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271 | 2013
Les armées coloniales
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/rha/7676
ISSN : 1965-0779
Éditeur
Service historique de la Défense
Édition imprimée
Date de publication : 3 juillet 2013
ISSN : 0035-3299
Référence électronique
Revue historique des armées, 271 | 2013, « Les armées coloniales » [En ligne], mis en ligne le 05 juillet
2013, consulté le 30 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/rha/7676
SOMMAIRE
Dossier
Éditorial
Colonel Jean-Marc Marill
La presse militaire française à destination des troupes indigènes issues des différents
territoires de l’Empire puis de l’Union française
Olivier Blazy
Panorama des troupes coloniales françaises dans les deux guerres mondiales
Éric Deroo et Antoine Champeaux
Généalogie
Lectures
Peter Hopkirk, préface d’Olivier Weber, Le grand jeu, officiers et espions en Asie
centrale
Bruxelles, Éditions Nevicata, 2011, 572 pages
Olivier Berger
Claude Juin, Des soldats tortionnaires, guerre d’Algérie : des jeunes gens ordinaires
confrontés à l’intolérable
Robert Laffont, 2012, 372 pages
Benoît Haberbusch
Dimitri Casali, Christophe Beyeler, L’histoire de France vue par les peintres
Flammarion, coll. Histoire et actualité, 2012, 320 pages.
Michel David
Dossier
Éditorial
Colonel Jean-Marc Marill
1 L’intervention déclenchée au début de cette année au Mali a témoigné une nouvelle fois
de l’importance du théâtre africain, qu’a depuis soulignée le Livre blanc. « Le Sahel, de la
Mauritanie à la corne de l’Afrique ainsi qu’une partie de l’Afrique subsaharienne sont
également des zones d’intérêt prioritaire pour la France, en raison d’une histoire
commune, de la présence de ressortissants français, des enjeux qu’elle portent et des
menaces auxquelles elles sont confrontées »1. Prévu depuis un an,ce numéro de la
Revue historique des armées rencontre ainsi l’actualité nationale et internationale la plus
récente…
2 Par nature, les troupes coloniales sont depuis toujours aux avant-postes de cet
engagement africain de la France. Leur historiographie en témoigne, telle que la
présente Julie d’Andurain. Elles n’ont bien sûr pas agi seules. La Marine, dont ces
troupes dépendent jusqu’à la loi de juillet 1900, leur apporte son soutien. Comme lors
de la conquête du Soudan français, durant laquelle fut déployée une flottille sur le
Niger dont Dominique Guillemin nous raconte la singulière destinée. Qu’ils soient
artilleurs de marine sous l’Ancien Régime, ainsi que l’évoque Boris Lesueur, ou
« bigors » polytechniciens entre 1870 et 1910, comme le montre Julie d’Andurain dans
son deuxième article, les coloniaux sont attirés par l’aventure. Mais cette découverte
d’autres civilisations se paie souvent par la maladie ou la mort, rançon souvent
inévitable des campagnes ultramarines.
3 Les troupes coloniales mêlent dans leurs unités des hommes de cultures, de mœurs et
de mentalités d’une extrême diversité dont la cohésion est assurée par leur
encadrement, constitué de vieux routiers de l’outre-mer à l’autorité paternaliste.
L’article d’Olivier Blazy évoque une presse militaire pécialisée au profit des troupes
coloniales pour répondre à leur spécificité.
4 À l’opposé, les troupes coloniales allemandes se caractérisent par une diversité de
statuts. Leur recrutement, souvent mené à l’extérieur de la colonie avec une adaptation
aux contraintes locales, n’est pas moins divers. Ces troupes participent cependant avec
efficacité à la défense de l’empire colonial du Reich pendant la Première Guerre
mondiale. Un empire dont la perception par les alliés évolue entre mythe et réalité
comme le démontre le lieutenant-colonel Rémy Porte. Par la suite, le rapport à
l’Africain se transforme en haine raciale sous l’égide des nazis dont les tueries pendant
la campagne de France en 1940, s’apparentent pour Julien Farguettas à une chasse à
l’homme noir.
5 Ce numéro est la première réalisation de la nouvelle équipe rédactionnelle mise en
place ce printemps, qui s’appuie désormais sur le département études et enseignement
du Service historique de la Défense. Ce numéro doit également beaucoup à
l’engagement personnel d’Éric Deroo et du lieutenant colonel Antoine Champeaux. Ils
ont rédigé chacun un article, l’un sur les troupes coloniales engagées dans les rudes
combats des deux guerres mondiales, l’autre sur le patrimoine culturel des « troupes
indigènes ». Plus encore, ils ont fait bénéficier la revue de leurs liens avec des
chercheurs engagés dans l’exploration de cette histoire spécifique.
6 Ainsi, ce numéro amorce une série d’évolutions. La qualité de la Revue historique des
armées repose sur des articles scientifiques, mais également sur une très riche
iconographie, largement issue des fonds et collections du Service historique de la
Défense. Celle-ci fait l’originalité de la revue dans le concert des revues historiques
scientifiques, comme l’ont encore récemment rappelé plusieurs des universitaires
membres du comité de rédaction. Ce lien entre les textes et l’iconographie fera l’objet
d’une attention renouvelée, avec le souci de valoriser à chaque fois les trésors
iconographiques conservés à Vincennes.
7 De même, un effort sera fait pour que l’ensemble des articles relevant d’un même
thème se réponde ou se complète, garantissant ainsi une meilleure cohérence à chaque
numéro. Par ailleurs – et les résultats des ventes au numéro le confirment – le choix des
thèmes des dossiers doit rencontrer davantage les attentes du lectorat. Ainsi, les
numéros consacrés aux relations entretenues par la France avec un certain nombre de
pays amis n’auront plus un caractère aussi systématique.
8 À l’inverse, le regard des historiens étrangers, largement représentés au sein du comité
de rédaction, demeure indispensable pour aborder les sujets transverses ou communs.
Nos histoires nationales sont tellement imbriquées… Elles se sont souvent construites,
selon les périodes, dans des conflits où les grandes puissances s’alliaient ou se
déchiraient tour à tour. Nos collègues étrangers nous aident en particulier à relativiser
notre propre point de vue. Ainsi, savoir que l’esprit offensif des armées françaises de
1914, si décrié par notre historiographie, était tout aussi répandu au sein des armées
allemandes à la même époque, permet de mieux apprécier les errements des débuts de
la Grande Guerre.
9 Parallèlement à ces évolutions de fond, la revue s’enrichit désormais d’une rubrique
régulière consacrée à la généalogie. Intitulée « Généalogie », elle vise également à
mieux répondre à la diversité des attentes de notre lectorat. Comme les articles
consacrés à la symbolique et aux traditions militaires, cette nouvelle rubrique sera
présente dans chaque numéro.
10 Bonne lecture à tous !
AUTEUR
COLONEL JEAN-MARC MARILL
Docteur en histoire, rédacteur en chef.
la domination coloniale, les Colonial Studies, apparues autour des années 2000, ont
marqué une plus grande volonté d’historiciser les débats, couplant élargissement de
l’analyse à l’étude d’une dimension impériale renouvelée tout en réinvestissant
judicieusement les apports d’Edward Saïd dans les travaux croisant le Science Studies et
du Colonial Studies2.
3 Cependant, les termes ne trompent pas. War Studies, Subaltern Studies, Colonial Studies…
La conceptualisation du fait historique vient d’outre-Atlantique et ce depuis longtemps.
Cela ne signifie pas pour autant que les historiens français soient inexistants.
Simplement peut-on reconnaître qu’ils ont toujours eu plus de mal que leurs voisins
anglo-saxons à s’engager dans des champs de recherche nouveaux, soit à pousser les
portes de la « bien-pensance » universitaire qui avait, entre autres choses, du mal à
disserter sur l’armée inévitablement perçue comme un outil de domination
impérialiste, soit à sortir de son cadre étroitement métropolitain. C’est la raison pour
laquelle, au cours des années 1960, les meilleurs textes renouvelant le champ militaire
ou le champ colonial sont anglo-saxons (Robert O. Paxton, L’armée de Vichy, le corps des
officiers français 1940-1944, 1960 ; Kanya-Fortsner, The Conquest of the Western Sudan. A
Study in French Military Imperialism, 1969), tandis que des personnalités comme Raoul
Girardet restent encore assez marginalisés quoique leurs travaux soient jugés
fondateurs (La société militaire de 1815 à nos jours, 1953). Mais au début des années 1970,
tandis que les Subaltern Studies ne se développent pas encore dans les universités des
Sud, des productions associant systématiquement monde colonial et monde militaire
émergent dans le sillage de ceux d’André Martel, de Jean Ganiage, de Charles-Robert
Ageron. Connaisseur de l’Afrique, Marc Michel soutient une thèse sur La mission
Marchand, 1895-1899 en 1968 et la fait publier quatre ans plus tard, tandis que Jacques
Frémeaux se lance dans une thèse de 3e cycle sur Les bureaux arabes dans la province
d’Alger (1844-1856) sous la direction de Xavier Yacono, avant d’aborder plus
généralement le monde militaire colonial avec L’Afrique à l’ombre des épées (publié en
1993). Entre temps, une petite équipe de chercheurs spécialisés sur le fait colonial a
émergé, collaborant d’ailleurs parfois à des travaux collectifs (J. Frémeaux, D.
Nordmann, G. Pervillé, Armées, guerre et politique en Afrique du Nord (XIXe - XXe), 1977 ;
Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie, 1954-1962, 1982) et abordant
des sujets très novateurs ceux que l’on ne qualifie pas encore alors de Gender Studies
(Hélène d’Almeida Topor, Les Amazones. Une armée de femmes à l’époque précoloniale, 1984).
En 1987, Jean-Charles Jauffret affirme encore davantage le caractère croisé du fait
militaire et du fait colonial avec sa thèse sur Parlement, gouvernement, commandement :
l’armée de métier sous la IIIe République (1871-1914), tandis que beaucoup d’historiens
restent très proches du fait militaire colonial (Catherine Coquery-Vidrovitch avec ses
recherches sur l’Afrique, Vincent Joly avec sa thèse sur Albert Dolisié en 1980 ; Gilbert
Meynier et ses travaux sur l’Algérie coloniale en 1981 ; Daniel Rivet avec son travail sur
Lyautey en 1985). Inutile de dire que toutes ces études ont marqué toute une génération
de jeunes chercheurs. Ils sont à la base des travaux actuels sur l’histoire du fait
militaire en situation coloniale qui tendent tous vers l’idée qu’au-delà des
affrontements, il y eut des accommodements (Marc Michel, Essai sur la colonisation
positive. Affrontements et accommodements en Afrique noire, 1830-1930, 2009) ou que le
processus colonial a constitué en réalité un passage vers la modernité à travers un
processus plus global, celui de la mondialisation (Jacques Frémeaux, Les empires
coloniaux dans le processus de mondialisation, 2002).
4 Actuellement, c’est au sein de ces équipes – réparties sur les universités du grand Paris
et d’Aix-Marseille et du littoral atlantique – que s’organise le renouvellement des
études avec une approche parfois novatrice comme l’ont montré les travaux de
Raphaëlle Branche (La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 2001) et de Sylvie
Thénault (Une drôle de justice, les magistrats dans la guerre d’Algérie, 2001). En parallèle,
toute une équipe de chercheurs, encore qualifiés parfois de « juniors », aborde le fait
colonial dans une dimension qui n’est pas strictement militaire, privilégiant plutôt la
question des savoirs coloniaux, laquelle cependant porte en elle une dimension
militaire, mais peu développée jusqu’à présent (travaux d’Hélène Blais, Emmanuelle
Sibeud, Pierre Singaravélou, Isabelle Surun, Jean-François Klein, etc.). Cela n’exclue pas
des analyses biographiques plus classiques dans des universités littorales (Jean-Pierre
Bois, Bugeaud, 2009), de même que des études qui se trouvent en lisière du fait militaire
(Jean-Louis Triaud, La légende noire de la Sanûsiyya. Une confrérie musulmane saharienne
sous le regard français, 1840-1930) voire des dictionnaires (André-Paul Comor, Dictionnaire
de la Légion étrangère, 2013). Mais de belles thèses, telle celle de Papa Dramé sur La
Défense de l’AOF (1895-1940) publiée en 2003 ou les travaux de Paul et Catherine Villatoux,
La République et son armée face au péril subversif. Guerre et action psychologique 1945-1960,
parus en 2005, des travaux croisant problématiques historiques et contemporaines
(Walter Bruyère-Ostell, Histoire des mercenaires, 2011) montrent qu’il est désormais
possible de concilier, à l’université, histoire coloniale et histoire du fait militaire
d’autant que ces thématiques ouvrent des perspectives bien plus larges. Dans notre
thèse (Le général Gouraud, un colonial dans la Grande Guerre, 2009), nous avons cherché à
montrer que le fait colonial ne saurait être séparé de sa dimension métropolitaine et
que le fait militaire, fut-il en situation coloniale, relève avant tout de l’histoire
politique.
5 Eu égard au chemin parcouru, il resterait peut-être encore à ouvrir davantage les
portes entre les milieux militaires (et leurs archives) et les milieux universitaires car ils
auraient, les uns et les autres, fort à gagner d’un partenariat d’autant que les milieux
militaires eux-mêmes (Rémy Porte, La conquête des colonies allemandes : naissance et mort
d’un rêve impérial, 2006 ; Antoine Champeaux (avec Éric Deroo), La Force noire. Gloire et
infortune d’une légende coloniale, 2006 ; Alexis Neviaski, Képi blanc, casque d’acier et chemine
brune. Une tentative subversive vue par les archives françaises, thèse 2009 ; Julien Fargettas,
Les tirailleurs sénégalais. Les soldats noirs entre légendes et réalités, 1939-1945, 2012)
apportent eux aussi beaucoup à la connaissance sur l’histoire du fait militaire en
situation coloniale.
NOTES
1. Voir le remarquable article d’Emmanuelle Sibeud, « Post-colonial et Colonial Studies : enjeux et
débats », Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 51, 4 bis, 2004, p. 87-95.
2. Voir les travaux de Pierre Singaravélou et particulièrement, « L’enseignement supérieur
colonial. Un état des lieux », Histoire de l’éducation, n°122, 2009, p. 71-92
INDEX
Mots-clés : enseignement, histoire coloniale, histoire militaire
AUTEUR
JULIE D’ANDURAIN
Agrégée et docteur en histoire, elle est actuellement enseignante-chercheur au CDEF (École
militaire) et chargée de cours à Paris-Sorbonne. À la suite de sa thèse sur Le général Gouraud, un
colonial dans la Grande Guerre (soutenue sous la direction de Jacques Frémeaux, Paris-Sorbonne,
2009), elle vient de publier La capture de Samory, l’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest
(Sotecan 2012).
Boris Lesueur
Traduction : Robert A. Doughty
1 « Il voulait absolument établir une batterie semblable à celles que l’on construit à
l’école de Metz. Le soldat disoit hautement qu’il sembloit qu’on attaquât Luxembourg »
[sic]1. (Siège de Cangivaron, Inde, janvier 1761)
Introduction
2 Hasard de l’histoire ou phénomènes intimement liés à l’affirmation de l’État moderne,
la création du premier empire colonial français et l’apparition de l’artillerie en tant
qu’arme structurée furent quasiment simultanées. En effet, Louis XIV incorpora les
colonies dans le domaine royal à partir de 1664 et décida d’y entretenir des troupes
régulières à partir de 16722. En 1676, l’organisation du corps des fusiliers du roi dédiait
pour la première fois des troupes au maniement des canons sur le champ de bataille qui
devenaient ainsi un facteur décisif de la victoire, ultima ratio regum comme le fit graver
sur ses canons Louis XIV. Des ordonnances, en avril 1693 et en novembre 1695 3,
affectèrent définitivement ce régiment au service des canons, confirmant l’apparition
d’une arme autonome sur le champ de bataille. L’absence de mobilité des pièces
souvent trop lourdes limitait leur intervention aux sièges des places, et dans de rares
occasions, aux batailles. Or, la guerre de Sept Ans marqua une profonde rupture
puisqu’elle devint un élément dispensable pour tenir une position ou pour préparer un
assaut4. Mais en était-il de même pour les colonies où le chevalier Durre, qui
commandait l’artillerie de l’Inde, s’était attiré des sarcasmes du reste de l’armée ?
3 De Colbert à 1894, les colonies en France relevèrent de la Marine qui devait les
administrer et les défendre, dans une époque troublée qui vit la France et la Grande-
Bretagne s’affronter en sept conflits majeurs de 1688 à 1815. Si l’on considère que le
sort des colonies dépendait uniquement des affrontements sur mer, on doit observer
que les conceptions tactiques du temps avec l’adoption de la ligne de file aboutissaient
à une relative stérilité des affrontements, dans le cadre d’un système technologique – le
vaisseau de ligne – qui ne changeait guère5. Maurepas, inamovible secrétaire d’État de
la Marine, de 1726 à 1749, avait conclu par une phrase définitive sur la relative
inefficacité des combats navals et des échanges d’artillerie : « Savez-vous Messieurs ce
qu’est une bataille navale ? On se recherche, on se salue, on se canonne et la mer n’en est pas
moins salée »6. C’était une illusion car les batailles étaient sanglantes 7. Suffren dans
l’Inde, la bataille des Saintes et plus encore Nelson par la suite changèrent le paradigme
à la fin du XVIIIe siècle qui vit le retour de batailles décisives sur mer. Mais cela ne dit
pas comment la Marine concevait l’usage de l’artillerie pour la défense des colonies.
Toute une historiographie nie d’ailleurs que la guerre aux colonies ait pu nécessiter le
recours à des conceptions classiques de la guerre : dans la description de la guerre « à la
canadienne », les raids et les embuscades des miliciens suffisaient à protéger les
colonies. Ainsi, dans le premier siège de Québec, la mousqueterie avait suffi à
désorganiser les colonnes d’assaut britanniques8 tandis que les batteries de la Marine
avaient tenu au loin l’escadre de Phipps. L’adoption du système Vallière en 1732 et plus
encore de celui de Gribeauval au lendemain de la guerre de Sept Ans avaient spécialisé
et uniformisé les pièces et surtout veillé à leur donner une plus grande mobilité sur le
champ de bataille. Les colonies restèrent-elles à l’écart de ces évolutions ?
4 On conçoit bien que le XVIIIe siècle fut décisif pour les transformations de l’artillerie à la
fois sur mer et sur terre. Une question survient nécessairement : quelle place accorda-t-
on aux colonies dans ce contexte de transformation de l’art militaire ? Après une
longue période durant laquelle on se contenta de copier maladroitement la guerre sur
mer en multipliant les batteries sur les rivages, la guerre de Sept Ans fut une rupture
brutale qui marqua l’irruption d’un usage offensif de l’artillerie, nécessitant le recours
à un personnel spécialisé.
La Marine et l’artillerie
5 Contrairement à ce qu’on pourrait penser hâtivement, on ne peut pas dire que
l’artillerie de la Marine était la même que celle servant aux colonies 9. En effet, la flotte
disposait pour son usage de trop peu de personnel spécialisé pour que ce pût être une
option envisageable. En 1666, et plus sûrement le 15 octobre 1676, on fonda des écoles
d'artillerie dans les ports pour former les matelots des classes au service du canon 10. La
grande ordonnance de 1689 instaura seulement trois compagnies de canonniers de cent
hommes pour Brest, Rochefort et Toulon, ainsi qu'un détachement de trente hommes
au Havre. L’instruction durait 8 mois. Ceux qui étaient jugés aptes à devenir
ultérieurement maîtres-canonniers recevaient une instruction complémentaire de
4 mois. En 1693, 26 maîtres-canonniers figuraient sur le budget de l'arsenal de Toulon
au chapitre des officiers-mariniers11. En 1682, la marine royale se mit à construire des
galiotes, c’est-à-dire des navires créés pour le bombardement des places, le besoin d’un
personnel qualifié se fit sentir12. Pour cela, on dut envoyer les bombardiers se former à
Metz13. L’ordonnance du 16 avril 1689 créa deux compagnies de bombardiers des classes
à 50 hommes. En 1694, une troisième compagnie fut instaurée pour Rochefort. Les
bombardiers s'occupaient des travaux dans les ports et étaient soumis à un
entraînement permanent. Leur fonction était de servir sur les galiotes à bombes ou
d’être embarqués comme canonniers ou aide-canonniers sur les navires de ligne, car ils
parvinrent finalement à bousculer les défenseurs qui se réfugièrent dans la place forte.
Or, la place était jugée indéfendable. L’escadre demanda à pouvoir reprendre la mer
afin de ne pas se retrouver anéantie par les bombardements : on le lui refusa 49. Dès le
19 juin, une batterie de mortiers la contraignit à se réfugier sous les murs de la ville.
L’intérieur de la ville devint vite un enfer car « n’ayant pas un ouvrage extérieur pour
ralentir l’approche de l’ennemi ni réduit intérieur pour mettre à l’abri des bombes, les munitions
de guerre, de bouche, les blessés et malades, aucune espérance de secours […] » 50. Le 25 juillet,
une large brèche avait été pratiquée dans le bastion du Dauphin et celui du Roi était
également menacé : on négocia alors la reddition.
13 La campagne de conquête du Canada vit une utilisation plus restrictive de l’artillerie
qui rendait caduque les formes de guerre antérieures en introduisant les sièges dans la
guerre. Dès août 1756, pour la prise de Chouaguen, Montcalm réunit un train de siège. À
l’inverse, l’absence d’artillerie rendit parfaitement inutile le raid hivernal contre le fort
George en mars 1757. À l’abri derrière leurs murs, les défenseurs britanniques n’avaient
rien à craindre de Canadiens dont les vivres s’épuisaient rapidement : la « Don
quichoterie de Corlaer51» s’acheva piteusement. En août 1757, Montcalm emporta 32
canons contre le fort William Henry. En effet, ce fort n’était « point attaquable de vive
force, ce qui les détermina à faire le siège du fort en forme et de faire prendre une position à
toute l’armée52 ». On ouvrit la tranchée le 4 août et trois jours après, le fort se rendit.
Dans la région du lac Ontario, le fort Niagara résista du 9 au 26 juillet 1759 aux
bombardements grâce aux travaux qu’avait entrepris l’ingénieur Pouchot depuis
plusieurs années. Ces évènements étaient secondaires par rapport à l’attaque directe
contre Québec durant l’été 1759. La ville fut bombardée pendant 64 jours : « Le mois de
juillet ne fut qu’un feu continuel des batteries de l’ennemy sur notre camp et sur la ville, il y eut
plusieurs incendies à différentes fois qui consumèrent près de 200 maisons 53 ». La journée du
13 septembre 1759 vit des bataillons d’infanterie par feu de salves, sans que les canons
fussent utilisés. Mais la conquête du champ de bataille mettait la ville de Québec en
première ligne. Si l’absence de direction ferme et de vivres pour la population fut
déterminante dans la décision de se rendre, l’insuffisance des fortifications joua
également son rôle. L’année suivante lorsque, venue de Montréal, la petite armée
commandée par Lévis approcha de Québec, elle dut d’abord combattre à Sainte-Foy.
Avec les moyens du bord, Lévis avait constitué une petite artillerie, constituée
essentiellement de pièces de marine montées sur des affûts de navires. Les redoutes
construites par les Britanniques en avant des murs de Québec rendaient très difficiles
l’approche de la ville54. Lévis put seulement commencer le 29 avril les travaux de
tranchée autour de la place et le siège de Québec commença à un rythme très ralenti :
faute de poudre, il ne pouvait plus tirer à partir du 12 mai que 20 coups par jour.
L’absence de mortiers, comme de munitions suffisantes, rendait impossible la conquête
de la ville dont le siège fut abandonné avec le retour de la navigation sur le fleuve. Tous
les forts le long du Richelieu furent abandonnés devant l’avancée britannique et
Montréal se rendit.
14 Dans la conquête des Antilles, on retrouve de manière plus évidente la spécificité de
l’utilisation de l’artillerie outre-mer, c’est-à-dire l’alliance de la Marine et de l’armée de
Terre dans des opérations combinées qui procuraient à l’artillerie la mobilité qu’elle
n’avait pas sur les champs de bataille en Europe. Portés par les vaisseaux, ou débarqués
à l’immédiate proximité de leur utilisation, les canons s’avéraient être d’une grande
efficacité. Dans l’attaque de la Guadeloupe, le débarquement fut précédé d’une
démolition méthodique des batteries côtières le 23 janvier 1759 autour du bourg du
François. La panique s’empara des troupes et les milices abandonnèrent dans une
grande confusion leurs retranchements, et dans la foulée le fort Saint-Charles fut
évacué. Les Britanniques purent alors procéder à un débarquement en bon ordre. À la
Martinique, on retrouve le même plan d’opération. Le 16 janvier 1762, toutes les
batteries disséminées autour du Fort Royal, de la Pointe-aux-Nègres à la Case-Navire,
furent canonnées : les redoutes et les batteries y furent systématiquement « détruites et
cassées » par le feu des vaisseaux embossés55. Le 17, à la Case Pilote, le débarquement fut
entrepris : « La canonnade et le bombardement qui précédèrent la descente furent terribles
quant au bruit […]. Les postes exposés au feu des vaisseaux ne purent tenir ; ils furent bientôt
écrasés »56. Les défenseurs se replièrent à l’intérieur des terres. Une première ligne de
défense fut néanmoins établie : on eut la désagréable surprise de voir des canons se
porter contre les tranchées qui furent peu à peu désertées. Commença alors le siège du
principal fort de l’île, le fort Saint-Louis à Fort Royal. La position était mauvaise,
surmontée par au moins trois mornes depuis lesquels, progressivement à partir du 28,
des batteries commencèrent à tirer.57 En sept jours de siège, 17 canons sur 31 crevèrent
et 23 affûts furent brisés. Les miliciens, comme les flibustiers, désertèrent en masse.
Certains canons n’étaient plus servis que par des officiers et quelques soldats
malhabiles. Le 4, un conseil de guerre unanime accepta la reddition, la garnison étant
autorisée à sortir drapeaux déployés et avec ses armes. On dénombrait 60 tués,
120 blessés, tandis que 300 hommes étaient attaqués de dysenterie. La conquête de l’île
put continuer désormais sans difficultés.
colonies à celui de son Corps Royal de l'Artillerie en France et remplacer les compagnies de
canonniers-bombardiers employés à faire ce service par un régiment et deux compagnies
d'ouvriers ». Le régiment se composait de 5 brigades de 4 compagnies chacune. Aux
20 compagnies de canonniers venaient s’adjoindre 2 compagnies d'ouvriers. Le colonel,
le lieutenant-colonel directeur, un ou deux chefs de brigade ainsi que le quartier-
maître trésorier restaient en France. Trois brigades d’artillerie étaient affectées aux
colonies tandis que les deux autres brigades restaient à Lorient, comme compagnies de
dépôt.
18 Les premiers hommes du régiment furent tirés, pour 542 d'entre eux, du corps royal
d'artillerie, tandis que les compagnies de bombardiers-canonniers coloniaux, furent
incorporées directement dans les brigades d'outre-mer. Le service outre-mer d’une
brigade devait être limité à 4 ans avant son retour à Port-Louis, près de Lorient. Le
premier colonel du régiment, Du Puget d’Orval84 entreprit aussitôt une inspection des
Antilles et en Guyane85. Dans cette colonie comme ailleurs, les artilleurs étaient une
troupe d’élite86. On leur faisait faire un entraînement particulier avec « les exercices de
canon de siège, de bataille et de mortier »87. L’éventail des matériels cités démontrait
comment on entendait utiliser l’artillerie à l’avenir, pour un usage essentiellement
terrestre. La création du corps royal d’artillerie des colonies n’était qu’une étape par
rapport à l’administration de la Marine puisqu’en 1786, on décida que l’artillerie dans
les ports, les forges et les arsenaux « ne seraient plus remplis à l'avenir par des officiers de
vaisseaux, et voulant préposer aux dites fonctions, ainsi qu'aux travaux des forges, fonderies, et
manufactures d'armes appartenant à la marine, des officiers tirés du corps royal de l'artillerie
des colonies »88. Singulier retournement de situation dans la hiérarchie entre les troupes
coloniales et le corps des officiers de vaisseau.
Conclusion
19 Qu’est-ce que la guerre aux colonies ? Sénarmont a laissé un récit vivant de la bataille
de Cuddalore (Goudelour) en Inde, le 13 juin 178389. Deux petites armées européennes
renforcées de contingents de Cipayes se faisaient face. L’armée britannique regroupait
5 000 Européens et 11 à 12 000 Cipayes et plus de 80 pièces d’artillerie. En termes
opérationnels, les armées avaient dû s’adapter. On avait ainsi trouvé 1 700 bœufs pour
tirer la cinquantaine de pièces françaises, et il fallait par exemple « 80 paires de bœufs sur
une pièce de 24, 40 paires sur une pièce de 12, le reste à proportion […] ». Le combat
commença avec l’ouverture du feu par une batterie de 60 canons rassemblée par les
Britanniques qui montèrent ensuite à l’assaut en 5 colonnes. Les artilleurs français,
utilisèrent des cartouches à balles qui décimèrent les assaillants, jusqu’à ce que la
brigade d’Austrasie contre-attaque à la baïonnette.
20 L’artillerie aux colonies eut longtemps un rôle secondaire, mais quand à l’occasion de la
guerre de Sept Ans on se rendit compte que les Britanniques s’étaient affranchis de la
distance pour en faire une utilisation régulière, il fallut bien changer les usages et
penser à une autre forme de guerre dans laquelle les sièges de ville ou les batailles
seraient à l’image de ce qui se passait en Europe, tandis que des menaces spécifiques
planaient sur les colonies, comme les débarquements d’assaut ou le transport par voie
maritime sans la contrainte des charrois, de pièces à proximité immédiate de leur
utilisation. Passer au cours du XVIIIe siècle des canonniers de la Marine aux canonniers-
bombardiers, puis au corps royal de l’artillerie des colonies, montrait bien l’importance
accrue de cette arme pour la défense des possessions coloniales. Toutefois, l’artilleur
était rare et quand la France se retrouva directement menacée d’invasion, le 8 e
régiment d’artillerie90 (nouveau nom de l’artillerie coloniale à partir de 1791), fut
rappelé en France et durant la Révolution et l’Empire, on n’eut plus que des
détachements forcément insuffisants de l’artillerie de France. L’artillerie coloniale dut
être recréée au XIXe siècle au moment de la reprise de l’expansion coloniale : l’épopée
des « bigors » commençait.
NOTES
1. Service historique de la Défense (SHD), Marine,Vincennes (Vinc), 50 G 2, Mémoire pour le comte
de Lally […],Paris, de l’imprimerie de Guillaume Desprez, 1766, page (p.) 158.
2. Archives nationales (AN), Marine, B, 2, 30 folio (f o) 152, lettre du Roi à monsieur de Baas du 24
mars 1674.
3. Michel de Lombarés, Histoire de l’artillerie française, Paris, Lavauzelle, 1984, p. 144.
4. Frédéric Naulet, L’Artillerie en France (1665-1765). Naissance d’une arme, Paris, Économica, 2002,
p. 291.
5. Michel Depeyre, Tactiques et Stratégies Navales de la France et du Royaume-Uni de 1690 à 1815, Paris,
Économica, 1998.
6. Louis-Philippe de Ségur, Mémoires, ou souvenirs et anecdotes, Bruxelles, 1825, p. 213.
7. Sam Willis, Fighting at Sea in the Eighteenth Century: The Art of Sailing Warfare, Woodbridge,
Boydell Press, 2008.
8. Louis Armand de La Hontan Nouveaux voyages dans l’Amérique septentrionale, La Haye, L’Honoré,
1703, tome (t.) I, lettre XIX.
9. Julien Delauney et Albert Guittard, Historique de l’artillerie de la Marine, Paris, Dumoulin, 1889.
10. Archives nationales (AN), Marine, B, 2, 3, fo 13-14.
11. Jean Peter, Les Artilleurs de la Marine sous Louis XIV, Paris, Économica, 1995, p. 49.
12. Jean Boudriot, « Les bombardiers de la Marine », Neptunia, 1975/3, n o 119, p. 1.
13. Didier Neuville, État sommaire des archives de la Marine antérieures à la Révolution, Paris,
Beaudouin, 1898, p. 423.
14. AN, Marine, G, 128, « Mémoires de Rodier et Truguet » pour Berryer, 1761, f o 25.
15. François Joseph Du Bouchage, Mémoire sur l’organisation des troupes et de l’artillerie de la Marine,
Paris, Bouchard, 1791.
16. Ibidem (Ibid.), p. X.
17. Jean-Baptiste Labat, Voyages aux îles, [Paris, édition Phébus, 1993, p. 391].
18. SHD, Marine, Rochefort (Ro), 1R,17/19; et AN, Col, B, 46 f o 28.
19. SHD, Marine, Ro, 1R, 17/21, Mémoire du 8 juillet 1726.
20. SHD, Marine, Ro, 1R19 /6 et /7.
21. SHD, Marine, Ro, 1E, 121, fo39, lettre du ministre à l’intendant de Rochefort du 13 juillet 1734.
22. SHD, Marine, Ro, 1E, 121 f o 363 lettre du ministre à l’intendant de Rochefort du 19 octobre
1734.
23. Laurence Verrand, « Fortifications militaires de la Martinique », Journal of Carribean
Archaelogy, 1/2004, pp. 11-28.
24. SHD, Archives de la Guerre (AG), 1M, 1107, « État général des forts et batteries, des bouches à
feu et des affûts qui sont sur ycelles ou serrées dans les magasins…. », du 1 er mai 1784, Le Bon, f o
49.
25. Boris Lesueur, Les Troupes coloniales sous l’Ancien Régime, thèse de doctorat, Tours, 2007.
26. Aujourd’hui île du Cap Breton, au large de l’estuaire du Saint-Laurent.
27. Service historique de la Défense à Rochefort, MR 1E, 132, f o 141, lettre du ministre à
l’intendant du 21 décembre 1740.
28. AN, Marine, G, 52, « Faits et décisions de l’administration des colonies ». Décision du 13 avril
1740, fo 310.
29. AN, Col, A, 7, fo 4 et 5
30. AN, Col, A, 21, fo 205.
31. Dictionnaire biographique du Canada, Québec, Presse Universitaire de Laval, t. IV, p. 497. Le
Mercier, fils d’un lieutenant-colonel au régiment d’Agenois, y devint sous-lieutenant avant d’être
réformé. Il passa au Canada en 1740 comme cadet et enseigne en second en 1743. Attaché au
service de l’artillerie de Québec, il fut promu aide d’artillerie en 1748. Il revint en France pour
compléter sa formation à Metz en 1750. Lieutenant d’artillerie puis capitaine en 1753, il fit toute
la guerre de Conquête.
32. Louis Élie Médéric Moreau de Saint-Méry, Lois et Constitutions de l’Amérique, Paris, Quillau,
1784-1790,
t. III, fo 840
33. Service historique de la Défense à Rochefort, MR 1R/14.
34. AN, Col, D, 2C,3, « Expéditions concernant les officiers des colonies ».
35. Philippe Haudrère, L’Empire des Rois (1500-1789), Paris, Denoël, 1997, p. 291.
36. Service historique de la Défense, bibliothèque de Vincennes, VI-SH 248, « Pièces concernant
l’affaire de Saint-Louis », fo 438 vo lettre datée de Saint-Omer du 13 février 1750 écrite par de
Fourcray de Ramecourt, pour la défense de son frère officier d’artillerie.
37. Ibid., fo 468 vo, Lettre du maréchal de Noailles au ministre de la Marine, copie de la lettre du
maréchal de Noailles à Rouillé signée Guignard du 25 mars 1750.
38. Anne Blanchard , Dictionnaire des ingénieurs militaires 1691-1791, Montpellier, [L’auteur], 1981,
p. 554. Né à Douai en 1721, il servit d’abord au Quesnoy sous les ordres de son père. Après avoir
fait la campagne des Pays-Bas en 1744-1748, il fut envoyé à Saint-Domingue en 1750 où il resta
directeur des fortifications jusqu’en 1772. Il dressa de nombreux plans de fortifications pour la
colonie pour la plupart non réalisés.
39. Service historique de la Défense, GR Y B 685, fo 31. Louis Franquet avait été reçu dans le corps
des fortifications en 1720, il participa à différentes campagnes en Flandres, en Italie et sur le
Rhin. La 2e partie de sa carrière se déroula en Amérique du Nord ; il fut fait prisonnier à
Louisbourg en 1758.
40. Henry Raymond Casgrain (éditeur), Relation des journaux de différentes expéditions de 1755 à 1760,
Québec, Demers et Frère, 1895, « Journal de l’attaque de Beauséjour », par Jacau de Fiedmont,
p. 43.
41. H. R. Casgrain (éd), Extrait des archives des ministères de la Marine et de la Guerre,p. 153,
« Mémoire sur l’artillerie du Canada », octobre 1755.
42. Ibid., p. 158, « Inventaire des munitions et d’artillerie ».
Ibid., p. 153, « Mémoire sur l’artillerie du Canada ».
43. Ibid., p. 174, « État de ce qui est nécessaire d’envoyer de France par les premiers
vaisseaux […] ».
44. Service historique de la Défense à Rochefort, MR 1E, 154 f o 151, octobre 1755, « État sommaire
[…] des quantités de canon à faire passer à Brest, à Toulon, et aux colonies ».
45. Louis Susane, Histoire de l’Artillerie française, Paris, Hetzel, 1874, p. 178-179 .
46. Carl von Decker, Batailles et principaux combats de la guerre de Sept Ans, considérés principalement
sous l’emploi de l’artillerie avec les autres armes, Paris, Corréard, 1839, pp. 107-108.
47. AN, Col, C, 11C, 10, « Liste des régiments employés au siège de Louisbourg […] », f o 20 vo.
48. Louis Antoine de Bougainville, Écrits sur le Canada (Mémoires, journal, lettres), Sillery-Québec,
Pélikan et Klinksieck, 1993, « Mémoire sur la position des Anglais et des Français dans l’Amérique
septentrionale […] », p. 61.
49. AN, Marine, B, 4, 80, f o 75, « Avis de M Les capitaines mis au bas de la lettre de M le marquis
Desgouttes ».
50. AN, Col, C, 11C,10, f o 239, « Joint à la lettre de M le chevalier de Drucour, capitaine de
vaisseau cy devant gouverneur de l’Île Royale » du 5 février 1762.
51. H. R. Casgrain (éd.), Journal du marquis de Montcalm durant ses campagnes en Canada de 1756 à
1759, Québec, Démers, 1895, p. 385.
52. H. R. Casgrain (éd), Journal du chevalier de Lévis, Beauchemin, Québec, 1889, p. 98.
53. Ramezay, Mémoire du sieur de Ramezay, « Campagne du Canada depuis le 1 er juin jusqu’au 15
septembre 1759 « Société littéraire et historique de Québec, 1861, p. 17.
54. H. R. Casgrain (éd.), Journal du Chevalier de Lévis, op. cité, p. 268. « État général des officiers et
soldats tués ou mort de leurs blessures ou blessés à la bataille du 28 avril, au siège de Québec ».
55. AN, Col, C, 8A, 64-65, « Instruction juridique pour le fait de la défense et la reddition de la
Martinique » fo 241. Au sujet de la batterie de la Case Navire le capitaine de Suze des grenadiers
royaux évoquait un « feu d’artillerie et de bombardes qui imitait le feu d’une mousquetterie bien nourrie
» [sic].AN Col C, 8A, 64-65 fo 182 suivant, « Mémoire du siège » par M de Suze capitaine des
grenadiers royaux adressé à M de Choiseul le 12 août 1762.
56. AN, Col, C, 8A, 64-65 f o 110 et suivants, La Rivière le 5 août 1762. « Mémoire sur la prise de la
Martinique, contenant les détails demandés par M le duc de Choiseul ».
57. AN, Col, C, 8A, 64-65, Ligneris, « Journal du siège de la Martinique », f° 205.
58. Pierre Nardin, Gribeauval, lieutenant général des armées du Roi (1715-1789), Paris Les Cahiers de la
fondation pour les études de la défense nationale, no 24, 1982.
59. Voir Charles Tronson du Coudray, L’ordre profond et l’ordre mince, considérés par rapport aux
effets de l’artillerie, Metz et Paris, Ruault, 1776.
60. Edme Jean Antoine Du Puget d'Orval, Essai sur l'usage de l'artillerie de la guerre de campagne et
celle de siège, Arkstee en Merkus, Amsterdam, 1771.
61. Ernest Picard et Louis Jouan, L’Artillerie française au XVIII e siècle, Nancy, Berger-Levrault, 1906.
62. Service historique de la Défense, GR 1M 1105 pièce 23 F o-3 « Extrait du procès verbal du
conseil de fortification tenu à la forteresse de Fort Royal à l’Isle de la Martinique en exécution des
ordres du Roy du 4 avril 1764 ».
63. Service historique de la Défense, bibliothèque de Vincennes, VI-SH 42, « Traité de défense
des colonies », fo 60 vo.
64. Service historique de la Défense, GR 1YE 2672.
65. Service historique de la Défense, bibliothèque de Vincennes, VI-SH 243, f o 199.
66. Service historique de la Défense à Rochefort, MR 1A26, 1761, f o 649, le ministre au
commandant du port de Rochefort 9/12/1761.
67. AN, Col, A, 9, fo 35.
68. AN, Col, A, 17, fo 15.
69. AN, Col, A, 17, fo 28.
70. AN, AD, VII, 9, 46, ordonnance du 3 mars 1781.
71. AN, Col, A, 12 fo 107 et A, 13, fo 12.
72. AN, Col, A, 15, fo 36.
73. AN Col, A, 18, fo 16.
74. AN, Col, D, 2C, 92.
75. Moreau de Saint-Méry, op. cité, t. V, p. 423.
76. Service historique de la Défense à Rochefort, MR 1R, 3, « Extrait du registre des règlements et
ordonnances tenues au contrôle de la Marine à Rochefort », 15 mars 1780, « Ordonnance du Roi
portant établissement d’une école d’artillerie au dépôt des recrues des colonies à l’île de Ré ».
77. Ernest Picard et Louis Jouan, L’Artillerie française au XVIII e siècle, Nancy, Berger-Levrault,1907,
p. 33.
78. Senneville, Macors, D’Herville, Mémoire concernant le Corps-Royal de l’artillerie des colonies, Paris,
Devaux, 1790.
79. Louis François Tillette de Mautort, Mémoire du chevalier de Mautort, Plon, 1895, p. 278.
80. Service historique de la Défense, GR 1M 1740, 235, « Mémoire concernant le corps royal de
l’artillerie des colonies », Paris, Devaux, p. 6.
81. Capitaine Basset, « La formation du corps royal d’artillerie des colonies », Revue d'artillerie,
mars 1932, pp. 236-261 et pp. 329-339, [ p. 334]. Et « La formation du Corps Royal de l'artillerie des
colonies », Revue d'histoire des colonies françaises, no 225, juillet 1937, pp. 333-349.
82. Service historique de la Défense, GR 1W 61, 7, « Observations de M de Gribeauval sur le
mémoire que Monsieur le Maréchal de Castries lui a fait l’honneur de lui adresser le 31 mars
dernier ».
83. Service historique de la Défense, GR 1W 1W, 61, 8.
84. Service historique de la Défense, GR YB 667.
85. AN, Marine, D, 4, 9.
86. Olivier de Prat, « L’état de l'artillerie des Îles et des colonies françaises d’Amérique en 1785 »,
Neptunia, no 10, 2/ 1948, pp. 17-20.
87. AN, Marine, D, 4, 6.
88. Service historique de la Défense, bibliothèque de Vincennes, 10518, « Ordonnance du 1 er
janvier 1786 », signée de Castries, p. 2.
89. Service historique de la Défense, GR 3W 148, chemise Pondichéry. Lettre de Sénarmont du 8
septembre 1783.
90. Ce régiment d’artillerie, aujourd’hui à Commercy, sera dissous en juin 2013.
RÉSUMÉS
La guerre aux colonies connaît une profonde transformation au XVIII e siècle. Jusque-là, on s’était
contenté d’accumuler les canons pour reproduire les batteries que la Marine connaissait et pour
lesquels il n’existait pas réellement de personnels spécialisés. La guerre de Sept Ans marque
cependant une rupture brutale, puisque les Britanniques introduisent non seulement les
méthodes de guerre à l’européenne dans les sièges des villes coloniales, mais utilisent en outre
leur supériorité navale pour appuyer des débarquements d’assaut et pour transporter l’artillerie.
Ces transformations dans l’art de la guerre aux colonies expliquent l’apparition d’un personnel
de plus en plus spécialisé, depuis les canonniers-bombardiers jusqu’au Corps royal d’artillerie
des colonies.
War in the colonies underwent a profound transformation in the eighteenth century. Until then,
one had merely to accumulate guns to reproduce the batteries with which the Navy were familiar
and for which there were no actual specialized personnel. The Seven Years’ War, however,
marked a sharp break, since the British introduced not only methods of European war in the
sieges of colonial cities, but also used their naval superiority to support assault landings and
transport artillery. These transformations in the art of war explain the appearance of
increasingly specialized colonial personnel, from gunboat-cannoneers to the colonial Corps of
Royal Artillery.
INDEX
Mots-clés : Ancien Régime, artillerie, Empire colonial
AUTEURS
BORIS LESUEUR
Docteur en histoire et chercheur associé auprès du laboratoire AIHP de l'université des Antilles et
de la Guyane. Il poursuit ses travaux sur l'aspect militaire de la colonisation française.
Julie d’Andurain
Traduction : Robert A. Doughty
1 Comme leurs équivalents métropolitains, les troupes coloniales de la fin du XIXe siècle
connaissent des divisions d’armes parmi lesquelles on distingue l’infanterie de marine
de l’artillerie de marine. Pour des questions qui tiennent autant à leur infériorité
numérique qu’aux rivalités d’armes, les seconds sont moins bien connus que les
premiers. Si dans le langage argotique des écoles militaires le « bigor » désigne
l’artilleur de marine (du soldat à l’officier), l’abréviation du terme de « bigorneau »
cherche surtout à traduire la propension des artilleurs coloniaux à s’accrocher à leurs
positions tout comme le ferait le crustacé sur son rocher, la position statique du
« bigor » faisant initialement référence au positionnement de l’artillerie côtière tandis
que les « marsouins » – les hommes de l’infanterie de marine – étaient censés
descendre à terre. Sarcastique et quelque peu railleur, le terme renvoie aussi aux
modes de sélection des artilleurs de marine recrutés essentiellement dans les derniers
classés des polytechniciens, obligés dès lors de renoncer aux grands corps de l’État, les
prestigieux Mines ou Ponts-et-Chaussées. Il n’en reste pas moins qu’au milieu du XIXe
siècle, ces candidats sont des « X » et qu’à l’issue d’un concours particulièrement
sélectif suivi de deux années d’école, ils reçoivent un enseignement qui va en se
complexifiant et leur assure un déroulement de carrière d’autant plus intéressant que
l’expansion coloniale agrémente bien des parcours professionnels.
2 En s’appuyant sur l’examen des dossiers professionnels des bigors passés par
Polytechnique entre 1870 et 1910, l’analyse prosopographique d’un échantillon de 671
carrières1 permet non seulement de donner une première vision globale du groupe des
artilleurs de marine mais d’en restituer également les enchevêtrements multiples 2.
Introduction à des travaux ultérieurs, cette étude autorise la mise au jour d’un milieu
4 Pour relatif qu’il soit, ce besoin de créer un nouveau corps d’officiers spécialisés
s’explique essentiellement par l’expansion coloniale qui nécessite l’envoi outre-mer
d’officiers chargés d’ouvrir des routes, de construire les postes, d’accompagner le
processus de développement du chemin de fer, bref de participer à l’élaboration des
premières infrastructures coloniales. L’observation du graphique sur le recrutement
des bigors à Polytechnique montre à l’évidence l’étroite corrélation existant entre la
conquête coloniale et la formation de ce grand corps de l’État. En 1873, alors que
l’armée amorce son effort de relèvement après Sedan, le nombre des bigors est
multiplié par quatre, passant à 13 candidats pour une promotion totale de 250 hommes.
Ensuite, jusqu’en 1901, leur nombre ne cesse d’augmenter régulièrement. Un premier
accroissement significatif a lieu entre 1880 et 1884, période où les parlementaires
opportunistes favorables à l’expansion coloniale – Gambetta puis Ferry sont au pouvoir.
À partir de 1882, Polytechnique affecte près de 20 candidats à l’artillerie de marine au
moment où le gouvernement lance les premières grandes campagnes soudanaises.
Après une petite décroissance de 1884 à 1890 qui correspond en réalité à une période de
fortes hésitations politiques7, les recrutements reprennent une phase ascensionnelle.
Entre 1890 et 1900, temps fort de la « course au clocher », les bigors représentent
toujours plus de 20 officiers par promotion, le maximum étant atteint en 1900 avec
38 aspirants recrutés. Le reflux s’opère dès 1901 sitôt la conquête de la boucle du Niger
achevée8. En 1909, les bigors ne sont plus que 8 officiers à Polytechnique sur une
promotion de 187 hommes (soit 4,2 ). Globalement, indépendamment des flottements
politiques des années 1880 et 1885-1886, il existe donc bien une réelle politique de
recrutement d’artilleurs de marine à Polytechnique. Entre 1872 et 1909, ils sont ainsi
671 officiers à être recrutés.
5 Ces jeunes aspirants viennent de toutes les régions de France, mais une étude de leur
répartition géographique9 fait apparaître d’emblée deux faits majeurs qui corroborent
au moins partiellement les analyses réalisées autrefois par William Serman pour les
officiers du Second Empire10. D’abord, elle confirme que les provinces de l’Est de la
France constituent véritablement des « terres à soldats » et montre d’autre part que les
modalités du recrutement des polytechniciens avantagent les citadins. La répartition
cartographique de l’origine géographique des bigors recrutés à Polytechnique
démontre en effet très clairement l’importance de la partie orientale de l’hexagone. On
peut soit dresser une ligne verticale séparant le territoire en deux parties inégales, soit
appréhender la carte de façon kaléidoscopique pour saisir l’importance de l’est et de
l’ensemble du couloir rhodanien tout en trouvant une correspondance atlantique qui,
exception faite de quelques départements – Côtes-du-Nord et Morbihan, Vendée et
Deux-Sèvres – fournissent aussi des recrues. Si on choisit de construire sur la carte de
France un arc de cercle allant du Nord à l’Ain en passant par Paris, c’est plus de la
moitié des candidats (322 sur un total de 610 personnes recrutées de métropole) qui
proviennent ainsi du grand est. En regard, le grand ouest français dépêche moins de
100 bacheliers. Sur l’ensemble des 90 départements, Paris et le département de la Seine
fournissent 79 bigors à Polytechnique. La capitale précède de très loin le département
de l’Aisne (16 candidats), ceux du Rhône et de la Côte-d’Or (14), celui des Ardennes (13),
la Seine-et-Marne (12), les départements du Nord, Meurthe-et-Moselle, Meuse et les
Bouches-du-Rhône (11). À l’inverse, une très grande et très large transversale allant du
Calvados à l’Aveyron semble déjà dessiner ce que les géographes appelleront par la
suite la « diagonale du vide » qui court de la Normandie au « désert français » plus au
sud. Cette ligne dessine les contours d’une France des terroirs éloignée des grandes
agglomérations ou des grands centres économiques. Enfin, sans pouvoir évoquer le cas
des 32 individus dont on ne connaît pas le lieu de naissance, une partie des recrutés
provient de l’étranger (Belgique, Chili, Maroc) et de l’outre-mer français mais dans des
proportions infimes11. Manifestement il semble nécessaire de lier ces résultats à
l’importance du rôle joué par le fait urbain sur le recrutement des candidats, car outre
les Parisiens, les jeunes gens nés dans les grandes villes de France – Lyon, Marseille,
Bordeaux – sont largement avantagés par rapport aux provinciaux. Quant à ces
derniers, il apparaît clairement qu’ils appartiennent déjà à une bourgeoisie moyenne
qui a cherché à consolider ses acquis par l’envoi de ses fils dans des écoles
prestigieuses.
6 La profession des pères des candidats permet de déterminer les origines sociales de
cette « France des capacités » et de saisir également les stratégies d’ascension sociale
passant Polytechnique. Cependant la classification des bigors par groupe
socioprofessionnel d’origine (c'est-à-dire selon le métier du père) reste délicate dans la
mesure où il existe toujours une possibilité de classement multifactoriel. Ainsi un
officier supérieur appartiendra-t-il à une élite professionnelle sans entrer
véritablement dans la catégorie des notables, à moins de devenir, en cours de carrière,
un officier général ; à l’inverse un nom à particule adossé à la mention de « fils
d’employé » ne renseignera guère que le niveau social du jeune bigor et de sa famille.
pour l’artillerie de marine, ce choix étant clairement attesté par leurs classements de
sortie de l’École15. Ces mobilités intergénérationnelles ou intrafamiliales se doublent
aussi parfois d’un tropisme géographique16, mais, en réalité celles-ci semblent surtout
constituer un point d’étape dans un processus de construction de carrière qui prend sa
source en amont17, dans les demandes de bourses et la sélection des établissements
scolaires.
8 À l’évidence, il existe des stratégies sur plusieurs niveaux, la première d’entre elles
consistant à pouvoir faire effectuer de bonnes études aux jeunes garçons de façon à ce
qu’ils intègrent Polytechnique. Deux facteurs semblent alors déterminants : le type de
baccalauréat obtenu et le lieu où les études secondaires ont été réalisées. Le
baccalauréat constitue à l’évidence le sésame indispensable pour tenter les concours de
l’enseignement supérieur. Sanctionnant la fin des études secondaires, il se divise alors
en deux grands groupes – le bac ès lettres ou bac ès sciences – l’un n’excluant pas
l’autre puisqu’il est possible pour les meilleurs élèves de passer les deux « bachots ».
Globalement, il apparaît tout à fait clairement que les bacheliers scientifiques sont
surreprésentés par rapport aux littéraires mais les étudiants brillants, c'est-à-dire
capables d’obtenir les deux examens, représentent tout de même près de 24 % de notre
échantillon. Cela leur donne un sérieux avantage dans la compétition puisqu’un apport
de quinze points supplémentaires est accordé aux candidats en possession du
baccalauréat ès lettres. Cependant, au fur et à mesure des années, le poids du pré requis
scientifique s’affirme justifiant le choix de la lettre X pour désigner tout
polytechnicien. L’échantillon étudié montre la consécration du baccalauréat
scientifique comme sésame indispensable pour tenter Polytechnique, le tournant
s’opérant avant la fin du XIXe siècle. Quant aux lieux d’études fréquentés avant l’entrée
à Polytechnique, le Prytanée constitue à l’évidence une sorte de sas entre les familles et
l’école de la rue Descartes car près d’un quart des élèves (26,31 %) sont passés par
l’école de La Flèche. Réorganisée sous le Second Empire de façon à accueillir les fils
d’officiers sans fortune ou, dans des proportions moindres, les fils de sous-officiers
morts au champ d’honneur, elle accueille chaque année 300 boursiers et 100 demi-
boursiers entretenus aux frais de l’État18. Viennent ensuite les grands établissements
parisiens qui font apparaître une nette prédominance du Quartier latin avec les lycées
Saint-Louis, Sainte-Geneviève, Louis-Le-Grand, les collèges Sainte-Barbe, Chaptal,
Stanislas et Rollin. Globalement, le poids de Paris est surdéterminé avec un ratio de 10 à
1 par rapport aux lycées de province où on trouve en tête, sans surprise, les lycées de
Lyon, Marseille et Bordeaux. Mais l’importance des structures sociales et scolaires
héritées du XIXe siècle ou le poids des héritiers19 sont largement contrebalancés par
l’importance des élèves boursiers.
10 « Nul n’est admis à l’école que par la voie du concours », telle est la règle qui s’applique
à l’entrée de l’école mais qui donne aussi le ton des deux années au cours desquelles le
jeune polytechnicien est régulièrement soumis à des examens et constamment classé.
Le concours d’entrée réservé aux « Français ou naturalisés Français, vaccinés ou ayant
eu la variole, âgés de 16 ans au moins et de 21 ans au plus 23» autorise le jeune diplômé à
connaître d’emblée son classement, ce qui lui permet de se situer relativement à ses
camarades. À l’issue de la première année, il est de nouveau classé au regard des notes
obtenues, celles-ci prenant en compte à la fois la maîtrise des matières scientifiques
(mathématiques, physique et chimie), mais également les aptitudes physiques, le
comportement et la tenue à l’École, laquelle est soumise à un règlement de corps de
troupe. Les élèves qui réussissent les examens de la fin de la première année sont
nommés sous-lieutenants, leur ancienneté étant déterminée par leur numéro de
classement. Ils sont naturellement astreints à un concours de sortie également classant
à l’issue duquel ils sont affectés à l’École d’application en qualité de sous-lieutenants
élèves. Ainsi, sur deux ans de scolarité, confrontés en permanence les uns aux autres, les
aspirants ont été classés au moins trois fois. Il ne saurait y avoir émulation plus grande,
à la fois sur un plan intellectuel et sur un plan physique car tout est compté y compris
l’allure et la taille du candidat24 ; si les dossiers permettent de s’assurer qu’elle joue un
rôle marginal lors du recrutement initial, la taille de la majorité des candidats bien
classés se situe tout de même souvent au-dessus d’un 1,70 mètre. Manifestement, il
convient ici de lier ensemble allure et charisme lesquels se déterminent souvent selon
des critères physiques.
11 En matière de sociologie historique, la grande question consiste à savoir si les bigors
ont réellement été les « plus mal classés d’X », autrement dit s’ils apparaissent d’emblée
comme les « enfants terribles » des écoles militaires 25. On doit reconnaître que, au
moins pour le début du renouveau colonial, les candidats à l’artillerie de marine sont
recrutés essentiellement en fin du classement, mais une analyse plus fine invite à
revoir l’image du bigor porteur du bonnet d’âne ou frondeur. Relativement à la
population française, l’entrée à Polytechnique constitue en elle-même une sélection
qualitative de très haut niveau ; en outre, nous avons affaire à une élite intellectuelle
soucieuse de faire carrière, ce qui par essence, limite les effets de la désobéissance. Par
ailleurs, un très grand nombre de candidats devenus bigors sont, à leur arrivée à l’X,
d’excellentes recrues mais basculent ensuite dans le peloton de queue en cours de
scolarité comme si l’adaptation à la mentalité militaire avait constitué un problème (cas
d’Archinard, X 1868 ; Civette, X 1897). On a également dans l’ensemble du groupe des
candidats qui sont bien classés et qui choisissent in fine l’artillerie de marine (Barbier, X
1883, Corteggiani X 1897 et Welfelé, X 1897). Autrement dit, l’image du bigor frondeur
et cancre n’est pas opératoire de façon systémique. Elle doit être relativisée et analysée
à l’aune du développement colonial car, si effectivement au début du processus de
conquête les polytechniciens ne se bousculent guère pour prendre les postes outre-
mer, ils changent d’attitude dès lors que la construction coloniale leur assure une
carrière intéressante. D’une façon générale, il faut considérer qu’après les années 1890,
tandis que l’on réfléchit activement à la formation d’une armée coloniale, le choix de
l’artillerie de marine n’est plus un choix par défaut. La profession devient davantage
synonyme de passion, de liberté relative et de possibilités d’avancement rapide. Enfin,
l’analyse prosopographique prouve également qu’il existe d’autres ressorts à l’origine
du choix colonial, l’endogamie familiale n’étant pas le moindre d’entre eux. Le père
n’est pas nécessairement toujours l’initiateur, un aîné ouvrant parfois la voie à la
création de véritables fratries polytechniciennes (les frères Dorido, Fourgeot, Bourély,
Gasquet). Toujours est-il que quelques familles constituent des dynasties comme les
Guibert apparentés aux Lancrenon ou les Jordan que l’on retrouve sur trois
générations.
1882) lié au général Godin, d’Eugène Lenfant (X 1888) proche du général Voyron ou de
l’artilleur Decœur (X 1876) qui, grâce à sa fonction d’officier d’ordonnance près du
ministre, obtient des missions d’explorations intéressantes auprès de Brazza. La
fonction d’ordonnance permet d’approcher les milieux décisionnaires et d’obtenir des
missions de grand intérêt. Dans certains cas cependant, quoique plus rares, elle
entraîne un avancement rapide comme pour Borschneck (X 1897) qui passe de
lieutenant à capitaine en moins de deux ans. En regard, le passage par l’École
supérieure de guerre apparaît comme un atout bien moins intéressant, l’ESG ne
permettant pas de garantir à l’impétrant une accession aux étoiles (Pierre Henry, X
1878, breveté en 1890, achève sa carrière avec le grade de colonel en 1912). Quant à la
Grande Guerre, son impact sur l’avancement des bigors est tout à fait relatif. Cela tient
à ce que le premier conflit mondial entraîne la disparition massive des officiers
subalternes (lieutenants, capitaines, chefs de bataillon) que l’on peine à remplacer. On a
donc besoin de les renouveler en quantité et c’est la raison pour laquelle la guerre ne
fait en réalité pas ou peu progresser les grades inférieurs. Addi par exemple (X 1897),
capitaine en 1908 finit la guerre comme commandant en 1919 ; il en va de même ou à
peu près pour le capitaine Bartre (X 1896). D’autres bénéficient d’un effet d’aubaine
avec la guerre, mais très mesuré. Capitaine en 1915, Bertrand (X 1903) passe
commandant en 1917, mais met ensuite quinze ans pour passer au grade suivant.
Certains n’avancent même pas du tout comme Blanchet (X 1902) qui reste capitaine
durant toute la période de la guerre alors même que son dossier note la qualité de son
service ; même chose pour Trocmé (X 1897) qui reste au grade de commandant pendant
le conflit ou de Schyry (X 1898), chef d’escadron à titre temporaire en 1916, qui
n’obtient son grade à titre définitif que huit ans plus tard. En réalité, pour les
coloniaux, seules les campagnes outre-mer sont déterminantes, particulièrement celles
qui bénéficient de la qualification « campagne de guerre ».
14 En dépit des vocables identitaires d’« Africains » ou d’« Indo-chinois » que les coloniaux
affectent de s’attribuer, tout indique que le monde colonial connaît une grande
hétérogénéité de parcours résultant d’une absence de spécialisation géographique.
Globalement, les bigors sont envoyés dans tous les points de l’empire indistinctement
et tous ou presque sont à un moment « Africain » avant de devenir un jour « Indo-
chinois », ces définitions intégrant d’ailleurs les nuances localisées de « Soudanais »,
« Sénégalais », « Marocains », « Algériens » ou « Tonkinois ». Certes quelques-uns
affectionnent visiblement davantage l’Afrique (Montané-Capdebosq, Walter), tandis
que d’autres préfèrent l’Asie (Thouard, Eugène Petit) mais il n’existe aucune volonté
politique de spécialisation des officiers par aires géographiques ou par capacité
linguistique37. Validé chaque année au mois de décembre à Paris par les services du
ministère de la Marine et des Colonies, puis par le ministère de la Guerre, le système
des « tours » prend en compte l’ensemble des hommes et applique à tous la même règle
du séjour réglementaire de 25 à 30 mois, des dérogations étant nécessaires au-delà de
cette durée. L’officier choisit selon deux critères essentiels : soit l’affectation dans les
vieilles colonies (Antilles, Réunion, Indes) où la vie est réputée calme et tranquille, soit
les nouvelles (Afrique et Indochine) où les dangers sont plus grands (maladie et
conquête) ce qui laisse espérer des possibilités d’évolution de carrière rapide. Il propose
NOTES
1. L’analyse prosopographique consiste à analyser plusieurs biographies d’une catégorie
spécifique de la société pour en restituer l’unité profonde.
2. Je me dois de signaler l’impulsion active et amicale du Conservateur du Musée des Troupes
d’Outre-Mer de Fréjus, le capitaine Éric Warnant et de son adjoint, le lieutenant Benoît Bodart,
qui m’ont laissée accéder aux brouillons de thèse de M. Baron restés en souffrance au CHETOM, le
Centre d’histoire et d’études des troupes d’outre-mer de Fréjus, après son décès. Je remercie
également le professeur Marc Michel de m’avoir autorisée à accéder aux documents de son
ancien étudiant.
3. L’autre partie étant constituée des officiers de l’infanterie de marine, les « marsouins », issus
de Saint-Cyr et infiniment plus nombreux. Ils constitueront le 2 nd temps de notre analyse.
Ensemble, marsouins et bigors forment les « troupes de marine ». Après la loi sur l’armée
coloniale de 1900, ils prennent le nom de « troupes coloniales ».
4. Les compagnies de la mer (1622) puis le corps royal de la Marine (1772) sont les ancêtres des
bigors.
5. Elle est réorganisée ensuite par décret du 13 mars 1894.
6. Alphonse Andréani, Les Écoles françaises civiles et militaires, programmes, études, titres, diplômes,
service militaire, dispenses, Paris, Berger-Levrault, 1891, p. 166.
7. C’est la période qui fait suite au désastre de Lang Son et correspond à l’éviction de Ferry le
« Tonkinois ».
8. Julie d’Andurain, La Capture de Samory (1898). L’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest,
Saint-Cloud, Soteca, 2012 (préface de Jacques Frémeaux, avant-propos du général Thorette).
9. Il s’agit du lieu de naissance du jeune officier qui correspond souvent au lieu de résidence du
père.
10. William Serman, Les Origines des officiers français, 1848-1870, Paris, Publications de la Sorbonne,
1979. Notre analyse diffère cependant de la sienne en ce que nous n’analysons pas la vocation des
officiers, mais leur faculté à être sélectionnés par Polytechnique. C’est davantage une étude sur
les capacités que sur les inclinations.
11. Pour des questions pratiques, nous avons comptabilisé l’Algérie comme un seul et unique
département français.
12. Dont on n’a pas toujours la précision sur le moment où il devient orphelin de père.
13. Parmi ces cinq femmes, deux d’entre elles semblent illustrer le cas d’amours ancillaires
(lingère, domestique) tandis que deux autres appartiennent à des catégories sociales
manifestement plus élevées.
14. À titre de comparaison, voir François-Joseph Ruggiu, « Tel père, tel fils ? La reproduction
professionnelle dans la marchandise et l’artisanat parisiens au cours des années 1650 et 1660 »,
Histoire, économie et société, 1998, n°4, p. 561-582.
15. C’est le cas de Breuilh, Paul Girard, Reibel (tous les trois X 1892), et Rocard (X 1900) qui
reproduisent le schéma paternel tandis que le modèle passe par des frères aînés (pour les Dorido
et les Bourély, déjà cités).
16. Né en outre-mer, Primet (X 1897) décide à l’évidence d’y retourner par son choix de devenir
bigor.
17. L’indication de la profession des grands-pères, parfois précisée, permet d’entrevoir un
processus de longue durée.
19. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers : les étudiants et la culture, Paris, Les
Editions de minuit, 1964.
20. Plus marginalement, 9 d’entre eux reçoivent une bourse et un demi-trousseau, et un seul
reçoit une demi-bourse et un demi-trousseau.
21. Adeline Daumard, « Les élèves de l’école Polytechnique de 1815 à 1848 », Revue d’histoire
moderne et contemporaine, juillet 1958, t. V, p. 226-234.
22. Olivier Ihl, « Hiérarchiser des égaux. Les distinctions honorifiques sous la Révolution
française », Revue française d’histoire des idées politiques, n°23, 2006, p. 35-54.
23. Dictionnaire militaire. Encyclopédie des sciences militaires rédigées par un comité d’officier de toutes
armes, tome I, Nancy, Berger-Levrault, 1898, p. 1007. Cela signifie aussi a contrario qu’il n’existe
pas de conditions de taille même si, dans les faits, les hommes recrutés font souvent plus d’un
mètre soixante-dix.
24. La loi du 27 juillet 1872 a établi un minimum de taille de 1,54 mètre. Ce minimum est
supprimé par la loi du 2 avril 1901.
25. Cette image provient de ce que l’on reproche souvent aux coloniaux d’avoir la « bride sur le
cou », image facile qui, d’une part, dédouane le pouvoir politique de ses propres responsabilités,
d’autre part ne prend pas en compte l’historicité du phénomène colonial. Si certains officiers
coloniaux ont effectivement pu bénéficier d’une large marge de manœuvre, celle-ci s’explique
souvent par la personnalité de l’impétrant et d’autre part par les faiblesses du pouvoir politique.
L’affaire Voulet-Chanoine, qui a servi à construire l’image du colonial affamé de gloire et
désobéissant, doit être analysée en ce sens. En tout état de cause, la désobéissance ou
l’indépendance ne sauraient être des traits caractéristiques de l’ensemble des coloniaux.
26. Après la guerre de 1870-1871, l’école qui avait été fondée à Metz s’installe à Fontainebleau où
elle tient garnison jusqu’en 1940. Entre-temps, l’artillerie a été séparée du génie en 1912 qui s’est
installé à Versailles.
27. Sorti 33 e sur 179 Polytechniciens en 1903 (après être entré 162 e sur 180), il s’était classé
premier parmi les artilleurs de marine et toujours premier à l’école d’application. Il décide de
démissionner en mai 1905 pour devenir élève-ingénieur des Ponts-et-Chaussées
28. Elles existaient ailleurs, mais apparaissent dans l’artillerie de marine en 1880-1882.
29. Le chiffre est peut-être un peu surévalué du fait de leur disparition de l’Annuaire ; la
difficulté à maîtriser les chiffres réside dans l’impossibilité de savoir ce que font les
démissionnaires après leur passage à l’armée.
30. La plupart du temps, ce basculement vers l’administration coloniale se fait sur la base
« d’emplois réservés » pour ceux qui ont au moins trois ans de grade et trois ans de séjour aux
colonies.
31. Les démêlés entre le colonel Humbert et le général Borgnis-Desbordes sont connus. Le
colonel Humbert démissionne en novembre 1896 afin d’écrire et de publier Pour la justice, plainte
officielle contre le général Borgnis-Desbordes adressée au ministre de la Marine (1898).
32. Il démissionne en 1906 après deux années au Tonkin, puis reprend du service comme
capitaine en 1915 et devient par la suite évêque d’Agen (1948).
33. Claude Lelièvre, « Bourses, méritocratie et politique(s) scolaire(s) dans la Somme, 1850-1914
», Revue française de sociologie, 1985, n°26-3, p. 409-429. Il faut également envisager la question de
la formation des troupes coloniales elles-mêmes, permise par la loi de juillet 1900 qui garantit
aux officiers coloniaux un avancement au moins équivalent à celui des métropolitains.
34. 55 officiers deviennent généraux, soit un peu plus de 8 % du corpus étudié. C’est faible en
regard des autres armes.
35. Plus connu sous le nom de Jean-Louis de Lanessan, son nom de plume en réalité.
36. Colonel Henry Charbonnel, De Madagascar à Verdun, vingt ans à l’ombre de Gallieni, Paris,
Karolus, 1962.
37. Au grand dam des coloniaux eux-mêmes. Un vieil officier tonkinois, « De la spécialisation des
officiers de l’armée coloniale », Bulletin du Comité de l’Afrique française, janvier 1911, n°118, p.
25-26.
RÉSUMÉS
Les bigors (surnom des artilleurs de marine) forment avec les marsouins (infanterie de marine)
les deux grands corps des officiers des troupes de marine qui prennent le nom de troupes coloniales
en 1900. Leur étude approfondie est justifiée par le fait qu’ils sont relativement méconnus en tant
que groupe social malgré la présence d’un fonds documentaire important au SHD. Or comprendre
les stratégies professionnelles des bigors et des marsouins permet de saisir l’évolution
intellectuelle et politique des officiers coloniaux, et par-delà une partie de la politique coloniale
de la France. L’approche prosopographique du corps des bigors pose la question de la formation
et des modalités de sélection des artilleurs de marine, de leur entrée dans le système de
l’enseignement secondaire à leur vie professionnelle. Portant sur 671 cas, cette étude montre
qu’une grande partie de ces hommes a su utiliser l’école de la III e République comme un
« ascenseur social ». Mais en dépit d’une formation de très grande qualité, d’un prestige acquis
par le passage par Polytechnique, d’une compétence réelle, leurs carrières correspondent
rarement à leurs attentes. La flamme coloniale de quelques uns ne compense pas la flemme
coloniale de la grande majorité d’entre eux, oubliés de la République.
The “bigors” [“sea snails”] (nickname of naval gunners) formed with “marsouins” [“porpoises”]
(marine infantry) the two large bodies of naval troop officers who took the name of colonial
troops in 1900. Studying them is justified by the fact that they are relatively unknown as a social
group, despite the presence of significant holdings in SHD. Yet understanding the professional
strategies of bigors and marsouins captures the intellectual and political evolution of colonial
officers, and thereby part of the colonial policy of France. The prosopographic approach for the
corps of bigors poses the question of training and selection procedures of the Navy’s gunners,
their entry into the system of higher education in their professional lives. Based on 671 cases,
this study shows that a large proportion of these men used the school of the Third Republic as a
«social ladder». But despite a very high quality preparation, of prestige acquired by passage
through the Polytechnique, of a real competence, their careers rarely met their expectations.
The colonial flame of some did not offset the cooler colonial embers of the vast majority of
them, forgotten by the Republic.
INDEX
Mots-clés : artillerie de Marine, Bigors, Polytechnique
AUTEURS
JULIE D’ANDURAIN
Agrégée et docteur en histoire, elle est actuellement enseignante-chercheur au CDEF (École
militaire) et chargée de cours à Paris-Sorbonne. À la suite de sa thèse sur Le général Gouraud, un
colonial dans la Grande Guerre (soutenue sous la direction de Jacques Frémeaux, Paris-Sorbonne,
2009), elle vient de publier La capture de Samory, l’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest
(Sotecan 2012).
Rémy Porte
Traduction : Robert A. Doughty
1 Tardivement attirée par l’expansion coloniale, d’une part parce que son unité n’est
acquise qu’en 1871 et d’autre part parce que sa zone naturelle d’influence politique et
d’expansion économique reste dans une très large mesure l’Europe orientale (que
symbolise l’expression fameuse de Drang nach Osten), l’Allemagne est néanmoins
parvenue à bâtir en quelques années, au milieu des années 1880, un vaste empire de
près de 3 000 000 km². À la veille de la Grande Guerre, celui-ci connaît un rapide
développement économique et commercial, qui alimente tous les fantasmes des milieux
colonialistes français et britanniques, mais aussi les inquiétudes des Belges et des
Portugais. Dans la littérature du temps, qu’il s’agisse de la presse périodique ou de
livres, la « menace » que les milieux colonialistes allemands feraient peser sur les
possessions des autres puissances est très fréquemment évoquée et cette question sera
reprise avec force dès le déclenchement de la Première Guerre mondiale, dans le but de
dénigrer les méthodes et les procédés (nécessairement) intolérables dont les Allemands
se seraient montrés capables pour asseoir leur puissance ultramarine, en particulier
dans le domaine militaire. Les chiffres les plus fantaisistes seront alors annoncés,
souvent en contradiction flagrante avec les données antérieurement publiées, et ce
sont eux qui marqueront les esprits.
2 En dépit de tout ce qui peut avoir été écrit sur le pouvoir d’influence de la Ligue
coloniale, de la Ligue navale et des autres sociétés ou associations qui militent en
Allemagne en faveur de la création d’établissements outre-mer, l’empire colonial n’est
que très tardivement considéré comme essentiel par la majorité de la population
métropolitaine. S’il faut manier le paradoxe, c’est avec la perte de leurs territoires
ultramarins lors de la Première Guerre mondiale que les Allemands se découvrent un
attachement pour eux… Non seulement aucun territoire d’outre-mer n’est devenu une
« colonie de peuplement », mais encore la présence de ressortissants allemands reste
très faible au sein de la population. Trois facteurs généraux complémentaires sont ainsi
à prendre en compte lorsque l’on souhaite aborder la question de la colonisation
allemande et de ses aspects militaires en particulier :
- il s’agit d’une prise de possession récente, pour laquelle l’administration impériale
n’envisage aucun effort financier significatif de la métropole ;
- ces territoires ne constituent pas des colonies de peuplement (à l’exception sous
certaines conditions du cas particulier du Sud-ouest africain) et les forces de
souveraineté sont parfois extrêmement réduites, une présence navale régulière, sinon
permanente, compensant la faiblesse des effectifs de l’armée de Terre ;
- pour l’état-major impérial, dans l’hypothèse d’un conflit majeur, la question coloniale
serait réglée par la victoire en Europe. Il est donc inutile de pousser au développement
d’unités militaires spécifiques : « Il n’y a pas à s’inquiéter du sort des colonies. Le résultat
final en Europe le réglera pour elles ».
3 Aborder en quelques pages trente années (1884-1914) d’histoire coloniale à l’échelle
planétaire est un pari osé, et nous nous efforcerons dans les lignes qui suivent d’établir
une synthèse, de mettre en relief un certain nombre de points essentiels, en renvoyant
le lecteur aux études précisées en notes ou dans la bibliographie finale pour des
développements plus détaillés.
où ils ont combattu dans les rangs de l’armée britannique, ou des tribus du
Mozambique. Avec cette véritable petite armée privée, le major Wissmann parvient à
redresser la situation sécuritaire sur le territoire, mais l’état désastreux des finances de
la compagnie, criblée de dettes, oblige l’État à se substituer aux entrepreneurs privés.
11 Ce changement de statut entraîne la mise en place des structures qui représentent les
grandes fonctions régaliennes, au premier rang desquelles la force militaire : le corps
de volontaires de Wissmann, rebaptisé, devient par la loi du 22 mars 1891 la Kaiserliche
Schutztruppe (« troupe impériale de protection »). Toujours animé par le désir de ne
consentir que le minimum d’investissements outre-mer, Berlin diminue aussitôt
l’effectif de cette première troupe coloniale régulière, qui ne compte plus en 1892 que
10 officiers, 32 sous-officiers et infirmiers et 1 200 hommes (soit 8 compagnies). La
plupart des unités sont alors transformées en « troupes de secteur », dans les régions
intérieures progressivement soumises à l’autorité allemande, les deux compagnies
restantes formant un petit corps de manœuvre pour les expéditions à conduire. Ce
système atteint d’autant plus rapidement ses limites que la superficie totale de la
colonie atteint bientôt son extension maximum7 et que les rengagements sont assez
peu nombreux. La plus grande partie de la troupe et des officiers est alors absorbée par
la gestion des secteurs intérieurs. Pour procéder aux nouveaux recrutements devenus
indispensables, les autorités se tournent à nouveau vers l’extérieur et, avec l’accord de
la Grande-Bretagne et de l’Italie, engagent plusieurs centaines d’hommes en Égypte et
en Érythrée. La Schutztruppe atteint l’effectif total de 2 076 hommes, dont 144
Européens, et compte désormais 12 officiers et 120 sous-officiers « indigènes ». Sur ce
total, 200 hommes sont prélevés par le gouverneur général pour former l’embryon du
corps de police coloniale, tandis que les 1 876 officiers, sous-officiers et soldats restant
sont organisés en 12 compagnies à l’effectif théorique de 135 hommes 8.
12 L’une des premières caractéristiques de la Schutztruppe est donc que les contingents
africains qui la composent ne sont pas issus des territoires contrôlés par le II e Reich. Au
début du XXe siècle, on retrouve le même élément « étranger » au sein des troupes de
protection du Cameroun, dont près de la moitié des recrues proviennent des colonies
britanniques et françaises voisines.
13 Le statut, l’organisation et les règles d’emploi des troupes de protection sont
progressivement précisés et adaptés durant les dernières années du XIXe siècle9. Placées
sous l’autorité nominale d’un état-major basé à Berlin (Oberkommando der Schuztruppen)
auprès du ministre des Colonies, elles relèvent en fait du gouverneur de chaque
territoire et doivent assurer « la sécurité et le maintien de l’ordre public dans les colonies et
combattre la traite des esclaves ». Le nombre de compagnies évolue dans le temps, suivant
la superficie et la situation particulière de chaque colonie, mais les unités élémentaires
sont calquées sur le même modèle : 2 officiers et 3 sous-officiers allemands, 1 officier
(dit Effendi) et 4 sous-officiers indigènes et 150 soldats indigènes, chiffre qui est
rarement atteint. L’officier commandant supérieur des troupes sur le territoire n’a que
des responsabilités limitées d’administration, d’instruction et de discipline générale : la
réalité de l’autorité appartient à l’autorité civile qui décide de l’emploi et des missions.
Cette dichotomie au sommet de la hiérarchie dans chaque colonie entraînera d’ailleurs,
en particulier en Ost Afrika et au Kamerun, des conflits de compétence entre les
gouverneurs et les chefs militaires après le déclenchement de la Première Guerre
mondiale.
militaires ordinaires, courantes, ne dépassent donc pas 8 millions par an 11, ce qui est
particulièrement modeste au regard des dépenses du même type consenties par
Londres ou par Paris.
l’artillerie embarquée des navires de guerre, mais tout simplement au temps nécessaire
pour occuper un si vaste espace terrestre et maritime.
28 À Tsing-Tao, l’escadre allemande du Pacifique a pour l’essentiel quitté la colonie le
20 juin pour une traditionnelle « tournée » de plusieurs mois des possessions
allemandes dans la région. Elle se trouve aux Carolines lorsque lui parvient l’ordre de
mobilisation générale et l’amiral von Spee décide de croiser vers l’est, d’archipel en
archipel, pour rejoindre la métropole via la Terre de Feu. Son parcours jusqu’à la
destruction finale de ses bâtiments lors de la bataille navale des Falkland suscitera une
profonde inquiétude à Londres. La place forte est soumise au siège japonais dès le
27 août et le gouverneur Meyer-Waldeck, qui mobilise tous les Allemands bloqués sur
place, reçoit le renfort de trois compagnies austro-hongroises d’Extrême-Orient et de
l’équipage du croiseur autrichien Elisabeth, ce qui lui permet de porter son effectif à
plus de 5 000 hommes. Soumise aux bombardements intensifs des navires japonais et
britanniques qui bloquent la rade, et aux assauts par voie terrestre de quelque 31 000
soldats alliés, privée d’électricité et de ressources en eau, la forteresse doit capituler au
début du mois de novembre 1914.
29 En Afrique, les Alliés ont refusé la neutralisation des territoires coloniaux, comme
pouvait le prévoir l’acte final du congrès de Berlin de 1885, et ont engagé les opérations
contre le Togo dès le 6 août puis contre le Cameroun le 23. Dans les différentes colonies,
les gouverneurs procèdent à la mobilisation des résidants allemands, éventuellement
austro-hongrois, et des réservistes indigènes non punis ou condamnés. Les effectifs
sous les armes atteignent ainsi 1 200 à 1 300 hommes au Togo, 6 000 hommes dans le
Sud-ouest africain, 7 000 hommes au Cameroun et moins de 12 000 hommes en Afrique
orientale. Attaquées sur toutes leurs frontières terrestres et maritimes, ces colonies ne
résisteront pas longtemps aux assauts conjugués des Alliés français, belges et
britanniques : le Togo capitule dès août 1914, le Sud-Ouest africain en juillet 1915, le
Cameroun est conquis en février 1916. Seul von Lettow-Vorbeck poursuit la guerre de
brousse en Afrique orientale jusqu’en 1918, mais ceci est une autre histoire…
BIBLIOGRAPHIE
Outre les ouvrages et articles référencés en notes de bas de page, on pourra se reporter utilement
à:
Documents officiels
Die Deutschen Schutzgebiete in Afrika und der Südsee, 1911/1912, Reichs-Kolonialamt, Berlin, E..
Mittler, 1913, 2 vol.
Livres
Henderson, W.O., The German Colonial Empire, 1884-1919, Routledge, Londres, 1993, 192 pages.
Lettow-Vorbeck, général von, La guerre de brousse dans l’Est africain 1914-1918, Payot, Paris, 1923,
295 pages.
Porte Rémy, La conquête des colonies allemandes, 1914-1918. Naissance et mort d’un rêve impérial, 14/18
Éditions, Saint-Cloud, 2006, 433 pages.
Articles
« Les troupes coloniales allemandes », Revue militaire de l’étranger (puis des armées étrangères),
décembre 1891, pp. 495-509.
« L’infanterie de Marine et les troupes coloniales allemandes », Ibid., juillet à septembre 1900,
pp. 437-456, 501-528, 565-643.
« Allemagne : la loi du 22 juillet 1913 sur le service militaire des colonies », Ibid., janvier 1914,
pp. 87-89.
Kotek Joël, « Afrique : le génocide oublié des Hereros », L’Histoire, janvier 2002, pp. 88-92.
Luccari, général L., « Le partage de l’Afrique (1884-1913) », Revue historique des armées, n° 2/1991,
pp. 69-78.
NOTES
1. L’acte final de la conférence de Berlin précise qu’une puissance européenne qui revendique un
territoire outre-mer doit y être officiellement installée et le gérer. C’est le début de la « course au
clocher » vers l’intérieur des terres africaines.
2. Sur le détail de la constitution de l’empire colonial allemand, on se reportera par exemple aux
présentations publiées dans le Journal des Sciences Militaires, en juin 1885, pp. 372-393, et en
octobre 1887, pp. 115-138, par le capitaine R. de F., « Notes sur les colonies allemandes ». Pour
une étude d’ensemble récente, Rémy Porte, La conquête des colonies allemande, 1914-1918. Naissance
et mort d’un rêve impérial, 14/18 Éditions, Saint-Cloud, 2006.
3. On constate une grande proximité des dates des « décrets de protectorat » pour les différents
territoires : 13 octobre 1884 pour le Cameroun et le Togo ; 27 février 1885 pour les royaumes
d’Usagara, de Ngourou, d’Ousegouha et d’Oukami (qui donnent naissance à l’Afrique orientale
allemande) ; 17 mai 1885 pour la Nouvelle-Guinée ; 13 octobre 1885 pour Angra-Pequena (qui
devient le Sud-ouest africain allemand). À l’exception marginale de quelques archipels du
Pacifique, l’empire colonial allemand est constitué en un an.
4. Togo : 87 516 km² ; Cameroun : 496 938 km² jusqu’au traité de 1911 avec la France (« Vieux
Cameroun ») et 750 000 km² ensuite ; Sud-ouest africain : 838 370 km² ; Est africain : 995 000 km² ;
Tsing-Tao : 551 km² ; archipel des Samoa : 2 600 km² ; Terre de l’empereur Guillaume :
179 000 km² ; archipel Bismarck : 61 000 km² ; ensemble des archipels du Pacifique (Carolines,
Mariannes, Palau, Marshall) : 2 475 km2.
5. Bismarck fait voter par le Reichstag une subvention de 5,5 millions de francs au bénéfice de la
Norddeutscher Lloyd pour l’ouverture d’une ligne commerciale entre Brème et Sydney. Le
premier navire quitte l’Allemagne le 1er juillet 1886.
6. « Askari » signifie « soldat » en langue vernaculaire arabisée. Né dans l’Est africain, le terme est
ensuite utilisé pour toutes les unités indigènes de l’armée régulière, puis étendu à l’ensemble des
soldats autochtones.
7. La superficie totale de l’Ost Afrika allemande est de 995 000 km², soit près du double de la
métropole (540.667 km²), dont 60 % environ est en cours de soumission et de pacification.
8. Sur l’histoire de la Schutztruppe d’Afrique orientale, on lira en particulier Tanja Bührer, Die
Kaiserliche Shutztruppe für Deutsch-Ostafrila, Oldenbourg Verlag, 2011, 532 pages, ainsi que la
réédition récente d’un ouvrage de 1907 : H. Fonk, Deutsch-Ost-Afrika. Die Schutztruppe, ihre
Geschichte, Organisation und Tätigkeit, Melchior Verlag, Wolfenbüttel, 2012, 112 pages.
9. Lois et décrets impériaux des 12 décembre 1895, 7 juillet 1896, 25 juillet 1898.
10. Au début de l’année 1905, on ne compte au Togo que 56 policiers, dont 7 Européens
seulement (in « Possessions Allemandes », Bulletin du comité de l’Afrique française, mars 1905,
pp. 124-126).
11. Chronique « Possessions allemandes », Bulletin du comité de l’Afrique française, février 1907,
pp. 65-69.
12. On ne reviendra pas ici sur la violence de la répression allemande contre cette révolte,
conduite par le général von Trotha qui disposera d’un corps expéditionnaire venu de métropole
de quelques 16 000 hommes.
13. 25 à 30 % des conscrits métropolitains effectuant leur service militaire dans le Sud-ouest
africain choisissent de s’installer dans la colonie à la suite de leur temps sous les drapeaux, ce qui
contribue à renforcer la présence allemande d’une part et permet au gouverneur de pouvoir
compter sur un nombre croissant de réservistes instruits.
14. Paul Ettinghausen, « Comment les Allemands colonisent et gardent leurs colonies », Revue du
cercle militaire (revue violette), 2 janvier 1897, pp. 6-8, p. 8.
15. Présentation détaillée d’une colonne en marche par le capitaine Painvin, « Comment les
Allemands font la guerre dans l’Est africain (I) », Revue du cercle militaire (revue violette), 8 mai
1897, pp. 475-478.
16. Capitaine Painvin, « Comment les Allemands font la guerre dans l’Est africain (II) », Revue du
cercle militaire (revue violette), 15 mai 1897, pp. 501-503.
17. On se reportera par exemple aux écrits du capitaine Darroux dans la Revue des troupes
coloniales entre 1922 et 1925.
18. Rapport devant le Generalstab, cité par von Lettow-Vorbeck dans ses mémoires et par Bernard
Lugan et Arnaud de Lagrange, Le safari du Kaiser, La Table Ronde, Paris, 1987, 231 pages, p. 31.
RÉSUMÉS
Contrairement à une légende héritée de la propagande des années de guerre, les territoires
allemands d’outre-mer ne sont pas particulièrement "militarisés" avant 1914. Seules les colonies
du Cameroun, du Sud-Ouest Africain et d’Afrique orientale dispose d’unités des "forces de
protection" (Schutztruppe) en effectif limité, dont l’histoire récente est très différente de celle des
troupes coloniales françaises.
Contrary to legend inherited from the propaganda of the war years, German overseas territories
were not particularly “militarized” before 1914. Only the colonies of Cameroon, South West
Africa and East Africa had units of “force protection” (Schutztruppe) in limited numbers, whose
recent history was very different from that of French colonial troops.
INDEX
Mots-clés : Allemagne, Empire colonial, Troisième République
AUTEURS
RÉMY PORTE
Officier d’active, docteur habilité à diriger des recherches, il s’est progressivement spécialisé sur
les opérations extérieures et les fronts secondaires des III e à Ve républiques. Il dirige
actuellement le bureau Recherche du Centre de doctrine d’emploi des forces. Parmi ses dernières
publications : Chronologie commentée de la Grande Guerre, Perrin, 2011.
Julien Fargettas
Traduction : Robert A. Doughty
1 Le 9 juin 1940, le marsouin Michel El Baze, tout juste fait prisonnier, assiste à une scène
inédite dans les environs de Mareuil-la-Motte, dans le département de l’Oise : « Dans un
pré, un officier allemand caracole sur un magnifique cheval blanc, un revolver en main. Un
tirailleur sénégalais court, l’officier tire. L’énorme masse noire tombe. On rit. Voilà un autre
Sénégalais, je détourne les yeux, ma tête éclate, je pleure. » 1
2 Dix jours plus tard, le point d’appui du couvent de Montluzin, dans le département du
Rhône, tenu par les hommes du 25e Régiment de Tirailleurs Sénégalais (RTS), tombe aux
mains des soldats allemands à l’issue de plusieurs heures de combats. Les religieuses de
Nevers, encore présentes sur place, assistent alors à un déferlement de violences : « Il
est 15 heures, notre chère maison est aux mains de l’ennemi. La porte de la chapelle saint Joseph
est ouverte violemment, ils sont là, revolvers au poing. Ma chère Mère s’avance et montre sa
cornette. « Pas soldats, pas tirailleurs ? » interrogent-ils. [...] 200 Allemands envahirent
Montluzin, à la recherche des Sénégalais. Ils sont furieux, menaçants, il faut les calmer, terrible
colère. »2
l’effondrement du front français. Une nouvelle tactique est alors employée par les
troupes françaises. Il s’agit de contrôler les axes de communication par une série de
points d’appui devant gêner au maximum la progression des forces d’invasion. Le front
linéaire a disparu au profit de résistances éparses. Sur la Somme, certaines unités
coloniales résistent ainsi durant deux jours alors que les troupes allemandes sont déjà à
50 kilomètres au sud. Au nord-ouest de Lyon, les points d’appui du 25 e RTS combattent
deux jours durant alors que Lyon est déclarée « ville ouverte » et que les formations
allemandes progressent en direction des Alpes. Nombre de combattants français,
submergés par les différentes offensives, livrent ainsi des combats d’arrière-garde qui
sont perçus comme l’action de francs-tireurs, ces fameux Freischarler dont le souvenir
demeure très vivace au sein de la troupe allemande. Apparue lors de la guerre de 1870,
cette psychose du franc-tireur est à l’origine de nombreuses exactions en 1914 en
Belgique ainsi que dans le Nord et l’Est de la France 7. L’action des francs-tireurs est
également évoquée à la fin de l’année 1939, en Pologne, quand les troupes allemandes
ont dû réduire les résistances de soldats polonais dispersés par l’écroulement de leur
armée. La réponse est alors d’exécuter systématiquement ces francs-tireurs en
uniforme8. À ce sentiment d’insécurité constant s’ajoute la volonté de nombre d’unités
coloniales de combattre « jusqu’à la dernière cartouche », voire au-delà 9. De fait, nombre
d’engagements se terminent, faute de munitions, à l’arme blanche. Le coupe-coupe du
tirailleur est préféré à la traditionnelle baïonnette. Les exemples sont nombreux, telle
la défense de la ferme Milan au coupe-coupe, à Warmeriville, par les tirailleurs du 623 e
régiment de pionniers sénégalais10. Et quand les tirailleurs isolés de leurs unités sont
égarés en pleine nature et cherchent à échapper à la captivité, ils n’hésitent pas à se
défendre avec leurs machettes et à s’attaquer aux soldats allemands. Tout cela concourt
à donner aux troupes allemandes une nouvelle perception des combats. Le front
français percé, les armées alliées en déroute, les soldats allemands paraissent libérés du
poids des contingences tactiques et stratégiques. Ils peuvent alors laisser libre cours à
une nouvelle conception du champ de bataille qui se transforme dès lors en véritable
terrain de chasse dont le gibier principal est le soldat noir. S’il faut vaincre l’adversaire,
il est également nécessaire de traquer le gibier tirailleur jusque dans ses derniers
retranchements. Car le tirailleur sénégalais est un gibier d’exception. Il est accusé de se
comporter en francs tireurs, en non humain, en « barbare ». À ce titre, il est
particulièrement haï et redouté.
8 Les combats achevés, la traque se met en place. Des sous-officiers et des officiers
subalternes français prennent la tête de groupes épars qui tentent d’échapper à la
capture. Dès lors, le soldat allemand se transforme en chasseur et les Coloniaux en
proie, un gibier constamment aux aguets, tendant ainsi vers l’animalisation. Toute
confrontation est désormais à éviter. Le groupe du lieutenant Dhoste, du 24 e RTS., tapi
dans un fourré, décide ainsi de ne pas intervenir alors qu’à quelques centaines de
mètres, un autre groupe de gibiers tirailleurs est repéré et détruit 11. Un répit de courte
durée puisqu’à son tour le groupe sera localisé et capturé. Tous les soldats noirs du
groupe sont alors exécutés dont le caporal Yaya, blessé, qui est achevé de deux balles
dans la tête12. La même poursuite incessante est réservée au groupe du sous-lieutenant
Guibert, du 53e RICMS (régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais) après la chute
de la localité d’Airaines, dans la Somme. La traque s’achève après des dizaines de
kilomètres parcourues dans les marais. Le jeune officier conclut ainsi : « Tous mes
tirailleurs ont été tués. Il n’en est pas un de prisonniers. » 13
9 L’insistance ainsi donnée à la traque du gibier tirailleur est singulière. Elle correspond à
une certaine vision de la chasse rencontrée dans l’ère germanique et en Europe
orientale, la Pirsch, c’est-à-dire une technique silencieuse d’approche du cerf qui doit
aboutir à sa mise à mort puis à l’acquisition de ses bois en guise de trophée 14. Car le cerf
est le gibier roi, à l’instar du gibier tirailleur. Au cours de la campagne, les troupes
allemandes capturent plus d’un million de soldats français. Rares sont ceux qui
bénéficient d’une telle focalisation de la part des troupes d’invasion. Le gibier tirailleur
est comme le cerf, le gibier privilégié, celui que chacun veut accrocher à son tableau de
chasse, celui qui provoque la fièvre de la chasse ou Jagdfieber. Comme lui, il bénéficie
d’une image soulignant sa dangerosité, une dangerosité accrue en période de rut où le
cerf est réputé imprévisible. Or, le tirailleur, exotique et sauvage, est également perçu
comme possédé par ce même échauffement sexuel qui est la marque de son
ensauvagement, et donc du danger constant qu’il représente. Une telle perception du
gibier tirailleur apparaît dans différents ordres émanant du commandement allemand.
Á la veille de l’attaque sur la Somme, l’état-major de la 4 e division d’infanterie avertit
ainsi la troupe qu’elle aura en face d’elle des soldats noirs au « caractère perfide » 15. Sur
le terrain, les tirailleurs faits prisonniers sont contraints de garder les mains sur la tête
afin de prévenir toute réaction impétueuse, signe d’une défiance continue.
10 Cette chasse poursuite qu’est la Pirsch se distingue de la chasse battue car le chasseur
livre un véritable affrontement avec sa proie, un véritable duel. Dans ce cas précis, le
gibier tirailleur est recherché car il refuse la défaite et combat jusqu’au bout. Ce
jusqu’au-boutisme conforte son image de sauvage prêt à tout et rejoint directement la
représentation du franc-tireur. Un général allemand, conversant avec le lieutenant
Druart, du 33e RICMS, affirme ainsi « que les Sénégalais faits prisonniers exténués dorment,
et, à leur réveil, se jettent sur les sentinelles. »16 En Eure-et-Loir, le lieutenant Parisot, du 26e
RTS est menacé d’être fusillé car, déclarent les soldats allemands, « vos sales nègres
sont des sauvages qui ne font pas de prisonniers et mutilent les soldats allemands avant
de les tuer »17. En Argonne, les archives de la 21e division d’infanterie évoquent des
tireurs embusqués dans les arbres ou Baumschützen. La motivation du chasseur est ainsi
décuplée afin de sortir vainqueur de ce duel. Un récit de la 6 e division d’infanterie
allemande raconte la lutte à mort livrée entre le soldat Apke et un « énorme nègre »,
lequel essaie de « le mordre à la gorge ». Seule une grenade permet d’en venir à bout. Le
chasseur doit ainsi affirmer sa suprématie jusqu’au bout et ainsi n’hésite pas à aller
dénicher sa proie quel que soit l’environnement qui l’entoure. La chasse est totale. Des
tirailleurs sont poursuivis jusque dans les postes de secours où ils sont soignés et même
jusque chez les civils. Et parfois la traque se poursuit alors que les combats ont cessé et
que l’armistice a été signé. Dans les anciennes zones de combat errent des tirailleurs
isolés qui se cachent comme ils peuvent. À Blangy-sur-Bresles, en Seine-Maritime, les
marais servent de cache aux coloniaux. L’un d’eux est repéré en juillet 1940, traqué et
abattu18. Durant l’hiver 1940-1941 même, des chasses aux tirailleurs sont organisées en
forêt de Bray, près de Forge-les-Eaux. La population de la localité assiste au retour des
chasseurs avec leurs gibiers fièrement exhibés dans les rues de la ville 19. Et lorsque le
gibier refuse définitivement sa capture, lorsqu’il paraît enragé et finalement
indomptable, les réactions du chasseur dépassent la simple mise à mort pour faire
appel à la destruction totale du gibier, souvent par le feu, parfois précédée d’actes de
cruauté. Quelques tirailleurs réfugiés dans une ferme de Fleurieux-sur-L’Arbresle, près
de Lyon, périssent dans l’incendie de la bâtisse provoqué par les SS de la division
Totenkopf (tête de mort). Dans le même secteur, d’autres subissent des actes de
pour le tournage. Les gars se sont bien amusés et ont aimé tout particulièrement leur faire lever
les bras une fois de plus. »25
13 Dans cette logique de fierté assumée, le corps du tirailleur mort au combat ou abattu à
l’issue de ces derniers est l’objet de l’attention des chasseurs qui tiennent à en retirer
un souvenir, une trace qui doit concrétiser les prises de vue également réalisées. Le
souvenir prend alors différentes formes : coupe-coupes, amulettes, papiers ou plaques
d’identité. Ces objets sont censés représenter le tirailleur tel qu’il est perçu : un soldat
aux mœurs exotiques, étrange, et auteur de sauvageries en tout genre sur le champ de
bataille. On fixe sur la pellicule le soldat noir tel qu’on se le représente, et l’on cherche
des souvenirs qui s’y rattachent afin de « concrétiser » ce qui, pour beaucoup
d’Allemands, voire d’Occidentaux, est encore un mythe. Il est ainsi remarquable de
constater dans certaines régions la très forte proportion de dépouilles de soldats
coloniaux dont les identités sont classées comme « inconnue » à l’issue de la campagne.
Chaque préfecture recense ainsi, au second semestre 1940, les corps des soldats tombés
durant la campagne. Dans le département de l’Aube, sont relevés 670 cadavres de
soldats français26. Parmi eux, 222 sont des soldats noirs dont 74 % ne peuvent être
identifiés faute de plaque ou de papiers d’identité. À Balnot-la-Grange, sont relevés
dans une seule propriété, les corps disposés les uns à côté des autres, de 44 « soldats
noirs sans autre renseignement. »27 Dans le même département, à Channes, 28 autres corps
de soldats noirs inidentifiables sont relevés dans les mêmes dispositions que
précédemment. Une telle situation est spécifique au caractère colonial de ces soldats
puisque parmi les dépouilles des soldats blancs, seuls 14 % se voient attribuer la
mention « inconnue » et que, parmi les corps de soldats nord-africains, plus de 70 % des
dépouilles ne peuvent là encore être identifiées. Un tel phénomène ne concerne pas
seulement le département champenois et est observé dans chaque région où sont
engagées des unités coloniales. En Eure-et-Loir par exemple, où le 26 e RTS est détruit,
27 dépouilles de soldats noirs sont déclarées « inconnues » à Néron et 11 autres à
Chartrainvilliers. L’issue directe de ces trophées est inconnue mais il est fort probable
que, comme dans le cérémonial faisant suite à la Pirsch, le chasseur porte sur lui-même
une partie de la dépouille comme pour mieux s’accaparer la puissance de son
adversaire désormais vaincu. La dépouille du gibier tirailleur est d’ailleurs réservée au
seul chasseur. Dans le Rhône et dans la Nièvre, des civils s’étant livrés au pillage de
cadavres de soldats noirs exécutés sont ainsi arrêtés par l’armée allemande.
14 La perception nouvelle du champ de bataille et sa dimension cynégétique n’auraient pu
être possibles sans l’exclusion de la sphère humaine de la proie tirailleur. Chasser une
proie, qui plus est humaine, suppose l’adoption de critères qui marqueront
définitivement sa différence, la distinction fixant les règles de la chasse 28. Chasser
signifie également « mettre, pousser dehors ; faire sortir de force. » 29 Dans le cas des soldats
noirs, l’exclusion de la sphère humaine est complète, et ce dès la capture. Faits
prisonniers, ils sont quasi systématiquement séparés de leurs camarades de combat
d’origine européenne30. Par cette séparation, le chasseur crée un régime particulier
confirmé par le déséquipement des prisonniers noirs souvent affublés de tenues
fantaisistes en tout genre. Le gibier tirailleur perd ainsi son statut de soldat et donc de
prisonnier de guerre avec tout l’arsenal de protections qu’il suppose. Il est désormais
intégré à une sphère différente de celle des autres soldats de l’armée française, une
sorte de huis clos institué par son prédateur. Il perd donc le rempart que constituent
habituellement les cadres coloniaux. Certains tentent de défendre malgré tout leurs
hommes et le paieront parfois de leur vie31. Ils ne disposent plus dès lors de liens avec le
NOTES
1. EL BAZE (Michel) a regroupé ses souvenirs de combat et de captivité dans un manuscrit intitulé
« Né coiffé ». Entretien avec l’auteur, 10 avril 2005.
2. Témoignage des Sœurs de Nevers, SHD/GR 34 N5.
3. Témoignage du caporal Scandariato, cité par P ONCET (M.), dans Le Tata sénégalais de Chasselay,
sans date, p. 35.
4. Voir les articles de l’auteur : « Les massacres de mai et juin 1940 », musée de l’Armée. Actes
publiés (La Campagne de 1940, Paris, Tallandier, 2000) et « Les tirailleurs sénégalais dans la
campagne de mai et juin 1940 », Centre d’études d’Histoire de la Défense. Actes publiés (Les
Troupes de marine dans l’armée de terre. Un siècle d’Histoire. 1900-2000, Paris, Lavauzelle, 2001).
5. Durant la campagne, les troupes allemandes se livrent également à des exactions contre les
soldats français d’origine européenne et contre les populations civiles. À Dounoux et Domptail,
dans les Vosges, 10 soldats du 55e bataillon de mitrailleurs et 26 autres du 146e régiment
d’infanterie de forteresse, sont passés par les armes les 19 et 20 juin 1940. Le 16 juin, 4 soldats du
4e régiment de spahis marocains sont exécutés à Germisay, dans la Marne. Dans le Nord et le Pas-
de-Calais, les populations civiles ont payé un lourd tribut avec près de 98 civils exécutés à
Aubigny-en-Artois, 80 autres à Oignies ou bien encore 22 à Haubourdin.
6. Témoignage du caporal Scandariato et de l’adjudant Requier.
7. HORNE (John) et KRAMER (Alan), 1914, Les atrocités allemandes, Paris, Tallandier, 2005, 640 p.
8. I NGRAO (Christian), « La politique nazie de lutte contre les partisans », Revue d’histoire de la
Shoah, juillet-décembre 2007, p. 232.
9. En 1870, les marsouins de la division bleue du général de Vassoigne se distinguent lors des
combats de Bazeilles, dans les Ardennes. Depuis, les troupes coloniales/troupes de marine
commémorent ces combats « jusqu’à la dernière cartouche » qui sont devenus le symbole de
cette arme.
10. CHETOM 15H150, rapport du commandant Duclos.
11. SHD/T 34N1098, rapport du lieutenant Dhoste.
12. Ibid.
13. CHETOM 15H145.
14. H ELL (Bertrand), Le Sang Noir. Chasse et mythe du sauvage en Europe, Paris, Flammarion, 1994,
381 p.
15. Cité par S CHECK (Raffael), Une saison noire. Les massacres de tirailleurs sénégalais, mai-juin 1940,
Paris, Tallandier, 2006, 288 pages, p. 86.
16. CHETOM 15H147.
17. SHD/T 34N1100. D’autres officiers du régiment subissent une mise en scène dans le même
cadre d’accusation.
18. Archives départementales de Seine-Maritime, enquêtes sur les tombes des prisonniers
indigènes, cote Z 7828.
19. Témoignage de Madame Odette Cléré à l’auteur, 17 septembre 2001.
20. À l’issue des combats livrés dans le village d’Eveux, trois tirailleurs sont retrouvés fusillés sur
un tas de fumier, d’autres auraient été enterrés vivants et des restes humains appartenant
vraisemblablement à un tirailleur ont été retrouvés sur place sans que l’on puisse aujourd’hui
véritablement connaître le sort qui lui a été réservé.
21. Témoignage de Michel Arnould à l’auteur, 12 juillet 2003.
22. CHETOM 15H148.
23. SHD/T 34N1071.
24. La plupart des photographies ne permet aucune information supplémentaire de lieux ou de
date. A ce jour, seul le charnier de la montée de Balmont a pu être clairement identifié sur la
photographie d’un soldat allemand
25. IRVING (David), Rommel: The Trail of the Fox, Ware, Worgsworth Editions, 1999, 448 p., p. 55.
26. Archives départementales de l’Aube, SC7294, liste des tombes militaires de 1940.
27. Ibid.
28. CHAMAYOU (Grégoire), Les Chasses à l’homme, Paris, La Fabrique, 2010, 150 p.
29. Définition Le Petit Robert.
30. Si la convention de Genève de 1929, dans son article n o°9, préconise le regroupement racial
des prisonniers de guerre, il ne s’agit là que d’une action recommandée dans le cadre de la vie
courante des camps de prisonniers. La séparation au moment de la capture répond à d’autres
objectifs et intervient dans le cadre des représentations entourant le tirailleur sénégalais.
31. En juin 1941, les autorités de la commune de Cressonsacq découvrent une tombe contenant
les corps de sept officiers français à proximité du bois d’Eraines. Capturés indemnes avec des
tirailleurs et des sous-officiers blancs, ces cadres ont disparu par la suite et ont
vraisemblablement été passés par les armes. Il s’agit du commandant Bouquet, du capitaine
Speckel, du capitaine Ris, du lieutenant Planchon, du lieutenant Ermigny, du lieutenant Roux et
du lieutenant Brocart. À l’issue de la chute du point d’appui du couvent de Montluzin, des cadres
du 25e RTS, dont les sous-lieutenants Cevear et de Montalivet, sont également exécutés.
32. SHD/T 34N1098, rapport du lieutenant Dhoste.
33. « M. le commandant entend que les communes soignent bien les tombes des soldats français se
trouvant sur leur territoire, ce qui constitue d’ailleurs un devoir national. Il s’agit pourtant seulement des
soldats français et alliés d’origine européenne qui se sont battus et ont agi en défense de leur patrie. Les
troupes noires, par contre, ont combattu en sauvages et maltraité et même tué un grand nombre de
prisonniers allemands qui ont eu le malheur de tomber entre leurs mains. C’est pourquoi le commandant de
l’armée allemande ne désire pas et même défend expressément d’orner les tombes des soldats noirs ; il faut
les laisser à l’endroit et dans l’état où elles sont en ce moment. » CHETOM 15H144.
34. SHD/T 34N1095.
35. Les officiers allemands harcèlent et tabassent le haut fonctionnaire. Ils lui présentent des
corps déchiquetés de civils que Jean Moulin identifie comme étant des victimes de
bombardements. MOULIN (Jean), Premiers combats, Paris, éditions de Minuit, 1947, 173 p.
36. I NGRAO (Christian), Les Chasseurs noirs. La brigade Dirlewanger, Paris, Perrin, 2006, 292 p.
L’auteur livre ici une étude très approfondie de cette unité SS et notamment sur la dimension
cynégétique de ces actions de combats et génocidaires.
RÉSUMÉS
En mai et juin 1940, plusieurs centaines de soldats noirs de l’armée française sont exécutées par
les troupes d’invasion allemandes. A plusieurs reprises, ces massacres prennent un fort caractère
cynégétique : scènes de chasse à courre, tir au pigeon, chasse en meute. Le soldat noir est ainsi
transformé en gibier. Le mot « massacre » a d’ailleurs lui-même une origine cynégétique
remontant au 16ème siècle et désignant à la fois l’action de tuer en masse mais exprimant
également la fierté du chasseur. Une fierté justement que ne manque pas d’exprimer le chasseur
allemand qui photographie en masse le gibier tirailleur capturé ou mis à mort et s’empare de
multiples trophées sur sa dépouille. Cette chasse aux soldats noirs est un des aspects de
l’animalisation des soldats coloniaux qui trouve un épilogue jusque dans le sort réservé aux
cadavres du gibier mis à mort souvent délaissés de tous moyens d’identification ou privés de
toutes sépultures humaines. Une animalisation d’ailleurs favorisée par l’évolution même des
combats. Nombre de tirailleurs sont ainsi assimilés à des francs tireurs alors que, dépassés par les
pointes allemandes, ils combattent afin d’échapper à la capture.
In May and June 1940, hundreds of black soldiers of the French army were executed by troops of
the German invasion. On several occasions, the killings had a strong hunting character: scenes of
hot pursuit, trap shooting, hunting in packs. Hunting the black soldier was thus transformed into
a sporting game. The word “massacre” itself also has a hunting origin dating back to the 16th
century and refers to both the act of a mass killing but expressing equally the pride of the
hunter. A pride that does not fail to show the German hunter who photographed riflemen
captured or killed and who carried many trophies on his body. Hunting for black soldiers is one
aspect of the animalization of colonial soldiers that found an epilogue in the fate of the corpses
that were often stripped of all identification or deprived of human burials. The animalization
also was favored by the very evolution of the fighting. A number of the riflemen became snipers
who, bypassed by the Germans, fought to avoid capture.
INDEX
Mots-clés : Deuxième Guerre mondiale, Tirailleurs sénégalais, violence
AUTEURS
JULIEN FARGETTAS
Docteur en histoire, il a obtenu le prix Marcel Paul pour son mémoire de maîtrise Le massacre des
soldats du 25e régiment de tirailleurs sénégalais : région lyonnaise, 19 juin et 20 juin 1940. Il poursuit
également une carrière militaire au sein de l’armée de Terre qui l’a menée au Kosovo et en
Afrique et a publié aux éditions Tallandier Les tirailleurs sénégalais. Les soldats noirs entre légende et
réalités, 1939-1945.
Olivier Blazy
Traduction : Robert A. Doughty
11 À Alger, dès le début de la guerre, dans le Mobacher, est insérée une petite feuille en
langue arabe qui prend rapidement le nom d’Akhbar Al Harb (Les nouvelles de la guerre).
Ce journal dont le titre français est Journal arabe de la guerre est publié par le Service de
la traduction et de l’interprétation du Mobacher et de la presse arabe, par le
gouvernement général de l’Algérie. Il donne des informations officielles sur le
déroulement des opérations sur les différents fronts, quelques illustrations et il est
édité jusqu’en 1919. Il est largement distribué en Algérie et sur le front dans les
régiments indigènes nord-africains auprès des militaires sachant lire l’arabe.
12 Il faut citer également le petit journal Les Idées noires, organe du 44 e bataillon de Tirailleurs
Sénégalais3 qui connaît quatre numéros entre 1916 et 1917 et propose à son public des
fables africaines comme la « La tortue », « L’éléphant » ou « L’hippopotame ». Il semble
que ce soit le seul périodique édité pendant la guerre pour les troupes indigènes. Il a
pour fondateur et rédacteur-en-chef le lieutenant Toutain, « originaire des îles
Marquises et colon en Guinée », commandant la compagnie de mitrailleuses du
bataillon et qui est tué le 14 septembre 1917 à Courlandon (Marne). À Nantes, en 1917,
l’aumônerie militaire protestante publie un bimestriel Ny Dinidiniky ny mpinamana.
Gazety avoaka isam-bolana ho an’ ny miaramila malagazy protestantra aty an-dafy. La
rédaction du journal regagne Tananarive après la guerre et la publication continue
jusqu’en 1932 au moins.
L’entre-deux-guerres
13 Faute de documents, il est malaisé de savoir quel est le volume précis des parutions de
périodiques militaires indigènes dans les années 1920 et 1930. On peut néanmoins citer
la sortie à Strasbourg en 1924 d’un mensuel Ry tanora mpino. Gazetin’ny miaramila katolika
malagasi eto andafy, édité par l’aumônerie militaire catholique à destination des
Malgaches, qui continue d’être publié à Reims, à Lyon puis à Paris et qui existe encore
en 1944. En revanche, pendant toute la première moitié du siècle, de nombreuses unités
et écoles militaires indigènes, principalement de l’armée d’Afrique, mais également des
troupes coloniales, en garnison en Afrique du Nord, en France ou en Allemagne
occupée, font éditer auprès de photographes civils (comme les unités métropolitaines
ou européennes de l’armée d’Afrique), des albums avec les photographies du chef de
corps, du drapeau, de l’encadrement puis de tous les bataillons ou compagnies. Les
militaires gardent ainsi un souvenir de leur passage dans l’unité.
aux soldats musulmans dans les brouillards et la boue de nos frontières un peu de soleil
et du parfum de leur pays natal »4.Ce journal, qui leur offre « quelques images, contes et
nouvelles du terroir »5, connaît sept numéros bilingues français-arabes entre décembre
1939 et juin 1940. En Tunisie, AKANI, Micro journal à tendance bi-mensuelle édité par les
médecins, pharmaciens, dentistes et vétérinaires du 6e RTS voit le jour en décembre 1939.
15 Un mensuel Madagascar aux armées est publié par le gouvernement général de
Madagascar et dépendance à Tananarive entre février et avril 1940, avec des textes en
français et en malgache tandis qu’une [La] Gazette du Tirailleur qui devient La Gazette du
Tirailleurs et du Canonnier, est initié par l’état-major du général commandant supérieur à
Dakar à destination des troupes indigènes d’AOF.
16 Après l’armistice, en 1941, est publiée à Gap, en zone libre, l’Écho d’Outre-Mer, bulletin des
Soldats et Travailleurs Coloniaux, en deux versions (malgache et annamite) tandis que le
Cônc Binh Tâp Chî est rédigé et édité à Vichy, au profit des militaires et travailleurs
indochinois indigènes bloqués en métropole ou prisonniers de guerre, entre 1942 et
1946. Entre 1941 et 1945, l’aumônerie militaire protestante édite quant à elle un
bimestriel, Ny Sakaizan ‘ny miaramila. Gazetin’ny miaramila protestanta malagasy eto an-
dafy, à Saint-Raphaël puis à Valence.
17 À Djibouti, les troupes françaises comprennent de nombreuses unités sénégalaises,
initialement destinées à défendre l’Indochine, mais bloquées par la guerre sur le
territoire. Les autorités locales, fidèles au maréchal, créent un hebdomadaire Djibouti
français dont les rédacteurs et les lecteurs sont en grande majorité des militaires.
Certains numéros de ce journal s’enrichissent d’une rubrique intitulée tout d’abord Le
coin des Tirailleurs Sénégalais et Malgaches6 puis Les Messages de l’Empire7, à destination des
troupes indigènes. Ces pages donnent aux tirailleurs des nouvelles de leurs pays et des
encouragements des autorités civiles, militaires et religieuses de l’Afrique
subsaharienne française. En Éthiopie, les troupes gaullistes éditent parallèlement un
bulletin, Djibouti libre8, incitant ouvertement par annonce les tirailleurs à déserter et à
rejoindre les troupes dissidentes de la France libre…
18 En Indochine, paraît à Hanoï À plein tube, Bulletin de liaison des artilleurs du 4 e RAC, avec,
en 1942, des pages en vietnamien pour les artilleurs indigènes de ce régiment mixte.
19 En juin 1942 est créé à Beyrouth L’Orient Militaire, revue bimensuelle en langue arabe,
afin d’intensifier la propagande parmi les populations autochtones. Un éditeur civil est
chargé de la publication par l’autorité militaire française, moyennant subvention de la
rédaction et de l’impression de la revue (tirage entre 2 800 et 6 000 exemplaires selon
les arrivages de papier). Cette revue qui est la seule en langue arabe non soumise à la
censure des gouvernements locaux (syrien et libanais) connaît un grand succès.
20 En juin 1943 paraît à Alger un nouveau journal bilingue, An-Nasr La Victoire, Illustré
Mensuel Arabe. L’éditorial de présentation du premier numéro indique que le journal, «
héritier de “Ya’Llah”, accompagnera nos soldats à la poursuite de l’ennemi qui voulut réduire en
esclavage la France et les pays musulmans de l’Afrique française. Ce journal fait pour distraire le
soldat musulman dans la rude guerre que mène l’armée française d’Afrique aux côtés des armées
alliées, apportera sa modeste contribution à l’effort de toutes nos volontés tendues vers un seul
but… Victoire ! »9. Ce journal très richement illustré, comprenant une couverture recto
verso en couleur, est publié jusqu’en 1946.
La guerre d’Indochine
21 Pendant la guerre d’Indochine, la presse militaire « indigène » voit son apogée avec la
naissance de dizaines de titres, le plus souvent éphémères, de tous formats, de tirages
forts variés (d’une centaine à quelques dizaines de milliers d’exemplaires). Tout d’abord
rédigés en français la plupart du temps, de plus en plus de titres paraissent
progressivement en vietnamien, en chinois, en laotien, en cambodgien, en arabe.
Certains sont bilingues, voire trilingues. Ronéotypée dans les postes éloignés, imprimée
localement ou dans les imprimeries civiles ou militaires de Hanoï et de Saigon, cette
presse donne des informations sur la vie quotidienne des unités, sur les opérations
auxquelles elles participent, sur les pertes, sur les départs et arrivées de l’encadrement
ainsi que des nouvelles sur les pays d’origine des combattants.
22 Il existe des publications « indigènes » diffusées dans toute l’Indochine, à destination
des militaires des forces armées d’Extrême-Orient (FAEO). Peuvent être cités dans cette
catégorie Es-Saheb (Le compagnon, 9 000 exemplaires), mensuel bilingue français-arabe
destiné aux soldats nord-africains, le Bulletin de Liaison des Troupes Africaines, le
bimensuel Con Tuyen Vuot Be ( Caravelle, vietnamien, 65 000 exemplaires) et Tre ( Le
Clairon, 10 000 exemplaires) mensuel de langue cambodgienne destiné aux militaires
cambodgiens. Certains événements, comme le passage et le désarmement des troupes
nationalistes chinoises à la frontière nord du Vietnam, donnent lieu à la publication
d’un journal à Saïgon, richement illustré, mais qui ne connaît qu’un seul numéro : Les
Troupes de l’Union Française à l’œuvre. Quan doi Lien-Hiet-PhapVat tai vao viec. D’autres
publications ont une vocation régionale : deux bimensuels vietnamiens destinés aux
partisans, Ngoi Linh Vietnam (Le soldat du Vietnam, 5 000 exemplaires) et Tin Tuc Hang
Ngay (Chronique de tous les jours, 5 000 exemplaires) ; au Nord-Vietnam, trois mensuels
pour la zone ouest, Ba Vi, Ta Voi Ta (Nous et nous, 3 500 exemplaires) et Y Dan (La volonté
du peuple, 17 500 exemplaires). Au Laos est publié Nak Lob Lao. Le Combattant Lao,
mensuel bilingue destiné aux militaires des forces du Laos et le Bulletin hebdomadaire
d’information (200 exemplaires).
23 Certaines unités ont également leurs propres publications : quelques-unes nous sont
parvenues comme le Bulletin de Liaison du 2e bataillon du 6e RTM, ou les Nouvelles de la 4e ½
brigade algéro-marocaine, mais beaucoup n’ont pas été encore repérées ou répertoriées.
24 Parallèlement à cette presse militaire française, voit le jour avec les indépendances et la
constitution des armées nationales, une abondante presse militaire vietnamienne,
cambodgienne et laotienne. Cette presse, largement aidée, financée et diffusée par les
différents organismes de guerre psychologique du corps expéditionnaire, est destinée
non seulement aux combattants des nouvelles armées nationales et à leurs cadres
français mais aussi pour certaines d’entre elles aux civils amis ou ennemis, aux
prisonniers vietminh et aux combattants ennemis.
25 Ainsi, en 1953, l’autorité militaire vietnamienne (5e bureau des forces armées du Viêt-
Nam) publie à Saigon, Chien-Si (Le combattant), un bimensuel destiné aux militaires des
FAVN opérant au Sud-Vietnam et Quan Doi ( L’Armée, 40 000 exemplaires), un
hebdomadaire diffusé auprès des militaires des FAVN. À Hué, elle édite Tien Len (En
avant toujours), bimensuel destiné aux militaires des FAVN du Centre-Vietnam et à
Dalat, Dalat Tien, organe de l’école inter-armes. À Hanoï est publié Chin Dao (Le chemin
droit, 3 000 exemplaires), organe de la garde nationale du Nord-Vietnam ; au
Cambodge, Le Cambodge Militaire, revue de l’Armée Royale Khmère, hebdomadaire bilingue
(400 exemplaires) ; et au Laos, Khao Tha Han (Information militaire, 4 000 exemplaires),
organe bimensuel de langue laotienne destiné aux militaires de l’armée nationale
laotienne.
Algérie
27 À Alger, en 1949, le 13e régiment de tirailleurs sénégalais publie un Bulletin de Liaison et,
en 1951-1952, l’aumônerie militaire catholique un bulletin bimestriel Notre foi, Bulletin
Catholique des Soldats Africains à destination des tirailleurs sénégalais catholiques.
Pendant la guerre d’Algérie, de très nombreux périodiques sont créés dans le cadre de
l’« action psychologique » mais, contrairement à la guerre d’Indochine, très peu de ces
publications sont spécifiquement dédiées aux troupes ou aux populations musulmanes
algériennes.
28 Des expériences sont cependant tentées à destination notamment des villageois dans l'
arrière-pays. Ainsi, par exemple, dans la 10e région militaire, une Gazette de Tikobain et
un Bulletin de Yaskren sont réalisés en 1957 par le 1/11 e régiment d’artillerie par le soin
de son officier Action psychologique, en collaboration avec certaines autorités locales,
pour être diffusés dans chaque village auprès des quelques éléments français de souche
et surtout auprès des Français musulmans, lisant le français.
29 Par ailleurs, des tracts sous forme de bandes dessinées diffusées par épisodes et
numérotées sont imprimés massivement (100 000 exemplaires) comme, en 1958, Les
aventures d’Ali, puis Les aventures extraordinaires d’Ali, diffusés en français à destination
des Français musulmans.
30 Les corps d’armées diffusent également des périodiques bilingues français-arabes
comme Les Nouvelles, puis Les Nouvelles d’Oranie, périodiques tirés à 60 000 exemplaires
par le Bureau psychologique du corps d’armée d’Oran entre 1957 et 1959. L’École
militaire préparatoire nord-africaine publie un message de l’EMP NA Koléa en 1957.
Le 4e groupe de compagnie nomade d’Algérie sort à Pâques 1961 un numéro spécial et
sans doute unique sur la pacification avec comme post-face : « Il y a longtemps que sur nos
hauts-plateaux les armes ont cédé la place au travail du cœur et de l’esprit. C’est cela pacifier,
c’est le côté humain, le côté noble, le côté passionnant de notre mission. »
31 Dans le cadre de la pacification, les sections administratives spécialisées (SAS) sont
également le cadre d’expériences journalistiques. Si l’inspection générale des affaires
algériennes publie un Bulletin de Liaison et de Documentation des Personnels Civils et
Militaires des Affaires Algériennes, comprenant de nombreuses informations concernant
ou à destination des français musulmans, quelques SAS ont leur propre bulletin comme
L’Ami de Bezzit dans les années 1958-1959. Ce bulletin publie notamment les naissances,
les mariages et les décès du mois, les remises de décorations, les départ et retours des
travailleurs ainsi que des textes en langue kabyle.
Maroc, Tunisie
32 À la différence de l’Afrique subsaharienne, le problème de la langue se pose moins en
Afrique du Nord et de nombreuses revues illustrées sont créées pour l’ensemble des
troupes. Au Maroc, le journal Nouvelles du Maghreb est édité en version bilingue
française et arabe au début des années 1950. Avec l’approche de l’indépendance, le titre
se transforme en revue richement illustrée mais uniquement en langue française, Les
Nouvelles, alors qu’en Tunisie est créée en 1956 Byrsa, Revue des Forces françaises de
Tunisie. Signalons également que le 3e régiment de tirailleurs sénégalais publie en 1949
à Tunis Le Cornac, Bulletin de Liaison du 3e RTS et que les Affaires militaires musulmanes
quant à elles diffusent également à Tunis dans les années 1955-1956 un Bulletin de
Liaison à l’attention de ses personnels aussi bien européen que nord-africain.
Sources bibliographiques
37 MARTIN Marc, « Les origines de la presse militaire en France : 1770-1799 », État-major de
l’armée de Terre ; Service historique, Vincennes, 1975.
38 KRAEMER Gilles, « Trois siècles de presse francophone dans le monde : hors de France, de
Belgique, de Suisse et du Québec », Paris, l’Harmattan, 1995.
39 WASSEF Amin Sami, « L’Information et la presse officielle en Égypte jusqu’à la fin de l’occupation
française », IFAO, 1976.
40 DOAN Thi Do, « Le journalisme au Viêt-Nam et les périodiques vietnamiens de 1865 à
1944 conservés à la Bibliothèque Nationale », Bulletin d’information de l’ABF, n°
025-1958.
41 RIVES Maurice, colonel (er), « Une alerte centenaire, la presse militaire coloniale »,
L’Ancre d’Or, n°300, Septembre-Octobre 1997, pages 67 à 76.
42 CHARPENTIERAndré, Feuilles bleu horizon : le livre d’or des journaux du front : 1914-1918,
Charpentier, Paris, 1935.
43 La Guerre Psychologique en Indochine de 1945 au cessez-le-feu, Presse du Bureau de la Guerre
Psychologique, 1955.
44 DEROO Éric et CHAMPEAUX Antoine, La force noire : gloire et infortune d’une légende coloniale,
Tallandier, Paris, 2006.
45 Catalogue de périodique par langues et par pays. Périodiques malgaches, Paris, Bibliothèque
Nationale, 1970.
46 RATTE Philippe et THYRARD Jean, Armée et Communication, une histoire du SIRPA, Addim,
Paris, 1989.
NOTES
1. Amin Sami Wassef, L’Information et la presse officielle en Égypte jusqu’à la fin de l’occupation
française, IFAO du Caire 1976.
2. Doan Thi Do, « Le Journalisme au Viêt-Nam et les périodiques vietnamiens de 1865 à 1944
conservés à la Bibliothèque Nationale », Bulletin d’information de l’ABF, n° 025-1958.
3. André Charpentier, Feuilles bleu horizon : le livre d’or des journaux du front, 1914-1918, éditions
Italiques, DL 2007.
4. An-Nasr La Victoire Illustré Mensuel Arabe, n° 1 juin 1943, page 1.
5. An-Nasr La Victoire Illustré Mensuel Arabe, n° 1 juin 1943, page 1.
RÉSUMÉS
Qu’elle s’adresse aux troupes d’origine européenne ou indigène, la presse militaire coloniale
française offre un corpus vaste et méconnu. Constituée de simples feuillets ou de luxueuses
revues illustrées, elle fut pourtant abondante et publiée dans les très nombreuses langues parlées
dans l’empire. Après une première tentative pendant la campagne d’Égypte, puis des débuts
timides lors de la Grande Guerre, la presse militaire coloniale se développe au cours la Seconde
Guerre mondiale, avant de connaître son âge d’or au cours de la guerre d’Indochine, grâce à la
création de nombreux titres destinés aux troupes provenant des différents territoires de l’Union
Française et aux soldats des armées vietnamienne, cambodgienne et laotienne. Paradoxalement,
la guerre d’Algérie donnera bien moins lieu à la publication de journaux à destination des
troupes musulmanes ou issus des territoires africains et malgache.
Aimed at troops of European or indigenous origin, the French colonial military press offers avast
and unknown corpus. Consisting of single sheets or glossy illustrated magazines, it was
nonetheless plentiful and published in the many languages spoken in the empire. After a first
attempt during the Egyptian campaign, then humble beginnings during the Great War, the
colonial military press expanded during the Second World War, before experiencing its golden
age during the war in Indochina through the creation of numerous titles for troops from
different territories of the French Union and for Vietnamese, Cambodian and Laotian soldiers.
Paradoxically, the war in Algeria placed less emphasis on the publication of newspapers for
Muslim troops from the African and Malagasy territories.
INDEX
Mots-clés : Presse militaire, Empire colonial, troupes indigènes
AUTEURS
OLIVIER BLAZY
Juriste de profession, vice-président de l'Association nationale des officiers prisonniers de guerre
1940-1945 et ancien officier de réserve des troupes de marine, il s'intéresse depuis des années à
l'histoire de la presse française outre-mer et à l'histoire de l'armée française outre-mer. Il
prépare actuellement le Catalogue des périodiques de Dahomey (1890-1960), ainsi qu'un
Dominique Guillemin
Traduction : Robert A. Doughty
ou à plâtre, qui se trouvent sur la place ou à des distances que vous déterminerez ; sur les
productions naturelles susceptibles de fournir un aliment au commerce, sur la densité de la
population du lieu même et des provinces voisines, sur la nature et l’importance des relations
commerciales dont ce lieu pourrait devenir le centre » 10. Sur le plan diplomatique, le général
fait précéder l’expédition Mage d’une lettre avertissant El Hadj Omar de ne pas
inquiéter sa sûreté, et des renseignements sont pris sur l’accueil favorable qu’elle
pourrait recevoir à Ségou, ville du moyen Niger gouvernée par son fils, Ahmadou Tall 11.
5 Accompagné du médecin de marine Quintin, le lieutenant de vaisseau Mage quitte
Médine le 25 novembre 1863, avec pour seule escorte une dizaine de porteurs
autochtones. Repérant l’emplacement des futurs postes français, à Bafoulabé et à Kita,
l’expédition rejoint le Niger à hauteur de Nyamina, puis poursuit son voyage en
pirogues jusqu’à Ségou qu’elle atteint le 28 février 1864. Mais la situation sur place a
changé après la disparition mystérieuse d’El Hadj Omar. Ahmadou Tall souhaite
maintenant limiter ses contacts avec la France et retient ses « hôtes » pendant deux
années. Finalement rendus à leur liberté, le 6 mars 1866, Mage et Quintin rallient
Médine le 28 mai. Cette longue expédition n’eut donc pas de conséquences politiques,
mais elle ramène néanmoins une somme considérable d’informations ethnographiques
et géographiques permettant de mieux cerner l’état politique et social du Soudan ainsi
que la topographie du pays entre Sénégal et Niger12. Disparu en 1869 au large de Brest,
le lieutenant de vaisseau Mage a suscité des vocations et tracé le plan d’action des
officiers qui prendront sa relève :
« Si la France veut intervenir d’une manière efficace dans la politique du Soudan, il
n’y a, suivant moi, qu’un moyen sérieux, c’est de remonter le Niger avec des
bâtiments, soit qu’on parvienne à leur faire franchir le rapide de Boussa, soit qu’on
les construise au-dessus de ce barrage. Ma conviction est que l’opération est
possible »13.
6 Possible, sans nul doute, mais pas dans l’immédiat. Car après la guerre de 1870, vient le
« temps du recueillement » qui met l’idée coloniale en sommeil. Elle revient cependant
portée avec une vigueur accrue par les hommes nouveaux des premiers cabinets
républicains et une jeune génération d’officiers supérieurs. Ainsi, dès 1879, deux
ministres, celui des Travaux publics, Charles de Freycinet, et celui de la Marine, l’amiral
Jean-Bernard Jauréguiberry, présentent des projets concurrents de chemins de fer en
Afrique de l’Ouest. Le premier est une ligne transsaharienne depuis l’Algérie jusqu’à
Tombouctou ; le second une voie reliant Saint-Louis du Sénégal à Bamako. À la
confluence de ces projets ambitieux, le Soudan semble déjà français, à défaut d’être
déjà conquis. C’est la perte de la mission Flatters14, suscitée par Freycinet, qui arbitre la
compétition en faveur du projet défendu par la Marine. Ancien gouverneur du Sénégal,
dans l’intervalle des deux mandats du général Faidherbe, l’amiral Jauréguiberry
connaît bien la question. Il peut aussi compter sur place sur un groupe de militaires
prêts à relayer énergiquement son projet et tous issus des troupes de marine : les
« Soudanais »15, dont la carrière va être portée par cette entreprise. Les plus notables
d’entre eux sont Louis Brière de L’Isle, Joseph Gallieni, Gustave Borgnis-Desbordes et
Louis Archinard16. Si la répartition de leurs rôles varie avec le temps et le grade, on les
trouve généralement associés aux postes-clefs de gouverneur du Sénégal, puis du
Soudan, et de commandant militaire du haut-Sénégal, puis du Niger. Ils tiennent donc à
la fois les fonctions administratives et militaires tout en ayant un accès privilégié au
pouvoir politique.
7 C’est dans ce contexte que le colonel Brière de L’Isle peut donner l’impulsion initiale
d’un mouvement qui ne s’arrêtera qu’avec l’unification des possessions françaises
d’Afrique occidentale. Sous ses ordres, le capitaine Gallieni atteint Sabouciré le
3 juillet 1878, puis Bafoulabé, à cent-vingt kilomètres de Médine, en octobre 1879,
contraignant Ahmadou Tall à accorder à la France le libre passage au Soudan. Pour
mieux exploiter cette ouverture, un commandement du Haut-Sénégal, basé à Médine,
puis à Kayes, est créé par décret, le 6 septembre 1880, et confié au lieutenant-colonel
Borgnis-Desbordes qui est autorisé à correspondre directement avec le ministre. Un
deuxième bataillon de tirailleur sénégalais et une compagnie d’artillerie sont levés pour
tenir la ligne des postes vers le Niger. Celui-ci est bientôt atteint en deux étapes : la
fondation du poste de Kita, le 27 février 1881, puis l’entrée dans Bamako, le 1 e
février 1883. Enfin, pendant les dix années suivantes, le chef d’escadron, puis
lieutenant-colonel Archinard soumet le Soudan lui-même, d’abord sous l’autorité de
Gallieni, puis en lui succédant au poste de gouverneur du Niger. À cette progression
méthodique s’opposent, sans coordination entre eux, les empires Toucouleurs et
Wassoulou17, entre lesquels les postes français ne sont initialement qu’une mince
bande, puis les tribus touarègues de la zone saharienne.
est obligé de rebrousser chemin du fait de la baisse des eaux et manque de s’échouer à
Ségou, où sa présence n’est pas la bienvenue. Pis encore, à Bamako l’attend l’ordre du
ministre de la Marine, l’amiral Galiber, de démonter le Niger et de le ramener à Saint-
Louis. C’est un des effets de la conférence de Berlin qui s’est tenue entre temps. Elle
délimite les zones d’influences sur le Niger, entre son cours moyen, laissé à la France, et
la partie basse du fleuve jusqu’à l’estuaire, réservée à la Grande-Bretagne : dans ce
contexte, le projet de Davoust devient intempestif. L’ordre de l’amiral Galiber est
cependant rapporté par son successeur, l’amiral Aube, convaincu de l’intérêt du
Soudan. Beau-frère de Faidherbe, il a lui-même effectué des missions sur le Sénégal.
Davoust prépare aussitôt une deuxième expédition et, tirant les leçons de la faible
autonomie de la chaudière de la canonnière, construit des chalands en bois pour porter
ses approvisionnements. Car le Niger consomme une stère de bois par heure et en
emporte seulement dix avec lui. À défaut d’un train de ravitaillement, il devrait
s’approvisionner quotidiennement en combustible, s’exposant aux dangers de
l’embuscade ou de la pénurie de bois. Mais Davoust tombe malade à son tour, et doit
rentrer momentanément en France.
10 Exploit logistique sans résultats concrets, cette première expérience fluviale est
cependant défendue par la voix du général Faidherbe, devenu sénateur du département
du Nord : « D’ici quelques années, il sera indispensable d’avoir sur le Niger plusieurs bâtiments
à vapeur. Il faudrait faire faire immédiatement, pour le service de l’État, un vapeur de
dimensions plus grandes que celles de la chaloupe le Niger et qui la doublerait. On ne peut
songer à faire venir la coque de France ou à fabriquer la machine à Bamako. Il faut donc
construire là-bas le navire en bois sur un modèle donné par le service des constructions navales
du ministère de la Marine qui fera fabriquer en France la machine à y adapter, laquelle machine
serait démontée pour être transportée comme l’a été la canonnière le Niger » 20. Ce nouveau
plan devient celui de la campagne de 1886-1887 dont est chargé le lieutenant de
vaisseau Émile Caron. Selon les instructions que lui donne Gallieni, il doit faire
l’exploration hydrographique du fleuve et étudier la situation politique ainsi que les
produits des régions qu’il traverse. Outre son commandant, l’expédition est composée
de quatre marins français et de cinq laptots, nom donné aux matelots indigènes. Elle
emporte 17 tonnes de matériel, réparties entre 700 colis, comprenant l’outillage
nécessaire aux travaux, une tonne de pièces de rechange destinées au Niger et cinq
tonnes de charbon, un complément de combustible très précieux.
11 Parti de Kayes, le 9 novembre 1886, Caron arrive à Bamako le 29 janvier 1887,
commence immédiatement les travaux d’un chantier de construction sur le fleuve et
met en coupe réglée les ressources en bois de charpente des environs. Puis, il rallie
Manambougou où il trouve le Niger échoué dans les basses eaux mais bien entretenu
par les deux marins laissés là par Davoust, le second-maître Durand et le quartier-
maître mécanicien Guégan. Complètement épuisés par le climat, ceux-ci sont
immédiatement renvoyés en France et l’équipage de relève commence la remise en état
du Niger. Pendant ce temps, Caron supervise la construction de la coque en bois de la
seconde canonnière dont il a apporté la machine21. Plus petite que le Niger, 10 mètres de
long sur 2 mètres 80, elle déplace 75 tonnes à pleine charge et porte deux Hotchkiss de
37mm. En prévision de la montée des eaux, elle est construite sur un monticule située
sur une presqu’île entre le fleuve et un marigot. Mais une crue insuffisante va
nécessiter d’importants travaux de halages supervisés par le lieutenant d’artillerie de
marine Bonaccorsi. Elle est mise à l’eau le 8 mai et baptisée Mage, en l’honneur du
premier officier français à avoir vu le fleuve sur lequel elle navigue. Dans ces conditions
par des partis de Touaregs, l’équipage craint l’avarie qui obligerait à toucher la rive.
Ainsi, le 2 octobre, un accrochage a lieu avec une centaine de Touaregs qui menacent
les trois laptots d’un chaland pris dans des herbes hautes : ils doivent être dégagés par
quelques tirs de canon26. Arrivé à Koriumé, Jaime reçoit le même accueil que Caron
précédemment : les notables de Tombouctou refusent d’accueillir une délégation
française. Le mauvais état du bâtiment (les trépidations de la machine fissurent la
coque) et les eaux déjà en baisse convainquent le lieutenant de vaisseau Jaime de ne pas
poursuivre plus loin sa mission. Sur la route du retour, il constate que le Niger ne l’a pas
attendu comme prévu. Hourst s’en explique par les menaces proférées par Mounirou et
par un message qu’il a reçu du commandant supérieur du Soudan, le lieutenant-colonel
Archinard, lequel, mis à l’écart de l’affaire « à la suite d’un quiproquo », enjoint la flottille
à rester à Koulikoro27.
15 On le voit, l’expédition de la flottille de l’année 1889 prend une tournure plus militaire
dans une région qui se « raidit » entre l’intrusion française croissante au sud, et la
domination touarègue au nord. L’ordre de rappel d’Archinard est aussi un indice de
l’accélération des événements qui peut se comprendre de deux façons. D’abord comme
la volonté du chef qui souhaite désormais garder à sa main tous les moyens dont il
dispose. Ensuite comme une reprise en main des marins, dont les moyens permettent
de gagner le pays de Tombouctou en une unique et courte campagne, par opposition à
la progression lente et méthodique des troupes de marine. Or, le lieutenant-colonel
Archinard se réserve la gloire qu’offrira la prise de Tombouctou, un des derniers noms
mythiques qui s’offre au conquérant. Le lieutenant de vaisseau Jaime n’est pas en reste
d’esprit de compétition, lorsqu’il défend l’autonomie d’action de la flottille. Selon lui,
elle devrait dépendre de la Marine à Saint-Louis pour sa chaîne de commandement
organique, et non du gouverneur du Soudan, ce dont il « résulte des erreurs provenant
de ce que le personnel chargé de préparer le ravitaillement des canonnières n’est pas
au courant du service maritime. Des militaires totalement étrangers aux choses de la
Marine ne peuvent choisir dans une longue liste de matériel les objets nécessaires sans
rien omettre, et cela malgré leur bonne volonté à notre égard »28. Et s’il défend sa
subordination opérationnelle au commandement supérieur du Soudan, il déplore
cependant que la flottille soit si mal utilisée : « (…) il est naturel aussi que le Mage et le
Niger soient une gêne, un gros ennui, pour des personnes dont ce n’est pas le métier d’armer des
bâtiments. Il résulte de ceci que les canonnières devraient être en principe armées complètement
par la Marine et placées sous les ordres du commandant du Soudan pour toutes les opérations de
guerre auxquelles elles pourraient participer. Nous croyons d’ailleurs que le commandant du
Soudan est persuadé de leur peu de valeur militaire et de leur inutilité pour lui, qu’il en fait peu
de cas et se soucie fort peu de leur concours (…) » 29. En réalité, une telle coordination est
surtout rendue difficile par l’effet du climat : les troupes de marine se déplacent en
saison sèche, pour passer facilement les marigots, alors que les canonnières ne sont
mobiles qu’à la saison humide. Ne sont-elles pas alors inutiles, ne pouvant tenir aucune
position par elles-mêmes ? L’argument est contré par Jaime qui défend leur rôle comme
« instruments de pénétrations mis à la disposition du commandant du Soudan si on le juge à
propos, mais armées par la Marine, le ministre des colonies n’ayant encore ni les arsenaux, ni les
magasins pourvus de tout le matériel indispensable »30. Il plaide ensuite pour une croisière
annuelle qui sécuriserait le commerce et attirerait à la France les populations. On
imagine qu’une fois lancé seul sur le fleuve, le commandant de la flottille retrouverait
beaucoup de son autonomie de décision.
19 Cette tentation est d’autant plus vive qu’une conjonction d’éléments précipite les
évènements de la campagne de 1893-1894. C’est tout d’abord la scission des ministères
de la Marine et des Colonies, devenus des administrations distinctes en janvier 1893.
Cette réforme se traduit par l’envoi au Soudan français d’un administrateur civil, M.
Albert Grodet, comme gouverneur de la colonie à la place d’Archinard. Cette décision
annonce la fin du monopole des « Soudanais ». Mais Archinard en détourne l’esprit
avant son départ en laissant à son intérimaire, le lieutenant-colonel Bonnier, des
consignes l’encourageant à croire qu’il est autorisé à marcher sur Tombouctou malgré
les instructions contraires du gouvernement37. Il dispose pour cela d’un second efficace
en la personne du lieutenant-colonel du génie Joseph Joffre, chargé des travaux de la
voie ferrée Kayes-Bamako. De son côté, Boiteux est aussi autorisé à aller jusqu’à
Tombouctou, et l’annonce du retour prochain d’Émile Hourst, à la tête d’une expédition
qui passera nécessairement devant « la perle du désert », l’incite à se hâter de crainte
d’être devancé38. Dans cette course de vitesse, c’est Boiteux qui a le plus d’avance. Il
appareille à la fin du mois de novembre avec le Niger et le Mage, chacun tirant un
chaland de ravitaillement. Arrivé à Korioumé le 4 décembre, il profite d’une crue
exceptionnelle qui va servir ses plans de façon décisive. Grâce à elle, en effet, il peut
emprunter le marigot qui mène à Kabara, un village à partir duquel Tombouctou est à
portée de ses canons. Dans la ville, la situation est tendue. Les habitants sont prêts à se
débarrasser des Touaregs qui les rançonnent, mais ils hésitent à changer de protecteurs
au vu du petit nombre de Français présents. Procédant par intimidation, Boiteux
parvient cependant à obtenir, le 15 décembre, la signature d’un « traité » plaçant la
ville sous autorité française. Encerclé par plusieurs tribus touarègues, sa situation reste
cependant critique39. Il met la ville en état de défense en levant une petite milice et en
érigeant deux fortins protégés par des abatis d’épineux. Il fait aussi tirer à vue sur les
Touaregs avec les deux petits canons de 37 mm qu’il a apportés. Mais sa position reste
celle d’un conquérant prisonnier de sa conquête. La flottille au mouillage est encore
plus vulnérable, gardée par seulement sept marins français et une vingtaine de laptots
sous les ordres de l’enseigne de vaisseau Léon Aube40. Le 28 décembre, ce dernier se
laisse entraîner, avec le second-maître Le Dantec et une quinzaine de laptots, à
poursuivre en pirogues une colonne de Touaregs qui les attire dans une embuscade, à
mi-chemin de Tombouctou à Kabara. Repoussés dans un marigot marécageux, ils sont
massacrés, noyés ou engloutis dans les sables mouvants 41. Arrivé sur les lieux, Boiteux
ne peut secourir que deux survivants indigènes et, le lendemain, reprendre Kabara
occupé par l’ennemi. Mais les Français restent particulièrement exposés à une attaque
de nuit contre la flottille ou contre la ville. Boiteux s’efforce pourtant de préserver les
communications entre les deux, en effectuant des sorties quotidiennes couvertes par
les canons de 37mm dont les petits projectiles, éclatant au dessus des groupes adverses,
ont un effet dévastateur. Le 2 janvier 1894, l’annonce de l’éloignement du gros des
tribus semble porteuse de succès, et le 4 janvier on ne déplore plus d’accrochages entre
Kabara et Tombouctou.
20 La prise de Tombouctou n’est pas achevée pour autant. Dès qu’il apprend l’action du
marin, le lieutenant-colonel Bonnier met sa colonne de deux cent hommes en
mouvement à marche forcée, puis portée par une flottille de trois cent pirogues. Il
arrive à Tombouctou le 10 janvier et a immédiatement une conversation orageuse avec
Boiteux au terme de laquelle il le sanctionne de quarante-cinq jours d’arrêts et lui
ordonne de regagner Ségou42. Puis il part lui-même pourchasser les Touaregs avec trois
sections, sans doute à la recherche d’un succès personnel. Dans la nuit du 15 janvier, il
est surpris à son bivouac de Tacouboro et attaqué par une forte troupe ennemie
infiltrée au plus près du campement : la surprise est totale et le détachement est
exterminé43. La situation est redevenue incertaine et il faut l’arrivée des quatre cent
hommes de la colonne de Joffre pour la rétablir définitivement. Ainsi, selon la valeur
décisive qu’on accorde à leur action, chacun de ces hommes, Boiteux, Bonnier, Joffre,
peut donc être considéré comme le « conquérant de Tombouctou », même s’il
conviendrait sans doute de parler de « conquérants par voie hiérarchique » pour les
deux derniers.
21 Quoi qu’il en soit, la victoire est amère pour les marins du Niger qui se trouvent pris
dans un enchaînement de polémiques. À commencer par leur chef, le lieutenant de
vaisseau Boiteux, qui doit répondre des accusations d’insubordination portées contre
lui avant sa mort par le lieutenant-colonel Bonnier44. Il conteste la version selon
laquelle il aurait été la cause de la marche des colonnes Bonnier et Joffre, envoyées
pour le sauver, et dénonce l’accusation de désobéissance contenue dans le rapport de
Bonnier en affirmant que plusieurs de ses dépêches ont été gardées par le commandant
supérieur du Soudan par intérim, puis perdues45. De fait, dans cette affaire, la Marine
admet ne pas avoir été informée par les Colonies des instructions données à ses
officiers et des rapports qu’ils émettent46. Boiteux demande donc à faire l’objet d’une
enquête pour établir sa bonne foi. Il subit par ailleurs les critiques de la presse, à
laquelle il fournit l’occasion de rappeler messieurs les officiers à « l’esprit d’obéissance
et de discipline »47. Mais, s’il se fait un devoir de répondre point par point à ses
détracteurs, il est jugé « un peu aigri par ses déboires non mérités ( ?) pendant la
campagne du Soudan où il a fait preuve d’intelligence et d’audace » par un de ses
supérieur qui le propose, en compensation, pour la croix de la Légion d’honneur 48. Le
22 septembre 1897, il se suicide à Grenoble, juste avant son mariage, sans qu’on puisse
établir un lien entre cet acte et une quelconque « fêlure » soudanaise.
22 Le lieutenant de vaisseau Hourst subit également par ricochet les conséquences de la
campagne de Tombouctou. Il est en effet détourné de son expédition hydrographique
pour prendre la tête de la flottille en mai 1894. Le premier avis qu’il émet sur les
canonnières est qu’elles ne sont plus utilisables en l’état : la coque du Mage est pourrie
et la navigation à vapeur des deux bâtiments présenteraient des dangers. Pour Hourst
et Boiteux, sans doute désireux de voir la Marine conserver une présence sur le Niger, il
conviendrait de les transformer en chalands propulsés à la voile et à la perche 49. Joffre
les approuve, convaincu que la navigation à vapeur n’est pas praticable avant la
construction d’une voie ferrée susceptible d’approvisionner le Soudan en charbon 50.
Mais un malentendu s’installe sur la suite à donner à ce constat. Le gouverneur Albert
Grodet privilégie la dissolution de la flottille et le versement du matériel ainsi que
d’une partie du personnel sous son autorité. La Marine y est favorable à condition de
récupérer l’artillerie et l’essentiel de ses personnels, laissant quelque temps encore des
marins employés à conduire des convois de chalands, tel l’enseigne de vaisseau Baudry,
compagnon de Hourst. Mais pour ce dernier, il n’est pas question de désarmer la
flottille ou de disperser son personnel. Peut-être pense t-il pouvoir utiliser son matériel
pour ses projets scientifiques, mais il est possible qu’il n’apprécie tout simplement pas
la manière de faire de Grodet. Entre les deux hommes s’engage un véritable duel
épistolaire. Hourst s’appuie sur un argument fort : l’absence surprenante de consignes
venant de la Marine à son égard, alors que les rues Royale et Oudinot 51 ont de fréquents
échanges sur ce sujet. Soit que la flottille ait été oubliée, soit que la scission récente du
ministère ait coupé au passage quelques courroies de transmission bureaucratiques. Le
NOTES
1. L’infanterie de marine est issue des compagnies ordinaires de la mer créées en 1622 par
Richelieu, tandis que les deux premières compagnies d’artillerie de marine sont créées à Brest et
à Toulon en 1692 ; ces deux armes sont rattachées au ministère de la guerre en 1900 sous le nom
d’infanterie et d’artillerie coloniale.
2. Carrefour de nombreuses voies commerciales transsahariennes, cité légendaire depuis le
Moyen Âge et interdite aux chrétiens, la « perle du désert » continue de hanter les imaginations.
Pourtant, Tombouctou « la mystérieuse » ne l’est plus depuis la description désabusée qu’en fit,
en 1828, le premier Européen à en revenir, René Caillié : « Revenu de mon enthousiasme, je
trouvais que le spectacle que j’avais sous les yeux ne répondait pas à mon attente ; je m’étais fait
de la grandeur et de la richesse de cette ville une tout autre idée ; elle n’offre au premier aspect
qu’un amas de maisons en terre mal construites : dans toutes les directions, on ne voit que des
plaines immenses de sables mouvants, d’un blanc tirant sur le jaune et de la plus grande aridité ».
Et en effet, Tombouctou n’est, au moment de la conquête française, qu’un gros bourg de 7 000
habitants environ.
3. Citons quelques-uns des noms typiques de ces bâtiments méconnus : Serpent, Basilic, Crocodile,
Griffon, Marabout, Africain, Arabe, Dialmath, Podor. Source : http://dossiersmarine.free.fr/
fs_av_A7.html, consulté en ligne le 11 mai 2013.
4. Médine, l’avant-poste de la colonisation française en Afrique de l’Ouest en 1855, est à 900 km
de la côte.
5. On nomme à l’époque Soudan français le territoire du moyen Niger correspondant au Mali de
nos jours.
6. L’intérêt pour le coton est alors aiguisé par la hausse des prix consécutive à la guerre de
Sécession.
7. Louis Faidherbe, « L’avenir du Sahara », Revue Maritime et Coloniale, juin 1863, cité par Eugène
Mage, Voyage dans la Soudan occidental (Sénégambie-Niger), 1863-1866, Paris, Librairie Hachette & Cie,
p. 1.
8. Ibid., p. 2.
9. Ibid., p. 12
10. Ibid., p. 16
11. Ségou, ancienne capitale de l’empire peul du Macina, est conquise par l’empire Toucouleur le
10 mars 1861.
12. En 1864, Eugène Mage reçoit la médaille d’or de la Société de géographie pour son voyage au
pays de Ségou.
13. Cité par Émile Caron, La marine au Niger, Paris, Baudoin, 1888, p. 5.
14. Menée par le lieutenant-colonel Paul Flatters, cette expédition, volontairement limitée en
hommes pour ne pas susciter la crainte des Touaregs, est massacrée par eux, le 16 février 1881, à
Bir-al-Galama (Algérie).
15. Julie d’Andurain, La capture de Samory (1898). L’achèvement de la conquête de l’ouest en Afrique,
Paris, SOTECA, 2012, p. 77 et p. 123.
16. Gouverneur du Sénégal de 1876 à 1881, Brière de l’Isle est successivement inspecteur
(1882-1883), inspecteur général adjoint (1886-1891) et inspecteur général de l’infanterie de
Marine (1892-1893). Subordonné du précédent de 1876 à 1881, Gallieni devient gouverneur
général du Soudan français de 1886 à 1891. Commandant du Haut-Sénégal de 1880 à 1883,
Borgnis-Desbordes ouvre définitivement la voie du Niger. Enfin, subordonné du précédent de
1880 à 1884, Archinard est successivement commandant supérieur du Soudan de 1888 à 1889,
gouverneur du Haut-Sénégal et du Niger en 1891 et gouverneur du Niger de 1892 à 1893.
17. L’empire Wassoulou (1878-1898) est fondé par Samory Touré dans la région du haut Niger.
Disposant d’une armée importante, disciplinée et armée de fusils modernes fournis par les
colonies britanniques, c’est le principal adversaire de la France en Afrique de l’Ouest à l’époque.
18. Daniel Grévoz, Les canonnières de Tombouctou : les Français à la conquête de la cité
mythique, 1870-1894, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 74-77.
19. L’explorateur écossais Mungo Park (1771-1806) a reconnu le Niger de Bamako à Boussa,
localité près de laquelle il meurt noyé en tentant d’échapper à ses agresseurs.
20. Émile Caron (LV), De Saint-Louis au port Tombouctou : voyage d’une canonnière française,
Paris, Augustin Chalamel, 1891, p. 65.
21. Il livre le compte-rendu détaillé de cet exploit technique dans la deuxième partie de son
ouvrage La Marine au Soudan, op. cit. p. 17-30.
22. Ancêtre de l’actuel Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM).
23. Le précédent Mage, déclassé, sert de bâtiment utilitaire sous le nom de Faidherbe.
24. Le 5 août 1890, la convention franco-anglaise fixe à Saï la limite de l’influence française sur le
Niger.
25. Jean-Gilbert Jaime, De Koulikoro à Tombouctou sur la canonnière Le Mage, Paris, Les libraires
associés, 1894, p. 164.
26. Daniel Grévoz, op. cit., p. 105.
27. « Lettre du chef d’escadron Archinard au gouverneur du Sénégal », le 3 novembre 1889.
Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Hourst, SHD/MV, CC 7 4e moderne 44/4.
28. Jean-Gilbert Jaime, op. cit, p. 367.
29. Ibid., p. 370.
30. Ibid., p. 400.
31. « Lettre du chef d’escadron Archinard au Gouverneur du Sénégal », le 10 février 1889. Dossier
individuel du lieutenant de vaisseau Émile Hourst, SHD/MV, CC 7 4e moderne 44/4.
32. « États de service du lieutenant de vaisseau Émile Hourst ». Dossier individuel du lieutenant
de vaisseau Émile Hourst, SHD/MV, CC7 4e moderne 44/4.
33. Marie-Christine Hourst-Duvoux, Exploration du lieutenant de vaisseau Hourst en Afrique, Service
historique de la Marine, Vincennes, 1992, p. 38-40.
34. « Bulletin de notation individuelle de 1892 ». Dossier individuel du lieutenant de vaisseau
Henri Boiteux, SHD/MV, CC7 2e moderne 25/2.
35. « États de service du lieutenant de vaisseau Henri Boiteux ». Dossier individuel du lieutenant
de vaisseau Henri Boiteux. SHD/MV, CC7 2e moderne 25/2.
36. Voir en particulier le chapitre de XII de l’ouvrage de Jean-Gilbert Jaime, op. cit.
37. Daniel Grévoz, op. cit., p. 119-121.
38. « Lettre du lieutenant de vaisseau Hourst au colonel Archinard, le 7 octobre 1893 ». Archives
nationales d’Outre-mer [passim ANOM], série géographique, Soudan XVI/4.
39. « Compte-rendu du lieutenant de vaisseau Boiteux au commandant militaire du Soudan, le
11 janvier 1894. » Archives nationales d’outre-mer, Série géographique, Soudan V/2.
40. L’enseigne de vaisseau Aube est le fils de l’amiral Théophile Aube, ministre de la Marine du
7 janvier 1886 au 29 mai 1887.
41. « Compte-rendu du lieutenant de vaisseau Boiteux au commandant militaire du Soudan », le
30 décembre 1893. ANOM, Série géographique, Soudan V/2.
42. « Lettre du lieutenant-colonel Bonnier au Gouverneur du Soudan », le 11 janvier 1894.
Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri Boiteux, SHD/MV, CC7 2 e moderne 25/2.
43. On déplore la perte de 10 officiers, dont le lieutenant-colonel Bonnier, 2 sous-officiers et 68
tirailleurs. Seuls 1’officier, 2 sous-officiers et 8 tirailleurs ont pu s’enfuir. « Tombouctou :
occupation de Tombouctou, lutte contre les Touaregs ». SHD/GR, 15H 35/2.
44. « Lettre du lieutenant de vaisseau Boiteux, sur les accusations d’insubordination après la
prise de Tombouctou », le 26 août 1894. Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri
Boiteux, SHD/MV, CC7 2e moderne 25/2.
45. « Lettre du lieutenant de vaisseau Boiteux à monsieur le ministre de la Marine », 26 août
1894. Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri Boiteux, SHD/MV, CC7 2 e moderne 25/2.
46. « Lettre du contre-amiral, directeur du personnel au ministre de la Marine », le 4 janvier
1898. Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri Boiteux, SHD/MV, CC7 2 e moderne 25/2.
47. L’Éclair, le 6 août 1897. Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri Boiteux, SHD/MV,
CC7 2e moderne 25/2.
48. « Bulletin individuel de notation 1896 ». Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri
Boiteux, SHD/MV, CC7 2e moderne 25/2.
49. « Lettre du lieutenant de vaisseau Hourst au commandant supérieur du Soudan », le 5 février
1894. ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.
50. « Lettre du commandant supérieur du Soudan au Gouverneur du Soudan français », le 19 mai
1894. ANOM, série géographique, Soudan XVI/3.
51. Adresses respectives des ministères de la Marine et des Colonies.
52. « Copie d’une lettre du lieutenant de vaisseau Hourst au ministre de la Marine », annotée par
le gouverneur du Soudan, le 9 janvier 1895. ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.
53. « Lettre du lieutenant de vaisseau Hourst au commandant supérieur de la région nord du
Soudan et au gouverneur du Soudan », le 28 janvier 1895. ANOM, série géographique, Soudan
XVI/ 3.
54. « Lettre du lieutenant de vaisseau Hourst au gouverneur du Soudan », le 21 février 1895.
ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.
55. « Lettre du lieutenant de vaisseau Hourst commandant supérieur de la région nord du
Soudan et au gouverneur du Soudan », le 28 février 1895. ANOM, série géographique, Soudan
XVI/ 3.
56. « Lettre du gouverneur du Soudan Albert Grodet au ministre des Colonies », le 25 mai 1895.
ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.
57. « Lettre du ministre de la Marine au ministre des Colonies », le 1 er juin 1895. ANOM, série
géographique, Soudan XVI/ 3.
58. « Lettre du lieutenant-colonel Trentigniant, lieutenant-gouverneur au ministre des
Colonies », le 8 août 1895. ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.
59. « Rapport de la direction de la défense du ministère des Colonies au ministre », le 16 mars
1896. ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.
RÉSUMÉS
Amorcée en 1854 par le général Faidherbe depuis le Sénégal, la colonisation française de l’Afrique
de l’ouest s’accélère à partir de 1878 pour ne s’arrêter qu’avec l’unification de ses possessions au
sein de l’Afrique occidentale française (AOF), en 1895. D’un point de vue militaire, la conquête est
principalement le fait des troupes d’infanterie et d’artillerie de Marine, auxquelles sont associés
les régiments de tirailleurs sénégalais nouvellement créés, mais des bâtiments sont également
armés par la Marine pour servir sur les fleuves, voies de pénétration naturelles vers l’intérieur du
continent africain. Ainsi, de 1884 à 1895, une petite flottille de canonnières est amenée du
Sénégal sur le Niger par voie terrestre, au prix d’un important effort logistique. Là, dans leur
triple rôle d’explorateurs, d’agents d’influence et de militaires, les marins participent activement
à la conquête du Soudan français jusqu’à la soumission de Tombouctou.
Initiated in 1854 by General Faidherbe from Senegal, the French colonization of West Africa
accelerated from 1878 and stopped only with the unification of their possessions in French West
Africa (AOF) in 1895. From a military point of view, the conquest was made mainly by naval
infantry and artillery, with which were associated the newly created regiments of Senegalese
riflemen, but boats were also armed by the Navy to serve on rivers, natural pathways into the
interior of Africa. Thus, from 1884 to 1895, a small flotilla of gunboats was brought on the Niger
from Senegal , at the price of a major logistical effort. There, in the triple role of explorers,
agents of influence, and military, marines participated actively in the conquest of the French
Sudan until the surrender of Timbuktu.
INDEX
Mots-clés : flotille du Niger, marine, Soudan
AUTEURS
DOMINIQUE GUILLEMIN
Professeur certifié d’histoire en charge au sein du département des études et de l’enseignement
du service historique de la Défense, de l’étude sur la Marine et les opérations extérieures depuis
1962 commandée par le chef d’état-major de la Marine. Il prépare parallèlement une thèse de
doctorat d’histoire à l’université de Paris –I sur le réseau des attachés navals français dans
l’entre-deux-guerres.
combattants : 62 400 Tunisiens et près de 37 000 Marocains combattent sur tous les
fronts de France et sur le front d’Orient.
Les cinq bataillons de chasseurs indigènes regroupés dans la brigade marocaine sont
jetés dans la bataille de la Marne à peine débarqués. Les rescapés de la brigade forment
le 1er régiment de marche de tirailleurs marocains. Les nécessités de la guerre amènent
à la constitution de nouvelles unités de l’armée d’Afrique : sept régiments de marche
sont ainsi créés en 1918 et deux régiments mixtes de zouaves et de tirailleurs.
L’armée d’Afrique fournit également, à partir de 1915, une bonne part des troupes
envoyées contre les Turcs aux Dardanelles, puis combattre, au sein de l’armée d’Orient,
les Allemands, les Autrichiens et les Bulgares. En 1918, la 1 re brigade de tirailleurs
marocains, renforcée de deux escadrons de spahis, attaque de flanc l’armée de
von Kluck. Uskub est prise par la brigade Jouinot-Gambetta composée du 1 er régiment
de spahis marocains et des 1er et 4 e régiments de chasseurs d’Afrique. Le maréchal
von Mackensen, commandant en chef du front sud-oriental, est fait prisonnier et la
Bulgarie demande l’armistice. Intégré à l’armée du général Allenby en 1917, le
détachement français de Palestine-Syrie, qui compte des tirailleurs, des chasseurs
d’Afrique et des spahis, participe à la prise de Damas avant de rejoindre le Liban.
140 000 Maghrébins participent également à l’effort de guerre dans l’industrie ou
l’agriculture. À la fin de la guerre, les unités de tirailleurs maghrébins figurent parmi
les plus décorées de l’armée française. Leurs pertes s’élèvent à 25 000 tués pour les
Algériens, 9 800 pour les Tunisiens et 12 000 pour les Marocains, sans oublier des
dizaines de milliers de grands blessés et d’invalides.
Les Indochinois
Guadeloupéens tombent lors de la bataille des frontières ou sur la Marne ; les sergents
Bambuck et Antenor de Grand-Bourg et le caporal Pitot de Basse-Terre figurent parmi
les premiers morts de la Grande Guerre. Début 1915, 12 150 Antillais sont recensés et un
premier contingent s’embarque pour la métropole. De 1914 à 1918, 101 600
Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais sont recensés, 28 984 incorporés et 16 880
dirigés vers les zones des armées ; La Réunion mobilise 6 000 de ses fils. Au total, 2 556
natifs des « Vieilles colonies » ne reviendront pas de la guerre. Quant aux possessions
du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie fournit au front 1 134 volontaires mélanésiens dont
374 trouvent la mort au champ d’honneur et 167 sont blessés ; sur les 2 290 hommes du
bataillon du Pacifique recrutés en Polynésie, 332 sont tués au front. D’autres hommes
encore servent dans les troupes du corps expéditionnaire australien et néo-zélandais
(ANZAC) qui connaît de très lourdes pertes sur le front d’Orient. Des travailleurs sont
également requis. Les comptoirs des Indes, Pondichéry, comptent près de 800 recrutés,
500 combattants et 75 tués.
Plus de 30 000 tirailleurs malgaches participent à la guerre tandis que 5 355 travailleurs
œuvrent dans les usines d’armement ou les chantiers de la Défense nationale. Parmi les
combattants, 10 000 hommes sont incorporés dans les régiments d’artillerie lourde et
2 500 servent comme conducteurs d’automobile.
Les autres mobilisés forment 21 bataillons d’étapes, indispensables à l’entretien des
voies et à l’approvisionnement des premières lignes. Plusieurs d’entre eux sont
cependant engagés directement au front, dont le 1er bataillon venu de Diego-Suarez en
1915 et surtout le 12e bataillon. Mis sur pied en octobre 1916 à partir des 12 e et 13 e
compagnies malgaches, il compte également une compagnie comorienne. Envoyé sur le
front de l’Aisne en 1917, il s’y couvre de gloire en particulier lors des combats de la
tranchée de l’Aviatik où il perd 13 Européens et 74 Malgaches et Comoriens. Le
21 septembre 1917, il repousse un assaut des troupes allemandes dans le bois de
Mortier. En mai, le bataillon défend Villeneuve-sur-Fère où tombe le chef de bataillon
Groine. Après avoir reçu une autre citation, l’unité est affectée à la division marocaine
et le 18 juillet s’empare du village de Dommiers, perdant 10 officiers et 126 hommes.
Une nouvelle citation lui permet alors de porter la fourragère aux couleurs du ruban de
la croix de guerre. Une dernière fois cité pour ses faits d’armes, le 12 e BTM, très
éprouvé, est affecté dans un secteur du front des Vosges jusqu’à la fin de la Guerre. En
égard à sa valeur, le bataillon est transformé en août 1918 en 12 e bataillon de chasseurs
malgaches, puis en janvier 1919 en 1er régiment de chasseurs malgaches. De son côté,
un 4e BTM participe à l’avance des troupes franco-serbes sur le front de Macédoine. Au
cours de la Grande Guerre, les Malgaches et Comoriens perdent 3 010 tués et 1 835
blessés.
Les Sénégalais
Le bataillon somali est formé à Majunga, à Madagascar, le 11 mai 1916, avec des
éléments recrutés en Côte française des Somalis, aux Comores et sur la Corne de
l’Afrique. Rassemblé à Fréjus, le 10 juin 1916, il prend l'appellation de 1 er bataillon de
tirailleurs somalis. Affectés à la réfection des routes dans la région de Verdun, les
Somalis n'acceptent de faire le travail que sur la promesse d'être envoyés
prochainement au front. Il faudra plusieurs rapports du chef de l'unité rappelant à la
hiérarchie que les Somalis ont été recrutés non pas comme travailleurs mais bien
118 000 Européens et 160 000 musulmans rappelés, qui s'ajoutent aux 224 000 hommes
déjà sous les armes. Placé sous les ordres du général Juin, le corps expéditionnaire
français en Italie se compose en 1943 des 2e DIM et 3e DIA qui montent en ligne au nord
de Cassino en janvier 1944. Au printemps 1944, la 4e DMM les rejoint. Elles montent à
l'assaut du Garigliano et entrent à Rome le 6 juin, avant de poursuivre vers Sienne.
Les grandes unités retirées d'Italie et de Corse ainsi que les 1 re et 5 e divisions blindées
venues d'Afrique du Nord forment l'armée B du général de Lattre qui comptent 260 000
militaires, dont la moitié issue de l’Empire. Tandis que coloniaux et artilleurs nord-
africains de la 2e DB s’illustrent de la Normandie à Paris, les premières unités
débarquent en Provence le 15 août 1944, de Sainte-Maxime à Cavalaire. Toulon et
Marseille sont libérés, puis c'est au tour de Lyon et Dijon. Le 12 septembre, les unités
venues de Normandie et celles de Provence se rejoignent. Belfort est atteint le
20 novembre. Puis c'est la bataille d'Alsace, dans les conditions extrêmes de froid.
Strasbourg et Mulhouse sont libérées. Début février 1945, les Français entrent dans
Colmar. À la mi-mars, la ligne Siegfried est percée et le Rhin franchi de vive force, la
poursuite reprenant vers Karlsruhe et Stuttgart. C'est en Autriche que l'armistice
arrête la progression. La victoire est acquise. Aux côtes des Alliés, le général de Lattre
reçoit le 8 mai 1945 la capitulation de l'armée allemande. Les pertes sont élevées : plus
de 13 000 tués dont les deux tiers de musulmans. Comme en 1918 et 1919, les unités
indigènes participent aux cérémonies de la Libération en 1944 puis de la Victoire en
1945.
En juin 1940, 15 000 tirailleurs et 20 000 ouvriers non spécialisés indochinois sont
acheminés en France. Bien qu’étant beaucoup moins nombreux que les tirailleurs
africains, ils tiennent leur place avec honneur dans les combats de 1940, servant dans
des unités de mitrailleurs, d’artillerie, antiaériennes, de pionniers, de travailleurs
militaires et des services. Composée de personnels européens et indochinois, la 52 e
demi-brigade de mitrailleurs d’infanterie coloniale (DBMIC) est mise sur pied à
Carcassonne, en septembre 1939, à 2 bataillons. Elle commence la campagne dans un
secteur du front d’Alsace avant d’être affectée à la 102e division d’infanterie de
forteresse, créée le 1er janvier 1940 pour la défense du front entre Monthermé et
Charleville, dans les Ardennes. Le 10 mai 1940, c’est une division mixte avec du
personnel européen, malgache et indochinois. Les 2 600 hommes de la 52 e DBMIC aux
ordres du colonel Barbe tiennent un front de 12 km le long de la Meuse entre Mézières
et Nouzonville. Appuyés par une artillerie obsolète et insuffisante, ils sont attaqués, dès
le 10 mai 1940, successivement par la XXIIIe division d’infanterie (DI) allemande puis
par la VIIIe Panzer, elles-mêmes appuyées par les redoutables Stukas. Le 13 mai au
matin, tous les points d’appui du secteur sont soumis à un bombardement d’artillerie
d’une extrême violence par les 72 pièces des deux régiments d’artillerie de la XXIII e DI.
Munis de leurs vieilles mitrailleuses Hotchkiss, les Indochinois, que les Allemands
prennent pour des Chinois, résistent avec acharnement et abnégation jusqu’au 15, en
dépit de pertes sévères. Sur quelque 2 000 hommes, environ 400 sont tués et 600
prisonniers. 500 combattants blessés sont évacués vers les hôpitaux avant le 15 mai,
tandis que 10 officiers, quelques sous-officiers et 500 hommes réussirent à briser
l’encerclement et à poursuivre les combats à Saint-Marcel puis à Wassigny, avant d’être
évacués sur Carcassonne où l’effectif tombe à 570 rescapés.
Le 5 juin, le 55e bataillon de mitrailleurs d’infanterie coloniale est mis sur pied par le
chef de bataillon Reben avec les rescapés et des troupes arrivées depuis peu d’Asie. Son
effectif dépasse de peu les 500 hommes, dont 2 officiers indochinois. Intégré à la 237 e
division légère d’infanterie, le bataillon combat entre Neubourg et Conchées dans
l’Orne, à partir du 14 juin. Le 24 juin, le bataillon se rétablit sur la Boutonne après avoir
rempli sa mission. On retiendra les combats héroïques de la 1 re compagnie aux ordres
du capitaine Trancart pour défendre le bourg de Gouberge.
Avec plus de 10 000 d’entre eux prisonniers en 1940, et faute de pouvoir être rapatriés,
combattants ou travailleurs sont contraints de rester en métropole durant toutes les
hostilités, dans des conditions de vie très difficiles. Parmi les indigènes rescapés des
combats, un petit nombre parvient à échapper à la captivité ou au travail forcé pour
rejoindre les maquis où leur rôle militaire en 1944 est limité par leur effectif modeste
mais hautement symbolique grâce à leur présence aux côtés des libérateurs de
l’intérieur. Issu de l'armée de l'armistice et composé pour les trois quarts de coloniaux,
dont 250 Indochinois, le maquis de l'Oisans est très tôt constitué aux ordres du
capitaine Lespiau, dit Lanvin, ancien commandant de la 7 e batterie du 10 e régiment
d’artillerie coloniale et membre de l’Armée secrète. À la tête de la 14 e compagnie de
travailleurs indochinois des groupements de militaires indigènes coloniaux
rapatriables, il rejoint l’Isère en février 1943 où son unité travaille dans les usines de la
Basse-Romanche. Grâce à une préparation et à une organisation minutieuses, il
constitue une troupe de 1 526 hommes venus de Grenoble et de sa région et d’origines
les plus variées : réfractaires au STO, Polonais, Russes, Espagnols, Indochinois et
Marocains… Organisées en 5 groupes mobiles, ces forces peuvent dès le printemps 1944
et jusqu'à la fin du mois d'août, en liaison avec les forces alliées et les maquis voisins,
engager ouvertement la lutte contre les troupes d'élite de l'occupant (division Vlassov
et CLVIe division alpine) lui infligeant de lourdes pertes en hommes et en matériels et
libérant la région de Grenoble, au prix de la mort de 183 des siens. À la libération, ce
maquis forme le groupement colonial mixte (infanterie, artillerie) qui donne naissance
au 11e bataillon de chasseurs alpins et au 93 e régiment d'artillerie de montagne. Issus
d’unités de pionniers du Liban, des Indochinois participent pour leur part à l’épopée de
la DFL dès 1941.
Tandis que des engagés volontaires servent déjà nombreux dans les régiments
d’infanterie coloniale présents en France et outremer, dès juillet 1940, quelques
Antillais rallient la France libre et leur nombre va grandissant jusqu’en 1943. À cette
date, les contingents sont répartis entre un bataillon d’infanterie, un groupement
d’artillerie, des compagnies d’ouvriers et des services en Martinique, une compagnie en
Guadeloupe, deux bataillons en Guyane et deux bataillons à l’instruction aux États-Unis.
En janvier 1944, formé de nombreux « dissidents », le bataillon des Antilles n°1 (puis
groupe de défense contre avions antillais puis 21e groupe antillais de DCA) est intégré à
la 1re division française libre et partage tous ses combats de l’Italie à la Provence et aux
Vosges puis au front de l’Atlantique où l’on relève aussi la présence du bataillon de
marche des Antilles n°5. À titre individuel, de nombreux Antillais et Guyanais servent
dans diverses unités, de la Marine en particulier. La Réunion et Pondichéry, premier
territoire à avoir rallié de Gaulle en 1940, envoient des soldats qui participent à toutes
les campagnes de la France combattante, de même qu’à leurs côtés, luttent des unités
Les Malgaches
Les Sénégalais
défaite ne permet pas d’acheminer) est prévue, forte de 159 000 hommes pour la
métropole, 20 000 pour l’Afrique du Nord et 9 000 pour le Levant. Les tirailleurs engagés
dans la campagne de France résistent vaillamment aux attaques ennemies, en
particulier ceux des 1er et 6 e DIC dans les forêts ardennaises où le 6e RICMS perd 26
officiers, 95 sous-officiers et 598 soldats européens et tirailleurs en quelques jours. Sur
la Somme, les hommes des 4e et 5 e DIC arrêtent à plusieurs reprises les assauts des
Allemands. À Aubigny, le 24 mai, le 24e RTS a perdu 60 % de ses cadres et tirailleurs ; le
10 juin, devant leur résistance, les Allemands en abattent sommairement des dizaines
autour d’Erquinvillers. Ils agissent de même le 6 juin, à Airaines, en fusillant tirailleurs
et gradés africains du 53e régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (RICMS) dont
le capitaine, N’Tchoréré, originaire du Gabon. Tandis que la plupart des unités
coloniales retraitent tout en continuant à combattre comme le 28 e RTS sur le Cher, le
27e sur la Loire ou le 19 e bataillon à Gien, l’ennemi poursuit sa politique de terreur à
l’égard des Africains. Les officiers français qui tentent de s’interposer subissent le
même sort, comme le capitaine Speckel du 16e RTS, abattu à Cressonsacq. Le 20 juin,
l’horreur culmine sur le front des Alpes, à Chasselay, près de Lyon, où 188 Européens et
Africains du 25e RTS sont massacrés par les troupes allemandes. Faute de sources
fiables, le chiffre des tirailleurs africains morts au combat ou exécutés par l’ennemi en
1940 est évalué à 5 000 hommes, tandis que plus de 30 000 Africains connaissent la
captivité en Fronstalag sur le sol français. Dès août 1940, les territoires d’AEF (Tchad,
Cameroun, Oubangui-Chari, et plus tard Congo et Gabon), se rallient au général de
Gaulle. Formé au Congo, le bataillon de marche n°1 (BM 1) aux ordres du commandant
Delange, est le premier d’une série de 16 bataillons de marche dont les tirailleurs se
battent sur tous les théâtres d’opérations de la France combattante jusqu’en 1945, sans
oublier artilleurs, sapeurs, télégraphistes, conducteurs, personnels des formations
sanitaires. Des éléments du régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad s’emparent de
Koufra au début de 1941 avant de donner naissance en 1943 au régiment de marche du
Tchad. Le BM 2 de l’Oubangui-Chari s’illustre au siège de Bir-Hakeim de mai à juin 1942.
Le BM 3 du Tchad combat en Érythrée en 1941 tandis que le BM 4 du Cameroun est
engagé en Abyssinie en juillet 1941, rejoignant au Levant le BM 2 et le BM 5 du Tchad
venant de participer à la campagne de Syrie, où leur ont été opposés d’autres tirailleurs
restés, avec leurs chefs, fidèles au maréchal Pétain. C’est peu après que les BM 21 et 24,
constitués avec des tirailleurs d’AOF ralliés à Djibouti en novembre 1942, rejoignent la
1re division française libre qui se constitue.
De fin novembre 1942 à avril 1943, le 15e RTS et des éléments d’artillerie servis par des
Africains combattent contre les Allemands en Tunisie. La 9 e DIC est créée en 1943 avec
les 4e, 6e et 13 e RTS, des unités blindées, d’artillerie, du génie et des services. En
avril 1944, la 1re division de marche d’infanterie (DMI), ex-1re DFL, débarque à Naples et
rejoint le corps expéditionnaire français d’Italie. Ses bataillons africains (BM 4, 5, 11, 21
et 24), les pionniers du 8e RTS et les artilleurs participent à cette dure campagne qui les
mène au-delà de Rome en juin. Le 17 juin, les tirailleurs de la 9 e DIC contribuent à la
prise de l’île d’Elbe, subissant de lourdes pertes : 76 tués et disparus, 122 blessés pour le
seul 13e RTS. À partir du 15 août 1944, 150 000 hommes des forces alliées, parmi lesquels
40 850 soldats européens et indigènes de l’armée française, débarquent en Provence.
Les deux divisions à fort effectifs africains, la 1 re DMI et la 9e DIC ainsi que le 18e RTS
mènent des combats décisifs de la libération de Toulon fin août (où le 6 e RTS perd
587 tirailleurs tués, disparus et blessés) à celle de Marseille. Pour les opérations de
Provence, les deux divisions comptent 1 144 tués et disparus et 4 364 blessés européens
La Côte française des Somalis (CFS) rallie la France libre en décembre 1942. Outre les
bataillons de marche de tirailleurs sénégalais n°21 et n°24 de la 1 re division française
libre, la CFS fournit à nouveau une unité de tirailleurs somalis pour participer aux
combats pour la libération de la France. Bien entendu, cette unité revendique l'héritage
du 1er bataillon de tirailleurs somalis de la Grande Guerre. C'est ainsi que le 1 er
janvier 1943, le détachement des Forces françaises libres de la Côte française des
Somalis prend le nom de « bataillon somali de souveraineté ». Le 16 mai 1944, il met sur
pied un bataillon de marche somali. Afin de former le régiment de marche de l'Afrique
équatoriale française et somalie, le bataillon de marche somali est regroupé avec les
bataillons de marche n°14 et n°15 formés principalement de tirailleurs originaires du
Cameroun et du Tchad.
Le 2 avril 1945, sur la place de la Concorde à Paris, le général de Gaulle remet les
drapeaux et étendards aux régiments de l'armée française. Il remet le drapeau du 57 e
régiment d'infanterie coloniale au régiment de marche de l'Afrique équatoriale
française et somali parce qu'il s'agit d'une unité créée et mobilisée à Bordeaux en 1915.
Trente ans plus tard, cet emblème est ainsi confié à une unité coloniale qui appartient
au détachement d'armée de l'Atlantique du général de Larminat. Quelques jours après
cette cérémonie, le régiment de marche d'Afrique équatoriale française et somalie
s'illustre dans les combats pour la libération de la Pointe de Grave. Il obtient, ainsi que
les bataillons qui le composent, une citation à l'ordre de la division. Le drapeau du
régiment et les fanions des bataillons reçoivent la croix de guerre 1939-1945 avec une
étoile d'argent le 14 juillet 1945. Un mois plus tard, le bataillon de marche somali
obtient également une citation à l'ordre de l'armée (croix de guerre 1939-1945 avec une
palme) pour avoir réussi le franchissement de vive force de la ligne d'eau du Gua au
cours des combats de la Pointe de Grave. À noter la présence au sein de cette unité, dès
1940, de soldats comoriens, les îles des Comores fournissant traditionnellement des
contingents aux unités malgaches et somalis.
ANNEXES
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Dans les tranchées, l’Afrique, l’aventure ambiguë, F. Sadki, Dimson, 2004.
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Une mémoire en partage, d’Éric Deroo et Antoine Champeaux, ECPAD, chaîne Histoire,
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Ensemble, ils ont sauvé la France, d’Éric Deroo et Antoine Champeaux, ECPAD, chaîne
Histoire, 2008.
RÉSUMÉS
Alors que sont attendus en 2014 les célébrations du centième anniversaire de la Grande Guerre
ainsi que du soixante-dixième anniversaire de la Libération de la France, cet article réunit des
éléments de documentation, une bibliographie et une filmographie sommaires sur le thème des
tirailleurs, travailleurs indigènes et soldats des outre-mer au travers des deux guerres
mondiales. Il explore les différents procédés qui ont permis de valoriser le patrimoine de
tradition des troupes indigènes : tenues et insignes spécifiques, monuments du souvenir,
organisation de cérémonies militaires, valorisation des collections conservées dans les musées ou
les salles d’honneur du ministère de la Défense. Depuis les années 1960, l’armée française
s’efforce ainsi de préserver la mémoire des soldats et « morts pour la France » recrutés dans les
colonies de l’empire. Par sa transmission aux jeunes générations de combattants, ce patrimoine
matériel et immatériel est un élément de la culture d’arme qui contribue à la capacité
opérationnelle des forces.
While awaiting the celebrations in 2014 of the centennial of the Great War and the seventieth
anniversary of the Liberation of France, this paper includes summaries of documentation,
bibliography and filmography on the subject of tirailleurs, indigenous workers and soldiers from
overseas through two world wars. It explores the various processes that have helped promote the
heritage of traditional indigenous troops: specific holdings and insignia, memorial monuments,
organization of military ceremonies, collections conserved in museums or halls of honor in
Ministry of Defense collections. Since the 1960s, the French army has tried to preserve the
memory of soldiers and those who “died for France” who were recruited from the colonies of the
empire. Through its transmission to younger generations of fighters, this tangible and intangible
heritage is a part of the culture that contributes to the operational capability of the forces.
INDEX
Mots-clés : Deuxième Guerre mondiale, Première Guerre mondiale, troupes coloniales
AUTEURS
ANTOINE CHAMPEAUX
Éric Deroo Auteur, réalisateur et chercheur associé au CNRS, il a consacré de nombreux films,
livres, articles et expositions à l'histoire contemporaine, en particulier coloniale et militaire et à
leurs représentations, en France et en outre-mer. Il est notamment l'auteur de L'illusion coloniale
(Tallandier, 2006) et La vie militaire aux colonies (Gallimard-DMPA, 2009) ou de séries
documentaires comme La force noire. Antoine ChampeauxLieutenant-colonel d'infanterie de
marine, breveté technique de l'enseignement militaire général et diplômé de l'École nationale du
patrimoine, il a été conservateur du musée des troupes de marine à Fréjus de 1998 à 2009 et est
actuellement officier adjoint du général délégué au patrimoine de l'armée de Terre.
Collaborateur d'une cinquantaine d'ouvrages et auteur de nombreux articles, il est docteur en
histoire et a organisé les colloques du Centre d'histoire et d'études des troupes d'outre-mer
(CHETOM).
Somalis ou encore les combattants du Pacifique. Les troupes coloniales participent aux
mêmes conflits que l’armée d’Afrique. Étant les premières qui « ramassent les tronçons du
glaive », elles ont notamment un rôle fondamental dans l’émergence de la France Libre
et fournirent ses premières troupes et ses premières victoires militaires au général de
Gaulle. En 1958, les troupes coloniales deviennent troupes d’outre-mer avant de
reprendre, en 1961, leur appellation ancienne de troupes de marine. Mais
contrairement aux unités de l’armée d’Afrique, majoritairement dissoutes à la suite du
retrait d’Afrique du Nord, les unités des troupes de marine sont conservées en plus
grand nombre. En effet, la France maintient un dispositif de souveraineté outre-mer
(département et territoires d’outre-mer) ainsi que des forces dites prépositionnées et
stationnées dans les États ayant signé avec elle des accords de Défense et de
coopération. La transformation radicale de l’armée française dans les années 1960 se
traduit notamment par l’émergence de l’arme nucléaire, la mise en place de nouvelles
doctrines, de nouveaux matériels et la redéfinition des relations avec les Alliés (retrait
de l’OTAN en particulier). Ces transformations et ces adaptations de l’outil de Défense
se poursuivent d’ailleurs jusqu’à la période la plus récente.
4 Néanmoins, dans cet environnement en perpétuelle mutation, le souvenir des sacrifices
consentis par les combattants de l’armée d’Afrique et des troupes coloniales n’est pas
oublié. Tout d’abord par la présence, le témoignage et l’action d’un certain nombre de
personnels issus de l’armée coloniale qui continuent à servir dans les rangs de l’armée
française. Ensuite, par la préservation de leur patrimoine de tradition 3. Ce patrimoine
de tradition des tirailleurs indigènes s'est parfois constitué anciennement, avant la
Première Guerre mondiale ou, plus récemment, au cours de la guerre d’Indochine. Il est
composé principalement des titres de guerre, citations collectives et décorations, qui
ont été attribuées à leurs unités, ainsi que des inscriptions de bataille portées sur la soie
de leurs emblèmes. Ce patrimoine a été parfois conservé et transmis jusqu'à nos jours.
Par le passé, il est arrivé également que la négligence conduise à une forme d’oubli des
sacrifices consentis par les tirailleurs. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui : différents
procédés ont permis en ce domaine de lutter contre l'oubli et d'assurer le devoir de
mémoire. Il faut noter qu’il est difficile de faire le point de ces questions 4. Une des
explications est que le destin des unités coloniales et des unités indigènes a souvent été
croisé lors de leur dissolution ou de leur transformation, alors que la règle aurait voulu
qu’il n’y ait pas d’interférences. De plus, il y a eu quelques entorses aux règles
habituelles de gestion du patrimoine. Il est arrivé par exemple que l’on assimile les
traditions du niveau du bataillon avec celles du niveau régimentaire. Mais sans doute la
préservation de la mémoire impliquait-elle ces quelques accommodements…
unités qui l'ont précédé. Le 41e BIMa est alors déclarée dépositaire des traditions du 41 e
régiment d'infanterie de marine29, c'est-à-dire des traditions du 41e régiment
d'infanterie coloniale, unité de réserve qui n'a existé que du 2 août 1914 au 30 avril
1917, et dont une partie des cadres avait renforcé le 12e bataillon de tirailleurs
malgaches30.
20 Mais le choix de cette filiation avec le 41e RIC exclut la filiation avec le 41 e régiment de
tirailleurs malgaches. En effet, dans l'armée française, la filiation se fait par le
numéro31. Mais on ne réalise jamais l'assimilation de toutes les unités ayant porté le
même numéro. On ne mélange pas les traditions de deux unités ayant eu deux
emblèmes distincts. Et l'on s'efforce de ne pas mélanger non plus les traditions des
unités d'infanterie coloniale et celles des unités de tirailleurs indigènes. Dans ce cas
précis, le respect des règles de gestion du patrimoine a pour conséquence l’oubli
provisoire du souvenir des tirailleurs malgaches.
21 En effet, les Anciens de l'unité, en particulier ceux qui ont fait la campagne de 1940 32,
gardent la mémoire de la filiation avec les tirailleurs malgaches. Ils rédigent en 1984
une étude à l'attention de la hiérarchie33. Ils demandent que le 41e BIMa renonce à la
filiation avec le 41e RIC, et qu'il adopte en revanche la filiation avec le 41 e régiment de
mitrailleurs d'infanterie coloniale, c'est-à-dire avec l'unité de traditions des tirailleurs
malgaches. En effet, cette filiation permettrait de relever dans l'armée française les
traditions de l'unique bataillon malgache combattant. C’est chose faite en juin 1992. Le
41e bataillon d'infanterie de marine est déclaré « héritier du 41 e régiment de mitrailleurs
d'infanterie coloniale34 ». Les trois citations et la fourragère aux couleurs du ruban de la
croix de guerre 1914-1918 méritées par les tirailleurs du 12e bataillon de tirailleurs
malgaches sont donc à nouveau attribuées à un drapeau existant à l'ordre de bataille de
l'armée française, et ce jusqu’à la dissolution du 41e BIMa en juillet 201235.
22 La transition avec les tirailleurs somalis36 est facile à faire puisque le bataillon somali
est formé à Madagascar (Majunga), le 11 mai 1916, avec des éléments recrutés en Côte
française des Somalis et dans les Comores. Rassemblés à Fréjus, le 10 juin 1916, les
Somalis mettent sur pied une unité de marche, en octobre 1916, qui est rattachée au
régiment d'infanterie coloniale du Maroc, le déjà prestigieux RICM. Dès lors le bataillon
somali constitue le troisième bataillon du RICM et obtient trois citations, dont deux à
l'ordre de l'armée et le droit au port de la fourragère aux couleurs du ruban de la croix
de guerre 1914-191837. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le bataillon de marche
somali participe à l'ultime phase des combats pour la Libération de la France, à la
Pointe de Grave en avril 1945, et obtient deux citations collectives, dont une à l'ordre
de l'armée.
23 Les marsouins38 présents en Côte française des Somalis, puis, à partir de 1967, sur le
Territoire français des Afars et des Issas, conservent bien entendu la mémoire de leurs
compagnons d’armes somalis. Mais il faut attendre la fin des années soixante pour voir
officialisée cette transmission de patrimoine, à la faveur de la création du 5 e régiment
interarmes d'outre-mer. En effet, la décision de création de l'unité précise qu'il est
attribué au 5e RIAOM « un emblème où figureront les inscriptions du bataillon somali 39. »
Outre les inscriptions de bataille, le 5e RIAOM hérite également des décorations
décernées au bataillon somali. En avril 1970, Michel Debré, ministre de la Défense,
décida qu'en vue de perpétuer les traditions du bataillon somali, « l'emblème du 5 e RIAOM
sera admis, de façon très exceptionnelle, à porter, accrochées à sa hampe, les deux croix de
guerre 1914-1918 avec palmes obtenues respectivement par le 5 e RIC et le bataillon somali40. » La
décision ministérielle précise que les rubans des deux croix de guerre seront ornés
chacun d'une barrette en métal blanc – comparable à la barrette des médailles
commémoratives – portant l'une l'inscription 5e Régiment d’infanterie coloniale, l'autre
l'inscription Bataillon somali.Curieusement, la décision de 1970 ignorait les titres de
guerre des Somalis de 1945. Oubli réparé – de façon non réglementaire – puisque
l'habitude a été prise d'accrocher également à la cravate du drapeau du 5 e RIAOM les
décorations décernés au bataillon de marche somali pendant la Seconde Guerre
mondiale : la croix de guerre 1939-1945 avec une palme, une étoile d'argent et une
barrette Bataillon somali.
24 Dernier témoignage matérialisant le souvenir des tirailleurs somalis, la décision 41 du
général chef d'état-major de l'armée de terre, qui donne son accord, en septembre
1996, pour que les personnels du 5e RIAOM portent en tenue de défilé, la ceinture rouge
des troupes indigènes42. C'est ainsi que les marsouins et les bigors43 du 5 e RIAOM
maintiennent aujourd'hui en République de Djibouti les traditions des tirailleurs
somalis.
lotus et la pagode Môt Côt de Hanoi (dite du pilier unique, de la colonne ou encore du
Lotus).
28 Avec pour double objectif de donner à la jeunesse une formation professionnelle qui la
rende capable d’occuper des emplois rémunérateurs et de développer en même temps
l’infrastructure économique, le gouvernement crée au début des années soixante un «
service militaire adapté aux besoins économiques et sociaux des départements d’Amérique ». Ce
service militaire adapté – SMA, nom qui lui est resté – s’est étendu depuis aux autres
DOM et TOM. Pour rappeler que les artilleurs de marine ont occupé outre-mer à la fin
du XIXe siècle des responsabilités importantes dans le domaine de l’infrastructure en
remplaçant les sapeurs du génie rentrés en France métropolitaine pour bâtir le système
fortifié défensif du pays, la garde d’étendards d’artillerie de marine est confiée à
certains régiments du service militaire adapté. C’est ainsi que l’étendard du 5 e
régiment d’artillerie coloniale, créé en 1900 à partir du régiment
d’artillerie de marine de l’Indochine et stationné en Extrême-Orient
jusqu’en 1955, est confié le 5 août 1976 à la garde du régiment du service militaire
adapté de Guyane47, devenu le 3e régiment du SMA le 1 er juillet 1987. Le souvenir des
artilleurs indochinois est ainsi conservé à Cayenne par le 3 e régiment du SMA. À une
époque plus récente le drapeau du 11e régiment d’infanterie de marine, constitué il y a
plus d’un siècle à partir du régiment de Cochinchine, est confié en l’an 2000 à la garde
d’une unité nouvelle du service militaire adapté, le groupement de Polynésie, devenu
régiment du SMA de Polynésie française et qui entretient le souvenir des tirailleurs
cochinchinois ayant servi l’armée française.
créant un 1er régiment de tirailleurs à Épinal ainsi que nous l’avons évoqué. C’est aussi
la période où l’on fête le cinquantième anniversaire du débarquement et de la
libération de la Provence, circonstance propice pour rendre un hommage appuyé aux
soldats indigènes de l’armée coloniale. À cette époque également est créée la fourragère
de l’ordre de la Libération, « insigne spécial F05B … 5D destiné à pérenniser l’ordre de la
F0
forces morales pour remplir à bien leur mission, premier devoir du soldat. Le musée de
l’infanterie, provisoirement fermé66, les musées de la cavalerie, du train ou encore de
l’artillerie, riches de collections relatives à l’Armée d’Afrique, comme le musée des
troupes de marine à Fréjus, illustrant l’histoire des troupes coloniales, sont
d’importantes structures patrimoniales qui contribuent à perpétuer le souvenir de
l’Armée coloniale. Aux collections des musées de l’armée de terre s’ajoutent
évidemment les collections conservées dans les salles d’honneur des unités qui
entretiennent cette mémoire spécifique, et celles – plus modestes sur l’histoire
coloniale – présentées au musée de l’armée, à Paris. Sur le même site de l’Hôtel national
des Invalides, le musée de l’ordre de la Libération – en cours de restauration – est
également un site où les collections muséales illustrent le sacrifice des troupes
indigènes et valorisent leur patrimoine de tradition. Il en va de même des trophées 67
exposés dans l’Église Saint-Louis des Invalides comme de toutes les autres dépouilles de
l’ennemi, collectées sur le champ de bataille pour témoigner de la victoire, encore
présentés dans les musées ou les salles d’honneur de la défense 68.
Monuments et commémorations
41 Les baptêmes de promotion dans les Écoles de l’armée de terre sont aussi l’occasion de
perpétuer la mémoire des héros de l’Armée coloniale. C’est ainsi que l’adjudant
Bourama Dieme, commandeur de la Légion d’honneur, a été choisi pour parrain par les
élèves sous-officier de la 225e promotion de l’École nationale des sous-officiers d’active
à Saint-Maixent-l’Ecole ; et l’adjudant-chef Hoang Chung par la 242 e promotion. Les
commémorations annuelles fixées par le calendrier officiel sont également l’occasion
de rappeler le sacrifice des tirailleurs : les 19 mars 69, dernier dimanche d’avril70, 8 mai71,
8 juin72, 18 juin73, 25 septembre74, 11 novembre75, 5 décembre76…
42 Les innombrables nécropoles ou cimetières77 qui, en France comme à l’étranger,
abritent les tombes des soldats indigènes morts pour la France sont aussi une étape
incontournable des « chemins de la mémoire ». On doit y ajouter les innombrables
plaques commémoratives, à commencer par celles qui dominent la cour d’honneur des
Invalides, lieu de l’hommage aux soldats morts pour la France. Nombre d’entre elles
sont dédiées à la mémoire des unités de l’ancienne Armée coloniale.
43 Un dernier domaine enfin entretient la mémoire des combattants de l’Armée coloniale,
les monuments ou mémoriaux. Certains ont une certaine notoriété, comme la Grande
mosquée de Paris ou la cathédrale du Souvenir africain érigée à Dakar, deux édifices
cultuels bâtis en hommage aux morts de la Grande Guerre ; ou le tata de Chasselay,
dans le Rhône78 ; ou encore les stèles et monuments du Jardin colonial à Nogent-sur-
Marne, site qui rassemble des représentations des cinq territoires de l’Indochine : la
Cochinchine avec le pavillon devenu Pagode du Souvenir ; le Tonkin avec le mémorial
vietnamien ; pour l’Annam, la copie d’une urne funéraire du Palais impérial de Hué ; un
monument spécifique est dédié aux soldats cambodgiens et laotiens ainsi qu’un autre
aux Indochinois chrétiens morts pour la France. En avril 1984, la Pagode du Souvenir
est incendiée. Créée en 1964, l’association nationale des anciens et amis de l’Indochine
construit en 1992 un nouvel édifice et y organise chaque année, le 2 novembre, une
cérémonie du souvenir. Sur le même site, à l’occasion de la « journée coloniale », la
Fédération nationale des anciens d’outre-mer et anciens combattants des troupes de
marine invite, chaque printemps, au recueillement. En effet, en hommage aux morts
pour la France, le jardin d’essai tropical de Nogent accueille en 1920 un monument Aux
Soldats Coloniaux de la Grande Guerre. Quelques années plus tard sont également érigés
des monuments aux soldats noirs et malgaches à proximité de ceux dédiés aux
Indochinois.
44 D’autres sites méritent assurément d’être davantage connus hors du cercle restreint
des Anciens combattants : ainsi, le mémorial national de l’Armée d’Afrique implanté à
Saint-Raphaël à l’initiative du général Callies, président fondateur de l’association
nationale Souvenir de l’Armée d’Afrique. Il est inauguré le 15 août 1975, boulevard du
général de Gaulle, sur le front de mer et accueille chaque année au mois de mai des
anciens combattants et des personnels en activité79 ; mais aussi le mémorial des guerres
en Indochine qui conserve plus de 20 000 dépouilles dont nombre de tirailleurs
indigènes, africains et maghrébins en particulier, morts pour la France en Indochine 80 ;
mais également le Missiri (mosquée africaine) érigé à Fréjus ; ou bien encore le
monument Aux Héros de l’Armée Noire81 inauguré à Fréjus le 1er septembre 1994 et inspiré
du monument de Bamako et de sa réplique érigée à Reims en 1924 et rasée par les
Allemands en 194082. Dernier en date, un mémorial dédié aux combattants musulmans a
été inauguré à Douaumont, le 18 juin 2006, sur le champ de bataille de Verdun à
l’occasion des célébrations du 90e anniversaire de la bataille. Il convient enfin de ne pas
oublier l’arc de Triomphe de Paris et la tombe du Soldat inconnu, qui est le lieu quotidien
du ravivage de la flamme du Souvenir, hommage sans cesse renouvelé à tous les soldats
morts pour la France.
45 À l’étranger, c’est sans doute au Sénégal que le patrimoine de tradition des tirailleurs
indigènes a été le plus valorisé, à travers notamment le port par l’ensemble des
personnels des forces armées sénégalaises de la fourragère aux couleurs du ruban de la
médaille militaire attribué au 43e BTS puis au 1 er RTS ; par l’instauration en 2004 d’une
« fête du tirailleur », commémorée chaque année ; et par la remise en place face à
l’ancienne gare de Dakar de la statue de Demba-Dupont83, emblématique de la fraternité
d’armes dans la Grande Guerre.
ANNEXES
Formations héritières des traditions de l’armée d’Afrique
unités de la Légion étrangère
1er régiment de tirailleurs, Epinal
1er régiment de spahis, Valence
1er régiment de chasseurs d’Afrique, Canjuers
40e régiment d’artillerie, Suippes
54e régiment d’artillerie, Hyères
NOTES
1. « Indigènes : Pour désigner le peuplement autochtone, ce terme fut d’un emploi courant après
1880, de préférence à celui denaturel. Les « vieilles » colonies, peuplées de Blancs et de Noirs
n’avaient pas de population autochtone. Ce terme fut surtout utilisé en Afrique Noire […]. À
partir de 1945-1946 le terme d’autochtone lui fut officiellement substitué. » MARTIN J., Lexique de
la colonisation française, Dalloz, 1988, p. 206.
2. Avec la suppression des appellations tirailleurs gabonais, haoussas ou soudanais, l’appellation de
tirailleurs sénégalais s’applique à tous les militaires indigènes originaires de l’Afrique de l’Ouest ou
de l’Afrique centrale, à l’exception de ceux des quatre communes de Saint-Louis, Gorée, Rufisque
et Dakar (Sénégal), qui sont citoyens français et servent dans l’infanterie coloniale sous la
dénomination d’« originaires ».
3. Instruction n° 685/DEF/EMAT/SH/D relative au patrimoine de tradition des unités de l’armée
de terre du 21 juin 1985 (BOEM 685).
4. Cf. CHAMPEAUX Antoine : « Le patrimoine de tradition des troupes indigènes », in Les troupes
de marine dans l’armée de terre un siècle d’histoire, 1900-2000, CEHD, CMIDOME, Lavauzelle, 2001 ; « Le
patrimoine de tradition de la Libération de la Provence », in Le débarquement de Provence, GAUJAC
Paul et CHAMPEAUX Antoine (Dir.), Lavauzelle, 2008 ; « Devoir d’histoire et droit à la mémoire, La
fidélité aux sacrifices consentis par les tirailleurs indigènes, Un aspect de la culture d’arme : le
souvenir des soldats de l’Armée coloniale », in Bulletin de l’association des amis du musée des troupes
de Marine, Fréjus, 2008 ; « Une mémoire de l’Indochine dans l’armée française : le patrimoine de
tradition des troupes indigènes », in Les Maquis de l’histoire, guerre révolutionnaire, guerres
irrégulières, CHAMPEAUX Antoine (Dir.), Lavauzelle, 2010.
5. Créé le 30 novembre 1910 à partir du bataillon du Chari et du bataillon mixte du Tchad.
6. Extrait de la décision n° 31/CAB/MIL/2.G.
7. Décision n° 171 du 21 novembre 1944 (JO du 17 décembre 1944) ; Décision n ° 649 du 19 avril
1945 (JO du 7 juin 1945).
8. Décision n° 1F du 18 septembre 1946 (BOPP n° 18 du 5 mai 1947, p. 1290). Seules cinq autres
unités de l'armée de terre ont obtenu cet honneur en 1939-1945 : le 2 e groupe de tabors
marocains, la 13e demi-brigade de Légion étrangère, le 4e régiment de tirailleurs tunisiens, le 3 e
régiment de tirailleurs algériens et le BIMP. Sans oublier le 2 e régiment de chasseurs
parachutistes de l'armée de l'Air, unique titulaire de la fourragère à la couleur du ruban de la
Légion d’honneur, avec six citations à l'ordre de l'armée, devenu 1 er régiment de parachutistes
d’infanterie de marine.
9. Ce qui constitue une exception notable à la règle instituée consistant à n’attribuer au
maximum que quatre inscriptions au titre du conflit 1939-1945.
10. Emblème resté à Fort-Lamy pendant la Seconde Guerre mondiale.
11. Décret du 12 juin 1945.
12. Instruction n° 1515/DEF/EMA/OL/2 sur les filiations et l’héritage des traditions des unités du
23 septembre 1983 (BOEM 685).
13. Première des unités des Forces françaises libres, répondant dès juin 1940 à l’appel du général
de Gaulle, à Chypre et à Tripoli, le 1er BIM, sous le commandement du capitaine Lorotte, est le
premier à reprendre les combats contre les forces italiennes aux confins de l’Égypte et de la
Cyrénaïque (septembre 1940).
14. Créé le 2 septembre 1940 à Tahiti, le bataillon rassemble 600 volontaires tahitiens, néo-
calédoniens et néo-hébridais.
15. Et le drapeau du 7e RIC reversé au service historique de l’armée de Terre à Vincennes, en mai
1955.
16. Le 1er décembre 1958.
17. Le drapeau du 7 e RIC est ensuite confié au bataillon autonome de Haute-Volta jusqu’en
novembre 1959, puis, en janvier 1960, au 7e RIAOM à Madagascar.
18. Les décorations attribuées au BIMP et les inscriptions : Libye Égypte Tripolitaine 1942, Tunisie
1943, Italie 1944 et Hyères-Vosges 1944.
19. Sous l’appellation de bataillon d’infanterie de marine de Tahiti.
20. Au cours d’une prise d’armes, le 31 mai 1963.
21. Décision n° 5367/EMAT/3/EPO du 24 septembre 1965.
22. Régiment d’infanterie de marine du Pacifique/Nouvelle–Calédonie (RIMaP/NC) et Régiment
d’infanterie de marine du Pacifique/Polynésie (RIMaP/P). En juillet 2012, le RIMaP devient
détachement Terre Polynésie RIMaP.
23. Décision n° 3181/DEF/EMAT/EMPL/AA du 12 novembre 1988.
24. Le régiment reçoit le patrimoine de tradition du 1er régiment de tirailleurs algériens.
25. Dont trois bataillons au sein de l'Armée d'Orient.
26. Ordre 122 F du 3 septembre 1918.
27. Ce surnom avait déjà été donné par les Bavarois aux marsouins de la « division bleue » à
l’issue des combats de Bazeilles, les 31 août et 1 er septembre 1870.
28. La 151 e compagnie de transit et de garnison qui reçoit le drapeau du 41 e RIMa, devient le 1 er
septembre 1976 la 41e compagnie de commandement, de soutien, de transit et de garnison, elle-
même transformée, le 1er août 1978, en 41e bataillon de commandement et de service.
29. Car il existe une 1 re compagnie du 41 e RIMa (compagnie subdivisionnaire du Finistère), à
Quimper, du 1er décembre 1963 à août 1966. C'est le drapeau dont elle a la garde qui est envoyé
aux Antilles.
30. Deux inscriptions au drapeau : Verdun 1916 et L'Aisne 1917. Pas de citation.
31. « Le 1er janvier 1791, les vieilles dénomination des régiments disparurent, pour être remplacées par de
simples numéros. Ces nouvelles désignations devaient fixer désormais l’individualité des corps et devenir, à
travers les vicissitudes de l’organisation, le point d’attache de tous les souvenirs. » Historique des corps de
troupe de l’armée française, Berger-Levrault, 1900, p. XXII.
32. Robert Dietrich, en particulier.
33. Documentation du Centre d’histoire et d’études des troupes d’outre-mer (CHETOM) du musée
des troupes de marine, Fréjus.
34. Décision n° 5335/DEF/EMAT/SH/DE/T du 5 juin 1992 : « Son emblème porte les inscriptions
L'Aisne 1918 et Vauxaillon 1918. Il est décoré de la croix de guerre 1914-1918 avec trois citations à l'ordre
de l'armée, de la croix de guerre des théâtres d'opérations extérieurs avec deux citations à l'ordre de l'armée
et de la croix de guerre 1939-1945 avec une citation à l'ordre de l'armée. Il porte la fourragère aux couleurs
du ruban de la croix de guerre 1914-1918. »
35. On peut ajouter également que le régiment du service militaire adapté de la Réunion
conserve la garde de l’étendard et des traditions du 7e régiment d’artillerie coloniale, régiment
d’artillerie de Madagascar.
36. Pour plus de détails sur le bataillon somali, cf. CHAMPEAUX Antoine « Les traditions du 1 er
bataillon de tirailleurs somalis », in Les Troupes coloniales dans la Grande Guerre, Economica, 1997, pp.
23-51 ; « Le bataillon de tirailleurs somalis, 1916-1918 et 1943-1945 », in Les Cahiers de Montpellier,
n° 31 I/1998, pp. 27-43.
37. Ordre n° 133F du 4 novembre 1918.
38. Soldat d’infanterie de marine.
39. Ces cinq inscriptions rappelant les faits d'armes du 1 er bataillon de tirailleurs somalis
pendant la Grande Guerre sont : Verdun-Douaumont 1916, La Malmaison 1917, L'Aisne 1917-1918, La
Marne 1918 et Noyon 1918. Elles se rajoutent aux quatre inscriptions méritées par le 5 e RIC : Lorraine
1914, Champagne 1915, La Somme 1916 et Picardie 1918.
40. Décision n° 12 475 du 1er avril 1970.
41. Décision n° 7347/DEF/EMAT/CAB/16 du 18 septembre 1996.
42. À l'origine simple sous-vêtement utilisé par tous les soldats, portée de façon apparente dans
l'infanterie d'Afrique, la ceinture est de diverses couleurs. Une répartition est peu à peu adoptée
puis réglementée. La ceinture bleue distingue les corps à recrutement européen : zouaves,
infanterie légère d'Afrique, légion étrangère. La ceinture rouge est portée par les unités de
tirailleurs à recrutement indigène.
43. Artilleurs de marine.
44. Cf. DEROO Eric et RIVES Maurice, Les Linh Tap, Histoire des militaires indochinois au service de la
France, 1859-1960, Lavauzelle, 1999.
45. Les drapeaux des 1 er, 2e, 3e et 4 e RTT portent cinq inscriptions : Sontay 1883, Bac Ninh 1884,
Langson 1884, Tuyen Quang 1885 et Hoa Moc 1885. Le 1er RTA : Sontay 1883, Bac Ninh 1884, Cambodge
1885, Laos 1893-1895.
46. Décision n° 61 du 7 novembre 1949, JO du 17 novembre 1949.
47. Issu du groupement N° 5 (du régiment mixte des Antilles-Guyane) créé le 11 décembre 1961,
devenu 3e bataillon du SMA le 1er juillet 1964.
48. Les RIAOM sont créés le 1 er décembre 1958 en remplacement des détachements motorisés
autonomes. Seuls le 1er et le 28e RIAOM héritent des traditions de RTS (1er RTS et 8e RTS).
49. Le régiment est engagé en bataillons ou compagnies isolés. Il fournit également la garde
d’honneur du général Juin puis du général de Lattre.
50. Créé en 1920, et stationné pendant une vingtaine d’années à La Rochelle, le 12 e RTS hiverne
aux environs de Marseille en 1939-1940. Anéanti en 1940, reconstitué au Maroc en 1944, son
drapeau défile sur la Cannebière le 11 novembre 1944.
51. Cf. RIVES Maurice et DIETRICH Robert, Héros méconnus, Mémorial des combattants d’Afrique noire
et de Madagascar, Frères d’Armes, 1993 ; DEROO Éric et CHAMPEAUX Antoine, La Force noire,
Tallandier, 2006 ; Lemaire Sandrine et Deroo Éric, Les tirailleurs, Histoire, Seuil, 2010 ; GAUJAC
Paul, Les troupes coloniales dans la campagne de France, 1940, Histoire et Collections, 2010.
52. Cf. BENOIT Christian, « La remise de la Légion d’honneur au drapeau du 1 er RTS le 14 juillet
1913 », in Les Cahiers de Montpellier, n° 31 I/1998.
53. Une citation à l’ordre de l’armée pour le 6 e RTS, le I/15 e RTS, le II/13 e RTS et le I/4 e RTS ; à
l’ordre du corps d’armée pour le 15e RTS ; l’inscription Tunisie 1943 pour le 15e RTS, Toulon 1944
pour les 4e et le 6e RTS ; Ile d’Elbe 1944 pour le 13e RTS.
54. Le 27 e BMTS obtient une citation à l’ordre de l’armée (12 février 1952) et une citation à
l’ordre du corps d’armée (24 mai 1955). Ce bataillon avait déjà obtenu en 1914-1918 une citation à
l’ordre du régiment, deux citations à l’ordre de l’armée et la fourragère aux couleurs du ruban de
la croix de guerre.
55. À cette date, les autres RTS deviennent également des RIMa en ajoutant le chiffre 60 à celui
antérieurement porté : 63e, 65e, 66e, 67e, 72e, 73e et 75 e RIMa. Le patrimoine de tradition des RTS
est transféré aux nouveaux RIMa. La plupart de ces unités sont dissoutes entre 1961 et 1967.
56. À partir du 7e régiment de parachutistes d’infanterie de marine et du 10 e RIAOM.
57. Les emblèmes du 1 er RTS (ceux de 1905 et de 1957) sont conservés au musée de l'Armée, à
Paris. Celui de 1950 au musée des troupes de marine, à Fréjus.
58. Arrêté du 23 février 1996 portant création de la fourragère de l’ordre de la Libération (JO du
28 mars 1996).
59. Décision n° 2196/DEF/EMAT/CAB/16 du 12 mars 1996.
60. Homologué sous le numéro G 4293, le 17 juin 1996.
61. Créé en 1834, le corps des spahis réguliers envoie un détachement à Saint-Louis du Sénégal
dès 1843. En 1928, l’escadron de spahis sénégalais devient escadron monté de la gendarmerie
coloniale du Sénégal. À l’indépendance, il devient Garde présidentielle sous le nom de Garde
Rouge. Cf. ROSIERE Pierre, Des spahis sénégalais à la garde rouge, Dakar, Éditions du Centre, 2005.
62. Dissoute une première fois en 1907, recréée en 1921 comme corps militaire des troupes
coloniales, la compagnie des Cipahis de l’Inde devient une unité de gendarmerie en 1938. Elle est
ensuite absorbée par les Forces publiques des Etablissements de l’Inde, forces dissoutes en 1954.
Le fanion tricolore des Cipayes porte 3 inscriptions : Pondichéry, Gingy, Deccan.
63. Décisions 23F du 18 novembre 1952 (1er BT) et 24F du 19 mai 1953 (1er BM).
64. Surnommés les ROK, pour Republic of Korea. 18 Coréens trouvent la mort au sein de la 2 e
compagnie du bataillon français de l’ONU en Corée.
65. Dans le même ordre d’idée, il faudrait évoquer la tradition de déposer une copie des
emblèmes décorés de la Légion d’honneur au musée de l’armée, comme l’ont fait les tirailleurs
sénégalais en juillet 1913 ; ou bien encore la collection d’emblèmes au chiffre 1 représentant tous
les régiments de l’armée coloniale, qui était exposée au musée permanent des colonies, Porte
Dorée à Paris, jusqu’aux années soixante…
66. Son implantation dans la citadelle de Neuf-Brisach est à l’étude.
67. Cf. CHAMPEAUX Antoine, « Les emblèmes, textile sacrés, textiles profanes ? »,in Réflexions sur
la présentation de collections de textiles, de costumes et d’uniformes, AGCCPF-PACA, Fage Éditions, 2006.
68. Cf. CHAMPEAUX Antoine, « Du champ de bataille au musée », in BENOIT Christian,
CHAMPEAUX Antoine, DEROO Éric Deroo et BOËTSCH Gilles (Dir.), Le sacrifice du soldat, corps
martyrisé, corps mythifié, CNRS, ECPAD, 2009.
69. Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et
militaires de la guerre d'Algérie
et des combats en Tunisie et au Maroc (loi n° 2012-1361 du 6 décembre 2012).
70. Souvenir des héros, victimes de la déportation dans les camps de concentration au cours de
la Seconde Guerre mondiale (loi n° 54-415 du 14 avril 1954).
INDEX
Mots-clés : commémorations, tradition, troupes indigènes
AUTEUR
ANTOINE CHAMPEAUX
Lieutenant-colonel d’infanterie de marine, breveté technique de l’enseignement militaire général
et diplômé de l’École nationale du patrimoine, Antoine Champeaux a été conservateur du musée
des troupes de marine à Fréjus de 1998 à 2009. Il est officier adjoint du général délégué au
patrimoine de l’armée de terre. Docteur en histoire, il a organisé les colloques du centre
d’histoire et d’études des troupes d’outre-mer (CHETOM). Collaborateur d’une cinquantaine
d’ouvrages et auteur de nombreux articles, il dirigé ou co-dirigé Forces noires des puissances
coloniales européennes (Lavauzelle, 2009), Le sacrifice du soldat, corps martyrisé, corps mythifié (CNRS,
ECPAD, 2009), Les Maquis de l’histoire, Guerre révolutionnaire, Guerres irrégulières (Lavauzelle, 2010),
et Le régiment de marche du Tchad, au cœur de la 2e DB (Pierre de Taillac Éditions, 2012). Il a publié
Michelin et l’aviation 1896-1945, patriotisme industriel et innovation (Lavauzelle, 2006) et, avec Éric
Deroo, La Force Noire (Tallandier, 2006). Il a présenté la réédition de La Force noire du lieutenant-
colonel Charles Mangin (L’Harmattan, 2011).
Généalogie
NOTES
1. Depuis le mois de février 2013 et suite au changement d’hébergeur, le site Internet du Service
historique de la Défense est automatiquement redirigé vers une nouvelle adresse
www.servicehistorique.defense.gouv.fr. Courant 2013, le site devrait à nouveau être accessible
depuis l’adresse originale www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr.
INDEX
Mots-clés : Instrument de recherches en ligne, pension, troupes coloniales, troupes indigènes
AUTEURS
SANDRINE HEISER
chargée d’études documentaires, chef du bureau de la valorisation culturelle, des publications et
des publics
HÉLÈNE GUILLOT
responsable des fonds contemporains des archives de la Guerre et de l’armée de Terre,
Département des archives définitives
Lectures
Julie d’Andurain
RÉFÉRENCE
François Cochet, Armes en guerre, XIXe-XXIe siècles, Mythes, symboles, réalités, CNRS éditions,
2012, 317 pages
1 Après avoir longtemps travaillé sur les prisonniers de guerre définis comme des soldats
sans armes, François Cochet, professeur d’histoire contemporaine à l’université de
Lorraine (Metz) inaugure désormais une réflexion plus vaste et plus globale sur le
soldat et la pratique de la guerre. Avec ce nouvel opus, l’historien s’intéresse à la mise
en valeur de la culture matérielle de la guerre, c’est-à-dire à la relation de l’homme
avec l’outil ou la machine qui, tout en prolongeant son bras, fait de lui un combattant.
Le projet ne consiste pas seulement à effectuer un travail érudit et savant – encore qu’il
soit parfaitement référencé – sur les armes du XIXe au XXIe siècle, mais plus finement de
faire émerger ce qui « sur le champ de bataille relève de l’intransmissible ». En tentant de «
faire dire la guerre aux armes », François Cochet trouve un biais astucieux pour montrer
que ce qui ne peut habituellement se caractériser par le langage – la mort, la violence
de la guerre, l’atteinte au corps et à l’âme – trouve à s’exprimer pour partie dans la
façon dont on nomme, on conçoit ou on utilise les armes. Dans une première partie,
François Cochet étudie ce que « les armes disent des évolutions guerrières » en montrant
comment s’effectue le processus d’amélioration de l’équipement, toujours enserré dans
un débat entre l’efficacité des armes et leur coût. Si un processus d’innovation et
d’automatisation est à l’oeuvre durant toute la période, il se traduit dans certains cas
par une dangerosité croissante du champ de bataille mais, celui-ci ne cessant par
ailleurs de s’adapter, d’autres inventions technologiques apparaissent, doublées le plus
Nicolas Texier
1 Dans cette collection dédiée à la publication de textes tombés dans le domaine public,
les éditions de l’Harmattan rééditent aujourd’hui un texte intitulé « La pétaudière
coloniale », paru en 1894 et dont la postérité étonne aujourd’hui. Né en 1857, Adrien-
Henri Canu sert en Indochine dans l’infanterie de marine, avant de revenir à Paris
tenter une carrière de publiciste. Proche de Déroulède puis de Drumont, antisémite,
nationaliste, il se spécialise dans la dénonciation des scandales et son anticolonialisme
est avant tout une attaque antirépublicaine par la dénonciation des turpitudes de la
Troisième République dans ses colonies. Rédigé par un homme qui n’a
vraisemblablement jamais mis les pieds en Afrique, l’ouvrage serait à peu près sans
intérêt si cette « compilation de la production journalistique de l’époque », selon Boris
Lesueur qui en signe la présentation, n’était le reflet des luttes entre les différents
corporatismes qui agissent aux colonies et ne rassemblait une collection d’anecdotes
édifiantes sur le népotisme, la corruption, l’amateurisme et la prévarication qui
accompagnent les conquêtes et caractérisent le « parti colonial ». Précédé d’une utile
présentation qui restitue le contexte et les enjeux, ce texte est l’occasion de revisiter les
débats qui traversèrent les milieux nationalistes et la presse parisienne au moment de
la reprise de l’expansion coloniale dans les années 1890.
Jean-François Dominé
1 Connu pour ses documentaires destinés à la télévision, Daniel Costelle est aussi l’auteur
de nombreux ouvrages, dont plusieurs consacrés à la Seconde Guerre mondiale. Il
aborde ici un sujet fort peu étudié, le sort fait aux prisonniers allemands (en particulier
les membres de l’Afrikakorps) transférés aux États-Unis. À l’automne 1944, ils ne sont
pas moins de 306 856 répartis dans 55 camps principaux et 511 camps annexes. Ceux-ci
couvrent tout le territoire, en majorité le Sud (notamment le Texas). Ils sont situés en
zone rurale, dans les petites et moyennes agglomérations, à l’exclusion des grandes
métropoles. Pour les soldats allemands, la découverte de l’American way of life est un
choc : l’abondance, le confort, la bonne nourriture est un émerveillement. Cependant,
les plus endurcis n’y voient qu’une forme de corruption. Respectueux jusqu’à l’absurde
de la convention relative au traitement des prisonniers de guerre du 27 juillet 1929, dite
Convention de Genève (judicieusement placée en annexe du livre), les autorités
américaines ont laissé flotter le drapeau nazi au mât des camps ; pire, ils ont laissé
l’idéologie nazie s’y propager librement. Il règne une véritable terreur entretenue par
les éléments les plus fanatiques. Des tribunaux secrets, les Kangaroo Courts, jugent les
suspects de défaitisme ou de lâcheté. Les condamnations peuvent aller jusqu’à la peine
de mort, en fait, l’assassinat. Les responsables américains jugent et condamnent à leur
tour ; ils en viennent à séparer les nazis et les antinazis. Fondé sur le recueil des
témoignages oraux (entrepris dans les années 1970), le travail de Daniel Costelle frappe
par son authenticité. Éclairé par la préface du professeur J.-P. Bled, mis en perspective
par la postface du colonel (er) F. Guelton, il met en lumière un épisode assez ignoré et
surtout montre à quel point une doctrine totalitaire peut garder les esprits sous son
emprise, au-delà de toute logique. Même si la majorité de ces hommes avaient adopté la
formule de l’écrivain Hans Werner Richter : « Nous sommes libres enfin. Prisonniers et
libres. » (Les vaincus, Horay, 1950).
Nicolas Texier
Olivier Berger
Dominique Guillemin
Hélène Guillot
1 Au-delà d’un ouvrage très bien documenté sur les tirs de canons à longue portée,
Christophe Dutrône informe le lecteur sur un aspect de la vie quotidienne des Parisiens
pendant la Grande Guerre. Événements parfois méconnus ou oubliés, les
bombardements sur la capitale ont pourtant rythmé l’existence de cet « arrière » vu
d’abord par les soldats comme un repère d’embusqués. En effet, Paris bombardé à de
nombreuses reprises se transforme en camp retranché comme le montrent très bien les
photographies utilisées. Les monuments ont été protégés, des tranchées ont été
creusées, des sirènes installées et des postes de défense contre avions établis jusqu’en
haut de la tour Eiffel. Les destructions occasionnées par les obus allemands sont
toujours l’occasion de mettre en scène la population martyrisée autour de ses ruines et
de dénoncer la « barbarie » des ennemis de la France. Des drames comme celui de
l’église Saint-Gervais, bombardée alors que 600 personnes assistent à l’office,
précipitent les Parisiens, qui le peuvent, vers les gares. Des réfugiés quittent Paris et se
rendent dans le sud-ouest de la France. Ce phénomène n’est pas à généraliser mais il
laisse le lecteur présager de l’ambiance régnant dans la capitale à cette période. Il faut
souligner, par ailleurs, la richesse de l’illustration très variée qui agrémente les récits
des contemporains tout en regrettant l’absence des références des archives consultées
et utilisées. Pour finir, cet ouvrage ne doit pas occulter l’existence, dès 1914 et tout au
long de la guerre, des bombardements aériens menés par des avions légers de type
Tauben ou des bombardiers Gothas jusqu’en 1918.
Ivan Cadeau
termes de son raisonnement, les nombreuses inconnues qui se faisaient jour au début
de la lecture de son ouvrage semblent se dissiper, le voile se lever. La vérité apparaît
alors, en définitive cohérente, bien loin de la légende qui s’est forgée au cours des
siècles et admise jusqu’ici. Il faut lire Cortès et son double, d’abord pour son sujet et le
renouveau historiographique qu’il offre sur la question mais aussi pour son approche
méthodologique : la révision de l’histoire est, en effet, la base du travail de l’historien et
Christian Duverger nous en fait une brillante démonstration.
4 Au sortir de cette passionnante étude qui, n’en doutons pas, ne manquera pas de faire
réagir les spécialistes outre-Atlantique, le lecteur ne pourra plus avoir la même vision
de la conquête du Mexique telle que relatée dans L’histoire véridique de la conquête de la
Nouvelle-Espagne. Hernán Cortès, quant à lui, restera toujours un formidable chef de
guerre, mais apparaîtra également comme un homme d’une grande culture et d’une
grande finesse d’esprit ce, par delà sa mort.
Dominique Guillemin
3 Au final, l’ouvrage du sergent Yohann Daoudy retrace ses campagnes avec une vérité de
langage et un sens du détail descriptif que n’exclue pas la verve, et il mérite de figurer
au premier rang des témoignages laissés par les soldats français engagés en OPEX.
Ivan Cadeau
Christophe Lafaye
militaires, la culture de guerre ou l’hommage aux blessés et aux morts, est très
fortement recommandée (p. 205-253). à noter que l’auteur retient particulièrement la
date du 30 décembre 2009 et la prise en otage des deux journalistes de France 3 en
Kapisa, comme étant celle d’un coup d’arrêt aux opérations de contre-insurrection dans
la zone de responsabilité française. Enfin, cet essai se ponctue par une analyse des
solutions qui auraient pu être mises en avant pour garantir l’avenir de ce pays où tout
est désormais possible, entre le spectre du retour de la guerre civile et l’espoir d’une
paix possible. En conclusion, la lecture de cet ouvrage remanié nous semble
indispensable pour tout historien souhaitant traiter de la guerre en Afghanistan. Il pose
des bases très solides (chronologiques, thématiques, etc.) pour de futures analyses sur
le conflit. Les annexes contiennent un lexique appréciable pour qui souhaite
comprendre le langage militaire contemporain. Une bibliographie et un recueil de
sources sont aussi présents. Pourtant, on peut regretter la suppression de la
chronologie présente dans la première édition, mais cet outil, consubstantiel du travail
de l’historien, a disparu sans doute au profit de notes de bas de pages plus abondantes
et fournies. Toutefois, l’éditeur a fait le choix de reléguer celles-ci en fin d’ouvrage, ce
qui a tendance à rendre la lecture un peu inconfortable. Enfin, une carte de l’évolution
des implantations militaires françaises et quelques illustrations iconographiques
auraient pu être un « plus » appréciable pour le lecteur non spécialiste.
Benoît Haberbusch
1 Sociologue de formation né en 1935, Claude Juin traite de deux thèmes récurrents sur la
guerre d’Algérie : les appelés et la torture. S’appuyant sur ses souvenirs personnels et
des témoignages plus ou moins connus, l’auteur s’interroge sur le processus qui a pu
amener les appelés, ces « gens ordinaires », à commettre des actes irréparables. L’intérêt
de sa démarche réside dans le suivi de ces conscrits avant et après leur séjour algérien.
La description de leur univers mental au moment de leur entrée sous les drapeaux est
très instructive, de même que l’évocation de leurs difficultés éprouvées lors du retour
en métropole. Toutefois, cette démonstration manque d’épaisseur. Alors que la
pratique de la torture et des exécutions sommaires par l’armée française pendant la
guerre d’Algérie est à peu près admise aujourd’hui (p. 27), Claude Juin ne parvient pas à
déterminer précisément la part prise par le contingent, faute d’un dépouillement
suffisant des archives (p. 307). Il estime, par ailleurs, qu’en chiffrage relatif, « les jeunes
qui s’y sont personnellement adonnés furent peu nombreux » (p. 307). En outre, le parcours
militant de l’auteur qui a publié le Gâchis en 1960 conduit à une analyse subjective du
conflit qui ne tient pas compte de la fragmentation et de la complexité des situations.
Ainsi, la communauté européenne d’Algérie semble réduite à ses yeux aux grands
colons exploitant « l’indigène » (p. 59-61). De même, les exactions commises par
l’adversaire sont à peine esquissées. À défaut d’une synthèse rigoureuse sur le sujet, le
livre de Claude Juin doit plutôt être considéré comme un recueil de témoignages
commentés par un ancien appelé. Ce type de source est tout aussi utile pour les
historiens.
Jean-François Dominé
1 Publié dans une collection dirigée par Olivier Forcade et Sébastien Laurent consacrée à
l’histoire du renseignement et des services secrets, préfacé par Pierre Brochand,
ambassadeur de France et ancien Directeur général de la sécurité extérieure (DGSE),
l’ouvrage du colonel Lafouasse est tiré de sa thèse de droit public. Il conserve quelques
traits universitaires : liste des abréviations, bibliographie thématique abondante (23
pages), illustrations (tableaux, cartes et figures). Cela n’est pas de trop, s’agissant d’une
matière aussi paradoxale. Ce terme revient souvent, comme ambigu ou contradictoire ;
l’auteur évoque un « hybride juridique » voire, citant l’Allemand Karl Doehring, une «
schizophrénie juridique » ou une « curiosité juridique ». C’est que l’espionnage (que les
traités se gardent bien de définir) n’est pas interdit mais qu’un espion appréhendé
encourt de lourdes peines. Afin que le lecteur se repère plus facilement, Fabien
Lafouasse distingue trois âges du renseignement : des cités antiques à 1850, il en est fait
un usage dissimulé ; de 1850 à 1962 (à cette date, le gouvernement des Etats-Unis admet
avoir survolé l’URSS à des fins d’espionnage), il devient lentement institutionnel ;
depuis, il est de mieux en mieux assumé par les États. En réalité, l’espionnage est
indissolublement lié à l’État-nation dont les services de renseignement sont des
administrations officielles. Or, il est menacé par la mondialisation et ses méthodes
d’investigation démodées par les technologies sophistiquées. Très solidement
documenté, l’ouvrage de Fabien Lafouasse propose en quinze chapitres un bilan limpide
et exhaustif du droit de l’espionnage (en temps de paix et en temps de guerre, terrestre,
aérien, naval, satellitaire, cyber espionnage). Vu la complexité de la matière, c’est une
remarquable prouesse.
Michel David
1 Beau, original et surtout instructif : telles sont les trois épithètes qui viennent à l’esprit
en parcourant l’excellent ouvrage de Dimitri Casali et Christophe Beyeler. Dans une
double démarche, historique et artistique, les deux auteurs nous invitent ici à revivre
deux millénaires d’histoire de France à travers plus d’ une centaine de tableaux dont ils
nous font découvrir la richesse de la composition, la symbolique et la signification.
Pour réussir une telle entreprise, sans doute était-il indispensable de réunir trois
qualité essentielles : du goût et de l’érudition bien sûr, mais aussi de la pédagogie. Les
deux auteurs n’en manquent pas ! Historien, spécialiste de Napoléon, Dimitri Casali est
aussi directeur de collection et compositeur. Il est notamment l’auteur de l’Altermanuel
d’Histoire de France (Perrin, 2011) qui lui a valu le prix Du Guesclin. Élève de l’école des
Chartes et de l’école du Patrimoine, Christophe Beyeler est conservateur du patrimoine
au château de Fontainebleau. Fin connaisseur de la peinture du XIXe siècle, il a été
commissaire de plusieurs expositions consacrées à l’Empire. Dans cette œuvre qui les
réunit, l’heureuse coopération des deux historiens s’exprime tout d’abord dans le choix
des 107 tableaux qui constituent la trame de cette grande fresque historique. Ces
tableaux ont tous été sélectionnés pour leur puissance évocatrice, leur charge émotive
et le soin dont a fait preuve le peintre pour raconter l’histoire à travers la composition.
Le lecteur y retrouve quelques-unes des scènes classiques dont les reproductions
ornaient autrefois nos bons livres d’histoire : le Vercingétorix jetant ses armes aux pieds de
César par Lionel Royer, le Sacre de l’empereur Napoléon 1 er de Jacques-Louis David ou la
Prise de la smalah d’Abd el Kader d’Horace Vernet. Mais on découvre aussi avec bonheur
des œuvres moins connues voire même totalement méconnues et pourtant si
évocatrices du fait historique dont elles témoignent : le Porteur de dépêches, Sainte-Marie-
aux-Chênes, près de Metz, septembre 1870, peint par Alphonse de Neuville et dormant dans
les réserves du Metropolitan Museum of Art de New York ou Le libérateur, 16 juin 1877 de
Jules Arsène Garnier, conservé à la Chambre des députés. L’intérêt principal réside
cependant dans la façon dont chaque toile est présentée, analysée et détaillée : l’œuvre
est tout d’abord reproduite pleine page, accompagnée du commentaire qui situe
l’évènement. Elle est ensuite disséquée, chaque motif intéressant étant grossi et analysé
pour fournir les clés de compréhension en fonction de l’effet recherché par l’artiste lui-
même ou par le commanditaire de la toile. Qu’il se veuille représentation fidèle de
l’évènement historique ou œuvre de propagande, chacun de ses tableaux nous livre
ainsi ses secrets et acquiert, à travers ses personnages et ses objets, un supplément de
vie et d’âme. La leçon d’histoire par l’image tient alors toutes ses promesses : le lecteur
est ébloui, comprend et retient. Sans doute, en refermant l’ouvrage, éprouvera-t-il de
surcroit cette légitime fierté de pouvoir inscrire sa propre existence dans une histoire
aussi riche et exaltante. Notons enfin que l’ouvrage s’enrichit d’une biographie des
soixante peintres dont les tableaux ont été reproduits, ainsi que d’un index des œuvres.
Dominique Guillemin
1 La Chine et la mer rassemble les actes du colloque éponyme organisé en 2007 sous la
direction du professeur Hugues Tertrais (Paris-1). Autour d’une question très actuelle,
cet événement rassemblait aussi bien des universitaires (historiens, géographes,
politistes), que des praticiens concernés par les questions de sécurité en Asie
(militaires, responsables de prospective stratégique, spécialistes du transport maritime,
etc.). Il permettait donc la rencontre du monde de la recherche, avec son approche
distanciée du sujet, et celui de la réflexion opérationnelle, fondée sur les réalités
présentes et orientée vers l’aide à la prise de décision. Au final, la quinzaine d’articles
rassemblés ici offre une vision panoramique des relations maritimes de la Chine avec
ses voisins depuis la fin de guerre civile chinoise en 1949. Du point de vue chinois, la
victoire des communistes met fin à l’humiliation coloniale ressentie depuis la guerre de
l’opium, en 1842, sans effacer pour autant le sentiment que « le malheur arrive par la mer
». Ainsi, lors de la guerre froide, la bande côtière est considérée comme une frontière
menacée par l’omnipotence navale de la VIIe flotte américaine. Si la mer permet de
ravitailler l’allié vietnamien par la « piste Ho-Chi-Minh » maritime (Christopher Gosha),
c’est aussi une zone susceptible de s’embraser à tout moment, comme lors de la crise
des détroits de Formose de 1958 (Nicolas Vaicbourdt). Cependant, en se détachant du
bloc communiste, la Chine développe sa propre vision de la puissance maritime. Cette
évolution est perceptible dans les rapports d’attachés militaires, dont le plus célèbre est
le général Guillermaz, sinologue averti (Pierre Journoud). Cependant, pour des raisons
économiques, la flotte reste une préoccupation secondaire par rapport aux autres
armées, et son entretien, comme la formation de son personnel, sont défaillants. La
marine de l’Armée populaire de libération se limite donc à la défense côtière. Depuis, la
conception chinoise a évoluée vers une défense active d’un domaine maritime élargi,
non sans susciter d’importants contentieux avec les pays riverains (Yang Baoyun).
Cette ouverture stratégique vers la mer accompagne l’essor économique chinois voulu
par Deng Xiaoping à partir de 1979. Dès 1982, l’amiral Liu Huaqing organise la
modernisation de la flotte, qui bénéficie, jusqu’à l’embargo de 1989, des transferts de
technologie occidentaux (Alexandre Sheldon-Duplaix). Devenue « l’atelier du monde », la
Chine devient également dépendante des voies maritimes pour ses échanges
commerciaux. Cette ouverture sur le monde bouleverse la donne en Asie, par exemple
dans la compétition entre les grands ports (Antoine Frémont), ou par la création d’un «
hub énergétique » pour subvenir à ses énormes besoins dans ce domaine (Hervé
L’Huillier). En définitive, cette position dominante favorisera-t-elle la coopération
régionale ou la confrontation entre puissances concurrentes pour l’accès aux
ressources naturelles ? La question est d’autant plus ouverte que les rivalités maritimes
sont intenses et complexes en Asie orientale. Au nord, la mer Jaune se transforme d’une
mer-frontière à un espace d’échanges et de revendications croisées entre Chinois,
Coréens et Japonais (Sébastien Colin). À l’est, la dispute entretenue par la Chine, le
Japon et Taïwan sur les îles Senkaku-Diaoyutai est emblématique de l’importance du
moindre domaine insulaire du fait de la substantielle zone économique exclusive (ZEE)
qu’il octroie (Philippe Peltier). En mer de Chine du Sud, Pékin prend l’ascendant sur les
riverains par une conjugaison de hard power et de soft power (général Daniel Shaeffer).
Enfin, la délimitation de la frontière maritime sino-vietnamienne dans le golfe du
Tonkin rappelle l’ancrage colonial de ces questions juridiques (Nguyen Thi Hanh). Tous
ces cas de figure laissent entrevoir une conception chinoise du droit maritime qui a
évolué d’une conception défensive, considérant les eaux territoriales comme un glacis
protecteur, à une conception plus offensive, fondée sur la revendication d’une ZEE à
partir du plateau continental (François Campagnola). En définitive, quelle évaluation
peut-on faire du risque d’un conflit majeur dans la région ? Décrivant le rôle de l’océan
Pacifique dans la vision stratégique américaine, le colonel Loïc Frouart pose la question
d’une nouvelle bipolarisation Chine-USA. Dans un tel contexte, la flotte chinoise n’est-
elle pas l’instrument d’une nouvelle lutte pour l’empire des mers ? Pour l’amiral Oudot
de Dainville, elle s’impose déjà comme un moyen d’affirmation d’une politique
nationale, et sans doute, demain, comme l’avant-garde de l’action chinoise dans le
monde. Mais celle-ci pourra être aussi contributrice de sécurité – comme elle le fait
depuis 2008 en participant à la lutte contre la piraterie dans l’océan Indien – favorisant
la pleine intégration de la Chine dans le concert des nations.