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Revue historique des armées

271 | 2013
Les armées coloniales

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/rha/7676
ISSN : 1965-0779

Éditeur
Service historique de la Défense

Édition imprimée
Date de publication : 3 juillet 2013
ISSN : 0035-3299

Référence électronique
Revue historique des armées, 271 | 2013, « Les armées coloniales » [En ligne], mis en ligne le 05 juillet
2013, consulté le 30 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/rha/7676

Ce document a été généré automatiquement le 30 mars 2020.

© Revue historique des armées


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SOMMAIRE

Dossier

Éditorial
Colonel Jean-Marc Marill

États des tendances et des savoirs sur l’histoire militaire coloniale


Julie d’Andurain

L’artillerie et les colonies sous l’Ancien Régime


Boris Lesueur

Formation et sélection des artilleurs de marine à Polytechnique


Approche prosopographique du corps des bigors (1870-1910)
Julie d’Andurain

La défense des colonies allemandes avant 1914 entre mythe et réalités


Rémy Porte

« Sind Schwarze da ? » La chasse aux tirailleurs sénégalais. Aspects cynégétiques de


violences de guerre et de violences raciales durant la campagne de France, mai 1940-
août 1940
Julien Fargettas

La presse militaire française à destination des troupes indigènes issues des différents
territoires de l’Empire puis de l’Union française
Olivier Blazy

Le rôle de la flottille du Niger dans la conquête du Soudan français, 1884-1895


Dominique Guillemin

Panorama des troupes coloniales françaises dans les deux guerres mondiales
Éric Deroo et Antoine Champeaux

Le patrimoine de tradition des troupes indigènes


Antoine Champeaux

Généalogie

Les dossiers de pensions des troupes coloniales et indigènes. La sous-série GR 13 Y f


Sandrine HEISER et Hélène Guillot

Lectures

François Cochet, Armes en guerre, XIXe-XXIe siècles, Mythes, symboles, réalités


CNRS éditions, 2012, 317 pages
Julie d’Andurain

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Adrien-Henri Canu, La pétaudière coloniale


Édition présentée par Boris Lesueur, avec la collaboration de Roger Little,L’Harmattan, 2013, coll. « Autrement
mêmes », 242 pages
Nicolas Texier

Daniel Costelle, Prisonniers nazis en Amérique


Éditions Acropole, 2012, 364 pages
Jean-François Dominé

Ivan Cadeau, Diên Biên Phu (13 mars – 7 mai 1954)


Tallandier, 2013, 207 pages, coll. L’Histoire en batailles
Nicolas Texier

Peter Hopkirk, préface d’Olivier Weber, Le grand jeu, officiers et espions en Asie
centrale
Bruxelles, Éditions Nevicata, 2011, 572 pages
Olivier Berger

Julie d’Andurain, La capture de Samory (1898).L’achèvement de la conquête de


l’Afrique de l’Ouest
Éditions SOTECA, 2012, 209 pages
Dominique Guillemin

Christophe Dutrône, Feu sur Paris ! L’Histoire vraie de la Grosse Bertha


Éditions Pierre de Taillac, 2012, 308 pages
Hélène Guillot

Christian Duverger, Cortès et son double. Enquête sur une mystification


Éditions du Seuil, 2013, 310 pages.
Ivan Cadeau

Yohann Douady, D’une guerre à l’autre


Nimrod, 2012, 393 pages.
Dominique Guillemin

Michel Bodin, Les Français au Tonkin 1870-1902. Une conquête difficile


Éditions SOTECA, coll. Outre-mer, 296 pages.
Ivan Cadeau

Jean-Charles Jauffret, La Guerre inachevée. Afghanistan 2001-2013


Éditions Autrement, 2013, 345 pages.
Christophe Lafaye

Claude Juin, Des soldats tortionnaires, guerre d’Algérie : des jeunes gens ordinaires
confrontés à l’intolérable
Robert Laffont, 2012, 372 pages
Benoît Haberbusch

Fabien Lafouasse, L’espionnage dans le droit international


Nouveau monde éditions, coll. Le Grand Jeu, 2012, 492 pages
Jean-François Dominé

Dimitri Casali, Christophe Beyeler, L’histoire de France vue par les peintres
Flammarion, coll. Histoire et actualité, 2012, 320 pages.
Michel David

Hugues Tertrais (dir.), La Chine et la mer. Sécurité et coopération régionale en Asie


orientale et du Sud-Est
L’Harmattan, 2012, 220 pages
Dominique Guillemin

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Dossier

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Éditorial
Colonel Jean-Marc Marill

1 L’intervention déclenchée au début de cette année au Mali a témoigné une nouvelle fois
de l’importance du théâtre africain, qu’a depuis soulignée le Livre blanc. « Le Sahel, de la
Mauritanie à la corne de l’Afrique ainsi qu’une partie de l’Afrique subsaharienne sont
également des zones d’intérêt prioritaire pour la France, en raison d’une histoire
commune, de la présence de ressortissants français, des enjeux qu’elle portent et des
menaces auxquelles elles sont confrontées »1. Prévu depuis un an,ce numéro de la
Revue historique des armées rencontre ainsi l’actualité nationale et internationale la plus
récente…
2 Par nature, les troupes coloniales sont depuis toujours aux avant-postes de cet
engagement africain de la France. Leur historiographie en témoigne, telle que la
présente Julie d’Andurain. Elles n’ont bien sûr pas agi seules. La Marine, dont ces
troupes dépendent jusqu’à la loi de juillet 1900, leur apporte son soutien. Comme lors
de la conquête du Soudan français, durant laquelle fut déployée une flottille sur le
Niger dont Dominique Guillemin nous raconte la singulière destinée. Qu’ils soient
artilleurs de marine sous l’Ancien Régime, ainsi que l’évoque Boris Lesueur, ou
« bigors » polytechniciens entre 1870 et 1910, comme le montre Julie d’Andurain dans
son deuxième article, les coloniaux sont attirés par l’aventure. Mais cette découverte
d’autres civilisations se paie souvent par la maladie ou la mort, rançon souvent
inévitable des campagnes ultramarines.
3 Les troupes coloniales mêlent dans leurs unités des hommes de cultures, de mœurs et
de mentalités d’une extrême diversité dont la cohésion est assurée par leur
encadrement, constitué de vieux routiers de l’outre-mer à l’autorité paternaliste.
L’article d’Olivier Blazy évoque une presse militaire pécialisée au profit des troupes
coloniales pour répondre à leur spécificité.
4 À l’opposé, les troupes coloniales allemandes se caractérisent par une diversité de
statuts. Leur recrutement, souvent mené à l’extérieur de la colonie avec une adaptation
aux contraintes locales, n’est pas moins divers. Ces troupes participent cependant avec
efficacité à la défense de l’empire colonial du Reich pendant la Première Guerre
mondiale. Un empire dont la perception par les alliés évolue entre mythe et réalité
comme le démontre le lieutenant-colonel Rémy Porte. Par la suite, le rapport à

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l’Africain se transforme en haine raciale sous l’égide des nazis dont les tueries pendant
la campagne de France en 1940, s’apparentent pour Julien Farguettas à une chasse à
l’homme noir.
5 Ce numéro est la première réalisation de la nouvelle équipe rédactionnelle mise en
place ce printemps, qui s’appuie désormais sur le département études et enseignement
du Service historique de la Défense. Ce numéro doit également beaucoup à
l’engagement personnel d’Éric Deroo et du lieutenant colonel Antoine Champeaux. Ils
ont rédigé chacun un article, l’un sur les troupes coloniales engagées dans les rudes
combats des deux guerres mondiales, l’autre sur le patrimoine culturel des « troupes
indigènes ». Plus encore, ils ont fait bénéficier la revue de leurs liens avec des
chercheurs engagés dans l’exploration de cette histoire spécifique.
6 Ainsi, ce numéro amorce une série d’évolutions. La qualité de la Revue historique des
armées repose sur des articles scientifiques, mais également sur une très riche
iconographie, largement issue des fonds et collections du Service historique de la
Défense. Celle-ci fait l’originalité de la revue dans le concert des revues historiques
scientifiques, comme l’ont encore récemment rappelé plusieurs des universitaires
membres du comité de rédaction. Ce lien entre les textes et l’iconographie fera l’objet
d’une attention renouvelée, avec le souci de valoriser à chaque fois les trésors
iconographiques conservés à Vincennes.
7 De même, un effort sera fait pour que l’ensemble des articles relevant d’un même
thème se réponde ou se complète, garantissant ainsi une meilleure cohérence à chaque
numéro. Par ailleurs – et les résultats des ventes au numéro le confirment – le choix des
thèmes des dossiers doit rencontrer davantage les attentes du lectorat. Ainsi, les
numéros consacrés aux relations entretenues par la France avec un certain nombre de
pays amis n’auront plus un caractère aussi systématique.
8 À l’inverse, le regard des historiens étrangers, largement représentés au sein du comité
de rédaction, demeure indispensable pour aborder les sujets transverses ou communs.
Nos histoires nationales sont tellement imbriquées… Elles se sont souvent construites,
selon les périodes, dans des conflits où les grandes puissances s’alliaient ou se
déchiraient tour à tour. Nos collègues étrangers nous aident en particulier à relativiser
notre propre point de vue. Ainsi, savoir que l’esprit offensif des armées françaises de
1914, si décrié par notre historiographie, était tout aussi répandu au sein des armées
allemandes à la même époque, permet de mieux apprécier les errements des débuts de
la Grande Guerre.
9 Parallèlement à ces évolutions de fond, la revue s’enrichit désormais d’une rubrique
régulière consacrée à la généalogie. Intitulée « Généalogie », elle vise également à
mieux répondre à la diversité des attentes de notre lectorat. Comme les articles
consacrés à la symbolique et aux traditions militaires, cette nouvelle rubrique sera
présente dans chaque numéro.
10 Bonne lecture à tous !

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AUTEUR
COLONEL JEAN-MARC MARILL
Docteur en histoire, rédacteur en chef.

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États des tendances et des savoirs


sur l’histoire militaire coloniale
Julie d’Andurain

1 À bien regarder, le paysage français de la recherche et de l’enseignement universitaire


en histoire coloniale abordé du point de vue militaire, n’est pas totalement déserté en
dépit des difficultés à concilier deux champs de recherche, celui des War Studies et celui
des Colonial Studies.
2 On pourrait certes se plaindre que la France n’ait pas, comme les Anglo-Saxons, une
approche du War Studies totalement décomplexée, qu’elle ne se soit pas surtout
débarrassée d’un antimilitarisme inconscient et rampant – mais surtout stérilisant –
presque consubstantiel à l’Université qui, depuis les années 1970, l’empêche d’aborder
concrètement et sereinement des questions militaires qui ont pourtant trait autant à la
politique qu’à l’économie, à l’histoire sociale qu’à l’histoire culturelle ou technique.
Mais c’est sans doute là le prix à payer d’une histoire militaire qui a croisé l’histoire
coloniale – particulièrement en Algérie – et qui se contenta longtemps de célébrer la
geste coloniale dans un style épique caricatural et qui, par un discours légitimateur,
contribua à imposer une histoire officielle faisant abstraction des populations
colonisées et de leur lutte pour l’indépendance. En réaction, sur la base d’un héritage
marxiste porté par les écrits de Lénine, d’Hobson, de Robinson et Gallagher, une
analyse de l’impérialisme allait entraîner une vision manichéenne du fait colonial,
vision opposant les dominants et les dominés. Nées au début des années 1980, les
Subaltern Studies ont visé à prendre en compte la parole des colonisés proposant ainsi
une critique postcoloniale de la modernité, mais en réalité, il y avait déjà longtemps
que le problème ne se posait plus en une opposition binaire colonisateurs / colonisés,
dominants / dominés mais bien sur la base d’une analyse globale des sociétés coloniales
et des interactions entre les groupes comme l’avait si bien montré le sociologue
Georges Balandier (1951). Aujourd’hui, particulièrement depuis le début du XXIe siècle,
la jeune génération des historiens du fait colonial a fort heureusement très largement
dépassé ces tendances dualistes en ayant fait le point sur les enjeux et les débats des
Post-Colonial Studies et des Colonial Studies1. Si les Post-Colonial Studies des années 1990 ont
entraîné un retour d’une vision manichéenne de l’histoire et du présent en diabolisant

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la domination coloniale, les Colonial Studies, apparues autour des années 2000, ont
marqué une plus grande volonté d’historiciser les débats, couplant élargissement de
l’analyse à l’étude d’une dimension impériale renouvelée tout en réinvestissant
judicieusement les apports d’Edward Saïd dans les travaux croisant le Science Studies et
du Colonial Studies2.
3 Cependant, les termes ne trompent pas. War Studies, Subaltern Studies, Colonial Studies…
La conceptualisation du fait historique vient d’outre-Atlantique et ce depuis longtemps.
Cela ne signifie pas pour autant que les historiens français soient inexistants.
Simplement peut-on reconnaître qu’ils ont toujours eu plus de mal que leurs voisins
anglo-saxons à s’engager dans des champs de recherche nouveaux, soit à pousser les
portes de la « bien-pensance » universitaire qui avait, entre autres choses, du mal à
disserter sur l’armée inévitablement perçue comme un outil de domination
impérialiste, soit à sortir de son cadre étroitement métropolitain. C’est la raison pour
laquelle, au cours des années 1960, les meilleurs textes renouvelant le champ militaire
ou le champ colonial sont anglo-saxons (Robert O. Paxton, L’armée de Vichy, le corps des
officiers français 1940-1944, 1960 ; Kanya-Fortsner, The Conquest of the Western Sudan. A
Study in French Military Imperialism, 1969), tandis que des personnalités comme Raoul
Girardet restent encore assez marginalisés quoique leurs travaux soient jugés
fondateurs (La société militaire de 1815 à nos jours, 1953). Mais au début des années 1970,
tandis que les Subaltern Studies ne se développent pas encore dans les universités des
Sud, des productions associant systématiquement monde colonial et monde militaire
émergent dans le sillage de ceux d’André Martel, de Jean Ganiage, de Charles-Robert
Ageron. Connaisseur de l’Afrique, Marc Michel soutient une thèse sur La mission
Marchand, 1895-1899 en 1968 et la fait publier quatre ans plus tard, tandis que Jacques
Frémeaux se lance dans une thèse de 3e cycle sur Les bureaux arabes dans la province
d’Alger (1844-1856) sous la direction de Xavier Yacono, avant d’aborder plus
généralement le monde militaire colonial avec L’Afrique à l’ombre des épées (publié en
1993). Entre temps, une petite équipe de chercheurs spécialisés sur le fait colonial a
émergé, collaborant d’ailleurs parfois à des travaux collectifs (J. Frémeaux, D.
Nordmann, G. Pervillé, Armées, guerre et politique en Afrique du Nord (XIXe - XXe), 1977 ;
Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie, 1954-1962, 1982) et abordant
des sujets très novateurs ceux que l’on ne qualifie pas encore alors de Gender Studies
(Hélène d’Almeida Topor, Les Amazones. Une armée de femmes à l’époque précoloniale, 1984).
En 1987, Jean-Charles Jauffret affirme encore davantage le caractère croisé du fait
militaire et du fait colonial avec sa thèse sur Parlement, gouvernement, commandement :
l’armée de métier sous la IIIe République (1871-1914), tandis que beaucoup d’historiens
restent très proches du fait militaire colonial (Catherine Coquery-Vidrovitch avec ses
recherches sur l’Afrique, Vincent Joly avec sa thèse sur Albert Dolisié en 1980 ; Gilbert
Meynier et ses travaux sur l’Algérie coloniale en 1981 ; Daniel Rivet avec son travail sur
Lyautey en 1985). Inutile de dire que toutes ces études ont marqué toute une génération
de jeunes chercheurs. Ils sont à la base des travaux actuels sur l’histoire du fait
militaire en situation coloniale qui tendent tous vers l’idée qu’au-delà des
affrontements, il y eut des accommodements (Marc Michel, Essai sur la colonisation
positive. Affrontements et accommodements en Afrique noire, 1830-1930, 2009) ou que le
processus colonial a constitué en réalité un passage vers la modernité à travers un
processus plus global, celui de la mondialisation (Jacques Frémeaux, Les empires
coloniaux dans le processus de mondialisation, 2002).

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4 Actuellement, c’est au sein de ces équipes – réparties sur les universités du grand Paris
et d’Aix-Marseille et du littoral atlantique – que s’organise le renouvellement des
études avec une approche parfois novatrice comme l’ont montré les travaux de
Raphaëlle Branche (La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, 2001) et de Sylvie
Thénault (Une drôle de justice, les magistrats dans la guerre d’Algérie, 2001). En parallèle,
toute une équipe de chercheurs, encore qualifiés parfois de « juniors », aborde le fait
colonial dans une dimension qui n’est pas strictement militaire, privilégiant plutôt la
question des savoirs coloniaux, laquelle cependant porte en elle une dimension
militaire, mais peu développée jusqu’à présent (travaux d’Hélène Blais, Emmanuelle
Sibeud, Pierre Singaravélou, Isabelle Surun, Jean-François Klein, etc.). Cela n’exclue pas
des analyses biographiques plus classiques dans des universités littorales (Jean-Pierre
Bois, Bugeaud, 2009), de même que des études qui se trouvent en lisière du fait militaire
(Jean-Louis Triaud, La légende noire de la Sanûsiyya. Une confrérie musulmane saharienne
sous le regard français, 1840-1930) voire des dictionnaires (André-Paul Comor, Dictionnaire
de la Légion étrangère, 2013). Mais de belles thèses, telle celle de Papa Dramé sur La
Défense de l’AOF (1895-1940) publiée en 2003 ou les travaux de Paul et Catherine Villatoux,
La République et son armée face au péril subversif. Guerre et action psychologique 1945-1960,
parus en 2005, des travaux croisant problématiques historiques et contemporaines
(Walter Bruyère-Ostell, Histoire des mercenaires, 2011) montrent qu’il est désormais
possible de concilier, à l’université, histoire coloniale et histoire du fait militaire
d’autant que ces thématiques ouvrent des perspectives bien plus larges. Dans notre
thèse (Le général Gouraud, un colonial dans la Grande Guerre, 2009), nous avons cherché à
montrer que le fait colonial ne saurait être séparé de sa dimension métropolitaine et
que le fait militaire, fut-il en situation coloniale, relève avant tout de l’histoire
politique.
5 Eu égard au chemin parcouru, il resterait peut-être encore à ouvrir davantage les
portes entre les milieux militaires (et leurs archives) et les milieux universitaires car ils
auraient, les uns et les autres, fort à gagner d’un partenariat d’autant que les milieux
militaires eux-mêmes (Rémy Porte, La conquête des colonies allemandes : naissance et mort
d’un rêve impérial, 2006 ; Antoine Champeaux (avec Éric Deroo), La Force noire. Gloire et
infortune d’une légende coloniale, 2006 ; Alexis Neviaski, Képi blanc, casque d’acier et chemine
brune. Une tentative subversive vue par les archives françaises, thèse 2009 ; Julien Fargettas,
Les tirailleurs sénégalais. Les soldats noirs entre légendes et réalités, 1939-1945, 2012)
apportent eux aussi beaucoup à la connaissance sur l’histoire du fait militaire en
situation coloniale.

NOTES
1. Voir le remarquable article d’Emmanuelle Sibeud, « Post-colonial et Colonial Studies : enjeux et
débats », Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 51, 4 bis, 2004, p. 87-95.
2. Voir les travaux de Pierre Singaravélou et particulièrement, « L’enseignement supérieur
colonial. Un état des lieux », Histoire de l’éducation, n°122, 2009, p. 71-92

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INDEX
Mots-clés : enseignement, histoire coloniale, histoire militaire

AUTEUR
JULIE D’ANDURAIN
Agrégée et docteur en histoire, elle est actuellement enseignante-chercheur au CDEF (École
militaire) et chargée de cours à Paris-Sorbonne. À la suite de sa thèse sur Le général Gouraud, un
colonial dans la Grande Guerre (soutenue sous la direction de Jacques Frémeaux, Paris-Sorbonne,
2009), elle vient de publier La capture de Samory, l’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest
(Sotecan 2012).

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L’artillerie et les colonies sous


l’Ancien Régime
Artillery and colonies under the Old Regime

Boris Lesueur
Traduction : Robert A. Doughty

1 « Il voulait absolument établir une batterie semblable à celles que l’on construit à
l’école de Metz. Le soldat disoit hautement qu’il sembloit qu’on attaquât Luxembourg »
[sic]1. (Siège de Cangivaron, Inde, janvier 1761)

Introduction
2 Hasard de l’histoire ou phénomènes intimement liés à l’affirmation de l’État moderne,
la création du premier empire colonial français et l’apparition de l’artillerie en tant
qu’arme structurée furent quasiment simultanées. En effet, Louis XIV incorpora les
colonies dans le domaine royal à partir de 1664 et décida d’y entretenir des troupes
régulières à partir de 16722. En 1676, l’organisation du corps des fusiliers du roi dédiait
pour la première fois des troupes au maniement des canons sur le champ de bataille qui
devenaient ainsi un facteur décisif de la victoire, ultima ratio regum comme le fit graver
sur ses canons Louis XIV. Des ordonnances, en avril 1693 et en novembre 1695 3,
affectèrent définitivement ce régiment au service des canons, confirmant l’apparition
d’une arme autonome sur le champ de bataille. L’absence de mobilité des pièces
souvent trop lourdes limitait leur intervention aux sièges des places, et dans de rares
occasions, aux batailles. Or, la guerre de Sept Ans marqua une profonde rupture
puisqu’elle devint un élément dispensable pour tenir une position ou pour préparer un
assaut4. Mais en était-il de même pour les colonies où le chevalier Durre, qui
commandait l’artillerie de l’Inde, s’était attiré des sarcasmes du reste de l’armée ?
3 De Colbert à 1894, les colonies en France relevèrent de la Marine qui devait les
administrer et les défendre, dans une époque troublée qui vit la France et la Grande-
Bretagne s’affronter en sept conflits majeurs de 1688 à 1815. Si l’on considère que le
sort des colonies dépendait uniquement des affrontements sur mer, on doit observer

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que les conceptions tactiques du temps avec l’adoption de la ligne de file aboutissaient
à une relative stérilité des affrontements, dans le cadre d’un système technologique – le
vaisseau de ligne – qui ne changeait guère5. Maurepas, inamovible secrétaire d’État de
la Marine, de 1726 à 1749, avait conclu par une phrase définitive sur la relative
inefficacité des combats navals et des échanges d’artillerie : « Savez-vous Messieurs ce
qu’est une bataille navale ? On se recherche, on se salue, on se canonne et la mer n’en est pas
moins salée »6. C’était une illusion car les batailles étaient sanglantes 7. Suffren dans
l’Inde, la bataille des Saintes et plus encore Nelson par la suite changèrent le paradigme
à la fin du XVIIIe siècle qui vit le retour de batailles décisives sur mer. Mais cela ne dit
pas comment la Marine concevait l’usage de l’artillerie pour la défense des colonies.
Toute une historiographie nie d’ailleurs que la guerre aux colonies ait pu nécessiter le
recours à des conceptions classiques de la guerre : dans la description de la guerre « à la
canadienne », les raids et les embuscades des miliciens suffisaient à protéger les
colonies. Ainsi, dans le premier siège de Québec, la mousqueterie avait suffi à
désorganiser les colonnes d’assaut britanniques8 tandis que les batteries de la Marine
avaient tenu au loin l’escadre de Phipps. L’adoption du système Vallière en 1732 et plus
encore de celui de Gribeauval au lendemain de la guerre de Sept Ans avaient spécialisé
et uniformisé les pièces et surtout veillé à leur donner une plus grande mobilité sur le
champ de bataille. Les colonies restèrent-elles à l’écart de ces évolutions ?
4 On conçoit bien que le XVIIIe siècle fut décisif pour les transformations de l’artillerie à la
fois sur mer et sur terre. Une question survient nécessairement : quelle place accorda-t-
on aux colonies dans ce contexte de transformation de l’art militaire ? Après une
longue période durant laquelle on se contenta de copier maladroitement la guerre sur
mer en multipliant les batteries sur les rivages, la guerre de Sept Ans fut une rupture
brutale qui marqua l’irruption d’un usage offensif de l’artillerie, nécessitant le recours
à un personnel spécialisé.

La Marine et l’artillerie
5 Contrairement à ce qu’on pourrait penser hâtivement, on ne peut pas dire que
l’artillerie de la Marine était la même que celle servant aux colonies 9. En effet, la flotte
disposait pour son usage de trop peu de personnel spécialisé pour que ce pût être une
option envisageable. En 1666, et plus sûrement le 15 octobre 1676, on fonda des écoles
d'artillerie dans les ports pour former les matelots des classes au service du canon 10. La
grande ordonnance de 1689 instaura seulement trois compagnies de canonniers de cent
hommes pour Brest, Rochefort et Toulon, ainsi qu'un détachement de trente hommes
au Havre. L’instruction durait 8 mois. Ceux qui étaient jugés aptes à devenir
ultérieurement maîtres-canonniers recevaient une instruction complémentaire de
4 mois. En 1693, 26 maîtres-canonniers figuraient sur le budget de l'arsenal de Toulon
au chapitre des officiers-mariniers11. En 1682, la marine royale se mit à construire des
galiotes, c’est-à-dire des navires créés pour le bombardement des places, le besoin d’un
personnel qualifié se fit sentir12. Pour cela, on dut envoyer les bombardiers se former à
Metz13. L’ordonnance du 16 avril 1689 créa deux compagnies de bombardiers des classes
à 50 hommes. En 1694, une troisième compagnie fut instaurée pour Rochefort. Les
bombardiers s'occupaient des travaux dans les ports et étaient soumis à un
entraînement permanent. Leur fonction était de servir sur les galiotes à bombes ou
d’être embarqués comme canonniers ou aide-canonniers sur les navires de ligne, car ils

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étaient les seuls matelots à être de fait régulièrement instruits. L'ordonnance du


6 février 1692, simplifia l'organisation du commandement de l'artillerie dans la Marine
en fusionnant le corps des commissaires d'artillerie jusque-là chargés des canons eux-
mêmes avec celui des officiers de galiotes. Ces officiers d’artillerie de la Marine étaient
peu nombreux : en 1750 ils n’étaient que 46, uniquement officiers de vaisseau, « qui se
regardaient moins comme officiers d’artillerie que comme officiers de vaisseaux […], n’étaient
pas aussi appliqués qu’ils étaient autrefois à les instruire et à s’instruire eux-mêmes 14 ». Le
problème de l’instruction ne fut résolu que dans les années 1786-1795 15. De même, la
normalisation avait pris du retard puisqu’en 1783, on utilisait encore 7 calibres et
23 espèces de canons différents dans la Marine16.
6 Dans ces conditions, on ne peut pas espérer trouver des artilleurs de la Marine aux
colonies. À la Guadeloupe, en mars 1703, on ne trouvait que trois canonniers entretenus
et on dut en débaucher deux autres d’un navire nantais17. En effet, la Marine se
contentait d’entretenir des « maître- canonniers » aux colonies, c’est-à-dire des officiers
mariniers dont la principale tâche consistait en la garde du magasin d’artillerie. En
novembre 172318 par exemple, trois canonniers avec leur femme et leurs enfants,
accompagnés de deux armuriers, furent embarqués pour Saint-Domingue. L’un d’entre
eux, Louis Martin, qualifié de « canonnier entretenu » demanda trois ans plus tard à
rentrer en France ; un caporal de la compagnie des bombardiers de Rochefort proposa
de le remplacer, contre 25 livres par mois19. Pour la Louisiane, on pourrait citer la
nomination de Jean-Baptiste Rollant le 24 mai 1747 comme maître-canonnier au poste
de la Balise. Bombardier des vaisseaux du Roi, il avait 8 ans de service. Il conclut un
contrat pour occuper ce poste en échange de 600 livres par an, une ration de farine par
jour et un passage gratuit pour sa femme et sa belle-sœur 20. Les contrats variaient en
fonction des colonies et des époques. Ainsi, en 1734, l’intendant de Rochefort,
Beauharnais, avait engagé deux canonniers pour le Petit Goave à Saint-Domingue (Haïti
aujourd’hui) contre 60 livres par mois et une ration de farine 21. Le cas était peut-être
particulier car il semble que cette année-là l’intendant ait été en concurrence avec la
Compagnie des Indes. En effet, les directeurs de la Compagnie demandaient trois
canonniers pour Gorée et le Sénégal, dont un devait être impérativement un
bombardier. Ils promettaient une ration et demie pour chacun, 600 livres pour le 1 er, et
500 pour les deux autres22. On les adressa au bureau des classes.
7 Ce n’est pas qu’aux colonies on ignorait les canons, bien au contraire on les accumulait.
De 1700 à 1750, 59 nouvelles batteries furent construites à la Martinique ; le nombre de
canons disponibles dans l’île passant de 76 en 1703, à 277 en 1739. L’implantation était
essentiellement côtière pour prévenir de coups de main venus de la mer et souvent les
batteries ne protégeaient guère qu’un embarcadère. Sur les quelque 180 sites recensés à
la Martinique de 1635 à 1845, 75 % étaient placés en bord de mer et seulement 43 furent
édifiés à plus de 500 mètres du rivage23. À Saint-Domingue on trouvait en mai 1784,
1251 pièces, dont 1023 en position et 228 en magasin, tandis que 100 autres pièces
avaient été déclarées hors de service24.
8 Avec le traité d’Utrecht, la France et ses colonies connurent une période de paix qui se
prolongea jusqu’au début des années 1740 : succéda alors un cycle de guerres
ininterrompues. Les colonies disposaient de troupes régulières depuis 1674 pour les
Antilles et de 1683 pour le Canada, les compagnies détachées de la Marine. Il y en eut
également après 1719 grâce un régiment suisse au service de la Marine et des colonies :
en tout de 3 à 4 000 hommes25. On spécialisa tardivement des troupes dans le service de

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l’artillerie en créant des compagnies spécifiques pour le service colonial, les


canonniers-bombardiers de la Marine. La première initiative fut prise à propos de la
ville fortifiée de Louisbourg, dans l’île Royale26, car il ne suffisait pas d’avoir des canons,
il fallait aussi savoir s’en servir : « Dans la vue de pourvoir au service de l’artillerie qui est
assez considérable à Louisbourg, le Roy [...] a donné des ordres pour qu’on détache de la garnison
de cette place un certain nombre de soldats qui seront instruits dans l’exercice du canon » 27.
Dans l’urgence, on prescrivait de faire passer une douzaine de canonniers de la Marine
dans la forteresse ou d’y faire servir des soldats volontaires contre une gratification de
2 à 3 sols par jour28. La compagnie fut finalement instaurée le 20 juin 1743 29. Le même
jour, une compagnie de canonniers-bombardiers à 50 hommes fut instituée pour le
Canada30. Le Mercier fut chargé de l’entraîner à l’île de Ré31. À Saint-Domingue, il fallut
attendre avril 174532. Les îles du Vent purent se partager une compagnie à partir du 30
avril 1747. Le noyau en fut constitué par 10 hommes de l’artillerie de la Marine recrutés
à Port-Louis pour 3 ans, le 24 mai 1747, contre 50 livres par mois et une ration de farine
par jour33. Le premier capitaine de la compagnie, Malherbe34, était auparavant
commissaire d’artillerie, ce qui le rattachait au corps des officiers de vaisseau.
9 Durant la guerre de Succession d’Autriche, l’artillerie intervint dans au moins deux
circonstances. Ce fut d’abord lors du siège de Louisbourg en 1745. Les Français
s’attendaient à un blocus, à une attaque brusquée depuis la mer, et certainement pas à
une attaque du côté des fortifications terrestres. En débarquant à l’anse de la
Cormorandière, les Britanniques déjouèrent tous les plans, puisqu’ils purent marcher
sans être inquiétés en direction de la ville. Ils débarquèrent des canons qu’ils
installèrent sur de petits épaulements et commencèrent à bombarder la ville, sans
toutefois parvenir à ouvrir une brèche. La décision de leur chef, Pepperell, de tirer à
boulets rouges pour incendier la ville provoqua un dilemme terrible pour les militaires,
confrontés aux souffrances des civils. Sept semaines de siège plus tard, et après avoir
reçu 9 000 boulets, la garnison capitula35.La seconde attaque au cours de laquelle
l’artillerie intervint fut celle du fort de Saint-Louis, dans la partie sud de Saint-
Domingue. Un lieutenant d’artillerie, Fourcray, avait voulu se préparer à une attaque
en montant des écoles à feu pour entraîner la compagnie de canonniers-bombardiers :
on ne lui permit pas, car on entendait économiser la poudre 36. Il ne fut pas non plus
autorisé à expérimenter les mortiers pour en régler la portée. Le fort lui-même ne
contenait pas de bombes ni de gabions, fascines, sacs ou balles de laine ou de coton
pour se protéger, ni d’outils pour creuser des retranchements. Le 19 mars 1748, huit
vaisseaux attaquèrent le fort qui après une canonnade de deux à trois heures se
rendit37. Les Britanniques purent alors débarquer sans peine. En effet, apparaissait avec
l’usage des navires contre des défenses terrestres, une solution opportune au problème
fondamental de l’artillerie, son manque de mobilité. Lorsqu’une frégate, voire un
vaisseau, s’approchait au risque de s’échouer, elle déclenchait une véritable nappe de
feu avec ses canons embarqués. Le nombre de canons embarqués (il y a des exemples de
navires de 80 canons se prêtant à cette manœuvre risquée), leur calibre et le rythme du
tir quand l’équipage était entraîné surclassaient nettement tout ce que pouvait lui
opposer une batterie terrestre.

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Les guerres atlantiques


10 Dans le court intervalle de paix entre le traité d’Aix-la-Chapelle et la reprise de la
guerre de Sept Ans en 1755-1756, si on entreprit de nombreuses réformes militaires
comme de créer un dépôt colonial à l’île de Ré ou de doubler le nombre de compagnies
détachées présentes aux colonies, on n’eut pas vraiment le temps ni les moyens
d’adapter la défense des colonies à la menace nouvelle qui pesait sur les colonies. On
envoya des ingénieurs des fortifications comme Du Moulceau à Saint-Domingue 38, ou
pour l’Amérique du Nord, Franquet39, qui visita Louisbourg et les forts du Canada, se
désolant de leur faiblesse. Celle-ci se révéla dès le début des opérations avec l’attaque
du fort Beauséjour en juin 1755. Les Britanniques avaient réuni 32 pièces de canon et
22 mortiers40. Pour le responsable de l’artillerie dans la colonie, Le Mercier, c’était un
changement radical dans la conduite de la guerre en Amérique du Nord 41. Jusqu’à
présent on avait estimé que les difficultés inhérentes au transport de pièces d’artillerie
à travers le continent américain rendaient impossible l’utilisation des canons dans les
opérations militaires. On s’était cru autorisé par conséquent à ne construire les forts
qu’en pieux, et les pièces d’artillerie, de petits calibres, n’étaient utilisées que « dans la
vue d’épouvanter les sauvages ». On trouvait par exemple au fort Saint-Frédéric 22 pièces
de canon mais de calibres 6 à 3, ainsi que 17 pierriers ! La maçonnerie était tout à fait
insuffisante pour résister au choc d’un boulet42. Le Canada demanda qu’on doublât la
compagnie d’artillerie de la colonie et qu’on y fît passer dans l’urgence 174 pièces
d’artillerie43.
11 À la fin de l’année 1755, on décida en France d’expédier d’abord 598 pièces, puis 700 aux
colonies44. Mais on manquait d’artilleurs. Le corps royal d’artillerie ne disposait au
début de la guerre que 60 compagnies de canonniers aptes à mettre en œuvre 300
pièces de campagne45. On manquait même de pièces de canon : à Rossbach en 1757, le
rapport s’établit à 2 pièces pour 1000 hommes contre 3 pour 1000 du côté prussien 46. En
1758, pour l’ensemble du domaine colonial, on ne trouvait que 8 compagnies de
canonniers-bombardiers, tandis que le secrétariat d’État de la Guerre n’acceptait le
passage de ses artilleurs qu’au compte-gouttes : 6 officiers et 20 canonniers par
exemple en 1757 pour le Canada. Ou encore un détachement pour l’Inde. Lors de la
seconde attaque de Louisbourg en 1758, les Britanniques avaient réuni pour servir les
canons du corps expéditionnaire – 13 141 hommes – 267 artilleurs du Royal Artillery et
22 ingénieurs47. Lors de son voyage en France durant l’hiver 1758-1759, Bougainville ne
réclama pas tant une augmentation des effectifs pour le Canada, mais qu’on envoyât de
l’artillerie de campagne, des munitions en abondance, un train d’artillerie de 10 pièces
de 12 ( car on pensait donc de plus en plus à des batailles rangées) et 10 mortiers pour
les forts. On réclamait assez peu d’hommes, mais on voulait 150 artilleurs, 4 ingénieurs,
des dessinateurs, des ouvriers, et enfin des recrues48.
12 En effet, la guerre de Sept Ans marqua l’irruption brutale, sur le champ de bataille aux
colonies, de l’artillerie qui fut utilisé de trois manières différentes. En premier lieu dans
un cadre amphibie, afin de faciliter des débarquements ; ensuite pour la guerre de
siège ; enfin sur le champ de bataille. Le 8 juin 1758, l’île Royale fut à nouveau attaquée.
À 4 heures 30 du matin, des frégates embossées ouvrirent le feu sur les retranchements
des Français sur les plages et à 6 heures, les troupes britanniques commencèrent à
déborder des bâtiments dans des canots et des barques. Trois divisions navales d’assaut
se formèrent, commandées chacune par un brigadier. D’abord malmenés, les assaillants

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parvinrent finalement à bousculer les défenseurs qui se réfugièrent dans la place forte.
Or, la place était jugée indéfendable. L’escadre demanda à pouvoir reprendre la mer
afin de ne pas se retrouver anéantie par les bombardements : on le lui refusa 49. Dès le
19 juin, une batterie de mortiers la contraignit à se réfugier sous les murs de la ville.
L’intérieur de la ville devint vite un enfer car « n’ayant pas un ouvrage extérieur pour
ralentir l’approche de l’ennemi ni réduit intérieur pour mettre à l’abri des bombes, les munitions
de guerre, de bouche, les blessés et malades, aucune espérance de secours […] » 50. Le 25 juillet,
une large brèche avait été pratiquée dans le bastion du Dauphin et celui du Roi était
également menacé : on négocia alors la reddition.
13 La campagne de conquête du Canada vit une utilisation plus restrictive de l’artillerie
qui rendait caduque les formes de guerre antérieures en introduisant les sièges dans la
guerre. Dès août 1756, pour la prise de Chouaguen, Montcalm réunit un train de siège. À
l’inverse, l’absence d’artillerie rendit parfaitement inutile le raid hivernal contre le fort
George en mars 1757. À l’abri derrière leurs murs, les défenseurs britanniques n’avaient
rien à craindre de Canadiens dont les vivres s’épuisaient rapidement : la « Don
quichoterie de Corlaer51» s’acheva piteusement. En août 1757, Montcalm emporta 32
canons contre le fort William Henry. En effet, ce fort n’était « point attaquable de vive
force, ce qui les détermina à faire le siège du fort en forme et de faire prendre une position à
toute l’armée52 ». On ouvrit la tranchée le 4 août et trois jours après, le fort se rendit.
Dans la région du lac Ontario, le fort Niagara résista du 9 au 26 juillet 1759 aux
bombardements grâce aux travaux qu’avait entrepris l’ingénieur Pouchot depuis
plusieurs années. Ces évènements étaient secondaires par rapport à l’attaque directe
contre Québec durant l’été 1759. La ville fut bombardée pendant 64 jours : « Le mois de
juillet ne fut qu’un feu continuel des batteries de l’ennemy sur notre camp et sur la ville, il y eut
plusieurs incendies à différentes fois qui consumèrent près de 200 maisons 53 ». La journée du
13 septembre 1759 vit des bataillons d’infanterie par feu de salves, sans que les canons
fussent utilisés. Mais la conquête du champ de bataille mettait la ville de Québec en
première ligne. Si l’absence de direction ferme et de vivres pour la population fut
déterminante dans la décision de se rendre, l’insuffisance des fortifications joua
également son rôle. L’année suivante lorsque, venue de Montréal, la petite armée
commandée par Lévis approcha de Québec, elle dut d’abord combattre à Sainte-Foy.
Avec les moyens du bord, Lévis avait constitué une petite artillerie, constituée
essentiellement de pièces de marine montées sur des affûts de navires. Les redoutes
construites par les Britanniques en avant des murs de Québec rendaient très difficiles
l’approche de la ville54. Lévis put seulement commencer le 29 avril les travaux de
tranchée autour de la place et le siège de Québec commença à un rythme très ralenti :
faute de poudre, il ne pouvait plus tirer à partir du 12 mai que 20 coups par jour.
L’absence de mortiers, comme de munitions suffisantes, rendait impossible la conquête
de la ville dont le siège fut abandonné avec le retour de la navigation sur le fleuve. Tous
les forts le long du Richelieu furent abandonnés devant l’avancée britannique et
Montréal se rendit.
14 Dans la conquête des Antilles, on retrouve de manière plus évidente la spécificité de
l’utilisation de l’artillerie outre-mer, c’est-à-dire l’alliance de la Marine et de l’armée de
Terre dans des opérations combinées qui procuraient à l’artillerie la mobilité qu’elle
n’avait pas sur les champs de bataille en Europe. Portés par les vaisseaux, ou débarqués
à l’immédiate proximité de leur utilisation, les canons s’avéraient être d’une grande
efficacité. Dans l’attaque de la Guadeloupe, le débarquement fut précédé d’une
démolition méthodique des batteries côtières le 23 janvier 1759 autour du bourg du

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François. La panique s’empara des troupes et les milices abandonnèrent dans une
grande confusion leurs retranchements, et dans la foulée le fort Saint-Charles fut
évacué. Les Britanniques purent alors procéder à un débarquement en bon ordre. À la
Martinique, on retrouve le même plan d’opération. Le 16 janvier 1762, toutes les
batteries disséminées autour du Fort Royal, de la Pointe-aux-Nègres à la Case-Navire,
furent canonnées : les redoutes et les batteries y furent systématiquement « détruites et
cassées » par le feu des vaisseaux embossés55. Le 17, à la Case Pilote, le débarquement fut
entrepris : « La canonnade et le bombardement qui précédèrent la descente furent terribles
quant au bruit […]. Les postes exposés au feu des vaisseaux ne purent tenir ; ils furent bientôt
écrasés »56. Les défenseurs se replièrent à l’intérieur des terres. Une première ligne de
défense fut néanmoins établie : on eut la désagréable surprise de voir des canons se
porter contre les tranchées qui furent peu à peu désertées. Commença alors le siège du
principal fort de l’île, le fort Saint-Louis à Fort Royal. La position était mauvaise,
surmontée par au moins trois mornes depuis lesquels, progressivement à partir du 28,
des batteries commencèrent à tirer.57 En sept jours de siège, 17 canons sur 31 crevèrent
et 23 affûts furent brisés. Les miliciens, comme les flibustiers, désertèrent en masse.
Certains canons n’étaient plus servis que par des officiers et quelques soldats
malhabiles. Le 4, un conseil de guerre unanime accepta la reddition, la garnison étant
autorisée à sortir drapeaux déployés et avec ses armes. On dénombrait 60 tués,
120 blessés, tandis que 300 hommes étaient attaqués de dysenterie. La conquête de l’île
put continuer désormais sans difficultés.

L’artillerie des colonies


15 La guerre de Sept Ans fut l’occasion de cruels déchirements en France, mais aussi d’une
renaissance à partir de l’ordonnance du 13 août 1765. Pour la première fois en Europe,
on s’était rendu compte de son caractère déterminant lors des batailles. Sous
l’influence de Gribeauval58, l’artillerie commença sa transformation qui devait en faire
la première d’Europe au moment de la Révolution. Sa doctrine d’emploi fit l’objet de
longs débats théoriques59. On s’interrogea longuement mais aussi sur le matériel à
utiliser (le dilemme était le choix à faire entre la mobilité et la puissance de la pièce 60) :
c’est le débat sur les calibres et le poids des pièces entre les « Rouges » et les « Bleus » 61.
Aux colonies, le paradoxe était que l’irruption de l’utilisation du canon était à la fois
une évidence – pour les sièges – et une expérience incomparable avec la mobilité
qu’elle avait acquise. Le changement de paradigme fut bien compris par les acteurs.
Ainsi, dès 1764, une vaste campagne de fortification fut entreprise partout aux Antilles
en tenant compte des réalités nouvelles. Le conseil de fortification approuva des
travaux pour plus de 6 millions de livres pour Fort Royal à la Martinique 62. On édifia
patiemment une citadelle à quatre bastions, le fort Bourbon, Construit sur les hauteurs
de Fort Royal, il dominait la ville et son prédécesseur, le fort Saint-Louis. Des redoutes
et des souterrains furent laborieusement creusés dans la roche pour fournir un abri sûr
aux hommes et aux munitions. Surtout, on avait compris qu’il fallait s’éloigner des
plages car une « une armée navale renfermait dans son sein tant de moyens pour ruiner et
détruire, que lorsque le point d’attaque était à sa portée […] l’effort qu’elle était capable de faire
est irrésistible63». Les batteries côtières étaient renforcées et des plans de bataille étaient
esquissés pour que les défenseurs se replient sur des positions préparées à l’arrière des
plages, et puissent contre-attaquer en cas de débarquement. C’était ce que proposait
Jean Daniel Dumas64, l’auteur du Traité sur la défense des colonies. Le comte d’Estaing

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réfléchit à un authentique plan de défense de Saint-Domingue, lorsqu’il devint


gouverneur général de l’île en 1763 dont on peut voir les résultats dans les « Plans
relatifs à la guerre de campagne de Saint-Domingue65 ». Dans l’idéal, on aurait souhaité
disposer d’un train d’artillerie de campagne dans chaque colonie pour mener jusqu’au
bout une guerre conventionnelle.
16 Restait la question du personnel. Choiseul d’un trait de plume avait décidé de
supprimer toutes les troupes de marine66. Dès lors, le corps royal d’artillerie dut
envoyer jusqu’en 1773 des détachements aux colonies. Quand la Marine retrouva un
début d’autorité sur les colonies, elle recréa progressivement de son côté des
compagnies de canonniers-bombardiers. Dès 1764, deux compagnies furent créées à la
Guyane67. Aux Mascareignes, une première compagnie le fut en 1766 68 et une seconde
en 176869, et deux autres le furent pour l’Inde en 177670. À Saint-Domingue, une
troisième compagnie fut fondée le 20 avril 1771, faisant suite aux deux recréations le 1 er
décembre 176871. À la Martinique, le même jour, deux compagnies avaient également
été constituées et une troisième les compléta en 177572. Les régiments d’infanterie
coloniale étaient en outre pourvus de deux pièces de canon à la Rostaing 73. Le service
était difficile : 58 % des hommes engagés dans la compagnie de la Guadeloupe en 1775
étaient morts en 178674. L’uniforme imitait celui de l’artillerie de France. Le justaucorps
était en drap bleu doublé de serge rouge, les parements et le collet étaient rouges. La
veste et la culotte étaient de coutil bleu. Les boutons étaient jaunes, timbrés d'une
ancre75. On se préoccupa tardivement de leur formation puisque ce ne fut que le
15 mars 1780 qu’on créa dans ce but une compagnie spécialisée à l’île de Ré qui était le
lieu de départ des recrues pour les troupes coloniales76. Au début de la guerre
d'Indépendance américaine, il existait onze compagnies de canonniers-bombardiers et
une autre d'invalides, et en 1784, 13 compagnies de canonniers-bombardiers 77. Mais
cela ne suffisait pas et le corps royal d’artillerie fut largement sollicité durant le conflit.
Dans l’océan Indien, on employa 4 compagnies de canonniers-bombardiers et 4
compagnies du régiment de Besançon. À Saint-Domingue, ce fût 3 compagnies de
canonniers-bombardiers et 5 compagnies du régiment de Metz. Enfin, aux îles du Vent,
on avait également 3 compagnies de canonniers-bombardiers et 8 compagnies du
régiment de Metz78. Les effectifs d’artillerie employés aux colonies dépassèrent 2 200
hommes à la fin du conflit. L’expérience de l’outre-mer était originale car elle
nécessitait une adaptation aux conditions rencontrées ; ainsi en Inde : « Une chose très
curieuse était de voir le service que rendaient les éléphants lorsqu’une pièce se trouvait ensablée
ou engagée dans un passage difficile79 » !
17 On finissait par avoir un système mixte, dépendant à la fois de la Marine et de la
Guerre, qui n’était pas totalement satisfaisant. D’abord en termes d’entraînement : « Les
compagnies de canonniers-bombardiers ne composaient que des corps isolés et insuffisants, nulle
école ne permettait à l’officier de cultiver ses talents80 ». Par ailleurs, le corps royal
d’artillerie ne devait plus à l’avenir être désorganisé par le service colonial. Le ministre
de la Marine aurait souhaité que l’artillerie de terre entretienne et mette à la
disposition des colonies un corps spécifique81. Le projet fut sérieusement amendé82 par
l'inspecteur général de l’artillerie, Gribeauval. Il acceptait le principe d’un transfert
momentané de cadres pour mettre en place un nouveau régiment qui devait à terme
devenir indépendant. Le 24 octobre 1784, fut créé par ordonnance le corps royal
d'artillerie des colonies, régiment d'artillerie dépendant du ministère de la Marine 83. En
préambule, on pouvait lire : « Sa Majesté voulant assimiler le service de l'artillerie dans ses

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colonies à celui de son Corps Royal de l'Artillerie en France et remplacer les compagnies de
canonniers-bombardiers employés à faire ce service par un régiment et deux compagnies
d'ouvriers ». Le régiment se composait de 5 brigades de 4 compagnies chacune. Aux
20 compagnies de canonniers venaient s’adjoindre 2 compagnies d'ouvriers. Le colonel,
le lieutenant-colonel directeur, un ou deux chefs de brigade ainsi que le quartier-
maître trésorier restaient en France. Trois brigades d’artillerie étaient affectées aux
colonies tandis que les deux autres brigades restaient à Lorient, comme compagnies de
dépôt.
18 Les premiers hommes du régiment furent tirés, pour 542 d'entre eux, du corps royal
d'artillerie, tandis que les compagnies de bombardiers-canonniers coloniaux, furent
incorporées directement dans les brigades d'outre-mer. Le service outre-mer d’une
brigade devait être limité à 4 ans avant son retour à Port-Louis, près de Lorient. Le
premier colonel du régiment, Du Puget d’Orval84 entreprit aussitôt une inspection des
Antilles et en Guyane85. Dans cette colonie comme ailleurs, les artilleurs étaient une
troupe d’élite86. On leur faisait faire un entraînement particulier avec « les exercices de
canon de siège, de bataille et de mortier »87. L’éventail des matériels cités démontrait
comment on entendait utiliser l’artillerie à l’avenir, pour un usage essentiellement
terrestre. La création du corps royal d’artillerie des colonies n’était qu’une étape par
rapport à l’administration de la Marine puisqu’en 1786, on décida que l’artillerie dans
les ports, les forges et les arsenaux « ne seraient plus remplis à l'avenir par des officiers de
vaisseaux, et voulant préposer aux dites fonctions, ainsi qu'aux travaux des forges, fonderies, et
manufactures d'armes appartenant à la marine, des officiers tirés du corps royal de l'artillerie
des colonies »88. Singulier retournement de situation dans la hiérarchie entre les troupes
coloniales et le corps des officiers de vaisseau.

Conclusion
19 Qu’est-ce que la guerre aux colonies ? Sénarmont a laissé un récit vivant de la bataille
de Cuddalore (Goudelour) en Inde, le 13 juin 178389. Deux petites armées européennes
renforcées de contingents de Cipayes se faisaient face. L’armée britannique regroupait
5 000 Européens et 11 à 12 000 Cipayes et plus de 80 pièces d’artillerie. En termes
opérationnels, les armées avaient dû s’adapter. On avait ainsi trouvé 1 700 bœufs pour
tirer la cinquantaine de pièces françaises, et il fallait par exemple « 80 paires de bœufs sur
une pièce de 24, 40 paires sur une pièce de 12, le reste à proportion […] ». Le combat
commença avec l’ouverture du feu par une batterie de 60 canons rassemblée par les
Britanniques qui montèrent ensuite à l’assaut en 5 colonnes. Les artilleurs français,
utilisèrent des cartouches à balles qui décimèrent les assaillants, jusqu’à ce que la
brigade d’Austrasie contre-attaque à la baïonnette.
20 L’artillerie aux colonies eut longtemps un rôle secondaire, mais quand à l’occasion de la
guerre de Sept Ans on se rendit compte que les Britanniques s’étaient affranchis de la
distance pour en faire une utilisation régulière, il fallut bien changer les usages et
penser à une autre forme de guerre dans laquelle les sièges de ville ou les batailles
seraient à l’image de ce qui se passait en Europe, tandis que des menaces spécifiques
planaient sur les colonies, comme les débarquements d’assaut ou le transport par voie
maritime sans la contrainte des charrois, de pièces à proximité immédiate de leur
utilisation. Passer au cours du XVIIIe siècle des canonniers de la Marine aux canonniers-
bombardiers, puis au corps royal de l’artillerie des colonies, montrait bien l’importance

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accrue de cette arme pour la défense des possessions coloniales. Toutefois, l’artilleur
était rare et quand la France se retrouva directement menacée d’invasion, le 8 e
régiment d’artillerie90 (nouveau nom de l’artillerie coloniale à partir de 1791), fut
rappelé en France et durant la Révolution et l’Empire, on n’eut plus que des
détachements forcément insuffisants de l’artillerie de France. L’artillerie coloniale dut
être recréée au XIXe siècle au moment de la reprise de l’expansion coloniale : l’épopée
des « bigors » commençait.

NOTES
1. Service historique de la Défense (SHD), Marine,Vincennes (Vinc), 50 G 2, Mémoire pour le comte
de Lally […],Paris, de l’imprimerie de Guillaume Desprez, 1766, page (p.) 158.
2. Archives nationales (AN), Marine, B, 2, 30 folio (f o) 152, lettre du Roi à monsieur de Baas du 24
mars 1674.
3. Michel de Lombarés, Histoire de l’artillerie française, Paris, Lavauzelle, 1984, p. 144.
4. Frédéric Naulet, L’Artillerie en France (1665-1765). Naissance d’une arme, Paris, Économica, 2002,
p. 291.
5. Michel Depeyre, Tactiques et Stratégies Navales de la France et du Royaume-Uni de 1690 à 1815, Paris,
Économica, 1998.
6. Louis-Philippe de Ségur, Mémoires, ou souvenirs et anecdotes, Bruxelles, 1825, p. 213.
7. Sam Willis, Fighting at Sea in the Eighteenth Century: The Art of Sailing Warfare, Woodbridge,
Boydell Press, 2008.
8. Louis Armand de La Hontan Nouveaux voyages dans l’Amérique septentrionale, La Haye, L’Honoré,
1703, tome (t.) I, lettre XIX.
9. Julien Delauney et Albert Guittard, Historique de l’artillerie de la Marine, Paris, Dumoulin, 1889.
10. Archives nationales (AN), Marine, B, 2, 3, fo 13-14.
11. Jean Peter, Les Artilleurs de la Marine sous Louis XIV, Paris, Économica, 1995, p. 49.
12. Jean Boudriot, « Les bombardiers de la Marine », Neptunia, 1975/3, n o 119, p. 1.
13. Didier Neuville, État sommaire des archives de la Marine antérieures à la Révolution, Paris,
Beaudouin, 1898, p. 423.
14. AN, Marine, G, 128, « Mémoires de Rodier et Truguet » pour Berryer, 1761, f o 25.
15. François Joseph Du Bouchage, Mémoire sur l’organisation des troupes et de l’artillerie de la Marine,
Paris, Bouchard, 1791.
16. Ibidem (Ibid.), p. X.
17. Jean-Baptiste Labat, Voyages aux îles, [Paris, édition Phébus, 1993, p. 391].
18. SHD, Marine, Rochefort (Ro), 1R,17/19; et AN, Col, B, 46 f o 28.
19. SHD, Marine, Ro, 1R, 17/21, Mémoire du 8 juillet 1726.
20. SHD, Marine, Ro, 1R19 /6 et /7.
21. SHD, Marine, Ro, 1E, 121, fo39, lettre du ministre à l’intendant de Rochefort du 13 juillet 1734.
22. SHD, Marine, Ro, 1E, 121 f o 363 lettre du ministre à l’intendant de Rochefort du 19 octobre
1734.
23. Laurence Verrand, « Fortifications militaires de la Martinique », Journal of Carribean
Archaelogy, 1/2004, pp. 11-28.

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24. SHD, Archives de la Guerre (AG), 1M, 1107, « État général des forts et batteries, des bouches à
feu et des affûts qui sont sur ycelles ou serrées dans les magasins…. », du 1 er mai 1784, Le Bon, f o
49.
25. Boris Lesueur, Les Troupes coloniales sous l’Ancien Régime, thèse de doctorat, Tours, 2007.
26. Aujourd’hui île du Cap Breton, au large de l’estuaire du Saint-Laurent.
27. Service historique de la Défense à Rochefort, MR 1E, 132, f o 141, lettre du ministre à
l’intendant du 21 décembre 1740.
28. AN, Marine, G, 52, « Faits et décisions de l’administration des colonies ». Décision du 13 avril
1740, fo 310.
29. AN, Col, A, 7, fo 4 et 5
30. AN, Col, A, 21, fo 205.
31. Dictionnaire biographique du Canada, Québec, Presse Universitaire de Laval, t. IV, p. 497. Le
Mercier, fils d’un lieutenant-colonel au régiment d’Agenois, y devint sous-lieutenant avant d’être
réformé. Il passa au Canada en 1740 comme cadet et enseigne en second en 1743. Attaché au
service de l’artillerie de Québec, il fut promu aide d’artillerie en 1748. Il revint en France pour
compléter sa formation à Metz en 1750. Lieutenant d’artillerie puis capitaine en 1753, il fit toute
la guerre de Conquête.
32. Louis Élie Médéric Moreau de Saint-Méry, Lois et Constitutions de l’Amérique, Paris, Quillau,
1784-1790,
t. III, fo 840
33. Service historique de la Défense à Rochefort, MR 1R/14.
34. AN, Col, D, 2C,3, « Expéditions concernant les officiers des colonies ».
35. Philippe Haudrère, L’Empire des Rois (1500-1789), Paris, Denoël, 1997, p. 291.
36. Service historique de la Défense, bibliothèque de Vincennes, VI-SH 248, « Pièces concernant
l’affaire de Saint-Louis », fo 438 vo lettre datée de Saint-Omer du 13 février 1750 écrite par de
Fourcray de Ramecourt, pour la défense de son frère officier d’artillerie.
37. Ibid., fo 468 vo, Lettre du maréchal de Noailles au ministre de la Marine, copie de la lettre du
maréchal de Noailles à Rouillé signée Guignard du 25 mars 1750.
38. Anne Blanchard , Dictionnaire des ingénieurs militaires 1691-1791, Montpellier, [L’auteur], 1981,
p. 554. Né à Douai en 1721, il servit d’abord au Quesnoy sous les ordres de son père. Après avoir
fait la campagne des Pays-Bas en 1744-1748, il fut envoyé à Saint-Domingue en 1750 où il resta
directeur des fortifications jusqu’en 1772. Il dressa de nombreux plans de fortifications pour la
colonie pour la plupart non réalisés.
39. Service historique de la Défense, GR Y B 685, fo 31. Louis Franquet avait été reçu dans le corps
des fortifications en 1720, il participa à différentes campagnes en Flandres, en Italie et sur le
Rhin. La 2e partie de sa carrière se déroula en Amérique du Nord ; il fut fait prisonnier à
Louisbourg en 1758.
40. Henry Raymond Casgrain (éditeur), Relation des journaux de différentes expéditions de 1755 à 1760,
Québec, Demers et Frère, 1895, « Journal de l’attaque de Beauséjour », par Jacau de Fiedmont,
p. 43.
41. H. R. Casgrain (éd), Extrait des archives des ministères de la Marine et de la Guerre,p. 153,
« Mémoire sur l’artillerie du Canada », octobre 1755.
42. Ibid., p. 158, « Inventaire des munitions et d’artillerie ».
Ibid., p. 153, « Mémoire sur l’artillerie du Canada ».
43. Ibid., p. 174, « État de ce qui est nécessaire d’envoyer de France par les premiers
vaisseaux […] ».
44. Service historique de la Défense à Rochefort, MR 1E, 154 f o 151, octobre 1755, « État sommaire
[…] des quantités de canon à faire passer à Brest, à Toulon, et aux colonies ».
45. Louis Susane, Histoire de l’Artillerie française, Paris, Hetzel, 1874, p. 178-179 .

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46. Carl von Decker, Batailles et principaux combats de la guerre de Sept Ans, considérés principalement
sous l’emploi de l’artillerie avec les autres armes, Paris, Corréard, 1839, pp. 107-108.
47. AN, Col, C, 11C, 10, « Liste des régiments employés au siège de Louisbourg […] », f o 20 vo.
48. Louis Antoine de Bougainville, Écrits sur le Canada (Mémoires, journal, lettres), Sillery-Québec,
Pélikan et Klinksieck, 1993, « Mémoire sur la position des Anglais et des Français dans l’Amérique
septentrionale […] », p. 61.
49. AN, Marine, B, 4, 80, f o 75, « Avis de M Les capitaines mis au bas de la lettre de M le marquis
Desgouttes ».
50. AN, Col, C, 11C,10, f o 239, « Joint à la lettre de M le chevalier de Drucour, capitaine de
vaisseau cy devant gouverneur de l’Île Royale » du 5 février 1762.
51. H. R. Casgrain (éd.), Journal du marquis de Montcalm durant ses campagnes en Canada de 1756 à
1759, Québec, Démers, 1895, p. 385.
52. H. R. Casgrain (éd), Journal du chevalier de Lévis, Beauchemin, Québec, 1889, p. 98.
53. Ramezay, Mémoire du sieur de Ramezay, « Campagne du Canada depuis le 1 er juin jusqu’au 15
septembre 1759 « Société littéraire et historique de Québec, 1861, p. 17.
54. H. R. Casgrain (éd.), Journal du Chevalier de Lévis, op. cité, p. 268. « État général des officiers et
soldats tués ou mort de leurs blessures ou blessés à la bataille du 28 avril, au siège de Québec ».
55. AN, Col, C, 8A, 64-65, « Instruction juridique pour le fait de la défense et la reddition de la
Martinique » fo 241. Au sujet de la batterie de la Case Navire le capitaine de Suze des grenadiers
royaux évoquait un « feu d’artillerie et de bombardes qui imitait le feu d’une mousquetterie bien nourrie
» [sic].AN Col C, 8A, 64-65 fo 182 suivant, « Mémoire du siège » par M de Suze capitaine des
grenadiers royaux adressé à M de Choiseul le 12 août 1762.
56. AN, Col, C, 8A, 64-65 f o 110 et suivants, La Rivière le 5 août 1762. « Mémoire sur la prise de la
Martinique, contenant les détails demandés par M le duc de Choiseul ».
57. AN, Col, C, 8A, 64-65, Ligneris, « Journal du siège de la Martinique », f° 205.
58. Pierre Nardin, Gribeauval, lieutenant général des armées du Roi (1715-1789), Paris Les Cahiers de la
fondation pour les études de la défense nationale, no 24, 1982.
59. Voir Charles Tronson du Coudray, L’ordre profond et l’ordre mince, considérés par rapport aux
effets de l’artillerie, Metz et Paris, Ruault, 1776.
60. Edme Jean Antoine Du Puget d'Orval, Essai sur l'usage de l'artillerie de la guerre de campagne et
celle de siège, Arkstee en Merkus, Amsterdam, 1771.
61. Ernest Picard et Louis Jouan, L’Artillerie française au XVIII e siècle, Nancy, Berger-Levrault, 1906.
62. Service historique de la Défense, GR 1M 1105 pièce 23 F o-3 « Extrait du procès verbal du
conseil de fortification tenu à la forteresse de Fort Royal à l’Isle de la Martinique en exécution des
ordres du Roy du 4 avril 1764 ».
63. Service historique de la Défense, bibliothèque de Vincennes, VI-SH 42, « Traité de défense
des colonies », fo 60 vo.
64. Service historique de la Défense, GR 1YE 2672.
65. Service historique de la Défense, bibliothèque de Vincennes, VI-SH 243, f o 199.
66. Service historique de la Défense à Rochefort, MR 1A26, 1761, f o 649, le ministre au
commandant du port de Rochefort 9/12/1761.
67. AN, Col, A, 9, fo 35.
68. AN, Col, A, 17, fo 15.
69. AN, Col, A, 17, fo 28.
70. AN, AD, VII, 9, 46, ordonnance du 3 mars 1781.
71. AN, Col, A, 12 fo 107 et A, 13, fo 12.
72. AN, Col, A, 15, fo 36.
73. AN Col, A, 18, fo 16.
74. AN, Col, D, 2C, 92.
75. Moreau de Saint-Méry, op. cité, t. V, p. 423.

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76. Service historique de la Défense à Rochefort, MR 1R, 3, « Extrait du registre des règlements et
ordonnances tenues au contrôle de la Marine à Rochefort », 15 mars 1780, « Ordonnance du Roi
portant établissement d’une école d’artillerie au dépôt des recrues des colonies à l’île de Ré ».
77. Ernest Picard et Louis Jouan, L’Artillerie française au XVIII e siècle, Nancy, Berger-Levrault,1907,
p. 33.
78. Senneville, Macors, D’Herville, Mémoire concernant le Corps-Royal de l’artillerie des colonies, Paris,
Devaux, 1790.
79. Louis François Tillette de Mautort, Mémoire du chevalier de Mautort, Plon, 1895, p. 278.
80. Service historique de la Défense, GR 1M 1740, 235, « Mémoire concernant le corps royal de
l’artillerie des colonies », Paris, Devaux, p. 6.
81. Capitaine Basset, « La formation du corps royal d’artillerie des colonies », Revue d'artillerie,
mars 1932, pp. 236-261 et pp. 329-339, [ p. 334]. Et « La formation du Corps Royal de l'artillerie des
colonies », Revue d'histoire des colonies françaises, no 225, juillet 1937, pp. 333-349.
82. Service historique de la Défense, GR 1W 61, 7, « Observations de M de Gribeauval sur le
mémoire que Monsieur le Maréchal de Castries lui a fait l’honneur de lui adresser le 31 mars
dernier ».
83. Service historique de la Défense, GR 1W 1W, 61, 8.
84. Service historique de la Défense, GR YB 667.
85. AN, Marine, D, 4, 9.
86. Olivier de Prat, « L’état de l'artillerie des Îles et des colonies françaises d’Amérique en 1785 »,
Neptunia, no 10, 2/ 1948, pp. 17-20.
87. AN, Marine, D, 4, 6.
88. Service historique de la Défense, bibliothèque de Vincennes, 10518, « Ordonnance du 1 er
janvier 1786 », signée de Castries, p. 2.
89. Service historique de la Défense, GR 3W 148, chemise Pondichéry. Lettre de Sénarmont du 8
septembre 1783.
90. Ce régiment d’artillerie, aujourd’hui à Commercy, sera dissous en juin 2013.

RÉSUMÉS
La guerre aux colonies connaît une profonde transformation au XVIII e siècle. Jusque-là, on s’était
contenté d’accumuler les canons pour reproduire les batteries que la Marine connaissait et pour
lesquels il n’existait pas réellement de personnels spécialisés. La guerre de Sept Ans marque
cependant une rupture brutale, puisque les Britanniques introduisent non seulement les
méthodes de guerre à l’européenne dans les sièges des villes coloniales, mais utilisent en outre
leur supériorité navale pour appuyer des débarquements d’assaut et pour transporter l’artillerie.
Ces transformations dans l’art de la guerre aux colonies expliquent l’apparition d’un personnel
de plus en plus spécialisé, depuis les canonniers-bombardiers jusqu’au Corps royal d’artillerie
des colonies.

War in the colonies underwent a profound transformation in the eighteenth century. Until then,
one had merely to accumulate guns to reproduce the batteries with which the Navy were familiar
and for which there were no actual specialized personnel. The Seven Years’ War, however,
marked a sharp break, since the British introduced not only methods of European war in the
sieges of colonial cities, but also used their naval superiority to support assault landings and

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transport artillery. These transformations in the art of war explain the appearance of
increasingly specialized colonial personnel, from gunboat-cannoneers to the colonial Corps of
Royal Artillery.

INDEX
Mots-clés : Ancien Régime, artillerie, Empire colonial

AUTEURS
BORIS LESUEUR
Docteur en histoire et chercheur associé auprès du laboratoire AIHP de l'université des Antilles et
de la Guyane. Il poursuit ses travaux sur l'aspect militaire de la colonisation française.

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Formation et sélection des artilleurs


de marine à Polytechnique
Approche prosopographique du corps des bigors (1870-1910)
Selection and training of Navy gunners at the Polytechnique.Prosopographic
approach to the corps of «bigors.» 1870-1910

Julie d’Andurain
Traduction : Robert A. Doughty

1 Comme leurs équivalents métropolitains, les troupes coloniales de la fin du XIXe siècle
connaissent des divisions d’armes parmi lesquelles on distingue l’infanterie de marine
de l’artillerie de marine. Pour des questions qui tiennent autant à leur infériorité
numérique qu’aux rivalités d’armes, les seconds sont moins bien connus que les
premiers. Si dans le langage argotique des écoles militaires le « bigor » désigne
l’artilleur de marine (du soldat à l’officier), l’abréviation du terme de « bigorneau »
cherche surtout à traduire la propension des artilleurs coloniaux à s’accrocher à leurs
positions tout comme le ferait le crustacé sur son rocher, la position statique du
« bigor » faisant initialement référence au positionnement de l’artillerie côtière tandis
que les « marsouins » – les hommes de l’infanterie de marine – étaient censés
descendre à terre. Sarcastique et quelque peu railleur, le terme renvoie aussi aux
modes de sélection des artilleurs de marine recrutés essentiellement dans les derniers
classés des polytechniciens, obligés dès lors de renoncer aux grands corps de l’État, les
prestigieux Mines ou Ponts-et-Chaussées. Il n’en reste pas moins qu’au milieu du XIXe
siècle, ces candidats sont des « X » et qu’à l’issue d’un concours particulièrement
sélectif suivi de deux années d’école, ils reçoivent un enseignement qui va en se
complexifiant et leur assure un déroulement de carrière d’autant plus intéressant que
l’expansion coloniale agrémente bien des parcours professionnels.
2 En s’appuyant sur l’examen des dossiers professionnels des bigors passés par
Polytechnique entre 1870 et 1910, l’analyse prosopographique d’un échantillon de 671
carrières1 permet non seulement de donner une première vision globale du groupe des
artilleurs de marine mais d’en restituer également les enchevêtrements multiples 2.
Introduction à des travaux ultérieurs, cette étude autorise la mise au jour d’un milieu

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socioprofessionnel très spécifique, celui d’une partie des officiers chargés de la


conquête coloniale3 qui furent tour à tour explorateurs ou conquérants tout autant
qu’ingénieurs ou artilleurs, topographes et bâtisseurs. Au-delà de leurs missions
strictement militaires, ces officiers coloniaux ne dédaignaient pas non plus les postes
politiques (gouverneurs ou administrateurs) ou diplomatiques (délimitation des
frontières). Ce seul titre suffirait à éveiller l’intérêt pour ce corps. Mais cette
communauté spécifique est d’autant plus intéressante à étudier qu’elle est réputée plus
indépendante et plus frondeuse que celle des marsouins issus de Saint-Cyr. Sans doute
faut-il y voir une influence républicaine plus marquée, liée très certainement aux
origines sociales des officiers et aux efforts que fit l’État pour attribuer largement et
généreusement « bourses et trousseaux » aux moins fortunés d’entre eux ; mais il existe
aussi des facteurs explicatifs tant dans les modalités de sélection des bigors à
Polytechnique que dans les parcours professionnels des officiers. L’étude est donc riche
d’enseignements. Elle apporte notamment beaucoup sur la connaissance d’une France
des terroirs qui croyait en la valeur de l’éducation et du savoir et renseigne sur les
mobilités sociales et géographiques et l’ascension sociale d’un groupe professionnel.
Après une analyse sociologique prenant en compte les origines géographiques et
sociales de ces officiers, nous montrerons comment s’effectue le choix colonial à
Polytechnique puis comment il évolue à la faveur de l’expansion coloniale.

Le bigor comme objet sociologique


Une figure caractéristique de l’expansion coloniale

3 L’émergence ou plus exactement la réapparition4 du corps des artilleurs de marine


comme une communauté militaire spécifique et spécialisée issue de la prestigieuse
école Polytechnique constitue à la fois le signe et la conséquence du grand mouvement
d’expansion coloniale de la fin du XIXe siècle. Conçue selon un cycle scolaire de deux ans
après le baccalauréat, la formation à l’école Polytechnique de la rue Descartes à Paris,
école régie par le décret du 15 avril 18735, s’adresse alors aux futurs artilleurs (de terre
et de mer), aux officiers du génie (militaire et maritime), de la marine nationale, au
corps des ingénieurs hydrographes, aux commissaires de la marine, aux ingénieurs des
ponts et chaussées, des mines, des poudres et salpêtres, aux responsables des
manufactures de l’État, enfin aux ingénieurs chargés des lignes télégraphiques 6. Tout
au long de la période considérée (de 1870 à 1910) la part de ceux qui se destinent à
l’artillerie de marine reste marginale au regard l’ensemble des polytechniciens car
après un début très timide en 1872, ils représentent près de 5 % d’une promotion
pendant presque toute la décennie 1870, entre 5 et 10 % entre 1880 et 1890. Ils passent
la barre symbolique des 10 % en 1890 pour atteindre un sommet en 1901 avec 15, 38 %
d’une promotion et repasser finalement sous la limite des 10 % en 1904.

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4 Pour relatif qu’il soit, ce besoin de créer un nouveau corps d’officiers spécialisés
s’explique essentiellement par l’expansion coloniale qui nécessite l’envoi outre-mer
d’officiers chargés d’ouvrir des routes, de construire les postes, d’accompagner le
processus de développement du chemin de fer, bref de participer à l’élaboration des
premières infrastructures coloniales. L’observation du graphique sur le recrutement
des bigors à Polytechnique montre à l’évidence l’étroite corrélation existant entre la
conquête coloniale et la formation de ce grand corps de l’État. En 1873, alors que
l’armée amorce son effort de relèvement après Sedan, le nombre des bigors est
multiplié par quatre, passant à 13 candidats pour une promotion totale de 250 hommes.
Ensuite, jusqu’en 1901, leur nombre ne cesse d’augmenter régulièrement. Un premier
accroissement significatif a lieu entre 1880 et 1884, période où les parlementaires
opportunistes favorables à l’expansion coloniale – Gambetta puis Ferry sont au pouvoir.
À partir de 1882, Polytechnique affecte près de 20 candidats à l’artillerie de marine au
moment où le gouvernement lance les premières grandes campagnes soudanaises.
Après une petite décroissance de 1884 à 1890 qui correspond en réalité à une période de
fortes hésitations politiques7, les recrutements reprennent une phase ascensionnelle.
Entre 1890 et 1900, temps fort de la « course au clocher », les bigors représentent
toujours plus de 20 officiers par promotion, le maximum étant atteint en 1900 avec
38 aspirants recrutés. Le reflux s’opère dès 1901 sitôt la conquête de la boucle du Niger
achevée8. En 1909, les bigors ne sont plus que 8 officiers à Polytechnique sur une
promotion de 187 hommes (soit 4,2 ). Globalement, indépendamment des flottements
politiques des années 1880 et 1885-1886, il existe donc bien une réelle politique de
recrutement d’artilleurs de marine à Polytechnique. Entre 1872 et 1909, ils sont ainsi
671 officiers à être recrutés.

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Les origines géographiques des bigors

5 Ces jeunes aspirants viennent de toutes les régions de France, mais une étude de leur
répartition géographique9 fait apparaître d’emblée deux faits majeurs qui corroborent
au moins partiellement les analyses réalisées autrefois par William Serman pour les
officiers du Second Empire10. D’abord, elle confirme que les provinces de l’Est de la
France constituent véritablement des « terres à soldats » et montre d’autre part que les
modalités du recrutement des polytechniciens avantagent les citadins. La répartition
cartographique de l’origine géographique des bigors recrutés à Polytechnique
démontre en effet très clairement l’importance de la partie orientale de l’hexagone. On
peut soit dresser une ligne verticale séparant le territoire en deux parties inégales, soit
appréhender la carte de façon kaléidoscopique pour saisir l’importance de l’est et de
l’ensemble du couloir rhodanien tout en trouvant une correspondance atlantique qui,
exception faite de quelques départements – Côtes-du-Nord et Morbihan, Vendée et
Deux-Sèvres – fournissent aussi des recrues. Si on choisit de construire sur la carte de
France un arc de cercle allant du Nord à l’Ain en passant par Paris, c’est plus de la
moitié des candidats (322 sur un total de 610 personnes recrutées de métropole) qui
proviennent ainsi du grand est. En regard, le grand ouest français dépêche moins de
100 bacheliers. Sur l’ensemble des 90 départements, Paris et le département de la Seine
fournissent 79 bigors à Polytechnique. La capitale précède de très loin le département
de l’Aisne (16 candidats), ceux du Rhône et de la Côte-d’Or (14), celui des Ardennes (13),
la Seine-et-Marne (12), les départements du Nord, Meurthe-et-Moselle, Meuse et les
Bouches-du-Rhône (11). À l’inverse, une très grande et très large transversale allant du
Calvados à l’Aveyron semble déjà dessiner ce que les géographes appelleront par la
suite la « diagonale du vide » qui court de la Normandie au « désert français » plus au
sud. Cette ligne dessine les contours d’une France des terroirs éloignée des grandes
agglomérations ou des grands centres économiques. Enfin, sans pouvoir évoquer le cas
des 32 individus dont on ne connaît pas le lieu de naissance, une partie des recrutés
provient de l’étranger (Belgique, Chili, Maroc) et de l’outre-mer français mais dans des
proportions infimes11. Manifestement il semble nécessaire de lier ces résultats à
l’importance du rôle joué par le fait urbain sur le recrutement des candidats, car outre
les Parisiens, les jeunes gens nés dans les grandes villes de France – Lyon, Marseille,
Bordeaux – sont largement avantagés par rapport aux provinciaux. Quant à ces
derniers, il apparaît clairement qu’ils appartiennent déjà à une bourgeoisie moyenne
qui a cherché à consolider ses acquis par l’envoi de ses fils dans des écoles
prestigieuses.

Les origines sociales des bigors

6 La profession des pères des candidats permet de déterminer les origines sociales de
cette « France des capacités » et de saisir également les stratégies d’ascension sociale
passant Polytechnique. Cependant la classification des bigors par groupe
socioprofessionnel d’origine (c'est-à-dire selon le métier du père) reste délicate dans la
mesure où il existe toujours une possibilité de classement multifactoriel. Ainsi un
officier supérieur appartiendra-t-il à une élite professionnelle sans entrer
véritablement dans la catégorie des notables, à moins de devenir, en cours de carrière,
un officier général ; à l’inverse un nom à particule adossé à la mention de « fils
d’employé » ne renseignera guère que le niveau social du jeune bigor et de sa famille.

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Pour nécessaire qu’elle soit, la subtilité taxinomique n’empêche pas cependant


d’effectuer une analyse liminaire des principales caractéristiques sociales de ces jeunes
officiers à travers la profession de leurs pères. Globalement, au-delà de quelques
métiers rares ou inattendus (marchand de sangsues, rhabilleur de meule, fabricant de
chicorée ou marchand de nouveautés), les bigors issus de Polytechnique proviennent
généralement des classes moyennes et moyennes supérieures. Les fils de notables sont
les plus nombreux. Sur les 671 cas étudiés, 153 sont fils de médecins, d’ingénieurs, de
magistrats, de rentiers ou propriétaires. Quelques-uns ont des pères qui travaillent
dans le secteur bancaire (8 d’entre eux) tandis qu’ils sont très rares à venir de monde de
la noblesse (5 pères titrés) encore qu’il y ait plus de 20 noms à particule. Viennent
ensuite les fils de fonctionnaires qui représentent un groupe de 121 individus au sein
duquel on trouve à peu près à part égale les enfants d’enseignants (52) et ceux des
officiers (48), les autres correspondant le plus souvent à des petits fonctionnaires –
employés municipaux, agents voyers, etc. – qui, par leurs fils, inscrivent pleinement
leur famille dans un processus d’ascension sociale en s’appuyant le principe de la
sélection des élites par concours. Ceux-ci sont suivis de près par les fils d’employés (109
personnes) et les enfants dont le père est commerçant (103) ou artisan (70). Les
données ne sont pas connues pour 70 individus tandis que 48 d’entre eux viennent du
monde agricole, certains déjà visiblement des notables (vigneron) alors que d’autres
sont plus proches du manouvrier. Enfin, au-delà de cette répartition, il existe quelques
cas atypiques, ceux des orphelins de père (19)12 ou des enfants de filles-mères 13 au
nombre de 5.

7 Parmi cet ensemble, 1/6e semble adopter un comportement de reproduction


socioprofessionnelle en s’appuyant soit sur une valorisation du groupe professionnel
du père (armée de terre ou marine), soit sur le caractère technique et scientifique de la
formation dispensée à Polytechnique14. Sur un total de 108 individus reproduisant un
schéma familial, 53 sont en effet fils de gens d’armes (officier métropolitain, troupe de
marine ou gendarme) tandis que 25 d’entre eux sont fils d’ingénieurs. Mais le plus
intéressant se situe sans doute dans le croisement de cette analyse avec le temps car
elle permet de saisir que cette endogamie socioprofessionnelle prend forme surtout à
partir du début des années 1890. À cette date, des fils ou des frères de bigors optent

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pour l’artillerie de marine, ce choix étant clairement attesté par leurs classements de
sortie de l’École15. Ces mobilités intergénérationnelles ou intrafamiliales se doublent
aussi parfois d’un tropisme géographique16, mais, en réalité celles-ci semblent surtout
constituer un point d’étape dans un processus de construction de carrière qui prend sa
source en amont17, dans les demandes de bourses et la sélection des établissements
scolaires.

Modalités du choix colonial à Polytechnique


La consécration des lycées et collèges prestigieux

8 À l’évidence, il existe des stratégies sur plusieurs niveaux, la première d’entre elles
consistant à pouvoir faire effectuer de bonnes études aux jeunes garçons de façon à ce
qu’ils intègrent Polytechnique. Deux facteurs semblent alors déterminants : le type de
baccalauréat obtenu et le lieu où les études secondaires ont été réalisées. Le
baccalauréat constitue à l’évidence le sésame indispensable pour tenter les concours de
l’enseignement supérieur. Sanctionnant la fin des études secondaires, il se divise alors
en deux grands groupes – le bac ès lettres ou bac ès sciences – l’un n’excluant pas
l’autre puisqu’il est possible pour les meilleurs élèves de passer les deux « bachots ».
Globalement, il apparaît tout à fait clairement que les bacheliers scientifiques sont
surreprésentés par rapport aux littéraires mais les étudiants brillants, c'est-à-dire
capables d’obtenir les deux examens, représentent tout de même près de 24 % de notre
échantillon. Cela leur donne un sérieux avantage dans la compétition puisqu’un apport
de quinze points supplémentaires est accordé aux candidats en possession du
baccalauréat ès lettres. Cependant, au fur et à mesure des années, le poids du pré requis
scientifique s’affirme justifiant le choix de la lettre X pour désigner tout
polytechnicien. L’échantillon étudié montre la consécration du baccalauréat
scientifique comme sésame indispensable pour tenter Polytechnique, le tournant
s’opérant avant la fin du XIXe siècle. Quant aux lieux d’études fréquentés avant l’entrée
à Polytechnique, le Prytanée constitue à l’évidence une sorte de sas entre les familles et
l’école de la rue Descartes car près d’un quart des élèves (26,31 %) sont passés par
l’école de La Flèche. Réorganisée sous le Second Empire de façon à accueillir les fils
d’officiers sans fortune ou, dans des proportions moindres, les fils de sous-officiers
morts au champ d’honneur, elle accueille chaque année 300 boursiers et 100 demi-
boursiers entretenus aux frais de l’État18. Viennent ensuite les grands établissements
parisiens qui font apparaître une nette prédominance du Quartier latin avec les lycées
Saint-Louis, Sainte-Geneviève, Louis-Le-Grand, les collèges Sainte-Barbe, Chaptal,
Stanislas et Rollin. Globalement, le poids de Paris est surdéterminé avec un ratio de 10 à
1 par rapport aux lycées de province où on trouve en tête, sans surprise, les lycées de
Lyon, Marseille et Bordeaux. Mais l’importance des structures sociales et scolaires
héritées du XIXe siècle ou le poids des héritiers19 sont largement contrebalancés par
l’importance des élèves boursiers.

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31

Les bourses d’études, entre stratégie familiale et promotion


républicaine

9 Le prix de la pension à Polytechnique étant de 1 000 francs par an et celui du trousseau


de 600 à 700 francs, la recherche de bourse semble avoir été un objectif majeur pour
bon nombre de familles. Accordées par le ministre de la Guerre conformément à la loi
du 5 juin 1850, elles sont distribuées sur la proposition des conseils d’instruction et
d’administration de l’école et se déclinent en bourses, demi-bourses, trousseaux et
demi trousseaux, les élèves les plus défavorisés recevant « bourse et trousseau » contre
un engagement à servir dans les services publics – civils ou militaires – pendant au
moins dix ans. Sur l’échantillon de 671 personnes, 400 individus sont boursiers dont 24
avec une simple bourse, 27 avec une simple demi-bourse tandis que 338 jeunes
polytechniciens perçoivent l’ensemble constitué par la « bouse et le trousseau » 20. En
termes de proportion, les boursiers représentent donc 55,58 % des étudiants, les
boursiers avec trousseau 50,37 % et les demi boursiers 4,02 % du groupe. Au regard de la
répartition sociologique préalablement présentée, ces chiffres semblent a priori
anormalement élevés à moins d’attester d’un véritable processus d’ouverture de l’école
aux classes sociales les moins favorisées du pays. Il est donc important de corréler ces
données avec les analyses sociales précédentes tout en cherchant à voir à quel moment
– entre 1870 et 1910 – l’attribution des bourses est réellement significative. La première
partie de l’étude (relative au nombre de bourses délivrées en chiffres absolus) place les
fils de fonctionnaires en tête avec 88 bourses délivrées. Ils sont suivis de près par les fils
d’employés (85 bourses), ceux des notables (62), des artisans (50) et commerçants (49),
des agriculteurs (38), ceux dont la profession du père est inconnue étant 29 à recevoir
le soutien de l’État. Mais si on effectue une analyse proportionnée à chaque groupe –
nombre de bourses par catégorie – une véritable politique sociale transparaît : les fils
d’agriculteurs reçoivent une bourse dans 79 % des cas, les employés dans 77 % des cas,
les fonctionnaires dans une proportion de 72 %, presque de la même manière que les
fils d’artisans (71 %). En revanche, les commerçants et les notables sont loin derrière
avec respectivement 47 et 40 % des bourses par catégorie. Reste que la part des notables
recevant des bourses étonne tout de même. À bien regarder dans le détail cependant,
une bonne partie de ces notables ne sont guère totalement établis, certains pères
affichant une position de rentier tout en étant eux-mêmes fils de journaliers. Quant aux
jeunes hommes vraisemblablement aisés – fils de propriétaire sur deux générations –
percevant une aide complète de l’État, il semble qu’il faille attribuer ces largesses aux
pressions des familles auprès des conseils municipaux et préfets qui valident les
propositions de bourse. Dans les dossiers personnels, il n’est pas rare de trouver traces
de préfets qui appuient de toute leur autorité des gens peu nécessiteux mais jugés
favorables à l’institution en dépit des circulaires ministérielles et des rappels à l’ordre
réclamant la suppression de ce favoritisme peu républicain. Enfin, la dernière partie de
l’analyse (les attributions de bourses par dates) permet de confirmer le soutien
républicain, particulièrement marqué entre 1882 et 1898. Ainsi les bigors sont-ils, dans
leur très grande majorité, des boursiers. Par rapport à l’étude d’Adeline Daumard sur
les polytechniciens entre 1815 et 184821, l’école semble donc, après 1870, un peu plus
ouverte au renouvellement des élites. Cependant, cela ne va pas sans un classement
permanent destiné à « hiérarchiser les égaux » pour reprendre la belle formule
d’Olivier Ihl22.

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Le classement, symbole de la méritocratie républicaine

10 « Nul n’est admis à l’école que par la voie du concours », telle est la règle qui s’applique
à l’entrée de l’école mais qui donne aussi le ton des deux années au cours desquelles le
jeune polytechnicien est régulièrement soumis à des examens et constamment classé.
Le concours d’entrée réservé aux « Français ou naturalisés Français, vaccinés ou ayant
eu la variole, âgés de 16 ans au moins et de 21 ans au plus 23» autorise le jeune diplômé à
connaître d’emblée son classement, ce qui lui permet de se situer relativement à ses
camarades. À l’issue de la première année, il est de nouveau classé au regard des notes
obtenues, celles-ci prenant en compte à la fois la maîtrise des matières scientifiques
(mathématiques, physique et chimie), mais également les aptitudes physiques, le
comportement et la tenue à l’École, laquelle est soumise à un règlement de corps de
troupe. Les élèves qui réussissent les examens de la fin de la première année sont
nommés sous-lieutenants, leur ancienneté étant déterminée par leur numéro de
classement. Ils sont naturellement astreints à un concours de sortie également classant
à l’issue duquel ils sont affectés à l’École d’application en qualité de sous-lieutenants
élèves. Ainsi, sur deux ans de scolarité, confrontés en permanence les uns aux autres, les
aspirants ont été classés au moins trois fois. Il ne saurait y avoir émulation plus grande,
à la fois sur un plan intellectuel et sur un plan physique car tout est compté y compris
l’allure et la taille du candidat24 ; si les dossiers permettent de s’assurer qu’elle joue un
rôle marginal lors du recrutement initial, la taille de la majorité des candidats bien
classés se situe tout de même souvent au-dessus d’un 1,70 mètre. Manifestement, il
convient ici de lier ensemble allure et charisme lesquels se déterminent souvent selon
des critères physiques.
11 En matière de sociologie historique, la grande question consiste à savoir si les bigors
ont réellement été les « plus mal classés d’X », autrement dit s’ils apparaissent d’emblée
comme les « enfants terribles » des écoles militaires 25. On doit reconnaître que, au
moins pour le début du renouveau colonial, les candidats à l’artillerie de marine sont
recrutés essentiellement en fin du classement, mais une analyse plus fine invite à
revoir l’image du bigor porteur du bonnet d’âne ou frondeur. Relativement à la
population française, l’entrée à Polytechnique constitue en elle-même une sélection

Revue historique des armées, 271 | 2013


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qualitative de très haut niveau ; en outre, nous avons affaire à une élite intellectuelle
soucieuse de faire carrière, ce qui par essence, limite les effets de la désobéissance. Par
ailleurs, un très grand nombre de candidats devenus bigors sont, à leur arrivée à l’X,
d’excellentes recrues mais basculent ensuite dans le peloton de queue en cours de
scolarité comme si l’adaptation à la mentalité militaire avait constitué un problème (cas
d’Archinard, X 1868 ; Civette, X 1897). On a également dans l’ensemble du groupe des
candidats qui sont bien classés et qui choisissent in fine l’artillerie de marine (Barbier, X
1883, Corteggiani X 1897 et Welfelé, X 1897). Autrement dit, l’image du bigor frondeur
et cancre n’est pas opératoire de façon systémique. Elle doit être relativisée et analysée
à l’aune du développement colonial car, si effectivement au début du processus de
conquête les polytechniciens ne se bousculent guère pour prendre les postes outre-
mer, ils changent d’attitude dès lors que la construction coloniale leur assure une
carrière intéressante. D’une façon générale, il faut considérer qu’après les années 1890,
tandis que l’on réfléchit activement à la formation d’une armée coloniale, le choix de
l’artillerie de marine n’est plus un choix par défaut. La profession devient davantage
synonyme de passion, de liberté relative et de possibilités d’avancement rapide. Enfin,
l’analyse prosopographique prouve également qu’il existe d’autres ressorts à l’origine
du choix colonial, l’endogamie familiale n’étant pas le moindre d’entre eux. Le père
n’est pas nécessairement toujours l’initiateur, un aîné ouvrant parfois la voie à la
création de véritables fratries polytechniciennes (les frères Dorido, Fourgeot, Bourély,
Gasquet). Toujours est-il que quelques familles constituent des dynasties comme les
Guibert apparentés aux Lancrenon ou les Jordan que l’on retrouve sur trois
générations.

Des carrières, entre flamme et flemme coloniale


L’embouteillage des grades subalternes

12 Le choix de l’arme - artillerie de marine, infanterie de marine, génie - n’est pas


totalement finalisé à la sortie de l’école. Il peut encore y avoir une évolution, certes
marginale mais réelle comme pour Lucien March (X 1878) ou Maurice Meynier (X 1894)
qui se déterminent professionnellement à l’issue de leur passage à l’école d’application
d’artillerie et du génie. Centre d’instruction militaire et technique, l’école d’application
de Fontainebleau26 (« l’appli ») constitue souvent un moment important dans la prise de
conscience de la réalité du métier entraînant parfois son lot de démissions, ainsi celles
de René Balensi (X 1901)27, d’Amédée Berrué (X 1894) ou Jacques Bidon (X 1895). Si
d’une manière générale, le classement de Polytechnique se retrouve de façon cohérente
à l’école d’application, il existe à l’inverse des cas atypiques de jeunes officiers qui
arrivent à s’épanouir. Pierre Marie Lancrenon (X 1900), par exemple, quoique fils
d’ingénieur se classe 235e sur 247 à Polytechnique, 28 e sur 35 au moment du choix de
l’arme, mais 2e sur 32 à l’école d’application. En réalité pourtant, c’est bien sûr la base
du classement de sortie de l’école de la rue Descartes et d’une règle d’avancement
s’effectuant au choix (1/3) et à l’ancienneté (2/3) que s’effectuent la plupart des débuts
de carrières. Si le passage de sous-lieutenant à lieutenant se fait immuablement en 24
mois, le premier véritable seuil ou palier professionnel est constitué par l’obtention du
grade de capitaine, réalisé trois à cinq ans plus tard. Or 1879-1880 marque une rupture
dans la mesure où l’écart pluriannuel entre deux grades s’allonge ; il faut désormais
plus de 5 ans pour gagner le droit à diriger une compagnie. Chez les bigors 28, ce

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ralentissement se traduit concrètement par l’apparition des mentions de « capitaine en


2nd » et « capitaine en 1er » (Mandrillon, X 1881) et bientôt celles de « lieutenant en 2 nd »
et « lieutenant en 1er », si bien que l’on met généralement 10 ans pour passer du grade
de sous-lieutenant à celui de capitaine (Flagel, X 1882). La faiblesse des soldes des
officiers subalternes conjuguée à un avancement ralenti explique en conséquence la
multiplication des cas de démissions « pour chercher une meilleure situation »
(Gateau, X 1881 ; Dujour, X 1896), plus rarement pour « endettement » (Clochette, X
1880). Globalement, la part des démissionnaires est importante – un peu plus de 18 %
du groupe étudié29 – la période la plus fréquente se situant immédiatement après le
passage à l’école d’application. Outre les questions financières, les démissions sont liées
à des problèmes de santé (Gravelotte, X 1865 ; Foulet, X 1878 ; Vitte, X 1882), à un
basculement vers un autre métier (Jolibois, X 1903, devient un chimiste de premier
plan) ou dans l’administration coloniale30 (Rodier, X 1873 ; Périquet, X 1895 ;
Devaugelade, X 1882 ; Geraud, X 1892 ; Laguarigue de Survilliers, X 1895), dans celle des
chemins de fer (Bergeaud, X 1892 ; Marsy, X 1895) ou bien tiennent à des problèmes de
comportement (« indélicatesse » pour Dolisié, X 1879) ou d’éthique militaire (« refus de
duel », Tourrès, X 1873) voire même à des rivalités hiérarchiques, y compris à un grade
avancé31. Enfin, il existe quelques cas, mais au demeurant assez rares d’évolutions de
carrières liées au mariage, se traduisant soit par des démissions (Frant, X 1890), soit par
le passage dans les troupes métropolitaines (Picquenard, X 1886 ; Chevrin, X 1898) ou
de départ dans les ordres (Jean Rodié, X 189832). L’embouteillage des années 1880 révèle
que la carrière coloniale est désormais attractive.

Accélération et décélération des carrières

13 Si quelques très beaux parcours témoignent de l’importance du classement de sortie de


Polytechnique, il faut bien convenir que, pour les bigors spécifiquement, il ne fait pas
tout au point que l’on est en droit de se demander s’il existe un système méritocratique
pour services rendus qui serait supérieur à un système de méritocratie par concours 33.
Globalement, en effet, les carrières des généraux Virgile (X 1840), Sébert (X 1858),
Ruault (X 1873), Peyrègne (X 1888) constituent des exceptions et il est bien difficile de
déterminer si leur carrière a connu un déroulement favorable en raison de leur
classement ou s’ils ont bénéficié de quelques postes importants qui les ont fait
connaître (Ruault à Bamako en 1883 ; Sébert passionné par le génie civil).
Manifestement, pour les bigors, le service rendu semble plus efficace que la sélection
par concours. Ainsi la flamme coloniale exprimée par certains officiers – Archinard (X,
1868), Ungerer (X, 1878), Lenfant (X, 1888) – permet de rattraper très nettement une
carrière qui s’était initialement singularisée par un très mauvais classement et
éventuellement d’accéder aux étoiles34. Mais cette appétence coloniale est plus souvent
la résultante d’une proximité avec le pouvoir, politique ou militaire, qui permet
d’éviter ce qui menace tous les coloniaux : la flemme coloniale. La fonction d’aide de
camp ou, après 1886, celle d’officier d’ordonnance apparaît notamment comme un
atout décisif dans une carrière car elle permet à un jeune officier de se distinguer et de
se faire remarquer. Ainsi, Henri Charbonnel (X 1891), quoique fils d’une fille-mère et
boursier de la République, devient l’officier d’ordonnance du ministre de la Marine Jean
de Lanessan35 à partir de 1899. Cela lui permet d’approcher les grands capitaines, tel
Gallieni, et de vivre dans son sillage pendant près de vingt ans 36. Il en va de même du
capitaine Rumilly (X 1890) proche du général Dodds, de Bernard Montané-Capdebosq (X

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1882) lié au général Godin, d’Eugène Lenfant (X 1888) proche du général Voyron ou de
l’artilleur Decœur (X 1876) qui, grâce à sa fonction d’officier d’ordonnance près du
ministre, obtient des missions d’explorations intéressantes auprès de Brazza. La
fonction d’ordonnance permet d’approcher les milieux décisionnaires et d’obtenir des
missions de grand intérêt. Dans certains cas cependant, quoique plus rares, elle
entraîne un avancement rapide comme pour Borschneck (X 1897) qui passe de
lieutenant à capitaine en moins de deux ans. En regard, le passage par l’École
supérieure de guerre apparaît comme un atout bien moins intéressant, l’ESG ne
permettant pas de garantir à l’impétrant une accession aux étoiles (Pierre Henry, X
1878, breveté en 1890, achève sa carrière avec le grade de colonel en 1912). Quant à la
Grande Guerre, son impact sur l’avancement des bigors est tout à fait relatif. Cela tient
à ce que le premier conflit mondial entraîne la disparition massive des officiers
subalternes (lieutenants, capitaines, chefs de bataillon) que l’on peine à remplacer. On a
donc besoin de les renouveler en quantité et c’est la raison pour laquelle la guerre ne
fait en réalité pas ou peu progresser les grades inférieurs. Addi par exemple (X 1897),
capitaine en 1908 finit la guerre comme commandant en 1919 ; il en va de même ou à
peu près pour le capitaine Bartre (X 1896). D’autres bénéficient d’un effet d’aubaine
avec la guerre, mais très mesuré. Capitaine en 1915, Bertrand (X 1903) passe
commandant en 1917, mais met ensuite quinze ans pour passer au grade suivant.
Certains n’avancent même pas du tout comme Blanchet (X 1902) qui reste capitaine
durant toute la période de la guerre alors même que son dossier note la qualité de son
service ; même chose pour Trocmé (X 1897) qui reste au grade de commandant pendant
le conflit ou de Schyry (X 1898), chef d’escadron à titre temporaire en 1916, qui
n’obtient son grade à titre définitif que huit ans plus tard. En réalité, pour les
coloniaux, seules les campagnes outre-mer sont déterminantes, particulièrement celles
qui bénéficient de la qualification « campagne de guerre ».

« Africains » et « Indo-chinois », une identité affective plutôt qu’une


réalité

14 En dépit des vocables identitaires d’« Africains » ou d’« Indo-chinois » que les coloniaux
affectent de s’attribuer, tout indique que le monde colonial connaît une grande
hétérogénéité de parcours résultant d’une absence de spécialisation géographique.
Globalement, les bigors sont envoyés dans tous les points de l’empire indistinctement
et tous ou presque sont à un moment « Africain » avant de devenir un jour « Indo-
chinois », ces définitions intégrant d’ailleurs les nuances localisées de « Soudanais »,
« Sénégalais », « Marocains », « Algériens » ou « Tonkinois ». Certes quelques-uns
affectionnent visiblement davantage l’Afrique (Montané-Capdebosq, Walter), tandis
que d’autres préfèrent l’Asie (Thouard, Eugène Petit) mais il n’existe aucune volonté
politique de spécialisation des officiers par aires géographiques ou par capacité
linguistique37. Validé chaque année au mois de décembre à Paris par les services du
ministère de la Marine et des Colonies, puis par le ministère de la Guerre, le système
des « tours » prend en compte l’ensemble des hommes et applique à tous la même règle
du séjour réglementaire de 25 à 30 mois, des dérogations étant nécessaires au-delà de
cette durée. L’officier choisit selon deux critères essentiels : soit l’affectation dans les
vieilles colonies (Antilles, Réunion, Indes) où la vie est réputée calme et tranquille, soit
les nouvelles (Afrique et Indochine) où les dangers sont plus grands (maladie et
conquête) ce qui laisse espérer des possibilités d’évolution de carrière rapide. Il propose

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trois affectations possibles au sein desquelles l’administration centrale en choisit une.


Les officiers « détachés hors-cadres » peuvent éventuellement être affectés dans une
région de l’empire de façon exclusive, mais ils doivent pour cela avoir prouvé une réelle
aptitude physique à servir aux colonies, avoir été notés par l’inspection générale et
avoir surtout au moins quatre années d’ancienneté. Ainsi, les cas de spécialistes, tel
Douchet (X 1896) qui obtient des affectations en Annam en raison de la possession d’un
brevet d’annamite ou de Derepas (X 1897) topographe attaché à l’Asie, sont rares. Au
mieux, ces hommes sont affectés à une division spécifique qui les envoie où le besoin
s’en fait sentir, comme Gardeux (X 1901) attaché au Service géographique afin de
mener des missions de délimitation au Cameroun en 1913, ou Périer (X 1899) reconnu
comme un officier radiotélégraphiste. À bien regarder l’ensemble de leurs affectations,
il apparaît que la plupart d’entre eux passent environ dix ans sous les tropiques et, à
l’issue d’un service effectué dans la pleine force de l’âge, on leur rapatrie sur des postes
métropolitains, dans les garnisons littorales ou les administrations, de façon à éviter la
multiplication des maladies. Car, la principale caractéristique des troupes coloniales,
marsouins ou bigors, est de connaître un très fort taux de mortalité du fait des
maladies, taux infiniment supérieur à celui des hommes morts au combat (102 hommes
morts de maladie pour 33 « tués à l’ennemi »), les affections les plus fréquentes étant la
dysenterie, la fièvre jaune et le choléra. Ainsi les morts violentes, y compris celles par
suicide38, sont infiniment moindres que celles provoquées par le climat. C’est la raison
pour laquelle, commentant le mot de Lord Derby estimant que « les expéditions
coloniales sont des guerres de médecins et d’intendants », le député du Rhône, Fleury-
Ravarin, juge en 1898 que « la guerre coloniale est avant tout une bataille contre un
climat meurtrier »39, ce qui a bien des égards justifie la critique récurrente à l’encontre
de la flemme coloniale.
15 Appartenant à une catégorie de militaires « moitié marine, moitié terrestre, sur
laquelle les actions des deux ministères (ministère de la Marine et ministère de la
Guerre) s’enchevêtr[ai]ent »40, les artilleurs de marine ont constitué l’un des groupes
professionnels les moins bien connus du monde colonial du fait du dualisme ministériel
et de l’idée que le danger national se trouvait sur la frontière de l’est.
16 Chargés initialement de la défense des côtes, ils furent pourtant à la pointe des combats
dans les premières expéditions coloniales et, la plupart du temps, les premiers
ingénieurs à tracer routes, voies ferrées et à construire les ponts permettant la
conquête.
17 Par leur formation initiale, par le processus de sélection scolaire, ils appartenaient
assurément à une élite technicienne sinon une élite intellectuelle représentative de la
France des capacités, d’une France venue de toutes les provinces pour s’inscrire dans le
cadre d’une fonction publique d’État qui allait leur garantir un déroulement de
carrière, un avancement et un droit à pension. Mais en dépit des avantages ainsi acquis,
l’analyse prosopographique du groupe des artilleurs de marine montre que la carrière
s’est révélée difficile, pour la plupart d’entre eux à la fois par le processus de sélection
qui est à l’œuvre mais également par les conditions même de l’exercice du métier.

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NOTES
1. L’analyse prosopographique consiste à analyser plusieurs biographies d’une catégorie
spécifique de la société pour en restituer l’unité profonde.
2. Je me dois de signaler l’impulsion active et amicale du Conservateur du Musée des Troupes
d’Outre-Mer de Fréjus, le capitaine Éric Warnant et de son adjoint, le lieutenant Benoît Bodart,
qui m’ont laissée accéder aux brouillons de thèse de M. Baron restés en souffrance au CHETOM, le
Centre d’histoire et d’études des troupes d’outre-mer de Fréjus, après son décès. Je remercie
également le professeur Marc Michel de m’avoir autorisée à accéder aux documents de son
ancien étudiant.
3. L’autre partie étant constituée des officiers de l’infanterie de marine, les « marsouins », issus
de Saint-Cyr et infiniment plus nombreux. Ils constitueront le 2 nd temps de notre analyse.
Ensemble, marsouins et bigors forment les « troupes de marine ». Après la loi sur l’armée
coloniale de 1900, ils prennent le nom de « troupes coloniales ».
4. Les compagnies de la mer (1622) puis le corps royal de la Marine (1772) sont les ancêtres des
bigors.
5. Elle est réorganisée ensuite par décret du 13 mars 1894.
6. Alphonse Andréani, Les Écoles françaises civiles et militaires, programmes, études, titres, diplômes,
service militaire, dispenses, Paris, Berger-Levrault, 1891, p. 166.
7. C’est la période qui fait suite au désastre de Lang Son et correspond à l’éviction de Ferry le
« Tonkinois ».
8. Julie d’Andurain, La Capture de Samory (1898). L’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest,
Saint-Cloud, Soteca, 2012 (préface de Jacques Frémeaux, avant-propos du général Thorette).
9. Il s’agit du lieu de naissance du jeune officier qui correspond souvent au lieu de résidence du
père.
10. William Serman, Les Origines des officiers français, 1848-1870, Paris, Publications de la Sorbonne,
1979. Notre analyse diffère cependant de la sienne en ce que nous n’analysons pas la vocation des
officiers, mais leur faculté à être sélectionnés par Polytechnique. C’est davantage une étude sur
les capacités que sur les inclinations.
11. Pour des questions pratiques, nous avons comptabilisé l’Algérie comme un seul et unique
département français.
12. Dont on n’a pas toujours la précision sur le moment où il devient orphelin de père.
13. Parmi ces cinq femmes, deux d’entre elles semblent illustrer le cas d’amours ancillaires
(lingère, domestique) tandis que deux autres appartiennent à des catégories sociales
manifestement plus élevées.
14. À titre de comparaison, voir François-Joseph Ruggiu, « Tel père, tel fils ? La reproduction
professionnelle dans la marchandise et l’artisanat parisiens au cours des années 1650 et 1660 »,
Histoire, économie et société, 1998, n°4, p. 561-582.
15. C’est le cas de Breuilh, Paul Girard, Reibel (tous les trois X 1892), et Rocard (X 1900) qui
reproduisent le schéma paternel tandis que le modèle passe par des frères aînés (pour les Dorido
et les Bourély, déjà cités).
16. Né en outre-mer, Primet (X 1897) décide à l’évidence d’y retourner par son choix de devenir
bigor.
17. L’indication de la profession des grands-pères, parfois précisée, permet d’entrevoir un
processus de longue durée.
19. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers : les étudiants et la culture, Paris, Les
Editions de minuit, 1964.

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20. Plus marginalement, 9 d’entre eux reçoivent une bourse et un demi-trousseau, et un seul
reçoit une demi-bourse et un demi-trousseau.
21. Adeline Daumard, « Les élèves de l’école Polytechnique de 1815 à 1848 », Revue d’histoire
moderne et contemporaine, juillet 1958, t. V, p. 226-234.
22. Olivier Ihl, « Hiérarchiser des égaux. Les distinctions honorifiques sous la Révolution
française », Revue française d’histoire des idées politiques, n°23, 2006, p. 35-54.
23. Dictionnaire militaire. Encyclopédie des sciences militaires rédigées par un comité d’officier de toutes
armes, tome I, Nancy, Berger-Levrault, 1898, p. 1007. Cela signifie aussi a contrario qu’il n’existe
pas de conditions de taille même si, dans les faits, les hommes recrutés font souvent plus d’un
mètre soixante-dix.
24. La loi du 27 juillet 1872 a établi un minimum de taille de 1,54 mètre. Ce minimum est
supprimé par la loi du 2 avril 1901.
25. Cette image provient de ce que l’on reproche souvent aux coloniaux d’avoir la « bride sur le
cou », image facile qui, d’une part, dédouane le pouvoir politique de ses propres responsabilités,
d’autre part ne prend pas en compte l’historicité du phénomène colonial. Si certains officiers
coloniaux ont effectivement pu bénéficier d’une large marge de manœuvre, celle-ci s’explique
souvent par la personnalité de l’impétrant et d’autre part par les faiblesses du pouvoir politique.
L’affaire Voulet-Chanoine, qui a servi à construire l’image du colonial affamé de gloire et
désobéissant, doit être analysée en ce sens. En tout état de cause, la désobéissance ou
l’indépendance ne sauraient être des traits caractéristiques de l’ensemble des coloniaux.
26. Après la guerre de 1870-1871, l’école qui avait été fondée à Metz s’installe à Fontainebleau où
elle tient garnison jusqu’en 1940. Entre-temps, l’artillerie a été séparée du génie en 1912 qui s’est
installé à Versailles.
27. Sorti 33 e sur 179 Polytechniciens en 1903 (après être entré 162 e sur 180), il s’était classé
premier parmi les artilleurs de marine et toujours premier à l’école d’application. Il décide de
démissionner en mai 1905 pour devenir élève-ingénieur des Ponts-et-Chaussées
28. Elles existaient ailleurs, mais apparaissent dans l’artillerie de marine en 1880-1882.
29. Le chiffre est peut-être un peu surévalué du fait de leur disparition de l’Annuaire ; la
difficulté à maîtriser les chiffres réside dans l’impossibilité de savoir ce que font les
démissionnaires après leur passage à l’armée.
30. La plupart du temps, ce basculement vers l’administration coloniale se fait sur la base
« d’emplois réservés » pour ceux qui ont au moins trois ans de grade et trois ans de séjour aux
colonies.
31. Les démêlés entre le colonel Humbert et le général Borgnis-Desbordes sont connus. Le
colonel Humbert démissionne en novembre 1896 afin d’écrire et de publier Pour la justice, plainte
officielle contre le général Borgnis-Desbordes adressée au ministre de la Marine (1898).
32. Il démissionne en 1906 après deux années au Tonkin, puis reprend du service comme
capitaine en 1915 et devient par la suite évêque d’Agen (1948).
33. Claude Lelièvre, « Bourses, méritocratie et politique(s) scolaire(s) dans la Somme, 1850-1914
», Revue française de sociologie, 1985, n°26-3, p. 409-429. Il faut également envisager la question de
la formation des troupes coloniales elles-mêmes, permise par la loi de juillet 1900 qui garantit
aux officiers coloniaux un avancement au moins équivalent à celui des métropolitains.
34. 55 officiers deviennent généraux, soit un peu plus de 8 % du corpus étudié. C’est faible en
regard des autres armes.
35. Plus connu sous le nom de Jean-Louis de Lanessan, son nom de plume en réalité.
36. Colonel Henry Charbonnel, De Madagascar à Verdun, vingt ans à l’ombre de Gallieni, Paris,
Karolus, 1962.
37. Au grand dam des coloniaux eux-mêmes. Un vieil officier tonkinois, « De la spécialisation des
officiers de l’armée coloniale », Bulletin du Comité de l’Afrique française, janvier 1911, n°118, p.
25-26.

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39

38. Sept cas de suicide dans l’échantillon étudié.


39. Fleury-Ravarin, « L’Armée coloniale », Revue politique et parlementaire, février 1898, n°44, p.
279-321, p. 298.
40. Patiens, « La Défense des côtes », La Revue de Paris, 1 er mai 1894, tome III, p. 180-213.

RÉSUMÉS
Les bigors (surnom des artilleurs de marine) forment avec les marsouins (infanterie de marine)
les deux grands corps des officiers des troupes de marine qui prennent le nom de troupes coloniales
en 1900. Leur étude approfondie est justifiée par le fait qu’ils sont relativement méconnus en tant
que groupe social malgré la présence d’un fonds documentaire important au SHD. Or comprendre
les stratégies professionnelles des bigors et des marsouins permet de saisir l’évolution
intellectuelle et politique des officiers coloniaux, et par-delà une partie de la politique coloniale
de la France. L’approche prosopographique du corps des bigors pose la question de la formation
et des modalités de sélection des artilleurs de marine, de leur entrée dans le système de
l’enseignement secondaire à leur vie professionnelle. Portant sur 671 cas, cette étude montre
qu’une grande partie de ces hommes a su utiliser l’école de la III e République comme un
« ascenseur social ». Mais en dépit d’une formation de très grande qualité, d’un prestige acquis
par le passage par Polytechnique, d’une compétence réelle, leurs carrières correspondent
rarement à leurs attentes. La flamme coloniale de quelques uns ne compense pas la flemme
coloniale de la grande majorité d’entre eux, oubliés de la République.

The “bigors” [“sea snails”] (nickname of naval gunners) formed with “marsouins” [“porpoises”]
(marine infantry) the two large bodies of naval troop officers who took the name of colonial
troops in 1900. Studying them is justified by the fact that they are relatively unknown as a social
group, despite the presence of significant holdings in SHD. Yet understanding the professional
strategies of bigors and marsouins captures the intellectual and political evolution of colonial
officers, and thereby part of the colonial policy of France. The prosopographic approach for the
corps of bigors poses the question of training and selection procedures of the Navy’s gunners,
their entry into the system of higher education in their professional lives. Based on 671 cases,
this study shows that a large proportion of these men used the school of the Third Republic as a
«social ladder». But despite a very high quality preparation, of prestige acquired by passage
through the Polytechnique, of a real competence, their careers rarely met their expectations.
The colonial flame of some did not offset the cooler colonial embers of the vast majority of
them, forgotten by the Republic.

INDEX
Mots-clés : artillerie de Marine, Bigors, Polytechnique

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AUTEURS
JULIE D’ANDURAIN
Agrégée et docteur en histoire, elle est actuellement enseignante-chercheur au CDEF (École
militaire) et chargée de cours à Paris-Sorbonne. À la suite de sa thèse sur Le général Gouraud, un
colonial dans la Grande Guerre (soutenue sous la direction de Jacques Frémeaux, Paris-Sorbonne,
2009), elle vient de publier La capture de Samory, l’achèvement de la conquête de l’Afrique de l’Ouest
(Sotecan 2012).

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La défense des colonies allemandes


avant 1914 entre mythe et réalités
Defense of the German colonies before 1914, between myth and reality

Rémy Porte
Traduction : Robert A. Doughty

1 Tardivement attirée par l’expansion coloniale, d’une part parce que son unité n’est
acquise qu’en 1871 et d’autre part parce que sa zone naturelle d’influence politique et
d’expansion économique reste dans une très large mesure l’Europe orientale (que
symbolise l’expression fameuse de Drang nach Osten), l’Allemagne est néanmoins
parvenue à bâtir en quelques années, au milieu des années 1880, un vaste empire de
près de 3 000 000 km². À la veille de la Grande Guerre, celui-ci connaît un rapide
développement économique et commercial, qui alimente tous les fantasmes des milieux
colonialistes français et britanniques, mais aussi les inquiétudes des Belges et des
Portugais. Dans la littérature du temps, qu’il s’agisse de la presse périodique ou de
livres, la « menace » que les milieux colonialistes allemands feraient peser sur les
possessions des autres puissances est très fréquemment évoquée et cette question sera
reprise avec force dès le déclenchement de la Première Guerre mondiale, dans le but de
dénigrer les méthodes et les procédés (nécessairement) intolérables dont les Allemands
se seraient montrés capables pour asseoir leur puissance ultramarine, en particulier
dans le domaine militaire. Les chiffres les plus fantaisistes seront alors annoncés,
souvent en contradiction flagrante avec les données antérieurement publiées, et ce
sont eux qui marqueront les esprits.
2 En dépit de tout ce qui peut avoir été écrit sur le pouvoir d’influence de la Ligue
coloniale, de la Ligue navale et des autres sociétés ou associations qui militent en
Allemagne en faveur de la création d’établissements outre-mer, l’empire colonial n’est
que très tardivement considéré comme essentiel par la majorité de la population
métropolitaine. S’il faut manier le paradoxe, c’est avec la perte de leurs territoires
ultramarins lors de la Première Guerre mondiale que les Allemands se découvrent un
attachement pour eux… Non seulement aucun territoire d’outre-mer n’est devenu une
« colonie de peuplement », mais encore la présence de ressortissants allemands reste

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très faible au sein de la population. Trois facteurs généraux complémentaires sont ainsi
à prendre en compte lorsque l’on souhaite aborder la question de la colonisation
allemande et de ses aspects militaires en particulier :
- il s’agit d’une prise de possession récente, pour laquelle l’administration impériale
n’envisage aucun effort financier significatif de la métropole ;
- ces territoires ne constituent pas des colonies de peuplement (à l’exception sous
certaines conditions du cas particulier du Sud-ouest africain) et les forces de
souveraineté sont parfois extrêmement réduites, une présence navale régulière, sinon
permanente, compensant la faiblesse des effectifs de l’armée de Terre ;
- pour l’état-major impérial, dans l’hypothèse d’un conflit majeur, la question coloniale
serait réglée par la victoire en Europe. Il est donc inutile de pousser au développement
d’unités militaires spécifiques : « Il n’y a pas à s’inquiéter du sort des colonies. Le résultat
final en Europe le réglera pour elles ».
3 Aborder en quelques pages trente années (1884-1914) d’histoire coloniale à l’échelle
planétaire est un pari osé, et nous nous efforcerons dans les lignes qui suivent d’établir
une synthèse, de mettre en relief un certain nombre de points essentiels, en renvoyant
le lecteur aux études précisées en notes ou dans la bibliographie finale pour des
développements plus détaillés.

Un empire colonial immense mais hétérogène


4 En Afrique, en Asie et en Océanie, la présence d’intérêts commerciaux allemands ne
peut être transformée en implantations coloniales de plein droit que sur les espaces ne
relevant pas encore d’une autre puissance1, voire sur les quelques territoires
ultérieurement cédés par le biais de traités internationaux2. Cette politique tarde
toutefois à être mise en œuvre. Les premiers établissements, autour de 1884-1885, sont
le fait de grandes compagnies commerciales bénéficiant simplement de la « protection
impériale »3 et, même après la proclamation d’un statut colonial effectif, le vocabulaire
en conserve la marque : l’administration impériale centrale prend le nom de
Kolonialamt, mais le terme de Schutzgebiete (« protectorat ») reste employé pour chaque
territoire. Tant que Bismarck exerce les fonctions de chancelier d’empire, l’action
gouvernementale directe reste marginale et cède la place à l’initiative privée.
5 Au plan stratégique, la première caractéristique de cet ensemble est son éparpillement
à la surface du globe, situation d’autant plus délicate pour les questions militaires qu’il
s’agit généralement de territoires largement ouverts vers l’extérieur, étroits ou de
faible superficie4. En Afrique, l’étroite bande de terre du Togo, orientée sud-nord, ne
bénéficie d’aucune frontière naturelle, tandis que le Cameroun, le Sud-ouest africain et
l’Est africain sont entourés de colonies françaises et britanniques. Les archipels de
superficie limitée et peu peuplés du Pacifique sont de fait indéfendables et seul le petit
territoire de Tsing-Tao bénéficie de plus de 10 millions de francs d’investissements
annuels avant la Grande Guerre, pour la construction, l’équipement et l’entretien d’un
puissant réseau défensif fortifié.

Une politique militaire qui repose d’abord sur la Flotte


6 Le gouvernement impérial allemand, en dépit des discours sur la « politique mondiale »
souhaitée par Guillaume II, ne consent à aucun moment à fournir des moyens

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importants pour la conquête coloniale, puis ultérieurement pour garantir l’ordre


intérieur et les frontières internationales de ses territoires ultramarins. Il soutient par
contre activement la flotte commerciale allemande5 et procède à d’importants
investissements dans le domaine commercial et dans celui des communications
internationales (câbles télégraphiques sous-marins). La marine de guerre, avant même
la course aux armements navals, compte déjà 160 navires de guerre en 1887, ce qui
permet à Berlin d’entretenir des bâtiments dits « stationnaires » le long des côtes
africaines, asiatiques et dans le Pacifique. En pratique, il revient donc à chaque
compagnie privée à charte d’assurer l’ordre public sur le territoire dont elle a la
responsabilité, le rôle du gouvernement se bornant à assurer une présence navale
dissuasive (Zanzibar, août 1885) et, très éventuellement, à mettre à terre une
compagnie de débarquement (Kamerun, mars 1885). Ce sont ainsi, essentiellement, des
bâtiments de la Kriegsmarine qui assurent la présence militaire impériale.
7 Cette situation se maintient jusqu’à la Première Guerre mondiale, en particulier dans
l’ensemble océanien où les seules forces militaires allemandes sont constituées par
l’escadre de l’amiral von Spee, dont les différents bâtiments mouillent régulièrement
devant les différents archipels et qui sont susceptibles de mettre à terre une
« compagnie de débarquement », à l’effectif de quelques dizaines d’hommes, suffisant
pour maintenir l’ordre.
8 Pour l’armée de Terre, il est fait appel à partir de la fin du XIXe siècle à un nombre limité
de volontaires, qui ont pour première mission d’encadrer et d’instruire les compagnies
indigènes d’Askaris afin de réprimer les révoltes endémiques et (initialement) de lutter
contre le trafic d’esclaves. Si l’armée des Indes intervient à partir du Soudan anglo-
égyptien ou si les tirailleurs sénégalais participent activement à la conquête de la
boucle du Niger, la Schutztruppe impériale n’est engagée dans aucune opération en
dehors de ses frontières avant la Première Guerre mondiale.

La naissance des « troupes de protection » : une


nécessité d’ordre intérieur
9 En 1888, la mauvaise gestion de l’Afrique orientale et l’augmentation rapide des taxes et
charges imposées sur le territoire provoquent une insurrection généralisée des
populations autochtones contre les représentants de la Deutsche Ostafrikanische
Gesellschaft. Or la compagnie ne dispose que de quelques gardes privés, bientôt réduits à
assurer une sécurité très relative dans les deux derniers ports sur l’océan Indien encore
contrôlés. Il lui faut demander l’aide officielle de Berlin, qui reste très réticent.
10 Nommé commissaire impérial, le major Wissmann reçoit pour mission de réprimer la
révolte, non pas officiellement au nom du gouvernement mais sous la responsabilité de
la compagnie, et il est simplement autorisé à recruter en métropole des volontaires, mis
à sa disposition et provisoirement placés en congé spécial renouvelable. Ces
événements marquent toutefois une évolution majeure : théoriquement payées par la
société privée, les soldes sont en fait versées grâce à un crédit spécial de deux millions
de marks voté par le Reichstag. Soixante cadres européens (20 officiers et médecins, 40
sous-officiers) constituent ainsi l’encadrement initial de la Schutztruppe (« troupes de
protection ») d’Afrique orientale. Les premiers soldats indigènes (Askaris 6) ne sont que
très partiellement recrutés dans la colonie elle-même : la plupart viennent du Soudan,

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où ils ont combattu dans les rangs de l’armée britannique, ou des tribus du
Mozambique. Avec cette véritable petite armée privée, le major Wissmann parvient à
redresser la situation sécuritaire sur le territoire, mais l’état désastreux des finances de
la compagnie, criblée de dettes, oblige l’État à se substituer aux entrepreneurs privés.
11 Ce changement de statut entraîne la mise en place des structures qui représentent les
grandes fonctions régaliennes, au premier rang desquelles la force militaire : le corps
de volontaires de Wissmann, rebaptisé, devient par la loi du 22 mars 1891 la Kaiserliche
Schutztruppe (« troupe impériale de protection »). Toujours animé par le désir de ne
consentir que le minimum d’investissements outre-mer, Berlin diminue aussitôt
l’effectif de cette première troupe coloniale régulière, qui ne compte plus en 1892 que
10 officiers, 32 sous-officiers et infirmiers et 1 200 hommes (soit 8 compagnies). La
plupart des unités sont alors transformées en « troupes de secteur », dans les régions
intérieures progressivement soumises à l’autorité allemande, les deux compagnies
restantes formant un petit corps de manœuvre pour les expéditions à conduire. Ce
système atteint d’autant plus rapidement ses limites que la superficie totale de la
colonie atteint bientôt son extension maximum7 et que les rengagements sont assez
peu nombreux. La plus grande partie de la troupe et des officiers est alors absorbée par
la gestion des secteurs intérieurs. Pour procéder aux nouveaux recrutements devenus
indispensables, les autorités se tournent à nouveau vers l’extérieur et, avec l’accord de
la Grande-Bretagne et de l’Italie, engagent plusieurs centaines d’hommes en Égypte et
en Érythrée. La Schutztruppe atteint l’effectif total de 2 076 hommes, dont 144
Européens, et compte désormais 12 officiers et 120 sous-officiers « indigènes ». Sur ce
total, 200 hommes sont prélevés par le gouverneur général pour former l’embryon du
corps de police coloniale, tandis que les 1 876 officiers, sous-officiers et soldats restant
sont organisés en 12 compagnies à l’effectif théorique de 135 hommes 8.
12 L’une des premières caractéristiques de la Schutztruppe est donc que les contingents
africains qui la composent ne sont pas issus des territoires contrôlés par le II e Reich. Au
début du XXe siècle, on retrouve le même élément « étranger » au sein des troupes de
protection du Cameroun, dont près de la moitié des recrues proviennent des colonies
britanniques et françaises voisines.
13 Le statut, l’organisation et les règles d’emploi des troupes de protection sont
progressivement précisés et adaptés durant les dernières années du XIXe siècle9. Placées
sous l’autorité nominale d’un état-major basé à Berlin (Oberkommando der Schuztruppen)
auprès du ministre des Colonies, elles relèvent en fait du gouverneur de chaque
territoire et doivent assurer « la sécurité et le maintien de l’ordre public dans les colonies et
combattre la traite des esclaves ». Le nombre de compagnies évolue dans le temps, suivant
la superficie et la situation particulière de chaque colonie, mais les unités élémentaires
sont calquées sur le même modèle : 2 officiers et 3 sous-officiers allemands, 1 officier
(dit Effendi) et 4 sous-officiers indigènes et 150 soldats indigènes, chiffre qui est
rarement atteint. L’officier commandant supérieur des troupes sur le territoire n’a que
des responsabilités limitées d’administration, d’instruction et de discipline générale : la
réalité de l’autorité appartient à l’autorité civile qui décide de l’emploi et des missions.
Cette dichotomie au sommet de la hiérarchie dans chaque colonie entraînera d’ailleurs,
en particulier en Ost Afrika et au Kamerun, des conflits de compétence entre les
gouverneurs et les chefs militaires après le déclenchement de la Première Guerre
mondiale.

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Des forces militaires généralement faibles, mais très


inégales selon les territoires
14 En 1905, les effectifs proprement militaires stationnés dans les colonies allemandes
sont encore marginaux et les unités de l’armée régulière ne sont organisées qu’en
Afrique orientale, dans le Sud-ouest africain et dans une moindre mesure au Cameroun.
L’Ost Afrika ne dispose encore en 1912 que de 12 compagnies, soit le même nombre que
quinze ans plus tôt, et le nombre de soldats sous les armes n’a que peu évolué, autour
de 1 700 hommes. On compte 14 compagnies à la veille de la Grande Guerre, mais cette
augmentation de deux unités élémentaires n’est qu’illusoire. Elle est en fait le produit
des réorganisations territoriales : en réalité l’effectif total a diminué avec la dissolution
des unités de mitrailleuses en 1913. Son encadrement européen est constitué de 68
officiers et 60 sous-officiers pour 2 472 soldats indigènes : il en résulte qu’un nombre
croissant d’Askaris sont promus sous-officiers.
15 Au Cameroun, les effectifs atteignent à peine 1 200 hommes jusqu’en 1911 (1 128 dont
126 Européens en 1905), et la progression de la pacification vers le nord comme
l’accroissement territorial qui, la même année, suit l’accord avec la France (gain de
250 000 km²) justifient une augmentation plus rapide : ils sont 1 750 en 1914.
16 Le Togo et les colonies d’Océanie et du Pacifique ne disposent que de forces de police de
recrutement local, mal équipées, non entraînées et quasiment inaptes à faire
campagne10, simplement encadrées par quelques sous-officiers métropolitains
célibataires. Il a été évoqué à plusieurs reprises à partir de 1899 de créer une
Schutztruppe du Togoland, mais les logiques financières se sont imposées : puisque la
colonie n’est menacée ni par ses voisins, ni par des mouvements de révolte intérieurs,
la dépense a toujours été repoussée. À la veille de la Grande Guerre, la Polizeitruppe
atteint à peine 570 hommes et n’émarge que pour 15 % du budget général de la colonie.
17 En Nouvelle-Guinée allemande et dans les archipels rattachés, territoires à la fois mal
connus (l’intérieur de la Papouasie est encore en cours d’exploration) et divisés entre
d’innombrables îles, il n’existe jusqu’en 1911 que quelques gardes armés, « hérités » en
quelque sorte de l’ancienne compagnie privée lors de la prise de contrôle par le
gouvernement impérial. La décision de créer une première compagnie de police pour le
territoire n’est prise qu’à l’été 1911 et celle-ci n’a d’existence effective qu’au début de
l’année suivante. En dehors de la capitale et de quelques ports, à l’exception de
quelques colons, il n’existe aucune force susceptible d’être « militarisée ».
18 L’effort le plus significatif est fait en faveur du service de santé (Sanitätsdienst), dont les
effectifs sont en proportion supérieurs à ce qui existe dans l’armée métropolitaine, du
fait des conditions climatiques et de la présence endémique d’épidémies (paludisme,
fièvre jaune, maladie du sommeil, etc.). Au début de l’année 1911, 13 médecins et 34
sous-officiers infirmiers (dont 20 indigènes) sont affectés au Cameroun et 20 autres les
rejoignent l’année suivante à la suite de l’agrandissement territorial né de l’accord de la
même année avec la France.
19 Au total, ces quelques investissements militaires coûtent d’autant moins au budget
impérial que chaque colonie doit « s’auto-suffire ». Pour les vingt-deux premières
années de présence du IIe Reich en Afrique (1884-1906), son montant peut être évalué à
700 millions de marks. Sur ce total toutefois, la seule campagne contre les Hereros dans
le Sud-ouest africain en 1904-1905 représente plus de 500 millions. Les dépenses

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militaires ordinaires, courantes, ne dépassent donc pas 8 millions par an 11, ce qui est
particulièrement modeste au regard des dépenses du même type consenties par
Londres ou par Paris.

Deux cas particuliers : le Sud-Ouest africain et Tsing-


Tao
20 L’organisation des forces de défense de la colonie du Süd-West Afrika est
fondamentalement modifiée à la suite de la révolte des Hereros en 1904-1905 12.
Désormais, les indigènes sont exclus du dispositif militaire et les forces armées
régulières de la colonie ne sont plus constituées que d’Européens, y compris pour les
simples soldats. Les recrues volontaires et aptes de l’armée continentale peuvent être
autorisées à servir en Afrique du Sud-Ouest et les jeunes Allemands qui résident sur le
territoire peuvent effectuer sur place leur service militaire. À l’issue de leur temps de
service, ils reçoivent une aide pour s’installer comme colons, s’ils souhaitent rester
dans le pays13. Il n’y a pas toutefois de « militarisation » du territoire : après avoir
fortement augmenté jusqu’en 1907, les effectifs décroissent rapidement avec le
rapatriement en métropole des renforts détachés sur place, pour atteindre 2 171
hommes en 1912, puis 1 819 l’année suivante. La Schutztruppe du Sud-ouest africain
bénéficie par ailleurs d’un réel sur-encadrement : elle dispose de 89 officiers et de 342
sous-officiers européens, alors qu’elle compte près de 600 simples soldats de moins que
son homologue d’Ost Afrika. Cette situation s’explique par la présence de nombreux
réservistes européens qu’il faut encadrer en cas de mobilisation.
21 Autre conséquence de la récente révolte des Hereros, la colonie est également la seule
pour laquelle les autorités métropolitaines consentent des investissements importants,
en particulier dans le domaine militaire : le budget prévisionnel pour 1914 prévoit plus
de 13 millions de marks de dépenses pour la Schutztruppe et la Polizeitruppe, dont les
deux tiers à la charge du gouvernement impérial.
22 Le territoire « à bail » de Tsing-Tao, en Chine du nord, présente la particularité d’être la
seule possession allemande outre-mer gérée par la Marine impériale. Son gouverneur
est un capitaine de vaisseau qui dispose organiquement, à terre, de moins de 1 500
hommes. Ceux-ci appartiennent essentiellement au IIIe bataillon d’infanterie de
marine, renforcé par une compagnie indigène chinoise d’une centaine d’hommes. Mais
le port et la ville sont très puissamment fortifiés et l’artillerie des organisations
défensives est mise en œuvre par un bataillon de canonniers-marins à l’effectif de 750
hommes. En ajoutant à ce personnel quelques policiers et douaniers, la garnison totale
est légèrement inférieure à 2 500 hommes.
23 La définition des troupes de marine dans l’armée allemande diffère sensiblement de
celle adoptée en France. Il n’existe dans l’empire que trois bataillons, en charge de la
défense des ports et côtes d’Allemagne du Nord. Stationnés à Wilhelmshaven et à
Cuxhaven, les Ier et IIe bataillons ne participent qu’exceptionnellement à des opérations
ultramarines (Chine, 1900 ; Sud-Ouest africain, 1904), au même titre que d’autres unités
métropolitaines, lorsqu’il est indispensable d’embarquer des renforts dans l’urgence.

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Quelques procédés tactiques


24 Constatons tout d’abord que l’armée allemande, pas plus d’ailleurs que l’armée
française, ne dispose d’un corpus doctrinal référencé ou de règlements d’emploi
spécifiques pour la conduite des opérations coloniales : « L’instruction des troupes est
basée sur le règlement allemand pour les manœuvres d’infanterie », constate Paul
Ettinghausen14. En opération, la constitution type d’une colonne est directement
contrainte par la nature du terrain, le climat, le réseau existant de pistes et chemins et
le volume de l’adversaire. Elle relève donc de la responsabilité du chef d’élément, même
si des caractéristiques communes, issues de l’expérience, se dégagent peu à peu. Dans
leurs campagnes de pacification de l’Est africain, durant la première moitié des années
1890, après avoir connu de nombreuses difficultés et plusieurs échecs, les officiers
allemands adoptent en général un ordre de marche en une seule colonne s’étalant, de la
pointe d’avant-garde à l’arrière-garde, sur un à deux kilomètres en fonction des
difficultés de progression pour les déplacements « stratégiques » et un dispositif de
marche enveloppant sur trois colonnes dans la dernière phase de manœuvre avant
l’assaut15.
25 Tactiquement, le caractère offensif de la campagne « est la tactique la plus favorable
aux Européens dans l’Est africain, c’est donc à elle qu’il faut recourir sans hésitation
chaque fois que les circonstances et le terrain le permettent », souligne également le
capitaine Painvin16. La formation des soldats, sous-officiers et officiers indigènes n’est
activement poussée qu’en Afrique orientale à partir de janvier 1914. Von Lettow-
Vorbeck, nouveau commandant des troupes sur le territoire, organise des manœuvres à
double action et multiple les exercices de franchissement de cours d’eau,
d’aménagement d’organisations défensives de circonstance et d’entraînement au tir à
la mitrailleuse. Les officiers alliés seront souvent surpris au cours de la Grande Guerre
par les qualités d’initiative et d’adaptation des cadres indigènes, au point de demander
dans les années 1920 la traduction en français et la distribution aux officiers des
troupes coloniales de documents allemands réalisés pour les Askaris avant-guerre 17.
26 Pour les quelques officiers qui servent, à Berlin, à la section des colonies de l’état-major
général, l’organisation défensive des territoires d’outre-mer est suffisante pour venir à
bout d’une révolte de quelques tribus mais interdit toute résistance sérieuse en cas de
conflit avec une puissance européenne. C’est ce qu’exprime le lieutenant-colonel von
Lettow-Vorbeck, affecté à ce poste avant de prendre le commandement de la
Schutztruppe est-africaine en janvier 1914 : « Dans l’état actuel des choses, il ne saurait être
question, dans quelque territoire que ce soit, de faire face à une attaque venant de l’extérieur
disposant de moyens d’artillerie et de troupes européennes » 18.

La situation au début de la Grande Guerre


27 Lorsque la Première Guerre mondiale commence en Europe, la situation militaire des
différentes colonies allemandes est conforme aux craintes exprimées. Les îles et
archipels du Pacifique, généralement non défendus, sont saisis en quelques semaines
par les Australiens, les Néo-Zélandais et les Japonais. Si l’immense ensemble de
Nouvelle-Guinée ne capitule que le 24 septembre 1914, cela ne tient pas à une
résistance particulière des quelque 500 hommes mal armés que le gouverneur Haber
peut opposer aux 2 300 soldats du corps expéditionnaire australien appuyés par

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l’artillerie embarquée des navires de guerre, mais tout simplement au temps nécessaire
pour occuper un si vaste espace terrestre et maritime.
28 À Tsing-Tao, l’escadre allemande du Pacifique a pour l’essentiel quitté la colonie le
20 juin pour une traditionnelle « tournée » de plusieurs mois des possessions
allemandes dans la région. Elle se trouve aux Carolines lorsque lui parvient l’ordre de
mobilisation générale et l’amiral von Spee décide de croiser vers l’est, d’archipel en
archipel, pour rejoindre la métropole via la Terre de Feu. Son parcours jusqu’à la
destruction finale de ses bâtiments lors de la bataille navale des Falkland suscitera une
profonde inquiétude à Londres. La place forte est soumise au siège japonais dès le
27 août et le gouverneur Meyer-Waldeck, qui mobilise tous les Allemands bloqués sur
place, reçoit le renfort de trois compagnies austro-hongroises d’Extrême-Orient et de
l’équipage du croiseur autrichien Elisabeth, ce qui lui permet de porter son effectif à
plus de 5 000 hommes. Soumise aux bombardements intensifs des navires japonais et
britanniques qui bloquent la rade, et aux assauts par voie terrestre de quelque 31 000
soldats alliés, privée d’électricité et de ressources en eau, la forteresse doit capituler au
début du mois de novembre 1914.
29 En Afrique, les Alliés ont refusé la neutralisation des territoires coloniaux, comme
pouvait le prévoir l’acte final du congrès de Berlin de 1885, et ont engagé les opérations
contre le Togo dès le 6 août puis contre le Cameroun le 23. Dans les différentes colonies,
les gouverneurs procèdent à la mobilisation des résidants allemands, éventuellement
austro-hongrois, et des réservistes indigènes non punis ou condamnés. Les effectifs
sous les armes atteignent ainsi 1 200 à 1 300 hommes au Togo, 6 000 hommes dans le
Sud-ouest africain, 7 000 hommes au Cameroun et moins de 12 000 hommes en Afrique
orientale. Attaquées sur toutes leurs frontières terrestres et maritimes, ces colonies ne
résisteront pas longtemps aux assauts conjugués des Alliés français, belges et
britanniques : le Togo capitule dès août 1914, le Sud-Ouest africain en juillet 1915, le
Cameroun est conquis en février 1916. Seul von Lettow-Vorbeck poursuit la guerre de
brousse en Afrique orientale jusqu’en 1918, mais ceci est une autre histoire…

BIBLIOGRAPHIE
Outre les ouvrages et articles référencés en notes de bas de page, on pourra se reporter utilement
à:

Documents officiels

Die Deutschen Schutzgebiete in Afrika und der Südsee, 1911/1912, Reichs-Kolonialamt, Berlin, E..
Mittler, 1913, 2 vol.

Livres

Henderson, W.O., The German Colonial Empire, 1884-1919, Routledge, Londres, 1993, 192 pages.

Lettow-Vorbeck, général von, La guerre de brousse dans l’Est africain 1914-1918, Payot, Paris, 1923,
295 pages.

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Porte Rémy, La conquête des colonies allemandes, 1914-1918. Naissance et mort d’un rêve impérial, 14/18
Éditions, Saint-Cloud, 2006, 433 pages.

Articles

Nombreuses informations factuelles dans les chroniques régulières « Possessions allemandes » du


Bulletin du comité de l’Afrique française et dans les informations « Brèves » de la Revue militaire de
l’étranger. En particulier :

« Les troupes coloniales allemandes », Revue militaire de l’étranger (puis des armées étrangères),
décembre 1891, pp. 495-509.

« L’infanterie de Marine et les troupes coloniales allemandes », Ibid., juillet à septembre 1900,
pp. 437-456, 501-528, 565-643.

« Allemagne : la loi du 22 juillet 1913 sur le service militaire des colonies », Ibid., janvier 1914,
pp. 87-89.

Kotek Joël, « Afrique : le génocide oublié des Hereros », L’Histoire, janvier 2002, pp. 88-92.

Luccari, général L., « Le partage de l’Afrique (1884-1913) », Revue historique des armées, n° 2/1991,
pp. 69-78.

NOTES
1. L’acte final de la conférence de Berlin précise qu’une puissance européenne qui revendique un
territoire outre-mer doit y être officiellement installée et le gérer. C’est le début de la « course au
clocher » vers l’intérieur des terres africaines.
2. Sur le détail de la constitution de l’empire colonial allemand, on se reportera par exemple aux
présentations publiées dans le Journal des Sciences Militaires, en juin 1885, pp. 372-393, et en
octobre 1887, pp. 115-138, par le capitaine R. de F., « Notes sur les colonies allemandes ». Pour
une étude d’ensemble récente, Rémy Porte, La conquête des colonies allemande, 1914-1918. Naissance
et mort d’un rêve impérial, 14/18 Éditions, Saint-Cloud, 2006.
3. On constate une grande proximité des dates des « décrets de protectorat » pour les différents
territoires : 13 octobre 1884 pour le Cameroun et le Togo ; 27 février 1885 pour les royaumes
d’Usagara, de Ngourou, d’Ousegouha et d’Oukami (qui donnent naissance à l’Afrique orientale
allemande) ; 17 mai 1885 pour la Nouvelle-Guinée ; 13 octobre 1885 pour Angra-Pequena (qui
devient le Sud-ouest africain allemand). À l’exception marginale de quelques archipels du
Pacifique, l’empire colonial allemand est constitué en un an.
4. Togo : 87 516 km² ; Cameroun : 496 938 km² jusqu’au traité de 1911 avec la France (« Vieux
Cameroun ») et 750 000 km² ensuite ; Sud-ouest africain : 838 370 km² ; Est africain : 995 000 km² ;
Tsing-Tao : 551 km² ; archipel des Samoa : 2 600 km² ; Terre de l’empereur Guillaume :
179 000 km² ; archipel Bismarck : 61 000 km² ; ensemble des archipels du Pacifique (Carolines,
Mariannes, Palau, Marshall) : 2 475 km2.
5. Bismarck fait voter par le Reichstag une subvention de 5,5 millions de francs au bénéfice de la
Norddeutscher Lloyd pour l’ouverture d’une ligne commerciale entre Brème et Sydney. Le
premier navire quitte l’Allemagne le 1er juillet 1886.
6. « Askari » signifie « soldat » en langue vernaculaire arabisée. Né dans l’Est africain, le terme est
ensuite utilisé pour toutes les unités indigènes de l’armée régulière, puis étendu à l’ensemble des
soldats autochtones.
7. La superficie totale de l’Ost Afrika allemande est de 995 000 km², soit près du double de la
métropole (540.667 km²), dont 60 % environ est en cours de soumission et de pacification.

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8. Sur l’histoire de la Schutztruppe d’Afrique orientale, on lira en particulier Tanja Bührer, Die
Kaiserliche Shutztruppe für Deutsch-Ostafrila, Oldenbourg Verlag, 2011, 532 pages, ainsi que la
réédition récente d’un ouvrage de 1907 : H. Fonk, Deutsch-Ost-Afrika. Die Schutztruppe, ihre
Geschichte, Organisation und Tätigkeit, Melchior Verlag, Wolfenbüttel, 2012, 112 pages.
9. Lois et décrets impériaux des 12 décembre 1895, 7 juillet 1896, 25 juillet 1898.
10. Au début de l’année 1905, on ne compte au Togo que 56 policiers, dont 7 Européens
seulement (in « Possessions Allemandes », Bulletin du comité de l’Afrique française, mars 1905,
pp. 124-126).
11. Chronique « Possessions allemandes », Bulletin du comité de l’Afrique française, février 1907,
pp. 65-69.
12. On ne reviendra pas ici sur la violence de la répression allemande contre cette révolte,
conduite par le général von Trotha qui disposera d’un corps expéditionnaire venu de métropole
de quelques 16 000 hommes.
13. 25 à 30 % des conscrits métropolitains effectuant leur service militaire dans le Sud-ouest
africain choisissent de s’installer dans la colonie à la suite de leur temps sous les drapeaux, ce qui
contribue à renforcer la présence allemande d’une part et permet au gouverneur de pouvoir
compter sur un nombre croissant de réservistes instruits.
14. Paul Ettinghausen, « Comment les Allemands colonisent et gardent leurs colonies », Revue du
cercle militaire (revue violette), 2 janvier 1897, pp. 6-8, p. 8.
15. Présentation détaillée d’une colonne en marche par le capitaine Painvin, « Comment les
Allemands font la guerre dans l’Est africain (I) », Revue du cercle militaire (revue violette), 8 mai
1897, pp. 475-478.
16. Capitaine Painvin, « Comment les Allemands font la guerre dans l’Est africain (II) », Revue du
cercle militaire (revue violette), 15 mai 1897, pp. 501-503.
17. On se reportera par exemple aux écrits du capitaine Darroux dans la Revue des troupes
coloniales entre 1922 et 1925.
18. Rapport devant le Generalstab, cité par von Lettow-Vorbeck dans ses mémoires et par Bernard
Lugan et Arnaud de Lagrange, Le safari du Kaiser, La Table Ronde, Paris, 1987, 231 pages, p. 31.

RÉSUMÉS
Contrairement à une légende héritée de la propagande des années de guerre, les territoires
allemands d’outre-mer ne sont pas particulièrement "militarisés" avant 1914. Seules les colonies
du Cameroun, du Sud-Ouest Africain et d’Afrique orientale dispose d’unités des "forces de
protection" (Schutztruppe) en effectif limité, dont l’histoire récente est très différente de celle des
troupes coloniales françaises.

Contrary to legend inherited from the propaganda of the war years, German overseas territories
were not particularly “militarized” before 1914. Only the colonies of Cameroon, South West
Africa and East Africa had units of “force protection” (Schutztruppe) in limited numbers, whose
recent history was very different from that of French colonial troops.

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INDEX
Mots-clés : Allemagne, Empire colonial, Troisième République

AUTEURS
RÉMY PORTE
Officier d’active, docteur habilité à diriger des recherches, il s’est progressivement spécialisé sur
les opérations extérieures et les fronts secondaires des III e à Ve républiques. Il dirige
actuellement le bureau Recherche du Centre de doctrine d’emploi des forces. Parmi ses dernières
publications : Chronologie commentée de la Grande Guerre, Perrin, 2011.

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« Sind Schwarze da ? » La chasse aux


tirailleurs sénégalais. Aspects
cynégétiques de violences de guerre
et de violences raciales durant la
campagne de France, mai 1940-
août 1940
“Sind Schwarze da? “The hunt for Senegalese riflemen. [Hunting] aspects of war
violence and racial violence during the campaign in France, May 1940-August
1940

Julien Fargettas
Traduction : Robert A. Doughty

1 Le 9 juin 1940, le marsouin Michel El Baze, tout juste fait prisonnier, assiste à une scène
inédite dans les environs de Mareuil-la-Motte, dans le département de l’Oise : « Dans un
pré, un officier allemand caracole sur un magnifique cheval blanc, un revolver en main. Un
tirailleur sénégalais court, l’officier tire. L’énorme masse noire tombe. On rit. Voilà un autre
Sénégalais, je détourne les yeux, ma tête éclate, je pleure. » 1
2 Dix jours plus tard, le point d’appui du couvent de Montluzin, dans le département du
Rhône, tenu par les hommes du 25e Régiment de Tirailleurs Sénégalais (RTS), tombe aux
mains des soldats allemands à l’issue de plusieurs heures de combats. Les religieuses de
Nevers, encore présentes sur place, assistent alors à un déferlement de violences : « Il
est 15 heures, notre chère maison est aux mains de l’ennemi. La porte de la chapelle saint Joseph
est ouverte violemment, ils sont là, revolvers au poing. Ma chère Mère s’avance et montre sa
cornette. « Pas soldats, pas tirailleurs ? » interrogent-ils. [...] 200 Allemands envahirent
Montluzin, à la recherche des Sénégalais. Ils sont furieux, menaçants, il faut les calmer, terrible
colère. »2

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3 Le lendemain, à quelques kilomètres de là, un groupe de soldats noirs prisonniers est


conduit sous bonne garde vers un lieu de captivité. À quelques kilomètres du bourg de
Chasselay, les soldats allemands font placer ces tirailleurs dans un champ : « Tout à
coup, un feu nourri se mit à crépiter et des hurlements retentirent. Il nous était facile en levant
les yeux de voir la scène qui se passait à moins de 20 mètres. Les tirailleurs, bras en l’air,
venaient de recevoir à moins de 10 mètres une décharge générale de balles de mitrailleuses
lourdes et une grande partie était fauchée aux premières salves. Certains, protégés par leurs
voisins, n’ayant pas été touchés du premier coup, s’enfuyaient dans toutes les directions. Je
revois encore les grenadiers Panzer ajustant tranquillement leur fusil et tirer nos malheureux
tirailleurs noirs comme des lapins. Au bout d’un quart d’heure interminable, plus rien ne bougea
dans la nature. »3
4 Ces crimes de guerre appartiennent à une longue série d’exactions récemment mises à
jour par les historiens de la période et qui concernent d’abord les soldats noirs 4. Si
d’autres crimes ont été commis contre les civils et les soldats d’origine européenne de
l’armée française durant cette campagne, ils sont sans commune mesure avec ceux
commis contre les fameux « tirailleurs sénégalais », ces soldats noirs recrutés dans les
colonies françaises de l’Afrique subsaharienne5.
5 Car l’examen attentif des massacres de tirailleurs portés à notre connaissance semble
faire apparaître le fort caractère cynégétique de ces actes, tant dans leur esprit que
dans leur accomplissement. Les soldats allemands, qu’ils appartiennent aux unités de la
Wehrmacht ou de la Waffen SS, ont adopté des comportements de chasseurs, assimilant
les tirailleurs à des proies. La scène décrite par le marsouin El Baze s’apparente ainsi à
une véritable scène de chasse à courre. Les soldats allemands pénètrent dans le couvent
de Montluzin telle une meute furieuse qui se focalise sur la traque des soldats noirs.
L’analogie à une scène de chasse est encore très grande dans les témoignages des
soldats français assistant au massacre de « Vide Sac » à Chasselay. L’un parle de « tir au
lapin », l’autre de « tir au pigeon », quand il s’agit de décrire l’exécution des tirailleurs
en fuite après le premier tir des mitrailleuses6. Une analogie également apportée par la
poursuite de ces mêmes fuyards par des soldats allemands embarqués dans des engins
blindés qui n’hésitent pas à écraser sous leurs chenilles les corps des premiers
tirailleurs tombés. Un massacre qui tend donc à la fois au ball-trap, au tir de foire sur
cible mobile et à la chasse à courre ultramoderne.
6 Aspect méconnu, le mot Massacre lui-même possède une ancienne dimension
cynégétique. Massacre désigne aujourd’hui une tuerie de masse effectuée avec
sauvagerie. Dès le XVIe siècle, massacre désigne également une tuerie d’un grand nombre
d’animaux puis, plus tardivement, un trophée ou un ornement lié à la chasse. Dans
l’esprit cynégétique, un massacre est donc une action de mise à mort d’importance en
même temps que l’expression de la fierté d’avoir traqué et vaincu un gibier
particulièrement recherché pour sa rareté ou par la crainte qu’il suscite. Cet ensemble
caractérise les exactions du printemps 1940. Au-delà de leur déroulement à l’esprit
cynégétique, elles sont souvent précédées par une traque implacable du gibier
tirailleur. Elles se prolongent par la récolte de trophées et s’achèvent parfois par
l’exclusion définitive du gibier tirailleur de la sphère humaine par la mise au ban de sa
dépouille.
7 Les premiers massacres de soldats noirs interviennent sur la Somme à la fin du mois de
mai 1940, dans la localité d’Aubigny. Ils prennent véritablement toute leur ampleur
quelques jours plus tard, à partir du 5 juin 1940, dans le même secteur à l’issue de

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l’effondrement du front français. Une nouvelle tactique est alors employée par les
troupes françaises. Il s’agit de contrôler les axes de communication par une série de
points d’appui devant gêner au maximum la progression des forces d’invasion. Le front
linéaire a disparu au profit de résistances éparses. Sur la Somme, certaines unités
coloniales résistent ainsi durant deux jours alors que les troupes allemandes sont déjà à
50 kilomètres au sud. Au nord-ouest de Lyon, les points d’appui du 25 e RTS combattent
deux jours durant alors que Lyon est déclarée « ville ouverte » et que les formations
allemandes progressent en direction des Alpes. Nombre de combattants français,
submergés par les différentes offensives, livrent ainsi des combats d’arrière-garde qui
sont perçus comme l’action de francs-tireurs, ces fameux Freischarler dont le souvenir
demeure très vivace au sein de la troupe allemande. Apparue lors de la guerre de 1870,
cette psychose du franc-tireur est à l’origine de nombreuses exactions en 1914 en
Belgique ainsi que dans le Nord et l’Est de la France 7. L’action des francs-tireurs est
également évoquée à la fin de l’année 1939, en Pologne, quand les troupes allemandes
ont dû réduire les résistances de soldats polonais dispersés par l’écroulement de leur
armée. La réponse est alors d’exécuter systématiquement ces francs-tireurs en
uniforme8. À ce sentiment d’insécurité constant s’ajoute la volonté de nombre d’unités
coloniales de combattre « jusqu’à la dernière cartouche », voire au-delà 9. De fait, nombre
d’engagements se terminent, faute de munitions, à l’arme blanche. Le coupe-coupe du
tirailleur est préféré à la traditionnelle baïonnette. Les exemples sont nombreux, telle
la défense de la ferme Milan au coupe-coupe, à Warmeriville, par les tirailleurs du 623 e
régiment de pionniers sénégalais10. Et quand les tirailleurs isolés de leurs unités sont
égarés en pleine nature et cherchent à échapper à la captivité, ils n’hésitent pas à se
défendre avec leurs machettes et à s’attaquer aux soldats allemands. Tout cela concourt
à donner aux troupes allemandes une nouvelle perception des combats. Le front
français percé, les armées alliées en déroute, les soldats allemands paraissent libérés du
poids des contingences tactiques et stratégiques. Ils peuvent alors laisser libre cours à
une nouvelle conception du champ de bataille qui se transforme dès lors en véritable
terrain de chasse dont le gibier principal est le soldat noir. S’il faut vaincre l’adversaire,
il est également nécessaire de traquer le gibier tirailleur jusque dans ses derniers
retranchements. Car le tirailleur sénégalais est un gibier d’exception. Il est accusé de se
comporter en francs tireurs, en non humain, en « barbare ». À ce titre, il est
particulièrement haï et redouté.
8 Les combats achevés, la traque se met en place. Des sous-officiers et des officiers
subalternes français prennent la tête de groupes épars qui tentent d’échapper à la
capture. Dès lors, le soldat allemand se transforme en chasseur et les Coloniaux en
proie, un gibier constamment aux aguets, tendant ainsi vers l’animalisation. Toute
confrontation est désormais à éviter. Le groupe du lieutenant Dhoste, du 24 e RTS., tapi
dans un fourré, décide ainsi de ne pas intervenir alors qu’à quelques centaines de
mètres, un autre groupe de gibiers tirailleurs est repéré et détruit 11. Un répit de courte
durée puisqu’à son tour le groupe sera localisé et capturé. Tous les soldats noirs du
groupe sont alors exécutés dont le caporal Yaya, blessé, qui est achevé de deux balles
dans la tête12. La même poursuite incessante est réservée au groupe du sous-lieutenant
Guibert, du 53e RICMS (régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais) après la chute
de la localité d’Airaines, dans la Somme. La traque s’achève après des dizaines de
kilomètres parcourues dans les marais. Le jeune officier conclut ainsi : « Tous mes
tirailleurs ont été tués. Il n’en est pas un de prisonniers. » 13

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9 L’insistance ainsi donnée à la traque du gibier tirailleur est singulière. Elle correspond à
une certaine vision de la chasse rencontrée dans l’ère germanique et en Europe
orientale, la Pirsch, c’est-à-dire une technique silencieuse d’approche du cerf qui doit
aboutir à sa mise à mort puis à l’acquisition de ses bois en guise de trophée 14. Car le cerf
est le gibier roi, à l’instar du gibier tirailleur. Au cours de la campagne, les troupes
allemandes capturent plus d’un million de soldats français. Rares sont ceux qui
bénéficient d’une telle focalisation de la part des troupes d’invasion. Le gibier tirailleur
est comme le cerf, le gibier privilégié, celui que chacun veut accrocher à son tableau de
chasse, celui qui provoque la fièvre de la chasse ou Jagdfieber. Comme lui, il bénéficie
d’une image soulignant sa dangerosité, une dangerosité accrue en période de rut où le
cerf est réputé imprévisible. Or, le tirailleur, exotique et sauvage, est également perçu
comme possédé par ce même échauffement sexuel qui est la marque de son
ensauvagement, et donc du danger constant qu’il représente. Une telle perception du
gibier tirailleur apparaît dans différents ordres émanant du commandement allemand.
Á la veille de l’attaque sur la Somme, l’état-major de la 4 e division d’infanterie avertit
ainsi la troupe qu’elle aura en face d’elle des soldats noirs au « caractère perfide » 15. Sur
le terrain, les tirailleurs faits prisonniers sont contraints de garder les mains sur la tête
afin de prévenir toute réaction impétueuse, signe d’une défiance continue.
10 Cette chasse poursuite qu’est la Pirsch se distingue de la chasse battue car le chasseur
livre un véritable affrontement avec sa proie, un véritable duel. Dans ce cas précis, le
gibier tirailleur est recherché car il refuse la défaite et combat jusqu’au bout. Ce
jusqu’au-boutisme conforte son image de sauvage prêt à tout et rejoint directement la
représentation du franc-tireur. Un général allemand, conversant avec le lieutenant
Druart, du 33e RICMS, affirme ainsi « que les Sénégalais faits prisonniers exténués dorment,
et, à leur réveil, se jettent sur les sentinelles. »16 En Eure-et-Loir, le lieutenant Parisot, du 26e
RTS est menacé d’être fusillé car, déclarent les soldats allemands, « vos sales nègres
sont des sauvages qui ne font pas de prisonniers et mutilent les soldats allemands avant
de les tuer »17. En Argonne, les archives de la 21e division d’infanterie évoquent des
tireurs embusqués dans les arbres ou Baumschützen. La motivation du chasseur est ainsi
décuplée afin de sortir vainqueur de ce duel. Un récit de la 6 e division d’infanterie
allemande raconte la lutte à mort livrée entre le soldat Apke et un « énorme nègre »,
lequel essaie de « le mordre à la gorge ». Seule une grenade permet d’en venir à bout. Le
chasseur doit ainsi affirmer sa suprématie jusqu’au bout et ainsi n’hésite pas à aller
dénicher sa proie quel que soit l’environnement qui l’entoure. La chasse est totale. Des
tirailleurs sont poursuivis jusque dans les postes de secours où ils sont soignés et même
jusque chez les civils. Et parfois la traque se poursuit alors que les combats ont cessé et
que l’armistice a été signé. Dans les anciennes zones de combat errent des tirailleurs
isolés qui se cachent comme ils peuvent. À Blangy-sur-Bresles, en Seine-Maritime, les
marais servent de cache aux coloniaux. L’un d’eux est repéré en juillet 1940, traqué et
abattu18. Durant l’hiver 1940-1941 même, des chasses aux tirailleurs sont organisées en
forêt de Bray, près de Forge-les-Eaux. La population de la localité assiste au retour des
chasseurs avec leurs gibiers fièrement exhibés dans les rues de la ville 19. Et lorsque le
gibier refuse définitivement sa capture, lorsqu’il paraît enragé et finalement
indomptable, les réactions du chasseur dépassent la simple mise à mort pour faire
appel à la destruction totale du gibier, souvent par le feu, parfois précédée d’actes de
cruauté. Quelques tirailleurs réfugiés dans une ferme de Fleurieux-sur-L’Arbresle, près
de Lyon, périssent dans l’incendie de la bâtisse provoqué par les SS de la division
Totenkopf (tête de mort). Dans le même secteur, d’autres subissent des actes de

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tortures20. À Tilloy-Bellay, à proximité de la ferme où ils avaient mené leur dernière


résistance, des tirailleurs du 5e RICMS sont retrouvés attachés à des arbres, leurs corps
à demi calcinés avec, pour certains, des couverts de cuisine enfoncés dans la bouche 21.
11 Plus rarement, en opposition à la chasse poursuite, la chasse aux gibiers tirailleurs peut
s’effectuer en meute. Cette dernière agit en réponse à un événement exceptionnel qui a
vu la suprématie du chasseur remise en cause. La réponse est alors exceptionnelle et
hors norme comme lors de l’assaut du couvent de Montluzin. La meute de soldats du
régiment GrossDeutschland (Grande-Allemagne) entend ici venger ses nombreux morts
perçus comme inutiles, puisque l’unité s’est heurtée au 25e RTS, après avoir parcouru
plusieurs centaines de kilomètres sans encombre, et deux jours après le message
radiophonique du maréchal Pétain demandant l’arrêt des combats. Cet appel est alors
utilisé par les troupes allemandes pour faire cesser les dernières résistances. Nul doute
qu’il a eu aussi pour conséquence l’apparition d’un sentiment de victoire définitive
chez le soldat allemand lui-même. Sur place, de nombreuses exécutions sommaires sont
perpétrées après que la meute s’est lancée à la poursuite des soldats noirs. Preuve de
l’irrationalité et de la fureur s’emparant de la meute, ces exécutions se font sans
discernement. Des cadres blancs de l’unité coloniale sont fusillés et l’on retrouvera
également quatre artilleurs d’une unité métropolitaine exécutés d’une balle dans la
tête. Autre aspect, la meute agit au mépris de l’autorité mais également avec sa
complicité tacite, puisque l’encadrement assiste aux exécutions quand il n’y participe
pas directement.
12 Aspect incontournable de la dimension cynégétique de ces massacres, la fierté
exprimée par le chasseur après la capture ou la mise à mort du gibier tirailleur est à
l’aulne de la crainte qu’il suscite. À ce titre, le gibier tirailleur capturé, mort ou vif, est
d’abord exhibé devant les autres chasseurs puis, parfois, devant des militaires français
ou des civils. Surtout, conséquence de la présence nombreuse d’appareils
photographiques au front, c’est d’abord la photographie qui exprime la fierté du
chasseur. Le lieutenant Pichely, du 27e RICMS, note ainsi que les gardiens allemands «
photographiaient sans cesse [les tirailleurs], certains se mêlant à leur groupe. » 22 Le sergent
Delrives, du 6e RICMS, rapporte que son groupe de tirailleurs est photographié « plus de
500 fois » sur les routes de la captivité23. Tirailleurs captifs et apeurés, soldats noirs
ridiculisés par le port de tenues fantaisistes ou obligés de danser devant les objectifs,
les sujets sont variés. Les prises de vue fixent également des soldats noirs tombés au
combat ou exécutés. Pour ces derniers, l’issue fait peu de doute. Les cadavres sont
alignés, déséquipés et désarmés. Parfois, sur la pellicule, des soldats allemands
contemplent les cadavres ou posent à leurs côtés24. La multiplication de ces prises de
vues illustre la fascination que suscite le tirailleur gibier. Sa capture et sa mise à mort
sont des instants qui doivent être immortalisés, d’abord pour les camarades de combat,
puis pour « l’arrière », puisque ces photos sont également destinées à circuler au sein
des familles dès le retour dans les foyers où parfois elles trôneront aux murs aux côtés
de l’ancien trophée de chasse. Dès lors, on pose à côté du gibier pour mieux marquer
l’instant, pour certifier sa présence et donc sa participation à la capture et à la mise à
mort. On pose également à ses côtés pour mieux marquer sa différence et sa supériorité
mais également pour exorciser ses peurs. Et quand il s’agit de rejouer les scènes de
capture devant les caméras de la propagande, le plaisir de revivre de telles scènes est
clairement exprimé, comme ici par le général Rommel : « Nous n’avons pas ménagé nos
efforts pour montrer comment ça s’est réellement passé. Il y avait encore aujourd’hui des noirs

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pour le tournage. Les gars se sont bien amusés et ont aimé tout particulièrement leur faire lever
les bras une fois de plus. »25
13 Dans cette logique de fierté assumée, le corps du tirailleur mort au combat ou abattu à
l’issue de ces derniers est l’objet de l’attention des chasseurs qui tiennent à en retirer
un souvenir, une trace qui doit concrétiser les prises de vue également réalisées. Le
souvenir prend alors différentes formes : coupe-coupes, amulettes, papiers ou plaques
d’identité. Ces objets sont censés représenter le tirailleur tel qu’il est perçu : un soldat
aux mœurs exotiques, étrange, et auteur de sauvageries en tout genre sur le champ de
bataille. On fixe sur la pellicule le soldat noir tel qu’on se le représente, et l’on cherche
des souvenirs qui s’y rattachent afin de « concrétiser » ce qui, pour beaucoup
d’Allemands, voire d’Occidentaux, est encore un mythe. Il est ainsi remarquable de
constater dans certaines régions la très forte proportion de dépouilles de soldats
coloniaux dont les identités sont classées comme « inconnue » à l’issue de la campagne.
Chaque préfecture recense ainsi, au second semestre 1940, les corps des soldats tombés
durant la campagne. Dans le département de l’Aube, sont relevés 670 cadavres de
soldats français26. Parmi eux, 222 sont des soldats noirs dont 74 % ne peuvent être
identifiés faute de plaque ou de papiers d’identité. À Balnot-la-Grange, sont relevés
dans une seule propriété, les corps disposés les uns à côté des autres, de 44 « soldats
noirs sans autre renseignement. »27 Dans le même département, à Channes, 28 autres corps
de soldats noirs inidentifiables sont relevés dans les mêmes dispositions que
précédemment. Une telle situation est spécifique au caractère colonial de ces soldats
puisque parmi les dépouilles des soldats blancs, seuls 14 % se voient attribuer la
mention « inconnue » et que, parmi les corps de soldats nord-africains, plus de 70 % des
dépouilles ne peuvent là encore être identifiées. Un tel phénomène ne concerne pas
seulement le département champenois et est observé dans chaque région où sont
engagées des unités coloniales. En Eure-et-Loir par exemple, où le 26 e RTS est détruit,
27 dépouilles de soldats noirs sont déclarées « inconnues » à Néron et 11 autres à
Chartrainvilliers. L’issue directe de ces trophées est inconnue mais il est fort probable
que, comme dans le cérémonial faisant suite à la Pirsch, le chasseur porte sur lui-même
une partie de la dépouille comme pour mieux s’accaparer la puissance de son
adversaire désormais vaincu. La dépouille du gibier tirailleur est d’ailleurs réservée au
seul chasseur. Dans le Rhône et dans la Nièvre, des civils s’étant livrés au pillage de
cadavres de soldats noirs exécutés sont ainsi arrêtés par l’armée allemande.
14 La perception nouvelle du champ de bataille et sa dimension cynégétique n’auraient pu
être possibles sans l’exclusion de la sphère humaine de la proie tirailleur. Chasser une
proie, qui plus est humaine, suppose l’adoption de critères qui marqueront
définitivement sa différence, la distinction fixant les règles de la chasse 28. Chasser
signifie également « mettre, pousser dehors ; faire sortir de force. » 29 Dans le cas des soldats
noirs, l’exclusion de la sphère humaine est complète, et ce dès la capture. Faits
prisonniers, ils sont quasi systématiquement séparés de leurs camarades de combat
d’origine européenne30. Par cette séparation, le chasseur crée un régime particulier
confirmé par le déséquipement des prisonniers noirs souvent affublés de tenues
fantaisistes en tout genre. Le gibier tirailleur perd ainsi son statut de soldat et donc de
prisonnier de guerre avec tout l’arsenal de protections qu’il suppose. Il est désormais
intégré à une sphère différente de celle des autres soldats de l’armée française, une
sorte de huis clos institué par son prédateur. Il perd donc le rempart que constituent
habituellement les cadres coloniaux. Certains tentent de défendre malgré tout leurs
hommes et le paieront parfois de leur vie31. Ils ne disposent plus dès lors de liens avec le

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chasseur, la barrière de la langue étant infranchissable pour la grande majorité des


soldats noirs. Ce phénomène accentue encore sa déshumanisation car le tirailleur n’a
pas les moyens de contester son nouveau statut de proie aux limites de l’humanité. Le
caporal-chef Mayaki ne doit ainsi la vie sauve qu’à sa parfaite connaissance de la langue
française alors que ses camarades sont passés par les armes 32.
15 L’exclusion de la sphère humaine du gibier tirailleur est également observable à travers
le sort réservé à sa dépouille. Dans de nombreux cas, le chasseur refuse toute sépulture
aux restes du gibier tirailleur abattu. Les autorités municipales de Marolles-sous-
Lignières, dans l’Aube, se voient ainsi refuser l’autorisation d’inhumer dans le cimetière
communal les dépouilles de deux soldats noirs. À Clamecy, les dépouilles des tirailleurs
abattus sont laissées durant cinq jours sans sépulture et les autorités allemandes
n’acceptent leur inhumation que sur l’insistance des autorités civiles locales. La
dépouille de ce gibier doit ainsi se dissoudre d’elle-même ou bien par l’action d’autres
animaux, parachevant l’animalisation du tirailleur. Cette déshumanisation est
également civique et mémorielle puisque, privés de tout moyen d’identification, ces
corps sont désormais sans identité et donc sans famille et sans mémoire. Des consignes
très strictes sont d’ailleurs données pour que ces dépouilles ne soient pas honorées, au
contraire de celles des soldats français d’origine européenne. La Kommandantur de
Marcelcave, dans la Somme, justifie ainsi cette consigne par l’attitude même des
tirailleurs au combat, accusés de sauvagerie et d’avoir maltraité des soldats allemands
prisonniers33. Le document justifie également a posteriori les exécutions réalisées sur le
champ de bataille par l’attitude des victimes elles-mêmes. L’action non encadrée du
chasseur trouve ainsi un début de rationalisation par l’adoption officielle de ses
représentations. Sur le champ de bataille, l’encadrement allemand fait généralement
peu de cas du sort réservé au gibier tirailleur et il n’est pas rare de voir des officiers
supérieurs partager les représentations de leurs soldats. Tentant de faire cesser
l’exécution de sa quarantaine de tirailleurs, le commandant Carrat, du 16 e RTS se voit
ainsi rétorquer par un colonel allemand « que deux tirailleurs avaient essayé de franchir le
barrage en blessant avec un coupe-coupe deux soldats ennemis. » 34 La démarche est similaire
lorsque des officiers allemands enlèvent Jean Moulin, alors préfet d’Eure-et-Loir, et le
torturent afin de lui faire contresigner un document accusant les soldats noirs
d’exactions contre des civils35. Face au déchaînement de violences perpétré par la
troupe, le commandement militaire allemand, plutôt que de sanctionner et de faire
cesser une telle situation, l’a tacitement autorisée sur le terrain et ainsi l’a encouragée,
car elle correspondait à une représentation commune à la troupe comme aux officiers,
de l’adversaire, des combats et de leurs finalités politiques et raciales.
16 Au moment où les troupes allemandes déferlent sur la France, la SS crée une unité
composée de criminels cynégétiques36. Sous le commandement d’Oscar Dirlewanger, la
formation opère d’abord dans le sud-est de la Pologne. Elle se distingue surtout dans le
cadre de l’invasion de l’Union Soviétique, à partir du second semestre 1941. L’unité se
spécialise dans la « chasse » aux partisans dont les groupes, de plus en plus nombreux,
menacent les arrières des lignes allemandes. En France, la chasse au gibier tirailleur ne
fut qu’une déviance volontaire et assumée de l’offensive, conséquence d’une certaine
représentation de l’adversaire et du champ de bataille. La guerre à l’Est et son cadre
officiellement criminel et génocidaire permettent l’institution d’une véritable guerre
cynégétique dont la brigade Dirlewanger ne fut qu’un des acteurs illustres mais non
isolé. Car à l’instar des chasses menées en mai et juin 1940, celles livrées à partir de
juin 1941 le furent aussi bien par les unités de la Waffen SS que de la Wehrmacht dans

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une sorte de communion d’actions et de représentations qui aboutit à des violences


sans commune mesure avec celles de mai et juin 1940.

NOTES
1. EL BAZE (Michel) a regroupé ses souvenirs de combat et de captivité dans un manuscrit intitulé
« Né coiffé ». Entretien avec l’auteur, 10 avril 2005.
2. Témoignage des Sœurs de Nevers, SHD/GR 34 N5.
3. Témoignage du caporal Scandariato, cité par P ONCET (M.), dans Le Tata sénégalais de Chasselay,
sans date, p. 35.
4. Voir les articles de l’auteur : « Les massacres de mai et juin 1940 », musée de l’Armée. Actes
publiés (La Campagne de 1940, Paris, Tallandier, 2000) et « Les tirailleurs sénégalais dans la
campagne de mai et juin 1940 », Centre d’études d’Histoire de la Défense. Actes publiés (Les
Troupes de marine dans l’armée de terre. Un siècle d’Histoire. 1900-2000, Paris, Lavauzelle, 2001).
5. Durant la campagne, les troupes allemandes se livrent également à des exactions contre les
soldats français d’origine européenne et contre les populations civiles. À Dounoux et Domptail,
dans les Vosges, 10 soldats du 55e bataillon de mitrailleurs et 26 autres du 146e régiment
d’infanterie de forteresse, sont passés par les armes les 19 et 20 juin 1940. Le 16 juin, 4 soldats du
4e régiment de spahis marocains sont exécutés à Germisay, dans la Marne. Dans le Nord et le Pas-
de-Calais, les populations civiles ont payé un lourd tribut avec près de 98 civils exécutés à
Aubigny-en-Artois, 80 autres à Oignies ou bien encore 22 à Haubourdin.
6. Témoignage du caporal Scandariato et de l’adjudant Requier.
7. HORNE (John) et KRAMER (Alan), 1914, Les atrocités allemandes, Paris, Tallandier, 2005, 640 p.
8. I NGRAO (Christian), « La politique nazie de lutte contre les partisans », Revue d’histoire de la
Shoah, juillet-décembre 2007, p. 232.
9. En 1870, les marsouins de la division bleue du général de Vassoigne se distinguent lors des
combats de Bazeilles, dans les Ardennes. Depuis, les troupes coloniales/troupes de marine
commémorent ces combats « jusqu’à la dernière cartouche » qui sont devenus le symbole de
cette arme.
10. CHETOM 15H150, rapport du commandant Duclos.
11. SHD/T 34N1098, rapport du lieutenant Dhoste.
12. Ibid.
13. CHETOM 15H145.
14. H ELL (Bertrand), Le Sang Noir. Chasse et mythe du sauvage en Europe, Paris, Flammarion, 1994,
381 p.
15. Cité par S CHECK (Raffael), Une saison noire. Les massacres de tirailleurs sénégalais, mai-juin 1940,
Paris, Tallandier, 2006, 288 pages, p. 86.
16. CHETOM 15H147.
17. SHD/T 34N1100. D’autres officiers du régiment subissent une mise en scène dans le même
cadre d’accusation.
18. Archives départementales de Seine-Maritime, enquêtes sur les tombes des prisonniers
indigènes, cote Z 7828.
19. Témoignage de Madame Odette Cléré à l’auteur, 17 septembre 2001.

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20. À l’issue des combats livrés dans le village d’Eveux, trois tirailleurs sont retrouvés fusillés sur
un tas de fumier, d’autres auraient été enterrés vivants et des restes humains appartenant
vraisemblablement à un tirailleur ont été retrouvés sur place sans que l’on puisse aujourd’hui
véritablement connaître le sort qui lui a été réservé.
21. Témoignage de Michel Arnould à l’auteur, 12 juillet 2003.
22. CHETOM 15H148.
23. SHD/T 34N1071.
24. La plupart des photographies ne permet aucune information supplémentaire de lieux ou de
date. A ce jour, seul le charnier de la montée de Balmont a pu être clairement identifié sur la
photographie d’un soldat allemand
25. IRVING (David), Rommel: The Trail of the Fox, Ware, Worgsworth Editions, 1999, 448 p., p. 55.
26. Archives départementales de l’Aube, SC7294, liste des tombes militaires de 1940.
27. Ibid.
28. CHAMAYOU (Grégoire), Les Chasses à l’homme, Paris, La Fabrique, 2010, 150 p.
29. Définition Le Petit Robert.
30. Si la convention de Genève de 1929, dans son article n o°9, préconise le regroupement racial
des prisonniers de guerre, il ne s’agit là que d’une action recommandée dans le cadre de la vie
courante des camps de prisonniers. La séparation au moment de la capture répond à d’autres
objectifs et intervient dans le cadre des représentations entourant le tirailleur sénégalais.
31. En juin 1941, les autorités de la commune de Cressonsacq découvrent une tombe contenant
les corps de sept officiers français à proximité du bois d’Eraines. Capturés indemnes avec des
tirailleurs et des sous-officiers blancs, ces cadres ont disparu par la suite et ont
vraisemblablement été passés par les armes. Il s’agit du commandant Bouquet, du capitaine
Speckel, du capitaine Ris, du lieutenant Planchon, du lieutenant Ermigny, du lieutenant Roux et
du lieutenant Brocart. À l’issue de la chute du point d’appui du couvent de Montluzin, des cadres
du 25e RTS, dont les sous-lieutenants Cevear et de Montalivet, sont également exécutés.
32. SHD/T 34N1098, rapport du lieutenant Dhoste.
33. « M. le commandant entend que les communes soignent bien les tombes des soldats français se
trouvant sur leur territoire, ce qui constitue d’ailleurs un devoir national. Il s’agit pourtant seulement des
soldats français et alliés d’origine européenne qui se sont battus et ont agi en défense de leur patrie. Les
troupes noires, par contre, ont combattu en sauvages et maltraité et même tué un grand nombre de
prisonniers allemands qui ont eu le malheur de tomber entre leurs mains. C’est pourquoi le commandant de
l’armée allemande ne désire pas et même défend expressément d’orner les tombes des soldats noirs ; il faut
les laisser à l’endroit et dans l’état où elles sont en ce moment. » CHETOM 15H144.
34. SHD/T 34N1095.
35. Les officiers allemands harcèlent et tabassent le haut fonctionnaire. Ils lui présentent des
corps déchiquetés de civils que Jean Moulin identifie comme étant des victimes de
bombardements. MOULIN (Jean), Premiers combats, Paris, éditions de Minuit, 1947, 173 p.
36. I NGRAO (Christian), Les Chasseurs noirs. La brigade Dirlewanger, Paris, Perrin, 2006, 292 p.
L’auteur livre ici une étude très approfondie de cette unité SS et notamment sur la dimension
cynégétique de ces actions de combats et génocidaires.

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RÉSUMÉS
En mai et juin 1940, plusieurs centaines de soldats noirs de l’armée française sont exécutées par
les troupes d’invasion allemandes. A plusieurs reprises, ces massacres prennent un fort caractère
cynégétique : scènes de chasse à courre, tir au pigeon, chasse en meute. Le soldat noir est ainsi
transformé en gibier. Le mot « massacre » a d’ailleurs lui-même une origine cynégétique
remontant au 16ème siècle et désignant à la fois l’action de tuer en masse mais exprimant
également la fierté du chasseur. Une fierté justement que ne manque pas d’exprimer le chasseur
allemand qui photographie en masse le gibier tirailleur capturé ou mis à mort et s’empare de
multiples trophées sur sa dépouille. Cette chasse aux soldats noirs est un des aspects de
l’animalisation des soldats coloniaux qui trouve un épilogue jusque dans le sort réservé aux
cadavres du gibier mis à mort souvent délaissés de tous moyens d’identification ou privés de
toutes sépultures humaines. Une animalisation d’ailleurs favorisée par l’évolution même des
combats. Nombre de tirailleurs sont ainsi assimilés à des francs tireurs alors que, dépassés par les
pointes allemandes, ils combattent afin d’échapper à la capture.

In May and June 1940, hundreds of black soldiers of the French army were executed by troops of
the German invasion. On several occasions, the killings had a strong hunting character: scenes of
hot pursuit, trap shooting, hunting in packs. Hunting the black soldier was thus transformed into
a sporting game. The word “massacre” itself also has a hunting origin dating back to the 16th
century and refers to both the act of a mass killing but expressing equally the pride of the
hunter. A pride that does not fail to show the German hunter who photographed riflemen
captured or killed and who carried many trophies on his body. Hunting for black soldiers is one
aspect of the animalization of colonial soldiers that found an epilogue in the fate of the corpses
that were often stripped of all identification or deprived of human burials. The animalization
also was favored by the very evolution of the fighting. A number of the riflemen became snipers
who, bypassed by the Germans, fought to avoid capture.

INDEX
Mots-clés : Deuxième Guerre mondiale, Tirailleurs sénégalais, violence

AUTEURS
JULIEN FARGETTAS
Docteur en histoire, il a obtenu le prix Marcel Paul pour son mémoire de maîtrise Le massacre des
soldats du 25e régiment de tirailleurs sénégalais : région lyonnaise, 19 juin et 20 juin 1940. Il poursuit
également une carrière militaire au sein de l’armée de Terre qui l’a menée au Kosovo et en
Afrique et a publié aux éditions Tallandier Les tirailleurs sénégalais. Les soldats noirs entre légende et
réalités, 1939-1945.

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La presse militaire française à


destination des troupes indigènes
issues des différents territoires de
l’Empire puis de l’Union française
French military press for native troops from different territories of the Empire
and the French Union

Olivier Blazy
Traduction : Robert A. Doughty

1 Principalement destinée aux troupes d’origine européenne, sinon française, la presse


militaire coloniale française offre un corpus très vaste, bien que peu connu. Cependant,
plusieurs de ses « grands » titres tels que Le Courrier d’Égypte, Caravelle, Tropiques, Képi-
Blanc ou Le Bled ont acquis une certaine notoriété.
2 La presse destinée aux militaires des unités indigènes est cependant pratiquement
oubliée. Simples feuillets recto verso ronéotypées en brousse ou luxueuses revues
illustrées sur papier glacé, elle fut pourtant abondante et publiée dans les très
nombreuses langues parlées dans l’empire colonial français.
3 Des recherches systématiques au Service historique de la Défense, au Centre d’histoire
et d’études des troupes d’outre-mer, dans les grandes bibliothèques et centres
d’archives devraient encore permettre de donner une vision plus claire de son étendue,
de sa réalité et de son influence.
4 Après une tentative sans doute avortée pendant la campagne d’Égypte, des débuts
timides lors de la Première Guerre mondiale, la presse militaire « indigène » connaît un
développement certain avec le second conflit mondial. Son apogée arrive lors de la
guerre d’Indochine avec la création de quantité de titres destinés d’une part aux
troupes provenant des différents territoires de l’Union française et d’autre part à celles
des armées nationales (vietnamienne, cambodgienne et laotienne) nouvellement
créées.

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5 Les opérations en Afrique du Nord connaissent paradoxalement beaucoup moins de


création de journaux à destination des troupes musulmanes nord-africaines ou des
militaires issus des différents territoires africains et malgache. En effet, lors de ce
conflit, les services chargés de la propagande et des actions psychologiques préfèrent
aux journaux et périodiques l’utilisation massive des affiches, des tracts, de la radio, du
cinéma et même de la télévision, plus adaptés aux populations ciblées.
6 La presse militaire coloniale « française » éditée en métropole ou localement,
également lue par les cadres, gradés, sous-officiers et officiers « indigènes » n’est pas
analysée dans le cadre de cette étude mais simplement évoquée.

Aux origines : la campagne d’Égypte


7 Le 15 nivôse an IX (5 janvier 1801), le Moniteur Universel rapporte l’ordre du jour du
général Abdallah-Jacques Menou du 5 frimaire de la même année rédigé ainsi : « Menou,
général en chef, ordonne ce qui suit : il sera imprimé au Caire un journal arabe destiné à
répandre dans toute l’Égypte la connaissance des actes du gouvernement français, à prémunir
les habitants contre les préventions et les inquiétudes qu’on pourrait chercher à leur inspirer,
enfin à entretenir la confiance et l’union qui s’établissent de plus en plus entre ces peuples et les
Français. Ce journal portera le nom de “Tambyyet“ (avertissement). Il sera rédigé par le cheikh
Seid Ismaïl El Khachäb, archiviste du Divan, rédacteur des “Annales publiques“ et imprimé
dans l’Imprimerie nationale pour être distribué au Caire et dans toutes les provinces » 1.
8 Aucun numéro de ce premier journal édité sur ordre d’une autorité militaire
d’occupation, à destination des populations indigènes, n’a été retrouvé et il est
vraisemblable qu’il n’a jamais vu le jour, mais il est intéressant de signaler que les
autorités militaires et politiques de l’époque ont souhaité sa création. Seuls des
affiches, placards, ordres du jour et proclamations ont été retrouvés en langue arabe,
souvent accompagnés d’une version française.
9 Faute de documents, il est malaisé de savoir s’il y a eu d’autres tentatives d’éditer des
journaux militaires à destination des populations locales ou des troupes indigènes
auxiliaires au XIXe siècle, pourtant riche en expéditions et en conquêtes coloniales
(Algérie, Crimée, Mexique, Levant, Chine, Cochinchine, Tonkin, Afrique noire,
Madagascar, etc.). Quelques périodiques en langues locales paraissent sur ordre
d’autorités militaires comme en Cochinchine ou à Madagascar au début des
occupations, mais ils sont plus administratifs que militaires. Il s’agit principalement de
versions ou adaptations en langues locales (principalement annamite ou malgache) des
journaux ou bulletins officiels des colonies encore sous administration militaire. Ainsi
le Gia Dinh bao2 (Journal de la Province de Gia Dinh) est le premier journal annamite de la
colonie. Il voit le jour en 1865 en Cochinchine en écriture nationale romanisé. Journal
officiel de l’époque, il donne des traductions des documents officiels (discours, arrêtés,
circulaires) des autorités, alors, pour la plupart, militaires.

La Première Guerre mondiale


10 Il faut attendre la Première Guerre mondiale pour voir l’émergence d’une presse à
destination des militaires indigènes.

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11 À Alger, dès le début de la guerre, dans le Mobacher, est insérée une petite feuille en
langue arabe qui prend rapidement le nom d’Akhbar Al Harb (Les nouvelles de la guerre).
Ce journal dont le titre français est Journal arabe de la guerre est publié par le Service de
la traduction et de l’interprétation du Mobacher et de la presse arabe, par le
gouvernement général de l’Algérie. Il donne des informations officielles sur le
déroulement des opérations sur les différents fronts, quelques illustrations et il est
édité jusqu’en 1919. Il est largement distribué en Algérie et sur le front dans les
régiments indigènes nord-africains auprès des militaires sachant lire l’arabe.
12 Il faut citer également le petit journal Les Idées noires, organe du 44 e bataillon de Tirailleurs
Sénégalais3 qui connaît quatre numéros entre 1916 et 1917 et propose à son public des
fables africaines comme la « La tortue », « L’éléphant » ou « L’hippopotame ». Il semble
que ce soit le seul périodique édité pendant la guerre pour les troupes indigènes. Il a
pour fondateur et rédacteur-en-chef le lieutenant Toutain, « originaire des îles
Marquises et colon en Guinée », commandant la compagnie de mitrailleuses du
bataillon et qui est tué le 14 septembre 1917 à Courlandon (Marne). À Nantes, en 1917,
l’aumônerie militaire protestante publie un bimestriel Ny Dinidiniky ny mpinamana.
Gazety avoaka isam-bolana ho an’ ny miaramila malagazy protestantra aty an-dafy. La
rédaction du journal regagne Tananarive après la guerre et la publication continue
jusqu’en 1932 au moins.

L’entre-deux-guerres
13 Faute de documents, il est malaisé de savoir quel est le volume précis des parutions de
périodiques militaires indigènes dans les années 1920 et 1930. On peut néanmoins citer
la sortie à Strasbourg en 1924 d’un mensuel Ry tanora mpino. Gazetin’ny miaramila katolika
malagasi eto andafy, édité par l’aumônerie militaire catholique à destination des
Malgaches, qui continue d’être publié à Reims, à Lyon puis à Paris et qui existe encore
en 1944. En revanche, pendant toute la première moitié du siècle, de nombreuses unités
et écoles militaires indigènes, principalement de l’armée d’Afrique, mais également des
troupes coloniales, en garnison en Afrique du Nord, en France ou en Allemagne
occupée, font éditer auprès de photographes civils (comme les unités métropolitaines
ou européennes de l’armée d’Afrique), des albums avec les photographies du chef de
corps, du drapeau, de l’encadrement puis de tous les bataillons ou compagnies. Les
militaires gardent ainsi un souvenir de leur passage dans l’unité.

La Seconde Guerre mondiale


14 Après la déclaration de la guerre, en août 1939, à travers tout l’Empire, des troupes
indigènes sont mobilisées puis en parties embarquées à destination de la métropole. Les
autorités militaires font paraître à Paris un Bulletin des armées d’Outre-mer.Organe officiel
du Centre de l’entr’aide pour les soldats et les travailleurs des territoires d’Outre-mer dans la
métropole dont les quatre numéros sont publiés en trois éditions (Afrique noire, Afrique
du nord ou arabe et indochinoise) entre décembre 1939 et avril 1940. Certains
régiments de tirailleurs nord-africains ont leurs propres journaux comme L’Aiglon.
Journal humoristico-sérieux du 3e RTM qui paraît du 1 er avril 1940 au mois de mai 1940 et
La Chikaïa. Journal Officiel du 7e RTM en avril 1940... En décembre 1939 est créé à Alger le
journal Ya Allah ! Illustré, mensuel des militaires musulmans nord-africains «pour apporter

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aux soldats musulmans dans les brouillards et la boue de nos frontières un peu de soleil
et du parfum de leur pays natal »4.Ce journal, qui leur offre « quelques images, contes et
nouvelles du terroir »5, connaît sept numéros bilingues français-arabes entre décembre
1939 et juin 1940. En Tunisie, AKANI, Micro journal à tendance bi-mensuelle édité par les
médecins, pharmaciens, dentistes et vétérinaires du 6e RTS voit le jour en décembre 1939.
15 Un mensuel Madagascar aux armées est publié par le gouvernement général de
Madagascar et dépendance à Tananarive entre février et avril 1940, avec des textes en
français et en malgache tandis qu’une [La] Gazette du Tirailleur qui devient La Gazette du
Tirailleurs et du Canonnier, est initié par l’état-major du général commandant supérieur à
Dakar à destination des troupes indigènes d’AOF.
16 Après l’armistice, en 1941, est publiée à Gap, en zone libre, l’Écho d’Outre-Mer, bulletin des
Soldats et Travailleurs Coloniaux, en deux versions (malgache et annamite) tandis que le
Cônc Binh Tâp Chî est rédigé et édité à Vichy, au profit des militaires et travailleurs
indochinois indigènes bloqués en métropole ou prisonniers de guerre, entre 1942 et
1946. Entre 1941 et 1945, l’aumônerie militaire protestante édite quant à elle un
bimestriel, Ny Sakaizan ‘ny miaramila. Gazetin’ny miaramila protestanta malagasy eto an-
dafy, à Saint-Raphaël puis à Valence.
17 À Djibouti, les troupes françaises comprennent de nombreuses unités sénégalaises,
initialement destinées à défendre l’Indochine, mais bloquées par la guerre sur le
territoire. Les autorités locales, fidèles au maréchal, créent un hebdomadaire Djibouti
français dont les rédacteurs et les lecteurs sont en grande majorité des militaires.
Certains numéros de ce journal s’enrichissent d’une rubrique intitulée tout d’abord Le
coin des Tirailleurs Sénégalais et Malgaches6 puis Les Messages de l’Empire7, à destination des
troupes indigènes. Ces pages donnent aux tirailleurs des nouvelles de leurs pays et des
encouragements des autorités civiles, militaires et religieuses de l’Afrique
subsaharienne française. En Éthiopie, les troupes gaullistes éditent parallèlement un
bulletin, Djibouti libre8, incitant ouvertement par annonce les tirailleurs à déserter et à
rejoindre les troupes dissidentes de la France libre…
18 En Indochine, paraît à Hanoï À plein tube, Bulletin de liaison des artilleurs du 4 e RAC, avec,
en 1942, des pages en vietnamien pour les artilleurs indigènes de ce régiment mixte.
19 En juin 1942 est créé à Beyrouth L’Orient Militaire, revue bimensuelle en langue arabe,
afin d’intensifier la propagande parmi les populations autochtones. Un éditeur civil est
chargé de la publication par l’autorité militaire française, moyennant subvention de la
rédaction et de l’impression de la revue (tirage entre 2 800 et 6 000 exemplaires selon
les arrivages de papier). Cette revue qui est la seule en langue arabe non soumise à la
censure des gouvernements locaux (syrien et libanais) connaît un grand succès.
20 En juin 1943 paraît à Alger un nouveau journal bilingue, An-Nasr La Victoire, Illustré
Mensuel Arabe. L’éditorial de présentation du premier numéro indique que le journal, «
héritier de “Ya’Llah”, accompagnera nos soldats à la poursuite de l’ennemi qui voulut réduire en
esclavage la France et les pays musulmans de l’Afrique française. Ce journal fait pour distraire le
soldat musulman dans la rude guerre que mène l’armée française d’Afrique aux côtés des armées
alliées, apportera sa modeste contribution à l’effort de toutes nos volontés tendues vers un seul
but… Victoire ! »9. Ce journal très richement illustré, comprenant une couverture recto
verso en couleur, est publié jusqu’en 1946.

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La guerre d’Indochine
21 Pendant la guerre d’Indochine, la presse militaire « indigène » voit son apogée avec la
naissance de dizaines de titres, le plus souvent éphémères, de tous formats, de tirages
forts variés (d’une centaine à quelques dizaines de milliers d’exemplaires). Tout d’abord
rédigés en français la plupart du temps, de plus en plus de titres paraissent
progressivement en vietnamien, en chinois, en laotien, en cambodgien, en arabe.
Certains sont bilingues, voire trilingues. Ronéotypée dans les postes éloignés, imprimée
localement ou dans les imprimeries civiles ou militaires de Hanoï et de Saigon, cette
presse donne des informations sur la vie quotidienne des unités, sur les opérations
auxquelles elles participent, sur les pertes, sur les départs et arrivées de l’encadrement
ainsi que des nouvelles sur les pays d’origine des combattants.
22 Il existe des publications « indigènes » diffusées dans toute l’Indochine, à destination
des militaires des forces armées d’Extrême-Orient (FAEO). Peuvent être cités dans cette
catégorie Es-Saheb (Le compagnon, 9 000 exemplaires), mensuel bilingue français-arabe
destiné aux soldats nord-africains, le Bulletin de Liaison des Troupes Africaines, le
bimensuel Con Tuyen Vuot Be ( Caravelle, vietnamien, 65 000 exemplaires) et Tre ( Le
Clairon, 10 000 exemplaires) mensuel de langue cambodgienne destiné aux militaires
cambodgiens. Certains événements, comme le passage et le désarmement des troupes
nationalistes chinoises à la frontière nord du Vietnam, donnent lieu à la publication
d’un journal à Saïgon, richement illustré, mais qui ne connaît qu’un seul numéro : Les
Troupes de l’Union Française à l’œuvre. Quan doi Lien-Hiet-PhapVat tai vao viec. D’autres
publications ont une vocation régionale : deux bimensuels vietnamiens destinés aux
partisans, Ngoi Linh Vietnam (Le soldat du Vietnam, 5 000 exemplaires) et Tin Tuc Hang
Ngay (Chronique de tous les jours, 5 000 exemplaires) ; au Nord-Vietnam, trois mensuels
pour la zone ouest, Ba Vi, Ta Voi Ta (Nous et nous, 3 500 exemplaires) et Y Dan (La volonté
du peuple, 17 500 exemplaires). Au Laos est publié Nak Lob Lao. Le Combattant Lao,
mensuel bilingue destiné aux militaires des forces du Laos et le Bulletin hebdomadaire
d’information (200 exemplaires).
23 Certaines unités ont également leurs propres publications : quelques-unes nous sont
parvenues comme le Bulletin de Liaison du 2e bataillon du 6e RTM, ou les Nouvelles de la 4e ½
brigade algéro-marocaine, mais beaucoup n’ont pas été encore repérées ou répertoriées.
24 Parallèlement à cette presse militaire française, voit le jour avec les indépendances et la
constitution des armées nationales, une abondante presse militaire vietnamienne,
cambodgienne et laotienne. Cette presse, largement aidée, financée et diffusée par les
différents organismes de guerre psychologique du corps expéditionnaire, est destinée
non seulement aux combattants des nouvelles armées nationales et à leurs cadres
français mais aussi pour certaines d’entre elles aux civils amis ou ennemis, aux
prisonniers vietminh et aux combattants ennemis.
25 Ainsi, en 1953, l’autorité militaire vietnamienne (5e bureau des forces armées du Viêt-
Nam) publie à Saigon, Chien-Si (Le combattant), un bimensuel destiné aux militaires des
FAVN opérant au Sud-Vietnam et Quan Doi ( L’Armée, 40 000 exemplaires), un
hebdomadaire diffusé auprès des militaires des FAVN. À Hué, elle édite Tien Len (En
avant toujours), bimensuel destiné aux militaires des FAVN du Centre-Vietnam et à
Dalat, Dalat Tien, organe de l’école inter-armes. À Hanoï est publié Chin Dao (Le chemin
droit, 3 000 exemplaires), organe de la garde nationale du Nord-Vietnam ; au
Cambodge, Le Cambodge Militaire, revue de l’Armée Royale Khmère, hebdomadaire bilingue

Revue historique des armées, 271 | 2013


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(400 exemplaires) ; et au Laos, Khao Tha Han (Information militaire, 4 000 exemplaires),
organe bimensuel de langue laotienne destiné aux militaires de l’armée nationale
laotienne.

AOF, AEF, Madagascar


26 En AOF, en AEF et d’une certaine façon à Madagascar, le problème de la langue se pose
moins, le français s’étant imposé comme langue de commandement et de travail de
l’ensemble des troupes européennes ou indigènes. Pour l’information des militaires,
quelles que soient leurs origines, des revues mensuelles d’information bien illustrées
sont créées à Madagascar et en AOF. Peuvent être ainsi citées Troupes d’AOF. Mensuel
militaire d’Information des Armées de Terre-Air-Mer publiée à Dakar entre 1958 et 1959 puis
devenu Troupes d’Afrique Occidentale en 1959 et La Grande Île Militaire, Revue Mensuelle
[puis bimestrielle] éditée par le commandement supérieur des forces armées de
Madagascar et dépendances entre 1953 et 1958 et dont certains articles sont rédigés en
malgache. Deux périodiques « indigènes » doivent être signalés : la Gazetin’ny miaramila
si ny gardes tera-tany, publiée par l’aumônerie militaire catholique à Tananarive entre
1951 et 1952 (1 300 exemplaires) et Le Travailleur des Forces Terrestres. Organe mensuel du
Syndicat unique des Personnels Civils des Forces Terrestres d’AOF, publié à Dakar en 1957 (500
exemplaires).

Algérie
27 À Alger, en 1949, le 13e régiment de tirailleurs sénégalais publie un Bulletin de Liaison et,
en 1951-1952, l’aumônerie militaire catholique un bulletin bimestriel Notre foi, Bulletin
Catholique des Soldats Africains à destination des tirailleurs sénégalais catholiques.
Pendant la guerre d’Algérie, de très nombreux périodiques sont créés dans le cadre de
l’« action psychologique » mais, contrairement à la guerre d’Indochine, très peu de ces
publications sont spécifiquement dédiées aux troupes ou aux populations musulmanes
algériennes.
28 Des expériences sont cependant tentées à destination notamment des villageois dans l'
arrière-pays. Ainsi, par exemple, dans la 10e région militaire, une Gazette de Tikobain et
un Bulletin de Yaskren sont réalisés en 1957 par le 1/11 e régiment d’artillerie par le soin
de son officier Action psychologique, en collaboration avec certaines autorités locales,
pour être diffusés dans chaque village auprès des quelques éléments français de souche
et surtout auprès des Français musulmans, lisant le français.
29 Par ailleurs, des tracts sous forme de bandes dessinées diffusées par épisodes et
numérotées sont imprimés massivement (100 000 exemplaires) comme, en 1958, Les
aventures d’Ali, puis Les aventures extraordinaires d’Ali, diffusés en français à destination
des Français musulmans.
30 Les corps d’armées diffusent également des périodiques bilingues français-arabes
comme Les Nouvelles, puis Les Nouvelles d’Oranie, périodiques tirés à 60 000 exemplaires
par le Bureau psychologique du corps d’armée d’Oran entre 1957 et 1959. L’École
militaire préparatoire nord-africaine publie un message de l’EMP NA Koléa en 1957.
Le 4e groupe de compagnie nomade d’Algérie sort à Pâques 1961 un numéro spécial et
sans doute unique sur la pacification avec comme post-face : « Il y a longtemps que sur nos

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hauts-plateaux les armes ont cédé la place au travail du cœur et de l’esprit. C’est cela pacifier,
c’est le côté humain, le côté noble, le côté passionnant de notre mission. »
31 Dans le cadre de la pacification, les sections administratives spécialisées (SAS) sont
également le cadre d’expériences journalistiques. Si l’inspection générale des affaires
algériennes publie un Bulletin de Liaison et de Documentation des Personnels Civils et
Militaires des Affaires Algériennes, comprenant de nombreuses informations concernant
ou à destination des français musulmans, quelques SAS ont leur propre bulletin comme
L’Ami de Bezzit dans les années 1958-1959. Ce bulletin publie notamment les naissances,
les mariages et les décès du mois, les remises de décorations, les départ et retours des
travailleurs ainsi que des textes en langue kabyle.

Maroc, Tunisie
32 À la différence de l’Afrique subsaharienne, le problème de la langue se pose moins en
Afrique du Nord et de nombreuses revues illustrées sont créées pour l’ensemble des
troupes. Au Maroc, le journal Nouvelles du Maghreb est édité en version bilingue
française et arabe au début des années 1950. Avec l’approche de l’indépendance, le titre
se transforme en revue richement illustrée mais uniquement en langue française, Les
Nouvelles, alors qu’en Tunisie est créée en 1956 Byrsa, Revue des Forces françaises de
Tunisie. Signalons également que le 3e régiment de tirailleurs sénégalais publie en 1949
à Tunis Le Cornac, Bulletin de Liaison du 3e RTS et que les Affaires militaires musulmanes
quant à elles diffusent également à Tunis dans les années 1955-1956 un Bulletin de
Liaison à l’attention de ses personnels aussi bien européen que nord-africain.

Vers les Indépendances


33 En février 1957, le Centre militaire d’information et de spécialisation pour l’outre-mer
fait paraître à Paris un magazine richement illustré, mensuel, Soldats d’Outre-Mer,
spécifiquement dédié aux lecteurs « européens, africains, malgaches, comoriens, somalis,
antillais, réunionnais, océaniens… » des troupes coloniales, d’outre-mer puis de Marine…
Cette revue paraît jusqu’en 1960.
34 Après les indépendances des États africains et malgache, en 1962, le ministre des
Armées prescrit à chacune des zones d’outre-mer de publier un bulletin mensuel afin
d’assurer l’information des militaires français et africains servant à l’intérieur de la
zone dans les forces françaises ou nationales, ainsi que celle des militaires africains
servant à l’extérieur. Sont ainsi publiés en 1961 à Brazzaville, pour la zone d’outre-mer
n°2, un Bulletin d’Information à l’attention des militaires africains ressortissants des États
d’Afrique équatoriale (République du Congo, du Gabon, du Tchad et République
Centrafricaine) et à Abidjan, jusqu’en août 1964, un Bulletin d’Information de la Zone
d’Outre-Mer n°4 (Côte d’Ivoire, Togo, Dahomey, Haute-Volta et Niger) brièvement suivi
par un Bulletin d’Information à l’intention des militaires ressortissants des États du Conseil de
l’Entente, publié par la section information.
35 Ces bulletins sont un des éléments de la fraternité d’armes qui unit les forces armées
nationales et les forces armées françaises, mais ils disparaissent rapidement, les armées
nationales se trouvant désormais en mesure d’assurer l’information de leurs personnels
et les forces françaises étant alors en voie de profonde réorganisation.

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36 Enfin, en février 1963, l’association pour le développement et la diffusion de


l’information militaire et la section d’études et d’information des troupes de marine
éditent à Paris Frère d’Armes, une revue dédiée aux cadres des nouvelles armées
nationales et à la coopération militaire française. Le 265 e et dernier numéro paraît en
décembre 2010.

Sources bibliographiques
37 MARTIN Marc, « Les origines de la presse militaire en France : 1770-1799 », État-major de
l’armée de Terre ; Service historique, Vincennes, 1975.
38 KRAEMER Gilles, « Trois siècles de presse francophone dans le monde : hors de France, de
Belgique, de Suisse et du Québec », Paris, l’Harmattan, 1995.
39 WASSEF Amin Sami, « L’Information et la presse officielle en Égypte jusqu’à la fin de l’occupation
française », IFAO, 1976.
40 DOAN Thi Do, « Le journalisme au Viêt-Nam et les périodiques vietnamiens de 1865 à
1944 conservés à la Bibliothèque Nationale », Bulletin d’information de l’ABF, n°
025-1958.
41 RIVES Maurice, colonel (er), « Une alerte centenaire, la presse militaire coloniale »,
L’Ancre d’Or, n°300, Septembre-Octobre 1997, pages 67 à 76.
42 CHARPENTIERAndré, Feuilles bleu horizon : le livre d’or des journaux du front : 1914-1918,
Charpentier, Paris, 1935.
43 La Guerre Psychologique en Indochine de 1945 au cessez-le-feu, Presse du Bureau de la Guerre
Psychologique, 1955.
44 DEROO Éric et CHAMPEAUX Antoine, La force noire : gloire et infortune d’une légende coloniale,
Tallandier, Paris, 2006.
45 Catalogue de périodique par langues et par pays. Périodiques malgaches, Paris, Bibliothèque
Nationale, 1970.
46 RATTE Philippe et THYRARD Jean, Armée et Communication, une histoire du SIRPA, Addim,
Paris, 1989.

NOTES
1. Amin Sami Wassef, L’Information et la presse officielle en Égypte jusqu’à la fin de l’occupation
française, IFAO du Caire 1976.
2. Doan Thi Do, « Le Journalisme au Viêt-Nam et les périodiques vietnamiens de 1865 à 1944
conservés à la Bibliothèque Nationale », Bulletin d’information de l’ABF, n° 025-1958.
3. André Charpentier, Feuilles bleu horizon : le livre d’or des journaux du front, 1914-1918, éditions
Italiques, DL 2007.
4. An-Nasr La Victoire Illustré Mensuel Arabe, n° 1 juin 1943, page 1.
5. An-Nasr La Victoire Illustré Mensuel Arabe, n° 1 juin 1943, page 1.

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6. Djibouti Français, n° 12 du 4 octobre 1941, page 2 ; n° 15 du 19 octobre 1941, page 4 ; n° 20 du 20


novembre 1941, page 2.
7. Djibouti Français, n° 24 du 18 décembre 1941, page 3.
8. Djibouti Libre, n° 7 du 14 juillet 1941, page 5 : « Pour lutter contre l’Allemagne, Engagez-vous dans les
Forces Françaises Libres. Conditions d’engagement. Ex tirailleurs sénégalais, tirailleurs somalis…Les
engagements sont reçus au Consulat de France à Dire Daua ».
9. « An-Nasr La Victoire Illustré Mensuel Arabe », n° 1 juin 1943, page 1.

RÉSUMÉS
Qu’elle s’adresse aux troupes d’origine européenne ou indigène, la presse militaire coloniale
française offre un corpus vaste et méconnu. Constituée de simples feuillets ou de luxueuses
revues illustrées, elle fut pourtant abondante et publiée dans les très nombreuses langues parlées
dans l’empire. Après une première tentative pendant la campagne d’Égypte, puis des débuts
timides lors de la Grande Guerre, la presse militaire coloniale se développe au cours la Seconde
Guerre mondiale, avant de connaître son âge d’or au cours de la guerre d’Indochine, grâce à la
création de nombreux titres destinés aux troupes provenant des différents territoires de l’Union
Française et aux soldats des armées vietnamienne, cambodgienne et laotienne. Paradoxalement,
la guerre d’Algérie donnera bien moins lieu à la publication de journaux à destination des
troupes musulmanes ou issus des territoires africains et malgache.

Aimed at troops of European or indigenous origin, the French colonial military press offers avast
and unknown corpus. Consisting of single sheets or glossy illustrated magazines, it was
nonetheless plentiful and published in the many languages spoken in the empire. After a first
attempt during the Egyptian campaign, then humble beginnings during the Great War, the
colonial military press expanded during the Second World War, before experiencing its golden
age during the war in Indochina through the creation of numerous titles for troops from
different territories of the French Union and for Vietnamese, Cambodian and Laotian soldiers.
Paradoxically, the war in Algeria placed less emphasis on the publication of newspapers for
Muslim troops from the African and Malagasy territories.

INDEX
Mots-clés : Presse militaire, Empire colonial, troupes indigènes

AUTEURS
OLIVIER BLAZY
Juriste de profession, vice-président de l'Association nationale des officiers prisonniers de guerre
1940-1945 et ancien officier de réserve des troupes de marine, il s'intéresse depuis des années à
l'histoire de la presse française outre-mer et à l'histoire de l'armée française outre-mer. Il
prépare actuellement le Catalogue des périodiques de Dahomey (1890-1960), ainsi qu'un

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catalogue des périodiques de Djibouti (1899-1977). Il entreprend également le recensement des


périodiques militaires français parus outre-mer (hors Europe) des origines à nos jours.

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Le rôle de la flottille du Niger dans


la conquête du Soudan français,
1884-1895
The role of the Nigerian fleet in the conquest of French Sudan, 1884-1895

Dominique Guillemin
Traduction : Robert A. Doughty

1 Longtemps limitée à un impérialisme informel fondé sur l’influence militaire et


commerciale à partir de territoires limités, la colonisation de l’Afrique sub-saharienne
s’accélère à partir des années 1880, prenant la forme du scramble for Africa, la « course
au clocher » des principales puissances européennes pour le partage du continent.
D’une présence diffuse à partir de comptoirs essaimés le long des côtes, on passe alors à
l’occupation systématique de l’hinterland. D’un point de vue militaire, ce nouvel
impérialisme continental donne naturellement plus d’importance aux troupes
terrestres spécialisées dans les opérations ultramarines ce qui les conduit, en France
par exemple, à s’autonomiser peu à peu de la Marine dont elles sont issues 1. Mais les
marins ne cessent pas pour autant d’apporter un savoir-faire précieux sur les fronts
pionniers de la colonisation. Car en l’absence de toute infrastructure de transport, et
face à la résistance naturelle présentée par les espaces africains, les fleuves constituent
des voies de pénétration privilégiées sur lesquels les officiers de marine peuvent
assouvir leurs vocations multiples d’explorateurs, d’ingénieurs, de diplomates et de
conquérants. Déjà dotée d’une station permanente à Saint-Louis du Sénégal, la Marine
accompagne donc l’expansion française dans les régions les plus enclavées de l’Afrique
occidentale jusqu’à participer à l’un des derniers grand rêve de la conquête coloniale :
la prise de la mythique cité de Tombouctou2.

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Les bassins des fleuves Sénégal et Niger, espaces


privilégiés de l’expansion coloniale française en
Afrique occidentale
2 Gouverneur du Sénégal de 1854 à 1861 puis de 1863 à 1865, le général Louis Faidherbe
comprend immédiatement le profit qu’il peut tirer des opérations fluviales pour
pacifier l’arrière-pays de la colonie. Appliquant le « plan de 1854 » ordonné par le
ministre de la Marine et des Colonies, Théodore Ducot, proche des milieux d’affaire
bordelais, il étend l’influence française en suivant le cours du fleuve Sénégal, qu’il
ponctue de places fortifiées en liaison avec la côte grâce à une flottille d’avisos fluviaux
à vapeur3. Construits en bois, propulsés par hélice ou par roue et armés de pièces de
canons, ces petits bâtiments de 150 à 350 tonnes de déplacement, assurent la logistique
des postes tout en contribuant à leur sécurité. Ainsi, le 18 juillet 1857, ils dégagent in
extremis le fort de Médine4 assiégé depuis le mois d’avril par les troupes d’El Hadj Omar,
fondateur de l’empire Toucouleur, qui mène le djihad contre la présence française. La
même année, la création par Faidherbe du premier régiment de tirailleurs sénégalais,
embryon d’une armée coloniale, permet à la conquête d’alimenter la conquête, en une
seconde étape qui vise le cœur même du « continent noir » : le Soudan 5.
3 L’importance du réseau hydrographique dans les conceptions du général Faidherbe
apparaît clairement dans le plan de conquête du Soudan qu’il publie en juin 1863 : «
Rallier le Sénégal à l’Algérie à travers au moins quatre cents lieues de désert, c’est chose
impossible, quelle que soit la route que l’on suive, ou qui du moins n’aurait pas de conséquences
sérieuses par suite des frais énormes du transport à dos de chameaux. Pour s’emparer du
commerce si important du Soudan et particulièrement du coton (Géorgie longue soie), qui, au
dire des voyageurs, s’y trouve en si grande abondance, et à vil prix 6, il faut s’emparer du haut
Niger en établissant une ligne de postes pour le rallier au Sénégal entre Médine et Bamakou
[Bamako] »7. Il s’agit donc de prendre le contrôle le bassin du haut Niger à partir de
celui du haut Sénégal, avec entre les deux une « rupture de charge » d’environ trois
cent cinquante kilomètres entre Médine et Bamako.
4 Ce plan d’ensemble reçoit immédiatement un début de réalisation à l’initiative du
lieutenant de vaisseau Eugène Mage qui, en février de la même année, soumet au
ministre de la Marine et des Colonies un projet visant à « explorer le Niger, remonter ce
fleuve ; savoir enfin d’une manière positive et pratique le mystère du Soudan et disputer à
l’Angleterre les produits de l’intérieur de l’Afrique, vers lequel sa politique envahissante marche
à grands pas, soit par des explorations, soit par le commerce, soit par l’occupation militaire » 8.
Dans l’esprit de l’officier, il s’agit d’une reconnaissance qui doit établir l’utilité
économique et stratégique du Soudan avant d’en entreprendre la conquête. Dans son
ordre de mission du 7 août 1863, Faidherbe y adjoindra le repérage de la future ligne de
postes entre le haut Sénégal et haut Niger : « Le but serait d’arriver, lorsque le
gouvernement de l’Empereur jugera à propos d’en donner l’ordre, à créer une ligne de postes
distants d’une trentaine de lieues entre Médine et Bamakou, ou tout autre point voisin sur le
haut Niger qui paraîtrait plus convenable pour y créer un point commercial sur ce fleuve. Le
premier de ces postes en partant de Médine serait Bafoulabé (…) Il serait probablement
nécessaire de créer trois intermédiaires entre Bafoulabé et Bamakou » 9. Le 7 octobre, des
instructions complémentaires précisent encore : « Pour chaque point de cette ligne où vous
croiriez qu’un poste pourrait être établi, donnez-moi : une levée topographique des lieux, des
renseignements sur les matériaux de construction, bois, pierres, terres à briques, pierres à chaux

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ou à plâtre, qui se trouvent sur la place ou à des distances que vous déterminerez ; sur les
productions naturelles susceptibles de fournir un aliment au commerce, sur la densité de la
population du lieu même et des provinces voisines, sur la nature et l’importance des relations
commerciales dont ce lieu pourrait devenir le centre » 10. Sur le plan diplomatique, le général
fait précéder l’expédition Mage d’une lettre avertissant El Hadj Omar de ne pas
inquiéter sa sûreté, et des renseignements sont pris sur l’accueil favorable qu’elle
pourrait recevoir à Ségou, ville du moyen Niger gouvernée par son fils, Ahmadou Tall 11.
5 Accompagné du médecin de marine Quintin, le lieutenant de vaisseau Mage quitte
Médine le 25 novembre 1863, avec pour seule escorte une dizaine de porteurs
autochtones. Repérant l’emplacement des futurs postes français, à Bafoulabé et à Kita,
l’expédition rejoint le Niger à hauteur de Nyamina, puis poursuit son voyage en
pirogues jusqu’à Ségou qu’elle atteint le 28 février 1864. Mais la situation sur place a
changé après la disparition mystérieuse d’El Hadj Omar. Ahmadou Tall souhaite
maintenant limiter ses contacts avec la France et retient ses « hôtes » pendant deux
années. Finalement rendus à leur liberté, le 6 mars 1866, Mage et Quintin rallient
Médine le 28 mai. Cette longue expédition n’eut donc pas de conséquences politiques,
mais elle ramène néanmoins une somme considérable d’informations ethnographiques
et géographiques permettant de mieux cerner l’état politique et social du Soudan ainsi
que la topographie du pays entre Sénégal et Niger12. Disparu en 1869 au large de Brest,
le lieutenant de vaisseau Mage a suscité des vocations et tracé le plan d’action des
officiers qui prendront sa relève :
« Si la France veut intervenir d’une manière efficace dans la politique du Soudan, il
n’y a, suivant moi, qu’un moyen sérieux, c’est de remonter le Niger avec des
bâtiments, soit qu’on parvienne à leur faire franchir le rapide de Boussa, soit qu’on
les construise au-dessus de ce barrage. Ma conviction est que l’opération est
possible »13.
6 Possible, sans nul doute, mais pas dans l’immédiat. Car après la guerre de 1870, vient le
« temps du recueillement » qui met l’idée coloniale en sommeil. Elle revient cependant
portée avec une vigueur accrue par les hommes nouveaux des premiers cabinets
républicains et une jeune génération d’officiers supérieurs. Ainsi, dès 1879, deux
ministres, celui des Travaux publics, Charles de Freycinet, et celui de la Marine, l’amiral
Jean-Bernard Jauréguiberry, présentent des projets concurrents de chemins de fer en
Afrique de l’Ouest. Le premier est une ligne transsaharienne depuis l’Algérie jusqu’à
Tombouctou ; le second une voie reliant Saint-Louis du Sénégal à Bamako. À la
confluence de ces projets ambitieux, le Soudan semble déjà français, à défaut d’être
déjà conquis. C’est la perte de la mission Flatters14, suscitée par Freycinet, qui arbitre la
compétition en faveur du projet défendu par la Marine. Ancien gouverneur du Sénégal,
dans l’intervalle des deux mandats du général Faidherbe, l’amiral Jauréguiberry
connaît bien la question. Il peut aussi compter sur place sur un groupe de militaires
prêts à relayer énergiquement son projet et tous issus des troupes de marine : les
« Soudanais »15, dont la carrière va être portée par cette entreprise. Les plus notables
d’entre eux sont Louis Brière de L’Isle, Joseph Gallieni, Gustave Borgnis-Desbordes et
Louis Archinard16. Si la répartition de leurs rôles varie avec le temps et le grade, on les
trouve généralement associés aux postes-clefs de gouverneur du Sénégal, puis du
Soudan, et de commandant militaire du haut-Sénégal, puis du Niger. Ils tiennent donc à
la fois les fonctions administratives et militaires tout en ayant un accès privilégié au
pouvoir politique.

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7 C’est dans ce contexte que le colonel Brière de L’Isle peut donner l’impulsion initiale
d’un mouvement qui ne s’arrêtera qu’avec l’unification des possessions françaises
d’Afrique occidentale. Sous ses ordres, le capitaine Gallieni atteint Sabouciré le
3 juillet 1878, puis Bafoulabé, à cent-vingt kilomètres de Médine, en octobre 1879,
contraignant Ahmadou Tall à accorder à la France le libre passage au Soudan. Pour
mieux exploiter cette ouverture, un commandement du Haut-Sénégal, basé à Médine,
puis à Kayes, est créé par décret, le 6 septembre 1880, et confié au lieutenant-colonel
Borgnis-Desbordes qui est autorisé à correspondre directement avec le ministre. Un
deuxième bataillon de tirailleur sénégalais et une compagnie d’artillerie sont levés pour
tenir la ligne des postes vers le Niger. Celui-ci est bientôt atteint en deux étapes : la
fondation du poste de Kita, le 27 février 1881, puis l’entrée dans Bamako, le 1 e
février 1883. Enfin, pendant les dix années suivantes, le chef d’escadron, puis
lieutenant-colonel Archinard soumet le Soudan lui-même, d’abord sous l’autorité de
Gallieni, puis en lui succédant au poste de gouverneur du Niger. À cette progression
méthodique s’opposent, sans coordination entre eux, les empires Toucouleurs et
Wassoulou17, entre lesquels les postes français ne sont initialement qu’une mince
bande, puis les tribus touarègues de la zone saharienne.

La création de la flottille du Niger et le rôle des marins


au Soudan.
8 Bamako atteint, il s’agit maintenant d’en faire la base des expéditions vers l’aval du
fleuve, au bout d’une élongation logistique extrême, à mille kilomètres en ligne directe
de l’arsenal de Saint-Louis. En 1884, le lieutenant-colonel Boilève, commandant
supérieur du Soudan, charge l’enseigne de vaisseau Froger de mener à Bamako une
canonnière spécialement conçue pour ce voyage18. Baptisée Niger, ce bâtiment est
entièrement constituée de pièces démontables en trois cent charges de 25 à 50 kg du
fait des contraintes de son acheminement. Il faut plutôt parler d’une chaloupe à vapeur
tant le bateau est modeste. Long de 18 mètres sur 3 de large, avec un franc-bord de
seulement vingt centimètres, il est constitué de cinq compartiments (soute avant, roof
équipage, machine, roof commandant et soute arrière), dont deux seulement sont
pontés. Seul le canon-revolver Hotchkiss, modèle 1879 de 37 mm, qu’il porte à l’avant
rappelle sa condition de canonnière. Tel quel, le Niger doit cependant permettre une
première exploration du fleuve. Arrivé le 9 avril à Bamako après un périple de quatre
mois, Froger parvient à remonter son bateau dans des conditions très rudimentaires
qui affectent ses performances. Les essais, commencés début août, ne donnent qu’une
vitesse maximale de 5 nœuds permettant tout juste de remonter le courant, pourtant
généralement paisible, du fleuve. En réalité, une fois franchis les rapides situés à vingt
kilomètres au nord de Bamako, Froger constate que le Niger est incapable de les
repasser. Il installe donc un mouillage dans la localité de Manambougou, à quarante-
cinq kilomètres de Bamako. Tombé malade, Froger est rapatrié en septembre 1884 et
relevé par l’enseigne de vaisseau Jules Davoust.
9 Ce dernier arrive à son poste, en janvier 1885, porteur d’un grand dessein : surpasser
Mungo Park en descendant l’intégralité du fleuve Niger jusqu’à la mer 19. Pour cela, il lui
faut aménager un poste à Manambougou et remettre en état la canonnière. La
campagne qu’il mène en septembre-octobre, n’est pourtant pas concluante. Ayant
parcouru trois cents kilomètres jusqu’à Diafarabé, à hauteur du marigot de Djenné, il

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est obligé de rebrousser chemin du fait de la baisse des eaux et manque de s’échouer à
Ségou, où sa présence n’est pas la bienvenue. Pis encore, à Bamako l’attend l’ordre du
ministre de la Marine, l’amiral Galiber, de démonter le Niger et de le ramener à Saint-
Louis. C’est un des effets de la conférence de Berlin qui s’est tenue entre temps. Elle
délimite les zones d’influences sur le Niger, entre son cours moyen, laissé à la France, et
la partie basse du fleuve jusqu’à l’estuaire, réservée à la Grande-Bretagne : dans ce
contexte, le projet de Davoust devient intempestif. L’ordre de l’amiral Galiber est
cependant rapporté par son successeur, l’amiral Aube, convaincu de l’intérêt du
Soudan. Beau-frère de Faidherbe, il a lui-même effectué des missions sur le Sénégal.
Davoust prépare aussitôt une deuxième expédition et, tirant les leçons de la faible
autonomie de la chaudière de la canonnière, construit des chalands en bois pour porter
ses approvisionnements. Car le Niger consomme une stère de bois par heure et en
emporte seulement dix avec lui. À défaut d’un train de ravitaillement, il devrait
s’approvisionner quotidiennement en combustible, s’exposant aux dangers de
l’embuscade ou de la pénurie de bois. Mais Davoust tombe malade à son tour, et doit
rentrer momentanément en France.
10 Exploit logistique sans résultats concrets, cette première expérience fluviale est
cependant défendue par la voix du général Faidherbe, devenu sénateur du département
du Nord : « D’ici quelques années, il sera indispensable d’avoir sur le Niger plusieurs bâtiments
à vapeur. Il faudrait faire faire immédiatement, pour le service de l’État, un vapeur de
dimensions plus grandes que celles de la chaloupe le Niger et qui la doublerait. On ne peut
songer à faire venir la coque de France ou à fabriquer la machine à Bamako. Il faut donc
construire là-bas le navire en bois sur un modèle donné par le service des constructions navales
du ministère de la Marine qui fera fabriquer en France la machine à y adapter, laquelle machine
serait démontée pour être transportée comme l’a été la canonnière le Niger » 20. Ce nouveau
plan devient celui de la campagne de 1886-1887 dont est chargé le lieutenant de
vaisseau Émile Caron. Selon les instructions que lui donne Gallieni, il doit faire
l’exploration hydrographique du fleuve et étudier la situation politique ainsi que les
produits des régions qu’il traverse. Outre son commandant, l’expédition est composée
de quatre marins français et de cinq laptots, nom donné aux matelots indigènes. Elle
emporte 17 tonnes de matériel, réparties entre 700 colis, comprenant l’outillage
nécessaire aux travaux, une tonne de pièces de rechange destinées au Niger et cinq
tonnes de charbon, un complément de combustible très précieux.
11 Parti de Kayes, le 9 novembre 1886, Caron arrive à Bamako le 29 janvier 1887,
commence immédiatement les travaux d’un chantier de construction sur le fleuve et
met en coupe réglée les ressources en bois de charpente des environs. Puis, il rallie
Manambougou où il trouve le Niger échoué dans les basses eaux mais bien entretenu
par les deux marins laissés là par Davoust, le second-maître Durand et le quartier-
maître mécanicien Guégan. Complètement épuisés par le climat, ceux-ci sont
immédiatement renvoyés en France et l’équipage de relève commence la remise en état
du Niger. Pendant ce temps, Caron supervise la construction de la coque en bois de la
seconde canonnière dont il a apporté la machine21. Plus petite que le Niger, 10 mètres de
long sur 2 mètres 80, elle déplace 75 tonnes à pleine charge et porte deux Hotchkiss de
37mm. En prévision de la montée des eaux, elle est construite sur un monticule située
sur une presqu’île entre le fleuve et un marigot. Mais une crue insuffisante va
nécessiter d’importants travaux de halages supervisés par le lieutenant d’artillerie de
marine Bonaccorsi. Elle est mise à l’eau le 8 mai et baptisée Mage, en l’honneur du
premier officier français à avoir vu le fleuve sur lequel elle navigue. Dans ces conditions

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de construction, le bâtiment a coûté moins de vingt mille francs, le cinquième de ce


qu’aurait coûté son transport, mais il s’avère très imparfait, faute de machines-outils et
de main-d’œuvre indigène qualifiée.
12 C’est donc à bord du seul Niger, remorquant deux chalands en bois construits à Bamako,
que le lieutenant de vaisseau Caron engage la seconde partie de sa mission. Parti le 1 er
juillet de Manambougou, il descend le fleuve jusqu’à Koriumé, un petit village qui sert
de débouché fluvial à Tombouctou, à environ quinze kilomètres de là. Il est de retour à
son port-base le 5 octobre. Cette traversée sans encombre démontre que de tels petits
bâtiments passent sur le fleuve malgré les contraintes naturelles (tornades sèches,
variation du régime des eaux, difficultés d’approvisionnement) et l’hostilité
soupçonneuse des riverains. Après Ségou, la France n’entretient pas de relations avec
les potentats locaux, et il faut passer outre l’interdiction de passer Mopti. Arrivé à
Koriumé, l’officier français n’obtient pas non plus l’autorisation de se rendre à
Tombouctou malgré l’intermédiaire qu’il a amené avec lui. Mais en dépit de ces échecs
diplomatiques, la mission Caron fait la preuve que les canonnières peuvent se suffire à
elle-même sur le fleuve et apporte des enseignements précieux dans deux domaines. La
géographie tout d’abord, avec la réalisation par Caron et le lieutenant d’infanterie de
marine Lefort d’un album hydrographique du fleuve jusqu’à Koriumé, au 1/500 000 e,
déposé au Dépôt des cartes et plans de la Marine22 et qui devient le document de
référence de la navigation. La logistique, ensuite, puisque l’idée de construire une
flottille sur place est abandonnée et que la nécessité de créer un petit arsenal local pour
l’entretien est souligné.
13 Les difficultés restent cependant très grandes avant de banaliser l’usage des
canonnières sur le Niger, comme en témoigne l’activité réduite de la flottille durant les
deux années suivantes. Relevant Caron en 1888, le lieutenant de vaisseau Davoust
revient à Bamako, emportant avec lui la nouvelle canonnière Mage, à coque de fer 23. À
Koulikoro, à soixante kilomètres en aval de Bamako, il installe l’arsenal de la flottille,
dotée de machines-outils et défendu par un petit fortin. Mais une accumulation de
problèmes retarde l’expédition qu’il projette : la canonnière est difficile à monter ;
instable, il faut la doubler d’une coque de bois distante de 80 centimètres de la coque de
fer, qui permet il est vrai de loger plus de provisions et de rechanges. Et une fois les
essais terminés, il est trop tard pour entreprendre un voyage vers Tombouctou. Épuisé
et malade, Davoust meurt à Kita au début de l’année 1889. Son adjoint, l’enseigne de
vaisseau Émile Hourst, reprend son flambeau et jure de descendre un jour le Niger sur
un navire portant le nom de son chef.
14 En attendant, c’est au lieutenant de vaisseau Jean-Gilbert Jaime, nommé à la suite de
Davoust, qu’il revient de tirer profit de ses préparatifs en accomplissant une mission
qu’on espère, cette fois, plus politique que scientifique. Elle est notamment destinée à
faire reconnaître par les Britanniques les droits français jusqu’à mille kilomètres en
aval de Tombouctou24. Le 16 septembre, le Mage commandé par Jaime et le Niger,
commandé par Hourst, quittent Koulikoro en remorquant chacun deux chalands de
bois et de vivres. Mais la flottille est vite dissociée du fait des ennuis de propulsion du
Niger. Celui-ci reçoit donc pour mission de stationner à Mopti pour tenter d’apaiser
Mounirou, le chef Toucouleur du pays, « telle une arrière-garde que nous laissions là, avant
de nous lancer dans l’inconnu »25. Poursuivant seul, le Mage fait face à une hostilité
croissante qui oblige à tendre des filets de protection contre un éventuel abordage et à
faire dormir l’équipage aux postes de combat. Soumis à une surveillance permanente

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par des partis de Touaregs, l’équipage craint l’avarie qui obligerait à toucher la rive.
Ainsi, le 2 octobre, un accrochage a lieu avec une centaine de Touaregs qui menacent
les trois laptots d’un chaland pris dans des herbes hautes : ils doivent être dégagés par
quelques tirs de canon26. Arrivé à Koriumé, Jaime reçoit le même accueil que Caron
précédemment : les notables de Tombouctou refusent d’accueillir une délégation
française. Le mauvais état du bâtiment (les trépidations de la machine fissurent la
coque) et les eaux déjà en baisse convainquent le lieutenant de vaisseau Jaime de ne pas
poursuivre plus loin sa mission. Sur la route du retour, il constate que le Niger ne l’a pas
attendu comme prévu. Hourst s’en explique par les menaces proférées par Mounirou et
par un message qu’il a reçu du commandant supérieur du Soudan, le lieutenant-colonel
Archinard, lequel, mis à l’écart de l’affaire « à la suite d’un quiproquo », enjoint la flottille
à rester à Koulikoro27.
15 On le voit, l’expédition de la flottille de l’année 1889 prend une tournure plus militaire
dans une région qui se « raidit » entre l’intrusion française croissante au sud, et la
domination touarègue au nord. L’ordre de rappel d’Archinard est aussi un indice de
l’accélération des événements qui peut se comprendre de deux façons. D’abord comme
la volonté du chef qui souhaite désormais garder à sa main tous les moyens dont il
dispose. Ensuite comme une reprise en main des marins, dont les moyens permettent
de gagner le pays de Tombouctou en une unique et courte campagne, par opposition à
la progression lente et méthodique des troupes de marine. Or, le lieutenant-colonel
Archinard se réserve la gloire qu’offrira la prise de Tombouctou, un des derniers noms
mythiques qui s’offre au conquérant. Le lieutenant de vaisseau Jaime n’est pas en reste
d’esprit de compétition, lorsqu’il défend l’autonomie d’action de la flottille. Selon lui,
elle devrait dépendre de la Marine à Saint-Louis pour sa chaîne de commandement
organique, et non du gouverneur du Soudan, ce dont il « résulte des erreurs provenant
de ce que le personnel chargé de préparer le ravitaillement des canonnières n’est pas
au courant du service maritime. Des militaires totalement étrangers aux choses de la
Marine ne peuvent choisir dans une longue liste de matériel les objets nécessaires sans
rien omettre, et cela malgré leur bonne volonté à notre égard »28. Et s’il défend sa
subordination opérationnelle au commandement supérieur du Soudan, il déplore
cependant que la flottille soit si mal utilisée : « (…) il est naturel aussi que le Mage et le
Niger soient une gêne, un gros ennui, pour des personnes dont ce n’est pas le métier d’armer des
bâtiments. Il résulte de ceci que les canonnières devraient être en principe armées complètement
par la Marine et placées sous les ordres du commandant du Soudan pour toutes les opérations de
guerre auxquelles elles pourraient participer. Nous croyons d’ailleurs que le commandant du
Soudan est persuadé de leur peu de valeur militaire et de leur inutilité pour lui, qu’il en fait peu
de cas et se soucie fort peu de leur concours (…) » 29. En réalité, une telle coordination est
surtout rendue difficile par l’effet du climat : les troupes de marine se déplacent en
saison sèche, pour passer facilement les marigots, alors que les canonnières ne sont
mobiles qu’à la saison humide. Ne sont-elles pas alors inutiles, ne pouvant tenir aucune
position par elles-mêmes ? L’argument est contré par Jaime qui défend leur rôle comme
« instruments de pénétrations mis à la disposition du commandant du Soudan si on le juge à
propos, mais armées par la Marine, le ministre des colonies n’ayant encore ni les arsenaux, ni les
magasins pourvus de tout le matériel indispensable »30. Il plaide ensuite pour une croisière
annuelle qui sécuriserait le commerce et attirerait à la France les populations. On
imagine qu’une fois lancé seul sur le fleuve, le commandant de la flottille retrouverait
beaucoup de son autonomie de décision.

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16 S’agit-il donc de sauver la position de la Marine au Soudan au moment ou le fruit de la


conquête semble mûr ? Et les marins ne sont-ils été gagnés, à leur tour, par la fièvre de
gloire des « Soudanais » ?

La prise à l’abordage de Tombouctou, la plus


contestée des conquêtes de la Marine ?
17 Parti en 1889, Jean-Gilbert Jaime n’est pas remplacé et c’est l’enseigne de vaisseau
Hourst qui assure le commandement de la flottille, à la satisfaction d’Archinard, qui
l’avait déjà proposé pour ce poste à la mort de Davoust31. Hourst, principalement
motivé par sa passion pour l’hydrographie, semble se désintéresser de Tombouctou. Il
appuie aussi efficacement l’action du commandant militaire du Soudan au moment où
celui-ci reprend la lutte contre Ahmadou Tall. En 1889 et 1890, l’enseigne de vaisseau
Hourst mène donc de front l’exploration du haut Niger et la pacification des villages sur
ses affluents32. Il prend part également à la prise de Ségou, le 6 avril 1890, en effectuant
d’abord une reconnaissance avec le lieutenant Marchand, puis en transportant sur une
flottille de pirogues les troupes chargées de débarquer sur le côté le plus vulnérable de
la ville33. Promu lieutenant de vaisseau peu après cette action, il aménage à Ségou un
port capable d’accueillir la flottille et, en février 1891, il réprime la révolte du Manianka
et du Baninko, près de son nouveau port de mouillage. Malgré ces succès, il quitte le
Soudan le 15 novembre afin de mettre à jour les cartes hydrographiques du haut Niger
à l’état-major de la Marine et dans l’espoir de relancer son projet d’exploration du
fleuve pour lequel il dessine les plans d’un chaland en aluminium.
18 Le départ de Hourst semble avoir laissé un temps la flottille sans commandement. Son
successeur, le lieutenant de vaisseau Henri Boiteux, aurait été nommé le 20 novembre
1891, mais on ne trouve trace de son arrivée sur place qu’en novembre 1892 34. Il est par
ailleurs fait mention d’un autre successeur malchanceux de Hourst, le lieutenant de
vaisseau Lagarde, qui serait mort de la fièvre jaune à Kita, en route vers son poste. C’est
l’enseigne de vaisseau Briffaud, qui aurait alors exercé l’intérim jusqu’à l’arrivée
effective de Boiteux. Ce calendrier expliquerait la baisse d’activité observée pendant
l’année et demi correspondant à la vacance de commandant en titre suivi d’une période
d’entretien de la flottille. Ce retard est aussi un élément de compréhension à ajouter au
dossier de la prise de Tombouctou. Car l’absence de passation de suite a peut-être pesé
sur la perception de son rôle par le lieutenant de vaisseau Boiteux, en ne lui permettant
pas de recevoir les conseils des « anciens ». D’autant plus que la personnalité du
nouveau commandant diffère sensiblement de celle de ses prédécesseurs. Remarqué à
l’École navale pour sa mauvaise conduite et son comportement léger, ses appréciations
deviennent brusquement positives dès son affectation en unité. C’est le profil classique
de la « tête brûlée » et Boiteux semble tout particulièrement se révéler dans l’action
guerrière. Ainsi, dès sa première affectation en campagne, au Tonkin, sur la rivière
Noire, il est nommé enseigne de vaisseau de première classe pour faits de guerre, et ses
premières actions au Soudan sont aussi brillantes35. Le 10 septembre 1893, il est
recommandé pour la croix de la Légion d’honneur par le lieutenant-colonel Archinard
pour avoir assuré la police du fleuve contre les partisans d’Ahmadou. Il est probable
qu’un tel homme se soit senti le successeur de Caron et de Jaime, des officiers qui ont
habitué par leurs écrits les marins à considérer que la conquête de Tombouctou leur
revenait de droit36

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19 Cette tentation est d’autant plus vive qu’une conjonction d’éléments précipite les
évènements de la campagne de 1893-1894. C’est tout d’abord la scission des ministères
de la Marine et des Colonies, devenus des administrations distinctes en janvier 1893.
Cette réforme se traduit par l’envoi au Soudan français d’un administrateur civil, M.
Albert Grodet, comme gouverneur de la colonie à la place d’Archinard. Cette décision
annonce la fin du monopole des « Soudanais ». Mais Archinard en détourne l’esprit
avant son départ en laissant à son intérimaire, le lieutenant-colonel Bonnier, des
consignes l’encourageant à croire qu’il est autorisé à marcher sur Tombouctou malgré
les instructions contraires du gouvernement37. Il dispose pour cela d’un second efficace
en la personne du lieutenant-colonel du génie Joseph Joffre, chargé des travaux de la
voie ferrée Kayes-Bamako. De son côté, Boiteux est aussi autorisé à aller jusqu’à
Tombouctou, et l’annonce du retour prochain d’Émile Hourst, à la tête d’une expédition
qui passera nécessairement devant « la perle du désert », l’incite à se hâter de crainte
d’être devancé38. Dans cette course de vitesse, c’est Boiteux qui a le plus d’avance. Il
appareille à la fin du mois de novembre avec le Niger et le Mage, chacun tirant un
chaland de ravitaillement. Arrivé à Korioumé le 4 décembre, il profite d’une crue
exceptionnelle qui va servir ses plans de façon décisive. Grâce à elle, en effet, il peut
emprunter le marigot qui mène à Kabara, un village à partir duquel Tombouctou est à
portée de ses canons. Dans la ville, la situation est tendue. Les habitants sont prêts à se
débarrasser des Touaregs qui les rançonnent, mais ils hésitent à changer de protecteurs
au vu du petit nombre de Français présents. Procédant par intimidation, Boiteux
parvient cependant à obtenir, le 15 décembre, la signature d’un « traité » plaçant la
ville sous autorité française. Encerclé par plusieurs tribus touarègues, sa situation reste
cependant critique39. Il met la ville en état de défense en levant une petite milice et en
érigeant deux fortins protégés par des abatis d’épineux. Il fait aussi tirer à vue sur les
Touaregs avec les deux petits canons de 37 mm qu’il a apportés. Mais sa position reste
celle d’un conquérant prisonnier de sa conquête. La flottille au mouillage est encore
plus vulnérable, gardée par seulement sept marins français et une vingtaine de laptots
sous les ordres de l’enseigne de vaisseau Léon Aube40. Le 28 décembre, ce dernier se
laisse entraîner, avec le second-maître Le Dantec et une quinzaine de laptots, à
poursuivre en pirogues une colonne de Touaregs qui les attire dans une embuscade, à
mi-chemin de Tombouctou à Kabara. Repoussés dans un marigot marécageux, ils sont
massacrés, noyés ou engloutis dans les sables mouvants 41. Arrivé sur les lieux, Boiteux
ne peut secourir que deux survivants indigènes et, le lendemain, reprendre Kabara
occupé par l’ennemi. Mais les Français restent particulièrement exposés à une attaque
de nuit contre la flottille ou contre la ville. Boiteux s’efforce pourtant de préserver les
communications entre les deux, en effectuant des sorties quotidiennes couvertes par
les canons de 37mm dont les petits projectiles, éclatant au dessus des groupes adverses,
ont un effet dévastateur. Le 2 janvier 1894, l’annonce de l’éloignement du gros des
tribus semble porteuse de succès, et le 4 janvier on ne déplore plus d’accrochages entre
Kabara et Tombouctou.
20 La prise de Tombouctou n’est pas achevée pour autant. Dès qu’il apprend l’action du
marin, le lieutenant-colonel Bonnier met sa colonne de deux cent hommes en
mouvement à marche forcée, puis portée par une flottille de trois cent pirogues. Il
arrive à Tombouctou le 10 janvier et a immédiatement une conversation orageuse avec
Boiteux au terme de laquelle il le sanctionne de quarante-cinq jours d’arrêts et lui
ordonne de regagner Ségou42. Puis il part lui-même pourchasser les Touaregs avec trois
sections, sans doute à la recherche d’un succès personnel. Dans la nuit du 15 janvier, il

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est surpris à son bivouac de Tacouboro et attaqué par une forte troupe ennemie
infiltrée au plus près du campement : la surprise est totale et le détachement est
exterminé43. La situation est redevenue incertaine et il faut l’arrivée des quatre cent
hommes de la colonne de Joffre pour la rétablir définitivement. Ainsi, selon la valeur
décisive qu’on accorde à leur action, chacun de ces hommes, Boiteux, Bonnier, Joffre,
peut donc être considéré comme le « conquérant de Tombouctou », même s’il
conviendrait sans doute de parler de « conquérants par voie hiérarchique » pour les
deux derniers.
21 Quoi qu’il en soit, la victoire est amère pour les marins du Niger qui se trouvent pris
dans un enchaînement de polémiques. À commencer par leur chef, le lieutenant de
vaisseau Boiteux, qui doit répondre des accusations d’insubordination portées contre
lui avant sa mort par le lieutenant-colonel Bonnier44. Il conteste la version selon
laquelle il aurait été la cause de la marche des colonnes Bonnier et Joffre, envoyées
pour le sauver, et dénonce l’accusation de désobéissance contenue dans le rapport de
Bonnier en affirmant que plusieurs de ses dépêches ont été gardées par le commandant
supérieur du Soudan par intérim, puis perdues45. De fait, dans cette affaire, la Marine
admet ne pas avoir été informée par les Colonies des instructions données à ses
officiers et des rapports qu’ils émettent46. Boiteux demande donc à faire l’objet d’une
enquête pour établir sa bonne foi. Il subit par ailleurs les critiques de la presse, à
laquelle il fournit l’occasion de rappeler messieurs les officiers à « l’esprit d’obéissance
et de discipline »47. Mais, s’il se fait un devoir de répondre point par point à ses
détracteurs, il est jugé « un peu aigri par ses déboires non mérités ( ?) pendant la
campagne du Soudan où il a fait preuve d’intelligence et d’audace » par un de ses
supérieur qui le propose, en compensation, pour la croix de la Légion d’honneur 48. Le
22 septembre 1897, il se suicide à Grenoble, juste avant son mariage, sans qu’on puisse
établir un lien entre cet acte et une quelconque « fêlure » soudanaise.
22 Le lieutenant de vaisseau Hourst subit également par ricochet les conséquences de la
campagne de Tombouctou. Il est en effet détourné de son expédition hydrographique
pour prendre la tête de la flottille en mai 1894. Le premier avis qu’il émet sur les
canonnières est qu’elles ne sont plus utilisables en l’état : la coque du Mage est pourrie
et la navigation à vapeur des deux bâtiments présenteraient des dangers. Pour Hourst
et Boiteux, sans doute désireux de voir la Marine conserver une présence sur le Niger, il
conviendrait de les transformer en chalands propulsés à la voile et à la perche 49. Joffre
les approuve, convaincu que la navigation à vapeur n’est pas praticable avant la
construction d’une voie ferrée susceptible d’approvisionner le Soudan en charbon 50.
Mais un malentendu s’installe sur la suite à donner à ce constat. Le gouverneur Albert
Grodet privilégie la dissolution de la flottille et le versement du matériel ainsi que
d’une partie du personnel sous son autorité. La Marine y est favorable à condition de
récupérer l’artillerie et l’essentiel de ses personnels, laissant quelque temps encore des
marins employés à conduire des convois de chalands, tel l’enseigne de vaisseau Baudry,
compagnon de Hourst. Mais pour ce dernier, il n’est pas question de désarmer la
flottille ou de disperser son personnel. Peut-être pense t-il pouvoir utiliser son matériel
pour ses projets scientifiques, mais il est possible qu’il n’apprécie tout simplement pas
la manière de faire de Grodet. Entre les deux hommes s’engage un véritable duel
épistolaire. Hourst s’appuie sur un argument fort : l’absence surprenante de consignes
venant de la Marine à son égard, alors que les rues Royale et Oudinot 51 ont de fréquents
échanges sur ce sujet. Soit que la flottille ait été oubliée, soit que la scission récente du
ministère ait coupé au passage quelques courroies de transmission bureaucratiques. Le

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marin accuse carrément l’administrateur de bafouer ses droits de commandant et de


l’empêcher, « par malveillance », d’en accomplir les devoirs 52. Pour refuser la refonte
des canonnières, il se fonde sur l’article 269 du règlement de 1885 qui interdit au
commandant d’un bâtiment de procéder à des transformations 53 et réclame un ordre du
ministre de la Marine54. L’accuse-t-on d’immobiliser des ressources non négligeables, ne
serait-ce que pour assurer la protection de son mouillage et il menace de conduire ses
bâtiments, chargés du plus de matériel possible « en un point où la garnison existante
pourra défendre la flottille », d’enterrer le reste, de disperser ses hommes et de rester
seul avec un laptot pour assurer leur entretien55. Enfin, il porte une accusation grave à
l’encontre du gouverneur du Soudan en se plaignant de ne plus être ravitaillé. Après
une brève enquête auprès des services concernés, Albert Grodet conclut à la recherche
de « quelque scandale retentissant », dont le but final reste cependant obscur 56.
23 Ce n’est que par un courrier daté du 1er juin 1895, que le ministère de la Marine met fin
à la controverse en supprimant la flottille. Émile Hourst peut se consacrer à nouveau à
la descente du Niger, qu’il explore avec succès jusqu’à son embouchure en 1896. Quand
au Mage et au Niger, ils sont rayés des listes et laissées à la disposition du service
colonial57. Un dernier officier de marine, l’enseigne de vaisseau Detroyers, est mis à
disposition du gouverneur pour renflouer les deux anciennes canonnières et les
conduire aux bassins de Ségou58. Transformées en chalands, elles naviguent aux côtés
d’une nombreuse batellerie chargée du ravitaillement des troupes engagées dans la
pacification du Nord-Soudan, puis dans la conquête saharienne. Ainsi, en 1896, le
service du ravitaillement et des mouvements de personnels de la colonie du Soudan
français est assuré par pas moins de 4 chalands en aluminium jaugeant 50 tonnes,
10 chalands en acier de 4,5 tonnes, 100 chalands en bois de 1,5 tonnes et 40 pirogues
d’environ 500 kg59. Les chantiers, ateliers et bassins de Bamako, Koulikoro et Ségou, qui
construisent ou entretiennent cette flottille logistique, restent donc, encore pour un
temps, les témoins de ce qui fut une des opérations les plus éloignées de la mer qu’ait
conduite la Marine à travers l’expérience vécue par les marins-pionniers du Soudan
français…

NOTES
1. L’infanterie de marine est issue des compagnies ordinaires de la mer créées en 1622 par
Richelieu, tandis que les deux premières compagnies d’artillerie de marine sont créées à Brest et
à Toulon en 1692 ; ces deux armes sont rattachées au ministère de la guerre en 1900 sous le nom
d’infanterie et d’artillerie coloniale.
2. Carrefour de nombreuses voies commerciales transsahariennes, cité légendaire depuis le
Moyen Âge et interdite aux chrétiens, la « perle du désert » continue de hanter les imaginations.
Pourtant, Tombouctou « la mystérieuse » ne l’est plus depuis la description désabusée qu’en fit,
en 1828, le premier Européen à en revenir, René Caillié : « Revenu de mon enthousiasme, je
trouvais que le spectacle que j’avais sous les yeux ne répondait pas à mon attente ; je m’étais fait
de la grandeur et de la richesse de cette ville une tout autre idée ; elle n’offre au premier aspect
qu’un amas de maisons en terre mal construites : dans toutes les directions, on ne voit que des

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plaines immenses de sables mouvants, d’un blanc tirant sur le jaune et de la plus grande aridité ».
Et en effet, Tombouctou n’est, au moment de la conquête française, qu’un gros bourg de 7 000
habitants environ.
3. Citons quelques-uns des noms typiques de ces bâtiments méconnus : Serpent, Basilic, Crocodile,
Griffon, Marabout, Africain, Arabe, Dialmath, Podor. Source : http://dossiersmarine.free.fr/
fs_av_A7.html, consulté en ligne le 11 mai 2013.
4. Médine, l’avant-poste de la colonisation française en Afrique de l’Ouest en 1855, est à 900 km
de la côte.
5. On nomme à l’époque Soudan français le territoire du moyen Niger correspondant au Mali de
nos jours.
6. L’intérêt pour le coton est alors aiguisé par la hausse des prix consécutive à la guerre de
Sécession.
7. Louis Faidherbe, « L’avenir du Sahara », Revue Maritime et Coloniale, juin 1863, cité par Eugène
Mage, Voyage dans la Soudan occidental (Sénégambie-Niger), 1863-1866, Paris, Librairie Hachette & Cie,
p. 1.
8. Ibid., p. 2.
9. Ibid., p. 12
10. Ibid., p. 16
11. Ségou, ancienne capitale de l’empire peul du Macina, est conquise par l’empire Toucouleur le
10 mars 1861.
12. En 1864, Eugène Mage reçoit la médaille d’or de la Société de géographie pour son voyage au
pays de Ségou.
13. Cité par Émile Caron, La marine au Niger, Paris, Baudoin, 1888, p. 5.
14. Menée par le lieutenant-colonel Paul Flatters, cette expédition, volontairement limitée en
hommes pour ne pas susciter la crainte des Touaregs, est massacrée par eux, le 16 février 1881, à
Bir-al-Galama (Algérie).
15. Julie d’Andurain, La capture de Samory (1898). L’achèvement de la conquête de l’ouest en Afrique,
Paris, SOTECA, 2012, p. 77 et p. 123.
16. Gouverneur du Sénégal de 1876 à 1881, Brière de l’Isle est successivement inspecteur
(1882-1883), inspecteur général adjoint (1886-1891) et inspecteur général de l’infanterie de
Marine (1892-1893). Subordonné du précédent de 1876 à 1881, Gallieni devient gouverneur
général du Soudan français de 1886 à 1891. Commandant du Haut-Sénégal de 1880 à 1883,
Borgnis-Desbordes ouvre définitivement la voie du Niger. Enfin, subordonné du précédent de
1880 à 1884, Archinard est successivement commandant supérieur du Soudan de 1888 à 1889,
gouverneur du Haut-Sénégal et du Niger en 1891 et gouverneur du Niger de 1892 à 1893.
17. L’empire Wassoulou (1878-1898) est fondé par Samory Touré dans la région du haut Niger.
Disposant d’une armée importante, disciplinée et armée de fusils modernes fournis par les
colonies britanniques, c’est le principal adversaire de la France en Afrique de l’Ouest à l’époque.
18. Daniel Grévoz, Les canonnières de Tombouctou : les Français à la conquête de la cité
mythique, 1870-1894, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 74-77.
19. L’explorateur écossais Mungo Park (1771-1806) a reconnu le Niger de Bamako à Boussa,
localité près de laquelle il meurt noyé en tentant d’échapper à ses agresseurs.
20. Émile Caron (LV), De Saint-Louis au port Tombouctou : voyage d’une canonnière française,
Paris, Augustin Chalamel, 1891, p. 65.
21. Il livre le compte-rendu détaillé de cet exploit technique dans la deuxième partie de son
ouvrage La Marine au Soudan, op. cit. p. 17-30.
22. Ancêtre de l’actuel Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM).
23. Le précédent Mage, déclassé, sert de bâtiment utilitaire sous le nom de Faidherbe.
24. Le 5 août 1890, la convention franco-anglaise fixe à Saï la limite de l’influence française sur le
Niger.

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25. Jean-Gilbert Jaime, De Koulikoro à Tombouctou sur la canonnière Le Mage, Paris, Les libraires
associés, 1894, p. 164.
26. Daniel Grévoz, op. cit., p. 105.
27. « Lettre du chef d’escadron Archinard au gouverneur du Sénégal », le 3 novembre 1889.
Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Hourst, SHD/MV, CC 7 4e moderne 44/4.
28. Jean-Gilbert Jaime, op. cit, p. 367.
29. Ibid., p. 370.
30. Ibid., p. 400.
31. « Lettre du chef d’escadron Archinard au Gouverneur du Sénégal », le 10 février 1889. Dossier
individuel du lieutenant de vaisseau Émile Hourst, SHD/MV, CC 7 4e moderne 44/4.
32. « États de service du lieutenant de vaisseau Émile Hourst ». Dossier individuel du lieutenant
de vaisseau Émile Hourst, SHD/MV, CC7 4e moderne 44/4.
33. Marie-Christine Hourst-Duvoux, Exploration du lieutenant de vaisseau Hourst en Afrique, Service
historique de la Marine, Vincennes, 1992, p. 38-40.
34. « Bulletin de notation individuelle de 1892 ». Dossier individuel du lieutenant de vaisseau
Henri Boiteux, SHD/MV, CC7 2e moderne 25/2.
35. « États de service du lieutenant de vaisseau Henri Boiteux ». Dossier individuel du lieutenant
de vaisseau Henri Boiteux. SHD/MV, CC7 2e moderne 25/2.
36. Voir en particulier le chapitre de XII de l’ouvrage de Jean-Gilbert Jaime, op. cit.
37. Daniel Grévoz, op. cit., p. 119-121.
38. « Lettre du lieutenant de vaisseau Hourst au colonel Archinard, le 7 octobre 1893 ». Archives
nationales d’Outre-mer [passim ANOM], série géographique, Soudan XVI/4.
39. « Compte-rendu du lieutenant de vaisseau Boiteux au commandant militaire du Soudan, le
11 janvier 1894. » Archives nationales d’outre-mer, Série géographique, Soudan V/2.
40. L’enseigne de vaisseau Aube est le fils de l’amiral Théophile Aube, ministre de la Marine du
7 janvier 1886 au 29 mai 1887.
41. « Compte-rendu du lieutenant de vaisseau Boiteux au commandant militaire du Soudan », le
30 décembre 1893. ANOM, Série géographique, Soudan V/2.
42. « Lettre du lieutenant-colonel Bonnier au Gouverneur du Soudan », le 11 janvier 1894.
Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri Boiteux, SHD/MV, CC7 2 e moderne 25/2.
43. On déplore la perte de 10 officiers, dont le lieutenant-colonel Bonnier, 2 sous-officiers et 68
tirailleurs. Seuls 1’officier, 2 sous-officiers et 8 tirailleurs ont pu s’enfuir. « Tombouctou :
occupation de Tombouctou, lutte contre les Touaregs ». SHD/GR, 15H 35/2.
44. « Lettre du lieutenant de vaisseau Boiteux, sur les accusations d’insubordination après la
prise de Tombouctou », le 26 août 1894. Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri
Boiteux, SHD/MV, CC7 2e moderne 25/2.
45. « Lettre du lieutenant de vaisseau Boiteux à monsieur le ministre de la Marine », 26 août
1894. Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri Boiteux, SHD/MV, CC7 2 e moderne 25/2.
46. « Lettre du contre-amiral, directeur du personnel au ministre de la Marine », le 4 janvier
1898. Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri Boiteux, SHD/MV, CC7 2 e moderne 25/2.
47. L’Éclair, le 6 août 1897. Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri Boiteux, SHD/MV,
CC7 2e moderne 25/2.
48. « Bulletin individuel de notation 1896 ». Dossier individuel du lieutenant de vaisseau Henri
Boiteux, SHD/MV, CC7 2e moderne 25/2.
49. « Lettre du lieutenant de vaisseau Hourst au commandant supérieur du Soudan », le 5 février
1894. ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.
50. « Lettre du commandant supérieur du Soudan au Gouverneur du Soudan français », le 19 mai
1894. ANOM, série géographique, Soudan XVI/3.
51. Adresses respectives des ministères de la Marine et des Colonies.

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52. « Copie d’une lettre du lieutenant de vaisseau Hourst au ministre de la Marine », annotée par
le gouverneur du Soudan, le 9 janvier 1895. ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.
53. « Lettre du lieutenant de vaisseau Hourst au commandant supérieur de la région nord du
Soudan et au gouverneur du Soudan », le 28 janvier 1895. ANOM, série géographique, Soudan
XVI/ 3.
54. « Lettre du lieutenant de vaisseau Hourst au gouverneur du Soudan », le 21 février 1895.
ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.
55. « Lettre du lieutenant de vaisseau Hourst commandant supérieur de la région nord du
Soudan et au gouverneur du Soudan », le 28 février 1895. ANOM, série géographique, Soudan
XVI/ 3.
56. « Lettre du gouverneur du Soudan Albert Grodet au ministre des Colonies », le 25 mai 1895.
ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.
57. « Lettre du ministre de la Marine au ministre des Colonies », le 1 er juin 1895. ANOM, série
géographique, Soudan XVI/ 3.
58. « Lettre du lieutenant-colonel Trentigniant, lieutenant-gouverneur au ministre des
Colonies », le 8 août 1895. ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.
59. « Rapport de la direction de la défense du ministère des Colonies au ministre », le 16 mars
1896. ANOM, série géographique, Soudan XVI/ 3.

RÉSUMÉS
Amorcée en 1854 par le général Faidherbe depuis le Sénégal, la colonisation française de l’Afrique
de l’ouest s’accélère à partir de 1878 pour ne s’arrêter qu’avec l’unification de ses possessions au
sein de l’Afrique occidentale française (AOF), en 1895. D’un point de vue militaire, la conquête est
principalement le fait des troupes d’infanterie et d’artillerie de Marine, auxquelles sont associés
les régiments de tirailleurs sénégalais nouvellement créés, mais des bâtiments sont également
armés par la Marine pour servir sur les fleuves, voies de pénétration naturelles vers l’intérieur du
continent africain. Ainsi, de 1884 à 1895, une petite flottille de canonnières est amenée du
Sénégal sur le Niger par voie terrestre, au prix d’un important effort logistique. Là, dans leur
triple rôle d’explorateurs, d’agents d’influence et de militaires, les marins participent activement
à la conquête du Soudan français jusqu’à la soumission de Tombouctou.

Initiated in 1854 by General Faidherbe from Senegal, the French colonization of West Africa
accelerated from 1878 and stopped only with the unification of their possessions in French West
Africa (AOF) in 1895. From a military point of view, the conquest was made mainly by naval
infantry and artillery, with which were associated the newly created regiments of Senegalese
riflemen, but boats were also armed by the Navy to serve on rivers, natural pathways into the
interior of Africa. Thus, from 1884 to 1895, a small flotilla of gunboats was brought on the Niger
from Senegal , at the price of a major logistical effort. There, in the triple role of explorers,
agents of influence, and military, marines participated actively in the conquest of the French
Sudan until the surrender of Timbuktu.

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INDEX
Mots-clés : flotille du Niger, marine, Soudan

AUTEURS
DOMINIQUE GUILLEMIN
Professeur certifié d’histoire en charge au sein du département des études et de l’enseignement
du service historique de la Défense, de l’étude sur la Marine et les opérations extérieures depuis
1962 commandée par le chef d’état-major de la Marine. Il prépare parallèlement une thèse de
doctorat d’histoire à l’université de Paris –I sur le réseau des attachés navals français dans
l’entre-deux-guerres.

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Panorama des troupes coloniales


françaises dans les deux guerres
mondiales
An overview of French colonial troops in the two world wars

Éric Deroo et Antoine Champeaux


Traduction : Robert A. Doughty

La Première Guerre mondiale


Les militaires indigènes de l’armée d’Afrique

À la veille de la Grande Guerre, tirailleurs, spahis et goumiers indigènes côtoient les


unités composées de métropolitains de l’armée d’Afrique, légion étrangère, zouaves,
chasseurs d’Afrique et infanterie légère d’Afrique. Le défilé du 14 juillet qui se déroule
traditionnellement à Longchamp, voit en 1913 s’affirmer le rôle des troupes issues de
l’Empire. Les unités de tirailleurs algériens récemment créées notamment reçoivent
leurs drapeaux.
À la déclaration de guerre, les troupes stationnées en Afrique du Nord sont engagées
dans les opérations au Maroc tout en poursuivant leur mission de maintien de la
souveraineté française en Algérie. Des régiments de marche sont mis sur pied pour
répondre à l’ordre de mobilisation. Trois divisions d’infanterie, la 3 e brigade du Maroc
et la brigade des chasseurs indigènes sont envoyées sur le front dès les mois d’août et
septembre 1914 : 25 000 tirailleurs algériens sont ainsi acheminés vers les frontières du
nord-est. La plupart sont des engagés. Ce sont les premiers des 170 000 indigènes –
33 000 déjà sous les drapeaux, 80 000 appelés et 57 000 engagés volontaires – que
l’Algérie fournira au cours de la Grande Guerre. En effet, la « guerre totale » oblige
rapidement à recourir à la conscription (déjà introduite en Algérie en 1913) puis
fréquemment au recrutement forcé qui entraîne, en Algérie notamment, de
nombreuses révoltes. La Tunisie et le Maroc fournissent également leur contingent de

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combattants : 62 400 Tunisiens et près de 37 000 Marocains combattent sur tous les
fronts de France et sur le front d’Orient.
Les cinq bataillons de chasseurs indigènes regroupés dans la brigade marocaine sont
jetés dans la bataille de la Marne à peine débarqués. Les rescapés de la brigade forment
le 1er régiment de marche de tirailleurs marocains. Les nécessités de la guerre amènent
à la constitution de nouvelles unités de l’armée d’Afrique : sept régiments de marche
sont ainsi créés en 1918 et deux régiments mixtes de zouaves et de tirailleurs.
L’armée d’Afrique fournit également, à partir de 1915, une bonne part des troupes
envoyées contre les Turcs aux Dardanelles, puis combattre, au sein de l’armée d’Orient,
les Allemands, les Autrichiens et les Bulgares. En 1918, la 1 re brigade de tirailleurs
marocains, renforcée de deux escadrons de spahis, attaque de flanc l’armée de
von Kluck. Uskub est prise par la brigade Jouinot-Gambetta composée du 1 er régiment
de spahis marocains et des 1er et 4 e régiments de chasseurs d’Afrique. Le maréchal
von Mackensen, commandant en chef du front sud-oriental, est fait prisonnier et la
Bulgarie demande l’armistice. Intégré à l’armée du général Allenby en 1917, le
détachement français de Palestine-Syrie, qui compte des tirailleurs, des chasseurs
d’Afrique et des spahis, participe à la prise de Damas avant de rejoindre le Liban.
140 000 Maghrébins participent également à l’effort de guerre dans l’industrie ou
l’agriculture. À la fin de la guerre, les unités de tirailleurs maghrébins figurent parmi
les plus décorées de l’armée française. Leurs pertes s’élèvent à 25 000 tués pour les
Algériens, 9 800 pour les Tunisiens et 12 000 pour les Marocains, sans oublier des
dizaines de milliers de grands blessés et d’invalides.

Les Indochinois

À la mobilisation, les unités stationnées en Indochine regroupent le 11 e régiment


d’infanterie coloniale (RIC), constitué d’Européens dont les 4 bataillons stationnent en
Cochinchine ; les 9e et 10 e RIC, européens également, avec 6 bataillons au total
implantés au Tonkin ; 1 régiment de tirailleurs annamites à 4 bataillons et 4 régiments
de tirailleurs tonkinois (RTT) à 3 bataillons ; le 4 e régiment d’artillerie coloniale (RAC) à
7 batteries au Tonkin et le 5e RAC à 12 batteries en Cochinchine, sans oublier deux
compagnies indigènes du génie et des unités supplétives ou de police. Tous ces
régiments restent en Indochine pendant le Grande Guerre et n’interviennent pas en
métropole. Ils fournissent de nombreux cadres, gradés et tirailleurs qui rejoignent la
métropole ou le front d’Orient pour participer aux opérations.
Dès 1912, l’emploi des Indochinois lors d’une guerre en Europe est envisagé et le
général Pennequin estime même pouvoir mobiliser jusqu’à 20 000 hommes. Chiffre jugé
exagéré sur le moment mais qui se révèle bien inférieur à la réalité puisque près de
100 000 Indochinois sont dirigés vers la France durant la Grande Guerre, en majorité
employés à des travaux sur le front ou à l’arrière, dans les usines et jusque dans les
jardins du château de Versailles transformés en maraîchers.
Un premier contingent d’Indochinois recrutés comme infirmiers ayant donné
satisfaction, les troupes coloniales s’emploient ensuite à recruter massivement des
tirailleurs intégrés dans des bataillons d’étapes, chargés de travailler au soutien des
opérations à proximité immédiate du front : construction et entretien des routes et des
voies ferrées, acheminement du ravitaillement, aménagement des cantonnements. De
1916 à 1918, 43 430 tirailleurs indochinois sont ainsi acheminés sur les arrières du front

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français et du front d’Orient : 24 212 au sein de 15 bataillons d’étapes, 9 019 Indochinois


comme infirmiers coloniaux, près de 5 000 comme conducteurs et un grand nombre
comme ouvriers d’administration.
4 800 tirailleurs sont également affectés au front, au sein de 4 bataillons combattants,
les 7e et 21 e bataillons de tirailleurs indochinois en France ; les 1 er et 2 e BTI en Orient.
Formé à Sept Pagodes le 16 février 1916, entraîné jusqu’en avril 1917 dans les camps du
sud-est à Fréjus, le 7e BTI est affecté à la 19e division et voit ses compagnies amalgamées
aux différents régiments d’infanterie dont il renforce les effectifs. Il participe aux
combats du Chemin des Dames, en mai 1917, et des Vosges, en juin 1918. Embarqué à
Marseille, il est dissous le 1er décembre 1919. Le 21e BTI est formé dans les camps de
Saint-Raphaël le 1er décembre 1916. Employé en avril 1917 à la garde des terrains
d’atterrissage et à la réfection des routes dans l’Aisne, il est également chargé
d’opérations d’assainissement du champ de bataille. De mai à juillet 1917, il repousse
différents coups de main dans les Vosges. Il est dissous le 18 avril 1919. En Macédoine,
le 1er BTI débarque à Salonique le 10 mai 1916, rejoint Monastir en août 1917, combat en
octobre et repousse des attaques autrichiennes en juillet 1918 et bulgares en août. Il
quitte Salonique le 30 janvier 1919. Formé avec des tirailleurs instruits en provenance
du 3e RTT, le 2 e BTI est d’abord affecté au camp retranché de Salonique en mai 1916. Il
participe ensuite aux opérations, en août 1916 sur la Struma, puis de novembre 1916 à
1918 en Albanie, effectuant attaques, contre-attaques et coups de main contre les
armées albanaises, autrichiennes et bulgares. Parmi les combattants indochinois, 1 123
hommes sont morts au combat.
Parallèlement aux tirailleurs indigènes, l’administration s’emploie également à
recruter en Indochine des travailleurs coloniaux : 4 631 en 1915, 26 098 en 1917, 11 719
en 1917, 5 806 en 1918 et 727 en 1919, soit un total de 48 981 travailleurs venus en
complément des tirailleurs indochinois. Administrés par le service des travailleurs
coloniaux, ces hommes sont encadrés de façon militaire et employés tout aussi bien
comme ouvriers non spécialisés que comme spécialistes, y compris dans les nouvelles
technologies de l’époque, dans l’industrie automobile ou aéronautique où leur
« habileté » reconnue trouve à s’employer avec efficacité.
À l’issue de la Grande Guerre, un petit nombre d’Indochinois choisit de rester en
France. Nul doute que lors de leur passage en France, un certain nombre de tirailleurs
et d’ouvriers indochinois ont trouvé dans la fréquentation des Européens matière à
réflexion sur leur statut de sujets coloniaux, renforçant leur nationalisme séculaire et
confortant leur souhait d’accéder à l’émancipation et à l’indépendance.
Mentionnons enfin que deux compagnies du 9e régiment d’infanterie coloniale entrent
dans la composition du bataillon colonial sibérien qui combat en 1918 et qui est cité à
l’ordre de l’armée.

Les soldats des « Vieilles colonies », du Pacifique et des Indes

La conscription dans les « vieilles colonies » (Guadeloupe, Guyane, Martinique,


Réunion) est sans cesse revendiquée comme un droit, une marque d’égalité, par leurs
parlementaires, en particulier Gratien Candace, mais ce n’est qu’en octobre 1913 que la
loi sur le recrutement militaire de 1905 est appliquée à leurs habitants. Citoyens
français depuis 1848, les conscrits sont incorporés dans les rangs des régiments
d’infanterie coloniale du midi de la France. Dès août et septembre 1914, des

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Guadeloupéens tombent lors de la bataille des frontières ou sur la Marne ; les sergents
Bambuck et Antenor de Grand-Bourg et le caporal Pitot de Basse-Terre figurent parmi
les premiers morts de la Grande Guerre. Début 1915, 12 150 Antillais sont recensés et un
premier contingent s’embarque pour la métropole. De 1914 à 1918, 101 600
Martiniquais, Guadeloupéens, Guyanais sont recensés, 28 984 incorporés et 16 880
dirigés vers les zones des armées ; La Réunion mobilise 6 000 de ses fils. Au total, 2 556
natifs des « Vieilles colonies » ne reviendront pas de la guerre. Quant aux possessions
du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie fournit au front 1 134 volontaires mélanésiens dont
374 trouvent la mort au champ d’honneur et 167 sont blessés ; sur les 2 290 hommes du
bataillon du Pacifique recrutés en Polynésie, 332 sont tués au front. D’autres hommes
encore servent dans les troupes du corps expéditionnaire australien et néo-zélandais
(ANZAC) qui connaît de très lourdes pertes sur le front d’Orient. Des travailleurs sont
également requis. Les comptoirs des Indes, Pondichéry, comptent près de 800 recrutés,
500 combattants et 75 tués.

Les Malgaches et Comoriens

Plus de 30 000 tirailleurs malgaches participent à la guerre tandis que 5 355 travailleurs
œuvrent dans les usines d’armement ou les chantiers de la Défense nationale. Parmi les
combattants, 10 000 hommes sont incorporés dans les régiments d’artillerie lourde et
2 500 servent comme conducteurs d’automobile.
Les autres mobilisés forment 21 bataillons d’étapes, indispensables à l’entretien des
voies et à l’approvisionnement des premières lignes. Plusieurs d’entre eux sont
cependant engagés directement au front, dont le 1er bataillon venu de Diego-Suarez en
1915 et surtout le 12e bataillon. Mis sur pied en octobre 1916 à partir des 12 e et 13 e
compagnies malgaches, il compte également une compagnie comorienne. Envoyé sur le
front de l’Aisne en 1917, il s’y couvre de gloire en particulier lors des combats de la
tranchée de l’Aviatik où il perd 13 Européens et 74 Malgaches et Comoriens. Le
21 septembre 1917, il repousse un assaut des troupes allemandes dans le bois de
Mortier. En mai, le bataillon défend Villeneuve-sur-Fère où tombe le chef de bataillon
Groine. Après avoir reçu une autre citation, l’unité est affectée à la division marocaine
et le 18 juillet s’empare du village de Dommiers, perdant 10 officiers et 126 hommes.
Une nouvelle citation lui permet alors de porter la fourragère aux couleurs du ruban de
la croix de guerre. Une dernière fois cité pour ses faits d’armes, le 12 e BTM, très
éprouvé, est affecté dans un secteur du front des Vosges jusqu’à la fin de la Guerre. En
égard à sa valeur, le bataillon est transformé en août 1918 en 12 e bataillon de chasseurs
malgaches, puis en janvier 1919 en 1er régiment de chasseurs malgaches. De son côté,
un 4e BTM participe à l’avance des troupes franco-serbes sur le front de Macédoine. Au
cours de la Grande Guerre, les Malgaches et Comoriens perdent 3 010 tués et 1 835
blessés.

Les Sénégalais

À la veille de la guerre, les tirailleurs sénégalais comptent deux bataillons en Algérie,


treize au Maroc, un à Madagascar ; en AOF, les 1er, 2e, 3e, 4e régiments à 3 bataillons
chacun, deux autres bataillons formant corps et en AEF le régiment du Tchad à trois
bataillons et celui du Gabon à deux bataillons. Au total 35 bataillons, soit 30 000
hommes, dont 14 000 en Afrique noire et 16 000 à l’extérieur. Dès août et

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septembre 1914, un régiment de tirailleurs sénégalais du Maroc à trois bataillons, un


régiment mixte d’infanterie coloniale du Maroc à deux bataillons, deux bataillons
venant d’Algérie et un régiment de marche du Sénégal à trois bataillons sont acheminés
en France. Ces 10 bataillons, de valeur très inégale, chacun à quatre compagnies de 200
hommes, alignent ainsi 8 000 combattants. Engagés dès fin septembre en Picardie, en
Artois, en octobre dans l’Aisne, les bataillons de tirailleurs sénégalais (BTS) connaissent
de lourdes pertes liées à leur inexpérience et aux pathologies infectieuses. En
décembre, la conduite des vieux bataillons du Maroc à Ypres et à Dixmude est héroïque.
Les pertes sont éloquentes, le tiers des effectifs étant mis hors de combat. Devant un tel
bilan, tous les Sénégalais sont retirés du front et provisoirement cantonnés dans le Midi
et au Maroc. Les camps rapidement saturés – 13 000 hommes en avril 1916, 28 000 en
mai, 45 000 début 1917 –, les unités sont dirigées vers l’Algérie et la Tunisie tandis qu’un
nouveau lieu, d’une capacité de 10 000 tirailleurs, Le Courneau, est choisi en 1916 près
de Bordeaux. Avec l’enlisement de la guerre et la mobilisation totale qu’elle entraîne,
de plus en plus d’effectifs sont demandés à l’Afrique. 10 000 hommes ont ainsi été levés
en 1914, 34 000 en 1915 et, en septembre 1915, on estime que l’AOF devrait encore
pouvoir fournir 50 000 hommes. Par ailleurs, un corps expéditionnaire est formé pour
le front d’Orient, qui compte 18 000 tirailleurs africains dont 8 000 sont tués, blessés,
malades ou portés disparus. En 1917, sur le front français, l’armée coloniale aligne près
de 80 BTS répartis entre le front, les camps et les services de l’arrière. Depuis 1915, plus
de 6 000 citoyens des Quatre Communes du Sénégal (Dakar, Gorée, Rufisque et Saint
Louis) ont rejoint le front.
D’avril à mai 1917, dans l’Aisne, sur le Chemin des Dames, 35 BTS (environ 30 000
hommes) participent aux vaines attaques. Les pertes subies sont sévères ; sur 16 000
tirailleurs, plus de 7 500 sont hors de combat. En janvier 1918, Clemenceau confie au
député africain Blaise Diagne, la mission de recruter encore des hommes en Afrique
malgré les nombreuses révoltes contre les enrôlements forcés. Plus de 70 000 Africains
répondent à l’appel. Ainsi, en 1918, l’état-major dispose de plus de 40 BTS en France
(40 000 soldats), 14 de réserve en Algérie et en Tunisie, 13 au Maroc, 27 en Orient.
Subissant de plein fouet l’offensive allemande lancée en mars 1918, les tirailleurs ont
une conduite héroïque devant Reims, qu’ils sauvent en juillet. Il faut également signaler
que de nombreuses formations africaines servent en tant qu’unités de travailleurs
militaires.
De 1914 à 1918, 183 000 tirailleurs sont recrutés en Afrique noire (165 200 en AOF, soit
1,3 % de la population, et 17 000 en AEF), et que 134 000 sont envoyés en Europe et au
Maghreb. Les pertes s’élèvent à 29 000 tués et disparus et à 36 000 blessés. Les Quatre
Communes mobilisent 7 109 hommes dont 5 600 présents au front et déplorent 827 tués
et disparus.

Les tirailleurs somalis

Le bataillon somali est formé à Majunga, à Madagascar, le 11 mai 1916, avec des
éléments recrutés en Côte française des Somalis, aux Comores et sur la Corne de
l’Afrique. Rassemblé à Fréjus, le 10 juin 1916, il prend l'appellation de 1 er bataillon de
tirailleurs somalis. Affectés à la réfection des routes dans la région de Verdun, les
Somalis n'acceptent de faire le travail que sur la promesse d'être envoyés
prochainement au front. Il faudra plusieurs rapports du chef de l'unité rappelant à la
hiérarchie que les Somalis ont été recrutés non pas comme travailleurs mais bien

Revue historique des armées, 271 | 2013


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comme tirailleurs « en vue d'opérations de guerre » pour obtenir, en octobre 1916, la


mise sur pied d'une unité de marche qui est rattachée au régiment d'infanterie
coloniale du Maroc, le déjà prestigieux RICM.
Dès lors le bataillon somali constitue un bataillon de renfort du RICM et fait une entrée
en guerre remarquée en participant à l'assaut du régiment colonial du Maroc sur le fort
de Douaumont, le 24 octobre 1916. La reprise du fort a un retentissement considérable.
Le drapeau du RICM est décoré de la croix de la Légion d'honneur et obtient sa
troisième citation à l'ordre de l'armée. Les 2e et 4e compagnies de Somalis, associées au
RICM dans le texte de cette citation, reçoivent également la croix de guerre 1914-1916
avec une palme.
En mai 1917, les Somalis prennent part à l'attaque du Chemin des Dames, et le bataillon
obtient sa première citation, à l'ordre de la division. Il participe ensuite à la bataille de
l'Aisne et remporte au sein du RICM la victoire de la Malmaison, le 23 octobre 1917.
Pour la première fois, le bataillon de tirailleurs somalis est cité à l'ordre de l'armée. En
mai et juin 1918, les Somalis participent à la troisième bataille de l'Aisne au Mont-de-
Choisy. En octobre, pour la deuxième fois, l’unité est citée à l'ordre de l'armée. Avec
cette deuxième citation à l'ordre de l'armée, le 1er bataillon de tirailleurs somalis
obtient le droit au port de la fourragère aux couleurs du ruban de la croix de guerre
1914-1918. C’est la deuxième formation de tirailleurs à recevoir cette haute distinction.
De très nombreuses récompenses individuelles ont également été accordées aux
officiers, sous-officiers et tirailleurs qui ont éprouvé des pertes considérables : 562
combattants tués ; quant au nombre des blessés, les chiffres connus varient entre 1 035
et 1 200 blessés.

La Seconde Guerre mondiale


Les militaires indigènes de l’armée d’Afrique

La mobilisation de l’armée d’Afrique permet de disposer de 7 divisions d'infanterie


nord-africaines, 1 division marocaine, 4 divisions d'infanterie d'Afrique et 3 brigades de
spahis. On estime à 5 400 le nombre des Maghrébins tués sans que l’on connaisse celui
des blessés et disparus. 65 000 prennent le chemin de la captivité.
En Afrique du Nord, les généraux Weygand puis Juin préparent la reprise des combats
en dissimulant troupes et matériels. 21 000 goumiers sont dissimulés en employés civils
du Protectorat. Pendant ce temps, au sein des Forces françaises libres, les légionnaires
de la 13e DBLE (demie brigade de la Légion étrangère) et des tirailleurs nord-africains
livrent bataille en Érythrée, subissent les combats fratricides au Levant, avant de
s’illustrer à Bir Hakeim et El Alamein.
Le 8 novembre 1942, les Alliés débarquent en Afrique du Nord. En 1943, l'armée
d'Afrique reprend en Tunisie le combat interrompu en 1940. Le succès coûte 20 000
tués, blessés et disparus. En septembre 1943, le 1er régiment de tirailleurs marocains et
le 2e groupement de tabors marocains libèrent la Corse. Le réarmement décidé à Anfa
permet la constitution de 3 divisions blindées et de 5 divisions d'infanterie dont 2 des
troupes coloniales et 3 de l’armée d'Afrique : la 2e division d'infanterie marocaine
(DIM), la 3e division d'infanterie algérienne (DIA) et la 4 e division marocaine de
montagne (DMM). La fusion des Forces françaises libres et de l'armée d'Afrique est
réalisée au sein de la France combattante. La mobilisation générale permet de fournir

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118 000 Européens et 160 000 musulmans rappelés, qui s'ajoutent aux 224 000 hommes
déjà sous les armes. Placé sous les ordres du général Juin, le corps expéditionnaire
français en Italie se compose en 1943 des 2e DIM et 3e DIA qui montent en ligne au nord
de Cassino en janvier 1944. Au printemps 1944, la 4e DMM les rejoint. Elles montent à
l'assaut du Garigliano et entrent à Rome le 6 juin, avant de poursuivre vers Sienne.
Les grandes unités retirées d'Italie et de Corse ainsi que les 1 re et 5 e divisions blindées
venues d'Afrique du Nord forment l'armée B du général de Lattre qui comptent 260 000
militaires, dont la moitié issue de l’Empire. Tandis que coloniaux et artilleurs nord-
africains de la 2e DB s’illustrent de la Normandie à Paris, les premières unités
débarquent en Provence le 15 août 1944, de Sainte-Maxime à Cavalaire. Toulon et
Marseille sont libérés, puis c'est au tour de Lyon et Dijon. Le 12 septembre, les unités
venues de Normandie et celles de Provence se rejoignent. Belfort est atteint le
20 novembre. Puis c'est la bataille d'Alsace, dans les conditions extrêmes de froid.
Strasbourg et Mulhouse sont libérées. Début février 1945, les Français entrent dans
Colmar. À la mi-mars, la ligne Siegfried est percée et le Rhin franchi de vive force, la
poursuite reprenant vers Karlsruhe et Stuttgart. C'est en Autriche que l'armistice
arrête la progression. La victoire est acquise. Aux côtes des Alliés, le général de Lattre
reçoit le 8 mai 1945 la capitulation de l'armée allemande. Les pertes sont élevées : plus
de 13 000 tués dont les deux tiers de musulmans. Comme en 1918 et 1919, les unités
indigènes participent aux cérémonies de la Libération en 1944 puis de la Victoire en
1945.

Les Indochinois en France

En juin 1940, 15 000 tirailleurs et 20 000 ouvriers non spécialisés indochinois sont
acheminés en France. Bien qu’étant beaucoup moins nombreux que les tirailleurs
africains, ils tiennent leur place avec honneur dans les combats de 1940, servant dans
des unités de mitrailleurs, d’artillerie, antiaériennes, de pionniers, de travailleurs
militaires et des services. Composée de personnels européens et indochinois, la 52 e
demi-brigade de mitrailleurs d’infanterie coloniale (DBMIC) est mise sur pied à
Carcassonne, en septembre 1939, à 2 bataillons. Elle commence la campagne dans un
secteur du front d’Alsace avant d’être affectée à la 102e division d’infanterie de
forteresse, créée le 1er janvier 1940 pour la défense du front entre Monthermé et
Charleville, dans les Ardennes. Le 10 mai 1940, c’est une division mixte avec du
personnel européen, malgache et indochinois. Les 2 600 hommes de la 52 e DBMIC aux
ordres du colonel Barbe tiennent un front de 12 km le long de la Meuse entre Mézières
et Nouzonville. Appuyés par une artillerie obsolète et insuffisante, ils sont attaqués, dès
le 10 mai 1940, successivement par la XXIIIe division d’infanterie (DI) allemande puis
par la VIIIe Panzer, elles-mêmes appuyées par les redoutables Stukas. Le 13 mai au
matin, tous les points d’appui du secteur sont soumis à un bombardement d’artillerie
d’une extrême violence par les 72 pièces des deux régiments d’artillerie de la XXIII e DI.
Munis de leurs vieilles mitrailleuses Hotchkiss, les Indochinois, que les Allemands
prennent pour des Chinois, résistent avec acharnement et abnégation jusqu’au 15, en
dépit de pertes sévères. Sur quelque 2 000 hommes, environ 400 sont tués et 600
prisonniers. 500 combattants blessés sont évacués vers les hôpitaux avant le 15 mai,
tandis que 10 officiers, quelques sous-officiers et 500 hommes réussirent à briser
l’encerclement et à poursuivre les combats à Saint-Marcel puis à Wassigny, avant d’être
évacués sur Carcassonne où l’effectif tombe à 570 rescapés.

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Le 5 juin, le 55e bataillon de mitrailleurs d’infanterie coloniale est mis sur pied par le
chef de bataillon Reben avec les rescapés et des troupes arrivées depuis peu d’Asie. Son
effectif dépasse de peu les 500 hommes, dont 2 officiers indochinois. Intégré à la 237 e
division légère d’infanterie, le bataillon combat entre Neubourg et Conchées dans
l’Orne, à partir du 14 juin. Le 24 juin, le bataillon se rétablit sur la Boutonne après avoir
rempli sa mission. On retiendra les combats héroïques de la 1 re compagnie aux ordres
du capitaine Trancart pour défendre le bourg de Gouberge.
Avec plus de 10 000 d’entre eux prisonniers en 1940, et faute de pouvoir être rapatriés,
combattants ou travailleurs sont contraints de rester en métropole durant toutes les
hostilités, dans des conditions de vie très difficiles. Parmi les indigènes rescapés des
combats, un petit nombre parvient à échapper à la captivité ou au travail forcé pour
rejoindre les maquis où leur rôle militaire en 1944 est limité par leur effectif modeste
mais hautement symbolique grâce à leur présence aux côtés des libérateurs de
l’intérieur. Issu de l'armée de l'armistice et composé pour les trois quarts de coloniaux,
dont 250 Indochinois, le maquis de l'Oisans est très tôt constitué aux ordres du
capitaine Lespiau, dit Lanvin, ancien commandant de la 7 e batterie du 10 e régiment
d’artillerie coloniale et membre de l’Armée secrète. À la tête de la 14 e compagnie de
travailleurs indochinois des groupements de militaires indigènes coloniaux
rapatriables, il rejoint l’Isère en février 1943 où son unité travaille dans les usines de la
Basse-Romanche. Grâce à une préparation et à une organisation minutieuses, il
constitue une troupe de 1 526 hommes venus de Grenoble et de sa région et d’origines
les plus variées : réfractaires au STO, Polonais, Russes, Espagnols, Indochinois et
Marocains… Organisées en 5 groupes mobiles, ces forces peuvent dès le printemps 1944
et jusqu'à la fin du mois d'août, en liaison avec les forces alliées et les maquis voisins,
engager ouvertement la lutte contre les troupes d'élite de l'occupant (division Vlassov
et CLVIe division alpine) lui infligeant de lourdes pertes en hommes et en matériels et
libérant la région de Grenoble, au prix de la mort de 183 des siens. À la libération, ce
maquis forme le groupement colonial mixte (infanterie, artillerie) qui donne naissance
au 11e bataillon de chasseurs alpins et au 93 e régiment d'artillerie de montagne. Issus
d’unités de pionniers du Liban, des Indochinois participent pour leur part à l’épopée de
la DFL dès 1941.

Les soldats des « Vieilles colonies », du Pacifique et des Indes

Tandis que des engagés volontaires servent déjà nombreux dans les régiments
d’infanterie coloniale présents en France et outremer, dès juillet 1940, quelques
Antillais rallient la France libre et leur nombre va grandissant jusqu’en 1943. À cette
date, les contingents sont répartis entre un bataillon d’infanterie, un groupement
d’artillerie, des compagnies d’ouvriers et des services en Martinique, une compagnie en
Guadeloupe, deux bataillons en Guyane et deux bataillons à l’instruction aux États-Unis.
En janvier 1944, formé de nombreux « dissidents », le bataillon des Antilles n°1 (puis
groupe de défense contre avions antillais puis 21e groupe antillais de DCA) est intégré à
la 1re division française libre et partage tous ses combats de l’Italie à la Provence et aux
Vosges puis au front de l’Atlantique où l’on relève aussi la présence du bataillon de
marche des Antilles n°5. À titre individuel, de nombreux Antillais et Guyanais servent
dans diverses unités, de la Marine en particulier. La Réunion et Pondichéry, premier
territoire à avoir rallié de Gaulle en 1940, envoient des soldats qui participent à toutes
les campagnes de la France combattante, de même qu’à leurs côtés, luttent des unités

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composées de volontaires venus du Liban. La Polynésie, les Nouvelles-Hébrides et la


Nouvelle-Calédonie mettent sur pied le bataillon du Pacifique qui est de toute l’épopée
de la France libre, se couvrant de gloire à Bir Hakeim, en Italie, en Provence puis sur le
front des Alpes. Ayant fusionné avec le 1er bataillon d’infanterie de marine en 1942,
compagnon de la Libération en mai 1945, le bataillon d’infanterie de marine et du
Pacifique a perdu plus de 50 % de ses effectifs à la fin de la guerre.

Les Malgaches

La 42e demi-brigade de mitrailleurs d’infanterie coloniale (DBMIC) est mobilisée à


Pamiers en septembre 1939 avec des effectifs uniquement européens groupés dans deux
bataillons, sous les ordres du lieutenant-colonel de Pinsun. Elle est mise à la disposition
de la 102e division d’infanterie de forteresse, créée le 1 er janvier 1940 pour la défense du
front entre Monthermé et Charleville, dans les Ardennes. En mars, les effectifs de la
demi-brigade sont complétés par des gradés et des tirailleurs malgaches intégrés aux
deux bataillons. Les 3 000 hommes de la 42e DBMIC tiennent une position d’arrêt de
12 km le long de la Meuse, au niveau de Monthermé. Face à eux se trouvent l’ensemble
des unités de la VIe Panzerdivision, soit 216 chars, 8 000 combattants et 36 canons,
appuyés par les redoutables Stukas. Le 13 mai au matin, tous les points d’appui du
secteur sont soumis à un bombardement d’artillerie d’une extrême violence
accompagné par l’aviation d’assaut bombardant en piqué. Les points d’appui sont
totalement bouleversés et les pertes très lourdes. Les premiers éléments d’infanterie
adverse montés sur canots pneumatiques franchissent la Meuse. Les défenseurs
réagissent et de nombreuses embarcations sont coulées. Les mortiers tentent d’arrêter
les vagues d’assaut. Gradés et hommes de troupes, Européens et Malgaches se battent à
un contre trois. Écrasés par la supériorité numérique et matérielle, ils accomplissent
leur mission jusqu’au bout. Le 15 mai au lever du jour, l’aviation allemande attaque de
nouveau en masse. À 9 heures du matin, les derniers défenseurs sont capturés. Sur
quelque 2 000 hommes, environ 400 sont tués et 600 prisonniers, tandis qu’un certain
nombre de survivants, dont le chiffre exact est inconnu, réussissent à briser
l’encerclement et parviennent à rejoindre les lignes pour continuer le combat.
Parmi les 14 000 tirailleurs malgaches engagés au combat en 1940, quelques-uns
échappent à la captivité ou au travail forcé pour rejoindre les maquis. Quelques
Malgaches sont par exemple présents à la brigade Auvergne.

Les Sénégalais

En 1939, à la veille de la mobilisation, les Sénégalais comptent 19 régiments de


tirailleurs sénégalais (RTS) dont 6 en en métropole, 10 bataillons indépendants outre-
mer, sans oublier les autres unités aux effectifs indigènes, régiments d’artillerie,
bataillons de mitrailleurs et services divers. Au total, plus de 70 000 hommes, 15 000 en
métropole, 10 000 au Maghreb et 46 000 en AOF, AEF, Côte des Somalis, Madagascar et
Comores. Une intense campagne de recrutement et de rappel des réservistes permet
d’acheminer vers la France, de septembre à mars 1940, plus de 38 000 soldats africains,
tandis que 20 000 autres attendent leur embarquement en Afrique du Nord. Huit
divisions d’infanterie coloniales (DIC) sont ainsi mises sur pied, comprenant 9 RTS. En
1940, 63 300 Africains sont dans la zone des armées, répartis le plus souvent au sein de
régiments d’infanterie coloniale mixte sénégalais. Une seconde vague de renfort (que la

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défaite ne permet pas d’acheminer) est prévue, forte de 159 000 hommes pour la
métropole, 20 000 pour l’Afrique du Nord et 9 000 pour le Levant. Les tirailleurs engagés
dans la campagne de France résistent vaillamment aux attaques ennemies, en
particulier ceux des 1er et 6 e DIC dans les forêts ardennaises où le 6e RICMS perd 26
officiers, 95 sous-officiers et 598 soldats européens et tirailleurs en quelques jours. Sur
la Somme, les hommes des 4e et 5 e DIC arrêtent à plusieurs reprises les assauts des
Allemands. À Aubigny, le 24 mai, le 24e RTS a perdu 60 % de ses cadres et tirailleurs ; le
10 juin, devant leur résistance, les Allemands en abattent sommairement des dizaines
autour d’Erquinvillers. Ils agissent de même le 6 juin, à Airaines, en fusillant tirailleurs
et gradés africains du 53e régiment d’infanterie coloniale mixte sénégalais (RICMS) dont
le capitaine, N’Tchoréré, originaire du Gabon. Tandis que la plupart des unités
coloniales retraitent tout en continuant à combattre comme le 28 e RTS sur le Cher, le
27e sur la Loire ou le 19 e bataillon à Gien, l’ennemi poursuit sa politique de terreur à
l’égard des Africains. Les officiers français qui tentent de s’interposer subissent le
même sort, comme le capitaine Speckel du 16e RTS, abattu à Cressonsacq. Le 20 juin,
l’horreur culmine sur le front des Alpes, à Chasselay, près de Lyon, où 188 Européens et
Africains du 25e RTS sont massacrés par les troupes allemandes. Faute de sources
fiables, le chiffre des tirailleurs africains morts au combat ou exécutés par l’ennemi en
1940 est évalué à 5 000 hommes, tandis que plus de 30 000 Africains connaissent la
captivité en Fronstalag sur le sol français. Dès août 1940, les territoires d’AEF (Tchad,
Cameroun, Oubangui-Chari, et plus tard Congo et Gabon), se rallient au général de
Gaulle. Formé au Congo, le bataillon de marche n°1 (BM 1) aux ordres du commandant
Delange, est le premier d’une série de 16 bataillons de marche dont les tirailleurs se
battent sur tous les théâtres d’opérations de la France combattante jusqu’en 1945, sans
oublier artilleurs, sapeurs, télégraphistes, conducteurs, personnels des formations
sanitaires. Des éléments du régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad s’emparent de
Koufra au début de 1941 avant de donner naissance en 1943 au régiment de marche du
Tchad. Le BM 2 de l’Oubangui-Chari s’illustre au siège de Bir-Hakeim de mai à juin 1942.
Le BM 3 du Tchad combat en Érythrée en 1941 tandis que le BM 4 du Cameroun est
engagé en Abyssinie en juillet 1941, rejoignant au Levant le BM 2 et le BM 5 du Tchad
venant de participer à la campagne de Syrie, où leur ont été opposés d’autres tirailleurs
restés, avec leurs chefs, fidèles au maréchal Pétain. C’est peu après que les BM 21 et 24,
constitués avec des tirailleurs d’AOF ralliés à Djibouti en novembre 1942, rejoignent la
1re division française libre qui se constitue.
De fin novembre 1942 à avril 1943, le 15e RTS et des éléments d’artillerie servis par des
Africains combattent contre les Allemands en Tunisie. La 9 e DIC est créée en 1943 avec
les 4e, 6e et 13 e RTS, des unités blindées, d’artillerie, du génie et des services. En
avril 1944, la 1re division de marche d’infanterie (DMI), ex-1re DFL, débarque à Naples et
rejoint le corps expéditionnaire français d’Italie. Ses bataillons africains (BM 4, 5, 11, 21
et 24), les pionniers du 8e RTS et les artilleurs participent à cette dure campagne qui les
mène au-delà de Rome en juin. Le 17 juin, les tirailleurs de la 9 e DIC contribuent à la
prise de l’île d’Elbe, subissant de lourdes pertes : 76 tués et disparus, 122 blessés pour le
seul 13e RTS. À partir du 15 août 1944, 150 000 hommes des forces alliées, parmi lesquels
40 850 soldats européens et indigènes de l’armée française, débarquent en Provence.
Les deux divisions à fort effectifs africains, la 1 re DMI et la 9e DIC ainsi que le 18e RTS
mènent des combats décisifs de la libération de Toulon fin août (où le 6 e RTS perd
587 tirailleurs tués, disparus et blessés) à celle de Marseille. Pour les opérations de
Provence, les deux divisions comptent 1 144 tués et disparus et 4 364 blessés européens

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et africains. Puis elles entreprennent la remontée de la vallée du Rhône – établissant le


12 septembre la jonction avec les forces débarquées en juillet en Normandie –, puis de
la Saône pour enfin parvenir dans les Vosges à l’automne, pendant que les BM de la 1 re
DMI poursuivent jusqu’en Alsace où leurs unités sont « blanchies » au profit des
recrues venues des mouvements de résistance. En mars et avril 1945, les tirailleurs du
régiment d’AEF-Somali se battent autour de la poche de Royan tandis que les bataillons
de marche de la 1re DMI reçoivent la reddition des Allemands sur le front des Alpes. De
novembre 1942 au 1er mars 1945, la Fédération (AOF et AEF) envoie au combat 60 000
hommes. Avec leurs camarades de 1940, c’est donc près de 158 000 Africains qui
combattent pendant la Seconde Guerre mondiale, sans oublier un effectif équivalent
mobilisé en Afrique noire ou affecté au Maghreb pour participer à l’effort de guerre.
Nombre de tirailleurs prisonniers des Frontstalag échappent à la captivité ou au travail
forcé pour rejoindre les maquis. Par exemple, deux sections de tirailleurs sénégalais
prennent part aux combats du Vercors après que des maquisards les aient libérés lors
d’un coup de main à la caserne de La Doua, à Lyon, où leur détachement était incarcéré.
Dix gradés et tirailleurs sont faits compagnons de la Libération, 50 médailles de la
Résistance sont décernées aux Africains ainsi que 123 médailles des évadés.

Les tirailleurs somalis

La Côte française des Somalis (CFS) rallie la France libre en décembre 1942. Outre les
bataillons de marche de tirailleurs sénégalais n°21 et n°24 de la 1 re division française
libre, la CFS fournit à nouveau une unité de tirailleurs somalis pour participer aux
combats pour la libération de la France. Bien entendu, cette unité revendique l'héritage
du 1er bataillon de tirailleurs somalis de la Grande Guerre. C'est ainsi que le 1 er
janvier 1943, le détachement des Forces françaises libres de la Côte française des
Somalis prend le nom de « bataillon somali de souveraineté ». Le 16 mai 1944, il met sur
pied un bataillon de marche somali. Afin de former le régiment de marche de l'Afrique
équatoriale française et somalie, le bataillon de marche somali est regroupé avec les
bataillons de marche n°14 et n°15 formés principalement de tirailleurs originaires du
Cameroun et du Tchad.
Le 2 avril 1945, sur la place de la Concorde à Paris, le général de Gaulle remet les
drapeaux et étendards aux régiments de l'armée française. Il remet le drapeau du 57 e
régiment d'infanterie coloniale au régiment de marche de l'Afrique équatoriale
française et somali parce qu'il s'agit d'une unité créée et mobilisée à Bordeaux en 1915.
Trente ans plus tard, cet emblème est ainsi confié à une unité coloniale qui appartient
au détachement d'armée de l'Atlantique du général de Larminat. Quelques jours après
cette cérémonie, le régiment de marche d'Afrique équatoriale française et somalie
s'illustre dans les combats pour la libération de la Pointe de Grave. Il obtient, ainsi que
les bataillons qui le composent, une citation à l'ordre de la division. Le drapeau du
régiment et les fanions des bataillons reçoivent la croix de guerre 1939-1945 avec une
étoile d'argent le 14 juillet 1945. Un mois plus tard, le bataillon de marche somali
obtient également une citation à l'ordre de l'armée (croix de guerre 1939-1945 avec une
palme) pour avoir réussi le franchissement de vive force de la ligne d'eau du Gua au
cours des combats de la Pointe de Grave. À noter la présence au sein de cette unité, dès
1940, de soldats comoriens, les îles des Comores fournissant traditionnellement des
contingents aux unités malgaches et somalis.

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ANNEXES

Eléments de bibliographie
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Revue militaire d’Afrique occidentale.
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Soldats noirs, d’Éric Deroo, FR3, 1985. L’histoire oubliée : les tirailleurs sénégalais, les
paras vietnamiens, les goumiers marocains, les harkis, par Alain de Sédouy et Éric
Deroo, FR3, 1992-1994.
Dans les tranchées, l’Afrique, l’aventure ambiguë, F. Sadki, Dimson, 2004.
Les Camps du Sud-est, de Véronique Lhorme et Marc Nardino, FR3, La Cuisine aux
Images, 2004.
La force noire, d’Éric Deroo et Antoine Champeaux, ECPAD, Histoire, 2007.
Le Tata sénégalais, mémoire des tirailleurs sénégalais, de Dario Arce et rafael Gutiérrez,
C Productions Chromatiques, 2007.
Une mémoire en partage, d’Éric Deroo et Antoine Champeaux, ECPAD, chaîne Histoire,
2008.
Ensemble, ils ont sauvé la France, d’Éric Deroo et Antoine Champeaux, ECPAD, chaîne
Histoire, 2008.

RÉSUMÉS
Alors que sont attendus en 2014 les célébrations du centième anniversaire de la Grande Guerre
ainsi que du soixante-dixième anniversaire de la Libération de la France, cet article réunit des
éléments de documentation, une bibliographie et une filmographie sommaires sur le thème des
tirailleurs, travailleurs indigènes et soldats des outre-mer au travers des deux guerres
mondiales. Il explore les différents procédés qui ont permis de valoriser le patrimoine de
tradition des troupes indigènes : tenues et insignes spécifiques, monuments du souvenir,
organisation de cérémonies militaires, valorisation des collections conservées dans les musées ou
les salles d’honneur du ministère de la Défense. Depuis les années 1960, l’armée française
s’efforce ainsi de préserver la mémoire des soldats et « morts pour la France » recrutés dans les
colonies de l’empire. Par sa transmission aux jeunes générations de combattants, ce patrimoine
matériel et immatériel est un élément de la culture d’arme qui contribue à la capacité
opérationnelle des forces.

While awaiting the celebrations in 2014 of the centennial of the Great War and the seventieth
anniversary of the Liberation of France, this paper includes summaries of documentation,
bibliography and filmography on the subject of tirailleurs, indigenous workers and soldiers from
overseas through two world wars. It explores the various processes that have helped promote the
heritage of traditional indigenous troops: specific holdings and insignia, memorial monuments,
organization of military ceremonies, collections conserved in museums or halls of honor in
Ministry of Defense collections. Since the 1960s, the French army has tried to preserve the
memory of soldiers and those who “died for France” who were recruited from the colonies of the
empire. Through its transmission to younger generations of fighters, this tangible and intangible
heritage is a part of the culture that contributes to the operational capability of the forces.

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108

INDEX
Mots-clés : Deuxième Guerre mondiale, Première Guerre mondiale, troupes coloniales

AUTEURS
ANTOINE CHAMPEAUX
Éric Deroo Auteur, réalisateur et chercheur associé au CNRS, il a consacré de nombreux films,
livres, articles et expositions à l'histoire contemporaine, en particulier coloniale et militaire et à
leurs représentations, en France et en outre-mer. Il est notamment l'auteur de L'illusion coloniale
(Tallandier, 2006) et La vie militaire aux colonies (Gallimard-DMPA, 2009) ou de séries
documentaires comme La force noire. Antoine ChampeauxLieutenant-colonel d'infanterie de
marine, breveté technique de l'enseignement militaire général et diplômé de l'École nationale du
patrimoine, il a été conservateur du musée des troupes de marine à Fréjus de 1998 à 2009 et est
actuellement officier adjoint du général délégué au patrimoine de l'armée de Terre.
Collaborateur d'une cinquantaine d'ouvrages et auteur de nombreux articles, il est docteur en
histoire et a organisé les colloques du Centre d'histoire et d'études des troupes d'outre-mer
(CHETOM).

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Le patrimoine de tradition des


troupes indigènes
Antoine Champeaux

1 Dans le débat sur la mémoire ou les commémorations relatives à l’histoire coloniale de


la France, il est une idée fausse qui revient souvent : la France aurait oublié, voire
volontairement condamné à l’oubli définitif, le sacrifice des soldats recrutés en dehors
de la métropole et qui ont combattu pour elle. Or cela n’est pas exact. Sait-on qu’il
existe encore aujourd’hui dans l’armée française un régiment de tirailleurs ou encore
un régiment de spahis ? Les musées de la Défense présentent également au public des
collections illustrant l’engagement des troupes d’outre-mer. De nombreux monuments
illustrent leur sacrifice qui sont le lieu de cérémonies régulières. Certes, ces questions
sont la plupart du temps ignorées du grand public et n’intéressent pas toujours les
grands médias… Mais cela doit être interprété comme l’aboutissement d’un processus
d’effacement de la mémoire collective.
2 Avec l’avènement des indépendances entre 1956 et 1960, la France resserre son
dispositif militaire, le recentre autour des forces stationnées dans le nord et l’est du
pays et en Allemagne, et l’oriente en direction de la menace estimée majeure, celle des
forces du Pacte de Varsovie. Cela se traduit notamment par la dissolution de la majorité
des unités de l’Armée d’Afrique et par une partie des unités des troupes coloniales, les
deux entités qui avaient constitué ce que l’on appela « l’armée coloniale » dans l’entre-
deux-guerres.
3 L’Armée d’Afrique s’est constituée à partir de 1830 par la mise sur pied successive
d’unités à recrutement indigène1 ou métropolitain, stationnées en Algérie, puis en
Tunisie et au Maroc. Ces unités jouent un rôle militaire considérable, lors des conquêtes
coloniales, à l’occasion des deux guerres mondiales et dans les guerres dites de
décolonisation. Comme l’armée d’Afrique, les troupes coloniales mêlent recrutement
métropolitain et recrutement indigène, mais elles ont vocation à servir dans les
colonies françaises. Sous l’Ancien Régime déjà, la Marine ou l’Armée recrutent les
premiers laptots (matelots) sur les côtes du Sénégal ou des cipayes (soldats) aux Indes.
Les troupes coloniales sont majoritairement constituées de tirailleurs dits « sénégalais 2
», malgaches, comoriens et indochinois, sans oublier les soldats de la Caraïbe, les

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Somalis ou encore les combattants du Pacifique. Les troupes coloniales participent aux
mêmes conflits que l’armée d’Afrique. Étant les premières qui « ramassent les tronçons du
glaive », elles ont notamment un rôle fondamental dans l’émergence de la France Libre
et fournirent ses premières troupes et ses premières victoires militaires au général de
Gaulle. En 1958, les troupes coloniales deviennent troupes d’outre-mer avant de
reprendre, en 1961, leur appellation ancienne de troupes de marine. Mais
contrairement aux unités de l’armée d’Afrique, majoritairement dissoutes à la suite du
retrait d’Afrique du Nord, les unités des troupes de marine sont conservées en plus
grand nombre. En effet, la France maintient un dispositif de souveraineté outre-mer
(département et territoires d’outre-mer) ainsi que des forces dites prépositionnées et
stationnées dans les États ayant signé avec elle des accords de Défense et de
coopération. La transformation radicale de l’armée française dans les années 1960 se
traduit notamment par l’émergence de l’arme nucléaire, la mise en place de nouvelles
doctrines, de nouveaux matériels et la redéfinition des relations avec les Alliés (retrait
de l’OTAN en particulier). Ces transformations et ces adaptations de l’outil de Défense
se poursuivent d’ailleurs jusqu’à la période la plus récente.
4 Néanmoins, dans cet environnement en perpétuelle mutation, le souvenir des sacrifices
consentis par les combattants de l’armée d’Afrique et des troupes coloniales n’est pas
oublié. Tout d’abord par la présence, le témoignage et l’action d’un certain nombre de
personnels issus de l’armée coloniale qui continuent à servir dans les rangs de l’armée
française. Ensuite, par la préservation de leur patrimoine de tradition 3. Ce patrimoine
de tradition des tirailleurs indigènes s'est parfois constitué anciennement, avant la
Première Guerre mondiale ou, plus récemment, au cours de la guerre d’Indochine. Il est
composé principalement des titres de guerre, citations collectives et décorations, qui
ont été attribuées à leurs unités, ainsi que des inscriptions de bataille portées sur la soie
de leurs emblèmes. Ce patrimoine a été parfois conservé et transmis jusqu'à nos jours.
Par le passé, il est arrivé également que la négligence conduise à une forme d’oubli des
sacrifices consentis par les tirailleurs. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui : différents
procédés ont permis en ce domaine de lutter contre l'oubli et d'assurer le devoir de
mémoire. Il faut noter qu’il est difficile de faire le point de ces questions 4. Une des
explications est que le destin des unités coloniales et des unités indigènes a souvent été
croisé lors de leur dissolution ou de leur transformation, alors que la règle aurait voulu
qu’il n’y ait pas d’interférences. De plus, il y a eu quelques entorses aux règles
habituelles de gestion du patrimoine. Il est arrivé par exemple que l’on assimile les
traditions du niveau du bataillon avec celles du niveau régimentaire. Mais sans doute la
préservation de la mémoire impliquait-elle ces quelques accommodements…

La conservation des régiments


5 Première piste, la conservation des unités à l'ordre de bataille de l'armée de Terre. Ce
procédé est le plus facile à appréhender. Un bel exemple est fourni par le régiment de
marche du Tchad (RMT), créé au cours de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque le
colonel Leclerc prend le commandement des troupes du territoire du Tchad, le 2
décembre 1940, le régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad 5 (RTST) possède déjà un
patrimoine de tradition prestigieux, matérialisé en particulier par les inscriptions de
bataille sur son drapeau : Tchad 1900, Ouaddaï 1909, Borkou-Ennedi 1913, Cameroun
1914-1916.

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6 Le 30 juillet 1943, le général de Gaulle, chef de la France combattante, accorde au


régiment deux citations à l'ordre des Forces françaises libres pour les victoires acquises
de 1941 à 1943 en Libye et en Tunisie. Ces deux premières citations à l'ordre de l'armée
confèrent au drapeau du RTST la croix de guerre 1939-1945 avec deux palmes, ainsi que
la fourragère aux couleurs du ruban de la croix de guerre 1914-1918 avec olive
1939-1945. Lorsqu’en Afrique du Nord le RTST devient RMT, les tirailleurs noirs sont
rapatriés au Tchad. Mais le général de Gaulle est attentif aux traditions et aux
symboles. Si bien que par décision du 17 janvier 1944, le régiment de marche du Tchad
est proclamé « héritier des traditions du régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad dans la
continuation de l'action de guerre menée par les troupes coloniales. La croix de guerre avec deux
palmes et la fourragère aux couleurs de la croix de guerre sont ainsi conférées au drapeau du
régiment de marche du Tchad6. »
7 Par la suite, le régiment de marche du Tchad obtient au sein de la 2 e division blindée
deux nouvelles citations à l'ordre de l'armée7.Avec un total de quatre citations à l'ordre
de l'armée, le drapeau du RMT reçoit la fourragère aux couleurs du ruban de la
Médaille militaire8. Après la guerre, la commission des emblèmes accorde au RMT six
inscriptions9 de bataille sur la soie du drapeau : Koufra 1941, Fezzan 1942, Sud Tunisien
1943, Alençon 1944, Paris 1944, Strasbourg 1944. Evidemment, les trois premières
inscriptions sont également inscrites sur le drapeau10 du régiment de tirailleurs
sénégalais du Tchad, portant leur total à sept. Le 1er décembre 1958, le RTST devient le
70e régiment d'infanterie de marine, et stationne au Tchad jusqu'au 31 décembre 1961,
puis devient en France, une unité de réserve, mobilisée par le RMT.
8 Enfin, le régiment de marche du Tchad, « seul exemple d'une unité constituée qui se soit
dans son ensemble et dès les premiers instants refuser à capituler », fait partie des seules neuf
unités de l'armée de Terre que le général de Gaulle fait compagnons de la Libération 11.
Aujourd'hui en France, le souvenir des tirailleurs africains du RTST est toujours
conservé, à Meyenheim, au Sud de Colmar, où le régiment de marche du Tchad est
implanté depuis le 1er juillet 2010. À l’exemple du régiment de marche du Tchad, on
peut considérer que les cinq autres unités coloniales faites Compagnons de la
Libération par le général de Gaulle sont, elles aussi, dépositaires d’un patrimoine légué
par les troupes indigènes qui ont servi en leur sein. À l’exception notable du bataillon
de marche n° 2, le bataillon de l’Oubangui, dissous le 31 octobre 1945, et du bataillon
d’infanterie de marine et du Pacifique, évoqué ci-après et dissous un temps après la
guerre, ces unités sont conservées à l’ordre de bataille : 2 e régiment d’infanterie de
marine (RIMa), héritier de la 2e brigade de la 1 re division française libre (bataillon de
marche n° 4, BM 5 et BM 11), 1er régiment d’artillerie de marine, 3e régiment d’artillerie
de marine. Il en va de même pour une autre unité de l’armée d’Afrique, Compagnon de
la Libération, le 1er régiment de spahis, qui au travers d’appellations différentes, a été
maintenu à l’ordre de bataille et stationne à Valence depuis 1984.

La recréation des régiments


9 Deuxième piste pour assurer le devoir de mémoire, la création d’unités nouvelles, pour
en quelque sorte « redonner vie » à un patrimoine12. C’est le cas précisément des deux
unités d’infanterie de marine du Pacifique (Nouvelle-Calédonie et Polynésie). A partir
du 1er juillet 1948, un bataillon mixte d’infanterie coloniale du Pacifique stationne en
Nouvelle-Calédonie et un de ses détachements sert à Tahiti à compter du 1 er juillet

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1949, sous l’appellation de détachement autonome de Tahiti. Tout naturellement, cette


unité se considère comme dépositaire des traditions du bataillon d’infanterie de marine
et du Pacifique, cinq fois citée à l’ordre de l’armée en 1940-1945, titulaire de la
fourragère aux couleurs du ruban de la Médaille militaire avec olive 1939-1945, et
Compagnon de la Libération, constitué après la bataille de Bir-Hakeim, en juillet 1942,
par la fusion du 1er bataillon d’infanterie de marine13 et du bataillon du Pacifique14.
10 L’évolution de cette unité est intéressante. Elle donne lieu à l’instauration d’un état de
fait exceptionnel dans l’armée de terre. Dans un premier temps le bataillon mixte du
Pacifique reçoit la garde du drapeau du 7e régiment d’infanterie coloniale (RIC), de
mars 1956 à juillet 1957. Cela s’explique parce que le régiment de Corée, gardien du
drapeau du 7, de mai 1954 à mai 1955, a été dissous 15. Et que les troupes coloniales
tiennent à confier cet emblème prestigieux à une unité existant à l’ordre de bataille.
Ensuite, devenu bataillon d’infanterie de marine du Pacifique 16 (BIMaP) , le bataillon de
Nouvelle-Calédonie reverse l’emblème17 du 7 e RIC et reçoit, en juin 1957, un drapeau
reprenant le patrimoine18 du BIMP. Par la suite, le détachement de Tahiti devenu
autonome19 le 1er janvier 1963, se voit confier la garde 20 du drapeau du 73 e RIMa, ex 13e
RTS, glorieux régiment, certes, de la 9e division d’infanterie coloniale en 1944-1945,
mais sans rapport avec le Pacifique, comme cela avait déjà été le cas avec le drapeau du
régiment de Corée.
11 Pour mettre un terme à l’émotion que suscite cette mesure chez les anciens
combattants tahitiens, le patrimoine du BIMP21 est alors confié « conjointement » aux
deux bataillons du Pacifique, le BIMaP et le BIMaT. Dans un premier temps, cette
reconnaissance se fait au prix de quelques « acrobaties » : ainsi, le BIMaT conserve le
drapeau du 73e RIMa, mais ses personnels sont autorisés à porter la fourragère du
glorieux BIMP. Enfin, en 1981, lorsque l’on transforme les deux bataillons en deux
régiments du Pacifique22, ils sont autorisés à « recueillir intégralement et conjointement »
les traditions du BIMP. Il se trouve que l’on attribue, en fait, le patrimoine d’un
bataillon (formant corps, il est vrai) à deux régiments distincts. Seule différence entre
les deux drapeaux, la localisation géographique de l’unité. Pour le reste, appellations,
noms de bataille marqués sur la soie et décorations accrochées à la cravate, sont
identiques.
12 Cette situation exceptionnelle s’explique aisément : le pouvoir politique et la hiérarchie
militaire soulignent, au prix de quelques entorses aux règles en usage, l’importance
qu’elles attachent aux traditions militaires héritées du Pacifique. Pour preuve
supplémentaire, l’inscription « Grande Guerre 1914-1918 » et la croix de guerre avec palme
méritées par le 1er bataillon mixte du Pacifique en 1916-1918, patrimoine confié en 1988
aux deux régiments du Pacifique23.
13 Cette politique de préservation de la mémoire des unités indigènes est toujours active
au sein des armées et profite des opportunités offertes par les réorganisations
fonctionnelles de l’institution. C’est ainsi que le souvenir des tirailleurs algériens,
tunisiens et marocains de l’armée d’Afrique, est ravivé par la création en 1994, à Épinal,
d’un 1er régiment de tirailleurs 24. Dans le même esprit, un 1er régiment de chasseurs
d’Afrique (camp de Canjuers) figure à nouveau à l’ordre de bataille de l’armée de terre
depuis 1998.

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Les unités de tradition


14 Troisième piste pour assurer le devoir de mémoire, la transmission des traditions de
certaines unités de tirailleurs à d'autres unités des troupes de marine qui n'ont pas le
même numéro ou la même appellation ; ces dernières deviennent alors des unités de
tradition gardiennes du patrimoine qui leur est confié. Deux unités sont à cet égard
exemplaires : le 41e BIMa et le 5 e régiment interarmes d’outre-mer (RIAOM) qui
conservent respectivement le souvenir du 12e bataillon de tirailleurs malgaches (BTM)
et celui du bataillon de tirailleurs somalis.
15 Pendant la Première Guerre mondiale, les tirailleurs malgaches servent entre 1915 et
1918 dans 21 bataillons d'étapes, chargés de missions logistiques 25. Trois de ces
bataillons devinrent combattants, un seul étant engagé, le 12 e bataillon de tirailleurs
malgaches, qui compte de nombreux Comoriens dans ses rangs. Cette unité mise sur
pied le 29 octobre 1916, est renforcée par des officiers et des sous-officiers du 41 e RIC,
anéanti et dissous en avril 1917 à la suite de très lourdes pertes subies au Moulin de
Laffaux. Le 12e bataillon de tirailleurs malgaches obtient trois citations à l'ordre de
l'armée (croix de guerre 1914-1918 avec trois palmes) et le port de la fourragère aux
couleurs du ruban de la croix de guerre 1914-191826.
16 Le haut-commandement juge très favorablement le comportement des tirailleurs du 12 e
BTM, au point de transformer l'unité le 20 août 1918 en 12 e bataillon de chasseurs
malgaches. Précisons que l'appellation « chasseurs » témoigne d’une très grande estime
en faisant référence aux glorieux chasseurs à pied et alpins de l'armée française,
troupes d'élite à la légendaire tenue bleue, que les Allemands redoutent et appellent les
« diables bleus27 »... Et le 1er janvier 1919, à la suite de l'arrivée de renforts venant de
Madagascar, le 12e bataillon de chasseurs malgaches devient le 1 er régiment de
chasseurs malgaches (Armée du Rhin). Il est dissous en 1921.
17 Le 41e régiment de tirailleurs coloniaux (41 e RTC) est créé le 1 er octobre 1923, en partie
avec les anciens du 1er régiment de chasseurs malgaches. Le choix du numéro 41
s'explique aisément : c’est le rappel du 41e RIC qui avait contribué à renforcer le 12 e
BTM en 1917. Le 41e régiment de tirailleurs coloniaux est déclaré héritier des traditions
du 12e bataillon de tirailleurs malgaches. Le régiment porte la fourragère obtenue par
les tirailleurs malgaches. À l'époque, la filiation entre le 12 e bataillon de tirailleurs
malgaches et le 41e régiment de tirailleurs coloniaux est connue, donc reconnue. Quant
à la filiation entre les 41e RIC et 41 e RTC, elle semble reconnue officieusement par le
choix du numéro 41. Mais elle n'est pas réglementaire.
18 Par la suite, les questions de filiation se compliquent avec la transformation, en 1925,
du 41e RTC en 41e régiment de tirailleurs coloniaux de marche (41 e RTCM). Puis, en 1926
avec la recréation d'un 41e régiment de tirailleurs malgaches (41 e RTM), les régiments
de tirailleurs ayant repris leur ancienne désignation par région de recrutement. Enfin,
en 1933, le 41e régiment de tirailleurs malgaches se transforme en 41 e régiment de
mitrailleurs d'infanterie coloniale (41e RMIC). Le régiment est dissous en juillet 1940,
après avoir subi de lourdes pertes en juin 1940, et avoir obtenu une citation à l'ordre de
l'armée.
19 Près de cinquante années plus tard, par transformation successive de différentes
unités28, l'armée française crée, le 1 er août 1988, à la Guadeloupe (Pointe-à-Pitre), un
bataillon d'infanterie de marine. Il détient un drapeau avec le chiffre 41, hérité des

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unités qui l'ont précédé. Le 41e BIMa est alors déclarée dépositaire des traditions du 41 e
régiment d'infanterie de marine29, c'est-à-dire des traditions du 41e régiment
d'infanterie coloniale, unité de réserve qui n'a existé que du 2 août 1914 au 30 avril
1917, et dont une partie des cadres avait renforcé le 12e bataillon de tirailleurs
malgaches30.
20 Mais le choix de cette filiation avec le 41e RIC exclut la filiation avec le 41 e régiment de
tirailleurs malgaches. En effet, dans l'armée française, la filiation se fait par le
numéro31. Mais on ne réalise jamais l'assimilation de toutes les unités ayant porté le
même numéro. On ne mélange pas les traditions de deux unités ayant eu deux
emblèmes distincts. Et l'on s'efforce de ne pas mélanger non plus les traditions des
unités d'infanterie coloniale et celles des unités de tirailleurs indigènes. Dans ce cas
précis, le respect des règles de gestion du patrimoine a pour conséquence l’oubli
provisoire du souvenir des tirailleurs malgaches.
21 En effet, les Anciens de l'unité, en particulier ceux qui ont fait la campagne de 1940 32,
gardent la mémoire de la filiation avec les tirailleurs malgaches. Ils rédigent en 1984
une étude à l'attention de la hiérarchie33. Ils demandent que le 41e BIMa renonce à la
filiation avec le 41e RIC, et qu'il adopte en revanche la filiation avec le 41 e régiment de
mitrailleurs d'infanterie coloniale, c'est-à-dire avec l'unité de traditions des tirailleurs
malgaches. En effet, cette filiation permettrait de relever dans l'armée française les
traditions de l'unique bataillon malgache combattant. C’est chose faite en juin 1992. Le
41e bataillon d'infanterie de marine est déclaré « héritier du 41 e régiment de mitrailleurs
d'infanterie coloniale34 ». Les trois citations et la fourragère aux couleurs du ruban de la
croix de guerre 1914-1918 méritées par les tirailleurs du 12e bataillon de tirailleurs
malgaches sont donc à nouveau attribuées à un drapeau existant à l'ordre de bataille de
l'armée française, et ce jusqu’à la dissolution du 41e BIMa en juillet 201235.
22 La transition avec les tirailleurs somalis36 est facile à faire puisque le bataillon somali
est formé à Madagascar (Majunga), le 11 mai 1916, avec des éléments recrutés en Côte
française des Somalis et dans les Comores. Rassemblés à Fréjus, le 10 juin 1916, les
Somalis mettent sur pied une unité de marche, en octobre 1916, qui est rattachée au
régiment d'infanterie coloniale du Maroc, le déjà prestigieux RICM. Dès lors le bataillon
somali constitue le troisième bataillon du RICM et obtient trois citations, dont deux à
l'ordre de l'armée et le droit au port de la fourragère aux couleurs du ruban de la croix
de guerre 1914-191837. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le bataillon de marche
somali participe à l'ultime phase des combats pour la Libération de la France, à la
Pointe de Grave en avril 1945, et obtient deux citations collectives, dont une à l'ordre
de l'armée.
23 Les marsouins38 présents en Côte française des Somalis, puis, à partir de 1967, sur le
Territoire français des Afars et des Issas, conservent bien entendu la mémoire de leurs
compagnons d’armes somalis. Mais il faut attendre la fin des années soixante pour voir
officialisée cette transmission de patrimoine, à la faveur de la création du 5 e régiment
interarmes d'outre-mer. En effet, la décision de création de l'unité précise qu'il est
attribué au 5e RIAOM « un emblème où figureront les inscriptions du bataillon somali 39. »
Outre les inscriptions de bataille, le 5e RIAOM hérite également des décorations
décernées au bataillon somali. En avril 1970, Michel Debré, ministre de la Défense,
décida qu'en vue de perpétuer les traditions du bataillon somali, « l'emblème du 5 e RIAOM
sera admis, de façon très exceptionnelle, à porter, accrochées à sa hampe, les deux croix de
guerre 1914-1918 avec palmes obtenues respectivement par le 5 e RIC et le bataillon somali40. » La

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décision ministérielle précise que les rubans des deux croix de guerre seront ornés
chacun d'une barrette en métal blanc – comparable à la barrette des médailles
commémoratives – portant l'une l'inscription 5e Régiment d’infanterie coloniale, l'autre
l'inscription Bataillon somali.Curieusement, la décision de 1970 ignorait les titres de
guerre des Somalis de 1945. Oubli réparé – de façon non réglementaire – puisque
l'habitude a été prise d'accrocher également à la cravate du drapeau du 5 e RIAOM les
décorations décernés au bataillon de marche somali pendant la Seconde Guerre
mondiale : la croix de guerre 1939-1945 avec une palme, une étoile d'argent et une
barrette Bataillon somali.
24 Dernier témoignage matérialisant le souvenir des tirailleurs somalis, la décision 41 du
général chef d'état-major de l'armée de terre, qui donne son accord, en septembre
1996, pour que les personnels du 5e RIAOM portent en tenue de défilé, la ceinture rouge
des troupes indigènes42. C'est ainsi que les marsouins et les bigors43 du 5 e RIAOM
maintiennent aujourd'hui en République de Djibouti les traditions des tirailleurs
somalis.

Les unités indochinoises


25 Il n’a pas toujours été possible de conserver dans les unités d’active le souvenir des
troupes indigènes. Et on a peut-être aussi parfois négligé de le faire. C’est en particulier
le cas des troupes indochinoises44. Leurs régiments ont pourtant reçu sur leurs
drapeaux la plus ancienne inscription de bataille décernée aux unités indigènes des
troupes coloniales : « Sontay 1883 » attribuée aux quatre régiments de tirailleurs
tonkinois et au régiment de tirailleurs annamites45. Dans les années trente, le drapeau
du 2e RTT, dissous, est donné au 19 e régiment d’infanterie coloniale, lui-même dissous
une première fois en 1945, puis à nouveau en 1956…
26 On peut rappeler également que le 1er régiment de tirailleurs tonkinois est cité à l’ordre
de l’armée46 pour sa résistance au moment du coup de force japonais du 9 mars 1945 ;
actions héroïques certes, mais qui n’empêchent pas le régiment d’être anéanti et
dissous… Par la suite les troupes coloniales tentent de préserver ce patrimoine. En août
1950, le général Marchand, assurant l’intérim du général Alessandri, confie le drapeau
du 1er RTT au bataillon de marche indochinois (BMI). Cette prestigieuse unité obtient
elle-même quatre citations, dont trois à l’ordre de l’armée, et la fourragère aux
couleurs du ruban de la croix de guerre des théâtres d’opérations extérieurs (TOE). Le
drapeau du 1er RTT aurait dû logiquement porter la croix de guerre des TOE et la
fourragère méritées par le BMI… Le bataillon est transformé en 1 er bataillon du 43 e RIC
en 1954. Quant au drapeau du 1er RTT, il est une relique exposée dans la crypte du
musée des troupes de marine à Fréjus. Superbe objet en soie, de fabrication artisanale,
il ne porte que la croix de guerre 1939-1945 avec palme du 1 er RTT. Les titres de guerre
du BMI ont disparu…
27 Le souvenir des Indochinois persiste dans les troupes de marine en
Guyane. En effet, lors de sa création en 1976, le bataillon d’infanterie de marine de
Cayenne reçoit le drapeau et les traditions du 9e régiment d’infanterie de marine, créé
en 1890 à partir du régiment du Tonkin et dissous en 1968. Ce bataillon redevenu
régiment en 1992 conserve ainsi les glorieuses traditions des tirailleurs tonkinois. Une
bonne illustration en est donnée par l’insigne du régiment sur lequel figurent deux

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lotus et la pagode Môt Côt de Hanoi (dite du pilier unique, de la colonne ou encore du
Lotus).
28 Avec pour double objectif de donner à la jeunesse une formation professionnelle qui la
rende capable d’occuper des emplois rémunérateurs et de développer en même temps
l’infrastructure économique, le gouvernement crée au début des années soixante un «
service militaire adapté aux besoins économiques et sociaux des départements d’Amérique ». Ce
service militaire adapté – SMA, nom qui lui est resté – s’est étendu depuis aux autres
DOM et TOM. Pour rappeler que les artilleurs de marine ont occupé outre-mer à la fin
du XIXe siècle des responsabilités importantes dans le domaine de l’infrastructure en
remplaçant les sapeurs du génie rentrés en France métropolitaine pour bâtir le système
fortifié défensif du pays, la garde d’étendards d’artillerie de marine est confiée à
certains régiments du service militaire adapté. C’est ainsi que l’étendard du 5 e
régiment d’artillerie coloniale, créé en 1900 à partir du régiment
d’artillerie de marine de l’Indochine et stationné en Extrême-Orient
jusqu’en 1955, est confié le 5 août 1976 à la garde du régiment du service militaire
adapté de Guyane47, devenu le 3e régiment du SMA le 1 er juillet 1987. Le souvenir des
artilleurs indochinois est ainsi conservé à Cayenne par le 3 e régiment du SMA. À une
époque plus récente le drapeau du 11e régiment d’infanterie de marine, constitué il y a
plus d’un siècle à partir du régiment de Cochinchine, est confié en l’an 2000 à la garde
d’une unité nouvelle du service militaire adapté, le groupement de Polynésie, devenu
régiment du SMA de Polynésie française et qui entretient le souvenir des tirailleurs
cochinchinois ayant servi l’armée française.

Les tirailleurs sénégalais


29 Dans le même ordre d’idée, on peut citer le cas du groupement du service militaire
adapté de Saint-Jean du Maroni. Contrairement aux autres unités de ce type à qui l’on
confie des traditions d’artillerie de marine, ce groupement, créé en 1979, devenu
autonome le 1er juillet 1982, est dépositaire du drapeau du 28 e RIAOM. Or ce régiment
interarmes48 avait hérité des traditions du 8 e régiment de tirailleurs sénégalais, qui est
notamment le régiment de pionniers49 de la 1 re armée en 1944-1946. Le changement
d’appellation du groupement du SMA et la dissolution du 3 e régiment du SMA
entraînent la création, en juillet 2008, du régiment du service militaire adapté de la
Guyane, à Saint-Jean du Maroni et à Cayenne, régiment qui conserve l’emblème du 28 e
RIAOM.
30 Le 12e régiment de tirailleurs sénégalais, dissous en 1946, voit également son
patrimoine de tradition relevé lors de la création du 72e régiment d’infanterie de
marine, aux confins nord du Tchad en 1958. Dissous en 1961, l’unité est à nouveau
recréée en 1976 à Marseille, comme 53e groupement divisionnaire avant de reprendre
l’appellation de 72e RIMa en 1991. Devenue 72 e bataillon d’infanterie de marine le 1 er
juillet 1999, elle conserve à Marseille le souvenir des « tirailleurs phocéens 50 » jusqu’à sa
dissolution en le 1er août 2009. Son drapeau est désormais confié à la garde du
groupement de soutien de la base de défense de Marseille-Aubagne. De la même
manière, jusqu’à sa transformation récente en groupement de soutien du personnel
isolé, le groupement de transit et d’administration du personnel isolé, à Rueil-
Malmaison, conserve la garde du drapeau du 67e régiment d’infanterie de marine,
héritier des traditions du 7e régiment de tirailleurs sénégalais.

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31 À propos des tirailleurs sénégalais51, il convient de rappeler que le drapeau du 1er


régiment de tirailleurs sénégalais est le seul emblème des troupes coloniales indigènes
décoré de la Légion d’honneur. La remise de cette décoration a lieu le 14 juillet 1913 52. À
l’issue de la Première Guerre mondiale, le drapeau reçoit les quatre citations à l’ordre
de l’armée et la fourragère décernées au 43e bataillon de tirailleurs sénégalais, « unité
indigène à laquelle ont été attribuées les plus hautes récompenses ». Il s’agit d’une entorse aux
règles en usage. Mais la décision du 28 avril 1919 prise par le président du conseil et
ministre de la Guerre Georges Clemenceau vise à « reconnaître et récompenser les troupes
sénégalaises pendant la guerre actuelle. »L'emploi des Sénégalais par bataillons ayant privé
les régiments de récompenses collectives et de fourragères, il est décidé de pratiquer
par analogie avec les chasseurs à pied et leur drapeau unique.
32 Après la Seconde Guerre mondiale, les titres de guerre (décorations et inscriptions 53)
mérités par les Sénégalais sont restés attribués à leurs emblèmes respectifs (4 e RTS, 6 e
RTS, 13e RTS, 15 e RTS). En revanche, de même que le drapeau du 1 er RTS avait reçu, en
1919, sa huitième inscription, Grande Guerre 1914-1918, il reçoit après la Seconde Guerre
mondiale, une neuvième inscription, Guerre 1939-1945, hommage rendu à tous les
Africains ayant combattu pour la Libération de la France.Au cours de la guerre
d’Indochine, les Sénégalais combattent au sein de 14 bataillons de marche. Un seul
régiment, le 24e RTS, reçoit l’inscription Indochine 1949-1954, car il est engagé au
complet, avec ses deux bataillons. Il est regrettable que l’on n’ait pas songé à l’époque à
reporter l’inscription Indochine sur le drapeau du 1er RTS, ainsi que la croix de guerre
des théâtres d’opérations extérieurs, puisque la plupart des bataillons sénégalais 54
ayant combattu en Indochine l’obtiennent.Le 1er décembre 1958, le 1 er RTS se
transforme en 61e régiment d'infanterie de marine55, stationné en Mauritanie et bientôt
dissous le 28 février 1961. Et lorsque l'on crée à Dakar, le 1 er avril 1965, le 1 er régiment
interarmes d'outre-mer56, on lui confie tout naturellement la garde du glorieux drapeau
du 1er régiment de tirailleurs sénégalais. L'unité est dissoute le 31 juillet 1974. Le
drapeau du 1er RTS est alors reversé au Service historique de l'armée de terre, puis au
musée de l'Armée à Paris. L’un des drapeaux57 du 1 er RTS est exposé aujourd’hui au
musée des troupes de marine à Fréjus. C’est ainsi que la muséographie concourt elle
aussi à entretenir le devoir de mémoire, lorsque l’un des autres procédés décrits ci-
dessus ne peut être utilisé... Ajoutons qu’en 1999, à la demande des Forces armées du
Sénégal, le général (2S) de Percin, Président général du Souvenir français, finance la
fabrication d’une réplique du drapeau du 1er régiment de tirailleurs sénégalais. Cet
emblème est remis officiellement à l’armée sénégalaise le 15 décembre 1999, vingt-cinq
ans après avoir quitté le pays. Exposé aujourd’hui à Dakar, il porte témoignage, au sein
même du musée des Forces armées.

L'hommage aux troupes indigènes en 1996


33 Ainsi, il n’est pas toujours facile de préserver le patrimoine de tradition des tirailleurs
indigènes. Réalisé aisément pour les Somalis, les Malgaches, les combattants du
Pacifique, les Africains de Leclerc ou de Laurent-Champrosay, moins simplement en
revanche pour les Sénégalais ou les Indochinois...
34 Dans les années quatre-vingt-dix, on note incontestablement une prise de conscience
de ce qu’il faut bien considérer comme une lacune. Cela intervient au moment où
l’armée de terre remet à l’honneur les soldats de l’armée d’Afrique, en particulier en

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créant un 1er régiment de tirailleurs à Épinal ainsi que nous l’avons évoqué. C’est aussi
la période où l’on fête le cinquantième anniversaire du débarquement et de la
libération de la Provence, circonstance propice pour rendre un hommage appuyé aux
soldats indigènes de l’armée coloniale. À cette époque également est créée la fourragère
de l’ordre de la Libération, « insigne spécial F05B … 5D destiné à pérenniser l’ordre de la
F0

Libération et à préserver de l’oubli le souvenir des compagnons de la Libération 58. » Il


est évident que cet hommage prend en compte également le sacrifice des soldats
indigènes ayant servi en particulier au sein des 18 unités militaires reconnues comme
compagnons de la Libération.
35 Pour faire en sorte que le souvenir de l'ensemble des tirailleurs – et plus seulement
quelques cas particuliers – soit désormais pris en compte dans les troupes de marine, le
général inspecteur des troupes de marine est à l’origine de plusieurs décisions
importantes
36 Un hommage solennel est rendu à toutes les troupes indigènes en 1996. Au mois de
mars de cette année, le général Monchal, chef d'état-major de l'armée de terre, décide
que « le 4erégiment d'infanterie de marine, en garnison à Fréjus (…) serait le gardien des
traditions des troupes indigènes59. » Pour concrétiser cette décision, à l'été 1996, le
drapeau d'un régiment de tirailleurs sénégalais (le 6e RTS) est mis en dépôt auprès du 4e
RIMa. Le choix de ce drapeau s'explique parce qu'il est disponible – conservé au service
historique de l'armée de terre – et en relativement bon état, contrairement au drapeau
du 1er régiment de tirailleurs sénégalais. Car ce drapeau du 6 e RTS participe aux
cérémonies commémoratives annuelles au cours desquelles le souvenir des troupes
indigènes est évoqué. En ces occasions, il est prévu que la garde au drapeau revête une
tenue de tradition comportant la ceinture de laine rouge et le bonnet de police des
troupes coloniales. Quant aux personnels du 4e RIMa, à partir de 1996, ils portent en
tenue de parade, un insigne métallique réalisé expressément pour rappeler la mission
dévolue à ce régiment, « l'insigne des troupes indigènes60. » Cet insigne, conçu et fabriqué
au printemps 1996, est composé d'un bouclier de couleur rouge, à la bordure d'or
portant l'inscription Troupes indigènes, et de l’ancre des troupes de marine. C’est ainsi
que les troupes de marine conservent le souvenir de toutes les unités, bataillons,
bataillons de marche, commandos, régiments, composés de tirailleurs, supplétifs,
volontaires, miliciens ou auxiliaires ; unités dont les traditions ont été transmises à
d’autres armées (celles des spahis sénégalais61 et des cipayes 62 en Inde, confiées à la
gendarmerie coloniale notamment) ; unités enfin qui ont été peu à peu oubliées... Qui se
souvient en effet aujourd’hui du bataillon comorien, ou encore du 1 er bataillon Thai,
deux fois cité à l’ordre de l’armée, et du 1er bataillon Muong, trois fois cité à l’ordre de
l’armée pendant la guerre d’Indochine, deux unités décorées de la fourragère 63 des
TOE ? Sans parler des volontaires sud-coréens64 ayant combattu en Corée, de 1950 à
1953, aux côtés des soldats du bataillon français de l’ONU…
37 Toutes ces dispositions sont inaugurées à l'occasion de la commémoration de Bazeilles,
la fête des troupes de marine, le 1er septembre 1996, à Fréjus. À la dissolution du 4 e
RIMa, en juin 1998, le 21e RIMa devenu l’unique régiment stationné à Fréjus, garnison
de tradition des troupes de marine, continue de conserver le patrimoine de toutes les
troupes indigènes. Usé par dix nouvelles années de vie active, l’emblème du 6 e RTS est
retiré du service pour être désormais exposé dans la crypte du musée des troupes de
marine. Il est remplacé au printemps 2006 par le drapeau du 1 er régiment de tirailleurs
sénégalais, unité la plus titrée des troupes indigènes des troupes coloniales.

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Culture d’arme et forces morales


38 En matière de politique de mémoire, l’intérêt marqué par les hommes politiques pour
la préservation de la mémoire combattante et plus particulièrement du souvenir des
combattants venus de l’outre-mer se conjugue avec l’attrait qu’exerce ce type d’unités
sur les militaires. En effet, assurant la garde d’un emblème prestigieux aux titres de
guerre souvent exceptionnels qui lui ont été attribués pour avoir combattu « pour le
succès des armes de la France », les personnels qui servent dans une unité conservant
la mémoire des soldats de l’Armée coloniale bénéficient en outre du privilège d’arborer
une tenue spécifique et des attributs de symbolique militaire particuliers. Burnous des
spahis, chéchia des chasseurs d’Afrique, ceinture rouge des troupes indigènes, triple
chevron de l’Armée d’Afrique, croissant, autant d’accessoires de la tenue qui, par leur
singularité et leur caractère exceptionnel, renforcent le prestige de ces unités au passé
militaire glorieux et leur attractivité auprès des jeunes engagés d’une armée désormais
entièrement professionnalisée. Le 1er régiment de tirailleurs a également remis à
l’honneur d’autres traditions militaires comme celles de la nouba (musique) ou de la
mascotte (bélier).
39 Ces éléments sont constitutifs du « patrimoine de tradition » des régiments, expression
jugée parfois désuète et abandonnée au profit de la notion nouvelle de culture d’arme.
Ensemble des références à caractère historique et patrimonial propre à chaque arme ou
service, la culture d’arme irrigue les forces morales du soldat. Au niveau de chaque
formation, c’est une composante fondamentale de ce qu'on appelle l’esprit de corps. Il
convient d'interpréter cela comme une manière positive de cultiver et de vivre des
particularismes, non pas dans ce qu’ils ont d’exclusif, de sclérosant ou de réducteur ;
mais bien comme un appel perpétuel à se dépasser soi-même au nom d’un idéal
collectif.
40 Au-delà de leur rôle déjà évoqué de conservatoires des emblèmes 65, les musées du
ministère de la Défense sont l’un des vecteurs essentiels de cette culture d’arme.
Conservatoire de collections exceptionnelles, musée d’histoire, promoteur d’une offre
culturelle diversifiée, animateur du paysage touristique, outil d’aménagement du
territoire, parfois aussi centre de recherches historiques, les musées du ministère de la
défense conservent néanmoins leur spécificité. Cette dimension en fait les dépositaires
d’un patrimoine immatériel et leur confère évidemment un statut particulier dont il est
tenu compte pour la rédaction ou la mise à jour de leur projet scientifique et culturel.
En ce sens un musée de la défense est un lieu de transmission de valeurs, notamment
entre générations. Les Anciens combattants y déposent leurs souvenirs dans les
vitrines. Par ce geste, ils confient au musée leurs convictions patriotiques, leur
engagement au sens propre comme au sens figuré, leur idéal de fraternité d’armes et de
liberté, le souvenir de leurs camarades morts au combat. Au travers de l’exemple des
grands Anciens et en particulier des soldats d’outre-France dont on cultive en quelque
sorte le culte par la présentation des souvenirs leur ayant appartenu, le musée
transmet aux jeunes militaires une part essentielle de cette culture d’arme définie plus
haut. Aux jeunes soldats ensuite, après avoir visité le musée, d’en approfondir la
connaissance dans l’exercice quotidien de leur métier : l’activité opérationnelle, la
projection en métropole ou outre-mer, les difficultés des situations extrêmes leur
permettent de faire le lien. Ils puisent alors dans les exemples découverts au musée les

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forces morales pour remplir à bien leur mission, premier devoir du soldat. Le musée de
l’infanterie, provisoirement fermé66, les musées de la cavalerie, du train ou encore de
l’artillerie, riches de collections relatives à l’Armée d’Afrique, comme le musée des
troupes de marine à Fréjus, illustrant l’histoire des troupes coloniales, sont
d’importantes structures patrimoniales qui contribuent à perpétuer le souvenir de
l’Armée coloniale. Aux collections des musées de l’armée de terre s’ajoutent
évidemment les collections conservées dans les salles d’honneur des unités qui
entretiennent cette mémoire spécifique, et celles – plus modestes sur l’histoire
coloniale – présentées au musée de l’armée, à Paris. Sur le même site de l’Hôtel national
des Invalides, le musée de l’ordre de la Libération – en cours de restauration – est
également un site où les collections muséales illustrent le sacrifice des troupes
indigènes et valorisent leur patrimoine de tradition. Il en va de même des trophées 67
exposés dans l’Église Saint-Louis des Invalides comme de toutes les autres dépouilles de
l’ennemi, collectées sur le champ de bataille pour témoigner de la victoire, encore
présentés dans les musées ou les salles d’honneur de la défense 68.

Monuments et commémorations
41 Les baptêmes de promotion dans les Écoles de l’armée de terre sont aussi l’occasion de
perpétuer la mémoire des héros de l’Armée coloniale. C’est ainsi que l’adjudant
Bourama Dieme, commandeur de la Légion d’honneur, a été choisi pour parrain par les
élèves sous-officier de la 225e promotion de l’École nationale des sous-officiers d’active
à Saint-Maixent-l’Ecole ; et l’adjudant-chef Hoang Chung par la 242 e promotion. Les
commémorations annuelles fixées par le calendrier officiel sont également l’occasion
de rappeler le sacrifice des tirailleurs : les 19 mars 69, dernier dimanche d’avril70, 8 mai71,
8 juin72, 18 juin73, 25 septembre74, 11 novembre75, 5 décembre76…
42 Les innombrables nécropoles ou cimetières77 qui, en France comme à l’étranger,
abritent les tombes des soldats indigènes morts pour la France sont aussi une étape
incontournable des « chemins de la mémoire ». On doit y ajouter les innombrables
plaques commémoratives, à commencer par celles qui dominent la cour d’honneur des
Invalides, lieu de l’hommage aux soldats morts pour la France. Nombre d’entre elles
sont dédiées à la mémoire des unités de l’ancienne Armée coloniale.
43 Un dernier domaine enfin entretient la mémoire des combattants de l’Armée coloniale,
les monuments ou mémoriaux. Certains ont une certaine notoriété, comme la Grande
mosquée de Paris ou la cathédrale du Souvenir africain érigée à Dakar, deux édifices
cultuels bâtis en hommage aux morts de la Grande Guerre ; ou le tata de Chasselay,
dans le Rhône78 ; ou encore les stèles et monuments du Jardin colonial à Nogent-sur-
Marne, site qui rassemble des représentations des cinq territoires de l’Indochine : la
Cochinchine avec le pavillon devenu Pagode du Souvenir ; le Tonkin avec le mémorial
vietnamien ; pour l’Annam, la copie d’une urne funéraire du Palais impérial de Hué ; un
monument spécifique est dédié aux soldats cambodgiens et laotiens ainsi qu’un autre
aux Indochinois chrétiens morts pour la France. En avril 1984, la Pagode du Souvenir
est incendiée. Créée en 1964, l’association nationale des anciens et amis de l’Indochine
construit en 1992 un nouvel édifice et y organise chaque année, le 2 novembre, une
cérémonie du souvenir. Sur le même site, à l’occasion de la « journée coloniale », la
Fédération nationale des anciens d’outre-mer et anciens combattants des troupes de
marine invite, chaque printemps, au recueillement. En effet, en hommage aux morts

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pour la France, le jardin d’essai tropical de Nogent accueille en 1920 un monument Aux
Soldats Coloniaux de la Grande Guerre. Quelques années plus tard sont également érigés
des monuments aux soldats noirs et malgaches à proximité de ceux dédiés aux
Indochinois.
44 D’autres sites méritent assurément d’être davantage connus hors du cercle restreint
des Anciens combattants : ainsi, le mémorial national de l’Armée d’Afrique implanté à
Saint-Raphaël à l’initiative du général Callies, président fondateur de l’association
nationale Souvenir de l’Armée d’Afrique. Il est inauguré le 15 août 1975, boulevard du
général de Gaulle, sur le front de mer et accueille chaque année au mois de mai des
anciens combattants et des personnels en activité79 ; mais aussi le mémorial des guerres
en Indochine qui conserve plus de 20 000 dépouilles dont nombre de tirailleurs
indigènes, africains et maghrébins en particulier, morts pour la France en Indochine 80 ;
mais également le Missiri (mosquée africaine) érigé à Fréjus ; ou bien encore le
monument Aux Héros de l’Armée Noire81 inauguré à Fréjus le 1er septembre 1994 et inspiré
du monument de Bamako et de sa réplique érigée à Reims en 1924 et rasée par les
Allemands en 194082. Dernier en date, un mémorial dédié aux combattants musulmans a
été inauguré à Douaumont, le 18 juin 2006, sur le champ de bataille de Verdun à
l’occasion des célébrations du 90e anniversaire de la bataille. Il convient enfin de ne pas
oublier l’arc de Triomphe de Paris et la tombe du Soldat inconnu, qui est le lieu quotidien
du ravivage de la flamme du Souvenir, hommage sans cesse renouvelé à tous les soldats
morts pour la France.
45 À l’étranger, c’est sans doute au Sénégal que le patrimoine de tradition des tirailleurs
indigènes a été le plus valorisé, à travers notamment le port par l’ensemble des
personnels des forces armées sénégalaises de la fourragère aux couleurs du ruban de la
médaille militaire attribué au 43e BTS puis au 1 er RTS ; par l’instauration en 2004 d’une
« fête du tirailleur », commémorée chaque année ; et par la remise en place face à
l’ancienne gare de Dakar de la statue de Demba-Dupont83, emblématique de la fraternité
d’armes dans la Grande Guerre.

Pédagogie et médiation culturelle


46 Enfin, il n’est pas jusqu’aux missions de médiation culturelle fixées par le ministère de
la Défense et aux travaux pédagogiques destinés aux scolaires et aux adolescents qui ne
jouent un rôle dans le rappel des sacrifices des tirailleurs. En témoignent par exemple
les films84, expositions85, livres, manuels pédagogiques86… réalisés à l’initiative de la
direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du ministère de la défense à
l’occasion de la célébration en 2007 du 150e anniversaire de la création de la force noire
et en 2010 du 50e anniversaire des indépendances africaines et malgache. Tant en
France que dans les quinze pays africains ayant contribué à la mise sur pied de la force
noire, ainsi qu’à Madagascar et aux Comores, des dizaines de milliers de jeunes et
d’étudiants ont ainsi eu l’occasion de découvrir ou d’approfondir leur connaissances de
l’histoire des tirailleurs, leurs sacrifices et leurs titres de gloire militaire, et de mieux
apprécier ainsi leur juste place dans une histoire désormais partagée entre la France et
le continent africain.
47 L’histoire de France, son histoire militaire et son histoire coloniale, leurs traces
matérielles comme leurs échos immatériels, sont ainsi créateurs de lien social et
sources de « mieux vivre ensemble ». Il est inutile d’insister sur l’importance de ces

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questions dans la société française aujourd’hui. Depuis plusieurs années, on note un


regain d’intérêt pour la question coloniale. Dans ce domaine, les débats qui animent ou
agitent la société française portent précisément sur ces questions d’intégration, de
lutte contre les communautarismes, de consolidation du lien social et de transmission
des valeurs républicaines et citoyennes. Le patrimoine de tradition des unités indigènes
est donc l’un des éléments majeurs qui confortent non seulement le droit à la mémoire
des générations qui nous ont précédés, et notamment des anciens combattants
indigènes, dont nous sommes dépositaires des valeurs, mais aussi le devoir d’histoire
nécessaire pour l’éducation et la formation des jeunes générations. La découverte de
ceux qui furent notamment les libérateurs de la France pourrait sûrement permettre
aux Français fils ou petits-fils d’immigrés, de partager des valeurs communes et de
retrouver une légitimité par l’apprentissage de l’histoire partagée.
48 Médiation culturelle, monuments du souvenir, sites de mémoire accueillant les
cérémonies militaires, collections des musées ou des salles d’honneur du ministère de
la Défense, adoption par les soldats de l’armée professionnelle de tenues dites de
tradition, port d’insignes spécifiques, préservation des unités et de leur patrimoine de
traditions, reconnaissance officielle des filiations, transmission aux jeunes générations
de combattants des décorations collectives décernées aux Anciens, inscriptions de
noms de bataille sur le drapeau ou l'étendard, emblèmes confiés à la garde d’unités de
tradition, autant d'éléments qui rappellent d'abord l'exemple de ceux qui se sont
illustrés au service des armes de la France, qui contribuent ensuite, aujourd'hui comme
hier, au développement des forces morales, et qui sont enfin des « réveils de
mémoire ». Depuis les années soixante, ils témoignent de la volonté de ne pas oublier
dans les formations militaires, comme dans la société civile, les tirailleurs, goumiers,
spahis, supplétifs, travailleurs, miliciens ou auxiliaires, conscrits, engagés volontaires
ou réquisitionnés, ces Maghrébins, Africains, Malgaches, Somalis, Comoriens,
Indochinois, combattants du Pacifique, des Indes, de la Réunion, de la Guyane ou des
Antilles, ces soldats de l’outre-merenvers lesquels la nation a une dette d'honneur, prix
du sang versé pour la défense de la France aux heures les plus sombres de son histoire.

ANNEXES
Formations héritières des traditions de l’armée d’Afrique
unités de la Légion étrangère
1er régiment de tirailleurs, Epinal
1er régiment de spahis, Valence
1er régiment de chasseurs d’Afrique, Canjuers
40e régiment d’artillerie, Suippes
54e régiment d’artillerie, Hyères

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68e régiment d’artillerie d’Afrique, La Valbonne


31e régiment du génie, Castelsarrasin
41e régiment de transmissions, Douai
511e régiment du train, Auxonne
515e régiment du train, La Braconne
516e régiment du train, Toul
Formations héritières des traditions des troupes indigènes coloniales
5e régiment interarmes d’outre-mer (bataillons de marche somalis), Djibouti
9e régiment d’infanterie de marine (tirailleurs tonkinois), Cayenne et Saint-Jean du
Maroni, Guyane
21e régiment d’infanterie de marine (troupes indigènes), Fréjus
Régiment de marche du Tchad (régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad),
Meyenheim
Régiment du service militaire adapté Guyane (5e régiment d’artillerie coloniale,
artilleurs indochinois), Cayenne, Saint-Jean du Maroni, Maripasoula
Régiment du service militaire adapté La Réunion (7e régiment d’artillerie de marine,
artilleurs malgaches), Saint-Pierre, Saint-Denis, Bourg-Murat, Hell-Bourg
Groupement du SMA Polynésie-française (11e régiment d’infanterie de marine,
tirailleurs cochinchinois), Mahina, Hiva-Oa, Arue, Tubuai.

NOTES
1. « Indigènes : Pour désigner le peuplement autochtone, ce terme fut d’un emploi courant après
1880, de préférence à celui denaturel. Les « vieilles » colonies, peuplées de Blancs et de Noirs
n’avaient pas de population autochtone. Ce terme fut surtout utilisé en Afrique Noire […]. À
partir de 1945-1946 le terme d’autochtone lui fut officiellement substitué. » MARTIN J., Lexique de
la colonisation française, Dalloz, 1988, p. 206.
2. Avec la suppression des appellations tirailleurs gabonais, haoussas ou soudanais, l’appellation de
tirailleurs sénégalais s’applique à tous les militaires indigènes originaires de l’Afrique de l’Ouest ou
de l’Afrique centrale, à l’exception de ceux des quatre communes de Saint-Louis, Gorée, Rufisque
et Dakar (Sénégal), qui sont citoyens français et servent dans l’infanterie coloniale sous la
dénomination d’« originaires ».
3. Instruction n° 685/DEF/EMAT/SH/D relative au patrimoine de tradition des unités de l’armée
de terre du 21 juin 1985 (BOEM 685).
4. Cf. CHAMPEAUX Antoine : « Le patrimoine de tradition des troupes indigènes », in Les troupes
de marine dans l’armée de terre un siècle d’histoire, 1900-2000, CEHD, CMIDOME, Lavauzelle, 2001 ; « Le
patrimoine de tradition de la Libération de la Provence », in Le débarquement de Provence, GAUJAC
Paul et CHAMPEAUX Antoine (Dir.), Lavauzelle, 2008 ; « Devoir d’histoire et droit à la mémoire, La
fidélité aux sacrifices consentis par les tirailleurs indigènes, Un aspect de la culture d’arme : le
souvenir des soldats de l’Armée coloniale », in Bulletin de l’association des amis du musée des troupes
de Marine, Fréjus, 2008 ; « Une mémoire de l’Indochine dans l’armée française : le patrimoine de

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tradition des troupes indigènes », in Les Maquis de l’histoire, guerre révolutionnaire, guerres
irrégulières, CHAMPEAUX Antoine (Dir.), Lavauzelle, 2010.
5. Créé le 30 novembre 1910 à partir du bataillon du Chari et du bataillon mixte du Tchad.
6. Extrait de la décision n° 31/CAB/MIL/2.G.
7. Décision n° 171 du 21 novembre 1944 (JO du 17 décembre 1944) ; Décision n ° 649 du 19 avril
1945 (JO du 7 juin 1945).
8. Décision n° 1F du 18 septembre 1946 (BOPP n° 18 du 5 mai 1947, p. 1290). Seules cinq autres
unités de l'armée de terre ont obtenu cet honneur en 1939-1945 : le 2 e groupe de tabors
marocains, la 13e demi-brigade de Légion étrangère, le 4e régiment de tirailleurs tunisiens, le 3 e
régiment de tirailleurs algériens et le BIMP. Sans oublier le 2 e régiment de chasseurs
parachutistes de l'armée de l'Air, unique titulaire de la fourragère à la couleur du ruban de la
Légion d’honneur, avec six citations à l'ordre de l'armée, devenu 1 er régiment de parachutistes
d’infanterie de marine.
9. Ce qui constitue une exception notable à la règle instituée consistant à n’attribuer au
maximum que quatre inscriptions au titre du conflit 1939-1945.
10. Emblème resté à Fort-Lamy pendant la Seconde Guerre mondiale.
11. Décret du 12 juin 1945.
12. Instruction n° 1515/DEF/EMA/OL/2 sur les filiations et l’héritage des traditions des unités du
23 septembre 1983 (BOEM 685).
13. Première des unités des Forces françaises libres, répondant dès juin 1940 à l’appel du général
de Gaulle, à Chypre et à Tripoli, le 1er BIM, sous le commandement du capitaine Lorotte, est le
premier à reprendre les combats contre les forces italiennes aux confins de l’Égypte et de la
Cyrénaïque (septembre 1940).
14. Créé le 2 septembre 1940 à Tahiti, le bataillon rassemble 600 volontaires tahitiens, néo-
calédoniens et néo-hébridais.
15. Et le drapeau du 7e RIC reversé au service historique de l’armée de Terre à Vincennes, en mai
1955.
16. Le 1er décembre 1958.
17. Le drapeau du 7 e RIC est ensuite confié au bataillon autonome de Haute-Volta jusqu’en
novembre 1959, puis, en janvier 1960, au 7e RIAOM à Madagascar.
18. Les décorations attribuées au BIMP et les inscriptions : Libye Égypte Tripolitaine 1942, Tunisie
1943, Italie 1944 et Hyères-Vosges 1944.
19. Sous l’appellation de bataillon d’infanterie de marine de Tahiti.
20. Au cours d’une prise d’armes, le 31 mai 1963.
21. Décision n° 5367/EMAT/3/EPO du 24 septembre 1965.
22. Régiment d’infanterie de marine du Pacifique/Nouvelle–Calédonie (RIMaP/NC) et Régiment
d’infanterie de marine du Pacifique/Polynésie (RIMaP/P). En juillet 2012, le RIMaP devient
détachement Terre Polynésie RIMaP.
23. Décision n° 3181/DEF/EMAT/EMPL/AA du 12 novembre 1988.
24. Le régiment reçoit le patrimoine de tradition du 1er régiment de tirailleurs algériens.
25. Dont trois bataillons au sein de l'Armée d'Orient.
26. Ordre 122 F du 3 septembre 1918.
27. Ce surnom avait déjà été donné par les Bavarois aux marsouins de la « division bleue » à
l’issue des combats de Bazeilles, les 31 août et 1 er septembre 1870.
28. La 151 e compagnie de transit et de garnison qui reçoit le drapeau du 41 e RIMa, devient le 1 er
septembre 1976 la 41e compagnie de commandement, de soutien, de transit et de garnison, elle-
même transformée, le 1er août 1978, en 41e bataillon de commandement et de service.
29. Car il existe une 1 re compagnie du 41 e RIMa (compagnie subdivisionnaire du Finistère), à
Quimper, du 1er décembre 1963 à août 1966. C'est le drapeau dont elle a la garde qui est envoyé
aux Antilles.

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30. Deux inscriptions au drapeau : Verdun 1916 et L'Aisne 1917. Pas de citation.
31. « Le 1er janvier 1791, les vieilles dénomination des régiments disparurent, pour être remplacées par de
simples numéros. Ces nouvelles désignations devaient fixer désormais l’individualité des corps et devenir, à
travers les vicissitudes de l’organisation, le point d’attache de tous les souvenirs. » Historique des corps de
troupe de l’armée française, Berger-Levrault, 1900, p. XXII.
32. Robert Dietrich, en particulier.
33. Documentation du Centre d’histoire et d’études des troupes d’outre-mer (CHETOM) du musée
des troupes de marine, Fréjus.
34. Décision n° 5335/DEF/EMAT/SH/DE/T du 5 juin 1992 : « Son emblème porte les inscriptions
L'Aisne 1918 et Vauxaillon 1918. Il est décoré de la croix de guerre 1914-1918 avec trois citations à l'ordre
de l'armée, de la croix de guerre des théâtres d'opérations extérieurs avec deux citations à l'ordre de l'armée
et de la croix de guerre 1939-1945 avec une citation à l'ordre de l'armée. Il porte la fourragère aux couleurs
du ruban de la croix de guerre 1914-1918. »
35. On peut ajouter également que le régiment du service militaire adapté de la Réunion
conserve la garde de l’étendard et des traditions du 7e régiment d’artillerie coloniale, régiment
d’artillerie de Madagascar.
36. Pour plus de détails sur le bataillon somali, cf. CHAMPEAUX Antoine « Les traditions du 1 er
bataillon de tirailleurs somalis », in Les Troupes coloniales dans la Grande Guerre, Economica, 1997, pp.
23-51 ; « Le bataillon de tirailleurs somalis, 1916-1918 et 1943-1945 », in Les Cahiers de Montpellier,
n° 31 I/1998, pp. 27-43.
37. Ordre n° 133F du 4 novembre 1918.
38. Soldat d’infanterie de marine.
39. Ces cinq inscriptions rappelant les faits d'armes du 1 er bataillon de tirailleurs somalis
pendant la Grande Guerre sont : Verdun-Douaumont 1916, La Malmaison 1917, L'Aisne 1917-1918, La
Marne 1918 et Noyon 1918. Elles se rajoutent aux quatre inscriptions méritées par le 5 e RIC : Lorraine
1914, Champagne 1915, La Somme 1916 et Picardie 1918.
40. Décision n° 12 475 du 1er avril 1970.
41. Décision n° 7347/DEF/EMAT/CAB/16 du 18 septembre 1996.
42. À l'origine simple sous-vêtement utilisé par tous les soldats, portée de façon apparente dans
l'infanterie d'Afrique, la ceinture est de diverses couleurs. Une répartition est peu à peu adoptée
puis réglementée. La ceinture bleue distingue les corps à recrutement européen : zouaves,
infanterie légère d'Afrique, légion étrangère. La ceinture rouge est portée par les unités de
tirailleurs à recrutement indigène.
43. Artilleurs de marine.
44. Cf. DEROO Eric et RIVES Maurice, Les Linh Tap, Histoire des militaires indochinois au service de la
France, 1859-1960, Lavauzelle, 1999.
45. Les drapeaux des 1 er, 2e, 3e et 4 e RTT portent cinq inscriptions : Sontay 1883, Bac Ninh 1884,
Langson 1884, Tuyen Quang 1885 et Hoa Moc 1885. Le 1er RTA : Sontay 1883, Bac Ninh 1884, Cambodge
1885, Laos 1893-1895.
46. Décision n° 61 du 7 novembre 1949, JO du 17 novembre 1949.
47. Issu du groupement N° 5 (du régiment mixte des Antilles-Guyane) créé le 11 décembre 1961,
devenu 3e bataillon du SMA le 1er juillet 1964.
48. Les RIAOM sont créés le 1 er décembre 1958 en remplacement des détachements motorisés
autonomes. Seuls le 1er et le 28e RIAOM héritent des traditions de RTS (1er RTS et 8e RTS).
49. Le régiment est engagé en bataillons ou compagnies isolés. Il fournit également la garde
d’honneur du général Juin puis du général de Lattre.
50. Créé en 1920, et stationné pendant une vingtaine d’années à La Rochelle, le 12 e RTS hiverne
aux environs de Marseille en 1939-1940. Anéanti en 1940, reconstitué au Maroc en 1944, son
drapeau défile sur la Cannebière le 11 novembre 1944.

Revue historique des armées, 271 | 2013


126

51. Cf. RIVES Maurice et DIETRICH Robert, Héros méconnus, Mémorial des combattants d’Afrique noire
et de Madagascar, Frères d’Armes, 1993 ; DEROO Éric et CHAMPEAUX Antoine, La Force noire,
Tallandier, 2006 ; Lemaire Sandrine et Deroo Éric, Les tirailleurs, Histoire, Seuil, 2010 ; GAUJAC
Paul, Les troupes coloniales dans la campagne de France, 1940, Histoire et Collections, 2010.
52. Cf. BENOIT Christian, « La remise de la Légion d’honneur au drapeau du 1 er RTS le 14 juillet
1913 », in Les Cahiers de Montpellier, n° 31 I/1998.
53. Une citation à l’ordre de l’armée pour le 6 e RTS, le I/15 e RTS, le II/13 e RTS et le I/4 e RTS ; à
l’ordre du corps d’armée pour le 15e RTS ; l’inscription Tunisie 1943 pour le 15e RTS, Toulon 1944
pour les 4e et le 6e RTS ; Ile d’Elbe 1944 pour le 13e RTS.
54. Le 27 e BMTS obtient une citation à l’ordre de l’armée (12 février 1952) et une citation à
l’ordre du corps d’armée (24 mai 1955). Ce bataillon avait déjà obtenu en 1914-1918 une citation à
l’ordre du régiment, deux citations à l’ordre de l’armée et la fourragère aux couleurs du ruban de
la croix de guerre.
55. À cette date, les autres RTS deviennent également des RIMa en ajoutant le chiffre 60 à celui
antérieurement porté : 63e, 65e, 66e, 67e, 72e, 73e et 75 e RIMa. Le patrimoine de tradition des RTS
est transféré aux nouveaux RIMa. La plupart de ces unités sont dissoutes entre 1961 et 1967.
56. À partir du 7e régiment de parachutistes d’infanterie de marine et du 10 e RIAOM.
57. Les emblèmes du 1 er RTS (ceux de 1905 et de 1957) sont conservés au musée de l'Armée, à
Paris. Celui de 1950 au musée des troupes de marine, à Fréjus.
58. Arrêté du 23 février 1996 portant création de la fourragère de l’ordre de la Libération (JO du
28 mars 1996).
59. Décision n° 2196/DEF/EMAT/CAB/16 du 12 mars 1996.
60. Homologué sous le numéro G 4293, le 17 juin 1996.
61. Créé en 1834, le corps des spahis réguliers envoie un détachement à Saint-Louis du Sénégal
dès 1843. En 1928, l’escadron de spahis sénégalais devient escadron monté de la gendarmerie
coloniale du Sénégal. À l’indépendance, il devient Garde présidentielle sous le nom de Garde
Rouge. Cf. ROSIERE Pierre, Des spahis sénégalais à la garde rouge, Dakar, Éditions du Centre, 2005.
62. Dissoute une première fois en 1907, recréée en 1921 comme corps militaire des troupes
coloniales, la compagnie des Cipahis de l’Inde devient une unité de gendarmerie en 1938. Elle est
ensuite absorbée par les Forces publiques des Etablissements de l’Inde, forces dissoutes en 1954.
Le fanion tricolore des Cipayes porte 3 inscriptions : Pondichéry, Gingy, Deccan.
63. Décisions 23F du 18 novembre 1952 (1er BT) et 24F du 19 mai 1953 (1er BM).
64. Surnommés les ROK, pour Republic of Korea. 18 Coréens trouvent la mort au sein de la 2 e
compagnie du bataillon français de l’ONU en Corée.
65. Dans le même ordre d’idée, il faudrait évoquer la tradition de déposer une copie des
emblèmes décorés de la Légion d’honneur au musée de l’armée, comme l’ont fait les tirailleurs
sénégalais en juillet 1913 ; ou bien encore la collection d’emblèmes au chiffre 1 représentant tous
les régiments de l’armée coloniale, qui était exposée au musée permanent des colonies, Porte
Dorée à Paris, jusqu’aux années soixante…
66. Son implantation dans la citadelle de Neuf-Brisach est à l’étude.
67. Cf. CHAMPEAUX Antoine, « Les emblèmes, textile sacrés, textiles profanes ? »,in Réflexions sur
la présentation de collections de textiles, de costumes et d’uniformes, AGCCPF-PACA, Fage Éditions, 2006.
68. Cf. CHAMPEAUX Antoine, « Du champ de bataille au musée », in BENOIT Christian,
CHAMPEAUX Antoine, DEROO Éric Deroo et BOËTSCH Gilles (Dir.), Le sacrifice du soldat, corps
martyrisé, corps mythifié, CNRS, ECPAD, 2009.
69. Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et
militaires de la guerre d'Algérie
et des combats en Tunisie et au Maroc (loi n° 2012-1361 du 6 décembre 2012).
70. Souvenir des héros, victimes de la déportation dans les camps de concentration au cours de
la Seconde Guerre mondiale (loi n° 54-415 du 14 avril 1954).

Revue historique des armées, 271 | 2013


127

71. Victoire de 1945 (loi n° 81-893 du 2 octobre 1981).


72. Journée nationale d'hommage aux « morts pour la France » en Indochine (décret n° 2005-547
du 26 mai 2005).
73. Journée nationale commémorative de l'appel historique du général de Gaulle à refuser la
défaite et à poursuivre le combat contre l'ennemi (décret n° 2006-313 du 10 mars 2006).
74. Journée nationale d'hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives
(décret du 31 mars 2003).
75. Armistice de la Première Guerre mondiale et de commémoration annuelle de la Victoire et de
la Paix (loi du 24 octobre 1922 et loi n° 2012-273 du 28 février 2012).
76. Journée nationale d'hommage aux "morts pour la France" pendant la guerre d'Algérie et les
combats du Maroc et de la Tunisie (décret n° 2003-925 du 26 septembre 2003).
77. Voir : Atlas des nécropoles nationales, Délégation à l’information historique, La Documentation
française, 1993 ; Les Sépultures de guerre en France, DMIH, sd ; Les soldats d’outre-mer 1939-1945,
Monuments et sépultures en France, DMIH, sd ; Les soldats nord-africains, Monuments et sépultures,
DMIH, sd.
78. Nécropole nationale de Chasselay, la Tata des tirailleurs sénégalais, direction de la mémoire, du
patrimoine et des archives, sd.
79. Il est à noter que la cérémonie annuelle de mai 2013 marque le passage du témoin entre
l’association nationale Souvenir de l’Armée d’Afrique qui se dissout et Le Souvenir français qui
recueille et conservera son héritage.
80. Le mémorial des guerres en Indochine, DMPA, sd. Dans le mémorial, un mur du Souvenir porte
les 34 000 noms des combattants morts pour la France en Indochine et dont les corps ne reposent
pas à Fréjus (disparus, restés sur place ou rendus aux familles).
81. Œuvre de Léon Guidez.
82. Œuvre de Paul Moreau-Vauthier. Un projet de recréation du monument est à l’étude à Reims.
83. Œuvre du sculpteur Paul Ducuing associant Demba le tirailleur africain et Dupont le poilu
français, inauguré le 30 décembre 1923 au rond-point de l’Étoile à Dakar.
84. Cf. DEROO Éric et CHAMPEAUX Antoine, films : La force noire, Établissement de conseption et
de production audiovisuelle de la défense, 2007 ; Une mémoire en partage, ECPAD, 2008 ; Ensemble,
ils ont sauvé la France, ECPAD, 2008
85. DEROO Éric et CHAMPEAUX Antoine, La Force noire, exposition pédagogique en 20 panneaux,
DMPA, ECPAD, 2007, diffusée par l’office national des anciens combattants et victimes de guerre.
86. DEROO Éric et CHAMPEAUX Antoine, La Force noire, Paris, Tallandier, 2006 ; DEROO Éric,
LEMAIRE Sandrine et CHAMPEAUX Antoine, Les tirailleurs, Histoire, Direction de la mémoire, du
patrimoine et des archives, Seuil, 2010

INDEX
Mots-clés : commémorations, tradition, troupes indigènes

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128

AUTEUR
ANTOINE CHAMPEAUX
Lieutenant-colonel d’infanterie de marine, breveté technique de l’enseignement militaire général
et diplômé de l’École nationale du patrimoine, Antoine Champeaux a été conservateur du musée
des troupes de marine à Fréjus de 1998 à 2009. Il est officier adjoint du général délégué au
patrimoine de l’armée de terre. Docteur en histoire, il a organisé les colloques du centre
d’histoire et d’études des troupes d’outre-mer (CHETOM). Collaborateur d’une cinquantaine
d’ouvrages et auteur de nombreux articles, il dirigé ou co-dirigé Forces noires des puissances
coloniales européennes (Lavauzelle, 2009), Le sacrifice du soldat, corps martyrisé, corps mythifié (CNRS,
ECPAD, 2009), Les Maquis de l’histoire, Guerre révolutionnaire, Guerres irrégulières (Lavauzelle, 2010),
et Le régiment de marche du Tchad, au cœur de la 2e DB (Pierre de Taillac Éditions, 2012). Il a publié
Michelin et l’aviation 1896-1945, patriotisme industriel et innovation (Lavauzelle, 2006) et, avec Éric
Deroo, La Force Noire (Tallandier, 2006). Il a présenté la réédition de La Force noire du lieutenant-
colonel Charles Mangin (L’Harmattan, 2011).

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Généalogie

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Les dossiers de pensions des troupes


coloniales et indigènes. La sous-
série GR 13 Yf
Sandrine HEISER et Hélène Guillot

1 En avril 2011, le Service historique de la Défense (SHD) a débuté le classement des


dossiers de pensions des troupes coloniales et des troupes indigènes pour la période
1850-1950. 14 000 premiers dossiers ont été inventoriés, sur un total de 24 000, l’objectif
étant d’achevé le classement pour le centenaire de la Grande Guerre. L’opération
comporte également une phase importante de reconditionnement permettant une
communication immédiate et idéale aux lecteurs au gré des mises à jour régulières de
l’instrument de recherche provisoire.
2 La sous-série est constituée des dossiers individuels des engagés volontaires. Ils sont
classés à l’unité et par ordre alphabétique. Outre leur nom et leur origine
géographique, l’inventaire relève également leur date de naissance ainsi que la
dernière unité occupée. Une cote unique est attribuée à chacun des soldats, que le
dossier soit présent ou non, dès lors que l’information est présente sur une fiche de
substitution communément appelée fantôme.
3 Un dossier concerne un individu. Il s’agit principalement d’hommes de troupes et de
sous-officiers, une part infime renvoyant à des officiers. Ils sont d’origine variée :
Afrique du Nord, Afrique noire, Cambodge, Annam, Tonkin, Inde, îles des Comores,
Madagascar. Dans le détail, de nombreuses pièces composent le dossier de pension. Il
comprend systématiquement un état signalétique et des services (ESS) complet du
soldat ainsi que les pièces administratives nécessaires à sa demande de pension mais
aussi des pièces d’état-civil justifiant la position de sa veuve lorsqu’elle demande la
réversion. Il arrive que certains dossiers présentent des documents originaux signés
par le Cheick, autorité locale du village d’origine. Ce sont des pièces uniques écrites en
arabe et traduites pour les besoins de l’administration des pensions. On trouve encore
des actes de naissance ou de décès rédigés à la fois en indochinois et en français.

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4 Par ailleurs, se trouvent systématiquement mentionnés l’identité des parents du soldat,


sa date et son lieu de naissance exacte ainsi que sa profession avant l’engagement mais
également ses blessures et ses récompenses. Nombre d’informations sont reportées
dans la base de données documentaire et permettent ainsi de procéder à des requêtes
selon plusieurs critères. Une part importante de ces dossiers concerne des soldats qui
ont combattu, notamment, pendant la Grande Guerre. Pour chacun d’entre eux, il est
fait état de leurs différentes affectations et des campagnes correspondantes.

Les services à distance


5 Depuis le 12 juillet 2012, le répertoire alphabétique des dossiers de pension des troupes
indigènes et des troupes coloniales est publié en ligne sur le site Internet 1 du SHD. De
juillet 2012 à mai 2013, ce sont plus de 7500 internautes qui ont consulté l’inventaire GR
13 Yf au format pdf. Ce répertoire alphabétique est régulièrement mis à jour au fur et à
mesure du traitement du fonds. Il permet de vérifier l’existence d’un dossier et le cas
échéant de retrouver la cote de celui-ci afin de pouvoir en commander une
reproduction.

Un accès dédié aux généalogistes


6 L’intérêt de ces dossiers est en outre signalé par un article dans la rubrique dédiée aux
généalogistes, tout en étant accessible en un clic depuis la page d’accueil du site.
7 Il est à noter que les dossiers eux-mêmes n’ont pas été numérisés et qu’ils sont
consultables uniquement en salle de lecture au SHD-Vincennes. Il est éventuellement
possible de commander la reproduction du dossier dans la mesure où celui-ci est
précisément identifié par une cote.
8 Les sources complémentaires concernent principalement les dossiers de recensement
et/ou de conscription, on consultera également :
• Les Archives nationales d’outre-mer
• Le Service historique de la Défense, Centre des archives des personnels militaires de Pau
(voir l’ouvrage Vos ancêtres à travers les archives militaires, publié par le SHD en 2012)
• Le Centre des archives diplomatiques de Nantes
9 Le catalogue informatisé des bibliothèques signale actuellement 500 000 références
de documents variés (livres, revues, thèses, manuscrits, livres anciens, etc.) répartis
entre les sites géographiques de Vincennes, Brest, Cherbourg, Lorient, Rochefort,
Toulon et Châtellerault. Une recherche simple sur l’expression « troupes coloniales »
permet d’y repérer 326 publications susceptibles d’éclairer le contexte de production
des archives individuelles.
10 Les services à distance du site Internet du SHD offrent également la possibilité de
réserver un document à la condition de s'y prendre très à l'avance, un délai de quatre
semaines pouvant être nécessaire pour la réservation de places et de documents en
salle de lecture Louis XIV à Vincennes.

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NOTES
1. Depuis le mois de février 2013 et suite au changement d’hébergeur, le site Internet du Service
historique de la Défense est automatiquement redirigé vers une nouvelle adresse
www.servicehistorique.defense.gouv.fr. Courant 2013, le site devrait à nouveau être accessible
depuis l’adresse originale www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr.

INDEX
Mots-clés : Instrument de recherches en ligne, pension, troupes coloniales, troupes indigènes

AUTEURS
SANDRINE HEISER
chargée d’études documentaires, chef du bureau de la valorisation culturelle, des publications et
des publics

HÉLÈNE GUILLOT
responsable des fonds contemporains des archives de la Guerre et de l’armée de Terre,
Département des archives définitives

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Lectures

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François Cochet, Armes en guerre,


XIXe-XXIe siècles, Mythes, symboles,
réalités
CNRS éditions, 2012, 317 pages

Julie d’Andurain

RÉFÉRENCE
François Cochet, Armes en guerre, XIXe-XXIe siècles, Mythes, symboles, réalités, CNRS éditions,
2012, 317 pages

1 Après avoir longtemps travaillé sur les prisonniers de guerre définis comme des soldats
sans armes, François Cochet, professeur d’histoire contemporaine à l’université de
Lorraine (Metz) inaugure désormais une réflexion plus vaste et plus globale sur le
soldat et la pratique de la guerre. Avec ce nouvel opus, l’historien s’intéresse à la mise
en valeur de la culture matérielle de la guerre, c’est-à-dire à la relation de l’homme
avec l’outil ou la machine qui, tout en prolongeant son bras, fait de lui un combattant.
Le projet ne consiste pas seulement à effectuer un travail érudit et savant – encore qu’il
soit parfaitement référencé – sur les armes du XIXe au XXIe siècle, mais plus finement de
faire émerger ce qui « sur le champ de bataille relève de l’intransmissible ». En tentant de «
faire dire la guerre aux armes », François Cochet trouve un biais astucieux pour montrer
que ce qui ne peut habituellement se caractériser par le langage – la mort, la violence
de la guerre, l’atteinte au corps et à l’âme – trouve à s’exprimer pour partie dans la
façon dont on nomme, on conçoit ou on utilise les armes. Dans une première partie,
François Cochet étudie ce que « les armes disent des évolutions guerrières » en montrant
comment s’effectue le processus d’amélioration de l’équipement, toujours enserré dans
un débat entre l’efficacité des armes et leur coût. Si un processus d’innovation et
d’automatisation est à l’oeuvre durant toute la période, il se traduit dans certains cas
par une dangerosité croissante du champ de bataille mais, celui-ci ne cessant par
ailleurs de s’adapter, d’autres inventions technologiques apparaissent, doublées le plus

Revue historique des armées, 271 | 2013


135

souvent d’enjeux de communication (mise en image des armes par la photographie ou


le cinéma). Naturellement, si l’identification des armes à la masculinité montre qu’il
existe un lien avec la sexualité, l’auteur ne se contente pas d’un simple rappel de leur
dimension phallique, mais il insiste sur la pertinence des travaux introduisant la notion
de « gender » car le sexe – par le viol en l’occurrence – se transforme aussi, dans bien
des guerres, en une arme. Le caractère totémique de l’arme ainsi mis en exergue se clôt
par une typologie de représentation des armes définissant huit catégories-types. Dans
une seconde étape, l’historien matérialise la façon dont les armes « disent les guerres des
chefs », en analysant la manière dont elles sont choisies et sélectionnées, dans les
démocraties et les dictatures, en montrant à quel point le processus de production des
armes participe de la politique des États tandis que celui de la vente, dans un monde
désormais globalisé, fait intervenir autant la dimension étatique que des sociétés
privées.
2 Enfin, pour finir, François Cochet s’intéresse à la façon dont les « combattants disent les
armes » rappelant à quel point le soldat est nécessairement subordonné à son outil au
point de se voir en quelque sorte « essentialisé » dans sa fonction par son arme
(l’artilleur, le carabinier, l’obusier, le cavalier). L’interdépendance de l’homme et de son
outil entraîne certes une contrainte, celle de devoir entretenir correctement l’arme,
mais aussi une nécessité, celle de la respecter au point de générer une certaine
anthropomorphisation des objets, elle-même perceptible à travers les multiples
surnoms affectifs donnés aux armes. En définitive, François Cochet montre bien que,
dans le discours savant ou dans les témoignages de soldats ou d’officiers, la guerre est
exprimée par le truchement de l’objet qui fait de l’homme un soldat, la variété des
citations et des références suffisant à prouver à quel point l’arme constitue en soi un
objet d’histoire ou de mémoire qui participe à l’histoire des représentations. Dès lors, il
faut considérer cet ouvrage comme un brillant essai et une première synthèse
référencée sur les armes en guerre.

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Adrien-Henri Canu, La pétaudière


coloniale
Édition présentée par Boris Lesueur, avec la collaboration de Roger
Little,L’Harmattan, 2013, coll. « Autrement mêmes », 242 pages

Nicolas Texier

1 Dans cette collection dédiée à la publication de textes tombés dans le domaine public,
les éditions de l’Harmattan rééditent aujourd’hui un texte intitulé « La pétaudière
coloniale », paru en 1894 et dont la postérité étonne aujourd’hui. Né en 1857, Adrien-
Henri Canu sert en Indochine dans l’infanterie de marine, avant de revenir à Paris
tenter une carrière de publiciste. Proche de Déroulède puis de Drumont, antisémite,
nationaliste, il se spécialise dans la dénonciation des scandales et son anticolonialisme
est avant tout une attaque antirépublicaine par la dénonciation des turpitudes de la
Troisième République dans ses colonies. Rédigé par un homme qui n’a
vraisemblablement jamais mis les pieds en Afrique, l’ouvrage serait à peu près sans
intérêt si cette « compilation de la production journalistique de l’époque », selon Boris
Lesueur qui en signe la présentation, n’était le reflet des luttes entre les différents
corporatismes qui agissent aux colonies et ne rassemblait une collection d’anecdotes
édifiantes sur le népotisme, la corruption, l’amateurisme et la prévarication qui
accompagnent les conquêtes et caractérisent le « parti colonial ». Précédé d’une utile
présentation qui restitue le contexte et les enjeux, ce texte est l’occasion de revisiter les
débats qui traversèrent les milieux nationalistes et la presse parisienne au moment de
la reprise de l’expansion coloniale dans les années 1890.

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Daniel Costelle, Prisonniers nazis en


Amérique
Éditions Acropole, 2012, 364 pages

Jean-François Dominé

1 Connu pour ses documentaires destinés à la télévision, Daniel Costelle est aussi l’auteur
de nombreux ouvrages, dont plusieurs consacrés à la Seconde Guerre mondiale. Il
aborde ici un sujet fort peu étudié, le sort fait aux prisonniers allemands (en particulier
les membres de l’Afrikakorps) transférés aux États-Unis. À l’automne 1944, ils ne sont
pas moins de 306 856 répartis dans 55 camps principaux et 511 camps annexes. Ceux-ci
couvrent tout le territoire, en majorité le Sud (notamment le Texas). Ils sont situés en
zone rurale, dans les petites et moyennes agglomérations, à l’exclusion des grandes
métropoles. Pour les soldats allemands, la découverte de l’American way of life est un
choc : l’abondance, le confort, la bonne nourriture est un émerveillement. Cependant,
les plus endurcis n’y voient qu’une forme de corruption. Respectueux jusqu’à l’absurde
de la convention relative au traitement des prisonniers de guerre du 27 juillet 1929, dite
Convention de Genève (judicieusement placée en annexe du livre), les autorités
américaines ont laissé flotter le drapeau nazi au mât des camps ; pire, ils ont laissé
l’idéologie nazie s’y propager librement. Il règne une véritable terreur entretenue par
les éléments les plus fanatiques. Des tribunaux secrets, les Kangaroo Courts, jugent les
suspects de défaitisme ou de lâcheté. Les condamnations peuvent aller jusqu’à la peine
de mort, en fait, l’assassinat. Les responsables américains jugent et condamnent à leur
tour ; ils en viennent à séparer les nazis et les antinazis. Fondé sur le recueil des
témoignages oraux (entrepris dans les années 1970), le travail de Daniel Costelle frappe
par son authenticité. Éclairé par la préface du professeur J.-P. Bled, mis en perspective
par la postface du colonel (er) F. Guelton, il met en lumière un épisode assez ignoré et
surtout montre à quel point une doctrine totalitaire peut garder les esprits sous son
emprise, au-delà de toute logique. Même si la majorité de ces hommes avaient adopté la
formule de l’écrivain Hans Werner Richter : « Nous sommes libres enfin. Prisonniers et
libres. » (Les vaincus, Horay, 1950).

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Ivan Cadeau, Diên Biên Phu (13 mars –


7 mai 1954)
Tallandier, 2013, 207 pages, coll. L’Histoire en batailles

Nicolas Texier

1 Collaborateur régulier de la Revue historique des armées, auteur de la présentation des


deux volumes des Enseignements de la guerre d’Indochine (1945-1954), rapport du général ély
publiés par le Service historique de la Défense, le capitaine Cadeau signe aujourd’hui
chez Tallandier le 11e volume de la prolifique collection L’Histoire en batailles. Consacré
à l’ultime épisode de la guerre d’Indochine, l’ouvrage offre, dans le format bref qui est
celui de la collection, l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur le contexte, le déroulement et
les suites des 56 jours qui scellèrent le départ des troupes françaises d’Indochine. Il faut
tout d’abord saluer l’initiative de l’éditeur qui, à rebours des tentatives les plus
récentes pour étendre et éclairer le champ de l’Histoire à la lumière d’autres sciences
sociales, renoue dans cette collection avec l’étude et la chronologie des événements
proprement militaires.
2 S’agissant d’affrontements comme Alésia, Pearl Harbor ou Diên Biên Phu qui, en
cristallisant soudain des tendances lourdes, déterminent brutalement des changements
radicaux dans la vie des peuples et des territoires, de tels ouvrages permettent, au-delà
des conséquences auxquelles ces batailles sont souvent réduites, de saisir le
déroulement exact de ces événements, le rôle de leurs acteurs majeurs et la part
d’impondérable qui appartient à chacun de ces épisodes.
3 Le pari est ici particulièrement réussi. Faisant appel aux mémoires laissées par les
protagonistes, aux témoignages des combattants, aux ouvrages des spécialistes tant
français qu’anglo-saxons, aux archives des unités comme des commissions qui, dès
1955, entreprirent de déterminer les responsabilités, l’auteur livre un véritable récit,
clair, haletant, pondéré, didactique et concis, enrichi des portraits des principaux chefs
militaires français. Au-delà du contexte de la campagne de 1953 et des raisons qui ont
présidé au choix de la vallée de Diên Biên Phu pour l’implantation d’une base
aéroterrestre, le lecteur découvre ainsi chacun des éléments (tiraillements du haut-
commandement, manque de moyens notamment aériens, renforcement du corps de
bataille viêt-minh, sous-estimation des capacités de celui-ci en matière d’artillerie,

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faiblesse des fortifications, etc.) qui, en entraînant les troupes franco-vietnamiennes


dans un combat décisif mené à 300 km du Delta, consacrent peu à peu une défaite
inexorable dès lors que la vallée est encerclée…
4 Au chapitre des regrets, c’est à peine si l’on mentionnera le report des notes en fin de
volume qui, peut-être dans le but de ne pas effrayer le lecteur, nuit à la lisibilité du
texte.

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Peter Hopkirk, préface d’Olivier


Weber, Le grand jeu, officiers et espions
en Asie centrale
Bruxelles, Éditions Nevicata, 2011, 572 pages

Olivier Berger

1 Entre l’Angleterre et la Russie, une course effrénée à la conquête d’un territoire


stratégique se fait jour, depuis le XVIIIe siècle, afin de contrôler des terres, d'étendre une
aire d’influence vers les steppes asiatiques ou de contrôler la route des Indes. Ce «
grand jeu » consiste à explorer des zones encore mal cartographiées, collecter du
renseignement, nouer et détricoter des alliances de circonstances, espionner l’ennemi
plus ou moins ouvertement. L’expansionnisme russe fait peur aux Britanniques, eux-
mêmes désireux de défendre leur possession indienne et son hinterland. La période
napoléonienne complique la donne, le sentiment de menace exacerbé déchaîne les
nouveaux ennemis qui avaient combattu ensemble Napoléon. Tous les coups sont
permis : on se déguise en pèlerin musulman, en commerçant, maîtrisant le dialecte
local, tout en observant la région, ses caractéristiques étaient enregistrées en vue d’une
campagne que l’on anticipe. C’est une sorte de « guerre froide » avant l’heure, une
course dont l’enjeu est de gagner une aire d’influence commerciale et stratégique. Dans
le Caucase, en Afghanistan, au Tibet, en Inde ou chez les Perses, le grand jeu met aux
prises des officiers jusqu’à l’accord de 1907 qui met fin à cette rivalité. Le nouveau
danger vient désormais d’Allemagne. Ici l’auteur ne prétend pas remplacer des livres
récents faisant autorité, traitant de l’histoire des relations internationales, mais
s’attache à une étude de terrain, privilégiant une petite échelle afin de faire revivre le
périple de ces militaires aventuriers jouant leur vie au nom de la raison d’État. Il
parvient à imbriquer les échelles d’études avec facilité. Ce livre se lit aisément, malgré
un aspect a priori rébarbatif, et aide à comprendre les enjeux géostratégiques actuels de
cette région du monde, largement tributaires des événements passés. Un livre qui
ravira les historiens comme les militaires.

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Julie d’Andurain, La capture de


Samory (1898).L’achèvement de la
conquête de l’Afrique de l’Ouest
Éditions SOTECA, 2012, 209 pages

Dominique Guillemin

1 À Guélémou (Côte-d’Ivoire), au petit matin du 29 septembre 1898, une colonne de deux


cent tirailleurs placée sous le commandement du capitaine Henri Gouraud surgit dans
le camp du plus redouté des grands chefs africains opposés à la pénétration française
dans l’ouest du continent : Samory Touré. La surprise est totale, et c’est sans un coup de
feu que l’Almany(commandeur des croyants) est capturé avec ses principaux fils et
toute sa dembaya(maison, équivalent de smala). Puis, mis devant le fait accompli, les
chefs, marabouts et les quelques 1 800 sofas (guerriers) qui constituent les restes de son
armée déposent leurs armes. Avec leur famille et leur suite, c’est une immense foule de
cinquante mille personnes qu’il faut maintenant prendre en compte et disperser.
Quand à Samory lui-même, il est exilé au Gabon, une des « guillotine sèche » où la
France coloniale expédie ses ennemies à la mort « climatique ». Aujourd’hui oublié, la
soumission du « plus vieil ennemi de la France » dans le bassin du haut Niger, ou du «
Napoléon des savanes », comme on disait également, marque la fin d’une époque : l’ère
de la « course au clocher » et à l’élargissement des empires s’achève alors, tandis que
s’ouvrent les perspectives de développement portées par l’unification des bassins des
fleuves Sénégal et Niger en un vaste marché, avec en arrière-plan le rêve récurent du
transsaharien. C’est tout l’intérêt de l’ouvrage que nous livre Julie d’Andurain,
enseignant-chercheur au Centre de doctrine d’emploi des forces de l’armée de Terre,
que d’approcher, derrière l’événement haut en couleur, les réflexions au cœur de
l’historiographies récentes : la colonisation au prisme des relations entre acteurs
politico-militaires, ou le point de vue de la résistance africaine à la colonisation, y
compris dans son contexte propre, telle la révolution Dyula (les commerçants
itinérants par qui l’Islam se diffuse en Afrique occidentale) et l’examen à distance de sa
légende noire ou dorée (voir le mythe de l’ascendance de Sékou Touré en Guinée) ; le
tout en refusant une vision téléologique de l’histoire coloniale. Passant avec aisance du

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récit à l’analyse politico-sociale et des relations internationales à l’histoire culturelle, le


petit livre de Julie d’Andurain est une excellente porte d’entrée vers le second
impérialisme français en Afrique de l’Ouest.

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Christophe Dutrône, Feu sur Paris !


L’Histoire vraie de la Grosse Bertha
Éditions Pierre de Taillac, 2012, 308 pages

Hélène Guillot

1 Au-delà d’un ouvrage très bien documenté sur les tirs de canons à longue portée,
Christophe Dutrône informe le lecteur sur un aspect de la vie quotidienne des Parisiens
pendant la Grande Guerre. Événements parfois méconnus ou oubliés, les
bombardements sur la capitale ont pourtant rythmé l’existence de cet « arrière » vu
d’abord par les soldats comme un repère d’embusqués. En effet, Paris bombardé à de
nombreuses reprises se transforme en camp retranché comme le montrent très bien les
photographies utilisées. Les monuments ont été protégés, des tranchées ont été
creusées, des sirènes installées et des postes de défense contre avions établis jusqu’en
haut de la tour Eiffel. Les destructions occasionnées par les obus allemands sont
toujours l’occasion de mettre en scène la population martyrisée autour de ses ruines et
de dénoncer la « barbarie » des ennemis de la France. Des drames comme celui de
l’église Saint-Gervais, bombardée alors que 600 personnes assistent à l’office,
précipitent les Parisiens, qui le peuvent, vers les gares. Des réfugiés quittent Paris et se
rendent dans le sud-ouest de la France. Ce phénomène n’est pas à généraliser mais il
laisse le lecteur présager de l’ambiance régnant dans la capitale à cette période. Il faut
souligner, par ailleurs, la richesse de l’illustration très variée qui agrémente les récits
des contemporains tout en regrettant l’absence des références des archives consultées
et utilisées. Pour finir, cet ouvrage ne doit pas occulter l’existence, dès 1914 et tout au
long de la guerre, des bombardements aériens menés par des avions légers de type
Tauben ou des bombardiers Gothas jusqu’en 1918.

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Christian Duverger, Cortès et son


double. Enquête sur une mystification
Éditions du Seuil, 2013, 310 pages.

Ivan Cadeau

1 Pour de nombreux profanes, l’histoire de la conquête du Mexique, celles des exploits de


Hernán Cortès et de sa petite troupe de conquistadors avides d’aventures et de
richesses, renvoie d’abord à la lecture d’un ouvrage : L’histoire véridique de la conquête de
la Nouvelle-Espagne. Censée avoir été écrite dans la seconde moitié du xvie siècle par l’un
des derniers témoins de l’épopée cortésienne, Bernal Díaz del Castillo, cette œuvre est
devenue une référence depuis. Elle relate, dans un style vivant et agréable à lire, le récit
de cette poignée d’hommes, conduite par un chef charismatique, qui, en quelques
années, détruit l’un des empires les plus puissants du monde d’alors : l’empire Aztèque.
Pour beaucoup, l’affaire était entendue et, si les souvenirs de Bernal Díaz, pouvaient
évidemment souffrir quelques critiques, l’auteur lui-même ne semblait pas devoir être
remis en cause. Or voilà que, nous apprend Christian Duverger, la vérité s’avère
quelque peu différente…
2 Dans Cortès et son double, Christian Duverger, spécialiste du monde méso-américain et
particulièrement des Aztèques, démontre de manière magistrale comment s’est
construit un mythe – celui d’un vieux soldat inculte – Bernal Díaz del Castillo –
racontant avec une précision étonnante des événements survenus plusieurs décennies
plus tôt et démonte – pan par pan, la légende de L’histoire véridique écrite par ce témoin
omniscient. Certes l’auteur n’est pas le premier à avoir émis des doutes quant à
l’origine du manuscrit et de son rédacteur mais, l’enquête minutieuse – car il s’agit bien
d’une véritable enquête - qu’il mène ne laisse plus place aux doutes : Bernal Díaz del
Castillo n’est pas l’auteur de L’histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne.
L’intérêt majeur de l’ouvrage de Christian Duverger réside dans la contre-enquête que
fait celui-ci : car si Díaz n’a pas écrit L’histoire véridique, alors qui est-ce ? Et comment en
est-on venu à lui attribuer la paternité du livre ?
3 Procédant par éliminations et recoupements, et suivant une démarche logique étayée
par de solides sources primaires qui entraînent le lecteur des Archives générales du
Guatemala aux bibliothèques du Mexique, Christian Duverger apporte sa réponse. Aux

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termes de son raisonnement, les nombreuses inconnues qui se faisaient jour au début
de la lecture de son ouvrage semblent se dissiper, le voile se lever. La vérité apparaît
alors, en définitive cohérente, bien loin de la légende qui s’est forgée au cours des
siècles et admise jusqu’ici. Il faut lire Cortès et son double, d’abord pour son sujet et le
renouveau historiographique qu’il offre sur la question mais aussi pour son approche
méthodologique : la révision de l’histoire est, en effet, la base du travail de l’historien et
Christian Duverger nous en fait une brillante démonstration.
4 Au sortir de cette passionnante étude qui, n’en doutons pas, ne manquera pas de faire
réagir les spécialistes outre-Atlantique, le lecteur ne pourra plus avoir la même vision
de la conquête du Mexique telle que relatée dans L’histoire véridique de la conquête de la
Nouvelle-Espagne. Hernán Cortès, quant à lui, restera toujours un formidable chef de
guerre, mais apparaîtra également comme un homme d’une grande culture et d’une
grande finesse d’esprit ce, par delà sa mort.

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Yohann Douady, D’une guerre à


l’autre
Nimrod, 2012, 393 pages.

Dominique Guillemin

1 Alors que l’armée française quitte l’Afghanistan, il est intéressant d’observer la


floraison d’ouvrages qu’aura suscité ce théâtre en comparaison des précédentes
opérations extérieures dans lesquelles fut engagée l’armée française. Que ce soit en
matière de doctrine (les réflexions sur la « contre-insurrection »), d’histoire (un regain
d’intérêt pour « le grand jeu », la lutte d’influence qui se joue entre puissances dans la
région depuis le XIVe siècle), de tactique (les apports du retour d’expérience soviétique
ou des spécialistes de la guerre en montagne), l’Afghanistan semble avoir focalisé les
esprits autant que les forces vives des armées, surtout à partir de 2007, date de
l’intensification de l’engagement français au « royaume de l’insolence ».
2 Mieux encore, plusieurs récits de militaires de tous grades viennent ajouter
l’indispensable apport du témoignage personnel à la connaissance de cet engagement
exceptionnel par sa nature et sa durée. Citons par exemples ceux de l’adjudant-chef
Saulnier, du caporal-chef Gargoullaud ou du sergent Tran van Can. On ne peut que
saluer cette vague d’intérêt qui contraste avec la discrétion habituelle du combattant
sur le terrain, quelle soit une forme de pudeur, ou une obligation imposée par le statut
militaire. Á la manière du genre populaire des war stories anglo-saxonnes, c’est un récit
de ce genre que nous livrent les éditions Nimrod avec l’ouvrage du sergent Yohann
Daoudy, D’une guerre à l’autre. Il possède les qualités qu’on attend d’un ouvrage de ce
genre : description vivante de la vie quotidienne du soldat, des « choses vues » et de son
ressenti, évocation sincère du sens patriotique de l’engagement, de l’esprit de corps, et
de la camaraderie qui soude les unités élémentaires, et enfin, plongée réaliste dans les
opérations. De la Bosnie, simplement évoquée, en passant par la Côte d’Ivoire au
moment de l’attaque par l’aviation du camp de Bouaké, on rejoint ensuite l’Afghanistan
ou l’on suit la préparation et l’engagement du Battle Group Richelieu construit autour du
2e RPIMA. C’est là, tout particulièrement, dans la description qu’il fait des combats de
son équipe de tireurs d’élite que l’auteur parvient à nous faire comprendre la réalité du
combat d’infanterie d’aujourd’hui.

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3 Au final, l’ouvrage du sergent Yohann Daoudy retrace ses campagnes avec une vérité de
langage et un sens du détail descriptif que n’exclue pas la verve, et il mérite de figurer
au premier rang des témoignages laissés par les soldats français engagés en OPEX.

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Michel Bodin, Les Français au Tonkin


1870-1902. Une conquête difficile
Éditions SOTECA, coll. Outre-mer, 296 pages.

Ivan Cadeau

1 Spécialiste reconnu de la guerre d’Indochine, et plus particulièrement du corps


expéditionnaire d’Extrême-Orient et de ses combattants, Michel Bodin s’intéresse cette
fois à une autre période de l’Indochine française, celle de la conquête du Tonkin, une
conquête difficile, comme le rappelle le sous-titre. Conçu d’une manière chrono-
thématique, l’ouvrage relate, de façon concise et extrêmement pédagogique, les
mécanismes politiques, comme les enjeux économiques, qui entraînent le
gouvernement français de l’époque dans l’occupation de la partie nord de l’actuel
Vietnam. Loin des images d’épinal véhiculées par certaines représentations de la fin du
XIXe siècle, l’auteur nous trace le portait d’une campagne éprouvante, fort coûteuse en
vies humaines, notamment pour les troupes européennes qui combattent dans un
milieu physique contraignant et sous un climat insalubre, voire « débilitant ». Les
conditions du combat dans cette région du Vietnam usent ainsi prématurément les
organismes, favorisent les maladies et affaiblissent par-là les capacités opérationnelles
des troupes françaises. En 1889, par exemple, un jeune commandant de compagnie note
que sur ses « 180 tirailleurs, on ne peut trouver un peloton de 60 hommes pour entreprendre
une marche un peu longue ». L’un des incontestables atouts de l’ouvrage est d’exposer de
manière claire les différents acteurs de cette conquête, en métropole d’abord où, dans
les cercles du pouvoir, s’affrontent les partisans et les opposants de cette expédition. En
Indochine, ensuite, où Michel Bodin détaille les différents protagonistes du théâtre
d’opérations : les populations annamites, montagnardes, les soldats français et
autochtones et, bien sûr, les « ennemis ». Sur ce point, d’ailleurs, le livre a le mérite de
faire justice de certaines vérités établies sous l'IIIe République et reprise par la suite qui
font de ceux-ci, par commodité politique, de simples « pirates ». Il y a, en premier lieu,
les « Vietnamiens », chez qui l’on peut apprécier, déjà, la vigueur du sentiment national
et qui se battent pour la restauration de l’ordre ancien matérialisé par la personne de
l’Empereur d’Annam et le maintien des traditions. Viennent ensuite les Chinois, les
soldats réguliers qui défendent leur protectorat, remarquablement bien armés et dotés

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de matériels américains, britanniques ou allemands (notamment pour l’artillerie), les


Pavillons noirs (ou jaunes), agissant plus ou moins sur ordre de la Cour de Chine et,
enfin, il est vrai, de véritables « pirates ». Ce sont contre tous ces combattants que vont
lutter les Français et leurs auxiliaires au cours d’une campagne qui se soldera par la
perte de 13 000 hommes dont plus des deux tiers, morts de maladie. L’intérêt de cet
excellent ouvrage, riche et très documenté, est de présenter, en autant de tableaux
synthétiques, cette épopée coloniale qui, si elle se solde en définitive par une « victoire
» - l’occupation effective du Tonkin par la France - porte en germes les échecs futurs du
corps expéditionnaire français dans cette région au cours de la guerre d’Indochine. Le
lecteur ne manquera pas, comme le fait Michel Bodin dans sa conclusion, de retrouver
« des problématiques et des problèmes similaires à ceux de la conquête » et de se poser la
question, comme le fait l’auteur : « À quoi avaient servi les expériences du passé » ?

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Jean-Charles Jauffret, La Guerre


inachevée. Afghanistan 2001-2013
Éditions Autrement, 2013, 345 pages.

Christophe Lafaye

1 Afghanistan 2001-2010. Chronique d’une non-victoire annoncéene passa pas inaperçu


lors de sa parution en mars 2010. Étude pionnière en histoire immédiate sur ce sujet
brûlant, cet essai du professeur Jean-Charles Jauffret fut récompensé par le prix du
livre de Verdun en novembre de la même année. Il est vrai que ce spécialiste de
l’histoire militaire coloniale et directeur du master « Histoire militaire, Défense et
géostratégie » à l’IEP d’Aix-en-Provence, est l’un des grands connaisseurs universitaires
du monde militaire. C’est donc avec une certaine impatience que nous nous apprêtions
à découvrir la nouvelle édition revue et augmentée de cet ouvrage, titré La Guerre
Inachevée. Afghanistan 2001-2013 . Une courte introduction souligne d’emblée
l’ambition de ce volume. Elle est de mener une réflexion sur ce conflit (modèles
historiques pour penser la contre-insurrection actuelle, efficience des réponses
apportées par les Occidentaux sur le terrain…) et de faire un bilan de l’engagement
français. C’est un témoignage érudit sur une histoire en train de se faire. Par la suite,
les principales analyses qui ont fait la réussite du premier opus sont toujours présentes.
Elles ont été enrichies par les derniers prolongements du conflit. De l’histoire de
l’Afghanistan à une analyse géopolitique de la région, en passant par une description de
la nature, des techniques et des procédures d’un adversaire « polymorphe », l’auteur
balaie de nombreux sujets. Il n’oublie pas de proposer à la sagacité du lecteur une
analyse dans le temps des étapes de ce conflit depuis 2001, tout en incluant un long
développement sur l’engagement français. à la veille de leur retrait, l’historien propose
de faire le bilan des actions des forces françaises sur le terrain. Il met en lumière
l’émergence d’une culture de guerre qui s’est forgée au contact de ce théâtre
d’opérations exigeant. à retenir tout particulièrement, les riches développements
consacrés aux étapes de l’opération militaire occidentale en Afghanistan. Ce travail de
chronologie, de mise en cohérence et d’analyse des événements successifs, constitue
une plus-value certaine de cette version actualisée. Enfin, la lecture de l’ensemble du
chapitre concernant l’engagement français, qu’il concerne les différentes phases

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militaires, la culture de guerre ou l’hommage aux blessés et aux morts, est très
fortement recommandée (p. 205-253). à noter que l’auteur retient particulièrement la
date du 30 décembre 2009 et la prise en otage des deux journalistes de France 3 en
Kapisa, comme étant celle d’un coup d’arrêt aux opérations de contre-insurrection dans
la zone de responsabilité française. Enfin, cet essai se ponctue par une analyse des
solutions qui auraient pu être mises en avant pour garantir l’avenir de ce pays où tout
est désormais possible, entre le spectre du retour de la guerre civile et l’espoir d’une
paix possible. En conclusion, la lecture de cet ouvrage remanié nous semble
indispensable pour tout historien souhaitant traiter de la guerre en Afghanistan. Il pose
des bases très solides (chronologiques, thématiques, etc.) pour de futures analyses sur
le conflit. Les annexes contiennent un lexique appréciable pour qui souhaite
comprendre le langage militaire contemporain. Une bibliographie et un recueil de
sources sont aussi présents. Pourtant, on peut regretter la suppression de la
chronologie présente dans la première édition, mais cet outil, consubstantiel du travail
de l’historien, a disparu sans doute au profit de notes de bas de pages plus abondantes
et fournies. Toutefois, l’éditeur a fait le choix de reléguer celles-ci en fin d’ouvrage, ce
qui a tendance à rendre la lecture un peu inconfortable. Enfin, une carte de l’évolution
des implantations militaires françaises et quelques illustrations iconographiques
auraient pu être un « plus » appréciable pour le lecteur non spécialiste.

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Claude Juin, Des soldats tortionnaires,


guerre d’Algérie : des jeunes gens
ordinaires confrontés à l’intolérable
Robert Laffont, 2012, 372 pages

Benoît Haberbusch

1 Sociologue de formation né en 1935, Claude Juin traite de deux thèmes récurrents sur la
guerre d’Algérie : les appelés et la torture. S’appuyant sur ses souvenirs personnels et
des témoignages plus ou moins connus, l’auteur s’interroge sur le processus qui a pu
amener les appelés, ces « gens ordinaires », à commettre des actes irréparables. L’intérêt
de sa démarche réside dans le suivi de ces conscrits avant et après leur séjour algérien.
La description de leur univers mental au moment de leur entrée sous les drapeaux est
très instructive, de même que l’évocation de leurs difficultés éprouvées lors du retour
en métropole. Toutefois, cette démonstration manque d’épaisseur. Alors que la
pratique de la torture et des exécutions sommaires par l’armée française pendant la
guerre d’Algérie est à peu près admise aujourd’hui (p. 27), Claude Juin ne parvient pas à
déterminer précisément la part prise par le contingent, faute d’un dépouillement
suffisant des archives (p. 307). Il estime, par ailleurs, qu’en chiffrage relatif, « les jeunes
qui s’y sont personnellement adonnés furent peu nombreux » (p. 307). En outre, le parcours
militant de l’auteur qui a publié le Gâchis en 1960 conduit à une analyse subjective du
conflit qui ne tient pas compte de la fragmentation et de la complexité des situations.
Ainsi, la communauté européenne d’Algérie semble réduite à ses yeux aux grands
colons exploitant « l’indigène » (p. 59-61). De même, les exactions commises par
l’adversaire sont à peine esquissées. À défaut d’une synthèse rigoureuse sur le sujet, le
livre de Claude Juin doit plutôt être considéré comme un recueil de témoignages
commentés par un ancien appelé. Ce type de source est tout aussi utile pour les
historiens.

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Fabien Lafouasse, L’espionnage dans


le droit international
Nouveau monde éditions, coll. Le Grand Jeu, 2012, 492 pages

Jean-François Dominé

1 Publié dans une collection dirigée par Olivier Forcade et Sébastien Laurent consacrée à
l’histoire du renseignement et des services secrets, préfacé par Pierre Brochand,
ambassadeur de France et ancien Directeur général de la sécurité extérieure (DGSE),
l’ouvrage du colonel Lafouasse est tiré de sa thèse de droit public. Il conserve quelques
traits universitaires : liste des abréviations, bibliographie thématique abondante (23
pages), illustrations (tableaux, cartes et figures). Cela n’est pas de trop, s’agissant d’une
matière aussi paradoxale. Ce terme revient souvent, comme ambigu ou contradictoire ;
l’auteur évoque un « hybride juridique » voire, citant l’Allemand Karl Doehring, une «
schizophrénie juridique » ou une « curiosité juridique ». C’est que l’espionnage (que les
traités se gardent bien de définir) n’est pas interdit mais qu’un espion appréhendé
encourt de lourdes peines. Afin que le lecteur se repère plus facilement, Fabien
Lafouasse distingue trois âges du renseignement : des cités antiques à 1850, il en est fait
un usage dissimulé ; de 1850 à 1962 (à cette date, le gouvernement des Etats-Unis admet
avoir survolé l’URSS à des fins d’espionnage), il devient lentement institutionnel ;
depuis, il est de mieux en mieux assumé par les États. En réalité, l’espionnage est
indissolublement lié à l’État-nation dont les services de renseignement sont des
administrations officielles. Or, il est menacé par la mondialisation et ses méthodes
d’investigation démodées par les technologies sophistiquées. Très solidement
documenté, l’ouvrage de Fabien Lafouasse propose en quinze chapitres un bilan limpide
et exhaustif du droit de l’espionnage (en temps de paix et en temps de guerre, terrestre,
aérien, naval, satellitaire, cyber espionnage). Vu la complexité de la matière, c’est une
remarquable prouesse.

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Dimitri Casali, Christophe Beyeler,


L’histoire de France vue par les peintres
Flammarion, coll. Histoire et actualité, 2012, 320 pages.

Michel David

1 Beau, original et surtout instructif : telles sont les trois épithètes qui viennent à l’esprit
en parcourant l’excellent ouvrage de Dimitri Casali et Christophe Beyeler. Dans une
double démarche, historique et artistique, les deux auteurs nous invitent ici à revivre
deux millénaires d’histoire de France à travers plus d’ une centaine de tableaux dont ils
nous font découvrir la richesse de la composition, la symbolique et la signification.
Pour réussir une telle entreprise, sans doute était-il indispensable de réunir trois
qualité essentielles : du goût et de l’érudition bien sûr, mais aussi de la pédagogie. Les
deux auteurs n’en manquent pas ! Historien, spécialiste de Napoléon, Dimitri Casali est
aussi directeur de collection et compositeur. Il est notamment l’auteur de l’Altermanuel
d’Histoire de France (Perrin, 2011) qui lui a valu le prix Du Guesclin. Élève de l’école des
Chartes et de l’école du Patrimoine, Christophe Beyeler est conservateur du patrimoine
au château de Fontainebleau. Fin connaisseur de la peinture du XIXe siècle, il a été
commissaire de plusieurs expositions consacrées à l’Empire. Dans cette œuvre qui les
réunit, l’heureuse coopération des deux historiens s’exprime tout d’abord dans le choix
des 107 tableaux qui constituent la trame de cette grande fresque historique. Ces
tableaux ont tous été sélectionnés pour leur puissance évocatrice, leur charge émotive
et le soin dont a fait preuve le peintre pour raconter l’histoire à travers la composition.
Le lecteur y retrouve quelques-unes des scènes classiques dont les reproductions
ornaient autrefois nos bons livres d’histoire : le Vercingétorix jetant ses armes aux pieds de
César par Lionel Royer, le Sacre de l’empereur Napoléon 1 er de Jacques-Louis David ou la
Prise de la smalah d’Abd el Kader d’Horace Vernet. Mais on découvre aussi avec bonheur
des œuvres moins connues voire même totalement méconnues et pourtant si
évocatrices du fait historique dont elles témoignent : le Porteur de dépêches, Sainte-Marie-
aux-Chênes, près de Metz, septembre 1870, peint par Alphonse de Neuville et dormant dans
les réserves du Metropolitan Museum of Art de New York ou Le libérateur, 16 juin 1877 de
Jules Arsène Garnier, conservé à la Chambre des députés. L’intérêt principal réside
cependant dans la façon dont chaque toile est présentée, analysée et détaillée : l’œuvre

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est tout d’abord reproduite pleine page, accompagnée du commentaire qui situe
l’évènement. Elle est ensuite disséquée, chaque motif intéressant étant grossi et analysé
pour fournir les clés de compréhension en fonction de l’effet recherché par l’artiste lui-
même ou par le commanditaire de la toile. Qu’il se veuille représentation fidèle de
l’évènement historique ou œuvre de propagande, chacun de ses tableaux nous livre
ainsi ses secrets et acquiert, à travers ses personnages et ses objets, un supplément de
vie et d’âme. La leçon d’histoire par l’image tient alors toutes ses promesses : le lecteur
est ébloui, comprend et retient. Sans doute, en refermant l’ouvrage, éprouvera-t-il de
surcroit cette légitime fierté de pouvoir inscrire sa propre existence dans une histoire
aussi riche et exaltante. Notons enfin que l’ouvrage s’enrichit d’une biographie des
soixante peintres dont les tableaux ont été reproduits, ainsi que d’un index des œuvres.

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Hugues Tertrais (dir.), La Chine et la


mer. Sécurité et coopération régionale
en Asie orientale et du Sud-Est
L’Harmattan, 2012, 220 pages

Dominique Guillemin

1 La Chine et la mer rassemble les actes du colloque éponyme organisé en 2007 sous la
direction du professeur Hugues Tertrais (Paris-1). Autour d’une question très actuelle,
cet événement rassemblait aussi bien des universitaires (historiens, géographes,
politistes), que des praticiens concernés par les questions de sécurité en Asie
(militaires, responsables de prospective stratégique, spécialistes du transport maritime,
etc.). Il permettait donc la rencontre du monde de la recherche, avec son approche
distanciée du sujet, et celui de la réflexion opérationnelle, fondée sur les réalités
présentes et orientée vers l’aide à la prise de décision. Au final, la quinzaine d’articles
rassemblés ici offre une vision panoramique des relations maritimes de la Chine avec
ses voisins depuis la fin de guerre civile chinoise en 1949. Du point de vue chinois, la
victoire des communistes met fin à l’humiliation coloniale ressentie depuis la guerre de
l’opium, en 1842, sans effacer pour autant le sentiment que « le malheur arrive par la mer
». Ainsi, lors de la guerre froide, la bande côtière est considérée comme une frontière
menacée par l’omnipotence navale de la VIIe flotte américaine. Si la mer permet de
ravitailler l’allié vietnamien par la « piste Ho-Chi-Minh » maritime (Christopher Gosha),
c’est aussi une zone susceptible de s’embraser à tout moment, comme lors de la crise
des détroits de Formose de 1958 (Nicolas Vaicbourdt). Cependant, en se détachant du
bloc communiste, la Chine développe sa propre vision de la puissance maritime. Cette
évolution est perceptible dans les rapports d’attachés militaires, dont le plus célèbre est
le général Guillermaz, sinologue averti (Pierre Journoud). Cependant, pour des raisons
économiques, la flotte reste une préoccupation secondaire par rapport aux autres
armées, et son entretien, comme la formation de son personnel, sont défaillants. La
marine de l’Armée populaire de libération se limite donc à la défense côtière. Depuis, la
conception chinoise a évoluée vers une défense active d’un domaine maritime élargi,
non sans susciter d’importants contentieux avec les pays riverains (Yang Baoyun).

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Cette ouverture stratégique vers la mer accompagne l’essor économique chinois voulu
par Deng Xiaoping à partir de 1979. Dès 1982, l’amiral Liu Huaqing organise la
modernisation de la flotte, qui bénéficie, jusqu’à l’embargo de 1989, des transferts de
technologie occidentaux (Alexandre Sheldon-Duplaix). Devenue « l’atelier du monde », la
Chine devient également dépendante des voies maritimes pour ses échanges
commerciaux. Cette ouverture sur le monde bouleverse la donne en Asie, par exemple
dans la compétition entre les grands ports (Antoine Frémont), ou par la création d’un «
hub énergétique » pour subvenir à ses énormes besoins dans ce domaine (Hervé
L’Huillier). En définitive, cette position dominante favorisera-t-elle la coopération
régionale ou la confrontation entre puissances concurrentes pour l’accès aux
ressources naturelles ? La question est d’autant plus ouverte que les rivalités maritimes
sont intenses et complexes en Asie orientale. Au nord, la mer Jaune se transforme d’une
mer-frontière à un espace d’échanges et de revendications croisées entre Chinois,
Coréens et Japonais (Sébastien Colin). À l’est, la dispute entretenue par la Chine, le
Japon et Taïwan sur les îles Senkaku-Diaoyutai est emblématique de l’importance du
moindre domaine insulaire du fait de la substantielle zone économique exclusive (ZEE)
qu’il octroie (Philippe Peltier). En mer de Chine du Sud, Pékin prend l’ascendant sur les
riverains par une conjugaison de hard power et de soft power (général Daniel Shaeffer).
Enfin, la délimitation de la frontière maritime sino-vietnamienne dans le golfe du
Tonkin rappelle l’ancrage colonial de ces questions juridiques (Nguyen Thi Hanh). Tous
ces cas de figure laissent entrevoir une conception chinoise du droit maritime qui a
évolué d’une conception défensive, considérant les eaux territoriales comme un glacis
protecteur, à une conception plus offensive, fondée sur la revendication d’une ZEE à
partir du plateau continental (François Campagnola). En définitive, quelle évaluation
peut-on faire du risque d’un conflit majeur dans la région ? Décrivant le rôle de l’océan
Pacifique dans la vision stratégique américaine, le colonel Loïc Frouart pose la question
d’une nouvelle bipolarisation Chine-USA. Dans un tel contexte, la flotte chinoise n’est-
elle pas l’instrument d’une nouvelle lutte pour l’empire des mers ? Pour l’amiral Oudot
de Dainville, elle s’impose déjà comme un moyen d’affirmation d’une politique
nationale, et sans doute, demain, comme l’avant-garde de l’action chinoise dans le
monde. Mais celle-ci pourra être aussi contributrice de sécurité – comme elle le fait
depuis 2008 en participant à la lutte contre la piraterie dans l’océan Indien – favorisant
la pleine intégration de la Chine dans le concert des nations.

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