Lebet et Tissot a attiré
l’attention de la Suisse, désormais plus répressive depuis l’entrée en
vigueur de sa nouvelle législation contre l’espionnage en avril 1935. Les
obstacles sur la frontière se sont multipliés en 1936 avec la fermeture des
frontières allemandes, beaucoup plus contrôlées, avec des restrictions aux
circulations de devises. En Allemagne, la censure postale et de la presse
règne.
La conclusion du commandant Lombard est que le « poste doit donc
de plus en plus gagner sur son aile et travailler par la Suisse, la Tchécos-
lovaquie et l’Autriche, impliquant des déplacements onéreux et des pertes
de temps 87 ». Seules de nouvelles garnisons et l’installation des états-
majors allemands à Landau, à Karlsruhe, à Fribourg créent des possibi-
lités de contact inédites grâce aux déserteurs. Le poste a donc conservé ses
agents, mais en a perdu quatre qui ont été arrêtés. Des officiers supplé-
mentaires sont demandés. Un accroissement des crédits mensuels est sol-
licité, à hauteur de 115 000 F. La raison est triple. Les missions doivent
se faire par l’étranger, par suite de la fermeture de l’Allemagne. L’achat
de devises étrangères grève le budget, d’autant qu’elles sont plus chères
en raison de la dévaluation du franc. Enfin, les agents sont plus exigeants

87. SHD/DAT 7N 2 502, rapport secret du commandant Lombard, chef du


SCM à Belfort à SR-SCR/EMA2 section E, 13 janvier 1937, p. 7-8.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

devant les risques encourus. Il faut augmenter leur rétribution. La réno-


vation des locaux, encore frappés des éclats d’obus de 1914-1918, et
quelques besoins matériels sont souhaités par le chef de poste in fine.
L’accent doit être mis en 1937 sur la coopération renforcée de la Sûreté
nationale, de la recherche du renseignement frontalier et des missions à
l’extérieur des officiers du poste 88. Le plus important des postes français
aux frontières a donc de réelles difficultés d’adaptation à une situation
stratégique changeante et défavorable en 1936.
En 1937-1938, Belfort intensifie son action face aux menées nazies.
Il redouble d’activité dans le maniement de ses agents doubles en
1938-1939, dans l’esprit d’un contre-espionnage contre-offensif. Il
compte alors une dizaine d’agents doubles. Le parcours de l’agent B 11/2
est symptomatique. Andrée Bigewald est née le 28 juillet 1911 à Hanoï.
Installée en Suisse, elle est contactée en 1937 ou 1938 par un agent alle-
mand, Henri de Champcourt, afin de rechercher du renseignement aéro-
nautique militaire à Nancy. Animée de sentiments patriotiques, elle en
informe son entourage familial. L’un de ses proches, connaissant des offi-
ciers du poste de Belfort, les alerte. Elle accepte bientôt d’être recrutée et
devient agent double. Son dossier donne toutefois peu d’éléments sur la
valeur des informations obtenues 89.
La seconde activité de contre-espionnage s’établit dans la coopéra-
tion avec les commissaires spéciaux des départements couverts par Bel-
fort, notamment le Bas-Rhin et le Haut-Rhin. La collaboration de la
trentaine de fonctionnaires de la Sûreté nationale est variable. Souvent
exemplaire, elle peut être médiocre à l’image des relations avec l’équipe
des sept commissaires spéciaux de Strasbourg. La Sûreté nationale a tra-
vaillé indépendamment du SCM jusqu’en 1937. À partir de 1937, Bel-
fort donne des instructions précises pour recruter des agents et pour
enrayer les menées des agents allemands. Le commandant Lombard note
l’évolution positive des relations de travail de deux mondes professionnels
s’ignorant encore largement en 1938.
« Il est certain qu’à trop bref délai ces fonctionnaires de la Sûreté nationale
s’habitueront à opérer à notre contact, se rendant compte que nous ne leur
enlevons aucun avantage (témoignage de satisfaction, primes en argent,

88. SHD/DAT 7NN 2 505, rapport du commandant Lombard, op. cit., 13 p.


89. SHD/DAT 7NN 2 175, dossier 2 103 de l’agent Andrée Bigewald,
1937-1939.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

procédures établies à leur nom…) et qu’au contraire, nous les aiderons avec le
plus grand désintéressement, travaillerons dans une liaison sans cesse plus
franche, sans cesse plus étroite. Bien des préventions qu’ont ces fonctionnaires à
l’endroit de l’armée et du SR tomberont, j’en suis sûr, et les nouveaux venus (qui
semblent infiniment supérieurs en culture et mentalité au vieux commissaire spé-
cial datant d’avant guerre) se rapprocheront de nous, en cordiale confiance pour
le meilleur bien du contre-espionnage 90. »
L’enquête démontre le concours déterminant des policiers aux
enquêtes sur les agents ennemis. Dix-huit commissaires spéciaux ont été
gratifiés de primes en 1937. Les indications sur la nature de la coopéra-
tion peuvent fluctuer. Ainsi les arrestations opérées en 1937 en liaison
avec le commissaire spécial Sabaterie à Saint-Louis ne le font pas appré-
cier pour autant. D’importants agents allemands ont été arrêtés : Kno-
chel le 20 mai, Auer le 21 mai, Knapp le 9 juin, Richter et Jaudas le
18 août, Bacelard, Dengler, Gies, Wisslé, Freyburger et Bornèque le
20 novembre 1937. En dépit de ces résultats, le capitaine Lombard
estime que le commissaire spécial Sabaterie « a des rapports extérieure-
ment corrects. Protestation constante de bonne volonté… Mais au fond
ce commissaire spécial n’aime pas le SCM. Sans grande intelligence, petit
esprit, envieux, n’a aucune envergure, manque de franchise 91. » Le juge-
ment de valeur est sévère. Il rappelle les préventions qui opposent entre
eux les fonctionnaires policiers et militaires.

À l’écoute de l’autre : le renseignement technique a-t-il compté ?

Un déclin des écoutes et des transmissions en France


Si les écoutes sont une infraction à l’État de droit, leurs représenta-
tions dans l’imaginaire républicain devancent pourtant la réalité des
écoutes et des déchiffrements : leurs impuissances sont plus probantes
que leurs résultats, relatifs et tardifs. S’il y a une histoire technique des
décryptements, il y a bien une histoire politique des écoutes. Celles-ci

90. SHD/DAT 7NN 2 366, note nº 306/CE du capitaine Lombard, chef du


SCM à Belfort, au questionnaire du 2e bureau sur la coopération avec les commis-
saires spéciaux de la Sûreté nationale, 28 avril 1938.
91. SHD/DAT 7NN 2 366, note d’indication des services rendus par les
commissaires spéciaux à la Défense nationale par le capitaine Lombard, chef du
SCM, du 28 avril 1938 à SCR/EMA2.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

font souvent l’impasse sur la compréhension des nouvelles technologies,


des fabrications industrielles et d’armement, des rivalités internationales
dans le domaine des radiocommunications 92. L’évolution de la section
du chiffre du 2e bureau de l’EMA est relativement connue 93. Le constat
des historiens a, par ailleurs, été sévère sur le démantèlement des moyens
de la section du chiffre du 2e bureau de l’EMA après 1919. La section
du chiffre du Quai d’Orsay en a accueilli certains 94. Toutefois, elle ne
compte plus qu’une douzaine de personnes dans les années 1920, man-
quant cruellement de cryptographes et de cryptanalystes. La faiblesse de
ses moyens humains est alors patente 95.
En outre, l’absence de sûreté des codes a constitué un défi perma-
nent pour le chef de la section du chiffre. Dès l’été 1921, des doutes s’élè-
vent sur la sécurité de certains codes chiffrés utilisés par l’état-major de
l’armée. Un informateur, licencié par les services spéciaux en 1918,
allégua le vol du dictionnaire chiffré « 77 777 » par les Soviétiques 96.

92. Léonard Laborie, La France, l’Europe et l’ordre international des communica-


tions (1865-1959), thèse de doctorat en histoire, sous la direction de Pascal Griset,
Université de Paris-Sorbonne, 2006, 3 vol.
93. David Kahn, The Codebreakers. The comprehensive History of Secret Commu-
nication from Ancient Times to the Internet, New York, Scribner, 1996, édition
complétée (1re éd. 1967), 1181 p. David Kahn, La Guerre des codes secrets. Des hiéro-
glyphes à l’ordinateur, Paris, Interéditions, 1980, 405 p., notamment p. 117-145 sur
la Première Guerre mondiale. Alexandre Ollier, La Cryptographie militaire avant la
guerre de 1914, Panazol, Lavauzelle, 2002, 223 p.
94. Christopher Andrew, « Déchiffrement et diplomatie : le cabinet noir du
Quai d’Orsay sous la Troisième République », in Relations internationales, nº 5,
1976, p. 37-64 et « Codebreakers and Foreign Offices : The French, British and
American Experience », in C. Andrew and David Dilks (eds.), The Missing Dimen-
sion : Governements and Intelligence Communities in the Twentieth Century, London,
Macmillan, 1984.
95. SHD/DAT 7N 2 626, état nominatif des officiers de la section du chiffre :
lieutenant-colonel Givierge, commandant Paulier et Bassières, capitaines Borsard, de
France de Tersant, Joubert des Guches, Fourneuf, Dussier de la Brunetière, Eyrand,
Gleyzes, Chabrier, Léger de Chauvigny, Hoffmann.
96. Les procédés cryptographiques se réfèrent alors au système littéral ou numé-
rique ou bien au système à codes et dictionnaires. Le premier consiste à travailler sur
les lettres du texte considérées une à une pour les remplacer par d’autres lettres ou
chiffres ou bien pour les mélanger en en modifiant l’ordre. Dans le système à dic-
tionnaire, on remplace les mots du texte clair, des membres de phrases et de mots,
syllabes ou lettres, par des groupes de lettres ou de nombres. Les dictionnaires en

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

L’enquête ne démontre ni n’infirme le fait, mais la suspicion était jetée


sur la sécurité des codes français utilisés en 1921 97. Il n’en demeure pas
moins que les moyens humains et techniques de la section du chiffre
chutent, traduisant un désintérêt dans l’armée française pour la sécurité
des transmissions. Certains signes confirment cette évolution rapide au
sortir de la Première Guerre mondiale. Après 1919, la fin des cours de
cryptographie à l’École supérieure de guerre laisse les officiers supérieurs
français sans compétence en matière de chiffrage. Les déficiences des
transmissions sont également chroniques. En 1926, le colonel Givierge
qui vient de quitter la section du chiffre ne craint pas de dénoncer
l’absence d’instruction au chiffrement dans les armées françaises 98.
L’emploi des procédés de chiffrement dans le corps des officiers et dans
les petites unités est défaillant en 1922-1923. Déjà, les manœuvres de
1925 mettent en évidence des carences criantes 99. L’emploi du carnet de
chiffre n’est pas maîtrisé par les officiers du corps de troupe. Tout aussi
délicate est la prise en compte du renseignement technique, largement
sous-estimé aux plus hauts échelons politiques. La valeur des informa-
tions interceptées renvoie au traditionnel défi posé à l’exploitation du
renseignement technique autre que militaire et aux limites de son utilisa-
tion. Celle-ci ne se mesure pas à l’aune de révélations fracassantes ou du
silence des ondes. Les informations d’origine technique, recoupées avec
celles obtenues par des sources humaines, concourent à l’élaboration du
renseignement général. À cette exigence près, le renseignement tech-
nique suscite un intérêt relatif, mais réel, des cercles de décision dans la
Défense nationale dans les années 1930. Les années 1936-1939 mar-
quent néanmoins un progrès dans un recours plus systématique aux res-
sources des écoutes techniques.

groupe de lettres ou de chiffres sont indifféremment utilisés après guerre. Les dic-
tionnaires sont utilisés en état-major par des officiers spécialistes.
97. SHD/DAT 7N 2 626, lettre du général Nollet, président de la commission
militaire interalliée de contrôle à Berlin au ministre de la Guerre du 20 août 1921,
au sujet du dictionnaire chiffré « 77 777 » qui serait tombé aux mains des Sovié-
tiques.
98. Givierge (colonel), Conférence sur le chiffre, Paris, cycle d’information des
officiers généraux et colonels, 1926, confidentiel, 24 p.
99. Ibidem, p. 4-5.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

Le renseignement d’origine technique est-il fiable ?


Précisément, les souvenirs du colonel Givierge comme ceux du
général Bertrand n’éclairent pas toujours l’historien sur les apports
effectifs du renseignement technique à la décision stratégique ou poli-
tique. Le premier préside à l’évolution de la section du chiffre jusqu’en
1925, tout en continuant à donner des consultations aux services dans
les années 1930. Le second est à la tête de la section du chiffre de 1935
à 1940. Né en 1896, Gustave Bertrand est engagé volontaire au début
d’août 1914, achevant la guerre comme lieutenant. Il est alors envoyé à
la section du chiffre de l’état-major de l’armée d’Orient au printemps
1919, puis à l’ambassade de France à Constantinople en 1920. Il
embrasse la carrière des armes, pour se spécialiser dans les communica-
tions. Il ne quitte plus la section du chiffre de l’EMA de mars 1929 à la
fin de guerre en 1946 100.
En 1922 déjà, les enjeux des moyens d’écoute militaires portent sur
l’établissement d’un service d’écoute radiotélégraphique et de mesures
radiogoniométriques. La solution passe par un renforcement des moyens
en postes radiogoniométiques et d’écoutes dans chaque armée, puis par la
construction de postes radiogoniométriques fixes. Ceux-ci sont en cours
à Metz, Mulhouse et Mutzig en France, à Mayence, Coblentz et Duran
dans les territoires occupés. La centralisation est prévue à Metz pour une
transmission à la section du chiffre du 2e bureau en cas de tension poli-
tique 101. L’hypothèse de postes militaires camouflés civilement est
écartée, dans une conception traditionnelle de la conduite de la guerre
refusant la ruse. Pourtant, en décembre 1925, les crédits ne sont tou-
jours pas votés et la construction de stations d’écoute encore repoussée
aux années 1926 et 1927 102. Toutefois, les problèmes techniques des
transmissions et des écoutes cèdent le pas à des considérations plus

100. SHD/DAT 755/G état de services du général Gustave Bertrand


(1896-1976).
101. SHD/DAT 7N 2 498, instruction interministérielle sur le contrôle des
transmissions radioélectriques en temps de guerre, de crise et de mobilisation,
29 juillet 1925. Le décret du 29 juillet 1925 organise le fonctionnement de TSF,
promettant au temps de guerre une coordination interministérielle suspendue en
temps de paix.
102. SHD/DAT 7N 2 498, note de SR-SCR/EMA2 à EMA3 du 9 janvier 1926
au sujet de l’organisation de la TSF.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

psychologiques : l’indifférence subsiste en général dans la hiérarchie mili-


taire à la nécessité d’une transmission des procès-verbaux d’écoute la plus
rapide possible aux services de décryptement des quartiers généraux
d’armée et surtout du GQG. En 1922, Givierge suggère inlassablement
l’intérêt d’une liaison par fil avec le GQG ou la transmission des télé-
grammes interceptés par des motocyclistes pour en assurer à la fois la
sécurité et l’exploitation. Si sa première proposition fut repoussée par le
2e bureau de l’EMA, la création d’un effectif de six motocyclistes par
armée, nombre cependant notoirement insuffisant, est retenue. Le rai-
sonnement de Givierge est tout entier tendu vers l’exploitation straté-
gique des interceptions, dans un temps opérationnel qui dégrade en
quelques heures ou quelques minutes l’information potentielle. Plus
grave sans doute, l’écoute des postes privés et de ceux clandestins relevant
de l’autorité du ministère des PTT est écartée en 1922. Ce choix pou-
vait être lourd de conséquences à l’avenir. En 1930, le colonel Laurent,
chef de la SR-SCR revient sur la nécessité de centraliser les messages
chiffrés de toute origine pour décryptement au 2e bureau 103. Les
échanges de textes chiffrés avec les pays étrangers alliés y sont prévus.
Mais la mesure n’a pas de caractère interministériel, en réduisant par
avance singulièrement la portée. Encore en 1932, le colonel Lainey
constate les carences de la section du chiffre.
« Le [service de] contrôle des transmissions radioélectriques existe à l’état
embryonnaire, en temps de paix, à la direction de la Sûreté générale ; il est indis-
pensable que l’état-major de l’armée soit apte à faire exécuter et à diriger ce
contrôle dès le premier jour de la mobilisation au plus tard. À ce point de vue
presque tout est à faire 104. »
En 1935, la liaison entre les ministères de l’Air, de la Marine et de la
Guerre en matière d’écoutes n’est toujours pas établie pour une exploita-
tion commune 105. Incidemment, l’invitation à créer une direction inter-
ministérielle du service cryptographique, comprenant des représentants
des ministères intéressés à la Défense nationale avec un délégué de la

103. SHD/DAT 7N 2 498, note pour le 2e bureau SR et la section du chiffre du


colonel Laurent et du commandant Portzert, chef de la section du chiffre, visée par le
sous-chef d’état-major Guitry, 30 octobre 1930.
104. SHD/DAT 7N 2 485, rapport du colonel Lainey (ER), au sujet de la mobi-
lisation des services spéciaux en temps de guerre, 19 octobre 1932, p. 2.
105. SHD/DAT 7N 2 498, note nº 1905 de la SR-SCR/EMA2 au 3e bureau de
l’EMA du 28 octobre 1935 sur les écoutes et leur exploitation.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

présidence du Conseil, apparaît. Cette direction serait chargée de toutes


les questions cryptographiques d’intérêt général, avec la transmission de
tous les documents chiffrés interceptés quelle qu’en soit la provenance.
Elle serait en liaison avec les services d’exploitation des diverses adminis-
trations. Visionnaire en l’espèce, cette solution avait toutes les raisons de
ne pas être suivie. De manière originale, elle anticipe la création du Joint
Intelligence Committee que les Anglais créent en 1936 au profit de leur
Premier ministre. En France, la création du service des informations spé-
ciales prend place en 1939 106.
De manière explicite, l’écoute allemande des transmissions de l’armée
française pendant ses manœuvres a invité, durablement, à une prise de
conscience longtemps repoussée. Depuis 1920, les manœuvres comme les
exercices de cadres ont démontré les très nombreuses erreurs dans le chif-
frement et dans la transmission des radiotélégrammes par les unités
engagées 107. Or les manœuvres sont souvent l’image de la guerre. Pour
parer à cette faiblesse, la section du chiffre reçoit depuis 1922 des carnets
d’enregistrement des messages des unités ayant participé aux manœuvres
annuelles ; ceux-ci lui permettent d’apprécier la fiabilité des chiffrages des
télégrammes et la sécurité des communications radio. Cette préoccupa-
tion est constante dans les années 1930. À cet effet, les manœuvres des
armées françaises de 1932 et 1933 signalent les défaillances des commu-
nications entre les unités, largement interceptées par l’écoute des
manœuvres réalisée par la propre section française du chiffre qui y trouve
un terrain d’entraînement. Certes, l’écoute depuis Metz, à 150 km, des
manœuvres du 4 au 12 septembre 1932 expérimentant la motorisation
signale des progrès dans la sécurisation des communications. Sa conclu-
sion est sévère toutefois en mettant en évidence que « le nombre de
radiotélégrammes transmis en clair a été inférieur à celui de 1932. Les
postes d’écoute allemands ont pu recueillir de nombreux renseigne-
ments ». Par leurs stations fixes de Münster et de Stuttgart, les Alle-
mands y parviennent en 1933, toutefois plus difficilement qu’en 1932.
Mais le rapport de la section de renseignement sur le bilan des
manœuvres, encourageant sur les progrès accomplis pour les

106. Cf. infra.


107. SHD/DAT 7N 2 492, conférence du colonel Givierge du 1er mars 1922,
op. cit., p. 5.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

communications des moyens aériens surtout depuis 1932, est encore sans
appel en octobre 1933.
« Le nombre de messages interceptés et utilement exploités aurait été de
600 environ en 1932, dont 80 % en clair : il n’y en aurait eu que 350 environ
en 1933, dont 40 % seulement en clair. En 1933, les messages interceptés
auraient néanmoins suffi à expliquer à l’ennemi les différentes phases des opéra-
tions (à l’exception des petites opérations isolées) 108. »
Par ailleurs, les opérations de brouillage auraient gêné les communi-
cations françaises. Le bilan est si médiocre qu’il confirme l’idée que les
manœuvres françaises se font à livre ouvert pour les Allemands jusqu’en
1933 au moins. En 1934, les écoutes de l’armée allemande renforcent
leurs capacités aux frontières, à partir du centre directeur de Stuttgart
interceptant les communications des manœuvres à une distance comprise
entre 150 et 380 km. Le contre-espionnage français a pu se rendre
compte que les exploitations sont faites quotidiennement par les écoutes
allemandes. En 1934, les exercices de défense aérienne de Lyon des
25-27 juillet, puis les manœuvres de cavalerie de Soissons des 21-27 août
n’ont ainsi pas eu de secrets pour l’Allemagne 109. Les messages chiffrés et
surchiffrés avec le code de service TSF sont alors lus couramment par les
centres d’écoute allemands. Ceux-ci interceptent les trafics radio relatifs
aux manœuvres françaises.
Cependant, les imprudences et les erreurs de chiffrages des unités
françaises énoncées depuis les années 1920 reculent encore très notable-
ment jusqu’en 1939. Mais il faut alors compter sur les retards criants des
transmissions des nouveaux systèmes d’armes français depuis les années
1920, notamment dans les chars en 1939 110. Au total, les difficultés tech-
niques n’ont pas été toutes surmontées en 1939. Dans l’aide-mémoire
que le colonel Gauché, chef du 2e bureau de l’EMA, rédige à l’intention
des officiers du 2e bureau d’armée en juillet 1939, il insiste encore sur le
fait que la TSF doit rester exceptionnelle en raison de l’éveil qu’elle peut

108. SHD/DAT 7N 2 492, compte rendu très secret des résultats des écoutes des
manœuvres françaises par la section du chiffre du 2e bureau de l’EMA, 19 octobre
1933.
109. SHD/DAT 7N 2 498, note nº D1290 de la SR/EMA2 au sujet de l’écoute
par les Allemands des trafics radiotélégraphiques militaires français.
110. Pascal Griset, « Les industries d’armement : l’exemple des transmissions »,
in Christine Levisse-Touzé (dir.), La Campagne de 1940, Paris, Tallandier, 2001,
p. 334-340.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

donner à l’ennemi 111. Parmi les moyens d’écoute radiogoniométriques et


radioélectriques comme de transmission à l’échelon de l’armée, il y a
donc des points de faiblesse. Tout aussi grave se révèle l’absence de coor-
dination de l’exploitation des écoutes et des radiotélégrammes interceptés
entre les différents ministères. Constamment projetée pour le temps de
guerre, elle est systématiquement repoussée en temps de paix.

Les défis du renseignement technique sont-ils relevés dans les


années 1930 ?
Entre 1919 et 1939, les apports du renseignement de source humaine
l’emportent en France 112. L’expérience de la Première Guerre mondiale
et les spécialistes du chiffrement comme du décryptement ont, en partie,
été perdus. La sécurité des transmissions a certes constitué une préoccu-
pation permanente, à l’instar des efforts pour établir une transmission
inviolable en matière d’échanges de renseignements avec les États de la
Petite Entente en 1934-1936 113. C’est l’épreuve de la guerre en
1939-1940 qui relance les efforts en matière de chiffrage, surtout de
décryptement. L’histoire des moyens de cryptement allemands, connus
sous le nom d’Enigma, établit l’avance germanique en matière de
communication depuis la fin des années 1920. L’équipement allemand
en moyens de chiffrement redémarre en 1919, avec les moyens de la
Kriegsmarine en 1926, de la Reichswehr en 1928, de la Luftwaffe et de
l’Abwehr en 1935. Les informations tirées du décryptement des machines
Enigma prirent le nom d’« ultra » 114. Des deux exemplaires de machines
Enigma donnés par les Polonais en août 1939, l’une est à la section du
chiffre, l’autre est procurée aux Anglais. Les premiers décryptements

111. SHD/DAT 7N 2 596, aide-mémoire de l’officier de 2e bureau, noter l’orga-


nisation et le fonctionnement des écoutes à l’échelon armée, p. 1 et 4. L’ensemble
des radiogoniomètres (poste récepteur jumelé, moyen de charge des accumulateurs)
et des moyens de transmission (téléphone, télégraphe, motocyclistes, TSF) constitue
un centre d’écoute.
112. Gustave Bertrand, Enigma ou la plus grande énigme de la guerre 1939-1945,
Paris, Plon, 1973. BN, Nouvelles acquisitions françaises 17573-17575, Colonel
Givierge, Souvenirs : 18 ans à la section du chiffre 1907-1925. Douglas Porch, op. cit.,
p. 176-184.
113. Cf. chapitre 5.
114. David Kahn, op. cit. ; F. Hinsley (dir.), British Intelligence during the Second
world war, HMSO, 1979, 5 vol.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

d’Enigma permettent chaque jour, en avril et en mai 1940, de déchif-


frer un nombre croissant de messages de la Wehrmacht et de la Luft-
waffe. Mais sans toutefois changer le cours de la bataille pour la
France 115. Il a fallu attendre la fin des années 1930 pour que l’autorité
politique fixe une nouvelle mission aux écoutes et aux interceptions. Les
résultats du renseignement technique sont faibles en France, peut-être
même davantage en 1939-1940 qu’en 1918. En outre, le Quai d’Orsay
ne communique plus au ministère de la Guerre, à compter de 1922, les
télégrammes diplomatiques des pays étrangers interceptés et déchiffrés,
maintenant cette situation après 1945 116. Les attachés militaires avaient
désormais un code spécial pour communiquer avec les Affaires étran-
gères, évitant des tentations du ministère de la Guerre d’en connaître la
teneur. Il n’y a pas, à proprement parler, un partage interministériel du
renseignement technique au sein de l’appareil d’État, mais des réponses
apportées par la nécessité de sécuriser les transmissions et les communi-
cations aux Affaires étrangères et à la Guerre. Plus inédit est le recours
systématique aux écoutes clandestines à partir de 1936.
Dans les administrations d’État, l’un des enjeux de la mise en place
des écoutes tient à l’équilibre entre le respect du droit et la ferveur des
convictions patriotiques auxquelles font appel les services spéciaux mili-
taires. À cette intention, la collaboration individuelle des fonctionnaires
des PTT est envisagée avec leur administration comme avec ses plus
hauts responsables. La procédure de mise sur écoutes donne lieu à
l’ouverture d’un dossier pour les agissements suspects. Aussi ne trouve-
t-on pas un registre des écoutes, mais des dossiers individuels incluant des
écoutes dans les archives des services spéciaux militaires de Moscou. Ce

115. Olivier Forcade, « Le renseignement face à l’Allemagne au printemps 1940


et au début de la campagne de France », communication au colloque international
tenu les 16-18 novembre 2000, organisé par les musées Jean Moulin et Mémorial du
maréchal Leclerc et Libération de Paris, sous la direction de Christine Levisse-Touzé,
La campagne de 1940, Tallandier, 2001, p. 126-155.
116. Christophe Andrew, « Déchiffrement et diplomatie : le cabinet noir du
Quai d’Orsay sous la Troisième République », in Relations internationales, 1976,
nº 5, p. 37-64 ; Georges-Henri Soutou, « La mécanisation du chiffre au Quai
d’Orsay ou les aléas d’un système technique (1948-1958) », in Les entreprises et leurs
réseaux : hommes, capitaux, techniques et pouvoirs aux XIX-XXe siècles. Mélanges en l’hon-
neur de François Caron, sous la direction de Michèle Berger et Dominique Barjot,
Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 1998, p. 697-710.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

sont par exemple celles d’un dessinateur d’études chargé du central télé-
phonique de l’arsenal maritime de Toulon, suspecté en mai 1939 de
communiquer des informations à la Thomson Houston à l’heure d’une
modernisation des transmissions dans les armées 117. Force est de recon-
naître que le tournant de la mutation du renseignement technique a été
manqué après 1919, en dépit de la voie ouverte par la Première Guerre
mondiale. L’après-guerre se perd dans la querelle des instructions minis-
térielles et interministérielles de la protection des communications, de la
formation défaillante des unités et des cadres au chiffrage, du partage des
résultats, inégaux, des diverses écoutes entre des administrations rivali-
sant de prérogatives. Les télégrammes diplomatiques comme les commu-
nications militaires français semblent avoir été décryptés durablement si
l’on suit Douglas Porch. Celui-ci affirme que les Britanniques les lisent
de 1919 à 1935 118. La question du renseignement technique est une
somme d’insuccès et d’abandon par les services spéciaux militaires de
toutes les tentatives de modernisation en matière de cryptologie et de
cryptanalyse, alors que l’Allemagne se dote d’Enigma en 1927. Serait-ce
un défi technologique non relevé, à l’heure où le grand savant Paul Pain-
levé est au ministère de la Guerre en 1925-1929 119 ? En réalité, la ques-
tion ne semble pas avoir été posée au ministère de la Guerre 120. Dans le
domaine de l’exploitation des écoutes, les tentatives d’organiser une
exploitation commune entre les ministères demeure, en 1935, sans lende-
main. Si l’écoute téléphonique des légations étrangères débute en 1936,
le bilan du renseignement d’origine technique est médiocre en France en
1939.

117. SHD/DAT 7NN 2 527, note de surveillance de la SR-SCR/EMA2 au


ministre de la Marine, 3 mai 1939.
118. Douglas Porch, op. cit., p. 179. John Ferris, « Whitehall’s Black Chamber :
British Cryptology and Government Code and Cypher School, 1919-1929 », in
Intelligence and National Security, nº 1, janvier 1987, p. 72-73.
119. Anne-Laure Anizan, Paul Painlevé, un scientifique en politique, doctorat
d’histoire, IEP Paris, 2006, p. 773-780, ne donne pas d’éléments inédits sur cet
aspect.
120. Paul Painlevé, Paroles et écrits, Paris, Éd. Rieder, 1936, p. 315-410.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

À l’écoute des ambassades et des représentations diplomatiques


L’espionnage des ambassades et des représentations diplomatiques n’a
pas été rare avant 1918. Plus inhabituel est en revanche l’accord offi-
cieux donné par les plus hautes autorités de l’État, quand elles n’encou-
ragent pas directement les écoutes et les interceptions. C’est pourtant la
situation de la France si l’on suit les agendas de Louis Rivet. Ce dernier
participe, en effet, à une première réunion provoquée le 28 juillet 1936
par le diplomate Charles Rochat, chef de cabinet du ministre des Affaires
étrangères. L’objet de cette réunion est la possibilité qu’il y aurait de pro-
céder à l’écoute des ambassades étrangères à Paris, en accord avec le
ministre des Affaires étrangères.
« Réunion du cabinet de M. Rochat, chef du cabinet du ministre des Affaires
étrangères [Yvon Delbos]. Présents : Rivet, M. Denard chef du cabinet du
ministre des PTT et M. Rochat. Objet : installation d’un système d’écoute sur
les ambassades étrangères à Paris. Résumé : la proposition est faite par les Affaires
étrangères. M. Denard a une installation prête à fonctionner aux PTT. D’un
commun accord il est reconnu préférable d’installer l’écoute au siège du SR.
Délai : 15 jours. L’écoute s’exercerait tout d’abord sur un nombre d’ambassades
réduit : 4 ou 5 (Allemagne, Italie, Angleterre, URSS). Le personnel nécessaire
serait fourni par le SR. Un courrier spécial des Affaires étrangères viendrait
chaque jour prendre le texte des conversations captées.
Accord Rivet/Colson avec PTT/AE.
Admis avec Rochat qu’en aucun cas l’écoute ne pourrait dévier sur des objets
de politique extérieure… et s’en tenir aux activités des ambassades susceptibles de
nuire à la Défense nationale 121. »
Le caractère de cette source est évidemment exceptionnel. Technique-
ment installées en août 1936, ces écoutes ont prioritairement concerné
l’Allemagne, l’Italie et l’URSS. Rochat s’enquiert de leur installation le
16 août 1936 auprès de Rivet, qui se déplace à nouveau Quai d’Orsay
le 20 août 1936 pour lui expliquer l’installation réalisée avec les PTT. Il
lui adresse également des renseignements importants sur la guerre civile
espagnole, à l’heure où la France s’oriente vers un non-engagement et la
neutralité en Espagne 122. L’évocation d’une écoute possible de l’ambas-
sade de Grande-Bretagne est plus surprenante. En octobre 1936, le sys-
tème d’écoute téléphoniques mis en place produit « d’excellents

121. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, 27 juillet 1936, p. 7.
122. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 1, 20 août
1936, p. 11.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

résultats » pour Charles Rochat 123. Elles permettent d’intercepter des


télégrammes diplomatiques jusqu’en 1939, notamment pendant les crises
internationales 124. Leur utilisation effective est naturellement délicate à
apprécier.
En effet, l’utilisation des consulats par les nazis dissimule l’organisa-
tion de l’espionnage allemand en France. À l’image des nazis, les ser-
vices secrets italiens agissent de la sorte. En 1937-1938, les ministères de
la Défense nationale et des Affaires étrangères s’opposent sur l’opportu-
nité d’ouvrir un nouveau consulat allemand à Nancy. Épinal est retenu,
à la suggestion du ministère de la Défense nationale. Le consul allemand
installé à Épinal depuis fin octobre 1937 fait déjà l’objet d’une vigilance
très étroite de la police de surveillance du territoire 125. Il est connu par
la Sûreté nationale comme étant un propagandiste antifrançais notoire
depuis 1932. Ses relations avec des agents identifiés de l’Abwehr sont
avérées. Aussi la SR-SCR a-t-elle obtenu que le consul du Havre, Poch-
hammer, noté comme agent secret certain, soit écarté. Le ministère des
Affaires étrangères s’est rangé aux arguments de Rivet après que la preuve
a été apportée de la culpabilité de Pochhammer en janvier 1938. La
démarche officielle du Quai d’Orsay a pour objectif d’obtenir des ser-
vices spéciaux une enquête de la Sûreté nationale et des PTT sur tous les
consulats allemands du Havre, de Bordeaux, de Lyon, de Marseille et
d’Épinal qui entretiendraient des liens suspects avec les services de rensei-
gnement allemands 126. L’installation du consul Wagner, inconnu des ser-
vices spéciaux français, leur fait craindre son action en faveur de la
propagande allemande dans les départements de l’est, en Alsace-Lorraine
surtout, et qu’il favorise les activités de l’Abwehr en France.
Depuis avril 1938, le consulat allemand créé à Épinal est attentive-
ment suivi par la centrale à Paris. Lors d’une mission, le capitaine Paul
Paillole, alors adjoint de Schlesser à la SCR, organise cette surveillance en

123. Ibidem, 17 octobre 1936, p. 18.


124. Peter Jackson, France and the Nazi menace, op. cit., p. 252-253.
125. SHD/DAT 7NN 2 731, note de surveillance du 16 décembre 1937 d’un
inspecteur de la surveillance du territoire de Nancy. Né en 1885, Pochhammer est
consul d’Allemagne au Havre depuis 1933, à Épinal de novembre 1937 à janvier
1938.
126. SHD/DAT 7NN 2 731, compte rendu du lieutenant-colonel Malraison du
12 janvier 1938 au sujet d’une visite de M. Arnal, sous-direction d’Europe du minis-
tère des Affaires étrangères.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

liaison avec le commissaire Oswald, chef de région à la surveillance du


territoire, et les autorités militaires de la XXe région militaire 127. Tous les
moyens de communications télégraphique et téléphonique sont sur-
veillés, par la mise en place d’écoutes qui sont opérationnelles le 15 avril
1938. Toute la correspondance est ouverte et la filature des personnels
de l’ambassade réalisée par le commissaire général de la surveillance du
territoire. La Sûreté générale, les PTT, la préfecture de département, le
commandement de la région militaire coopèrent efficacement avec le
poste BREM de Metz. En raison de l’éloignement d’Épinal de Nancy, le
poste de renseignement de Metz effectue les sondages dans la correspon-
dance du consulat allemand en « amorçant l’exploitation de certains ren-
seignements de contre-espionnage à caractère très urgent, suivi par le
général commandant la 4e DINA en liaison avec le BREM 128 ». Cette
solution s’explique par l’absence de confiance dans les capacités du
commissaire spécial d’Épinal et de son équipe par Paillole en 1938. Le
dispositif est donc effectif à partir du 1er mai 1938. La surveillance est
très discrète pour ne pas alerter les autorités allemandes. Le consulat est
étroitement observé. Ses communications sont écoutées, révélant une
activité clandestine contre la France depuis 1938. Des procès-verbaux
d’écoute sont dressés.
Le compte rendu des écoutes du personnel du consulat allemand à
Épinal restitue le circuit administratif en place après une écoute 129.
L’information de 15 heures est exploitée par le bureau de centralisation
de renseignement et par le poste SR, c’est-à-dire celui de Metz, car il
donne une information pouvant être recoupée avec celles produites par
d’autres sources. L’articulation des écoutes avec le contrôle de la corres-
pondance et l’organisation de la filature par la Sûreté nationale sont habi-
tuelles. Ces écoutes sont étendues à l’ensemble des consulats allemands,
puis italiens en 1939. La mesure est cependant tardive, rapportée aux

127. SHD/DAT 7NN 2 101, compte rendu de mission du capitaine Paillole,


4 avril 1938.
128. SHD/DAT 7NN 2 101, note de Rivet, chef SR-SCR/EMA2 du 20 juillet
1938 au chef du BREM à Metz au sujet de l’exploitation du renseignement de
contre-espionnage du consulat d’Épinal.
129. SHD/DAT 7NN 2 101, dossier SIS, compte rendu d’écoute de l’antenne
d’Épinal du 20 mai 1939.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

résultats des écoutes du Forschungsamt dont disposent les dirigeants


nazis depuis 1934.

Compte rendu d’écoute du 20 mai 1939 de l’antenne SIS


d’Épinal. Origine 6 102

Observations Observations
Heure Renseignements Observations
BCR poste SR
10 h 10 Diebold insiste Il s’agit d’un Le CST a été Vu.
pour avoir un rv habitant de prévenu.
avec Wagner. Saint-Dié qui Surveillance
Entendu pour le téléphone organisée.
21/5/39, 12h fréquemment (au
Palais de la Bière consulat).
11 h Schmidt de Schmidt va Le SR avisé. Possibilités de
Tahnn voudrait souvent en Enquête en cours. Schmidt étudiées
aller en Allemagne. le cas échéant.
Allemagne.
Demande de
passer pour visa.
D’accord.
15 h Messer, industriel Wagner avait l’air Vu. Indication Exploité. Voir
allemand à Épinal très calme et très téléphonée au CR spécial
s’inquiète de la assuré. poste le 20/5/39 à nº 140 du 21 mai
situation 19h. 1939.
internationale et
demande s’il doit
renvoyer sa
famille. Réponse
de Wagner, non
aucune
inquiétude pour
le moment.
16 h Mme Lohengrin Mme Schaeffer CST prévenu. Vu.
demande si est le Estime
Mme Schaeffer et 1er secrétaire. Mme Lohengrin
son mari Mme Lohengrin douteuse.
pourront venir est en relation Surveillance
dîner ce soir à avec ce ménage. correspondance
22h. Réponse : en cours.
oui.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

Le service des informations spéciales en 1939


Au printemps 1939, le colonel Rivet a obtenu l’acceptation formelle du
directeur de l’exploitation téléphonique du ministère des PTT pour installer
des écoutes téléphoniques aux consulats allemand et italien à Marseille, à
Nice et à Toulon. Il est reçu en personne par Jules Julien, ministre des PTT,
le 14 avril 1939. Le ministre a approuvé les autorisations accordées par le
directeur d’exploitation téléphonique 130. Rivet note laconiquement en marge
de la note secrète qui lui est remise par son adjoint : « Très bien. Aller pru-
demment en assurant avant tout le secret de ces écoutes et l’acheminement
régulier des résultats sur SCR. » À Marseille, le responsable des écoutes du
consulat allemand est un réserviste du 2e bureau de l’état-major de l’armée,
M. Merlin, professeur agrégé d’allemand en poste à Marseille. En juin, les
écoutes sont aussi installées à Bayonne et Bordeaux pour écouter le consulat
italien. À Bayonne, il n’y a toutefois pas de personnel parlant italien pour
surveiller l’agent consulaire Bonelli 131. Pourtant, l’approche d’une guerre
désormais probable décide Édouard Daladier, président du Conseil et
ministre de la Défense nationale, à autoriser la création d’un service d’écoute
spéciale au printemps 1939. Désigné d’emblée comme le « service des infor-
mations spéciales » (SIS), ce service centralise les écoutes des consulats et des
représentations diplomatiques suspectes d’agissements contre la France. Il est
avant tout militaire. Le statut de cet organe est simple.
« Les antennes actuellement installées continueront à fonctionner sur les bases
indiquées par la SCR jusqu’à la constitution des BCR (bureaux centraux de renseigne-
ment). Tenir compte des prescriptions au statut joint, notamment en ce qui concerne
la forme des comptes rendus, la tenue des fichiers et la constitution de la carte du
“réseau des intelligences”… Aucune démarche de quelque sorte que ce soit effectuée
sans mon accord préalable auprès de l’administration des PTT. Tout incident SIS
m’est signalé sans délai 132. »
Le SIS a pour mission la surveillance, par le contrôle télégraphique et
postal, de l’activité des ambassades et des consulats étrangers, ainsi que des
organisations étrangères dont les agissements sont suspects. Il s’agit

130. SHD/DAT 7NN 2 101, compte rendu du chef de la SCR/EMA2 du


15 avril 1939 au colonel Rivet.
131. SHD/DAT 7NN 2 101, note du chef du centre d’écoute de Bayonne à SR-
SCR/EMA2 du 13 juin 1939.
132. SHD/DAT 7NN 2 101, dossier 22, note d’Édouard Daladier, président du
Conseil, ministre de la Défense nationale à SCR/EMA2, 16 juin 1939 au sujet du
statut du service d’informations spéciales.

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

essentiellement de la recherche d’informations militaires et diplomatiques.


Le SIS vise précisément les représentations diplomatiques de l’Allemagne et
de l’Italie. Dès le temps de paix, il constitue l’amorce du contrôle télégra-
phique fonctionnant en temps de guerre. Il est placé « sous l’autorité du chef
du SR et sous la direction de la SCR 133. » La mise en place du SIS accélère
la rénovation des écoutes en marchant vers la guerre des ondes. Son organi-
sation est prévue par une entente avec les PTT. Il comprend les antennes
installées par la SCR. Les bureaux de centralisation de renseignement en
assument le fonctionnement local dans les régions militaires.
Une antenne du SIS permet d’imaginer l’installation d’une ou de plu-
sieurs tables d’écoute. Elle assure également le contrôle de la correspon-
dance diplomatique, avec le matériel technique et photographique
nécessaire. Les postes contrôlés sont désignés par la SCR, après accord des
ministères des PTT et des Affaires étrangères. Ces antennes sont légères,
animées en règle générale par une personne désignée par la SCR, pour une
durée stable afin de favoriser l’efficacité des écoutes. En effet, « le rende-
ment exige une connaissance parfaite des usages et des correspondants du
poste écouté ». Les écoutes sont installées par l’administration des PTT, dans
un local militaire présentant une sécurité absolue. Ces écoutes ne sont per-
manentes qu’en cas de circonstances exceptionnelles. Les heures d’écoutes
sont fixées par le chef du bureau de centralisation de renseignement. En
juillet 1939, seize antennes sont organisées, dont celles au Havre, à Épinal,
à Monaco, à Lyon, à Bordeaux, à Bayonne, à Alger, à Marseille, à Dijon, à
Nice, à Toulon, à Toulouse. À l’initiative de Rivet, leur extension est prévue
au Maroc et au Levant 134. Des comptes rendus formalisés sont dressés,
transmis quotidiennement par le BCR qui les diffuse et les exploite. Les ren-
seignements urgents sont transmis par téléphone ou par télégrammes
chiffrés. L’exploitation des renseignements recueillis est essentiellement
locale, immédiate, pour masquer leur origine technique, afin que des indis-
crétions n’éveillent pas les soupçons du contre-espionnage ennemi. Le ren-
seignement est localement exploité au profit du commissaire de surveillance

133. SHD/DAT 7NN 2 101, note manuscrite sans timbre administratif signée
par le sous-chef d’état-major EMA, sans doute fin juin ou début juillet 1939.
134. SHD/DAT 7NN 2 101, note secrète nº 6770 Rivet, chef SR-SCR/EMA2
du 16 juin 1939 au sujet de l’extension des antennes du SIS au troupes du Maroc et
du Levant.

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Les services secrets militaires, les pouvoirs publics…

du territoire et est par ailleurs transmis totalement à la SCR et à ses postes


frontières.
Le service des informations spéciales parachève et organise donc le sys-
tème des écoutes techniques mis en place progressivement depuis l’été 1936.
Les agissements qu’il cherche à percer sont prioritairement ceux des repré-
sentations diplomatiques allemandes, italiennes et de leurs alliés éventuels
sur le sol français. Ce renseignement est défensif et d’alerte préventive, sans
renvoyer à un système d’écoute délibéré des communications diploma-
tiques étrangères en France depuis juillet 1936. Il délivre des informations
qui complètent les moyens de renseignement humain des services spéciaux
militaires à l’été 1939. Toutefois, les procès-verbaux des écoutes ne figurent
pas dans les archives Daladier ni, semble-t-il, dans celles de Moscou. Quel
profit Daladier en tira-t-il exactement ? Ces moyens sont déployés trop tar-
divement, à l’approche d’une guerre.

La Première Guerre mondiale est un héritage lourd pour les services de


renseignement de 1919 à 1939. Leurs objectifs, leurs méthodes, leurs
moyens sont polarisés par l’Allemagne. Par des moyens de renseignement
humain traditionnels, la France édifie un outil de renseignement dyna-
mique. Deux temps d’adaptation ont permis de redéployer ses postes aux
frontières et à l’étranger, dans une géographie européenne et impériale rema-
niée. En 1925-1927, les adaptations répondent aux nouvelles menaces de
l’Allemagne et de l’Italie, plaçant au second plan celles de l’URSS et du
Komintern. La seconde réorganisation prend place dans les années
1930-1933, avec la griffe des postes de Lille, Metz et Belfort aux frontières,
consolidée par les coopérations avec les alliés d’Europe centrale et par les
échanges de renseignements avec les États neutres.
Les moyens du renseignement humain l’emportent largement sur ceux
d’un renseignement technique dont l’évolution est quasi figée avant d’évo-
luer après 1936. La responsabilité en incombe au haut commandement
qui croit principalement à la guerre des effectifs durant tout l’entre-deux-
guerres, lui faisant délaisser les moyens techniques de communication et
d’information modernisés. Les retards techniques s’accumulent précisé-
ment dans les années 1920. Seules les écoutes retiennent en définitive
l’attention des plus hautes autorités politiques à partir de 1936, en dépit
des efforts des services spéciaux pour susciter l’intérêt sur le renseignement
d’origine technique. Dans le même temps, la collecte abondante d’infor-
mations fait apparaître des sources variées, certes de qualité inégales. Cette

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L’organisation et le fonctionnement des services spéciaux militaires…

collecte est irriguée par de très nombreux agents occasionnels, permanents,


puis par des agents de pénétration et des agents doubles dans la seconde
moitié des années 1930.
À ce stade, on peut parler d’une bureaucratisation des services, saisie à
travers le fonctionnement des postes et la relation des postes à la cen-
trale. Les relations s’institutionnalisent dans les années 1930 en resserrant
le commandement militaire des postes en une direction administrative
étroite. La coordination de leur action est à ce prix. Les réunions des
chefs de poste, les missions de la centrale dans les postes aux frontières
et à l’étranger, renforcent la professionnalisation croissante du métier. Les
liaisons techniques ne sont toujours pas assurées entre le réseau des postes
et la centrale. Il y a là un frein majeur à l’efficacité du renseignement
français. La coordination de l’action secrète en souffre jusqu’en 1939. La
liberté d’action ne semble pas avoir fait défaut pour autant aux postes.
Elle est variable, mais d’une relativité qui évolue selon l’importance et le
statut du poste. Le poste de Belfort n’a pas l’autonomie de celui de Bel-
grade, les contraintes de ceux de Prague ou de Shanghai. Mais le rensei-
gnement s’arrête au seuil de son exploitation et de la décision. La
« machine secrète » a donc accompagné les évolutions géopolitiques euro-
péennes et mondiales. Les adaptations de son organisation administrative
ont toutefois été davantage humaines que techniques.
Y a-t-il eu dilapidation ou capitalisation des leçons de la Première
Guerre mondiale ? L’évolution dynamique du dispositif des postes
découle des enjeux de Défense nationale. Les mutations du réseau de
postes répondent à un pragmatisme équilibré. Mais celui-ci satisfait aussi
progressivement à une idéologie sécuritaire dans les années 1930. Un
renseignement impérial tardif coordonne des moyens éclatés en autant de
théâtres d’intervention de la France. Fin 1937, un service de renseigne-
ment colonial se surimpose aux structures déjà en place 135. Il complète
notamment celui de la Légion étrangère, mis peu à peu au service du
contre-espionnage militaire. La Première Guerre mondiale confirme dans
les années 1920 l’intérêt du renseignement d’écoute. Pourtant, il n’y a
pas de saut technologique du renseignement technique à l’image de celui
réalisé par les Allemands à la fin des années 1920 avec Enigma. Le redé-
ploiement et la mutation silencieuse des services de renseignement ont-ils
été réussis en définitive dans l’entre-deux-guerres ?

135. Cf. infra chapitre 8.

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DEUXIÈME PARTIE

La France, la guerre secrète


et l’invention de la « sécurité
nationale »

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Chapitre 5
Les coopérations internationales
des services secrets français

Le renseignement est au cœur de l’exercice de la souveraineté de l’État.


Pourtant, se protéger de ses ennemis, des neutres, hostiles ou bienveillants,
de ses alliés enfin détermine des coopérations paradoxales, contre-nature
parfois même, qui sont un partage de souveraineté. Mais l’équilibre des
puissances et les systèmes d’alliance offrent une carte inattendue des coopé-
rations internationales des services secrets entre 1919 et 1939. Celles-ci sont
rarement contradictoires avec les alliances officielles. Tantôt elles montrent
les limites effectives d’alliances militaires et diplomatiques ; tantôt elles
signalent une coopération plus approfondie et sincère que les traités et les
amitiés officielles offrent. La France espionne les autres États, qu’ils soient
amis, neutres, ennemis. Et les systèmes d’alliance ne protègent pas de
l’espionnage de l’autre. Ils en infléchissent le cours, en corrigent la nature, le
suspendent momentanément. L’objet de l’espionnage, seul, change.
Ce fait suffit à expliquer un espionnage permanent dans l’ordre des
échanges économiques et des activités financières en Europe autant que dans
les empires coloniaux. Il y a pourtant une graduation. Celle-ci conjugue
quatre cas de figure. Il y a d’abord le partenariat d’opportunité débouchant
sur un rapprochement tardif, à l’instar de la coopération franco-anglaise non
dénuée d’arrière-pensées. Il y a ensuite les coopérations qui satisfont plus ou
moins parfaitement aux enjeux de sécurité aux frontières communes ou
lointaines avec des neutres à la bienveillance fluctuante : Belgique, Hol-
lande, Suisse et les pays scandinaves par exemple. Les alliances de revers
résument parfois une coopération à éclipse. Les partenariats avec les puis-
sances d’Europe centrale et balkanique, à savoir la Pologne, la

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Yougoslavie varièrent d’intensité et de


durée. Par ailleurs, les anti-alliances ne rendent pas impossibles des partena-
riats d’opportunité, temporaires, ou les simples échanges de renseignement
enfin. On réserve ici les cas singuliers de l’Italie et du Japon, inattendus et
relatifs 1. La coopération en matière de renseignement vérifie, au plus pro-
fond, la nature des alliances diplomatiques et militaires, quitte à corriger
l’image officielle des relations. Elle apporte incidemment une chronologie
affinée de l’histoire des relations internationales dans la période 1919-1939.
En marge des négociations officielles, le renseignement anticipe ou pro-
longe le commerce entre les États. Les services spéciaux sont-ils l’agent d’une
autre diplomatie française, secrète, précédant ou suivant la diplomatie offi-
cielle dans l’entre-deux-guerres ?

Un partenariat d’opportunité : les coopérations avec l’Intelligence Service

En dépit des rivalités coloniales, et sans rien devoir à l’Entente cor-


diale de 1903, les relations secrètes entre les services spéciaux français et
la Sûreté nationale d’une part, l’Intelligence Service et Scotland Yard
d’autre part, relèvent d’un partenariat d’opportunité plus que d’une
alliance de prédilection 2. L’alliance d’intérêt l’emporte aux heures diffi-
ciles de la guerre (1915-1918) et de l’avant-guerre (1938-1939). Mais les
rivalités impériales comme continentales, le choc d’intérêts commer-
ciaux et financiers concurrents dans le monde dressent une barrière entre
les services. Certes, il y a des échanges de renseignement durant l’entre-
deux-guerres, mais ceux-ci demeurent ponctuels et ne fondent pas une
coopération approfondie, quelles que soient les menaces.

L’après-guerre ou l’alliance troquée pour un partenariat à éclipse


Durant la Première Guerre mondiale se renforcent des coopérations
secrètes bilatérales, parfois esquissées dans la seconde moitié du
XIXe siècle. Traditionnelle en temps de paix depuis le Second Empire, la

1. Cf. chapitre 5 et 7.
2. Jackson Peter et Maiolo Joseph, « Strategic Intelligence, Counter-Intelligence
and Alliance Diplomacy in Anglo-French relations before the Second World War »,
in Militärgeschichtliche Zeitschrift, 65 (2006), Heft 2, p. 417-461.

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Les coopérations internationales des services secrets français

coopération bilatérale franco-anglaise s’est encore renforcée dans les


années 1880 par l’envoi de policiers britanniques dans les ports de la
Manche. Aussi le contre-espionnage a-t-il écrit les origines de la coopéra-
tion secrète franco-anglaise dès le XIXe siècle 3. Toutefois limités au
XIXe siècle, les échanges secrets franco-anglais découvrent un cadre straté-
gique inédit avec la guerre. Actifs avant même la guerre, les échanges
entre Scotland Yard et la police française se renforcent depuis l’été 1914.
À Folkestone, sur la côte sud de Grande-Bretagne, un service de contre-
espionnage se met en place fin 1914 dont la direction est partagée entre
les Anglais et les Français. Ces derniers y envoient un industriel anversois,
Henry Béliard 4. Né en 1875, Henry Béliard est directeur avant guerre
d’une société de construction maritime à Anvers. En outre, il anime les
associations groupant les officiers de réserve français en Belgique, avant
comme après la guerre de 1914-1918. Engagé volontaire à Lille en 1895,
le sous-lieutenant d’artillerie Béliard a fait des périodes de réserve au ser-
vice des batteries de côte, avant d’être repéré par le colonel Dupont lors
d’un stage au 2e bureau de l’EMA en 1912. « À la tête d’une très grosse
industrie à Anvers, notait en 1913 le colonel Dupont, il rend dans cette
ville les plus grands services à l’influence française 5. » Aussi fait-il toute
la guerre au service de renseignement du 2e bureau, affecté au GQG
anglais le 31 août, ensuite à Folkestone du 24 novembre 1914 au
11 mars 1917, puis à nouveau de juillet 1917 à septembre 1918. Sa
connaissance de la Belgique, des affaires économiques et des langues l’ont
prédestiné au renseignement.
Depuis novembre 1914, des missions extérieures sont progressive-
ment menées dans les pays neutres depuis le nord de la France,

3. John Ferris, « Connaissances, influence et pouvoir : le service de renseigne-


ment britannique et la Première Guerre mondiale », in Naissance et évolution du ren-
seignement dans l’espace européen (1870-1940), op. cit., p. 99-115 ; Christopher
Andrew, Secret Service, op. cit., p. 21-67.
4. Jean Bardanne, L’Intelligence Service en Belgique, Paris, Éd. Baudinières, 1934,
p. 11.
5. SHD/DAT 6 Ye 51 322, dossier personnel d’Henry Béliard (1875-1939),
copie des notes du feuillet de personnel, 1913. En 1927, il est promu lieutenant-
colonel dans la réserve, continuant des périodes de réserve jusqu’en 1937, rayé des
cadres en 1939.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

essentiellement en Belgique et en Suisse 6. Les Pays-Bas et le Luxem-


bourg sont la base avancée du contre-espionnage anglais sur le conti-
nent. À Rotterdam, le consulat britannique offre la couverture du service
d’information anglais. Des agents sont peu à peu recrutés, à l’instar
d’Édith Cawell et de Louise de Bettignies à l’automne 1914. Celle-ci
organise un réseau de renseignements d’une centaine d’agents, recrutés
parmi les agents de chemins de fer, les postiers, les médecins, au profit
des services français et anglais. Avant son arrestation en octobre 1915,
son réseau agit principalement dans le nord de la France, occupé par
l’armée allemande 7. Infirmière à la Croix-Rouge, Marie-Léonie Van
Houtte appartient au réseau dans la région de Roubaix et de Lille.
L’objectif est de faire passer des réfugiés de Hollande vers la France et de
surveiller les mouvements de trains. Arrêtée en septembre 1915 par les
Allemands, elle est emprisonnée. Après la déclaration de la guerre de
1939, les responsables du contre-espionnage français envisagèrent d’ail-
leurs brièvement l’hypothèse d’une réactivation d’anciens réseaux de
résistance belges, dont celui de « la Dame blanche ». Imaginé par le
commandant Perruche avec ses adjoints Navarre et Lafont, cette résurrec-
tion fut au cœur, pendant quelques semaines à l’automne 1939, des
projets stratégiques des contre-espions français. L’hypothèse officielle de
Gamelin était alors l’invasion par la Belgique 8. La reprise de solutions
secrètes déjà expérimentées en 1914-1918 n’était donc pas absente de
l’esprit d’un Rivet ou d’un Perruche qui avaient combattu pendant la
Première Guerre mondiale.
Responsable du contre-espionnage à Londres, le capitaine Noiriel est
chargé à ce titre de suivre le recrutement possible d’agents français et
étrangers depuis la Grande-Bretagne. Il relève directement de l’autorité

6. Nigel West, op. cit. Robert Boucard, The Secret services of Europe, London,
Stanley Paul, 1940, 260 p. et La Guerre des renseignements. Des documents. Des faits,
Paris, Éditions de France, 1939, 229 p.
7. Emmanuel Debruyne, Laurence van Ypersele, De la guerre de l’ombre aux
ombres de la guerre, 2004, Bruxelles, Labor, p. 34-37.
8. SHD/DAT, fonds privé Paillole 1J 545, Journal de bord de Gérar-Dubot
1951-1954, cote 827, décembre 1952. La mention revient quatre fois dans les écrits
de Paul Gérar-Dubot le 24 septembre, les 3, 8 et 21 octobre 1939, le projet ayant
sans doute fait long feu en octobre 1939, en dépit de la volonté du commandant
Perruche de poursuivre le 21 octobre le journal Gringoire qui y consacra une série
d’articles. Dans ses carnets personnels, il revint sur cet objectif en 1952.

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Les coopérations internationales des services secrets français

du lieutenant-colonel Zopff, chef des services spéciaux au GQG. Pour-


tant, la réalité effective de cette nouvelle coopération nous échappe
encore ici assez largement 9. Les services sont déplacés à Londres en
février 1918, avec pour couverture le bureau de contrôle militaire des
passeports. Par la suite, l’organisation est indépendante des services du
général de La Panouse, attaché militaire français à Londres de janvier
1913 à 1925 10. La liaison entre le contre-espionnage militaire anglais et
français est établie par cet organe, maintenue par la volonté de Londres
après 1918.
« D’autre part le MI5 anglais, qui était habitué à traiter les questions de
contre-espionnage avec moi lorsque j’étais attaché au SR de Folkestone, a été des
plus satisfait de la décision prise à mon égard, étant désireux de rester en relation
directe et personnelle avec moi pour le service de contre-espionnage 11. »
Cette antenne de contre-espionnage est centrale, car elle reçoit tous
les rapports de Hollande intéressant les Belges, les Américains et les
Anglais. L’évolution s’est faite d’une simple liaison technique à une coo-
pération secrète bien réelle. Car, en 1918, les effectifs insuffisants à
Londres interdisent l’exploitation de tous les rapports permettant la sur-
veillance des individus venant de Hollande en Grande-Bretagne pour
transiter vers la France ou les États-Unis. Ces insuffisances brident les
échanges avec le contre-espionnage anglais du MI5 et ceux, plus récents,
avec le contre-espionnage américain du capitaine Cutting à Londres.
À Londres, le général Artus de La Panouse est favorable à une officialisa-
tion du dispositif français de contre-espionnage au printemps 1918 12.

9. SHD/DAT 7NN 2 827, coopération à partir de 1916 avec les services de ren-
seignement anglais et italien.
10. SHD/DAT 7NN 2 151, note CE/356 du 1er mai 1918 de l’officier inter-
prète Noiriel, chef adjoint du bureau de contrôle des passeports au chef de la
SR-SCR 2e bureau, ministère de la Guerre, 3 p. Le chef du bureau des passeports à
Londres, 18 Bedford square WCI est le capitaine de La Chapelle. Les visas sont
accordés ou refusés en liaison avec le contre-espionnage. Voir aussi : SHD/DAT
1K 221, fonds de La Panouse, correspondance 1912-1914.
11. SHD/DAT 7NN 2 151, note CE/356 du 1er mai 1918 de l’officier inter-
prète Noiriel, chef adjoint du bureau de contrôle des passeports au chef de la
SR-SCR 2e bureau, ministère de la Guerre, p. 2.
12. SHD/DAT 7NN 2 151, courrier du 2 mai 1918 du général de la Panouse,
attaché militaire à Londres jusqu’en 1925, au président du Conseil, ministre de la
Guerre, EMA-2e bureau 1, au sujet de l’accréditation de Noiriel comme chef du
contre-espionnage auprès du contre-espionnage anglais et américain et de l’affecta-

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Londres fut toujours favorable à une simple liaison technique en matière


de contre-espionnage, préférée aux obligations d’une coopération plus
approfondie, avec l’enjeu continental de la connaissance du terrain hol-
landais. Le resserrement des liens en 1938 se fit notamment sur la base
d’échanges de renseignements concernant la Hollande, champ privilégié
de l’espionnage allemand.
Une coopération réelle entre les Français et les Anglais s’est établie en
matière de contre-espionnage dans le cadre du bureau interallié de rensei-
gnement des états-majors alliés, notamment en 1918 au quartier général
de Foch. Dans le domaine économique, le partage des renseignements
s’est apprécié à la faveur du blocus allié des puissances centrales. Pour-
tant, en décembre 1919, l’état-major de l’armée analyse, par la voix du
colonel Fournier, chef du 2e bureau de l’EMA, les conditions nouvelles
d’échanges de renseignements avec les alliés. Sa conception des échanges
est très restrictive.
« Au cours de la guerre, la France et les puissances alliées ont échangé des
renseignements détaillés sur leurs effectifs et leur situation militaire. En raison du
retour à l’état de paix, l’échange d’informations ayant un caractère confidentiel
n’apparaît plus comme aussi nécessaire et peut présenter de sérieux inconvé-
nients. En conséquence, les renseignements à fournir à l’avenir aux nations alliées
seront limités à ceux concernant notre organisation générale en temps de paix et
à ceux ne représentant qu’un intérêt rétrospectif à l’exclusion de toute informa-
tion concernant nos effectifs actuels ou futurs. En outre, l’échange de renseigne-
ments avec les nations alliées devra dorénavant se faire exclusivement en suivant
la procédure ordinaire de temps de paix, c’est-à-dire par la voie hiérarchique et
par l’intermédiaire des attachés militaires accrédités auprès des ambassades 13. »
Cette doctrine a-t-elle affecté les moyens français à Londres ? À cet
instant, le maintien de la coopération en matière de contre-espionnage
nouée dans la guerre est souhaité par Londres. En 1919-1920, l’Angle-
terre est désireuse d’obtenir des informations dans la lutte contre le bol-
chevisme. Par ailleurs, l’attaché militaire anglais à Paris défend de son
côté l’intérêt des échanges d’informations avec le contre-espionnage

tion d’un personnel nouveau. SHD/DAT 1K 221 carton 1, fonds privé Artus de La
Panouse (1863-1945) ; SHD/DAT 13 Yd 673, état de service d’Artus de La
Panouse.
13. SHD/DAT 7NN 2 151, note nº 10641 du colonel Fournier, chef du
2e bureau de l’EMA aux bureaux de l’EMA, 11 décembre 1919.

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Les coopérations internationales des services secrets français

français 14. L’anticommunisme maintint la nécessité d’une coopération en


1920, contre une compréhension du seul intérêt national français.
Français et Anglais ne partagent certes pas la même vision de l’ordre
européen, de ses enjeux économiques et ceux de la sécurité internatio-
nale. Pour autant, la coopération technique des services spéciaux se
conçoit du côté anglais sur le terrain de la défense des intérêts straté-
giques. Les gouvernements français de l’après-guerre ont expérimenté les
manifestations de ce principe d’action.
Paul Painlevé, continûment ministre de la Guerre d’avril 1925 à
octobre 1929 à l’exception des deux intermèdes mensuels du général
Guillaumat et d’Édouard Daladier, est ainsi précisément informé de la
nature des échanges avec les services secrets anglais et français en 1927.
Au cœur de l’affaire Arcos, une note significative est passée à son cabinet
en mai 1927 15. Elle dresse un constat de l’état d’esprit de certains diri-
geants anglais dont celui de Lloyd George coïncidant avec le sentiment
de certains responsables français. Interpellant Chamberlain aux
Communes sur la perquisition de la société Arcos en mai 1927, Llyod
George avait ironisé sur les documents alors trouvés qui accusaient les
services secrets soviétiques.
« Si vous aviez fait une perquisition dans les autres ambassades vous en auriez
trouvé de tout semblables. Notre propre Foreign Office ne se gêne pas pour
commettre de pareilles indiscrétions même chez les puissances amies ou alliées.
Et il faut l’en approuver. Car après tout, un gouvernement responsable de la
sécurité de la nation ne peut s’en tenir aux déclarations pacifiques d’un autre
gouvernement, même allié ; il a besoin de savoir si ses actes ne sont pas en
contradiction avec ses paroles. En faisant chez nous ce que nous faisons chez lui
et chez tous les autres, le gouvernement des soviets s’est conformé aux principe
avoués, tout au moins aux usages constants, d’une saine diplomatie. Il n’y a pas
là de quoi fouetter un chat, même communiste 16 ! »
Revenant sur la situation de 1926, Llyod George rappela alors que le
financement de la grève générale des mineurs anglais par Arcos et les syn-
dicats d’ouvriers russes lui apparaissait autrement plus grave sur la nature

14. SHD/DAT 7NN 2 714, note sur l’organisation du service de contre-espion-


nage à l’étranger en temps de paix, février 1920. Cette position est aussi celle du Por-
tugal, de l’Italie et des États-Unis.
15. Cf. infra chapitre 6 sur l’affaire Arcos.
16. AN Fonds privé Paul Painlevé, 313 AP 226, note de Francis Delaisi citant
Llyod George à Paul Painlevé, ministre de la Guerre, au sujet des relations diploma-
tiques entre l’URSS et la Grande-Bretagne, novembre 1927, 22 p.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

des moyens et des menées soviétiques. Mais la déclaration, érigée en doc-


trine de politique étrangère, ne manque pas de réalisme en 1927. En
dépit de cette note, le fonds Painlevé demeure décevant sur les réalités
de la coopération franco-anglaise. L’hypothèse est que la coopération se
construit à un niveau infrapolitique. Les échanges de renseignements
entre la France et la Grande-Bretagne dans les années 1920 sont devenus
ponctuels.
Des échanges d’informations techniques se poursuivent néanmoins.
Les Japonais sont suspectés par Londres d’espionnage de sa flotte mili-
taire, des chantiers navals et de ses brevets techniques. Les deux respon-
sables des services spéciaux militaires, Menzies et Lainey, travaillent de
concert sans protocole d’accord politique, militaire ou diplomatique 17.
Menzies est alors le chef de la section militaire du Military Intelli-
gence 6 (MI6) – MI6 qu’il commande à compter de novembre 1939.
Circonscrits aux années 1925-1926, leurs échanges témoignent de
l’inquiétude anglaise de l’extension de l’espionnage japonais en direction
des moyens militaires navals et aéronautiques anglais, puis français.
Menzies invite son alter ego français à envisager des mesures de sécurité
et de surveillance des côtes françaises dans la région de Calais. Mais ces
échanges épistolaires ne débordent pas d’une conception défensive de la
coopération secrète, entre les services spéciaux sans en référer a priori aux
autorités militaires supérieures. Ceux-ci dépassent rarement une mission
de coordination de l’action des services lors d’enquêtes. Le 31 décembre
1926, Menzies écrit au chef de la SR-SCR.
« Mon cher Lainey, suivant des renseignements d’Extrême-Orient, un
Japonais nommé Akamine arrivera en France au mois de janvier. On déclare
qu’il se livre à l’espionnage d’aviation, ainsi vous pourrez diriger les recherches et
ceci d’autant plus que mes renseignements me parviennent d’une source sûre. Je
n’ai pas encore reçu de renseignements complémentaires concernant sa situation.
Au cas où il serait diplomate, je crains que les recherches ne soient excessivement
difficiles (…) 18. »

17. SHD/DAT 7NN 2 248, correspondance de Menzies à Lainey du 9 mars


1925 sur l’espionnage naval japonais de Londres et Paris, du 6 juin 1925 sur
l’espionnage aéronautique japonais, du 18 juin 1925 sur les incidents d’observateurs
japonais photographiant des zones de sécurité à Calais, du 22 juin 1925 sur un sus-
pect japonais introuvable.
18. SHD/DAT 7NN 2 248, correspondance de Menzies à Lainey, 31 décembre
1926.

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Les coopérations internationales des services secrets français

Les relations épistolaires se poursuivent dans l’entre-deux-guerres


pour enrayer un espionnage industriel et technologique japonais sur
lequel les deux puissances européennes s’accordent parfaitement en
1937-1939. C’est alors la France qui est demandeuse du concours britan-
nique face aux menées d’espionnage commercial nippon de ses indus-
tries nationales d’armements. À la fin des années 1930, le colonel Kato,
attaché militaire japonais à Paris, coordonne l’espionnage de Tokyo sur
les deux pays depuis Paris. Il utilise la mission militaire à l’ambassade et
des firmes commerciales comme couvertures, à l’instar de la Nippon
Yusen Kaiso à Marseille 19. L’information est partagée à deux niveaux,
d’abord entre l’attaché militaire français à Londres et le ministère anglais,
ensuite au niveau politique par des échanges entre les dirigeants des deux
pays. Au printemps 1927, les autorités françaises sont réticentes à ren-
forcer outre mesure cette action commune. Elles réagissent aux dévelop-
pements de l’affaire Arcos, sans approfondir avec Londres des échanges
qui s’interrompent au seuil des intérêts financiers de la City et de la place
de Paris. La coopération secrète technique n’ignore pas la défense
d’intérêts nationaux bien compris.

Vers un renforcement des échanges de renseignements franco-


anglais 1935-1938
Les conversations d’état-major sont un versant incontournable des
échanges secrets. Après 1935, plusieurs correspondances sont échangées
entre les chefs de l’Intelligence service et de la SR-SCR. Le colonel
Menzies continue d’écrire assez souvent à son alter ego français 20. Dans
le contexte de détérioration des relations franco-anglaises après l’attitude
anglaise manifestée à Stresa en avril 1935 et un accord naval anglo-alle-
mand mettant les Français devant le fait accompli, Menzies écrit le
9 juillet 1935 au colonel Roux au sujet de deux journalistes suspectes.
D’après les notes du général Schweisguth, sous-chef d’état-major à
l’EMA, on sait que le haut commandement français est depuis le prin-
temps 1935 très critique à égard de l’attitude anglaise sur les questions

19. SHD/DAT 7NN 2 248, note pour la préfecture de Police 5e section RG, de
la SCR/EMA2 ministère de la Guerre, 4 mai 1938, au sujet des services de rensei-
gnement japonais à Paris utilisant des réfugiés russes et arméniens.
20. Cette correspondance ne fait pas l’objet d’un classement. Elle est éparse dans
les dossiers des services spéciaux français.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

navales, frein au renforcement d’une coopération secrète 21. Hongroises,


les sœurs Szanto sont soupçonnées d’être des agents d’un service de ren-
seignement étranger. L’une travaille au télégraphe hongrois à Londres. Sa
surveillance a déjà donné lieu à un échange entre Laurent et Menzies en
janvier 1931 22. Ces échanges peuvent réorienter la politique de recherche
de renseignements. Mais la Grande-Bretagne n’envisage pas encore de
renforcer son dispositif en Allemagne au printemps 1934.
« L’Angleterre se proposerait de contrôler et vérifier certaines informations de
source française qui, si exactes, motiveraient une attitude plus énergique de la
Grande-Bretagne vis-à-vis de l’Allemagne. Les renseignements obtenus seraient
centralisés à Genève, mais en dehors de la SDN (…) 23 ».
Cette simple coopération technique entre alliés est maintenue au
niveau des services spéciaux anglais et français. Les autorités politiques
des deux pays n’en sont vraisemblablement pas informées. Déclenchée
par l’Italie, la guerre d’Éthiopie est de nature à modifier la position
anglaise, sans approfondir substantiellement les échanges de renseigne-
ments avec la France. Schweisguth y revient dans ses carnets le
31 octobre 1935.
« Conversation avec Loizeau sur le conflit anglo-italien. Nous sommes en
train de lâcher l’Italie. L’Angleterre d’abord surprise a pris des précautions formi-
dables à Gibraltar, en Égypte-Soudan, en Irak… et contre l’Italie en Afrique
orientale. Accessoirement veut abattre Mussolini 24. »
En novembre à l’EMA, les interrogations de l’entourage de Gamelin
tournent sur la position épousée par la France si le conflit vient à éclater
entre la Grande-Bretagne et l’Italie. Présidées par le général Schweisguth,
les premières conversations franco-anglaises d’état-major sont ouvertes à
Paris le 10 décembre 1935. Le général Schweisguth a le sentiment que
les « demandes des Anglais à l’armée française [dé]montrent surtout des
préoccupations pour se garantir contre des raids sur Londres et pour pro-
téger l’Égypte » et que Londres utilise ces conversations pour faire pres-
sion sur l’Italie. Mais Gamelin tient à l’amitié franco-italienne 25.

21. AN 351 AP 2, fonds Schweisguth, notes du 30 octobre 1935.


22. SHD/DAT 7NN 2 798, lettre de Menzies, chef de l’IS, à Roux, chef de la
SR-SCR, du 9 juillet 1935.
23. SHD/DAT 7NN 2 394, note SR-SCR du 5 mai 1934 au sujet du renforce-
ment du renseignement anglais en Allemagne, d’un « informateur paraissant
sérieux ».
24. AN 351 AP 2, fonds Schweisguth, notes du 31 octobre 1935.
25. AN 351 AP 2, fonds Schweisguth, notes du 10 décembre 1935.

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Les coopérations internationales des services secrets français

« (Depuis janvier 1936), les Anglais demandent des renseignements sur nos
bases et voudraient que nous y prenions des mesures de mobilisation. Réponse :
nous ne pouvons mobiliser avant que les Anglais ne le fassent. Par ailleurs on
donne des renseignements et un torpilleur anglais vient 24 heures à Bizerte pour
se rendre compte lui-même. Actuellement nous demandons des renseignements
sur les bases anglaises et l’on viendra probablement à une entente sur les procédés
d’utilisation réciproques (signaux secrets…). L’amiral Durand-Viel (chef d’état-
major de la Marine) veut converser avec les généraux George et Colson 26. »
En réalité, l’ouverture anglaise est davantage conditionnée par l’atti-
tude italienne en Éthiopie et en Méditerranée que par la recherche d’un
partenariat sincère avec Paris.
À l’orée de l’année 1936, les conversations d’état-major franco-britan-
niques promettent d’être plus décisives. Elles doivent notamment tenter
de déterminer des objectifs communs entre les deux appareils de rensei-
gnement 27. Mais elles valent d’être interrogées sous l’angle de la coopé-
ration secrète des deux pays 28. Les archives du secrétariat général du
CSDN, du CSG et les carnets Schweisguth en épousent la chronologie 29.
De mars 1936 à l’été 1939, ces conversations d’état-major franco-britan-
niques donnent la ligne générale d’un possible approfondissement de la
coopération secrète. En principe, les relations diplomatiques et politiques
franco-anglaises précèdent les échanges d’état-major. Elles prédétermi-
nent donc théoriquement la réalité de la coopération des services spé-
ciaux militaires des deux pays. Le constat est particulièrement vrai après
la crise rhénane de mars 1936. La remilitarisation de la Rhénanie donne

26. Ibidem, 6 janvier 1936.


27. Jean-Baptiste Duroselle, Politique étrangère de la France. La Décadence
1932-1939, Paris, Imprimerie nationale, 1979, 568 p. Martin Alexander, The Repu-
blic in danger. General M. Gamelin and the Politics of French Defense 1933-1940,
Cambridge, Cambridge University Press, 1992, 573 p. Élisabeth du Réau, Édouard
Daladier, Paris, Fayard, 1993, 581 p. Robert Frank, Le Prix du réarmement
1936-1938, Paris, Publications de la Sorbonne, 1982, 382 p. et La Hantise du déclin.
La France, 1920-1960 : finances, défense et identité nationale, Paris, Belin, 1994,
316 p.
28. Martin Alexander, William J. Philpott, « The Entente cordiale and the next
War : Anglo-French views on future Military Coopération, 1928-1939 », in Kno-
wings your friends. Intelligence inside Alliances and Coalitions from 1914 to the Cold
War, London, Frank Cass, 1998, notamment p. 65-84.
29. SHD/DAT 2N 227 et 228, Grande-Bretagne, relations franco-britanniques
1922-1939. Dossiers sur les conversations des états-majors franco-britanniques
1936-1939.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

lieu à des échanges entre le 2e bureau air de l’EMA et son homologue


anglais les 3 et 4 mars, eu égard à la précocité des renseignements réunis
depuis le mois de mai 1935 par le 2e bureau de l’état-major de l’armée
de l’air 30. Le décalage ou la coïncidence entre les discussions diploma-
tiques et les échanges de renseignement traduisent la subordination des
services spéciaux militaires à leur hiérarchie militaire. Cependant, la lettre
du 1er avril 1936 d’Anthony Eden à Charles Corbin, ambassadeur de
France à Londres, définit d’emblée la portée de ces conversations pour
Londres. D’esprit minimaliste, ce « contact ne peut engendrer aucun
engagement politique ni aucune obligation pour l’un des deux gouverne-
ments. » Les attentes françaises sont exprimées par la voix de Corbin le
4 avril. Elles s’orientent vers l’obtention d’un accord qui comporterait un
volet explicite en matière de renseignement. Les réticences anglaises peu-
vent-elles être surmontées ? Les espoirs français sont largement déçus sur
les deux objectifs.
En effet, ces conversations ne débouchent sur la mise en place de
liaisons navales qu’en temps de guerre, en application des décisions prises
les 15-16 avril 1936 à l’issue de la mission des généraux Schweisguth,
Mouchard et du contre-amiral Abrial 31. À l’orée de nouvelles conversa-
tions le 30 mai 1938, le vice-amiral Darlan, chef d’état-major général de
la Marine depuis janvier 1937, en rappela la généalogie 32. Dès avril
1936, celles-ci prévoient l’échange des indicatifs d’appel des stations
radiotélégraphiques de l’Atlantique et des informations réciproques sur
les ports de l’Atlantique en cas de débarquement de forces anglaises dans
les ports français. Cette disposition nécessite des échanges de renseigne-
ment en temps de paix sur ces ports, non désignés, et sur les forces
navales respectives des deux pays. Le délai de cette mise en œuvre et les
forces de l’aviation maritime engagées ne sont pas précisés par l’Amirauté
britannique. En revanche, des informations sont partagées entre les deux

30. Jean-Hilaire Millet-Taunay, L’Exploitation du renseignement lors de la crise


rhénane de mars 1936, mémoire de DEA sous la direction de Georges-Henri Soutou,
Université de Paris IV-Sorbonne, 1998, 106 p. et annexes, p. 43-44.
31. AN 351 AP 3, dossier 8 Fonds privé général Schweisguth, conversation entre
Pierre-Étienne Flandin et le général Schweisguth à l’issue de sa mission à Londres,
21 avril 1936.
32. SHD/DAT 2N 227, note très secrète du vice-amiral Darlan, CEMG Marine
au général Gamelin, CEMG Défense nationale, 30 mai 1938, au sujet des conversa-
tions franco-britanniques. Hervé Coutau-Bégarie, Claude Huan, op. cit., p. 143-151.

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Les coopérations internationales des services secrets français

amirautés depuis septembre-novembre 1935 sur leurs bases navales et sur


leur « appui mutuel en Méditerranée ». Celui-ci est rendu nécessaire par
les agressions de sous-marins italiens en 1937 33. En dépit de la confé-
rence de Nyon sur la piraterie en Méditerranée en septembre 1937, les
résultats en sont limités. En quelques semaines, la crise rhénane a eu
raison des ouvertures et déçu les attentes françaises de manière durable.
Enfin, la défiance impériale l’emporte sur la coopération défensive entre
les deux pays en 1936. Aussi les contacts établis après le 7 mars s’inter-
rompent-ils progressivement en mai 1936, puis plus durablement en
octobre 1936. Les échanges de renseignements sont bientôt suspendus.
Après juillet 1936, la médiocrité des résultats de la relation franco-britan-
nique est à la mesure des espoirs caressés par Yvon Delbos, ministre des
Affaires étrangères du Front populaire de juillet 1936 à mars 1938 34. La
doctrine française de non-intervention en Espagne et la passivité diplo-
matique d’Yvon Delbos achèvent de neutraliser les relations franco-bri-
tanniques 35. Laconique, le général Schweisguth fait en novembre 1936 le
constat sévère de l’impossibilité d’une ligne de fermeté anglaise, explicite
depuis avril 1936 et plus marquante que jamais à la fin de l’année.
« Visite de Lelong (attaché militaire à Londres). Londres a trois politiques :
celle de l’Amirauté, antihitlérienne ; celle du Foreign Office et de l’armée,
consciente du péril allemand et soucieuse des côtes des Flandres ; celle de la
City : faire des affaires et vivre en paix avec l’Allemagne. Désintérêt complet des
affaires d’Europe centrale 36. »
Et de fait, les échanges d’informations sur des zones d’opération
aérienne mises en commun entre le colonel Collyer, attaché de l’air bri-
tannique à Paris, et le chef du 2e bureau de l’état-major de l’air, le colonel
Loriot, se soldent par un silence anglais en janvier 1937 selon Schweis-
guth. Le bilan de l’année 1936 est décidément très décevant pour Paris,
engageant l’EMA à essayer de relancer ces échanges. Aussi Schweisguth
se rend-il à Londres du 1er au 5 mars 1937 pour y rencontrer le général

33. Jean-Baptiste Duroselle, La Décadence, op. cit., p. 320-321.


34. John Dreifort, Yvon Delbos at the Quai d’Orsay. French foreign policy during
the Popular Front 1936-1938, The University Press of Kansas, 1973. Bernard
Lachaise, Yvon Delbos. Biographie 1885-1956, Périgueux, Fanlac, 1993, p. 193-194
sur les attentes déçues de Delbos à l’égard des Anglais.
35. Jean-Baptiste Duroselle, op. cit., p. 169 sur les conséquences du « drame
rhénan » et p. 314-316 sur la « pâle année 1937 » et la diplomatie de Delbos ; Élisa-
beth du Réau, op. cit., p. 192-212.
36. AN 351 AP 3, notes du général Schweisguth, 4 novembre 1936.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Haining, son alter ego, sous-chef d’état-major pour les opérations et le


renseignement, et Duff Cooper, secrétaire d’État à la guerre. Celui-ci
demande des renseignements sur le canon antiaérien allemand qui se
serait révélé très efficace en Allemagne. À l’état-major impérial, le général
Dewerell voudrait des renseignements sur les chars allemands. Ces
demandes favorisent le maintien des échanges techniques, sans autre poli-
tique de coopération secrète qu’un pragmatisme certain 37. En réalité,
depuis son poste de contre-espionnage à Hambourg, l’Abwehr identifie
continûment de 1934 à 1939 les menées sur l’Allemagne de l’Intelli-
gence Service depuis la Hollande, sous la couverture d’un service des
passeports 38.
Menzies et l’attaché militaire anglais se sont rendus au siège des ser-
vices français en octobre 1937 39. Le colonel Menzies rencontre Rivet à
Paris les 19-20 octobre 1937 pour « [premièrement] compléter sa docu-
mentation sur l’armée allemande ; [deuxièmement] s’informer sur l’acti-
vité et les projets militaires italiens en Libye, en Espagne, plus
généralement en Méditerranée, sur les matériels allemands et italiens
employés en Espagne ; [troisièmement] s’informer de l’opinion et des
dirigeants français en vue d’une intervention franco-anglaise en
Espagne 40. » Mais le compte rendu laconique mesure l’étendue des
déceptions françaises depuis 1936 et les réticences à coopérer plus avant,
notant la brièveté de la mission de Menzies qui ne rencontre que l’attaché
militaire britannique et ses adjoints, puis les officiers et le chef du SR,
« une heure environ, en relation habituelle avec lui ». Le SR français se
borne à des échanges coutumiers, répondant surtout à un questionnaire
sur le matériel allemand sur lequel l’Intelligence Service est « faiblement
documenté de l’aveu de Menzies sur l’organisation des grandes unités
allemandes et leur capacité de mobilisation », et à des appréciations géné-
rales sur l’Italie et la guerre d’Espagne. D’après Rivet, probable rédacteur
du compte rendu, Menzies suit les actions de l’Italie en Méditerranée, en

37. Ibidem, 25 et 29 janvier 1937, 1er mars 1937.


38. Oscar Reile, L’Abwehr. Le contre-espionnage allemand en France de 1935 à
1945, Paris, Éd. France-Empire, 1970, p. 45-48.
39. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, vol. 2, 19-20 octobre
1937.
40. SHD/DAT 2 701, compte rendu de la SR-2e bureau EMA, très secret,
22 octobre 1937 au sujet de la mission de liaison du colonel Menzies de l’Intelligence
Service au 2e bureau de l’EMA les 19 et 20 octobre 1937.

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Les coopérations internationales des services secrets français

Espagne et en Italie surtout, en appréciant l’épuisement stratégique ita-


lien. Rivet transcrit enfin les propos tenus Menzies :
« Cependant, l’attitude de l’Allemagne qui semble pousser l’Italie à s’engager
à fond en Méditerranée ne laisse pas de l’inquiéter. Il annonce froidement les
graves événements en Europe centrale où, dit-il, il ne passera pas trois semaines
avant que les divisions allemandes ne réalisent l’Anschluss. Les Sudètes et la Tché-
coslovaquie lui semblent voués à un sort analogue. En un mot, il estime que les
conditions sont favorables à une exécution très proche des desseins allemands. »
Et Menzies pose la question :
« Que peuvent faire la France et l’Angleterre en présence de cet éclatement
germanique ? Allez-vous soutenir la Tchécoslovaquie et attaquer l’Allemagne ? Je
ne crois pas votre opinion publique disposée à suivre un gouvernement qui pren-
drait une décision aussi aventurée. Pensez-vous que l’Angleterre vous appuierait
dans cette entreprise ? Ce serait une grave erreur. En premier lieu, le peuple
anglais, hormis quelques travaillistes excités, ne voudrait rien entendre, et notre
gouvernement le sait bien. En second lieu, nous ne sommes pas prêts. Nous ne
le serons pas avant longtemps. Vous n’imaginez pas le degré d’incompréhension
de nos dirigeants actuels en face de l’incendie qui monte en Europe. N’allez pas
croire que nos usines et nos arsenaux rougeoient nuit et jour pour accélérer nos
fabrications de guerre ; il n’en est rien. Celles-ci marchent à un rythme paisible,
auquel il manque le stimulant d’une énergie avertie des dangers qui viennent et
qu’à mon sens nous ne pouvons plus détourner. »
Rivet conclut :
« Peut-être, tout le sens de la formule préférée de Menzies : “Attendre”,
réside-t-il dans ces propos, jetés négligemment mais sans conviction. Expression
certaine d’une opinion personnelle, ils ne sauraient cependant être tenus pour
négligeables étant donné le rôle qu’assume le colonel Menzies au War Office. »
Tout est dit, et les prévisions pour un futur dont le calendrier précis
ne peut être anticipé sont des analyses fondées. Les faits corroborent cette
chronologie des plans nazis, notamment les mémoires du chef du contre-
espionnage nazi, Walter Schellenberg 41. Les relations entre les deux ser-
vices secrets peuvent-elles, dès lors, changer de nature ?
Fin 1937, l’attitude des services anglais a donc changé de nature.
L’Intelligence Service souhaite une coopération approfondie. Les menaces
italiennes et allemandes se précisent. Les liaisons sont appelées à être plus
fréquentes. Les échanges de renseignement s’enchaînent. Le 3 février
1938, Menzies envoie des précisions préoccupantes sur l’Italie. Au point
que son adjoint chargé du contre-espionnage, Hinchley-Cook, vient en

41. Walter Schellenberg, Le Chef du contre-espionnage nazi parle (1935-1945),


Paris, Julliard, 1957, p. 43-51.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

liaison à Paris le 23 février 1938. Les sombres prévisions sur la Tchécos-


lovaquie et l’Autriche motivent une coopération renforcée des services
spéciaux dans l’esprit de Menzies. Avant même l’annexion de l’Autriche
par l’Allemagne nazie, des conversations d’état-major sont renouées. Elles
envisagent une coopération militaire navale, aérienne et terrestre en
matière de renseignement militaire nettement plus avancée qu’en 1936 42.
En effet, des conversations franco-britanniques doivent se tenir fin avril
1938 à Londres. Aussi les points de coopération sont-ils inventoriés par
les états-majors des trois armées françaises, en février et en mars 1938,
afin de préparer la réunion entre les deux gouvernements 43. La rencontre
de Lord Halifax et d’Édouard Daladier, nouveau président du Conseil en
France, comporte un important volet sur les questions diplomatiques et
de défense.
À cette intention, les points de coopération possibles sont préparés
par les états-majors français. La question de l’organisation de leurs
liaisons radiotélégraphiques et de l’établissement d’un code chiffré
commun à utiliser entre les autorités des deux flottes est abordée. Elle est
encore envisagée côté français en février 1938, car elle demeure toujours
sans résultat probant. Pour l’armée de terre, des opérations combinées
seront proposées aux Britanniques : défense de Suez ; Égypte et Tripoli-
taine contre une participation anglaise en Afrique du Nord ; Sicile et Sar-
daigne ; Maroc et Gibraltar ; Siam si agression du Japon. Depuis janvier
1938, le 2e bureau air et le renseignement militaire anglais coopèrent
dans le domaine aéronautique. Le 19 janvier 1938, Winterbotham, de
l’Intelligence Service, est en mission de liaison à Paris pour communi-
quer des renseignements aéronautiques sur l’Allemagne et le programme
de Goering 44. Il semble court-circuiter Wilfrid Dunderdale, officier de
liaison anglais à Paris dans les années 1930 45. Les Français les connaissent

42. SHD/DAT 2N 227, note secrète de l’EMA de l’air sur les propositions de
l’EMA de l’air britannique transmise par Gamelin, au secrétaire général du CSDN,
1er juillet 1938, sur les échanges de renseignements et la coordination des opérations
des deux armées de l’air.
43. SHD/DAT 2N 227 dossier des conversations franco-britanniques du
28 avril 1938.
44. Frederick Winterbotham (colonel), Ultra, Paris, Robert Laffont, 1976,
p. 21-26. Ce dernier ne mentionne aucun souvenir de ces liaisons dans les souvenirs
publiés quanrante ans après.
45. Peter Jackson, op. cit.

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Les coopérations internationales des services secrets français

précisément par les notes de Stelhin et par la source Hans-Thilo


Schmidt 46. Attaché de l’air britannique, le colonel Collyer, partage avec
le 2e bureau air des dossiers d’objectifs communs (plans, photographies,
cibles) en territoires allemand et italien, à la demande des Français. Lors
d’une réunion à Paris les 3 et 4 mars 1938, le travail conjoint s’appro-
fondit pour établir des dossiers d’objectifs industriels et pour apprécier
leur vulnérabilité (études d’ensemble, répertoires et dossiers d’objectifs
communs), leur ordre d’urgence, la détermination des zones de recherche
respectives et les échanges de documents 47. Engagé sur le plan tech-
nique, ce processus d’échanges secrets confirmé par une note de syn-
thèse adressée à Gamelin, après la tenue de la réunion le 28 mars 1938 48.
Celle-ci conclut à un « progrès considérable », car ces « conversations
constituent la première collaboration effective directe entre représen-
tants des organismes chargés de l’étude des objectif, appelée à être pour-
suivie dans l’avenir ». Les « résultats acquis substantiels sont mentionnés
en matière stricte d’échange de documentation sur les objectifs et sur des
considérations d’ordre économique ». Le 2e bureau français y a formé le
souhait que les prochaines conversations incluent la question des zones
d’investigation des aviations lourdes des deux pays, encore écartée par les
Britanniques en mars 1938. La réunion sur la coopération aérienne a été
aussi loin que possible sans déborder sur des échanges de vue ultérieurs
entre les hauts commandements et les diplomaties des deux pays.
Dans une note établie le 4 avril 1938, la position des états-majors
français est résumée par le secrétariat général du CSDN. Celle-ci traduit
l’objectif français d’un accord d’état-major à rechercher en vue d’une
« conjugaison des efforts stratégiques et économiques des forces ».

46. Paul Stehlin, Témoignage pour l’histoire, Paris, Robert Laffont, 1964, 381 p.
Il est adjoint de l’attaché de l’air depuis 1933. Journal de bord de Louis Rivet,
volume 2, 19 janvier et 3 février 1938, p. 15 et 16.
47. SHD/DAT 2N 227, note pour le CEMG, ministère de l’air, 2e bureau,
EMA de l’air, 24 février 1936, programme de la réunion du 2 mars 1936.
48. SHD/DAT 2N 227, note du 28 mars 1938 du 2e bureau air au CEMG air,
inspecteur de la DAAT sur les objectifs communs industriels des 2es bureaux air des
ministères français et anglais en territoire allemand et italien, 6 p. Les dossiers
d’objectifs et de documentation listent les dépôts de carburants, les usines d’essence
synthétique, les grands barrages, les usines de plomb tétraéthyl, de roulements à
billes, d’aluminium, les points sensibles des réseaux de canaux, les grosses usines
métallurgiques en Italie.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

L’alliance britannique y est envisagée, aux côtés de celles russe et hollan-


daise, précisément par leur situation générale dans le monde et « pour
coopérer à la défense de notre empire ». Mais les intérêts impériaux et
européens des deux pays sont-ils solidaires ? Alexis Léger, secrétaire
général du Quai d’Orsay, résuma le 6 mai 1938 le bilan de la réunion
de Londres du 28 avril 1938. La position britannique exprimée par Lord
Halifax s’en tient à l’arrangement de mars 1936 et aux notes franco-bri-
tanniques d’avril 1935. Il ne souhaite pas aller au-delà du principe même
des conversations annoncées depuis l’accord de Locarno définissant les
obligations de Londres envers la France et la Belgique. Il s’en tient à la
position de la France envers la Grande-Bretagne dans la déclaration
d’Yvon Delbos du 4 décembre 1936, désignant l’Allemagne comme
agresseur.
En définitive, les contacts des états-majors sont jugés « inutiles » par
Londres pour l’armée de terre et la Marine, et à envisager seulement si
la guerre éclatait. Tout est dit en peu de mots. Dans le domaine aérien,
les options déjà engagées sont confirmées et la coopération est pour-
suivie sur les bases techniques déjà validées depuis mars 1938 : un
échange d’informations sur la situation actuelle des deux aviations ; les
conditions d’envoi et de protection d’une force britannique avancée
(deux divisions au plus) ; la coordination des deux systèmes de défense
par une liaison entre les moyens d’observation et d’écoute, ainsi que par
le renseignement en vue du survol de l’aviation de bombardement du ter-
ritoire français ; la discussion générale entre attachés de l’air des
méthodes pour coordonner les opérations en temps de guerre dans le
cadre d’une Défense nationale prioritaire. Il n’y a aucun engagement en
matière terrestre sauf un contact des états-majors via les attachés mili-
taires au sujet de l’éventuel envoi d’un corps expéditionnaire britannique
en France. Un simple principe d’ouverture de conversations navales entre
états-majors est retenu après la visite de Hitler à Rome. La coopération
aérienne est poursuivie. Le bilan est donc très décevant pour Daladier qui
escomptait préparer une « guerre totale » dans les trois domaines ter-
restre, naval et aérien 49 et n’obtient qu’un contact entre les états-majors

49. SHD/DAT 2N 227, lettre du ministre des Affaires étrangères, direction des
affaires politiques et commerciales, Europe, au président du Conseil, ministre de la
Guerre au sujet des conversations franco-britanniques du 28 avril 1938, 6 mai 1938,
5 pages, p. 2.

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Les coopérations internationales des services secrets français

de terre et de l’air. Ses instructions du 14 mai 1938 à Gamelin accélè-


rent la mise en place des contacts officiels 50. La note de Gamelin du
1er juin 1938 concernant leur mise en œuvre est laconique 51. La situation
évolue peu jusqu’à la crise de Munich qui ne modifie pas substantielle-
ment le principe de cette coopération militaire et la teneur des accords
entre les deux pays 52. Les rapports du général Lelong, attaché militaire à
Londres de 1936 à 1940, le démontrent largement à l’occasion des
manœuvres qu’il suit 53. Les conversations franco-britanniques de l’année
1939 font progressivement évoluer la nature du partenariat en matière de
défense 54. Mais l’absence de toute mention d’une coopération des ser-
vices de renseignement français et anglais, à l’exception du domaine
aérien, conduit à un constat médiocre. Lors des réunions des chefs de
poste de 1937 à 1939, le bilan annuel des activités du service passe sous
silence la coopération entre les deux pays en matière de recherche et de
liaison des postes à l’étranger 55. La situation traduit-elle en 1938 une
logique de continuité ? En dépit des déceptions des conversations d’état-
major, la coopération en matière de renseignement est au cœur de la mis-
sion du chef du contre-espionnage militaire français, Schlesser, à
l’Intelligence Service en juin 1938.

Quand vient l’heure du danger : une coopération tardive mais


sincère en matière de renseignement juin 1938-septembre 1939
Lorsque Schlesser se rend en mission à Londres en janvier 1939, la
coopération en matière de contre-espionnage s’est maintenue depuis
1919, avec une intensité variable selon les périodes. Aussi, les voies d’une
coopération renouée entre la branche militaire de l’Intelligence Service et

50. Martin Alexander, The Republic in danger. General M. Gamelin and the
politics of French Defense 1933-1940, Cambridge, Cambridge University Press, 1992,
573 p., p. 456 sq.
51. Ibidem, note très secrète de Gamelin aux CEMG des trois armées, 18 mai
1938, 2 p.
52. Martin Alexander, William Philpott, op. cit., p. 70-71.
53. SHD/DAT 7N 2813-2814, dossiers de l’attaché militaire français à Londres,
1938-1939.
54. SHD/DAT 2N 228, conversations franco-britanniques au premier semestre
1939.
55. SHD/DAT 7NN 2 463, comptes rendus des réunions des chefs de poste en
1937, 1938, 1939 sur le bilan des années 1936 à 1938.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

la SR-SCR sont explorées par le commandant Guy Schlesser. En mission


à Londres en juin 1938, il y est présent une seconde fois les 30-31 janvier
1939. Il rédige un rapport précis des points de coopération entre les deux
services, daté du 1er février 1939 56. Par la description minutieuse qu’il en
donne, cette seconde visite à Londres est une découverte qui témoigne
de l’étendue de la méconnaissance française des services anglais. Elle
confirme la nouveauté des échanges pour le commandant Schlesser,
sinon pour la SR-SCR française qui n’a pas d’agent de liaison à Londres.
Les capitaines Jeffes, puis Dunderdale ont tenu ce rôle à Paris dans les
années 1930. Schlesser établit un rapport en trois points évaluant l’orga-
nisation et les possibilités du service anglais, les impressions d’ensemble
et les questions diverses intéressant le partenariat franco-anglais.
Sur l’organisation de la branche militaire du MI6 du service de rensei-
gnement anglais, son constat est double. Il rappelle son rattachement au
ministère des Affaires étrangères. Le personnel civil est plus nombreux
que le personnel militaire. Il est largement féminisé. Il compte une cen-
taine de femmes, sans que l’effectif total soit communiqué. Le recrute-
ment est endogène, circonscrit au milieu des officiers et des hauts
fonctionnaires anglais. Schlesser donne une description topographique
attentive aux questions de sécurité 57. Rattaché au ministère de la Guerre,
le contre-espionnage ou MI5, sous l’autorité du colonel Kell depuis 1909
et de son adjoint le colonel Sir Erich Holb-Wilson, se divise en contre-
espionnage actif et préventif, eux-mêmes scindés en sections. Il y a, sous
l’autorité du major Hawker, des sections géographiques pour le contre-
espionnage actif. La section allemande est la plus importante avec sept
officiers en 1939. Les sections italienne, russe, japonaise et du contre-
espionnage préventif ont mis en place des liaisons avec les ministères
intéressés à la Défense nationale et avec les établissements travaillant pour
la défense. Le contre-espionnage compte une trentaine d’officiers ou
d’assimilés. Il s’appuie également à Londres sur une dizaine de policiers
spécialisés. En dehors de ses moyens humains, il recourt aux ressources de
Scotland Yard, pouvant convoquer les chefs de district pour résoudre une
affaire.

56. SHD/DAT 7NN 2 502, compte rendu de mission à Londres des 30-31 jan-
vier 1939 du commandant Schlesser, très secret.
57. Ibidem, p. 3.

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Les coopérations internationales des services secrets français

Schlesser convient d’une remarquable organisation mais qui n’obtient


cependant que des résultats limités en matière de contre-espionnage. On
devine ici le point névralgique de la coopération avec les services français qui
ont mis l’accent depuis 1937 sur cette dimension. Il développe cinq argu-
ments concernant leur faiblesse. À juste titre, ses arguments relèvent le fait
que l’articulation entre l’espionnage et le contre-espionnage anglais est faible,
car les deux organisations sont trop distinctes pour faciliter une liaison effi-
cace. Les affaires d’espionnage passent d’un service à l’autre selon qu’elles
ont des ramifications en Grande-Bretagne ou dans les pays étrangers. La
recherche des renseignements de contre-espionnage à l’étranger bute sur une
exploitation déficiente. Il n’y a pas d’agent double anglais bien placé. Le
contre-espionnage doit simplifier son action répressive pour lui donner une
pleine efficacité. Par ailleurs, la justice anglaise manquerait de vigueur dans
la répression. Sévère, la critique met en exergue les réformes françaises dans
ces domaines précis depuis 1937. Il recherche des synergies possibles entre
les deux pays. Les services français espèrent une coopération calée sur le dis-
positif français de contre-espionnage. Menzies et Kell ambitionnent de par-
tager des objectifs communs avec Paris dans trois domaines.
« [premièrement en] Allemagne, en recrutant des informateurs et des agents
doubles dans l’Abwehr et la Gestapo ; [deuxièmement] en pays neutres par
le recrutement d’informateurs, déjà nombreux au Danemark, dans les
douanes et polices ; [troisièmement] en Angleterre par la surveillance systé-
matique des ambassades, consulats, organisations fascistes et hitlériennes ».
Il retranscrit ses échanges avec les officiers anglais. La question alle-
mande est la première, sans que le très récent discours de Hitler du 31 jan-
vier 1939 n’apporte du nouveau du point de vue anglais. La menace
allemande retient en premier lieu Menzies et Hinchley-Cook pour
s’accorder avec Schlesser et les services français. Hinchley-Cook appartient à
la section des opérations, cherchant à faire aboutir les affaires.
« Nous craignons beaucoup que les Allemands ne s’établissent en Hollande et y
organisent des bases aériennes. Nous savons qu’en septembre 1938, 200 avions alle-
mands étaient prêts à bombarder Londres… car plus que Paris notre capitale était
visée… [Si] le gouvernement devait quitter Londres, c’eût été une terrible catas-
trophe ! (Lieutenant-Colonel Hinchley-Cook) 58. »

58. SHD/DAT 7NN 2 502, compte rendu de mission à Londres des 30-31 jan-
vier 1939 du commandant Schlesser, très secret, p. 4.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Et Schlesser de noter les tranchées creusées dans les parcs londoniens


et face à l’ambassade d’Allemagne pour restituer le climat psychologique
à Londres en janvier 1939. Menzies établit un constat nuancé sur les
intentions de l’Allemagne.
« Je n’ai pas l’impression que l’Allemagne prépare sérieusement une action de
force vers l’ouest. L’état de ses communications, de ses chemins de fer notam-
ment, me le prouve. Trois très bons agents résidant outre-Rhin, et qui m’ont
parfaitement renseigné pendant la dernière période de tension, m’ont confirmé
ce point de vue. »
L’analyse montre une information très médiocre sur les intentions de
l’Allemagne depuis la conférence du 5 novembre 1937. Elle met à nu
l’absence profonde d’échanges de renseignements sur l’Allemagne entre
les deux pays. L’état de la documentation française sur les activités
d’espionnage de l’Allemagne en Europe est plus précis que l’état de
l’information anglaise d’après le chef du contre-espionnage français. Les
Anglais craignent tout spécialement une attaque aérienne allemande. Sur
les revendications coloniales allemandes et italiennes, l’argumentaire
anglais est sans surprise. L’Angleterre ne peut rien donner puisqu’elle a
des dominions indépendants et c’est la route des Indes que les Italiens
veulent couper par Djibouti et les Allemands par Le Cap. Le scénario
d’une attaque brusquée italienne contre la France, en Tunisie ou à Dji-
bouti, a les faveurs de Hinchley-Cook. Cette situation pourrait entraîner
la guerre selon ce dernier. La possibilité pour la France de donner Dji-
bouti est un instant imaginée par Hinchley-Cook. Sur l’attitude de
l’Angleterre, les agents anglais soulignent l’occasion manquée par Cham-
berlain d’avoir rétabli le service obligatoire après Munich. L’ampleur des
efforts réalisés pour acheter du matériel aux États-Unis et au Canada est
toutefois soulignée. La DCA et la défense passive commencent à s’orga-
niser, les usines d’aviation tournent à plein selon Hinchley-Cook.
Menzies et Kell abordent enfin le travail des services de renseignement
étrangers. Le Proche-Orient est la première préoccupation des chefs des
services spéciaux des deux pays. Selon Kell, « les Italiens nous donnent
l’impression de travailler contre nous et surtout par la propagande en
Palestine et en Egypte ». Menzies suggère une meilleure liaison des ser-
vices en Syrie et en Égypte. Il ne propose toutefois pas de mesures
concrètes. Inquiet de l’activité japonaise, il affirme la prééminence des
intérêts anglais en Extrême-Orient.

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Les coopérations internationales des services secrets français

Les impressions de Schlesser réveillent des stéréotypes. À vrai dire, les


services anglais et français se connaissent peu. Le « bluff » n’est sans doute
pas totalement absent. La sous-évaluation de l’intention allemande
d’attaquer à l’ouest est lourde de conséquences possibles. On ne dispose
pas des réactions de Schlesser, pas plus que de celles de Rivet. Les
mémoires d’après guerre ont ici un intérêt relatif. Tantôt ils tendent à
reconstruire, souvent inconsciemment, des relations idéalisées avec
l’Intelligence Service. Tantôt ils omettent l’amorce de coopération en pri-
vilégiant une lecture critique élevée, dans l’idée d’une opposition secrète
indépassable entre Londres et Paris. À ce titre, l’analyse d’Henri Navarre
idéalise une réalité que les archives ne corroborent pas avant 1938 59. La
liaison est désormais active entre les deux services, ainsi que l’atteste les
agendas de Rivet. Menzies vient à Paris voir Rivet le 18 janvier 60. Mais
il n’y a pas de mention de la mission de Schlesser à Londres fin janvier
1939.
En 1939, la coopération envisagée entre les deux centrales de rensei-
gnements intéresse d’abord la Hollande. L’objectif commun est de
démasquer et de neutraliser les activités du renseignement allemand : la
surveillance des individus, l’observation des rendez-vous, l’identification
des agents, la protection de l’action des services de renseignement. Pour-
tant, le constat français est que l’action anglaise de contre-espionnage,
comme celle française, est très insuffisante eu égard au redoublement de
l’effort allemand depuis 1936. Celui-ci bénéficie de la neutralité, sinon
de la bienveillance, de la police hollandaise. Or, d’après Schlesser, les
Anglais sont décidés à intensifier aux Pays-Bas leur action. Il livre son
analyse à Rivet.
« L’aide que l’on peut attendre du SR anglais ?
Le SR anglais jouit d’un privilège à peu près analogue – conséquence du
prestige de la Grande-Bretagne en Hollande et de l’action remarquable de finesse
du major Stevens représentant du SR anglais à La Haye. Inexistant jusqu’en
1939, le CE britannique aux Pays-Bas va devenir puissant parce que le colonel
Menzies et le major Stevens ont compris le danger que constitue pour leur pays

59. Henri Navarre, op. cit., p. 73, consacre un simple paragraphe de 20 lignes sur
un service avec lequel les relations seraient étroites et confiantes, sans l’évocation
d’une date ni d’un fait. La liaison existait côté français avec le capitaine Winterbo-
tham dès 1936, mais elle n’existait pas côté français à l’Intelligence Service.
60. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, cahier 3, p. 54, 17 et
18 janvier 1939. Aucune remarque n’accompagne l’information.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

l’activité considérable du SR allemand en Hollande et parce qu’ils estiment qu’il


n’est aucune action SR possible et profitable dans un milieu où les moyens, les
relations, les procédés de l’adversaire sont inconnus (les agents recrutés par son
prédécesseur étaient des doubles). Le major Stevens va constituer une équipe
d’une vingtaine d’agents de contre-espionnage prêts à fonctionner à tous
moments et en tous lieux… Le major Stevens, d’accord avec le colonel Menzies,
met tous ces moyens à la disposition du SR français ; il demande en échange une
collaboration loyale, et le bénéfice de l’expérience SR du BENE, notamment en
matière d’agents doubles. Il est prêt à concrétiser dans les moindres délais cette
offre. Et Schlesser de noter que, pour être profitable, cette offre doit se pour-
suivre en Belgique et au Luxembourg. Décidé à une collaboration totale, le
colonel Menzies demande que le service de renseignement français prenne à son
compte une organisation analogue en Belgique et au Luxembourg. Il estime avec
raison qu’il est inutile d’éparpiller et de superposer les efforts.
L’attention du chef du SR anglais a été appelée sur la nécessité d’obtenir une
surveillance efficace des frontières hollando-allemande, germano-belge, et ger-
mano-luxembourgeoise – car il y a dépistage, grâce à des intelligences locales, des
passages clandestins de Français ou de Britanniques en Allemagne. Le colonel
Menzies et le major Stevens vont s’efforcer d’avoir des résultats à cet égard en
Hollande, ils demanderont au SR français de faire le nécessaire en Belgique et au
Luxembourg 61. »
La proposition de coopération approfondie, par interopérabilité des
deux services sur la cible hollandaise, est exceptionnelle et inédite, sur un
objectif géographique ciblé entre la France et l’Angleterre. La France est
en position de force par ses moyens déployés en Belgique et en Hollande.
Cette coopération technique est ambitieuse. En réponse, Rivet reçoit le
24 février à Paris le major Stevens et juge suffisamment importante sa
venue pour la noter dans son agenda : « Major Stevens responsable IS en
Hollande. Questions de collaborateurs 62. » Et, de fait, le printemps 1939
voit la réalisation d’une coopération étroite entre le poste français de La
Haye et les Britanniques de l’Intelligence Service 63. Elle se traduit par des
informations avec le service anglais des passeports à l’étranger. Le respon-
sable est le capitaine Jeffeys, en poste à Paris jusqu’à l’été 1936. Il dif-
fuse dans tous les postes des listes de suspects qui sont communiquées
aux Français, notamment sur la Hollande. Le mémento sur les conditions

61. SHD/DAT 7NN 2 502, compte rendu de mission de Schlesser, op. cit.,
p. 11-13.
62. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, cahier 3, p. 59,
24 février 1939.
63. SHD/DAT 7NN 2 151, dossier sur les postes d’étude extérieure, leur organi-
sation et leur fonctionnement, sous-dossier La Haye 1925-1939.

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Les coopérations internationales des services secrets français

d’accès dans les différents pays du monde en fonction de leur législation


est également communiqué à Paris en février 1939. Le poste français de
La Haye s’ouvre désormais à une franche coopération avec les Anglais de
l’Intelligence service, que souligne Stevens au poste de La Haye le 9 mai
1939 64.
L’affaire caractéristique de l’agent double Raphaël B. illustre cette
situation nouvelle en 1939. À la veille de la guerre et durant la cam-
pagne de France, le traitement de cet agent double fait saisir les réalités
pratiques de la mise en œuvre d’une coopération technique entre les deux
services spéciaux étrangers. La manipulation commune d’un agent
double par son officier traitant français et par les services spéciaux anglais
est sur le point d’être expérimentée 65. Le 6 mars 1939, un courrier est
adressé à Paris dans ce sens.
« Mon cher Schlesser, comme suite au récent entretien avec vos deux officiers
à Londres, je serais très heureux de savoir si des renseignements ont été obtenus
depuis lors de R. B. alias H. Dumont, sur l’espionnage allemand en Angleterre.
Sentiments dévoués. Menzies 66. »
Né en 1895 dans une famille belge, Raphaël B., alias H. Dumont,
alias « Li 270 » a été recruté en 1934 par le commandant Fustier. Ce der-
nier est resté son officier traitant au bureau d’études du Nord-Est
jusqu’en 1939, puis lorsqu’il est devenu adjoint de l’attaché militaire à
l’ambassade de France à Bruxelles en 1939-1940. Raphaël B. est rému-
néré comme agent de pénétration de l’Abwehr de 1934 à mai 1940 par
le BENE de Lille. À ce titre, il a procuré aux Allemands des éléments de
réponse à un questionnaire très précis sur les firmes aéronautiques et les
modèles aéronautiques français fabriqués 67. Les demandes portent sur le
nom de la firme, de son directeur ; sur la situation géographique de
l’usine ; sur le nombre d’ouvriers, y compris celui des militants commu-
nistes, au-dessus de 150 ouvriers ; sur l’identité des meneurs

64. SHD/DAT 7NN 2 151, note du major Stevens de l’Intelligence Service au SR


de La Haye concernant la mise en place de la coopération franco-anglaise, 9 mai
1939.
65. SHD/DAT 7NN 2 425, dossier 43 180 Raphaël B., alias Dumont alias Li
270, 1934-1941.
66. SHD/DAT 7NN 2 425, courrier de Menzies, chef de l’IS, à Schlesser, chef
de la SCR, 6 mars 1939.
67. Ibidem, questionnaire du SR allemand, BENE 3 décembre 1938, remis par
l’agent allemand Freymuth à Li 270.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

communistes ; sur la production normale de l’usine, les pertes causées par


les grèves communistes ; sur les usines du nord de la France (textile, soie,
coton, moteurs, usines de produits chimiques, usines à gaz, éclairage ou
industrielles. Les mêmes renseignements sont demandés pour les usines
anglaises. Ces éléments ont été préparés directement en liaison entre le
BENE et le colonel Rivet. La centrale rédige des réponses préparées en
accord avec le 2e et le 3e bureau de l’EMA à destination des agents
doubles, afin de répondre aux questionnaires de l’Abwehr 68. Il donne
l’instruction au commandant Fustier de les communiquer à l’informateur
en plusieurs fois, afin de ne pas éveiller les soupçons de son contact alle-
mand 69. En liaison avec le 2e bureau de l’EMA air, la liste de firmes aéro-
nautiques, de leur direction, de la localisation des usines et des matériels
fabriqués est établie.
Le doute survient sur la loyauté de cet agent de pénétration lorsque la
coopération avec les Anglais dévoile son travail probable sur l’Angleterre
à la demande des Allemands. Schlesser répond en ce sens à Menzies :
« Il n’y a rien de particulier sur les recherches du SR allemand en Angleterre
par l’intermédiaire de H. Dumont. Je fais préciser par mes représentants du nord
la situation actuelle de Dumont (…). M’a fait l’impression d’être sincère et s’il
avait de nouveaux contacts nous en aurions été avertis 70. »
Il dispose des comptes rendus de mission de Li 270, notamment celui
du 12 décembre 1938 remis à son officier traitant à La Haye après son
premier entretien, le 2 décembre 1938, avec l’agent allemand Freymuth
et son adjointe Mme Paula 71. Le dossier d’exploitation par la centrale
française conclut que ce premier contact établi avec un agent allemand
en vue de fournir des renseignements économiques sur la région du Nord
confirme l’intention allemande sur la France et sur l’Angleterre. Schlesser
se retourne ensuite vers le poste de Lille pour demander une vérification
interne au sujet d’éventuels contacts de H. Dumont avec les Anglais à
l’insu de son officier traitant.

68. Gilbert-Guillaume, Mes missions face à l’Abwehr. Contre-espionnage


1938-1945, Paris, Plon, 1971, p. 65-66.
69. SHD/DAT 7NN 2 425, instruction du colonel Rivet au BENE, 14 janvier
1939 avec la liste des réponses au questionnaire allemand.
70. SHD/DAT 7NN 2 425, dossier B., lettre de Schlesser à Menzies, 14 mars
1939.
71. Ibidem, compte rendu détaillé de mission de Li 270 au BENE, nº 6453 du
13 décembre 1939.

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Les coopérations internationales des services secrets français

« Il serait intéressant également de pouvoir faire le point actuel de l’activité,


en tant qu’agent double, de Li 270 et de préciser la nature des missions qui lui
ont été confiées par le SR allemand sur l’Angleterre. Prière agir avec beaucoup de
précaution et de prudence 72. »
Comme agent rétribué des services français, il a établi des contacts
avec des agents allemands, italiens et anglais en Belgique, aux Pays-bas et
au Luxembourg. Des agents italiens et allemands lui ont donné un ques-
tionnaire sur l’Angleterre, à l’instar de l’espion italien Botacci à Bruxelles
en janvier 1939. Sa loyauté n’est pas remise en question. Son dernier rap-
port d’activité parvient au poste de Lille en juin 1939.
« Il y a quelques mois l’agent Li 270, actionné par Charles, a reçu d’un Ita-
lien résidant à Bruxelles nommé Botacci un questionnaire sur l’Angleterre.
Charles en a averti le service central et le SR anglais de Bruxelles. Il avait été
décidé avec ces derniers qu’un W. serait envoyé à Londres pour être présenté par
Li 270 à Botacci. L’entrevue doit avoir lieu le 27 ou le 28 juin. Le service cen-
tral sera tenu au courant de ses résultats. Le poste a adressé au service central le
15 juin 1939 sous le numéro 7805 un renseignement concernant Botacci 73. »
L’entrevue a lieu à Londres le 28 juin entre les agents anglais Cellier
et italien Benito Rinaldini, représentant de commerce à Bruxelles, par
l’entremise de Li 270 74. Un questionnaire est remis par l’agent italien à
l’espion anglais. L’intoxication est donc mise en œuvre avec succès par
les deux agents français et anglais sur instruction du BENE et du poste
anglais de Bruxelles, au profit de la coopération entre les services anglais
et français. Plusieurs mois plus tard, Li 270 quitta la Belgique envahie en
mai 1940. L’opération d’intoxication a-t-elle réussie ? Il s’installe à Tours
avec trois agents belges qu’il a recrutés. Ses multiples jeux, dont les
contacts avec des agents allemands à Bruxelles, lui valent une arrestation
par la police de surveillance du territoire à Tours. Cette dernière fait une
demande de renseignement sur la sincérité de l’agent au bureau des
menées antinationales en septembre 1941. Soupçonné de travailler pour
l’Abwehr et d’atteinte à la sûreté de l’État, il est déféré au tribunal mili-
taire de Clermont-Ferrand en septembre 1941, bien qu’affirmant

72. Ibidem, note de Schlesser, chef de la SCR pour le BENE, 20 mars 1939.
73. SHD/DAT 7NN 2 425, note nº 7907/R du Bureau d’études du Nord-Est à
Lille, au sujet d’un agent double travaillant contre les Italiens, 27 juin 1939.
74. Ibidem, note de renseignement nº 8073/R sur l’entrevue Rinaldini-Cellier à
Londres du 28 juin 1939, BENE, Lille, 11 juillet 1939, 2 p. à EMA/SCR.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

travailler pour le BCR de Tours depuis mai 1940 75. Sa culpabilité n’est
ni prouvée ni infirmée.
En dépit de sa médiocre originalité, l’affaire de l’agent français
Raphaël B. illustre le partenariat prudent des services français et anglais,
mettant en place progressivement une coopération au niveau des services,
indépendamment des conversations d’état-major et diplomatiques durant
l’année 1939. Elle répond directement aux menées subversives des agents
italiens et allemands en Europe occidentale. Cette traque commune aux
espions étrangers laisse ses marques dans les dossiers personnels de sus-
pects, à l’instar de la situation en Belgique en 1938-1939. La Belgique
et les Pays-Bas sont bien le terrain privilégié de cette coopération depuis
1914-1915 76.
De 1919 à 1939, la coopération franco-anglaise est passée par trois
étapes. Elle existe entre alliés depuis l’automne 1914 dans le domaine du
contre-espionnage et s’approfondit au bureau de Folkestone jusqu’en
1919. Anglais et Français retrouvent des objectifs nationaux largement
exclusifs après 1919. Seule une liaison en matière de contre-espionnage
est active de 1920 à 1934, avec une intensité variable, valorisant les
liaisons avec le commissariat spécial de Calais. Elle s’applique spéciale-
ment à la lutte contre les Bolcheviks puis contre les menées de l’URSS, à
l’instar de l’affaire Arcos en 1926-1927. Toutefois, les rivalités impé-
riales justifient, de 1919 à 1938, la poursuite d’intérêts parallèles sinon
concurrents. Aussi faut-il attendre les conversations d’états-majors en
1936-1938 pour que les Français espèrent obtenir une coopération conti-
nentale des deux services spéciaux. Londres la retarde, puis l’Intelligence
Service s’y engage résolument à partir du début de 1938. Le domaine du
contre-espionnage est à nouveau partagé en priorité pour lutter contre les
agents nazis. L’intérêt anglais pour l’exploitation des renseignements
obtenus par les agents doubles français est explicite, notamment en Hol-
lande. La crainte d’une agression aérienne allemande sur Londres est
manifeste depuis le printemps 1938. Cette coopération d’intérêt, non

75. SHD/DAT 7NN 2 425, pièces d’instruction de l’affaire B., juge d’instruc-
tion militaire Evrard, tribunal militaire permanent de la 13e région militaire, 13 sep-
tembre 1941. Déclarations de comparution de B. les 12 et 14 juin 1941 à la police
de surveillance du territoire de Tours.
76. Jean Bardanne, L’Intelligence Service en Belgique, Paris, éditions Baudinière,
1934, 247 p.

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Les coopérations internationales des services secrets français

dénuée d’arrière-pensées, découle des relations diplomatiques et mili-


taires officielles, avec une brève anticipation en 1938. Attaché au Foreign
Office, l’Intelligence Service entre dans le calcul politique et diploma-
tique de Londres, quand à Paris le 2e bureau dépend de la seule autorité
des militaires à l’EMA. Le 25 février 1936, s’adressant à son état-major,
Gamelin a tout dit en « n’étant pas partisan d’une sorte d’Intelligence
Service, craignant de perdre l’indépendance de notre SR 77. » Face à un
contrôle gouvernemental, le monopole de l’information stratégique n’a
pas de prix.

Les neutres ou l’alliance contrariée

La Belgique ou les subtilités d’une neutralité active


À bien des égards, la coopération avec la Belgique s’est affaiblie durant
l’entre-deux-guerres. La neutralité belge répond au souvenir d’une inva-
sion et d’une occupation douloureusement vécues en 1914-1918. Aussi
les autorités politiques et militaires belges sont-elles passées d’un désir de
coopération militaire dans l’immédiat après-guerre à une neutralité plus
résolue à partir du milieu des années 1930 78. L’installation du régime
nazi et les incertitudes de l’attitude hollandaise en cas d’agression alle-
mande à l’ouest l’expliquent largement. Elle est également une réponse
à l’amertume belge devant un certain mépris franco-britannique des souf-
frances belges de la Première Guerre mondiale, et aussi en raison des
règlements de l’après-guerre par les traités 79. L’indifférence anglaise et
l’ignorance française aliènent peu à peu la sympathie de cet allié naturel.
La Belgique a pourtant été l’une des terres de prédilection de la guerre
secrète en 1914-1918. L’invasion allemande, puis l’exil de leur monarque
et de leur gouvernement au Havre à l’automne 1914, a encouragé des
centaines de milliers de Belges à fuir devant l’occupation militaire de la

77. AN 351 AP3, note du général Schweisguth, 25 février 1936.


78. SHD/DAT 7N 2 720, rapports de l’attaché militaire français, le général
Serot Almeras-Latour sur ses entretiens avec le roi des Belges et le général Maglinse
en 1919-1920.
79. Laurence Van Ypersele, Introduction » du dossier consacré à la Première
Guerre mondiale des Cahiers d’histoire du temps présent, nº 7, Bruxelles, 2000, p. 13.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Belgique 80. Longeant la côte, ces réfugiés belges entrent en Grande-Bre-


tagne par Douvres et Folkestone. Tous ne retournent pas en Belgique
durant l’hiver 1914-1915. Certains réfugiés belges, mais aussi français,
transitent par Évian avant d’être envoyés dans des villes françaises
d’accueil. Un interrogatoire permet alors de repérer des candidats éven-
tuels pour les services de renseignement. Ceux-ci peuvent constituer des
recrues pour les réseaux belges de renseignement qui animent la résis-
tance nationale à l’occupation militaire allemande 81. Les Anglais et les
Français y ont mis sur pied des réseaux d’agents qui ont joué un rôle non
négligeable dans l’acquisition de renseignements tactiques et opéra-
tionnels en 1918. Les Anglais centralisent alors à Maastricht et Fles-
singue le renseignement obtenu. Ils ont mis sur pied un important réseau
d’agents belges, la Dame blanche de Hohenzollern, qui commence à ren-
seigner sur l’occupant allemand en juillet 1916 82. Commandée par l’état-
major britannique, elle étend son activité à Liège et au Limbourg, au
Brabant, au grand-duché de Luxembourg, au pays de Namur et de Char-
leroi en 1917, causant des dégâts très importants aux forces allemandes.
En effet, depuis la Première Guerre mondiale, la présence du renseigne-
ment anglais est déterminante en Belgique et aux Pays-Bas. Les postes de
Bruxelles, Rotterdam et La Haye se sont efforcés d’y neutraliser les

80. John Horne, Alan Kramer, 1914 Les Atrocités allemandes, Paris, Tallandier,
2005, p. 29-44 et 59-63 ; Annette Becker, Oubliés de la Première Guerre mondiale.
Humanitaire et culture de guerre 1914-1918. Populations occupées, déportés civils, pri-
sonniers de guerre, Paris, Éditions Noésis, 1998, p. 27-29 ; Philippe Nivet,
« Réfugiés », in Encyclopédie de la Première Guerre mondiale, op. cit., p. 804-806. Au
total, il y a un million de Belges aux Pays-Bas fin 1915, 250 000 en Grande-Bre-
tagne et 115 000 en France. Un certain nombre retourna en Belgique devant la pro-
messe allemande de respecter les libertés individuelles et de ne pas être incorporé
dans les troupes allemandes, ni d’être déporté.
81. Laurence Van Ypersele, Emmanuel Debruyne, De la guerre de l’ombre aux
ombres de la guerre. L’espionnage en Belgique durant la guerre de 1914-1918,
Bruxelles, Éd. Labor, 2004, 316 p. Emmanuel Debruyne, « Les services de renseigne-
ment alliés en Belgique occupée », in S. Jauman, M. Amara, B. Majerus et A. Vrints
(dir.), Une guerre totale ? La Belgique durant la Première Guerre mondiale. Nouvelles
tendances historiographiques, Bruxelles, 2005, actes du colloque international des
15-17 janvier 2003.
82. Jean Bardanne, L’Intelligence Service en Belgique, Paris, Éd. Baudinière, 1935,
p. 51-67 sur le réseau de la Dame blanche. Emmanuel Debruyne, Laurence Van
Ypersele, op. cit.

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Les coopérations internationales des services secrets français

espions allemands travaillant sur l’Angleterre depuis l’Europe continen-


tale. Après guerre, les Anglais misent sur la Hollande, délaissant le front
du renseignement en Belgique à la France. Les intérêts anglais sont plus
naturellement développés en Hollande, s’appliquant notamment au
domaine des activités maritimes et bancaires. Les moyens français
d’espionnage et de contre-espionnage sont importants en Belgique. En
1920, Bruxelles est le cœur d’un dispositif d’antennes de contre-espion-
nage comptant Anvers, important foyer bolchevique, Charleroi, centre
principal de désertion française, Ostende, port d’embarquement de sus-
pects, et Liège, rendez-vous des suspects des pays rhénans 83. L’attaché
militaire français à Bruxelles garde une relation privilégiée avec les auto-
rités belges dans les années 1920, mais qui se dégrada peu à peu au début
des années 1930.
Les tentatives d’un partenariat secret franco-belge sont difficiles 84.
Entre 1919 et 1924, la participation belge à l’occupation militaire en
Allemagne concourt à partager des renseignements sur l’Allemagne. En
mars 1920, un éphémère projet de fusion des moyens de renseigne-
ments est proposé par le lieutenant-colonel Schmitt, chef de la 2e sec-
tion de l’état-major de l’armée belge. Il l’adresse au commandant Jean
Merson, alors chef du poste français d’Aix-La-Chapelle qui étend ses acti-
vités à la Belgique. « Le colonel Schmitt voit cette entente tellement
étroite qu’il rêve un service de renseignement unique pour les deux pays
(…). Il m’a montré à l’appui une carte très secrète résumant cette organi-
sation. Il est allé dans la voie des confidences plus loin qu’on a l’habi-
tude de faire entre services de renseignement du même pays : sauf le nom
des agents et le chiffre de ses crédits, il m’a dévoilé tout son service de
renseignement militaire 85 ». Très avancée, la proposition ne débouche
pas en raison des réserves du général Maglinse, nouveau chef d’état-
major de l’armée belge, liant cet accord à des concessions escomptées de

83. SHD/DAT 7NN 2 151, note SCR/EMA2 sur l’organisation du contre-


espionnage, 18 mars 1920.
84. Rémi Decoput-Paolini, Nicolas Fleurier, « La France, la Belgique et la
défense du traité de Versailles. De 1919 au milieu des années 1920 », in 1918-1925.
Comment faire la paix ?, op. cit., p. 171-191.
85. SHD/DAT 7N 2 720, note du commandant Merson, chef du poste d’Aix-
La-Chapelle à l’attaché militaire français à Bruxelles le 18 mars 1920.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

la France concernant les chemins de fer du Luxembourg 86. Les échanges


se font d’emblée selon des procédures restrictives à l’initiative belge. Le
CLF de Mayence, puis le service d’Aix-La-Chapelle en zone belge à
compter de janvier 1926 permettent une coopération opérationnelle
réservant l’idée d’une intégration des moyens de renseignements. Le chef
d’état-major général belge, le général Maglinse, rappelle à nouveau les
divergences de vue entre les deux états-majors lors du redéploiement des
zones d’action du poste d’Aix-La-Chapelle en décembre 1925. Les ser-
vices français ne peuvent alors recruter des agents en zone d’occupation
belge.
« Je relève, dans la note annexée à votre lettre, que le but poursuivi est de
“constituer”, à la mobilisation, le noyau français qui viendra fusionner avec le
service de renseignement belge dans une région à déterminer, pour la constitu-
tion d’un service de renseignement franco-belge dont le principe est accepté par
l’état-major belge. Il n’est pas, à ma connaissance, qu’une entente soit inter-
venue entre les états-majors français et belge au sujet d’un service de renseigne-
ment en commun. Il fut simplement convenu, en février 1922, que l’état-major
belge assurerait, en cas de mobilisation, l’installation à Anvers d’un service
français (…) 87. »
Les accords ne prévoient pas la constitution d’un service de renseigne-
ment mixte, mais autorisent l’installation à Anvers d’un service français
pouvant échanger avec les autorités belges 88. L’objectif est ici l’informa-
tion sur la Hollande, le Hanovre, la Westphalie et la zone évacuée. Les
relations françaises avec les Belges sont d’autant plus compliquées qu’ils
considèrent le renseignement sur la Hollande comme leur terrain réservé.
Ils limitent leur coopération au contre-espionnage sur l’ennemi 89. En
outre, le débat politique intérieur débouche sur une dénonciation de
l’existence même des services de renseignement belges, non contrôlés par

86. SHD/DAT 7N 2 720, lettre du général Serot Almeras-Latour, attaché mili-


taire à Bruxelles au ministre de la Guerre, au sujet d’un accord militaire entre Paris et
Bruxelles, 19 mars 1920.
87. SHD/DAT 7NN 2 101, lettre nº 6627 du général Maglinse, chef d’état-
major belge au général Debeney, chef d’état-major français, 22 décembre 1922.
88. SHD/DAT 7NN 2 101, note de la SCR/EMA2 à l’état-major général Armée
du Rhin, bureau de Mayence, du 28 décembre 1925, au sujet de l’installation d’une
annexe à Aix-La-Chapelle.
89. SHD/DAT 7N 2 724, note de l’attaché militaire français à Bruxelles au sujet
de la suppression de la sûreté miilitaire belge, rattachée à la sûreté de l’État du minis-
tère de la Justice, pour des raisons politiques, 20 mars 1929.

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Les coopérations internationales des services secrets français

le Parlement, au printemps 1929 90. L’évacuation de la Rhénanie en jan-


vier 1930 interrompt les échanges de renseignements collectés sur l’Alle-
magne depuis les zones occupées. La liaison d’état-major continue
d’exister en temps de paix. Elle est consacrée au début des années 1930
par le fonctionnement d’un poste mixte franco-belge. Le colonel Lainey
revient encore en 1932 sur les attentes françaises en dépit de réticences
belges qui se renforcent.
« La liaison nous assure que, dans le cas le plus défavorable, la Belgique
neutre, nos services spéciaux jouiraient en Belgique d’une liberté suffisante, à
condition de ne pas compromettre ouvertement la neutralité du pays 91. »
Les années 1933-1939 marquent de nouvelles déceptions. La coopé-
ration entre les deux pays est pourtant décevante avec l’abandon des réu-
nions d’état-major prévues par l’accord de 1920. En 1933, le nouveau
ministre de la Défense belge Albert Devèze rétablit les contacts. Entre
1934 et l’été 1936, la coordination est à nouveau tentée. En avril et en
juillet 1936, les conversations d’état-major anglo-franco-belges, puis
franco-belges ne lèvent toutefois pas les ambiguïtés des échanges secrets
entre les deux pays selon Schweisguth 92. Ce début de coordination vole
en éclats avec la crise internationale de mars 1936. La Belgique dénonce
l’accord de 1920, déclare une politique de neutralité armée, met fin aux
contacts d’état-major. Surtout, Bruxelles décide en octobre 1936 de ne
faire appel à l’aide française qu’en cas d’une attaque allemande. Cette
décision risque de rendre la réponse française à une invasion allemande
de toute façon trop tardive, expliquant l’option stratégique française du
plan E de 1938 qui prévoit la défense d’une « position frontière » par une
simple avancée sur l’Escaut, voire jusqu’à la Dyle 93.

90. SHD/DAT 7N 2 724, note du colonel Chardigny, attaché militaire français


à Bruxelles au ministre de la Guerre au sujet de la polémique belge sur les services de
renseignement belges, 28 mars 1929.
91. SHD/DAT 7N 2 485, rapport du colonel Lainey du 19 octobre 1932 à
l’EMA au sujet de l’organisation des services spéciaux.
92. AN 351 AP3, notes du 15 mai et 16-17 juillet 1936.
93. Jean Doise, Maurice Vaïsse, Diplomatie et outil militaire, Paris, IN, 1987,
p. 298-299. Bruno Chaix (général), En 1940, fallait-il aller ou non en Belgique ?
Décisions et plans opérationnels de la campagne de France, Paris, Economica, 2000 et
« Les plans opérationnels de 1940 : aller on non en Belgique ? », in Christine Levisse-
Touzé (dir.), La Campagne de 1940, op. cit., p. 54-55.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

« Mettre au courant nos attachés militaires à Bruxelles et Londres des consé-


quences de l’évolution belge. Ne pas changer notre concentration mais ne pas
faire de promesses fermes aux Belges. »
À l’issue du grand rapport de l’EMA présidé par Gamelin, le général
Schweisguth souligne le 20 octobre 1936 la position française de désen-
gagement 94. Les liaisons anciennes du bureau d’études du Nord-Est de
Lille sont donc activées en 1936. Le changement d’orientation de la Bel-
gique rend la tâche du poste délicate. Aucun poste français ne peut être
établi à proximité de la frontière franco-belge. Des informateurs sont
recrutés dans le « pédoncule » de Givet, et jusqu’à Anvers, pour obtenir
un renseignement. Toutefois, leur rendement est jugé faible en 1936. Il
est à lier aux réticences des autorités officielles belges à accorder la
moindre aide aux services français. La neutralité est bienveillante, à
condition qu’aucune affaire d’espionnage n’éclate, susceptible de ruiner
l’image française dans l’opinion publique belge. Quelques honorables
correspondants livrent toutefois des informations précieuses, jusque dans
les milieux de la sûreté belge, en soulignant le rôle de l’honorable corres-
pondant Li 46. Cette production d’information s’affaisse lorsque ces
honorables correspondants décident d’aider désormais le nouveau ser-
vice de renseignement belge créé en 1936 95. En 1937, le commandant
de Brantes, adjoint à l’attaché militaire français, suit les consignes très
strictes du Quai d’Orsay. Celles-ci sont de ne pas coopérer avec le service
de renseignement dans un pays neutre, afin de ne pas nuire aux relations
officielles. En 1937, l’isolement diplomatique français conduit à ménager
Bruxelles. La contradiction entre les deux principes, militaire et diploma-
tique, jouait à nouveau dans les faits.
À la fin des années 1930, la coopération s’avère de plus en plus diffi-
cile en Belgique. Les pressions exercées par l’Allemagne, et l’Italie à
moindre degré, dissuadent les États neutres de coopérer avec la France et
l’Angleterre. Ces États sont invités à appliquer une conception entière et
abstentionniste de la neutralité. Les instructions ont été données par
Rivet à l’agent Wullus-Rudiger qui coiffe les moyens clandestins français
en Belgique. L’objectif est de neutraliser les agents allemands et italiens,
actifs également au Luxembourg. L’enjeu est tel pour Paris que le colonel

94. Ibidem, note du 20 octobre 1936.


95. SHD/DAT 7NN 2 502, rapport sur l’activité du Bureau d’études du Nord-
Est, SR/EMA2, du 6 janvier 1937, p. 1-2.

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Les coopérations internationales des services secrets français

Laurent, ancien chef des services spéciaux de 1928 à 1934, fut envoyé
comme attaché militaire à Bruxelles en juillet 1937. Sa mission est bien
de renouer les liens distendus. Il y parvient difficilement. Ses échanges
avec Rivet sont fréquents. Il est reçu le 29 septembre 1937, puis le
26 octobre 1937 par Rivet. Celui-ci lui expose les accords oraux avec le
chef de la sûreté belge qu’il a rencontré le 25 juillet 1937 à Paris.
L’attaché adjoint, chargé de l’espionnage et du contre-espionnage, est le
commandant Fustier. Il assure généralement les liaisons avec la capitale
française. En janvier et en février 1938, il est à Paris 96. Il informe de la
présence d’un nouveau service de renseignement belge, peu actif, mais
peu disposé à collaborer. Cela entraîne une difficulté et des obligations de
prudence inédites en Belgique. À la réunion des chefs de poste de jan-
vier 1938, le responsable de la liaison avec Bruxelles, Charles, expose que
les relations de coopération sont « courtoises mais sans relations tan-
gibles. Avec l’état-major belge, elles sont nulles ». Le colonel Louis Rivet
lui donne alors pour instruction de « maintenir cette liaison en la rédui-
sant au strict nécessaire. Il faut attendre l’occasion favorable de nouer des
relations avec le jeune SR belge et envoyer tous les agents possibles sur
le poste de Lille 97 ». Quelques jours plus tard, un entretien télépho-
nique entre Laurent et Rivet révèle l’importance du théâtre belge pour
Paris. Informé de la préparation d’une loi sur l’espionnage en Belgique,
Rivet demande au colonel Laurent d’agir pour « s’efforcer de l’empêcher
d’aboutir ». Le but est de ne pas exposer les agents travaillant pour Paris à
une loi répressive 98.
En définitive, la coopération a été active au début des années 1920.
Conditionnelle de 1925 à 1936, elle s’appliqua davantage au contre-
espionnage. Mais elle s’estompe progressivement, par la volonté belge
d’appliquer la conception d’une neutralité active après 1925. Elle s’étiole
encore après 1935-1936 pour devenir minimale en 1938-1939. La
menace allemande à peine voilée sur les neutres aggrave la tentation du
repli protectionniste. En revanche, les relations avec la Hollande répon-
dent à une évolution sensiblement différente.

96. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 2, 4 janvier
1938, p. 13.
97. SHD/DAT 7NN 2 463, compte rendu de la réunion des chefs de poste à
Paris fin janvier 1938, au sujet des liaisons avec le autorités militaires étrangères.
98. Archives privées Rivet, op. cit., 8 février 1938, p. 17.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

La Hollande, un dispositif charnière face à l’Allemagne et à la


Grande-Bretagne
La géopolitique hollandaise suffit à expliquer l’intérêt français de créer
une coopération stratégique avec la Hollande. Au cœur de l’Europe occi-
dentale, elle tient, à bien des égards, un rôle crucial pour les activités
commerciales et financières internationales. Sa proximité géographique
avec Londres en fait un des maillons du circuit financier anglais, par les
liens bancaires et capitalistiques entre les entreprises des deux pays. Son
empire colonial, en ne citant que les Indes et la Guyane néerlandaises,
en font un partenaire fort pour l’import-export de produits coloniaux et
de pétrole. Par ailleurs, la levée de fonds par les agents du Komintern
pour financer leurs activités en France en Belgique les fait agir depuis la
Hollande. La délégation des soviets de Stockholm transférerait les fonds
reçus de Moscou à la Banque du commerce et de l’industrie de Var-
sovie, fondée en 1921, à Rotterdam pour les transférer ensuite à Paris et
Bruxelles 99. Les canaux de ramification des circuits financiers européens
apparaissent. Mais les enquêtes des services français butent souvent sur le
secret bancaire. La Hollande se transforme en base arrière des échanges
financiers internationaux lorsque la France envahit la Ruhr 100. Les rapa-
triements de capitaux allemands y sont suspectés par les services français
sans parvenir à le démontrer alors. La proximité des milieux d’affaires
allemands et hollandais, avec le lien anglais, s’établit en Hollande. Aussi,
le renseignement français multiplie-t-il les enquêtes commerciales par le
poste clandestin de renseignement de La Haye, en liaison avec l’attaché
militaire français.
Les agissements de la société anonyme N.V. Rhodius Koenigs Handel
Maatschappij à Amsterdam sont un exemple intéressant. Créée en 1920,
cette firme traite les opérations financières des importations et des expor-
tations liées à des banques allemandes, Delbruc et Schickler à Berlin et
à Cologne. Sa surveillance fait apparaître les liens de ses fondateurs, A.
Rhodius et Walter Bürmann, avec les milieux industriels et financiers
allemands. Parmi eux figurent en 1924 la famille Krupp, G. von

99. SHD/DAT 7NN 2 335, note de La Haye à SCR/EMA2 du 31 mai 1823 au


sujet de l’envoi d’argent bolchevik depuis l’étranger.
100. SHD/DAT 7NN 2 335, note de renseignements de La Haye à SCR/EMA2
du 6 avril 1923 (bonne source) au sujet des passages des industriels de la Ruhr en
Hollande.

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Les coopérations internationales des services secrets français

Siemens, Mannesman, l’ancien secrétaire d’État Bergmann. La société


aurait participé à la spéculation à la baisse contre le franc au printemps
1924, sans que les éléments réunis par le contre-espionnage français
n’emportent la conviction 101. À la fin des années 1920, elle aurait servi
à camoufler des activités d’espionnage allemand. En 1939, elle continue
d’être suspectée de camouflage d’activités illégales par les services spé-
ciaux français 102. Ce cas n’est pas unique. D’autres sociétés sont sur-
veillées. L’évolution de la firme des frères Antoine et Gérard Philips,
fabriquant du matériel électrique, attire l’attention des services français.
Elle s’efforce de réaliser une intégration horizontale dans la fabrication
des lampes, par une politique d’inventions grâce à son état-major étoffé
d’ingénieurs, de chimistes et de techniciens 103. L’espionnage allemand est
également actif, camouflé dans l’International Press Union (IPU). Cette
agence de presse est dirigée à Amsterdam de 1920 à 1939 par Pieter
Kîrner (1879-1938). Il était déjà présent en Hollande en 1914. Un
important dossier rassemble les soupçons pesant sur cette firme, forte de
nombreuses succursales dans le monde, dont Paris et toutes les capitales
européennes. Elle abrite un important réseau d’espions allemands durant
tout l’entre-deux-guerres 104. L’agence diffuse des bulletins d’information
pour masquer les activités d’un réseau de plusieurs agents 105. Elle est sur-
veillée par Scotland Yard depuis 1920 et par l’Intelligence Service depuis
décembre 1924. Un échange de correspondance entre Menzies et Lainey
atteste une coopération franco-anglaise pour enrayer les menées de Kîrner
en 1925-1926, sans que des résultats probants aient d’ailleurs été

101. SHD/DAT 7NN 2 511, note de renseignement de la SCR/EMA2 au sujet


de Félix Robert Rhodius et des instructions de spéculation contre le franc reçues du
ministère allemand des Affaires étrangères, 12 avril 1924.
102. SHD/DAT 7NN 2 511, note SCR/EMA2 du 4 juillet 1939 sur les activités
suspectes de la banque Rhodius.
103. SHD/DAT 7NN 2 335, note de renseignements du poste SR de La Haye
du 1er décembre 1923 au sujet des usines Philips d’Eindhoven, adressée au ministère
du Commerce. La Glœilampenfabrik produit des lampes-détecteurs pour la TSF, des
accessoires électriques, des lampes à arc, des ampoules électriques…
104. SHD/DAT 7NN 2 351, dossier sur l’International Press Union de Kîrner
de 1920 à 1939.
105. SHD/DAT 7NN 2 351, note de La Haye à SCR/EMA2, 10 juin 1920 au
sujet de l’IPU.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

obtenus 106. Aux contacts de l’IPU figure une société à Cassel, la firme
Messing, suspectée d’être la couverture du poste d’espionnage allemand
de Cassel ou de Munster sur la France. L’IPU espionne en réalité le
commerce des matières premières, des produits alimentaires et du pétrole
vers la France, la Grande-Bretagne et la Belgique de 1920 à 1932 107. Les
agents, à l’instar de Jaeger en 1928-1929, les boîtes aux lettres et les
menées de l’IPU sont constamment identifiés dans les années 1920 au
point que son activité semble neutralisée en 1931-1932. De nouveaux
agissements sont suspectés en 1938-1939, mais désormais sur instruc-
tions directes de la légation d’Allemagne à La Haye.
La position du renseignement français s’élargit peu à peu en Hol-
lande dans l’entre-deux-guerres, grâce à l’action de l’attaché militaire
adjoint à La Haye et l’antenne installée à Amsterdam depuis le prin-
temps 1924. L’organisation est classique, car un camouflage commercial
pose toujours le problème de la sécurité des archives. Lestanville et Vau-
trin sont affectés à Amsterdam de 1924 à 1926 108. Temporairement, le
renseignement sur la Hollande a été rattaché au poste à Trèves de 1925 à
1929 avec Mangès. Dorange le dirige enfin à partir de 1929. Par ail-
leurs, le poste de Copenhague, tenu par le capitaine Sorne, attaché mili-
taire adjoint, est réorganisé pour dépendre de l’attaché militaire de La
Haye. Celui-ci est le colonel Burin des Roziers à partir du 1er février
1927. L’Allemagne du Nord en est la cible. Burin des Roziers conçoit :
« une situation inverse du poste de Copenhague de celle des postes de Hol-
lande : il y a une grande liberté d’allures et une assez grande difficulté de recru-
tement. C’est sur le recrutement des agents que doivent porter pour le moment
les efforts (du capitaine Sorne). Au lieu de chercher à percer la barrière du
Schleswig, il aura plus de chance d’opérer par les grands centres, Hambourg,
Kiel, Stettin. Le concours des consuls pourra lui être utile de même que les indi-
cations qui pourraient lui être données par la SR sur les organes ayant fonctionné
en Allemagne sous le couvert de la Commission de contrôle 109. »

106. Ibidem, lettre de Menzies, chef de l’IS, à Lainey, 9 décembre 1925 au sujet
de P. Kîrner.
107. SHD/DAT 7NN 2 531, note de renseignement nº 2975 du poste de La
Haye à SCR/EMA2 du 13 novembre 1925, au sujet de l’enquête de la police de la
Haye sur l’IPU à la demande de l’I DE Londres.
108. SHD/DAT 7NN 2 151, compte rendu de Vautrin, chef de l’antenne
d’Amsterdam à SR/EMA2, 12 juillet 1924.
109. SHD/DAT 7NN 2 151, rapport du colonel Burin des Roziers, attaché
militaire à La Haye et à Copenhague à SR/EMA2, 1er avril 1927.

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Les coopérations internationales des services secrets français

Le poste de Copenhague, avec deux secrétaires faisant la revue de


presse et du travail d’analyse des informations, couvre le nord-ouest de
l’Allemagne et la Baltique pour le compte du poste de La Haye. Les rela-
tions de l’Allemagne avec l’URSS, la Suède et la Norvège dans l’espace
balte dessinent son domaine de recherches, en observant notamment
l’approvisionnement des matières premières dont le minerai de fer de
Suède 110.
Pourtant, depuis 1920, les services d’espionnage français sont
devancés par l’activité du poste anglais de La Haye, abrité par le service
des passeports de la légation britannique. Il y est présent depuis la Pre-
mière Guerre mondiale. Les services anglais y recrutent des agents dans
les milieux des réfugiés et des activistes drainés par les rencontres paci-
fistes et internationalistes des années 1930. En 1929, une affaire révèle la
récupération d’anciens agents anglais, de nationalité hollandaise, par les
services français. Ces liens des services de renseignement anglo-hol-
landais perdurent au début des années 1930. La faiblesse des moyens
financiers et humains du renseignement militaire hollandais en 1933
aurait pu pousser à une coopération logiquement plus intégrée. Mais il
n’en est rien en réalité 111. Les réticences hollandaises à coopérer avec la
France tiennent à sa neutralité stricte. « [Par une source très sûre], les
notes de renseignement donnent des aperçus très intéressants sur les
armements allemands, sur le camouflage du budget et sur les projets
hitlériens concernant la violation probable de la neutralité hollandaise. Le
gouvernement hollandais a la plus grande confiance dans son correspon-
dant qui vit en Allemagne, y occupe une très bonne situation dans les
affaires et possède de sérieux moyens de documentation. Ce gouverne-
ment est parfaitement éclairé sur les dangers que les agissements du gou-
vernement hitlérien font courir à son pays mais, bien qu’on puisse noter
un léger rapprochement avec la France et une certaine crainte de l’avenir,
il ne semble pas qu’il y ait encore un désir bien net de parer à ces dangers

110. SHD/DAT 7NN 2 151, note de la SR/EMA2 du 19 février 1927 sur la


réorganisation du poste de Copenhague.
111. SHD/DAT 7NN 2 335, note du poste de La Haye nº 6690 au sujet de la
chute du financement du service central de renseignements néerlandais, 21 sep-
tembre 1933.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

en s’appuyant réellement sur notre pays 112. » En réalité, les autorités hol-
landaises sont partagées dans ce choix, ainsi que le démontre la collabo-
ration poursuivie entre les polices néerlandaise et allemande après 1933.
En 1936, les Hollandais craignent alors davantage le bolchevisme que
l’hitlérisme. En 1938, le service de renseignement civil policier néer-
landais du commissaire Broekhof est encore suspecté par le poste français
de Lille (BENE) de travailler avec les Allemands, précisément contre les
menées communistes en Hollande 113. Le service de renseignement alle-
mand agit depuis le consulat allemand.
Pourtant, les résultats sont inégaux dans les années 1929-1939.
À défaut d’accord officiel, les échanges de renseignements se font à titre
plus personnel. Depuis le début des années 1930, le commandant
Darbou (alias Dorange), chef du poste de La Haye, s’efforce d’accélérer
les échanges de renseignements militaires et politiques. Mais il peine à
obtenir une véritable coopération, tant du côté de l’état-major de l’armée
à Paris que du côté hollandais. Le général Schweisguth s’efforce de faci-
liter des contacts passablement compliqués en 1935.
« Vu Roux qui se plaint que le général Loizeau (alors premier sous-chef
d’état-major à l’EMA) l’ai empêché de se rencontrer avec le chef du SR hol-
landais, d’aller en Italie et à Prague pour une mission importante 114. »
À l’approche de l’orage rhénan, le même Schweisguth encourage
l’attaché militaire français, le colonel de Fonsegrive, à sonder l’état-
major hollandais et son 2e bureau le 6 mars 1936 en cas d’une interven-
tion aérienne franco-anglaise depuis les aérodromes hollandais. On sait
que les Anglais sont informés depuis février d’un souhait de l’EMA d’un
pont aérien anglais en cas de coup de force allemand. Fin avril 1936, le
colonel Van Œrschoot, chef des services secrets hollandais, se déplace à
Paris pour faire le point de la situation allemande, persuadé que les géné-
raux allemands ne sont pas prêts à marcher dans un nouveau coup de
force, vraisemblablement en Autriche dans son esprit 115. L’information
intéresse l’EMA, car il est contredit par le colonel de Villelume qui tient

112. SHD/DAT 7NN 2 335, courrier confidentiel du chef du poste de La Haye


au chef de la SR-SCR/EMA2, 30 avril 1934.
113. SHD/DAT 7NN 2 335, note de renseignement nº 5739/R du BENE du
13 septembre 1938 au sujet de l’organisation du SR et du CE hollandais.
114. AN 351 AP2, carnets du général Schweisguth, 30 octobre 1935.
115. Ibidem, 20 avril 1936.

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Les coopérations internationales des services secrets français

une information sur un projet nazi en Autriche dans les six semaines à
venir. Ce renseignement est démenti par les faits.
À sa prise de fonction, Louis Rivet se déplace les 6 et 7 juillet 1936
en Hollande pour y rencontrer les autorités militaires nationales. Il voit
les généraux Roëll, chef de l’armée en campagne, et Reynders, chef de
l’EMA, ainsi que le ministre de France à La Haye, M. de Vitrolle, et le
consul de Rotterdam.
« Entretien avec le colonel Van Orschoot, chef du 2e bureau et de ses offi-
ciers. Étudié mobilisation de l’AM avec le lieutenant-colonel Gauché, de l’arsenal
(cdt d’Alès). Accueil aimable et réservé des généraux hollandais. (Roëll) approuve
ces contacts, sans plus. Manifestation de collaboration étroite et franche du
colonel V. O. contre la menace allemande. Visite de l’installation de Fontès au
consulat de Rotterdam. Impression : désir de neutralité chez les Hollandais, réso-
lution de mobiliser contre une violation du territoire, impuissance de l’armée,
force des obstacles. SR non organisé et sans moyens sur l’Allemagne 116. »
Rivet et le colonel Gauché, chef du 2e bureau de l’EMA français, sont
sans illusions sur les perspectives de la coopération de renseignement avec
la Hollande et l’analyse des réalités stratégiques. Le BENE à Lille, qui a
dans son champ d’activité la Hollande et la Belgique, construit difficile-
ment un partenariat avec la Hollande neutre, en répartissant ses
recherches entre Liège et le Limbourg d’une part, le reste de la Hollande
d’autre part. Ainsi Paris obtient officieusement en 1937 du service cen-
tral de renseignement néerlandais des informations sur les mouvements
révolutionnaires en Hollande, sur l’activisme communiste, sur l’identité
des réfugiés allemands, antifascistes et communistes qui y transitent 117.
La création du poste permanent à Rotterdam en 1936 est sans consé-
quence pratique pour le bureau d’études du Nord-Est.
Cette création, sans doute en raison de la faible sympathie des popu-
lations pour la France dans le nord de la Hollande, n’accroît pas en 1936
et 1937 le recrutement d’agents hollandais. Dans son rapport d’activité
de 1936, le BENE souligne l’aide « à peu près nulle apportée par les
autorités hollandaises ». Certes, les échanges de renseignements avec le
poste hollandais de Maastricht grâce à l’intervention de deux honorables
correspondants ont progressé de février à avril 1936. Mais l’arrestation de

116. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 1, 6-7 juillet
1936, p. 4.
117. SHD/DAT 7NN 2 321, dossier sur la surveillance de la Hollande et les
menées communistes, 1934-1937.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

l’officier hollandais, pour un délit ne touchant pas à l’espionnage, a tari


cette collaboration naissante. Le travail de l’attaché militaire français a
resserré les liens avec le 3e bureau hollandais de mai à octobre 1936, sans
toutefois trouver de traduction concrète.
À la fin de l’année 1936, « ces relations particulièrement cordiales restent
toutefois assez platoniques. Elles assurent au poste une neutralité bienveillante,
très appréciable, une sécurité assez réelle en Hollande, mais très peu de chose
finalement dans le domaine positif, (hormis) l’envoi d’un déserteur allemand à
Lille par les autorités hollandaises 118. »
La coopération entre les services de renseignement comme les rela-
tions entre les autorités officielles continuent donc avec une faible inten-
sité, en dépit des espérances d’évolution positive pour 1937. Dorange
conclut pourtant dans son rapport de janvier 1937 au resserrement de la
liaison et de la collaboration avec le service de renseignement hollandais
en vue d’échange du renseignement sur l’Allemagne. Le rendement est,
à son sens, satisfaisant dans le domaine du contre-espionnage et de
l’exploitation de la presse allemande comme du renseignement écono-
mique sur l’Allemagne. Le rendement est en revanche médiocre pour le
renseignement d’ordre militaire sur l’Allemagne par l’impossibilité
d’avoir des informateurs dans l’armée allemande. La révision des instruc-
tions aux informateurs (routes, chemins de fer, ponts aux frontières) a été
faite après la crise du 7 mars 1936 pour obtenir un renseignement
d’alerte quasi instantané en cas de mobilisation allemande à la frontière.
Les incertitudes dominent cette coopération franco-hollandaise.
Depuis janvier 1936, la permanence des liens entre l’Intelligence Service
et le service de renseignement militaire de l’état-major néerlandais d’une
part, entre la police hollandaise et Scotland Yard d’autre part, est claire
pour Paris. Le renseignement français a vent de négociations entre l’état-
major hollandais et Londres, par crainte d’une possible invasion alle-
mande par le pays. Or la Hollande n’a pas les moyens de se défendre
contre une agression aérienne notamment. Aussi La Haye négocie à la
même heure la mise à disposition d’aérodromes à Londres pour faciliter
l’intervention des escadrilles de bombardement lourd anglaises depuis la
Hollande.
« Mais ce qui rend difficile l’organisation de ce système de défense, c’est
qu’en raison du peu de largeur du pays, le renseignement risque d’arriver trop

118. SHD/DAT 7NN 2 502, rapport sur l’activité du bureau d’études du


Nord-Est à Lille en 1936, 6 janvier 1937, p. 2-3.

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Les coopérations internationales des services secrets français

tard. Aussi le service de renseignement a-t-il prévu en Allemagne même une série
de postes munis d’appareils TSF pour donner l’alerte, tant en cas d’attaque
aérienne qu’en cas d’attaque brusquée par des éléments motorisés. Une certaine
entente est même intervenue entre le colonel Van Oorschot et le chef de l’Intel-
ligence Service, le commander Fletscher, [par] laquelle les postes anglais installés
en Allemagne pourront utiliser des relais hollandais pour transporter leurs mes-
sages. Cette organisation doit être mise sur pied d’accord avec le SR néerlandais
et le représentant de l’Intelligence Service à La Haye, Mr Dalton, chargé des pas-
seports à la légation de Grande-Bretagne 119. »
Ces informations sont échangées alors oralement entre l’attaché mili-
taire français et le chef du renseignement hollandais craignant une
attaque sur les villes hollandaises, pour interdire toute intervention exté-
rieure, notamment anglaise 120. Mais si l’accord est mis en œuvre avec les
Anglais, ceux-ci n’en informent la France qu’ultérieurement. Car depuis
le second semestre 1938, Français et Anglais agissent ensemble en Hol-
lande afin de partager le renseignement qu’ils y collectent de façon plus
systématique en 1939. La surveillance très étroite des frontières hollando-
allemandes, dans le Limbourg notamment, rend déjà très difficile l’entrée
des agents en Allemagne en 1937-1938 121. Le poste français en Hol-
lande maintient un réseau comptant une petite dizaine d’agents perma-
nents en 1937 122. En janvier 1938, Dorange peut affirmer à la réunion
annuelle des chefs de poste que les relations sont excellentes avec ses
interlocuteurs hollandais, notamment sur le plan du contre-espion-
nage 123. On peut en conclure que l’articulation des dispositifs de coopé-
ration franco-belge et anglo-hollandaise ne s’est faite que très tardivement
en 1939. En outre, les tentatives françaises pour arrimer une coopération
stratégique franco-hollandaise en matière de renseignement ont régulière-
ment échoué depuis 1934.

119. SHD/DAT 7NN 2 335, note de renseignement de l’attaché militaire


français à La Haye à SR-SCR/EMA2, le 11 janvier 1936.
120. SHD/DAT 7NN 2 335, note 362/S du lieutenant-colonel Lespinasse-Fon-
segrive, attaché militaire à La Haye, à SR-SCR/EMA2 du 25 février 1936 au sujet de
la crainte hollandaise d’une attaque aérienne allemande.
121. SHD/DAT 7NN 2 335, note de renseignement de Dorange à La Haye
pour SR-SCE/EMA2 du 26 juin 1938 sur la fermeture de la frontière hollandaise
par les services allemands.
122. SHD/DAT 7NN 2 463, compte rendu de l’activité du poste Dorange en
Hollande au cours de l’année 1936, janvier 1937, p. 2-5.
123. SHD/DAT 7NN 2 463, compte rendu de la réunion annuelle des chefs de
poste à Paris, fin janvier 1938.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Par ailleurs, le dépouillement de la presse spécialisée hollandaise


permet au poste de suivre l’actualité commerciale et financière pour
donner à Paris du renseignement économique, notamment sur les
colonies néerlandaises 124. Les liens anglo-hollandais entre la Javashe Bank
et des capitaux anglais sont identifiés dans l’industrie du caoutchouc.
Mais l’information peut aller également vers l’augmentation du tonnage
des marchandises affrétées par l’Anglo-Soviet Shiping Cy Ltd depuis Rot-
terdam pour la Russie en 1934 (transport de produits alimentaires, de
bois à papier et des étais de mines) 125. En 1939, le renseignement
français obtient l’information que toutes les banques hollandaises devront
transférer leurs fonds à Londres par sécurité en cas de danger
immédiat 126.
Par sa géographie, la Hollande offre, avec la Belgique, une profon-
deur stratégique au renseignement d’alerte de la France sur l’Allemagne.
Dans les années 1920, le renseignement est davantage orienté vers la
recherche d’informations économiques, considérant en particulier la Hol-
lande comme une base arrière de la Ruhr pour les industriels allemands, a
fortiori pour les circuits financiers et bancaires. À partir de 1933, le ren-
seignement politique et militaire prend le dessus. Le poste de La Haye,
animé par Dorange, se renseigne sur les réfugiés communistes et anti-
nazis comme sur les menaces potentielles de viol de la neutralité par
l’Allemagne. L’espionnage allemand est constant de 1919 à 1939, avec
des organismes clandestins protégés par des couvertures commerciales
hollandaises. Entre 1919 et 1939, la France a pourtant échoué à créer
une coopération avec la Hollande, traditionnellement plus sensible aux
influences anglaises et allemandes. Mais Paris a instauré un véritable par-
tenariat franco-anglais, largement inédit sur la Hollande depuis 1918.

124. SHD/DAT 7NN 2 335, note de la SR-SCR/EMA2 sur des renseignements


économiques aux Pays-Bas, du 4 octobre au 1er novembre 1925.
125. SHD/DAT 7NN 2 335, note du SR de La Haye, Dorange, sur les affrète-
ments de navires hollandais pour la Russie, 9 juillet 1934.
126. SHD/DAT 7NN 2 335, note de renseignement du poste de Rabat au sujet
des informations obtenues auprès du consul des Pays-Bas Karl Cabos, 15 mars 1939.

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Les coopérations internationales des services secrets français

La Suisse : un partenariat interdit dans une position érodée


après 1925
La Suisse est un des théâtres les plus actifs des rivalités des services
spéciaux de 1914 à 1918. Le contre-espionnage français s’est efforcé d’y
neutraliser les services allemand et autrichien, et d’y enrayer la contre-
bande commerciale. Il s’est initialement appuyé sur l’attaché militaire à
Berne, directement rattaché à la SCR à partir de 1915, et sur les
consulats de Lucerne, Zurich, Bâle et Lausanne, points d’appui naturels
des services français. Les fonctions de vice-consul jouent le même rôle
dans les consulats ennemis 127. En 1919, les consulats de Bâle et Zurich
abritent des antennes dirigées par l’attaché militaire adjoint à Berne,
jusqu’au début de 1925. Ces informateurs observent les agissements
adverses et des suspects.
En 1919, le bilan tiré par une étude du contre-espionnage français sur
les menées allemandes tient en deux mots : poursuite du renseignement
militaire depuis Bâle, Lausanne et Schaffhouse ; poursuite du renseigne-
ment économique prioritaire depuis Berne, Zurich et Lucerne auprès de
l’annexe de la légation d’Allemagne chargée du service des internés 128. Et
de noter que les postes allemands en Suisse ont une priorité commer-
ciale pour affronter en Suisse romande les intérêts français. Toute une
série de structures commerciales, culturelles et humanitaires masquent
l’activité allemande d’espionnage. Car la lutte contre le renseignement,
prioritairement allemand, bientôt italien, polarise l’action des services
français. Il n’y a pas de coopération possible avec des services suisses en
voie d’organisation dans les années 1920. La stricte application d’une
doctrine de neutralité effective joue en 1919 comme en 1939 lorsque les
autorités fédérales appellent la presse à davantage de neutralité et de
retenue dans la critique des nazis, par crainte d’une invasion de la
Suisse 129. L’impossibilité française de maintenir une position d’espion-
nage offensive sur le territoire suisse a été évoquée : « Il est impossible,
en raison des incidents Pendariès et la réclamation des autorités fédérales,

127. SHD/DAT 7NN 2 151, note du le service de contre-espionnage en Suisse


rédigée à Annemasse, 1er mars 1917, visée par la SCR le 11 juillet 1924.
128. SHD/DAT 7NN 2 476, étude sommaire sur les organes de renseignement
en Suisse du SR/EMA2 du 25 juillet 1919, 4 p.
129. On se rappelle que l’hypothèse d’un viol de la neutralité suisse a été envi-
sagée un temps par Hitler en 1939.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

d’éviter de donner satisfaction au Quai d’Orsay 130. » Elle explique le


démantèlement des antennes françaises en Suisse au début de l’année
1925. Les consulats de Bâle et Zurich n’abritent plus les antennes des ser-
vices spéciaux français en février 1925 131. Par ailleurs, les difficultés avec
la Suisse neutre ont déjà conduit à rapatrier progressivement les moyens
humains du poste SR-SCR de Berne sur Strasbourg en janvier 1925 132.
Mais celui-ci continue de fonctionner dans les années 1930, unique-
ment en matière de contre-espionnage. Le poste de Belfort et son
antenne de Besançon, en liaison avec l’attaché militaire, assument alors
l’espionnage sur la Suisse 133. Plusieurs raisons justifient l’importance de
la Suisse pour le renseignement français. Sa situation géographique est
particulière, au cœur de l’Europe de l’ouest. L’existence d’organisations
internationales en Suisse – dont la Société des Nations et le Bureau inter-
national du travail – rend primordial le suivi de ces institutions. La presse
étrangère y est un univers de l’espionnage, sous couvert des accrédita-
tions de presse. La présence de dirigeants communistes depuis 1918 en
liaison avec Moscou a accentué cet intérêt. Enfin, l’établissement de
nombreux Allemands chefs d’industrie ou de maisons de commerce, la
mentalité proallemande d’une partie de ses nationaux de langue et de
culture germaniques dans certains cantons sont un dernier motif. Ces
faits fournissent une justification sérieuse aux agissements des services
spéciaux de 1919 à 1939, tant du point de vue de la recherche de rensei-
gnements que de la propagande 134.
Depuis 1918, les menées de militants bolcheviques retiennent l’atten-
tion du bureau interallié de renseignement. Ainsi, Edmund Peluso y
organise pendant deux ans une active propagande communiste depuis

130. SHD/DAT 7NN 2 151, note SR/EMA2 nº 1053 à l’état-major de l’armée,


bureau de Strasbourg, 2 février 1925 au sujet de la fermeture des consulats de Bâle le
10 février et de Zurich le 1er avril 1925.
131. SHD/DAT 7NN 2 101, lettre du ministre des Affaires étrangères nº 180
du 25 janvier 1925 au ministre de la Guerre pour fermer les antennes des services
spéciaux dans les consulats de Bâle et Zürich.
132. SHD/DAT 7NN 2 151, note du chef de la SR-SCR Lainey du 18 janvier
1925 au sujet du démantèlement de l’antenne du SR-SCR à Berne.
133. SHD/DAT 7N 2 485, rapport du colonel Lainey à l’EMA du 19 octobre
1932 au sujet de l’organisation des services spéciaux.
134. SHD/DAT 7NN 2 236, dossier de renseignements politiques et écono-
miques français en Suisse, 1922-1939.

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Les coopérations internationales des services secrets français

Lausanne. Fritz Platten (1883-1942), l’un des organisateurs du parti


communiste suisse après 1919, est aussi suspecté d’être le responsable de
la propagande soviétique en Suisse, en France et en Italie au printemps
1919. À ce titre, il aurait reçu des fonds de Moscou pour soutenir la
grève de Marseille en 1922 135. Il est l’intermédiaire entre le comité cen-
tral bolchevique de Stockholm et les grévistes 136. Ces menées expliquent
le dispositif de contre-espionnage mis en place par la France au prin-
temps 1920. Un fonctionnaire de la Sûreté générale, le commissaire
Riou, est affecté à Berne, en liaison avec celui d’Annemasse. La Sûreté
générale participe en effet au contre-espionnage à l’étranger, dans les
postes les plus importants et sous la direction de la SCR 137. La Suisse
répondit à cet activisme par la mise sur pied d’une agence officieuse de
renseignement, la Vaterländische Vereinigung en 1918, qui fonctionnait
encore en 1924 138.
Après 1919, tous les services étrangers y maintiennent des antennes,
eu égard à la position centrale de la Suisse et à son rôle international avec
l’installation de la SDN à Genève en 1920 139. Univers cosmopolite de
la diplomatie internationale, la Suisse accueille à la fois les négociations
et les agents occasionnels espionnant les délégations diplomatiques, à
l’instar de l’agent Stepanowski en 1922 140. Ce dernier offre ses services
rémunérés de 1920 à 1923 à l’Intelligence Service du colonel Samson
pour espionner, entre autres, les discussions de la conférence de Lau-
sanne qui doit décider des nouvelles frontières de la Turquie. Les services

135. SHD/DAT 7NN 2 510, compte rendu de renseignements spéciaux nº 419


du 19 octobre 1922 au sujet du rôle de Fritz Platten dans le financement de la grève
des marins de Marseille. Organisateur du retour de Lénine en Russie, il est membre
du bureau de la Troisième Internationale. Arrêté lors des grandes purges de 1937, il
meurt au Goulag.
136. Ibidem, note de renseignements de la SCR/EMA2 du 30 septembre 1922
137. SHD/DAT 7NN 2 151, note détaillée sur l’organisation de la SCR pour le
contre-espionnage et la surveillance du bolchevisme, 18 mars 1920.
138. SHD/DAT 7NN 2 262, note de renseignements de la SCR/EMA2 sur le
contre-espionnage suisse, 29 juillet 1924.
139. Pierre Gerbet, Victor-Yves Ghebali, Marie-René Mouton, Société des
Nations et organisation des Nations unies, Paris, Éd. Richelieu, 1973, p. 100.
140. SHD/DAT 7NN 2 510, notes de renseignements du 22 septembre 1923 au
sujet de Stepanowsky recrutant dans les camps de prisonniers allemands et autri-
chiens des agents ukrainiens en 1918 et du 25 mars 1924 sur ses activités d’agent
occasionnel.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

anglais recrutent depuis la guerre, dans le milieu interlope des réfugiés,


des agents occasionnels qu’ils déployaient jusqu’en France 141. Des
agences de renseignement privées sont utilisées également. La SDN et le
BIT sont un havre pour les espions, dont les couvertures sont générale-
ment les fonctions de correspondant de presse accrédité ou au profit d’un
gouvernement. À tel point que la Suisse est, dès le début des années
1920, une plaque tournante de l’espionnage international. Tous les États
y déploient des antennes, avec des objectifs distincts. L’Allemagne y
maintient ses légations, consulats et organisations diverses. La période
nazie voit redoubler l’espionnage allemand, avec des visées sur le Tessin
à partir de 1935. L’Italie développe une activité d’espionnage telle que
la Suisse organise un contre-espionnage à partir de Milan en septembre
1923 142. La Grande-Bretagne et la France y déploient une activité plus
mesurée, par leurs attachés militaires et par l’entretien de liens offi-
ciels 143. Les délégations des pays non encore admis à la SDN sont étroi-
tement suivies par la SER de Marseille, et surtout son antenne de
Chambéry de 1925 à 1939. Les délégations soviétiques, allemandes, ita-
liennes, japonaises sont suivies dans les hôtels où la Sûreté française paye
des indicateurs 144. Les journalistes correspondants officiels y sont systé-
matiquement fichés dans les années 1920. L’opinion publique suisse est
sensible aux positions diplomatiques défendues par les États membres de
la SDN. Les arguments de Louis Barthou pour faire entrer l’URSS heur-
tent-ils une Suisse hostile le jour de son admission le 18 septembre
1934 145 ? Le soutien français à l’admission de l’URSS y apparaît claire-
ment, pour faire front aux menaces des dictatures allemande et italienne.
Pourtant, à partir de 1935-1936, la surveillance des services français est

141. SHD/DAT 7NN 2 510, note de renseignements de la SCR/EMA2 du


4 août et du 27 novembre 1923 au sujet des activités des services anglais en Suisse.
142. SHD/DAT 7NN 2 262, note de renseignements de la SCR/EMA2 du
4 octobre 1923.
143. Christine Manigand, Les Français au service de la Société des Nations, Berne,
Peter Lang, 2003, 230 p.
144. SHD/DAT 7NN 2 366, note du commissaire spécial de la Sûreté générale
à Annemasse du 20 avril 1933, au sujet de ses informateurs sur la délégation alle-
mande à l’hôtel Métropole de Genève.
145. SHD/DAT 7NN 2 366, note de la SER de Marseille nº 1879 du 4 octobre
1934 au sujet de l’admission de l’URSS à la SDN.

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Les coopérations internationales des services secrets français

moins intense, tant il leur semble que le centre de gravité de l’activité


diplomatique internationale ne semble déjà plus être Genève.
De 1932 à 1939, les relations franco-suisses sont complexes. Dans le
cas de la France, la volonté de coopérer existe, se traduisant par des
échanges et des stages proposés aux officiers suisses à l’École supérieure
de guerre. Mais cette disposition n’est pas nouvelle. Déjà en 1922, le
major suisse Gautier avait attiré à Paris l’attention du général Debeney,
sur un esprit francophile et neutre que l’on voulait croire général 146.
Dans le même temps, le contre-espionnage français appréciait le faible
rendement de l’espionnage suisse en France, au travers des activités de ses
officiers de renseignement de Geers, Jouvet et Torrente, attachés à la
légation de Suisse à Paris de 1919 à 1929. Ce n’est pourtant qu’au milieu
des années 1930 qu’une véritable collaboration, certes ponctuelle, s’est
fixée avec les autorités fédérales pour mettre sur pied un contre-espion-
nage civil policier. Le colonel Jacquillard a visité la Sûreté nationale à
cette intention en décembre 1935. Ses faibles moyens, soit dix inspec-
teurs, sont rattachés au parquet fédéral, en liaison avec des cantons jaloux
de leurs prérogatives. L’organisation fédérale freine l’organisation d’un
contre-espionnage efficace. La neutralité suisse interdit pourtant une coo-
pération avec la France. Elle n’existe pas dans les années qui nous intéres-
sent. Mais la France maintient durablement un dispositif double. D’une
part elle oriente l’activité de recherche de son poste de Belfort sur la
Suisse depuis 1913. D’une certaine manière, la connaissance comme la
rétention de l’information suisse, assaillie par les propagandes étrangères
en 1914-1918, continuent de donner aux deux implantations une fonc-
tion de contre-espionnage défensif depuis 1919. L’action des services
étrangers doit y être enrayée. Aussi, en 1933-1934 comme en 1939,
l’espionnage français tient-il à jour la liste des agents des puissances étran-
gères espionnant sur le territoire suisse, spécialement les espions italiens
et allemands.
À partir de 1934, les autorités fédérales veulent donner un coup
d’arrêt à un espionnage qui redouble d’intensité. Le vote d’une loi sur
l’ordre public est rejeté le 11 mars 1934 par les cantons qui y voient une
atteinte à leurs libertés. En définitive, le conseil fédéral prend un arrêté le
29 avril 1935 qui jette les bases d’une répression plus active des menées

146. SHD/DAT 7NN 2 262, notation du major Gautier, 42e promotion ESG,
par le général Debeney, 3 août 1922.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

étrangères sur le sol suisse. Il est appliqué à partir du mois de juin 1935.
Il réprime désormais les actes commis au profit d’une puissance étran-
gère sur le territoire suisse, qu’il s’agisse d’un renseignement politique,
économique (secret de fabrication et d’affaires), militaire. La notion de
délit est définie précisément, punissable de prison et d’expulsion du ter-
ritoire suisse. Depuis 1918, la difficulté réside dans le fait que les actes
d’espionnage commis sur le sol suisse ne sont pas nécessairement
contraires aux intérêts suisses 147. La période 1935-1939 est un nouveau
chapitre des relations avec les États européens. L’organisation volontaire
de défense (SERVO) est créée pour sensibiliser les Suisses à l’espion-
nage. Les affaires d’espionnage fleurissent, entraînant une multiplication
des arrestations d’agents allemands et français. Les autorités cantonales
arrêtent, logiquement, sans distinction de nationalité. À Paris, des diver-
gences de position se font jour entre le Quai d’Orsay, hostile à des
menées d’espionnage dans un pays neutre, et le ministère de la Guerre.
Pourtant, l’arrestation de Français soupçonnés d’espionnage fait l’objet
d’une dénégation du général Colson : l’agent arrêté n’appartient ni aux
services centraux ni aux postes de Belfort et Metz 148. Il s’agit en l’occur-
rence d’un agent relevant d’une agence de police privée à Bâle. Les procès
se multiplient, comme les condamnations à la prison et à l’interdiction
de séjour en Suisse.
En novembre 1936 survient une autre affaire d’espionnage français.
Des agents sont allés inspecter les nouvelles défenses allemandes sur la
rive remilitarisée du Rhin. La population suisse est chaque jour plus sen-
sibilisée par le gouvernement fédéral aux menées diverses des espions
étrangers. En 1937, de nouveaux suspects sont arrêtés et condamnés en
janvier 1938 149. Certes, les agents français sont moins dénoncés que les
espions allemands ou italiens, mais la nécessité d’une neutralité stricte

147. SHD/DAT 7NN 2 262, note manuscrite du Basler national Zeitung analy-
sant les termes de l’arrêté du 29 avril 1935. Extrait du recueil des lois fédérales,
Assemblée fédérale de la Confédération suisse, arrêté du 29 avril 1935.
148. SHD/DAT 7NN 2 262, lettre du ministre des Affaires étrangères, direction
des affaires politiques et commerciales au ministre de la Guerre, 16 avril 1935, au
sujet des arrestations de Français soupçonnés d’espionnage. La réponse du général
Colson est datée du 4 mai 1935.
149. SHD/DAT 7NN 2 262, note du lieutenant-colonel de La Forest-Divonne,
28 décembre 1937, à EMA2, sur les arrestations de deux agents français ayant
reconnu la mise sur pied d’un réseau à la police de Zurich.

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Les coopérations internationales des services secrets français

pour éviter des rétorsions allemandes et italiennes invite à resserrer la sur-


veillance contre tous les services spéciaux étrangers en Suisse. Cette posi-
tion joue par exemple lorsque le blocus économique contre l’Italie
menace de couper le ravitaillement en pétrole pendant la guerre
d’Éthiopie. Or, l’accord avec Berlin et Rome oblige la Suisse à laisser uti-
liser le passage du Saint-Gothard pour se ravitailler. Dans le même
temps, des échanges d’informations ont cours entre les contre-espion-
nages suisse et français 150. L’agent français infiltré Li 77 donne pourtant
des informations précieuses à la SR-SCR sur les positions officieuses des
autorités fédérales en 1938-1939. En juillet 1939, les accords anglo-
français déjà appliqués en Hollande depuis le début de l’année sont
étendus à la Suisse. Face à la guerre qui gronde, les questions de principe
sont traitées par les centrales et les représentants des deux services trai-
tent directement sur place leurs dossiers. Les Suisses interceptent les
communications téléphoniques internationales, échangées notamment
par les services diplomatiques étrangers en Suisse romande. Le service du
lieutenant Haldenwang, dépendant du colonel Jacquillard, chef du ser-
vice de renseignement suisse, est démasqué par les Français qui le signa-
lent aux Anglais en octobre 1939 151.
La lutte contre l’espionnage nazi explique désormais l’activisme des
agents français ; à vrai dire, les centres d’activité allemande sont constants
depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Les zones d’espionnage
sont situées essentiellement dans les alentours de Genève et de Bâle.
Genève abrite un nouveau service d’espionnage commercial à partir de
1922, camouflé par le consulat allemand 152. À l’intérieur du pays,
Lucerne est le seul centre de renseignement. Car les organes de Berne et
de Zurich sont plutôt spécialisés dans la propagande à destination des
opinions publiques européennes. Dans les années 1920, Berne continue
de faire du renseignement politique sur la France, pour déceler les
inflexions de la politique étrangère des gouvernements succédant à celui

150. SHD/DAT 7NN 2 262, note de renseignements de la SCR/EMA2 du


10 mars 1939 au sujet des coopérations des contre-espionnages suisse et français.
151. SHD/DAT 7NN 2 262, note « pour les Anglais »de la SCR/EMA2 sur le
contre-espionnage en Suisse, 12 octobre 1939.
152. SHD/DAT 7NN 2 648, note de renseignement de la SCR/EMA2 du
5 avril 1922 au sujet de l’espionnage allemand en Suisse.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

de Poincaré après 1924 153. Par ailleurs, les organisations de Bâle et dans
le duché de Bade démontrent que la Suisse sert de relais et de porte
d’entrée en France aux agents allemands. Il y a bien une continuité des
moyens allemands déployés en Suisse et tournés vers la France après
1933 154. Les objectifs ont simplement changé de nature avec le régime
nazi après 1933. Mais les agents allemands engagés dans les années 1930
ont commencé leur activité depuis la Première Guerre mondiale, creuset
de l’espionnage jusqu’à la guerre mondiale suivante. Le cas de l’agent
allemand Erich Weinzinger, avocat et journaliste autrichien, diplômé de
l’École des langues orientales à Paris, est révélateur. Porté sur la liste des
suspects interalliés en 1918 et dans sa nouvelle édition de 1924, il
espionne en Suisse comme agent du SR de Lörrach en 1914-1918. Il est
installé à Berne, comme secrétaire de la légation d’Autriche, puis à
Zurich en 1918. Depuis 1919, il recrute d’anciens agents de l’Entente et
travaille pour l’Allemagne ; pour bénéficier d’une carte de journaliste et
masquer ses activités, il lance brièvement la Revue des questions diploma-
tiques. Entre 1929 et 1935, il s’installe en Abyssinie, devenu un proche
du Négus. Présent en Turquie puis en Syrie, Weinzinger en est expulsé
par les autorités françaises en juin 1935 pour espionnage en faveur de
divers gouvernements 155.
En définitive, la position de neutralité singulière de la Suisse a tenu
durant tout l’entre-deux-guerres. Les autorités françaises ont tantôt neu-
tralisé, tantôt minimisé la portée d’un espionnage français principale-
ment défensif et tourné vers la répression des menées allemandes. Mais le
constat est que la France n’a pas établi de coopération particulière avec
la Suisse. Celle-ci continue après 1919 d’être un des principaux champs
de bataille de la guerre secrète en Europe occidentale. Elle le doit à sa
position géopolitique comme à la présence de la Société des Nations. La
crainte d’une invasion allemande lui fait tenir une neutralité, en principe
équidistante, avec les démocraties et les dictatures européennes.

153. SHD/DAT 7NN 2 476, note de renseignement de la SCR/EMA2 du


9 juin 1923, au sujet des SR allemands en Suisse.
154. SHD/DAT 7NN 2 476, travail de synthèse de la SER nº 96 du 14 janvier
1930 relatif à l’organisation allemande dans les cantons de Vaud, Valais et de
Genève.
155. SHD/DAT 7NN 2 435, dossier nº 214 du suspect Erich Weinzinger,
1915-1938.

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Les coopérations internationales des services secrets français

Les alliés de revers, entre l’alliance diplomatique et la coopération secrète

La Tchécoslovaquie, plaque tournante de l’espionnage en Europe


centrale
La coopération franco-tchécoslovaque est unique par sa précocité en
1919 et par la tentative d’intégration des deux renseignements dans un
poste mixte franco-tchécoslovaque en 1934-1936. L’enjeu est à la mesure
d’une Tchécoslovaquie qui est devenue l’un des champs de bataille euro-
péens majeurs de la guerre secrète, en raison des agissements allemands
et soviétiques. La multiethnicité de la société tchécoslovaque est évidem-
ment propice au recrutement d’agents. Pourtant, cette coopération
secrète échoue à déboucher, en 1936-1938, sur des décisions stratégiques
communes.
En 1919, la France installe une mission militaire destinée à construire
une armée tchécoslovaque 156. La coopération militaire découle d’une
diplomatie et d’une stratégie générales incluant les investissements finan-
ciers et industriels, publics et privés 157. Le chef d’état-major de la nou-
velle armée est, jusqu’en 1926, un général français. Une structure de
renseignement est mise en place par le commandant Pujo et
M. Eisenman, professeur à la Sorbonne et spécialiste de l’Europe cen-
trale, précurseurs de la mission militaire française (MMF) en novembre
1918. « La Bohême présente un intérêt tout particulier. Il y a lieu de pro-
fiter du départ pour Prague du gouvernement tchécoslovaque pour y
organiser un SR. L’activité de celui-ci s’étendra à l’Allemagne mais aussi à

156. Alain Porchet, « La mission Pellet en Tchécoslovaquie », in Revue historique


des armées, 1999/4, p. 108-120. SHD/DAT et CEHD (dir.), Bâtir une nouvelle sécu-
rité en Europe. La coopération militaire de la France avec les pays d’Europe centrale et
orientale dans les années vingt, Vincennes, SHD/DAT, 2002. Jean-Arnaud Puig, La
SR-SCR et la Tchécoslovaquie entre 1918 et 1937, mémoire de maîtrise sous la direc-
tion de Georges-Henri Soutou, Université de Paris IV-Sorbonne, 2000, 122 p.
157. Bernard Michel, « La Tchécoslovaquie et la paix (1918-1925) », in Claude
Carlier et Georges-Henri Soutou (dir.), 1918-1925 Comment faire la paix ?, op. cit.,
p. 145-156. Paul-Harold Segal, The French State and french private investment in
Czeschoslovakia (1918-1938), Columbia University, 1983 ; Georges-Henri Soutou,
“L’impérialisme du pauvre : la politique économique du gouvernement français en
Europe centrale et orientale” (1918-1929), in Relations Internationales, nº 78, été
1994, p. 241-260.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

l’Autriche allemande 158. » C’est pourquoi la liaison est établie avec


Vienne, dont le poste de renseignement devient une annexe de Prague en
avril 1923 159. Ce poste de renseignement de Prague, qui fonctionne de la
fin 1918 à 1934, voit se succéder plusieurs responsables, notamment sous
la couverture d’attaché de l’air à partir de 1926 : le commandant Pujo de
1919 à 1923, le lieutenant-colonel Gudin de Pavillon de 1923 à 1926,
le commandant Cochet de 1926 à 1932, le capitaine Poupard de 1932
à 1934. À leur côté, des officiers de réserve ou d’active font le travail de
recrutement des agents et font fonctionner un poste dont la difficulté est
d’abord la sécurité des communications avec Paris, chiffrées, téléphonées
ou par pigeons 160.
Prague oriente délibérément son renseignement naissant vers les ten-
tations révisionnistes territoriales. Les Hongrois et les Allemands, qui
s’appuient sur deux fortes communautés en Tchécoslovaquie, contestent
les frontières dessinées par les traités d’après guerre. D’emblée, une coor-
dination de la lutte contre le poste de renseignement allemand de
Breslau, qui a pour champ d’investigation la Pologne et la Tchécoslova-
quie, est lancée. Il s’agit de contrer les cibles prioritaires d’action du ren-
seignement allemand, à savoir la France, la Pologne, la Tchécoslovaquie,
l’Angleterre et l’URSS 161. Les échanges de renseignements sont la clé de
voûte de la coopération des deux services de renseignement. De fait, la
France communique d’autant plus facilement à l’état-major tchèque les
renseignements obtenus sur les visées de l’Allemagne, que ce dernier est
commandé par un général français. Ainsi informe-t-elle en novembre
1924 les autorités tchèques de la localisation du poste de renseignement
allemand, camouflé au consulat de Prague. Celui-ci est dirigé par le secré-
taire de légation Martin von Preudhental, avec des bureaux annexes à
Brno, Bratislava, Cheb et Moravska Ostrawa. Des agences commerciales
dissimulent l’espionnage allemand : l’agence Schimmelpfeng qui finance

158. SHD/DAT 7NN 2 151, note sur la répartition du travail des postes SR en
Europe, 10 novembre 1918.
159. SHD/DAT 7NN 2 151, note EMA2, ministère de la Guerre, à l’attaché
militaire à Vienne, 29 mars 1923.
160. SHD/DAT 7NN 2 151, lettre du colonel Roux, chef de la SR-SCR au
commandant Denis, SR Prague, du 1er mai 1933, au sujet de la sécurité des commu-
nications chiffrées et par pigeons.
161. SHD/DAT 7NN 2 477, note de renseignement SCR/EMA2 du 2 mars
1923 au sujet des objectifs du SR allemand organisant ses postes de Breslau et Cassel.

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Les coopérations internationales des services secrets français

des instituts culturels et financiers à Prague, le Verein Credit Reform


pour les informations financières et économiques données aux industriels
allemands, la société Steffen et Heymann, qui espionne les constructions
mécaniques et aéronautiques 162. Fondée par d’anciens officiers alle-
mands du service de renseignement du colonel Nicolaï de 1914-1918,
l’agence Nuntia est, en 1927, le camouflage de l’espionnage allemand sur
Prague depuis Munich, dirigée par le comte Marogna-Redwitz 163. Des
agents recrutés localement sont de préférence d’origine allemande ou
russe. Des réfugiés russes blancs, telle la comtesse Sophie Panine, veuve
du prince Panine, agissent pour les services allemands 164. La Tchécoslo-
vaquie et son développement industriel sont bien une cible majeure de
l’espionnage industriel allemand.
La coopération entre les deux services porte aussi sur la lutte pour
enrayer l’activité des services secrets autrichien et hongrois. La subordina-
tion du premier à l’Allemagne est démontrée sans surprise par le service
de renseignement tchèque à Paris en 1926, au travers de la mise sur pied
d’une commission germano-autrichienne coordonnant l’activité des deux
services secrets. Elle se réunit alors deux fois par mois à Berlin et
Vienne 165. Le service hongrois agit sur la Slovaquie, y développant une
active propagande antitchèque, quand l’Allemagne se concentre sur la
Bohême et la Moravie 166. L’objectif allemand est bien d’opposer un front
des services secrets allemand, autrichien, hongrois et bulgare contre la
coopération difficile rêvée par la France entre les services français,
polonais, tchécoslovaque et yougoslave. L’Allemagne s’y emploie par des
réunions à Vienne en décembre 1926. Un réseau d’espionnage contre la
Roumanie, la Serbie et la Tchécoslovaquie y est projeté. Des agents

162. SHD/DAT 7NN 2 759, compte rendu spécial nº 162 de la SCR/EMA2 du


25 novembre 1924 au sujet des moyens du renseignement allemand en Tchécoslo-
vaquie.
163. SHD/DAT 7NN 2 759, note de renseignement du SR Prague à SR/EMA2
au sujet de l’action du service de renseignement allemand sur la Tchécoslovaquie,
14 février 1927.
164. Jean-Arnaud Puig, op. cit., p. 47.
165. SHD/DAT 7NN 2 404, note de renseignement du poste de Prague sur
l’information donnée par les Tchèques, 27 avril 1926, au sujet des mesures prévues
par les Autrichiens en cas de conflit avec la Tchécoslovaquie.
166. SHD/DAT 7NN 2 404, compte rendu du poste de Prague à SCR/EMA2,
le 21 mars 1928, au sujet de l’action du service secret hongrois en Slovaquie.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

seraient recrutés par les alliés de l’Allemagne, adressant un renseigne-


ment centralisé et exploité par Berlin 167. En outre, la France ne peut
compter sur une coopération anglaise à Prague, car la compétition écono-
mique entre les deux pays en Europe centrale et orientale exclut de leur
gentleman’s agreement la coopération secrète en Europe. Lord Tweedale et
le capitaine Hudson Lyndton, chef du bureau des passeports à la légation
anglaise de Prague, de l’Intelligence Service, travaillent avec les attachés
militaires britanniques dans un sens exclusif des intérêts britanniques à
Prague à partir de 1923 168. Tweedale, gendre du ministre des États-Unis
à Prague, Einstein, communique en revanche les informations anglaises
à l’attaché militaire américain, le colonel Gootes. Dans les années 1930,
le major Harold Gibson, chef du poste du MI6 à Prague, s’efforce de
nouer une coopération privilégiée avec les services tchèques du colonel
Moravec, en dépit de leurs liens particuliers avec la France 169. La France
expérimente donc une coopération originale avec Prague.
Le service tchécoslovaque est créé de toutes pièces à partir de 1920,
étroitement associé, sinon subordonné, au poste français qui oriente son
travail de recherche de renseignement. Progressivement, son activité se
dédouble pour satisfaire aux demandes d’échanges d’informations des
Français sur l’Allemagne et ses alliés d’une part, pour conduire le contre-
espionnage en direction des menées autrichiennes et hongroises d’autre
part. L’enjeu tchécoslovaque est la neutralisation d’une active propa-
gande révisionniste des traités d’après guerre, contestant l’existence même
de l’État tchécoslovaque 170. Orientation qui ne manque pas de créer dans
les années 1930 des tensions avec la France qui conçoit son action

167. SHD/DAT 7NN 2 759, compte rendu de renseignement à la SCR/EMA2


du 23 janvier 1927, au sujet de la réunion entre les services de renseignement alle-
mand, hongrois et bulgare à la légation bulgare de Vienne.
168. SHD/DAT 7NN 2 771, note de renseignement nº 2939 du poste de
Prague à SCR/EMA2 du 4 avril 1923 au sujet de la réorganisation des services
anglais en Europe centrale.
169. Frantisek Moravec (colonel), Master of spies : The Memoirs of general Fran-
tisek Moravec, New York, Doubleday, Garden City, 1975, p. 145-148.
170. SHD/DAT 7NN 2 151, note de renseignement Prague à SCR/EMA2 de
juin 1923, au sujet de la surveillance des anciens États Habsbourg par le service de
renseignement tchèque et compte rendu spécial nº 17 du 29 octobre 1929 sur
l’espionnage hongrois en Tchécoslovaquie. Selon un agent français à Vienne,
470 espions ont été arrêtés en Slovaquie de 1919 à 1929, travaillant en majorité pour
Budapest.

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Les coopérations internationales des services secrets français

prioritairement tournée contre l’Allemagne. Mais dans les années 1930,


la répression et l’arrestation d’agents hongrois sont prioritaires pour
Prague. Le service de renseignement du colonel Moravec et le contre-
espionnage du major Bartik informent continûment alors le poste
français de Prague. Au point qu’une solution originale est trouvée en jan-
vier 1934. Un poste mixte est envisagé.
En 1934-1936, un poste mixte franco-tchécoslovaque se substitue au
poste français de la SR pour s’intégrer aux services tchécoslovaques après
la signature d’un accord entre les états-majors français et tchèque. Il doit
travailler exclusivement sur l’Allemagne, répondant ainsi prioritairement
à l’attente française 171. Situé à Prague, il est commandé par un officier
supérieur tchèque, ayant autorité sur le service, avec un adjoint français,
et des personnels seulement tchécoslovaques. Les instructions provien-
nent des deux états-majors tchèque et français. L’adjoint français fait la
liaison avec l’état-major et les services français. Il a pour mission de coor-
donner les instructions et d’organiser les recherches du bureau mixte
pour les transmettre ensuite à Paris. Le commandant réserviste Gouyou
assume cette mission, bien que ne parlant pas le tchèque. Les diver-
gences pouvant survenir sont prévues dans l’accord du 20 janvier 1934.
« En cas de divergences de vue, la question est soumise au service français
par le représentant français. Le rapport dressé par le représentant français
est soumis au visa du chef de poste qui le contresigne après avoir apporté
éventuellement toutes les opérations qu’il aura jugées nécessaires. » Et la
possibilité de ne pas participer à une investigation est laissée à chacune
des deux parties nationales. Les objectifs et les résultats, obtenus par des
antennes à la frontière allemande, indépendamment du dispositif des
postes du service tchécoslovaque, sont mis en commun.
Cette coopération intégrée à un poste mixte assure un financement
partagé pour les activités de recherche de renseignements (rétributions
d’agents, déplacements, opérations). Si sa mobilisation est annoncée pour
le temps de guerre, le poste mixte laisse en suspens les modalités d’une
coopération plus approfondie en temps de crise. En janvier 1934, la pro-
position française d’un établissement de nouveaux moyens de transmis-
sions entre les états-majors des deux pays en cas de tension politique ou
de la mobilisation, par l’emploi d’ondes courtes, obtient longtemps une

171. Jean-Arnaud Puig, op. cit., p. 84-88.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

fin de non-recevoir 172. Un échange de correspondances entre Paris et le


général Faucher, chef de la mission militaire française, traduit les diffi-
cultés à la mettre sur pied. Une incertitude existe, après les conversations
d’état-major entre les deux pays, concernant l’échange direct sur ondes
courtes entre représentants des deux chiffres et en matière d’échanges des
renseignements sur le décryptement des télégrammes ennemis captés en
temps de guerre. Ces points techniques, qui ne sont pas résolus au prin-
temps, soulèvent la réticence politique de la France à échanger tous les
renseignements qu’elle pourrait obtenir sur l’Allemagne, en affectant au
début de 1936 la bonne coopération des deux services dans le bureau
mixte que confirme alors Faucher à Schweisguth 173.
Aussi, à la demande de Prague, l’expérience s’interrompt en juin 1936
en dépit des échanges conséquents de renseignements réalisés de janvier
à avril 1936 174. Des problèmes de sécurité des communications entre
Prague et Paris – dus aux imprudences des deux chefs du poste mixte –
et des difficultés de cloisonnement des activités des services de renseigne-
ment des deux pays ont eu raison de cette expérience originale. Sans
doute la crise rhénane n’est-elle pas étrangère au constat désabusé que le
travail commun sur l’Allemagne n’a pas tenu toutes ses promesses. En
réalité, les Tchécoslovaques se plaignent d’un échange inégal de rensei-
gnements sur l’Allemagne. Les services français rechigneraient à commu-
niquer tous les renseignements obtenus sur l’Allemagne hors de la

172. SHD/DAT 7N 2 493, note du général Faucher à EMA2/missions, au sujet


de l’organisation des transmissions entre les états-majors français et tchécoslovaques,
23 janvier 1934.
173. AN 351 AP 2, note du général Schweisguth, 7 janvier 1936 au sujet de la
visite du général Faucher.
174. Jean-Arnaud Puig, op. cit., p. 100. Fonds Moravec, annexe 16, liste des
documents remis par le SR tchécoslovaque au SR français du 1er janvier au 20 avril
1936. Classement : documents concernant la Tchécoslovaquie : renforcement des
services douaniers allemands, mouvements des convois ferrés allemands ; documents
sur les deux pays : synthèse sur la motorisation de l’armée allemande, unités alle-
mandes, fabriques d’avions ; ceux concernant la France : documents du NSDAP de
Barcelone, constructions sur la ligne Francfort-Heilenbronn. Les 61 documents
échangés par la France sont des dossiers de synthèse de presse, des renseignements
sur l’Allemagne, les agissements de l’IS et des communistes.

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Les coopérations internationales des services secrets français

Tchécoslovaquie. Un simple poste de liaison entre les deux services se


substitue le 8 juin 1936 au bureau mixte 175.
Ce poste de liaison a permis d’établir le contact entre les deux ser-
vices aux fins d’échanger des renseignements et des documents, puis
d’organiser en Tchécoslovaquie des liaisons d’alerte des crises ou menaces
de guerre, en direction ou en provenance de la France. Les renseigne-
ments échangés sont des documents sur l’armée allemande et sur celles
liées au Reich, sur le potentiel de guerre allemand, sur des renseigne-
ments garantis et sûrs enfin. Ce poste de liaison compte le seul Gouyou
qui assume le transit des documents et des renseignements, au besoin par
communication radio chiffrée. Mais il ne respecte pas toujours les
consignes de sécurité des communications téléphoniques et est régulière-
ment rappelé à l’ordre par Paris 176. L’enjeu de l’établissement d’une
liaison radio entre les deux capitales est envisagé depuis 1936. Une mis-
sion du capitaine Bertrand prend place en janvier 1937 sans résoudre les
difficultés de fonctionnement, en raison de problèmes de gammes
d’ondes. La difficulté n’est pas levée en novembre 1937 177. La liaison
radio et la liaison de contre-espionnage ne sont alors toujours pas établies
entre les deux services, pour des raisons plus générales tenant à l’exten-
sion que la France souhaite leur donner avec la Roumanie et la Yougos-
lavie. Le fonctionnement du poste de liaison laisse son responsable isolé,
ainsi qu’il s’en ouvre à Paris, à plusieurs reprises entre 1936 et 1938 178.
Progressivement, les réticences polonaises à coopérer avec la Tchécoslova-
quie et avec la France en matière de renseignement en affectent l’effica-
cité. D’autre part, les réticences françaises à communiquer des
renseignements à la Tchécoslovaquie sont manifestes à partir du prin-
temps 1937. La crainte est que le contre-espionnage allemand ne les
intercepte, tarissant la coopération entre Paris et Prague. Les réclamations

175. Cité par Jan-Arnaud Puig, op. cit., p. 102-104. Fonds Moravec, dossier
37-224, note SCR/EMA2 au sujet du poste de liaison entre les services tchécoslo-
vaques et français le 8 juin 1936.
176. SHD/DAT 7NN 2 151, note de SRT/EMA2 à PL, Gouyou, 28 mai 1934,
au sujet de l’utilisation de son code.
177. SHD/DAT 7NN 2 151, note du chef de poste de liaison au chef de la sec-
tion technique/EMA2, novembre 1937.
178. SHD/DAT 7N 3 107, lettre du 4 novembre de Gouyou à SCR/EMA2.
SHD/DAT 7NN 2 151, lettres du 5 septembre 1936 et du 15 juin 1938 de Gouyou
à SCR/EMA2.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

tchèques en mars 1938 n’y changent rien. Rivet donne l’instruction de


répondre laconiquement le 23 mars 1938 à leurs demandes 179. L’asymé-
trie des échanges annonce leur désuétude à court terme. De son côté, le
général Faucher, chef de la MMF, ne transmet au 2e bureau français que
des renseignements ouverts. En septembre 1938, cette coopération, pro-
gressivement altérée depuis juin 1936, ne joue pas le rôle qu’elle aurait
été en mesure de promettre à Prague 180.
De 1918 à 1938, la coopération en matière de renseignement entre la
France et la Tchécoslovaquie est donc passée par plusieurs étapes. Dépen-
dant d’abord de la MMF militaire française, elle exploite la circonstance
favorable d’une coopération militaire très étroite entre les deux pays. Le
2e bureau de l’état-major tchèque s’émancipe d’une tutelle française qui
l’a utilisé largement au profit du renseignement contre l’Allemagne et ses
alliés en Europe centrale. De 1926 à 1934 s’organise cependant au sein
du 2e bureau tchèque des colonels Dastich puis Havel une organisation
calquée sur le modèle d’état-major français. En 1934, la section de
recherches est aux ordres du colonel F. Moravec qui dispose d’un service
de renseignement avec le lieutenant-colonel Oldrich Tichy et un service
de contre-espionnage avec le major Joseph Bartik. Une section alle-
mande avec le colonel Emil Strankmueller, une section de coordination
des agents, une section d’études de presse sont organisées. Au début des
années 1930, le colonel Moravec en a fait un outil efficace, au point que
l’expérience d’un bureau mixte franco-tchèque est conduite pendant
deux ans et demi. Des procès-verbaux d’écoute des communications alle-
mandes, donnés par Varsovie à Paris, sont ainsi demandés par Prague en
février 1936, en promettant de garder le secret absolu sur cette commu-
nication 181. En juin 1936, l’inégalité des échanges suspend le bureau,
remplacé par un simple bureau de liaison fonctionnant jusqu’à l’automne
1938. L’esprit de la coopération se perd peu à peu au point de relati-
viser la valeur des échanges de renseignements entre les deux pays. Une

179. SHD/DAT 7NN 2 151, compte rendu de renseignement du poste de


liaison à SR-SCR/EMA2 du 23 mars 1938 au sujet des revendications tchécoslo-
vaques de relance d’échanges.
180. Mathieu Novotny, La SR-SCR face à la Tchécoslovaquie démembrée des
accords de Munich à la guerre, mémoire de maîtrise sous la direction de Georges-
Henri Soutou, Université de Paris IV-Sorbonne, 2000, 119 p. et annexes.
181. SHD/DAT 7NN 3 058, compte rendu de la SCR/EMA2 sur les relations
polono-tchèques le 6 février 1936.

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Les coopérations internationales des services secrets français

mission à Prague en novembre 1937 du colonel Gauché, chef du


2e bureau de l’EMA, cherche à comprendre la dissolution de cette coopé-
ration. Il s’en explique dans un compte rendu listant les impuissances du
2e bureau tchécoslovaque à fabriquer du renseignement de valeur sur
l’Allemagne en raison des mesures de protection allemandes. Le départ
du chef de la section allemande Strankmueller a accentué les difficultés
d’un service dont les officiers préfèrent arrêter les agents qu’exploiter le
renseignement 182. Pourtant, Prague dispose d’agents doubles infiltrés
dans les services allemands, notamment l’agent A 54, Paul Thümmel,
employé à l’Abwehrstelle de Dresde de 1936 à 1942 183. Le général Fau-
cher, chef de la mission militaire française, refuse en 1938 de faire du
renseignement aux dépens de Prague pour compenser les difficultés. En
mars 1938, un poste d’attaché militaire français est créé à Prague, explici-
tement chargé d’exploiter les renseignements sur la Tchécoslovaquie. Le
lieutenant-colonel Kuhnmünch, chef du BREM, est initialement désigné
comme officier de liaison, afin de corriger l’impression défavorable
donnée par le travail de Gouyou à Paris 184. En 1938, les envois de rensei-
gnements par la France à Prague sont en effet quasiment suspendus,
contrairement aux renseignements donnés par Prague 185. L’Anschluss est
décisif sur la décision française de ralentir la coopération avec le service
de Prague, avant que les crises des Sudètes en mai et de Munich en sep-
tembre 1938 n’achèvent d’en dissiper les ultimes attentes perdues.
Prague commence alors à se tourner vers Londres en mettant en place
une liaison avec l’Intelligence Service. « Les services tchécoslovaques sem-
blent tenir grand compte des avis que lui donnent discrètement, en

182. SHD/DAT 7NN 3 103, compte rendu du colonel Gauché, chef EMA2, au
sujet de sa mission de liaison à Prague 9-12 novembre 1937, 16 novembre 1937.
183. Mathieu Novotny, op. cit., p. 30-40.
184. SHD/DAT 7N 3 103, note SAE/EMA2 de Gauché pour le général Dentz,
15 mars 1938 sur l’efficacité perdue du poste de liaison et note du 10 avril sur la
désignation d’un officier de liaison, futur attaché militaire à Prague.
185. SHD/DAT 7N 3 103, note de la section du chiffre/EMA2, fin mars 1938
au sujet d’un rectificatif à trois télégrammes reçus de Prague sur les doléances tché-
coslovaques de n’avoir rien reçu du poste de liaison de Gouyou. On trouve un autre
refus français sur une demande de Prague d’information sur les mines anti-chars
dites A/C en mars 1938.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

certaines circonstances, le service anglais », note Gouyou à Prague 186. Elle


se révèle plus importante que la liaison française après la crise de
l’automne 1938 au point d’orienter une coopération anglo-tchécoslo-
vaque naissante. Prague explore aussi les voies d’échanges avec Moscou
à partir de juillet 1938 187. Leur efficacité est conditionnée, en outre, par
d’autres accords français, parfois contradictoires, passés avec des services
secrets européens.

Intégrer le renseignement de la France, de la Pologne et des


États de la Petite Entente
La question peut paraître incongrue, rapportée aux conditions de la
création de la Petite Entente. Léon Noël, qui prend en 1932 ses fonc-
tions à la légation de France à Prague, confie ses limites et ses chimères,
précisément au début des années 1930 188. Au point de vue militaire, la
seule coopération envisagée l’était en cas de guerre contre la Hongrie.
Y eut-il, seulement, l’espoir caressé par les services secrets français
d’étendre la série d’accords bilatéraux diplomatiques et militaires de la
Petite Entente au renseignement ? En réalité, ces États et leurs jeunes
armées nationales n’y sont pas préparés. Leurs services spéciaux,
constitués dans les années 1920, butent sur une conception élémentaire
d’échanges parfois concurrents entre eux. Prague, Bucarest et Belgrade se
livrent à des échanges techniques de renseignements sur les armées des
puissances hostiles. Ces échanges se font à la fin des années 1930, alors
même que le système d’alliances de revers bâti par la France s’est
effondré. Elle ne peut, assurément, plus tirer parti d’une coopération de
ces différents services secrets.
De fait, la France a encouragé une simple liaison ponctuelle entre les
services secrets des États polonais, roumain, tchèque et yougoslave, au gré

186. SHD/DAT 7N 3 103, compte rendu nº 10646 du chef du poste de liaison


à SR/EMA2 au sujet des liens établis avec la légation britannique à Prague et d’un
voyage à Londres de F. Moravec, 16 novembre 1937.
187. SHD/DAT 7N 3 107, note de renseignements SAE/EMA2 du 27 juillet
1938 au sujet de contacts tchéco-russes.
188. Léon Noël, La Tchécoslovaquie d’avant Munich, Paris, Publications de la
Sorbonne, 1982, p. 141-148.

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Les coopérations internationales des services secrets français

des revirements diplomatiques 189. Elle trouve, au fond, un bénéfice plus


grand à subordonner leur contribution à ses objectifs. Faut-il donner à
cette pratique, dès lors, un sens autre que celui d’échanges pragma-
tiques ? Précisément, les relations entre la Pologne et la Tchécoslovaquie
n’ont pu s’élever au rang de coopération, interdisant, de facto, toute coo-
pération secrète commune avec la France. Le ressentiment polonais au
règlement de la question de Teschen, accordé à Prague aux deux tiers par
la conférence des ambassadeurs le 27 juillet 1919, a été un premier diffé-
rend. Il a été aggravé par le refus de Prague de laisser transiter des armes
françaises par son territoire lors de la guerre polono-soviétique à l’été
1920. Plus tard, le traité tchéco-soviétique de mai 1935 a engagé des
échanges sommaires de renseignements militaires entre les Russes et les
Tchèques sur l’armée hongroise jusqu’en 1937 190. Et les Polonais repro-
chent aux Tchèques ces livraisons de renseignements en interrompant
alors tout échange entre Prague et Varsovie à l’été 1935. Certes, des
échanges de renseignements militaires, sans coopération avérée des ser-
vices, ont eu cours au début des années 1930. Les contacts existent mais
il n’y a pas de coopération multilatérale, en particulier dans le domaine
du renseignement. La France établit par exemple des contacts entre ses
chefs de poste SR et les attachés militaires. « L’attaché militaire [yougos-
lave] à Prague m’a demandé si je n’étais pas informé sur l’Italie et il m’a
prié de lui donner pour son information personnelle tous renseigne-
ments qui viendraient à ma connaissance », note le capitaine Cochet le
3 avril 1928 à Prague 191. Mais elle peine à provoquer des échanges entre
la Pologne et les trois États de la Petite Entente jusqu’en 1934. Il faut
attendre la mise sur pied par Londres du service interallié au printemps
1941 pour que les anciens des services polonais et tchèques travaillent à
nouveau ensemble, dans un contexte très différent de celui de
l’avant-guerre.

189. SHD/DAT 7N 3 434, conventions et accords militaires liant la France, la


Pologne et les États de la Petite Entente, 21 mars 1935.
190. Cité par J.-A. Puig, op.cit., Vojensky historichy archiv, Invalides, fonds
Moravec, carton 187, 37-222, documents sur l’armée hongroise transmis à Moscou
en 1937.
191. SHD/DAT 7NN 2 151, compte rendu du capitaine Cochet, chef du SR à
Prague, à la SR/EMA2, au sujet de sa rencontre avec l’attaché militaire yougoslave,
3 avril 1928.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Par exemple, les archives tchèques dévoilent le 15 mai 1937 l’envoi


de documents sur l’organisation de l’armée hongroise à la Roumanie, à
la Yougoslavie et à la France 192. Ils portent sur l’état d’esprit des offi-
ciers hongrois, l’état des effectifs et des matériels opérationnels de la
Hongrie, la description des mesures de mobilisation, des forces dispo-
nibles. Les échanges sont demeurés rudimentaires. Outre leur caractère
tardif puisqu’ils n’apparaissent pas dans les années 1920 entre de jeunes
États organisant leur armée nationale, jaloux de leur souveraineté si
neuve, ils sont inopérants face aux crises de l’année 1938. La France
oriente ces coopérations secrètes, inspirées par sa phobie d’un réarme-
ment allemand dans les années 1920, puis d’une agression allemande
dans les années 1936-1939. Les difficultés à établir le principe des moda-
lités de transmission des communications entre les états-majors en sont
un signe.
En 1934-1936, établir une liaison technique demeura l’objectif pre-
mier. Sans mode de transmission chiffrée commune, une alliance mili-
taire est illusoire en temps de crise ou de guerre. La France a précisément
échoué en 1933-1934 à mettre en œuvre une liaison entre les États de
la Petite Entente et la Pologne. La France entretient alors des relations
séparées avec ces services. En juin 1933, les services français ont tenté de
parrainer les services polonais et tchécoslovaques pour favoriser une colla-
boration commune dans le domaine des écoutes, de la radiogoniométrie
et des résultats en cryptographie. Les modalités de cette coopération tech-
nique en temps de paix ont été réglées entre les trois services lors d’une
réunion à Prague le 7 juin 1933. La réunion a lieu le jour même où la
France, la Grande-Bretagne, l’Italie et l’Allemagne signent le pacte à
quatre qui suscite l’inquiétude de nombreux alliés de la France, quoique
jamais ratifié. Pour le temps de guerre, le 2e bureau envisage une solu-
tion consistant à prévoir une liaison radiotélégraphique spéciale, distincte
de celle du commandement, et un chiffre spécial commun. Des réunions
ont été tenues à Prague le 19 septembre et à Paris les 15-16 novembre
1933 pour mettre au point les détails des modalités. L’accord est établi
avec le général Chaloupan, chef du 2e bureau de l’armée tchèque, et les
Polonais. Le capitaine Bertrand commence à étudier la mise en place
d’une liaison radiotélégraphique commune pour le seul temps de guerre.
Un essai concluant est réalisé le 25 décembre 1933. Puis Prague revient

192. Jean-Arnaud Puig, op. cit., p. 40-41.

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Les coopérations internationales des services secrets français

sur les termes de l’accord en janvier 1934, ne ratifiant pas l’accord du


chef de son 2e bureau.
En janvier 1934 déjà, l’état-major tchécoslovaque a exprimé, par la
voix du général Faucher, sa réticence à utiliser un code partagé avec la
même clé de surchiffrement, selon les procédures secrètes prévues entre
la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Yougoslavie. Prague souhaite sur-
chiffrer différemment les télégrammes suivant leur destination. En accord
avec Belgrade et Bucarest, la Tchécoslovaquie espère que cette mesure
s’applique aux trois pays afin d’assurer la parfaite sécurité des communi-
cations chiffrées des puissances de la Petite Entente en cas de guerre 193.
Paris élude cette invitation en arguant que la section du chiffre est dis-
posée à étudier les demandes de Prague d’un surchiffrement distinct,
révisant l’instruction du 4 juin 1926 qui permet de surveiller les commu-
nications entre les pays de la Petite Entente en simplifiant les échanges.
La demande émanant des trois États est en somme significative de leur
volonté de communications bilatérales 194. Le renseignement français a
traité séparément avec les services de renseignement de Pologne et de
Tchécoslovaquie 195.
L’épisode met en relief les relations complexes entre Prague et Var-
sovie. La fragilité des communications entre Prague et Paris donne lieu
à de nouveaux essais de liaison en avril 1934. Des télégrammes chiffrés
sont envoyés depuis le fort d’Issy. La liaison entre la Tchécoslovaquie et
la France est un échec comme celle entre la Tchécoslovaquie et la
Pologne, mais la liaison Pologne-France est un succès. Les difficultés peu-
vent avoir été techniques, ainsi que l’attestent des envois d’ingénieurs
français à Prague. Mais est-ce si sûr ? Une note secrète du 2e bureau
français dresse alors un bilan, prévoyant une conférence exclusive avec les
états-majors des pays de la Petite Entente pour relier à la France leur sys-
tème de transmission et les liaisons par avion en mai-juin 1934 196. Les
trois états-majors roumain, yougoslave et tchécoslovaque en acceptent le

193. SHD/DAT 7N 2 493, dossier sur les transmissions entre la France et la


Tchécoslovaquie, 1934-1937, lettre de Faucher, op. cit., p. 2.
194. Ibidem, note de la section du chiffre à EMA2, 1er février 1934.
195. SHD/DAT 7N 2 493, note de la SR-EMA2 au chef du 3e bureau de
l’EMA, 14 février 1934, au sujet de la coopération des SR.
196. SHD/DAT 7N 2 434, note secrète du chef de la SR-SCR/EMA2 du 7 avril
1934 sur les liaisons entre la France et les États de la Petite Entente.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

principe en mai 1934. « L’état-major tchécoslovaque a fait connaître que


les états-majors des armées de la Petite Entente avaient convenu récem-
ment d’organiser des liaisons entre ces armées et suggéré de rattacher le
réseau ainsi formé à la France 197. » La réunion se déroule entre les repré-
sentants tchécoslovaques, mandatés par Belgrade et Bucarest, et ceux
français à Paris les 31 mai et 1er juin pour prévoir les liaisons entre la
France et les États de la Petite Entente. Elle fait éclater au grand jour les
réticences tchécoslovaques que la France prend en compte. Les diffé-
rences de matériel entre les quatre États, la volonté de protéger au
maximum des risques de fuites et des indiscrétions en temps de paix,
l’utilité de plusieurs liaisons et l’absence d’un organe de commandement
unique soulèvent aux yeux des parties prenantes des obstacles pratiques à
sa mise en œuvre. Aussi la réunion débouche-t-elle sur trois conventions
particulières entre la France et les États de la Petite Entente. Une autre
convention, commune aux quatre États, règle les conditions d’échange et
de retransmission immédiate, à l’intérieur de la Petite Entente, des divers
télégrammes ou des renseignements en provenance ou à destination de la
France, dont les instructions générales de France 198.
L’accord ne va trouver une application que très temporairement et
marginalement en 1934-1935, en raison de la mauvaise foi de Prague qui
est l’expression d’une insatisfaction à l’égard des services secrets mili-
taires français ne lui communiquant pas tous les renseignements obtenus
sur l’Allemagne. En avril 1937, la Tchécoslovaquie rejette à nouveau
l’organisation envisagée à Prague de la conférence relative aux liaisons des
états-majors de la France et des trois États. Dans un courrier du général
Faucher du 5 avril 1937, celui-ci signale que l’état-major de l’armée tché-
coslovaque n’a pas souvenir d’un accord intervenu à cet égard en
décembre 1936, révisant celui de juin 1934 199. C’est le dernier acte d’une
liaison manquée qui atteste des limites des échanges entre les quatre
États. Il est vrai que Paris craint, de surcroît, la pénétration de

197. Ibidem, télégramme EMA2 à l’attaché militaire français à Bucarest, 8 mai


1934.
198. SHD/DAT 7N 2 434, note de l’EMA3 à EMA2, 21 juin 1934 au sujet du
protocole signé le 5 juin par les délégués des états-majors français et tchécoslovaques.
199. SHD/DAT 7N 2 434, note du général Faucher, commandant la MMMF à
Prague, à SAE/EMA2, 5 avril 1937 au sujet du refus tchécoslovaque d’organiser une
réunion sur les liaisons France-États de la Petite Entente.

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Les coopérations internationales des services secrets français

l’état-major tchécoslovaque par des agents allemands. La coopération


interalliée, en vue de coordonner la recherche d’informations sur l’Alle-
magne et de l’exploiter en commun à son bénéfice et à celui de la Petite
Entente, est donc un échec pour la France. Si l’espoir subsiste en 1934
d’échanges bilatéraux, il n’en va plus de même après mars 1936 et en
1937. Les alliances de revers ont bien vécu, laissant le renseignement
français isolé face à l’Allemagne. Et des liaisons improbables avec les You-
goslaves, soutenues par le lieutenant-colonel Béthouart, attaché militaire
à Belgrade, n’y changent rien en juillet 1937. En réalité, la France ne va
pas au-delà d’échanges techniques de renseignements avec la Yougos-
lavie et la Roumanie, sans pouvoir répéter l’intégration de moyens de
recherche dans des bureaux mixtes à l’image de l’expérience avec Prague
de 1934 à 1936. Le cas yougoslave est néanmoins intéressant.

Les attentes de la Yougoslavie


En Yougoslavie, une coopération secrète bilatérale s’est rapidement
mise en place au profit de l’attaché militaire français et de son adjoint dès
l’armistice. Le poste camouflé auprès de l’attaché militaire français de
Belgrade tire ses enseignements de trois sources. En 1919, le service de
renseignement de l’état-major yougoslave accepte de collaborer pour
échanger des renseignements sur l’Italie et les pays balkaniques. La sûreté
yougoslave et des agents manipulés en principe par l’état-major yougos-
lave, par une entente tacite entre les états-majors français et yougoslaves,
complètent la source officielle. Ces agents sont peu nombreux et
médiocres dans les années 1920. La création de l’antenne de Lubljana en
1934 corrige une situation difficile de recrutement depuis Belgrade 200. La
coopération franco-yougoslave est constamment inégale, avant de se
dégrader à partir de l’automne 1934 en raison de l’assassinat du roi
Alexandre de Yougoslavie et des dérives autoritaires du régime.
Pour Belgrade, la coopération n’en demeure pas moins exceptionnelle
dans les années 1920. Elle tient à ce que les services roumains, tchèques,
grecs ne soient pas autorisés à mettre sur pied des moyens clandestins que

200. SHD/DAT 7NN 2 502, extrait du rapport nº 780/c du 16 mai 1924 du


chef de poste de Belgrade à la SR-SCR/EMA au sujet des difficultés de recrutement
et de la valeur médiocre des renseignements obtenus, p. 2-3.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

n’accepteraient ni les Italiens ni les Allemands 201. L’efficacité du travail


du poste découle des bonnes relations avec les officiers yougoslaves et le
chef des services secrets à Belgrade. Elles furent médiocres dans les années
1920, en raison des sentiments francophobes du général Body, chef du
2e bureau de l’état-major de l’armée yougoslave, et inégales en
1933-1934, avant de devenir hostiles en 1938-1939.
Les renseignements communiqués par le contre-espionnage militaire
français sur le mouvement autonomiste croate depuis 1929 ne sont pas
suffisants pour compenser l’hostilité sourde de Body 202. Ses renseigne-
ments sont obtenus par des agents qui luttent contre l’Italie, soutien des
autonomistes croates. Le travail de l’attaché militaire français à Belgrade
est ainsi délicat jusqu’en 1932. À cette date, le colonel Arachitch impulse
un tournant en modernisant le travail d’un 2e bureau aux résultats
médiocres depuis trois ans. M. Kahn, responsable du poste français à Bel-
grade adresse à Paris un rapport sur l’organisation du service secret you-
goslave le 7 juillet 1932. Dans sa conclusion, il signale l’inflexion vers
une coopération inédite avec les services français. « [Premièrement], le SR
yougoslave souffre d’une crise partielle de rendement qui tient, quant au
principal, à un changement brutal de directives, à l’insuffisance des
moyens et à une organisation sans souplesse. Pour y remédier, son chef
a fait une tentative vigoureuse, mais discutée, de réorganisation et d’auto-
nomie. [Deuxièmement], les relations actuelles des SR français et yougos-
laves offrent un caractère de franche cordialité et d’étroite liaison. Sans
reprendre l’ultimatum de la réciprocité posé par le général Body, le SR
yougoslave attache le plus grand prix à l’échange de renseignements sur
des questions précises, et a été très sensible au mode de collaboration qu’a
bien voulu, dans cet ordre d’idées, pratiquer le SR 75 203. » Les échanges
attendus par la France portent sur les fortifications, les forces et les acti-
vités italiennes comme sur les liens avec la Hongrie en Europe balka-
nique. Une antenne est mise sur pied à Ljubljana en octobre 1934 pour
surveiller l’Autriche et l’Italie. Elle compte cinq agents en moyenne dont

201. SHD/DAT 7NN 2 502, extrait du rapport nº 780/c du 16 mai 1924 du


chef de poste de Belgrade à la SR-SCR/EMA.
202. SHD/DAT NN 2 337, note de renseignements du SR français en Yougos-
lavie, 1919-1939, notamment sur les revendications croates et serbes.
203. SHD/DAT 7NN 2 337, rapport de M. Kahn, chef du poste SR à SR/
EMA2, 6 juillet 1932, p. 11. Le SR 75 est la centrale à Paris.

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Les coopérations internationales des services secrets français

le bon rendement permet une collecte régulière d’informations mili-


taires sur les manœuvres, les fortifications et travaux frontaliers de
l’Autriche et de l’Italie. Sur l’Albanie et sur l’Allemagne, les renseigne-
ments de ces agents sont médiocres de 1934 à 1936.
En 1936, le chef des services secrets de Belgrade a été changé cinq
fois, compliquant les échanges de renseignements 204. En France, l’état-
major de l’armée a le sentiment que la Yougoslavie se rapproche de l’Alle-
magne, avec la connivence anglaise. Selon des renseignements parvenus à
Gamelin, le prince Paul de Yougoslavie serait acheté par l’Allemagne 205.
La coopération est décevante en termes d’échanges de juillet à décembre
1936. 226 documents ou renseignements ont été donnés par les offi-
ciers français contre 63 reçus des services yougoslaves profondément
désorganisés en 1936 206. La seule visite que fait Rivet au général Gli-
chitch, attaché militaire yougoslave à Paris, a lieu le 31 juillet 1936 pour
obtenir des informations sur des suspects recherchés par la sûreté de Bel-
grade 207. Si, en 1924, 90 % des renseignements échangés sont jugés inex-
ploitables par le chef du poste français, la proportion est tombée à 30 %
en 1936. Les renseignements essentiellement militaires reçus dans l’entre-
deux-guerres portent sur la Bulgarie, l’Autriche, la Hongrie : l’ordre de
bataille, le ravitaillement en matériel de guerre et en armes notamment
par les trafics d’armes, les effectifs des troupes régulières et des milices.
Sur la Hongrie et sur la Bulgarie, le renseignement obtenu est estimé ten-
dancieux et médiocre au point de ne pas être pris en compte le plus fré-
quemment. L’Italie est la principale cible. Le renseignement est
principalement militaire : les ordres de bataille, les mouvements de
troupes à la frontière de la Yougoslavie, les armements, les fortifications.
En juillet 1937, une nouvelle ouverture est tentée par le chef du
2e bureau yougoslave, le colonel Popovitch, lors d’une visite officielle à

204. SHD/DAT 7NN 2 502, rapport sur le fonctionnement du poste de Bel-


grade en vue de la réunion annuelle des chefs de poste de janvier 1937, décembre
1936, 11 p.
205. AN 351 AP 2, note du général Schweisguth 29 février 1936.
206. SHD/DAT 7NN 2 502, rapport sur le fonctionnement du poste de Bel-
grade, op. cit., p. 2-3.
207. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 1, 31 juillet
1936.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Paris. Reçu à déjeuner par Gamelin, il offre des renseignements sur


l’Italie, désirant des échanges réguliers de renseignements avec Paris 208.
De 1919 à 1939, la coopération se renforce pour mieux connaître les
mouvements autonomistes croates et serbes 209. Son orientation est poli-
tique et policière. Les affinités des partis nationaux avec le Komintern, à
l’instar du parti paysan croate de Raditch, sont étudiées. La surveillance
du renseignement français s’applique aux terrorismes croate et slovène,
particulièrement en Istrie. La Sûreté nationale française est inquiète des
menées terroristes yougoslaves en France et en Europe à partir du début
des années 1930. La collaboration avec la sûreté yougoslave marque un
coup d’arrêt après l’assassinat du roi Alexandre de Yougoslavie en
1934 210. Depuis 1935, la direction politique de la sûreté yougoslave est
dans les mains de Lazitch, germanophile avéré. L’attaché militaire
français souligne sa coopération précoce avec la Gestapo dès 1935. La
collaboration n’est pas totalement interrompue, mais en est considérable-
ment affectée en 1936. En 1937, la question est régulièrement évoquée
dans les conférences interministérielles provoquées par le ministre de
l’Intérieur Marx Dormoy 211. Réel, le rôle des Oustachis manipulés par
Rome ne constitue toutefois pas une menace majeure sur le sol français
à la fin des années 1930 212. En septembre 1937, des accords italo-you-
goslaves renforcent la coopération policière et militaire entre les deux

208. AN 351 AP 3, note du général Schweisguth, 13 à 21 juillet 1937.


209. SHD/DAT 7NN 2 337, dossier sur la coopération avec les services secrets
yougoslaves de 1919 à 1939.
210. Pierre-Arnaud Drouvin, Le terrorisme international en France 1934-1939,
mémoire de master 1, Université de Picardie Jules Verne, 2006, 227 p.
211. SHD/DAT 7NN 2 782, procès-verbal de la conférence interministérielle
du renseignement à l’hôtel Matignon du 27 mai 1937 au sujet des menaces de ter-
rorisme à l’occasion de la venue du prince régent de Yougoslavie en mai 1937. Marx
Dormoy (1888-1941) fut maire de Montluçon élu en 1926, député (1931), puis
sénateur socialiste de l’Allier (1938). Sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil
en 1936, ministre de l’Intérieur en novembre 1936, puis à nouveau dans le
3e cabinet Chautemps (juin 1937-janvier 1938) et le 2e ministère Blum en mars-avril
1938. Réprimant alors les actions de la Cagoule, il fut interné en septembre 1940 par
Vichy puis assassiné par des membres de la Cagoule en juillet 1941.
212. SHD/DAT 7NN 2 782, procès-verbal de la conférence interministérielle
du renseignement à l’hôtel Matignon du 15 septembre 1937 au sujet des menaces
présentées par les oustachis à relativiser selon le directeur de la Sûreté nationale, p. 2,
et procès-verbal de celle du 22 septembre 1937, p. 2.

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Les coopérations internationales des services secrets français

pays. Des fonctionnaires yougoslaves francophiles renseignent officieuse-


ment l’attaché adjoint sur le Komintern et sur les agissements allemands.
En définitive, la « Petite Entente du renseignement » répond de façon
caricaturale à l’esprit strictement bilatéral de ses accords militaires et
diplomatiques. Elle ne débouche pas sur des objectifs et des moyens de
renseignement mis en commun entre les quatre États intéressés. La coo-
pération suit la courbe des relations militaires et diplomatiques dont le
renseignement est ici une simple variable d’exécution. Les illusions fran-
çaises se sont exprimées en 1933-1934 lors d’une ultime tentative de
mettre en œuvre une liaison entre ces alliés. La coopération technique
entre ces trois États et Varsovie s’est révélée impossible. Sans doute le
pacte franco-soviétique dissipe-t-il en 1935 leurs dernières illusions. En
matière de coopération secrète, l’alliance de revers s’est transformée en
une alliance d’infortune. En définitive, cette tentative de coopération
multilatérale en matière d’échanges de renseignements se révéla irréaliste.
Les intérêts nationaux s’entrechoquent, surtout en matière d’espionnage.

La Pologne ou les déceptions d’une alliance faussement


naturelle ?
Une alliance secrète de revers avec la Pologne est-elle imaginable en
1921 et après ? La coopération avec les services secrets polonais a pu
apparaître comme une compensation aux déceptions des relations
secrètes avec les États de la Petite Entente. En réalité, rien n’est moins
sûr 213. Depuis 1920, la menace soviétique, prioritaire aux yeux des jeunes

213. Georges-Henri Soutou, « L’alliance franco-polonaise (1925-1933) ou


comment s’en débarrasser ? », in Revue d’histoire diplomatique, 1981, p. 295-348 ;
Henri Dulong de Rosnay, Le Renseignement français en Pologne pendant l’entre-deux-
guerres, mémoire de DEA sous la direction de G.-H. Soutou, Université de Paris IV-
Sorbonne, 1999, 145 p. avec annexes ; « Création, organisation et centralisation du
renseignement français en Pologne de 1919 à 1939 », in Olivier Forcade (dir.), Le
Secret et la puissance : les services spéciaux et le renseignement aux XIX et XXe siècles,
Amiens, Encrage, 2007, p. 68-91 ; Frédéric Dessberg, Les Relations entre la Pologne,
la France et l’URSS 1919-1935, thèse de doctorat d’histoire sous la direction de
Georges-Henri Soutou, Université de Paris IV-Sorbonne, 2005 ; Frédéric Dessberg,
« La France, la Pologne et l’URSS 1924-1925 », in 1918-1925 Comment faire la
paix ?, op. cit., p. 201-210 et « Les relations politico-stratégiques entre la France,
l’Union soviétique et la Pologne (1924-1935), Cahiers du CEHD nº 29, Histoire
des rapports diplomatico-stratégiques II, 2006, p. 29-41.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

services spéciaux polonais, relègue le danger allemand au second rang. Or


les Français inversent ces deux priorités. Atténuée, cette perception a per-
duré de 1920 à 1938. Ce frein à une collaboration approfondie des ser-
vices français et polonais n’a donc cessé de s’aggraver, en dépit de la
convention militaire de 1921. Et la résolution de l’affaire silésienne favo-
rable à la Pologne a achevé de conforter, à Varsovie, l’idée que l’histoire
avait changé de camp. Au point d’ignorer l’organisation de nombreuses
associations camouflant le renseignement allemand, parmi lesquelles
l’association allemande pour le droit des minorités. Ce fait ne gêne nul-
lement une orientation plus proallemande que francophile du colonel
Beck, chef du 2e bureau polonais. Dès l’origine, les faux-semblants sont
nombreux.
De 1920 à 1926, la présence de la mission militaire française à Var-
sovie facilite les premiers échanges de renseignements entre les Polonais
et les Français sur les organisations militaires des États voisins. Les ques-
tionnaires du service de renseignement du colonel Okolowicz sont ainsi
très précis. Le poste de renseignement animé par le capitaine Derache,
puis par le capitaine Louis Rivet est camouflé à l’intérieur de la mission
militaire française en Pologne. Il est néanmoins supprimé en février
1926, à la demande de l’état-major de Pilsudski (1867-1935) 214. Actif
depuis 1922, ce poste secondaire a fourni des synthèses importantes à
la SR-SCR, actualisées annuellement. En 1925, les recherches
commandées portent encore sur les services secrets russes et le mouve-
ment communiste en Pologne, l’organisation des services secrets alle-
mands en Allemagne et en Russie, les services secrets russes en Russie, le
bolchevisme en Russie et en Allemagne 215.
Malgré ce coup d’arrêt, l’état-major polonais appelle au printemps
1926 à une collaboration des 2es bureaux des états-majors des deux pays.
Il obtient la signature d’un protocole le 13 avril 1926 216. Sur une
demande polonaise, cet accord prévoit d’abord la création d’un poste

214. SHD/DAT 7NN 2 151, note de la SR-SCR/EMA2 aux sections de la


SR-SCR du 10 février 1926 sur la suppression du service du capitaine Derache
entraînant la suspension des liaisons avec les autres postes français à l’étranger.
215. SHD/DAT 7NN 2 151, note nº 918 de la SR-SCR/EMA2 du 2 mars 1925
sur l’orientation des recherches de renseignement de la MMF en Pologne, service du
capitaine Derache.
216. SHD/DAT 7N 2 683, note de l’accord de coopération entre les services
secrets polonais et français du 13 avril 1926.

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Les coopérations internationales des services secrets français

d’officier de liaison français à Varsovie, préféré à un poste fixe des ser-


vices français, après la liquidation du poste fixe français de Varsovie au
1er mai 1926 217. Il doit s’abstenir d’une « façon absolue de faire du ren-
seignement par ses propres moyens » ou de se rendre à Dantzig. Son
cadre d’action est limité par la volonté polonaise 218. Il exploite la presse
russe et allemande (Prusse-Orientale, Poméranie, Dantzig, Silésie, Haute-
Silésie). Le but est bien d’établir des liaisons entre états-majors. Sans sur-
prise, cet accord assure une coordination de l’orientation des recherches
sur les agissements de l’Allemagne et de la Russie en territoire polonais
entre les deux services. Sur le principe, ceux-ci relient ainsi leurs
recherches et échangent les résultats acquis. L’accord délimite deux zones
de recherche en Allemagne de part et d’autre d’une ligne Stettin-Berlin-
Leipzig. La zone située à l’est de cette ligne est celle dévolue au service
polonais et celle à l’ouest de la ligne la zone de recherche des moyens
français. Berlin est une zone commune. L’accord assigne aux Polonais
l’objectif soviétique. Ces deux zones définissent le domaine prioritaire,
mais non exclusif, de chaque service. L’objectif est de déceler tout rensei-
gnement sur des mesures de couverture en Allemagne, en Russie et en
Lituanie. Les échanges se font entre états-majors, via la MMF en
Pologne, ponctués par une réunion semestrielle fixant le programme des
recherches à entreprendre. Des demandes mutuelles de renseignements
sont possibles. La coopération se traduit par l’échange des dossiers sur les
agents d’espionnage étrangers arrêtés et condamnés dans les deux pays en
septembre 1927 219.
À nouveau, l’alliance bute, comme avec Prague, sur le sentiment
polonais d’une valeur médiocre des renseignements communiqués par la
France depuis 1927. Quant à lui, le 2e bureau français se satisfait de
l’envoi des documents polonais en janvier 1928, notamment des Kriegss-
piel allemands à la frontière de la Pologne. Mais les échanges de docu-
ments sont suspendus à l’initiative française. Fin 1927, l’agent français
procurant les renseignements allemands découvre l’ampleur du

217. SHD/DAT 7NN 2 151, lettre du général Debeney, CEMG au CEMG


polonais, 1er mars 1926.
218. SHD/DAT 7NN 2 151, instructions nº 4130 de la SR-SCR/EMA2 pour
l’officier de liaison du SR à Varsovie (CLVA), du 22 avril 1926.
219. SHD/DAT 7NN 2 151, note du lieutenant-colonel Sauzey, officier de
liaison près l’EMP, à SR-SCR/EMA2, 12 septembre 1927.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

contre-espionnage allemand. Celui-ci est informé de la nature des rensei-


gnements dont dispose la Pologne depuis janvier 1927. La fuite n’est pas
identifiée, mais ces documents ont été obtenus par des agents allemands
en Pologne. « Le SR allemand en Pologne dispose de facilités exception-
nelles », conclut la note de l’attaché de liaison français. La conséquence,
notifiée au colonel polonais Schortzel, est la suspension des échanges à
court terme 220. Le renseignement documentaire donné par la France est
temporairement de moindre intérêt pour protéger ses sources.
L’état-major polonais y décèle une alliance en trompe l’œil. Michel
Garder parla plus tard « de relations amicales mais non dénuées d’arrière-
pensées » après 1933-1934. En 1979, Henri Navarre idéalisa la collabo-
ration entre les deux alliés 221. En dépit de ces faux-semblants, la liaison
facilite la réciprocité des informations sur l’URSS et sur l’Allemagne de
1926 à 1935. Pilsudski, chef de l’armée polonaise, puis chef de l’État
après 1926, y fut toujours favorable 222. À suivre les souvenirs de Paul
Paillole, cette coopération est particulièrement active dans l’échange de
codes et des documents obtenus par l’espionnage français sur Enigma en
1932-1933 223. Depuis 1930-1931, le capitaine Klobukowski, officier de
liaison français, reçoit quotidiennement des synthèses polonaises issues de
la section N 224. En 1932, les services spéciaux français s’en tiennent à
l’hypothèse de l’établissement d’un poste mixte franco-polonais activé en
cas de mobilisation 225. À partir d’octobre 1932, les échanges de docu-
ments sur Enigma s’intensifient de façon tout à fait exceptionnelle, mais

220. SHD/DAT 7NN 2 151, note de la SR-SCR/EMA2 nº 1449 du 1 janvier


1928 au lieutenant-colonel Sauzey, Varsovie, au sujet de la valeur des documents
polonais fournis et des fuites vraisemblablement polonaises.
221. Michel Garder, La Guerre secrète des services spéciaux français 1935-1945,
Paris, Plon, 1967, p. 71 ; Henri Navarre et un groupe d’anciens du SR, Le Service de
renseignements 1871-1944, op. cit., p. 73-74.
222. Léon Noël, La Pologne entre deux mondes, Paris, Publications de la Sor-
bonne, 1964 ; Jules Laroche, La Pologne de Pilsudski. Souvenirs d’une ambassade,
1926-1935, Paris, Flammarion, 1946 ; Henri Rollet, La Pologne au XXe siècle, Paris,
Pedone, 1985.
223. Paul Paillole, Notre espion chez Hitler, Paris, Robert Laffont, 1985, p. 35,
40, 57-58, 67-69 sur les débuts de ces échanges en 1932-1933.
224. Henry de Rosnay, op. cit, p. 57.
225. SHD/DAT 7N 2 485, rapport du colonel Lainey à l’EMA du 19 octobre
1932 au sujet de l’organisation des services spéciaux.

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Les coopérations internationales des services secrets français

en définitive sans résultats pratiques : les fascicules de réglage quotidiens


d’Enigma sont échangés pour les mois de septembre et d’octobre 1932.
L’année 1934 marque un sommet des relations secrètes. Varsovie
cherche à conforter l’image d’une coopération exemplaire en matière de
renseignements. Une mission du commandant Schlesser, affecté au ser-
vice de renseignement du 2e bureau français depuis l’hiver 1932, inter-
vient peu après la signature de la déclaration germano-polonaise du
26 janvier 1934. Le contact est établi entre les spécialistes du renseigne-
ment sur l’Allemagne. L’échange de documentation et des liaisons opéra-
tionnelles sont envisagés dans deux zones de recherches définies en
Allemagne, réaffirmant l’actualité de l’accord de 1926 226. Des objectifs
précis sont fixés. La Pologne accepte de répondre aux commandes fran-
çaises de collecte d’informations sur l’Allemagne dans sa zone. Une colla-
boration étendue s’applique au maniement d’agents des deux services
ainsi qu’aux possibilités de passage accrues pour les agents français en
Silésie polonaise.
Est-ce la fin, entre 1934 et 1939, d’une coopération secrète en trompe
l’œil ? En mai 1935, ce resserrement des liens vole en éclats à l’annonce
de la signature du traité franco-soviétique. À Varsovie, l’incompréhension
cède bientôt à l’hostilité après une nouvelle rencontre militaire à Paris en
mai 1935, relatée par le général Schweisguth :
« Conversation avec le chef d’état-major polonais : griefs réciproques sur la
méfiance, sur l’insuffisance des deux attachés militaires. On décide de reprendre
l’échange des renseignements en juin. Faut-il inviter en France des stagiaires, ou
même le chef d’état-major général 227 ? »
De fait, le général Loizeau affirme en juin 1935 que l’état-major
polonais suggère d’établir en France son SR travaillant contre la Russie.
Le 21 juin, les officiers polonais sont à Paris pour réactiver les liaisons
avec le 2e bureau français. Mais, vraisemblablement sur l’instruction du
Quai d’Orsay, l’EMA oppose une fin de non-recevoir à la proposition de
mutualiser, depuis Paris, le renseignement des deux pays sur l’URSS. La
manœuvre polonaise est-elle de diversion pour affaiblir les nouvelles rela-
tions franco-soviétiques ? Les échanges sont désormais acrimonieux dans
le second semestre 1935. Ce dernier est marqué par l’interruption des

226. SHD/DAT 7N 2 683, compte rendu sur la mission du commandant


Schlesser à Varsovie du 9 février 1934.
227. AN 351 AP 2, fonds Schweisguth, notes du 21 mai 1935 après la signature
du pacte franco-soviétique le 2 mai 1935.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

échanges polonais avec Prague, en rétorsion à la situation nouvelle. En


septembre 1935, le plan de renseignement établi par la section Orient du
2e bureau français pour 1936 traduit les inquiétudes françaises.
« Le rapprochement germano-polonais, dont les conséquences ont été parti-
culièrement graves pour les relations entre la Pologne et ses anciens alliés ou
amis, indique le sens dans lequel doivent se diriger actuellement les études sur
la Pologne. Il y a donc lieu d’orienter les recherches en premier lieu vers l’atti-
tude des éléments dirigeants polonais et de chercher à discerner la répercussion
de cette attitude sur les milieux militaires. Tout en continuant à s’intéresser à la
situation matérielle et morale de l’armée polonaise et en particulier aux progrès
de son armement, il y a lieu de rechercher la direction dans laquelle cette armée
serait éventuellement employée. Une collaboration germano-polonaise semble-
t-elle se dessiner et des signes de désaffection vis-à-vis de l’armée française se
manifestent-ils et à quel degré 228 ? »
La venue à Paris d’une mission polonaise en mai 1936 ne modifie pas
les incompréhensions. Lors d’un déjeuner chez Drouant, le général
Schweisguth recueille les récriminations polonaises auprès du colonel
Meyer du 2e bureau polonais.
« [Il] craint l’infiltration du bolchevisme et n’a aucune confiance dans les
Russes. Pour les Polonais, le danger le plus prochain est l’Allemagne. Vif resssen-
timent contre les Tchécoslovaques qui installent chez eux un SR travaillant
contre la Pologne (absolument faux me dit Faucher le 30 mai) : on ne doit
demander pourtant que de respecter la minorité polonaise de Teschen ; la poli-
tique de Prague serait extrêmement inféodée à Moscou. »
Le différend tchéco-polonais est loin d’être dépassé en 1936, ren-
voyant la France aux contradictions de son sytème d’alliance ! De fait, les
relations franco-soviétiques sont le cœur du différend aux yeux des
Polonais, rendant caduc à leurs yeux l’accord de 1921. Le 22 mai 1936,
discutant avec le chef du 2e bureau polonais, le général Schweisguth fait
le point :
« Celui-ci s’interroge sur la validité de l’alliance franco-polonaise. Il me
demande si la France tient toujours à avoir la Pologne forte et bien armée ; par
l’intermédiaire de M. Noël, le gouvernement polonais a assuré la France que rien
n’était changé dans l’alliance de 1921. »
En réalité, les militaires polonais font double jeu. Quinze jours plus
tard, à nouveau au restaurant Drouant, Schweisguth invite les officiers
du SR tchécoslovaque emmenés par le général Hayek, chef du 2e bureau

228. SHD/DAT 7N 2 530, note de la section Orient de l’EMA2, plan de rensei-


gnement pour 1935-1936, 18 septembre 1935.

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Les coopérations internationales des services secrets français

de Prague. L’attitude des Polonais est commentée contradictoirement par


ce dernier :
« Il n’y a aucun aérodrome préparé pour l’aviation russe. Ce sont des bruits
lancés par les propagandes polonaise et allemande. On en est encore aux points
de contact pour la coopération avec les soviets (…) Hayek ne pense pas qu’un
secours russe, soit par la Roumanie, soit en violant la Pologne, puisse être à pied
d’œuvre avant six mois de délais. La Pologne répand des mensonges sur la natio-
nalité des habitants de Teschen. Beck est inféodé à l’Allemagne. L’état-major
polonais est en relation étroite avec l’état-major allemand : chiffre unique 229… »
Lors de sa visite le 30 juin 1936 à l’EMA, le général Faucher confirme
les torts polonais à l’encontre de Prague. Aussi est-il favorable à ce qu’il
y ait une coopération des SR russe et tchécoslovaque contre l’Alle-
magne. Cette option se révèle peu réaliste très rapidement. Mais Gamelin
est-il prêt à jouer désormais à fond la carte de Moscou contre celle de
Varsovie 230 ? Pour Gamelin et Schweisguth, comme pour Alexis Léger et
le Quai d’Orsay, il y a trop d’inconnues à l’alliance militaire avec
Moscou. En réalité, l’appui polonais contre l’Allemagne est décisif pour
Gamelin qui se rend en Pologne en août. Un accord sur le financement
du matériel polonais est conclu le 6 septembre 1936, mais qui ne lève
pas l’opposition de Varsovie à coopérer avec Prague contre l’Allemagne.
Cette dérobade efface toute idée d’une alliance de revers 231. Les rensei-
gnements d’origine tchèque transmis au Quai d’Orsay à Alexis Léger faci-
litent ses conversations avec le général polonais Rydz-Smygly en
septembre 1936. Pour les Polonais, le prétexte est obsessionnellement
Moscou. Au colonel Gauché, chef du 2e bureau de l’EMA en Pologne,
les « Polonais déclarent nettement qu’ils nous lâcheraient si nous nous
laissions gagner par le bolchevisme. » L’heure est aux premières graves
grèves en France en novembre 1936. Les mentions des contacts avec
le SR polonais s’arrêtent dans les carnets de Schweisguth en novembre
1936.
Si les échanges de renseignements entre Paris et Varsovie se ralentis-
sent, les liaisons techniques avec le colonel Langer, chef des chiffreurs
polonais, sont maintenues activement jusqu’au printemps 1937 232. Il est

229. AN 351 AP 2, notes Schweisguth du 4 juin 1936.


230. Frédéric Guelton, Les Relations militaires franco-soviétiques dans les années
1930, op. cit., p. 63-64.
231. Jean Doise, Maurice Vaïsse, op. cit., p. 299.
232. Paul Paillole, Notre espion chez Hitler, Paris, Laffont, 1985, p. 106.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

à la centrale à quatre reprises entre novembre 1936 et avril 1937 233.


Depuis le printemps 1936, la Pologne explore en effet d’autres voies vers
Berlin 234. Le 2e bureau de l’EMA analyse dans ces termes la négociation
d’un accord commercial germano-polonais en mars 1937. Celui-ci porte
sur une entente industrielle pour autoriser la fabrication de véhicules alle-
mands en Pologne 235. Les tentatives de rapprochement avec l’Allemagne
sont d’ailleurs encouragées déjà depuis 1934 par Londres, dont la « City
considère que le risque polonais est le meilleur risque financier dans toute
l’Europe centrale et orientale 236. » En suivant les carnets du lieutenant-
colonel Rivet, de simples liaisons subsistent néanmoins. En octobre
1937, les représentants de services spéciaux polonais sont encore reçus à
Paris par Rivet. Comme un signe, les résultats des entretiens n’ont pas
laissé de traces. L’année 1938 n’offre pas d’événement saillant en matière
secrète.
En juin 1939, les bulletins hebdomadaires de renseignements de
l’EMA soumis à Gamelin signalent déjà une opération allemande immi-
nente sur la Pologne. Durant tout le mois d’août, ces bulletins revien-
nent sur les mesures de mobilisation de l’armée allemande ayant massé
entre 26 et 30 divisions face à la Pologne pour déclencher une agression
avant septembre. Le 14 août 1939, le 2e bureau français adresse à Var-
sovie des renseignements sur les garnisons allemandes à la frontière
polono-allemande 237. On mesure, à l’aune des renseignements détenus,
les faux-semblants des échanges franco-polonais entre le printemps 1935
et l’été 1939. Les résultats de la coopération en matière de déchiffre-
ment sont décevants jusqu’en 1940. Il faut la déclaration de la guerre
pour qu’elle prenne un tournant. Deux exemplaires d’Enigma ont

233. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, vol. 1 et 2, le 18 et le


28 novembre 1936, le 1er février et le 22 avril 1937.
234. SHD/DAT 7NN 2 058, compte rendu SR-EMA2 de Depas du 2 sep-
tembre 1936 au sujet de l’échange entre un officier du SR et un conseiller polonais à
l’ambassade de Pologne à Istanbul sur la fin des échanges de renseignements en
raison du traité franco-soviétique de mai 1935.
235. SHD/DAT 7NN 2 752, note de renseignements sur l’accord industriel ger-
mano-polonais du 12 mars 1937.
236. SHD/DAT 7NN 2 938, note de renseignement d’un informateur « digne
de foi rentrant de Pologne, de Dantzig et d’Allemagne », 20 juin 1934.
237. SHD/DAT 7N 2 683, note de renseignements SAE/EMA2 sur les docu-
ments communiqués par l’attaché militaire français et celui polonais, 14 août 1939.

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Les coopérations internationales des services secrets français

transité vers Paris et vers Londres au début d’août 1939, via la valise
diplomatique française. L’équipe polonaise Z du colonel Langer, comp-
tant une quinzaine d’analystes et de décrypteurs, est à Paris au début
d’octobre 1939. La défaite militaire polonaise est déjà consommée. Deux
autres exemplaires d’Enigma sont, à cette occasion, donnés. Ceux-ci per-
mettent de travailler sur les décryptements des communications alle-
mandes avec les Anglais 238.
Pour le renseignement français, Prague est longtemps passé avant Var-
sovie. Les souvenirs des agents français reconstruisent une réalité
sublimée des relations secrètes franco-polonaises. La sincérité des
échanges de renseignement n’a pas été totale entre 1926 et 1935. En
1936, le pacte franco-soviétique, ratifié, a suspendu une collaboration des
services de renseignement, en réalité plus lourde d’indétermination que
de résultats effectifs. Après 1935, la suspicion avec Varsovie domine peu
à peu les relations. Si la coopération secrète est asymétrique, les livraisons
françaises d’informations sur Enigma continuent, d’une valeur inesti-
mable. Elles sont maintenues par la volonté des seuls services spéciaux
militaires, notamment par le capitaine Bertrand. Maintenues, les liaisons
techniques dissimulent des faux-semblants. À bien des égards, la coopé-
ration secrète franco-polonaise est d’infortune.
En définitive, la coopération en matière de renseignement est-elle un
égalisateur de puissance ou un jeu à somme nulle ? La France a déployé
des efforts constants pour nourrir des coopérations variables au profit
incertain. Il n’y a pas eu de coopération continue avec quelque service
spécial que ce soit de 1919 à 1939. Dans le cadre de ses alliances, la
France peine à mettre en œuvre une coopération bilatérale sincère avec
les États de la Petite Entente et avec la Pologne. Les contradictions et les
différends entre ses alliés d’Europe centrale et orientale invalident toute
tentative de coopération multilatérale en matière de renseignement.
L’échec de la mise en œuvre tardive de liaisons chiffrées en temps de paix
au sein de la Petite Entente de 1934 à 1937, alors que l’alliance se défait,
est explicite. La France a conçu des coopérations qui, répondant d’abord
à ses intérêts nationaux, ne peuvent durer, à l’instar des relations avec la

238. SHD/DAT 1K 545 carton 12, fonds privé Paillole, récit du commandant
Bertrand chef de la section du chiffre sur cette coopération en matière de renseigne-
ment technique tardive. Gustave Bertrand, Enigma ou la plus grande énigme de la
guerre 1939-1945, Paris, Plon, 1973, p. 73.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Tchécoslovaquie ou avec la Pologne. Victorieuse au sortir de la guerre,


elle a vassalisé des services de renseignement qu’elle concourt à créer.
Impuissante à imposer ses vues à ses alliés au tournant des années
1934-1935, elle peine à rassembler des alliés traditionnels qu’elle déçoit
par la pusillanimité de ses réponses aux crises internationales des années
1935 à 1939. Elle a perdu des coopérations qui lui étaient acquises, certes
parfois avec des réserves (Pologne, Yougoslavie) après 1919. Le rappro-
chement avec l’URSS a été lourd de conséquences en 1935. Il a hypo-
théqué des partenariats privilégiés et anciens sans y substituer une
coopération secrète avec Moscou, peu souhaitée en France, en dépit des
conversations franco-soviétiques.
Différemment, les échanges avec les neutres sont une autre décep-
tion. Les coopérations n’ont été possibles que dans le cadre d’une neutra-
lité que les menaces des États autoritaires rendent plus stricte encore
après 1936. La Suisse, la Hollande, mais aussi la Belgique ou les États
scandinaves rechignent à une coopération approfondie. L’utilisation de
leurs services secrets, quand ils disposent de services véritablement
constitués, est défensive. Elle est tournée vers l’intérieur ou vers la défense
des possessions coloniales. Dans les deux cas, les échanges de renseigne-
ments sont inégaux et discontinus. D’une manière générale, ils sont tem-
poraires, sectoriels et conditionnels.
Le partenariat privilégié avec la Grande-Bretagne existe pour répondre
à des enjeux strictement localisés et circonscrits dans le temps. Pour
exemplaires qu’ils soient, les échanges d’informations entre Menzies et
Lainey dans les années 1920 satisfont prioritairement à un calcul de
l’intérêt national bien compris. En outre, ils n’ont pas joué sur les terres
d’empire où s’interrompt la coopération secrète entre Londres et Paris.
Demeure la coopération face à l’Allemagne et à l’Italie. Sincère mais tar-
dive face à l’Allemagne nazie, elle est plus ambivalente face à l’Italie, car
Londres défend aussi ses intérêts propres en Méditerranée et au Proche-
Orient. Il n’y a pas eu d’« alliance sacrée » entre Londres et Paris, avant la
prise de conscience due à la crise internationale de Munich de l’automne
1938.
Au total, la gamme des coopérations a été variée. Pour la France, leur
nature – échange ponctuel, liaison technique secrète partielle ou totale,
coopération stratégique par théâtre, enfin coopération générale s’élevant
à un partage de la collecte jusqu’à l’exploitation – a considérablement
varié. Il y a la coopération souveraine, entre des alliés campant sur leurs

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Les coopérations internationales des services secrets français

intérêts et forts de moyens conséquents. Elle n’exclut pas, temporaire-


ment et localement, des rivalités secrètes jamais défaites dans les empires.
La défense de la rente coloniale et de l’accès aux matières premières et
énergétiques l’emporte sur un hypothétique partenariat secret. Il y a la
coopération inégale, caractérisée par la subordination technique entre des
services. Les échanges sont réguliers, mais menacent d’être inégaux. Cette
coopération se renforce éventuellement avec la mise sur pied de moyens
de collectes communs, mais jamais avec une exploitation commune.
Cette coopération du « fort au faible » est promise à l’infortune. Il y a
enfin des coopérations d’opportunité, se traduisant par des échanges
ponctuels et temporaires, inégaux, d’une sincérité parfois improbable.
Elles répondent à un enjeu opérationnel, moins souvent stratégique. Elles
sont appelées à se défaire, sans amertume, car elles reposent sur un parte-
nariat lucide au nom du calcul égoïste de l’intérêt national. La combi-
naison de ces coopérations fait une politique de renseignement ; celle-ci
ne fait ni une politique de défense, ni une diplomatie, bien que la France
en ait rêvé entre 1919 et 1939. Mais elle échoua dans sa réalisation, sans
doute parce que le renseignement n’est pas pensé systématiquement
comme un outil politique et diplomatique. Les relations politiques entre
les États prédéterminent le plus généralement la nature et la profondeur
des coopérations secrètes.
Le renseignement militaire s’est-il mis au service de la diplomatie ? Ce
serait oublier les complexes relations officielles entre les ministères des
Affaires étrangères et de la Guerre 239. Un cloisonnement existe qui fait
méconnaître au renseignement certains usages diplomatiques et fait sous-
utiliser par la diplomatie un renseignement militaire largement tourné
vers l’extérieur. La coordination cède souvent devant la défiance des
corps de l’État. En outre, le commandement a peut-être sous-estimé la
capacité d’animation de la coopération militaire qu’offre le renseigne-
ment. Celui-ci autorise une forme moderne de coopération qui n’entrait
peut-être pas dans l’image de la puissance militaire cultivée par une géné-
ration d’officiers. À ce titre, il a été délaissé au profit d’une compréhen-
sion plus immédiate de la force militaire comme facteur de puissance.

239. Renaud Melz, Le mage et le régent. Alexis Léger, thèse de doctorat d’histoire,
Univeristé de Paris IV-Sorbonne, sous la direction de Jean-Paul Bled, 2005.

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Chapitre 6
La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

En dépit du caractère tardif de leur rapprochement, lier l’étude des


services spéciaux allemand et italien renvoie à un effort de compréhen-
sion de l’action commune des régimes autoritaires, sinon totalitaires dans
les années 1930. S’il y a davantage de différences que de similitudes dans
l’histoire de leur opposition à la France à partir des années 1920, l’Alle-
magne et l’Italie ont déployé des moyens d’espionnage constants contre
Paris. La perception française de ces actions varie considérablement entre
1918 et 1939, ne serait-ce que parce que l’Italie a compté parmi les pays
alliés contre l’Allemagne entre 1915 et 1919. Si l’espionnage de l’Alle-
magne n’a pas semblé agressif à la France jusqu’en 1925, sauf en matière
commerciale, son contre-espionnage a été très actif pour contrer l’occu-
pation militaire française. De fait, la perception française de l’espion-
nage allemand est celle d’une puissance victorieuse et occupante jusqu’en
1930. De 1925 à 1933, la reconstitution et le renforcement des services
spéciaux allemands sont analysés comme un volet du réarmement clan-
destin allemand ; surtout, ils sont assimilés à un moyen de contourne-
ment permanent du traité de Versailles. Des couvertures facilitent la
reconstruction du renseignement allemand dès la République de
Weimar. À partir de 1933, l’Allemagne fait coexister les moyens tradi-
tionnels de l’Abwehr et les appareils de renseignement nazi dont la Ges-
tapo. Les services français ont tardivement pris conscience qu’ils
combattaient désormais des services d’espionnage armés par l’idéologie
d’un régime totalitaire. La nature de leur réponse à un renseignement
politique, dans lequel la propagande tient un rôle central depuis les
années 1920, n’est pas totalement inédite. Depuis la fin du XIXe siècle, les
doctrines pangermanistes nourrissent un nationalisme très vivant. En

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

définitive, les services français, tenus à un apolitisme strict par une Répu-
blique sourcilleuse de la neutralité politique de son armée, ne se sont sans
doute pas donnés tous les moyens d’une réponse technique et politique
aux défis de l’espionnage allemand. Leurs moyens humains agissent
contre un régime disposant progressivement de moyens d’espionnage
supérieurs. Mars 1936 change la nature d’une menace désormais présente
aux frontières. Il y a un tournant de la remilitarisation de la Rhénanie
qui radicalise la lutte secrète des deux appareils de renseignement. Elle a
changé de nature et d’échelle depuis la fin de 1936.
Après 1936, les réponses consistent à retarder l’alliance des services
secrets des dictatures eropéennes. La volonté de ne pas jeter l’Italie dans
les bras de l’Allemagne justifie, au moins un temps, la tentation d’un par-
tenariat secret franco-italien entre 1935 et 1937. Ce dernier doit corriger
une rivalité secrète installée dans les relations franco-italiennes depuis le
début des années 1920. Aussi la perception de l’action secrète de l’Italie
est-elle complexe, sinon contradictoire, à maintes reprises.

L’Allemagne ou l’ennemi traditionnel de 1919 à 1933

L’impossible démobilisation du renseignement français en Alle-


magne 1919-1923

Le contre-espionnage français dans les territoires allemands occupés


est à l’œuvre dès le printemps 1919. Fin mai 1919, le maréchal Pétain,
commandant en chef des armées de l’est, prescrit des instructions fermes
orientant l’action du service de sûreté des armées d’occupation. L’urgence
est alors au recrutement d’agents allemands et à la neutralisation des pro-
vocateurs allemands envers les troupes alliées sur la rive gauche du Rhin.
Pétain a une vision critique de l’efficacité relative des moyens dispersés
de la Sûreté générale et de la sédentarité de ses fonctionnaires. Aussi son
constat a-t-il pour conséquence de confier à la sûreté aux armées une mis-
sion essentielle de contre-espionnage, relevant d’ordinaire des policiers.
« Les services de la sûreté d’armée ont dans leurs attributions essentielles le
contre-espionnage et le recrutement des agents secrets (indicateurs compris). Par
contre-espionnage, il faut entendre la surveillance puis l’action répressive contre

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

toutes les entreprises de l’ennemi s’exerçant au préjudice du secret des opérations,


du moral et de la sécurité des troupes, ainsi que du maintien de l’ordre 1. »
Sa critique sévère des limites de l’action de la Sûreté générale reflète,
in fine, l’état d’esprit latent du commandement militaire français en Alle-
magne jusqu’en 1924. Le général Guillaumat eut une position plus
nuancée en 1924-1925, souhaitant assez logiquement garder l’autorité
sur le contre-espionnage dans la zone occupée.
Les moyens d’espionnage sur l’Allemagne sont progressivement
déployés à la faveur de l’occupation militaire française en application des
conditions d’armistice et de l’occupation de la Rhénanie, après l’arrange-
ment rhénan du 28 juin 1919 2. Ces moyens sont de deux ordres à partir
de l’été 1919. Il y a d’une part les services de la Sûreté générale. Fin
1920, 20 commissaires spéciaux et 40 inspecteurs spéciaux sont envoyés
dans les territoires rhénans, sans compter ceux affectés dans la Sarre. Ils
reçoivent leurs instructions des autorités militaires de l’armée française du
Rhin et, plus incidemment, du contre-espionnage militaire à Paris 3. Les
missions de la Sûreté générale sont la surveillance de l’opinion alle-
mande et de la police locale, la protection des autorités civiles et mili-
taires d’occupation, le suivi des mouvements antifrançais et antialliés,
sans pouvoir toutefois opérer sur la rive droite du Rhin. Il y a d’autre part
les moyens propres du contre-espionnage militaire. De 1919 à 1930, des
officiers spécialistes du contre-espionnage sont présents dans le service de
sûreté de l’armée française du Rhin, distinct de celui de la Sûreté géné-
rale, et dans les postes de la SR-SCR à Düsseldorf jusqu’en janvier 1926,
Aix-La-Chapelle et Mayence, siège du commandement de l’armée fran-
çaise du Rhin. Le lieutenant Joseph Doudot et le commandant Mangès
jouèrent un rôle majeur 4.

1. SHD/DAT 7NN 2 477, note du maréchal Pétain nº 5500 du 22 mai 1919 au


général commandant les armées d’occupation, service de sûreté des armées.
2. Paul Tirard, La France sur le Rhin. Douze années d’occupation rhénane, Paris,
Plon, 1930, p. 106-110 ; Jacques Bariéty, « Les occupations françaises en Allemagne
après les deux guerres mondiales », Relations internationales, nº 79, automne 1994,
p. 319-334.
3. SHD/DAT 7NN 2 151, note SCR/EMA2 au sujet de l’organisation du
contre-espionnage à l’étranger et sur la participation des fonctionnaires de la Sûreté
générale, février 1920, p. 1-4.
4. Henry Koch-Kent, Doudot…, op. cit., p. 18-23.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

Les souvenirs de Marcel Sicot donnent une description vivante de la


Sûreté générale dans l’appareil d’État après 1919. Ce tout jeune commis-
saire spécial de la Sûreté est envoyé en Rhénanie de février 1921 à
décembre 1924. Il est affecté au service de sûreté mis à la disposition de
l’armée française du Rhin à Mayence. Il est d’emblée nommé adjoint du
chef du secteur de Ludwigshafen par le directeur des services de la Sûreté
générale en Allemagne, M. de Vignolle. À ce titre, il applique les instruc-
tions de la haute commission interalliée des territoires rhénans à
Coblence, sous l’autorité de Paul Tirard, haut-commissaire français pour
les territoires rhénans. Le service de sûreté, comptant une dizaine d’ins-
pecteurs spéciaux, y collabore avec une brigade de gendarmerie prévô-
tale et deux officiers de renseignement détachés de l’état-major de l’armée
française du Rhin 5. Les filatures, le recrutement de mouchards, de provo-
cateurs et d’agents d’information, les arrestations sont la responsabilité
des personnels de la Sûreté générale, sur les instructions d’une double
chaîne de commandement de 1919 à 1924. Les premières notes de la
Sûreté générale en Allemagne parviennent au contre-espionnage militaire
à partir de janvier 1919. Au printemps 1919, les informateurs recrutés
par la Sûreté générale délivrent leurs premières informations au comman-
dement de l’armée française du Rhin et à la SCR 6. Mais la neutralisation
des activités des postes de contre-espionnage et de propagande alle-
mands est difficile. La Sûreté générale, qui ne peut pénétrer en Alle-
magne en dehors des territoires occupés, doit s’en remettre aux moyens
clandestins du contre-espionnage militaire. Dans le Palatinat, l’agence
Pfalzzentrale du baron Ritter von Eberlein anime, depuis Mannheim, la
propagande antifrançaise par ses tracts, ses brochures et ses provoca-
teurs. Marcel Sicot s’attarde par ailleurs longuement dans ses Mémoires
sur les soutiens aux mouvements autonomistes rhénans que les généraux
de la IXe et de la Xe Armées prodiguent du printemps 1922 à l’été 1924.
Il en relève les chimères et les outrances face à une majorité d’Alle-
mands opposés à ces menées autonomistes. Les services spéciaux mili-
taires ne tiennent pas de rôle actif dans ces projets encouragés par les
généraux Mangin, jusqu’en 1919, Degoutte et de Metz, qui se succédent
dans ce commandement en Rhénanie. Ni leurs missions ni leurs moyens

5. Marcel Sicot, Servitude et grandeur policières. Quarante ans à la Sûreté, Paris,


Les Productions de Paris, 1959, p. 45-46.
6. Marcel Sicot, op. cit., p. 49.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

ne le leur auraient permis. Ils suivent en revanche le développement des


mouvements séparatistes dont les leaders suscitent un soutien très faible
dans l’opinion publique rhénane en 1922-1924 7. À partir de l’option
politique prise par Briand, Foch et Tirard en janvier 1921 de relancer
l’affaire rhénane dans l’esprit des solutions envisagées par Foch depuis
1919, l’idée du levier économique pour dégager une solution politique
en Rhénanie est engagée jusqu’à l’automne 1921 8. Fondamental, le choix
est entre une politique de gages productifs limitée aux territoires occupés,
ouvrant à une solution rhénane, et un accord par la négociation pour une
politique de réparations excluant toute solution rhénane. La seconde est
explorée en vain jusqu’en septembre 1922 en application des accords de
Wiesbaden du 6 octobre 1921 sur les livraisons en nature par l’Alle-
magne à la France. À la fin de l’année 1922, les partisans de la solution
interventionniste en Rhénanie reprennent la main à Paris 9. Avec l’occu-
pation de la Ruhr et les encouragements au séparatisme rhénan, l’idée à
Paris de faire imploser l’État allemand a rallié des partisans jusqu’en
novembre 1923 10.
Les missions de la Sûreté générale et du contre-espionnage militaire
s’appliquent d’abord à la neutralisation du « bolchevisme » en Alle-
magne. Les notes de la Sûreté générale recensent les différentes menées
des partis politiques et des syndicats en Allemagne. Parmi celles-ci
l’emportent les notes sur l’activisme communiste auprès des organisa-
tions syndicales allemandes depuis mai 1919 11. Depuis l’automne 1919,
la Sûreté générale craint des mouvements révolutionnaires dégénérant en
révolution et leur possible extension en France 12. Les menaces de grèves
en France sont minutieusement recensées en avril 1920. La connaissance

7. SHD/DAT 7NN 2 944, dossier de renseignements sur les pays rhénans,


1921-1922.
8. Jacques Bariéty, Les Relations franco-allemandes après la Première Guerre mon-
diale, op. cit., p. 68-76.
9. Ibidem, p. 95-101.
10. Ibidem, p. 111-120 et 250-266. Expression que Jacques Bariéty n’emploie
pas.
11. AN F7 13 424, note nº D-3234 de la Sûreté générale du 5 mai 1919 sur le
rôle de l’Allemand Legien à la tête de la fédération internationale des syndicats alle-
mands.
12. AN F7 13 424, note de la Sûreté générale du 29 octobre 1919 au sujet de la
menace d’un mouvement révolutionnaire conjoint en Hollande et en Allemagne.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

du KPD et de l’activisme communiste en Allemagne s’affine durant les


années d’occupation. Les liens des mouvements communistes allemands
avec la Troisième Internationale font l’objet d’une surveillance étroite. La
Sûreté générale démontre progressivement l’extension de l’action du
Komintern à l’Allemagne du Sud, à la Suisse puis à la France depuis
l’automne 1920. Mannheim en est le centre dont dépendent Loerrach et
Ludwigshafen 13. L’adhésion du parti socialiste de la Sarre au Komintern
lui est connue en octobre 1920. Au début de l’année 1921, l’organisation
du Komintern en Allemagne et en France n’a pas de secret pour la Sûreté
générale. L’antibolchevisme a été sa bataille des années 1920 et 1921. En
1925, cet objectif est maintenu pour obtenir les documents internes du
KPD, dont les listes d’espions étrangers de L’almanach Spitzel, puis une
brochure dressant la liste des mouchards et autres provocateurs identifiés
en son sein par le KPD en 1925 14.
En Haute-Silésie, le major von Kozek déploie cinq antennes rayon-
nant depuis un centre à Breslau, ayant pour objectif de renseigner sur le
déploiement des unités alliées. Les troupes alliées, en particulier ita-
liennes et françaises, relèvent de l’autorité du général Le Rond, prési-
dent de la commission de gouvernement et de plébiscite à Opole. Elles
sont l’objet d’un espionnage systématique par la police de Berlin, avec
l’aide des chemins de fer allemands informant des mouvements des
unités et des agents français. Le contre-espionnage allemand orchestre
l’agitation antifrançaise ainsi que le révèlent les premières notes du
contre-espionnage militaire français en août 1920.
« Doivent être organisées dans toutes les villes d’une certaine importance du
territoire à plébiscite de Haute-Silésie les protestations contre le transit des
troupes françaises vers le front oriental. À noter particulièrement que tous les
anciens éléments de la Reichswehr doivent prendre part aux manifestations et
que tous les moyens possibles doivent être mis en œuvre pour soutenir ceux qui
sont chargés de manifester. Les directions des chemins de fer se sont déclarées

13. AN F7 13 424, note de la Sûreté générale d’Alsace du 10 novembre 1920 au


sujet de l’organisation bolchévique dans l’Allemagne du Sud-Ouest et en Suisse.
14. SHD/DAT 7NN 2 723, note de la Sûreté générale à l’armée française du
Rhin, secteur de Höchst, du 15 octobre 1925 au sujet du KPD et des services alle-
mands de SR et de CE, 8 p.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

prêtes à aviser aussitôt les bureaux de renseignement de tous les transports qui
pourraient se produire 15. »
Le comte Speickert, avec le titre officiel de commissaire du Reich
pour l’ordre public, est chargé en février 1920 de mettre sur pied un
réseau d’agents. Il gagne la confiance de la commission de gouverne-
ment et de plébiscite d’Opole en faisant croire à sa mission de lutte
contre le bolchevisme 16. La géographie des antennes d’espionnage alle-
mandes se confond avec celle des troubles qui éclatent aux printemps
1920 et 1921 à Beuthen, à Rybnik, à Kattowitz et à Opole, sans que le
lien soit toujours explicitement établi 17. Après le partage du territoire de
Haute-Silésie en mai 1922, le poste de Breslau élargit ses recherches en
débordant de la Haute-Silésie et de la Poméranie vers l’Europe centrale, à
Prague, à Varsovie, à Budapest et à Vienne. La Pologne et la Tchécoslo-
vaquie restent ses cibles privilégiées dans les années 1930.
Les réactions de l’opinion publique allemande aux conditions de vie
et d’occupation militaire sont observées attentivement 18. Les comités de
secours aux démobilisés allemands sont perçus comme des lieux exposés
à la propagande communiste. Depuis l’automne 1919, la Sûreté géné-
rale intercepte toutes les informations sur la propagande révolutionnaire
dans la zone occupée, sans pouvoir neutraliser les officines allemandes
orchestrant la subversion antifrançaise depuis les villes allemandes de la
rive droite du Rhin et depuis la Suisse. La prise de conscience de l’affir-
mation d’un renseignement économique allemand défensif s’expose dans
les notes de la Sûreté générale durant l’hiver 1919-1920. Son expression
est renforcée de 1921 à 1922 par la menace française de prise des gages.
En 1923-1924, l’occupation est un tournant qui nourrit une opposition
irréductible des services secrets des deux pays.

15. SHD/DAT 7NN 2 723, note de la SCR/EMA2 au général Le Rond, du


11 août 1920, président de la commission de gouvernement et de plébiscite, au sujet
des organisations allemandes en Haute-Silésie.
16. SHD/DAT 7NN 2 723, note de la SCR/EMA2 du 3 juin 1920 au sujet des
services d’espionnage allemands en Haute-Silésie (source du Danemark).
17. Olivier Forcade, « Interpositions françaises dans le cadre des traités de paix
de Hongrie, Haute-Silésie et Turquie de 1918 à 1923 », actes du colloque interna-
tional de la Commission internationale d’histoire militaire, 17-22 août 1995,
Québec (Canada), Maintien de la paix de 1815 à nos jours, Québec, 1996,
p. 164-175.
18. Rainer Hudeman, « L’occupant français et la population allemande après les
deux guerres mondiales », in Relations internationales, nº 80, hiver 1994, p. 471-489.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

L’occupation de la Ruhr ou l’exacerbation des rivalités secrètes


1923-1924
Le renseignement a été capital dans l’affaire de la Ruhr. La rivalité des
services de renseignement français et allemand s’aiguise à la faveur de
l’occupation militaire de la Ruhr. Après l’échec de la conférence de Gênes
en mai 1922, la question de l’occupation possible de la Ruhr a accaparé
les interrogations des responsables du renseignement français comme
allemands. Déjà en mai 1922, le contre-espionnage français met la main
sur un questionnaire remis à un agent du renseignement allemand pour
traquer les signes d’une occupation militaire belge et française renforcée
en Rhénanie 19. Il ne s’agit pas ici de rouvrir une question fort bien
connue par l’historiographie des relations internationales 20. La contribu-
tion du renseignement français à sa préparation et à son déroulement est
moins connue toutefois que le rôle déterminant du Quai d’Orsay,
notamment de Jacques Seydoux, sous-directeur des affaires commer-
ciales 21. Le général Edmond Buat (1868-1923), chef d’état-major général
de l’armée de 1920 à 1923, a été chargé par des instructions du gouver-
nement de Poincaré de mettre à l’étude les conséquences d’une poli-
tique française de prise de gages dès le printemps 1922 22. L’armée
française du Rhin, commandée par le général Degoutte, dispose de
moyens de renseignement propres, en liaison avec les postes de

19. SHD/DAT 7NN 2 324, note SCR nº 10928, 30 mai 1922 au sujet d’un
questionnaire remis par le SR allemand à un agent le 2 mai 1922, 2 p.
20. Jacques Bariéty, Les Relations franco-allemandes après la Première Guerre mon-
diale 1918-1925. 10 novembre 1918-10 janvier 1925 de l’exécution à la négociation,
Paris, Pedone, 1977, 797 p. ; Jacques Bariéty (dir.), Aristide Briand, la Société des
Nations et l’Europe, 1919-1932, Strasbourg, PUS, 2007 ; Stanislas Jeannesson, La
France, Poincaré, la Ruhr (1922-1924). Histoire d’une occupation, Strasbourg, PUS,
1998, 432 p. et « Pourquoi la France a-t-elle occupé la Ruhr ? », in Vingtième Siècle.
Revue d’histoire, nº 51, juillet-septembre 1996, p. 56-67 ; Jean-Jacques Becker, Serge
Berstein, Histoire de l’anticommunisme en France, tome 1, 1917-1940, Paris, Olivier
Orban, 1987, p. 162-165 notamment sur l’occupation de la Ruhr et la mobilisation
des partis communistes européens aux côtés du PCF pour s’opposer à l’intervention
militaire décidée par Poincaré le 11 janvier 1923.
21. Stanislas Jeannesson, « Pourquoi la France a-t-elle occupé la Ruhr ? », op. cit.,
p. 58.
22. Bibliothèque de l’Institut, Fonds du général Edmond Buat (1868-1923), II
(5391), 1918-1923, carnets personnels sur la préparation du volet militaire de
l’occupation rhénane.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

la SR-SCR, pour une collecte d’informations conséquente. Par ailleurs,


la commission alliée de contrôle militaire à Berlin, présidée par le général
Charles Nollet, adresse également des synthèses de renseignement régu-
lières au 2e bureau de l’EMA. Le désarmement allemand, les réorganisa-
tions des effectifs sous couvert des groupements paramilitaires allemands,
le respect des clauses du traité de Versailles sont les questions les plus
suivies par le renseignement français et le Quai d’Orsay. René Massigli,
alors secrétaire de la conférence des ambassadeurs, s’informe aussi direc-
tement aux sources à Berlin pour ne pas être dépendant des seules ana-
lyses du 2e bureau de l’EMA, incontournable pour la diffusion des
évaluations sur le désarmement allemand en 1920-1922 23. À la direction
des affaires allemandes du ministère des Finances, Jean Tannery estime
rapidement que l’hyperinflation allemande est le moyen le plus délibéré-
ment mis en œuvre par l’Allemagne pour contourner le paiement des
réparations 24. Il y a globalement une unité de vue des hauts fonction-
naires et des militaires français sur la dissimulation des intentions alle-
mandes de se dérober au respect des clauses du traité de Versailles durant
l’année 1922. Celle-ci coïncide avec les conclusions du 2e bureau de
l’EMA, reprises par le haut commandement. En 1922-1923, la lecture du
bulletin de renseignement du 2e bureau de l’état-major de l’armée est
explicite. Depuis trois ans, la dérobade de l’Allemagne pour payer les
réparations est patente dans l’esprit des rédacteurs du bulletin.
« Tous les moyens pour ne pas payer et ne livrer que le moins possible lui ont
été bons. Le plus simple, et jusqu’ici le plus fructueux en résultats, a été de ruiner
le trésor public et de déprécier sa monnaie. Elle l’a employé systématiquement.
Cette politique a eu pour conséquence à l’intérieur un bouleversement total dans
la répartition des richesses, certaines classes ayant été complètement ruinées pen-
dant que d’autres s’enrichissaient au-delà de toutes les limites raisonnables, mais
vis-à-vis de l’extérieur l’État allemand s’est présenté sous les apparences d’un
débiteur insolvable 25 ».
L’analyse du 2e bureau justifie, rétrospectivement, l’option d’une
occupation militaire déjà décidée. Or, cette source est le principal canal

23. MAE PA-AP 217, Papiers Massigli, vol. 98, correspondance de Massigli à
Hesnard, 25 février 1920. Voir aussi Raphaële Ulrich-Pier, René Massigli
(1888-1988) : une vie de diplomate, Bern, Peter Lang, 2006, 2 vol., vol. 1.
24. Andrew Barros, « Le 2e bureau dans les années 1920 : l’impact de la guerre
totale sur les renseignements », op. cit., p. 205-206.
25. SHD/DAT 7N 2 503, Bulletin de renseignement nº 2 du 1er février 1923,
p. 5 au sujet de l’opération de la Ruhr et de la justification de l’action franco-belge.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

d’information sur l’Allemagne des décideurs militaires et civils français à


Paris depuis 1919 !
La mobilisation des services de renseignement français et allemand
prend également une orientation économique explicite. À cette inten-
tion, la Sûreté générale multiplie les analyses sur les conséquences écono-
miques possibles d’une occupation française de la Ruhr. Depuis juin
1922, ses synthèses décrivent les réactions d’une opération de prise de
gages productifs. Des occupations d’usines, l’interruption des livraisons
de coke et de charbon à la France seraient prévisibles. En outre, une
extension des mouvements révolutionnaires soviétiques depuis Cologne à
la région de la Sarre, de la Rhénanie, du Luxembourg, du nord de la
France et de la Belgique seraient à craindre 26. Des notes de renseigne-
ment économique sur la Sarre et la Rhénanie sont ensuite diffusées en
septembre 1922. En décembre 1922, la Sûreté générale évalue l’attitude
des industriels et des syndicats allemands en cas d’occupation de la Ruhr.
Elle traduit le sentiment que l’Allemagne n’y croit pas et opposerait une
résistance passive. Elle apporte des conclusions qui confortent les par-
tisans d’une occupation :
« Les ingénieurs et les ouvriers allemands seraient obligés de reprendre le tra-
vail vu la situation financière. La crainte est celle d’une grève générale d’une à
deux semaines, pas d’une révolution, qui pourrait concerner un million
d’ouvriers dans la Ruhr ».
Et l’analyse de remarquer que tout dépend de la position française :
« Ce serait le genre d’occupation qui activerait ou pas la haine contre la
France (avec la nécessité d’éviter l’arrivée des troupes noires au début). Le
contrôle des mines et des grandes industries serait (réalisé) pour faire pression sur
le gouvernement. L’occupation ferait disposer du charbon allemand 27. »
Les analyses de Paul Tirard sont aussi sollicitées pour apprécier la gra-
vité des troubles, qu’il estime relative en dépit des grèves déclenchées en
décembre 1922 de 35 000 ouvriers de BASF à Ludwigshafen, grâce aux
subsides du KPD et du Komintern 28. L’activisme soviétique en Alle-
magne conduit à une véritable traque des informations utiles par la

26. AN F7 13 425, note du BCR de la Sarre du 2 juin 1922 transmis à la SCR le


19 juin 1922 sur les conséquences d’une occupation française de la Ruhr.
27. AN F7 13 425, note de renseignements SCR 2e bureau EMA, fin décembre
1922, anonyme, 3 p.
28. AN F7 13 425, note de Paul Tirard, haut-commissaire français des territoires
occupés à Coblence, 16 décembre 1922.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Sûreté générale durant toute l’année 1922 29. La surveillance des agents
soviétiques, leur identification et leurs liens avec les activités des partis
communistes en France et en Allemagne redoublent au second semestre
1922, parallèlement au renseignement économique. Les échanges de
notes de renseignement se multiplient entre les ministères de la Guerre et
des Affaires étrangères. Dans les dossiers du secrétariat général du conseil
supérieur de la Défense nationale, les mesures préparant l’occupation de
la Ruhr envisagent en effet, dès la réunion du 5 janvier 1923, la saisie des
douanes et la perception des taxes allemandes 30. Ces informations sont,
en outre, bien tardives, à quelques jours de l’entrée des troupes fran-
çaises dans la Ruhr. Incontestablement, le CSDN n’est pas une instance
convoquée dans le premier cercle de décision du gouvernement. Le récit
retracé par François Roth des intentions et des hésitations manifestes de
Poincaré, président du Conseil, en confirme l’hypothèse. La décision a
été prise dans d’autres cercles, et en premier lieu au Quai d’Orsay 31. La
directive du 27 février 1923 de Poincaré, président du Conseil, sur la
prise de gages dans la Ruhr à l’ambassadeur de France en Allemagne,
donne le cadre de la politique des sanctions économiques applicables par
la France à l’Allemagne. Il revient au général Serrigny, secrétaire général
du CSDN, de préparer une note à la présidence du Conseil pour prévoir
l’organisation d’une Rhénanie indépendante, État autonome et tampon.
Le rapport du général Mangin, ancien commandant de l’armée du Rhin,
puis celui du général Degoutte, plaident également pour la création d’un
État autonome en Rhénanie, afin d’assurer la sécurité des frontières de
la Belgique et de la France. Leurs conclusions ne sont pas sous-tendues,
pourtant, par une vision économique, mais par une analyse essentielle-
ment sécuritaire 32. La multiplication des agents français en Allemagne
n’est pas une fausse perception qui serait due à une phobie antifran-
çaise. Jusqu’en 1924, Paris a systématiquement soutenu les tentatives

29. AN F7 13 425, note de la SCR du 20 décembre 1922, au sujet de l’informa-


tion du 23 novembre 1922 de la main allemande dans la baisse actuelle du franc.
30. SHD/DAT 2N 2 37, réunion du CSDN, 5 janvier 1923, sur la prévision de
l’occupation de la Ruhr et de l’organisation d’un État rhénan.
31. François Roth, Raymond Poincaré, Paris, Fayard, 2000, p. 415-464.
32. SHD/DAT 2N 2 37, rapport du général Mangin au général Serrigny, 5 avril
1923.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

séparatistes rhénanes dans l’Allemagne de Weimar 33. Les services secrets


allemands répondent par l’encouragement aux mouvements autono-
mistes alsaciens dès 1922 ; cette action est intensifiée après 1925 34. En
revanche, le rôle de la Sûreté générale et des services spéciaux militaires
est bien de produire du renseignement politique et économique éclairant
les décisions de Paris. La recherche d’informations sur les résistances inté-
rieures et les soutiens extérieurs à la résistance passive leur incombe.
Neutraliser les menées étrangères fut, en 1923, le second objectif du
contre-espionnage français. L’engagement de l’URSS à soutenir la résis-
tance des Allemands à cette occupation militaire jette le KPD, le Komin-
tern et les services spéciaux soviétiques, dont la délégation commerciale
de Berlin, dans la bataille de la Ruhr. L’activisme du Komintern est
débordant. Le soutien aux grévistes est concret. La mission de la Sûreté
générale et des services spéciaux militaires français est donc de neutra-
liser cette résistance ; mais avec des différences tactiques toutefois. Les
pratiques répressives de la SCR, dont ce n’est pas la mission, et de la
Sûreté générale divergent par leurs approches des menées subversives.
Avec raison, la délégation commerciale russe est suspectée d’une activité
politique de financement des ouvriers grévistes de la Ruhr. Depuis jan-
vier 1923, l’arrestation par la Sûreté générale de communistes allemands
et étrangers dans les territoires occupés allemands se multiplie. Cet épi-
sode est bien connu dans l’histoire du PCF 35. Elle se fait en liaison avec
l’arrestation en France, à compter du 15 janvier, de nombreux militants
communistes engagés contre l’occupation militaire et économique fran-
çaise 36. En Allemagne, les militants communistes mènent un combat
sous la bannière du PCF. La position officielle du PCF contre l’occupa-
tion de la Ruhr nourrit une campagne de presse nationale qui dénonce sa
trahison. Des dirigeants communistes sont arrêtés en France à partir du

33. SHD/DAT 7NN 2 714, soutien français aux séparatismes rhénans


1920-1924 et 7NN 2 714, organisation du contre-espionnage dans les pays rhénans
en 1919-1921.
34. SHD/DAT 7NN 2 097, dossier de renseignements sur les mouvements
autonomistes en Alsace-Lorraine, 1922-1927 et 7NN 2 062, dossier sur les mouve-
ments séparatistes et autonomistes en Alsace 1927-1936.
35. Serge Berstein, Jean-Jacques Becker, op. cit., p. 162-170.
36. SHD/DAT F7 13 4256, note de la Sûreté nationale du 15 janvier 1923 sur
les soutiens communistes à une résistance à l’occupation française en Allemagne et
l’arrestation de militants.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

20 janvier 1923. Marcel Cachin est emprisonné. Plusieurs d’entre eux


sont déférés devant le Sénat, constitués en haute cour de justice, pour
atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État. Dans la presse, la col-
lusion du PCF avec Moscou est reprise. Mais le contre-espionnage
français ne conclut pas encore à l’action sous-jacente des services secrets
soviétiques. Provenant d’une source « absolument sûre » de Stockholm,
l’information sur la réunion du comité exécutif de l’Internationale
communiste le 13 janvier 1923 montre la décision d’intensifier l’action
contre la France dans la Ruhr. La source est en fait le poste de Stockholm
de la SR-SCR. La surveillance du comité exécutif de la Troisième Inter-
nationale est précoce 37. À l’automne 1923, le contre-espionnage mili-
taire suit aussi les négociations commerciales germano-russes qui éclairent
l’occupation de la Ruhr en 1923. En effet, la conversation du dirigeant
soviétique Georgi Tchitchérine, commissaire du peuple aux Affaires
étrangères de 1918 à 1930, avec les délégués commerciaux allemands à
Moscou en octobre 1923 a été interceptée 38. Tchitchérine est persuadé
que la France ne cédera pas à la Grande-Bretagne et n’évacuera pas la
Ruhr.
« La Grande-Bretagne fera tous ses efforts pour mettre la main sur les ports
allemands au point de vue du commerce : les ports du Nord et de la Baltique,
sous domination de la flotte anglaise, pourront assurer le paiement des répara-
tions dues à la Grande-Bretagne par le contrôle des douanes et des taxes. C’est
le contre-poids aux tanks et aux canons français en Rhénanie. [Dès lors] le
danger est grave pour les soviets d’une dictature navale anglaise et d’une occupa-
tion polonaise en Prusse orientale 39. »
L’URSS a pris conscience du profond soutien de l’opinion publique
française à l’occupation de la Rhénanie 40. Une cargaison de céréales a été
livrée en Allemagne par le navire Wladimir pour une valeur de

37. Pierre Broué, Histoire de l’Internationale communiste 1919-1943, Paris,


Fayard, 1997, p. 75.
38. Christopher Andrew, Oleg Gordievski, Le KGB dans le monde 1917-1990,
Paris, Fayard, 1990, p. 62 et 85.
39. AN F7 13 426, note du 8 octobre 1923 de la SCR (source : un correspon-
dant) au sujet des conséquences de l’occupation de la Ruhr par la France pour la
politique soviétique.
40. AN F7 13 426, note de la SCR au sujet de l’interception d’une note des ser-
vices spéciaux soviétiques à Moscou du 6 novembre 1923, sur les conséquences de
l’occupation de la Ruhr.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

80 000 livres turques 41. L’épisode est important en 1923. Il donne corps,
dans l’esprit de l’opinion publique française, aux allégations consistant à
assimiler les militants communistes à des agents de Moscou. La main des
services secrets soviétiques est dénoncée tous azimuts. Cette accusation
joue à plusieurs reprises, spécialement avec l’éclatement de l’affaire des
rabcors quelques années plus tard.
L’occupation militaire de la Ruhr est un tournant majeur dans
l’affrontement des services spéciaux français et allemand. Pendant l’année
1923, l’occupation de la Ruhr est l’occasion pour les services spéciaux
français de jouer les communistes allemands contre les grands patrons de
la Ruhr. Sous la République de Weimar, l’épisode est d’ailleurs aux ori-
gines de l’engagement de certains des plus grands patrons allemands dans
une résistance antifrançaise qui déciderait, pour une minorité d’entre
eux, du soutien à Hitler dès les années 1920, à l’exemple d’Hugo
Stinnes 42. La multiplication exceptionnelle du nombre d’agents recrutés
par les services spéciaux militaires français, mais également par la Sûreté
générale, est une réalité rendue possible par l’occupation militaire fran-
çaise depuis 1919. L’occupation militaire et la prise de gages relèvent
d’une vision géostratégique de « sécurité nationale », bien davantage
qu’européenne. L’existence d’États tampons, détachés d’une Allemagne à
la puissance sans cesse bridée, répond aux vues des généraux Mangin et
Degoutte. Celles-ci sont largement partagées dans le corps des officiers
français généraux et supérieurs. Leurs thèses rencontrent aussi dans les
milieux politiques à Paris une sympathie certaine en 1923, y compris au
sein de l’Action française. Dans le même temps, le renseignement alle-
mand recourt à une propagande déterminée qui réactive des thèmes de
la Première Guerre mondiale, parmi lesquels la violence guerrière des
troupes coloniales françaises et l’espionnage industriel 43. Ces vecteurs de
la propagande antifrançaise se retrouvent durant toutes les années 1920
et ponctuellement dans les années 1930. En outre, l’occupation mili-
taire rhénane polarise l’orientation des activités des services français et

41. AN F7 13 426, note SCR du 23 mars 1923 sur une livraison de céréales par
les Soviétiques.
42. Henry Ashby Turner Jr, Big Business and the rise of Hitler, Oxford-New
York, Oxford University Press, 1985, 504 p.
43. Jean-Yves Le Naour, La Honte noire : l’Allemagne et les troupes coloniales fran-
çaises, 1914-1945, Paris, Hachette littératures, 2003, 276 p.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

allemand pendant une dizaine d’année. Ce renseignement d’occupation


est une expérience sans doute fondatrice pour le renseignement moderne
allemand et français. Il façonne un renseignement de contre-espionnage
policier et militaire répressif, tourné contre les populations civiles. Il est
un héritage profond assumé par l’Allemagne et par la France, à la faveur
d’occupations militaires réciproques. Enfin, la réorganisation du rensei-
gnement allemand, dans le domaine militaire et économique, procède
d’un nationalisme défensif. Pourtant, les évacuations militaires françaises
d’Allemagne de 1926 et de 1930 installent peu à peu le renseignement
français dans une posture défensive après 1926.

À la poursuite des services secrets allemands 1919-1933


Bientôt ordinaires, les rivalités entre les services secrets prolongent la
Première Guerre mondiale. Alors que la conférence de Versailles est sur
le point de s’achever, Clemenceau et le commandement français étaient
informés de la reconstitution des services de renseignement allemands en
dépit de leur dissolution officielle et de la démobilisation des armées alle-
mandes. Le Nachrichtendienst impérial de Nicolaï a été officiellement
dissous en 1918. Mais, en mai 1919, le service de sûreté aux armées
donne déjà des indications très précises au sujet de la réactivation de ser-
vices allemands depuis les pays neutres, notamment en Espagne, en Hol-
lande, en Suisse. La légation allemande de Berne est l’objet d’une
surveillance étroite après l’armistice. Elle est l’organe centralisateur d’un
renseignement politique sur la vie politique en France, en Italie et en
Angleterre. Le colonel Pageot, attaché militaire en Suisse, suit étroite-
ment ses menées en liaison avec la SCR. Depuis 1919, il adresse des
comptes rendus détaillés sur ses menées et sur son organisation 44. La
SCR et la Sûreté générale s’efforcent tout particulièrement de mettre au
jour les activités d’une propagande antifrançaise au moyen des journaux
suisses. Les manœuvres de rachat d’organes de la presse européenne par
le groupe Stinnes, notamment en Suisse et en Autriche, les préoccupent
en 1921. L’action d’agences d’information privées allemandes est

44. AN F7 13 424, note nº 2046 de l’attaché militaire français à Berne du


27 février 1919 au 2e bureau SCR/EMA2 au sujet de la légation allemande de Berne.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

particulièrement suivie en Suisse 45. Cette situation n’est que le prolonge-


ment d’une contre-propagande répondant à l’action vigoureuse de la
France envers les neutres depuis 1914. Cette propagande est amplifiée
par le dynamisme de l’industrie radiotélégraphique et des moyens de la
TSF en Allemagne à partir de 1923. En effet, une puissante station
d’émission fonctionne à partir d’octobre 1923 à Münster 46. Le contre-
espionnage français en suit avec inquiétude le possible développement
rapide dans les territoires occupés. En dépit de l’interdiction de la TSF
dans les territoires occupés, des postes clandestins relaient la propagande
antifrançaise en 1924 depuis Dortmund et Limburg. 350 000 postes
récepteurs ont été officiellement déclarés en Allemagne en décembre
1924. En 1925, les efforts du contre-espionnage français sont vains.
L’évacuation d’une partie des territoires au début de 1926 y rend
désormais impossible tout contrôle de la TSF par les autorités françaises.
Le contre-espionnage français relève que le contrôle étatique du réseau
radiophonique doit se renforcer avec le gouvernement von Papen à
l’automne 1932 47. En définitive, la suspicion d’une propagande alle-
mande antifrançaise est omniprésente, sans jamais mesurer l’impopula-
rité de la longue occupation française en Allemagne. En 1928, une
enquête de deux rédacteurs du Kölnische Zeitung, le Dr Dumond Jr et
le Dr Glasen, fait par exemple craindre au service de sûreté de l’armée
française du Rhin sa relance. Paul Tirard s’en ouvre à Aristide Briand en
janvier 1929. Il attribue au consortium Hugenberg l’intention de vou-
loir entreprendre une campagne de propagande contre le plan Dawes et
le maintien de l’occupation en Rhénanie et en Sarre 48. Jusqu’à

45. SHD/DAT 7NN 2 324, note nº 4848 de la SCR/EMA2 du 9 avril 1921 au


sujet de la propagande allemande en Suisse et note du commissaire spécial d’Anne-
masse à la SCR/EMA2 du 30 avril 1921 au sujet des projets de rachat de journaux
suisses par le groupe Stinnes : Berner Tageblatt à Berne, Zurcher Post à Zurich, Bassler
Nahrichten à Bâle. Stinnes cherche à acheter le Bund, très important à Berne, La Tri-
bune de Lausanne et La Tribune de Berne.
46. SHD/DAT 7NN 2 324, bulletin de contre-espionnage nº 10 du service de
sûreté de l’AFR, du 11 décembre 1924 au sujet du développement des moyens de
TSF dans les territoires occupés.
47. SHD/DAT 7NN 2 324, note de la SCR/EMA2 du 13 octobre 1932 au sujet
du nouveau règlement de la TSF en Allemagne en 1932.
48. SHD/DAT 7NN 2 726, lettre de Paul Tirard, haut-commissaire français
dans les territoires rhénans, du 10 janvier 1929 à Aristide Briand, ministre des

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

l’évacuation des territoires occupés, le Quai d’Orsay suit attentivement


ces manifestations dans un bulletin trimestriel 49.
À la fin de la guerre, les pays neutres autorisent l’accès de leur terri-
toire aux services secrets. Si les structures du renseignement allemand ont
été dissoutes, les agents y poursuivent leurs activités en attendant les ins-
tructions du major Gemp. Les « services d’information allemands » y
reconstituent leurs moyens humains et maintiennent actifs leurs réseaux
d’agents. L’orientation de leurs recherches sont les renseignements sur les
armées ennemies, la propagande bolcheviste dans les armées alliées, les
agitations ouvrières, des informations d’ordre commercial et financier
donnant le signal d’une reprise du commerce. Des dispositions pour
camoufler des organes d’espionnage et de contre-espionnage ont été
prises par les autorités allemandes pour être effectives dès la paix de
Versailles.
Les services spéciaux allemands n’ont pas démobilisé en 1918-1919.
Rendus à la vie civile, leurs membres se destinent à l’espionnage commer-
cial. Cette évolution est typique de la sortie de la Première Guerre mon-
diale. Il en est ainsi de l’agence Nuntia, fondée en 1919 par d’anciens
espions dont le major Lieser, le baron von Lamezan et Karl Rau. Cette
association d’entraide se transforme en une agence privée qui camoufle
ses activités auxiliaires d’espionnage des services officiels de Berlin par la
prospection commerciale à l’étranger. Elle fait du renseignement rému-
néré pour le compte des services allemands dont elle devient une filiale
officieuse sous le nom de « Sonderdienst » en 1921 50. Son réseau
d’agents, anciens des services secrets allemands de 1914-1918, se déve-
loppe en Allemagne et à l’étranger. Elle recrute ses agents parmi les mili-
taires démobilisés de la Reichswehr. Les conducteurs de wagons-lits
dissimulent souvent des agents allemands accomplissant des missions
d’observations des étrangers voyageant en Europe. En 1926, les déplace-
ments du dirigeant kominternien Karl Radek (1885-1939) ne sont ainsi

Affaires étrangères en réponse aux questions de la direction des affaires politiques et


commerciales du 31 octobre 1928.
49. SHD/DAT 7NN 2 726, compte rendu trimestriel de renseignements concer-
nant la propagande allemande d’après l’étude de presse. Dossier sur la propagande
allemande en Europe et aux États-Unis, 1927-1932.
50. SHD/DAT 7NN 2 737, synthèse de la SAE/EMA2 sur les services de rensei-
gnement allemands de 1918 à 1938, 12 janvier 1938.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

en rien ignorés 51. Plus tard, l’agence Nuntia a des relations notoires avec
l’Abwehr, et informe le ministère de la Reichswehr, notamment sur les
agissements des hommes politiques allemands. L’agence Nuntia semble
avoir été dissoute en 1929, à l’exception de ses bureaux à Berlin et à
Lindau, très actifs sur la Suisse. Les services de contre-espionnage français
axent leurs efforts sur l’identification des moyens et des responsables de
la réorganisation de ce renseignement. Depuis Berlin, les agents recrutés
après-guerre traquent toutes les informations possibles sur les initiatives
dans les milieux militaires. Au point que des renseignements collectés par
le contre-espionnage militaire voient la main du général von Seckt dans
cette entreprise à l’automne 1921 52. Cette réactivation rapide en 1919 et
1920 est rendue possible par les antennes du renseignement allemand
maintenues à l’étranger. La liaison avec le service autrichien joue, à cet
égard, un rôle actif. Elle n’est que le prolongement d’une relation étroite
au cœur de la guerre de 1914-1918. Les échanges d’informations entre
les consulats allemands et autrichiens en Suisse ont été très actifs depuis
1915 53. Lausanne, Berne et Zurich en sont, par ordre d’importance, les
pôles d’organisation dont seul subsiste Zurich depuis l’armistice 54. Pour
l’Allemagne, la Suisse neutre est un champ de bataille majeur de l’action
secrète, avant comme après la guerre 55. Après guerre, les bulletins de ren-
seignements de l’état-major français ne manquent pas de rappeler le foi-
sonnement d’une propagande qui trouve d’autres terrains antifrançais à
compter de l’occupation militaire des territoires allemands. Précisément,

51. SHD/DAT 7NN 2 734, note de la SCR du 16 avril 1926 au sujet des
conducteurs de wagons-lits employés par le SR allemand. Zimmerwaldien de gauche,
il est l’un des principaux dirigeants du Komintern en 1919.
52. AN F7 13 424, note de renseignements nº 6748 de la SCR/EMA2 du
18 octobre 1921 au sujet d’informations données par un officier français en villégia-
ture en Allemagne durant l’été 1921.
53. SHD/DAT 7NN 2 404, note sur l’organisation de l’espionnage autrichien
en Suisse, SCR/EMA2, 21 novembre 1916, 4 p.
54. SHD/DAT 7NN 2 404, note de l’attaché militaire à Berne du 20 juin 1919
au sujet des services austro-hongrois en Suisse. Les services austro-hongrois avaient
surtout œuvré pendant la guerre à neutraliser les irrédentismes dans l’empire. Depuis
la Suisse, ils agissaient en Italie quand les services allemands bornent alors leurs acti-
vités aux seuls cantons suisses.
55. Ses moyens de recherche de renseignements et de propagande s’y sont épa-
nouis durant les années 1914-1918. La légation de Berne, les consulats de Lausanne,
Zurich, Lucerne, Bâle y jouèrent alors un rôle central.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

la firme Universum Film Aktiengesellschaft (UFA), fondée en Suisse


pendant la guerre avec le soutien financier du gouvernement allemand,
en est l’un des moyens efficaces. À cette époque, ses buts étaient déjà sup-
posés être l’espionnage politique, commercial et la propagande 56.
En réalité, depuis le début des années 1920, les services français et la
Sûreté générale ont déjà une vue variée des organes de renseignements
allemands et de leur camouflage grâce à des rapports d’agents. Le réseau
des postes, de leurs antennes en Allemagne et à l’étranger, est progressi-
vement identifié. En outre, un certain nombre d’agences privées fondées
par des officiers des services de renseignement démobilisés se camou-
flent dans des sociétés dont la raison sociale est commerciale. Les moyens
allemands déployés à l’étranger sont donc inventoriés. Leur profusion ne
permet pas encore une exacte compréhension de leurs responsabilités et
de leurs missions. Le cas autrichien est exemplaire. La centrale d’espion-
nage de Berlin est en liaison avec la section de la presse du ministère des
Affaires étrangères allemand. Le général von Melzen et ses adjoints les
colonels von Bülow, Hauermann, les majors Fleck et Manzoni, s’effor-
cent de prendre en étau l’objectif tchécoslovaque en tissant une toile de
liaisons à Vienne, à Budapest, à Sofia, à Prague, à Linz et à Varsovie 57.
L’implantation secrète à Vienne, animée par les colonels von Massow et
Rundt, fait rayonner les recherches secrètes allemandes en Yougoslavie
qui coopère secrètement avec la France, en Bulgarie et en Hongrie. Une
liaison avec les services japonais à Vienne est établie. Les pays scandi-
naves et l’espace balte sont une chasse gardée de l’espionnage allemand.
Sa garde est confiée à des postes clandestins qui assurent l’espionnage et
la propagande à destination des pays scandinaves. Dans les années 1920,
le dispositif est, à peu de choses près, celui de la guerre. Ses grandes
implantations subsistent, avec quelques modifications, dans les années
d’après-guerre : Copenhague au Danemark, Christiania en Norvège,
Stockholm en Suède, Helsingfors pour le renseignement de propagande,

56. SHD/DAT 7NN 2 477, compte rendu de renseignements de la SR-SCR/


EMA2 du 25 avril 1920 au sujet du contre-espionnage et du bolchévisme, p. 6. Ses
dirigeants sont Lothar Stack, à Berne et Zurich, recrutant des agents sur la France et
l’Italie, Bratz et le major von Grau, officiers de renseignement.
57. SHD/DAT 7NN 2 477, note et schéma des liaisons des services secrets de
Berlin avec leurs ses antennes en Europe centrale et orientale depuis le bureau de
Vienne, 1er juillet 1920 (source : « un bon agent », 9 octobre 1919 et 27 février
1920).

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

Viborg et Perkliarvi en Finlande 58. Depuis la fin de la guerre, la Suède


est un autre théâtre d’opérations de la guerre secrète, eu égard à la neu-
tralité suédoise propice à son épanouissement et à la présence d’orga-
nismes directeurs du Komintern. Les activités de l’espionnage allemand
en Suède sont l’objet d’une étroite surveillance, jamais démentie, de
l’attaché militaire adjoint à Stockholm 59.
Toutefois, au début des années 1920, la connaissance des moyens
secrets allemands reste difficile en raison de la multiplication des agences
privées de renseignement et de l’imbrication des moyens de contre-
espionnage policiers et militaires. La jeune République de Weimar lutte
sur des fronts intérieurs et extérieurs. Le poste de Düsseldorf coiffant
l’espionnage français au nord-ouest des territoires occupés en convient en
janvier 1922 60. Des renseignements contradictoires laissent supposer que
de nombreux organismes agissent pour leur propre compte ou pour celui
d’un parti, sans liens nécessaires entre eux. La protection du régime
contre les menaces de coup d’État d’extrême droite et d’extrême gauche
intègre le renseignement militaire et policier en 1922-1923 61. D’une
manière générale, les dispositions du traité de Versailles qui limitent les
compétences des organes de police et de renseignement centralisés, don-
nant cette compétence aux États, gênent considérablement le travail du
contre-espionnage français jusqu’en 1933 62. Mais surtout, la faiblesse de
l’État central encourage la multiplication d’organes de renseignements
privés dans la République de Weimar. Les partis politiques n’hésitent pas
à recourir à des moyens secrets. La conséquence durable en est une

58. SHD/DAT 7NN 2 473, note de l’attaché militaire français à Stockholm à la


SCR/EMA2 du 20 décembre 1919 sur les associations finno-allemandes et les acti-
vités allemandes en Finlande. Dossier sur le SR allemand en Finlande de 1918 à
1928. Christiana devient Oslo en 1924.
59. SHD/DAT 7NN 2 476, demande de renseignements de la SCR/EMA2 du
13 mai 1919 sur les individus condamnés par les tribunaux suédois pour espionnage
au profit de l’Allemagne à l’attaché militaire français.
60. SHD/DAT 7NN 2 723, annexe au compte rendu de renseignements nº 469
du CLF du 25 janvier 1922 au sujet du travail d’ensemble de SR et de CE ennemis
d’après la documentation parvenue au CLF, p. 1.
61. SHD/DAT 7NN 2 723, compte rendu de renseignement du service de
sûreté générale de l’armée française du Rhin nº 439 du 5 novembre 1922 au sujet
des services de contre-espionnage dépendant du ministère de l’Intérieur allemand.
62. SHD/DAT 2 723, note nº 3760 de la SCR/EMA2 du 1er juin 1933 au sujet
de l’organisation générale de la police politique allemande.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

idéologisation précoce du renseignement politique en Allemagne, déjà


engagée sous le Second Reich et en 1914-1918 dans une défense du
régime.
En 1922, un réseau d’une dizaine de postes d’espionnage et de contre-
espionnage allemand est inventorié en Prusse-Orientale, à partir de
Dantzig, articulé avec le contre-espionnage depuis Francfort-sur-l’Oder.
La toile des moyens déployés dans les pays rhénans est également mise
au jour. Une véritable ligne des postes allemands de contre-espionnage
et de propagande se dessine en passant par Cologne, Bonn, Coblence,
Bingen, Francfort-sur-le-Main, dirigés par Schellenberg, Rudesheim,
Mayence, Frauenstein, Mannheim, Ludwigshafen. Le comte Fugger von
Badenhausen en est l’organisateur depuis Berlin en étroite liaison avec
l’Auswärtiges Amt. En Allemagne, les postes sont connus depuis la
guerre. Ils demeurent les points de départ des activités d’espionnage de
l’Allemagne à l’étranger durant tout l’entre-deux-guerres. En 1919, ceux
ayant pour cible la France sont déjà Düsseldorf, Trèves, Stuttgart, Cassel,
Loerrach 63, Hambourg pour le renseignement naval. Avec Lindau et
Berne faisant du renseignement général et politique, Loerrach est le troi-
sième poste allemand travaillant sur la France à travers la Suisse et la Hol-
lande, par suite de la continuité des fronts gênant la pénétration de
l’espionnage ennemi. Les services secrets allemands n’ont pas désarmé
leur poste à l’armistice. Aussi, la surveillance de chacun des postes est-
elle l’objet d’un travail très minutieux du contre-espionnage militaire
français. Poste par poste, l’activité consiste à identifier les structures, les
responsables, les officiers, les agents allemands et étrangers dont ceux
recrutés en France, les missions menées. En 1922, les zones d’activité des
postes sont progressivement mieux connues. Grâce aux échanges de ren-
seignements avec la Belgique, le poste de Cassel révèle son rayon d’action
sur la Belgique, la France, spécialement l’Alsace-Lorraine, et les territoires
occupés dans la Ruhr et la Sarre 64.

63. SHD/DAT 7NN 2 464, étude nº 2763 du GQG, section de renseignement


aux armées du colonel Zopff sur le service de renseignement de Loerrach, janvier
1917, 20 p.
64. SHD/DAT 7NN 2 477, note de renseignement sur les réorganisations des
postes de Breslau et Cassel, de source belge, janvier 1922. Elle est intégralement
reprise dans le bulletin de renseignement spécial nº 426 du 2e bureau SCR/EMA2
du 10 mars 1922.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

Cette présentation statique des postes allemands n’a d’intérêt que rap-
portée au déploiement des moyens d’espionnage français. Il y a en effet
un parfait parallélisme entre la couverture des réseaux français et alle-
mand. Les tranchées de 1914-1918 sont remplacées par une ligne de
front invisible marquant l’affrontement des deux appareils de renseigne-
ment. Les replis français sont suivis d’une délocalisation des postes alle-
mands (Abwehrstellen) et de leurs antennes (Aussenstellen et
Nebenstellen). La chronologie de leur déploiement coïncide avec celle
des retraits d’occupation en 1926, après la signature des accords de
Locarno, de la Sarre en 1927, puis en 1930 de la Rhénanie. La dissolu-
tion de l’Abwehrstelle d’Elberfeld en août 1926 se traduit par une redis-
tribution de ses moyens à Düsseldorf et Münster 65. Düsseldorf dispose
désormais de moyens inédits de contre-espionnage de la Reichswehr à
partir d’octobre 1926 pour agir sur les territoires occupés et en Bel-
gique 66. Le contre-espionnage militaire français actualise constamment la
liste des agents combattant la présence française, des postes et des
antennes comme de leurs missions. Le plan de renseignement sur l’Alle-
magne de décembre 1924, qui a été conçu à la fin de l’occupation de la
Ruhr, dessine les objectifs stratégiques pour le temps de paix, le temps
de crise et en période de couverture 67. Il définit les buts majeurs du ren-
seignement à acquérir sur l’Allemagne du point de vue militaire, écono-
mique, politique. Les manifestations d’une mobilisation militaire et
économique annonciatrice d’une agression de « l’adversaire le plus pro-
bable de la France et du soutien des pays susceptibles de l’appuyer » sont
observées 68. Les renseignements relatifs à une possible mobilisation de

65. SHD/DAT 7NN 2 470, note de la SCR/EMA2 du 23 août 1926 au sujet de


la dissolution de l’Abwehrstelle d’Elberfeld et de la réorganisation des services spé-
ciaux allemands en Rhéno-Westphalie, dans le dossier de surveillance du poste de
Dusseldorf.
66. SHD/DAT 7NN 2 710, note de la SCR/EMA2 au sujet des nouveaux
moyens de contre-espionnage du poste de Düsseldorf en octobre 1926.
67. Si les plans de renseignement ont logiquement été conçus dans les années
1920, les archives n’ont restitué que le plan de renseignement sur l’Allemagne de
décembre 1924. Pour les années 1930, les plans sur l’Allemagne de 1930, 1931,
1933, 1935, 1938 ont été retrouvés. Les archives du 2e bureau ont également
conservé la trace des plans de renseignement par pays pour 1935.
68. SHD/DAT 7N 2 530, plan général de renseignement de la SAE/EMA2
nº 2487 du 19 décembre 1924, 15 p.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

l’Allemagne seront traqués ainsi que les mesures de couverture à la fron-


tière et l’engagement des troupes françaises au-delà du Rhin. Les opéra-
tions sur d’autres fronts, polonais ou danois, comme les opérations de
subversion sur le front intérieur, complètent ces orientations générales.
Les renseignements économiques se rapportent exclusivement à la vie
économique de l’Allemagne en temps de guerre. Les attitudes des diffé-
rents partis politiques et les soutiens reçus de l’étranger sont une préoccu-
pation permanente. Le plan particulier de renseignement et de recherche
de renseignements pour la période de couverture est beaucoup plus
détaillé. Il inventorie des questions précises devant faire l’objet du tra-
vail des organes de recherche de renseignements. Il prend la forme d’un
questionnaire adressé aux organes de renseignement des armées, aux ser-
vices spéciaux militaires, aux attachés militaires, aux moyens radiogonio-
métriques, par exemple sur les modalités concrètes de la mobilisation
(rythme, unités, nombre d’hommes, matériel, centres d’activités mili-
taires et industriels…) 69.
En avril 1930, la prévision de l’évacuation française des territoires
occupés en Allemagne donne lieu à un véritable plan pour paralyser
l’action de renseignement de la France. L’identification et le fichage de
tous les agents formés par le contre-espionnage français, en particulier
ceux passés par la Légion étrangère perçue comme une officine de recru-
tement d’espions potentiels, sont programmés. La liste des policiers de la
Sûreté générale ayant été en fonction en Allemagne, particulièrement
ceux ayant épousé des Allemandes, et des gendarmes du service de sûreté
de l’armée française du Rhin est exhaustive. Les liaisons, en particulier
postales, et les moyens rapatriés à Strasbourg sont connus par le contre-
espionnage allemand avant même l’évacuation. La réunion de Darmstadt
est un véritable programme d’orientation du renseignement allemand
dans la zone rhénane après 1930. En définitive, ce programme de contre-
espionnage est essentiellement tourné contre les suspects de coopération
avec les autorités d’occupation françaises depuis 1919. Si le mot d’épura-
tion des agents français est employé par la police criminelle allemande en

69. SHD/DAT 7N 2 530, plan particulier de renseignement et plan particulier


de recherche de renseignements pour la période de couverture nº 2488 SAE/EMA2,
1924.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

1930, il convient toutefois de plutôt parler de répression 70. En revanche,


l’installation des nazis au pouvoir conduisit, en 1933 et en 1934, à une
véritable épuration marquée par l’arrestation de centaines de suspects
sous l’inculpation d’espionnage dans la région de Düsseldorf. Le contre-
espionnage français ne rechigne pas alors à utiliser des sources commu-
nistes 71. Sans pouvoir en apprécier l’ampleur exacte, le réseau d’agents
tissé par les services spéciaux militaires français de 1919 à 1930 connaît
deux vagues de neutralisation successives, une de 1930 à 1933, puis une
autre, massive, après 1933. Et les difficultés de recrutement d’agents
s’aggravent après 1930. Le plan de renseignement sur l’Allemagne de
1930 présente quelques différences avec celui de 1924. Son ambition est
d’apprécier les menaces immédiates d’une Allemagne dont la volonté
générale et le désir des partis politiques ont été d’abolir le traité de Ver-
sailles. Le déni de défaite a été constant depuis 1918 72. Les soutiens des
pays étrangers à un tel programme sont passés en revue : le soutien plau-
sible de la Russie, de l’Autriche et de la Hongrie, la neutralité bienveil-
lante de la Hollande et de la Suisse, l’appui de l’Italie et de l’Espagne
(pour les bases de sous-marins), l’aide économique des pays scandinaves
vraisemblable, le soutien de la Grande-Bretagne et des États-Unis par des
crédits possibles. L’aide des alliés de la France que sont la Pologne, la
Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie est à apprécier. Le plan
recommande de suivre l’attitude de ces différents pays. Les moyens éco-
nomiques de l’Allemagne doivent être inventoriés. L’idée exposée par le
plan est que l’Allemagne a recouvré sa puissance d’avant 1914. Elle régle-
rait ses problèmes d’approvisionnement par la neutralité bienveillante de
la Grande-Bretagne et des États-Unis et par l’aide de certains pays afin
de mener une guerre sans se préoccuper de sa situation économique et
financière. Ses moyens militaires sont déjà considérables 73. À partir des

70. SHD/DAT 7NN 2 470, note nº 2706 de la SCR/EMA2 du 19 avril 1930


(bonne source) au sujet d’une conférence au ministère de l’Intérieur de Hesse à
Darmstadt sur les mesures à prendre en vue de l’évacuation française.
71. SHD/DAT 7NN 2 710, note nº 1579 du poste de Metz (BREM) à la SCR/
EMA2 du 3 décembre 1934.
72. Pierre Jardin, Aux racines du mal. 1918 le déni de défaite, Paris, Tallandier,
2005, p. 455-suivantes sur la légende du coup de poignard dans la République de
Weimar.
73. SHD/DAT 7N 2 530, plan de renseignement sur l’Allemagne, 26 janvier
1930.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

considérations générales, un programme de recherche est mis sur pied.


Un plan similaire existe pour l’Italie en 1930. Désormais, les plans sont
actualisés annuellement. Ils sont visés par le chef d’état-major général qui
les signe, à l’instar de Gamelin en 1931 74. Des plans ou des pro-
grammes de recherches particuliers sont conçus et diffusés aux postes de
la SR-SCR, aux attachés militaires, aux autorités militaires de l’état-
major de l’armée. En 1933, le plan de recherche est arrêté en avril et le
programme de recherche particulier en septembre. Pour la première fois
en 1933, des renseignements économiques portent sur les recherches de
succursales et de filiales allemandes des firmes de matériel de guerre à
l’étranger. En 1934, des plans de renseignement apparaissent sur diffé-
rents pays européens : l’URSS, la Pologne, la Roumanie ou la
Grande-Bretagne.
Du début des années 1920 à 1933, la situation de la Suède est révéla-
trice de la lutte des deux contre-espionnages français et allemand à
l’étranger. Le renseignement allemand a traversé en Suède plusieurs
étapes successives. Les services français y ont adapté les moyens du poste
de Stockholm et en Scandinavie par contrecoup. Très tôt, ces derniers
ont suspecté une réorganisation des moyens militaires allemands et du
réarmement germanique depuis l’étranger, en visant explicitement la
Suède et la Russie soviétique. L’analyse des moyens paramilitaires alle-
mands ne cessa d’apparaître, à ce titre, comme un contournement systé-
matique de la limitation des effectifs et de leur entraînement. De 1919
à 1932, Berlin réorganise de fait, en trois étapes, sa politique secrète. En
1923, la France identifie précisément les moyens allemands en Suède 75.
La perception de l’Allemagne par l’opinion publique en Norvège et en
Suède est encore conditionnée par les souvenirs de la guerre sous-
marine allemande en mer du Nord et en Baltique, au milieu des années
1920. Aussi la propagande allemande ambitionne-t-elle, dans l’immédiat
après-guerre, de corriger l’image guerrière de l’Allemagne impériale de
1914-1918. À partir de mai 1924, le ministre d’Allemagne nommé à
Stockholm, von Rosenberg, s’emploie, par une action subtile, à désarmer

74. SHD/DAT 7N 2 530, plan particulier de renseignement pour la période de


tension politique et pour la concentration en vue de la conduite des opérations sur le
front Nord-Est du 16 mai 1931.
75. SHD/DAT 7NN 2 476, comptes rendus spéciaux de la SCR/EMA2 des
21 mars et 26 juillet 1923 sur les services allemands en Suède.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

les préventions suédoises. Le but premier est de faciliter des échanges


commerciaux et financiers contrecarrant les actions françaises et
anglaises 76. En 1926, l’objectif allemand est désormais de démontrer à la
Suède et aux autres États neutres scandinaves que l’Allemagne ne songe
pas à la revanche militaire. Sa propagande cherche à accréditer l’idée du
respect du traité de Locarno en se ralliant complètement à l’idéal
genevois de désarmement.
Le contre-espionnage français estime cette propagande habile. Celle-ci
se borne à prouver que l’Allemagne remplit les obligations du traité de
Versailles, alors que les alliés ne lui savent pas gré de sa loyauté en lui
imposant une occupation sur le Rhin et un désarmement préjudiciable à
sa situation tant intérieure qu’extérieure. En 1926, l’Allemagne s’attache
à exploiter à son profit les accords de Locarno et son entrée dans la
Société des Nations 77. L’action des services secrets allemands en Suède
fait à nouveau l’objet de comptes rendus exhaustifs en mai 1929, puis en
août 1931 78. Ceux-ci décrivent scrupuleusement les structures et les
moyens allemands sous la direction de Bernhard Schulz et Fritz Haber à
la fin des années 1920. En 1929, l’objectif du contre-espionnage alle-
mand est de masquer les commandes militaires exécutées en Suède pour
le compte de l’Allemagne. À Stockholm, une douzaine d’agents ont des
couvertures dans des maisons commerciales diverses, notamment dans les
succursales des sociétés Singer et Telefunken. En 1929, une quinzaine
d’agents agit encore dans le pays. Leur activité d’espionnage est indus-
trielle et commerciale. Le contre-espionnage allemand exerce une surveil-
lance de tous les nationaux ayant une activité économique en Suède,
spécialement dans les sociétés exécutant des commandes passées par
l’Allemagne. De son côté, le contre-espionnage français met en évidence
en 1929 le développement des activités des firmes allemandes en Suède.
Les commandes d’armement sont l’objet d’un inventaire précis, avec la

76. SHD/DAT 7NN 2 476, compte rendu de renseignement spécial nº 217 de


la SCR/EMA2 du 8 janvier 1927 sur la propagande par la presse et le SR allemand
en Suède.
77. SHD/DAT 7NN 2 476, note de l’attaché militaire adjoint à la SCR/EMA2
de décembre 1926 au sujet de l’action des services secrets allemands et de l’Alle-
magne en Suède en 1926.
78. SHD/DAT 7NN 2 476, note nº 33 de la SCR/EMA2 du 27 mai 1929
(source honorable correspondant 164) sur les services secrets allemands en Suède et
nº 295 du 4 août 1931 (sources occasionnelles).

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

supposition de la constitution d’arsenaux clandestins allemands à


Malmö. La création d’usines allemandes avec un camouflage suédois est
avérée pour des filiales de Junkers (à Limhamn), d’Allgemeine Elek-
trische Gesellschaft, de Siemens et de la Speziel Werkzeug Feuerbach
Gesellschaft. La plupart des entreprises sont suspectées d’entretenir des
liens avec les services techniques du renseignement allemand.
Un nouveau tournant est pris par l’espionnage allemand en
1931-1932. Le nombre d’agents fixes en Suède a été réduit au profit d’un
accroissement des agents en mission depuis l’Allemagne. Fritz Weist les
dirige désormais. L’Abwehr a pour parti pris de donner une couverture
impeccable à ses agents. Ils sont affectés dans un autre pays dès qu’une
suspicion à leur encontre existe dans le pays d’implantation. Pour assurer
leur anonymat, la rotation des agents est rapide à l’étranger. Les agents
en mission sont préférés aux agents fixes après 1931. Les services secrets
d’ordre technique, employant des ingénieurs chez AEG et chez Siemens,
ont perdu le rôle qu’ils ont joué dans les commandes de matériel de
guerre. Ils se sont en revanche considérablement développés dans le
domaine de la contrebande d’armes. « Cette contrebande ne vise pas sim-
plement à réarmer l’Allemagne mais [est] aussi à destination des pays où
l’Allemagne a intérêt à fomenter des troubles », note le rédacteur du
compte rendu spécial. Désormais, les services secrets allemands en Nor-
vège sont autonomes par rapport à ceux de Suède. Une longue liste des
agents allemands identifiés dans les pays scandinaves est alors égrenée 79.
En août 1933, le diplomate Émile Charvériat alerte le président du
Conseil et ministre de la Guerre, Joseph Paul-Boncour, sur les activités
redoublées des agents allemands en Suède. Les organisations national-
socialistes se développent pour y surveiller les activités clandestines bol-
cheviques transférées d’Allemagne. Elles se livrent aussi à une propagande
politique envers la communauté allemande et à l’intention des Suédois.
La réorganisation des services d’espionnage allemands en Suède et dans
l’Europe scandinave est lancée. Le sous-directeur d’Europe du Quai
d’Orsay y désigne nominalement les nouveaux officiers chargés de les
mettre sur pied (F. Meiden, F. Kühn, O. Haustmann, W. Lehrenberg) et
les soutiens dont ils jouissent en Suède. La surveillance des Juifs alle-
mands émigrés et des Juifs suédois incombe à Hans Goeth. La propa-
gande dans les milieux syndicalistes et ouvriers est largement financée dès

79. SHD/DAT 7NN 2 476, compte rendu nº 295 du 4 août 1931, p. 1.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

l’été 1933 80. Émile Charvériat prend soin de rappeler l’évocation du sujet
avec le colonel Laurent, chef de la SR-SCR, ce même 30 août 1933. L’été
1933 est le tournant d’une tentative de prise en main des services
d’espionnage allemands par le parti nazi. Les objectifs assignés au rensei-
gnement en Suède sont délibérément militaires et idéologiques dès
l’année 1933.
Étroitement lié à une propagande d’après-guerre cherchant à corriger
l’image de l’agressivité militaire et diplomatique de 1914-1918, le rensei-
gnement allemand en Suède est essentiellement commercial et politique
dans les années 1920. Il favorise et protège le développement commer-
cial de firmes spécialisées dans les matériels électriques, aéronautiques et
blindés d’armement. Il aide au réarmement clandestin par la constitu-
tion de dépôts d’armements à l’étranger en 1928-1931, puis par la
contrebande d’armes à partir de 1931. Les services d’espionnage sont pris
en main en Suède par le parti nazi à partir du printemps 1933. Après
1933, l’influence française en Suède persiste. Le 2 mars 1936, dans
l’esprit du colonel Rusterholz, attaché militaire français à Stockholm, la
perception du danger extérieur fait craindre aux Suédois prioritairement
l’URSS, puis l’Allemagne nazie 81.

Les armes inégales de l’espionnage de 1933 à 1939

Les conditions générales de la lutte secrète franco-allemande


L’inégalité des moyens secrets entre les deux pays a longtemps étonné.
Était-elle pour autant réelle ? Théoriquement, la politique est interdite
aux armées, que le juriste français Léon Duguit commençait de comparer
à une « machine neutre », à un outil du politique 82. Certes, la propa-
gande et la contre-propagande n’existent pas en France dans l’arsenal des
armes des services spéciaux, en vertu d’un strict respect des compétences

80. SHD/DAT 7NN 2 476, note d’Émile Charvériat, sous directeur d’Europe,
direction des affaires commerciales et politiques, ministère des Affaires étrangères au
ministre de la Guerre, SCR/EMA2 du 30 août 1933 au sujet des activités allemandes
en Suède, 5 p.
81. AN 351 AP 2, notes du général Schweisguth après une visite de Rusterholz le
2 mars 1936.
82. Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, Paris, tome 5, de Buccard, 1925.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

entre l’Intérieur et la Guerre en matière de contre-espionnage sur le ter-


ritoire national. Plusieurs raisons expliquent l’inégalité de la lutte entre
les services spéciaux allemand et français entre 1933 et 1939. La liberté
d’information et les indiscrétions récurrentes de la presse, la faiblesse de
la répression judiciaire, en dépit d’arrestations croissantes d’agents
étrangers suspectés d’espionnage en France de 1937 à 1939, la difficile
protection du secret dans la société française et les impuissances de la
législation jusqu’en 1939, les limites des moyens de contre-espionnage et
le recrutement des agents, le contrôle resserré des frontières allemandes
après 1936 en sont les raisons principales. À partir de 1933, des raisons
propres à la nature et aux projets du régime nazi semblent devoir ruiner
les efforts français.
L’occupation française dans les territoires rhénans a été un âge d’or
de l’espionnage français jusqu’en 1930. Le recrutement local d’agents a
été particulièrement facilité. À l’inverse, l’occupation a stimulé le carac-
tère défensif d’un contre-espionnage allemand rapidement réorganisé.
L’évacuation anticipée de la Sarre en 1930 referme cette parenthèse.
Recruter des Allemands ou des Européens depuis la France est autre-
ment difficile, en dépit de l’activité du poste de Metz 83. Cette situation
explique un tarissement de la qualité des agents espionnant l’Allemagne
et de leur rendement après 1930. L’une des raisons de cette impuissance
serait la faiblesse de la communauté française sur laquelle s’appuyer à
l’étranger. À plusieurs reprises, des diplomates et des militaires l’ont sou-
ligné comme étant un frein au possible recrutement d’agents. Lors des
réunions interministérielles du renseignement en mai 1937, l’argument
est souvent repris par Charvériat et par Rivet 84. Ministre de l’Intérieur,
Marx Dormoy ne manque pas de mettre en relief cet argument lors de la
réunion du 18 mai 1937. En lui répondant, Rivet développe une analyse
sur les difficultés rencontrées par les organes de renseignement français en
général en raison du petit nombre de Français à l’étranger. Il précise alors
que la communauté française à Berlin s’élève à moins de 500 personnes
en mai 1937, quand Paris accueille plus de 16 000 Allemands. Et il sou-
ligne le fait que les services français et étrangers luttent d’autant moins à

83. Henry Koch-Kent, Doudot…, op. cit., p. 53-55.


84. SHD/DAT 7NN 2 782, comptes rendus du lieutenant-colonel Rivet, chef
SR-SCR/EMA2 des réunions interministérielles du renseignement au ministère de
l’Intérieur des 18 février et 17 septembre 1937.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

armes égales que la main-d’œuvre étrangère est présente dans des entre-
prises françaises travaillant pour la Défense nationale. Dans certains
départements, il avance le chiffre d’une main-d’œuvre étrangère à plus de
50 % 85. Les nationalisations d’entreprises œuvrant pour la Défense
nationale ont, de façon imprévue, indirectement aggravé la situation. En
réalité, l’analyse de Rivet laisse dans l’ombre l’aspect central des rensei-
gnements obtenus grâce aux agents doubles français dans les services
allemands.
Une dernière question s’impose à ce stade. Les arrestations d’agents
ont-elles permis de réels succès ? Les arrestations se multiplient véritable-
ment au premier semestre 1937. Les premières arrestations nombreuses
ont lieu en février 1938. L’arrestation à Lille de l’agent recruteur Jahn de
l’Abwehrstelle de Düsseldorf, ancien responsable du renseignement naval
allemand en Hollande, a une conséquence importante. Elle éclaire le
contre-espionnage français sur l’organisation, les missions et les méthodes
du poste de l’Abwehr de Düsseldorf. L’utilisation des consulats alle-
mands comme couverture est patente, à l’instar de celui d’Épinal. Cette
arrestation permet de donner également des renseignements sur l’organi-
sation générale de l’Abwehr, en signalant le faible rendement des agents
allemands en France, imparfaitement recrutés. Mais la SR-SCR en tire la
conclusion que l’Allemagne était déjà bien informée sur les fortifications
du nord-est, qu’elle a des facilités tirées du recrutement d’informateurs
en Alsace et de la manipulation aisée de la presse française. L’arrestation
de Jahn entraîne la neutralisation d’une trentaine d’agents allemands en
Belgique, en France et en Angleterre 86.
De façon symptomatique, les Mémoires succints de Walter Schellen-
berg, entré au service secret des SS, le Sicherheitsdienst, retracent la sur-
veillance politique des Allemands dès les débuts du régime nazi 87. La
neutralisation des oppositions et des résistances était inscrite dans les

85. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet, chef SR-
SCR/EMA2 de la réunion interministérielle du renseignement au ministère de l’Inté-
rieur du 28 mai 1937.
86. SHD/DAT 7NN 2 726, note nº 1094 de la SCR/EMA2 du 18 février 1938
au sujet de l’arrestation de Jahn.
87. Walter Schellenberg, Le chef du contre-espionnage nazi parle (1933-1945),
Paris, Julliard, 1957, p. 17-18.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

gènes de la dictature nazie 88. Dans le même temps, l’Allemagne exerce


un contrôle croissant et renforcé après 1933 sur ses résidents se rendant
à l’étranger. Affecté depuis 1930 à l’antenne des services de Metz
(BREM), le lieutenant Doudot mentionne alors les difficultés inédites de
son agent allemand Bn 101. Recruté au temps de l’occupation française
de la Rhénanie, celui-ci affronte une surveillance redoublée pour fran-
chir, après 1933, la frontière franco-allemande 89. En 1933, le poste de
Metz a deux antennes à Forbach et Thionville, agissant notamment sur
la Sarre, pépinière d’agents français, et sur le Luxembourg. Avec l’accord
de Mangès, commandant le BREM, Doudot se fait recruter en 1931 par
l’Abwehrstelle de Cologne qu’il intoxique jusqu’en 1939, en livrant des
informations autorisées par Metz et l’EMA à Paris 90. Les contrôles ren-
forcés de la police allemande et la fermeture progressive des frontières
compliquent singulièrement le travail des services spéciaux français.
L’instauration du régime nazi avait entraîné ipso facto un contrôle aux
frontières plus restrictif. La surveillance de la frontière germano-hollan-
daise interdit aux étrangers de pénétrer en Allemagne sans une sévère
enquête des douaniers et de la police. Le contrôle des routes et des petites
lignes ferroviaires, bien davantage que pour les grandes lignes et les lignes
internationales express, est renforcé depuis les mois d’avril et de mai
1933 91. Après mars 1936, la remilitarisation de la Rhénanie conduit à
une surveillance renforcée de la rive gauche du Rhin et de la frontière
avec le Limbourg en Hollande. Si bien que la simple circulation des
agents français était plus difficile pour pénétrer en Allemagne. Les postes
aux frontières de Lille, Metz et Belfort le soulignèrent lors de la réunion
annuelle des chefs de poste à Paris en janvier 1937 92.
Pourtant, en 1937, l’Allemagne nazie contrôle systématiquement ses
résidents en France. Ils doivent se présenter à un organe de contrôle à
Paris, la Maison Brune, pour être l’objet d’une enquête individuelle sur

88. Christine Levisse-Touzé et Stefan Martens (dir.), Des Allemands contre le


nazisme. Oppositions et résistances, 1933-1945, Paris, Albin Michel, 1997, p. 15-106.
89. Henry Koch-Kent, op. cit., p. 28 et 32-34.
90. Ibidem, p. 31-45.
91. SHD/DAT 7NN 2 276, note nº 6521 de la SCR/EMA2 du 15 mai 1933 au
sujet des mesures prises par les Allemands à la frontière germano-hollandaise.
92. SHD/DAT 7N 2 502, rapport secret du commandant Lombard, chef du
SCM à Belfort à SR-SCR/EMA2 section E, 13 janvier 1937, au sujet des difficultés
d’entrée et de circulation en Allemagne, p. 7-8.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

les raisons de leur séjour. La Gestapo invite les voyageurs allemands de


retour de l’étranger à remplir un questionnaire et à rédiger un rapport sur
ce qu’ils ont vu, selon le directeur de la Sûreté nationale en novembre
1937. Il en résulte une inversion des moyens d’appui et des relais que les
services français peuvent espérer en Allemagne. Les difficultés pour
expulser des Allemands suspectés d’espionnage sont doubles à la fin des
années 1930. Elles tiennent d’abord au heurt de deux conceptions anta-
gonistes des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Les
mesures d’expulsion prononcées contre des personnalités allemandes très
suspectes par le ministère de l’Intérieur sont suspendues, à plusieurs
reprises en 1937. Ministre de l’Intérieur, Marx Dormoy et Moitessier,
directeur de la Sûreté nationale, échouent ainsi à convaincre Charvériat
du bien-fondé de l’expulsion du journaliste Demiani et du responsable
allemand von Gross. Depuis 1933, la doctrine du Quai d’Orsay était de
ne procéder qu’au cas par cas, à la différence des autorités allemandes et
« des pays à régime totalitaire ». Dans le même temps, le contact de
l’ambassadeur de France François-Poncet, Camille Lemercier, correspon-
dant d’Havas à Berlin, était expulsé à l’automne 1937 93.

Le tournant de la remilitarisation de la Rhénanie en mars 1936


L’affaire rhénane est le premier véritable laboratoire du contre-espion-
nage offensif en 1936. En mars 1936, la remilitarisation de la Rhénanie
marque un tournant définitif dans la révision des traités d’après guerre
par l’Allemagne nazie. Elle est probablement le facteur psychologique et
politique le plus déterminant dans la prise de conscience hitlérienne que
la France se refuserait à entrer en guerre, au mépris de la sécurité euro-
péenne. Aussi l’information produite par les premiers agents doubles des
services français, actifs en Allemagne depuis 1932-1933, est-elle capitale.
S’ils donnent aux services de renseignement militaires une compréhen-
sion assez exacte des intentions allemandes ainsi que du calendrier pos-
sible de l’action brusquée, ces renseignements ne suffisent cependant pas
à convaincre les plus hauts responsables politiques et militaires,

93. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet, chef SR-
SCR/EMA2 de la réunion interministérielle du renseignement au ministère de l’Inté-
rieur du 17 novembre 1937, p. 2. André François-Poncet, Souvenirs d’une ambassade
à Berlin, Paris, Flammarion, 1946, p. 5.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

notamment le général Maurice Gamelin. L’importance des agents


doubles Gessmann et Fritz R. de l’antenne de l’Abwehr à Lindau est ici
centrale. Pour autant, l’analyse et l’exploitation des renseignements
obtenus ne parviennent pas encore à fonder une procédure totalement
efficace pour les services de renseignement : ceux-ci échouent à
convaincre les responsables militaires français du caratère absolument
fiable de leur renseignement d’alerte stratégique. À cet instant, la fai-
blesse de la procédure est moins l’analyse du renseignement par le haut
commandement, que son exploitation et sa diffusion aux décideurs civils.
Que savent les chefs français avant le 7 mars et à quelle date le coup de
force en Rhénanie est-il concevable pour eux ? L’affaire se noue sur le ter-
rain – avec l’information collectée par des agents doubles – et à l’état-
major de l’armée à Paris, autour de Gamelin.
En 1934, la Sûreté nationale a établi un contact avec Fritz R. Né à
Graz en Autriche en 1898, Fritz R. est de nationalité autrichienne. Il est
arrivé en France le 12 octobre 1932, avec un passeport autrichien visé au
consulat de France à Vienne. Sans activité professionnelle, il s’installe à
Montrouge, puis à Paris en mars 1933. Quoique ayant fait l’objet d’une
enquête de la Sûreté nationale en décembre 1934, il n’est pas connu des
services de police. En juillet 1935, un déplacement à Tours et à Bor-
deaux déclenche une demande d’enquête du préfet d’Indre-et-Loire, puis
l’ouverture d’un dossier de la Sûreté nationale 94. En vertu de leurs
accords sur le contre-espionnage à l’étranger, la Sûreté nationale l’oriente
à la SCR 95. À la Sûreté nationale, le commissaire Oswald est le corres-
pondant des officiers du contre-espionnage. Fin 1935, il y a le comman-
dant Grosjean, chef de la SCR jusqu’à l’été 1936, le commandant de
Robien, assisté du lieutenant Paillole. Fritz R. est recruté comme agent
de la SCR par le commandant Grosjean, sans que les conditions et la
date exacte ne soient totalement éclaircies. Il décide rapidement de son
orientation vers le contre-espionnage des menées allemandes en France
en le formant comme agent double. Avec Robien, Grosjean orchestre, à
cette intention, son contact avec l’Abwehr. Dans le second semestre

94. SHD/DAT 7NN 2 213, note nº 2808 du contrôleur général de la surveil-


lance du territoire, Sûreté nationale, ministère de la l’Intérieur, du 19 juillet 1935 au
sujet de Fritz R. signalé après la communication du dossier Gutemberg.
95. SHD/DAT NN 2 213, note individuelle de la SCR/EMA2 de juillet 1935
sur Fritz R.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

1935, les premiers contacts sont si encourageants qu’il est recruté par le
poste de renseignement de l’Abwehr de Lindau. L’Abwehrstelle de
Lindau travaille essentiellement sur la France et sur la Suisse. Les détails
de ce recrutement par le Dr Gombart, chef de l’Abwehrstelle de Lindau,
ne sont pas contenus dans le dossier de Fritz R. Le 30 octobre 1935,
Fritz R., alias Florimond, remet une première fourniture, c’est-à-dire des
informations obtenues sur l’Allemagne, à partir d’un questionnaire des
services spéciaux français. Il ne s’agit pas moins que du programme de
recherche de l’Abwehr sur la France, révélant les intentions stratégiques
de Hitler. Sans grande originalité, ce plan de recherche des services de
renseignement allemands, concernant les indices de tension militaire
dans les industries de guerre, vise à anticiper les réactions militaires de la
France en cas d’agression extérieure. Il comprend trois rubriques, à savoir
les achats, les approvisionnements, les dépôts et les restrictions d’achats
de matières premières, de combustibles et de produits alimentaires ; les
adaptations, la production et la distribution des fabrications indus-
trielles, notamment militaires ; les hausses des primes d’assurances indi-
quant un risque de guerre, la saisie des avoirs à l’étranger, la hausse des
actions boursières d’armements et les crédits aux industries d’arme-
ment 96. Le document est transmis au 1er bureau de l’EMA pour son
information. À ce stade, rien ne prouve cependant que Fritz R. n’est pas
un agent de pénétration de l’Abwehr.
Traiter un agent double depuis Paris est ardu. En janvier 1936, l’offi-
cier traitant de Florimond devient le lieutenant Paul Paillole, affecté
depuis le 1er décembre 1935 à la SCR 97. La Sûreté nationale suit conjoin-
tement l’agent qu’elle a indiqué à la SCR. La coopération est désormais
exemplaire entre les policiers de la Sûreté nationale et les militaires de la
SCR. Le 14 janvier 1936, Paillole se rend à la Sûreté nationale pour
remettre à Florimond des informations en présence du commissaire
Oswald 98. Des documents, d’importance variable, sont donnés avec
l’agrément des 1er et 4e bureaux de l’EMA, parmi lesquels des notices sur
le correcteur Peycru et sur la composition d’une division de cavalerie

96. SHD/DAT N 2 213, note du commandant Grosjean, chef de la SCR/EMA2


du 30 octobre 1935 au 1er bureau de l’EMA pour information du document fourni.
97. Paul Paillole, Services spéciaux (1935-1945), op. cit., p. 22-23.
98. Paul Paillole, op. cit., p. 41-42. Les informations sont aussi qualifiées de
« fournitures ».

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

normale. Cette « notice [est] destinée à effacer la mauvaise impression


donnée par les renseignements antérieurs et quelque peu ridicules fournis
par Florimond ». Depuis l’été 1935, Florimond a pour correspondant le
comte Zecht, agent de l’Abwehr de Lindau. Pour l’Abwehr, la crédibi-
lité de Florimond tient à sa capacité à obtenir des renseignements inédits.
Mais les services français ont tout intérêt à ne pas donner trop vite des
informations de très grande valeur. Elles exposeraient Florimond à la sus-
picion de son correspondant allemand. Le rôle de Fritz R. est défini pré-
cisément par Paillole le 14 janvier 1936. Il estime que Florimond
« semble avoir la confiance de Lindau et notamment de Zecht ». Flori-
mond informe des déplacements de Gombart et Zecht en Suisse, sus-
pendus en janvier 1936 car ils craignent les actions du contre-espionnage
français. Florimond fait incidemment remarquer que ce « service
[français] fonctionne sans doute assez mal car il n’a nullement été
inquiété ». L’Abwehr de Lindau lui a alors donné quatre missions :
étendre ses relations en vue de suppléer l’agent Gessmann éventuelle-
ment ; s’introduire dans les milieux aéronautiques pour obtenir tous les
renseignements possibles, dont ceux métallurgiques ; apprécier les mou-
vements de troupes dans le sud-est de la France ; rechercher des détails
sur les centrales électriques des Pyrénées (plan de sabotage) 99. Or, l’agent
Gessmann est le premier et le seul agent double dont parle Paul Paillole
dans ses mémoires à propos de la crise de 1936 100. Recruté en 1932,
Gessmann commence d’être exposé par son travail double au profit des
Français en 1936. En effet, il a révélé aux services de renseignement
français l’espionnage de l’intendant militaire Frogé, condamné en 1935
à cinq ans de prison pour espionnage au profit de l’Allemagne pour avoir
notamment livré des secrets sur la défense de Belfort. Aussi le contre-
espionnage militaire français cherche-t-il, depuis quelques mois, à
recruter de nouveaux agents. Or, cette démarche nécessite du temps. Le
lieutenant Paillole propose dans son compte rendu de donner des fourni-
tures aéronautiques à Florimond pour que sa réputation s’affermisse et
prouve qu’il a pu s’introduire dans les milieux de l’aviation. À cet instant,
l’Allemagne est lancée dans un ambitieux programme de construction

99. SHD/DAT 7NN 2 213, compte rendu de l’entrevue du lieutenant Paillole et


de Florimond à la Sûreté nationale le 14 janvier 1936, 2 p.
100. Paul Paillole, op. cit., p. 43-45 retrace le suivi de l’agent Gessman, étrange-
ment proche de Fritz R.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

aéronautique pour essayer de surclasser l’aviation militaire française. Au


premier semestre 1936, la Luftwaffe est sur le point de devancer les
moyens de bombardement aérien français. Le remplacement de
Gessman, autre agent double des services français à Lindau, est évoqué,
mais après qu’il a pu introduire Florimond auprès de ses informateurs en
Allemagne. Avec l’accord de Gamelin et de Schweisguth qui suivent de
très près la question, le 1er bureau de l’EMA poursuit sa fourniture
d’informations à la SR-SCR. Le traitement de l’agent Florimond exige
une liaison étroite et confiante entre le 2e bureau SCR et les bureaux de
l’état-major de l’armée, seuls en mesure de pourvoir aux demandes
d’information qui crédibilisent l’agent double. Le 20 janvier 1936, au
grand rapport de l’EMA qu’il préside chaque semaine, Gamelin
« s’inquiète de ce que nous ferions en cas de réoccupation de la zone rhé-
nane qui peut désormais intervenir à tout moment 101 ». Et la question
est à nouveau traitée lors du grand rapport du 27 janvier pour étudier le
scénario d’une réoccupation de la zone démilitarisée rhénane. Ses divul-
gations d’informations sur le camp de Souche le 1er février, puis sur la
DLM le 20 février 1936, ne présentent pas d’inconvénient aux yeux du
haut commandement français 102. Dans le même temps, Florimond et
Gessman multiplient les renseignements d’alerte sur les intentions alle-
mandes. Le 11 février, Schweisguth confirme la prise en compte de ces
informations par Gamelin et l’EMA directement à la source de la SCR :
« Un renseignement demandé à un agent double par le SR allemand semble
indiquer que les Allemands provoqueront prochainement un incident de nature
à amener sinon la guerre du moins le Kriegsgefahrzurstand avec la France 103. »
Et de signaler que « le SR allemand prévoit une tension politique pro-
chaine et prend des mesures en conséquence ». Pour Gamelin, l’affaire
devra être portée à la SDN, laissant croire qu’il ne serait pas prêt à une
rétorsion militaire. Pourtant, le plan D bis prévoit les mesures gra-
duelles qui devraient être appliquées. Le 13 février, Schweisguth rapporte
encore que les généraux « Gérodias et Armengaud me disent que Hitler
ne ferait pas réoccuper la zone démilitarisée avant la fin des jeux Olym-
piques (en août). Schacht s’y serait opposé ». Et le lendemain, Gamelin et

101. AN 351 AP 3, note du général Schweisguth du 20 et 21 janvier 1936.


102. SHD/DAT 7NN 2 213, note nº 2292 de l’EMA1 à SCR/EMA2 du 2 mars
1936 au sujet de la notice d’information sur la DLM.
103. AN 351 AP 3, fonds Schweisguth, notes du 11, 13 et 14 février 1936.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Schweisguth analysent les sanctions possibles envers l’Allemagne en cas


de réoccupation de la Rhénanie. Le général Colson suggère l’aide d’un
pont aérien à l’attaché militaire britannique venu réfléchir à la coopéra-
tion franco-britannique. Les 27 et 29 février 1936, de nouveaux rensei-
gnements sont transmis à l’EMA sur une intention allemande inchangée.
Laconique, Schweisguth écrit le 7 mars dans son carnet : « Réoccupa-
tion par l’Allemagne de la zone démilitarisée. Pas de renseignements par-
ticuliers 104. » La remilitarisation de la Rhénanie a des conséquences pour
l’Abwehr de Lindau. Florimond doit multiplier les renseignements pour
déceler les indices d’une réaction militaire française. Il correspond avec
Lindau par des boîtes aux lettres fictives et avec des identités fausses. La
Sûreté nationale a gardé la copie des courriers qui lui sont adressés par
l’Abwehr de Lindau, donnant des instructions. Celle du 10 mars est
éclairante.
« Cher Monsieur le Docteur, votre dernière lettre a malheureusement très
déçu. Qu’il est difficile d’effectuer les visites des clients, pendant cette situation
tendue, c’est évident. Le chef est de l’avis qu’il faut également utiliser ces
temps-là, et qu’il ne sert à rien, quand vous ne voyagez plus du tout. Des arrêts
involontaires sont très désagréables, mais pas encore si mauvais que si on ne fait
rien du tout, pour activer la vente de produits à souder. Il vous demande de
reprendre vos voyages dans toutes les circonstances et encore avec la plus grande
rapidité. Vous pouvez garder les commandes pendant quelques jours et quand
vous le jugerez utile, vous pouvez voyager un peu plus dans le sud. Adressé à Dr
Ernst Ehrenberg, Marseille 105. »
Le 8 et le 9 mars, les renseignements montrent que les Allemands
craignent une réaction militaire française. Or, le gouvernement de
concentration républicaine d’Albert Sarraut est profondément divisé sur
l’opportunité d’une riposte militaire, deux mois avant les élections légis-
latives de mai 1936. Traité de concert avec la Sûreté nationale, Flori-
mond donne des renseignements précieux après son déplacement à
Lindau le 10 mars. La crise de la Rhénanie intensifie la recherche de ren-
seignements côté allemand. Aussi a-t-il remis aux Allemands, en arrivant,
les numéros des unités rencontrées lors de son voyage de Paris à Lindau
par Metz, Mulhouse et Bâle et ceux fournis par les services français. Dans

104. Ibidem, 7 mars 1936.


105. SHD/DAT 7NN 2 213, note de la Sûreté nationale du 14 mars 1936 sur la
correspondance de Florimond et les instructions de l’Abwehrstelle de Lindau.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

son compte rendu, le commandant de Robien met en évidence l’attitude


des Allemands :
« Les Allemands, dont l’inquiétude était extrême dimanche soir et qui crai-
gnaient une réaction de la flotte aérienne française à laquelle ils prétendaient ne
pas être préparés, ont téléphoné de suite ces renseignements à Berlin. Ils ont ren-
voyé Florimond lundi à Strasbourg, avec mission d’observer les mouvements de
troupes. Un autre agent, dont on ne sait que l’initiale, partait en même temps
pour la Moselle et Metz. Il est revenu à Bâle, d’où il a téléphoné aux Allemands
qu’il ne voyait pas de mesures particulières et n’avait pas constaté à Strasbourg
la présence de troupes autres que celles qui sont en garnison dans la ville. Il
signalait également le calme de la population mais remarquait qu’il y avait un
grand nombre de personnes attendant aux caisses d’épargne. Florimond doit
remettre ce jour un compte rendu détaillé de son entrevue avec les officiers
du SR de Lindau 106. »
À ce moment peut se mettre en place une opération d’intoxication de
l’Allemagne 107. Mais est-il encore temps, alors que les alliances diploma-
tiques françaises se sont évanouies dans des chimères et que la SDN
rejette la demande de garanties françaises le 19 mars ? Avec la défection
anglaise dans la semaine du 9 mars, la décision de ne rien faire l’a déjà
emporté face à une opinion publique française et anglaise massivement
hostile à l’idée d’une intervention. Député conservateur aux Communes
depuis 1935, futur secrétaire d’État à l’information de Churchill en
1940, Harold Nicholson retraça après guerre l’ambiance de confusion au
sein du gouvernement et de dérobade du Parlement anglais.
« 9 mars. Grande agitation au sujet du coup de force de Hitler. Le Parle-
ment est bondé. Eden a fait sa déclaration à 3 h 40. Il lit, ses mains posées sur
la boîte. Très calme. Il promet d’intervenir si la France est attaquée, autrement
il faut négocier. Le sentiment général aux Communes est à la crainte. N’importe
quoi pour éviter la guerre. »
Et le 10 :
« Eden est à Paris. L’opinion ne supportera pas la guerre. Partout on entend
des mots de sympathie pour l’Allemagne. C’est tragique 108. »
Le déplacement de Flandin à Londres le 11 mars, puis les entretiens
à Londres des puissances de Locarno à partir du 12 n’y changent rien.

106. SHD/DAT 7NN 2 213, compte rendu du commandant de Robien, adjoint


de Grosjean chef de la SCR, 10 mars 1936.
107. André Brouillard, L’Intoxication, arme absolue de la guerre subversive, Paris,
1971, p. 50-51.
108. Harold Nicholson, Journal des années tragiques (1936-1942), Paris, Grasset,
1971, p. 22.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Londres ne veut pas appliquer les garanties prévues par Locarno et veut
ménager l’Allemagne. L’arrangement franco-britannique du 19 mars est
minimaliste : s’en tenir aux dispositions de Locarno si la France ou la
Belgique étaient envahies, en dépit de la violation unilatérale du traité de
Locarno par l’Allemagne. Inaugurées par la mission du général Schweis-
guth, du général Moucard et de l’amiral Abrial les 15-16 avril 1936, les
conversations franco-britanniques d’état-major confirment l’impression
générale française d’une réticence anglaise à s’engager.
Le contact avec le poste de Belfort offre un suivi de l’activité de
l’Abwehrstelle de Lindau en mars 1936. Grosjean donne l’instruction au
poste de Marseille (SER) de ne donner à Florimond que des informa-
tions sur les troupes stationnées normalement à Marseille, sans évoquer
l’arrivée possible de contingents coloniaux. L’antenne de Marseille pos-
tera elle-même le courrier de Florimond à Lindau. Par une mention laco-
nique, Grosjean conclut sur le fait que Florimond « a tendance à
s’attribuer une importance qu’il n’a pas en réalité. Néanmoins son
contact présente de l’intérêt et il y a avantage à le sauvegarder 109 ». Sa
correspondance et ses contacts avec Gombart sont analysés jusqu’à la fin
de mars 1936, révélant que l’Abwehr envoie plusieurs agents sur les
mêmes objectifs. Le 20 mai 1936, les directives de son officier traitant
Paillole réorientent ses recherches de renseignements. Paillole note que la
confiance de son correspondant allemand est incertaine et que Flori-
mond, « à l’esprit lent et aux moyens limités », a un rendement
médiocre 110. En juin 1936, la section technique de l’armement de l’état-
major de l’armée autorise cependant qu’il donne aux Allemands la
maquette de l’appareil lance-fusée de l’ingénieur Damblanc. En juillet
1936, Lindau le suspecte d’être un agent double et suspend les liaisons
jusqu’à l’automne 1936. Côté français, il continue d’être utilisé jusqu’au
début de 1938 pour identifier les agents déployés par les Abwehrstellen
de Lindau et de Stuttgart en France. Son dossier s’interrompt alors.
En définitive, le jeu n’est-il pas à somme nulle ? Cet agent double de
seconde importance démontre cependant la technique de sa

109. SHD/DAT 7NN 2 213, note nº 2067 du commandant Grosjean, chef de


la SCR/EMA2 du 14 mars 1936 au poste de Marseille au sujet d’un informateur
double.
110. SHD/DAT 7NN 2 213, compte rendu de l’entrevue du lieutenant Paillole
et de Florimond du 27 mai 1936.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

manipulation et d’une intoxication élémentaire des services allemands. La


somme des agents doubles fait une politique de contre-espionnage.
Néanmoins, il est trop tôt, en 1936, pour parler d’une nouvelle politique
de contre-espionnage. Le commandant Guy Schlesser, nouveau chef de
la SCR depuis septembre 1936, estime qu’elle est impossible eu égard à
des moyens humains insuffisants. En mars 1936, six officiers consti-
tuent à la centrale les moyens du contre-espionnage militaire pour
orienter l’action des postes. Avant 1937, la SCR s’apparente plutôt à
« une boîte aux lettres », selon l’expression ultérieure de Schlesser, travail-
lant en liaison avec la Sûreté nationale qui dispose des moyens humains
d’investigation et de quadrillage du territoire autrement importants 111.
Après la fermeture des frontières allemandes depuis 1933 et le tournant
de 1936, la réforme du contre-espionnage militaire s’impose aux yeux de
Schlesser dans une note rédigée en décembre 1936, en accord avec
Rivet 112.

Identifier les moyens humains et les postes du renseignement


allemand en 1937-1939
Depuis 1919, l’effort d’identification des forces de l’espionnage alle-
mand est permanent. L’installation du régime nazi a rendu nécessaire
l’identification des nouvelles organisations de renseignement mises sur
pied. En février 1935, les Abwehrstellen sont toujours étroitement suivies
par les agents du contre-espionnage français à Königsberg, Stettin, Berlin,
Dresde, Stuttgart, Münster, Munich, Hambourg, Breslau, Cassel, Dus-
seldorf 113. Wilhelmshafen et Kiel font du renseignement maritime.
Breslau continue de couvrir la Pologne et la Tchécoslovaquie. Une tren-
taine de ses agents est identifiée par le renseignement français au début de
1938. Cela ne signifie pas pour autant que leurs activités sont toutes neu-
tralisées. La méthode de recrutement des agents est mise en évidence dans
les postes allemands qui font intervenir leurs agents en France depuis

111. SHD/DAT 7NN 2 101, note sur l’évolution des effectifs de la SCR de
1933 à 1937, juin 1937.
112. SHD/DAT 7NN 2 101, note sur l’adaptation du contre-espionnage mili-
taire aux menaces « Le contre-espionnage : ce qu’il est. Ce qu’il doit être », décembre
1936.
113. SHD/DAT 7NN 2 707, note de la SCR/EMA2 de février 1935 au sujet du
SR allemand, soit l’Abwehr du ministère de la Guerre allemand.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Cologne, Düsseldorf, Cassel 114 où est affecté depuis 1935 le lieutenant-


colonel Oscar Reile 115, et Stuttgart 116. En réalité, la géographie des
postes allemands montre une très forte continuité entre la Première
Guerre mondiale et les années 1930. Une fois la parenthèse de l’occupa-
tion militaire française refermée, les postes allemands déployés héritent
pour une large partie du dispositif de 1914-1918. Une nouveauté sur-
vient après 1933, consécutive au changement de régime en Allemagne.
Celui-ci ne modifie pas les dispositions de l’Abwehr engagé contre la
France : il ajoute de nouveaux moyens. L’actualisation des organi-
grammes est moins difficile que la compréhension des prérogatives res-
pectives et des rapports de force évolutifs entre les différents organes du
régime nazi.
De 1933 à 1938, les services spéciaux français et la Sûreté nationale
s’efforcent de comprendre l’évolution des responsabilités exactes d’une
communauté allemande de services de renseignement qui s’est étoffée, en
matière d’espionnage et de contre-espionnage. La collaboration entre la
Gestapo et l’Abwehr fonctionne bien sur le plan local pour recruter des
agents français, luxembourgeois et belges à la frontière franco-allemande
en 1936-1939, selon Oscar Reile de l’Abwehr 117. Celui-ci met sur pied,
depuis Trèves, un réseau d’agents allemands en Belgique et au Luxem-
bourg travaillant sur la France, avant d’y constituer un poste de l’Abwehr
en 1938. Ainsi, les informations du Français Flobert sur les activités de
la Sûreté nationale se multiplient en 1937-1938, jusqu’à son arrestation
et sa condamnation à 20 ans de travaux forcés. Côté français, l’Abwehr
de l’amiral Canaris et le Forschungsamt de Goering depuis sa création en
1933 118 sont à cet instant relativement bien appréhendés. Les

114. SHD/DAT 7NN 2 464, dossier de surveillance du poste de l’Abwehr de


Cassel de 1920 à 1937, 293 p.
115. Oscar Reile, L’Abwehr. Le contre-espionnage allemand en France, Paris, Éd.
France-Empire, 1970, p. 23.
116. SHD/DAT 7NN 2 464, dossier de surveillance du poste de l’Abwehr de
Stuttgart de 1915 à 1937, 338 p.
117. Oscar Reile, op. cit., p. 29-32 ; Archen (colonel), Missions spéciales au
Luxembourg, Paris, Éd. France-Empire, 1969, p. 35 ; Henry Koch-Kent, Doudot…,
op. cit., p. 47-70.
118. SHD/DAT 7NN 2 707, note de la SR/EMA2 du 26 septembre 1933 sur la
création du Forschungsamt et des moyens techniques de chiffrage et d’écoutes.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

déplacements de Canaris en France sont étroitement suivis 119. Il en va


différemment du service de sûreté de la SS d’Himmler et de la Gestapo.
Le contre-espionnage militaire français aborde un tournant de son his-
toire en 1937. Il commence à obtenir des résultats appréciables grâce aux
renseignements fournis par les agents doubles en Allemagne. La coordi-
nation des services de la Gestapo et de l’Abwehr, sur la base de la répar-
tition de leurs prérogatives du 21 décembre 1936, est relevée dans
l’interception du compte rendu de l’Abwehr en septembre 1937.
L’Abwehr règle la question de la direction des agents. Ils agissent en
France et en Grande-Bretagne, en Europe plus généralement. L’Abwehr
craint un doublon aux frontières entre ses agents et ceux de la Gestapo.
Le service de sûreté de la SS, seul organe de renseignement du parti nazi,
doit faire du renseignement politique et en aucun cas, selon Canaris, du
renseignement militaire. Le Sicherheitsdienst informe la Gestapo ou
l’Abwehr des affaires d’espionnage qu’il découvrirait. Une de ses tâches
essentielles est de « remplir l’industrie en particulier d’armement, de ses
hommes de confiance 120 ». La protection et les mesures de sûreté contre
le sabotage et la trahison opposent encore en 1937 le Sicherheitsdienst
et l’Abwehr, qui refuse tout déplacement de responsabilité. L’Abwehr
souhaite garder l’autorité sur l’espionnage économique et le renseigne-
ment économique défensif en Allemagne. Mais à cette heure, le contre-
espionnage français ne tire pas tout le profit possible de ces informations
sur les intentions de la SS de diriger l’économie de guerre. D’une manière
générale, la dimension économique et la planification d’une économie de
guerre échappent en 1937 aux synthèses du contre-espionnage français.
En 1937-1938, le contre-espionnage français dispose désormais d’une
vision générale relativement précise des moyens du renseignement mili-
taire allemand. Sa connaissance des postes et des personnels s’affine grâce
aux agents doubles qu’il a réussi à placer dans les postes de Cassel, Stutt-
gart, Cologne ou Hambourg. Plusieurs rapports dressent l’inventaire,

119. SHD/DAT 7NN 2 324, note nº 2927 de la SCR/EMA2 (excellente source)


à la Sûreté nationale au sujet du voyage à Paris le 28 avril 1937 de l’amiral Canaris et
à Brest le 26 avril du capitaine de vaisseau Litzmann, attaché naval à l’ambassade
d’Allemagne à Paris.
120. SHD/DAT 7NN 2 707, annexe de la note SR-SCR.EMA2 nº 3593 du
3 novembre 1937 au sujet de la copie du compte rendu d’une réunion de
l’Abwehr III sur la coordination des services de renseignement et de police du
IIIe Reich.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

durant l’année 1937, de la panoplie des moyens de l’Abwehr en France


et en Europe. En janvier 1938, une étude très approfondie de la section
des armées étrangères du 2e bureau corrèle toutes les informations col-
lectées pour obtenir un panorama de l’activité des services de renseigne-
ment allemands 121. Les organigrammes et les missions des postes de
Munich, Lindau, Breslau, Cassel, Kiel, Düsseldorf, Cologne, Hambourg
et de leurs annexes sont peu à peu dévoilés. Le but est de faire recruter
des agents français par ces postes afin d’intoxiquer l’Abwehr par la mise
en œuvre d’une politique d’agents doubles. En 1938-1939, le recoupe-
ment des renseignements des agents doubles produit des résultats intéres-
sants. Si les « boîtes aux lettres » et les questionnaires de l’Abwehr confiés
à ses nombreux agents sont obtenus dans des délais toujours plus courts
par le contre-espionnage français, il n’en est pas de même de l’identifica-
tion des agents allemands. À cet égard, le poste de Cologne est observé
très étroitement par le BREM de Metz 122.
Organisé depuis 1926, le poste de Cologne est chargé de suivre les
activités françaises sur la Sarre depuis 1932. Après le plébiscite sarrois de
février 1935, sa zone d’action est réorientée vers le Luxembourg et la Bel-
gique afin d’agir sur les frontières françaises du nord-est. En mars 1936,
ce poste a guetté une mobilisation française possible. Il compte en 1936
une vingtaine d’agents que le contre-espionnage peine encore à identifier
en 1937. Ses agents sont payés par acompte et lors de la fourniture des
renseignements commandés, sur présentation de leurs états de frais. Les
lignes ferroviaires conseillées aux agents allemands sont celles de Mons à
Valenciennes, de Paris à Aix-La-Chapelle via Bruxelles. Une vingtaine de
boîtes postales, sous des couvertures industrielles ou commerciales, sont
recensées. La correspondance se fait donc soit à l’étranger directement,
soit entre l’agent et son correspondant (ou officier traitant). Mais ce pro-
cédé n’est jamais utilisé en France. La correspondance se fait alors par
l’expédition à des boîtes postales en Allemagne, en Hollande, en Bel-
gique. En cas de tension politique entre l’Allemagne et la France pou-
vant dégénérer en crise, le signal est adressé par l’envoi d’une carte postale

121. SHD/DAT 7NN 2 137, synthèse nº 190 du commandant Schlesser, chef


de la SCR/EMA2 du 12 janvier 1938 sur les services de renseignement allemands.
122. SHD/DAT 7NN 2 464, note nº 286/CE du BREM à Metz du 5 mai 1932
au sujet de l’activité du poste de Cologne exploitant les informations de cinq sources
différentes.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

représentant la cathédrale de Cologne. Elle fut envoyée en mars 1936 aux


différents agents par le poste de Cologne. En cas de guerre, il est prévu
d’installer le poste à La Haye. Le poste de Cologne a également des
annexes à Trèves et Sarrebrück. Les officiers traitants de Cologne s’y ren-
dent en véhicule pour y donner les instructions à leurs agents. Ils récupé-
rèrent alors les renseignements collectés. Les liaisons humaines et postales
de Trèves avec ses agents sont parfaitement connues par le BREM de
Metz. Les lettres et les cartes postales fixant avec des codes simples les
dates et les lieux de rendez-vous sont postées en France depuis Thion-
ville, Forbach ou Bouzonville pour masquer l’origine des envois 123. Les
adresses de ces rencontres, notamment dans les hôtels, les cafés et les res-
taurants de Luxembourg sont régulièrement mises à jour par les services
français. À Trèves, le Dr Krantz, officier d’active allemand, dirige depuis
1936 la petite équipe de trois personnes pour acquérir des informations
sur un secteur français comprenant Charleville, Reims, Nancy, Verdun,
Metz et Thionville. L’annexe de Trèves a une fonction d’alerte qui joue
notamment en mars et en avril 1936 pour traquer les signes d’une mobi-
lisation française. La presse française y est lue pour être l’objet d’une syn-
thèse régulière. En mars 1937, sept boîtes aux lettres de l’annexe de
Trèves sont découvertes, utilisées par une quarantaine d’agents alle-
mands, recruteurs ou auxiliaires 124. La surveillance de ces activités ne
garantit pas pour autant l’efficacité du contre-espionnage et des agents
doubles français.

Le contre-espionnage offensif et la politique des agents doubles


À certains égards, la multiplication des agents doubles français ouvre
une nouvelle période du contre-espionnage français. L’histoire de l’agent
Hans Thilo Schmidt alias H. E., recruté par Rodolphe Lemoine, alias
Rex, est connue grâce au récit donné par Paul Paillole trente ans après la

123. SHD/DAT 7NN 2 041, dossier 264, rapport de la SCR/EMA2 du 24 mars


1937 sur les postes allemands dont le poste de Cologne, p. 16-17. Gilbert-Guil-
laume, Mes Missions face à l’Abwehr. Contre-espionnage 1938-1945, Paris, Plon,
1971, p. 37-40.
124. SHD/DAT 7NN 2 041, dossier 264, rapport de la SCR/EMA2 du 24 mars
1937 sur les postes allemands dont le poste de Cologne.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

fin de la Seconde Guerre mondiale 125. Appartenant à la Chiffrierstelle,


cet agent recruté en novembre 1931 en Suisse est le plus important four-
nisseur de documents secrets allemands aux services français jusqu’au
début de la guerre. Les contacts réguliers entre ses officiers traitants et
H. E. ont permis d’obtenir des renseignements rémunérés de première
importance sur Enigma, ses clés et ses codes, sans que les informations
communiquées aux décrypteurs et aux cryptanalystes polonais, français et
anglais n’aient toutefois permis de révéler le fonctionnement des
machines de cryptement des armées allemandes avant le printemps 1940.
L’histoire d’H. E. renvoie à celle des agents de pénétration et doubles
dans les années 1930. En effet, le contre-espionnage français a rem-
porté, à partir de 1937, de réels succès par la mise en place d’un contre-
espionnage offensif inédit privilégiant les agents doubles. Mais la somme
des informations obtenues ne fait pas nécessairement une victoire poli-
tique ou militaire. Les agents doubles sont les yeux d’un service de rensei-
gnement chez l’adversaire. En effet, l’accroissement du nombre d’agents
allemands espionnant en France, plus largement en Europe, menace
d’asphyxier les moyens humains limités du contre-espionnage militaire
français en 1937-1939. Or, le succès d’un contre-espionnage résolument
offensif est conditionné, à l’automne 1936, par une active politique de
recrutement d’agents doubles. Le maniement des agents doubles relève
ainsi de la responsabilité des postes aux frontières à Metz, à Belfort, à
Lille et à Marseille, et exceptionnellement de la centrale à Paris 126.
Chacun de ces postes français traite un certain nombre d’agents, dont les
agents doubles. Ce maniement d’agents doubles sur les postes de Cassel,
Düsselorf, Cologne ou Hambourg permet au contre-espionnage à Paris
de recouper des informations de sources différentes. Additionnés, ces ren-
seignements donnent corps à des indices sur les intentions allemandes à
l’égard de la France. Il ne s’agit certes pas toujours d’informations déter-
minantes, mais de tout un faisceau d’indices qui peuvent être

125. Paul Paillole, Services spéciaux (1935-1945), Paris, Robert Laffont, 1975,
565 p. et Notre Espion chez Hitler, Paris, Robert Laffont, 1985, 285 p.
126. SHD/DAT 7NN 2 101, note du lieutenant-colonel Rivet, chef de la SR-
SCR/EMA2 du 19 juin 1937 au sujet des moyens humains et des missions de la
SCR.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

annonciateurs de crises dégénérant en conflit 127. Le cas de l’agent « Bob »


est parlant.
Bob est un agent double traité par la SER de Marseille. Il a été recruté
par le poste de l’Abwehr de Hambourg en 1937. Il est également suivi
par une antenne de Hambourg dissimulée au consulat allemand
d’Anvers. Il est donc traité par deux correspondants. Sur instruction de
Paris, il livre des renseignements navals sur les activités des ports mili-
taires, les ventes de navires et de sous-marins français aux pays euro-
péens, notamment en Lituanie au début de 1938. Le poste de l’Abwehr
de Hambourg estime leur valeur satisfaisante en 1938. Il les envoie à des
adresses à Anvers, puis à Rotterdam en Hollande, régulièrement changées
pour brouiller les recherches du contre-espionnage français 128. En jan-
vier 1938, ces informations ne sont pas communiquées aux Belges afin
d’éviter des indiscrétions, en accord avec le colonel Laurent, attaché mili-
taire à Bruxelles. À cette époque, marqués par le syndrome rhénan de
1936, les services français cherchent notamment à obtenir de leurs agents
doubles les consignes de mobilisation ou de signes de tension allemande.
Depuis 1936, les impressions des services allemands sur l’annexion de
l’Autriche sont également recherchées, donnant lieu régulièrement à
l’annonce de l’Anschluss. Ainsi le commandant de Villelume transmet-il
régulièrement des renseignements sur cet enjeu à l’EMA depuis avril
1936, tenant du ministère des Affaires étrangères autrichien des rensei-
gnements sur l’Anchluss « prévu pour 1938, mais qui pourrait se pro-
duire dans un délai de six semaines, avant que ne soit reconstitué le front
de Stresa ». Le 14 mai 1936, Schweisguth écrit :
« Visite de Villelume. Renseignements très confus sur ce qui se passe à
Genève. Bénès a une impression rassurante sur la situation en Autriche et les
projets allemands en Europe centrale » ; puis le 22 juin, des « renseignements de
Villelume venant des AE sur crainte de l’Allemagne d’une restauration des
Habsbourg 129 ».

127. SHD/DAT 7NN 2 726, dossier de suivi par la SRC/EMA2 des activités des
postes de Cologne, Düsseldorf, Cassel en 1938-1940.
128. SHD/DAT 7NN 2 726, note de la SER de Marseille à la SCR/EMA2 du
25 juin 1938 au sujet des adresses pour l’envoi de renseignement de Bob à l’Abwehr.
129. AN 351 AP 3, notes de Schweisguth les 21 avril, 14 mai et 22 juin 1936 ;
Paul de Villelume, Journal d’une défaite, août 1939-juin 1940, Paris, Fayard, 1976,
p. 11-suivantes.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

À l’automne 1938, l’agent double Bob répond aux questionnaires de


l’Abwehr qui veut être informé des mesures de protection prises à Mar-
seille pendant la dernière tension entre la France et l’Allemagne en sep-
tembre 1938. Les 17 et 20 octobre, il donne les indications sur les
questions de l’Abwehr concernant les obstructions des ports de Toulon
et de Hyères par des barrages à filets ou à poutres assurant la protection
des ports militaires. Sur la base des fournitures du contre-espionnage
français, il livre des indications sur les batteries de DCA devant assurer
la sécurité de Marseille. Leur localisation par Bob n’a en réalité que peu
d’intérêt car ces batteries sont visibles 130. Les informations données
mêlent adroitement des indications fondées et erronées. Après une nou-
velle mission commanditée par l’Abwehr à Brest, une note de la SER
s’inquiète toutefois de ce que le « SR allemand se plaint de faible résultat
du voyage de Lorient [de Bob] et il y aurait intérêt, pour éviter la liqui-
dation de Bob, à faire quelques fournitures d’apparence importante 131 ».
Quant à lui, le poste de Marseille attend depuis octobre 1938 des élé-
ments de réponse à un un questionnaire secret nazi. Les renseignements
recherchés sont principalement des indices d’alerte d’une agression alle-
mande sur la France et ses alliés au début de l’année 1938. Cette orien-
tation des recherches des services spéciaux militaires est le fait du
2e bureau de l’état-major de l’armée, indépendamment des instructions
politiques. Le renseignement obtenu est transmis par le 2e bureau à l’état-
major du général Gamelin. La responsabilité de sa diffusion au ministre
de la Défense nationale incombe donc au général Gamelin. Il est évi-
dent que l’économie secrète de la production de ce renseignement par les
agents échappe pour une large part à la connaissance de l’échelon poli-
tique de décision.
En juin 1938, le poste de l’Abwehr de Cologne cherche à se procurer
les fascicules de mobilisation de l’armée française, les bilans des exercices
du Conseil supérieur de la guerre, les résultats d’essais secrets à Bourges et

130. SHD/DAT 7NN 2 726, note de la SER à la SCR/EMA2 du 27 octobre


1938 au sujet de Bob et des livraisons d’informations militaires à l’Abwehrstelle de
Hambourg.
131. SHD/DAT 7NN 2 726, note de la SER de Marseille à la SCR/EMA2 du
6 janvier 1939 au sujet de l’agent Bob.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

à Versailles sur l’augmentation des distances de tir de l’artillerie 132. En


juin 1938, Rivet met sur pied un projet de plan de fausses nouvelles en
dépit du scepticisme de l’EMA sur son efficacité attendue. En effet, les
renseignements obtenus par les agents doubles au printemps 1938 attei-
gnent alors un rendement nouveau qui peut laisser espérer aux respon-
sables des services secrets français une intoxication de l’Abwehr de grand
style. La suggestion en est soufflée par des rapports d’exploitation de ren-
seignements obtenus par les postes de Belfort, de Metz et de Lille. Le
9 juin 1938, Rivet découvre une brève note d’exploitation d’un rensei-
gnement d’agent double du poste de Metz. La fréquence des alertes et le
besoin de l’Abwehr de disposer de nombreux agents en France suggè-
rent que l’espionnage nazi est peu regardant sur la qualité des informa-
tions obtenues. Aussi le BREM fait-il une proposition :
« Il serait toutefois indispensable de profiter de ce répit pour constituer à
l’échelon central une documentation fictive sur certaines questions de mobilisa-
tion. L’expérience acquise permet en effet d’affirmer qu’on ne peut à cet égard
beaucoup attendre des autorités régionales avec lesquelles le poste est en
rapport 133. »
Plus largement, le rédacteur souligne les réticences habituelles du haut
commandement français à concevoir une intoxication de l’adversaire. En
marge de sa note se trouve l’annotation manuscrite « plan de fausses nou-
velles ». En réalité, le haut commandement a quasiment figé en doctrine
le refus d’un plan stratégique de fausses nouvelles. À l’automne 1935
déjà, la proposition du colonel Roux, reprise par Rivet en 1936, repo-
sait sur l’idée de mener une politique active d’agents doubles avec la pos-
sibilité d’un plan d’intoxication dirigé et qui s’intégrerait au plan annuel
de renseignement du 2e bureau de l’EMA sur l’Allemagne. Le 2e bureau
avait donc fait étudier par le contre-espionnage militaire un plan de
fausses nouvelles visant à intoxiquer l’Allemagne sur les intentions straté-
giques françaises au printemps 1935. Toutefois, les réunions des quatre
bureaux de l’état-major de l’armée ont été suspendues en septembre

132. SHD/DAT 7NN 2 726, note nº 4749 du BENE de Lille à la SCR/EMA2


du 29 juin 1938 au sujet des activités du poste de l’Abwehr de Cologne.
133. SHD/DAT 7NN 2 726, note nº 914 du 9 juin 1938 du BREM au lieute-
nant-colonel Rivet, chef du SR-SCR/EMA2 au sujet de l’exploitation des renseigne-
ments d’un agent double par un possible plan de fausses nouvelles.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

1935 134. Puis, à compter d’octobre 1936, un nouveau plan fut élaboré
par les 2e et 3e bureaux de l’EMA pour accréditer l’idée d’une offensive
d’initiative française, dès le début d’une tension avec l’Allemagne. Cette
offensive fondait l’hypothèse d’une action par la Belgique, entre la
Moselle et le Rhin, pour aller sur Mayence dans une première phase, afin
de prendre des gages sur le Rhin. La seconde phase chercherait à réaliser
la liaison au sud du Main avec la Tchécoslovaquie. Rivet était lui-même
réservé en raison des difficultés opérationnelles considérables d’une telle
intention 135. Depuis l’effondrement du système d’alliances français,
l’esprit de Locarno sur le respect des frontières est déjà loin à l’automne
1936. Enfin, le général Colson, chef d’état-major de l’armée, et le général
Gérodias, sous-chef d’état-major, ont rejeté en décembre 1936 l’idée a
priori d’un plan de fausses nouvelles. À leurs yeux, le viol du territoire
des neutres et la question des alliances stratégiques se trouvent posées en
des termes insolubles. Surtout, le Quai d’Orsay s’y oppose formelle-
ment. La doctrine de la contre-offensive reste la doctrine officielle à
laquelle la France se tient vis-à-vis de ses alliés 136. Le général Gérodias
donne l’instruction de livrer au renseignement allemand de faux rensei-
gnements fragmentaires 137. Aussi, le plan de fausses nouvelles briève-
ment imaginé par le contre-espionnage militaire à la faveur d’une
situation inédite du renseignement n’est pas davantage envisagé durant
l’été 1938. L’activité du contre-espionnage ne baisse cependant pas
d’intensité.
Des succès tactiques ne peuvent masquer l’impuissance stratégique
française en 1939. À Metz, un renseignement précieux est établi le
7 février 1939. Selon ses conclusions, le fait que l’Abwehr espace ses
entrevues avec ses agents tendrait à confirmer qu’il n’y a pas, à court

134. SHD/DAT 7N 2 530, note du colonel Roux, chef de la SR-SCR/EMA2


demandant de concevoir un plan de fausses nouvelles, septembre 1935.
135. SHD/DAT 7N 2 530, note manuscrite de Louis Rivet, chef de la SR-SCR/
EMA2 résumant pour le chef du 2e bureau et l’état-major de l’armée la proposition
de plan à l’automne 1936, 3 pages.
136. André Martel, « La doctrine française de contre-offensive », in Relations
internationales, nº 35, automne 1983, p. 337-357.
137. SHD/DAT 7N 2 530, note EMA3 au sujet d’un plan de fausses nouvelles
pour égarer les états-majors adverses du 15 décembre 1936 et note manuscrite du
général Gérodias, 17 décembre 1936.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

terme, l’imminence d’une tension politique 138. Dans une synthèse de son
travail sur le poste de Cologne, les responsables français soulignent que
le contact avec cet Abwehrstelle a été maintenu continûment depuis
1932, donnant un crédit aux signes de relâchement du travail secret. Où
ne serait-ce pas précisément une intoxication ? Un agent double a permis
d’identifier une bonne partie du personnel des agents de l’Abwehr à
Cologne, dont Rudolph, Wilhelm Franke, Hans Rumpe, Werber Hertel,
Fritz Schaub. Les numéros de téléphone du poste sont connus. Une
dizaine d’informateurs et de collaborateurs du service sont identifiés à
Sarrebrück : S., dentiste ; B. et W., policiers ; S. photographe ; F. por-
tier… L’arrestation de neuf agents allemands en France et de plusieurs en
Belgique a été rendu possible 139. Et les questionnaires militaires facilitant
l’interrogatoire des agents allemands arrêtés sont régulièrement actua-
lisés. Les moyens de liaison sont aussi mis à jour. Une dizaine d’agents
de Stuttgart ont également été arrêtés grâce à l’action du BREM en
février 1939 140. Le 11 mai 1939, un nouveau renseignement confirme le
fait que « le responsable du poste [de l’Abwehr] de Cologne estime que
l’heure n’est pas encore venu pour l’Allemagne de faire un nouveau coup
de force ». La note conclut qu’une action immédiate contre la Pologne
n’est pas envisagée actuellement. Dans leurs conversations, ses chefs envi-
sageraient qu’une telle action ne serait pas déclenchée avant l’automne. Il
est convaincu que la question de Dantzig et du couloir se réglera suivant
le désir de l’Allemagne, sans verser de sang. Il a ajouté : « Nous sommes
passés maîtres dans ce genre d’opérations 141. » Dans sa note d’impres-
sion d’ensemble, le BREM estime que l’Abwehr cherche peu de rensei-
gnements en mai et souhaite simplement maintenir le contact avec ses
agents. Exagérément optimiste, il conclut alors que « les agents du ser-
vice allemand semblent se raréfier ; la crainte d’encourir la peine capitale
est certainement pour beaucoup dans cet état de chose. » Il rappelle expli-
citement les effets psychologiques attendus de l’application du décret-loi

138. SHD/DAT 7NN 2 726, note nº 1163/CE du BREM à la SCR/EMA2 du


7 février 1939 au sujet de l’exploitation d’un renseignement.
139. Oscar Reile, op. cit., p. 137.
140. SHD/DAT 7NN 2 726, note nº 1163/CE du BREM du 7 février 1939 au
sujet de l’action du poste de Metz sur le SR de Cologne depuis 1932, 30 mai 1939.
141. SHD/DAT 7NN 2 726, note du BREM du 30 mai 1939 au sujet de
l’exploitation « SR » de renseignements susceptibles d’intéresser le commandement.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

du 10 février 1939 en France pour freiner le recrutement des agents par


Berlin 142.
Au printemps 1939, l’exploitation des renseignements obtenus par les
agents doubles manipulés par les postes français dessine pourtant les
signes d’une crise majeure. Le 24 mai 1939, le BENE de Lille exploite
un renseignement d’agent double en notant que « le SR allemand ne
donne plus l’impression d’être en état d’alerte. Le prochain rendez-vous
de Li 159 est fixé à une date relativement éloignée, le 11 juin 1939 143 ».
Le poste en tire rapidement la conclusion que les services de renseigne-
ment allemand n’ont pas reçu l’instruction de mobiliser leurs agents en
vue d’une tension imminente. Le rédacteur conclut à une bonne impres-
sion du travail de son agent double manié par l’agent allemand Rumpe.
L’agent double français est toutefois inquiet d’être compromis par la sur-
veillance de ses entrevues avec les représentants allemands et de devoir
présenter un Anglais susceptible d’être recruté par l’Abwehr de Cologne.
Cet Anglais est en réalité membre de l’Intelligence Service, à l’heure du
renforcement de la coopération secrète entre Paris et Londres. L’opéra-
tion consiste à le faire recruter comme agent de l’Abwehr. À l’issue de
cette réunion, un moyen de liaison est prévu entre Li 156 et le poste de
renseignement de Cologne en cas de tension qui surviendrait avant le
24 juin 1939. Le contact suivant avec Li 156 ne fut repris par l’Abwehr
que le 27 septembre 1939, après la déclaration de la guerre. Le 5e bureau
en conclut donc que l’Abwehr a une pénurie de bons agents sur le nord
de la France !
Depuis le 14 juin 1939, le haut commandement est informé par le
bulletin hebdomadaire du 2e bureau d’une possible tension en août, sur
la base d’une « excellente source ».
« L’Allemagne, après avoir épuisé toutes les possibilités de négociation, cher-
chera à régler la question polonaise, quelle que soit l’attitude adoptée par les
autres puissances. Il s’agirait pour le Reich d’obtenir non seulement Dantzig,
mais encore les anciennes provinces de Posen et de Prusse-Orientale 144. »

142. SHD/DAT 7NN 2 726, note nº 1330/CE du BREM à la SCR/EMA2 du


11 mai 1939 au sujet des agents doubles français travaillant avec le poste de Cologne.
143. SHD/DAT 7NN 2 726, note nº 7676 du BENE de Lille à la SCR/EMA2
du 24 mai 1939 au sujet de l’exploitation SER d’un renseignement susceptible
d’intéresser le commandement.
144. SHD/DAT 7N 2 524, Bulletin de renseignement hebdomadaire de la SAE/
EMA2 du 14 juin 1939 visé par le général Gamelin, p. 1.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

Sans information inédite dans l’intervalle, le bulletin du 2e bureau de


l’EMA du 22 août 1939 annonce un coup de force imminent sur la
Pologne, « d’après un renseignement émanant d’une source très
sérieuse ». L’utilisation des renseignements obtenus par les agents doubles
est tirée à son maximum par le renseignement militaire français en 1939.
Les données que les agents doubles obtiennent nourrissent la synthèse
hebdomadaire du 2e bureau de l’EMA. Mais forgent-ils les convictions
du haut commandement qui est demeuré silencieux sur les enseigne-
ments contradictoires à tirer du renseignement en général ? Dans ses
Mémoires, Gamelin parla après guerre du « fatras des renseignements »
en mai 1940, lors de la campagne de France. Ce rejet de principe pro-
cède sans conteste d’une défiance intellectuelle à l’encontre du renseigne-
ment qui n’offre jamais que des hypothèses de situation humaine, jamais
une conclusion au terme d’un raisonnement méthodique 145. Pourtant,
en août 1939, les « sources humaines » accréditent la vraisemblance d’une
prochaine agression allemande sur la Pologne. Plusieurs agents traités par
les postes de Belfort et de Metz confirment les signes d’une crise immi-
nente dont le premier acte serait la fermeture des frontières. Ainsi, un
agent double suivi depuis l’antenne secrète française de Metz recueille des
renseignements convergents à l’issue de sa mission à Rheinfelden en
Suisse. Le 22 août, il y a rencontré son correspondant de l’Abwehr de
Stuttgart. Des acomptes lui sont donnés pour une durée d’un mois. Des
consignes de liaison inhabituelles, dont la transmission des instructions
par TSF sur onde très courte, une nouvelle encre sympathique et une
nouvelle boîte postale à Schauffhausen en Suisse, accréditent une ten-
sion très prochaine. Selon l’officier traitant allemand, celle-ci se manifes-
terait par la fermeture de la frontière et l’installation du contrôle postal
français 146. Le 26 août, le rapport d’un second agent double traité par
Belfort confirme les indices rassemblés. Cet informateur est chargé
d’aviser l’Abwehr des différentes phases de la mobilisation française par
des télégrammes codés, faisant usage de phrases conventionnelles.

145. Gamelin (général), Servir, tome 3, La guerre septembre 1939-19 mai 1940,
Paris, Plon, 1947, p. 388-389.
146. SHD/DAT 7NN 2 726, note nº 1464/CE du BREM à SCR/EMA2 du
25 août 1939 au sujet de l’entrevue d’un agent double traité par Metz avec un agent
de l’Abwehrstelle de Stuttgart.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

« Je m’ennuie : rien à signaler. Je ne peux pas venir : suppression des permis-


sions. Je suis malade : appel réservistes. Impossible de venir : mobilisation par-
tielle. Tout à fait impossible de venir : mobilisation générale 147. ».
Le représentant de l’Abwehr déclare que « l’Allemagne avait l’inten-
tion d’en finir avec la Pologne et que toute intervention de puissances
étrangères dans cette affaire entraînerait un conflit ». Doit-on parler d’un
échec du renseignement d’écoute français, dont les efforts auraient été
délaissés ou insuffisants dans les années 1930 ? Le travail du contre-
espionnage montre les résultats que la Chiffrierstelle d’Oschmann
obtiennent depuis le début des années 1930, jusqu’à la création du Fors-
chungsamt en 1933. Le travail du renseignement technique français est
toutefois défensif. Jusqu’en août 1939, les renseignements obtenus le
sont essentiellement par le maniement d’agents doubles et de pénétra-
tion, davantage que par les apports du renseignement d’écoute et
d’interception.
Les échanges de renseignements avec d’autres centrales compensent, à
certaines conditions, les insuffisances des moyens déployés. Tardive-
ment, en 1939, la coopération franco-anglaise joue par l’échange régu-
lier de renseignements sur les menées des agents de Berlin en France.
L’échange d’informations sur l’Allemagne s’est initié entre les chefs des
services anglais et français, Menzies et Rivet. Ainsi en est-il en août 1936
grâce aux agents dont dispose Londres en Allemagne 148. En juin 1937,
cette collaboration facilite le dévoilement progressif des agents et des
actions engagées par l’Abwehrstelle de Hambourg contre la France et
l’Angleterre, spécialement dans le domaine aéronautique 149. Les échanges
ponctuels de renseignements sur les suspects d’espionnage au profit de
l’Allemagne en Angleterre et en France sont plus fréquents en 1938. Ils
ne paraissent plus être systématiques avant le premier semestre 1939 150.

147. SHD/DAT 7NN 2 726, note nº 949/CE du SCM de Belfort à SCR/


EMA2 du 26 août 1939 au sujet de la tension imminente.
148. SHD/DAT 7NN 2 709, lettre de Menzies chef de l’IS à Rivet, chef de la
SR-SCR/EMA2 du 13 août 1936 au sujet d’Adélaïde Smith, pseudonyme d’un
agent allemand opérant en France.
149. SHD/DAT 7NN 2 324, lettre de Rivet, chef SR-SCR/EMA2 à Menzies,
chef de l’IS, du 17 août 1937 au sujet du poste de l’Abwehr de Hambourg.
150. SHD/DAT 7NN 2 281, Échanges de correspondances entre le comman-
dant Josset et la capitaine Jeffes de l’Intelligence Service, 1er février 1938 sur l’espion-
nage allemand en France et en Angleterre.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

D’une manière générale, les échanges de renseignement avec Bruxelles,


Londres, Prague et Varsovie – mais jusqu’en 1936 pour cette dernière –
ont permis de mettre à jour la liste des postes allemands et d’identifier
des agents, surtout en Belgique en 1938 151.

L’Italie de 1922 à 1939 : une alliance d’opportunité ou


contre-nature ?

Une coopération interdite 1922-1926


La situation de l’Italie est paradoxale à maints égards. État neutre à
la déclaration de la guerre en 1914, entrée en guerre aux côtés de
l’Entente en mai 1915, l’alliée de la guerre est perçue peu à peu comme
hostile aux intérêts français à partir de 1923 152. Pourtant, Poincaré
s’efforce de ménager en 1922-1924 l’alliée de la guerre, dans une
conjoncture diplomatique dégradée pour la France. Président du Conseil,
Paul Painlevé suit déjà minutieusement les rapports des agents français
et de ses honorables correspondants en Italie quand s’instaure le régime
de Mussolini en 1925-1926. Adversaire tardivement déclarée en 1939,
l’Italie est passée par les étapes successives de l’alliance de raison de 1919
à l’hostilité ouverte après 1922. Une opportune et éphémère coopéra-
tion secrète antiallemande en 1935-1936 précède le retournement vers la
coopération avec Hitler en 1937-1939. Les échanges techniques entre les
services de renseignement épousent-ils très étroitement les vicissitudes des
relations politiques et diplomatiques entre Paris et Rome, depuis le gou-
vernement Laval en 1935 jusqu’au Front populaire ? Sans doute, à ceci
près que l’action des services spéciaux offre une solution de continuité
officieuse, sinon clandestine, aux relations italo-françaises dans les
périodes de crises qu’elles traversent, notamment de 1935 à 1937. Ces
relations sont néanmoins fragilisées par les oppositions entre les deux
puissances coloniales. Dans la Méditerranée, la rivalité avec l’Italie s’est

151. SHD/DAT 7NN 2 737, note secrète de la SCR/EMA2 de janvier 1938 sur
les activités allemandes en Belgique à Bruxelles, Anvers, Liège, 16 p.
152. François-Charles Roux, Souvenirs diplomatiques : une grande ambassade à
Rome (1919-1925), Paris, Fayard, 1961, p. 211-212 sur les défis posés à Paris par la
nouvelle politique étrangère affichée de Mussolini à son installation au pouvoir en
1922-1923.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

progressivement cristallisée depuis la fin de la Première Guerre mon-


diale 153. En Espagne depuis 1936, en Tunisie comme dans la Corne de
l’Afrique, spécialement en pays abyssin et somali dans les années
1938-1940, cette rivalité est ouverte.
Le dispositif de renseignement sur l’Italie a évolué de 1919 à 1925.
La mission italienne du bureau interallié de renseignement a échangé des
renseignements systématiques sur les suspects d’espionnage ainsi que sur
le commerce de contrebande depuis l’automne 1915 jusqu’à son déman-
tèlement à l’automne 1919. De 1919 à 1922, les bonnes relations exis-
tantes se prolongent, puis se dégradent rapidement à partir de l’arrivée
de Mussolini au pouvoir en Italie. Il a les pleins pouvoirs des deux
Chambres en décembre 1922. Il infléchit progressivement la politique
étrangère et militaire italienne en imposant une nouvelle élite qui se subs-
titue aux dirigeants aristocratiques dans l’armée et dans la diplomatie 154.
À ce titre, il cumule les fonctions de chef du gouvernement et de ministre
des Affaires extérieures jusqu’en juin 1924, avant d’y adjoindre en jan-
vier 1926 la Guerre, la Marine et l’Aéronautique. L’assise personnelle de
son pouvoir est donc large. Perçue de manière hostile à Paris, cette situa-
tion renforce la conviction qu’il faut un renseignement actif sur l’Italie.
Durant toute l’année 1925, la réorganisation du dispositif des postes de
renseignement intègre des projets de modification de la recherche de ren-
seignements sur la péninsule. Depuis 1923, les services secrets italiens
multiplient les questionnaires sur la France, notamment sur les fourni-
tures de la France à la Serbie, à savoir les matériels militaires, dont l’aéro-
nautique, le chemisage des canons. Le rappel de la mission serbe d’achat
d’avions français en 1923 visait alors à éviter les complications avec
l’Italie 155. Très vite, les tentatives d’espionnage italiennes se déplacent
vers les positions françaises en Méditerranée, pour identifier les mesures
de préparation de la mobilisation, les plans des fortifications et des

153. Jean-Louis Miège, L’impérialisme italien de 1870 à nos jours, Paris, Sedes,
1968, 419 p.
154. Didier Musiedlak, Mussolini, Paris, Presses de Sciences Po, 2005,
p. 391-396 sur la décision et la politique étrangère et Parlementaires en chemise noire.
Italie 1922-1943, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007,
p. 191-200.
155. SHD/DAT 7NN 2 284, note de renseignement SR/EMA2 au sujet d’un
questionnaire du SR italien récupéré par le SR Marine, 23 octobre 1923. Dossier sur
les activités du SR italien sur la France de 1922 à 1928.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

ouvrages militaires, dont ceux concernant les ports, les forces aéronau-
tiques. Ce renseignement militaire traditionnel oppose deux pays aux
ambitions méditerranéennes souvent rivales, notamment sur les côtes
d’Afrique du Nord.
En décembre 1924, la susceptibilité romaine rend impossible le main-
tien des moyens de renseignement installés à Rome à la faveur de la
guerre. Le capitaine Rollin est donc rappelé à Paris et le poste fermé à
Noël 1924 156. L’enjeu est de concevoir autrement la recherche de rensei-
gnements sur un État fasciste qui multiplie peu à peu ouvertement les
contestations de la présence française en Méditerranée. Ce renseigne-
ment est donc offensif sur l’Italie, tirant les conséquences de la fin de
l’alliance de la Première Guerre mondiale. L’impérialisme italien s’oppose
à la France, et, symboliquement, cherche à nouer des alliances tournées
contre la France, à l’instar du rapprochement tenté avec l’Espagne au
printemps 1926. Mais l’activité des services secrets italiens est beaucoup
plus dynamique au milieu des années 1930 157. Elle a des incidences sur la
réorganisation des moyens secrets français en Italie depuis 1925-1926 158.
Le commandant Thomas a jeté les bases de la réorganisation de l’espion-
nage français sur l’Italie en 1925. En 1926, il centralise ce renseignement
pour son exploitation exclusive au bénéfice du 2e bureau de l’EMA 159.
En novembre 1926, il en présente les enjeux, dans une conférence des-
tinée aux officiers stagiaires de l’École supérieure de guerre au 2e bureau
de l’EMA. Il y récapitule trois années de fonctionnement et d’organisa-
tion du renseignement français sur l’Italie, de 1924 à 1926 160. La diffi-
culté de ces années tient à l’activité du contre-espionnage italien qui peut

156. SHD/DAT 7N 2 486, note au CEMAG par le chef de la SR-SCR Lainey


sur la réorganisation du SR, décembre 1924, p. 1.
157. SHD/DAT 7NN 2 284, notes sur l’espionnage italien en Espagne de 1925
à 1939, avec un pic d’activités en 1936-1939.
158. SHD/DAT 7N 2 486, note du commandant Grenier, chef du SR, sur le
poste SR sur l’Italie à Lainey, 8 septembre 1925.
159. SHD/DAT 7NN 2 486, note de Lainey sur l’organisation du service du
commandant Thomas, 21 février 1926. Il dispose d’un bureau installé dans la
pièce 115 de la caserne Rusca à Nice. Les archives (comptes rendus de renseigne-
ments de Nice et Chambéry et notes du SR à Paris) y sont constituées. Les rensei-
gnements émanant d’autres sources lui sont envoyés sauf ceux relevant de la SCR.
160. SHD/DAT 7N 2 501, conférence du commandant Thomas aux stagiaires
de l’ESG, novembre 1926, 29 p.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

s’appuyer sur une forte communauté italienne émigrée en France, consti-


tuant un vivier d’agents et d’informateurs. À l’inverse, les postes français
ressentent déjà, en 1925-1926, les effets du travail du contre-espionnage
italien sur le territoire français et la surveillance étroite des frontières
italo-françaises 161. Les arrestations d’agents italiens sont difficiles, ren-
dant nécessaire la coopération entre la justice, la Sûreté générale et les ser-
vices spéciaux militaires. Ces derniers identifient les menées d’agents
italiens qu’ils ne voulaient pas toujours voir arrêter pour conserver des
sources d’information, freinant les échanges de renseignements avec le
ministère de l’Intérieur. La répression judiciaire se fait plus sévère, en uti-
lisant les ressources de la loi réprimant l’espionnage de 1886. Une colla-
boration heureuse et fort ancienne permet au chef de la SR-SCR de
rencontrer des juges d’instruction afin d’étoffer les dossiers d’accusation
des suspects poursuivis, dont le juge d’instruction Peyre à Paris en février
1926 162.
L’année 1926 est un tournant, marqué par les difficultés du poste de
Nice face aux menées italiennes à la frontière et sur le territoire français.
Le contre-espionnage militaire français le reconnaît dans une note
adressée à la Sûreté générale en mars 1926.
« Les décrets d’expulsion pris à l’égard de certains Italiens indésirables, qui
ont tout d’abord eu un très heureux résultat quant à la liberté d’action du poste
de Nice, ne sont donc pas suffisants. Indépendamment des arrestations qui sont
demandées par ailleurs à la justice et qu’on peut espérer obtenir, il y a donc lieu
de demander au commissaire spécial de Nice d’apporter une vigilance toute par-
ticulière aux agissements du contre-espionnage italien dans cette ville 163. »
L’ampleur de cet espionnage italien depuis 1920 est telle qu’elle
conduit la SCR à dresser un bilan des affaires les plus saillantes en mars
1926. Leur géographie (Lyon, Marseille, Nice, Paris) indique un maillage
du territoire français qui dévoile le caractère systématique et très organisé

161. SHD/DAT 7N 2 501, conférence du commandant Thomas sur le SR face à


l’Italie en 1923-1926, novembre 1927, p. 14-15.
162. SHD/DAT 7NN 2 284, note sur la réunion entre le juge d’instruction
Peyre à Paris et le lieutenant-colonel Lainey, 12 février 1926 ; sur la collaboration
entre les juges et les services de renseignement français, voir Sébastien Laurent,
op. cit., p. 650-652 sur une procédure pratique établie depuis 1886-1887 qui per-
mettait de faire intervenir des officiers de la section de statistique dans les procès
d’espionnage.
163. SHD/DAT 7NN 2 284, note nº 1217 de la SCR-2e bureau à la Sûreté
générale au sujet du contre-espionnage italien à Nice, 29 mars 1926.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

de l’espionnage italien 164. La couverture diplomatique des nombreux


consulats italiens dans le sud-est français procure un avantage tactique
décisif dans le recrutement d’agents de nationalité italienne ou française
par le service italien. Un bureau, sous la couverture de l’Opéra Bono-
melli, y est très actif depuis 1915. En outre, le service secret italien para-
chève son dispositif d’encerclement par des postes à Bruxelles et à la
légation d’Italie de Luxembourg.
Après 1926, les postes de recherche à Nice et Chambéry, dont la loca-
lisation géographique et la forte communauté italienne sont des atouts,
sont désormais centralisés par Marseille pour l’exploitation de leurs ren-
seignements 165. Les premiers résultats de la SER de Marseille, animée
depuis 1928 par le commandant Barbaro, interviennent entre la fin de
l’année 1926 et 1931. Les agents de la milice fasciste se font plus dis-
crets dès la fin de l’année 1926 à Marseille, à Toulon, à Beausoleil, à
Menton et à Nice ; mais ce sont les consulats qui sont alors plus systéma-
tiquement utilisés comme couvertures. Les vice-consuls sont des officiers
en mission des services secrets fascistes 166. À Chambéry, le consulat ita-
lien est parvenu à mettre en place un bureau à la gare. Il peut surveiller
l’embarquement de marchandises et de matériel pour couvrir un espion-
nage économique sur les établissements industriels de la région 167. Les
agissements depuis les consulats sont confirmés par la correspondance de
la SER avec Paris en 1931-1932 168. Les poursuites contre les antifascistes,
les émigrés politiques et les communistes italiens ne baissent pas d’inten-
sité en 1925-1926 169. Plus globalement, l’objectif sur le sol français est
de repérer et de neutraliser les réfugiés italiens antifascistes les plus

164. Ibidem, aperçu sommaire des manifestations d’activité du SR italien depuis


1920, SCR/EMA2, mars 1926.
165. SHD/DAT 7NN 2 486, note du chef de la SR-SCR, Lainey au chef
EMA2, 12 novembre 1925.
166. SHD/DAT, 7NN 2 486, note de renseignement nº 5279 de la SCR/
EMA2, décembre 1926, au sujet du redéploiement des moyens des services italiens
en France.
167. SHD/DAT 7NN 2 284, note de renseignement du poste de Chambéry à la
SCR/EMA2, 26 mars 1926.
168. SHD/DAT 7NN 2 798, notes de renseignement du commandant Barbaro
au chef de la SR-SCR/EMA2, octobre 1931 à juin 1932.
169. SHD/DAT 7NN 2 284, rapport du service de sûreté de l’armée française
du Rhin au SR/EMA2, 20 décembre 1926, au sujet du SR italien au grand-duché de
Luxembourg.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

convaincus. La neutralisation des menées des communistes italiens, orga-


nisant en 1926 un PCI clandestin depuis son interdiction en Italie et le
départ de Palmiro Togliatti en URSS, est un second objectif. Pourtant,
de 1927 à 1931, le démantèlement de réseaux d’agents italiens dans les
agglomérations françaises et l’arrestation d’agents forcent les Italiens à
redoubler d’activités. L’Allemagne a peut-être concouru ponctuellement
à la formation de leurs agents en 1931 170. Entre-temps, le poste d’Anne-
masse se consacre au travail sur l’Italie. Enfin, l’architecture des postes
travaillant sur l’Italie est complète avec le poste d’Alger en 1925. Le ser-
vice d’études africaines (SEA) a une annexe à Tunis qui couvre l’objectif
de renseignement sur la Libye, déjà conquise par l’Italie 171.

Face aux menaces secrètes italiennes 1926-1935


Les papiers personnels de Paul Painlevé (1863-1933), alors ministre
de la Guerre, confirment les analyses construites sur la base des archives
de Moscou 172. En dehors du 2e bureau de l’EMA, la connaissance de
l’Italie repose sur des rapports d’agents italiens occasionnels et des lettres
dénonçant les agissements secrets italiens dans le sud-est de la France au
printemps 1926 173. Les courriers sont directement adressés. Les informa-
tions sur des menées d’espionnage sont somme toute assez habituelles.
À l’échelon politique le plus élevé du pays, elles signalent l’attention
portée à la question italienne. La question de la défense de la frontière
alpine, tant des frontières naturelles que des fortifications, est au cœur
d’une interrogation sur les intentions d’agression italiennes sur la France.
Celle-ci est au demeurant peu vraisemblable. Par ailleurs, les menées face
à la Yougoslavie, à la Serbie et en Albanie retiennent plus sûrement
l’attention du ministre de la Guerre, à l’heure de la construction d’un
système d’alliances français en Europe centrale et balkanique. Dirigé

170. SHD/DAT 7NN 2 798, renseignement non recoupé d’un agent sur le
concours allemand étroit au colonel Ponzo, frère de l’attaché militaire italien à Paris,
et en mission en Allemagne, juin 1931.
171. Henri Navarre, op. cit., p. 43. Sur la Libye, voir André Martel, La Libye
1835-1990. Essai de géopolitique historique, Paris, PUF, 1991, p. 102-114.
172. Anne-Laure Anizan, Paul Painlevé, un savant en politique, op. cit.
173. AN Fonds Painlevé 313 AP 226, correspondances anonymes de Bari en
mars 1926, d’un agent à Modane le 30 septembre 1926. Anne-Laure Anizan ne s’y
arrête pas.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

depuis Trieste par le commandant Castagna, le service italien sur la You-


goslavie est très structuré en 1926. Il se conçoit en liaison avec une diver-
sité d’organes concourant au renseignement : les carabinieri pour le
contre-espionnage, les commissaires spéciaux, les gardes finances pour les
douanes, les diverses associations comme la Société Dante Alighieri à
Trieste et Udine travaillant sur la Dalmatie, le Club alpin italien pour le
renseignement de frontière 174… La toile du renseignement italien sur la
Yougoslavie est déjà très serrée en 1926, en liaison avec la Macédoine, la
Bulgarie, l’Albanie, le Monténégro et la Hongrie. Un éloquent réseau
d’une quinzaine de postes de renseignement et de contre-espionnage ita-
liens est identifié par les services spéciaux français 175. L’inventaire français
est complet en 1927, mais s’attache prioritairement aux postes travail-
lant sur la France et ses alliés. Il dévoile les agents italiens à Genève en
1928, organisés par Teragni, accrédité correspondant à l’agence Ste-
phani auprès de la SDN et du BIT. Les informations obtenues par le
délégué italien auprès de la SDN, craignant lors de son retour à Rome
d’être démissionné, présentent davantage d’intérêt. Celles-ci confirment
les préoccupations économiques et financières prioritaires de Mussolini,
cherchant des liquidités sur le marché européen des emprunts et ayant
renoncé à ses intentions belliqueuses face à la Yougoslavie. Les inten-
tions agressives vis-à-vis de la France s’éloignent aussi selon la note de
renseignement établie à l’intention de Painlevé. L’approfondissement des
coopérations avec l’Allemagne est à l’ordre du jour au printemps 1926.
Précisément, la menace d’une coopération des services secrets allemand et
italien n’a cessé de gêner les rapprochements avec les services français.
En réalité, la coopération secrète italo-allemande semble avoir été
ponctuelle après 1922 et peine à s’établir durablement 176. Il n’est pas
impossible que la coopération italo-allemande engagée en 1938-1939 ait

174. SHD/DAT 7NN 2 273, note nº 790 SCR/EMA2 du 11 février 1926, au


sujet de l’organisation du SRI en Yougoslavie.
175. SHD/DAT 7NN 2 273, dossier nº 2601 sur les postes SR italiens en 1927.
Ce sont les postes de Turin et de Vintimille, orientés vers la France, de Tripoli tra-
vaillant sur la Tunisie, de Milan, d’Udine du colonel Romanelli et le service de ren-
seignement hongrois et de Trieste, de Budapest, de Lausanne et de Genève,
d’Innsbrück, de Vérone et de Brindisi, de Madrid et de Barcelone, de Constanti-
nople enfin, moins organisé.
176. SHD/DAT 7NN 2 938, dossier SR-SCR/EMA2 sur la collusion des ser-
vices spéciaux allemands et italiens, 1922-1940.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

accréditée rétrospectivement, aux yeux des services français, l’hypothèse


d’une coopération aux racines anciennes entre l’Allemagne et l’Italie.
Celle-ci n’a cependant été ni précoce ni spontanée. En avril 1931, des
accords secrets d’échanges entre les services secrets italiens et turcs achè-
vent de confondre les menées italiennes. Si le renseignement turc a des
échanges continus et réguliers avec les renseignements hongrois et bul-
gare, ils sont « irréguliers et limités sur certains points avec l’Italie. »
D’après les sources françaises, le service secret italien refuse de fournir à
la Turquie des informations sur l’armée grecque et la Grèce, sur les
soviets, l’Albanie et la Bulgarie. Mais il lui communique des informa-
tions militaires et politiques sur Chypre, la Syrie et l’Égypte. Il fournit,
en outre, toutes les informations militaires sur la Yougoslavie et, dans les
lignes générales, des informations militaires et maritimes sur la France.
Les Turcs donnent en retour des informations sur l’activité des commu-
nistes et des éléments antifascistes dans les Balkans, des informations sur
les armées yougoslave et roumaine 177. Si les services français soulignent
l’incertitude des échanges de l’attaché militaire italien à Constantinople,
ils ne peuvent que mesurer l’hostilité italienne croissante à l’égard de la
position française en Méditerranée et dans les Balkans. De 1931 à 1935,
l’activité d’espionnage réciproque sur les territoires des deux États s’équi-
libre. Les agents doubles que les services français ont mis en place main-
tiennent un flux d’informations précises sur la permanence des objectifs
italiens. Certains insuccès français tiennent parfois à la mauvaise coordi-
nation du contre-espionnage français. En décembre 1934, l’agent double
Lg 66 est arrêté par la gendarmerie française qui « brûle » sa couverture
en donnant une publicité à l’affaire dans la presse 178. La SCR avait une
liste précise, enrichie de dossiers individuels, sur plus d’une centaine
d’agents italiens opérant en France 179. Mais la législation de 1886 ne
permet pas de déférer tous les suspects surpris à espionner qui ont été

177. SHD/DAT 7NN 2 273, note « strictement secrète » de la SR/EMA2 du


27 avril 1931 sur les services secrets en Orient, 3 p. Les échanges sont faits par le
colonel Capitzi à l’ambassade italienne, centre de leurs services secrets.
178. SHD/DAT 7NN 2 798, note de la SER nº 2235 du 8 décembre 1934 et
nº 2345 de décembre 1934 sur le recrutement par les Italiens de l’agent double
français Lg 66, arrêté par la gendarmerie française.
179. SHD/DAT 7NN 2 798, dossier nº 525 sur la surveillance des agents ita-
liens et les éléments personnels détenus.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

arrêtés, à l’exemple des frères Ramella, finalement relâchés en 1933 180. La


loi de 1934 modifie peu à peu la situation. Sa pleine application
commence à donner des résultats en 1935. Mais le rapprochement très
inattendu en 1935 des services secrets français et italiens, à la faveur de la
politique italienne de Pierre Laval, en retarde l’exécution, mettant entre
parenthèses la page d’une guerre secrète longue de quinze années.

De l’alliance secrète d’opportunité en 1935-1936 à la rivalité


retrouvée fin 1937-1939
La demande italienne de coopération répond-elle, en 1935-1937, à
un double jeu ? Le rapprochement italien avec la France dans le premier
semestre 1935 a incorporé une coopération en matière de renseigne-
ment. Après les accords de Stresa d’avril 1935, des réunions techniques
entre Roatta, chef du service d’information italien, et le colonel Roux,
chef de la SR-SCR, anticipent, du 8 au 11 mai 1935, les conversations
Badoglio-Gamelin du 27 juin 1935. La conséquence en est la suspen-
sion, pour plusieurs mois, de l’espionnage auquel se livrent les deux pays.
Ces conversations instaurent un principe de coopération entre les deux
services spéciaux par des échanges de renseignements, après que Roatta
a « démobilisé le SR italien sur la France » depuis février 1935 181. Cette
coopération, sans qu’aucun accord formel n’ait été signé, représente le
versant secret du rapprochement opéré par Laval et Mussolini en 1935.
Gamelin favorise des contacts réguliers entre les états-majors, avec
l’accord de Léger et de Massigli aux Affaires étrangères. Ce printemps
1935 est le sommet du rapprochement franco-italien 182. Sans doute

180. SHD/DAT 7NN 2 798, note nº 701 de la SER à Marseille à SCR/EMA2,


11 mars 1933. Des Italiens, les frères Ramella, photographiant des objectifs mili-
taires, arrêtés par la police de Nice, sont relâchés car sans papiers et irréguliers sur le
territoire.
181. Jean-Baptiste Duroselle, La Décadence, op. cit., p. 135-139, avec l’envoi
d’un officier du renseignement à Rome en février. Utilisé par Jean-Baptiste Duro-
selle, le capitaine Catoire, adjoint du général Parisot, en donne un récit vivant dans
Ma mission à Rome 1933-1937. Olivier Minvielle, « Le renseignement français et
l’Italie dans les années 1930 », in Olivier Forcade (dir.), Le Secret et la puissance,
op. cit., p. 93-105. Olivier Minvielle, La SR-SCR face à l’Italie 1919-1939, mémoire
de maîtrise, sous la direction de Jacques Frémeaux, Université de Paris IV-Sorbonne,
1999, 106 p. et annexes.
182. Jean-Baptiste Duroselle, op. cit., p. 131-139.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

est-ce dans le domaine secret que ces relations militaires et diplomatiques


s’expriment alors le plus largement.
En effet, au début d’avril 1935, des contacts sont inaugurés entre les
services italien et français emmenés par le général Loizeau de l’EMA 183.
À l’EMA, le général Schweisguth, qui vient de prendre se fonctions, est
parfaitement lucide sur l’enjeu engagé.
« Vu le lieutenant-colonel Gauché rentrant de Rome : les Italiens très en
confiance demandent échanges réguliers de renseignements et échanges d’offi-
ciers travaillant au 2e bureau. »
Rédigé par le colonel Roux, un projet de note secrète a été adressé par
Paris au poste de Marseille pour fixer les conditions de cette coopéra-
tion, accompagné d’un résumé des premiers échanges au 1er juin 1935 184.
Cette collaboration est consécutive aux entretiens secrets du 8 au 11 mai
1935 entre les services français et italiens. Leurs services de contre-espion-
nage et de renseignement ambitionnent de collaborer dans la recherche et
l’échange de renseignements sur l’Allemagne, notamment en signalant les
agents allemands travaillant sur la France et sur l’Italie 185. Ils s’engagent
à coopérer à leur surveillance et le « cas échéant » à leur arrestation. Ces
échanges de renseignements seraient formalisés par écrit, par radiotélé-
grammes ou télégrammes chiffrés, par téléphone ou par une liaison
directe entre les services centraux de Rome et de Paris. La SCR serait
l’interface entre le service italien et la Sûreté nationale. Enfin, les
échanges de renseignements et les liaisons se feront directement entre les
postes frontières, en détaillant les modalités techniques de cette coopéra-
tion entre les officiers italiens et français. À cet effet, l’entente entre le
lieutenant-colonel italien Pieche, chef du contre-espionnage, le général
Roatta et le colonel Roux porte d’abord sur le contre-espionnage. Une
liaison en matière de contre-espionnage est mise en place à l’initiative
française entre le poste français de Nice (capitaine Beaune), la Sûreté
nationale et l’organe italien de Tunis. Dans le secteur de Lyon, le poste

183. SHD/DAT 7 N 2 904, dossier 1, accords entre la France et l’Italie sur le


renseignement en 1935. AN 351 AP2, notes du général Schweisguth, 1er et 2 avril
1935.
184. SHD/DAT 7NN 2 714, compte rendu du colonel Roux, manuscrit, 2 p.
sans date.
185. SHD/DAT 7NN 2 714, projet de note SR-SCR à la SER au sujet du réta-
blissement d’une antenne à Nice en matière de contre-espionnage avec l’Italie, sans
date, probablement juin 1935. Nous n’avons pas retrouvé la note signée et datée.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

italien de Turin supervisera avec l’antenne de Nice la coopération des


postes frontières de Modane et Briançon. Le poste de renseignement
naval de Nice est donc transformé en poste de contre-espionnage. Les
deux pays ne stipulent toutefois pas dans ce projet de coopération
l’abandon total de toute recherche de renseignements l’un sur l’autre. En
particulier, ils excluent de l’accord leurs recherches secrètes dans les
colonies et chez leurs alliés respectifs. Certes, l’esprit de ces échanges rend
possible une interruption des activités intenses auxquelles se livrent,
depuis plus de dix ans, les deux pays. L’Italie a donné l’exemple depuis
février 1935. Par ailleurs, la coopération franco-italienne secrète sur la
Suisse a également été envisagée aux termes de ces entretiens, avec une
inquiétude italienne manifeste sur la sécurité du col de Brenner. Cette
coopération est résolument tournée contre l’Allemagne.
En juin 1935, l’officier italien responsable de la liaison s’est rendu à
Nice pour rencontrer le capitaine Beaune, chef de l’antenne, et les repré-
sentants de la Sûreté nationale. Pieche a écrit le 24 juin pour solliciter
un entretien avec Roux à Turin le 1er juillet 1935, « regrettant d’avoir
attendu un mois la venue des Français ». Roux envoie en fait le comman-
dant Grosjean et le capitaine Beaune, devant voir initialement Menzies à
Paris le 2 juillet. Le projet de coopération en matière de contre-espion-
nage est rédigé, adressé à la SER de Marseille. Il rappelle en préambule
que l’accord est établi à la demande de l’état-major italien et de la Sûreté
nationale française, pour définir la collaboration en matière de contre-
espionnage entre les organes italiens et français. L’attaché militaire pré-
pare la venue à Rome et à Milan du chef de la SR-SCR. Le colonel Roux
confirme ensuite le 24 juin 1935 la mise en place effective des procé-
dures d’échange de renseignements. Son déplacement est prévu à Turin
le 1er juillet. À Rome, il rencontre le 2 juillet 1935 les responsables ita-
liens de l’espionnage sur l’Allemagne, sans que le compte rendu n’en soit
donné 186. À travers le journal personnel du général Parisot, attaché mili-
taire à Rome de 1933 à 1938, l’engagement sincère des Italiens paraît
incontestable jusqu’à l’automne 1935 187. Jusqu’en janvier 1936, Schweis-
guth maintient des rencontres avec l’attaché militaire italien à Paris, pour

186. SHD/DAT 7NN 2 714, lettre de l’attaché militaire-adjoint à Rome au


colonel Roux, 24 juin 1935.
187. SHD/DAT 1Kmi 95, Fonds privé Serge-Henri Parisot, Résumé de mon rôle
avant et à Rome septembre 1933-juillet 1938 par le général Parisot, journal manuscrit

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

lui dire la nature des conversations franco-britanniques 188. Par le général


Parisot, il mesure le contentement des Italiens. Mais l’invasion italienne
de l’Éthiopie en octobre 1935 donne un coup d’arrêt à ces échanges
limités.
Au point que la reprise des activités des services italiens en France
menace depuis mai 1936 189. Leur engagement aux côtés de la rébellion
en Espagne est un second grief français. En août 1936, elle est confirmée
par le général Parisot, attaché militaire à Rome 190. Rivet reste malgré tout
optimiste sur les promesses de ce rapprochement le 25 juin 1936.
« Visite Vullus-Rudiger. M’entretient de l’échec momentané de créer un
super SR belge, et de l’attitude “véritable” des Italiens vis-à-vis de la France,
dont, dit-il, il sait de bonne source qu’elle demeure amicale. »
Et le 26 juin 1936 :
« Le général prescrit de faire un nouvel envoi de renseignements au SR italien
(rien reçu depuis le 9 mai, rien envoyé depuis le 20 mai). »
L’instruction provient du général Colson. Puis :
« À une question posée par le général Parisot, attaché militaire à Rome,
donné l’avis suivant au général Limasset et au 2e bureau : “Suspendre tout envoi
aux Italiens jusqu’à ce qu’ils aient eux-mêmes donné le signal de la reprise” 191. »
Ce signal ne vient pas dans les semaines qui suivent. Après une ins-
truction de Colson, Rivet obtient, par l’entremise de l’attaché militaire à
Rome, une rencontre avec le nouveau chef des services spéciaux italiens,
le colonel Santo Emmanuele. En Italie du 26 au 31 décembre 1936,
Rivet ne modifie pas la position italienne en rencontrant Emmanuele à
Viareggio. Au Quai d’Orsay, René Massigli, directeur adjoint des affaires
politiques et commerciales, suit l’affaire très étroitement, s’écartant de

inédit rédigé en 1944, 71 p. Le général Parisot a été attaché militaire à Rome de sep-
tembre 1933 à juillet 1938, puis à nouveau de décembre 1939 à juin 1940.
188. AN 351 AP3, notes du général Schweisguth, 7 janvier 1936.
189. SHD/DAT 1 Kmi 95, fonds privé Serge-Henri Parisot, « Résumé de mon
rôle avant et à Rome, très secret », op. cit, p. 37-38. Le général Parisot ne parle que
brièvement des agents des SR sans tirer de conséquences sur l’effet des échanges de
renseignement sur l’état des relations franco-italiennes.
190. SHD/DAT 7 N 2 911, dossier 2, rapport SR-SCR 2e bureau EMA du
6 août 1936 sur la reprise des activités de recherche des services italiens en France et
le journal personnel du général Parisot, op. cit.
191. Archives privées Rivet, Journal de bord du colonel Louis Rivet, volume 1,
p. 2, 26 juin 1936. Il est intéressant de noter que Rivet ouvre quasiment son Journal
de bord, à sa prise de fonction, sur la question italienne.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

l’italophobie de Léger 192. En janvier 1937, Massigli, adjoint de M. Bar-


geton, directeur des affaires commerciales et politiques depuis 1934
auquel il succède dans le courant de l’année 1937, reçoit personnelle-
ment Rivet. Celui-ci lui expose les conditions de cette reprise d’activités
et les conséquences attendues d’une rupture des accords avec le comman-
dement italien. Massigli donne alors à Rivet le signal d’une reprise des
recherches secrètes sur l’Italie. Il se propose d’écrire officiellement à l’état-
major français afin que celui-ci pose aux Italiens la question de la cadu-
cité des accords de 1935 193. Aussi le colonel Emmanuele obtient-il de
rencontrer à Paris les responsables militaires français dont Schweisguth le
27 avril. En mai 1937, Rivet fait le point à l’EMA.
« Le général Schweisguth propose une réponse à la note des AE sur la reprise
de l’activité SR sur l’Italie. Gauché d’accord sur l’inopportunité actuelle de cette
reprise et d’avis d’attendre le moment 194. »
D’après Schweisguth, le ministère des Affaires étrangères se dérobe à
une réponse trop voyante :
« Les AE vont répondre qu’il n’y a pas lieu de dénoncer les accords sur l’abs-
tention réciproque des SR français et italien, puisqu’il n’y a pas d’accord mais
simplement des engagements verbaux entre les généraux Loizeau et Roatta.
M. Bargeton estime que Guerre et Air n’ont qu’à reprendre progressivement
l’activité de SR contre l’Italie sans le dire 195. »
Or, l’assassinat des frères Nello et Calvo Rosselli en France par la
Cagoule le 9 juin 1937, commandité par les services secrets italiens,
achève de discréditer le double jeu transalpin. En connaissance de cause,
Gamelin différe pourtant la reprise des activités secrètes françaises sur
l’Italie le 10 juin 1937 196. Il hésite à abandonner la carte italienne ainsi
que le suggèrent ses entretiens avec le général Schweisguth le 17 et le
23 juin 1937.

192. Raphaëlle Ulrich-Pier, René Massigli (1888-1988), une vie de diplomate,


Berne, Peter Lang, 2006, p. 677.
193. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 1, 7 janvier
1937, au sujet de l’entrevue entre Rivet et Massigli, p. 27.
194. Ibidem, 8 mai 1937, p. 43.
195. AN 351 AP 3, Fonds privé Schweisguth, carnet 2, 26 mai 1937 lors des
échanges Bargeton-Schweisguth sur les conversations franco-soviétiques.
196. AN 351 AP 3, Fonds privé Schweisguth, carnet 10 juin 1937, p. 45. Fré-
déric Monier, Le Complot dans la république. Stratégies du secret de Boulanger à la
Cagoule, Paris, La Découverte, 1998, p. 300.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

« Été voir Gamelin : en Italie ne pas mettre en doute la loyauté du comman-


dement et rejeter la reprise du SR sur des agents subalternes. Le général n’a pas
mis au courant l’attaché italien de la visite du colonel Beck. »
Et le 23 juin, Schweisguth développe un long argumentaire dans ses
carnets pour poser le dilemme d’une reprise.
« Bargeton. Hésitations sur la reprise des activités sur SR italien. 25-28 juin
37 mission Schweisguth à Venise-Pederobba.
La reprise éventuelle du SR contre Italie. Conversations en cours avec notre
chargé d’affaires M. Blondel et AM Parisot. Blondel l’estime inopportune et dan-
gereuse. Pense qu’une reprise serait contraire aux arrangements de 1935, qu’elle
serait immédiatement connue des Italiens, étant donné la surveillance policière
très serrée aux frontières et serait peu efficace.
Parisot constate qu’il n’est pas renseigné loyalement par état-major italien
(modification ordre de bataille). Au fond le chargé d’affaires redoute de voir des
arrestations et des incidents désagréables s’ajouter à ceux qui résultent pour nos
nationaux de l’activité de la police fasciste. Tandis qu’AM. craint de ne pouvoir
dans la situation actuelle renseigner le commmandement comme il le doit.
Pas possible discuter de cette reprise du SR italien et du SR allemand à
travers l’Italie avec des représentants de l’EM de Rome comme j’aurais été auto-
risé de le faire si les circonstances s’y prêtaient. D’autre part les chefs d’EM
n’étaient pas à la cérémonie de Pederobba : seul le général Pariani à l’issue du
déjeuner offert aux Français : or pas possible. D’autre part la perte récente dans
un taxi par un officier de documents relatifs aux centrales électriques italiennes,
dont disparition venait d’être signalée par notre consul de Milan ne m’aurait pas
permis d’affirmer de notre côté que nous avions respecté strictement les accords
de 1935.
Il m’a paru enfin que nous serions plus libres de reprendre discrètement les
accords et progressivement l’activité de notre SR – comme semble le désirer le
Quai d’Orsay – si cette question était passée sous silence.
1er juillet 1936. Été voir le général Gamelin ce matin pour CR mission. Vu
Petibon qui me dit que Barkasetti lui a dit que le SR italien fonctionnait chez
nous contre l’Espagne : agents dans les ports signalent par radio l’embarquement
de matériel de guerre. »
Les considérations politico-diplomatiques priment bien sur des
échanges secrets qui n’en sont, essentiellement, qu’une modalité appli-
quée. Des réunions se succèdent à l’état-major de l’armée avec les chefs
des 2es bureaux des trois armées et Rivet, notamment le 4 août 1937,
pour décider d’une position officielle. Schweisguth les résume encore :
« L’Air est pressé d’aboutir, la Marine soucieuse d’éviter un incident suscep-
tible d’empêcher un rapprochement qu’elle croit prochain. Rivet montre la
reprise certaine du SR italien. Je dis que les AE ont tranché la question et qu’il ne
s’agit que d’appliquer la décision prise le plus prudemment possible et sans tou-
cher à la façade des accords. 6 août Bargeton conseille prudence et progressivité

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

dans la reprise SR contre Italie. Depuis la lettre du 12 juillet des AE qui autori-
sent cette reprise, la situation avec l’Italie a tendance à se détendre. 14 août Vis-
conti-Prada est venu dire au général Gamelin que Badoglio se considérait
toujours comme lié par les accords de 1935 et que VP serait son agent de liaison
personnel. »
Le 10 août, Gamelin donne l’instruction à Rivet de relancer les
recherches françaises, confirmée le 18 et le 19 août par une discussion des
modalités de la reprise des activités des services français en 1937 197. Les
livraisons d’armes à l’Espagne par l’Italie ont raison de l’engagement de
1935. Les atermoiements du haut commandement sont un indicateur
intéressant de la volonté d’explorer jusqu’au bout la possibilité de déta-
cher les services secrets italiens de l’Allemagne. Le 29 septembre, Parisot
vient prendre les nouvelles instructions à la centrale à Paris. Rivet auto-
rise néanmoins le capitaine Beaune à sonder une ultime fois Navale,
membre du contre-espionnage italien, à San Remo le 30 octobre 1937.
Les généraux Colson, chef d’état-major de l’armée, et Schweisguth, sous-
chef d’état-major, en sont très étroitement informés au début de
novembre 1937. Au regard des intentions du Quai, le décalage est ins-
tructif sur la doctrine politique d’engagement ou pas des services secrets
afin de ménager une évolution favorable en marge de la diplomatie offi-
cielle. Jusqu’en octobre 1937, les responsables français des services spé-
ciaux militaires s’efforcent de ralentir la reprise d’une rivalité ancienne
avec l’Italie. L’enjeu est de retarder au maximum, sinon d’empêcher, une
coopération d’alternative entre les services spéciaux italien et allemand.
De fait, celle-ci est déjà engagée en raison du double jeu italien depuis le
printemps 1937.
Jeu de faux-semblants ou espionnage de faible intensité ? Pour la cen-
trale des services spéciaux militaires à Paris, le bilan des années 1935 et
1936 tient alors dans la neutralisation de ses moyens d’espionnage sur
l’Italie. Réactivé progressivement au second semestre 1936, le poste de
Marseille est incapable de produire un renseignement de rendement effi-
cace en 1936. Les instructions font état d’un renseignement de veille sur
l’Italie jusqu’au milieu de l’année 1937 sur les instructions de Gamelin
lui-même 198. Un renseignement maintenu à un niveau qualitatif délibé-
rément médiocre n’affecte pas les relations officielles entre les

197. Ibidem, 19 août 1937, p. 56.


198. SHD/DAT 7NN 2 502, rapport du commandant sur l’activité du poste
nº 73, SER-Marseille à SR-SCR/EMA2, 13 janvier 1937, p. 2-3.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

états-majors français et italien. En effet, les responsables de la SR-SCR en


poste à Marseille et dans ses antennes ont été réaffectés en 1935-1936.
Le recrutement d’agents et d’honorables correspondants, sans se tarir, a
été suspendu pendant presque deux ans. Or la création d’une source
humaine ne se décrète pas du jour au lendemain. Les nombreux agents
envoyés en 1937, avec des missions ponctuelles de reconnaissance des
unités italiennes et du dispositif de défense, sont médiocres. Mal pré-
parés, ils commettent des imprudences les exposant à l’arrestation. La dif-
ficulté s’aggrave d’autant que les moyens du poste, financiers en
particulier, manquent pour mieux les sélectionner et les rétribuer. En
outre, l’antenne de Nice conserve après 1936 des effectifs affaiblis qui ne
permettent pas d’enrayer l’espionnage italien dans le sud de la France 199.
Au début de 1937, l’activité du poste a consisté à remettre à jour la
documentation ancienne en exploitant méthodiquement la presse ita-
lienne, délaissée depuis mars 1935. Pourtant, outrepassant les intentions
politiques de 1935-1936, l’instruction de la centrale a été de se tenir prêt
à reprendre la recherche d’informations sur l’armée italienne. Son ordre
de bataille, dans la compatibilité avec les engagements des accords de
Rome, est étudié depuis la fin de 1936. L’interrogatoire des déserteurs
italiens a également repris, donnant des renseignements sur les fortifica-
tions italiennes à la frontière française et l’organisation des troupes de
forteresse. Le contact avec de « vieux informateurs désireux de reprendre
des relations avec nous », sans qu’ils soient identifiés fussent par leur
code, est réactivé pour obtenir de l’information sur une invasion par le
col du Brenner. Enfin, le recrutement d’honorables correspondants s’est
poursuivi, « en prévision d’une reprise d’activité possible et sans qu’il soit
fait directement appel à leur collaboration pour l’heure 200. » Cette situa-
tion correspond bien à une veille du renseignement sur l’Italie, ne nui-
sant pas à l’esprit de la coopération secrète. Par ailleurs, l’activité du poste
a été spécialisée sur l’Allemagne et le contre-espionnage au printemps
1935. L’effort du poste a porté sur le recrutement d’informateurs sur
l’Allemagne et sur leur formation pour obtenir à partir de la fin de 1935
des renseignements élémentaires. Ceux-ci concernent essentiellement
l’activité du service de renseignement allemand dans le sud de la France.

199. SHD/DAT 7NN 2 502, rapport secret sur l’activité du poste en 1936 du
commandant Barbaro, SER, nº 73, 13 janvier 1937, 5 p.
200. SHD/DAT 7NN 2 502, op. cit., p. 2.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

Quatre informateurs du poste allemand de Francfort ont déjà été arrêtés,


des renseignements ont été obtenus sur des boîtes aux lettres et des lieux
de rendez-vous des postes de Francfort et Brême. Des signalements et des
pseudonymes d’agents allemands (officiers de ces postes) comme d’indi-
vidus douteux ont été découverts et signalés à la police spéciale. Le rap-
port se conclut par l’inventaire des moyens humains nécessaires à la
reconstitution du poste, car les officiers de Marseille ont été dispersés
après les décisions de 1935 201.
Ces échanges techniques de renseignements démontrent moins une
coopération contre-nature, reflétant les renversements d’alliance de
l’Italie entre la France et l’Allemagne entre 1935 et 1937, qu’un prolon-
gement, sinon un devancement secret des options diplomatiques. Cette
année de coopération, entre mai 1935 et mai 1936, est néanmoins une
parenthèse. Non dénuée d’arrière-pensées des deux pays, les termes
mêmes de la coopération secrète en fragilisent le succès espéré. Elle
s’éteint à l’été 1936. Déjà, la France et l’Italie redéploient leurs moyens
de renseignement respectifs l’une sur l’autre. La pleine reprise de l’espion-
nage français est envisagée à l’automne 1937. En mai 1937, le général
Parisot pressentait, en la personne du nouvel attaché militaire italien à
Paris, l’acteur principal d’une offensive relancée par les services secrets
italiens.
« Ou bien le général Visconti-Prasca est véritablement désigné pour Paris
parce qu’il est de sentiments francophiles parfaitement connus. Et alors cette
désignation prouve que l’état-major italien désire rester en excellents termes avec
l’état-major français, et que la politique italienne se réserve aussi la possibilité de
jouer à nouveau dans l’avenir la carte de l’amitié basée sur la confraternité
d’armes de la dernière guerre. Ou bien le général Visconti-Prasca est désigné
pour Paris avec la mission secrète, sous couvert d’une francophilie d’ailleurs cer-
taine, de reconstituer en France un SR italien, que les conversations Roatta
d’avril-mai 1935 avaient supprimé ou tout au moins mis en veilleuse. Nous ne
devons pas oublier en effet – j’y insiste – que nous avons ici un spécialiste

201. SHD/DAT 7NN 2 798, dossier 525, SR italien au ministère de l’Intérieur


(surveillance d’agents, notes de renseignement). Des dizaines d’agents sont fichés,
peut-être une centaine. Les moyens en sous-officiers pointent le besoin de soulager
l’opérateur radiotélégraphiste dont le service est très chargé.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

éprouvé des services de renseignement aussi bien en Haute-Silésie que pendant


cinq années de Belgrade qui ont failli se terminer assez mal pour lui 202. »
La note de renseignements de la SR-SCR, reprenant à la lettre la
source de l’attaché militaire, diffuse le 9 juillet l’information à la direc-
tion générale de la Sûreté nationale 203.

En définitive, le cas italien passe par trois phases. De la guerre de


1914-1918 à 1919, les échanges se mettent en place via le bureau inte-
rallié de renseignements. Puis les différends diplomatiques ferment la
porte à une coopération des services secrets avant que Mussolini ne fasse
de ses services secrets un outil d’action diplomatique secrète largement
tourné contre la France. Du milieu de 1925 à 1934, il mobilise une coo-
pération secrète avec de nombreux services secrets d’Europe hostiles au
système d’alliance français. En 1935-1936, le bref revirement diploma-
tique français à l’égard de l’Italie subordonne le renseignement à la diplo-
matie. Éphémère mais réelle, une coopération technique entre les services
secrets se met en place initialement tournée contre l’Allemagne. L’inter-
vention italienne en Éthiopie modifie son contexte pour la rendre pro-
gressivement impossible durant l’été 1936. La guerre d’Espagne est un
autre obstacle à sa relance en 1937. L’Italie s’engage dans une coopéra-
tion secrète avec l’Allemagne en 1937, très avancée en 1938-1939.
Vaincue par la France en 1918, et interdite d’alliance avec elle, l’Alle-
magne a déployé de façon continue des moyens secrets contre Paris de
1919 à 1939. Défensifs, ses moyens deviennent peu à peu contre-
offensifs après les évacuations des territoires allemands occupés en 1926
et en 1930, puis offensifs de 1930 à 1936. De 1919 à 1925, le renseigne-
ment allemand est défensif sur le plan du renseignement militaire et poli-
tique, mais offensif sur le plan économique. Articulée avec le
renseignement, la propagande est vigoureuse pour dénoncer l’occupa-
tion française, le Diktat de Versailles et les réparations qui affaiblissent
l’économie allemande. Après Locarno, une nouvelle ligne de postes de
l’Abwehr s’étire vers la France dont Cologne, Düsseldorf, Stuttgart et

202. SHD/DAT 7NN 2 273, note de l’attaché militaire français à Rome au haut
commandement du 9 juillet 1937. Le général Visconti-Prasca a été rappelé après un
incident du SR italien en Yougoslavie.
203. SHD/DAT 7NN 2 273, note de renseignement de la SR-SCR à la DGSN,
9 juillet 1937.

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La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie

Cassel sont les pointes avancées. Le contre-espionnage français doit lutter


contre le camouflage du réarmement et la dissimulation des relations
commerciales avec les pays scandinaves, d’Europe centrale et orientale. La
permanence de l’appareil de renseignement de l’Allemagne frappe donc
au premier chef. Ses adaptations successives et ses coopérations électives
avec l’Autriche, la Hongrie, l’Italie, plus ponctuelles avec la Suisse, en ont
fait un outil majeur de la politique extérieure allemande. La France a
essayé longtemps de retarder la coopération, perçue comme inéluctable,
entre le régime mussolinien et le régime nazi. Elle s’est efforcée d’en dif-
férer l’impact sur le théâtre européen et colonial, notamment entre 1935
et l’automne 1937. Dans les années 1930, la rivalité se déplace sur un
plan plus généralement militaire entre les deux services spéciaux. La
guerre clandestine des agents redouble après la remilitarisation de la Rhé-
nanie qui est un tournant psychologique et stratégique pour le renseigne-
ment français. Le contre-espionnage français est résolument
contre-offensif, appuyé sur le recrutement et la formation d’agents
doubles pénétrant les Abwehrstelle de Stuttgart, Cologne ou Ham-
bourg. Les résultats se traduisent par un flux de renseignements constant
en direction du commandement français à partir de 1937-1938. Ce ren-
seignement d’alerte doit prémunir d’une possible agression allemande
contre la France et ses alliés. En définitive, il y a une inversion presque
parfaite de la situation des deux renseignements entre 1919 et 1939. Le
renseignement français découvre une situation stratégique très proche de
celle vécue par le renseignement allemand après 1919 : défaut ou fai-
blesse des coopérations avec des services secrets étrangers, posture défen-
sive ou contre-offensive des organes de renseignement, impuissance du
droit ou des institutions judiciaires à neutraliser les agissements de
l’espionnage étranger sur le sol national. Mais il jouit d’un espace de
manœuvre stratégique grâce à l’empire colonial que n’avait pas l’Alle-
magne après 1919. À l’inverse, le renseignement allemand est armé d’une
idéologie et d’un objectif clair : réviser les traités, puis vaincre la France.

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Chapitre 7
Une lutte intérieure et extérieure
contre l’URSS sans merci

La lutte contre l’Allemagne s’élargit à l’URSS, mais en répondant


d’emblée à des objectifs de sécurité intérieure. La France a précocement
contré les menaces intérieures et extérieures du communisme, redoutant
une extension de la révolution bolchevique à l’Europe en 1918-1919 ; au
point qu’elle censure à sa propre opinion publique nationale les informa-
tions des événements survenant en Russie jusqu’à l’automne 1919, pour
enrayer une propagande bolchevique organisée dès 1918-1919 1. À la dif-
férence près que la lutte contre le communisme est quasiment devenue
une composante des valeurs républicaines après 1919. Il y a une obses-
sion policière et militaire anticommuniste constante durant vingt ans,
nourrie par une vague d’affaires d’espionnage à partir de 1923, dont
l’affaire Cremet en 1927, puis celle des rabcors qui éclate en 1932, sont
des crises aiguës 2. La lutte secrète contre les organes d’espionnage sovié-
tiques commence en Allemagne en 1919-1920, menée par la Sûreté
générale en liaison avec les moyens de contre-espionnage militaires de
l’armée française du Rhin. C’est un combat tous azimuts contre l’URSS,
le Komintern et un PCF financé par Moscou qui se porte rapidement sur
le territoire français. Accaparés par le danger allemand, les services

1. Olivier Forcade, La Censure politique en France pendant la Grande Guerre,


doctorat d’histoire, 1998, Paris X-Nanterre, vol. 2, p. 811-814 ; Marc Ferro, L’Occi-
dent devant la révolution soviétique, Bruxelles, Complexe, 1991, p. 15 ; Sophie
Cœuré, La Grande lueur à l’Est, op. cit., p. 33-36.
2. Yves Santamaria, Histoire du Parti communiste français, Paris, La Découverte,
1999, p. 21.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

spéciaux militaires ont apporté une réponse nuancée à cette menace dans
le temps. La raison tient à ce que la responsabilité du contre-espionnage
sur le sol national incombe au ministère de l’Intérieur. La liaison entre
l’espionnage sur l’URSS, à l’extérieur des frontières, et le contre-espion-
nage, notamment dans l’empire colonial, aurait-elle été imparfaite ? Le
danger communiste intérieur invite à des adaptations des méthodes du
contre-espionnage militaire et policier à la fin des années 1930. Ces
moyens ont été constamment défensifs depuis 1919. À un autre point de
vue, le choix inédit d’un contre-espionnage offensif en 1937-1938 pro-
cède en partie de ce constat. Comme dans le cas de l’Allemagne après
1933, les services secrets français affrontent une société soviétique fermée,
policière, aux frontières surveillées. Pénétrer la société et l’État soviétique
a constitué un défi constant.

Les services secrets russes en France dans les années 1920

Espionnage soviétique ou espionnage français 1919-1925 ?


La lutte contre les menées des services spéciaux soviétiques en France
commence en fait au début des années 1920 en Allemagne. En effet,
Berlin est jusqu’en 1924 la plaque tournante de l’organisation en raison
de la répression anticommuniste féroce menée en France de 1922 à
1924 3. Les informateurs de la Sûreté générale percent les moyens sovié-
tiques en Allemagne, identifient les réfugiés russes en Allemagne et en
France susceptibles d’être manipulés en 1922-1923. Le premier succès
obtenu par le contre-espionnage français est ainsi le démantèlement de
l’une des cellules de renseignement soviétiques en France en février 1923.
Un document russe intercepté en Allemagne y fait état de l’arrestation de
Khatskevitch et de Borodiuk, qui seraient des agents de premier plan de
l’OGPU Paris. L’OGPU, autrement appelé « directoire politique
d’État », a succédé en février 1922 à la Tchéka. Cette police secrète sovié-
tique a été créée par Félix Dzerjinski le 20 décembre 1917, et ses agents

3. Jean-Jacques Becker, Serge Berstein, Histoire de l’anticommunisme en France,


Paris, Olivier Orban, tome 1 1917-1940, 1987, p. 203-217.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

se qualifièrent longtemps après de « tchékistes 4 ». Un échange est envi-


sagé avec l’agent français Bédier 5. Mais l’intoxication est toujours pos-
sible car les documents de la Sûreté générale sont livrés bruts, sans
analyse. Le document éclaire les difficultés à mettre sur pied la résidence,
c’est-à-dire une antenne clandestine, de la Tchéka à Paris. Depuis jan-
vier 1923, les services soviétiques en Europe occidentale sont réorganisés
depuis Berlin. L’achèvement de l’organisation de la Tchéka, est décou-
vert par un agent bien placé en février 1923 6. Le chef du département à
l’étranger est Karl Radek 7. En 1923, les pays européens les plus impor-
tants accueillent une résidence, à l’instar de Berlin, où se trouvait l’état-
major du département de la Tchéka agissant à l’étranger depuis la fin de
la guerre. Puis il y a Paris, Londres, Stockholm et des antennes dans les
ports. Les liaisons avec les partis communistes européens sont assurées
par des agents politiques usant de missions commerciales pour leur cou-
verture 8. La délégation soviétique joue ce rôle à Berlin pour le KPD. Ses
agents sont purement politiques et passent pour des missions courtes,
sous cette couverture commerciale fictive. À la tête de cet état-major à
Berlin se trouve, au début de l’année 1923, Karjakin. En Allemagne et
en Bulgarie, l’agence commerciale Solodovnikov est une sous-agence de
la Gospolitokrana. Ses premiers agents sont Bakhanov, Simenovsky, ren-
forcés par des agents permanents en France 9. Par des sources différentes
mais qui recoupent celles de la Sûreté générale, le contre-espionnage mili-
taire identifie les agents soviétiques de la Tchéka, depuis les postes de
Riga et de Varsovie. En effet, la coopération secrète franco-polonaise
mise sur pied en 1921 cherche, dès l’année suivante, à rendre coup pour

4. Christopher Andrew, Oleg Gordievski, Le KGB dans le monde de 1917 à


1990, Paris, Fayard, 1990, p. 50-54. La Tchéka est la commission panrusse extraor-
dinaire de lutte contre la contre-révolution et le sabotage.
5. AN F7 13 426, note de la Sûreté nationale à la SCR/EMA2 au sujet d’un
document russe obtenu par une source sérieuse, 15 février 1923.
6. Christopher Andrew, Oleg Gordievski, op. cit., p. 74 sur l’OGPU qui retrouve
toutes les prérogatives de la Tchéka entre août et octobre 1922.
7. AN F7 13 426, note d’Allemagne très secrète d’un correspondant de la Sûreté
générale sur l’organisation de la Tchéka par Félix Dzerjinski, né en 1877 dans une
famille polonaise et mort en 1926, 6 p., février 1922.
8. Christopher Andrew, Oleg Gordievski, op. cit., p. 75-114.
9. AN F7 13 426, note de la SCR du 20 février 1923 sur l’organisation de la
Tchéka en Allemagne, très secrète, 6 p.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

coup à une collaboration d’opportunité germano-soviétique, forgée dans


l’action clandestine contre la Pologne. À la suite des accords secrets de
Rapallo signés en 1922 entre Berlin et Moscou, les services allemands et
soviétiques partagent des objectifs régionaux communs qui ne semblent
pas survivre localement à l’année 1923. Le contre-espionnage français
met au jour cette collaboration entre le poste allemand de Kovno en
Lituanie avec l’OGPU durant l’été 1923. En effet, l’ambassade sovié-
tique à Berlin oriente ses moyens secrets contre les anciennes puissances
de l’Entente et la Pologne en Europe orientale. Les agents de Moscou
agissent depuis Berlin contre la Pologne. L’agent « Rom » met ainsi en
œuvre une insolite coopération germano-soviétique tournée contre les
Polonais à la frontière polono-lituanienne 10. Cette action se restreint au
poste lituanien en raison de l’antibolchevisme des services secrets alle-
mands à Königsberg. Précisément, la lutte anticommuniste des services
allemands referme cette expérience antipolonaise en Lituanie en
décembre 1923 11. La coopération entre l’Armée rouge et la Reichswehr
se poursuit au-delà de 1922, par des échanges d’état-major, de brevets et
industriels, permettant à Junkers des constructions aéronautiques à
Samara et Fili en URSS dans les années 1920 12.
À la même époque, la France place ses espoirs dans la Pologne pour
enrayer les influences allemande et russe en Europe orientale. Depuis
Riga, Paris observe les manœuvres secrètes ennemies. Cette rivalité
s’étend bientôt aux pays balkaniques. La position offensive de la diplo-
matie française en Roumanie et en Yougoslavie en est l’explication. Paris
cherche à nouer avec les services secrets naissants de ces États une coopé-
ration fructueuse. Les recherches du contre-espionnage français sont
tournées vers les agissements des services secrets hongrois, autrichien,
bientôt italien, sur la Yougoslavie, et prioritairement contre les menées de
l’URSS. Cette situation prévaut en Bulgarie et en Grèce. En Bulgarie, la
Tchéka mène une active campagne de surveillance dans les milieux
réfugiés, en particulier ceux des Russes issus du repli des armées des

10. SHD/DAT 7NN 2 457, note nº 6442 de la SCR/EMA2 du 15 août 1923


au sujet des services secrets soviétiques et allemands en Lituanie et à Dantzig.
11. SHD/DAT 7NN 2 457, compte rendu spécial nº 168 du 6 décembre 1923
sur l’action allemande en Lituanie.
12. Walter Schellenberg, Le Chef du contre-espionnage nazi parle (1933-1945),
Paris, Julliard, 1957, p. 33-34.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

généraux russes blancs. Elle encourage au retour vers l’URSS, via la


Croix-Rouge nationale soviétique noyautée par ses agents. Le but pre-
mier est de désorganiser les contingents de l’armée du général Wrangel au
moyen de la propagande, de promesses de secours et de l’aide au rapatrie-
ment. D’autres buts animent les services secrets soviétiques, dont la sur-
veillance des milieux monarchistes russes et celle des services secrets des
anciens alliés de l’Entente. La France est la première visée 13. Les respon-
sables des services secrets et les agents recrutés ont été découverts par les
agents français au début de 1923. La même propagande active est menée
en Grèce depuis le repli d’Odessa des armées des généraux russes
Wrangel et Denikine, évacuées par le corps d’occupation de Constanti-
nople vers la Grèce et la Bulgarie en novembre 1920 14. L’intérêt réside
naturellement pour les services français dans des possibilités de recrute-
ment d’agents russes. Sous l’autorité de l’attaché militaire, les moyens
secrets de la France en Grèce sont des plus utiles à l’heure du partage ter-
ritorial complexe de l’ancien empire ottoman en 1920-1923 15.
Cependant, l’action des services soviétiques contre la France depuis
Berlin constitue un objectif majeur de l’orientation de son contre-espion-
nage policier et militaire au début des années 1920. Infiltrer les milieux
russes blancs et ukrainiens réfugiés doit permettre d’approcher leurs
contacts avec le nouvel ambassadeur d’URSS à Paris, Leonid Krassine en
1925 16. Puis l’information sur la politique menée par le gouvernement
Poincaré, tant intérieure qu’extérieure, est un second objectif en France.
En avril 1923, la Sûreté générale peut dresser une première liste des
agents russes identifiés en France : Pierre O. est secrétaire d’ambassade,
Wladimir Drabovitch est rédacteur à L’Intransigeant, Volkoff est secré-
taire du comité national russe de Paris. Afanassieff et le capitaine Solo-
vieff font, selon la Sûreté générale, du renseignement politique. Leurs

13. SHD/DAT 7NN 2 449, note de la SCR/EMA2 du 14 mars 1923 au sujet


des organisations bolchevistes en Bulgarie.
14. Olivier Forcade, « Interpositions françaises… », op. cit., p. 164-175.
15. Abdil Bicer, « Le service de renseignement : outil de la politique orientale au
lendemain de la Première Guerre mondiale ? », in Revue historique des armées, 3e tri-
mestre 2003, p. 77-89. Abdil Bicer, Le Service de renseignement français en Grèce de
1915 à 1922. Création, organisation, perspectives et personnels, mémoire de DEA sous
la direction de Jacques Frémeaux, Université de Paris-Sorbonne, 2002, 133 p.
16. AN F7 13 494, note A 1886, 28 février 1925 au sujet du SR soviétique à
Paris : les relations de l’ambassadeur d’URSS Krassine avec les milieux russes blancs.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

lieux de rendez-vous sont le café de La Rotonde près du métro Vavin, la


Closerie des Lilas avenue de l’Observatoire… La liste des renseignements
qui leur sont demandés s’allonge sans cesse : le rôle de Boris Savinkoff, la
liste de ses agents à Paris, les groupements russes blancs à Paris et leurs
projets, l’identité des Russes demandant à être rapatriés en URSS après la
loi d’amnistie, les projets politiques de la France à l’égard de la Russie, les
marchés d’armements passés entre la France et la Pologne 17. À partir de
1923, le contre-espionnage militaire français identifie régulièrement les
agents soviétiques en France ou agissant depuis l’Allemagne 18. Durant
l’année 1924, l’organisation à Paris s’étoffe. Les contre-espions français
interceptent surtout les liaisons postales et télégraphiques de la Tchéka de
Berlin avec Moscou en 1923-1924. À ce moment, les objectifs de
Moscou sur la France se lisent à livre ouvert. En mai 1923, une impor-
tante note est établie par le contre-espionnage militaire au sujet de la
conférence de la Troisième Internationale réunie en mai 1923. Soutenu
par Karl Radek, Zinoviev aurait proposé aux participants le plan d’un
double jeu consistant à lutter contre la France par tous les moyens, y
compris dans les territoires occupés en Allemagne, tout en négociant offi-
ciellement avec Paris 19. Il aurait suggéré d’encourager les sabotages en les
attribuant aux nationalistes allemands en Rhénanie. Constatant l’échec
de Cachin et du PCF « dont il faut se passer momentanément », en dépit
du soutien du secrétaire du parti Albert Treint à sa ligne, Zinoviev favo-
rise l’action des moyens secrets de l’URSS en France 20. La stratégie du
PCF est arrêtée par la Troisième Internationale, dont Staline, Dimitri
Manouilsky, Georges Dimitrov, Eugen Fried, Jules Humbert-Droz 21.

17. AN F7 13 426, note nº P7615 de la Sûreté générale du 18 avril 1923 sur


l’organisation de la Tchéka à Paris d’après deux sources à Wiesbaden du 15 avril et à
Berlin du 12 avril 1923.
18. SHD/DAT 7NN 2 626, note nº 1023 de la SCR/EMA2 du 12 février 1923
au sujet des missions et de l’organisation de l’ambassade soviétique de Berlin agissant
en France.
19. SHD/DAT 7NN 2 456 Projets de voyage de Zinoviev, responsable de la
Troisième Internationale, en France, Italie, Allemagne, Tchécoslovaquie,
1920-1922.
20. AN F7 13 426, note de la SCR/EMA2 du 23 mai 1923 au sujet de la réunion
de l’Internationale et du plan d’un double jeu soviétique à l’encontre de la France.
21. Marc Lazar, Le Communisme, une passion française, Paris, Perrin, 2002,
p. 33 ; voir aussi Annie Kriegel, Stéphane Courtois, Eugen Fried. Le grand secret du
PCF, Paris, Seuil, 1997, 445 p.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Des « contrôleurs » établissent le contact avec des Français recrutés


comme agents. En 1925, le responsable du renseignement à Paris serait
Broussnieff, en contact avec le premier secrétaire d’ambassade Boris Frad-
kine, alias Voline, homme lige de Litvinoff auprès de l’ambassadeur
d’URSS à Paris. Révolutionnaire, ancien journaliste à la Pravda aux
importantes responsabilités, Voline est l’intermédiaire entre Moscou et
les dirigeants communistes français Marcel Cachin, Jacques Doriot,
Albert Treint, Pierre Semard, Suzanne Girault 22… En 1925-1926, leurs
menées secrètes sont traquées par le capitaine Eugène Josset de la SCR,
ancien du poste de renseignement de Constantinople après guerre où il
recruta le Eugène Delimarski le russe blanc pour sa connaissance des diri-
geants soviétiques. Très bon connaisseur de l’espionnage soviétique,
Josset partage ses informations avec le capitaine de frégate Chenouard au
2e bureau Marine. Tous deux sont très vigilants sur l’espionnage sovié-
tique des torpilles des sous-marins français, des matériels aéronautiques,
des ports de guerre et des arsenaux français. À l’été 1924, le Komintern
jette alors son dévolu sur Jean Cremet.

Le tournant des années 1925-1927


En décembre 1925, la dissimulation de l’espionnage politique par la
délégation commerciale, sous le couvert de relations commerciales, ne
laisse plus de doute au contre-espionnage français 23. Un an plus tard, la
SCR démasque le camouflage des menées d’espionnage soviétiques sous

22. AN F7 13 494, ministère de l’Intérieur, notes confidentielles sur l’ambassade


d’URSS, 31 mars 1925. Jean-Paul Brunet, Jacques Doriot. Du communisme au fas-
cisme, Paris, Balland, 1986, p. 41-50 et p. 167-168. Jacques Doriot (1898-1945) est
ouvrier, membre et dirigeant des jeunesses communistes avant d’être arrêté à Noël
1923 et emprisonné à la Santé en 1924. Il est élu député de Saint-Denis en mai
1924, avant d’en être élu maire en 1931. Il participe à la vie du PCF et du Komin-
tern avant de rompre en juin 1934. Il anime la campagne contre la guerre du Rif.
Albert Treint (1889-1971) est le principal partisan de Zinoviev au sein du PCF,
exclu du parti en 1928.
23. SHD/DAT 7NN 2 228, note de la direction de la Sûreté générale, ministère
de l’Intérieur, 15 décembre 1925, à la SCR sur le service de renseignement fonction-
nant sous couvert de la délégation commerciale.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

couvert de la délégation commerciale russe, dirigée par Rosenfeld 24. Au


début de l’année 1926, la Sûreté générale, en liaison avec la SCR, réussit
à introduire un agent qui décrit les locaux de la délégation commerciale
d’URSS rue Taitbout 25. Désormais, les deux services ne vont plus cesser
de coopérer pour connaître toutes les organisations soviétiques, suspec-
tant les transactions commerciales, bien réelles, de camoufler les entre-
prises soviétiques de propagande et d’agitation sur le sol français.
Identifier les agents est une première tâche du contre-espionnage poli-
cier et militaire français, rendue difficile par le cloisonnement strict entre
les responsables, les agents et les informateurs 26. En février 1926, la
Sûreté générale confirme les hypothèses formulées. Elle identifie un cer-
tain nombre d’agents importants de la délégation commerciale à Paris
comme étant des agents avérés de l’OGPU sur lesquels elle a constitué
des dossiers individuels. Ce travail très précis de fichage rend visible
l’étendue de l’espionnage soviétique, à la faveur et sous couvert de ses
activités commerciales et financières 27. L’efficacité de la Sûreté générale
inquiète les Soviétiques qui commencent à rapatrier leurs agents
d’espionnage sous couverture diplomatique à l’été 1926, par crainte de
les voir arrêtés après qu’ils ont été identifiés 28. En effet, l’attaché
commercial Mdivani est en contact avec les agents qu’il recrute et qui sil-
lonnent la France. Depuis l’été 1926, l’ambassade d’URSS se réorganise
progressivement pour réagir aux conséquences de la surveillance fran-
çaise. La Sûreté générale établit l’étendue des activités et l’identité de tous
les personnels qui travaillent à la délégation commerciale soviétique 29.
Quatre-vingt quinze personnes y travaillent, dont quelques Français à des

24. SHD/DAT 7NN 2 228, note de la direction de la Sûreté générale, ministère


de l’Intérieur, 15 décembre 1925, à la SCR sur le service de renseignement fonction-
nant sous couvert de la délégation commerciale.
25. SHD/DAT 7NN 2 228, note du 8 janvier 1926, SR à SCR.
26. AN F7 13 494, ministère de l’Intérieur, note confidentielle du 28 février
1925 au sujet du SR soviétique à Paris.
27. Ibidem, note de février 1926 du directeur de la Sûreté générale communi-
quée à la SCR, 8 p.
28. SHD/DAT 7NN 2 228, note de renseignement nº 377 de bonne source de
la SCR du 14 août 1926 au sujet de l’organisation des services spéciaux soviétiques
en France et à l’ambassade d’URSS.
29. SHD/DAT 7NN 2 228, dossier sur les activités soviétiques : agence
commerciale, ambassade, personnel 1923-1930.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

tâches subalternes. Elles se répartissent dans des sections qui organisent


la spécialisation des recherches d’informations. Il y a les sections écono-
mique, administrative, juridique et des licences. Elles cohabitent avec un
service de l’exportation entre l’Europe et la Russie 30. La couverture
d’affaires commerciales pour dissimuler les activités des partis commu-
nistes européens est prouvée, à l’instar de la visite des membres du parti
communiste espagnol le 7 décembre 1926. La Sûreté générale craint alors
que l’essentiel des services soviétiques ait été transféré de Berlin à Paris.
Or, au printemps 1927, les liens de certains dirigeants du PCF avec
Moscou et ses services secrets ne font plus de doutes à Paris. Quoique très
contestée au sein des instances du PCF, la figure de Jean Cremet est ici
centrale 31. Membre du comité central, puis du bureau politique du PCF,
le conseiller municipal de Paris Jean Cremet fait le lien avec le Komin-
tern et l’OGPU, organisant un réseau d’espionnage au profit de Moscou.
Il a très vraisemblablement été recruté par l’OGPU durant l’été 1924. En
avril 1927, sa responsabilité est démontrée par l’enquête des commis-
saires Louis Ducloux et Faux-Pas-Bidet de la Sûreté générale ; puis
celle-ci est mise au jour par l’instruction du juge Peyre 32. Avant de dispa-
raître, Cremet adresse une lettre ouverte au juge Peyre, parue dans
L’Humanité du 20 avril 1927 et dénonçant comme sans fondement
l’accusation d’espionnage 33. Le 22 avril 1927, le ministre de l’Intérieur,
Albert Sarraut, dénonce l’espionnage : « le communisme, voilà
l’ennemi ! » L’Humanité titre le 27 avril « Une heure avec Cremet »,
publiant un article défendant le camarade en fuite, avant qu’il ne soit éli-
miné du comité central du PCF par Maurice Thorez dès le 28 avril. Le
rassemblement de la CGT unitaire du 1er Mai au Pré-Saint-Gervais
tourne à la défense de Cremet 34. Cremet reste introuvable, sauf dans
L’Humanité du 14 mai. Ouvert le 18 juillet 1927 devant la 11e chambre

30. SHD/DAT 7NN 2 228, note du 15 décembre 1926 sur la composition et le


fonctionnement de la délégation commerciale d’URSS, Sûreté nationale à SCR.
31. SHD/DAT 7NN 2 230 dossier relatif à l’affaire d’espionnage Cremet-
Clarac, agents du SR soviétique, membres de la Troisième Internationale. Cremet est
né en 1892.
32. Rémi Kauffer, Roger Faligot, op. cit., p. 187-189. Louis Ducloux est respon-
sable de la traque des espions à la Sûreté générale, et en 1927 de la section française
rattachée à Interpol.
33. L’Humanité, 20 avril 1927.
34. Michel Dreyfus, Histoire de la CGT, Bruxelles, 1995, n’en dit mot.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

correctionnelle de la Seine, le procès de sept personnalités communistes


dévoile à l’opinion publique, en dépit de leurs dénégations systématiques,
la nature des échanges entre les services secrets soviétiques et certains diri-
geants français du PCF 35. Ils sont condamnés à des peines de prison de
deux mois à cinq ans, maximum encouru par la loi de 1886. Écopant de
cinq ans de prison, Cremet s’est déjà enfui à Moscou, avant de dispa-
raître en Chine lors d’une mission confiée par le Komintern 36. En 1927,
des affaires d’espionnage soviétique éclatent dans huit pays européens,
mais l’action de l’OGPU est encore largement méconnue 37. En France,
Geo London publie en 1927 son livre Elle a dix ans, la Russie rouge
qui dénonce la violence meurtrière de l’OGPU menant à la déportation
les dissidents 38. En 1927, l’image de l’URSS se dégrade à nouveau en
France.
Dans l’esprit du contre-espionnage français, l’affaire de la société
commerciale Arcos, ou « All-Russian Cooperatives Society », perquisi-
tionnée en Angleterre, est une nouvelle démonstration de la duplicité
soviétique. Installée à Londres et Paris depuis 1921, cette société regrou-
pant les coopératives soviétiques propose les échanges commerciaux par
du troc sous contrôle de l’État 39. La coopération avec Londres permet
aux autorités françaises de neutraliser durant l’été 1927 les activités
d’espionnage russes sous couverture commerciale de sa filiale française.
La presse française couvre l’événement à la suite du Temps les 15 et

35. Rémi Kauffer, Roger Faligot, op. cit., p. 233-237. Les accusés étaient
défendus Me Pierre Berthon, découvreur de l’existence du carnet B avant-guerre, et
Me Henri Torrès, ténor du barreau de Paris. Rémi Kauffer, Roger Faligot, L’Hermine
rouge de Shanghai, Les Portes du Large, Rennes, 2005.
36. Annie Kriegel, Les Communistes français : essai d’ethnographie politique, Paris,
Seuil, 1968, rééd. 1985, p. 131, 242 et 263. Cremet disparaît en Chine en 1931,
meurt en 1973.
37. Christopher Andrew, Vassili Mitrokhine, Le KGB contre l’Ouest 1917-1991,
Paris, Fayard, 2000, p. 66 ; Serge Berstein, Jean-Jacques Becker, op. cit., p. 193-197.
38. Géo London, Elle a dix ans, la Russie rouge !, Paris, Fayard, 1927,
p. 221-223, Maurice Laporte, Espions rouges. Les dessous de l’espionnage soviétique en
France, Paris, Librairie de la Revue française, 1929.
39. Sophie Cœuré, op. cit., p. 54 et p. 127-128 sur l’image de l’URSS en 1927.
L’Arcos ferme son implantation de Paris en 1923 pour ne garder, un temps, que celle
de Londres.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

16 mai 1927 40. Une mission de coordination de la police française est


ordonnée par le ministère de l’Intérieur. Le commissaire Parenty est
envoyé à Londres le 24 mai 1927. L’information est partagée à deux
niveaux, entre l’attaché militaire français à Londres et le ministère
anglais, au niveau politique par des échanges entre les dirigeants des deux
pays. À l’échelle de la coopération technique, une mission est ainsi
conduite le 24 mai 1927, à la demande de Londres, par le commissaire
spécial de Calais Parenty. Les Anglais doivent lui communiquer les docu-
ments trouvés dans des coffres-forts et dans la salle du chiffre du siège
londonien d’Arcos : des instructions, des opérations de propagande
communiste, des noms d’agents et des codes 41. L’attaché militaire
français suggère d’engager une coopération entre la police française et
Scotland Yard qui autoriserait de suivre les menées soviétiques dans les
deux pays. En effet, la France risque de devenir désormais le centre des
menées soviétiques sur l’Angleterre 42. La perquisition d’Arcos à Londres
provoque la réorganisation des services de l’attaché commercial à
l’ambassade d’URSS à Paris, par crainte de représailles. Ce dernier super-
vise le travail des agents en Belgique et en France depuis Paris. Au prin-
temps 1927, les autorités françaises sont pourtant réticentes à renforcer
cette coopération. Elles réagissent aux développements de l’affaire Arcos,
sans approfondir la coopération avec Londres. D’après un document offi-
ciel allemand, les services secrets ne sont pas physiquement abrités à
l’ambassade. Ils seraient déployés à Bordeaux, à Saint-Quentin, à Mar-
seille pour les liaisons avec l’Afrique et l’Orient, au Havre, à Lyon, à
Bruxelles 43. En 1928, une source émanant de milieux russes antisovié-
tiques à Paris offre à la SCR d’identifier les agents de l’OGPU au sein
de la délégation commerciale d’URSS à Paris, dont son responsable

40. Le Temps, 16 mai 1927, « La Grande-Bretagne et les soviets. Les perquisi-


tions à Soviet House ».
41. SHD/DAT 7NN 2 228, rapport du commissaire spécial de Calais Parenty à
l’attaché militaire français au sujet des information communiquées par Scotland Yard
après la perquisition de l’Arcos, 25 mai 1927.
42. SHD/DAT 7NN 2 228, rapport du général Després, attaché militaire
français à Londres au ministre de la Guerre, 26 mai 1927. Christopher Andrew,
Secret Service. The Making of the the British Intelligence Community, Londres,
W. Heinemann, 1985, p. 297-298.
43. SHD/DAT 7NN 2 228, note de la SCR sur les services secrets russes en
France, 18 mars 1927, 2 p. (de source documentaire officielle allemande).

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

Rosenfeld, en recoupant ses informations. Certains ont déjà été refoulés


par la France, à l’instar de Slitkine en mars 1926. Il s’est replié à la délé-
gation commerciale de Berlin 44. Alexandre Rosenfeld passe pour un des
chefs, aux côtés de Wladimir Rasovsky, chef du service des passeports. La
liste de la SCR comporte 25 noms que la section peut croiser avec la liste
des milieux réfugiés russes. Elle la confronte à la liste des membres de
l’ambassade d’URSS qu’elle tient à jour depuis l’installation, en
décembre 1924, de Krassine comme ambassadeur d’URSS en France.

La lutte contre le Komintern et l’idéologie communiste

Comment lutter contre le Komintern ?


La lutte contre l’Internationale communiste est pratiquement
contemporaine de sa création à Moscou en mars 1919 45. La mission en
incombe d’abord à la Sûreté générale qui a manifesté des efforts constants
pour percer l’identité des agents du Komintern en Allemagne de 1920 à
1925, en France durant toute la période. La bataille n’est cependant pas
menée en première ligne par le contre-espionnage militaire de 1919 à
1921. Il n’a pas les moyens humains de mettre en œuvre une telle surveil-
lance. La responsabilité de coordonner le contre-espionnage à l’étranger
lui incombe en revanche au printemps 1921, confirmée par une instruc-
tion du 26 novembre 1924 du ministère de la Guerre. Cette surveillance
des activités du Komintern à l’étranger a tendu à se confondre, pour la
majorité des agents français, avec les activités soviétiques. En France, la
surveillance de certains militants du PCF dévoile les liens du parti avec
le Komintern. La Sûreté générale commence d’échanger très tôt les
résultats de ses investigations avec les services du colonel Lainey, dès
1920-1921 46.

44. SHD/DAT 7NN 2 228, note de la SCR sur des membres de la délégation
commerciale travaillant pour l’OGPU.
45. Pierre Broué, Histoire de l’Internationale communiste 1919-1943, Paris,
Fayard, 1997, p. 15-19 ; Taline Ter Minassian, Colporteurs du Komintern. L’Union
soviétique et les minorités au Moyen-Orient, Paris, Presses de Sciences Po, 1997,
p. 84-100 sur les structures mouvantes de la diplomatie soviétique.
46. Sophie Cœuré, op. cit., p. 75-76.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

En mars 1921, la Sûreté générale identifiait déjà les différents centres


de la propagande du Komintern pour l’Europe à Paris, Berlin, Prague,
Stockholm, Rome et Andrinople. Paris coiffe par exemple l’organisation
pour la France, l’Angleterre, l’Irlande, la Belgique, la Hollande,
l’Espagne, le Portugal 47. La connaissance des membres du comité exé-
cutif, les réunions et les instructions du Komintern est un objectif
constant. La compréhension de la nature réelle de l’action exercée par
Moscou et par l’appareil même du Komintern lui est naturellement plus
opaque. Pour autant, la Sûreté générale identifie l’action du Komintern
à celle de l’URSS. La liaison entre les activités de la Tchéka jusqu’en
1922, puis de l’OGPU en France avec les menées du Komintern, retien-
nent l’attention des services policiers et militaires. Mais la difficile identi-
fication des militants du Komintern retarde le plus souvent la mise au
jour des menées réelles de leurs agents. La surveillance des Kominter-
niens est en réalité très imparfaite. La difficulté tient à la réunion d’une
documentation d’inégale valeur, redevable à de multiples agents rému-
nérés qui ne vérifient pas souvent la valeur des informations rassem-
blées. Le caractère international de cette traque affaiblit en outre son
efficacité. Tout autre est au même moment la surveillance systématique
policière du PCF, qui fait découvrir le fonctionnement de la section fran-
çaise du Komintern.
En avril 1925, le contre-espionnage français est parvenu à recruter
comme agent un militant communiste qui participe à l’assemblée plé-
nière du comité exécutif de l’Internationale communiste. Ce dernier livre
l’information des reproches adressés par les dirigeants français Albert
Treint et Suzanne Girault au faible soutien dont jouirait la section fran-
çaise du Komintern. L’origine soviétique d’un financement du PCF est
alors déjà une réalité 48. Suzanne Girault se plaint des effets de la diminu-
tion des subsides au parti français, l’empêchant d’organiser et de sou-
tenir les manifestations des communistes en France. Elle exige une
augmentation des subsides et un versement indépendant immédiat de
500 000 F. Le comité exécutif de l’Internationale communiste refuse
pourtant, d’après l’indicateur, de verser les subsides demandés. Zinoviev

47. AN F7 13 424, note de la Sûreté nationale de mars 1921 au sujet des centres
de propagande de la Troisième Internationale en Europe.
48. Victor Loupan, Pierre Lorrain, L’Argent de Moscou : l’histoire la plus secrète du
PCF, Paris, Plon, 1994, p. 17-20.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

critique enfin l’organisation du PCF en soutenant que les directives de


l’Internationale communiste concernant la bolchevisation du parti ne
sont que faiblement suivies 49. Le renseignement est typique de ceux col-
lectés dans les années 1920. Les liens du PCF et du Komintern sont donc
observés étroitement sous l’angle des circuits de financement du parti.
Les arrestations de militants ou les perquisitions chez des dirigeants
communistes constituent un second moyen après l’emploi d’informa-
teurs ou de mouchards pour avoir une meilleure connaissance du fonc-
tionnement du Komintern. L’affaire de la perquisition du domicile de
Suzanne Girault au printemps 1925 en est une illustration. Les incidents
qui ont éclaté entre des mouvements de jeunesse et les jeunesses commu-
nistes ont conduit la Sûreté générale à diligenter une enquête sur des diri-
geants du PCF 50. Des documents sont trouvés chez Suzanne Girault au
cours d’une perquisition fin avril 1925. L’organisation récente des jeu-
nesses communistes et leur service d’ordre, des documents divers sur les
activités du PCF et sur les congrès de l’Internationale communiste, la
présence matérielle enfin des fonds reçus de Moscou (soit 30 000 dollars)
donnent au juge d’instruction Bernand des pièces inédites sur les liens
entre le PCF et l’Internationale communiste. La liste des adresses clan-
destines à l’étranger et des correspondances multiples est aussi la preuve
des échanges avec les autres partis communistes européens 51. On sait que
l’affaire judiciaire fragilise la position de Suzanne Girault dont les
méthodes autoritaires et la ligne politique défendue au comité central du
PCF commencent à être contestées au sein des instances dirigeantes du
parti durant l’hiver 1925. Un procès-verbal détaillé des débats du
5e comité exécutif du Komintern du printemps 1925, rédigé par Pierre
Semard et résumant la teneur des débats et des positions de la déléga-
tion du PCF, a été trouvé à son domicile. L’influence de Moscou sur la
désignation des dirigeants du PCF y est clairement exposée. L’organisa-
tion du PCF sur la base des cellules et le développement des fédérations y

49. SHD/DAT 7NN 2 648, note nº 2322 de la SCR/EMA2 du 28 avril 1925


au sujet d’une information sur le refus de subvention de l’Internationale communiste
au PCF par un agent à l’essai. Dossier sur la surveillance du PCF et de l’IC de 1922
à 1925.
50. Jean-Paul Brunet, op. cit., p. 229-232 sur les effectifs du Parti populaire
français.
51. SHD/DAT 7NN 2 648, note de la SCR/EMA2 sur les adresses illégales
communiquées par Overstraeten à S. Girault.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

sont détaillés. Surtout, le débat sur l’application du front unique et la


bolchevisation du parti, au cœur des débats internes du PCF en 1925,
sont désormais connus du contre-espionnage français 52. La création
d’une école léniniste formant les camarades pendant deux mois à l’agita-
tion et à la propagande y est annoncée 53. La 6e session du comité exécutif
de l’Internationale communiste à Moscou du 17 février au 15 mars 1926
est suivie avec minutie par la Sûreté générale 54. Les rapports établis par
la Sûreté générale, dénonçant la main de l’étranger, se multiplient en
1925-1926. Le PCF ne cessa plus d’être dénoncé comme le parti de
l’étranger en France 55, par de nombreux journaux d’opinion, mais aussi
par la grande presse d’information rangée derrière Le Matin, qui avait
suivi les démêlés de Suzanne Girault avec la Sûreté générale 56, et Le Petit
Parisien 57. L’Action française a redoublé de sa colère nationaliste en repre-
nant l’antienne de la trahison. Le Matin récidiva en publiant, en octobre
1931, le récit sensationnel de l’Arménien George Agabekov, transfuge de
l’OGPU qui avait été directeur de son département Orient en
1928-1929 ; ex-résident à Constantinople, il avait publié à Berlin un
ouvrage sur les méthodes du Komintern au Moyen-Orient et en Perse 58.
Cette surveillance des liaisons du PCF avec le Komintern n’a pas varié
d’intensité dans les années 1920 et 1930, avec toutefois des résultats iné-
gaux. La Sûreté générale et les officiers de contre-espionnage parvien-
nent en 1924 à une compréhension très fine du fonctionnement et de
l’organisation des sections du Komintern. La section dirigée par Zino-
viev, Radek et Poucharine, comptant 35 collaborateurs de toute nationa-
lité, assure la propagande dans différents pays du monde. Le
contre-espionnage policier et militaire a la confirmation que la section

52. SHD/DAT 7NN 2 648, copie du rapport de P. Semard sur les débats du
5e congrès de l’Internationale communiste, 17 p., communiquée par la Sûreté géné-
rale à la SCR le 12 mai 1925.
53. Ibidem, p. 4
54. Jacques Girault, Benoît Frachon communiste et syndicaliste, Paris, PFNSP,
1989, p. 75-77 et 91-92.
55. Jean-Jacques Becker, Serge Berstein, op. cit., p. 124-126.
56. Le Matin, 2 mai 1925.
57. Francine Amaury, Histoire du plus grand quotidien de la Troisième Répu-
blique : le Petit Parisien (1876-1944), Paris, 1972, volume 2, p. 210-212.
58. Taline Ter Minassian, op. cit., p. 141-144. Il fut assassiné en Belgique par le
NKVD en 1938. Le Matin, 26-30 octobre 1930.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

française y est animée par Jacques Sadoul, René Marchand et Georges


Lafont. Les différentes organisations sont mises au jour progressive-
ment 59. Dans les années 1930, le Secours rouge international, orga-
nisme affilié au Komintern, est particulièrement suivi pour connaître les
réfugiés communistes fuyant l’Allemagne par la Hollande. Puis la propa-
gande cible l’impérialisme colonial européen. La mise au jour des sec-
tions nationales du Komintern est un autre but avoué, car la division des
dirigeants du PCF est attentivement suivie par les partis communistes
européens. Cette surveillance inhabituelle offre une analyse critique sur
les équilibres et les influences des partis communistes nationaux au sein
du Komintern 60. Elle suggère que Paris succède peu à peu à Berlin pour
devenir le centre de rayonnement de la propagande internationale des
Soviétiques. La section tchécoslovaque du Komintern est également
étroitement suivie depuis 1922 à Prague par le poste des services spé-
ciaux français 61. Les consignes du Komintern sont communiquées à ses
agents et aux membres du parti communiste tchécoslovaque par la liaison
de Philip Dobrovolny, chef du bureau d’information de la section tché-
coslovaque du Komintern. D’une manière générale, l’analyse des ser-
vices spéciaux militaires et de la Sûreté générale des activités du
Komintern se fige en une doctrine anticommuniste définitive. Elle trouva
à s’employer dans la lutte contre les activités propagandistes de l’Interna-
tionale communiste.

La répression des agissements et des agents du Komintern


Les réfugiés ont constitué un milieu de recrutement privilégié des
agents soviétiques. Les activités internationales du Komintern et son
organisation transfrontalière gênent l’efficacité des recherches françaises.
L’action du contre-espionnage français a été fructueuse dans la répres-
sion des agissements du Komintern. Longtemps polarisé par l’Allemagne,

59. SHD/DAT 7NN 2 449, compte rendu de renseignements spéciaux des ren-
seignements généraux adressé à la SCR/EMA2 le 14 janvier 1924 au sujet des rela-
tions du Komintern avec les partis communistes étrangers.
60. SHD/DAT 7NN 2 648, note nº 7 de l’EMAC du 1er février 1926 au sujet
de la situation du PCF appréciée par les milieux communistes genevois.
61. SHD/DAT 7NN 2 648, compte rendu de renseignements spéciaux nº 116
du 8 janvier 1923 sur le communisme et les activités de la mission soviétique en
Tchécoslovaquie.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

le contre-espionnage militaire français peine à répondre au défi de l’iden-


tification des agents du Komintern dans les années 1930. L’univers des
réfugiés européens fuyant le fascisme est un milieu perméable à la propa-
gande du Komintern. La récupération des antifascistes allemands au
milieu des années 1930 a mis en lumière toutes les difficultés possibles de
leur accueil en France. La suspicion de communisme à leur encontre ne
cesse pas. La surveillance des organisations internationales du Komintern
explique les hésitations des services spéciaux policiers et militaires à auto-
riser leur installation en France.
L’importance du rôle du Secours rouge international en est la pre-
mière explication. En 1936, la tenue en Hollande du Congrès mondial
de la paix Amsterdam-Pleyel pique la curiosité du contre-espionnage
français 62. Puis les réunions de mouvements pacifistes internationalistes
sont suivis de près par crainte de leur manipulation par le Komintern 63.
L’aide du Secours rouge international apportée aux réfugiés antifascistes
en Hollande en 1935-1936 est conséquente. Responsable du poste de La
Haye, Dorange y décèle en janvier 1936 l’action camouflée systéma-
tique d’une « croix-rouge antifasciste ». Les notes politiques qu’il adresse
à Paris sur l’action communiste en Hollande témoignent alors d’une
information vraisemblablement puisée à des sources officielles hollan-
daises, en dépit de l’absence d’accord officiel entre les deux États. Au
milieu des années 1930, il complète un fichage de tous les Allemands
exilés avec leur opinion politique supposée, communiqué à Paris. Les
informations réunies dessinent une géographie de l’exil des réfugiés euro-
péens. Leurs routes clandestines croisent la France quand ils ne sont pas
expulsés ou interdits d’entrée sur le territoire français. La coopération
entre les services consulaires de passeports et les postes de renseignement
à l’étranger a une fonction cruciale : celle-ci permet de découvrir les can-
didats à un recrutement par les services secrets et de faire refluer les
agents d’une puissance ennemie. Au milieu des années 1930, la Hol-
lande est une plaque tournante des candidats à l’exil en Europe occiden-
tale. Dorange adresse à Paris régulièrement des fiches, transmises à la

62. Pascal Ory, Jean-François Sirinelli, Les Intellectuels en France de l’affaire


Dreyfus à nos jours, Paris, Colin, 1986, p. 105-114.
63. SHD/DAT 7NN 2 321, note de Dorange nº 8852 La Haye à SCR/EMA2
du 8 septembre 1936 sur le soutien de Moscou aux mouvements pacifistes en
Europe occidentale.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

Sûreté générale et à la préfecture de Police de Paris. Le Secours rouge


international y tient un congrès en décembre 1935 64.
Une quarantaine de fiches conservées en 1936-1937 dessinent le por-
trait collectif des communistes allemands fuyant l’Allemagne. Une note
du 3 avril 1936 mentionne l’expulsion de 17 communistes des Pays-Bas.
À l’image de celle de Kaspar Wessels rédigée le 18 janvier 1937, elles sont
brèves.
« Né en 1908, arrêté à Amsterdam sans papiers, il est membre du Kampf-
bund gegen der Fascismus à Oberhausen. Réfugié en Belgique où il a été secouru
par le Secours rouge international, il est revenu aux Pays-Bas en 1936. Sera très
vraisemblablement reconduit à la frontière 65. »
Cette surveillance ne se relâche plus car les ports hollandais sont des
points de passage stratégiques vers la Belgique et la France pour les bail-
leurs de fonds du Komintern. Après les nombreux congrès communistes
internationaux en 1936, la tenue du Rassemblement universel pour la
paix à Bruxelles en septembre 1936 a achevé de désigner la Hollande
comme le carrefour de ces mouvements à surveiller de façon particu-
lière 66. Les associations et les mouvements révolutionnaires européens
installés et réfugiés en Hollande sont constamment étudiés par le rensei-
gnement français de 1934 à 1938 67. L’histoire des mouvements paci-
fistes financés par Moscou est scrutée attentivement. Les menées
activistes du Komintern dans les colonies néerlandaises depuis la Hol-
lande retiennent logiquement l’attention du poste secret français de La
Haye 68. La propagande anticoloniale du Komintern y est disséquée
comme la rupture avec les communistes locaux après que le Komintern
n’a pas soutenu les troubles de 1927.

64. SHD/DAT 7NN 2 321, note nº 8258 de Dorange, La Haye,à la SCR/


EMA2 du 8 janvier 1936 au sujet du congrès du SRI tenu aux Pays-Bas en décembre
1935.
65. SHD/DAT 7NN 2 321, note de l’attaché naval américain du 17 décembre
1936 au sujet de l’activité des communistes en Hollande et en Belgique.
66. SHD/DAT 7NN 2 321, note nº 9054 de Dorange à la SCR/EMA2 du
2 décembre 1936 au sujet du mouvement révolutionnaire en Hollande.
67. SHD/DAT 7NN 2 321, notes de Dorange, La Haye, à Depas SCR/EMA2
du 24 septembre 1936 et du 3 février 1937 au sujet des mouvements révolution-
naires en Hollande. Dossier de surveillance dont les activités communistes en Hol-
lande, 1934-1937, 637 p.
68. SHD/DAT 7NN 2 321, note de Dorange, la Haye à la SCR/EMA2 de fin
décembre 1936 au sujet de la situation politique aux Indes néerlandaises.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Lors des réunions interministérielles du renseignement du 17 sep-


tembre 1937, le ministre de l’Intérieur Marx Dormoy définit vertement
« le caractère intolérable de cette implantation massive d’étrangers de
toutes nationalités qui font de la France un laboratoire d’espionnage et
de propagande politique. La Défense nationale est directement menacée
par la présence, sur notre territoire, de 3,8 millions d’étrangers en France
dont 500 000 Espagnols 69. » Le 29 septembre, il fait une déclaration
devant la même commission en expliquant sa future proposition au
conseil des ministres de mesures pour endiguer les activités politiques des
Espagnols réfugiés en France. La vision est quelque peu restrictive des
traditions d’accueil françaises. Elle soulève toutefois le problème, du
point de vue de la sécurité nationale, des facilités d’appui et de recrute-
ment d’agents dans les communautés étrangères en France, tant pour
l’Allemagne que pour l’URSS. La surveillance des kominterniens les plus
influents rencontra cependant bien des vicissitudes, en suivant la traque
d’un agent célèbre, Willy Münzenberg.
Réfugié à Paris dès l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne, Willy
Münzenberg (1899-1940) est parmi les plus importants agents de la pro-
pagande du Komintern 70. Chef d’orchestre de la propagande antifasciste
kominternienne, il a eu une action déterminante dans la mobilisation de
esprits en France en 1933-1935. Son rôle est central dans la création du
comité international d’aide aux victimes du fascisme hitlérien qui enrôle
l’écrivain Arthur Koestler 71. S’il est rapidement fiché par la police fran-
çaise et ses menées découvertes, son bras droit Otto Katz, alias André
Simone, d’origine tchèque, est longtemps resté dans la clandestinité dans
les années 1930. Cette affaire illustre les limites de la coopération entre
la Sûreté nationale, la SCR et le contre-espionnage anglais du MI5. De
fait, la fin du bureau interallié de renseignement et de la mise à jour
commune de son fichier avec Londres en 1924 prive la France d’un outil
précieux pour mettre en œuvre cette lutte. À la fin des années 1930, plus

69. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du 29 septembre 1937 de la confé-


rence interministérielle du renseignement, p. 1-2.
70. Sophie Cœuré, op. cit., p. 133-144 ; Willi Münzenberg (1899-1940). Un
homme contre, actes du colloque international d’Aix-en-Provence, 26-29 mars 1992,
éd. Le Temps des cerises, 1993.
71. Christopher Andrew, Oleg Gordievsky, Le KGB dans le monde 1917-1990,
Paris, Fayard, 1990, p. 191-192. Il est présent au congrès fondateur de l’IC, secré-
taire de la KIM jusqu’en 1921. Pierre Broué, op. cit.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

étonnante est l’absence de coordination avec Londres pour comprendre


l’écheveau des organes du Komintern, des services secrets soviétiques et
de leurs éventuelles liaisons militantes avec le PCF en France 72. Après les
affaires Cremet en 1927 et Rabaté en 1928, il y avait eu un cloisonne-
ment progressif entre les réseaux secrets soviétiques et les organisations
politiques et syndicales communistes européennes.
Un dossier est ouvert au nom de Katz par la section de centralisation
de renseignements quelques semaines après son arrivée à Paris avec Mün-
zenberg, sur la base d’une information communiquée par la Sûreté géné-
rale 73. Ce dossier ne comporte qu’une vingtaine de pièces, d’origine
essentiellement policières. C’est bien la Sûreté générale qui traque ce diri-
geant du Komintern 74. La première fiche qui lui est consacrée le 28 avril
1933 porte mention de sa proximité avec Münzenberg. Installé à Paris
depuis le 1er avril 1933, il est le principal rédacteur du Livre brun sur
l’incendie du Reichstag et la terreur hitlérienne, publié initialement en
Grande-Bretagne. Le livre est l’outil d’une efficace campagne antifasciste
orchestrée par Münzenberg en Grande-Bretagne et en France dans les
mois suivants. Son rôle échappe à la SCR qui ne voit en lui qu’un agent
d’espionnage en avril 1933. Avec Münzenberg, Katz s’est rendu à
Londres pour organiser en septembre 1933 un contre-procès symbo-
lique du procès des communistes allemands accusés d’avoir provoqué
l’incendie du Reichstag. Katz figure déjà sur la liste des communistes très
surveillés du MI5 qui s’était opposé en vain à l’autorisation officielle de
son entrée sur le sol anglais 75. En mai 1935, Katz est également inconnu
de la préfecture de Police de Paris en dépit de ses liens avec le journa-
liste Geoffroy Frazer, supposé être un agent communiste. En avril 1938,
une nouvelle fiche le suspecte d’être à la tête d’une organisation de ren-
seignement du Komintern. Surprenante, l’expression est pour le moins
imprécise pour qualifier le bras droit de Münzenberg. Sa surveillance par
les inspecteurs de la préfecture de Police de Paris et de la Sûreté nationale

72. José Gotovitch, Mikhaïl Narinski et alii, Komintern : l’histoire et les hommes.
Dictionnaire biographique de l’Internationale communiste, Paris, Les Éditions
ouvrières, 2001, 604 p. Annie Kriegel, op. cit., 1985, p. 302-303.
73. SHD/DAT 7NN 2 425, dossier individuel de la SCR/EMA2 sur Otto Katz,
né le 27 mai 1895 en Tchécoslovaquie.
74. Sophie Cœuré, op. cit., p. 49-52 sur le rôle de Münzenberg dans la propa-
gande du Komintern à Paris depuis 1926.
75. Christopher Andrew, Oleg Gordievski, op. cit., p. 193-194.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

rappelle les difficultés de la coordination des différents services de la


police entre eux en région parisienne. Le premier échange de renseigne-
ments sur Katz du contre-espionnage militaire avec Londres date du 20
septembre 1938. En janvier 1939, il est tardivement suspecté d’être le
successeur de Münzenberg à la tête du centre du Komintern. Une
enquête de la préfecture de Police de Paris échoue à prouver toute culpa-
bilité dans quelque agissement suspect en avril 1939. Une fiche plus
complète détaille son itinéraire en décembre 1939 lorsqu’il s’emploie à
Genève 76. Connu, à cet instant, sous le pseudonyme de « OK Simon »
avec lequel il a signé en 1938 un livre de propagande sur L’Espagne rouge,
son itinéraire de la Hongrie révolutionnaire de Bela Kun des années 1920
à une collaboration avec Georges Dimitrov l’a conduit en Suisse.
Démontrant la médiocrité de son information sur l’URSS et le Komin-
tern, le contre-espionnage militaire l’identifie en décembre 1939 comme
l’un des simples distributeurs de fonds de la propagande soviétique,
notamment à la presse française en 1938. Rivet demande alors son arres-
tation et son internement dans un « camp de concentration ». Or, il a
déjà remplacé en 1938 Münzenberg à la tête du centre du Komintern à
Paris. En définitive, l’enquête sur Otto Katz révèle les très médiocres
résultats du contre-espionnage militaire et policier pour mettre à jour
leurs connaissances d’un responsable important du Komintern à Paris.
Ce ne furent pas les seuls insuccès.

Les cibles politiques et technologiques françaises de l’espionnage


soviétique

Une stratégie globale d’espionnage


Il n’y pas lieu de réexaminer ici l’histoire des relations franco-sovié-
tiques de 1919 à 1939 à l’aune d’une histoire du renseignement. La
reconnaissance internationale de l’État soviétique et la participation aux
organisations internationales ont été un but politique constant de
l’URSS. Cette volonté de Moscou fait mieux comprendre les raisons

76. SHD/DAT 7NN 2 425, note pour la direction générale de la Sûreté natio-
nale de la SCR/EMA5 nº 16013 du 14 décembre 1939, signée Rivet, à propos
d’Otto Katz.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

pratiques de l’espionnage des plus hautes personnalités françaises qui


tiennent dans leurs mains une part des décisions internationales intéres-
sant l’URSS. Ces aspects n’excluent pas un spectre d’activités de l’espion-
nage soviétique plus large, à savoir dans le domaine diplomatique ou
économique au sens large. La puissance militaire est recherchée très tôt,
par une ambition technologique appliquée au domaine militaire en
particulier.
L’évolution de la situation politique française est attentivement
scrutée par les Soviétiques. Les échéances électorales en sont un moment
particulièrement sensible. Ces élections suscitent l’intérêt des observa-
teurs étrangers et des services de police français. Les rapports hésitent
entre les prévisions sérieuses et les obsessions du complot de l’étranger.
L’achat et la manipulation des journaux, auxquels une influence exa-
gérée est prêtée, figurent au rang des conclusions les plus fréquentes et
les moins démontrées. Si la Sûreté générale a soupçonné en 1919 la res-
ponsabilité des services secrets allemands dans des subventions à des can-
didats aux élections législatives 77, elle prête aux services soviétiques la
volonté d’influencer le cours du scrutin législatif du printemps 1924. Par
un activisme imaginatif, la Sûreté générale devance les combats de Cle-
menceau contre l’Allemagne et ceux de Poincaré contre les soviets.
Depuis l’été 1923, le succès électoral d’Herriot et de Painlevé est envisagé
à Moscou. Les élections législatives de 1924 furent suivies avec acuité, en
raison des espoirs d’une reconnaissance de l’URSS refusée par le gouver-
nement Poincaré. Des liaisons épistolaires interceptées entre la Tchéka à
Berlin et Moscou, la Sûreté générale conclut que les dirigeants sovié-
tiques espèrent une position plus ouverte de la nouvelle majorité parle-
mentaire française 78. Sans surprise, l’analyse de la note interceptée
démontre un suivi étroit des débats politiques français et des négociations
entre les partis en vue des élections de 1924. Moscou mise sur une atti-
tude plus favorable du Cartel des gauches sur le plan des échanges écono-
miques. Les renseignements obtenus par le contre-espionnage militaire à
l’étranger sortent aussi parfois de sa stricte spécialisation militaire.

77. AN F7 13 426, note de l’attaché militaire à Berne à la Sûreté générale du


3 juin 1919 au sujet des instructions données par l’Allemagne à des agents en France
pour subventionner des candidats aux élections législatives.
78. AN F7 13 426, note de la Sûreté générale du 11 août 1923 au sujet du plan
des soviets en France.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

En février 1924, les projets d’action spéculative qu’aurait eu Moscou


pour fragiliser le gouvernement Poincaré sont analysés, sans concertation
toutefois avec les informations que les attachés commerciaux et financiers
français à l’étranger auraient pu recueillir. Le moyen aurait résidé dans
une spéculation baissière contre le franc afin de déstabiliser davantage le
gouvernement Poincaré avant les élections législatives. Si elle a véritable-
ment été mise en œuvre, cette mesure punitive, difficile à apprécier, vise-
rait à sanctionner un gouvernement très hostile à la reconnaissance des
soviets. L’analyse dresse l’hypothèse qu’elle entrerait dans le cadre d’une
propagande tendant à prouver que la baisse du franc est amplifiée par la
rupture des échanges économiques entre la Russie soviétique et la
France 79. Ce serait en outre une aide indirecte au PCF, passablement
affaibli par la répression anticommuniste vigoureuse du gouvernement
Poincaré. Les établissements bancaires et les hommes d’affaires suscep-
tibles de s’engager dans cette spéculation sont recensés : banque d’État de
Moscou d’Aaron Scheinmann, banque russe pour le commerce à Moscou
de Olef Ashberg ; enfin une liste des spéculateurs internationaux russes
et étrangers est dressée 80. L’analyse renvoie à la place des banques sovié-
tiques dans le système bancaire international dans les années 1920.
L’enquête se poursuit par des recherches individuelles sur l’identité et les
agissements des spéculateurs. Elle démontre ainsi la spéculation de
l’homme d’affaires Wladimir Wassilief, directeur à Stockholm de la suc-
cursale suédoise de la Dollar Tradind Finance Corporation. Sa banque
spécule en 1924 en vendant du franc à découvert. L’ampleur et l’effet réel
de cette spéculation sont délicats à établir en mars 1924 81. Les notes du
contre-espionnage militaire et policier assimilent hâtivement tout
communiste étranger à un agent du Komintern. Cette dénonciation de
principe de tous les communistes suspectés d’être des colporteurs du
Komintern accrédite pour la Sûreté générale la thèse du complot

79. « La politique extérieure économique de la France dans l’entre-deux-


guerres », in Relations internationales, nº 13, printemps 1978.
80. SHD/DAT 7NN 2 626, note de la SCR/EMA2 du 2 février 1924 au sujet
de la collaboration des soviets à la baisse du franc.
81. SHD/DAT 7NN 2 626, note nº 8326 de la Sûreté nationale du 6 mars 1924
au sujet de la participation de W. Wassilief à la spéculation contre le franc.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

permanent 82. Si la victoire du Cartel des gauches aux élections législa-


tives nourrit a posteriori cette vision anticommuniste, la police française
ne conclut pas pour autant à la réussite d’un complot électoral.
Toutefois, en juillet 1924, l’OGPU perd patience devant le peu
d’empressement d’Édouard Herriot à « s’occuper de la question russe ».
La reconnaissance officielle du gouvernement soviétique par la France est
souhaitée sans négociation préalable 83. En octobre, l’attitude des milieux
d’affaires français est interprétée comme un signe favorable. Mais l’acti-
visme mené auprès de ces milieux n’est pas étudié par la Sûreté géné-
rale 84. La reconnaissance officielle de l’URSS le 28 octobre 1924 est un
tournant, notamment dans les efforts déployés par les services secrets
soviétiques 85. Ceux-ci peuvent maintenant s’appuyer en France sur
l’ambassade d’URSS, sur la délégation commerciale et sur la société Arcos
en déployant à Paris leurs moyens humains d’espionnage. Dans le même
temps, la Sûreté générale poursuit ses activités de contre-espionnage à
Berlin. Elle y dispose d’agents efficaces qui collectent toujours de l’infor-
mation sur la propagande de l’Internationale en France. En avril 1925,
les difficultés du gouvernement d’Herriot et les scénarios d’un nouveau
gouvernement sont l’objet de questions de Moscou. Mais, en 1925,
l’action du contre-espionnage français depuis Berlin pour enrayer les acti-
vités des services secrets soviétiques se ralentit ; elle se déplace géographi-
quement à Paris où se développe l’organisation secrète soviétique depuis
1922-1923.
Ministre de la Guerre depuis novembre 1925, il ne semble pas que
Paul Painlevé ait prêté aux manœuvres secrètes de l’URSS en France un
intérêt supérieur à l’évolution interne de ce pays. Dans ses archives

82. Frédéric Monier, L’Apparition du complot communiste en France 1920-1932 :


le pouvoir d’État et l’opinion publique face à la section française de la troisième Interna-
tionale dans les années vingt, Lille, Atelier des thèses, 1996, 2 vol., 396 p.
83. AN F7 13 426, note de la Sûreté générale du 7 juillet 1924 au sujet de la
position d’Herriot sur la reconnaissance officielle de l’URSS.
84. AN F7 13 426, note de la SCR/EMA2 du 11 octobre 1924 au sujet de l’atti-
tude favorable de certains milieux d’affaire à une reconnaissance officielle de l’URSS.
85. Sophie Cœuré, op. cit., p. 59-61, 70-71, 149-153. De fin 1924 à 1926, Jean
Fontenoy est à Moscou pour l’agence Havas et Jean Herbette est ambassadeur de
France à Moscou jusqu’en 1931. Le premier attaché militaire, le colonel Mendras,
est en poste de 1932 à 1934. Le premier ambassadeur soviétique à Paris est Leonid
Krassine, puis Rakovski à l’automne 1925.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

personnelles, son attention à l’évolution de l’URSS fait ressortir la situa-


tion intérieure de l’URSS en octobre 1927. Dans le dossier de renseigne-
ments qu’il consacre à l’URSS, vraisemblablement expurgé avant son
dépôt public, figure un rapport exhaustif sur la situation politique, éco-
nomique et militaire de l’URSS en 1927 émanant d’une « très bonne
source », au moment où le ministre de la Guerre suit l’engagement de
pourparlers franco-soviétiques et la rupture des relations anglo-sovié-
tiques avec l’affaire Arcos 86. Les observations systématiques de la section
des armées étrangères du 2e bureau y figurent. Elle décrit un régime poli-
tique militarisé disposant de forces de police conséquentes, avec un gou-
vernement fort qu’une guerre extérieure ne peut faire chuter 87. Les
services secrets soviétiques, pas plus que les organisations internationales
du Komintern, ne sont présentés comme des moyens d’action extérieure
de l’URSS.

Des secrets industriels très convoités


La recherche de secrets technologiques et des brevets industriels a
constitué un objectif constant de l’URSS. Datées de 1922, les premières
notes retrouvées dans les archives militaires du contre-espionnage en
Allemagne font état des efforts permanents dans le domaine des applica-
tions militaires, notamment aéronautiques. Conseiller municipal d’Ivry,
Henry Coudom y avait consacré un réseau d’informateurs communistes,
avant son arrestation en avril 1922. Dans le même temps, Joseph Tom-
masi, affecté pendant la guerre à la fabrique d’aéroplanes Morane-Saul-
nier, entrait à la CGT en 1919, puis au comité directeur du PCF en
décembre 1921. Créateur du syndicat de l’aéronautique, il accepte de
donner des informations aux services soviétiques grâce à ses correspon-
dants syndicaux dans les arsenaux et les usines travaillant pour la Défense
nationale entre 1921 et 1923 88. Découvert, il fuit à Moscou fin 1923.
Quelques mois plus tard étaient arrêtés un ingénieur aéronautique,
Antoine Thivat, et son « contrôleur « soviétique, Boris Mindiouk, jugés

86. AN 313 AP 226, note de renseignements sur l’URSS d’octobre 1927 à Paul
Painlevé d’un informateur non identifié.
87. Ibidem, p. 3-4.
88. Rémi Kauffer, Roger Faligot, As-tu vu Cremet ?, Paris, Fayard, 1991,
p. 188-191 ; proche de Trotski, Albert Tommasi (1886-1926) meurt à Moscou en
mai 1926.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

et condamnés par la 11e chambre correctionnelle de la Seine le 23 juin


1924 à dix mois et trois ans de prison. La Sûreté générale et le capitaine
Josset luttent continûment contre cet espionnage, au rythme des
enquêtes Bajanov en 1928, Koutiepov en 1930, Muraille en 1931, avant
l’affaire des « rabcors » en 1932. En avril 1923, les agents de l’OGPU à
Paris veulent mettre la main sur des informations concernant les marchés
passés à l’étranger par les usines Schneider. Les développements de
l’industrie aéronautique française ne cessent plus d’intéresser Moscou
dans les années 1920 89. Les questionnaires donnés aux agents sovié-
tiques le démontrent. En juillet 1923, une nouvelle note récapitule les
instructions de l’OGPU de Berlin à ses agents déployés en France pour
se procurer l’état des derniers prototypes aéronautiques français. Les
motoristes sont les premiers visés par deux agents étudiants en France,
Liebermann et Jean Timkovsky 90. Les derniers perfectionnements des
constructeurs de moteurs d’avions français excitent leur curiosité en
1923-1924 91. Moscou veut alors les plans, les croquis et les photogra-
phies de ces matériels 92.
Toutefois, l’efficacité de ces recherches est d’autant plus incertaine
que les services de contre-espionnage français en connaissent la nature et
la permanence. Les mesures de protection des établissements industriels
ont été constamment renforcées par le ministère de la Guerre jusqu’au
milieu des années 1930. Les visites d’usines travaillant pour la Défense
nationale étaient des mesures de protection destinées à déjouer les tenta-
tives d’espionnage. En 1924 déjà, des données techniques sur le mono-
place Wybault, puis sur les défenses antitanks mises au point en France,
avaient été dérobées 93. Ainsi que le fait remarquer une note d’agent à
Paul Painlevé, l’industrie soviétique souffre cruellement, lors du

89. Rémi Kauffer, Roger Faligot, op. cit., p. 191-192.


90. AN F7 13 426, note de la SCR/EMA2 du 3 juillet 1923 au sujet des der-
nières instructions de Moscou à Berlin touchant aux recherches sur la France.
91. AN F7 13 426, note nº P7615 de la Sûreté générale du 18 avril 1923 sur
l’organisation de la Tchéka à Paris d’après deux sources à Wiesbaden du 15 avril et à
Berlin du 12 avril 1923.
92. AN F7 13 426, note de la Sûreté générale du 11 février 1924 au sujet d’un
message intercepté entre Berlin et Moscou sur l’orientation des recherches de rensei-
gnements vers l’aéronautique.
93. AN F7 13 426, note de la SCR du 16 septembre 1924 au sujet de l’espion-
nage industriel soviétique du monoplace Wybault.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

lancement de la nouvelle politique économique, du nombre insuffisant


d’ingénieurs et de techniciens 94. La présence d’ingénieurs allemands
compense en partie cette déficience dans de nombreuses usines en URSS,
précisément dans les usines navales et aéronautiques de la région de
Leningrad, Moscou et Kharkov. Certaines de ces fabrications d’arme-
ment en URSS sont destinées à l’Allemagne. Les renseignements concer-
nant la faiblesse du matériel d’artillerie et d’aviation sont corrigés par le
rédacteur du 2e bureau de l’état-major de l’armée signalant précisément
à Paul Painlevé que « tous les renseignements concordent pour affirmer
les progrès relativement considérables réalisés par l’aviation sovié-
tique 95 ». En 1932, la découverte de l’ampleur de l’espionnage commu-
niste dans les industries travaillant pour la Défense nationale renforce
l’hostilité des pouvoirs publics, luttant pied à pied contre le PCF. Aussi,
la réalité d’un espionnage aéronautique permanent devait trouver des
rebondissements au milieu des années 1930, au point d’encourager des
accusations infondées à l’encontre de personnalités politiques de premier
plan, favorables à l’alliance avec l’URSS à partir de 1935. Qualifié par
Henri de Kérillis, dans L’Écho de Paris du 6 juillet 1936, de « ministre
de l’Air soviétophile », Pierre Cot fut partisan, entre 1936 et 1938, d’un
accord franco-soviétique étendu au domaine aérien. Celui-ci devait per-
mettre la vente à Moscou du nouveau moteur-canon de 23 mm d’His-
pano-Suiza et la vente réciproque de matériels aéronautiques, dossiers
suivis à son cabinet par le commandant François 96. Mais sa position
apparut le 6 novembre 1936 minoritaire au sein du gouvernement, réti-
cent à engager avant le printemps 1937 des discussions techniques aéro-
nautiques 97. Intégrées de manière plus générale aux négociations
franco-soviétiques politiques et stratégiques, ces négociations, qui
échouent finalement en juin 1938, constituent une défaite politique

94. AN 313 AP 226, note de renseignements sur l’URSS d’octobre 1927 à Paul
Painlevé d’un informateur non identifié.
95. AN 313 AP 226, note de renseignements sur l’URSS d’octobre 1927 à Paul
Painlevé d’un informateur non identifié, p. 9. Georges Vidal, La Grande Illusion ?,
op. cit., p. 245.
96. Sabine Jansen, Pierre Cot. Un antifasciste libéral, Paris, Fayard, 2002,
p. 291-300.
97. Ibidem, p. 304-305.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

personnelle pour Pierre Cot 98. Il n’y a alors pas eu de contacts per-
sonnels de Pierre Cot avec des membres des services secrets soviétiques.
Ceux-ci sont supposés en juin 1942 par des messages cryptés « Venona »,
échangés entre la résidence du NKVD à New York et Moscou dans les
années 1940, interceptés par les États-Unis 99. Ces télégrammes ont été
partiellement décryptés, après la déclassification progressive des archives
américaines depuis 1995. Naturellement, il y a un pas entre des contacts
avec des responsables du NKVD, « probables dès le milieu des années
1930 », selon Christopher Andrew et Vassili Mitrokhine, et le recrute-
ment comme agent 100. À New York où Cot s’est réfugié entre 1940 et
1943, le général Zaroubine, responsable de la résidence du NKVD,
aurait tenté de le recruter comme agent dès l’été 1940, sous le nom de
code « Dédale ». À cette heure, si l’hypothèse de son enrôlement par les
Soviétiques n’est pas vraisemblable, il a bien eu des contacts avec des
agents du NKVD. Sabine Jansen réfute méthodiquement la démonstra-
tion de Thierry Wolton. Elle récuse l’idée selon laquelle Pierre Cot a été
un agent du NKVD, avant comme après 1942, quoiqu’il « cherche
auprès des services soviétiques un appui et des moyens d’action qui lui
font défaut et il pense les obtenir en s’engageant dans la voie d’une coo-
pération étroite avec l’une des deux grandes puissances en guerre 101 ».

L’affaire des rabcors et l’hostilité à l’URSS dans l’appareil


d’État
Au printemps 1932, l’action de l’inspecteur spécial de la Sûreté natio-
nale Faux-Pas-Bidet met au jour l’affaire des « rabcors », acronyme du

98. Patrick Perrier, « Relations aéronautiques franco-soviétiques 1933-1939 », in


Revue historique des armées, nº 4, 1991, p. 110-113.
99. Sabine Jansen, Pierre Cot…, op. cit., p. 392-401 ; Peter Wright, Spy catcher :
The Candid Autobiography of a Senior Officer Intelligence, New York, Viking Penguin
Inc, 1987, p. 239-242.
100. Christopher Andrew, Vassili Mitrokhine, Le KGB contre l’Ouest 1917-1991,
Paris, Fayard, 2000, p. 170-171. Serge Berstein, Robert Frank, Sabine Jansen,
Nicolas Werth, Rapport de la commission d’historiens constituée pour examiner la
nature des relations de Pierre Cot avec les autorités soviétiques, B et Cie, 1995,
p. 54-56.
101. Sabine Jansen, op. cit., p. 399 ; Thierry Wolton, Le Grand Recrutement,
Paris, Grasset, 1987, p. 247-251.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

mot russe Rabotchi Korrespondent ou « correspondant ouvrier 102 ». Il a


recruté un collaborateur du journal du PCF, L’Humanité. L’organisation
a été mise sur pied depuis quelques années, sans doute en 1928-1929,
forte de 3 000 inscrits, dont une centaine seraient véritablement actifs 103.
Ce journal publie un bulletin intitulé « La lutte contre la guerre », rédigé
par André Réquier, étudiant à l’École du Louvre, et qui délivre réguliè-
rement des informations sur l’activité des industries de guerre françaises
et sur les transports militaires. La Sûreté, en liaison avec la SCR, enquête
rapidement. Elle découvre que ces informations sont obtenues bénévole-
ment par des militants et des sympathisants communistes, à la faveur de
leurs activités professionnelles, au profit vraisemblable de l’URSS via le
PCF 104. Ces renseignements seraient envoyés par les « rabcors », corres-
pondants bénévoles, à certaines adresses convenues. La plupart sont
réunies par un rédacteur de L’Humanité, Claude Pierre Loyer, connu
sous les pseudonymes de « Guillaume » et « Philippe », activiste révolu-
tionnaire rétribué par le PCF. Ce dernier centralise les courriers de
130 correspondants ouvriers, dont la liste est établie par le contre-espion-
nage français en mai 1932. « Philippe » remet à un intermédiaire,
AS 522, les copies des lettres des rabcors contenant les informations sur
les industries de guerre, notamment Renault, Citroën, Chenard, Walker.
AS 522 reçoit en outre des informations identiques de l’ancien adjoint
au maire de Saint-Denis, Venet, couvrant les usines fabriquant du maté-
riel de guerre, implantées dans le nord-ouest de la banlieue parisienne,
et d’un militant communiste surnommé « Victor » ou « Fantomas ». Ce
dernier a une responsabilité majeure dans l’organisation du système des
« rabcors » pour rechercher des informations sur les industries de Défense
nationale. Or, l’enquête de Faux-Pas-Bidet révèle très vite que AS 522 est
en relation avec Jacques Duclos, député communiste et membre du
bureau politique du PCF, faisant le lien avec les organisations du PCF
et livrant les informations à Fantomas. Marcel Cachin serait le relais de

102. Alexandre Courban, « Une autre façon d’être lecteur de L’Humanité durant
l’Entre-deux-Guerres : “Rabcors” et “CDH” au service du quotidien communiste »,
in Le Temps des médias. Revue d’histoire, nº 7, hiver 2006-2007, p. 205-217.
103. Serge Berstein, Jean-Jacques Becker, Histoire de l’anticommunisme en France,
op. cit., p. 207.
104. SHD/DAT 7NN 2 750, note de la SCR sur l’affaire d’espionnage Fan-
tomas et consorts, 13 avril 1932.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

Duclos. L’affaire révélerait l’espionnage du PCF. Mais sa collusion avec


le service secret soviétique, le NKVD, ne fut jamais formellement éta-
blie, qui, dès lors, ne pouvait tomber sous le coup de la loi de 1886. En
avril-mai 1932, la SCR du 2e bureau de l’EMA trouve dans l’affaire la
confirmation de la lutte clandestine du PCF contre la guerre impéria-
liste et de ses organisations satellites. Selon le contre-espionnage français,
ce formidable réseau d’espionnage s’intéresse aux industries de guerre,
aux fortifications, aux constructions des voies ferrées et des gares vitales
pour la concentration et le déplacement des troupes, les étapes de mobili-
sation industrielles des entreprises de Défense nationale. La note adressée
par la SCR à la préfecture de police qui mène l’enquête encourage une
investigation approfondie, avant de déclencher l’action judiciaire.
L’identité de Fantomas est rapidement percée. Il s’appelle Bir Izaja.
Né en Pologne en 1904, il est rentré en France en 1925 pour résider à
Toulouse jusqu’en 1930. Venu à Paris, ce dernier est inscrit comme étu-
diant à la faculté des sciences de Paris. Les filatures révèlent que Fan-
tomas a rencontré Jacques Duclos le 1er avril 1932 avec AS 522 pour
imposer une coordination de l’opération, sans passer par L’Humanité.
À cette occasion, il préconise des mesures de sécurité pour éviter l’action
de la police et ne pas risquer des poursuites judiciaires. L’action antimili-
tariste serait animée désormais par le camarade Lantiez. L’enquête
apprend enfin que Fantomas est en contact avec le bulgare Serge Gavri-
liukopf, signalé depuis 1924 par la préfecture de Police de Paris comme
étant un agent du SR soviétique en France. Durant tout le mois d’avril
1932, la filature de Fantomas, de « Philippe », de Lantiez et de l’étu-
diante Renée Marceau met à nu l’identité des « rabcors » travaillant pour
le réseau : l’ouvrier Granding pour les usines Renault, rencontré tous les
15 jours, Robert Clouet chez Hotchkiss à Bagnolet, Louette chez l’avion-
neur Wybault 105… Saisie, la justice ouvre l’instruction en juin 1932. Le
juge Peloux du tribunal de 1re instance de la Seine mène l’instruction sur
la base des pièces donnant des informations qui ne peuvent être consi-
dérées comme secrètes, produites par la préfecture de Police et par le

105. SHD/DAT 7NN 2 570, données actuelles de l’affaire Fantomas, SCR


2e bureau EMA, 28 mai 1932, 4 p. ; AN BB18 2811/A, espionnage des dirigeants du
PCF et de L’Humanité.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

ministère de la Guerre 106. Ce sont des pièces de matériel militaire (che-


nillettes des chars Renault, perfectionnement de pièces mécaniques de
chars Somua…), des contrats de commande de munitions, de matériel
militaire, de pièces de fabrication industrielle diverses. Neutralisés, les
principaux protagonistes peuvent difficilement tous être poursuivis en
invoquant la loi de 1886. Cinq le sont dont Bir Izaja, alias Fantomas, qui
est jugé devant la 13e chambre correctionnelle du tribunal de la Seine.
Après les élections législatives du printemps 1932, l’intérêt de l’opinion
publique pour l’affaire est retombé sans qu’elle ait de conséquences graves
pour les responsables du PCF. Le jugement est prononcé le 5 décembre
1932. Fantomas est condamné à trois ans de prison et 3 000 F d’amende.
En réalité, le réquisitoire du ministère public a demandé la condamna-
tion maximale encourue par la loi, invoquant l’article 3 de la loi de 1886
pour une personne se procurant des documents, plans ou écrits secrets.
Le jugement démontre toute la difficulté à poursuivre l’espionnage de la
mobilisation industrielle et des industries de Défense nationale. Il frappe
durablement les esprits des responsables policiers et militaires, mais para-
doxalement n’aggrave pas la répression anticommuniste en France après
1932. En revanche, l’affaire judiciaire et politique a, sans conteste,
relancé la révision de la loi de 1886 sur l’espionnage.
L’anticommunisme d’État et l’hostilité naturelle de l’appareil de
contre-espionnage aux activités d’espionnage soviétiques sont, à l’occa-
sion, un frein à la mise en œuvre d’une coopération avec l’URSS. L’obs-
tacle devient largement insurmontable aux échanges de renseignement
sur l’Allemagne entre les états-majors français et soviétique après le pacte
franco-soviétique au printemps 1935. Au sein de l’état-major de l’armée
comme des services spéciaux militaires, à la Sûreté générale, la défiance
envers l’URSS est psychologique et idéologique. Le général Victor-
Henri Schweisguth, sous-chef d’état-major de l’EMA, en mesure l’exacte
portée lorsqu’il est chargé de mettre en œuvre les premières conférences
d’état-major entre l’URSS et la France après la ratification du pacte
franco-soviétique par la Chambre des députés le 27 février 1936 107. Les
échanges de renseignements ne sont pas envisagés dans le domaine

106. SHD/DAT 7NN 2 570, note du ministre de la Guerre, SCR EMA


2e bureau, au juge Peloux, 27 juillet 1932.
107. Frédéric Guelton, « Les relations militaires entre la France et l’URSS », op.
cit.

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Une lutte intérieure et extérieure contre l’URSS sans merci

militaire, pas plus que le partage d’informations techniques sur les sys-
tèmes d’armes des deux pays 108. Les préventions réciproques et les
soupçons d’espionnage du PCF dans les usines d’armement sont toujours
vivaces. Le souvenir du procès des rabcors en 1932 est encore vif dans
de nombreux esprits 109. La nature des régimes combattus ne fait guère de
mystère aux responsables du renseignement et aux diplomates. Charvé-
riat informe précisément en juin 1937 la commission interministérielle
du renseignement de l’actualité des purges staliniennes touchant l’armée
et « la vieille équipe révolutionnaire de Lénine » après l’arrestation de
Toukhatchewsky. Le 3 juin 1937, Charvériat explique alors la position
du Quai d’Orsay :
« La persistance de l’influence allemande dans maints domaines de l’activité
intellectuelle et scientifique de la Russie, les nombreuses relations conservées avec
l’Allemagne par des dirigeants de l’armée soviétique, donnent sérieusement à
penser que le rétablissement d’une collaboration germano-russe peut entrer dans
les réalités de demain 110. »
Au début des années 1930, l’Allemagne est également une terre
d’espionnage soviétique. Les nouvelles inventions et les procédés de fabri-
cation des machines sont suivis minutieusement par les Soviétiques qui
pilleraient un capital de savoir et d’expérience selon le contre-espionnage
allemand 111. Son espionnage n’est pas réservé à la France.
De 1919 à 1939, l’URSS et l’Allemagne ont polarisé les investiga-
tions des services spéciaux français. Dans la même période, l’Allemagne
est le théâtre de l’organisation des services étrangers de la Tchéka et des
moyens du Komintern depuis Berlin. La présence de nombreux réfugiés
russes y favorise l’épanouissement des activités de la délégation commer-
ciale russe qui espionne sous couverture économique. Exceptionnelle-
ment, les services allemands et soviétiques coopèrent, dans l’esprit des
accords de Rapallo, contre la Pologne dans les territoires étant frontaliers.

108. AN 351 AP 5, note du général Victor-Henri Schweisguth de 1936 sur


l’ordre du jour des discussions militaires franco-soviétiques.
109. SHD/DAT 7NN 2 750, dossier Fantomas et Rabcors 1932. Frédéric
Monier, op. cit.
110. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet, chef
SR-SCR/EMA2 de la réunion interministérielle du renseignement au ministère de
l’Intérieur du 3 juin 1937, au sujet de l’intervention de Charvériat, sous-directeur
Europe de la direction des affaires politiques et commerciales du Quai d’Orsay, p. 2.
111. SHD/DAT 7NN 2 276, note du CE allemand interceptée par le contre-
espionnage français, Bulletin du CE nº 37 du 7 novembre 1932.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Les cibles sont les alliés tchécoslovaques et polonais de la France. À la fin


de l’occupation de la Ruhr qui a renforcé la coopération des services
secrets allemand et russe, mais aussi du Komintern, l’alliance d’intérêt
germano-russe se défait. Dans l’esprit de nombreux responsables français
du renseignement, la lutte secrète contre l’Allemagne et l’URSS est psy-
chologiquement liée à partir des années 1920.
Cette perception est naturellement trompeuse. Du milieu des années
1920 aux années 1930, les efforts du Komintern et de l’espionnage sovié-
tique défendent avant tout des intérêts propres. Il s’agit de faire entrer
dans les faits la reconnaissance internationale de l’URSS et de rompre son
encerclement, de commercer, de connaître les intentions des dirigeants
français à son égard, d’obtenir par l’espionnage des informations techno-
logiques. Aussi, les moyens d’espionnage français sont-ils défensifs face à
l’URSS. La France s’en est largement remis à ses alliés pour s’informer
des menées d’espionnage soviétiques en Europe. Son réseau de postes sur
l’URSS est impuissant à bien pénétrer une société fermée aux influences
extérieures. La stratégie consistant à s’appuyer sur la diaspora russe
blanche en Europe perd inéluctablement de son intérêt en avançant dans
le temps.

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Chapitre 8
Le renseignement impérial
dans la Défense nationale

Au XXe siècle, les empires coloniaux ont été un objet spécifique des
rivalités géostratégiques et de la concurrence économique entre les États
européens. Ces empires coloniaux sont également un autre terrain de la
guerre secrète européenne 1. Dans les années 1930, la politique de
Défense nationale française s’est efforcée de subordonner la « sécurité
impériale » à la sécurité nationale, le renseignement colonial au rensei-
gnement national. Pourtant, dans l’esprit des élites dirigeantes tradition-
nelles en France, le pari d’une vision stratégique reliant les deux espaces,
national et impérial, les deux conceptions, européenne et mondiale, est
largement artificiel. En dépit des proclamations que les responsables
français ont multiplié entre 1919 et 1939, la contribution de l’empire à la
Défense nationale n’a guère été concrétisée par des actions claires 2. Son
impréparation à jouer un rôle substantiellement différent de celui qu’il a

1. Jean Meyer et alii, Histoire de la France coloniale, Paris, tome 1, Des origines à
1914, Colin, 1991 et tome 2, 1914 à nos jours, 1991 ; Jacques Frémeaux, Les
Empires coloniaux dans le processus de la mondialisation, Paris, Maisonneuve et Larose,
2002, p. 262-278 ; Jean-David Mizrahi, Genèse de l’État mandataire. Service des ren-
seignements et bandes armées en Syrie et au Liban dans les années 1920, Paris, Publica-
tions de la Sorbonne, 2003, 462 p. ; Martin Thomas, Empires of Intelligence. Security
Services and Colonial Disorder after 1914, Berkeley, University of California press,
2007, 446 p.
2. Christine Levisse-Touzé, L’Afrique du Nord et la Défense nationale française
1919-1939, doctorat de 3e cycle sous la direction de Guy Pedroncini, Le Mans,
1980 ; Martin Thomas, The French Empire between the Wars. Imperialism, Politics
and Society, Manchester University Press, 2005, 408 p.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

tenu en 1914-1918 est évidente 3. Malgré tout, la Légion étrangère a pu


tenter de jouer un rôle fédérateur, limité dans l’espace eu égard à la carte
de ses implantations opérationnelles dans l’empire. L’organisation du
renseignement impérial, essentiellement après 1936 pour sa coordination
entre les différents théâtres coloniaux, trahit autant une réflexion tardive
chez les responsables militaires qui ont fractionné les moyens de rensei-
gnement en autant de fronts coloniaux que l’absence de vision straté-
gique ambitieuse chez les responsables politiques.

Des rivalités coloniales secrètes 1918-1939

Des rivalités franco-britanniques indépassables au Proche-


Orient
Après le découpage frontalier au Moyen-Orient de 1916 à 1920, les
rivalités impériales ont entretenu un climat de compétition entre les ser-
vices de renseignement des deux puissances 4. Elles ont parfois dégénéré
en concurrence dans les zones d’influence et dans les terres d’empire. Au
Proche-Orient, en Extrême-Orient et en Afrique du Nord, l’affronte-
ment l’a tardivement emporté sur la conciliation des intérêts, au moins
jusqu’en 1937. Les agents de l’Intelligence Service étaient alors encore
systématiquement filés par des informateurs des services spéciaux français
en France, à Monaco et dans l’empire français. Ce commerce entre les
deux services spéciaux renvoie-t-il à de simples escarmouches dans des
zones d’affrontement traditionnel sans remettre en cause une unité de
vue stratégique ? Ou bien sont-ce les conséquences pratiques d’une
alliance qui ne se retrouve que sur l’essentiel, dans les crises internatio-
nales et au bord de la guerre ? Les archives des services spéciaux militaires
sont elles-mêmes trompeuses. Elles font écran à une juste appréciation
des rivalités et des coopérations franco-anglaises en matière de services

3. Marc Michel, L’Appel à l’AOF : contributions et réactions à l’effort de guerre en


AOF, 1914-1919, Paris, Publications de la Sorbonne, 1982, 533 p.
4. Claude-Michel Roure, Les Rivalités franco-britanniques dans les territoires sous
mandat au travers du renseignement dans les années 1920 et 1930, mémoire de l’ESM
de Saint-Cyr, 1999, 115 p. ; Hervé Pierre, L’officier français au Levant pendant
l’entre-deux-guerres (1919-1939). Entre mandat et protectorat, mémoire de DEA, sous
la direction de Jacques Frémeaux, 2001, 142 p.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

spéciaux. En effet, le classement des dossiers par les services français ins-
truit artificiellement une guerre secrète qui aurait commencé depuis les
années 1920. S’amplifiant avec Mers-El-Kébir et la guerre en Syrie en
1941, le régime de Vichy justifia sa rivalité, a posteriori, par une relec-
ture connotée des relations franco-britanniques depuis 1918. De fait, la
Sûreté générale du ministère de l’Intérieur traque déjà les agissements des
agents anglais dans l’empire français, notamment en Syrie, dès le début
des années 1920 5. L’idée d’une rivalité indépassable masque une réalité
plus nuancée.
Au Proche-Orient, les deux puissances mandataires ont suivi des poli-
tiques propres qui épousent leurs intérêts nationaux. La France a tout
d’abord répondu aux menaces bédouines de guérilla larvée dans ses
mandats aux frontières turco-syriennes au début des années 1920, dans
le prolongement du conflit de Cilicie. Puis ce fut sur la frontière sud en
1923-1924, annonciatrice de la révolte druze de 1925-1927. La création
du service de renseignement du Levant en juin 1921 permit d’identifier
les menaces pesant sur les mandats. Il facilita la surveillance des popula-
tions de Syrie, et fut aidé dans les années 1930 par la section d’études du
Levant de Beyrouth (SEL) qui couvrait le Proche-Orient 6. La mise sur
pied de la SEL est aussi une réponse à la rivalité franco-britannique. Ce
service de renseignement se trouve surtout placé au cœur de la stratégie
mandataire, au profit du haut-commissariat français, devenant par là-
même l’organe commun fédérateur d’une pluralité d’autonomies. Le SEL
est un outil privilégié de la politique mandataire. La réduction des
franges d’insoumission de Syrie méridionale et septentrionale a scellé la
solidité impériale franco-britannique dans les années 1920. Mais elle
s’effrite à partir des années 1930, lorsque la consolidation de la dynastie
hachémite en Transjordanie devient l’objectif anglais. Le partenariat avec
la France s’avère décevant pour Londres. L’une des causes tient dans
l’absence de liaison des deux puissances mandataires à l’échelon des
organes d’exécution de leurs services spéciaux. Les contacts entre Dom-
ville, officier de l’Intelligence service responsable de la Transjordanie, et
la section d’études du Levant à Beyrouth confirment l’exclusive nationale

5. AN F7 13 435, activités des agents de l’Intelligence Service en Syrie et au


Proche-Orient, 1922-1930 ; SHD/DAT 7NN 2 715 et 2382, activités de l’Intelli-
gence Service en Méditerranée 1924-1934, 638 p.
6. Jean-David Mizrahi, op. cit., p. 415-420.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

de la politique arabe des services anglais et français au début des années


1930 7. Il y a ainsi une impuissance devant la fixation progressive d’une
diaspora nationaliste syrienne en Transjordanie.
Dans les années 1930, deux postes s’intéressent étroitement aux acti-
vités des agents britanniques. Le poste de Marseille confie à son antenne
de Nice la surveillance des Anglais en villégiature à Nice et Monte-Carlo,
masquant leurs contacts avec des correspondants de l’Intelligence Ser-
vice. Les bases navales françaises et italiennes sont observées par ses
agents. En Afrique du Nord, la défense des intérêts français est autant
économique que politique. À Alger, la section d’études africaines (SEA)
du commandant Delor produit des notes de renseignement sur les
menées anglaises destinées à la SR-SCR. En mars 1936, la SEA tire d’une
source « assez bonne », le renseignement, non recoupé, que « le gouverne-
ment de Rome aurait récemment fait connaître aux agents consulaires
italiens de Tunisie que l’Intelligence Service, sur ordre de son gouverne-
ment, s’emploierait à provoquer des incidents en Afrique du Nord entre
Italiens et musulmans d’une part, entre Français et Italiens d’autre
part 8 ». Cette conception fut aggravée par l’anglophobie de Vichy entre
1940 et 1942, accréditant l’idée d’une rivalité secrète traditionnelle 9.

Les enjeux de la rivalité méditerranéenne


En Méditerranée orientale, les Anglais, notamment à Malte, sont très
actifs depuis la fin de la guerre en 1918. Ce dispositif anglais de l’Intelli-
gence Service à Malte est ainsi observé, durant toutes les années 1930,
par une « très bonne source » ayant identifié tous les agents anglais. Le
chef de l’espionnage et du contre-espionnage naval et terrestre est le
major Bertram Montaigu, « antifrançais notoire ». Il est aidé du chef de

7. SHD/DAT 7NN 2 229, notice sur J.-P. Domville de la SEL, 4 janvier 1932,
d’une « très bonne source ».
8. SHD/DAT 7NN 2 228, note de renseignement nº 534/J de la SEA (Alger) du
24 mars 1936 à la SR-SCR au sujet des activités des services spéciaux britanniques.
9. SHD/DAT 7NN 2 229, dossier 108 sur les activités de l’IS en France de 1936
à octobre 1942 et dossier 109 sur la propagande anglaise à l’étranger en 1940-1941.
N’excluons pas un reclassement des pièces par les services spéciaux allemands après
qu’ils les ont saisies fin 1942. Sur l’anglophobie française, l’analyse est révisée par la
thèse de Fabrice Sérodes, Au-delà des lieux communs : dirigeants français et britan-
niques face à l’anglophobie de Fachoda à Mers-El-Kébir, Universités de Tours et Sal-
ford, 2007, 640 p., 2 vol.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

l’Investigation Department, Joseph Axissa, maltais, qui multiplie les mis-


sions à Tripoli et à Tunis. Huit autres agents sont identifiés, parmi les-
quels des journalistes, un avocat, un dirigeant de société locale. À Tunis,
Antoine Vella, secrétaire du consulat anglais, et Halfon de Sousse, diri-
geant une huilerie, comptent parmi les plus actifs 10. Les missions de
l’Intelligence Service à Malte concernent l’Italie et la Tunisie. En
Tunisie, la connaissance de la base française de Bizerte est bien un
objectif privilégié. Au Maroc, la défense du protectorat marocain est
l’œuvre des officiers des affaires indigènes, renforcé par l’aide d’un offi-
cier de liaison entre la SR-SCR et la résidence à Rabat. Le Maroc est un
autre terrain d’affrontement avec les services britanniques, mais aussi alle-
mands. La montée du nationalisme menace l’influence française en
Afrique du Nord. En 1925-1926, la guerre du Rif favorise l’infiltration
secrète anglaise et allemande au Maroc, poussant la section d’études
d’Alger à s’informer par l’action du lieutenant Leleu envoyé de Tunis 11.
Pour le capitaine Morel, chef du poste de Tunis, il faut à tout prix éviter
que cette mission ne soit perçue comme une intrusion des services spé-
ciaux de Paris dans un domaine réservé de la résidence à Rabat.
« Le rôle de Tanger, comme celui d’Oran ou de Tunis, est méditerranéen et
européen au premier chef. Quel que puisse être l’état actuel des affaires du Rif, la
mission de renseignement africain n’est que subordonnée 12. »
La formule de Morel est claire, renvoyant à cette opposition cultivée
par certains officiers ou chefs des TOE qui cherchent naturellement à
disposer de moyens de renseignement propres, indépendants de tout
contrôle extérieur. Le poste d’Oran observe également le Maroc, en sur-
veillant les frontières et la pénétration des éventuelles influences nationa-
listes et de la propagande du Destour. Quant au Maroc espagnol, il est
surveillé par le réseau des postes français en Espagne actionné par
l’attaché militaire à Madrid. En réalité, l’essentiel du renseignement pro-
vient, en 1925-1926, des services des affaires indigènes au Maroc, avec
la collaboration des géographes français qui ont mis en carte l’espace

10. SHD/DAT 7NN 2 229, note de renseignement nº 583/K de la SEA (Alger)


du 12 mars 1937, au sujet des services spéciaux britanniques à Malte.
11. Antoine de Gunzbourg, Le Maroc des années 1920 vu par les archives des ren-
seignements, mémoire de maîtrise sous la direction de Jacques Frémeaux, Université
de Paris IV-Sorbonne, 2005, 149 p.
12. SHD/DAT 7NN 2 364, note du capitaine Morel, chef du SR de Tunis au
lieutenant-colonel Lainey, chef de la SR-SCR à Paris, mai 1924.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

marocain et ses habitants 13. Les officiers des affaires indigènes ont multi-
plié les agents d’information et les correspondants sur un terrain qu’ils
connaisssent bien. Bourmance Say est un informateur direct de la rési-
dence dans le Rif, puis un honorable correspondant de la SR-SCR.
« D’intelligence vive, un peu bohème, intermédiaire naturel entre l’Algérie et
la côte riffaine, connaît familièrement tous les personnages d’Abd el-Krim et s’est
amusé à les instruire au moment de la création de leur État. Il a longtemps été
personna grata auprès du maréchal [Lyautey] mais [leur relation] s’est depuis
refroidie : ses renseignements donnés sous forme de conseils puis d’avertissement
avant le conflit n’ont pas été entendus ni écoutés. Tout à fait disposé à nous ren-
seigner, il ne veut pas y aller pour “espionner” mais pour causer 14. »
Dans ce terrain de jeu du bureau des affaires indigènes, les moyens
secrets français en Afrique du Nord s’efforcent de voir dans Abd el-
Krim une menace pour l’Afrique du Nord, sans doute à tort. Au début
de l’année 1938, elles dévoilent l’identité des agents et les contacts du
capitaine Gordon Canning. Mrs Arnall « fut un des principaux agents
lors des tractations avec Abd el-Krim » comme l’agent libanais Karem
Assaad. Ce dernier, actif lors des événements du Rif de 1934, est en rela-
tion suivie avec Menebhi, le Glaoui et des activistes marocains.
« Le retour de Gordon Canning à Tanger n’est pas celui d’un touriste en
quête de souvenirs… Sa fameuse équipe, reformée autour de lui, se prépare à
agir, dans un but encore mal défini, étendant dès à présent ses intrigues dans la
zone française 15. »
Les déplacements d’agents britanniques ou supposés britanniques
s’expliquent aussi par la richesse minière en wolfram dans la région
d’Oulmes en particulier 16.
Les manipulations des nationalistes musulmans par les agents britan-
niques ont, lontemps, été dénoncées, écartant la réalité des contestations
anticoloniales dans l’esprit des dirigeants français 17. L’argument fut repris
après 1940. La surveillance des agents anglais est suspendue au début de

13. Jean-Claude Allain (textes réunis par), Présences et images franco-marocaines


au temps du protectorat, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 60.
14. Cité par Antoine de Gunzbourg, op. cit., p. 45, SHD/DAT 7NN 2 364, ren-
seignements sur la guerre du Rif et les opérations espagnoles au Maroc par la
SR-SCR 1925-1935.
15. SHD/DAT 7NN 2 229, note de renseignement à la SR-SCR, 1er février
1938, d’une source autorisée, au sujet des agents britanniques à Tanger.
16. Ibidem, note de renseignement de Rabat du 8 février 1939 identifiant un
possible agent de l’IS, lieutenant-colonel à la retraite William Payn.
17. Martin Thomas, Empires of Intelligence, op. cit., p. 178-211.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

l’année 1938. Longtemps, les rivalités franco-anglaises au Proche-Orient


sont restées indépendantes des relations officielles entre les deux pays.
Elles s’atténuent temporairement en 1938-1939. Les rivalités coloniales
l’ont cependant emporté jusqu’en 1936, sans empêcher les échanges
ponctuels de renseignements. Certes, après 1918, des informations tech-
niques ont continûment été échangées entre l’Intelligence Service et la
SR-SCR, à moindre degré entre Scotland Yard et la Sûreté nationale.
Mais elles l’ont surtout été inégalement, sans s’élever au rang des enjeux
stratégiques. Le renseignement partagé a essentiellement été ponctuel
jusqu’en 1936. Il s’est appliqué aux suspects et aux agissements nuisant
à l’intérêt national des deux puissances. Celles-ci n’en surveillent pas
moins les agents de l’autre sur leur territoire national et impérial. Il y a
en quelque sorte les zones de coopération et les zones d’affrontement,
démontrant que la coopération se projette dans un espace plutôt que
dans une temporalité. Ainsi, les échanges sinon la liaison des services
anglais avec ceux italiens se conçoivent en Grèce alors même que la
France lutte méthodiquement contre les services italiens depuis 1923 18.
En Grèce et en mer Égée, le rôle de Basil Thomson, responsable du MI5,
est omniprésent depuis la Première Guerre mondiale.

Un partenariat impérial occasionnel avec l’Espagne en


1925-1932
Après 1920, la France a substitué, en matière de renseignement, une
coopération franco-espagnole à celle franco-anglaise qui s’était instaurée
à Tanger pour contrer les agissements et la propagande de l’Allemagne
pendant la Première Guerre mondiale. Depuis la conférence d’Algésiras
qui lui a accordé un statut international en 1911, le Maroc connaît une
partie espagnole, surveillée par les moyens de l’attaché militaire français
à l’ambassade d’Espagne, et une partie française, contrôlée par les ser-
vices de résidence, les affaires indigènes et la Sûreté générale en Afrique
du Nord. Avec le statut international de Tanger, le Maroc est un terrain

18. SHD/DAT 7NN 2 798, note nº 550 de la SCR au poste de la SEL à Bey-
routh du 26 janvier 1933, au sujet d’une liaison très vraisemblable entre services ita-
lien et anglais sur la Grèce ; voir aussi Abdil Bicer, Le Service de renseignement français
en Grèce 1915-1922, op. cit. ; voir son article, « Le Service de renseignement : outil
de la politique orientale de la France au lendemain de la Première Guerre mon-
diale ? », in Revue historique des armée, 3e trimestre 2003, p. 77-89.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

de jeu des rivalités coloniales et de leurs services secrets. Le centre français


de renseignement de Tanger, sous la tutelle de la Marine et des Affaires
étrangères, joue ce rôle central depuis décembre 1914 jusqu’à la fin de
la guerre. Pendant la guerre, il a alors activé un réseau d’informateurs et
d’agents, sous l’autorité des consuls de France en Andalousie et sous la
direction de l’ambassadeur de France en Espagne. Jusqu’en 1918, la divi-
sion navale du Maroc appuie alors la surveillance des activités mari-
times, dont les manœuvres des U-Boot allemands se ravitaillant en
pétrole. Les trafics d’armement vers le Maroc ont été nombreux pen-
dant la guerre. En réalité, cette coopération est l’héritière des réponses
apportées de 1912 à 1920 aux contrebandes d’armes dans la région maro-
caine et saharo-mauritanienne. Après la Première Guerre mondiale, les
autorités des deux pays sont toujours confrontées aux résistances d’une
pacification coloniale tardive sur ces confins marocains. Depuis 1921,
elles sont le prélude à la guerre du Rif en 1925-1926 19. Organisée depuis
la guerre du Rif dans la crainte d’une extension des contestations natio-
nalistes marocaines à toute l’Afrique du Nord, la SEA surveille le Maroc
depuis Alger à partir de l’hiver 1925, avec son antenne à Oran 20. Aussi,
la création d’un bureau mixte de renseignement à Malaga se fait parallè-
lement à la réorganisation des services de renseignement du 2e bureau en
Afrique du Nord à l’été 1925.
En 1926, dans le contexte de la guerre franco-marocaine du Rif, ce
partenariat s’intalle entre la France et l’Espagne, en dépit de relations
diplomatiques bilatérales hostiles entre les gouvernements Painlevé et de
Primo de Ribera. Un accord entre l’Italie de Mussolini et l’Espagne est
signé en 1926. La francophobie d’une bonne partie de son gouvernement
a pu jouer épisodiquement 21. Pourtant, une coopération durable se met
en place en vertu des accords sur le statut des zones française et espagnole
au Maroc, dans le cadre de la convention de décembre 1923. Celui-ci
prend la forme du bureau mixte franco-espagnol de novembre 1925 à

19. Francesco Correale, Échange et contrebande d’armes au Maroc et dans la zone


saharo-mauritanienne entre 1912 et 1920, thèse de doctorat d’histoire, Université
d’Aix-Marseille I, sous la direction de Robert Ilbert, 2003, p. 231-248 sur la propa-
gande allemande en Espagne et les réactions du centre de renseignement français de
Tanger de décembre 1914 à la fin de la guerre.
20. La SEA, appelée aussi « SR d’Afrique », est la section d’études africaines.
21. Émile Témime, Albert Broder, Gérard Chastagnaret, Histoire de l’Espagne
contemporaine de 1808 à nos jours, Paris, Aubier Montaigne, 1979, p. 182-188.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

décembre 1932 22. En décembre 1924, le premier schéma de réorganisa-


tion du dispositif des postes des services spéciaux projeté par le lieute-
nant-colonel Lainey prévoyait déjà sa création 23. Mais il fallut un peu
plus d’un an pour qu’il soit véritablement mis en œuvre, dans le contexte
de la guerre du Rif. À cette époque, l’organisme de renseignement bila-
téral est léger 24. Durant l’été 1925, le bureau hispano-français est installé
à Malaga, en territoire espagnol. Au printemps 1926, une conférence
franco-espagnole décide que chaque pays exerce seule la surveillance de la
contrebande dans ses eaux territoriales. En juillet 1926, Paris envisage de
déplacer son siège hors des côtes espagnoles en le fixant à Tanger. Mais
surtout, Tanger est un « centre important de contrebande et, aujourd’hui
encore, la zone internationale peut receler des dépôts d’armes faits par les
tribus voisines de cette zone 25. » Le travail de renseignement sur les agis-
sements dans la zone neutre est traditionnel. Jusqu’au début des années
1930, le centre recueille tous les renseignements relatifs à la contrebande,
qu’ils soient de source française ou espagnole, y compris les informa-
tions recueillies par les tabors, pour les communiquer aux autorités des
deux pays 26.
En effet, les difficultés du renseignement français de Tunis face à
l’effervescence indigène et communiste à la faveur des soulèvements
marocains du Rif déterminent l’activité du nouveau poste de renseigne-
ment à Alger. Il lui faut surveiller toute l’Afrique du Nord, de Tanger à
l’Égypte. La surveillance de la Méditerranée occidentale s’y ajoute
bientôt. Des annexes du poste d’Alger sont installées à Tunis et Oran,
avec une antenne à Tanger 27. La question du partage des recherches

22. Il est créé en vertu de l’article 10 de la convention du 18 décembre 1923,


révisée le 25 juillet 1928.
23. SHD/DAT 7N 2 486, projet de réorganisation des postes de la SR/EMA2,
décembre 1924.
24. Il est est commandé par un officier supérieur espagnol flanqué de deux
adjoints, français et espagnol, avec une dizaine d’auxiliaires.
25. SHD/DAT 7N 2 497, note du ministre de la Guerre SCR/EMA2 au
ministre des Affaires étrangères, APC-Afrique-Levant-Maroc, 31 juillet 1926, p. 2.
La facilité des liaisons Tanger-Rabat-Tétouan l’autorise.
26. SHD/DAT 2 2 252, documents sur l’espionnage et le trafic d’armes au
Maroc, autour de Tanger en particulier, 1933-1934.
27. SHD/DAT 7N 2 596, note de la SCR/EMA2 sur la création de la section
d’études africaines à Alger, 20 août 1925.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

entre le bureau mixte de Malaga et les postes extérieurs de renseignement


(Cadix, Palma, Majorque, Malaga) dépendant du poste de Marseille est
soulevée depuis janvier 1926. Son activité porte prioritairement hors de
l’Afrique du Nord sur décision du chef de la SR-SCR en mars 1926 pour
ne pas froisser les autorités civiles locales 28. Aussi la fonction du bureau
mixte franco-espagnol de Malaga est précisément l’échange de renseigne-
ments 29. L’objectif était sans surprise :
« Observer […] tous faits intéressant la sécurité de la zone de Tanger ainsi
que la sécurité des zones française et espagnole, notamment les propagandes sub-
versives, la contrebande, les agissements des indésirables et les menées contre
l’ordre établi tant au Maroc que dans les pays étrangers ; à cet effet, le bureau
mixte prendra utilement connaissance des listes de voyageurs que les compa-
gnies de navigation et les services automobiles remettent à l’administration dans
la zone de Tanger. Se tenir au courant de l’évolution des idées à tous points de
vue, économique, social, politique et religieux. Centraliser les renseignements
d’espèce, les étudier, les exploiter à toutes fins utiles et les communiquer aux
autorités intéressées 30 ».
En 1928, les autorités espagnoles et françaises élargissent sa compé-
tence aux recherches et à la surveillance « des menées communistes,
nationalistes ou panislamiques », en dépit de la formulation diploma-
tique. Les cibles sont déjà l’action du Komintern et des groupes pana-
rabes et islamistes encouragés par Berlin, plus marginalement la
propagande nationaliste arabe depuis le Caire 31. Les informations sont
communiquées aux autorités locales diplomatiques et militaires au Maroc
des deux pays 32, c’est-à-dire le résident général français au Maroc, le

28. Ibidem, note nº 2579 du lieutenant-colonel Lainey, chef de la SR-SCR, sur


les compétences du SEA, 1er mars 1926.
29. SHD/DAT 7N 2 504, note de renseignement SCR/EMA2 du 19 novembre
1931 au sujet du possible futur ambassadeur d’Espagne à Paris, Santiago Mendez
Vigo, dont la mère eut des enfants avec Alphonse XIII avant son mariage. Il est le
frère du capitaine. L’affectation au bureau mixte du capitaine Manuel Mendez Vigo,
présenté comme un demi frère d’Alphonse XIII par sa mère, serait un indice de
l’importance qui lui est accordée.
30. SHD/DAT 7N 2 497, règlement du bureau mixte d’information de Tanger,
25 juin 1926, p. 2.
31. Martin Thomas, « Colonial States as Intelligence States : Security Policing
and the limits of Colonial Rule in France’s Muslim territories, 1920-1940 », in The
Journal of Strategic Studies, vol. 28, nº 6, déc. 2005, p. 1041.
32. SHD/DAT 7N 2 497, note de la direction des affaires politiques et commer-
ciales, sous-direction Afrique-Levant-MAE au ministre de la Guerre EMA2, au sujet

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

haut-commissaire espagnol et les deux adjoints du bureau mixte. Il


communique les renseignements utiles au commandement des forces
navales des deux pays dans les eaux territoriales de Tanger. Les délin-
quances et les actes de piraterie lui sont précisés. Les renseignements col-
lectés sont adressés aux services spéciaux militaires centraux des deux
pays. Les trafics d’armes en Espagne et les menées communistes de la fin
des années 1920 retiennent l’attention. Il faut, à ce point, rappeler que le
programme de recherche de renseignements de la SCR en Espagne, établi
par le 2e bureau en décembre 1925, préconisait trois actions prioritaires,
à savoir les menées allemandes, les menées anglaises et le développement
du mouvement communiste. La menace d’une extension de la propa-
gande communiste ou de l’utilisation par les communistes de l’Espagne
comme base arrière pour mieux pénétrer la France guide l’analyse en
1925 33. L’arrangement franco-espagnol du 28 mai 1929 maintient ses
attributions en matière de recherche et de partage des renseignements,
notamment sur les trafics d’armes dans la zone territoriale tangéroise, y
compris les eaux territoriales de Tanger. Ce n’est que le 31 mai 1929 que
le poste de Malaga est finalement supprimé. Il est alors transféré à Tanger
jusqu’en 1932. L’attente du gouvernement espagnol est toujours
d’obtenir toute l’information collectée sur le désarmement des tribus
dans la zone à travers une copie des registres d’armes et de munitions
existant à Tanger et dans sa zone 34. La France est prête à maintenir cet
organe de sécurité, répondant aux attentes espagnoles, spécialement en
matière de surveillance des eaux territoriales par les forces navales fran-
çaises qui communiquent leurs informations au chef du bureau mixte. Sa
mission gagne en 1929 une seconde attribution.
Or, le renseignement français exprime une inquiétude croissante sur
la progression des idées communistes dans une Espagne en crise de 1928
à 1932 35. En 1931, la volonté du gouvernement espagnol Lerroux de

de l’arrangement franco-espagnol du 28 mai 1929 relatif au bureau d’information de


Tanger, 22 juin 1929.
33. SHD/DAT 7NN 2 648, programmes de recherche de renseignements en
Espagne pour la SCR, 7 décembre 1925.
34. SHD/DAT 7N 2 497, note de la direction des affaires politiques et commer-
ciales, sous-direction Afrique-Levant-MAE au ministre de la Guerre EMA2, au sujet
de l’arrangement franco-espagnol du 28 mai 1929 relatif au bureau d’information de
Tanger, 22 juin 1929, p. 4.
35. Émile Témime et alii., op. cit., p. 192-199.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

renforcer la surveillance franco-espagnole des frontières communes


contre les menées communistes fait suite à sa rencontre de septembre
1931 avec Litvinov 36. Or, le PCE, en liaison avec Moscou, encourage un
soulèvement des tribus de la zone espagnole du Maroc contre l’Espagne.
Les observateurs français estiment que l’armée espagnole, déjà profondé-
ment divisée entre républicains et monarchistes jusque dans son corps
d’officiers et dans la troupe, serait incapable d’y répondre. Une contre-
bande d’armes intense se fait à destination de « l’Espagne syndicaliste et
communiste. Les armes proviennent de l’étranger et pénétreraient en
Espagne en passant par la zone neutre et Tanger 37 ». La situation invite
donc à maintenir la liaison franco-espagnole par le bureau mixte de
Tanger. Lorsque le capitaine Lebrun s’apprête à partir comme attaché
militaire adjoint à Tanger et membre du bureau mixte en avril 1932, il
reçoit pour instructions de maintenir le poste si l’Espagne reste neutre ou
favorable à la France. Mais si l’Espagne manifeste de l’hostilité, le poste
serait supprimé, à remplacer par une antenne camouflée auprès de l’offi-
cier de liaison de Rabat. La mission enjoint de surveiller les trafics
d’armes, de faire du contre-espionnage, de suivre la propagande étran-
gère, enfin d’exercer la surveillance maritime des côtes et des îles comme
des passages à Gibraltar. L’antenne aux Canaries facilite la surveillance
maritime, en complément de celle des postes de Barcelone et d’Alger. La
couverture française est alors complète 38. Le bureau fonctionne jusqu’au
début de la guerre civile espagnole, désormais incompatible avec la neu-
tralité française. Il s’agit aussi de connaître les moyens secrets de Londres
à Gibraltar, centralisés pour la Marine par des ingénieurs anglais travail-
lant pour des firmes de construction navale de la société d’armement
Vickers. L’autre documentation traquée est l’actualisation du guide côtier
(hand book) de la marine britannique, grâce aux informations des forces
navales qui relâchent régulièrement aux Baléares, à Carthagène et dans les
rias de Galice. De fait, les défenses des côtes espagnoles sont parfaitement

36. SHD/DAT 7NN 2 504, renseignement politique et économique sur


l’Espagne, note SCR/EMA2 sur les relations de l’Espagne avec les soviets, 11 sep-
tembre 1931.
37. Ibidem, note de renseignements de la SEA nº 1387 du 4 août 1931 sur la
situation politique et économique en Espagne, p. 2. La propagande est l’œuvre
d’Allemands, d’Italiens et de Russes.
38. SHD/DAT 7N 2 497, compte rendu de liaison avec le capitaine Lebrun, SR-
SCR/EMA2, 19 avril 1932.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

connues des Anglais, dont la firme Vickers monte les nouvelles batteries
côtières à Ferrol, Carthagène et Mahon. Et le poste anglais de Gibraltar,
relié par câble diplomatique avec l’ambassade anglaise à Madrid, sur-
veille le Maroc espagnol, Tanger, le Maroc français et les confins de
l’Oranie 39. Mais les postes français d’Hendaye et de Perpignan sont un
moyen crucial de rétorsion en 1937. En définitive, ce bureau de liaison
et d’échange de renseignements a été déterminant dans une période
diplomatique pourtant tendue entre la France en Espagne. La défiance
est encore présente en 1932, mais sans empêcher cette coopération
pragmatique.

L’Indochine prétexte à un échange de renseignements avec le


Japon en 1933-1934
Les échanges de renseignements reposent sur une compréhension
stricte et immédiate de l’intérêt national, contrariant incidemment la
position diplomatique. Un renseignement peut être échangé avec une
puissance hostile, plus rarement ennemie déclarée, au nom de l’efficacité.
Si l’Italie y a répondu imparfaitement en 1935-1937, le Japon présente
une autre expérience inattendue en 1933-1934. Le partage de renseigne-
ments, prioritairement militaires, entre le Japon et la France s’inter-
rompt lors du rapprochement franco-soviétique esquissé par la rencontre
Barthou-Litvinov du 18 mai 1934 40. Dans l’esprit d’une défense impé-
riale de l’Indochine des années 1930, tourmentée par les premières
contestations anticoloniales, ces échanges pragmatiques demeurent une
parenthèse des relations franco-japonaises 41. Depuis 1919, la France
s’efforce de connaître l’organisation et les activités des services spéciaux
japonais en Europe 42. Surtout, la pénétration allemande en

39. SHD/DAT 7NN 2 394, note de renseignement SCR nº 2058 du 31 mai


1932 de source Marine au sujet du SR anglais à Gibraltar.
40. Harold Pérez, Le 2e bureau SR-SCR face au Japon 1934-1940, mémoire de
l’ESM de Saint-Cyr, sous la direction d’Olivier Forcade, 2001, 119 p.
41. Daniel Hémery, Révolutionnaires vietnamiens et pouvoir colonial en Indochine.
Communistes, trotskistes et nationalistes à Saïgon de 1932 à 1937, Paris, 1975 ; Pierre
Brocheux, « Le colonialisme français en Indochine », in Marc Ferro (dir.), Le Livre
noir du colonialisme XVI-XXIe siècle : de l’extermination à la repentance, Robert Laffont,
2003, p. 351-372.
42. SHD/DAT 7NN 2 248, rapport de la section interalliée EMA2 sur l’organi-
sation des services japonais en Europe, mai 1919.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Extrême-Orient n’a cessé d’inquiéter Paris depuis 1920. Or, c’est préci-
sément au Japon et en Sibérie que les efforts allemands se découvrent au
travers des rapports de l’attaché militaire français à Tokyo, depuis le prin-
temps 1920 43. Cette action clandestine allemande est l’œuvre d’agents
très actifs, dont le propagandiste von Knorr, ancien attaché militaire à
Tokyo avant 1914, et des prisonniers allemands restés au Japon. Après
1919, ces derniers y travaillent comme ingénieur ou contremaître pour
l’industrie privée japonaise : moteur, béton armé, sous-marins à Takes-
hiki, Tsushima 44… Les dérobades de Berlin au paiement des répara-
tions et le développement de partenariats industriels permettant de
maintenir la veille technologique des firmes allemandes dans les indus-
tries d’armement polarisent l’espionnage français. Bientôt, le développe-
ment de l’activité des services secrets allemands au Japon alerte sur la
nature du partenariat nippo-allemand. Trois objectifs sont assignés : la
recherche de renseignements militaires, politiques et économiques ; le
développement du commerce allemand ; une propagande antifrançaise
au Japon, en Sibérie, en Indochine et en particulier sur la côte occiden-
tale d’Amérique du Sud 45. C’est dire si le partenariat voulu par la France
est contradictoire avec les échanges réguliers entre le Japon et l’Alle-
magne durant toutes les années 1920. En 1929, les visites de commis-
sions d’études japonaises s’attachent aux chemins de fer allemands ; puis,
après 1934, l’espionnage se porte sur les forces navales et aéronau-
tiques 46. Enfin, ce partenariat est contradictoire avec les échanges de ren-
seignements franco-britanniques sur l’espionnage naval japonais en
Europe, depuis les conférences navales de Washington en 1922 et de
Londres en 1930. En dépit de ce contexte politico-stratégique

43. SHD/DAT 7NN 2 248, notes secrètes de renseignement du Lieutenant-


colonel de Lapomarède, attaché militaire à Tokyo, 20 et 30 mai 1920, sur les Alle-
mands au Japon.
44. SHD/DAT 7NN 2 248, rapport du commandant Voruz, attaché militaire à
Tokyo à EMA2, 6 mars 1922, au sujet des activités des firmes allemandes dans le
commerce et l’industrie au Japon.
45. SHD/DAT 7NN 2 248, synthèse nº 1 sur les services secrets allemands au
Japon, note nº 428 de l’attaché militaire au Japon à EMA2, 25 novembre 1922.
46. SHD/DAT 7NN 2 248, note sur la commission d’études japonaises de
l’amiral Godo, de l’administration des chemins de fer mandchourien, 19 février
1929 et rapport nº 21/36 de l’attaché de l’Air français à Tokyo sur l’influence alle-
mande au Japon, 22 février 1936.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

défavorable, les échanges sont lancés. La marine française dispose d’un


renseignement médiocre sur les forces japonaises, à suivre le témoignage
du chef du 2e bureau de l’état-major des forces navales en Extrême-
Orient de 1934 à mai 1937. Marcel Duval le rappelle dans un témoi-
gnage tardif :
« En Extrême-Orient, nous avions un attaché naval à Tokyo mais pas à
Pékin. Nous avions aussi des officiers apprenant la langue du pays au Japon et
en Chine, mais ils ne nous transmettaient pas de renseignements, à supposer
qu’ils en aient recueillis. […] Les informateurs étaient les consuls et les mission-
naires, encore nombreux en Chine […] les comptes rendus adressés par télé-
grammes chiffrés 47. »
En réalité, ce constat doit être nuancé. Certes, il n’y a pas de poste
français d’espionnage au Japon, regardé depuis Shanghai en Chine. Dans
ce contexte, des échanges de renseignements sont provoqués par l’attaché
militaire à Tokyo, le lieutenant-colonel Mast (1889-1977). Ce dernier est
chargé de mission, puis stagiaire à l’École de guerre japonaise en 1929,
enfin attaché militaire au Japon de 1933 à 1937 48. Il note en 1933 que :
« Le contrôle des informations données à l’attaché militaire au Japon devient
plus strict au 2e bureau franco-japonais mais [que] l’attaché militaire français
bénéficie d’une certaine exception 49. »
Les échanges de renseignements militaires se placent entre 1933 et le
premier semestre 1934. Ils permettent d’avoir des connaissances supplé-
mentaires aux informations ouvertes échangées avec les attachés mili-
taires. La France jouit d’un regard modérément favorable en raison du
rôle qu’elle joue au sein de la SDN. Surtout, un accord commercial est
signé entre la France et le Japon le 11 janvier 1934. Il s’agit de pré-
server les relations officielles avec une puissance européenne impériale,
qui contrôle la zone indochinoise, stratégique par ses productions
minières et agricoles 50. Déjà en février 1934, le lieutenant-colonel Mast
souligne la nécessité de faire évoluer la défense de l’Indochine face à la

47. Marcel Duval, « Le renseignement naval français 1938-1945 », in Pierre


Lacoste (dir.), Le Renseignement à la française, Paris, Economica, 1998, p. 171-174.
48. SHD/DAT Fonds privé Mast 1K 243, cartons 1 et 2, pièces sur la jeunesse
militaire et la présence au Japon du général Mast.
49. SHD/DAT 7N 3 338, correspondance de l’attaché militaire au Japon,
octobre 1933.
50. Jacques de Folin, Indochine 1940-1955. La fin d’un rêve, Paris, Perrin, 1993,
p. 23-25. Jacques Valette, Indochine 1939-1945. Français contre Japonais, Paris,
Sedes, 1995, p. 10-11 sur les objectifs japonais.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

montée en puissance de l’armée japonaise, qui pourrait s’opposer à


l’URSS ou aux États-Unis dans la zone 51. Certes, la nécessité d’importer
du pétrole, notamment les produits hollandais de Bornéo, est condi-
tionnée par l’établissement d’une base au sud de Hong-Kong, aux Philip-
pines ou en Indochine 52. Mais l’intérêt de ces échanges de
renseignements ne résiste pas à l’évolution des relations franco-sovié-
tiques. Celles-ci disqualifient aux yeux de Tokyo toute relation franco-
japonaise eu égard aux différends entre le Japon et l’URSS. À cet égard,
l’entrée de l’URSS à la SDN le 18 mai 1934 est symbolique après le
départ du Japon en 1933.
Les échanges de renseignements militaires s’interrompent brusque-
ment à l’initiative du Japon à la fin du printemps 1934. « Japon. Échange
de renseignement avec l’état-major japonais. L’échange de renseigne-
ment relatif à l’armée soviétique s’est effectué normalement jusqu’en jan-
vier 1934. Depuis, l’état-major japonais est devenu méfiant à notre égard
en raison du « flirt » franco-soviétique, les Japonais craignant de notre
part une retransmission aux Russes des renseignements qu’ils nous four-
nissent 53. » À l’été 1934, l’attaché militaire peut apprécier le renverse-
ment des bonnes relations lors de sa mission en Mandchourie qui n’attire
qu’indifférence et hostilité de la part des autorités japonaises. « Depuis le
flirt franco-soviétique, les Japonais sont moins tentés qu’il y a six mois
pour chercher l’approbation de l’Europe dans leur politique en
Chine 54. » En réalité, le réarmement du Japon dont il est témoin en
1934-1935 suscite la réprobation française. Les informations que lui
demande le 2e bureau à Paris expliquent le relâchement des « bons
échanges secrets » entre les deux pays : « les sommes dont disposent les
services de renseignement locaux ; les arrestations pour espionnage et
leurs suites dans les journaux ; les mesures de protection concernant les
aéronefs, le cinéma, les appareils de TSF 55. » Le partage de certaines

51. SHD/DAT 7N 3 326, correspondance du lieutenant-colonel Mast à la SAE/


EMA2, 7 février 1934.
52. Ibidem, correspondance du 21 février 1934.
53. SHD/DAT 7N 2 509, synthèse de renseignement de la SAE/EMA2, 8 sep-
tembre 1934.
54. SHD/DAT 7N 2 509, correspondance de l’attaché militaire français à
Tokyo, Mast, à la SAE/EMA2, 23 juillet 1934.
55. SHD/DAT 7NN 2 151, note nº 2 432, questionnaire de renseignement de
la SAE/EMA2, 17 avril 1934.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

informations n’interrompent pas la recherche de renseignement ouvert


par l’attaché militaire.
Le renseignement est considéré par les Japonais comme un volet de
la diplomatie. Il y a une harmonie entre l’évolution des relations diplo-
matiques et militaires. À partir de février 1936, les communications de
renseignements sur le potentiel et les armements des armées étrangères
concernaient désormais l’Allemagne et le Japon 56. Après la signature du
pacte antikomintern en novembre 1936, Moscou et Tokyo se donnent
désormais des renseignements militaires sur l’URSS et la France 57. La
gravité des faits alerte l’attention des ministres des Affaires étrangères et
de la Guerre, afin de limiter les autorisations de visite d’usines aux mis-
sions japonaises en France 58. Mais il est trop tard pour enrayer un
espionnage efficace. En 1938, les fruits de l’espionnage japonais en
France sont sans doute partiellement livrés à Berlin, en dépit des efforts
du contre-espionnage français 59.

Le renseignement de la Légion sert-il le renseignement général ?

La conception du renseignement impérial de la Légion


étrangère
L’existence d’un renseignement propre à la Légion étrangère demeure
relativement méconnue. Seules l’action d’un renseignement tactique dans
le cadre régimentaire et les recherches du bureau des statistiques de la

56. SHD/DAT 7N 2 248, correspondance nº 152/S du lieutenant-colonel Mast


à la SAE/EMA2, communiquée à la SCR, 2 mars 1936, sur les échanges de vue
d’état-major et la demande allemande d’échanges de renseignements, p. 1.
57. SHD/DAT 7NN 2 129, note de renseignement nº 9175, SR-SCR/EMA2,
28 décembre 1936, au sujet des échanges entre états-majors allemand et japonais de
renseignement conduisant à devoir « se garder des agents japonais au profit de l’Alle-
magne ».
58. SHD/DAT 7N 3 329, lettre du ministre de la Guerre au ministre des
Affaires étrangères, décembre 1936.
59. SHD/DAT 7NN 2 105, note de renseignements de la SCR/EMA2, 20 août
1938, au sujet de l’espionnage du réseau de transport d’énergie électrique, aux plans
d’évacuation et aux lieux vulnérables à Paris.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

Légion étrangère, créé le 17 février 1937, sont généralement souli-


gnées 60. Or cette structure est l’héritière des aménagements du renseigne-
ment dans la Légion depuis 1923. Dans sa magistrale histoire de la
Légion étrangère, Douglas Porch rappelle que la Légion étrangère devait
lutter contre la propagande idéologique venant de l’extérieur et contre la
subversion intérieure dans les régiments. Une fonction de renseignement
inédite a pourtant émergé à partir de 1923 61. L’attrait et la protection
de la Légion ont fait venir des milliers de candidats vers les centres de
recrutement en France dans l’entre-deux-guerres. Or, les postes de rensei-
gnement de la SR-SCR ont interrogé des milliers de suspects et
d’étrangers trouvant refuge en France. Les réfugiés politiques et écono-
miques constituent un vivier de légionnaires pouvant être potentielle-
ment recrutés comme des agents par les services spéciaux militaires. Ils
le sont pendant – ou plus généralement après – leur engagement à la
Légion. Cette situation originale dévoile une liaison naissante avec les ser-
vices spéciaux depuis la fin des années 1920. Certains agents étrangers
ont cherché à pénétrer la Légion étrangère dans l’espoir d’action subver-
sive pour le compte d’une puissance étrangère. Cet enjeu est constant de
1923 à 1939. La motivation des postulants est la fuite vers un asile, celle
des services français est de recruter des agents occasionnels ou perma-
nents. Le poste de Metz n’a-t-il pas ainsi, pour la seule année 1936, inter-
rogé 450 candidats à la Légion, et retenu 18 d’entre eux pour former en
définitive six agents actifs en 1937 62 ?

60. SHD/DAT 7NN 2 151, dossiers d’instructions réglant de 1924 à 1937


l’organisation, le fonctionnement et les attributions du service de renseignement de
la Légion étrangère. Instruction nº 1250 SR-SCR/EMA2 du 17 février 1937 sur le
BSLE.
61. Douglas Porch, La Légion étrangère, Paris, Fayard, 1994 (édition originale
New York, 1991), p. 506-508. Il n’en dit mot dans son histoire des services :
Douglas Porch, Histoire des services secrets, tome 1, De l’affaire Dreyfus à la fin de la
seconde Guerre mondiale, Paris, Albin Michel, 1997 (1re éd. New York, 1995),
p. 160-184 sur le péril allemand qu’il fait exister, pour les services spéciaux militaires,
au milieu des années 1930 ; Paul-André Comor, La Légion étrangère, Paris, PUF,
1992, p. 31-40, n’en touche mot. Pierre-Louis Dubois, Les Services de renseignement
de la Légion étrangère pendant l’entre-deux-guerres, mémoire de l’ESM de Saint-Cyr
sous la direction d’Olivier Forcade, 1998, 87 p. et annexes.
62. SHD/DAT 7NN 2 502 , rapport d’activité de 1936 par le chef du BREM,
Metz, à SR-SCR/EMA2, 13 janvier 1937, p. 6.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

La contribution d’un renseignement propre de la Légion au fonction-


nement des services spéciaux militaires est originale. Elle l’est à la fois par
le recrutement singulier de ses personnels et par ses implantations opéra-
tionnelles dans l’empire. Les futurs légionnaires sont souvent des réfugiés
politiques ayant fui leur pays. Ils ont pu devenir par la suite des agents
occasionnels. Par ailleurs, le fichier de la Légion peut donner des infor-
mations à la SCR en vue du contre-espionnage 63. De 1924 à 1937, un
service de renseignement se constitue par étapes à la Légion étrangère. La
fonction de renseignement à la Légion est alors prise en compte par la
division d’Oran jusqu’en 1924, pour assurer la sécurité interne vis-à-vis
des légionnaires. Installé à Sidi-Bel-Abbès, ce petit service jouit de la cou-
verture du 1er régiment étranger. Il a alors trois buts : l’interrogatoire des
nouveaux légionnaires lors de leur incorporation, le contrôle de la corres-
pondance et les contacts extérieurs des légionnaires 64. Peu performant à
ses débuts en 1924, ce service de renseignement élémentaire assume prin-
cipalement une mission de sécurité et de surveillance des légionnaires.
Mais en 1925, les menaces étrangères, en particulier celles du Komintern
combattant la présence impériale française au Maroc, en Syrie ou dans
l’empire, précisent sa mission. Par ailleurs, les légionnaires arrivent par
vagues, au gré des révolutions et des changements de régime des pays
qu’ils fuient. En janvier 1925, le capitaine Vanlande du poste de rensei-
gnements de Tunis défend l’idée que « l’étranger se réfugie à la Légion
par nécessité 65 ». Et d’en souligner les différentes phases nationales : la
phase allemande des révolutionnaires spartakistes en 1920, la venue des
Russes blancs issus des armées Wrangel et Denikine en 1920-1922,
l’arrivée des Italiens antifascistes après 1923, puis des Allemands nationa-
listes, des Espagnols depuis 1925, et des Allemands antifascistes dans les
années 1930…

63. Paul Paillole, Services spéciaux 1935-1945, Paris, Laffont, 1975, p. 75.
64. Pierre-Louis Dubois, op. cit., p. 15.
65. SHD/DAT 7NN 2 151, compte rendu du capitaine Vanlande, chef du poste
SR de Tunis, 6 janvier 1925.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

L’intégration du renseignement légionnaire dans l’appareil


militaire national
L’objectif est d’intégrer ce renseignement spécifique au renseigne-
ment national entre 1927 et 1936. Ces faits accélèrent l’évolution du ser-
vice légionnaire de renseignement. La SR-SCR s’efforce de recueillir des
informations militaires sur les unités étrangères que les nouveaux légion-
naires ont souvent désertées avant de s’engager. Parmi celles-ci, les infor-
mations sur les armées allemandes et soviétiques sont privilégiées qui
complètent les données obtenues par les missions militaires françaises en
Europe centrale, par les liaisons d’état-major et les postes français à
l’étranger sur l’Allemagne, l’Italie et l’URSS. Aussi le projet est-il formé
par le général de Lamothe, commandant la division d’Oran, d’un service
de renseignement propre à la Légion à l’automne 1924, en liaison avec
Paris 66. Sa triple mission serait de rechercher des renseignements intéres-
sant les services spéciaux militaires par l’interrogatoire des légionnaires à
Oran, de recruter parmi les légionnaires allemands libérables des agents
susceptibles d’être engagés ultérieurement dans les postes français sur le
Rhin et d’exploiter le renseignement au retour des permissions des
hommes. Un chef de service doit être entouré d’officiers parlant le russe
et l’allemand et établissant la liaison avec les autres postes de renseigne-
ments de Saïda et Colomb-Béchar, puis au Maroc. La liaison régulière
avec les services spéciaux à Paris facilite la restitution des renseignements
produits et la réception des directives centrales. Amendé par le capitaine
Vanlande, commandant l’antenne de Tunis de la section d’études algé-
rienne, le projet de création emporte la décision du général de Lamothe
en avril 1925 67. Le service de renseignement de la Légion ou « service de
la division d’Oran » (SDO) est créé le 22 juin 1925 68. En mars 1926,
l’instruction réglant les attributions du SR de la Légion étrangère répond

66. Pierre-Louis Dubois, op. cit., p. 20-22. SHD/DAT 7NN 2 151, compte
rendu d’entretien entre le capitaine Coulomb et le général Lamothe, 22 octobre
1924.
67. SHD/DAT 7NN 2 151, compte rendu du capitaine Vanlande, chef de
l’antenne de Tunis de la SEA, 6 janvier 1925, au sujet du projet de création d’un SR
de la Légion à Oran.
68. SHD/DAT 7NN 2 151, instruction nº 5555 du ministre de la Guerre, SR-
SCR/EMA2 du 22 juin 1925 au sujet de la réorganisation du SR de la Légion en
Algérie.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

au double souci de protéger la Légion des déstabilisations de l’Alle-


magne et du Komintern. Il s’agit aussi de centraliser comme d’exploiter
les renseignements communiqués à l’état-major de l’armée, par les postes
de renseignements d’Afrique du Nord et relevant des autorités militaires
d’Algérie, du Maroc, de Tunisie et de Syrie 69. Face aux assauts répétés
contre les positions françaises en Afrique du Nord et au Moyen-Orient,
la Légion est une carte maîtresse pour le renseignement français.
Cette instruction fondamentale distingue bientôt ses missions au
profit de la Légion étrangère, via un organisme d’interface – le service de
renseignement en Afrique du Nord (SEA) – et les missions au profit des
services spéciaux militaires. Le capitaine Coulomb en jette les bases de
1926 à 1928. Enfin, le service d’immatriculation de la Légion (SIL) est
créé en 1928. Le SDO devient alors une annexe du SIL. En 1932, il
prend le nom de « bureau de Légion d’Afrique », directement rattaché au
poste d’Alger des services spéciaux 70. Ces changements d’appellation
brouillent la perception des missions de l’organe de renseignement aux
regards extérieurs. Dès 1928, le SIL installe un dépôt central à Mar-
seille, drainant les légionnaires engagés dans tous les dépôts de la Légion.
Il établit donc un fichier de tous les légionnaires engagés, libérés et des
candidats suspects refusés à l’engagement. En janvier 1928, un rapport
adressé d’Oran aux services spéciaux à Paris attire l’attention sur son
intérêt.
« a/Russes. Les anciens officiers nous ont quittés et ont préféré essayer de
gagner leur vie en France. Les Russes non gradés qui se trouvent actuellement à
la Légion proviennent soit de jeunes gens ayant travaillé dans des usines et y
ayant été syndiqués ou affiliés à des cellules, soit de rengagés rentrés en URSS et
revenus à la Légion. b/Allemands. Les Allemands proviennent soit des agita-
teurs politiques de 1919-1920, soit de la masse des sans-travail ; ils ont en partie
travaillé dans les usines et ont également été syndiqués ou affiliés à des cellules ;
l’expérience a montré que les individus que les usines licenciaient n’étaient géné-
ralement pas les meilleurs. c/Italiens sont en principe des travailleurs expulsés par
le régime fasciste pour leurs idées avancées. d/Espagnols sont en général des
déserteurs ou des expulsés politiques. e/Polonais proviennent d’anciens ouvriers

69. SHD/DAT 7NN 2 151, instruction nº 811 de la SR-SCR/EMA2 réglant


l’organisation, le fonctionnement et les attributions du service de renseignement de
la Légion étrangère, 1er mars 1926.
70. Ibidem, note nº 2486 SCR/EMA2 du 29 janvier 1932.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

et particulièrement des mineurs ayant travaillé en France et ayant fait partie des
syndicats et des cellules 71. »
L’usage est double pour la Légion étrangère et pour les services spé-
ciaux militaires. En effet, il oriente vers la SR-SCR les légionnaires démo-
bilisés susceptibles de devenir des agents d’espionnage ou suspects
d’opinions politiques extrêmes. Le SIL est désormais en contact avec les
services spéciaux, aussi bien les postes SR que la centrale. Le système
irrigue d’informations et de dossiers personnels les services spéciaux de la
fin des années 1920 à 1939. Cette contribution atypique est-elle pour
autant intéressante pour les services spéciaux ?
De 1926 à 1939, les responsables de la Légion étrangère renforcent
la liaison avec les services spéciaux militaires. Les rapports annuels du SIL
dressent la carte d’une extraordinaire activité de 1931 à 1937 72. L’état-
major de l’armée procède à une ultime et fondamentale réorganisation du
renseignement de la Légion, par l’instruction signée du général Colson,
chef d’état-major de l’armée, le 17 février 1937. Preuve que l’EMA
assigne bien à la Légion étrangère une mission stratégique et intégrée aux
moyens de renseignements secrets. Cette instruction porte la création du
bureau des statistiques de la Légion étrangère (BSLE), absorbant le
BLA 73. Ses missions se font au bénéfice de la Légion d’une part, et au
bénéfice exclusif du service de centralisation des renseignements de l’état-
major de l’armée pour l’espionnage de la France par des agents intro-
duits à l’intérieur de la Légion d’autre part. Le SIL devient un organe
subordonné du BSLE. Il est chargé des recherches et des surveillances en
France, avant ou après l’embarquement des légionnaires, en liaison avec
les dépôts de la Légion et les services SCR du 2e bureau de l’EMA. Il tra-
vaille notamment au profit de la section d’outre-mer du 2e bureau de
l’EMA. Situé à Sidi-Bel-Abbès, le BSLE est donc l’organe directeur du
renseignement de la Légion étrangère, qui dépend directement de l’état-
major de l’armée-service de renseignement, en liaison étroite avec le poste

71. SHD/DAT 7NN 2 129, dossier 515, rapport du SDO d’Oran à SR-SCR/
EMA2 du 13 janvier 1928 au sujet d’agents communistes engagés à la Légion étran-
gère.
72. SHD/DAT 7N 1 011-2 Supplément, rapports d’activités du SIL de 1931 à
1937.
73. SHD/DAT 7N 2 151, instruction SR-SCR/EMA2 réglant l’organisation, le
fonctionnement et les attributions du service de renseignement de la Légion étran-
gère du 17 février 1937.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

SR-SCR d’Alger et de ses antennes d’Afrique du Nord. « Ses missions lui


font donc : assurer le contrôle postal ; surveiller les agissements extérieurs
de la Légion visant à détourner les légionnaires de leur devoir ; tenir le
contrôle des suspects ; centraliser les renseignements de toute nature lui
parvenant ; transmettre à l’EMA tous renseignements sur les armées
étrangères ; envoyer au SIL les informations sur les légionnaires libé-
rables ; communiquer à la SEA d’Alger les noms des légionnaires suscep-
tibles d’être recrutés comme agents ; donner des directives aux officiers
chargés des SR régimentaires 74. » Un schéma reproduit les liaisons entre
les différents organes intéressant le renseignement de la Légion 75. Le
BSLE adresse à la SR-SCR des renseignements pouvant être classés en
trois types : des informations individuelles, des renseignements sur les
activités de propagande et de subversion des puissances étrangères à
l’encontre des intérêts français, des renseignements militaires de toute
nature à partir de ses implantations en Afrique du Nord et en Indo-
chine. Les renseignements individuels et statistiques sur les légionnaires
et les recalés à l’engagement sont les plus nombreux. La provenance, la
profession et les motivations des engagés, leur démobilisation qui les
expose au recrutement des services étrangers sont analysées. Les indési-
rables non engagés sont fichés. Parmi les légionnaires engagés, les opi-
nions sont aussi diverses.
Aussi la surveillance des Allemands est-elle particulièrement ren-
forcée depuis la remilitarisation de la Rhénanie en mars 1936. La chro-
nologie qui fait réviser l’organisation du renseignement de la Légion est
étroitement liée au contexte national et aux décisions prises par Édouard
Daladier depuis l’arrivée du Front populaire au pouvoir. Certes, des
réflexions sont menées depuis 1934 par le chef du SIL et en 1935 par
l’état-major de l’armée pour optimiser le renseignement produit par la
Légion étrangère et ses régiments. Leurs conclusions suggèrent une révi-
sion de son organisation déjà à l’automne 1935 76. Mais l’organisation
mise en place au profit des services spéciaux de l’état-major de l’armée est

74. Ibidem, p. 5-6.


75. SHD/DAT 7NN 2 151, schéma des liaisons du renseignement de la Légion
à la création du BSLE en 1937.
76. SHD/DAT 7NN 2 151, note SR-SCR/EMA2 au sujet de la révision de
l’organisation du renseignement à la légion étrangère pour obtenir un meilleur ren-
dement du SI, du BLA et des SR régimentaires.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

sans précédent en France et dans l’histoire de la Légion. Elle subor-


donne en effet le renseignement de la Légion à une organisation mili-
taire qui l’englobe, l’oriente et l’exploite à des fins autres que ses missions
naturelles. En 1938-1939, les légionnaires allemands libérés à Marseille
subissent des tentatives de recrutement par les services spéciaux nazis
abrités par le consulat d’Allemagne 77. Le chef du SIL rend compte à la
SR-SCR de l’activisme de ce consulat dans le milieu des légionnaires
libérés 78. Ces tentatives redoublent en 1938-1939 ainsi que le démon-
trent les renseignements archivés par la SR-SCR 79. L’action contre la
désertion est énergique par la surveillance de la correspondance des
légionnaires. Il s’agit par exemple d’enrayer les fausses informations de la
propagande allemande récurrente d’une amnistie pour tous les Allemands
rentrant en Allemagne, encore en 1939 80. L’activité des services spé-
ciaux des deux pays auprès des légionnaires engagés et libérés est ana-
lysée. En liaison avec les organes de renseignements régimentaires, la
propagande communiste et étrangère est traquée dans les régiments de
1936-1937. En mars 1937, la mission d’évaluation du commandant
Schlesser, responsable de la SCR, de la surveillance des frontières dans le
sud-est lui fait apprécier les résultats du SIL, avec ceux du poste de Mar-
seille et des commissaires spéciaux de la région. Il conclut que l’organisa-
tion du SIL par le capitaine Pasteur est parfaite. « Les interrogatoires sont
parfaitement menés ; archives et fichiers sont en ordre et d’une manipu-
lation facile : le SR ne peut que se louer d’être aussi complètement
secondé par le titulaire du poste Légion de Marseille 81. » Les rapports du
SIL avec la Sûreté nationale sont jugés excellents, grâce à l’activité du
commissaire spécial Couplet pour le recrutement des légionnaires à leur
libération. Un stage du chef du SIL est organisé au poste de

77. SHD/DAT 7NN 2 121, dossier 1157 sur les renseignements reçus du BSLE
concernant les légionnaires mars 1938-octobre 1940.
78. SHD/DAT 7NN 2 208, note du capitaine Pasteur, chef du SIL à la SR-
SCR/EMA2 du 3 février 1936 au sujet des agissements allemands auprès des légion-
naires libérés à Marseille.
79. SHD/DAT 7NN 2 121, dossier 1157 sur les renseignements reçus du BSLE
concernant les légionnaires mars 1938-octobre 1940.
80. SHD/DAT 7NN 2 122, contrôle postal des correspondances diverses de
légionnaires, 1930-1932.
81. SHD/DAT 7NN 2 466, mission du commandant Schlesser, chef de la SCR,
à Marseille en mars 1937 au sujet de la surveillance des frontières du Sud-Est.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

renseignements de Metz et pour visiter Toul, l’un des principaux bureaux


de recrutement de la Légion.
Le renseignement de la Légion a été progressivement, mais parfaite-
ment intégré, au cycle du renseignement des services spéciaux militaires.
Depuis 1924, sa diffusion est soigneusement mise en œuvre à destina-
tion de Paris. Une première exploitation est réalisée par les organes de
renseignement de la Légion avant qu’une exploitation plus générale ne
soit faite par la centrale à Paris. Par ailleurs, le renseignement régimen-
taire de la Légion entre dans le circuit du renseignement tactique et opé-
rationnel. La période 1924-1939 démontre donc un étonnant effort de
coordination du renseignement spécifique de la Légion au renseigne-
ment général, militaire comme policier. Le résultat est, naturellement,
difficile à appréhender et subjectif. Mais il ne fait pas de doute que la
contribution de la Légion à l’émergence d’un renseignement impérial,
plus pratique que doctrinal, a été alors décisive. Elle n’est pas isolée, tant
les années d’après-guerre ont expérimenté des structures de renseigne-
ment ad hoc sur les différents théâtres coloniaux.

Un renseignement impérial tardivement et imparfaitement coordonné

Les ailes impériales de la SR-SCR : défendre les terres d’empire


Le renseignement a trouvé dans l’empire colonial une terre d’élection
et de mission. Deux nouveautés se dessinent après 1918, dont les seuls
effets sont observés. Il faut d’emblée reconnaître qu’une tradition ancrée
du renseignement existe dans les cultures d’armes en France. Il n’est pas
dans notre intention ici de saisir les spécificités d’un renseignement des
unités de la Légion, des troupes coloniales ou des troupes du Levant.
L’empire est un riche creuset d’expériences, depuis les affaires indigènes
et musulmanes jusqu’aux solutions explorées dans les années
1920-1930 82. Créé en 1921, le service de renseignement du Levant fonc-
tionne déjà comme un renseignement de théâtre d’opérations, dans les
territoires sous mandat en Syrie et au Liban 83. Il existe cependant une
part proprement impériale des services spéciaux militaires, agrégeant

82. Jacques Frémeaux, op. cit., Paris, Maisonneuve et Larose, 2002, p. 274-279.
83. Jean-David Mizrahi, op. cit., p. 408 et Martin Thomas, op. cit., p. 197-210.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

l’action de moyens propres de renseignements des différents théâtres opé-


rationnels extérieurs, sans autres liens que l’appartenance à l’empire
français. Dans l’empire, les responsables civils et militaires ont souvent
encouragé la mise sur pied de moyens ad hoc, à leur seule disposition,
pour contrôler l’information utile à leur mission. Au sortir de la Grande
Guerre, Paris n’a pas cherché à orchestrer une stratégie générale ambi-
tionnant l’intégration des renseignements d’empire au profit de sa poli-
tique de Défense nationale. En effet, le renforcement des moyens
impériaux de renseignement n’est véritablement mis en œuvre que dans
les années 1930. Certes, l’élargissement du dispositif international des
postes a été marqué par l’adjonction de nouveaux postes de recherche de
renseignements de l’état-major de l’armée, par exemple à Beyrouth, bap-
tisé « section d’études du Levant » en 1931. Ce poste ne recouvre pour-
tant pas les attributions du service de renseignement du Levant,
continuant d’exister de façon concomitante dans les années 1930. Sa
mission est de rechercher des informations en priorité économiques et
politiques, puis militaires au Proche-Orient. La section ne relève pas de
l’autorité de l’état-major des troupes du Levant, disposant d’un 2e bureau
et d’un renseignement propre, ni même de celle du haut-commissaire à
Damas, mais de l’état-major de l’armée à Paris 84. La volonté d’un
contrôle direct du renseignement collecté à Paris est vraisemblable. Son
rôle est renforcé par l’intensité des agissements allemands et anglais au
Proche-Orient depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Mais sa
tâche est alourdie rapidement par le cumul des recherches de renseigne-
ments et de contre-espionnage. L’organisation en est modifiée par l’appli-
cation du décret interministériel du 10 février 1939 sur le
contre-espionnage. Désormais, les services de la Sûreté nationale au
Levant supportent une modification avec la création d’un service de
sûreté rattaché à l’état-major du général Caillault, commandant les
troupes du Levant. La création d’un bureau de centralisation des rensei-
gnements à son état-major permet à la SEL d’être déchargée de la centra-
lisation des questions de contre-espionnage, y compris intérieure, qu’elle

84. SHD/DAT 7N 2 499, lettre du Président du conseil, ministre de la Guerre,


au commandant des troupes du Levant du 30 mai 1933, au sujet du rattachement
du poste de recherche de Beyrouth en cas de mobilisation.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

assurait depuis 1931 85. Elle concentre ses recherches extérieures de ren-
seignement au profit de la SR-SCR à Paris. Il y a bien une surimposition
de deux systèmes dépendant du commandement supérieur des troupes
du Levant d’une part et des services spéciaux militaires à Paris d’autre
part. Les modalités d’application du décret du 10 février 1939 condui-
sent à la création au Levant d’un poste de commissaire de surveillance du
territoire et l’affectation d’un officier spécialisé en matière de contre-
espionnage à son état-major.
La création en temps de guerre d’un poste à Djibouti est contempo-
raine de cette première évolution 86. La proposition de mettre sur pied ce
poste mixte Marine-Guerre émane du ministère de la Guerre. En mai
1931, la Marine y voit l’intérêt de renforcer en cas de conflit la surveil-
lance, assumée déjà par la division navale du Levant, de la ligne de
communication de la mer Rouge, la zone d’Aden et Djibouti, puis le
trafic des pétroles du golfe Persique. Le ministère de la Guerre accroî-
trait ainsi les moyens de recherche de renseignements sur l’Érythrée, la
Somalie et l’Arabie du Sud 87. En juin 1933, le principe d’un poste dès
le temps de paix, en accord avec la direction des troupes coloniales, a che-
miné. Il est finalement mis en place en août 1933, dépendant du
commandant des troupes de la Côte des Somalis 88. Le poste de Dji-
bouti reçoit pour instruction, en liaison avec la SR-SCR, la recherche de
renseignements, non sur la colonie et son secteur géographique, mais sur
l’évolution de la situation en mer Rouge et dans l’océan Indien. En parti-
culier, les renseignements visent les intentions de création d’une fédéra-
tion des États musulmans sous l’autorité de Fayçal d’Irak ou d’Ibn Séoud
en Arabie wahabite. Les évolutions des jeunes États arabes en Assyr, les
contestations contre les Wahabites au Hedjaz et les Hachémites sont
guettées. Les agissements des puissances étrangères allemande, italienne et
soviétique sont suivis attentivement. Le poste s’abstient de rechercher des

85. SHD/DAT 7NN 2 400, note nº 258 du général Caillault, commandant


supérieur des troupes du Levant, du 25 avril 1939 au ministre de la Guerre, SCR/
EMA2 au sujet de l’organisation du contre-espionnage.
86. Colette Dubois, Djibouti 1888-1967 : héritage ou frustration ?, Paris, L’Har-
mattan, 1997, 431 p.
87. SHD/DAT 7N 2 499, note du ministre de la Marine nº 226/EMG2 au
ministre de la Guerre EMA2 du 13 mai 1931.
88. SHD/DAT 7N 2 499, note nº 1320 du ministre des colonies au ministre de
la Guerre du 4 août 1933 au sujet du poste de renseignement de Djibouti.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

informations sur les territoires anglais et auprès de ressortissants anglais.


L’évolution sociale et politique régionale est observée en Éthiopie et dans
les États musulmans de la péninsule Arabique. Les recherches d’informa-
tions des navires faisant escale depuis l’Extrême-Orient et les régions
indonésiennes sont prescrites 89. Les liaisons entre la Marine et la Guerre
sont harmonieuses à Djibouti durant les années 1930 90. En 1935, le
poste suit étroitement l’invasion italienne et la guerre avec l’Éthiopie. Il
en devient très vite le principal moyen d’observation. Cette situation ne
suffit pas à infléchir la politique de Pierre Laval favorable à un certain
laisser-faire en faveur de l’Italie, sceptique par principe à l’encontre du
renseignement en général. Aussi les synthèses du colonel Guillon, attaché
militaire à Djibouti, sur les effectifs et les forces réelles de l’armée du
Négus, soit 200 000 hommes pouvant monter à 300 000, ont-elles peu
de chance d’être reprises par la présidence du Conseil pour fonder une
décision en 1935. Quoique médiocrement équipée, l’armée du seul État
africain indépendant est galvanisée, à l’automne 1935, par le souvenir de
la victoire éthiopienne d’Adoua sur l’Italie en 1896 et l’idée que le relief
complique les opérations italiennes.
« Par l’Érythrée, les Italiens ont pris pied sur le plateau abyssin et seraient à
portée d’intervenir directement en Éthiopie, mais ils tombent de suite sur du
dur ; et l’histoire récente de leurs déboires rend peu probable une tentative pour
aborder par le nord le plateau abyssin. Le caractère extrêmement difficile du pays
rend peu probable une tentative qui mettrait en mouvement (ou risquerait de le
faire) tous les éléments guerriers de l’Abyssinie. »
Le 2e bureau est optimiste sur la situation éthiopienne au début
d’octobre 1935 91. De leur côté, les Britanniques envoient des agents
pour apprécier la situation en liaison avec le vice-consul d’Angleterre 92.
L’agent Frank Edwin de Halpert, né à Berne de père autrichien en 1883
et naturalisé anglais, est l’agent du Colonial Office qui, après trois ans
comme conseiller auprès du gouvernement éthiopien en 1930-1933, est
chargé de suivre la situation. Il a été formé à l’école de Lawrence

89. SHD/DAT 7N 2 499, note d’instructions du général Moyrand, EMC pour


le commandant Onno, chef du poste de Djibouti, 22 juillet 1933.
90. SHD/DAT 7NN 2 622, correspondance sur les liaisons entre les ministères
de la Marine EMG2 et de la Guerre EMA2/SR-SCR sur le poste de Djibouti, 6
novembre 1935.
91. SHD/DAT 7N 2 504, note du 2e bureau de l’EMA, 5 octobre 1935.
92. Martin Thomas, op. cit.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

d’Arabie 93. Au début de l’année 1935, il sillonne l’Abyssinie dans la


région du lac Tsana, puis de Kaffa. Mais les gouverneurs de province
semblent mal préparés aux responsabilités militaires qui les attendent.
À la fin des années 1930, la mise en défense de l’empire appelle donc un
redoublement des moyens pour le protéger 94. Le projet de service de ren-
seignement intercolonial prend forme.

Le service de renseignement intercolonial en 1936-1939


Faut-il exploiter un renseignement impérial propre dans une concep-
tion exclusive de la défense impériale ou le subordonner à une vision plus
stratégique de la Défense nationale ? À vrai dire, il n’y a pas eu d’unité
de vue entre les dirigeants politiques et les chefs militaires français sur la
contribution de l’empire à la Défense nationale entre 1919 et 1939 95. La
raison a longtemps été la volonté jalouse des chefs militaires de conserver
l’outil du renseignement entre leurs mains, condition de l’influence dans
l’appareil d’État, qu’il s’agisse de Pétain, Buat et Debeney au début des
années 1920, Weygand ou Gamelin dans les années 1930. Il y a aussi,
indubitablement, les rivalités des départements ministériels, Affaires
étrangères, Marine, Colonies et Guerre, avant que la présidence du
Conseil n’impose une coordination interministérielle, non sur un plan
d’égalité, mais sous son égide. Gamelin a ainsi longtemps retardé la mise
sur pied d’un service impérial qui pouvait échapper au contrôle de
l’armée, si l’on en croit les notes du général Schweisguth en février 1936.
« Rapport où je fais le compte rendu du haut comité méditerranéen. Le
général Gamelin ne serait pas partisan d’une sorte d’Intelligence Service, crai-
gnant de perdre l’indépendance de notre SR 96. »
L’enjeu immuable demeure bien alors de peser sur les décisions poli-
tico-stratégiques françaises, dans le domaine étranger et colonial. Pour-
tant, l’idée d’un service centralisant tout le renseignement colonial
s’aiguise en France après l’invasion éthiopienne par l’Italie en octobre

93. SHD/DAT 7NN 2 394, note de surveillance de la SR-SCR en février 1935


sur les agents anglais en Abyssinie en 1935-1936.
94. Christine Levisse-Touzé, L’Afrique du Nord et la Défense nationale française
1919-1939, op. cit.
95. Christine Levisse-Touzé, L’Afrique du Nord dans la guerre 1939-1945, op.
cit., p. 15-47.
96. AN 351 AP 2, notes du général Schweisguth, premier sous-chef d’état-major
à l’EMA, 25 février 1936.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

1935. La défense impériale et le coup d’arrêt aux dictatures sont à l’ordre


du jour à Paris en ce début de février 1936. L’écho de l’organisation du
renseignement au profit du cabinet anglais en 1936 donne des idées aux
politiques les mieux informés. Ce débat a pour cadre le Haut Comité
méditerranéen, organisme interministériel créé par décret du 23 février
1935, regroupant les responsables civils du gouvernement et les militaires
concernés par la question impériale, en mesure d’informer la présidence
du Conseil. L’organisme couvre les questions militaires, économiques
intéressant les départements ministériels de l’Intérieur pour l’Algérie, les
Affaires étrangères pour le Maroc, la Tunisie et la Syrie, le ministère des
Colonies pour les questions musulmanes des autres colonies et le minis-
tère de la Guerre. Précisément, les notes du général Schweisguth retra-
cent les étapes de sa mise en œuvre au premier semestre 1936. De fait,
il fonctionne davantage comme un organe d’information et d’élaboration
d’une doctrine d’action interministérielle. Il est réuni cinq fois en mars
1937 97.
Trois responsables politiques ont porté la naissance du service de ren-
seignement intercolonial en 1936-1937. En 1936, le radical-socialiste
Albert Sarraut (1872-1962) est le premier d’entre eux. Sa connaissance
de l’empire est profonde, après avoir été gouverneur général de l’Indo-
chine en 1911-1914 et 1916-1919, puis ministre des Colonies en
1920-1924 et 1932-1933. Mais c’est comme président du Conseil,
depuis janvier 1936, que ce spécialiste de l’outre-mer prend position au
Haut Comité méditerranéen le 24 février 1936.
« Il faut monter dans chaque pays un SR, prendre des idées auprès du SR et
de la Sûreté ; utiliser le concours des volontaires comme le fait l’Intelligence Ser-
vice. Constituer à Paris une commission de techniciens qui formerait une brigade
volante se rendant dans chaque pays. La commission spécialisée fonctionnant
dans chaque pays doit être au service et aux ordres directs du résident général. Il
faut resserrer la collaboration entre toutes les hautes autorités civiles et mili-
taires. […] Il faudra étudier dès maintenant les causes profondes de la situation
dans laquelle on désire être renseigné, notamment le problème de l’utilisation de
l’élément indigène. Apporter un programme à la prochaine réunion le 25 mars. »

97. Nicolas Roussellier, Du gouvernement de guerre au gouvernement de la Défaite.


Les transformations du pouvoir exécutif en France (1913-1940), mémoire de recherche
inédit, Vers une histoire de la loi, p. 245-248, IEP de Paris, juin 2006, vol. 1 du dos-
sier d’habilitation à diriger les recherches.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

Et Schweisguth de résumer l’intention du président du Conseil en


soulignant :
« Il faut qu’un cabinet politique fonctionne auprès du gouverneur résident.
L’officier du SR restant indépendant mais en liaison. Question à étudier : parti-
cipation à une commission volante et à un cabinet politique et éventuellement
à la présidence du Conseil. Envoi éventuel d’un officier au Caire pour suivre les
affaires musulmanes 98. »
L’enjeu d’une réorganisation et d’une centralisation du renseigne-
ment impérial, au profit de la présidence du Conseil, témoigne de la
force nouvelle que l’empire prend dans la Défense nationale. En réalité,
les moyens de renseignements existent déjà en règle générale auprès des
résidents, mais qui ne le diffuse pas toujours auprès de Paris. En outre,
des sections et des antennes des services spéciaux sont déjà déployées dans
les territoires de l’empire en 1936, mais sans qu’une véritable synthèse
pour une meilleure exploitation nationale ne soit conçue. Chaque minis-
tère – Colonie, Marine, Guerre, Intérieur – a ses moyens propres d’infor-
mation dans les colonies, selon leur statut et leur histoire avec la
métropole. Plus qu’une intuition, Albert Sarraut donne une impulsion
centralisatrice interministérielle face à la triple menace italienne, alle-
mande et soviétique qui agite les nationalismes indépendantistes, à
l’exemple de la situation indochinoise dont il est parfaitement informé en
1936. Le Proche-Orient, et en particulier la Syrie 99, ainsi que la Corne
de l’Afrique retiennent alors prioritairement l’attention de Paris. Pour-
tant, la crise de la Rhénanie suspend les intentions réformistes d’Albert
Sarraut et de son gouvernement, obnubilés par la résolution de la nou-
velle menace allemande. Aussi le Haut Comité méditerranéen, à nouveau
réuni le 25 mars 1936, se borne-t-il à envisager des mesures enrayant
l’éclosion des nationalismes en Syrie et en Afrique du Nord, notamment
en Tunisie et en Algérie avec l’annonce de la dissolution prochaine de
l’Étoile nord-africaine. Abordé, l’enjeu d’un service de renseignement
impérial est suspendu à de prochaines décisions 100. De fait, l’actualité

98. AN 351 AP 2, notes du général Schweisguth, premier sous-chef d’état-major


à l’EMA, 24 février 1936.
99. AN 351 AP 2, compte rendu du grand rapport de l’EMA du 3 mars 1936
sur l’inquiétude de Gamelin face aux concessions de M. de Martel aux nationalistes
syriens.
100. Ibidem, compte rendu du général Schweisguth au grand rapport de l’EMA
du 25 mars 1936 du déroulement du haut comité méditerranéen du 25 mars en pré-

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

internationale et la préparation des élections législatives l’emportent à


compter d’avril dans l’agenda politique du gouvernement d’Albert Sar-
raut. Après les élections législatives d’avril et mai 1936 qui consacrent le
succès électoral du Front populaire, le débat se déplace au comité consul-
tatif des colonies dès le mois de juin 1936. Dans cette optique, le rôle
tenu par Marius Moutet est également indéniable 101. Le nouveau
ministre des Colonies prend d’emblée une ligne politique visant à une
mise en défense plus énergique de l’empire, en dépit des positions offi-
cielles de la SFIO à laquelle il appartient 102. Mais les affaires européennes
relèguent une nouvelle fois au second plan la question du renseigne-
ment impérial. Tour à tour, la guerre d’Espagne, l’opportunité de
conversations avec les Soviétiques à l’automne, les difficultés des coopé-
rations secrètes consécutives avec les alliés d’Europe centrale accaparent
le gouvernement et l’état-major de l’armée. Après sa réunion du 25 mars
1936 à l’issue de laquelle il exprime son inquiétude devant l’action de la
Troisième Internationale, les agissements du mouvement panislamique,
la contrebande des armes latente et l’action de divers pays, à savoir l’Alle-
magne, l’Italie et l’Angleterre qui suscitent des difficultés dans l’empire
français, le comité exprime le vœu d’un renforcement de ses moyens
d’information. Sollicités, les services spéciaux militaires proposent un
organe de renseignement intercolonial, distinct de la section d’outre-mer
et qui compléterait les recherches de la SR. Mis en forme par le comman-
dant Antoine, ancien officier d’active passé au ministère des Colonies, ce
projet fut présenté à la centrale des services spéciaux à Paris le 28 octobre
1936 103. Le général Billotte proposa alors la mise sur pied d’un organe de
centralisation et d’exploitation de renseignements qui lui serait rattaché.
« L’observation des puissances étrangères, telles que la Grande-Bretagne,
l’Italie, la Hollande, le Japon, la Chine, le Siam… doit rester exclusivement
réservée au 2e bureau. En revanche, […] la recherche des renseignements sur les

sence d’A. Sarraut, du général Maurin, ministre de la Guerre, de Stern, de Martel


(Syrie), Peyrouton, Lehean, Généraux Gamelin et Georges, Magny directeur de la
Sûreté.
101. AN 28 PA 1, correspondance active et passive de Marius Moutet, ministre
des Colonies en 1936-1937.
102. AN 351 AP2, mémento du général Schweisguth, 29 et 30 juin 1936 sur la
réunion du comité consultatif des colonies présidé par le général Billotte.
103. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, vol. 1, 28 octobre
1936, p. 19.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

colonies étrangères voisines de nos possessions coloniales serait d’un grand intérêt
[…] et l’Indochine par ses propres moyens pourrait rechercher des renseigne-
ments à ses frontières avec les provinces siamoises et chinoises (Kouangtoung,
Kouangsi, Yunan) 104 ».
Les synthèses et les renseignements de la section des armées étran-
gères, de la section de renseignement et de la section d’outre-mer doi-
vent être adressées dorénavant au comité consultatif et réciproquement.
Dans ce schéma d’organisation, le gouvernement n’est pas directement
destinataire des renseignements élaborés. L’Indochine nécessite des dis-
positions spéciales à son égard, expliquant l’attention particulière que le
service de renseignement intercolonial lui accorde d’emblée. Le général
Billotte donne un accord favorable le 1er avril 1936, soucieux d’une prise
en compte, dans le plan de renseignement du 2e bureau de l’EMA, des
enjeux impériaux 105.
Dépendant de l’état-major du ministère des Colonies, le service de
renseignement intercolonial est alors mis sur pied dans le courant de
l’année 1937. Son apparition est donc largement postérieure à la
conquête de l’empire. Moins qu’un organisme de recherche, il est l’ins-
trument d’une coordination et d’une centralisation de la documentation
sur l’empire par des moyens de renseignements variés. Sans le nom, il
présente l’objectif d’exploiter le renseignement au profit du ministre des
Colonies. Sans doute le ministre des Colonies, des protectorats et de
l’Algérie renforce-t-il en 1938 son autorité sur un département ministé-
riel écartelé historiquement entre les ministères de la Marine, des Affaires
étrangères et de la Guerre. Ce service est rattaché au cabinet du ministre
des Colonies. En effet, l’état-major des Colonies n’est créé que postérieu-
rement, en 1938 ; il est confié à l’inspecteur général des troupes colo-
niales, le général Bührer 106. Le SRI adresse alors ses synthèses à
l’état-major des Colonies dont le chef fait son entrée statutaire au conseil
supérieur de la Guerre en 1938. Le service de renseignement

104. SHD/DAT 7NN 2 281, lettre nº 1092/9 du 26 mars 1936 du général


Colson, chef de l’état-major de l’armée, au général Billotte, président du comité
consultatif de défense des colonies au sujet de la création d’un organe de renseigne-
ments.
105. SHD/DAT 7NN 2 281 lettre de réponse nº 56 du général Billotte, prési-
dent du CCDN au général Colson, CEMA, 1er avril 1936.
106. Général Bührer, Aux heures tragiques de l’empire, Paris, Éd. Alsatia, 1944,
p. 20.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

intercolonial offre un moyen supplémentaire, prioritairement au ministre


de la Marine et secondairement au ministre de la Guerre, de la mise en
défense de l’empire en 1938-1939 107. En effet, l’intégration du service de
renseignement intercolonial dans le dispositif de la SR-SCR ne va pas
sans provoquer des risques de chevauchement avec les missions déjà
dévolues aux postes. Ainsi prennent sens rétrospectivement les instruc-
tions du courrier du 26 mars 1936 du général Colson au général Bil-
lotte, président du comité consultatif de défense des colonies pour fixer
alors ses prérogatives futures 108. Il ne s’agit pas d’observer des puissances
étrangères, mission du 2e bureau de l’EMA, mais de créer un organe de
centralisation et d’exploitation de renseignement auprès du ministre des
Colonies. Aussi la question n’est-elle en définitive tranchée qu’en 1938
par Georges Mandel qui, nouveau ministre des Colonies, lui donne toute
sa place 109.
L’analyse de Raoul Salan, qui lui accorde rétrospectivement une mis-
sion impériale et mondiale exclusive qui relève en réalité des services spé-
ciaux militaires et du 2e bureau de l’état-major de l’armée, a pu paraître
excessive 110. Jeune capitaine d’infanterie coloniale en Indochine depuis
1934, Raoul Salan y est affecté en mai 1937. Il est sous les ordres du
colonel Nyo au nouveau service intercolonial (ou impérial). En somme,
les organes de recherche restent dans les mains des services spéciaux mili-
taires devant partager aves les moyens de renseignement propres aux
autorités coloniales, civiles comme militaires, et qui répondent aux
commandes de renseignement du comité consultatif de défense des
colonies. Celui-ci se réunit régulièrement, à l’exemple du 8 juin 1937 qui
le voit aborder la question de l’organisation du SRI. Les synthèses du
ministère des Colonies, sous forme de bulletins de renseignement, sont

107. SHD/DAT 7N 2 507, instruction sur les attributions du service de rensei-


gnement intercolonial du 11 octobre 1938, p. 1.
108. Alexis de Roffignac, Le Service de renseignement intercolonial, mémoire de
l’ESM de Saint-Cyr sous la direction d’Olivier Forcade, mai 1998, 87 p.
109. AN 18 PA 1, dossier de presse sur les activités de Georges Mandel, ministre
des Colonies, Les protectorats et de l’Algérie, 1938-1939 ; Frédéric Turpin, André
Diethelm 1896-1954. De Georges Mandel à Charles de Gaulle, Paris, Les Indes
savantes, 2004, p. 66-71.
110. Raoul Salan, La Fin d’un empire, tome 1, Le sens d’un engagement : juin
1899-septembre 1946, Paris, Presses de la Cité, 1970, p. 55-56.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

adressées pour avis au 2e bureau de l’EMA 111. Mais les colonies gardent
leur autonomie par l’élaboration d’un plan de renseignement sur les puis-
sances étrangères distincts du plan annuel du 2e bureau de l’EMA. L’inté-
gration et la coopération du SRI avec la SR-SCR sont exemplaires, au
point que ses crédits sont sur une ligne du budget de la SR-SCR en
1938 112. Raoul Salan établit un lien naturel avec les sections du 2e bureau
de l’EMA, en particulier de la SR-SCR 113, avec le SR Marine et avec les
organes du contre-espionnage militaire et policier. En réalité, le SRI ne
se substitue en rien aux organes de collecte de renseignements dans les
théâtres d’opération des colonies. Il renforce leurs sources extérieures au
territoire colonial. C’est spécialement le cas dans les territoires de
l’AOF 114. Huit sections géographiques couvrent son territoire de
recherche à partir de postes ou d’antennes de la SR-SCR existant déjà.
Les postes de Shanghai, de Djibouti ou de Hanoï sont d’autant plus rapi-
dement actifs qu’ils préexistent au SRI. Les postes couvrent des secteurs
larges. Secteur 1 Shanghai : Pacifique nord, Russie d’Asie, Japon, Chine.
Secteur 2 Hanoi : Chine nationaliste, Yunan, Thaïlande, Birmanie,
Malaisie, Philippines, îles de la Sonde. Secteur 3 : Nouméa : Polynésie,
Mélanésie, Australie, Pacifique austral. Secteur 4 Djibouti : Afrique
orientale italienne, Afrique orientale anglaise, Arabie et golfe Persique.
Secteur 5 Tananarive : Afrique orientale anglaise et portugaise, Afrique
du Sud orientale, île Maurice et autres îles. Secteur 6 Dakar : Libye, Rio
de Oro, Canaries, Cap vert, Guinée portugaise, Bissagos, Liberia, Gold
Coast, Nigeria, Gambie, Brésil, Uruguay, Argentine. Secteur 7 Brazza-
ville : Tripolitaine, Soudan, Égypte ; Fernando Po, Guinée espagnole,
Rio Mouni, Congo belge, Angola. Secteur 8 à Fort-de-France : îles anti-
llaises, Venezuela, Guyane. Trois objectifs lui sont assignés dans le bul-
letin de renseignement mensuel rédigé entre autres par le commandant
Salan. Les menées de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon font peser des
menaces explicites sur les colonies françaises comme sur des zones

111. SHD/DAT 7N 2 507, bulletins de renseignement mensuels du 2e bureau


de l’état-major des Colonies, janvier 1937-juillet 1939.
112. Alexis de Roffignac, Le service de renseignement intercolonial, op. cit., p. 12.
113. Raoul Salan, op. cit., p. 56.
114. AN, 200 Mi 3 035-3 036, services de sûreté, renseignements 1933-1941,
lettres aux départements sur l’organisation des SR. 200 Mi 3 044, notes et instruc-
tions sur le contre-espionnage et la surveillance des territoires d’AOF, 1938-1939.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

d’influence ou d’expansion impériale. Les mers et les océans, avec leurs


chapelets insulaires, de la Méditerranée au Pacifique, intéressent les
rubriques du bulletin de renseignement des colonies. La préparation de
la défense coloniale des possessions anglaises, au Kenya ou dans les Indes
anglaises entre dans les préoccupations du SRI 115. La Chine et le Siam
donnent à voir enfin les activités de l’URSS.

L’engagement du service de renseignement impérial dans des


actions subversives
Mais ce sont principalement les actions subversives et de propagande
des Allemands, puis des Italiens, avant celles du Japon et de l’URSS, qui
sont le domaine du SRI. La propagande et les menées secrètes des Alle-
mands sont très actives 116. Le SRI observe particulièrement l’organisa-
tion des services secrets allemands, les instructions et les mouvements des
ressortissants allemands, les influences de la propagande allemande sur les
populations autochtones et les revendications coloniales allemandes.
À cette intention, il bénéficie des études faites par les postes de la SR-
SCR, précisément ceux à l’étranger, et des informations des attachés mili-
taires 117. Le SRI apporte un renseignement sûr et réactif rue Oudinot,
facilitant la prise de mesures coordonnées entre les ministères de la
Guerre, de l’Intérieur et des Colonies. Mais son organisation effective est
trop tardive pour que le ministère des Colonies ne participe aux réunions
mises sur pied par le ministère de l’Intérieur en 1937 afin de coor-
donner l’action de tous les services ministériels compétents en matière de
renseignement. Sa véritable fonction est bien une exploitation du rensei-
gnement au profit des plus hautes autorités militaires et politiques. Selon
Raoul Salan, l’empressement quotidien de Georges Mandel à recevoir les
renseignements du jour confirme leur importance 118. Précisément,
l’extension du champ géographique du service de renseignement interco-
lonial lui permet de dégager principalement un renseignement militaire

115. SHD/DAT 7N 2 507, bulletin de renseignement du SR intercolonial


nº 11, avril 1938.
116. Chantal Metzger, L’Empire colonial français dans la stratégie du Troisième
Reich (1936-1945), Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2002, 2 volumes.
117. SHD/DAT 7NN 2 705, étude des influences allemandes, italiennes et japo-
naises dans les pays d’Amérique centrale et du Sud, 23 octobre 1939.
118. Raoul Salan, op. cit., p. 57.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

de valeur stratégique sur la poussée des influences étrangères dans


l’empire colonial. Le renseignement politico-économique n’est pas sa
priorité à l’heure des coups de boutoir des États totalitaires ou autori-
taires. Un tableau des stages à effectuer pour les officiers dresse à
l’automne 1938 un état des effectifs. Sur onze officiers, quatre sont
affectés en Afrique, – Albinet, Crétien, Gresset à Dakar et d’André à
Brazzaville – ; trois en Indochine – Runner et Bonnevay à Saïgon, Driay
à Hanoi – ; et quatre en Chine – Troccard, Graille, Demule à Shangai,
Fourgeot à Canton. L’Extrême-Orient est bien privilégié par le SRI, qui
a pourtant tenu un rôle certain dans la Corne de l’Afrique en
1938-1939 119.
Les menées subversives italiennes depuis l’Éthiopie contre les intérêts
français dans la Corne de l’Afrique ont provoqué une réponse originale,
assez atypique, de la part de services spéciaux français avec l’assentiment
de Daladier, de Mandel et de Gamelin 120. Au début de l’automne 1938,
le général Gamelin accède à la proposition du général Bührer d’envisager
une opération préparant une insurrection contre les Italiens en Afrique
orientale. Gamelin en rend compte à Édouard Daladier, ministre de la
Défense nationale et président du Conseil.
« Il est possible de la mener de Djibouti, mais elle doit s’accompagner de la
réunion de moyens destinés à soutenir une révolte (armes, munitions, explosifs)
et aucun crédit ne figure au budget du ministère des Colonies pour une pareille
action. Compte tenu de l’intérêt que nous avons à appuyer les efforts sérieux
entrepris sur le même sujet par les Britanniques au Soudan anglo-égyptien, je
vous demande de bien vouloir faire attribuer au ministère des Colonies les crédits
spéciaux indispensables à une action politique en AOI ; 2 millions seraient néces-
saires en 1939 121. »
Le ministre des Colonies adresse alors une demande au ministre des
Finances, pour financer cette opération exceptionnelle conçue par Raoul
Salan. Djibouti, port français fondé en 1888 avant d’accueillir une base
militaire dont la défense est renforcée depuis 1937, a une position idéale

119. SHD/DAT 7NN 2 693, stages à effectuer pour les officiers du SRI en
octobre-décembre 1938.
120. Hervé Desplanches, Les Français face à l’Afrique orientale italienne
1938-1940. L’action subversive en pays abyssin, mémoire de maîtrise de l’université de
Provence sous la direction de Marc Michel, 1991, 255 p. et annexes.
121. SHD/DAT 6N 309, note du général Gamelin, CEMG à Édouard Dala-
dier, ministre de la Défense nationale, président du Conseil, septembre 1938, au
sujet d’un projet de soulèvement par le SR en Afrique orientale italienne.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

pour contrer la présence italienne 122. Face aux menées et aux incursions
italiennes, le poste de Djibouti conçoit une action de soutien aux maquis
des hauts plateaux de l’Ouest éthiopien, dans la province d’Amhara
proche du Soudan anglo-égyptien. Le contexte est celui de la crise des
relations franco-italiennes du 30 novembre 1938. À deux reprises, en
décembre 1938 et en juin 1939, des opérations subversives sont lancées
par la volonté de Mandel et avec le soutien de Charles-Michel Côte,
homme d’affaires lyonnais, ancien directeur des chemins de fer franco-
éthiopiens d’Addis-Abéba. Entre-temps, une note du directeur des
affaires européennes et méditerranéennes à Rome, Gino Buti, est tombée
le 27 janvier 1939 entre les mains des services français. Décryptée, cette
information dévoile les projets mussoliniens d’internationaliser les
détroits méditerranéens (Gibraltar, Suez, Bosphore), d’en finir avec Dji-
bouti sous influence française et de diviser la Tunisie en cinq territoires
autonomes 123. Le poste de Djibouti orchestre avec Salan la première opé-
ration, menée avec un honorable correspondant des services, le comman-
dant Paul Monnier, et un conseiller du Négus réfugié à Londres, Lorenzo
Taezaz. La seconde est conçue avec l’accord de Daladier et après informa-
tion du conseil supérieur de la Défense nationale. Elle reçoit le soutien
des Anglais depuis l’Égypte et le Soudan. Ces missions de destruction des
moyens militaires italiens tournent court en novembre 1939, paradoxale-
ment après le début de la guerre qui aurait pu leur donner une exten-
sion. Il subsiste cette expérience originale qui préfigure les « opérations
actions » dans la Seconde Guerre mondiale.
L’empire colonial est autant apparu comme un espace de rivalités
propres que comme une caisse d’amplification des propagandes et des
actions subversives internationales. Il y a certes des affrontements loca-
lisés, dans le temps et l’espace, entre les services secrets britannique et
français, mais aussi à l’inverse des coopérations inattendues avec le Japon,
l’Espagne, répondant à l’intérêt de l’heure. L’empire donne une profon-
deur stratégique à la Défense nationale, au-delà des seules conceptions
stratégiques euro-méditerranéennes ou euro-africaines dans les années
1920 et 1930. Ces conceptions ne sont pas nécessairement partagées,

122. Colette Dubois, Djibouti 1888-1967 : héritage ou frustration ?, Paris, L’Har-


mattan, 1997, 431 p.
123. Élisabeth du Réau, Édouard Daladier 1884-1970, Paris, Fayard, 1993,
p. 309.

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Le renseignement impérial dans la Défense nationale

sinon imaginées, par tous les responsables civils et militaires. Aussi la


mise en place d’un système de renseignement national intégrant le rensei-
gnement de la Légion et celui des possessions coloniales n’est-elle que
lente et progressive. Néanmoins, le tournant est pris en 1937-1938 pour
donner corps à une vision impériale, sinon mondiale, du renseignement
que la Marine a eu tendance à spécialiser et l’armée métropolitaine à
éluder. Après 1918, le dispositif des postes s’est à la fois européanisé et
épanoui dans le cadre de l’empire. Par ailleurs, la mise en défense de
l’empire par l’outil du renseignement militaire et policier s’approfondit.
Les moyens d’espionnage et de contre-espionnage sont coordonnés par la
centrale SR-SCR en France et à l’étranger. L’utilisation directe du rensei-
gnement de la Légion et des postes mixtes partagés avec le ministère de
la Marine dans les colonies renforce son caractère impérial (Beyrouth en
1931, Djibouti en 1933, Shanghai…). Après les avoir identifiées, cette
coordination réelle échoue à neutraliser les menaces. La conséquence en
est la création du service de renseignement intercolonial du ministère des
colonies (SRI) en 1936-1939. Mais les menaces impériales les fantômes
des agissements allemands, italiens, soviétiques et japonais en Indochine
et en Europe. Plus qu’une dispersion des moyens, ce renseignement
impérial a généré des réponses fragmentées et localisées de la part des ser-
vices spéciaux militaires. Leurs effets se manifestent de façon différée
dans les années 1940 et 1950. Dans les années 1930, il y a encore une
unité de coordination, en dépit des réponses spécifiques apportées par les
différentes traditions d’un renseignement d’armes au Levant, en Afrique
du Nord ou en Asie.
La création du SRI en 1937 parachève l’évolution stratégique d’une
mise en défense d’un empire essentiellement méditerranéen et africain.
Mandel n’écarte aucun moyen d’action aux colonies. L’action et la pro-
pagande étaient déjà en place en 1938-1939. Il a par ailleurs désigné son
chef de cabinet adjoint Brusset pour orienter l’information du poste
Radio-Méditerranée dès 1938. Les écoutes de la section Nemo des
communications entre M. Birioukov, chef du service de presse de
l’ambassade d’URSS à Paris, et Brusset en février 1939, confirmèrent ce
fait 124. Les années 1930 renforcent les moyens de renseignement d’une

124. SHD/DAT 7NN 2 101, note confidentielle nº 31188 du 8 février 1939 au


sujet d’une enquête sur le poste Radio-Méditerranée, recommandant des précautions
redoublées eu égard aux responsabilités de Mandel.

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La France, la guerre secrète et l’invention de la « sécurité nationale »

stratégie impériale résolument défensive. L’empire, moins qu’un recours


ou un secours, lestait les moyens de renseignement d’un fardeau supplé-
mentaire en dilatant les frontières territoriales de la France. Le SRI a ainsi
tenu un rôle original durant les deux années qui précèdent la guerre. Sans
organes de recherche de renseignements propres, il fonctionne pour cen-
traliser un renseignement orienté offensivement dès la fin de 1938 contre
les menées étrangères sur des intérêts coloniaux français. Il est principa-
lement un outil d’exploitation du renseignement au profit du ministre
des Colonies, puis du ministre de la Défense nationale. Ses moyens
d’information sont d’abord ceux des postes existants de la SR-SCR, des
2es bureaux de l’EMA et de l’état-major général de la Marine. En défini-
tive, le contexte orienta son action vers les futurs États de l’Axe, l’Alle-
magne, l’Italie, le Japon. Cette action relégua l’URSS au second plan, en
dépit des actions du Komintern dans les colonies relevant des services de
la Sûreté nationale. Les autorités militaires et politiques veulent alors
croire encore en 1939 à l’alliance franco-soviétique. Le SRI contribue à
faire émerger l’idée qu’un renseignement impérial gagne en autonomie.
Celui-ci défend des intérêts propres aux colonies, mais dans une concep-
tion impériale plus marquée, par la volonté de Georges Mandel et du
général Bührer en 1938-1939.

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TROISIÈME PARTIE

Les ressorts de l’espionnage


dans l’économie et la politique

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Chapitre 9
De l’information économique
au renseignement économique

Les réparations prévues par le traité de Versailles ont eu des consé-


quences politiques et économiques majeures dans le système interna-
tional 1. Aussi, la primauté des questions économiques et financières dans
la vie publique ainsi que dans les relations internationales est frappante
après 1919. À la fin de la guerre, l’État est moins un agent économique
qu’un acteur qui a été contraint d’intervenir depuis 1914, de façon iné-
dite, dans l’organisation économique de la nation 2. Ainsi, l’information
économique lui est progressivement devenue vitale, notamment dans le
cadre de l’application du blocus allié entre 1915 et l’été 1919. Jamais
l’économie n’avait pris une telle importance dans un conflit européen,
devenu mondial 3. Empiriquement, des structures publiques expérimen-
tent un premier renseignement économique. Pourtant, la précocité de
cette préoccupation au sein de l’État ne garantit pas son efficacité, qui fut

1. Jean-Jacques Becker, Le Traité de Versailles, Paris, PUF, 2002, p. 40-46 sur les
réparations ; Denise Artaud, La Question des dettes de guerre interalliées et la recons-
truction de l’Europe (1917-1929), 2 tomes, Atelier de reproduction des thèses de
Lille, 1978, 999 p.
2. Dominique Barjot (dir.), Les entreprises et les mobilisations industrielles durant
les deux guerres mondiales, actes du colloque de 2005, à paraître ; Dominique Pestre,
« Le système français d’innovation en matière d’armement depuis deux siècles : une
proposition générale », in Deux siècles d’histoire de l’armement, op. cit., p. 5-18.
3. Jean Monnet, Mémoires, Livre de poche, 1988 (Fayard, 1976), p. 67-95 sur les
« Executive » interalliés, pools organisant les transports et le ravitaillement progressi-
vement entre 1915 et 1918. Pierre Chancerel, Les travaux publics sous le ministère de
Marcel Sembat 1914-1916, Thèse de l’École des Chartes, 2008, 448 p.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

largement illusoire. Aux côtés et parfois avec l’État, des agences de rensei-
gnement commercial, apparues à la faveur de la seconde révolution
industrielle depuis la fin du XIXe siècle, développent une fonction inédite
dans l’activité secrète. À bien des égards, elles sont le truchement, para-
public, des actions économiques secrètes de l’État auprès des entreprises
privées. À ce titre, leur histoire est singulière. Entre 1922 et 1938, l’effort
a trouvé un terrain d’élaboration doctrinale, à travers la lente prépara-
tion d’une loi sur l’organisation économique de la nation en vue du
temps de guerre. Des textes ont préalablement formulé une prédoctrine
publique du renseignement économique, parmi lesquels l’instruction
ministérielle du 8 décembre 1928 sur l’action économique de l’État à
l’étranger et le décret interministériel du 13 mai 1939 sur l’espionnage
économique.

Entre la « guerre économique » et l’espionnage industriel, l’émergence


du renseignement économique

La « veille économique », figure de la mobilisation industrielle


et de la pénétration économique
L’histoire de la « guerre économique » relève davantage de l’histoire
de la guerre mondiale que d’une doctrine préétablie. Les ministères de la
Guerre, des Affaires étrangères et du Commerce ont apporté les pre-
mières réponses à ces défis 4. En effet, la coordination interministérielle
en matière de « guerre économique » naît pendant la guerre de
1914-1918 entre les ministères du Commerce, du Blocus, des Finances,
des Affaires étrangères et de la Guerre, notamment autour de l’expé-
rience alliée du blocus 5. L’expérience n’a pas été sans lendemain après la
guerre, en France comme d’ailleurs dans les autres États belligérants. Si la

4. Georges-Henri Soutou, L’Or et le sang. Les buts de guerre économique de la Pre-


mière Guerre mondiale, Paris, Fayard, 1989, 963 p. ; Hew Strachan, La Première
Guerre mondiale, Paris, presses de la Cité, 2005, p. 193-225 ; Paul Halpern, « World
War I : The Blockade », in Naval Blockades and Sea power. Strategies and counter-stra-
tegies, 1805-2005, edited by A. Elleman and S.C.M. Paine, London, Routledge,
2006, p. 91-103.
5. SHD/DAT 7N 883, compte rendu nº 15320 de la section économique du
2e bureau de l’EMA-ministère de la Guerre sur les relations avec le ministère du

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De l’information économique au renseignement économique

mobilisation de la section économique du 2e bureau n’est plus envisagée


qu’en temps de guerre après 1919, le nouveau secrétariat général du
conseil supérieur de la Défense nationale reçoit en 1921 la mission de
projeter une organisation économique de la nation en cas de guerre pro-
chaine 6. La mobilisation économique de la nation en temps de guerre
porte-t-elle dans ses flancs une doctrine de la « guerre économique », à
moins que la veille économique soit les prémisses d’un renseignement
économique d’État 7 ? Indépendamment de cette conscience publique
d’une dimension proprement économique de la guerre, la protection du
secret industriel et des intérêts commerciaux et financiers a rapidement
pris le pas sur toute autre considération. Naturellement, la préoccupa-
tion de l’État et des armées pour l’innovation technique et industrielle,
depuis la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle, est le point de départ d’une
attention publique permanente à l’information scientifique. Dans le
domaine des industries d’armement, l’espionnage étranger est déjà en
place au XIXe siècle 8. L’attention des services spéciaux militaires à suivre
les questions économiques lato sensu est, nettement, une conséquence
directe de la guerre de 1914-1918. De fait, les questions économiques ne
relevaient pas jusqu’alors du plan de renseignement du 2e bureau, même
si la rivalité secrète franco-allemande avait pu, incidemment, rebondir sur
des enjeux économiques entre 1871 et 1914 9. Après la réforme du
conseil supérieur de la Défense nationale doté en 1921 d’un secrétariat
général, cet organisme interministériel a pu exprimer des demandes
d’informations répondant, peu ou prou, à un renseignement écono-
mique. Les services spéciaux militaires, leurs postes à l’étranger, les

Commerce, 18 juin 1918. Il est question d’une liaison pour orienter l’exploitation
des renseignements intéressant ces départements.
6. Pierre Bruneau, Le Rôle du haut commandement au point de vue économique de
1914 à 1921, Paris, Berger-Levrault, 1921, 90 p., tend à accentuer le rôle dominant
de l’armée.
7. Aimée Moutet, « La rencontre des traditions militaires et civiles de rationali-
sation à l’occasion de la Première Guerre mondiale et ses conséquences », in Deux
siècles d’histoire de l’armement en France, op. cit., p. 241-259.
8. Patrice Bret, « Du modèle académique au modèle technocratique : l’État et
l’invention en matière d’armement (1763-1830) », in Deux siècles d’histoire de l’arme-
ment en France, op. cit., p. 38-46 et Luciano Segreto, « Industrie de l’armement et
relations internationales aux XIX-XXe siècles », in Deux siècles d’histoire de l’armement,
op. cit., p. 221-240.
9. Gérald Sawicki, op. cit., p. 292-297.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

missions militaires de contrôle et de vérification de désarmement dans les


territoires occupés par la France, les attachés financiers et commerciaux
dans les représentations diplomatiques sont encouragés à collecter, tous
azimuts, des informations économiques jugées d’intérêt national. À ce
titre, les activités industrielles, les transferts d’usines françaises déplacées
pendant la guerre, selon une logique de pillage économique des régions
occupées par l’Allemagne, sont examinés étroitement dans l’idée
d’obtenir des compensations économiques par des livraisons de matières
premières, de machines-outils… Des informations économiques sont
logiquement recherchées sur les adversaires de la veille, dans le cadre de
la politique des réparations, et bientôt pour protéger les marchés de
l’empire. Ces recherches font subrepticement entrer dans une logique
délibérée d’information économique, qui n’est pourtant pas alors érigée
en une doctrine de renseignement. L’Allemagne, la Russie, le Japon dans
une moindre mesure, en deviennent des cibles. En outre, la répression et
la neutralisation des agences commerciales étrangères, camouflant des
réseaux d’espionnage ou dissimulant un espionnage économique réel,
redoublent dès le début des années 1920.
Dès avant 1914, le ministère du Commerce disposait des premiers
attachés commerciaux, quand le ministère des Finances délégua ses deux
premiers attachés financiers à Londres et New York pendant la guerre.
Il en envoya auprès de certains gouvernements étrangers après 1926 10. Le
2e bureau de l’EMA envisage un temps de faire passer ses attributions au
ministère des Affaires étrangères, dont le réseau de postes diplomatiques
et consulaires offre des relais naturels. Dans cette option, les attachés
militaires seraient les interlocuteurs des attachés commerciaux et la sec-
tion de renseignement du 2e bureau de l’EMA. En novembre 1918, l’ins-
tallation d’agents spécialisés sur les renseignements commerciaux dans les
ambassades fut envisagée un temps par le ministère de la Guerre. Des
crédits spéciaux sont suggérés pour rémunérer ces agents spécialisés ou, à
défaut, des « maisons de commerce recevant des missions de renseigne-
ments spéciaux » ; celles-ci seraient rétribuées par un système d’avantages,

10. Robert Frank, « L’entrée des attachés financiers dans la machine diploma-
tique », in Relations internationales, nº 32, hiver 1982, p. 489-505 ; Laurence Badel,
« Les acteurs de la diplomatie économique en France au XXe siècle : les mutations du
corps des attachés commerciaux (1919-1959) », in Relations internationales, nº 114,
2003, p. 189-211.

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De l’information économique au renseignement économique

de facilitations commerciales et de moyens de transports 11. Très inédite,


cette proposition éclaire une pratique appelée à s’élargir, en confiant à des
agences de renseignement commercial des missions économiques qui sor-
tent du savoir-faire habituel des services secrets militaires et de la police.
Cette mesure est largement illusoire, car Clémentel a déjà établi le
contrôle du ministère du Commerce sur le dispositif public du commerce
extérieur français 12. En fait, Étienne Clémentel a déjà imposé son point
de vue, en maintenant indépendants de toute tutelle diplomatique les
conseillers et les attachés commerciaux, rattachés au ministère du
Commerce jusqu’en 1940, puis à celui de l’Économie et des Finances.
Leurs missions régaliennes sont la représentation, la négociation et les
informations économiques et commerciales de prospection, de promo-
tion et d’appui 13. Dans le même temps, la direction du blocus du Quai
d’Orsay est transformée en sous-direction des relations commerciales,
confiée à Jacques Seydoux 14. En janvier 1920, Alexandre Millerand, pré-
sident du Conseil, rappela « l’interprétation uniforme » que le ministère
des Affaires étrangères entendait donner à la politique extérieure fran-
çaise. Malgré tout, la direction des affaires commerciales des Affaires
étrangères dut partager, à partir de 1924, avec la direction des accords
commerciaux du ministère du Commerce, la place de négociateur dans
les conférences européennes. Dans le domaine de l’information écono-
mique, l’incurie diplomatique facilite l’affirmation de nouveaux acteurs,
privés (entreprises, associations, agences de renseignement commercial,
conseillers divers…) et parapublics (chambres de commerce, Office
national du commerce extérieur, enquêtes du Conseil national
économique) 15…

11. SHD/DAT 7N 2485, note du 2e bureau de l’EMA, ministère de la Guerre,


sur la réorganisation d’une section économique en vue de la reconstitution écono-
mique du pays, novembre 1918, 3 p.
12. Laurence Badel, L’État à la conquête des marchés extérieurs au XXe siècle. Aux
sources de la diplomatie économique de la France, op. cit., p. 28-suivantes.
13. Laurence Badel, « Les acteurs de la diplomatie économique de la France au
XXe siècle, op. cit., p. 190-192.
14. Stanislas Jeannesson, « La sous-direction commerciale du Quai d’Orsay et la
reconstruction économique de l’Europe », in Laurence Badel, Stanislas Jeannesson,
N. Piers Ludlow, Les administrations nationales et la construction européenne
(1919-1975), Bruxelles, PIR-Peter Lang, 2005, p. 37-56.
15. Laurence Badel, Relations internationales, op. cit., p. 194.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Le système gravite autour du ministère de la Guerre en 1914-1918.


Son architecture doit être repensée après la guerre. En 1919, les moyens
humains d’information économique semblent devoir passer désormais du
2e bureau de l’EMA au ministère des Affaires étrangères, possible collec-
teur d’informations économiques par la force de son réseau de postes
diplomatiques et consulaires. La loi du 25 août 1919 devait redéfinir le
rôle des attachés commerciaux, estimés en nombre insuffisant. Détachés
des Finances, les attachés financiers sont appelés à devenir incontour-
nables dans le domaine financier strict, quoique n’étant encore que cinq
en 1939 16. Mais leurs responsabilités, leur formation et leur esprit de
corps ne les prédisposent pas à recueillir des informations financières, a
fortiori au profit d’une autre administration que celle des Finances 17.
L’organisation d’une « veille économique » et des mesures de renseigne-
ments économiques sont mises en place. Au sortir de la guerre, l’éco-
nomie n’apparaît pas comme une cause directe de la guerre 18. Toutefois,
la section économique du 2e bureau de l’EMA prend, par ses conclusions
en août 1919, le contre-pied de cet état d’esprit général. « La rivalité éco-
nomique entre les peuples est la cause essentielle des dernières guerres.
De cette rivalité naîtront sans doute les conflits futurs. » Ainsi, le rôle
futur de la section économique du 2e bureau en temps de paix serait la
préparation de la mobilisation – sous toutes ses implications écono-
miques et démographiques – et la réglementation de la « guerre écono-
mique » avec les départements ministériels intéressés 19. Ces attributions
devraient permettre, à l’avenir, au 2e bureau de l’état-major de l’armée de

16. Robert Frank, op. cit., p. 490-491. Un décret du 26 décembre 1919 précise
leurs attributions et leur position de détachement dans les ambassades. Les premiers
postes, contrôlés par l’inspection des Finances, sont Londres, et New York pendant
la guerre, Rome et Bruxelles en 1926, Berlin en 1930. Les titulaires assument plu-
sieurs responsabilités à Paris, avec une astreinte de résidence à partir de 1926, sauf à
Bruxelles. Ils sont issus de l’inspection des Finances et de l’administration centrale
des Finances, qui contrôlent leur nomination.
17. Robert Frank, op. cit., p. 499-501.
18. Georges-Henri Soutou, « Les dimensions économiques du conflit », in Paul-
Marie de La Gorce (dir.), op. cit., p. 304.
19. SHD/DAT 7N 2485, note du 22 août 1919 de la section économique du
2e bureau à sa transformation en temps de paix, par un rédacteur anonyme. En
1919, le démantèlement de la section économique est programmé.

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De l’information économique au renseignement économique

donner au commandement toutes les informations utiles à la lutte écono-


mique. Ces attributions recouvrent des domaines d’action précis :
« 1. Étude du problème de la guerre au point de vue industriel, financier,
alimentaire, colonial.
– Inventaire des ressources économiques dont les différentes puissances
pourraient disposer pour conduire la guerre, inventaire que l’on devrait comparer
au relevé des matières premières utilisées par l’administration de la Guerre de
1914 à 1918.
– Dans le même ordre d’idées, inventaire des ressources des grandes puis-
sances faisant ressortir dans quelle mesure chacune d’elles est tributaire des autres
(Italie pour le charbon, Allemagne pour le fer, France pour le pétrole…).
2. Surveillance des stocks constitués en vue de leur utilisation dans un but de
guerre. Moyens de détruire ces stocks en cas de conflit. Camouflage des indus-
tries de guerre.
3. Diffusion des renseignements économiques pouvant intéresser les autres
services de l’état-major de l’armée, et du département de la Guerre.
En outre, la section économique peut et doit être un organe de liaison avec
plusieurs départements ministériels soit pour profiter des renseignements qu’ils
peuvent lui procurer (études et renseignements techniques de toutes sortes), soit
pour les faire bénéficier de ceux qu’elle obtiendrait de diverses sources (attachés
militaires, missions). Il y a lieu d’ajouter aux attributions de la section écono-
mique (pendant un an environ) la liquidation des contrôles postal, télégraphique
et téléphonique. »
Ces dernières instances de contrôle disparaissent avec la levée de l’état
de siège en octobre 1919. Les moyens officiels français à l’étranger sont,
au premier chef, les services diplomatiques et les missions militaires.
Dans l’atmosphère de reconstruction économique d’après-guerre, les mis-
sions militaires intègrent rapidement les enjeux de l’information écono-
mique. En novembre 1919, la mission militaire française en Russie
méridionale énonce un objectif conforme à cette doctrine 20. Celle-ci est
symptomatique d’un état d’esprit, largement inédit, du commandement
militaire favorable à une défense des intérêts commerciaux français, dont
les effets sont difficilement appréciables. Bien que ne faisant pas explici-
tement du renseignement économique, les missions militaires recueillent

20. SHD/DAT 7N 2485, directives pour le chef de la section économique, par le


général Mangin, Mission militaire française en Russie méridionale, nº 9/1,
30 novembre 1919, Taganrog, 2 p. Elle est rédigée par le lieutenant-colonel Corbel,
chef de la section économique en temps de paix.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

de l’information économique, par une pratique vraisemblablement déjà


ancrée avant 1919.
« Le chef de la section économique suivra la direction ci-après :
1º Établir l’inventaire des intérêts économiques français en Russie méridio-
nale et en tenir à jour le répertoire. Suivre le développement de ces intérêts. Les
appuyer en toutes circonstances utiles. Faciliter les contacts ou les échanges de
renseignements de nos nationaux, entre eux ou avec leur clientèle. Se tenir en
liaison avec les offices commerciaux français, les agents d’information du minis-
tère des Affaires étrangères et les chambres de commerce franco-russes.
2º Connaître la législation économique russe en vigueur et les procédés
d’application en usage actuellement. Établir les relations utiles dans les minis-
tères et directions russes en vue de : suivre attentivement les modifications pro-
posées pour être apportées à la législation et orienter les modifications dans un
sens favorable aux intérêts de nos nationaux.
3º Établir l’inventaire des intérêts économiques étrangers (belges, russes ou
étrangers autres que belges). En suivre le développement. Exploiter au profit de
nos nationaux les renseignements obtenus.
4º Fournir au service de la propagande tous renseignements utiles.
5º Orienter le SR au sujet des renseignements économiques à rechercher.
6º Établir les comptes-rendus destinés aux divers ministères français.
Note. Les directives ci-dessus s’appliquent aux divers bureaux qui compo-
sent la section économique (commercial, industriel, financier, voies de
communication). »
En réalité, le 2e bureau de l’EMA doit collecter des informations éco-
nomiques sur un territoire qui n’est pas couvert en 1919 par le réseau
diplomatique des Affaires étrangères 21. Il n’en va pas de même pour des
zones géographiques couvertes par d’autres missions militaires comme en
Pologne ou en Tchécoslovaquie, sinon occupées militairement. Sans que
l’on sache toujours quel ressort précède l’autre, l’occupation économique
accompagne l’occupation militaire.
Démantelée à l’été 1919, la section économique du 2e bureau sera
reconstituée lors d’une nouvelle mobilisation de la nation. Précisément,
l’organisation militaire projetée intègre les leçons économiques de la
guerre, en prévoyant de réorganiser cette structure si une nouvelle guerre
survenait. Ainsi, la première mesure projetée serait la constitution d’une
nouvelle section économique comptant une quinzaine d’officiers. En
1919, le blocus allié a démontré le caractère incontournable d’une orga-
nisation économique de la nation à l’avenir. Les dirigeants civils et les

21. Jean Baillou (dir.), Les Affaires étrangères et le corps diplomatique français,
tome II, 1870-1980, Paris, CNRS, 1984.

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De l’information économique au renseignement économique

chefs militaires en conviennent. Tannery et François-Marsal sont pres-


sentis pour en devenir les responsables si une nouvelle guerre éclatait 22.
En septembre 1924, le lieutenant-colonel Lainey, chef des services spé-
ciaux, appelle l’attention du général Debeney, chef d’état-major général
de l’armée, sur la nécessité de remodeler la composition de la section éco-
nomique. Les responsabilités nationales assumées par Frédéric François-
Marsal, ancien ministre des Finances, André François-Poncet
(1887-1978), élu député de Paris en 1924, et Jean Tannery, qui devient
au début de l’année 1925 directeur général de la Caisse des dépôts et
consignations, rendent la tâche plus délicate. La personnalité de François-
Marsal a la préférence de l’opinion générale et des militaires. Debeney
ratifie ce choix en septembre 1924. Lainey est chargé de sonder l’avis de
l’ancien ministre des Finances, qui serait libre de s’attacher des collabo-
rateurs 23. L’entretien a lieu le 13 octobre 1924 avec François-Marsal qui
accepte rapidement. En mai 1925, la composition du bureau constitué
si une guerre éclatait est établie de concert entre les deux responsables 24.
On peut s’interroger sur l’opportunité du choix d’un notable de la Répu-
blique modérée dont les conceptions politiques sont à même de rassurer
le haut commandement. N’apparaît-il pas au Cartel des gauches comme
l’homme appelé par Millerand pour former un gouvernement de droite,
récusé par la Chambre nouvellement élue le 10 juin 1924 ? Sans doute
l’argument ne joue-t-il pas en 1925. François-Marsal semble bien
l’homme de la fonction. En réalité, le prétexte est de donner, sous son
autorité, une place accrue à la section économique en cas de conflit. Le
lieutenant-colonel de réserve François-Marsal est désigné chef de cette
section en cas de guerre, avec pour adjoints le lieutenant-colonel d’active

22. SHD/DAT 7N 2485, note au sujet de la composition de la section écono-


mique d’Hamant, adjoint au chef de la SR-SCR du 2e bureau de l’EMA, 12 juin
1924. Des noms de réservistes, David, ancien d’Annemasse, et Babu, ancien de la
section économique, sont avancés.
23. Lainey raye des contrôles les officiers de complément Jean Tannery, Louis
Descroix, Armand Sonolet, Pierre-Louis Lamer, Bernard de Saint-Afrique, Jean
Wehrle, Jean Pons et Caubere.
24. SHD/DAT 7N 2485, lettre du lieutenant-colonel Lainey, chef de la SR-
SCR, à François-Marsal, 26 mai 1925.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Clere et le lieutenant Paul Bavière 25. Les effectifs seraient, en outre,


complétés. Désormais, les questions économiques sont prises en compte
en temps de paix par le conseil supérieur de la Défense nationale
(CSDN), auquel incombe, durant vingt ans, l’organisation de la nation
en temps de guerre.

La mobilisation économique vue par le CSDN : un pas vers un


renseignement économique ?
Créé en 1906, le CSDN est un organisme interministériel placé sous
l’autorité du président de la République et du président du Conseil.
Théoriquement, son champ d’attribution le place idéalement au cœur de
l’État pour impulser une réflexion sur la stratégie économique. Mais
peut-il aller jusqu’à mettre en œuvre un renseignement économique
public après guerre ? Accueillant les chefs militaires, cet organisme doit
conseiller le gouvernement pour tout ce qui a trait à la défense générale
du pays en assurant l’unité de vue et de décision. Coordinateur de
l’action interministérielle en matière de défense, le CSDN doit assurer le
suivi et l’exécution des décisions gouvernementales en favorisant un véri-
table travail interministériel. En 1921, sa mission auprès de la présidence
du Conseil est susceptible de faire émerger, de fait, une doctrine du ren-
seignement économique.
Précisé par le décret du 17 novembre 1921 qui modifie ses attribu-
tions, son rôle consultatif auprès du gouvernement s’était très vite perdu
avant guerre par la rareté de ses réunions 26. Orphelin d’une mission qu’il
n’a pu ou qu’on n’avait pas voulu lui faire tenir, le CSDN dispose enfin
en 1921 d’un secrétariat général, désormais permanent, permettant

25. SHD/DAT 7N 2488, note pour la section du personnel du service d’état-


major par le lieutenant-colonel Lainey, au sujet de la mobilisation du 5e bureau,
8 juillet 1925.
26. SHD/DAT 2N 28, rapport annuel sur l’installation et le fonctionnement du
secrétariat général du CSDN au cours de l’année 1922, nº 247 DNK, 12 avril 1923,
p. 3-25. Le rapport revient sur l’évolution de la fonction du CDSN de 1906 à 1921.
Après quatre réunions de 1906 à 1911, trois de 1911 à 1913 pour jeter les bases de
sa réorganisation, son travail est interrompu pendant la guerre. Quatre séances se
tiennent en 1920-1921 pour jeter les bases de la réorganisation militaire après-
guerre. Voir aussi Claude Carré, Histoire du ministère de la Défense, Panazol, Lavau-
zelle, 2001, p. 211-212.

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De l’information économique au renseignement économique

d’organiser effectivement son travail 27. Celui-ci est confié à un fidèle du


maréchal Pétain, le général Bernard Serrigny, qui fut son chef d’état-
major à Verdun en 1916 et à son cabinet militaire au GQG en
1917-1918 28. Il est nommé directeur des services du secrétariat général
du CSDN de décembre 1921 à 1926 29. Cette nomination doit se conce-
voir comme une colonisation des instances civilo-militaires de l’appareil
d’État contrôlées par Pétain. Serrigny dispose d’une commission
d’études, s’appuyant sur des sections attachées au secrétariat général, afin
d’établir des analyses préalables à soumettre aux délibérations du CSDN.
Celui-ci pourrait ainsi préparer des propositions à l’intention de la prési-
dence du Conseil 30. Serrigny a rappelé les objectifs du CSDN en 1921
et en 1923. Trois fonctions attendues ont été réaffirmées : centraliser les
affaires à soumettre à la commission d’études et au CSDN ; préparer et
coordonner ses travaux ; notifier aux départements ministériels les déci-
sions du gouvernement à la suite des avis du Conseil supérieur 31. Les

27. SHD/DAT 2N 27, organisation et fonctionnement du secrétariat général de


la Défense nationale, 1922-1940. Il est placé sous l’autorité du sous-secrétaire d’État
à la présidence du Conseil pour assurer la direction de ces services. Le général Ser-
rigny est assimilé pour les prérogatives à un sous-chef d’état-major et a la délégation
du sous-secrétaire d’État pour la signature des affaires courantes.
28. Guy Pedroncini, Pétain, général en chef 1917-1918, Paris, PUF, 1974, p. 86
et Pétain. Le soldat 1914-1940, Paris, Perrin, 1995 ; Marc Ferro, Pétain, Paris,
Fayard, 1987, p. 458-459.
29. Bernard Serrigny, Les Conséquences économiques et sociales de la prochaine
guerre d’après les enseignements des campagnes de 1870-1871 et 1904-1905, Paris,
V. Giard et Brière, 1909, 478 p. ; La Mobilisation industrielle, Paris, 1928, p. 13-17 ;
Jérôme Cotillon, Ce qu’il reste de Vichy, Paris, Colin, 2003, p. 159 et 169, le range
dans le premier cercle des fidèles y compris après 1945.
30. SHD/DAT 2N 28, études à entreprendre pour les sections du secrétariat
général par le général Serrigny, décembre 1921.
31. SHD/DAT 2N 27, note sur le fonctionnement du secrétariat général du
Conseil supérieur de la Défense nationale, 7 avril 1923, 5 p. Le décret du 13 mai
1922 institue quatre sections, qui changèrent constamment d’attributions. Tableau
des modifications apportées à l’organisation du secrétariat général de 1922 à 1933.
La 1re section a en charge la préparation puis la conduite de la guerre (études géné-
rales, mesures politiques, plans de guerre, propagande, organisation générale des
forces vives du pays) et, initialement, les importations étrangères. La 2e section a en
charge l’organisation générale de la nation en temps de guerre (organisation politique
et sociale du pays ; politique ouvrière, main-d’œuvre, salaires ; mesures de restric-
tions des stocks ; organisations financières). La 3e a en charge les transports et les

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

sections du CSDN, alternativement trois ou cinq de 1922 à 1939, sont


constituées en avril 1922. Constamment modifiées dans leurs attribu-
tions de 1922 à 1933, elles distribuent les missions prioritaires : la
conduite de la guerre ; l’organisation administrative du pays ; l’organisa-
tion économique de la nation ; les transports, les transmissions et le ravi-
taillement. Parce que la préparation de la guerre intéresse plusieurs
départements ministériels, il revient au secrétariat général du CSDN de
l’organiser dès le temps de paix en coordonnant tous les rouages de l’État.
Fin 1921, 24 hauts fonctionnaires, détachés par leur administration
d’origine de 10 ministères distincts, étaient prévus pour faire tourner
cette administration 32. En 1923, 37 hauts fonctionnaires sont effective-
ment en charge de l’organisation économique de la nation en temps de
guerre, mais qui ne furent jamais détachés par leur corps d’origine à plein
temps 33.
En août 1924, Vincent Auriol, président de la commission des
finances de la Chambre des députés, s’enquiert encore des attributions du
CSDN. Le secrétariat général souligne à son intention les carences du
fonctionnement du CSDN depuis 1922. Les fonctionnaires détachés
n’ont pas été, de fait, affectés 34. Centralisés par le secrétariat général, les
avis de la commission d’études, sont, s’il y a lieu, soumis au CSDN.
Cette commission fonctionne sous la haute direction du président du
Conseil, qui en désigne le vice-président. Après quelques changements,
l’arrêté du 1er juillet 1924 en a confié la vice-présidence au député Joseph
Paul-Boncour, ancien ministre. Mais Joseph Paul-Boncour ne s’y investit
pas outre-mesure, lucide sur le contrôle du CSDN par Pétain 35. En juin
1939, Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères, revint, à dessein,

communications et le ravitaillement (à l’intérieur du pays ; aux colonies ; en métro-


pole ; avec les alliés ; la sécurité des transports). La 4e détermine et organise les
besoins de la production et les fabrications dont l’aéronautique (besoins statistiques
généraux ; répartition des personnels ; mesures agricoles ; primes ; stocks ; achats à
l’étranger ; aéronautique).
32. SHD/DAT 2N 27, arrêté du président du Conseil Aristide Briand,
28 décembre 1921.
33. SHD/DAT 2N 27, note du président du Conseil fixant la composition des
fonctionnaires du secrétariat général du CSDN. Il en compte 63 en 1930.
34. SHD/DAT 2N 27, note non datée du Secrétariat général à Vincent Auriol
(probablement fin août 1924).
35. AN 424 AP 34, correspondance de Joseph Paul-Boncour de 1919 à 1939.

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De l’information économique au renseignement économique

sur des dysfonctionnements récurrents depuis 1922. La double affecta-


tion administrative des fonctionnaires au secrétariat général du CSDN a
bridé l’efficacité de son travail 36, car ceux-ci ne travaillent qu’une journée
par semaine en moyenne au CSDN, sauf pour les officiers affectés par
le ministère de la Guerre 37. Le travail interministériel en a souffert
durant tout l’entre-deux-guerres, laissant aux officiers l’essentiel du tra-
vail et du contrôle du secrétariat général. L’autorité politique n’a jamais
donné au CSDN les moyens humains et politiques de sa mission. Dès
lors, il apparaît comme une émanation administrative supplémentaire du
ministère de la Guerre disqualifiant, de fait, son action aux yeux des
autres départements ministériels et empêchant la réalisation effective de
son caractère interministériel. Toutefois, à deux reprises au moins, en
1925-1928 et en 1938-1939, son rôle en matière de renseignement éco-
nomique est posé.

Le CSDN, instance centrale du renseignement économique


dans l’État après 1922 ?
En effet, dans l’esprit des responsables civils et militaires, le projet de
loi sur l’organisation économique de la nation en temps de guerre devait
être la grande affaire, dès l’été 1922. Toutefois, ce projet n’a toujours pas
abouti au début des années 1930. Paul Painlevé n’a pas donné d’explica-
tions majeures de ce projet inabouti 38. Joseph Paul-Boncour n’en a pas
davantage pris la pleine mesure des ressources qu’il peut tirer de cette ins-
tance en temps de paix après 1930. La loi n’a été votée qu’en mai 1938.
Pourtant, l’instruction concernant la mobilisation du secrétariat général
du CSDN en temps de guerre projette son rôle en matière de

36. SHD/DAT 2N 51 lettre du ministre des Affaires étrangères du 16 juin 1939


au Président du Conseil, p. 2.
37. SHD/DAT 2N 27, lettre du président de la commission des finances au
ministère des Affaires étrangères sur les attributions et l’organisation, en personnels
notamment, du CSDN, 13 août 1924.
38. AN 313 AP 216, Fonds privé Painlevé, ministère de la Guerre, 1926 ; 313
AP 218 commission de l’armée et du Sénat et 313 AP 213 correspondance reçue en
1925-1926. Il est président du Conseil du 17 avril 1925 au 22 novembre 1925,
ministre de la Guerre de 1925 à 1929 ; Voir Anne-Laure Anizan, Paul Painlevé
(1863-1933). Un scientifique en politique, thèse de doctorat en histoire sous la direc-
tion de Serge Berstein, IEP de Paris, 2006, p. 773-780, qui ne donne pas de réponse
à cette question.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

renseignement. L’article 2 de l’instruction provisoire sur la recherche et


l’interprétation du renseignement du ministère de la Guerre, datée de
1922, envisageait bien une extension des objectifs de renseignement mili-
taire aux informations économiques et financières 39. Déjà défendue par
le lieutenant-colonel Rollin en 1908, cette idée d’un élargissement de la
collecte des informations à un domaine qui n’était pas exclusivement
militaire était admise dans le haut commandement avant 1914 40. Parmi
les trois secrétaires généraux qui sont alors désignés, le premier est « res-
ponsable de la 1re division et a dans ses attributions les plans de guerre
et la centralisation du renseignement intéressant l’ensemble de la
conduite de la guerre » 41. Cet élément inédit est fondamental, à condi-
tion que l’information économique soit définie et effectivement col-
lectée selon les orientations de plans nationaux de renseignement. La
coordination, l’impulsion supérieure et le rassemblement des renseigne-
ments servant aux décisions du comité de guerre et, par conséquent, au
gouvernement résumeraient son rôle en temps de guerre. Cette fonction
implique de se maintenir informé « constamment et parfaitement », mais
en temps de guerre. L’instruction de Painlevé de juillet 1925 précise cette
question :
« Pour être complets et rapidement exploitables, les renseignements corres-
pondants doivent être méthodiquement groupés par des organes spécialisés. Il y a
lieu toutefois de distinguer :
1º Les renseignements d’ordre général (politiques, militaires, économiques)
présentés sous la forme de bulletins, situations, rapports, qui sont déjà des syn-
thèses faites par les grands quartiers généraux, les Affaires étrangères… et qu’il ne
reste qu’à centraliser, à rapprocher et à exploiter à un échelon supérieur.
2º La documentation précise, le plus souvent d’ordre technique, portant par
exemple sur des chiffres de la production ou de la consommation.
On conçoit donc la création :
1º d’une section de centralisation des renseignements d’ordre général ayant
également dans ses attributions les questions de propagande, et faisant partie de
la 1re division chargée des études générales.

39. Sébastien Laurent, « Le service secret de l’État. La part des militaires


(1870-1945) », in Marc-Olivier Baruch, Vincent Duclert (dir.), op. cit., p. 286-287.
40. Lieutenant-Colonel Rollin, Le Service de renseignements militaires en temps de
paix et en temps de guerre, Paris, Nouvelle Librairie nationale, 1908, p. 11.
41. SHD/DAT 2 N 27, Présidence du conseil, instruction concernant la mobili-
sation du Secrétariat général du Conseil supérieur de la Défense nationale, 25 juillet
1925, p. 4.

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De l’information économique au renseignement économique

2º D’une section de documentation économique faisant partie de la 3e divi-


sion chargée des questions concernant la réunion et la distribution des ressources
matérielles 42. »
Mais ce rôle attendu de préparation et de transmission des décisions
du gouvernement en temps de guerre n’a pas eu de traduction anticipée
pour le temps de paix. Toute la difficulté réside dans une conception
civile du CSDN comme une instance de décision prévue pour le temps
de guerre, et non pour le temps de paix, selon la vision des militaires.
Dans le domaine économique, le rôle de coordination du secrétariat
général du CSDN se solde dans les années 1920 par la mise au point de
l’instruction pour l’organisation de l’action économique à l’étranger du
8 décembre 1928, dont l’application est prévue pour le temps de guerre.
En temps de guerre, cette action économique à l’étranger répondrait à la
recherche de la fourniture de certaines ressources et à l’objectif d’entraver
le ravitaillement de l’ennemi. Il fallait, mais avec plus de réussite qu’en
1914-1918, agir sur les neutres et les ennemis, et procurer des disponibi-
lités financières à la France. Elle est la réminiscence de l’organisation du
blocus allié en 1914-1918 ! À cet effet, le gouvernement donnerait des
instructions. Un comité interministériel d’action économique à l’étranger
est prévu, rentrant dans les attributions exclusives du ministère des
Affaires étrangères, et réuni dès le temps de paix par la sous-direction des
affaires commerciales 43. L’enjeu crucial est le ravitaillement qui condui-
rait à s’adresser aux ministères du Commerce, des Travaux publics et du
Travail pour la main-d’œuvre, au ministère de la Marine pour les trans-
ports, à celui de l’Agriculture pour préparer l’importation des produits et
envisager les implications pour le fret.
Cette action fait bien naître la nécessité d’un renseignement écono-
mique général dès le temps de paix. L’enjeu de la mobilisation indus-
trielle est présent dans le plan général de renseignement préparé par le
2e bureau à l’automne 1924. Le questionnaire de recherche de renseigne-
ments l’accompagnant désigne déjà les centres industriels principaux,
notamment aéronautiques, la mobilisation industrielle des fabrications
de guerre, le recrutement et la mobilisation de la main-d’œuvre

42. Ibidem, titre 7 de l’instruction, p. 7-8.


43. SHD/DAT 2N 51, instruction sur l’organisation économique à l’étranger en
temps de guerre, SG du CSDN, 4e section, Présidence du Conseil, 8 décembre
1928, 21 p.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

spécialisée 44. En octobre 1926, les premières études sur les bombarde-
ments urbains sollicitées par le haut commandement dressent les objectifs
prioritaires, à savoir « les grandes villes, puis les grosses agglomérations
industrielles et éventuellement les usines particulièrement importantes »
en Allemagne 45. Mais il faut véritablement attendre les plans de rensei-
gnement du 2e bureau des années 1930 pour qu’une dimension effecti-
vement économique entre dans les faits. Le 2e bureau, en liaison avec le
CSDN, en est à l’origine, ainsi que l’attestent les échanges de rapports
sur la Russie soviétique en 1929 46. Mais ce plan est de conception mili-
taire, non le fruit d’une élaboration interministérielle. Il ne le fut d’ail-
leurs jamais dans l’entre-deux-guerres. Les plans généraux de
renseignement de 1930 et 1933 établissent ainsi la liste des objectifs éco-
nomiques précis sous trois catégories générales : les industries de guerre
et les accords commerciaux pour l’importation de matières premières et
de vivres ; le développement des industries de guerre métallurgiques, chi-
miques, aéronautiques ; leurs succursales ou filiales à l’étranger, en pays
neutres notamment ; la création de réserves monétaires en Allemagne et
à l’étranger ; le développement de moyens de communications et de
transports 47. Le plan de mai 1931 y ajoute la constitution de réserve de
carburants et de charbon, la mobilisation de la main-d’œuvre indus-
trielle, les passations de marchés pour l’approvisionnement en vivres 48.
La gamme des informations recherchées est retrouvée à l’identique dans
les plans de 1933 et de 1935.
Pourtant, l’expertise du CSDN est largement impuissante. Entre
1925 et 1930, le rôle du secrétariat général en matière de renseignement

44. SHD/DAT 7N 2 530, plan général de renseignement du 19 décembre 1924


et questionnaire de recherche de renseignement pour la SR, les SR d’armée, la sec-
tion radio du GQG, les attachés militaires.
45. SHD/DAT 7N 2 530, note pour le sous-chef d’état-major sur le bombarde-
ment de sites industriels en Allemagne par l’EMA2 après une note EMA3,
28 octobre 1926, p. 1. Voir aussi Patrick Facon, Le Bombardement stratégique,
Monaco, Éd. du Rocher, 1996, p. 45-54.
46. SHD/DAT 7N 2 530, note nº 487 SAE/EMA2 réagissant au rapport du
CSDN sur la Russie soviétique, précisément sur les questions économiques provo-
quant les réactions du 2e bureau, 26 avril 1929.
47. SHD/DAT 7N 2 530, plan général de renseignement sur l’Allemagne,
26 janvier 1930, p. 1.
48. Ibidem, plan de recherche de renseignement pour la période de tension poli-
tique, SAE/EMA2, 16 mai 1931.

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De l’information économique au renseignement économique

général a certes évolué au travers du travail de ses sections. Depuis le


23 février 1929, le général Colson a succédé au général Serrigny, avec
une doctrine d’action volontariste et réaffirmée.
« Dans ce but de préparation et de transmission des décisions du gouverne-
ment, il y a lieu d’envisager : la réunion d’une documentation complète et
constamment tenue à jour sur tous les sujets intéressant la conduite de la guerre ;
un travail de prévision continue, mené d’après cette documentation et des études
faites dès le temps de paix ; grâce à ce travail préparatoire, l’établissement rapide
de propositions motivées au sujet des questions pour lesquelles le gouvernement
aurait à prendre des décisions, puis la notification de ces décisions aux intéressés ;
la réalisation d’accords sur certaines questions ressortissant à plusieurs services et
l’établissement de coordinations correspondantes dans la mesure où les minis-
tères et les organismes prévus en temps de guerre ne suffiraient pas à les assurer ;
des liaisons rapides et directes destinées à suivre l’exécution des décisions du gou-
vernement et à renseigner son chef 49. »
Dès le temps de paix, les questions financières, les importations, le
ravitaillement, les questions de transport des matières premières et de
sources d’énergie revêtent ainsi un enjeu majeur étudié par les sections
compétentes du secrétariat général. Au terme de ces huit premières
années de fonctionnement, son travail s’est orienté vers la collecte
d’informations statistiques économiques. Pourtant, lorsque les statis-
tiques déficitaires des produits importés par l’Allemagne, l’Italie, les États
neutres à l’instar des Pays-Bas ou de la Suède sont réunies, elles ne font
jamais l’objet d’une étude du secrétariat général faisant passer de l’infor-
mation brute à un renseignement élaboré 50. Le déficit de la production
des minerais et métaux (fer, cuivre, plomb, aluminium, nickel…) par
l’Allemagne ne se traduit pas, par exemple, par un plan de « guerre éco-
nomique » explicite visant à la couper de ses zones d’importations. Les
importations, les exportations, le commerce de contrebande et d’arme-
ments notamment entrent désormais dans les attributions du CSDN au
regard de l’avant-guerre. Cette contrebande existe déjà depuis 1912 au
Maroc et dans les régions saharo-mauritaniennes 51. Les guerres du Maroc
en 1925-1926, d’Éthiopie en 1935-1936 et d’Espagne en 1936-1939
confirment cette évolution. Elles accroissent la collecte des informations

49. SHD/DAT 2N 27, directive nº 77 concernant la mobilisation du secrétariat


général signée général Colson, secrétaire général depuis 1929, 30 juin 1930.
50. SHD/DAT 2N 212, tableaux statistiques des importations déficitaires de
l’Allemagne, de l’Italie et des États neutres en 1925-1926.
51. Francesco Correale, op. cit.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

sur les contrebandes d’armes par les postes des services spéciaux mili-
taires à l’étranger ou aux frontières. La question n’est pas nouvelle mais
elle gagne en gravité et en fréquence.
En réalité, une doctrine de renseignement économique fait défaut à
l’organisation du travail du CSDN. Les bulletins d’informations qu’il
doit produire sont tout aussi décevants à ce titre 52. Et les dossiers écono-
miques qu’il constitue par pays sont inégaux et rassemblent une docu-
mentation officielle d’origine variée. Le dossier sur les renseignements
économiques sur les Pays-Bas est très pauvre 53. Les informations du
CSDN sur l’Italie proviennent de pièces d’origines diverses, dont les
sources sont l’attaché militaire Parisot et la direction des affaires commer-
ciales et politiques des Affaires étrangères : celles-ci concernent la carto-
graphie des importations italiennes et des zones d’approvisionnement,
l’étude sur les ports, les conséquences des accords commerciaux italiens
avec l’URSS et l’Allemagne en 1938-1939. Il n’y a pas d’analyse
d’ensemble, en dépit d’informations brutes de qualité 54. Dans les années
1930, des critiques sont faites par des figures militaires marquantes, à
l’instar de Weygand ou de Charles de Gaulle, affecté au CSDN de 1931
à 1937 55. Après 1936, le CSDN gagne des missions nouvelles qui sont
précisées par une inflation d’instructions et de décrets ayant pour but de
coordonner plus étroitement l’action des ministères rattachés à la
Défense nationale. Un institut de recherche scientifique répondant aux
questions de Défense nationale est créé en 1938, relevant du CSDN 56.
Cette situation explique le rôle inédit du CSDN dans l’établissement
d’une réglementation sur l’espionnage économique après la crise de
Munich de l’automne 1938. Espacées après 1930, les réunions s’inter-
rompent en 1935. Les chefs militaires n’ont pas de voix délibérative en

52. SHD/DAT 2N 162, bulletins périodiques du CSDN.


53. SHD/DAT 2N 158, renseignements sur les Pays-Bas 1936-1939.
54. SHD/DAT 2N 158, dossier de renseignements économiques sur l’Italie,
1933-1939.
55. Frédéric Guelton, « Charles de Gaulle et le SGDN », in Fondation Charles
de Gaulle, De Gaulle, Paris, Plon, 2005, p. 3-17 et Le « Journal » du Général Wey-
gand, 1929-1935, édition commentée, Montpellier, Université de Montpellier III,
1998, p. 47-49 sur le CSDN aux côtés du Conseil supérieur de la guerre.
56. SHD/DAT 2N 51, note sur les domaines d’activité de la 1re section du secré-
tariat général du CSDN, 25 juillet 1938. Le secretériat de cet institut relève de celui
du CSDN.

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De l’information économique au renseignement économique

son sein, et, surtout, ne croient plus en ses facultés d’influencer le cours
des décisions politico-militaires. Son efficacité est aussi conditionnée par
une organisation de la présidence du Conseil qui fait défaut jusqu’en
1935-1936. Trop lourd, jugé impuissant, le CSDN ne jour pas de rôle
actif durant la crise de la remilitarisation de la Rhénanie en 1936.

La matrice d’une réglementation sur l’espionnage économique en


France en 1939

L’attente d’une doctrine publique du renseignement


économique

Cette réglementation est le fruit d’une prise de conscience des pou-


voirs publics, mais qui tarde à se traduire dans des décisions politiques
et dans le droit. Les innovations apparaissent peu à peu dans les années
1930. La loi du 26 janvier 1934 réprimant les délits d’espionnage est
entrée en vigueur et a été renforcée par les décrets-lois du 30 octobre
1935 et du 17 juin 1938. La loi du 26 janvier 1934 a spécifié que la
divulgation d’informations économiques intéressant la défense ou la
mobilisation économique du territoire forme un délit au même titre que
la divulgation des secrets militaires. Les premiers effets se font sentir en
1936-1937 par l’augmentation des arrestations et des condamnations
pour actes d’espionnage, mais rarement toutefois pour des délits indus-
triels. La loi du 11 juillet 1938 portant organisation de la nation pour le
temps de guerre aurait pu lui donner une tout autre portée en touchant
à l’économie de guerre. Toutefois, les dispositions de ces deux lois de
1934 et 1938, notamment en matière économique, sont insuffisantes aux
yeux de nombreux responsables militaires et civils français. Aussi
Édouard Daladier, président du Conseil, charge-t-il le secrétariat général
du CSDN d’étudier les dispositions juridiques qui pourraient enrayer
l’espionnage économique. Celui-ci n’a cessé de se développer depuis les
années 1920. La nouveauté tient, non à la prise de conscience de cette
situation dans la sphère gouvernementale, mais à la volonté nouvelle d’y
remédier. Entre novembre 1938 et février 1939, différentes conceptions
du rôle de l’État s’affrontent dans des réunions interministérielles,
pilotées par le CSDN.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

En novembre 1938, le général Jamet, secrétaire général du CSDN


depuis le 5 janvier 1934, est chargé de définir préalablement la notion
d’espionnage économique en vue des réunions 57. L’enjeu est une délimi-
tation du champ de l’espionnage économique en définissant sa matière.
Le constat initial est que le recoupement d’informations fragmentaires
par des agents de l’étranger, tant dans les publications officielles que dans
publications privées, facilite l’espionnage économique. Ces circonstances
sont nombreuses depuis dix ans. Les investigations étrangères se multi-
plient dans la presse technique. En 1935, des enquêtes commerciales,
notamment celles diligentées par des consuls américains, sont mises au
jour, pouvant compromettre la mobilisation économique 58. Jugés aussi
gravement, des renseignements ont été obtenus en 1938 par l’attaché
commercial roumain auprès du ministre du Commerce sur les exporta-
tions d’armes et de munitions françaises vers son pays. Des personnalités
étrangères ont multiplié, auprès des présidents de régions économiques,
des enquêtes sur la production française touchant à la Défense nationale.
L’inquiétude officielle en a été aggravée. Enfin, des tentatives de firmes
étrangères d’obtenir, sous couvert d’opérations de justice régulières, des
informations secrètes sur des intérêts français emportent la décision
publique d’agir. Dans l’appareil d’État, l’opinion est que ces investiga-
tions rendent nécessaire de prévenir par des mesures les indiscrétions des
puissances étrangères. La crise internationale de Munich en septembre
1938 concourt à cette analyse alarmiste.
Le CSDN examine donc la démarche à engager pour mettre en place
un système protecteur efficace et coordonné. Il convient alors de distin-
guer les informations dans les publications des administrations d’État et
des collectivités publiques constituant une première catégorie de données
statistiques. Les initiatives privées qui touchent à l’économie du pays
pouvant entrer dans le potentiel de guerre national en sont une seconde
catégorie. Pour les premières, le CSDN propose une instruction

57. SHD/DAT 2N 51, note sur les conditions dans lesquelles pourrait être orga-
nisée la protection contre l’espionnage économique, 19 novembre 1938, 4 p. et
annexe, 2 p. sur les affaires d’espionnage économique et les réponses déjà apportées
par les administrations publiques.
58. SHD/DAT 2N 52, Lettre 177/DNI du ministre du président du Conseil,
ministre de l’Intérieur au ministre du Commerce concernant les enquêtes commer-
ciales effectuées en France par les consuls américains, 2 avril 1936.

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De l’information économique au renseignement économique

interministérielle, préparée par une commission qui indiquerait les publi-


cations et visant les informations interdites. Chaque ministère conserve-
rait sa liberté d’action pour ses instructions et ses circulaires. Pour les
secondes relevant du domaine privé dans l’économie, la solution à mettre
en œuvre semble moins aisée. Les informations écrites dans les publica-
tions techniques, les statistiques des groupements économiques, des
chambres de commerce, des syndicats d’importateurs-exportateurs, des
associations de toutes sortes et les écrits d’auteurs privés ou d’éditeurs à
but commercial sont librement communicables en 1938. Les écrits de la
presse économique tombent en effet sous l’application de la loi du
29 juillet 1881. Il n’est ni possible ni souhaitable de remettre en cause
les assises du droit public français sur une question intéressant l’opinion
publique et le Parlement, en dépit du climat créé par la crise de Munich.
Durant quatre mois, la liberté d’édition et de publication des revues sus-
cite un débat sur le choix à opérer entre l’information économique
ouverte et les questions devant entrer dans une diffusion restreinte, sinon
confidentielle.
Le contre-amiral Fernet, adjoint du secrétaire général du CSDN,
pilote ainsi les trois réunions interministérielles décidées le 19 novembre
1938, et tenues le 13 décembre 1938, le 8 et le 22 février 1939 59. Par la
matière et les enjeux évoqués, elles sont autant un constat des limites de
l’action publique pendant les années passées qu’une volonté d’y remé-
dier à l’avenir. La première réunion de la commission interministérielle
aboutit d’emblée à circonscrire son domaine d’analyse à l’espionnage éco-
nomique par voie de publication officielle. Si les publications et les infor-
mations privées, notamment celles des agences d’information privées, ne
manquent pas d’être soulevées, elles sont renvoyées à des dispositions
ultérieures. Vingt-six participants relèvent de différentes directions cen-
trales et de services des ministères de la Défense nationale, des Colonies,
des Travaux Publics, de la Justice, des Affaires étrangères, des Finances,
de l’Économie nationale, du Commerce, du Travail, des PTT, de la
Marine marchande ; cinq du CSDN 60. Cette première réunion plénière
plaide en faveur de la rédaction d’un décret et d’une instruction

59. SHD/DAT 2N 51, note secrète pour les 2e, 3e et 4e sections du secrétariat
général du CSDN par le colonel Batier, chef de la 1re section, 25 février 1939, 2 p.
60. SHD/DAT 2N 51, procès-verbal de la réunion de la commission interminis-
térielle du 13 décembre 1938, 12 p. Y participent : pour le ministère de la Défense

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

interministérielle, avec le principe d’une instruction par département


ministériel. Chef des services spéciaux, le lieutenant-colonel Rivet,
membre de la délégation du ministère de la Défense nationale, est laco-
nique sur cet objectif 61. Sa confusion entre un décret et un projet de loi
résume simplement l’attente d’un texte réprimant l’espionnage écono-
mique, depuis la prise de conscience des limites, en la matière, de la loi
de janvier 1934.
La protection préventive contre l’espionnage économique est une dif-
ficulté certaine, en particulier concernant les renseignements paraissant
dans la presse. Or la législation en vigueur ne permet d’intervenir que
contre des délits constitués et constatés. Aussi faut-il envisager des
mesures de protection préalables pour gêner l’espionnage économique.
De façon restrictive, il s’agit bien d’étudier la protection à établir contre
la divulgation de renseignements économiques intéressant la défense
nationale, par voie de publications officielles. Sont seulement retenues les
publications de l’État et de ses services, des départements et des
communes, des établissements publics et des sociétés concédées, subven-
tionnées. La réunion propose d’établir une réglementation en la matière.
Au sein de chaque ministère, un inventaire des publications officielles
dans le domaine économique permettra d’appliquer la nouvelle régle-
mentation. Chaque participant intervient tour à tour. Rivet souligne
d’emblée l’urgence qu’il y a à agir en renforçant les dispositions existantes
dans la loi de 1934. L’inspecteur général Montigny (Travaux publics)
affirme que des listes doivent être établies. Son ministère vient d’inter-
dire les publications au Journal Officiel donnant des informations sur les
dépôts d’hydrocarbures et la liste des parcelles à exproprier qui y parais-
sent. En Grande-Bretagne, ces informations de défense nationale sont
alors filtrées depuis deux ans, comme dans les petits États neutres (Suisse,
Belgique, Hollande). Le Royal Act Defense britannique de 1936 pré-
munit contre ces agressions de l’espionnage économique. Le silence

nationale le lieutenant-colonel Rivet (EMA), le Cdt Moulin (SG), le contrôleur Beau


(direction du contrôle), le Cdt Mossaz (direction du contentieux), l’ingénieur prin-
cipal Fourniol (DFA), le capitaine de frégate Bourragué (2e bureau EMA marine), le
capitaine Bézy (air) : pour les Colonies M. Allard, sous-directeur des affaires écono-
miques, le lieutenant-colonel Gros-Soissy (EMA), M. Guillanton (direction des tra-
vaux publics), M. Roux (direction des affaires politiques).
61. Archives privées Rivet, op. cit., p. 51 : « 13 décembre. Réunion au CSDN au
sujet du projet de loi sur l’espionnage économique. »

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De l’information économique au renseignement économique

entoure les informations économiques à l’étranger, tant en Allemagne par


la censure d’un bureau de la presse qu’en Italie à un moindre degré. Rivet
précise sa position :
« Le retard de la France pourrait être très grand. En France, il a souvent été
relevé des indiscrétions nuisibles à la Défense nationale, parues dans diverses
publications privées et dans des journaux locaux. Plus d’une centaine de pour-
suites ont été demandées contre les auteurs de ces indiscrétions, tombant sous le
coup de la loi de 1934, sans toutefois que la justice ait été saisie par le ministre
de la Défense nationale. En ce moment même paraît depuis novembre 1938 une
publication nommée L’Argus de la Défense nationale dont les plus regrettables
indiscrétions paraissent à craindre 62. »
Les inconvénients du libéralisme sont, en la matière, patents. L’inter-
vention de Rivet est symptomatique de la conviction que l’autorité
ministérielle n’utilise pas toutes les facultés de la loi de 1934. En 1938,
les poursuites judiciaires ne sont pas en effet toujours engagées par l’auto-
rité ministérielle. La complexité de la procédure ne facilitent pas l’action
judiciaire. En outre, la nature des faits n’est pas toujours aisée à définir.
La protection de l’anonymat des agents explique aussi souvent que les
services spéciaux militaires rechignent à donner les preuves de la culpabi-
lité d’un agent étranger. Sans le reconnaître, ils freinent paradoxalement
la répression judiciaire. Quelques mois plus tard, une affaire caractéris-
tique illustre cette difficulté. En février 1939, l’expulsion du journaliste
allemand Baron, arrêté par la Sûreté nationale, provoque la réaction de
l’ambassade d’Allemagne auprès du ministère français des Affaires étran-
gères au sujet du possible chef d’inculpation. Consulté par Seydoux au
Quai d’Orsay, Rivet répond que le cas d’espionnage est caractérisé, mais
qu’il doit rester officieux pour ne pas divulguer à l’ambassade d’Alle-
magne l’origine des informations ayant permis son expulsion 63. Berlin
pouvait-il d’ailleurs être dupe ?
Durant la réunion du 13 décembre, le représentant du ministère de
la Justice, Baulet, rappelle que son département n’a pas été saisi jusqu’à
présent de plaintes concernant les informations de presse touchant à la
Défense nationale. Il confirme ainsi le parti pris par l’autorité militaire
et le ministère de l’Intérieur. Les ministères de la Marine et de l’Air ont
déjà donné à la presse des instructions sur les secrets à ne pas divulguer.

62. SHD/DAT 2N 51, procès-verbal de la réunion du 13 décembre 1938, op.


cit., p. 5.
63. Archives privées Rivet, op. cit., 11 février 1939, p. 52.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Ils l’ont fait dans une conception exhaustive du secret militaire concer-
nant leurs armements et l’implantation des bases, des ports, des arse-
naux 64. En revanche, il n’y a pas de circulaire au ministère des Colonies
selon son représentant civil Allard. Aucun renseignement sensible
n’aurait été diffusé par la presse coloniale. Il est disposé à ce que les sta-
tistiques de production coloniale continuent d’être publiées. Il est
démenti par le représentant de l’état-major des Colonies du général
Bührer, demandant de ne plus publier les statistiques des réserves des
mines et les travaux de prospection des colonies. Le diplomate Félix,
représentant la direction des affaires commerciales et politiques des
Affaires étrangères, note qu’il n’y a pas de publication de son ministère
portant sur les questions de Défense nationale ayant donné lieu à des
indiscrétions sur les questions économiques. Pour M. Jeannin, du minis-
tère des Finances, le problème posé est celui du bien-fondé de publica-
tions officielles, des douanes entre autres, qui offrent des données
beaucoup plus nombreuses que dans les autres pays. C’est vrai du bul-
letin de statistique ainsi que des publications sur le budget qui fournis-
sent trop d’indications, en dépit des efforts faits pour diminuer la
transparence de ces imprimés. Rassurant, il rappelle que, si ces indica-
tions ont baissé depuis la loi de 1934 sans résultat significatif, elles restent
de toute façon plus détaillées que celles de l’URSS ou de l’Allemagne.
M. Coiffard, du ministère de l’Économie nationale, souligne que les sta-
tistiques générales de son ministère ne fournissent que rarement des indi-
cations sur la Défense nationale et que par ailleurs le Conseil national
économique n’effectue que des études. En définitive, l’économie du ren-
seignement ouvert est mise en évidence, sans que la plupart des représen-
tants des ministères civils en aient véritablement conscience. À l’inverse,
cette vision est intériorisée jusqu’à la phobie chez les responsables mili-
taires. Le lieutenant-colonel Robert du CSDN n’alla-t-il pas jusqu’à pro-
poser que les renseignements des débats parlementaires, lors de l’examen
des budgets, ne soient pas publiés, dans une conception du travail parle-
mentaire pour le moins réformiste ? On était, naturellement, loin de cette
situation en 1938… Au ministère du Commerce, les bulletins des
chambres de commerce et des régions économiques jouant un rôle dans

64. Comité pour l’histoire de l’armement, Les Bases et les arsenaux français
d’outre-mer du Second Empire à nos jours, Panazol, Lavauzelle, 2002, 396 p. Le goût
du secret sur leur construction et leur fonctionnement est délibéré.

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De l’information économique au renseignement économique

la Défense nationale doivent désormais faire l’objet d’une surveillance


renforcée. Les statuts des groupements d’achats industriels et des
commerçants devaient alors être publiés au terme de la loi. Son représen-
tant souligne enfin « la plus grande difficulté que rencontrent actuelle-
ment nos attachés commerciaux en Allemagne et dans l’URSS dans la
recherche de renseignements économiques 65 ». Le régime libéral est ici
un redoutable défi pour l’efficacité de la Défense nationale. Les minis-
tères du Travail, hormis ses statistiques sur la main-d’œuvre étrangère, de
la Marine marchande, pour son bulletin officiel administratif, et des
PTT, à travers ses bulletins statistiques officiels, n’ont pas le sentiment de
livrer des informations vitales à l’économie de guerre. Les départements
ministériels intéressés à la vie économique de la nation et ceux chargés de
sa sécurité ont, naturellement, des conceptions éloignées. Ces oppositions
interdisent-elles de parvenir à un consensus ?
La définition des catégories d’informations à viser est établie. Par bien
des aspects, les débats rappellent la doctrine déjà défendue par l’autorité
militaire, lors de la préparation de la loi sur la liberté de la presse du
29 juillet 1881. Il y a les informations qui appellent une autorisation offi-
cielle préalable et celles dont la recommandation doit être réservée. Les
faits intéressant la mobilisation industrielle, la main-d’œuvre spécialisée,
le rythme de production, la consistance et l’emplacement des stocks
étaient les enjeux majeurs de la protection recherchée. Cependant, les
informations dans les expositions publiques, à l’exemple simple des cartes
des réseaux électriques et des centrales, dans les comptes rendus d’études
ou les publications privées, ne sont pas encore totalement surveillées.
Fernet suggère de réunir une sous-commission de rédaction « procédant
par enquêtes fragmentaires, en vue d’apprécier la valeur des renseigne-
ments du double point de vue de la Défense nationale et de l’économie
de guerre ». Il reviendrait à cette instance de rédiger un texte réglemen-
taire fixant les prohibitions, tenant compte des attentes des diverses
administrations et des organes de renseignement officiels. Ce texte
déboucherait sur un décret interministériel visant une action de protec-
tion contre les investigations étrangères et une instruction d’application,
de portée générale, interministérielle, fixant la liste des sujets prohibés.
Elle pourrait être complétée éventuellement par des instructions ministé-
rielles. Le décret comme les textes ne seraient pas rendus publics. Quant

65. SHD/DAT, ibidem, p. 8-9.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

à lui, Rivet suggère la constitution d’un organisme nouveau et spécialisé


pour réprimer l’espionnage économique, soulignant en creux l’impuis-
sance du CSDN et l’incompétence de ses propres services. Les apprécia-
tions ne permettaient donc a priori aucun consensus entre les militaires et
les civils, ni mêmes entre les militaires.

Les doctrines concurrentes des ministères publics en vue d’une


instruction
Lors de la seconde réunion du 8 février 1939, l’enjeu d’un mono-
pole sur l’information économique dans l’appareil d’État déplace claire-
ment les prises de position des départements ministériels 66. Les rivalités
bureaucratiques entre les corps de hauts fonctionnaires ont, sans doute,
joué à plein. L’absence des ministères des Finance, du Commerce, des
Affaires étrangères symboliserait-elle une concurrence bureaucratique
entre eux sur la collecte et la diffusion de l’information économique 67 ?
Or, celle-ci est, à cet instant, dans les mains du ministère du Commerce
depuis 1918 68. L’objectif est alors l’établissement d’un avant-projet de
texte de décret ainsi que la fixation des grandes lignes de l’instruction
ministérielle devant en découler. Incidemment, la participation des repré-
sentants de la Défense nationale, de l’Intérieur, des Colonies et des Tra-
vaux Publics fait contraste avec l’abstention de certains ministères. Le
projet de décret est affiné, en tenant compte des moyens de protection
existants avec la loi de 1934 et les textes administratifs. Puis le schéma de
l’instruction interministérielle est donné, en rappelant les trois catégories
de renseignements : ceux dont le caractère secret, incontestable, conduit
à prohiber la publication ; ceux qui ne constituent pas par eux-mêmes un
renseignement secret, mais dont la réunion dans un document constitue
un tout pouvant présenter un danger ; enfin ceux dont la diffusion ne
doit être permise qu’avec circonspection ou doit être déconseillée. La réu-
nion ne modifie pas la liste des organes publics soumis à cette réglemen-
tation. Les ministères appliqueront la réglementation et le secrétariat
général du CSDN est chargé d’y veiller, devant rédiger la dernière version

66. Archives privées Rivet, op. cit., p. 57.


67. SHD/DAT 2N 51, procès-verbal des conclusions de la réunion de la
sous-commission interministérielle réunie au secrétariat général du CSDN, 8 février
1939, au sujet de la préparation du décret sur l’espionnage économique, 7 p.
68. Laurence Badel, op. cit., p. 190-192.

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De l’information économique au renseignement économique

du projet 69. Le 22 février 1939, la dernière réunion entérine les propo-


sitions de la sous-commission. Les trois catégories de renseignements
visés sont confirmées. La liste des publications prohibées sera dressée par
le CSDN et le 2e bureau de l’EMA, avant de la transmettre aux différents
ministères 70. La validation du décret est donc lancée le 7 avril 1939 71.
L’accord de tous les ministres pour un décret simple, soumis au contre-
seing des divers ministres concernés, a été obtenu. Signé le 15 mai 1939
par le président du Conseil, il est publié le 23 mai au Journal officiel. Il
est largement diffusé dans la presse pour être présenté dans la continuité
de la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la nation en temps de
guerre. Le ministère des Travaux Publics obtient que ne soit pas fixé in
fine une obligation stricte, mais simplement un principe 72. Le rapport
annexé ainsi que l’instruction interministérielle ultérieure restent
secrets 73. Le point de vue du CSDN a malgré tout triomphé. L’instruc-
tion interministérielle fait l’objet d’une nouvelle réunion le 23 juin 1939
pour harmoniser les points de vue des différents ministères en leur lais-
sant « une faculté raisonnable d’appréciation », à la demande du minis-
tère des Travaux Publics qui a une conception plus ouverte de
l’information générale économique. Or, une large appréciation serait
laissée aux ministères pour rédiger leur propre instruction, afin de ne pas
entraver leurs conceptions économiques. Il était difficile d’aller plus loin.
« Il est bien certain qu’on ne peut avoir la prétention de résoudre par une
réglementation nouvelle, dès la première apparition de celle-ci, les difficultés de
ce genre – et des retouches seront certainement apportées à la première version,

69. SHD/DAT 2N 51, procès-verbal des conclusion, op. cit., p. 5-6.


70. Cette liste n’a pas été trouvée dans les archives : fut-elle jamais établie ?
71. SHD/DAT 2N 51, lettre nº 678/DNI du général Jamet, Secrétaire général
du CSDN au Président du conseil, ministre de la Guerre, 7 avril 1939.
72. Ibidem, note confidentielle annexée du commandant Thomas du cabinet
militaire du ministère de la Guerre résume les tenants du dossier au président du
Conseil, en soulignant le rôle actif de son ministère et du colonel Louis Rivet, 3 p.
73. SHD/DAT 2N 51, texte original du décret du 15 mai 1939 signé par le pré-
sident du Conseil et du rapport au président de la République. Présidence du
conseil, CSDN, Secrétariat général, Protection contre les tentatives d’espionnage écono-
mique, décret du 15 mai 1939 et instruction interministérielle du 14 septembre 1939,
15 p.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

dans un sens ou dans l’autre, mais vraisemblablement sur certains points, dans le
sens d’un moindre libéralisme 74. »
La tension entre une certaine culture politique républicaine, sou-
cieuse du libéralisme économique et politique, et d’une politique de sécu-
rité nationale qui s’élargit au domaine économique et juridique,
s’exprime ici de façon latente. Le 23 juin 1939, l’attention est attirée sur
les échanges d’informations administratives avec les gouvernements
étrangers qu’il faut restreindre, puis sur la nécessité d’urgence de prendre
des décisions. Attachés à un certain libéralisme, le ministère des Finances
et les douanes sont réticents à un texte trop restrictif. Et les limites des
textes sont déjà criantes, puisqu’ils ne s’appliquent pas au domaine privé.
Le gouvernement resta ici impuissant. Les limites juridiques de l’action
publique en matière d’informations ouvertes, publiques ou privées, se
révélaient grandes. En dépit de ces progrès difficiles, le questionnement
est inédit dans la sphère gouvernementale. À peine abordée, la situation
des agences commerciales de renseignement privées est réservée. Confiée
au CSDN et au ministère du Commerce, une étude sur la situation juri-
dique de ces firmes, en France et à l’étranger, est repoussée sine die 75 ;
mais elle n’eut pas de suite avant la guerre.
Ni l’existence ni les effets attendus du décret du 15 mai 1939 et de
cette instruction interministérielle du 14 septembre 1939 ne sont passés
à la postérité. Le décret du 15 avril 1939 sur la mobilisation écono-
mique du pays était autrement frappant. Sans doute le décret du 15 mai
est-il apparu dans la continuité du décret-loi du 15 avril 1939, sa matière
technique offrant peu d’intérêt en outre pour la curiosité publique. Par
ailleurs, il n’a pas pu produire les résultats escomptés à quelques semaines
de la guerre, englouti par la défaite et disqualifié après 1945. Curieuse-
ment, il est souvent ignoré dans l’examen des moyens juridiques permet-
tant, entre 1934 et 1939, de mettre en œuvre une répression affermie des
menées d’espionnage en France. Or, le décret-loi du 29 juillet 1939 qui
refonde les textes sur l’espionnage et la trahison depuis 1934, en institu-
tionnalisant la notion de secret de la Défense nationale, en tient

74. SHD/DAT 2N 51, procès-verbal de la réunion de la commission interminis-


térielle sur l’espionnage économique du 23 juin 1939, p. 2.
75. Ibidem, p. 4.

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De l’information économique au renseignement économique

largement compte 76. Ce décret-loi du 29 juillet 1939 ne fait que


reprendre les dispositions de la loi de 1934 sur les informations écono-
miques intéressant la Défense nationale. Les économistes attachés à l’his-
toire du renseignement économique ne s’y sont pas davantage arrêtés,
convaincus que la législation n’était pas antérieure à la Seconde Guerre
mondiale 77. Les textes étaient venus, d’une certaine manière, à la fois
trop tôt dans l’histoire de la répression de l’espionnage économique et
trop tard dans les mesures de contre-espionnage militaire et civil en
1939. Par ailleurs, les conditions de vérification de l’application de la
réglementation par le CSDN restent en suspens. Le CSDN ne dispose
sans doute pas des moyens pour la suivre. Les départements de la Jus-
tice, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, de l’Économie, des Finances,
du Commerce ont été réservés sur la mise au point de ces textes. Le rôle
du ministère du Commerce est central ici. Force est de reconnaître que la
mise en œuvre de la coordination de l’État et de ses ministères demeure
un défi en temps de paix. Le projet est largement le fruit de la volonté
du ministère de la Défense nationale, avec un engagement de la haute
hiérarchie militaire sensibilisée aux enjeux du renseignement 78. Sans
doute est-il par ailleurs un peu tôt pour que les différents départements
ministériels s’approprient une réglementation sur l’espionnage écono-
mique qui a volontairement et prioritairement été filtrée aux enjeux
exclusifs de la Défense nationale. Le renseignement économique est l’apa-
nage des entreprises privées, non des institutions publiques. Sans doute
cette situation ne retient-elle pas l’attention d’un appareil d’État qui se
prépare déjà à faire la guerre avec un arsenal de lois, en matière de
Défense nationale, déjà conséquent. Surtout, les réticences et les freins à

76. Bertrand Warusfel, Contre-espionnage et protection du secret. Histoire, droit et


organisation de la sécurité nationale en France, Panazol, Lavauzelle, 2000, p. 24-28 et
152-154 sur le décret-loi du 29 juillet 1939.
77. Stevan Dedijer, Clio goes to spying : Eight essays on the History of Intelligence,
Malmö, Scandinavian University Books, 1983, n’en parle pas. Philippe Baumard,
« Conceptions françaises et anglo-saxonnes des affrontements économiques », in
Pierre Lacoste (dir.), Le Renseignement à la française, op. cit., p. 443-480, ne la
recense pas en faisant remonter les initiatives à l’après-1945 en France.
78. Nous n’avons pas trouvé de traces de débats ou de réunions internes à la
SR-SCR sur la préparation des textes dans cette période. Les textes sont préparés par
les adjoints du général Jamet, en liaison avec le général Colson, chef d’état-major de
l’armée, et le colonel Rivet.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

la mobilisation industrielle et à la préparation de l’économie de guerre


sont encore nombreux en 1939 79. Un ultime signe en est donné par
l’attitude de Marc Gaulier, directeur de cabinet du président du Conseil.
Il réagit défavorablement à la proposition :
« Un décret-loi qui ne contient en somme que des injonctions adressées à des
administrations publiques qu’une instruction interministérielle suffirait à for-
muler. La préparation d’une instruction de ce genre étant annoncée par le
général Jamet, il conviendrait de l’attendre et de la promulguer sans la faire pré-
céder d’un décret inutile. Celui-ci ne servirait à quelque chose que si on voulait
réprimer les indiscrétions commises par la presse en matière économique. Mais le
régime ainsi établi se rapprocherait trop de la censure 80. »
Il est vrai que, pour saisir les réserves du directeur de cabinet de Dala-
dier, la fin de l’année 1938 et les premières semaines de 1939 ont vu se
multiplier les décrets-lois dans une atmosphère de controverse
politique 81.

Les divergences entre les ministères de la Défense nationale et


des Affaires étrangères
Le ministère des Affaires étrangères n’était pas prêt à renoncer à la
conduite de la « guerre économique ». Il lance ainsi une offensive admi-
nistrative en règle à la fin de l’année 1938. Alors que la direction des
affaires politiques et commerciales est restée singulièrement silencieuse,
on peut déceler dans cette démarche la résurgence du conflit latent entre
les administrations militaire et diplomatique. Émile Charvériat, qu’Alexis
Léger vient d’imposer à la tête de la direction des affaires commerciales
et politiques, Henri Hoppenot, sous-directeur Europe, ont suivi très
attentivement ce dossier 82. L’offensive du Quai d’Orsay est orchestrée

79. Jean-Baptiste Duroselle, La Décadence 1932-1939, op. cit., p. 441-444 sur la


préparation économique à la guerre ; Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de
l’an 40, Tome I La Guerre oui ou non et Tome II Ouvriers et soldats, Paris, Galli-
mard, 1990, 647 et 740 p., n’en touche mot.
80. SHD/DAT 2N 51, note du directeur de cabinet du ministre de la Défense
nationale, président du Conseil, 8 avril 1939, demandant un avis à M. Oudinot.
81. Jean-Baptiste Duroselle, op. cit., p. 443 sur les 58 décrets-lois publiés entre le
12 et le 15 novembre 1938. Élisabeth du Réau, op. cit., p. 294-299 sur leur publicité
après la grève du 30 novembre 1938. On prendra aussi René Rémond, Janine
Bourdin (dir.), Édouard Daladier, chef de gouvernement, Paris, PFNSP, 1977, 319 p.
82. Étienne de Crouy-Chanel, Alexis Léger ou l’autre visage de Saint-John Perse,
Paris, Éd. Jean Picollec, 1989, p. sur le portrait de l’homme et Renaud Neltz, Le

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De l’information économique au renseignement économique

avec maestria pour reprendre l’initiative sur le ministère de la Défense


nationale. Elle est un long plaidoyer en faveur d’une doctrine de la guerre
économique, préoccupant depuis une dizaine d’années les Affaires étran-
gères, qui s’accompagne d’une demande de crédits pour créer une « sec-
tion d’action économique » qui coupe court à tout débat interministériel.
L’importante instruction secrète sur l’organisation et le fonctionnement
des services économiques à l’étranger en temps de guerre du départe-
ment date du 5 mars 1931, véritable pierre lancée dans le jardin du
ministère du Commerce. Rédigée par la direction des affaires politiques
et commerciales, elle prévoyait déjà les actions de « guerre économique »
à mener en temps de conflit, qui reprennent, pour l’essentiel, les dispo-
sitions héritées du blocus en 1915-1919 : la fourniture des ressources,
l’obstruction au ravitaillement ennemi, garantir au pays des disponibi-
lités financières dès le temps de paix. Un comité d’action économique à
l’étranger, rattaché à la présidence du Conseil, et dont le président est
nommé par les Affaires étrangères, serait établi. Dans cette vision,
l’attaché commercial et le consul cumulent leurs fonctions avec le ser-
vice économique établi dans les postes diplomatiques. L’action écono-
mique à l’étranger appartient donc au ministère des Affaires étrangères,
sans qu’aucune coordination avec les autres ministères n’apparaisse. La
coopération avec le ministère de la Défense nationale est éludée, sauf à
citer une fois les attachés militaires, notamment sur la collecte des infor-
mations économiques sur les États, les sociétés, les personnes. Les services
spéciaux n’entraient pas dans le schéma pensé, en dépit de la reprise des
leçons de 1914-1918. Les listes noires, grises et blanches pour l’interdic-
tion ou l’autorisation de commercer seraient réactivées 83. En 1933, une
seconde instruction au sujet des mesures de guerre économique avait éga-
lement rappelé aux agents diplomatiques les moyens offensifs – à savoir
la capture en haute mer et dans les eaux territoriales ennemies des

Mage et le Régent. Alexis Léger (1877-1975), thèse de doctorat en histoire, Université


de Paris IV-Sorbonne, sous la direction de Jean-Paul Bled, 2005, 1 609 p.,
volume 3 ; Colette Barbier, Henri Hoppenot, diplomate (1891-1977), Paris, Impri-
merie nationale, 2000, p. 401-405.
83. SHD/DAT 7N 2 594, instruction SEG sur l’organisation et le fonctionne-
ment des services économiques à l’étranger, ministère des Affaires étrangères, direc-
tion des affaires politiques et commerciales, 5 mars 1931, 61 p. Les conventions de
La Haye de 1907 accordaient une place centrale à cette question plus large du
commerce sur mer en temps de guerre.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

propriétés privées et des produits de contrebande – et les moyens


défensifs, soit l’interdiction de commerce avec l’ennemi et ses alliés. Les
renseignements sur les personnes et les maisons de commerce doivent
être recherchés, sans autres moyens que ceux des postes. Là encore, la
coordination avec les autres ministères n’est pas prise en compte 84. Les
mesures envisagées n’élargissent pas la gamme des actions déjà prati-
quées en 1914-1918, ni ne fixent à l’avenir des liaisons plus étroites avec
le renseignement militaire. En outre, les deux textes renvoient au temps
de guerre les décisions d’organisation relevant de la loi. Ces instructions
répondent peut-être davantage à une doctrine diplomatique qu’à un
principe d’action interministérielle. Cette instruction dérange les concep-
tions du Quai d’Orsay de l’action de l’État à l’étranger.
En effet, Émile Charvériat adresse la copie d’un courrier officiel de
Georges Bonnet à Édouard Daladier, en date du 16 juin, au général
Dentz, sous-chef de l’EMA, le 21 juin 1939 85. Le constat de départ est
que la guerre économique est désormais une dimension, sinon une cause,
à part entière de la guerre. Il faut parler d’une « quatrième arme » dans
la guerre. Selon le Quai d’Orsay, elle est explicite dans le récent accord
germano-italien de Rome sur la collaboration économique de guerre et
dans le programme de l’Economic Warfare de la Grande-Bretagne.
Georges Bonnet y rappelle les conversations franco-anglaises du 1er juin
1939 sur ce point et l’avance de l’organisation anglaise avec un bureau
centralisateur de 30 personnes, qui en compterait 600 à la mobilisation
– déjà désignées, recrutées principalement dans la City. Il feint d’oublier
que Londres n’est pas allé aussi loin dans la négociation, omettant l’exis-
tence de la section économique du 2e bureau. L’enjeu est bien la prépon-
dérance des Affaires étrangères.
« L’organisme central britannique qui doit naître de la guerre et qui sera le
ministère de la Guerre économique, véritable émanation du Foreign Office, est
un organisme cohérent dont le squelette est déjà construit avec toutes ses articu-
lations. Actuellement, l’Industrial Intelligence Centre, foyer de documentation
économique qui a constitué un des noyaux mobilisateurs du futur ministère,

84. SHD/DAT 7N 2 594, instruction NOI aux agents diplomatiques et consu-


laires au sujet des mesures de guerre économique, ministère des Affaires étrangères,
26 décembre 1933, 14 p. et annexes.
85. SHD/DAT 2N 51, copie de la lettre de Georges Bonnet, ministre des
Affaires étrangères à Édouard Daladier, président du Conseil, ministre de la Guerre,
16 juin 1939. Elle figure dans les archives du Secrétariat général du CSDN.

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De l’information économique au renseignement économique

rassemble avec autorité tous les renseignements sur la situation économique


mondiale, particulièrement sur le futur potentiel de guerre des futurs neutres et
ennemis, élabore des listes de contrebande, établit sur fiche des listes noires… à
l’encontre des administrations françaises étanches (où l’on peut voir les services
de renseignement du Commerce poursuivre les mêmes fins que l’office de rensei-
gnements de l’Agriculture et que les 2es bureaux de la Défense nationale, de
l’Air, de la Marine, sans parler de l’information remise à la Marine marchande
par le comité des armateurs, du bureau des affaires économiques aux Colonies,
de la documentation de la présidence du Conseil, des enquêtes économiques de
la SDN… ce qui rend difficile les recoupements et empêche la confrontation cri-
tique des témoignages), la circulation et la coordination des renseignements se
font à Londres, avec une aisance exemplaire et dans le plus grand secret 86. »
Le constat fait évidemment fi de tous les efforts de coordination des
moyens et de l’exploitation du renseignement menés en France par les
ministères de la Défense nationale et de l’Intérieur. Dans le cadre du
gouvernement de cabinet, la situation britannique fait en effet remonter,
via le Joint Intelligence Committee, l’information dans tous les domaines
au Premier ministre anglais depuis 1936. Cette organisation présente des
similitudes avec la situation en France : une authentique culture gouver-
nementale du renseignement se met en place en 1937-1938 87. Mais pour
le Quai d’Orsay, l’enjeu est de contrôler la mise en œuvre de la mobili-
sation économique. À peu de choses près, cette argumentation est celle
de Philippe Berthelot et d’Alexis Léger tenue à Aristide Briand, en 1916,
pour faire basculer les moyens institutionnels de la guerre économique au
Quai d’Orsay. Georges Bonnet a beau jeu de rappeler alors que les dispo-
sitions de l’instruction de l’action économique en temps de guerre de
décembre 1928, révisée le 1er octobre 1938, portent que la sous-direc-
tion des relations commerciales des Affaires étrangères est le « noyau
mobilisateur » du comité d’action économique en temps de guerre. La
solution l’emporterait a fortiori si le rapprochement avec les Britan-
niques conduit à un commandement unique et britannique de la guerre
économique. Fortes des informations déjà communiquées par Londres,
les Affaires étrangères s’efforcent d’être à la tête de cet organisme de la
guerre économique.

86. SHD/DAT 2N 51, lettre de Georges Bonnet, 16 juin 1939, op. cit., p. 3
87. Cf. chapitre 12 ; Olivier Forcade, « L’exploitation du renseignement straté-
gique en France en 1936-1938 », in Georges-Henri Soutou, Jacques Frémeaux, Oli-
vier Forcade (dir.), op. cit., p. 92-97.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

« Ce rouage de Défense nationale […] pourrait s’intituler Section d’action


économique (SAE). Elle serait chargée des informations générales sur les pays
éventuellement ennemis ou neutres, de la surveillance des personnes (listes
noires) ou des matières (transports, ravitaillements, accords commerciaux, situa-
tions financières des ennemis ou neutres ou interalliés, statistiques des produits,
stocks, consommation, exportations et importations, contre-espionnage écono-
mique, achats, préparation des décrets et projets de loi de guerre économique).
Elle maintiendrait une liaison constante avec les services britanniques correspon-
dants par l’entremise de l’ambassade britannique à Paris qui a affecté spéciale-
ment un de ses membres à cette liaison 88. »
Georges Bonnet détaille ensuite les personnels recrutés par la direc-
tion des affaires commerciales des Affaires étrangères, rompus à la langue
anglaise et à la pratique du secret par « une exceptionnelle habitude sans
laquelle la collaboration anglaise est impossible ». Il demande des crédits
de 388 966 F, « ne représentant pas même le prix de la cellule d’un
avion » pour organiser la section. Des considérations générales sur le
contexte d’urgence accompagnent le courrier, dont la copie est trans-
mise au ministre des Finances. Le dossier du secrétariat général du
CSDN ne contient pas d’éléments complémentaires. Est-ce à dire que la
demande fut sans suite ? Elle est symptomatique d’une attitude de
défiance à l’encontre des moyens et des dispositions existants. En effet,
le système proposé est précisément celui du secrétariat général du CSDN,
appelé à se transformer en comité de guerre à la mobilisation. Le rensei-
gnement économique général collecté par les sections du CSDN répond
point par point au descriptif des attributions de l’organisme projeté. La
lettre-programme fait long feu. Mais demeure le constat d’un appareil
d’État qui n’a pas su ou pu dépasser la rivalité de corporatismes étroits
des grands corps et des administrations centrales pour mettre en œuvre
la décision publique sur un plan strictement interministériel. Faut-il y
voir la faiblesse politique de Daladier à la présidence du Conseil ou
l’impuissance technique des services de la présidence du Conseil récem-
ment organisés 89 ? Depuis l’automne 1938, la démarche de Georges
Bonnet, pour peu que la volonté ministérielle soit inspirée par Alexis
Léger, est conduite à contre-temps du travail gouvernemental. Il ne s’en
explique d’ailleurs pas dans des Mémoires très allusifs 90. L’organisation

88. SHD/DAT 2N 51, op. cit., p. 4-5.


89. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, op. cit., I, p. 136-138.
90. Georges Bonnet, La fin d’une Europe, Genève, 1948, p. 281-suiv. et Le Quai
d’Orsay sous Trois Républiques, Paris, Fayard, 1961, 519 p.

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De l’information économique au renseignement économique

des services de la présidence du Conseil, faisant désormais de Matignon


le poumon du travail gouvernemental, échappe encore en partie à des
administrations ministérielles jalouses de leur autorité traditionnelle. Ne
signifie-t-elle pas prosaïquement que la guerre économique n’en est, en
réalité, qu’à ses balbutiements théoriques et pratiques 91 ?
En définitive, l’initiative d’une organisation pratique du renseigne-
ment économique appartient à plusieurs départements ministériels. Les
milieux militaires l’abordent exclusivement sous l’angle de la Défense
nationale. À l’inverse, la conception par trop sécuritaire de cette
approche, heurtant des cultures juridiques et économiques plus libérales
dans les administrations des ministères civils, retarde la prise de
conscience et la mise en œuvre pratique de la « guerre économique » par
l’ensemble des départements ministériels. Chaque ministère a sa défini-
tion de la « guerre économique », non du « renseignement écono-
mique ». Chacun en réserve l’application à un temps de guerre repoussé
au premier semestre 1939. Il n’y a pas eu d’effort de définition ni du
mot, ni du concept de renseignement économique, mais de la notion
défensive d’« espionnage économique ». Le secrétariat général du CSDN
échoue à produire du renseignement élaboré au profit de la présidence
du Conseil. Il n’a jamais joué le rôle central attendu dans la dynamique
de l’action gouvernementale jusqu’au milieu des années 1930. Mais,
quand Matignon s’est enfin doté des services et a conquis sur les minis-
tères une autorité et une fonction dans l’action gouvernementale, il était
trop tard 92. Faute d’une dynamique institutionnelle favorable à l’établis-
sement d’une présidence du Conseil forte sous la IIIe République, le
CSDN n’a pas joué le rôle clé que le décret de décembre 1921 lui assi-
gnait. Le renseignement économique, qu’il aurait pu contribuer à définir
au moment de la préparation du projet de loi sur l’organisation de la
nation en temps de guerre fin 1922-début 1923, n’a donc pu trouver de
définition doctrinale ni de consécration institutionnelle jusqu’en 1939.
Et, de fait, le CSDN ne tient pas cette fonction à partir de la déclaration
de la guerre en septembre 1939 93. À la rubrique « guerre économique »,

91. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, op. cit., tome II, p. 83-102.


92. Nicolas Roussellier, Faire la loi, op. cit., p. 244-245.
93. SHD/DAT 2N 49, Journal de marche du CSDN rédigé par le contre-amiral
Fernet, secrétaire général adjoint du CSDN de 1938 au 17 juin 1940, 1er septembre
1939-19 juin 1940.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

le contre-amiral Fernet, secrétaire général adjoint, note le 1er septembre


1939 l’établissement de listes officielles des personnes physiques et
morales, établies en pays neutres, avec lesquelles les rapports sont
interdits. Puis les réunions avec les Affaires étrangères et le Commerce
sont organisées dès le 5 septembre pour préparer les négociations
commerciales avec les neutres. Le rôle du CSDN s’arrête alors si l’on suit
les procès-verbaux de ses grands rapports 94.

Aux origines des pratiques modernes de renseignement économique : les


agences privées

En France, l’information économique préoccupe au premier chef les


entreprises et l’État, dans le contexte d’une compétition économique,
sectorielle et parcellaire avant 1914, généralisée et exacerbée par le règle-
ment économique après la guerre de 1914-1918. Certes, les entreprises,
les agents consulaires et les premiers attachés commerciaux s’attachent
déjà, avant 1914, à l’information économique à l’étranger. L’État en avait
aussi la préoccupation constante depuis la fin du XVIIIe siècle, avec le rôle
précoce des intendants royaux 95. Dans le dernier quart du XIXe siècle,
l’enjeu commence d’être pris en compte dans l’appareil d’État français.
Après la guerre de 1914-1918, la recherche de cette information se fait
par des acteurs anciens, mais à une autre échelle. Les agences de rensei-
gnement commercial qui vendent des informations économiques aux
entreprises intéressent désormais les États. En France, l’État recourt à ces
agences pour conduire des enquêtes de renseignement économique, car
il n’en a ni les moyens, ni les compétences. Dans le même temps, il soup-
çonne certaines d’entre elles de camoufler un espionnage industriel et
financier au profit d’intérêts privés et publics étrangers.

La prolifération du renseignement économique privé


La Grande Guerre a enrichi l’expérience des agences commerciales
privées. Depuis 1915, de nombreuses enquêtes sur les firmes de

94. Ibidem, grands rapports du CSDN, 1939-1940.


95. François-Xavier Emmanuelli, État et pouvoirs dans la France des XVI-
XVIIIe siècles, Paris, Nathan, 1999.

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De l’information économique au renseignement économique

renseignement privées allemandes alimentent la phobie française d’un


espionnage économique. Aux yeux de certains dirigeants français,
l’espionnage commercial et financier officiel allemand n’aurait jamais
cessé depuis l’avant-guerre ; il s’est simplement réorganisé en prenant des
couvertures privées. Il y a trois moments de l’obsession française d’un
activisme des agences privées de renseignement économique : en
1913-1914 et pendant la guerre avec l’affaire Maggi-Kub, enflammée par
les polémiques de l’Action française ; en 1922-1924, à l’heure de l’occu-
pation française en Allemagne ; et au milieu des années 1930, lorsque les
effets différés de la crise nourrissent une hantise du déclin industriel.
À preuve l’organisation mise sur pied par le major Gemp, chef du ser-
vice d’information pour l’étranger de l’espionnage allemand au prin-
temps 1920. Le recours à la société d’importation et d’exportation
Deutsche Neberscedienst à Berlin, subventionnée par des fonds du
ministère de la Guerre, a reçu trois missions de propagande économique,
de renseignement économique et politique à l’étranger, de recherche
d’informations sur les marchés qui peuvent intéresser les industriels et les
milieux d’affaires allemands 96. Après 1920, le cas se produit aussi en
Allemagne où affluent de nombreux réfugiés russes, favorisant les acti-
vités des agents soviétiques qui se mêlent à eux 97. L’existence d’une
agence commerciale russe à Berlin est révélée. Elle a été créée par un cer-
tain Freiberg, ancien colonel de l’armée russe et qui dirige une agence
internationale de renseignement privée. Le bureau du commerce oriental
a des buts apparemment commerciaux en Pologne, en Finlande, en
Russie et dans les pays baltes. Il a, en réalité, de fortes attaches avec les
milieux pangermanistes et industriels allemands 98. L’entreprise emploie
précisément des agents allemands dans ses locaux à Berlin. Son pro-
gramme est de « recueillir des informations et des renseignements spé-
ciaux dans les domaines du commerce, de l’industrie et de l’agriculture.

96. SHD/DAT 7NN 2 477, compte rendu de renseignement nº 3 au sujet de


l’organisation de l’espionnage allemand à la SCR, 25 avril 1920, p. 1.
97. AN F7 13 426, note de la SCR du 27 janvier 1923 au sujet des instructions
de la Tchéka de n’utiliser que des informateurs parmi les Russes réfugiés en Alle-
magne, en particulier les femmes et ceux occupant des postes en vue, pour agir
auprès des aristocrates et des diplomates allemands.
98. Henri Ashby Turner Jr, German Big Business and the Rise of Hitler, Oxford,
Oxford University Press, 1985, p. 25-29 sur Hugenberg, Stinnes, les pangermanistes
et la grande industrie dans les années 1923-1929.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Les bénéfices sont déposés à la Deutsche Bank à Berlin ». Elle publie une
lettre bihebdomadaire dont l’abonnement s’élève à 3 000 marks par
mois 99. Certes, l’agence est privée mais ses utilisateurs sont, à l’occasion,
des institutions ou des gouvernements. Ainsi le gouvernement allemand
n’hésite pas à se procurer du renseignement auprès de nombreuses
agences de renseignement économique. Des subventions du ministère des
Affaires étrangères allemand à des agences de renseignement écono-
mique travaillant sur la Russie se multiplient. Le russe Oretschkin dirige
une agence publiant un bulletin Russ Press, à petit tirage, qui puise ses
sources dans le milieu russe réfugié en Allemagne. Une édition est vendue
en Allemagne dans le commerce, destinée aux organes officiels alle-
mands. Elle fait une publicité sur les produits russes à destination de
potentiels acheteurs allemands 100. Toutefois, les agences allemandes qui
se sont créées font indifféremment du renseignement commercial et poli-
tique dans l’Allemagne occupée.
« Elles ne s’occupent pas a priori de renseignements politiques, mais leurs
agents, peu payés, élargissent leurs recherches à des informations d’ordre poli-
tique pour leur compte. [Il faut] connaître et surveiller ces agences dans les pays
occupés (Länder) et dans la Ruhr. À Aix-La-Chapelle, c’est l’Auskunftei Merkus
d’Alfred Schwart, la Barmen-Eberfel du detektiv Neuburg, ancien fonctionnaire
de police, à Bochum l’Institut Greif et l’Internationales Detektivinstitut und
Auskunften Puscher, à Coblence l’International Detektivgesellschaft du Dr
Schiffer, à Dortmund l’Argus International Detektive, avec une succursale à
Düsseldorf et à Essen 101 »
En 1921, le contre-espionnage français en recense déjà une quin-
zaine dans une simple liste. Leur possible rôle au profit des autorités alle-
mandes ou étrangères ne fait pas de doute pour les autorités françaises.
S’agit-il d’un espionnage caractérisé ou d’un complot imaginaire ? À vrai
dire, ces agences démontrent les ressorts d’un renseignement économique
privé qui plonge ses racines dans le XIXe siècle et vers lequel ne rechignent
pas de se tourner incidemment les gouvernements, sinon les centrales de

99. AN F7 13 425, note de renseignement de la SCR à la Sûreté nationale, au


sujet d’une agence commerciale russe à Berlin, 16 août 1922.
100. AN F7 13 424, note de renseignement de la SCR 2e bureau EMA nº 7145,
du 10 décembre 1921, avec une source qualifiée de bonne.
101. AN F7 13 425, note de la SCR du 9 novembre 1921 au sujet des bureaux
de renseignement privés en Allemagne.

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De l’information économique au renseignement économique

renseignement 102. À Paris, les recours plus fréquents des centrales de ren-
seignement à ces agences reposent sur un faisceau d’enquêtes menées
dans les années 1920. Si l’utilisation, à des fins d’espionnage, de la société
France-Expansion par l’ambassade d’Allemagne à Paris en 1927 ne fait
pas sens, en revanche le recours à d’autres agences a bien cours. À tort,
les services français y voient d’ailleurs systématiquement la main de
l’Allemagne. Ainsi en est-il de l’agence économique France-Europe créée
à Paris en 1920 par extension des affaires hollandaises de la société
Camindo d’Amsterdam. Fondée en août 1920, celle-ci est liée à des
entreprises allemandes. L’enquête de la SCR démontre les liens avec la
Suddeutsch Disconto Gesellschaft à Mannheim et l’Allgemeine Gesells-
chaft für Industrielle Unterwehmungen Gmb de Berlin. Celle-ci a réussi
à se prévaloir de patronages qui ne soupçonnent pas la couverture de
l’agence. En définitive, le meilleur exemple des relations complexes entre-
tenues par les services spéciaux avec les agences privées de renseigne-
ment commercial est le cas de l’agence Wys Müller entre 1915 et 1941.
Le contre-espionnage français démystifie l’ambiguïté et les indétermina-
tions résumant les relations entre le monde des services secrets et celui du
commerce d’informations, prises entre la conception de la sécurité natio-
nale et la force des échanges internationaux.
À l’automne 1915, l’attention des services spéciaux militaires français
est attirée par les relations commerciales internationales suspectes d’une
agence de renseignement commercial et de recouvrement de créances,
l’agence Wys Müller. Fondée en 1862 à Amsterdam par Daniel Wys
Müller et Guillaume Gombertz, la société est désormais en nom col-
lectif et dirigée par le seul Gombertz en 1868. Son fils Paul Gombertz
en hérite et la dirige depuis 1891 jusqu’en 1930. Il étend son réseau en
Europe avec une quarantaine de succursales, notamment dans plusieurs
villes allemandes et françaises. Les agences étrangères étant frappées de
suspicion, l’agence Wys Müller fait l’objet d’une enquête. Celle-ci
n’aboutit pas, mais la surveillance administrative est maintenue 103. Sa
clientèle est largement allemande et sa correspondance transiterait par les
États neutres. Mais les relations illicites avec l’ennemi ne sont pas

102. Dominique Kalifa, Naissance de la police privée. Détectives et agences de


recherches en France 1842-1942, Paris, Plon, 2000, 328 p.
103. SHD/DAT 7NN 2 404, dossier agence Wys Müller 1915-1941. Note du
procureur général au garde des Sceaux, 6 octobre 1915.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

démontrées jusqu’en 1918. Pourtant, sa succursale italienne est fermée


par les autorités italiennes après l’établissement de preuves sur le rassem-
blement d’informations sur des personnes, des entreprises, des chantiers,
des marchandises intéressant directement la Défense nationale italienne.
Un employé allemand, Jules Steiss, travaillant pour le consulat d’Alle-
magne et la succursale à Milan, est arrêté et expulsé pour espionnage. La
mesure vaut à la succursale d’être inscrite sur la liste noire italienne du
bureau interallié en septembre 1918 104. Dans le même temps, la suspi-
cion pèse sur le responsable de la succursale de Zurich, Théodore
Scheibe, de nationalité allemande et sur la représentation de Bordeaux
travaillant sur l’Espagne. Des informations facilitant la contrebande et le
contournement du blocus de l’Allemagne par les puissances alliées
seraient échangées.
Son chiffre d’affaires est important, avec une clientèle nombreuse
issue du petit commerce. Elle n’affiche cependant aucun lien avec la
grande agence privée Schimmelpfeng, avant comme pendant la guerre 105.
L’agence traverse la guerre sans être davantage inquiétée jusqu’à ce qu’elle
soit dénoncée. Mais les agences établies en son nom à l’étranger fonction-
nent de manière indépendante avec le nom concédé contre paiement à la
maison centrale d’Amsterdam et un certain pourcentage sur leurs béné-
fices 106. La suspicion se porte alors sur chaque succursale, suffisamment
indépendante de la maison mère pour se livrer à des activités d’espion-
nage autre que commercial à son insu. Cette situation explique en partie
les préventions de la SR-SCR à l’égard de Wys Müller dans l’entre-deux-
guerres. Pourtant, en 1924, son principal concurrent allemand, le Kartell
der Auskuntei Burgel, l’accuse, à tort, d’avoir travaillé pour les services
anglais pendant la Première Guerre mondiale, afin de la discréditer
commercialement 107. En 1932, elle demeure néanmoins suspecte de tra-
vailler avec des intérêts allemands, notamment avec les consulats et les
services étrangers. L’antenne des services à Marseille décèle son

104. SHD/DAT 7NN 2 404, lettre du consul de France à Milan au sujet de


l’affaire de la succursale Wys Müller à Milan, 11 septembre 1918.
105. SHD/DAT 7NN 2 404, note de la SCR du 8 juillet 1918 sur la maison
Wys Müller.
106. SHD/DAT 7NN 2 404, compte rendu de renseignements spéciaux
nº 2480 (contre-espionnage), au sujet de Wys Müller, 20 novembre 1924.
107. Ibidem, compte rendu du service de la sûreté de l’armée française du Rhin,
25 novembre 1924.

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De l’information économique au renseignement économique

intervention, sans apporter de preuve, dans une enquête commerciale par


l’intermédiaire d’un commerçant marseillais. Assez inhabituelle, la
démarche prouve les rencontres inédites entre le renseignement militaire
officiel et le renseignement commercial privé depuis la Grande
Guerre 108. L’arrestation de plusieurs espions agissant pour l’Allemagne en
Suisse relance les doutes. Théodore Scheibe, longtemps responsable de la
succursale de Zurich, est arrêté et condamné en octobre 1936 pour
espionnage au profit d’une puissance étrangère par le tribunal de district
de Zurich. Il est expulsé et interdit de séjour de Suisse 109. En 1937,
l’agence de Bruxelles est à son tour suspectée sans faits caractérisés. En
juin 1936, le secrétariat général de la présidence du Conseil prescrit la
réquisition possible, en France, des agences de renseignement commercial
et des bureaux de police privée dès le temps de paix. Parmi les agences
offrant des informations réputées sérieuses, mais aussi suspectes de liens
avec l’Allemagne, se trouvent alors le comptoir Eckel, Dun et Cie, Brads-
treet’s, Réforme de crédit, Epstein, Piguet 110 et l’agence Wys Müller 111.
Les séquestres sont posés le 2 septembre 1939 et l’agence fermée, en dépit
des interventions officielles. Le ministre de Hollande a intercédé, au prin-
temps 1940, auprès du président du Conseil pour défendre les intérêts
de Francisque Gombertz, troisième dirigeant de l’agence depuis sa fonda-
tion 112. Mais le courrier de la clientèle, retourné avec la mention « fermé
par ordre de l’autorité militaire » depuis septembre 1939, jette l’opprobre
sur l’agence. La réclamation est finalement reçue ; le général Huntziger,
secrétaire d’État à la Guerre, autorise l’agence à réouvrir en novembre

108. Ibidem, note nº 2179 du commandant Barbaro, chef de la SER, Marseille, à


la SR-SCR, 27 juin 1932.
109. Ibidem, note du consul général Genoyer à Zürich à Yvon Delbos, ministre
des Affaires étrangères, au sujet d’une affaire d’espionnage en Suisse, 3 novembre
1936.
110. SHD/DAT 7NN 2 563, note SCR EMA2 sous le timbre de la présidence
du Conseil avec la liste des sociétés à surveiller, 4 juillet 1939, 5 p.
111. SHD/DAT 7NN 2 404, note de la présidence du Conseil au ministre de la
Défense nationale, 2e bureau EMA, 23 juin 1939.
112. SHD/DAT 7NN 2 404, note de la présidence du Conseil à l’EMA,
5e bureau, 13 mars 1940, prescrivant de reprendre la procédure de mise sous scellés
légalement en présence du directeur de l’agence. L’intervention du ministre de Hol-
lande tient à la nationalité hollandaise de Gombertz Francisque, né en 1896, après
qu’il a répudié la nationalité française en mars 1917.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

1940. Son activité commerciale ne reprend cependant pas. Le ministère


de l’Intérieur perd la trace de ses dirigeants en mai 1941 113.
Le cas démontre la perméabilité entre renseignement privé et officiel
dès lors qu’il s’agit de questions économiques et financières. L’orienta-
tion plus nettement économique des relations internationales démontre
l’impuissance de services spéciaux, naturellement portés au renseigne-
ment militaire et politique, à spécialiser leurs enquêtes. En définitive, leur
incapacité à mener des investigations en matière commerciale et finan-
cière sur des sociétés et sur des suspects entraîne le recours à des agences
privées de renseignement. La situation de l’agence Wys Müller est exem-
plaire ici. L’épisode rappelle en outre que la Première Guerre mondiale
emprisonne l’image des agences de renseignement commercial dans l’his-
toire du commerce interdit et de la contrebande au mieux, dans l’accusa-
tion de trahison et d’espionnage au profit de l’ennemi au pire. Les
agences de réputation internationale jouissent, il est vrai, de moyens
d’investigation dans le domaine des affaires qui leur donnent une posi-
tion d’espionnage industriel et financier tout autre. L’intérêt du contrôle
de ces agences n’est pas neutre pour des services spéciaux officiels. La
société France-Expansion, liée à la société allemande Réforme de crédit,
puis les agences allemande Schimmelpfeng et britannique Bradstreet
illustrent ce paradigme. Elles touchent à l’intérêt national.

Les agences Schimmelpfeng et Bradstreet’s de 1914 à 1939


La société Schimmelpfeng est créée à Francfort en 1872, et à Berlin
par Guillaume Schimmelpfeng. Ses deux fils Hans et Richard repren-
nent la direction avant la guerre de 1914-1918. L’agence de renseigne-
ment commercial connaît un développement rapide en Allemagne, puis
en Europe. Elle ouvre avant 1914 une centaine de bureaux dans le
monde entier, à Vienne, à Bruxelles, à Londres, à Anvers, puis à Paris en
1888, à Amsterdam en 1890, à Barcelone… En Suisse, elle a des sous-
agences à Bâle, à Genève – dirigée par Auguste Barmond – et à Zurich.
Elle étend ses enquêtes et ses dossiers de renseignements au domaine
politique et militaire lorsque des services d’espionnage allemand et

113. SHD/DAT 7NN 2 404, note du ministère de l’Intérieur à Vichy, inspec-


tion générale de la surveillance du territoire, 15 mai 1941.

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De l’information économique au renseignement économique

autrichien lui confient des enquêtes personnelles rémunérées 114. Cela lui
vaut, à l’été 1913, une campagne de dénonciation dans l’ambiance du
Paris d’avant guerre à laquelle Léon Daudet prête sa plume dans les
colonnes de L’Action française 115. En 1914, les succursales de Schim-
melpfeng à Paris et à Londres furent mises sous séquestre, comme les
bureaux français de Lille, Bordeaux, Lyon, Marseille, Le Havre. Le
bureau de Metz est animé par un officier de réserve, Paul Petzold qui
devient le chef du SR allemand de Metz pendant la Grande Guerre. Il y
recrute un agent, Louise Puchot, qui travaille en réalité pour le renseigne-
ment français de janvier 1915 à février 1916. Démasqué et arrêté par les
Allemands, l’agent double français a eu le temps de révéler les agisse-
ments de la Schimmelpfeng 116. Mais les bureaux continuent leur travail,
en particulier dans les pays neutres comme la Suisse, l’Espagne, la Suède.
À Barcelone, le courrier de l’agence Schimmelpfeng, dirigée par le Belge
Frantz Bosschaerts, ancien directeur général de la société pour la France,
la Belgique et le Portugal, est intercepté à partir de la fin de l’année 1915.
Face aux effets du blocus allié, des recherches de renseignement écono-
mique attirent l’attention sur des biens matériels faisant défaut en Alle-
magne tels les articles de cordonnerie en janvier 1916 117. Les échanges
de correspondance se font entre Barcelone et l’agence Bradstreet’s de
Zurich d’une part, avec l’agence Schimmelpfeng de Copenhague, trans-
mettant au siège à Berlin d’autre part. En mars 1916, les Alliés ont une
vision précise du réseau tissé et le démantèlent partiellement 118. L’agence
de Bâle, quoique concurrencée par les agences Michel et Aetoffer et
Michelin et Cie (autrefois Comptoir Tritscher), continue de recevoir du

114. SHD/DAT 7NN 2 175, note de renseignement de la SCR, 1916, à partir


d’informations données par l’ambassade d’Italie à Paris.
115. L’Action française, 9, 11, 17, 20 et 27 juillet 1913 avec des articles de Léon
Daudet.
116. SHD/DAT 7NN 2 175, notice sur Paul Petzol, 1923, ancien chef du SR de
Metz, puis du CE allemand au cap de Holminden. Louise Puchot fut condamnée à
onze ans de travaux forcés par le conseil de guerre de Dieuze le 6 avril 1916 pour
espionnage en faveur de la France.
117. SHD/DAT 7NN 2 175, correspondance saisie du bureau de Barcelone de
la Schimmelpfeng, 19 janvier 1916. Les renseignements demandés sont : importance
de l’affaire, son crédit, marchandises produites, capital engagé, marchandises reçues
de l’étranger, stock actuel pour toutes les entreprises de cordonnerie en Espagne.
118. SHD/DAT 7NN 2 175, note de la SCR, mars 1916 au sujet des succur-
sales européennes de Schimmelpfeng.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

courrier sous le timbre Bradstreet’s pendant la guerre. Il est retiré par les
employés de Schimmelpfeng. Elle s’efforce de reconstituer ses agences de
France, de Grande-Bretagne et d’Italie, afin de travailler sur les puis-
sances de l’Entente depuis la Suisse. Sous la raison sociale Bradstreet’s,
l’agence de Zurich travaille sur l’Italie, ce qui pousse les autorités ita-
liennes à demander son inscription sur la liste noire italienne en août
1916, comme pour les agences de Lisbonne, Porto et Madrid 119.
Durant la guerre, d’autres incidents révèlent l’ampleur de l’espionnage
économique auquel se livrait la célèbre agence au profit du gouverne-
ment allemand et de ses services commerciaux officiels et d’espionnage,
en utilisant la couverture de l’agence Bradstreet’s. En 1916, la découverte
par des commerçants hollandais que les fiches de renseignements qu’ils
ont remplies pour l’agence de renseignement commercial leur valent
d’avoir été portés sur la liste noire allemande des entreprises ayant fait des
affaires avec les Alliés fait scandale 120. La réputation de l’agence en est
durablement ternie après guerre dans les milieux d’affaires néerlandais.
Puis la découverte au Caire par les services britanniques des archives du
bureau de la succursale de W. Schimmelpfeng en Égypte, fermée en août
1914, achève de la discréditer, au moins le temps de la guerre. Déjà, en
octobre 1914, le consul de France à Alexandrie, Reffye, a formulé l’hypo-
thèse que la fermeture de ses bureaux n’avait pas interrompu son activité,
grâce à l’arrangement avec la société Bradstreet’s et via un intermédiaire
en Suisse adressant son courrier sous le timbre de l’agence britan-
nique 121. Aussi une enquête discrète est-elle menée qui amena Taylor,
fonctionnaire anglais des Finances, à retrouver les instructions et les
fiches commerciales du bureau de la Schimmelpfeng du Caire. L’enjeu
est alors de retourner l’information commerciale à l’avantage des services
spéciaux anglais. Les renseignements sont envoyés à Berlin et à Zurich
pour être traduits, avant diffusion aux succursales dans le monde pour
abonner des clients à des carnets de 10, 25 ou 50 renseignements. La

119. Ibidem, addition à la liste noire italienne de succursales de la société Schim-


melpfeng, 8 août 1916.
120. Ibidem, compte rendu de renseignements spéciaux nº 2599 (CE) au sujet
du consul général des Pays-Bas à Rome, pro-allemand, Fledderus, signalé comme
membre de conseil d’administration de la société Institutto Fiducario, 11 février
1925.
121. SHD/DAT 7NN 2 175, note de M. de Reffye, consul de France à Alexan-
drie, à M. Théophile Delcassé, ministre des Affaires étrangères, 19 octobre 1914.

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De l’information économique au renseignement économique

découverte signale qu’aux États-Unis la commercialisation est assurée par


la Bradstreet’s New York Cy. Et la note du directeur des affaires poli-
tiques et commerciales des Affaires étrangères rappelle la nécessité de
« substituer une organisation française à celle allemande comme l’ont fait
les Anglais 122 ». Dans le même temps, la recherche par la section écono-
mique du 2e bureau de l’EMA du rôle des agences étrangères en France
conduit à conclure à la responsabilité de l’agence allemande. La saisie de
tous les documents est réalisée et l’agence est placée sous séquestre auprès
de Paul Graux, administrateur judiciaire du tribunal civil de la Seine, par
réquisition en février 1916. À partir d’avril 1916, les 300 caisses
d’archives sont ouvertes et les fiches commerciales utilisées par la section
économique du 2e bureau pour interdire d’activité les sociétés commer-
çant avec les puissances centrales 123. Les informations ont été constam-
ment échangées entre les Français et les Britanniques par l’intermédiaire
du nouveau bureau central interallié à la fin 1915. Le mémorandum du
War Trade Department au Foreign Office du 11 octobre 1915 fait ainsi
état des informations exploitées par les autorités françaises et reconnaît
les accords des deux sociétés, tout en relativisant les responsabilités de la
Bradstreet’s. Il s’agit de récuser l’idée de sa collusion avec l’agence alle-
mande 124. Mais la guerre affaiblit la position de la Schimmelpfeng dont
la célébrité et les agissements sont désormais connus des autorités et de
l’opinion publique.
Après guerre, l’agence noue des accords commerciaux et des partena-
riats pour échanger des informations, sachant ne pouvoir reprendre ses
activités en France. Elle cherche d’abord à vendre son fichier sur la
France à une société espagnole, la S.A. Sun, en octobre 1919. L’affaire
échoue, signalée par le poste de renseignement français de Barcelone 125.
Ses activités en Suisse maintiennent la suspicion d’espionnage au profit

122. SHD/DAT 7NN 2 175, note de M. Defrance, du Caire, à A. Briand,


ministre des AE, président du Conseil, à la direction des Affaires politiques et
commerciales, MAE, nº 53, au sujet de l’Institut Schimmelpfeng, 3 avril 1917.
123. SHD/DAT 7NN 2 175, note de la section économique du 2e bureau de
l’EMA nº 3478, 23 mai 1917.
124. SHD/DAT 7NN 2 175, mémorandum du War Trade Department au
Foreign Office, 11 octobre 1915.
125. Ibidem, note de SR Madrid à SR-SCR EMA 2e bureau, 4 octobre 1919.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

de l’Allemagne à son encontre en 1921 126. Durant tout l’entre-deux-


guerres, elle s’efforce de passer des accords avec des agences d’information
commerciale européennes, entretenant durablement la suspicion des ser-
vices spéciaux pour toute agence commerciale, à l’image de la Brads-
treet’s France ou de France-Expansion. Ses menées sont sous la haute
surveillance des services spéciaux militaires de 1914 à 1942 127. Depuis
1921, l’agence travaille en Europe, spécialement en Suisse dans ses
bureaux de Genève et Zurich, pour le compte des services allemands.
L’agence a repris ses activités dans toute l’Europe, au Proche-Orient, en
Turquie à Constantinople où l’ingénieur Willy Grunberg agit pour le
service d’information économique des Affaires étrangères allemand et la
succursale locale de Schimmelpfeng 128. Elle recueille toujours officielle-
ment des renseignements commerciaux et « en réalité, des renseigne-
ments d’ordre politique, social et militaire 129. » Les Pays-Bas sont une
cible de choix pour les services allemands qui se sont efforcés à plusieurs
reprises de rétablir des liens avec l’agence. À ce titre, le consul d’Alle-
magne à Amsterdam y a recouru en 1924 pour des informations qui ne
sont pas commerciales. En 1933, l’Abwehrstelle de Cologne veut recourir
à cette couverture avant d’y renoncer 130. L’agence ferme certains
bureaux, à l’exemple de celui de Barcelone en 1935, en raison du faible
volume d’affaires réalisé. Ses fiches et ses dossiers sont alors rachetés par
l’agence américaine Dun et Cy. Importante agence aux États-Unis,
celle-ci fonctionne aussi à Berlin sous le nom de Süddeutsche Auskunftei.
La société Bradstreet’s France est constituée le 1er janvier 1924,
comme étant une filiale autonome de la Bradstreet’s British, créée en
1919, et procédant de la Bradstreet’s International Cy, née en 1849. Elle

126. Ibidem, note de la SCR nº 4732/2, 10 février 1921, communiquées aux


Affaires étrangères.
127. SHD/DAT 7NN 2 175, dossier sur l’agence de renseignement commercial
Schimmelpfeng, 1914-1942.
128. SHD/DAT 7NN 2 175, note de la SCR au sujet de Willy Grunberg,
6 avril 1923. Le contrôle postal français de l’armée d’Orient et le SR de Salonique
avaient révélé les agissements de plusieurs agents en Grèce et Turquie pendant la
guerre.
129. SHD/DAT 7NN 2 175, note nº 189 de la SCR du 11 novembre 1924.
130. SHD/DAT 7NN 2 175, note de renseignement sur un détective privé
Kromberger, travaillant pour l’agence, en liaison avec le SR de Cologne, 4 août
1933.

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De l’information économique au renseignement économique

a pour objet l’exploitation en France et dans ses filiales de tous les rensei-
gnements commerciaux et financiers délivrés à des abonnés sur des firmes
ou des personnes intéressées dans des entreprises commerciales. Sa répu-
tation se fonde aussi sur les indications des meilleurs agents intermé-
diaires pour vendre des marchandises sur les places françaises et
étrangères. En réalité, son accord en 1897 avec la Schimmelpfeng traduit
l’extension de ses recherches à des matières qui ne sont pas exclusivement
commerciales. L’accord entre les deux sociétés les engage à se repré-
senter mutuellement, la Bradstreet’s Cy assurant le service des renseigne-
ments aux États-Unis, au Canada et en Australie, et la Schimmelpfeng
se chargeant du service européen. Or, les deux sociétés cohabitent dans
le même immeuble parisien. Les subventions du gouvernement alle-
mand à la seconde justifient sa mise sous séquestre en France et en
Grande-Bretagne en août 1914. La société américaine ne peut l’ignorer,
sauf à faire remarquer que l’espionnage militaire de la Schimmelpfeng n’a
jamais été démontré formellement en 1914. Les relations sont inter-
rompues entre les deux sociétés. La société américaine crée donc une
filiale en France après la guerre puisque son associée ne peut désormais
plus s’y installer.
En 1924, un industriel français signale aux services spéciaux l’espion-
nage économique dont sa société lyonnaise a été victime. Le lieutenant-
colonel Lainey, alors chef de la SR-SCR, prend l’affaire très au sérieux.
Le 1er juillet 1924, il reçoit Pierre Gounod, délégué général de l’Union
des industries chimiques, accompagné du lieutenant-colonel Rivière,
membre du secrétariat général du CSDN. Pierre Gounod porte un cour-
rier de la société Bradstreet’s France, se présentant comme une agence de
renseignement financier et économique avec 171 filiales dans le monde,
et qui a été adressé à un fonctionnaire de la Savoie 131. Le courrier pose
des questions très précises, en proposant des doubles commissions pour
le fonctionnaire zélé qui répondrait 132. La lettre se présente comme un

131. SHD/DAT 7NN 2 175, lettre de la Bradstreet’s du 1er juillet 1924.


132. SHD/DAT 7NN 2 175, lettre de la Bradstreet’s du 1er juillet 1924, notam-
ment la « capacité de production de la firme en tonnes, par jour, annuellement ?
nombre d’employés ? production actuelle, en tonnes, par jour, annuellement ? trans-
port de matériaux partiellement fabriqués d’une fabrique à l’autre ? emploie-t-on
dans cette fabrique un procédé pour la fabrication du cyanure de cyanamide, quan-
tité ? puissance électrique employée (nombre de chevaux HP) ? fabrique-t-on du cya-
nure aux fabriques de cyanamide ? »

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

questionnaire relatif à la capacité de production, aux procédés de fabrica-


tion et à la nature de certains produits préparés par la Société des électri-
ciens de Savoie. À cet instant, Lainey est persuadé d’être confronté à un
espionnage économique caractérisé :
« C’est de l’espionnage économique au premier chef étant donné que les
usines de cette nature intéressent au plus haut point la Défense nationale et de
demander si, sous cette apparence de renseignements commerciaux, nous ne
sommes pas en présence d’un espionnage à fins militaires, que cet espionnage
soit fait pour le compte des Anglais, des Américains ou des Allemands. M.
Gounod considère les renseignements demandés comme secrets. En sa qualité de
délégué général de l’Union des industries chimiques, il n’autorise jamais des
étrangers qualifiés à visiter nos usines pour y recueillir des renseignements de
cette nature. Il se refuse même à fournir des renseignements beaucoup moins
précis sur les mêmes objets 133. »
Le délégué encourage les services spéciaux militaires à une enquête et
à mettre en garde les usines françaises contre cet espionnage. Lainey
donne des instructions en soulignant que :
« Rex est capable de démêler cette situation. Le convoquer, le charger d’une
enquête et en particulier étudier par quel moyen il lui serait possible ou bien
d’avoir à nous un des employés de la Bradstreet’s France ou d’y introduire
quelqu’un. »
L’agent Serge Lemoine, alias Rex, « étant alors en Hollande, il ne peut
traiter la question mais la prend en compte 134 ». Le lien entre le secréta-
riat général du CSDN, qui n’a pas de moyens propres de recherches, est
rappelé au passage. L’affaire démontre que les services gardent l’initia-
tive des enquêtes en matière d’espionnage économique, disposant seuls
de moyens pour mener des investigations sur un terrain qui n’est cepen-
dant pas de leur compétence naturelle.
Alerté sur cette enquête, le général Nollet, ministre de la Guerre,
informe le ministre de l’Intérieur des agissements de la Bradstreet’s
France en décembre 1924. Le général Nollet, qui a commandé la
commission interalliée de contrôle en Allemagne, dont un certain
nombre des officiers anglais y étant affectés faisaient ostensiblement du
renseignement sur l’Allemagne, est naturellement sensibilisé aux enjeux

133. SHD/DAT 7NN 2 175, compte rendu du lieutenant-colonel Lainey, chef


de la SR-SCR de l’entretien avec Pierre Gounod, délégué général de l’UICF le
1er juillet 1924, p. 1.
134. Ibidem, mention manuscrite rajoutée par Lainey sur la lettre de la Brads-
treet’s.

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De l’information économique au renseignement économique

de l’espionnage économique 135. Le ministre de l’Intérieur a saisi, à son


tour, le ministre du Commerce afin qu’il signale aux chambres de
commerce les activités des agences de renseignement commercial en
général et de la société anglo-saxonne en particulier. Le modèle de ques-
tionnaire adressé à la firme électrique française est diffusé à titre
d’exemple 136. À son tour, le ministre du Commerce informe les prési-
dents des groupements économiques régionaux des activités de la Brads-
treet’s In. Cy. Son courrier relève que, sous couvert d’investigations
commerciales et industrielles, la Bradstreet’s France peut être amenée à
recueillir des informations secrètes et très confidentielles, éventuellement
d’une autre nature. Soulignant les liens anciens avec la Schimmelpfeng,
il encourage les présidents à alerter les commerçants et les industriels
contre les questions tendancieuses (capacités de production, nombre
d’employés, procédés de fabrication) posées par cette société et les
agences en général 137. L’affaire connaît un ultime rebondissement
lorsqu’une note de l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris du 5 juin
1925, adressée au ministre des Affaires étrangères, s’étonne de la circu-
laire du ministre du Commerce du 14 mars 1925 138. Il sollicite un
réexamen du dossier invitant à corriger l’idée que la Bradstreet’s France
puisse faire du renseignement autre que commercial, industriel et pou-
vant nuire à la Défense nationale. Il argumente en revenant sur l’histoire
de la Bradstreet’s International et de la Bradstreet’s British créée en 1919,

135. Sur les responsabilités ministérielles du général Nollet, on suit Marc Sorlot,
« Le général Nollet au ministère de la Guerre 15 juin 1924-10 avril 1925 », in Oli-
vier Forcade, Éric Duhamel, Philippe Vial (dir.), Militaires en Républiques
1870-1962, op. cit., p. 235-244. Sur l’espionnage anglais à Berlin à l’abri de la
CMIC, on voit SHD/DAT 7NN 2 394, renseignement de source sûre sur les acti-
vités de l’Intelligence Service, sous l’autorité du colonel Steward Roddie et du major
Breens, ancien chef du Pass Control Office au consulat général d’Angleterre à Berlin,
12 mai 1923.
136. SHD/DAT 7NN 2 175, lettre du ministre de l’Intérieur, Sûreté générale,
police judiciaire nº D1021, au ministre de la Guerre, 10 janvier 1925. La SCR en a
copie le 13 janvier.
137. SHD/DAT 7NN 2 175, lettre du ministère du Commerce et de l’Industrie,
direction des affaires commerciales et industrielles, 3e bureau, 14 mars 1925.
138. SHD/DAT 7NN 2 175, lettre de l’ambassadeur de Grande-Bretagne à
Paris au ministre des Affaires étrangères français au sujet des activités des sociétés
Brastreet’s, 5 juin 1925, 5 p.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

rappelant que le capital de la première est à 75% britannique et de la


seconde à 100 % sous le contrôle de capitaux britanniques.
« D’après les informations que le gouvernement britannique possède, il n’y
a aucune raison de supposer que les relations entre les deux sociétés dépassent
l’arrangement pour la répartition de renseignements 139. »
Le ministère des Affaires étrangères parle d’un simple arrangement
d’affaires entre les sociétés Schimmelpfeng et Bradstreet’s par lequel
l’agence allemande ne fournit des renseignements que dans l’empire bri-
tannique, en France, en Belgique et aux États-Unis. Et il rappelle que
l’avocat de la société avait obtenu de Raymond Poincaré qu’un fonction-
naire du ministère des Affaires étrangères soit nommé au conseil d’admi-
nistration pour éviter tout malentendu en 1921. Nommé administrateur,
Lucide Agel, ministre plénipotentiaire en retraite, continue de l’être en
1925. Le 11 juillet 1925, Lainey rappelle au ministre de la Guerre que
la Bradstreet’s a repris en France et en Angleterre toutes les filiales de la
Schimmelpfeng. Le ministère de l’Intérieur maintient son point de vue
malgré tout 140.
À la différence de l’avant-guerre, il n’y a pas de polémique de presse
et publique, même si La Rumeur et Le Charivari exploitent brièvement
cette affaire trois ans plus tard en publiant les courriers des ministres
français dans leurs colonnes en février 1928 141. Il n’y a pas d’autre inci-
dent après 1925, l’agence britannique se bornant à un renseignement
commercial qui corrobore la concurrence économique européenne, mais
qui ne déborde pas sur les secrets de la Défense nationale. Le contre-
espionnage militaire enquête encore en septembre 1931 sur l’agence pour
identifier ses actionnaires et ses administrateurs. Parmi les actionnaires se
trouve James Henri Schenkel. Né en 1880, ce Suisse est naturalisé
français en 1920. Ancien agent de renseignement, il est devenu chef de
service de la maison américaine Dun and Cy, entrant à la Bradstreet’s en
1920 pour en devenir administrateur délégué et directeur. Cette recon-
version l’a conduit à passer au renseignement privé, couverture commer-
ciale ne le rendant pas suspect d’espionnage pour une puissance étrangère
en 1931. L’agence est alors devenue la plus importante des agences de

139. Ibidem, 5 juin 1925, p. 1-2.


140. SHD/DAT 7NN 2 175, note de la SCR A/4140 au sujet de la société ano-
nyme Bradstreet’s, 11 septembre 1931.
141. La Rumeur, 1er et 9 février 1928, article « Il faut supprimer les agences de
renseignements commerciaux », Le Charivari, 10 février 1928.

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De l’information économique au renseignement économique

renseignement commercial en France avec une vingtaine de démarcheurs


pour les enquêtes et une centaine d’employés pour établir des dossiers et
des fiches commerciales. En 1934, elle ne semble pas devoir être sus-
pectée de liens avec les nazis 142. En avril 1940, elle garde la réputation de
travailler à obtenir des renseignements sur toutes les grandes entreprises
travaillant sur la Défense nationale, au profit de firmes anglaises 143. Les
liens historiques antérieurs à 1914 avec la Schimmelpfeng perduraient.

France-Expansion et Réforme de crédit


France-Expansion et Réforme de crédit comptent également parmi les
agences commerciales les plus importantes. Les relations très officielles de
la société anonyme France-Expansion avec les appareils de renseigne-
ment d’État datent de sa fondation même, le 10 octobre 1918 144. Elle est
créée par David Mennet, ancien président de la chambre de commerce
de Paris, devant notaire, par la volonté d’Étienne Clémentel, ministre du
Commerce. La fin de la guerre s’annonçant, l’objectif est de disposer
d’un important service de renseignement commercial, à caractère exclusi-
vement français, pour relever les enjeux de la reconstruction économique
française et européenne. Son capital de 5 millions de francs a été souscrit
par 713 personnes. Elle a son siège à Paris et des succursales à Bor-
deaux, Rouen, Lille, Lyon, Strasbourg, Nancy et Marseille. L’objet de
France-Expansion est original puisqu’il répond à des attentes publiques,
mais portées par les milieux d’affaires privés. Elle a pour but de pro-
curer aux industriels, aux commerçants, aux agriculteurs des indications
sur la solvabilité et l’honorabilité des personnes ou établissements avec
lesquels ils sont en relations d’affaires. Elle procède à toutes les opéra-
tions de recouvrement contentieux. Elle installe des services d’études éco-
nomiques et de documentation pratique. D’une façon générale, elle
facilite l’action économique française à l’étranger. Constituée à partir de

142. SHD/DAT 7NN 2 175, note de la SCR, 6 décembre 1934.


143. SHD/DAT 7NN 2 404, note de renseignement du 5e bureau, 3 avril 1940
au sujet des agences de renseignement commercial en France.
144. SHD/DAT 7NN 2 175, note de la SCR au sujet de la société France-
Expansion, 5 avril 1937, 18 p. Elle est inscrite au registre du tribunal de commerce
de la Seine sous le nº 139953 le 16 juin 1921 et n’a pas fait d’autre déclaration rela-
tive à ses modifications statutaires, aux changements de valeur de son capital ou de la
composition de son conseil d’administration, au transfert de son siège

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

1918, ses données lui permettent de soutenir les entreprises nationales à


l’étranger et, exceptionnellement, d’élargir ses activités à des mesures de
surveillance politique à l’étranger. Elle se charge par exemple de la sur-
veillance de l’éphémère président de la République rhénane,
M. Matthes 145. Les administrateurs et ses actionnaires sont des personna-
lités de premier plan du monde des affaires, parmi lesquels l’ancien séna-
teur de la Somme Cavillon, président de l’Union syndicale des tissus,
affecté à la SCR pendant la guerre, André Michelin, et Lehideux, prési-
dent de l’Union des banquiers de Paris et province. De nombreuses
sociétés industrielles et commerciales y participent aussi 146. L’agence
France-Expansion est devenue la plus importante des agences françaises
de renseignement commercial, représentée à sa tête par des personnalités
éminentes du monde des affaires.
Mais, sans doute en raison du désintérêt officiel progressif, l’agence
commence à péricliter à la fin des années 1920. Le bilan de l’exercice
1933 se solde par une perte de 161 000 F et l’assemblée générale extraor-
dinaire du 21 mars 1933 modifie son conseil d’administration qui
délègue tout ou partie de ses pouvoirs au comité de direction désigné par
le conseil. La décision sonne la fin de l’orgueilleux et bref projet de 1918.
André Baudet en est nommé président comme pour signer son acte de
décès 147. Né en 1876, Baudet est président d’honneur de la chambre syn-
dicale et de fabrication de la quincaillerie, président de la chambre de
commerce de Paris en 1932. La société coopère avec une autre agence de
renseignement commercial, Réforme de crédit. Celle-ci a été fondée en
1876 en Allemagne à Leipzig, connue sous le nom de Verband der
Vereine Creditreform. Son siège est à Bâle avec des bureaux dans les dif-
férents pays européens (Suisse, Belgique, pays scandinaves, Angleterre…).
Elle a décliné après 1914, notamment en raison du blocus de l’Allemagne
et du prix élevé de revient des renseignements commerciaux. Ses missions

145. SHD 7NN 2 756 République autonome de Rhénanie. Les documents ne


révèlent pas des contacts formels établis entre Matthes, l’agence et les services spé-
ciaux militaires en 1922-1923.
146. La Compagnie des chemins de fer du PLM, la Société des rizières du Havre,
la Société des hauts fourneaux et fonderies de Pont-à-Mousson, la chambre de
commerce de Nantes, la Compagnie des chargeurs réunis, la Compagnie générale
d’Extrême-Orient.
147. SHD/DAT 7NN 2 175, note sur la société France-Expansion, 5 avril 1937,
p. 6.

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De l’information économique au renseignement économique

étaient traditionnelles : rechercher des renseignements commerciaux sur


l’Allemagne et l’étranger auprès des 90 000 souscripteurs de l’association
et de son million de correspondants à l’étranger ; faire du recouvrement
de créance ; désigner des représentants pour faire des affaires et indiquer
en matière commerciale les sources et les débouchés. Toutefois, elle est
signalée en 1918 comme étant un office de renseignement auxiliaire pour
le commerce allemand en Suisse, dirigé par John Grobet. Elle produirait
du renseignement commercial pour les empires centraux, conduisant à
l’inscrire sans preuves sur la liste noire. En 1930, deux succursales sont
identifiées à Sarrebrück et Strasbourg comme travaillant pour l’Alle-
magne en faisant du renseignement militaire 148. L’intermédiaire est
Schenkel, ancien directeur de Bradstreet’s. En effet, jusqu’en 1931, la
société n’a de succursale qu’à Strasbourg. Elle n’en compte pas à Paris où
elle traite par l’intermédiaire de correspondants, la Maison Laurent Roux
office commercial, une des plus anciennes firmes de renseignements
commerciaux, fondée en 1858, et la Sûreté du commerce, autre firme
ouverte en 1857. En août 1931, la société Réforme de crédit, par l’inter-
médiaire de son directeur des services extérieurs Otto Erich Richter,
prend l’initiative d’une relation d’affaires avec France-Expansion pour
commercialiser des informations par un bureau ouvert à Paris et acheter
celles de France-Expansion. Né en 1901, Richter quitte Leipzig pour la
France en mai 1933, poursuivant de fréquents voyages en Allemagne. Il
rachète l’agence en novembre 1934 avant de la revendre à une autre Alle-
mand, Gottfried Metz, en novembre 1935. Il met sur pied une seconde
affaire de conseil commercial international, Guaranty, cabinet d’affaires
aux capitaux belges devenu Compagnie internationale pour la défense du
commerce et de l’industrie. Il est difficile de trancher entre l’activité de
l’entrepreneur et le montage de sociétés écrans, mais les services spéciaux
français concluent à de l’espionnage commercial et politique caractérisé,
quoique non délictueux 149.
À cet instant intervient une proposition de vente du bureau à France-
Expansion par Richter, se prétendant envoyé par l’ambassade d’Alle-
magne. Chesnot, administrateur de l’office, prévient l’EMA de la
possibilité de rachat du fonds commercial de ce bureau de recherche.

148. SHD/DAT 7NN 2 404, note du 5e bureau, 3 avril 1940, p. 2.


149. SHD/DAT 7NN 2 413, dossier sur l’agence Réforme de crédit liée à l’Alle-
magne, 1938.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

L’office France-Expansion contrôlerait alors toutes les enquêtes de rensei-


gnement commercial allemand de Verein Creditreform en France.
Chesnot prend contact avec la SCR qui entrevoit l’intérêt d’une prise de
contrôle indirecte du bureau français Creditreform. Les services spéciaux
militaires pourraient être informés de la totalité des enquêtes commer-
ciales lancées en France et à l’étranger par le bureau 150. L’option du
colonel Roux est une révision complète de la position des années
1927-1929, lorsque son prédécesseur, le lieutenant-colonel Laurent, a
soupçonné France-Expansion de travailler pour l’Allemagne en camou-
flant les activités de la société allemande Schimmelpfeng.
« Il est vraisemblable que c’est France-Expansion qui exécute à Paris et en
France les enquêtes d’ordre privé demandées par les autorités ou personnalités
allemandes ayant un caractère plus ou moins officiel 151. »
Les soupçons ont été en définitive écartés après une enquête diligentée
par la SR-SCR, mais ultérieurement. Le 2 juin 1934, une note classée
« très confidentielle. A.S. de l’affaire France-Expansion » du lieutenant-
colonel Roux confirme la tentative de rachat. Il n’y a pas d’autre trace de
cette opération dans les archives.
« Roumi continue à suivre l’affaire et à se tenir à la disposition du directeur
de France-Expansion pour prendre la direction effective de la Reforme de Crédit,
lorsque son propriétaire actuel, l’Allemand Richter sera disposer de le céder.
Quelques difficultés ont cependant surgi du fait que Richter voulait bien céder
son bureau de Paris mais pas celui de Strasbourg qu’il voulait conserver pour lui.
Le directeur de France-Expansion s’y oppose et demande tout ou rien. Comme
cependant l’affaire pourrait bien finir par être conclue, il a été demandé à Ségur
s’il accepterait de prendre la gérance « officielle » de ce bureau, de façon à ne pas
faire apparaître France-Expansion dans la tractation. Ségur a accepté. L’affaire
pourrait donc finalement réussir. Elle paraît présenter, malgré tout, pour nous,
un certain intérêt, car nous pourrions finalement avoir ainsi à Paris, sans aucun

150. SHD/DAT 7NN 2 175, note du 2e bureau SCR nº 1798 au sujet de la


Réforme de crédit, 25 mars 1934 et prescrivant une enquête sur Richter auprès du
commissaire spécial du gouvernement militaire de Paris.
151. SHD/DAT 7NN 2 175, note nº 5 245 de la SCR du 23 mai 1927 (de très
bonne source) au sujet de suspicions sur l’agence France-Expansion. Note SCR
nº 5944 du 23 novembre 1927 sur l’utilisation par le ministère allemand des Affaires
étrangères, section d’espionnage économique, par l’attaché Kuhn, de l’agence sur le
territoire français.

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De l’information économique au renseignement économique

frais, un bureau de renseignement qui serait complètement à nous, avec Ségur


comme propriétaire officiel et Roumi comme directeur effectif 152. »
La vente ne se fait pas et le bureau est racheté par Richter lui-même
en novembre 1934, cherchant à développer l’activité en France, sans que
l’on ait découvert les raisons de l’échec de la transaction. En réalité, sans
que la collusion soit établie avec les milieux nazis, son rôle de centralisa-
teur des renseignements commerciaux en France démontre que le bureau
de Paris est crucial pour le Creditreform en liaison avec les grands indus-
triels du Reich. De la manipulation éventuelle subsiste l’intérêt manifesté
par la SR-SCR de contrôler une source de renseignement commercial. La
coopération entre France-Expansion et la SR-SCR se poursuit, ainsi que
l’attestent deux notes retrouvées en février 1937 et en septembre 1939 153.
En septembre 1939, l’agence France-Expansion confirme à l’officier trai-
tant de la SR-SCR la possibilité de recueillir des informations sur les per-
sonnes habitant en pays neutre sinon en Allemagne, grâce à ses
informateurs en Suisse, en Suède, en Finlande, en Yougoslavie et en
Italie. Chesnot propose alors de faire prendre en charge par les services
une partie des frais de fonctionnement du bureau de Paris afin de main-
tenir son activité et de faire payer les enquêtes à l’étranger. La proposi-
tion ne semble pas avoir eu de suite en 1939-1940 154. La relation
tumultueuse est exemplaire des attentes et des limites de l’utilisation des
agences de renseignement privé par des services spéciaux officiels. En la
matière, l’Allemagne a probablement mieux réussi par une tradition plus
enracinée, puis ensuite par la nature même du projet nazi permettant
d’enrégimenter les agences de renseignement commercial.
Préexistant à l’entre-deux-guerres, les agences commerciales sont
d’abord la manifestation d’une exacerbation de la concurrence écono-
mique après 1918. Les renseignements recherchés signalent une concur-
rence technologique, commerciale et financière entre des entreprises
nationales, mais aussi entre des sociétés capitalistes internationales.
L’après-guerre redouble d’une logique de protection des marchés

152. SHD/DAT 7NN 2 175, note nº 19780 du lieutenant-colonel Roux, 2 juin


1934, très confidentielle, au sujet de l’affaire France-Expansion. Le destinataire n’est
pas mentionné.
153. Ibidem, note de la SCR nº 26307 du 26 février 1937 au sujet d’une enquête
dans le Nord de la France.
154. SHD/DAT 7NN 2 175, note nº 33171 de la SCR au sujet d’enquête à
l’étranger par France-Expansion au profit de la SR-SCR, 20 septembre 1939.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

nationaux, des produits, des matières premières et des sources d’énergie,


notamment pétrolières. Idéalement, l’enquête devrait se prolonger par
l’étude des services d’investigation et de renseignement économique des
firmes internationales. Elles relayent les agences de renseignement en
intégrant leur activité dans un fonctionnement horizontal. Plus nouvelle
est la confusion, mêlée de suspicion et d’attente indéterminée, des ser-
vices spéciaux militaires français qui recourent exceptionnellement à ces
agences économiques. La montée de l’information économique et
commerciale, technologique, financière les frappe de paralysie sinon
d’incompétence. La situation est moins marquée avec le personnel diplo-
matique et consulaire, notamment par les attachés commerciaux relevant
du ministère du Commerce, sensibilisés à l’information économique dans
les postes et au Quai d’Orsay. Mais la relation complexe des deux minis-
tères en matière de coopération et de partage du renseignement freine
l’émergence d’une pratique publique du renseignement économique en
France. Demeurent les agissements clandestins, plus prévisibles,
d’agences de renseignement commercial qui camouflent l’espionnage des
centrales, à l’instar de la Schimmelpfeng.
Entre 1918 et 1939, il n’y a donc pas de doctrine du renseignement
économique, mais un vocabulaire plus connoté de « guerre écono-
mique ». En 1939, des instructions interministérielles s’emploient à lui
donner un contenu. La gestation de la notion d’espionnage industriel et
économique s’est donc échelonnée en France entre 1914 et le décret-loi
du 29 juillet 1939, en passant par les lois de 1934 et de 1938 qui
l’annoncent. Sa répression est balbutiante dans les années 1930 en
France, comme en Allemagne jusqu’en 1932. Elle est désormais juridi-
quement possible en août 1939. L’infraction d’atteinte au secret « indus-
triel » de la Défense nationale cohabite désormais, dans le décret-loi du
29 juillet 1939, avec les incriminations de trahison dont relève la
livraison d’un secret de la Défense nationale à une puissance étrangère et
l’espionnage, punis de mort. L’atteinte à la sûreté extérieure de l’État
figure aussi dans la panoplie répressive, considérée comme un délit en
temps de paix et un crime en temps de guerre.
Les cultures administratives, publiques ou privées, ne sont pas mûres
en France pour une conception commune de la sécurité économique
avant 1938-1939. Certes, les initiatives foisonnent en matière de contre-
espionnage économique ou d’espionnage industriel et financier. Au sortir
de la Première Guerre mondiale, la France a développé des pratiques

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De l’information économique au renseignement économique

d’espionnage industriel et commercial qui aggravent l’exacerbation des


rivalités économiques avec les autres États, pas seulement en Europe.
L’accusation d’espionnage est aussi une incantation des pays hantés par
l’idée du déclin industriel et les effets de la crise. La presse relaye auprès
des opinions le constat d’huissier du pillage économique du pays 155. Mais
par un effet de basculement de contexte dans les années 1930, la France
perd son avance, dépassée par la répression de l’espionnage dans des dic-
tatures ou dans les sociétés totalitaires qui n’ont pas les mêmes embarras
avec le droit ou la force. Face à Londres, Paris exprime une nette concep-
tion de protectionnisme impérial. Protéger les marchés, l’accès aux
matières premières, aux sources d’énergie ou l’approvisionnement en
denrées alimentaires est bien une obsession constante. Mais l’État coor-
donne imparfaitement les moyens des différents ministères.
Inédite, la mission d’organiser la guerre économique a, en partie,
relevé en 1914-1918 du renseignement, disposant de moyens humains et
techniques exceptionnels pour collecter l’information. En 1938, les plans
de renseignement militaire l’intègrent désormais explicitement 156. Le
2e bureau de l’EMA achève, en avril 1939, une étude prévoyant une
future « guerre économique [qui] pourrait être menée en gênant les
approvisionnements de fer, de pétrole, de pyrite et de manganèse » de
l’Allemagne 157. C’est désormais bien vers la recherche systématique
d’informations économiques qu’est orienté le travail du 5e bureau en sep-
tembre 1939 : les matières premières allemandes, la situation alimen-
taire, les finances, le blocus 158… La question économique s’impose par
la force de la guerre. Cependant, elle peine à exister comme une doc-
trine propre et officielle du renseignement avant 1939, tant il vrai que
la simple recherche d’informations économiques ne peut s’assimiler à de
l’espionnage économique. La difficulté est bien dans le passage de la col-
lecte de l’information économique à son exploitation stratégique et à sa

155. AN F7 13 428, note de la Sûreté générale au sujet d’un article de la Köl-


nische VolksZeitung du 6 février 1930 au sujet de l’espionnage économique français
en Allemagne.
156. SHD/DAT 7N 2 530, plan de renseignement concernant l’Allemagne,
2e bureau, 1938.
157. SHD/DAT 7N 2 524, étude du 2e bureau EMA sur la guerre économique
à mener, 14 avril 1939.
158. SHD/DAT 7N 2 574, note du 5e bureau sur la recherche d’informations
économiques par ses sections, septembre 1939-avril 1940.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

diffusion dans les cercles de décision. Les bulletins de renseignement


sont-ils, pour autant, lus et utilisés ? Il y a une profusion de bulletins offi-
ciels émanant de ministères, qui cloisonne l’information technique. En
outre, le CSDN ne s’est pas mué en organe de coordination de l’action
gouvernementale. Il subsiste une expérience manquée de renseignement
économique de l’État en France entre 1919 et 1939.

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Chapitre 10
L’espionnage économique
et les nouveaux enjeux secrets de la puissance

Après 1918, la reconstruction économique de l’Europe est à l’odre du


jour. Très rapidement, les moyens militaires, policiers et diplomatiques
du renseignement sont, en partie, orientés vers le domaine commercial
et financier. Pourtant devenues le monopole théorique des attachés
commerciaux dépendant du ministère du Commerce français en 1918,
les informations économiques prolifèrent dans les autres départements
ministériels. L’occupation militaire d’une partie de la nouvelle Allemagne
confère aux moyens secrets français une position éminente. Les services
spéciaux français et la Sûreté générale participent à l’application du volet
économique du traité de Versailles. Favoriser l’implantation des entre-
prises françaises sur les marchés de l’Europe centrale et orientale, obtenir
les procédés de fabrication et les brevets des nouveaux produits sont des
objectifs avoués. Naturellement, la recherche d’une documentation
secrète, sinon interdite, s’inscrit dans le mouvement plus profond et anté-
rieur de la nécessité d’une information technique et scientifique pour les
entreprises, depuis la seconde révolution industrielle à la fin du
1
XIXe siècle . Après 1918, la France subit aussi, de plein fouet, l’espion-
nage des nouvelles puissances. L’espionnage de l’URSS, du Japon, mais
également des pays anglo-saxons se précise dans des secteurs technolo-
giques clés. Initialement limités aux industries de la Défense nationale et

1. Bruno Delmas, « Les débuts de l’information scientifique et technique dans les


entreprises », in Michèle Merger et Dominique Barjot (dir.), Mélanges en l’honneur
de François Caron. Les entreprises et leurs réseaux : hommes, capitaux, techniques et pou-
voirs XIXe-XXe siècles, Paris, PUPS, 1998, p. 809-818.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

aux ressources minières, cet espionnage économique embrasse tous les


secteurs de l’activité économique et finacière dans les relations internatio-
nales. Progressivement, l’espionnage économique étranger s’élargit aussi à
de nombreux secteurs d’activité économique 2.

La guerre commerciale et l’espionnage économique entre 1919 et 1933

France-Allemagne, une sortie de guerre sous le signe des riva-


lités économiques
Si l’on pense spontanément aux archives des entreprises et des minis-
tères publics, les archives de la Sûreté nationale et des services spéciaux
militaires restituent également le climat de lutte commerciale entre les
deux pays en Europe. En liaison avec les chambres de commerce, le dis-
positif de contre-espionnage offensif et d’espionnage français en Alle-
magne est le fer de lance d’un espionnage économique à partir de 1920.
Il faut certes échapper aux effets des phobies nationalistes si caractéris-
tiques des après-guerres. Il y a une permanence nouvelle des rivalités
commerciales entre les services spéciaux français et allemands 3.
Depuis le mois de juin 1919, la Sûreté générale suspecte des tentatives
de corruption de candidats aux élections législatives françaises à venir. La
preuve d’une volonté allemande de favoriser l’élection de candidats socia-
listes est recherchée. Ceux-ci sont supposés favorables à une révision des

2. SHD/DAT 2 254, dossiers de documents relatifs à l’espionnage industriel pra-


tiqué en France par des entreprises étrangères obtenant des marchés de vente ou de
construction1927-1939.
3. Archives nationales, Annie Poinsot, La surveillance de l’Allemagne par la SCR
française de 1915 à 1936. Inventaire et index, septembre 2003, 74 p. Il s’agit des
cotes F7 13424 à 13434 pour la seule Allemagne. Les liasses 13434 à 13505 portent
également sur les pays étrangers. On doit à un inventaire récemment réalisé en sep-
tembre 2003 par Annie Poinsot d’avoir pu exploiter dix cartons particulièrement
intéressants sur la surveillance de la SCR et de la Sûreté française de 1919 à 1936, en
particulier à la faveur de l’occupation française en Allemagne de 1919 à 1930. Il
s’agit des archives bien connues de la Sûreté générale et des renseignements généraux.
Elles n’ont pas fait à ce jour l’objet d’un inventaire détaillé, hormis ces dix cartons.
Les archives du contre-espionnage français complètent ces données par un éclairage
des rétorsions allemandes à l’encontre de l’espionnage industriel français de 1922 à
1933.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

clauses économiques les plus draconiennes du traité de Versailles sur le


point d’être signé 4. Bientôt, les activités de propagande des agents
commerciaux allemands, encourageant la diffusion des slogans bolche-
vistes, sont dénoncées 5. À partir de janvier 1919, les informations se
multiplient, émanant tantôt des agents que la Sûreté générale stipendie
en Allemagne, tantôt des représentations diplomatiques et consulaires
françaises en Allemagne et dans les pays voisins. En février 1919, le
colonel Pageot, attaché militaire à l’ambassade de France à Berne, est
explicite sur les moyens de l’espionnage commercial allemand. Il dévoile
l’organisation des activités politiques et économiques de la légation
d’Allemagne à Berne, déjà très entreprenante pendant la guerre 6. Celle-ci
distribue ses activités entre un service ayant pour fonction de centraliser
les informations politiques de France, de Grande-Bretagne, d’Italie et des
États-Unis (avec une antenne à Amsterdam), et un service économique.
Ce dernier est dirigé par le Dr Thomdike à Zurich, sous couvert d’une
maison de publicité, la Ausland Anzeigengesellschaft, tournée vers le ren-
seignement commercial. De nombreuses activités d’espionnage sont faci-
lement camouflées par les activités supposées de maisons de commerce et
de bureaux d’exportation.
« Le nouveau gouvernement et les milieux commerciaux allemands [accor-
dent] une grande importance pour ce service tenu secret. La légation et les
consulats s’attachent spécialement à rechercher des renseignements écono-
miques, principalement sur la France et l’Italie avec l’aide des anciens agents de
Tilling (commune de Berne) placés sous les ordres de Thomdike. Les maisons de
commerce suisses ayant des sympathies avec l’Allemagne sont les intermédiaires
de l’Allemagne avec l’Entente.
L’action de propagande commerciale est préparée pour le 2e semestre 1919 :
il y a une publicité intense et bien rémunérée en faveur du commerce allemand
dans les journaux français et italiens. On essaiera que les grandes firmes suisses

4. AN F7 13 424, note de Berne transmise par la direction générale de la Sûreté


nationale à Alliez, du 3 juin 1919 au sujet de l’instruction donnée par l’Allemagne à
ses agents en France en vue des prochaines élections législatives en France, établie à
partir d’un document allemand traduit et publié en Suisse par le SR allemand. L’ori-
gine et la fiabilité de l’information de la note ne sont toutefois pas analysées.
5. AN F7 13 424, note de la DG de la Sûreté nationale transmise à la section
économique du 2e bureau de l’EMA au sujet des activités propagandistes des agents
commerciaux allemands, 28 juin 1919.
6. André Scherer, Jacques Grünewald, L’Allemagne et les problèmes de la paix pen-
dant la Première Guerre mondiale. Documents extraits des archives de l’Office allemand
des Affaires étrangères, Paris, 3 tomes, PUF, 1962-1976.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

d’exportation (conserveries laitières, fruits, horlogerie, broderie) confient leur


publicité aux journaux français et italiens pour créer un courant de sympathie
dans l’opinion qui détruise le ressentiment causé par la guerre contre l’industrie
et le commerce allemands (enquête Ruelens-Nardier d’avril 1918 sur les publi-
cités suisses pour les produits inconnus à ce jour dans Le Journal du Peuple,
L’Humanité, La Vérité, Le Populaire, La Bataille) 7. »
En effet, les consignes de censure économique et financière se sont
étoffées en 1917-1918, marquées par un pic au printemps 1919. Lors de
la Conférence de la Paix, la discussion des clauses économiques du traité
de Versailles justifie une censure des journaux périodiques dénonçant une
victoire alliée qui serait en réalité une défaite économique 8. En France
et en Angleterre, la censure des publicités commerciales étrangères était
déjà très forte depuis 1914 9. La coordination entre la censure et le
contre-espionnage datait des années 1914-1915, lors de la mise en œuvre
du contrôle des communications téléphoniques et, surtout, télégra-
phiques. En décembre 1919, la Sûreté nationale remarque que, pour sa
part, la censure allemande est maintenue une fois la paix revenue, préci-
sément sur la correspondance à destination et en provenance de
l’étranger. L’objectif est clair :
« Surveiller les tractations suisses, érodant les positions commerciales alle-
mandes dans les régions frontalières, en raison du trafic suisse de marchandises
et de courrier passant par les intermédiaires de tiers habitant dans les régions
frontières 10. »

7. AN F7 13 424, note nº 2046 du colonel Pageot, attaché militaire français à


l’ambassade de France de Berne en Suisse, au sujet de la légation d’Allemagne à
Berne, 27 février 1919. Elle complète les informations des notes du 27 décembre
1918 et du 21 février 1919.
8. BDIC F 270 Rés. CEF Censure économique et financière 1917-1918, et F
270 Rés. SPE Périodiques et illustrés, registre nº 11, 18 juillet-11 septembre 1919, à
propos de la censure de La Vague, renforcée, au premier semestre 1919, sur les infor-
mations économiques. Les nombreux registres de censure en matière économique et
financière, notamment ceux concernant la presse périodique et spécialisée, conservés
à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, attestent de cette
surveillance étroite des informations économiques en 1918 et au premier semestre
1919.
9. Olivier Forcade, La Censure politique en France pendant la Première Guerre
mondiale, Université de Paris X-Nanterre, 1998, p. 93-146 sur l’économie générale
des consignes de censure de 1914 à 1919.
10. AN F7 13 424, note de la Sûreté nationale, décembre 1919.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

Mais comment faire passer l’économie d’une ère de guerre à la paix ?


Au début de l’année 1920, les défis économiques de l’après-guerre inspi-
rent une analyse fébrile des tenants de la « guerre économique », per-
suadés que l’Allemagne n’a pas désarmé. Les preuves d’une collusion avec
les anciens neutres, à l’instar des pays scandinaves ou de l’Espagne, se
confirmeraient sur le terrain commercial.
« Ainsi la venue d’une délégation à Barcelone de onze grandes maisons alle-
mandes de produits chimiques et de colorants (soit des directeurs et des adminis-
trateurs de Grimscheil Elektron, Meister-Lucius, BASF, Bayer) en Espagne
[est-elle prévue] pour étudier l’implantation de leurs capitaux, de leur direction
technique et commerciale pour créer des filiales des trusts allemands 11 ».
Certains milieux commerciaux travaillant avec des entreprises alle-
mandes sont parfois suspectés d’agissements troubles 12. Le Français
Raoul Klein, cherchant à représenter auprès d’un intermédiaire allemand
la fabrique Chemnitzer Strickmaschinenfabrik, fabriquant des machines
pour la bonneterie en Espagne, est soupçonné. Le 14 janvier 1920,
Georges Clemenceau, encore président du Conseil pour quelques jours,
s’arrête au caractère stratégique de la censure économique allemande.
Celle-ci a été maintenue en Allemagne par une circulaire du
28 novembre 1918. Son rôle est central pour empêcher l’évasion de capi-
taux en repérant leurs circuits. La censure économique serait partie pre-
nante du renseignement allemand dans le domaine commercial,
financier, économique.
« Les moyens dépendent du ministère de l’Intérieur et de la centrale de Post
Ubemarchung de Berlin avec ses 28 bureaux de censure postale dans l’Empire,
suivant notamment la correspondance financière et commerciale. Le personnel
est civil mais [compte toutefois] un grand nombre d’anciens officiers. L’examen
des correspondances spéciales est faite par certains bureaux comme celui de Fri-
bourg pour la correspondance intéressant la Suisse, Carlsruhe pour l’Alsace-Lor-
raine, le centre et le sud-est de la France, Francfort-sur-le-Main pour le nord de
la France. Des comptes rendus sont faits tous les quinze jours sur :
1º les tendances politiques et de l’opinion à l’étranger ;

11. SHD/DAT 7NN 2 504, note du SR de Madrid nº 7766 pour la SCR (sec-
tion économique) au sujet des activités économiques allemandes en Espagne, 26 jan-
vier 1920, et rappelant les notes du 25 novembre 1919 et du 23 décembre 1919 sur
ces questions.
12. SHD/DAT 7NN 2 504, note de renseignement du poste de renseignement
de Madrid du 26 janvier 1920 à la SCR/SE, Paris, au sujet de l’intermédiaire Hubert
Hopf.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

2º les statistiques de marchandises offertes par l’étranger (espèce-prix-qua-


lité) ;
3º les statistiques des marchandises allemandes exportées (prix de vente) ; les
lois allemandes sur les exportations de capitaux contournées par les trafics. […]
L’institution donne à la censure un rôle de renseignement économique et poli-
tique. En conséquence, les lettres analysées sont celles d’affaires commerciales et
d’ordre politique, d’ordre financier (moins sévèrement censurées). Le caractère
particulièrement économique de la censure est révélé par les termes très méticu-
leux des listes noires par la Centralstelle de Berlin. Les listes sont communiquées
au contrôle de Berlin, dressées par ordre alphabétique pour l’étranger et pour
l’intérieur. Un bureau spécial est chargé du contrôle de ces listes noires. […] La
sévérité de la censure varie. Actuellement elle s’exerce avant tout dans un sens
économique dans les bureaux qui avoisinent la Suisse, dans un sens politique
pour les bureaux qui surveillent l’Alsace-Lorraine. Cependant de Bade, depuis
quelque temps, la préoccupation de surveiller la contrebande sur le Rhin pousse
à des contrôles inopinés de correspondance dans la zone à 10 km du Rhin et de
Kiehl 13. »
Il y a eu une évolution asymétrique entre la France et l’Allemagne au
début de l’année 1920. De même que la section économique du
2e bureau a été démantelée en France, la censure est suspendue en France
avec la levée de l’état de siège en octobre 1919. Les deux pays se livre-
raient, dès lors, une guerre inégale selon les responsables du renseigne-
ment à Paris. Dans une conception de la coopération interalliée tournée
contre l’Allemagne et ses anciens alliés, bientôt en contradiction avec le
projet anglo-saxon de reconstruction européenne, les pratiques de rensei-
gnement économique allemandes sont rapidement dénoncées à Paris 14.
Leurs ressorts sont simples. Les réparations des dommages matériels dues
à la France et le discours de l’affaiblissement économique, montant dans
une certaine presse française désormais libérée de la censure, en sont le
fond. La volonté allemande serait de lutter contre les firmes permettant
l’évasion de capitaux. Ces firmes affaiblissent financièrement l’Alle-
magne, qui ne pourrait pas, dès lors, verser les réparations financières

13. AN F7 13 424, note du 14 janvier 1920 sur le fonctionnement de la censure


postale en Allemagne établie par la section de guerre économique du 2e bureau de
l’EMA au président du Conseil, ministre de la Guerre, 3 p.
14. Éric Bussière, « La paix économique dans les années 1920 », in Claude Car-
lier, Georges-Henri Soutou (dir.), 1918-1935 Comment faire la paix ?, Paris, Econo-
mica, 2002, p. 334-335 ; on prendra aussi Éric Bussière, La France, la Belgique et
l’organisation économique de l’Europe 1918-1955, Paris, CHEF, 1992, 521 p. sur le
projet économique lotharingien avec la Belgique et le Luxembourg.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

prévues par le traité de Versailles. La conclusion ne porte pas vers une


conception du renseignement économique offensif, consistant à gagner
ou protéger des marchés. Elle illustre une conception défensive. La
nation créancière craint déjà le débiteur défaillant, quelques mois après la
parution du livre de l’ancien conseiller financier de Llyod George, John
Maynard Keynes 15. Or, les crédits et les fonds de roulement manquent à
l’Europe en 1919 pour payer ses importations 16. Ce sentiment grandit en
France dans les milieux dirigeants dès 1920 17.
La collusion entre les milieux d’affaires et les services secrets en Alle-
magne après 1919 a pu, ponctuellement, jouer. Après janvier 1920,
l’observation de la situation économique allemande s’atténue. La situa-
tion politique et sociale en Allemagne retient alors prioritairement
l’attention des responsables français. Haut-commissaire français dans les
pays rhénans depuis janvier 1920, Paul Tirard tient un rôle crucial dans
cette période de mise en œuvre des traités, tenant le Quai d’Orsay très
étroitement informé de la situation. Des copies de ses télégrammes
chiffrés au ministère des Affaires étrangères reposent aussi dans les liasses
des archives de la Sûreté nationale au printemps 1920 18. Durant l’hiver
1919-1920, la mission française de la Sûreté générale en Allemagne fait
déjà état d’une active propagande bolcheviste et antifrançaise ; celle-ci
s’adresse aux soldats allemands, très rapidement démobilisés et rendus
désœuvrés à la vie civile, mais aussi aux soldats français 19. Dans les terri-
toires de Haute-Silésie et dans les pays rhénans, les troubles dans le
milieu ouvrier et parmi les soldats démobilisés préoccupent donc les
milieux français. Perçue par le haut-commissaire depuis Coblence,

15. John Maynard Keynes, The Economic Consequences of the Peace, New York,
Harcourt, 1920, p. 9-23.
16. Denise Artaud, La Question des dettes de guerres interalliées et la reconstruction
de l’Europe (1917-1929), op. cit., tome 1, p. 169-suiv. sur les milieux bancaires amé-
ricains et la crise des liquidités européennes.
17. Georges Clemenceau, Grandeurs et misères d’une victoire, Paris, Plon, 1930,
p. 261-274 sur les mutilations financières du traité de Versailles.
18. Paul Tirard, La France sur le Rhin. Douze années d’occupation rhénane, Paris,
Plon, 1930, p. 8. Restituées avec les archives de Moscou, les archives de Paul Tirard
attendent encore largement d’être explorées.
19. AN F7 13 424, liasse des notes de renseignement reçues de la mission fran-
çaise en Allemagne par la Sûreté générale consacrée à novembre et décembre 1919 ;
Bruno Cabanes, La Victoire endeuillée : la sortie de guerre des soldats français, Paris,
Seuil, 2004, p. 234.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

l’agitation sociale lui fait craindre, en mai et juin 1920, la menace de


coups d’État de droite en Allemagne. Chemin faisant, la Sûreté générale
rassemble des informations sur l’homme d’affaires allemand Hugo
Stinnes 20. L’industriel fortuné aurait déjà acheté 78 journaux et l’inten-
tion d’acquérir de nouveaux titres français, italiens et suisses lui est prêtée
en juillet 1920 21.
Depuis mai 1919, l’intimité entre le renseignement militaire et
commercial, en liaison avec les instructions de la Wilhelmstrasse, ne fait
pas de mystère pour les Français.
« La situation économique de la France semble intéresser au plus haut point
les Affaires étrangères. Les agents reçoivent à ce sujet des questionnaires détaillés :
accueil réservé en France aux commerçants allemands ? La France est-elle suscep-
tible d’avoir recours à des importations allemandes ? Quelles concessions peut-on
espérer en matière de douanes ? 22 ».
En avril 1920, une nouvelle étude démontre le recours à des sociétés
de renseignement privées, payées par le ministère de la Guerre allemand.
L’orientation du renseignement se tourne vers la « propagande écono-
mique » et le suivi des activités économiques. La société d’import-export
Deutsche Neberscedienst est active :
« Envoyer régulièrement des rapports et suivre toutes les menées écono-
miques des États autrefois en guerre avec l’Allemagne de manière à ce que les
industriels allemands puissent être avisés à temps et puissent immédiatement
faire des contre-propositions à des prix plus avantageux que les offres faites par
les alliés 23. »
La frontière entre l’information économique et le renseignement a
toujours été ténue. Et, précisément, la réorganisation du renseignement
allemand au début de l’année 1922 débouche sur la mise sur pied de
deux centres importants, Breslau travaillant sur l’Europe centrale et

20. AN F7 13 424, note du 21 juillet 1920, Sûreté générale dans le dossier


d’Hugo Stinnes. La source anglaise est anonyme.
21. SHD/DAT 2 392, dossier d’enquête de la SCR/EMA2 sur les entreprises de
Hugo Stinnes et les tentatives d’achat de journaux suisses par un consortium alle-
mand.
22. SHD/DAT 7NN 2 477, travail d’ensemble sur les CE et SR ennemis d’après
la documentation parvenue au Centre de liaison français, 25 janvier 1922, incluant
une note de la sûreté aux armées du 2e bureau du GQG des armées françaises de
l’Est, nº 1, mai 1919, 4 p.
23. SHD/DAT 7NN 2 477, compte rendu de renseignements nº 3, CLF à SCR,
25 avril 1920, contre-espionnage et bolchevisme et organisation de l’espionnage alle-
mand.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

Cassel qui suit la France, la Belgique, spécialement la Sarre, la Ruhr et


l’Alsace-Lorraine 24. Pour le contre-espionnage français, l’activité des
postes d’espionnage allemand en Europe est délibérément commerciale.
Serait-ce la traduction d’une obsession française de la supériorité
commerciale allemande qui alla croissante jusqu’au début des années
1930 25 ? Ainsi, les pays scandinaves, dont la Finlande, voient le réseau
d’espionnage commercial allemand redoubler d’efforts pour contrecarrer
la concurrence des Soviétiques. Au sein de la Reichswehr, le colonel
Heinrichs coordonne les renseignements sur les exportations de marchan-
dises finlandaises projetées en URSS. Le colonel Hörteberg fait de même
pour les produits d’Estonie depuis Reval 26.

Les moyens de renseignement au service de l’espionnage


commercial 1920-1925
Entre Paris, Berlin et Moscou se joue, au début des années 1920, une
nouvelle guerre économique secrète. À partir de l’été 1920, Paris porte
une attention plus nette aux menées communistes, à l’organisation des
services spéciaux soviétiques et du Komintern en Allemagne. L’Alle-
magne, et Berlin en particulier, menace d’en devenir une plaque tour-
nante 27. Aussi, les rapports germano-soviétiques, essentiellement sur le
plan économique et financier, retiennent dorénavant l’attention des
informateurs de la Sûreté générale en Allemagne. Le contre-espionnage
français est conscient de l’importance de la législation allemande sur
l’espionnage économique, qui permet d’éviter la divulgation de procédés
industriels secrets ou de simples papiers d’affaires et qui punit les délits
d’espionnage économique 28. Plus approximative est la perception à Paris
d’un sentiment allemand d’appauvrissement depuis la guerre, aggravé par

24. SHD/DAT 7NN 2 477, note secrète de la SCR du 10 mars 1922, CR des
renseignements spéciaux nº 426. Contre-espionnage (de source sûre).
25. Sylvain Schirmann, Les Relations économiques et financières franco-allemandes
1932-1939, Paris, CHEF, 1995, p. 25-32.
26. SHD/DAT 7NN 2 473, dossier sur le contre-espionnage de la SCR sur les
activités des Allemands en Finlande 1918-1928, compte rendu du 12 mai 1921 de
l’attaché militaire de la légation de Suède à la SCR.
27. AN F7 13 424, notes de la Sûreté nationale en 1921 sur l’organisation du
Komintern en Allemagne.
28. AN F7 13 424, note SCR 2e bureau EMA nº 1275 au sujet d’une loi contre
l’espionnage économique en Allemagne, 1921.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

la crise économique de l’automne 1920. La volonté en France d’une


stricte application des réparations économiques gêne la prise de
conscience de la situation économique des Allemands, qui ont supporté
un blocus économique long et sévère entre 1915 et juillet 1919. Non
sans fondement, l’occupation française favorise le renseignement écono-
mique, afin de connaître l’état exact des forces économiques et finan-
cières justifiant leur paiement. Progressivement, ce sentiment s’est
transformé, dans l’opinion allemande, en la conviction d’un pillage et
d’un espionnage économique français systématiques. Ce sentiment est
relayé par une propagande économique allemande qui cherche à attribuer
les causes du marasme économique d’après-guerre à la politique d’exécu-
tion stricte du traité de Versailles.
« [Elle] vise à démontrer, aussi bien aux industriels qu’aux ouvriers, que le
relèvement économique de l’Allemagne est la condition essentielle de la reprise
des affaires et du bien-être en général et que, seul, l’impérialisme français et l’obs-
tination de la France à poursuivre l’exécution du traité de Versailles sont les
causes, aujourd’hui, du marasme économique européen 29. »
Ce sentiment ne quitte plus l’opinion publique allemande et les ser-
vices de renseignement allemands en 1922. Précisément, jusqu’à ce que
l’occupation française de la Rhénanie soit engagée en janvier 1923, les
services spéciaux militaires et la Sûreté générale pratiquent un renseigne-
ment dont l’orientation économique s’affirme continûment.
Les relations germano-soviétiques sont au cœur de ce débat au début
des années 1920. En novembre 1921, l’inventaire des bureaux privés alle-
mands de renseignement politique et économique en novembre 1921 est
déjà très avancé 30. Puis la confirmation que les délégations commer-
ciales soviétiques en Europe camouflent les activités d’espionnage en jan-
vier 1922 s’impose 31. En avril 1922, la Sûreté générale établit la liste des
entreprises allemandes ayant signé des contrats avec l’URSS. Soixante-
neuf entreprises sont recensées, dont des sociétés appartenant au

29. SHD/DAT 7NN 2 324, dossier sur la propagande économique allemande de


1920 à 1930, note secrète de l’attaché militaire de Suisse nº 4848/2 du 9 avril 1922
à la SCR, « d’un très bon informateur », p. 3.
30. AN F7 13 424, note de renseignement de la SCR 2e bureau EMA du
9 novembre 1921 au sujet des bureaux de renseignement privé en Allemagne
occupée.
31. AN F7 13 425, note SCR 2e bureau EMA nº 9571 du 15 janvier 1922 sur
l’organisation de la Tchéka à Berlin.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

consortium d’Hugo Stinnes à Berlin, soupçonné par ailleurs de vouloir


acheter un grand journal parisien pour 2,5 millions de francs. Son
objectif serait de lancer une campagne faisant renoncer la France à ses
exigences financières et à l’occupation de la rive gauche du Rhin. Dans
la liste se retrouvent des entreprises comme la Banque de Dresde, la
Deutsche Bank, Siemens et Schirchert de Berlin, Badische Anilin Soda
Fabrik (BASF) et de nombreuses sociétés chimiques et métallurgiques. La
liste de trois pages nourrit les suspicions officielles françaises d’une collu-
sion entre Moscou et Berlin en février 1922, avant même les accords de
Rapallo du 16 avril 1922 par lesquels l’Allemagne octroie la clause de la
nation la plus favorisée à la Russie. En avril-mai 1922, la conférence de
Gênes est un échec pour la position française 32. Alors même que la
conférence de Gênes vient de refermer, la collusion d’intérêt germano-
soviétique ne fait plus de mystère pour le renseignement français :
« Par les accords de Rapallo, les Soviets accorderaient des concessions de
mines et des domaines en Russie à Krupp. Ces accords secrets sont en fait
négociés depuis 1921 pour que Krupp puisse fabriquer de l’artillerie lourde pour
30 divisions russes. L’information a été obtenue dans des milieux autorisés à
Berlin, confirmée par Nodke, ancien conseiller d’ambassade à Paris, rentré en
Allemagne 33. »
Toutefois, ces renseignements ponctuels ne donnent pas lieu à des
enquêtes complémentaires qui permettraient d’affiner la vision des diri-
geants français. La conception du renseignement économique est encore
assez rudimentaire. Désormais, les relations entre les deux États sont au
cœur des recherches du renseignement français. Les services spéciaux
militaires et policiers français mettent au jour des preuves de la collu-
sion germano-russe après la conférence de Gênes, à l’instar de celles
communiquées au gouvernement de Raymond Poincaré. L’approfondis-
sement des échanges germano-russes est démontré par une note du
24 octobre 1922 de la section économique de la SCR. Elle dévoile des
échanges commerciaux découlant de la création d’une officine russe. Il

32. François-Charles Roux, op. cit., p. 166-170 ; François Roth, Raymond Poin-
caré, Paris, Fayard, 2001, p. 413-414.
33. AN F7 13 425, note du 22 mai 1922 sur les clauses économiques du traité de
Rapallo. Ces notes se retrouvent en partie dans les archives de la direction des affaires
commerciales et politiques du ministère des Affaires étrangères, qui collecte une riche
information économique.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

s’agit de l’Industrie und Handels AG dont le but premier est de renouer


les relations économiques entre la Russie et l’Allemagne.
« L’association serait dirigée à Berlin par Willy Munzenberg, l’un des organi-
sateurs du Komintern, mettant en place ses bureaux et son bulletin d’informa-
tion de l’IHA, « Sicher und Hammel », publiée en langue allemande, française,
anglaise, russe, hollandaise et tchèque. L’un des premiers actes serait la création
d’une commission d’industriels rhénans pour aller en Russie livrer du matériel de
chemin de fer 34 ».
La Tchéka donne en Allemagne des instructions très précises pour
que ses agents agissent spécifiquement auprès « des fabricants, des indus-
triels, des négociants, des diplomates pour qu’ils retournent en URSS 35 ».
Cette surveillance se poursuit au début de l’année 1923, lorsque la confé-
rence économique entre les deux pays est reportée.
Le dossier constitué par l’espionnage français sur Stinnes est éloquent.
Cette surveillance touche également des milieux dirigeants et d’affaires
allemands, qu’ils soient liés ou non aux revendications pangermanistes et
aux mouvements politiques de droite. Les Soviétiques souhaitent établir
une convention de prélèvement au sujet de l’utilisation allemande des
ports de la mer Noire. Le sujet doit en être l’utilisation de capitaux alle-
mands pour les usines russes Elektrostal. D’importants pourparlers sont
soulignés au sujet des concessions forestières et de tourbières que la
Russie accorderait aux maisons Krupp, Stinnes et à des banques alle-
mandes non identifiées 36. Le rôle central d’Hugo Stinnes dans la coopé-
ration économique germano-russe polarise la collecte d’informations
économiques par les agents activés par le contre-espionnage français en
Allemagne. En août 1923, Stinnes devient président du syndicat de
commerce germano-russe. Ce syndicat est, entre autres, chargé de négo-
cier des achats de matières premières agricoles en Hongrie pour résoudre
l’alimentation des Russes, frappés par les grandes famines de l’hiver
1922-1923. L’envoi de 600 wagons de pommes de terre de Hongrie est

34. AN F7 13 425, note de la SCR/2 du 24 octobre 1922, bonne source, au sujet


des relations économiques entre la Russie et l’Allemagne.
35. AN F7 13 426, note de la SCR du 27 janvier 1923, par un informateur à
l’essai, au sujet de la réorganisation des services russes en Allemagne, notamment à
Berlin par Zibine.
36. AN F7 13 426, note du 20 janvier 1923 de la SCR (source généralement bien
informée) au sujet de la collaboration économique germano-russe.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

négocié vers la Russie 37. Les activités des descendants d’Alfred Krupp et
du baron von Thyssen sont étroitement suivies par le contre-espionnage
français 38. Par l’étendue de ses activités, la société Krupp est ainsi
concernée par les échanges avec la Russie. Des concessions de territoires
lui sont octroyées, comme pour Stinnes, à Salsk dans la région du Don.
Des machines agricoles allemandes sont importées et des agronomes alle-
mands sont envoyés afin de trouver des solutions permettant d’enrayer
la famine en Russie. Et la note de souligner que la condition de l’accord
est que « les dirigeants soviétiques soient conciliants sur les concessions
agricoles demandées par les Allemands en territoires russes 39 ». Les
accords de Rapallo entre les Allemands et les Russes provoquent, en
marge de la conférence de Gênes, un choc dans l’opinion publique et
chez les dirigeants français. Jusqu’au début de 1923, ces accords ont
marqué une véritable obsession des services spéciaux militaires et policiers
français en Allemagne. La question rhénane les fit passer au second plan,
à partir du printemps 1923. En effet, les notes d’information écono-
mique sur les relations germano-russes cessent après l’été 1923. Laco-
nique, la SCR date d’août 1924 la liquidation de la mission commerciale
soviétique de Berlin. Elle signale que l’activité commerciale russe a bas-
culé vers Paris et Londres, à la faveur de la reconnaissance officielle de
l’URSS à l’automne 1924 40. C’est dire si la question des réparations et
des questions économiques qui leur sont subordonnées est prioritaire
dans l’esprit des dirigeants français.
L’Allemagne et la France partagent une inquiétude similaire devant
l’espionnage économique étranger et l’idée d’un abaissement économique
national 41. En 1920, la chambre de commerce de Trèves lie précocement

37. AN F7 13426, note de la SCR du 13 août 1923 au sujet des activités d’Hugo
Stinnes.
38. SHD/DAT 7NN 2 642, dossier sur les déplacements et renseignements
divers sur le baron von Thyssen, 1919-1942.
39. AN F7 13 426, note de la SCR du 24 août 1923 au sujet des activités en
Russie d’Arthur Krupp.
40. AN F7 13 426, note de la SCR P 9902-U, du 7 juillet 1924, au sujet de la
liquidation de la mission commerciale russe à Berlin. Berlin renonce à accorder la
clause d’extraterritorialité aux Soviétiques de la mission, après l’incursion de la police
allemande à son siège pour soupçon d’espionnage.
41. Robert Frank, La Hantise du déclin : le rang de la France en
Europe 1920-1960 : finances, défense et identité nationale, Paris, Belin, 1994, 316 p.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

l’espionnage industriel à l’occupation française en Allemagne. De fait,


jusqu’au début des années 1930, les rivalités de l’espionnage commercial
des deux pays sont une préoccupation constante du contre-espionnage
français 42. Cette fonction de protection du secret est largement inédite,
encore renforcée dans les années 1930. Durant les années 1920, le
contre-espionnage allemand recense les efforts de pénétration écono-
mique français, au travers de pratiques de renseignement ouvert ou
d’espionnage industriel caractérisé de certaines sociétés françaises ;
celles-ci ne sont pas identifiées. En février 1922, des banques, des
chambres de commerce françaises et belges s’efforcent, depuis Cologne,
de reprendre le contrôle de la navigation fluviale sur le Rhin. Une cellule
de renseignement économique a été activée à Duisbourg sous la houlette
d’un officier français, Vautri, espionnant le Kolhensyndicat allemand de
navigation fluviale. Entre l’Allemagne, la France et la Belgique, l’enjeu est
le contrôle de toutes les informations utiles sur la navigation fluviale rhé-
nane, en particulier des organismes d’affrètement des navires à Duis-
bourg et Ruhrort. Cet enjeu économique a fait l’objet de clauses fluviales
dans le traité de Versailles, car le transport du charbon est stratégique 43.
Ce renseignement économique est ouvert, à l’exemple de l’action de la
Société générale pour le commerce et l’industrie, prospectant dans les
milieux métallurgiques allemands. Une dizaine d’affaires est recensée de
1922 à 1925. En mai 1922, l’enquête du Deutscher Industrie und Han-
delstag y démonte l’organisation de l’espionnage commercial français. Ce
dernier dépend du ministère du Commerce qui remet à sa sous-section
Europe centrale des questionnaires émanant des fabricants français. Eu
égard à l’action méthodique d’Étienne Clémentel au ministère du
Commerce entre 1915 et 1919, la crainte allemande est justifiée. Après
l’échec d’une entente entre la France, l’Allemagne, la Belgique et le
Luxembourg en 1919, le temps des grandes rivalités sidérurgiques est
venu dans l’après-guerre 44. La récession de 1920 et la dépréciation du
mark ravivent la rivalité commerciale entre Paris et Berlin.

42. SHD/DAT 7NN 2 276, note secrète de renseignement nº 304/CE du


BREM, 12 mai 1932 concernant la répression de l’espionnage industriel en Alle-
magne de 1921 à 1925 (très bonne source).
43. Éric Bussière, La France, la Belgique et l’organisation économique de l’Europe
1918-1935, op. cit., p. 86-89.
44. Éric Bussière, op. cit., p. 69-78.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

« Tous les renseignements recueillis en territoires non occupés par les


consulats français, les attachés militaires et commerciaux, le général Nollet à
Berlin ou par l’alliance française vont au centre de liaison français d’Aix-La-Cha-
pelle. L’espionnage commercial se fait principalement par des espions chargés de
rechercher ce que livrent les fabriques, les quantités, à qui, à quel prix… rapports
allant en partie au CLF, en partie aux centres économiques ; ces derniers rendent
en partie directement compte au ministère du Commerce, mais adressent ensuite
une copie au CLF. Le bureau fondé à Cologne en 1919 par Bruno Gallasch était
un bureau privé d’espionnage commercial 45. »
Par ailleurs, le bureau mixte de Wiesbaden, animé par Dorten, n’a pas
joué en 1922-1923 le rôle attendu au sujet des firmes allemandes.
Celles-ci continuent de traiter avec les consulats qui auraient, de fait,
assumé l’espionnage commercial. D’autre part, le service français de resti-
tution est chargé de couvrir la réinstallation des unités industrielles trans-
férées pendant la guerre de Belgique et de France en Allemagne. En
1922, celui-ci observe les prestations en nature que l’Allemagne doit
livrer à la France, en évitant des hausses de prix artificielles, pour le
minerai, la fonte, la chaux, le bois de construction, le ciment et les tuiles.
Côté allemand, l’occupation militaire est le prétexte à dénoncer des pra-
tiques commerciales déloyales qui seraient l’œuvre d’agents français iden-
tifiés. Et ces tentatives d’obtenir les secrets de fabrication dans l’industrie
chimique, des brevets des machines font l’objet d’un plan d’action en
juillet 1922 46. D’évidence, au début des années 1920, la frontière entre
une concurrence économique exacerbée et l’espionnage commercial
caractérisé n’est pas encore nette. Encouragé par le ministère du
Commerce français, des questionnaires relèvent du traditionnel rensei-
gnement commercial ouvert. La doctrine officielle française prône
l’influence financière et la pénétration commerciale, au point de justifier
à Berlin un nationalisme économique défensif en 1922-1924. Celui-ci est
typique du temps de l’occupation française, notamment de celle de la
Ruhr à partir de 1923. À l’automne 1923, les négociations commerciales
germano-russes constituent un autre enjeu à l’heure de la lancinante

45. SHD/DAT 7NN 2 276, note secrète de renseignement nº 304/CE du


BREM, 12 mai 1932 concernant la répression de l’espionnage industriel en Alle-
magne de 1921 à 1925.
46. Nous n’en avons pas retrouvé la trace dans les archives militaires et diploma-
tiques.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

question de l’occupation de la Ruhr 47. L’interception d’une conversa-


tion d’octobre 1923 de Georgi Tchitchérine, commissaire du peuple aux
Affaires étrangères, avec les délégués commerciaux allemands à Moscou
en donne la teneur. Celui-ci conclut par l’idée que la France ne céderait
pas à la Grande-Bretagne et n’évacuerait pas la Ruhr.
« La Grande-Bretagne fera tous ses efforts pour mettre la main sur les ports
allemands au point de vue du commerce : les ports du Nord et de la Baltique,
sous domination de la flotte anglaise, pourront assurer le paiement des répara-
tions dues à la Grande-Bretagne par le contrôle des douanes et des taxes. C’est le
contre-poids aux tanks et aux canons français en Rhénanie. Dès lors le danger est
grave pour les soviets d’une dictature navale anglaise et d’une occupation polo-
naise en Prusse orientale 48. »
À cet instant, les Soviétiques ont conscience du profond soutien de
l’opinion publique française à l’occupation de la Rhénanie 49.
Dans la même période, la France fait le pont entre le développement
du commerce allemand et les menées de ses services de renseignement,
précisément à l’étranger, à la lumière de l’attitude de dérobade devant le
paiement des réparations. L’Espagne en est un terrain d’action privi-
légié. Des spéculations financières internationales pour faire baisser le
franc auraient pour base l’Allemagne et l’Espagne, avant même la crise
monétaire affectant le franc en 1924. Le service de renseignement alle-
mand de Barcelone cherche à brouiller le circuit des décideurs. Depuis
1914, la place espagnole de Barcelone fait l’objet d’une surveillance
jamais desserrée par le poste naval de renseignement français. L’attitude
des banques filiales de la Dresdner Bank est jugée irréprochable (Banco
di Madrid). En revanche, les spéculations baissières contre le franc en
bourse seraient le fait de la Banque espagnole Hijos de Magin Valls,
filiale clandestine de la Deutsche Bank de Berlin. Son directeur,
Rodolpho Jaeger, aurait fait mettre à la vente davantage de francs qu’à

47. Éric Bussière, op. cit., p. 161-187. La première phase fut la mise en place de
l’occupation économique, avec le bouclage douanier puis les prélèvements sur la pro-
duction et les stocks disponibles de coke et de charbon. La seconde fut le succès de
ces mesures et les résistances allemandes.
48. AN F7 13 426, note du 8 octobre 1923 de la SCR (source : un correspon-
dant) au sujet des conséquences de l’occupation de la Ruhr par la France pour la
politique soviétique.
49. AN F7 13 426, note de la SCR au sujet de l’interception d’une note des ser-
vices spéciaux soviétiques à Moscou du 6 novembre 1923, sur les conséquences de
l’occupation de la Ruhr.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

l’accoutumée, au prix le plus bas, mais dans une vente continue de francs
depuis un an et demi (7 millions et demi vendus). À Barcelone, la Royal
Bank of Canada semble y avoir participé et, à Madrid, la Banque his-
pano-américaine et la banque Bauer auraient nourri la baisse du franc en
1924. En l’espèce, l’information financière du renseignement français
paraît n’avoir été que très marginale en 1924, lors de la crise du franc 50.
Toutes les rencontres de dirigeants d’affaires allemands, à l’instar de
la firme Krupp qui ambitionne de développer ses activités en Espagne en
1922, sont l’objet d’une surveillance étroite 51. Dans le programme de
recherche de la SCR sur l’Espagne en décembre 1925, les informations
sur l’organisation du service de renseignement allemand et les succur-
sales des agences de renseignement commercial Schimmelpfeng, Brads-
treet, Burgel figurent naturellement parmi les objectifs 52. Le poste de
renseignement français à Barcelone n’a jamais, en la matière, désarmé
depuis 1919 jusqu’à la fin des années 1930 53. Le 1er janvier 1923, une
nouvelle société financière espagnole, la banque Lopez Quesada liée au
Banco espagnol de Credito, est ouverte à Berlin sous la raison sociale
Spanische Deutsche Bank. Son capital est de 200 millions de marks. Le
poste d’espionnage français de Barcelone démonte le mécanisme consis-
tant à faire travailler les capitaux issus de comptes courants et de dépôts
constitués lors de la vague de spéculation sur le mark en Espagne 54. En
définitive, les spéculations monétaires et boursières jouent, comme à
l’accoutumée, leur rôle annonciateur des crises internationales.

50. Jean-Noël Jeanneney, « De la spéculation financière comme arme diploma-


tique. À propos de la première bataille du franc », in Relations internationales, 1978,
nº 13, p. 5-27 et J.-C. Debeir, « La crise du franc en 1924. Un exemple de spécu-
lation internationale », op. cit., p. 29-49.
51. SHD/DAT 7NN 2 572, activités du SR allemand et liens avec les firmes chi-
miques allemandes et Krupp en Espagne, 1922-1932. Mouvements des navires alle-
mands dans les ports espagnols.
52. SHD/DAT 7NN 2 648, programme de recherche de la SCR en Espagne,
7 décembre 1925, 2 p.
53. SHD/DAT 7NN 2 504, dossier sur les questions politiques et économiques
espagnoles de 1919 à 1942, 486 p. Le dossier a été systématiquement dépouillé pour
apprécier le maintien de cette surveillance.
54. SHD/DAT 7NN 2 504, compte rendu de renseignement économique nº 68
de la SCR 2/11 produit par l’attaché militaire à Madrid, 14 décembre 1922, au sujet
des activités bancaires espagnoles à l’étranger.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

À l’orée de l’année 1923, l’espionnage économique a donc pris une


importance nouvelle, à la faveur des règlements économiques et finan-
ciers de la guerre. L’épreuve de force qui s’élève entre la France et l’Alle-
magne trouve sa traduction dans une recherche plus aiguë des
informations économiques. Aucun bilan de cette occupation sur le plan
économique ne figure dans les dossiers du secrétariat général du CSDN.
Pourtant, le haut-commissariat a publié de nombreux bulletins écono-
miques et financiers sur ses implications 55. L’affaire de la Ruhr n’est pas
naturellement un chapitre exclusif de l’histoire de l’espionnage écono-
mique. L’exacerbation des rivalités économiques qu’elle alimente met
cependant en relief l’importance accrue du renseignement économique
entre Paris et Berlin à l’heure de la reconstruction économique. Les
projets d’organisation économique européenne de Paris étaient, après la
guerre, autrement ambitieux. L’action de la France n’est pas mue par une
simple démarche d’espionnage économique, loin s’en faut. D’après les
interceptions du contre-espionnage français, ce ne serait toutefois pas
exactement le sentiment des services de renseignement allemands.
Ceux-ci estiment précisément que l’occupation militaire favorise délibé-
rément un espionnage économique français 56. Dans les milieux mili-
taires et industriels allemands, le renseignement a une fonction défensive
vis-à-vis des tentatives de pénétration économique françaises et offensive
pour ouvrir de nouveaux marchés à l’est de l’Europe. Dans l’esprit
français, cette politique sert l’application intégrale des clauses discrimina-
toires commerciales et financières du traité de Versailles. Les réparations
sont bien un moyen de pression économique dont il faut veiller à
l’application.

L’espionnage économique français en Allemagne de 1924 à


1933
Depuis 1919, le formidable effort d’espionnage militaire et commer-
cial français a entraîné une répression allemande accrue. Celle-ci s’est tra-
duite par une explosion des arrestations et des condamnations d’agents

55. Paul Tirard, La France sur le Rhin. Douze années d’occupation rhénane, Paris,
Plon, 1930, 520 p.
56. AN F7 13 424, comptes rendus sur l’espionnage commercial et économique
des services allemands de CE.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

français entre 1921 et 1931. Il y a un pic des arrestations pour espion-


nage militaire en 1921-1925, puis pour espionnage économique de 1927
à 1930 57. Après 1924, la presse allemande ne cesse plus de dénoncer les
tentatives d’espionnage par les commissions de contrôle françaises, à la
faveur des visites des usines allemandes 58. En réalité, le dispositif français
s’appuie sur les postes de renseignement dans les territoires rhénans, sur
les moyens propres de renseignement de l’armée française du Rhin
jusqu’en 1930, sur les chambres de commerce, sur les consulats bientôt
en liaison avec l’ambassade de France et sur la CMIC du général Nollet
à Berlin. Des commissions techniques, à l’image de la commission tech-
nique de restitution des usines démantelées en France et en Belgique en
1914-1918, offrent une couverture efficace pour inspecter les usines alle-
mandes. L’espionnage s’intensifie dans les territoires occupés par la
France, en Sarre, en Rhénanie et en Haute-Silésie. En Haute-Silésie,
l’espionnage caractérisé des usines Hultchynski et Zawadzki (cylindres)
de Gleiwitz est ainsi dénoncé par les autorités allemandes au printemps
1925 59. En Allemagne, le ministère des Finances ne cesse d’attirer
l’attention sur l’espionnage économique français depuis Mayence :
« Il a été constaté que la centrale française d’espionnage de Mayence fait
d’actifs efforts pour avoir des statistiques de toutes sortes, surtout concernant
l’importation et l’exportation, les statistiques de chambres de commerce et des
grandes usines (non destinées au public) 60. »
À partir de 1926, les faits avérés d’espionnage commercial se multi-
plient. Ils font l’objet de notes de la police allemande, interceptées par le
contre-espionnage français à Mayence. En décembre 1926, l’usine Pfaff
de Kaiserslautern rappelle à son personnel les mesures de protection
contre les tentatives d’espionnage économique émanant du syndicalisme
socialiste et des communistes s’intéressant aux produits, aux rendement

57. SHD/DAT 7NN 2 276, analyse des mesures prises par le commandement
allemand pour lutter contre l’espionnage français, octobre 1924, 5 p.
58. SHD/DAT 7NN 2 276, note du 13 février 1925 de la SCR/EMA2.
59. Ibidem, copie de la note secrète allemande sur les mesures contre l’espionnage
français dans les usines de Haute-Silésie allemande interceptée par le contre-espion-
nage français, 2 avril 1924 (source polonaise), mission militaire de Varsovie, BR
nº 219 du 7 mai 1925.
60. SHD/DAT 7NN 2 276, note SCR/EMA2, 11 août 1925 sur la note secrète
du ministre des Finances Zapf.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

et aux débouchés commerciaux 61. À Ludwigshafen, la société IG Farben


est espionnée par des agents français, débouchant sur l’arrestation de cer-
tains d’entre eux et un procès en décembre 1928. Les tentatives déjouées
d’espionnage à l’usine Röchling de Völklingen (Sarre) où un ingénieur
allemand dénommé Böhm a été licencié, travaillant vraisemblablement
pour une filiale française de Pont-à-Mousson, inquiètent le patronat alle-
mand. Cette affaire encourage un climat de patriotisme économique
défensif.
En 1928, ces affaires provoquent un sursaut nationaliste défensif dans
les milieux industriels et officiels allemands. Le gouvernement allemand
organise, en conséquence, des réunions officielles ouvertes aux milieux
d’affaires. Des stages d’instruction de protection contre les tentatives de
pénétration sont décrétés. En 1928, des conférences rassemblent réguliè-
rement les milieux industriels et d’affaires avec ceux du renseignement
pour imaginer une parade à l’espionnage de deux puissances dénoncées
prioritairement pour l’ampleur de leurs menées, l’URSS et la France.
À Giessen sont ainsi discutées le 11 août 1928 des mesures de contre-
espionnage défensif entre les industriels et les autorités militaires 62.
À Francfort-sur-Main, le débat continue le 14 septembre, puis à Stuttgart
les 16-17 septembre 1928 où les services secrets français ont pu glisser
un agent 63. Une centaine de délégués de la grande industrie y sont secrè-
tement réunis pour discuter des mesures de protection des usines.
L’espionnage commercial est analysé par MM. Lucke de Berlin et Kutzi,
directeur des services de sécurité du sidérurgiste Krupp à Essen, souli-
gnant la recrudescence de l’espionnage.
« Dans la plupart des cas, il s’agit d’espionnage industriel et commercial.
C’est ainsi que les Français s’efforcent de s’introduire dans les usines ou les
fabriques sous des prétextes quelconques, dans le but de pénétrer les secrets de
l’industrie chimique allemande. Les visites des usines se font naturellement sous
le couvert de commissions de contrôle. Elles poursuivent en réalité un tout autre
but. Mais le traité de Versailles laisse les industriels impuissants. Les Français
essaient aussi de surprendre les secrets de l’industrie chimique par l’intermédiaire

61. SHD/DAT 7NN 2 276, note nº 5209 SCR/EMA2, au sujet de la lutte


contre l’espionnage économique, 4 décembre 1926, et pouvant s’élargir à d’autres
formes d’espionnage.
62. SHD/DAT 7NN 2 276, note nº 9162 SCR/EMA2 sur la réunion patronale
de Giessen du 11 août 1928, sans autre précision sur l’identité des patrons présents.
63. SHD/DAT 7NN 2 276, note nº 4921 de la SCR/EMA2 du 4 octobre 1928
au sujet des mesures allemandes contre l’espionnage économique.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

d’ouvriers ou d’employés travaillant dans nos usines. Ils y ont réussi à plusieurs
reprises par la corruption 64. »
Et de dénoncer le centre de cet espionnage dans le Rhin inférieur. Son
intervention résume largement l’état d’esprit dominant de protection
nationaliste de l’industrie et de ses brevets sur fond de dénonciation des
pratiques déloyales d’une puissance d’occupation, à l’abri du traité de
Versailles.
Dès lors, ces réunions se multiplient pour sensibiliser le patronat et
les syndicats à des mesures de protection et de surveillance des étrangers
dans l’Allemagne non occupée. Dans ce climat, l’affaire d’espionnage
industriel français de Ludwigshafen est le signal d’une répression poli-
cière et judiciaire plus forte. La conscience d’une protection industrielle
n’est pas inédite en Allemagne, active dans les milieux militaires de la
Reichswehr et des associations nationalistes depuis les années 1890. Ce
sentiment est très prononcé dans les milieux industriels chimiques privés,
à l’occasion d’une nouvelle réunion du patronat industriel à Ludwigs-
hafen en février 1929. La protection des voies navigables contre l’espion-
nage et le sabotage, notamment des communistes, est aussi à l’ordre du
jour. Klepp, responsable de la sécurité des chantiers navals à Hambourg
le rappelle. La législation allemande réprimant l’espionnage est jugée
insuffisante. Aussi sa révision est-elle à l’ordre du jour d’autres réunions,
à l’instar de celle à Lübeck au printemps 1929. Durant l’année 1930, les
mesures de protection redoublent contre les anciens légionnaires alle-
mands démobilisés, suspectés d’être des agents français, comme les poli-
ciers français mariés à des Allemandes. La surveillance des six bureaux de
contrôle postal français ne cesse pas jusqu’à l’évacuation des territoires
occupés en 1930 65. Les tentatives de recrutement d’ingénieurs, de chi-
mistes, de dessinateurs, d’experts des industries notamment aéronau-
tiques se sont multipliées en 1929. En 1929, la réaction des milieux
dirigeants politiques, d’affaires et militaires prépare une politique systé-
matique de mesures préventives contre l’espionnage économique en Alle-
magne. Les premiers effets de la profonde crise économique de 1929 s’y

64. SHD/DAT 7NN 2 276 note nº 5152 de la SCR/EMA2 du 23 octobre


1928, procès-verbal de la réunion à Stuttgart.
65. SHD/DAT 7NN 2 276, note nº 339, SCR/EMA2, au sujet des activités du
contre-espionnage allemand, Höchst, 30 avril 1930 après le compte rendu du
18 avril 1930.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

font déjà sentir. La répression policière, judiciaire et le renforcement des


mesures de contre-espionnage prennent appui sur une campagne
publique très hostile à l’espionnage français, avant même celui polonais
en 1930. Qu’il soit militaire ou le fait de bureaux comme le Grunds-
tücke Verwaltungs-Gesellschaft espionnant les Allemands également en
Pologne et en Russie, l’espionnage étranger redouble depuis l’évacuation
de la Rhénanie en 1930 66.
Le 28 avril 1931, les services spéciaux allemands organisent donc une
nouvelle réunion avec la fédération allemande de l’industrie à Berlin.
À l’imitation des échanges entre les milieux du renseignement et les
cercles industriels en 1914-1918, l’objectif est de mettre sur pied une
centralisation des informations recueillies en matière d’espionnage indus-
triel par les postes de l’Abwehr. Un agent français infiltré dans l’Abwehr
adresse, le 1er mai 1931, un compte rendu qui signale une cinquantaine
de participants, représentant diverses branches industrielles de la métal-
lurgie et de la chimie. Parmi eux se trouvent le conseiller Kastl, prési-
dent de la fédération, et son adjoint Dürring 67. Des représentants du
service juridique d’IG Farben et de la sécurité des aciéries Röchling, un
officier de la Reichswehr, Tathke, sont également présents. Les précau-
tions d’usage contre les imprudences coutumières, les procédés d’espion-
nage, la méfiance contre les ouvriers étrangers et la dénonciation de la
recrudescence de l’espionnage soviétique et français sont passés en revue.
La fédération prône la création d’un service de centralisation des rensei-
gnements sur l’espionnage industriel. Le ministère de la Reichswehr
estime que les protections doivent venir des industriels eux-mêmes, car le
renseignement militaire est impuissant à enrayer l’espionnage écono-
mique. Après que le représentant de l’IG Farben a dénoncé l’espionnage
des communistes, les congressistes décident la création par la fédération
d’un centre de contre-espionnage industriel à Berlin centralisé par Dür-
ring. Cette Abwehrstelle aura un délégué par branche d’industrie,

66. SHD/DAT 7NN 2 276, compte rendu de renseignements spéciaux nº 32


bis, SCR/EMA2, 9 septembre 1930 sur les mesures de contre-espionnage prises par
l’Allemagne.
67. SHD/DAT 7NN 2 276, note nº 2943 de renseignement SCR/EMA2 du
1er mai 1931 au sujet de la réunion à Berlin, dans sa salle de conférence, de la fédé-
ration de l’industrie, d’associations et des services de contre-espionnage allemands le
28 avril 1931, 1er mai 1931.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

adressant toutes les informations sur l’espionnage éventuel des Sovié-


tiques dans chaque usine. Puis un bulletin serait diffusé à tous ses corres-
pondants. L’initiative se conduit en liaison avec les services officiels à
Berlin 68.
Enfin, la fédération de l’industrie veut s’efforcer d’obtenir, à court
terme, la modification de la loi actuelle sur la concurrence illicite. Ces
réunions se placent entre 1928 et 1931, sans qu’une loi nouvelle ait été
votée. Elles attestent d’une prise en compte précoce d’un renseignement
économique de nature défensive, dans un environnement économique
rapidement dégradé par la crise de 1929 en Allemagne. Mais celle-ci
connaît pourtant, entre 1929 et 1933, un excédent commercial avec la
France, favorisé par le traité de commerce de 1927 69. En 1931, la bonne
coopération franco-allemande technique et économique ne trouve pas de
prolongement sur le plan politique, avant que Paris ne soit amenée à
dénoncer en 1933-1934 le traité de commerce. À la fin de 1931, la
commission économique franco-allemande peine à étendre des ententes
industrielles entre les deux pays 70. Paris ne désarme donc pas ses moyens
d’information clandestine. Après l’évacuation anticipée de la Sarre en
1927 et de la Rhénanie en 1930, le renseignement de Metz coordonne
certes une partie des recherches sur l’Allemagne, mais sans réelle orienta-
tion économique. Ce fait est d’ailleurs un recul au regard des pratiques
instaurées par le centre français de Réchésy en 1914-1918. Mais l’effica-
cité de l’espionnage économique tend à décroître, jusqu’en 1932, en
raison de l’application restrictive de la loi allemande de 1909 contre la
concurrence déloyale. Celle-ci ne prévoit, en cas de trahison de secrets de
fabrication, qu’une peine maximum de prison d’un an. La nouvelle loi
sur la protection des secrets commerciaux et d’exploitation du 9 mars
1932 est une parade supplémentaire, élevant à cinq ans la peine de prison

68. Ibidem, p. 4-5.


69. Sylvain Schirmann, Les Relations économiques et financières franco-allemandes
1932-1939, op. cit., p. 23-31 sur le traité de commerce franco-allemand de 1927 ;
François Berger, « Les patrons de l’acier en France et en Allemagne face à l’Europe
(1930-1960) », in Éric Bussière, Michel Dumoulin (dir.), Milieux économiques et
intégration européenne en Europe occidentale au XXe siècle, Arras, Artois Presses Univer-
sité, 1998, p. 179-195.
70. Sylvain Schirmann, op. cit., p. 3-6 et Crise, coopération économique et finan-
cière entre les États européens 1929-1933, Paris, CHEF, 2000, p. 141-158 sur les coo-
pérations écoomiques en Europe.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

encourue lorsque l’acte d’espionnage est fait au bénéfice d’une puissance


étrangère. L’une des mesures nouvelles de la loi du 9 mars 1932 est la
répression de l’offre de livrer des secrets concernant des procédés de fabri-
cation. Le juge peut en outre prononcer le huis clos du procès, interdi-
sant aux représentants des firmes concurrentes d’y assister. Toutefois, les
firmes allemandes hésitent encore à porter plainte ; elles craignent, à la
faveur du procès de nouvelles indiscrétions, bien davantage préjudi-
ciables. En septembre 1932, le congrès des juristes et des milieux indus-
triels à Lübeck se consacre à la loi sur l’espionnage industriel, jugée
insuffisante : les employés n’ont ainsi l’obligation de garder les secrets de
fabrication que pour la durée de leur contrat. Lothar Philipp, directeur
de l’Institut criminalistique appliqué, confie :
« En ces temps de guerre économique, les secrets de l’industrie allemande,
dont les procédés représentent le capital le plus précieux de la nation, doivent
être gardés avec autant de soin que les secrets militaires en cas de conflit armé.
La situation de l’industrie allemande est, de ce point de vue, des plus critiques
que l’étranger déploie une grande activité, en vue de surprendre ses secrets. La
France et la Belgique s’intéressent surtout à l’industrie chimique ; la Tchécoslo-
vaquie et, dans une mesure beaucoup plus grande, l’Amérique s’intéressent à
l’industrie électro-chimique. Quant aux Russes, ils montrent un intérêt égal pour
ces deux branches de l’industrie 71 ».
Durement ressentie en Allemagne en 1932, la crise économique
encourage un nationalisme économique. De fait, les frontières avec la
Hollande sont très surveillées depuis le printemps 1933. La législation
réprimant l’espionnage étranger est aggravée en instaurant la peine de
mort en 1937. La répression s’est accélérée dès 1934 ainsi qu’en témoi-
gnent les statistiques de condamnation : 148 en 1933 contre 177 sur les
six premiers mois de 1934. Désormais, les services étrangers recrutent
moins facilement des agents en Allemagne.
La France et l’Allemagne ont pris conscience et réprimé l’espionnage
économique sur leur sol national dans l’entre-deux-guerres. Le parallé-
lisme et le décalage chronologique de cette histoire valent d’être relevés.
La guerre de 1914-1918 a donné à la France une vision aiguë de la
répression du contre-espionnage. Surtout, elle fait l’expérience de
l’espionnage économique à la faveur de l’occupation de territoires en
Allemagne dans les années 1920. À l’inverse, l’Allemagne met en place un

71. SHD/DAT 7NN 2 270, rapport anonyme de la SCR/EMA2 au sujet de la


répression de l’espionnage industriel en Allemagne, 3 septembre 1932.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

contre-espionnage économique défensif dont l’organisation culmine en


1928-1931. Il est difficile toutefois d’en apprécier les effets pour les deux
pays. L’installation du pouvoir nazi déplace les enjeux. La vigueur de la
répression enraye un espionnage français qui cherche désormais à réagir à
l’espionnage nazi en particulier, mais aussi contre les agissements japonais
ou soviétiques. En second lieu, les rivalités des services de renseigne-
ment français et allemand trouvent un réel champ d’activités sur le ter-
rain économique. Les accusations permanentes d’espionnage des milieux
d’affaires et dirigeants allemands masquent, bien sûr, une incantation
publique à l’intention de l’opinion allemande. Elles prennent place dans
un contexte politique et psychologique propice à l’expression des discours
nationalistes les plus outranciers. En 1932, quand le chancelier Hein-
rich Brüning suspend le paiement des réparations, vécu comme un pil-
lage économique vite assimilé à de l’espionnage économique, il prend,
aux yeux des Allemands, l’une des mesures les plus populaires de ces deux
années de pouvoir 72. Or, le faible nombre de procès pour espionnage
économique rend difficile la vérification de toutes les accusations comme
de leur bien-fondé. Dans les deux pays, il subsiste un recours plus systé-
matique aux moyens secrets pour obtenir des informations économiques.
Pourtant, la France subit plusieurs types d’espionnage économique, qui
ne se limitent pas à la rivalité franco-allemande.

Les nouveaux acteurs de l’espionnage économique : l’URSS et le Japon

L’URSS : comment reprendre des relations commerciales avec


son ennemi ?
En 1923-1924, l’URSS cherche à renouer des relations commerciales
avec la France. La reconnaissance officielle préalable de l’URSS s’impose
par le gouvernement du Cartel des gauches. Cependant, celle-ci n’a pas
produit tous les résultats escomptés par Moscou quant à la rapidité de la
reprise des relations économiques. À ce titre, l’attitude de Millerand fut

72. Franziska Brüning, La France et Heinrich Brüning. Un chancelier allemand


dans la perception française, volume 1, 2007, p. 329-368, thèse de doctorat en his-
toire en cotutelle sous la direction de Serge Wolikow, Université de Bourgogne et
Songe Neitzel, Université de Mayence.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

jugée hostile et celle d’Herriot trop zélée par certains dirigeants sovié-
tiques 73. L’espionnage du milieu diplomatique soviétique à Berlin donne
au contre-espionnage français un point de vue intéressant sur les attentes
impatientes de l’URSS à l’égard de la reprise des relations économiques
avec la France 74. L’URSS escompte de la reconnaissance de jure du
28 octobre 1924 une certaine ouverture dans les milieux économiques et
d’affaires français. Cependant, la campagne anticommuniste qui agite le
pays, depuis la prise de position du PCF contre l’occupation de la Ruhr
en 1923, tarde à s’éteindre. La presse révèle l’organisation de la CGTU
pour mettre en place des cellules de quartier et d’entreprise comme
« poste d’écoute du parti 75 ». Elle est affiliée au PCF pour les consignes
du 5e congrès de l’Internationale communiste 76. On est encore loin de
l’accueil chaleureux d’une organisation officielle russe, mise sur pied
autour d’une représentation diplomatique qui attend l’ambassadeur Kras-
sine à la fin novembre 1924 77. À l’automne 1924, Moscou prévoit que
le bureau militaire soviétique de Berlin, sous la responsabilité de Kras-
sine, sera chargé de développer les relations commerciales avec la France.
L’instruction de Moscou est de « faire des offres fermes aux industriels et
aux commerçants français 78 ». On a déjà évoqué la délégation commer-
ciale soviétique à Berlin, organisée au début de l’année 1922 et liquidée
durant l’été 1924, à la faveur du développement des relations écono-
miques avec Londres et Paris. Les bureaux de la délégation commerciale
soviétique se sont établis en Allemagne, mais également en Finlande et
en Tchécoslovaquie. Deux bureaux se trouvent à Prague, l’un russe et
l’autre ukrainien, adjoints précisément aux délégations commerciales.
Toute leur activité est dirigée contre les émigrants russes, en liaison avec

73. AN F7 13 426, note de la SCR du 22 novembre 1924 au sujet des pour-


parlers franco-soviétiques analysés par le bureau d’information de l’ambassade sovié-
tique à Berlin, réclamée par le commissariat de commerce extérieur.
74. AN F7 13 426, note de la SCR du 11 octobre 1924 sur l’image de l’URSS
dans les milieux économiques français.
75. Édouard Bonnefous, Histoire politique de la IIIe République, tome 4, Cartel
des gauches et union nationale (1924-1929), Paris, PUF, 1960, p. 51-52.
76. Michel Dreyfus, Histoire de la CGT, op. cit., p. 126-134 sur la CGTU et le
PCF dans les années 1920.
77. Sophie Cœuré, La Grande lueur à l’Est : les Français et l’URSS 1917-1939,
Paris, Seuil, 1999, 359 p.
78. AN F7 13 426, note de la SCR du 2 décembre 1924.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

les communistes tchèques 79. Cette confusion entre les délégations


commerciales et les activités de propagande et d’espionnage nuit à l’éta-
blissement de relations strictement économiques dans l’esprit des auto-
rités officielles françaises.
Depuis janvier 1923, les Soviétiques disposent d’une agence commer-
ciale à Paris, dissimulée sous la raison sociale de la société Arcos. Celle-ci
est une succursale de l’agence commerciale Arcos de Londres, adminis-
trée par Krassine. Elle est mentionnée pour la première fois dans une
analyse du contre-espionnage militaire le 25 janvier 1923. Très rapide-
ment, la SCR ouvre une enquête lui permettant de définir l’organisa-
tion de cette agence. Celle-ci est soupçonnée d’emblée de réinvestir ses
bénéfices dans des subventions à la propagande révolutionnaire 80. La
preuve n’est alors pas apportée. En avril 1923, L’Humanité donne une
information sur la mission commerciale de l’organisme en titrant l’article
de R. Louzon : « L’Arcos, c’est l’industrie ; le Centresoyous, c’est le
paysan 81. » Le premier organisme est présenté comme devant acheter et
vendre pour les grandes entreprises d’État socialisées en URSS, le second
comme étant l’organisme central des coopératives d’État, dans un nou-
veau système économique. L’histoire en apprend peu à vrai dire sur
l’Arcos. Le 27 juillet 1923, l’identité du futur directeur de l’Arcos à Paris
est connue : Kouznetzoff est un homme d’affaires présenté comme
n’étant pas communiste. Ce choix n’apparaît pas comme illégitime,
même si son entourage est plus suspect :
« Il est à craindre que Moscou ne lui désigne des collaborateurs, envoyés spé-
ciaux du RKP, pour mener à bien la tâche dévolue à toute délégation commer-
ciale bolchevique à l’étranger : la propagande. Il faut se souvenir que Arkos Ltd
(à Londres) est une filiale déguisée des soviets, et que le grand chef qui va la
diriger est actuellement Rakowsky, leader de la propagande et du désordre chez
les impérialistes, désigné pour le poste de Londres dont relève Arkos Ltd 82. »

79. AN F7 13 425, note de renseignement de la SCR, nº 9751, du 15 janvier


1922, au sujet de l’organisation du SR bolchevique en Allemagne et dans ses pays
voisins.
80. SHD/DAT 7NN 2 228, note de renseignement brève du 25 janvier 1923
sur l’agence commerciale Arcos dans un dossier consacré aux activités soviétiques en
France de 1923 à 1930.
81. L’Humanité, 25 avril 1923.
82. SHD/DAT 7NN 2 228, note de renseignement de la SCR du 27 juillet
1923, au sujet du futur directeur de l’Arkos en France, Kouznetzoff.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Venue de Turquie, l’information du capitaine Josset confirme que la


source est excellente, approchant chaque jour la délégation commerciale
soviétique à Constantinople. L’Arcos a déjà pénétré la City de Londres
à la fin de l’année 1923 et participe à la Bourse. La confiance des milieux
d’affaires anglais à l’égard de cette nouvelle organisation du commerce
russe, dont la rapidité de la pénétration économique ne cesse d’étonner,
aurait été rapide 83. Certes, le commissariat du commerce extérieur
d’URSS a bien réalisé des achats de matières colorantes, de véhicules
Renault grâce à un intermédiaire en France durant l’hiver 1925-1926. Il
les a réalisés grâce à ses ventes de blé avec les maisons Dreyfus, Vilgrain
et la Coopérative d’approvisionnement et de transports. Ce sont aussi des
ventes de produits textiles du Comptoir de l’industrie linière de Lille,
puis des produits pétroliers vendus par l’État français et Petrofina. Les
transports sont assurés depuis le Havre par la Société Worms et Cie. Mais
ces activités se ralentissent au début de l’année 1926, car l’URSS manque
de liquidités pour financer ses achats 84. Moscou échoue à acheter des
avions militaires Bréguet de reconnaissance, équipés de moteurs Farman,
en mai 1926 85.
Le 5 mai 1927, le Home Office ordonne une perquisition dans
l’immeuble londonien abritant la société Arcos et la délégation commer-
ciale soviétique. Des documents militaires britanniques ont été dérobés
par des espions soviétiques. Car si l’accord commercial anglo-soviétique
de 1921 reconnaît l’immunité diplomatique au chargé commercial sovié-
tique et à ses collaborateurs de la délégation commerciale, il ne protège
pas les employés de l’Arcos. Côté anglais, l’enjeu de l’incident s’inscrit
dans le juste calcul des intérêts économiques et financiers qu’engage le
maintien ou la rupture des relations anglo-soviétiques. Or, la perquisition
provoque un incident diplomatique qui est débattu, le 26 mai 1927, à la
Chambre des communes. Selon une analyse défendue par le cabinet du
ministre de la Guerre Paul Painlevé, la rupture aurait été imposée par les
intérêts pétroliers dont ceux d’Henri Deterding, puissant président de la

83. SHD/DAT 7NN 2 228, note de la SCR du 27 novembre 1923 au sujet de


l’Arkos en Grande-Bretagne.
84. SHD/DAT 7NN 2 228, note du 11 mai 1926 sur les opérations du commis-
sariat du commerce extérieur soviétique par la délégation commerciale en France.
85. Ibidem, note nº 4687 au sujet d’une commande d’avion Bréguet par le gou-
vernement d’URSS, 20 mai 1926.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

Royal Dutch Shell. Depuis 1922, un projet d’accord secret entre Deter-
ding et Moscou avait promis le monopole d’exportation du pétrole russe
à la compagnie anglaise, au grand mécontentement de la Standard Oil
américaine. Révélée par un journal français, l’affaire avait alors échoué et
l’embargo sur le pétrole russe fut maintenue jusqu’en 1926 86. L’affaire
Arcos intervient précisément au moment de la tentative de reprise des
échanges commerciaux entre Londres et Moscou. Les échanges entre la
City et les soviétiques ont conduit à l’accord de crédits de la West-
minster Bank à l’URSS pour acheter de l’outillage industriel. L’heure est
au rapprochement et à la reconstruction économique de la Russie avec
le lancement de la nouvelle politique économique (NEP). Après quatre
années de blocus international financier de la Russie soviétique, cette
décision marque un tournant. L’intervention de Llyod George, interpel-
lant le Premier ministre Neville Chamberlain, replace l’enjeu dans son
contexte économique. Des accords français et anglais permettent
d’importer du pétrole russe par la Russian Oil Cy, aidée par Arcos. Le
raid sur Arcos tombe après la signature du contrat que les Soviétiques
menacent de rompre désormais. Cela signifierait que les emprunts se
feraient auprès des banques françaises, mais non anglaises. Aussi Paul
Painlevé souhaite-t-il préserver les relations économiques avec la Russie
en mai 1927, sans s’appesantir sur l’affaire Arcos 87. Accessoirement, les
services français prennent conscience des contournements de l’embargo
sur les produits pétroliers soviétiques vers l’Europe à la fin de l’année
1927. La Société espagnole de pétrole de Porto Pi et la Société fermière
espagnole du monopole du pétrole rivalisent pour acheter les mêmes
cargaisons 88.
En définitive, l’affaire Arcos apparaît aux yeux des services français
comme une nouvelle preuve des menées soviétiques en France en
1926-1927. Arcos n’est que la couverture commerciale de l’espionnage
soviétique, économique comme politique. L’URSS n’en eut que plus de

86. Daniel Yergin, Les Hommes du pétrole, tome 1, Les fondateurs, Paris, Stock,
1991, p. 156-162 sur la pénétration de la Royal Dutch Shell en Russie, en Roumanie
et au Caucase avant 1914.
87. AN Fonds Paul Painlevé 313 AP 226, note de l’économiste Francis Delaisi à
Paul Painlevé, ministre de la Guerre, au sujet des relations entre l’URSS et la
Grande-Bretagne, novembre 1927, p. 2.
88. SHD/DAT 7NN 2 648, note de renseignement (source bien informée) du
2 février 1928 au sujet des pétroles soviétiques en Espagne.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

mal à maintenir sa représentation commerciale en France, qui passa de


400 à 200 personnes en 1932 et la revue mensuelle La Vie économique
des soviets ne paraît plus à partir d’octobre 1931. La création d’une
chambre de commerce franco-russe en juillet 1931 n’y change rien, car
les milieux d’affaires ne veulent plus escompter les traites soviétiques en
France 89. Le cas soviétique démontre les limites d’un renseignement éco-
nomique bridé par les motivations essentiellement idéologiques et mili-
taires. Cet espionnage est tourné vers les secrets de l’industrie militaire
dans les années 1930.

Le Japon, un espionnage commercial et d’État


Depuis 1919, les échanges de renseignement entre alliés signalent
l’organisation précoce d’un renseignement militaire et commercial
japonais en Europe. En 1923, le ministère des Affaires étrangères
japonais utilise déjà son réseau diplomatique pour animer l’espionnage
commercial. En mars 1925, le caractère systématique de l’espionnage
naval alerte Menzies. Le chef de la branche militaire de l’Intelligence Ser-
vice appelle les services de Lainey à une coopération étroite : « Je suis sûr,
dit-il que l’action s’exerce sur l’activité navale anglaise aussi bien que
française 90. » Pour les Britanniques, l’enjeu est de neutraliser un espion-
nage naval, dont le centre serait à Paris, animé en 1925 par l’attaché
naval adjoint Izawa 91. Les échanges d’informations entre les services
français et anglais se prolongent au moins jusqu’en 1927 92. La particula-
rité tient à ce que le renseignement militaire japonais s’élargit très vite à
un espionnage commercial caractérisé. En mai 1929, la SCR fait valoir
que l’organisation des services secrets japonais en Europe est officielle :
« Les bureaux des attachés militaire et navals, sont les centres déterminés
d’organisation d’espionnage, tandis que l’espionnage commercial et politique est
sous le contrôle d’un personnel civil. Les consuls de nationalité japonaise font de

89. SHD/DAT 7NN 2 228, note de la SCR du 30 janvier 1932 sur les diffi-
cultés des échanges commerciaux avec les soviets.
90. SHD/DAT 7NN 2 248, lettre de Menzies à Lainey, chef de la SR-SCR,
9 mars 1925
91. SHD/DAT 7NN 2 248, lettre de Menzies à Lainey du 6 juin 1925 au sujet
de Margoulisse.
92. Cf. supra chapitre 5 sur les relations secrètes franco-anglaises dans les années
1920.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

l’espionnage civil sous la direction de ce personnel et font office d’agents de


liaison 93. »
Et de rappeler que plus d’une centaine d’officiers faisant des
recherches pour le compte des ministères de la Guerre et de la Marine
japonais sont en Grande-Bretagne en 1929. Les attachés militaires cen-
tralisent le renseignement obtenu dans les légations diplomatiques
(Berlin, Vienne, Rome, Paris) avant de les adresser à Tokyo par la valise
diplomatique et par des télégrammes chiffrés. Les années 1925-1927
connaissent donc un développement sans pareil de l’espionnage japonais
en France, attesté par l’arrivée de nombreux Japonais qui ne sont pas sus-
pectés d’espionnage avant le milieu des années 1930. La Sûreté générale
glane occasionnellement des renseignements sur les marchés nippons
passés avec l’étranger. Ainsi, l’approvisionnement de l’armée nippone par
les fabriques métallurgiques de Lübeck et les sociétés textiles de Neu-
münster n’échappe pas au commissaire spécial des ponts et des ports de
Strasbourg en mars 1932 94. L’Allemagne n’en est pas moins également
victime d’un espionnage japonais caractérisé dans le domaine aéronau-
tique. En juillet 1933, quatre Japonais sont arrêtés aux usines Junkers de
Dessau. L’attention de l’opinion publique allemande est attirée par cette
situation qui ferait perdre 800 millions de marks par an à l’Allemagne.
Au point qu’une inspection spéciale a été créée à la police criminelle de
Berlin qui recense 1004 cas d’espionnage industriel depuis 1930 95.
En 1935-1936, la surveillance des sociétés japonaises par les services
spéciaux s’intensifie en France. Les personnels civils et militaires de la
légation militaire japonaise de Paris en sont la première cible. Le rôle du
colonel Kato, attaché militaire à partir de 1936, et de son entourage
apparaît bien vite dans un espionnage sans cesse aggravé jusqu’en 1939,
des matériels d’armement français. Le contact existe alors entre les léga-
tions diplomatiques et les agents des entreprises japonaises ayant des suc-
cursales à l’étranger. Subventionnées par des contrats avec leur

93. SHD/DAT 7NN 2 248, note de renseignement au sujet des services de ren-
seignement japonais, SCR, mai 1929 (source généralement très bonne) et dossier sur
les activités de l’attaché militaire à Paris, 1917-1938.
94. AN F7 13 429, note du commissaire spécial d’Annemasse du 2 mars 1932
sur des informations du commissaire spécial des ponts et des ports de Strasbourg,
2 mars 1932.
95. SHD/DAT 7NN 2 276, note de renseignement du poste de La Haye à la
SCR/EMA2 du 7 juillet 1933 au sujet de l’espionnage industriel en Allemagne.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

gouvernement, les entreprises acquièrent des informations commerciales


et industrielles, transmis aux légations, puis adressées dans un second
temps à leur maison mère à Tokyo. Le cas est établi en septembre 1938,
certifiant les échanges entre un représentant de la Mitsubishi à Paris,
Ono, et la légation militaire à Paris 96. Les grandes firmes japonaises tra-
vaillent à l’étranger en liaison avec leur gouvernement. Pourtant, cette
alliance n’est pas aussi spontanée qu’on a pu le croire, tant les entreprises
japonaises craignent l’étouffement de l’économie par la tutelle militaire
à la fin des années 1920. Au début des années 1930, l’économie nip-
pone est marquée par une forte concentration, à l’instar de la firme
Mitsui qui produit 92 % de fer, 90 % du pétrole, 70 % du plomb, 30 %
de l’armement et contrôle 40 % du commerce extérieur japonais. Le trust
Mitsubishi règne alors sur les principaux chantiers navals et la produc-
tion de l’étain 97. L’alliance des Zaibatsu avec le parti militaire au pou-
voir ambitionne de tirer parti de l’expansionnisme économique en Asie
et dans le monde. Des observateurs contemporains en soulignent la force.
Dans un essai très argumenté paru en 1935, Antoine Zischka porte son
regard sur la collusion entre le pouvoir, les Zaibatsu et les structures de
renseignement publiques et privées.
« Les frères et les gendres des hommes d’affaires sont des ministres, des
députés, des hauts fonctionnaires. Ils font passer des lois, que le bureau écono-
mique du Keisai club ou le célèbre bureau de recherches économiques de la firme
Mitsubishi ou le service de renseignement de la Mitsui Gomei Kaisha ont éla-
borées. Au Japon, les clubs et les associations, les bureaux de recherches travail-
lent pour leur maîtres en même temps que pour la nation 98. »
Les corporations et les associations, qui ont érigé Mitsui et Mitsubishi
en véritables fers de lance de l’expansion japonaise, animent le Keizai
Club qui fonctionne tel un vaste service de renseignement économique,
analysant les statistiques, les productions, les marchés… pour élaborer
des plans d’expansion économique.
L’imbrication des services de renseignement militaires japonais avec
les moyens d’investigation économique des grandes firmes

96. SHD/DAT 7NN 2 248, note de renseignement (source sûre), 23 septembre


1938, Colonies à SCR.
97. Roger Faligot, Naisho, enquête au cœur des services secrets japonais, Paris, La
Découverte, 1997, p. 51-54.
98. Antoine Zischka, Le Japon dans le monde. L’expansion nippone 1856-1934,
Paris, Payot, 1934, p. 49-51.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

– essentiellement Mitsui et Mitsubishi – travaillant à l’exportation est


connue depuis le début des années 1920 99. Mais les dirigeants français
ne soupçonnent pas alors son ampleur et son efficacité. Ce renseigne-
ment est essentiellement industriel et commercial, tourné vers la pénétra-
tion des secrets technologiques. Cette disposition justifie la surveillance
des services japonais prêts à dérober des brevets industriels ou à percer
des procédés techniques de fabrication en visitant les usines d’armement.
La recherche de la nouveauté dans les productions navales et aéronau-
tiques excite le regard japonais. Les services japonais utilisent plusieurs
types d’agents : des agents permanents, soit d’anciens militaires japonais ;
des agents temporaires, recrutés parmi les nationaux dans le pays
espionné et bien rétribués ; des agents pour des cas spéciaux, très bien
rétribués. Enfin la solidarité des Japonais s’exerce dans le monde pour
s’informer au profit de leur pays 100. Ainsi certaines firmes puissantes
recrutent-elles des Français dans leur service d’investigation, en liaison
avec les représentants diplomatiques japonais. Les officiers et les agents
camouflés relèvent très directement du personnel spécialisé en ambas-
sade. Avant 1939, trois sociétés japonaises Mitsubishi, Foukokou,
Bussan-Mitsui se sont, pour l’essentiel, livrées à des actes d’espionnage
économique en France. Le 2e bureau a orienté sa surveillance vers ces
entreprises, en liaison avec l’attaché militaire français au Japon.
Fondée en 1873 dans le domaine des transports, par un homme
d’affaires du seigneur de Toja, Yatoru Iwasaki, la société Mitsubishi en a
accaparé le monopole auprès du gouvernement japonais en lui offrant des
taux rémunérateurs 101. Elle étend alors ses activités à la navigation et à
la banque. Le trust, au capital de 4 milliards de yens en 1939, a connu
un développement international 102. Pour faciliter ses activités maritimes,
elle crée un réseau de firmes d’import-export et de banques. Sa filiale
parisienne s’est spécialisée dans l’armement, le commerce de perles et le
caoutchouc. Celle-ci possède des agences à Paris, Lyon et Casablanca. Les

99. SHD/DAT 7NN 2 248, documents sur l’espionnage japonais en Europe,


1919-1937.
100. SHD/DAT 7NN 2 248, note des autorités britanniques, Vladivostock, AF
nº 3455, 13 mai 1919, transmis à la SCR, 2e bureau EMA.
101. Claude Hamon, Le groupe Mitsubishi 1870-1990. Du zaibatsu au keiretsu,
Paris, L’Harmattan, 2000, p. 15-25.
102. Antoine Zischka, op. cit., p. 27-31.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

archives de la filiale française de Mitsubishi mettent en relief son impor-


tant développement en France 103. Le 2e bureau de l’EMA n’a commencé
à suivre ses investigations qu’au milieu des années 1930 104. Mitsubishi
s’efforce de se procurer les licences d’avions fabriqués en France. La fabri-
cation de moteurs de pointe intéresse certes plus largement l’espionnage
allemand, italien, soviétique en France. La protection des brevets techno-
logiques accule la firme japonaise à espionner en France. Au printemps
1935, le contre-espionnage français identifie un photographe nommé
Chiljian, suspecté de travailler pour Mitsubishi. Ce photographe profes-
sionnel effectue des photographies rémunérées du matériel militaire
français. En effet, la mise sous scellés de cinquante-huit pellicules photo-
graphiques dans son atelier dévoile la curiosité japonaise : des moteurs
d’aéroplanes, des automobiles à chenilles, des canons de tranchée, des
pièces d’avions et des avions sont photographiés 105. Le bréviaire de
l’espion professionnel dans les industries d’armement est réuni. Inter-
pellé, l’homme se défend en arguant qu’il honore une commande de la
société Mitsubishi qui travaille avec lui depuis plus de dix ans 106. L’iden-
tité du capitaine de frégate Oto est levée. Il est venu expressément du
Japon pour espionner les armements français en liaison avec la maison
Mitsubishi, utilisée de 1935 jusqu’au début de la guerre. L’opération est
neutralisée. Ce n’est que la première.
En 1938, la société Foukokou est dirigée par le Japonais Hibiki et un
administrateur français, Nègre, spécialisée sur les fabrications de guerre.
Par son entremise parviennent à l’ambassade du Japon d’importants ren-
seignements sur l’armement français. Leurs agissements sont révélés
publiquement, lors de l’arrestation de l’ingénieur Yotsumoto, collabora-
teur de l’attaché militaire japonais. En effet, la création en 1937 d’une
section technique d’interception des communications, baptisée
« Nemo », permet d’écouter le personnel japonais suspecté d’espionnage.

103. AN 34 AQ 5 à 7, archives de l’entreprise Mitsubishi, procès-verbaux du


conseil d’administration et 34 AQ 68 à 77, affaires commerciales avec le Japon.
104. SHD/DAT 7NN 2 653, dossier nº 12 143 SCR/EMA2 sur la société Mit-
subishi, 1935-1942.
105. SHD/DAT 2 239, affaire Marthe Moreuil : espionnage contre l’aviation
militaire, centres d’Istres et de Berne, 1925-1939.
106. SHD/DAT 7NN 2 653, note de la SCR sur la maison Mitsubishi et arrivée
à Paris du capitaine de frégate Oto pour examiner les armements mis au point par
l’industrie française (canons de 20 mm pour ailes d’avion), mai 1935.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

On se rappelle que le gouvernement de Léon Blum a autorisé la mise sur


écoute des ambassades étrangères depuis l’été 1936. Ces écoutes sont sus-
ceptibles de faciliter la surveillance des activités et des déplacements des
ingénieurs de la société Foukokou dont Hibiki durant l’été 1938. La sur-
veillance de son entourage et des communications établit la preuve de
contacts de l’attaché militaire avec la firme Foukokou pour acheter des
licences d’exploitation de masques à gaz. La même recherche est faite
avec les sociétés Brandt et Schlumberger ou la Société industrielle
d’exploitation 107. Descendus à l’hôtel Massenet à Paris, les experts de la
firme Sumitano, spécialisée dans les fournitures de l’armée japonaise,
sont ainsi pris en filature par les renseignements généraux de la préfecture
de Police en juillet 1938 108. Grâce à ces écoutes, l’ingénieur japonais Yot-
sumoto est arrêté le 10 février 1939, à l’instant où il doit gagner Marseille
pour livrer au commandant d’un navire japonais les documents qu’il a
pu obtenir sur la fabrication de moteurs d’avions Gnome et Rhône de
type 14M, placés dans une valise diplomatique 109. L’affaire n’est pas
ébruitée à quelques mois de la guerre. Elle confirme cependant l’ampleur
et le caractère méthodique d’un espionnage industriel qui lie étroite-
ment le personnel militaire et diplomatique japonais à des agents payés
pour dérober des plans, des licences industrielles et des secrets technolo-
giques nationaux. L’espionnage de la firme et son activisme commercial
se concentrent sur le matériel militaire, sans doute en liaison avec l’Alle-
magne depuis 1935.
La société Bussan, firme de Mitsui, de 1935 à 1939, est un autre
acteur majeur de l’espionnage nippon en France. Depuis mai 1935, le
gouvernement Laval a pris conscience des activités d’espionnage caracté-
risé de la filiale du grand groupe Mitsui. Fondée en 1923, la société fran-
çaise Bussan, à laquelle la SCR consacre un dossier à partir de mai 1935,
fait officiellement commerce de produits alimentaires, de soieries et de
porcelaines japonaises. En réalité, elle se livre à un espionnage industriel

107. SHD/DAT 7NN 2 248, note de renseignement du 20 août 1938 sur la


mission militaire du colonel Imamura à Paris.
108. SHD/DAT 7NN 2 248, note de la SCR nº 5394 sur la surveillance de la
mission de la firme Sumitomo, 28 juillet 1938.
109. SHD/DAT 7NN 2 175, note de renseignement de la SCR nº 9686 du
13 août 1939 récapitulant l’historique du dossier. Le dossier comprend aussi la cor-
respondance du président du Conseil, du ministre de la Guerre et du juge d’instruc-
tion militaire sur l’instruction militaire d’une affaire de vol de plans secrets.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

très subtil qui a longtemps écarté les soupçons, puis brouillé la surveil-
lance dans les années 1923-1935. En avril 1935, un premier rapport
alerte les autorités françaises sur l’espionnage commercial et militaire de
la société en France et dans ses colonies, pour le compte du gouverne-
ment japonais 110. Une enquête est diligentée par le contre-espionnage
militaire en liaison avec la Sûreté générale. Le groupe, qui a de nom-
breuses succursales en Europe et en Extrême-Orient, approvisionne le
Japon en houille, en matières premières (minerais et métaux) pour les
industries de défense et en produits agricoles. Entre 1935 et 1939, les
usines métallurgiques et d’aviation sont sa première cible 111. Le rensei-
gnement commercial qu’il pratique est agressif. Les entreprises françaises,
spécialement en Indochine, découvrent sa concurrence. Les prix des pro-
duits, la nature des importations et des exportations françaises, la sur-
face des terres cultivées en riz, maïs, caoutchouc et les mines des pays de
l’Union indochinoise constituent des informations économiques. Le
bureau de Hong Kong de la Bussan suit l’Indochine. La firme est pré-
sente au Tonkin, en liaison avec la société de charbonnage Hongay et les
sociétés minières japonaises. Sa flotte commerciale assure l’importation
des produits indochinois depuis le port d’Haiphong dans les années
1930. En 1937, le colonel Kato, attaché militaire à Paris, charge la
Bussan de représenter le gouvernement japonais pour négocier l’achat de
110 avions bombardiers. Mais les conditions posées (livraison sous huit
mois) interdisent la conclusion du marché, finalement passé avec l’Italie.
En janvier 1938, la SCR est en mesure de prouver que la société appointe
deux agents français aux usines Gnome et Rhône d’une part, au minis-
tère de l’Air d’autre part 112. Des informations de source sûre ont en effet
permis de connaître les dépenses du bureau de l’attaché naval japonais à

110. SHD/DAT 7NN 2 105, notes de la direction des affaires politiques du


ministère des Colonies au 2e bureau EMA, au sujet de la firme Bussan, filiale de
Mitsui, 13 avril 1935, mai 1935-juillet 1939. Roger Faligot, op. cit., p. 113.
111. SHD/DAT 7NN 2 105, note nº 3229 de la SCR 2e bureau EMA du 4 mai
1935 (bonne source avril 1935) sur les agissements suspects de la société Bussan. La
rémunération serait de 3 500 F.
112. SHD/DAT 7NN 2 105, note de la SCR du 19 janvier 1938 signalant des
agents français de la Bussan.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

Paris, identifiant des versements à la société Bussan 113. Dès lors, l’écoute
et la surveillance du bureau naval japonais à Paris ne vont plus cesser et
dévoiler progressivement le réseau d’agents français et étrangers se livrant
à de l’espionnage industriel ainsi que les chargements de matériel par la
Bussan à Marseille 114. L’enquête progresse rapidement en février 1938,
grâce à une dénonciation permettant d’identifier les agents de nationalité
française 115. Le témoignage éclaire la situation :
« Les relations de cette société avec le bureau militaire de l’ambassade du
Japon sont certaines. Paul V., ingénieur au service des fabrications aéronautiques
et actuellement directeur de l’arsenal de l’air, qui passe pour être appointé par
la société Bussan, a eu de fréquents rapports avec le colonel Kato. V. aurait été
en relation avec Yvette D., inculpée d’espionnage dans l’affaire actuellement ins-
truite par le tribunal militaire de Paris. B., ingénieur de Gnome et Rhône, a
négocié en 1929 l’achat par la maison Bussan de moteurs K19 et serait à la solde
de cette firme. Il a été signalé, en août 1938, de source excellente que la société
Bussan avait sur les échéances d’août 1938 de l’attaché naval japonais une
créance de 34 290 livres sterling en contrepartie d’une livraison d’un motor
compressor 116. »
Ce faisceau de présomptions ne fait pas naturellement des preuves à
charge. Et l’absence de procès ultérieur rend difficile la caractérisation des
actes commis. À la fin de l’année 1939, la culpabilité de V. n’est pas
prouvée. Il a interrompu ses relations avec les milieux d’affaires et mili-
taires japonais qu’il entretenait depuis l’accueil fait à Paris à la mission
militaire du général Hito en 1935. Ses relations suspectes n’ont pas été
démontrées. Dans le même temps, les agents japonais de la Mitsui-
Bussan sont peu à peu identifiés en France, dans les colonies françaises,
au Proche-Orient et en Indochine. Leur activité est partiellement enrayée
quand la guerre éclate 117.

113. Ibidem, note de renseignement de la SCR (source sûre. Colonies) du


1er septembre 1938. En août 1938, le bureau de l’attaché naval a dépensé 480 000 F
hors les 151 000 F de salaires et 34 290 livres à la société Bussan.
114. Ibidem, note de la SCR du 4 novembre 1938 au sujet de cargaison de
25 tonnes régulières prévues jusqu’en mars 1939.
115. SHD/DAT 7NN 2 105, note SCR donnant le compte rendu du lieutenant
Mayeur recevant le témoignage du docteur Remondy ayant eu les confidences d’une
de ses patientes, employée de la société Bussan, 1er février 1938.
116. SHD/DAT 7NN 2 105, note nº 1168 de la SCR/EMA2 du 29 juillet 1939
sur les agents français de la Bussan. L’identité des individus non condamnés par la
justice est systématiquement masquée par nos soins.
117. SHD/DAT 7NN 2 105, notes nº 10792 SCR/EMA2, avril 1940.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

En définitive, l’espionnage commercial et industriel japonais a connu


deux périodes en France. De 1919 à 1929, l’espionnage est principale-
ment militaire, s’orientant d’abord vers le renseignement naval après la
conférence de Washington de 1922 comme l’atteste la coopération des
services de renseignement français et anglais, à l’initiative de Londres en
1925. L’implantation des services secrets japonais, civils et militaires,
s’accélère entre 1922 et 1925, prenant appui sur des Japonais qui rési-
dent déjà en France. Les firmes aéronautiques françaises fabriquant du
matériel militaire, à l’instar de Bréguet, commencent à intéresser les
firmes japonaises, en liaison avec les représentations diplomatiques en
Europe. Au milieu des années 1930, l’espionnage commercial japonais se
renforce par une étroite combinaison des achats d’armement par ses mis-
sions diplomatico-militaires et des activités des sociétés Mitsubishi et
Mitsui-Bussan, en France et dans son empire colonial. Le pic de cette
activité se place en 1935-1939, révélant l’existence de réseaux d’agents
français et japonais employés par ces firmes, mais également liés au per-
sonnel militaire et diplomatique. Les sociétés fabriquant du matériel mili-
taire et les sociétés d’import-export de matières premières et de produits
agricoles, notamment dans l’empire, concentrent cet espionnage. C’est
bien l’espionnage industriel et militaire d’un pays qui est déjà en guerre
en Asie depuis 1937.

L’Allemagne : les cas Siemens et AEG à la fin des années 1930

Un enjeu technologique

Par le jeu des accords industriels et des cartels, un espionnage plus


subtil menace des intérêts privés, et, parfois, nationaux. Lorsqu’il inté-
resse des secteurs sensibles de la Défense nationale, le renseignement
d’État assume un rôle défensif, a fortiori face au régime nazi. À ce titre, la
situation des filiales françaises des firmes AEG et Siemens est singulière.
Le 20 octobre 1937, le lieutenant-colonel Rivet adresse au ministre de la
Guerre un dossier consacré aux filiales de la société Siemens en France.
La collusion de représentants de Siemens avec le renseignement alle-
mand est soulevée, notamment après la condamnation en Suisse d’un
représentant lié à l’Abwehrstelle de Munich en 1936. Les liens de

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

nombreux ingénieurs de la Siemens avec la revue suisse Inter-Avia aggra-


vent les soupçons. Il y joint une note brève alarmiste :
« Une collusion existant entre le SR d’outre-Rhin et la société en question,
qui contrôle effectivement un domaine immense de notre économie, capital pour
notre Défense nationale. Cette importante question, par son étendue et par son
caractère exceptionnel, dépasse largement la compétence stricte de l’état-major de
l’armée. Il semble qu’elle serait utilement soumise au cabinet du ministre 118. »
Un dossier complet reprend des éléments d’enquête, dont la pre-
mière pièce date de janvier 1919 119. En 1924, la société Siemens et Schu-
kert, créée avant la guerre, est déjà soupçonnée de se livrer à des activités
de renseignement économique et commercial au Luxembourg, sans véri-
tables preuves toutefois 120. En 1926, la filiale française est transformée en
société anonyme avec une direction comptant les Allemands Paul Guns-
burg et Henri von Busch, secrétaire général, le Suisse Alfred Sontheim,
l’Argentin Italo Castelli. En 1928, elle aurait passé un accord avec la
Compagnie générale de téléphone et télégraphie (CGTT), devenant une
succursale de Siemens-France, pour masquer l’origine allemande des pro-
duits électriques vendus en France 121. La CGTT compte dans son
conseil d’administration deux directeurs de Siemens de Berlin, Arthur
Zimmermann et Richard Diercks. Les services techniques sont dirigés par
des ingénieurs de Siemens-France, Schwartz et Novotnik. Or, dans
l’esprit d’une intégration européenne voulue par Briand, les projets d’une
Europe des producteurs étaient allés très loin dans le domaine industriel
entre 1929 et 1931. Les discussions économiques franco-allemandes de
1931-1932 débouchent ainsi sur des tentatives de coopération écono-
mique franco-allemande par des ententes et des cartels, recherchés par

118. SHD/DAT 7NN 2 137, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet, chef de


la SR-SCR/EMA2 au cabinet du ministre de la Guerre du 20 octobre 1937 au sujet
de la société Siemens. Sur l’ambiance de l’époque, un témoignage engagé de Michel
Debré, in René Rémond, Jeanine Bourdin (dir.), Édouard Daladier, chef de gouver-
nement, Paris, PFNSP, 1977, p. 196-197.
119. SHD/DAT 7NN 2 137, dossier sur la société Siemens contenant des pièces
datées de 1919 à 1937.
120. SHD/DAT 7NN 2 137, note nº 1399 de la SCR/EMA2 du 30 janvier
1924 (bonne source) au sujet de Rudolph W., agent de la firme Siemens et Schukert,
suspect d’espionnage.
121. Éric Bussière, op. cit., p. 307-308 sur la Belgique, carrefour des alliances
industrielles électriques.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

branche industrielle 122. En 1931, les ministères français des Affaires


étrangères et du Commerce parrainent un accord passé entre AEG,
Siemens et six sociétés françaises. Ces sociétés françaises sont la société
Alsthom, la Société générale d’électricité, la Compagnie électro-méca-
nique, la Société de matériel électrique du Sud-Ouest, la Société de
constructions électriques de France (absorbée ensuite par Alsthom), la
Compagnie des câbles Bouchery. L’accord donne naissance à l’Office
franco-allemand de matériel électrique pour contrôler les conditions de
fonctionnement de la convention franco-allemande passée en mars 1931.
Il doit faciliter la coopération des industries françaises et allemandes dans
la construction du gros matériel électrique. Il s’agit en réalité de favoriser
les exportations françaises vers le marché allemand par l’accord entrant en
vigueur le 1er mai 1931 123.
Les enquêtes partielles de 1934 et 1935 sur la filiale française de
Siemens restent sans suite. Depuis le 24 juin 1935, la situation de
Siemens est connue par l’état-major de l’armée et la direction du contrôle
du ministère de la Guerre. En septembre 1935, plusieurs départements
ministériels français sont prévenus. La Siemens-France a pris part à de
nombreux marchés publics en France, parmi lesquels l’installation de
lignes téléphoniques et d’infrastructures nationales de transport d’énergie
électrique avec du matériel allemand. Or, la société Siemens-France
touche à de multiples branches de l’économie française depuis la fin de
la Grande Guerre. Ces conclusions n’ont certes pas de caractère inédit en
1937. Toutefois, des arrestations d’ingénieurs et de représentants
commerciaux de la Siemens-France en Suisse en 1935 relancent les inter-
rogations françaises. L’hypothèse d’un espionnage commercial caractérisé
prend forme pour le contre-espionnage français. Le 3 novembre 1937, le
secrétariat général de la présidence du Conseil demande une enquête à
la direction du contrôle du ministère de la Guerre sur Siemens. Des
mesures restrictives sont proposées par la direction du contrôle après la

122. Sylvain Schirmann, Les Relations économiques et financières franco-allemandes


1932-1939, op. cit., p. 20-24, notamment sur les discussions de la commission éco-
nomique franco-allemande à partir de l’automne 1931.
123. SHD/DAT 7NN 2 137, lettre confidentielle du ministre du Commerce et
de l’Industrie au ministre de la Guerre du 25 novembre 1935 au sujet de l’accord de
1931 créant l’Office franco-allemand de matériel électrique.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

réunion du 10 novembre 1937 124. En réalité, les sociétés allemandes sont


exclues des marchés de la guerre par une décision du ministère de la
Guerre du 20 mars 1936. Les sociétés affiliées à l’Office franco-alle-
mand de matériel électrique ont une autorisation temporaire de partici-
pation aux marchés. Les filiales suspectes et les sociétés exploitant en
France la licence Siemens sont recherchées. Les administrateurs des
sociétés affiliées à l’Office franco-allemand font l’objet d’une enquête. Le
rôle de l’Office doit être éclairé. Les mesures contre les sociétés alle-
mandes sont finalement arrêtées, transmises à la présidence du Conseil.
Au cours de leur enquête, les soupçons des services spéciaux militaires se
confirment. Un an plus tard, ils se portent sur le directoire de Siemens-
France. Fondé de pouvoir en 1937, Castelli est suspecté d’espionnage
commercial par le ministère de la Marine 125. Von Busch, secrétaire
général puis directeur commercial, est considéré comme responsable de la
coordination de l’espionnage commercial en France en 1937, notamment
sur les appareils de téléphonie. L’enquête française provoque son rappel
à Berlin. Il est remplacé par le sous-directeur commercial, L. Gasteyer à
la mi-novembre 1937. Le conseil d’administration apparaît comme étant
une « couverture ». Il est présidé par le général Léon Gaucher, avec pour
vice-président l’Allemand Ludwig von Winterfeld. Paul Gunsburg en est
administrateur délégué. Les autres administrateurs sont l’Allemand Erich
Thuermel, les Français Henri Barre, Paul Dufour, Edmond Faffineau et
Georges Gaillard.
Les éléments démontrant un espionnage économique n’emportent
toutefois pas définitivement la conviction du contre-espionnage français,
en dépit d’un contexte international très défavorable à l’image de l’Alle-
magne nazie. En effet, les activités de Siemens sont considérables dans les
secteurs de l’électricité, avec la fabrication et l’installation d’appareils de
télégraphie, de téléphone, des chemins de fer, des tramways, des centrales
électriques… L’importation de matériel électrique allemand, à savoir des

124. SHD/DAT 7NN 2 714, procès-verbal de la réunion du 10 novembre 1937


à la direction du contrôle du ministère de la Guerre au sujet de l’affaire Siemens. Y
participent le directeur du contrôle du ministère de la Guerre, le général Alleau,
directeur du génie, le général Dentz, sous-chef de l’état-major de l’armée et le capi-
taine Paillole du 2e bureau SR-SCR.
125. SHD/DAT 7NN 2 137 nº 7130 du président du conseil, ministre de
l’Intérieur, direction de la Sûreté nationale du 4 juin 1935 au ministre de la Guerre
au sujet d’une notice sur les sociétés Siemens France et AEG.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

câbles, des isolateurs, des centraux téléphoniques et télégraphiques,


monté dans les usines en France pour le compte des PTT, se fait au
profit d’administrations ou de municipalités françaises. Les inquiétudes
françaises sont évidemment multiples. Ces secteurs d’activités intéressent
la Défense nationale. En outre, la soumission des plans des chantiers,
obtenus par la maison mère de Siemens à Berlin, achève d’alerter les ser-
vices spéciaux français sur le contrôle de secteurs sensibles de l’économie
touchant à la Défense nationale. La crainte d’un espionnage industriel et
d’un contrôle de l’entreprise par le régime nazi se fait jour, sans qu’elle
soit néanmoins fondée sur des éléments d’enquête implacables. Les ser-
vices spéciaux militaires n’apportent pas de preuves intangibles. Dans la
note qu’il consacre aux services de renseignement allemands en janvier
1938, le commandant Schlesser reprend les accusations contre les firmes
Siemens-France. Il y ajoute, sans enquête supplémentaire toutefois, la
liste de ses succursales dans le monde 126.

Le gouvernement français réagit en 1937-1939


Alerté depuis le 4 novembre 1937, Édouard Daladier, ministre de la
Défense nationale, informe par une lettre la présidence du Conseil le
20 novembre en faisant état des conclusions de la réunion du
10 novembre. Le 2 février 1938, il prend alors une décision détermi-
nante. Après avoir adressé le dossier réalisé par les services spéciaux à la
présidence du Conseil le 21 janvier 1938, il demande aux différents
départements ministériels l’exclusive contre la société Siemens et trois
autres sociétés à intérêt allemands. Il la justifie par la prédominance des
intérêts allemands dans cette société et par ses liens avec les services de
renseignement allemands avancés par la Sûreté nationale. Siemens-
France est désormais exclue des marchés de l’État. Le dossier a été étudié
à l’initiative du secrétariat général par les directions du contrôle et du
contentieux à l’EMA. En mars 1938, l’interrogation des ministères porte
sur l’extension de la mesure aux six filiales françaises. Elles ont en réalité
des conseils d’administration indépendants, majoritairement composés
de Français. En outre, des marchés publics sont passés par l’État pour la
fourniture de matériels électriques avec cinq de ses sociétés ayant de fait

126. SHD/DAT 7NN 2 737, note nº 190 de la SCR/EMA2 du 12 janvier 1938


sur les services de renseignement allemands.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

un monopole en France 127. En mars 1938, la présidence du Conseil


demande son avis à Édouard Daladier, dont le cabinet suit, de fait, le
dossier durant tout le printemps 1938 128. Le général Gaucher, président
du conseil d’administration, fait une intervention auprès de la présidence
du Conseil le 11 mai 1938 129. À tort, il attribue alors cette décision au
procès intenté par Siemens-France aux établissements Henri Lepaute.
Pourtant, le Conseil supérieur de la guerre est chargé, le 17 mai, d’étu-
dier les dispositions à prendre pour éviter au ministère d’être tributaire
de l’industrie électrique allemande. Le secrétariat général de la présidence
du Conseil se retourne le 21 juin 1938 vers la direction du contrôle du
ministère de la Guerre qui confirme le bien-fondé des mesures prises. Les
preuves détenues par les services spéciaux ne peuvent être divulguées au
général Gaucher, par crainte d’une adaptation des services allemands aux
dispositions retenues. Ces dernières sont justifiées par le fait qu’elles tou-
chent des sociétés étrangères.
Le dossier de Siemens et d’AEG lève un voile sur les structures mêmes
du capitalisme allemand antérieur. Siemens conçoit une structure déci-
sionnelle double. Constituée exclusivement d’étrangers, la direction
managériale est dans des mains allemandes. Le conseil d’administration
est présidé par une personnalité française et des représentants des milieux
d’affaire français et étrangers. À Berlin, la maison mère Siemens contrôle
la direction des succursales et des filiales, quand le président du conseil
d’administration représente officiellement la société dans les négocia-
tions avec l’État en France 130. Ce type d’organisation décisionnelle relève
de l’évolution du capitalisme allemand avant 1914. L’entre-deux-guerres
en renforce la logique pour favoriser une intégration capitalistique verti-
cale. La crainte française de la menace d’un monopole allemand dans les

127. SHD/DAT 7NN 2 714, note du secrétariat général de la présidence du


Conseil sur les filiales de la société Siemens en France, 13 avril 1938.
128. SHD/DAT 7NN 2 714, note du ministre chargé de la coordination des ser-
vices de la présidence du Conseil du 31 mars 1938 à Édouard Daladier, ministre de
la Guerre au sujet des mesures d’exclusive contre les sociétés Siemens, AEG et
CGTT ainsi que six filiales françaises de Siemens.
129. SHD/DAT 7NN 2 714, note pour M. Clapier, chef de cabinet du ministre
de la Défense nationale du 15 juin 1938 au sujet de l’intervention du général Gau-
cher.
130. Wilfried Feldenkirchen, Siemens, München, 1995 et 150 Jahre Siemens. Das
Vaternehmen von 1847 bis 1997, München, Handcover, 1997.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

industries électriques françaises explique les prises de position officielles


en 1937-1938. Cette crainte s’exprime certes tardivement mais
doublement.
En 1935, l’inquiétude devant les projets d’un régime nazi imprévi-
sible monte. Après la crise rhénane de mars 1936, l’idée d’un contrôle de
la fabrication d’équipements électriques, notamment hydroélectriques et
téléphoniques, l’emporte progressivement au plus haut niveau de l’État.
Directes ou indirectes, des menaces sur des industries sensibles ne sont
désormais plus acceptables pour la sécurité nationale. Mais l’inexistence
d’une définition du délit ou du crime d’espionnage économique dans la
loi du 26 janvier 1934 rappelle précisément les limites de sa portée.
L’outil juridique est imparfait une fois encore, ou plutôt inapproprié à
une situation évolutive. L’affaire Siemens pèse incontestablement pour
que soit définie la notion d’espionnage industriel. Une modification du
code pénal en ce qui concerne la protection du secret et la répression de
l’espionnage est à cet instant d’autant plus urgente que la définition du
secret de la Défense nationale répond, au cas par cas, aux silences et aux
insuffisances de la loi de 1934. Celle-ci ne parlait que très généralement
« des secrets d’ordre économique intéressant la défense », ne pouvant
s’appliquer aux cas d’espionnage industriel supposés de 1934 à 1939.
L’article 78 du décret-loi du 29 juillet 1939 précise, par l’ajout de l’épi-
thète « industriel », la nature des renseignements visés par le législateur.
Ce faisant, il élargit le domaine des actes d’espionnage économique 131.
En second lieu, l’affaire Siemens et AEG signale l’extension de
l’espionnage industriel à des industries sensibles, électriques et télépho-
niques, en dehors des seules industries de défense. Cette situation
concourt à élargir le domaine d’action du renseignement économique
défensif qui n’est plus seulement réservé aux arsenaux, aux industries et
aux bases militaires. Il importe peu aux responsables militaires et poli-
tiques que les preuves de l’espionnage industriel soient formellement éta-
blies au plan judiciaire. Les autorités militaires passent outre les réticences
politiques et les prudences juridiques, à l’initiative de l’état-major de
l’armée et des services spéciaux. La raison tient au sentiment général de
l’insuffisance de la loi du 26 janvier 1934 en la matière et de la néces-
sité de la réviser. Elle est aussi l’expression d’un nationalisme défensif qui

131. Bertrand Warusfel, Contre-espionnage et protection du secret, op. cit.,


p. 153-154.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

procède davantage de l’idée de la dimension économique de la guerre


future que de la formulation d’une doctrine étatique du renseignement
économique. Et les modalités comme les implications de la « mobilisa-
tion industrielle » n’échappent pas au lieutenant-colonel Rivet qui a pesé
de façon déterminante sur la résolution de l’affaire Siemens en
1937-1938 132. L’affaire n’a pas de suite judiciaire pour éviter de lui
donner toute publicité devant l’opinion publique. Le général Gaucher est
informé de la décision officielle durant l’été 1938. Les crises internatio-
nales de l’automne 1938, qui dévoilent davantage les projets allemands,
scellent l’affaire Siemens.

Les Anglo-Saxons, le pétrole et l’espionnage économique : vive le


marché !

Du renseignement économique sur les firmes pétrolières


« Le bureau des fausses nouvelles de Downing Street n’a pas restreint son
activité aux informations d’ordre purement militaire. Il excelle dans l’élabora-
tion et la diffusion de renseignements commerciaux ou financiers erronés et ten-
dancieux. Véritables pirates de l’épargne internationale, les dirigeants du secret
service n’opèrent, bien entendu, que par l’entremise de personnes interposées,
soigneusement choisies pour leur discrétion, discrétion d’autant plus grande
qu’on a pris la précaution de l’étayer par une crainte salutaire. Combien de
krachs retentissants, d’effondrements subits des valeurs du pétrole, du sucre ou
de métaux précieux, et même de paniques boursières ont été l’œuvre des grands
financiers protégés par le pavillon de l’Intelligence Service ! »
Paru en 1926 pendant les graves troubles survenus sous le mandat
français en Syrie, le récit de Robert Boucard dans Les Dessous de l’espion-
nage anglais offre une image romanesque sévère des menées anglaises au
Proche-Orient 133. Mais le roman campe cependant le décor de rivalités

132. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, tome 2, 10 novembre
1937, p. 7 ; 15 décembre 1937, p. 11 au sujet d’un échange avec le contrôleur Beau.
133. Robert Boucard, Les Dessous de l’espionnage anglais, Paris, Henry Étienne
éditeur, 1926, p. 48-49 et p. 198-205 sur les menées de l’IS en Syrie pour évincer la
France.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

pétrolières bien réelles 134. Si une histoire des sources d’énergie et des
sociétés pétrolières n’est pas à l’ordre du jour, l’intérêt croissant des ser-
vices secrets pour le renseignement économique sur les compagnies
pétrolières remonte au début du siècle 135. Les États se sont précocément
intéressés à organiser et contrôler la production, puis le ravitaillement en
produits énergétiques, charbon et pétrole. En Europe, l’Amirauté britan-
nique a racheté, par la volonté de Churchill, les participations de William
Knox d’Arcy dans l’Anglo Persian Oil Cy le 20 mai 1914. De son côté, le
Comité général du pétrole, créé en juillet 1917 et confié par Clemen-
ceau, en novembre 1917, au sénateur Henry Bérenger, confirme le carac-
tère stratégique du pétrole 136. En mars 1918, ce dernier met sur pied un
consortium des importateurs français pour négocier avec les sociétés
étrangères l’approvisionnement en pétrole. En France, cette activité se
conçoit, après 1918, d’un double point de vue. Il s’agit d’abord de la
volonté de compléter la documentation ouverte réunie par le secrétariat
général du Conseil supérieur de la Défense nationale sur un produit stra-
tégique dont il convient d’assurer la production, l’importation, donc le
transport et le stockage en France. Plus simplement, la simple sécurité
des stocks et des dépôts d’hydrocarbures ou d’essence est prise en
compte, à l’exemple du dépôt de la Standard Oil Petroleum de Port-
Jérôme à Lillebonne dont certains personnels d’origine allemande sont
suspects d’espionnage 137. Les enquêtes sur des entreprises françaises ou
étrangères travaillant sur le marché français sont l’écho d’une préoccupa-
tion grandissante de préparer et de garantir l’approvisionnement énergé-
tique en cas de guerre. Il s’agit donc d’obtenir des informations assez
habituelles sur la direction, sur les administrateurs et sur l’actionnariat
des sociétés en identifiant les capitaux étrangers. Cette recherche d’infor-
mation économique n’est naturellement pas inédite dans le domaine
énergétique.

134. Éric Bussière, « La France et les affaires pétrolières au lendemain de la Pre-


mière Guerre mondiale », in Histoire, économie, société, 1982, p. 311-315 et Horace
Finaly banquier, op. cit., p. 181-183 sur l’État français, les Américains et le pétrole.
135. Antoine Zischka, La Guerre secrète pour le Pétrole, Paris, Payot, 1933.
136. Marc Nouschi, Luttes pétrolières au Proche-Orient, Paris, Flammarion, 1970,
p. 39-41. Daniel Yergin, Les Hommes du pétrole, tome 1, Les fondateurs 1859-1945,
Paris, Stock, 1991, p. 187-190 sur le rôle de Churchill.
137. SHD/DAT 7NN 2 249, note de la SCR/EMA2 au sujet de Carl Hardt,
ancien officier allemand employé comme cantonnier par la SO, 5 octobre 1933.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

En février 1938, une enquête est menée sur la société CIPAN et sur
son administrateur délégué Charles Strohl par le poste des services
français à Alger 138. Né à Strasbourg de nationalité allemande en 1890,
ce spécialiste du pétrole dont l’activité s’étend, en Afrique du Nord, de
Dakar à Gabès, a embrassé la nationalité française en 1918. « Considéré
comme pouvant avoir une activité antinationale, Strohl n’a néanmoins
pas encore été signalé par la Sûreté locale en raison de ses relations dans
la colonie 139 ». La suspicion s’élargit lorsque l’enquête révèle que le
groupe CIPAN-CIMAR est lié à la Vacuum Oil Cy, filiale de la Stan-
dard Oil. Mais les conclusions de l’investigation font apparaître que les
renseignements de la SCR ont pour origine une agence commerciale non
mentionnée 140. Les informations collectées par l’enquêteur sont sans sur-
prise : création de la société anonyme en 1904, prorogée en 1934, capital
de 150 millions de francs, conseil d’administration de dix membres dont
deux Anglo-Saxons. Ayant absorbé des sociétés françaises de transport de
produits pétroliers, la société possède des wagons, des chalands, des
camions-citernes et trois navires-citernes. Elle a signé des accords avec la
Socony Vacuum Oil Cy, qui entrevoit « des appuis germano-améri-
cains ». Elle a une raffinerie à Frontignan (145 000 tonnes raffinées en
1936). Notamment en raison de l’application des décrets de 1936 sur les
salaires et la constitution de stocks de réserve, la société a connu des
pertes en France, au Maroc et en Algérie en 1936 où elle cherche à déve-
lopper ses activités. L’enquête est assez caractéristique d’un renseigne-
ment économique élémentaire, mêlé de considérations sur la Défense
nationale. Elle conclut à la nécessité de garantir et de sécuriser l’approvi-
sionnement de la France en temps de guerre et d’éviter de voir passer la
société sous influence de capitaux étrangers.
Il y a un second point de vue dans les analyses de renseignement éco-
nomique. Celui-ci relève de la volonté de conserver la rente énergétique

138. SHD/DAT 7NN 2 623, dossier Compagnie industrielle des pétroles,


1938-1940.
139. Ibidem, fiche de surveillance de Charles Strohl, administrateur de la
CIPAN, Alger, SEA, 8 février 1938.
140. SHD/DAT 7NN 2 623, note de renseignement (source agence) au sujet de
la Compagnie industrielle des pétroles CIP-CIPAN et de son administrateur délégué
Charles Strohl, 24 mars 1938.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

et minière garantissant la puissance économique nationale 141. Typique de


l’après-guerre, cette démarche trouve sa traduction dans l’acquisition des
« dépouilles économiques » des entreprises allemandes et des puissances
centrales. L’établissement de monopoles sur des territoires et des États
pour garantir l’approvisionnement minier et pétrolier en est l’expression
première. De ce point de vue, l’après-guerre prolonge un certain nombre
d’épisodes historiques typiques de l’impérialisme financier des années
1871-1914. La concurrence des grandes compagnies, sur fond de riva-
lité des services spéciaux et des États, écrit une page de la domination
coloniale. Pour évidentes qu’elles soient, les relations officieuses entre les
services spéciaux et les compagnies d’hydrocarbures ne se dévoilent pas
aisément. Les informations économiques sont sans surprise :
« Le vapeur anglais River Hudson qui a quitté l’Amérique du Nord (Philadel-
phie) il y a environ deux mois à destination de la mer Noire avait à son bord
parmi son chargement un matériel destiné à l’établissement d’une raffinerie de
pétrole à Batoum, pour le compte de la Standard Oil Cy de New York. Cette
société aurait passé d’importants contrats d’achat de pétrole brut avec le gouver-
nement des soviets, qui l’aurait autorisé à installer une raffinerie (la première qui
existe en Russie) à la condition qu’après trois années d’exploitation elle devienne
la propriété du gouvernement soviétique 142. »
Moins que la collecte, l’exploitation et la diffusion de ce renseigne-
ment brut posent des difficultés inédites. La main de l’Intelligence Ser-
vice est pressentie dans les rivalités pétrolières. Une note de la préfecture
de Police reprend ainsi abondamment, sans citer ses sources, l’accusation
de collusion entre la Royal Dutch Shell de Henry Deterding et l’Intelli-
gence Service depuis le début de la guerre de 1914-1918 au Proche-
Orient 143. Cette accusation est récurrente.
Au sortir de la guerre de 1914-1918, les rumeurs sur des rachats de
journaux d’information et d’opinion français par la Standard Oil of New
York ont déjà fait long feu. Des projets d’achats d’action du Matin et du
Figaro par le banquier Horace Finaly ont été éventés en 1920 ; eu égard à
sa stratégie dans les médias, ils sont cependant peu crédibles. L’entreprise

141. Gérard Chastagnaret, L’Espagne, puissance minière dans l’Europe du


XIXesiècle, Madrid, Casa de Velazquez, 2000, 1170 p.
142. SHD/DAT 7NN 2 228, note de la SR (source honorable correspondant
300), au sujet des intérêts pétroliers au Proche-Orient et de l’Intelligence Service au
Proche-Orient, 1925-1942.
143. SHD/DAT 7NN 2 449, note de la préfecture de Police sur les compagnies
pétrolières anglo-saxonnes, décembre 1935 29 p.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

aurait été imaginée par l’ancien ambassadeur Jules Cambon et Horace


Finaly, directeur de la Banque de Paris et des Pays-Bas, dans le but de
défendre la politique américaine pétrolière 144. Cependant, les actions
trop disséminées ne permettraient pas en réalité une prise de contrôle
étrangère 145. L’opération serait momentanément abandonnée. Les pièces
du dossier émanent de la Sûreté générale, non d’un dossier constitué par
la SR-SCR. Il est en revanche nourri par la surveillance des activités de
l’Intelligence Service au Proche-Orient et en Afrique du Nord. Car la
section d’études du Levant (SEL), les postes d’Afrique du Nord et le
haut-Commissariat français en Syrie observent de très près les agisse-
ments anglais dans le domaine pétrolier. En Tunisie, l’Intelligence Ser-
vice obtient la couverture de chef de la comptabilité de la Shell pour son
agent William Swerdloff en janvier 1934 146. Au Maroc, les activités de
la filiale distributrice de la Shell sont examinées secrètement depuis 1930.
Les déplacements de son directeur Cabos et de ses adjoints, dont Stark,
sont surveillés étroitement par la sûreté locale. En 1934, l’intérêt mani-
festé par la Royal Dutch Shell d’Henry Deterding se porte sur le gise-
ment pétrolifère du djebel Tselfat. Les Français cherchent à l’en
détourner 147. Les dépôts et les stocks d’hydrocarbures de la Shell sont
référencés depuis décembre 1933. À un questionnaire sur l’action secrète
anglaise au Maroc en octobre 1934, l’officier de liaison de la SR-SCR
répond que Londres a 140 protégés par le consulat de Fès faisant du ren-
seignement économique et politique. Le chiffre n’est pas invraisemblable.
Rattaché à Gibraltar, le poste anglais de Fès agit à partir des consulats,
des maisons de commerce et de la Royal Bank of West Africa. La Shell
a deux dépôts et deux directeurs très actifs, Stark et Cabot, menant des

144. SHD/DAT 7NN 2 249, note nº 4310 du ministre de l’Intérieur (Sûreté


générale) au ministre de la Guerre EMA2/SCR, au sujet des projets de rachat de
grands journaux par la Standard Oil, 24 novembre 1920.
145. Éric Bussière, Horace Finaly, banquier 1871-1945, op. cit., p. 288-291 ;
Claire Blandin, Le Figaro : deux siècles d’histoire, Colin, 2007, 320 p., ne confirme
pas cette hypothèse, en dépit du fait que le quotidien est racheté en 1922 par
François Coty.
146. SHD/DAT 7NN 2 382, note de la section d’études d’Alger à la SCR,
4 janvier 1934.
147. SHD/DAT 7NN 2 382, note nº 1187 de l’officier de liaison à Rabat à la
résidence générale sur les pétroles du Tselfat et l’intérêt de la filiale Shell dirigée par
Stark à Casablanca, 21 mai 1934.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

recherches de prospection très discrètement 148. En Turquie, les agents


français ont identifié à la même période les agents secrets anglais travail-
lant sous couverture des entreprises. Le colonel Woods, attaché commer-
cial à l’ambassade anglaise, a depuis 1931 un centre sous la couverture
de la chambre de commerce. Les sociétés de téléphone, de navigation, de
chemins de fer, les banques et les chambres de commerce britanniques
sont présentées comme le pivot de la collecte d’informations écono-
miques par l’Intelligence Service. Elles dessinent sa toile d’information.
Au premier rang figure la Banque ottomane avec ses nombreuses succur-
sales, et dont le directeur adjoint A.-H. Reid garantit la couverture des
agents : S. Palmer à l’Ionien Bank à Galata, D.-W. Hall à la Compa-
gnie de téléphone pour les liaisons entre postes en accord avec son direc-
teur Watson. La liste de plusieurs dizaines d’agents anglais, dont des
sujets travaillant sans honoraires à la grandeur de l’empire, est ainsi
constamment complétée à partir de 1931 149.

Les rivalités énergétiques franco-anglaises au Proche-Orient


Sur fond de rêve d’un grand royaume arabe encore caressé par les
Anglais selon les services français en 1935, la rivalité franco-britannique
au Proche-Orient demeure traditionnelle. Ces épisodes n’échappent pas
à une certaine représentation de la puissance britannique et de la guerre
secrète par les services secrets français depuis la Grande Guerre.
« Dites-vous bien, qu’il vous sera impossible, à vous Français, de rester en
Syrie. Tôt ou tard, vous abandonnerez la partie. On ne peut résister à l’Intelli-
gence Service plus de quatre ou cinq ans. » (selon un ancien agent de l’Intelli-
gence Service.)
L’image véhiculée par les romans de Robert Boucard n’y est sans
doute pas étrangère dans les années 1920 150, au point de se demander si
le mythe littéraire n’a pas devancé l’histoire. La coopération des services
spéciaux anglais avec les firmes anglaises, à l’instar de l’Irak Petroleum
Company ou de la société de transport Nairn, est certes une réalité,

148. SHD/DAT 7NN 2 534, note de l’officier de liaison de Rabat, 11 octobre


1934 à un questionnaire sur le SR anglais au Maroc.
149. SHD/DAT 7NN 2 394, dossier sur les activités de l’IS en Turquie dans les
années 1930, note manuscrite anonyme datant de 1931 sur l’organisation de l’IS
anglaise en Turquie. De nombreuses informations datent des années 1920.
150. Robert Boucard, op. cit., p. 204-205 sur les menées de l’IS en Syrie depuis
1916 pour évincer la France.

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

constituant le « réseau serré et invisible d’agents et d’informateurs » 151.


Encore en 1937-1938, la propagande anglaise en Syrie et son action sur
les populations syriennes ne cessent d’inquiéter la France, dans le sou-
venir des révoltes de 1925-1926 152. L’action sur le djebel Druze et le pla-
teau du Hauran pour les dresser contre la région de Damas est une
accusation française récurrente de la volonté anglaise de créer un grand
royaume arabe depuis 1860 153. Le jeu dressant les minorités les unes
contre les autres pour asseoir une influence extérieure fait long feu. Aussi
les Anglais sont-ils hostiles à l’installation des Assyriens en Djézireh qui
« met Mossoul et ses champs de pétrole à portée d’une attaque française
en cas de guerre franco-britannique », selon Tweedy, appartenant au ser-
vice de la presse des autorités mandataires en Palestine.
« La politique anglaise doit donc continuer à inviter l’Irak et la Turquie et les
Syriens à s’opposer à l’installation des Assyriens près de leur frontière. Cam-
pagne pour les détourner de quitter l’Irak, auprès de la France et de la SDN pour
démontrer que leur intérêt même n’est pas en Djézireh, mais soit en Irak, soit
dans la vallée du Ghab, vallée de l’Oronte, où ils seraient assez éloignés pour ne
pouvoir être utilisés par la France contre Mossoul 154. »
Qu’il s’agisse, en avril 1937, des contacts du banquier David Town-
send avec le ministre de l’Économie Ari Chahalah ou du major Longrigg
avec le leader Soubhi Bey Baraka à Antioche en mai 1937, la recherche
de concessions pétrolières anglaises retient en permanence l’attention les
services français, à Damas et à Paris 155.
La vie politique et économique de l’Angleterre de 1918 à 1939 est
minutieusement suivie par les analystes du 2e bureau de l’EMA, relan-
çant sans cesse les recherches de la SR 156. En 1935, une étude appro-
fondie sur l’Anglo-Persian Oil Cy en Iran a été commandée à une agence

151. SHD/DAT 7NN 2 534, note du 2e bureau-EMA, Commandement supé-


rieur des troupes du Levant à la SCR, novembre 1935, p. 2.
152. Jean-David Mizrahi, op. cit., p. 266-271 sur l’imaginaire des officiers du SR
du Levant.
153. SHD/DAT 7NN 2 534, note de la SEL nº 1067 du 10 avril 1937 au sujet
de la propagande anglaise en Syrie du Sud.
154. SHD/DAT 7NN 2 534, note du 24 juin 1936 de la SCR (bonne source)
au sujet des Anglais et de la Syrie.
155. SHD/DAT 7NN 2 534, surveillance des agents anglais en Syrie, SCR
d’après des sources bien placées de la SEL, avril et mai 1937.
156. SHD/DAT 7NN 2 336, dossier sur l’Angleterre. Politique. Économie,
1918-1939.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

de renseignement commercial non identifiée, consacrée à l’historique de


la compagnie, notamment aux prises de position anglaises entre 1907 et
1914. Les relations avec les compagnies françaises sont scrutées, dont sa
filiale la Société générale des huiles de pétrole 157. Ce dossier de renseigne-
ment économique ouvert recèle des informations intéressantes suscep-
tibles d’être des indices de tension internationale. Le mouvement des
capitaux, l’actualité des emprunts, des achats ou des ventes d’arme-
ments, les achats de matières premières, énergétiques ou agricoles pour
être stockées ou consommées par le marché national sont scrupuleuse-
ment étudiés. En décembre 1935, le stockage de blé par le gouverne-
ment anglais dans des silos souterrains entre La Valette et Floriana, en
vue du ravitaillement en cas de conflit est parfaitement évalué 158. Les
affrètements de navires, à l’instar de navires frigorifiques et de paquebots,
en raison de la tension avec l’Italie à l’heure de l’invasion de l’Éthiopie,
sont observés jour après jour 159. En septembre 1935, le mouvement des
affaires est aussi apprécié à l’aune des fluctuations des taux d’assurance de
la compagnie d’assurances Llyod.
« On signale que les assurances anglaises de Llyod auraient résilié des risques
de guerre et le risque de grève dans leurs polices flottantes. Elles n’auraient pas
encore fixé de taux pour la couverture de ces risques. Normalement ces risques
pour les marchés sont assurés gratuitement en matière d’assurance maritime sauf
en cas de conflagration. Dans ce cas, après dénonciation, une prime supplémen-
taire est prévue 160. »
L’obsession minière est également frappante. L’annonce du réarme-
ment britannique en 1937 en est le cadre.
« L’inquiétude allemande s’est manifestée après l’annonce du plan anglais de
réarmement par un emprunt de 400 millions de livres. L’Allemagne redoute que
l’ampleur du plan fasse monter le prix des matières premières dont le Reich a
besoin pour poursuivre son propre réarmement. Le Reich, dont les devises sont
limitées n’aurait pas le dessus. Il y a quelques semaines, il s’est déjà vu privé
d’une notable partie de minerai de fer qu’il importait de Suède, les mines sué-
doises préférant livrer aux firmes britanniques qui offraient de payer comptant
et en bonne monnaie. Les difficultés qu’éprouve le Reich pour lutter sur le
marché des matières premières avec les acheteurs britanniques sont certainement

157. SHD/DAT 7NN 2 336, note BNCI-Études économiques, 13 juin 1935,


35 p.
158. SHD/DAT 7NN 2 336, note de la SCR du 26 décembre 1935.
159. SHD/DAT 7NN 2 336, note du 26 novembre 1935.
160. SHD/DAT 7NN 2 336, note de la SCR/EMA2 du 17 septembre 1935
(source bonne).

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L’espionnage économique et les nouveaux enjeux secrets…

l’une des raisons de l’attitude allemande dans l’affaire d’Espagne. Si l’Allemagne


a consenti de si lourds sacrifices pour appuyer le général Franco, ce n’est pas sim-
plement par sympathies idéologiques, c’est également pour s’assurer, par contrat,
une part des ressources du sous-sol espagnol, notamment des minerais de fer et
de cuivre 161. »
L’information sur les minerais de fer et de cuivre recoupe l’enquête
rapide lancée en 1936 par les services spéciaux français sur la société
minière espagnole Penarroya 162.
Il y a bien une nouvelle logique d’analyse économique et financière
des services spéciaux militaires, dans un contexte de rivalités écono-
miques désormais internationales après 1918. Il ne faut pourtant pas en
exagérer la portée et la signification. D’une certaine manière, la produc-
tion et la circulation de l’information scientifique et économique répon-
dent, depuis la fin du XIXe siècle, à une première globalisation des
économies européennes, des entreprises et des États. Sans en avoir le
monopole, les services secrets s’attachent naturellement à l’information
économique, appréciant plus sûrement, depuis la guerre de 1914-1918,
la dimension proprement économique de la puissance des États. Les
questions pétrolières et minières n’ont jamais cessé d’être suivies étroite-
ment par le renseignement français, croisant des enjeux de puissance qui
rivalisaient fréquemment avec ceux anglais.
De 1918 à 1939, l’information économique est peu à peu dominée
par l’entrée dans une nouvelle ère de rivalités économiques nationales.
Certes, il faut en tempérer la portée, car les tentatives de coopération et
d’intégration européennes ont été notables dans certaines branches indus-
trielles, entre 1925 et 1932. Mais la concurrence économique a été exa-
cerbée par la politique internationale des États européens. L’URSS
subordonne son renseignement économique à son objectif idéologique au
point de le rendre impuissant. Le Japon procède d’un objectif préalable
de renseignement militaire conduisant à l’espionnage commercial, priori-
tairement dans le secteur des industries de défense. L’Allemagne nazie est
un cas intermédiaire entre ceux de l’URSS et du Japon. L’Angleterre
oriente son renseignement économique vers la sécurisation des approvi-
sionnements miniers et énergétiques, dans une rivalité traditionnelle avec

161. SHD/DAT 7NN 2 336, note secrète nº 23290 SCR (bonne source) du
23 février 1937 sur le réarmement anglais et les conséquences pour l’Allemagne.
162. SHD/DAT 7NN 2 714, renseignements sur la société minière Penarroya et
son conseil d’administration, 1936 ; Gérard Chastagnaret, op. cit., p. 869-873.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

la France. Incontestablement, il y a eu un nationalisme économique


défensif dans le domaine industriel et minier. Il s’exprime dans les États
et dans les entreprises ayant un développement international. L’espion-
nage industriel s’affirme alors pour acquérir des technologies, des pro-
cédés de fabrication qui ne sont pas encore juridiquement considérés
comme des secrets. Des firmes étrangères, et bientôt des États, se livrent,
selon une notion définie en France en 1939, à l’acquisition « d’informa-
tions industrielles » touchant au « secret de la Défense nationale ». Les
États se protègent inégalement contre cette évolution, tout en élargis-
sant leurs moyens d’information économique par le concours ponctuel
d’agences de renseignements économiques privées. Les agences les plus
engagées encourent le risque d’être confondues par ces mêmes États avec
des officines d’espionnage étranger. De 1919 à 1939, les États marchent
vers l’ère du renseignement économique.

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Chapitre 11
L’exploitation du renseignement :
l’information trouvée, le renseignement perdu ?

Information trouvée, renseignement perdu ? Cette vieille antienne


hante les souvenirs des anciens espions qui rêvent d’une autre écriture de
l’histoire que celle proposée par les décideurs. Il y a toujours une invrai-
semblance et une incertitude du renseignement à l’heure de la décision.
Ce reproche est instruit à charge dans le procès d’intention permanent
que les hommes de pouvoir font aux services d’espionnage. Les incompa-
tibilités logiques, les temporalités professionnelles ou décisionnelles, des
essences différentes, en définitive, sont régulièrement invoquées pour
apprécier le décalage entre ce que l’on savait et ce que l’on a fait. Les pro-
cédures d’élaboration du renseignement et les mécanismes de décision
sont plus complexes toutefois qu’il est généralement dit dans les sou-
venirs. La décision est constamment partagée, fruit de rapports de forces
de nature différente. Or, le renseignement n’est pas une donnée objec-
tive indéfiniment utilisable. Le malentendu provient souvent d’une
incompréhension entre les spécialistes de l’espionnage et la société poli-
tique des décideurs, des politiciens, des diplomates, des hommes
d’affaires et des militaires. Dans la pratique du pouvoir, la décision effi-
cace doit théoriquement être fondée sur une information fiable. Frag-
mentaire, tardif, politisé, le renseignement n’est pas utilisable. Être bien
renseigné relève de l’art de gouverner. Dans l’univers bientôt profession-
nalisé de l’espionnage, son utilisation doit répondre à des procédures
strictes et à des conditions d’emploi en garantissant l’efficacité. Les deux
idéaux sont loin d’être compatibles dans les années 1920-1930, comme
en règle générale.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

La décision de ne rien faire a été plus fréquente que celle d’agir sur
la base des renseignements obtenus. La décision d’agir sans utiliser ou
sans tenir compte des avertissements des renseignements l’emporte aussi
sur l’attitude inverse : les Mémoires des acteurs de l’entre-deux-guerres
sont formels sur ce point. Le renseignement n’entre que progressive-
ment dans la culture des grands corps de l’État, armée y compris, en
dépit d’une accoutumance progressive à son recours dans l’entre-deux-
guerres. L’acculturation est lente dans la société politique et dans l’État.
La démarche du renseignement, eu égard à la formation des grands corps
et une notion juridique d’espionnage souvent méconnue dans les pra-
tiques politiques, économiques, diplomatiques, expliquent son omission
dans les décisions politico-stratégiques. Encore convient-il de définir ce
que signifie alors le cycle du renseignement dans l’État. La chronologie
de sa prise en compte croissante doit être recherchée de 1918 à 1939. Le
domaine de la Défense nationale, de la sécurité nationale au sens large,
est retenu comme un champ d’expérimentation privilégié du recours au
renseignement. L’étude de cas proposée est celle de la période
1936-1939. L’exposition du renseignement aux enjeux idéologiques de
pouvoir est un défi pour des services d’espionnage. À l’instar de ceux
policiers, les services spéciaux militaires sont couramment dénoncés ou
instrumentalisés par le pouvoir devant l’opinion publique en particulier.
De l’affaire Dreyfus à celle de la Cagoule à la fin des années 1930, d’un
anticommunisme outrancier à un fascisme supposé, les critiques ont été
nombreuses et parfois contradictoires. Les relations des services spéciaux
militaires au pouvoir politique appellent quelques éclaircissements qui
dépassent les figures rhétoriques du renseignement perdu par la politique
et de l’information introuvable par les services secrets.

L’orientation et l’exploitation du renseignement en France dans les


années 1919-1939

Le cycle du renseignement
Les conditions d’émergence d’un ensemble de règles et de pratiques
professionnelles du renseignement autorisent à parler d’un « cycle du ren-
seignement ». Il est aux origines d’une rationalisation du renseignement
au XXe siècle. De 1918 à 1939, la professionnalisation des services en

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

France fait progressivement émerger des règles qui ne constituent tou-


tefois pas une doctrine, voire un code déontologique dont on cherche-
rait en vain la date de naissance en France entre 1918 et 1939. La
réglementation progressive du secret dans l’État depuis le XIXe siècle accé-
lère la définition et l’encadrement de la pratique du secret. Encore
n’est-ce que la reconnaissance progressive d’une activité professionnelle.
Un contrôle gouvernemental et parlementaire naissant encadre-t-il l’acti-
vité secrète des serviteurs de l’État ? À suivre l’histoire des commissions
parlementaires de l’armée à la Chambre des députés et au Sénat depuis
1914, celui-ci brille davantage par ses limites que par son efficacité. Ces
éléments de contexte ne favorisent guère la mise en œuvre d’un « cycle
du renseignement ». Ce dernier ne relève pourtant pas d’une théorie des
sciences juridiques ou politiques, mais bien d’une réalité administrative
progressivement à l’œuvre en France de 1918 à 1939. Le cycle du rensei-
gnement recouvre une succession d’étapes et de procédures depuis
l’acquisition d’une information jusqu’à son utilisation. Il suppose cinq
phases distinctes dans la nomenclature professionnelle des services de
renseignement : l’orientation ou la prévision, la recherche ou l’acquisi-
tion de l’information, le traitement, l’analyse, l’exploitation qui
comprend la diffusion 1. Le respect des cinq phases de la chaîne du ren-
seignement ne garantit pas pleinement l’efficacité d’une décision politico-
stratégique sur la base du renseignement 2. En réalité, le gouvernement et
les différents ministères, dont celui de la Défense nationale, s’intéressent
prioritairement à l’orientation du renseignement et à son exploitation,
négligeant fréquemment l’analyse. Après 1918, la coopération technique
du 2e bureau de l’EMA avec la Sûreté générale en France, dans l’empire
et dans les territoires allemands occupés jusqu’en 1930, donne aux chefs
militaires, dans l’appareil d’État, un large contrôle sur les informations
d’intérêt stratégique collectées par les sources militaires et policières. Des
intentions monopolistiques, au sens des rivalités bureaucratiques pour le
contrôle des informations intéressant la sécurité nationale, se manifes-
tent naturellement dans l’appareil d’État entre les départements ministé-
riels. Aussi l’analyse est-elle essentiellement le fruit du travail de l’appareil
militaire qui diffuse, via le monopole du seul 2e bureau de l’EMA,
l’information d’intérêt national aux décideurs militaires et civils. Après

1. Olivier Forcade, Sébastien Laurent, op. cit., p. 34-38.


2. Georges-Henri Soutou et alii (dir.), L’Exploitation du renseignement, op. cit.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

1918, la « politisation » du renseignement trouve sa principale raison


dans cette situation.

Le cycle du renseignement
Orientation Collecte Traitement Analyse Exploitation-diffusion

Le cycle de l’information
Information renseignement brut renseignement élaboré

La planification du renseignement par le ministère de la Guerre


Si l’idée de l’État rationnel date du XVIIIe siècle, la planification appar-
tient au vocabulaire politique des années 1930 3. Bien qu’il existe déjà
dans les années 1920, le plan de renseignement ne procède pas naturel-
lement de la planification économique et politique. Il en diffère par la
nature militaire et la fonction stratégique. Il a longtemps accompagné le
plan stratégique de l’état-major de l’armée dont il fut un appendice
jusqu’en 1918. Un plan d’orientation des recherches de renseignement
émane du travail d’état-major dans les années 1920. Le travail de planifi-
cation se conçoit primitivement à l’échelon de l’état-major de l’armée, au
niveau tactico-opérationnel et stratégique, au sein du ministère de la
Guerre. Puis il s’applique au niveau interministériel, emboîtant les
niveaux stratégiques, diplomatiques et politiques. En matière de rensei-
gnement d’intérêt national, l’orientation est l’expression d’un besoin par
un responsable ou par un gouvernement en vue d’une intention d’action.
En théorie, celle-ci suppose la mise en œuvre d’un cadre de recherche des
renseignements à long terme au niveau national, gouvernemental, insti-
tutionnel. En pratique, l’orientation peut se faire au jour le jour par des
demandes ponctuelles de recherches de renseignements. Les services spé-
ciaux militaires exécutent des missions de recherche en fonction du plan
annuel de renseignement. L’examen rapide des plans de renseignement

3. Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 1990,
p. 235-238.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

du 2e bureau de l’état-major de l’armée en montre la nature et le


contenu 4. L’orientation politique et stratégique par le gouvernement
existe-t-elle bien ?
L’usage s’est établi à l’état-major de l’armée de consulter les instances
compétentes pour son élaboration. Le Conseil supérieur de la guerre
(CSG) est appelé collectivement à se prononcer sur le plan de renseigne-
ment conçu dans le cadre des plans stratégiques. À ce point, la fonction
du CSG dans l’architecture des instances de la Défense nationale évolue
durant l’entre-deux-guerres 5. De janvier 1920 à janvier 1935, son rôle
n’apparaît pas déterminant dans l’évaluation et l’amendement des plans
de renseignement. Pour autant, il n’est pas à l’écart de ce processus,
puisque ses membres exercent par ailleurs des responsabilités en dehors
du seul CSG pour peser sur la mise en œuvre des plans stratégiques. Le
général Weygand, CEMA en 1930-1931 et vice-président du CSG de
1931 à 1935, ne traite pas explicitement du sujet dans ses Carnets 6. Pour
autant, son intérêt pour le renseignement stratégique fut constant. La
qualité de réalisation des plans de renseignements du 2e bureau de l’EMA
en 1930 et 1931 en est peut-être un signe explicite. Après janvier 1935,
Gamelin fait jouer au CSG un rôle plus grand quand il devient chef
d’état-major général de l’armée et vice-président du CSG 7. En 1938, ses
quinze membres sont appelés à réagir aux propositions transmises par le
ministre de la Guerre qui le préside. C’est le cas, par exemple, en août
1938 lorsque les conséquences de l’Anschluss nécessitent de réviser le plan
de renseignement par une annexe sur la Hongrie. La Hongrie est
désormais limitrophe de l’Allemagne qui pourrait être tentée d’utiliser
son territoire pour étendre son front face à la Tchécoslovaquie. La ques-
tion posée aux membres du CSG est de déterminer l’importance de
l’appoint que Budapest pourrait apporter à l’Allemagne, exerçant son

4. Martin Alexander, « Did the Second Bureau work 1919-1939 ? », in Intelli-


gence and national Security, avril 1991/2, p. 293-333.
5. Frédéric Guelton, « Les hautes instances de la Défense nationale sous la Troi-
sième République », in Olivier Forcade, Éric Duhamel, Philippe Vial, Militaires en
République 1870-1962, op. cit., p. 58-63.
6. Frédéric Guelton, Le « Journal » du général Weygand 1929-1935, édition
commentée, Montpellier, UMR 5 069 du CNRS-ESID, Université de Montpel-
lier III, 1998, p. 88-93.
7. SHD/DAT 1N 44, séances du Conseil supérieur de la Guerre, 1934-1938.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

effort initial en Europe centrale, puis contre la France 8. En 1938, la


visite de Keitel, chef d’état-major de la Wehrmacht à Budapest fait
craindre que cette hypothèse se confirme. Désormais, les membres sont
formellement consultés par Gamelin, vice-président du CSG, pour actua-
liser le plan par pays annuellement 9. Sa formulation technique relève
donc en définitive des attributions de l’EMA. Il est adressé aux bureaux
de l’EMA, aux commandants d’armée et aux attachés militaires inté-
ressés. Les services spéciaux militaires déclinent quant à eux le plan
annuel de renseignement en programmes de recherche. Quant à la
Marine, le 2e bureau Marine exploite les rapports des attachés navals au
début des années 1920. L’idée d’un plan naval n’émerge que progressive-
ment, même si la dimension maritime reste présente dans le plan du
2e bureau de l’EMA 10.
L’orientation de cette recherche se situe donc bien au ministère de la
Guerre, à l’échelon des quatre bureaux de l’état-major de l’armée. Le plan
de renseignement expose les orientations de la recherche de renseigne-
ment dans le cadre des plans stratégiques élaborés par le 3e bureau de
l’EMA. Ce sont les successifs plans A, B, C, D, D bis, E de 1920 à 1939.
Par « renseignement », le 2e bureau de l’EMA entend en fait l’ensemble
des informations collectées par les différents organes de recherche à la
disposition de l’EMA : les services spéciaux militaires soit la SR et la
SCR, les services de renseignement aux armées, les moyens d’écoute
radiogoniométriques, les attachés militaires. Ce plan annuel d’orienta-
tion définit une direction des activités des services par le 2e bureau de
l’EMA, après consultation du 3e bureau (les opérations) et éventuelle-
ment des autres bureaux (1er pour les personnels et 4e pour les moyens
logistiques et le matériel). L’établissement du plan de 1933 démontre
ainsi cette coordination entre le 2e et le 3e bureaux. Le 3e bureau expose

8. SHD/DAT 7N 2 530, note nº 1926 de la SAE/EMA2 du 8 août 1938 au


sujet de l’annexe au plan de renseignements sur l’Allemagne concernant la Hongrie.
L’annexe est adressée par le ministre de la Guerre, président du CSG, à Gamelin,
CEMGDN. Les destinataires sont les généraux Georges, Mittelhauser, Billotte, Blan-
chard, Massiet, Prételat, Condé, Réquin, Héring, Carchery, Dosse, Besson, Hou-
demon.
9. Martin Alexander, The Republic in danger. General Maurice Gamelin and the
Politics of French Defense, 1933-1940, Cambridge, CUP, 1992, 573 p.
10. SHM, 1BB2, EMG2, archives du 2e bureau de l’état-major de la Marine
avant 1939.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

ses demandes afin que le 2e bureau mette en forme le plan de renseigne-


ment visé par le sous-chef d’état-major compétent. Le plan de renseigne-
ment est signé par le chef d’état-major général de l’armée ou de la
Défense nationale. Il relève donc d’une conception technique et straté-
gique de l’état-major de l’armée. L’apparition des 2es bureaux d’état-
major de la marine et de l’air aboutit à une conception des programmes
de recherche distincts au milieu des années 1930. Le plan général de ren-
seignement sur l’Allemagne du 2e bureau de l’EMA de 1924 recherchait
encore les grandes unités de la marine allemande. Le plan peine encore
à la veille de la guerre à concevoir une dimension interarmée. Jusqu’à
l’armistice de 1940, il n’existe pas, en outre, de services de renseignement
indépendants de l’armée de l’air. La section air du commandant Ronin
de la SR-SCR prend une importance croissante à partir de 1936 devant
l’ampleur du réarmement allemand. Les questions aériennes sont
abordées dans le plan de renseignement du 2e bureau de l’EMA 11.
À Berlin, le capitaine Stehlin établit des relations privilégiées avec les
chefs de la Luftwaffe 12.
Il serait donc impropre de parler d’un plan général et permanent de
renseignement dans l’entre-deux-guerres. Le plan de renseignement
oriente exclusivement les recherches au niveau stratégique, tenant compte
des coopérations militaires et diplomatiques de la France. Préparé par les
sections géographiques compétentes, le plan est rédigé par pays par pays,
sur l’Allemagne, sur l’Italie, sur l’URSS… Il faut le distinguer des pro-
grammes de recherche de renseignement. De 1919 à 1929, le plan de
renseignement sur l’Allemagne s’élargit aux questions de politique inté-
rieure déterminant la volonté de guerre, à ses appuis extérieurs possibles
(alliances, conventions militaires), à ses moyens se rapportant à la vie éco-
nomique en temps de guerre et à ses capacités militaires 13. Les plans sur
l’Allemagne et l’Italie sont désormais régulièrement actualisés de 1930 à

11. Claude d’Abzac Epezy, « Les services de renseignement clandestins de Vichy.


L’exemple du SR Air », 117-128, actes du colloque international du mémorial de
Caen et du CRHQ de l’université de Caen, L’année 1942. Le tournant, Caen, 1992,
p. 117-128 et L’Armée de l’Air de Vichy 1940-1944, Vincennes, SHAA, 1997, 723 p.
Le SR Air est créé sous Vichy. Voir Jean Bézy, Le SR Air, Paris, France-Empire,
1979, 318 p.
12. Stehlin (général), Témoignage pour l’Histoire, Paris, Laffont, 1960, p. 35-suiv.
13. SHD/DAT 7N 2 530, note de l’EMA2 au sujet du plan de renseignement
sur l’Allemagne du 26 janvier 1930.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

1939 14. Enfin, l’état-major de l’armée ordonne des programmes de


recherche de renseignement pour confirmer ou pour infléchir une déci-
sion stratégique en cas de tension politique ou de crise internationale.
Pour les agents des services spéciaux, le programme de recherche mis en
forme par le 2e bureau tient lieu d’orientation.
Enfin, le ministre de la Guerre n’intervient que rarement dans une
définition politico-stratégique du plan de renseignement. Le ministre de
la Guerre a pu donner des instructions ponctuelles de recherche de ren-
seignement. La question de l’inflexion politique du plan technique de
renseignement du 2e bureau de l’EMA est posée. Seules des personnalités
politiques ayant exercé durablement des responsabilités au ministère de
la Guerre, à l’instar de Painlevé entre 1925 et 1929, de Paul-Boncour en
1932-1933, puis de Daladier entre 1936 et 1939, ont pesé exceptionnel-
lement sur sa rédaction au travers d’instructions particulières. Après la
crise de Munich, Daladier précise ainsi en décembre 1938 ses instruc-
tions sur la recherche de renseignement aux frontières avec l’Alle-
magne 15. Il est vraisemblable que des instructions orales ont pu être
également données. Paul Painlevé n’a pas laissé de traces d’instructions
qu’il aurait pu donner entre 1925 et 1929. Édouard Daladier a des
contacts à peine plus approfondis avec les services de renseignement. S’il
s’en défie, il accorde néanmoins une certaine importance aux missions
secrètes. Les traces des conversations et des instructions orales sont déli-
cates à retrouver. Mais les contacts ponctuels ne font pas un plan de ren-
seignement ministériel, ni même interministériel. Le secrétariat général
du Conseil supérieur de la Défense nationale (CSDN) auprès de la prési-
dence du Conseil aurait pu, légitimement, recevoir cette attribution en
1921. Il n’en fut rien. Sa mission de préparer la conduite générale de la
guerre est bien sûr un objectif politico-stratégique. Mais il est un organe
consultatif et d’exécution, non décisionnel 16. La préparation de la

14. SHD/DAT 7N 2 530, plans de renseignement et plans particuliers de rensei-


gnement sur l’Allemagne, 1930-1939.
15. SHD/DAT 7N 2 530, note nº 2210 du président du Conseil, ministre de la
Défense nationale sur les modifications apportées à l’organisation de la recherche aux
frontières du 29 décembre 1938 aux généraux commandants les 1, 2, 6, 7, 14, 15,
16, 17, 18 et 20e régions militaires.
16. SHD/DAT 1N 2N 28, directives nº 1 du 6 février 1922 du général Serrigny,
secrétaire général du CSDN, au sujet de l’organisation du cadre dans lequel doit se
préparer la mobilisation nationale.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

mobilisation industrielle et de l’organisation de la nation en temps de


guerre n’est pas un objectif propre de renseignement. Elle n’induirait pas
sa responsabilité indirecte dans la préparation du plan. Cette situation ne
signifie pas que le secrétaire général du CSDN n’est jamais consulté, mais
qu’il n’en a pas la responsabilité institutionnelle. En outre, l’organisa-
tion des services de la présidence du Conseil à partir de 1935 ne
conduisit pas à s’attacher à cet objectif particulier. Celui-ci relève sans
doute, dans l’esprit des dirigeants politiques français, d’une responsabi-
lité technique appartenant au ministère de la Défense nationale. Le plan
de renseignement demeure principalement militaire pour s’ouvrir à des
objectifs économiques et de politique extérieure relevant de la conduite
de la guerre. Les ministères pouvant être intéressés à son élaboration gar-
dent jalousement leur autonomie en 1938-1939. La préparation de l’ins-
truction interministérielle sur la guerre économique de mai 1939 le
démontre. En définitive, la notion de plan gouvernemental de renseigne-
ment est anachronique en France de 1919 à 1939. Durant l’année 1937,
les réunions interministérielles d’information au ministère de l’Intérieur
n’abordent pas l’enjeu de l’orientation de la recherche de renseignement.
Le plan de renseignement est encore un document militaire que la société
politique ne s’est pas approprié en 1939 17.

L’exploitation politico-stratégique du renseignement : rendre la


décision efficace
L’exploitation du renseignement est la prise en compte et la diffu-
sion d’un ensemble d’informations collectées, traitées et analysées. Elle
s’établit à deux niveaux différents. Le premier niveau est celui d’une
exploitation des renseignements collectés directement par les services
d’espionnage et de contre-espionnage français. Des fiches d’exploitation
des renseignements obtenus sont rédigées à l’issue des rencontres entre les
officiers traitants et leurs agents. Les postes en assument la responsabi-
lité sauf lorsque les agents les plus importants sont traités directement par
des officiers des services spéciaux à Paris. Cette exploitation se fait à
l’échelon des postes de renseignement qui opèrent la transmission des
renseignements élaborés à la centrale à Paris. Les informations obtenues
doivent, avant leur exploitation et leur diffusion aux services officiels et

17. Gauché (général), Le 2e bureau au travail (1935-1940), Paris, 1954, p. 9-10.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

aux décideurs, être traitées et analysées. Le traitement et l’analyse recou-


vrent des opérations diverses. Le décryptement des informations tech-
niques interceptées et des communications écoutées est la mission
permanente de la section du chiffre français, baptisée « Nemo ». Dans les
années 1930, les efforts français sont vains pour percer les communica-
tions d’Enigma, en dépit des documents exceptionnels donnés par Hans
Thilo Schmidt de novembre 1931 à 1939 18. Ce n’est qu’au printemps
1940 que les communications des armées allemandes commencent à être
percées 19. Les moyens d’écoute français sont dérisoires comparés à ceux
anglais depuis la fin de la Première Guerre mondiale ou du Forschung-
samt allemand de Goering depuis 1933 20. Entre 1919 et 1939, l’exploi-
tation du renseignement technique est décevante et médiocre en France.
Les moyens d’action du chiffre ne sont pas comparables avec ceux alle-
mands. Leur vraisemblance ou leur maquillage donnent lieu à une réo-
rientation de la recherche.
Le second niveau est celui d’une exploitation politique et stratégique
par les gouvernements. Il touche aux relations entre le gouvernement, le
haut commandement et les services de renseignement militaires, accessoi-
rement policiers. La transmission des renseignements élaborés en est la
première condition. Or, le malentendu s’installe fréquemment sur ces
deux aspects. La confusion entre une information, brute, ponctuelle,
vérifiée ou pas et un renseignement élaboré sur la base d’informations de

18. Paul Paillole, Notre espion chez Hitler, Paris, Laffont, 1985, p. 22-25 sur le
recrutement de Hans Thilo Schmidt ; Gustave Bertrand, Enigma ou la plus grande
énigme de la guerre 1939-1945, Paris, Plon, 1973, p. 17-55.
19. Voir notre étude, « Le renseignement face à l’Allemagne au printemps 1940
et au début de la campagne de France », communication au colloque international
La campagne de 1940, tenu les 16-18 novembre 2000, organisé par le Mémorial du
maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris et du Musée Jean
Moulin, sous la direction de Christine Levisse-Touzé, Tallandier, 2001, p. 140-143 ;
voir aussi Ernest R. May, Strange Victory Hitler’s conquest of France, New York, Hill
and Wang, 2000, 594 p. ; David Kahn, The Codebreakers, New York, Scribner,
1996, p. 321 sq.
20. Paul Paillole, op. cit., p. 98. Le Forschungsamt aurait intercepté en 1935 et
traité pas moins de 30 millions de communications allemandes et étrangères selon
Paul Paillole. 34 000 communications extérieures et 8 500 extérieures, anglaises,
françaises, italiennes auraient été retenues pour une exploitation en 1935. Christo-
pher Andrew, Secret service. The Making of the British Intelligence Community,
London, Heinemmann, 1985, p. 297-298.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

sources différentes, techniques et humaines, est une première ambiguïté.


Le bulletin de renseignement hebdomadaire du 2e bureau de l’EMA pré-
sente certes une analyse critique, mais en contenant parfois des informa-
tions ponctuelles qui ne sont pas toujours corrélées. La protection des
sources conduisant à ne pas les citer, ni même à révéler leur identité, est
un obstacle psychologique majeur pour le décideur. Militaire, diplo-
mate, politique, il doit accepter un renseignement dont ni la prove-
nance ni la certitude ne lui sont garanties et, généralement dévoilées. Il
y a trois attitudes possibles d’acceptation entière du renseignement, de
rejet de principe des renseignements ou de vérification de leur valeur sur
pièces. Le renseignement produit par les services spéciaux militaires n’a
pas naturellement l’exclusivité de l’information du gouvernement. La
confiance et la réputation accordées aux services sont fonction de la
valeur des renseignements transmis, de la psychologie des dirigeants et de
leur inclination à y recourir. La décision de ne pas agir relèverait-elle
d’une incapacité à utiliser le renseignement synthétisé par le 2e bureau de
l’EMA ou de la volonté de ne pas l’utiliser 21 ? En réalité, le haut
commandement a pu, incidemment, fausser une information stratégique
dont il a un large contrôle de production et de diffusion au sein de
l’appareil d’État, pour influencer la décision de politique étrangère 22. Les
leçons des crises internationales entre 1936 et 1938 ont souvent été
oubliées, par les contemporains eux-mêmes.
De ce point de vue, la crise rhénane de 1936 est un cas d’école. Sans
revenir sur son contexte international, il ne fait pas de doute que le gou-
vernement Sarraut et le haut commandement français disposent progres-
sivement, depuis janvier 1936, d’une information précise sur les
intentions allemandes 23. Cette crise internationale démontre l’impor-
tance de ressorts psychologiques et intellectuels qui ne font utiliser un
renseignement que lorsqu’on est vraiment prêt à l’accepter, tant dans les
milieux politiques que militaires. Jean-Baptiste Duroselle a souligné les

21. Élisabeth du Réau, Édouard Daladier, op. cit., p. 251-254.


22. Peter Jackson, « La politisation du renseignement en France 1933-1939 », in
L’exploitation du renseignement, op. cit., p. 63-81.
23. Jean-Baptiste Duroselle, La Décadence 1932-1939, op. cit., p. 153-168 ; Jean-
Hilaire Millet-Taunay (sous-lieutenant), L’exploitation du renseignement pendant la
crise rhénane, mémoire de DEA sous la direction de Georges-Henri Soutou, Univer-
sité de Paris IV-Sorbonne, 1998, 106 p. et annexes ; Gauché (général), Le Deuxième
bureau au travail (1935-1940), Paris, 1953, p. 44-51.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

réserves d’André François-Poncet, ambassadeur de France à Berlin, en


dépit des télégrammes plus pessimistes du consul général à Cologne
Dobler, et d’Alexis Léger, secrétaire général du Quai d’Orsay depuis
février 1933, à l’idée d’une remilitarisation imminente à la veille du
7 mars 1936. Et Gamelin, modifiant les statistiques des unités alle-
mandes déployées fournies par le 2e bureau, achève de vider le renseigne-
ment de tout intérêt 24. L’orientation des recherches d’information
conduit à déceler des signes de mobilisation que les interprétations mul-
tiples des militaires et des diplomates rendirent contradictoires. La « déci-
sion de ne rien faire », selon la très parlante expression de Jean-Baptiste
Duroselle, invalide tout renseignement 25. Martin Alexander et Peter
Jackson ont remarquablement démontré la déformation que Gamelin fait
subir aux renseignements dont il dispose comme les surestimations des
2es bureaux de l’EMA et de l’état-major de l’Air sur le réarmement alle-
mand 26. Les conditions d’efficacité du cycle du renseignement (orienta-
tion, collecte, traitement, analyse, exploitation-diffusion) sont rejetées par
le décideur qui ne veut, ni ne peut pas entrer dans une étude condition-
nelle de la valeur du renseignement. La diffusion est un enjeu pour
l’autorité ou l’institution qui possède le renseignement. Du moins est-ce
la thèse traditionnelle affichée dans les mémoires des acteurs militaires de
l’époque. Toutefois, en suivant les notes personnelles du colonel Louis
Rivet, une réunion a lieu le 8 juillet 1936, chez le général Colson, chef
d’état-major de l’armée, afin d’examiner les enseignements du 7 mars
1936 27. Les conclusions en sont la nécessité d’une meilleure transmis-
sion des renseignements et d’une coordination accrue entre les minis-
tères, atténuant les concurrences bureaucratiques inévitables.

24. Jean-Baptiste Duroselle, op. cit., p. 167-168.


25. Jean-Baptiste Duroselle, « La décision de politique étrangère. Esquisse d’un
modèle-type », in Relations internationales, nº 1, 1974, p. 5-26.
26. Peter Jackson, France and the Nazi menace. Intelligence and policy making
1933-1939, op. cit., p. 161-177 ; Martin Alexander, The Republic in danger. General
Maurice Gamelin and the politics on French defence, 1933-1940, Cambridge, CUP,
1993, p. 80-90.
27. Archives privées Rivet, Journal de bord du colonel Louis Rivet, volume I,
8 juillet 1936, p. 4. Sont présents les généraux Colson, Schweisguth, Gérodias, les
lieutenants-colonels Gauché et Rivet.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

En janvier 1939, la réunion annuelle des chefs de poste pousse Rivet à


tirer les enseignements de l’exploitation du renseignement par les services
spéciaux lors des trois crises de 1938. L’Anschluss, l’alerte de mai 1938,
puis la crise de septembre 1938 en Tchécoslovaquie, ont montré les fai-
blesses de l’exploitation du renseignement par les décideurs au sein du
gouvernement et de l’armée. Le regard jeté par les services spéciaux sur
leur action n’est donc pas sans intérêt. Le lieutenant-colonel Louis Rivet
analyse les trois coups de force allemands de 1938 en distinguant ceux
suivis d’occupation territoriale, caractérisés par des méthodes de prépara-
tion différentes. Selon lui, l’occupation de l’Autriche est basée sur une
fermentation intérieure, préparée dans le plus grand secret, réalisée rapi-
dement avec des moyens sommaires. Sans surprise, son analyse passe sous
silence l’absence de renseignement d’alerte imputable au poste extérieur
de Vienne. Celui-ci est supprimé après l’occupation allemande. Quant à
l’alerte de mai, elle lui semble avoir été préparée précipitamment comme
celle de l’Anschluss, mais elle aurait échoué faute de préparation suffi-
sante. En revanche, il considère que la crise de septembre a été préparée
plus minutieusement par les Allemands, par une habile propagande
visant à dissocier l’action de l’Angleterre et celle de la France. Son succès
tient aussi au développement rapide des forces armées allemandes,
impressionnant les décideurs. L’Italie appuie par ailleurs le programme
allemand, en dépit de ses difficultés intérieures et de la lutte d’influence
l’opposant à l’Allemagne en Europe centrale et balkanique. Il relève, en
outre, le prolongement de la guerre d’Espagne, marquée par des interven-
tions extérieures dans les deux camps espagnols, l’extension des ambitions
japonaises en Extrême-Orient, la faiblesse croissante de l’URSS dont le
régime intérieur devient plus policier 28. En France, les réactions face à
cette situation lui semblent caractérisées par un « redressement de l’esprit
national, une méfiance accrue à l’égard des étrangers, une aggravation des
peines pour crime d’espionnage et une union française plus nette face à
l’Allemagne et à l’Italie 29 ».
En somme, son bilan est peu original s’il n’était alors l’un des rares
esprits à concevoir cet examen critique au sein de l’appareil militaire et
de l’État. Par ailleurs, il estime positive la contribution du service dans la

28. SHD/DAT 7NN 2 463, compte rendu sommaire de la réunion des chefs de
poste à Paris du 11 au 13 janvier 1939, p. 1-2.
29. Ibidem, p. 3.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

crise de septembre 1938. Son service a certes situé, mais avec une grande
approximation, les événements en Autriche, qui furent, dès lors, suivis
très étroitement. Toute l’ambiguïté du renseignement, aux yeux des déci-
deurs de la fin de la IIIe République, tient ici : le renseignement suivrait
plus souvent les faits qu’il ne les devancerait ! Les services spéciaux
auraient ensuite prévenu le commandement de la tentative allemande de
mai 1938 sur la Tchécoslovaquie. Puis ils ont situé, avec une anticipation
de trois mois, la crise de septembre 1938, observant tous ses préparatifs.
Rivet s’adjuge un satisfecit en affirmant que l’affaire a ensuite été suivie
heure par heure :
« Au cours de la même année, le SR a pu, maintes fois, mettre en garde, en
temps voulu, le commandement contre les innombrables fausses nouvelles
répandues par une certaine presse. En résumé, grâce aux expériences précédentes,
le SR a pu au moment de la grave crise de septembre, remplir très largement sa
mission 30. »
Le personnel de service a été augmenté, malgré la difficulté de recru-
tement des officiers, pour faciliter la politique de « l’œil militaire dans les
consulats ». Le rendement et le recrutement des agents, surtout pour les
agents doubles, ont été bons en 1938 selon Rivet. La question des
liaisons est ensuite traditionnellement traitée sans nouveauté au regard de
1937. Malheureusement, cette évaluation ne s’élève qu’au sein des ser-
vices, sans l’écho qu’un contrôle externe aux services et à l’armée, sinon
au pouvoir exécutif, pourrait lui donner. Encore n’a-t-elle pas vocation,
par nature, à être rendue publique en 1939. Rivet n’aborde pas ainsi les
informations, très cloisonnées pour en protéger la source allemande,
ayant permis d’obtenir le plan d’expansion hitlérien dévoilé lors de la
réunion à la chancellerie du Reich le 5 novembre 1937 31.
Une nette autosatisfaction est décelable. L’analyse est lucide sur le
fonctionnement du service et sa production de renseignements. Mais elle
fait l’impasse sur les enjeux de l’exploitation politico-stratégique du ren-
seignement produit et diffusé notamment lors de l’affaire tchécoslovaque.
Or, il y a sans doute ici l’un des nœuds du défi à surmonter pour le ren-
seignement : comment convaincre les décideurs de sa valeur et comment
le protéger d’une déformation inévitablement exercée par ses utilisa-
teurs ? Les notes des 17 mars, 8 avril, 23 juillet et 23 septembre 1938 du

30. SHD/DAT 7NN 2 463, compte rendu sommaire de la réunion des chefs de
poste à Paris du 11 au 13 janvier 1939, p. 4-5.
31. Paul Paillole, op. cit., p. 107-110.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

2e bureau de l’EMA sur la Tchécoslovaquie au ministre de la Défense


nationale ont été élaborées sur la base des informations données par la
SR-SCR, par le nouvel attaché militaire à Prague au printemps 1938 et
par le général Faucher. Celles-ci offrent tous les scénarios possibles de
cristallisation de la crise. Il ne s’agit pas de revenir ici sur leur étude,
remarquablement établie par les travaux d’Élisabeth du Réau et de Peter
Jackson, démontrant par ailleurs les exagérations sur les capacités opéra-
tionnelles et l’état de l’industrie d’armement allemande 32. Daladier et
Gamelin sont donc précocement alertés. À cet échelon, l’utilisation du
renseignement par les décideurs est en jeu. Le dossier constitué par Dala-
dier rappelle qu’il eut entre les mains des renseignements précis lors des
négociations à Munich 33. Mais le sort de la crise ne se dénoue pas par
le renseignement, comme l’explique sans le vouloir le colonel Rivet dans
son propos introductif du 11 janvier 1939, lors de la réunion annuelle
des services à Paris.
À ce point, il faut s’interroger sur la volonté et la possibilité des déci-
deurs de s’informer à la source des services spéciaux militaires. Elle se
manifeste de façon exceptionnelle. La pauvreté des mémoires des acteurs
est frappante dans les années 1920. Dans les années 1930, l’importance
du renseignement des décideurs dans les crises internationales leur a fait
prendre des positions de défense ou de principe dans des souvenirs géné-
ralement rétrospectifs. Il est alors peu probant de s’appuyer sur ces appré-
ciations. Après 1936, les mémoires peuvent être confrontés plus aisément
aux archives des services spéciaux. Le rôle de Daladier pendant le Front
populaire en est le meilleur contre-exemple.

Les crises internationales, moteurs d’une pratique gouverne-


mentale du renseignement
En 1936-1938, les demandes du ministre de la Défense nationale sont
transmises directement par le général Colson, CEMA, puis par les géné-
raux Gérodias et Schweisguth qui s’adressent hiérarchiquement au chef
de la SR-SCR. Le journal de bord de Louis Rivet permet d’en repérer la

32. Élisabeth du Réau, op. cit., p. 234-237 ; Peter Jackson, op. cit., p. 247-297.
33. AN Fonds Daladier, 496 AP 8, dossier 5 sur « Avril 1938-octobre 38
Munich » et « Munich » par É. Daladier, 128 p. où il reconnaît avoir disposé d’une
information précise. Voir aussi 496 AP 11 sur les notes du 2e bureau concernant
l’annexion de la Tchécoslovaquie conservées par Daladier.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

trace. Ainsi « le général Colson demande-t-il d’urgence pour le président


Daladier un aperçu de l’activité du SR allemand », le 12 novembre
1937 34. Dans le double contexte de l’affaire Siemens et de la réunion
secrète du 5 novembre 1937 à Berlin, dont il vient vraisemblablement
d’être informé, Daladier est destinataire d’un dossier préparé à son inten-
tion 35. Ses dossiers personnels conservent la trace. Le même travail est
demandé sur le service de renseignement italien le 13 novembre. Éta-
blies par le 2e bureau du colonel Gauché, ces deux synthèses se trouvent
en effet dans ses papiers privés, inventoriés par la Fondation nationale des
sciences politiques en 1972 36. Prêt avant même la demande du ministre,
le rapport sur les activités du SR allemand est daté de septembre 1937,
à la différence de celui sur les activités du SR italien, sans doute rédigé
pour la circonstance. Le journal de bord du colonel Rivet n’apporte pas
davantage de précision sur ces deux questions jusqu’à la fin de l’année
1937. Préoccupé par les questions de politique intérieure prioritaire,
Daladier demeure vigileant sur le sujet. Son chef de cabinet, Clapier,
maintient un contact hebdomadaire avec Rivet depuis l’été 1936. Au
cabinet militaire du ministre, le général Bourret est chargé du suivi des
dossiers pour les renseignements techniques.
L’information du gouvernement se fait à l’échelon des directeurs de
cabinet des ministres et des directeurs d’administration centrale. Les
échanges d’information entre Charles Rochat, diplomate devenu chef de
cabinet, puis en juillet 1937 directeur de cabinet du ministre des Affaires
étrangères Yvon Delbos, et Louis Rivet, commencent en juillet 1936. En
1937, ces échanges ne s’interrompent plus, avec une régularité presque
hebdomadaire 37. La première visite au ministère des Affaires étrangères
a lieu le 18 juillet 1936 pour rencontrer Émile Charvériat. Rochat

34. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, tome 2, 12 novembre
1937, p. 7.
35. Paul Paillole, op. cit., p. 107-110.
36. Archives nationales, Fonds É. Daladier 496 AP 36, notice sur l’activité du SR
allemand en France pendant l’année 1937 : ses objectifs et ses moyens, septembre
1937. Ibidem, notice du SR-SCR 2e bureau EMA sur les activités du SR italien en
France, 13 novembre 1937. De nombreux rapports du 2e bureau se trouvent dans
son fonds privé.
37. Bernard Lachaise, Yvon Delbos, Périgueux, Fanlac, 1993, p. 183-186. René
Rémond, Quarante ans de cabinets ministériels 1936-1976, Paris, FNSP, 1982,
275 p. Louis Rivet, Journal de bord, vol. 1, op. cit., p. 5.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

téléphone très fréquemment à Rivet au sujet de dossiers en cours ou


d’incidents concernant l’espionnage d’attaché adjoint dans les postes à
l’étranger. À ce titre, le rôle du capitaine Stehlin, adjoint de l’attaché de
l’air à Berlin, est connu. Il s’accorde de nombreuses dérogations qui lui
font contourner les instructions de ne pas faire d’espionnage sur le pays
d’affectation 38. La répétition de ces situations crée des tensions occasion-
nelles, en dépit de relations institutionnelles fructueuses entre les deux
ministères à la fin des années 1930. Le journal de bord du colonel Rivet
en a gravé les souvenirs, par exemple le 12 septembre 1936 :
« Convoqué par M. Charvériat. Incident Pinot à Koenigsberg. Téléphone de
M. Rochat, désire avoir un compte rendu in extenso de notre organisation
commune 39. »
Puis des relations harmonieuses s’instaurent par des contacts télépho-
niques fréquents, dont trois à l’initiative de Rochat en septembre 1936.
Rivet voit à nouveau Rochat afin d’obtenir une contribution financière
du Quai d’Orsay pour l’achat de codes étrangers 40. L’accueil n’est pas
défavorable. En octobre 1937, Charles Rochat rejoint le Quai pour suc-
céder à Émile Charvériat à la sous-direction d’Europe, devenu adjoint au
directeur des affaires politiques et commerciales. Les relations se poursui-
vent lorsque Georges Bonnet remplace Yvon Delbos aux Affaires étran-
gères dans le cabinet Daladier en avril 1938.
Depuis 1933, une relation équilibrée s’est instaurée entre l’équipe
stable de la direction des affaires politiques et commerciales, autour du
secrétaire général Alexis Léger, de Bargeton, Massigli, Coulondre, Char-
vériat, Rochat, Hoppenot, et les chefs des services spéciaux, les colonels
Laurent en 1933-1934, Roux en 1934-1936, puis Rivet à partir de juin
1936 41. Il y a naturellement des échanges de renseignement entre les
administrations centrales. La direction des affaires politiques et commer-
ciales adresse des informations dont on trouve de très nombreuses traces
épistolaires dans les dossiers des services spéciaux militaires. La connais-
sance en matière de renseignement remonte pour certains diplomates

38. Georges Stehlin, Témoignage pour l’histoire, Paris, R. Laffont, 1960, p. 32.
39. Fonds privé Louis Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, vol. 1, 12 septembre
1936, p. 13.
40. Ibidem, 28 octobre 1936.
41. Jean-Baptiste Duroselle, La décadence, op. cit., p. 269-275 sur la machine
diplomatique et les figures de la direction des affaires politiques et commerciales en
1932-1939.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

parfois à l’expérience de la guerre de 1914-1918. Ainsi en est-il de René


Massigli, qui avait été affecté au début de la guerre à la section du
contrôle télégraphique, chargée d’intercepter les communications télégra-
phiques, notamment en matière économique. En février 1916, il fut
ensuite affecté, jusqu’au début de 1919, au bureau de la presse de Berne,
en Suisse, dépendant du ministère des Affaires étrangères, organisé par le
professeur Émile Haguenin 42. Avec ses compatriotes, parmi lesquels Jean
Morizé et André François-Poncet, normalien agrégé d’allemand, il y
dépouillait trente à quarante journaux et revues de la presse allemande
quotidiennement, dont la synthèse était quotidiennement télégraphiée à
Paris, destinée à la maison de la presse du Quai d’Orsay. Ce bureau
constitua l’un des moyens essentiels de l’acquisition française d’informa-
tion secrète et ouverte en Suisse, reliant des activités de censure, de pro-
pagande et de renseignement 43. Lorsqu’il est sous directeur Europe au
Quai d’Orsay de mars 1933 à octobre 1937, Émile Charvériat, fidèle du
secrétaire général Léger, rencontre régulièrement le chef des services spé-
ciaux ou les sous-chefs d’état-major de l’EMA. Le journal de bord du
colonel Rivet en établit la fréquence, mais pas toujours les motifs.
Devenu adjoint en octobre 1937, puis directeur des affaires politiques et
commerciales en octobre 1938, il conserve un intérêt majeur pour cette
coopération. Henri Hoppenot, devenu fin octobre 1938 sous-directeur
d’Europe, après la crise de Munich, entretient des liens personnels plus
lâches, ce qui ne signifie pas un désintérêt de principe du renseigne-
ment 44. La sous-direction d’Europe accomplit, en effet, la centralisation
des renseignements de politique générale, comprenant les rapports des

42. Jean-Claude Montant, La propagande extérieure de la France pendant la Pre-


mière Guerre mondiale. L’exemple de quelques neutres européens, thèse d’État, Univer-
sité de Paris I, 1988, p. 1027-1053. Émile Haguenin (1872-1924) est ancien élève
de l’ENS, agrégé de littérature, en poste à l’université de Berlin en 1901.
43. Raphaëlle Ulrich-Pier, René Massigli (1888-1988). Une vie de diplomate,
tome 1, Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2006, p. 37-53. Dans une lettre datée du 8 août
1916, l’historien Robert Fawtier, son ancien condisciple à l’École normale supé-
rieure, lui rappelait amicalement l’importance qu’il y avait « à bien renseigner ceux
qui nous dirigent ».
44. Léon Noël, La Tchécoslovaquie d’avant Munich, Paris, Publications de la Sor-
bonne, 1982, 149-162.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

attachés militaires 45. La relation fut-elle toujours d’harmonie ? Après


1945, les mémoires des acteurs dégradèrent, à l’heure des comptes histo-
riques, l’image suave d’une entente parfaite. Les responsabilités de la
défaite de 1940 ne se partagent pas aisément.
L’obtention du renseignement capital de la réunion secrète à Berlin
du 5 novembre 1937, par laquelle Hitler informe son entourage immé-
diat de ses buts de guerre pour les années 1938-1942, est aujourd’hui
bien connue 46. Lors de cette réunion, Hitler annonce son programme à
dix ans, commençant par le projet d’annexion de l’Autriche et de la
Tchécoslovaquie. Objet d’un procès-verbal établi par le colonel Hoss-
bach, son contenu est connu des services dès le 6 novembre 1937 à
Berlin. Dès le 6 novembre 1937, Maurice Dejean, diplomate en poste à
l’ambassade de France à Berlin, communique des informations secrètes
capitales sur les projets nazis à l’ambassadeur André François-Poncet. En
1946, celui-ci rappela l’information directe qu’il délivrait alors aux chefs
militaires français :
« Pendant tout le temps de ma mission en Allemagne, j’ai été, du reste, en
relation suivie avec notre État-Major général. Je ne suis, pour ainsi dire, jamais
allé à Paris, sans m’arrêter boulevard des Invalides, pour y faire part de mes
observations et impressions. En dehors des officiers attachés à notre ambassade,
j’ai toujours eu auprès de moi un intermédiaire spécial, chargé de transmettre,
sans passer par la filière administrative, tout ce qui, dans mon travail quotidien,
télégrammes, documents, rapports, renseignements, était de nature à intéresser
nos chefs militaires. Ceux-ci avaient, bien sûr, d’autres sources d’information.
Mais, par moi, ils ont été régulièrement avertis du développement de l’effort de
guerre du Reich et des formes qu’il revêtait 47. »
Pourtant, à cet instant, il n’évoque pas dans ses mémoires la réunion
du 5 novembre 1937. Dejean, sorti du Centre des hautes études germa-
niques de Strasbourg, pépinière pour les services spéciaux, a ensuite fait
un stage à Paris, au cœur des services secrets. Honorable correspondant,
il garde un contact régulier avec eux, passant à l’occasion de ses déplace-
ments à Paris à leur siège central, au 2 bis rue de Tourville 48.

45. Colette Barbier, Henri Hoppenot, diplomate (25 octobre 1891-10 août 1977),
Paris, ministère des Affaires étrangères, 1999, p. 109-119.
46. Élisabeth du Réau, op. cit., p. 204-206.
47. André François-Poncet, Souvenirs d’une ambassade à Berlin, Paris, Flamma-
rion, 1946, p. 279.
48. Archives privées Rivet, op. cit., vol 1, où il rencontre Rivet lors de ses passages
à Paris le 30 octobre, puis le 12 novembre 1936 par exemple. Paul Paillole, op. cit.,

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

François-Poncet télégraphie donc le renseignement à Paris, également


adressé par la valise diplomatique du 6 novembre 49. Par l’agent de péné-
tration H.-T. Schmidt, la teneur de la réunion des dirigeants nazis à la
grande chancellerie du Reich le 5 novembre 1937 est adressée dès le
6 novembre à Paris. Ce dernier a pour frère le général Rudolph Schmidt,
ami intime du colonel Hossbach qui rédige le procès-verbal de la réu-
nion, pièce à charge présentée lors du procès de Nüremberg en
1945-1946 sous le nom de « protocole Hossbach ». Selon Paul Paillole, le
Forschungsamt intercepta le message. Or, Berlin viole le code diploma-
tique et les communications téléphoniques français sans difficultés. Les
témoignages des anciens de services spéciaux ont été devancés par ceux
du général Gauché en 1953 50. La fuite provoque une enquête de
l’Abwehr, puis de la Gestapo pendant plusieurs semaines de la fin de
1937 au début de l’année 1938. Celle-ci a notamment pour conséquence
une interruption des échanges de renseignement entre les deux minis-
tères français, à l’initiative des services spéciaux militaires qui protègent
désormais leurs informateurs. Prévue depuis longtemps, la réunion du
Comité permanent de la Défense nationale, chargé de préparer les déci-
sions gouvernementales en matière de Défense nationale, eut lieu le
8 décembre 1937. Présidé par Édouard Daladier, il comprend les
ministres de la Marine et de l’Air ainsi que le haut commandement mili-
taire. Sans jamais être citées, les informations venues de Berlin, présentées
par Rivet à Daladier le 12 novembre, inspirent, le ton de cette réunion 51.
L’interrogation doit à nouveau être formulée à l’échelle du ministère
de la Défense nationale. Le renseignement est-il intégralement transmis
par les services spéciaux au 2e bureau de l’état-major de l’armée ? La prise
en compte du renseignement à l’échelon du ministre de la Guerre et du
chef d’état-major général de l’armée n’est pas toujours systématique. Le
général Weygand, chef d’état-major de l’armée en 1930-1931, puis

p. 50. À la fin d’une brillante carrière diplomatique, Maurice Dejean fut ambassa-
deur de France en URSS au début des années 1960, rappelé en 1964. À son propos,
voir Henri Froment-Meurice, Vu du Quai. Mémoires 1945-1983, Paris, Fayard,
1998, p. 82-83 et 96-97.
49. Document diplomatique français, 2, VII, nº 196, André François-Poncet,
6 novembre 1937.
50. Paul Paillole, op. cit., p. 107-120. Général Gauché, op. cit., p. 34.
51. SHD/DAT 2N 24, procès-verbal du comité permanent de la Défense natio-
nale du 8 décembre 1937.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

vice-président du Conseil supérieur de la guerre jusqu’en 1935, manifeste


une attention marquée pour le renseignement stratégique 52. Mais à partir
de février 1931, la réalité de la décision militaire appartient désormais au
CEMGA à l’EMA, Maurice Gamelin, qui doit composer avec Wey-
gand, n’ayant plus de son côté que l’illusion d’être le décideur militaire
ultime 53. En suivant les affirmations des souvenirs du général Gauché,
chef du 2e bureau depuis 1936, Gamelin a largement pris connaissance
des renseignements de son 2e bureau de l’EMA 54. Appartenant à la géné-
ration des chefs formés dans la guerre de 1914-1918, l’ancien chef du
3e bureau de Joffre en 1914-1916 afficherait-il une culture stratégique
étrangère au renseignement ? En suivant les relations entre les services
spéciaux militaires et Gamelin, le regard est bien plus complexe qu’il n’a
parfois été dit. On a interprété ses convictions sur le renseignement au
prisme, rétrospectif et critique, de ses Mémoires parus après-guerre.
D’après ses Mémoires, le renseignement ne l’aurait guère aidé dans ses
décisions stratégiques en 1940. Pourtant, l’intérêt de Gamelin pour le
renseignement est permanent. Il se tient étroitement informé par Colson
et suit l’emploi des services secrets. Le journal de bord de Rivet est un
éclairage inédit. Le chef des services spéciaux participe, aux côtés du chef
du 2e bureau de l’EMA, au grand rapport hebdomadaire de l’état-major
de l’armée. Il note ainsi le 29 septembre 1936 « rien de particulier pour
le SR ». Après l’obtention d’un renseignement sur un Kriegsspiel allemand
visant la Tchécoslovaquie étayant l’hypothèse d’un conflit en 1937,
« Gamelin prescrit d’accélérer les préparatifs dans tous les domaines » lors
du grand rapport de l’EMA du 5 janvier 1937 55. Fin janvier, Gamelin
appuie encore la demande de poursuites de L’Écho de Paris par le minis-
tère de la Défense nationale. Le journal a repris un article du Matin paru
le 22 janvier 1937 sur les codes et les décryptements. Par ailleurs, les

52. Sur le CSG dans les années 1930, on lira Frédéric Guelton (lieutenant-
colonel), Le « Journal » du général Weygand 1929-1935, Montpellier, CEDMDN,
1998, 371 p. Sur Weygand, Philip Bankwitz, Maxime Weygand and Civil-Military
Relations in modern France, Cambridge, Harvard University Press, 1967, 445 p.
53. Frédéric Guelton, « Les relations militaires franco-soviétiques dans les années
trente », in Mikhail Narinski et alii (dir.), La France et l’URSS dans l’Europe des
années 1930, Paris, PUPS, 2005, p. 64. Voir aussi Frédéric Guelton, Le « Journal »
du général Weygand, op. cit., p. 82.
54. Gauché (général), op. cit., p. 46-47 ; Martin Alexander, op. cit., p. 345.
55. Archives privées Rivet, op. cit., vol. 1, 5 janvier, puis 8 janvier 1937, p. 27.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

bulletins de renseignement du 2e bureau de l’EMA sont lus par Gamelin.


L’apposition de son timbre en atteste dans les archives de son état-major.
Sa défiance est intellectuelle et d’extrapolation en ne retenant d’abord
que les renseignements qui confortent sa thèse, son option stratégique.
Ponctuellement, il sollicite un renseignement. À une réunion de l’EMA
du 15 juin 1937, il demande alors à Rivet des renseignements sur la
Russie et l’Espagne.
Qu’en est-il de l’état-major de l’armée autour de Gamelin ? Les géné-
raux Gérodias et Schweisguth 56, sous-chefs d’état-major de l’armée en
1937, accordent une importance capitale aux synthèses du 2e bureau de
Gauché comme aux informations brutes des services de Rivet. Le général
Colson, CEMA, a été secrétaire général adjoint du CSDN de 1926 à
1929, puis secrétaire général du CSDN de novembre 1929 à septembre
1931, sous chef d’état-major de l’armée de 1931 à 1934. Il est chef
d’état-major de l’armée depuis le 1er janvier 1935 57. Mais son attention
se porte aussi directement aux informations de la SR-SCR, indépendam-
ment de la synthèse réalisée par le 2e bureau avec les informations des
attachés militaires. L’échange verbal restitue les nuances et les silences,
évidemment absents d’un bulletin de renseignement du 2e bureau qui
doit préparer le choix des chefs. Colson a des entretiens oraux réguliers
avec le lieutenant-colonel Rivet, sans nécessairement la présence du
colonel Maurice Gauché. La fréquence des rencontres entre Rivet et les
généraux Colson, Gérodias de juin 1936 à mars 1937 58, Schweisguth en
1937 est attestée par son journal de bord. Or, le service de renseigne-
ment devient un bureau de l’EMA relevant du sous-chef d’état-major
tout comme le 2e bureau en 1936. Cette réorganisation administrative

56. Archives nationales 351 AP 3, mémentos du général Schweisguth de février


1935 à août 1937. Le général Victor Schweisguth est sous-chef d’état-major de
l’armée depuis le 1er avril 1935, adjoint au général commandant la région militaire
de Paris, maintenu à disposition du CEMA à compter du 8 mars 1936. Il est sous-
chef d’état-major de l’armée à compter du 8 mars 1937. Il commande la 8e région
militaire fin 1937.
57. SHD/DAT 1K 278, carton 1, fonds privé Colson. Le général Colson est
HC-CEMA à compter du 27 octobre 1937, nommé « CEMGA à l’intérieur » le 21
septembre 1939.
58. Le général P. Gérodias a été sous-chef d’état-major de l’armée du 1er janvier
1936 au 8 mars 1937. Il commande la 29e DI, SFAM du 8 mars 1937 au 26 sep-
tembre 1937.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

tardive garantit un accès direct aux services de renseignement à l’EMA


sans le filtre du 2e bureau 59. Par leurs responsabilités successives depuis
le milieu des années 1920, Colson et Schweisguth sont indubitablement
ceux qui suivent, au plus près, le fonctionnement de la SR-SCR. En
1936, Colson veille jusqu’à l’affectation même des officiers à la centrale
des services. Or, la décision, qui relève théoriquement d’abord du chef
de service, est inhabituelle. Ainsi le 22 octobre 1936 Rivet note-t-il que
Colson « ne veut pas du commandant Éon pour le SR 60 ». Le choix très
important de ces officiers est donc suivi au plus haut niveau de l’état-
major de l’armée. Il en est de même pour le choix des chefs de poste du
SR-SCR en France et à l’étranger. Le général Gérodias entretient la
même proximité avec Rivet et les services spéciaux. Il rédige la notation
de Rivet en 1936, louant avec une naïveté tout juste feinte ses qualités
de « simplicité, modestie, discrétion, réserve de bon aloi, perspicacité,
jugement droit et sûr. C’est un silencieux, persuadé à très juste raison
que, surtout dans ses fonctions, trop parler nuit 61 ». Enfin le cas du
général Victor-Henri Schweisguth (1903-1970), sous-chef d’état-major à
compter du 1er avril 1935 suivant les questions générales et les fortifica-
tions jusqu’en septembre 1937, certifie l’attention très étroite portée par
l’état-major de l’armée à ses services spéciaux. Dès avril 1935, il partage
avec le général Loizeau, jusqu’au départ de celui-ci, puis avec le général
Gérodias jusqu’au 1er mars 1937, le suivi des questions de renseigne-
ments pour l’EMA. À compter du 1er mars 1937, il supervise direc-
tement le 2e bureau de l’EMA 62. À ce titre, ses mémentos notent
scrupuleusement ses rencontres régulières avec les attachés militaires, les
chefs des services spéciaux français, Roux puis Rivet, mais aussi étrangers,
le directeur de la Sûreté nationale et les représentants des Affaires étran-
gères dont Massigli, le colonel de Villelume pour l’Élysée, les chefs mili-
taires étrangers et les responsables politiques français 63. Ses carnets
offrent un suivi minutieux des conversations militaires et diplomatiques,

59. Henri Navarre (général), Le Service de renseignement 1871-1944, op. cit.,


p. 38-39.
60. Archives privées Louis Rivet, op. cit., volume 1, 22 octobre 1936, p. 12.
61. SHD/DAT 13 Yd 1345, dossier personnel du lieutenant-colonel Rivet,
feuillet individuel de campagne, note de 1936.
62. AN 351 AP 3, mémento du général Schweisguth, 1er mars 1937.
63. AN 351 AP2 et 3, fonds privé Schweisguth, notes, carnets et mémentos
1935-1937.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

des crises internationales entre 1935 et 1937 en dévoilant la source per-


manente du renseignement militaire utilisée par Gamelin et ses subor-
donnés. Son rôle dans les conversations franco-soviétiques à l’automne
1936 est central 64.
Les services spéciaux militaires sont donc sous l’autorité très étroite de
l’état-major de l’armée, précisément par le sous-chef d’état-major de
l’armée couvrant de son autorité le 2e bureau et par le chef d’état-major
de l’armée. Ce contrôle interne l’emporte sur un contrôle exécutif du
ministre de la Défense nationale et du gouvernement. Les contacts entre
les représentants du cabinet du maréchal Pétain, notamment par le capi-
taine Loustaunau-Lacau, qui y est affecté depuis mars 1935, et du cabinet
du gouverneur militaire de l’Élysée existent aussi plus ponctuellement.
Les preuves de ces échanges informels sont difficiles à réunir, men-
tionnées dans les seuls souvenirs, le plus souvent rétrospectifs, des
acteurs 65. Contrairement aux affirmations d’Henri Navarre en 1979, les
rapports avec les cabinets des ministres de la Défense nationale et des
Affaires étrangères sont avérés à la fin des années 1930. La volonté
inconsciente de maintenir l’histoire des services à l’écart de la politique,
en les cantonnant dans un rôle exclusivement technique, ne tient pas. Le
rejet d’une histoire irénique de leurs relations est délibéré. Les respon-
sables politiques ont une vision précise de ce qu’on peut demander aux
services spéciaux militaires 66.
Une active économie de l’échange de renseignement anime bien le
fonctionnement de l’État. Elle repose sur deux circuits. Le premier est
celui de l’armée et du ministère de la Défense nationale. La fréquence des
réunions et des entretiens entre le ministre, son chef de cabinet et le chef
des services spéciaux Rivet n’est pas, entre 1936 et 1939, de convenance
institutionnelle. Rivet regretta, après guerre, de n’avoir vu en tête-à-tête
Daladier qu’à cinq reprises, de façon intermittente et sans lien avec les
dossiers urgents. Les rapports directs n’auraient pas existé. Le préjugé de
Daladier aurait été « défavorable » envers le SR selon Rivet. En effet, il le

64. Frédéric Guelton, « Les relations militaires franco-soviétiques dans les années
1930 », op. cit.
65. Georges Loustaunau-Lacau, Mémoires d’un Français rebelle, Biarritz, J. et D.
Ed., 1994 (1948), p. 89-suiv.
66. Henri Navarre, op. cit., p. 45-46. L’ouvrage tint le rôle longtemps d’une his-
toire quasi officielle des services de renseignement.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

rencontre rarement, mais il le rencontre. Le 6 juillet 1937, il accom-


pagne le colonel Gauché pour exposer ses derniers renseignements sur la
question espagnole et les actions des Espagnols sur le territoire français.
Le 2 septembre 1937, la discussion porte sur l’Espagne et la Tchécoslo-
vaquie. Il le voit une troisième fois le 28 mai 1938 pour lui exposer des
informations sur les pays neutres. Le 4 mars 1939 et le 29 avril, l’entre-
tien porte sur le même sujet. D’après Rivet, les communications télépho-
niques sont également rares 67. Il est difficile de tirer une conclusion
hâtive sur la défiance qu’aurait manifestée Daladier à l’encontre des ser-
vices ou de leurs responsables. Le fait est que les papiers Daladier recè-
lent très peu de documents issus des services spéciaux militaires.
L’indication ne peut d’ailleurs conduire pour autant à une conclusion
tranchée sur son intérêt ou son indifférence, simplement sur son respect
des procédures institutionnelles et des usages politiques : on ne doit pas
rencontrer un chef des services secrets dans la mythologie politique
démocratique.
Le second marché de cette économie du secret dans l’État renvoie aux
relations institutionnelles et personnelles des responsables du renseigne-
ment militaire avec les autres ministères et avec les ministres eux-
mêmes. Les relations institutionnelles avec les ministères des Affaires
étrangères et de l’Intérieur sont riches. Les contacts individuels et télé-
phoniques sont préférés aux réunions formelles. Ils ont principalement
cours entre les chefs de service (Sûreté nationale, Renseignements géné-
raux à la préfecture de Police de Paris), avec les directeurs ou les sous-
directeurs des administrations centrales du Quai d’Orsay et de l’Intérieur.
Les entrevues avec les ministres sont plus rares ; mais ce sont les cabinets
qui traitent chaque semaine les affaires en cours. Le journal de bord de
Louis Rivet de juin 1936 à août 1939 confirme leur très nette régula-
rité. Le renseignement est bien transmis et diffusé par les services spé-
ciaux militaires. Mais son utilisation par le gouvernement leur échappe.
Si l’exploitation du renseignement consiste à convaincre, au bon
moment, le décideur politique de la démarche efficiente à engager à une
heure précise de l’action politique, force est de reconnaître que le sys-
tème politique de la IIIe République ne favorise pas une prise de déci-
sion rationnelle, par défaut d’un exécutif fort. En outre, les responsables
civils ont rarement endossé leur mission de chefs des armées, face à une

67. Archives privées Rivet, op. cit., vol. 5, octobre 1944.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

autorité militaire auréolée de la victoire en 1918 vers laquelle il était bon


de se retourner en confiance. Dans les années 1930, l’histoire de l’exé-
cutif renvoie inévitablement à un régime parlementaire moniste depuis la
constitution Grévy et la révision de 1884. Les présidents du Conseil suc-
cessifs n’ont pas voulu ou pu alors trancher la question de fond sur la
complexe relation entre le pouvoir civil et l’autorité militaire. Qui est, sur
le plan juridique et constitutionnel, le « chef des armées » en
1936-1939 68 ? Si l’article 3 de la loi du 25 février 1875 indique que le
président de la République « dispose de la force armée », il n’exerce plus
qu’une « magistrature morale » depuis 1879. En juillet 1915, Raymond
Poincaré, président de la République, reconnaissait déjà devant le séna-
teur Boudenoot, vice-président de la commission sénatoriale de l’armée
qu’il était bien le chef des armées :
« Chef des armées, mais tous ses actes doivent être contresignés par un
ministre responsable ; aussi n’avait-il pas d’autorité directe sur les armées et la
Marine. Il concluait que ce sont les ministres de la Guerre et de la Marine qui
sont les véritables chefs des armées 69 ».
La fonction est couverte par le contreseing (art. 3, in fine). De fait, le
président de la Répubique s’efface au profit du gouvernement qui détient
l’intégralité des compétences dans le domaine militaire, le ministre de la
Guerre en étant le chef effectif et responsable. Le contreseing a changé
de sens, ne signifiant plus l’acceptation par le gouvernement d’une déci-
sion du président de la République, mais il est devenu le signe tangible
de la responsabilité gouvernementale. Après 1918, le chef des armées est
donc encore le président du Conseil, bien que l’expression ne fût jamais
employée et que la politique de défense émane du seul gouvernement 70.
En 1938, Édouard Daladier, comme Albert Sarraut en mars 1936, se
veut-il, politiquement et psychologiquement, le chef des armées ? Rien
n’est moins sûr. La difficulté réside alors dans la collégialité de la décision
gouvernementale, tenant compte des équations parlementaires partisanes.

68. Roland Drago, « Le chef des armées de la Troisième à la Cinquième Répu-


blique », in Olivier Forcade et alii, Militaires en République 1870-1962, op. cit.
p. 45-46.
69. Archives du Sénat, procès-verbal de la commission sénatoriale de l’armée,
volume 4, 6 juillet 1915, compte rendu du sénateur Boudenoot à la commission de
sa visite aux présidents du conseil et de la République.
70. L’expression apparaît dans le décret portant organisation de la DN du
4/1/1946 pour le président du gouvernement provisoire de la République française.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

La coordination dépend en premier lieu des instructions en vigueur.


Elle est également déterminée par l’échelle des crises et par leurs consé-
quences. Il faut attendre les crises des années 1936-1939 pour que se ren-
force alors ce lien. La crise du 7 mars 1936 a convaincu les Affaires
étrangères de la nécessité d’un resserrement de la coordination avec la
SR-SCR. L’état-major de l’armée traduit cette volonté au chef des ser-
vices spéciaux militaires.
« Réunion chez le général Colson pour examen des questions soulevées par
les comptes rendus au sujet des enseignements du 7 mars 1936. Deux points par-
ticulièrement retenus. 1º augmentation de l’effectif officier d’active des postes,
qui doit mettre ceux-ci en état d’alerte permanente. 2º Participation des départe-
ments voisins, Affaires étrangères surtout, à l’activité du SR. Premier point
accordé. Second point fera l’objet d’une lettre aux AE. Question à poursuivre
d’urgence 71. »
De fait, il rencontre le directeur adjoint des affaires politiques et
commerciales Émile Charvériat au Quai d’Orsay le 18 juillet 1936 72.
À partir de 1936, la coopération interministérielle se renforce. Les rela-
tions avec le ministère de l’Intérieur sont harmonieuses. En 1936, des
réunions maintiennent la liaison régulière entre la Sûreté nationale et la
SR-SCR. Un représentant des services spéciaux assiste fréquemment à la
conférence hebdomadaire de la Sûreté nationale, à l’instar du comman-
dant Guy Schlesser en 1936 ou du capitaine Paul Paillole le 28 janvier
1937 73. Cette coopération est renforcée par des réunions provoquées au
gré des questions à régler. Ces relations s’instaurent également avec les
services rattachés à la préfecture de Police de Paris, dont les Renseigne-
ments généraux. L’efficace coordination du contre-espionnage policier et
militaire a accéléré l’arrestation de nombreux agents allemands au pre-
mier semestre 1937. Édouard Daladier, ministre de la Défense natio-
nale, souligna la coopération fructueuse établie par le contrôle général de
la surveillance du territoire avec le contre-espionnage militaire 74.

71. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, 8 juillet 1936, p. 4.
72. Les termes de la réunion ne sont pas connus.
73. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du capitaine Paillole au chef de la
SCR/EMA2 du 28 janvier 1937 de la conférence hebdomadaire de la Sûreté natio-
nale.
74. Claude Paillat, Dossiers secrets de la France contemporaine, tome 4, Le désastre
de 1940. La répétition générale, Paris, Robert Laffont, 1983, p. 43. Claude Paillat a
retrouvé la lettre nº 5544 SCR/EMA2 adressée le 19 janvier 1937 par Daladier à

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Précisément, à l’automne 1937, la recherche d’information sur les agisse-


ments d’organisations terroristes fixées en territoires étrangers et en
France provoque la rencontre du directeur des Renseignements généraux
à la préfecture de Police de Paris, Jacques Simon et de Louis Rivet, alors
chef des services spéciaux militaires. Ce dernier assure les Renseigne-
ments généraux de la coopération des services spéciaux dans la mesure de
leurs attributions. Rivet regrette que la coopération sur le terrain du
contre-espionnage avec la préfecture de Police de Paris n’ait pas été aussi
féconde qu’avec la Sûreté nationale. Il soutient que la SR n’a pas les
moyens de rechercher à l’étranger des informations sur des organisations
politiques cherchant à troubler la sécurité intérieure. Il assure Jacques
Simon que tous les renseignements obtenus lui seront désormais
adressés 75. Le 29 mars 1938 se déroule un nouvel entretien entre Jacques
Simon et Paul Paillole que ce dernier résuma :
« Ce haut fonctionnaire désirait 1º assurer le SR “dans cette période diffi-
cile” du concours total de la préfecture de Police. 2º Passer en revue les affaires
en cours les plus importantes et recevoir à cette occasion les desiderata du SR.
3º Remettre au SR un travail très complet de la préfecture de Police sur les orga-
nisations hitlériennes en France. »
Cette coopération devait s’élargir en 1938-1939 sur les organisations
italiennes avec en point de mire une surveillance particulière des ambas-
sades allemandes, italiennes et russes en France 76. Les échanges ne bais-
sent plus d’intensité en 1939.
Un autre aspect du renforcement relatif de la coordination interminis-
térielle est observable en 1939, à l’approche de la guerre. En juin 1939,
les échanges entre la SR-SCR et la direction de l’exploitation des PTT se
concluent par un arbitrage du cabinet du ministre des PTT, Jules Julien.
Un entretien inhabituel a eu lieu avec le capitaine Paillole. Le haut fonc-
tionnaire assure le SR d’une collaboration dont il souhaite voir les condi-
tions et les limites précisément définies. Un incident a eu lieu à Arras où

Marx Dormoy et saluant le travail du contrôle général de la surveillance du territoire


sous la direction de Castaing.
75. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet, chef SR-
SCR/EMA2 de son entretien avec Jacques Simon, directeur des RG à la préfecture
de Police de Paris, 4 octobre 1937.
76. SHD/DAT 7NN 2 511 (déclassé dans le dossier du suspect Paul Voelckel),
compte rendu du capitaine Paillole au sujet de son entretien avec J. Simon, directeur
des RG à la préfecture de Police à Paris, 29 mars 1938.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

le commissaire de la surveillance du territoire de Lille, appuyé par le


préfet de Lille, a demandé l’ouverture et la photographie de la correspon-
dance d’un suspect, fort des instructions du 2e bureau de l’EMA. Le
directeur de l’exploitation des PTT confirme le refus qui est notifié sauf
à imaginer un contrôle exceptionnel et très discret, après accord avec son
ministre. La Sûreté nationale a alors adressé au directeur général des PTT
de Paris une requête renouvelant la demande d’autorisation de contrôle.
Le directeur et le cabinet du ministre des PTT opposent un refus. Le
ministre des PTT est prêt toutefois à accepter cette demande formulée
par le ministère de la Guerre, à condition qu’il s’agisse de questions inté-
ressant la Défense nationale. Ces demandes doivent être faites oralement,
jamais par écrit. Le capitaine Paillole conclut en disant que les demandes
du SR sont exceptionnelles 77.
Certes, le SR a les moyens techniques d’ouvrir une correspondance
sans que cela ne paraisse. Mais l’épisode traduit davantage les adapta-
tions de l’administration à des circonstances exceptionnelles de « sécu-
rité nationale ». En définitive, l’épisode n’aurait aucun intérêt en état de
siège ; en temps de paix, il dévoile les progrès, dans un État de droit, des
contorsions administratives et des illégalités commises au nom de
l’intérêt de la Défense nationale. Aussi le chef des services spéciaux
encourage-t-il à rechercher des « collaborations patriotiques indivi-
duelles » dans les administrations des PTT :
« Des encouragements sont à donner pour poursuivre les collaborations
bénévoles des fonctionnaires des PTT pour la surveillance et le contrôle de cer-
taines correspondances intéressant la Défense nationale. Le service central identi-
fiera ces fonctionnaires. S’il y a une urgence, les chefs de poste décident et
établissent le contact. Aucune correspondance écrite [n’émane] des postes 78. »

77. SHD/DAT 7NN 2 101, compte rendu par le capitaine Paillole de son entre-
tien du 9 juin 1939 au cabinet du ministre des PTT à la demande du directeur de
l’exploitation postale. Le récit ne manque pas d’intérêt.
78. SHD/DAT 7NN 2 101, note secrète du chef de la SR-SCR/EMA2 pour les
postes de Lille, Belfort, Metz, Marseille et Bordeaux, 14 juin 1939.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Le Front populaire et les conférences interministérielles du renseigne-


ment en 1937

Vers une commission interministérielle du renseignement ?


Depuis 1918, la coordination interministérielle en matière de rensei-
gnement s’est approfondie, en dépit d’un cadre juridique insuffisam-
ment défini. En l’absence d’une véritable centralisation du travail
gouvernemental, sa première étape a résidé essentiellement dans des pro-
cédures interministérielles. L’évolution de l’architecture gouvernemen-
tale de 1871 à 1939 est mieux connue aujourd’hui 79. L’organisation
administrative de la présidence du Conseil, avec ou sans secrétariat
d’État, remonte au moins au gouvernement de Clemenceau en 1917.
Son caractère était alors improvisé et temporaire. L’organisation progres-
sive des services de la présidence du Conseil s’accélère cependant entre
1934 et 1936 80. De fait, il faut attendre l’organisation pérenne des ser-
vices administratifs de la présidence du Conseil, voulue en 1934 par
Gaston Doumergue et Pierre-Étienne Flandin. Apparue depuis quelques
années, une coordination administrative de l’exécutif sur un plan gouver-
nemental, et non plus simplement interministériel, est désormais à
l’œuvre. Distincte du politique, cette réforme est technique. Un décret
du 31 janvier 1935 organise le secrétariat général de la présidence du
Conseil, doté de crédits de fonctionnement, distinguant les trois étages
du cabinet, du sous-secrétariat d’État et du secrétariat général 81. La

79. Jean-Marie Mayeur, La Vie politique sous la IIIe République 1870-1940, Paris,
Points-Seuil, 1984, p. 100-101 et 379 ; René Rémond, La République souveraine. La
vie politique en France 1879-1939, Paris, Fayard, 2002, p. 110-111. La conception
d’une présidence du Conseil sans portefeuille est apparue dans le dernier gouverne-
ment Poincaré, puis chez Gaston Doumergue et enfin avec Léon Blum.
80. Nicolas Roussellier, Du gouvernement de guerre au gouvernement de la Défaite.
Les transformations du pouvoir exécutif en France (1913-1940), mémoire de recherche
inédit, p. 198-204, IEP de Paris, juin 2006, vol. 1 du dossier d’habilitation à diriger
les recherches, Vers une histoire de la loi. L’installation des services de la présidence du
Conseil dans l’hôtel Matignon se fait au printemps 1935. Maître des requêtes au
Conseil d’État, Georges Dayras est secrétaire général du 23 mai 1935 au 6 juin
1936, organisant l’équipe des hauts fonctionnnaires.
81. Gérard Conac, « Le secrétariat général du gouvernement. Cinquante ans
d’histoire », in Institut français des sciences administratives (dir.), Le Secrétariat
général du gouvernement, Paris, 1986.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

réforme trouve un domaine d’application privilégié dans les questions de


Défense nationale. Le président du Conseil reste tardivement le premier
des ministres sous la IIIe République. Aussi le travail gouvernemental
a-t-il d’abord répondu – sous la IIIe République – à une logique d’organi-
sation qui relativise le poids de la présidence du Conseil. Elle renforce
l’autorité du président du Conseil sur le travail interministériel et gouver-
nemental 82. La volonté de Léon Blum d’instaurer un véritable travail
gouvernemental remonte à son expérience de la Première Guerre mon-
diale 83. Léon Blum a placé Jules Moch (1893-1985) au secrétariat
général de la présidence du Conseil, cœur des services administartifs de
la présidence du Conseil, pour organiser méthodiquement le travail gou-
vernemental et les réformes 84. Rescapé de l’équipe précédente, le colonel
Keller est chargé des questions militaires. Au début de l’année 1937, cette
coordination trouve un champ d’expérimentation inédit dans le domaine
de la sécurité nationale.
Originellement convoquée au ministère de l’Intérieur, une première
réunion interministérielle se tient le 4 février 1937 à l’hôtel Matignon
sous l’autorité du président du Conseil, entouré du ministre de l’Intérieur
Marx Dormoy. Des représentants des ministères et de leurs services inté-
ressés aux questions de sécurité nationale ont été conviés par le ministre
de l’Intérieur 85. Cette première réunion est inédite à ce niveau de l’État.
Présidée par Léon Blum et en présence de Marx Dormoy, elle rassemble
l’amiral Darlan, chef d’état-major général de la Marine, Langeron, préfet
de Police de Paris, le général Descamps, chef adjoint de cabinet au minis-
tère de la Guerre, Moitessier, directeur de la Sûreté nationale, Émile
Charvériat, sous-directeur d’Europe au ministère des Affaires étrangères,
le commandant de Vilaine du 2e bureau Marine, le lieutenant-colonel
Gauché, chef du 2e bureau guerre, le commandant Loriot du 2e bureau
air, le lieutenant-colonel Rivet chef de la SR-SCR. Le président du
Conseil expose le but de la réunion que Marx Dormoy précise ensuite :

82. Pierre Renouvin, René Rémond, Léon Blum, chef de gouvernement


1936-1937, Paris, PFNSP, 1981 (1967), actes du colloque de 1965, 439 p.
83. Léon Blum, Lettre sur la réforme gouvernementale, Paris, 1918, p. 57 ; Nicolas
Roussellier, op. cit., p. 231-234.
84. Jules Moch, Une si longue vie, Paris, Robert Laffont, 1976 ; Éric Méchoulan,
Jules Moch, un socialiste dérangeant, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 135-170.
85. SHD/DAT 7NN 2 782, convocation du ministre de l’Intérieur à la réunion
présidée par Léon Blum, président du Conseil, le 29 janvier 1937.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

« Il s’agit en substance :
1º/ de coordonner, dans les principales recherches intéressant la sécurité
nationale, l’activité des organes d’information, civils, militaires et policiers qui
assument ces recherches. À cet effet, il est apparu indispensable que la présidence
du Conseil et les grands services de l’État s’informent mutuellement et périodi-
quement de leurs desiderata en matière de renseignements.
2º/ de fournir à ces services l’occasion d’échanger régulièrement les résultats
de leurs recherches.
3º/ de souder ainsi plus étroitement que par le passé les activités concou-
rant à la Défense nationale. De permettre à des chefs de service qui se voient trop
rarement ou pas du tout, de s’entretenir verbalement des questions entrant dans
leurs attributions et d’atteindre, par ce moyen, un bénéfice supérieur et plus
immédiat au profit de chacun.
M. Blum et Dormoy ont souligné qu’il ne s’agissait pas de créer un “minis-
tère de la police générale” rappelant celui de Fouché, mais d’instituer un orga-
nisme d’État dans lequel le chef de gouvernement pourra trouver à chaque
instant l’essentiel de ce qu’il doit savoir des événements touchant à la sécurité du
pays 86. »
Il s’agit non de modifier les attributions, mais bien d’accélérer l’infor-
mation réciproque en adaptant cette réunion ad hoc lors des séances heb-
domadaires à l’hôtel Matignon, tous les jeudi à 11 heures. Les chefs de
service présents à la première réunion seront chaque fois présents et le
secrétariat permanent tenu par le directeur de la Sûreté nationale. Les
chefs de 2e bureau des états-majors des trois armées seront présents, la
présence du chef des services spéciaux militaires étant obligatoire. Le
procès-verbal souligne qu’il ne serait pas rédigé à l’avenir de procès-ver-
baux pour que les débats restent rigoureusement secrets. Mais Rivet
prend alors l’initiative (a-t-il des instructions ?) d’établir un compte
rendu succint « pour le commandement seul », en contradiction fla-
grante avec l’instruction orale de Léon Blum. Il le mentionne laconique-
ment dans son journal de bord, en parlant de la première réunion des
« services d’information de l’Intérieur », pour évoquer désormais la
commission interministérielle d’information 87. Il ne semble pas avoir
mesuré, ou voulu retenir, la portée exacte de la réunion prescrite par le
ministère de l’Intérieur. Défiance de corps ou de spécialiste de l’espion-
nage ? Le 11 février 1937, il y envoie son adjoint, le lieutenant-colonel

86. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu de la réunion interministérielle sur la


sécurité nationale à Matignon du 4 février 1937, 3 p.
87. Archives privées Rivet, Journal de bord du lieutenant-colonel Louis Rivet,
volume 1, 4 février 1937, p. 32-33.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

Malraison. En réalité, si l’initiative en revient à Marx Dormoy, Léon


Blum a la volonté d’instaurer une commission interministérielle pour
donner naissance à un « organisme d’État » encore indéfini. Dans le
contexte de la guerre d’Espagne depuis l’été 1936, Léon Blum est parti-
culièrement sensibilisé à l’importance des informations sur les questions
de défense lui parvenant. Rencontrant tous les matins le président du
Conseil pour préparer les questions interministérielles, Jules Moch rap-
pela plus tard les « prédispositions intellectuelles parfaites de Léon Blum
pour apprécier les informations techniques qui lui sont adressées 88. »
Blum confirme l’impulsion gouvernementale aux décisions touchant au
domaine des questions de sécurité nationale. Multiples, les raisons tien-
nent à l’évolution de la situation internationale, les menaces pesant aux
frontières de la France en 1937.

Le bilan des réunions


Ces réunions couvrent pratiquement toute l’année 1937. Vingt-cinq
réunions ont été présidées par Marx Dormoy, ministre de l’Intérieur du
premier (6 juin 1936-21 juin 1937) et du deuxième gouvernement
(13 mars-8 avril 1938) de Léon Blum, puis du troisième gouvernement
Chautemps (21 juin 1937-13 janvier 1938). Elles se sont interrompues le
17 juin 1937, à la chute du premier gouvernement Blum. Elles ne sont
plus réunies pendant trois mois. Marx Dormoy les relance le 15 sep-
tembre 1937. Elles se déroulent jusqu’au 15 décembre 1937, puis ne sont
plus réunies en raison de la chute du gouvernement Chautemps au début
de janvier 1938. Elles s’étalent sur onze mois, avec une interruption esti-
vale de trois mois. Elles gardent leur fréquence hebdomadaire durant
toute l’année 1937. Elles ont pour objet de partager l’information entre
les responsables des services de renseignement policier et militaire ainsi
qu’avec le ministère des Affaires étrangères. Les membres statutaires n’ont
pas varié durant les vingt-cinq réunions : le préfet de Police de Paris, le
directeur de la Sûreté nationale, le sous-directeur d’Europe de la direc-
tion des affaires politiques et commerciales du ministère des Affaires

88. Pierre Renouvin, René Rémond (dir.), Léon Blum, chef de gouvernement
1936-1937, Paris, PFNSP, 1981, p. 41, intervention de Jules Moch dans la discus-
sion sur les qualités intellectuelles de Blum le prédisposant à une information tech-
nique parfaite.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

étrangères, le chef des services spéciaux militaires, les chefs des trois
2es bureaux des états-majors d’armées.
Le déroulement de la réunion du 25 février 1937 en est symptoma-
tique. Très rapidement, ces réunions interministérielles facilitent les
échanges de renseignement entre les différents services de renseigne-
ment. Des questions plus variées y sont traitées. La quatrième réunion du
25 février aborde successivement les grèves de 15 000 ouvriers aux usines
Peugeot de Montbéliard et celles en Allemagne, les activités des groupe-
ments professionnels et associatifs allemands en France, la propagande
terroriste à l’étranger, la disparition du général Toukhachevsky, le retour
des brigadistes internationaux d’Espagne en France, les interventions
diplomatiques allemandes pour obtenir la libération de leurs nationaux
arrêtés pour espionnage en France. Rivet annote son propre compte
rendu pour souligner les instructions qu’il a données aux services après la
réunion.
« I. M. Marx Dormoy cite le “cas extraordinaire” de la grève récemment
déclenchée aux usines Peugeot, à Montbéliard, par un certain Herzog, ouvrier
carrossier, agitateur professionnel et repris de justice, que la direction de l’usine
avait cru devoir changé de poste, dans le même atelier et sans modification de
salaire. Herzog a provoqué, à cette occasion, la grève de 15 000 ouvriers. Des
renseignements sont à rechercher sur cet agitateur.
En marge de ses notes, Rivet mentionne « Herzog n’est pas connu à SCR. »
M. Marx Dormoy a été informé du mauvais esprit qui régnerait en Alle-
magne parmi les ouvriers travaillant dans les usines en guerre. Des renseigne-
ments seraient désirables.
Annotation en marge de Rivet « SCR à demander au capitaine Stehlin qui est
très documenté »
II. M. Moitessier, directeur de la Sûreté nationale, et M. Langeron, préfet
de Police, déclarent n’avoir pas été informés du déplacement de von Wissener,
chef des légitimistes autrichiens, qui vient de faire un séjour à Paris. Cette
constatation remet en discussion le rôle attendu des Affaires étrangères, ainsi que
des commissaires spéciaux aux frontières, dans des cas analogues. Aucune déci-
sion n’est prise.
M. Moitessier signale l’activité des groupements allemands en France, à Paris
en particulier. Un échange de vue a lieu entre M. Charvériat, M. Langeron et
M. Moitessier au sujet des mesures qui pourraient être prises contre ces groupe-
ments. Ces hauts fonctionnaires conviennent qu’il est difficile d’entrer au sein
des réunions d’Allemands, qui se rassemblent à titre privé, et de savoir exacte-
ment les questions qui y sont discutées.
L’étude des procédés d’investigation sera poursuivie.
Annotation de Rivet : « la question est suivie à la PP. »

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

III M. Langeron désire obtenir des autres départements des renseignements


sur la propagande terroriste à l’étranger et sur notre propre territoire, afin de
déterminer les moyens qu’elle emploie et les buts qu’elle poursuit.
IV M. Charvériat se demande ce qu’est devenu le maréchal Toukhat-
chevsky qui a paru un instant menacé d’arrestation et dont on ne parle plus que
d’une manière évasive 89.
Il signale que suivant des renseignements à vérifier, des éléments étrangers se
sont introduits dans les arsenaux de la marine britannique à des fins de sabotage.
L’Amirauté britannique serait vivement alertée.
Il fait connaître que trois individus, dont un certain Ascensio ( ?) seraient
partis de Barcelone il y a quinze jours et auraient emprunté le territoire français
pour passer en Espagne nationaliste, avec la mission d’assassiner le général
Franco.
V Le commandant de Vilaine a appris qu’on avait prévu le retour en France
des brigadistes internationaux d’Espagne, pour le cas d’un échec du parti gouver-
nemental. On s’efforcerait alors de conserver à ces troupes leur constitution
actuelle, afin d’en disposer à l’occasion de troubles qui pourraient éclater en ter-
ritoire français.
M. Marx Dormoy et M. Langeron se déclarent sceptiques à cet égard, et sou-
lignent avant tout la lassitude et le dégoût des volontaires étrangers rentrant
d’Espagne.
VI Répondant à une question soulevée au cours de la réunion précédente
par M. Charvériat, le lieutenant-colonel Rivet maintient le point de vue de la
Guerre en ce qui concerne les demandes de renseignements adressés par l’ambas-
sade et les consulats allemands au sujet de leurs ressortissants arrêtés pour espion-
nage. Il est d’avis de ne répondre à ces demandes qu’au moment où la
divulgation de ces indiscrétions ne peut plus troubler l’instruction en cours, ni
favoriser les complicités.
Il est admis, après discussion, qu’il s’agit de cas d’espèce pouvant admettre
des décisions différentes et que le SR donnera satisfaction dès que possible à ce
genre de demandes 90. »
La commission fonctionne autant comme un organe de liaison et
d’information que comme un organe de décision des sujets touchant à la
sécurité nationale. Elle concourt à préparer le travail de chaque ministère
en faisant circuler une information commune. Des solutions interminis-
térielles sont recherchées aux dossiers présentés. Le ministre de l’Intérieur
élargit ces réunions exceptionnellement à des préfets de départements.

89. Le maréchal Toukhatchevsky, principal organisateur de l’Armée rouge, vient


d’être arrêté sur ordre de Staline. Il est exécuté en 1937.
90. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet, chef de
la SR-SCR/EMA2 de la commission interministérielle d’information présidée par
Marx Dormoy, ministre de l’Intérieur le 25 février 1937, 28 février 1937.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Ceux du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle participent ainsi à la


réunion interministérielle du 4 mars 1937, afin d’examiner les mesures
de rétorsion aux restrictions de la circulation frontalière franco-allemande
par Berlin 91.
Au printemps 1937, la commission interministérielle trouve son
mode de fonctionnement. Elle ne donne pas lieu à la création de l’orga-
nisme initialement envisagé. Elle met en œuvre une liaison et une coordi-
nation interministérielle très efficace, sans précédent. Mais elle est aussi
sans héritage, car les réunions s’espacent à la fin de l’année 1937. Elles
s’interrompent au début de l’année 1938. Cette interruption coïncide
avec la fin du troisième gouvernement Chautemps fin 1937. Dans le
quatrième gouvernement qu’il forme, Albert Sarraut succède à l’Inté-
rieur à Marx Dormoy. La commission n’est plus réunie. Le retour de ce
dernier dans le second gouvernement Blum réactive momentanément les
réunions. En définitive, la commission interministérielle du renseigne-
ment est une première expérience, exceptionnelle sous la IIIe République,
de partage interministériel du renseignement intérieur et extérieur. Elle
n’a pas de précédent dans la tentative d’instaurer un secrétariat perma-
nent en matière de renseignement entre les différents services. Elle accé-
lère la coordination des services de renseignement policier et militaire, en
liaison avec le Quai d’Orsay et l’Intérieur, au profit escompté de la prési-
dence du Conseil. Mais les séances se sont faites sous l’autorité du
ministre de l’Intérieur, non du secrétariat général de la présidence du
Conseil, pouvant vraisemblablement donner à ses participants le senti-
ment que le contrôle s’opère au profit du ministère de l’Intérieur. Aussi
est-elle sans lendemain en 1938. Il subsiste cependant une pratique du
travail interministériel en matière de renseignement qui ne fut pas totale-
ment oubliée après 1937. Mais dix ans s’écoulèrent en attendant le Secré-
tariat général de la Défense nationale sous la IVe République, qui échoua
largement en matière de coordination du renseignement, puis la gesta-
tion politique puis la création, vingt ans plus tard, du comité interminis-
tériel du renseignement. Prévu par l’ordonnance de la Défense de 1959,

91. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet, chef de


la SR-SCR/EMA2 de la 5e réunion interministérielle du 4 mars 1937, 5 p.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

il peinait encore à s’organiser sous l’autorité de Michel Debré en


1961-1962 92. L’apport à la décision politique fut, en 1937, appréciable.

L’apport à la décision politique


La guerre d’Espagne et les menaces autoritaires ont été le banc d’essai
de la commission interministérielle. En 1937, ces réunions interministé-
rielles du renseignement à Matignon constituent bien une innovation
pour réaliser une exploitation du renseignement au profit de la sécurité
nationale. Rivet ne les a abordées que comme un moyen de coordina-
tion et de partage du renseignement au profit du ministère de l’Intérieur.
Mais elles ont une portée autrement importante. Elles sont symptoma-
tiques d’une prise de conscience, au sommet de l’État, de la nécessité de
lier les menaces intérieures et extérieures dans des mesures politiques de
sécurité nationale. La conjonction des grèves de novembre 1936, affai-
blissant la position du gouvernement Blum, et les menaces portées par
la guerre d’Espagne rendent ces réunions indispensables dans l’esprit de
Marx Dormoy, au début de l’année 1937.
Depuis la fin de l’été 1936, la non-intervention française dans la
guerre d’Espagne est la doctrine officielle de la politique étrangère fran-
çaise. La question espagnole ne quitte pas l’ordre du jour des réunions
interministérielles. La situation du contrôle des frontières espagnoles est,
précisément, traitée le 4 mars 1937. Les modalités du contrôle pro-
posées par Moitessier, directeur de la Sûreté nationale, y sont approuvées.
De réunion en réunion, le retour difficile des brigadistes français conduit
à défendre les droits des nationaux à l’étranger 93. Les livraisons étran-
gères d’armes, l’activité des unités allemandes et italiennes, la sécurité des
frontières, l’afflux des réfugiés espagnols rendent chaque semaine le dos-
sier espagnol toujours plus incontournable. Le 11 mars 1937, la sixième
réunion est consacrée à des informations de Rivet sur la guerre d’Espagne
et la possibilité d’une régence du général Franco. L’exode de populations
espagnoles vers la France est envisagé, mais leur accueil dans des camps

92. Olivier Forcade, « Michel Debré et les fins politiques du renseignement


1959-1962 », communication au colloque Michel Debré, chef de gouvernement orga-
nisé par le CHEVS-FNSP, Palais du Luxembourg, 14-16 mars 2002, sous la direc-
tion de Serge Berstein, Pierre Milza, Jean-François Sirinelli, PUF, 2005, p. 489-513.
93. Rémi Skoutelsky, L’espoir guidait leur pas : les volontaires français dans les bri-
gades internationales, 1936-1939, Paris, Grasset, 1998, 410 p.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

de transit n’est pas encore dans les esprits 94. De nombreux renseigne-
ments militaires sont communiqués aux membres de la commission. Les
événements d’Espagne sont à nouveau observés lors de la réunion du
22 avril 1937. Les trafics d’armes sont abordés. L’activité politique des
Espagnols accueillis dans le sud-ouest de la France crée des problèmes
grandissants que Dormoy veut résoudre lors de la réunion du 17 sep-
tembre. Le franchissement clandestin fréquent des frontières souligne les
limites de l’action de la Sûreté nationale pour mettre en œuvre une poli-
tique répressive. À aucun instant une coopération avec les services secrets
républicains espagnols n’est abordée ni envisagée par la commission 95.
D’autre part, les menées italiennes et allemandes en France sont un
sujet constamment alimenté par les échanges de renseignement. À deux
reprises, le 18 février et le 4 mars, Charvériat et Rivet abordent la coopé-
ration des représentations diplomatiques françaises en matière de contre-
espionnage. La tradition du corps diplomatique s’oppose à l’idée d’y
installer des officiers de renseignement. La faiblesse des communautés
françaises à l’étranger, dans les pays concernés, rendrait la mesure inopé-
rante selon Charvériat 96. D’autre part, l’usage fait par des offices diplo-
matiques étrangers pour abriter des services d’espionnage en est la
seconde raison. Rivet demande si l’expulsion des faux diplomates qui s’y
dissimulent sous couverture diplomatique est envisagée par les Affaires
étrangères, à moins qu’elles n’accordent les mêmes facilités aux services
français. Charvériat recommande la première solution. Exceptionnelle-
ment, il envisagerait, au cas par cas, la possibilité d’étendre l’installation
d’officiers de renseignement dans les consulats. La question demeure
pourtant sans suite, le département des Affaires étrangères faisant valoir
que les attachés militaires adjoints tiennent déjà, de fait, ce rôle, dans cer-
taines ambassades. Leur application est toutefois imparfaite en 1937
comme en 1938 dans les faits. La préparation de l’Exposition universelle
donne lieu à plusieurs débats sur l’autorisation à donner ou pas à la venue

94. Geneviève Dreyfus-Armand, L’Exil des républicains espagnols en France : de la


guerre civile à la mort de Franco, Paris, Albin Michel, 1999, 464 p.
95. Yannick Pech, Les Services secrets républicains espagnols en France. Organisa-
tion, réseaux, action, préface de Jean-François Berdah, postface de Jean-Charles Jauf-
fret, Éd. Loubatières, 2005, 239 p.
96. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet, chef de
la SR-SCR/EMA2 au sujet de la réunion interministérielle du 18 février 1937 au
ministère de l’Intérieur, p. 3.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

de 10 000 jeunes Allemands, par étapes à vélo, depuis Berlin. Le refus de


Rivet est contredit par la position des Affaires étrangères. Les arresta-
tions d’espions allemands sont présentées en montrant leur accroisse-
ment, en application de la loi du 26 janvier 1934. Plus tard, lors de la
septième réunion du 24 mars, l’agitation par des provocateurs téléguidés
de l’étranger est soupçonnée par Marx Dormoy. Des incidents ont pro-
voqué, le 16 mars, une fusillade à Clichy 97. Une manifestation de
gauche, organisée pour protester contre une réunion du parti social
français, tourne au drame quand la police tire sur la foule, faisant six
morts et deux cents blessés. Elle provoque une grève générale en région
parisienne à l’appel de la CGT. Le ministre de l’Intérieur veut des
moyens de se renseigner à l’étranger sur ces manœuvres. Il souhaite iden-
tifier leur financement 98. Sa position traduit le sentiment d’une provoca-
tion extérieure, partagé avec la préfecture de Police. On sait aujourd’hui
que cette provocation est un débordement de la police française, vraisem-
blablement exploité par la Cagoule.
Le rôle de Marx Dormoy est décisif pour l’établissement d’une nou-
velle conception de la sécurité nationale, liant étroitement les enjeux inté-
rieurs et extérieurs. Depuis la réunion du 4 mars 1937, les difficultés à
contrôler les étrangers sur un sol français qui est une terre d’asile pour de
nombreux réfugiés politiques russes, italiens, espagnols, allemands sont
fréquemment à l’ordre du jour. Le contrôle des frontières espagnoles et
le retour des brigadistes internationaux vers la France rappellent la per-
méabilité des frontières françaises. Les agissements italiens de l’Organiz-
zazione di Vigilanza Repressione dell’Antisfascismo (OVRA) en France
redoublent à l’automne 1937. Matignon fait l’apprentissage du terro-
risme, manipulé et financé depuis l’étranger. La question fait son appari-
tion à l’ordre du jour des réunions de septembre 1937 après des attentats
terroristes à Paris. Les menées de l’OVRA, à moindre degré des ous-
tachis yougoslaves à la solde de Rome, exilés clandestins en France, frap-
pent l’opinion publique. Confronté à une forte immigration politique, le
gouvernement a renforcé le contrôle aux frontières et le rétablissement
des passeports pour tous les étrangers entrant en France le 15 décembre
1937. À maintes reprises, Rivet et Moitessier soulignent la facilité de

97. Frédéric Monier, Le Front populaire, Paris, La Découverte, 2002, p. 62.


98. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu de Louis Rivet de la 7e réunion inter-
ministérielle, 24 mars 1937,

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

recrutement d’agents par des puissances étrangères dans ces milieux. À la


réunion du 17 novembre, l’opposition des différentes doctrines en
matière d’expulsion, défendues par les ministères publics, ne facilite pas
la répression. Convoqué seul par le ministre de l’Intérieur le 24 août
1937, Rivet a donné une explication nouvelle de la suspension des réu-
nions interministérielles durant l’été 1937. En août 1937, Rivet répond
à une interrogation de Dormoy sur la nécessité d’expulser du territoire
français des émissaires espagnols de Franco se livrant à des activités clan-
destines préjudiciables à la Défense nationale :
« Entièrement et plus que jamais. Les derniers renseignements reçus au SR
dans ces domaines établissent en effet que le SR allemand, fonctionnant au profit
de Franco, a pris à sa charge de recruter des agents et de rechercher des rensei-
gnements militaires en territoire français. Un organe de ce service de renseigne-
ment a été établi récemment à Irun. Il est hors de doute que le SR allemand
utilise les services des nationalistes espagnols fixés en France et que le SR français
a eu l’occasion de signaler à la Sûreté nationale.
Marx Dormoy : Je suis heureux de trouver un accord avec vous sur ce point.
J’ai dû, à la demande du ministère des Affaires étrangères, surseoir à l’expulsion
de personnages indésirables. J’ai cédé à l’objection des répercussions que pourrait
avoir, sur le plan extérieur, l’exécution de décisions déjà prises. Mais je compte
soumettre à nouveau la question au Conseil des ministres que je placerai devant
ses responsabilités.
Le ministre de l’Intérieur exprime ensuite au chef du service de renseigne-
ment sa satisfaction d’avoir reçu du ministre de la Guerre une lettre d’éloges
pour le personnel de la Sûreté nationale collaborant avec les services spéciaux
militaires. Argument pour plaider l’augmentation de ses personnels et de ses
crédits.
À une allusion faite par le chef du service de renseignement à la suspension
des réunions à Matignon, M. Dormoy lui confie que ces réunions avaient perdu
une partie de leur intérêt du fait des hésitations manifestées par le représentant
des Affaires étrangères à se rallier aux solutions radicales et promptes réclamées
dans de nombreux cas par le représentant de l’Intérieur et d’autres membres de la
commission 99. »
Cette entrevue technique ouverte à des considérations plus générales
rappelle que les attentes des départements ministériels concernés par ces
réunions sont différentes au premier semestre 1937. L’approche des ser-
vices de police et du ministre de l’Intérieur est essentiellement pragma-
tique et répressive dans le contexte de la guerre d’Espagne. Les enjeux de

99. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu très secret du lieutenant-colonel


Rivet, chef SR-SCR/EMA2 du 24 août 1937 au sujet de son entretien avec Marx
Dormoy, ministre de l’Intérieur (conservé au coffre du chef de service).

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

la sécurité nationale cristallisent principalement un défi policier et mili-


taire aux yeux de Dormoy. Pour les services spéciaux, l’approche répres-
sive procède du constat de l’aggravation des agissements des services
spéciaux étrangers en France depuis 1936. Pour les diplomates, ces
enjeux s’intègrent à une défense des intérêts de la politique extérieure qui
les englobe si elle ne les subordonne pas. Dormoy impose cependant la
reprise des réunions en septembre 1937, car le terrorisme et le renforce-
ment de la surveillance des frontières devenaient un problème urgent 100.
L’exploitation du renseignement produit par les services n’est-elle pas
pourtant l’apanage du 2e bureau de l’EMA, au seul profit du ministère
de la Défense nationale ? Ces réunions représentent une expérience fon-
datrice d’exploitation interministérielle du renseignement. Elles n’ont pas
existé avant 1937. Elles sont sans lendemain après 1937. La conception
de l’organisation du travail gouvernemental due à Léon Blum ne s’efface
pas totalement après la chute de son gouvernement. Les réunions ont
repris en septembre 1937 jusqu’à la fin de décembre 1937. Elles cessent
avec le départ de Marx Dormoy du ministère de l’Intérieur en janvier
1938. Elles demeurent largement la marque de la volonté de deux
hommes. Elles ont permis une transmission et une diffusion exception-
nelle du renseignement touchant à la sécurité nationale. Le ministère de
la Défense nationale – qui, certes, n’en a eu ni l’initiative ni le pilo-
tage – et les services spéciaux militaires n’ont pas défendu officiellement
le principe de leur maintien en janvier 1938. En réalité, Rivet a reçu, le
27 septembre 1937, l’instruction très nette du haut commandement de
s’abstenir de toute intervention orale aux réunions. L’instruction, prove-
nant sans aucun doute du cabinet militaire plutôt que de Gamelin, est de
ne pas aller à toutes les réunions et d’y intervenir le moins possible.
« Entretien avec le général Decamp qui confirme les instructions du 25 au
sujet des réunions au ministère de l’Intérieur, instruction qu’il étend à la partici-
pation de Gauché. À 17 h 30 le général Decamp téléphone : vu le Président au
sujet de ce que je vous ai dit ce matin.
Afin d’atténuer la rigueur et le risque de désagréments d’une attitude d’abs-
tention brutale.
1º N’allez pas à la prochaine réunion
2º Allez à la seconde

100. Pierre-Arnaud Drouvin, Le terrorisme international en France 1934-1939,


mémoire de master I, Université Jules Verne de Picardie, 2006, 227 p.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

3º À la première envoyez un personnage muet, à la seconde ne dites rien ou


presque, ou ne répondez qu’après consultation du cabinet au cas où vous aurez
été prévenu de l’ordre du jour de la réunion. Même instruction pour Gauché.
Compte rendu verbal en est fait au général Limasset. Gauché est informé 101. »
Les différends entre le ministère de la Défense nationale et l’Intérieur,
mais également la position neutraliste des Affaires étrangères, expliquent
l’évolution de l’attitude des représentants du ministère de la Défense
nationale. À l’automne 1937, les remous de l’affaire de la Cagoule ne
sont pas non plus sans incidence sur les relations entre entre le haut
commandement et le gouvernement. Cette situation condamne, à court
terme, l’efficacité des réunions. Dans son journal de bord, les mentions
de Rivet sont désormais laconiques. La décision doit-elle être rappro-
chée de l’enquête sur la Cagoule menée par le ministère de l’Intérieur,
animé de suspicions qui n’étaient pas toutes illégitimes envers le haut
commandement ? Les acteurs de l’époque n’en ont donné aucune expli-
cation, les rangeant dans les mémoires au rang de simples réunions tech-
niques du ministère de l’Intérieur.
Inédites, restées sans lendemain en 1938-1939, ces réunions consti-
tuent une expérience unique d’exploitation politique du renseignement
de « sécurité nationale ». Mais cette pratique ne fut pas institutionna-
lisée. Cette notion de « sécurité nationale », explicitement affichée par
certains responsables politiques du Front populaire, fut préférée à celle de
« Défense nationale », heurtant les doctrines habituelles de la Défense
nationale 102. L’idée d’une « sécurité nationale », défendue par Blum et
Dormoy, bouscule pourtant une conception encore traditionnelle de la
défense du pays et de l’intérêt national chez les diplomates et les mili-
taires. La police, auxiliaire du pouvoir du Front populaire et du régime
républicain ? La répression des polices est dans tous les esprits. 1937 est
l’année de la fusillade de Clichy, ravivant le souvenir des journées de
février 1934. La toute-puissance de la préfecture de Police de Paris a
frappé l’attention du capitaine Paillole le 27 janvier 1937 103. Son budget

101. Archives privées Rivet, op. cit., vol. 2, 27 septembre 1937, p. 62.
102. Jean-Charles Jauffret (dir.), Le devoir de défense en Europe aux XIX-XXe siècles,
Paris, Economica, 2002, 344 p.
103. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du capitaine Paillole, SCR/EMA2
du 27 janvier 1937 au sujet de la conférence au Collège des hautes études de la
Défense nationale de Rayon-Targe, chef de cabinet de M. Chautemps, ministre
d’État sur l’organisation de la Sûreté nationale et de son rôle. Il est auparavant chef

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

s’élève à 600 millions de francs contre 60 millions à la Sûreté nationale.


Elle compte près de 20 000 agents en 1939. Cette considération psycho-
logique, qui joue comme un frein, a pu être présente à l’esprit d’autres
participants aux réunions de Matignon qui défendaient une autre vision
de l’État, moins répressive 104. La fonction préventive de l’action de la
Sûreté nationale, précisément au sujet des étrangers aux frontières et sur
le territoire national, est néanmoins essentielle. Les annotations de Rivet
dans son journal de bord ne mentionnent que les dates des réunions pré-
sidées par Dormoy à Matignon, sans jamais aucune autre remarque. Les
mémoires des officiers de renseignement sont également muets à ce
sujet 105. « Coordonner les recherches sur la sécurité nationale, fournir et
échanger des renseignements entre administrations, souder les activités
concourant à la Défense nationale » : tels étaient les buts affichés par
Blum et Dormoy en février 1937. En janvier 1938, ces réunions intermi-
nistérielles ont fait progresser une pratique gouvernementale de coordina-
tion et d’exploitation du renseignement. Il est prématuré de parler d’une
véritable culture gouvernementale du renseignement. Mise à l’honneur
par Blum le 5 février 1937, l’idée de la culture administrative des
« grands services de l’État » doit encore, chez ses plus éminents représen-
tants, s’enraciner. Du secret dans l’État, les grands corps de l’État
n’avaient ni la même histoire, ni la même conception particulière en
1938. Enfin, l’expérience française marque un retard, au regard de la
mise en place durable en 1936, par le cabinet britannique, d’une cordi-
nation du renseignement avec le Joint Intelligence committee. Perma-
nente, cette instance fait remonter au premier ministre anglais le
renseignement civil et militaire pour forger ses décisions, dans le cadre du
gouvernement de cabinet.

du 4e bureau à la direction de la police du territoire des étrangers de la Sûreté natio-


nale.
104. Igor Charras, « Polices et policiers », in Marc Olivier Baruch et Vincent
Duclert, Serviteurs de l’État, op. cit., p. 305-306.
105. Henri Navarre, op. cit., ne les évoque pas.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Le gouvernement et le Parlement contrôlent-ils le renseignement ?

Les conditions générales d’un contrôle des activités de


renseignement
Le contrôle interne des services spéciaux militaires l’a emporté ainsi
sur un contrôle externe, exécutif ou parlementaire. Deux manifestations
principales en sont un signe. La nomination du chef des services spéciaux
militaires relève de l’état-major de l’armée. Dans l’entre-deux-guerres, les
spécialistes du renseignement ont été nommés sans autre considération
que leur compétence technique et professionnelle, non d’un quelconque
enjeu politique. Le colonel Lainey, chef des services spéciaux de 1920 à
1928, puis du 2e bureau de l’EMA en 1928-1930, détermine le choix,
par le chef d’état-major de l’armée, de ses trois successeurs, Laurent,
Roux et Rivet. L’apolitisme professionnel des chefs des services secrets
l’emporte sur l’expression de convictions étrangères au service. De la
même manière, le Parlement et le gouvernement ne sont pas intervenus
dans leur désignation. L’examen de la correspondance active et passive de
quelques ministres de la Guerre n’infirme pas l’hypothèse 106. Le second
point est l’examen parlementaire du budget du ministère de la Guerre.
Les sondages dans les archives parlementaires des commissions ne don-
nent pas d’indications utiles à la question 107. Il n’y a pas eu de contrôle
parlementaire actif des services spéciaux militaires par l’examen de leur
budget. Ce budget est un chapitre du budget du 2e bureau de l’état-
major. La comptabilité de la SR-SCR est suivie et signée par le sous-
chef de l’état-major de l’armée. Elle est présentée par le chef du service
annuellement. Aux deux extrémités de la période, le contrôle interne par

106. AN 313 AP 214, fonds privé Painlevé, correspondance reçue, 1927-1928 et


313 AP 215, correspondance passive 1926-1929. La correspondance passive ne
recèle pas de lettres reçues au sujet du 2e bureau et de la succession de Lainey en
1928. Dans le carton 313 AP 221, dossier Albert Thomas se trouve une lettre
d’Albert Thomas de 1925 recommandant à Paul Painlevé de recevoir un certain
« Gamelin qui songe à pantoufler, n’ayant pas reçu de commandement intéressant. »
AN 470 AP 103, correspondance adressée à Alexandre Millerand, notamment des
généraux Buat et Catroux. Cette correspondance ne donne pas plus d’indications sur
le choix de Lainey en 1922.
107. AN C 14 642 et 14 643, procès-verbaux de la commission de l’armée de la
Chambre, janvier 1920 à décembre 1924 ; C 14 766-14- 767, procès-verbaux de la
commission de l’armée de la Chambre, 1924 à 1927.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

le chef d’état-major de l’armée (c’est-à-dire de l’armée de terre) suffit à


examiner les crédits des services spéciaux militaires. L’exécution de leur
budget, comme la comptabilité, est sous leur seule responsabilité. De
1920 à 1923, le général Edmond Buat en suit tout particulièrement
l’organisation et les activités 108. Depuis 1914, sa position est longtemps
restée critique à l’encontre du fonctionnement du 2e bureau de l’EMA
et sur le concours limité du renseignement à la réflexion et à la mise en
œuvre stratégique. Aussi exerce-t-il un regard tâtillon sur les activités du
2e bureau en général, des services du colonel Lainey en particulier. À la
fin des années 1930, Rivet présente cette même comptabilité pour signa-
ture aux généraux Gérodias, puis Schweisguth à partir du 1er mars
1937 109. Le chef d’état-major d’armée est le garant, devant le ministre de
la Guerre, de l’emploi des fonds. Aussi Gamelin vérifie-t-il le 8 janvier
1937 l’emploi des fonds des services secrets avec Rivet 110. Il en signe alors
personnellement le registre de comptabilité. En l’absence de preuves par
les archives, la pratique marquerait un recul aux regards des procédures
parlementaires instaurées en France depuis 1848 111. D’autre part, ce
contrôle interne permet au supérieur de vérifier l’obéissance des officiers
subalternes dans les relations de commandement et par la notation. Le
contrôle exécutif des services spéciaux militaires par le gouvernement est
faible, voire absent. Le principal enjeu politique est la désignation du
haut commandement, non du chef des services spéciaux militaires.
En définitive, il ne semble pas y avoir eu, entre 1919 et 1939, de
contrôle parlementaire du budget des services spéciaux militaires. Le
contrôle des actes des services spéciaux militaires est interne à l’état-major
de l’armée. Le service est constamment sous l’autorité étroite du chef du
2e bureau, du sous-chef d’état major de l’armée suivant le 2e bureau et
du chef d’état-major de l’armée. Le chef des services spéciaux jouit ainsi
d’une réelle latitude dans la définition et dans la mise en œuvre de ses

108. Bibliothèque de l’Institut, Souvenirs du général Edmond Buat (1868-1923),


Manuscrits 5392, 1921-1922, et 5393, 1922-1923, au sujet de l’organisation et du
travail du 2e bureau de l’EMA en 1921-1923.
109. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 2, 1er mars et
1er avril 1937, p. 35 et 38 au sujet des consignes de Gérodias à Schweisguth de la
signature des registres de la SR.
110. Ibidem, 8 janvier 1937, p. 27
111. Sébastien Laurent, « L’argent secret de l’État. Les fonds secrets ministériels
dans la République (1848-1914) », op. cit.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

missions. Toutefois, les bornes en sont les instructions ministérielles et la


coopération technique avec les ministères des Affaires étrangères et de
l’Intérieur, en particulier pour le contre-espionnage à l’étranger. En règle
générale, le Parlement et le gouvernement assimilent l’appareil de rensei-
gnement à un bureau de l’état-major de l’armée. Cette méconnaissance
particulière suscite des méprises. Jusqu’au Parlement, elle est la source des
représentations les plus répandues de l’espion qui expie une faute sociale
pour antipatriotisme. Dans les années 1920, la figure de l’espion
compose avec celle du traître. Les affaires d’espionnage enflamment,
depuis 1917-1918, l’imaginaire de la trahison. Largement construite par
les médias dans la rubrique du fait divers et par une littérature polé-
mique d’extrême droite, la figure de l’espion prend hâtivement les traits
de Mata Hari plutôt que de l’agent double Marthe Richard après
guerre 112. Cette représentation, a priori péjorative, domine aussi au Par-
lement. Serait-ce que l’espionnage n’y est pas traité en matière politique,
mais en question morale ? Les représentations font pourtant écran avec la
réalité d’un espionnage de la Première Guerre mondiale qui n’est l’affaire
ni du Parlement, ni d’une justice encombrée par les affaires d’intelli-
gence avec l’ennemi 113. La question désempare le Parlement plus qu’elle
ne l’a saisi. L’attitude de la ligue d’Action française confirme l’hypothèse
depuis les années 1900. À l’heure de la revanche, tout entière tendue vers
une lutte existentielle contre l’espionnage allemand, aux couleurs de
l’affaire Maggi-Kub en 1913, puis en 1914-1918, la ligue d’Action fran-
çaise fait passer au second plan l’enjeu politique d’une révision de la loi
d’avril 1886 pour réprimer l’espionnage étranger. Ses combats contre
l’espionnage étranger se conçoivent dans le cadre de l’union sacrée, en
oubliant que le renseignement doit encore conquérir sa place réelle dans
la culture stratégique des responsables civils et militaires français 114. Dans

112. Annie Deperchin, « Justice militaire et Première Guerre mondiale. La


requête en révision du procès de Mata Hari », in 14-18 Aujourd’hui. Today. Heute,
nº 6, 2003, p. 20-37 ; Carine Louap, Les représentations de l’espion de 1914 à 1939,
mémoire de maîtrise sous la direction de Philippe Levillain et Éric Duhamel, Uni-
versité de Paris X-Nanterre, 1998, 178 p.
113. AN BB18 6 092, dossier 20 BL sur 259 sur les dénonciations pour espion-
nage et pour intelligence avec l’ennemi, rapport du procureur général à la direction
des affaires criminelles et des grâces, ministère de la Justice, décembre 1923.
114. Voir notre étude, « Les milieux militaires et l’Action française 1898-1940 »,
op. cit.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

les années 1930, les représentations se déplacent et investissent l’imagi-


naire du complot ; celui-ci prend corps, dans l’opinion publique, après
le dévoilement continuel d’affaires d’espionnage mêlant des responsables
communistes depuis 1923, dont le point d’orgue parut être, en 1932,
l’affaire des correspondants ouvriers du journal L’Humanité. À partir de
1936, ce sont, cette fois-ci, les liens de certains cercles militaires et de ses
services secrets avec la Cagoule qui relancent les polémiques devant l’opi-
nion publique. Comme à toute époque, les conditions d’un examen par-
lementaire serein des questions de renseignement étaient difficiles.

Le contrôle parlementaire des activités de renseignement


Pendant la guerre de 1914-1918, les secrets de la Défense nationale
sont l’objet d’un consensus idéologique et l’un des mètres étalons du
patriotisme. Autant dire que les deux commissions parlementaires de
l’armée ne s’en saisissent qu’exceptionnellement. Au Sénat, le secret de la
Défense nationale est évoqué la première fois le 7 septembre 1915 par
le député Richard, protestant que la censure n’a pas stoppé les récits de
journalistes qui ont révélé des secrets de la Défense nationale en visitant
des usines de guerre, décrites et localisées 115. Les questions d’espionnage
n’entrent véritablement dans leurs débats qu’à la faveur des affaires paci-
fistes, de trahison et d’espionnage. Accessoirement, elles télescopent les
négociations secrètes de paix engagées par le gouvernement en 1917,
dont le Parlement n’a théoriquement pas connaissance 116. Les auditions
du ministre de la Guerre et du président du Conseil n’ont pas plus porté,
pendant la guerre, sur les questions d’espionnage, pas plus que les
comités secrets de la Chambre et du Sénat en 1916-1917, réunissant les
chambres à huis clos pour éviter de donner toute publicité à leurs
débats 117. Après 1918, leur rôle peut être tout autre en temps de paix.
Or, le dessaisissement progressif du Parlement, le rôle par substitution
des commissions parlementaires et le recours aux décrets-lois en matière

115. Archives du Sénat, commission de l’armée, vol. 4, procès-verbal de la


commission du 7 septembre 1915. Voir aussi notre thèse de doctorat, op. cit., vol. 1,
p. 282-295.
116. Archives du Sénat, commission de l’armée, vol. 17, procès-verbal de la
commission du 20 juin 1917.
117. Archives du Sénat, carton 158, auditions des ministres et présidents du
Conseil. Fabienne Bock, Un Parlementarisme de guerre, Belin, 2002, p. 250-suiv.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

économique et en matière de Défense nationale sont des questions


connues de l’histoire politique de la IIIe République. La préparation de
la loi réprimant l’espionnage du 26 janvier 1934 a mis douze ans pour
être accouchée par la commission de législation civile et criminelle de la
Chambre des députés. Cet indice n’est pas une preuve du désintérêt du
Parlement pour un contrôle législatif des activités et des dépenses budgé-
taires consacrées à l’espionnage. Les commissions de l’armée, du Sénat et
de la Chambre des députés suivent la question des services secrets et de
l’espionnage. Mais le contrôle parlementaire des services spéciaux ne
revêt pas un enjeu majeur au sortir de la guerre. Il y a plusieurs raisons. Il
y a, tout d’abord, un consensus idéologique national favorable à l’armée
victorieuse de la République, chargée d’occuper militairement l’Alle-
magne et de veiller à la bonne application des traités de paix. Ensuite, il y
a une large méconnaissance des services spéciaux militaires par les milieux
parlementaires qui s’en tiennent à l’idée « d’un 2e bureau de l’état-major
de l’armée ». Le Parlement nourrit une conception étroitement patrio-
tique du secret de la Défense nationale, invitant d’abord à se taire en la
matière. En dernier lieu, les commissions parlementaires de l’armée abor-
dent prioritairement la démobilisation, les questions stratégiques et les
fortifications. Les services spéciaux ne sont ni une matière technique, ni
un enjeu politique entre le Parlement et le gouvernement dans les années
1920-1930, sauf à l’heure du dévoilement des affaires publiques
d’espionnage. Seules des « affaires d’espionnage » mobilisent l’attention
de l’opinion publique et du Parlement.
Lancé en 1921-1922 par la commission de la législation civile et cri-
minelle de la Chambre des députés, ce travail parlementaire soulève les
difficultés de légiférer en la matière 118. À l’heure où les tribunaux français
ploient sous les affaires de commerce avec l’ennemi dans les départe-
ments qui ont subi une occupation allemande en 1914-1918, la ques-
tion est anachronique. L’Action française, en particulier Léon Daudet,
élu député de Paris en 1919, préfère alors le terrain de l’exploitation poli-
ticienne à celui du travail parlementaire. De fait, tant à la Chambre des
députés qu’au Sénat, la participation des commissions parlementaires de
l’armée, mais aussi de législation civile et criminelle, se borne à préparer

118. AN C 14 687 Commission de législation civile et criminelle. PV des


séances février 1920-avril 1924 et C 14 796 Commission de législation civile et cri-
minelle, janvier 1924-mars 1928.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

le projet de loi devant réformer la législation Boulanger de 1886.


À aucun instant cette participation ne s’élargit à une quelconque forme
de contrôle parlementaire des activités des services spéciaux militaires. Au
demeurant, ces mêmes commissions ne se sont pas saisies des questions
de renseignement, au sens large, pendant la Première Guerre
mondiale 119.

Le renseignement perdu par la politique ou introuvable par les


services d’espionnage ?
Renseignement perdu et information introuvable ? Ou bien informa-
tion trouvée et renseignement perdu ? Le dilemme s’est aussi fait procès à
l’heure de la recherche des responsabilités de la défaite de 1940. Quoti-
diennement, les services de renseignement policiers et militaires trouvent
des informations. La question posée est celle du passage de l’informa-
tion au renseignement, de son analyse à sa diffusion dans les cercles de
décision. Les informations transmises par la Sûreté nationale et par les
services spéciaux français sont des informations brutes, obtenues par des
moyens décentralisés sur le territoire national et à l’étranger. Or, la déci-
sion appelle un renseignement élaboré et centralisé à un instant de
l’action politico-stratégique, orientant de façon exclusive l’intention
d’une décision. La méprise tient souvent à la nature et aux conditions
d’emploi de l’information élaborée par un service de recherche du rensei-
gnement. Le processus d’exploitation est déterminant. Élaborer un ren-
seignement en édulcorant des informations de sources nombreuses, mais
qui ne sont pas toujours de nature variée, est une opération intellec-
tuelle dans les mains d’un petit nombre d’opérateurs en France de 1919
à 1939. Les différents ministères produisent des bulletins d’information
et de renseignement. Les ministères de la Guerre, puis de la Marine et
de l’Air ont des 2es bureaux qui s’efforcent de construire un renseigne-
ment synthétique, livré régulièrement par un bulletin de renseignement
et des comptes rendus ponctuels. Les analystes des sections géogra-
phiques du 2e bureau de l’EMA et du 2e bureau de l’état-major général de

119. Anne Duménil, « La commission sénatoriale de l’armée et les militaires », in


Olivier Forcade, Éric Duhamel, Philippe Vial (dir.), Militaires en République, op. cit.,
p. 313-323. Archives du Sénat, procès-verbaux de la commission sénatoriale de
l’armée, 1915-1918.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

la Marine en sont les auteurs. Les bulletins de presse du ministère des


Affaires étrangères sont très précis. Le ministère de l’Intérieur nous appa-
raît plus en retard avant 1939. Les exemples sont multiples en 1938, de
la crise autrichienne à la crise tchèque, qui font l’objet récurrent d’un
renseignement d’alerte sur une annexion possible durant l’année 1937 et
au début de 1938. Gamelin convoque régulièrement Rivet pour faire le
point sur les menaces qui pesaient sur la Tchécoslovaquie, encore le
17 février 1938. L’annexion de l’Autriche le 12 mars 1938 est révéla-
trice d’un scénario annoncé depuis 1934, mais qui conduit à chercher les
responsabilités du côté des services spéciaux après le 12 mars. Elle
s’accompagne d’une polémique de presse lancée par Le Canard enchaîné
le 17 mars 1938. Ce dernier s’interroge sur le retard avec lequel les ren-
seignements seraient parvenus au ministre de la Défense nationale.
L’annonce du plébiscite autrichien par Schnuschnigg datait du 9 mars et
le début de la crise du 11 mars 1938. Or, le quatrième gouvernement
Chautemps a démissionné le 10 mars et le second gouvernement Blum
n’est constitué que le 14 mars au soir. Rivet alerte formellement le
colonel Gauché et l’état-major de l’armée des premiers renseignements
sur la fermeture de la frontière austro-allemande, des mouvements de
troupes et des mises en alerte des garnisons allemandes dès le vendredi
11 mars 1938. Le commandant Réia, adjoint de l’attaché militaire à
Berlin, reçoit l’instruction du service de renseignement d’actionner direc-
tement les agents à Berlin pour transmettre à Paris un renseignement
d’alerte. Or, l’article du Canard enchaîné déclenche le 17 mars 1938 une
demande d’explication du ministre de la Défense nationale sur le retard
de la communication des renseignements du 2e bureau de l’EMA à son
égard. La réponse commune du 2e bureau de l’EMA et des services spé-
ciaux vient le 18 mars 1938. Elle rappelle la communication qui a été
faite, dès le 11 mars 1938, à un ministre de la Défense nationale qui ne
l’est plus, de fait, depuis la veille 120. Le fait relève des inconvénients
d’une démocratie d’opinion, sauf à remarquer que la menace d’Anschluss,
qui était amplement suivie par la diplomatie française, montait depuis
1934. La crise de mars 1938 présente les difficultés à endosser la respon-
sabilité politique d’une information et d’une décision.

120. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 3, 11-18 mars
1938, p. 20-21.

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

Or, aucun décideur ne peut embrasser toute la documentation utile,


sinon nécessaire à sa décision. Les ministres n’en ont ni le temps ni
l’intention. Leur cabinet aborde une grande variété de problèmes les inci-
tant à rechercher un renseignement ponctuel auprès des directions des
services et des directions des administrations centrales. La conséquence
pousse à rechercher une information qui fait la décision capitale, straté-
gique. En définitive, le cycle du renseignement est une filière d’enrichis-
sement des informations pour en faire un renseignement. Ni le temps ni
la procédure de fabrication ne garantissent pourtant implacablement la
fiabilité totale du renseignement. Quels qu’ils soient, les décideurs ont
tendance in fine à appauvrir le contenu du renseignement en postulant
sa fiabilité et son intégrité absolues. Trop d’informations, pas de rensei-
gnement, en quelque sorte ? La multiplicité des sources d’information est
un autre facteur d’indétermination de la fiabilité du renseignement. La
multiplicité n’est toutefois pas la diversité. On a vu l’action menée par
les services en 1919-1920, 1925-1926, 1931-1932 ou 1936-1937 pour
recruter de nouveaux agents. Les agents de pénétration dans divers orga-
nismes, puis les agents doubles dans les services adverses, ont été privi-
légiés. Une foule d’informateurs et d’agents, recrutés par les postes aux
frontières et à l’étranger, collectent des informations brutes : douaniers,
policiers, gardes-frontières, professions des transports ferroviaires et mari-
times, professions ambulantes du commerce et des affaires… Les ser-
vices spéciaux militaires ont constamment hésité entre une politique de
recrutement large et un resserrement du recrutement pour ne garder que
quelques agents ayant un très grand rendement. La première politique
pousse à multiplier le nombre d’agents jusqu’à en suivre plusieurs
dizaines, parfois une centaine pour un poste aux frontières ou à
l’étranger. La seconde tend à privilégier le traitement d’un agent dont
l’information capitale déclasse la profusion des petites informations du
renseignement de terrain. Il faut ici distinguer les informateurs perma-
nents des indicateurs ou des honorables correspondants. Les services
français n’ont jamais tranché en faveur de l’une ou de l’autre. De nou-
veaux agents sont recrutés, formés pour être des agents doubles, traités
simultanément avec des agents dont les informations sont surclassées par
les promesses des premiers. De ce point de vue, on peut opposer Hans
Thilo Schmidt qui, de janvier 1932 à août 1939, donne les clés et les
codes d’Enigma, des informations capitales sur les buts et les plans de
guerre de l’Allemagne, à Fritz R., alias Florimond, agent double dans un

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

poste de l’Abwehr. Pourtant, les deux sont maintenus, « traités » et rému-


nérés différemment. Ils répondent à différentes fonctions de renseigne-
ment. Le premier fait du renseignement stratégique au niveau politique
des relations entre les États. Le second fait du renseignement technique
au niveau tactique des rivalités entre des services secrets.
Il y a, en effet, plusieurs marchés de l’économie du secret dans l’État
en France durant l’entre-deux-guerres. Celle-ci ne correspond d’ailleurs
pas nécessairement à une échelle de la valeur des renseignements, gra-
duée de secret à confidentiel. Elle s’adapte à une sociologie des organisa-
tions dans l’État et de l’État. L’efficacité du renseignement bute donc sur
les deux défis de la centralisation et de la coordination. La centralisation
de la décision publique suppose le partage du renseignement pour éla-
borer une décision. Or ce partage n’existe pas dans le système politique
français de la IIIe République, pas plus en 1918 qu’en 1939. La prési-
dence du Conseil ne devient progressivement le poumon de l’activité
gouvernementale qu’à la fin des années 1930. L’armée et la police sont
au seuil de parvenir à centraliser les moyens d’espionnage et de contre-
espionnage en France et à l’étranger. Mais ce monopole ne s’instaure, de
fait, qu’avec la réticence des Affaires étrangères sur le renseignement de
sécurité et de Défense nationale. Les Affaires étrangères conservent des
moyens propres d’information montant en puissance avec les attachés
commerciaux, financiers dans une moindre mesure, et militaires. Après
1919, les préoccupations de la guerre économique élargissent le rensei-
gnement à l’économie. Or, les moyens et les compétences de l’armée et
de la police sont faibles en la matière. Le domaine embrassé par l’éco-
nomie secrète de l’État s’élargit, affaiblissant le monopole imparfait ou
fragilement instauré après guerre. En 1939, les expériences comme les
velléités de centralisation du renseignement sont vouées à l’échec.
Le cloisonnement entre les services, les administrations et les minis-
tères a été un obstacle à leur coordination et à leur coopération. La coor-
dination interministérielle ne fut pas constamment à l’ordre du jour. Elle
génère une production foisonnante d’instructions et de décrets entre
1919 et 1939. La coopération institutionnelle doit beaucoup aux indi-
vidus qui dépassent les blocages psychologiques et culturels de 1919 à
1939. Les grands corps de l’État affirment cependant leurs conceptions,
en même temps que l’action de l’État se renforce dans différents
domaines d’intervention durant la période. Mais celle-ci n’est pas une
coordination des politiques ministérielles. Il n’y a pas eu de coordination

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L’exploitation du renseignement : l’information trouvée, le…

gouvernementale du renseignement, en dehors de l’expérience avortée de


Blum et de Dormoy en 1937. À vrai dire, il ne peut pas y avoir de coor-
dination tant que la réforme du travail gouvernemental, amorcée par la
réforme des services de la présidence du Conseil, et l’organisation même
du gouvernement n’ont pas évolué. Le second gouvernement Blum pou-
vait-il en créer les conditions en mars 1938 dans le domaine de la
Défense nationale ? Rien n’est moins sûr. Il eût fallu l’existence durable
d’un exécutif fort qui a fait défaut sous la IIIe République, sauf à une cer-
taine heure de la guerre de 1914-1918 121. Cette formule ne signifie pas
qu’il n’y ait pas eu de décisions heureuses fondées sur des renseigne-
ments efficaces. En définitive, il y a, en 1919, une pratique politique du
renseignement, largement héritée et rudimentaire, évoluant lentement
vers une pratique gouvernementale dans les années 1930. Il est préma-
turé de parler d’une orientation gouvernementale du renseignement. Les
outils de la planification et de la coordination sont là : des plans, mais
non le plan, des coordinations mais non une centralisation, des échanges
de renseignemment entre les services policiers, militaires, diplomatiques,
mais un partage imparfait du renseignement au sommet de l’État.
Les vingt-cinq réunions de la commission interministérielle d’infor-
mation ont approfondi une coopération institutionnelle inédite. Elles
constituent les prémices d’une exploitation gouvernementale du rensei-
gnement. Elles ne survivent pas au départ de Marx Dormoy du minis-
tère de l’Intérieur en janvier 1938. Elles instaurent toutefois une pratique
d’échanges de renseignement et de prises de décisions communes qui
dénotent un progrès du travail interministériel dans le domaine de la
sécurité nationale. L’idée de la « sécurité nationale » se substitue progres-
sivement à celle de la Défense nationale dans l’esprit des participants à
ces réunions, en matière de « secret de la Défense nationale ». Cette évo-
lution sémantique n’est pas fortuite. Elle marque un tournant dans l’éla-
boration d’une politique de Défense nationale qui se construit en réalité,
à l’approche de la guerre, autour du concept de sécurité nationale, inté-
rieure et extérieure.

121. André Tardieu, L’Heure de la décision, Paris, Flammarion, 1934,


p. 111-112 et 119.

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Chapitre 12
Le renseignement dans la vie politique
à la fin des années 1930

L’espionnage et le contre-espionnage, une affaire de l’État ? Sans


conteste. Mais ils ont aussi été, incidemment, les ressorts d’affaires d’État.
Durant vingt années, les pouvoirs publics s’efforcent de contrôler les ser-
vices spéciaux dans la République et de réglementer le secret dans le fonc-
tionnement de l’État. Rien ne serait pourtant moins vrai que l’idée d’une
volonté permanente, méthodique de l’autorité politique de définir et
d’orienter l’activité des services spéciaux militaires. Aussi la lutte contre
les idéologies qui menacent l’existence de la France dans les années 1930
a entraîné certains corps de l’État, à l’avant-garde desquels se place
l’armée, sur le terrain de la politique. Cependant, cette situation, sinon
cette tentation pour une partie de l’armée, n’a été qu’exceptionnelle. En
radicalisant les dangers pour sa sécurité nationale, les années 1936-1939
présentent bien des périls pour les services secrets français, sur le double
front de l’anticommunisme et de l’antinazisme.

La crainte militaire du complot communiste

La surveillance des partis politiques et syndicats : le renseigne-


ment est-il politique ?
Doit-on croire à un renseignement politique qui réveille les vieux
démons du complot des services secrets contre la République ? La for-
mule a la force de la tentation, entre l’affaire Dreyfus et Vichy, mais sur-
tout de la déformation des représentations, contemporaines comme

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

postérieures à l’entre-deux-guerres 1. Plus sûrement, la posture de vigi-


lance adoptée par les services spéciaux militaires conduit inéluctablement
à un renseignement d’essence politique. Parlera-t-on de dérapages ou de
contrôle politique ultime par les services spéciaux ? Au titre des collusions
avec l’étranger, ces surveillances touchent incidemment des hommes
politiques. En octobre 1937, Marceau-Pivert est l’objet d’une filature
serrée par les policiers du contre-espionnage militaire, dans l’hypothèse
de sa collusion avec les trotskistes espagnols à des fins révolutionnaires.
Inhabituelle, cette note prend appui sur un article paru dans L’Huma-
nité du 25 septembre 1937 dans lequel Marceau-Pivert, membre de la
commission administrative de la SFIO, était traité d’« aventurier » par
Jacques Duclos. Une vive polémique en a découlé entre le parti commu-
niste et le parti socialiste. Jacques Duclos écrit à Paul Faure en regret-
tant les conséquences pour l’image du PCF, mis en cause par l’attitude
de Marceau-Pivert 2. Dans le même esprit, une note de renseignements
politiques du contre-espionnage militaire restitue les débats du conseil
national de la SFIO du 12 mars 1938. Les relations de Zyromski et Mar-
ceau-Pivert sont analysées de près 3. Ce compte rendu résume le déroule-
ment du conseil national de la SFIO par un source occasionnelle,
probablement un militant de la SFIO, sur l’isolement du courant extré-
miste révolutionnaire représenté par Marceau-Pivert. Ce dernier est
menacé de mort par plusieurs délégués dont Botta, rédacteur au Popu-
laire. Jean Zyromski (1890-1975) est un vieux guesdiste qui anime le

1. Sébastien Laurent, « Les services secrets », in Vincent Duclert, Christophe


Prochasson (dir.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2002,
p. 793-798, sur leur organisation sous les Républiques et « Le service secret de l’État.
La part des militaires (1870-1945) », dans Marc-Olivier Baruch, Vincent Duclert
(dir.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration 1875-1945, Paris,
La Découverte, 2000, p. 279-295 ; Frédéric Monier, Le Complot dans la République.
Stratégies du secret de Boulanger à la Cagoule, Paris, La Découverte, 1998,
p. 271-319 ; Olivier Dard, La Synarchie, le mythe du complot permanent, Paris, 1999.
2. SHD/DAT 7 NN 2502, note SCR nº 27957, secret (ne doit pas sortir de
l’EM de l’armée), 11 octobre 1937, au sujet de Marceau-Pivert, 2 p. Marceau-Pivert
(1895-1958), dit Charlotte, fonde en 1935 la gauche révolutionnaire. Exclu de la
fédérationde la Seine de la SFIO, il fonde le PSOP.
3. SHD/DAT 7 NN 2502, note SCR D 498 du 15 mars 1938, au sujet du
conseil national SFIO du 12 mars 1938 (témoin oculaire), avec la mention manus-
crite « pour information et pour le commandement seul », 3 p. Jean Zyromski fut
sénateur sous l’étiquette du PCF après 1945.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

journal La Bataille syndicaliste. Il évolue de la SFIO au PCF en se sépa-


rant de Marceau-Pivert. Le débat oppose en effet les délégués au conseil
national sur la réalisation de l’union nationale entre la SFIO de Blum et
le PCF de Thorez, en cas de guerre ou en cas de menace de guerre.
Thorez aurait facilité la détente entre les deux partis, contrairement à
Duclos, en acceptant d’emblée la non-participation au gouvernement du
Front populaire. Plusieurs informations filtrent dans la presse sur les
attributions de Vincent Auriol l’amenant à établir le contrôle des prix de
gros, sur la création d’un ministère de la propagande pour « contrôler les
journaux dans la mesure du possible », sur le mécontentement dû à
l’opposition constante de Chautemps lors de la crise (jouant pour son
parti contre les ouvertures de Blum à l’opposition), enfin sur l’accepta-
tion du maréchal Pétain d’un ministère d’État dans le gouvernement
d’union nationale projeté 4. Plus nouvelle est la surveillance de conflits
sociaux éventuels qui incombe logiquement à la Sûreté nationale. Les
grèves dans la métallurgie intéressent par contrecoup les industries tou-
chant à la Défense nationale. La menace d’une vague de grèves en
novembre 1936 a provoqué un vrai tumulte dans les rangs de la haute
hiérarchie militaire. Plusieurs généraux commandant des régions mili-
taires ont identifié ce qu’ils croient être des signes annonciateurs d’une
révolution communiste 5. Le chef des services spéciaux reçoit des infor-
mations de plusieurs sources.
« 26 novembre. Le général Brécard apporte des documents sur le commu-
nisme, dont M. Lémery doit faire état dans une prochaine interpellation à la
Chambre.
Le général Daille vient entretenir le chef du SR des dangers de l’activité
communiste.
Le commandant Quenot vient apporter quelques renseignements sur l’immi-
nence des grèves provoquées par les communistes.
Le commandant Loustaunau-Lacau, du cabinet du maréchal Pétain vient
parler des renseignements que le maréchal reçoit sur le communisme 6. »

4. Annie Kriegel, « Léon Blum et le Parti communiste », in Pierre Renouvin,


René Rémond (dir.), Léon Blum, chef de gouvernement 1936-1937, Paris, PFNSP,
1981, p. 130-135 sur les relations PCF-SFIO et Thorez-Blum. Annie Kriegel, Guil-
laume Bourgeois, Les communistes français 1920-1970, Paris, Seuil, 1985,
p. 187-suiv.
5. Georges Vidal, La Grande illusion ? Le Parti communiste français et la Défense
nationale sous le Front populaire, Lyon, PUL, 2006, p. 299-314.
6. Archives privées Rivet, op. cit., 26 novembre 1936, p. 23.

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

De la grève au complot communiste


À la fin des années 1930, l’affaire Dreyfus continue de hanter l’imagi-
naire politique. La violence politique, la crainte de complots, imagi-
naires ou orchestrés, marquent aussi le temps du Front populaire en
1936-1938 7. La suspicion pour la figure de l’espion, fût-il militaire ou
policier, et à l’encontre du service de renseignement, relève d’une ana-
lyse d’histoire politique et d’une anthropologie du secret 8. Avant 1936,
l’image du PCF et de son journal L’Humanité souffre d’un préjugé anti-
communiste largement répandu dans les appareils policier et militaire
français 9. Pendant les gouvernements du Front populaire, la perception
des activités du Komintern et du PCF en France par le haut commande-
ment constitue un filtre psychologique majeur de l’analyse des réalités
sociopolitiques. La consolidation des positions électorales du PCF depuis
1936 et l’expérience du Front populaire contribuent à l’élaboration d’une
nouvelle stratégie de conquête du pouvoir qui déclassait les incantations
révolutionnaires 10. À l’inverse de cette évolution, le haut commande-
ment craint, dans une logique d’auto-intoxication, un coup de force poli-
tique de l’extrême gauche à la fin de l’année 1936. Le Front populaire
et les grèves de 1936 ont réactivé, dans l’imaginaire militaire, un anti-
communisme virulent qui tiendrait enfin ses preuves 11. La publication de
l’ouvrage de Jacques Bardoux Les Soviets contre la France en 1936 nourrit
la montée de cet anticommunisme 12. Dans ce processus de

7. Vincent Duclert, L’Affaire Dreyfus, Paris, La Découverte, 1994. Jean-Jacques


Becker, « Histoire et armée. L’apport de l’affaire Dreyfus », in Jean Jaurès. Cahiers
trimestriels, 137, juillet-septembre 1995, p. 35-41. William Serman, « L’armée », in
Michel Drouin (dir.), L’Affaire Dreyfus de A à Z, Paris, Flammarion, 1994,
p. 309-315.
8. Alain Dewerpe, Espion. Une anthropologie historique du secret d’État contempo-
rain, Paris, Gallimard, 1994, p. 24-25.
9. Alexandre Courban, Georges Vidal, « L’Humanité, la guerre et la paix
1904-2004 », in Cahiers d’histoire, nº 92, 2003, p. 3-112.
10. Jean-Jacques Becker, Le Parti communiste veut-il prendre le pouvoir ? La stra-
tégie du PCF de 1930 à nos jours, Paris, Seuil, 1981, p. 120-124.
11. Georges Vidal, op. cit., p. 315-350 sur la psychose du complot communiste
au sein de l’armée.
12. Jean-Jacques Becker, Serge Berstein, Histoire de l’anticommunisme en France,
Tome 1, 1917-1940, Paris, Olivier Orban, 1987, p. 264-267.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

représentations, la réalité importe moins que la perception d’un événe-


ment révolutionnaire qui se cristalliserait.
Les informations sur les menaces de grèves et les mouvements révolu-
tionnaires ne relèvent pas, a priori, des missions des services spéciaux
militaires. La volonté d’enrayer des agissements étrangers suffisent néan-
moins à alerter la vigilance du haut commandement. Leur écho se
retrouve exceptionnellement dans le journal de bord de Rivet. Au prin-
temps 1937, la venue à deux reprises de François Peugeot au 2 bis rue
de Tourville est motivée par les troubles survenus dans des usines de
l’entreprise à Sochaux et Montbéliard depuis février 1937 13. Le diri-
geant de l’entreprise, qui travaille aussi pour la Défense nationale, vient
s’enquérir des mesures de sécurité à prendre pour neutraliser les menées
étrangères pouvant s’y manifester. Sauf à remarquer l’enjeu d’une protec-
tion des entreprises participant à la Défense nationale, la démarche ne
manque pas d’être singulière. Ces mesures de protection des biens indus-
triels sont conçues en vue d’une éventuelle mobilisation industrielle. Or,
cette mission de sécurité incombe au contre-espionnage militaire, par le
moyen de visites des usines d’importance dans les secteurs énergétiques
et des constructions mécaniques et électriques. En février, puis en avril
1937, Marx Dormoy n’a pas manqué, lors des réunions hebdomadaires
de la commission interministérielle du renseignement, de signaler les
grèves dans l’usine de Montbéliard. Elles ont été déclenchées par « l’agi-
tateur professionnel Herzog dont le changement de poste a provoqué une
grève de 15 000 ouvriers 14 ». Au même moment, François Peugeot a ren-
contré le directeur de la Sûreté nationale, pour alerter des troubles sur-
venus dans les usines de Sochaux et Montbéliard. Les agitateurs ont été
sanctionnés. La surveillance des activités révolutionnaires fait l’objet
d’une étude attentive lors de la réunion du 29 avril de la commission
interministérielle du renseignement. L’organisation « d’un service de ren-
seignement dans chaque usine importante » fut proposée – autre nom du
mouchardage dans l’entreprise – et finalement abandonnée 15. La menace

13. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 2, 12 avril et
3 mai 1937, p. 41-42.
14. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu de la 4e commission interministé-
rielle d’information du 22 février 1937, p. 1.
15. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu de la 10e commission interministé-
rielle d’information du 29 avril 1937, p. 3.

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

d’une grève imaginée par les « éléments communistes de la CGT » est


jugée prévisible. L’enjeu serait bien, pour l’extrême gauche, de déstabi-
liser le gouvernement. Par ailleurs, la note est adressée au cabinet du
ministre de la Défense nationale quand un renseignement est d’ordre
intérieur.
« La situation est grave dans le nord où 70 000 ouvriers de la métallurgie
sont sur le point de se mettre en grève.
Le coup est monté par les éléments communistes de la CGT.
Il faut voir là une offensive de style contre le gouvernement. En effet, dans
les milieux politiques d’extrême gauche, on ne parle qu’avec haine du ministère
et surtout de M. Frossard, que l’on considère comme le “traître”, “l’homme à
Laval”, le véritable responsable de ce qu’on appelle avec dérision “le statut
moderne du travail” !
En même temps, un certain énervement se manifeste chez les socialistes qui
ne sont plus à l’aise depuis qu’ils ont quitté le pouvoir. Même parmi eux,
M. Frossard est très mal vu et c’est à travers ce ministre qu’on essaiera de faire
tomber le cabinet Chautemps.
On peut, dans ces conditions, prévoir que l’offensive de la CGT, des
communistes et de certains anciens ministres SFIO qui “laissent faire” se pro-
duira entre le 1er et le 15 février.
Les 4 et 5 février courant, les “travailleurs des services publics” tiendront un
congrès à Paris, au cours duquel ils définiront leurs revendications.
Dans la région parisienne, malaise également. Toutes les circonstances se
trouvent par conséquent réunies pour que se produise un incident qui pourrait
entraîner, par répercussions successives, une grève générale.
Certains éléments extrémistes voudraient même mettre le ministre de la
Défense nationale à l’épreuve dans un nouveau 6 février, fomenté cette fois par
les masses ouvrières 16. »
Et la note de remarquer le déplacement à Lille et à Roubaix du chef
de cabinet du ministre du Travail pour négocier, sous le regard informé
des journaux de gauche qui préparent l’opinion publique à cette grève
possible. Elle conclut enfin à la démission en trompe l’œil de Paul Faure
qui serait invité par des fédérations à rester. Si la note a pu être rédigée
par un commissaire de la Sûreté nationale, son caractère demeure excep-
tionnel dans les archives des services spéciaux militaires. Les questions de

16. SHD/DAT 7 NN 2502, note secrète SCR nº D488, au sujet de conflits


sociaux éventuels, à destination du « commandement seul », établie à partir d’un ren-
seignement occasionnel, 2 février 1938, 2 p. Une intéressante mention manuscrite
rappelle qu’il faut « nous conformer désormais à la charte approuvée par le comman-
dement et envoyer le renseignement d’ordre intérieur recueilli occasionnellement au
cabinet ».

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

sûreté intérieure de l’État revêtent une importance majeure, depuis 1937,


pour le gouvernement militaire de Paris, les régions militaires et l’EMA.
Elle est renforcée par le rôle délibéré du PCF et de la CGT dans les
troubles sociaux en 1938 qui donnent corps à la peur d’un possible
complot communiste contre l’État au sommet de la hiérarchie mili-
taire 17. Le souvenir de la vague de grèves de mai-juin 1936, la force
d’une CGT de 2 millions d’adhérents, comme l’envolée des effectifs du
PCF depuis 1937, inspirent cette prévention au début de 1938 18. La
grève, pas plus qu’une nouvelle « ruée syndicale », n’a pourtant eu lieu en
février 1938. Rapportée à la neutralité politique attendue de l’armée et de
ses services spéciaux, cette note d’analyse politique nuance l’idée de leur
abstention idéologique. Elle rappelle l’hypersensibilité des officiers supé-
rieurs et généraux à la question sociale et une défiance spontanée de leur
corps comme de leur culture politique au Front populaire. La prévision
politique est-elle pour autant fondée et la lucidité du rédacteur réelle ?

Les services spéciaux et le complot : un nouvel avatar des relations


droite-gauche ?

De l’intoxication à l’auto-intoxication : les complots de


l’extrême gauche et de l’extrême droite
L’idée du complot communiste resurgit en 1937 pour ne plus quitter
l’esprit de la haute hiérarchie militaire jusqu’en 1940 19. Le journal de
bord de Louis Rivet vérifie l’hypothèse de l’émergence de préoccupations
d’ordre politique pourtant inhabituelles. Incontestablement, leur carac-
tère est exceptionnel :

17. Nicole Racine, Louis Bodin, Le Parti communiste français dans l’entre-deux-
guerres, Paris, PFNSP, 1982, p. 241-suiv. Jean-Pierre Azéma, Antoine Prost, Jean-
Pierre Rioux (dir.), Le Parti communiste français des années sombres 1938-1941, Paris,
Seuil, 1986, 316 p.
18. Michel Dreyfus, Histoire de la CGT, Bruxelles, Complexe, 1995, p. 176-184.
19. Georges Vidal, « Le haut commandement et la crainte de “l’ennemi inté-
rieur” en juin 1940 : origines et caractéristiques de la peur du complot communiste
dans la hiérarchie », in Christine Levisse-Touzé (dir.), La Campagne de 1940, Paris,
Tallandier, 2001, p. 357-388, notamment p. 378-380.

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

« 27 novembre. Loustaunau vient de la part du maréchal Pétain demander ce


que nous savons d’un mouvement révolutionnaire en préparation. Le maréchal se
propose de voir demain le général Gamelin, puis le président de la République.
28 novembre. Le contrôleur général Cottoni dit à Schlesser que la situation
intérieure est grave et que nous sommes menacés d’une révolution communiste.
Impuissance de M. Blum vis-à-vis des éléments étrangers. Nécessite pour le
commandement de l’armée de se garder et d’alerter leur service de sécurité.
S. rend compte au général Gérodias, puis au maréchal Pétain qui avait
demandé la veille à recevoir si possible un complément d’informations et enfin
au général Gamelin.
30 novembre. Appelé par le colonel Stehlé, cabinet. (2 renseignements) l’un
relatif aux bruits du mouvement révolutionnaire, l’autre sur les arrestations
d’espions à Nancy 20. »
Il revient sur la question le 7 janvier 1938 :
« Reçu du général Colson des renseignements alarmants de novembre 1937
concernant un putsch d’extrême gauche. Fait approuver par le général Colson la
charte des attributions du SR, et en particulier sur son rôle vis-à-vis des informa-
tions d’ordre intérieur. »
Pourquoi, dès lors, ce traitement exceptionnel des questions sociopo-
litiques ? La personnalité du général Gérodias, commandant la 29e DI à
compter de mars 1937, n’y est pas étrangère. Cette affaire a déjà été évo-
quée à plusieurs reprises dans les réunions interministérielles du rensei-
gnement. Elle y est présentée la première fois par le directeur de la Sûreté
nationale le 22 avril 1937. Ce jour-là, il donne lecture de quelques ren-
seignements relatifs à un trafic d’armes clandestin entre la Belgique et la
France, « s’opérant sous les auspices d’une société secrète, « les cagou-
lards, dont les membres sont liés entre eux par des serments rappelant
ceux de la Sainte-Vehme 21. » L’enquête est lancée pour découvrir les fils
de l’organisation secrète. Avec un art distillé du suspense, Moitessier
revient sur ces trafics d’armes plus en avant dans la réunion, en signalant
leur redoublement dans la région niçoise, depuis l’Italie vers la France.
Il informe les membres de la commission que ces armes sont destinées à
des partis politiques extrémistes que la Sûreté nationale s’efforce encore
d’identifier. Il souligne les agissements douteux de Russes se présentant
comme des agents du 2e bureau. La Sûreté s’apprête à les expulser. Rivet
intervient pour nier la probabilité de leur emploi par ses services.

20. Archives privées Rivet, Journal de bord de Louis Rivet, volume 1, 26 à


30 novembre 1936, p. 23-25.
21. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu du lieutenant-colonel Rivet de la
séance de la commission interministérielle d’information du 22 avril 1937, p. 1.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

L’incident prend place au moment où les services s’interrogent sur les


informateurs recrutés par la SER de Marseille du commandant Barbaro
et son antenne de Nice. Cette information provoque une inspection du
poste de Nice en juin 1937 par le commandant Schlesser, diligentée par
Rivet, au prétexte de l’efficacité des mesures de surveillance de la fron-
tière italienne et de son fonctionnement. La suspicion n’est pas encore
jetée sur les agissements du capitaine Beaune, membre des services à Nice
et proche de la Cagoule 22. Après l’assassinat des Rosselli en juin 1937,
l’affaire de la Cagoule n’est plus évoquée durant tout le second semestre
1937 dans les réunions interministérielles du renseignement. Mis en
cause, Barbaro est relevé de son commandement. L’affaire est alors
relancée par les progrès de l’enquête de la Sûreté nationale en février
1938. Aussi la presse d’opinion de gauche et d’extrême gauche multiplie-
t-elle, en janvier et en février 1938, des articles qui dénoncent bientôt,
sans toujours produire de preuves, les liens des services spéciaux mili-
taires avec des cagoulards. L’affaire Deloncle alimente une longue polé-
mique de presse 23.

La Cagoule au cœur des relations entre le haut commandement


et le pouvoir
Au début de 1938, Rivet a constitué un dossier du service sur le
Comité secret d’action révolutionnaire ou CSAR 24. Conservé dans le
coffre du chef de service, ce dossier comprend trois pièces sur son organi-
sation secrète en février 1938 et sur l’adhésion de suspects à la Cagoule
en mai 1938 25. L’hypothèse de son expurgation postérieure est très vrai-
semblable. La première pièce est une copie des conclusions de l’enquête

22. SHD/DAT 7NN 2 466, notes du commandant Schlesser du 15 juin 1937


au sujet de la surveillance des frontières franco-italiennes et du rendement de la
Sûreté nationale. Le dossier comporte des pièces de correspondance entre le
commandant Barbaro, chef de la SER, et le capitaine Beaune, responsable de
l’antenne de Nice sur le traitement des agents et l’épuration dans leur milieu.
23. Philippe Bourdrel, La Cagoule. Histoire d’une société secrète du Front populaire
à la Ve République, Paris, Albin Michel, 1992, (1970), p. 181-256. On prendra sur-
tout Frédéric Monier, Le Complot dans la République. Stratégies du secret de Boulanger
à la Cagoule, Paris, La Découverte, 1998, p. 271-319.
24. Frédéric Monier, op. cit., p. 271-296.
25. SHD/DAT 7NN 2 486, dossier sur les activités du CSAR. Coffre du
Colonel, 1938.

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

de la Sûreté nationale sur le CSAR du 10 février 1938. Au début du mois


de février 1938, des journaux de gauche lancent une campagne dénon-
çant la collusion du 2e bureau avec la Cagoule. L’Humanité, L’Œuvre, Le
Populaire animent une campagne de presse soutenue 26. L’Humanité du
2 février 1938 titre à la une : « Deux officiers supérieurs sont arrêtés » ;
puis, le 4 février, le journaliste de L’Humanité Pierre Sampaix s’inter-
roge : « L’armée servait-elle de points d’appui aux conjurés du CSAR ? ».
Faut-il suivre, dès lors, les dénégations du chef des services spéciaux dans
ses carnets ? Son journal de bord s’arrête aux accusations à la date du
11 février 1938.
« Les journaux du matin reproduisent les déclarations de cagoulards qui met-
tent une fois de plus en cause le SR et le 2e bureau. Compte rendu au comman-
dement et je demande éclaircissements à M. Moitessier (Sûreté nationale) 27. »
Le jour-même, le chef de la Sûreté nationale a un entretien avec Rivet
pour lui expliquer l’origine de « cette publicité faite au SR » dans la
presse. Politiques, ces fuites demeurent orphelines de paternité. La note
qui est l’objet de leur entretien du 11 février n’est toutefois adressée par
courrier aux services spéciaux militaires par le ministère de l’Intérieur que
le 28 février 1938 28. Cette note retrace les origines du comité secret
d’action révolutionnaire depuis février 1937, les acquis de l’enquête de
la Sûreté nationale en France identifiant des officiers et des sous-officiers
de réserve comme d’active qui y sont mêlés. Des liens ont été noués par
le commandant Loustaunau-Lacau, qui appartient à l’état-major de
Pétain. Celui-ci a créé, à l’automne 1936, une organisation secrète met-
tant en place un réseau d’officiers d’active et de réserve ayant pour
objectif de neutraliser les menées clandestines communistes, réelles ou
supposées, au sein de l’armée 29. Le commandant Loustaunau-Lacau
compte parmi les principaux instigateurs du réseau militaire anticommu-
niste « Corvignolles » au sein de l’armée d’active en 1937 30. Les contacts
ponctuels qu’il a eus en novembre 1936 avec les services spéciaux

26. Le Populaire, 2 et 3 février 1938.


27. Archives privées Rivet, op. cit., volume 2, 11 février 1938.
28. SHD/DAT 7NN 2 486, note du 10 février 1938 de la direction générale de
la Sûreté nationale, adressée par le ministre de l’Intérieur au ministre de la Défense
nationale, SCR/EMA2, le 28 février 1938.
29. Georges Vidal, La Grande Illusion ?, op. cit., p. 299-305.
30. Georges Loustaunau-Lacau, Mémoires d’un Français rebelle, Paris, Robert
Laffont, 1948, p. 121-124.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

militaires ne peuvent manquer, s’ils sont connus, d’accréditer la thèse


d’une liaison 31. À l’automne 1936, Loustaunau-Lacau a transmis au
général Gérodias des documents rédigés par le parti communiste espa-
gnol démontrant un projet de neutralisation de l’armée en Espagne.
Dans leur esprit, la même tactique peut s’appliquer à la France. Gérodias
informe Daladier, Gamelin et Colson tardivement après avoir autorisé la
diffusion dans l’armée d’une instruction générale. Daladier ordonne une
enquête qui aboutit à la mutation de Gérodias en janvier 1937 32. Ce der-
nier doit quitter l’état-major de l’armée pour prendre, au printemps
1937, le commandement d’une division 33.
En février 1938, l’arrestation à Nancy, par la Sûreté nationale, de
l’officier de réserve Hanus, membre du réseau, confirme les suspicions
pesant sur Loustaunau-Lacau. Une commission d’enquête est rapidement
constituée au ministère de la Défense nationale pour examiner ses res-
ponsabilités. La sanction de Loustaunau-Lacau est la mise en non-acti-
vité 34. Le réseau Corvignolles a bien entretenu avec la Cagoule des liens
et échangé des informations sans que les deux organisations secrètes ne
se confondent. L’entregent de Loustaunau-Lacau et la diffusion de docu-
ments sur les agissements communistes dans l’armée aux entourages de
Pétain, de Gamelin et au cabinet militaire de Daladier conférent à
l’affaire une dimension politique. Sa mise en non-activité et la dissimu-
lation, sinon la destruction, des pièces produites devant la commission
d’enquête étouffent le scandale du réseau Corvignolles. Si cette affaire
n’est pas susceptible d’un développement judiciaire, il en va différem-
ment des menées subversives de la Cagoule. Mettant en œuvre des trafics
d’armes et multipliant des attentats en 1937, ces activités sont une
atteinte à la sûreté intérieure de l’État. La Sûreté nationale poursuit ses
investigations au printemps 1938.
Le haut commandement et les services de renseignement n’ont natu-
rellement pas été tenus au courant de la progression de l’enquête dans
l’armée, en raison des suspicions pesant sur des soutiens au CSAR au sein
même de l’état-major de l’armée. Aucun nom n’est encore cité par la
note de la Sûreté nationale en février 1938. L’organisation secrète formait

31. Jean-Jacques Becker, Serge Berstein, op. cit., p. 228.


32. Édouard Daladier, Journal de captivité, Paris, Calmann-Lévy, 1994, p. 32-34.
33. Élisabeth du Réau, Édouard Daladier, op. cit., p. 326-328.
34. Georges Loustaunau-Lacau, op. cit., p. 122-124.

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

le projet de lutter clandestinement contre les menaces communistes de


dissolution de l’armée. La constitution de dépôts d’armes et la mise sur
pied d’un réseau de sympathie dans la hiérarchie militaire en sont les
moyens essentiels. Les principaux éléments ont été adressés au juge d’ins-
truction Béteille 35. La responsabilité des services spéciaux militaires n’est
pas formellement engagée. Une seconde note est envoyée par la Sûreté
nationale aux services spéciaux militaires le 22 avril 1938. Elle dresse la
liste de 105 militaires suspectés d’appartenir au CSAR. Les hommes du
rang et les sous-officiers sont les plus nombreux. Cinq officiers y sont
dénombrés : le lieutenant Ducrot affecté à Tunis, les capitaines Coste
– affecté à un régiment du train à Lille – et Massart à Rennes, les
commandants Figeauno et Lavallée de Pimaudan, affecté à Nantes. Un
nouveau suspect, Guillaume Eisele, membre du mouvement autono-
miste du front lorrain constitué après les élections législatives de 1936,
est signalé le 2 mai 1938 36. Sans effacer tous les doutes, les soutiens dans
la hiérarchie militaire parisienne ne ressortent pas de ces documents. Ces
trois documents n’établissent pas les liens du 2e bureau et de la SR-SCR
avec le CSAR. En l’espèce, la hiérarchie militaire est tenue à l’écart de
l’enquête de la Sûreté nationale qui ne démontre pas de collusion entre
la Cagoule et le 2e bureau de l’EMA. Les pièces les plus compromet-
tantes pour certaines personnalités militaires n’ont pas été, naturellement,
communiquées par la Sûreté nationale.

Un cagoulard dans les services à Nice


Si la collusion des services spéciaux militaires avec la Cagoule
constitue une accusation récurrente contre leur action, les liens de cer-
tains officiers de renseignement dans les postes ont pu accréditer ce
soupçon général. Au printemps 1937, les agissements du responsable de

35. SHD/DAT 7NN 2 486, note du 10 février, op. cit., p. 1-2. On parla du
réseau Corvignolles ultérieurement, par évocation du colonel de Corvignolles sur la
tombe duquel avait été prononcé un serment de lutte anticommuniste le 8 février
1937 ; Frédéric Monier, op. cit., p. 314-315.
36. SHD/DAT 7NN 2 486, lettre de Camille Chautemps, vice-président du
Conseil, du 2 mai 1938 à Édouard Daladier, président du Conseil, ministre de la
Défense nationale au sujet de G. Eisele, candidat à une école militaire d’officier et
soupçonné d’appartenir au CSAR.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

l’antenne des services spéciaux à Nice sont une pièce à charge 37.
L’antenne à Nice du SER est chargée spécialement de la collecte d’infor-
mations sur l’Italie, recrutant, à ce titre, des agents dans les milieux
franco-italiens de part et d’autre de la frontière, notamment dans les
familles binationales et parmi les réfugiés italiens. Le recrutement
d’agents constitue certes le maillon le plus sensible des services spéciaux.
Leur nombre comme leur qualité constituent une permanente interroga-
tion de la centrale sur leur « rendement effectif ». Le risque de leur mani-
pulation par des services secrets étrangers pèse toujours. Affecté depuis
1932 au bureau de liaison de Nice, le capitaine Beaune est connu pour
ses fréquentations d’extrême droite. Selon le scénario le plus certain, il
recrute les activistes Joseph Darnand, Gombert et Agnély comme hono-
rables correspondants du SER. La date exacte n’a pas été établie. Si le
renseignement collecté par ces trois cagoulards immatriculés « honorables
correspondants » est de médiocre qualité, ils ont pu, en revanche, se pré-
valoir de leurs liens avec les services spéciaux militaires avant et après
1939 38. Ils le firent notamment lors de leur procès en 1945 et lors du
procès de la Cagoule en 1948. Philippe Bourdrel propose une version de
l’assassinat des frères Rosselli « par ordre du 2e bureau », sans avancer
d’archives emportant la conviction.
Les échanges de renseignement entre les services spéciaux français et
ceux italiens constituent un élément antérieur et extérieur à l’affaire. Le
colonel Emmanuele, chef du contre-espionnage italien et le commandant
Navale, chef du poste de Turin, se sont bien rendus à Paris au printemps
1937 pour rencontrer Rivet. À la date du 3 mai 1937, ses carnets attes-
tent la tenue de cette réunion technique. Si des instructions formelles ou
orales de Gamelin n’ont pas logiquement laissé de traces, Rivet l’évoqua
lors du grand rapport de l’état-major de l’armée du 27 avril 1937. L’objet
de cette réunion fut bien d’apprécier les formes d’une coopération tech-
nique et d’échanges de renseignements entre les deux services, non de
nouer des projets de coopération clandestine incluant la Cagoule. Mais

37. SHD/DAT 1 K 545, carton 15, note sur les rapports de la SER de Marseille
avec les milieux d’extrême droite du colonel Gallizia à Paul Paillole, 13 mars 1974.
38. Philippe Bourdrel, op. cit., p. 228, évoque le rôle des cagoulards réfugiés en
Italie et se vantant de faire du renseignement pour le 2e bureau SR-SCR avant-
guerre. Jean Delperrié de Bayac, Histoire de la Milice, Paris, Fayard, 1969, p. 25-26
au sujet de la mission donnée à Darnand et Gombert en Italie à la fin d’août 1939.

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

ces contacts accréditent, au yeux de l’opinion publique en 1937-1938, de


possibles échanges de renseignements entre l’antenne de Nice, le contre-
espionnage italien et la Cagoule. Or, les liens se sont bien établis en 1937
entre la Cagoule et les services italiens, pourvoyeurs d’armes. La compli-
cité de Beaune est apparue évidente au commandant Schlesser, chargé
d’enquêter sur son compte. Le 30 octobre 1937, Beaune a encore été
reçu par Rivet et a obtenu de rencontrer près de San Remo le comman-
dant Navale du contre-espionnage italien. Il conduit à cet instant sa der-
nière mission. Beaune est évincé du service en janvier 1938. Le capitaine
Giscard d’Estaing lui succède au début de 1938, puis le capitaine Gal-
lizia en août 1940 39. Affecté six mois au SER, il commande ensuite son
antenne à Nice en 1939-1940. Les contacts perdurent cependant au-
delà de 1940 entre Combours, adjoint de Gallizia, et les anciens cagou-
lards engagés dans la collaboration avec l’Allemagne 40. Les liens de
Beaune avec la Cagoule sont à nouveau confirmés après 1940 par son
engagement aux côtés de Darnand et dans la milice. Rétrospectivement,
ces faits donnèrent corps à une responsabilité des services spéciaux mili-
taires pour les tenants de la thèse d’une collusion entre la Cagoule et le
« 2e bureau ». De fait, en 1938, l’affaire contribue à compliquer les rela-
tions entre la Sûreté nationale et les services spéciaux. Les soupçons se
sont portés sur le général Gérodias, commandant de la 29e DI, et ancien
sous-chef d’état-major de l’armée de 1935 à mars 1937. Il a été dénoncé
dans la presse pour ses liens supposés avec la Cagoule. L’anticommu-
nisme manifeste dans une partie de la haute hiérarchie militaire ne fait
naturellement pas de doute ; mais il n’est pas corrélé avec un engagement
formel ou un soutien explicite aux activités de la Cagoule. À ce niveau de
responsabilités, la suspicion est toutefois interdite au sein de l’état-major
de l’armée.

39. SHD/DAT 1 K 545, fonds privé Paillole, carton 15. Dans le carton 16, une
note rédigée par le colonel Paillole postérieurement à la guerre, revient sur les liens
de la Cagoule et du contre-espionnage italien. Paul Paillole, Services spéciaux
(1935-1945), op. cit., p. 84-86. Il s’agit de l’oncle de l’ancien président de la
Ve République, Valéry Giscard d’Estaing.
40. SHD/DAT 1 K 545, carton 15, lettre du colonel Gallizia à Paul Paillole,
13 mars 1974. Le contact boîte aux lettres était Esmiol, honorable correspondant de
la SER et Malacarne, propriétaire des bains de Rull-Plage, proche de Darnand
jusqu’en 1942.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

L’anticommunisme est bien le moteur. Le premier procès de la


Cagoule ouvert le 28 juillet 1939 devant la cour d’appel de Paris met en
évidence les relations entre le CSAR et le réseau Corvignolles. Il ne
démontre pas une quelconque responsabilité du 2e bureau ou des ser-
vices spéciaux militaires. Mais l’appartenance de certains officiers, à titre
individuel, à l’une ou l’autre des deux organisations, est démontrée. Plus
importante est l’interrogation sur la politisation réelle ou supposée des
services spéciaux militaires. À vrai dire, ceux-ci n’ont pas épousé de posi-
tion à caractère politique en 1936-1939. Ils se sont posés sur le terrain
professionnel de la Défense nationale contre les agissements étrangers en
France. Il n’y a pas à leur décharge d’engagement partisan. En revanche,
une déformation idéologique par anticommunisme est plus plausible.
Encore joue-t-elle individuellement sans prendre une expression collec-
tive et sans revêtir une quelconque défense de corps.

Le carnet B, un outil du contre-espionnage

Aux origines modernes des fichiers administratifs de


surveillance
L’évocation du carnet B appartient à l’histoire du mouvement social
avant 1914 et à celle de l’entrée en guerre en 1914 41. À ses origines en
1886, le carnet B dresse la liste des suspects pour espionnage, qu’ils
soient étrangers ou français. Puis il est élargi quelques années plus tard
aux suspects d’antimilitarisme et d’anarchisme. L’instruction ministérielle
du 9 décembre 1886 prescrit en effet à la gendarmerie, sous l’autorité du
préfet, de surveiller les étrangers, portés sur des listes de suspects par les
préfets. Les carnets A recensent alors les noms des étrangers résidant en
France en âge de servir les armées et les carnets B ceux des étrangers et
des Français soupçonnés d’espionnage ou d’antimilitarisme. Le carnet B
écrit un pan de l’histoire du contre-espionnage sous la IIIe République.
Dans les années 1880, cette mission de surveillance générale est partagée
entre la gendarmerie et la police républicaine, notamment la police spé-
ciale pour la surveillance des anarchistes, des boulangistes et des

41. Jean-Jacques Becker, Le Carnet B. Les pouvoirs publics et l’antimilitarisme


avant la guerre de 1914, Paris, Éd. Klincksieck, 1973, p. 128.

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

nationalistes. Le carnet B est bien un outil privilégié du contre-espion-


nage, maintenu après 1918 et redécouvert par la pratique administrative
du fichage de certaines catégories politiques de suspects, à partir des élec-
tions législatives de 1932. Le rôle singulier de la gendarmerie en matière
de renseignement est majeur 42. De façon complexe et évolutive au
XIXe siècle, la gendarmerie a participé au contrôle politique et social de
l’opinion grâce au déploiement des brigades, quadrillant les départe-
ments jusqu’à l’échelle du canton. De fait, cette mission a explicitement
débouché sur la collecte d’informations diverses sur les populations. Au
cours du XIXe siècle, ce contrôle politique connaît un déplacement pro-
gressif vers celui des grèves ouvrières, des milieux syndicalistes et anar-
chistes, pour avoir du renseignement à tout prix avant 1914. Sous l’angle
de la surveillance des étrangers et de l’espionnage étranger, les missions
de contre-espionnage sur le territoire s’affinent à partir de 1886. Tou-
tefois, il y aurait eu une médiocre adaptation de la gendarmerie à des
missions de contre-espionnage qu’elle rechigna à assumer, peu à peu, à
partir des années 1880-1890. Les gendarmes préféraient un rôle inédit de
protection du citoyen à celui répressif qui s’était attaché à leur corps
depuis 1820. Dès lors, cette mission incombe essentiellement à la police
spéciale, en particulier sur les frontières. Cet autre corps de l’État secret
éclaire l’histoire du contre-espionnage en France.
En 1914, un peu moins de 2 500 noms étrangers et français figurent
sur le carnet B. Il y a 561 noms d’étrangers suspects d’espionnage, 149
de Français suspects d’espionnage et 1 771 pour d’autres motifs. Tou-
tefois, le ministre de l’Intérieur Louis Malvy suspend son application en
août 1914, favorisant « l’union sacrée » des partis politiques et des syn-
dicats qui interrompent les oppositions politiques et idéologiques 43. Mais
le carnet B ne disparaît pas pour autant après 1919. L’anticommunisme
d’État des années 1920 lui confère un nouvel élan. Dans la panoplie des
mesures de surveillance des militants du parti communiste français, le

42. Arnaud-Dominique Houte, Le métier de gendarme national au XIXe siècle. Pra-


tiques professionnelles, esprit de corps et insertion sociale de la monarchie de Juillet à la
Grande Guerre, op. cit., p. 539-541 ; Louis Panel, Gendarmerie et contre-espionnage
(1914-1918), SHGN, 2004, p. 22-27.
43. Jean-Jacques Becker, 1914 : Comment les Français sont entrés dans la guerre,
Paris, PFNSP, 1977, p. 379-400.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

carnet B est en bonne place 44. Les départements qui l’ont appliqué briè-
vement au début de 1914, à l’instar du Nord et du Pas-de-Calais, ont
laissé des archives administratives retrouvées dans celles du contre-espion-
nage militaire après 1919. Dans ces deux départements, le carnet B
continue d’être actualisé de 1922 à 1939 par les préfets 45. En février
1933, le ministre de l’Intérieur décide d’étendre aux « indésirables de
toute nationalité » les mesures d’inscription au carnet B spécial 46.
Défendue par la Sûreté générale, la mesure doit permettre l’arrestation de
suspects en cas de tension politique ou à la veille d’un conflit avec une
puissance voisine. Ce carnet B spécial doit rester rigoureusement secret.
L’arrivée du nazisme au pouvoir en Allemagne n’est évidemment pas
étrangère à la mesure. Christian von Hahn, employé par compagnie ciné-
matographique allemande UFA, arrive en France en 1925. Domicilié à
Paris, il fait l’objet d’une inscription au carnet B dans le département du
Loiret. Suspecté d’agir au profit de l’Abwehr, sa surveillance ainsi
garantie par la gendarmerie du Loiret ne permet pas de prouver ses agis-
sements d’espionnage 47. Les brigades de gendarmerie poursuivent le
fichage des individus suspects à l’échelon du canton, facilitant une vision
fine des menées d’espionnage sur le territoire national. Les services spé-
ciaux militaires ont continué de voir dans les inscrits au carnet B des sus-
pects possibles d’espionnage. Depuis la fin des années 1920, la
surveillance de militants et d’élus communistes voisine avec celle de bri-
gadistes internationaux partant ou revenant d’Espagne en 1937-1938. En
réalité, le carnet B est la source d’un fichier supplémentaire des individus
soupçonnés de contacts avec Moscou pour le contre-espionnage militaire
et la Sûreté générale.
En effet, la surveillance des menées d’espionnage a conduit la SCR à
constituer, dès 1915, un fichier des suspects qu’elle a enrichi par des

44. Jean-Jacques Becker, Serge Berstein, op. cit., p. 229. Jean-Pierre Deschodt,
« Le carnet B après 1918 », in RIHM-CFHM, nº 82, 2002, site web stratisc.org.
45. SHD/DAT 7NN 2 046, dossier sur les inscrits au carnet B dans le départe-
ment du Nord de 1932 à 1939 et 7NN 2 750, inscrits au carnet B par le préfet dans
le département du Nord de 1922 à 1939.
46. SHD/DAT 7NN 2 046, note du président du Conseil, ministre de la
Guerre, du 23 février 1933 au sujet de l’extension du carnet B spécial aux indési-
rables de toutes les nationalités.
47. SHD/DAT 7NN 2 733, dossier de Christian von Hahn, né en 1898, sus-
pecté de travailler pour l’Abwehr.

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

échanges jusqu’en 1939. Elle l’a d’abord complété par les échanges de
noms portés sur les listes interalliées de suspects de 1915 à 1919. Dans
son actualisation en 1924, Paris et Londres communiquent encore des
informations sur des suspects. Cet élément de coopération entre les ser-
vices spéciaux français et anglais est maintenu, mais irrégulièrement, dans
l’entre-deux-guerres. Dès les années 1920, plusieurs fichiers coexistent en
France sans se recouper totalement. La préfecture de Police de Paris a son
fichier, dont se sépare sans doute celui du 5e bureau des renseignements
généraux chargés du contre-espionnage dans le département de la Seine.
Il ne se confond pas avec celui de la Sûreté générale qui intègre, vraisem-
blablement en partie, le fichier propre de la surveillance du territoire
réorganisée à maintes reprises jusqu’en 1937. Enfin, la section de centra-
lisation de renseignement a alimenté son propre fichier par des échanges
avec les services de la police. Mais ces recoupements ne font pas une
coordination absolument totale 48. Le carnet B s’ajoute aux fichiers par
ailleurs beaucoup plus importants. Précisément, les fiches individuelles
issues du carnet B communiquées au contre-espionnage militaire et à la
Sûreté générale ne sont qu’un complément. Celles conservées sont issues
en majorité de départements frontaliers. Ces départements ont une tradi-
tion administrative de surveillance étroite de la population locale. Les
fiches retenues intéressent principalement les départements de la Seine et
du Nord de 1932 à 1939.

La surveillance des suspects à la fin des années 1930


Le circuit administratif est relativement simple. La section de centra-
lisation de renseignement s’adresse aux commandants des régions mili-
taires. Par leur 2e bureau d’état-major, ceux-ci sont en relation constante
avec le préfet dans le département. Ce dernier peut prescrire aux ser-
vices de police et à la gendarmerie des enquêtes sur les suspects. Les fiches
de surveillance sont actualisées en suivant les déplacements et les déména-
gements des inscrits au carnet B départemental. Le préfet inscrit sur les
listes ou radie les suspects ne présentant plus de dangerosité. Dans le
département du Nord, le préfet a tenu à jour une liste de 385 noms
recensés au 1er septembre 1939. Cette liste est actualisée de 1922 à 1939.

48. Paul Paillole, op. cit., p. 75.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Louis Évrard, né en 1905, est, par exemple, inscrit en 1922 et à nouveau


mentionné en 1934 49. La plupart des inscrits le sont entre 1932 et 1939.
Si le carnet B n’est pas tombé en déshérence entre 1919 et 1932, les
inscriptions les plus nombreuses dans le département du Nord intervien-
nent toutefois après 1932. Après l’affaire des rabcors, elles procèdent
essentiellement d’une surveillance renforcée du parti communiste
français. Des militants et des élus sont portés sur les listes départemen-
tales du carnet B. Ces inscriptions se font, en règle générale, pour des
motifs de militantisme syndical et partisan. Les liens avec Moscou sont
un facteur aggravant. En l’espèce, le contre-espionnage français avait une
mémoire vive des affaires d’espionnage successives découvertes depuis
1922-1923, jugées pour la plupart. Il est plus rare que les inscriptions le
soient pour des soupçons d’espionnage ou pour des condamnations
anciennes. L’engagement dans les brigades internationales est également
suivi en 1937 par la Sûreté nationale et par la SCR. Maurice Hofman,
né en 1907, quitte son domicile sans faire viser son livret militaire. Il est
porté comme insoumis sur le carnet B en 1937. Peu d’espions recensés
ou identifiés comme tels figurent sur le carnet B du Nord. Un petit
nombre d’entre eux fait l’objet d’instructions d’arrestations en
1937-1938. Les mesures d’expulsion sont assez rares au demeurant. Gré-
goire Wachminski est né à Wiatka en Pologne en 1899. Il fait l’objet
d’une mesure d’expulsion du territoire français le 1er juillet 1939 pour des
soupçons de liaison avec des étrangers. Plus fréquentes sont les inscrip-
tions de responsables syndicaux inscrits au début des années 1930.
Tout aussi révélateur est le maintien sur le carnet B du Nord d’Henri
Martel. Né en 1898, le conseiller municipal et conseiller général commu-
niste de Waziers est porté sur le carnet B le 2 octobre 1930. Élu député
communiste du Nord en 1936, il est toujours inscrit en septembre 1936
lorsqu’il déménage. L’information est scrupuleusement portée sur sa
fiche établie par la gendarmerie nationale de Douai en septembre 1936 50.
La situation échappe assez largement au rédacteur de la notice qui
transmet réglementairement l’information au préfet du Nord. Les inscrits

49. SHD/DAT 7NN 2 750, dossier des inscrits au carnet B du département du


Nord, 1922-1939.
50. SHD/DAT 7NN 2 046, Inscrits sur le carnet B du Nord, 1932-1939. Rap-
port de la gendarmerie de Douai, brigade de Waziers du 2 septembre 1936 au sujet
du changement d’adresse de l’inscrit au carnet B Martel.

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

du département du Nord sont très majoritairement des militants


communistes. Mais il y a aussi dans cette situation l’héritage d’une pra-
tique administrative des départements frontaliers qui connaissent des
menaces d’invasion. Le carnet B y relève autant d’une histoire du mouve-
ment social et de ses luttes que d’une histoire des régions frontières. Le
recrutement des agents par les services secrets, français comme étrangers,
y est plus actif que dans des départements intérieurs du pays. Les inva-
sions et les occupations militaires y ont noué l’histoire complexe de
contacts entre les populations occupantes et occupées. Les enquêtes de
l’automne 1939 sur l’application du carnet B à la mobilisation confir-
ment qu’il fut bien, incidemment, un outil du contre-espionnage.
En décembre 1939, le contrôle général des armées reçoit la mission
d’apprécier l’efficacité de l’application du carnet B à la mobilisation en
septembre 1939. Les résultats de l’enquête pour le département de la
Seine installent la conviction que son application a été très imparfaite. La
recherche des suspects met à nu l’organisation générale du carnet B pour
le département de la Seine. La liaison entre la SCR et les autorités admi-
nistratives et militaires du département démontre la permanence des
échanges d’informations dans les années 1930. Il y a d’une part les réser-
vistes rayés du carnet B, mais restant suspects selon les critères appliqués
par le 2e bureau de l’état-major de l’armée. Il y a d’autre part les réser-
vistes que le 2e bureau a lui-même classés comme suspects et inscrits à
son fichier, sur la foi de renseignements particuliers qu’il a pu recueillir.
Les inscrits du carnet B en France alimentent depuis les années 1920 la
constitution d’un fichier plus important de 100 000 environ du contre-
espionnage militaire. Dans le département de la Seine, le nombre des ins-
crits au carnet B est de 472 en septembre 1939. La SCR a conservé
273 dossiers individuels qu’elle a fondus dans son fichier pour le seul
département de la Seine. Élargie à la région de Paris, la liste compte
871 noms inscrits au total au carnet B. Pour l’ensemble de la France, le
fichier des suspects du 2e bureau est estimé à environ 3 000 noms,
comprenant l’ensemble des inscrits au carnet B des départements et des
radiés dans les années 1930. Le rapport estime que cela correspond à
environ 2 000 noms actifs 51. L’enquête établit des dysfonctionnements
dans l’application du carnet B. Des dizaines de réservistes qui y sont

51. SHD/DAT 7NN 2 782, compte rendu nº 11 de la mission de contrôle du


territoire (région de Paris) du 26 décembre 1939 au sujet de l’enquête sur la situation

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

portés ne sont pas mobilisés et demeurent introuvables. L’intérêt de


l’enquête réside principalement dans la désignation d’agents de l’étranger
ou d’individus condamnés pour espionnage dans les années 1930. Une
dizaine de cas est relevée.

Son application au Komintern et au PCF à la fin des années


1930
À cet égard, les dossiers de réservistes étalent des situations indivi-
duelles qui donnent à voir l’utilisation du carnet B par le contre-espion-
nage militaire et la Sûreté générale. Delance appartient à la classe 1919,
recensé par le 3e bureau de la Seine. Il est secrétaire du Secours rouge
international depuis plusieurs années, venant en aide aux communistes
réfugiés en France après avoir été pris en charge par l’organisation du
Komintern. Il est classé parmi les propagandistes influents en France en
1938-1939. Il est suspecté de travailler au profit de l’URSS, sans qu’il ait
été toutefois poursuivi pour espionnage. Il a successivement été classé
dans les « sans affectation » le 30 septembre 1938, puis affecté à la manu-
facture d’armes de Levallois-Perret le 2 décembre 1938. Enfin, il est
repris dans les « sans affectation » le 21 mars 1939. Son profil corres-
pond à la majorité des dossiers traités par la SCR 52. Depuis 1928, les ser-
vices spéciaux militaires actualisent en effet un fichier de surveillance des
actes d’antimilitarisme et de propagande communiste. Jusqu’en 1939, ce
fichier est complété par des informations en provenance de la Sûreté
nationale et par les postes à l’étranger. La surveillance des agissements
communistes recouvre, en réalité, celle du parti communiste français et
des associations syndicales, étudiantes et culturelles qui gravitent dans
son orbite 53.
Tout aussi intéressante est encore la surveillance d’Aubry, appartenant
à la classe 1913. Ce militant bien connu a fait l’objet d’une surveillance

militaire de certaines catégories de réservistes dans la région de Paris. Voir aussi Pré-
fecture de police de Paris, BA 2273, application du carnet B dans le département de
la Seine 1932-1939. Cité par Jean-Pierre Deschodt.
52. SHD/DAT 7NN 2 782, op. cit., p. 7.
53. SHD/DAT 7NN 2 701, fichier de surveillance des activités de propagande
communiste et antimilitariste. Les fiches recensent les dossiers se référant à ces agis-
sements dans un classement chronologique et par provenance des informations,
1927-1938. Voir aussi Sophie Cœuré, La Grande lueur à l’Est, op. cit., p. 133-142.

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

par la préfecture de Police de Paris en 1914-1918. Recensé par le


3e bureau de la Seine, des renseignements confidentiels le disent à la solde
de l’URSS. Engagé dans l’artillerie, il est passé dans l’arme du génie avant
d’être affecté dans les services d’infirmerie en 1916. En 1920, il est muté
comme agent chimiste dans le cadre du complément des poudres. Il est
condamné à quatre ans de prison pour espionnage au profit de l’URSS
le 25 juillet 1935. Il est alors versé dans les réserves, classé « sans affecta-
tion ». Le 12 octobre 1939, il se fait classer dans l’affectation spéciale au
titre du laboratoire général d’essais industriels à Paris. Rayé de l’affecta-
tion spéciale en novembre, il est destiné à être versé dans la section des
exclus. Encore sans affectation le 15 décembre 1939, il est dans ses
foyers. Son parcours est très éclairant des impuissances et des failles de la
surveillance en matière de contre-espionnage. D’autres exemples montre-
raient, à l’instar de Dumay, militant communiste suspecté fortement de
relations avec les services d’espionnage soviétiques et malgré tout affecté
en 1939 dans une usine de construction aéronautique à Issy-les-Mouli-
neaux, que les moyens de répression ne couvrent pas la gamme des situa-
tions particulières d’espionnage en 1939. En définitive, le recours au
carnet B ne fait que compléter des fichiers qui annoncent une répres-
sion souvent restée virtuelle avant 1939. L’enquête de décembre 1939
met à nu le fossé existant entre le quadrillage administratif des menaces
et l’identification des suspects d’espionnage avec la neutralisation effec-
tive de leurs activités.
Indépendamment des informations parfois très sommaires figurant
sur les fiches du carnet B, les compléments d’information établis à l’issue
des enquêtes de gendarmerie et les notices individuelles de suspects sur-
veillés par les préfets constituent des renseignements prisés. Leur addi-
tion donne toute sa valeur aux dossiers actualisés sur les militants
communistes de 1932 à 1939 dans les départements industriels et fronta-
liers. En 1937-1938, le fichier du contre-espionnage militaire suscite
l’intérêt du réseau Corvignolles. En vain, car le fichier de la SCR est très
jalousement gardé et réservé à un usage exclusivement interne. La coopé-
ration avec la Sûreté nationale permet de l’actualiser très fréquemment.
En 1937-1938, les renseignements généraux partagent plus activement
leurs informations, précisément en raison des promesses d’échanges de
dossiers sur les agents allemands et italiens soupçonnés d’activités clan-
destines à Paris.

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Les ressorts de l’espionnage dans l’économie et la politique

Le carnet B est constamment actualisé dans les départements les plus


exposés à l’activisme communiste dans les années 1930. Son application
met en relief une coopération étroite entre les autorités préfectorales et le
contre-espionnage policier et militaire. La surveillance de l’antimilita-
risme en est le premier objectif qui dissimule mal en réalité une surveil-
lance très nettement orientée vers le PCF et les syndicats. À ce titre, les
informations communiquées par les préfets du Nord et du Pas-de-Calais
de 1932 à 1939 sont une contribution importante au contre-espionnage
militaire et policier. Prolongement de l’anticommunisme d’État des
années 1920 et anticipation, dans une certaine mesure, de la répression
des communistes en 1939 après l’interdiction du PCF, le carnet B est un
outil secondaire, néanmoins activé, de la répression de l’espionnage. Les
cas d’espionnage avérés sont cependant très rares dans les années 1930.
L’idée du complot et l’image de la trahison dominent encore trop large-
ment l’appareil d’État français pour que le militantisme communiste soit
compris à la mesure de sa diversité à la fin des années 1930. Le voyage
en Russie de militants communistes garde un parfum de trahison au
profit de l’étranger pour le préfet du Nord en 1931-1932 54. Après un
voyage en Russie pendant quarante jours, François Vienne, secrétaire
régional des jeunesses communistes à Lille, inscrit au carnet B, put
revenir par la Belgique « sans être inquiété » 55.
Si l’élaboration du renseignement appartient à un cycle technique qui
garantit théoriquement son intégrité, l’exploitation est une étape de
dégradation de sa neutralité. L’information cesse d’être une donnée
objective pour entrer dans l’ordre politique et stratégique. En ce sens, le
renseignement subit une déformation nécessaire, inévitable. Le renseigne-
ment sert ou ne sert pas, est utilisé dans son intégrité ou en partie. La
politisation est donc cette étape de mise en œuvre, d’utilisation d’un ren-
seignement. Il y prend sa force, il y trouve sa vulnérabilité. Les crises des
années 1930 démontrent ce processus de politisation. Il conduit à une
dégradation du renseignement par un utilisateur étranger au monde de
l’espionnage, à ces conditions d’acquisition et de fabrication. Toute autre
est l’idéologisation. Elle est un processus, non de dégradation, mais de
subversion du renseignement dont l’intégrité est soupçonnée, niée, au

54. Sophie Cœuré, La Grande lueur à l’Est : les Français et l’Union soviétique
1917-1939, Paris, Seuil, 1999, p. 155-183.
55. SHD/DAT 7NN 2 046, note du préfet du Nord du 28 novembre 1931.

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Le renseignement dans la vie politique à la fin des années 1930

point de conduire à son rejet. Le renseignement est transformé pour jus-


tifier, a priori ou rétrospectivement, des faits. Cette situation est la plus
périlleuse à la faveur des crises internationales des années 1930. Elle
conduit les décideurs à se priver d’un outil d’appréciation des situations
de tension politique et de crise. Il est paradoxal de constater l’évolution
parallèle des services spéciaux, militaires et policiers, constamment réor-
ganisés et professionnalisés. Une orientation nettement anticommuniste
a, en outre, polarisé le contre-espionnage français durablement. La lutte
contre l’antimilitarisme s’est largement confondue avec celle contre
l’URSS et le PCF en France. Le carnet B en est un moyen particulier qui
continuait de lier l’appartenance au PCF à une trahison nationale, sinon
à un espionnage au profit de l’URSS, dans l’imaginaire militaro-policier
du contre-espionnage. Il est vrai que cet imaginaire puisait dans une réa-
lité politique et judiciaire incontestable depuis le début des années 1920.
La répression des activités du Komintern entrait dans l’arsenal d’une lutte
contre les syndicats et le PCF. Cette figure rhétorique obsède la généra-
tion d’après-guerre des responsables du contre-espionnage. Elle devait
d’ailleurs façonner certains engagements après 1940. Mais elle s’est aussi
traduite par un étouffement des capacités d’action du contre-espionnage
français au milieu des années 1930.
La section de centralisation des renseignements porte bien son nom.
Mais elle n’a pas eu les moyens d’appliquer les objectifs qui furent les
siens. L’anticommunisme dans l’appareil d’État est porteur de décon-
venues. L’affaire du réseau Corvignolles et du CSAR sont des épiphéno-
mènes. Ils sont la fièvre d’une institution conservatrice, qui campe à
droite, mais demeure profondément légaliste dans sa grande majorité
silencieuse. Ce que reproche l’armée à Loustaunau-Lacau n’est sans doute
pas son anticommunisme, qui suscite très vraisemblablement un large
assentiment dans la haute hiérarchie militaire, mais d’avoir parlé à voix
haute. L’armée devait rester la vestale silencieuse de la République, depuis
l’alliance scellée dans la Première Guerre mondiale. La vertu des services
spéciaux militaires tient exactement dans leur discrétion. Aussi traver-
sent-ils la crise du réseau Corvignolles sans de réelles atteintes. L’affaire
est rangée au banc des fièvres nationales dont la France garde le secret.

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Conclusion

Entre 1918 et 1939, les services secrets français sont devenus une
administration ordinaire de la République. À n’en pas douter, leur his-
toire relève d’abord d’une économie politique de l’information dans
l’État. Les relations de l’État à l’espionnage et de l’appareil d’État au ren-
seignement montrent une place singulière, désormais omniprésente, du
renseignement dans le jeu des institutions françaises. À cette étape de son
histoire, le renseignement moderne trouve peu à peu une définition qui
n’est pas si éloignée de la définition actuelle. L’institutionnalisation des
services spéciaux militaires et policiers est essentiellement l’œuvre de la
IIIe République. Certes, l’espionnage contemporain plonge ses racines
dans un long XIXe siècle, qui hérite des apports des codes militaires et juri-
diques du Premier Empire. Pourtant, l’espionnage est tardivement régle-
menté en France, entre 1886 et 1939, par à-coups. Les crises nationales
et internationales l’ont façonné juridiquement, quand la Première Guerre
mondiale a plutôt accéléré sa bureaucratisation et sa professionnalisation,
déjà engagées depuis la guerre franco-prussienne de 1870-1871.
En France, l’histoire politique et culturelle de l’espionnage est restée
tardivement amarrée au souvenir de l’affaire Dreyfus. La Première Guerre
mondiale a pu en atténuer les souvenirs, mais elle n’a pas changé, dans
l’esprit des Français et de leurs dirigeants, la représentation centrale de
l’espionnage : le commerce avec l’ennemi, la trahison nationale. Avant et
après l’affaire Dreyfus, les procès pour espionnage ont des retentisse-
ments nationaux car ils débordent toujours d’un simple épisode judi-
ciaire pour interroger, au cœur de la nation, son identité et ses valeurs.
La Révolution française avait su jouer de la fonction symbolique des
procès d’espionnage, qui départageaient les citoyens vertueux et les
ennemis du peuple. La République assuma parfaitement cet héritage
idéologique. Après 1918, les nombreux procès pour commerce avec

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Conclusion

l’ennemi ont instruit une mémoire, sans doute régionale, voire locale, de
la trahison en temps de guerre. Elle n’en fut pas moins forte, dans les
départements envahis du nord et de l’est de la France, pour écrire les
pages noires des premières collaborations avec l’ennemi et des formes iné-
dites de résistance à une occupation militaire étrangère. Ainsi, après
1918, l’espion est encore le traître, voué aux gémonies de la Répu-
blique, symboliquement ostracisé dans une culture patriotique marquée
par la guerre de 1914-1918 : le crime d’espionnage fut puni de mort à
la fin des années 1930. Pourtant, cette évolution ne répond pas alors
exactement à un appel de l’opinion publique ; elle exprime plutôt
l’inquiétude montante des responsables de la sécurité nationale, inté-
rieure et extérieure, en France. Partagée par les responsables civils et mili-
taires, cette notion, remontant à la Révolution française, consacre en fait
une mutation qui affecte les services secrets, policiers et militaires, et les
appareils d’État : l’information ouverte et fermée est une clé de la sécu-
rité nationale. Or, les mutations techniques des communications, l’entrée
dans l’ère statistique liée aux débuts de la mécanographie et des machines
à calcul, transforment l’administration de l’information. Pour beaucoup
de Français, l’espionnage demeurait un délit, voire un crime, une tra-
hison nationale, mais rarement une manifestation de la nouvelle guerre
de l’information dans laquelle la Première Guerre mondiale avait fait
entrer les États européens. Désormais, la capacité à mobiliser des infor-
mations de source policière, militaire et diplomatique relève autant des
moyens secrets des États que d’une volonté gouvernementale de les
exploiter avec lucidité quand l’existence du pays est en jeu. Il y a donc
une nécessité à détenir une information vitale à la survie de son pays.
Cela signifie-t-il que l’autorité politique s’est efforcée d’unifier les
marchés du secret et d’établir un monopole d’État sur l’information
publique ? L’État rationnel, planificateur et stratège n’est pas une utopie
politique ; mais il n’est pas non plus une réalité historique, tant les riva-
lités humaines, bureaucratiques, institutionnelles, idéologiques enfin ont
pu jouer le rôle d’un frein en France entre 1918 et 1939. Canaliser,
contrôler et utiliser l’information publique intéressant la sécurité ne tra-
duit pas nécessairement une volonté de monopole. À ce titre, la
IIIe République écrit bien la préhistoire des fichiers modernes de surveil-
lance des individus. Les fichiers de la Sûreté générale et de la préfecture
de Police de Paris ont été complétés par ceux de la Légion étrangère pour
les engagés et du carnet B. Cette obsession publique des fichiers est

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La République secrète

omniprésente à l’heure de la première statistique administative et des bal-


butiements de la mécanographie, aux conséquences historiques incalcu-
lables après 1940.
L’évolution de la prise en compte du secret et du renseignement par
les pouvoirs publics souligne les progrès de l’organisation publique, de la
programmation sinon de la planification du renseignement. Leur portée
est relative, parce que le plus souvent les décideurs rechignent et
échouent à prendre en compte le renseignement comme un moyen
objectif de décision. Les services spéciaux ont certes été utilisés par les
gouvernements, mais avec une grande inégalité d’emploi. À l’inverse, les
dirigeants des services spéciaux ont souvent échoué à provoquer l’intégra-
tion du renseignement dans les décisions d’intérêt national. Chaque
étape du cycle du renseignement est, en soi, un obstacle au succès même
du processus d’élaboration et de diffusion du renseignement, avant son
exploitation. En 1918, le wilsonisme marquait les esprits, fustigeant les
diplomaties secrètes dont l’Europe avait abusé jusqu’en 1918. Cette
donnée psychologique et politique a été un frein pour exploiter les
facultés du secret dans l’ordre diplomatique, politique ou militaire. Or,
les services spéciaux sont en mesure de mettre en œuvre des relations
secrètes en amont d’une diplomatie officielle, par les contacts des postes
à l’étranger établis avec les autorités militaires et politiques des pays
d’accueil. Quand les diplomaties nationales ont échoué, il subsiste des
marges de négociation officieuse, illustrées par la tentative de coopération
secrète avec l’Italie fasciste en 1935-1937. Cette faculté de mise en œuvre
d’une infra-diplomatie par les services spéciaux militaires a sans doute été
négligée après 1919. Elle fut peu utilisée dans la panoplie des moyens de
la politique extérieure française. Les diplomates français, sans ignorer les
vertus du secret dans l’information et la négociation, ont largement neu-
tralisé la capacité des militaires à assumer cette infra-diplomatie à l’inté-
rieur des coopérations militaires européennes jusqu’en 1939. Les
militaires eux-mêmes s’en sont tenus à une conception plus traditionnelle
de la puissance des armes, sous-estimant sans doute en partie la compen-
sation de la force pure par le renseignement. Peut-on en dire autant de
son rôle dans la politique intérieure ?
Le pouvoir est souvent soupçonné d’une utilisation politique des ser-
vices secrets : la défense d’un régime politique est une accusation qui est
loin d’être toujours dénuée de fondements en France. La stricte morale
de neutralité politique a connu des dérogations dans l’entre-deux-

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Conclusion

guerres : nierait-on le rôle technique des militaires dans la politique de


Défense nationale et leurs engagements partisans sous des bannières
diverses ? La fonction de sécurité intérieure et extérieure de l’État, assi-
gnée à la police et à l’armée, les fait entrer dans le champ de la politique
que les militaires s’étaient pourtant efforcés de tenir à distance, mais en
vain, sous la IIIe République. La surveillance des syndicalistes, des mili-
tants d’extrême droite, des mouvements autonomistes breton, corse, alsa-
cien, du parti communiste français ou de la SFIO fait entrer les services
spéciaux dans l’anticommunisme, l’antisoviétisme, l’antinazisme et l’anti-
fascisme. Par opposition, par engagement et à la faveur des crises interna-
tionales, les services secrets ont évidemment été plongés dans la politique
dès la fin de la Première Guerre mondiale. Les révolutions communistes
en Europe, les troubles dans les États européens, les occupations mili-
taires et les coopérations secrètes avec les services spéciaux étrangers invi-
taient la politique dans l’histoire du secret. En définitive, les crises
internationales des années 1914-1945 et les deux guerres mondiales ont
clos un cycle historique français : le rôle du secret n’y aurait-il été
qu’anecdotique ? À l’intérieur de l’État, les services secrets ont failli, avec
d’autres, à empêcher la défaite en 1940, mais ils ont contribué à imposer
l’idée que l’information est le prix de la survie d’une nation.

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Biographie élémentaire des principaux acteurs

Andlauer (lieutenant-colonel), commande le poste SR de Belfort de juin


1913 à 1919, puis celui de Strasbourg qu’il met sur pied en
1919-1920, avant de quitter le service actif.
Bazeries Étienne (1846-1931), engagé volontaire, est capitaine dans le
train des équipages. Soumet un nouveau mode de chiffrement en
1891, affecté au ministère des Affaires étrangères en 1893-1894, puis
consulté après sa retraite en 1901 par le Quai d’Orsay.
Béliard Henry (1875-1940), lieutenant-colonel de réserve, attaché à la
SR-SCR de 1914 à 1918, puis réserviste affecté au 2e bureau EMA de
1919 à 1939.
Bertrand Gustave (général) (1896-1976) est engagé volontaire en août
1914, lieutenant en 1915, puis activé en 1918. Il est spécialisé dans le
chiffre, à l’ambassade de Constantinople en 1920-1921, au 2e bureau
de l’EMA, affecté à la section du chiffre de 1929 à 1940, membre du
réseau Kléber, à la DGSS en 1944-1945, rayé des cadres en septembre
1946.
Buat Edmond (général) (1868-1923) est chef de cabinet du ministre de
la Guerre en 1914-1916, CEMA de 1920 à 1923.
Campionnet Émile (colonel) (1835-1912) affecté au 2e bureau de l’état-
major en 1871 pour prendre en charge l’espionnage à l’étranger,
commande la section de statistique de 1873 à 1880.
Charvériat Émile, né en 1880, diplomate, proche d’Alexis Léger, est
sous-directeur d’Europe au ministère des Affaires étrangères de mars
1933 à 1937, puis directeur adjoint des affaires politiques et commer-
ciales en 1937-1938, directeur des affaires politiques et commerciales
d’octobre 1938 à 1939.

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Biographie élémentaire des principaux acteurs

Doudot Joseph (né en 1902), affecté au CLF d’Aix-La-Chapelle en


1922-1924. Recruté comme officier de réserve au 2e bureau SCR en
1924. Quitte les services colonel en 1963.
François-Marsal Frédéric (1874-1958), financier, attaché au cabinet de
Clemenceau en 1917-1919, il est sénateur du Cantal de 1921 à 1930,
ministre des Finances en 1920 et 1924.
François-Poncet André (1887-1978), ancien élève de l’ENS, agrégé
d’allemand, mobilisé au bureau de la presse de Berne en 1916-1918,
est diplomate. Député de Paris de 1924 à 1932, sous-secrétaire d’État
entre 1928 et 1932, il est ambassadeur de France en Allemagne de
1931 à 1938, puis en Italie en 1938-1940.
Freycinet Charles de (1828-1923), est ingénieur polytechnicien. Dans sa
longue carrière ministérielle, il est ministre de la Guerre dans le gou-
vernement de Défense nationale, ministre des Affaires étrangères en
décembre 1879-1880, puis en 1882 et en 1886, enfin président du
Conseil. Il est ministre d’État en 1916.
Gérar-Dubot Paul (colonel), est officier de réserve, secrétaire général du
Journal de 1925 à 1942, honorable correspondant des services activé
en 1938, chef du BCR/2 d’Amiens en 1940.
Josset Eugène (général) (1892-1952) est chef du poste de Constantinople
en 1919-1922, affecté au 2e bureau EMA en 1923, responsable de la
section russe du SR en 1935-1939. Membre du réseau anglais Béryl,
puis délégué général de la France combattante.
La Panouse Artus de (général) (1863-1945) est attaché militaire à
Londres de janvier 1913 à 1925, responsable d’un réseau d’informa-
teurs au sein de l’armée belge pendant la guerre de 1914-1918.
Lainey Robert (colonel) (1873-1937) est chef des services spéciaux mili-
taires de juin 1920 à octobre 1928, puis chef du 2e bureau de l’EMA
en 1928-1930.
Laurent Edmond (général) (1882-1971), affecté au 2e bureau de l’EMA
de 1923 à 1927, chef de la SR-SCR de septembre 1928 à mars 1934.
Commandant du 42 RA en 1934-1936, attaché militaire à Bruxelles
en 1937-1939.
Loizeau (général) est sous-chef d’état-major à l’EMA de 1934 à 1936.
Massigli René (1888-1988), ancien élève de l’ENS, diplomate, est affecté
à la section télégraphique du ministère de la Guerre en 1914-1916,
puis au bureau de la presse de Berne en 1916-1919. Il est directeur
adjoint des affaires politiques et commerciales au ministère des

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La République secrète

Affaires étrangères de mars 1933, jusqu’en octobre 1937, en devient


directeur jusqu’en octobre 1938, puis ambassadeur à Ankara.
Mendras Marie-Joseph (général) (1882-1964) est polytechnicien.
Attaché au 2e bureau de l’EMA, section russe, en 1921-1925, profes-
seur à l’ESG en 1927-1933, attaché militaire à Moscou de mars 1933
à novembre 1934. Il est chef de corps du 182e RA en 1934-1937, puis
commandant de l’ESG de juin 1938 à septembre 1939.
Merson Jean (général) (1882-1976) est au 2e bureau de l’EMA depuis
1919, chef du poste d’Aix-La-Chapelle 1919-1921, adjoint du chef de
la SR-SCR en 1922-1924. Cabinet du ministre de la Guerre en
1927-1930, il est attaché militaire à Stockholm en 1931-1934. Au
Levant en 1934-1937, il est attaché militaire en Yougoslavie en août
1938-1939.
Millerand Alexandre (1859-1943) est avocat, socialiste indépendant. Il
est ministre du Commerce et de l’Industrie en 1899-1902, de la
Guerre en 1912-1913 et 1914-1915, président du Conseil en 1920,
puis de la République de 1920 à 1924. Sénateur de 1925 à 1940.
Paillole Paul (colonel) (1905-2002), affecté au 2e bureau de l’EMA, SCR
de 1935 à 1940, puis responsable du contre-espionnage militaire de
l’armée d’armistice jusqu’en novembre 1942, puis à la DGSS
1943-1944.
Rivet Louis (général) (1883-1958) entre dans le renseignement en 1919.
Est le chef des services spéciaux militaires de juin 1936 à mars 1944,
continuant d’animer les services spéciaux clandestins de l’armée
d’armistice en 1940-1942, puis à Alger à côté du BCRA avant de
s’effacer devant Passy en 1943-1944.
Rochat Charles né en 1892 est diplomate, adjoint au sous-directeur
d’Europe en 1933-1936, chef de cabinet d’Yvon Delbos, ministre des
Affaires étrangères, de juin 1936 à octobre 1937, puis sous-directeur
d’Europe, enfin directeur adjoint des affaires politiques et
commerciales.
Roux Henri (géénéral) (1884-1967) est affecté au poste de Strasbourg
qu’il anime en 1923-1926, puis au 2e bureau de l’EMA en
1926-1928, puis à nouveau de 1930 à 1934 avant de prendre le
commandement des services spéciaux militaires de mars 1934 à juin
1936.
Rusterholz Marcel (1885-1938) est saint-cyrien (1905-1907), affecté au
service de renseignement de Mayence en 1918-1920, puis à la section

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Biographie élémentaire des principaux acteurs

allemande du 2e bureau de l’EMA-SR de 1921 à septembre 1933,


attaché militaire à Stockholm pour les pays scandinaves de 1934 à
1937.
Samuel Abraham (1825-1884) commande la section de statistique de
1871 à 1873.
Sandherr (colonel) commande la section de statistique de 1891 à 1895.
Schlesser Guy (général) (1896-1970), est affecté à la SR-SCR en
1933-1936, puis chef de la SCR en 1938-1939.
Schweisguth Victor-Henri (général) (1882-1970) sous-chef d’état-major
à l’EMA de mars 1935 à septembre 1937
Tannery Jean (1878-1939) est conseiller référendaire à la Cour des
comptes, affecté à la section économique du 2e bureau de l’EMA en
1915-mai 1918.

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Annexes

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Annexe 1 Tableau des postes de renseignement français en 1919-1939
Postes principaux
en territoire national Annexes Postes secondaires Correspondants isolés Modifications envisagées
et à l’étranger
Bayonne 1937 Perpignan 1937 Cible du BEP : Espagne
Belfort Annemasse, Besançon créé en Cible du SCM : Suisse,
1926 Allemagne
Bordeaux Hendaye, Barcelone Madrid, Lisbonne Cible : Espagne, Portugal
Chambéry 1918 Annexe effective de Marseille Grenoble Cible : Suisse et Italie, Italie
en 1928 seule après 1926
Lille 1933 Charleville-Mézières 1933 Cible BENE : Belgique,
Hollande, Allemagne
Marseille 1928 Nice et Chambéry 1928 Cible : Italie
Metz 1919 Forbach, Luxembourg en 1936 Cible : Allemagne
Nice 1919-1928 Annexe effective de Marseille Cible : Italie
en 1928

626
Strasbourg 1920 Mulhouse, Zurich, Cible : Allemagne
Ludwigshafen
Belgrade 1919 Ljubljana en 1934 Cible SR : Italie, Hongrie.
Berlin 1919-1926 Berlin Disparition en 1926, poste à
Dantzig
Berne Bâle, Lausanne, Zurich Devient antenne repliée à
(supprimées en 1925) Besançon en 1925
Bruxelles Anvers, Ostende, Charleroi Cible : Belgique
Bucarest 1920 Cernowitz Cible : Balkans
Copenhague Rattaché à La Haye en 1927
La Haye 1919 Amsterdam 1924-1926 Anvers, Rotterdam en 1937, Cible : Hollande, Belgique,
Bruxelles Allemagne du Nord
Londres, Dublin
Mayence 1919-1930 Bonn, Coblenz, Wiesbaden, Suppression de Bonn.
Trêves Aix-La-Chapelle créé 1926

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Berne 1919-1925 Supprimé en 1925, remplacé Cible : contre-espionnage
par Besançon après 1926

poste.
Berne 1925 Rome, Vienne, Berlin Suppression de Vienne en
Rome 1925 avril 1938
Prague 1920 Vienne Vienne Cible : Hongrie, Autriche,
Allemagne
Athènes
Sofia
Varsovie 1919-1926 Liaison 1926
Riga Revel, Kovono Suppression de Revel
Création Moscou
Helsingfors
Constantinople But : renforcer mer Noire
Angora
Stockholm Cible : pays scandinaves,
URSS
Beyrouth 1931 Port Saïd, Suez, Le Caire,
Alexandrie

627
Alger 1925 Tunis (1919), Oran (1919), Cible : Afrique du Nord,
Annexes

Tanger Méditerranée occidentale


Djibouti 1932 Cible : Corne africaine
Malaga 1925-1932 Mixte franco-espagnol :
contrebande Maroc
Téhéran, Kaboul
Ouganda Extension à toutes missions
des Pères blancs
Kenya Correspondants
Washington Correspondants
Mexique
Buenos Aires
Santiago du Chili
Pékin
Tientsin
Shanghai Correspondants en Australie
Tokyo
Hong Kong, Saïgon,

connues. Lorsqu’une seule indication est donnée, il s’agit de la date de création du


gique. Les dates de création et de suppression des postes sont données lorsqu’elles sont
Les indications chronologiques se conçoivent à l’intérieur de notre champ chronolo-
Singapour
Bangkok

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Annexe 2 Les missions à donner aux agents de Besançon en 1926
Indicatif Domicile Profession Milieux fréquentés Missions données
Su 27 Genève Sans Genevois et autrichiens Surveillance milieux germanophiles, autrichiens. Éta-
blir liaisons avec Autriche
Su 33 Zurich Agent de police Police de Zurich Recrutement d’agents. Surveillance des communistes
et des sujets des pays ennemis. Obtenir les rapports de
police cantonale sur toute question concernant
l’étranger.
Su 117 Berne Inspecteur à l’office du travail Commerciaux et industriels Surveillance des entreprises et des usines à capitaux
de Berne allemands, des achats allemands en Suisse (arme-
ments), des exportations
Su 120 La-Chaux-de-Fonds Rédacteur en chef du journal Milieux des franches Allées et venues d’étrangers. Installation d’individus
L’Impartial montagnes suspects
Su 121 Lausanne Cafetier Milieux policiers Surveillance des étrangers et arrivants
Su 123 Berne Employé de la police cantonale Milieux policiers Surveillance de tous les étrangers, arrivant ou partant
de Berne
Su 124 Genève Journaliste Milieux de la SDN et Surveillance de la SDN et du BIT, des milieux orien-

628
journalistes taux, des journalistes
Su 200 Lucerne Commerçant Milieux lucernois Milieux allemands de Lucerne. Allées venues
d’étrangers, surveillance de l’Hôtel du Lac
P1 Lausanne Rentier Relations mondaines Recrutements d’agents, étude de la mentalité suisse,
La République secrète

préparation de la propagande
Pd Lausanne Professeur Représentant suisse de l’office Surveillance des centres aéronautiques en Suisse
de l’Ain (Dübendorf). Mouvements avions
Retro Annemasse Architecte Recrutement d’agents. Surveillance du Tessin, des
milieux militaires italiens
Agents éventuels
B. Lausanne et Berne Ingénieur de la maison Zeller Surveillance des usines dans les secteurs de Lausanne
et de Berne
S. Aarau Professeur Surveillance région germanophile d’Aarau
D. Bienne Commerçant Surveillance région de Bienne
O. Genève Représentant Allées et venues de sujets ennemis et de leurs agents en
Suisse

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Annexe 3 Les effectifs des postes de renseignement sur le territoire national
et dans les colonies en 1928 et en 1935
Officiers Interprètes
Organe Troupe 1928/1935 Observation
1928/1935 1928/1935
CLF Mayence 19 19 72 Le poste disparaît en 1930
Belfort 21/21 34/10 87/ ? 10 officiers (8 de réserve) affectés à la mobilisation
Chambéry 5/ ? 5/ ? 25/ ?
Nice 6/ ? 2/ ? 20/ ?
Marseille (1928) 3/ ?
Alger (1925) : Oran, Tunis 12/16 51/ ? 10 officiers (8 de réserve) affectés à la mobilisation
Bordeaux 8/ ? 1/ ? 24/ ?
Postes / barrage 2/ ? 19/ ? Établis sur les voies ferrées internationales

629
Rabat 8/6 4/3 30/ ? 5 officiers (4 de réserve) affectés à la mobilisation
Annexes

Tanger 3/ ? 7/ ? 13/ ?

Metz (1930) -/13 -/3 ? 7 officiers de réserve affectés à la mobilisation


Lille (1933), CLF en 1939 -/20 -/9 ? 12 officiers de réserve affectés à la mobilisation
Marseille (1928) -/10 -/2 ? 4 officiers (2 de réserve) affectés à la mobilisation
Toulouse (1937) -/5 -/3 Antennes à Bayonne et à Perpignan du bureau d’études
pyrénéennes
Beyrouth (1932) -/3 en 1933/11 en -/6 -/35
1939
Djibouti -/2 -/4 -/ ?
Total 1928/1935 87/96 65/37 328/ ? 474/ ?

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La République secrète

Annexe 4 Les effectifs de la SR-SCR à Paris


entre 1925 et 1939
SR SCR
Décembre 1925 capitaines Rusterholtz,
Chef colonel Robert Hamant, Bonnefond,
Lainey Lacape, Martin, Jeanbat.
Adjoint commandant
Merson
Mars 1931 Commandant Derache, 5 officiers. commandant
Chef lieutenant-colonel Thiervoz, Ferrand, Huard Grosjean, capitaines
Laurent (chiffre), Bachelard Cavillon, Méjan, de
Adjoint lieutenant-colonel (Allemagne) ; capitaines Boutray, de Robien, puis
Cobert Jeanbat, Bédarida (Italie), Simoutre, Garnier.
lieutenant-colonel Perruche (Allemagne) ;
Raffestin (intendance) lieutenant Laborde
(réserve), Schulh.
1933 commandant Sabatier,
Nyo, Psalmon, capitaines
de Robien, Serrignan,
Ollé-Laprune.
Mars 1935 commandant Bergeat
Chef lieutenant-colonel (fonds et administration),
Roux, puis Rivet dès juin Glochand (Allemagne),
1936 capitaines Perruche
Adjoint commandant (Allemagne), lieutenant
Lacape Muller, commandant
Josset (URSS, Asie), Leleu
(Méditerranée),
commandant Ferrand
(aéronautique), capitaines
Potier de Courcy
(matériel), Brocher
(chimie), Louis
(décryptement), Bertrand
(chiffre), Goudard
(recrutement).
lieutenant-colonel
Guinchard (traduction)
Août 1938 lieutenant-colonel Rivet Chef lieutenant-colonel
Schlesser
capitaines Paillole, Devaux,
Bonnefous, Lambert, du
Chatel

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Sources et bibliographie

Les archives des services spéciaux militaires sont rassemblées dans


une première partie d’un fonds comprenant environ 1 200 cartons.
Elles seront complétées par les archives restituées par la Russie en 2000,
en cours de traitement et d’inventaire depuis 2005. La première partie
est d’un abord difficile puisqu’il n’y a pas à ce jour d’inventaire métho-
dique. Elle n’a pas fait l’objet, en outre, d’un classement raisonné. Leur
histoire est aujourd’hui mieux connue 1. Convoyées en juin 1940 par
des péniches depuis Paris jusqu’à La Charité-sur-Loire, les archives des
services spéciaux ont ensuite été transportées à Marseille, où elles furent
conservées par les services spéciaux militaires clandestins de l’armée
d’armistice. Ceux-ci ont alors poursuivi une lutte secrète d’abord en
zone libre puis en zone occupée, contre les Allemands et les Italiens,
élargie à la traque des communistes français, mais aussi de résistants,
gaullistes notamment. Hors de notre propos, ces pages renvoient à
l’action complexe des bureaux des menées antinationales et du contre-
espionnage clandestin connu sous le nom de « Travaux ruraux », mieux
appréciés par l’historiographie récente 2. Précisément, ces archives des
services d’espionnage et de contre-espionnage clandestins furent saisies
par les Allemands après l’invasion de la zone sud en novembre 1942.

1. Claire Sibille, op. cit., Ninon Seguin, Historique des fonds rapatriés de Moscou.
Moscou 1 et 2 (séries « N supplément : NN et NNN), Vincennes, Service historique de
la Défense, 2004, 27 p.
2. Simon Kitson, Vichy et la chasse aux espions nazis 1940-1942. Complexité de la
politique de collaboration, Paris, Autrement, 2005, 268 p. Olivier Forcade, « Services
spéciaux militaires 1940-1944 », « Travaux Ruraux : le contre-espionnage clandestin
1940-1944 », in François Marcot, Christine Levisse-Touzé, François Leroux (dir.),
Dictionnaire de la Résistance, Paris, Bouquins-Laffont, 2006, p. 211-213 et
p. 216-217.

631

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La République secrète

Exploitées par les nazis en Allemagne, elles furent ensuite récupérées par
les Soviétiques. Cette double capture d’archives a bouleversé le classe-
ment interne du fonds français. Après 1942, les « consultations » alle-
mandes et soviétiques ont affecté l’archivage des dossiers dans le fonds.
Le classement français a très probablement été perdu. Aussi, les dos-
siers ne sont pas classés par sections (SR, SCR, technique…), ni par
sous-sections géographiques (section allemande, russe, italienne…). En
outre, les réorganisations successives du fonds ne se sont pas traduites
par des ruptures internes 3. Le fonds a connu les déclassements alle-
mands en 1942-1944. Saisies en Allemagne, les archives françaises
furent reclassées et nouvellement cotées par les Soviétiques après 1945.
À la fin des années 1990, le traitement du fonds nouvellement coté
« 7NN » n’a donné lieu ni à un classement ni à l’établissement d’un
inventaire détaillé. Un inventaire dactylographié liste les dossiers dans
les 1 200 premiers cartons référencés lors du versement de 1994. En
outre, l’identification des documents contenus dans les dossiers est très
sommaire. L’accès au fonds en est rendu difficile. S’il n’est pas possible
de présenter leur contenu à cette heure, la seconde partie du fond res-
titué en 2000 promet déjà d’être très riche sur la Première Guerre mon-
diale, sur la Conférence de la Paix, sur les missions et les occupations
militaires françaises des années 1920. Cet essai est donc la première
exploration méthodique des dossiers généraux, complétée par de larges
sondages, certes encore insuffisants, dans les dossiers personnels, des
archives des services spéciaux militaires depuis la Première Guerre mon-
diale jusqu’à 1939. L’investigation est interrompue au seuil des archives
de la Sûreté générale (nationale après 1934), déposées à l’annexe du
Caran à Fontainebleau. Des historiens nous ont précédé, mais qui n’ont
pu accéder à ces archives de Moscou que pour de simples sondages, à
l’instar de Peter Jackson 4. Quant aux dossiers diplomatiques secrets
conservés dans une chambre forte, ils furent brûlés dans la chaudière du

3. Claire Sibille, « Les archives du 2e bureau SR-SCR récupérées de Moscou »,


op. cit., p. 36.
4. Peter Jackson, France and the Nazi Menace. Intelligence and Policy Making
1933-1939, Oxford, Oxford University Press, 2 000, 446 p.

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Sources et bibliographie

navire La Salle le 23 mai 1940 5. Aussi n’avons-nous procédé qu’à


quelques sondages des archives diplomatiques.
Les archives militaires présentent un intérêt majeur pour l’histoire de
la sûreté intérieure et extérieure de l’État. Deux types de dossiers sont
constitués. Les dossiers individuels voisinent avec des dossiers généraux
et thématiques. Des milliers de dossiers individuels restituent la réalité
de la surveillance des étrangers et des nationaux par la SR-SCR, en
liaison avec la Sûreté générale du ministère de l’Intérieur. La surveil-
lance de l’Allemagne, de l’Italie, de l’URSS, des suspects étrangers en
général fait l’objet de dossiers d’importance inégale. Les dossiers indivi-
duels contiennent des pièces s’étalant sur plusieurs années, parfois
même sur vingt ou trente ans. Les documents sont constitués de fiches
de surveillance dressées en liaison avec la Sûreté générale, des renseigne-
ments d’état civil et administratifs, de comptes rendus sur les agisse-
ments de suspects d’espionnage ou d’agents étrangers identifiés comme
tels. La surveillance de personnalités politiques, syndicales, de partis
politiques extrémistes de droite et du parti communiste français y appa-
raît aussi. Ces dossiers sont à croiser et à recouper avec les archives de la
Sûreté générale. Ce travail est à peine esquissé aujourd’hui. Des dos-
siers émanent des postes aux frontières et à l’étranger, des 2es bureaux
des ministères de la Marine et de l’Air, de l’Intérieur. Pour le ministère
de la Guerre, la mission d’assurer la sécurité intérieure et extérieure de
l’État justifie cette curiosité très large du contre-espionnage et de
l’espionnage militaire. À ce stade de nos recherches, les dossiers indivi-
duels ne font pas l’objet d’un dépouillement méthodique. Il n’y a pas
d’autre clé pour les ordonner que de partir du fichier considérable des
dossiers individuels et des dossiers généraux qui les relient entre eux très
souvent.
Le croisement des deux fonds revenus de Moscou avec les archives
très riches de la série F7 des Archives nationales est nécessaire. En réa-
lité, de très nombreuses pièces trouvées dans les fonds Moscou figurent
déjà dans la série F7 pour la Sûreté générale. Le contre-espionnage poli-
cier sur le territoire et à l’étranger fut des plus actifs contre le commu-
nisme, reliant la sûreté intérieure à celle extérieure. L’inventaire détaillé
n’est toutefois que très partiel pour la série F7, s’appliquant notamment

5. Sophie Cœuré, La mémoire spoliée : les archives des Français, butin de guerre
nazi puis soviétique de 1940 à nos jours, Payot, 2007, p. 19.

633

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La République secrète

à la surveillance de l’Allemagne 6. Des fonds privés ont été abordés afin


d’appréhender la prise en compte du renseignement par les décideurs à
différents niveaux de responsabilité administrative ou gouvernemen-
tale. Les fonds Clemenceau, Poincaré à la Bibliothèque nationale de
France, Painlevé, Daladier, François-Poncet, Schweisguth aux Archives
nationales ont, par exemple, été sollicités. Les archives de la série BB18
ont permis un regard sur la répression judiciaire. La richesse de ces
fonds invite à leur exploitation exhaustive. Cette histoire des services
secrets ne cherche pas à couvrir la totalité du champ historique de cet
inhabituel objet d’étude. Elle ne prétend pas à l’exhaustivité pas plus
qu’elle n’embrasse la totalité des archives offertes à la curiosité de l’his-
torien privilégiant les archives militaires et l’histoire des services spé-
ciaux militaires. Elle est une première investigation globale et
méthodique à partir des archives pour répondre à quelques questions
essentielles.
Les dossiers généraux sont consacrés à l’inventaire des activités des
services spéciaux français puis à ceux des États ennemis, neutres, amis.
L’Allemagne est l’objet du plus grand nombre de dossiers avec l’URSS
et l’Italie. Leurs agents, leurs agissements, leur organisation font l’objet
de recherches permanentes d’information. Il y a donc une histoire des
services secrets européens au point de vue des services français. Ces
documents renvoient à une histoire interne des services spéciaux mili-
taires et policiers : leur organisation, leur évolution, leur règlement y
figurent. Mais il y a aussi des documents riches sur l’attitude même des
pouvoirs publics à l’égard des services spéciaux 7. L’historien doit appré-
hender le fonds par les dossiers généraux afin de nouer le fil qui relie
les dossiers individuels aux dossiers thématiques. Cette démarche pré-
serve du vertige qui saisit l’historien devant la masse des archives. Une
perception sécuritaire obsessionnelle, inspirée par l’activité de surveil-
lance des services spéciaux militaires et de la Sûreté générale, peut
déformer la perception des réalités. Les archives militaires conservent les

6. Annie Poinsot, La surveillance de l’Allemagne par la SCR française de 1915 à


1936. Inventaire et index, Paris, Archives nationales, septembre 2003, 74 p. Il s’agit
des cotes F7 13 424 à 13 434 pour la seule Allemagne. Les liasses 13 434 à 13 505
portent également sur les pays étrangers.
7. Claire Sibille, « Les archives du 2e bureau SR-SCR récupérées de Moscou »,
op. cit., p. 39-43.

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Sources et bibliographie

fonds des attachés militaires qui ont été fréquemment utilisés par son-
dages. Celles du 2e bureau de l’état-major de l’armée donnent à voir son
organisation interne et son activité par les bulletins de renseignements
rédigés en vue de leur exploitation stratégique. Les archives des orga-
nismes militaires jouant un rôle dans la conception et dans la mise en
œuvre de la Défense nationale sont sollicitées : secrétariat général du
Conseil supérieur de la Défense nationale, Conseil supérieur de la
guerre. Des fonds privés, parmi lesquels les fonds Andlauer, Mast,
Colson, Rivet, Paillole, Schweisguth ont été sondés.

I. SOURCES MANUSCRITES

1. SERVICE HISTORIQUE DE LA DÉFENSE


(département de l’armée de terre)

Fonds 7N 2e bureau de l’état-major de l’armée


7N 2484 Rôle, fonctionnement, organisation du 2e bureau (31 janvier
1927) ; listes d’officiers au 2e bureau (1929-1940).
7N 2485 Projet de regroupement des sections de renseignement, de
centralisation du renseignement et économique en 5e bureau en cas de
mobilisation (1921) ; attributions et composition du 5e bureau en cas
de mobilisation (1935) ; création d’un service général d’information de
la présidence du Conseil pour le contrôle de l’information (CSDN
1932-1938) aux ministères de la Guerre et de l’Intérieur ; mise sur pied
des services spéciaux d’armée ; effectifs des services de renseignement
(1921) ; fonctionnement des services spéciaux en temps de guerre
(études, 1927-1930) ; constitution, composition et rôle de la section
économique (1919-1924).
7N 2486 Liste des postes SR (1925) ; organisation des postes SR fron-
tières face à l’Italie et à l’Allemagne (1924-1937) ; organisation et rôle
des centres de renseignement du service de la surveillance des fron-
tières (1924-1927) mis sur pied en collaboration avec la Marine
(1935-1936) ; organisation et fonctionnement des bureaux de centrali-
sation de renseignement (BCR) en cas de mobilisation (1925) ; instruc-
tion sur la recherche de renseignement à la frontière en cas de tension,

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La République secrète

décret d’organisation du contre-espionnage (1939) ; organisation et


fonctionnement du 2e bureau des 1re à 5e régions militaires
(1932-1939) : services de renseignement de l’armée du Rhin
(1919-1930) ; mobilisation de la police (ministère de l’Intérieur,
15 avril 1936).
7N 2487 Organisation et fonctionnement à la mobilisation des 2e et
5e bureaux, centres de renseignement et d’interrogatoires des 6e à
20e régions militaires (correspondances de celles-ci et de l’EMA,
1923-1938). Organisation et mobilisation des postes 2e bureau SR-SCR
de Marseille (SER) et du service des communications militaires de Bel-
fort (SCM), 1923-1938.
7N 2488 Affectations et instruction des personnels des organismes de
renseignement (1920-1939).
7N 2489 Projet d’instruction sur le service des services spéciaux en cam-
pagne (1927) ; directives générales à l’officier SR d’armée (1935) ;
études sur la création d’un service de renseignement territorial chargé de
travailler sur le renseignement en avant du front ; études, notes, confé-
rences, cartes concernant l’organisation et le fonctionnement d’un
2e bureau de CA (1921-1938).
7N 2490 Organisation et mobilisation de la section d’études régio-
nales (SER) et du service de renseignement territorial ; organisation du
SR Sarre-Luxembourg (1929-1935) ; dossier d’exercice des chefs de
2e bureau d’armée et de CA (1933-1936).
7N 2491 Contrôle postal (notes de principe et brochures), 1921-1933.
Projet d’organisation de brouillage des émissions radio ennemies
(1928) ; notes, études, règlements sur le contrôle des transmissions
radioélectriques en cas de tension ou conflit (1924-1939) ; régime de la
radiophonie en cas de mobilisation (1936) ; contrôle des émissions
clandestines (ministères de la Guerre et de l’Intérieur, 1933-1939),
divers.
7N 2492 Contrôle postal et téléphonique (historique, notes de base,
correspondances interministérielles, 1922-1939). Organisation et
contrôle des transmissions radioélectriques, chiffre, téléphone automa-
tique (1920-1939) ; organisation des réseaux d’écoute radioélectriques
et radiogoniométriques, écoute des manœuvres de 1933-1934.
7N 2493 Organisation des transmissions entre les états-majors français,
tchécoslovaques et de la Petite Entente en cas de tension politique,
1922-1939 ; organisation des grandes communications télégraphiques

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Sources et bibliographie

du globe en 1932 ; arrangement d’exploitation des câbles sous-marins


de la France avec les sociétés étrangères (1931-1932) et organisation des
transmissions internationales en cas de mobilisation, 1930-1933 ;
divers.
7N 2494 Divers. Exercices des services spéciaux et de contrôle postal
(1938) ; instructions du ministre des Affaires étrangères aux agents
diplomatiques au sujet des mesures de guerre économique (1933).
7N 2495 Organisation et mobilisation des postes d’attachés militaires,
leur rôle (études et notes 1924-1939), mobilisation des postes d’attachés
militaires (MAE 1930) ; organisation de la collaboration des SR de
l’armée et de la Marine (1927) ; immunité diplomatique ; recherche de
renseignements intéressant la Défense nationale par les agents diploma-
tiques et consulaires (Affaires étrangères, 1933).
7N 2496 Afrique du Nord. Création d’un SR à Alger (1925) ; organi-
sation du 2e bureau en AFN (1933) ; relations du commandant de
l’AFN et des services spéciaux (1933) ; centralisation du renseignement
en AFN en cas de guerre (état-major du général Georges, 1938) ; subor-
dination des services spéciaux (1938) ; aide-mémoire de l’officier de
2e bureau d’armée (1939) ; organisation du système des transmissions
en AFN (1934) ; instructions du gouvernement général de l’Algérie :
contrôle des transmissions radioélectriques et du service de l’informa-
tion en temps de guerre (1937) ; plan de renseignement de la Tunisie
(1938) ; contrôle postal et télégraphique (2e bureau, 1926) ; affectations
des personnels à la section d’études d’Alger (SEA) en cas de mobilisa-
tion (1930-1939).
7N 2497 Études et notes du 2e bureau de Rabat : manuel de recherche
du renseignement ; organisation du bureau de centralisation du rensei-
gnements et de surveillance des frontières, plan permanent de rensei-
gnements (1937) ; organisation du 2e bureau à la mobilisation (1937) ;
attributions de l’officier de renseignements de la SR à Rabat
(1930-1938) ; bureau mixte d’information à Tanger (1929).
7N 2498 Instructions sur la préparation, le fonctionnement et le
contrôle des réseaux de fonctionnement par fil et électriques
(1930-1938).
7N 2499 Levant, Djibouti ; mesures diverses à prendre en cas de mobi-
lisation 1935-1939 ; mobilisation de la section d’études du Levant
(1931-1939) ; constitution, organisation et mobilisation du poste SR de
Djibouti (1931-1939) ; divers.

637

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La République secrète

7N 2501 Conférences sur les activités du 2e bureau et de la SR et sur


les méthodes d’études des services de renseignement (1925-1937).
Notamment : conférence du colonel Andlauer sur le SR de Belfort de
1913 à 1920 ; le fonctionnement d’un SR d’armée pendant la guerre de
1914-1918, conférence du 23 octobre 1925 aux officiers de la SR par le
capitaine Dugenet ; conférence du commandant Thomas sur le SR ita-
lien, 1926 ; la place du renseignement dans les décisions de commande-
ment par le commandant Berthomme, 1er septembre 1918 ; le 2e bureau
de l’EMA en temps de paix, conférence du capitaine Carrias, 1925 : les
sujets de conférence sur le renseignement au CHEM en 1930-1936 par
les officiers du 2e bureau.
7N 2502-2506 Bulletins de renseignements mensuels 1919-1939. Bul-
letins de renseignements du ministère de la Marine, 1922-1923.
7N 2 507 Bulletins de renseignements mensuels de l’état-major des
Colonies 1937-1939.
7N 2 508-2 515 Fiches hebdomadaires recueillies sur les armées étran-
gères par le SR 1934-1939.
7N 2 530 Plans de renseignement établis par le 2e bureau sur l’Italie et
l’Allemagne (1924, 1930-31, 1933, 1938), l’Europe orientale et du
Nord (1934-1935). Plan de fausses nouvelles 1934-1938.
7N 2 570-2 571 Section de centralisation de renseignement. Affaires
diverses 1919-1939.

Conseil supérieur de la guerre (CSG)


1N 43 CSG 1934-1935 dont les relations franco-italiennes et les
manœuvres communes. Pièces diverses du cabinet Gamelin, 1936.
1N 44 CSG 1934-1938 Dossiers des états-majors des généraux
Gamelin, Billotte, Bührer.
1N 45 CSG Dossiers des membres du CSG 1935-1937.
1N 46 Dossiers de l’état-major du général Georges 1935-1939.

Secrétariat général du Conseil supérieur de la Défense natio-


nale (CSDN)
2N 51 Mobilisation économique et industrielle, 1re section du CSDN.
Mesures de guerre économique. Instructions sur l’espionnage écono-
mique. Compte rendu de renseignements, procès d’espionnage écono-
mique. Renseignement à communiquer à la SDN-BIT, 1939.

638

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Sources et bibliographie

2N 57 CSDN (1923-1939), organisation et fonctionnement. Orga-


nismes d’étude et de préparation des décisions du gouvernement main-
tenues en dehors de l’autorité du CEMG.
2N 28 Directives pour les sections du CSDN, 1922-1937.
2N 49 Mobilisation économique en temps de paix et de guerre en
métropole et de l’empire.
2N 156 Informations économiques sur la Grande-Bretagne,
1922-1939.
2N 158 Informations économiques sur l’Italie, l’Inde, les Pays-Bas,
1922-1940.
2N 162 Bulletins d’informations de la section d’études et d’influence
économique, 1925-1931. Bulletins par pays, 1922-1939.
2N 201 3e section, organisation de la nation en temps de guerre. Étude
et enseignements tirés de l’organisation des pouvoirs publics en temps
de guerre en 1914-1918. Correspondance du ministre de la Guerre
pour faire rechercher par les missions et les attachés militaires à
l’étranger des renseignements sur l’organisation de la nation en temps
de guerre, avril 1922.
2N 212, Organisation économique. Fiches sur les principales matières
premières importées d’Allemagne, d’Italie, 1925-1926.
2N 227 Coopération franco-britannique (1922-1938) dont les conver-
sations d’état-major de 1922 à 1938 (celles de mars-avril 1936 et celles
de mars-avril 1938 sur des objectifs communs en territoires allemand et
italien).
2N 228-229 Coopération franco-britannique 1938-1939, de la crise de
Munich à l’été 1939.
2N 237 Projet d’organisation d’un État rhénan, sanctions économiques
prévues par le gouvernement Poincaré en janvier 1923. Notes des géné-
raux Mangin et Degoutte sur l’établissement d’une république des pays
rhénans (1923).
2N 238 Italie, notes de renseignement diverses 1925-1939. Modalités
de la coopération italo-française en 1935.
2N 246 Défense des colonies : décrets, instructions, textes 1886-1936.

Dossiers personnels des chefs et des personnels de la SR-SCR


6 Ye 48 746 Dossier personnel de Robert Lainey (1873-1937)
14 Yd 237 Dossier personnel du général Henri Roux (1884-1967)
14 Yd 493 Dossier personnel du général Edmond Laurent (1882-1971)

639

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La République secrète

13 Yd 1 345 Dossier personnel du général Louis Rivet (1883-1958)


14 Yd 740 Dossier personnel de Jean Merson (1882-1976)
14 Yd 399 Dossier personnel de Guy Schlesser (1896-1970)
14 Yd 755 Dossier personnel de Gustave Bertrand (1896-1976)
6 Ye 51 322 Dossier personnel d’Henry Béliard (1875-1940)
14 YD 48, Dossier personnel du général Marie-Joseph Edmond
Mendras (1882-1964)
6 Ye 53 904 Pierre Bachelard (1877-1938)
6 Ye 52 061 Marcel Rusterholz (1885-1938)
6 Ye 41 707 Almire Bouvard (1872-1941)

Fonds de Moscou : les archives des services spéciaux militaires


Nous avons pris le parti de présenter un classement thématique des
archives dont la cotation française a simplement repris la numérotation
allemande et russe qui déclassait le fonds.

Renseignement sur l’Allemagne et surveillance des services spé-


ciaux allemands
7NN 2041 Organisation des services de renseignement allemand. Sur-
veillance des Abwehrstellen en 1937
7NN 2055 Propagande allemande dans la Légion, Légionnaires alle-
mands au Maroc
7NN 2457 SR allemand en Lituanie, au Caucase 1921-1923
7NN 2938 Rapports polono-allemands 1920-1938
7NN 2213 Espionnage allemand en France et SR français en Alle-
magne, 1934-1938
7NN 2324 Propagande allemande 1920-1930. Dossier renseignement
sur Berlin 1920-1939
7NN 2392 Activités des entreprises d’Hugo Stinnes, tentatives d’achats
de journaux suisses, 1918-1928
7NN 2395 Synthèses sur le SR allemand en Europe, au Proche-Orient,
1939-1939. Le Forschungsamt, organisation et fonctionnement, 1939
7NN 2464 SR allemand 1920-1934. Contre-espionnage français sur les
postes. Dossier Cassel, 293 p. Dossier Stuttgart 1915-1937, 338 p.
Dossier Cologne, 1920-1935.
7NN 2466 Surveillance de la Gestapo. Contre-espionnage 1937
7NN 2476 SR allemand en Norvège et suède 1919-1939

640

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Sources et bibliographie

7NN 2477 Espionnage allemand après-guerre 1919-1923


7NN 2688 Affaire Neuhaus à l’armée française du Rhin
7NN 2707 Organisation SR allemand 1935-1937
7NN 2709 Organisation des services de renseignement allemands
1932-1939
7NN 2710 Surveillance des postes de renseignement intérieur alle-
mands par le contre-espionnage français 1926-1935
7NN 2723 Organisation et évolution du renseignement allemand
1919-1937
7NN 2726 Service de renseignement et propagande allemande
1927-1932. Dossier Propagande en Europe et en Amérique 1927-1932.
Dossier Postes allemands de Cologne et Wiesbaden 1938-1940
7NN 2731 Abwehr et consulat d’Épinal 1934-1939. Dossier Schleier,
agent allemand en France 1934-1942
7NN 2737 Organisation de l’espionnage allemand en 1938. Dossier
espionnage allemand en Belgique 1937-1938
7NN 2281 Espionnage allemand en France et en Grande-Bretagne
1930-1940

Surveillance de la Hollande
7NN 2335, Dossier 3 Renseignement hollandais, surveillance des sus-
pects de 1915 à février 1940. Dossier 4 Hollande, questions politiques
et économiques 1922-1934
7NN 2511, Dossier sur les firmes hollandaises camouflant des organi-
sations de renseignements allemandes, la firme Félix Rhodius
1920-1940.
7NN 2 321, Surveillance des communistes en Hollande, 1934-1939,
637 p.
7NN 2 351 Dossier 1 sur le renseignement allemand aux Pays-Bas,
1920-1939 dont International Press Union. Dossier 2 Renseignement
allemand aux Pays-Bas et au Luxembourg, 1919-1940

La Suisse et la SDN
7 NN 2 366, surveillance de la Société des Nations 1920-1937
7NN 2 510 Dossier 1 Services de renseignement britanniques en Suisse,
1918-1924. Dossier 2 sur des suspects en Suisse, 1918-1934. Dossier 3
Félix Platten en Suisse, 1917-1926

641

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La République secrète

7NN 2 247, SR français en Suisse 1939-1942, 700 p. Dossier 2 SR alle-


mand en Suisse 1938-1940
7NN 2 236 Questions politiques et économiques 1922-1939. Dossier 2
Renseignement politique et économique en Suisse, 1934-1940, 491 p.
7NN 2 435 Suspects en Suisse, 1914-1930
7NN 2550 Dossier SR français en Suisse 1924-1940
7NN 2 214 SR allemand en Suisse 1938-1942
7NN 2 476 SR allemand en Suisse, 1919-1936
7NN 2 648 SR allemand en Suisse, 1922-1923
7NN 2 262 Organisation de l’espionnage, du contre-espionnage en
Suisse, 1917-1939, 465 p.
Dossier 2, Ibidem, 1939-1940, 429 p.
7NN 2 245 Suisse, divers documents 1919-1939

Renseignements et relations avec la Grande-Bretagne

Le renseignement anglais en France. Le SR français et la


Grande-Bretagne
La logique d’archivage des dossiers fait, incidemment, écran à une
appréciation juste des rivalités franco-anglaises en matière de services
spéciaux notamment à partir de l’affaire de Syrie en 1941. Le reclasse-
ment des dossiers pendant la Seconde Guerre mondiale instruit artifi-
ciellement une guerre secrète qui aurait commencé avant 1939 et,
s’amplifiant après 1940 (Mers-El-Kébir puis la guerre en Syrie en
1941), légitimerait la répression française à l’encontre des Anglais une
fois l’alliance perdue.

7NN 2151 Contre-espionnage et renseignement interallié, Folkestone


1914-1919
7NN 2229 IS en France 1936-1942. Dossier sur les activités anglaises
en France 1936-1942. Dossier sur la répression des activités de l’IS en
France par BMA-TR en 1940-1942
7NN 2336 Renseignement sur l’Angleterre et sa politique économique
1918-1939. Diverses pièces sur les activités commerciales, les questions
énergétiques, le renseignement économique. Stockage, surveillance de la
compagnie d’assurances Lloyd en 1935
7NN 2502 Coopération franco-anglaise en matière de renseignement.
Dossier coopération SR-SCR et Intelligence Service 1939. Organisation

642

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Sources et bibliographie

du SR anglais, rapport du 8 décembre 1941. Rapport Schlesser de juin


1938 sur le contre-espionnage en Grande-Bretagne
7NN 2577 Agissements du SR anglais en France 1918-1937. Rensei-
gnement sur les activités de l’IS en France 1919-1937, 380 p. Surveil-
lance des agents de l’IS et de leurs agissements en France 1940, 530 p.
Agissements et propagande anglaise en France 1939-1941, 495 p.

Les rivalités impériales du renseignement français et anglais


7NN 2229 IS au Proche-Orient et en Afrique du Nord 1934-1942
7NN 2534 IS au Proche-Orient et services de renseignement étrangers
dans les TSMF, 1938-1940. Dossier IS dans les TMSF 1939. Dossier
Intelligence Service au Proche-Orient 1940-1942. Activités anglaises au
Kurdistan, en Syrie 1919-1940
7NN 2715 Intelligence Service au Proche-Orient 1935-1940. Dossier
sur François Kettaneh, agent supposé de l’IS
7NN 2335 IS au Proche-Orient 1940-1942. Dossier la propagande
étrangère en AFN 1940-1942
7NN 2382 Activités de l’Intelligence Service en Méditerranée,
1924-1934. Dossier notes de renseignement sur les suspects, agents
anglais dans les pays du pourtour méditerranéen, 638 p.
7NN 2394 Activités de l’IS dans divers pays 1922-1940. Dossier 1 sur
les pays de A(byssinie) à G(rèce), 1922-1940, 652 p. Dossier 2, sur les
pays de H(ollande) à R, 1922-1940, 540 p. Dossier 3, sur les pays de
T(chécoslovaquie) à Y(ougoslavie), 427 p.
7NN 2382, Activités de l’IS dans la Sarre, en Suisse, Suède, 1924-1934,
514 p.

Surveillance de l’Italie
7NN 2273 Surveillance de l’Italie par la SER à Marseille, 1920-1939.
Suivi des postes.
7NN 2274-2275 Organisation des services de renseignement, activités,
surveillance des postes 1921-1939
7NN 2284 Espionnage italien et allemand dans les colonies françaises
1925-1939. SR italien en Espagne 1923-1939. Agissements en France
1922-1928
7NN 2467 Surveillance des activités des services italiens 1931-1939
7NN 2714 Contre-espionnage français et italiens, 1931. Liaisons. Dos-
sier écoute des Italiens 1938

643

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La République secrète

7NN 2798 Surveillance du SR italien 1831-1938. Suivi des postes et


des antennes italiens

Surveillance de l’URSS
7NN 2007 Lutte contre le communisme en Suède, au Danemark et en
Norvège 1928-1940
7NN 2110 Renseignements sur les services de renseignement sovié-
tiques 1925-1930
7NN 2228 Renseignements sur les activités soviétiques (agence
commerciale, ambassade) 1923-1930
7NN 2 230 Dossier relatif à l’affaire d’espionnage Cremet-Clarac,
agents du SR soviétique, membres de la Troisième Internationale
7NN 2449 Agissements russes 1921-1923. Affaire Donner de Viern.
Tchéka 1921. Divers
7NN 2456 Surveillance des Russes en France 1920-1939
7NN 2456 Projets de voyage de Zinoviev, responsable de la Troisième
Internationale, en France, Italie, Allemagne, Tchécoslovaquie,
1920-1922
7NN 2457 Surveillance d’agents du Komintern, : Rolland Grinberg,
Charles Friemann, Victor Farkas, 1921-1924
7NN 2459 Surveillance des organisations bolchévistes, octobre
1921-février 1923
7NN 2564 Relations militaires et politiques germano-russes, agents
russes, 1920-1936
7NN2648 Komintern. PCF. Affaire Suzanne Giraud, 1924-1925
7NN 2626 Tchéka à Berlin. Dossier Wassilief, agent du Komintern,
1924
7NN 2944 Relations hispano-soviétiques 1921-1933

Relations avec divers services de renseignement et


contre-espionnage
7NN 2337 Services de renseignement yougoslaves 1919-1939
7NN 2739 Dossier poste français de Lisbonne et Portugal, 600 p. Dos-
sier SR danois, 354 p.
7NN 2477 SR autrichien
7NN 2504 Renseignements politiques et économiques sur l’Espagne
1919-1933
7NN 2546 Service de renseignement français à Barcelone, 1918-1936

644

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Sources et bibliographie

7NN 2 544 Services spéciaux étrangers et guerre d’Espagne 1936-1940


7NN 2979 SR hongrois 1922-1939

Le renseignement impérial
7NN 2 281 Espionnage aux colonies françaises à la fin des années 1930
7NN 2530 Agissements étrangers sur le Maroc 1937-1938
7NN 2 481 Ligue contre le colonialisme et les cruautés coloniales
1927-1936
7NN 2608 Agissements étrangers contre les territoires sous mandat
français (TMSF) : pétrole, Djezireh, divers, 1934-1940 Agissements
turcs contre les territoires sous mandat, 1934-1939.

La surveillance des menées du Japon


7NN 2 105, dossier sur la société Mitsui-Bussan en France, 1923-1941.
Le dossier contient surtout des pièces sur les années 1935-1940.
7NN 2 248, les relations des services spéciaux allemands et japonais,
1919-1922. L’espionnage militaire et économique japonais en France
1919-1938 dont les activités de l’attaché militaire japonais à Paris,
1918-1938. Firmes d’armement et renseignement économique.
7NN 2 622, renseignements sur le service de contre-espionnage français
en Indochine 1931-1941.
7NN 2 653 Enquête sur la maison Mitsubishi 1935-1942.
7NN 3 009 Activités de suspects japonais en France 1931-1942.
7NN 2 175 Affaire Yatsumoto en France 1939

Organisation et fonctionnement de la SR-SCR et de ses postes


7NN 2021 Dossier sur la coordination des services spéciaux aux
frontières
7NN 2087 Légion étrangère et légionnaires 1928-1939
7NN 2122 Légion étrangère et BSLE 1928-1939
7NN 2128 Légion étrangère et renseignement 1928-1940
7NN 2213 SR français en Allemagne 1934-1938
7NN 2 463 Vade-mecum du chef du 2e bureau 1940. Mission Schlesser
à la frontière franco-espagnole septembre 1936. Réunion des chefs de
poste 1937-1939. Missions Schlesser à Charleville-Mézières 1936, en
Afrique du Nord, mars avril 1938
7NN 2 101 Poste de Besançon 1925

645

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La République secrète

7NN 2 151 Postes à l’étranger 1918-1935, A à Z dont dossier Sarre à


Stockholm. Dossier Varsovie 1920-1935 à Washington. Dossier 170
Constantinople à La Haye. Divers
7NN 2 466 Missions de Schlesser dans le Sud-Est
7NN 2 490 Fonctionnement de la SER de Marseille 1929-1938
7NN 2 502 Fonctionnement des postes. BENE Lille, SEA Alger en
1936. Dossier réunion annuelle des chefs de poste 1937-1939
7NN 2378 Comptes rendus des postes du Nord de la France, BREM,
BENE 1928-1940
7NN 2 596 Fonctionnement du SEA d’Alger 1925-1939
7NN 2 693 Réunions des chefs de poste 1931. Programmes 1925-1926
7NN 2151 Poste de Shanghai 1927-1929
7NN 2782 Dossier sur les réunions hebdomadaires de la commission
interministérielle d’informations à Matignon en février-décembre 1937
7NN 2219 Relations SR-SCR avec le SIL et le BSLE 1921-1940
7NN 2 129, engagements suspects à la Légion, 1925-1935
7NN 2121 Dossier sur les renseignements du BSLE reçus par la
SR-SCR
7NN 2122 Surveillance de la correspondance des légionnaires
1930-1932
7NN 2323 Recrutements d’agents allemands légionnaires 1931-1936
7NN 2151 Organisation, fonctionnement et attributions du service de
renseignement de la Légion, 1924-1937

Surveillance des partis et de l’opinion publique : vers un ren-


seignement politique
7NN 2502 Dossier surveillance SFIO : compte rendu du conseil
national socialiste du 12 mars 1938 et des préparations de grève géné-
rale en novembre 1938
7NN 2046 Dossiers Carnet B. Inscrits dans le Nord et le Pas-de-Calais
1922-1939
7NN 2526 Surveillance du député SFIO Salomon Grumbach, ancien
rédacteur à L’Humanité, suspecté de contacts avec les Allemands
(1925-1935)
7NN 2750 Dossier Carnet B en France. Rabcors et affaire Fantomas,
PCF 1932
7NN 2782 Carnet B dans le département du Pas-de-Calais, du Nord,
1932-1939

646

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Sources et bibliographie

7NN 2960 Inscrits au Carnet B, inscrits spéciaux étrangers 1930-1940


7NN 2486 CSAR, surveillance de l’armée 1938
7NN 2701 Surveillance des communistes et du PCF, de la propagande
communiste et antimilitariste 1927-1940
7NN 2463 Lutte contre le communisme 1938

Contre-espionnage militaire et policier


7NN 2399 Participation de la gendarmerie au contre-espionnage
1934-1939
7NN 2338 Renseignements aux frontières. Coopération avec la police
et les douanes 1925-1940
7NN 2019 Terrorisme et Sûreté nationale 1938-1939
7NN 2151 Le contre-espionnage en 1918-1921
7NN 2714 Organisation et fonctionnement des services de contre-
espionnage à l’armée d’occupation des pays rhénans 1920-1925. Orga-
nisation du contre-espionnage à l’étranger 1919-1920
7NN 2270 Loi de 1934. Décret-loi de 1938. Débats, pièces, rédaction
1934-1938
7NN 2101 Le contre-espionnage : organisation, évolution. Instructions,
organisation, 1916-1938
7NN 2366 Contrôle de la surveillance du territoire et SCR 1937-1941
7NN 2463 Conférences sur le contre-espionnage
7NN 2399 Le contre-espionnage au Levant 1937-1939
7NN 2462 Organisation du contre-espionnage en 1938-1939
7NN 2563 Rapports Paillole 1938 et Lombard 1939 sur le fonctionne-
ment du CST

Espionnage économique
7NN 2137 Dossier Siemens-AEG 1919-1937
7NN 2398 Dossier Siemens-France. Technique des télécommunica-
tions 1935-1942
7NN 2714 Dossier Siemens 1935-1939. Enquête sur industrie chi-
mique en France. Société Penarroya
7NN 2404 Agence Wys Müller 1916-1942
7NN 2175 Agences de renseignement France-Expansion, Schimmelp-
feng et Bradstreet, 1915-1939. Différentes sociétés
7NN 2864 Agence de renseignement Réforme de Crédit, 1940-1941

647

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La République secrète

7NN 2870 Surveillance Société internationale Schenker et Cie, camou-


flant le SR allemand 1926-1942
7NN 2563 Surveillance des agences de renseignement commercial
privées
7NN 2105 Société française de navigation 1937-1941
7NN 2448 Société Gnome et Rhône
7NN 2249 Surveillance de la Standard française de pétrole, filiale de la
Standard Oil, 1936-1940. Société Electromine
7NN 2328 Dossier Société lorraine, 1932-1942
7NN 2228 Notes sur l’espionnage des sociétés pétrolières, 1927
7NN 2336 Dossier Angleterre. Politique économique 1919-1939
7NN 2521 Dossier sur la société Hotchkiss, 1937-1940. Société euro-
péenne de crédit 1917-1939
7NN 2582 Sociétés commerciales et contrebandes d’armes par la Hol-
lande, 1930-1940
7NN 2589 Dossier sur la spéculation financière et les évasions de
capitaux
7NN 2623 Surveillance des sociétés : Compagnie industrielle des
pétroles 1938-1940. Visites d’usines 1939-1940.
7NN 2276 Espionnage économique français en Allemagne 1913-1937.
Dossier 1, espionnage économique en Allemagne 1913-1931, 550 p.
Dossier 2 1931-1934, 440 p. Dossier 3, 1931-1937, 432 p.
7NN 2517 Visites d’établissements de la Défense nationale sensibles
dont Ford 1934-1940
7NN 2400 Instruction ministérielle sur le décret du 15 mai 1939 sur la
protection du secret contre les tentatives d’espionnage économique
7NN 2860 Législations étrangères sur l’espionnage économique
1932-1942. Étude sur les ententes industrielles
7NN 2924 Espionnage économique et commercial. Protection des
secrets de fabrication 1936-1940
7NN 2925 Compagnie des mines du Rif 1934-1936
7NN 2927 Société Maggi 1915-1941
7NN 2928 Collaboration soviétique à la baisse du franc 1920-1921

Écoutes et interceptions
7NN 2626 Sections du Chiffre 1921-1922
7NN 2732 Lignes téléphoniques de l’hôtel Majestic 1937-1938
7NN 2101 Service d’informations spéciales 1938-1939

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Sources et bibliographie

7NN 2527 Fiches d’écoutes des suspects en mai 1939

Dossiers personnels
La recherche des dossiers d’agents et de suspects se conduit par une
recherche rétrospective en 1940-1942 puisque la plupart des dossiers
individuels contiennent des pièces débordant des années 1920 et sur-
tout, des années 1930. Le fichier manuel des suspects est constitué de
fiches cartonnées, non inventoriées, portant des indications sommaires
d’état-civil, d’événements divers (filature, surveillance, arrestation…)
renvoyant à un dossier numérique. L’exploitation informatique n’est
pas possible car elle doit être précédée d’une saisie fastidieuse de ces
dizaines de millier de fiches. Nous ne retenons que les dossiers exploités
largement.

7NN 2912 Liste d’agents allemands en liaison avec les services français
1923-1940
7NN 2455 Agents divers. 1921-1925
7NN 2425 Dossiers personnels de suspects et dossiers d’agents :
Koerber Albert, journaliste ; Raphaël B., alias Dumont, 1938-1939 ;
dossier 43 189, Schreider alias Schiller, 1937-1941
7NN 2565 dossiers individuels d’agents russes et allemands1922-1938
7NN 2733 Dossier Von Hahn. Suspects carnet B Loiret 1934-1937
7NN 2912 Renseignements sur des agents, listes d’agents
7NN 2425 Dossier Otto Katz 1934-1939
7N 2732 Dossier Ernst Klee, agent français travaillant pour le SR
polonais 1935-1939
7NN 2731 Dossier Philby 1933-1939
7NN 2457 Dossier Farkas, agent du Komintern 1922-1934
7NN 2328 Dossier Vogel, agent du Komintern
7NN 2425 Dossier individuel A.-L. Lafosse, directeur de l’hôtel Astoria
1936-1939
7NN 2175 Dossier individuel sur Paul Petzol, 1916-1923

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La République secrète

Fonds privés

Fonds privé Paul Paillole 1 K 545


Un inventaire détaillé actualisé en 2007 présente une nouvelle cotation
numérique (50 à 66 pour les dossiers 1918-1939).
1 K 545 1 Dossier personnel de Gérar-Dubot, secrétaire général du
Journal et honorable correspondant 1923-1938 puis officier de réserve
activé à la SR-SCR 1938-1939 (coordonnateur de l’antenne du BENE
à Charleville-Mézières). Journal de marche 13 septembre 1939-24 août
1940. On trouvera dans le fonds de Moscou en 7NN un dossier très
riche sur le fonctionnement du BCR d’Amiens en 1939-1940 qui
éclaire les responsabilités de Gérar-Dubot à sa tête.
1 K 545 15 Le contre-espionnage et l’Italie dans les années 1930.
Échange de correspondance après 1945 avec des anciens du SER de
Marseille, notamment Gallizia, 1974.
Fonds privés Givierge 1K 842, De La Panouse, attaché militaire à
Londres 1919-1925 1K 221, général Dupont, chef de la SR 1908-1913
et du 2e bureau 1913-1920, 1KT 526, Mast 1K 243, Colson 1K 274,
Andlauer 1K 173, Henry Bédarida 1K935, André Bach, 1K 807,
carton 33 sur les mémoires du colonel Mendras, attaché militaire à
Moscou à partir de 1933.

Archives privées Louis Rivet


Le journal de bord de Louis Rivet a été mis gracieusement à notre dis-
position par la famille Rivet. Le document est exceptionnel par l’infor-
mation qu’il livre en dépit de son style souvent laconique. Ce document
est inédit. Il n’avait jamais été communiqué dans sa globalité jusqu’à
aujourd’hui. Il se présente sous la forme de carnets ouverts le 22 juin
1936 jusqu’en octobre 1944. Le journal de bord est rédigé au jour le
jour avec parfois la simple mention des rendez-vous. Certaines réunions
importantes font l’objet d’un compte rendu plus développé. La rédac-
tion du journal de bord est continue, avec de très brèves interruptions.

Volume 1, 22 juin 1936 au 27 septembre 1937, 130 p.


Volume 2, 28 septembre 1937 au 11 mars 1939, 122 p.
Volume 3, 12 mars 1939 au 10 septembre 1939, 120 p.

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Sources et bibliographie

2. ARCHIVES NATIONALES

La série F7 recèle des archives très intéressantes sur la surveillance des


agissements d’espionnage à l’étranger et en France.

Série F7 du ministère de l’Intérieur, Sûreté générale


F7 13 424 à 13 434 Surveillance de l’Allemagne par la SCR et la Sûreté
générale 1919-1935. Inventaire et index par Annie Poinsot, septembre
2003, 74 p.
F7 13 425 Notamment : organisation du Komintern. Bureaux de rensei-
gnements privés en Allemagne. Rapports sur le fonctionnement de
l’ambassade soviétique à Berlin. Activités communistes. Service de ren-
seignement russe à Berlin. Organisations des services de renseignement
allemands. Relations germano-soviétiques. Espionnage commercial des
diplomates à Berlin.
F7 13 426 Espionnage soviétique : organisation, fonctionnement, per-
sonnels. SR russe en France, GPU à Berlin. SR anglais dans la Ruhr et
les pays rhénans. Espionnage soviétique en France.
F7 13 427 1919-1924 Listes des détectives privés, des espions. Entre-
prises. Divers.
F7 13 428 Espionnage commercial allemand. Réorganisation des SR.
F7 13 429 Surveillance de l’Allemagne au début des années 1930
F7 13 430-13 432 Surveillance d’Hitler, des nazis et des services de
renseignement
F7 13 433-13 434 SR allemand en France et en Europe, divers
1933-1935
F7 13 494, notes confidentielles de la sûreté générale sur l’ambassade
d’URSS, 1925

Série AP : les papiers privés d’hommes publics


Plusieurs fonds privés ont été sondés.

313 AP Papiers Paul Painlevé, ministre de la Guerre 1925-1929,


président du Conseil
313 AP 216 Fonds secrets du ministère de la Guerre, 1925-1927

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La République secrète

313 AP 218 Commissions de l’armée de la Chambre et du Sénat


1926-1929
313 AP 226 Notes d’agents sur l’Italie 1926. Pourparlers franco-sovié-
tiques. Dossiers de renseignements sur l’URSS 1927
313 AP 221 Rapports de la direction de la Sûreté générale, 1925-1927
313 AP 213 à 215 correspondance active et passive, 1925-1929

351 AP Fonds privé du général Schweisguth, sous-chef d’état-major


1935-1937 et commandant de la 8e région militaire 1937-1940
351 AP 2 Travail à l’EMA 1935-1937 dont notes sur la SR-SCR en
1935. Rapports et grands rapports 1935-1937.
351 AP 3 Travail à l’EMA 1936.
351 AP 5 Rapports militaires avec l’URSS en 1936.
351 AP 7 Rapports militaires avec la Grande-Bretagne 1936-1937.

496 AP Fonds privé Édouard Daladier (1884-1970), ministre de la


Défense nationale 1936-1940 et président du Conseil 1938-1939
496 AP 6 Politique extérieure 1935-1936 dont projet de plan de paix
en avril 1936, EMA 2e bureau : obligations de la France.
496 AP 7 Rapports avec l’Italie en juin 1935. Lettre de Badoglio à
Daladier au sujet des sanctions en juin 1936. Mission Gamelin en
Pologne. Rapport Schweisguth (septembre 1936) sur les manœuvres de
l’Armée rouge. Renseignements recueillis sur AR. Négociations mili-
taires avec l’URSS, 1937.
496 AP 8 Avril-octobre 1938 : Munich. Munich, 128 p. par
É. Daladier.
496 AP 9 Munich, déroulement de la crise et attitude des gouverne-
ments. Italie. Petite Entente. URSS.
496 AP 10 Conférence de septembre 1938. Notes du 2e bureau EMA
au sujet du mémorandum allemand présenté à Chamberlain, 23 sep-
tembre 1938.

462 AP Fonds André François-Poncet, ambassadeur de France à


Berlin 1931-1938 et Rome 1938-1940
462 AP 14 Ambassadeur à Berlin 1931-1938
462 AP 23 Correspondance avec Georges Bonnet au sujet de l’Italie,
1938-1940
463 AP 52 Souvenirs 1946

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Sources et bibliographie

28 PA 1 Papiers Marius Moutet, ministre des Colonies 1936-1937


AN 28 PA 1, correspondance active et passive de Marius Moutet,
ministre des Colonies en 1936-1937.

18 PA 1 Papiers Georges Mandel ministre des Colonies 1938-1939


AN 18 PA 1, dossier de presse sur les activités de Georges Mandel,
ministre des Colonies, les protectorats et de l’Algérie, 1938-1939
AN, 200 Mi 3 035-3 036, services de sûreté, renseignements
1933-1941, lettres aux départements sur l’organisation des SR.
200 Mi 3 044, notes et instructions sur le contre-espionnage et la sur-
veillance des territoires d’AOF, 1938-1939.

Série AQ Archives d’entreprises


AN 34 AQ 5 à 7, archives de l’entreprise Mitsubishi, procès-verbaux du
conseil d’administration et 34 AQ 68 à 77, affaires commerciales avec le
Japon

Série BB18 Correspondance générale de la division criminelle


BB18 6092 Dossier 20BL 259 : dénonciations, rapports sur les affaires
d’intelligence avec l’ennemi
BB18 6093 Dossier 20BL 357 et 358 : affaire d’espionnage au profit de
l’URSS
BB18 6095 Dossier 20BL 440 : affaires d’espionnage au profit de
l’URSS (1933-1937)
BB18 6098 Dossier 20BL 536 et 539 : affaires d’espionnage au profit
de l’Allemagne
B18 20BL 614, 618, 622 et 627 : condamnations pour espionnage au
profit de ressortissants allemands (1925-1940)

Série C Archives des commissions parlementaires : Chambre des


députés et Sénat
Chambre des députés
C 14 642-14 643 Armée : procès-verbaux 26 janvier
1920-23 novembre 1924, avis et rapports
C 14 687 Commission de législation civile et criminelle. PV des séances
février 1920-avril 1924
C 14 766-14 767 Commission de l’armée : procès-verbaux et auditions,
1925-1927

653

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La République secrète

C 14 796 Commission de législation civile et criminelle, janvier


1924-mars 1928
C 14 877 Commission de l’armée : procès-verbaux 1928-1929
C 14 905 Commission de législation civile et criminelle juin 1928-mars
1932
C 14 963 Commisson de l’armée : projets de loi, dont espionnage
C 14 982-14 984 Commission de l’armée : procès-verbaux et auditions,
juin 1932-décembre 1936
C 15 010 Commission de législation civile et criminelle, juin
1932-mars 1936
C 15 131 Commission de l’armée : proposition de loi sur l’espionnage
de 1934
C 15 153-15 157 Commission de l’armée : procès-verbaux 1936-1939

Sénat
Cartons 158-161Commission de l’armée du Sénat, procès-verbaux et
auditions, 1914-1918.
Commission de l’armée, procès-verbaux et auditions, 1919-1939

Bibliothèque de l’Institut, Fonds du général Edmond Buat


(1868-1923), II (5391), 1918-1923, carnets personnels sur la prépara-
tion du volet militaire de l’occupation rhénane.

II. SOURCES IMPRIMÉES

Souvenirs et mémoires de l’espionnage


Andrieu Pierre, À l’écoute devant Verdun. Récit du capitaine H. Morin,
Paris, Denoël, 1938, 236 p.
Bertrand Gustave, Enigma ou la plus grande énigme de la guerre
1939-1945, Paris, Plon, 1973, 298 p.
Brunet Louis, Agents secrets, Paris, Les éditions du national, 1939,
249 p.
Bührer Jules (général), Aux heures tragiques de l’empire, Paris, Éd.
Alsatia, 1944.
Brouillard André, L’Intoxication, arme absolue de la guerre subversive,
Paris, 1971.

654

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Sources et bibliographie

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1935-1945, Paris, Plon, 1967, 522 p.
Gauché Maurice, Le Deuxième bureau au travail (1935-1940), Paris,
Amiot-Dumont, 1954, 239 p.
Général XXXX, Aux heures tragiques de l’empire, Paris, Éd. Alsatia,
1944.
Guelton Frédéric, Le « Journal » du général Weygand 1929-1935, édi-
tion commentée, Montpellier, UMR 5 069 du CNRS-ESID, Uni-
versité de Montpellier III, 1998, 367 p.
Guillaume Gilbert, Mes missions face à l’Abwehr. Contre-espionnage
1938-1945, Paris, Plon 1971, 249 p.
Koch-Kent Henri, Doudot, figure légendaire du contre-espionnage
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Ladoux Georges, Mes souvenirs, recueillis et mis au point par Marcel
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Loustaunau-Lacau Georges, Mémoires d’un Français rebelle, Biarritz, J et
D. Éditions, 1994 (1947), 345 p.
Navarre Henri (dir.), Le Service de renseignement 1871-1944, Paris,
Plon, 1978, 351 p.
Nollet Charles (général), Une expérience de désarmement. Cinq ans de
contrôle militaire en Allemagne, Paris, 1932.
Paillole Paul, Services spéciaux (1935-1945), Paris, Robert Laffont,
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Paillole Paul, Notre Espion chez Hitler, Paris, Robert Laffont, 1985,
285 p.
Paquet (lieutenant-colonel), Dressage des cadres à la recherche du rensei-
gnement, Paris, Berger-Levrault, 1926, 112 p.
Reile Oscar, L’Abwehr. Le contre-espionnage allemand en France de 1935
à 1945, Paris, éditions France-Empire, 1970 (1962, Verlag Welser-
mülh), 316 p.
Schellenberg Walter, Le chef du contre-espionnage nazi parle, 1933-1945,
Paris, Julliard, 1957, 511 p.
Sicot Marcel, Servitude et grandeur policières. Quarante ans à la Sûreté,
Paris, Les Productions de Paris, 1959, 388 p.
Villelume Paul de, Journal d’une défaite, août 1939-juin 1940, Paris,
Fayard, 1976.

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La République secrète

Souvenirs de la vie politique et de la diplomatie


Bonnet Georges, Le Quai d’Orsay sous Trois Républiques, Paris, Fayard,
1961, 519 p.
Cambon Jules, Le Diplomate, Paris, Hachette, 1926, 121 p.
Charles-François Roux, Souvenirs diplomatiques : une grande ambassade
à Rome (1919-1925), Paris, Fayard, 1961, 286 p.
Clemenceau Georges, Grandeurs et misères d’une victoire, Paris, Plon,
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Daladier Édouard, Journal de captivité, Paris, Calmann-Lévy, 1994.
François-Poncet André, Souvenirs d’une ambassade à Berlin. Septembre
1931-octobre 1938, Paris, Flammarion, 1946, 356 p.
Gaulle Charles (de), Mémoires de Guerre, t. 1, L’appel 1940-1942, Paris,
Plon, 1954, 269 p.
Keynes John Maynard, The Economic Consequences of the Peace, New-
York, Harcourt, 1920.
Laroche Jules, La Pologne de Pilsudski. Souvenirs d’une ambassade,
1926-1935, Paris, Flammarion, 1946.
Moch Jules, Une si longue vie, Paris, Robert Laffont, 1976.
Nicholson Harold, Journal des années tragiques (1936-1942), Paris,
Grasset, 1971.
Noël Léon, Polonia restituta. La Pologne entre deux mondes, Paris, Publi-
cations de la Sorbonne, 1984, 288 p.
Noël Léon, La Tchécoslovaquie d’avant Munich, Paris, Publications de la
Sorbonne, 1982, 208 p.
Paul-Boncour Joseph, Entre-deux-guerres. Souvenirs sur la IIIe Répu-
blique, tome II, Les lendemains de la victoire, Paris, Plon, 1945.
Reynaud Paul, Mémoires. Venu de ma montagne, Paris, Flammarion,
1960, 506 p.
Reynaud Paul, La France a sauvé l’Europe, Paris, Flammarion, tome 1,
1947, 626 p.
Salan Raoul, La Fin d’un empire, tome 1, Le sens d’un engagement : juin
1899-septembre 1946, Paris, Presses de la Cité, 1970.
Serrigny (général), La Mobilisation industrielle, Paris, 1928.
Stehlin Paul, Témoignage pour l’histoire, Paris, Robert Laffont, 1964,
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Tardieu André, L’Heure de la décision, Paris, Flammarion, 1934, 281 p.

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Sources et bibliographie

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Paris, Plon, 1930, 520 p.
Zischka Antoine, Le Japon dans le monde. L’expansion nippone
1854-1934, Paris, Payot, 1935, 326 p.
Winterbotham Frederick (colonel), Ultra, Paris, Robert Laffont, 1976,
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Le roman et l’histoire
Bardanne Jean, L’Intelligence Service en Belgique, Paris, éditions Baudi-
nières, 1934, 247 p.
Benoît Pierre, La Châtelaine du Liban, Paris, Le Livre de poche, 1995.
Boucard Robert, The Secret services of Europe, London, Stanley Paul,
1940, 260 p.
Boucard Robert, La guerre des renseignements. Des documents. Des faits,
Paris, Éditions de France, 1939, 229 p.
Boucard Robert, Les dessous de l’espionnage anglais, Paris, Henry Étienne
éd., 1926, 281 p.
Lucieto Ch., La guerre des cerveaux. Livrés à l’ennemi, Paris, Berger-
Levrault, 1928, 297 p.
Nord Pierre, Double crime sur la ligne Maginot, Paris, Fayard, 1951,
244 p.

Bulletin de l’association des anciens des services spéciaux de la Défense


nationale (parution depuis 1953). Trimestriel. Contient de nom-
breux témoignages. Source imprimée précieuse.

III. BIBLIOGRAPHIE

Cette bibliographie ne se veut pas exhaustive mais pratique.

Méthode et archives
Cœuré Sophie, Monier Frédéric, Naud Frédéric, « Le retour des
archives françaises de Moscou. Le cas du fonds de la Sûreté », in
Vingtième Siècle. Revue d’histoire, nº 45, janvier-mars 1995,
p. 133-139.

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La République secrète

Cœuré Sophie, Frédéric Monier, « De l’ombre à la lumière. Les archives


françaises de retour de Moscou (1940-2002) », in Sébastien Lau-
rent (dir.), Archives « secrètes », secrets d’archives ? Historiens et archi-
vistes face aux archives sensibles, Paris, CNRS éditions, 2003,
p. 133-148.
Cœuré Sophie, La mémoire spoliée : les archives des Français, butin de
guerre nazi puis soviétique de 1940 à nos jours, Paris, Payot, 2007,
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Clio Press, 1993.
Coutau-Bégarie Hervé (dir.), Les médias et la guerre, Paris, Economica,
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Forcade Olivier, « Michel Debré et les fins politiques du renseigne-
ment 1959-1962 », communication au colloque Michel Debré, chef
de gouvernement 1959-1962, organisé par le CHEVS-FNSP, Palais
du Luxembourg, 14-16 mars 2002, sous la direction de Serge Bers-
tein, Pierre Milza, Jean-François Sirinelli, PUF, 2005, p. 489-513.
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Lacoste Pierre (amiral) (dir.), Le Renseignement à la française, Paris, Eco-
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Lacoste Pierre, Thual François, Services secrets et géopolitique, Panazol,
Lavauzelle, 2002, 2e éd., 223 p.
Laurent Sébastien, « Pour une autre histoire de l’État. Le secret, l’infor-
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d’histoire, juillet-septembre 2004, nº 83, p. 173-184.
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Soutou Georges-Henri, Frémeaux Jacques, Forcade Olivier (dir.),
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Sources et bibliographie

Histoire générale de l’information et du secret

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Alliances and coalitions from 1914 to the Cold war, Londres, Franck
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contre-espionnage. Histoire et techniques, Paris, Le Cherche-Midi édi-
teur, 1999, 516 p.
Bély Lucien, Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, Paris,
Fayard, 1990, 905 p.
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niques et renseignements dans les territoires sous mandat (1916-1939),
mémoire de l’ESM de Saint-Cyr sous la direction d’Olivier Forcade,
1999, 116 p.
Sawicki Gérald, Les services de renseignement à la frontière franco-alle-
mande (1871-1914), thèse de doctorat sous la direction François
Roth, Université de Nancy II, 2006, 3 volumes et un volume icono-
graphique, 796 p
Senger Fabien, La prise en compte de l’intelligence économique par l’insti-
tution militaire française au cours du premier conflit mondial
(1914-1918), mémoire de master sous la direction de Robert Belot,
Université de technologie Belfort-Montbéliard, 2005, 126 p.

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Remerciements

Cet ouvrage est issu de notre mémoire de recherche du dossier


d’habilitation à diriger les recherches, intitulé Les Services spéciaux mili-
taires, le renseignement et l’État en France 1919-1939, 509 p. Il a été pré-
paré sous la direction de Georges-Henri Soutou de l’université de
Paris-Sorbonne. Ce dossier a été présenté le 12 décembre 2005 devant
un jury constitué de MM. les professeurs Dominique Barjot, Jean-
Jacques Becker, président du jury, Robert Frank, Jacques Frémeaux,
Jean-Charles Jauffret et Georges-Henri Soutou. Nous tenons à exprimer
nos remerciements très vifs aux membres du jury qui ont bien voulu
prolonger la discussion sur un thème de recherche partagé dans des acti-
vités professionnelles communes. Je tiens à exprimer ma profonde gra-
titude à Georges-Henri Soutou, qui a constamment encouragé et
soutenu mon engagement sur ce terrain de recherche des relations inter-
nationales, en donnant une certaine idée du métier d’historien et de
l’engagement intellectuel. Ma profonde reconnaissance va également à
Jean-Jacques Becker, depuis le doctorat d’histoire consacré à la censure
pendant la Première Guerre mondiale, jusqu’aux chantiers plus récents
de l’histoire politique et militaire, notamment à l’Historial de la Grande
Guerre à Péronne. Sa conception et sa pratique du métier d’historien
ont également été exemplaires pour moi. Mes dettes amicales et intellec-
tuelles sont tout aussi grandes à l’égard de Dominique Barjot, Jacques
Frémeaux, Robert Frank et Jean-Charles Jauffret. Qu’ils en soient vive-
ment remerciés pour m’avoir montré le chemin du métier dans l’amitié.
Nombreux sont les collègues et les amis qui m’ont aidé, de façon
souvent déterminante, à progresser dans une histoire internationale
appliquée à l’information, aux sociétés et à l’État. Mes amis et collègues
de l’Université de Picardie Jules Verne tiennent une place toute particu-
lière dans la réalisation de cette recherche, en particulier Nadine-Josette

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La République secrète

Chaline et Philippe Nivet. Je remercie tout particulièrement Laurence


Bertrand-Dorléac, Gérard Chastagnaret, Vincent Duclert, Olivier
Faron, David Kahn, Gerd Krumeich, Frédéric Guelton, Peter Jackson,
Pierre Lacoste, Sébastien Laurent, Daniel Levine, Christine Levisse-
Touzé, Jean-Noël Luc, Philippe Nivet, Philippe Vial. À des titres mul-
tiples, leurs encouragements et leur aide ont été essentiels.
Mes pensées vont aussi à ma famille, en particulier à Leila, Iris et
Charles dont le merveilleux soutien rend les résolutions implacables.
À mon père, disparu trop tôt pour voir l’achèvement de cette entreprise,
et qui sut toujours provoquer le débat critique, la curiosité intellectuelle
et l’aventure collective.

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Index des noms [C G1]

A AUER, 178 BATAILLARD, 114


ACKER, Paul, 172 AURIOL, Vincent, 438, BATIER, colonel, 447
AFANASSIEFF, 356 594 BAULET, 449
AGABEKOV, George, 366 AZÉMA, Jean-Pierre, 598, BAUMARD, Philippe, 455
AKAMINE, 206 666 BEAUNE, capitaine, 106,
ALBINET, 421 342, 343, 347, 600,
ALÈS D’, commandant, B 604, 605
239 BABU, 435 BECK, colonel, 270, 275,
ALEXANDER, Martin, BACHELARD, Pierre, 123, 346
209, 217, 543, 544, 630, 640 BECKER, Jean-Jacques,
550, 559, 659, 664, BADOGLIO, maréchal, 24, 75, 100, 140, 287,
666, 669 341, 347, 652 291, 353, 366, 380,
ALLARD, 447, 450 BAKHANOV, 354 427, 595, 602, 606,
AMAURY, Francine, 366 BARALLE DE, 114, 123 607, 608, 662, 665,
ANDLAUER, Charles BARBARO, commandant,
666, 676, 679
colonel, 39, 121, 126, 121, 150, 337, 348,
BÉDARIDA, 123, 630,
127, 134, 165, 171, 467, 600
650
172, 173, 174, 620, BARBIER, Colette, 456,
BÉLIARD, Henry, 45,
635, 638, 650 557, 666
ANDREW, Christopher, BARDANNE, Jean, 201, 115, 116, 201, 620,
36, 179, 186, 201, 226, 228, 657 640
292, 354, 361, 362, BARDOUX, Jacques, 595 BÉLY, Lucien, 64, 659
370, 371, 379, 548, BARMOND, Auguste, 468 BENOIST, Charles, 148
660, 664, 669, 670 BARRE, Henri, 525 BERGEAT, 168, 630
ANTOINE, commandant, BARTHOU, Louis, 65, BERNAND, 365
235, 416 246, 397 BERSTEIN, Serge, 14, 75,
ARACHITCH, colonel, BARTIK, colonel, 255, 287, 291, 353, 366,
266 258 379, 380, 439, 575,
ARNAL, 189 BARUCH, Marc-Olivier, 595, 602, 608, 658,
ARNALL, 390 17, 20, 28, 29, 106, 666
ARTAUD, Denise, 427, 120, 440, 581, 593, BERTIE, Lord, 46
491, 670 666 BERTRAND, Gustave,
AUBRY, 612 BASSIÈRES, 179 120, 181, 185, 257,

681

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La République secrète

262, 277, 548, 620, BOULÉ, capitaine, 127 CAMPIONNET, Émile, 22,
630, 640, 654 BOURDIN, Janine, 456, 620
BERTRAND, Louis, 120 523 CANARIS, amiral, 320,
BESSON, général, 544 BOURGEOIS, Maurice, 321
BÉTEILLE, 603 124 CANNING Gordon, 390
BÉTHOUART, colonel, BOURLET, Michael, 41, CARCHERY, général, 544
265 42, 44, 123, 173, 662, CARLIER, Claude, 140,
BÉZY Jean, 447, 545, 675 251, 490, 670
664 BOURRET, 554 CARRÉ, Claude, 21, 436,
BICER, Abdil, 36, 38, 42, BOUVARD, Almire 666
49, 139, 356, 391, colonel, 102, 103, CARRIAS, Eugène, 56,
665, 670, 675 104, 640 125, 638
BIGEWALD, Andrée, 177 BRAUN, 172 CASTAGNA, comman-
BIGHAM, colonel, 46 BRIAND, Aristide, 58, dant, 339
BILLOTTE, général, 416, 284, 287, 295, 438, CASTAING, 60, 61, 91,
417, 418, 544, 638 459, 471, 523, 670 565
BIRIOUKOV, 423 BROCHU, 168 CATOIRE, capitaine, 341
BLANCHARD, général, BROUÉ, Pierre, 292, 363, CAUBERE, 114, 125, 435
544 370, 670 CAVILLON, 122, 478,
BLOCH-LAINÉ, François, BRUNEAU, Pierre, 429 630
78 BRUSSET, 423 CAWELL, Miss, 202
BLUM, Léon, 268, 519, BUAT, Edmond général, CAZENAVE, colonel, 148
568, 569, 570, 571, 32, 33, 287, 413, 582, CHABRIER, 179
574, 575, 579, 580, 583, 620, 654 CHALET, Marcel, 60
581, 588, 591, 594, BUCHER, Dr., 39, 172, CHAMBERLAIN, Neville,
599, 668 173, 663 205, 220, 513, 652
BOB, 131, 325, 326 BÜHRER, Jules général, CHAMPCOURT, Henri de,
BODY, général, 266 417, 421, 424, 450, 177
BÖHM, 504 638, 654 CHARLES, 170, 225, 233,
BONNEFOND, 117, 630 BURIN DES ROZIERS, 70, 680
BONNEFOUS, 121, 161, 236 CHARRAS, Igor, 581
510, 630 BUSCH, von Henri, 523, CHARVÉRIAT, Émile,
BONNET, Georges, 438, 525 306, 307, 308, 311,
458, 459, 460, 555, BUSSIÈRE, Éric, 490, 498, 383, 456, 458, 555,
652, 656, 672 500, 507, 523, 530, 556, 565, 569, 572,
BONNEVAY, 421 533, 670 573, 576, 620
BORODIUK, 353 CHATELET DU, 121
BORSARD, 179 C CHAUTEMPS, 268, 571,
BOTACCI, 225 CABOS, 242, 533 574, 580, 588, 594,
BOUCARD, Robert, 202, CACHIN, Marcel, 292, 597, 603
529, 534, 657 357, 358, 380 CHENOUARD, 358
BOULANGER, général, 13, CAMBON, Jules, 64, 533, CHESNOT, 479, 480, 481
19, 25, 27, 80, 345, 656 CHIAPPE, 123, 127
587, 593, 600, 667 CAMPENON, général, 80 CHILJIAN, 518

682

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Index des noms

CHURCHILL, Winston, CROUY-CHANEL DE, DELBOS, Yvon, 188, 211,


36, 317, 530 Étienne, 456 216, 467, 554, 555,
CLAPIER, 527, 554 CURET, 161 622, 667
CLEMENCEAU, Georges, CUTTING, capitaine, 203 DELIMARSKI, Eugène,
29, 172, 173, 294, CUVINOT, Joseph, 18 358
373, 489, 491, 530, DELONCLE, affaire, 600
568, 621, 634, 656 D DELOR, commandant,
CLÉMENTEL, Étienne, 20, D., Yvette, 521 150, 388
43, 431, 477, 498 DAILLE, général, 594 DELTHIL, 88
CLERE, Joseph colonel, DALADIER, Édouard, DEMIANI, 311
125, 436 132, 192, 194, 205, DENAIN, général, 111
COBERT, 630 209, 214, 216, 407, DENARD, 188
COCHET, commandant, 421, 422, 445, 456, DENIKINE, général, 356,
252, 261 458, 460, 523, 526, 403
COIFFARD, 450 527, 546, 549, 553, DENTZ, général, 110,
COLLYER, colonel, 211, 554, 555, 558, 562, 259, 458, 525
215 563, 564, 565, 602, DEPERCHIN, Annick,
COLSON, général, 78, 603, 634, 652, 656, 584, 663
110, 113, 120, 188, 668 DERACHE, 270, 630
209, 248, 316, 328, DALTON, 241 DESCAMPS, 569
344, 347, 406, 417, DAMBLANC, 318 DESCROIX, Louis, 124,
418, 443, 455, 550, DARBOU, commandant, 435
553, 554, 559, 560, 63, 123, 135, 155, DESPLANCHES, Hervé,
561, 565, 599, 602, 238 421, 676
635, 650 DARLAN, amiral, 112, DESPRÉS, général, 362
CONDÉ, général, 544 113, 210, 569, 671 DESSBERG, Frédéric, 269,
CONSTANTIN, roi, 38, 39 DARNAND, Joseph, 106, 676
CORAP, général, 62 112, 604, 605 DETERDING, Henri, 512,
CORBEL, 433 DAUDET, Léon, 28, 81, 513, 532, 533
CORBIN, Charles, 210 82, 469, 586 DETHON, 170
CORREALE, Francesco, DAVID, 435 DEVISSE, 170
150, 392, 443, 675 DAWES, plan, 295 DEWERPE, Alain, 12, 13,
CORVISIER, André, 19, DEBENEY, général, 125, 17, 19, 595, 661
139 146, 230, 247, 271, DIERCKS, Richard, 523
COT, Pierre, 378, 379, 413, 435 DILKS, David, 179, 660,
667 DEGOUTTE, général, 669
COUDOM, Henry, 376 144, 283, 287, 290, DIMITROV, Georges,
COULOMB, capitaine, 293, 639 357, 372
404, 405 DEJEAN, Maurice, 133, DOBLER, 550
COUPLET, capitaine, 408 557 DOISE, Jean, 19, 87,
CREMET, Jean, 352, 358, DELAISI, Francis, 205, 111, 139, 153, 231,
360, 361, 376, 644 513 275, 673
CRÉMIEUX-BRILHAC, DELAMBRE, Maurice, DOMVILLE, J.-P., 387,
133, 456, 460, 461 170 388

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La République secrète

DORANGE, 170, 236, DUPONT, Charles- FLANDIN, Pierre-Étienne,


238, 240, 241, 242, Édouard, 28, 29, 33, 210, 317, 568
368, 369 34, 102, 103, 124, FLECK, 298
DORMOY, Marx, 158, 201, 650 FLETSCHER, 241
268, 308, 311, 370, DUROSELLE, Jean-Bap- FOLIN DE, Jacques, 399,
565, 569, 570, 571, tiste, 175, 209, 211, 674
572, 573, 574, 575, 341, 456, 549, 550, FONTÈS, 239
576, 577, 578, 579, 555, 671 FOUCHÉ, 570
580, 581, 591, 596 DUTASTA, 173 FOURGEOT, 421
DORTEN, 499 DU TERRIER, 175 FOURNEUF, 179
DOSSE, général, 544 DUVAL, Marcel amiral, FOURNIER, colonel, 70,
DOUCET, capitaine, 174 399 103, 104, 108, 114,
DOUDOT, Joseph, 123, DZERJINSKI, Félix, 353 115, 116, 117, 124,
144, 282, 308, 310, 125, 143, 204
320, 621, 655 E FOURNIOL 1, 447
DREIFORT, John, 211 ECCARD, 87, 88 FRADKINE BORIS ALIAS
DREYFUS, Alfred, 19, 27, EDEN, Anthony, 210, VOLINE, 358
28, 33, 60, 81, 100, 317 FRANÇOIS-MARSAL, Fré-
EINSTEIN, 254 déric, 43, 124, 435,
102, 106, 135, 368,
ÉVRARD, Louis, 610 621
402, 540, 592, 595,
EWING, Alfred, 36 FRANÇOIS-PONCET,
616, 659, 660, 671
EYRAND, 179 André, 125, 311, 435,
DRIAY, 421
550, 556, 557, 558,
DU BOCHET, Paul, 127
F 621, 634, 652, 656
DUBOIS, Colette, 411,
FAFFINEAU, Edmond, FRANK, Robert, 209,
422, 674 525 379, 430, 432, 497,
DUBOIS, Pierre-Louis, FALIGOT, Roger, 83, 667, 671, 675, 677,
402, 403, 404, 676 360, 361, 376, 377, 679
DUBRULLE, Maurice, 120 516, 659, 669 FRANKE, W., 329
DUCLERT, Vincent, 17, FAUCHER, général, 256, FRAZER, G., 371
19, 20, 27, 28, 29, 258, 259, 263, 264, FRÉMEAUX, Jacques, 10,
106, 120, 440, 581, 274, 275, 553 31, 38, 44, 51, 341,
593, 595, 666, 680 FAUDEUILHE, Jacques, 356, 385, 386, 389,
DUCLOS, Jacques, 380, 120 409, 459, 658, 663,
381, 593, 594 FAURE, Paul, 593, 597 674, 675, 676, 677,
DUCLOUX, Louis, 60, FAUX-PAS-BIDET, 30, 678, 679
360 360, 379, 380 FREYCINET, Charles de,
DU CREST DE VILLE- FAYÇAL, 411 18, 35, 621
NEUVE, 156 FERNET, amiral, 57, 447, FREYMUTH, 223, 224
DUCROT, 19, 603 451, 461, 462 FRIDENSON, Patrick, 42
DULONG DE ROSNAY, FERRAND, 43, 168, 225, FRIED, Eugen, 357, 667
Henri, 269, 676 630 FRITZ R. ALIAS FLORI-
DUMONT, 117, 125, FINALY HORACE, 530, MOND, 312, 313, 314,
223, 224, 649, 655 532, 533, 670 589

684

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Index des noms

FROGÉ, 93, 175, 314 GÉRODIAS, général, 315, GUDIN DE PAVILLON, 73,
FUSTIER, commandant, 328, 550, 553, 560, 252
223, 224, 233 561, 583, 599, 602, GUELTON, Frédéric, 36,
605 38, 41, 42, 49, 139,
G GESSMAN, 312, 314, 315 275, 382, 444, 543,
GAILLARD, Georges, 525 GHEBALI, Pierre Yves, 559, 562, 655, 658,
GALBERT, Oronce de, 33, 245 663, 665, 680
34, 677 GILLES, 125 GUILLAUMAT, général,
GALLIENI, Joseph GIRAULT, Jacques, 366 142, 144, 147, 205,
général, 30 GIRAULT, Suzanne, 358, 282
GAMELIN, Maurice, 78, 364, 365, 366 GUNSBURG, Paul, 523,
202, 208, 209, 210, GIVIERGE, colonel, 35, 525
214, 215, 217, 227, 179, 180, 181, 182, GUTEMBERG, 312
232, 267, 268, 275, 183, 185, 650
276, 304, 312, 315, GLAOUI, 390 H
326, 330, 331, 341, GLEYZES, 179 HABER, Fritz, 305
345, 346, 347, 413, GLICHITCH, 267 HALDENWANG, lieute-
415, 421, 543, 544, GOERING, 214, 320, 548 nant, 249
550, 553, 559, 560, HALIFAX, Lord, 214, 216
GOMBART, Dr., 313,
HAMANT, colonel, 117,
562, 579, 582, 583, 314, 318
162, 435, 630
588, 599, 602, 604, GOMBERTZ, Guillaume,
HAUSER, Henri, 43, 44,
638, 652, 666 465
664
GARDER, Michel, 272, GOOTES, général, 254
HAWKER, 218
655 GORCE DE LA PAUL-
HEINRICHS, 493
GARNIER, Louis, 120, MARIE, 44, 432, 663
HEPP, Pierre, 172
123, 630 GORDIEVSKI, Oleg, 292, HÉRING, général, 544
GAUCHÉ, général, 184, 354, 371 HERRIOT, Édouard, 142,
239, 259, 275, 342, GOTOVITCH, José, 371, 373, 375, 510
345, 547, 549, 550, 671 HERTEL, W., 329
554, 558, 559, 560, GOUNOD, Pierre, 473, HIBIKI, 518, 519
563, 569, 579, 580, 474 HIMMLER, 321
588, 655 GOUYOU, commandant, HINCHLEY-COOK,
GAULIER, Marc, 456 169, 255, 257, 259, colonel, 213, 219, 220
GAULLE DE CHARLES, 53, 260 HITLER, 108, 109, 167,
54, 132, 418, 444, GRAILLE, 421 216, 219, 243, 272,
656 GRAUX, Paul, 471 275, 293, 313, 315,
GEMP, major, 296, 463 GRENIER, 159, 335 317, 324, 333, 463,
GEORGE, 209, 415, 544, GRESSET, 421 548, 554, 557, 558,
637, 638 GROS, 311, 447 651, 655, 670
GÉRAR-DUBOT, Paul, GROSJEAN, 78, 121, 161, HOFFMANN, 179
133, 134, 135, 202, 312, 313, 317, 318, HOFMAN, M., 610
621, 650 343, 630 HOLB-WILSON, Erich,
GERBET, Pierre, 245 GRUNBERG, Willy, 472 218

685

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La République secrète

HOPPENOT, Henri, 456, JOFFRE, Joseph, 32, 33, KRANTZ, 323


555, 556, 557, 666 34, 142, 559, 677 KRASSINE, 356, 363,
HOPPENOT, lieutenant- JOSSET, Eugène 375, 510, 511
colonel, 118, 555 (général), 120, 161, KRUPP, Alfred, 234, 495,
HOSCHMANN, 332 332, 358, 377, 512, 496, 497, 501, 504
HOSSBACH, colonel, 557, 621, 630 KÜHNMÜNCH, colonel,
558 JOUBERT DES GUCHES, 156
HOUDEMON, général, 179
544 JOUTEAUD, 168 L
HUDSON LYNDTON, 254 JULIEN, Jules, 192, 566 LABORI, Fernand, 81
HUGENBERG, 295, 463 JUSSERAND, 64 LABORIE, Léonard, 179,
HUGON, Alain, 64, 659 676
HUGON, capitaine, 176 K LACAPE, commandant,
HUMBERT-DROZ, Jules, KAHN, David, 35, 37, 87, 88, 116, 117, 120,
357 179, 185, 266, 548, 159, 165, 630
HUNTZIGER, général, 661, 672 LACAZE, 30
112, 467 KALIFA, Dominique, LACHAISE, Bernard, 211,
465, 668 554, 667
I KARJAKIN, 354 LACOSTE, Pierre, 33, 60,
IBN, Séoud, 411 KASTL, 506 399, 455, 658, 680
IMAMURA, 519 KATO, colonel, 207, 515, LADOUX, Georges-Émile,
IZAWA, 514 520, 521 30, 102
KATZ OTTO ALIAS LADOUX, Georges, 102,
J SIMONE, 370, 371, 103, 106, 655
JACKSON, Peter, 13, 189, 372, 649 LAFENESTRE, 122
200, 214, 549, 550, KATO, ••• LAFONT, Georges, 134,
553, 632, 661, 665, KEITEL, général, 544 135, 202, 367
669, 680 KELL, colonel, 218, 219, LA FORÊT-DIVONNE,
JACQUILLARD, colonel, 220 colonel, 248
247, 249 KÉRILLIS, Henri de, 378 LAGACHE, 90
JACQUOT, 161 KEYNES, John-Maynard, LAINEY, Henri colonel,
JAEGER, 236, 500 491, 656 77, 84, 103, 104, 105,
JAHN, 309 KHATSKEVITCH, 353 108, 109, 110, 111,
JAMET, général, 446, KÎRNER, Peter, 235, 236 113, 117, 127, 145,
453, 455, 456 KITSON, Simon, 112, 147, 149, 152, 153,
JANSEN, Sabine, 378, 146, 631, 672 154, 155, 174, 182,
379, 667 KNAPP, 178 206, 231, 235, 236,
JARRAS, 19 KNOCHEL, 178 244, 272, 278, 335,
JAUDAS, 178 KOELTZ, général, 71, 336, 337, 363, 389,
JEANBAT, 117, 630 111, 120 393, 394, 435, 436,
JEANNESSON, Stanislas, KOESTLER, Arthur, 370 473, 474, 476, 514,
131, 287, 431, 666, KOUADI, capitaine, 152 582, 583, 621
667, 672 KOUTIEPOV, 377 LAMBERT, 121, 126, 131,
JEFFES, 218, 332 KOZEK VON, 285 630

686

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Index des noms

LAMER, 124, 435 LEMOINE ALIAS REX, 123, MALVY, 30, 607
LAMEZAN VON, 296 323, 474 MANDEL, Georges, 418,
LAMOTHE, général de, LE ROND, 285, 286 420, 421, 422, 423,
404 LERROUX, 395 424, 653
LANGER, colonel, 275, LESAGE, 168 MANGIN, général, 283,
277 LESTANVILLE DE, capi- 290, 293, 433, 639
LANGERON, 569, 572, taine, 147, 236 MANNESMAN, 235
573 LEVISSE-TOUZÉ, Chris- MANOUILSKY, Dimitri,
LA PANOUSE DE, général, tine, 134, 146, 184, 357
203, 621, 650 186, 231, 310, 385, MANZONI, 298
LAPOMARÈDE, colonel, 413, 548, 598, 631, MARCEAU-PIVERT, 593,
398 672, 674, 680 594
LAROCHE, Jules, 272, LEWAL, Jules, 19, 21, 35 MARCHAND, René, 367
656 LIEBERMANN, 377 MARCILLY DE, 149
LAURENT, Edmond, 77, LIESER, 296 MARGUET, Antoine, 677
86, 87, 88, 104, 105, LIMASSET, général, 344, MAROGNA-REDWITZ,
106, 107, 108, 109, 580 comte, 253
110, 116, 118, 120, LITVINOV, 397 MARRAUD, Pierre, 58
134, 152, 155, 161, LLOYD, George, 205, MARTEL, Henri, 415,
165, 166, 167, 182, 642 610
208, 233, 307, 325, LOHENGRIN, 191 MARTIN, 64, 117, 630
479, 480, 555, 582, LOIZEAU, général, 111, MASSIET, général, 544
621, 630, 639 208, 238, 273, 342, MASSIGLI, René, 71, 135,
LAURENT, Sébastien, 10, 345, 561, 621 288, 341, 344, 345,
13, 17, 18, 19, 20, 22, LOMBARD, colonel, 62, 555, 556, 561, 621,
23, 24, 25, 26, 27, 31, 63, 118, 178, 647 673
35, 47, 48, 55, 65, 66, LOMBARD, commandant, MAST, général, 399, 400,
79, 80, 81, 84, 120, 175, 176, 177, 310 401, 635, 650
336, 440, 541, 583, LONGRIGG, major, 535 MATA, Hari, 584, 663
593, 658, 659, 661, LOTH, Gisèle, 39, 172, MATIGNON, 268, 461,
669, 676, 680 663 568, 569, 570, 575,
LAVAL, Pierre, 112, 333, LOTHAR, Philippe, 508 577, 578, 581, 646
341, 412, 519, 597 LOUSTAUNAU-LACAU, MATTHES, 478
LAZITCH, 268 112, 562, 594, 601, MAUGRAS, Roger, 71
LEBET, 176 602, 615, 655 MAYEUR, Jean-Marie,
LÉGER, Alexis, 216, 275, LOUZON, 511 521, 568, 667
279, 341, 456, 459, LULLÉ-DESJARDINS, 156 MÉJAN, 122, 630
460, 550, 555, 556, MENDRAS, colonel, 115,
620 M 161, 375, 622, 640,
LÉGER DE CHAUVIGNY, MAGLINSE, général, 227, 650
179 229, 230 MENZIES, Stuart colonel,
LEHIDEUX, 124, 478 MALLET, 77 206, 207, 208, 212,
LELONG, général, 211, MALRAISON, colonel, 213, 214, 219, 220,
217 189, 571 221, 222, 223, 224,

687

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La République secrète

235, 236, 278, 332, MOUTET, Marius, 416, OLLIER, Alexandre, 35,
343, 514 653 179, 663
MERLIN, 192 MOUTON, Marie-René, ONNO, commandant,
MERSON, Jean général, 245, 672 412
64, 65, 70, 108, 109, MOYRAND, général, 88, ORSCHOOT, van colonel,
113, 114, 117, 118, 412 239
125, 159, 163, 229, MÜNZENBERG, Willy, OSWALD, commissaire,
622, 630, 640 370, 371, 372 60, 61, 190, 312, 313
METZGER, Chantal, 420, MURAILLE, 377 OTO, 518
674 MUSIEDLAK, Didier, 334,
MIÈGE, Jean-Louis, 672 672 P
MILLERAND, Alexandre, MUSSOLINI, Benito, 208, PAGEOT, colonel, 294,
30, 32, 44, 45, 81, 333, 334, 339, 341, 487, 488
102, 161, 172, 431, 350, 392, 672 PAILLAT, Claude, 136,
435, 509, 582, 622, 565, 672
667 N PAILLOLE, Paul, 61, 114,
MILLET-TAUNAY, Jean- NAVALE, commandant, 121, 133, 135, 136,
Hilaire, 210, 549, 677 347, 604, 605 156, 161, 167, 189,
190, 202, 272, 275,
MINVIELLE, Olivier, 341, NAVARRE, Henri général,
277, 312, 313, 314,
677 134, 135, 156, 159,
318, 323, 324, 403,
MITROKHINE, Vassili, 161, 202, 221, 272,
525, 548, 552, 554,
361, 379 338, 561, 562, 581,
557, 558, 565, 566,
MITTELHAUSER, général, 655
567, 580, 604, 605,
544 NEUBURG, 464
609, 622, 630, 635,
MIZRAHI, Jean-David, NICHOLSON, Harold, 647, 650, 655
51, 122, 136, 137, 317, 656, 672 PAINLEVÉ, Paul, 131,
385, 387, 409, 535, NOËL, Léon, 77, 260, 132, 151, 187, 205,
665 272, 274, 556, 656 206, 333, 338, 339,
MOCH, Jules, 569, 571, NOIRIEL, capitaine, 202, 373, 375, 376, 377,
656, 667 203 378, 392, 439, 440,
MOITESSIER, 311, 569, NOLLET, Charles général, 512, 513, 546, 582,
572, 575, 577, 599, 142, 143, 180, 288, 634, 651
601 474, 475, 499, 503, PAINVAIN, Georges, 37
MONIER, Frédéric, 10, 655 PAISANT, André, 81
13, 345, 375, 383, NOVOTNIK, Matthieu, PANINE, comtesse, 253
577, 593, 600, 603, 523 PAPEN VON, 295
657, 658, 667 NYO, colonel, 418, 630 PARENTY, 362
MONTAIGU, Bertram, PARISOT, général, 341,
388 O 343, 344, 346, 347,
MONTIGNY, 448 OKOLOWICZ, colonel, 349, 444
MORAVEC, F. colonel, 270 PAROUTIAN, Virginie,
254, 255, 256, 257, OLLÉ-LAPRUNE, Pierre, 64, 69, 665, 677
258, 260, 261 120, 161, 630 PASTEUR, capitaine, 408

688

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Index des noms

PAUL, V., 521 PONS, Jean, 435 RHODIUS, A., 234, 235,
PAUL-BONCOUR, Joseph, PORCH, Douglas, 185, 641
87, 88, 306, 438, 439, 187, 402, 660, 662, RICHARD, Marthe, 468,
546, 656 665, 674 584, 585
PAULIER, 179 POUCHARINE, 366 RICHTER, 178, 479, 480,
PECH, Yannick, 576, 669 POUPARD, capitaine, 252 481
PEDRONCINI, Guy, 19, PRÉTELAT, général, 544 RIOU, 245
139, 385, 437, 674 PREUDHENTAL, von M., RITTER VON, Eberlein
PELLET, général, 251, 252 Baron, 283
672 PRIMO DE RIBÉRA, 392 RIVET, Louis général, 60,
PELUSO, Edmund, 244 PSALMON, 630 94, 104, 105, 108,
PENDARIÈS, capitaine, PUAUX, Gabriel, 51 110, 113, 121, 123,
243 PUCHOT, Louise, 469 126, 130, 134, 155,
PERRIER, 58, 379 PUIG, Jean-Arnaud, 251, 158, 159, 167, 170,
PERRUCHE, comman- 253, 255, 256, 257, 175, 188, 189, 190,
dant, 134, 135, 161, 261, 262, 678 192, 193, 202, 212,
168, 202, 630 PUJO, commandant, 213, 215, 221, 222,
PÉTAIN, Philippe, 281, 251, 252 224, 232, 233, 239,
282, 413, 437, 438, 258, 267, 270, 276,
562, 594, 599, 601, R
308, 309, 311, 319,
602 RADEK, Carl, 296, 354,
324, 327, 328, 332,
PETZOLD, Paul, 469 357, 366
344, 345, 346, 347,
PEUGEOT, François, 572, RAFFESTIN, colonel, 630
372, 383, 416, 447,
596 RAMADIER, Paul, 86
448, 449, 452, 453,
PEYRE, 336, 360 RAMELLA, 341
455, 522, 523, 529,
PHILPOTT, William, 209, RAMETTE, député, 90
217 RANDON, maréchal, 66 550, 551, 552, 553,
PIECHE, colonel, 342, RAPHAËL B. ALIAS H. 554, 555, 556, 557,
343 DUMONT ALIAS LI, 558, 559, 560, 561,
PIGEARD, capitaine de 223, 226, 649 562, 563, 565, 566,
vaisseau, 66 RAU, Carl, 296 569, 570, 572, 573,
PILSUDSKI, 270, 272, RÉAU, Élisabeth du, 209, 574, 575, 576, 577,
656 211, 422, 456, 549, 578, 579, 580, 581,
PIQUET, 148 553, 557, 602, 668, 582, 583, 588, 594,
PLATTEN, Fritz, 245, 641 671, 672 596, 598, 599, 600,
POCHHAMMER, 189 REID, 534 601, 604, 605, 622,
POINCARÉ, Raymond, RÉMOND, René, 456, 630, 635, 640, 650
34, 67, 131, 250, 287, 523, 554, 568, 569, RIVIÈRE, 473
290, 333, 356, 373, 571, 594, 668 ROATTA, général, 341,
374, 476, 495, 564, RENOUVIN, Pierre, 42, 342, 345, 349
568, 634, 639, 672, 569, 571, 594, 668 ROBERT, 450
673 RÉQUIER, André, 380 ROBIEN DE, comman-
POINSOT, Annie, 486, RÉQUIN, général, 112, dant, 118, 121, 161,
634, 651 113, 544 312, 317, 630

689

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La République secrète

ROCHAT, Charles, 188, S SCHMITT, colonel, 229


189, 554, 555, 622 SABATERIE, 178 SCHNAEBELÉ, Guillaume,
ROËLL, général, 239 SABATIER, colonel, 88, 19, 26
ROFFIGNAC DE, Alexis, 630 SCHNEIDER, 377
418, 419, 678 SADOUL, Jacques, 367 SCHORTZEL, colonel, 272
ROLLET, Henri, 272, 672 SAINT-AFFRIQUE DE, 124 SCHWEISGUTH, général,
ROLLIN, capitaine, 335, SALAN, Raoul général, 22, 71, 78, 132, 207,
440 418, 419, 420, 421, 208, 209, 210, 211,
ROM, 355 422, 656 227, 231, 232, 238,
ROMANELLI, colonel, 339 SAMSON, colonel, 245 256, 267, 268, 273,
RONIN, commandant, SANDHERR, colonel, 23, 274, 275, 307, 315,
49, 545 623 316, 318, 325, 342,
ROSANVALLON, Pierre, SARRAUT, Albert, 316, 343, 344, 345, 346,
40, 75, 542, 668 360, 414, 415, 416, 347, 382, 383, 413,
ROSENBERG VON, 304 549, 564, 574 414, 415, 416, 550,
ROSENFELD, 359, 363 SAUZEY, colonel, 271, 553, 560, 561, 583,
ROSSELLI, Calvo, 345, 272 623, 634, 635, 652
600, 604 SAVINKOFF, 357 SÉBILLE, commissaire,
ROSSELLI, Nello, 345, SCHAEFFER, 191 29, 77
600, 604 SCHAUB, 329 SEGAL, P.H., 251
ROTH, François, 26, SCHELLENBERG, Walter, SEMARD, Pierre, 358,
131, 290, 495, 673,
213, 300, 309, 355, 365, 366
678
655 SERMAN, William, 29,
ROUFFET, Michel, 43
SCHENKEL, 476, 479 595
ROUSSELLIER, Nicolas,
SCHIMMELPFENG, agence, SÉROT ALMERAS-
414, 461, 568, 569,
252, 466, 468, 469, LATOUR, général, 57
668
470, 471, 472, 473, SERRE, commandant,
ROUX, François-Charles
ambassadeur, 333, 475, 476, 477, 480, 161
495, 656 482, 501, 647 SERRIGNAN, capitaine,
ROUX, Henri général, 78, SCHLESSER, Guy, 77, 78, 630
104, 105, 110, 111, 79, 120, 121, 156, SERRIGNY, général, 290,
112, 113, 134, 142, 161, 168, 189, 217, 437, 443, 546, 656
207, 208, 238, 252, 218, 219, 220, 221, SEYDOUX, Jacques, 287,
327, 328, 341, 342, 222, 223, 224, 225, 431, 449
343, 447, 479, 480, 273, 319, 322, 408, SHELDON-DUPLAIX,
481, 555, 561, 582, 526, 565, 599, 600, Alexandre, 37, 49, 50,
622, 630, 639 605, 623, 630, 640, 145, 664
RUDOLPH, 329, 523 643, 645, 646 SICARD, 59
RUMPE, 329, 330 SCHLUMBERGER, Jean, SICOT, Marcel, 283, 655
RUNNER, 421 172, 519 SIEMENS, G., 235, 306,
RUSTERHOLZ, Marcel, SCHMIDT, Hans-Thilo, 495, 522, 523, 524,
70, 71, 115, 116, 117, 167, 215, 323, 548, 525, 526, 527, 528,
118, 307, 622, 640 558, 589 529, 554, 647, 671
SCHMIDT, Rudolph, 558 SIMON, Jacques, 566

690

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Index des noms

SIMOUTRE, Roger, 120, THOMAS, commandant, W


630 19, 335, 336, 385, WACHMINSKI, 610
SOLOVIEFF, 356 390, 394, 409, 412, WAGNER, 189, 191
SONOLET, Armand, 124, 453, 582, 638, 674 WALLNER, colonel, 45
435 THOMDIKE, 487 WARUSFEL, Bertrand, 58,
SONTHEIM, 523 THOREZ, Maurice, 360, 77, 80, 93, 455, 528,
SORNE, capitaine, 236 594 660
SOUSSE DE HALFON, 389 THUERMEL, Éric, 525 WASSILIEF, 374, 644
SOUTOU, Georges- THÜMMEL, Paul, 259 WATSON, 534
Henri, 10, 32, 34, 39, TICHY, colonel, 258 WEINZINGER, Erich, 250
42, 44, 140, 186, 210, TIMKOVSKY, Jean, 377 WENGER, 63
251, 258, 269, 428, TIRARD, Paul, 125, 282, WESSELS, Caspard, 369
432, 459, 490, 541, 283, 284, 289, 295, WEST, Nigel, 202, 669
549, 658, 664, 668, 491, 502, 657 WEYGAND, Maxime
TISSOT, 176 général, 112, 413,
670, 672, 673, 676,
TOGLIATTI, Palmiro, 338 444, 543, 559, 655,
677, 678, 679
TOMMASI, Joseph, 376 670
STANLEY, Paul, 202, 657
TREINT, Albert, 357, WINTERBOTHAM, Frede-
STAVISKY, 59
358, 364 rick, 214, 221, 657
STEHLIN, général, 215,
TROCCARD, 421 WINTERFELD VON, 525
545, 555, 572, 656 TURNER, Henri, 293, WOLTON, Thierry, 379
STEIS, Jules, 466 463, 670 WOODS, 534
STEPANOWSKI, 245 TWEEDALE LORD, 254 WRANGEL, général, 356,
STEVENS, major, 221,
403
222, 223 V WYBOT, Roger, 77, 132
STINNES, Hugo, 293, VAÏSSE, Maurice, 19, 65, WYS MÜLLER, agence,
294, 295, 463, 492, 87, 111, 139, 153, 465, 466, 467, 468,
495, 496, 497, 640 231, 275, 660, 673 647
STOFFEL, commandant, VALETTE, Jacques, 399,
66 674 Y
STRANKMUELLER, Emil VAN HOUTTE, Léonie, YOTSUMOTO, 518, 519
colonel, 258, 259 202 YOUGOSLAVIE DE,
STROHL, Charles, 531 VANLANDE, capitaine, Alexandre, 268
SZANTO, 208 152, 403, 404
VANSON, Émile, 21, 22, Z
T 23 ZAPF, 503
TANNERY, Jean, 41, 43, VAUTRIN, 148, 149, 236 ZECHT, comte, 314
124, 288, 435, 623, VELLA, Antoine, 389 ZIMMERMAN, Arthur,
662 VEYNANTE, 120 523
TERSANT DE, 179 VIAL, Philippe, 21, 50, ZINOVIEV, 357, 358,
THÉRY, Edmond, 43 475, 543, 587, 666, 364, 366, 644
THIERS, Adolphe, 21 673, 675, 677, 680 ZISCHKA, Antoine, 516,
THIERVOZ, 165, 630 VIGNOLLE DE, 283 517, 530, 657
THIVAT, Antoine, 376 VILAINE DE, 569, 573 ZYROMSKI, Jean, 593

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Liste des tableaux, figures et graphiques

Les sources de renseignement du 2e bureau de l’état-major de


l’armée .................................................................................. 55
Les enquêtes diligentées par les commissaires spéciaux en
1937 dans la région militaire de Rouen ................................ 62
Le statut des postes de renseignement en 1927-1939 ............... 72
Les condamnations pour espionnage en Allemagne en
1919-1924 ............................................................................ 85
Les arrestations pour espionnage en France de 1933 à 1937 .... 95
Les responsabilités des chefs des services spéciaux militaires
au 2e bureau de l’EMA .......................................................... 104
Les crédits de fonctionnement mensuels alloués aux postes
de renseignement en 1925 et en 1935 .................................. 164
Compte rendu d’écoute du 20 mai 1939 de l’antenne SIS
d’Épinal. Origine 6 102 ........................................................ 191
Le cycle du renseignement ........................................................ 542
Le cycle de l’information ........................................................... 542

Annexes
Tableau des postes de renseignement français en
1919-1939 ............................................................................ 626
Les missions à donner aux agents de Besançon en 1926 ........... 628
Les effectifs des postes de renseignement sur le territoire
national et dans les colonies en 1928 et en 1935 .................. 629
Les effectifs de la SR-SCR à Paris entre 1925 et 1939 .............. 630

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Table des matières

Sigles ............................................................................................ 7

Introduction ................................................................................. 9

PREMIÈRE PARTIE
LES SERVICES SECRETS MILITAIRES,
LES POUVOIRS PUBLICS ET LA RÉPUBLIQUE 1871-1939

Chapitre 1. – Les héritages de l’espionnage d’État en 1918 ... 17


La rénovation du renseignement par la IIIe République ..... 18
Les réformes institutionnelles depuis 1871 .............................. 18
Le partage des attributions entre la police, l’armée et la gen-
darmerie 1871-1919 ........................................................ 23
Les leçons de la guerre de 1914-1918 ................................... 31
La place nouvelle du renseignement dans la tactique et la
stratégie ............................................................................ 31
En 1919, un État peut-il se passer du renseignement ? ........... 35
L’expérience de la guerre économique en 1914-1918 .............. 40

Chapitre 2. – Les rouages de l’État secret ................................ 48


Les trois corps du secret dans la République : une « commu-
nauté du renseignement » ? ............................................... 49
L’armée a-t-elle plusieurs cultures de l’espionnage ? ................. 49
Le contre-espionnage partagé entre la police et l’armée après
1919 ................................................................................ 57
La diplomatie, les attachés militaires et l’espionnage ............... 64

695

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La République secrète

La coopération interministérielle des Affaires étrangères, de


l’Intérieur et de la Guerre ................................................. 75
L’État, le droit, l’espion : la législation sur l’espionnage ..... 79
L’héritage de la Révolution française et de la loi de 1886 ....... 79
Les aspirations à une loi plus répressive entre 1920 et 1934 ... 83
Renforcer la répression de l’espionnage : l’espionnage passible de
la peine de mort ............................................................... 91

Chapitre 3. – Les espions de la République ............................ 98


À l’ombre des services spéciaux, des carrières militaires ...... 98
Les attributions réglementaires du chef des services spéciaux
militaires .......................................................................... 98
Être le chef des services spéciaux militaires : une filière du
« secret ordinaire » dans l’armée ? ...................................... 101
Les gardiens du secret ............................................................ 114
À Paris, au siège central des services secrets militaires .............. 114
Un groupe socioprofessionnel défini ? ...................................... 118
Les officiers de réserve ou la République des compétences ......... 122
Agents, honorables correspondants et serviteurs inconscients
de l’État .............................................................................. 125
Le recrutement des agents ...................................................... 125
Les agents recrutés par les postes SR-SCR ............................... 128
Les agents manipulés par les hommes publics et les honorables
correspondants .................................................................. 131

Chapitre 4. – L’organisation et le fonctionnement des


services spéciaux militaires de 1918 à 1939 ......................... 138
La sortie de guerre des services secrets .................................. 139
De la démobilisation à la réorganisation : désarmer et surveiller
l’Allemagne 1919-1925 .................................................... 139
Un renseignement d’occupation défensif 1925-1930 ............... 146
Un renseignement contre-offensif pour une stratégie défensive,
1930-1939 ...................................................................... 153
Le cœur et la périphérie : la centrale et les postes de ren-
seignement .......................................................................... 159
Le service central à Paris ....................................................... 159
Les réunions annuelles de chefs de poste à la centrale de 1936
à 1939 ............................................................................. 165

696

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Table des matières

L’exemple du service des communications militaires à Belfort


entre 1919 et 1939 .......................................................... 171
À l’écoute de l’autre : le renseignement technique a-t-il
compté ? .............................................................................. 178
Un déclin des écoutes et des transmissions en France ............... 178
Le renseignement d’origine technique est-il fiable ? ................. 181
Les défis du renseignement technique sont-ils relevés dans les
années 1930 ? ................................................................... 185
À l’écoute des ambassades et des représentations diplomatiques . 188
Le service des informations spéciales en 1939 ......................... 192

DEUXIÈME PARTIE
LA FRANCE, LA GUERRE SECRÈTE
ET L’INVENTION DE LA « SÉCURITÉ NATIONALE »

Chapitre 5. – Les coopérations internationales des services


secrets français ....................................................................... 199
Un partenariat d’opportunité : les coopérations avec
l’Intelligence Service .......................................................... 200
L’après-guerre ou l’alliance troquée pour un partenariat à
éclipse ............................................................................... 200
Vers un renforcement des échanges de renseignements franco-
anglais 1935-1938 ........................................................... 207
Quand vient l’heure du danger : une coopération tardive mais
sincère en matière de renseignement juin 1938-septembre
1939 ................................................................................ 217
Les neutres ou l’alliance contrariée ...................................... 227
La Belgique ou les subtilités d’une neutralité active ................ 227
La Hollande, un dispositif charnière face à l’Allemagne et à la
Grande-Bretagne .............................................................. 234
La Suisse : un partenariat interdit dans une position érodée
après 1925 ....................................................................... 243
Les alliés de revers, entre l’alliance diplomatique et la
coopération secrète ............................................................. 251
La Tchécoslovaquie, plaque tournante de l’espionnage en
Europe centrale ................................................................. 251

697

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La République secrète

Intégrer le renseignement de la France, de la Pologne et des


États de la Petite Entente .................................................. 260
Les attentes de la Yougoslavie ................................................ 265
La Pologne ou les déceptions d’une alliance faussement
naturelle ? ........................................................................ 269

Chapitre 6. – La guerre secrète contre l’Allemagne et l’Italie ... 280


L’Allemagne ou l’ennemi traditionnel de 1919 à 1933 ....... 281
L’impossible démobilisation du renseignement français en
Allemagne 1919-1923 ...................................................... 281
L’occupation de la Ruhr ou l’exacerbation des rivalités
secrètes 1923-1924 ........................................................... 287
À la poursuite des services secrets allemands 1919-1933 ......... 294
Les armes inégales de l’espionnage de 1933 à 1939 ............. 307
Les conditions générales de la lutte secrète franco-allemande .... 307
Le tournant de la remilitarisation de la Rhénanie en mars
1936 ................................................................................ 311
Identifier les moyens humains et les postes du renseignement
allemand en 1937-1939 ................................................... 319
Le contre-espionnage offensif et la politique des agents doubles . 323
L’Italie de 1922 à 1939 : une alliance d’opportunité ou
contre-nature ? ................................................................... 333
Une coopération interdite 1922-1926 ................................... 333
Face aux menaces secrètes italiennes 1926-1935 .................... 338
De l’alliance secrète d’opportunité en 1935-1936 à la rivalité
retrouvée fin 1937-1939 ................................................... 341

Chapitre 7. – Une lutte intérieure et extérieure contre


l’URSS sans merci ................................................................. 352
Les services secrets russes en France dans les années 1920 ... 353
Espionnage soviétique ou espionnage français 1919-1925 ? ..... 353
Le tournant des années 1925-1927 ....................................... 358
La lutte contre le Komintern et l’idéologie communiste ...... 363
Comment lutter contre le Komintern ? ................................... 363
La répression des agissements et des agents du Komintern ........ 367
Les cibles politiques et technologiques françaises de
l’espionnage soviétique ...................................................... 372
Une stratégie globale d’espionnage ......................................... 372

698

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Table des matières

Des secrets industriels très convoités ........................................ 376


L’affaire des rabcors et l’hostilité à l’URSS dans l’appareil
d’État ............................................................................... 379

Chapitre 8. – Le renseignement impérial dans la Défense


nationale ................................................................................ 385
Des rivalités coloniales secrètes 1918-1939 .......................... 386
Des rivalités franco-britanniques indépassables au Proche-
Orient .............................................................................. 386
Les enjeux de la rivalité méditerranéenne .............................. 388
Un partenariat impérial occasionnel avec l’Espagne en 1925-
1932 ................................................................................ 391
L’Indochine prétexte à un échange de renseignements avec le
Japon en 1933-1934 ........................................................ 397
Le renseignement de la Légion sert-il le renseignement
général ? .............................................................................. 401
La conception du renseignement impérial de la Légion étrangère ... 401
L’intégration du renseignement légionnaire dans l’appareil
militaire national ............................................................. 404
Un renseignement impérial tardivement et imparfaite-
ment coordonné .................................................................. 409
Les ailes impériales de la SR-SCR : défendre les terres d’empire . 409
Le service de renseignement intercolonial en 1936-1939 ......... 413
L’engagement du service de renseignement impérial dans des
actions subversives ............................................................. 420

TROISIÈME PARTIE
LES RESSORTS DE L’ESPIONNAGE
DANS L’ÉCONOMIE ET LA POLITIQUE

Chapitre 9. – De l’information économique au renseigne-


ment économique .................................................................. 427
Entre la « guerre économique » et l’espionnage industriel,
l’émergence du renseignement économique ....................... 428
La « veille économique », figure de la mobilisation industrielle
et de la pénétration économique ........................................ 428

699

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La République secrète

La mobilisation économique vue par le CSDN : un pas vers un


renseignement économique ? .............................................. 436
Le CSDN, instance centrale du renseignement économique
dans l’État après 1922 ? .................................................... 439
La matrice d’une réglementation sur l’espionnage écono-
mique en France en 1939 .................................................. 445
L’attente d’une doctrine publique du renseignement écono-
mique .............................................................................. 445
Les doctrines concurrentes des ministères publics en vue d’une
instruction ........................................................................ 452
Les divergences entre les ministères de la Défense nationale et
des Affaires étrangères ....................................................... 456
Aux origines des pratiques modernes de renseignement
économique : les agences privées ........................................ 462
La prolifération du renseignement économique privé .............. 462
Les agences Schimmelpfeng et Bradstreet’s de 1914 à 1939 .... 468
France-Expansion et Réforme de crédit .................................. 477

Chapitre 10. – L’espionnage économique et les nouveaux


enjeux secrets de la puissance ............................................... 485
La guerre commerciale et l’espionnage économique entre
1919 et 1933 ...................................................................... 486
France-Allemagne, une sortie de guerre sous le signe des rivalités
économiques ..................................................................... 486
Les moyens de renseignement au service de l’espionnage
commercial 1920-1925 .................................................... 493
L’espionnage économique français en Allemagne de 1924 à
1933 ................................................................................ 502
Les nouveaux acteurs de l’espionnage économique : l’URSS
et le Japon .......................................................................... 509
L’URSS : comment reprendre des relations commerciales avec
son ennemi ? ..................................................................... 509
Le Japon, un espionnage commercial et d’État ....................... 514
L’Allemagne : les cas Siemens et AEG à la fin des années
1930 ................................................................................... 522
Un enjeu technologique ......................................................... 522
Le gouvernement français réagit en 1937-1939 ..................... 526

700

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Table des matières

Les Anglo-Saxons, le pétrole et l’espionnage économique :


vive le marché ! .................................................................. 529
Du renseignement économique sur les firmes pétrolières .......... 529
Les rivalités énergétiques franco-anglaises au Proche-Orient .... 534

Chapitre 11. – L’exploitation du renseignement : l’infor-


mation trouvée, le renseignement perdu ? ........................... 539
L’orientation et l’exploitation du renseignement en France
dans les années 1919-1939 ................................................ 540
Le cycle du renseignement ..................................................... 540
La planification du renseignement par le ministère de la
Guerre ............................................................................. 542
L’exploitation politico-stratégique du renseignement : rendre la
décision efficace ................................................................. 547
Les crises internationales, moteurs d’une pratique gouverne-
mentale du renseignement ................................................. 553
Le Front populaire et les conférences interministérielles du
renseignement en 1937 ...................................................... 568
Vers une commission interministérielle du renseignement ? ...... 568
Le bilan des réunions ............................................................ 571
L’apport à la décision politique ............................................. 575
Le gouvernement et le Parlement contrôlent-ils le rensei-
gnement ? ............................................................................ 582
Les conditions générales d’un contrôle des activités de rensei-
gnement ........................................................................... 582
Le contrôle parlementaire des activités de renseignement ......... 585
Le renseignement perdu par la politique ou introuvable par les
services d’espionnage ? ........................................................ 587

Chapitre 12. – Le renseignement dans la vie politique à la fin


des années 1930 ..................................................................... 592
La crainte militaire du complot communiste ....................... 592
La surveillance des partis politiques et syndicats : le rensei-
gnement est-il politique ? ................................................... 592
De la grève au complot communiste ....................................... 595
Les services spéciaux et le complot : un nouvel avatar des
relations droite-gauche ? .................................................... 598

701

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La République secrète

De l’intoxication à l’auto-intoxication : les complots de


l’extrême gauche et de l’extrême droite ............................... 598
La Cagoule au cœur des relations entre le haut comman-
dement et le pouvoir ......................................................... 600
Un cagoulard dans les services à Nice .................................... 603
Le carnet B, un outil du contre-espionnage ......................... 606
Aux origines modernes des fichiers administratifs de sur-
veillance ........................................................................... 606
La surveillance des suspects à la fin des années 1930 .............. 609
Son application au Komintern et au PCF à la fin des années
1930 ................................................................................ 612

Conclusion ................................................................................. 616

Biographie élémentaire des principaux acteurs ....................... 620

ANNEXES
Annexe 1. Tableau des postes de renseignement français
en 1919-1939 ......................................................................... 626
Annexe 2. Les missions à donner aux agents de Besançon en
1926 ....................................................................................... 628
Annexe 3. Les effectifs des postes de renseignement sur le
territoire national et dans les colonies en 1928 et en 1935 . 629
Annexe 4. Les effectifs de la SR-SCR à Paris entre 1925 et
1939 ....................................................................................... 630

Sources et bibliographie ............................................................ 631

Remerciements ........................................................................... 679

Index des noms .......................................................................... 681

Liste des tableaux, figures et graphiques .................................. 694

PSW32-INSERT GRAPHIQUES-C5.04.03-P5.04.00-5/3/2008 14H12--L:/TRAVAUX2/NOUV-MON/REPUBLIQ/TABLE.080-PAGE702 (PJB ,NOIR)

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