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Le traité de Paris de 

et la nationalité française en Amérique

Édouard BARATON *

Résumé

La nature de l’identité française, de son expression juridique et de sa


persistance au-delà des frontières, a agité les juristes et les administrateurs
depuis le xvi siècle et elle continue de le faire. Dans ce cadre, les traités de
cessions acceptés par la France, impactant des territoires ultra-marins,
nord-américains principalement, de 1713 à 1814 ne sont pas allés sans
créer des crispations entre puissances sur le statut des personnes. Plus
singulièrement, elles créèrent et créent encore des points de frictions
diachroniques dont le traité de Paris de 1763 est le principal point de
fixation avec un problème central : les populations françaises perdirent
¢elle leur « nationalité française » par l’effet de ce texte ? A partir des
travaux récents sur la « naturalité » d’Ancien Régime et la naissance de la
nationalité française au xviiie siècle, particulièrement ceux de Peter Sahlin
et de Frédérique Vidal, nous nous proposons de faire un bilan des effets
qu’eurent ces textes sur les populations concernées dans le droit et la
jurisprudence française au xviiie et au xixe siècle et de confronter ces
résultats à l’état du droit actuel.
Mots clés : Naturalité française, Droit de la nationalité, Canada,Traité de
Paris de 1763.

Abstract
The nature of the French identity, of its legal expression and of its
persistence beyond borders, has agitated jurists and administrators since
the sixteenth century and continues to do so. In this context, the cession
treaties accepted by France, impacting ultra-marine territories, mainly
North American, from 1713 to 1814 created tensions between powers
about the status of people. More singularly, they created and still create
points of diachronic friction, of which the Treaty of Paris of 1763 is the
main point of fixation with a central problem: did the French populations
lose their ‘‘French nationality’’ by the effect of this text? From recent works
on the ‘‘naturalness’’ of the Ancien Régime and the birth of French
nationality in the 18th century, particularly those of Peter Sahlin and
FrédériqueVidal, we propose to take stock of the effects these texts have on
the populations concerned in French law and jurisprudence in the 18th

* Université de Rouen Normandie / GRHis.

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and 19th centuries and to compare these results with the current state of
the law.
Keywords : French ‘‘naturalité’’, Nationality law, Canada, Treaty of Paris
of 1763

Hector : Mon cher Busiris, nous savons tous que le droit est
la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète
n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la
réalité.
Busiris : Le Sénat m’a demandé une consultation, je la
donne.
Hector : je te demande une interprétation, c’est bien plus
juridique encore.
Jean Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu,
acte II, scène V.

Introduction

C’est une évidence, pour l’Etat français, que le traité de Paris de 1763
(voir figure 1) a privé les « habitans François » des territoires cédés,
et par conséquent leurs descendants, de leur « nationalité française ».
C’est ce qu’expriment sans ambages les consulats de France à
Montréal et à Toronto à l’attention des descendants des personnes
concernées.
Il convient de rappeler que les personnes dont les ascendants ont perdu
la nationalité française par suite d’un traité ou d’une cession de territoire,
ne peuvent souscrire une déclaration de nationalité au titre de l’article
21-14 du Code civil, qui concerne les pertes de nationalité de caractère
individuel.
Par conséquent, les descendants des Français qui étaient établis sur les terri-
toires cédés par le Traité de Paris du 10 février 1763 et ont, en vertu de ce
traité, perdu la nationalité française, ne peuvent réclamer cette nationalité
que par naturalisation, à la condition de résider en France. 1

Les descendants des habitants de la Nouvelle-France ne sont pas les


seuls auxquels est opposée cette fin de non-recevoir. Outre le traité de
1763, d’autres accords internationaux signés à la même période posent
des problèmes analogues. Qu’il s’agisse de celui d’Utrecht de 1713, par
lequel la France céda l’Acadie, du traité de Fontainebleau de 1762,
entraînant la cession de la Louisiane à l’Espagne, de l’accord franco-
américain de 1803 concernant lui aussi la Louisiane, ou de celui de
1. Consulat de France à Toronto :
https://toronto.consulfrance.org/spip.php?article1412. Consulat de France à Montréal :
https://montreal.consulfrance.org/Precisions-sur-la-reglementation,1141.
le traité de paris de 1763 181

1814 sanctionnant la défaite française par la renonciation à l’île


Maurice, aux Seychelles et à quelques Antilles, tous auraient dénatio-
nalisé les habitants de ces territoires 2.
Mais pourquoi l’Etat français se donne-t-il la peine de prendre
position sur des faits historiques que l’on pourrait supposer bien loin
des préoccupations de ses agents ? En fait, pour Paris, la question n’est
pas anodine, car depuis 1993, la loi française, en l’occurrence l’article
21-14 du Code civil, en permettant aux descendants de Français ayant
perdu cette qualité d’être réintégrés, sans limite temporelle et sous
réserve de posséder un lien ¢ culturel, économique, ou familial avec la
France ¢ peut concerner des millions de personnes 3.
Une seule limite est opposée : l’existence d’un traité de cession ayant
entraîné la perte collective de la nationalité française pour les habitants
des territoires cédés dont les descendants sont écartés de toute possi-
bilité de réintégration. En effet, la rédaction des articles 17-08 et 17-10
du Code civil, issus de l’ancien Code de la nationalité de 1945, postule
qu’une perte collective et irrémédiable de nationalité concerne les
habitants des territoires touchés par « les traités internationaux
relatifs à l’annexion ou à la cession de territoires promulgués anté-
rieurement ».
Cependant, cette ligne d’exclusion est plus incertaine qu’il n’y paraît,
car l’article 17-10 stipule que la perte de la nationalité française par
effet des traités antérieurs à 1945 n’est en réalité édictée qu’à titre
« interprétatif ». Or, en droit français, une clause interprétative ne
s’actualise qu’en l’absence d’une jurisprudence ou d’un acte légal
contraire et antérieur. Si un tel document légal existe, il prend le pas sur
la clause interprétative en vertu du principe de non-rétroactivité de la
2. Réponse du Ministère de la Justice, JO. Sénat, 13/09/2007, p. 1624. Question écrite
no 00907 de Mme Christiane Kammermann, JO. Sénat, //, p. 1287.
3. Code civil, Art. 21-14 : « Les personnes qui ont perdu la nationalité française en
application de l’article 23-6 ou à qui a été opposée la fin de non-recevoir prévue par
l’article 30-3 peuvent réclamer la nationalité française par déclaration souscrite confor-
mément aux articles 26 et suivants. Elles doivent avoir soit conservé ou acquis avec la
France des liens manifestes d’ordre culturel, professionnel, économique ou familial, soit
effectivement accompli des services militaires dans une unité de l’armée française ou
combattue dans les armées françaises ou alliées en temps de guerre. Les conjoints
survivants des personnes qui ont effectivement accompli des services militaires dans une
unité de l’armée française ou combattu dans les armées françaises ou alliées en temps de
guerre peuvent également bénéficier des dispositions du premier alinéa du présent
article. »
Circulaire no / du  juin , NOR : JUSC9420582c, B0 just. no 54, 1er avril-30 juin
1994 : « Ces liens peuvent par exemple être caractérisés par le fait d’appartenir à une
association qui a pour objet de répandre la culture française, d’envoyer ses enfants dans
des établissements scolaires français, d’exercer une activité dans une entreprise française
ou collaborant étroitement avec des organismes français, de conserver en France des
biens mobiliers ou immobiliers, de maintenir des relations avec sa famille résidant en
France. Dès lors que l’intéressé apporte la preuve qu’il a fixé en France son domicile au
sens du droit de la nationalité, il peut être admis qu’il possède des liens manifestes avec la
France au sens de l’article 21-14 ». Voir aussi : Circulaire du  juin  relative à la
réception et enregistrement des déclarations de nationalité française par les greffiers en chef.
NOR : JUSC1017281C. Bulletin officiel du ministère de la justice et des libertés.

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loi. Le Conseil Constitutionnel français s’est prononcé clairement sur


la question à de nombreuses reprises 4.
Il n’échappera à personne que l’opinion actuelle des consulats ne fut
pas celle de tous les responsables français depuis 1763. La prise de
position du général de Gaulle est évidemment la plus connue. Pour le
fondateur de la Cinquième République, il existait bien de son temps
des « Français Canadiens », « partie du Peuple français 5 ». Il l’exprima
depuis le balcon de l’hôtel de ville de Montréal sous la forme : « Fran-
çais de part et d’autre de l’Atlantique ». La même idée revint lors de sa
conférence de presse du 27 novembre 1967 : « Les 60 000 Français
laissés là-bas, jadis, sont devenus 6 millions et ils demeurent plus
français que jamais 6 ». Et une ultime fois, à la télévision, pour ses
derniers vœux comme président, le 31 décembre 1968. Déraisonnait-il,
comme d’aucuns l’ont exprimé à l’époque en termes peu amènes ? 7
Si ce fut le cas, il n’était que le dernier d’une longue lignée. Vergen-
nes, ministre de Louis XVI, qualifiait encore les habitants des pays
perdus en 1763 de « Bons Français » à la veille de l’intervention fran-
çaise dans la guerre d’indépendance américaine 8. En 1793, dans un
rapport à la Convention, en pleine période révolutionnaire et de guerre
contre l’Angleterre, le général Félix Wimpffen parlait des « Français du
Canada 9 ». Alexis de Tocqueville écrivit en 1831 à propos des habitants
du Bas Canada qu’il rencontra suite à un excursus intervenu dans son
célèbre voyage aux États-Unis : « Ils sont aussi Français que vous et
moi 10 ». Le capitaine de la Capricieuse écrivit, en 1855, dans son rapport
rédigé en vue de l’ouverture du consulat de France à Québec, que « la
France aurait dans son représentant et dans les relations commerciales
qu’elle se serait créées, des moyens de ne pas laisser tout à fait dispa-
raître sa nationalité » 11. Que la France soit en guerre ou en paix avec la
puissance souveraine sur ses territoires perdus, un même thème ressort.
Arrêtons là une liste que nous pourrions allonger à l’envi. De toute
évidence, pour certains responsables français jusqu’aux années 1960,
4. Dernière occurrence d’un avis des sages sur le problème des clauses interprétatives :
Décision no 2016-604 QPC du 17 janvier 2017.
5. Communiqué du conseil des ministres du  juillet  in Charles de Gaulle, Lettres,
Notes et carnets, Tome 3, -, Paris, Robert Laffont, 2010, p. 909. Message à
l’ambassadeur de France à Ottawa du 9 décembre 1966, in Charles de Gaulle, Lettres, op.
cit., p. 845.
6. Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, Le Renouveau, -, L’effort, ..., Allo-
cutions et discours, Paris, Plon, 1999, p. 1065.
7. Stéphane Paquin (dir), Histoire des relations internationales du Québec, Montréal VLB
éditeur, 2008, p. 60.
8. Charles Gravier Vergennes, Mémoire historique et politique sur la Louisiane, Paris,
Lepatit Jeune, 1802, p. 25.
9. S.1 T.72 P. 410-411
10. Alexis de Tocqueville, 7 septembre 1831, in Trembley Jean-Marie (éd.), Tocqueville
au Bas Canada, Chicoutimi, Classiques de l’UQAC, 2001, p. 76.
11. Robert Pichette, Napoléon III, l’Acadie et le Canada français, Moncton, Éditions de
l’Acadie, 1998, p. 48-49. Voir Yvan Lalonde et Didier Poton, La Capricieuse () : poupe
et proue. Les relations France-Québec (-), Québec, Presses de l’Université Laval,
2006.
le traité de paris de 1763 183

les habitants des territoires cédés en 1763 ne perdirent pas leur « natio-
nalité » par effet du traité. Était-ce là une pure vue de l’esprit sans base
juridique ? Nous nous proposons ici d’ouvrir cette discussion histori-
que par l’exhumation de la législation et de la jurisprudence française
touchant au traité qui impacta les habitants des territoires cédés en
1763.
À notre connaissance, un seul historien, Denis Vaugeois, s’est inté-
ressé, pour lui-même, aux conséquences contemporaines sur la natio-
nalité française en Amérique du traité de 1763 12. Mais, bien d’autres
historiens, se penchant sur les conditions de la liquidation de la
Nouvelle-France, ont touché plus ou moins directement au problème
du statut, au regard des autorités françaises d’Ancien Régime, des
anciens sujets d’Amérique. Nous pensons particulièrement à Jean
François Mouhot, et Claude Bonnault qui, tous deux, suivirent dans
leurs travaux le parcours de Français d’Amérique venus en France
après la signature de traités de cession 13. D’autres historiens encore
ont raisonné sur la question plus générale de la naturalité puis de la
nationalité française, à la fin de l’Ancien Régime et après la Révolution,
et de sa conservation post-limini, en particulier Peter Sahlins 14. Pour
des raisons d’économie générale du texte, nous sommes contraints de
renvoyer en bloc aux discussions sur l’évolution du débat concernant la
nationalité française aux périodes qui nous intéresse 15. Nous ne traite-
rons ici que de leurs résultats positifs relatifs à notre objet.
Partant de là, nous avons prolongé l’enquête sur le statut légal des
habitants des territoires cédés en 1763 au regard de la loi française. Il
s’agit de saisir si, ¢ et si oui, sur quelles bases ¢ les anciens sujets
12. Denis Vaugeois, entretien à Radio Canada, « Samedi et rien d’autre », 2012.
13. Jean François Mouhot, Les réfugiés Acadiens en France, -, Rennes, PUR,
2012. Claude Bonnault, « Le Canada perdu et abandonné », Revue d’histoire de l’Amérique
française, vol. 2, no 3, 1948, p. 331-350. Claude Galarneau, La France devant l’opinion
canadienne -, Québec, Presses de l’Université Laval, 1970. Signalons aussi, à
propos du problème du statut des Louisianais suite à la vente de 1803, Vanessa Mongey,
« ‘‘Des Français indignes de ce nom’’. Être et rester Français en Louisiane (1803-1830) »,
in Cécile Vidal (dir.) Français ? La nation en débat entre les colonies et Métropole XVIe-
XIXe siècle, Paris, EHESS, 2014, p. 171-188.
14. Peter Sahlins, Sylvie Rab et Cécile Alduy, « La nationalité avant la lettre. Les
pratiques de naturalisation en France sous l’Ancien Régime », Annales. Histoire, Sciences
Sociales, 2000-5, p. 1081-1108. Peter Sahlins, « Sur la citoyenneté et le droit d’aubaine à
l’époque moderne, réponse à Simona Cerutti », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2008-2,
p. 395-398.
15. Outre les auteurs précités, nous renvoyons dans l’ordre chronologique à ces
ouvrages qui, sans jamais toucher directement le problème des Canadiens, permettent de
contextualiser les épisodes et les faits dont nous traitons : Cécile Vidal, « Francité et
situation coloniale : Nation empire et race en Louisiane française (1699-1769) », Annales,
Histoire, Sciences Sociales, 2009-5, p. 1019-1050 ; Vincent Denis, Une Histoire de l’Identité :
France -, Seyssel, Champ Vallon et Société des Études robespierristes, 2008) ;
Dominique Godineau et Sophie Wahnich, « L’impossible citoyen. L’étranger dans le
discours de la Révolution française », Annales historiques de la Révolution française, no 312,
1998, p. 354-357 ; Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un français ?, Paris, Grasset, 2005 ; Sophie
Wahnich, L’impossible citoyen. L’étranger dans le discours de la Révolution française, Paris,
Albin Michel, 2010.

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français du Canada ou leurs descendants, purent, avant 1945, voir


reconnaître juridiquement, mutatis mutandis, leur « francité » héritée de
la Nouvelle-France par les autorités françaises successives en dépit des
variations du cadre juridique. Pour cela, nous avons recouru à des
sources connues des historiens mais guère utilisées par ceux de l’Amé-
rique française, à savoir les archives parlementaires de la Révolution ainsi
que celles des régimes successifs jusqu’à la cinquième République, parti-
culièrement le Bulletin des Lois et le Journal officiel de la République. Outre
cela, le traité de 1763 n’étant en réalité qu’une pièce d’un ensemble de
traités de cession analogues, nous avons étendu l’investigation aux élé-
ments jurisprudentiels et légaux touchant aux traités d’Utrecht de 1713,
de Fontainebleau de 1762, à l’acte de cession de la Louisiane de 1803 et
au traité de Paris de 1814. Nous ne retiendrons ici que les éléments
éclairant directement les implications du traité de 1763 en ce qui a trait
à la nationalité française en Amérique, hier et aujourd’hui 16.

. Naturalité et sujétion française en Amérique jusqu’en 

Dans la perspective qui est la nôtre, un premier problème se pose. Si


les autorités consulaires estiment que le traité de 1763 a dénationalisé
des populations, encore faut-il savoir lesquelles avaient la « nationalité »
française. C’est une difficulté dans la mesure où le terme de nationalité
est postérieur de plusieurs décennies au traité. Cependant, à défaut de
nationalité au sens moderne, les Français de l’époque pouvaient être
définis par leur naturalité. En droit d’Ancien Régime, la naturalité
française protégeait des pénalités légales imposées aux étrangers, ou
aubains, incapables de transmettre leurs biens, meubles et immeubles,
par héritage et soumis à une taxe spécifique 17.
Louis XIII puis Louis XIV définirent des règles d’acquisition et de
transmission de la naturalité française en Amérique 18.
[Art. XXXIV] Et pour favoriser d’autant plus les habitans des dits pays
concédés, et porter nos sujets à s’y habituer, nous voulons que ceux qui
passeront dans les dits pays jouissent des mêmes libertés et franchises que
s’ils étaient demeurant en ce royaume, et que ceux qui naitront d’eux et des
sauvages convertis à la foi catholique, apostolique et romaine soient sencés et
réputés regnicoles et naturels françois, et comme tels, capables de toutes

16. Du fait des impératifs de format, nous laissons aussi de côté certaines questions
subsidiaires au traité de 1763, particulièrement le problème de ses effets combinés, au sud
de la frontière canadienne, avec ceux des traités de 1783.
17. Peter Sahlins, Sylvie Rab et Cécile Alduy, « La nationalité avant la lettre. Les
pratiques de naturalisation en France sous l’Ancien Régime », Annales. Histoire, Sciences
Sociales, 2000-5. p. 1081-1108.
18. « Acte pour L’établissement de la Compagnie des Cents Associés », in Édits et
ordonnances royaux, déclarations et arrêts du conseil d’État du roi concernant le Canada,
Imprimé sur une adresse de l’Assemblée législative du Canada, De la presse à vapeur de
E. R. Fréchette. Québec, 1854.
le traité de paris de 1763 185

successions, dons, legs et autres dispositions, sans être obligés d’obtenir


aucunes lettres de naturalité [...]. 19

Ainsi étaient naturels français, héréditairement, les descendants


d’immigrés français ainsi que les Amérindiens catholiques, dispensés
de l’obtention, relativement complexe, des lettres de naturalité néces-
saires aux aubains . Notons tout ce qu’il y avait de novateur dans cette
législation. Elle consolidait en Amérique un caractère transmissible de
la naturalité française qui devint une règle de droit positif dans le droit
français en 1804 après que ce principe a progressivement gagné du
terrain par la jurisprudence.

Figure 1. ¢ Les territoires concernés par le traité de Paris de 1763.

19. « Établissement de la Compagnie des Indes Occidentales », in Édits et ordonnances


royaux, déclarations et arrêts du conseil d’Etat du roi concernant le Canada.
20. Si les droits des Indiens comme naturels français n’ont pas toujours été respectés par
l’administration, ils n’ont jamais été fondamentalement remis en cause dans le droit. Saliha
Belmessous, Assimilation and Empire: Uniformity in French and British Colonies, -,
Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 14 ; Gilles Havard, « La politique d’assimilation
des amérindiens en Nouvelle-France », in Cécile Vidal (dir.), Français ? La nation en débat
entre les colonies et Métropole XVIe-XIXe siècle, Paris, EHESS, 2014, p. 118-120.

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Les traités de cession de territoires signés par la royauté française


éteignirent-ils la naturalité française des habitants des territoires cédés ?
Un regard sur les effets du traité d’Utrecht de 1713, par lequel la France
céda l’Acadie à la Grande-Bretagne, est éclairant. En ce qui concerne
les habitants, il stipulait que :
[Art. 14] Il a esté expressément convenu que dans tous les lieux et colonies
qui doivent être cédées ou restituées en vertu de ce Traité par le Roy T.C., les
sujets dudit Roy auront la liberté de se retirer ailleurs dans l’espace d’un an
avec tous leurs effets mobiliaires, qu’ils pourront transporter où il leur plaira.
Ceux néanmoins qui voudront y demeurer et rester sous la domination de la
G.B. doivent jouir de l’exercice de la religion catholique romaine, en tant que
le permettent les loix de la G.B. 21

Comment les autorités françaises interprétèrent-elles cette clause


qui, ne parlant que de mobilité des biens et des personnes, n’évoque
pas la naturalité de celles-ci ? Grâce à Jean-François Mouhot, ce cas est
particulièrement bien documenté 22. Les éléments qu’il fournit dépas-
sent d’ailleurs la date de 1785, et permettent d’éclairer le cas des
Acadiens, et moindrement celui des Canadiens face au cadre juridique
français jusqu’à la fin du 18e siècle. Le traitement des Acadiens est
important, puisqu’il offre un exemple de réintégration massive d’un
groupe issu des territoires perdus dans le cadre juridique français.
Les autorités civiles de Nouvelle-France, incarnées ultimement par
le gouverneur Vaudreuil, se penchèrent sur le statut des Acadiens qui
vinrent se réfugier en territoire français, en l’occurrence au Canada,
suite au Grand Dérangement de 1755 23. Les articles de la capitulation
de Montréal offrent de ce point de vue une synthèse de ce qu’étaient
juridiquement les Acadiens, sortis de l’orbite de la souveraineté fran-
çaise depuis 1713, lorsqu’ils se trouvaient en territoire français, du point
de vue français 24.
Ils apparaissent dans les articles 36, 39, 41 et 55 du document de
capitulation sur lesquels s’opposèrent les points de vue français et
anglais à leur propos 25. Ces articles cherchent à prévenir la perspective
d’une réédition du Grand Dérangement de 1755, même limitée à une
21. Traité d’Utrecht. Traité de paix et d’amitié entre la France et la Grande-Bretagne.
31 mars/11 avril 1713. Université de Perpignan :
http://mjp.univ-perp.fr/traites/1713utrecht.htm.
22. Jean-François Mouhot, Les Réfugiés acadiens en France : - ¢ L’impossible
réintégration?, Québec, Septentrion, 2009.
23. La position de Vaudreuil doit se comprendre dans une longue liste de réintégration
d’Acadiens dans l’orbite française depuis 1713 : ANOM, Colonies, B, vol. 45, fo 1149 ½.
Corine Laplante, « Pourquoi les Acadiens sont-ils demeurés en Acadie (1713-1720) ? »,
Société historique acadienne (Cahiers), 21, 1968, p. 4-17 ; Bona Arsenault, Histoire des
Acadiens, Montréal, Fides, 1994, p. 170-171.
24. « Articles de la capitulation de Montréal », in A Collection of the acts passed in
the Parliament of Great Britain and of other public acts relative to Canada, Quebec,
P. E. Desbarats, 1824, p. 7-25.
25. « Articles de la capitulation de Montréal », p. 7-25.
le traité de paris de 1763 187

partie des vaincus. Les clauses tentent de protéger uniformément les


naturels français présents au Canada en spécifiant qu’elles s’appliquent
à eux, nonobstant leur origine provinciale, canadienne, acadienne ou
française. Du point de vue deVaudreuil, ces trois catégories d’individus,
différentes par leur origine géographique, ne forment qu’un seul
ensemble couvert par la capitulation. Ainsi, les Acadiens, naturels fran-
çais, mais non plus sujets français effectifs depuis 1713, étaient consi-
dérés par Vaudreuil, comme étant redevenus effectivement, en rentrant
en territoire français, sujets français de plein droit. C’est le sens de leur
intégration dans les clauses de Capitulation au côté des Canadiens et
des Français. L’article 55 voulut même étendre encore les bénéfices de
la qualité de sujets français à des Acadiens non revenus dans des territoi-
res français après 1755 : « [Article 55] Quant aux officiers de milices,
aux miliciens et aux Acadiens qui sont prisonniers à la Nouvelle-
Angleterre, ils seront renvoyés sur leurs terres 26 ».
Outre cela, le gouverneur tenta même de faire admettre, pour l’ave-
nir, la pérennité d’un lien entre la population conquise et la France :
« [Art. 41] Les Français, Canadiens et Acadiens, qui resteront dans la
colonie, de quelqu’État ou condition qu’ils soient, ne seront ni ne
pourront être forcés à prendre les armes contre Sa Majesté très chré-
tienne ni ses alliés, directement ni indirectement, dans quelque occa-
sion que ce soit ; le gouvernement britannique ne pourra exiger d’eux
qu’une exacte neutralité 27 ».
Cette clause, rejetée par les autorités anglaises, est remarquable. Elle
reprend, et tente d’étendre formellement, la pratique revendiquée des
Acadiens de 1713 à 1755 et qui, sous souveraineté anglaise, leur valait de
part et d’autre la qualification de « Français neutres » 28.
Vaudreuil présente donc la vision juridique la plus large possible,
dans la perspective d’une souveraineté britannique, de la francité per-
sistante des populations conquises. Le problème de la nature nationale
et juridique des Acadiens a attiré l’attention des autorités françaises
métropolitaines qui produisirent de la documentation sur leur cas, en
1762 et 1763, en écho à des sollicitations de la part d’Acadiens 29.
Plusieurs milliers d’Acadiens déportés en Angleterre ou dans les
colonies anglaises virent leur avenir dépendre de la prise position des
autorités françaises à leur propos. Soit ils étaient considérés « dénatio-
nalisés » par le traité d’Utrecht et relevaient de Londres, soit ils étaient
26. « Articles de la capitulation de Montréal », p. 7-25 (nous soulignons).
27. Ibid.
28. Jean-François Mouhot, « Des ‘‘Revenantes’’ ? À propos des ‘‘Lettres fantômes’’ et
de la correspondance entre exilés acadiens (1758-1785) », Acadiensis. Journal of the History
of the Atlantic Region ¢ Revue d’Histoire de la région Atlantique, XXXIV, 1, Automne 2004,
p. 96-115. Régis Sygefroy Brun, « Le séjour des Acadiens en Angleterre et leurs
traces dans les Archives Britanniques », Société Historique Acadienne, IV, 2 (juillet-
septembre 1971), p. 62-68. Ministère des Affaires Étrangères (MAE), Correspondance
politique, Angleterre, vol. 452, fo 203 ou 205 et Vol. 448, fo 218-221.
29. MAE, vol. 448, fo218-221. MAE, vol. 450, fo 438-9 et vol. 450, fo 415-7.

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réputés Français et pouvaient être rapatriés sur le sol français, au même


titre que les prisonniers de guerre. C’est cette dernière position qui fut
adoptée par Versailles 30. Après paiement, partiellement par le trésor
français, de leurs dettes contractées en Angleterre, les Acadiens se
trouvant dans ce pays furent rapatriés en bloc aux côtés des prison-
niers 31. Ils furent donc considérés comme Français, tout comme les
Indiens catholiques habitant l’Acadie, qui se replièrent sous souverai-
neté française après 1763 32. Cela revenait, de la part des autorités
françaises, à dénier au traité d’Utrecht tout effet sur la naturalité des
intéressés.

. Les « habitans François » du Canada face à l’État français de


 à 

L’ensemble des autres naturels français habitant entre le Mississippi


et l’île du Cap Breton tombèrent ensuite sous le coup du traité de Paris
de 1763. Son texte expose plus positivement que celui de 1713 la
situation des habitants des territoires cédés : « [Art. 4] De plus, Sa
Majesté Trés Chretienne cède & garantit à Sa dite Majesté Britannique,
en toute propriété, le Canada avec toutes ses dépendances [suivent les
précisions territoriales] & leurs Habitans, ainsi que le Roy Très Chre-
tien cède & transporte le tout au dit Roy & à la Couronne de la Grande
Bretagne, & cela de la Maniere & de la Forme la plus ample, sans
Restriction [...] 33 ».
Il est bien question d’une cession de population. L’article 7 ajoute que :
[Art. 4 suite] De son Coté Sa Majesté Britannique convient d’accorder aux
Habitans du Canada la Liberté de la Religion Catholique [...]. Sa Majesté
Britannique convient en outre, que les Habitans François ou autres, qui
auroient eté Sujets du Roy Très Chretien en Canada, pourront se retirer en
toute Sûreté & Liberté, où bon leur semblera, et pourront vendre leurs Biens
[...] & transporter leurs Effets, ainsi que leurs Personnes, sans être gênés
dans leur Émigration [...] ; le Terme limité pour cette Emigration sera fixé à
l’Espace de dix huit Mois, à compter du Jour de l’Échange des Ratifications
du présent Traité.

30. Bibliothèque municipale de Bordeaux, Manuscrits de la bibliothèque municipale


de Bordeaux. Supplément, ms 1480, 770 bis, 1185-1563, Recueil de pièces relatif aux
Acadiens. Archives nationales d’Outre-mer (ANOM), Fonds ministériels, Série B : Cor-
respondance au départ (1654-1816), COL/B/119, fo 66 et COL/B/117, fo 497.
31. MAE, Correspondance politique, Angleterre, vol. 450, p. 83-87, 98-99, 198, 205-
206.
32. Charles A. Martijn, « Les Mi’kmaqs dans les registres paroissiaux des îles Saint-
pierre et Miquelon, 1763-1830 », Recherches Amérindiennes au Québec, vol. 26, no 2, 1996,
p. 49-72.
33. Traité de paix entre le roi, le roi d’Espagne et de la Grande Bretagne, conclu à Paris, le
 février , Paris, Imprimerie royale, 1763 (nous soulignons).
le traité de paris de 1763 189

[Art. 7] [...] Les Stipulations insérées dans l’Article 4 en faveur des Habitans
du Canada auront Lieu de même pour les Habitans des Pays cédés [à l’est du
Mississippi] par cet Article. 34

La clause religieuse reprend celle de 1713. Il en va de même de celle,


temporaire, de libre disposition des biens et du droit d’émigration. Un
autre point nous semble plus important. Le texte établit une différence
entre les « habitans françois » et d’« autres », cédés par le traité et qui
« auroient été » sujets du roi de France. En somme, il introduit une
distinction entre une qualité « nationale », ou « naturelle » dans le lan-
gage de l’époque, celle de Français, et une catégorie juridique diffé-
rente, celle de sujets français 35.
Au-delà du délai de départ libre indiqué par le traité, restait-on, en
Amérique, « naturel François » tout en étant sujet de Sa Majesté Britan-
nique ? La question était posée. Elle était d’autant plus importante et
positive que le traité enregistrait l’existence au Canada d’« autres »
anciens sujets du roi qui, eux, ne bénéficiaient pas de la naturalité
française. Au regard du droit français sur la naturalité en Amérique du
Nord, cette périphrase désigne les Indiens non catholiques, mais aussi
les étrangers, aubains, résidents. Le traité grave dans le marbre la
situation juridique créée en Amérique par le droit français en ce qui
concerne le statut des personnes. Outre cela, le fait que le souverain
britannique ait « convenu » dans le traité que ses nouveaux sujets du
Canada conserveraient la jouissance de la religion catholique n’est pas
indifférent en ce qui a trait à la naturalité française, liée à l’Église
romaine. C’était l’outil nord-américain de l’enregistrement des preuves
de naturalité des descendants des colons et des Indiens catholiques qui
était préservé.
Notons enfin qu’il est question des « habitants François » au présent
et non par exemple des « ci-devant habitants François », ce qui les
aurait explicitement rejetés hors du cercle de la naturalité française.
À l’inverse, si la qualité de Français, au sens de la naturalité, est
exprimée au présent, la sujétion à l’égard de la France est bien expri-
mée au passé : « auroient été Sujets ».
Cette lecture du texte, qui prend en compte la distinction entre
sujétion et naturalité, permet de douter de la présence, dans la lettre
même du traité, de l’idée d’une dénaturalisation des « habitans Fran-
çois ». A fortiori, un regard sur le traité de Paris de 1783, qui mit fin à la
guerre franco-anglaise de 1778-1783, atteste que, pour les autorités
34. Ibid. (nous soulignons).
35. La naturalité française était reconnue par édit royal à tous les habitants d’origine
française installés au Canada comme le prévoyait l’édit de Mai 1664 dont les effets se
prolongent jusqu’à la fin du régime français : Bibliothèque et Archives nationales du
Québec (BAnQ), Fonds Juridiction royale de Montréal,TL4,S1,D2257, Édit royal délivré
à Jean Trullier dit Lacombe, boulanger, concernant la naturalité française, qui est ac-
cordée à tous les descendants des Français établis au Canada, et la reconnaissance, en
France, de métiers exercés dans la colonie pendant une dizaine d’années, 20 juillet 1718.

Outre-Mers. Revue d’histoire,T. , No - ()


190 é baraton

françaises, le changement de maître d’une population par la conquête


de son territoire n’entraînait pas ipso facto de modification dans l’état
des naturalités de chacun. C’est ce qu’illustre le cas de l’île de Tobago,
passée de l’Angleterre à la France.
[Art.7] S.M. Britannique cède et garantit à S.M. Très Chrétienne l’île de
Tabago. [...] les habitans britanniques ou autres, qui auroient été sujets du
Roi de la Grande-Bretagne dans les susdites îles, conserveront leurs proprié-
tés aux mêmes titres et conditions auxquelles ils les ont acquises, ou bien ils
pourront se retirer en toute sûreté et liberté où bon leur semblera, et auront
la faculté de vendre leurs biens, pourvu que ce soit à des sujets de S.M. Très
Chrétienne, et de transporter leurs effets ainsi que leur personne [...] Le
terme limité pour cette émigration est fixé à l’espace de dix-huit mois, à
compter du jour de l’échange des ratifications du présent Traité. Et pour
d’autant mieux assurer les propriétés des habitans de la susdite île de Tabago,
le Roi Très Chrétien donnera des Lettres patentes portant abolition du droit
d’aubaine dans ladite île. 36

Si le roi de France précise qu’il abolira le droit d’aubaine dans sa


nouvelle conquête, c’est afin de garantir à ses nouveaux sujets, naturels
britanniques, résidant dans l’île, qu’ils ne tomberont pas sous le coup
de la législation française sur les étrangers. Si une telle mesure conser-
vatoire fut nécessaire, c’est bien que le traité, par lui-même, ne chan-
geait rien à l’état antérieur des naturalités 37.
Pour étayer notre hypothèse, regardons le traitement par l’État fran-
çais des Canadiens rentrés en France après 1764. En octobre 1765 et en
1766, donc après l’expiration du délai prévu par le traité, le gouverneur
de Saint-Pierre et Miquelon écrivit au gouvernement français à propos
d’Acadiens qu’il recevait dans sa colonie sans que leur qualité de
Français soit questionnée 38. On ne comprendrait pas qu’il en fût
différemment des Canadiens. En 1770, les autorités françaises reçurent
une demande, émanant de Canadiens restés au Canada.
J’ai rendu compte au Roi des différentes lettres par lesquelles vous me
marquez que beaucoup de Canadiens qui sont restés sous la domination
anglaise désirent de venir s’établir à Cayenne et demandent les mêmes
secours accordés précédemment aux nouveaux colons, mais Sa Majesté
assurée par des expériences réitérées que les seuls capitalistes peuvent contri-

36. Traité de paix entre le roi de France et le roi de la Grande-Bretagne signé à Versailles le
 septembre . Université de Perpignan :
http://mjp.univ-perp.fr/traites/1783versailles.htm.
37. Dans le cas du traité de Paris, nulle précision en faveur de la préservation des biens
des anciens sujets du roi de France n’était nécessaire, puisque la capitulation de Montréal
donnait déjà les garanties nécessaires pour ceux qui resteraient en Amérique.
38. ANOM, Fonds ministériels, Série C : Correspondance à l’arrivée (1610-1815),
ANOM/COL/C12/1, fo 107-108. ANOM, Fonds ministériels, Série B : Correspondance
au départ (1654-1816), COL/B/123. La Frontière entre Saint Pierre et Miquelon et les
territoires du continent relevait de la fiction pour les populations françaises vivant sous les
deux souverainetés : Parlement canadien, Rapport concernant les archives canadiennes,
volume II, Ottawa, C. H. Parmelee, 1905, p. 294.
le traité de paris de 1763 191

buer à la prospérité de cette colonie et que le climat s’oppose à toute


population de blancs n’est plus dans l’intention de faire aucune dépense à ce
sujet. Si parmi les Canadiens qui demandent à passer à Cayenne il s’en
trouve qui soient en état d’y former des établissements, vous pourrez leur
concéder le terrain dont ils auront besoin, mais ils ne doivent compter sur
aucun secours. 39

De toute évidence, les Canadiens passant en France après 1764, ou


dans tout autre territoire sous souveraineté française, n’étaient pas
considérés par les autorités françaises comme étrangers 40. En somme,
les Canadiens étaient réputés naturels français et, comme permet de le
constater la lettre de 1770 relative à la Guyane, ipso facto sujets du roi
pour peu qu’ils se retrouvassent dans un espace placé sous sa souverai-
neté sans qu’il soit besoin d’arguer à propos de leur francité. Celle-ci
relève de l’évidence pour l’autorité politique. C’est ce qui explique les
carrières administratives et militaires de Canadiens sous bannière fran-
çaise à la fin de l’Ancien Régime 41. D’autres moments furent propices
au passage de Canadiens en France sans que là encore ils ne soient
évidemment considérés comme sujets anglais. Cela advint semble-t-il
en 1778, à la faveur du déclenchement de la guerre d’indépendance
américaine et de l’intervention française consécutive, puisqu’aux dires
d’un document nantais de cette année-là l’on en trouvait alors 1500
arrivés récemment 42.
Quelques cas particuliers illustrent le comportement des autorités
royales françaises à l’égard de Canadiens. Ainsi, la situation d’Étienne
de Rivedoux, baron d’Hastrel, doit attirer notre attention. Son père,
« ancien capitaine au service de la France », se trouvait encore au
Canada en février 1766 lorsque naquit son fils. Selon les articles 14, 17,
19 et 22 de la capitulation de Montréal, il aurait dû quitter le pays dès
1762 pour suivre le sort des soldats prisonniers, restés sujets français.
Cependant, il ne revint en France avec femme et enfants qu’en 1766,
soit après l’expiration du délai prévu par le traité de Paris et alors qu’il
n’était plus membre de l’armée française. N’ayant pas quitté le Canada
en 1764, il devait être considéré sur place comme étant un « habitant
françois », nouveau sujet britannique. Cela ne l’empêcha pas de
reprendre ultérieurement du service dans l’armée française, alors que

39. ANOM, Fonds ministériels, Série B : Correspondance au départ (1654-1816),


COL/B/135 (nous soulignons).
40. Ceci fait suite à des évacuations clandestines de Canadiens vers St-Pierre et
Miquelon et la Guyane, après le terme imposé par le traité pour la liberté de départ des
habitants, avec l’accord du ministère français. ANOM, Fonds ministériels, Série B :
Correspondance au départ (1654-1816), COL/B/119.
41. Claude de Bonnault, « Le Canada perdu et abandonné », Revue d’histoire de l’Amé-
rique française, 2 décembre 1948, p. 331.
42. AN, Fonds publics postérieurs à 1789, série F : versements des ministères et des
administrations qui en dépendent, AN/F14/172B.

Outre-Mers. Revue d’histoire,T. , No - ()


192 é baraton

son fils entrait à l’école militaire royale de Paris en 1781 43. Un de ses
compatriotes, nommé Louis René Chaussegros de Léry, entama un
cursus analogue 44. Né au Canada en 1762, il ne vint en France pour
rentrer dans l’armée qu’en 1783. Sa qualité de sujet britannique ne lui
nuisit en rien, pas plus qu’à Charles Catalogne, né en septembre 1764 à
Montréal, qui devint lui aussi cadet de l’armée française en 1779 45. Ces
soldats canadiens de l’armée française servirent comme Français dans
des unités françaises et non au sein d’unités étrangères.
Mais ces éléments empiriques n’eurent-ils jamais une expression
positive de la part des autorités royales ? En 1778, dans le contexte de la
guerre d’Indépendance américaine, les autorités françaises s’exprimè-
rent sur le statut des anciens sujets du roi en Amérique par l’intermé-
diaire d’une Proclamation, autorisée par Louis XVI, et diffusée par le
comte d’Estaing. Le roi y promettait conjoncturellement « appui et
protection » aux habitants des territoires cédés en 1763 à l’Angleterre
s’ils se soulevaient contre celle-ci mais, surtout, il affirmait la chose
suivante : « Vous êtes nés Français ; vous n’avez pu cesser de l’être 46 ».
C’était la confirmation de l’évidente persistance de la naturalité fran-
çaise des intéressés et de l’innocuité du traité de 1763, comme avant lui
de celui de 1713, sur ce point.
Mais avons-nous affaire ici une « exception canadienne » dans ce
traitement de Français devenus post-limini et sujets d’une puissance
étrangère ? Non, puisque, comme l’a démontré Peter Salhins à partir
de cas européens :
De la « naissance accidentelle » à l’extérieur du royaume, au « caractère
accidentel » [suite à une modification de frontière] du statut d’étranger, il n’y
a qu’un pas [...] De fait, au xviiie siècle, les juristes distinguent de plus en
plus les « vrais » étrangers (nés à l’étranger de parents étrangers) des « faux »
(descendants de Français nés à l’étranger), distinction qui correspond, pour
le duc de Vergennes, ministre des Affaires étrangères en 1776, à la différencia-

43. AN, fonds publics postérieurs à 1789, série LH : grande chancellerie de la légion
d’honneur, LH/2339/22. Jean Maurice Verdot, Pierre Bégat, Fastes de la Légion-d’Honneur,
biographie de tous les décorés, tomeV, Paris, Bureau de l’administration, 1847, p. 441. Infra.
44. Bibliothèque des archives nationales du Québec, Fonds famille Chaussegros de
Léry, Lettre de Gaspard-Joseph Chaussegros de Léry au duc Edward Kent (20 janvier
1796), P386/D85. Plus généralement sur la noblesse française au Canada et ses pérégri-
nations après la Conquête : François-Joseph Ruggiu, « Le destin de la noblesse du
Canada, de l’Empire français à l’Empire britannique », Revue d’histoire de l’Amérique
française, 66-1, 2002, p. 37¢63. François-Joseph Ruggiu, « Une noblesse atlantique ? Le
second ordre français de l’Ancien au Nouveau Monde », Outre-mers, 2009-1, p. 53-57.
45. AN, fonds publics postérieurs à 1789, série LH : grande chancellerie de la légion
d’honneur, LH/448/59.
46. Fait à bord du vaisseau le Languedoc de Sa Majesté, en rade de Boston, ce
28 octobre 1778. (Signé à l’original imprimé) : Estaing. Et plus bas, Bigrel de Grandelos,
secrétaire nommé par le roi à la suite de l’escadre commandée par M. le comte d’Estaing.
À bord du Languedoc, de l’imprimerie de François Demault, imprimeur du roi et de
l’escadre. Collationné audit original, imprimé, resté en notre étude, par nous soussigné.
À Philadelphie, ce  janvier . Signé : Maurice des Devens de Glandons, notaire. Voir AP.
S.1 T.39 p. 363-369.
le traité de paris de 1763 193

tion entre lettres de naturalité (pour les vrais étrangers) et déclarations de


naturalité (pour les vrais Français). 47

C’est donc logique que le ministre ait vu, dans les habitants français
du Canada de « Bons Français » et que les historiens, après des milliers
de dépouillements, n’aient jamais trouvé de lettres de naturalité concer-
nant des Canadiens 48.
Ainsi, la monarchie française perpétua jusqu’au bout la politique
qu’elle avait adoptée à partir de 1764 avant de l’expliciter en 1778. Elle
considérait que ses anciens sujets d’Amérique, même passés sous sujé-
tion anglaise, restaient naturels français, avec tout ce que cela que cela
impliquait dès lors qu’ils rentraient dans l’orbite territoriale du Roi
Très-Chrétien.

. L’inscription des « Canadiens » dans la nationalité française


depuis 

La Révolution de 1789, posa des bases nouvelles à l’existence de la


nation française. Ses premières années, comme l’a relevé Sophie Wah-
nich, furent caractérisées par une prépondérance relative de la notion
de citoyenneté et par une mise au second plan de la notion de naturalité
jusqu’à l’entrée en guerre 49. Marqua-t-elle pour autant le rejet de
l’héritage d’Ancien Régime en ce qui concerne le statut des descen-
dants des sujets français d’Amérique ? Les députés furent sensibilisés
dès 1789 au problème de l’héritage de la Nouvelle-France. Ils durent se
prononcer sur les secours budgétaires aux Acadiens et Canadiens reve-
nus en 1763, qui furent couverts par une série de lois successives 50.
Restait à savoir s’ils estimeraient que la naturalité française s’était
conservée en Amérique malgré les traités et la vie des individus concer-
nés sous des régimes étrangers. Le contexte était assez favorable à une
reconnaissance de la francité persistante hors frontière alors qu’on
venait justement d’affirmer celle (naturalité et, fait nouveau, citoyen-
neté) des huguenots chassés depuis le règne de Louis XIV ainsi que

47. Peter Sahlins, Sylvie Rab, Cécile Alduy, « La nationalité avant la lettre. Les prati-
ques de naturalisation en France sous l’Ancien Régime », Annales. Histoire, Sciences
Sociales, 55e année, no 5, 2000, p. 1098-1099.
48. Charles Gravier Vergennes, Mémoire historique et politique sur la Louisiane, Paris,
Lepatit Jeune, 1802, p. 25. Jean-François Mouhot, op. cit., p. 248. Une seule exception à
cette règle semble identifiée, mais indirectement.
49. C’est suite à l’entrée de la France dans la guerre que, de manière très révélatrice, le
cas des Français d’Acadie revient sur le devant de la scène, y compris dans les discours à
la tribune de la Convention : Sophie Wahnich, L’impossible citoyen. L’étranger dans le
discours de la Révolution française, Paris, Albin Michel, 2010, p. 272.
50. AP. S. 1, T. 23, p. 378-380 ; AN, Série F : Versements des ministères et des
administrations qui en dépendent, AN/F15/3493 ; AP. S. 1, T. 23, p. 752 ; AP. S. 1, T. 34,
p. 255, 453 et tome 35, p. 56, 106-107.

Outre-Mers. Revue d’histoire,T. , No - ()


194 é baraton

celle de leurs descendants sans limitation 51. En reconnaissant la


citoyenneté française, sans limite temporelle ou générationnelle, aux
descendants des protestants exilés qui rentreraient sur le territoire
français, les députés prétendaient corriger les faits de l’arbitraire anté-
rieur. Les victimes des traités négociés par le duc de Choiseul
pourraient-ils bénéficier des mêmes égards ?
Les députés durent se prononcer, en 1792, lorsque se présenta
devant l’assemblée nationale un de ces « habitans François », François
Cazeau, resté au Canada en 1763 et qui, suite à ses actes durant la
guerre de 1776-1783, avait perdu ses biens en Amérique 52. Sur la base
de la Proclamation de 1778, il sollicitait une réparation pour les pertes
financières qu’il avait faites ainsi qu’un soutien diplomatique de Paris
face aux Etats-Unis pour faire valoir ses créances car, disait-il :
Une nation qui refuse cette protection à un de ses membres, manque au
devoir le plus sacré ; elle viole le pacte social, sans lequel il n’existe plus
qu’un despote et des esclaves. L’arbitraire est substitué à la loi, à la justice,
aux droits les plus sacrés du citoyen [...]
Le premier principe, la première base de toute association libre, c’est qu’on
ne peut, dans aucun cas, sacrifier à l’intérêt public les propriétés parti-
culières, que sous la condition d’un juste dédommagement ; ce principe
dit que la nation qui a intérêt de refuser la protection efficace qu’elle doit,
reste elle-même obligée, et débitrice de l’individu qui avait droit à sa
protection.
Ces principes éternels immuables, que le despotisme avait enveloppés des
plus épaisses ténèbres, sont littéralement énoncés dans la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen, et déjà l’Assemblée nationale constituante
en a fait l’application dans plusieurs circonstances, et notamment en
faveur de MM. Debacque, Chapellon et Trouchaud, négociants armateurs
de Marseille et de Dunkerque, qui, par décret du 13 décembre 1790, ont
obtenu l’indemnité de deux navires enlevés par les corsaires d’Alger, les 5 et
10 mai 1789. 53

Le moment est décisif, car c’est la nation française, par la voie de ses
représentants, qui jugea alors de l’effet du traité de 1763 sur la naturalité
¢ qui, comme nous l’avons vu dans le cas des protestants, ouvrait droit
à la citoyenneté en France ¢ des « habitans françois » d’Amérique,
passés sous domination anglaise depuis cette époque. L’Assemblée
reconnut, tout comme le roi auparavant, la persistance de la naturalité
française des intéressés. C’est le sens du décret rendu sur cette affaire le
8 septembre 1792 par les députés 54. En indemnisant François Cazeau
¢ moins qu’il l’aurait souhaité ¢ sur la base de la Proclamation de 1778,
51. Loi du 15 décembre 1790 : Barrot, Vatimesnil, Ymbert. Recueil général des lois,
décrets, ordonnance, etc. Tome I, Administration du journal des notaires, (Paris, 1839),
p. 428.
52. AP. S.1, T.39, p. 363-369.
53. Ibid.
54. AP. Série 1, tome 49, p. 480.
le traité de paris de 1763 195

et en lui offrant un soutien diplomatique, les députés reconnurent


qu’il était resté continûment français depuis 1763 55.
A partir de là, on ne s’étonnera plus de l’application à des Français,
nés en Amérique, même longtemps après 1764, de la loi du 17 avril
1799 sur les secours aux colons français spoliés. Elle régla leur cas, ainsi
que d’autres amalgamés, pour un siècle. Elle stipulait que :
[Art. 2] Les réfugiés prouveront, par les attestations de leurs correspondants
ou de leurs concitoyens, qu’ils avaient des propriétés dont ils ont cessé de
recevoir les revenus en France depuis les hostilités maritimes [1793], ou
qu’ils exerçaient une profession lucrative avant la révolution.
[Art. 3] Les déportés constateront leur qualité par le passeport qui leur a été
délivré en France par le commissaire de salut public, ou par celui qui leur a
été donné par les autorités constituées, à leur arrivée des colonies sur des
bâtiments français ou neutre, ou sur des parlementaires pour les prisonniers
venus d’Angleterre. 56

Les archives françaises gardent le souvenir de Canadiens bénéfi-


ciaires malgré leur naissance sous souveraineté anglaise. Par prudence
méthodologique, nous écartons tous les cas des canadiens nés sous le
régime français, même si leur venue en France put être tardive. Nous
ne gardons ici que les naturels français nés sous souveraineté anglaise.
Ainsi, Marie Martin, veuve Prêt, née le 22 janvier 1765 « à l’évêché de
Québec », était pour l’administration française au nombre des « colons
réfugiés du Canada » 57. Il en allait de même de Louise Claire Jous-
seaume, épouse Joubert, née en 1766 au Canada 58. Citons encore
Edouard Dupleix-Silvain, né le 17 février 1770 à Louisbourg et compté
parmi les réfugiés de Saint-Pierre et Miquelon de 1793 59. Plus remar-
quable encore est le cas de Marie Anne Perrine âgée de 28 ans en
1820 60. Née en Acadie en 1792, elle bénéficia des aides prévues pour
les « colons réfugiés du Canada » en vertu de la loi du 17 avril 1799 61.
55. Il est intéressant de constater que l’Assemblée, peu avant, avait traité le cas d’un
autre Canadien, victime des récents évènements antillais. Souhaitant retourner au
Canada, il avait demandé pour cela l’aide de l’ambassadeur britannique, le demandeur
n’argua pas de sa qualité de Français et son cas fut donc traité comme celui d’un étranger.
Il fut très probablement débouté, car sa requête ne revint pas en séance, contrairement à
celle de François Cazeau. L’affirmation de la francité, recevable, était optionnelle. Un
Canadien souhaitant retourner vivre sous souveraineté anglaise avait certainement des
réticences à y procéder de crainte que la chose, connue des autorités britanniques, ne lui
interdise le retour. Mais ce versant anglais de la question dépasse notre sujet. AP. S.1,
T.34, p. 569-570. Sur les pérégrinations ultérieures de François Cazeau : Daniel Perron,
« François Cazeau, 1734-1815 », Cap-aux Diamants, 58, 1999, p. 52.
56. Éditions officielles du Louvres, Imprimerie Nationale et Bulletin des lois de 1788 à
1824, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, réglements et avis du Conseil d’États,
Guyot et Scribe, Paris, 1825, p. 203 (nous soulignons).
57. AN, F/12/2839.
58. AN, F/12/2816.
59. AN, F/12/2789.
60. AN, F/12/2857.
61. Éditions officielles du Louvres, Imprimerie Nationale et Bulletin des lois de 1788 à
1824, Collection complète des lois, décrets, ordonnances, réglements et avis du Conseil d’États,

Outre-Mers. Revue d’histoire,T. , No - ()


196 é baraton

Célibataire, elle ne bénéficiait pas de ce statut par héritage d’un époux.


Née en Acadie, elle ne pouvait pas non plus être éligible comme fille de
réfugié de 1763. Elle a bien été ajoutée sur des listes ouvertes unique-
ment aux nationaux français, à la faveur de la perte des biens de sa
famille consécutive à la guerre franco-anglaise de 1793 62. De toute
évidence, le dossier de la naturalité, disons maintenant de la nationalité,
française des Acadiens n’était pas clos sous la Révolution, et les réinté-
grations, 80 ans après le traité d’Utrecht, étaient encore possibles 63 !
Dans les textes des lois budgétaires françaises qui pourvurent, jusqu’en
1902, au financement des secours prévus par la loi de 1799, la nationa-
lité française des bénéficiaires est bien précisée, y compris pour la
catégorie des « Canadiens », qui inclut aussi désormais les Acadiens.
Ces aides sont distinguées de celles versées, en vertu d’autres lois, à des
groupes de réfugiés étrangers 64.
Ces observations sur la nationalité française reconnue d’indigents
natifs du Canada sont aussi valides pour leurs compatriotes illustres.
À ce titre, les registres de la Légion d’honneur sont instructifs. Cette
décoration, créée en 1804, pouvait être attribuée à des nationaux
comme aux étrangers. Cependant les nationaux devaient verser à leur
Guyot et Scribe, Paris, 1825, p. 203. Cette aide est distinguée de l’aide aux réfugiés
étrangers dans la loi. Pour ne donner qu’un exemple parmi d’autres des lois budgétaires
d’application citons : République Française, Bulletin des lois de la République Française,
XIIe série, deuxième semestre , Imprimerie nationale, Paris, 1885, p. 915, 921.
62. Les listes de réfugiés bénéficiant au xixe siècle des secours prévus par la loi de 1799
relative aux colons nationaux spoliés différencient les bénéficiaires premiers des ayants
droits. Marie Anne Perrine relevait, comme les autres cas que nous citons, de la première
catégorie. Antérieurement déjà, les bénéficiaires de secours étaient considérés Français
par le ministre de l’intérieur en octobre 1795.Voir AN, Série F :Versements des ministères
et des administrations qui en dépendent, AN/F15/3494, dossier Loir et Cher.
Il prenait le contrepied d’un administrateur de la Seine Inférieure qui les qualifiait
d’« étrangers » : AN/F15/3493, Seine inférieure [le Havre].
63. Notons qu’à partir de 1793, la guerre contre l’Angleterre incitait à mettre en avant
la tragédie acadienne pour des raisons évidentes. Un exemple d’« acadianité » jacobine :
AP. S.1, t. 80 p. 65.
64. Bulletin des Lois de la République française, VIIIe Série, tome 8, premier semestre
1829, p. 643 ; IXe Série, 141, tome 1, second semestre 1830, p. 661 ; IXe Série, tome 10,
premier semestre 1858, p. 1199 ; XIe Série, tome 14, second semestre 1859, p. 859 ;
XIe Série, tome 16, second semestre 1860, p. 1340 ; XIe Série, tome 17, second semestre
1861, p. 116 ; XIe Série, tome 20, second semestre 1862, p. 1075 ; XIe Série, tome 23,
premier semestre 1864, p. 902-903 ; XIe Série, tome 28, second semestre 1866, p. 678 ;
XIe Série, tome 30, second semestre 1867, p. 830. JO. 12 août 1885 (rappel du chiffre de
1873) ; Bulletin des Lois, XIIe Série, tome 11, second semestre 1875, p. 558 ; XIIe Série,
tome 16, premier semestre 1878, p. 211 ; XIIe Série, tome 19, second semestre 1879,
p. 1111. JO, 4 décembre 1880. p. 11899 ; Bulletin des Lois de la République française,
XIIe Série, tome 42, premier semestre 1881, p. 559 ; XIIe Série, tome 24, premier semestre
1882, p. 124-125 ; JO, seizième année, no 386, 7 décembre 1884 ; JO, no 80, 1885, 12 mars
1885 ; JO, no 215 du 9 août. Bulletin des Lois de la République française, XIIe Série, tome 32,
premier semestre 1886, p. 121 ; JO, dix-neuvième année, no 58 28 février 1887 ;
JO, 31 no 90 mars 1888 ; JO, no 191 18 juillet 1889 ; Bulletin des Lois, XIIe Série, tome 43,
second semestre 1891, p. 1822 ; JO, no 276 27/01/1892 ; JO no 56, 25/02/1893 ; Bulletin des
Lois, XIIe Série, tome 49, second semestre 1894, p. 1129 ; JO, no 88. 30/03/1895 ;
JO, 23/12/1896. Bulletin des Lois, XIIe Série, tome 54, premier semestre 1897, p. 50 ;
XIIe Série, tome 56, premier semestre 1898, p. 468 ; JO, 31/03/1899 ; JO, 31/12/1900 ;
Bulletin des Lois, XIIe Série, tome 64, premier semestre 1902, p. 1715 et p. 1986-1987.
le traité de paris de 1763 197

dossier une preuve de leur qualité de Français puis être assermentés,


toutes choses dont étaient dispensés les étrangers. Là encore nous
écartons tous les Canadiens nés avant 1763 pour ne garder que ceux nés
sous souveraineté anglaise.
Étienne d’Hastrel de Rivedoux intégra l’ordre de la Légion d’honneur
en 1809 comme « citoyen » français, et fut assermenté 65. Quels éléments
prouvaient sa qualité de Français aux yeux de la chancellerie de la Légion
d’honneur ? En partant du principe d’une dénationalisation des habi-
tants du Canada par effet du traité de 1763, on s’attendrait à trouver ici
une lettre de naturalité d’Ancien Régime ou une pièce républicaine ana-
logue. Ce n’est pas le cas. Son dossier ne renferme que le contenu de son
acte de naissance canadien, attestant qu’il naquit sous souveraineté
anglaise en février 1766. Si, pour les autorités françaises post-révolu-
tionnaires, le traité de 1763 avait été d’une quelconque portée en ce qui
a trait à la nationalité, ce document aurait dû soulever des questions et
provoquer le versement au dossier d’un acte prouvant la possession par
acquisition de la nationalité française par l’intéressé. Notons de plus qu’il
aurait été infiniment plus simple pour l’administration française de se
procurer, ou de créer, une telle pièce, plutôt que de se faire communiquer
des informations en provenance d’un pays contrôlé par une puissance en
guerre contre la France. Visiblement, pour la chancellerie de la Légion
d’honneur, une naissance canadienne-française couplée à une rési-
dence en France valait en soit qualité de Français 66.
Citons encore le cas du citoyen Nicolas Varinot, né à Louisbourg le
9 septembre 1767, intégré dans l’armée française en 1791 et à la Légion
d’honneur en 1806 67. Son dossier ne contient pas son acte de nais-
sance, certainement impossible à obtenir, mais sa nationalité n’est pas
douteuse pour les autorités bien qu’il soit explicitement identifié
comme natif d’une colonie anglaise. Son compatriote Charles Cata-
logne a quant à lui fait recopier par un notaire son extrait d’acte de
naissance canadien, et la pièce est versée à son dossier de membre de la
Légion d’honneur 68. Ici encore, une filiation canadienne-française se
suffit à elle-même aux yeux de l’administration.
65. AN, fonds publics postérieurs à 1789, série LH : grande chancellerie de la légion
d’honneur, LH/2339/22.
66. Pour les bénéficiaires non-nationaux de la même époque, même restés très long-
temps dans les armées françaises, leur qualité d’étranger est bien stipulée. Un exemple :
LH/1134/77
67. LH/2675/69.
68. Ce document est d’ailleurs intéressant. La version fournie par Charles Catalogne
au notaire français dont la copie est au dossier fut rédigée à Montréal en 1785. L’auteur
canadien de l’extrait précise que : « En témoin de quoi nous avons signé la présente
légalisation, et icelle scellée du cachet de nos armes. Nous certifions en outre que le
papier timbré et le contrôle ne sont point en usage dans cette province, et qu’il n’y a point
en icelle aucun agent ni résidant pour sa majesté très chrétienne ». Ceci semble se référer
à une demande précise de l’administration française quant aux formes des preuves de
filiation de Charles de Catalogne. Elle ne pouvait pas être satisfaite faute de représentant
français sur place. Le premier canadien que nous trouvions désigné comme étranger dans
les archives relatives à la Légion d’honneur est David Macloughlin né en 1786 et promu

Outre-Mers. Revue d’histoire,T. , No - ()


198 é baraton

Ces natifs du Canada au service de la France n’étaient certainement


plus les bienvenus dans leur ancienne patrie, au minimum de 1778 à
1783 puis de 1793 à 1802 et enfin de 1803 à 1814, ni probablement
d’ailleurs dans les intermèdes entre les guerres franco-anglaises. S’ils
avaient encore quelque possession en Amérique, ils avaient certaine-
ment « cessé de recevoir les revenus » de ceux-ci, comme le dit la loi de
1799. Aussi peut-on supposer qu’ils auraient été couverts par cette loi si
leur situation professionnelle ne les avait mis à l’abri de l’indigence.
Mais, s’ils étaient toujours réputés Français à l’aube du xixe siècle,
quand les « habitans François » du Canada perdirent-ils cette quali-
té aux yeux de l’administration ? C’est un point, important historique-
ment, que nous renonçons à trancher ici et qui mériterait une autre
étude. Nous pouvons seulement avancer que cette évolution, ou du
moins sa généralisation, fut tardive. Certes, l’article 17 du Code Civil
de 1804, stipulant que : « La qualité de Français se perdra, 1.o par la
naturalisation acquise en pays étranger » pouvait être opposée. Cepen-
dant vint rapidement s’y adjoindre le décret du 26 aout 1811 protégeant
la nationalité d’origine des Français ayant acquis une nationalité étran-
gère pour des « motifs légitimes » 69...
La voie restait en réalité ouverte car, bien plus tard, des Français
d’Amérique arguèrent avec succès cette qualité ou la virent reconnue
tacitement. Ce fut le cas de Frédéric Foucher, marquis de Circé. Son
père était né français, en 1762, en Louisiane, colonie dont la moitié
orientale passa à l’Angleterre en vertu du traité de Paris de 1763 alors
que la partie occidentale échoua à l’Espagne jusqu’en 1800. Frédéric
Foucher naquit à La Nouvelle-Orléans en 1798. Il demeura dans cette
ville jusqu’en 1836, date à laquelle il vint s’établir en France 70. Il jouit
de ses droits civils et politiques de citoyens français jusqu’à sa mort en
1869 sans jamais recourir à une naturalisation. Son cas est connu par la
réclamation que firent ses héritiers à propos de déprédations causées
par l’armée américaine aux possessions louisianaises de la famille lors
de la Guerre de Sécession 71. En 1880, l’avocat représentant de la
République française, devant la commission franco-américaine de
règlement des dommages causés aux ressortissants des deux pays lors
des conflits récents, argua que Louis Foucher, père de Frédéric Fou-
cher, était né dans la Louisiane française avant la cession du territoire ;
que sa qualité de Français n’avait pas été affectée par cette cession, ni
par celle de 1803 aux États-Unis ; qu’elle avait été transmise à ses
en 1842. Toutefois, le personnage semble être originaire des îles britanniques. Voir
LH/1681/72.
69. Décret du 26 août 1811, in Jean-Guillaume Locré, Legislation civile, commerciale
et criminelle, ou Commentaire des codes français, tome 1, librairie de jurisprudence de
H. Tarlier, Bruxelles, 1836, p. 495-497.
70. John Basset Moore, History and digest of the International Arbitrations to wich the
United States has been a Party, Government Printing Office, Washington, 1898, vol. III,
p. 2512.
71. https://supreme.justia.com/cases/federal/us/133/514/case.html.
le traité de paris de 1763 199

descendants en vertu de la jurisprudence française. Son point de vue


prévalut sur l’argumentaire de l’avocat américain qui défendait la thèse
de l’américanité automatique et exclusive en vertu du traité de cession
de 1803 de la Louisiane aux États-Unis 72.
Outre les cas nord-américains, les juristes de la seconde moitié du
xixe siècle pouvaient raisonner sur la base de la jurisprudence appliquée
au traité de Paris de 1814 par lequel la France céda la rive gauche du
Rhin ainsi que des possessions ultra-marines. Ce traité stipule, dans
une clause analogue à l’article 4 du traité de 1763, que « [Art. 17.] Dans
tous les pays qui doivent ou devront changer de maîtres, tant en vertu
du présent Traité que des arrangements qui doivent être faits en consé-
quence, il sera accordé aux habitants naturels et étrangers, de quelque
condition et nation qu’ils soient, un espace de six ans, à compter de
l’échange des ratifications, pour disposer, s’ils le jugent convenable, de
leurs propriétés acquises, soit avant, soit depuis la guerre actuelle, et se
retirer dans tel pays qu’il leur plaira de choisir 73 ».
Le juge a interprété l’effet du traité de 1814 comme l’Assemblée, en
1792, celui de 1763 : « le tribunal [de la Seine], attendu que le traité du
30 mars [1814] avait en unique vue les propriétés et non la qualité des
personnes qui contreviendraient à ses dispositions » 74. La nationalité
française de l’intéressé fut reconnue malgré sa résidence durable dans
un territoire perdu.
Encore en 1883, le Journal Officiel confirmait l’évidence de la natio-
nalité française persistante en Amérique pour les autorités : « L’Acadé-
mie française, qui réserve ses récompenses aux Français, n’a pas cru
déroger à cette règle en couronnant naguère un poète canadien,
M. [Louis] Fréchette, qui a franchi l’Océan tout exprès pour venir
recevoir son prix » 75. Louis Fréchette avait reçu en 1881 le prix Mon-
tyon de l’Académie française, institution publique qui pratiquait un
strict exclusivisme national. Ses papiers n’étaient peut-être pas en règle,
mais sa qualité de Français demeurait limpide pour les Immortels.
72. Sur d’autres cas louisianais : Vanessa Mongey, « ‘‘Des Français indignes de ce
nom’’ rester Français en Louisiane (1803-1830) », in Cécile Vidal (dir.), Français ? La
nation en débat entre colonie et métropole XVIe-XIXe siècle, EHESS, France, 2014,
p. 171-188. Un autre cas tardif, mais là acté par la justice américaine : Sentence du
tribunal d’Alexandrie reconnaissant la nationalité française de Decuir, noir libre. John
Basset Moore, History and digest of the International Arbitrations to wich the United States
has been a Party, Government Printing Office, Washington, 1898, vol. III, p. 2512. Nous
laissons volontairement ici de côté le problème aux multiples ramifications de l’extension
de la citoyenneté américaine aux ex sujets français des deux rives du Mississipi à partir de
1783 puis de 1803.
73. Traité de paix de Paris (), Université de Perpignan : http://mjp.univ-
perp.fr/traites/1814paris.htm
74. Jugement du tribunal de la Seine du 18 mars 1836, Gazette des Tribunaux du  mars
. Cette jurisprudence a été confirmée par la suite dans une autre affaire : Arrêt de la
cour royale de Paris du 8 février 1845, Gazette des tribunaux du 9 février 1845 et
Ledru-Rollin, Journal du Palais, Recueil le plus complet de la jurisprudence français, tome Ier
de 1845, F. F. Patris. Paris, p. 291 (nous soulignons).
75. JO, Treizième année, no 101, 12 avril 1881.

Outre-Mers. Revue d’histoire,T. , No - ()


200 é baraton

Quoi qu’il en soit, dans la seconde moitié du xixe siècle, les traités de
cessions continuèrent d’être considérés comme non-opposables à la
qualité de Français reçue en héritage dans les territoires perdus.

Conclusion

La « francité » a connu, depuis le milieu du xviiie siècle, plusieurs


modalités d’expression et de formalisation juridique. Au couple formé
par la naturalité et la sujétion a succédé brièvement l’hégémonie du
concept de citoyenneté. Sa prédominance fut courte et, dès 1804, était
inscrit le tandem formé par la citoyenneté et la « qualité de Français ».
Cette dernière catégorie ¢ opposée à celle des étrangers, potentielle-
ment soumis au droit d’aubaine rétabli (Art. 726 et 912 du Code civil,
jusqu’à la loi d’abolition du 14 juillet 1819) ¢ héritait des caractéris-
tiques de l’ancienne naturalité. Progressivement, cette « qualité de Fran-
çais » s’exprima dans le langage juridique sous le vocable de nationalité
française. Cependant on conserva, jusqu’à nos jours, la trace de la
naturalité dans le vocabulaire officiel relatif à l’entrée dans la nationa-
lité : naturalisation/naturaliser/naturalisé.
Les anciens sujets français d’Amérique, séparés de la souveraineté
française à la suite de divers traités, parmi lesquels celui de 1763, qui
s’impose comme le plus important, firent l’objet de traitements succes-
sifs au regard de ces diverses définitions juridiques dès lors qu’ils
voulurent rentrer dans celles-ci en vertu de leur ascendance. Il apparait
que, pour peu qu’ils arguassent de leur inclusion de droit au sein de la
communauté française, dans sa forme juridique du moment, ils purent
dans de nombreux cas être acceptés comme Français. Tous, évidem-
ment, ne le voulurent ni ne le firent ! Mais nous pouvons assurément
répondre que certains le voulurent et le purent. Dans leurs cas, le
passage sous souveraineté étrangère, parfois sur plusieurs générations,
sembla alors n’avoir jamais eu, aux yeux des autorités françaises, le
moindre effet sur la transmission de la « francité », nonobstant les
modifications apportées entre temps à la forme de celle-ci dans le droit.
Cette possibilité tacite s’inscrivit, tout au long du xixe siècle, dans
une série d’interprétations légales et jurisprudentielles concernant le
statut des ressortissants des territoires perdus par la Monarchie au
xviiie siècle et étendues à certaines catégories d’habitants des anciens
territoires français abandonnés en 1814 76. On observe ainsi qu’exista
76. À noter que l’État français ne semble pas faire le lien entre les jurisprudences de
1836 et de 1845, dont il reconnait l’acquis à propos des territoires cisrhénans, et le cas des
Franco-Mauriciens pourtant touchés identiquement par le traité de 1814. La documen-
tation déficiente des fonctionnaires est certainement en cause. Il est vrai que le dossier est
embrouillé par l’effet de la loi du 14 octobre 1814 ne concernant que les territoires
européens et qui visait à exclure les individus francisés entre 1792 et 1814 (du fait des
conquêtes de la République et l’Empire), et leurs descendants, de la qualité de français.
Mais laissons pour plus tard l’analyse complète de ces problèmes.
le traité de paris de 1763 201

pour ces « Français perdus », demandant à être reconnus comme tel ¢ à


l’instar de ce qu’on observe pour les Huguenots dans la loi de 1790 ¢ un
principe implicite et durable de succession des régimes de « francité »
analogue au principe de succession des régimes politiques.
Par un singulier paradoxe, c’est dans les années 1960, alors même
que l’Empire colonial formé par la France depuis 1830 était en cours de
liquidation, que parut en France la volonté de donner un cadre forma-
lisé à ces anciennes pratiques dont le Code de la nationalité de 1945
conservait une trace en creux. Ainsi, la loi du 22 décembre 1961 permit
de naturaliser sans condition « de stage » : « Le ressortissant ou ancien
ressortissant des territoires et Etats sur lesquels la France a exercé soit
la souveraineté, soit un protectorat, un mandat ou tutelle » 77. Souli-
gnons que les individus visés, s’ils n’étaient pas citoyens français au
moment de leur demande, n’étaient pas pour autant qualifiés d’étran-
gers par le législateur. On retrouve ici un écho de la situation des
français restés en Amérique après 1764 : toujours naturels français, et
dispensés en France de recourir à la sollicitation de lettres de naturalités,
quoiqu’assujettis à la Grande-Bretagne. La formulation du texte fut
explicitement présentée, dans les débats qui eurent lieu au Sénat,
comme devant profiter : aux Canadiens (affectés par le traité de 1763),
Belges, Genevois et Mauriciens (affectés par le traité de 1814) 78. Les
motivations de l’inspirateur de cette disposition, Marcel Prélot (1898-
1972), sénateur et constitutionaliste, était la suivante :
À tout citoyen d’un pays naguère français ayant conservé pendant de longues
années les traditions et la culture françaises, acquise sous les fleurs de lys ou
sous le drapeau tricolore, votre commission estime que la France, mère
généreuse, doit, au moment où il demande la nationalité française, faire la
situation de faveur qui vous est proposée. 79

En 1967, cette volonté de structuration se radicalisa même dans


l’entourage du général de Gaulle jusqu’à la velléité d’édiction d’une
« loi du retour » en faveur des Canadiens-français 80. La démission de
de Gaulle mit en sommeil cette démarche. Reste pour les juristes à
savoir si ¢ involontairement ? ¢ le législateur français ne l’a réalisée en
1993 en votant l’article 21-14 du Code civil. C’est à cette dernière
question ¢ dont la solution en droit ne peut faire l’économie du recours
à l’Histoire ¢ que les consulats de France de Montréal et Toronto
prétendirent répondre, négativement, en s’arrogeant, pour les besoins
de la cause, le rôle dévolu aux historiens.
77. JO, 23 décembre 1961, p. 118-119. [Ex art. 21-19-5 du code civil, aboli en 2006]
78. Id. p. 597.
79. JO, 30/06/1961. Réunion de plein droit du parlement en application de l’article 16
de la Constitution et 2e session ordinaire de 1960-1961, Compte rendu intégral,
2e Séance du Jeudi 29 Juin 1961, p. 595.
80. Alain Peyrefitte, De Gaulle et le Québec (Montréal Stanké, 2000) p. 159. Bernard
Dorin, in Édouard Baraton, De Gaulle ou l’hypothèque française sur le Canada, Paris,
L’Harmattan, 2013, p. 215.

Outre-Mers. Revue d’histoire,T. , No - ()

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