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REVUECRITIQUE
DE LÉGISLATION
ET DE JURISPRUDENCE

DIRECTEUR
GEORGES RIPERT
Membre de l'Institut
Doyen de la Faculté de Droit de Paris
Professeur à l'Ecole des Sciences Politiques

SECRETAIRE DE LA REDACTION
Marg. HALLER
Examinateur-adjoint à la Faculté
de Droit de Paris

LXXVIII* ANNEE
Nouvelle Série - Tome LVIII

LIBRAIRIE GENERALE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE


R. PICHON ET R. DURAND-AUZIAS
-
Administrateurs
20, RUE SOUFFLOT - PARIS
1938
REVUE CRITIQUE
DE

LÉGISLATION
ET DE

JURISPRUDENCE
REVUE CRITIQUE
LEGISLATION DE

ET DE
JURISPRUDENCE
Publiée sous le Patronage de M.
CH. LYON-CAEN
Membre de l'Institut
t
la
Doyen honorairede Faculté
deDroitdeParis

Dtreoteu
Georges RIPERT
r
Membrede l'Institut
Professeur à la Faculté de Droit de Paris
et à l'Ecole des Sciences politiques

SécrétaIro de Im Rédaction
MARG. HALLER
Examinateur-Adjoint
à la Faculté de Droit de Paris

LXXVIII- ANNÉE
Nouvelle Série - Tome LVIII

PARIS
LIBRAIRIE GÉNÉRALE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE
Ancienne Librairie Chevalier-Matescq et Cie et ancienneLibrairie F. Pichon réunie.
R. PICHONET R. DURAND-AUZIAS, ADMINISTRATEURS
Librairie du Conseil d'Etat et de la Société de Législation comparée
20, RUE SOUFFI-OT (5* ARR1)
EXAMEN DOCTRINAL (1)

DROIT INTERNATIONAL PRIVI:

Nationalité et Condition des Etrangers


1932-1936

Le dernier examen doctrinal de droit international privé a


été fait dans cette Revue en 1931 (p. 513 et s.), par notre émi-
nent collègue, M. Niboyet. Des circonstances diverses ont
retardé jusqu'à aujourd'hui — et nous nous en excusons
auprès des lecteurs de la Revue — la publication de cette
chronique. Celle-ci devant dès lors analyser la jurisprudence
de cinq années, il a paru qu'il y avait intérêt, afin d'éviter
qu'elle ne prenne une trop grande place, à la diviser en deux
parties. On ne trouvera donc ici que les décisions relatives à la
nationalité et à la condition des étrangers. Celles qui ont pour
objet les conflits de lois et de juridictions seront analysées dans
un des numéros ultérieurs.

: : ;
te « Journal de droit internaion

;
tional privé» Darras
al : > ;
Clunet
:
(1) Les revues de droit international sont citées de la façon suivan-
« Revue de droit interna-
« Revue critique de droit international> Nt-
boyet :
c Nouvelle revue de droit international privé » Lapradelle.
Nous nous permettrons, pour les questions de nationalité, de ren-
voyer fréquemment à notre livre, Nationalité, Théorie générale et droit
français, Extrait du Répertoire de Droit International publié par de lin-
pradelle et Niboyet, t. IX, 1931.
','" 1

NATIONALITÉ

A. — Généralités

(Cass. Req., 3 avril 1935, Niboyet, 1936, 114, note M. Ancel,


1.
S. 1935, 230 ; Cons. Etat, 19 juillet 1935, D.H. 1935,558).
1. — La Cour admet que sont nulles d'une nullité d'ordre
public, donc pouvant être invoquée par tout intéressé, des
conventions « renfermant une transaction sur une question de
»
nationalité ; les conventions examinées apparaissaient, d'ail-
leurs, également — ce qui avait été relevé par la Cour d'Appel
et l'est par la Chambre des Requêtes — « comme constituant
un marché entre époux pour arriver à un jugement d'accord en
»
matière de divorce et comme contenant « une liquidation
anticipée, en cours de procédure de divorce et avant le pro-
noncé du jugement, des droits découlant pour la femme du
mariage».
Il s'agissait, en fait, d'un désistement d'appel formé par la
femme d'un Anglais contre un jugement lui reconnaissant la
nationalité anglaise et qui entraînait « application de la loi
anglaise aux causes du divorce et au régime légal des époux »,
ce, moyennant la promesse du mari de faire remettre à sa
femme 160.000 francs. Or, en matière d'appel, quand l'inté-

à
désistement équivaut donc à un acquiescement, une renon-
;
ressé a succombé sur le fond, le désistement est donné une fois
expiré le délai d'appel et l'appel n'est plus renouvelable le

; :
ciation au droit. Mais il est des droits dont on ne peut disposer,
sur lesquels on ne peut transiger parmi eux figure certaine-
ment la nationalité la solution va de soi depuis que le carac-
tère de droit public des dispositions relatives à cette manière a
été mis hors de contestation, en droit positif français, par les

;
arrêts de la Cour de Cassation, Chambres réunies, du 2 février
)
1921 (S. 1921. 1. 113 ; D. 1921. 1.1 Clunet, 1921, 204 ; Darras,
1921-251 ; elle s'imposerait même si la nationalité était encore
considérée comme matière de droit privé, car elle constitue
alors une question d'état des personnes. (Voir sur l'indisponi-
bilité de l'état et son influence relativement aux actions d'état,
Planiol, Ripert et Savatier, Traité pratique de droit civil fran-
çais, t. I, Les Personnes, nO. 25 et s.)
bis. — Conformément à une jurisprudence constante, le
1
Conseil d'Etat, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre
la radiation, sur le registre d'un consulat, d'un individu se
prétendant Français, a vu (arrêt du 19 juillet 1935) dans la
question de nationalité une question préjudicielle et a sursis
à statuer jusqu'à ce que celle-ci ait été tranchée par le tribunal
compétent.
B. — Nationalité d'origine

1. Nationalité française et filiation.


(Paris, 4 novembre 1932 et Civ. rej. 21 juin 1933, Peter,

Niboyet ;
Clunet, 1934, 867, note J. P. ; Niboyet, 1934, 405, note
Lapradelle, 1934, 99, note Grünberg Vinaver ; S.

376, note Valéry ;


1934, 1. 69 ; Tr. Boulogne, 20 décembre 1935, Clunet, 1936,
Niboyet, 1936, 436 ; Lapradelle, 1936,
134 ; D. 1936, 2. 70, note Rouast et Douai, 1" avril 1936,
Edwards, Niboyet, 1937, 75, note Caleb).
2. — Le système de jus sanguinis attache la nationalité à
la filiation, fait, en principe, de la première une conséquence
de la seconde. Mais on peut se demander si la liaison entreles
exception :
deux notions est tellement étroite qu'elle ne souffre aucune
les décisions indiquées ci-dessus ont justement
trait au rapport de la filiation et de la nationalité et peuvent
aider à préciser la nature et la portée de ce rapport.
3.:. Dans l'affaire Peler, on présentait un acte de nais-
sance dressé en Angleterre le 23 janvier 1907 et, quant aux
noms de l'enfant et de la
mère (le père restant inconnu), cor-
rigé le 7 novembre « par l'officier d'état-civil sur production
d'une déclaration légale * faite par la mère et valable, sem-
ble-t-il, en vertu de la règle « locus regis actum » ; la mère
avait été mariée à un Français et le jugement de divorce
n'avait été transcrit que le 1" mai 1906, moins de trois cents
;
jours avant la naissance de l'enfant par application de l'arti-
cle 312 Code Civil (et ainsi en admettant implicitement que le
point de départ des effets du divorce à l'égard des tiers est tou-
jours la transcription du jugement), le tribunal de Versailles
avait, le 23 décembre 1931, décidé que Peter était Français
comme fils légitime de Français, la Cour d'appel confirme cette
décision et la Chambre Civile de la Cour de Cassation rejette
le pourvoi formé.
L'intéressé, qui entendait échapper aux obligations mili-
taires françaises, objectait que « la présomption de légitimité
de l'article 312 Code Civil, établie en faveur et au profit de
l'enfant, ne saurait être invoquée à son encontre par un tiers
et que la nationalité étant subordonnée à la filiation ne saurait
être déterminée par l'attribution à l'intéressé d'une filiation
contraire à ses intérêts ». Les diverses juridictions saisies ont
évité de se prononcer sur la première affirmation à laquelle la
doctrine est généralement hostile, mais qui a été parfois envi-
sagée avec quelque faveur en jurisprudence (v. note, S. 1934,
1. 69). Elles ont pu le faire parce que, dissociant la question de

:
légitimité et celle de nationalité, elles ont prétendu statuer sur
celle-ci en laissant celle-là entière « il suit de là », dit le tri-
bunal suprême, « qu'à bon droit, en l'état des constatations qui
précèdent, l'arrêt attaqué statuant dans les conditions prévues
par l'article 26 de la loi du 31 mars 1928 sur le recrutement de
l'armée a reconnu au demandeur, comme résultant des énoncia-
tions de son acte de naissance, la qualité de Français »;
question de légitimité demeure intacte et. Peter conserve, à cet
« la

égard, tous ses droits », avait dit la Cour d'appel de Paris.


Reste, ce que les arrêts n'ont pas fait, à rechercher la justi-
fication d'une telle dissociation que l'article 26 de la loi du
31 mars 1928 paratt plutôt condamner qu'autoriser en ren-
voyant au tribunal civil les questions judiciaires relatives à
,..
l'état ou aux droits civils des intéressés.
On pourrait être tenté de recourir ici à l'idée que la filia-
tion, attributive de nationalité, n'est pas toujours la filiation
telle qu'elle est définie en droit civil et que, par suite, prendre
parti sur la première n'est pas forcément décider sur la
seconde. La jurisprudence applique, en effet, la loi française
pour l'établissement de la filiation quand de celle-ci dépend
l'attribution, l'acquisition ou la perte de la nationalité fran-
çaise, même si une loi étrangère était compétente d'après les
règles de conflit du droit français (v. Maury, op. cit., nO. 221
et s). Mais, outre qu'elle est critiquable de façon générale
(v. op. cit., n° 226), il n'est pas sûr que cette distinction vaille,
en l'espèce au moins, explication. Admettons, par exemple, la
compétence normale de la loi nationale de l'enfant (cf. Lere-
bours-Pigeonnière, Précis, 3* éd., n° 349), B ; Battifol, Réper-
toire Droit International, VO Filiation, n" 24-25), cette loi est

;
inconnue puisque la nationalité, du point de vue du droit fran-
çais, n'est pas déterminée il faut donc bien supposer la natio-
nalité française et appliquer la loi française. Si, d'après celle-
ci, il y a filiation légitime et, par conséquent, nationalité fran-
çaise, la loi de l'enfant est alors la loi française et la question
de filiation est tranchée même quant aux effets civils d'après
la loi compétente. Si, au contraire, l'intéressé ne se voyait pas
attribuer la nationalité française, soit parce que sa filiation
légitime n'est pas établie, soit parce que cette filiation étant
prouvée, le père n'est pas Français, il faudrait lui reconnaître
la nationalité anglaise qu'il a jure soli puisque l'hypothèse de
la nationalité française qui seule justifiait le jeu de la loi fran-
çaise se révélerait inexacte et c'est à la loi anglaise qu'il fau-
drait alors demander sa filiation. Dans les deux cas, il y aurait
finalement concordance entre les solutions des questions de
légitimité et de nationalité. La décision sur la seconde vaut
donc pour la première. Et il ne suffit sans doute pas que le
tribunal, puis la cour, se soient bornés à statuer dans le dis-
positif de leurs décisions sur la question de nationalité pour que
celle de légitimité échappe à l'autorité de la chose jugée (cf. sur
celle-ci, Planiol, Ripert et Gabolde, op. cit., t. VII, Obligations,
2* partie, n° 1554). La seule explication possible de la réserve
des droits de Peter serait alors la relativité quant aux person-
nes de l'effet des jugements en matière d'état, donc en matière
de filiation, la portée de la décision sur la nationalité pouvant
et, à notre avis (V. Maury, op. cit., nO' 595 et s.) devant être
différente (rappr. Lerebours-Pigeonnière, Précis, 3* éd., p. 414.
note 1). La dissociation des deux notions de filiation et de
nationalité originaire jure sanguinis qui inspire peut-être, de
façon implicite, le jugement et les arrêts étudiés n'en peut
justifier la solution et ne saurait donc tirer de celle-ci une
force nouvelle.
4. — Le tribunal de Boulogne et la cour d'appel de Douai
ont eu à résoudre — et ont résolu en sens opposé — le pro-
blème de l'effet d'un mariage nul mais putatif sur la nationa-
lité de l'enfant issu de ce mariage. Un Anglais et une Française,

;
qui se croyait Anglaise, s'étaient mariés en 1906 à Calais devant
le consul anglais leur fils, né le 25 décembre 1913, ayant sous-
crit, le 18 mars 1935, une déclaration de répudiation de la

:
nationalité française, l'enregistrement de cette déclaration lui
fut refusé par le Ministre de la Justice le mariage étant nul à

restée Française;
raison de l'incompétence du Consul à le célébrer, la mère était
l'enfant, né en France, d'une mère Fran-
çaise, était donc définitivement Français, conformément à l'ar-
ticle, 1, 3°, de la loi du 10 août 1927 (V., sur ce point, infra,
n° 7). Edwards saisit le tribunal de Boulogne contre la déci-
sion duquel le Ministère Public interjeta appel. La cour,
comme le tribunal, mais pour des motifs différents, admit la
validité de la répudiation.
Le tribunal considère que le mariage putatif ne peut avoir
d'effet en matière de nationalité, l'article 201 du Code Civil ne

; »
parlant que des « effets civils et la nationalité étant question
de droit public dès lors, « relativement à la question de natio-

en enfant naturel :
nalité. et à cet égard seulement », l'intéressé devait être traité
safiliation paternelle étant seule établie
par la déclaration du père devant l'officier d'état-civil au
moment de la naissance et le père étant Anglais, Edwards avait
la faculté de répudier la nationalité française par application
de l'article 4 de la loi du 10 août 1927. Des réserves doivent
être faites sur la seconde partie de cette argumentation : l'en-

;
fant naturel de parents anglais ne peut avoir, en droitanglais,
jure sanguinis, la nationalité anglaise Edwardsétait donc
ou apatride ou Français jure soli sans faculté de répudiation
(v. infrà, n" 6) ; si, étant apatride, il avait acquis la nationalité
française à sa majorité, conformément à l'article 4 de la loi,
il ne pouvait répudier cette nationalité, n'ayant pas « conservé
la nationalité de ses parents» (art. 2, L. 1927). La première
partie du raisonnement, au premier abord plus défendable.
s'inspire, comme les décisions étudiées dans le numéro précé-

;
dent, de la dissociation de la filiation de droit civil et de la
nationalité elle n'en a pas moins soulevé de nombreuses cri-
tiques et la cour de Douai a, sur ce point, infirmé le jugement :
les règles sur la nationalité sont de droit public, mais « elles
ont été. édictées en tenant compte des règles établies par le
droit privé pour le mariage ou la filiation » : c'est l'affirmation
de la liaison des deux notions qui s'oppose fort justement à
leur séparation. La Cour en déduit qu'Edwards, fils légitime,
né en France d'un père étranger et d'une mère devenue telle
par son mariage, n'a acquis à vingt-et-un ans la nationalité
française que sous condition de répudiation (art. 4, L. 10 août
1927), rejoignant ainsi la solution du Tribunal.
La question est assez difficile. Les arguments contradic-
toires tirés du texte même de l'article 201 et des termes « effets
civils> n'ont que la valeur de moyens utilisés pour défendre
des thèses que d'autres raisons seules peuvent vraiment fon-
der. Nous proposerions volontiers une distinction.
Quand il s'agit de nationalité originaire jure sanguinis,
nous croyons que, par définition même, la nationalité et la
filiation doivent être étroitement liées (V. supra, n* 3). C'est le
meilleur moyen, sinon d'éviter toute difficulté, du moins de
diminuer le nombre des complications possibles. On en déduira
que le caractère putatif du mariage doit être apprécié, non pas
toujours d'après la loi française (que la Cour a appliquée, d'ail-
leurs, sans justification), mais d'après la loi compétente à ce
sujet en droit international privé français. L'enfant légitime,
parce que né d'un mariage putatif d'après cette loi, a la natio-
nalité de son père Français ou est étranger jure sanguinis si
son père est étranger. L'arrêt de la cour de Douai doit, sur
ce dernierpoint, être approuvé.
Il n'en résulte pas qu'il faille admettre l'effet d'un mariage
putatif sur la nationalité de la femme. Il s'agit là non plus
d'une attribution, conséquence directe et nécessaire d'un état
donné, mais d'un changement, acquisition ou perte, exigeant
toujours, au moins depuis la loi du 10 août 1927, d'autres
conditions. Les cas d'option écartés, l'article 8 de cette loi
fait dépendre l'acquisition ou la perte de nationalité française
pour la femme de la solution donnée par la loi nationale de
celle-ci (quant à l'acquisition) ou par celle du mari (quant à

de la femme ;
la perte) relativement à l'effet du mariage sur la nationalité
il pourra arriver que le marige étant putatif,
même d'après la loi normalement compétente en droit inter-
national privé français, ne le soit pas d'après la loi que dési-

mari;
gne, pour cette question, le droit (étranger) de la femme ou du
le mariage pourra avoir, en France, les effets civils d'un
mariage valable, être attributif de nationalité aux enfants qui
en sont nés et laisser inchangée la nationalité de la femme
quoique soient réunies les conditions de changement autres
que l'existence même d'un mariage. Les deux problèmes de
l'effet du mariage putatif sur la nationalité de la femme et
sur celle des enfants reçoivent donc, en certains cas, des répon-
ses opposées. Il est permis d'en déduire qu'ils ne sont pas
nécessairement liés et de les distinguer s'il existe — ce que
nous croyons — des motifs de le faire. Aucune des raisons don-
nées en faveur de l'unité de nationalité des époux ne garde, en
effet, au cas de nullité du mariage, toute sa valeur (V. Maury,
op. cit., n° 310), et il est, dès lors, possible de décider qu'un
tel mariage, même putatif, n'entraîne pas, pour la femme, le
changement de nationalité.
2. Nationalité française et naissance en France.
(Civ. Cass., 13 juillet 1933, Borkholz, Niboyet, 1934, 703,
note Ancel, S. 1933, 1. 341 ; Seine, 24 mai 1932, Clunet,
1933, 371 ; Darras, 1932, 685 ; S. 1933, 2. 145, note Nibo-
yet ; D. 1934, 2. 145, note Nast).
5. — L'annexe à la partie III, section V, du traité de Ver-
sailles, réintègre deplein droit dans la nationalité française
« tout individu né en Alsace-Lorraine de parents inconnus
ou dont la nationalité est inconnue » (§1, 3°). Ce texte est
identique à l'article 1, 7", de la loi du 10 août 1927 déclarant
Français « tout individu né en France de parents inconnnus
ou dont la nationalité est inconnue ». L'interprétation vaut,

sation, à propos du traité, des termes :


dès lors, semble-t-il, pour la loi, qu'a donnée la Cour de Cas-
« parents dont la
nationalité est inconnue ». Le tribunal suprême exige, pour
considérer la condition comme remplie, qu'il existe « un doute
s~t~tt~).-.,--'~-'-.'
» sur la nationalité des parents
sérieux
<
; « ne sauraient être
réputés de nationalité inconnue, au sens de la disposition
susvisée, les parents que des présomptions graves, précises
et concordantes désignent comme ayant appartenu à la natio-
nalité allemande ».

possibles :
M. Ancel, dans sa note précitée, oppose deux conceptions
ou bien, parce qu'on veut surtout éviter l'apatridie,
il suffit pour que l'enfant soit Français jure soli qu'il ne puisse
pas démontrer sa qualité d'étranger et l'article 8, 4°, du Code

;
Civil, les articles 2 et 4 de la loi de 1927 peuvent fournir un
argument en ce sens ou bien, parce qu'on veut donner la
nationalité française à celui seulement qui subit, sans contre-
poids d'ordre familial, l'influence du milieu social français,
il faut que soit établie l'apatridie des parents. La Cour de Cas-
sation aurait adopté la seconde conception.
Nous ne pensons pas qu'un tel choix puisse être tenu
pour certain et nous inclinerions à expliquer l'arrêt étudié en
nous plaçant uniquement sur le terrain de la preuve en matière
de nationalité. La nationalité originaire peut être, en principe,
prouvée par tous moyens (V. Maury, op. cil., n" 592, 594) et
« l'attestation en due »
forme des articles 2 et 4 de la loi
1927, comme de l'article 8, 4°, du Code Civil, constitue une exi-
de

gence exceptionnelle. Dès lors, quand des c présomptions gra-


ves, précises et concordantes » permettent de considérer les
parents de l'intéressé comme ayant une nationalité étrangère

contraire;
donnée, celle-ci doit être tenue pour établie, sauf preuve du
il n'y a pas « nationalité inconnue )-.
6 — Le jugement du tribunal de la Seine du 24 mai 1932
se refuse à étendre l'attribution de la nationalité française
jure soli en vertu de ce même article 1, 7°, à l'enfant « né
en France, de parents ne lui ayant transmis aucune nationa-
lité » (il s'agissait d'un enfant naturel né en France d'une
Anglaise (v. suprà, n° 4). Cette solution, qui pourrait peut-
être s'appuyer sur la seconde conception de l'attribution jure
soli indiquée par M. Ancel (suprà, n° 5), a l'inconvénient
grave de laisser sans nationalité un enfant né sur le territoire
français. La doctrine lui est, en général, hostile et nous pen-
sons que c'est avec raison (V. Maury, op. cit., n* 239).
3. Conflits de lois dans le temps.

Rouen, 27 juillet 1932, Jones, Clunet, 1933, 645 ;


(Seine, 6 novembre 1929, Heitz, Niboyet, 1934, p. 81, note 1 ;
Paris,
25 mai 1936, Ziesniss, Lapradelle, 1936, 553 ; Niboyet, 1937,
459, note Ancel ; Clunet, 1937, 299, sommaire).
7. — Les deux premières décisions appliquent les disposi-
tions de la loi du 10 août 1927 relatives à la nationalité d'ori-

:
gine à des enfants nés avant la mise en vigueur de la loi mais
encore mineurs au moment de cette mise en vigueur c'est, on
le sait, la solution de la Chancellerie (V. Maury, op. cil.,
n° 289) qu'on retrouve exposée par elle dans l'affaire Edwards
(suprà, n* 3). Une telle thèse semble fort critiquable et, pour
notre part (op. cit., loc. cit.), nous l'avons ailleurs écartée.
L'arrêt et le jugement analysés ne la fortifient guère en l'adop-
tant. Dans l'affaire Jones, l'enfant légitime né en France en
1909 d'un père anglais, né en Angleterre, et d'une mère
anglaise, née en France, qui a été déclaré Français en vertu de
l'article 2 de la loi de 1927, l'était également — à notre avis,
plus exactement — si l'on faisait jouer l'article 8, 4°, Code
Civil. Dans l'affaire Heitz, le Tribunal de la Seine a, par appli-
cation de l'article 1", 6°, de la loi, reconnu la qualité de Fran-
çaise à la fille naturelle, née en France en 1911 d'une mère
étrangère qui l'avait reconnue la première et d'un père fran-
çais : mais cette solution, comme d'ailleurs celle de la cour de
Rouen, n'est, en aucune façon, motivée et ne saurait, dès lors,
avoir, en la matière, une bien grande autorité (Cf. cependant
Chambéry, 2 novembre 1927, S. 1928, 2. 153, Darras, 1928, 659,
Clunet, 1928, 1.115 et Seine, 8 décembre 1933, infrà, n° 12).
8. — La question portée devant la cour de Paris le 25 mai
1936 soulevait moins de difficultés. L'intéressé, Ziesniss, était
né en France en 1912 d'un père étranger et d'une mère fran-
çaise, née elle-même en France, et avait été légitimé par le
mariage de ses parents en 1913. Avant la loi de 1927,Ziesniss
était Français jure soli mais avait la faculté de répudier la
nationalité française entre 21 et 22 ans (art. 8, 3" C. Civ.) :
la cour le traite en enfant naturel, la llégitimation, avant la loi
de 1927, n'ayant pas effet sur la nationalité (V. Maury, 'op. cit.,
n4 300). Sous l'empire de la loi de 1927 (art. 1, S8) et en le
traitant toujours comme tel (contra, Ancel, note citée), il serait
Français irrévocablement, sans faculté de répudiation. Zies-
niss étant mineur au moment de l'entrée en vigueur de la loi,
la faculté de répudier la nationalité française, qui n'était que
simple expectative, disparaît par l'effet de celle-ci. C'est la solu-
tion de la cour deParis, conforme d'ailleurs à la jurispru-
dence antérieure (V. Maury, op. cit., n° 292).

C. — Changement de nationalité

18 Acquisition.
a) Par mariage.

1188 ; Darras, 1932, 699 ;


(Tr. Saint-Etienne, 26 juillet 1932, Zalcman, Clunet, 1913,

;
Seine, 8 déc. 1933, Heilbuth,
Clunet, 1934, 1193, Niboyet, 1935, 733 Rabat, 19 mars
1935, Benitah, Rec. Arrêts Cour Rabat, 1935, p. 251).

9. — Le tribunal de Saint-Etienne, en statuant sur une


question de déchéance judiciaire de nationalité (infra, n° 25),
a eu à préciser les conditions d'acquisition automatique (c'est-
à-dire sans demande) de la nationalité française par mariage.
Une Polonaise, ayant épousé un Français en 1930, soutenait
avoir acquis automatiquement la nationalité française, l'option
formulée par elle en faveur de la nationalité de son mari
devant dès lors être tenue pour inutile, inopérante. Le tribunal
interprète la loi polonaise sur la nationalité d'après les rensei-
gnements de l'ambassade — et à bon droit semble-t-il —
comme décidant que la perte de la nationalité polonaise « ne
se produit automatiquement que dans le cas où la loi nationale
du mari confère de plein droit à la femme la nationalité de
»
celui-ci ; ce n'est pas le cas de l'article 8, 1" alinéa, de la loi
française de 1927 qui, pour éviter l'apatridie de la femme, lui
donne la nationalité française seulement si, d'après sa loi
nationale, elle « suit nécessairement la condition de son mari ».
De façon générale, si une loi étrangère subordonne à l'acqui-
sition de nationalité française la perte de la nationalité de la
femme par son mariage avec un Français, la femme reste
étrangère sauf demande de sa part (v. en ce sens, Maury, op.
cit.,n°317).
10. — Il suffit de mentionner la solution — certaine
donnée par la Cour de Rabat le 19 mars 1935 que le divorce
-
ne faitpas perdre la nationalité française à la femme à qui l'a
fait acquérir son mariage avec un Français. -
La décision du tribunal de la Seine du 8 décembre 1933
est, par contre, plus critiquable. Appliquant une jurisprudence
bien établie, le tribunal considère que l'acquisition de natio-
nalité française par mariage entraîne cette même acquisition

Code Civil, modifié par la loi du 26 juin 1889 ;


pour les enfants mineurs de la femme en vertu de l'article 12,
il applique
d'ailleurs ce texte, la loi de 1889, à un mariage ayant eu lieu
en 1881 et à l'égard d'un enfant né en 1872. Même en admet-
tant, ce qui est, sans doute, inexact (v. supra, n° 7), que la
nationalité ne constitue jamais un droit acquis pour l'enfant
mineur, on ne voit pas comment les effets d'un acte juridique,
le mariage, réalisé en 1881, pourraient, sans rétroactivité, être
régis par une loi postérieure. Nous ne croyons pas d'ailleurs
que la loi du 26 juin 1889, modifiant l'article 12, Code Civil,
impose l'effet collectif de l'acquisition par mariage, ce texte
visant uniquement la naturalisation et rien n'en justifie, à
notre avis, l'extension. Quoi qu'il en soit, le tribunal n'a statué
que pour la loi du 26 juin 1889, la question reste entière pour
l'article 7 de la loi du 10 août 1927 et doit, semble-t-il, recevoir
une solution plus nuancée, quoique, en principe, négative
(v. Maury, op. cit., n° 385).

b) Par option.

381, note Valéry ;


(Conseil d'Etat, 2 mars 1935, Vandendriessch, Clunel, 1936,
Niboyet, 1936, 112, note Ancel ; Seine,
- Ch. Conseil, 25 octobre 1935, Lipka, Clunet, 1936, 621, Ni-
;
boyet, 1937, 454, note Ancel Seine, 8 décembre 1933, supra,
n* 10.)
11. — L'article 3 de la loi du 10 août 1927 permet d'acqué-
rir la nationalité française par option à l'individu domicilié en
France et qui y est né de parents étrangers dont aucun n'y est
;
lui-même né l'option est expresse ou tacite, se réalise soit
par une déclaration devant le juge de paix, soit par la parti-
cipation volontaire aux opérations de recrutement militaire.
Dans les deux cas, un contrôle de dignité est organisé, l'enre-
gistrement de la déclaration pouvant être refusé par décret,
rendu sur avis conforme du Conseil d'Etat (art. 3, al. 3),
l'inscription sur les listes du recrutement pouvant l'être par
le préfet, également sur avis conforme émis par le Conseil
d'Etat (art. 3, al. 4). Mais tandis que, dans le premier cas, le
législateur précise que « le déclarant dûment appelé a la
faculté de produire des pièces et mémoires », rien n'est dit, sur

n° 368) d'étendre la solution légale de celui-là à celui-ci:


ce point, pour le second cas. Nous avions proposé (op. cit.,

procédure de l'alinéa 3, nécessaire pour fournir à l'intéressé


la

un minimum de garanties, est, de plus, conforme à ce principe


élémentaire de justice qu'on doit être entendu avant d'être
condamné et les deux alinéas du même article, visant la même
formalité, peuvent être complétés l'un par l'autre. Le Conseil
d'Etat s'y refuse, arguant simplement du texte de la loi, stric-
tement interprété, et déclare régulier un refus d'inscription
sur les listes de recrutement après avis conforme du Conseil
d'Etat, quoique l'intéressé n'ait pas été appelé et ainsi mis
à même de présenter des pièces et mémoires.
Deux arguments ont été donnés pour défendre cette solu-

le Ministre de la Guerre contre le pourvoi formé :


tion. Le premier se trouve dans les observations présentées par
« le légis-
lateur a institué, par l'alinéa 4., une procédure simplifiée qui
est parfaitement adaptée à certaines circonstances ». Mais un
tel raisonnement, qui aurait une grande valeur s'il s'agissait
de la nécessité même d'un avis du Conseil d'Etat, en a beau-
coup moins, cette nécessité légalement admise, quand est

;
uniquement en question la reconnaissance à l'intéressé du
droit de se défendre il n'y a guère de motif pour ne pas
appliquer la même procédure à une consultation, dans les deux
cas identique, alors surtout que l'avis du Conseil d'Etat a-
évidemment pour but de protéger l'optant contre un refus
arbitraire de l'Administration et que ce but peut seulement
être atteint si le Conseil d'Etat n'est pas renseigné exclusive-
ment — et sans contradicteur — par cette Administration
même. M. Valéry fait, en second lieu, observer que l'intéressé
n'a pas, au fond, à se plaindre, pouvant, une fois refusée son
inscription sur les listes de recrutement, faire une déclaration
d'option conformément à l'alinéa 3 de l'article 3, déclaration
dont l'enregistrement ne pourra être rejeté qu'avec toutes les

:
garanties de ce texte (v. encore en ce sens, la note de M. Ancel).
Nous avons, sur ce point, quelques doutes l'alinéa 4 de l'arti-
cle 3 décide que « la participation volontaire aux opérations
du recrutement. tient lieu de déclaration », équivaut à celle-ci;
permettre donc une déclaration nouvelle, c'est tout simplement
admettre la possibilité de deux déclarations successives, ce qui
nous semble impossible. Même si d'ailleurs une déclaration
d'option pouvait encore être faite, il est douteux qu'en fait elle
soit reçue, la décision antérieure constituant un précédent,
établissant une sorte de présomption défavorable. Un procédé
plus sûr existe certainement, il est vrai, pour l'intéressé, c'est,
s'il n'est pas l'objet d'un arrêté d'expulsion, d'attendre sa
majorité pour bénéficier de l'acquisition automatique de natio-
:
nalité française, conformément à l'article 4 de la loi mais ce
moyen, qui ne va pas sans retarder la prise de qualité de
Français, vaut au cas de l'alinéa 3 comme au cas de l'alinéa 4
et ne justifie donc pas entre les deux une différence de pro-
cédure.
12. — Dans son jugement du 25 octobre 1935, le tribunal
de la Seine s'occupe du contrôle de légalité commun à toutes
les options (celles de la femme.au moment du mariage excep-
tées). Le refus d'enregistrement pour irrégularité doit être
notifié au déclarant dans les trois mois de la déclaration (art. 5,
4* al.) et, à défaut de notification dans ce délai, « le ministre
de la Justice doit, à moins qu'il ne conteste la déclaration pour
»
cause d'indignité
:
procéder à l'enregistrement (art. 5, 5* al.).
C'est ce dernier texte qu'applique le tribunal « dit que Lipka
a, dans les termes de l'article 5, alinéa 4, de la loi du 10 août
1927, acquis le bénéfice de la déclaration souscrite par lui le
15 septembre 1934. en vue d'acquérir la nationalité fran-
çaise » ; la notification du refus d'enregistrement, à raison
d'un arrêté d'expulsion du 23 août 1934, était tardive, n'ayant
été faite que le 5 avril 1935. Le jugement fait d'ailleurs
observer que la contestation de la déclaration reste possible
pour cause d'indignité dans les six mois après qu'il sera devenu
définitif (art. 3, 3e al.) et cette observation paraît exacte (cf.
cependant, la note in fine de M. Ancel). Mais la question est
de savoir si l'enregistrement une fois accordé ou, en tout cas,
tenu pour réalisé, l'option en faveur de la nationalité française
doit être considérée comme efficace, même si les conditions
d'acquisition de cette nationalité n'étaient pas remplies. La
jurisprudence tend à admettre, avec raison, que la déclaration,
quoique enregistrée, peut être annulée pour illégalité par les
tribunaux judiciaires (v. Maury, op. cit., n° 366). Le tribunal
s'inspire sans doute de cette idée quand, sollicité de dire par
Lipka que celui-ci « avait acquis la nationalité française au
jour de sa déclaration », il le déclare « non-recevable autant
que mal fondé sur les autres chefs de sa requête », paraissant
ainsi distinguer entre, d'une part, la validité formelle de la
déclaration et son enregistrement, d'autre part, son efficacité,
le changement de nationalité.
Le jugement du 8 décembre 1933 est plus net dans le même
sens, refusant effet à une déclaration de répudiation de la
nationalité française souscrite le 20 septembre 1917 — et cer-
tainement, quoi qu'il n'en dise rien, enregistrée — parce que
le déclarant, fils d'un père Français, n'avait pas le droit de
répudier.
La question est, d'ailleurs, depuis le 1" octobre 1937, défi-
nitivement tranchée par le décret-loi du 25 août1937 (J. Off.,
27 août, p. 9832) : ce décret qui, sans rien changer pour lek
contrôle de dignité (art. 1,2* al.), transfère « les attributions
du ministère de la Justice en matière d'enregistrement des dé-
clarations de nationalité. au procureur de la République du
lieu de la naissance de l'intéressé lorsque ce dernier est né en
France » (art. 1, 1er al.) décide, dans son article 2 : « La validité
des déclarations enregistrées peut être contestée par tout inté-
ressé et par le ministère public lorsque les conditions requises
par la loi n'étaient pas remplies. » (Aj. les art. 5 et s., du décret
du 25 septembre 1937, J. Off., 26 sept., p. 10962, modifiant le
décret du 10 août 1927.)
c) Par naturalisation.
(Seine, 8 mai 1936, Abouhamad, Niboyet, 1937, 456, note Ancel;
Caen, 13 juin 1932, Gayda, Clunet, 1934, 363, Niboyet, 1934,
899, S. 1933, 2. 79 ; Tr. Marseille, 31 mai 1933, Gabriel V.,
Clunet, 1934, 935, Niboyet, 1934, 450 ; Seine, 15 juill. 1935,
Gandur, Clunet, 1936, 867, Lapradelle, 1935, 553, Niboyet,
.1936, 109.)
13. — Dans l'affaire Abouhamad, deux solutions ont été
données par le tribunal, l'une relative aux conditions d'apti-
tude à la naturalisation, l'autre concernant la question de capa-
cité pour la demande à faire par l'intéressé.
Une femme mariée libanaise, s'étant vu refuser par son
mari l'autorisation de solliciter la nationalité française, avait
obtenu cette autorisation, par défaut, du tribunal de la Seine
le 28 février 1936 ; le mari faisait opposition à ce jugement. Il
faisait valoir qu'en vertu de l'arrêté 15/S du Haut-Commissaire
de la République française, en date du 19 janvier 1925 sur la
nationalité libanaise, un Libanais ne pouvait acquérir une
nationalité étrangère qu'après y avoir été autorisé par un arrêté
du chef de l'Etat libanais (art. 8, 1°). Il soutenait que sa femme
n'ayant pas obtenu cette autorisation, la demande en natura-
lisation était manifestement irrecevable. C'était prétendre que
l'Etat français doit obligatoirement tenir compte des incapa-
;
cités du droit de l'Etat d'origine quant à la perte de la natio-
nalité de celui-ci c'était faire de cette perte une condition de
l'acquisition par naturalisation de la nationalité française. On
ne répond donc pas à un tel argument en observant, comme le
fait le jugement, que, si le Libanais ne peut perdre sa natio-
nalité originaire sans autorisation, cela ne l'empêche pas d'en
acquérir une autre. Mais comme le dit aussi, et fort justement
cette fois, le tribunal, la matière de la nationalité étant
« d'ordre public interne et même d'ordre politique », « la déci-
sion de l'autorité gouvernementale française appelée à statuer
sur la demande ne saurait, en l'absence d'une disposition de
notre législation le prévoyant expressément, être influencée par
celles de la loi libanaise concernant l'acquisition ou la perte de
cette nationalité ». La même solution avait été déjà donnée par
le tribunal de la Seine, le 2 juillet 1930 (Clunet, 1932, 967)
à propos de la loi ottomane du 19 janvier 1869. Elle s'impose
en l'état du droit positif français. Elle doit d'ailleurs être
approuvée du point de vue théorique car la solution contraire,
si elle diminuait le nombre des conflits positifs de nationalité,
ne le ferait qu'en portant atteinte au principe de la liberté
positive de changement de nationalité (v. Maury, op. bit.,
n° 391, nos 64 et s.).

question de capacité ;
14. — Le jugement, on l'a dit, touche également à la
quoique ce point n'ait pas été, sem-
ble-t-il, contesté, il déclare dans une formule assez heureuse :
«.il est admis en doctrine, en jurisprudence qu'un tribunal
français peut, en cas de défaut ou de refus d'autorisation du
mari, accorder à une femme étrangère l'autorisation de solli-
citer la nationalité française lorsque ce changement de natio-
nalité est conforme à son légitime intérêt, à condition toutefois
de s'abstenir rigoureusement, pour accorder ou refuser cette
autorisation, de faire état de considérations comportant l'exa-
men du fond de la demande de naturalisation, l'autorité gou-
vernementale ayant seule qualité et compétence pour apprécier
celle-ci, à moins qu'elle n'apparaisse manifestement irrece-
vable ».
Cet attendu présente un double intérêt. Il affirme d'abord
la possibilité d'une autorisation de justice au cas de refus du
mari en matière de demande de naturalisation, possibilité qui
avait été niée à tort — et avec des arguments très faibles —
par l'arrêt de la cour de Caen du 13 juin 1932 pour une
demande en réintégration (v. sur la question, Maury, op. cit.,
n° 403 ; Ancel, De l'autorisation nécessaire à la femme pour
solliciter la naturalisation, Niboyet, 1934, 595 et s.). Il cons-

qui appartient, en pareil cas, au tribunal :


titue ensuite une tentative de préciser la liberté d'appréciation
celui-ci né peut
se substituer au Gouvernement pour examiner au fond, et
fût-ce seulement quant aux conditions légales d'aptitude, la
demande formée puisqu'il est de jurisprudence constante (v.

;
infra, n° 16) que les tribunaux judiciaires sont incompétents
pour apprécier la légalité des décrets de naturalisation mais
il ne peut, à l'inverse, accorder toujours l'autorisation sollicitée
car celle-ci ne doit être donnée que cognita causa, en tenant
compte de l'intérêt légitime de la femme et cette dernière n'a
pas intérêt à former une demande qui doit être repoussée ;
recourant à l'idée d'irrecevabilité manifeste ;
le tribunal résout l'antinomie, au moins en apparence, en
en réalité, une
telle formule aboutit à peu près à sacrifier la première position
à la seconde car toute condition légale précise et ne comportant
pas une appréciation discrétionnaire du fait, rend, si elle n'est
telle solution est d'ailleurs à approuver :
pas remplie, la demande « manifestement irrecevable ». Une
l'incompétence des
tribunaux judiciaires en matière de naturalisation tient au fait

;
qu'il y a eu un décret, un acte administratif échappant, comme
tel, à leur contrôle quand cet acte n'est pas intervenu, quand
les tribunaux ne sont pas en présence d'un décret, il semble
que leur droit soit incontestable, leur liberté entière, de suppo-
ser (et ainsi d'assurer) l'application exacte de la loi pour juger
de l'intérêt de l'incapable à obtenir, ou non, l'autorisation
demandée. La loi du 18 février 1938 (J. Off., 19 février) ayant
rendu à la femme mariée « le plein exercice de sa capacité
»
civile (art. 215, nouveau, C. Civ.), la recevabilité d'une
demande de naturalisation ou de réintégration de la part d'une
femme mariée ne peut plus être subordonnée à l'autorisation
maritale (V. Circul. Min. Justice, 21 février 1938. J. Off. : 22
février). Sans doute, il y aura lieu de s'enquérir de l'opinion
du mari, celle-ci constituant un des éléments de fait dont on
doit tenir compte dans l'appréciation de la demande (V. circul.
minist. précitée), mais l'autorisation maritale n'étant plus une
condition de la naturalisation, il ne saurait être question, à
l'avenir, d'une autorisation de justice.
15. — Nous passerons plus vite sur le jugement du tri-
bunal de Marseille du 31 mai 1933, lequel a également trait
à une question de capacité. Un enfant naturel Italien, encore
mineur (mais dont l'âge exact n'est pas indiqué) et habitant
en France, demandait au tribunal tenant lieu de conseil de
famille de lui nommer un tuteur « en vue de former une
demande en naturalisation et d'émettre un avis favorable sur
sa demande ». Le tribunal, faisant droit à cette requête,
nomme un tuteur et, de façon d'ailleurs un peu imprécise et
assez impropre (v. art. 6, 3* al., et art. 3, 2* al., L. 1927), « auto-
rise le mineur Gabriel V. à former sa demande de natu-
ralisation ».
L'intérêt du jugement consiste dans l'application de la
loi française à l'organisation de la tutelle d'un mineur étran-
ger, ce qui s'explique sans doute par le fait que la tutelle était
organisée en vue de la naturalisation à obtenir, mais ce qui
constitue une interprétation un peu extensive, une application
large de la règle que les questions de capacité, quand la natio-
nalité française est en jeu, sont régies par la loi française (cf.
Maury, op. cit., n° 349 bis).
16. Le jugement du tribunal de la Seine du 15 juillet
—1
1935 affirme, une fois de plus, l'impossibilité, pour un tribunal
de l'ordre judiciaire, d'apprécier la validité d'un décret de
naturalisation, voyant dans celui-ci — ce qui est une erreur
certaine quoique assez fréquente — un « acte de gouverne-
ment ». La nullité était d'ailleurs demandée en arguant du
caractère frauduleux de la naturalisation et ce caractère, même

décision tient aux faits suivants :


établi, n'eût pas suffi à la justifier. L'intérêt particulier de la
le mari Italien — qui con-
testait la naturalisation française de sa femme afin de résister
à une action en divorce — avait formé contre le décret de

Conseil d'Etat ;
naturalisation, un recours en excès de pouvoir devant le
le tribunal avait, dès lors, naturellement,
sursis à statuer jusqu'à la décision de la juridiction adminis-
trative mais celle-ci rejeta le pourvoi comme tardif (par un
arrêt du 24 octobre 1934, Lebon, 1934, Tables, VO Naturalisa-
tion) et l'instance put être reprise. Il semble que l'intéressé eût
été mieux inspiré en intentant un recours en appréciation de
validité, lequel est recevable pendant trente ans (v. sur la ques-
tion, Maury, op. cit., n° 411, et les auteurs cités. Aj. Maurice et
André Hauriou, Précis de droit administratif, 12°éd., p. 401-
402).

(Conseil d'Etat, avis, 27 décembre 1934, Lapradelle, 1935, 177,


Niboyet, 1936, 438, et 4 juin 1935, Niboyet, 1936, 447; Cass.
crim., 28 février 1936, Klamma, Lapradelle, 1936, 337, Ni-
boyet, 1936, 677, D. H. 1936, 218 ; Paris, 24 janvier 1935,
Castro, Niboyet, 1935, 387, S. 1935, 2. 52, Clunet, 1935, 938,
Sre ; Colmar, 30 octobre 1935, Dlle X., Clunet, 1936, 852,
Niboyet, 1936, 107. 449, Lapradelle, 1935, 558, S. 1936, 2. 21,
D. 1936, 2. 112 ; Paris, 1" juillet 1936, Lapradelle, 1936,
529, Niboyet, 1937, 79, note Niboyet, S. 1937, 2. 33, et Req.,
2 juin 1937, 'Lapradelle, 1937, 331, S. 1937, 1. 269 ; D. H.
1937, 345.)
17. — Les effets de la naturalisation quant aux droits

:
concédés avaient été réglés par l'article 6, 5e alinéa, de la
loi de 1927, de la façon suivante incapacité, pendant dix ans

;
à partir de la naturalisation, d'être investi de fonctions
ou mandats électifs suppression du stage ainsi imposé quand
l'intéressé avait accompli les obligations militaires du service
actif dans l'armée française et réduction possible de ce stage
par décret rendu sur rapport motivé du Garde des Sceaux
(v. Maury, op. cit., n08 414 et s.). Mais des textes législatifs
nouveaux sont venus accroître les différences entre les Fran-
çais par naturalisation et les autres. On se borne à mentionner
ici, pour l'exercice de la médecine et de l'art dentaire, la loi du
21 avril 1933* aujourd'hui abrogée et remplacée par celle du
26 juillet 1935 : il ne semble pas que ces lois aient jusqu'ici
suscité des difficultés d'application. Il n'en a pas été de même
de la loi, plus générale, du 19 juillet 1934, modifiant l'article 6
de la loi de 1927 en y ajoutant un sixième alinéa. Malgré
l'avis — très détaillé — du Conseil d'Etat du 27 décembre 1934,
les tribunaux, qu'un tel avis ne sauraient d'ailleurs lier, ont eu
à connaître de contestations relatives à ce texte. Les solutions,
tant judiciaires qu'administratives, en ont donné une inter-
prétation, en général, fort rigoureuse — et peut-être discu-
table — que les lois postérieures des 28 août 1936 et 20 mai
1937 ont confirmée en l'adoucissant dans une certaine mesure.
La loi du 19 juillet 1934 décide que « pendant dix ans
à partir du décret qui lui a conféré la naturalisation, l'étranger
naturalisé ne peut être nommé à des fonctions publiques rétri-
buées par l'Etat, inscrit à un barreau ou nommé titulaire d'un
».
office ministériel Trois questions principales ont dû être
résolues que nous allons brièvement indiquer.
18. — La définition des termes « fonctions publiques rétri-
»
buées par l'Etat a été donnée avec beaucoup de précision par
le Conseil d'Etat. Il faut d'abord que les fonctions envisagées
soient rétribuées par l'Etat, ce qui exclut « les fonctions rétri-
buées par les départements, par les communes et par les colo-
nies., également les fonctions rétribuées par les établisse-
ments publics qui ont une personnalité distincte de celle de
l'Etat, même si leurs ressources proviennent en partie du
budget général ». Il faut ensuite qu'il s'agisse de fonctions pu-
bliques : or la qualité de fonctionnaire public « n'appartient
qu'aux personnes qui sont comprises dans les cadres perma-
nents d'une administration publique et qui perçoivent un trai-
tement, une solde où rétribution soumis à retenue pour la
constitution d'une pension de retraite ». Les stagiaires rem-

;
plissent ces conditions dont l'emploi est prévu par un texte
organisant un cadre de stagiaires les simples auxiliaires ou
aides temporaires, à l'inverse, ne les remplissent pas. Peu
importe, d'ailleurs, qu'il s'agisse de fonctions civiles ou mili-

officiers de carrière, les gendarmes;


taires : exercent une fonction publique les officiers, les sous-
par contre, les officiers
de réserve, dont la solde n'est pas soumise à retenue (art. 38,
L. 8 janv. 1925. Aj. pour les officiers de réserve de l'armée de
l'air, art. 57, L. 1er août 1936) et les sous-officiers (autre que
de carrière) ne sont pas des fonctionnaires publics.
Dans son arrêt du 28 février 1936, la Chambre Criminelle
de la Cour de Cassation a déclaré que « les dispositions de la
loi du 19 juillet 1934. sont sans application à la désignation
faite par les chefs de corps, dans les régiments étrangers d'in-
fanterie, des sous-officiers chargés des fonctions de sergent-
major comptable ».
19. — La seconde question est celle de savoir si à l'inca-
pacité nouvelle résultant de la loi de 1934 devaient être
admises les exceptions, plus haut rappelées (v. n° 17), à celle
édictée par la loi de 1927, article 6, 5e alinéa. L'avis du

1935 se prononcent pour la négative :


Conseil d'Etat et l'arrêt de la cour de Paris du 25 janvier
l'incapacité spéciale de
1934 se trouve dans le sixième alinéa de l'article 6, alors que
l'incapacité de 1927 et les exceptions que le législateur lui a
apportées sont dans l'alinéa 5 ; l'alinéa 6, par conséquent indé-
pendant, ne doit ni ne peut être complété par le précédent. Il
n'est pas sûr qu'une telle conception s'imposât malgré l'appa-
rence et le rapport de M. Fourcade au Sénat (Séance du 5 juil-
let 19,34, J. Off., Déb. parlern., Sénat, S. O., p. 1067) fournissait-
un argument en sens contraire (V. de Lapradelle, La nou-
velle condition des naturalisés d'après la loi et la jurispru-
dence, Lapradelle, 1935, p. 161 et s., spécialement p. 176,
p. 184 et s.). Mais la loi du 28 août 1936, ajoutant à l'article 6,
deux alinéas nouveaux, la met hors de contestation en déci-
dant que l'accomplissement des obligations militaires du ser-
vice actif ne relève de l'incapacité étudiée que si le décret de'
naturalisation est antérieur au 20 juillet 1934 (v. infra, n° 20)
et en exigeant, pour les autres naturalisés, afin que cette inca-
pacité ne les atteigne pas, l'accomplissement de cinq ans au
moins de service militaire (art. 6, 8e al.).
20. — Reste le problème de l'application dans le temps de
la loi nouvelle. Juridiquement, les deux thèses pouvaient être.
défendues, celle de la non-application aux étrangers naturali-
sés avant son entrée en vigueur en disant que les effets d'un
acte juridique, telle la naturalisation, doivent être fixés par la
loi existant au moment de la réalisation de l'acte (V. de Lapra-
delle, loc. cit., p. 188 et s.), celle de son application immédiate,,
en faisant valoir soit que la loi de 1934 modifiait pour l'avenir,.
à l'égard de tous, la situation de naturalisé, soit qu'elle éta-
blissait, dans les mêmes conditions, les conditions d'accès aux
fonctions publiques. La première solution était incontestable-
ment plus équitable, la seconde correspondait sans doute
mieux aux motifs d'ordre politique, avoués par le législateur
l'insuffisance de l'assimilation, la nécessité d'une période-
:
d'épreuve, plus encore aux raisons profondes de son interven-
tion : le désir de créer, pour les Français autres que natura-
lisés, un véritable privilège économique. Il est inutile — quel
qu'en soit l'intérêt théorique — d'étudier ici le problème posé.
L'Administration et la jurisprudence ont, toutes deux, décidé
en faveur de la seconde thèse, pour l'application immédiate de
la loi, même aux naturalisés antérieurs, mais, toutes deux, en
sauvegardant les situations juridiques individuelles déjà éta-
blies et considérées, dès lors, comme des droits acquis. En
n'exemptant de l'incapacité nouvelle les bénéficiaires d'un
décret de naturalisation antérieur au 20 juillet 1934 que sous
condition qu'ils aient accompli les obligations militaires du
service actif dans l'armée française, la loi du 28 août 1936
(art. 6, T al., L. 1927, supra, n° 19) a consacré la solution de
principe admise (v. également infra la loi du 20 mai 1937). IL
suffit donc d'en indiquer ici les applications et d'en préciser
la portée.
Le Conseil d'Etat (avis du 27 décembre 1934) déclare la
loi applicable aux jeunes gens, naturalisés depuis moins de
dix ans, qui préparaient des concours donnant accès à des
fonctions publiques (eussent-ils été antérieurement admissi-
bles) ou des concours d'entrée à des écoles assurant le recrute-
ment des fonctionnaires publics. Les conditions d'application
de la règle ainsi posée ont été précisées, pour le concours d'agré-
gation de l'enseignement secondaire par la circulairedu Minis-
tre de l'Instruction Publique du 12 janvier 1935 (Information
Universitaire, 19 janvier), pour le concours d'entrée à l'Ecole
Spéciale Militaire, par les décrets des 6 mai 1935 (Niboyet, 1935,.
880) et 11 octobre 1935 (J. Off., 20 octobre, p. 11.119), pour le
concours d'entrée à l'Ecole Polytechnique, par ceux du 16 mars
1935 (Niboyet, 1935, 878), 24 août 1935 (J. Off., 30 août,
p. 9583), et 4 février 1937 (J. Off., 10 février, p. 1768, Niboyet,
1937, 543). Pour l'Ecole Polytechnique d'ailleurs, la loi du
20 mai 1937 — à tort incorporée, puisque d'effet temporaire,
à la loi de 1927 — a décidé que les naturalisés avant le 20 juil-
let 1934, reçus au concours en 1935, « bénéficieront sans autre-
condition des dispositions de la loi du 28 août 1936. »
c'est-à-dire seront exempts de l'incapacité créée par la loi du
19 juillet 1934. Celle-ci, d'autre part, parce qu'elle ne doit pas
porter atteinte à des droits acquis, n'est applicable ni aux natu-
ralisés déjà fonctionnaires, ni même à ceux qui avaient, avant
sa promulgation, « vocation spéciale à l'obtention d'unemploi
»
déterminé à raison d'une situation juridique particulière,
d'un lien de droit entre eux et l'Etat : élèves des écoles norma-
les d'instituteurs, élèves des grandes écoles. L'avis du 4 juin
1935 étend cette solution aux élèves de l'Ecole Normale Supé-
rieure qui, quoique naturalisés depuis moins de dix ans lors
de la promulgation de la loi du 19 juillet 1934, peuvent être
pourvus d'un poste d'enseignement s'ils sont reçus à l'agréga-
tion à leur sortie de l'école ou pendant la durée de l'engage-
ment décennal qu'ils ont souscritenvers l'Etat.
Les cours de Paris et de Colmar ont refusé l'inscription au
barreau de naturalisés depuis moins de dix ans quoique leur
naturalisation fût antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du
19 juillet 1934. Il résulte de l'arrêt de la cour de Paris (et aussi
de l'avis du Conseil d'Etat) que les naturalisés, déjà inscrits,
échappent, par contre, à la loi nouvelle.
21. — Les incapacités de l'article 6 de la loi de 1927, après
comme avant la loi du 19 juillet 1934, ne s'appliquent qu'aux
naturalisés. Elles ne jouent donc ni pour les étrangers devenus
Français par bienfait de la loi, ni pour ceux qui ont été réinté-
grés dans la nationalité française. La solution, d'ailleurs cer-
taine, est affirmée par le Conseil d'Etat dans son avis du
27 décembre 1934.
Mais il convient de signaler ici la décision récente de la
cour de Paris en date du 26 juin 1936 que la Chambre des
Requêtes a faite sienne en rejetant le pourvoi formé contre elle
le 2 juin 1937. Il s'agissaiê d'un ancien Allemand israëlite
devenu Français par réintégration en vertu du Traité de Ver-
sailles et qui demandait son inscription au barreau. Celle-ci lui
ayant été refusée par le Conseil de l'Ordre, la cour de Paris fut
saisie de la question. Elle constate que l'intéressé « possède un
usage suffisant de la langue et de la prononciation française
pour pouvoir normalement plaider et consulter », que « du
point de vue moral, aucun grief n'est formulé contre lui »,
enfin « qu'à l'époque où il a introduit sa demande, X. jouis-
sait de tous les avantages qui s'attachent à la qualité de citoyen,
».
français Elle approuve cependant le refus d'inscription en se

Cassation:
fondant sur le raisonnement suivant que reprend la Cour de
« si », dit-elle, « pour donner accès à la profession,
le Conseil de l'Ordre ne peut arbitrairement ajouter des condi-
tions à celles que posent les textes réglementaires, il n'en doit
pas moins, en surveillant le recrutement des avocats, assurer,
sous le contrôle de la Cour, le bon fonctionnement du service
public auquel ceux-ci seront appelés à collaborer et mettre
ainsi à la portée des justiciables, des guides sûrs et compé-
tents » ; or X., établi en Allemagne et, depuis 1926, avocat à
Francfort, ne s'est prévalu de sa réintégration dans la natio-
nalité française qu'à trente-trois ans, lorsqu'il a été empêché,
parce que Israélite, de continuer à exercer sa profession en
Allemagne ; dès lors, « il ne présente point quant à présent les
garanties de stabilité et de persévérance dans la nationalité, où
il s'est fait tardivement réintégrer, pour qu'il puisse être admis
au stage dans un barreau français».
Nous avons quelques doutes sur l'exactitude d'une telle
solution. Elle équivaut, quoi qu'en disent les arrêts, à décider

;
qu'un réintégré, parce que tel, n'a pas tous les droits du Fran-
çais d'origine l'objection qu'elle formule à l'inscription de

;
l'intéressé est, en effet, tirée uniquement des conditions de sa
réintégration or, tenir compte de celle-ci, c'est faire une dis-
tinction contraire à la loi puisque l'article 11, alinéa 2, de la
loi du 10 août 1927 édicte comme une règle absolument géné-
rale que « en cas de réintégration », l'intéressé « acquiert im-

est pleinement assimilé au Français d'origine ;


médiatement tous les droits civils et politiques », c'est-à-dire
la nationalité
française, dont la loi précise les conditions d'acquisition, ne
comporte, sauf texte formel, ni nuances, ni degrés. L'idée de
nationalité effective, à laquelle M. Niboyet fait ici appel, ne
peut jouer aucun rôle, à moins de solution légale contraire,
quand il s'agit de nationalité française devant une autorité
française. Même en admettant — ce qu'on n'a pas ici à discu-
ter — un large pouvoir d'appréciation du Conseil de l'Ordre
et de la cour d'Appel en matière d'inscription au barreau (cf.
Payen et Duveau, Les règles de la profession d'avocat, Paris,
1936, n" 76 et s., 101 et s.), il nous semble que ce pouvoir ne
peut aller jusqu'à leur permettre d'exiger d'un Français,
contrairement à la loi sur la nationalité, « des garanties de
»
stabilité et de persévérance dans la nationalité française.
2° Perte.
a) Par acquisition volontaire d'une nationalité étrangère.
(Cass. Crim., 18 nov. 1932, Prigent, Niboyet, 1934, 95, note
Niboyet.)

22. — Lorsqu'il est encore soumis à certaines obligations


militaires, l'acquisition par naturalisation ou option d'une-
nationalité étrangère ne fait perdre sa nationalité à un Fran-

:
çais que si cette acquisition a été autorisée par le Gouverne-
ment français c'est la solution introduite dans notre droit
par la loi du 26 juin 1889 (art. 17, 10, 2° al., C. Civ), et qui se
retrouve dans l'article 9, 1°, 28 alinéa de la loi du 10 août 1927.

:
Ce qui varie dans les deux textes, c'est le délai pendant lequel
l'autorisation est exigée temps de soumission aux obligations
du service militaire pour l'armée active d'après la loi de 1889,
période de dix ans à partir soit de l'incorporation dans l'armée
active, soit de l'inscription sur les tableaux de recensement au
cas de dispense du service actif d'après la loi de 1927. L'arrêt
de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation apporte d'in-
téressantes précisions sur la computation du délai ainsi que
sur l'effet de son expiration et sur la combinaison possible des
'deux textes successifs.
:
Les faits étaient les suivants un Français, né en 1896,
insoumis en 1915, s'était fait naturaliser Anglais en 1926 ; il
était poursuivi pour insoumission. La cour suprême déclare
;
très justement applicable aux effets, en France, de sa natura-
lisation anglaise de 1926, l'article 17, 10, Code Civil comme
« le temps passé dans l'insoumission ne compte pas dans les
années de service exigées », il en résulte que «Prigent était
encore, en 1926, soumis aux obligations de service dans l'ar-
»
mé active ; n'ayant pas obtenu d'autorisation du Gouverne-
ment français, il n'a donc pas perdu, « au regard de la loi
»
française sa nationalité française. Seulement est intervenue,
depuis, la loi du 10 août 1927 ; la cour cite l'article 9, 10,
2" alinéa (dont le contenu a déjà été indiqué) et en déduit
(« d'où il suit») « que le Français qui, sans autorisation du
Gouvernement Français, se fait naturaliser à l'étranger, con-
serve la qualité de Français, au regard de la loi française, pen-
dant les dix années qui suivent son incorporation, mais la perd,
en principe, à l'expiration de ce délai ». M. Ancel, commentant

;
cette décision (Niboyet, 1936, 592), incline à voir dans ce motif
un obiter dictum de portée, par conséquent, restreinte mais
un tel point de vue paratt discutable si l'on remarque que cet
attendu seul justifie, pour la cour, l'application à l'espèce de
la loi de 1927. La naturalisation anglaise étant de 1926, son
efficacité quant à la perte de nationalité française, était, en
effet, certainement régie par la loi de 1889 et l'article 17, 28 ali-
néa, Code Civil, pouvait d'ailleurs être appliqué à l'affaire sansi
difficulté pour le calcul du délai. Seulement, d'après la loi de
1927, telle que la Cour de Cassation l'interprète, l'expiration du
délai de dix ans couvre (sous la réserve qu'on verra) l'irrégula-
rité (Cfr. pour la question de capacité, Maury, op. cit., n° 443);
il y a lieu, évidemment, d'admettre qu'elle couvre l'irrégula-
rité même antérieure à la loi de 1927. Il fallait donc se deman-
der si et à quelles conditions l'intéressé pouvait s'en prévaloir.

pas
Ici, l'arrêt donne deux solutions. Le délai, quand il n'y a
dispense de service actif, ne court que de
celle-ci « consiste .non dans l'inscription de l'appelé sur les
;
l'incorporation

registres du recrutement et son affectation à un corps déter-


miné, mais dans son immatriculation sur les registres de ce
»
corps après qu'il l'a rejoint ; l'insoumis n'ayant jamais été
incorporé, le délai n'a pas commencé à courir. Le délai, en
second lieu, « ne peut être invoqué que par le Français qui
s'est effectivement libéré de ses obligations militaires », for-
mule qui, pour l'insoumis, pourrait n'apparaître que comme
une conséquence de la précédente, mais formulequi vaut aussi
à l'encontre du déserteur et que peut donc seule justifier le but
même de la disposition étudiée, l'idée d'assurerle plus possible
l'accomplissement des obligations du service militaire français.
Par là est assez sensiblement réduite la portée de la première
solution sur l'effet confirmatifde l'expiration dudélai de dix
ans, par là tout inconvénient sérieux est ôté à cette solution.
b) Par prise de service militaire à l'étranger.
(Seine, 6 novembre 1936, Gaz. Trib., 1936, 2, 481 ; Clunet, 1937,
297, Sre).
23. — Ce jugement applique l'article 14 b de la loi de 1927.
Le père de l'intéressé (qui se prétendait Français) avait, sous
l'empire de la loi du 26 juin 1889, pris du service dans l'armée
russe sans autorisation du Gouvernement français, donc perdu
,la nationalité française conformément à l'article 17, 4°, Coddt
;.Civil. Mais l'article 14, b, de la loi de 1927 décide
que la prise
'de service militaire, même antérieure à la loi de 1927, ne
«
peut entraîner la déchéance de la qualité de Français, à moins
que cette déchéance n'ait été constatée par une décision de jus-
»
tice passée en force de chose jugée ; « cette disposition nou-
velle qui a effet rétroactif a eu pour résultat d'effacer la perte

prise du service militaire à l'étranger :


de la qualité de Français qui s'était produite du seul fait de la
d'où il suit que cet
ascendant doit être considéré comme n'ayant jamais perdu,
pour ce motif, la nationalité française x>.
c) Par retrait de naturalisation.
(Req., 21 mars 1933, Krichel, Clunet, 1934, 361, Niboyet, 1934,
100, note Niboyet, D. H. 1933, 266).
24. — La Chambre des Requêtes affirme, une fois de plus,
en reprenant presque textuellement sa formule d'arrêts anté-
rieurs (v. par exemple Req., 25 octobre 1922, S. 1923, 1. 69, Dj
1923, 1. 179) que les retraits de naturalisation, prononcés part
application de la loi du 18 juin 1917, ont pour effet légal et
nécessaire de restituer à l'intéressé, au regard de la loi fran-
çaise, sa nationalité d'origine. Elle applique cette solution à un
ancien Allemand qui, ayant perdu la nationalité allemande en
1893, par un congé d'expatriation, n'avait été naturalisé Fran-
çais qu'en 1911 : comme il s'agit là d'une véritable fiction
légale (v. Maury, op. cit., n° 510), la solution est exacte, pour
étrange qu'elle puisse paraître. Mais elle l'applique dans une
espèce où était en jeu le droit à la propriété commerciale de la
loi du 30 juin 1926 et il semble que ce soit à tort car la fiction
légale, limitée dans sa portée par son but même, ne vaut que
pour les mesures de guerre. Il est vrai qu'en fait, peu impor-
tait pour la décision à donner que l'intéressé fût Allemand ou
heimatlos puisqu'il était, dans les deux cas, étranger et ne rem-
plissait pas, d'après la Cour de Cassation, la condition de l'ar-
ticle 19 de la loi du 30 juin 1926, ayant servi mais non com-
battu dans les armées alliées, (v. infra, Condition des étrangers,
ne 37.)
d) Par déchéance judiciaire.
Civ. rej., 2 décembre 1936, Klara Kaplun, Clunet, 1937, 295J
Niboyet, 1934, 100 ; S. 1933,1. 152 et 176 ; D. H.1933, 217;)
Civ. rej., 2 décembre 1936, Klara Kaplun, Clunet, 1937, 295,
D. H. 1937, 51 ; tr. Saint-Etienne, 26 juillet 1932, damet
Léchaud, Clunet, 1933,1188, Darras, 1933, 699). )
25. — Ces décisions précisent, à la fois quant au fond et
quant à la procédure, certaines des conditions de la déchéance
de nationalité pour défaut de loyalisme, organisée par l'arti-
cle 9, 5° et l'article 10 de la loi du 10 août 1927.
Les actes reprochés au Français qui fait l'objet d'une,

pénales ;
action en déchéance peuvent ne pas constituer des infractions
« il suffit », dit la Cour de Cassation, dans son
arrêt du 7 mars 1933, « que les faits retenus. soient de nature
second

à troubler ou à compromettre la sûreté de l'Etat indépendam-


ment de toute qualification à eux donnée par la loi pénale »,
(v. en ce sens Maury, op. cit.,n° 518,2°). Le terme « actes ».

;
doit d'ailleurs être compris de façon très large, est synonyme
d'activité d'après l'arrêt de la Cour suprême du 2 décembrd,
1936, « le mot acte. doit être entendu de tous les faits de pro-
pagande, articles de journaux, discours ou distribution d'écrits
contraires à la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat (la »
loi dit « contraires à la sûreté intérieure et extérieure » mais
;
il suffit évidemment que la sûreté, soit extérieure, soit inté-
rieure, soit compromise) peu importe les circonstances de fait4
peu importe en particulier que la propagande ne s'adresse, en

;
France, qu'à des étrangers, qu'elle soit faite en langue étran-
gère la question est de savoir si « elle est de nature à sus-
citer des difficultés extérieures au Gouvernement français. D,
« si elle peut provoquer des désordres sur le territoire fran-
çais ». La difficulté est évidente, dès lors, de distinguer entre
la propagande — permise
l'activité — interdite

— de
contraire
certains
à la
partis
sûreté de :
politiques
l'Etat
dépendra des courants généraux d'opinion et aussi, un peu, des
et
tout
sentiments des magistrats (v. Maury, op. cit., n° 519). Le tri-*
bunal de Saint-Etienne s'est refusé à classer parmi les actes
susceptibles de justifier la déchéance, la propagande commu-
niste bien que, dans les textes distribués, « la violence. soit
»
recommandée comme moyen d'action ; la Cour de Cassation
paraît moins libérale (v. spécialement son arrêt du 7 mars
1933).
En matière de procédure, il suffit de signaler l'application
par cette Cour, dans son premier arrêt du 7 mars 1933, de
l'article 8 de la loi du 18 juin 1917 auquel renvoie l'article 10,
5°, de la loi de 1927 : un pourvoi en Cassation ne peut être
formé que contre l'arrêt statuant au fond, est donc irrecevable
celui qui vise un arrêt (de la cour de Douai en date du 19 octo-
bre 1932) décidant que les débats auraient lieu en Chambre du
Conseil et non en audience publique. Cette solution de la cour
de Douai a été consacrée par l'arrêt de la Chambre Civile du
2 décembre 1936, se prévalant en ce sens du renvoi de l'arti-
cle 10, 5e alinéa, de la loi de 1927, à l'article 2 de la loi du
18 juin 1917. Cette solution semble contestable à raison du
texte de l'article 10 qui, dans son troisième alinéa, donne com-
»
pétence au « tribunal civil et des travaux préparatoires qui'
indiquent la volonté du législateur de rompre, sur ce point,
pour mieux garantir les droits de l'intéressé, avec la procé-
dure de 1917 (v. Maury, op. cit., n° 529). On retrouve là, une
fois de plus (v. déjà n° 19) la tendance du tribunal suprême
à s'en tenir strictement au texte légal, sans tenir compte de
l'intention de ses auteurs.

D. — Conflits de nationalités

Meylan ;;
(Tr. Rabat,

1935, 759
juill. 1934, Benchimol, Niboyet, 1935, 392, note*
9
Seine, 27 avril 1933, Lapradelle, 1934, 88, NiboUet
Tr. arbitral international égypto-américain;
8 juin 1932, Salem, Clunet, 1933, 1046, Niboyet, 1934,706).

26. — Les décisions françaises relatives aux conflits de


nationalités sont peu nombreuses et, en général, peu signifi-
catives.
Le tribunal de Rabat fait application d'une règle certaine
en la matière, à savoir que si le tribunal saisi d'un conflit de
:
nationalités est celui d'un des Etats partie à ce conflit, il doit
appliquer la loi de son Etat « le conflit de nationalités qui
se pose doit être résolu en faveur de la lex fori, les juges ne
devant tenir compte que de la loi au nom de laquelle ils ren-
dent la justice ». Il s'agissait d'un sujet Marocain qui avait
acquis la nationalité espagnole par option (la cour de Rabat,
le 4 mai 1935, Rec. Arrêts, 1936-575, a considéré que l'option
n'était pas établie) et qui restait Marocain au regard des auto-
rités du Maghzen, « le sujet marocain soumis à l'allégeance
perpétuelle », ne pouvant « acquérir une nationalité étrangère
qu'avec l'autorisation du gouvernement marocain »
téressé n'ayant pas obtenu cette autorisation (v. dans le même
et l'in-

sens, Rabat, 7 mai 1935, Mohamed ben Abdeslem, Rec Arrêts,


1935, 252). On pourrait se demander si les tribunaux français'
du Maroc, successeurs et remplaçants des tribunaux consu-
laires étrangers, ne doivent pas plutôt faire prévaloir la loi
étrangère (cfr Meylan, Les mariages mixtes en Afrique du
Nord, thèse, Paris, 1934, p. 148). Mais ces tribunaux jugent

de l'organisation judiciaire marocaine ;


au nom de la République Française et du Sultan, ils font partie
la solution du tribunal
semble donc soutenable. Bien entendu, la même question
portée devant un tribunal purement français, un tribunal de
la métropole, par exemple, pourrait recevoir une solution dif-
férente : le problème à résoudre serait alors celui d'un conflit
de nationalités de deux puissances tierces.
Le tribunal de la Seine a eu, à l'occasion d'une action en
divorce, à se préoccuper d'une question de ce genre, de la
nationalité d'une femme Américaine, mariée en 1930, avec
un Polonais. Il s'est borné à affirmer « que, cette nationalité »
(américaine), « la dame D. ne l'a pas perdue par son mariage,
ainsi qu'il ressort de l'article 3 du « Cable Act» du 22 sep-
tembre 1922 ». On ne peut voir là une application de la théo-
rie qui, des deux nationalités en conflit, quand la lex fori n'est
pas intéressée, fait prévaloir la nationalité première, droit
internationalement acquis et qui doit être respecté tant qu'il
n'a pas disparu (v. Maury, op. cit., n° 109 bis). Le tribunal,
en effet, ne semble pas avoir soupçonné la possibilité d'un
conflit résultant de l'article 7 de la loi polonaise du 20 janvier
1920 : « Par son mariage, une étrangère qui se marie avec
un sujet polonais acquiert la nationalité polonaise ». Il est
vrai que le tribunal a considéré le mariage civil dans l'île de
Chypre comme nul au regard de la loi polonaise, la forme
religieuse étant imposée en Pologne Russe. Mais il aurait
falllu au moins se demander si un mariage putatif n'emportait
pas, en droit polonais, changement de nationalité et, dans
l'affirmative, si le mariage en question, était ou non putatif.
On doit ajouter d'ailleurs que l'interprétation ainsi donnée
du droit polonais du mariage est inexacte, car le mariage d'un
ressortissant polonais, régi par le droit provincial russe, con-
clu à l'étranger dans la forme civile du droit du pays de célé-
bration, est considéré comme valable en Pologne depuis la
loi du 2 août 1926 (v. C. suprême Pologne, Chambres réunies,
12 avril 1929, Darras, 1929-523) ; la forme religieuse n'est
imposée que pour les unions contractées sur le territoire
polonais.
27. — Sans entrer dans l'étude détaillée de l'affaire
Salem résolue par le tribunal arbitral international égypto-
américain le 8 juin 1932, il convient d'indiquer — et d'appré-
cier — les principales solutions contenues dans cette sentence.
Le tribunal affirme d'abord son droit — évident — de
choisir entre les deux nationalités en conflit en vertu des
principes généraux du droit international, l'une des ces natio-
nalités pouvant avoir été conservée ou acquise contrairement
à l'un de ces principes et ne devant pas alors être prise en con-
sidération. Mais ce procédé de recherche ne conduit, dans
l'espèce, à aucune solution. Le tribunal considère, en effet,
que n'est pas contraire au droit international public une loi
qui, telle la loi turque ou égyptienne, subordonne toujours
à une autorisation gouvernementale la perte de la nationalité
de l'Etat considéré (cfr. Maury, op. cit., n° 67) ; la conserva-
tion de la nationalité égyptienne était donc juridiquement
possible (en fait, d'ailleurs, d'après le tribunal, Salem était
Persan, non Egyptien). L'acquisition d'une nationalité peut,
d'autre part, être non avenue parce que entachée de fraude
(cfr Maury, op. cit., n° 76) : mais « étant donné qu'un tribu-
nal arbitral doit se montrer extrêmement prudent, s'il veut
décider qu'une nationalité, reconnue et défendue comme
valable par un Etat lui-même, a été frauduleusement acquise,
étant donné — en outre — que tout doute à cet égard doit s'in-
terpréter en faveur de la validité juridique de l'acte de natu-
ralisation, le tribunal arbitral ne peut, dans le cas Salem,
constater qu'il y a eu acquisition frauduleuse du droit de
citoyenneté américaine».
Le tribunal rejette ensuite, comme règle internationale
de solution des conflits de nationalités, celle de la nationalité

:
effective, c'est-à-dire de la nationalité prédominante en fait,
de la nationalité vécue ce principe « invoqué par le gouverne-
ment égyptien n'apparaît pas comme suffisamment fondé en
droit international public », la sentence Canevaro, qui le con-
sacre, étant restée isolée. Sur ce point, on peut estimer, avec
grande chance de ne pas se tromper, que le tribunal a commis
une véritable erreur et que sa sentence, si elle devait faire
jurisprudence, marquerait un revirement et constituerait une
régression (v. Maury, op. cit.,n08 110 et suiv.).
S'étant ainsi interdit de trouver, en tout cas, une solution
aux cas de multinationalité, les arbitres, pour statuer sur le
litige qui leur était soumis, ont dû, admettant la double natio-
nalité comme un fait, en préciser les effets. Ils ont d'abord
décidé, visant un conflit (d'ailleurs hypothétique) entre les
nationalités égyptienne et américaine, que « si deux Etats
sont autorisés par le droit international public à traiter un
individu comme leur ressortissant, aucun de ces Etats ne
peut faire valoir contre l'autre une réclamation au nom de
»
cet individu (v. sur ce point, Maury, op. cit., n° 96). Envi-

:
sageant ensuite le conflit (réel) entre deux nationalités tierces,
l'américaine et la persane, ils ont déclaré « la règle est qu'en
cas de double nationalité, un Etat tiers n'est pas fondé à
écarter la réclamation de l'un des deux Etats dont l'étranger
intéressé est ressortissant en lui opposant la nationalité de
l'autre Etat ». L'existence d'une telle règle reste douteuse,
sa valeur, extrêmement faible (v. Maury, op. cit.,n08 105-106).
La sentence du tribunal arbitral international égypto-amé-
ricain n'aura pas fait faire de grands progrès au droit inter-
national de la nationalité.
E. — Alsace-Lorraine

(Req. 23 octobre 1934, Salomon, Clunet, 1935, 1005, Niboyet,


1935, 390, note Ancel, S. 1936, 1. 177, note Niboyet ; D. H.
1934, 540 ; Req. 24 juillet 1935, Vve Sandt, Civ. cass., 9
décembre 1935, Luck, Niboyet, 1936, 430, note Niboyet,
Clunet, 1936, 940. 941 ; D. H. 1935, 540, et D. 1937, 1. 44,
note Silz).
28. — Les décisions relatives à l'upplication des clauses
du traité de Versailles sur la nationalité des Alsaciens-Lor-
rains (Annexe à la partie III, section 5), sont naturellement
assez peu nombreuses. L'arrêt de la Cour de Cassation du 13
juillet 1933 a déjà été étudié (supra, n° 5). On se borne à
mentionner ici le décret du 28 mai 1935 (Clunet, 1936, 1082)
déterminant les conditions dans lesquelles pourront être cons-
tatées (par mention sur le registre d'inscription prévu par le §
1 de l'article premier du décret du 11 janvier 1920) les chan-
gements de nationalité (la perte de la qualité de Français );
des Alsaciens et des Lorrains réintégrés de plein droit dans
la nationalité française ou des personnes ayant réclamé cette
nationalité en vertu du traité de Versailles. Les trois arrêts
de la Cour Suprême, rendus en 1934 et 1935 méritent quelques
observations.
29. — Le paragraphe premier de l'Annexe réintègre de
plein droit dans la nationalité française, « 1° les personnes
qui ont perdu la nationalité française par application du traité
franco-allemand du 10 mai 1871, et n'ont pas acquis depuis
lors une nationalité autre que la nationalité allemande
2° les descendants légitimes ou naturels des personnes visées
;
au paragraphe précédent, à l'exception de ceux ayant parmi
leurs ascendants en ligne paternelle un Allemand immigré
en Alsace-Lorraine postérieurement au 15 juillet 1870 ». On
eût pu voir dans ces dispositions — sans d'ailleurs qu'il
paraisse possible de suivre jusqu'au bout cette conception —

:
la consécration de l'idée de « désannexion » de l'Alsace-Lor-
raine et de sa conséquence naturelle le recouvrement, auto-
matique et nécessaire, de la nationalité française par tous
ceux qui, sans le traité de Francfort, auraient eu cette natio-
nalité ;, les clauses du traité de Versailles auraient été alors
interprétées et appliquées en fonction même de leur but (v. les
notes de MM. Niboyet et Ancel). La Cour de Cassation a pris

jouer de façon très stricte sans souci des conséquences ;


une position toute différente, s'en tenant au texte et le faisant
convénient est qu'on aboutit ainsi à des réintégrations dans
l'in-

la nationalité française auxquelles il est difficile, sinon impos-


sible, de trouver le moindre fondement rationnel. Les trois
arrêts cités sont, à ce point de vue, particulièrement caracté-
ristiques.
La Chambre des Requêtes admet, le 23 octobre 1934*
qu'est réintégré un individu dont le grand-père maternel a
perdu la nationalité française en application du traité der
Francfort et qui n'a pas d'ascendant paternel immigré en
Allemagne après le 15 juillet 1870, quoique sa mère ait perdu
la nationalité française par son mariage avec un Allemand
en 1861. Le 24 juillet 1935, la même Chambre décide qu'est
réintégrable celui dont le grand-père paternel l'était, quoique
le père, optant pour la France en 1871 et quittant les terri-

;
toires annexés, y fut revenu en 1878 et ait obtenu en 1879
l'indigénat alsacien-lorrain le père n'était pas un « Allemand
immigré », il n'y a pas possibilité, en la matière, d'argument
a fortiori. La Chambre Civile vaplus loin encore le 9 décembre
1935 : elle réintègre un individu dont les parents avaient perdu
la nationalité française en 1871 et qui, l'ayant personnelle-
ment gardée à ce moment là (parce que n'étant pas né en

digénat prussien et, par là, la nationalité allemande ;


Alsace-Lorraine), avait, en 1909, volontairement acquis l'in-
« il
n'appartient pas aux tribunaux », dit la Cour, « de restreindre
arbitrairement les prescriptions du traité de Versaillles ».
F. — Nationalité des sociétés
(Conseil d'Etat, 24 juill. 1931, Mantel et Zuppinger, et Con-
seil d'Etat, 12 fév. 1932, Moreaux, Darras, 1932, 573, S.
1932, 3. 49, note P. de F. R. ; D. H. 1932, 224 ; Commission
supérieuredes dommages de guerre, 23 janv. 1933, Clunet,
1934, 382 ; Civ. Cass., 25 juillet 1933, Rozendaël, Darras,
1933, 648, Niboyet, 1934, 109, note Niboyet ; S. 1935, 1. 41,
note Niboyet ; D. 1936, 1. 121, note Silz).
30. — La question du droit des sociétés à la réparation
des dommages de guerre en vertu de la loi du 17 avril 1919
a posé — mais d'une manière un peu spéciale — les problèmes
de la personnalité et de la nationalité des sociétés tant devant
les tribunaux judiciaires que devant les tribunaux adminis-
tratifs. Ceux-ci se sont affirmés compétents pour statuer en
cette matière, le Conseil d'Etat (v. l'arrêt Moreaux du 12 fé-
vrier 1932) comme la Commission supérieure des dommages
de guerre (v. ses arrêts du 3 août 1925, Darras, 1932, 573,
et du 23 janvier 1933 et, pour la compétence exclusive du
Conseil d'Etat, la note de M. P. de F. R.).La Cour de Cassa-
tion, par contre, non sans hésitation et réserve d'abord (v. Req.
17 juillet 1930, Clunet, 1931, 654, Darras, 1931, 128, S. 1931,
1. 4), puis, très nettement (v. Civ. Cass., 25 juillet 1933), a
reconnu l'incompétence des tribunaux judiciaires sur ce sujet.
Mais les solutions des deux ordres de juridiction sont liées,
de façon plus ou moins étroite, d'ailleurs, aux thèses adop-
tées relativement à la nationalité ou à la personnalité des
sociétés. D'où la nécessité de préciser leur signification exacte),
de (déterminer leur portée.
La iloi du 17 avril 1919, dans son article 3, al. 4, refuse
aux étrangers, qui ne peuvent invoquer le bénéfice d'un traité,
:
le droit à réparation. Le second alinéa du même article
décide « Les sociétés dont une partie du capital social était
détenue par des nationaux des puissances ennemies, à la date
du 1er août 1914, devront rembourser à l'Etat, par des rete-
nues sur les dividendes distribués aux porteurs ressortissants
des puissances ennemies ou par toutes autres retenues à faire
supporter par ces porteurs, la part d'indemnité dont le capi-
1
»
tal par eux détenu aurait bénéficié (v. pour l'application de
ce texte, le règlement d'administration publique du 3 octobre
1921, J. Off., 5 octobre 1921, p. 11.489 ; S., L. annot., 1926.
584). On eût pu déduire, semble-t-il, de l'article 3, 2" al., que
toutes les sociétés « françaises » avaient droit à réparation
sauf remboursement de la partie d'indemnité correspondant
à la fraction de capital social possédée par des nationaux enne-
mis. La jurisprudence administrative s'est fixée dans un sens
différent conformément à un avis du Conseil d'Etat — d'ail-
leurs non obligatoire pour les tribunaux — du 7 février 1927
(v. S., L. annot., 1927, 430 ; Darras, 1932, 607). Cet avis part

;
de l'idée que les articles 1 et 3, al. 4, de la loi réservent, en
principe, aux Français le droit à réparation il distingue en-
suite, à ce point de vue, les sociétés de capitaux, sociétés ano-
nymes et sociétés en commandite par actions, des sociétés par

;
intérêts, sociétés en commandite par intérêts et sociétés en
nom collectif pour les premières « dans lesquelles la person-
nalité des associés ne joue aucun rôle », elles « peuvent, en se
prévalant de la nationalité française, prétendre au bénéfice
de la loi sur la réparation des dommages de guerre, sans qu'il
y ait lieu de rechercher si, à telle date, tout oupartie de leur
capital appartenait à des étrangers» ; dans les secondes, au
contraire, à raison de l'intuitus personœ, « la personnalité
de la société ne peut être regardée comme entièrement indé-
pendante de la personnalité des associés ;. l'interposition
d'une telle société entre ses associés étrangers et l'Etat fran-
çais ne saurait avoir pour effet d'ouvrir indirectement à ces
i
étrangers un droit à réparation qu'une disposition spéciale de
la loi de 1919 leur refuse expressément» ; le droit de ces socié-
tés n'existe donc que dans la proportion des capitaux appar-
tenant à des Français à la date du 1er août 1914. Ilconvient de
noter que c'est au critérium du siège social, du principal éta-
blissement, que s'attache l'avis du Conseil d'Etat poursavoir
si les sociétés de capitaux sont, ou non, de nationalité fran-
çaise. La jurisprudence administrative, nous l'avons dit, suit
les solutions ainsi proposées. Elle refuse d'abordtout droit à
indemnité aux sociétés de personnes, ayant la nationalité fran-
çaise, mais composée uniquement d'étrangers, (v. Commission
supérieure des dommages de guerre, 3 août 1925 et
23 janvier 1933; Conseil d'Etat, 24 juillet 1931) et tend à.
justifier ses décisions par le caractère spécial des dispositions
de la loi du 17 avril 1919 en marge, en quelque sorte, des « rè-
gles de droit commun posées par la législation sur les sociétés.
commerciales » ; les questions de la nationalité des sociétés
de personnes et du droit à réparation seraient dissociées, ce
qui constitue d'ailleurs, il faut le reconnaître, une limitation
de la notion même de nationalité. La jurisprudence adminis-
trative décide ensuite que « le droit à l'attribution des dom-
mages» devant être déterminé, pour les sociétés de person-
nes, « d'après la situation personnelle, au point de vue de la
nationalité, de chacun de ses associés », une telle société, ayant
comme membres, au 1er août 1914, des Français et des étran-
gers, a droit à indemnité dans la proportion du capital social
détenu par des Français (Cons. d'Etat, 12 février 1932).
La Cour de Cassation, Chambre des Requêtes, dans ses
deux arrêts du 17 juillet 1930 avait pris, on le sait (cfr. Niboyet,
Examen doctrinal, cette Revue, 1931, p. 519 et s.), une posi-
tion différente. Rejetant le pourvoi formé contre deux arrêts
de la Cour d'Amiens du 21 mars 1929, elle reconnaissait la
nationalité française aux deux sociétés de personnes Graf,.
Mantel et Zuppinger, qui avaient, en France, leur siège social

;
(et aussi d'autres éléments de rattachement), quoique ces
sociétés fussent composées uniquement d'étrangers elle spé-
cifiaitque la loi du 17 avril 1919 « n'avait apporté aucune déro-
»
gation aux principes généraux du droit et écartait l'argu-
ment tiré de la règle de la séparation des pouvoirs en obser-
vant que la Cour d'Appel ne s'était pas prononcée sur le droit
à indemnité. Cette dernière affirmation était, en fait, contes-
table, et si le Conseil d'Etat, s'en prévalant le 24 juillet 1931
dans l'affaire Mante) et Zuppinger, en a conclu que la déci-
sion de la Commission supérieure des dommages de guerre-
en date du 3 août 1925 conservait toute sa valeur, il a, par

3. 85 ;
contre, décidé, le 29 juillet 1932, dans l'affaire Graf (S. 1932,
Clunet, 1935, 74, somm.), que l'arrêt de la cour
d'Amiens, contre lequel le pourvoi avait été rejeté et qui avait
acquis l'autorité de la chose jugée, justifiait la réclamation
de la société en cause contre l'Etat. En bonne logique d'ail-
leurs, affirmer qu'une société donnée était Française et que
laloi du 17 avril 1919 ne dérogeait pas aux règles générales,
c'était reconnaitre à cette société le droit à réparation des
dommages de guerre. La Chambre Civile de la Cour suprême,
dans son arrêt du 25 juillet 1933, donne une solution diffé-
rente, en plein accord cette fois avec la jurisprudence admi-
nistrative : elle décide, en effet, « que. la question de savoir
si la loi du 17 avril 1919 autorise une société en nom collectif,
même exclusivement composée d'étrangers, à réclamer la
réparation intégrale des dommages causés par la guerre, ne
doit pas être nécessairement ou uniquement résolue d'après

;
les principes du droit privé et par la seule considération que
la société a son siège social en France que de là même il suit
que l'application de cette question échappe à la connaissance

:
des tribunaux judiciaires ». La Cour de Cassation, par cet
arrêt, rejoint le Conseil d'Etat il y a, 'pour les deux Cours
suprêmes une exception, en matière de dommages de guerre,
aux effets du concept de nationalité des sociétés, par là même
une diminution de l'efficacité de ce concept. Mais la Cour de
Cassation va, dans ses motifs, plus loin que le Conseild'Etatr
et son arrêt a pu être considéré comme une demi-victoire par
M. Niboyet, adversaire de l'idée de nationalité des sociétés et
du critérium du siège social. Il faut maintenant l'examiner
d'un point de vue plus général et tâcher d'en découvrir l'exacte
signification.

;
(Civ. cass., 25 juillet 1933, Rozendael, précité Req., 20 janv.
1936, S.1936,1.127, Niboyet, 1936,683; Paris, 25 juin 1931,
Mendelsohn, Clunet, 1932, 993 ; Paris, 4 mars 1932, soc.
Kalebdjian frères, Clunet, 1932, 990 ; Trib. Seine, 27 mars
1935, Soc. financière, commerciale et industrielle, Lapra-
delle, 1935, 352.)

31. — « .Si en vertud'une fiction de droit privé, les socié-


tés de commerce sont réputées jouir d'une personnalité
distincte de celle des associés qui les composent, et si, pour les
besoins du commerce juridique, il est attribué à cette person-
nalité fictive une nationalité, déterminée par le lieu du siège
social, avec les droits et les obligations qui en découlent,
pareille conception ne sauraitêtre transportée sans réserve
dans le domaine du droit public, et autoriser les dites sociétés
à revendiquer vis-à-vis de l'Etat tous les privilèges attachés
à la qualité de Français. » Tel est l'attendu de portée générale
qu'on trouve dans l'arrêt de la Chambre Civile. On y peut
distinguer trois affirmations : 1° la notion de nationalité des
sociétés n'a pas, en principe, à intervenir en droit public ;
;
2° la nationalité des sociétés, qui est admise dans le droit privé,
se détermine par le lieu du siège social 3° la personnalité des
sociétés est une fiction et l'attribution d'une nationalité à ces
personnes fictives s'explique par les besoins du commerce
juridique (v. dans le même sens, sur les points 2 et 3, Civ. Cass.,
29 mai 1937, D. 1937, 1. 64). Il faut reprendre pour les préciser
et, s'il y a lieu, les critiquer, chacune de ces trois thèses. Nous
le ferons en suivant un ordre inverse de celui de leur énon-
ciation.
32. — On ne peut songer ici ni à discuter, ni même à
énoncer le problème de la personnalité morale ou juridique
des sociétés. Il est clair que ceux qui admettent la réalité des
personnes morales seront plus enclins que ceux qui la nient
à leur reconnaître une nationalité. Mais une telle reconnais-
sance n'est certainement pas impossible même aux partisans
de la théorie de la fiction. Si la société existe réellement comme
être social distinct des associés, la base de sa personnalité étant
son activité même et cette dernière s'exerçant dans un milieu
donné, se rattachant à une économie nationale déterminée, il
est naturel que la société soit, par rapport à ce milieu, dans
l'état de dépendance, de sujétion permanente et substantielle
que traduit la notion de nationalité. (V. sur cette définition
de la nationalité, Maury, op. cit., n" 14 et s. ; dans le même
sens, et pour l'application à la question de nationalité des
sociétés, v. Isay, Die Staatsangehôrigkeit der Juristischen Per-
sonen, 1907, p. 22 et s., 46 et s., 51 et s.). Si la personnalité
juridique n'est qu'une fiction et s'il paraît alors logiquement
difficile d'attribuer aux sociétés une nationalité réelle, rien
n'empêche d'admettre le concept d'une nationalité fictive le
droit étant dirigé vers la vie pratique, on peut assimiler deux
:
situations différentes dans leurs éléments constitutifs, iden-
tiques dans leurs résultats (v. Isay, op. cit., p. 8 et s., 70 et s.).
par l'effet d'une fiction, quelque chose qui est la société
preuve en est que ceux mêmes qui, comme M. Niboyet (v.
:
Entre les associés et les règles juridiques s'interpose, fût-ce
la

Manuel de droit international privé, 2e éd., n° 300, et l'article


au Darras, 1927, p. 404 et s. : Existe-t-il vraiment une natio-
nalité des sociétés ?) ont nié toute nationalité aux sociétés ont
dû, quand ils ont voulu fixer la condition juridique de celles-ci,
préciser les droits dont elles jouiraient, leur attribuer, par la
théorie du contrôle, une situation différente de celle de quel-
ques-uns de leurs membres (minorité d'administrateurs, d'ac-
tionnaires, par exemple), donc distinguer entre l'être social et
les individus qui le composent et ainsi implicitement affirmer
la personnalité juridique et la nationalité des sociétés.
Personnellement, nos préférences vont à la première thèse,
nuancée par la distinction — que nous retrouverons (infra
n° 34) — de la personne morale et de la personnalité juridique.
L'arrêt de la Cour de Cassation se rattache sans aucun doute
à la seconde. Il en faut au moins retenir l'affirmation très nette
de l'existence d'une nationalité des sociétés. Une solution
différente serait d'ailleurs difficilement défendable en droit
positif français. On peut sans doute, à la rigueur, soutenir que-
»
les termes « sociétés françaises »
ou « sociétés étrangères qui
se trouvent dans d'assez nombreux textes législatifs (v. par ex.
la loi du 18 mars 1919, art. 9 sur le registre du commerce, le
décret-loi du 8 août 1935 relatif aux droits d'obligataires d'un
même emprunt.) doivent être traduits en « sociétés régies
par les lois françaises », « sociétés régies par les lois étran-
gères », on le peut, quoiqu'une telle traduction ne soitqu'une

;
trahison. Mais deux textes, au moins, ne peuvent être ainsi
écartés ce sont l'article 31 de la loi du 24 juillet 1867 et
l'article 31 dé la loi du 7 mars 1925 ; le premier, pour les
sociétés par actions, le second, pour les sociétés à responsabilité
limitée, interdisent le changement de nationalité des sociétés
si l'unanimité des associés n'y consent pas ; ce sont là des
dispositions formelles consacrant la notion de nationalité des
sociétés (Aj. l'article 5 de la loi du 31 mai 1924 relative à la
navigation aérienne) ; l'interprète est, dès lors, dans l'état
actuel du droit positif français, obligé d'accepter cette notion.
II n'est
pas sûr d'ailleurs que le droit des gens positif n'impose-
pas l'appartenance des personnes morales, particulièrement
des sociétés, à un Etat déterminé, une telle appartenance
résultant du droit de protection diplomatique internationale-
ment reconnu (v. Sereni, La cittadinanza degli enti morali nel
diritto internazionale, Rivista di diritto internazionale, 1934.
p. 171,321,437).

33. — La Chambre Civile déclare, en second lieu, que la


nationalité d'une société est déterminée par le siège social de
celle-ci. C'était la solution à peu près unanimement reçue dans
la jurisprudence d'avant-guerre. C'est celle qui, malgré quel..
ques décisions moins nettes (v. Req., 17 juillet 1930, supra,
n° 30) ou même contraires (v. Req., 12 mai 1931, Clunet, 1932,
141 ; S. 1932, 1. 57, avec le rapport de M. Bricout et une note
de M. Niboyet ; D. 1936, 1. 121, note Silz. Aj. les observations
de M. Niboyet, cette Revue, 1931, p. 519 et s.), peut être consi-
dérée comme actuellement dominante. Si les arrêts précités de
la Chambre des Requêtes semblent, en effet, s'orienter vers

:
la prise en considération du centre d'exploitation, ils ne parais-
sent guère avoir influencé les juridictions inférieures la cour
de Paris, dans ses deux arrêts des 25 juin 1931 et 4 mars 1932,

:
le tribunal de la Seine, dans son jugement du 27 mars 1935,
se rattachent à la théorie du siège social « c'est un principe »
dit l'arrêt du 4 mars 1932, « que la nationalité d'une société
se détermine par le lieu de son siège social, c'est-à-dire par
son domicile, par le lieu de son principal établissement, là
où est le centre de sa vie administrative, où s'élaborent, où se
transmettent les ordres, où se groupent les organes de sa vie
juridique, tels qu'ils sont exigés par la loi ». La Chambre des
Requêtes elle-même paraît bien, d'ailleurs, dans son arrêt du
20 janvier 1936, être revenue à la thèse généralement admise
qui était celle de plusieurs de ses arrêts antérieurs, spécia-
lement celle de l'arrêt du 24 décembre 1928 (S. 1929, 1. 121) ;
il s'agissait de l'admission ou du rejet de l'exceptio judicatum
solvi opposée par la Banque de l'Union Parisienne à la Compa-
gnie des Chemins de fer de Porto-Rico que le pourvoi préten-

:
dait être de nationalité espagnole et non de nationalité améri-
caine ; la cour décide « .l'arrêt constate que si la compagnie
a eu primitivement son siège social en Espagne, elle a par
la suite transféré son domicile, le centre de ses affaires, son
administration, son siège social en Amérique., il a ainsi léga-
lement justifié la décision. » C'est admettre le changement de
nationalité par transfert du siège social, donc la détermination
par celui-ci de celle-là. On peut sans doute reprocher à la Cour
été effectué régulièrement d'après la loi compétente ;
de ne pas avoir recherché si le transfert du siège social avait
comme
à un certain nombre d'autres décisions, par exemple, à l'arrêt
de la cour de Paris du 25 juin 1931, on peut lui reprocher
d'attribuer une nationalité étrangère sans se préoccuper des
solutions données à ce sujet par le droit de l'Etat en cause.
Le critérium du siège social apparaît comme de plus en plus
généralement consacré.
Nous croyons que c'est avec raison. On connaît la théorie
du contrôle défendue avec tant de vigueur et de ténacité par
M. Niboyet et qu'on oppose à celle du siège social. Deux
problèmes seraient à distinguer au sujet des sociétés. Un pro-
blème de conflit de lois d'abord, la détermination de la loi

:
applicable à la constitution et au fonctionnement d'une société
donnée cette loi pourrait être celle du siège social, c'est-à-dire
du domicile. Un problème de condition des étrangers ensuite :
quand, dans une société, il y a des étrangers que celle-ci ne fait
que masquer, ces étrangers peuvent-ils, et dans quelles condi-
tions, bénéficier, par l'intermédiaire de la société, des avan-
tages accordés aux nationaux français, protection diplomati-
?
que, jouissance des droits civils On répondrait à cette ques-
tion en recherchant si le contrôle de la société, l'influence pré-
pondérante dans celle-ci est française ou étrangère. Une telle
thèse, pour spécieuse qu'elle soit, ne me paraît pas pouvoir
être adoptée. Elle est, semble-t-il, contraire tout d'abord aux
solutions consacrées par la plupart des Etats, à ce qui tend
à être sur ce point le droit commun international, et c'est là
au moins une présomption d'inexactitude. Elle présente ensuite
d'incontestables inconvénients pratiques qui doivent la faire
rejeter. On peut, il est vrai, assurer le fonctionnement de la
société et éviter les changements fréquents de statut en disant
que ce dernier est déterminé par la loi du domicile, la loi du
siège social. Mais les deux questions de protection diploma-
tique, d'une part, de jouissance des droits civils, d'autre part,
:
vont dépendre du contrôle de la société tant que le contrôle
est français, celle-ci peut à l'étranger se prévaloir de sa qualité

;
de Française, invoquer les traités conférant certains avantages
aux Français de même, tant que le contrôle est Français, elle
jouira, en France, de tous les droits privés (art. 11, C. Civ.) ;
les solutions contraires s'imposeront si le contrôle est étranger.
Or le contrôle variant suivant la nationalité des associés
intuitu personae, suivant celle des administrateurs, des déten-
teurs des titres sociaux, pourra changer plusieurs fois en sens
divers, et changer sans aucune publicité. La théorie du contrôle
introduit, dans les rapports juridiques, un élément d'instabi-
lité, d'incertitude et aussi d'arbitraire (car c'est une question
de fait) qu'il est impossible d'accepter dans une vie sociale
normale.

:
Le critère du siège social a une supériorité pratique
certaine relativement simple à faire jouer, car le siège social
est indiqué dans les statuts, il donne la quasi-certitude, la
possibilité de prévision indispensables aux affaires tandis que
»
l'exigence du caractère « sérieux de sa fixation permet d'évi-
ter les fraudes trop grossières. Si, en outre, comme il a été dit
(supra, n° 32), la base de la personnalité de toute société est

;
eon activité, c'est bien le pays d'exercice de cette activité
auquel la société doit être rattachée le lieu de l'activité réelle,
du principal centre d'exploitation, pouvant être difficile à
déterminer, la jurisprudence, après la guerre comme avant,
était fondée à lui substituer, par une sorte de simplification,
de stylisation, le lieu de l'activité juridique, le pays du siège
social. N'est-ce pas là, d'ailleurs, suivant l'expression de
M. Isay (La nationalité, Recueil Cours Académie Droit Inter-
national, 1924, p. 444) « qu'est le cerveau de la personne
morale, le centre de son système nerveux ? ». On peut enfin
observer, et M. Niboyet en fait lui-même la remarque
(ManueL., 2* éd., n° 304, p. 362), que « les traités diploma-
tiques les plus récents signés par la France sont certainement
favorables au pur siège social. Les sociétés ressortissantes sont
celles possédant leur siège dans l'un des pays ». Il serait aisé
de citer dans le même sens un grand nombre de conventions
postérieures. Bornons-nous à indiquer, parmi les dernières
en date, la convention d'établissement franco-italienne du 3
juin 1930, article 6 (décret du 19 janvier 1935, Darras, 1932,
395, Lapradelle, 1935, 130), le traité de commerce franco-suisse
du 29 mars 1934, art. 12 (Décret du 30 mars 1934, Niboyet,
1934, 797, Clunet, 1935, 492), la convention de commerce, de
navigation et d'établissement franco-allemande du 28 juillet
1934, art. 2 (Décret du 29 juillet 1934, Niboyet, 1935, 195), la
convention d'établissement et de navigation franco-canadienne
du 12 mai 1933, art. 7 (Décret du 8 novembre 1936, Niboyet,
1937,257, Clunet, 1937,398, Lapradelle, 1936,885), la conven-
tion de commerce franco-suisse du 31 mars 1937, art. 15 (Décr.
du 13 avril 1937, Niboyet, 1937,517). La formule habituelle-
ment employée est analogue à la suivante que nous emprun-
tons à la convention franco-canadienne du 12 mai 1933 : « Les
sociétés. constituées dans l'un des deux pays conformément
aux lois de ce pays et y ayant leur siège social sont récipro-
quement reconnues. ». La convention de commerce franco-
espagnole du 6 mars 1934 (décret du 6 mars 1934, Niboyet,
1934, 792) vise, il est vrai, dans son article 17, « les sociétés
françaises et les sociétés espagnoles comprenant des éléments
français. » mais on ne peut en déduire, croyons-nous, qu'elle
fait place à la théorie du contrôle (contra Niboyet, loc. cit.,
p. 796, note 1) ; bien plutôt, elle la condamne en juxtaposant,
et par là même en distinguant, les sociétés françaises et les
sociétés espagnoles comprenant des éléments français, qui ne
sont donc pas françaises malgré le possible contrôle français.
On ne peut cependant voir dans tous ces textes conventionnels
qu'une indication en faveur de la théorie du siège social. Il est
d'ailleurs des traités qui sont moins précis,'parlant simple-
ment de « sociétés constituées dans l'un des deux pays confor-
mément aux lois de ce pays » (v. par exemple, la convention
d'établissement franco-belge du 6 octobre 1927, art. 5, Niboyet
et Goulé, Recueil des textes, t. I, p. 394). Et il faut signaler ici
que la loi du 19 mars 1937 tendant à instituer une licence pour

les critiques adressées au système traditionnel :


les agences de voyage, s'est sans conteste laissé influencer par
son article 2,
:
exigeant des candidats à cette licence la nationalité française,
précise « Dans le cas où la demande émane d'une société,
celle-ci devra justifier qu'elle possède, eu égard à son siège,
a la nationalité de
ses dirigeants et à l'origine des capitaux
:
réunis par elle, la nationalité française.» ; celle-ci résulterait
donc de la réunion des deux critères en lutte la fixation, en
France, du siège social, le caractère français du contrôle. Nous
pensons — et nous espérons — que la jurisprudence ne verra
là qu'une solution particulière et maintiendra, sauf quand la
loi du 19 mars 1937 sera applicable, la théorie du siège social
qu'on peut actuellement tenir pour acquise.

théorie n'a pas une portée générale :


34. — Reste que, d'après la Cour de Cassation, cette
elle « ne saurait être
transportée sans réserve dans le domaine du droit public, et
autoriser lesdites sociétés à revendiquer vis-à-vis de l'Etat tous
les privilèges attachés à la qualité de Français ».
La première question à résoudre est celle de savoir quelle
est la signification exacte d'un tel attendu. Il est possible de
soutenir que la réglementation de la condition juridique des

la jouissance des droits privés :


étrangers est matière de droit public, même quand il s'agit de
l'exclusion des concepts de
nationalité et de personnalité du domaine du droit public
vaudrait pour toutes les questions de condition des étrangers.
Ce n'est certainement pas le sens à donner à l'arrêt de 1933 :

— et la phrase
;
celui-ci avait à statuer sur une attribution d'indemnités pour
dommages de guerre quand il parle de droit public, il pense
suivante l'établit — aux droits que la qualité
de Français peut conférer contre l'Etat français, il prend les
termes « droit,public » dans leur sens le plus strict. De l'arrêt
de la Chambre Civile résulte donc qu'en principe, la jouissance
des droits privés sera, pour les sociétés, déterminéed'après
leur nationalité. Et on a vu que la Chambre des Requêtes, le
20 janvier 1936, recourait à cette notion de nationalité pour
décider sur l'exception de caution judicatum solvi opposée à
une société. Ajoutons que la Cour de Cassation n'écarte pas

;
de plein droit et absolument la nationalité des sociétés, même
en matière de droit public stricto sensu elle se borne à dire
que ce concept ne peut y être transporté sans réserve. Ce n'est
pas sans doute beaucoup solliciter le texte que d'y voir dès lors
simplement l'indication d'exceptions possibles à justifier dans
chaque cas. Nous pensons, en tout cas, pour notre part, que
c'est là la solution la plus exacte. Les sociétés, parce qu'elles
ont une personnalité, ont une nationalité déterminée par leur
siège social. Exceptionnellement, ces concepts pourront être
écartés ou modifiés afin de tenir compte des individus, des
personnes physiques, membres de la société. Il convient, pour
finir, d'expliquer ces exceptions.
Le concept de nationalité est conservé, donc aussi celui de
personnalité (v. supra, n° 33), mais la détermination de la
nationalité est modifiée avec la théorie du contrôle appliquée
par la jurisprudence de guerre et consacrée, quant à la liqui-
dation des biens ennemis, par les traités de paix. Le siège
social est, nous l'avons dit (supra, n° 33), le critérium normal,
et pratiquement le meilleur, de l'appartenance d'une société
à un milieu social, à un état donné. Mais il n'estqu'un signe
de cette appartenance, il n'en donne qu'une présomption. En
temps de paix, à raison du besoin qu'a le droit de règles simples
et stables, on néglige — et avec raison — les cas exceptionnels

guerre, l'idée de défense nationale domine tout :


où la règle du siège social est, en fait, inexacte. En temps de
la seule
question est de savoir si l'activité de la société sera politique-
ment dans le sens national ou si, au contraire, elle aura le
caractère ennemi : on ne peut y répondre qu'en écartant les
règles du temps de paix et en recherchant, en fait, quelle est

»
estle « coeur :
dans chaque société, l'influence prépondérante, de quel côté
de la société la
c'est théorie du contrôle. La
substitution à celle du siège social s'explique par les nécessités
de la défense nationale qui permettent de faire abstraction, si
besoin, des concepts de technique juridique. Ces concepts re-
prennent, la paix rétablie, toute leur valeur.
Mais il est des cas où l'on va plus loin, cherchant derrière

:
la société à atteindre directement les individus, et n'attribuant
qu'à ceux-ci un rôle juridique c'est la solution qui a prévalu
précisément, au moins pour les sociétés de personnes, en
matière de dommages de guerre, par interprétation de la loi du
17 avril 1919 (v. supra, n° 30). Si la personnalité des sociétés,
et leur nationalité, ne sont que fictions (supra, n° 32), iln'y a
évidemment pas de difficulté à admettre que le législateur peut
n'en pas tenir compte. Il n'est pas impossible d'expliquer de
telles solutions, même si l'on part de la réalité des personnes
morales, surtout si l'on distingue avec Maurice Hauriou (v. par
exemple, Précis de droit administratif, 128 éd., par A. Hauriou,
p. 42 et s. Aj. Gény, Science et technique, t. IV, p. XVIII-XX,
18 et s.) la personne morale, réalité sociale, et la personnalité
juridique, le caractère de sujet de droit, qui n'est qu'un con-
cept, l'organisation intellectuelle la plus simple, la plus
commode des situations juridiques (v. Gény, Les bases fon-
damentales du droit civil en face des théories de Duguit,
Revue Trimes.trielle, 1922, p. 779 et s.). Les sociétés, personnes
morales, comme les personnes physiques, ont, en principe, dans
notre droit, la personnalité juridique. Mais le refus de cette
personnalité n'est pas inconcevable. Si, pour les personnes
physiques, un tel refus ne se rencontre plus guère, l'histoire
en fournit des exemples avec les institutions de l'esclavage,

actuellement, n'est pas inconnu ;


de la mort civile. Pour les personnes morales, ce refus, même
il équivaut à faire dispa-

;
raître, sur la scène du droit, la personne morale, à lui en
refuser l'accès il a pour résultat d'y faire monter, d'y laisser
seuls les individus. C'est, par exemple, le cas, sous l'empire
de la loi du 1" juillet 1901, des congrégations de fait. C'est le
cas des sociétés de personnes, pour le droit à réparation des
dommages de guerre, sous l'empire de la loi du 17 avril 1919.
Le refus de la personnalité juridique est un moyen technique
de méconnaître la personnalité morale pour ne voir, par une
véritable fiction, que les personnes physiques. On s'explique
qu'il soit — et doive être — exceptionnel.
II
CONDITION DES ÉTRANGERS

A. — Droits et charges politiques et civiques

(Req., 26 décembre 1934, Planche, Clunet, 1935, 630 ; Lapra-

161, note Lescot;


delle, 1935, 314 ; Niboyet, 1935, 801, note E. P. ; S. 1935, 1.
D. H. 1935, 98 ; Req., 13 décembre 1933,
Smarzynski, Clunet, 1934, 858, Lapradelle, 1934, 598, Ni-
boyet, 1934,411, S. 1934, 1. 101 ; D. H. 1934, 99 ; Besançon,
6 octobre 1934, Andel, Clunet, 1936, 137, Niboyet, 1935, 804,
Lapradelle, 1935, 314 ; D. H., 1934, 544 ; Nancy, 22 juin
1934, Demko, Clunet; 1936, 139 ; D. H. 1934, 547 ; Douai,
12 juillet 1933, Malek, Clunet, 1934, 855).

1. — L'étranger ne peut exercer en France aucune fonction


publique (v., portant exception à cette règle, le traité franco-
monégasque du 28 juillet 1930, Décret du 13 août 1935, J. Off.,
17 août, p. 9131, Lapradelle, 1935, 462, Niboyet, 1936, 245), en
particulier, il ne peut accomplir aucun acte de juridiction. La
Chambre des Requêtes décide, dans son arrêt du 16 décembre

;
1934, que « l'expert, auxiliaire technique de la justice, ne fait
pas acte de juridiction qu'aucun texte de loi ni aucun prin-
cipe n'interdisent à un tribunal français de désigner un expert

;
de nationalité étrangère et de prescrire la réception de son
serment par un juge étranger qu'il peut donc user de ce droit
toutes les fois qu'il lui apparaît, d'après les circonstances de
la cause et la nécessité des temps et des lieux, qu'une telle
mesure correspond à une bonne administration de la justice».
La capacité de l'étranger d'être expert, qu'admettait la très
grande majorité de la doctrine (v. Glasson, Tissier et Morel,
Traité théorique et pratique de procédure, t. II, n°*708,70^),
est, par cette décision, mise hors de doute en tant que principe
du droit positif français.
2. — Mais il y a, à cette règle, au moins une exception.
La loi du 30 novembre 1892 sur l'exercice de la médecine déci-
dait, dans son article 14, que « les fonctions de médecins
experts près les tribunaux ne peuvent être remplies que par
des docteurs en médecine français » et cette solution a été

:
reprise et aggravée par l'article 7 de la loi du 21 avril 1933
relative au même sujet « Les fonctions de médecin et expert
des tribunaux et toutes les fonctions publiques données au
concours ou sur titres ne pourront être remplies que par des
docteurs en médecine français ou naturalisés tels depuis cinq
ans. » La Chambre des Requêtes, dans son arrêt du 13 décem-
bre 1933, les cours de Besançon, Nancy et Douai, dans les
décisions citées, ont admis qu'il était possible, malgré ces
textes, de désigner un médecin étranger comme expert en
matière d'accidents du travail, au moins lorsque l'expertise
doit avoir lieu en pays étranger.
La Chambre des Requêtes affirme que la disposition de
la loi du 30 novembre 1892 « doit être interprétée dans ce sens
que seuls les docteurs médecins français peuvent être inscrits
sur les listes d'experts que dressent annuellement les cours
»
d'appel ; mais l'obligation de choisir les experts sur cette
liste n'existe qu'en matière pénale (v. déjà Civ. rej., 15 déc.
1914, S. 1915, 1. 17), la loi de 1892 « n'est pas applicable aux
instances civiles », a fortiori aux procès fondés sur la loi du
9 avril 1898 qui, « se suffisant à elle-même, dispose unique-
ment que le médecin commis à titre d'expert nedoit être ni
celui qui a donné ses soins à l'ouvrier, ni celui du patron ou
»
de l'assureur ; « aucun texte légal ne s'oppose donc à la
désignation d'un médecin étranger ». Dans l'espèce, la cour
de Douai avait admis la possibilité d'une expertise faite en
Pologne, par un médecin polonais, l'ouvrier polonais, victime
en France d'un accident du travail, ayant regagné son pays. Il
semble que les motifs de l'arrêt que nous avons cité justifie-
raient la désignation d'un médecin étranger, même pour une
expertise en France.
Les cours de Besançon et Nancy vont moins loin, s'agis-
sant d'ailleurs, de la loi du 21 avril 1933 et non plus de celle
du 30 novembre 1892. A la différence de celle-ci, celle-là, en
effet, et sauf convention diplomatique, réserve l'exercice de
la médecine en France aux citoyens ou sujets français et aux
ressortissants des pays placés sous le protectorat de la France
(art. 1, 2°). Si la cour de Nancy se borne à déclarer « qu'en
droit, rien ne s'oppose en principe à ce que les tribunaux

:
français commettent des médecins étrangers du pays d'ori-
gine de l'accidenté », la cour de Besançon précise « .la loi
du 21 avril 1933 a eu pour objet d'arrêter l'invasion des
étrangers qui venaient exercer la médecine en France. ; cette
loi de police et d'organisation intérieure régit uniquement les
actes d'exercice de médecine réalisés sur le territoire français
et notamment les expertises faites en France mais ne saurait
s'appliquer aux expertises ordonnées à l'étranger, sous peine
de rendre l'exécution de telles mesures manifestement impos-
sibles ». La limitation de la portée de la loi de 1933 est d'ordre
territorial tandis que celle de la loi de 1892, d'après l'arrêt de
la Cour de Cassation, serait d'ordre matériel, tiendrait à la
nature de l'instance. Bien entendu, d'ailleurs, et en tout cas,
:
la désignation d'un médecin étranger n'est qu'une possibilité,
non une obligation pour la juridiction française saisie celle-ci
statuera suivant les circonstances de fait. Si elle estime utile
une telle désignation, elle devra, semble-t-il, procéder par
commission rogatoire adressée au tribunal du domicile de
l'intéressé.
Il convient encore de relever que, dans trois des espèces
étudiées, les affaires Smarzynsld, Demko et Malek, les ouvriers
étaient de nationalité polonaise et les cours ont fait état (la
cour de Douai même exclusivement) des conventions franco-
polonaises, spécialement des conventions du 3 septembre 1919
relative à l'émigration et l'immigration et du 30 décembre;
1925 relative à la transmission des actes judiciaires et des
commissions rogatoires en matière civile (v. Niboyet et Goulé,
Recueil des textes., t. I, p. 625, 645). Mais la première ne
paraît avoir rien à faire en pareille matière se bornant, dans
son article 3, deuxième alinéa, à assurer l'égalité de traitement
des Polonais et des Français pour la réparation des accidents
dû travail. Quant à l'article 10 de la seconde, qui a trait au
remboursement des frais occasionnés par l'exécution des com'
missions rogatoires et vise (sous le numéro 4), « les hono-
raires d'expert », il prouve bien la possibilité dans les rapports
franco-polonais de commissions rogatoires en vue d'expertises
mais n'établit pas que ces expertises puissent intervenir sur
le terrain médical malgré la loi du 30 novembre 1892 (cfr. la
note de M. Niboyet, loc. cit., p. 414).
Notons, pour terminer, que la loi du 21 avril 1933 a été
abrogée par celle du 27 juillet 1935 (art. 8). L'article 7, 4°, de
cette dernière impose à l'étranger naturalisé Français et muni
du diplôme d'Etat de docteur en médecine « un délai d'attente
de cinq ans après l'obtention du droit d'exercer pour pouvoir
remplir les fonctions ou emplois de médecine publique déter-
minés par un règlement d'administration publique ».
(Conseil d'Etat, 23 janv. 1931, 12 janv. 1933, Niboyet, 1934,
447,448, note Niboyet ; S. 1932, 3. 76, 1933, 3.108 ; D. 1932,
3. 57, note Trotabas, et D. H., 1933, 150).

3. — De la jurisprudence en matière fiscale, dont il ne


sera pas, en principe, parlé dans cette chronique (v. Rosier,
Problèmes de droit fiscal international, Niboyet, 1935, p. 332
et s.), nous retenons seulement ces deux arrêts du Conseil
d'Etat parce qu'ils touchent à la notion même de domicile et
aux rapports du droit civil et du droit fiscal.
On sait qu'en vertu de l'article 11 de la loi du 15 juillet
1914, « en ce qui concerne les personnes non domiciliées en
France, mais y possédant une ou plusieurs résidences, le
revenu imposable est fixé à une somme égale à sept fois la
valeur locative de cette ou de ces résidences à moins que le
revenu tiré par le contribuable de propriétés, exploitations ou
professions, sises ou exercées en France, n'atteigne un chiffre
plus élevé, auquel cas ce dernier chiffre sert de base à l'impôt ».
Ce texte est applicable aux étrangers comme aux Français.
Mais, pour les premiers, au moins avant l'abrogation de l'arti-
cle 13, Code Civil, par la loi du 10 août 1927, la question se
posait de savoir s'ils pouvaient être considérés comme domi-
ciliés en France alors qu'ils n'avaient pas été admis à domicile.
Dans son premier arrêt, le Conseil d'Etat avait vu dans le litige
ainsi soulevé « une question préjudicielle de domicile, réglée
»
par le Code Civil et, se déclarant incompétent, il avait sursis
à statuer jusqu'à décision des tribunaux judiciaires. Ce serait
à ceux-ci, puisqu'il s'agirait de domicile civil avec effet en droit
fiscal, qu'il appartiendrait de dire si la loi du 15 juillet 1914,
dans son article 11, vise un domicile de droit ou un domicile
de fait. L'arrêt du 12 janvier 1933 abandonne la position pré-
cédente et décide que l'article précité n'est applicable que si
l'intéressé n'a pas, en France, un domicile de fait, ce qui est
implicitement affirmer l'autonomie du concept de domicile
fiscal, au sens de la loi de 1914, par rapport à celui de domicile
civil. La thèse ainsi adoptée qui doit, dès lors, s'appliquer
aussi bien aux Français qu'aux étrangers, était celle de l'Admi-
nistration dont les instructions (v. Instructions ministérielles
du 30 mars 1918, art. 176, Allix et Lecerclé, L'impôt sur le
revenu, t. II, 1926, p. 221 ; Instruction ministérielle du 31 jan-
vier 1928, Clunet, 1929,69) ne donnent pas d'ailleurs du domi-
cile de fait une définition bien précise (Cfr Molodouski, Le
domicile des étrangers en France au point de vue du droit fis-
cal, thèse, Paris, 1934, p. 247 et s.). Elle vaudrait sans doute
pour l'interprétation des termes « domicile réel » de l'article
114 du Code Général des Impôts directs (décret-loi du
27 décembre 1934, J. Off., 29 déc., p. 13.203 ; Niboyet, 1935,
553). La loi, portant réforme fiscale, du 31 décembre 1936,
art. 35 (J. Off., 1er janv. 1937, p. 109 ; Sirey, L. Ann., 1937, 433)
modifie l'article 114 précité et applique le système du forfait
aux contribuables de nationalité étrangère qu'ils aient, en
France, leur domicile ou qu'ils y aient une ou plusieurs rési-
dences afin d'éviter des discussions délicates et qui risquent de
détourner des étrangers fortunés de s'établir dans notre pays.
La distinction est maintenue pour les contribuables de natio-
nalité française qui ne sont taxés forfaitairement que s'ils
n'ont pas, en France, leur domicile réel.

B. -Droits publics
4. — Parmi les libertés, il en est dont l'exercice se traduit
par une action sur les autres hommes, ce sont les libertés à
caractère politique ou social, telles la liberté de la presse, la

;
liberté de réunion et d'association, la liberté d'enseignement,
la liberté des cultes nous n'avons pas relevé de décision qui
s'y rapporte. Un second groupe est constitué par les droits dont
l'exercice manifeste l'activité de l'homme sur le terrain écono-
;
mique : liberté du travail, liberté du commerce et de l'indus-
trie, droit de propriété de nombreuses lois sont intervenues
dans cette matière, en général, pour restreindre les droits des
étrangers, pour protéger la société économique nationale qui,
en période de crise, tend à la forme de société fermée ;de
nombreux traités, par contre, s'efforcent de satisfaire aux exi-

;
gences de la vie internationale en modifiant, en adoucissant les
solutions nationales trop exclusives on ne trouvera dans la
jurisprudence examinée que quelques-uns de ces textes conven-
tionnels ou législatifs dont il fallait marquer ici l'importance.
Enlevées les libertés à caractère politique ou à caractère écono-
mique, restent ce qu'on peut appeler les droits publics stricto
sensu, ce que j'appellerai les droits publics fondamentaux
tels le droit à bénéficier des mesures d'assistance, la liberté
:
d'aller et de venir.

1° Droits publics fondamentaux.

150 ;
(Conseil d'Etat, 12 février 1932, Vve Hartmann, Clunet, 1933,
17 nov. 1933, Felder-Mairesse, Clunet, 1935, 75
Niboyet, 1935, 117 ; S. 1934, 3. 78 ; D. 1934, 3. 53, note
;
Désiry ; Douai, 22 février 1932, Kahaley, Clunet, 1933, 101).
1. — La législation française refuse, en général, à l'étran-
ger ordinaire — qui ne peut se prévaloir d'aucun traité — le
droit de bénéficier des services publics français d'assistance
le fondement de
:
l'assistance est la solidarité qui unit les hom-
mes considérés comme membres d'une même institution éta-
tique, ce que le droit public français appelle « fraternité ; »
aucun Etat ne saurait dès lors être tenu d'étendre aux étran-
gers le bénéfice de ses institutions de bienfaisance et d'assis-
tance ; la législation française, sur ce point, n'est pas — quoi-
qu'on conçoive une évolution possible. —• contraire au droit
international.
La même raison, le fait que le fondement en est la solida-
rité nationale, explique que le droit à réparation des dommages
de guerre ait été par la loi du 17 avril 1919 réservé — sauf
traités — aux individus Français au moment du dommage
(v. supra, Nationalité, n° 30). Le Conseil de la Société des
Nations saisi par la Suisse d'une demande tendant à solli-
citer de la Cour permanente de justice internationale un avis
consultatif sur le droit des nationaux Suisses à obtenir répa-
ration, a estimé, le 21 janvier 1935, conformément aux conclu-
sions du rapporteur de la question, qu'il n'y avait pas lieu de
demander un tel avis (v. Zeitschrift fur auslandisches offentli-
ches Recht und Vôlkerrecht, t. V, 1935, p. 422 et, sur la ques-
tion, Nostïtz-Wallwitz, die Frage der Kriegsschâden Schwei-
zer Staatsangehôriger in dem Vôlkerbundsrat, loc. cit., p.633
et s. ; J. Maupas, L'attribution des dommages de guerre par
la France aux ressortissants suisses, Clun-et, 1935, p. 277
et s.). Les quelques arrêts français qui, dans la période consi-
dérée, s'occupent du droit à indemnité des personnes physi-

envisagée au moment de la réalisation du dommage :


ques (v. pour les personnes morales, supra, Nationalité, n° 30),
se bornent à préciser que la question de nationalité doit être
le droit
ne disparaît pas pour celui qui, alors Français, a perdu ensuite
la nationalité française (Conseil d'Etat, 12 mars 1932) ; l'ac-
quisition postérieure de celle-ci ne le fait pas, à l'inverse,
acquérir (Conseil d'Etat, 17 nov. 1933). La cour de Douai,
appliquant largement le principe de l'effet déclaratif du par-

*
tage (Cfr Planiol, Ripert, Maury et Vialleton, Traité pratique
de droit civil français, t. IV, Successions, nos 661 et s.), a
décidé que la femme commune en biens, qui, à la dissolution
de la communauté, a acquis des biens communs sur licitation,
est considérée comme propriétaire de ces biens du jourde leur
entrée en communauté (v. en ce sens, Planiol, Ripert et Nast,
op. cit.,-t. IX, n° 849) et, par suite, si ces biens ont étéulté-
rieurement endommagés par. fait de guerre, « a droit à l'inté-
grité de l'indemnité y afférente».
(Cass. crim., 10 juillet 1931, Marchèsi, Clunet, 1932, 718, S.
1933, 1. 36 ; Cass.crim., 22 décembre 1933, Aboyan, Clu-
net, 1935, 83, Niboyet, 1934, 717, D. H. 1934, 86 ; Paris,
15 février 1935, Marqués da Silva, Lapradelle, 1935, 60
;
Clunet,1936,880).
6. — L'entrée des étrangers en France est soumise à une
réglementation très stricte dont le but est de permettre aux
autorités françaises un certain contrôle et de rendre ainsi pos-
:
sible, quand il y a lieu, l'interdiction de pénétrer sur le terri-
toire français la liberté de circulation internationale est très
étroitement limitée par le droit de police de l'Etat.
Avant guerre, les mesures légales prévues étaient l'exi-
gence d'un passeport (L. 6 février 1793, 28 vendémiaire an VI),
d'ailleurs à peu près tombée en désuétude, et l'obligation, pour
les étrangers venant exercer une profession, de se faire imma-
triculer à la mairie de leur résidence (L. 8 août 1893, modifiée
par la loi du 16 juillet 1912). Après la guerre, on est revenu au
système du passeport, d'abord rigoureusement, puis avec des
atténuations. La circulaire (de juin 1937) du Ministre de l'In-
térieur, rompant avec la pratique antérieure, décide — avec
raison — qu'en principe, l'autorisation maritale ne doit pas
être exigée pour la délivrance d'un passeport à une femme
mariée (V. La Semaine Législative, 1937, n° 370). Les forma-
lités de l'immatriculation ont été supprimées par le décret-loi
du 30 octobre 1935 instituant des pénalités à l'égard des étran-
gers expulsés (J. Off., 31 octobre, p. 11.489) qui abroge, dans
son article 5, les articles 1 et 3, alinéa premier, de la loi du
8 août 1893. Ces formalités étaient devenues complètement

;
inutiles depuis l'institution des cartes d'identité par les décrets
des 2 et 21 avril 1917 (Clunet, 1917,1159.1542 v. actuellement
le décret du 6 février 1935, Clunet, 1935,1145, Lapradelle, 1935,
117, Niboyet, 1935, 547, modifié par le décret du 14 octobre
1936, Clunet, 1937, 414, Lapradelle, 1936, 860 et, pour la carte
de tourisme, la loi de finances du 31 décembre 1935, article 13,
et les décrets du 23 février 1936, Lapradelle, 1936, 194, Niboyet,
1936,550 et du 31 décembre 1936, Niboyet, 1937, 297). Des dis-
positions nombreuses des lois de finances ont, depuis 1917, visé
les cartes d'identité pour fixer les droits à percevoir (v. loi
29 juin 1917, art. 11, et, en dernier lieu, décret-loi du 28 août
1937, J. Off., 31 août, p. 10.007, Lapradelle, 1937, 648), mais
ces loisn'ont eu ni pour objet, ni pour résultat de légaliser
l'institution que de simples décrets pouvaient créer et ont vala-
blement réglementée.

7. — Mais précisément, s'agissant de dispositions régle-


mentaires, celles-ci ne peuvent être sanctionnées, sauf inter-
vention du législateur, que par l'amende de simple police
prévue par l'article 471, 15°, Code Pénal, auquel renvoie de
façon générale l'article 14 du, décret du 6 février 1935. Pour
l'étranger « qui aura gratté, surchargé, falsifié une carte
d'identité. », l'article 12 du même décret se borne à déclarer
qu'il « sera expulsé du territoire français, sans préjudice de
»
toute autre sanction pénale qui pourrait intervenir (v. déjà,
par exemple, les articles 12 et 14 des décrets du 20 janvier
1928 et 10 juillet 1929, Niboyet et Goulé, Recueil de textes, I,
p. 162 ; Supplément, p. 24). La Cour de Cassation, en étendant
par analogie — quoiqu'on soit en matière pénale — des textes
légaux visant soit l'immatriculation de la loi du 8 août 1893,
soit les passeports, s'est efforcée d'assurer relativement aux
cartes d'identité une répression suffisante.
Dans son arrêt du 10 juillet 1931, la Chambre Criminelle
déclare justifiée la décision condamnant comme complice du
délit de fausse déclaration commis par des ouvriers étrangers
(art. 3, 2e al., L. 1893) le patron qui avait délivré à ceux-ci des
certificats d'embauchage de complaisance. Il est assez difficile
de se rendre exactement compte, à travers l'arrêt de la Cour de
Cassation, des circonstances de l'espèce. Mais il semble bien que
ce qui était en question, c'était la délivrancede cartes d'iden-
tité ; sans doute, la loi de 1893 étant encore en vigueur, les

en se faisant immatriculer ;
ouvriers avaient pu également mentir en demandant la carte et
seulement un certificat de travail
indispensable pour la demande de la carte (v. infra, n° 13) est
inutile pour l'immatriculation (v. par exemple, Valéry, Manuel
de droit international, n08 294 et s.) ; en faisant ici jouer l'arti-
cle 3, alinéa 2, loi 1893, et les articles 59 et 60 Code Pénal, la
Cour suprême, sans le dire et en paraissant dire le contraire,
étend donc le premier de ces textes de la question d'immatri-
culation à celle de la délivrance des cartes. La solution de
l'arrêt quoiqu'elle soit implicite, plus exactement même, mas-
quée, n'a sans doute pas perdu aujourd'hui tout intérêt le
décret-loi précité du 30 octobre 1935 n'a pas, en effet, abrogé
:
;
l'article 3, 2' alinéa, de la loi de 1893 ; ce texte vise la dissimu-
lation d'identité et la fausse déclaration il ne saurait plus y
avoir de fausse déclaration au sens de la loi de 1893 puisque
toute déclaration, conformément à cette loi, est supprimée
(v. supra, n° 6) ; ne faut-il pas dès lors prendre ces termes
dans un sens très général, admettre qu'il s'agit de toute fausse
déclaration ou de toute dissimulation d'identité intervenant en
matière d'application des dispositions de police relatives aux
étrangers?
L'arrêt de la ChambreCriminelle du 22 décembre 1933 n'a
pas hésité à appliquer l'article 153, Code Pénal, qui punit la
falsification des passeports à la falsification d'une carte d'iden-
tité sous le prétexte — un peu surprenant — que « une carte
d'identité valant pour les étrangers permis de séjour en France
peut être considérée comme rentrant dans la catégorie des pas-
seports ». La cour de Paris, le 15 février 1935, si'est refusée,
avec raison, sans doute, du point de vue juridique, à une telle
extension. La question est résolue aujourd'hui par le décret-
loi du 30 octobre 1935 qui déclare (art. 3) les peines des arti-
cles 153 et 154 Code Pénal applicables à « la falsification de la
carte d'identité spéciale et de son récépissé».

;
(Cass. crim., 20 octobre 1932, Laoussine ben Ali, Clunet, 1933,
991, Darras, 1932, 683 S. 1935, 1. 33, note Hugueney ;
;
D. H. 1932, 541 ; Cass. crim., 10 août 1931, Millot, Clunet,
1934, 129 Cass. crim., 15 novembre 1934, Mavromatis,
Clunet, 1935, 632, Lapradelle, 1934, 803, D. 1935, 1. 1, note
Donnedieu de Vabres, S. 1936, 1. 195 ; Cass. crim., 8 février
1936, Rozoff, Clunet, 1937, 97, Niboyet, 1936, 453, Lapra-
delle, 1936, 127 ; D. 1936, 1. 44, note Donnedieu de Vabres ;
Cass. crim., 1er mai 1936, Kliemkiewitz, Lapradelle, 1936,
547, Clunet, 1937, 525 ; Paris, 26 juillet 1934, Zakovleff,
Clunet, 1935, 350, Niboyet, 1935, 122, Lapradelle, 1934, 804,
D. 1934, 2. 113 ; Trib. corr. Nice, 4 juillet 1935, Niboyet,
1936, 455, Lapradelle, 1936, 123, D. 1936, 2. 47, note Donne-
dieu de Vabres ; Trib. corr. Seine, 14 novembre 1936, Zin-
ger, Niboyet, 1937,104,Lapradelle, 1936, 775, S. 1937, 2. 43,
D. H. 1937, 14 ; Trib. corr. Strasbourg, 23 novembre 1936,
D. H. 1937, 80, Lapradelle, 1937, 7.0).
8. — La violation d'un arrêté d'expulsion, le fait pour un
étranger de demeurer en France, malgré cet arrêté, est un délit
correctionnel (art. 8, L. 3 décem. 1849 et art. 1, 2, D.-L. 30 octo-
bre 1935). Ce délit est « continu successif », c'est-à-dire est de
ceux « dans lesquels l'accomplissement et la persistance de
l'acte matériel qui les constitue implique une nouvelle inter-
»
vention de la volonté expresse ou tacite de l'agent (Vidal et
Magnol, Cours de droit criminel, 8e éd., n° 77, p. 116). La Cour
de Cassation (Laoussine ben Ali), en déduit, ce qui va de soi,
la possibilité, quand l'activité délictueuse persiste après une
condamnation, d'une condamnation nouvelle. Il en est de même,

; :
d'après l'arrêt — et la poursuite est possible — même après un
acquittement. C'était le cas en l'espèce l'intéressé, expulsé de
France, s'était fixé en Algérie inculpé de violation à l'arrêté
d'expulsion, il avait été acquitté par le tribunal de Tlemcen
»
;
parce que l'ordre de sortir du « territoire français ne lui inter-
disait pas de séjourner en Algérie de nouveau poursuivi, il
avait été de nouveau acquitté par le tribunal d'Oran se fon-
dant sur la chose jugée (v. Clunet, loc. cit.) ; c'est cette décision
qui est cassée par la Cour de Cassation. La désobéissance à
l'arrêté, postérieure au premier jugement, constitue une infrac-
tion nouvelle et l'identité d'objet manque dès lors, qui est une
des conditions de l'autorité de la chose jugée (Cfr Vidal et
Magnol, op. cit., n° 77, p. 117, texte et note 3 ; n° 674, p. 797,
texte et note 6 et v. la note de M. Hugueney, Rec. Sirey).
9. — Pour que le délit de violation d'un arrêté d'expulsion
soit constitué, il faut évidemment que cet arrêté ait été légale-
ment pris, en particulier que l'individu qui en est l'objet ne
soit pas Français. L'illégalité de l'arrêté peut justifier un
recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat elle
peut être invoquée, sous forme d'exception, devant le tribunal
;
répressif. Dans l'affaire Millot, cinq condamnations successives

:
ayant déjà été prononcées, la nationalité française fut reconnue
à l'intéressé « la révélation de la véritable nationalité de Mil-
lot est », dit la Cour de Cassation, « un fait nouveau », justi-
fiant une demande en révision, le tribunal suprême casse et
annule, en conséquence, les cinq décisions qui lui étaient
soumises.
10. — Il y a eu plus de difficulté — et des solutions plus
discutables ont été données — quand il s'est agi de savoir dans
quels cas l'étranger expulsé pourrait, pour se justifier, invoquer
la force majeure, l'état de nécessité. La cour de Paris et la Cour
de Cassation ont donné des réponses très rigoureuses. Les
étrangers poursuivis étaient des apatrides et faisaient valoir
(v. les conclusions de la défense, Lapradelle, 1934, 805, dans
l'affaire Zakovleff) qu'il leur était impossible de trouver un
pays dont le territoire ne leur fut pas interdit. Les arrêts rap-
pellent que l'excuse de force majeure suppose l'impossibilité
absolue et que des difficultés « en admettant même qu'elles
soient graves, ne sauraient être assimilables au cas de force
majeure » (Paris, 26 juillet 1934. V. également, Cass. crim.,
1er mai 1936 où d'ailleurs l'argumentation de l'inculpé parais-

conduite à préciser davantage :


sait moins forte). La Cour de Cassation, le 8 février 1936, a été
l'intéressé demandait à prou-
ver « qu'il avait été successivement refoulé sur le territoire
français par les gouvernements de tous les pays limitrophes » ;
la Cour déclare que l'offre en preuve n'est pas pertinente car
il aurait fallu proposer d'établir que l'expulsé ne pouvait se
rendre dans aucun pays, limitrophe ou non. C'est demander
l'impossible et une intervention légale s'imposerait en la
matière (v. les notes de M. Donnedieu de Vabres au Dalloz, et,
sur son rapport, la discussion au Comité Français de Droit
International Privé, Travaux, t. II, 1935, p. 52, 93). Peut-être
parce qu'ils sont plus près des faits, plusieurs tribunaux cor-
rectionnels ont adopté une solution moins sévère, plus humaine,
juridiquement très défendable. Si le jugement du tribunal cor-
rectionnel de Nice est antérieur aux arrêts de la Cour de Cassa-
tion, ceux des tribunaux correctionnels de la Seine et de Stras-
bourg leur sont assez sensiblement postérieurs. Tous les trois
constatent l'impossibilité réelle où se trouvent les apatrides

;
d'obéir à l'arrêté d'expulsion, tous les pays leur étant, en fait,
fermés
le relaxe.
il s'agit, en réalité, d'un délit nécessaire, ce qui impose

Le problème se présentait de façon différente dans l'affaire


Mavromatis. Celui-ci, expulsé par un arrêté du 19 octobre 1926
ayant eu effet à partir du 21 août 1928 et poursuivi en 1930,
objectait qu'objet d'une information différente, il avait été mis
en liberté provisoire par le juge d'instruction de la Seine le 15
mai 1930, conformément à l'article 114, Code d'Instruction
Criminelle, sous l'obligation de se présenter à tous les actes de
la procédure, que, dès lors, « il était dans l'impossibilité juri-
dique de quitter la France sans contrevenir aux lois et injonc-
*
tions émanant de l'autorité judiciaire et se trouvait ainsi, à
l'égard de l'arrêté d'expulsion, dans un casde force majeure ».
La Cour de Cassation répond que l'arrêté d'expulsion « étant
une mesure de police et d'ordre public., l'autorité adminis-
;
trative a seule qualité pour le rapporter ou en suspendre les
effets l'autorité judiciaire ne saurait, en aucun cas, faire

:
échec à cette prérogative ». Cela n'est pas contestable, en prin-
cipe, mais est peut-être un peu exagéré un arrêté d'expulsion
ne saurait mettre obstacle à une poursuite correctionnelle et
;
à la détention préventive de l'inculpé qui maintient celui-ci en
France la
il n'est pas sûr dès lors que mise en liberté provi-
soire, qui peut être obligatoire pour le juge, soit sans aucun

de devoirs créant pour Mavromatis, l'état de nécessité :


effet sur l'expulsion. En tout cas, il y avait en l'espèce, conflit

n'est plus, de ce point de vue, la séparation des pouvoirs qui


ce

est en jeu, la délimitation des rôles respectifs des autorités


judiciaires et administratives, c'est la situation psychologique
de l'inculpé, résultat de deux ordres contradictoires. La Cour
ajoute, il est vrai, que celui-ci aurait dû « solliciter le renou-
»
vellement des permis de séjour dont il avait déjà bénéficié de
1926 à 1928. Mais le pouvait-il, en pratique, avec quelque
?
chance de succès Et que serait-il advenu si ce renouvellement
lui avait été refusé?

1932, 280 ; D. H. 1932, 110 ;


(Grenoble, 18 janvier 1932, Lévine, Clunet, 1932, 436, Darras,
Comm. sup. Cass. loyers,
24 novembre 1932, Hardy et Moreau, Darras, 1933, 259 ;
Seine, 23 janvier 1933, Fidler et Poliakoff, Clunet, 1934,
.383 ; Seine, 29 mars 1933, Ass., Clunet, 1933, 945 ; Conseil
d'Etat, 21 octobre 1936, Giloff, Lapradelle, 1936, 775,
Niboyet, 1934, 452, Clunet, 1937, 526 ; Paris, 30 janvier
1937, Garabed, Lapradelle, 1937, 349, D. H. 1937, 228, Clu-
net, 1937,527).

11. — Ces jugements et


:
arrêts ont trait aux arrangements
ou conventions relatifs au statut juridique des réfugiés l'ar-
rangement de Genève du 30 juin 1928 (Darras, 1928, 694), la
convention de Genève du 28 octobre 1933 (Clunet, 1936, 1136,
Lapradelle, 1934, 308, Niboyet, 1934, 266).
L'arrangement du 30 juin 1928 se présente sous la forme

Etats signataires;
très particulière d'une série de recommandations adressées aux
en France, le décret du 11 janvier 1930
décide qu'il sera « mis en vigueur le lorfévrier 1930 dans toute
la mesure compatible avec les lois et les règlements ». La
question s'est dès lors posée devant les tribunaux de savoir si
cet arrangement avait valeur de traité et s'il pouvait, au profit
des réfugiés qu'il vise, valoir dérogation aux règles légales. La
jurisprudence, d'abord hésitante (v. cette Revue, 1931, p. 547-
548) peut être considérée aujourd'hui comme à peu près fixée
dans le sens de la négative. Seule, en effet, et sans discuter la
question, la cour de Grenoble décide que l'arrangement de
1928 (§ 4), au cas d'accident de travail, relève les réfugiés
russes de la situation d'infériorité où les place l'article 3 de
la loi du 9 avril 1898. Par contre, la Commission supérieure
de Cassation en matière de loyers, pour la prorogation de la
loi du 1" avril 1926, le tribunal de la Seine, les 23 janvier et

refusent le bénéfice aux réfugiés russes :


29 mars 1933, pour l'exemption de cautio judicatum solvi, en
l'arrangement de
1928 « ne peut être assimilé, ni quant à la forme, ni quant au
fond, aux conventions diplomatiques » puisqu'il « ne revêt
point la forme d'un contrat signé entre nations en vue de
régler les droits de leurs sujets respectifs et ne contient, quant
au fond, que des recommandations » (v. Comm. sup. Cass.) ;
le décret du 11 janvier 1930 — qui, d'ailleurs, s'il ne s'agit pas
d'un traité à promulguer, ne peut avoir que valeur réglemen-
taire — n'a mis en vigueur l'arrangement que dans la mesure
compatible avec les lois, marquant ainsi précisément qu'on ne
peut fonder sur l'accord de 1928 des dérogations aux textes
légaux. La solution parait s'imposer.
Le Conseil d'Etat l'applique dans l'affaire Giloff, en déci-
dant que la recommandation d'éviter ou de suspendre les
expulsions de réfugiés russes et arméniens se trouvant dans
l'impossibilité d'entrer dans un pays voisin ne saurait porter
atteinte aux droits qui appartiennent au Ministre de l'Inté-
rieur en vertu de l'article 7 de la loi du 3 décembre 1849 :
l'arrêté d'expulsion ne peut, en pareil cas, être discuté en se
fondant sur le décret du 11 janvier 1930 mettant en vigueur
l'arrangement de 1928.
12. — La convention du 28 octobre 1933, dont la loi du
20 octobre 1936 (J. Off., 21 octobre, p. 10962) a autorisé la
ratification a été promulguée en France par décret du 3 décem-
bre 1936 (J. Off., 5 décembre, p. 12547 ; v. Lapradelle, 1937,
172, Niboyet, 1937, 281). Par son article 3, « chacune
des Parties contractantes s'engage à ne pas éloigner de
son territoire par application de mesures de police, telles
que l'expulsion ou le refoulement, les réfugiés ayant été
autorisés à y séjourner régulièrement, à moins que lesdites
mesures ne soient dictées par des raisons de sécurité nationale
ou d'ordre public. ». Devant la cour de Paris, un Arménien
expulsé se prévalait de l'impossibilité où il se trouvait de

gué en France de la Société des Nations pour l'Office Nansen ;


quitter le territoire français, impossibilité qu'attestait le délé-

il faisait également remarquer qu'il n'avait pas été justifié de


raisons d'ordre public ou de sécurité nationale nécessaires,
d'après la convention, pour motiver l'expulsion. La cour de
Paris se borne à opposer la thèse du Ministre de l'Intérieur que
le droit de refoulement appartient à celui-ci même pour les
apatrides visés par la convention et invoque le principe de la
séparation des pouvoirs pour décider que l'arrêté d'expulsion
était toujours en vigueur. Il ne semble pas, en effet, qu'il puisse
appartenir à un tribunal de l'ordre judiciaire, ni d'apprécier
les raisons d'une expulsion, ni d'interpréter un traité alors
qu'il s'agit d'une question de droit public (v. Maury, Règles
générales des conflits de lois, n° 108, Recueil Cours Académie
Droit International, 1936, III, p. 443). Le recours au Conseil
d'Etat ne donnerait sans doute pas davantage de résultat,
la haute juridiction administrative se refusant à toute
interprétation des clauses d'un traité (v. Maury, op. cit., loc.
cit). L'application de la convention dépend donc, sur ce point,
du seul gouvernement. L'article 4 du décret-loi du 30 octobre
1935 instituant des pénalités à l'égard des étrangers expulsés
(J. Off., 31 octobre, p. 11489) décide qu' « une instruction du
Ministre de l'Intérieur déterminera les conditions dans les-
quelles le présent décret-loi sera applicable aux apatrides
visés par les décrets du 11 janvier 1930, 16 juillet 1934 et
27 août 1935 » (v. le résumé de la circulaire du Ministre dé
l'Intérieur du 19 novembre 1935, Niboyet, 1937, 540). Si, d'ail-
leurs, comme il est probable, la convention de 1933 rend désor-
mais peu fréquentes les expulsions d'apatrides, la question se
posera de mesures de sécuritééquivalentes dont le dernier
alinéa de l'article 3 de la convention prévoit la possibilité.
2° Droits publics à caractère économique.
(Tr. corr. Seine, 27 février 1933, Soc. Knize, Clunet, 1934, 365;
D. H. 1933, 246 ; Tr. corr. Seine, 18 mai 1932, Lesot, Clune.t,
1934, 1198 ; Rouen, 4 novembre 1936, Garand, Lapradelle,
1937, 45; Cass. crim., 19 mai 1931, Maître, Clunet, 1932,

;
111, Niboyet, 1934, 150, note Hugueney, S. 1933, 1. 113,
même note Cass. crim., 29 avril 1932, Rangheard, Niboyet,
loc. cit., S. loc. cit. ; D. H. 1932, 302 ; Cass.crim., 24 juin
1932, Garbay, Clunet, 1933, 1191 ; D. H. 1932, 446 ; Cass.
crim., 23 juin 1933, Rousel, Clunet, 1935, 384, Niboyet, 1934,
751, note Hugueney ; Caen, 11 juin 1931,Cariot, Clunet,
1932, 716 ; Tr. corr. Seine, 16 janvier 1931, Delage, Clunet,
1931, 1080 ; Douai, 7 décembre 1935, Giffart, Lapradelle,
1936, 132 ; Seine, 28 novembre 1933, Clunet, 1934, 936,
Lapradelle, 1934, 72, Niboyet, 1934, 749 ; D. H. 1934, 110 ;
Tr. paix Paris, 4e arrondiss., 27 janvier 1933, Somm., La-
;
pradelle, 1934, 72 Rouen, 16 juillet 1936, Vve Brignol,
Lapradelle, 1936, 755, Clunet, 1937, 758 ; Paris, 22 avril
1932, Heuillon, Clunet, 1933, 378).
13. — L'étranger qui vient en France, comme salarié, doit
»
avoir une carte d'identité « de travailleur (L. 11 août 1926,

:
art. 64, livre II, C. Travail) dont la délivrance suppose des
conditions particulières présentation d'un certificat sanitaire
et d'un contrat de travail visé favorablement par les services
compétents du Ministère du Travail (art. 7, D., 6 février 1935).
Ce contrat de travail est d'ailleurs soumis à certaines formes
et conditions imposées par le Ministère du Travail qui doit le
viser. Le tribunal civil de la Seine, le 27 février 1933, a décidé
que ces clauses étant imposées par les pouvoirs publics afin
de protéger la main-d'œuvre nationale, toute modification, non
approuvée par le Ministère du Travail, doit être frappée de
nullité comme contraire à l'ordre public. Les employeurs ont
l'obligation de s'assurer que les ouvriers embauchés sont en
situation régulière (art. 64, C. Travail) et doivent le faire avant
l'embauchage (Cass. crim., 26 novembre 1936, D. H. 1937, 22,
Lapradelle, 1937, 45, Niboyet, 1937, 680).
Les tribunaux paraissent veiller assez sévèrement à
l'observation de ces prescriptions. La solution du tribunal

:
correctionnel de la Seine, dans l'affaire Lesot, est évidemment
exacte en vertu des traités conclus avec de nombreux pays,
spécialement en vertu de la convention franco-hollandaise du
26 octobre 1930, les « stagiaires » des pays cocontractants
peuvent être employés en France, en qualité de stagiaires, sans
avoir la carte d'identité de travailleur; mais pour que ces textes
soient applicables, il faut que l'étranger ainsi employé ait eu
sa demande de stage admise; en employant un sujet hollandais
qui avait formé une demande de ce genre, avant l'admission
de celle-ci, le patron français avait certainement violé l'article
64, livre II, Code Travail et encouru la peine de l'article 172
du même code. L'arrêt de la cour de Douai, dans l'affaire van
Gertruy, est, par contre, plus discutable: il s'agissait d'ouvriers
belges (sans carte d'identité) travaillant en France, au montage

;
de machines, pour le compte de la société belge qui avait
vendu ces machines à des entreprises françaises considérant
que les textes en vigueur ont pour but essentiel « de protéger
la main-d'œuvre nationale contre les infiltrations de la main-
d'œuvre étrangère » et que « le contrôle, pour être efficace,
doit avoir lieu dès l'entrée en France du travailleur étranger »,
la cour a retenu le délit de l'article 64 contre le directeur,
technique de la société belge. Il semble que ce soit à tort
»
:
l'article 64 exige que la carte d'identité « travailleur porte
« l'indication et la date du contrat de travail sur le vu duquel
ladite carte a été délivrée », il ne s'applique donc, d'après son

étranger et une entreprise française ;


texte même, que s'il y a un contrat de travail entre l'ouvrier
on ne voit pas bien
d'ailleurs comment la carte pourrait être accordée en l'absence
d'un tel contrat dont la présentation est une des conditions
de sa délivrance. C'est dans le sens indiqué que s'est prononcée,
dans une espèce analogue, la cour de Rouen le 4 novembre 1936
(Rapp. Paris, 10 juin 1937, Lapradelle, 1937, 561).
14. — La loi du 11 août 1926, dans ses autres dispositions
(art. 64 a, 64 b, livre II, C. Travail) a pour but d'empêcher que
des déplacements de main-d'œuvre étrangère en France ne

ment;
rendent vains tous efforts d'organisation et de contingente-
elle restreint, supprime temporairement la liberté de
changer de profession ou de métier, elle tâche d'assurer l'exé-
cution du contrat de travail originaire dont la durée, d'ailleurs,
ne peut excéder une année. Sa prescription essentielle est la
double interdiction, d'une part, dans l'année de sa venue,
d'occuper un travailleur dans une profession différente de
celle pour laquelle il est venu, d'autre part, de l'embaucher,
pendant le même temps, avant l'expiration de son contrat de
travail. A ces interdictions, il y a des exceptions qu'il est inutile
d'indiquer ici (v. art. 64 a, 64 b). La carte d'identité, délivrée
pour la première fois, doit porter l'indication et la date du
contrat de travail sur le vu duquel elle a été délivrée (art. 64).
Les décisions rapportées ont eu à déterminer quel est le
caractère du délit constitué par la violation de ces dispositions
légales, quelles sont les conditions d'incrimination ? La Cour
de Cassation, dans ses deux arrêts des 19 mai 1931 et 29 avril
1932, décide « qu'il n'y a pas lieu de rechercher s'il existe
une intention dolosive que le législateur n'a pas exigée et
quela »
nature de l'infraction ne comporte pas ; il n'est pas,
parsuite, nécessaire de rechercher si le prévenu a eu ou pu
avoir connaissance du contrat de travail violé et sa condam-
nationpeut être prononcée, soit que l'embauchage ait été fait
sur présentation de simples récépissés de demandes de cartes
ne portant aucune mention d'un tel contrat (affaire Ran-
gheard), soit même qu'il ait eu lieu alors qu'aucune carte
n'avait été établie (affaire Maître). « Il suffit », mais il faut,
« que celui qui emploie un étranger connaisse la qualité
a'étranger de ce dernier, pour qu'en l'employant avant l'expi-
ration du contrat de travail en vertu duquel il a été introduit
en France, il se rende passible des peines prévues par l'article
172, Code Travail, modifié par la loi du 11 août 1926, dès
lors qu'il ne se trouve pas dans un des trois cas d'exception
limitativement indiqués par l'article 64 b, précité ». L'infrac-
tion est constituée par l'embauchage d'un étranger lorsque ne
sont pas remplies les conditions légales (v. également, mais
moins net à raison des faits de l'espèce, Caen, 11 juin 1931).
L'arrêt du 23 juin 1933 en déduit qu'elle existerait même si
l'étranger embauché avait, au moment où il l'a été et depuis
quelque temps déjà, quitté, d'ailleurs avant l'expiration de son
contrat de travail, son premier patron, agriculteur, pour aller
travailler dans l'industrie. Il convient cependant dé noter que,
le 24 juin 1932, la Chambre criminelle a rendu un arrêt s'accor-
dant assez mal avec la jurisprudence qu'elle a établie et,
semble-t-il, malgré cet arrêt même, maintenue : la Cour de
Cassation, en effet, a approuvé la décision de relaxe d'un
patron qui avait accepté des ouvriers, amenés par des « recru-
teurs », alors que ces ouvriers n'étaient pas libres au sens de
l'article 64 et que même le patron savait qu'ils ne l'étaient pas;
la Cour paraît admettre une sorte de présomption d'ignorance,
contredite par les faits,et qui serait, existât-elle, sans effica-
;
cité elle relève que l'intéressé était resté étranger au débau-
chage, n'avait collaboré en aucune façon avec les agents de
recrutement, ce qui est d'importance nulle si c'est l'embau-
chage qui constitue le délit. Il ne faut voir là qu'une décision
d'espèce, à moins qu'on ne veuille, de manière un peu divina-
toire, il est vrai, y découvrir l'affirmation que le patron n'est
pas responsable de l'engagement irrégulier fait par des pré-
posés en admettant que l'embauchage était le fait de ces der-
niers. C'est précisément la seconde question.
15. — La détermination du sujet actif de l'infraction péna-
lement responsable peut faire difficulté. Il n'y a pas ici à
distinguer suivant qu'il s'agit de la prescription de l'article64
(supra, n° 13) ou de celle des articles 64 a, 64 b (supra; nb 14).

préposé; :
Il peut arriver d'abord que l'embauchage ait été fait par un
le tribunal correctionnel de la Seine, dans l'affaire
Delarge, décide « la doctrine etla jurisprudence sont d'aècord
pour admettre la responsabilité pénale directe des chefs de
service à l'exclusion de celle des patrons, mais à la double
condition que lesdits chefs de service soient dûment informés
de leurs obligations et qualifiés pour en assurer l'exécution»
(Cfr. Vidal et Magnol, op. cit., n" 438 bis, p. 528 et s.). La Cour
de Cassation, sans donner une formule générale précise, s'était
montrée plus sévère le 31 octobre 1929 (D. Hebd., 1930, 38) :
elle avait, se fondant sur ce qu'il était l'employeur, dirigeait
ses artistes et pouvait les refuser et les renvoyer, condamné le
directeur d'un casino pour lequel une agence dramatique avait
engagé des étrangers en situation irrégulière, quoique les salai-
res de ceux-ci fussent payés au moyen d'un prix forfaitaire
versé à l'agence et quoique le directeur ait spécifié dans son
contrat avec celle-ci l'obligation, pour elle, de s'assurer que les

:
artistes engagés étaient en règle avec les lois de police. Le
patron peut ensuite être une société contrairement à la solu-
tion généralement admise de l'irresponsabilité pénale des per-
sonnes morales (v. Vidal et Magnol, op. cit., n° 65-2, p. 78
et s.), la cour de Douai, le 7 décembre 1935, a prononcé le
relaxe de Giffart, administrateur-directeur de la Société Bala-
tum, en constatant que la fonction d'embauchage appartenait
à des agents subalternes, non à lui-même, et a condamné au
paiement de trois amendes de 16 francs « la Société Balatum
coupable d'avoir à Baisieux commis les trois infractions au
Code du Travail en employant trois ouvriers non munis d'une
carte d'identité portant la mention « travailleur».
16. — L'inobservation des dispositions de la loi du 11 août
1926 emporte aussi des sanctions civiles.
Le contrat de travail conclu contrairement à la loi est nul
de nullité absolue. C'est ce qu'ont affirmé, pour des étrangers
n'ayant pas la carte d'identité « travailleur », le tribunal de la.
Seine, le 28 novembre 1933, le tribunal de paix de Paris, le
27 janvier 1933, la cour de Rouen, le 16 juillet 1936. Le pre-
mier jugement en déduit qu'il est impossible d'accorder à
l'étranger employé une indemnité de résiliation, « un contrat
nul comme contraire à une loi d'ordre public ne pouvant pro-
duire aucun effet. Les deux autres décisions, partant de l'idée
que la responsabilité de la loi du 9 avril 1898 pour les accidents
du travail implique l'existence d'un louage de services, en con-
cluent que l'étranger en situation irrégulière, qui est victime
d'un accident du travail, et ses ayants droit ne peuvent se
prévaloir de la loi de 1898 pour obtenir une indemnité. Des
solutions identiques devraient certainement être données—
car le problème est le même — si les prescriptions inobservées
étaient celles des articles 64 a ou 64 b.
Mais, en pareil cas, le patron coupable pourrait, de plus,
être condamné à des dommages-intérêts, soit vis-à-vis du pre-
mier employeur, soit vis-à-vis de l'office de main-d'œuvre inté-
ressé. La faute pénale engage, en tout cas, la responsabilité de
son auteur. Mais d'autres difficultés ont été soulevées. Dans
l'affaire Maître, le second patron invoquait, comme cause

la carte d'identité à l'ouvrière étrangère ;


d'exonération, le fait que le premier n'avait pas fait délivrer
la Cour de Cassa-
tion répond, le 19 mai 1931, « qu'il importe peu. que Simon-
net ait omis, de son côté,de se conformer aux prescriptions
réglementaires en ce qui concerne l'emploi de la main-d'œuvre
étrangère dès lors que cette omission laissait subsister le pré-
judice direct dont il a souffert par suite de la rupture du con-
»
trat de travail ; c'est, au fond, affirmer que la faute de la
victime n'a pas été cause du dommage, lequel résulte, en
entier, de la violation, par Maître, de l'article 64 b. Mais il faut,
pour que la victime ait droit à réparation, qu'il y ait un lien
de cause à effet entre la faute du défendeur et le dommage
subi. Ce lien existe-t-il quand le travailleur étranger avait
quitté spontanément son premier employeur avant d'être em-
?
bauché par le second La cour de Paris a répondu négative-
ment dans son arrêt du 22 avril 1932. Mais la Chambre crimi-
nelle de la Cour de Cassation, le 23 juin 1933, se prononce en
sens contraire, avec raison, semble-t-il : « en employant les
époux Duruch en violation du contrat qui les liait pour un
an à l'employeur qui les avait introduits en France et en les
empêchant de reprendre leur travail chez ce dernier, Rousel
a causé à Frémy un préjudice direct et personnel distinct
de celui qui a pu résulter pour lui de la rupture du contrat
à laquelle Rousel est demeuré étranger ». Ce même arrêt,
très exactement, admet l'allocation de dommages-intérêts à
l'office central de la main d'œuvre agricole, « ce syndicat qui
garantit vis à vis des employeurs français la régularité de l'in-
troduction en France de la main d'œuvre étrangère et qui as-
sure la protection des intérêts agricoles » étant « profondé-
ment troublé par les agissements semblables à ceux dont Rou-
sel s'est rendu coupable
11 juin 1931).
» (v. déjà, dans le même sens, Caen,
(Civ. rej., 6 mars 1934, Caisse primaire professionnelle, Lapra-
delle, 1934, 598 ; Civ. rej., 14 mars 1934, Caisse primaire
départementale de la Haute-Savoie, Lapradelle, 1934, 598 ;
D. H. 1934,284 ; Comm. départ. Assur. soc. Seine, 27 février
1937, Pilet des Jardins, Lapradelle, 1937, 328).

17. — Les deux arrêts de la Cour de Cassation ont trait


à des conventions intervenues entre des Caisses d'assurances
sociales et des syndicats médicaux, d'après lesquelles les affi-
liés étaient exclus du droit au remboursement des frais médi-
caux s'ils se faisaient soigner à l'étranger ou par un médecin
étranger (lreespèce), si les soins ne leur étaient pas donnés
par des médecins domiciliés en France (2e espèce). La cour
déclare qu'en vertu du droit de l'assuré de choisir librement
- son médecin (art. 4, § 2, L. 5 avril 1928. V. également, art. 6,
§ 2, D. L.30 octobre 1935), de telles clauses ne lui sont pas
opposables (Rapp. Civ. rej. 31 mai 1934, 2 arrêts, Gaz. Pal.,
1934, 2.121). La première avait d'ailleurs été annulée par la
Commission permanente des Assurances sociales le 25 jan-
vier 1932.
Dans l'affaire Pilet des Jardins, la Caisse intéressée refu-
sait tout remboursement parce que la maladie s'étant déclarée
et ayant été soignée à l'étranger, il lui était impossible d'exer-
;
cer le contrôleprévu par l'article 7 de la loi la Commission
condamne la Caisse en relevant que le choix d'un médecin
étranger était imposé par les circonstances et « n'a pas eu
pour but de mettre obstacle à l'exercice d'un contrôle médi-
»
cal (Aj. Civ. rej;, 31 mai 1934, précité).

(Besançon, 22 avril 1932, Clunet, 1933, 68, D. H. 1932, 354


Paris, 9 janvier 1933, Vve Diaz, Clunet, 1933, 618, Darras,
;
1170, Niboyet, 1934, 714 ;D. H. 1934, 203 ;
1933, 106 ; Req., 27 février 1934, Hurtado, Clunet, 1934,
Montpellier,
4 mars 1933, somm., Clunet, 1934, 854 ; Nancy, Sokolewicz,
13 avril 1934, Niboyet, 1935,114 ; D. H., 1934, 342).

18. — La'loi du avril 1898 sur la réparation des acci-


9
dents du travail peut, en principe, être invoquée aussi bien
par les ouvriers étrangers que par les Français. La règle est,
ici, l'égalité de traitement et la cour de Bordeaux en a déduit,
le 30 mai 1929 (Clunet, 1932, 907, S. 1932, 2. 9, note critique
Perreau) que l'ouvrier étranger pouvait, conformément à l'ar-
ticle 9, demander la conversion en capital du quart de la rente
viagère qui lui avait été allouée. L'article 3, cependant, dans
ses derniers alinéas, fait une situation.inférieure à la victime
et à ses ayants droit étrangers, quand il n'y a plus ou quand
il n'y a pas résidence en France, c'est-à-dire (Besançon, 22 avril
1932), quand il y a non pas voyages ou séjours, même prolon-
gés, mais établissement définitif à l'étranger. Cet article, d'ail-
leurs, réserve la possibilité de rétablir l'égalité par traité sous
condition deréciprocité. Or, à la septième conférence de l'Or-

signée le 10 juin 1925 dont l'article premier déclare :


ganisation Internationale du Travail, une convention a été
« Tout
membre de l'Organisation Internationale du travail qui ratifie
la présente convention, s'engage à accorder aux ressortissants
de tout autre membre ayant ratifié ladite convention, qui
seront victimes d'accidents du travail survenus sur son terri-
toire, le même traitement qu'il assure à ses propres ressortis-
sants en matière de réparation des accidents du travail. Cette
égalité de traitement sera assurée aux travailleurs étrangers et
à leurs ayants droit sans aucune condition de résidence ».
L'article prévoit ensuite des arrangements particuliers, « si
cela est nécessaire », en ce qui concerne les paiements à faire
par un Etat sur le territoire d'un autre. En France, la conven-
tion de 1925 a été promulguée par décret du 16 mai 1928
(J. Off.. 20 mai, p. 5630), sa ratification ayant été approuvée
par la loi du 30 mars 1928 (J. Off., 1er avril, p. 3720). La ques-
tion s'est alors posée de savoir si les ressortissants des Etats
ayant eux aussi mis en vigueur la convention de 1925 étaient,
en France, en vertu de celle-ci, relevés des incapacitésde l'ar-
ticle 3. M. Barthélémy-Raynaud (Traités de travail et conven-
tions internationales en matière d'accidents de travail, Clunet,
1931, 322. Aj : La réciprocité diplomatique en matière d'assu-
rances sociales, Clunet, 1937, p. 251 et s.), s'était prononcé pour
la négative, exigeant des traités de travail spéciaux entre la
France et les autres Etats qui, conclus en exécution de la
convention de 1925, assureraient une certaine réciprocité de
fait. C'est la solution donnée par la cour de Montpellier. L'opi-
nion contraire, qui était celle du Ministre du Travail et du
Ministre de la Justice français (V. Morellet, La notion de réci-
procité dans les traités de travail et les conventions internatio-

jurisprudence:
nales du travail, Darras, 1931, 642 et s., 648), l'a emporté en
elle est consacrée par la cour de Paris, dans
son arrêt du 9 janvier 1933, et par la Chambre des Requêtes le
27 février 1934 (v. aussi Riom, 24 décembre 1930, Clunet, 1932,

:
85, Darras, 1931, 140). Il semble que cette deuxième solution
soit la meilleure d'une part, un traité peut modifier une loi,
la convention de 1925, d'ailleurs ratifiée après approbation
parlementaire, pouvait donc apporter exception aux disposi-
tions de la loi de 1898 ; d'autre part, l'interprétation du traité,
d'après l'intention commune des Etats signataires et d'après
son texte même, conduisait à admettre que son but était préci-
sément d'instituer une telle exception.
19. — La cour de Nancy a eu à statuer sur la portée d'ap-
plication de la convention franco-polonaise du 3 septembre
1919 qui, dans son article 3, 28 alinéa, relève des restrictions
prévues par le dernier alinéa de l'article 3 de la loi du 9 avril
1898, « les travailleurs polonais, victimes d'accidents, ainsi
que leurs ayants droit ou leurs représentants ne résidant pas
ou ayant cessé de résider sur le territoire français » (D. )16
juin 1920, Niboyet et Goulé, Recueil de textes, I, p. 625). Un

;
ouvrier, à ce moment-là de nationalité russe, avait été, en 1914,
sur le territoire français, victime d'un accident du travail il
quittait la France en 1930 et le patron, condamné à une rente,
invoquait l'article 3 de la loi de 1898 pour se libérer définiti-
vement en versant un capital égal à trois fois la rente allouée
l'ouvrier, devenu Polonais lors de la constitution de l'Etat de
;
Pologne, entendait se prévaloir, en sens contraire, de la con-
vention du 3 septembre 1919. La question était bien, comme
l'indique la note dans la Revue Niboyet, de savoir si la jouis-
sance du droit conféré aux travailleurs polonais par la con-
vention devait être appréciée à la date de l'accident ou à celle
de la cessation de résidence en France. La cour d'appel se
prononce pour la première solution, la note pour la seconde.
Un tel problème ne peut sans doute être tranché qu'en se
demandant quelle est la raison d'être de la limitation apportée
par la loi de 1898 aux droits des étrangers. Si le législateur
s'est surtout préoccupé des difficultés de paiement d'une rente
à l'étranger, la date de la cessation de résidence est préférable.
Si le but était de réaliser une mesure de rétorsion, permettant
des négociations, vis-à-vis de certains pays connaissant des
restrictions analogues, on pourrait soutenir — sans que la
solution s'imposât — qu'il vaut mieux se reporter à la date
de l'accident.
Mais même en admettant qu'il en doive être ainsi, il fal-
lait se demander si ne devait pas alors intervenir l'article 15
de la convention en vertu duquel l'article 3 de celle-ci est appli-
cable « aux ouvriers de chacun des deux pays employés dans
l'autre antérieurement à la mise en vigueur de la présente
convention ». La cour de Nancy répond négativement: « cette
rétroactivité ne peut s'appliquer qu'aux seuls accidents sur-
venus depuis la reconstitution de l'Etat polonais, aux ouvriers
devenus sujets de cet Etat et non aux accidents survenus anté-
rieurement à cette reconstitution, alors que les ouvriers qui
en étaient victimes n'avaient pas encore acquis la nationalité
polonaise, le bénéfice de la convention du 3 septembre 1919 ne
pouvant être accordé qu'aux seuls ouvriers victimes d'acci-
dents du travail survenus depuis le jour où ils sont devenus
sujets polonais ». La solution paraît exacte, étant supposé
qu'il faille prendre en considération le jour de l'accident et
résulte du texte même qui parle des « ouvriers de chacun des
»
deux pays (v. contra, la note précitée).

C. — Droits privés

1° La règle de l'article 11, Code Civil.

(Civ. rej., 22 décembre 1931, Sanchez, conclusions Matter, Clu-


net, 1932, 683, Darras, 1932, 83, S. 1932, 1. 257, note
Niboyet, D. 1932, 1. 131, note Trasbot ; Req., 8 février 1932,
Lebas, Clunet, 1932, 961 ; Civ. rej., 24 février 1932, Ramon
Reynes, S. 1932, 1. 249, note H. Mazeaud, Clunet, 1932, 964,

;;
Sre; Civ. rej., 30 juin 1932, Spilka, Clunet, 1933, 365, Dar-
ras, 1933, 475, S. 1932, 1. 293, D. H. 1932, 426 Req.,
30 janvier 1933, Montanaro, Clunet, 1934, 122 Paris,
26 décembre 1935, époux Martin, Lapradelle, 1936, 88 ;
D. H. 1936, 41 ; tr. Seine, 6 décembre 1933, Soc. Ed. Sala-
bert, Clunet, 1934, 906, Niboyet, 1934, 420 ; Tr. Le Havre,
24 mars 1933, Tissot, Darras, 1933,475).
20. — On connaît la double difficulté que soulève l'inter-
prétation du texte de l'article 11, Code Civil, d'après lequel un
étranger ne jouit en France que des droits civils accordés au
Français par traité dans son propre pays. Que faut-il, en pre-
?
mier lieu, entendre par droits civils En laissant de côté la
solution aujourd'hui complètement abandonnée de Demolombe
»
pour qui « droits civils étaient synonyme de « droits privés »,
deux systèmes s'opposent, celui d'Aubry et Rau (Cours de droit
civil français, t. I, 6e éd., par M. Bartin, § 78) qui distinguent,
par leur nature et leur caractère, les droits naturels et les
droits civils, celui de Weiss et de M. Niboyet (v. Manuel de'
droit international privé, 2e éd., nos 280 et s. ; note, S. 1923, 2.
41) qui ne classent dans les droits civils que les droits privés
expressément refusés à l'étranger par un texte légal. Le second
problème à résoudre est celui de savoir en quoi consiste la

:
réciprocité diplomatique, condition de jouissance des droits
civils suffit-il d'une égalité abstraite, d'une réciprocité géné-
rale ou faut-il une égalité pratique, une réciprocité de fait,
autrement dit est-il nécessaire que le droit invoqué par l'étran-
ger en France existe dans son pays de telle sorte que le Fran-
çais en jouisse en réalité ou suffit-il que le Français soit habi-
?
lité à en jouir s'il existe
A ces deux questions touchent de nombreux arrêts qui ont
pour objet la situation des étrangers quant aux droits conférés
aux locataires et aux propriétaires par la loi sur les loyers du
1er avril 1926 et quant aux droits découlant de la loi du 30 juin
1926 pour le preneur et le bailleur de locaux à usage commer-
cial ou industriel. Mais, dans ces lois, il y a des dispositions

étrangers:
spéciales précisant, quant aux droits créés, la condition des
pour le droit à prorogation des baux à loyer de
locaux d'habitation, l'article 4, 1° L. 1" avril 1926, ne
l'accorde qu'à certaines catégories d'étrangers limitativement
énumérés « sous réserve des conventions diplomatiques exis-
tant av. jour de la promulgation de la présente loi », tandis que
les articles 5 et
propriétaires français ;
21 ne donnent le droit de reprise qu'aux
l'article 19, 1. 30 juin 1926, modifié
par .l'article 11, L. 22 avril 1927, réserve les droits à
« propriété commerciale » et le droit de reprise aux étrangers
qui remplissent certaines conditions, ne les. concède aux autres
que s'il existe dans leur pays, au profit des Français, une légis-
lation analogue réglementant la propriété commerciale.
L'intervention de ces textes rend difficile, de déterminer
avec certitude la position prise par les tribunaux sur la pre-
mière des controverses relatives à l'article 11. La formule
devenue à peu près de style dans les décisions de la Cour de
Cassation est celle de sa Chambre civile, dans son arrêt du
22 décembre 1931 : « les termes catégoriques et absolus de ce
»
texte (art. 19, 1er al., L. 30 juin 1926) « expriment clairement
la volonté, d'ailleurs maintes fois manifestée au cours des
débats parlementaires, de créer au profit des seuls Français
un nouveau droit civil dont les étrangers, même appartenant
à un pays lié à la France par un traité d'établissement, ne
puissent bénéficier que sous la condition, généralement posée
par l'article 11, Code Civil, de l'existence dans ce pays d'un
»
droit analogue au profit des Français (v. aussi Req., 8 février
1932 ; Civ. rej., 24 février 1932 ; Req., 3 janvier 1933, qui
substitue l'expression « nouveau droit exceptionnel »
termes « nouveau droit civil ». Rappr. Civ. rej., 30 juin 1932
aux

et cfr. déjà Paris, 2 juillet 1928, Clunet, 1929, 390. Aj. Tr. Le
Havre, 24 mars 1933). Un tel considérant s'appuie, en effet,
pour reconnaître à la propriété commerciale la nature de droit
civil sur le texte de la loi et l'intention du législateur, non pas
sur le caractère exceptionnel de ce droit, sur ce fait qu'il est
particulier à l'ordre juridique français ou même à quelques
ordres juridiques nationaux. Mais, bien évidemment, une telle
recherche est inutile quand la loi même fournit la réponse et
le fait de rattacher la solution légale au concept de « droit
»
civil de l'article 11 prend toute sa signification si l'on
rapproche de l'arrêt les conclusions du Procureur Général
Matter : celui-ci, rappelant (v. Clunet, 1932, p. 699 et s., Darras,
1932, p. 100 et s., S. 1932, 1, p. 265 et s.) la distinction faite
par le droit romain et notre ancienne jurisprudence entre les
jura gentium et les jura civium, cite ensuite le passage même
où Aubry et Rau exposent leur système et déclare : « Cette
distinction entre les droits civils stricto sensu et les droits des

;
gens a été adoptée par notre jurisprudence », puis, quelques
lignes plus loin, « telle est la jurisprudence elle est actuelle-
»
ment bien fixée (rappr. les conclusions de M. Picard, sous
Seine, 29 mars 1933 : « d'après l'article 11, les droits civils
stricto sensu, c'est-à-dire, dans l'opinion la plus courante, ce
qui est la création positive de telle ou telle législation (la légis-
lation française en France) sont réservés aux seuls natio-
naux », Clullet, 1933,953).
La coïncidence des solutions jurisprudentielles et de la
théorie d'Aubry et Rau est encore coniirmée, quoique la rédac-
tion des motifs ne soit pas toujours rigoureusement exacte,
par les décisions qui ont reconnu sans condition aux étrangers
la jouissance de certains droits privés parce que ceux-ci cons-
tituaient des droits naturels. Il faut citer, ici, quoique échap-
pant par sa date à cette chronique, l'arrêt de la cour de Paris
du 10 février 1928 (Clunet, 1928, 961) sur le droit reconnu aux

sion du prix des baux de longue durée :


propriétaires par la loi du 6 juillet 1925 de demander la révi-
cet arrêt affirme
d'abord, il est vrai, paraissant adopter la thèse de M. Niboyet,
que « conformément à ce qui paraît avoir été la volonté des
rédacteurs du Code, tous les étrangers jouissent en France,
à moins de dispositions spéciales législatives, du droit privé en
général, qui, étant celui de tous les peuples civilisés, est devenu
une institution du droit des gens. » ; mais il indique tout de
suite la possibilité, pour la jurisprudence, « d'adapter ce
principe aux situations nouvelles. » et examinant d'abord le
droit d'exiger un loyer, puis le droit à révision, il relève que
le premier « est un droit généralement admis dans les légis-
lations des Etats civilisés et ne saurait être considéré comme
particulier et propre aux nationaux français », il décide que
le second en dérivant et ayant pour but de rétablir l'équilibre
entre les prestations fournies par les parties contractantes,
« doit. être classé en dehors du jus civitatis proprium et par-
tant, dans le silence de la loi, être accessible aux propriétaires
étrangers, dont la capacité, en matière de droit civil général
ou de droit des gens, est générale ». C'est la thèse même
d'Aubry ét Rau. On la retrouve à propos du droit à révision
des baux à usage commercial de la loi du 12 juillet 1933 dans
l'arrêt de la cour de Paris du 26 décembre 1935 : « le légis-
lateur a entendu imposer une règle provisoire d'équilibre
social ou économique, se rattachant aux facultés du droit des
gens. et dont. tous. devaient bénéficier, quelle que fût leur
nationalité, sans que, par ailleurs, les prescriptions de l'article
11 du Code Civil, visant la jouissance des droits civils, pût
être invoquée à leur encontre ». Quoique moins net, parce
qu'ayant examiné la question de façon plus sommaire, le

:
jugement du tribunal de la Seine, en date du 6 décembre 1933,
est dans le même sens « Attendu », dit-il, « que la propriété
des œuvres littéraires, musicales et artistiques dérivant du

droits qu'elle comporte;


droit naturel, les étrangers jouissent en France de tous les
qu'il ne peut être apporté à cette
jouissance d'autres restrictions ou réserves que celles qui
»
résulteraient d'une disposition expresse de la loi ; une res-
triction légale est utile quand on est en présence d'un droit

:
naturel, précisément parce qu'il s'agit d'un droit de cette
nature ce n'est pas l'absence de restrictions qui constitue le
droit naturel.
22. — La réciprocité diplomatique exigée par l'article 11,
Code Civil, pour la concession des droits civils aux étrangers,
est traditionnellement définie comme uné réciprocité de fait,
comme une égalité pratique. Les arrêts de la Cour suprême,
en matière de propriété commerciale (supra, n° 21), confir-
ment cette solution en parlant de « la condition, généralement
posée par l'article 11, Code Civil, de l'existence dans ce pays
d'un droit analogue au profit des Français
Havre, 24 mars 1933).
»(aj. trib. Le

2° L'étranger et les divers droits privés.


(Rouen, 27 juillet 1932, Jones, Clunet, 1933, 645).
23. — Un individu est né en France le 1"
;
mars 1909, de
parents anglais, sa mère étant elle-même née en France il est
Français jure soli (cfr. supra, n° 7) avec faculté de répudier
la nationalité française dans l'année de sa majorité. Il exerce
régulièrement son droit de répudiation. Le 22 mai 1931, il
;
inscrit l'hypothèque légale qu'il prétend avoir sur les biens de
la veuve Jones, sa mère et tutrice la mainlevée de l'inscription
est demandée et accordée par un jugement du tribunal civil
de Rouen en date du 15 mars 1932 : le tribunal avait considéré

Français;
(à tort) que Jones n'avait eu à aucun moment la qualité de
il en avait conclu, conformément à une jurispru-
dence peu contestée, qu' « il ne pouvait invoquer le bénéfice de
l'hypothèque légale, droit civil stricto sensu, devant à ce titre
être, en principe, refusé aux étrangers ». La cour constate, la
répudiation de nationalité n'étant pas rétroactive, que Jones

31 août 1925, et ajoute :


était sujet français au moment de l'ouverture de la tutelle, le
« à bon droit, inscription a pu être
prise par lui le 22 mai 1931. sans qu'il y ait lieu de recher-
cher si cette inscription a été ou non antérieure à la répu-
diation de la qualité de Français, le droit à l'inscription ayant
été acquis le 31 août 1925, c'est-à-dire avant la répudiation ».

;
Il faut être Français pour avoir la jouissance du droit d'hypo-
thèque légale en l'espèce, et la qualité de Français ayant été
conservée jusqu'à la fin de la tutelle, il suffit de l'être à l'ouver-
ture de celle-ci, même si on ne l'est plus au moment de
l'inscription.
La solution paraît exacte (v. contra, note J. P.) : l'inscrip-

;
tion n'est pas, endroit français, constitutive du droit d'hypo-
thèque
;
elle n'est qu'une condition d'opposabilité aux tiers,
une formalité nécessaire à l'exercice du droit nous ne pen-
sons pas qu'on puisse parler d'un droit à l'inscription distinct
;;
du droit à hypothèque et dont la jouissance exigerait la qualité
de Français le premier droit découle du second et existe si le
second existe dans l'affaire Jones, la perte étant survenue
après la majorité, l'intéressé pouvait se prévaloir de l'hypo-
thèque de façon complète, finscription pouvait être prise à
une date quelconque, ses effets étant réglés par l'article 8 de
la loi du 23 mars 1855. Il est plus difficile de dire ce qui devrait

:
se passer si la perte de la nationalité française intervenait
avant la majorité l'arrêt, en parlant de droit acquis à l'ouver-
;
ture de la tutelle, pourrait être interprété dans ce sens, que
cette perte ne devrait pas être prise en considération une telle

;
interprétation serait sans doute tendancieuse et on pourrait
douter, en tout cas, de cette solution l'hypothèque légale du
mineur, comme toute hypothèque, est un droit réel accessoire ;
ne faut-il pas en conclure que la perte de la qualité de Français
fait disparaître la garantie de l'hypothèque légale pour les
créances du mineur nées postérieurement ?
(Civ. cass., 13 mars 1933, Dme Bradford, Clunet, 1933, 639,
Niboyet, 1934, 718; S. 1933, 1. 150; D. H. 1933, 252;
Besançon, 10 avril 1933, Bozzino, D. 1934, 2. 89, note Nast ;
Trib. Seine, 11 mai 1933, Mondet, Clunet, 1933-970, Ni-
boyet, 1934, 129 ; Pau, 19 mars 1934, Labedan, Niboyet,
1935, 464, Lapradelle, 1935, 559 ; Paris, 21 mai 1935, Dme
Hoffmann, Lapradelle, 1935, 322 ; Paris, 28 octobre 1935,
Armand, Clunet, 1937, 93 ; Civ. rej., 4 déc. 1935, Kirke
Paulding, Clunet, 1936, 862, Niboyet, 1937, 189, S. 1936, 1.
95 ; Cons. d'Etat, 21 janvier 1933, Niboyet, 1935, 396.)

24. — Les nombreuses décisions ici rassemblées, touchant


à des questions diverses, ont ce trait commun que, de façon
plus ou moins nette, elles affirment la possibilité pour l'étran-
ger d'avoir, en France, un véritable domicile au sens de l'arti-
cle 102, Code Civil, un « domicile de droit ». La notion de

;:
domicile apparaît comme générale, universelle, à raison même
de son utilité elle ne fait d'ailleurs que traduire une consta-
tation de fait le lien existant entre chaque individu et un lieu
déterminé auquel il est rattaché par ses affections de famille,
par son travail, par ses intérêts, par l'habitude. Le droit au
domicile entre donc dans la catégorie des droits des gens. Mais
on sait que la jurisprudence, se fondant surtout sur l'article 13
du CodeCivil, avait cependant décidé que si l'étranger
ordinaire pouvait avoir, en France, un « domicile de fait », seul
l'étranger admis à domicile par décret conformément à ce
texte, pouvait y être « domicilié de droit». La loi du 10 août
1927 (art. 13) ayant abrogé l'article 13 Code Civil et ainsi
supprimé l'admission à domicile, la raison qui avait été déter-
minante pour les tribunaux disparaissait et on pouvait pro-
poser et prévoir un revirement de jurisprudence. Celui-ci
semble aujourd'hui à peu près complètement réalisé.
25. — En premier lieu les définitions et les règles de
détermination du domicile contenues dans les articles 102 et
suivants du Code Civil paraissent désormais être appliquées,
sans hésitation, au domicile de l'étranger.
D'assez nombreux arrêts, ayant à statuer sur la compé-
tence des tribunaux français (v. infra,nos 27 et s.) relèvent que
l'étranger, partie au procès, qui oppose l'exception d'incom-
pétence, a son domicile en France parce que ayant en France
son principal établissement. La cour de Paris déclare très
nettement le 21 mai 1935 : « .à raison de l'abrogation par la
loi du 10 août 1927 de l'ancien article 13, Code Civil, qui subor-
donnait à une autorisation concédée par décret la fixation d'un
domicile en France d'un étranger, qui fût susceptible de pro-
duire des effets de droit il échet d'admettre. que dame
Rousel-Hoadley possédant, d'après les éléments de la cause,
sur notre territoire, un domicile au sens de l'article 102 Code
Civil. ». Et l'arrêt du 28 octobre 1935, s'agissant également
d'un étranger, rappelle que « la notion du domicile en droit
français n'est fondée qu'accessoirement sur le séjour, qu'elle
repose essentiellement sur la détermination du lieu du prin-
cipal établissement et du centre des affaires de l'intéressé»
(cfr. Planiol, Ripert et Savatier, Traité pratique de droit civil
français, t. I, Les personnes, n° 162), pour en déduire qu'une
très longue résidence en France n'y avait pas fait acquérir un
domicile au de cujus. (Rappr. Cass. civ., 4 décembre 1935 :
« Paris est devenu le centre de ses intérêts et de ses occupa-
tionset. il y possède son principal établissement»). Dans
son arrêt du 13 mars 1933, la Chambre Civile de la Cour de
Cassation, ayant à décider si un sujet américain était domi-
cilié à Paris ou à Cannes fait jouer, comme allant de soi, les
solutions habituelles pour le changement de domicile d'un
Français et « à défaut de la double déclaration de l'article 104
du Code Civil », observe que les constatations souveraines des
juges du fait « font ressortir que Bradford est venu habiter
Cannes, avec l'intention de s'y fixer, qu'elles répondent au
vœu des articles 103 et 105. »
Des décisions de portée identique ont été d'ailleurs ren-
dues en matière. de domicile légal ou de dépendance. Le tribu-
nal de la Seine, le 27 avril 1933, très nettement, mais en voyant
là, à tort selon nous, une question de qualification, a décidé
que « le domicile légal d'une femme mariée » de nationalité
américaine « ne saurait être que celui de son mari », Polonais,
« aux termes de l'article 108, alinéa 1er, du Code Civil » et la
Cour de Cassation a, de façon un peu implicite, donné la même
solution dans son arrêt du 4 décembre 1935 (Aj. Paris, 22 octo-
bre 1931, Clunet, 1932, 927). Or, d'après la jurisprudence anté-
rieure, l'application de l'article 109, Code Civil, sur le domicile

un domicile légal en France ;


légal des domestiques, supposait « que le maître a lui-même
cette disposition ne saurait
donc s'appliquer au citoyen qui sert chez un étranger si celui-ci
n'a pas été, conformément à l'article 13, Code Civil, autorisé
par décret à fixer son domicile en France » (Req., 23 avril
1925, S. 1927, 1. 57, note Niboyet ; Darl'as, 1925, 453, V. Pla-
et
niol, Ripert Savatier, op. cit., n° 156) : la solution aurait dû
être logiquement étendue à l'article 108 et au domicile légal
de la femme mariée. On peut donc trouver dans les décisions
analysées une preuve, ou tout au moins une présomption, de
la reconnaissance à l'étranger ordinaire d'un véritable domi-
cile en France.
26. — Il faut, en second lieu, citer dans le même sens les
arrêts ou jugements qui ayant à déterminer la loi compétente
pour la succession mobilière d'un étranger établi en France
appliquent la loi française comme loi du domicile du de cujus.
Jusqu'en 1927, en effet, une jurisprudence unanime refusait de
faire jouer, en pareil cas, la loi française parce que celle-ci
»
était uniquement la loi du « domicile de fait et, avec des
motifs d'ailleurs divers, déclarait compétente la loi nationale
du de cujus (v. Planiol, Ripert, Maury et Vialleton, op. cit.,
t. IV, Les successions, n° 12). La cour de Besançon, le 10 avril
1933, la cour de Pau, le 19 mars 1934, le tribunal de lai
Seine, le 11 mai 1933, se prononcent maintenant en sens
contraire en spécifiant que le de cujus a eu, en France, après
la loi du 10 août 1927, un domicile de droit. Peu importe ici
que ce soit vers la compétence de la loi nationale (Cfr. Req.,
15 mars 1933, S. 1933, 1. 393, Niboyet, 1935, 409, note Battifol)
ou vers celle de la loi du domicile (v. les arrêts précités) que
doive s'orienter la jurisprudence en matière de successions
mobilières. Les solutions données en faveur de cette dernière
loi supposent — et le disent — la jouissance du droit au domi-
cile qu'on peut tenir maintenant pour certaine.
26 bis. — On eût pu en déduire que les étrangers domi-
ciliés en France jouiraient désormais du droit d'affouage que

1874, réservait aux étrangers admis à domicile :


l'article 105 du Code Forestier, modifié par la loi du 25 juin
la loi de 1874
avait eu pour but non pas de faire de l'affouage un droit civil,

cile dans l'article 105 du Code Forestier ;


mais de préciser le sens antérieurement discuté du mot domi-
or, il n'y a plus,
depuis la loi du 10 août 1927, qu'une même notion du domicile
civil pour les étrangers et les Français (v. Levasseur, Le domi-
cile en droit international privé, thèse, Paris, 1931, p. 346 et s.).

nonce en sens contraire :


Le Conseil d'Etat, par son arrêt du 20 janvier 1933, se pro-
le droit d'affouage ne peut plus
appartenir aux étrangers, puisqu'il n'yen a plus qui soient
admis à domicile, qu'en vertu d'un traité.
(Paris, 11décembre 1930, Preussische Staats Bank, Clunet,
1933, 82 ; Trib. Pau, 15 mars 1933, Dame de Mattos, Ni-
boyet, 1934, 106 ; D. H. 1933, 344 ; Trib. Belfort, 31 juillet
1933, Philippona, Niboyet, 1934, 487, Lapradelle, 1934, 84;
Paris, 13 décembre 1933, Chrysostomos, Clunet, 1934, 1207,
Lapradelle, 1936, 761 ; D. H. 1934, 91 ; Agen, 16 mars
1936, Tachinetti, Clunet, 1937, 86 ; Pau, 23 juillet 1934,
Orloff, Clunet, 1935, 347 ; S. 1934, 2. 218 ; Civ. cass., 24

1935, 70, Sre ;


octobre 1933, Bque Athènes, Niboyet, 1934, 484, Clunet,

;
Trib. comm. Dunkerque, 19 mars 1934,
Heslip, Clunet, 1935, 334 Seine, 16 juin 1936, Truyens,
Clunet, 1937, 279, Lapradelle, 1936, 761 ; Paris, 10 décem-
bre 1935, Universal Assurance Cy, Lapradelle, 1936, 99 ;
Paris, 23 mars 1936, Soc. Gamba, Clunet, 1937, 507 ; Paris,
20 juillet 1936, Banco de Seguros, Clunet, 1937,516 ; Seine,
1" décembre 1932, de Colloredo-Mansfeld, Clunet, 1933, 83,

boyet, 1936, 505 ;


Niboyet, 1935, 778 ; Seine, 31 octobre 1935, Venides, Ni-
Lyon, 26 mars 1934, Mascelli, Clunet,
1934, 1210 ; Seine, 27 avril 1933, Clunet, 1934,900, Niboyet,
1935, 759 ; Seine, 7 mars 1936, Tsiboulkine, Clunet, 1936,
864, Lapradelle, 1936, 106 ; Paris, 15 mai 1931, Aguirre,
Clunet, 1932, 713 ; Paris, 22 octobre 1931, Paulding, Clunet,
1932, 927 ; D. H., 1932, Sres, 18 ; Seine, 21 juillet 1932,
Clunet, 1933, 354 ; Trib. com. Seine, 21 janvier 1935, Dames
Rosenthal et Teitel, Clunet, 1935, 134, Niboyet, 1935, 491 ;
Civ. rej., 4 déc. 1935, Paulding,Çlunet, 1936, 882, Niboyet,
1937, 189, Lapradelle, 1936, 106, S. 1936, 1. 95 ; Paris, 21
mai 1935, Dame Hoffmann, Lapradelle, 1935, 322.)
27. — Le caractère de droit civil du droit d'ester en justice
continue d'être admis par les juridictions françaises, quelque
contestable qu'apparaisse une telle solution et quoiqu'elle soit
sans doute contraire au droit des gens positif qui impose aux
Etats, en matière de condition des étrangers, la consécration
des règles généralement admises, du droit commun interna-
tional (v. Verdross, Les règles internationales concernant le
traitement des étrangers, Recueil Cours Académie Droit Inter-
national, 1931, III, p. 327 et s., spécialement p. 382 et s.).
Lorsque le procès a lieu entre un étranger et un Français,,
arguant — d'ailleurs, à tort — des articles 14 et 15, Code Civil,
nos tribunaux se déclarent compétents à raison de la natio-
nalité française d'une partie. Si, par contre, le procès a lieu
entre deux étrangers, l'incompétence des tribunaux français
est la règle qu'on retrouve encore assez souvent affirmée dans
les décisions judiciaires (v., en particulier, trib. com. Seine,
15 novembre 1928, et Paris, 11 décembre 1930 ; Paris, 13 dé-
cembre 1933 ; Seine, 31 octobre 1935 ; Agen, 16 mars 1936.
Aj. trib. Pau, 15 mars 1933 et trib. Belfort, 31 juillet 1933).
28. — Mais cette règle comporte un grand nombre d'ex-
ceptions.
Dans certaines hypothèses, écartant le tribunal du domi-
cile du défendeur, la loi française attribue compétence à un
tribunal déterminé à raison de la nature de l'instance, d'un
élément de fait du conflit. La jurisprudence a transformé ces
règles de compétence relative en règles de compétence inter-
nationale et a déduit de celles-ci, par un raisonnement discu-
table, la solution d'un problème de condition des étrangers ;
elle a, en effet, admis que le tribunal ainsi désigné devait déci-
der même si le conflit existait entre deux étrangers. Il en est,
par exemple, ainsi (v. Pau, 23 juillet 1934) pour les contesta-
tions concernant les successions ouvertes sur le territoire fran-
çais : excepté s'il s'agit d'immeubles situés à l'étranger (v. Civ.
cass., 5juillet 1933, Niboyet, 1934, 166, note Niboyet ; S. 1934,
1. 337, note Niboyet ; D. 1933, 1. 133, note Silz), le tribunal
français du lieu d'ouverture de la succession est valablement
saisi (art. 59, al. 6, C. Proc. Civ. ; art. 822, C. Civ.). Il en est
ainsi en matière commerciale quand un tribunal français est
compétent en vertu de l'article 420, alinéa 2 ou alinéa 3, C.
Proc. Civ. (v. Civ. cass., 24 octobre 1933). Il en est ainsi quand
la décision à intervenir doit nécessairement produire ses effets

:
en France, en particulier quand il s'agit d'une saisie-arrêt
réalisée sur le territoire français c'est la solution que donne
la cour de Paris, le 13 décembre 1933, confirmant celle du
tribunal de la Seine du 30 octobre 1930 (Clunet, 1931, 650) ;
les deux juridictions se refusent d'ailleurs à connaître du
fond du droit, de l'existence et du montant de la créance,
« s'agissant d'une contestation entre étrangers, née d'un con-
trat passé à l'étranger, alors surtout qu'une juridiction étran-
»
gère avait été saisie de ce différend ; elles surseoient, jusqu'à
la décision de celle-ci, à statuer sur la validité des saisies-
arrêts (cfr. les critiques de M. Perroud, Clunet, 1931, 652). La
compétence des juridictions françaises peut encore être fondée
sur la présence d'un Français au procès (ou sur celle d'un
étranger ayant la jouissance du droit d'ester en justice). Si,
par exemple, le demandeur étranger a en face de lui deux
défendeurs, l'un Français, l'autre étranger, l'article 59, deuxiè-
me alinéa, Code de Procédure Civile, donnera au tribunal, saisi
;
de l'action contre le Français, le droit de statuer sur le litige
entre les deux étrangers mais il faut que les deux actions
ainsi liées présentent une connexité suffisante, qu'elles ne
soient pas tout à fait indépendantes l'une de l'autre (v. admet-
tant l'existence d'une telle connexité, Paris, 20 juillet 1936, la
déniant, Paris, 10 décembre 1935, Paris, 23 mars 1936). La
même raison de compétence peut enfin être invoquée, depuis
la loi du 26 novembre 1923 (art. 2, C. Proc. Civ.), quand un
délit ou un quasi-délit a été commis en France et que la victime
agit en réparation du dommage (v. trib. com. DunHerque,
19 mars 1934 ; trib. Seine, 16 juin 1936).
Dans ce cas d'ailleurs, avant la loi sus indiquée, les tribu-
naux français admettaient déjà qu'ils étaient compétents, les
faits de la cause intéressant l'ordre public français * on
retrouve trace de cette argumentation dans le jugement du
tribunal de la Seine.
29. — Les indications — d'ailleurs incomplètes — du pré-
cédent numéro montrent que les cas sont nombreux où, malgré
»
le caractère « civil du droit d'ester en justice, les tribunaux
français se considèrent comme obligatoirement compétents
pour les litiges entre étrangers. Il n'en reste pas moins qu'il y a
:
des contestations pour lesquelles cette compétence obligatoire
n'existe pas ce sont, en particulier, — mais non pas exclu-
sivement — les conflits en matière de questions d'état :
demandes en nullité de mariage, demande en divorce ou en
séparation de corps, par exemple. Le tribunal de la Seine,
dans son jugement du 1er décembre 1932, a essayé de restrein-
:
dre, même en pareille matière, l'incompétence des juridictions
françaises leprince de Colloredo-Mansfeld voulant interdire
à son ancienne femme, après divorce, de continuer à porter
son nom, le tribunal a vu, dans ce problème du nom, un effet
non du divorce, prononcé en Tchéco-Slovaquie, mais du
mariage, célébré en France et en a conclu « qu'un acte de l'état
.,civil reçu en France étant en question, des étrangers peuvent
s'adresser aux tribunaux de ce pays pour en faire déterminer
la portée et les effets ». Une telle solution est presque certai-
nement inexacte (v. cependant les conclusions de M. Picard,
Clunet, 1933, p. 89-90) : on ne voit pas pourquoi la simple
intervention au mariage de l'officier de l'état civil français,
même représentant l'Etat, suffirait pour donner à celui-ci,
donc à ses juges, un droit de regard « sur les litiges qui vien-
dront par la suite mettre en question ce qui a été », dit-on
— mais à tort, — « décidé dans cet acte» et il est, de plus, fort
douteux que le droit au nom de la femme divorcée soit un effet
du mariage plutôt que du divorce. L'incompétence subsiste,
en principe, pour les actions d'état, même lorsque le mariage
a été célébré en France.
30. — Seulement cette incompétence, toutes les fois qu'elle
existe, présente un caractère qui, dans la pratique, en atténue
l'application ; elle subit, en outre, une limitation importante.
« L'incompétence résultant de l'article 11. est relative»
rappelle le tribunal de la Seine, le 31 octobre 1935, et la cour
de Paris avait dit, le 13 décembre 1933 : « .si les tribunaux.
français peuvent statuer dans certains cas sur les contestations-
nées entre étrangers à l'occasion de contrats passés à l'étran-
ger, cette compétence est purement facultative, aussi bien à
l'égard des parties qui peuvent l'exclure, qu'à l'égard des juges-
qui, même en l'absence de déclinatoire, peuvent refuser de
connaître du procès ». Les parties peuvent donc, expressément

;
ou tacitement, renoncer à se prévaloir de l'incompétence des
tribunaux français résultant de leur extranéité elles doivent,
dès lors, sous peine d'irrecevabilité, l'invoquer in limine litis
(v. Seine, 1" décembre 1932, Lyon, 26 mars 1934) et on admet
actuellement, de façon très générale, que, dans un procès en
divorce, elles doivent le faire « à l'audience de conciliation
devant le président du tribunal civil, qui doit statuer sur cette
exception » (tr. Seine, 7 mars 1936. V. également tr. Seine,

:
27 avril 1933). Même si les parties consentent à comparaître,
les tribunaux peuvent, d'office, se refuser à juger «
tribunal ne saurait être tenu de statuer en matière personnelle
ce
et mobilière sur un différend existant entre deux étrangers
non admis à domicile, même si l'exception d'extranéité n'est
pas soulevée par le défendeur, libre de juger, comme en
l'espèce, son intervention inopportune» (trib. com. Seine, 15
novembre 1928, confirmé par la cour de Paris, le 11 décembre
1930. Aj. motifs, Seine, 31 octobre 1935).
La nécessité d'éviter un déni de justice exclut d'ailleurs

:
l'incompétence que fonderait la qualité d'étrangers des parties
au procès « les étrangers établis en France sont, quelle que
soit leur nationalité, justiciables des tribunaux français, lors-
qu'il est reconnu qu'aucun tribunal de leur pays d'origine ne
peut être saisi de leur contestation parce qu'ils n'y ont pas de
»
domicile certain (Paris, 22 octobre 1931. V. également, Paris, -
22 mai 1931, Seine, 21 juillet 1932 et 27 avril 1933 ; trib. com.
Seine, 21 janv. 1935). Faute d'un autre tribunal étranger
capable de trancher le litige, le domicile en France, le simple
domicile de fait avant la loi du 10 août1927 (supra, nO" 24 et
s.), rend la compétence du tribunal français obligatoire pour
les parties et peut-être, quoique ceci soit moins sûr, pour les
tribunaux. (En fait, en pareil cas, ceux-ci se déclarent toujours
compétents.) Le système jurisprudentiel se rapproche ainsi
de plus en plus du système contraire qui admet la compétence
dés juridictions françaises toutes les fois que, d'après les règles
normales de compétence, un tribunal français pourrait être
saisi de l'affaire si celle-ci existait entre deux Français. Une
différence subsiste encore, et qui compte : le tribunal français
ne statue — même lorsqu'il devrait le faire pour un procès

;
entre deux Français — que s'il n'y a pas de tribunal étranger
qui puisse résoudre le litige il a donc à se préoccuper des
règles étrangères de compétence ; sa propre compétence basée
sur l'idée de déni de justice est subsidiaire.
31. — Les solutions jurisprudentielles, qu'on vient de
rappeler en analysant la jurisprudence récente, démontrent
quelque incohérence. Partis de l'idée fausse que le droit d'ester
en justice était un droit civil, les tribunaux ont, des règles de
compétence interne transformées en règles de compétence
internationale, déduit une sorte de concession implicite au
profit de l'étranger de la jouissance de ce droit dans le domaine
de ces règles. La déduction est inexacte car il y a des étrangers
qui ont incontestablement l'accès aux tribunaux français, soit
que celui-ci leur soit directement accordé par un traité, soit
qu'ils puissent se prévaloir à ce sujet de la réciprocité diplo-

:
matique, soit qu'avant la loi du 10 août 1927 ils aient été admis
à domicile la réglementation de l'exercice du droit d'ester en
justice, même supposée applicable aux étrangers, ne saurait
donc en valoir nécessairement concession aux étrangers ordi-
naires. Il n'y a eu là qu'un procédé, de valeur théorique médio-
cre ou nulle, en vue d'un résultat pratique équitable.
Mais le jeu de ce procédé — qui logiquement eût dû
emporter la règle — a été limité par les solutions admises en
matière de domicile des étrangers en France (v. supra, n° 24),.

été la règle de compétence interne de droit commun :


Quand, en effet, la règle de compétence internationale aurait
actor
sequitur forum rei, cette règle apparaissait inapplicable aux
contestations entre étrangers dont aucun ne pouvait avoir, en
France, un véritable domicile et qui avaient normalement leur
domicile en pays étranger. L'incapacité de jouissance pouvait
et devait alors sortir ses effets, aucune règle de compétence ne
venant, fût-ce artificiellement, l'écarter.
Il semble, dès lors, que le changement de jurisprudence
sur la question du domicile (supra, n°. 25 et s.) doive avoir pour
conséquence un changement correspondant sur celle du droit

:
d'ester en justice. Dans son jugement du 1er décembre 1932, le
tribunal de la Seine a dit déjà « le tribunal de Prague, devant
»
lequel elle (la défenderesse) « demande à être renvoyée, ne
serait pas compétent pour statuer, en vertu du principe général
actor sequitur forum rei. » ; « si cette juridiction le faisait
:
cependant, sa décision, rendue en violation de l'article 59 de

d'exécution en France où demeurent les deux parties .en


conséquence les juges français peuvent seuls connaître du
;
notre Code de procédure civile, ne serait point susceptible

procès qui leur est soumis. » (V. dans le même sens les conclu-
sions de M. Picard, Clunet, 1933, p. 93-94.) Il y a, dans un tel

:
raisonnement, une confusion du problème de la condition des
étrangers et de celui du conflit de juridictions si les tribunaux
français sont incompétents parce qu'il s'agit d'étrangers, ils

:
doivent accepter la compétence des juridictions étrangères,
même si n'est pas observée la règle actor sequitur forum rei,
et quoique cela revienne peut-être à admettre une règle spéciale
de compétence internationale pour les procès entre étrangers.
Mais cette confusion est sur la ligne de la jurisprudence telle
que nous l'avons comprise, elle n'en est qu'un développement
logique. De façon un peu implicite, par un détour, en quelque
sorte, le jugement cité affirme que le domicile en France de
l'étranger suffit pour attribuer juridiction aux tribunaux fran-
çais. C'est ce que décident simplement, directement, et l'arrêt
de la cour de Paris du 21 mai 1935, et celui de la Chambre
civile de la Cour de Cassation, du 4 décembre 1935. Si cette
solution se généralise, comme il est probable, l'incapacité de
jouissance des étrangers quant au droit d'ester en justice aura
disparu du droit positif français.
(Seine, 28 mars 1933, Ass., Clunet, 1933, 945 ; Seine, 27 décem-
bre 1933, République de Chine, Clunet, 1934, 615, Niboyet,
1934, 901 ; Seine, 17 avril 1934, Société Van Emden Gold
Mines, Niboyet, 1934, 729 ; Seine, 12 novembre 1931, Clunet,
1932, 428 ; Paris, 8 juin 1935, d'Oldenbourg, Clunet, 1936,
920 ; Req., 20 janvier 1936, Ch. de fer, Porto-Rico, Clunet,
1937, 81, Niboyet, 1936, 683, Lapradelle, 1936, 292, S. 1936,
1. 127 ; Conseil préfecture Seine, Alfasloza, 13 mai 1932,
Clunet, 1933,632 ; Seine, 16 janvier 1934, Société Henry,
Niboyet, 1935, 112, Lapradelle, 1934, 603, Clunet, 1934,
1177, Sre ; Cass. crim., 28 novembre 1931, Gougis, Clunet,
1932, 924, Darras, 1932, 115, S. 1933, 1. 75 ; Cass. crim.,
24 mars 1933, Hamon, Darras, 1933, 492 ; Trib. corr. Seine,
24 décembre 1935, Kruska, Lapradelle, 1936, 771, Clunet,

809 ; Niboyet, 1937, 668 ; Lapradelle, 1937, 334 ;


1937, 80, Sre ; Paris, 25 mars 1937, Ivanoff, Clunet, 1937,
D. H.,

Société Lackwerke, Clunet, 1937, 275 ;


1937, 256 ; Trib. comm. Marseille, 16 novembre 1934,
Seine, 22 avril
1932, Wolsfeld et Melgounoff, Clunet, 1933, 78 ; Seine,
18 avril 1934, Clunet, 1934, 617, Niboyet, 1934, 728,
et Paris, 3 janvier 1936, Bauer, Marchai et Cie, Clunet,
1936, 588, Niboyet, 1936, 680, note Morel ; D. H. 1936, 103 ;
Trib. com. Marseille, 22 janvier 1931, Rinck, Clunet, 1933,
77 ; Besançon, 13 janvier 1933, Longmore Bros, Clunet,
1934, 87, Sre ; Trib. com. Marseille, 23 juin 1931, Reynald,
Clunet, 1934, 339 ; Seine, 22 janvier 1933, Clunet, 1934,
383 ; Colmar, 9 novembre 1935, Midewood, Clunet, 1936,
362, Lapradelle, 1935, 522, Niboyet, 1937, 85 ; Paris, 4 mai
1936, Boutet, Clunet, 1936, 857, Niboyet, 1937, 85, Lapra-

1937, 98; D. H. 1936, 246 ;


delle, 1936, 293 ; Seine, 27 février 1936, Gautier, Niboyet,
Trib. com. Saint-Etienne,
17 janvier 1936, Bertacio, Niboyet, 1937, 95, Lapradelle,
1936,305, S. 1937,2.121, note Ch. Rousseau).

32. — De nombreuses décisions jurisprudentielles ont pour


objet de préciser, quant aux personnes et quant à la matière,
les conditions dans lesquelles est due la cautio judicatum solvi.
Celle-ci ne peut d'abord être exigée que d'un étranger. Le
tribunal de la Seine, dans l'affaire Ass, a donné une solution
à peu près évidente en déclarant te qu'il faut entendre par
étranger le non-national et que quiconque n'est pas Français »,
donc un apatride, « doit être considéré », au sens de l'article 16,
Code Civil, « comme étranger ». La décision du 27 décembre
1933, quoique conforme à celle de quelques jugementsanté-
rieurs, est moins sûre : elle impose à un Etat étranger, la
République de Chine, de fournir caution, parce que « deman-
deresse principale au procès dont s'agit. elle a renoncé à toutes
les prérogatives que lui confère sa qualité d'Etat souverain,
en ce qui concerne l'instance en cours
peuvent, par contre, demander la caution
».
: Seuls, les Français
le tribunal de la
Seine, le 17 avril 1934, quallifie le droit d'exiger celle-ci de
« privilège de »
nationalité ; le jugement du 12 novembre 1931
n'y voit qu'un droit civil dont l'admission à domicile pouvait
donner la jouissance aux étrangers. (V. encore Seine, 20 mai
1936, Clunet, 1937, 515). L'acquisition de la nationalité fran-
çaise pendant l'instance, fût-ce pendant l'instance d'appel,
donne au défendeur le bénéfice de l'institution (Paris, 8 juin
1935) et la réciproque est naturellement vraie.
L'étranger, partie au procès, ne doit d'ailleurs fournir cau-
tion que s'il est demandeur : la difficulté consiste parfois à
savoir s'il peut être tenu pour tel. Dans son arrêt du 20 janvier
1936, la Chambre des Requêtes de la Cour de Cassation décide

de en garantie doit la caution ;


que le défendeur à une action principale qui forme une deman-
sans doute, l'appel en garantie
est, pour lui, un moyen de défense « mais, au regard de
l'appelé., l'action, dans les conditions où elle était exercée,
avait le caractère d'une demande principale » et l'article 166,
Code procédure civile, était applicable. Par contre, l'oppo-
sant à une saisie-gagerie, doit être considéré comme un défen-
deur (Agen, 3 juin 1935) et il en est de même, d'après le
tribunal de la Seine (27 février 1936), de celui qui demande
l'exequatur d'une telle sentence. Le jugement du tribunal de

:
la Seine, en date du 5 février 1935, a trait à la situation de

;
l'étranger en appel en l'espèce, demandeur en première ins-
tance, un Américain était intimé en appel « il ne fait plus que
se défendre devant la prétention de son adversaire de faire
réformer la décision des premiers juges et n'est plus un deman-
deur dans le sens usuel et pratique de ce mot », il ne doit donc
pas fournir caution. La solution semble exacte et conforme
à la jurisprudence actuellement dominante de la cour de Paris
qui admet, de plus en plus souvent, l'indépendance des deux

:
instances au point de vue qui nous occupe. Mais le tribunal
ajoute
en cause
« le Français
d'appel la
ne
cautio
peut demander
judicatum
pour
solvi que
la première
s'il a été
fois
défen-
deur en première instance et est intimé devant la juridiction
du second degré », liant, au contraire, les deux instances lors-
que le Français a pris l'initiative du procès. Il y a là une con-
tradiction qu'on retrouve d'ailleurs dans un assez grand
nombre de décisions (v. Philonenko, La caution judicaturri
solvi en droit français moderne, Clunet, 1929, p. 609, 896, spé-
cialement, p. 911 et s.).

33. — La caution judicatum solvi est due en toutes ma-


tières, devant toutes juridictions. Le Conseil de Préfecture de
la Seine, le 13 mai 1932, en en dispensant un sujet espagnol
par application de la Convention de La Haye du 17 juillet 1905,
article 17, admet qu'elle doit être fournie devant les conseils
de préfecture, les tribunaux administratifs. Elle doit l'être éga-
lement en matière prud'homale, d'après le jugement du tri-
bunal de la Seine du 16 janvier 1934. Elle doit l'être devant
les tribunaux répressifs par l'étranger, partie civile (v. Cass.
crim., 28 novembre 1931. Aj. Trib. corr. Seine, 25 juillet 1936,
Clunet, 1937,514 ; D. H. 1936,519) sans qu'il y ait à distin-
guer « entre le cas où l'action en réparation du dommage causé
par un délit est exercée devant les tribunaux de répression par
voie de plainte, de citation directe, et celui où elle est exercée
par voie d'intervention, puisque la partie, quelque marche
qu'elle ait suivie, peut être tenue envers le prévenu ou l'accusé
acquitté de dommages-intérêts, si son action est jugée calom-
nieuse ou téméraire» (Cass. crim., 24mars 1933).

34. — Ce même arrêt de la Chambre criminelle proclame


d'ailleurs que le juge n'a aucun pouvoir d'appréciation discré-
tionnaire en matière de caution judicatum solvi et que, les
conditions légales remplies, il a l'obligation d'ordonner que
cette caution soit fournie.
Le moment auquel on doit se placer pour juger si la
caution est due ou non, serait, semble-t-il, d'après le tribunal
de commerce de Marseille (Société Lackwerke) celui de l'assi-
gnation ; le tribunal correctionnel de la Seine (Kruska) décide,
avec plus de raison, que
sions relatives à la caution :
c'est celui
«
du
.le
dépôt
droit
même
de
des
réclamer
demandeur étranger la caution « judicatum solvi » est une
conclu-
à un
;;
faveur accordée par la loi au défendeur dans son intérêt privé-
exclusif
renoncer
.il lui est loisible de faire valoir ce droit ou d'y
.ce n'est que lors du dépôt de leurs conclusions sur
le bureau du tribunal que les défendeurs au principal ont
manifesté leur volonté de se prévaloir de ce droit et. c'est à
cette date seulement qu'il y alieu de se placer pour apprécier
le bien-fondé de l'exception invoquée », pour savoir si le deman-
deur n'en est pas dispensé par traité. La cour de Paris, le 25.
mars 1937, applique une règle voisine à l'hypothèse inverse et
refuse le droit d'opposer l'exception de caution à un étranger

::
se prévalant d'une convention (infra, n° 36) entrée en vigueur
après le dépôt des conclusions au fond invoquant l'article 166,
Code Procédure Civile, la Cour déclare « Dès que des
conclusions ont été échangées sur ce terrain, aucune entrave
ne saurait, du fait de la dite exception, êtreapportée désormais

;
à l'exercice du droit du demandeur ou de l'appelant de pour-
suivre l'instance dont il a eu l'initiative une situation de droit
acquise existe à son profit, conforme à la législation existant
lorsqu'elle a été réalisée et qui a seule compétence pour le régir
en l'absence de toute disposition expresse rétroactive de la
nouvelle législation ».
35. — La caution doit être demandée sous forme d'excep-
tion ; elle doit l'être in limine litis et même, d'après l'arti-
cle 166, Code Procédure civile, « avant toute exception »
(aj. art. 173 et 192 C. Proc. civ., modifiés par D.-L. du 30 octo-
bre 1935). L'exception de caution n'est donc plus recevable si
le défendeur a précédemment conclu au fond (Seine, 22 avril
1932). Dans son jugement du 18 avril 1934, confirmé par la
:
cour de Paris le 3 janvier 1936, le tribunal de la Seine a
appliqué cette règle de façon très rigoureuse Bauer, Marchai
et Cie qui avaient fait sommation à leur adversaire, le Conseil
de la Dette publique ottomane, d'avoir à justifier de sa qualité

satisfait à cette sommation ;


pour ester en justice et de sa nationalité, avaient conclu à ce
que toute audience lui soit refusée jusqu'à ce qu'il ait été
de telles conclusions, d'ailleurs
accompagnées de réserves quant à la faculté d'opposer l'excep-

;
tion de caution, sont considérées comme rendant cette dernière
désormais impossible ces conclusions visent, en effet, à obte-
nir des justifications non seulement sur la nationalité du
Conseil, ce qui est un renseignement indispensable pour appré-
cier si la caution est due ou non, mais encore sur la qualité
du Conseil pour ester en justice, ce qui constitue « le préli-
»
minaire d'une défense au fond et est « sans aucune relation
avec l'exception de caution judicatum solvi ». La solution est
bien formaliste et peut-être inexacte car, comme le fait obser-
ver la note au Clunet (1934, 617), la question de la personnalité
juridique du Conseil était préalable à celle de sa nationalité.
La cour de Paris invoque, en outre, le décret-loi du 30 octobre
1935 rétroactivement applicable comme loi de procédure :
mais la rétroactivité d'une telle loi ne saurait toucher aux actes
antérieurement accomplis, le décret-loi décide lui-même (art.
10) qu'il entrera en vigueur le 1er décembre 1935 « et s'appli-
quera à tous les procès qui seront intentés depuis cette
époque », il n'ajoute rien enfin sur le point précis en question
aux solutions jurisprudentielles antérieures (v. la note Morel,
Niboyet, 1936, 680).

36. — La dispense de caution peut résulter d'un traité et


est spécifiée, en particulier, dans l'article 17 de la Convention
de La Haye du 17 juillet 1905 relative à la procédure civile. De
nombreuses contestations se sont élevées sur l'existence et la
signification de conventions internationales quant à la caution
judicatum solvi.
Cette caution a été imposée aux Américains malgré la
convention consulaire du 23 février 1853 qui n'est d'ailleurs
pas mentionnée dans l'arrêt (Req., 20 janvier 1936), aux
Anglais malgré le traité du 28 février 1882 (trib. com. Mar-
seille, 23 juillet 1931, Besançon, 13 janvier 1933. La convention
entre la France et la Grande-Bretagne du 15 avril 1936 relative

:
à la caution judicatum solvi et à l'assistance judiciaire n'est
pas encore ratifiée v. Niboyet, 1937, 253, Lapradelle, 1937,.
447) ; elle l'a même été aux Autrichiens (trib. com. Marseille*
22 janvier 1931) mais par ignorance des conventions du 4 mars
1925 et 16 mai 1928 (Niboyet et Goulé, Recueil des textes, I,
p. 368, II, p. 621. V. Req., 5 février 1936, Clunet, 1937, 82,
Sre). En ont été dispensés, par contre, les Espagnols par
application du traité du 7 janvier 1862 (Agen, 3 juin 1935),
ou de la convention de La Haye du 17 juillet 1905 (Agen,
3 juin 1935, Cons. préfect. Seine, 13 mai 1932), les Hongrois,
en vertu de la convention du 7 avril 1933 (trib. corr. Seine,
24 décembre 1935), les Allemands, par le jeu de la convention
du 17 août 1927 et, peut-être à tort, malgré la dénonciation de
cette convention, — considérée comme demeurée sans effet —
le 19 janvier 1934 (trib. com. Marseille, 16 novembre 1934.
V. add. à art. 1, Conv. commerce, navigation, établissement du
28 juillet 1934, D. 29 juillet, Niboyet, 1935,195).
Pour certains de ces traités, la question s'est posée de
savoir si les tribunaux, dans l'application qu'ils en faisaient
à la question de la caution judicatum solvi, ne devaient pas
tenir compte de l'interprétation gouvernementale qui en avait
été donnée au sujet des lois sur les loyers et la propriété com-
merciale (v. Maury, Règles générales des conflits de lois, n° 109,
Recueil des Cours de l'Académie de droit international, 1936,
t. III, p. 445 et s.). La cour de Besançon, le 13 janvier 1933,
a écarté l'interprétation de la convention franco-anglaise du
28 février 1882 par le Ministère des Affaires Etrangères (1929)
parce qu'il s'y agissait uniquement et exclusivement de régler
les rapports en Angleterre eten France entrebailleurs et loca-
taires (cfr. Req., 20 janvier 1936 et la note dans la Revue
Niboyet. Rapp. pour la Convention franco-américaine du
23 février 1853, Paris, 2 mars 1937, Niboyet, 1937, 671).
La cour d'appel de Colmar, le 9 novembre 1935, celle
de Paris, le 4 mai 1936, le tribunal de la Seine, le 27 février
1936, ont jugé que l'interprétation bilatérale de la même con-
vention, promulguée par décret du 16 juin 1933, avait une

:
portée générale et en ont déduit, pour les Anglais,la dispense
de caution l'exposé des motifs du projet de loi portant appro-
bation de la convention franco-anglaise du 15 avril 1936
considère cette solution comme constante (v. Lapradelle, 1937,
448).
Quant à l'arrangement de Genève du 30 juin 1928 relatif

:au statut des réfugiés, il suffit de renvoyer ce qui en a déjà
été dit, suprau n° 11 : il ne dispense pas de la caution judica-
tum solvi. Mais l'article 6 de la convention du 28 octobre1933
exempte fortmellement les réfugiés de cette caution et la cour
d'appel de Paris a même admis, dans son arrêt du 25 mars
1937 — sans doute, à tort, d'ailleurs — que cet article donnant
aux réfugiés, au point de vue du libre et facile accès en justice,
les « mêmes droits et privilèges que les nationaux », les réfu-
giés peuvent désormais exiger la caution judicatum solvi des
étrangers qui les actionnent.
On doit enfin mentionner ici le jugement du tribunal de
commerce de Saint-Etienne, en date du 17 janvier 1936 ; consi-
dérant uniquement la convention de La Haye du 17 juillet 1905
et paraissant ignorer le traité franco-italien du 3 juin 1930,
cette décision a obligé un Italien à fournir caution parce que,
en droit, « dans tout traité international, la condition résolu-
toire est toujours sous-entendue pour le cas où les conditions
essentielles du traité ne pourraient plus être exécutées par
»
l'une des parties contractantes et parce que, en fait, à raison
des sanctions édictées par la Société des Nations contre l'Italie,
celle-ci avait interdit l'exportation des capitaux, rendant im-
possible, pour un Français, la récupération des sommes qui lui
seraient dues par un Italien. Même en admettant cette impos-
sibilité, il n'appartient certainement pas aux tribunaux de se

:
préoccuper de l'observation, par les Etats-étrangers cocontrac-
tants, des traités qu'ils appliquent c'est là affaire gouverne-
mentale. C'est ce qu'a très justement décidé, le 4 mai 1936, la
cour de Paris à qui l'on demandait d'examiner si la Grande-
Bretagne se conformait ou non aux accords d'interprétation du
traité de 1882. (Rappr. Trib. fédéral suisse, 8 novembre 1935,
-Clunet, 1936, 70 ; Rechtbank de Ruremond, 23 novembre 1933,
Niboyet, 1935, 737.)

\(Req., 21 mars 1933, Krichel, Niboyet, 1934, 100 ; D. H. 1933,


266 ; Req., 21 octobre 1936, Fabre, Lapradelle, 1936, 759 ;
Dijon, 10 juin 1932, Loos, Clunet, 1933, 361 ; Req., 8 février
1932, supra, n° 20 ; Comm. sup. Cass. loyers, 6 avril 1933,
Epoux Anspach, Clunet, 1934, 899, Niboyet, 1934, 108 ; D.
H. 1933, 336 ; Civ. rej., 22 décembre 1931, 24 février 1932,
30 juin 1932, supra, n° 20 ; Comm. sup. Cass. loyers, 1" dé-
èembre 1932, Schreiber, Darras, 1933, 126 ; D. H. 1933, 7 ;
Trib. Le Havre, 24 mars 1933, supra, n° 20 ; Seine, 4 mars
1932, Cristalleries Val Saint-Lambert, Clunet, 1933, 127 ;
Comm. sup. Cass. loyers, 3 et 30 mars 1933, Limet-Wilms,
Marchesi, Lapradelle, 1936, 284 ; D. H. 1933, 255, 286 ;
Comm. sup. Cass. loyers, 30 juillet 1933, Epoux de Razilly,
Niboyet, 1934, 415 ; Cass. civ., 4 février 1936, Zumkeller,
Clunet, 1937, 117 ; Niboyet, 1936, 457, Lapradelle, 1936,
284, S. 1936, 1. 257, note Raynaud ; D. H., 1936, 145).

37. — Les dispositions des lois du 1" avril 1926 sur les
loyers et du 30 juin 1926 sur la propriété commerciale qui ont
pour objet de préciser la condition juridique des étrangers ont
déjà été indiquées (supra, n° 20). On sait que les étrangers ne
jouissent des droits créés par ces lois que s'ils rentrent dans
certaines catégories, remplissent certaines conditions, et la
Cour de Cassation a décidé, conformément au texte même de
l'article 19 de la loi du 30 juin 1926, qu'il ne suffisait pas
d'avoir servi pendant la guerre dans les armées alliées, qu'il
fallait y avoir combattu pour pouvoir bénéficier de cette loi
(Req., 21 mars 1933). La qualité de Français est, en principe,
nécessaire. Mais on ne peut reprocher à un arrêt d'avoir
reconnu le droit de reprise au propriétaire d'un immeuble loué
commercialement sans préciser qu'il était de nationalité fran-
çaise car l'article 19 de la loi du 30 juin 1926 « n'a pu avoir
pour effet d'exiger des citoyens français, en l'absence de toute
contestation sur leur nationalité, une justification de leur droit
à se prévaloir d'une disposition de la législation française »
(Req., 21 octobre 1936). Le fait que le preneur, étranger
n'ayant pas droit à la propriété commerciale, a cédé son fond
et son bail à un Français, ne fait pas obstacle à ce que celui-ci
utilise la loi du 30 juin 1926 lorsque la vente est réelle et
que rien ne permet de déceler une fraude (Dijon, 10 juin 1932).
Que faut-il décider quand, le bien loué étant indivis, un des
copropriétaires est étranger? La Chambre des Requêtes a
admis, le 8 février 1932, que, les trois communistes poursui-
vant « un but commun et indivisible », « le propriétaire était
fondé à opposer la fin de non-recevoir que la loi lui réservait
oontre l'un des communistes » ; au contraire, la Commission
supérieure de Cassation des loyers, le 6 avril 1933, a décidé que
« la dame Anspach trouvait, dans sa qualité même de proprié-
taire de nationalité française, le droit de reprendre l'immeuble
du moment qu'elle agissait avec le consentement de son copro-
priétaire, même si celui-ci était de nationalité étrangère ». La

:
question est délicate, mais il semble que la deuxième solution
soit préférable la loi du 30 juin 1926, article 19, n'exige pas,
de façon formelle, que tous les locateurs ou bailleurs soient de
nationalité française et il est difficile d'enlever ses droits à un
Français parce qu'un étranger pourra peut-être bénéficier seul
finalement de leur exercice (v. note J. P. N., Revue: Niboyet,
p.108-109).
38. — L'application de la législation spéciale dont il est ici
question a surtout soulevé des difficultés lorsqu'il s'est agi de
savoir si, et dans quelle mesure, l'incapacité de jouissance des
étrangers était supprimée par des traités.
L'interprétation purement judiciaire des conventions
internationales a été, de façon très générale, défavorable aux
étrangers. On a déjà dit (supl'a, n° 21) que les traités d'établis-
sement ont été considérés comme laissant subsister la condi-
tion générale (art. 11, C. civ.) de réciprocité effective, laquelle
n'était à peu près jamais réalisée. Quant aux clauses de cer-
tains traités concédant directement certains droits aux natio-

:
naux de l'Etat cocontractant, elles ont été comprises de façon
restrictive par exemple, l'article 1 de la convention franco-
espagnole du 7 janvier 1862 stipulant que « les sujets des deux
pays pourront. acquérir et posséder toutes espèces de biens
meubles ou immeubles, exercer toute espèce d'industrie, faire
le commerce tant en gros qu'en détail, louer les maisons, bou-
tiques et magasins qui leur seront nécessaires. en observant,
dans tous les cas, les conditions établies par les lois et règle-
ments en vigueur pour les nationaux », la Cour de Cassation
a décidé que « cette disposition. implique. non que les res-
sortissants de chaque pays contractant jouiront, sur le terri-
toire de l'autre, de tous les droits dont jouissent les nationaux,
mais simplement que les aptitudes qui leur sont reconnues,
et qui ne relèvent que du droit des gens, seront, sous la réserve
exprimée, exercées par les Espagnols en France dans les
mêmes conditions que par les Français en Espagne »
rej., 22 décembre 1931 et 24 février 1932. Rappr., pour la
(v. Civ.

convention franco-chilienne du 16 septembre 1846, Comm. sup.


Cass. loyers, lor décembre 1932). L'arrêt de la Chambre civile
du 30 juin 1932 refuse même, dans ses motifs, aux Danois, le
droit de propriété commerciale malgré l'article premier de la
convention du 9 février 1910 : « les sujets Danois en France.
pour ce qui regarde l'exercice des droits civils ainsi que pour
l'exercice des professions industrielles ou commerciales
jouiront des mêmes droits, privilèges, libertés, faveurs, im-
munités et exemptions qui sont ou seront accordés aux
nationaux » ; « si les termes de cette disposition..,. », dit la
Cour suprême, « impliquent que les Danois établis en France
y jouiront, pour l'exercice du commerce, de l'industrie et des
métiers, de tous les droits reconnus aux Français, ce ne
peut être cependant, en ce qui concerne les droits résultant
d'une disposition de la loi positive, que sous la réserve que la
loi qui les crée n'en aura pas, pour les étrangers, subordonné la
; jouissance à la condition généralement posée par l'article 11,
Code Civil., qu'il existe dans leur pays un droit correspondant,
dont puissent, par réciprocité, bénéficier les Français ». Pour
les traités enfin contenant la clause de la nation la plus
favorisée, sur la portée et l'effet de laquelle les tribunaux ont
l'obligation de statuer (v. Comm. sup. Cass. loyers, 2, 30 mars
et 30 juillet 1933), ou bien ils ont été écartés par une
interprétation restrictive de cette clause (v. pour la
convention franco-suisse du 16 mai 1882, tr. Le Hâvre, 24
mars 1933, pour la convention franco-belge du 6 octobre 1927,
Req., 8 février 1932 et rappr., pour la convention franco-
britannique du 28 février 1882, Besançon, 13 janvier 1933), ou
bien ils ont été déclarés inefficaces à raison de l'inexistence

;
d'un traité concédant sans condition aux étrangers les droits
invoqués « il n'existe », dit le tribunal de la Seine, le 4 mars
1932, « aucun traité ratifié dans lesformes légales faisant
bénéficier les ressortissants d'un Etat quelconque des dispo-
sitions de la loi du 30 juin 1926 ou assimilant l'étranger aux
Français en ce qui concerne la jouissance des droits civils»
(v. aussi, Civ. rej., 30 juin 1932). Si l'arrêt de la Commission
supérieure de Cassation des loyers du 30 juillet 1933, admet
que la convention franco-belge du 6 octobre 1927 peut
s'appliquer en matière de législation sur les loyers (v. aussi,
pour le modus vivendi franco-italien du 3 décembre 1927,
Comm. sup. Cass. loyers, 30 mars 1933), ces décisions se
placent à une époque où l'interprétation gouvernementale
avait fait sentir son influence.
On ne traitera pas ici de la valeur de cette interprétation
pour les tribunaux (v. Maury, Règles générales des conflits de
lois, n° 109, Recueil Cours Académie Droit International, 1936,
t III, p. 445) : c'est un problème à étudier dans la théorie
générale des traités et que nous retrouverons dans un examen
doctrinal ultérieur. On se bornera à rappeler que la Cour de
Cassation, si elle s'est refusée, le 22 décembre 1931, à tenir
les tribunaux judiciaires pour liés par une interprétation
gouvernementale unilatérale (lettre du Ministre des Affaires
Etrangères du 22 juillet 1929, J. Off. 13 août 1929, Clunet,
1929, 1223, Darras, 1929, 705) a considéré comme une
convention d'interprétation constitutionnellement valable un
échange de lettres, promulguées par décret (Cass. civ., 4 février
1936), et même, semble-t-il, un simple échange de lettres (Civ.
cass., 16 février 1937, Niboyet, 1937, 678). Or l'interprétation
gouvernementale est favorable aux étrangers (v., par exemple,
pour la convention franco-belge du 6 octobre 1927, D. 30 juin
1934,Clunet, 1934,1121).

D. — Les personnes morales étrangères

(Colmar, 12 décembre 1933, Dlle Haussmann, Niboyet, 1935,


178 ; 1937,105 ; Paris, 21 juillet 1935, Héritiers Romaguera,
Niboyet, 1936,141, S. 1936, 2.1, note Niboyet ; D. 1936,2. 17,
note Savatier ; Seine (ordonn.), 14 novembre 1936, D. 1937,
2. 33, note Lalou).
39. — Il est unanimement admis que non seulement les
Etats, mais encore leurs démembrements revêtus de la
personnalité juridique, ont de plein droit en France cette
personnalité, en particulier la faculté d'ester en justice. Les
deux arrêts cités font application de cetterègle à des établis-
sements publics étrangers, celui de la cour de Colmar, de façon
un peu implicite, à un Jugendamt allemand, celui de la cour
de Paris, en motivant sa solution, à des évêques espagnols,
avant la Constitution du 9 décembre 1931. La cour tient pour
constant «que les évéchés étaient, avant la Révolution,
considérés en Espagne, comme des établissements publics
»
aptes à accomplir tous les actes de la vie civile ; elle fait
observer que la loi française du 9 décembre 1905 « ne s'oppose
nullement à ce que un établissement cultuel étranger soit
considéré comme une personne morale en France dès lors que
la loi étrangère lui accorde cette qualité » : enfin, elle tire
argument de la compétence de la loi nationale pour l'état et
la capacité des personnes physiques et morales, ce qui équi-
vaut, au fond, à qualifier la capacité de jouissance comme
matière d'état (Cfr. Cass. italienne, 29 avril 1933, Giurispru-
denza comparata di Diritto Internazionale Privato, vol. III, et
notre note).
La cour de Paris a eu, dans la même affaire, à résoudre
un problème plus délicat. La Constitution espagnole du
9 décembre 1931, article 26, a en effet, retiré aux évêchés le
caractère d'établissement public et, en application de ce texte,
la loi du 2 juin 1933, articles 2 et19, a reconnu aux confessions
religieuses, en particulier, à l'Eglise catholique, à ses institu-
tions et corporations, donc aux établissements religieux,
notamment aux évêchés, « une capacité, sinon complète, au
moins réduite », la faculté d'acquérir des biens et d'en
posséder. La cour conclut de là «qu'apparaissant comme
jouissant d'un droit d'acquérir », les évêchés « peuvent
nécessairement le faire valoir dans les limites où il leur est
concédé par le moyen d'une action en justice qui en est un
des attributs principaux» et que « ces constatations conduisent
à leur reconnaître un caractère de personnes juridiques ou
morales de droit privé qui leur confère dès lors en France
jcapacité suffisante d'ester en justice pour défendre leur,s
intérêts ». On remarquera qu'il s'agit non pas du droit des
évêchés à recueillir les biens légués, lequel doit évidemment
s'apprécier au moment où la succession s'est ouverte, mais
uniquement du droit d'ester en justice, lequel suppose
l'existence juridique de la partie au moment de l'instance et
pendant celle-ci (cfr cependant, Niboyet, noteauSirey).La
seule difficulté réelle consiste donc à savoir s'il suffit qu'une
association de droit privé ait la personnalité juridique dans
son pays pour qu'elle l'ait du même coup en France sauf
intervention de l'ordre public (c'est la solution de la cour. V.
et
déjà Paris, 26 mars 1891, Req., 12 juillet 1893, Clunet, 1893,
529, 1204 et cfr Paris, 12 février 1909 et Civ. rej., 7 février 1912,
S. 1914, 1. 305, note Hugueney, D. 1912, 1. 433. Aj. Rouen,
4 décembre 1901, Clunet, 1902, 802 ; trib. Seine, 21 janvier
1925, Clunet, 1925, 377) ou si la reconnaissance ou la conces-
sion de la personnalité n'ayant qu'une portée territoriale,
l'association étrangère n'a, en France, la personnalité, qu'aux
conditions mêmes imposées aux associations françaises (v. la
note de M. Niboyet, au Sirey, et cfr notre note précitée). Un
tel problème ne peut être examiné à cette place (Cfr, sur rapport
de M. Rigaud, la discussion au Comité français de droit inter-
national privé, séance du 16 décembre 1935, Travaux du
Comité. 36 année, p. 11 et s.). Le tribunal de la Seine l'a
résolue dans le même sens que la cour de Paris, le 14 novembre
1936, pour une association autrichienne, la société d'assistance
aux Français en Autriche. Cette décision précise, d'ailleurs,
que l'article 910, Code Civil, étant d'ordre public, est applicable
aux personnes morales étrangères auxquelles il faut, dès lors,
pour recueillir, en France, une libéralité, l'autorisation
administrative.

(Req. 4 juillet 1933, Société Assurances Phénix espagnol,


Clunet, 1934, 662, Darras, 1933, 652, S. 1933, 1. 311 ; D.
1934, 1. 110, noteSavatier; Trib. com. Seine, 30 juin 1932,
Vve Lalande, Clunet, 1934, 663, Darras, 1932, 663 ; Trib.
com. Seine, 15 janvier 1934, Tanneries Wildenberg, Clunet,
1934, 653; Niboyet, 1935, 468, note Nolde, Lapradelle, 1934,
329, et Paris 6 juillet 1935, Clunet, 1936, 916, Niboyet, 1936,
158, Lapradelle, 1936, 90; Trib. com. Seine, 23 janv. 1934,
Crédit français, Clunet, 1934, 653, Niboyet, 1934, 782,
Lapradelle, 1934, 329, et Paris, 31 octobre 1935, Clunet
1936, 337 ; Trib. com. Seine, 27 juin 1934, Deutsche Bank
und Disconto Gesellschaft, Clunet, 1935, 117 ; Trib. com.
Seine, 17 août 1934, Assoc. porteurs parts Banque intern.
comm. Pétrograd, 3 décembre 1934, Nahoum, Clunet, 1935,
125 ; Trib. comm. Seine, 21 janvier 1935, Vve Rosenthal,
Clunet, 1935, 134, note Picard et Tager, Niboyet, 1935, 491,

;
note Niboyet ; Trib. comm. Seine, 22 janvier 1935, Maxi-
moff, Clunet, 1935, 125, Niboyet, 1935, 503 Trib. com.
Seine, 22 janvier 1935, Ancelle, Clunet, 1935, 125 ; Seine,

9 avril 1936, Lapradelle, 1936, 341 ;


20 février 1935, Vve Philippoff, Clunet, 1936, 338, et Paris,
Trib. com. Seine,
20 janvier 1936, Deutsche Bank, Niboyett 1937, 117.)

40. — Le problème s'est très fréquemment posé, dans ces


dernières années, devant les juridictions françaises, de l'effet
des décrets soviétiques de nationalisation sur l'existence, en
France, des sociétés russes, spécialement des banques russes,
et du sort des biens appartenant à celles-ci (v., parmi les nom-
breuses études publiées sur ces questions, Savatier, « Le sort
des biens des anciennes sociétés russes en France », Niboyet,
1935, p. 663 et s. et la discussion, sur rapport de M. Savatier,
au Comité français de droit international privé, séances des
3 décembre 1934 et 22 janvier 1935, Travaux du Comité., I,
p. 130 et s., II, p. 11 et s. Aj. H. Perret, La liquidation des
sociétés russes, Paris, 1937).
Les décrets soviétiques de nationalisation ont été toujours
considérés par les tribunaux français comme valant dissolu-
tion des sociétés nationalisées, comme mettant fin à leur exis-
tence juridique. Il en résulte que ces sociétés disparaissent, en
principe, en tant que personnes juridiques, non seulement sur
le territoire soviétique, mais encore dans tous les autres Etats.
Cette disposition, cette extinction, n'étant pas jugée contraire
à l'ordre public international français, a été admise, reconnue
par nos tribunaux. Presque toutes les décisions indiquées
ci-dessus consacrent ces solutions, tantôt de façon un peu im-
plicite (v., par exemple, Req., 4 juillet 1933, trib. com. Seine,
30 juin 1932), tantôt de manière plus nette (v., par exemple,

;
trib. com. Seine, 17 août 1934, 22 janvier 1935, Maximoff :
« le décret de nationalisation a entraîné la dissolution de la
société Volga-Kama .elle n'a plus d'existence légale»). On
peut y voir la conséquence de cette règle généralement reçue
— et dont ce n'est pas le lieu de rechercher le fondement (v.
notre note précitée sous Cass. ital., 29 avril 1933) — qu'une
société ne peut exister en tant que personne juridique que si
son Etat d'origine, son Etat national la considère comme telle.
41. — Mais le fait que la cause de la dissolution, de la
mort des sociétés russes est la nationalisation, fait apparaître
des problèmes nouveaux. Si, en effet, ces sociétés avaient
disparu sans qu'il soit porté atteinte au droit de propriété de
leurs membres, la liquidation devrait avoir lieu conformément

:
à la loi soviétique et, faite dans l'U. R. S.' S., d'après ce droit,
aurait effet en France c'est ce qu'a décidé le tribunal civil
de la Seine, dans l'affaire Philippoff, pour une société russe
en nom collectif constituée en 1904, transformée en société
simple en vertu du décret soviétique du 20 février 1933 et
liquidée en 1933 conformément aux articles 276 et s. dû Code
Civil de la R. S. F. S. R. ; la cour de Paris a confirmé le 9 avril
1936 par adoption de motifs. Mais, de la confiscation réalisée
par la nationalisation, il serait contraire à l'ordre public inter-
national français de tenir compte (v., par exemple, trjib. com.
Seine, 30 juin 1932). En fait, dans de très nombreux cas, il

;
n'y a pas eu liquidation des sociétés russes dissoutes quant aux
biens situés hors du territoire soviétique quant à ces biens,
avec tous ses anciens administrateurs ou avec quelques-uns
d'entre eux, la société a continué de vivre, de fonctionner, en
tout cas, d'avoir et de gérer un patrimoine. Pour traduire et
régir cette situation, on a, en France, recouru à la notion
— d'ailleurs assez imprécise — de société de fait. Les sociétés
russes dissoutes par les décrets soviétiques de nationalisation
ayant effet en France à ce point de vue ont continué d'exister
comme sociétés de fait, soit, d'abord, parce qu'elles avaient

société (v. encore trib. com. Seine, 30 juin 1932


1934
;
une succursale en France qui a survécu à la dissolution de la
; 22 janvier 1935, Maximoff), soit, plus tard, parce
27 juin

qu'elles y avaient et y géraient certains éléments du patri-


moine social (v. trib. com. Seine, 21 janvier 1935 et rappr.
Req., 4 juillet 1933).
Seulement, une telle thèse qui résolvait provisoirement les
difficultés, n'était guère qu'une thèse d'attente. Le fonction-
nement normal des anciennes sociétés russes étant impossible,
on ne pouvait aisément admettre la perpétuation d'un simple

:
état de fait. Sur les biens de ces sociétés, des prétentions con-
tradictoires se sont de plus en plus affirmées prétentions des
administrateurs, des créanciers, des actionnaires. L'arrêt de la
Chambre des Requêtes décide que « la suppression de la
Société russe n'empêche pas que certains éléments de son
»
patrimoine social puissent subsister et que notamment « un
de ses créanciers dont la créance a été reconnue par une déci-
sion de justice française devenue définitive conserve le droit
de poursuivre le recouvrement de sa créance entre les mains
d'un débiteur de cette société domicilié en France ». Mais il
était dangereux d'abandonner ainsi ce qui restait du patri-
moine social au jeu des initiatives individuelles. L'idée de
liquidation est apparue. La jurisprudence a peu à peu admis
que les sociétés russes, subsistant sur notre territoire, le
faisaient en vue de leur liquidation (v. trib. com. Seine, 23
janvier 1934) et, sur la demande de créanciers ou d'action-
naires, a mis en train cette liquidation, nommé des liquida-
teurs (v. trib. com. Seine, 23 janvier 1934, 3 décembre 1934,
21 janvier 1935, 22 janvier 1935, Maximoff, 20 janvier 1936).
Assez fréquemment, on a admis d'ailleurs que cette liquidation
serait faite par les administrateurs, en fait en fonction, sous le
contrôle d'un mandataire de justice remplaçant celui de l'as-
semblée générale impossible (v. trib. com. Seine, 17 août
1934, 3 décembre 1934, 22 janvier 1935, Ancelle, Maximoff),
dans d'autres cas, un liquidateur judiciaire a été nommé à qui
les administrateurs devaient s'en rendre compte (trib. com.
Seine, 23 janvier 1934 et Paris, 31 octobre 1935, trib. com.
Seine, 21 janvier 1935). Les bases mêmes de la liquidation.,
laquelle soulève des difficultés considérables, sont encore loin
d'être fixées (v. la discussion précitée au Comité français de
droit international privé).

(Seine, 13 novembre 1934, Ivanoff, Niboyet, 1936, 139, Lapra-


delle, 1935, 518).

42. — Il s'agissait, en l'espèce, d'une fondation créée en


Russie en 1903 au profit des musiciens russes et puisant ses
ressources dans les bénéfices d'une maison d'éditions musicales
allemande. La fondation avait continué de fonctionner malgré
la révolution russe, ayant transféré son siège en France. Les
héritiers du fondateur revendiquaient les biens légués se pré-
valant de la disparition de l'institution d'après le droit sovié-
tique, disparition officiellement constatée par une déclaration
de la Cour suprême de la République russe en datedu 21 jan-
vier 1932. Le tribunal rejette leur demande avec le motif sui-
vant : « si l'on conçoit que des héritiers dont le devoir est de
faire respecter les intentions du testateur puissent, soit agir en
exécution des charges, soit intenter une action en révocation
du legs pour inexécution des charges, on ne saurait leur recon-
naître la faculté d'exiger. l'anéantissement d'une institution
créée par le testateur et ce, sous l'unique prétexte qu'elle n'a
plus d'existence juridique, alors qu'elle continue à fonctionner,
en fait, selon les volontés du testateur ». C'est, en quelque
sorte, l'idée de « fondation de fait », et sans limitation dé
durée. Le problème juridique subsiste — qui n'a pas été
abordé — de savoir sur quelle base peuvent être admises et
maintenues, du point de vue du droit français, l'affectation des
biens légués, la création du patrimoine que ceux-ci forment,
l'existence d'une personne juridique constituée par la fonda-
tion (v. les notes, loc. cit.).
Jacques MAURY,
Professeur à la Faculté de Droit
de Toulou8e.
DISTRIBUTEURS, COMPTEURS
ET APPAREILS AUTOMATIQUES
ANALOGUES

Au temps de notre première Exposition Universelle, un


:
savant, parlant des applications de la Science, écrivait « Par
les améliorations qu'elle a introduites dans les conditions
matérielles de la vie, par les secours de toute nature qu'elle
nous apporte chaque jour, elle nous touche maintenant par
tous les côtés à la fois, elle se mêle de plus en plus à nos inté-
»
rêts, elle fait partie de notre existence (1).
La multiplication des appareils automatiques de toute
sorte n'est qu'une illustration de cette remarque générale. Ils
sont connus de très vieille date (pièges à loup, horloges, tourne-
broches, etc.) ; mais les exigences et les commodités de la vie
contemporaine en ont accru le nombre au point que nous en
sommes entourés, depuis les plus simples comme les sonnettes
les avions. Il en est même d'étranges :
de nos portes, jusqu'aux plus compliqués, comme les autos et
tels d'entre eux, dans
la jungle, photographient de nuit les grands fauves, qui font
eux-mêmes, au passage, jouer le déclic de l'appareil et provo-
quent l'éclair de magnésium fixant l'image !
Au point de vue juridique, deux observations principales
s'imposent à leur sujet. D'une part, non seulement les moda-
lités de l'existence actuelle nous font journellement mettre à la
disposition de nos visiteurs — comme autant de serviteurs

;
mécaniques — divers appareils automatiques (ascenseurs,
minuteries, sonneries électriques), dont nous répondons, en
principe, à leur égard, en cas de dommage mais de plus en
plus nous usons d'appareils divers, comme autant de gardiens,
pour la défense de nos droits menacés par autrui. L'emploi de
ces défenseurs aveugles est-il permis ?
(1) L. Figuier, Exposition et histoire des principales découvertes
scientifiques modernes, 1855, t. 1, p. V, ef. L. Figuier, L'Année Scien-
tifique, 1856, p. VI.
D'autre part, industriels etcommerçants ont tiré des avan-,
lages nouveaux d'appareils automatiques, remplaçant pour eux
des préposés vivants. Les uns leur servent à mesurer l'impor-

électricité;
tance de leurs fournitures ou services (compteurs à eau, gaz,
taximètres, tourniquets à l'entrée des clients)
D'autres leur servent à passer des contratsavec le public. Ce
sont d'abord les distributeurs automatiques, appareils déli-
vrant des objets divers sous l'action d'un mécanisme déclenché
par la main de l'homme, et comportant le versement préalable
d'un prix. Par imitation, l'on a construit d'autres appareils
qui,sous l'action d'un mécanisme analogue, rendent divers
services (bascules, boîtes à musique, autovisiomètres). Il est
tels établissements entiers où, grâce à divers appareils,
- comme dans le château légendaire de Robert Oudin !
tous les clients se servent eux-mêmes, sans recourir à des
-
employés ou serviteurs vivants, par exemple les bars auto-
matiques.
Ici nous n'envisagerons que les appareils servant soit à la
formation ou l'exécution d'un contrat avec leur propriétaire,
soit à la défense des droits de celui-ci.
Les différents problèmes que nous voulons examiner
supposent que l'usage de ces appareils est, en lui-même, licite.
Or celui de beaucoup d'entre eux ne l'est pas. Il convient donc,
avant tout, d'éliminer les engins d'un usage illicite en soi, que
l'on rencontre le plus souvent dans la pratique.

§ 1. — USAGE LICITE

I. — Interdiction dans un intérêt de police

1° Balances non poinçonnées. — La loi interdit même la


simple détention des appareils pouvant tromper le public sur
la quantité des marchandises vendues, telles que des balances,
bascules et appareils de pesage, dont l'exactitude n'a pas été
vérifiée par l'autorité administrative.
D'après le décret du 26 mars 1923 (art. 2), quelle que soit
leur destination, tous instruments de mesurage ne peuvent être
mis en vente qu'après vérification de leur exactitude par des
préposés spéciaux de l'autorité publique.
Les balances et bascules automatiques ou semi-automa-
tiques, indiquant la masse du corps pesé, par le déplacement
d'un index, d'une aiguille, ou d'une graduation, produit par
le poids du corps pesé, et limité par l'action de la pesanteur
sur un contrepoids, ne sont admises à la vérification officielle
que si elles sont conformes aux instruments ou appareils types
approuvés par décision du Ministre du Commerce, après avis
de la Commission de métrologie usuelle, et, le cas échéant,
après avis du Ministre intéressé (déc. 2 mai 1923, art. 2).
Dès avant les décrets précités, l'on soumettait déjà aux
vérifications officielles les bascules automatiques servant
uniquement à peser les personnes (Lettre du Ministre du Com-
mrce du 18 mai 1906, Répertoire de pharmacie de Crinon, 1906,
p. 265).

20 Appareils de jeu et loteries. — Bornons-nous à men-


tionner les appareils qui, grâce à l'introduction d'une pièce
de monnaie dans la fente d'un récepteur, mettent à la dispo-
sition du public, pendant un temps déterminé, un jeu d'adresse,
avec les accessoires nécessaires (billards, tirs, etc.). Le méca-
nisme automatique n'est qu'un moyen de percevoir de l'usager
le prix de location de l'instrument de jeu. Quand cet instru-
ment est lui-même d'usage licite, le dispositif mécanique pour
en percevoir le loyer l'est aussi.
D'autres appareils sont des distributeurs automatiques
d'objets variés, placés derrière une vitre. L'introduction d'une
pièce de monnaie déclenche, pour saisir un de ces objets et le
rejeter hors de l'appareil, un dispositif intérieur, que la main
de l'homme peut plus ou moins diriger de l'extérieur. Tel est
notamment l'appareil dit « La grue », si fort à la mode en ces
derniers temps.
Pareils distributeurs sont eux-mêmes des instruments de
jeu. Quand l'appréhension d'un quelconque des objets exposés
dépend exclusivement de l'habileté des joueurs, il y a jeu
d'adresse et l'appareil est licite. On sait que la jurisprudence
est très large dans l'appréciation du rôle de l'habileté humaine,
quoi qu'il y ait toujours quelque part de hasard en tout jeu.
Ainsi le billard est réputé jeu d'adresse (Paris, 10 juil. 1902,
S., 1902-2-301 ; Crim., 23 juil. 1898, Pand. franç., 1899-1-485 ;
Aix, 25 mai 1892, S., 1893-2-19).
Avant la loi du 18 avril 1924, ces appareils distributeurs
n'auraient été prohibés comme loteries que si le rôle du hasard
eût été prépondérant dans l'appréhension des objets offerts au
public. La jurisprudence ne considérait alors comme loterie
l'attribution d'objets par la voie du sort, avec intervention du
fait de l'homme, que si le rôle de cette intervention restait
secondaire (Crim., 21 mai 1908, S., 1911-1-180 ; 9 janv. 1885,
S., 1885-1-504). En introduisant dans la loi du 21 mai 1830
(art. 2), les mots « même partiellement », la loiprécitée de
1924 s'est proposé de prohiber les attributions dépendant plus
ou moins du hasard, et la jurisprudence l'applique avec sévé-
rité. Ainsi, une Circulaire du Ministère de l'Intérieur du 9 avril
1923 décidait qu'on ne devait pas qualifier loterie la vente dite
de « pochettes surprises », au moins quand elles contenaient
des objets de valeur minime (Gaz. Pal., 1930-1-891). Aujour-
d'hui la Cour de Cassation voit une loterie prohibée dans
l'exposition en vente, par un commerçant, de paquets fermés
contenant diverses marchandises, sous une pancarte énumé-
rant la nature de celles-ci, même quand la valeur du contenu
de chacun d'eux égale sensiblement le prix demandé, si la vente
s'en effectue par tirage au sort, alors que le hasard détermine
seulement la nature des objets attribués à chaque acheteur
(Crim., 28 mars 1930, Gaz. Pal., 1930-1-890).
Faut-ilen déduire la prohibition de tous les distributeurs
qui ne procureraient pas à tout coup des objets de même valeur
à tout amateur ? Gomme avant 1924, la jurisprudence ne
qualifie loterie que les opérations dont le but exclusif ou prin-
cipal est l'attribution d'un gain par la voie du sort. Continuent
par exemple d'être licites les ventes de récoltes dites à l'abon-
nement, spécialement celles de vins soumises à de continuels
et singuliers aléas (Bordeaux, 19 mars 1935, S., 1935-2-208 ;
pour la jurisprudence antérieure, voy. : Lyon, 5 août 1901,
S., 1902-2-92 ; Req., 18 déc. 1899, S., 1903-1-133 ; 10 nov. 1851,
D. P., 1853-1-154).
On devra donc considérer si l'exploitation d'un appareil
a pour but unique ou principal l'attribution de lots par le
hasard, ou seulement d'assurer la vente de marchandises en
attirant les acheteurs par la perspective d'un avantage aléa-
toire. Dans le second ordre d'idées rentrent les appareils dits
de « ventes publicitaires », combinaison des distributeurs
automatiques simples et des loteries. Toute personne versant
une somme déterminée reçoit un des objets exposés, d'une
valeur au moins égale au prix versé. Mais si le sort la favorise,
elle peut en recevoir un d'une plus grande valeur. Ici, à la
différence d'une loterie, nul ne perd jamais sa mise, et chacun
en reçoit au moins l'équivalent, comme dans une vente ordi-
naire. Il reste à savoir si la chance de la substitution d'un objet
plus important transforme la vente en loterie.
A prendre au pied de la lettre l'arrêt précité de Cassation
du 28 mars 1930, on pourrait le croire. Mais la solution qu'il
donne doit se combiner avec une autre. Par un arrêt postérieur,
la Cour de Cassation a décidé qu'en employant les expressions
ventes et opérations, les lois des 21 mai 1836 et 18 avril 1924
avaient en vue de véritables marchés, combinaisons à titre
onéreux faisant naître, dans le public, l'espoir d'un gain acquis
par voie du sort. D'où il déduit que leurs prohibitions ne s'éten-
:
dent pas à des libéralités sans contre-partie (Crim., 1er juillet
1932, Gaz. Pal., 1932-2-513 ; voy. déjà Trib. corr. Lille, 5 janv.
1899, D. P., 1899-2-345, note M. Claro ; contra : Lyon, 24 juil.
1895, D. P., 99-2-345). En l'espèce un commerçant faisait
distribuer gratuitement des catalogues numérotés, dont la
possession donnait droit de participer à une tombola.
La même idée se trouvait déjà dans des arrêts antérieurs
à 1924, décidant, plus généralement, qu'une loterie suppose

proportion de l'enrichissement espéré ;


un gain, en échange d'un risque de perte d'une mise infime en
immorale (Rennes, 26 nov. 1913, S., 1914-2-36).
d'où combinaison

Ces conceptions sont appliquées par la jurisprudence aux


appareils de vente publicitaire dits Piccador, où l'introduction
d'une pièce d'un franc donne au client le droit de perforer une
des 280 alvéoles de l'appareil, dégageant ainsi une bille, qui
est échangée contre une certaine quantité et qualité de chocolat
d'une valeur variable selon la couleur de la bille, le moindre
lot ainsi gagné correspondant sensiblement à la valeur d'un
franc. Plusieurs décisions judiciaires écartent alors l'idée de
loterie, chacun recevant toujours au moins marchandise pour
sonargent, et le client favorisé par le sort faisant ainsi un gain
supplémentaire dû à la pure libéralité du vendeur, dans un but
de publicité (Trib. Seine, 18 déc. 1934, Gaz. Pal., 1935-1-231 ;
Douai, 28 juin 1935, Gaz. Pal., 1936, 1, somm. 5 ; Paris, 9 avril
1935, 10e Chambre, inédit).
Cependant la solution inverse a été donnée pour l'appareil
Cola-Baby, où l'introduction d'une pièce de monnaie permet
de dégager un jeton, visible de l'extérieur avant le fonctionne-
ment de l'appareil, donnant droit à une certaine qualité ou
quantité de marchandise, variable selon sa couleur. Le plus
souvent, en effet, le client, en dégageant un premier jeton,
suppute surtout les chances de rendre visible un jeton suivant
d'une plus grande valeur (Colmar, 12 nov. 1936, Gaz. Pal., 1937-
1-183). Il n'y a donc pas, comme dans l'appareil Piccador, une
vente avec prime gratuite de publicité, mais une opération
aléatoire pour le tout et à titre onéreux pour le tout.
Par une circulaire du 16 septembre 1936, après entente
avec les Ministres du Commerce et du Travail, le Ministre de
l'Intérieur a prescrit aux préfets de tolérer, dans les lieux
publics, les appareils de vente publicitaire, sous des conditions
analogues à celles qu'on impose aux loteries foraines, ayant
surtout pour but d'assurer la loyauté des opérations, de favo-
riser le commerce français et de ne pas pousser outre mesure
les amateurs aux purs gains de fortune, estimant que, sous
ces réserves, ces appareils offriront, au cours de la crise écono-
mique actuelle, un utile débouché à diverses catégories d'objets
de consommation courante et favoriseront certaines- branches
de l'industrie nationale. Ces conditions sont les suivantes :
1° Les appareils devront indiquer, de manière très appa-
rente, le nombre des primes de chaque espèce, offertes aux
clients, et la proportion de ces primes par rapport à l'ensemble ;
20Ils devront être construits de façon que le dépositaire

;
ne puisse modifier ni leur fonctionnement, ni les conditions
de répartition des primes
30 Un type de chaque prime doit être exposé à la vue du
public, matériellement et non pas seulement représenté sur un
tableau ;
4° Le chiffre de la mise ne dépassera jamais cinq francs
et doit être affiché;
5° La valeur commerciale des primes ne pourra pas être
;
inférieure à six fois la valeur de la mise
60 Les primes seront de fabrication française.
Enfin, reste une dernière catégorie d'appareils automa-
tiques, dont l'usage, à l'inverse des cas précédents, est toujours
prohibé. Ce sont les appareils distributeurs de jetons ou de
pièces de monnaie en nombre variable, moyennant une mise
fixe, après fonctionnement d'un mécanisme, mis en mouvement
par la main de l'homme, sans donnée quelconque sur la possi-
bilité d'obtenir tel résultat.
S'il est constant que l'adresse ou la force de l'homme
prédomine dans le fonctionnement de l'appareil, c'est un jeu
d'adresse, licite comme tel, sauf au juge à préciser dans la
sentence pourquoi le fait de l'homme prédomine, le fonction-
nement de tels mécanismes étant le plus souvent livré au

;
hasard (Crim., 28 déc. 1935, Gaz. Pal., 1936-1-117). Dans tous
autres cas, ces appareils ne sont que des jeux de hasard et le
cabaret où se trouve l'un d'eux est une maison de jeux, au
sens des articles 410 et 475, § 5, Code Pénal (Crim., 30 avril
1937, D. H., 1937, p. 336). Dans tous lestas, ils sont prohibés
dans les lieux publics par un décret-loi du 31 août 1937. Le
plopriétaire d'un café, où se trouve un de ces appareils, ne
saurait éviter les peines prononcées par l'article 475, § 5°,
Code Pénal, en alléguant qu'il n'a pas incité ses clients à jouer,
mais que ceux-ci, spontanément, se sont servis de l'appareil.
D'après la Cour suprême, la seule condition qu'exige l'article
475, § 5° pour qu'il y ait tenue de jeux de hasard est que ce
jeu se pratique en un lieu public. Si donc plusieurs personnes
se livrent à pareil jeu, dans une salle dépendant d'un café, le
patron ne peut être relaxé, même s'il avait quitté cette salle
pour se retirer dans son logement particulier, avant le début
du jeu, son devoir étant d'empêcher, soit en personne, soit par
ses préposés, les personnes le voulant de se livrer chez lui
à des jeux de hasard (Crim., 26 nov. 1927, S., 1929-1-157).
Parfois, au lieu de pièces de monnaie, ces appareils à
mécanisme dépendant du hasard distribuent des jetons rem-
boursables en argent, ou reçus en paiement de marchandises,
soit dans l'établissement dépositaire, soit dans d'autres dont la
liste est ostensiblement affichée sur l'appareil ou près de lui.
Cette modification toute matérielle ne change rien au caractère
juridique de l'instrument, ni de l'établissement. Ils sont prohi-
bés dans tous les lieux publics par le décret-loi du 31 août
1937. Toutefois, depuis 1906, le Ministre de l'Intérieur pres-
crit aux préfets, comme le rappelle sa Circulaire précitée de

:
septembre 1936, de les tolérer dans les lieux publics, sous les
conditions suivantes que la mise n'excède pas 0 fr. 25 ; —

;
que les jetons distribués ne puissent être ni rejoués dans l'ap-
pareil, ni remboursés en argent — qu'ils donnent droit à des

dépositaire lui-même; --
marchandises à prendre ou consommer dans l'établissement
que la valeur maximum des jetons

;
n'excède pas 0 fr. 75 : que l'appareil ne distribue pas de
bons primes — et que, s'il est exploité dans un lieu public, il
porte une plaque indiquant le nom du propriétaire, son adresse
et son numéro d'immatriculation au registre du commerce.
Dans cette limite, ces distributeurs peuvent être considérés
comme de simples amusements, sans nul caractère d'immora-
lité. Du reste, il ne faut pas confondre les appareils délivrant
ou non un ou plusieurs jetons, grâce au fonctionnement d'un
mécanisme avant tout soumis au hasard, et les instruments
délivrant toujours, après l'introduction d'une même pièce de
monnaie dans un récepteur, un jeton échangeable, d'après sa
couleur, contre des marchandises de valeur et qualité différen-
tes, qui peuvent être licites comme procédés de vente publici-
taire, ainsi qu'il est dit plus haut.

3° Protection de la vie et de la santé de l'homme ou des


animaux. — Sont interdits dans ce but les appareils servant à
l'exercice illégal de la médecine humaine. La jurisprudence
entend par « maladies et affections chirurgicales », au sens de
la loi du 30 novembre 1892 (art. 16, § 1er), jusqu'aux simples
défectuosités congénitales (Crim., 4 déc. 1925, D. H., 1926, p. 2).
Celles de la vue sont décelées souvent au moyen d'appa-
reils automatiques, maniés par le client lui-même, comme
l'autovisiomètre déterminant le degré de la myopie ou de la
presbytie. Des opticiens mettent de tels appareils à la dispo-
sition de leurs clients, en leur montrant la manière de s'en
servir, afin de leur vendre ensuite les verres dont ils ont
besoin.
Dans ces agissements, la jurisprudence voit l'exercice illé-
gal de la médecine (Trib. Avesnes, 22 mai 1928, D. H., 1928,
p. 536 ; Douai, 11 avril 1929, D. H., 1929, p. 356).

:
L'usage de tels instruments dans ce but est certainement
illicite (v. notre note L'exercice illégal de la médecine par des
appareils auomatiques, Paris-Médical, 2 juillet 1932, p. 1 ;
cf. relativement à la skioscopie, note sous Crim., 4 déc. 1925,
Gaz. Pal., 22 décembre).
Pour empêcher la destruction rapide et complète du
gibier, ou de certaines espèces de gibier, la loi interdit l'emploi
»
pour le capturer d'autres « moyens de chasse que la chasse
à tir ou à courre, et, pour capturer le lapin, les furets et les
bourses (loi du 3 mai 1844, art. 9). Un grand nombre de
moyens automatiques de toutes sortes sont employés par les
chasseurs ou braconniers, des pièges à loup aux miroirs
d'alouettes. Seuls sont interdits, comme constituant des moyens
de chasse, les instruments qui, matériellement et directement,
saisissent ou tuent le gibier, comme les filets, raquettes,
lacets, collets, trappes, pinces métalliques, etc. (Grenoble,
2 janv. 1845, D. P., 1845-2-42 ; Crim. 15 oct. 1844, D. P., 1845-
1-26 ; 28 déc. 1886, S., 87-1-140 ; Douai, 23 déc. 1913, Journ.
Le Droit, 25 fév. 1914). Leur détention comme leur usage est
prohibé (Crim., 5 juill. 1907, S., 1910-1-40).
Sont exemptés les pièges destinés à la capture et la des-
truction des animaux malfaisants ou nuisibles, déterminés par
les préfets, ou ceux qui servent à détruire les bêtes fauves rava-
geant les terres (loi 3 mai 1844), art. 9, § 3, 30).Sont égale-
ment exemptés de cette prohibition, d'après la jurisprudence,
les pièges destinés à la capture des petits mammifères, vivant
dans le voisinage et aux dépens de l'homme (rats, souris,
belettes, etc.) (Douai, 23 déc. 1913, précité).
Pour garantir la sécurité dans les établissements ouverts
au public, le préfet de police à Paris, les maires dans les dépar-
tements, peuvent interdire les appareils automatiques jugés
1 dangereux, au moins dans certaines éventualités, comme telles
portes tournantes à plusieurs volets qui retarderaient grave-
ment, en cas d'incendie ou de panique, l'évacuation des théâ-
tres, cinémas, cafés, restaurants ou établissements analogues
(loi 5 avril 1884, art. 97, § 30).

II. — Interdiction par respect du droit d'autrui

A raison de leur ingéniosité, les appareils automatiques


sont fréquemment l'objet, pour leur construction, de droits
exclusifs de propriété industrielle, résultant de brevets, de
marques, de dessins ou modèles de fabrique. La personne met-
tant à l'usage du public l'appareil automatique objet d'un de
ces droits au profit d'autrui encourt-elle les peines qui les
sanctionnent ?
1° Brevets d'invention. — D'après la jurisprudence, la loi
du 5 juin 1944 (art. 40) frappant comme contrefaçon l'emploi
des moyens faisant l'objet du brevet ne s'applique pas à celui
qui se sert de l'objet contrefait pour son utilité personnelle
et sans intention de spéculation commerciale. Il en est ainsi
même quand, par sa destination, l'objet contrefait consiste en
un appareil automatique, à la disposition du public en même
temps qu'à celle de son propriétaire, par exemple un ascenseur
(Cass., 5 avril 1889, S., 1889-1-441). En le mettant ainsi à la
dispositionde ses visiteurs, un propriétaire ne commet pas le
délit de contrefaçon de brevet.
D'autre part, l'article 41 de la même loi ne frappe, comme
recéleurs, que les personnes détenant sciemment un objet
contrefait. Pas de recel de contrefaçon de brevet sansmauvaise
foi. démontrée. Quand le propriétaire de l'ascenseur contrefait
estde bonne foi, l'article 49 de la même loi, ordonnant la
confiscation des objets contrefaits, entre les mains du recéleur,
ne lui est pas davantage applicable (même arrêt).
Le plus souvent, les distributeurs automatiques et appa-
reils analogues sont mis à la disposition du public dans un but
commercial. Or, d'après un arrêt célèbre des Chambres réunies
de Cassation, ayant fixé la jurisprudence, constitue le délit de
contrefaçon tout usage de l'objet contrefait dans un intérêt
commercial, sans distinguer ici la bonne de la mauvaise foi
(Ch. réunies, 30 oct. 1899, S., 1900-1-253, rapport M. Crépon).
L'entreprise exploitant, pour son compte, des appareils
automatiques, brevetés au profit d'autrui, que le public fait"
fonctionner après introduction de pièces de monnaie, commet
donc le délit de contrefaçon. De même en est-il de la personne
louant, pour un prix proportionnel ou non à la recette, un
emplacement à l'exploitant d'un tel appareil.
Parfois les choses revêtent un troisième aspect :
entreprise industrielle ou commerciale met à la disposition de
une

ses clients, sans augmentation de prix, des appareils automa-


tiques fonctionnant à volonté. Telles sont des râpes à savon,
mûes par une manivelle, dans les lavabos des hôtels, restau-
rants, cafés, bateaux, trains de chemins de fer. Quand ces
instruments sont brevetés au profit d'autrui, l'hôtelier, restau-
rateur, etc., peut-il se soustraire aux poursuites en contrefaçon
parce qu'il ne touche nul supplément du prix de ses services
?
à raison de leur usage par ses clients La Cour suprême admet
que la présence de ces engins dans ces lavabos contribue à
l'exploitation de l'entreprise. Car, dans une affaire de ce genre,
elle n'a rejeté l'incrimination de contrefaçon que pour une
différence essentielle entre l'appareil employé par la Com-
pagnie de chemins de fer poursuivie et celui du poursuivant
(Req., 11 mai 1909, S., 1911-1-517).
On en dirait de même du commerçant autorisant à placer,
dans son magasin, un appareil automatique, sans recevoir ni
part de la recette, ni prix quelconque de location, en vue
d'accroître ses bénéfices, en attirant le public. C'est le cas des
pharmacies où se trouvent des bascules automatiques pour les
personnes. Si l'appareil est contrefait, ce commerçant ne
pourra se soustraire aux poursuites en contrefaçon, la présence
de l'appareil dans son magasin contribuant au fonctionnement
dè son commerce.

2° Marques de fabrique et de commerce. — Des distinc-


tions analogues se rencontrent en matière d'usurpation de
marque. 1
En général, on s'accorde à décider qu'en réprimant
« l'usage d'une marque contrefaite », la loi du 23 juin 1857
(art. 7, § 1er) ne vise que l'usage commercial, celui qui revêt
un caractère de spéculation, condition commune à tous les
délits de contrefaçon industrielle, la répression de celle-ci
ayant pour but de protéger une personne contre la concur-
rence (Laborde, Tr. des Marques de fabrique, n° 173, p. 137
et s. ; cf. n° 199, p. 157 et suiv., et les références en note).
L'acquéreur pour son usage personnel d'un objet portant
indûment la marque d'autruine s'expose à des poursuites que
s'il s'est rendu complice de la contrefaçon par sa mauvaise foi.
La question d'usurpation de marque, au moyen de distri-
buteurs automatiques, s'est présentée devant les tribunaux
sous la forme spéciale du délit de remplissage, dans une des
affaires citées ci-dessus. Une Compagnie de chemins de ferétait
poursuivie en indemnité pour avoir placé un quelconque savon
dans les râpes automatiques de ses lavabos, portant la marque
».
« Savon Magenta
: Le Tribunal et la Cour d'appel rejetèrent
la demande, en disant « Attendu que cette forme de contre-
façon de marque (par remplissage) exige l'existence de la
mauvaise foi, c'est-à-dire l'intention de tromper l'acheteur, et,
grâce à cette manœuvre, de réaliser un bénéfice illégitime ;

demandé le produit protégé par la marque ;


or, le consommateur n'est trompé que s'il avait expressément
que cette circons-
tance fait défaut en l'espèce, où la Compagnie met du savon

;
à la disposition des voyageurs spontanément et sans augmen-
tation de prix de la place que, dans ce dernier cas, le reproche
de contrefaçon manque de base. » (Trib. Seine, 21 juin 1904 et
Paris, 7 févr. 1908, sous Cass., S.,1911-1-518).
Cette décision cadre avec la jurisprudence de Cassation,
d'après laquelle, si le délit de contrefaçon de marque, prévu
par l'article 7 § 1" de la loi du 23 juin 1857, est commis indé-
pendamment de toute intention frauduleuse, celui d'apposition
de la marque d'autrui sur d'autres produits que ceux de son
déposant, prévu par l'article 7 § 2, exige au contraire la mau-
vaise foi (Cass., 16 mars 1906, S., 1909-1-417 et note).
30 Dessins et modèles de fabrique. — Des solutions sem-
blables interviennent en cas d'usurpation de dessins et modèles
de fabrique, la loi du 14 juillet 1909 (art. 1er et 10) réprimant
toutes ses formes dans un but de spéculation, mais n'atteignant
pas l'usage fait dans tout autre intention (V. notre article
Dessins et Modèles, Gazette des Prud'hommes, 1937, p. 46).
:
Dans l'affaire des râpes automatiques, le demandeur se
plaignait de la distribution aux voyageurs de savons emprun-
tant le modèle spécial qu'il avait déposé. Le jugement et l'arrêt
n'examinent pas l'influence de la gratuité, rejetant la demande
parce que la forme des produits était imposée par le résultat
industriel recherché du fabricant (Trib. Seine, 21 juin 1906 et
Paris, 7 fév. 1908, précités). A la vérité, ces décisions s'ap-
puient sur la loi du 18 mars 1806 ; mais celle du 14 juillet 1909
dispose également que, si les éléments constitutifs de la nou-
veauté du dessin ou modèle sont inséparables de ceux d'une
invention, l'objet ne peut être protégé que par un brevet
(art. 2, § 3). Spécialement, il en est ainsi quand le mécanisme
d'un appareil automatique impose une forme déterminée,
comme on l'a décidé d'un monte-charge (Req., 11 mars 1931,
S., 1932-1-11). Quand l'invention n'est pas brevetée, la repro-
duction d'un appareil automatique, pour le mettre à la dispo-
sition du public, est licite, sa forme n'étant pas protégée
comme dessin ou modèle de fabrique.

III. Interdiction dans un but fiscal



Nous .n'en citerons qu'une ayant eu d'abord un but
d'hygiène, pour se transformer ensuite, comme telleautre, en
mesure fiscale.
Les fumeurs de la génération ayant précédé la nôtre se
servaient de mèches jaunes à briquet, renfermant plus du
cinquième de leur poids de chromate de plomb, qui les rendait
inflammables à la moindre étincelle, mais qui, poison très actif,
intoxiquait, en dégageant des poussières impalpables, les
ouvrières les préparant, et les intoxiquait eux-mêmes, en souil-
lant leurs doigts de poison. Les hygiénistes faisaient des vœux
pour la substitution au chromate de plomb d'un sel inoffensif,
ou tout au moins pour le classement de la fabrication de ces
mèches parmi les industries insalubres (L. Figuier, L'année
scientifique et industrielle, 1877, p. 325 et s.).
Au chromate de plomb fut substituée la benzine. Dans ce
but fut inventé un petit appareil de poche, dit briquet automa-
tique. L'extrême facilité avec laquelle il procure du feu
entraina promptement l'abandon par les fumeurs des allu-
mettes chimiques. Afin de protéger les intérêts du Trésor, fut
interdite la vente de tels briquets non poinçonnés, après verse-
ment d'une taxe (Loi 28 déc. 1910, art. 4).
A la vente, comme en beaucoup d'autres matières, la juris-
prudence assimila toute détention pour la vente. Mais fallait-il
tenir pour illicite la possession du corps principal du briquet,
sur lequel s'appose le poinçon, dès avant qu'il soit mis en état
de produire du feu par adjonction de ses éléments complémen-
taires nécessaires, comme la molette et la pierre de ferro-
cérium? Non, décida d'abord la jurisprudence (Trib. corr.
Seine, 12 juil. 1913, deux jugements, Gaz. Pal., 1913-2-425 ;
Aix, 13 mars 1914, S., 1914-2-177, note M. Roux) ; mais elle
s'est ralliée depuis à l'opinion contraire, adoptée par la Cour
suprême (Trib. corr. Seine, 20 juin 1914, Gaz. Trib., 19 nov. ;
Cass., 12 nov. 1914, deux arrêts, S., 17-1-69).

§ 2. — CONTRATS POUR USAGE D'APPAREILS AUTOMATIQUES

I. — Supposons d'abord que l'usager soit le détenteur. On


peut recevoir en location des appareils automatiques moyen-
nant un prix convenu, comme on le fait parfois pour les
balances et bascules. Entre le propriétaire et l'usager intervient
alors un louage ordinaire, sur lequel n'influe pas l'automatisme
de la chose.
Prenons donc des appareils dont le fonctionnement joue
son rôle dans les rapports juridiques du propriétaire et du
détenteur. C'est le casnotamment des compteurs de toute
espèce, compteurs à eau, gaz, électricité. Quand il n'est pas
personnellement propriétaire du compteur, le détenteur passe
avec le propriétaire de l'appareil un contrat pour s'en assurer
l'usage. Le plus souvent, cet usage est l'objet d'une clause
spéciale du contrat plus général d'abonnement à la fourniture
de l'eau, etc. Ce contrat indique à l'ordinaire expressément
certaines obligations de l'usager, par exemple les dates
auxquelles il doit se prêter à la visite du compteur par un
préposé du fournisseur, pour relever le chiffre de la consom-
mation.
':.
Hors des cas ainsi prévus spécialement, les obligations de
l'abonné se déterminent d'après la nature de la convention.
Puisqu'elle a pour but l'utilisation de la chose d'autrui, tout
naturellement on songe au louage de chose; mais une objection

de ce genre, disant :
résulte d'une clause, à peu près de style, dans les abonnements
« L'usage du compteur est concédé gra-
tuitement à l'abonné. » Faut-il en conclure qu'il y a commodat?
Il importe de le préciser, la responsabilité du locataire
s'appréciant d'après le droit commun (art. 1137 et 1728, C.
civ.), tandis que celle du commodataire est particulièrement
rigoureuse, englobant parfois les cas fortuits (art. 1881 et 1882,
C. civ.). Il est difficile d'admettre, que, pour usage d'un comp-
teur employé dans l'intérêt commun des deux parties, l'abonné
se soit soumis à l'exorbitante responsabilité du commodataire;
du reste, l'usage du compteur ne lui est accordé qu'à raison de
son abonnement à la fourniture faite par son cocontractant. Il
est donc plus rationnel d'interpréter la clause ci-dessus en ce
sens que nulle somme spéciale n'est réclamée, par le fournis-
seur, pour l'usage du compteur par l'abonné, la rétribution de
cet usage restant comprise dans le prix de l'abonnement.
Nul ne doute que le prix de location du taximètre d'une
voiture ne soit compris dans celui de la voiture elle-même.
Lorsque l'usager d'un appareil automatique le détient en
vertu d'un contrat, celui-ci fixe, à l'ordinaire, sa durée, comme
c'est le cas pour les compteurs d'eau, gaz ou électricité. Dans
ces conditions, l'usager a droit d'exiger que, pendant toute cette
durée, l'appareil fonctionne assez régulièrement pour remplir
le rôle convenu.
L'abonné à l'eau, au gaz, à l'électricité faussant son comp-
teur, avant de s'en servir, pour se procurer une fourniture

;
toute gratuite, commet le délit de vol (Crim., 3 avril 1912, S.,
1913-1-337, note M. Roux Paris, 7 déc. 1907, S., 1908-2-301).
Si la manœuvre frauduleuse, au lieu de précéder l'appropria-
tion des fournitures, suit à l'inverse une appropriation légitime,
en cherchant à dissimuler la quantité perçue, par exemple
si l'abonné recule les aiguilles de son compteur, il y a trom-
perie sur la quantité de marchandises vendues, punie par la
loi du 1er août 1905 (Crim., 16 fév. 1899, S., 1900-1-471 ; Paris,
7 déc. 1907, S., 1908-2-301).
Le fournisseur de l'eau, etc., a droit de suspendre ses
fournitures à l'abonné commettant ce détournement clan-
destin, toute partie dans un contrat synallagmatique pouvant
refuser ses services à l'autre, qui manque à ses engagements
(Trib. référés du Caire, 29 décembre 1927, Gazette des Tribu-
naux Mixtes, XVIII, p. 143 ; cf. Reu. trim. Droit civil, 1928,.
p. 744).
Des questions analogues se posent pour les machines
louées par des industriels, moyennant un prix proportionnel au
nombre d'objets fabriqués, automatiquement enregistré par
un compteur, comme celles de l'United Shoe Machinerg C°,
pour coudre les semelles de chaussures.
D'autres fois on est en présence d'appareils délivrant auto-
matiquement, à qui les fait fonctionner, l'objet dont on veut se
servir. C'est le cas des étuis à jumelles, fixés au dos des fau-
teuils de théâtre, qui s'ouvrent en introduisant, dans une fente,
une pièce de monnaie. Il y a ici location de la lorgnette moyen-
nant cette pièce de monnaie. On appliquerait les effets du
louage. Le spectateur qui détournerait la jumelle ainsi louée
commettrait le délit d'abus de confiance (art. 408, C. pénal).
II. — Quand les usagers ne détiennent pas l'appareil,
qu'il soit aux mains de son propriétaire, ou d'un autre
gardien, une série de contrats se forment entre le propriétaire
et chacun des usagers successifs, chaque fois qu'une personne
met l'appareil en mouvement. Le propriétaire se trouve dans
un état continuel de pollicitation à l'égard du public, acceptant
à l'avance de traiter avec toute personne se servant de son
appareil, conformément à sa destination. En général une
inscription, sur l'appareil ou près de lui, indique la manière de
lefaire fonctionner, et les objet ou service que le public en peut
attendre. Cette inscription joue le rôle d'un cahier des charges
sommaire du contrat de chaque usager.
Sauf le cas des enfants, ne touchant guère qu'aux appa-
reils d'une manœuvre assez simple pour se passer d'explica-
tion préalable, ces instructions sont toujours lues de toute
personne voulant user de l'appareil, avant de le faire fonction-
ner. Il est donc rationnel et conforme à la marche habituelle
des choses, de supposer qu'elle s'y soumet en manœuvrant
l'appareil, mais aussi qu'elle compte sur les avantages promis.
Le voyageur, ayant détaché un ticket numéroté du distri-
buteur detickets à l'arrêt d'un autobus, a droit à la place que
lui assigne son numéro, dans la première voiture quipasse
ayant des vides suffisants pour le recevoir.
Le fonctionnement de l'engin automatique forme un véri-

:
table contrat d'adhésion, obligeant les parties, le propriétaire
et l'usager. (Cf. notre étude « Clauses imprimées et clauses
manuscrites. Revue trimestrielle Droit civil, 1927, p. 312).
On discute en jurisprudence quant à la responsabilité des
dommages causés par le fonctionnement de l'appareil. Le plus
souvent les tribunaux appliquent ici les principes de la respon-
sabilité non pas contractuelle mais délictuelle. Son propriétaire
répond du dommage causé par le mauvais fonctionnement.

;
Mais sa faute doit être prouvée et n'est pas présumée de plein
droit ainsi l'a-t-on jugé pour les jeux forains automatiques,
notamment les balançoires mises en mouvement par le client,
considéré comme en ayant la garde (Douai, 6 déc. 1933, D. H.,
1934, sup., p. 23 ; Trib. Saint-Etienne, lor mai 1928, D. P., 1928-
2-363). La faute du propriétaire se présume au contraire,
conformément à l'article 1384, § 1er, C. Civ., quand il met lui-
même l'appareil en mouvement, comme un manège de balan-
çoires circulaires. (Paris, 22 fév. 1926, D. P., 1927-2-25).
Les trottoirs roulants, escaliers automatiques, tobogans et
engins analogues, ont soulevé des discussions. Leurs proprié-
taires répondent-ils des accidents survenus et sont-ils respon-
?
sables de plein droit D'abord très indulgente pour eux, la
jurisprudence devintplus sévère avec la multiplication des
accidents. Témoins ces deux arrêts, types de chacune des deux
tendances, invoquant tous deux les principes de la responsa-
bilité contractuelle. Jugé d'abord que le propriétaire d'un trot-
toir roulant ne répond pas de la fracture de jambe d'un client,
par une chute au dehors, toute personne, dit l'arrêt, acceptant
l'éventualité d'une chute en montant dans cet appareil. Même
en admettant que son propriétaire doive empêcher les clients
de tomber, en les faisant surveiller par un gardien, il ne répon-
drait cependant pas des chutes que n'a pas empêchées ce der-
nier, quand, par suite de la grande affluence des amateurs, ces
chutes sont très nombreuses. Toutefois, l'arrêt reconnaît que
le propriétaire serait responsable, si l'on prouvait que l'acci-
dent est dû au vice de fonctionnement ou bien à quelque
dérangement de l'appareil (Rouen, 17 mai 1924, D. P., 1927-2-
25 ; cf. M. Demogue, Rev. trime Droitcivil, 1927, p. 425 et
p.629).
Quatre ans plus tard intervenait une solution toute diffé-
rente. La Cour admit la formation, entre le client et l'entre-
preneur d'un tobogan, d'un contrat obligeant le second à
garantir la sécurité du premier, qui a donc droit, en cas d'acci-
dent, à une indemnité, sans avoir besoin de prouver la faute
de son adversaire (Grenoble, 27 fév. 1928, D. H., 1928, p. 343;
cf. M. Demogue, Rev. trim. Droit civil, 1928, p. 662). Ce nouvel
arrêt refusa d'admettre qu'on accepte le risque des accidents
pouvant survenir, quand on emploie ces appareils.
En face du développement de la jurisprudence relative à
la responsabilité des choses inanimées, il est assez probable
qu'au premier jour la question s'envisagéra sous cet angle et
que les propriétaires de tapis roulants seront condamnés à
indemniser les accidents, s'ils neprouvent un cas fortuit ou de
force majeure, ou la faute de la victime (cf. Magasins à Mono-
prix et questions de responsabilité. Rec. Académie de législ.,
tome XI, p. 86).
D'autre part, l'entrepreneur qui, pour augmenter ses
gains, met sciemment à la disposition du public un distribu-
teur endommagé, qui reçoit les pièces de monnaie des clients
sans leur délivrer nul objet, ou bien un compteur faussé pour
indiquer un chiffre supérieur à la somme due, se livre à une
manœuvre frauduleuse pour s'approprier l'argent d'autrui, au
sens de l'article 405, Code Pénal.
Ainsi l'a-t-on jugé d'un conducteur de voiture ou d'auto
faisant usage d'un compteur taximètre artificieusement pré-
paré pour augmenter le prix de la course et demander aux
voyageurs somme supérieure au prix légitimement dû, même
quand le chiffre exact des sommes payées demeure inconnu
(Crim., 20 déc. 1928, S., 30-1-196).
Des fraudes dans le fonctionnement d'engins automati-
ques ont été relevés à la charge des clients. Des poursuites ont
été parfois entamées, pour introduction de jetons ou autres
objets pesants analogues, dans l'ouverture de distributeurs
destinée à recevoir des pièces de monnaie, afin de se procurer
gratuitement les objets qu'ils contenaient, comme en témoi-
gnent des extraits de jugements affichés sur certains distri-
buteurs.
Ces délinquants doivent-ils être inculpés d'escroquerie ou
?
de vol On peut songer au délit d'escroquerie, en disant que
le prévenu s'est approprié, par une manœuvre frauduleuse, une
marchandise volontairement mise à sa disposition par son
propriétaire. Cependant, les divergences entre les arrêts mon-
trent que l'emploi de jetons ou de pièces fausses, pour s'appro-
prier le bien d'autrui, ne constitue pas à lui seul la manœuvre
frauduleuse exigée dans le délit d'escroquerie. (Condamnation:
Crim., 23 août 1872, 5-1872-1-350).
Mais la jurisprudence décide que, dans la vente au comp-
tant, la remise définitive n'est consentie par le vendeur qu'au
moment du versement du prix, et que toute autre délivrance,
n'étant que provisoire, n'empêche pas l'inculpation de vol à
la charge de prétendus acheteurs (Crim., 4 juin 1915, S., 1918-
1-225, note M. Roux).
La Cour de Cassation a jugé l'inculpation de vol exacte-
ment appliquée dans une espèce assez voisine de celle qui nous
préoccupe, où, à l'aide d'un instrument de sa fabrication, une
personne avait ouvert un distributeur d'eau, et s'était de la
sorte indûment approprié celle-ci (Crim., 10 déc. 1887, S.,
1888-1-38, rapport M. Sallantin). Quand, à l'insu du délin-
quant, le distributeur est vide au moment de l'introduction de
jetons, il y aurait, non pas délit impossible, mais tentative de
vol, comme on l'a jugé de l'effraction de troncs destinés à rece-
voir des aumônes (Crim., 4 nov. 1876, S., 1877-1-48).

§ 3. — DOMMAGES CAUSÉS PAR DES APPAREILS DE DÉFENSE

Il est des engins automatiques utilisés pour la protection


des intérêts de leurs maîtres. Nul n'en critique l'emploi quand
ils ne portent à personne un dommage sensible, tels les sonne-
ries, lampes ou pétards, avertissant le maître de céans de
l'entrée d'un nouveau venu, des mécanismes refermant les
portes pour arrêter les animaux errants, les intrus ou simple-
ment les regards importuns.
Un commerçant employant, à l'entrée deson magasin,
une sonnerie électrique d'intensité moyenne, pour l'avertir
automatiquement de l'arrivée de tout client, ne doitnulle
indemnité aux locataires des étages supérieurs pour trouble
dans leurs auditions radiophoniques (Lyon, 13 juil. 1932, S.,
1932-1-222 ; cf. Appareils médico-électriques et parasites de
T. S. F., Paris Médical, 13 juillet 1935, p. II, etc.).
La discussion surgit sitôt qu'apparaissent des dommages
sérieux pour autrui. Peut-être accepterait-on telles entraves ou
dommages, par la résistance de la personne elle-même, qui les
proportionnerait aux besoins de sa défense. Mais on s'insurge
contre l'emploi de machines causant aveuglément des domma-
ges. Le tout est de savoir si leur propriétaire excède les limites
de ses droits ou s'il n'y a pas quelque faute de la part de celui
qui fait jouer le mécanisme incriminé. Souvent ces litiges sont
portés en justice, généralement ils ne dépassent pas les plus
humbles juridictions (querelles de paysans pour chiens ou pou-
les pris au piège, seau d'eau qu'une porte entrebaillée renverse
sur une tête indiscrète.). Limitons-nous à deux exemples,
dans deux genres d'affaires portés en Cassation, relatifs l'un
aux dommages aux biens, l'autre aux dommages à la personne.
I. — Une
;
contestation fréquente entre voisins de campa-
gne concerne le gibier l'un se plaint tantôt que celui de l'autre
ravage les cultures du premier, tantôt que l'autre attire celui
du premier sur ses propres terres pour se l'approprier. Dans
les deux cas, on use d'engins mécaniques divers. L'emploi de
tous engins ou instruments de chasse est toujours permis con-
tre les animaux malfaisantsou nuisibles, sauf restrictions pré-
fectorales, mais non contre tous autres (loi 3 mai 1844, art. 9,
mod. par loi 1er mai 1924).
D'où nécessité de distinguer, entre les dispositifs déclan-
chés par le gibier, lesquels rentrent ou non dans les engins
prohibés. D'après un constante jurisprudence, remontant au
lendemain même de la loi du 3 mai 1844, la chasse ayant essen-
tiellement pour but la capture du gibier, ne doivent être quali-
fiés engins de chasse que les instruments tels que filets, raquet-
tes, lacets, collets, gluaux, pinces, trappes ou instruments ana-
logues propres à saisir ou tuer le gibier (Crim., 15 oct. 1844,
D. P., 1845-1-26 ; Grenoble, 2 janv. 1845, D. P., 1845-2-42 ;
Crim., 18 décembre 1886, S., 87-1-140 ; Paris, 21 janv. 1890,
S., 1890-2-40).
Dès lors, sont toujours permises, quels que soient les ani-
maux sauvages qui les déclanchent, les trappes mobiles placées
dans les clôtures, laissant le gibier entrer mais non sortir.
(Req., 22 juil. 1861, D. P., 1861-1-475 ; Crim., 18 déc. 1886
précité).
Il n'en serait autrement que pour les « parcs à trappes
américaines », enceintes de treillis où le gibier se trouve en
l'immédiate et complète possession du maître du parc (Amiens,

I, n° 130, p. 143
n" 475).
;
25 juin 1903, S., 1904-2-260 ; Leblond, Code de la chasse, 2e éd.,
Larcher, Rép. alph. du Droit de chasse,

Hormis ces dernières installations, qui d'ordinaire se pla-


cent à l'intérieur d'un domaine et non sur ses confins, il n'est
pas loisible au voisin de se plaindre, ni au civil, ni en correc-
tionnelle, des trappes mobiles placées par son voisin, dans ses
clôtures, pour laisser pénétrer le gibier sur ses terres, sans
l'en laisser ressortir (Req., 22 juil. 1861 et Crim., 18 déc. 1886,
précitée).

II. — L'emploi sur son bien d'engins pouvant automati-


quement blesser les personnes fut discuté plus longuement et
plus vivement encore.
Une célèbre inscription de Pompéi, au bas d'une mosaïque
expressive, — Cave canem — nous montre que, dès les pre-
miers siècles de notre ère, pour les Romains eux-mêmes, si
férus de leur droit de propriété, il n'était pas permis d'employer,
sans précaution, tout moyen de la défendre contre les atteintes
d'autrui. Des textes du Digeste reconnaissent la responsabilité
- du propriétaire n'ayant pas averti d'un risque le public tra-
versant son fonds, d'après une tolérance générale (Dig., IX,
2 ad legem aquiliam, 31).
La jurisprudence actuelle oblige le propriétaire, qui laisse
tout venant traverser son immeuble, à prendre toutes précau-
tions requises pour n'occasionner nul dommage aux passants
(Req., 1er juil. 1878, S.,1879-1-423 ; 1er juin 1881, S., 1884-1-
31). A plus forte raison répond-il des morsures du chien
méchant qu'il y a placé, causées aux personnes pénétrant chez,
lui, sans méfiance, en plein jour, selon l'habitude locale
(Alger, 5 juin 1878, S., 1880-2-176 ; Trib. Nice, 23 oct. 1912,
Gaz. Trib., 1912, II,2,397).
Toutefois, la nuit, la scène change, au moins dans les
immeubles clos. Le propriétaire n'est pas tenu d'éclairer son
immeuble, pour empêcher les étrangers s'y aventurant d'y
heurter des obstacles (Civ., 27 déc. 1898, S. 1899, 1. 230 ; Cf.
M. Charmont, Rev. crit. lég. et jurispr., 1900, p. 9) ; il a droit
d'en assurer la garde par un chien (Bordeaux, 6 avril 1892,
S. 1892, 2. 183 ; cf. M. Demogue, Rev. trim. Droit civil, 1904,
p.860, n° 19).
Cependant on lui a contesté le droit d'y placer des engins
de défense automatique, susceptibles de causer un dommage
hors de proportion avec l'imprudence commise par un visiteur,
même de nuit, qui n'est pas averti de se méfier, comme il l'est
par les aboiements d'un chien à l'arrivée d'un étranger. Les
blessures et même l'homicide sont excusés ou absous, par la
loi, quand ils sont rendus nécessaires pour la défense de la
personne (art. 323, 328 et 329, C. Pénal) ; mais on a nié qu'ils
le soient quand il s'agit seulement de défendre la propriété
(V. note du Doyen Lyon-Caen, S. 1903, 1. 5).
Des braconniers pénétrant constamment, de nuit, par
escalade, sur ses terres, pour venir pêcher la truite dans son
vivier, un propriétaire plaça, sur leur passage, un détonateur,
chargé d'abord simplement de sel et de cendrée, plus tard de
plomb n° 4 quand il les vit mépriser ses précautions. Un
braconnier venant alors une nuit dans le parc, ainsi qu'il en
avait l'habitude, heurta le fil qui commandait le détonateur, en
provoqua l'explosion et reçut toute la charge lui fracassant la
jambe.
;
Vainement il porta plainte au criminel la chambre des
mises en accusation jugea n'y avoir lieu à poursuite. Il réclama
au civil une indemnité qui lui fut accordée par le premier juge-
ment, modérant de beaucoup le chiffre demandé. Mais en appel
le jugement fut réformé, et le pourvoi rejeté en Cassation. La
Cour d'appel et la Cour suprême déclarent que le propriétaire
n'était pas en faute et que le braconnier devait attribuer sa
blessure uniquement aux conséquences de son fait personnel
(Dijon, 21 mars 1900, et Req., 25 mars 1902, S. 1904, 1. 5).
Depuis lors la même solution a été, pour les mêmes motifs,
étendue au cas de morsure par un chien d'une personne péné-
trant de jour, sans raison plausible, dans une propriété close,
ou dans la partie close d'une propriété (Paris, 8 juil. 1903, S.
2.
1904, 246 ; Cass., 20 janv. 1904, S. 1904, 1. 320). On peut
donc supposer que l'emploi, même le jour, d'un appareil auto-
matique pour écarter les importuns ou les malfaiteurs serait
admis par la jurisprudence.

:;:'"

;
Les avantages de toute sorte des mécanismes automati-
ques sont indéniables spécialement ils simplifient la vie con-
temporaine en remplaçant la main-d'œuvre. L'économie qu'ils
procurent est appréciable au cours de la crise économique
actuelle, qui les multiplie. Mais ces machines aveugles et irres-
ponsables peuvent devenir aisément des instruments de frau-
des (bascules et balances fausses, distributeurs de mauvaise
marchandise, etc.) ou des causes de danger (pièges, détona-
teurs, etc., blessant indistinctement tout passant). C'est pour
quoi la loi et la jurisprudence en réglementent et limitent
l'usage pour tempérer les risques et pour éviter les abus.

E.-H. PERREAU,
Professeur honoraire à la Facilité de Droit
de Toulouse.
NOTES DE JURISPRUDENCE
SUR L'ASSURANCE BONNE DATE «
î 11

La présente étude a pour objet de décrire, à la lumière


de quelques contrats litigieux et des arrêts qui les ont inter-
prétés, le mécanisme que désignent les termes d'assurance-
crédit « bonne date ». Elle ne commence donc pas par une
définition. Il suffit, pour l'instant, de rappeler qu'à l'instar de
compagnies américaines (1), anglaises (2) et allemandes (3),
certains assureurs français (4) ont consenti, depuis 1923-1924,

qu'il accorde. Ainsi naquirent :


à couvrir le commerçant contre le risque inhérent aux crédits
a) l'assurance « bonne fin »,
qui protège de l'insolvabilité définitive, tous recours épuisés ;
,,

b) l'assurance « bonne date », garantie du simple non-paye-


ment à l'échéance.
Cette seconde pratique est une source de controverses. Les
uns (5) y voient un aval, ou un cautionnement, véritable opé-
ration de banque, ouvrant, de piano, à celui qui règle la dette
d'autrui, la subrogation dans les droits du créancier. Pour
d'autres (6), au contraire, elle est un contrat d'assurance pro-

::
(1) Notamment l'American Credit Indemnity Cy, et la London

::
Guarantee and Accidents Cy Ltd (U. S. A. Branch).
(2) Notamment l'Export Credits Guarantee Department.
(3) Notamment l'Hermès.
(4) Notamment La Société française d'assurances pour favoriser le
crédit, la Nationale, la Société des assurances générales, l'Urbaine et la
Seine.
(5) Sumien, « Traité théorique et pratique des assurances terres-
tres », 1937, p. 257; Raymond Michel, « L'assurance des crédits en droit
;
comparé », 1937, pp. 38 et ss. Guillaume de Tarde, Revue générale des
;
asmramces terrestres, 1930, pp. 475 et ss. Desbrosses, ib., 1930, pp. 866
et ss.; R. Vanard, ib., 1930, pp. 276 et ss., 1933, pp. 770 et sa., note
signée M. P., ib., 1936, pp. 606 et 836; H. Solus, S., 1937-2-28, G. P.,
21 janvier 1938, p. 3.
(6) A. de Mirimonde, « Manuel pratique des
- -- - assurances », 1928,
pp. 175 et ss.; J. Escarra, D., 1936-2-113; Commentaires de jurisprudence
à la G. P., 3-4 décembre 1937, p. 1 et à la G. T., 27-28 mai 1936.
prement dit, le sinistre étant la défaillance du débiteur, auquel
cas l'assureur, qui verse l'indemnité, éteint sa dette personnelle
et ne jouit d'aucune subrogation légale (7). Un troisième
parti (8), enfin, en fait une synthèse assurance-banque, et se
prononce pour le recours de l'assureur.
La crise économique a matérialisé le conflit. L'incurie de
débiteurs nombreux, ordinaires ou cambiaires, incite les com-

;
pagnies à plaider, coûte que coûte, la thèse qui les favorise,
celle de la subrogation de plein droit elles se heurtent, bien
entendu, à des résistances solides. La Cour de Cassation n'a
pas encore tranché le débat, mais, divers pourvois étant d'ores
et déjà formés, il semble actuellement opportun de dresser le
bilan des décisions d'appel, et, avec elles, de reprendre l'analyse
des documents produits.

de deux remarques :
Telle est la tâche que nous entreprenons, sous le bénéfice

1° Le droit privé français relève, aujourd'hui, du consen-


sualisme juridique (9). Les parties choisissent, à leur guise,
les termes qui traduiront leur volonté. Dès lors, derrière les
mots, le juge dufond doit pénétrer la pensée contractuelle.
Son pouvoir n'en comporte pas moins unelimite :
la Cour;
suprême se reconnaît le droit de casser les décisions qui, sous
couvert deles interpréter, déforment le sens de clauses claires
et précises. C'est la théorie de la dénaturation (10).
Bien qu'il s'étende à la généralité des actes juridiques, ce
principe revêt une rigueur particulière en matière d'assurance,
contrat aléatoire, donc dangereux, où les parties sont censées
avoir prévu à l'extrême l'équilibre de leursintérêts. Comme
l'énonce un arrêt dela Chambre civile du 19 octobre 1914 (11):

(7) L'article36de laloi du 13 juillet.1930 doit, en effet, être écarté,


car l'article 1er exclut du domaine des nouveaux textes les opérations
d'assurance-crédit (cf. rapport Lafarge, J. O., 5 août 1926, n° 3316).
Cette exclusion a, d'ailleurs, été critiquée par H. Capitant (Revue géné-
rale des assuraâices terrestres, 1930, p. 745).
(8) Roger Houin, Revue générale des assurances terrestres, 1937,
p. 5. "-
(9) Cf. Planiol et Ripert, IV, nON 95 et suivants.
(10) Cf. Marty, « La distinction du fait et du droit », 1929, nO. 143
et suivants.
(11) S., 1914-1-468.
« L'assurance est un contrat aléatoire, qui doit être rigoureu-
« sement renfermé dans les termes des conventions acceptées
« par les parties. » (12). Ce caractère strict de l'interprétation
tient encore à la haute compétence des spécialistes chargés de
rédiger des polices dont ils pèsent chaque expression.
Notre examen s'inspirera de ce point de vue, un peu banal
peut-être, mais, nous le verrons, méconnu par plusieurs
auteurs et tribunaux.
2° En fait, — par suite du marasme général, aggravé quel-

a causé maints déboires certaines compagnies ;


quefois de fautes de gestion (13), — l'assurance « bonne date»
à celles-ci
alors, soit coupé court à ce genre d'opérations, soit modifié le
ont

texte et la portée de leurs contrats. Il va de soi qu'une telle


politique doit demeurer étrangère à la lecture d'accords qui lui
sont antérieurs de quelques dix à douze ans, et que les
circonstances de leur passation peuvent seules éclairer. Notre
jurisprudence a écarté l'imprévision. Encore moins tolèrerait-
elle cette imprévision déguisée que serait la déformation
rétrospective d'une convention.
Sort également du débat, au cas où l'analyse aboutirait
à priver l'assureur de tout recours légal, la considération,
émise par la Cour de Paris (14) et par M. le professeur HV
Solus (15), qu'un dénouement de ce genre favorise la fraude
du débiteur solvable. Comme il sera dit plus loin, l'assureur
dispose de moyens conventionnels de transfert (16) : il ne perd
ses droits que par négligence. Or, c'est un principe souvent
consacré que l'indolence du créancier profite au débiteur (17).

(12) Jurisprudence constante : Cass. civ., 11 avril 1921 (S., 1922-1-


84) ; 29 mai 1933 (Revue générale des assurances terrestres, 1933,
p. 801); Cass. Req., 18 février 1936 (ib., 1936, p. 578).
(13) Dans certaines compagnies, ces fautes ont été assez graves pour
provoquer des poursuites pénales.
(14) Paris, 5 novembre et 17 décembre 1937, G. P., 1937-2-840 et
1938, p. 2.
(15) Chronique à la G. P., 1938, p. 3.
(16) Endossement, cession de créance et subrogation convention-
nelle.
(17) 11 suffit de noter la théorie de la prescription extinctive, parti-
culièrement celle des courtes prescriptions, et les obligations du porteur
diligent en matière de change.
Parfois même, s'inspirant du fond, la Cour de Cassation refuse

;
une deuxième voie de droit au créancier imprudent sur un
premier recours telle fut, par exemple, à n'en pas douter, la
raison qui retarda, de 1889 à 1892, le triomphe de la notion
d'enrichissement sans cause (18).

**
*

Cela étant, quelle est, au regard des contrats inclus dans


les polices d'assurance-crédit « bonne date »
et dans les ave-
nants qu'elles alimentent (19), l'attitude des Cours d'appel ?
(18) L'arrêt du 11 juillet 1889 (S., 1890-1-97) refusa l'action « de in
rem verso » au Crédit foncier qui, consentant un prêt, annulé par la
suite, avait désintéressé deux créanciers hypothécaires sans prendre la
précaution de se faire subroger. Le principe de l'enrichissement sans cause
fut, par contre, posé dans l'arrêt Boudier (Req., 15 juin 1892, S., 1893-
1-281).

:
(19) Le contrat d'assurance-crédit « bonne date » comporte deux
séries d'instruments la police, les avenants d'aliment. Malgré quelques
:
nuances de rédaction, ces documents se ramènent, pour presque toutes les
Compagnies, aux types suivants
a) Polices. — La police est généralement longue et détaillée. En
:
voici, empruntées à la pratique de « L'Urbaine et la Seine », les clauses
essentielles
Objet et étendue de l'assurance. — « Le présent contrat a pour objet
«de garantir à l'assuré, pour ses opérations en France, avec des ache-
«teurs ayant un domicile légal et régulier en France, le cas de défait-
«lance dit preneur dans l'exécution du contrat de vente établi par l'as-
«suré. La défaillance de l'acheteur sera dûment établie par le l'ait
«qu'une traite aura été protestée et que la mise en demeure. aura été
«envoyée. » (En fait, le risque garanti n'est pas toujours celui d'une
vente, mais aussi celui d'un financement.)
Déclarations de l'assuré. — « L'assuré s'engage à procéder avec la
« même prudence et en s'entourant des mêmes précautions que s'il n'était
« pas assuré. Il devra, d'une façon générale, prendre toutes mesures
«conservatoires et autres susceptibles de sauvegarder les intérêts et les
«droits, notamment les recours de la Compagnie, et ce, à peine de
«déchéance. Il devra, avant de signer un contrat de vente, se munir de
«tous les renseignements relatifs à la solvabilité et à la moralité du
«client. A cet effet, il devra s'adresser à une Banque et à une agence de
« renseignements notoirement sérieuse et s'engager à ne traiter avec
«l'acheteur que si ces renseignements indiquent ledit acheteur tomme
« jouissant d'un crédit au moins égal au montant des traites ou billets fc
<!:souscrire par lui et d'une excellente moralité. Ces renseignements seront
« communiqués à la Compagnie avant la signature du contrat de vente,
4, la Compagnie se réservant d'exclure, à sa seule volonté, de l'avenant
< prvvu à l'article n, ceux des contrats de vente qui ne lui sembleraient
« pas rentrer dans les dispositions du présent article. Dans le cas où
«les renseignements ne donneraient pas l'acheteur comme jouissant d'une
Leurs arrêts se répartissent en trois groupes :
Sans définir la nature du mécanism,e discuté, les

uns (20) n'en accordent pas moins à l'assureur son action, si
elle se justifie par des précautions d'ordre conventionnel.

« surface totale suffisante au crédit, mais que, par ailleurs, les autres
« renseignements de moralité seraient acceptables, les traites ou billets
« devraient être avalisés par une banque, un commerçant patenté, un
« officier ministériel ou toute autre personne dont la signature lerait
« jugée suffisante. » Ces diverses obligations sont sanctionnées par la
déchéance du contrat.
Obligations de l'assuré en cours de contrat. — Lorsqu'une vente
donne lieu à la garantie de l'assureur, celui-cireçoit de l'assuré un ensem-
ble de renseignements, et, ajoute la police, « la Compagnie établira les
« avenants reproduisant les diverses indications mentionnées ci-dessus. »
Nous verrons ces avenants plus loin.
Sinistres. — « Dans le cas où une traite quelconque serait protestée
à
« sa présentation, l'assuré doit en informer la Compagnie par lettre
« recommandée dans les quarante-huit heures, à partir du moment où il
«en aura eu connaissance, en même temps qu'il enverra à l'acheteur Une
«mise en demeure. L'assuré s'engage à faire tenir à la Compagnie,
«conjointement avec la déclaration de défaillance, l'original du protêt,
«ainsi qu'un acte de subrogation (dont le modèle sera fourni par la Dom-
«pagnie) de tous ses droits à l'égard de l'acheteur défaillant, tubroga-
«tion qui sera faite en faveur de la Compagnie, laquelle aura la faculté
«de prendre toutes mesures propres au recouvrement de sa créance. )
Paiement des inderrmitéSi — « Il
est formellement convenu que
«l'assuré restera son propre assureur dans la proportion de vingt pour
«cent. »
b) Avenants. — Ainsi donc, chaque fois qu'il consent à couvrir l'as-
suré contre les risques découlant d'un contrat précis, l'assureur rédige un
avenant. Remis à l'escompteur de la traite, ce titre circule avec elle et
c'est sa présentation qui, en cas de protêt à l'échéance, permet au der-
nier porteur de se faire rembourser le montant de l'effet. Il n'en est pas
:
moins incontestable que l'avenant prolonge la police, la mettant simple-
ment en œuvre dans une espèce précise les praticiens illustrent ce phé-
nomène en parlant d' « avenant d'aliment ».
Voici, toujours d'après l'Urbaine et la Seine, un modèle d'avenant
« Aux clauses et conditions de ladite police, la Compagnie assure une
:
«traite, d'un montant de., tirée par., acceptée par., venant à
« échéance le. En conséquence, la Compagnies'engage à rembourser au
<K
Banquier tiers-porteur, dans les dix. jours de la présentation, ladite
« traite si elle est impayée à son échéance, protestée dans les délais légaux,
« sur remise de la traite acceptée, du protêt et de l'avenant d'assurance.
« Ce payement sera effectué au Banquier tiers-porteur, sans qu'il y ait
« lieu de rechercher si les obligations à la charge de l'assuré ont été res-
« pectées par lui, celui-ci demeurant soumis, à, l'égard de la Compagnie,
« aux clauses et conditions de ladite police. »
(20) Bordeaux, 2 avril 1935. Revue gên. des ass. terr., 1936, p. 831;
Nîmes, 8 et 22 mai 1936, lb., 1936, pp. 832 et as.; Montpellier, 26 juin
1936, 1,b., p. 835.
20 A défaut de telles mesures, d'autres (21), abordant le
problème de front, se rallient au système de l'aval et font
profiter la compagnie d'une subrogation cambiaire.
30 Quant aux derniers (22), ils refusent de quitter le plan
spécifique de l'assurance et interprètent le payement de l'in-
demnité comme celui d'une dette personnelle, exclusive de tout
recours.
Notre étude sera donc tripartite.
***

Bien qu'elle ne résolve pas la question de nature dans


l'assurance « bonne date », la première série d'arrêts, qu'on
serait tenté de ne citer que pour mémoire, mérite un bref com-
mentaire, d'aucuns (23) l'ayant, à tort selon nous, considérée
comme préjugeant au fond le point dont il s'agit ici.
Lors du payement au porteur de la traite protestée, l'assu-

taires d'acquisition des recours :


reur a, pratiquement (24), le choix entre trois procédés volon-
l'endossement, la cession
de créance, la subrogation conventionnelle. Nul arrêt n'a
encore, en notre matière, consacré ce dernier mode dans une
hypothèse où son application eût paru plausible,
;la
Cour de
Riom (25) l'a même formellement éliminé (26). Les deux pre-
miers, par contre, ont suscité des décisions intéressantes.
1° Simple,élégante, indiscutable, la solution de l'endosse-
ment à l'assureur par l'escompteur de lalettre ressort, plusou
moins explicitement, de plusieurs arrêts.

(21) Paris, 5 novembre et 17 décembre.1937, précités. — Ajoutons


;
deux arrêts non publiés (Agen, 14 mars 1928 et Paris, 1er mars 1928).
(22) Riom, 15mai 1936, D., 1936-2-113, S., 1937-2-27 Riom,30 octo-
bre 1936, Revue gén. des ass. terr., 1936, p. 1067; Paris (référés), 23 jan-
vier 1937, ib., 1937, p. 319.
(23) Note signée M. P., à la Revue gén. des ass. terr., 1936, p. 836;
H. Solus, G. P., 1938, p. 3.
(24) Il faut, en effet, écarter la novation, qui n'offre que des incon-
vénients, et la délégation, peu pratique en dehors de l'endossement.
(25) Riom, 15 mai et 30 octobre 1936, précités.
(26) Of.infra, III.
D'abord, de deux décisions, la première du 8, la seconde
du 22 mai 1936, rendues, l'une et l'autre, par la Cour de Nîmes,
au profit de l'Urbaine et la Seine (27).

26 juin 1936 (28), qui s'exprime moins clairement :


Puis, d'un arrêt de la Cour de Montpellier, en date du
« Atten-
du », y est-il dit des débiteurs « qu'ils n'ont point contesté que
« la Compagnie l'Urbaine et la Seine soit un porteur de bonne
« foi. ». Est-ce à dire, comme le laisse entendre une note
signée M. P. à la Revue générale des assurances terrestres (29),
que la Cour ait voulu dissocier les qualités d'endossataire et
de porteur de bonne foi, n'attribuant cette dernière à l'assu-
reur qu'au seul vu du payement et de la détention de la traite?
Nous en doutons. La position et le qualificatif de « porteur
de bonne foi » sont particuliers au droit du change, où ils
commandent l'inopposabilité des exceptions. Ils supposent
donc une transmission régulière de la lettre. Or, en droit com-
mercial français originel (C. comm., art. 136) aussi bien que

:
dans la loi uniforme (C. comm., art. 117), la lettre de change
est, sauf mention contraire, un titre à ordre, transmissible par
le seul endossement à défaut de signature au dos de la traite,
la tradition est dépourvue de signification juridique (30).
L'arrêt n'a donc vraisemblablement visé qu'une référence au
mode normal de translation du droit du change. Ce qui lui ôte
toute autoritédans la querelle de l'assurance « bonne date ».
2° Parfois, lors du dédommagement, l'assureur-crédit se
fait céder, avec signification au tiré, les droits du porteur. Ainsi
en fut-il dans une affaire tranchée, le 2 avril 1935, par la Cour
de Bordeaux (31) : le banquier y avait reçu payement « de la
« Compagnie L'Urbaine et la Seine, tenue par son contrat
« d'assurance, contre quittance portant, en outre, cession de
« ses droits contre les tireur, tiré et avalistes. ».
En vérité, une terminologie imprécise, dont les assureurs
portent la responsabilité, confond fréquemment « cession»
et « subrogation conventionnelle ». Aussi peut-on se demander

(27) Nîmes, 8 et 22 mai 1936, précités.


(28) Montpellier, 26 juin 1936, précité.
(29) 1936, p. 836 précité.
(30) Cpr. Caen, 20 janvier 1933, S., 1933-2-236.
(31) Bordeaux, 2 avril1935, précité.
:
si, en l'occurrence, l'arrêt n'a pas usé d'un terme inexact et
voulu désigner la subrogation explication donnée par la note
précitée (32). Cette hypothèse dénature la rédaction dè l'arrêt
et ne nous semble pas nécessaire. A supposer, d'ailleurs, que
les parties aient initialement envisagé une subrogation conven-
tionnelle, la transformation prétorienne de celle-ci en une
cession de créance se justifie aisément par la combinaison de
deux motifs. D'une part, comme nous le constaterons en étu-
diant les arrêts de Riom, le payement par l'assureur-crédit se
prête mal à l'application de l'article 1250 du Code Civil. M,
d'autre part, la Cour suprême incline à dénommer cessions les
subrogations inachevées. Témoin l'arrêt de la Chambre civile
du 3 février 1885 (33) qui, tout en refusant la valeur d'une
subrogation à la clause de recours contre les tiers, insérée dans
une police d'assurance-incendie, y voit pourtant « une cession
« de droits éventuels et aléatoires, soumise à la seule condition
« de l'événement de l'incendie des immeubles assurés. »
Quoique Lyon-Caen l'ait critiquée (34), cette interprétation,
admise déjà par plusieurs décisions (35), fut reprise,après
deux arrêts de la Cour de Paris (36), par un rejet de la Cham-
bre des Requêtes du 13 novembre 1928 (37).
On peut donc, en droit positif, admettre que la Cour de
Bordeaux se soit purement et simplement référé à une cession

nale.
*
de créance. Son dit perd ainsi pour nous toute portée doctri-

***

II
Nous n'en dirons pas autant des arrêts précités de la Cour
de Paris (Sixième Chambre), rendus les 5 novembre et 17 dé-
cembre 193-7.

(32) 1936, p. 836 précité.


(33) Civ., 3 février 1885, D., 1886-1-173, S., 1886-1-273.
(34) Note au S., 1886-1-273.
(35) Cass. Civ., 24 novembre 1840, D., 1840-1-279, S., 1841-1-45;
Paris, 22 août 1873, S., 1875-1-211.
(36) Paris, 24 novembre 1903, S., 1904-2-174; Paris, 31 décembre
S., 1909-2-45.
1907,
(37) Req., 13 novembre 1928, G. P., 1928-2-881.
;
L'assureur avait, dans ces deux affaires, omis de se faire
endosser les traites il n'avait non plus procédé à une cession
de créance, ni à une subrogation dans les droits du porteur. La
question de son recours se posait donc sans échappatoire
Cour devait y répondre.
la :
Elle se prononça pour la théorie cambiaire, assimilation
de l'assureur à un donneur d'aval. Analyse, d'ailleurs, visible-
ment inspirée de la vigoureuse note de M. le professeur H.
Solus sous un des arrêts de Riom (38).
Le raisonnement consiste à séparer l'avenant de la police
et à le considérer comme le siège d'un contrat distinct de
»
l'assurance primitive. L'assurance « bonne date recouvrirait,
en réalité, deux opérations. En premier lieu, un accord, inscrit
dans la police, par lequel la Compagnie s'engage, contre 1?
salaire que représentent les primes, à se porter, dans des
hypothèses et à l'occasion de contrats dont elle se réserve
l'appréciation, aval de son client, l'assuré tireur (39). En
second lieu, cet aval lui-même, qui se manifeste, au moment
choisi, par la rédaction d'un avenant remis à l'escompteur (40).
Impayé à l'échéance, c'est donc à un avaliste que celui-ci
s'adresse quand il réclame son dû : à ce titre, la Compagnie qui
paye le banquier bénéficie de la subrogation légale contre tous

Lisons l'arrêt du 5 novembre :«


les signataires de l'effet (Code de Comm., art. 147 et 151).
Considérant »
y est-il
déclaré «que l'Urbaine et la Seine a passé deux contrats
« distincts, l'un avec
« porteur de l'effet assuré ;
le tireur-assuré, l'autre avec le tiers
que, si le premier constitue un

(38) S., 1937-2-27.


(39) En réalité, les partisans de la théorie cambiaire se divisent en
deux
groupes. Pour les uns (Cf. H. Solus, S., 1937-2-27; M. P., Revue
aucun élément d'assurance proprement dite :
gén. des ass. terr., 1936, p. 601), il n'y a, dans l'assurance « bonne date »,
la police contient une pro-
messe d'aval que l'avenant réalise. Pour les autres, au contraire (cf. R.
:
Houin, Revue gén. des ass. terr., 1937, p. 5), l'opération participe à la fois
de l'assurance et de l'aval la Compagnie et le tireur concluent, dans la
police, une véritable assurance, le risque étant constitué, d'une part, par
l'insolvabilité éventuelle du tiré, d'autre part, par la mise à la charge de
l'assureur des frais du procès de recouvrement; quant à l'avenant, il
enregistre le facteur bancaire de l'accord, c'est-à-dire l'aval donné à l'es-
compteur.
(40) Cf. Solus, note précitée, p. 28.
contrat d'assurance, il en est différemment du second,

;
«
« quoiqu'il apparaisse, d'après la qualification que les parties
« lui ont donnée, comme un avenant au premier Considérant,
en effet, que l'exemplaire destiné à la banque porte que

;
«
« l'Urbaine et la Seine s'engage à payer au banquier tiers
« porteur toute traite, protestée figurant à l'avenant qu'il
« s'agit donc bien, indépendamment du contrat d'assurance
« qui liele tireur à l'Urbaine, d'un véritable aval par acte
« séparé, circulant avec la lettre de change dont la
compagnie
« garantit le payement et conforme aux prescriptions de
« l'article 142 du Code de Commerce » (41).
Cette argumentation appelle plusieurs commentaires :

Il importe d'abord de mettre en relief la flagrante



contradiction qui oppose les motifs de l'arrêt aux termes de
l'avenant. La Courparle de deux contrats, séparés, non seule-
ment dans le temps, mais encore par leur essence. Mais
comment expliquerait-elle la référence formelle, de titre et de
texte, à une police dont l'avenant se qualifie lui-même de
conséquence (42) ? Il y a là une bizarrerie d'interprétation (43)
que la différence des taux de remboursement stipulés dans la
police (75 )
et dans l'avenant (100 )
ne suffit pas à justifier
Rien, en effet, n'empêche la Compagnie d'assumer, à l'occasion

le payement intégral,de la dette :


d'une traite déterminée et par dérogation au chiffre originel,
le partage des risques est,
non point une règle d'ordre public, mais une recommandation

(41) L'arrêt du 17 décembre s'exprime de manière analogue. Il hésite


néanmoins sur la qualification du contrat inscrit dans la police. Tantôt,
il y voit une assurance (« Considérant que l'Urbaine a passé deux contrats
« distincts; .que, si le premier peut constituer un contrat d'assurance,
« il en. est. », et plus loin « .que cette formule, indépendante du
« contrat d'assurance qui lie le tireur à l' Urbaine. ») Tantôt. il le
considère comme une promesse d'aval (« Qu'au vrai, dans la commune
« intention des parties, cette police n'est qu'une convention contenant
« promesse faite par l'Urbaine, en récompense de la perception des primes,
« d'avaliser dans un avenant, pour en faciliter l'escompte, les effets tirés
« par O.»). C'est là le reflet des divergences doctrinales signalées à la
note (39).
(42) Cf. 8upra, note (19).
(43) Cf. J. Escarra, D., 1936-2-113.
technique à laquelle l'assureur peut souscrire dans les polices,
mais renoncer aussi selon la liberté des conventions (44).
2° Si, de la pure interprétation des documents, l'on passe à
l'examen de la pratique bancaire et commerciale, on éprouve,
comme, dans une pénétrante étude (45), l'a relevé M. le
professeur J. Escarra, diverses surprises.
Nous ne citerons, pour notre part, que l'anomalie suivante :
L'aval qui peut se donner soit sur la traite elle-même, soit
par acte séparé (C. comm. art. 130), ne prend cette dernière

:
forme que si les parties ont entendu ménager le crédit du
tireur ainsi lui épargnent-elles la réputation de signature
exigeant garantie. De là résulte que l'aval par acte séparé ne se
transmet pas ipso facto, avec la lettre de change, à l'endossa-
taire (46). Dès lors, pourquoi celui qu'on nomme assureur-
aval ne se contente-t-il pas d'apposer sa griffe sur l'effet,
puisque c'est accompagné de l'avenant que ce dernier circule, si
bien que les escompteurs successifs ne peuvent guère se leurrer
sur la valeur de l'obligation et de la solvabilité du tireur La ?
situation est singulière.
3° Mais, plus encore que des soupçons de surface, il est
une raison profonde de refuser le caractère d'aval à l'avenant
litigieux, et cette raison tient à la structure même et à la notion
d'assurance.
Qu'est-ce que l'assurance ?
La loi du 13 juillet 1930, qui fixe le régime du contrat
d'assurance, ne définit pas l'institution. Cette abstention est
voulue, car, comme l'a dit un des rapporteurs (47) : « Outre

(44) Cette différence des taux a, par contre, fortement impressionné


les arrêts de Paris : l'un et l'autre lui consacrent de longs déve-
loppements.
(45) D., 1936-2-113 précité. — M. Escarra relève notamment l'invrai-
semblance d'une équivalence entre une police à dix articles et la formule
« Bon pour aval ». Mais sa critique ne porte qu'autant que c'est la police
elle-même qu'on analyse comme aval par acte séparé. Ce n'est pas le cas
des arrêts de la Cour de Paris.
(46) A la Conférence de Genève sur l'unification du droit du change,
M. Percerou a longuement insisté sur ce point de vue.
(47) J. O., 12 décembre 1926, Doc.ch., p. 1160.
«que la recherche d'une formule parfaite est probablement
«chimérique, elle ne présente guère qu'un intérêt relatif, car
«l'assurance se plie à des combinaisons si diverses et évolue
«avec une telle rapidité qu'elle est peut-être destinée à échap-
«per sans cesse aux définitions doctrinales, de sorte qu'ici,
«plus que partout ailleurs, la leçon des faits sera toujours
« préférable à la scolastique».
Cette leçon, nombreux sont ceux qui ont tâché de la
recueillir et de l'exprimer. Sans retracer ici les résultats
détaillés de leurs recherches, on peut affirmer qu'ils sont
aujourd'hui (48) presqu'unanimes à dégager les mêmes traits.
Que ce soit pour Labbé, séparant les clauses de non-respon-
sabilité de l'assurance (49) ou déterminant la nature, indem-
nitaire ou tontinière, de l'assurance sur la vie (50), pour
Thaller (51) et Vivante (52), étudiant l'institution dans le
cadre général du droit commercial, pour Hémard(53) et pour
M. Sumien (54), l'assurance, dans tous les cas, implique, à
titre essentiel, le mécanisme de la compensation des risques.
En d'autres termes, le caractère indemnitaire ne suffit pas à
l'individualiser. Certes, il permet de trancher l'assurance des
autres contrats aléatoires, jeu et pari, où le payement de la
dette ne constitue pas la réparation d'un préjudièe (55). Mais
il est incapable, à lui seul, de distinguer l'assurance de la
promesse isolée d'indemnisation d'une perte éventuelle, laquelle
réalise un simple déplacement du risque, pouvant se manifester
par un cautionnement ou par toute autre modalité de garantie

(48) La doctrine antérieure se ralliait plutôt à la théorie de l'assu-


rance contrat d'indemnité. Cf. Sirey, Tables, 1791-1850. VO assurances,
n" 1 et ss. ; Alauzet, « Traité général des assurances », t. 1 ; Quénault,
« Traité des assur. terr. > ; Pont, I, 587. L'avant-projet de loi français
de 1904 est en ce sens. Cette conception est celle également de Planiol
(II,2142) et de M. Julliot de la Morandière, dans sa thèse sur laréserve
mathématique, p. 425.
(49) S., 1876-1-337, 1885-1-409, 1885-2-202, 1887-1-369.
(50) S., 1880-1-441.
(51) «Traité de droit commercial », I, n" 728 et s.
(52) «Traité de droit commercial », traduit par Escarra, IV, 450.
(53) « Traité des assurances », I, p. 73.
(54) « Traité théorique et pratique des assurances terrestres », n" 4
et suivants.
(55) Planiol et Ripert, XI, nO. 1200 et suivants.
individuelle (56). Ce qui spécifie l'assurance proprement dite,
c'est l'intervention d'un organisme capable, par la combinaison
de la loi des grands nombres et du calcul des probabilités, de
grouper assez d'adhérents pour instituer, avec leurs primes ou
cotisations, un fonds de mutuel dédommagement. La person-
nalité technique de l'assureur apparaît donc comme un élément
primordial du contrat, conception éminemment conforme au
régime légal de surveillance, par l'Etat, des entreprises
d'assurance et de réassurance (57).
Nous ne développerons pas cette esquisse, qui a fait l'objet
de tant d'études. Ce qui importe, c'est d'en tirer quelques
conséquences quant à l'assurance « bonne date ». On peut
poser, en principe, que, s'il existe un moyen de déterminer
quel mécanisme, — compensation des risques ou finance-

;
ment, — a présidé au payement de la dette inscrite sur
l'avenant, la nature de celui-ci -, titre d'assurance ou de
banque, — s'en trouverait précisée du même coup. Or, ce
moyen, le décret du 8 mars 1932 (58) nous le donne.
Par ces articles 14, 15, 26, 51 et 54, ce décret a, on le sait,
strictement règlementé le bilan des sociétés d'assurance (59).

:
Au passif, notamment, doivent figurer, sous des rubriques
distinctes a) les réserves légales (sinistres règlant à régler,
risques en cours, amortissement des obligations) (60), b) les
réserves statutaires, c) les réserves libres (61). Destinées à
éluder les fraudes et les imprudences dans une branche
économique où elles seraient particulièrement dangereuses,
ces prescriptions sont, en général (62), considérées comme

(56) Cf. Sumien, op. cit., n" 2 et 3.


(57) Cf. Sumien, op. cit., nO. 520 et suivants.
(58) Cf. Sumien, op. cit., nos 268 et suivants.
(59) Cf. Sumien, op. cU., nos 461 et suivants.
(60) Les compagnies d'assurance sur la vie doivent constituer des
réserves mathématiques (décret du 28 février 1899, article 7, modifié par
les décrets du 22 avril 1921 et 6 mai 1923; cf. Sumien, op. cit., n° 476) et
de garantie (art. 5 de la loi du 17 mars 1905 et de la loi du 19 décem-
bre 1907), cette dernière leur tenant lieu du prélèvement annuel de 20
sur les bénéfices nets imposé par l'article 51 du décret du 8 mars 1922.
(61) Cf. Sumien, op. cit., n° 477.
(62) Cf. Escarra, D., 1936-2-113. Cpr. Ancey, « Bilan des compagnies
d'assurances ».
rigoureusement impératives. Ce qui signifie, d'une part, que la
Compagnie doit se constituer les réserves légales, et, d'autre
part, qu'elle ne peut faire aucune opération qui ne réponde à
un poste précis et individualisé de son bilan. A supposer, par
exemple, qu'il arrive à un assureur de prendre la qualité de
caution ou d'aval, il devra, ne pouvant imputer les versements
qui s'y rapportent sur l'une des réserves prévues au décret,
créer un poste spécial, provisions pour avals et cautions (63)..
S'il s'en abstient, c'est qu'il n'entend point conférer de
caractère bancaire à l'opération, laquelle s'alimentera de fonds
affectés à la couverture des risques. Ce sera une assurance
proprement dite.
Tel était le cas dans les affaires tranchées par la Cour de

trouve:
Paris. Au débit du bilan de la compagnie plaidante, l'on

« Réserve pour éventualités ; ;


« Réserve pour amortissement des immeubles —
— Réserve pour débiteurs dou-
;
« en cours ;
« teux ; — Sinistres restant à régler


:
Réserve
—:
mathématique
Réserve
».
pour
;.
En
risques
ce
nous intéresse, c'est tout pas la moindre trace de la masse de
qui

manœuvre indispensable aux entreprises qui pratiquent le


financement. Ce sont donc les quatrième et cinquième réserves
qui nourrissent les assurances « bonne date ».
Ces dernières
relèvent ainsi de la compensation des risques par le calcul des
probabilités. L'analyse des arrêts des 5 novembre et 17 décem-
bre 1937 nous semble, dès lors, des plus contestables.

III

Restent, ayant statué dans le sens du refus à l'assureur


de tout recours légal, les arrêts de la Cour de Riom des 15
mai et 30 octobre 1936, et celui de la Cour de Paris (Chambre
des référés) du 23 janvier 1937.
————————x
(63) Les bilans des firmes ordinaires ne renfermant d'habitude aucune
indication relative aux risques afférents aux effets de commerce en circu-
lation, et aux avals accordés, les Compagnies d'assurances se trouvent ainsi
amenées à publier des bilans plus explicites sur ce point.
Dans les deux premières affaires, l'assureur, qui ne s'était
fait ni subroger dans les droits du porteur, comme sa police
lui en offrait la faculté (64), ni endosser l'effet, ne s'en préten-
dait pas moins créancier du tiré (65), dont il réclamait la
mise en faillite. Il s'était, dans la dernière espèce, contenté de

en termes à peu près identiques


de Riom <<
:
pratiquer une saisie-arrêt. Il fut, dans les trois cas, débouté
« Attendu » dit la Cour
qu'en remboursant le tiers-porteur, en sa qualité
« de bénéficiaire d'un avenant accompagnant une traite im-
payée, l'assureur a acquitté sa propre dette, réalisant ainsi

:
«
« la promesse de paiement contractée vis-à-vis du tireur,
« moyennant prime. » (66). Et la Cour de Paris « Considé-
« rant que la Compagnie. ne peut. invoquer le bénéfice de la
« subrogation légale de l'article 1251 Code Civil, puisqu'elle a
« payé sa propre dette, telle qu'elle résultait du contrat sous-
« crit chez elle. » (67).

L'arrêt du mai 1936 étant, malgré quelques inexac-


15
titudes de détail, le mieux charpenté, c'est à lui que nous

en deux temps :
nous attacherons spécialement. Son argumentation progresse
»
a) l'assurance « bonne date est, non point

;
l'établissement d'une sûreté personnelle, mais une assurance
proprement dite b) comme telle, elle n'ouvre à l'assureur
aucun droit contre le tiré. Voyons ces deux points.

(64) En fait, les deux polices n'envisageaient pas la subrogation sous


le même jour. Dans l'affaire tranchée le 15 mai 1936, l'article 5 de la
police contenait promesse, par l'assuré qui se portait fort pour l'escomp-
teur, de subroger, dans les droits de ce dernier, l'assureur lors du rem-
boursement (« L'assuré s'engage à faire tenir à la Compagnie. un acte
« de subrogation (dont le modèle sera fourni par la Compagnie) de tous
« ses droits à l'égard de l'acheteur défaillant. »). Dans le procès du
30 octobre, la clause se présentait, au contraire, comme une subrogation
initiale et anticipée (« L'assuré subroge dès à présent et par les présentes
« la Compagnie dans tous ses droits et actions contre la Société débitrice
* et lui donne tous pouvoirs à cet effet. »). Au regard du raisonnement
de la Cour, qui tient le payement, par l'assureur, pour l'extinction d'une
dette personnelle, cette différence est sans intérêt. Aussi n'en tiendrons-
nous pas compte.
(65) Notons que la Compagnie s'est prétendue caution et non don-
neur d'aval.
(66) D., 1936-2-113 ; S., 1937-2-28.
(67) Revue gén. des ass.terr., 1937, p. 319,
1°. — Sans y insister outre mesure, on doit pourtant
signaler la fidélité de l'arrêt aux termes non-équivoques de la
police et de l'avenant. Suivant en cela la Cour Suprême, la
Cour de Riom a écarté l'article 1156 Code Civil de la lecture
d'un accord clair et précis (68). Il faut l'approuver.

(68) La non-dénaturation du contrat se vérifie principalement sur


trois points:
a) Le premier afferre à l'objet même du contrat. Cet objet, disait

l'exploit introductif d'instance rédigé par la Compagnie consiste, au regard
de celle-ci, à « assurer le paiement de l'effet litigieux » en cas de défail-
lance du tiré. Or, « assurer le paiement » est une expression ambiguë,
:
car, si elle traduit une obligation de verser une somme d'argent, elle n'in-
dique pas la nature du contrat générateur de cette obligation la caution
et l'avaliste s'engagent, eux aussi, à assurer le paiement d'une dette si le
débiteur n'honore pas sa signature. En d'autres termes, cette rédaction
»
dépouille le verbe « assurer de sa signification technique.
Par contre, il semble bien que l'avenant se soit placé sur le plan tech-
nique lorsqu'il a stipulé que: « la Compagnie assure une tra/ite. ». Assu-
rer une traite, ce n'est pas simplement promettre d'en payer éventuelle-
ment la valeur: c'est, avant tout, s'engager dans le cadre spécifique du
contrat d'assurance et se soumettre au régime qui en découle, notamment
en matière de subrogation.
La Cour a parfaitement saisi la contradiction foncière impliquée dans
la nuance de forme. Et, avant d'énoncer qu'elle statuerait sur la seule
base de la police et de l'avenant, elle a relevé que « dans son exploit intro-
« ductif, la Compagnie demanderesse déclare qu'elle devait assurer le paye-
« ment de l'effet litigieux » alors qu' « il est stipulé à l'avenant que
« ladite Compagnie. assure une traite de
b)

n. francs. ».
Une deuxième assertion, où la volonté des parties a été respec-
:
tée, concerne la source de la dette contractée par l'assureur. D'une part,
la Cour exclut des motifs « les dispositions légales relatives au contrat
de change. ». Par ailleurs, elle généralise cette solution en constatant que
la Compagnie n'avait « en dehors du contrat d'assurance, aucune obliga-
« tion de payer la traite. ». Ces formules répondent, à la lettre, à la
volonté des contractants. Rappelons, en effet, qu'aux termes de la police
(article 1er, § A), « Le présent contrat a pour objet de garantir à l'as-
« suré. le cas de défaillance du preneur. ». Ce qui signifie que, quelle

:
que soit la forme adoptée pour consigner l'engagement (traite, billet à
ordre, voire chèque), l'assureur est tenu de réparer le dommage résultant
du défaut de paiement ce n'est pas dans telle ou telle modalité de circons-
tance que l'assuré, ou son ayant-cause, puise son droit, mais dans l'ave-
nant né de la police. Que les parties aient, en l'espèce, décidé le règlement
par traite, ce n'est là qu'un aspect accessoire du mécanisme.
Cf. Escarra, D., 1936-2-115: « Il est impossible de mélanger contrat
« d'assurance et droit du change au point que le premier disparaisse par
« évaporation, la combinaison chimique ne laissant plus apparaître que le
« second, comme une sorte de précipité ».
— o) Sur un troisième point, enfin, l'arrêt a évité la dénaturation. Il
s'agissait de savoir si les prestations fournies par l'assuré à l'assureur
sont des primes ou le salaire d'un banquier.
Cette dernière conception forme le corollaire de la thèse de la Com-
pagnie. Elle set soutenue par M. H. Solus (note précitée) qui ne voit,
Nous l'approuvons aussi d'avoir traité en risque assu-
rable le non-payement au terme. 1

Dans des études d'ailleurs remarquables, MM. Guillaume


de Tarde (69), Jean Desbrosses (70), R. Vanard (71) et
Raymond Michel (72) ont soutenu que, seule, peut être assu-
rée l'insolvabilité définitive du débiteur, celle qui se mani-
feste après épuisement de toutes les voies de droit. Thèse que,

rigoureuse:
dans sa note précitée. M. H. Solus consacre d'une formule
« Le risque, élément caractéristique de l'assu-
« rance-crédit proprement dite, est la perte définitive de la
« créance subie par l'assuré en cas d'insolvabilité dûment
« établie du débiteur et telle qu'elle apparaît à la suite des
« poursuites exercées contre ce dernier. » (73). La défaillance
du tiré ne saurait être couverte par l'assureur en tant que tel.
Cette exclusion se justifierait par un partage bien dessiné
entre les opérations d'assurance et de banque. Aux premières

:
revient l'indemnisation, c'est-à-dire la réparation d'un dom-

».
mage, d'un sinistre or, en matière de créance, on ne peut

dans la prétendue prime, que le prix d'un cautionnement: « Les primes,


« d'ailleurs fort modiques et impuissantes, comme telles, à nourrir un
«contrat d'assurance-crédit proprement dite, apparaissent comme le
« salaire que la Compagnie est fondée à réclamer, au même titre qu'un
banquier effectuant une opération analogue.
«

:
Cette analyse appelle des réserves. Car, tout de même, l'article 7 de
la police est formel il s'intitule « Prime » et, dans son corps, on lit
« Cette prime est calculée sur le montant total du découvert.., » Ce qui
:
se comprend aisément, cette terminologie étant seule conforme à l'ensem-
ble de la police, où tous les aspects du contrat d'assurance sont prévus
tour à tour.
La taxation du professeur Solus est, par ailleurs, contestable
prime, qui varie de 1,50 à 3 %, ne peut être considérée comme faible,
:
lorsque l'assureur a la faculté de se ménager un recours contre lé tiré
une

défaillant en montrant le minimum de diligence nécessaire pour se faire


endosser l'effet. A titre de comparaison,rappelons que, dans l'assurance-
insolvabilité (payement après concordat), la prime se fixe pour mille et

«qu'en
non pour cent.
Ces raisons ont convaincu la Cour de Riom: « »
Attendu dit-elle
remboursant le tiers-porteur. l'assureur a acquitté sa propre
t
«tireur moyennant primes.
«dette, réalisant ainsi la promesse de payement contractée vis-à-vis du
».
(69) Rev. gên. des ass. terr., 1930, pp. 475 et suivantes.

;
(70) Ibidem" 1930, pp. 866 et suivantes.
(71) Ibidem, 1930, pp. 276 et suivantes 1933, pp. 770 et suivantes.
(72) « L'assurance de crédits en droit comparé », 1937, pp. 139 et s.
(73) Note précitée, S., 1937-2-28,
parler de sinistre qu'en l'hypothèse de la perte du droit, devenu
inefficace par l'insolvabilité irrémédiable du débiteur.
Le défaut de celui-ci à l'échéance n'entraîne, par contre,
aucun payement d'indemnité, puisque, la procédure d'exé-
cution n'étant pas encore entamée, on ignore le sort final de
la créance. Tout versement intervenu à cette époque s'ana-

soit comme remboursement sauf recours :


lyse donc en un décaissement de trésorerie, soit à titre d'avance,
c'est, en d'autres
termes, une opération de banque (74). Et, ajoute-t-on, à se
faire le banquier de son client, l'assureur devra percevoir
une commission adéquate par la majoration des primes, et
»
aussi à ne pas « rouler uniquement sur ces encaissements,
mais sur un capital social suffisamment large.
Nous croyons cette conception trop rigide. Certes, dans
les rapports de la Compagnie et de ses assurés, le non-paye-
ment d'un tiers au terme peut donner lieu à un aval, à un
cautionnement ou à une avance de trésorerie. Mais, — et
c'était le cas dans les litiges soumis à la Cour de Riom, —
on peutégalement le considérer comme un risque et bâtir,
sur lui, une assurance.
En théorie d'abord, il convient de souligner que, loin de

:
constituer des risques distincts, voire antinomiques, le non-
payement au terme et l'insolvabilité ne sont que deux degrés
d'un même phénomène l'appauvrissement du créancier par
l'inefficacité de sa créance. Qu'il y ait un décalage chronolo-
gique entre les deux faits, ou que le premier ne soit pas né-
cessairement suivi du second, cela n'empêche pas qu'ils soient
de même nature. Comme l'écrit M. Raymond Michel (75) :
« On ne peut distinguer deux risques de crédit, mais seule-
« ment deux stades différents du risque,entrel'obligation et
« l'exécution, amiable ou forcée, de cette obligation. ». Le
non-payement contient déjà l'insolvabilité en germe : il en
est la preuve originelle. Pour rendre cette unitéplus tangible,
prenons un exemple voisin de la question qui nous occupe
combien de fois n'a-t-on pas vu un tribunal de commerce
:
refuser de mettre un négociant en faillite sur protêt d'une
(74) Cf. R. Vanard, Rev. gén. des ass. terr., 1930, p. 283.
(75) Op. cit., p. 22.
seule traite, mais, plus tard, lorsque la cessation des paye-
ments est nettement établie, la faire remonter à la défaillance
qu'il n'avait pas voulu, dès l'abord, considérer (76) ?
Etant admise la continuité du risque d'insolvabilité,
depuis sa manifestation initiale (non-payement à l'échéance)
jusqu'à sa démonstration définitive (épuisement des recours),
il va de soi que, en pratique, la police ne peut se dispenser
de préciser le symptôme choisi par les parties comme condi-
tion de la mise en œuvre de la garantie de l'assureur. Autre-
ment dit, les contractants doivent définir, compte tenu des
conditions de l'accord et du taux des primes, à partir de quel
instant elles admettront qu'il y a sinistre (77).
Si, en effet, l'on stipulait simplement que « l'insolvabi-
« lité du tiré est couverte par l'assureur », celui-ci pourrait
presque toujours nier la survenance du sinistre. Car, qu'est-
ce que l'insolvabilité au sens de l'assurance-crédit (78) ?
C'est affirme-t-on (79), la perte irrémédiable d'une
créance.
Mais il est, dans la plupart des cas, matériellement im-
possible d'établir cette perte. Des poursuites infructueuses,-
un proçès-verbal de carence, une failliteclose sans désinté-

certain de la' créance :


ressementdes créanciers n'entraînent pas l'anéantissement
l'action individuelle survit et peut
s'exercer sur tous les biens éventuels du débiteur, y compris
les produits de son travail, pour autant qu'ils sont saisissa-
bles (80). Le sinistre ne deviendrait donc définitif qu'après
a) la remise (amiable ou concordataire) de dette, b) l'impos-
:
sibilité de recouvrer, sur les biens du de cujus ou de lasociété
en liquidation, le montant de la créance et de ses accessoires,
c) l'achèvement de la prescription extinctive (81). Mieux vaut

ciaires », t. 1, a08 362 et •


(76) Cf. notamment: Trib. Com. Saint-Etienne, 28 février189.9, (f. T.,
:
11 avril 1899; Trib.Com. Lyon, 30 juin 1898, Le Droit, 4 août1898. "':".Et, -

suivants..
sur l'ensemble de la question Percerou, « Faillites et liquidations judi-
(77) Comme, d'ailleurs, dans toutes les branches de l'assurance.
(78) Cpr. R. Vanard,'« L'insolvabilité'au sens de l'assurance-crédit
; et
ltev. gén. des ms.terr., 1933, pp. 770 suivantes.
(79) Cf. ET Solus, note précitée R. Michel, op. cit., p.139 et s.
»,
(80) Cf. R. Michel, op. oit., p. 39.
(81)Cf. R. Michel, op. ait., p. 38.
dire tout de suite que nul ne pourrait, normalement, prouver
l'insolvabilité d'autrui.
Cette difficulté se rencontre en d'autres domaines. La
déconfiture suppose l'insolvabilité du débiteur civil (82),
supériorité, mathématiquement calculée, du passif sur l'actif
en cas de réalisation immédiate (83). Evaluation souvent
malaisée, puisqu'elle exige la discussion de tous les biens,
meubles et immeubles, et, en outre, impropre à l'urgence
habituelle des constatations de déconfiture. De là une jurispru-
dence, inspirée de Loysel (84), qui se contente de l'apparence
notoire que les biens ne suffiront pas au payement des dettes.
C'est au juge du fond de préciser les symptômes de cette appa-
rence, soit saisies infructueuses (85), soit procès-verbaux de
carence (86), soit aveu du débiteur (87). Mais il faut certitude
de l'insolvabilité (88). Génératrice de la faillite, la cessation
des payements pose le même problème, que les tribunaux
résolvent en tenant compte des nécessités commerciales (89).
Dans l'assurance-crédit, ce ne fut point aux juges d'appor-
ter des précisions, mais aux Compagnies. Pour parer aux incer-
titudes et aux procès, elles dressèrent donc, et inscrivirent dans
leurs polices, une liste d'événements d'où résulte une pré-

firmes :
somption d'insolvabilité. Cette liste varie selon les pays et les
sur ce point, il suffit de se reporter à l'ouvrage de
M. Raymond Michel (90).

:
(82) Cette formule résulte, non du Code Civil qui fait seulement allu-
sion à la déconfiture (art. 1146, 1613, 1865, 2003), mais d'une jurispru-
dence approuvée par une doctrine unanime cf. Demolombe, XXV, n° 666;
Aubry et Rau, IX, § 580; Percerou, « Faillites », I, nU 123 et 123 bis
Planiol et Ripert, VII, n° 812.
;
(83) Cf. Planiol et Ripert, IX, n" 812.
(84) Institutes coutumières, règle 685.
(85) Lyon, 3 août 1833, D. Jiir. gén. V. obligation, n° 1296.
(86) Ibidem.
(87) Colmar, 4 mai 1864, D., 1864-2-230; Req., 4 août 1880, S., 1881-
1-56.
(88) Civ., 3 mars 1869, D., 1869-1-200.
(89) En matière de faillite, en effet, seule compte là, cessation des
payements. La proportion actif-passif est indifférente. Cf. Percerou, op.
cit., I, n" 123 bis et notes.
(90) Op. cit., pp. 140 et s. — Ce sont les polices américaines qui sont
les plus complètes à cet égard. Elles rattachent l'insolvabilité aux faits
suivants: 1" Disparition du débiteur; 2° Mort du débiteur travaillant seul
En France, l'énumération-type est la suivante :
a) Procès-verbal de carence au domicile du débiteur et
dans tous lieux où le créancier a connaissance de biens éven-
tuels appartenant à ce dernier ;
b) Saisie dépourvue de résultats ;
c) Arrangement préventif de faillite, accordé par les
créanciers ;
d) Remise concordataire de dette ;
e) Clôture de la faillite pour insuffisance d'actif ;
f) Reliquat de créance, après répartition de l'actif, en cas
d'union (91).
Une police peut-elle y ajouter le défaut de payement à
l'échéance ? Nous le croyons. Nous ne voyons pas pourquoi,
dans la progression des faits qui diagnostiquent une insolva-
bilité, une Compagnie d'assurances ne pourrait consentir à
s'arrêter au premier en date et à verser une indemnité s'il se
réalise. Tout est question de primes (92).
L'examen de la pratique commerciale fortifie d'ailleurs

des prévisions, la plupart à courte échéance :


notre opinion. L'activité financière d'une entreprise repose sur
rentrées et sorties
de fonds, exprimées, les unes par un débit du compte « Effets
à recevoir », les autres par un crédit des « Effets à payer ».
L'équilibre de ces deux postes est normalement considéré
comme indispensable à une trésorerie saine. Mais il est clair
que cette sécurité exige, à l'échéance, une concordance des faits

; ; ;
dans son entreprise 3° Aliénation du débiteur travaillant seul dans son
entreprise
;4° Nomination d'un syndic 5° transfert 01J vente en bloc par
le débiteur de son stock 6° Saisie-exécution du stock suivie de vente ou
sans résultats; 7° Proposition d'arrangement amiable ne comportant pas
règlement intégral du passif; 8° Saisie du stockpar le bénéficiaire d'un
nantissement; 9° Remise du fonds à un comité nommé par la majorité des
;
créanciers, en nombre et eh valeur; 10° Dessaisissement, par le débiteur,
de son fonds, au profit des créanciers 11° Action en faillite intentée contre
le débiteur; 12° Enfin une procédure purement américaine et n'ayant pas
d'équivalent dans les législations d'Europe: Proceeding for the relièf of a
debtor shall have been instituted in a court of Bankruptey.
(91) Cf. notamment les polices de la « Société française d'assurances
pour favoriser le crédit».
(92) Cf. A. de Mirimonde, « Manuel pratique des assurances », Payot,
'928, pp. 175 et s. ; J. Escarra, D., 1936-2-113 précité.
et des écritures, autrement dit le payement scrupuleux des
billets et des traites. L'éventualité d'une insuffisance de rentrée
constitue donc un « risque de trésorerie ».
Il n'y a pas lieu de rentrer ici dans les détails de ce risque:
ils sont connus (93). Ce qu'il importe de mettre en relief, c'est,
d'une part, que les effets peuvent en être assez graves pour
justifier une assurance, d'autre part, que la déficience- en
trésorerie satisfait à toutes les conditions d'un risque assurable.
La première proposition ne fait aucun doute (94). Prenons
un exemple. Un commerçant vend à un commissionnaire un
fort lot de marchandises contre traite acceptée ; il se démunit
donc d'un stock important, ce qui l'oblige à renouveler ses
commandes, c'est-à-dire à émettre lui-même des effets. Impayé
à l'échéance, il sera peut-être hors d'état de faire face à ses
propres dettes. Un report et. un escompte pourront, évidem-
ment, rééquilibrer la situation. Mais, pour autant que le protêt
précède une défaillance complète du débiteur, le vendeur subit
une gêne de trésorerie qui ralentit ses achats et ses gains. De
fil enaiguille, il verra, dans certains cas, sa position aggravée
, jusqu'au dépôt de bilan. Comme l'écrit M. Raymond
Michel (95) : « Les effets du risque de trésorerie. peuvent
« conduire à une diminution de la vie de l'entreprise, ou même,
«
exceptionnellement, à sa disparition».
Ces remarques se renforcent du fait que même les adver-
saires les plus décidés de l'assurance « bonne date », ceux qui
ne tiennent pour assurable que la perte finale de la
créance (96), admettent qu'avant la démonstration de celle-ci,
l'éventuel sinistré peut recevoir des dédommagements de
trésorerie. Simplement, dans leur conception et par rapport
aux hypothèses qu'ils envisagent, il s'agit d'avances ban-
caires £97'): Ces dernières ont l'inconvénient denécessiter,
clôturede la faillitedudébiteur, un règlement de comptes çt.
àla

(93) Cf. RaymondMichel, op. oit., p.-72.


(94)Ibidem,p.'74.
-
(95),lbfdem, p. 75.
(96) Cf. R. Vanard, Rev. gén. de8 ass. terr..1930, p. 284.
(97)Ibidem,p.280..
des rajustements (98). Les assureurs-crédit américains vont
plus loin encore. Moyennant des surprimes de 5 à 10 %, la
Compagnie consent, dans la police, à la réparation provisoire
(intérim adjustement) des insolvabilités, y ou non compris les
effets impayés à l'échéance et remis à l'assureur pour recou-
vrements (99).
Le risque en trésorerie n'est pas seulement dangereux et
considéré comme tel par la pratique commerciale. Il est
assurable.
Et, en effet, si l'on se réfère à la loi (100) et à la jurispru-

:
dence (101), on peut qualifier d'assurable tout événement
présentant le triple caractère d'être a) aélatoire, b) sélec-
tionné, c) appréciable (102). Le non-payement d'une traite
satisfait à ces trois conditions.
Aléatoire, il l'est sans conteste. Car, si sûre soit-elle, une
créance n'en offre pas moins toujours, pour des motifs divers
(insolvabilité ou mauvaise foi du débiteur ou de ses héritiers,
crises économiques ou politiques, moratoire légal de certaines
créances, etc.), quelques chances de non-recouvrement.
Quant à la sélection, elle est, nous l'avons vu (103), prévue
par les polices elles-mêmes, puisque la Compagnie est libre
d'accorder ou de refuser sa garantie. De là la nécessité d'un

système, les Etats-Unis le possèdent :


système approfondi de renseignements et de cotations. Ce'
de puissantes agences,
notamment la DUN, y classent toutes les firmés du nouveau
continent (et aussi nombre de maisons européennes et asia-

34,62.
(98) Ibidem, p. 284.
(99) Cf. Ancey, « Les risques de crédit », p. 76.
(100) Cf. Loi du 13 juillet 1930, notamment:articles 15, 17, 21, 22,
(101) Cf. Cass. Civ., 10 octobre-1914, S., 1914-1-468; Req., 5 mars
1935, G. P., 1935-1-758; et comme application récente: Trib. Civil de
Sedan,.. 14 décembre 1937, G. P., 14 janvier 1938, p. 3.
(102) Cf. Sumien, op. cit., pp. 8 et-9; Bouchet, « La garantie des
:
risques commerciaux et l'assurance-crédit, pp. 35 et suivantes. — Il y a
donc des risques inassurables aux Pays-Bas, les assureurs de la même
branche essayent néanmoins de les couvrir en formant des consortiums.
Cf. Sumien, op. cit., p. 9.
(103) Cf. supra, note 19.
tiques) selon la valeur de leurs biens, et, à l'intérieur de ce
cadre, selon une cote de mérite à trois ou quatre échelons (104).
Ainsi se chiffrent mathématiquement les valeurs maxima de
découvert individuel qu'un assureur peut accorder. L'Angle-
terre, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse jouissent égale-
ment de bonnes organisations. Bien qu'elles soient, dans la
phase actuelle, viciées de « subjectivisme », les agences fran-
çaises font des progrès (105).
Enfin, élément essentiel du calcul des probabilités de
l'assureur, le prix du risque-crédit (et de son succédané, le
risque en trésorerie) est calculable. Sans entrer dans les détail,
de cette évaluation, qui relève de la technique des actuaires,
rappelons qu'elle part d'une division, dans laquelle le montant
total des pertes d'un pays, pendant une période déterminée, est
le dividende, et le chiffre d'affaires en crédit le diviseur (106).
Dangereux, mais assurable, tel apparaît donc le risque
de trésorerie. En déclarant que sa couverture était, en l'occur-
rence, une assurance au vrai sens du mot, la Cour de Riom
n'a fait que consacrer cette analyse.
20 La qualification d'assurance étant approuvée, reste à
examiner les conséquences tirées par l'arrêt.
Rappelons qu'aux termes de celui-ci, la Compagnie, tenue
au payement de la traite litigieuse en vertu des stipulations de
;
la police et de l'avenant, n'a payé que sa dette personnelle au
tiers-porteur elle ne pouvait donc agir contre le tiré. Autre-
ment dit, le fait de s'être greffée sur un contrat de change n'a
pas altéré l'autonomie de l'assurance (107).
Cette affirmation de principe contient, en réalité, plusieurs
constatations de droit et de fait qu'il faut étudier séparément.

(104) Cf. Raymond Michel, op. cit., pp. 140 et suivantes.


(105) Ibidem, pp. 148 et suivantes.
(106) Cf. Bouohet, op. cit., p. 50.
(107) Cf. EBcarra, note précitée, qui a nettement opposé, en l'espèce,
le contrat de change et la convention d'assurance: a) le premier est
commutatif, la seconde est aléatoire; b) au premier les parties sont le
;
tireur, le tiré et le tiers-porteur, — au second, ce sont l'assureur et le
tireur-assuré 0) enfin et surtout, l'un a pour objet le montant de la lettre,
l'autre l'indemnité prévue à la police. Et la coïncidence, d'ailleurs facul-
tative, de ces deux chiffres, ne les mpêche nullement d'être distincts et île
reposer sur des contre-parties différentes.
a) La nature personnelle de l'engagement de l'assureur
ne prête à aucune discussion sérieuse. C'est le droit commun
des contrats, affirmé, sur ce point, par une jurisprudence

énonçait
« de la
:
séculaire. Dès 1829, parlant d'un assureur, la Chambre civile
« que cette Compagnie a acquitté une dette résultant
police d'assurance qu'elle avait souscrite, et, par consé-
« quent, une dette qui était personnelle à ladite Compagnie et
« n'avait rien de commun avec le bail consenti au fermier du
« domaine incendié. » (108). Bientôt répétée (109), cette
solution obtint l'accord de la doctrine (110).
L'assureur, en fut-il déduit, ne pouvait se prévaloir de
la subrogation de plein droit, laquelle, d'après l'article 1251
Code Civil, ne profite qu'à « celui qui, étant tenu avec d'autres
ou pour d'autres au « paiement de la même dette, avait intérêt
à l'acquitter ». Obligée de son propre chef et à titre principal,
la Compagnie ne répondait évidemment ni à l'une, ni à l'autre
de ces conditions (111). Tout au plus lui fut-il permis, dans
l'assurance de dommages, de recourir directement contre le
tiers fautif sur le fondement de l'article 1382 (112). Il a fallu
la loi du 13 juillet 1930 pour qu'il fût question, en cette
matière, de subrogation, et encore certains critiquent-ils
l'expression de l'article 36 (113).
Quoi qu'il en soit, la loi nouvelle étant étrangère aux
opérations d'assurance-crédit, ces dernières restent soumises
aux prescriptions du Code Civil et aux principes de la juris-
prudence d'avant 1930. La Cour de Riom n'a fait qu'appliquer

(108) Casa. Civ., 2 mars 1829, Jurisprudence générale Dallons, v. As-


surances terrestres, n° 247.
(109) Cf. Civ., 22 décembre 1852, D., 1853-1-93, S., .1853-1-109; 2 juil-
let 1878, D.,1878-1-345.
(110) Cf. Planiol et Ripert, t. XI, p. 631; Colin et Capitant, II,
p. 300; Josserand, II, n° 1380; Capitant, Rev. trim., 1906, pp. 37 et s.
Lyon-Caen, S., 1886-1-273.
;
(111) Ibidem.
(112) Civ., 22 décembre 1852 précité; Chambéry, 5 février 1883, D.,
1882-2-238; Paris, 10 juillet 1893, D., 1894-2-205; Nancy, 28 avril 1894,
S., 1896-2-93.
(113) Cf. notamment: H. Capitant, Rev. gén. des ass. terr., 1930,
p.780.
ces principes en refusant à l'assureur le bénéfice de la subro-
gation légale (114). Il n'y a point là de difficultés.
b) La même raison exclut la subrogation conventionnelle,
et la Cour l'a dit. Mais ici les circonstances de fait complètent

Code Civil, la subrogation est conventionnelle


créancier, recevant son payement d'une
:
la solution. Rappelons, en effet, qu'aux termes de l'article 1250
« 1) Lorsque le
tierce personne, la

;
«
« subroge dans ses droits, actions, privilèges ou hypothèques
« contre le débiteur cette subrogation doit être expresse et
« faite en même temps que le payement. ». Ce texte pose donc
des conditions intrinsèque (payer la dette d'autrui) et extrin-
sèque (subroger, de façon expresse, lors du payement) (115).
Or l'on doit constater le non-accomplissement de cette seconde
exigence, l'assureur n'ayant pas pris le soin de fournir, vu
l'article 5, § B, de la police, un modèle d'acte de subrogation
négligence indéniable. Ajoutons qu'il n'a non plus songé, sur
:
la base d'une jurisprudence qui distingue l'acte de subrogation
de sa preuve (116), à soutenir que la confection d'un titre
subrogatif pouvait être postérieure au payement, lequel ne
devenait définitif qu'à cette date.
L'impossibilité juridique de subroger commande, bien
entendu, les rapports assureur-porteur comme ceux de l'assu-
reur et de l'assuré. Mais, dans les relations entre ces deux
derniers personnages, il est un motif supplémentaire d'acquies-
cer à la décision de la Cour. Ne peut consentir une subrogation
que celui qui reçoit le payement. Or l'indemnité va au porteur

(114) « Attendu qu'aux termes de l'article 1251, § 3, C. Civ., la


« subrogation a lieu de plein droit au profit de celui qui, étant tenu avec
;
«d'autres, ou pour d'autres, au payement de la dette, avait intérêt à l'ac-
«quitter que le bénéfice de la subrogation légale ne peut donc appartenir
;
«au tiers qui a payé une dette à laquelle il était étranger, ni à celui qui
« a soldé sa propre dette »
qu'en l'espèce, la Compagnie l' « Urbaine. ne
;
«peut se prévaloir d'une subrogation légale, puisque, assureur, elle n'était
«pas tenue avec d'autres ou pour d'autres. qu'elle a payé non la dette
«d'un autre, mais bien sa dette personnelle. ». — L'avant-dernier
attendu opère implicitement la discrimination de l'assurance « bonne
date d'avec l'aval (où l'on est tenu avec d'autres) et le cautionnement
(où l'on est tenu pour d'autres).
(115) Cf. Planiol et Ripert, t. VII, n° 1222.
(116) Cf. Cass. Req., 6 novembre 1854, D., 1854-1-428; 25 juillet
1865; D., 1865-1-469.
de la traite et non au tireur assuré. Il y a là le jeu d'un
mécanisme que la Chambre civile a déjà maintes fois analysé
en fait d'assurances (117).
c) L'arrêt du 15 mai 1936 a, en fin de compte, rejeté
l'hypothèse d'une cession de créancepermettant à l'assureur,
même tenu personnellement, de recourir contre le tiré.
Dans la présente espèce, en effet, un transfertaurait pu
intervenir, soit à la signature du contrat, soit au payement de
l'indemnité. En fait, il n'eut lieu ni à l'une, ni à l'autre époque.
Pour dépouiller la police de toute implication d'un trans-
fert de créance, — transfert de droits éventuels et aléatoires,
suivant la formule de l'arrêt de là Chambre civile du 3 février
1885 (118), — il suffit de noter que la clause invocable, l'arti-
cle 5, § B, précité, est rédigée,au futur et non au présent. Elle
traite de la subrogation « qui sera faite en faveur de la Com-
pagnie. » (119). On n'y peut donc voir, hors l'idée de subro-
gation, qu'une promesse de cession.
Cette promesse faillit se réaliser au payement. La quit-
tance reconnaît à la Compagnie la qualité de « cessionnaire de
tous les droits quelconques » du porteur. Invoquant l'expres-
sion, par ailleurs employée, de « quittance subrogative »,

:
M. H. Solus interprète ces termes dans le sens de la subrogation
conventionnelle. Il écrit « Nous attachant tout d'abord à la
«formule même de la quittance litigieuse, .nous nous deman-
«dons si les parties n'ont pas entendu. constater purement
«et simplement un résultat juridique qui est celui de la subro-
«gation agit comme une transmission de créance, .qu'elle
«procure au subrogé les avantages de la cession de créan-
«gation. On sait, en effet, qu'au regard du subrogé, la subro-
« ce. » (120). Il nous semble que M. Solus prête aux parties

(117) Cf. Cass., 24 hovembre 1840, S., 1841-1-45; 3 février 1885 pré-
cité. — Notons que l'arrêt de la Cour de Riom examiné au texte a contre-
dit les affirmations exactes qu'il venait d'émettre au sujet de la subroga-
tion conventionnelle en déclarant le tireur-assuré représenté par son assu-
reur. L'analyse est malencontreuse: l'assureur ne représente pas l'assuré;
il paye sa dette personnelle et indépendante, comme, d'ailleurs, l'arrêt
l'admet tout au long. Regrettable en doctrine, cet attendu n'en laisse pas
moins intact le raisonnement de la Cour, car il est surabondant.
(118) D., 1886-1-173,. précité.
(119) Cf. supra, note 19.
(120) Cf. S., 1987-2-28, précité.
en cause un raffinement juridique qui, absent de toutes les

libellé de la quittance :
autres pièces du procès, ne se serait manifesté que dans le
nous ne le suivons pas sur ce point.
créance :
En réalité, le reçu contient un embryon de transfert de
l'arrêt le constate nettement.
Embryon, disons-nous, faute pour l'assureur d'avoir mis
en œuvre la signification ou l'acceptation de l'article 1690
Code Civil. Or ce texte est de rigueur. Rien ne peut suppléer
aux formalités qu'il édicté, pas même la connaissance du trans-
fert par le débiteur de bonne foi. Admis en 1840 par la
Chambre des Requêtes (121), ce principe fut consacré par la
Chambre civile en 1894 (122). Ainsi s'explique l'arrêt de
Riom (123).
***

En conclusion, le problème actuel de l'assurance « bonne


date », tel qu'il se posera devant la Cour Suprême, paraît être
de pure interprétation. Il s'agit, dans les documents en cause,
de retrouver le contrat voulu.
Et, du travail combiné des magistrats et des praticiens
se dégage une double perspective. Car le même fait, — non-
payement d'une traite à l'échéance, — peut servir de point
de départ soit à un financement, et l'assureur donnera son
aval, soit à une assurance proprement dite, et ce sera la couver-
ture du risque en trésorerie. Les deux opérations sont plausi-
bles, mais on ne doit pas, comme les arrêts de la Cour de Paris
des 5 novembre et 17 décembre 1937, passer de l'une à l'autre
au gré des circonstances économiques. La volonté des parties
lors de la passation reste, aujourd'hui, encore, le support
essentiel du droit de l'interprétation des actes privés.
Jean Roger GIL BAER.
(121) Cass. Req., 17 mars 1840, S., 1840-1-201.
(122) Cass. Civ., 24 décembre 1894 S., 1895-1-69.
(123) « Attendu que les termes employés par la Compagnie < Le
« Zénith» dans son reçu non signifié, ni même mentionné par l'assigna-
tion, ne se réfèrent point à un acte de subrogation consenti lors du paie-
c
« ment par le tiers-porteur, acte non produit d'ailleurs, mais bien à une
« cession de créance; que cette cession-transfert, également non produite,
c est sans valeur et inopposable à la société appelante, à défaut d'obser-
« vation des formalités prescrites par l'article 1690 Code Civil et à défaut
« de date certaine. »
EXAMEN DOCTRINAL

JURISPRUDENCE CIVILE

Questions d'Assurances
par E.-H. PERREAU
Professeur honoraire & la Faculté; de Droit de Toulouse

SI. - Quels effets produisent les assurances cumulatives


?
d'un même risque (Trib. Dreux, 1" mai 1935, Revue
Générale des assurances terrestres, 1936, p. 43 Paris,
20 janvier 1937, ibid., 1937, p. 704 ;
Civ. 30 nov. 1931,
;
ibid., 1932, p. 56 et 6 juil. 1937, Sirey, 1937, 1. 293, Rev.
Gén. ass., 1937, p. 935, et note M. Picard).

Les assurances terrestres cumulatives d'un même risque


sont permises par la loi du 13 juillet 1930 (art. 30), sous
toutes leurs formes, au choix des parties. A titre transitoire,
il est encore utile de se demander si elles l'étaient auparavant,
dans quelles conditions et quels sont aujourd'hui leurs effets
dans les cas non prévus par la loi précitée.
I. Avant la loi nouvelle, on discutait sur l'application aux
assurances terrestres des articles 334 et 359, Code de Com-
merce. De récents arrêts les ont jugés trop exceptionnels
pour les étendre (Nîmes, 15 avril 1928, Rev. Gén. ass. 1932,
p. 37 ; Paris, 28 avril 1925, D. P., 1927, 2. 63 ; Trib. Mont-
pellier, 26 mars 1911, Monit. jud. Midi, 1912, p. 13 ; V. déjà
Colmar, 14 déc. 1849, D. P., 1852, 2. 20).
:
La Cour de Cassation a décidé le contraire (Civ. 30 nov.
1931, et 6 juil. 1937, précit.). Mais elle n'en a pas déduit la
nullité, dans tous les cas, de ces assurances. D'après elle, s'il
était interdit, par la nature même du contrat d'assurances,
de se procurer, en cas de sinistre, par des polices multiples,
une indemnité supérieure à la valeur de la chose assurée, il
est toujours licite, après une première assurance, d'en sous-
crire une seconde en vue du cas où, pour une cause quelcon-
que, la première manquerait d'effet.
D'après l'arrêt du 6 juil. 1937, il n'est même pas néces-
saireque le stipulant ait, en contractant la seconde assurance,
des motifs spéciaux de craindre effectivement l'inefficacité de
la première. D'ailleurs une nuance distingue les deux arrêts
de la chambre civile. D'après le premier, en cas de souscrip-
tion d'une assurance subséquente, en vue du manque d'effets
possible de l'assurance antérieure, il y aurait « non pas cumul
d'assurances, mais substitution de l'une à l'autre. » Est-ce
?
rigoureusement exact Et du reste en quel sens entendre cette
formule équivoque ?
On a douté de l'exactitude de cette assertion, en obser-

;
vant que le premier contrat subsistait, nonobstant la forma-
tion du second car il ne dépend évidemment pas de l'assuré
de se délier, par sa seule volonté, d'un engagement précédent.
Les deux contrats subsistant côte à côte, chacun garantissant
l'entière valeur de l'objet assuré, n'est-ce pas un cumul d'as-
surance au sens propre du terme
Gén. ass., 1932, p. 39).
? (V. note M. Picard, Rev.

Il est très probable qu'en ce passage de l'arrêt, la Cour a


simplement visé l'intention de l'assuré de se procurer, par ces
deux contrats, non pas simultanément, mais à défaut l'un de
l'autre, l'indemnité de ses pertes.
Bien que les articles 334 et 359, Code de Commerce pré-
voient l'imputation de la perte totale par ordre de dates, sur
les assurance successives d'un même bien, rien n'empêchait,
dès avant la loi nouvelle, de prévoir une répartition propor-
tionnelle de la perte entre les assurances jusqu'à concurrence
de la valeur totale, répartition qui n'avait certainement rien
de contraire à l'ordre public, étant prévue par l'article 334 en
cas de contrats simultanés.
II. Un point embarrassant concerne les assurances cumu-
latives de responsabilité. Comment répartir la perte entre les
divers assureurs ?
On ne connaît pas ici la valeur de la chose assurée, le
juge élevant plus ou moins le chiffre de la condamnation des
responsables selon les circonstances de fait. Pour cette raison,

sous-assurance;
il n'est pas plus possible de parler ici de surassurance que de

:
d'où résulte qu'avant la loi nouvelle, l'article
359 Code de commerce, ne s'appliquait pas (contra Trib.
Dreux, 1er mai 1935 précité), et qu'aujourd'hui l'article 30 de
laloi du 13 juillet 1930 ne joue pas davantage.
Faute de restriction légale, on doit, comme en tout autre
contrat, pour déterminer ses effets, rechercher l'intention des
parties. C'est une question de fait. Si, par des polices succes-
sives, l'assuré veut élargir ila garantie donnée par un précé-
dent contrat, le montant des condamnations qu'il encourra

sur les suivantes (Paris, 20 janv. 1937, précité


16 nov. 1896, Pasicrisie belge, 1897,2,140).
;
s'imputera d'abord sur la première police et subsidiairement
Bruxelles,

Au contraire, quand l'assuré souhaite seulement renfor-


cer lia garantie d'un premier contrat, sans accroître le montant
total des sommes couvertes, les condamnations prononcées
contre lui s'imputeront simultanément sur toutes les polices,
proportionnellement à la somme garantie par chacune (Or-
léans, 18 janv. 1936, Rev. Gén. ass., 1936, p. 279).

§ II. — Un adhérent d'une Cle d'assurances mutuelles, ayant


fait condamner celle-ci au paiement d'une indemnité pour
sinistre, a-t-il droit d'inscrire une hypothèque judiciaire
sur les immeubles de sa débitrice, en garantie du paiement
de cette indemnité, des intérêts courus et des frais expo-
sés, y compris ceux de cette inscription
1936, S. 1937,1. 25).
? (Civ. 11 juin

La jurisprudence n'a pas eu l'occasion d'examiner si un


créancier peut, avant de plaider, renoncer au droit éventuel
d'inscrire, en cas de litige et de condamnation future d'un
débiteur, une hypothèque judiciaire sur ses immeubles,
etles auteurs n'envisagent que la renonciation à l'hypo-
thèquenée d'un jugementdéjà Tendu (Baudry-Lacantinerie
et de Lyones, Privilèges et Hypothèques, t. II, n° 1223 ; Pla-
niol, Ripert et Béqué, Tr. pratique de Droit Civil, Sûretés
t.
réelles, XII, n° 611, p. 572). Dans l'affaire ayant donnélieu
à l'arrêt de Cassation du 11 juin 1936, on ne paraît pas avoir
examinési l'adhésion aux statutsd'une mutuelle d'assurance
ne comporte pas une telle renonciation et quelle en est la
validité.
Observant que les immeubles de la société faisaient partie
de ses réserves légales obligatoires et que cette hypothèque
procurerait à son bénéficiaire, en vertu de son droit de préfé-
rence, un avantage sur ses coassociés, la société opposait à
celui-ci deux autres arguments.
D'une part ces immeubles étaient, aux termes des statuts
sociaux etdu décret du 8mars 1922 (art. 26), affectésspéciale-
ment à garantir les indemnités dues éventuellement à tous
les associés. L'inscription d'une hypothèque judiciaire par
l'un d'eux porterait atteinte à la garantie résultant indistinc-
tement pour tous de cette affectation spéciale. Nul des associés
ne pouvait porter atteinte à cette disparition réglémentaire
fondamentale sur l'organisation et le fonctionnement de toute
société d'assurances.
Cette affectation spéciale à la garantie des indemnités
pour sinistres n'est pas douteuse, comme d'ailleurs le seul
mot « réserve» suffirait à le montrer. Mais elle ne place
pas hors du commerce les biens formant les réserves, qui
notamment demeurent aliénables. Elle ne les soustrait pas
davantage à la saisie par les créanciers sociaux. Or, comme
le remarque la Cour de la Cassation, en cas de sinistre frap-
pant un des adhérents, celui-ci devient créancier de la
société, possédant à ce titre tous les droits que la loi confère
à tout créancier pour sûreté de son droit, y compris l'hypo-
thèque judiciaire.
Il faudrait des restrictions légales formelles pour les lui
enlever. On ne peut en voir une dans les dispositions régle-
mentairesordonnant la constitution d'une réserve, celle-ci
ayant pour but la garantie des indemnités dues en cas de
sinistre aux adhérents, et le réclamant agissant précisément
ici pour obtenir paiement d'une telle indemnité. Faisant valoir,
en vue de ce paiement, ses droits sur les immeubles des réser-
ves, celui-ci ne peut être considéré comme portant atteinte à
leur destination réglementaire, la garantie du paiement d'in-
demnité pour sinistres. En incrivant son hypothèque judiciaire
sur un immeuble des réserves en vue de cette garantie, il use
d'une des prérogatives attachées au droit spécial qui lui est
reconnu sur pareil bien.
Rien là que de logique et de légitime.
En second lieu la Société opposait que cette hypothèque
judiciaire procure un avantage propre au réclamant,
au préjudice des autres associés, allant ainsi à l'encontre du
principe général de l'égalité entre les associés.
Certes, par définition, toute hypothèque donne à son
bénéficiaire un droit de préférence sur tous autres créanciers
du débiteur. Mais c'est comme créancier, non comme associé,
que le défendeur au pourvoi prétendait à cet avantage. L'éga-
lité entre membres d'une société ne concerne que leurs rap-

;
ports entre eux à titre d'associés, non ceux de l'un d'eux
comme créancier de la société avec celle-ci et nul n'a jamais
douté qu'un des associés ne pût devenir créancier social, avec
les droits attachés à cette qualité (Guillouard, Tr. du Contrat
de Société, 2e vol., n° 222, p. 296 et suiv.).
Il serait particulièrement inexact de prétendre contraire
à l'égalité des associés les droits attachés par la loi même à la
qualité de créancier, comme t'hypothèque judiciaire. Car, dit
notre arrêt, chacun des membres de la Mutuelle pourra se
prévaloir de ces droits dès que, devenu créancier de celle-ci par
suite d'un sinistre, il obtiendra condamnation contre elle au
paiement d'une indemnité.
§ dans quelle mesure l'autorité de
3. — Dans quels cas et
la chose jugée au criminel contre l'assuré profite-t-elle à
son assureur poursuivi par la victime ? (Civ., 9 juil. 1936,
S. 1937, 1. 17 rapport de M. le Conseiller Josserand ; 18
nov. 1936, S. 1937, 1. 105).
Le respect par les tribunaux civils, saisis par la victime
d'une action en indemnité, des sentences rendues par les tri-
bunaux de répression, dans des poursuites pour coups et bles-
sures, est souvent invoqué par les C"» d'assurances, poursui-
vies aux lieu et place de l'assuré. Suivant une formule repro-
duite en de nombreux arrêts de Cassation, le juge civil ne peut
méconnaître la décision du tribunal répressif « soit quant à
l'existence du fait qui forme la base commune de l'action
publique et de l'action civile, soit quant à la participation du
prévenu à ce même fait. » (Civ., 10 fév. 1931 et 26 janv. 1932,
S. 1933, 1. 57,note M. P. Esmein).
La condamnation de l'assureur au civil, sans contredire
sur l'un ni l'autre de ces deux points une sentence rendue au
criminel pour ou contre l'auteur des faits dommageables, ou
ses répondants, n'est donc pas critiquable. Dans les arrêts
publiés récemment, on trouve trois applications de ces idées,
l'une en cas d'acquittement par le juge répressif, l'autre en
cas d'interprétation par le juge civil d'une convention non
discutée devant le juge correctionnel, la dernière concernant
l'utilisation par le juge civil d'estimations faites par le tri-
bunal répressif.
I. La portée des sentences de ceux des tribunaux qui doi-
vent motiver leurs décisions (tribunaux de simple police, tri-
bunaux correctionnels, cours d'appel) se détermine à l'ordi-
naire aisément, en rapportant les motifs du dispositif. Quand
un tribunal correctionnel, après avoir reconnu l'absence de
faute à sa charge, relaxe le prévenu, la faute civile s'appréciant
aujourd'hui comme la faute pénale en matière de coups et
blessures, le prévenu ne peut plus être utilement recherché
comme personnellement responsable des conséquences dom-
mageables de son fait (Civ. 15 janv. 1929, S., 1930, 1. 177 ;
1" déc. 1930, S. 1931-1-109 et note). Son assureur ne pourrait
pas davantage être poursuivi du même chef par la victime
devant la juridiction civile.
il
Mais en est autrement au grand criminel, où le verdict
du jury, les ordonnances du président, ni les arrêts de la cour
d'assises ne sont motivés (art. 348, 358 et 364 C. Inst. Crim.).
Ils ne statuent que sur la culpbabilité de l'accusé. En cas
d'acquittement, on sait seulement que les éléments de l'in-
culpation criminelle servant de base aux poursuites ne sont
pas réunis. Il n'en résulte pas que le prévenu soit étranger
aux faits dommageables relevés contre lui, ni même qu'il n'en
soit pas civilement responsable. C'est pourquoi la loi donne
pouvoir à la Cour d'assises, immédiatement après le prononcé
de l'acquittement, de statuer sur l'indemnité réclamée par la
victime (art. 348, C. Instr. crim.).
La même action en dommages-intérêts pourrait être
portée devant le juge civil, et plusieurs fois la Chambre des
Requêtes a décidé qu'il a toute latitude pour apprécier les
conséquences purement pécuniaires pouvant, indépendam-
ment de toute culpabilité criminellede leur auteur, découler
des faits dommageables reprochés à l'accusé (Req. 10 janv.
1928, S. 1928-1-159 ; 24 oct. 1932, S. 1933-1-21).
Pour des raisons identiques, la même solution est donnée
par la Chambre civile, en cas d'acquittement par les Conseils
de Guerre, dont les décisions ne sont pas motivées (Civ.14
janv. 1925, S. 1926-1-31 ; 3 fév. 1925, S. 1925-1-61).
Tel est également l'avis de la doctrine (R. et P. Garraud,
;
Précis de droit criminel, 158 édition, n° 1158 Ripert, D. P.,
1925-1-5 ; Savatier D. P. 1930-1-42, col. 2 ; Vidal et Magnol,
Cours de droit criminel, 88 édit., n° 681, p. 803).
Dans ces conditions, nul doute qu'à son tour la Chambre
civile n'adopterait, en cas d'acquittement devant les .assises,
la solution des Requêtes, et qu'elle ne rendît, à l'égard de
l'assureur la même décision qu'à l'égard de l'auteur des
faits (1). L'occasion vient de se présenter.
(1) Jugé déjà que l'acquittement dans les poursuites aux assises
contre l'assuré pour incendie volontaire n'empêche pas le tribunal civil
de lui refuser l'indemnité d'assurance incendie, pour imprudence au
négligence grave. constatée par l'arrêt criminel (Rouen, 22 mars 1923,
Jour. Assurances, 1923, p. 382).
Un gardien de nuit du Jardin d'Acclimatation, ayant
blessé une personne dans une bande bruyante qu'il prenait
pour des malfaiteurs, poursuivi pour blessure volontaire, fut
acquitté en Cour d'assises, le jury l'ayant déclaré non cou-
pable, mais condamné par la même cour, solidairement avec
son employeur, à indemniser la victime. L'employeur se re-
tourna contre son assureur, lui ayant promis garantie des
« accidents corporels causés involontairement aux tiers et aux.
visiteurs ». L'assureur contesta de caractère involontaire du
dommage. Le juge civil déclara que ce caractère était suffi-
samment établi par le verdict d'acquittement au profit du
gardien par la Cour d'assises.
Mais la décision non motivée du jury se référant à la
seule culpabilité pénale de l'accusé, sans se rattacher plus
spécialement à tel des éléments d'incrimination, parexemple
le caractère volontaire ou non de l'acte de l'accusé, n'empê,

;
chait pas la juridiction civile de qualifier cet acte de volon-
taire pour appliquer un contrat d'assurances et la Chambre
civile cassa l'arrêt faute, par le juge d'appel, d'avoir donné
base légale à sa décision, en s'abstenant d'examiner lui-même
si (les blessures étaient ou non volontairement causées (Civ.
9 juil. 1936, précité.)

II. — Parmi les personnes qui participent à des faits


dommageables, l'auteur responsable au point de vue pénal
peut différer de l'auteur pour l'application d'un contrat d'as-
surance. -

Apprenant à conduire une auto, sous la surveillance et


le contrôle d'un maître possédant un permis de conduire,
« assis à ses côtés, prêt à intervenir au cas où se présenterait
un obstacle », un débutant blesse un passant, et le tribunal
correctionnel le condamne pour Liessure par imprudence,
excès de vitesse et circulation sans permis de conduire, avec
dommages-intérêts envers sa victime. Assigné en garantie,
son assureur oppose une stipulation du contrat subordon-
nant son obligation à la double condition que l'auto serait
conduite par son propriétaire ou par un préposé dont il ré-
pond, et que le conducteur serait muni d'un permis de
conduire. Or, au moment de l'accident, l'assuré, bien que dé-
pourvu de permis, était au volant, et son rôle de conducteur
était constaté par sa condamnation correctionnelle.
Condamné par un arrêt de Paris du 5 juin 1931, l'assureur
pourvut cassation. L'autorité du jugement correctionnel
se en
?
n'empêchait-el'le pas ici de condamner l'assureur D'après les
termes du contrat, la garantie ne pouvait jouer si l'auto n'était
pas conduite, au moment de l'accident, par le possesseur d'un
permis de conduire, et le jugement correctionnel avait pré-
cisément condamné le prévenu à la fois pour blessures par
imprudence, excès de vitesse et conduite sans permis ?
Cependant le pourvoi fut rejeté.
D'après la Cour de Cassation (Civ. 18 nov. 1936 précité),
le tribunal correctionnel, saisi del'action publique pour bles-
sure par imprudence et pour infraction au Code de la route,
contre l'élève-chauffeur, n'était pas légalement chargé d'exa-
miner qui, de lui ou de son surveillant, participant tous deux
simultanément à la direction, comme il convient dans toute
leçon de conduite d'auto, devait être considéré comme le vé-
ritable conducteur au sens que la police d'assurance donnait
à ce terme.
Dans ces conditions, l'arrêt condamnant l'assureur à ga-
rantir l'assuré pouvait, sans violer l'autorité de la condam-
nation correctionnelle de l'élève-chauffeur, interpréter la
police comme imposant seulement la présence, à côté de la
personne apprenant à conduire, d'un assistant possesseur d'un
permis, prêt à intervenir immédiatement au besoin.
Au cas spécial d'accident survenu au cours d'une leçon
de conduite d'auto, cette décision n'aura peut-être pas en
pratique, toute l'importance qu'on croirait d'abord. En gé-
néral, le maître est rendu responsable, comme dirigeant ef-
fectivement l'auto, puisque l'élève est totalement soumis à
son contrôle (Crim. 24 juil. 1920, S. 1923-1-389 ; 25 nov. 1922,
motifs, S. 1923-1-140 ; 2 avril 1927, motifs, S. 1928-1-333).
En d'autres matières elle aura plus de portée, car elle atténue
l'autorité de la sentence criminelle quant aux faits qu'elle
constate, en reconnaissant au juge civil tout pouvoir de les
analyser ou qualifier autrement pour l'application d'un
contrat.
§ IV. — La condamnation de l'assuré au paiement d'une in-
demnité à la victime est-elle opposable à l'assureur ?

1937, p. 280, note M. Picard;


(Civ. 19 janv. 1937, Gaz. Pal. 1937, 1. 599 ; Rev. gén. ass.
29 juin 1936, Rev. gén. ass.
1936, p. 1022 ; Lyon 14 fév. 1936, ibid, p. 790).

On discute vivement pour savoir si le jugement con-


damnant l'assuré au paiement d'une indemnité à la victime
est opposable à l'assureur poursuivi en garantie soit par la
victime, soit par l'assuré. D'ordinaire, la question manque
d'intérêt au cas de condamnation par un juge civil. Devant
lui, l'intervention de l'assureur étant toujours permise, il
viendra défendre lui-même ses intérêts, ou par son abstention
prouvera qu'il accepte la décision d'avance. Au contraire, la
question est importante, au cas de jugement d'un tribunal
de répression, l'intervention de l'assureur n'étant pas admise
devant lui.
L'ordre public impose à tous la condamnation par la ju-
ridiction répressive, en tant qu'elle constate la faute pénale,
1

et, par suite, la faute civile du délinquant. En revanche, on


ne saurait, en principe, invoquer son autorité quant à l'éten-
due de la responsabilité civile de celui-ci, ni la fixation de
l'indemnité, contre les personnes, comme l'assureur, n'ayant
pas été parties à la procédure criminelle (Lyon 14 fév. 1936,
)
précité.
Le plus souvent cependant, même sur ce point, la sen-
tence criminelle devient opposable à l'assureur. Généralement
celui-ci, se réservant l'exclusive direction des procès contre
l'assuré, sous le nom de celui-ci, s'interdit de contester les
jugements dans les procès qu'il a dirigés, ou qu'il avait toute
liberté de diriger, quand il n'allègue ni fraude à son préjudice,
ni de négligence à le mettre à même de faire valoir ses droits.
(Civ. 29 juin 1936, précité).
En l'absence de stipulation de ce genre au contrat, toute
question de fraude mise à part, l'assuré ou la victime ne-
peuvent-ils prétendre que la juridiction répressive a fixé l'in-
demnité même auregard de l'assureur ?
L'assurance de responsabilité n'a-t-elle pas pour but le
aux tiers, comme responsable d'un dommage ?
remboursement à l'assuré des sommes qu'il est tenu de payer
Faute de ré-
serve expresse, l'assureur n'accepte-t-il pas à l'avance le
chiffre d'indemnité fixé loyalement à l'amiable ou par justice,
entre la victime et l'assuré ? Toute une jurisprudence des
cours d'appel est en ce sens. (Lyon 14 fév. 1936, Reu. gén. ass.
1936, p. 790 et les arrêts cités en note ; cf. P. Biney, L'action

;
directe, 1934, p. 49 ; H. et L. Mazeaud, Tr. théor. prat. de
la responsabilité civile, 2e éd., t. III, n° 2713 M. Picard,
L'autonomie de l'action directe, Rev. géné. ass. 1933, p. 725 et
).
suiv

sument d'un mot :


Les inconvénients pratiques de cette solution se ré-
complètement couvert par l'assureur,
l'assuré discutera-t-il le chiffre de l'indemnité avec toute la
?
diligence requise pour le réduire à ses justes limites Pour
éviter la moindre négligence à cet égard, les compagniestmul-
tiplient les clauses imposant la transmission immédiate des
pièces, leur réservant la direction du procès, interdisant.de
transiger sans elles, de reconnaître sa responsabilité, voire
de les appeler en garantie, toutes stipulations affirmant l'in-
dépendance de l'assureur dans la fixation de l'indemnité.
Impressionnée sans doute par il'usage à peu près constant
de pareilles clauses, la Cour de Cassation en induit que l'état
général d'esprit des assureurs de responsabilité civile est non
pas d'accepter à l'avance les chiffres d'indemnités fixés, sans
leur concours, entre la victime et l'assuré, mais au contraire
de réserver leur entière liberté de les discuter. Si donc l'as-
sureur n'assume pas en fait la direction du procès, sous le
nom- de l'assuré, et ne s'abstient pas volontairement d'y inter-
venir, on ne peut le considérer comme s'interdisant à l'avance
de critiquer les décisions rendues contre ce dernier (Civ.,
19,juil. 1937, précité).
Cependant la Cour de Cassation tempère cette solution
d'une réserve en reconnaissant aux juges civile, dans leur
pouvoir souverain, de déterminer les conséquences pécuniaires
de la faute de l'assuré délinquant, la faculté de retenir la dé-
cision du tribunal répressif, comme une exacte appréciation
du préjudice causé et de la réparation due, surtout quand
elle intervient après une expertise et une information ap-
profondie.
A la vérité, le tribunal civil, en l'espèce, avait réduit de
plus des deux tiers le chiffre admis en correctionnelle. Mais
en laissant au juge civil plein pouvoir d'utiliser, pour fixer
l'indemnité due par l'assureur à la victime, l'appréciation du
juge correctionnel, la Cour de Cassation admet implicitement
son pouvoir d'adopter, quand il le croira convenable, le chiffre
arrêté par le tribunal de répression.

§ V. — A qui incombe la charge de la preuve en cas de res-


triction conventionnelle aux obligations de l'assureur ?
(Civ. 26 avril 1937, Rev. gêne ass. 1937, p. 763 et 23 mars
1937, ibid., p. 524, S., 1937, 1. 184 ; Req., 20 janv. 1937,
Rev. gén. ass. 1937, p. 293). -

Au cas où la police déclare ne couvrir les accidents d'auto


que si,lorsqu'ils se produisent, la voiture est dirigée par le
possesseur d'un permis de conduire, on a beaucoup discuté
pour savoir s'il incombe à l'assuré de prouver la présenceau
volant d'un porteur de pareil permis,pour avoir droit à l'in-
demnité, ou à l'assureur d'établir l'absence d'un conducteur
ainsi qualifié, pour se soustraire au paiement.
Pour trancher la difficulté, tribunaux et cours d'appel
s'étaient référés d'abord à la distinction entre les clauses dé-
terminant l'étendue de la garantie promise par l'assureur et
celles de déchéance de l'assuré (cf. Examen doctrinal — Ques-
tions d'assurances, § 5, 1933, Rev. crit.).
Les juges admettant que pareille stipulation délimitait

;
la garantie dûe par l'assureur imposaient à l'assuré la charge
de lapreuve les tribunaux y voyant une clause de déchéance
de l'assuré, mettaient la preuve au compte de l'assureur.
Or voici que successivement la Chambre civile et celle
des Requêtes, sans contester qu'il s'agisse de déterminer, par
de telles conventions, le champ de la garantie dûe par l'as-
sureur, et sans invoquer une déchéance de l'assuré, viennent
de mettre à la charge de l'assureur le soin de prouver qu'au
moment de l'accident, le conducteur de l'auto n'avait pas de
permis de conduire( Civ.23 mars 1937 et Req. 20 janv. 1937,
précités.)
Plus récemment, la Chambre civile a jugé, d'une manière
analogue, que lorsque le contrat d'assurance garantit les seuls
accidents d'auto survenus pendant l'emploi de la voiture pour
l'usage privé de son maître, il incombe à l'assureur, voulant
éviter de payer l'indemnité, d'établir qu'au moment de l'ac-
cident, l'auto était utilisée pour les besoins du commerce de
sonpropriétaire (Civ. 26 avril 1937, précité).
Dans l'un et l'autre cas, la Cour suprême invoque la dis-
position de l'art. 1315, C. civ. ordonnant au débiteur d'établir
les faits d'où résulte sa libération. Dans une certaine mesure,
il est permis de rapprocher ces arrêts de celui de Cassation qui,
lorsqu'une police d'assurance-Vie écarte, en certains cas,
l'obligation pour l'assureur de payer le capital convenu, met-
tent à la charge de l'assureur voulant se soustraire au paie-
ment, la preuve de la mort de l'assuré par une des causes
exclues du contrat (Civ., 21 fév. 1933, S., 1933-1-146, Rev. gén.
ass., 1933, p. 613).

concevoir l'ensemble de son argumentation :


Le motif invoqué par la Cour de Cassation permet de
en garantissant
les accidents d'auto en faveur de l'assuré, l'assureur contracte
une obligation très générale s'étendant indistinctement à
tous ceux qui ne sont pas spécialement exclus. Ces derniers
forment une exception à la garantiequ'il assume, et toute per-
sonne qui, pour se soustraire à son obligation, invoque une
exception, doit prouver qu'elle y a droit. En s'engageant envers
tel assuré, l'assureur le garantit des dommages provenant des
causes habituelles, écartant seulement les causes anormales ;
et, comme on présume les événements conformes à la marche
ordinaire des choses, la partie voulant exciper d'un fait anor-
mal doit le prouver.
Plus spécialement quant au permis de conduire, dans
l'assurance d'auto, quant à la mort volontaire, dans l'assu-
rance-Vie, ajoutons qu'on ne doit pas présumer un fait illégal,
la direction d'une auto sans permis de conduire, ni un fait
immoral, le suicide, pas plus qu'on ne peut présumer la mau-
vaise foi d'un plaideur réclamant une indemnité du dommage
causé par son auto en l'employant pour son usage privé, quand
il sait l'avoir employée au moment du sinistre pour son usage
commercial, écarté par la police (cf. Stœfel, Restriction, exclu-
sion et aggravation des risques dans l'assurance d'auto, d'après
la jurisprudence des hautes cours de l'Europe Centrale, Rev.
gén. ass., 1934, p. 42 et s. ; Définition, disparition et aliénation
du risque assuré, Problèmes du droit des assurances en Alsace
et en Lorraine, ibid, 1937, p. 657 et s.).

§ VI. — Dans quelle mesure la loi du 13 juillet 1930 s'applique-


t-elle aux contrats antérieurs quant à la subrogation de
l'assureur (Civ., 5 juil. 1937, S., 1937, 1. 311; Rev. gén. ass.,
1937,p. 949) ; au délai de résiliation (Civ., 28 juin 1937, S.,
1937, 1. 349 ; Rev. gén. ass., 1937, p. 946) ; à leur tacite
reconduction (Civ., 2-3 août 1937, S., 1937, 1. 307 ; Rev.
gén. ass., 1937, p. 953).

Le plus souvent les assurances étant conclues pour une


longue période, nul ne s'étonne que, près de huit ans après
la promulgation de la loi du 13 juilet 1930, se posent encore
de nouvelles questions transitoires.
I. — Avant cette loi, les assureurs avaient coutume de
stipuler, dans les polices d'assurances des biens que l'assuré
leur transmettait ses droits éventuels contre les tiers respon-
sables des sinistres. La validité de ces conventions était, re-
connue par une jurisprudence constante. On discutait seule-
ment pour savoir s'il y fallait trouver de véritables subroga-
tions ou des cessions de créances. Comme il arrive presque

les sous-entendit en disant :


toujours aux conventions d'un emploi constant, la loi nouvelle
« L'assureur qui a payé l'indem-
nité d'assurances est subrogé, jusqu'à concurrence de cette
indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les
tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné
»
lieu à la responsabilité de l'assureur ( art. 36 § 1er).
Si, comme avant 1930, on voit dans cette transmission
un effet du contrat lui-même, et tel semble bien être la so-
lution la plus naturelle, les lois qui sous-entendent des clauses
auparavant insérées dans les contrats ne modifiant pas leur
caractère conventionnel, on ne peut l'admettre au profit de
l'assureur en vertu de polices antérieures, les effets des con-
ventions restant soumis aux lois en vigueur au jour de leur
conclusion (1). On serait d'autant plus porté à l'admettre
que l'article 36 étant de ceux auxquels il est permis de déroger
(loi du 13 juil. 1930, art. 2), garde un caractère interprétatif
de volonté des parties et peut être considéré comme inscrit
dans le contrat, quand elles ne l'écartent pas formellement.
Pour trancher la question, il ne suffit évidemment de
dire qu'avant la loi nouvelle cette transmission résultait d'une

subrogation véritable
tionnelles.
;
cession de créance, tandis qu'elle résulte aujourd'hui d'une
car il est des subrogations conven-
Observant que, d'après les termes de l'art. 36, la subro*
gation provient du paiement par lui fait de l'indemnité pro-
mise, la Cour de Cassation décide que, lorsque ce paiement
s'est effectué depuis la loi de 1930, il entraîne subrogation
aux droits de l'assuré (Civ. 5 juil. 1937, précité).
D'après cet arrêt la transmission des droits de l'assuré
provient, non seulement d'une subrogation proprement dite,
— avec les nuances la distinguant de la cession de créance —
mais encore d'une subrogation légale. Si donc les biens du
tiers responsable ne suffisaient pas à les dédommager tous
deux, l'assuré aurait droit de primer l'assureur, conformément
A :l'art. 1252 C. civ. Le retrait, à la séance du Sénat du 8
juillet 1930, par M. Curral, d'un amendement qui réservait
formellement ce bénéfice à l'assuré ne suffit pas à l'en priver,
cet avantage résultant du droit commun et ce retrait s'expli-
quant par l'inutilité de l'amendement proposé (Journ. Off.,
9 juil. 1930, Déb. pari. Sénat, p. 1471).

1922 disposait :
II. — L'article 55 paragraphes 2 et 3 du décret du 8 mars
« La durée du contrat doit être mentionnée
en caractères très apparents dans la police. — Les statuts et
les polices doivent également stipulerque la durée de la tacite

(1) A moins de sous-entendre, avec certains arrêts, la stipulation


dite subrogatoire comme clause d'usage (Bordeaux, 4 mai 1912, Jour.
Assurances, 1915, p. 68).
-reconduction ne peut, en aucun cas, être supérieure à une-
»
année. On en induisit que les parties ne pouvaient convenir
d'unedurée supérieure.
Mais, on se demanda
s'étendait aux assurances
siantérieurement souscrites, dont la
cette limitation à une seuleannée

durée s'était achevée depuis le décret. Le renouvellement tacite


empruntant sa force au nouvel accord intervenu tacitement
à l'expiration du contrat, la Cour de Cassation décida que,
postérieur au nouveau décret, cet accord était soumis à cette
restrictioncomme à toutes autres dispositions limitatives.
(Civ., 26 nov. 1929, S., 1930, 1. 345, note de M. Sudre). C'était
lui donner effet rétroactif.

13 juillet 1930 décide:


A son tour, l'article 5, paragraphes 3 et 4 de la loi du
« La duréedu contrat doit être men-
tionnée en caractères très apparents dans la police. — La
police doit également mentionner que la durée de la tacite
reconduction ne peut, en aucun cas, et nonobstant toute clause
contraire, être supérieure à une année. »
Il indique donc expressément le caractère impératif de

:
cette limitation à une année. En outre, pour trancher la con-
troverse relative à sa rétroactivité, l'art. 84 § 2 ajoute « Sont
pourtant applicables aux assurances antérieures : .l'art. 5
limitant la durée de la nouvelle assurance en cas de tacite
reconduction pour les assurances expirant après la promul-
gation de la loi. »
Nuln'a jamais douté que, malgré toute clause contraire,
la tacite reconduction des contrats antérieurs à la loi de 1930
ne soit que d'une année (1).
Mais un assuré prétendit qu'en vertu du renvoi par
l'art. 84 à l'art. 5, son contrat ne pouvait être prolongé taci-
tement, faute par sa police de mentionner expressément et
de façon très apparente la durée du contrat et l'impossibilité
d'un renouvellement tacite pour plus d'une année. La Cour
suprême rejeta cette argumentation par ce motif que la ré-
daction même du passage précité de l'art. 84 vise la limita-
tion à un an du renouvellement tacite des contrats en cours

(1) V. notre Manuel juridique de VAgent d'assurances 2° p. 220.


à la promulgation de la loi nouvelle, et non les obligations de
forme imposées dans l'article 5, quant à la mention très appa-
rente de la durée du contrat et de la plus longue durée du
renouvellement tacite. De plus, l'extension aux polices anté-
rieures de ces règles de forme, en" obligeant les parties à
rédiger soit une police nouvelle, soit un avenant, serait la
négation même du renouvellement purement tacite du contrat
(Civ. 2 août 1937, précité).
III. — Domiciliée en France, une personne y avait con-
tracté,le 13 novembre 1918, avec une Mutuelle étrangère, une
assurance contre la mortalité des bestiaux, contrat la garan-
tissant d'un risque situé en France et devant s'y exécuter.
Ayant notifié à cette compagnie son intention de s'en retirer
au bout des cinq premières années, elle se vit opposer une des
Conditions générales de la police ne donnant aux parties la
faculté de résilier que tous les dix ans.
La Cour suprême cassa l'arrêt d'appel qui donnait gain
de cause à l'assureur, etdécida que le décret du 22 janvier 1868
en vigueur au jour du contrat, ouvrait par son article 25, à
chaque partie, le droit de résilier son contrat tous les cinq
ans, que cette disposition, étant d'ordre public, régissait im-
pérativement le contrat litigieux, et que si, au jour de la
notification de la résiliation, le décret du 8 mars 1922 (art. 55)
avait porté à dix ans le délai pour résilier, ce dernier texte
n'avait pas d'effet rétroactif, retirant au bénéficiaire d'une
police antérieure son droit d'invoquer la nullité d'une clause
de celle-ci d'après la loi en vigueur au jour de sa conclusion.
(Civ. 28 juin 1937, précité).
Si le décret du 8 mars 1922, comme celui du 22 janvier
1868, régit l'organisation et le fonctionnement des seules so-
ciétés françaises d'assurances, d'après cet arrêt celles de leurs
dispositions relatives au contenu des polices, qui sont d'ordre
public, s'étendent aux contrats émanant de compagnies étran-
gères pour garantirdes risques situés en France et ne souffrent
pas dérogations conventionnelles de leur part.
Déjà l'on avait jugé que l'artice 55 du décretdu 8 mars
1922, portant à dix ans le délai maximum au bout duquel
chaque partie peut résilier, n'est pas rétroactif et ne prive
donc pas les contractants engagés sous le régime du décret
du 22 janvier 1868 de la liberté de résilier au bout de cinq
ans (Civ. 30 déc. 1929, Rev. gén. ass. 1930, p. 539 ; 26 fév.
1935, ibid, 1935, p. 280). Mais la Cour de Cassation proclame
qu'en fixant à cinq années la durée maximum des obligations
des parties, le décret de 1868 formulait une règle d'ordre
public, — ce dont nul ne doutait d'ailleurs. Quand il a porté
ce délai à dix ans, le décret de 1922 a donc édicté lui aussi
une règle d'ordre public. Alors, en refusant de lui donner à
cet égard effet rétroactif, le nouvel arrêt s'écarte de la solution
donnée par la Cour en d'autres matières.
Notamment elle a jugé les dispositions de la loi du 19
juillet 1928, sur la résiliation du louage de services, appli-
cables aux contrats antérieurs, comme étant édictées « pour
des raisons d'intérêt social et de protection du travail».
(Civ. 22 avril 1929, S. 1932, 1. 129 et notre note).
De même, plus récemment, elle a jugé que la loi du 20
juin 1936, sur les congés payés, s'étendait aux contrats en
cours à sa promulgation, comme édictée « dans un intérêt
social ». (Civ. 17 fév. 1937, S. 1937, 1. 337, note de M. R. Ro-
dière). Sans doute, les formules des arrêts changent, l'idée
fondamentale n'est-elle pourtant pas la même et ne s'agit-il
pas toujours de règles d'ordre public ?
Aussi d'éminents juristes ont interprété l'arrêt du 22 avril
1929 comme érigeant en thèse générale la rétroactivité de
toute disposition fondée sur l'ordre public (Colin, Capitant et
J. de la Morandière, Cours élém. Droit civil, 8e éd., t. I, n° 45
quater, p. 59 ; Josserand, Cours de droit civil positif, 2° éd.,
t. II, n° 1280, p. 670). En rapprochant ces arrêts, on distin-
guerait deux sortes de règles d'ordre public, les unes pouvant
concerner de simples intérêts patrimoniaux, et auxquelles il
n'est pas loisible de déroger par contrat postérieur à leur pro-
mulgation ; les autres, moins nombreuses, relatives à la liberté
des personnes, annulant toutes dispositions contraires, même
de conventions antérieures.
LES POUVOIRS JUDICIAIRES
DU COMMANDEMENT

INTRODUCTION
Le sujet de cette étude, dont le caractère ne doit pas dé-
passer celui d'un simple Essai, nous a paru devoir intéresser
non seulement les criminalistes spécialisés du droit pénal mi-
litaire, mais encore tous ceux que l'obligationprofessionnelle
ou le simple désir de culture doctrinale orientent vers cette
législation particulière. Il n'a pas, sous forme monographique,
de précédent, à l'exception toutefois de la substantielle thèse
du Commandant Caille de 1921, antérieure à la loi de 1928,
et limitée à l'examen du Code de 1857. Il représente dans le
domaine déjà peu fréquenté du Code représsif militaire, une
zône effacée et d'arrière-plan, presque perdue dans l'ombre
et surtout formée d'îlots dispersés et fragmentés, dont le re-
membrement est aussi complexe qu'artificiel. Il offre donc
l'attrait d'une terresinon nouvelle, du moins peu visitée. Son
particularisme augmente encore cet attrait, car il constitue
dans notre droit pénal une véritable anomalie, presque un
paradoxe, sans aucun équivalent dans toute notre législation
répressive. Comment en effet, qualifier autrement le rôle et
les pouvoirs d'une autorité, qui sans faire partie intégrante
d'uneprocédure criminelle, a, indépendamment d'un droit de
contrôle permanent, seule le droit absolu de la déclencher
?
et d'en anéantir le résultat Quelle est donc cette personna-

?
table Quels sont ses droits? Quels sont ses moyens?
lité si étrange et singulière, armée d'une force aussi redou-

n'est autre que le Général Commandant la circonscription


Elle

territoriale, c'est-à-dire l'Unité Régionale Militaire, dont


dépend le corps où l'inculpé fait son service, ou celle où il a
commis l'infraction, ou celle encore où il est arrêté. C'est
l'organe le plus élevédu Commandement Militaire dans cette
:
région. Ses droits sont triples d'abord sur le vu de l'enquête
de son service d'information, ordonner la poursuite de l'in-

;
culpé devant le tribunal militaire, ou lui infliger une simple
peine disciplinaire, liquidant définitivement l'affaire ensuite,
dans le premier cas, suivre pas à pas l'évolution de la pro-

terminées;
cédure et intervenir dans des circonstances et conditions dé-
enfin, la sentence prononcée, en assurer ou en
arrêter l'exécution, et en amorcer ainsi, dans cette dernière

:
éventualité, l'anéantissement. Ses moyens sont divers et
appropriés à ses droits le déclenchement des poursuites se
traduit par l'ordre d'informer ; le contrôle, de la procédure
par la décision du référé ou l'opposition aux diverses ordon-
nances de clôture du magistrat Instructeur ; l'arrêt de l'exé-
cution de la sentence, et conditionnellement, sa disparition,
par la suspension de la peine.
Tel est sous le régime actuellement en vigueur en France,
celui de la loi du 9 mars 1928, le droit de l'autorité Militaire

C'est ce que l'on appelle d'une expression plus technique


Pouvoir Judiciaire du Commandement et que nous avons
:
sur un procès pénal s'engageant devant le tribunal Militaire.
le

donné comme titre à notre étude.

;
Mais ce n'est qu'une conception, celle du régime présent.
Il y en a eu bien d'autres dans le passé il en existe aussi bien
d'autres, dans les autres Pays. Elles s'échelonnent sur toute
une gamme de concepts, depuis celle de la confusion com-
plète du pouvoir disciplinaire et du pouvoir judiciaire, jusqu'à
celle de la séparation totale de ces pouvoirs et même, au moins
en période normale, de la substitution de la juridiction civile
à la juridiction militaire. Voici les principales notations de
cette gamme.
L'une peut consister dans la réunion sur la même tête du
pouvoir de répression disciplinaire et du pouvoir de juger, ou
pour employer la langue des juristes, de l'imperium et du
judiciUln. Celui-ci est alors une conséquence et une dépen-

;
dance decelui-là. L'autorité chargée de faire respecter la disci-
pline et d'appliquer la loi, ne change jamais c'est toujours
l'organe du Commandement ou de ses délégués. Certaines me-
sures de formalisme ou de contrôle apparaissent seulement
lorsque le pouvoir judiciaire intervient. C'est un système de
peuple peu évolué, et surtout militaire, où la distinction entre
la simple faute disciplinaire et la véritable faute pénale n'est
pas ou ne veut pas être faite. Ce fut celui des Romains et de
leurs successeurs en Gaule, les Gallo-Romains. Chez les pre-
miers, les Rois, les Consuls, l'Empereur ou leurs différents

)
préposés (Décemvirs, Tribuns, Proconsuls, Legati, Préfets du
Prétoire, Maîtres de la Milice, Comtes, Ducs, Centeniers ; chez
les seconds, Commandant supérieur des Gaules, Gouverneurs
de Provinces Militaires, exercèrent en vertu même de leur im-
perium, les pouvoirs judiciaires qui furent simplement con-
trôlés par la double institution du concilium (conseil d'assis-
tants) auprès du juge, et de l'appel aux déléguants des sen-
tences du délégué. Mais les représentants du Commandement
eurent toujours le monopole de juridiction sur les Militaires
en tout temps, même pour les fautes extra disciplinaires. Le
pouvoir judiciairedu.commandement y est absolu, puisque ce
dernier constitue et représente le tribunal lui-même. C'est
aussi le système des Anglo-Saxons. Si en effet, dans les légis-
lations pénales anglaise et américaine, Commandement et Tri-
bunal ne sontpas confondus et si les organismes de discipline
et de justice ont chacun leur existence propre et distincte, le
premier exerce sur le second une influence prépondérante. En
effet, il a le droit de diligenter l'instruction préliminaire et
définitive, d'arrêter ou déclencher l'action judiciaire, de nom-
mer les juges de la Cour Martiale, de confirmer, remettre ou
surseoir à l'exécution de la sentence et mêmearbitrairement,
de dessaisir et de dissoudre cette juridiction. La séparation
n'est donc qu'apparente, il y a en réalité dépendance et sujé-
tion de l'un à l'autre.
Une deuxième peut remettre à l'Assemblée souveraine de
la Nation, pour les fautes importantes, et aux assemblées
secondaires pour celles de moindre importance, le pouvoir de
juger. Mais il faut alors que ces assemblées soit composées
des forces vives du pays, c'est-à-dire de tous les hommes en
état de porter les armes et soient ainsi la véritable représenta-
tion de la nation. Il faut aussi que celle-ci soit, afin de pouvoir
facilement s'assembler et utilement délibérer, peu étendue et
peuplée. Il faut enfin que l'organisation militaire ne soit pas
très avancée et que l'armée ne soit autre chose que la réunion
des peuplades en armes. C'est le système des Germains dont
l'état social embryonnaire et les mœurs primitives s'accor-
daient bien avec le cadre restreint autonome et fédéral de la
civilisation du pagus. Le pouvoir judiciaire du Commande-
ment, sans disparaître, puisque les Chefs Militaires président
les Assemblées et y ont grande influence, est bien moindre, la
souveraineté de celles-ci étant au premier plan.
Une autre peut déléguer aux différents représentants du
pouvoir civil (central ou local) les fonctions de juges mili-
taires tout au moins à l'égard des éléments de l'armée, dont
le service est de brève durée, et qui ne quittent que momen-
tanément leurs occupations de la vie civile. Ce mode convient
très bien à une époque où la paix est précaire et constamment
violentée par les secousses de la guerre. Etat instable et alterné
de luttes, de trêves et d'accalmies, qui caractérise la sombre
et trouble période des Royautés Mérovingienne, Carolingienne
et de la Féodalité. A ces différentes époques, l'armée, à l'ex-
ception des troupes mercenaires en nombre réduit, était com-
posée des soldats du Roi ou du Seigneur convoqués pour un
temps limité, par le ban et l'arrière-ban, et conduits en guerre,
soit par les Ducs, Comtes, Centeniers au temps de la première
Race, soit par les vassaux ou sous-vassaux laïques ou écclé-
siastiques, à celui de la deuxième Race, ou de la Féodalité. Le
passage constant et subit en ces siècles tourmentés de l'état
de paix à celui de guerre et inversement, nécessitait l'existen-
ce d'une organisation militaire toujours prête à fonctionner.
Il ne pouvait y avoir dans ces conditions de meilleurs cadres
et institutions que ceux de l'administration civile, qu'une
rapide mise au point adaptait aux circonstances nouvelles. Le
pouvoir judiciaire du Commandement indépendamment des
troupes soldées relevant exclusivement de leurs chefs et pour
lesquelles les règlements disciplinaires tenaient lieu de lois,
était encore ici très diminué. Dans la période Mérovingienne,
la justice militaire est en effet rendue par le Roi, ou ses diffé-
rents hauts fonctionnaires délégués, assistés par la Cour des
Rechimbourgs, mais agissant comme représentants du pou-
voir civil central. Dans la période Carolingienne ou féodale,
elle est assurée suivant les règles contractuelles et fidèlement
respectées, des contrats de concession de tenures ou des char-
tes d'émancipation.
Une quatrième encore peut faire des juges civils, des juges
militaires, soit lorsque des civils sont en cause, soit même
pour des infractions exclusivement militaires et n'intéressant
que des militaires, au moins en temps de paix. C'est habituel-
lement le système de gouvernement des régimes dont le pou-
voir central est fortement assis et où l'élément civil prédo-
mine. Il s'établit alors une tendance naturelle à réduire au
minimum d'importance et au seul temps des hostilités, les
juridictions dites spéciales ou Militaires. Ce fut celui de la
Monarchie Française depuis Charles VII jusqu'en 1789. Le
Tribunal de Connétablie et son héritier le Grand Prévôt, le
Prévôt des Maréchaux, les juges dits ordinaires, c'est-à-dire
les prévôts, baillis, sénéchaux, présidiaux étaient par leur ori-
gine, leurs fonctions ou leurs attributions, des juges civils, à
compétence militaire en temps de paix, très étendue. Celle-ci
englobait en effet non seulement les infractions de droit com-
mun, commises par civils ou militaires ou ces derniers seuls,
mais encore des crimes et délits spécifiquement militaires,
jusqu'à l'un des plus graves, la désertion. La juridiction mili-
taire se trouvait ainsi réduite à ses extrêmes limites et n'inter-
venait qu'en temps de guerre, par îles Prévôts d'Armée, de Régi-
ment ou les Conseils de guerre. Cette particularité est remar-
quable, car bien des Gouvernements, à caractère républicain
et même démocratique, ont adopté une législation tout à fait
opposée. Le pouvoir judiciaire du Commandement doit néces-
sairement se ressentir d'un régime aussi restrictif. Il dispa-
raît complètement en temps de paix et ne réapparaît qu'en
temps de guerre, auprès des juridictions spéciales, à l'égard
de leur clientèle limitée. Même dans ce domaine restreint, l'au-
torité absolue du pouvoir central cantonne et conditionne son
action.

;
L'on peut aussi organiser la Justice Militaire à l'aide de
deux éléments juxtaposés un jury statuant sur la culpabilité
et un tribunal sur l'application de la peine, composés l'un et
l'autre soit de militaires, soit de non-militaires, soit des deux,
désignés par le sort, le commandement ou le pouvoir civil.
Cette juridiction mixte décalquée sur celle du droit commun,
ne connaît que des infractions strictement militaires, et en
temps de guerre de toutes infractions commises aux Armées.
Ce fut celle appliquée pendant les deux premières périodes de
l'époque Révolutionnaire, d'octobre 1790 à septembre 1795.
L'une calme d'abord, agitée ensuite, dominée par les principes
de la Déclaration des Droits de l'Homme ou du Citoyen, s'écou-
lant d'octobre 1790 à mai 1793, est marquée par l'institution
successive pour les infractions graves, de la Cour Martiale avec
ses deux jurys constitués d'après le roulement d'un tableau
particulier, et ses trois officiers juges, désignés par le Comman-
dement, et pour les infractions moins graves, des tribunaux de
Police Correctionnelle, avec ses seuls trois officiers juges nom-
més de même, ne connaissant les uns et les autres en temps de
paix que des affaires spécifiquement militaires, intéressant
des militaires seuls, et en temps de guerre, de toutes. L'autre
allant de mai 1793 à septembre 1795, extrêmement convul-
sive et tendue à laquelle les périls du dehors et du dedans ont
imposé des idées réalistes, est caractérisée par le fonctionne-
ment, d'abord des tribunaux criminels, avec leur unique jury
constitué comme précédemment, leur accusateur et leurs trois
juges, nommés par le Conseil Exécutif et le Comité de Salut
Public, ensuite par celui, suivant la gravité de l'infraction, des
tribunaux de Police Correctionnelle ou Criminels, composés
ceux-là d'un Officier de Police judiciaire, Président, nommé

;
par la Convention, d'un militaire du grade de l'inculpé et d'un
citoyen du territoire ceux-ci d'un jury, arrêté par le Prési-
dent et de trois juges non militaires nommés par la Conven-
tion. Toutes ces juridictions jugent indistinctement les infrac-
tionscommises aux Armées ou à leurs suites.
Dans une pareille organisation, le pouvoir du Commande-
ment est d'abord extrêmement faible, puisqu'il n'intervient
dans la Cour Martiale que pour la confection presque automa-
tique du tableau des jurés et la nomination, d'après des règles
strictes, des officiers-juges, ensuite inexistant, puisque l'élé-
ment militaire des tribunaux criminels ou de police correc-
tionnelle est désigné pour le jury par le Président du tribunal
.et pour les juges par l'Assemblée Nationale ou une autorité
locale.
Enfin un dernier système consiste à confier aux Militaires,
les jugements des fautes commises par leurs frères d'armes,
sauf à donner aux juridictions ainsi composées une compé-
tence plus ou moins élargie, à l'inculpé plus ou moins de
garanties pour sa défense, et au Commandement des pouvoirs
d'action plus ou moins grands sur l'action pénale. C'est ce
système qui paraît le plus adapté à notre pays puisque, avec
des modalités diverses, il existe depuis 1795 et compte ainsi
près d'un siècle et demi d'existence. Inauguré par les Con-
seils Militaires de l'An III, coimposés d'officiers, sous-officiers
et soldats, nommés librement par le Général et connaissant
en tout temps des infractions commises par toute personne
dépendant de l'armée ou de sa suite, il s'est poursuivi par les
Conseils de guerre de l'an V, dont les membres, officiers, sous-
officiers, sont également nommés par le Général, sans aucune
réglementation, et la compétence étendue englobe à la fois
toutes les infractions de nature militaire,quels qu'en soient

;
les auteurs, et toutes celles commises par les militaires, quelle
qu'en soit la nature continué avec le Code de 1857, qui a
soumis cependant à une réglementation fixe la désignation
des juges, mais maintenu les règles de compétence, et s'est
achevé avec la dernière loi de 1928, qui a légèrement resserré
la réglementation de désignation des juges, et détendu les
règles de la compétence, par un retour marqué au droit com-
mun. Dans ce système le pouvoir judiciaire du Commande-
ment a subi une courbe décroissante. Au début, avec la loi
de l'an V, il avait non seulement l'exclusif et double droit
d'ordonner les mises en information et jugement, mais aussi

s'imposant aux tribunaux ;


le privilège prétorien d'édicter des règlements de discipline
ensuite, avec la loi de 1857, il a
été dépossédé du droit de faire desrèglements de justice,
mais maintenu dans celui d'ordonner les mises en information
et en jugement, ainsi que la suspension de l'exécution de la
peine, et enfin avec l'ultime loi de 1928, il n'a plus que le droit
de décerner l'ordre d'informer et de suspendre l'exécution de
la peine.
C'est ce système aussi qui, en raison de ses avantages de
respect de la discipline de la défense de l'inculpé est adopté
par différentes nations. Mais, suivant leur loi de recrutement
et la composition de leur armée, le système varie, donnant
plus ou moins d'importance aux pouvoirs du Commandement.
En Belgique et en Suisse, ceux-ci sont très réduits, limi-
tés, dans l'une, au droit de décider souverainement le classe-
ment de la poursuite pénale, avec substitution d'une mesure
disciplinaire ou son renvoi devant la juridiction répressive,.
et dans l'autre, à celui d'ordonner et de provoquer l'enquête à
suite d'infraction ou de soustraire momentanément ou défini-
tivement, dans certaines circonstances, un inculpé au juge-
ment des tribunaux militaires. Toutes les autres attributions
sont dévolues au pouvoir central. En Italie, ils subissent la
même limitation, l'autorité militaire n'ayant ni direction ou
contrôle sur la poursuite judiciaire, ni action sur la décision
du tribunal, prérogatives réservées à l'avocat fiscal, à la Com-

gissent et augmentent d'importance ;


mission d'enquête ou au Roi. Au Japon, par contre, ils s'élar-
ils se manifestent en
effet par la désignation des juges, la direction de la première
information, la confirmation de la sentence ou sa revision.
Mais l'instruction véritable, la substitution de la sanction dis-
ciplinaire àla mise en jugement, l'arrêt de celle-ci et la remise-
gracieuse totale ou partielle de la peine, privilèges les plus
importants, leur échappent. Enfin, en Allemagne, ces pou-
voirs s'élèvent au maximum de concession du système, puis-
qu'ils englobent en la personne du Gerrischter tous les attri-
buts des fonctions judiciaires, notamment le droit d'arrêter à
deux échelons successifs la poursuite, d'infliger une simple-
peine disciplinaire et de confirmer partiellement ou totale-
ment et d'annuler la sentence. Ils s'arrêtent cependant à la
limite extrême du régime, sans l'observation de laquelle celui-
ci n'existerait plus. Le Commandement n'a aucune action ni
sur la procédure d'instance, ni sur le sursis d'exécution de laj
peine, ni sur sa remise gracieuse, respectivement réservés à
l'organisme de justiceou au Pouvoir Central.
Telles sont les différentes conceptions doctrinales et les
applications concrètes à travers le temps ou l'espace, du pou-
voir judiciaire du Commandement ; les aspects en ont été les
plus variés et les manifestations les plus opposées.
Quelles sont maintenant les causes qui déterminent et
?
conditionnent ces diverses conceptions Elles sont multiples
et complexes. Surtout leur action n'est point unique et isolée,
mais conjointe et collective. Essayons de les analyser.
La plus apparente, parce que directe et immédiate,est
évidemment la composition de l'armée, et par là son mode de
recrutement. Celle-ci ne pourra évidemment avoir la même
législation répressive si elle est formée de troupes mercenai-
res, de soldats de carrière ou de simples citoyens se libérant
de leurs obligations militaires. Dans la première la répression
sera stricte et implacable et la procédure brève et sévère, pour
ne pas dire sommaire, Il en fut ainsi pour les mercenaires
barbares servantdans les légions de l'Empire Romain ou les
troupes soldées étrangères engagées par les Rois de France ou
les grands seigneurs féodaux. Dans la deuxième dont le type
est incarné par les vétérans des légions républicaines ou
impériales romaines, les soldats de carrière des troupes entre-
tenues, de la milice provinciale de la Royauté ou les chevron-
nés des armées de métier de la Restauration, de la Monarchie
de Juillet et du Second Empire, cette répression doit, sans
se départir d'une extrême rigidité, s'adoucir cependant et
atteindre aussi bien les fautes militaires que celles de droit
commun. Lalongue durée de son congé soumet nécessaire-
ment ce soldat pour toutes ses infractions à l'empire du code
militaire. Dans la troisième enfin, formée des engagés volon-
taires, des gardes nationaux, des réquisitionnés de la Révolu-
tion ou des conscrits de la IIP République depuis 1905, ne fai-
sant qu'un court passage sous lesdrapeaux, la répression tout
en imposant le respect absolu de la discipline doit dans ses
formes comme dans ses sanctions se rapprocher le plus pos-
sible des règles du droit commun. D'où toute une série de
dispositions pénales appropriées.
Mais cette cause est loin d'être la seule. Bien mieux, elle
n'est qu'une résultante, tant isolée elle est impuissante à
expliquer certaines situations. Pourquoi en effet sous le Direc-
toire où pourtant le mode de recrutement était le même, au
moins jusqu'en Fructidor An VI, que sous la Constituante, la
Législative et la Convention, et le service à court terme et
obligatoire, est-il intervenu la loi de Brumaire An V, qui a
donné aux Conseils de Guerre une compétence extrêmement
large et au Commandement les pouvoirs judiciaires les plus
étendus? Pourquoi aussi, sous la Royauté, notamment sous
HenriIV, Louis XIII et Louis XIV, les monarques domina-
teurs ou à ministre absolu, ces mêmes pouvoirs ont été pres-
que annulés et cette même compétence transférée pour les
infractions militaires les plus graves, comme la désertion aux
juges ordinaires, c'est-à-dire à des juridictions exclusivement
?
civiles Pourquoi encore aux premiers temps de la République
Romaine, où les légions n'étaient levées quepour de brèves
périodes d'hostilités et n'étaient composées que de citoyens,
le Consul ou Dictateur exerçait-il un pouvoir judiciaire si
absolu qu'il se confondait entièrement avec le pouvoir disci-
plinaire ? Pourquoi enfin les peuplades germaniques tout à
fait barbares, avaient-elles un tel souci des droits de l'inculpé,
qu'elles ne confiaient qu'aux assemblées souveraines de la
civitas, ou secondaires du pagus, le jugement des infractions
?
militaires Quelles sont donc ces causes lointaines et supé-
rieures et qui sont les véritablement efficientes ?
C'est d'abord l'état du caractère et des mœurs d'un peu-
ple. Une nation guerrière et conquérante n'a pas la même
armée qu'une nation neutre et pacifique. Elle n'a pas surtout
la même conception des règles de discipline et de la répres-
sion de ses manquements. Différence qui explique pourquoi
les Romains, peuple essentiellement militaire, quoique de
culture juridique très développée, n'ont jamais songé à priver
leurs Chefs Militaires du pouvoir juridictionnel. Différence
qui explique aussi pourquoi les petits pays neutres comme la
Belgique et laSuisse n'envisagent pas leurs lois militaires
sous le même angle que les grandes nations belligérantes.
C'est aussi la situation intérieure et extérieure d'une
Nation. Les règles de la répression pénale diffèrent totalement
suivant que cette Nation est en état de paix ou de guerre et
que le calme ou la révolte règnent à l'intérieur. Les tribunaux
et conseils militaires de la Convention, les Conseils de guerre
du Directoire, aux pouvoirs les plus dictatoriaux et à la com-
pétence la plus étendue de notre législation militaire, ont été
organisés par des Gouvernements républicains ou démocra-
tiques, en raison de la terreur ou de troubles graves à l'inté-
rieur et d'une situation extérieure menaçant l'existence même
de la France.
Toutes ces causes se pénètrent, s'assemblent, se coali-
sent, forment ainsi une somme qui s'impose avec une force
irrésistible aux dirigeants d'un pays et d'une époque déter-
minés et les contraignent à plier aux nécessités du moment
les règles du recrutement de l'Armée. Ce sont de grandes lois
suprêmes, dictées par les destinées d'une Nation, et qui
dominent la fragile volonté des hommes !

Pour donner plus de recul et d'horizon à notre sujet, et


le rendre ainsi plus complet et vivant, nous nous proposons
dans une première partie d'exposé historique, de montrer

;
comment, à travers les âges et les peuples, le pouvoir judi-
ciaire du Commandement a été conçu et appliqué dans une
deuxième partie d'analyse exégétique, d'examiner son fonc-
tionnement actuel, enfin dans une troisième partied'étude
internationale comparée, de rechercher comment les divers
Etats modernes l'ont, suivant leurs tendances politiques ou
sociales, à leur tour organisé. Nous essayerons, après ce long
périple, de dégager des leçons du passé et du présent, les
enseignements de l'avenir,
SOMMAIRE

PREMIERE PARTIE
Exposé Historique
CHAPITRE I. — Dans la Rome Antique.
CHAPITRE II. -
Dans la Gaule Indépendante, Gallo-Romaine, en
Germanie et sous la Monarchie Franque.
CHAPITRE III. — Sous la Féodalité.
CHAPITRE IV. — Sous la Monarchie.
CHAPITRE V. - :
Sous la Révolution 1" Période — 2" Période
3" Période.
-
CHAPITRE VI. — Sous la loi de l'an V et de ses annexes.
CHAPITRE VII. — Sous la loi de 1857.

DEUXIEME PARTIE
Législation Actuelle. Code de 1928
CHAPITRE I. — Période de 'l'Information.
CHAPITRE n.
CHAPITRE III.
--
Période de l'Instruction.
Période de Jugement.
CHAPITRE IV. -
Période d'Exécution.

TROISIEME PARTIE
Législation Comparée

CHAPITRE I. — Pays à régime disciplinaire :Angleterre. Etats-Unis.


Japon.
::
CHAPITRE II. — Pays à Régime Judiciaire Belgique. Suisse. Italie.
CHAPITRE III. — Pays à Régime Mixte Allemagne.

HENRY ALDEBERT
LES POUVOIRS JUDICIAIRES

PREMIERE PARTIE
EXPOSE HISTORIQUE

CHAPITRE PREMIER
DANS LA ROME ANTIQUE

Le droit pénal militaire fut toujours fondé sur la disci-


pline, extrêmement sévère dans les armées Romaines. Il était
une conséquence et par suite une dépendance de l'exercice du*
commandement. C'est pourquoi la distinction entre le pouvoir
de juger (judicium) et le pouvoir disciplinaire (imperium)

délits étaient nettement prévus et caractérisés;


y fut-elle complètement inconnue. Sans doute les crimes et
sans doute
aussi étaient-ils nettement différenciés des infractions de
droit commun ; sans doute encore étaient-ils sanctionnés par
des peines précises et définies, habilement hiérarchisées. Mais
l'autorité chargée soit de faire respecter la discipline, soit
d'appliquer et de sanctionner la loi, ne changeait jamais.
C'était toujours l'organe suprême de commandement qui, sui-
vant les époques de l'Histoire Romaine, fut le Roi, les Consuls
ou Dictateurs, l'Empereur ou leurs Délégués. — Toute con-
damnation, même capitale, était rendue en la forme propre à
la simple répression disciplinaire, avec seulement un plus
grand apparat ou une plus grande publicité. — De pareils
procédés, qui nous paraissent inadmissibles, ne choquaient
nullement les Romains, tellement les solides principes de
discipline et hiérarchie dont ils étaient nourris, leur indi-
quaient-ils que le Chef suprême de l'Armée, disposant du
droit de vie ou de mort sur celle-ci, èn vertu de l'imperium
symbolisé par la hache des licteurs, pouvait l'exercer sous
toutes ses formes. La souveraineté du Chef s'étendait même
aux délits de droit commun, commis par les soldats ou toute
autre personne, séjournant au camp ou aux alentours. Cette
.souveraineté s'est exercée diversement aux différentes pério-
des de l'Histoire de Rome, suivant le régime de Gouverne-
ment, la situation intérieure ou extérieure, circonstances qui
ont elles-mêmes conditionné le mode de recrutement et, par
là, la composition de l'Armée.

1° Sous LES :
Rois

Ceux-ci, en leur qualité de Commandants en Chef des


Armées, disposaient d'un pouvoir de justice absolu. Leur
imperium était illimité, leurs sentences inattaquables et sans
appel. Ils étaient toutefois assistés d'un conseil formé des
membres des premières familles patriciennes. Leurs pouvoirs
passèrent ensuite aux Décemvirs, dont la puissance fut aussi
absolue, et au Tribun des Célères, magistrat pourvu égale-
ment de l'imperium et Chef des 300 Chevaliers composant sa
garde. L'on a prétendu que vers l'an 650 avant J.-C., fut
institué l'appel devant l'Assemblée du Peuple, présidée par
les Duumvirs. L'on invoque à l'appui le cas historique
d'Horace condamné à mort pour meurtre de sa sœur et
acquitté par l'Assemblée. Mais à supposer que ce droit d'appel
existât alors au profit des militaires, ce qui est fort douteux,
il était limité à l'enceinte de la Cité et expirait en dehors du
Pomœrium.
20 Sous LA RÉPUBLIQUE :
Le pouvoir judiciaire fut transféré aux magistrats revêtus
de l'autorité suprême, les Consuls. Mais l'exercice de ce pou-
voir était soumis à certaines formalités traditionnelles, comme
l'obligation de prendre les auspices, conformément aux rites.
de franchir la première borne militaire, de revêtir la robe
prétexte, et de siéger au Forum, ou neutralisé par certaines
mesures d'équilibre, telles que la collégialité. — Certains
historiens (Tacite, Tite-Live, Polybe) signalent l'existence
d'un autre mode de contrôle, celui de la réunion d'une sorte
de grand jury (consilium), formé des tribuns, centurions et
décurions, appartenant au corps de l'accusé, et qui groupés
sur le forum du camp, autour du Consul, après avoir entendu
le Tribun, accusateur public, se prononçaient sur l'innocence
ou la culpabilité. Le Consul, revêtu de la robe prétexte et
siégeant sur un tertre élevé, n'avait qu'à proclamer l'acquitte-
ment ou la peine. Il est probable toutefois, en raison du
mutisme complet des jurisconsultes sur ce fait, qu'il ne cons-
tituait qu'un simple usage et non une obligation légale. La
réunion ou l'avis du consiliiun était pourtant, dans la pra-
tique courante, habituellement observée, surtout dans les
affaires graves, soit pour revêtir la sentence de plus d'apparat
et de majesté, soit pour rendre le châtiment plus exemplaire,
soit tout simplement dans un but de partage de responsabi-

de leur sentence;
lité. Les Consuls avaient seuls le droit d'ordonner l'exécution
ils la déléguaient toutefois aux Tribuns,
mais après l'avoir autorisée par le geste rituel du coup de
baguette. Ils avaient aussi le soin de l'instruction de l'affaire,
qu'ils dirigeaient comme ils l'entendaient. Maîtres absolus de
l'application de la peine, ils l'étaient aussi des formalités de
procédure. Pourtant ils déléguaient couramment ces pouvoirs
aux magistrats se trouvant immédiatement au-dessous d'eux,
les Tribuns. Revêtus également de Vimperium, ceux-ci plus
particulièrement chargés de la surveillance et du maintien de
la discipline, remplissaient aussi de véritables fonctions judi-
ciaires. Ils procédaient par délégation aux enquêtes ou infor-
mations des affaires venant devant le Consul, intervenaient à
l'audience, comme accusateur public, en jugeaient eux-mêmes
?
certaines autres. Lesquelles Suivant l'opinion de Mommsen,
c'étaient probablement celles n'emportant pas la peine capi-
tale. Il est présumable aussi que ces sentences étaient, comme
celles du Consul lui-même, définitives et sans appel, la loi
Valéria de l'an 245 avant J.-C., qui interdisait l'appel en
matière militaire, s'appliquant sans restriction à toutes.
Dans les temps de dictature, les pouvoirs consulaires étaient
-
transmis au Dictateur qui jugeait seul et sans appel, même
dans l'enceinte de Rome. Son maître de Cavalerie, dépourvu
de Vimperium, ne pouvait le remplacer dans ces fonctions
judiciaires.
3° Sous L'EMPIRE :
L'imperiuln-judiciuln des Consuls fut tout naturellement
dévolu à l'Empereur, Chef du Nouveau Régime. Pourtant
l'attribution qui conférait ce pouvoir de juger ne dérivait pas
du simple titre d'llnperator, ne donnant aucun pouvoir

;
spécial, mais de la puissance proconsulaire, dont il était
revêtu ce qui marque bien cette idée de continuité et de
tradition, caractéristique de l'évolution des institutions
romaines. L'Empereur n'exerçait pas, sauf pour les causes
d'extrême importance, ces pouvoirs judiciaires en personne
il les déléguait par un mandat spécial dans les Provinces du
;
Sénat, pour les troupes s'y trouvant en garnison, aux Procon-
suls, qui portaient alors comme signe distinctif le manteau
militaire et l'épée, et dans les Provinces lui appartenant, aux
Généraux commandant les Légions, qui, de ce fait même,
exerçaient Vimperium militaire (sauf à l'égard des officiers,
justiciables du Tribunal de l'Empereur), et s'appelaient les
Legati. — Pour Rome et l'Italie, où la division des provinces
n'existait pas, la juridiction militaire était confiée au Préfet
du Prétoire, et s'étendait sur les Cohortes Prétoriennes, Garde
d'honneur et de sécurité de l'Empereur, ou sur les troupes
qui y étaient stationnées. — Au Ille siècle, en raison des
dangers et des troubles qu'étaient pour l'Empire les Cohortes
Prétoriennes, celles-ci furent supprimées. La juridiction mi-
litaire des Préfets du Prétoire disparut et fut transférée aux
Maîtres de la Milice (de cavalerie oud'infanterie) dont les uns
résidaient dans les Provinces (3 pour l'Empire d'Occident et
2 pour l'Empire d'Orient), et dont les autres restaient auprès
de l'Empereur. Ceux-ci ne connaissaient que les appels des
provinces et les causes exceptionnelles de la capitale, ceux-là
que des procès présentant une gravité particulière ou un

;
caractère politique. Au-dessous d'eux étaient les comtes, ducs
etcenteniers, qui jugeaient les affaires ordinaires au-des-
sous encore, les commandants des troupes solutionnant les
litiges sans importance, intéressant les soldats qui se trou-
vaient directement sous leurs ordres. — Tous ces divers
magistrats militaires du Bas Empire (Proconsuls, Legati,
Préfets du Prétoire, Maîtres de la Milice, comtes, ducs, cen-
teniers), s'entouraient d'un conseil d'assesseurs pris pour les
affaires criminelles parmi les pairs de l'accusé, dont l'avis
n'était pas légalement obligatoire, mais était toujours en fait
adopté, et dont les fonctions éphémères ne pouvaient être

;
renouvelées. La sentence prononcée par le Président était
définitive et sans appel pourtant elle était susceptible de la
supplication en la clémence impériale, c'est-à-dire du recours
en grâce.
Le droit pénal militaire fut donc à Rome en constante
transformation, et se modela exactement sur le caractère et
la composition de l'armée. Sous les Rois et les premiers siècles
de la République, où le service militaire était un véritable
privilège, les légions ne comprenaient que des citoyens
romains possédant au moins 4.000 as ; elles n'étaient levées
qu'en cas de guerre et licenciées, celle-ci terminée. Dans les
derniers temps de la République, lorsque l'état de guerre se
prolongea, par suite de la nécessité de la défense du sol
italien, ou des conquêtes extérieures, la composition de

:
l'armée se modifia. Il fallut avoir recours à de nouveaux
éléments pauvres, prolétaires affranchis, Italiens, furent
successivement incorporés dans les légions, dont le recru-
tement s'étendit peu à peu jusqu'aux dernières couches
sociales. D'autre part, la durée du service s'étendit au point
d'absorber toute la vie du soldat. L'armée forma ainsi une
véritable caste militaire, celle des célèbres vétérans. Sous
l'Empire, avec l'appel sous les armes de tous les sujets et
alliés sans exception (conséquence de l'octroi qui leur fut
donné du droit de cité) des colons et même des esclaves, ce

bord que ;
caractère de troupes de métier, s'accentua. Il en résulta d'a-
la compétence des magistrats militaires s'élargit au
début strictement pénale et militaire, elle s'étendit ensuite à
tous leslitiges civils dans lesquels les soldats étaient intéressés.
Il était en effet de toute nécessité que ceux-ci fussent spéciale-
ment protégés pendant la longue durée de leur congé par leurs
propres chefs. Il en résulta aussi l'obligation de rétablir au
moins pour les autorités jugeant des intérêts civils concernant
un soldat ou des délits d'importance secondaire, un double
degré de juridiction. Celui-ci était d'ailleurs la conséquence
nécessaire de la délégation par l'Empereur de ses pouvoirs
judiciaires à un certain nombre de sesmagistrats. Toutefois
chez ce peuple essentiellement militaire qu'étaient les Romains,
jamais à aucune époque de son histoire, même au Bas-Em-
pire, avec le Préteur, dont 'les pouvoirs étaient pourtant très
étendus, le magistrat civil n'eut de juridiction sur le soldat.
Une particularité intéressante marque encore cette évolution.
La législation militaire n'est apparue que sous l'Empire et
même le Bas-Empire. Les seuls textes des jurisconsultes l'in-
téressant sont en effet le Titre 16, Livre 49 du Digeste, les
Institutions Militaires de Vence, le code de l'Empereur Maxi-
me, la 8e Institution militaire de Léon le Philosophe. Il semble
donc que ce soit l'armée de métier qui ait déterminé les juris-
consultes à légiférer en raison de la longue présence sous les

;
armes de ses éléments. Au préalable, le droit pénal militaire,
au sens juridique du mot n'existait pas il ne se traduisait
que par des règlements ayant force de 'loi, mais élaborés par
des chefs militaires et non des juristes, bien suffisants pour
les besoins des curiates ou centuriates faisant un court passage
dans les légions. La seule source de renseignements pour l'é-
poque antérieure à l'Empire, est constituée par les récitsdes
Historiens (Polybe, Cicéron, Tite-Live, Tacite, Salluste, etc.),
qui malgré leur abondance, leur pittoresque ou leur variété,
n'ont point la précision et l'autorité de documentation des
jurisconsultes. Ils ne rapportent que des usages et non des lois.
Durant toute la longue histoire de Rome, le pouvoir judi-
cium du Commandement fut donc absolu, puisque Vimperium
absorbait totalement le judicium, et que même l'un ne se con-
cevait pas sans l'autre. Il fut évidemment limité, assujetti à
un formalisme rigoureux, contrôlé, amendé par diverses
mesures plus ou moins étendues suivant les époques, telles
que le consiilium, la supplicatio ; (mais il ne cessa jamais
d'être l'une des prérogatives et l'un des attributs essentiels du
Commandement. Aussi, si l'autorité militaire put, à certains
moments, connaître des intérêts civils du soldat, jamais le
magistrat, juge civil, même le plus important, le Préteur, ne
put juger le soldat.
CHAPITRE II

DANS LA GAULE INDEPENDANTE, GALLO-ROMAINE,


EN GERMANIE, ET SOUS LA MONARCHIE FRANQUE

1° CHEZ LES GAULOIS

L'armée Gauloise, au temps de l'indépendance, était for-


mée du pays tout entier, au moins de la partie en état de com-
battre. Elle était divisée en nations et pagi et commandées par
les chefs de tribus ou de clans qui partaient en guerre avec
leurs soldures, leurs clients et leurs serfs. L'importance ou la
puissance de commandement de ces chefs se mesurait au nom-
bre de leurs suivants. Cette armée n'était levée que pour le
temps, et le but décidés dans la grande réunion de printemps
de chaque nation. Dans une pareille formation militaire, les
juges ne pouvaient être, au moins en temps de guerre, que les
chefs de clans ou de tribus, assistés probablement, suivant les
mœurs Germaines, de leurs principaux officiers. Mais en temps
de paix, les Druides en vertu de leur droit d'excommunication,
de vie ou de mort, exerçaient les fonctions de juges criminels.
Il était en effet admis que la meilleure justice était celle qui
émanait de Dieu, et était exercée par les prêtres.

20 CHEZ LES GALLO-ROMAINS

Les Romains avaient des idées très différentes. Ils esti-


maient que le droit de punir appartenait à l'Etat, et que la
justice dépendait de la politique et non de la religion. C'est ce
principe essentiellement laïque qu'ils firent prévaloir en
Gaule. Durant cinq siècles que dura leur empire totalitaire, la
règle constante avait été de libérer la population du souci et
des dangers de la guerre, grâce à l'institution d'une armée
permanente et soldée. Celle-ci n'était pas très nombreuse, puis-
que pour une population de 75.000.000 d'âmes, elle ne dépas-
sait pas 300.000 hommes, et se trouvait presque entièrement
cantonnée aux trontières. Le recrutement en était assuré par
les engagements volontaires dont le chiffre ne dépassait pas
30.000 hommes, et surtout par une conscription un peu parti-
culière, basée sur une obligation non personnelle, mais fon-
cière. Le propriétaire d'une certaine superficie territoriale
devait fournir un soldat pris de force parmi les colons ou les

;
esclaves. Ceux qui ne la possédaient pas, se groupaient, et à
tour de rôle effectuaient cette prestation très souvent d'ail-
leurs cette redevance en nature se transformait en argent.
L'armée Romaine était donc en Gaule, comme dans le reste de
l'Empire, une véritable armée de métier. D'autre part l'orga-
nisation de la défense du territoire subit, à la même époque,
sous la menace pressante des invasions, une complète refonte.
La Gaule qui jusque là n'avait compté que deux provinces
armées sur 17, fut divisée en Commandements militaires,
placés sous l'autorité d'un Duc ou Comte, dépendant eux-
mêmes des Gouverneurs des Provinces Militaires et ceux-ci du
Commandant Supérieur des Gaules, lequel relevait à son
tour du Maître de l'Infanterie, autorité militaire la plus élevée.
Le pouvoir de juger n'appartenait qu'à l'homme revêtu de
l'imperium, c'est-à-dire à l'Empereur lui-même ou ses délé-
gués (Maître de la Cavalerie ou Commandant Supérieur des
Gaules, Gouverneurs de Provinces Militaires) avec assistance
de leur consilium respectif et faculté d'appel des derniers aux
premiers. Aux simples ducs et comtes, était réservée la con-
naissance des délits les moins graves présentant un pur carac-
tère disciplinaire.
Telle était l'organisation militaire du pays Gallo-Romain,
lors des invasions barbares. Elle était trop visiblement ins-
pirée de la législation Romaine pour ne pas être faite à son
image. Le pouvoir de juger les militaires appartient toujours
au Commandement, tempéré par le contrôle du consilium et
l'institution de l'appel.

3° CHEZ LES GERMAINS

Les usages régissant les diverses peuplades germaniques


en matière de répression pénale, au moment de leur invasion,
nous sont assez exactement connus, grâce à trois ordres de
;
documents : 1° les témoignages des auteurs latins qui les ont
décrits, dont surtout César et Tacite 20 les renseignements
fournis par les chroniqueurs, qui après la fondation des Empi-
res Barbares d'Occident, ont écrit l'histoire des diverses races
y ayant participé, parmi
;
lesquels principalement Grégoire
Tours et Isidore de-Sévi-île 3° les coutumes écrites de ces
peuplades, rédigées les unes en latin sous l'influence de la civi-
de

lisation romaine, les autres en langue barbare, complètement


soustraites à cette influence. A l'époque de Tacite, la race ger-
manique n'était point constituée en nations proprement dites,
mais divisée en un grand nombre de peuplades, complètement
indépendantes et n'ayant entre elles qu'une identité de cou-
tume et de langue. Dans chacune de ces peuplades, dénommée
civitas, le pouvoir suprême s'exerçait au moyen d'une assem-
blée (consilium ou mail), comprenant tous les hommes en
état de porter les armes, et qui constituait l'armée. Celle-ci
n'était en effet autre chose que la réunion de tous les hommes
libres de la civitas, en âge de combattre, convoquée dès que
les nécessités militaires l'exigaient et pour leur durée, c'est-à-
dire en fait presque constamment, en raison de l'état quasi
permanent d'hostilité. Cette assemblée statuait par acclama-
tions sur les accusations capitales qui devaient être nécessaire-
ment portées devant elle. L'idée du jury se trouvait ainsi en
germe au fond de la barbarie teutonique. L'exécution de la
sentence était réservée aux prêtres qui, en leur qualité de re-
présentants du Dieu de la Guerre, pouvaient seuls porter la
main sur les coupables. La civitas se subdivisait en cantons
appelés pagi, gouvernés par des chefs (principes ou grafs) élus
par l'assemblée du Mail, et qui à la fois magistrats et comman-
dants militaires, assistés d'un groupe de 100 hommes libres,
représentant probablement le contingent du pagus, décidaient

;
des affaires d'importance secondaire. Il n'y avait certainement
pas de dispositions spéciales aux militaires les devoirs civi-
ques et militaires étaient confondus et leur infraction, jugée
indistinctement, suivantleur gravité, soit par le Mail, soit par
le Graff. Mais à côté de ces autorités normales et régulières, il
y en avait d'extraordinaires et d'occasionnelles. C'était d'abord
le chef militaire ou dux, élu en temps de guerre, et dont les
pouvoirs limités cessaient à l'expiration de ce temps. C'étaient
ensuite le comitatus, sorte d'association guerrière intervenant
entre un chef de civitas et certains membres de celle-ci. Nul
doute quele chef dux ou le chef de comitatus pendant la durée
de l'expédition guerrière ou celle de l'activité de l'association
n'eussent aussi des pouvoirs judiciaires sur les hommes de
leur contingent. Dans quelle mesure ces pouvoirs étaient-ils
limités ou contrôlés par ceux de l'Assemblée de la Civitas ou
du Graff ? Rien ne permet de l'indiquer. Mais il semble toute-
fois que la souveraineté de ces deux Assemblées dût s'effacer
devant celle du Dux ou du Chef de Comitatus, pendant toute
la durée de leurs fonctions, en raison du caractère temporaire
ou particulier de celles-ci.
Ainsi suivant le temps de paix ou de guerre, c'était l'As-
semblée du Mail ou du Graff, le dux ou le chef de comitatus
qui exerçait le pouvoir judiciaire, toujours attribut du Com-
mandement. Mais ce pouvoir, au moins en temps de paix et
pour les causes capitales, cède le pas à l'Assemblée souve-
raine. Même pour les causes secondaires, il est contrôlé par
une cour de pairs.

4° CHEZ LES MÉROVINGIENS

Du mélange des lois des peuplades germaniques lors de


leur établissement en. Gaule, avec celles des peuplades Gallo-
Romaines, naquit le système en vigueur chez les Mérovingiens
ou les Carolingiens. Si au début, chaque race garda ses lois
personnelles, le temps, par son œuvre de nivellement invincible,
amena une fusion complète.
Les armées Franques furent constituées par des troupes
d'élite et de métier, composées d'abord de fidèles ou guerriers,
des Chefs ou Rois, ensuite de troupes stationnées dans le Nord
de la Gaule, qui ne pouvant revenir à Rome, et ne voulant
pas servir les Wisigoths de race Arienne, se soumirent aux
Francs et leur abandonnèrent le territoire qu'elles étaient
chargées de dépendre. C'étaient donc des troupes perma-
nentes. Mais comme elles étaient peu nombreuses, elles
ne purent permettre à Clovis de conquérir les provinces
septentrionnales de la Gaule ou de soumettre les Wi-
sigoths, et aux Rois de la première Race de soutenir
leurs longues guerres semi-séculaires. Aussi ces derniers
furent-ils nécessairement obligés de recourir au système de la
levée en masse. Le Roi adressait à ses ducs et comtes l'ordre
de mobiliser la population civile (homme libre ou affranchi,
propriétaire ou non, serf même pour un dixième), de l'armer
et de l'assembler aux endroits désignés. Evêchés et abbayes
n'étaient pas exempts du ban et devaient fournir des soldats
ou de l'argent. Ces soldats improvisés, recrutés dans toutes
;
les classes n'avaient ni instruction ni discipline, ni cohésion
ils n'étaient même ni payés, ni nourris. Ils étaient, faute de
cadre, laissés sous l'autorité des fonctionnaires qui, la veille,
les administraient et les jugeaient comme civils, avec d'autant
plus de raison qu'ils n'étaient pas groupés en légions ou régi-
ments, mais en cités, divisions territoriales du temps de paix.
C'étaient donc les organes du pouvoir civil, qui après la levée
du ban, devenaient ceux du commandement. Quels étaient ces
?
organes
:
Ceux même de l'Administration civile, c'est-à-dire

;
par ordre d'importance
sieurs Comtes les Comtes qui gouvernaient la Cité ;
les Ducs qui commandaient à plu-
les
.vicaires ou les centeniers, chefs de subdivisions de la Cité,
pagi ou centuries. Ils conservaient sur leurs hommes les
pouvoirs de juridiction ordinaires, aggravés cependant des
nécessités du nouvel état de choses. Reste à préciser quelle
était, hors la période d'hostilité, la nature et l'étendue de ces

:
pouvoirs. Trois sources de documents nous renseignent à cet
égard 1° les lois (Salique, Ripuaire, Burgonde, Romaine) ;
20 les écrits des historiens (Grégoire de Tours, Frédegaire, et
hagiographes) ; 30 les actes (procès-verbaux de jugements et
formules). Le mail de la civitas a disparu, le peuple ou plutôt
la Nation armée et assemblée n'a plus de pouvoir de justice.
Les trois récits de Grégoire de Tours, notamment celui du
Vase de Soissons et de l'exécution du guerrier franc ne prou-
vent rien. Clovis ne préside pas une assemblée de justice, où
l'on discute, l'on délibère et l'on vote, mais simplement une
revue militaire, où les soldats ne sont même pas consultés.
Les épisodes qui la marquent ne sont que des sanctions disci-
plinaires. Le pouvoir judiciaire était partagé entre le Roi et

de l'Etat, le Juge Suprême ;


les hauts fonctionnaires. Le premier était, en qualité de chef
il siégeait, assisté d'un conseil
où figuraient les principaux officiers et les dignitaires les plus
importants de la Cour (ecclésiastiques, laïcs, juristes), dont la
consultation ni l'avis n'étaient pas obligatoires. C'était le
Tribunal du Roi, juridiction supérieure, mais plus régulière

Les deuxièmes étaient les représentants du Roi :;


et normale, qui avait remplacé le consiliulll des Germains.

;
groupes de cités, les ducs dans les cités, les comtes
dans les
dans
les subdivisions territoriales de celles-ci, cantons ou centu-
ries, les vicaires ou les centeniers. Ces divers magistrats ne
jugeaient pas seuls, mais étaient assistés d'assesseurs choisis
par eux qui, au moins en fait, sinon en droit, arrêtaient les
jugements dont la lecture était faite par le juge royal. C'était
la juridiction inférieure du tribunal du Comte ou de ses
suppléants, jugeant des affaires d'importance secondaire, et
par délégation. Ses sentences pouvaient être portées en appel
devant le Tribunal du Roi.
Le système fédératif des Germains a disparu et avec lui
la représentation de la souveraineté de la nation. La centra-
lisation au contraire apparaît, avec ses juridictions supé-
rieures ou inférieures, manifestations habituelles du pouvoir
central. Toutefois, souvenir de l'époque précédente, le corps
des assistants est conservé. Mais la division des pouvoirs
judiciaire et disciplinaire se manifeste avec prédominance
marquée de l'autorité civile.

5° CHEZ LES CAROLINGIENS

Il n'y eut pas plus sous la deuxième race que sous la


première de classes guerrières, à l'exception de quelques
gardes du corps auprès de l'Empereur ou de garnisons placées
sur les points frontières menacés. Les armées étaient, comme
dans la période précédente, levées pour chaque campagne, et

d'hommes de toute condition :


dissoutes, celle-ci terminée. Elles se composaient aussi
agriculteurs, artisans, négo-
ciants, quittant leur occupation civile, lors de la proclamation
du ban et de l'arrière-ban, et les reprenant l'expédition termi-
née. L'eurs chefs étaient également les Comtes qui, en leur
qualité de Gouverneurs de Civitates, les administraient et les
jugeaient en temps de paix. Ils avaient comme seconds les
vicaires, centeniers, dizainiers, qui la veille étaient leurs
représentants dans les subdivisions territoriales de la civitas.
Le soldat ne recevait ni solde, ni nourriture, ni armes, ni
vêtements. Le service militaire frappait tous les hommes
libres, mais sans distinction d'âge, ni de race ou lieu d'origine.
Seuls en étaient exempts les esclaves, les serfs dans une faible
proportion, et sur la fin de la dynastie, les ecclésiastiques,
pris à titre personnel. Mais les évêques et les abbayes devaient
fournir le contingent de troupes en rapport avec l'importance
de leurs bénéfices. Il semble donc que le recrutement fût
le même que sous la première Race. Pourtant une différence
très marquée apparaît, contenant en germe le système féodal.
— Si le service militaire est personnel, il est aussi conditionné
à la fortune et s'accroît avec la situation sociale ou pécuniaire
du redevable. Les hommes libres qui y étaient astreints se
divisaient en trois catégories d'importance dégressive
première comprenait les détenteurs des grands domaines
: La

;
royaux, c'est-à-dire les bénéfices, qui étaient assujettis au
devoir de guerre en leur qualité de plus riches, ils partaient
les premiers. La deuxième, les propriétaires d'un certain

suivant les régions et les circonstances ;


nombre de manses, unités de culture de l'époque, variable
la troisième enfin,
ceux qui ne possédant aucune terre étaient détenteurs d'une

Ceux-là étaient employés à de basses besognes :


simple fortune mobilière ne leur permettant pas de s'armer.
le transport
des bagages ou la réparation des chemins. — Tous ces assu-
jettis étaient sujets directs du Roi. — Quant à ceux qui
échappaient à cette sujétion, mais dépendaient des évêchés,
abbayes ou seigneuries laïques, ils étaient enrôlés et conduits
en guerre par leurs suzerains ou leurs délégués, sur l'ordre
du Roi. Ceux-ci devaient en effet fournir seulement au Monar-
que le contingent d'hommes en proportion de leur fortune
foncière, assorti du matériel et de l'approvisionnement néces-
saires. Un ordre de guerre, adressé par Charlemagne à Fulrad,
abbé du monastère de Saint-Quentin en Vermandois, montre
le souci de précision que l'Empereur apportait dans ces

personnel. Voici ce curieux document

année dans la
:
mandements de guerre, et sa volonté impérieuse de plier
ces bénéficiaires ecclésiastiques à la loi commune du service

partie
« Nous te faisons
«savoir que nous avons fixé notre rendez vous pour la pré-
orientale, près de la
« sente en Saxe,
«rivière Boda, au lieu nommé Starasfurt. En conséquence,
«nous t'ordonnons que tu te rendes en cet endroit en plein
«service avec tes hommes, bien armés et fournis de tout, et
« que tu t'y trouves le 14 des calendes de juillet. Vous serez,
« toi et tes hommes, si bien garnis de toutes choses néces-
«saires que vous puissiez aussitôt marcher en guerre du
«côté où vous recevrez l'ordre de marcher, c'est à dire que
«vous devez avoir avec vous tout ce qu'il faudra en armes,
« vêtements, vivres, ustensiles et tous instruments. Chaque
«cavalier aura l'écu, la lance, l'épée longue, l'épée courte, un
«arc, deux cordes, douze flèches. Dans vos charriots, vous
« aurez des cognées, des haches, des pioches, des pelles en fer,
«tout ce qui est nécessaire à l'armée. Vos charriots devront
«porter des vivres pour trois mois, des vêtements et armes
« pour six mois du
à compter jour du rendez vous à Staras-
«furt (près de Magdebourg). Aie soin de n'apporter à tout
«cela aucune négligence, si tu veux mériter nos bonnes
«grâces. »
Il est facilede voir que cette redevance militaire pesait
surtout sur la classe moyenne des hommes libres et des pro-
priétaires du sol. Aussi tous ses membres la désertèrent, les
uns pour tomber dans celle des colons et des serfs, les autres
pour s'élever au rang des seigneurs. Cette armée ou plutôt
ce peuple en armes étaitmenée en guerre par les trois sortes
de chefs, sous l'autorité administrative et judiciaire desquels
elle se trouvait déjà placée dès le temps de paix. D'abord les
leudes ou fidèles vassaux et arrière vassaux qui rassemblaient
les hommes soumis à leur vasselage et les conduisaient eux-
mêmes marchant sous les ordres immédiats de l'Empereur.
Ensuite les comtes (Comites) qu'aucun lien de vassalité
n'inféodait à celui-ci et ne représentaient que son autorité
politique ; ils dirigeaient les hommes libres, c'est-à-dire ceux
ne possédant point fiefs, bénéfices ou tenures foncières, étaient.
:
propriétaires de terres absolument franches. Ils étaient
secondés de leurs subordonnés civils vicaires, vicomtes,.
centeniers, qui exécutaient leurs ordres comme officiers subal-
ternes. — Enfin les évêques, abbés, abbesses même, soit en
personne, soit par délégation, au moyen des avoués, condui-
saient leurs vassaux en guerre, sur les ordres de l'Empereur.
— En vertu de ce principe fondamental de la Monarchie,
formulé par Montesquieu, que quiconque avait la puissance
militaire, avait aussi la juridiction civile et criminelle, leudes,
comtes, évêques ou abbés avaient sur leurs sujets mobilisés
la puissance judiciaire. Fonctionnait-elle comme en temps de
paix, c'est-à-dire par l'organe du Mail ou Plaid, tenu par le

était sinon absolue au moins prépondérante ;


Comte ou ses délégués, assistés de notables dont l'influence
par celui des
Missi Dominici, juges itinérants représentant la justice impé-
riale dans les provinces ; ou encore celui du Plaid du Roi lui-
même, tenu par celui-ci ou son substitué, le Maire du Palais,
entouré de ses fidèles (hauts dignitaires ou fonctionnaires de
la cour) avec faculté d'appel des Comtes à l'Empereur et
même de saisine directe de ce dernier, au cas de déni de
?
justice Les Capitulaires des différentes époques de la
dynastie Carolingienne (751-987), si diserts et si complets sur
les détails de la procédure civile ou criminelle du temps de
paix, ne donnent aucune précision sur celle du temps de
guerre. Il est probable qu'en vertu du principe plus haut
rappelé que tout militaire sous la puissance disciplinaire d'un
chef est aussi sous sa juridiction criminelle, les hommes mo-
bilisés étaient jugés par leur supérieur direct et les officiers
supérieurs ou personnages importants par le Roi ou Empe-
reur, ou le Maire du Palais. — La dualité de conception de
la répression disciplinaire et juridictionnelle d'une part et
de la justice ordinaire et de la justice militaire d'autre part,
ne pouvait encore, à cette époque mi-barbare, se faire jour.
Deux capitulaires, l'un de 802, l'autre de 819, indiquent pour-
tant que les Réfractaires étaient jugés par le Tribunal de
l'Empereur et que les Missi Dominici ne devaient pas con-
naître, soit directement, soit en appel, des affaires émanant
des provinces, d'où le comte était absent « pour service du
Roi, au dehors». Ce qui laisse présumer que certaines infrac-
tions, de nature particulièrement grave, échappaient à la
juridiction des chefs de corps, et relevaient directement de
la justice impériale. — Ce sont probablement celles qui
avaient un caractère politique ou mettaient en cause l'intérêt
supérieur de l'armée.
Il semble que dans cette période, le principe de la subor-
dination du pouvoir juridictionnel au pouvoir de comman-
dement soit rétabli. Ce sont les chefs (leudes, comtes, sei-
gneurs ecclésiastiques) qui sont juges répressifs des infrac-
tions commises par leurs troupes. En réalité ces chefs ne
détiennent pas leur pouvoir juridictionnel du seul privilège
du commandement, mais plutôt de leur qualité de proprié-
taire et seigneur de fief. Ce n'est pas en vertu du principe
d'autorité qu'ils jugent, mais d'un contrat de vasselage. Ce
caractère tout particulier de suprématie est attesté par les
assemblées de pairs, organisées aux divers étages de la hiérar-
chie. C'est l'acheminement de l'ère qui se lève.

CHAPITRE III
SOUS LA FÉODALITÉ

Pour bien comprendre l'économie du service militaire en


vigueur durant cette époque de cinq siècles, qui part du règne
de Charles le Chauve (877) pour se terminer à celui de
Charles VII (1461) et par conséquent des moyens employés
pour réprimer ses manquements, il est absolument indispen-
sable d'avoir une idée même sommaire de ce monde si parti-
culier qu'était le milieu féodal. La clef de voûte de l'édifice
réside dans les tenures féodales. Elles étaient au nombre de

classes de personnes:
trois : nobles, roturières et serviles, correspondant à trois
les nobles, les roturiers et les serfs.
Au sommet de l'échelile sociale se trouve la tenure noble,
constituée par le fief, lequel est une terre dotée parfois d'une
seigneurie (la chose est d'importance) concédée contractuelle-
ment par une personne, appelée seigneur de fief, à une autre
dénommée vassal. Cette concession est faite à la charge par

se traduit par trois obligations:


celui-ci d'un devoir absolu de fidélité envers le seigneur, qui
le service militaire, le service
de conseil et le service de justice ou de cour. — La première
de ces obligations supposait nécessairement l'existence des
guerres privées, dont la régularité et la légitimité étaient
consacrées par les lois et coutumes de l'époque. — La deuxiè-
me est indifférente au sujet. — La troisième comportait
N
l'engagement de se soumettre pour toutes les poursuites diri-
gées contre lui au jugement du seigneur et de ses pairs, ainsi
que celui de venir siéger à la Cour du seigneur pour juger les
vassaux de ce dernier, ses pairs aussi. La détention du fief,
qui n'entraînait aucune contribution matérielle ou pécuniaire,
sauf dans le cas très exceptionnel d'aides féodales, conférait
à son titulaire la qualité de noble. — Au milieu de l'échelle
était la tenure roturière, qui était une concession terrienne,
de caractère contractuel également, faite par un seigneur à
une personne de condition bien inférieure au vassal, mais
possédant la qualité d'homme libre, appartenant à la caté-
gorie des cultivateurs, des paysans et dénommée vilain ou
roturier, moyennant d'uniques et simples prestations en
nature ou argent et sans aucun serment de fidélité ou d'hpm
mage. Ce contrat avait pour but d'assurer l'exploitation écono-
dominé par le caractère réel de son objet :
mique du fonds concédé. Son caractère personnel était ainsi
c'était la terre
qui devait plutôt que l'homme. Les terres ainsi concédées
n'emportaient pas pour leurs détenteurs la qualité de nobles.
Enfin, tout à fait en bas, au dernier échelon, la tenure servile,
terre concédée non plus contractuellement, mais par pure
grâce, quelquefois même imposée par un seigneur à ses serfs
moyennant certaines redevances de caractère vil, le chevage,
la taille et la corvée. Telle était, dans le groupe féodal pro-
prement dit, la hiérarchie des terres qui conditionnait néces-
sairement celle des personnes s'y trouvant attachées. Mais en
dehors de ce groupe, il y avait des personnes qui avaient une
régime des terres féodales :
existence indépendante et échappaient par conséquent au
c'étaient d'abord les grands
seigneurs, vassaux importants de la Couronne, qui tenaient
leurs fiefs, non point du fondateur de la dynastie Capétienne,
mais de la Monarchie Carolingienne. Ils étaient donc les égaux
du Duc de France, devenu Roi, ses véritables alliés, et n'étaient

:
liés envers lui que par la défense de la Couronne. C'étaient
ensuite les membres des collectivités privilégiées d'une part
les puissants seigneurs ecclésiastiques, les évêques et les
abbayes, qui au nom des églises et des couvents avaient
concédé des terres à des vassaux et tenanciers et donné ainsi
naissance à ces groupes féodaux, qui s'ils adoptaient les lois
du temps et étaient même soumis au devoir de vasselage
envers le Roi, n'en avaient pas moins une législation auto-
nome et indépendante, et d'autre part, les Communes, qui
par la force, l'intérêt ou l'argent, conquirent leur indépen-
dance et se libérèrent ainsi de la souveraineté de leur seigneur
et des obligations qu'elle comportait. Les chartes d'émanci-
pation leur conférèrent de véritables immunités qui les rendi-
rent complètement autonomes, mais presque constamment
la
sous
;
tutelle du Roide France. Ce dernier lui-même n'échap-
pait pas à cette hiérarchie foncière il se comportait dans

:
son Duché de France absolument comme les autres seigneurs
dans leurs fief et jouissait des mêmes droits service d'assis-
tance militaire, service de conseil, service de cour. Mais son
titre lui donnait cependant une autorité considérable et dans
l'échelle de l'inféodation, lui décernait la première place. Il
était le suzerain de tous les seigneurs de France, et exerçait
sur eux directement ou indirectement les droits de souve-
raineté. En outre la rapide importance qu'il devait prendre,
par l'annexion des grands fiefs de France, allait encore aug-
menter cette suprématie. Aussi dans le domaine royal, les
règles relâtives au service militaire, aux devoirs de conseil
ou de justice, quoique organiquement les mêmes que dans les
autres fiefs, prirent-ils, en raison même de cette situation
de premier plan, une forme et une orientation particulières.
Comment dans cette société féodale s'accomplissait pour
chacun des groupes qui la composaient, le service mlilitaire
ou plutôt le service de ?
guerre La manière dont il était assuré;
c'est-à-dire le mode de recrutement des troupes, conditionnait
directement celle qui réprimait ses infractions et ses défail-
lances. Ce sont les deux faces d'un même fait social.
Quels étaient donc les hommes qui, dans les différents
groupements du monde féodal, étaient appelés sous les
armes ?
Dans le fief, c'étaient tous les vassaux dont les obliga-
tions extrêmement variables dépendaient de la nature du

avec eux un certain nombre de chevaliers ;


contrat de fief. Tantôt en effet, ils étaient tenus d'emmener
tantôt ils avaient
la faculté de venir seuls. Mais le service était fourni par eux
gratuitement et strictement limité à 40 jours. Dans la tenure
roturière,c'étaient les roturiers ou les vilains, non point en'
qualité d'obligés, puisque leur contrat de concession ne com-
portait aucun engagement de ce genre, mais en qualité de
sujets. Pour bien saisir cette distinction, il est nécessaire de
se souvenir que la Seigneurie était, avec le fief, un élément
constitutif de la féodalité. En effet, le droit de commander ne
dérivait pas, à cette époque, uniquement des contrats de
concession, il découlait aussi du principe de l'autorité. Jadis
incarné dans le pouvoir royal, il n'avait point disparu, s'était
seulement déplacé sur la tête des importants seigneurs, déna-
turé, démembré et était devenu la seigneurie. L'attribut le
plus précieux dont elle était dotée, le droit de haute et basse
justice, lui permettait, comme autrefois la royauté, de requérir
tous ceux qui habitaient cette juridiction. Ce service de roturier
n'était pas d'ailleurs très onéreux, puisqu'il était limité pour
les appelés à une journée de marche de leur domicile. Dans
les deux lienui-es au cas d'extrême danger ou d'impérieuse
nécessité, les simples serfs, à concurrence d'un certain con-
tingent, étaient également convoqués, soit comme soldats de
piétaille, soit comme ouvriers dans les divers services auxi-
liaires.
Dans les villes émancipées, c'étaient les bourgeois valides
et en état de porter les armes ; appelés par leurs magistrats
municipaux, soit pour le service du Roi ou du Seigneur ayant
sur elles juridiction de haute justice, soit pour la défense
des intérêts de la collectivité, ils formaient la milice com-
munale. Celle-ci, organisée militairement, avait un caractère
permanent, était convoquée, assemblée, commandée et con-
duite en guerre par les magistrats de la cité. Dans les villes
au contraire n'ayant pas le droit de commune, par suite de
leur non affranchissement, il existait aussi des troupes armées,
constituées sur l'ordre du seigneur suzerain ou du Roi, qui
étaient de simples milices bourgeoises. Elles relevaient di-
rectement de ces autorités, étaient convoquées par celles-ci,
commandées par leurs officiers délégués et n'avaient aucune
autonomie de réglementation ni aucun privilège de juridiction.
Dans les seigneuries ecclésiastiques enfin, églises, abbayes, mo-
nastères, c'étaient les vassaux détenteurs de terres nobles, ou
bien les vilains et les roturiers, tenanciers de terres roturières,
tout comme dans les fiefs laïques. Modelés sur le même régime,
réglés par le même droit féodal, il n'y avait point de raison,
pour que leur système de recrutement militaire différât. Tout
ce monde était mobilisé par la proclamation du ban, qui ne
comprenait que les vassaux ou sous-vassaux ; et au cas de
péril du fief, de la seigneurie ou du Royaume, par l'arrière-ban,
englobant les vilains, roturiers ou serfs. Mais les obligations
très limitées du service féodal ne permettaient pas de suffire
aux besoins d'une guerre importante. Aussi, Roi de France,
Grands Feudataires de la Couronne, Comtes, recouraient-ils
à des troupes mercenaires, soldées, qui sous les noms d? Rou-
tiers, Grandes Compagnies, Brabançois, Navarres, Cottereaux,
plus tard Armagnacs, Ecorcheurs, ont laissé un si terrible
souvenir.
Quel était le droit militaire applicable à ces différentes
?
troupes Quels étaient leurs juges ?
En ce qui concerne le droit, il est probable que c'était
celui dérivant du contrat de concession de tenure, puisque
l'inexécution d'une de ses principales obligations, le service
militaire, entraînait automatiquement leur application. Pour
les vassaux c'étaient donc l'amende, et même la saisie ou la
confiscation du fief. Pour les vilains et roturiers, les amendes
ou la déclaration de forfaiture. Pourtant si le fait reproché
ne relevait pas de la justice féodale de caractère essentielle-
ment contractuel, mais de la justice seigneuriale dérivant de
l'attribut de souveraineté, il prenait le caractère d'une véri-
table rébellion, et était sanctionné de peines privatrices de
liberté, et même de la peine capitale. Pour le simple serf,
comme il n'y avait aucun contrat de tenure, mais simple su-
jétion, c'était ce même droit de justice seigneuriale, quelque-
fois sommaire, qui intervenait aussi.
Quant aux juges compétents, le vassal relevait du tri-
bunal du Seigneur, présidé par celui-ci et composé d'un
certain nombre d'autres seigneurs. C'était « la Cour Féodale ».
Il est admis que ceux-ci se prononçaient sur la culpabilité
et que le suzerain ne faisait que présider et prononcer la sen-
tence. Pour les roturiers et vilains, c'était aussi la Cour Féodale
qui jugeait, mais composée non point de vassaux ou pairs,
mais de notables ou hommes sages du fief, délégués du Maître.
Enfin, pour les simples serfs, c'était le bailli ou prévôt, sié-
geant tout seul, officier justicier du Seigneur. Pour les mili-
taires des fiefs d'Eglise, la règle était certainement la même,
en raison de la similitude d'organisation. Enfin, pour les
.villes émancipées, leurs chartes les soustrayaient certainement
à la juridiction féodale ou seigneuriale pour les rendre jus-
ticiables deleurs magistrats municipaux qui étaient en même
temps leurs administrateurs et leurs officiers commandants.
Quant aux villes non émancipées, leurs troupes relevaient
des officiers de justice des autorités qui les mobilisaient et
commandaient, de caractère purement seigneurial, en raison
de leur origine, c'est-à-diredu bailli ou du prévôt du seigneur
ou du Roi. Enfin, pour les troupes soldées, elles n'avaient
certainement aucune réglementation régulière. L'on agissait
envers elles, de façon exclusivement disciplinaire, avec cer-
tainement beaucoup d'arbitraire. Leurs juges étaient leurs
supérieurs directs, ou plutôt, par délégation les Chefs Mili-
taires du Roi ou des Seigneurs qui les avaient embauchées.
Ainsi donc sous le régime féodal, le pouvoir judiciaire
du Commandement n'existait pas à l'égard des vassaux ou
sous-vassaux, teneurs de fiefs laïques ou ecclésiastiques,
puisque les infractions à leur devoir militaire entraînaient
exclusivement l'application du contrat féodal, aussi bien pour
les sanctions que pour la juridiction chargée de les prononcer.
Il n'existait pas davantage pourles milices communales, leur
statut particulier résultant de la charte d'émancipation, les
soustrayant aussi au pouvoir du Commandant Supérieur.
Mais il s'exerçait vis-à-vis des militaires roturiers dépendant
des fiefs .laïques et ecclésiastiques qui n'étaient protégés par
aucun régime contractuel de vasselage. Pourtant il était li-
mité et contrôlé par une garantie appréciable, la Cour Féodale
composée sinon de pairs, au moins de Notables ou Hommes
Sages. Il s'exerçait aussi à l'égard des milices bourgeoises,
fournies par les villes non affranchies, ou des simples serfs,
et surtout des mercenaires des troupes soldées, mais sans
aucun contrôle et par l'intermédiaire, soit du bailli ou du
prévôt, soit du supérieur hiérarchique. Pour eux c'était bien
l'emprise complète et absolue du commandement, très certai-
nement arbitraire, mais imposée par les nécessités rigoureuses
de la discipline, ou la basse origine de l'élément recruté.
Pourtant une observation générale s'impose. Lorsque
toutes ces catégories de militaires étaient appelées pour le
service du Roi, elles rentraient par celà même, au moins
pour les infractions caractérisées, sous la juridiction du com-
mandant de l'Armée Royale, le Connétable et ses délégués
successifs (Tribunal de Connétablie, Grand Prévôt). Mais
l'intervention de cette juridiction était strictement limitée à la
durée de ce service royal.

CHAPITRE IV
SOUS LA MONARCHIE

Telle était, sous la féodalité, la manière dont la justice


militaire était organisée. Dans les fiefs elle était rendue par
la cour féodale ou seigneuriale présidée par le Seigneur ou
son délégué, le prévôt ou bailli, assisté de ses vassaux (les
pairs) si l'inculpé était personne noble, de notables ou
hommes libres, s'il était simple vilain, et le prévôt ou bailli
tout seul, s'il était un vulgaire serf. Dans les établissements
ecclésiastiques, où se créèrent des groupes féodaux importants,
1
par suite du rôle dominant occupé par l'Eglise dans la pro-
priété foncière du Royaume les règles étaient analogues,
puisque ces groupes obéissaient au droit féodal, les évêques
ou les abbés concédants, jouant le rôle de seigneurs vis-àvis
de leurs vassaux ou tenanciers. Enfin dans les villes affran-
chies, à l'exception de celles de prévôté qui étaient sous la
juridiction du prévôt assisté de notables, par les officiers mu-
nicipaux, les échevins ou les jurés, suivant le caractère ou
l'étendue d'émancipation de la commune.
1° Comment l'était-elle. à la même époque, dans le do-
maine de la Couronne, c'est-à-dire là où la juridiction royale,
n'ayant pas été absorbée par les justices féodales et seigneu-
riales, conservait une autorité directe sur les habitants ?
2° Quelle évolution subit-elle pendant les quatre siècles
et demi, qui de Chaflles VII à Louis XVI marquent la période
de la Monarchie Moderne ?
3° Quel ?
était son dernier état à la veille de la Révolution
Ce sont les trois grandes questions qui font l'objet de
ce chapitre.
I. — Pour que le Roi devînt ou plutôt redevînt le souve-
rain effectif qu'il était à l'époque de Charlemagne, et que les
habitants du Royaume fussent ses sujets directs, il fallait
d'abord que dans le domaine d'origine de la Couronne, c'est-
à-dire celui des premiers Capétiens ou derniers Carolingiens
(Duché de France, Comtés de Laon et Soissons) l'inféodation
de la justice au profit des vassaux ou sous-vassaux de ces dif-
férents fiefs, grands et petits, disparût. A cet effet, la Royauté
institua les Prévôts, qui furent pendant longtemps les seuls
juges locauxde la Monarchie Capétienne et dont la compétence
était, erga omnes, illimitée, sauf toutefois, à l'égard des
vassaux du Roi (au moins jusqu'au XIIIe siècle) ou des bour-
geois des villes affranchies, respectivement justiciables de la
Cour Royale ou de leurs officiers municipaux. Leurs fonctions
furent au début extrêmement multiples, puis à la création des
baillis, fortement réduites et cantonnées à celles judiciaires,
qu'ils conservèrent toujours. Ce fut la juridiction inférieure
type de la Royauté, gardant le privilège de juger suivant les
anciens principes, c'est-à-dire comme juge unique. Ils étaient
sous la surveillance du Grand Sénéchal, personnage consi-
dérable, dangereux même, et qui pour cette raison fut sup-
primé en 1191, par ce roi niveleur qu'était Philippe-Auguste.
Il fut remplacé par les baillis et sénéchaux royaux, (les fonc-
tions sont identiques et changent de nom suivant les régions)

;
qui étaient surtout les surveillants locaux des prévôts et les
véritables représentants du pouvoir central comme tels, ils
étaient chargés de recevoir les plaintes élevées contre le Pré-
vôt. Mais ils étaient aussi juges et en cette qualité, mandatés
pour solutionner les cas royaux, soustraits à la connaissance
des Seigneurs ou prévôts, les appels des décisions de ces der-
niers, et présider la Cour Féodale des Pairs. Ils perdirent
cependant rapidement ces fonctions judiciaires et dès la se-
conde moitié du xv" siècle, furent remplacés d'abord provi-
soirement puis définitivement par des lieutenants, qui
devinrent des officiers royaux titulaires. Mais ils conservèrent
toujours leurs attributions militaires de convocation et con-
duite de l'arrière-ban, ce qui leur conférait un pouvoir disci-
plinaire et judiciaire militaire considérable. C'était la juri-
diction intermédiaire ayant un caractère assez complexe
de premier degré, d'appeî et de contrôle. Au sommet de la
hiérarchie judiciaire, se trouvait la Cour du Roi (Caria
regis) qui revêtait deux formes différentes. S'il s'agissait de
juger des vassaux (grands feudataires ou seigneurs moins
importants) compris dans le domaine royal, c'était la cour
féodale composée de pairs et présidée par le Roi, connaissant
des infractions militaires dérivant du contrat féodal. S'il s'a-
gissait au contraire de juger de simples sujets, c'était la Cour
Seigneuriale, présidée par le Roi, où siégeaient de simples
assistants (prélats, barons, officiers de la Couronne), qui en
vertu du seul principe d'autorité, était saisie des infractions

de Cour n'étaient pas d'ailleurs distinctes;


,militaires extra-contractuelles. Les assises de ces deux sortes
les pairs de la
Cour Féodale s'adjoignaient simplement aux membres de la
Cour Seigneuriale, dans le premier cas. La Cour du Roi dé-
borda rapidement de son cadre originaire très limité, et ne
pouvant appeler à elle des causes de la compétence exclusive
des justices seigneuriales et féodales, revendiqua celles qui
mettaient en jeu les intérêts temporels des églises et couvents,
ainsi que celles des villes émancipées. Parmi ces causes étaient
certainement comprises les infractions d'ordre militaire les
plus graves commises par les représentants des établissements
ecclésiastiques ou des communes, notamment à l'occasion de
la convocation du ban ou même de l'arrière-ban. Cette Cour
Royale se transforma vite en Collège de douze Pairs ( 6
laïques et 6 ecclésiastiques), s'adjoignit des Conseillers qui,
d'occasionnels, devinrent des fonctionnaires permanents, et
finalement constitua un véritable Parlement, dès le XIVe siècle.
A côté de ces juridictions normales, existaient deux ju-
ridictions d'exception très importantes qui sont la première
manifestation des Tribunaux spéciaux ou Militaires.

1° LE TRIBUNAL DE CONNÉTABLIE

Le Grand Sénéchal, avons-nous dit, qui était le plus im-


portant des cinq Grands officiers de la Couronne et dirigeait
notamment la guerre et la justice, disparut en 1191. Ses
fonctions militaires passèrent au Connétable, qui acquit pro-
gressivement le Commandement de l'Armée Royale, et comme
tel, avait une juridiction illimitée sur celle-ci. Son pouvoir
a été justement comparé à Vimperium romain, tant il différait

récit de Brantôme:
de celui d'un simple juge. Rapportons à ce sujet le plaisant
« On disait qu'il fallait se garder des pâte-
nôstres de Mr le Connétable (Anne de Montmorency), car en

; :
les marmottant, et lorsque l'occasion s'en présentait, il disait
allez pendre un tel attachez celui-ci à un arbre, faites passer

;
-
celui-là par les armes, tout à cette heure, ou les arquebusez
tous, devant moi taillez-moi en pièces tous ces marauds qui
ont voulu tenir ce clocher contre le Roi. Et ainsi de tels ou
semblables mots de justice et de police de guerre proférait-il
selon les occurences, sans se débaucher nullement de ses
paters. » C'était donc vraiment un personnage redoutable et
dont le pouvoir presque absolu s'étendait même à des per-
sonnages étrangers à l'armée. Cet excès de pouvoir le perdit.
Ses fonctions passèrent à des magistrats constitués en Tri-
bunal de.Connétablie, composé de Juges de robe longue, aux-
quels furent plus tard adjoints des Avocats au Parlement.
La Collégialité, moins dangereuse en raison de son pouvoir
collectif, remplaça la Justice Unique, de caractère dictatorial.
Mais comme en leur qualité de fonctionnaires robins, ils ne
pouvaient partir en campagne, ils s'y firent représenter par
un Prévôt Général, qui sous le titre de Grand Prévôt suivait
l'armée en temps de guerre. Ainsi apparait déjà dans la justice
militaire même la distinction entre celle du temps de paix
(Tribunal de Connétablie) et celle du temps de guerre (Grand
Prévôt), née du jour où les Commandants (Connétables ou

:
Maréchaux) de l'Armée cessèrent d'exercer personnellement
le pouvoir juridictionnel. Le Grand Prévôt avait des fonctions
extrêmement multiples et variées, notamment la surveil-
lance des camps, vivandiers et marchands suivant l'armée,
de la marche des colonnes de bagages et soldats débandés ;
sur les habitants;
la repression des excès commis encampagne par les militaires
le jugement des procès nés de faits de
guerre (rançons, butins, espions, transfuges, redditions des
villes, châteaux, par fautes ou malversations) et de tous
crimes commis par les gens en armes. Dans les causes in-
téressant les militaires, les Grands Prévôts devaient cependant
s'adjoindre des officiers appelés des Régiments désignés par
le Major Général. Après la première suppression de la charge
de Connétable, sous Louis XI, lia juridiction tout en conservant
son nom, passa sous la direction des Maréchaux de France
qui l'exerçaient déjà concurremment avec le Connétable. Elle
est souvent désignée sous le nom de Tribunal de la Table de
Marbre, du nom du lieu où elle tenait ses séances (Grande
salle du Palais de Justice, vis-à-vis de la Grand'Chambre du
Parlement). Les sentences de cette juridiction étaient sans
appel.

2° PRÉVÔT DES MARÉCHAUX

Ils ne doivent pas être confondus avec les Prévôts de la


Connétablie, bien que d'une origine commune, puisque pri-
mitivement ils étaienttous deux en temps de guerre les juges
délégués des maréchaux aux Armées, que ces derniers ne
commandaient eux-mêmes que sous les ordres et par délé-
gation du Connétable. Mais ils se différencièrent vite de leurs
colllègues, en se limitant à des fonctions inférieures de police
maintien de l'ordre dans le pays où séjournaient les troupes,
:
surveillance et jugement des pillards et maraudeurs suivant
l'Armée. Ils cherchèrent cependant à étendre leur juridiction
sur les habitants de ces pays, et à les distraire ainsi de leurs

;
juges naturels. Cette juridiction avait nécessairement au
début, un caractère accidentel et passager mais dès le début
du xve siècle, avec la création des armées permanentes, elle
,devint régulière, à poste fixe, avec des circonscriptions terri-
toriales bien déterminées. Les prévôts furent ainsi des fonc-
tionnaires de police répartis dans les provinces où les troupes
,étaient en garnison et chargés de maintenir l'ordre et la paix
publiques. Ils devinrent en même temps des juges criminels
avec attribution spéciale de compétence pour certains crimes
et délits, dont quelques uns concernaient les choses de la
guerre, mais dont le plus grand nombre y étaient complète-
ment étrangers. C'étaient les fapieux cas prévôtaux, se divisant
en deux classes, l'une par la qualité du délit (graves attentats
contre la sûreté publique, notamment le pillage, la maraude
commise par les soldats ou rôdeurs, les gens d'arme « tenant
leschamps et mangeant la poule du bonhomme et vivant sur
»
le peuple ), l'autre par la qualité des accusés (crimes et délits
quels qu'ils fussent, commis par les vagabonds, gens sans
aveu et repris de justice). Cette juridiction particulièrement
sévère et rapide, de réputation terrible, rendait des décisions
sans appel. Pourtant elle offrait aux accusés certaines ga-
ranties : 1° elle n'était pas juge de sa propre compétence et
devait la faire trancher par le siège présidial voisin (le tribunal
de bailli le plus important) ; 2° elle ne jugeait pas seule, et
devait s'adjoindre un certain nombre de magistrats royaux
pris dans un bailliage ou à défaut des gradués en droit;3 Il
Elle avait une compétence concurrente avec celle des Pré-
sidiaux ; c'étaient les singuliers cas présidiaux.
II. — Toute cette organisation se maintint durant la pé-
riode féodale, car elle correspondait au mode de recrutement
et à l'extrême brièveté du service militaire. En effet l'armée
ne se composait que
vassaux ou sous-vassaux,
de seigneurs,
convoqués
suivis
par le
de
;leur
ban
cortège
des
de
simples

nales ou bourgeoises, appelés par l'arrière-ban ;


sujets de la seigneurie, roturiers et serfs, des milices commu-
et des mer-
cenaires le plus souvent étrangers, engagés à prix d'argent
pour une circonstance ou une durée déterminées, jouant
seulement un rôle d'appoint et de complément. De plus, le
temps de mobilisation de ces troupes était limité pour les
nobles à quarante jours, pour les milices à celui fixé par leur
charte, pour les roturiers et les serfs à une journée de marche,
et pour les mercenaires à celui de leur engagement nécessai-
rement très court. Cet appareil judiciaire convenait bien à
l'état fragmentaire et cellulaire du monde féodal, divisé en
centres complètement fermés et étanches, ainsi qu'à la carence
complète d'union et de centralisation. Mais lorsque les troupes
fixes et permanentes, avec successivement les compagnies
d'ordonnance, les francs-archers, les corps organisés de
soldats étrangers, éliminèrent, dès le règne de Charles VII et
Louis XI, nobles et chevaliers de l'armée cavalière féodale

;
ainsi que piétaille, hommes de pot, fantassins, et constituè-
rent les premiers embryons de l'infanterie nationale lorsque
surtout la royauté se fut agrandie et fortifiée et eût fait figure
de pouvoircentral, alors une double et terrible lutte s'engagea
entre celui-ci et les pouvoirs locaux. Elle eut pour objet d'une
part d'amener la justice seigneuriale ou féodale sous la
dépendance absolue de la justice royale, et d'autre part de
-
limiter progressivement la compétence des juridictions
d'exception, vestiges du temps des anciens fiefs, et de les
réduire à un rôle purement honorifique. Nous allons en mar-
quer les principales étapes.
Ce fut la première qui commença. En voici l'idée direc-
trice. Le vassaln'est plus le justiciable de son seigneur de fief
ou de ccnsive, car seule l'autorité publique peut conférer le
sives, dont les plus caractéristiques sont:
droit de juger. Principe nouveau gros de conséquences déci-
1° Suppression à
la Cour féodale des vassaux jugeurs ou pairs et leur rempla-
cement par des juristesdeprofession ; 2° Impossibilité pour
le seigneur de présider ou faire présider cette cour et
obligation de déléguer un juge pour siéger en son nom
3° Soustraction aux justices seigneuriales de la connaissance-
;
des cas royaux, c'est-à-dire de tous les- crimes et délits

;
présentant une certaine gravité, dont d'ailleurs la définition
était volontairement vague et flottante 4° Dessaisissement
d'office de ces juridictions au profit des juges royaux, en cas

de la prévention;
de négligence, grâce à la théorie aussi ingénieuse qu'hardie
5° Perte, par ces mêmes juridictions, de
leur privilège de souveraineté et déchéance au rang inférieur
de justices subalternes, par l'institution du double appel d"
leurs décisions au tribunal du Bailli et à la Cour du Roi. Ce
bouleversement de la justice féodale fut accompagné et
même précédé de réformes profondes dans les justices royales
elles-mêmes : institution de l'appel de la juridiction du
Prévôt à celle du Bailli, et de celui-ci à la Cour Royale,,
devenue le Parlement. Il fallait bien pour conserver l'auto-
rité et désarmer l'opposition, donner l'exemple.
La deuxième lutte suivit, mais fut d'une toute autre
ampleur et durée. Son motif avoué était d'assurer aux habi-
tants une protection efficace contre les gens de guerre, de
réduire à l'impuissance les bandes mercenaires de la féodalité.
Mais son véritable but était de ramener à unecompétence très
réduite, materiae et personae, tous les tribunaux d'exception
lisez les juridictions militaires. Le mouvement commença en
:
1347 et se poursuivit pendant trois siècles. Il est jalonné par

:
une longue suite d'ordonnances royales, dont voici les plus
typiques 1° Mandement de Montdidier de 1347, où Philippe VI
décide par faveur pour ses Hommes d'Armes, que les sergents,
soldats employés à la garde des Châteaux, seront justiciables-

et en second appel du Roi ou de son délégué ;


en première instance des châtelains, en appel dés sénéchaux

; ils sont ainsi


soustraits au juge du lieu 2° Ordonnance de 1355, proclame,
pour mettre un terme aux prétentions des magistrats
;
militaires, que nul ne peut êtredistrait de ses juges 3° Or-
donnance de 1356, autorise les bonnes gens du pays ài
;
déférer les gens de guerre aux sénéchal, bailli, prévôt et
autres formant la justice du lieu 4° Ordonnance de îhîS,
dite Cabochienne, prescrit aux Sénéchaux, baillis, d'agir éner-

délinquants;
giquement contre les gens de guerre, pilleurs, voleurs et
5° Edit de Charles VII de 1439 attribuant exclu-
sivement aux Sénéchaux, baillis, prévôts et autres justiciers
ordinaires, juridiction pour la répression des crimes et délits
commis sur tous les gens de guerre et précisant que le premier
de ces magistrats saisi instruise et fasse bonne justice, alors
même que les faits n'auraient point été commis en leur

prévention ou de la compétence concurrente ;


juridiction et territoire. C'est l'application de la théorie de la
6° Ordonnance
d'Ambroise de 1470, rappelant à nouveau que les contreve-
nants aux précédentes ordonnances rendues « sur les faits
et gouvernement des gens de guerre, seront arrêtés et jugés
par les baillis, sénéchaux, seigneurs, châtelains des lieux où
les délinquants sont logés, avec l'adjonction du Capitaine ou
Chef de Chambrée, en l'absence des Maréchaux dont ils
relèvent normalement. A noter une innovation importante :

;
même pour les infractions au métier des armes, les militaires
deviennent justiciables des tribunaux ordinaires 7° Code de
la Maréchaussée de 151k, où Louis XII, dans un but de
précision et limitation évident, donne un résumé de la
compétence de la Connétablie ; 8° Déclaration de Coucy du 15
juillet 1535, porte que les juges ordinaires connaitront des
crimes commis par les soldats légionnaires, à moins qu'ils ne
soient en campagne, commandés par leurs officiers ; 9° Let-
tres de François Ier de 1536 et 1540, ordonnant les premières,
aux baillis, sénéchaux et leurs lieutenants de procéder contre
les individus « tenant les champs en forme de gens de guerre »,
sans appel, avec l'adjonction de six personnages idoines
comme conseils, et les deuxièmes, soumettant les délits commis

intéressés, à la compétence des juges ordinaires;


par les militaires auxquels les habitants ou bourgeois sont
10° Ordon-
nance d'Henri II de 1549, déclare qu'un syndic, choisi annuel-
lement par les habitants dans tout bailliage ou sénéchaussée,
connaîtra des plaintes formées par les habitants contre les
gens de guerre, au cas de négligence ou de déni des prévôts et
;
chefs militaires 11° Ordonnance d'Henri III, de 1579, donne
compétence aux juges ordinaires, pour, concurremment avec
les prévôts des maréchaux et sans être tenu de se dessaisir,

;
juger toutes les infractions militaires commises par les
officiers, sous-officiers et soldats 12° Ordonnance d'HenriIV

des ordonnances antérieures ;


de 1597, rappelant impérativement l'application rigoureuse
13° Code Michaud de 1629,
résumé condensé, comme son nom l'indique des dispositions
réglementaires de la justice Militaire, enjoint aux différents

;
prévôts de n'exercer que sur les gens de guerre et pour des
délits militaires 14° Ordonnance de Louis XIII de 1635,
donne concurremment aux juges ordinaires et militaires,
compétence pour juger sans appel le crime de désertion
15° Ordonnances de Louis XIV de 16,65, 1666 sur les Conseils
;
de guerre et de 1670 sur les Tribunaux Présidiaux, dont nous*
allons exposer sommairement la compétence et l'organisation.
Tels sont l'orientation, la tendance et le terme de cette évolu-
tion législative de plus de trois siècles, dont l'effort constant,
opiniâtre, a été de juguler la justice seigneuriale et étouffer
la juridiction militaire, en restreignant et concurrençant sa
compétence. Loi naturelle des régimes dont le pouvoir civil
est fortement assis et solidement constitué. C'est sous le
dernier état de cette législation, œuvre de la volonté tenace,
continue des Rois de France, puissamment et intelligemment
secondée par ces auxiliaires de génie que furent les légistes,
que la Justice Militaire va fonctionner jusqu'à-la Révolution.
III. — Faisons maintenant le point, et dans un rapide
tour d'horizon, fixonsles diverses juridictions dont les mili-
taires étaient tributaires à la veille de 1789.
En temps de paix, fonctionnaient le Tribunal de la Conné-
tablie, les Prévôts des Maréchaux, les juges ordinaires et les
présidiaux. Toutes ces juridictions nous sont bien connues à
l'exception de la dernière, pour laquelle quelques indications
sont nécessaires. C'était un tribunal de droit commun, de
compétence exclusivement civile, qui'lors de sa création (1551)
n'avait d'autre but que de décharger les cours souveraines des
appels de peu d'importance. Mais l'ordonnance de 1670, les
chargea de connaître des causes prévôtales, par préférence
le même jour que ceux-ci.
aux Prévôts des Maréchaux, s'ils avaient été saisis avant ou

En temps de guerre ou en campagne, c'étaient les Prévôts


d'Armée ou de Régiment et les Conseils de guerre, qui
rentraient en action. Quelles étaient leurs attributions respec-
tives ? Les premiers étaient des officiers, qui par délégation
des Maréchaux de France, Commandant l'Armée, avaient
pour mission de veiller à la police et à la bonne tenue des
camps, et de réprimer les délits les moins graves. Les seconds
connaissaient des crimes ou des délits les plus graves :
insubordination, violence et voie de fait contre les supérieurs,
violation du devoir militaire pour les sentinelles et hommes
de garde, évasion de prisonniers, trahison, relations criminelles
avec 'l'ennemi, sédition, coups et blessures entre soldats, vol
d'armes,effets, argent de soldat à soldat, désertion, en un mot
tous les manquements graves contre la discipline, par consé-
quence d'ordre exclusivement militaire. Par contre tous les
crimes et délits commis par les militaires envers les parti-
culiers (bourgeois et habitants du lieu) relevaient des juges
ordinaires. Les Conseils de guerre se réunissaient sur l'auto-
risation du Commandant supérieur, et à la demande du Major
du Régiment auquel appartenait l'accusé. Ils étaient composés
de sept officiers de ce régiment, désignés par le Commandant
du Corps et devaient se rendre à la tente de celui-ci à l'heure
prescrite, le matin, étant à jeun (sans doute pour éviter toute
défaillance physique ou mentale), porteur du hausse-col et

;
des guêtres, et assister à la messe, avant d'entrer en séance.
Le major du régiment instruisait l'affaire le major en séance
occupait le siège du Ministère Public, faisait le rapport et
donnait ses conclusions. Signalons que les Régiments
étrangers au service de la France, assez nombreux sous la
Monarchie, avaient une justice autonome, jugeant suivant la
loi de leur pays. Mais ils devaient demander au Chef de Corps,
l'autorisation de réunir le Conseil de Guerre. Mentionnons
enfin pour ordre le tribunal tout spécial du Point d'Honneur,
composé des maréchaux de France, qui institué pour prévenir
et punir les duels et combats singuliers, par divers Edits
d'Henri IV et Louis XIII, connaissait sans appel des contesta-
tions entre gentilhommes et les sanctionnait de peines très
sévères, fréquemment la mort.
Durant cette longue période de la Monarchie Moderne, le
mode de recrutement de l'armée se transforma complètement.
il perdit ce caractère composite, mobile et changeant que lui
donnaient les origines très dissemblables qui l'alimentaient,
pour en prendre un plus homogène, plus stable et plus
complètement changé ;
régulier. La raison est que le service militaire avait aussi
d'expédition de courte durée et de
simple razzia, il s'était transformé en véritable guerre natio-
nale contre un ennemi étranger et nécessitait une armée
composée de toutes les forces vives du pays. L'armée soldée,
mais provisoire de Philippe Auguste, Philippe le Bel et Char-
les V, fut d'abord organisée au moyen des nobles pauvres, des
sujets soumis à l'arrière ban, ou des routiers, soldats merce-
naires de profession. Vinrent ensuite sous Charles VII et
Louis XI, les compagnies d'Ordonnance de Cavalerie, consti-
tuées sous l'énergique impulsion de Tristan l'Hermitte, avec

volontaires des contingents féodaux ;


les meilleurs éléments des bandes routières, les appelés ou
les nouvelles bandes

;
d'infanterie, première troupe stipendiée et permanente,
recrutées un peu partout ;
les milices de l'arrière-ban
compagnies d'Archers et d'Arbaletriers, transformées sous
les

François Ier, ces deux dernières établies sur le principe de


l'obligation, au moins théorique du service militaire pour
tous (nobles, bourgeois, paysans), et le recrutement par
bailliage. Enfin avec Henri IV s'institue l'armée nouvelle qui
persistera dans ses éléments essentiels jusqu'à la Révolution.
Elle est formée par les Compagnies d'Ordonnance et de
Chevau-Légers, les Régiments d'Infanterie, troupes entre-
tenues, c'est-à-dire permanentes, dont pourtant le nombre et
l'importance varient suivant les circonstances et dont le
recrutement est assuré par l'enrôlement volontaire à prix

:
d'argent. Les agents recruteurs de la Royauté sont restés
célèbres Brin d'Amour, Vade Bon Cœur, la Tulipe.
Les besoins d'effectif considérables causés par les fré-
quentes et longues guerres des XVIIe et XVIIIe siècles, impo-
sèrent l'organisation d'un nouveau système de recrutement,
celui dela milice provinciale, qui s'effectuait par le tirage au
sort, fortement vicié par l'admission d'exemptions ou immu-
nités, achetées à prix d'argent. Enfin la Maison du Roi, troupe
d'élite, formée de professionnels, engagés ou rengagés, très
réduite d'ailleurs (8.000 hommes), complétait la composition
de l'Armée royale. Il est incontestable que tous les éléments
de cette nouvelle organisation militaire, venus de milieux
plébéiens, démocratisèrent et nivelèrent la structure des
armées. Le Tiers Etat intervenait dans la constitution de celle-
ci. Aussi fallut-il une organisation judiciaire nouvelle. D'où
d'abord la limitation de compétence des tribunaux d'exception

la discipline;
jugeant surtout des gens de guerre, aux seules fautes contre
ensuite leur remplacement progressif par les

de paix et
;
juges ordinaires pour la connaissance de toutes les causes où
les civils étaient impliqués enfin la discrimination du temps
du temps de guerre et la création pour cette
dernière période de juridictions particulières, à fonctionne-
ment et recrutement spéciaux (Prévôts et Conseils de Guerre).

le sort du Pouvoir judiciaire du Commandement ?


Quelles furent les conséquences de cette transformation sur
Dans le

:
temps de paix, il conserva toute son autorité et toute son
actiondans les juridictions d'exception le tribunalde Conne-
tablie et les Prévôts des Maréchaux qui ne connaissaient que
des infractions spécifiquement militaires. Mais il les perdit
totalement auprès des juges ordinaires, dont la compétence
grandissante et envahissante, exclusive par définition de toute
influence du commandement, finit par s'étendre non seule-
ment aux procès mixtes, mais même à ceux à caractère
exclusivement militaire. Par contre, dans le temps de guerre,
il les garda toute entières auprès de ces tribunaux tout spé-
ciaux qu'étaient les Prévôts d'Armée, de Régiment et les
Conseils de guerre. C'était l'évolution très marquée vers la
conception moderne.
CHAPITRE V

SOUS LA REVOLUTION

La multiplicité des Tribunaux Militaires de l'Ancien


Régime, la complexité de leurs règles de compétence entraî-
nant de grandes difficultés d'accès pour les justiciables, et
par celamême de nombreux troubles et incidents, fut une
première cause de la méfiance et de l'hostilité de l'opinion à
ieur égard. Leur caractère anormal de Tribunaux d'excep-
tion ajouta à ce discrédit.
Aussi disparurent-ils, rapidement emportés par les pre-
miers souffles de 'l'esprit révolutionnaire et la volonté irré-
sistible de créer un ordre de choses entièrement nouveau. Il
fallut tout de même les remplacer. Naquit alors une série
d'organisations diverses, inspirée non point de principes fixes
et de théories arrêtées, mais uniquementdes circonstances du

:
moment. L'époque révolutionnaire, toute d'instabilité et de
changement peut se diviser en trois périodes

PREMIÈRE PÉRIODE

C'est le début de la Révolution. Les idées de justice


liberté, égalité, dominent. L'on créeles Cours Martiales, objet
des lois des 29 octobre 1790, 10 octobre 1791 et 16 mai 1792.
La première de ces lois visiblement soucieuse de faire béné-
fier l'Armée, de l'Institution nouvelle du jury institue une
organisation mixte. Elle comprend d'une part, non pas un,
mais deux jurys, l'un dit d'accusation, composé de neuf mili-

suffisantes ou non les présomptions de ;


taires dont un soldat et deux du rang de l'accusé, qui déclare
culpabilité l'autre dit

;
de jugement, de 36 membres initialement, mais réduit à neuf
par la récusation ou le sort, se prononçant sur l'acquittement
ou la condamnation et d'autre part une Cour Martiale,
composée de trois juges venus d'un corps spécial, les Com-
missaires ordinaires des Guerres, statuant sur l'application
de la peine. Cette juridiction fonctionne aussi bien aux armées
qu'àl'intérieur et ne connaît en temps de paix que des infrac-
tions militaires, commises par les militaires et leurs complices.
La deuxième soumet en temps de paix, la compétence de la
Cour Martiale, à la double condition que l'infraction soit
militaire et commise exclusivement par un militaire ;
complices y sont soustraits. La nature du délit et la qualité
les

de l'auteur sont toutes deux exigées. Mais durant les hostilités


ou sur le territoire ennemi, les infractions de droit commun
commises à l'Armée, peuvent être jugées par la Cour Martiale,
La troisième née des circonstances nouvelles (déclaration de
guerre à l'Autriche, premiers revers de Quiévrain et Tournay),
règle le fonctionnement des Cours Martiales en campagne et
crée une police correctionnelle aux Armées. Celles-là, sauf
quelques modifications de détail, conservaient leur organisation
première. Celle-ci consistait en l'institution de nouveaux
tribunaux, dits de Police Correctionnelle, composés d'un juge
de paix, Président, pris parmi les Commissaires Auditeurs,
faisant fonctions de Ministère Public dans les Cours Martiales,
et de deux Commissaires Ordinaires des Guerres. La compé-
tence est aussi influencée par l'état de guerre. Toutes les
infractions militaires ou de droit commun, commises à
l'Armée pendant les hostilités par toutes les personnes qui la
composent, sans distinction de grade, de métier ou de profes-
sion, sont jugées par les nouveaux tribunaux militaires : par

;
la Cour Martiale, si la peine applicable est la privation de la
vie ou de l'état personnel parles tribunaux de police correc-
tionnelle, si la sanction légale est moins forte, tout en excédant
celle de pure discipline. Les peines prononcées pour infraction

;
militaire étaient celles prévues par le Code Pénal Militaire ou
les règlements des Généraux et Commandants en Chef celles
prononcées pour infractions de droit commun (délits civils
suivant l'expression de l'époque) étaient empruntées aux lois
pénales ordinaires. Enfin tous les jugements rendus par ces
juridictions visiblement inspirées du droit commun, n'étaient
sujets ni à appel, ni à cassation. Dans cette organisation, les
jurés étaient cependant des militaires désignés par les Com-
mandants en Chef d'après l'ordre d'inscription des tableaux
de colonnes dressées par le Commandant de la garnison et la
Cour elle-même était composée d'officiers de service, sans
doute d'origine spéciale, mais nommés toutefois par le
Commandement.

DEUXIÈME PÉRIODE

Cet étrange appareil judiciaire, dont le mécanisme lourd,


compliqué, s'harmonisait si peu avec son rôle et son but, ne
devait pas donner d'heureux résultats. La composition sin-
gulière de ces tribunaux, le système complexe de récusation
des membres des deux jurys, les lenteurs de son fonction-
nement et surtout l'absence totale de garantie de ses divers
éléments le firent abroger au bout de deux ans. Il fut rem-
placé par la juridiction des Tribunaux Révolutionnaires créés
par les lois des 12 mai 1793 et 3 Plûviose an II. Il est vrai que
les temps avaient bien changé. La Convention Nationale avait
succédé aux Assemblées Constituante et Législative. La
deuxième coalition contre la France venait de se déclarer. Les
revers militaires s'accentuaient en Belgique. Le Général
Dumouriez avait déserté. La Bretagne et la Vendée étaient en
pleine insurrection. Le Tribunal Criminel extraordinaire
avait été institué pour juger sommairement les conspirateurs
et les contre-révolutionnaires. Le Comité de Salut Public
venait d'être décrété. Les circonstances étaient donc particu-
lièrement troubles, graves et devaient déterminer une farouche
organisation judiciaire criminelle. Celle-ci ne fut autre que
l'introduction dans l'Armée des Tribunaux Révolutionnaires
de l'Intérieur, afin, disait le préambuledu Décret « de fournir
les moyens prompts et justes delivrer les coupables au glaive
de la loi». Chaque armée fut donc par la loi de mai 1793
pourvue de deux tribunaux Criminels Militaires, composés
chacun d'un accusateur militaire, d'un jury de jugement, de
trois juges chargés d'appliquer la loi et d'un greffier. Il était
en outre institué dans chaque Armée, des Juges de Paix Mili-
taires, faisant tour à tour fonctions d'Officiers de Police Judi-
ciaire et de Juges, ainsi que des Officiers de police et de sûreté,
mandatés pour recevoir les dénonciations et rendre plainte à
l'accusateur public. L'accusateur, les Juges de Paix, et les
Officiers de Police Judiciaire et de Sûreté étaient choisis par
le Conseil Exécutif (Conseil de Ministres), avec ratification

;
par le Comité de Salut Public, en dehors des militaires et des
individus employés aux Armées c'étaient donc des magistrats
civils. Le jury, seul organe maintenu, en raison sans doute
de son prestige de souveraineté et d'indépendance, était pris
sur le tableau à sept colonnes de la loi de 1790, au nombre
originaire de 18 militaires de grades déterminés, réduit à 9
par la récusation de l'accusé ou l'élimination automatique des
derniers inscrits. Il était convoqué par J'accusateur et renou-
velé après chaque réunion. Les trois juges étaient pris parmi
les Juges de Paix les plus proches, à tour de rôle, n'ayant pris
part à l'instruction et renouvelés pour chaque affaire. L'offi-
cier de police et de sûreté devait rendre plainte s'il y avait lieu,
après avoir entendu le prévenu, dans les 24 heures à l'accusa-
teur militaire, des délits parvenus à sa connaissance par
dénonciation, clameur publique, ou autre voie, après avoir
appelé le Commandant.du corps du prévenu et le plus ancien
d'âge de son grade. Quant à l'accusateur public, il poursuivait
sur les actes dressés par l'Officier de Police, mais pouvait
recommencer l'instruction. Ses pouvoirs très étendus, allaient
jusqu'à la dénonciation, la poursuite et la mise en arrestation
des Généraux d'Armée eux-mêmes. Ces Tribunaux Criminels
Militaires étaient donc en définitive une juridiction presque
entièrement civile, puisque l'élément militaire n'était repré-
senté que par le jury, composé d'après la loi du 29 octobre
1790. Mais ses décisions étaient rendues en dernier ressort
et sanctionnées de peines très sévères, très fréquemment la
mort, édictées par le Code Pénal Militaire, décrêté à la même
époque.
A l'activité déployée par les coalisés (Autrichiens, Alle-
mands, Hollandais, Anglais, Espagnols) durant l'hiver 1793-
1794, en vue de la campagne du printemps prochain, le Comité
de Salut Public avait répondu par une mobilisation générale
de toutes les forces de la Nation. Les Armées devenaient de
jour en jour plus nombreuses et importantes et la situation
de plus en plus grave. A l'intérieur, la terreur régnait. Rien
d'étonnant à ce que la Convention ait voulu étendre et aeve-
lopper la terrible juridiction des Tribunaux Criminels Mili-
taires. Ce fut l'objet
1794). Trois espèces de tribunaux sont créés :
de la loi du 3 Pluviôse an II (22 janvier
les conseils de
discipline, les tribunaux de Police Correctionnelle Militaire,
et les Tribunaux Criminels, comparables aux Tribunaux de
Simple Police, Tribunaux Correctionnels et Cours d'Assises
de Droit Commun. Les Conseils de discipline se composaient

sous-officier, un caporal et trois soldats ;


d'un officier supérieur, président, 3 officiers subalternes, un
ils revisent les
punitions infligées par les chefs de corps pour faute contre la
discipline, et reçoivent les plaintes des subordonnés contre
leurs supérieurs. Les Tribunaux de Police Correctionnelle,
chargés de juger les délits excédant les simples fautes contre
la discipline, et dont la peine ne doit être ni la privation de la
vie, ni celle de l'état du prévenu, comprennent un officier de
police, président, nommé par la Convention, un militaire du
grade de l'inculpé et un citoyen désigné sur le territoire par
le bureau municipal du siège du tribunal et hors le territoire
par le Commissaire des Guerres, parmi les citoyens non
militaires attachés à l'armée. Ils jugent tous les Militaires et
individus de l'armée ou de sa suite et leurs complices, sans
appel. Comme dans les tribunaux de la loi de 1793, l'élément
civil prédomine. Enfin les Tribunaux Criminels Militaires,
dont relèvent les délits les plus graves, commis pendant la
guerre à l'armée par ceux qui la composent ou leurs complices
se composent d'un président, d'un vice-président, d'un accu-
sateur militaire, assisté d'un substitut, un jury de jugement
un greffier et son commis, tous, sauf évidemment le jury,
nommés par la Convention, sur présentation du Comité du
Salut Public, et nécessairement pris en dehors des militaires
en activité ou des personnes employées aux armées. Dans les
villes assiégées, ces nominations sont faites par le Conseil de
Défense, parmi les simples citoyens. Quant au jury, la liste
en est dressée et arrêtée par le Président, à 18 membres, dont -

10 sont pris parmi les militaires se trouvant sur la commune


où siège le tribunal, et 8 parmi les citoyens de cette même
commune. Le chiffre en est réduit à 9, dont 5 militaires seuile-
ment. Ils connaissent de toutes les infractions commises par
les militaires ou individus dépendant de l'armée ou de sa suite,
en dernier ressort, et peuvent appliquer les peines de droit com-
mun. Les délits commis par les militaires hors du territoire
occupé par l'armée, relèvent de la compétence des tribunaux
criminels ordinaires et des juges de paix civils. Pour les
généraux, leur situation est l'objet d'une règlementation
particulière, meilleure ou pire, suivant le cas. Ils sont jugés
par île Tribunal Révolutionnaire en vertu d'un décret de la
Convention, de ses Comités de Salut Public ou Sûreté
Générale, ou d'un arrêté des représentants du Peuple aux
armées. Dans cette juridiction encore, l'élément militaire est
en minorité, sauf pour le Jury. Mais la liste des jurés est
arrêtée par le président, non militaire, nommé par la
Convention.

TROISIÈME PÉRIODE

La situation militaire à la fin de l'an III, s'était considé-


rablement améliorée pour la République, puisque la paix
avec l'Espagne était signée, et la coalition réduite à l'Angle-
terre et l'Autriche. Le Rhin était franchi, le Luxembourg pris,
l'expédition de l'Angleterre sur les côtes de Bretagne détruite,

;
et l'armée émigrée anéantie à Quiberon. La situation intérieure
était aussi détendue la Terreur avait pris fin, la Convention
touchait à son terme. Pourtant l'énergie decette Assemblée et
de son Comité de Salut Public ne faiblissait pas, tant l'on
avait traversé de graves dangers, et tant surtout il en restait
à vaincre. Aussi le maintien d'une discipline de fer dans nos
armées, était-elle l'objet de l'attention de l'Assemblée et de

pas donné les résultats que l'on en escomptait


reconnue en raison de son mécanisme compliqué de juges,
;
ses Commissaires-Représentants. — La Loi de l'An II n'avait
elle fut

d'accusateur et de Jury, de l'extrême Jenteur de son fonction-


nement, d'une répression insuffisante. Les longs retards de
l'instruction prolongeaient la détention des accusés, et déter-
minaient, sous l'effet d'un naturel sentiment d'indulgence, de
nombreux acquittements. Ces résultats inattendus furent
trouvés « inconvenants » selon la propre expression du Rap-
porteur de la loi nouvelle. Aussi l'organisation de l'An II

venue

:
disparut au bout de dix-huit mois et fit place à une nouvelle
la loi du deuxième jour complémentaire de l'An III.
Désireuse d'assurer une prompte justice, elle supprime les
Tribunaux de Police Correctionnelle et Criminels Militaires
et crée à leur place les Conseils Militaires, confiant aux Mili-
taires seuls le jugement de leurs frères d'armes. Ces Conseils
sont donc composés de trois officiers, trois sous-officiers et
trois soldats présidés par l'officier du grade le plus élevé et
d'un Capitaine-Commissaire Rapporteur, désigné par le
Conseil d'administration des Corps, pour une durée de trois
mois. Mais au cas où la peine de mort est applicable, le
nombredes juges est doublé et l'accusé a le droit d'en récuser
la moitié dans chaque grade. Ces Conseils, immuables dans
leur composition, comme d'ailleurs tous les Tribunaux Mili-
taires de l'époque révolutionnaire sont nommés et convoqués
par le Général le plus proche, et renouvelés à chaque affaire
ou série d'affaires. La nouvelle loi décrète en outre que, sans
distinction du temps de paix ou du temps de guerre, tout délit
commis par un militaire ou une personne attachée à l'armée
ou sa suite, sera jugé par les Conseils. La compétence change
encore de caractère et s'attache non plus à la nature du fait,
mais à la qualité de l'auteur. Les Conseils ont le droit de

non de l'augmenter;
commuer ou de diminuer la peine prévue par le Code, mais
ils jugent en dernier ressort. Enfin la
nouvelle loi maintient les Conseils de Discipline. — Deux lois
postérieures, qui dépassent d'ailleurs le cadre de l'époque
Révolutionnaire, viennent corriger les deux principaux défauts
de cette nouvelle juridiction. D'abord la loi du 4 Brumaire
An IV crée des Conseils spéciaux pour les officiers au-dessus
du grade de Capitaine. Ils sont exclusivement composés d'offi-
ciers (9), désignés pour le jugement des officiers supérieurs,
par le Général Commandant et celui des Officiers Généraux
par le Ministre de la Guerre. Les Officiers Généraux et Supé-
rieurs ne sont plus soumis aux jugements des conseils de
discipline, mais au pouvoir hiérarchique de leurs supérieurs.
- Ensuite la loi du 17 Germinal An IV, afin d'éviter des
erreurs judiciaires inévitables de la part de juridictions
improvisées et temporaires, soumet le jugement des Conseils
Militaires, à un Conseil composé de trois officiers supérieurs
les plus anciens sous les ordres du Général qui a convoqué,
avec pouvoir de Cassation, auquel cas un nouveau Conseil
est réuni. Deux autres adoucissements sont, plus tard encore,
apportés à la loi de l'An III et marquent le terme de cette
période. Le premier par la loi du 22 Messidor An IV, qui
limite la compétence des Conseils Militaires aux seuls indi-
vidus faisant partie de l'Armée, leur enlevant ainsi les
simples employés à la suite, et les complices. Le deuxième,
par celle du 21 fructidor An IV, qui apporte aux condamnés
la garantie nouvelle du pourvoi en Cassation, pour cause
d'incompétence. C'est l'effet d'une détente caractérisée dans

cularité marquante distingue cette période :


la situation intérieure et extérieure de la Nation. Une parti-
le juge civil
disparaît complètement et fait place au Juge Militaire, désigné
directement par le Commandement.
En bref, cette Epoque Révolutionnaire, dont le régime
essentiellement instable est l'œuvre même de la tragique
mobilité des événements, se caractérise par trois étapes bien
différentes. Dans la première, où les Assemblées Constituante
et Législative légifèrent sous l'inspiration des grandes idées
doctrinales de 1789, et où la juridiction militaire est le reflet
de celle du droit commun, le pouvoir judiciaire du Comman-
dement est très réduit. Il se manifeste cependant par sa
double intervention dans la confection du tableau des deux
jurys, la désignation des jurés et par la nomination des juges
de la Cour Martiale. Dans la deuxième, où la Convention et
ses Grands Comités gouvernent en maître souverain, et où
toutes les juridictions, sans exception, ne sont que leur éma-
nation, île pouvoir du Commandement, sauf l'inoffensif
Conseil de Discipline, a entièrement: disparu. C'est la domi-
nation absolue du pouvoir central. — Enfin dans la troisième
étape, qui se déroule dans la législature apaisée et expirante
de la Convention, ou celle atténuée et circonspecte des pre-
miers mois du Directoire, ce pouvoir acquiert subitement,
en raison de la prépondérance de la question militaire et de
l'importance de l'Armée un rôle capital. Il dispose en effet
arbitrairement de la désignation des juges composant les*
nouveaux Conseils Militaires, ou Conseils de Revision.
Le mode de recrutement de l'Armée a eu aussi une
1

grande influence sur le régime des tribunaux militaires. A la


Cour Martiale et aux jurys de l'Assemblée Constituante ou
de la Législative, correspond le système de l'enrôlement
volontaire et de la Garde Nationale, formée des citoyens actifs
ou électeurs. — C'est l'application des théories de liberté ou
de l'idée du soldat-citoyen, dont seul l'état de paix peut
s'accommoder. — Aux tribunaux de Police Correctionnelle
et Criminelle, ou Conseils Militaires de la Convention, corres-
pond celui de la réquisition permanente et de la levée en
masse, ainsi que celui de l'amalgame des bataillons de gardes
nationaux et de ceux des anciens régiments de l'Armée
Royale. C'est le recrutement qui s'impose devant la coalition
envahissante et victorieuse. Le service volontaire a fait ses
preuves. D'ailleurs, depuis 1792, malgré l'étiquette trompeuse
qui avait été abusivement conservée, la source en est à peu
près tarie.

CHAPITRE VI

SOUS LA LOI DE L'AN V ET SES ANNEXES

Au début de l'An V, après deux années d'existence du


Directoire, la situation intérieure et extérieure du pays s'était
fortement consolidée. Au dehors, les armées de Jourdan et
de Moreau avaient été obligées d'évacuer l'Allemagne, mais

;
après une brillante retraite, s'étaient fortement établies sur
le Rhin Bonaparte avait presque entièrement conquis l'Italie
et détruit successivement trois armées autrichiennes. Au
dedans la Vendée était pacifiée, et si les partis étaient en
effervescence, et les embarras financiers grands, l'ordre public
n'était pourtant pas troublé et l'autorité du gouvernement,
forte et glorieusedu fait du succès de nos armes. L'on pouvait
donc abandonner le régime d'exception des grands jours de
la Convention et revenir à une organisation judiciaire plus
normale et courante. Mais il fallait cependant conserver un
système de juridiction qui, tout en donnant aux justiciables
les garanties de droit commun, tiendrait compte de l'impor-
et
tance de la prépondérance de nos Armées. — En somme il
fallait donner aux militaires, dans ile cadre de lois protec-
trices des droits de défense de l'accusé, un statut judiciaire
en harmonie avec les exigences de la discipline et les strictes
obligations du soldat. — De ces différentes considérations
est née la loi du 21 Brumaire An V, complétée par celles du
4 Fructidor An V et du 18 Vendémiaire An VI. — Cette
législation marque enfin le retour au régime de la stabilité et
de la permanence. L'ère des agitations convulsives et des
bouleversements subits est close. C'est le régime des tribu-
naux réguliers et permanents. Certes apparaîtront encore à
la suite des graves événements extérieurs ou intérieurs, les
tribunauxextraordinaires ou temporaires et les juridictions
d'exception, avec leur cortège habituel de règles de compé-
tence et de procédure draconiennes, notamment dans les
heures critiques du Consulat et de 'l'Empire, ou les jours
troubles de la Restauration. Mais l'organisation judiciaire
créée par la loi de l'an V demeurera consolidée, même dans
ses dispositions fondamentales. Ce sera 'la Charte de la Justice
Militaire, qui subsistera jusqu'à la 'loi de 1857. C'est le
meilleur gage de l'excellence de ses principes directeurs..
La loi de Brumaire An V institue dans chaque division,
tant en campagne qu'à l'intérieur, un Conseil de Guerre per-
manent comprenant sept membres (du colonel au sous-offi-
cier), exclusion faite des caporaux et soldats. Un capitaine
assisté d'un greffier de son choix, remplit les fonctions de
rapporteur et un autre celui de commissaire du pouvoir
exécutif. Tous ces magistrats sont, sans exception, nommés
par le Général commandant la Division, et changés par lui
lorsque le bien du service l'exige. La loi ne fixe donc aucune
règle pour le choix des juges. La rigueur du Code Militaire
de 1793 est^atténuée par la loi du 21 Brumaire An V, qui
cependant attribue au Général en chef le droit de faire des
règlements de simple discipline correctionnels, nécessaires au
maintien de l'ordre et de la subordination. — Les Conseils de
Guerre connaissent de tous les délits de nature militaire,
quels que soient leurs auteurs, ainsi que de tous les délits
commis par les militaires, quels que soient leur nature ou
caractère. Cependant cette dernière compétence est plutôt
l'œuvrede la jurisprudence que de la loi.
Bien que la loi de l'An V apportât de sérieuses garanties
dans la composition de la nouvelle juridiction, elle présentait
cependant de graves lacunes. Tout d'abord cette composition
était fixe et invariable, malgré la diversité de grade de
l'accusé. La loi du 4 fructidor An V décida qu'il serait formé
des Conseils de guerre spéciaux pour juger les Officiers Géné-
raux supérieurs et les Commissaires de Guerre. Les membres
étaient des officiers appelés à siéger à tour de rôle, par rang
d'ancienneté, d'après un tableau dressé à cet effet. Cette
disposition était si heureuseque la pratique judiciaire la
généralisa et l'étendit à tous les Conseils de Guerre, sans
qu'il y eût pourtant là rien d'obligatoire ni d'absolu. —
Ensuite les jugementsdes Conseils de Guerre n'étaient soumis
à aucun recours. La loi du 18 Vendémiaire An VI constitua
dans chaque division des Conseils de Revision permanents,
dont les membres étaient nommés par les Généraux Com-
mandants d'Armée et de Division et chargés de reviser les
jugements des Conseils de Guerre et d'en prononcer, le cas
échéant, l'annulation avec renvoi devant un deuxième conseil
de guerre établi également dans chaque division. Ce deuxième

:
conseil de guerre ne reste d'ailleurs pas cantonnédans son
rôle de juridiction de révision la loi du 27 fructidor An VI,
lui donna une compétence identique au premier. Dérogation
curieuse au principe de la hiérarchie des juridictions.
Les pouvoirs judiciaires du Commandement sont dans
cette 'législation, très renforcés. D'une part la nomination de
tous les juges des Conseils de Guerre et des Conseils de Revi-
sion (qu'ils soient du siège, de l'instruction ou du parquet)
lui appartiennent, sans aucune règle, autre que celle tout
à fait discrétionnaire du service. Sans doute la loi de Fruc-
tidor An V supprime ce mode de nomination pour les conseils
de guerre supérieurs, mais outre qu'il subsistait pour les
Conseils de guerre inférieurs, il se traduisit encore pour les
premiers en un droit de regard et de contrôle sévère sur la
dresse du tableau. — D'autre part, il possède ce droit consi-
dérable de faire des règlements de discipline obligatoires
pour les tribunaux, lequel, en raison même de son arbitraire
et de son manque de contrôle revêt presque un caractère pré-
torien. — Ces avantages sont très caractérisés et marquent
l'ascension du prestige et de -l'autorité du Pouvoir Militaire.
Cette marche progressive va se poursuivre dans les deux
dernières années du Directoire et l'avènement des Régimes
Militaires du Consulat et de l'Empire. Elle se complétera de
l'apparition intermittente des tribunaux extraordinaires ou
d'exception. La juridiction militaire va être en effet régie
série d'actes du pouvoir exécutif dont les plus remar-
par une
quables sont :
1° l'Arrêté du 19 Vendémiaire an XII, établissant des
Conseils de Guerre spéciaux pour juger les conscrits réfrac-
taires et les peines à appliquer. Dissous dès le jugement

pouvoir exécutif ;
rendu, ils se composaient de juges officiers nommés par le
leurs décisions n'étaient susceptibles
d'appel, cassation ou révision.
2° le Décret du 17 Messidor An XIII, créant des com-
missions militaires spéciales, pour le jugement des espions
et des embaucheurs, même étrangers à l'armée. Les Commis-
saires étaient nommés par le Général Commandant pour
chaque affaire. Les décisions n'étaient susceptibles d'aucun
recours et devaient être exécutées dans les 24 heures.
3° le Décret du 1" Mai 1812, instituant des conseils de
guerre extraordinaires pour juger les crimes relatifs aux
capitulations de places de guerre et en rase campagne. Motivé
par la capitulation du Général Dupont à Baylen, il concédait
aux juges, disposition unique dans toute la législation Fran-
çaise, la faculté d'appliquer en leur âme et conscience, la
peine du Code Pénal civil ou militaire qui leur paraîtrait pro-
portionnée 1,1

4° la loi du 20 Décembre 1815, organisant les Cours Pré-


vôtales, composées de six magistrats, dont un militaire,
chargées de juger dans toute l'étendue du Département, les
civils ou militaires, coupables de réunion séditieuse, rébellion,
assassinats ou vols avec port d'armes. Mais cette compétence
fut arbitrairement élargie et étendue par les décisions des
Cours elles-mêmes, jusqu'à tous les crimes commis par les
militaires en non activité, congédiés ou licenciés. Cette juri-
diction d'exception, rendit, pendant deux ans, absolument
lettre morte, la suppression, par la Charte de 1814, des tribu- ,
naux extraordinaires.
Dans ces diverses manifestations juridictionnelles, le
pouvoir judiciaire du Commandement n'a plus de limites. Il
règle, en maître absolu, la composition, la procédure, la com-
pétence des Tribunaux, le choix des juges et même la nature
et la quotité des peines. Il est difficile d'aller plus loin.

CHAPITRE VII

SOUS LA LOI DE 1857

L'on a fait de la loi de l'an V, une singulière critique;


celle que ses conseils de guerre avaient perdu toute existence
légale depuis la conclusion de la paix prévue par son article
1er, jusqu'à la promulgation du code de 1857. Si cette critique
est peu fondée, l'institution de ces tribunaux militaires ayant
été reconnue par divers textes législatifs postérieurs, il reste
cependant qu'elle a fortement contribué à la refonte dans
une œuvre d'ensemble des dispositions de la loi de l'an V,
de celles qui l'avaient successivement modifiée, des décisions
interprétatives du Conseil d'Etat ou de la jurisprudence. Au
chaos législatif régissant la justice militaire de plus d'un demi
siècle, il fallait substituer l'unité et la clarté. Une autre raison,
dont l'influence agit toujours et fortement sur l'organisation

:
des Tribunaux Militaires, détermina aussi la nouvelle codi-
fication, savoir le mode de recrutement de l'Armée. Depuis
le système en vigueur au moment de la loide l'an V qui était
d'ailleurs celui de l'époque révolutionnaire, s'étaient succédé,
appelés, sauf possibilité de remplacement ;
d'abord la conscription de Fructidor an VI, où tous les citoyens
de 20 à 25 ans, répartis en cinq classes, étaient tour à tour
puis les modes
multiples de l'Empire, basés sur la conscription ou le tirage

des armées;
au sort, mais combien tourmentés par les terribles besoins
ensuite l'engagement volontaire sans prime de
la Restauration, complété par l'appel du contingent annuel,
réalisé par le tirage au sort, mais avec remplacements et ren-
gagements ; tout aussitôt après, l'appel par le sort du con-
tingent annuel de la Monarchie de Juillet, renforcé par l'en-
rôlement volontaire, et vicié par la tare du remplacement ;
enfin le système de l'exonération de la loi de 1855, aussi vi-
cieux et qui ramenait presque au temps du Bas Empire
Romain. Les divers systèmesde recrutement employés depuis

;
1818, ne contenaient qu'une proclamation théorique et vide
du service personnel obligatoire ils faisaient peser exclusive-
ment l'impôt du sang sur le pauvre et isolaient complètement
le soldat pendant sa longue carrière militaire de 25 ou 30
ans, du reste de la Nation. Ils transformaient ainsi de plus
en plus l'armée, en armée de métier (du Roi ou de l'Empereur)
et lui donnaient un véritable caractère prétorien. Une pareille
conception du recrutement devait nécessairement réfléchir sur
l'organisation .de la Justice Militaire. Les origines, nature,
qualité des justiciables, influent nécessairement sur le fonc-
tionnement des juridictions.
Le but du Code de 1857, est donc d'organiser les Tri-
bunaux militaires pour le temps de paix, de guerre ou de
siège, de déterminer leur compétence, de régler la procédure
en usage devant eux, de spécifier les crimes et délits contre
le devoir militaire, et de fixer les peines à appliquer. De ces
nombreuses dispositions nous ne retiendrons que celles ren-
trant dans lie cadre de notre sujet, et par lesquelles se ma-
nifeste le pouvoir judiciaire du Commandement. Pour plus
de clarté nous suivrons l'ordre même du code.
1° ORGANISATION DES TRIBUNAUX
Au cas de création d'un deuxième conseil de guerre dans
la circonscription territoriale, la répartition des affaires entre
les deux Conseils est laissée au libre arbitre du Général Com-
mandant. En dépendent surtout le choix et la nomination des
Membres du Conseil de guerre, titulaires ou supplémentaires,
faits pour six mois. Sans doute s'exerçant tous deux d'après
l'ordre d'inscription au tableau d'ancienneté, dressé sur la
présentation des Chefs de Corps et par grade d'ancienneté,
des officiers et sous-officiers appelés à composer le Conseil de
Guerre, ils sont très limités. Mais, d'une part, les Comman-
dants de Corps d'Armée ont une certaine liberté dans
l'établissement du tableau, puiqu'ils ne doivent y porter,
d'après les Instructions Ministérielles du 28 juillet 1857, que
les officiers et sous-officiers reconnus aptes par leur ins-
truction ou leur expérience à remplir les fonctions de juge,
sans que celà puisse nuire au service, et d'autre part, les
causes d'excuse ou d'empêchement sont souverainement
appréciées par le Général. Reconnaissons toutefois que le
caractère absolu du mode de désignation de la législation de
Brumaire la disparu. Le Conseil de Guerre perd l'aspect de
Commission militairequ'il avait à cette époque. Négligeons
les Commissaires de Gouvernement et les Rapporteurs dont
le choix et la nomination sont cependant soumis aux mêmes
règles, parce qu'ils ne remplissent pas les fonctions de Juges
et sont exclusivement des magistrats de parquet ou d'ins-
truction. Mais les membres des Conseils de Revision étant
désignés comme leurs collègues des Conseils de Guerre, le
pouvoir du Commandement s'exerce vis-à-vis d'eux de façon
identique. En temps de guerre, le pouvoir s'accroit naturel-
lement. Sauf le cas où l'accusé est d'un grade supérieur à
celui de lieutenant-colonel, les membres des Conseils de
Guerre, les Commissaires-rapporteurs, greffiers, substituts,
sont nommés et remplacés par les Commandants d'Unités
auprès desquelles ces juridictions fonctionnent, sans autre
contrôle que les besoins du service. Le tableau d'ancienneté,
<tont l'emploi est difficile, n'existe plus. Les Juges des Conseils
de Revision sont nommés et remplacés dans les mêmes con-
ditions. Mais les Commissaires de Gouvernement ne peuvent
être que des officiers ou membres de l'Intendance, du service
actif. De plus il est permis aux autorités militaires, chargées
des nominations, non seulement de réduire au cas de néces-
sité reconnue, le nombre des juges à trois, mais encore de
descendre, pour leur choix, la hiérarchie des grades. Il existe
enfin une juridiction inférieure, celle de la prévôté, dont le
juge unique, un Officier de Gendarmerie, est sous la main
directe du Commandement. Situé sur les flancs ou à l'arrière
de l'Armée, il statue en dernier ressort à l'égard de certains
actes de pillages, brigandage ou piraterie.

2° COMPÉTENCE DES TRIBUNAUX :


Bien que cette question soit exclusivement réglée par le
législateur et échappe ainsi au pouvoir du Commandement,
elle en est cependant influencée, indirectement tout au moins,
puisque le traitement des justiciables des Tribunaux Mili-
taires est bien différent, meilleur ou pire suivant le cas, de
ceux des Tribunaux de droit commun. En outre, l'extension
de la compétence de ces juridictions d'exception est l'image
fidèle de la prépondérance des pouvoirs de l'autorité militaire.
Le principe de cette compétence est qu'en temps de paix, toute
personne appartenant à l'armée, à n'importe quel titre,est
soumise aux Conseils de Guerre, pour toutes les infractions
pénales commises par elle, même non militaires, pourvu
qu'elle soit en activité de service et portée présente sur le
contrôle. Pour celle qui ne remplit pas cette deuxième con-
dition, la compétence est restreinte aux seules infractions
contre les devoirs militaires. Toutefois au cas de complicité
avec des non militaires, elle est renvoyée, sauf exceptions limi-
tativement prévues, avec ceux-ci, devant les tribunaux or-
dinaires. Les infractions relevant de lois spéciales, même
commises par des militaires, sont jugées par ces tribunaux. En
temps de guerre, le principe varie suivant que l'armée est
sur le territoire Français en présence de l'ennemi, hors sa

la
;
présence, ou en territoire ennemi. Dans le premier cas, il est
le même qu'en temps de paix dans le second, il soumet à
compétence des Conseils les étrangers pour tous crimes et
délits de nature militaire et français et étrangers pour certains
crimes qui constituent de véritables attentats contre l'Armée
ou la Nation; dans le troisième, en relèvent tous les auteurs
et complices des crimes et délits de nature militaire. Enfin,
en état de siège, sont obligatoirement justiciables des conseils
de guerre, toutes personnes auteurs ou complices d'infractions
de nature militaire, ou de crimes et délits contre l'ordre et
la paix publics. Quant aux Prévôtés, elles exercent aux
Armées en temps de guerre et sur 'le territoire ennemi une
juridiction exceptionnelle, sorte de tribunal de simple police,
réprimant les infractions prévues par l'article 271 du code
de justice militaire, et dont la peine n'excède pas six jours de
prison ou deux cents francs d'amende. Leur clientèle est un
peu spéciale, et se compose de vivandiers, cantiniers, blan-
chisseuses, marchands,. domestiques et toutes personnes à la
suite de l'armée, vagabonds et gens sans aveu. Leurs décisions
ne sont susceptibles d'aucun recours. C'est un rappel en mi-
niature des Tribunaux de Prévôté de l'Ancien Régime.

30 PROCÉDURE :

C'est le domaine dans lequel le pouvoir du Comman-


dement s'exerce de la manière la plus forte et décisive. Déga-
geons-en les manifestations les plus caractérisées :
1° A l'origine de la première période, la procédure d'in-
formation, la plus importante, puisqu'elle est le prélude
obligé de l'instance pénale, se situe le droit exclusif pour le
Général Commandant la Circonscription, de mettre en mou-
vement l'action publique. Saisi directement, ou à la suite
des actes et procès-verbaux des officiers de police judiciaire
sous ses ordres, agissant même d'office, il peut seul, suivant
son appréciation et la libre inspiration de sa conscience,
donner l'ordre d'informer ou le refuser. Dans ce dernier cas
seulement, ce pouvoir juridictionnel est contrôlé par l'obli-
gation de rendre compte au Ministre. Naturellement il subit
les mêmes limitations que celles du droit commun (autori-
sation, plainte, question préjudicielle). Alors donc que les
autorités, partie intégrante des Tribunaux Militaires, n'ont
Aucune initiative, celle qui y est absolument étrangère, la
possède absolue et exclusive. Cette particularité tout à fait
anormale, legs d'une pratique judiciaire et d'une jurispru-
dence demi-séculaire, ne peut s'expliquer que par les prin-
cipes supérieurs d'autorité, de discipline, et de hiérarchie.
quï dominent toute notre organisation et ne permettent pas
de distraire un militaire de son service sans l'ordre ou l'assen-

conséquences nécessaires suivantes :1°


timent de ses chefs. De ce droit initial découlent les deux
le Commissaire du

décerné par le rapporteur ;


Gouvernement doit rendre compte au Général de tout mandat
2° celui-ci doit également lui ré-
férer par l'intermédiaire du Commissaire du Gouvernement
de toute circonstance nouvelle révélée par la procédure (faits
entièrement nouveaux complices militaires ou non) et attendre
ses ordres. La décision de ce référé dépend toujours de sa
seule volonté, sauf au cas de complicité non militaire, où il
doit obligatoirement transmettre le dossier au Procureur de
la République. Mais ce n'est nullement un échec à son pou-
voir, puisqu'alors l'affaire change de domaine, et rentre dans
celui du droit commun, où il ne doit avoir aucune action.
Deux autres manifestations de ce pouvoir du Comman-
dement marquent encore cette période de l'information. C'est
d'une part, avant la loi du 22 décembre 1917, son intervention
pour accorder au prévenu la mise en liberté provisoire, et,
depuis cette loi, pour solutionner l'opposition formée par le
Commissaire du Gouvernement à l'ordonnance du rapporteur
concédant cette mise en liberté. C'est d'autre part, son droit
de prononcer la nullité d'une procédure viciée par la loi du
8 décembre 1897 et de la remettre dans l'état du statu quo
antérieur, toutes .ces interventions sortant de la sphère ad-
ministrative et réglementaire et constituant de véritables actes
juridictionnels.
2° L'instruction complètement terminée, la deuxième
période, la procédure d'instruction commence. Le Général en
possession du rapport du juge rapporteur et des conclusions du
Commissaire du Gouvernement, intervient une seconde fois,
et d'une manière plus complète et décisive que la première,
C'est en même temps qu'une augmentation de garantie pour
l'inculpé, l'affirmation nouvelle de son pouvoir judiciaire. Il
peut en effet ordonner un complément d'instruction, étendre
les limites de la prévention en y incorporant des faits nou-
veaux et prescrire un supplément d'instruction, rendre aussi
une ordonnance de non-lieu, ou délivrer l'ordre de mise en
jugement, dûment motivé. Dans tous les cas sa décision est
définitive et sans recours.
3° L'ordre de mise en jugement dessaisit le Général, saisit
au contraire le Conseil de Guerre et ouvre la troisième et
dernière période de la procédure, celle du jugement. Toutefois
même au cours de cette ultime phase, le dessaisissement du
Général n'est ni complet ni définitif, et le pouvoir judiciaire
de celui-ci, tant il est fortement marqué, se manifeste encore
de deux façons décisives. Tout d'abord s'il se révèle à l'au-
dience du conseil de guerre soit des faits nouveaux autres
que ceux spécifiés dans l'ordre de mise en jugement, soit des
co-auteurs ou complices, militaires ou non, les pouvoirs du
général reprennent, car le Conseil doit lui renvoyer le dossier
pour nouvelle décision de sa part, par un jugement de plus
ample informé ou d'incompétence. Ensuite le jugement rendu
devenu définitif, et c'est ici que ces pouvoirs sont vraiment
extraordinaires, car ils constituent alors un véritable démem-
brement du droit de grâce, le Général, dûment informé, peut
pendant le délai de trois mois de la date où le jugement de-
viendra définitif, différer souverainement l'exécution de la
peine, sous la seule obligation d'en informer immédiatement
le Ministre.
Le droit de sursis à l'exécution n'a point été créé par le
pouvoir législatif, mais au contraire par le pouvoir exécutif.
Naissant ainsi du fait du prince, son origine a quelque chose
d'arbitraire. Les lois de la période révolutionnaire et de l'an
V, l'ignoraient totalement, au point que l'article 39 de celle-ci
prescrivait impérativement au rapporteur de rendre compte
au Général Commandant le Corps d'Armée, de l'exécution
dans les trois jours. Mais le Décret Impérial du 23 Novembre
1811, d'abord et les Circulaires Ministérielles des 6 octobre
1830 et 7 septembre 1831 ensuite, autorisèrent le premier pour
les déserteurs réfractaires, condamnés à la peine de mort,
les deuxièmes pour les condamnés à la même peine ou à celle
des fers, à raison d'insubordination, le sursis à l'exécution de
la sentence, et le conférèrent à l'Empereur ou à l'autorité
Militaire.
DEUXIEME PARTIE
LEGISLATION ACTUELLE

CODE DE1928
Le Code de 1857, malgré de nouvelles garanties incon-
testables apportées par lui au droit de défense de l'accusé,
notamment la désignation des juges effectuée non plus d'après
le libre choix du Général, mais d'après le jeu presque auto-
matique d'un tableau de service réglementaire, restait tout
de même dominé par l'emprise du Commandement. Parmi

constances:
bien d'autres, celle-ci se manifestait en effet par deux cir-
le droit du Général après la clôture de l'ins-
truction judiciaire et sur le vu de celle-ci, de traduire ou non
l'accusé devant un conseil de guerre, et l'obligation de celui-ci
de comparaître même pour les délits de droit commun devant
la juridiction militaire, sauf le cas de complicité avec des
civils. Malgré ses indéniables défauts, il fonctionna sans trop
d'attaques ni de critiques, et se maintint, au moins dans son
gros œuvre, pendant près de trois quarts de siècle. La raison
de cette curieuse longévité réside dans deux causes d'égale
importance. L'une c'est l'introduction progressive dans ses
dispositions, des améliorations apportées à la situation des

portantes:
inculpés de droit commun. Citons au nombre des plus im-

;
les lois de 1872, 1873 et 1875, changeant la com-
position des conseils de guerre la loi de 1891 rendant

portait aux articles 57 et 58 du Code Pénal ;


applicables à ces juridictions les modifications qu'elle ap-
la loi du 15
juin 1899 rendant applicable à la procédure devant les conseils

;
de guerre en temps de paix, les dispositions tutélaires de la
loi de 1897, sur l'instruction préalable les deux lois de 1901,
l'une imputant pour les condamnés militaires la détention pré-
ventive sur la durée de la peine, et l'autre faisant bénéficier

atténuantes ;
en temipsde paix, tous les crimes et délits, des circonstances
la loi de 1904 autorisant, en temps de paix,
l'application du sursis aux condamnations prononcées par les,
Conseils de Guerre; la loi de 1906, supprimant pour le temps

de Cassation;
de paix, les Conseils de Révision et leur substituant la Cour

;
la loi de 1916 autorisant l'application du sursis

de 1917 sur la mise en liberté provisoire


sur la limitation des droits de
;
et des circonstances atténuantes en temps de guerre

suspension d'exécution
la loi
enfin la loi de 1918
de la
peine. L'autre c'est la persistance, au moins de fait jusqu'en
1905, du caractère de l'armée et du mode de recrutement.
Ceux-ci étaient en effet jusqu'à cette date l'œuvre de la loi
de 1855, qui faisait de l'Armée, une armée de métier et, de
l'état militaire, non l'accomplissement d'un devoir, mais
l'exercice d'une carrière. Or cet état de choses ne fut nulle-
ment modifié par les diverses lois de recrutement qui se
succédèrent jusqu'en 1889 et même 1905. La loi de 1868 ré-
duisit sans doute la durée du Service Militaire, créa la Garde
Nationale mobile, institua le tirage au sort pour l'appel du
contingent annuel, mais elle admit de nombreuses causes
d'exemption et surtout organisa tout un système de modes de
remplacement, de telle sorte que le service militaire était en
réalité effectué par une catégorie très limitée de citoyens, qui
en acceptaient volontairement l'obligation. La loi de 1872 pro-
clama bien le principe du service militaire universel, mais
admit aussitôt de nombreuses causes d'exception et des sursis
d'appel, ainsi que la faculté des substitutions de numéros,
qui n'était autre qu'un remplacement déguisé, et le volon-
tariat d'un an, corps de privilégiés de la fortune. Même la loi de
1889 malgré sa nouvelle proclamation de principe du service
militaire égal pour tous, la suppression des dispenses de droit,
des sursis d'appel, des substitutions de numéros et du volon-
tariat d'un an, laissait subsister une grande inégalité dans
la durée du service actif, par la division du contingent annuel
en deux parties, dont la seconde n'accomplissait qu'un an,
et par l'octroi de dispenses de deux ans, en faveur de nom-
breuses catégories d'appelés. C'est la loi de 1905, qui non
point seulement en proclamant, mais en réalisant véritable-
ment, le service militaire obligatoire pour tous sauf le cas
d'incapacité physique, démocratisa l'armée, et fit disparaître
définitivement de celle-ci les soldats de carrière et de métier.
Les lois de 1913 et 1923 modifièrent la durée du service actif,
mais maintinrent les principes déjà réalisés, accentuèrent et
achevèrent cette profonde réforme de la nationalisation de
l'Armée.
Les causes mêmes qui avaient pendant plus de soixante
dix ans préservé de l'usure des temps et de l'attaque des idées
modernes, notre vieux Code Militaire impérial, portaient en
elles un germe de mort et devaient en provoquer la ruine.
Nouvelle tunique de Nessus, elles devaient consumer l'œuvre
qu'elles étaient chargées de protéger. Ce n'étaient que des
palliatifs et des expédients et non des remèdes décisifs.
En effet, d'un côté les innovations introduites sous la force
irrésistible des idées nouvelles de protection individuelle dans
notre législation militaire, ne l'étaient qu'avec beaucoup d'hé-
sitations, de retards et de restrictions. C'était une réforme
lente et boudeuse qui par la tardivité et l'insuffisance des
concessions, et surtout par l'amertume et la vivacité des dé-
ceptions provoquées par leurs résultats, devait susciter les
plus violentes critiques. La législation militaire, œuvre d'ex-
ception et déjà à ce titre, vue d'un œil méfiant par l'opinion
publique, semblait une sœur cadette, chagrine et rétive qui
suivait en rechignant les progrès de sa sœur aînée de droit
commun. La rude secousse de 1914-1918 avait comme pour
toutes les institutions d'avant-guerre, accéléré ce mouvement
d'hostilité. D'un autre côté, les lois de 1905, 1913, 1929, en
établissant effectivement et non point théoriquement le service
militaire égal et obligatoire pour tous les français, avaient
nationalisé l'armée et remplacé le soldat mercenaire par le
soldat citoyen. Dès lors la composition de l'armée, comman-
dant directement le fonctionnement de tous les services et
spécialement celui de la Justice Militaire, les règles d'un droit
militaire conçu pour une armée de mercenaires ne pouvaient

:
gouverner une armée de citoyens. Enfin le régime politique
avait changé la République avait remplacé l'Empire, accrois-
sant ainsi considérablement la notion des garanties de la
défense et la conscience des droits individuels. Par dessus
tout, une cause occasionnelle, l'affaire Dreyfus, avait pendant
de longues années déchaîné les passions politiques et reli-
gieuses, et débordant de son cadre originaire, déclanché au:
milieu d'un tumulte et d'un choc d'idées inouï, dans l'opinion.
publique et au Parlement, une campagne des plus violentes.
contre les Conseils de Guerre. Nulle œuvre humaine n'aurait
pu résister à une pareille poussée. Au lendemain de la guerre,
le Code de 1857 était condamné. La lenteur de la procédure
parlementaire devait lui donner encore quelques années de
grâce. Mais l'agoniedevait enfin cesser et la loi de 1928, sonner
Jeglas de la vieillie moribonde de l'Empire.
La loi de 1928, votée sous l'influence des multiples et
diverses causes que nous venons de décrire, devait néces-
sairement s'en ressentir, et réduire considérablement l'action
et l'étendue du pouvoir judiciaire du Commandement. Mais
cette réduction ne pouvait cependant dépasser certaines
limites extrêmes, qui ne sont autres que celles imposées par
le but même de la loi, c'est-à-dire le respect de toutes les règles
constitutives de la discipline militaire, base fondamentale
de l'armée. Ce pouvoir donc, bien que fortement comprimé,
est encore, dans notre législation actuelle, considérable. Son
existence se manifeste non seulement depuis le début jusqu'à
|Ia fin de la procédure, mais encore jusqu'à l'épilogue de
celle-ci, l'exécution de la sentence. Parcourons les différentes
étapes de ce processus, qui suit d'ailleurs la même courbe que
celui du code de 1857 et dégageons au cours de chacune
d'elles, les différentes marques de ce pouvoir.

1° PÉRIODE DE L'INFORMATION I
Le Commandement intervient d'abord dans la direction
des recherches des infractions, dont il a le monopole exclusif.
Dès qu'une infraction lui est signalée, par les différentes per-
sonnes qualifiées ou intéressées (Ministre de la Guerre, Chefs
de Corps ou service, fonctionnaires, officiers publics, témoins,
victimes), il met en mouvement tous les agents de police mi-
litaire judiciaire accrédités ou mandatés, et fait faire par
eux toutes les constatations, perquisitions, enquêtes, procés-
verbaux nécessaires à la découverte de la vérité. C'est suivant
le cas, le Général Commandant la circonscription territoriale,
l'Armée, le Corps d'armée, la Division, ou l'Officier comman-
dant le détacheriient ou la place assiégée. Ce rôle de haut
officier de police judiciaire, est d'autant plus important qu'il
est absolu et sans contrôle. En effet, le correctif du droit
commun, la constitution de la partie civile de la victime, dé-
clanchant indirectement l'action publique, n'existe pas devant
les tribunaux militaires, où seul l'organe de Commandement

:
peut mettre celle-ci en mouvement. Une seule circonstance
fait échec à cette règle si une infraction de la compétence
des tribunaux militaires lui est signalée par l'autorité civile,
le Général est obligé d'exercer les poursuites. Expédient
d'ailleurs ingénieux pour rétablir, suivant la juste remarque
de M. Hugueney, par un moyen détourné, l'intervention de la

lysant ou plutôt limitant le pouvoir du Général :


partie civile. Il y a à vrai dire, une autre circonstance, para-
le droit
pour le Ministre de la Guerre de décerner d'office l'ordre d'in-
former. Mais c'est plutôt une mesure de contrôle établie pour
l'échelon supérieur du Commandement. Une dernière mani-
festation des pouvoirs du Général va clôre cette période de
l'information. Celui-ci en possession de tous les éléments rap-
portés par les opérations de recherches, va prendre souve-
rainement et sans contrôle la résolution décisive. Si l'infraction
commise lui semble relever de là compétence des tribunaux
ordinaires, il a le droit absolu d'en saisir ou non la Justice
Militaire, sauf bien entendu la circonstance impérative où il
est saisi par une autorité judiciaire de droit commun. Une
double solution s'offre à lui. Si l'infraction est d'importance
minime ou du moins secondaire, le Général inflige à son
auteur quelques jours de prison et une simple peine disci-
plinaire liquide l'affaire. Si au contraire l'infraction est grave
et déborde ainsi du domaine de l'indiscipline pour rentrer
dans celui de la répression pénale, il engage les poursuites
judiciaires par la délivrance de l'ordre d'informer. Le Général
a le choix absolu entre l'une ou l'autre de ces résolutions et
son pouvoir à cet égard est souverain. La raisonen est simple.
L'intérêt supérieur de l'armée s'oppose à ce qu'un militaire

ment:
soit enlevé à son service, sans il'autorisation du Commande-
ce qui se produirait inévitablement si, comme en droit
commun, le Commissaire du Gouvernement, était, quelle que
fût la gravité de la faute, impérativement obligé de poursuivre.
L'on peut même se demander si ce n'est pas également l'in-
térêt du militaire, qui frappé d'une simple peine disciplinaire,
peut dans la suite, par une conduite exemplaire réparer ses
torts et éviter ainsi la déchéance infâmante inséparable d'une
condamnation judiciaire et surtout de son exécution. L'ordre
d'informer est donc l'acte de déclanchement de la procédure
militaire. Il est adressé au Commissaire du Gouvernement
près le tribunal militaire compétent, soit directement, soit par
l'intermédiaire du Général Commandant la circonscription
territoriale de ce tribunal, lorsqu'il émane du Général com-
mandant une autre circonscription territoriale ou du Ministre
de la Guerre. L'on sait en effet que celui-ci a dans tous les
cas un droit d'action concurrent avec celui du Général et dans
certains cas même (Officier Général ou personnel relevant
directement de lui) un droit d'action exclusif. L'ordre d'in-
former (et c'est la conséquence obligée de son caractère de
souveraineté) est définitif et sans appel. Il doit désigner exac-
tement l'identité du prévenu, les faits précis sur lesquels por-
teront les poursuites, ainsi que les textes de lois applicables.
Y sont joints les rapports, procès-verbaux, pièces, objets
saisis et tous autres documents recueillis au cours de l'enquête
administrative. Il est aussi un acte d'attribution personnelle
du Général qui lie peut le déléguer à un de ses subordonnés,
sauf le cas d'absence régulière. En temps de guerre, soit dans
les circonscriptions territoriales en état de guerre, soit aux
armées, soitdans les places de guerre assiégées ou investies,
l'ordre d'informer peut être remplacé par la citation directe,
sauf au cas d'infraction entraînant la peine de mort. Bien que
la rédaction quelque peu ambiguë de l'article 179 C. J. mili-
taire, puisse prêter à discussion, (les amateurs de critique
exegétique n'ont pas manqué de déployer leur verve ingé-
nieuse), la citation directe, si elle n'est pas l'œuvre du Gé-
néral, doit être expressément autorisée par lui. Il serait assez
étrange qu'il n'eût pas en cette grave circonstance, le droit
non seulement de décider les poursuites, mais aussi leur mode
d'exercice et qu'ainsi ses pouvoirs fussent sensiblement réduits,
au moment même où ils doivent être fortement consolidés.
Ce serait l'effondrement de la pierre angulaire du droit su-
périeur et souverain du Commandement, clef de voûte sé- (
culaire de notre organisation judiciaire militaire. Il est à
peine besoin d'ajouter que l'initiative des poursuites du gé-
néral ne peut réveiller l'action publique, éteinte par la mort
du coupable, l'autorité de la chose jugée, l'amnistie ou la
prescription. C'est un principe qui domine tout le droit pénal
français.
PÉRIODE DE L'INSTRUCTION:

L'ordre d'informer, acte déclencheur des poursuites et


privilège exclusif du Commandement, a seul pu saisir le juge
d'instruction. Encore cette saisine est-elle toute limitée et
particulière.Ce n'est plus comme dans la procédure pénale
ordinaire, une saisine objective, portant sur un ou plusieurs
faits délictueux, une saisine in rem, suivant l'expression
technique, mais une saisine à la fois subjective, personnelle,
visant une ou plusieurs personnes déterminées, et matérielle,
à raison de faits bien précis, c'est-à-dire à la fois in rem et in
personam. L'on dit souvent par amour de l'antithèse que la
'saisine militaire est in personam, par opposition à la saisine
de droit commun qui est in rem.C'est une erreur. Elle est
,
mixte, aussi bien personam que rem. Quelques exemples vont
le démontrer. Tout d'abord, si la procédured'instruction
révèle l'existence de co-auteurs ou complices de l'infraction,
le juge d'instruction. militaire sera obligé de provoquer du

Général un nouvel ordre d'informer les concernant, pour les
comprendre dans la poursuite. Inversement, si les inculpés
visés à l'ordre d'informer, ont commis d'autres infractions
que celles qui en font l'objet, un deuxième ordre d'informer
s'impose, spécifiant ces nouvelles infractions. De même, si
l'ordre d'informer, par ignorance des noms des coupables, a
été décerné contre X., dès que ceux-ci seront identifiés par
le juge d'instruction, ce dernierdoit solliciter un nouvel ordre
t
d'informer, où seront précisés ces coupables. C'est donc bien
que le Commandement, maître souverain de la discipline, a
seul le droit d'en surveiller le maintien, et par là, de retenir
au service ou de livrer à la justice, les auteurs d'actes délic-
tueux, suivant l'intérêt le mieux compris de l'armée. Ilne faut
pourtant pas exagérer cette règle de la spécialité de l'ordre
d'informer. Aussi est-il permis au juge de relever toutes les

pas mentionnées dans ;


circonstances aggravantes de l'infraction, ne seraient-elles
l'ordre d'instruire sur tous
visés aux procès-verbaux joints à l'ordre et même de disqua-
les délits

lifier ou de substituer au délit visé à l'ordre, un délit voisin.


II y a là en effet, des raisons d'équivalence ou d'étroite parenté
qui doivent faire fléchir la règle, sous peine de tomber dans
le byzantinisme.
Le cadre de l'instruction étant ainsi originairement bien
déterminé, la procédure va suivre son évolution normale, mais
constamment contrôlée et surveillée par le Général, qui
pourtant n'y prend aucun rôle actif et s'y trouve totalement
étranger. Il y joue ainsi le personnage de la Tragédie Antique,.
tout à la fois invisible et présent.
Tout d'abord, le Commandement doit être mis au courant
de la situation particulière dans laquelle se trouve l'inculpé,
au cours de la procédured'instruction. Aussi tous les mandats
de quelque nature qu'ils soient, avec ou sans force coercitive,
entraînant privation de la liberté, jusqu'en fin d'information,
c'est-à-dire les mandats de comparution ou d'amener, aussi
bien que les mandats de dépôt ou d'arrêt, doivent être noti- :
fiés au Général Commandant la circonscription territoriale et
les deux derniers en outre, au Commandant d'Armes au lieu
de l'incarcération. De même si l'inculpé redevient libre par
une ordonnance de mise en liberté provisoire, intervenue sur
sa demande ou d'office, cette ordonnance est également
notifiée au Général. Cette autorité doit en effet connaître, en
raison de la qualité de militaire, tous les changements surve-
nus dans la situation de l'inculpé, dans un but élémentaire de
contrôle des effectifs. Elle doit aussi pouvoir prendre
dispositions pour l'incarcération ou l'élargissement de celui-ci.
ses
Mais.là s'arrête
son droit qui n'est en somme qu'un droit de
regard. Elle ne peut en effet, à aucun titre, se pourvoir contre
les diverses décisions du juge d'instruction, qui ne lui sont
signifiées que pour ordre et aux fins qu'il n'en ignore, suivant
la formule. Marquons ici une première atteinte aux droits du
Commandement par la loi de 1928. Celui-ci, la mise en liberté
provisoire prononcée, ne peut plus, comme sous le Code de
1857, faire incarcérer l'inculpé par simple mesure discipli-
naire. Elle est appréciable. Le droit de regard du Général se
manifeste encore, sinon dans les dispositions législatives
complètement muettes sur ce point, au moins dans la pratique
courante, par celui de prendre communication du dossier au
au cours de l'instruction. Une circulaire ministérielle du 13
février 1929, recommande en effet au Commissaire du Gouver-
nement de déférer, toutes précautions prises pour que la
marche de l'instruction n'en soit nullement génée, à toute
demande de communication formulée par le Général. Cette
pratique est fort judicieuse, la consultation du dossier étant
indispensable pour ladécision que le Commandement va être
obligé de prendre après le prononcé par le Juge d'Instruction
de l'ordonnance de clôture. Cette décision est en effet la
manifestation de son dernier privilège dans la période de
l'instruction.
Celle-ci est arrivée à son terme. Elle a réuni tous les
éléments nécessaires pour permettre au juge d'instruction de
se prononcer. Comment va-t-il le faire et clôturer ainsi sa
période d'instruction ? En rendant une décision qui sera une
ordonnance d'incompétence, de renvoi ou de non-lieu, suivant
que l'infraction dont il a été saisi n'est pas de la compétence
du Tribunal Militaire, qu'elle en relève au contraire et qu'il
y a charges suffisantes contre l'inculpé ou qu'il n'y a pas lieu
de l'en saisir, pour des raisons de fait ou de droit. Le Général,
dans chacun de ces trois cas, a le droit de faire opposition à
l'ordonnance du juge d'instruction, laquelle opposition est
jugée dans les circonscriptions territoriales par la Chambre
desmises en Accusation et aux Armées par le Tribunal Mili-
tairede Cassation. Ce droit d'opposition est un vestige bien
affaibli de celui qu'avait le Général sous le Code de 1857, de
statuer comme une véritable juridiction et d'une manière
définitive sur lerésultat à donner à l'instruction. Le pouvoir
souverain de décider du renvoi de l'inculpation devant la
juridiction répressive ou de son classement et de son renipia-
cement par une simple mesure disciplinaire, pouvoir considé-
rable à caractère prétorien, qui n'a eu son équivalent que du
temps des Consuls Romains ou des Prévots de la Royauté, a
disparu. C'est l'amputation laplus grave des privilèges que le
Général tenait du Code de 1857. Il est remplacé, bien faible
compensation, par le droit de faire opposition aux diverses
ordonnances de clôture. Maismême tel qu'il est, il justifie et
légitime l'intérêt qu'a le Commandement à surveiller la marche
de l'instruction. Signalons aussi uneautre atteinte très forte
à ces privilèges : la suppression pour le Général du droit de
prononcer la nullité d'une procédure entachée de nullité,
pour inobservation des formalités prévues par la loi de 1897,
et déremettre cette procédure dans l'état statu quo antérieur.
Cepouvoir essentiellement juridictionnel est transféré à la
Chambre des Mises en Accusation. Nous avons vu que l'une
des trois ordonnances de clôture est l'ordonnance de renvoi.
Si l'inculpation constitue un simpledélit, que ce soit en temps
depaix pude guerre, dans les circonscriptions territoriales
ou aux Armées, ce renvoi est prononcé directement par le juge
d'instruction devant le Tribunal Militaire. Si elle constitue au
contraire un crime emportant peine affilictive ou infamante,
lamodalité du renvoi change suivant que la procédure se
déroule non point en temps de paix ou de guerre, mais aux.
Armées ou à l'intérieur. Dans le premier cas, le juge d'instruc-
tion saisit directement le tribunal comme pour un simple
délit. Dans le deuxième, qu'il s'agisse des circonscriptions
territoriales du temps de paix ou de celle du temps de guerre,,

:
il est obligé de renvoyer devant une deuxième juridiction
d'instruction la Chambre des Mises en Accusation, qui sera

commun:
saisie par les soins du Commissaire du Gouvernement et du
Procureur Général. C'est l'application du principe de droit
l'instruction à deux degrés de juridiction en
matière criminelle. Mais l'intervention du Commandement se
manifeste encore ici, et ce sera la dernière fois au cours de la
procédure d'instruction, dans le mode de composition de la
Chambre des Mises en Accusation. Cette juridiction au lieu
de comprendre trois magistrats civils (Deux Conseillers et un-
Président de Chambre) n'en comprend que deux, le deuxième
Conseiller étant remplacé par un Colonel, désigné chaque
année par le Général Commandant la circonscription territo-
riale. L'on a discuté longtemps dans queliles circonstances
précises, cette composition particulière devait jouer. Est-ce
lorsque l'inculpation doit être déférée à la Juridiction Militaire,
ou au contraire lorsqu'elle a pour objet une infraction
militaire ? Cette discussion nous semble quelque peu bysantine
et subtile. La lettre, comme l'esprit de l'article 68 de la loi de
1928 ne nous paraissent laisser aucun doute. Chaque fois que
le crime sera de sa nature un crime militaire et fera ainsi
présumer la nécessité de l'intervention d'un juge militaire en
raison des connaissances techniques ou des garanties exigées,
le magistrat civil, le deuxième conseiller devra être remplacé
par l'officier et ceci, à la seule condition que les faits incriminés
soient sanctionnés par l'article 68 du C. J. Militaire. Peu
importe donc qu'au cours de l'examen de l'inculpation celle-ci
perde son caractère criminel pour prendre un simple carac-
tère correctionnel ou que par suite d'incidents amplificateurs
.de procédure (adjonction d'accusés civils) elle devienne jus-
ticiable d'une juridiction de droit commun, elle n'en a pas
moins, à l'origine, l'aspect sérieux et vraisemblable d'infrac-
tion militaire. Cela suffit pour rendre valable et définitive la
,composition de la Chambre des Mises en Accusation. Peu
importent les causes qui, par la suite, viennent en altérer le
caractère. L'on n'a pas assez fait attention aux mots inscrits
au texte de l'article 68 « faits incriminés de nature à être
punis », ce qui supposepar définition autant exégétique que
juridique, des faits qui en raison de la manière dont ils
incriminent l'accusé paraissent devoir entraîner l'une des
peines prévues par ce texte. Cette interprétation nous semble
donc à la fois satisfaire l'orthodoxie des principes et les
nécessités de la pratique. Toute autre solution est d'ailleurs
impossible, car elle se heurte à des conséquences inadmissibles
,et à des impasses inextricables. L'arrêt de ila Cour de Cassation
du 14 janvier 1929 (B. Crim. Cass. 1929, n° 167 p. 342) tranche
d'ailleurs la question et tant par l'espèce même qui en fait
l'objet, que par ses motifs, semble incliner vers les raisons
,que nous venons de donner.
La composition de la Chambre des Mises en accusation
doit-elle être réglée d'après le droit spécial de l'article 68 C. J.
Militaire, ou le droit commun de la loi de 1919, lorsqu'elle
fonctionne non plus comme deuxième degré de juridiction,
mais comme juridiction d'appel des oppositions formées aux
diverses ordonnances rendues par le juge d'instruction mili-
?
taire La majorité de la doctrine engageant une nouvelle
discussion exégétique, prétend que c'est le droit commun qui
doit l'emporter. Elle se prévaut à la fois du texte de l'article
68 qui ne vise que ila mise en accusation et de l'intitulé du
chapitre où figure ce texte « Des mises en Accusation ». Mais
la jurisprudence interprétant plus sainement la lettre des
textes et surtout leur esprit et leurs motifs, conclut avec
raison à la composition de la Chambre des Mises en Accusa-
tion suivant le droit spécial Militaire. Les raisons sont déci-
sives. En effet, d'une part, les textes sont clairs et précis. Les
articles 58 et 66 C. J. Militaire qui réglementent la procédure
de jugement des oppositions aux ordonnances du juge, le
premier pour l'ordonnance accordant ou refusant la mise en
liberté provisoire, le deuxième pour les ordonnances d'incom-
pétence, de non-lieu ou de renvoi, déclarent directement ou
indirectement, mais très nettemnt que ces oppositions sont
jugées par la Chambre des Mises en Accusation prévue par
l'article 68, c'est-à-dire composée comme le prescrit cet article,
avec un juge militaire. La doctrine contraire nous paraît donc
avoir cette fois mal éclairé salanterne. D'autre part l'argu-
ment tiré de l'intitulé du Chapitre V n'a aucune valeur, ce
genre de mention n'étant qu'un moyen de classement et de
méthode et n'ayant jamais eu par lui-même aucune portée
juridique. Il est au surplus du plus élémentaire bon sens et
de la logique la :plus simple de penser que si la loi de 1928
a jugé utile l'intervention d'un juge militaire dans la Chambre
des Mises en Accusation, siégeant comme deuxième degré de
juridiction, la môme utilité se présente lorsque celle-ci statue
comme juridiction d'appel. M. Hugueney, dans son substantiel
traité de Droit Pénal Militaire, fait d'ailleurs ironiquement
remarquer les conséquences incohérentes, pour ne pas dire
absurdes, du système de la doctrine. Une opposition du Com-
missaire du Gouvernement à une ordonnance du juge d'ins-
"tructionrenvoyant directement, en violation formelle de
l'article 68du C. J. Militaire, une inculpation criminelle devant
le tribunalmilitaireserait jugée par la Chambre des Misesen
Accusation, d'après sa composition normale, parce que juridic-
tiond'appel.Mais la même inculpation, renvoyée correctement
et conformément à l'article 68 C. J. Militaire devant la Chambre
des Mises, serait jugée par celle-ci d'après sa composition
:
exceptionnelle, parce que siégeant comme deuxième degré de
juridiction d'instruction. Une doctrine engendrant des solu-
tions aussi contradictoires est nécessairement fausse et héré-
siarque.
Lesinstructions ministérielles, il est à peine besoin de le
dire, se prononcent pour le système de la jurisprudence et
ordonnent la substitution du Colonel au Conseiller, aussi bien
lorsque la chambre des Mises en Accusation connaît d'une
opposition à une ordonnance que lorsqu'elle siège comme
2° degré d'instruction (Instruction du 11 octobre 1928).
-

30 PÉRIODE DE JUGEMENT

L'ordonnance de renvoi prononcée et la juridiction de


jugement saisie, la première formalité à accomplir est évidem-
-
ment la constitution de celle-ci. La première intervention du
pouvoir du Commandement dans cette période se manifeste
donc par la désignation des juges appelés à composer le Tri-
bunal devant lequel l'inculpation a été renvoyée. Mais comme
l'étendue de ce pouvoir diffère suivant la juridiction saisie,
des distinctions sont nécessaires.

a) en Temps de Paix
Pour les tribunaux Militaires, le Président, en raison de
sa qualité de magistrat de carrière, n'est point le délégué de
l'autorité militaire, puisqu'il est nommé par décret Présiden-
tiel. Mais":les juges assesseurs sont désignés par le Général.
Sans doute cette désignation est presque automatique, puis-
r
qu'elle estfaite d'après un tableau dressé annuellement sur
la présentation des Chefs de Corps, en vertu de règles impéra-
tives de grade, d'âge ou d'ancienneté par le général comman-
dant la circonscription territoriale où siège le Tribunal
Militaire. Pourtant celui-ci conserve une certaine liberté de
décision puisqu'il apprécie souverainement les causes d'empê-
chement de juger, sous la seule condition de motiver sa
décision. Le général remplace aussi dans les mêmes conditions
les juges accidentellement ou légalement empêchés, ou encore
cessant leur emploi dans la circonscription territoriale.
b) en Temps de Guerre

A l'égard du Tribunal Militaire siégeant dans les circons-


criptions territoriales, le pouvoir du commandement s'élargit.
En effet d'une part le président étant un officier Supérieur ou
Général, est nommé par lui et d'autre part parmi les juges
assesseurs qui sont désignés d'après les règles du temps de
Paix figure obligatoirement un caporal brigadier ou soldat
dans les affaires intéressant un inculpé de même qualité. Or
si ce juge tout particulier est tiré au sort par une commission
spéciale, le tirage s'effectue sur une liste dressé par le Général
d'après les présentations des Chefs d'unités qui ne doivent y
inscrire que des militaires reconnus aptes par leur instruc-
tion, leur conduite ou leur moralité. Rappelons que le Général
intervient encore pour désigner l'officier supérieur, qui dans
la Chambre des Mises en Accusation, siégeant à l'intérieur,
soit en temps de guerre, soit en temps de paix, en matière
d'infraction militaire, comme juridiction d'appel, ou d'ins-
truction du 2eme degré, doit remplacer le magistrat civil,
Conseiller à la Cour d'Appel.
Pour le Tribunal Militaire de Cassation, fonctionnant
dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, le pouvoir
du Général est ramené aux mêmes limites et même en deçà
de celles du Tribunal Militaire du temps de paix, puisque le
Président et deux juges sont des magistrats de la Cour d'Appel
et que les deux autres juges militaires officiers supérieurs
sont nommés automatiquement d'après le tableau réglemen-
taire.
Aux armées et dans les places de guerre assiégées ou
investies en raison de l'identité de réglementation du Tribunal
Militaire avec ceux des circonscriptions territoriales, le
pouvoir de désignation est évidemment le même à l'égard de
ses membres.
Pour le Tribunal Militaire de Cassation ce pouvoir est
accru, puisque son Président et ses quatre juges sont des
officiers Généraux ou Supérieurs. Notons cependant qu'une
nouvelle condition est imposée à tous ces juges, celle d'appar-
tenir à une unité combattante ou d'avoir été blessé au feu.
Le Tribunal constitué, il faut ensuite le réunir. C'est
encore au Général qu'incombe ce soin. Sur la signification de
l'ordonnance de renvoi et de la demande de réunion qui lui
sont faites par le Commissaire du Gouvernement, il convoque
les membres du Tribunal Militaire. C'est la procédure de la
zone de l'intérieur, en temps de paix ou de guerre. Mais aux
armées dans les circonscriptions territoriales en état de
guerre, dans les places assiégées ou investies, l'on sait que
l'inculpation peut indifféremment sauf le cas de crime empor-
tant peine capitale, être portée devant le Tribunal Militaire, par
la voie de l'instruction préalable ou de la citation directe. Quelle
est l'autorité qui appréciera celle des deux voies qui doit être
suivie et au cas d'option de la seconde, la formalisera. C'est
encore le Général. Sans doute l'article 179 C. J. Militaire ne
l'indique pas expressément. Mais indépendamment du précé-
dent autorisé du Code de 1857 cette solution est imposée par
la logique des principes. Puisque le Général a l'exclusivité de
l'ordre d'informer, il doit avoir aussi celle parallèle et corres-
pondante de la citation directe et par conséquent du choix de
l'une ou de l'autre.
Le Général (de la circonscription territoriale où est
détenu le condamné ou de celle dont relève le Tribunal de
renvoi) intervient encore, à la suite de cassation d'un juge-
ment du Tribunal Militaire, soit par la Cour de Cassation, soit
par le Tribunal Militaire de Cassation avec renvoi. Le rôle du
premier est alors sur le compte rendu qui lui est adressé par
le Commissaire du Gouvernement du Tribunal Militaire qui a
rendu la décision annulée de donner les instructions néces-
saires pour faire mettre le condamné à la disposition de la
juridiction de renvoi. Le rôle du deuxième est de délivrer un
ordre de convocation du Tribunal Militaire ou si l'arrêt de
Cassation a annulé certains actes d'instruction, de délivrer
d'office un nouvel ordre d'informer pour la reprise de l'ins-
truction à partir de l'acte annulé. Il en est de même en cas
d'admission de pourvoi en révision d'une décision d'un Tribu-
nal Militaire. Le Général Commandant la circonscription
territoriale où siège le Tribunal Militaire saisi sur renvoi
prend toutes les mesures utiles à l'effet de réunir cette juridic-
tion. Il est enfin appelé, si les débats de cette nouvelle procé-
dure, révèlent des faits différents de ceux énoncés dans les
questions à poser, à décider un nouvel ordre d'informer.
Signalons enfin, pour clore cette importante série de pouvoirs
du Commandement en raison de l'atteinte très grave qu'il porte
aux droits de la défense, le plus considérable d'entre eux.
Aux armées, dans les places assiégées ou investies, sauf le cas
de condamnation à mort, le Général en Chef ou des troupes du
théâtre d'opérations, ou le commandant d'une place assiégée
ou investie, a seul le droit de proposer au pouvoir central la
suspension temporaire de l'exercice du recours devant le
Tribunal de Cassation. La suspension est s'il y a lieu décidée
par décret rendu au conseil des Ministres. Ce droit a été
maintes fois appliqué durant le cours de la guerre 1914-1918.

40 PÉRIODE D'EXÉCUTION

Le prononcé du jugement dessaisit la juridiction qui l'a


rendue, conformément aux principes du droit commun. Celle-
ci désormais disparaît et cède la place au pouvoir exécutif.
Mais avant que le bras séculier, comme l'on disait dans notre
ancien droit français intervienne, le jugement doitêtre devenu
définitif. Aussi faut-il laisser expirer d'abord le délai de trois
jours francs à partir de la signification du jugement pour le
pourvoi normal devant la Cour de Cassation ou de vingt-
quatre heures à dater du jour de la lecture du jugement pour
le pourvoi spécial devant le Tribunal Militaire de Cassation
ou des deux délais superposés ,pour les condamnés privilé-
giés jouissant du bénéfice cumulé de ces deux pourvois,
ensuite, au cas de non pourvoi au cours de ces différents
délais, celui de vingt-quatre heures prescrit pour l'exécution
de la peine, après leur expiration enfin, l'issue du recours en
grâce, au cas de condamnation à mort. Si l'un ou l'autre des
deux pourvois ou tous deux ont été exercés il faudra égale-
ment attendre la solution donnée à ces pourvois. C'est
pourquoi le Commissaire du Gouvernement doit rendre
compte au Général Commandant la circonscription territoriale
des différentes situations intervenues, et notamment du
défaut de pourvoi ou de l'arrêt de rejet de la'Cour ou du Tri-
bunal de Cassation. Alors, mais alors seulement la période
judiciaire est révolue et le rôle de l'exécutif commence. Le
Général ainsi averti de la fin du judiciaire, reprend toutes ses
prérogatives de commandement et toute l'emprise de son
autorité hiérarchique. Il n'avait cessé de les exercer depuis la
délivrance de l'ordre d'informer, au moins indirectement
puisque en vertu de son droit de regard il a constamment
observé et contrôlé la marche de la procédure d'instruction
ou de jugement. Il va donc à nouveau être appelé à prends

;
une décision grave et décisive pour le sort du condamné. Ou
bien il se prononcera pour l'exécution de la peine il donnera
alors les ordres nécessaires au Commissaire du Gouvernement,
lequel assisté de son greffier assurera cette exécution et en
fera dresser parce dernier procès-verbal qui sera annexé à
la minute du jugement, avec mention de l'exécution. Ou bien
il ordonnera la suspension de cette exécution en vertu des
pouvoirs souverains et tout à fait exorbitants qu'il détient
de l'article 112 C. J. Militaire. C'est ainsi qu'au terme de l'ins-
tance pénale, se retrouvent, sous une autre forme, et par une
sorte de parallélisme voulu, et de balancement réfléchi, les
mêmes droits, les mêmes privilèges les mêmes prérogatives
qu'à son début. A l'orée des poursuites, l'autorité militaire a
seule le pouvoir de décider sil y a lieu d'engager celles-ci ou
au contraire de les remplacer par une simple action discipli-
naire. A leur terme elle intervient avec la même souveraineté,
pour décider s'il y a lieude réaliser le résultat acquis ou au
contraire de l'effacer par une suspension d'exécution de
peine qui peut conduire à une abrogation complète de la
décision rendue. Cette institution est tellement anormale,
exceptionnelle etexorbitante du droit commun ; elle est telle-
ment étrange et anormale qu'elle mérite un examen attentif
et approfondi.
le
Elle existait déjà dans code de 1857 qui dans son article
150 donnait au Général commandant la circonscription ter-
ritoriale, le pouvoir de suspendre l'exécution d'un jugement
à la charge d'en informer immédiatement le Ministre de la
Guerre.
A vrai dire ce pouvoir ne se manifestait que pour les
peines les plus graves et même dans la pratique courante
l'autorité militaire n'en usait qu'au cas de condamnation à
mort. Il n'appartenait aussi qu'au général seul.
L'on a discuté longuement sur les origines et les motifs
d'un droit aussi singulier. Dans son commentaire du Code de
1857, Duvergier prétend que c'est une sorte de correctif ou
de remède de caractère administratif à l'insuffisance ou l'infé-
riorité des garanties de procédure du Code Militaire ou tout
au moins à son extrême sévérité, notamment l'interdiction du
pourvoi devant la Cour de Cassation des jugements des Con-

;
seils de Guerre ou de Révision. L'explication n'avait pas grande
valeur sous le régime de ce Code mais elle n'en a plus aucun
sous celui de la loi de 1928, en raison de l'introduction continue
dans la législation militaire des diverses et successives garan-
ties dedéfense accordéesNau prévenu dans le droit pénal ordi-
naire. Il y en a une beaucoup plus simple et naturelle, qui tient
tout à la fois à la nature toute particulière et conditionnée du
droit militaire, à son principe et ses origines. Dans ce domaine
en effet, les poursuites n'ont point comme seul et unique motif
le bien ou le mal fondé, l'existence ou l'absence de l'élément

d'autres raisons autrement importantes et supérieures :


juridique et légal de l'inculpation. Elles sont dominées par

opportunité et l'intérêt suprême de l'armée. L'inculpé est


leur

avant tout un soldat, un militaire et comme tel sous la dépen-


dance hiérarchique et immédiate du Général. Celui-ci, dépo-
sitaire responsable de la discipline, doit avoir seul le droit de
décider s'il doit livrer cet inculpé à la justice et en priver
ainsi l'armée à laquelle avant tout il appartient, où au
contraire l'y maintenir, dans l'intérêt exclusif de celle-ci, ne
sanctionner la faute que de sévères peines disciplinaires. 11
estdonc naturel que, soit dans l'acte initial de déclanchement
des poursuites, soit dans l'acte terminal de l'exécution de
leur résultat, le Commandement, seul qualifié pour juger à la
fois de l'intérêt de l'armée et de celui de la discipline, se
décide pour l'affirmative ou la négative. Les raisons de prin-
cipe n'ont point à intervenir, mais seulement des considéra-
tions militaires. La qualité d'inculpé s'efface devant celle de
soldat.
Ce qui montre bien d'ailleurs l'exactitude de cette expli-
cation du droit de suspension, c'est la manière tout à fait
conditionnée dont il a été appliqué au cours de la guerre
1914-1918. Elle a en effet varié avec les intérêts supérieurs
de la défense nationale et reniant les principes doctrinaux
a toujours pris ces intérêts comme directives. Tandis que en
temps normal c'étaient, comme nous l'avons dit,les peines
les plus graves qui bénéficiaient du droit de suspension,
durant les hostilités, ce furent au contraire les moins graves.
L'intérêt supérieur des besoins de l'armée, du maintien d'une
discipline sévère et surtout celui plus élevé encore de la
défense du pays exigeaienten effet que l'auteur d'une infrac-
tion souvent peu grave pût racheter son attitude devant
l'ennemi et surtout ne pût, par l'exécution de la peine, se
soustraire aux dangers de la ligne de feu. Aussi le Comman-
dement octroya-t-il très largement la suspension des peines
en s'inspirant de la Circulaire Ministérielle du 20 septembre
1914 qui recommandait, au cas de peines afflictives et infa-
mantes à titre d'exemple, l'exécution de la peine et au con-
traire au cas de simple délit, la suspension. Ce qui accentue
encore le caractère tout spécial attaché par l'autorité militaire
qui en est incontestablement son véritable interprète, au droit
de suspension, c'est la façon toute relative dont il fut exercé
au cas d'évacuation pour blessés ou malades. En effet d'abord
aux termes d'une circulaire du 16 avril 1915, la suspension
de peine était révoquée indistinctement au cas d'évacuation,
mais ne le fut ensuite, en vertu d'une nouvelle circulaire du
G. Q. G. du 22 avril 1916, que pour les condamnés s'en mon.
trant indignes par leur conduite ou leur manière de servir et
ne le fut jamais suivant une troisième circulaire du G. Q.
;
G.
du 8 juillet 1916, pour ceux réformés ou versés dans le service
auxiliaire à la suite de blessures ou maladies.
Cette interprétation est à la fois décisive et convaincante.
Examinons maintenant rapidement le fonctionnement du droit
de suspension. Il appartient au général commandant la cir-

;
conscription territoriale pendant les trois mois qui suivent le
jugement définitif passé ce délai, il est dévolu au Ministre de
la Guerre. Cette prorogation de durée d'exercice constitue l'in-
novation apportée par la loi de 1928 au code de 1857. Sous

;
l'empire de ce dernier, la suspension devait être prononcée
avant l'exécution de la peine le commencement d'exécution

;
la rendait impossible. Général et Ministre ont un pouvoir dis-
crétionnaire et absolu ils peuvent l'accorder quelle que soit
la situation du condamné (délinquant primaire ou récidiviste)
la nature de la peine (criminelle ou correctionnelle) ou de l'in-
fraction (droit commun ou militaire). La révocation de la sus-
pension dérivé du même pouvoir souverain du commandement
que sa concession. Elle a le même caractère discrétionnaire et
peut être décidée par simple mesure administrative, pour
mauvaise conduite du condamné ou pour toute autre raison
dont il est le seul juge. Nouvelle preuve du caractère sui gene-
ris de ce droit de l'autorité militaire. La décision de retrait
appartient à l'organe du commandement qui a prononcé la
suspension et s'il a disparu, à son représentant naturel, le
Ministre de la Guerre.
Les effets de la suspension varient suivant qu'ils se
situentdans la période du délai d'épreuve ou dans celle posté-
rieure à ce délai. Celui-ci change d'ailleurs suivant qu'il s'agit
d'une peine criminelle ou correctionnelle. Dans le premier cas
il est de dix ans, dans la deuxième de cinq, à partir du jour de
la décision de la suspension. Pendant la période du délai
d'épreuve la peine principale prononcée n'est pas exécutée,
mais la mention de la condamnation figure au casier judi-
ciaire avec toutefois l'inscription de la suspension. Quant aux
peines accessoires (incapacité) leur sort est conditionné à la
nature de l'infraction. Si celle-ci est purement militaire c'est-
à-dire prévue par le Code de Justice Militaire seul, les inca-
pacités cessent dès le prononcé de la suspension, même pen-
dant le délai d'épreuve. Si elle est au contraire de droit com-
mun ces incapacités frappent le condamné pendant ce délai.
Ajoutons que le temps passé sous les drapeaux par le con-
damné bénéficiaire de la suspension, postérieurement à la con-
damnation pour satisfaire à ses obligations militaires, se con-
fondra avec la durée de la peine prononcée. Pendant la période
postérieure au délai d'épreuve, les effets changent suivant la
cause qui l'a crée. Si c'est la révocation de la suspension le
condamné est obligé d'exécuter la peine ou portion de peine
dont il avait été exempté, et le temps de service militaire
accompli postérieurement à la condamnation n'est point
déduit. Double sanction attachée à cette déchéance. Pourquoi
faire un avantage à un soldat qui s'est montré indigne d'une
mesure de faveur ou de clémence. Si c'est au contraire la cause
normale de l'expiration heureuse d'un délai d'épreuve, dix
ou cinq ans suivant qu'il s'agit d'une condamnation à une peine
criminelle ou correctionnelle, sans l'intervention d'une con-
damnation à l'emprisonnement ou à une peine plus grave, alors
une véritable réhabilitation s'est réalisée, qui mérite sa récom-
pense. L'annulation pure et simple, entière et définitive de la
condamnation prononcée qu'elle soit de droit militaire ou de
droit commun, en découle automatiquement. La rédaction de
l'article 112, paragraphe 5, C. J. Militaire, en raison de son
caractère équivoque, permet aussi bien cette solution exten
sive que celle plus restrictive limitant les effets de l'annula-
tion aux pures d'infractions militaires. Les termes employés,
« incapacités prévues par le Code de Justice Militaire seul »,
peuvent effectivement se concevoir soit dans le sens d'infrac-
tion de nature spécifiquement militaire, c'est-à-dire les infrac-
tions àla discipline militaire, soit dans celui d'infractions pré-
vues par le Code de Justice Militaire seul, ce qui comprend
toutes les infractions accomplies par un militaire dans le cadre
des articles 2, paragraphes 1 et 4 de ce Code. Mais, même pour
les infractions qui seraient littéralement exclues de cette caté-
gorie, c'est-à-dire celles du paragraphe 2 de cet article 2, un
argument d'équité impérieuse exige une règle identique. Ne
serait-il pas en effet rigoureux sinon inique d'obliger un
condamné qui pendant cinq ou dix ans s'est bien conduit, à
subir une peine dont il avait été jusque-là dispensé, pour le
subtil prétexte que c'est une peine de droit commun, sanction-
nant une faute du même genre. Ne peut-on pas répondre victo-
rieusement que cette prétendue faute de droit commun il l'a
commise étant militaire, et en activité de service. Le Ministre
de la Guerre, obéissant à cet esprit d'équité, adopte cette inter-
prétation.
Le droit de suspension de la peine est donc bien d'une
nature toute spéciale. Sans doute il se rapproche un peu de la
mesure de sursis dont à bien des égards, son mécanisme s'ins-
pire. Mais il en diffère beaucoup plus en raison de sa nature
discrétionnaire et souveraine qui lui fait accorder ou retirer
son bénéfice suivant le seul intérêt du service et le seul souci
du respect de la discipline. Par là il s'apparente bien plutôt

;
au droit de grâce, apanage du pouvoir exécutif. Il s'en détache
d'ailleurs en raison de sa particulière conception il n'envisage
point la considération personnelle de la situation du condamné
au moins d'une manière directe et principale, mais l'intérêt
tout objectif qui s'attache au maintien enservice de celui-ci
où à son exclusion du service. La considération de l'armée, de
ses besoins, de sa discipline, de son épuration est seule en
cause. Dans la pratique, depuis la fin de la guerre 1914-1918
et le retour à l'état des choses normal, le commandement
n'a pas usé dudroitde suspension de la peine, qui, en fait, est
resté lettre morte. Dans la réalité de la vie judiciaire, sauf de
très rares exceptions, il est devenu purement théorique et doc-
trinal. Dernière preuve s'il en était besoin encore, que les
nécessités pressantes du service militaire cessant et par là les
causes vivantes de non intervention devenant caduques, le
droit lui-même devient caduc. Cessante causa, cessai effectus.
TROISIEME PARTIE
LEGISLATION COMPAREE

Après l'étude des différentes conceptions des pouvoirs

;
judiciaires du Commandement adoptées au cours de l'Histoire
de notre pays après l'exposé de l'organisation de ces pouvoirs
dans notre législation actuelle, il est nécessaire de franchir les
frontières et de voir ce qui se passe chez les autres peuples,
du moins les plus caractéristiques d'entr'eux.
L'examen comparé de leur système répressif sera d'un
précieux secours pour le dégagement de nos conclusions.
Le grand historien du Droit, F. de Coulanges, a dit que
l'état social et politique d'une nation est toujours en rapport
avec la nature et la composition de son armée. Transposant
cette proposition, l'on peut dire aussi que la législation mili-
taire d'un pays est commandée par le mode de recrutement
de son armée.
L'étude sommaire qui suit, va confirmer la vérité de cette
double observation.
L'on peut classer les différents systèmes de répression

:
en vigueur dans les plus marquantes des nations étrangères,
en trois catégories bien distinctes régime à base disciplinaire,
régime à base juridique et régime mixte. Le premier qui, dans
l'organisation répressive, marque la confusion presque ab-
solue du pouvoir disciplinaire et du pouvoir judiciaire, est
le régime des pays où l'armée est exclusivement recrutée par
les engagements volontaires, c'est-à-dire composée de soldats
de métier. C'est le cas de l'Angleterre et des Etats-Unis. Le
deuxième, où cette organisation est au contraire caractérisée
par la séparation absolue de ces deux pouvoirs est le régime
des Pays où fonctionne la conscription générale et obligatoire,
où l'armée est donc exclusivement composée de soldats ci-
toyens. C'est le cas du Japon, de l'Italie, de la Belgique, de la
Suisse. Enfin le troisième observe aussi fidèlement cette sépa-
ration que la précédente, mais le corrige, par une prépon-
dérance marquée du pouvoir judiciaire : c'est le régime des
Pays où le service militaire est strictement personnel et
obligatoire, mais où, soit l'état social et politique, soit la
forme du gouvernement amènent l'hégémonie du Comman-
dement. C'est le cas de l'Allemagne.
Le rapprochement pour chacune des nations envisagées
du mode de recrutement et du système répressif, en est la
plus éloquente démonstration.

A) Pays à régime disciplinaire

1° ANGLETERRE

L'Armée Anglaise comprend l'armée régulière et l'armée

;
territoriale. La première est entretenue d'une manière per-
manente sur un certain effectif la deuxième est une force
non permanente, affectée à la défense du littoral métropo-
litain, d'où son nom. Elle est exclusivement recrutée par le
système des engagements et rengagements, pouvant être con-
tractés de 18 à 28 ans, variant de durée suivant la nature
du service fourni (actif ou réserve), ou des corps d'affectation;
des hautes payes et autres avantageuses prestations. Elle n'a
pas de statut définitif et permanent. Chaque année le Par-
lement doit autoriser le Roi à maintenir, commander et
entretenir son armée, sans quoi celle-ci n'aurait aucune
et,
existence légale. C'est ce qu'on apelle VArmyA qui contient
aussi toutes les dispositions de discipline, de procédure, ré-
pression (infractions et peines) applicables à l'armée. Cette
nécessité de l'autorisation parlementaire annuelle s'explique
par la défiance traditionnelle du Parlement Anglais à l'égard
d'une force permanente pouvant devenir un moyen d'oppres-
sion et une menace pour les libertés publiques, ainsi que par
le souci constant du contrôle régulier d'une organisation
exceptionnelle tendant nécessairement à enlever aux soldats
enrôlés les garanties séculaires assurées à tous les citoyens
anglais. Une armée ainsi organisée et qui n'est en somme
qu'une armée de mercenaires, doit avoir un appareil judi-
ciaire adapté à son caractère. Voici son mécanisme :
Toute personne assujettie à la loi militaire (Officiers,
sous-officiers, soldats et assimilés), se rendant coupable d'un
délit est immédiatement mis en état d'arrestation par l'Officier
Commandant l'Unité dont elle fait partie. Rapport en est
aussitôt dressé et transmis au Général sous les ordres duquel
l'inculpé est placé. L'instruction de l'affaire commence sous
un délai de 48 heures, est faite par l'Officier Commandant
l'Unité du prévenu s'il en a la délégation, sinon par le Com-
mandant Officier (Officier Général), lequel retient toujours
l'instruction dans les cas les plus graves. Cette instruction
est orale, mais contradictoire. A son issue, l'officier instruc-
teur décide la suite à donner à l'affaire. S'il estime qu'il n'y
a aucune infraction pénale ou disciplinaire, il classe l'affaire
et libère le prévenu. S'il trouve que les faits reprochés à celui-ci
ne sont que des manquements disciplinaires, il prend lui-
même les sanctions nécessaires. Toutefois, il est tenu en ce
cas, de demander à l'inculpé, s'il ne préfère pas son renvoi
devant la Cour Martiale, lequel ne peut que répondre à l'option
qui lui est ainsi offerte, sans pouvoir en prendre l'initiative.
S'il lui apparaît enfin que les faits poursuivis sont matériel-
lement établis et visés par YArmy Act, il dresse sans tarder
procès-verbal écrit et contradictoire des déclarations du pré-
venu, des dépositions des témoins et le transmet à l'Officier
Commandant, si celui-ci n'est pas l'instructeur, et ce dernier,
après un nouvel examen, au Covening Officier (Officier Su-
périeur).Vérification est faite une troisième et dernière fois
de la matérialité et de la légalité de l'instruction incriminée

;
et des preuves à l'appui. Si ces conditions ne sont pas réalisées,
il met le prévenu en liberté si elles le sont, il bénéficie éga-
lement dans sa décision de la triple option qu'ont eue déjà

;
les échelons inférieurs. Au cas de doute, se dessaisir au profit
de l'Autorité Militaire Supérieure au cas de suffisance d'une
repression disciplinaire, renvoi devant l'officier Commandant
;
l'Unité, aux fins de sanction conforme au cas de nécessité
d'une action judiciaire, désignation de la Cour Martiale com-
pétente (Cour Générale ou Cour de District) suivant que la
peine est la mort, les travaux forcés ou deux ans d'empri-
sonnement, avec ou sans hard labour, et dresse de l'acte
d'accusation. Il ne reste plus dès lors qu'à constituer et con-
la Cour. soin appartient à l'Officier Commandant

;
voquer Ce
l'Unité s'il est d'un grade assez élevé, sinon à l'autorité Mi-
litaire supérieure seuls le Roi ou les Officiers Généraux
délégataires ont le pouvoir de réunir une Cour Martiale, sauf
pour la Cour Martiale du régiment jugeant lés simples affaires
disciplinaires, que le Chef de cette Unité peut convoquer.
Toutefois, en service actif et à l'étranger, la délégation n'est
pas exigée et tout officier Commandant un Corps d'Armée,
ou une partie du Corps d'Armée, possède ce pouvoir. La ju-
ridiction de jugement saisie, le procès suit son cours et aboutit
à un acquittement ou à une condamnation. Si c'est un
acquittement le bénéfice en est immédiatement acquis au
prévenu; Si c'est au contraire une condamnation, plusieurs
formalités sont encore nécessaires pour la rendre définitive.

i
A cet effet l'entier dossier est transmis à l'Officier Supérieur
YArmj Act donne la liste de'cette catégorie d'officiers. En
;
;
bref, dans la Métropole, c'est le Commandant d'Armée, Gé-
néral Brigadier, délégué ou sous délégué par lui Outre-mer,
c'est tout officier commandant une Unité ou délégataire

:
spécial. Cette haute autorité Militaire a les pouvoirs les plus
étendus confirmer purement et simplement la condamnation ;
atténuation ou commutation ;
l'infirmer et la rendre ainsi non avenue, ce qui est en fait
un acquittement ; réduire la peine infligée par rémission,
en différer l'exécution (la sus-
pension doit être renouvelée tous les trois mois) ; ordonner
»
une nouvelle ,réunion de la Cour, pour « reconsidérer la
sentence. Toutefois, ces différentes décisions ne peuvent
s'exercer au détriment du condamné. A remarquer que sauf
certains cas exceptionnels, cette plénitude de pouvoirs ap-
partient à l'Officier même qui a convoqué la Cour Martiale.
Ce n'est point là une simple coïncidence, mais une concor-
dance voulue et significative. La même autorité dispose à
Ja fois de l'acte initial d'impulsion et de l'acte terminal
d'arrêt. La peine définitivement confirmée partiellement ou
totalement, est enfin promulguée par l'ordre du même Officier
Général ou Supérieur, qui en règle les modes et détails d'exé-
cution. Il n'y a pas dans l'Armée Britannique, sauf le judge-
Avocat Général, qui surveille l'application du Code Militaire,
de fonctionnaires judiciaires. Il n'y a ni Ministère Public
(c'est l'adjudant du régiment qui le remplace) ni avocats
défenseurs, sauf auprès de la Cour Martiale Générale, qui ne
connaît que des infractions passibles de la peine capitale, des
travaux forcés, ou de certains cas très graves, où le délégué
du Judge-Avocat Général intervient.
Ainsi dans l'Armée Anglaise, armée de volontaires, les

Il détient l'instruction préliminaire et définitive;


attributions judiciaires du Commandement sont considérables.
le droit
d'arrêter l'action judiciaire aux deux ou trois échelons hié-
rarchiques suivant les conditions dont il est le seul juge
celui de convoquer la Cour Martiale et d'en nommer les juges
;
et surtout celui de confirmer, de remettre ou de surseoir à
l'exécution de la sentence. La procédure est aussi sévère et
rapide que les pouvoirs de l'autorité militaire sont prépon-
dérants. Tout celà n'est compensé que par une garantie su-
prême, celle de la responsabilité totale des Juges devant les
Tribunaux de Droit Commun.
2° ETATS-UNIS
L'armée des Etats-Unis se compose de trois éléments
1° l'Armée Régulière, au service du Gouvernement Fédéral.
:
20 la Garde Nationale relevant exclusivement des divers
Etats de l'Union, mais qui, en temps de guerre, peut être
immédiatement transférée aux ordres du Gouvernement Fé-

:
déral ; 3° les réserves organisées dépendant de ce Gouver-
nement et dont le nom indique assez le rôle celui de fournir
des unités particulièrement instruites et entraînées, même
tactiques, pouvant être rapidement portées à l'effectif de
guerre. Elles constituent le troisième et dernier échelon de
la mobilisation. Le recrutement de ces trois éléments repose
sur le système commun des engagements et rengagements
volontaires, dont la durée varie de 1 à 3 ans et les conditions
sont uniquement l'âge (18 à 35 ans), l'aptitude physique et
la qualité de ressortissant des Etats-Unis, sauf pour les Ré-
serves Organisées, où une instruction militaire et technique
est exigée. C'est également une armée de métier, mais avec
cette particularité que son organisation se ressent du système
fédératif de la Nation et de la co-existence de deux souve-
rainetés parallèles, celle du Gouvernement Fédéral et celle
des Etats. Les auteurs de la Constitution se sont attachés, tout
en conservant l'autorité de ces derniers, à la concilier avec la
souveraineté du Pouvoir Fédéral. Pour plus de simplicité,
nous ne parlerons que du système de répression pénale or-
ganisé par le Pouvoir Fédéral dans l'Act Military et qui pro-
cède du système anglais.
Les dénonciations ou plaintes signées et affirmées sous
serment, sont envoyées à l'Officier Commandant directement
ou indirectement l'Unité, dont relève le coupable, mais doté
d'une autorité suffisante pour prononcer une peine discipli-
naire. Cet officier inflige, après information préliminaire, cette
sanction, si la faute commise est un simple manquement à
la discipline et dresse obligatoirement un procès-verbal. Si
au contraire le fait retenu dépasse le cadre disciplinaire de
l'article 104 de l'Act dont la marge très large va de la simple
réprimande au hard labour, il transmet plainte, procès-verbal
d'enquête et interrogatoire à l'Officier Commandant Supérieur,
ayant au moins qualité pour convoquer une Cour Martiale
sommaire (compétente pour juger sous-officiers, soldats et
assimilés à raison d'infractions n'entraînant point la peine
capitale). Cet officier Commandant supérieur, après avoir
vérifié les charges de l'accusation, procède, s'il le juge utile,
à une instruction complémentaire, peut ou se contenter d'in-

toujours l'obligation de dresser procès-verbal ;


fliger une peine disciplinaire, s'il estime qu'il est dans le cadre
de l'article 104 et que l'échelon inférieur ne l'ait,pas fait, avec
ou bien ren-
voyer devant la Cour Martiale Sommaire, ou en cas de Com-
pétence de la Cour Martiale Générale, (appelée à connaître de
toute infraction commise par tout assujetti à la loi militaire
(officiers inclus) entraînant toute peine, celle de mort com-
prise) transmettre l'entier dossier à l'Officier Général, qualifié
pour convoquer cette juridiction supérieure. Dans ce dernier
eas, il ne peut, en raison de la gravité de l'infraction, prononcer
seul de simples sanctions disciplinaires, il doit en référer au
Judge-Avocat et solliciter son avis.
La Cour Martiale est convoquée par l'Officier Général

:
dont relève l'inculpé et les membres en sont nommés par la
même autorité, soit pour la Cour Martiale Générale, par les
Hauts officiers Commandants désignés par l'article 8 de l'Act
et pour la Cour Sommaire par l'Officier Commandant une
garnison, un camp, un fort, un régiment, un bataillon. La
sentence rendue doit pour être exécutée, être confirmée. A cet
effet, l'entier dossier est immédiatement envoyé à l'Officier

d'une quadruple alternative de décision :;


Commandant qui a convoqué la Cour Martiale, lequel jouit
1° approbation
pure et simple suivie sans délai de l'exécution 20 non ap-
probation entraînant automatiquement l'annulation de la

nouvelle Cour Martiale ;


décision, la révision du procès et, à cet effet, la réunion d'une
3° suspension de l'exécution de la
sentence bien qu'approuvée et réintégration du condamné
dans le service régulier, exception faite toutefois pour la peine
de mort. Ces divers droits deviennent des obligations, lorsqu'il
apparaît à l'autorité militaire approbante que la mesure est
de nature à augmenter le prestige du commandement ; 40
enfin remise ou commutation de la peine prononcée et ap-
prouvée, y compris celle de mort ou de radiation des Cadres
de l'Armée, privilège exceptionnel toutefois réservé au Pré-
sident ou àl'Officier Commandant Général délégué. En temps
de guerre ces pouvoirs de confirmation, remise ou commu-
tation passent au Général Commandant d'une Armée d'un
département territorial ou d'une Division, s'ils ont reçu la
délégation Présidentielle.
Notons pour terminer, une particularité remarquable
l'Officier Commandant Général ayant qualité pour convoquer
:
une Cour Martiale Générale, peut, à tout moment, arrêter le
procès et la dissoudre, sous la seule condition que la sentence
ne soit pas rendue.
Ici encore, dans cette autre armée de volontaires, les
pouvoirs judiciaires du Commandement sont prépondérants.
Il fait seul l'information initiale ou l'instruction complé-
mentaire. Il décide seul au premier ou au deuxième degré de
l'échelon hiérarchique, s'il est préférable de renvoyer l'inculpé
à son unité et de lui infliger une simple peine disciplinaire ou
de le traduire au contraire devant la Cour Martiale. Il con-
voque seul cette Cour et en nomme seul les juges. Il en
confirme, suspend, commue, remet partiellement ou totale-
ment, seul encore, les sentences. Il a même seul le droit ré-
galien d'arrêter le cours d'une action judiciaire, de dessaisir
et de dissoudre la Cour Martiale.
La procédure de répression et les pouvoirs qui y sont
réservés au commandement, offrent dans les législations des
deux grandes démocraties Anglaise et Américaine, une telle
ressemblance qu'ils sont deux frères Siamois. Ils sont si étroi-
tement apparentés, que les transpositions de forme faites, l'un
est la pure image de l'autre. Cette étrange analogie n'est évi-
demment point l'effet du hasard, mais la résultante inévitable
d'une identique conception du mode de recrutement de l'armée.
Les troupes Britanniques et celles des Etats-Unis ne sont
toutes deux constituées que d'éléments mercenaires ne ser-
vant que par des engagements absolument libres et volon-
taires. Il est à la fois naturel et nécessaire qu'à l'égard de tels
soldats, les pouvoirs du Commandement soient prédominants
et que le caractère de la répression soit plutôt disciplinaire
que judiciaire. Ces pouvoirs ne sont limités comme il convient
dans les pays de liberté que par le contrôle ascendant des divers
échelons hiérarchiques et la responsabilité de droit commun
de tous les chefs militaires, qui, à divers titres, participent
à la procédure de répression.

B) Pays à régime judiciaire

1° BELGIQUE

Tout citoyen belge est soumis personnellement et obli-


gatoirement au Service Militaire, sauf le cas d'incapacité
physique. Il n'y a aucune exception. Le recrutement est ainsi
assuré par les appels réguliers annuels et par des engage-
ments ou rengagements volontaires. Les forces normales de

supplémentaires suivantes :
fArméc sont, au cas de besoin, complétées par les ressources
1° la réserve de recrutement,
comprenant les hommes depuis l'âge de 17 ans jusqu'au
moment de leur incorporation, exemption ou radiation ;
les Milices de l'année courante, dont font partie les inscrits
20

à la Réserve de Recrutement ayant atteint 19 ans, l'année


précédente, ou en vertu de dispositions légales spéciales, ou
admis àdevancer l'appel, ainsi que les sursitaires et ajournés.
:
La durée du service est de 25 ans 1 an dans le service actif,
14 ans dans la réserve, 10 ans dans l'armée territoriale. Les
engagements volontaires peuvent être contractés de 16 à
30 ans. Le Roi est le Chef suprême de l'armée en temps de
guerre. Le Ministre de la guerre la commande en temps de
paix. C'est donc une année nationale permanente, basée sur le
système de la conscription générale et obligatoire, renforcée
par un contingent d'engagés et de rengagés.
Quelle est la procédure de répression adoptée ?
L'information initiale de l'infraction est assurée par le
Commandant de l'Unité dont dépend l'inculpé. Elle est suivie
si l'Auditeur ne la juge pas suffisante de l'instruction propre-
ment dite, entièrement écrite, confiée obligatoirement à la
commission judiciaire, dont la composition varie suivant
qu'elle siège au lieu du conseil de guerre, hors ce lieu, près la
Cour Militaire (ne connaît que des prévenus du grade d'Of-
ficier Supérieur ou Général) ou près les conseils de guerre en
campagne. Les membres sont désignés soit par le Comman-
dement territorial du ressort, soit par voie de tirage au sort,
mais toujours sur les listes réglementaires d'ancienneté. L'au-
diteur, qui en est le personnage important et à voix prépon-
dérante, est nommé par le Roi en temps de paix et le Ministre
de la Guerre au cas de mobilisation. Ses attributions sont
considérables. Il reçoit les plaintes et dénonciations, recherche
et poursuit les infractions, saisit la Commission judiciaire,
même en l'absence de toute plainte de l'autorité militaire,
decérne les mandats d'arrêt et décide enfin du renvoi devant
le conseil de Guerre, et la sentence rendue, en assure l'exé-
cution. Si l'initiative des poursuites émane de l'autorité mi-

Principal de l'Administration de la Justice dans l'Armée il


réunit les pouvoirs du Procureur du Roi et du Juge d'Ins-
;
litaire, il est nécessairement consulté. En somme c'est l'Agent

truction. Il est dans l'exercice de ses fonctions absolument


indépendant du Commandement. Ce dernier cependant a le
droit d'exiger les poursuites judiciaires qu'il juge nécessaires,
de s'informer de la manière dont l'Auditeur diligente les pro-
cédures et éventuellement celui de signaler les retards et
négligences à l'autorité supérieure. C'est donc par ses fonc-
tions, comme son origine, un représentant du pouvoir central
dans l'Armée. L'instruction devant la commission judiciaire
qui a commencé obligatoirement dans les trois jours de l'ar-
rivée de l'inculpé au siège du conseil de guerre, se termine
soit par un non-lieu, soit par un renvoi devant cette juri-
diction. Toutefois l'Auditeur peut ne pas le saisir, s'il estime
qu'il n'y a pas infraction, auquel cas il transmet directement
le dossier au Chef de Corps, aux fins de sanction disciplinaire.
S'il y a discorde sur ce point avec l'autorité militaire, l'avis de
celle-ci l'emporte. La décision de non-lieu exige l'accord du
Commandement et de l'Auditeur, formalisé par une ordon-

pas le même accord ;


nance motivée. Le renvoi devant le Conseil de Guerre n'exige
la volonté du Commandement suffit
pour qu'il soit prononcé, l'Auditeur restant évidemment
maître de ses réquisitions.
Le Conseil de Guerre saisi, les débats se poursuivent
devant lui avec le rituel habituel. Les membres sont tous
officiers de grades différents suivant qu'il s'agit des Conseils
de guerre (en temps de paix ou de guerre) ou de la Cour
Militaire et sont désignés par le Président, à l'issue de la
dernière session, sur une liste réglementaire d'ancienneté. En
campagne cependant et en territoire étranger, ils le sont par
la voie du sort, exclusion faite de ceux que le commandement
déclare indispensables dans leur service. Toutefois un Magis-
trat Civil fait nécessairement partie des Conseils de Guerre
(même de ceux qui siègent en campagne en territoire étran-
ger) et de la Cour Militaire. Il appartient aux Tribunaux ou
Cours civils, est désigné par le Roi pour trois ans et assume
la présidence.
La sentence rendue, est après l'expiration des délais de
recours, exécutée. Toutefois en temps de guerre, l'exécution
ne peut avoir lieu qu'après l'approbation du Général Com-
mandant, qui peut discrétionnairement l'accorder ou en or-
donner le sursis. Cependant ce droit de sursis doit être par lui
exercé dès l'origine, sous peine de forclusion définitive. Le
droit de remise partielle, totale ou commutation qui n'est en
somme qu'une modalité du droit de grâce, appartient unique-
ment au Roi.
Les droits du Commandement sont ici très réduits. L'ins-
truction est assurée par un organe juridictionnel, où le délégué
du pouvoir central a un rôle prépondérant. Un magistrat civil
siège aux Conseils de Guerre et les juges militaires désignés
automatiquement, sont soustraits au choix discrétionnaire des

;
Chefs. Le pouvoir de remise, commutation, même de sursis
d'exécution, appartient au Roi seul ce dernier reste au Gé-

l'autorité militaire conserve de sérieuses prorogatives :


néral en Chef, mais en temps de guerre seulement. Toutefois

souveraineté de décision pour le classement de l'affaire, avec


la

simple sanction disciplinaire, ou son renvoi devant la juri-


diction répressive.
20 SUISSE

L'armée suisse est aussi basée sur la conscription per-


sonnelle et obligatoire. Tout citoyen doit en effet leservice
Militaire, sauf le cas d'inaptitude, qui le soumet à la taxe
d'exemption. Mais l'armée n'est pas permanente, sauf les
corps d'instructeurs. C'est donc une Milice. Les recrues
annuelles au nombre de 25.000 hommes environ font un ser-
vice. de première instruction de 60 à 102 jours (service actif).
Chaque année les hommes de réserve (150.000 hommes) par-
ticipent à des cours de répétition d'une durée de 11 jours
(service d'instruction), dont font partie les manœuvres d'au-

;
est divisée en trois éléments :
tomne. Le service militaire est dû de 20 à 48 ans. L'armée
1° l'élite comprenant les

ans;
hommes de 20 à 30 ans 20 la landwerh, ceux de 33 à 40
3° la landsturn de 40 à 48 ans, dont le rôle est surtout
de protéger la mobilisation et de garder les frontières, les
voies de communication.
Comment se formalise la procédure ? Dès l'accomplis-
sement d'une, infraction, le Commandant de l'Unité avertit
immédiatement le supérieur hiérarchique qui provoque l'en-
dant du régiment ou le Chef d'Etat Major ;
quête. Celle-ci est ordonnée en service actif par le Comman-
en service

;
d'instruction par le Département Militaire fédéral, ou le
Conseil fédéral en temps de guerre par le Général en Chef.
Elle est assurée sans aucune participation de l'autorité mili-
taire, par les soins du juge d'instruction, officier de justicemi-
litaire, entièrement indépendant, nommé par le Conseil Fédé.-
ral. Si l'enquête révèle des faits ou des inculpés nouveaux, les
actes d'instruction nécessaires, doiventêtre accomplis d'office.
Celle-ci terminée, l'Auditeur, autre officier de Justice Militaire
analogue à notre Commissaire du Gouvernement, entièrement

l'une des quatre décisions suivantes :


indépendant, nommé par le Conseil Fédéral, peut prendre

;
1° ordonner (le même
droit appartient à l'inculpé) un supplément d'enquête 2°

incriminé ne constitue qu'une faute disciplinaire ;


transmettre le dossier au Chef de Corps s'il estime que l'acte
30 aban-

;
donner la poursuite si elle n'est pas matériellement et léga-
lement justifiée mais en ce cas, il est obligé d'en référer à
l'Auditeur en Chef (Grand Officier de la Justice Militaire,
Directeur Supérieur des Auditeurs et des juges d'instruction,
chargé de surveiller la marche générale de la justice mili-
taire dans l'armée et relevant directement du Conseil Fé-
déral), qui a seul le pouvoir de statuer. Le dossier est, au

dépôt aux archives ;


cas d'abandon adressé au Département Militaire Fédéral, pour
4° rédiger l'acte d'accusation et le trans-
mettre au Grand Juge, autre organe supérieur de la Justice
militaire, émanation du Conseil Fédéral. Les tribunaux Mi-
litaires de Division, Militaires Extraordinaires ou Militaires
de Cassation, sont suivant les cas réunis. La procédure d'au-
dience est identique devant ces trois juridictions. Intervient
enfin la décision qui est totalement soustraite à l'interven-
tion du Commandement, soit pour sa confirmation, soit pour
son sursis d'exécution, soit pour son annulation totale ou
partielle. Elle n'est soumise qu'aux règles normales du droit
commun, le recours en cassation ou en grâce. Ces voies
exercées, elle est, s'il y a lieu, automatiquement exécutée,
après le simple visa de forme apposé par le Grand Juge, au
de
Pied de l'expédition la sentence. En temps de guerre même,
le tribunal militaire peut ordonner l'exécution immédiate de
l'Arrêt. De même, la demande en grâce ne suspend pas l'exé-
cution de celui-ci, sauf en cas de condamnation capitale. Notons
cependant une double particularité intéressante. D'une part
les autorités pénales ordinaires ne peuvent poursuivre devant
les tribunaux de droit commun des non militaires pour des
infractions en relation avec leur situation militaire, qu'avec

;
l'autorisation du Département Militaire Fédéral, ou celle dù
Général en Chef et pour toutes infractions sans distinction,
des inculpés accomplissant leur service militaire actif, qu'avec
les mêmes autorisations. Si donc la poursuite a commencé
avant l'incorporation et que l'autorisation soit refusée, elle
est suspendue. D'autre part, les tribunaux militaires, ont le
pouvoir, si le fait qui leur est soumis ne tombe pas sous l'ap-
plication du Code Pénal Militaire, d'acquitterl'inculpé de ce
chef et de lui infliger une des peines disciplinaires prévue
par l'article 80 de ce code, ou de le renvoyer aux mêmes fins
à ses chefs hiérarchiques. Les Membres des tribunaux mili-

:
taires de division qui sont la juridiction courante, tous
militaires, savoir un Grand Juge, du grade de Major Pré-
sident, et six juges, dont trois officiers et trois sous-officiers
ou soldats, et ceux du tribunal Militaire de Cassation statuant
sur les pourvois, comprenant un Colonel-Président et quatre
juges, sont nômmés par le Conseil Fédéral pour trois ans.
Ceux du tribunal Militaire extraordinaire, dont relèvent le
Général en Chef, les Commandants de Corps d'Armée et leurs
chefs d'Etat-Major, le sont par l'Assemblée Fédérale.

des pouvoirs secondaires:


Le Commandement n'a dans toute cette procédure que
celui d'ordonner et de provoquer
l'enquête et celui d'empêcher ou. de différer le jugement par
les tribunaux pénaux ordinaires, d'un non militaire auteur
d'une infraction en relation avec sa situation militaire, ou

sous les drapeaux. Tout le reste lui échappe :


d'une infraction ordinaire pendant lè passage de son auteur
directibn de
l'enquête, décision de non lieu, sanction purement disciplinaire,
renvoi devant le tribunal militaire et même sursis, confir-
mation ou annulation partielle ou totale de la sentence, sont
entre les mains du délégué du pouvoir central. Ces pouvoirs
sont en somme presque nuls et se rapprochent dans leur
quasi-carence, de ceux de la législation Belge. C'est dans toutes
deux presque l'application du droit commun.

30 JAPON

Le service militaire est basé sur le système de la cons- •

cription personnelle, universelle et obligatoire. Tout Japonais


est soldat de 17 à 40 ans révolus. L'armée se divise en 1° armée

serve; 2° la réserve de ; :
permanente comprenant le service actif et de première ré-
Renfort 30 le service de rempla-
cement ; (réservoir d'excédents d'effectifs heureux pays qui
ne connaît pas la poignante réalité des classes creuses) 40
le service territorial dans lequel sont inscrits à la fois les
hommes se trouvant dans la dernière partie de leurs obliga-
tions militaires, les jeunes gens de 17 à 20 ans révolus, les
dispensés et les hommes non classés dans le service de
remplacement. Des engagements volontaires complètent le
contingent du service actif, qui s'est élevé en 1935 à 237.000
hommes. Les citoyens soumis au service militaire passent
successivement d'une catégorie à l'autre.
Quel est le système de répression pénale adopté par une
telle Armée, de caractère vraiment national ? Dès qu'une in-
fraction est découverte, une première information est faite
par les officiers de police judiciaire (officiers et sous-officiers
de gendarmerie) ou les chefs de troupes et bataillons, di-
recteurs de prison, Adjoints desCommandants de Brigade,

;
Division et Armée. Cette information préliminaire terminée,
le Conseil Judiciaire est saisi c'est l'organe d'Instruction du
tribunal militaire. Il procède à une véritable instruction dé-
taillée, écrite et contradictoire, à l'issue de laquelle il formule
son avis et transmet le dossier au Président du Tribunal qui
fixe un jour pour les débats. Ceux-ci suivent le processus
habituel, aboutissent au verdict dont l'exécution ne peut avoir
lieu l'accomplissement de certaines formalités. Dès son
sans
prononcé, il est communiqué au Général en Chef, au Ministre
de la guerre, ou même à l'Empereur suivant la gravité des
€»s, lesquels délivrent ou bien l'ordre de confirmation en vertu
duquel la sentence est déclarée exécutoire par le Tribunal
Militaire, ou bien l'ordre de révision, s'ils la reconnaissent
illégale (soit d'office, soit sur la demande du Conseil judi-
ciaire ou de l'inculpé). La révision suspend l'exécution dès
que le Ministre a donné l'ordre de l'instruire. La sentence
de condamnation peut être l'objet devant l'Empereur d'un
recours en grâce, lequel, sauf pour la peine capitale, non seu-
lement n'est point suspensif, mais encore est soumis à une
procédure d'un formalisme très compliqué. Les membres des
tribunaux militaires (Officier Président et Conseillers Mili-
taires) sont désignés pour la Cour Martiale Suprême par le
Ministre de la Guerre parmi les officiers d'Etat Major et pour
les tribunaux militaires ordinaires par le Chef de Division,
arbitrairement et en dehors de toute réglementation de liste
d'ancienneté.
Les pouvoirs du Commandement, quoique encore tréi
réels puisqu'ils comprennnent la désignation des juges, la
direction de la première information, la confirmation de la
sentence ou sa révision, sont cependant limités. La seconde et
véritable instruction lui échappe, est confiée à un organe de
juridiction. La substitution de la sanction disciplinaire à la
mise en jugement, ainsi que le pouvoird'arrêt de celle-ci ont
disparu. Enfin le grand privilège de la remise gracieuse par-
tielle ou totale de la peine ou de son sursis d'exécution n'e-
xiste pas. Seul le droit de grâce est maintenu, mais il appar-
tient au Chef de l'Etat qui est en même temps Chef suprême
de l'Armée.
40 ITALIE

Tous les citoyens, sans distinction ni exemptions, sont


astreints au service militaire de 21 à 25 ans révolus, sauf le
seul cas d'incapacité physique ou mentale. La durée du ser-
vice est normalement de 18 mois. Le contingent annuel est
complété par des engagements volontaires, pouvant être con-
tractés jusqu'à l'âge de 32 ans pour les simples soldats et 45
ans pour les sous-officiers, qu'ils soient en position d'activité,
;
de réserve ou de oongé illimité. L'instruction première est
obligatoire de 8 à 21 ans révolus elle est organisée dans les
formations de babilla de 8 à 18 ans et de 18 à 21 ans dans
celles de Giovanitti. En outre il existe une milice volontaire
pour la défense de la sécurité nationale, faisant partie de la
force arméede la Nation, chargée, en outre de la préparation
militaire de la jeunesse et qui n'est astreinte à aucune obli-
gation de durée de service. Le Roi est le Commandant enChef
de toutes les forces armées en temps de paix et de guerre.
L'armée Italienne est donc aussi une véritable armée
nationale puisque d'une part, tous les citoyens sont
astreints aux obligations militaires de 8 à 55 ans et même au
delà en cas de nécessité de défense nationale, et que d'autre
part, une milice de sécurité nationale complète sa tâche en
assurant l'ordre intérieur et préparant la jeunesse au service
des armes.

ment de ce mode de recrutement. En voici l'économie :


Le régime de la répression pénale se ressent nécessaire-

Il existe indépendamment des tribunaux militaires pour


guerre et du Tribunal Suprême, trois principales catégories
officiers, des Cours Martiales exceptionnelles du temps de
de juridictions militaires : les tribunaux territoriaux, les tribu-
naux militaires près les troupes réunies et les tribunaux mili-
taires du temps de guerre. Les membres, tous en service per-
manent et effectif, sont nommés par décret Royal pour une
durée de un ou deux ans suivant leur grade et les juges sont
désignés par le Président sur la liste royale et d'après le rang
d'ancienneté. Auprès des tribunaux militaires territoriaux et
'des troupes réunies, il existe un avocat fiscal appartenant au
corps des officiers de justice militaire, absolument autonome
et indépendant, une commission d'enquête et un juge d'ins-
truction du grade de capitaine. Dès qu'une infraction est com-
mise, l'avocat fiscal, hors le cas de flagrant délit, transmet
après enquête préliminaire sommaire l'ordre d'informer.
L'instruction terminée, la commission d'enquête composée
d'un officier supérieur président et de deux capitaines, statue
'aul' la mise en accusation. En cas de mobilisation, la commis-
sion d'enquête est supprimée et l'avocat fiscal prononce seul
la mise
en accusation. Le personnel des avocats fiscaux est
fourni aux tribunaux militaires du temps de guerre
par les
tribunaux militaires ordinaires. Dans le temps de guerre les
Commandants de Corps d'Armée, des forteresses assiégées et
isolées peuvent publier des règlements militaires ayant force
de loi. Dans les mêmes circonstances le pouvoir de direction
de l'action pénale passe de l'avocat fiscal militaire au Com-
mandement Supérieur de l'Unité, près de laquelle est établi
un Tribunal de Guerre. Celui-ci a notamment le droit de con-
voquer ce tribunal, si l'infraction commise comporte la peine
de mort et que l'accusé soit en état de flagrant délit, arrêté
par la clameur populaire, ou convaincu d'un fait notoire. Le
Général Commandant n'a donc aucune action de direction ou

;
de contrôle sur l'action publique, sauf'les circonstances ex-
ceptionnelles sus visées ils se répartissent entre l'avocat fiscal,
le juge d'instruction ou la commission d'enquête. Celle-ci,
exclusivement composée de militaires, a dans ces différents
droits, la part du lion, puisqu'elle décide souverainement du
classement de l'affaire.

C) Pays à régime mixte

ALLEMAGNE

Le service militaire est obligatoire pour tous les Alle-


de
mands

: ;
race Arienne. En temps de guerre les femmes même
doivent le service à la Patrie il s'étend de 18 à 45 ans révolus
le
et comprend 1°
;
service actif d'une durée de deux ans
nécessairement précédé du service semestriel de travail 20 le
service de réserve se décomposant en réserve proprement dite

;
où sont inscrits les hommes libérés de leur service actif jus-
qu'à 35 ans en réserve de remplacement englobant ceux
astreints et aptes au service actif mais en excédent du contin-
gent annuel (privilège des pays riches d'enfants) ; en Land-

;
werh où figurent ceux remplissant les mêmes conditions
d'âge de 35 à 45 ans enfin en Landsturm qui fournit, mais
seulement en temps de guerre ou dans les circonstancescriti-
ques les contingents provenant des vieilles classes au delà de
45 ans. C'est donc au vrai et profond sens du mot le régime de
la nation armée, puisque en temps de paix les hommes ser-
vent sous des modalités diverses de 18 à 55 ans et qu'en temps
de
;
guerre tous les citoyens, sans distinction de sexe ni d'âge
sont mobilisés qu'enfin les citoyens d'origine impure sont
exclus de l'armée.Le Führer en est le chef suprême et le
ministre de la guerre, sous l'autorité de celui-ci, le comman-
dant en chef.
Comment est organisée la répression ?
D'une manière tenant à la fois du système disciplinaire
et judiciaire. C'est un procédé mixte. Le fonctionnement de
cette répression est en effet assuré par deux organismes dis-
tincts et indépendants, l'un d'ordre administratif, le Gerrist-

et assure l'exécution de la sentence ;


cherqui met la poursuite pénale en état de venir à l'audience
l'autre, d'ordre judi-
ciaire, dont le rôle est strictement limité à l'instruction du
procès à l'audienceet au prononcé du jugement. Lepremier
est pour la juridiction inférieure ou justice de régiment, le
commandant de cette formation ; pour la juridiction supé-
rieure ou justice de division, le commandant de cette unité ;
et pour la juridiction d'appel de celle-là, le commandant de
division et de celle-ci le Commandant de Corps d'Armée. Ils
sont par conséquent tous des officiers supérieurs ou généraux.
Leurs fonctions sont aussi multiples qu'étendues. Pour
en comprendre l'importance, un rapide exposé de la procé-
dure s'impose : toute dénonciation ou plainte concernant une
personne relevant de la juridiction militaire est adressée à
son supérieur hiérarchique qui dresse un rapport détaillé et
Itenvoie au Gerristcher. Ce dernier, ou bien classe l'affaire
ou bien ouvre immédiatement une procédure d'information
qu'il confie à l'un des officiers de justice comme enquêteur.
Dans les deux cas il rend une ordonnance motivée. Cette infor-
mation ne sera pas poussée au delà de la limite nécessaire
pour pouvoir prononcer utilement la mise en accusation ou l'a-
bandon de la poursuite. En campagne elle est abrégée et accé-
lérée, voire même supprimée. Le Gerristcher
en possession du
rapport d'enquête décide si l'inculpé est mis hors de poursuite
ou aucontraire en jugement, auquel cas il rend une ordonnance
d'accusation qui arrête les faits, leur qualification et les peines
applicables. Il accomplit toutes les formalités de procédure
;
préparatoires de l'audience. Les débats ouverts il en assure la
direction la sentence rendue, il peut la frapper d'appel ou de
révision, et l'exercice de ces deux voies de recours non seule-
ment profite au condamné, mais peut même être exercé en soa
nom. Enfin, avec toutefois l'observation de certaines garanties,
il en prononce la confirmation, (mais seulement en temps
de guerre ou à bord) ou l'annulation, auquel cas l'affaire est
portée devant un nouveau tribunal. En vrai seigneur de jus-
tice, comme son nom l'indique, le Gerristcher fait et ordonne
tout ce qui est nécessaire pour permettre le prononcé du
jugement. En conséquence il fixe le ressort du tribunal dont
relève l'inculpé, forme ce tribunal, assermente les juges, dé-
termine la compétence de la juridiction inférieure, déclanche
l'action pénale, nomme l'officier instructeur de justice, dirige
l'enquête principale, ordonne le non-lieu, la mise en accu-
sation ou la simple répression disciplinaire, réunit le tribunal,
désigne le représentant de l'accusation, fixe le cadre des débats,
assure la production des moyens de preuve, prononce sur la
réclamation judiciaire (voies d'appel des ordonnances et
arrêts). Il ordonne l'incarcération, les saisies et perquisitions et
enfin délivre l'ordre de confirmation, qui peut être pur et
simple ou comporter une réduction de la peine. En somme,
tout lui est permis, sauf la participation aux opérations de
l'instruction et des débats. C'est donc un personnage judi-
ciaire de premier plan.
Le deuxième, l'organisme exclusivement juridictionnel
se divise en justice de division, de corps d'armée et Cour Su-
prême, respectivement compétentes pour connaître des in-
fractions secondaires commises par des personnes n'ayant pas
rang d'officier, de celles plus importantes commises par
celles-ci et de toutes celles commises par les officiers ainsi
que des appels des juridictions inférieures ou des révisions.
Son indépendance est absolue puisque sa formation est stric-
tement réglementée par la loi et que ses membres sont
nommés à vie par le Chef de l'Etat. Son rôle est réduit à
l'instruction de l'affaire à l'audience et au prononcé du ju-
gement.
Ce système est donc bien un complexe du disciplinaire
et du judiciaire. D'un côté un organe de commandement, le
(tcrristcher qui, avant l'ouverture des débats et après le pro-
noncé de la sentence, a les pouvoirs très étendus et importants
que nous venons de préciser, dont les plus marquants sont
à deux reprises le pouvoir d'arrêter les poursuites et d'in-
:
fliger une simple peine disciplinaire, de cadrer l'acte d'accu-
sation et de confirmer partiellement ou totalement, ou
d'annuler purement et simplement la sentence. Il n'a pourtant
pas, particularité remarquable, le droit de suspendre l'exé-
cution de la peine. De l'autre, pendant toute la durée des
débats jusqu'au prononcé du jugement qui le dessaisit, un
organisme de justice qui agit seul enpleine souveraineté et
indépendance, mais aussi en toute passivité.

qui ne manque pas de saveur :


De ce rapprochement législatif, une réflexion se dégage
Alors que les héritiers directs
de Rome, Français et surtout Italiens, ont abandonné le ré-
gime répressif rigoureusement observé par elle, et adopté celui
des civilisations modernes, le judicium ; Anglais et Améri-
cains, au contraire, aux antipodes de la mentalité et de la
culture latines, et sans aucun lien avec elles, ont suivi le
même régime répressif que les Romains, l'impérium. Ce sont
donc les nations d'affinité latine qui ont accueilli les idées
modernes, et les peuples de civilisation Anglo-Saxonne, les
conceptions de la Rome antique. Singulier et ironique retour
!
de l'Histoire

CONCLUSION

Parvenu au terme de ce voyage d'exploration à travers


le temps et l'espace,
essayons de faire le point et de dégager
de ses découvertes les enseignements de l'avenir. C'est
d'ailleurs la raison d'être et le but final de notre étude. De
queJ intérêt et de quelle utilité pourrait-elle être, si, modeste-
ment soit-il, elle ne contribuait pas à l'activité de la critique
doctrinale, mère du progrès? Quelle est donc, de toutes les
législations mortes ou vivantes examinées, la mieux
en har-
monie avec le concept idéal de la répression pénale militaire ?
Quel est de tous les systèmes adoptés dans le passé
ou le
Posent, celui qui se rapproche le plus de ce régime théorique
parfait, où les respects également nécessaires des droits du
Commandement et de défense de l'inculpé sont exactement
équilibrés ? Question trop générale et absolue d'ailleurs,
puisqu'elle suppose la solution d'une condition préalable : le
mode de recrutement de l'armée à doter de cette réglemen-
tation répressive. Serrons donc davantage le problème et re-

:
cherchons quelle est la législation répressive la mieux adaptée
au système de recrutement de l'armée Française la conscrip-
tion générale obligatoire et le service à court terme. Il ne peut
être question en effet de ressusciter l'une quelconque des
législations du passé (romaine, féodale, monarchique, révolu-
tionnaire); leurs causes génératrices étant à jamais révolues,
Il ne peut davantage s'agir de faire appel au régime discipli-
naire de l'Angleterre et des Etats-Unis, la composition de
leur armée étant inapplicable chez nous, ou au système Suisse
en raison du caractère milicien des troupesde ce pays neutre.
Ne peuvent donc rentrer en discussion que les réglementations
Belge, Japonaise ou Allemande. Laquelle est la plus désirable?
La réponse à cette délicate question exige la détermination
exacte des bases et de l'esprit d'un Code Pénal Militaire,
Celui-ci, à la différence du Code Pénal de droit commun qui,
étant celui des simples citoyens, ne leur prescrit que des
devoirs négatifs, d'abstention, impose au contraire à ses as-
sujettis des devoirs positifs, des obligations actives, dyna-
miques. Le militaire n'est pas, en effet, comme le civil, un
homme absolument indépendant et libre de ses actes. Il est
professionnellement astreint à une discipline de tous les ins-
tants et doit constamment respect et obéissance à ses supé-
rieurs hiérarchiques. D'autre part il est un élément constitutif
de l'armée, et à ce titre, tant par sa collaboration réelle que
sa bonne tenue, contribue directement à la production de la
force matérielle et morale de celle-ci. Même coupable, il peut
être nécessaire au service, et le maintien à son poste peut
^encore s'imposer. Le commandement qui est responsable du
rendement de l'armée, devant la Nation, est le seul juge de
cette nécessité. Pour cette double raison, il doit posséder non
seulement un droit de regard et de contrôle, mais aussi de
direction surl'œuvre de justice. Dans le procès Zola, un
moin, déclara:
magistrat militaire, entendu à la Cour d'Assises, comme té-
« Votre justice n'est pas la nôtre ». Ce mot
qui fut à l'époque volontairement dénaturé, signifiait tout
simplement que les différences étaient profondes entre les
juridictions ordinaires et militaires, et qu'il n'était pas possible
de comparer les attributions des magistrats de l'ordre civil
et de ceux de l'ordre militaire. Mais il ne faut pas que ce droit
dépasse la limite au delà de laquelle la justice disparaît pour
faire place à l'arbitraire. C'est dans la fixation de cette limite
que les particularités d'un pays (forme de gouvernement,
situation sociale et politique) interviennent.
Quelle est dans ces conditions la bonne mesure et le
juste équilibre?
La législation belge, avec sa commission judiciaire d'en-
quête, où l'élément civil prédomine, le rôle de premier plan
confié à l'Auditeur, délégué du pouvoir central, la souveraineté
de décision decelui-ci pour l'application d'une pure sanction
disciplinaire, ou le renvoi devant la juridiction répressive,
la présence dans les conseils de guerre d'un magistrat civil,
'le pouvoir de sursis à l'exécution de la peine, accordée au
Général en Chef en temps de guerre, ou de commutation et
remise de celle-ci accordée au Roi en tout temps, offre un
heureux équilibre de garantie des droits de la discipline et
des intérêts de l'accusé. Mais cette législation, très rapprochée
dudroit commun, qui s'adapte fort bien à un contingent de
troupes réduit, d'un petit pays neutre, conviendrait-elle à une
grande armée comme celle de la France, où les nécessités de
ladiscipline imposent une accentuation des pouvoirs du
Commandement ?
La législation japonaise qui confie l'instruction à un or-
ganisme collégial juridictionnel, enlève à l'autorité militaire
lesprérogatives capitales du droit d'arrêt de la poursuite ju-
diciaire et de la substitution d'une simple sanction discipli-
naire, de remise de la peine prononcée et de son sursis
d'exécution, et ne donne le droit de grâce qu'à l'Empereur,
assure effectivement, par ces dispositions de droit commun,
le respect de la défense de l'accusé. Mais le mode arbitraire
de nomination des juges, et surtout le droit de confirmation
ou de révision du verdict, tous en main du Commandement,
font gravement échec à l'indépendance des tribunaux et à
l'autorité de la chose jugée.
La législation italienne directement inspirée aussi du
droit commun et qui n'abandonne au Commandement aucune
influence sur l'action publique ou sur la sentence, lui fait
pourtant une concession dangereuse, en laissant à la Com-
mission d'enquête, de caractère collégial il est vrai, mais sous
la mainmise de l'autorité militaire, le soin de décider, après
la
enquête judiciaire, poursuite ou l'abandon du procès. C'est
évidemment un désavantage caractérisé pour l'accusé.
Enfin la législation allemande avec la rigidité schéma-
tique de l'esprit germanique, partage en deux organismes
absolument étanches les attributions répressives, mais en
donnant à celui militaire un rôle très actif et à celui judiciaire
un rôle extrêmement passif, il rompt au profit du premier, le
juste équilibre entre eux, condition indispensable d'une bonne
justice. En outre, il soumet la décision judiciaire à l'investiture
du pouvoir militaire et lui enlève aussi, chose grave, toute sa
souveraineté et son indépendance. Que devient en effet un
tribunal, dont la décision n'est, aux termes mêmes des lois et
décrets de mars et novembre 1933, qu'une simple opinion, ne
prenant force exécutoire que par son enchaînement avec l'ap-
probation de l'autorité supérieure ?
De tout cet arsenal de droit comparé, d'où J'U. R. S.
est malheureusement absente, en raison tant d'une grande
difficulté d'accès documentaire, que de l'orientation particu-
lière des directives de sa législation répressive, il semble que
les systèmes Belge et Italien réaliseraient le mieux l'indépen-
dance et l'autorité de l'œuvre de justice. Mais conviendraient-
ils à une grande Nation comme la France, dotée d'une armée
forte et nombreuse, à service actif de courte durée, à périodes
de réserves rapprochées et où par conséquent, une discipline
humaine mais ferme s'impose
effet dans
?
domaine
Le doute est permis. Nous
tout spécial où les prin-
sommes en un
cipes doctrinaux doivent céder le pas à la conception pratiqua
des choses. Or quel est le but poursuivi par une législation
?
militaire Celui évidemment d'avoir une armée saine, forte
et disciplinée. Pour atteindre ce résultat suprême, le seul qui
compte, il faut tout en assurant les droits sacrés de la défense,
ne point affaiblir ceux encore plus sacrés de
dienne de la Patrie. Voilà le grand et bel équilibre !
l'Armée, Gar-
Pour
l'assurer il parait bien que notre loi de 1927 soit le meilleur
instrument. Les intérêts de l'inculpé y sont sauvegardés par
l'institution d'un corps de Justice Militaire absolument au-
tonome, l'indépendance totale des juges, complétée normale-
ment par l'intervention d'un magistrat civil Président et au
cas de guerre d'un juge soldat, l'introduction à l'instruction
de toutes les garanties de droit commun et le respect de la
souveraineté de la décision de justice. Ceux de l'autorité mi-
litaire par les voies de recours contre les différentes ordon-
nances de clôture du magistrat instructeur et du sursis à
l'exécution de la peine. C'est donc un régime qui, par une
distribution heureusement balancée de sûretés réciproques~
assure harmonieusement la répression pénale sans excès de
faiblesse, ni de sévérité. Il réalise donc ce dosage de fermeté
et d'impartialité, absolument nécessaire dans une armée
comme la nôtre, dont le service actif rigoureusement per-
sonnel et obligatoire, à court terme, la fréquence des périodes
de réserve et le rôle strictement défenseur du territoire, en
font véritablement la Nation en armes. Ce n'est d'ailleurs pas
le moment où après l'amère envolée du rêve de Genève, la
lutte des nationalismes est déchaînée et le Monde entier re-
tentit du bruit des armes, qu'il convient de toucher à l'ar-
mature de la Grande Gardienne de la Patrie.
Notre dernier mot sera pour adresser notre meilleure
gratitude d'abord à Monsieur le Général Dosse, Membre du
Conseil supérieur de la Guerre, qui a bien voulu, avec son
autorité de grand chef militaire, préfacer notre ouvrage et
lui conserver ainsi le haut parrainage spirituel, dont venait
de le priver la mort subite du regretté et distingué M. Matter,
hier encore Premier Magistrat de France. Ensuite, à Messieurs

;
les Professeurs des Facultés de Droit, Donnedieu de Vabres,
Lambert, Huguenet, Légal à Monsieur le Commandant Bon-

férences nous ont été si précieuses;


uefon, de l'Etat-Major du XVIe Corps d'Armée, dont les ré-
plus particulièrement à
Monsieur le Professeur
encouragements nous ont si efficacement soutenus ;
Démontés, dont les conseils et les
à Mon-
sieur le Bibliothécaire en Chef de l'Université de Montpellier,
le distingué Monsieur Pitangue, dont l'obligeance nous a ou-
vert l'accès de cette abandante source de documentation ;

à Monsieur le Conservateur de la Bibliothèque du Service

été de précieuses confirmations ;


Historique du Château de Vincennes, dont les indications ont
à l'érudit Directeur de la
Bibliothèque de la Société des Nations, Monsieur Sevensma
qui, secondé par ses collaborateurs dévoués et obligeants,

documentaire;
avec une courtoisie et une sûreté d'orientation accomplies, a
»
été le « Sésame ouvre-toi de cet étonnant et splendide palais
enfin à tous ceux qui, à titres divers, nous
ont aidé, instruit et encouragé dans l'accomplissement de
notre laborieuse tâche.
Henry ALDEBERT,
Docteur en Droit,
Président du Tribunal Civil de Largentière,
Officier de Justice Militaire Assimilé.
LA DÉMISSION
DU FONCTIONNAIRE

SOMMAIRE
INTRODUCTION.
1. -- Position de la question.
La démission n'est pas la rupture d'un contrat.
-
2.
3. La démission et les principes du droit public.
1.
— La démission acte volontaire. L'offre de démission
4.
5.
-- Caractères :
L'offre de démission est nécessaire.
libre, implicite ou formelle, conditionnelle ou pure
simple, individuelle.
et

11. — La démission acte réglementé par le statut du service


ti.
7.
8.


-
Le principe de l'acceptation.
Nature
Refus de
juridique
l'offre.
de l'acceptation
Contrôle
:
condition
juridictionnel.
suspensive.

H.
— Autorité compétente pour accepter ou refuser.
CONCLUSION. — Comparaison de la nature juridique de la nomination
et de celle de la démission.

1.
— Comment expliquer que la démission opère désinr-
\estiture, c'est-à-dire sépare définitivement le fonctionnaire
des cadres permanents auxquels il était incorporé
le problème de ladémission (1).
Tel est ?
(1) Sur la démission: Duguit. Leçons de dr. pub. gén. faites à la
Fac. de dr. de l'Un. Egypt., 1926, p. 242; Traité de dr. constitutionnel,
t. ni, 1930, p. 111, 112, 172, 220; M. Hauriou, Précis de Droit adm. et
de dr. pub., 12° édit. revue par A. Hauriou, 1933, p. 755, et Précis élém.
de Dr. adm., 1938, p. 80; G. Jèze, Les principes gén, du Droit adm.,
1933, t. II,
p. 589 à 599; Rolland, Précis de dr. adm., Paris, Dalloz,
1938, p. 80, 81 ;
Waline, Manuelélém. de droit adm., Sirey, 1936, p. 399.
La Sté d'Etudes Législatives se proposait d'étudier la démission dans
son projet de statut des fonctionnaires. Elle ne put pas le faire faute
de temps. V.Bulletin de la Sté d'Et.Lég., 1912-1913-1914. Questionnaire
rédigé par M. Cahen, Bulletin, 1912, p. 177.
— Jurisp. citée d'après le
tialloz Périodique (D. P.), le Dalloz Hebdomadaire (D. H.), le Recueil
Sirey (S.), la Gazette dit Palais (G. P.) et le Recueil Lebon (R.).
Il apparaît immédiatement que la démission s'oppose aux
autres procédés de désinvestiture définitive,licenciement, ré-
vocation ou congédiement, mise à la retraite d'office en ce
qu'elle s'opère à. la demande du fonctionnaire, tandis que les
autres procédés de désinvestiture sont des actes dont l'ini-
tiative appartient à la personne morale administrative. Il se

effets des différences peu accusées :


peut toutefois que tous ces procédés présentent dans leurs
C'est ainsi, par exemple,
que depuis la loi du 14 avril 1924 sur les pensions de retraite,
la démission, la révocation, ne suppriment pas le droit à la
pension, et que le fonctionnaire a droit à la répétition des
retenues effectuées sur son traitement au cas de démission
prématurée, c'est-à-dire intervenue avant d'avoir réuni les
conditions du droit à la pension. Démission, révocation, mise
à la retraite d'office produisent des effets analogues (1).
Mais il subsiste une différence de nature essentielle
; :la
démission s'opère sur l'initiative du fonctionnaire la révoca-
tion, la mise à la retraite d'office, le licenciement sont des
initiatives de l'Administration. Le langage courant met en
lumière ce caractère essentielde la démission, en disant du
»
fonctionnaire qu'il « donne sa démission.
L'expression n'est pas cependant juridiquement exacte.
Si elle distingue bien la démission des autres procédés de
désinvestiture, elle ne rend pas compte de la nature juridique
de la démission. La volonté du fonctionnaire est en effet
impuissapte à produire seule la désinvestiture. La démission
n'estdéfinitive qu'après l'acceptation par l'Administration.
La nécessité de l'acceptation est une règle unanimement
admise par la doctrine et par la jurisprudence. C'est un prin-
cipe fondamental de la théorie des fonctionnaires. C'est
»
pourquoi l'expression « offrir sa démission serait plus exacte
que celle du langage courant. Etudier la démission, c'est donc
connaître les rapports de l'offre et de l'acceptation.

(1) C. E. 11 mai 1928, Ouradou, R. 611.


Si l'agent nommé a le temps et l'âge de service nécessaire pour avoir
droit à pension de retraite la demande doit être acceptée, (art. II loidu
14 avril 1924 modifié par art. 72, loi du 31 mars 1932). Donc ici pas de
différence entre démission et mise à la retraite sur demande.
la situation juridique des fonctionnaires
tractuelle ou situation légale.
:
La solution dépend de la conception que l'on se fait de
situation con-

2. — On pourrait assimiler la situation de fonctionnaire


àcelle de l'employé de l'industrie ou du commerce. L'employé,
lié au patron par contrat de travail n'est pas libre de démis-

certaine durée ;
sionner à sa guise. Il a contracté avec son employeur pour une
il ne peut se décharger de ses obligations
qu'avec le consentement de l'autre partie. Le fonctionnaire,
dit-on, conclut avec l'administration un contrat à durée déter-
minée, qui s'exécute jusqu'à l'arrivée du tenme auquel l'admi-
nistration peut le mettre d'office à la retraite. N'est-il pas
normal qu'il ne puisse, conformément au principe qui domine
la matière des contrats à durée déterminée, se décharger de
ses obligations qu'avec le consentement du co-contractant,
l'Administration ?
Cette thèse, de conception civiliste, ne rend pas compte
de la nature juridique de la démission. La situation du fonc-
tionnaire n'est pas contractuelle, mais légale. Elle explique

un contrat;
la démission en l'opposant à la nomination qui, dit-elle, est
la démision est la rupture de ce contrat par con-
sentement mutuel. Mais la situation du fonctionnaire nait
d'un acte unilatéral de l'Administration, la nomination, acte-
condition qui place le fonctionnaire dans un statut préétabli
par les lois et les règlements. Il se peut que le fonctionnaire ait
posé sa candidature, ou qu'il ait acquiescé à la nomination,
mais ce n'est pas l'accord de volontés qui crée la situation
nouvelle de fonctionnaire. C'est l'acte unilatéral. La preuve
en est qu'aux termes d'une jurisprudence du Conseil d'Etat,
il semble
que le fonctionnaire nommé soit immédiatement
investi de la fonction avant toute acceptation de sa part (1),
et que la nomination légalement faite
ne puisse être retirée
même avant l'acceptation, mais qu'il faille, pour faire

(1) C. E. Picquet, 13 janv. 1911, R. 13; Calas, 7 avril 1916, R. 163;


Martini, 10 août 1918, R. 858; Rennuci, 23 janv. 1920, R. 93; Vidal, 26
mars 1920, R. 528; Caatelli, 22 déc. 1924, R. 1045.
•cesser l'effet de. la nomination, une décision de révocation (1).
La démission ne peut pas s'analyser en la rupture d'un con-
trat par consentement mutuel puisqu'un contrat n'existe
pas,
Il est vrai que l'idée pourrait se faire accepter plus faci-
lement en se présentant sous les couleurs du droit public.
La jurisprudence administrative ne parle-t-elle pas de « con-
trat de fonction publique » ?
La démission serait encore
dans cette conception la rupture d'un contrat par consen-
tement mutuel.
Mais la théorie du contrat de fouction publique ne semble
pas tenir dans la jurisprudence une place indiscutée (2). Le
Conseil d'Etat ne va pas jusqu'au bout de ce que pourrait
faire croire l'expression, puisqu'il admet que l'investiture
date du jour de la nomination publiée ou notifiée et non du
jour de l'acceptation par le fonctionnaire.
La solution de la question ne peut pas être recherchée
dans l'idée de contrat. Il faut faire appel aux principes du
droit public.
3. — La démission apparaît alors comme une opération

:
de désinvestiture originale dont le mécanisme se décompose
en deux phases l'offre de démission, l'acceptation de l'offre.
La désinvestiture ne se produit qu'à la condition qu'il y ait
acceptation. Il ne faut pas songer aux droits privés. Il suffit
de constater que deux principes du droit public sont le fon-

(1) C.Ê. Morelle, 12nov. 1909, R. 855; Fort, 13 juillet 1926, R. 7-35;
Laurent, 17 fév. 1928, R. 257;Djatti-Mohamed, 9 nov. 1931, R. 964. Sur
la question: Bonnard, Précis de Dr. Adm., Sirey, 1935, p. 372, et Bevista
de drept public, Bucaresti, 1930.
(2) Sur la valeur de la théorie du contrat de droit public :
Le contrôle jur. de PAdin. au moyen du recours pour excès de pouvoir
1926, p. 311.
Alibert,

1909, S., 1909-3-145. Note de M. Hauriou, R. 826.


:
Pour la thèse réglementaire, Appleton, Traité élém. du contentieux
adm., 1927, p. 221, et Doctrine citée p. 291. — Jur. Winkell, 7 avril
Galland, 2 nov.

1927, R., 996; Marthoud, 20 janvier 1928, R., 99. L'expression « contrat
»
de droit public ne se retrouve pas dans un arrêt du C. E. Dlle Minaire
II. ', relatif
et autres, 22 oct. 1937, G. P., 1937-2-662, D. 1937, p. 554,
à la grève des fonctionnaires.
dement de la démission : le principe de l'inaliénabilité de
la volonté et de la personne humaine d'une part, le principe
du fonctionnement continu et normal des services publics
d'autre part.

«
de la volonté humaine
curiales » du
;
En droit français, il n'existe plus d'aliénation perpétuelle

droit
plus de système analogue aux
romain, ni d'obligations perpétuelles
comme en droit féodal. A tout moment le fonctionnaire peut
reprendre sa liberté.
Mais cette faculté ne doit pas avoir pour conséquence
d'interrompre ou de gêner gravement la marche du service
public auquel il appartient. Si l'on songe au rôle considérable
de certains hauts fonctiannaires, à l'importance de leurs
prérogatives, à la difficulté qu'il y aurait pour les remplacer
rapidement, on comprend qu'il est nécessaire de ne pas leur
laisser liberté complète de démissionner à leur guise. Si même
l'on considère le rôle des fonctionnaires subalternes, on s'aper-
çoit qu'un certain temps est nécessaire pour former ou trouver
un successeur capable, ou procéder au mouvement dont le dé-
part de ces fonctionnaires peut être l'origine. Un départ préci-
pité pourrait entraîner une perturbation telle que l'Administra-
tion ne pourrait pas répondre à tout instant à la demande des
usagers. Il est, dès lors, évident que, puisque le service doit
remplir sa mission, il faut donner à l'Administration res-
ponsable du fonctionnement du service, certaines prérogatives,
en particulier celle de pouvoir refuser la démission qui serait
une cause de désordre. Le pouvoir de refus apparaît donc
comme le frein inis au nom de l'intérêt public à la liberté
du fonctionnaire.
Depuis quelques années des limites nouvelles ont été
posées à sa liberté. La nécessité d'acceptation de l'offre ne
peut-elle pas être un moyen d'éviter que des fonctionnaires
démissionnent dans le seul but d'offrir leurs services aux
entreprises privées et ne concurrencent. ainsi les services
?
Publics Le législateur est même intervenu pour limiter
l'effet de désinvestiture de la démission :
un fonctionnaire
chargé de contrôler ou de surveiller les entreprises privées
n'est plus entièrement libre de se mettre au service de
ces
entreprises, la démission une fois devenue définitive par
l'acceptation (1).

prend donc deux phases :


La démission, procédé original de désinvestiture, com-
l'offre et l'acceptation, expliquées
respectivement par le principe de l'inaliénabilité de la volonté
humaine et par la règle du fonctionnement continu et normal
des services publics. Elle apparaît comme un acte volontaire
réglementé par le statut du service public.

LA DÉMISSION ACTE VOLONTAIRE — L'OFFRE DE DÉMISSION

Les règles générales du droit privé sont applicables au


droit administratif, non pas en tant que règles de droit privé,
puisque le droit administratif est autonome, mais en tant
que règles rationnellement indispensables. La jurisprudence
sur la démission illustre ce point de vue. C'est une application
intéressante des principes fondamentaux régissant l'acte de
volonté. Cette jurisprudence nous enseigne d'abord que l'offre
de démission est indispensable pour que la désinvestiture se
produise, ensuite qu'elle doit posséder les caractères princi-
paux de l'acte de volonté individuel.
4. — L'offre de démission est nécessaire. Si la sortie du
service public se produit sur l'initiative de l'Administration,
il n'y a pas de démission. La règle paraît simple. Mais dési-
reuse de se séparer d'un agent qui la gêne, l'Administration
peut déclarer accepter une offre de démission, bien qu'en
réalité le fonctionnaire n'ait jamais manifesté l'intention
d'abandonner le service. Ce n'est pas l'acceptation d'une dé-
mission, mais une mesure disciplinaire injustifiée, et la juris-
prudence annule la décision d'acceptation comme manquant
de base légale, ou, pour employer la terminologie de certains

(1) La loi du 6 octobre 1919 modifiant l'art, 175 du C. Pén. érige


en délit «"le fait pour un fonctionnaire chargé de la surveillance ou dtt
contrôle d'une entreprise privée d'occuper, à raison de sa fonction, avant
5 ans révolus à compter de la cessation des fonctions, même'par démission,
une participation par travail, conseils ou capitaux dans cette entreprise ».
.arrêts, comme fondée sur une cause juridique inexistante (1).
Le Conseil d'Etat dans un arrêt Sei du 21 janvier 1921,
déclare que « l'arrêté du maire de Luciana. faisant état de
la prétendue démission du sieur Sei pour le remplacer dans
ses fonctions de secrétaire de mairie repose sur un fait
matériellement inexact, qu'il manque par suite de base légale,
et que le sieur Sei est fondé à en demander l'annulation ».
L'arrêt Alibert du 17 novembre 1926 déclare qu' « il est
constantque le sieur Alibert n'a jamais manifesté l'intention
d'abandonner l'administration préfectorale, qu'en présentant
la décision comme prise sur la demande de l'intéressé, le
chef de l'Etat l'a fondée sur un fait matériellement inexact
et lui a donné une cause juridique inexistante (2). » La
juridiction administrative vérifie l'existence des faits et
annule au cas où l'offre de démission n'existe pas. Le fonc-
tionnaire reste compris dans les cadres du service public.

5. — L'Administration qui veut se débarrasser d'un agent


peut aussi engager contre lui des poursuites disciplinaires en
prétextant d'une faute plus ou moins grave. Mais elle ne

;
réussira pas toujours car, devant le Conseil de discipline, le
fonctionnaire se défendra ou sera défendu il pourra réduire
.à néant les accusations dont il est l'objet et le prestige du
supérieur hiérarchique sera compromis. De plus, la sanction

nistration disposeencore de deux moyens :


disciplinaire pourra être déférée au Conseil d'Etat. L'Admi-
faire pression sur
la volonté du fonctionnaire pour l'obliger à démissionner,
ou prétexter d'un fait laissant supposer qu'il a implicitement
offert sa démission pour l'accepter. Ces moyens peuvent ne
pas réussir, parce que la jurisprudence exige d'une part que
l'offre de démission soit libre, et d'autre part, que si elle est
implicite, elle doit du moins résluter clairement des cir-
constances.

(1) V. Vedel, Essai sur là notion de cause en droit administratif


mnçais. Th., Toulouse, 1935.
(2) Séi, R., 75; Alibert, R., 982; même sens, C. E. 19 juillet 1933,
j-i&ur Moignet, R., 800. Cet arrêt démission et révocation. En
oppose
absence d'offre de démission, la décision attaquée était
une révocation.
L'offre de démission doit être libre. Elle possède ce ca-
ractère lorsque pourdes raisons'personnelles (maladie, raisons
de famille, etc.) le fonctionnaire désire quitter les cadres de
l'Administration. Elle est libre, semble-t-il, lorsque le fonc-
tionnaire dont la conduite est habituellement médiocre ou
fautive, offre sa démission à la demande du supérieur hiérar-
chique. Il évite ainsi une sanction et la demande du supérieur
est un geste de mansuétude. Mais il ne faudrait pas que le
supérieur agisse avec violence ou qu'il contraigne son su-
bordonné au point de lui faire offrir la démission par crainte.
Telle est la doctrine que l'on peut induire d'un arrêt Boyreau
du 15 janvier 1931. Le Conseil d'Etat décide même que l'agent
pourrait obtenir une indemnité si la démission avait été
donnée à la suite d'une rétrogradation prononcée sans aucun
motif. (Pichot, 1er décembre 1911) (1). La question de savoir
quel degré la violence ou la contrainte doivent atteindre
pour vicier la volonté est évidemment une question
d'espèce et il ne paraît guère possible de fixer ce degré. C'est
au juge à décider dans chaque cas si la volonté était libre ou.
ne l'était pas, de la même manière qu'en droit civil le juge
du fait recherche si la volonté des parties n'était pas viciée.
L'Administration sera-t-elle plus heureuse en acceptant
?
une offre implicite de démission Oui, si la volonté de quitter
le service peut se déduire clairement des circonstances. Non,
si l'appréciation des faits n'est qu'un moyen de déguiser une
révocation.
L'agent qui refuse un emploi ressortissant à la fonction
qu'il s'était engagé à remplir (2), celui qui, déplacé d'office
par suite d'une réorganisation du service refuse le «nouveau
poste (3), celui qui abandonne son poste sans faire connaître
sa nouvelle résidence (4), celui qui, agent du cadre local dans
une colonie demande à être remis à la disposition du ministre
des colonies (5), peuvent à juste titre être considérés comme
démissionnaires.
(1) Boyreau, R., 49; Pichot, R., 1123.
(2) C. E. Robert Lafreygëre, 26 janvier 1923, R., 67.
(3) C. E. Lamarre, 9 nov., 1917, R., 705.
(4) C. E. Roquette 5 mai 1922, R., 388. Guégain, 30 nov.1923, -
R-r-
784.
(5) C. E. Correard, 22 nov. 1907, R., 846.
Mais, à l'opposé, l'administration ne doit pas profiter des
circonstances pour se soustraire aux obligations qui lui in-
combent ou révoquer un fonctionnaire qui n'a commis aucune
faute. C'est ainsi, par exemple, qu'une institutrice qui a obtenu
un congé qu'elle a oublié de. faire renouveler à son expiration
et qui ne reprend pas son service ce jour-là, n'est pas im-

de s'assurer de sa :
plicitement démissionnaire, car il existait un moyen simple
volonté la mettre en demeure de
le service (1). De même l'agent qui, mobilisé, revient du front
reprendre

pour régler certains détails de service avec son remplaçant


provisoire, puis repart au front, ne peut pas être considéré
comme démissionnaire (2). Un secrétaire
depuis 38 ans avec exactitude ses fonctions ;de

brusquement sans avoir commis de faute. Il demande à la


mairie remplit
il est révoqué

commune une indemnité pour brusque congé. Le maire


refuse en alléguant que la veille du jour où il a été congédié
il ne s'était pas présenté à la mairie, qu'il était censé avoir
démissionné et qu'en conséquence la commune ne lui devait
pas d'indemnité. Saisi d'une requête, le Conseil d'Etat a conclu
que si le secrétaire ne s'était pas présenté la veille du jour
où la révocation avait été prononcée contre lui, c'est parce
qu'ilconnaissait déjà la mesure prise. Il n'y a pas eu démission,
mais révocation brusque et la commune doit une indem-
nité (3).
Le fonctionnaire a donc intérêt à ne'pas se mettre dans
une situation telle que l'administration puisse le considérer
comme démissionnaire. Une fois la démission acceptée, il est
désinvesti (4). On comprend qu'il veuille se prémunir contre
l'avenir en assortissant la démission de certaines conditions.
La démission peut-elle être conditionnelle ?
Comme tout acte de volonté l'offre peut être assortie de
conditions. Mais elles ne sont pas toutes Valables. Les unes

(1) C. Et Liaubet, 25 juin 1909, R., 611. Bouthors, 31 mai 1913,


It., M. —
(2) Sei, 21 janv. 1921, R., 75.
(3) C. E., Jouannet, 14 mai 1920, R., 476.
(4) C. E. Monnerat, 8 nov. 1933, R., 1019.29 juillet 1933, Eckenfel..
der, R.,861. 23
mars 1933, Leborgne, R., 346.,
indiquent simplement que le fonctionnaire a subordonné

:
l'offre à certains avantages légaux. La démission n'est alors
que subsidiaire offre de démission subsidiaire à une demande
de mise en congé pour raison de santé ou à une demande
demise en disponibilité. C'est au cas où ces demandes seraient
repoussées que le fonctionnaire prie l'administration de le
considérer comme démissionnaire (1). Ces conditions sont
valables. Mais celles qui porteraient atteinte à la marche des
services publics, ou celles qui tendraient à éviter l'effet de
désinvestiture devraient être considérées comme nulles. C'est
ce qui se produit lorsqu'un fonctionnaire entoure sa démission
de réserves relatives à sa réintégration éventuelle dans l'ad-
ministration. Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même s'il a dé-
missionné imprudemment. L'administration ne peut pas s'en-
gager à le réintégrer (2). Elle ne lui doit aucune indemnité(3).
La jurisprudence administrative s'inspire, au fond, de cette
notion d'ordre public qui, en droit privé, est un obstacle à
l'autonomie de la volonté (4).

(1) C. E., 24 mars 1922, Villeneuve. R., 273.


(2) C. E., Sei 22 juillet 1921, R., 75.
(3) C.E., 5 juillet 1918, Roy, R., 676.
(4) On peut admettre, sur le fondement d'un arrêt Perruchot du
1er juillet 1910 (R., 540) que la démission n'est pas pour le fonctionnuito
un moyen d'éviter l'application de règles légales le concernant.
marine peuvent provenir de trois origines :
L'affaire est assez spéciale. Les bibliothécaires archivistes de la
personnes étrangères
l'administration sans avoir à justifier d'aucune condition particulière ;
à
fonctionnaires de l'administration centrale réunissant les conditions
prévues par l'art. 20 du décret du 31 janvier 1902 ; bibliothécaires archi-
vistes adjoints qui doivent, lorsqu'ils ont été pris dans l'administration
centrale remplir certaines conditions de grade et d'ancienneté. Le sieur
Groncy commis de 3e classe est nommé bibliothécaire archiviste adjoint.
Ne réunissant pas les conditions d'ancienneté et de grade exigées pour
être nommé bibliothécaire archiviste, il démissionne. Devenu étranger à
l'administration, il peut être nommé bibliothécaire archiviste. La déci-

pas une théorie ;


sion de nomination fut annulée par le Conseil d'Etat. L'arrêt ne se référé
à générale il décide souverainement « qu'il résulte
l'instruction que le sieur Groncy était commis de 3e classe à l'adminis-
de

tration centrale lorsqu'il a été nommé bibliothécaire archiviste adjoint et


qu'il n'est pas contesté qu'à l'époque comme bibliothécaire archiviste il
ne réunissait pas lès conditions exigées des bibliothécaires archivistea
.adjoints pris dans l'administration centrale ; que la circonstance queIe
Par la démission le fonctionnaire est devenu indépen-
dant. La liberté qui lui est laissée de démissionner est un
moyen de sauvegarder son indépendance personnelle. Nous
voyons ici apparaître le quatrième caractère de l'acte de vo-
lonté : la démission est en principe individuelle. Plusieurs
fonctionnaires peuvent évidemment offrir simultanément leur
démission. Mais ils ne doivent pas se concerter pour arrêter
la marche du service public. L'administration peut éviter ce
danger en refusant en bloc les offres de démission. Mais en
fait sa décision n'aura aucun effet car les fonctionnaires
cesseront toute activité. En droit, les fonctionnaires font tou-
jours partie des cadres du service public, mais en fait le ré-
sultat est le même que si les offres avaient été acceptées.
Aussi faut-il admettre que les fonctionnaires ne doivent pas

règle de l'article 126 du Code pénal :


se concerter pour offrir leur démission. On peut tirer cette
« Seront coupables
de forfaiture, et punis de ladégradation civique les fonction-
naires publics qui auront, par délibération, concerté de
donner des démissions dont l'objet ou l'effet serait d'empêcher
ou de suspendre soit l'administration de la justice, soit l'ac-
complissement d'un service public quelconque. » Que ce texte
prohibe l'offre concertée de démission, celà semble résulter
de l'expression « donner des démissions ». C'est compréhen-
sible, car c'est l'offre concertée des démissions qui est dan-
gereuse. L'article 126 du Code pénal fut appliqué à quelques
uns des maires du Midi de la France qui, en 1907, donnèrent
après Wêtre assemblés (Comité d)Angelier) leur démission
en masse, afin d'obliger le gouvernement à remédier à la
crise viticole (1). Il paraît bien, malgré cette application, avoir

aourGroncy avait donné sa. démission Je 10 août 1908 n'a pu avoir pour
effetde. le dispenser desdites conditions et de lui perméttré de bénéficier
légalement, à la date du 31 du même mois des conditions édictées uni-
moment en vue des personnes étrangères à l'administration centrale du
I)anscertains.cas.prévus,parles
de
Dans certains cas prévus par lestextes la
textes la démission peut-être source,
source
responsabilité pour le fonctionnaire. V. C. E., 28 février 1930, S.,
1930-3-105. Note de M. Alibert.
(1) Cass. Crim., 6 déc. 1907, Marcellin Albert, Ferroul et autres,
'., 1908-1-433, note de M. J.-A. Roux.
perdu son actualité. L'intention des rédacteurs du Code pénal
était évidemment d'éviter le retour de la funeste pratique de
la démission en masse de l'Ancien Régime. Ils voulaient que
les juges en particulier n'imitent pas leurs prédécesseurs,
les magistrats des Cours Souveraines.
Mais l'article 126 du Code pénal se justifie :
La démis-
sion est un acte de volonté de l'individu, ce pouvoir lui étant
donné pour sauvegarder son indépendance personnelle.
L'article 126 a perdu son actualité parce qu'il existe pour
les fonctionnaires un moyen plus efficace de faire valoir ce
qu'ils considèrent comme leurs droits. C'est la grève. Mais il ne
faut pas, comme pourraient le faire croire les observations
du ministre dans l'affaire Winkell, assimiler démission et
grève. Le ministre faisait cette assimilation parce qu'il admet-
lait que le fonctionnaire est lié par un contrat à l'administra-
tion, et dès lors il semblait possible de soutenir que le
fonctionnaire qui se met en grève rompt les liens avec le
service de la même manière que celui qui démissionne (1).
On peut l'admettre pour des motifs extra-juridiques, si
l'on veut éviter l'application de l'article 65 de la loi du
2 avril 1905 au fonctionnaire en greve. Mais on ne peut pas

;
différence de nature entre les deux :
logiquement assimiler grève et démission, car il existe une
la grève est un simple
fait la démission unacte juridique. De plus le fonctionnaire
qui se met en grève n'a pas l'intention de rompre le lien qui
l'unit au service, tands que celui qui démissionne entend être
considéré comme un simple particulier.
(1) C. E., 7 août 1907, Winkell et Rosier, S., 1909-3-145, note de
M. Hauriou. Le ministre disait: « En se mettant en grève, les requérants
ont perdu ipso facto la qualité de fonctionnaire. En effet, d'après la
jurisprudence de la Cour de Cassation, la grève constitue la rupture par
l'ouvrier du contrat de travail qui le lie au patron. De même la grève des
fonctionnaires rompt tous les liens qui les unissent à l'Etat. Ils doivent
être considérés comme s'étant révoqués eux-mêmes ou comme ayant donné
leur démission ». L'arrêt ne tient pas compte, à juste titre, de cette
argumentation (Les fonctionnaires ne peuvent pas se révoquer eux-
mêmes). L'arrêt déclare que les fonctionnaires en grève « se placent en
dehors de l'application des lois et règlements édictés dans le but de ga-
rantir l'exercice des droits résultant pour eux du contrat de droit public
qui les lie à l'administration ». Discutable car il semble que les fonction-
naires ne puissent pas renoncer aux lois impératives. La grève ne les
place pas en dehors des lois.
missions concertées aboutissent au même résultat
le
arrêtent
;
Ces différences précisées, il reste que la grève et les dé-
elles
fonctionnement du service public. Elles violent
le principe fondamental de la théorie du service public, qui
nous explique le second aspect de la démission.

II

LA DÉMISSION, ACTE RÉGLEMENTÉ PAR LE STATUT


DU SERVICE

Les prérogatives de l'Administration, et en particulier


celle de pouvoir refuser la démission, trouvent leur fonde-
ment dans le principe du fonctionnement normal et continu
des services publics. Mais il est évident que si la liberté
d'accepter ou de refuser la démission était arbitraire, ne s'ins-
pirait pas des nécessités du service, mais au contraire de
motifs personnels (haine, animosité), la décision de refus
serait nulle. Admettre l'opinion inverse, c'est-à-dire donner

;
à l'administration pouvoir discrétionnaire de refuser la dé-
mission serait réduire à néant la liberté laissée au fonction-
naire de démissionner ce serait en revenir pratiquement
au système des fonctionnaires perpétuellement liés au service.
Il y a donc conflit entre la liberté et les pouvoirs adminis-

;
tratifs. Nous allons examiner d'abord le principe de l'accepta-
tion et le rôle de l'administration nous chercherons ensuite
à tracer la frontière de la liberté et des pouvoirs adminis-
tratifs. Nous préciserons enfin, quelle est, parmi toutes les
autorités administratives, celle qui jouit du pouvoir de refus
de l'offre de démission.

6. — Le principe est que la démission est définitive


seulement après acceptation par l'administration. C'est un
principe fondamental du droit des fonctionnaires, que l'on
ne trouve par formulé dans un texte général, mais qui n'en
est pas moins certain. Certaines applications en sont faites
dans les textes. C'est ainsi qu'il est adopté par la loi du 19

:
mai 1834 sur l'état des officiers. La loi constitutionnelle du
16 juillet 1875, article 10 stipule
« Chacune des Chambres

q
;
est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité
de leur élection elle peut seule recevoir leur démission. » Le
terme recevoir est unanimement interprété comme synonyme
d'accepter. Une chambre peut refuser d'accepter la démission
d'un de ses membres (1).
La jurisprudence le consacre. C'est ainsi qu'un fonction-
naire qui, avant de se suicider, envoie sa démission pour
priver sa femme du droit à pension, fait un mauvais calcul,
car la démission n'étant pas encore acceptée au moment de
la mort,la femme obtiendra la pension (2). Un fonctionnaire
communal qui donne sa démission pour se présenter aux
élections municipales, mais dont la démission n'était pas
acceptée le jour du scrutin, est inéligible (3). Le principe se
justifie par la nécessité du fonctionnement du service public.
Chaque fois que la loi n'en a pas disposé autrement, l'accep-
tation de l'offre est indispensable (4).

(1) Barthélémy et Duez, Traité de droit constitutionnel, 1933,


p. 562-440 ; Duguit, Traité de droit constitutionmel, 2e éd. 1924, t. IV,
p. 179; Esmein, Elêtfi&nts de droit constitutionnel fr. et comp., 8e éd.
;
revue par Nezard, Strey, 1928, t. I, p. 485, 486; t. II, p. 396 s. Jèze,
:
Pr. gén. dit dr. adm., t. II, 1930, p. 595.
Justification de cette disposition 1° éviter la révocation par les
comités électoraux par le moyen de la démission en blanc. Conforme à
la prohibition du mandat impératif. 2° « Le Député ou le Sénateur ap-
partient à l'Assemblée en un certain sens puisque, lui disparu, il va
manquer momentanément quelque chose à la représentation nationale,
telle qu'elle est légalement organisée. Il ne peut déserter lé siègé qu'il a
accepté sans le consentement de la Chambre qui l'a admis *. (Esmein,
8e éd. t. II, p. 396). M. Jèze considère ce deuxième argument comme
« purement verbal » (Pr. gén., p. 595, note 4). Mais dans la théorie du
droit constitutionnel français, les parlementaires représentent la Nation.
(V. Carré de Malberg, Oontrib. à la. théorie gén. de l'Etat, 1920, t. II,
ch. II, n° 348, 372). L'opinion d'Esmein serait donc juridiquement exacte.
Seulement la théorie de la représentation ne paraît pas justifiée. (V. Cri-
tiqué de J.-J. Rousseau, Dit contrat social, L. III, chap. XV, L. II,
chap. I).
(2) C. E., Jan, 15 juillet 1932, R. 736.
(3) C. E. Elections mun. de Paris, Quartier de la Monnaie 16 fov.
1934, R., 236 ; Même sens Lambert 6 juin 1873 R., 501 ; Pichon, 23 mars
1872, R., 183; Germain, 27 janv. 1888, R., 83; Dève, 20 fév. 1891, R.,
36; Villeneuve, 24 mars 1922, R., 273.
(4) Doctrine unanime. — L'arrêt du Cons. d'Etat dti 27 mars 1936,
Bonny, le déclare formellement (S., 1937-3-89; R., 387).
La loi n'oblige pas certains fonctionnaires élus à sou-
mettre leur démission à acceptation. La démission opère désin-
vestiture par elle-même. C'est le cas des conseillers généraux,
desconseillers municipaux, des maires et adjoints, des conseil-
lers d'arrondissement. Ces exceptions au principe de l'accep-
tation ne le contredisent pas parce que des précautions ont
été prises pour assurer la marche du service public.
D'après la loi du 10 août 1871, article 20, le conseiller
général adresse sa démission au président du Conseil général
ou au président de la commission départementale qui en
donne immédiatement avis au Préfet, et la démission est alors
définitive. Mais il doit être pourvu au remplacement dans le
5
délai de trois mois (D., nov. 1926, art. 22).

;
préfet
Le conseiller municipal envoie sa démission au sous-
elle devient définitive après l'accusé de réception du
préfet, et, à défaut de cet accusé de réception un mois après
un nouvel envoi de la démission constaté par lettre recom-
mandée. (Loi du 5 avril 1884, article 60).
Jusqu'en 1908, la situation des maires était la même que
pour tous les agents nommés. Mais depuis la loi du 8 juillet

au sous-préfet;
1908, la démission du maire et des adjoints doit être adressée
elle est définitive dès l'acceptation par le pré-
fet, ou, à défaut de cette acceptation un mois après un nouvel
envoi de la démission par lettre recommandée (Loi du 8
juillet 1908 modifiant l'article 81 de la loi du 5 avril 1884).
Il y a dans cette procédure un moyen de ralentir la désin-
vestiture. De plus, le maire est tenu de remplir ses fonctions
jusqu'à l'installation de son successeur (art. 81 de la loi du
5 avril 1884) (1).
La démission des conseillers d'arrondissement est défi-
nitive dès son émission, mais la loi du 14 août 1892, modifiant
l'article 11 de la loi du 22 juin 1833, stipule qu'il doit être
pourvu à la vacance dans le délai de deux mois.
Le principe de l'acceptation s'applique aux conseillers
municipaux de Paris. La démission n'est définitive qu'après
acceptation par le préfet de la Seine.

(1) V. Rolland, article llev. dr. public, 1908, p. 501 et s.


Ces exceptions au principe de l'acceptation s'expliquent
par
local : la mission de confiance donnée par les électeurs à l'élu
si celui-ci estime qu'il a perdu cette confiance, il se
retire. Cet événement se produit fréquemment lorsqu'au
cours d'une élection politique, un maire, un conseiller général,
un conseiller municipal, un conseiller d'arrondissement n'a
pas obtenu la majorité, ou n'a réuni sur son nom qu'une
majorité estimée par lui insuffisante dans son canton ou sa
commune, ou lorsqu'ayant soutenu la candidature d'un ami
politique, ce dernier n'a obtenu qu'une majorité très faible
Balancée entre deux nécessités, assurer la marche du service
public et permettre aux élus de se rendre compte de la
confiance des électeurs, la loi maintient un juste équilibre
elle reconnaît à l'élu la faculté de démissionner librement, mais
:
elle établit une procédure qui freine sa liberté. De plus, comme
nous le verrons plus loin, il n'existe pas d'autorité qualifiée
pour accepter ou refuser la démission des fonctionnaires élus.
Il faut donc admettre quel'offre de démission opère désin-
vestiture par elle-même.
La règle de l'acceptation est donc une règle générale,
que ne contredit pas la réglementation spéciale applicable aux
fonctionnaires locaux élus (2).

répondre :
7. — Saisie par l'offre de démission, l'Administration doit
Si elle accepte, la désinvestiture s'opère. Si elle
refuse, le fonctionnaire reste compris dans les cadres. L'accep-
tation peut s'analyser en une condition suspensive de
(1) Jèze, Pr. gén., t. II, p. 597.
(2) Quid de la démission des juges élus (juges consulaires, conseillers
prud'hommes) ? Un arrêt de la Cour d'Appel de Riom du 20 janvier 1938
(Bourgis cI Bourgade et autres, Gazette des Tribunaux du 22 février
1938) décide que la démission du juge consulaire n'est pas soumise à
acceptation. Elle est définitive dès l'accusé de réception du préfet. La
Cour raisonne de la manière suivante: En l'absence de texte relatif à la
question, il n'est pas possible d'appliquer le droit commun des fonction-
naires nommés au juge consulaire qui est élu. Il faut au contraire appli-
quer par analogie les règles relatives à la démission des conseillers géné-
raux et des conseillers municipaux.
La chancellerie, dans une circulaire du 13 février 1884 (D. P., 1884-
4-11) admettait à l'inverse que seul le remplacement déchargeait le juge
consulaire de ses fonctions. Cette solution paraît pratiquement préférable
à celle donnée par la Cour de Riom. Elle est de plus conforme au principe
du fonctionnement ininterrompu du service public. (V. Rolland,op. oit.,
p. 81, n° 114).
désinvestiture. II est indispensable que l'offre émane librement
du fonctionnaire. On ne peut donc pas négliger dans une théo-
rie de la démission l'acte de volonté du fonctionnaire, qui peut
seul saisir l'administration. Mais on ne peut pas non plus

une opération complexe qui suppose deux :


passer sous silence le rôle de l'acceptation. La démission est
éléments
et l'acceptation. C'est pourquoi il paraît exact de voir dans
l'offre

la démission un acte de volonté soumis à la condition sus-


pensive d'une acceptation, ou suivant l'expression de M. Jèze,
acte unilatéral provoqué (1). Cette explication de la

:
un « »
démission par une offre soumise à condition suspensive
d'acceptation peut soulever une objection cette condition
suspensive, dira-t-on, est une condition purement potestative
prohibée par la jurisprudence judiciaire sur le fondement de
l'article 1174 du Code Civil. Ne dépend-il pas en effet de la
volonté d'une partie qu'elle se réalise ou ne se réalise pas ?
Mais cette objection ne porte pas car les principes du droit
;
civil ne peuvent pas s'appliquer ici d'abord l'article 1174
suppose qu'il y a contrat, et nous savons que la situation du
fonctionnaire n'est pas contractuelle. L'Administration n'est
pas une « partie ». Ensuite, c'est précisément un principe
fondamental du droit administratif que la démission peut être
refusée par l'Administration. C'est pourquoi on peut dire que
l'acceptation est une condition suspendant les effets de la
démission, une condition suspensive du droit administratif.
Cette vue de la question cadre d'ailleurs avec la juris-
prudence.
Jusqu'à l'acceptation l'offre de démission peut être retirée
par le fonctionnaire dont elle émane. L'Administration est
alors dessaisie (2).
Si l'Administration ne fixe pas la date de la cessation
des services, dans la décision d'acceptation, cette date est
celle de l'acceptation. La condition étant réalisée, le fonction-
naire est désinvesti. C'est ce que décide l'arrêt de Lestapis
(1) Jèze, Pr. gén., t. II, p. 575.
j
(2) C. E. Darnaud, 10 mars 1864, R., 230; Lambert, 6 juin, 1873,
R.,501 Tirard, 18 fév. 1869, R. 149; Mage, 14 janv. 1916, R., 29; Vil-
leneuve, 24 mars 1922 précité.
du 7 août 1905 : le requérant était passible d'une peine disci-
plinaire le 19 mai 1903, sa démission n'ayant été acceptée
que le 20 mai (1).
Jusqu'à l'acceptation de l'offre, le fonctionnaire est tenu

à assurer la marche du service. M. Jèze dit nettement


chef de service, saisi d'une demande de démission, peut su-
:
de ses obligations d'agent du service public. Il doit continuer
« Le

bordonner expressément l'effet de la décision de désinvestiture


à l'exercice de la fonction jusqu'à une certaine date. S'il ne
l'a pas fait, ce silence ne signifie pas nécessairement que
l'agent démissionnaire n'est pas tenu de l'obligation de servir

du service :
jusqu'à ce qu'on ait pris des mesures pour assurer la marche

;
nomination et installation d'un nouvel agent,
suppression de l'emploi, par exemple ou jusqu'à ce que le
chef de service ait donné l'autorisation de quitter la fonction.
L'exercice provisoire de la fonction est une obligation pour
l'agent démissionnaire (2). »

service. Elle s'explique de plus par une autre raison


que le fonctionnaire puisse se soustraire à des poursuites
:
Cette obligation se justifie donc par les nécessités du
éviter

disciplinaires en cours. La jurisprudence administrative admet,


que si les poursuites ne peuvent plus être entamées après
l'offre de démission (ce qui est une garantie précieuse pour le
fonctionnaire, et ce qui montre bien aussi que c'est l'offre qui
saisit l'Administration) (3), ce droit ne saurait être un moyen
pour le fonctionnaire de se soustraire à des poursuites en
cours. Les poursuites commencées avant l'offre de démission
doivent continuer. S'il est en train de purger la peine, l'offre
de démission n'est pas un moyen de se soustraire à l'accom-
plissement total de la punition (4).

8. — L'Administration une fois saisie doit répondre.


Peut-elle discrétionnairement refuser sans donner de motifs ?

(1) De Lestapis, R., 771.


(2) Jèze. Pr. gén. t. II p., 593 et 594.
(3) 2 juin 1916 Benhalima, R., 217.M. Jèze critique (note 2, 2"
alinéa p. 592).
(4) C. E. 7 août 1905, de Lestapis, R., 771.
Question délicate. Si l'on admet que la décision de l'Adminis-
tration. est un « acte discrétionnaire », on condamne pratique-
ment le fonctionnaire à la volonté arbitraire de l'Administra..
tion. Il était inutile de lui reconnaître le droit d'offrir sa démis-
sion. Si au contraire l'on admet que l'Administration doit don-
ner les motifs de son refus, on tend à installer le contrôle des
fonctionnaires sur les décisions des chefs de service, ce qui
peut paraître dangereux, d'autant plus dangereux que les
fonctionnaires seront plus puissants, organisés en syndicats
qui deviendront les contrôleurs de l'Administration sans pour
cela avoir nécessairement la responsabilité de leur contrôle.
Cette conséquence n'effraie pas les partisans d'une adminis-
tration conçue sur un type plus ou moins corporatif, mais
elle ne satisfait pas ceux qui pensent qu'il est préférable de
hiérarchiser fortement les fonctionnaires et qui croient que
la responsabilité ne se partage pas. A l'heure actuelle, quelle
est la position du droit administratif ?
Lorsqu'aucun texte n'oblige l'administration à donner les
motifs, la décision, même de refus, n'a pas à être motivée (1).
Mais si l'Administration a cru bon de donner des motifs,
ceux-ci doivent être exacts, sinon la décision pourrait être
annulée.
Mais alors une question se pose. Quels motifs doivent
décider l'Administration en prenant sa décision ? Si le fonc-
tionnaire pouvait prouver qu'en réalité la décision n'est pas
prise dans un but d'intérêt public, mais par animosité, haine,
vengeance. pourrait-il obtenir l'annulation de cette décision ?
Existe-t-il un contrôle juridictionnel des décisions de refus
de démission pour détournement de pouvoir ? La question
se pose car le droit pour l'Administration de ne pas motiver
sa décision paraît, à première vue, impliquer que tous les
motifs sont valables? Il n'en est rien. Non seulement la dé-
cision peut être annulée pour violation de la loi ou des ré-

(1) 16 fév. 1912, Carrière, R., 218; 17 janv. 1908 Meyer R., 50; 20
fév. 1891, Deve, précité; 23 mars 1872, Pichon, R., 183; Comel, 28 fév.
103']., à la table du Rec. Lebon, v. fonctionnaire § démission.
glements, mais encore pour détournement de pouvoir. Cette
position de la jurisprudence a été nettement confirmée dans
les arrêts Bonny du 27 mars 1936 et 16 octobre 1936 (1).
Dans certains arrêts anciens, l'arrêt Pichon du 23 mars
1872, l'arrêt Germaix du 27 janvier 1888 et l'arrêt Meyer du
17 janvier 1908, le Conseil d'Etat semblait indiquer que les
questions de légalité ne pouvaient pas être le fondement d'un
recours pour excès de pouvoir. L'arrêt Germain et l'arrêt
Pichon disaient même que le refus de démission « n'était
pas un acte de nature à être porté devant le Conseil d'Etat!
par la voie contentieuse ». C'était un « acte discrétionnaire»,
acte insusceptible de recours. L'arrêt Meyer est plus libéral
les décisions de refus peuvent être annulées pour violation
:
de la légalité. « Considérant qu'aucune disposition de loi ou
de réglement n'a limité le pouvoir du gouvernement, en
ce qui concerne l'acceptation des démissions données
par les officiers de réserve et de l'armée territoriale
vue duquel la décision doit être prise. L'arrêt Meyer semble
être un progrès sur l'arrêt Germaix de 1888. Le Conseil
d'Etat maintient sa doctrine dans les arrêts Bonny de 1936. Il
proclame que les décisions de refus de démission peuvent être
annulées pour détournement de pouvoir et violation de la
loi. La décision d'acceptation ou de refus de l'offre de démis-
sion n'est jamais un « acte discrétionnaire ». La théorie des
actes discrétionnaires ne joue plus.
L'inspecteur principal de police Bonny fut suspendu de
ses fonctions le 18 juillet 1934 avec maintien du traitement,
comme le permettaient les textes en vigueur à cette époque.
Le 15 décembre, Bonny envoyait sa démission avec ce motif
que l'opinion ne comprendrait pas qu'il continuât à toucher
un traitement alors qu'il n'était plus en activité. Le 18 dé-
:
cembre, un décret modifiait le régime des suspensions avec
traitement il autorisait le ministre, si la suspension était
prononcée depuis six mois ou si les faits étaient suffisamment
graves, à suspendre l'octroi du traitement. Le lendemain,
(1) S., 1937-3-89, avec les conclusions de M. Renaudin, Com. du
Gouv., R., 387 et 881; Pichon, R., 183; Germaix, R. 83 avec les conclu-
sions de M. Margerie; Meyer, S., 1910-3-46, R. 50.
nouveau décret qui maintenait la suspension de Bonny et
arrêtait son traitement. Ces mesures constituaient évidemment
un refus de démission et l'on comprend l'intention du ministre:
il ne voulait pas que Bonny puisse se soustraire à la poursuite
disciplinaire. D'ailleurs, dans une note du 19 décembre, il

:
refusait formellement l'offre de démission. Bonny saisit le
Conseil d'Etat il arguait que le refus de démission n'était pas
fondé sur l'intérêt du service, mais inspiré par un mobile
personnel. Le Conseil d'Etat répondit que le ministre n'avait
pas violé la loi ou les règlements, et « qu'il n'est pas établi
qu'en prenant cette décision, le ministre de l'Intérieur ait agi
pour des fins autres que l'intérêt du service ». La décision
aurait été annulée s'il avait détourné ses pouvoirs.
Comment prouver le détournement de pouvoir
cision n'est pas motivée. Le Conseil d'Etat pourra-t-il trouver
?
La dé-

dans le dossier les éléments du détournement de pouvoir ?


Il examinera les circonstances dans lesquelles la démission
est intervenue. C'est ainsi que dans l'affaire Bonny, il a pensé
que la modification du décret réglementant le régime des sus-
pensions avec maintien du traitement n'était pas une preuve
du détournement de pouvoir. La note du 19 décembre n'était
pourtant pas motivée. Cela n'a pas empêché le Conseil d'Etat
d'examiner la question. Il l'a fait puisqu'il dit « qu'il n'est
pas établi qu'en prenant cette décision, le Ministre de l'Inté-

On pèut conclure
discrétionnaire
:
rieur ait agi pour des fins autres que l'intérêt du service » (1).

»,
La décision de refus n'est pas un « acte
mais un acte du pouvoir discrétionnaire,
l'Administration n'étant pas obligée de motiver. C'est ce qui
rend difficile pour le fonctionnaire la preuve du détournement
de pouvoir.
L'offre de démission saisit l'Administration qui doit ré-
pondre (2). Mais une question se pose: que décider au cas où

?
?
l'Administration s'abstiendrait de répondre Le silence équi-
vaut-il à rejet Doit-on admettre en la matière que le silence

(1) V. Alibert, Le contrôle juridictionnel de l'Administration CM4


,.:¡¡¡.oyen, dit recours pour excès de pouvoir. Payot, 1926, p. 257 et 258.
(2) V. C. E., 2 juin 1916, Benhalima, R., 217.
gardé pendant plus de quatre mois sur la demande du fonc-
tionnaire équivaut à rejet, cas auquel l'intéressé pourrait se
?
pourvoir contre cette décision implicite de rejet La question
n'a pas à notre connaissance été jugée. L'application du prin-
cipe général à la matière est, dira-t-on, discutable. On admet
en effet que le pouvoir de refus de la démission est donné-
à l'administration en vue d'assurer la marche du service. Il
lui faut un certain temps pour étudier l'affaire, préparer les
mutations dont cette démission va être l'origine. On ne peut
donc pas dire que le silence pendant plus de quatre mois équi-
vaut toujours à rejet. Mais il faut remarquer que la règle de-
la décision implicite de rejet est une règle de procédure faite
précisément pour permettre la liaison du contentieux. Pour-
?
quoi ne pas l'appliquer Il ne faut pas non plus exagérer le
temps nécessaire à l'Administration pour préparer sa réponse.
Enfin, et surtout, ne pas admettre l'application de cette règle,
serait ne tenir aucun compte de la volonté du fonctionnaire; ce
serait pratiquement obliger le fonctionnaire à rester attaché
malgré lui au service. Il a droit d'être fixé sur la décision de-
l'administration. C'est pourquoi il vaut mieux admettre l'ap-
plication de la règle de la décision implicite de rejet.
9. — Quelle est, parmi les autorités administratives, celle
?
:
qui est investie du pouvoir d'accepter
On admet que c'est celle qui a le pouvoir de révocation,
c'est-à-dire celle qui a le pouvoir de nomination pour les
agents nationaux, le Président de la République sur propo-
sition du ministre intéressé. En ce qui concerne les agents
locaux, les autorités qui nomment étant multiples, la solution
dépend des règles applicables à leur statut. Il faut admettre
ici l'application du principe que l'acceptation appartient à
l'autorité qui a nommé l'agent. Les conséquences suivantes
découlent de cette règle :
Lorsqu'il est pratiquement impossible d'obtenir une dé-
cision de l'autorité qui a nommé, ce qui se produit pour les
fonctionnaires locaux élus (on ne voit pas en effet le collège
électoral réuni pour approuver la démission), la démission
vaut par e)le-même dès qu'elle est transmise non pas au
collège électoral, mais à l'autorité de tutelle, préfet ou sous-
préfet.
--
Lorsque deux fonctions sont réunies en la personne du
même titulaire, la démission de l'une étant libre, l'autre sou-
mise à acceptation, ce qui est le cas des conseillers municipaux
de Paris en même temps conseillers généràux de la Seine, un
moyen d'éviter le refus de démission est de transmettre à
l'autorité de tutelle la démission de la fonction pour laquelle
une acceptation n'est pas indispensable. Le conseiller général
de la Seine qui déclare démissionner perd « ipso facto la »
qualité de conseiller municipal de Paris. Le Préfet de la
Seine n'a pas en effet le pouvoir de refuser la démission d'un
conseiller général de la Seine (1).
Enfin, si le décret de désinvestiture ne fixe pas la date
de la cessation des fonctions, il appartient au chef de service
(ministre) de la fixer, car cette fixation de date est une mesure
d'exécution du décret de désinvestiture (2).

Au terme de cette étude, la conclusion que la démission


est un procédé original de désinvestiture se dégage. La démis-
sion apparaît comme le terrain sur lequel se rencontrent deux
principes opposés, et la construction de la jurisprudence est
harmonieuse. Il faut tenir compte de la volonté du fonction-
naire et ne pas négliger le rôle primordial de l'offre de dé-
mission. Il n'est pas possible non plus de ne pas insister sur
la nécessité de l'acceptation qui suspend la désinvestiture. On
peut donc retrouver dans la démission l'application des prin-
cipes qui régissent la nomination, mais en sens inverse
M. Bonnard étudiant la jurisprudence sur la nomination,
constate que la nomination investit le fonctionnaire,
mais aussi que le refus de la fonction fait tomber la

(1) Raiga et Félix, Le régime adm. et fin. dit dép. de la Seine et de


la Ville de Paris. 1922, p. 1922. Avis conforme de M. Jèze, Pr. gén.,
t. II, 596 note 4-5. —
(2) C. E. de Lestapis, 7 août 1905, R., 771.
nomination (C. E. Brandstetter, 20 fév. 1924, R. 194). C'est
pourquoi il analyse la nomination en un acte-condition (point
de vue matériel) soumis à une condition résolutoire (point
de vue formel) Celle-ci est constituée par le refus de la
fonction. « Pendente condition-e » la nomination produit
l'effet d'investiture. La condition résolutoire survenant, le
fonctionnaire se trouve rétroactivement mis au rang d'un
simple particulier. De même le fonctionnaire qui offre sa dé-
mission reste investi tant que la condition suspensive n'est
pas réalisée. C'est pourquoi il est possible d'affirmer que
l'entrée et la sortie du service public sont des actes de volonté
réglementés. La nomination ne s'oppose pas dans sa nature
à la démission. Les deux procédés s'expliquent par le jeu de
la condition, résolutoire dans le premier cas, suspensive dans
le second.

E. DESGRANGES,
* : '.,
Docteur en Droit.
BIBLIOGRAPHIE

Le décret-loi du 30 octobre1935 relatif à la procédure civile, par


M. Etienne VANLAER, Avocat, Docteur en Droit.

-
de 418 pages, l'autre de 280 pages. Prix, les 2 volumes:
Deux volumes brochés, in-8 raisin sur vélin bibliophile, l'un

Le premier tome de oet important ouvrage, préfacé par


140 francs.

Me Henri Spriet, Président sortant de l'Association Nationale des


Avocats, est entièrement consacré à l'étude critique et pratique du
décret-loi dont M." Vanlaer suit l'ordre général en en analysant
successivement les huit titres.
Chaque titre de l'ouvrage est un véritable traité de procédure:
limité à la matière qu'il concerne, qui rappelle fort opportunément
au lecteur l'état de la doctrine et de la jurisprudence à la veille du
décret-loi, fait des nouveaux textes une analyse pénétrante et
subtile et suggère pour l'interprétation des moindres détails, les
solutions les plus juridiques proposées dans un style clair et même
attrayant.
Le second tome est une compilation ou, pour mieux dire, une
anthologie qui groupe dans un premier chapitre les lois, décrets,
règlèments circulaires et instructions qui ont vu le jour à l'occasion
du décret-loi. Ce dernier est lui-même imprimé en deux colonnes
présentant, l'une en face de l'autre, l'ancienne et la nouvelle rédac-
tion, et chaque article est suivi d'un court commentaire faisant
ressortir les modifications apportées et renvoyant le lecteur aux
développements du tome lor.
Dans un chapitre II, l'auteur a jugé opportun de reproduire in
extenso le texte du décret impérial du 30 mars 1808 contenant
règlement pour la police et la discipline des cours et tribunaux.
Un troisième chapitre comprend les décrets et arrêtés qui ont

Code de Procédure Civile :


constitué auprès de la chancellerie une Commission de révision du
un dernier chapitre groupe les délibé-
rations prises, tant avant la réforme que postérieurement, par les
organismes les plus représentatifs du barreau français.
Enfin, outre des tables chronologique, onosmastiques, bibliogra-
phique et analytique, le tome II comprend en appendice les déci-
sions jurisprudentielles et lesdispositions législatives publiées
depuis la parution du tome lor, qui est ainsi mis à jour au 30 novem-
bre 1937.
Parmi ces dispositions nouvelles, citons tout particulièrement
le décret-loi du 25 août 1937 qui a créé une procédure simplifiée
pour le recouvrement des petites créances et auquel l'auteur a
consacré une quarantaine de pages d'une analyse fort fouillée et
très documentée, notamment au point de vue fiscal.
Publications de « L'Istituto di studi legislativi », Rome, Palazzo di
Giustizia.
Tous les spécialistes du droit comparé et du droit international
connaissent les publications de l'Institut d'Etudes Législatives de
Rome. Il n'est pas inutile de les signaler à ceux qui poursuivent
dans ces ordres d'idées des recherches occasionnelles ou limitées.
L' Annuario di diritto comparato e di studi legislativi a tou-
jours constitué le centre de cette documentation. Il le deviendra
sans doute encore davantage dans l'avenir, car, tout en lui conser-
vant ses études de fond et de critique en matière législative, on
songe à l'alléger de toute la partie concernant la jurisprudence
comparée de droit civil, qui fera désormais l'objet l'une publica-
tion particulière. Cette suppression permettra de donner toute
l'importance voulue aux Résumés de littérature juridique et som-
maires de législation inaugurés dans le XIIIe volume de l'Annuario,
en cours d'édition, et qui font de lui une sorte d'organe de coordi-
nation et de synthèse.
L'examen plus approfondi des problèmes particuliers conti-
à nécessiter le recours aux sources distinctes concernant
- nuera
»
chaque matière. La « Législation internationale et le « Répertoire
de législation mondiale » sont consacrés à l'activité législative
universelle. Le Tome V du premier de ces recueils, paru en 1937,
et afférent à l'année 1936 concerne particulièrement l'Europe. On
y trouve, présentés dans un ordre systématique et pour chaque pays
séparément l'analyse et le commentaire de tous les documents
législatifs importants ayant vu le jour dans l'année, en général dans
leur langue originelle. Le « Répertoire de législation mondiale »
répond à une autre utilité. Organisé comme une sorte de diction-
naire, il énonce brièvement à propos de chaque matière l'objet et
le contenu des lois et décrets qui l'ont envisagée au cours de
l'année dans le monde entier. Le lecteur trouve dans cette double
publication un instrument de travail aussi perfectionné que possi-
ble pour les recherches de législation comparée.
Enfin, la « Bibliographie juridique internationale » complète
cet ensemble en renseignant de façon méthodique sur les ouvrages,
études et articles parus en Europe, aux Etats-Unis et en Egypte.
Elle s'étendra progressivement à d'autres pays.
Tout cela constitue, sous la direction générale du Professeur S.
Galgano, de l'Université de Rome, une source d'information univer-
selle d'autant plus précieuse qu'elle est sans équivalent à l'heure
actuelle.
EXAMEN DOCTRINAL
DE JURISPRUDENCE

Responsabilité Civile
par Jacques FLOUR
Agrégé à la Faculté de Droit de Dijon

Si beaucoup de controverses ont été définitivement tran-


chées depuis l'époque où, il n'y a pas si longtemps, tout en
ce domaine était discuté, la responsabilité demeure pourtant
l'une des parties du Droit civil où l'analyse de la jurisprudence
est à la fois la plus utile et la plus incertaine. Comme il est
naturel dans une matière très prétorienne quant aux règles
applicables, et très riche quant à la variété des cas pratiques,
les principes n'ont jamais tout à fait fini d'y être fixés, ni des
questions nouvelles d'y être posées. Il est rare qu'un arrêt,
aussi important soit-il, fixe définitivement un point de droit
c'est de leur accumulation seulement et de leur rapprochement
:
que les solutions peuvent être dégagées.
On nous excusera donc d'entreprendre ici l'examen
d'arrêts qui ne sont pas tous très récents, ne serait-ce juste-
ment que pour montrer comment les dernières décisions
permettent d'en éclairer le sens vrai, de préciser ou d'atténuer
les conclusions qu'on en avait d'abord tirées. Aussi bien, à
procéder ainsi, au risque de donner à ce commentaire de

:
jurisprudence une ampleur inaccoutumée, y a-t-il une autre
raison dans le moment de reprendre une chronique depuis
longtemps interrompue,
— lourde tâche après les remarqua-
bles études qu'y a données M. P. Esmein, c'est le désir

d'y rappeler, au moins sur l'essentiel, l'écho des discussions
principales de ces dernières années.
I. — RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE ET RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE
1. La responsabilité du médecin.
2. L'action en responsabilité exercée, après le décès d'un contrac-
tant, par ses ayants cause.

II. — LA RESPONSABILITÉ DU FAIT DES CHOSES


::
1. La notion du fait de la chose
2. La notion de la garde de la chose
le rôle actif de la chose.
le vol de la chose.
3. Les collisions de véhicules.
4. Les limites de la responsabilité du fait des choses.
5. Les rapports de la responsabilité du fait des choses et de la
responsabilité du fait d'autrui.

III. — LA RÉPARATION DU PRÉJUDICE


1. Let ayants droit à indemnité au cas d'accident mortel.
2. Le recours de l'Etat, débiteur d'une pension d'invalidité envers
l'un de ses agents, contre l'auteur responsable de l'accident, et
le cumul des deux indemnités par la victime.

:
1

1. La responsabilité du médecin (Civ. rej., 20 mai 1936, D. P.,

;
1936, 1. 88, rapport Josserand, Conclusions Matter, note E.
P., S., 1937, 1. 321, note Breton Civ. rej., 18 janvier 1938,
Gaz. Pal., 15 février 1938).

La Chambre civile de la Cour de Cassation a affirmé, pour


la première fois, le 20 mai 1936, dans un arrêt motivé avec
beaucoup de précision, le caractère contractuel de la respon-
sabilité du médecin, pour faute dans les soins donnés à son
client. Ce faisant, elle a défini le contenu de l'obligation
contractuelle dont cette responsabilité constitue la sanction.
Elle en a conclu, enfin que, l'action en responsabilité dirigée
contre le médecin n'est pas soumise à la prescription de l'action
publique, alors même que la faute est constitutive du délit de
blessure par imprudence.
Il n'est pas interdit de penser que, si les principes affirmés
doivent être pleinement approuvés, la conséquence pratique
qui en a été tirée peut rester soumise à la discussion.
A) Les principes: le caractère et l'étendue
de la responsabilité du médecin

1. - Il ne suffit pas, pour qu'une responsabilité soit

contrat ;
contractuelle, que l'auteur et la victime soient liés par un
il faut encore que le fait dommageable constitue un
manquement à l'une des obligations nées de ce contrat (voy.

cale, c'est sur ce second point que la controverse a porté :


note E. P., p. 88 in fine). En matière de responsabilité médi-

médecin, a t-on dit, s'oblige seulement à donner ses soins, puis


le

à ne pas les interrompre après que le traitement est com-


mencé ; il ne promet pas, si l'on ose dire, la qualité des soins
qu'il donnera. Ceci revient à affirmer que, par contrat, le
médecin s'engage à soigner le malade, non pas à le bien
soigner. Mais qui ne sent que l'on aboutit ainsi à l'une de ces

exigences du sens commun ?


contradictions où l'analyse juridique cesse de traduire les

:
Pour faire accepter le paradoxe,
il ne faut pas moins que l'autorité d'un arrêtiste éminent
M. Nast, presque seul parmi les partisans de la responsabilité
délictuelle, a tenté une justification de cette thèse (note D. P.,
1932, 2. 5, sous Aix, 16 juillet 1931, arrêt attaqué devant la
Chambre Civile). Si le manquement aux règles de l'art de
guérir n'est pas l'inexécution d'une obligation contractuelle,
c'est parce que les obligations du médecin ne sont pas créées,
et librement fixées dans leur étendue, par les parties elles-
mêmes. Les Tribunaux, pour en apprécier le contenu, ne se
réfèrent pas à une analyse de volonté, mais à un examen

;
objectif des devoirs professionnels; ce ne sont pas des obliga-
tions nées du contrat ce sont des obligations légales.
Cette conception, — qui vaudrait d'ailleurs, si on l'admet-
tait, pour toute responsabilité professionnelle, — aurait é é
légitime, peut-être, au temps où régnait sans conteste le dogme
?
de l'autonomie de la volonté. Mais qu'en reste-t-il aujourd'hui
Au temps du contrat dirigé, qu'une obligation n'ait pas été
voulue par les parties ne l'empêche pas d'être contractuelle.
La loi et la jurisprudence, autant que la volonté expressément
ou tacitement manifestée, déterminent le contenu des contrats..
Ainsi ne paraît-il pas douteux que l'obligation de bien
soigner naisse du contrat conclu entre le médecin et son client,
et que, par suite, le manquement fautif et dommageable à cette

:
obligation soit générateur d'une responsabilité contractuelle
(En ce sens E. P., note précitée, p. 89 in principio ; Falque,
La responsabilité du médecin après l'arrêt de la Cour de Cas-
sation du 20 mai 1936, cette Revue, 1937, p. 617).
2. — Cette obligation de bien soigner, contenue dans le
contrat, quelle en est la portée ?
« Le médecin contracte l'obligation, non pas bien évidem-
ment de guérir le malade, mais de lui donner des soins cons-
ciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances
exceptionnelles, conformes aux données acquises de la
science ». Ainsi dispose l'arrêt de la Chambre Civile de 1936,
en une formule reprise presque textuellement par celui de
1938.
-

Bien soigner n'est pas nécessairement guérir. Simple


truisme, écrit à juste titre M. le Président Pilon, mais dont
- on n'a peut-être pas fini de tirer toutes les conséquences. En
disant que le médecin est seulement tenu de donner des soins
qualifiés, la Chambre civile admet nécessairement que c'est au
malade de prouver l'insuffisance des soins reçus, donc la faute
du médecin. La distinction doctrinale des obligations de
moyens et des obligations de résultat, proposée par M. Demo-
gue (Obligations, V, n° 1237, VI, n° 599), développée par
M. H. Mazeaud sous une autre terminologie (Obligations déter-
minées et obligations générales de prudence et diligence :
Essai de classification des obligations, Rev. trim., 1936, p. 1 et

:
s.), s'en trouve consacrée (voy. pour la critique de l'arrêt sur
ce point Breton, note précitée, § B., p. 326-27).
Mais il est, dans l'arrêt, une autre analyse, moins précise
par la force des choses. A apprécier si les soins ont été cons-
ciencieux et attentifs, il n'y aura pas de difficulté. Combien n'y
en aura-t-il pas à savoir s'ils ont été conformes aux données
acquises de la science ? Question de fait, dira-t-on, et la
prudence des magistrats ne manquera pas, — demain sous le
régime de la responsabilité contractuelle, comme hier sous
celui de la responsabilité délictuélle, — d'être éclairée par la
consultation d'experts qualifiés. Mais ceci ne concerne que
»
l'application, « au cas du malade considéré, des principes
scientifiques. Il reste à fixer ces principes mêmes, à savoir
surtout si, pour tout médecin, ce que l'on considèrera comme
les données acquises de la science devra correspondre à une
même notion. En douter n'est pas chercher le paradoxe, mais
traduire exactement la réalité, ainsi que l'a montré M. Falque
dans une très pénétrante analyse (op. cit., p. 623-29) ; car, si la
science est une, les possibilités ne sont pas égales de la con-
naître. Le praticien de campagne et le médecin des hôpitaux
?
peuvent-ils être soumis à la même obligation Il n'est pas
équitable qu'il en soit ainsi, car, en écartant même tout ce qui
est encore objet de controverses, on est trop sévère pour le
premier si l'on exige que les dernières acquisitions scienti-
fiques soient connues de lui, et insuffisamment pour le second
si l'on se contente, au contraire, des règles déjà devenues
classiques. Pareillement, celui qui exerce la médecine générale
et le spécialiste ne sauraient avoir la même précision de
connaissances. Et le malade même, s'il est l'objet d'autant de
dévouement, peut-il légitimement espérer autant de science
dans tous les cas, alors qu'il faut bien constater, même si
l'on hésite, en matière médicale, à insister sur ces. considéra-
tions, que les obligations pécuniaires nées pour lui du contrat
ne sont pas toujours identiques ?
Ce qui n'est pas équitable est rarement juridique. L'ana-
lyse du contenu du contrat permet, croyons-nous, d'individua-
liser ainsi, si l'on ose dire, la responsabilité du médecin. Que
l'on fonde cette analyse sur une interprétation de volonté, assez
divinatoire il est vrai, les parties n'ont pas pu, raisonnablement,
promettre ni espérer, dans chaque cas, la même qualité de
soins. Que l'on fonde l'interprétation, là où la volonté n'est pas
exprimée, sur l'usage, l'équité, — ce qui n'est au fond que la
manière dont la jurisprudence interprète actuellement tout
contrat, — on est conduit aussi à consacrer ces différences. Il
semble que la Chambre civile elle-même tende à les admettre,
dans un arrêt du 18 octobre 1937 (D. H., 1937, 549), où elle
décide, après les experts, qu'un œil médical non exercé aux
choses de la chirurgie peut très bien, sans qu'il en résulte de
responsabilité, ne pas juger de la gravité réelle du cas.
Que cette tendance soit suivie ou non de façon définitive,
le principe demeurera, au moins, que la faute du médecin
devra être prouvée. Or cette notion d'une responsabilité
contractuelle laissant la preuve à la charge du demandeur, si
elle est déjà connue, n'est pas assez classique pour que le
régime en soit déterminé sans conteste.

B) Les conséquences : le régime de la responsabilité


du médecin
Il est tentant, plus qu'exact, d'affirmer que les principes
seuls importent, et que les conséquences en peuvent être tirées
par la seule mise en œuvre d'un raisonnement déductif. Du
caractère contractuel reconnu à la responsabilité médicale,
que résulte-t-il ?
1. — Les deux arrêts statuent sur la question de pres-
cription. « L'action civile qui réalise une telle responsabilité,
ayant ainsi une source distincte du fait constitutif d'une
infraction à la loi pénale et puisant son origine dans la conven-
tion préexistante. échappe à la prescription triennale de l'article
638 Code d'Instruction Criminelle ».
La conclusion est trop rapidement affirmée. Le but de
et
l'article 638 C. I. Cr. est, en effet, d'éviter le rappel la preuve,
dans l'action civile, d'une infraction qui n'est plus punissable.
Pour que l'une et l'autre actions cessent d'être soumises à la
même prescription, il faut donc que l'action civile puisse réus-
sir sans qu'il soit nécessaire de rapporter la preuve de la faute
pénale. C'est pourquoi la prescription pénale ne s'applique
pas, en général, aux actions civiles qui ont leur source dans
un contrat. Lorsqu'on a posé ce principe, on a songé seulement

:
aux cas, particulièrement àcelui du transport, où le contrat
dispense de prouver la faute c'est ce qui légitime les décisions
de la jurisprudence. Mais toute autre est ici la situation. Malgré
le contrat, il faut, dans l'action civile, prouver la faute, —
faute civile qui, d'après un autre principe, est identique à la
faute pénale, de telle sorte que toute faute entraînant une
atteinte à l'intégrité physique du malade constitue le délit de-
blessure par imprudence. Les raisons d'appliquer l'article 638
C. I. Cr., subsistent dès lors, malgré le contrat. Après l'argu-
mentation décisive que M. Nast avait donnée en ce sens (note
précitée D., 1932, 1. p. 8, b. ; adde : H. Mazeaud, op. cit., n° 65».
Rev. trim., 1936, p. 57), il est étonnant que la question, bien
qu'évoquée dans le moyen du pourvoi lors du premier arrêt,,,
n'ait pas été discutée devant la Cour de Cassation.
Pour en décider autrement, la Chambre civile a dû appli-
quer de façon trop automatique le principe posé par la juris-
prudence antérieure, sans en retenir le fondement. L'oppo-

;
sition technique de l'action contractuelle à l'action délictuelle
a été retenue les raisons qui la justifient habituellement, et
qui font défaut ici, ne l'ont pas été (voy. en ce sens la critique
très justifiée de l'arrêt, présentée par M. Falque, op. cit., p.
633-34). Ailleurs pourtant, la Cour de Cassation avait aperçu.
que cette opposition ne suffit pas à résoudre la question de
prescription. Bien que délictuelle, l'action fondée sur l'article
1384, § 1, échappe à la prescription de l'action publique, parce
qu'elle ne suppose pas la preuve de la faute. C'est le raison-
nement symétriquement inverse qu'il fallait faire ici.
Qu'est-cc à dire, sinon qu'à la vieille opposition de la
responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle,
il faut peut-être, et de plus en plus, substituer la distinction
des obligations de moyens et des obligations de résultat ?
2. — On peut faire des observations analogues si l'on pose
le problème du cumul.
Si le cumul paraît écarté en principe
par la doctrine et la
jurisprudence dominantes, on décide souvent qu'il peut être
admis à titre exceptionnel au cas de faute pénale, peut-être
même au cas de faute prouvée, peut-être enfin dans tous les
cas de responsabilité professionnelle (voy. Brun, Rapports et
domaines des responsabilitéscontractuelle et délictuelle, thèse,
Lyon, 1930, p. 229-279).
Ces exceptions, si on les conserve, risquent d'absorber la
règle. Le cumul, s'il est admis au cas de faute prouvée, sera
toujours possible pour les obligations contractuelles de
moyens. Est-ce admissible ? Il est permis d'en douter.
Il y a plus. Si le cumul est possible pour toute responsa-
bilité professionnelle, l'article 1384, § 1, sera peut-être
applicable, — sauf controverses fondées sur d'autres élé-
ments, — lorsque les soins comporteront l'intervention d'une
chose inanimée, particulièrement dans l'opération chirurgicale
et les traitements radio-électriques (voy. toutefois contra: Req.,
15 juin 1937, Gaz. Pal., 1937, 2.411). Ainsi l'affirmation du
caractère contractuel de la responsabilité n'aurait pas ren-
versé la charge de la preuve, alors que, dans d'autres situations

le cumul, au domaine délictuel, renverserait cette charge


paradoxe qui eût fort étonné les auteurs classiques. t
:
elle n'a longtemps servi qu'à atteindre ce but. Et le retour, par

Il apparaît de plus en plus nettement que le double mouve-


mentqui consiste à admettre, à la fois, des responsabilités
contractuelles où la faute doit être prouvée et des responsabi-
lités délictuelles où cette preuve est inutile, peut obliger, par
ses conséquences lointaines, à réviser des analyses et des
constructions qui lui paraissaient d'abord étrangères. Aux
juristes qui souhaitent philosopher sur les méthodes d'inter-
prétation, sur le rôle et le caractère souvent variables des
catégories juridiques, l'arrêt de la Chambre civile offrirait le
sujet de bien curieuses réflexions.

2. L'action en responsabilité exercée, après le décès d'un


contractant, par ses ayants cause (Civ. rej., 6 décembre
1932 et 24 mai 1933, D. P., 1933, 1. 137, note Josserand, S.,
1934, 1. 81, note P. Esmein; Req., 19 juin 1933, D. H., 1933,
429, Req., 8 mars 1937, S., 1937, 1. 241, rapport Pilon).—
Les conséquences du caractère reconnu à cette action sur
le problème général du cumul de la responsabilité contrac-
tuelle et de la responsabilité délictuelle.
1. — Dans certains contrats, particulièrement dans le
transport, où la mort de l'un des contractants peut survenir
du fait de l'inexécution, l'action en responsabilité est fréquem-
ment exercée par les ayants cause. Mais il y a beaucoup
d'incertitude sur la nature et l'étendue des droits qu'ils
peuvent invoquer. Sans doute est-il généralement admis que
l'action en responsabilité, dont leur auteur était titulaire avant
son décès, leur est transmise avec son
(H. et L. Mazeaud, II, n° 1904 et s. Contra :
caractère contractuel.
Planiol, Ripert et
Esmein, Obligations, VI, n° 658). Mais cette action ne tend

;
qu'à la réparation du préjudice personnellement subi par le
contractant d'où il résulte qu'elle ne permet pas en général
l'allocation d'une indemnité assez élevée, et que l'existence
en est discutable, en son principe même, au cas de décès
instantané.
C'est du préjudice qu'ils ont eux-mêmes subi que les
proches parents veulent obtenir réparation. Mais, faisant
valoir un droit personnel, ils cessent d'agir comme ayants
cause. Il semble, dès lors, qu'ils ne puissent plus invoquer le
contrat, mais seulement les règles de la responsabilité délic-
tuelle et qu'ils soient, par suite, tenus de prouver la faute du
co-contractant. Par le détour d'une stipulation pour autrui,
la Cour de Cassation a décidé pourtant qu'ils peuvent agir, à
la fois, selon l'heureuse expression de M. Josserand, (note D.
P., 1933, 1. 138) contractuellement et de leur propre chef.
« Le droit d'obtenir réparation du préjudice s'est ouvert, (en.
nertu de l'article 1147 Code Civil, au profit du conjoint et des
enfants de ea victime en faveur de qui celle-ci a stipulé, sans
qu'il ait été besoin de le faire expressément, dans la mesure
de leur intérêt ». (Civ. rej., 6 décembre 1932, Req., 19 juin
1933). Le principe posé, il a fallu le limiter. Le 24 mai 1933,
l.a Chambre civile a décidé que la stipulation n'est présumée

« qu'au profit des personnes envers lesquelles le contractant


était lié par un devoir d'assistance en vertu d'un llièn légal ».
En conséquence, l'action en responsabilité exercée par la sœur
du contractant, qui ne prouvait pas la faute du transporteur,
a été rejetée.

2. — Dans ces
stipulation pour autrui est nouvelle ;
arrêts, seule l'analyse de l'opération en une
le rattachement au
contrat de l'action en responsabilité des ayants cause ne l'est
pas. La Chambre civile l'avait admis déjà, dans l'un des
premiers arrêts qui aient consacré l'existence, dans le contrat
de transport, d'une obligation de sécurité (Civ. rej., 21 avril

; 1.:
1913, D. P., 1913, 1. 249, 3me espèce, note Sarrut, S., 1914, 1. 5^
note Lyon-Caen Contra Req. 27 juillet 1925, D. P., 1926,1.
5, note Ripert, S., 1925, 240, note Esmein) i; et la doctrine

(Lyon-Caen, note précitée


Rouast, note D. P., 1932, 2. 25).
;
n'avait pas manqué de signaler la singularité de cette décision
Ripert, Rev, crit., 1914, 197 ;

L'apport d'un motif nouveau n'a pas paru justifier davan-


tage la règle posée. Tout au contraire, une analyse à la fois
plus développée dans son principe et plus limitée dans ses
conséquences, invoquable par certaines personnes seulement
parmi les ayants cause, n'a fait qu'accentuer le caractère
artificiel et divinatoire de l'interprétation. L'obligation de
sécurité, fondée déjà très arbitrairement sur la volonté des
parties, ne repose plus sur aucune base lorsque d'autres que
le contractant en deviennent bénéficiaires. La critique paraît
péremptoire (Josserand, note D. P., 1933, 1. 137 ; H. et L.
Mazeaud, I, n° 141) ; noteM. P., Rev. gên. ass. ter., 1933, 398 ;

Perret, Des ayants droit à indemnité au cas d'accident mortel


thèse, Paris, 1933, p. 188-194).
Elle l'est peut-être trop. Il y aurait, en effet, une inélégance
,
certaine à soumettre à des règles entièrement différentes
l'action du voyageur lui-même et celle de ses parents. M. Ripert
(note D. P., 1926, 1. 5) et M. Esmein (notes S., 1925, 1. 249, et
1934, 1. 81) ont montré combien il était artificiel de considérer
ces deux actions comme absolument indépendantes, alors que
ni l'une ni l'autre n'existeraient sans le contrat qui a été
conclu. Comment dire, pour un même accident, qu'il y a faute
à l'égard du voyageur, mais non pas à l'égard de ses ayants
cause ?Comment dire le contraire pour un transport maritime
où la clause de négligence, opposable à l'action contractuelle

:
du voyageur (1), ne le serait pas à l'action délictuelle de ses
héritiers (en ce sens Req., 27 juillet 1925, précité) ? Affirmer,
pour justifier ces différences, que les parents agissent en leur

(1) Dans la mesure où elle est admise par la loi du 2 avril 1936, D. P., 1937,.
4. 1.
nom personnel et non pas comme ayants cause, est une expli-
cation que chacun comprend mais qui ne convainc personne,
car elle est purement technique et ne peut satisfaire entière-
ment l'esprit. La simple opposition de deux catégories
juridiques ne permet pas d'admettre qu'un même fait soit
considéré comme fautif ou non suivant ceux qui l'invoquent.

de sécurité n'a pas été respectée ;


Que le voyageur soit mort prouve précisément' que l'obligation
et l'on comprend mal que
la situation du transporteur s'en trouve modifiée.
Ici encore, il apparaît que l'on a peut-être donné, à la dis-
tinction de la responsabilité délictuelle, et de la responsabilité
contractuelle une trop grande importance. Les catégories
juridiques ont pour but de donner aux règles applicables une
précision et une certitude qui peuvent être acquises, sans doute,,
au prix d'un certain illogisme dans des cas particuliers. Mais
on comprend que la Chambre civile ait voulu éviter, dans la
mesure du possible, cet illogisme. Cherchant, dans un but
d'harmonie, à soumettre au même régime l'action de la victime
et celle de ses parents, elle a suivi pour cela le détour technique
qui les rend l'une et l'autre contractuelles. Si l'analyse de
volonté, à laquelle elle a été ainsi conduite, est arbitraire, elle
n'est qu'un artifice pour reconnaître aux parents les plus
proches un droit personnel à indemnité. Dès lors, M. Esmein

qu'elle était celle des pouvoirs de la jurisprudence :


a parfaitement montré que la question était plus générale,

peut-elle créer une règle de droit, là où la loi n'en a pas


celle-ci

?
formulé Pris en soi, le problème semble dépasser ceux que
l'on peut résoudre dans un commentaire d'arrêts. Mais, malgré
quelques négations purement verbales, la doctrine est unanime

créateur de la jurisprudence ;
en réalité à reconnaître, ouvertement ou non, ce pouvoir
et, si elle ne l'admettait pas
dans la matière de la responsabilité plus qu'en toute autre,
presque aucune règle du droit positif ne pourrait être consi-
dérée comme légitimement acquise.
Mais une autre question doit être également posée. Une
analyse de volonté artificielle pour créer une règle de droit,
à la supposer légitime, ne l'est que dans la mesure où elle est
strictement nécessaire au résultat cherché. Or, à dispenser les
ayants cause de prouver la faute du transporteur, ne serait-on
pas parvenu par les seules règles de la responsabilité délic-
tuelle, en invoquant le fait des choses?
Déjà, on avait pu penser que la construction même qui,
dans le contrat de transport, inclut une obligation de sécurité,
n'aurait sans doute pas été édifiée si l'article 1384, § 1, avait
été plus tôt découvert (Ripert, note D. P., 1929, 1. 130). Il est
singulier qu'elle ait été développée jusqu'à une stipulation en
faveur des parents les plus proches au moment où les règles
de la responsabilité du fait des choses prenaient elles-mêmes
une importance grandissante.
3. — A suivre une méthode, aussi classique et aussi arti-
ficielle, de présomption de volonté, on n'a pas évité les risques
de contradiction. Au lendemain des arrêts de 1932 et (1933,
on pouvait penser que l'action des ayants cause, bénéficiaires
de la stipulation, serait désormais soumise en tout point aux
règles de la responsabilité contractuelle (cpr. P. Esmein, note
S., 1934, 1, 81, § 1, III). C'eût été l'abandon complet de certains
principes posés par les arrêts antérieurs (spécialement Req.,
27 juillet 1925, précité).
La Cour de Cassation ne s'y est pas résolue. Statuant le
8 mars 1937 sur une question de compétence, à propos de
l'action exercée par la veuve de la victime, elle a appliqué les
règles de la responsabilité délictuelle : « La veuve était fondée
à se présenter comme tiers au contrat passé par les Usines
Renault avec son mari, pour poursuivre, en vertu de l'article
1382, la réparation du préjudice personnel, matériel et moral,
que l'accident avait causé à sa fille et à elle ». Il ne s'agissait
pas, en l'espèce, d'un contrat de transport, mais d'une action
pour vice de construction, dirigée contre le vendeur d'une
victime ;
automobile à la suite d'un accident dont l'acheteur avait été
mais la différence dans la nature du contrat ne
saurait changer les données du problème juridique. Or, l'arrêt
de 1937, rapproché des arrêts de 1932 et 1933, semble néces-
sairement postuler l'admission du cumul des deux respon-
sabilités, ou au moins de l'option entre elles.
Par une analyse ingénieuse, M. le Président Pilon le nie.
Ce n'est pas un cumul de permettre l'exercice de l'action con-
tractuelle au contractant et de l'action délictuelle à ses héri-
tiers (rapport S., 1937, 1. 242). Mais le raisonnement, très
certainement exact en droit, est difficilement applicable en
fait aux espèces étudiées. Car, en 1932 comme enil937, c'étaient

préjudice personnel :
les héritiers ou la veuve qui demandaient réparation d'un
si bien que, tantôt la veuve exerce
l'action contractuelle pour échapper à la charge de la preuve,
et tantôt elle exerce l'action délictuelle pour invoquer les règles
de compétence admises en cette matière. Or, c'est précisément
dans cette possibilité, pour une même personne, d'invoquer à
son choix l'action du contrat ou l'action de l'article 1382 que
consiste le cumul (Cpr. Brun, Rapports et domaines des res-
ponsabilitéscontractuelle et délictuelle, thèse, Lyon, 1930,
n08 306-323, en particulier n° 312).
Aussi bien, M. le Président Pilon convient-il que les arrêts
de 1932 et 1933 sont, par rapport aux principes qu'il défend,
très exceptionnels, n'ont que la valeur d'un moyen de secours
pour accorder une réparation lorsque la preuve de la faute est
impossible (loc. cit., p. 243). Est-ce annoncer déjà l'abandon
de cette action contractuelle des ayants cause ? Il est difficile

une chose est certaine ;


de prévoir l'orientation de la jurisprudence prochaine. Mais
c'est que, pour rétablir l'harmonie
entre ses décisions, elle devra abandonner l'un ou l'autre des
principes qu'elle a suivis jusqu'ici.
Qu'elle refuse désormais, aux ayants cause, toute action
contractuelle pour réparation du préjudice qui leur est per-
sonnel ; elle peut conserver le principe du non-cumul.
Qu'elle maintienne au contraire, aux ayants cause, cette
double action contractuelle et délictuelle ; elle est contrainte
d'admettre le cumul des deux responsabilités.
Aucune conciliation ne paraît possible. Car si les ayants
cause peuvent agir, à leur choix, contractuellement ou délic-
tuellement pour un même préjudice, pour un préjudice per-
sonnel dans les deux cas, on n'aperçoit pas les raisons qui
empêcheraient de reconnaître le même droit aux contractants.
II

I. La notion du fait de la chose : le rôle actif de la chose.

1. — L'interprétation de l'article 1384, § 1, depuis qu'il


a été découvert, s'est toujours révélée singulièrement exégé-
tique. Créer une responsabilité indiscutablement étrangère aux
termes comme à l'esprit du texte, rattacher cependant à ces

:
termes mêmes les constructions qui permettaient d'en déli-
miter le domaine c'est une méthode dont la jurisprudence et
souvent la doctrine elle-même ont affecté de ne pas apercevoir
la contradiction.
C'est l'expression de dommage causé par le fait des choses
qui permettait d'exclure, du domaine de ce texte, les choses
'Sous l'action de l'homme, ou d'en restreindre l'application aux
choses atteintes d'un vice propre. C'est l'expression de garde
qui permettait de la limiter aux choses dangereuses. Et, pour
condamner ces limitations, la méthode fut encore de constater
que la loi ne faisait, entre les choses inanimées, aucune
distinction.
La recherche n'est pas, pour autant, terminée. Si la notion
de garde n'intervient plus aujourd'hui que pour désigner la
personne responsable, la notion du fait de la chose retrouve,
depuis l'arrêt des Chambres réunies du 13 février 1930, une
singulière fortune. C'est qu'au lendemain même de cet arrêt,
la nécessité est apparue de ne pas appliquer l'article 1384
chaque fois qu'une chose quelconque intervient, dans des
conditions quelconques, dans la réalisation du dommage
à l'admettre, on aurait pratiquement supprimé de nos lois
;
l'article 1382.
Pour éviter ce renversement absolu de principe, les dis-
tinctions fondées sur la garde étant les dernières qui aient
été implicitement condamnées, c'est à la notion du fait de la
chose que l'on est revenu par un curieux mouvement. Le
sens de l'expression a d'ailleurs changé (Marty, note S., 1937,
2. 217, § 1, ÏI, A). Il ne s'agit plus de rechercher le fait auto-
nome de la chose, dû à elle seule, et dans lequel l'homme
n'aurait joué aucun rôle, fait autonome dont l'impossibilité
même avait été suffisamment démontrée (Ripert, note D. P.,
1922, 1.5 ; Règle morale, n° 124). Mais la condition, autrement
interprétée, demeure. On exige, pour appliquer l'article 1384,
§ 1, un fait actif de la chose. Si celle-ci, lors de la réalisation

du dommage, est restée inerte, n'a eu qu'un rôle purement


passif, la responsabilité pour faute prouvée peut seule être
encourue. M. Savatier avait montré, dès 1930 (note D. P., 1930,
1.81, II, B), la nécessité de cette distinction, aussi bien pour
laisser un domaine suffisant à l'article 1382, que pour choisir,
dans les autres cas, entce les choses innombrables qui peuvent
avoir contribué à la production du dommage, celle dont le
gardien doit être responsable. Le Tribunal Civil de Narbonne
adoptait le premier cette idée (22 décembre 1930, Gaz. Pal.,
1931, 1.324). La Cour de Rennes (11 mars 1932, D. H., 1932,
292) l'exprimait dans des motifs plus nets, bientôt repris par
la Cour de Paris (17 novembre 1933, Gaz. Pal., 1934, 1.80) qui
depuis, s'y montre particulièrement favorable. Presque toutes
les Cours et tous les Tribunaux, à l'exception de la Cour de
Rouen (13 février 1936, Gaz. Pal., 1936, 1. 885), se prononcent
dans le même sens (1). Et, si la Cour de Cassation n'a pas
encore consacré cette jurisprudence, elle lui paraît implicite-

cules. Tous contiennent ce motif :


ment favorable, dans les arrêts relatifs aux collisions de véhi-
« La présomption est
subordonnée à la seule condition que le dommage ait été
causé par le fait de la chose ».
Certains condamnent à répa-
ration un seul gardien, ce qui suppose admis que la chose de

:
(1) Voy., outre les décisions citées au texte Paris, 14 janvier 1935, Gaz. Pal.,
1935, ibid. au texte, et D. H., 1935, 373;
1935, 2. 156 sous note ai; Paris, 6 mars 1935, ibid., sous note b ; Dijon, 9 mai
Poitiers, 3 juillet 1935, D. H., 1935.
502; Trib. Civ. Montélimar, 9 juillet 1935, Gaz. Pal., 1935, 2. 771; Caen, 30
décembre 1935, Gaz. Pal., 1936, 1. 886 sous note; Paris, 22 janvier 1936, Gaz.
Pal., 1936, 1. 274; Colmar, 15 février 1936, Gaz. Pal., 1936, 2. 678 sous note c,
S., 1937, 2.147 Paris, 6 mars 1936, Gaz. Pal., 1936, 1. Tabla vo responsabilité
civile,n" 140 Douai, 16
1936, 304
;
;
mars 1936, S., 1937, 2.147 ; Paris, 18 mars 1936, D. H.,
; Trib. Civ. Péronne, 3 avril 1936, D. H., 1936, 309 ; Paris, 4 avril

Pol., 1936, 2. 680, motifs


Càhors, 13
;
1936, Gaz. Pal., 1936, 1. 677,
;
sous note a; Trib. Civ. Segré, 12 juin 1936, Gaz.
Paris, 4 juillet 1936, D. H., 1936, 432 Trib. Civ.
mars 1937, D. H., 1937, 311 ; Colmar, 23 juin 1937, S., 1937, 2.217,
note Marty.
l'autre a eu, dans l'accident, un rôle purement passif (voy.
toutefois Civ. cass., 21 juin 1937, Gaz.-Pal., 1937,2.348, deux
arrêts, dont l'un au S., 1937, 1. 350, fondés sur la seule parti-
cipation matérielle de la chose à la réalisation du dommage).

2. — L'analyse est intéressante. Sans doute ne peut-elle


être exclusivement défendue par les principes de la causalité ;
seule de la considérer comme la cause du dommage (Contra
Lalou, Les choses inertes et l'article 1384, § 1 C. Civ., Chro-
:
il n'est pas vrai que l'intervention active de la chose permette

nique D. H., 1933, 93). L'idée, certainement exacte en logique


pure, de l'équivalence des conditions, conduit à dire que
toutes les choses sans l'existence desquelles le dommage ne
se serait pas produit en sont la cause (Savatier, note D. P.,
1930, 1.81, II, B ; Cpr. Esmein, note S., 1934, 1.169, II). Aussi
bien sait-on, depuis longtemps, que le problème de la causa-
lité est un problème insoluble. C'est sur cette seule analyse,
pourtant, que M. Marty, tout récemment, a voulu fonder l'exi-
2.
gence d'un fait actif (note, S., 1937, 217, § 1, II, C). Mais

:
il a dû pour cela se rallier, non sans hésitation, aux théories
de la causalité adéquate encore ne voit-il dans la jurispru-
dence qu'une évolution demeurée obscure vers ce système,
combien obscur et imprécis lui aussi (Guex, thèse, Lausanne,
1904 ; Marteau, thèse, Aix, 1914).
La vérité est qu'il est presque impossible de justifier sur
ce point la jurisprudence d'une façon proprement juridique,
si l'on n'entend ce mot que de la seule interprétation des
notions techniques. Mais la nécessité demeure certaine de
laisser à l'article 1382 un domaine raisonnable. L'article 1384,
§ 1, découvert pour suppléer à ses lacunes, a eu pour but de
protéger la victime lorsque le dommage présente le caractère
d'un événement quelque peu exceptionnel auquel elle est restée

;
étrangère, lorsqu'il y a, par ailleurs, inégalité de situation
entre elle et le gardien de lachose et les théoriesde la pré-
somption de faute et du risque concordent vers cette analyse
(Cpr. pour plus de développements, le commentaire donné,
infra, des arrêts relatifs aux collisions de véhicules et à la
faute de la victime). L'application de ce texte suppose, ainsi
que l'écrit M. Savatier (note précitée D. P., 1930, 1.83),
est survenu un accident, au sens de fait anormal et imprévu ;
qu'il

:
il suffit, à cet égard, de rappeler les circonstances qui ont fait
apparaître la règle accidents dutravail, accidents de la cir-
culation.
Et, s'il est vrai que ce n'est là qu'une affirmation,
M. Esmein a excellemment montré que la jurisprudence ne
peut procéder qu'ainsi, comme le législateur lui-même, lors-
qu'elle crée des règles nouvelles. (L'article 138b, § 1, C. Civ.
est-il applicable au profit de celui qui heurte une chose immo-
?
bile Chronique, D. H., 1937, 65). Les raisons d'opportunité,
fondéessur l'appréciation directe des intérêts en cause, peu-
vent seules la guider. Or, on ne conçoit pas qu'une protection
particulière soit assurée à la victime lorsque le dommage
résulte de sa propre manière de se conduire dans l'ordre natu-
rel du monde. Les principales applications qui ont été faites
jusqu'ici, de la distinction entre les choses actives et les choses
inertes, le montrent. On éprouve quelque surprise à voir invo-
quer l'article 1384 par la personne qui est tombée dans un
étang dont la surface était recouverte de lentilles d'eau le
dissimulant à ses yeux (Rennes, 11 mars 1932), par le specta-
teur qui, entrant au cinéma, est tombé dans l'escalier qui le
conduisait à la salle de spectacle (Paris, 17 novembre 1933),
par le client qui, circulant dans un magasin, a heurté du pied
la roulette d'un porte-manteaux (Paris, 18 mars 1936).

3. — Si la distinction est ainsi fondée, dans son esprit


général, peut-être n'est-il pas facile de lui donner une entière
précision. Les arrêts n'ont pas tenté de dégager une notion
stricte du « fait actif de la chose ». La plupart semblent

ment, un déplacement de la chose :


décider simplement que le rôle actif consiste dans un mouve-
« Il est nécessaire que
le contact dommageable de la victime avec la chose soit le
résultat d'un mouvement, d'un déplacement, de l'action des-
tructive ou nocive de la chose, et non du fait volontaire oui
inconscient de la victime (Rennes, Il mars 1932 ; Paris, 17
novembre 1933 et les arrêts postérieurs de la même Cour).
On est tenté d'objecter (Cpr. Marty, note précitée, § 1,
II, B) qu'une chose immobile peut jouer un rôle prépon-
dérant dans la réalisation d'un dommage ; c'est, par exemple,
un obstacle quelconque barrant une route et auquel vient se
heurter un véhicule en mouvement. Accueillant l'objection,
MM. Mazeaud en concluent que laquestion de savoir sile rôle
de la chose a été actif ou non, estde pur fait. L'analyse de
M. Marty, fondée sur la causalité adéquate, aboutit à un résul-
tat analogue. La responsabilité est encourue lorsque la chose,
soit en mouvement, soit immobile, était de nature à provoquer
très probablement un dommage, et non pas à le causer par un

autres admettent en même temps une présomption :


concours exceptionnel de circonstances. Mais les uns et les
la seule

;
participation matérielle de la chose au dommage en fait pré-
sumer le rôle actif il appartient au gardien, pour s'exonérer,
de prouver que ce rôle a été passif H. et L. Mazeaud, II,
n° 1211-2 et s., n° 1530 et s. ; H. Mazeaud, note, S., 1933,
1. 257, § 2 ; Marty, note § 1, II, D).
C'est compliquer, d'une présomption nouvelle, celle, déjà
bien complexe, que contient l'article 1384. C'est, par surcroît,
répartir très singulièrement le fardeau de la preuve. Le prin-
cipe est certain que, pour invoquer une règle de droit, parti-
culièrement une présomption, il faut prouver que les condi-
tions auxquelles est subordonnée cette règle sont remplies.
Si donc le fait actif est une condition d'application de l'arti-
cle 1384, § 1, c'estau demandeur d'établir que l'intervention
de la chose a présenté ce caractère. MM. Mazeaud objectent
que ce serait là une charge trop lourde qui, pour la victime,
retirerait son utilité à l'article 1384. Mais l'objection, difficile
à admettre juridiquement, car elle contredit les principes
généraux sur la charge de la preuve et la mise en œuvre des
présomptions, ne porte pas en fait si l'on définit le rôle actif
comme étant le mouvement de la chose. En présence, en
effet, d'une chose immobile ayant matériellement participé
à la production du dommage, le dilemme est celui-ci
Ou la chose immobile était placée dans des conditions
:
normales, prévisibles, celles où son propriétaire, se conduisant
diligemment, devait la laisser. Il est alors logique que la res-
ponsabilité du fait des choses ne soit pas encourue. Ce sera
toujours le cas pour les choses immobilières qu'un événement
exceptionnel n'a pas mises en mouvement. Ce sera le cas le
plus fréquent pour les choses mobilières, par exemple pour
une voiture stationnant dans les conditions administrative-
ment prescrites.
Ou la chose immobile était placée dans des conditions
anormales, imprévisibles, celles où un propriétaire plus dili-

à la trouver:
gent ne l'aurait pas laissée, où les tiers ne pouvaient s'attendre
tels précisément les obstacles maladroitement
disposés que l'on imaginait. La faute personnelle du gardien
de la chose est alors établie, dans les termes de l'article 1382.
La définition du rôle actif, donnée jusqu'ici par les arrêts,
semble ainsi suffisamment précise. A la poser comme prin-
cipe, puisqu'elle ne contredit ni la logique ni l'équité, on
éviterait les incertitudes inhérentes à la solution de toutes
les difficultés que l'on considère comme de pur fait.

2. La notion de la garde de la chose : le vol de la chose (Civ.


cass., 3 mars 1936, D. P., 1936, 1. 81 note Capitant, et, sur
renvoi, Besançon, 25 février 1937, D. H., 1937,182, S., 1937;
2. 97, note Durand).

Par un arrêt du 3 mars 1936, la Chambre civile a décidé


que le propriétaire à qui sa chose est volée en conserve cepen-
dant la garde, et reste responsable des dommages causés par

nique :
elle pendant que le voleur l'utilise. L'affirmation est laco-
« Le vol d'une automobile. ne saurait à défaut d'autres
circonstances, constituer un cas fortuit ou de force majeure
exonérant des conséquences de l'accident causé par ce véhi-
cule celui qui, légalement, n'a pas cessé d'en avoir la garde. »
Saisie sur renvoi, la Cour de Besançon a attribué la garde
au voleur par un arrêt au contraire longuement motivé, où
l'on sent l'influence de la note par laquelle M. Capitant avait
fortement critiqué la décision de la Chambre civile. Ce conflit
de jurisprudence attire à nouveau l'attention sur la notion
« En attendant l'arrêt des
de garde, toujours incertaine
Chambres réunies >5, (H. Mazeaud, Chronique D. Ii., 1937, 45),
les auteurs en reprennent l'examen d'ensemble. (Voy., outre
les études de MM. Capitant, Mazeaud et Durand : Josserand,
Le gardien de l'automobile, le voleur et la victime d'un acci-
dent, Chronique D. H., 1936, p. 37 (1).
1.
— La garde juridique, par quoi l'on détermine la per-
sonne responsable au sens de l'article 1384 § 1, a été géné-
ralement conçue comme un pouvoir juridique, un droit de
commandement et de direction, à la différence de la garde
matérielle, simple pouvoir de fait résultant de la détention
de la chose (H. et L. Mazeaud, II, n° 1155 et s., et les réfé-
rences)
Tant qu'il s'est agi de choisir entre le propriétaire et
celui à qui il a volontairement confié sa chose, la théorie a
été facilement accueillie. (Voy. parmi les arrêts les plus récents,
Req., 7 juin 1937, D. H., 1937, 471). Elle paraît aujourd'hui
conduire à la responsabilité du propriétaire dépossédé
la solution paraissant discutable en fait, les critiques appa-
et, ;
raissent.
Contre l'arrêt de la Cour de Cassation, des arguments
d'équité sont d'abord invoqués. Mais la Justice, a dit Pascal,
n'est pas facilement connaissable. La responsabilité du pro-
priétaire est-elle injuste parce qu'il ne pouvait rien pour empê-
cher le dommage (Capitant, note précitée, p. 83 ; M. Picard,
note, Rev. gén. ass. ter., 1936, 356), ou juste parce qu'il faut,
avant tout, indemniser la victime et que le voleur est géné-
ralement insolvable, voire même inconnu (H. Mazeaud, Chro-
nique précitée, p. 51 ; Josserand, Chronique précitée, p. 38) ?

(1) Cette partie de notre chronique était rédigée lorsqu'a paru la très inté-
ressante étude de M. Durand, 5., 1937, 2.97, sous l'arrêt de Besançon. Notre
accord avec M. Durand sur les lignes générales — spécialement sur le rapproche-
ment entre les deux responsabilités du fait dtautrui et du fait des choses, et sur
les notions d'autoritéetd'indépendance — était si complet qu'il nous a paru préfé-
rable de maintenir notre texte en y ajoutant seulement des références à cette ncte.
Dans cette méthode qui nous rend incomplet, on verra seulement le désir de montrer
que, par des raisonnements différents, on doit rejoindre très vite, au centre véritable de
la matière, les notions d'autorité et d'indépendance, appréciées en fait plus qu'en
droit. Mais il nous faut dire au moins toute la force que donnent, à l'argumentation
de M. Durand, une analyse très pénétrante des travaux de Saleilles et un rapproche-
ment particulièrement heureux entre la notion de garde et la notion objective de
possession (note précitée, Il et III).
posée en ces termes, la question est insoluble :
ou, tout au
moins, il faudrait s'accorder d'abord sur le fondement de la
responsabilité.
Plus convaincantes sont les objections qu'a fait valoir
M. Capitant, fondées sur les conséquences du système adopté

sabilité du propriétaire
reur de bonne foi,
;
par la Chambre civile. Combien de temps durera la respon-

tant
quelle sera la situation d'un acqué-
qu'il sera exposé à la revendication?
Autant de questions (Capitant, note précitée, p. 82 ; M. Picard,
note Rev. gén. ass. ter., 1936, 357) qu'il est impossible de résou-
dre. C'est une réponse insuffisante de dire (H. Mazeaud, Chro-

:
nique précitée, p. 51, note 2) que de telles situations sont
exceptionnelles
;
la théorie juridique,, si elle est exacte, doit
pouvoir être appliquée aux différentes hypothèses de fait et
il y a, au moins, de sérieuses difficultés à considérer le pro-
priétaire dépossédé comme gardien.
Mais M. Capitant avait élargi le débat. Il semble bien que,
pour lui, la garde devait s'entendre seulement de la garde maté-

détenteur de la chose :
rielle, de telle sorte que la responsabilité pèse toujours sur le
la notion de garde juridique serait
fausse, en ce qu'elle est une création des interprètes, contraire
au sens des mots et dépourvue d'appui dans les textes. Et sans
doute est-il vrai que la fortune de cette théorie peut paraître
singulière. Proposée pour la première fois avec une grande
force de conviction par M. H. Mazeaud (La faute dans la garde,
Rev. trim., 1925, 832 et s.), excellemment développée dans
la même ligne par M. Besson (La notion de garde, thèse,
Dijon, 1927), reprise par MM. H. et L. Mazeaud dans leur
Traité de la responsabilité civile (II, n°. 1155 et s.), elle ne
fut, d'abord, qu'une création purement doctrinale. Mais, si
elle a été adoptée ensuite par la jurisprudence, il faut se féli-
citer de cette influence de la doctrine plutôt que la déplorer.
Les défenseurs de l'arrêt ont trouvé des arguments de texte
(H. Mazeaud, Chronique, p..49) comme ses adversaires (Capi-

:
tant, note, p. 82). Ni les uns, ni les autres, ne sont détermi-
nants, et ne sauraient l'être en une matière où le principe
même de la responsabilité est prétorien, rien ne peut empêcher
que les modalités d'application le soient également.
C'est donc en dehors des textes qu'il faut juger la valeur
de la construction. Elle paraît alors inutile, d'après M. Capi-
tant, car on l'a imaginée pour expliquer que le commettant
conserve la garde de la chose confiée au préposé. Or la respon-
sabilité du premier s'explique plus simplement par le fait qu'il
est représenté, dans l'exercice de la garde, par le second (Capi-
tant, note, p. 81 ; Cpr. pour une autre explication possible,
H. Mazeaud, Chronique, p. 49, note 2). Mais une étude com-
plète des précédents judiciaires ne permet pas de réduire à cela
seul le rôle pratique de la notion de garde juridique. Très
souvent, la jurisprudence a décidé que le propriétaire peut
rester gardien d'une chose confiée à un détenteur non préposé;
(H. et L. Mazeaud, II, n08 1174 et s. ; Durand, note précitée, II,
p. 98 ; Cpr. notre article sur Les rapports de la responsabilité
du fait des choses et de la responsabilité du fait d'autrui, Rev.
Crit., 1935, p. 379 et s., nos 4, 5 et 6). Ainsi en est-il lorsqu'il
prête sa voiture à un ami qui reste soumis, pour la conduite,
à ses instructions. A écarter la notion de garde juridique, on

;
ne consacrerait pas seulement l'irresponsabilité du proprié-
taire volé on serait conduit à un revirement de jurisprudence
dans d'autres hypothèses (H. Mazeaud, Chronique, p. 49-50).

2. — Faut-il s'y résoudre ? Nous ne le croyons pas, et


la discussion peut être déplacée. Il convient de conserver,
dans ses grandes lignes, la notion de la garde juridique, qui
est conforme à l'orientation générale des principes de la res-
ponsabilité du fait des choses. Mais elle ne conduit pas réelle-
ment à attribuer au propriétaire volé la qualité de gardien.
Dans les formules doctrinales les plus habituelles, il est,
en effet, une équivoque à dissiper. Par trop de concision, on
a voulu définir la garde dans les mêmes termes lorsqu'elle
se confond avec la détention et lorsqu'elle en est dissociée. Or,
c'est mal à propos que l'on parle, dans les deux cas, de pouvoir
de commandement et de direction sur la chose. Exactes à la
rigueur lorsque le gardien est lui-même détenteur, ces for-

concrétiser en une réalité concevable :


mules sont, dans le cas contraire, à peu près impossibles à
on ne commande pas
à une chose, on ne dirige pas une chose qu'on ne détient pas
personnellement. Le pouvoir constitutif de la garde ne peut

:
s'entendre alors que d'un droit de direction à l'égard du déten-
teur de la chose c'est le droit de donner des ordres à celui-ci
sur la manière d'utiliser la chose. Dès
dilemme : Ou le détenteur use de la chose librement
lors,
;
apparaît ce
son
indépendance fait de lui le gardien. Ou il est tenu d'obéir,
pour l'usage de la chose, aux instructions du
c'est alors celui-ci qui, par son autorité, est gardien. La garde
:
propriétaire

est ainsi le droit d'user de la chose en toute indépendance,


quand elle se confond avec la détention. Quand elle se dissocie
de celle-ci, elle est le droit de diriger le détenteur (Cpr. la note
de M. Durand, III, p. 99).
Cette analyse a le mérite d'être en accord avec l'esprit
général des règles de responsabilité dans la jurisprudence

:
contemporaine (Cpr. Durand, loc. cit.). Ce qui crée la respon-
sabilité, en dehors du fait personnel, c'est l'autorité autorité
du commettant sur le préposé, autorité du gardien sur le
détenteur. Le parallélisme montre la logique de la construction.
Dans les deux cas, l'autorité peut d'ailleurs s'entendre du droit

;
de donner des ordres, alors même qu'il est impossible de le
faire et, s'il en est ainsi, c'est qu'à admettre l'irresponsabi-
lité quand la surveillance ne peut être exercée, on abouti-
rait à la libération par la preuve de l'absence de faute qui
est prohibée.
L'application de cette notion de la garde juridique assure
le maintien de la jurisprudence antérieure pour le cas où la
chose a été volontairement confiée par son propriétaire à un
tiers qui n'en use j)as librement. Mais, dans le cas de vol, elle
doit faire reconnaître le transfert, au voleur, de la qualité de

:
gardien, car le propriétaire n'exerce sur lui aucune autorité,
ni de fait, ni de droit c'est sur le voleur, détenteur indé-
pendant, que pèse la responsabilité. M. Josserand objecte que
la garde, pouvoir juridique, ne peut être transmise que par un
acte juridique (Chronique, p. 39) ; mais M. Capitant a fort
bien montré combien cette affirmation est injustifiée, alors
que d'autres droits, ceux qui résultent de la possession,
peuvent être acquis plus simplement (note, p. 82). Aussi bien
serait-il presque paradoxal que le caractère illégitime d'une
:
situation de fait fut un obstacle à l'attribution de la qualité
de gardien, qui est une charge, non un bénéfice à l'égard des
tiers, la situation de fait doit l'emporter sur la situation de
droit (v. Durand, loc. cit. ; P. Esmein, Chronique, Gaz. Pal.,
9 juillet 1937, et dans le même sens, notre article précité,
n° 14).

3. — Si l'on admet cette analyse que déjà nous avions


esquissée (v. notre article Rev. Crit., 1935, p. 379 et s., nU 4
et 14), peut-être faudra-t-il en tirer d'autres conséquences,
relatives à la charge de la preuve dans l'attribution de la qua-
lité de gardien. Il semble avoir toujours été admis sans discus-
sion que le propriétaire, titulaire de la garde quand il détient
sa chose, est présumé le rester lorsqu'il remet cette chose à un
tiers (H. et L. Mazeaud, II, nOS 1162-1163 ; Civ. cass., 12 dé-
cembre 1933, D. H., 1934, 84 ; Req. 22 mai 1935, Rev. gén. ass.
ter., 1935, 846). Sur lui pèse la charge de prouver que le

:
détenteur est devenu gardien. La solution est logique si le
transfert de la garde suppose un acte juridique l'existence
en doit être démontrée par celui qui s'en prévaut. Elle ne

;
l'est pas si l'on admet la notion plus concrète qui vient d'être
exposée. L'indépendance de l'individu est la règle sa subor-
dination, son obligation d'obéir aux ordres d'autrui sont
l'exception. Dès lors, la présomption devrait être renversée.
On devrait décider que le détenteur est présumé gardien de
la chose, sauf preuve, rapportée, de sa subordination, dans
l'usage de cette chose, ,au propriétaire (Contra, Durand, note
IV, p. 100). Là encore, s'opérerait le rapprochement entre la
responsabilité du fait des choses et la responsabilité du fait
d'autrui, entre la qualité de commettant et celle de gardien.
3. Les collisions de véhicules (Civ. cass., 20 mars 1933, D. P.,
1933, 1. 57, note Savatier, S., 1933, 1. 257, note H. Mazeaud,
et les arrêts postérieurs, jusqu'à Civ. cass., 21 juin 1937,
Gaz.Pal.,1937,2.348).
La Chambre civile a décidé, pour la première fois, le
20 mars 1933, que l'article 1384 est applicable aux collisions
de véhicules, même lorsque l'un et l'autre gardiens, à la fois,
ont été victimes d'un dommage : « La présomption. est subor-
donnée dans son application à la seule condition que le dom-
mage ait été causé par le fait de la chose ; elle ne saurait être
détruite, en tout ouen partie, du fait que les deux gardiensi
se sont réciproquement causé des dommages. » C'est le motif
essentiel, que reproduisent la plupart des arrêts rendus depuis
cette date.

1.— Il semblait naturel d'en conclure que chaque gardien


doit réparer iptégralement le dommage causé à l'autre (H.
Mazeaud, note, S., 1933, 1.257 § 1) : solution d'autant plus
favorable aux propriétaires des deux véhicules que le jeu de
l'action directe dans chaque assurance de responsabilité
empêche la compensation entre les deux dettes et permet ainsi
une indemnisation complète. Mais M. Savatier a soutenu,
en une analyse dont la subtilité ne diminuait pas la force de
conviction, que cette conclusion n'était pas nécessairement
incluse dans le principe posé par la Chambre civile. De la
double responsabilité il ne faut pas conclure à la double répa- •

ration intégrale. Les règles doivent être les mêmes qu'au cas de
responsabilité fondée sur la faute prouvée, où la réparation,
pour chacun, n'est que partielle (notes, D., 1933, 1. 57, II ; D.,
1. 30, III
1934, ; D., 1935,2.17, III).
La controverse est restée longtemps ouverte. Ce sont
seulement des arrêts beaucoup plus récents qui permettent
de dire que la Cour de Cassation admet la double réparation
totale. Encore est-ce une impression d'ensemble, plus qu'une
certitude, car chaque arrêt, pris isolément, est susceptible
d'être interprété de plusieurs manières (voy. en ce sens la note
de M. Fréjaville, D.,1936, 1.17). La réparation totale n'est
affirmée nettement que dans les cas où elle n'est pas réclamée
en fait (Civ. cass., 11 mars 1936, D. H., 1936, 315 ; Req., 27
juillet 1936, Gaz. Pal., 1936, 2. 673 ; Cpr. Civ. cass., 16 mars
1937, D. H., 1937,297 ; Civ. cass., 21 juin 1937, Gaz. Pal., 1937,
2.348 ; deux arrêts, dont l'un au S., 1937, 1.350) ; elle n'est
pas, au contraire, posée comme principe, lorsqu'elle a été
accordée par les juges du fond (Req., 21 juin 1935, D. 1936.
1.17, note Fréjaville). Le rapprochement des motifs et des
dispositifs d'arrêts différents permet seul de la considérer
comme le principe désormais suivi.

catégorique qu'il faille taire toute discussion ;


Le système n'est pas consacré, cependant, de façon si
aussi bien,
l'hésitation, à le suivre, de certaines Cours d'Appel permet
elle toujours d'envisager la possibilité d'un pourvoi devant lcn
Chambres réunies.

2. — Pour le combattre, il ne suffit pas d'objecter qu'il


repose sur une présomption, d'après laquelle chaque véhicule
aurait joué, dans l'accident, un rôle actif (Josserand, Les
collisions entre véhicules et entre présomptions de responsa-'
bilité, Chronique, D. H., 1935 p. 43 ; M. Picard, note Rev. gén.

démontré ; le
ass. terr., 1934, 805). Ce rôle, en effet, peut être plus souvent

:
par ailleurs, si l'on admettait qu'il consiste dans
le seul mouvement de la chose, (voy. supra la notion du fait
de la chose), le fait même de la collision suffirait à l'établil-
Mais il ne résulte pas, de ce rôle actif, que chaque véhicule
,ait causé le dommage subi par l'autre, et réciproquement. Sur
le terrain de la causalité, cette analyse est indéfendable. On
peut s'efforcer, sans doute, de la justifier par des considéra-
tions de pure technique procédurale, en disant qu'il y a deux
actions en responsabilité distinctes, et, dans chacune, une seule
présomption, un seul dommage, un seul auteur, une seule vic-
time (H. et L. Mazeaud, II, n° 1535 ; H. Mazeaud, note S., 1933,
1. 257, § 1). Ces arguments ne peuvent prévaloir contre la

;
nature des choses. Les deux dommages résultent l'un et l'autre
de la collision celle-ci est un événement indivisible, qu'il est
artificiel de décomposer d'après ses conséquences en deux acci-
dents distincts. Les présomptions, si elles ont un sens, s'appli-
quent, non pas distributivement à la cause de chaque dom-
mage, mais ensemble à la cause de la collision. Dire que celle-ci

:
est le fait, à la fois de l'un et l'autre véhicule, c'est dire que les
deux réunis ont causé les deux dommages ils en sont, au même
titre, les antécédents nécessaires. (Esmein, note S., 1934, 1. 169

unanime à l'admettre. (Savatier, notes précitées


notes précitées
;
II). L'évidence de l'analyse est telle que la doctrine est presque
; Esmein,
Josserand, Chronique précitée, p. 43 ; M.
Picard, note Rev. gén. ass. ter., 1933, 561).
la
Dès lors, si l'on veut se fonder sur l'analyse de causalité,.
le système le plus logique est celui qu'enseignait M. Savatier :
faire masse des dommages, et les répartir entre les deux
gardiens. La répartition peut sefaire d'après la part respec-
tive prise par chaque véhicule à la production du dommage,
part déterminée d'après l'activité, la masse, lecaractère plus
ou moins dangereux de chacun (Savatier, notes précitées en
particulier D., 1933, 1. 58). Elle peut se faire par moitié si ce
dosage de la causalité paraît artificiel (Esmein, note S., 1934,

:
1. 169, III). Ce ne sont que variantes dans la mise en œuvre
d'une même analyse, exacte en son principe l'accident étant
dû au fait des deux véhicules à la fois, les dommages sont
répartis entre ceux qui répondent de l'un et de l'autre.
On objecte que l'article 1384 vise les seuls dommages cau-
sés par la chose à autrui et non pas ceux que subit le gardien,
parce que l'on aboutirait, s'il en était autrement, à une respon-
sabilité envers soi-même, véritable contradiction dans les
termes. (H. et L. Mazeaud, II, n° 1535). Mais il n'est pas besoin
de dire que chaque gardien, dans la mesure où il n'obtient pas
réparation, est responsable envers lui-même ; il suffit de dire
que, dans cette mesure, l'autre gardien n'est pas responsable
envers lui. La réponse fondamentale à l'objection demeure t

a mise vivement en lumière :


celle que M. Savatier (notesD. P., 1933,1. 58, D. P., 1935, 1. 19)
pourquoi la réparation partielle,.
admise lorsque l'article 1382 est appliqué contre les deux
auteurs de dommages réciproques, ne le serait-elle pas lorsque
?
l'article 1384 est appliqué contre les deux gardiens L'article
1382, lui non plus, ne vise pourtant pas la réparation des dom-
mages que l'on s'est causé à soi-même.
3. — La logique du système de la double réparation par-
tielle, si elle est ainsi démontrée, n'est pas de celles qui déter-
minent une adhésion sans réserve. Les raisonnements que l'on
y développe procèdent d'un postulat discutable : celui que la
solution du problème doit être cherchée dans la seule analyse-
de la causalité. Sur ce terrain, tout a été soutenu, tout est
soutenable au moins en apparence ; mais toutes les discussions
ne font en réalité que vérifier une fois de plus le caractère
insoluble du problème, l'impossibilité d'un choix entre les.
antécédents également nécessaires d'un dommage. Contre
l'abus des présomptions auxquelles on doit alors recourir, -'-
de responsabilité, de causalité, peut-être de rôle actif, — il
faudrait reprendre la condamnation que M. Ripert formulait,
de façon plus générale, contre l'abus des constructions techni-

;
ques (Le régime démocratique et le droit civil moderne, n° 5).
C'étaient des moyens ; on les a pris pour des principes et, dès
lors, on ne s'est plus demandé siles conclusions, auxquelles
on arrivait en raisonnant sur elles, étaient en accord avec les
raisons premières qui les avaient fait édicter. Est-il trop tard
pour revenir à la considération directe du but poursuivi On
n'aurait pas écarté, si l'on y avait suffisamment songé, la
?
vieille théorie de la neutralisation des présomptions.
Toute présomption est fondée, d'abord, sur une vraisem-
blance. Celle de l'article 1384, § 1, repose sur cette idée qu'il
est plus probable que le dommage soit dû à la chose, ou à son
gardien, qu'à la victime. S'il y a collision de véhicules, la vrai-

deux présomptions doivent se neutraliser


même de leur domaine d'application.
;
semblance est égale de part et d'autre. C'est peu de dire que les
on est en dehors

:
La vraisemblance de tel ou tel' évènement n'est pas la seule
raison qui en fasse présumer l'existence la présomption, sur

;
cette première base, est édictée lorsqu'elle paraît utile à conci-
lier les intérêts en présence l'article 1384, § I, a été conçu
comme un remède à une inégalité de situations entre les vic-
times et les auteurs de dommages, dont l'activité plus intense
était créatrice de plus de dangers. Il importe peu, à cet égard,
qu'il repose sur l'idée de risque ou sur une véritable présomp-
tion de faute. Ce ne sont plus guère aujourd'hui que des mots
même s'il y a présomption, il faut savoir pourquoi, et cela ne
:
peut être, précisément, que pour remédier à la prépondérance
des auteurs possibles sur les victimes désignées de certains
préjudices. Or cette idée de protection devient sans objet,
lorsque l'auteur et la victime agissent dans les mêmes condi-
tions.
A le nier, on a retiré, à l'application de l'article 1384, ce
qu'elle eut d'abord d'équitable et d'humain, en tantqu'elle
assurait la protection des faibles contre les forts. Peut-être
était-elle discutable même à cet égard ;peut-être aurait-il

:
fallu compenser cette protection particulière par des limita-
tions apportées à l'étendue de la réparation ce sont des idées
bien connues. Mais ce qui est certain, c'est qu'il n'est pas
légitime d'aboutir, par le jeu combiné des règles de la respon-
sabilité et de l'assurance, à la réparation automatique de tous
les dommages, au renversement de la règle Res perit domino.
Ce n'est pas le but que poursuivaient les premiers défenseurs,
et les plus intransigeants, de l'idée de risque. C'est un résultat
qui, par l'exagération des charges qu'il fait peser sur toute
activité, ne peut satisfaire ni la justice, ni l'utilité sociale.

4. — Les limites de la responsabilité du fait des choses.

En dehors de la force majeure, l'article 1384 cesse de s'ap-


pliquer, d'une part lorsque la victime bénéficie d'un service
gratuit, particulièrement d'un transport bénévole, d'autre part,
et sous certaines conditions, lorsque le gardien peut démontrer
qu'une faute prouvée, de la victime ou d'un tiers, est à l'origine
du dommage. Mais, pour admettre ce retour à l'application de
l'article 1382, la jurisprudence semble se montrer de plus en
plus stricte.

A) Le transport bénévole (Req. 1er mars 1933, Gaz. Pal. 1933.


1. 865 ; Civ. cass, 3 et 4 janvier 1933, D. H. 1933. 113 ;
Civ. cass. 21 mars 1933, D. H., 1933, 301 ; Civ. cass. 18 juil-
let1934, D. P., 1935, 1. 38 note Roger.
1.— Les arrêts relatifs au transport bénévole ont l'intérêt
de préciser la portée de la jurisprudence antérieure, en même
temps que d'éclairer l'esprit général des règles de la responsa-
bilité du fait des choses.
Après l'arrêt de la Chambre Civile du 27 mars 1928 (D.,
1928, 1.145, note Ripert, S., 1928,1.353 note Gény) qui éca-rtait
en cette matière, l'application de l'article 1384, il semblait que
le transport bénévole fût caractérisé par la seule gratuité,
entendue de l'absence d'obligation, pécuniaire ou autre, de la
part de la personne transportée. Mais il est des cas où,
bien que celle-ci ne s'engage juridiquement à rien, le trans-
porteur poursuit cependant un but intéressé. Il peut espérer
conclure un contrat avec celui qu'il transporte ; il peut même
-
escompter de lui un service de pure courtoisie qui lui sera
rendu sans être l'exécution d'une véritable obligation. La
Chambre des Requêtes a décidé, le 1" mars 1933, que l'article
1384 restait alors applicable. Statuant dans une espèce où la
personne transportée devait aller donner ses soins à la fille
malade du transporteur, elle constate que le transport était
effectué « dans le propre intérêt de celui-ci, qu'il ne l'était
donc pas à titre bénévole et gracieux ». L'absence d'un enga-
gement ferme de la part des parties empêche, sans doute, que
l'opération soit analysée en un contrat. Mais son caractère
intéressé pour le transporteur exclut l'allégement de sa
responsabilité. Ce qui caractérise, dès lors, le transport béné-
vole n'est plus l'absence d'obligation de la partde la personne
transportée, mais l'absence d'un intérêt personnel de la part
du transporteur.
Ainsi se trouve éclairé, d'un jour singulier, le sens de la
jurisprudence antérieure. On sait qu'aucune analyse de
technique juridique n'avait permis de justifier la non appli-
cation de l'article 1384 au transport bénévole. (H. et L. Ma-
zeaud, II, nos 1284-86). L'idée d'acceptation des risques, sous
entendue dans l'arrêt de 1928, est sans valeur, soit que l'on
considère cette acceptation comme une faute de la victime, car
cette faute n'existe pas toujours, soit qu'on la considère comme
une clause de non responsabilité, car une telle clause est nulle
en matière délictuelle. Et il n'est pas plus exact de dire que la
victime participe alors à la garde de la chose, car elle n'ac-
quiert, sur elle ni sur son détenteur, aucun pouvoir de direc-
tion. On ne pouvait expliquer valablement cette jurisprudence
qu'en remontant au fondement de la responsabilité du fait des
choses. On la comprend facilement, en effet, si l'on admet
l'idée de risque, et même sil'on reconnaît simplement qu'une
présomption, régime exceptionnel de responsabilité, suppose
une situation inégale entre l'auteur et la victime. Lorsque celle-
ci subit les conséquences d'une activité particulière déployée
par celui-là dans son seul intérêt, la réparation de plein droit
est légitime. On ne doit, pas au contraire, protéger spéciale-
ment celui qui recueille lui-même un avantage de l'opération
au cours de laquelle il a éprouvé le préjudice. C'est la justi-
fication, très convaincante, que M. Savatier avait donnée des
arrêts antérieurs, en montrant que, dans le transport bénévole,
c'est la victime qui a le profit de la chose (note D., 1928, 1.
154). L'arrêt de 1933 démontre, par une contre-épreuve, l'exac-
titude de la thèse. Il est, en effet, logiquement nécessaire
qu'avec le profit retrouvé l'article 1384 redevienne applicable
contre le transporteur, lorsqu'il poursuit un but intéressé.

2. — Cette analyse, en même temps qu'elle a l'avantage


de préciser la notion de transport bénévole, permet de lever
certains doutes sur les règles qui, à défaut de l'article 1384,
lui sont applicables.
Aux interprétations que l'on fonde sur une analyse
arbitraire de volonté, aucune limite n'est imposée. Lorsque
l'on adoptait l'idée d'acceptation des risques, il était tentant
d'affirmer que cette acceptation contenait une renonciation au
bénéfice non seulement de l'article 1384, mais aussi de l'article
1382, de telle sorte que le transporteur fut responsable au
seul cas de faute lourde. Pareillement, on pouvait penser que
la personne transportée avait consenti à réduire le montant
normal des dommages-intérêts qu'elle réclamerait au cas
d'accident. L'insistance de certaines Cour d'Appel à statuer
en ce sens a conduit la Chambre Civile à préciser très nette-
ment sa jurisprudence, dans plusieurs arrêts de 1933 et de
1934. Le droit commun de l'article 1382 reste applicable, et
à l'appréciation de la faute, et à la fixation de l'indemnité.
« Le transporteur bénévole, civilement poursuivi en vertu de
l'article 1382, ne saurait, pour s'exonérer des conséquencesde
sa faute reconnue, se fonder sur une renonciation expresse ou
tacite de la victime à lui demander réparation » (Civ., 3 jan-
vier 1933. Dans le même sens : Civ., 4 janvier 1933 ; Civ., 21
mars 1933 ; Civ., 18 juillet 1934). Ces arrêts, qui ont le parti-
culier intérêt d'affirmer pour la première fois le caractère
d'ordre public de la responsabilité délictuelle, seraient res-
tés discutables dans la thèse de l'acceptation des risques.
Ils ne font pas difficulté dès lors que l'on explique la non-
application de l'article 1384 par le fondement même de ce

;
texte. La règle exceptionnelle est écartée parce qu'il n'y a pas,
en la cause, l'élément de profit qui la justifie mais la règle
de droit commun demeure, qui veut que, de toute faute, naisse
pour son auteur l'obligation d'en réparer les conséquences.

B) La faute de la victime et la faute d'un tiers (Req., 13 avril


1934, D., 1934, 1. 41, rapport Gazeau, note Savatier, S.,
1934, 1. 313, note H. Mazeaud ; Req., 7 maK1934, Gaz. Pal.,
1934, 2. 85 et les arrêts postérieurs jusqu'à Req., 2 août
1937, D., 1937,565, pour la faute de la victime. — Civ.
cass., 19 juin 1934, D. H., 1934, 509, S., 1935, 1. 28, pour la
faute d'un tiers).
1. — La question est toujours restée incertaine, de savoir
si la faute de la victime est, pour le gardien d'une chose ina-
nimée, une cause d'exonération, ou si elle laisse subsister en
partie sa. responsabilité. La jurisprudence semblait nettement
orientée, sinon dans les motifs du moins dans le dispositif
des arrêts, vers le système de l'exonération totale, (H. et L.
Mazeaud, II, n° 1527 et les références), lorsque deux arrêts
de la Chambre des Requêtes, en 1934, ont statué en sens
contraire.
« Cette faute, n'étant pas la cause unique de l'accident, ne
fait pas disparaître entièrement la responsabilité du gardien*
laquelle ne pouvait être détruite que par la preuve d'un cas
fortuit ou de force majeure. » (Req., 13 avril 1934). « Si,
dans les conditions où elle s'est produite, la traversée de la
route constituait une faute, il n'en résulte pas que cette faute
constituât le cas fortuit ou de force majeure, ou la cause étran-
gère non imputable au gardien qui aurait rendu l'accident
»
inévitable (Req., 7 mai 1934).

;
Les principes semblaient dès lors ceux-ci : l'exonération
n'est totale qu'autant que la faute de la victime est la seule
cause du dommage cette faute ne peut être considérée comme
telle que lorsqu'elle présente les caractères de la force majeure.
La jurisprudence plus récente paraît pourtant moins
exigeante. La constatation que l'accident est dû, soit unique-
ment, soit en partie seulement, à la faute de la victime, suffit
à justifier soit l'exonération du gardien, soit un partage de la
responsabilité, sans que soit invoquée la notion de force
majeure (Req., 27 novembre 1935, D. H., 1936, 51 ; Req., 27
janvier 1936, D. H., 1936, 131 ; Civ. rej., 16 juin 1936, D. Ii.,
1936, 427 ; Civ. rej., 21 octobre 1936, D. H., 1936, 553; Civ. rej.,
Il décembre 1936, D. H., 1937., 86 ; Civ. cass., 16 mars 1937,
D.IL, 1937,297). Tout au plus, les derniers arrêts rendus en
la matière relèvent-ils parfois le caractère imprévisible et iné-
vitable de l'accident, en raison des éléments de fait retenus par

208 sous note ;


les juges de fond (Req., 25 novembre 1936, Gaz. Pal., 1937, 1.
Req., 28 avril 1937, Gaz. Pal., 1937, 2. 249 ;
Req., 2 août 1937, D. H., 1937,565).
L'influence de la faute d'un tiers est plus nettement déter- <

minée. Si la jurisprudence, sur ce point, fut fertile en revire-


ments (H. et L. Mazeaud, II, n° 1653 et les références) la
Chambre Civile a décidé très nettement le 19 juin 1934 qu'une
telle faute n'exonère le gardien qu'autant qu'elle constitue
un cas de force majeure. Dans le cas contraire, elle laisse
subsister sa responsabilité entière, sauf recours contre l'auteur
de la faute. Et le principe ne semble pas avoir été démenti
depuis cet arrêt (Cpr. pour la responsabilité contractuelle Civ.
cass., lor février 1937, D. II., 1937,222, motifs).
2. — De ces deux jurisprudences, c'est celle qui a statué
sur la faute de la victime qui apparaît, dès l'abord, la plus
critiquable. Elle est, en effet, contradictoire en soi. Dire que la
faute de la victime est tantôt la seule cause, tantôt l'une des

étranger au dommage ;
causes seulement, du dommage, c'est un artifice verbal qui
contredit une réalité certaine. Le fait de la chose n'est jamais
(H. Mazeaud, note S., 1934., 1. 313) ;
il en est, par hypothèse, l'un des antécédents nécessaires.
La gravité même de la faute, souvent relevée dans les
arrêts (Voy. le rapport de M. Gazeau, D., 1934, 1. 41, sous Req.,
13 avril 1934), ne peut pas en faire la seule cause du dommage.
Ailleurs, M. Esmein a montré l'illogisme de telles confusions
entre le problème de la causalité et celui de l'imputabilité
l'un consiste à déterminer les conséquences matérielles d'un
;
acte, l'autre à en juger la valeur (note S., 1934, 1. 169, II). Ce
sont là des éléments irréductibles l'un à l'autre. Une faute
légère peut avoir une influence très grande sur la production
du dommage, une faute grave en avoir fort peu.
Par ailleurs, les caractères de la force majeure, si on les
exige, ne seront, pour ainsi dire, jamais réunis. Q'un piéton
traverse une route sans la moindre attention, ou une rue en
dehors des passages cloutés, — ce sont les hypothèses-type en
jurisprudence, — quel automobiliste, ayant constaté journelle-
ment de tels faits, pourra les prétendre imprévisibles lorsqu'un
accident sera survenu ?
On comprend ainsi que la Cour de Cassation se contente
de l'affirmation que la faute de la victime est la seule cause
du dommage. Elle n'exige pas que ce rôle exclusif soit établi
par les éléments de fait, par les circonstances de la cause ;
;
un arrêt récent (Civ. cass., 16 mars 1937) paraît se montrer
plus sévère mais il semble en réalité que les juges d'appel,
très imprudemment, n'aient pas même formulé la constata-
tion habituelle. Si le contrôle des motifs est aussi dépourvu
de rigueur, c'est que la Cour ne saurait demander aux juges

;
du fond de démontrer l'exactitude d'une affirmation contraire
à la nature des choses
même de sa jurisprudence.
mais cela suffit à détruire le principe

3. — Cen'est pas à dire qu'il faille, pour autant, consacrer


comme principe le maintien d'une part de responsabilité à la

;
charge du gardien lorsque la victime est en faute. Cette faute
doit l'exonérer totalement celle d'un tiers doit avoir le même
effet, contrairement à la jurisprudence. Mais, une fois de plus
ces solutions ne doivent pas être fondées sur une analyse
impossible de la causalité. M. Savatier et M. Esmein ont
aperçu les véritables données du problème. Il suffit de rappeler
rapidement leur démonstration (Savatier, notes D. P., 1930, 1.
82. 83, 1934,.J. 41 ; Esmein, La faute de la victime exclut-elle
?
la présomption de responsabilité Rev. gén. ass. ter., 1934, p.
985).
même plan ;
Les articles 1382 et 1384 ne doivent pas être placés sur le
l'application de l'article 1384 est subsidiaire par
rapport à celle de l'article 1382. La responsabilité sans faute
prouvée n'a été admise, en effet, que pour remédier aux insuf-
fisances de la responsabilité traditionnelle. Elle n'est, dès lors,
qu'un remède ultime pour trouver un responsable lorsqu'au-
cune faute ne désigne celui qui doit supporter la charge du
dommage. Une faute est-elle au contraire démontrée, elle se
révèle inutile, puisqu'elle n'eut, à l'origine, qu'un rôle supplétif.
Cette primauté de l'article 1382 est imposée, d'autre part,
en lo'gique, par l'examen de la valeur respective des deux
principes de responsabilité (Esmein, op., cit., p. 996 ; Savatier,

;
note D., 1934, 1. 42). L'un impose la réparation d'après une
appréciation portée sur la conduite de l'auteur il impose une
charge que plus de soin aurait permis d'éviter. L'autre l'im-
pose, d'après la seule matérialité du dommage, à quelqu'un
qui ne peut prouver le soin dont il a fait preuve et ses efforts
pour l'empêcher. Sanction d'une règle de conduite, l'article
1382 doit l'emporter sur l'article 1384, règle de répartition
sociale des charges.

5. Les rapports de la responsabilité du fait des choses et de la


responsabilité du fait d'autrui (Civ. cass., 30 décembre 1936,
D., 1937, 1. 5., rapport Josserand, note Savatier, S., 1937,
1. 137, note H. Mazeaud).

L'espèce sur laquelle a statué la Chambre civile le 30 dé-


cembre 1936 est complexe en fait, comme toutes celles où
apparaît la combinaison possible des deux ordres de responsa-
bilité. Au cours d'une opération pratiquée dans un hôpital,
un porte-aiguille s'était brisé entre les mains du chirurgien
un éclat de ce porte-aiguille avait alors blessé un médecin qui
;
assistait à l'opération. Envers ce médecin, la Cour d'Appel

gien et l'Administration de l'Hôpital :


d'Alger avait condamné solidairement à réparation le chirur-
le chirurgien en vertu
de l'article 1384, § 1, comme gardien du porte-aiguille, l'admi-
nistration de l'Hôpital en vertu de l'article 1384, § 5, à titre de
commettant du chirurgien. La Chambre civile a cassé cet arrêt.
Il n'y a pas lieu, a-t-elle décidé, de se prononcer sur le point
de savoir à qui appartenait la garde du porte-aiguille, ni s'il
existait un rapport de commettant à préposé entre l'Hôpital
et le chirurgien (et l'on notera, au passage, combien l'affir-
mation de ce rapport était pourtant contraire à la jurispru-
dence dominante). Le cumul des deux responsabilités, à la
charge de l'hôpital et du chirurgien, est cependant écarté
En l'absence d'une faute, relevée dans les termes de
:
l'article
«
1382, la responsabilité d'un accident causé par une chose ne
saurait incomber à la fois à celui qui en use, envisagé comme
son gardien, et à celui qui la lui a confiée, envisagé non comme
en ayant conservé la garde, mais comme le commettant du
premier».
La formule est à la fois concise et complexe. Elle l'est
tant que les deux annotateurs de l'arrêt ont pu, sans avoir
même à réfuter mutuellement la thèse opposée, en donner deux
interprétations différentes..

1. — M. Mazeaud suppose exacte, tout à la fois, la double

:
constatation faite par la Cour d'Appel que le chirurgien était
gardien du porte-aiguille et préposé de l'Hôpital réunion des
qualités de préposé et de gardien, qu'il reconnaît exception-
nelle mais affirme possible. Dès lors l'arrêt a pour lui le sens
suivant ; le commettant n'est pas responsable lorsqu'il n'est
pas prouvé que le préposé ait commis une faute ; les présomp-
tions de faute édictées contre le préposé ne peuvent pas être
invoquées contre le commettant (note S., 1937, 1. 137 in fine,
138). Cette affirmation qu'il croit trouver dans l'arrêt, il la
critique avec force. Le commettant étant, envers la victime,
substitué au préposé pour répondre du dommage, ce qui est
tenu pour vrai à l'égard de l'un doit l'être à l'égard de l'autre ;
son commettant ;
spécialement ce qui est présumécontre le gardien l'est contre
aussi doit-il exister, en quelque sorte, une
responsabilité du fait des choses ascendante, suivant l'expres-
sion de M. Josserand (rapport sur l'arrêt, D., 1937, 1. 10).
La démonstration, sur ce point, est convaincante. M. Sava-
tier (note D., 1937, 1. 5) en avait reconnu d'avance l'exactitude.
L'unanimité de la doctrine serait donc faite contre l'arrêt de la
Cour de Cassation s'il avait le sens que lui donne M. Mazeaud.
Mais, dans cette hypothèse, la rédaction en apparaîtrait, en
vérité, bien singulière. Si la Cour avait voulu décider que les
présomptions de faute édictées contre le préposé ne rejaillis-
sent pas contre le commettant, elle n'aurait pas, dans un motif
dont M. Mazeaud omet de tenir compte, déclaré inutile de se
prononcer sur l'attribution de la garde et l'existence du lien
de préposition. Elle aurait constaté l'exactitude de la double

:
affirmation faite à cet égard par la Cour d'Appel, pour cen-
surer seulement la conséquence qui en avait été tirée celle
d'une double responsabilité contre le gardien et contre son
commettant.
2. — En ne prenant pas parti distributivement sur chacun
des deux termes de cette affirmation, la Cour de cassation
décide nécessairement que c'est leur réunion même qui est
contradictoire en soi, juridiquement impossible. Le sens cer-
tain de son arrêt, c'est qu'une même personne ne peut être, à
la fois, préposé et gardien d'une chose que lui aurait confiée
son commettant. C'est l'interprétation qu'en a donnée
M. Savatier, et l'arrêt doit alors recevoir une pleine
approbation.
La subordination qui, d'après une jurisprudence cons-
tante, caractérise la situation du préposé, est contraire à l'in-
dépendance par laquelle se définit, avec la même certitude,
celle du gardien. Tenu, par hypothèse même, d'obéir aux

:
ordres du commettant, le préposé n'acquiert pas la libre maî-
trise de la chose c'est le commettant qui, conservant ce pou-
voir de direction, conserve aussi la garde. Dès lors, l'arrêt

; :
d'appel recélait une contradiction interne. Ou le médecin était
il était alors gardien responsable du porte-

:
indépendant
aiguille mais l'Hôpital devait être mis hors de cause. Ou le
médecin était subordonné il était alors préposé de l'Hôpital
et celui-ci devenait gardien responsable du porte-aiguille
mais le médecin, dans ce cas, à défaut de faute prouvée contre
;
lui, devait être mis hors de cause. (Savatier, note précitée, 1
el II, spécialement p. 7 col. 2). Le caractère incompatible des
deux qualités de préposé et de gardien, qui déjà résultait taci-
tement mais presque certainement de la jurisprudence
antérieure, se trouve ainsi affirmé (Voy. pour plus de dévelop-
pements,notre article sur les rapports de la responsabilité du
fait des choses et de la responsabilité du fait d'autrui, Rev,
Crit., 1935, p. 379 et s. en particulier n° 12 et les références
à la doctrine et à la jurisprudence).
Pour donner à l'arrêt le sens qu'on a vu, M. Mazeaud doit

:
déclarer que cette incompatibilité, si elle est habituelle, n'est
pas absolue le préposé peut être gardien dans des cas excep-
tionnels (note précitée, p. 137, col. 1 et Traité, II, n° 1101). Et
sans doute, on ne saurait nier que le commettant puisse par-
reconnaître un pouvoir de direction :
fois autoriser le préposé à se servir librement de la chose, lui
ainsi le propriétaire
d'une voiture peut la prêter à son chauffeur pour une course
personnelle (Req., 10 novembre 1936, Gaz. Pal., 1936, 2. 643).
Mais cette situation, ainsi que le reconnaît M. Mazeaud lui-
même (II, n° 1101), suppose que le commettant renonce, pour

;
un temps, à donner des ordres au préposé. Dès lors, l'affir-
mation repose sur une équivoque et M. Savatier (note préci-
tée, p. 7, col. 1 in fine) observe de façon décisive que « le pré-
posé n'acquiert la garde de la chose que dans la mesure où il
cesse précisément d'être préposé ». Sinon, il faudrait dire
qu'un préposé est parfois indépendant, ce qui est contraire au
sens des mots, ce qui ne peut être affirmé même à titre excep-
tionnel.
Au vrai, ce qui trompe le plus, c'est que l'on emploie
l'expression de préposé pour désigner un individu déterminé,
alors que c'est une qualité juridique qui ne lui est pas atta-
chée de façon permanente, qu'il a ou non à un moment donné
suivant les conditions dans lesquelles il agit (Cpr. notre thèse
sur Les rapports de commettant à préposé dans l'article 1384,
Caen, 1933, p. 80-81 et p. 289 et s. et notre article précité,
n° 16). Lorsqu'on lui confie le libre usage de la chose, l'indi-
vidu est toujours le même, mais il n'est plus préposé. Pour
dissiper les confusions, il faudrait presque,.à la manière sco-
lastique des auteurs classiques, désigner par un nom de fan-
taisie les personnes en cause. On verrait alors que Primusr
habituellement préposé de Secundus, parce qu'il est soumis à
ses ordres, cesse de l'être lorsque Secundus lui confie le libre
usage de la chose. Et le même Primus acquiert alors la qualité
de gardien de la chose pendant le temps où il perd celle de
préposé.
C'est la seule analyse juridique qui traduise les données
de fait. Car dire qu'une même personne peut être, en même
temps, préposé et gardien, c'est dire qu'elle est à la fois,
subordonnée et indépendante.

3. — Dans l'interprétation de l'arrêt, une dernière diffi-


culté subsiste. LaCour dispose que le cumul est impossible
« en dehors d'une faute relevée dans les termes de Varticle
1382 ». Quel est le sens de cette ?
réserve
On pourrait en tirer une objection contre les principes
:
mêmes qui ont été développés ici si le cumul des responsa-
bilités est parfois admis, c'est que les qualités de gardien et
de préposé peuvent être réunies. Mais alors on ne compren-
drait pas pourquoi cette réunion des deux qualités n'aurait
:
d'effet que dans ce seul cas si elle existe, son efficacité doit
être reconnue dans toutes les hypothèses, et non pas seule-
ment dans celle où la faute est prouvée. Il y a plus: cette
preuve de la faute rend inutile et presque inconcevable tout
recours à l'article 1384, § 1 ; pour sanctionner une double
responsabilité, il suffit d'invoquer l'article 1382 contre le
préposé et l'article 1384, § 5, contre le commettant. La

est en dehors de la question :


responsabilité du fait des choses, si la faute est prouvée,
de telle sorte que le cumul
ne serait juridiquement admis que dans le seul cas où il serait
parfaitement inutile en fait. La formule a donc un autre sens,
que M. Savatier a eu encore le mérite de mettre en lumière
(note précitée, III).
Il peut arriver que le propriétaire ait remis sa chose à un
détenteur non préposé et en ait cependant conservé la garde.
Par ailleurs, ce détenteur, qui n'est pas le préposé du gardien,
peut être celui d'une tierce personne. S'il est en faute, il y

;
aura à la fois responsabilité du commettant et responsabilité
du gardien mais ces deux personnes sont, l'une et l'autre,
distinctes du préposé. S'il est impossible, en effet, que la
garde appartienne au préposé, rien n'empêche qu'elle appar-
tienne à un autre que le commettant.

réserves à apporter;
Sur cette affirmation même, il y aurait d'ailleurs bien des
et il semble que M. Savatier l'ait for-

même personne qui est commettante et gardienne :


mulée defaçon un peu trop générale. Normalement, c'est la
en effet,
ces deux qualités supposent l'une et l'autre un droit de direc-
tion ; or, le droit de diriger une même personne, — en l'espèce
le détenteur, — n'appartient d'ordinaire qu'à une seule. Le
contraire est possible, car on peut être, à la fois, soumis aux
ordres, subordonné à l'autorité de deux personnes différentes.
il n'en reste pas moins que la dissociation des qualités de
commettant et de gardien, qui suppose cette double autorité,
ne saurait être qu'exceptionnelle. Peut-être n'est-il pas impos-
sible de préciser dans quelle mesure, sur quelle base, elle peut,
être admise. S'il nous est permis de renvoyer à l'article où
nous avons tenté de le faire (Rev. Crit., 1935, p. 379 et s., III,
en particulier n," 19 et 20), nous ne voulons pas manquer
d'ajouter que la complexité des analyses juridiques, modelée
sur celle des situations de fait, qu'une telle recherche rend
nécessaires, n'est pour nous que l'un des signes de la compli-
cation extrême, et peut-être du désordre, qu'apporte dan'
notre Droit le développement trop généralisé de la responsa-
bilité du fait des choses. De ce désordre, — que des textes
édictés à temps, pour les hypothèses particulières où s'impo-
sait réellement une protection spéciale de la victime, auraient
pu éviter, — l'espèce qui vient d'être étudiée, cette curieuse
notion de la garde d'un porte-aiguille, cette obligation assez
paradoxale pour lechirurgien d'en empêcher là rupture et
l'éclatement, ne. sont-elles pas un autre signe?
III

î. Les ayants droit à indemnité au cas d'accident mortel

Savatier ; S., 1937, 1. 153, rapport Roux ;


(Crim., 13 février 1937 : trois arrêts, D. P., 1938, 1. 5, note
Civ. cass., 27

Gaz. Pal., 22 janvier 1938, pour le préjudice matériel ;


juillet 1937, D. P., eod. loc. ; Civ. cass., 21 décembre 1937,

Req., 2 février 1931, D. P., 1931, 1. 38, rapport Pilon, pour



le préjudice moral).

Il a toujours été difficile de déterminer les personnes qui,


à la suite de la mort d'une autre, peuvent invoquer un préju-
dice. Des arrêts récents ont statué sur le préjudice matériel ;
pour faire de la question un examen d'ensemble, il n'est peut-
(..trepas trop tard pour revenir sur un arrêt assez ancien,

:
relatif au préjudice moral. (Voy. sur l'ensemble du problème
l'intéressante thèse de M. Perret Des ayants droit à indem-
nité au cas d'accident mortel, Paris, 1933).
Dans l'un et l'autre cas, les principes sont les mêmes. Le
préjudice ne peut donner lieu à réparation qu'autant qu'il est

actuel et direct, on n'ajoute rien à cette condition :


certain.En exigeant, suivant une formule classique, qu'il soit
l'actualité
n'est qu'un élément de la certitude, et le caractère direct du
préjudice ne fait qu'exprimer l'existence du lien de causalité
qui l'unit à la faute, ce qui est une autrequestion (Marty, note
S., 1931, 1. 145).
en
Mais outre, les situations illicites ou immorales ne
pouvant être la source d'aucun droit, il faut, pour que le
préjudice, même certain, donne lieu à réparation, qu'il consiste
dans une atteinte à une situation légitime. MM. H. et L.
Mazeaud ont fort bien montré l'équivoque d'une expression
courante, celle d'atteinte à un droit acquis, que l'on prend à la
fois dans ces deux sens (I, nos 275 et s.). L'une et l'auutre con-
ditions — certitude et légitimité, — doivent être distinctement
réunies. C'est pour ne pas l'avoir aperçu que la jurisprudence
est restée longtemps flottante.
*
A) La réparation du préjudice matériel

1. — En matière de préjudice matériel, la question la


plus discutée a été celle du droit de laconcubine à obtenir une
indemnité à la suite de la mort du concubin qui, par ses subsi-
des, l'aidait à vivre (Perret, op. cit., p. 84-108).
Tant que l'on a exigé seulement la certitude du préjudice,
on ne pouvait aboutir qu'à des solutions d'espèce. Cette certi-
tude, en effet, ne peut être entendue en un sens absolu. Sinon,.
il faudrait admettre seulement l'action des parents qui étaient,
par rapport à la personne décédée, créanciers d'aliments. Or,
cela n'a jamais été admis (Roux, rapport sous Crim., 13 février
1937, S.,1937, 1. 153, III) ; et, lorsque la Chambre civile a
limité à ce cercle l'action contractuelle des ayants cause, elle
n'a pas entendu appliquer la même restriction à_ la respon-
sabilité délictuelle (voy. toutefois les doutes exprimés par
M. Esmein, S., 1934, 1. 81 § 2, III). Seuls, pourtant, ces créan-
ciers d'aliments auraient été sûrs, sans le décès, d'obtenir des
secours de la victime. Encore M. Marty (note S., 1931, 1. 145,

:
p. 148-149) a-t-il ingénieusement montré que, même en ce
cas, il n'y avait pas de véritable certitude le débiteur aurait
pu se ruiner et, si l'on raisonne sur cette hypothèse, sa mort
ne fait subir aux créanciers aucun préjudice. Définir celui-ci

:
comme la lésion d'un droit est à la fois trop étroit et trop
large il n'y a pas de préjudice à perdre un droit que l'insol-
vabilité du débiteur rend illusoire. Par la force des choses,
tout se ramène donc à un calcul de probabilités. Ce n'est pas
là, quoiqu'on en ait dit (Roux, rapport précité, IV), une

:
théorie particulière sur l'interprétation de l'article 1382 ; c'est
la constatation de données naturelles la certitude, en cette
matière, n'est qu'une probabilité très grande.

d'obtenir, dans l'avenir,. des secours de la victime :


Il fautdonc apprécier les chances qu'avait le demandeur
la mort
de celle-ci, si elle le prive de chances jugées sérieuses, crée
pour lui un préjudice que l'on qualifie certain. Or si l'on
raisonne ainsi, le fait que l'union libre puisse toujours être

;
rompue n'empêche pas la concubine d'invoquer parfois ce pré-
judice certain elle a droit ou non à une indemnité suivant les
particularités de sa situation, suivant la stabilité ou, au con-
traire, le caractère aléatoire et précaire de son union avec la
victime (H. et L. Mazeaud, I, n" 278). C'est ce qui explique
la jurisprudence jusqu'ici dominante, divergente mais non
contradictoire, application à des faits différents de principes
identiques. Dans l'un des arrêts qu'elle a rendus le 13 février
1937, la Chambre criminelle se fonde encore sur cette analyse:
« L'arrêt énonce 'qu'il n'est pas certain que le défunt ait eu
la ferme intention de continuer l'octroi à sa maîtresse de
secours et de subsides. ; en l'état de ces constatations, il a
pu décider que le préjudice n'était ni certain, ni actuel » (De-
moiselle Vaillant c. Berson, D. P., 1938,1. 5, lro espèce).

2. — Mais un autre arrêt du même jour (Cabassut c.


Demoiselle Bourret. D. P., loc cit., 3e espèce, S., 1937-1-153,
rapport Roux) marque un revirement dont on avait pu sentir
antérieurement le présage (M. Picard, note Rev. gén. ass.ter.,
1934, 605, sous Crim., 27 avril 1934). Depuis longtemps la
doctrine critiquait la jurisprudence (II. et L. Mazeaud, I,
n° 278 et s. et les références). En demandant réparation, la
concubine se prévaut de la cessation de secours dont l'exis-
tence même était immorale, parce que contraire aux règles
fondamentales d'organisation de la famille. Sa demande doit
être rejetée, aussi certain que soit le préjudice subi par elle,
parce qu'il n'est pas légitime. Ainsi aboutit-on à une solution

nelle se prononce:
négative de principe. C'est en ce sens que la Chambre crimi-
« Un préjudice direct, actuel et certain, ne
saurait résulter de la cessation de l'assistance que la victime
de l'infraction accordait au demandeur, lorsque cette assis-
tance n'était pas légalement susceptible de servir de fonde-
»
ment à une obligation valable (même motif dans Crim. cass.,
21 décembre 1937, Gaz. Pal., 22 janvier 1938).
Aucune distinction n'est plus faite, dans les règles appli-
cables, suivant les différences qu'il peut y avoir dans les
situations de fait. L'impossibilité d'une obligation valable,
relevée par l'arrêt, équivaut à la constatation du caractère
immoral des relations de concubinage, caractère d'où résulte-
rait précisément la nullité de l'obligation. La formule reste
cependant critiquable, en ce qu'elle ne sépare pas suffisam-
ment les conditions de certitude et de légitimité. Affirmer que
le préjudice n'est pas certain lorsqu'une obligation d'assis-
tance ne peut être valablement contractée, c'est donner de la
certitude une notion trop étroite. En effet, cette affirmation
conduirait à dire que la certitude n'existe pas non plus lors-
qu'une telle obligation, n'étant pas imposée par la loi mais
pouvant être valablement contractée, ne l'a pas été en fait :
à défaut d'obligation, les secours peuvent toujours cesser. Par
ce détour, l'action ne serait accordée qu'aux créanciers d'ali-
ments. Une telle interprétation dépasserait la pensée de la

:
Cour. Le sens de l'arrêt ne paraît pas douteux, et pas davan-
tage sa décision n'est contestable en droit c'est le caractère
illégitime de la situation dont elle se prévaut qui empêche
de reconnaître à la concubine un droit à réparation (Cpr.
P. Esmein, Un revirement de la Chambre criminelle, Gaz. Pal.,
23 mars 1937).

3. —L'arrêt de la Chambre civile (D. P., 1938, 1. 5, 4"


espèce) vient confirmer cette interprétation. Sans doute, la
Cour affirme-t-elle, d'abord, que « le concubinage demeure en
toute occurrence, quelles que soient ses modalités et sa durée,
une situation de fait qui ne saurait être génératrice de droits
au profit des concubins et vis-à-vis des tiers ». C'est dire,
semble-t-il, que, le concubinage étant instable par définition,
le préjudice résultant de sa cessation est, par nature même
et dans tous les cas, un préjudice incertain. Telle est bien
l'interprétation que donne M. Savatier de toute la jurispru-
dence nouvelle (note D. P., loc. cit.) : dans le concubinage, la
certitude du préjudice ne peut jamais être acquise.

:
Mais la Cour, dans un autre motif, se fonde très nette-
ment sur l'immoralité de la situation « les relations établies
par le concubinage ne peuvent, à raison de leur irrégularité
même, présenter la valeur d'intérêts légitimes juridiquement
protégés ». La justification est infiniment plus sûre et plus
précise. Elle permet d'autre part de concilier sans peine les
derniers arrêts avec la jurisprudence antérieure, très large sur
la condition de certitude puisqu'elle n'exige, pour accorder
réparation, aucune obligation précise, ni même aucun lien de
parenté, entre la victime et le demandeur à indemnité. Cette
conciliation se révèlerait au contraire difficile, en dépit de
l'argumentation ingénieuse de M. Savatier (note précitée, III),
si l'on invoquait, pour exclure l'action de la concubine, le seul
caractère incertain du préjudice qu'elle subit.
B) La réparation du préjudice moral
1. - Lorsqu'il s'agit de réparer le préjudice moral, les
principes, qui sont les mêmes, doivent être appliqués dans
des conditions de fait différentes, d'où peuvent résulter des
difficultés particulières.
d'une
La nécessité
exclure les mêmes actions, en particulier celle de la concubine
il est curieux que la jurisprudence l'ait admis plus tôt que
:
atteinte à un intérêt légitime doit faire

pour le préjudice matériel (H. et L. Mazeaud, I, n" 327 et les


références). C'est pour la condition de certitude du préjudice
que les discussions ont été les plus vives. Subir ici un préju-
dice, c'est éprouver, du fait du décès, une douleur véritable.

procès : Chacun se crée victime


en est la cause» (Ripert,
;
Mais on voit alors apparaître en foule les demandeurs au

Règle
« c'est sa sensibilité qui
morale, n° 182). Dans l'em-
barras de limiter les demandes ou de choisir entre elles, les
Tribunaux ont été parfois tentés de compenser, par le chiffre
minime des dommages-intérêts, le nombre des ayants droit
et l'exemple est resté classique de cette Cour d'Appel qui,
;
saisie de seize demandes, accorda autant d'indemnités, variant
de 100 à 1.500 francs (Amiens, 17 novembre 1931, S., 1932,
2.118).
La Chambre des Requêtes, le 2 février 1931, a cru pouvoir

le droit d'agir qu'aux parents et alliés :


adopter des moyens moins empiriques, en ne reconnaissant
l'action doit être
« fondée sur un intérêt d'affection, né du lien de parenté ou
d'alliance qui unissait la victime du fait dommageable à celui
de &M ayants droit qui en demande réparation ».
2. — La limitation a paru contestable, et il faut bien

;
avouer qu'elle l'est en logique pure. Il est pourtant nécessaire
de restreindre le nombre des actions et l'idée même de lésion
d'un droit ne le permet pas, car on ne saurait parler d'un droit
à l'affection (Marty, note S., 1931, 1. 151 : voy. pourtant le rap-
port de M. Pilon, sur l'arrêt précité). MM. Mazeaud croient que,
:
dans ce but, des exigences de preuves rigoureuses, pour admet-
tre la réalité de la douleur, suffiraient et ils proposent alors
« une distinction entre les simples regrets que peut causer une
disparition et la douleur véritable, désarroi complet de l'âme»
(I, n° 324, 2). Quels magistrats psychologues appliqueraient
ce critère?
Aussi prétorienne soit-elle, mieux vaut approuver la juris-
prudence de la Chambre des Requêtes, qui satisfait au moins
à l'une des qualités que doit présenter toute règle juridique
celle de la certitude et de la précision dans la mise en œuvre.
:
Ici encore, la question véritable serait de savoir si la juris-

:
prudence a qualité pour créer une règle de Droit, là- où la loi
n'a pas statué. On y a déjà répondu (v.supra l'action en
responsabilité exercée par les ayants cause du contractant).
Mais il paraît intéressant, le principe admis, de présenter deux
observations sur les procédés techniques par lesquels se
réalise cette création.
Limitant aux parents et alliés le droit d'agir, on sera
tenté, par une pente naturelle, de le leur reconnaître toujours.
La limitation s'analysera, en définitive, en une présomption
.(voy. quelques indications en ce sens, données par M. Perret,
op.cit., p. 30-32, p. 160) présomption que le préjudice moral
:

existe toujours pour les parents et alliés, et n'existe jamais


pour d'autres. Or, cette analyse permet d'apercevoir plus net-
tement l'esprit dans lequel est assuré la réparation du pré-

;
judice moral. Comme toutes les présomptions, en effet, celle-ci
est dans une large mesure artificielle dans ses deux termes,
elle peut être démentie par la réalité (cpr. Perret, p. 160).
Mais par là se trouve accusé le caractère arbitraire, — carac-
tère de peine privée, de sanction d'une faute, — que présente
nécessairement, pour certains auteurs, l'allocation de domma-
ges-intérêts en cette matière (Ripert, Règle morale, noï 181
et suiv. )
En même temps, le mécanisme général des présomptions
est éclairé d'un jour singulier. Présumer l'affection des parents
et alliés plus facilement que celle des étrangers, c'est une
analyse psychologique raisonnable, mais qui ne devait jouer
primitivement que le rôle d'une présomption de fait dans
chaque espèce. Par la jurisprudence, elle devient une pré-
somption légale, et même, en tant au moins qu'elle exclut les
étrangers, une présomption irréfragable. C'est le lieu de
rappeler les observations de M. Gény sur la tendance de cer-

caractère:
taines présomptions, qui sont d'abord de fait, à changer de
toutes les présomptions de droit n'ont pas une
originelégale (Science et technique, III, n° 230 et s., en par-
ticulier, n° 235, p. 321).
Il n'est pas dit, d'ailleurs, que, dans cet effort de la tech-
nique à justifier les résultats souhaitables en fait, la jurispru-
dence actuelle ait atteint un résultat suffisant. Le risque
demeure, d'une multiplicité d'actions, toutes exercées par des
parents et alliés. Serait-il possible d'admettre l'existence, entre
eux, d'un ordre de préférence ? C'est la suggestion que pro-
posent MM. H. et L. Mazeaud (I, n° 324-2). On ne pourrait la
suivre, croyons-nous, qu'en avouant et en accentuant cette
idée que la réparation du préjudice moral est une peine privée.
Alors seulement, il deviendrait logique de dire qu'un seul
membre de la famille, le plus proche, est qualifié pour en
requérir l'application (cpr. Ripert, Règle morale, n° 183).
2. Le recours de l'Etat, débiteur d'une pension d'invalidité
envers l'un de ses agents, contre l'auteur responsable de
l'accident, et le cumul des deux indemnités par la victime.
Civ. cass., 23 déc. 1936, D. H., 1937, 146, S., 1937, 1. 102 ;
Civ. rej., 29 janvier 1937, D. H., 1937, 129 ; Civ. rej., 26
avril 1937, Gaz. Pal., 1937.2.225 ; Crim. rej., 7 mai 1937,
D. H, 1937 366 ; Civ cass. 11 janvier 1938, Gaz. Pal.,
18 février 1938).
Lorsqu'un agent de l'Etat se voit reconnaître le droit à
une pension d'invalidité à la suite d'un accident dont un tiers
est déclaré responsable, l'Etat peut-il exercer un recours contre
ce tiers, auteur d'une faute ? Sur cette question qui se pose
aussi bien pour toute Administration que pour l'Etat lui-
même, une divergence de plus en plus nettement accusée
Chambre criminelle n'admet pas le recours ;
sépare les différentes Chambres de la Cour de Cassation. La
dans l'obliga-
tion de verser une pension, elle ne voit pour l'Etat, qu'un
préjudice indirect. La Chambre civile l'admet.

;
A cette questiort du recours doit être liée celle du cumul
des deux indemnités par la victime car, pour l'une et l'autre,
- M. Savatier l'a démontré avec une remarquable clarté
(note D. P., 1934, 1.59) — le problème est en réalité le même,
envisagé sous deux aspects différents.
.- 1. — Aussi complexe qu'ait pu apparaître la question du
recours (voy. pour une discussion
:
complète des théories
présence, la thèse précitée de M. Perret Des ayants droit à
indemnité au cas d'accident mortel, Paris, 1933, p. 60-77),
en

c'est sans grande hésitation, croyons-nous, que l'on doit


approuver les arrêts de la Chambre civile.
C'est, en effet, un principe certain de la responsabilité
que la réparation du préjudice doit toujours être intégrale-
ment assurée. Or, pour nier que l'Etat subisse un préjudice,
il ne suffit pas d'observer que son obligation résulte du statut
du fonctionnaire, et qu'elle a sa contrepartie dans les retenues
effectuées sur le traitement. MM. Mazeaud soutiennent avec
beaucoup de force que le fait d'exécuter un contrat — et le
statut lui est, à cet égard, assimilable — ne peut jamais
constituer pourle débiteur un préjudice (I. n° 253, mais cpr.
n°268). Mais l'observation, exacte en principe, n'est pas
convaincante lorsqu'il s'agit d'un contrat aléatoire. La faute
d'un tiers, si elle fait jouer la condition à laquelle est subor-

;
donnée l'obligation, rend exigible une dette qui, autrement, ne
l'aurait pas été par là, elle entraîne un préjudice certain
pour le débiteur. En l'espèce, les dispositions du statut étant
les mêmes et les retenues ayant été pareillement effectuées,
il reste que, sans l'accident, la pension n'aurait pas été due.
Cette simple constatation de fait — en dépit de raisonne-
ments subtils sur la cause juridique, la contrepartie de l'obli-
gation de l'Etat — suffit à établir la réalité du préjudice
(Cpr. les motifs très nets de Civ. rej., 29 janvier 1937).
Elle retire également toute valeur à l'objection, plus fré-
quemment exprimée — en particulier dans les motifs mêmes
des arrêts de la Chambre criminelle — d'après laquelle le
préjudice subi par l'Etat serait indirect. Dans l'opinion aujour-
d'hui très générale, le préjudice est direct dès que le lien de
causalité qui l'unit à la fauteest établi (H. et L. Mazeaud, II,
n° 1670). De ce lien de causalité, l'analyse qui précède démon-
tre l'existence. --
Les règles des contrats ne sauraient faire écarter, par
ailleurs, la solution que commandent les principes de la res-
ponsabilité civile (Savatier, note D. P., 1934, 1. 39, IV). Le
recours de l'Etat ne contredit pas, au détriment de l'auteur
de la faute, le principe de l'effet relatif des contrats, (et l'on
parlerait tout aussi bien de l'effet relatif du statut). Pour le
démontrer, il n'est pas même besoin d'observer que ce prin-
cipe s'oppose seulement à ce que l'on réclame à un tiers
l'exécution d'une obligation contractuelle, mais n'empêche pas
que l'on tienne compte, contre lui, du contrat « considéré
»
comme un fait et de la situation qu'il a créée. Cette analyse,
exacte en droit, est en réalité inutile. En effet, le fait même
du contrat ne nuit pas réellement à l'auteur de la faute. Pour

réduction de celle qu'il devait à la victime :


lui, l'indemnité qu'il verse à l'Etat est compensée par une
c'est ce qu'il
reste à établir par l'examen de la question du cumul.
2. — Laréparation ne doit jamais dépasser le préjudice.

mage ;
Or, l'accident ne cause pas seulement à la victime un dom-
il ouvre pour elle le droit à une pension qu'elle n'aurait
pas touchée sans cet événement. Dans cette mesure, la pension
vient réduire le préjudice véritable, et, en conséquence, les
dommages-intérêts qui peuvent être réclamés. Il faut, en

:
d'autres termes, écarter le cumul de l'indemnité de respon-
sabilité et de la pension. (En ce sens Civ. cass., 11 janvier
1938, qui, seul, statue sur le cumul, parmi les arrêts analysés 1

ici).
Les objections que l'on fait à cette thèse, soutenue de
façon très convaincante par M. Savatier, ne sont que la contre-
partie de celles que l'on adresse au système du recours. Il

répare pas réellement une partie du préjudice ;


est vain de dire que la pension, conséquence du statut, ne
elle le répare
puisqu'en dépit du statut et des versements, elle n'aurait
pas été dûe sans l'accident. Pareillement, il est faux de dire
;
que le statut profite à l'auteur en réduisant l'indemnité de la
victime car pour lui, une autre indemnité s'y ajoute, qu'il
doit au débiteur de la pension.

pas dépasser le
;
Ainsi, parce que la réparation doit toujours être intégrale,
il faut admettre le recours de l'Etat et, parce qu'elle ne doit
préjudice, il faut écarter le cumul, par la
victime, de l'indemnité et de la pension (Savatier, note D.,

nité que si la pension n'existait pas ;


1934, 1.59, III). L'auteur, en définitive, doit la même indem-
cette indemnité est
simplement divisée en deux parts (Savatier, ibid., IV). Par
là, les seuls principes de la responsabilité civile suffisent à
résoudredes problèmes dont il semble exact de dire, après
M. Savatier, qu'on les avait inutilement compliqués de cons-
tructions techniques telles, en particulier, que la subrogation.
Il en résulte que les règles dégagées valent aussi bien dans
l'hypothèse d'assurance que dans celle de pension (Contra,

de textes spéciaux :
H., et L. Mazeaud, I, nos 244-254, et 266-270) ; elles ne doivent
être écartées que dans des situations particulières en vertu
l'exemple le plus connu est celui de
l'assurance sur la vie où l'article 36 de la loi du 13 juillet
1930, excluant le recours, permet certainement le cumul.
Encore faut-il noter, quand il s'agit au moins d'une
pension, que des difficultés subsistent pour concrétiser.les
principes dans les différentes situations de fait. La pension,
viagère, doit être comparée à une indemnité généralement
fixée en capital. Par ailleurs, la pension d'invalidité, immé-
diatement dûe, fait disparaître le droit à une pension de
retraite qui se serait ouvert plus tard. Tant pour le non cumul

différence de valeur entre les deux pensions ;


que pour le recours, il faut tenir compte seulement de la
la Chambre
civile précise très justement que le préjudice subi par l'Etat
résulte « de la substitution d'une dette immédiatement exi-
gible à l'obligation simplement conditionnelle existant anté-
rieurement dsa charge ». Les difficultés d'application et de
calcul, qui peuvent être considérables, n'empêchent pas les

;
principes d'être exacts. Ce sont, en quelque sorte, des pro-
blèmes d'actuariat ce ne sont plus des problèmes juridiques.
UNITÉ NATIONALE
ET CODIFICATION.«

Si l'on recherche, dans un monde en perpétuel mouve-


ment et dont tant de signes trahissent actuellement l'inquié-
tude, à quoi se mesure — tout au moins dans l'ordrepoliti-
que — la faculté de rayonnement extérieur des Etats, et la
possibilité où ils sont de faire entendre leur voix, on reconnaî-
tra — qu'à côté des moyens matériels sur quoi se fonde leur
puissance — un des éléments essentiels de leur force réside
dans le sentiment qu'ils ont de leur cohésion interne, autre-
ment dit, de leur unité nationale.
Que si l'on entend remonter au principe de cette cohé-
sion, à la source de cette unité, il paraît assez difficile de les
dégager à l'état pur et de les isoler, tant le sentiment que les
peuples peuvent respectivement éprouver de ce qui les affirme
et les différencie est — en lui-même — complexe. C'est qu'à la
vérité, l'opinion que nous pouvons avoir de notre unité natio-
nale est bien un « sentiment » au sens exact du mot, parce que
la faculté qui nous est donnée de prendre conscience de notre
dépendance grégaire, de nous « penser »
comme membre
groupe — en contradiction avec nos habitudes naturelles d'in-
du

dividualisme — procède beaucoup plus d'une représentation


affective que d'une opinion raisonnée, d'une manière d'ins-
tinct plutôt que d'un concept. Si bien que le génie particulier
de chaque peuple y laisse normalement sa trace.
Aussi n'est-ce point simplement par hasard que les
Anglais se sentent communier dans l'Empire ; les Allemands

force physique ;
dans l'exaltation d'une ferveur raciale dont ils espèrent une
et morale accrue les Italiens dans l'adoration
des faisceaux de l'ancienne Rome, évocateurs de sa gloire ;
les Français enfin, dans le culte prestigieux d'une liberté dont
- il y a cent cinquante ans — ils livraient le secret au monde.

(1) Conférence faite à l'Université Charles IV de Prague, janvier 1938.


Et à côté de ces idées-forces ou de ces mystiques, il n'est
pas jusqu'à la forme même du régime politique de l'Etat qui
ne réagisse à son tour sur le sentiment que le peuple se fait
de son unité nationale. Si bien que, au sentiment qu'il a de
participer à la communauté britannique, il n'est point indif-
férent — pour un Anglais — d'associer étroitement la concep-

;
tion qu'il se fait des obligations et des droits traditionnels de
la Couronne d'Angleterre de même que le Reich hitlérien et

;
la Monarchie mussolinienne illustrent deux conceptions bien
différentes de gouvernement totalitaire de même enfin qu'au
regard de l'immense majorité des Français, la République
démocratique — malgré les abus qu'on en peut faire—
demeure, sinon inséparable, du moins naturellement liée à la
conception qu'ils se font de la liberté.
Ainsi, l'atavisme et le génie particulier des peuples, leur
mystique, et même la forme qu'ils ont donnée à leurs institu-
tions politiques apparaissent comme des éléments constitutifs
de l'opinion qu'ils ont de leur unité nationale.
Mais tous ces facteurs, en quelque sorte sensibles, généra-
teurs de l'union, ne seraient rien ou peu de chose s'ils n'étaient
polarisés par quelque chose de plus dense, de plus matériel,
de moins variable aussi.

,
;
Sans doute une nation peut se concevoir comme telle en
dehors et au-dessus d'une frontière se sentir vibrer malgré
le joug d'une ou plusieurs dominations. Elle s'identifie alors
à la personne de ceux en qui s'incarne la croyance à son auto-
nomie. Ainsi, un Palacky, un Masaryck, pour ne parler que
des morts, ont-ils été, aux heures longues de l'attente, les purs
symboles d'une indépendance contre quoi se dressaient tant
d'obstacles et se liguaient tant d'intérêts que sa réalisation
apparaît encore, à vingt années de distance, comme provi-
dentielle.
Peu importe, n'est-il pas vrai, qu'on ait parfois considéré
ces hommes comme des prophètes d'irréel puisque c'est le sort
de tous ceux dont le regard, ardent de foi, permet de soulever
le voile de l'ayenir d'être taxés de visionnaires, tandis qu'ayant
seulement vécu plus près d'un idéal dont ils étaient irradiés,
ils n'ont fait qu'anticiper sur les destins et témoigner du
miracle de l'esprit qui prélude à toutes les réalisations glo-
rieuses.
Mais si l'Histoire offre parfois — peut-être pour que
jamais ne se perde totalement l'espoir du monde — l'exemple
de destins aussi exceptionnels, il n'en reste pas moins que,
généralement dominés par les contingences au milieu des-
quelles nous vivons, nous ne séparons pas, à l'ordinaire, même
notre pensée, la représentation conceptuelle des apparences
en

même porte la trace de nos habitudes :


de sa probable réalisation. Et c'est si vrai que le langage lui-
dès que — même sur
le seul plan intellectuel — le développement de l'idée est en
vue, nous disons d'instinct qu'elle prend « corps », qu'elle
« se matérialise ». Rien n'est plus exact, singulièrement de
l'idée d'unité nationale, qui ne peut se matérialiser plus effica-

; :
cement ni prendre corps que sous les espèces charnelles de
l'Etat. Dès ce moment, tout se stabilise le souffle de l'esprit
demeure, mais il anime des réalités les intérêts se manifes-
tent, qui scelleront, plus fortement que tous les enthousiasmes,
les rapports de ceux qui seront désormais des compatriotes
parce qu'ils auront une même patrie.
Et le Droit tissera lentement la trame de cette commu-
nauté de liens qui, chaque jour, s'affirmera davantage. Les
particularismes de chaque région, qui font la richesse et la
diversité d'un pays, se fondront peu à peu, à raison de la mul-
tiplicité des échanges intellectuels et économiques, et une tra-
dition commune naîtra qui constituera le bien le plus solide
entre les citoyens parce qu'elle leur donnera, non plus seule-
ment cette fois le sentiment confus de leur cohésion, mais les
raisons précises d'une solidarité éparse dans les multiples
branches des plus diverses activités.
Le jour où le peuple entier éprouvera ainsi, à chaque

:
minute de son existence, l'unité de son destin, rien ne saurait
ensuite le diviser les heures mauvaises pourront venir,

:
tenant par la main la défaite, certaines séparations pourront
s'ensuivre elles ne seront que momentanées, et la fortune
favorable permettra sûrement, quelque jour, que se trouve
à nouveau rassemblé
ce que le destin contraire avait momen-
tanément désuni.
Ainsi l'unité de législation apparaît-elle non seulement
comme le principe créateur d'une cohésion nationale, elle-
même élément de force des Etats, mais encore comme le gage
de pérennité de cette unité et de cette puissance même.
Dès lors on en vient à se demander s'il n'est pas possible
de hâter, au bénéfice de l'Etat, l'éclosion de cette coutume
d'ensemble susceptible d'associer étroitement chacune des
parties de son être au principe même de ;
son unité s'il n'est
pas possible de substituer à la formation spontanée — mais
lente et en quelque sorte sédimentaire — de cette unité juri-
dique une opération d'efficacité plus prompte où la fusion

:
s'opérerait en quelque sorte « à chaud
technique dirigée la codification.
» par un procédé de
C'est, on le voit, envisagé sous l'angle de l'utilité politique,
le débat, habituellement institué sur le terrain des discus-
sions d'école, sur les mérites réels de la codification.
Le simple fait de placer sur le terrain de l'utilité poli-
tique cette ancienne querelle de juristes doctrinaires, ressus-
cite l'actualité d'un teldébat, en même temps qu'elle le renou-
velle tout entier. Jamais, plus que sur ce problème essentiel,
l'Histoire, qui n'est au fond que la chanson qu'ont chantée les
hommes depuis l'enfance du monde, et où ils se répètent sans
cesse dans leurs tendances et leurs haines, n'a paru plus
en
féconde enseignements dignes d'être médités.
Mais qui retient jamais les leçons de l'Histoire ? La vie
nous presse, l'avenir nous sollicite à ce point, les soucis de
l'heure présente absorbent tellement nos jours, qu'il ne nous
vient pas à l'idée de regarder en arrière. A plus forte raison ne
songeons-nous pas à nous attarder à ce qui fut il y a cent ou
cent cinquante années. Cela nous paraît vieux, périmé, enterré.
Et pourtant, si l'on y prenait garde, quelles analogies de situa-
tions, quels retours dans le rythme des événements, quels
Enseignements dont nous pourrions faire notre profit, et
comme on songe aux vers si vrais d'Henry Bataille :
« Le passé n'est jamais tout à fait le passé
« N'avez-vous pas senti comme il rôde partout ?
« Et tangible, il est là, lucide, clairvoyant
« Non pas derrière nous comme on croit, mais. devant ! »
C'est pourquoi je me sens justifié de rouvrir le débat
pourquoi je voudrais — rappelant les arguments de ceux qui
;
se sont montrés hostiles à la codification — puiser, dans les
laits eux-mêmes un démenti aux préventions qu'ils ont mani-
festées contre elle et établir, au témoignage irrécusable des
événements, l'usage politique qui a été fait de la codification
en vue de la consolidation de jeunes unités nationales.
Je tirerai témoignage, au cours du siècle dernier, de nom-
breuses expériences vécues. Mais, si j'entends surtout vous
parler de la France, c'est non seulement parce qu'elle a, à
l'aube du xixesiècle, donné le branle au grand mouvement de

ses flancs, la guerre étrangère à


:
codification qui a suivi, mais encore parce qu'elle a réussi cet
ouvrage dans des conditions difficiles avec la Révolution dans
ses portes, victorieuse d'elle-
même et de ses ennemis, et gardant cependant assez de sang-
froid, assez d'équilibre, assez de sérénité pour imprimer à sa
loi — dans les formules dépouillées de son Code Civil — les
marques d'un libéralisme quiest demeuré, depuis lors, le fon-
dement de notre tradition et de notre unité nationale. C'est
contre cette loi, que d'aucuns prétendaient vieillie, qu'achèvent
en ce moment de se briser la dernière vague des égoïsmes de
groupe qui tentaient de mener l'assaut contre nos libertés
individuelles. C'est pourquoi, en parlant de la France, j'aurai
le sentiment, tant son exemple demeure typique, de ne pas
formuler une opinion qui soit susceptible de ne s'appliquer
qu'exclusivement à elle.
*
**

Je -prétends qu'il y a débat, débat peut-on dire dès le


point de départ, car d'aucuns ont contesté jusqu'à l'utilité
même de poser le problème sur ce plan et nié, en évoquant
l'exemple de la Grande-Bretagne, qu'une codification fût néces-
saire ou utile à l'édification de l'unité nationale.
Dirai-je que je reste sceptique quant à la portée démons-
trative de cet exemple pour différentes raisons. D'abord parce
qu'il parait de plus en plus évident que l'Angleterre, nation
essentiellement maritime et commerçante, n'a pris vraiment
conscience d'elle-même que dans le cadre de l'empire, si bien
premier dynamisme ;
que ce que j'appellerais son centre de polarisation est en réa-
lité extérieur aux Iles Britanniques, berceau restreint de son
et c'est si vrai que nous la voyons à
juste titre beaucoup plus intéressée par des événements sus-
ceptibles de mettre en jeu le Commonwealth (1) que par des
incidents plus proches, en apparence seulement, de la stabilité
de sa structure interne (2).
La deuxième raison qui me porte à ne pas considérer
comme convaincante l'objection tirée de l'expérience anglaise,
c'est que, dans la mesure où l'unité nationale anglaise peut
avoir son foyer au cœur même des Iles Britanniques, s'il est
avéré que la Grande-Bretagne ne désire pas pour elle-même
une codification dont ses traditions ne lui représentent pas la
nécessité, non plus d'ailleurs que ses conceptions très particu-
lières de la technique d'élaboration du Droit — qu'il s'agisse
de son droit constitutionnel aussi bien que de son droit privé
— c'est qu'elle a bénéficié, du fait de son insularité, d'une
situation très spéciale — et qui crée à son profit une origina-
lité fort enviable. Sans doute cette sécurité est-elle en train
de se perdre. Il n'en est pas moins vrai que la protection que
la Grande-Bretagne a reçue de sa situation géographique —
car il faut remonter très loin dans le passé pour la trouver
envahie — a rendu possible chez elle la réalisation de cette
fusion lente des coutumes et des aspirations qui peut être
représentée comme l'idéal de formation de l'unité nationale.
Certains pensent, en effet, que la méthode la plus sûre et
la plus efficace consiste à laisser le temps accomplir son œuvre,
peu à peu et comme insensiblement, persuadé que le ciment le
plus fort est celui qui s'est solidifié lentement. Et je réponds
que si l'on peut discuter dans l'abstrait des mérites respectifs
;
des deux méthodes, c'est en se plaçant idéalement dans les con-
ditions nécessaires à leur application or : si la codification
peut être rapidement réalisée, la méthode de stratification
spontanée de la législation est une question de temps.
Mais qui peut être assuré de trouver devant soi les pers-
?
pectives d'un paisible avenir Qu'on jette les yeux sur l'Eu-
(1) Inde, Ethiopie, Palestine.
(2) Irlande.
rope depuis un siècle et que l'on s'interroge pour trouver en
quel pays, en dehors de l'Angleterre au bienheureux destin,
les résultats de la méthode de non-intervention législative
n'auraient pas été troublés par quelque changementd'allé-
geance !
C'est pourquoi, en définitive, la discussion.n'est pas pure-
ment théorique, pourquoi il n'est pas possible de se déterminer
par un examen a priorique des éléments d'une question qui
n'est plus entière, pourquoi il faut prendre parti en considéra-
tion de contingences qui ne sont pas toutes paisibles et
s'essayer à construire quelque chose de durable, en s'évadant
de l'incertitude du temps.
Et c'est la raison pour laquelle, plus nombreux se retrou-
vent en fait ceux qui, pénétrés de l'aide puissante que pouvait
apporter à l'éclosion du sentiment de l'unité nationale la
communauté de législation, ont poussé de toutes leurs forces
à la codification.
C'est la France qui, en 1804, et dans des conditions sur
lesquelles je reviendrai, promulgue le Code Civil et coup sur
coup, en quelques années, les différents monuments de l'œuvre
législative napoléonienne.
C'est l'Autriche qui, destinée à compléter son œuvre de
1852 ià 1873, publie en 1811, sous le règne de François II,
un Code Civil qui a duré jusqu'à l'époque présente. On
sait que la contribution essentielle que lui a apportée M. de
ZEILLER — de culture philosophique libérale encore que servi-
teur passionné de la monarchie — lui a donné un visage très
proche du Code Napoléon, ce qui prouve que l'on peut servir
la monarchie sans souscrire au despotisme, de même qu'il est
permis de croire à Dieu sans adopter l'Inquisition.
C'est la Serbie pour qui le Prince Karageorgevitch publie
en 1844 un code inspiré de la législation autrichienne.
C'est l'Italie qui, dès le lendemain de sa naissance comme
royaume, s'avise « qu'il y aurait imprudence à laisser sous
l'empire de législations diverses l'ancien royaume de Sardai-
gne, les duchés de Parme, de Modène, de Toscane, les Etats
enlevés au Pape et au Roi de Naples », et qui, dès 1859, conçoit
le projet d'un code uniforme qui entrera en vigueur en 1866
et qui complètera son œuvre dans les vingt années qui suivent.
C'est l'Allemagne elle-même — berceau de l'Ecole histori-
que si hostile à la Codification — où la bataille avait été si
rudeentre Savigny qui était le chef de cette école et Thibault
qui en était l'adversaire, l'Allemagne qui, dominée par lu
Prusse, songe à.son unification.
Tous les préjugés d'Ecole sont oubliés. Oubliées aussi les
insultes, qu'à bout d'arguments, Savigny avait injustement
adressées à Thibaut — aussi bon allemand que lui-même —
d'avoir, avec le Code Civil, accepté la conquête napoléonienne.
En 1861, l'Allemagne commence par le plus facile, qui est
parfois le plus utile, et un Codede Commerce lie les 75 états.
de la Confédération. Puis, après 1870 et jusqu'en 1877, on se
hâte de précipiter la fusion en votant coup sur coup unCode
Pénal, un Code de Procédure, un Code d'Instruction Crimi-
nelle, un Code des Faillites. Il faudra attendre vingt ans le
couronnement de l'édifice par le Code Civil allemand de 1900.
C'est enfin la Hongrie — à qui les vicissitudes de son his-
toire n'avaient pas encore permis de voir codifier officielle-
ment son droit civil et qui en était restée au Tripartitum de
la fin du xv" — qui s'attèle à cette œuvre en des matières où le
particularisme est moins étroit qu'en droit civil et qui réussit,
à partir de 1875, à codifier son droit commercial, son droit
pénal, etc.
J'en passe, et j'en ai déjà trop dit pour montrer qu'en
fait, dans cette Europe constamment agitée du XIXO siècle, la
codification a été un instrument fréquemment utilisé pour
compléter l'œuvre toujours précaire des armes, assurer les
nouvelles hégémonies, donner aux sujets de l'Etat le sentiment
•de leur commune allégeance. Elle est un merveilleux o'.îtil
d'unification interne. Elle est encore un instrument de rayon-
nement extérieur, car il n'est pas jusqu'aux emprunts faits
d'un pays à l'autre, notamment de l'Autriche à l'Allemagne,
qui n'aient une signification politique et ne présagent de pro-
chaines alliances.
Ainsi nous avons constaté — au témoignage de circons-
tances historiques qui ne prêtent à aucune déformation —
le rôle essentiel joué par la codification dans l'Europe du
xix" siècle pour le triomphe des diverses unités nationales. Et
il est assez piquant de constater que les pays qui avaient le
plus décrié cette méthode, en argumentant des nécessités, de -

latechnique juridique pure, ont été les plus empressés à y


recourir lorsque les fins d'ordre politique paraissaient justifier
son emploi.
*
**

Mais la question qui se pose à nous est tout ensemble


plus haute et plus profonde. Si, au rehours de ce qui est
actuellement accepté, nous ne voulons interroger l'Histoire
que pour y chercher des règles de conduite, nous retourner
vers le passé que pour y retrouver des raisons d'orienter notre
action future ou prochaine, est-il possible de conclure de ce
qui fut hier à ce que sera demain ?
Est-il possible de croire à l'utilitépersistante de la codi-
fication comme facteur d'élaboration de l'unité nationale,
dans l'atmosphère dont nous sommes à l'heure actuelle enve-
loppés, dans l'ambiance très particulière du temps présent.
Avons-noùs, en d'autres termes, le droit de méconnaître
que, pendant tout le cours du XIX8 siècle, où la codification a
joué un si grand rôle, il ne s'est agi presque toujours que de
regroupements territoriaux, de simples modifications d'allé-
geance qui se produisaient sans que s'accomplît en même
temps une modification radicale dans les conceptions de la
souveraineté. L'Europe était à peu près totalement monar-
chiste et les idées répandues alors par le Code civil n'eurent
que le rapide et fulgurant destin des succès de l'Empereur.
Faut-il admettre, au contraire que, lorsque la création
d'un nouvel Etat — ou le regroupement politique des terri-
toires soumis à sa souveraineté — s'accompagne dans la
conception même de l'Etat et dans la forme du gouvernement,
de véritables modifications de structure — lorsque, notam-
ment, un gouvernement démocratique succède à un régime
monarchiste ou impérial — le recours à la technique de la
codification comme adjuvant précieux de l'unité nationale
devient impossible, tant les difficultés que rencontre le change-
ment de régime apparaissent supérieures aux moyens mis en
œuvre pour les résoudre.
C'est ici, Messieurs, que pour répondre à une objection
dont je sens toute la force, je voudrais recourir au témoignage
de l'expérience que — il a un siècle et demi — la France a
faite dans des circonstances semblables, aggravées s'il se peut,
de toutes les complications imaginables — tant au dedanst
qu'au dehors.
Si l'on se rappelle, en effet, dans quel état de décentrali-
sation, à la suite de la féodalité, la Révolution de 1789 trouvait
les provinces françaises ;
si l'on se souvient aussi que les coutumes de chacune
de ces provinces — diversement influencées par les deux tradi-
tions; : romaine et germanique — étaient, en quelque sorte,
déjà cristallisées dans leur particularisme par la rédaction
dont elles avaient en général fait l'objet au cours du
xvi" siècle;
si, enfin, on ne perd pas de vue l'attachement du Français
à ses usages — qu'il considère volontiers comme ses libertés
- on conviendra qu'une codification apparaissait, en elle-
même, comme singulièrement osée, et difficilement réalisable.
Et cependant, elle se doublait par surcroît d'un change-
ment de régime politique, car la Révolution française marquait

Le terme :
tout ensemble un terme et une aurore.
c'était celui de la monarchie de droit divin,
de la féodalité patrimoniale et politique des grandes familles

L'aurore:
de l'ancien régime.
c'était celle de l'individualisme, de la possession
de soi-même et de son bien, de la liberté de sa croyance, de sa
pensée, de son travail, l'abolition des servitudes de la terre.
Toutes ces réformes, que la monarchie préparait par
transactions successives, par empirisme plutôt que par sys-
tème, la Révolution les réalisait volontairement et d'un seul
coup.
Et si le régime politique de la France se modifiait gra-
duellement, c'était pourtant l'idée républicaine — issue de
l'explosion révolutionnaire de 1789 — qui en inspirait la
doctrine. -1
Le Code Civil, dont il importe peu qu'il soit né sous
l'Empire, puisqu'il est marqué de l'esprit nouveau, demeure
— au témoignage des meilleurs esprits — l'expression
achevée de ce que doit être une codification, c'est-à-dire
règle de vie du peuple qui se la donne, prenant en lui son
:
la plus
la

principe et sa sève, offrant à chacun — sans bouleverser sa


condition — le sentiment de l'existence améliorée, parce que
plus libre.

;
C'est qu'il a su éviter trois périls essentiels: d'abord,
;
celui d'intervenir trop tôt ou trop tard ensuite, celui de tran-
cher dans le vif au lieu de concilier enfin, celui de se perdre
dans le labyrinthe de délibérations infinies.
Intervenir — c'est-à-dire légiférer, codifier — trop tôt,.
c'est se condamner par la force des choses, à faire des lois
nécessairement hostiles ou partiales, se laisser emporter par le
besoin de changer toutes les habitudes, d'affaiblir tous les
liens, d'écarter tous les mécontents.

; : ;
On ne s'occupe plus des relations privées des hommes
entre eux on ne voit que l'objet politique et général
« cherche des confédérés plutôt que des citoyens
« on
tout devient
« droit public (1).»
Intervenir trop tard, c'est perdre, pour l'œuvre de codi-
fication, le bénéfice — essentiel à sa réussite, surtout quand
l'unité nationale projetée s'accompagne d'un changement de
régime — des mouvements d'unanimité d'un peuple orienté
vers des espoirs nouveaux. C'est se heurter aux premiers
désenchantements, aux réactions d'égoïsme qu'ils suscitent,
aux discriminations et aux barrières que l'on croyait éva-
nouies.
Le Code Civil a été décrété de ventôse An XI (mars 1803),
à ventôse An XII (mars 1804), c'est-à-dire quatorze ans après
la Révolution, quatorze ans pendant lesquels dans cette
période, dite « du droit intermédiaire » ont eu le temps de
décanter, en des manifestations extrêmes, mais heureusement
sans lendemain, les principes de 1789.
:
Plus tôt on tombait sans doute dans les excès de la
Convention, mal corrigés par la réaction Thermidorienne.

(t) Portalis.
:
Plus tard on n'eût sans doute plus abouti, où du moins,
plus dans le même esprit.
Ce premier péril évité, le Code Civil a su se soustraire à
celui plus redoutable encore de susciter des haines, parce qu'il
a compris que toute codification, surtout lorsqu'elle intervient
à la suite d'une modification dans la conception de souverai-
neté, doit être, pour servir de ferment à l'union nationale, une
œuvre de transaction.•
La France a connu, au lendemain de la Révolution réali-
sée, même après la renonciation par les nobles à leurs privi-
lèges dans la nuit du 4 août 1789, ces résurgences de l'esprit
aristocratique qui, l'enthousiasme de la communion populaire
une fois éteint, renaissaient de la considération des intérêts
opposés des diverses classes sociales, et qui semblaient devoir
être un obstacle à la codification projetée.
Le Code Civil a vaincu ces résistances, non pas, comme
il l'aurait pu faire sans doute, par l'impératif brutal d'une
règle rigide, mais au contraire par l'affirmation constante en
même temps que des principes nouveaux, de la volonté de
concilier avec eux, dans une juste mesure, les nécessités pra-
tiques et même les dissidences individuelles.
Ainsi le Code Civil abonde-t-il en exemples de ces bien-
faisantes transactions. Il délivre la personne humaine du
il
servage de la féodalité, mais accepte l'engagement volontaire
des services. Il libère la propriété, mais il maintient, en les

limitant, les droits réels essentiels. Il organise un régime
matrimonial légal de droit commun, mais il proclame la liberté
des conventions matrimoniales. Il substitue au privilège
d'aînesse et de masculinité dans le régime successoral l'égalité
de vocation entre successibles au même degré, sans distinction
de sexe ou de primogéniture, mais il institue la quotité dispo-
nible comme soupape de sûreté. Il prohibe, en principe, les
substitutions testamentaires qui pourraient servir à reconsti-
tuer des privilèges, mais il les autorise exceptionnellement
au premier degré en ligne directe, ou au deuxième degré colla-
téral. Il proclame le droit de chaque héritier à sa réserve en
nature, mais il recommande de ne pas morceler les héritages.
Ilprévoit le tirage au sort comme mode normal d'attribution
des lots, mais il autorise le partage d'ascendant qui substitue
à l'aveuglement du sort la prévoyance du père de famille.
Ainsi, partout, la règle, inspirée des idées nouvelles,
imprime à la loi le caractère de l'idéologie égalitaire et libérale
de la Révolution.
Mais, partout, cette règle voisine avec l'exception qui fait
aux habitudesanciennes — que révolterait sans doute une
sujétion trop absolue aux impératifs démocratiques — la part
que mérite toujours une tradition.
Ainsi, se trouvent ménagés les transitions et les accom-
modements ;
de chose.
- les susceptibilités aussi, ce qui n'est pas peu

Et la route se trouve ouverte aux transactions qui, dans


l'ordre juridique — sinon dans l'ordre politique — constituent
la formule d'entente la plus naturelle aux partenaires de bonne
foi.
Dira-t-on qu'une codification qui, après avoir marqué les
principes de la conception qu'elle adopte, accouple,dans le
même monument législatif, l'énoncé de ces principes et les
procédés légaux de les combattre, fait nécessairement œuvre
vaine parce que contradictoire ?
Ce serait oublier tout ensemble la part d'inertie chère

respectif de la règle et de l'exception


la règle en matière d'interprétation.
;
à la paresse individuelle une fois la règle posée ; le domaine
la portée naturelle de

Quand la règle posée par le Droit doit, pour être écartée,


requérir les soins d'une activité individuelle en opposition
avec elle, il y a lieu de penser que cette opposition ne sera
formulée que si la règle heurte vraiment des traditions consi-
dérées comme essentielles.
Tous ceux — et il y en a toujours — qui étaient incer-
tains des motifs de leur hostilité aux principes nouveaux, qui
ne protestaient que pour la forme et parce que leurs habitudes
étaient simplement dérangées, se convaincront plus volontiers
de l'opportunité de la réforme en la voyant proclamée. Et la
loi du moindre effort
— l'habitude de passivité chère au
plus grand nombre
— qui n'aurait jamais joué en faveur de
l'établissement de la règle, parce qu'elle était incapable
d'initiative, jouera en faveur de son maintien, parce qu'elle
négligera également l'effort de la combattre. Ainsi, l'existence
seule d'une règle commune constitue pour cette règle une
raison de pérennité.
Par ailleurs, le domaine de la règle étant nécessairement,
plus étendu que celui de l'exception, même lorsqu'elle se trouve
combattue par une opposition licite, la règle continue de régir,
au delà des limites étroites de l'exception, la situation envi-
sagée.
Enfin, et surtout, dès qu'une difficulté d'application
s'élèvera sur la régularité d'une activité juridique douteuse,
les Tribunaux — auxquels il faudra recourir pour faire tran-
cher le débat" — auront toujours une tendance naturelle à
prendre pour point d'appui de leur interprétation le principe
posé, assurant ainsi le triomphe normal de la règle dans la
généralité des hypothèses contentieuses.
Il n'est donc pas vain, du point de vue de la cohésion
nationale, de formuler une règle unique et générale pour tous
les ressortissants d'un même Etat, même si l'on y apporte des
atténuations facultatives, susceptibles de procurer son adoption
pacifique par le milieu social.
La vraie difficulté demeure de faire une loi à la mesure
du peuple auquel on la destine, inspirée de ses traditions et
de ses tendances, et non pas de la copier servilement sur
quelque autre codification faite pour une autre nation.
Ainsi consultera-t-on les habitudes de vie, la pratique
notariale ou judiciaire, les jugements et les arrêts témoignant
des points vulnérables des institutions, des difficultés et de
leur fréquence, des moyens, aussi, apportés pour les aplanir.
Enfin, il faudra orienter le Droit — qui, par lui-même,
est une règle de finalité — en accentuant tel ou tel trait carac-
téristique, suivant les principes de politique juridique sur
lesquels on s'est préalablement accordé.
La technique —* ou mécanisme de réalisation du droit —
ne doit, eneffet, que seconder dans la mise en œuvre de l'ins-
titution le but même de celle-ci.
L'expérience prouve que, si la recherche des documents
et des matériaux appelle la réunion de commissions parfois
nombreuses, et la consultation d'individus et d'organismes
multiples versés en la connaissance du Droit, la nécessité
d'aboutir amène à confier la rédaction finale à un très petit
nombre de spécialistes.
Qu'auraient été les ordonnances de Louis XIV sans Colbert,
le Code Civil sans Bonaparte, le Code Autrichien sans Zeiller,
le Code Suisse sans Huber ?

L'expérience apprend encore, lorsqu'il s'agit de faire voter


les Codes, que les habitudes parlementaires sont dangereuses
infiniment et risquent de tout compromettre.
Le petit jeu des amendements improvisés, dont la justi-
fication ne repose que sur des motifs d'ordre politique et,
parfois, sur des mobiles d'ordre purement électoral, condui-
sent déjà, dans le vote des lois ordinaires, à des résultats
inattendus qui confinent à l'absurdité. A plus forte raison, ne
peut-on adopter semblable méthode de discussion quand c'est
un Code tout entier dont la conception d'ensemble fait l'objet
du débat, et dont l'harmonie et l'ordre ne peuvent être voués
aux risques d'incohérence.
Il est d'ailleurs réconfortant de constater que les assem-
blées délibérantes elles-mêmes, ont compris qu'elles se discré-
diteraient aux yeux des peuples en ne réformant pas leurs
méthodes pour cet objet si grave. On sait de quelle main vigou-
reuse Bonaparte conduisit lui-même la discussion du Code
Civil devant les assemblées. De même, en Italie — bien avant
M. Mussolini
— le Code de 1866 fut adopté en bloc et d'avance
par le pouvoir législatif, la Chambre italienne refusant systé-
matiquement de discuter les amendements de ses membres,
et donnant même au gouvernement le droit d'amender par
décret les dispositions transitoires.
C'est encore — autre méthode — Manuel Alonzo Martinez
faisant voter par les Cortès les « seules bases fondamentales »
du Code Espagnol de 1888, et obtenant pour le surplus la délé-

:
gation du pouvoir législatif de l'Assemblée au gouvernement.
Les méthodes peuvent varier à l'infini chaque peuple se
rendra à celles qui conviennent le mieux à son tempérament,
mais les sacrifices que ses représentants seront amenés à
consentir peuvent être considérés comme faits sur l'autel de
la patrie.
Car la véritable autonomie — pour quoi le peuple délègue
en régime démocratique son pouvoir personnel à ses repré-
sentants — ne doit pas être détachée du but de nos institutions.
Or, ce qui nous importe, en cette matière, c'est de nous
sentir conduits par des lois que nous reconnaissons comme
nôtres, parce que nous y retrouvons la trace de nos habitudes,
un ordre qui nous est familier, et qu'à cause de cela, il nous
est facile de suivre.
Je veux rappeler le très joli nom — si évocateur — que
l'Allemagne du Moyen-Age donnait aux coutumes locales,
bénévolement rédigées par les jurisconsultes, et dont on vit
une si symptomatique éclosion à la fin du XIIe et du xm* siècle :
»
elle les appelait des « Miroirs (Spiegel). Ce mot, je veux le
reprendre à mon compte tant je le trouve exact, et tout ce que
j'ai voulu dire peut se résumer en lui, car il me semble que
c'est au miroir de nos lois et de nos codes — si nous savons
les faire — que nous pouvons le mieux retrouver, dans la
richesse infiniment variée de ses nuances, mais dans toute la
force aussi et dans toute la puissance de son unité, — le visage
émouvant et lumineux de la patrie.
Robert LE BALLE
Professeur à la Faculté de Droit
de Lille.
LES DROITS DE PUISSANCE
PATERNELLE DES ASCENDANTS (1)

INTRODUCTION

SECTION I. — Détermination des droits de Puissance paternelle des


Ascendants.
1. — Durant la vie des père etmère ou à la mort de l'un d'eux.

:
§

A) Modes d'exercice des droits.


1) Principe primauté des droits des père et mère.
Attribution aux ascendants des droits de visite et
de séjour.
2) Exception au principe. Primauté des droits des
ascendants. ,.

B) Bénéficiaires des droits. — Puissance paternelle de droit


et Puissance paternelle de fait.
§ 2. — Après la mort du survivant des père et mère
cas d'Absence.
;
ou dans le
A) Après la mort du survivant des père et mère.
1) Les droits des ascendants lorsqu'il y a un tuteur
testamentaire. Consentement, opposition au ma-
riage.
2) Les droits des Ascendants lorsqu'il n'y a pas de
tuteur testamentaire. — Tutelle légale des Ascen-
dants.
B) Au cas d'absence. — Les obligations de surveillance.

SECTION II. L'indépendance des droits de Puissance paternelle des



Ascendants.
§ 1. — Raisons d'être de cette indépendance.
§ 2. — Conséquences de cette indépendance.
A) Responsabilité pénale des père et mère. Application de
l'article 357 Code Pénal.
B) Responsabilité civile des ascendants. Application de
l'article 1384 Code Civil.

(1) Voir à la fin de l'article le tableau des références.


L'Enfant qui naît à notre époque d'une union reconnue
par le législateur fait immédiatement partie d'une famille
organisée et hiérarchisée. Il y trouve l'aide et l'appui qu'exi-
gent sa faiblesse et son inexpérience. La sauvegarde des inté-
rêts de l'enfant apparaît ainsi au premier plan
son étroite dépendance que s'affirment les droits des
:
c'est sous
père et
mère ainsi que ceux des ascendants qui sont rattachés à tous
leurs descendants par les liens les plus étroits. Ainsi dans le

entend exercer ses prérogatives :


cercle plus ou moins restreint de la famille, chaque membre
la procréation légitime (et
avant tout) les unes, l'âge et la tradition les autres. — La
conciliation entre ces divers intérêts en présence est certes
difficile à obtenir et il n'est pas étonnant que des conflits
aient pu naître à leur occasion, avec plus ou moins d'intensité,
selon les différents types de famille auxquels ils se ratta-
chaient.
Au début l'autorité des ascendants domine sans conteste
la société n'existait alors qu'à l'état rudimentaire et seule la
;
puissance des parents devait maintenir la paix au sein de la
famille. Et c'est ainsi qu'à Rome l'autorité se personnifiait
alors dans l'ancêtre chef de famille qui dirigeait tous ses
descendants au détriment du père en puissance lui-même, quel
que soit son âge. La « patria potestas », apanage exclusif du
chef de famille lui appartenait durant toute son existence,
quels que soient l'âge et le rang social des enfants dont il était
le maître absolu. Nulle autre influence ne pénétrait dans sa
maison.
Ce n'est que plus tard que le législateur vint battre en

;
brèche ces attributs souverains du « pater familias sur la »
personne des enfants l'exercice de son droit de quasi-posses-

;
sion fut notamment subordonné à l'existence d'une juste cause
souverainement appréciée par le magistrat l'ancienne omni-
potence du chef de famille fut ainsi de plus en plus atteinte
dans ses prérogatives de toute nature. La famille et l'autorité
paternelle cessent d"être des institutions arbitraires et exclu-
sivement politiques (1).

(1) Taudière, Traité de la puissance paternelle, 1898, p. 39.


Néanmoins, si nous comparons la législation romaine
ainsi corrigée avec les règles qui nous semblent dictées par
le droit naturel, elle s'en écarte encore tant en refusant à la
mère la part qui lui revient légitimement dans l'éducation des
enfants qu'en maintenant la domination de l'ancêtre qui
demeure le premier magistrat du culte domestique.
C'est bien sous cet aspect que se présentait la « patria

écrit est à l'honneur ;


potestas » dans les provinces du Midi de la France où le Droit
et si, dans les pays de coutume, l'auto-
rité de l'ascendant ou à son défaut celle du père fut davantage
orientée dans le sens des intérêts de l'enfant, elle n'était pour-
tant en rien inférieure à la « potestas » romaine comme
énergie et intensité. La religion nationale attribuait ici encore
une place de premier plan aux ascendants dont l'autorité était
contrôlée mais aussi protégée par la loi et les mœurs tradi-
tionnelles. Ainsi peut-on dire que dans toute l'étendue de la
France la puissance paternelle de l'aïeul, quand il existait,
était considérée comme la clef de voûte de la famille et la
condition essentielle de sa durée (1).
C'est précisément pour détruire ces traditions féodales de
l'Ancien Régime, que le législateur révolutionnaires'appliqua
à faire disparaître tout vestige de la puissance paternelle telle
qu'elle était auparavant organisée. L'institution fut transfor-
mée en un devoir de protection au profit exclusif des enfants,
sans tenir compte de l'intérêt du groupe familial les droits
des parents et en général de tous les ascendants furent bafoués
;
et plus ou moins sacrifiés au profit de ceux de l'Etat(2).
Or le Code Civil s'efforce de réagir contre les excès de

;
l'époque intermédiaire en assurant le relèvement de l'autorité
paternelle le père apparut alors comme devant être investi
d'une sorte de magistrature à laquelle il importait de donner
de la force, l'intérêt social exigeant le règne du bon ordre dans
la famille pour en assurer le maintien dans la société. Tous

(1) Taudière, op. cit., p. 58 et suiv., et du Plessis de Grenédan, Histoirede la


Puissance paternelle dans l'Ancien Droit Français depuis les origines jusqu'à la
Révolution. Th. Paris, 1899,
p. 339 et suiv.
(2) La Puissance paternelle et la Famille sous la Révolution. Masson, Th. Paris.
1910(v.p.76).
les auteurs des travaux préparatoires s'accordent pourrecon-
naître que si le père a des droits envers son enfant il a aussi,
par la force même des choses, d'impérieux devoirs à remplir
envers lui sous le contrôle des pouvoirs publics et de la famille
elle-même (1).
Néanmoins cette tendance transactionnelle, cet essai de
conciliation entre les principes romains et les principes cou-
tumiers ne fut pas assez affirmée par le Code de 1804, dont
certains articles semblent par trop maintenir, au profit exclusif
des père et mère, l'ancienne « patria potestas » romaine (2).

doit honneur et respect à ses père et mère ;


L'article 371 édicte par exemple que l'enfant, à tout âge,
sous l'autorité
desquels il doit rester jusqu'à sa majorité, ou son émancipa-

: ;
tion précise l'article 372. Les articles 373 et 374 ne sont pas
moins formels le père seul, dit le .premier, exerce cette auto-
rité durant le mariage l'enfant, dit le second, ne peut quitter
la maison paternelle sans la permission de son père si ce n'est
pour enrôlement volontaire après dix-huit ans révolus. Les
intérêts de l'enfant apparaissent dès lors comme trop arbi-
trairement confiés à ses père et mèrp ; les droits de la famille
pour leur part n'étaient en rien sauvegardés.
Aussi s'aperçut-on bientôt que si le Code Civil avait orga-
nisé la puissance paternelle, il avait omis de s'expliquer sur
les causes qui pourraient y mettre fin et que le cas surtout
où un père plus ou moins indigne abuserait des pouvoirs que
la loi mettait à sa disposition semblait avoir échappé à la
prévoyance du législateur. On comprit d'autre part qu'une
telle omnipotence du père de famille vis-à-vis de ses enfants
ne pouvait qu'affaiblir les pouvoirs des ascendants dont les
conseils et l'autorité étaient reconnus comme indispensables

:
dans la famille. — Le Premier Consul avait bien pourtant
entrevu le problème « lorsqu'un père, avait-il demandé dans
la discussion du Conseil d'Etat, donne une mauvaise éducation

(1) Conseil d'Etat, séance du 26 Frimaire an X, Locré, t. VII, p. 20. Voir


également séances du Conseil d'Etat du 8 vendémiaire an XI (Locré, op. cit., p. 33)
et discours Réal, séance du Corps Législatif du 23 ventôse an XI (LacTé, op. cit.).
(2) Béraud, La Puissance paternelle dans le Code Civil et depuis le Code Civil.
Th.,Montpellier, 1912.
à son fils, l'aïeul serait-il autorisé à lui en donner une
meilleure ? Ce à quoi Tronchet répondit qu'il ne fallait pas
».
s'occuper d'abord des détails ni des « questions isolées (1). »
La nécessité s'imposa pourtant de corriger sur un point
comme sur l'autre les abus qui étaient susceptibles de résulter
d'une application exégétique des textes, et ceci d'autant plus
que la législation évoluait à
peu peu dans le sens de la protec-
tion de l'enfance (2). Le Code Pénal, tout d'abord, devait
apporter pour la seule défense de l'enfant quelques légers
remèdes, tandis que les tribunaux s'efforçaient de limiter
l'exercice d'une autorité dont ils ne pouvaient atteindre le
principe: leur contrôle sur la vie de famille s'étendit d'ailleurs
considérablement depuis la grande loi du 24 juillet 1889 sur
la protection des enfants maltraités et moralement aban-
donnés (3).
Puisque les droits de l'enfant étaient de la sorte mieux
défendus, il semblait naturel que ceux de leurs ascendants
le fussent parallèlement. Car si la primauté des pouvoirs des
père et mère ne devait peut-être pas donner lieu à de très
grandes difficultés à l'époque de la rédaction du Code, il n'en
va pas de même à l'heure actuelle. Aujourd'hui, en effet, le
relâchement des mœurs a fortement ébranlé la famille le
divorce, notamment, est la source de conflits aigus entre
;
l'époux auquel a été confiée la garde des enfants et son ancien
conjoint, ou ses beaux-parents, ou même ses propres parents.
Les uns comme les autres revendiquent leurs droits l'ascen-
dant, par exemple, désirera assister au développement intel-
;
lectuel et physique de ses petits-enfants, tandis que leur
gardien s'obstinera peut-être de son côté, par esprit de mé-

(1) Locre, t. VII, p. 20 (séance du Conseil d'Etat du 26 frimaire an X).


(2) Leloir, Code de la Puissance Paternelle, 1892, T. I, p. 2 et suiv. et Taudière,
p. 22etsuiv.
op.cit.,
(3) Boutet, Restrictions successivesapportées à la notion de puissance pater-
nelle, Th. Paris, 1905.
Sur le droit étranger à cette époque: Gégout, Limitation à la puissance pater-
ttellc en Droit Français et comparé. Th. Nancy, 1897. p. 235.
Sur lé contrôle judiciaire de la puissance paternelle, en droit actuel, cf. De
Naurois, R. C., 1936-460, et Terrin, Contrôle judiciaire de la puissance paternelle
sur la personne des enfants pertJatt< lemariage.Th., Paris,1934.
fiance ou de vengeance, à écarter toute rencontre entre ses
enfants et leurs grands-parents. Ainsi vont se heurter, et d'une
façon parfois très aiguë, les intérêts d'un aïeul et ceux des
parents, tandis que peuvent être sacrifiés en définitive ceux
des enfants.
C'est en tenant compte de ces considérations que la
doctrine (1) et la jurisprudence furent progressivement ame-
nées à distinguer plus ou moins ouvertement, à côté de la
puissance paternelle des parents, une puissance paternelle
commune à tous les ascendants et comportant un ensemble
de prérogatives dont le législateur lui-même a d'ailleurs prévu
les applications. La loi de 1889 ne reconnaît-elle pas en effet
formellement l'existence de la puissance paternelle des
ascendants ? N'en organise-t-elle pas la déchéance dans cer-
?
tains cas déterminés Aux tribunaux appartenait donc, étant
donné l'insuffisance des textes, le pouvoir d'établir cet accord
entre les puissances paternelles rivales des parents et des
ascendants durant la vie des père et mère ou à la mort
de l'un d'eux. La nécessité d'un tel accord entre ces deux
institutions apparaît d'ailleurs plus impérieuse encore si l'on
songe que le Code de 1804 lui-même a réalisé dans l'intérêt
de l'enfant, après la mort du survivant des père et mère, cette
conciliation entre la volonté des uns et celle des autres. A ce
- moment-là, que le survivant ait ou non désigné un tuteur dans

son testament, les aïeuls ne sont-ils pas toujours nantis de cer-


taines prérogatives et notamment du droit de consentir ou de
s'opposer au mariage de leurs petits-enfants ?
La tutelle ne
leur est-elle pas au surplus déférée de plein droit lorsqu'il
?
n'y a pas de tuteur testamentaire Ne sont-ils pas chargés
de la surveillance de leurs petits-enfants au cas d'absence ?
(1) Demante, Cours Analytique, t. Il, p. 164, n° 110 (contra Laurent, Principes
de Droit civil français, t. IV, n° 268). Demolombe, Cours de Code Napoléon.
3* édit., t. VI, p. 225 et suiv.

Aubry Rau, de Droit J'après
— et Cours civil français
la méthocle de Zachariœ. 3* édit., t. V-l, § 549. — Taudière, op.,ci'., p. 93.
Leloir,op. cit. t. I, p. 56. — Baudry-Lacantinerie, Traité de Droit civil, 3" édit..
-
Des Personnes, T. V, p. 145. Planiol et Ripert, Traité Pratique de Droit civil fron-
de Droit civil, 1925, T. I, p. 510.
— Beudant, Cours de Droit civil Français,
8" édition, 1934, n° Y12. Colin et Capitant, Cours, Bonnecase, Précis de Droit

civt'Z2eédit., 1938, t. I, p. 339.
— Josserand, Cours de Droit civil positif français,
3e édit., 1938, p. 593.
Nous devrons donc déterminer en premier lieu (Section I)
quels sont les droits qui sont accordés aux ascendants à
l'égard de leurs petits-enfants durant la vie des père et mère
<O'U
à la mort du survivant des deux.
Mais après avoir fixé les modalités d'un tel accord entre
la puissance paternelle des ascendants et la puissance pater-
nelle des parents, encore devrons-nous nous demander (Sec-
tion II) si ces deux institutions sont pleinement indépendantes
l'une de l'autre. La solution que nous donnerons à un tel

tage la nature propre des droits des ascendants ;


problème nous permettra de mettre en valeur encore davan-
elle entraî-
nera notamment d'importantes conséquences quant à l'exé-
cution des décisions qui les confèrent ou à la responsabilité
civile de leurs titulaires.

SECTION 1

DETERMINATION DES DROITS


DE PUISSANCE PATERNELLE DES ASCENDANTS

Lorsque l'union conjugale prend fin par le divorce ou


par la mort de l'un des époux, il arrive bien souvent que la
situation des enfants mineurs issus de ce mariage se trouve
gravement lésée. La disparition de leur père ou de leur mère
ou plus simplement le fait qu'ils ont été confiés à l'un d'eux
par le jugement de divorce ou de séparation de corps, vont

particulier aux parents de l'époux décédé ou coupable :


peut-être les soustraire à l'affection de leurs ascendants et en
des
difficultés vont surgir lorsqu'il s'agira pour ceux-ci de voir
ou de recevoir leurs petits-enfants. Des mésententes et des
désaccords parfois aussi graves peuvent se produire, alors
même que les deux auteurs de l'enfant sont vivants et en
l'absence de divorce ou de séparation de corps.
Or devant le silence des textes ou tout au moins leur
imprécision, comment assurer aux ascendants dans ces diver-
ses hypothèses le légitime exiercice de leurs droits sur la
personne de leurs petits-enfants ?
Après avoir indiqué (§ 1) quelles sont, en droit positif,
les solutions données à un tel problème, nous envisagerons,
les droits des ascendants après la mort des père et mère ou
au cas d'absence du père, lorsque la mère est décédée au
moment de cette disparition ou du moins vient à décéder
avant que l'absence du père ait été déclarée (§2).

§ 1. — LES DROITS DES ASCENDANTS DURANT LA VIE


DES PÈRE ET MÈRE OU A LA MORT DE L'UN D'EUX

En présence des difficultés que soulèvent les rapports des


ascendants avec leurs petits-enfants durant la vie de leurs
parents ou à la mort de l'un d'eux, la jurisprudence a été
amenée par une évolution très reinEfrquable à reconnaître aux
ascendants des droits étendus sur la personne de leurs petits-
enfants. Nous examinerons tout d'abord ces solutions juris-
prudentielles (A) ; nous nous demanderons ensuite (B) quels
en sont les bénéficiaires.

A) Modes d'exercice des droits

Tout en maintenant dans la majorité des cas le principe


selon lequel les parents sont nantis des prérogatives essentiel-
les de la puissance paternelle, la jurisprudence n'en a pas
moins reconnu aux ascendants le droit de rencontrer leurs
petits enfants pendantun laps de temps qu'elle a progressi-
vement accru ; parfois même, renversant audacieusement le
principe, elle a admis qu'en dehors des hypothèses de divorce
ou de déchéance des parents, les enfants pouvaient être entiè-
rement confiés aux ascendants, les parents ne pouvant alors
voir leurs enfants qu'à des périodes plus ou moins espacées.
1) Principe : primauté des droits des père et mère. Attri-
bution aux ascendants des droits de visit,e et de séjour.
Pour maintenir un contact assez étroit entre les ascen-
dants et leuts descendants, du vivant des père et mère, et à
l'a mort de l'un deux, la Cour de Cassation a très heureuse-
ment utilisé dès le début l'article 371 du Code Civil. C'est
ainsi qu'un arrêt de la chambre civile du 8 juillet 1857 (1), tout
en reconnaissant que le père seul investi du droit de diriger
l'éducation de ses enfants peut leur interdire la visite des
personnes même de leur famille dont il croirait avoir à crain-
dre l'influence, n'en décidait pas moins que ces pouvoirs du
père ne sauraient être absolus « lorsqu'il s'agit des membres
de sa famille auxquels l'enfant doit honneur et respect en
vertu de l'article 371 ». La Cour de Cassation se préoccupait
donc dès cette époque de concilier le respect de la puissance
paternelle et de ses attributs avec la situation spéciale des
grands-parents et les égards quileur sont dûs. Une telle solu-
tion n'était pas cependant sans rencontrer alors de sérieuses
résistances auprès des Cours d'Appel qu'effrayait un tel con-
trôle des tribunaux au sein de la famille légitime. Beaucoup
d'entre elles n'hésitaient donc pas à défendre une décision de
la Cour de Nîmes du 10 juin 1825(2) qui affirmait que le
père ne peut être contraint, même après la mort de sa femme,
de faire conduire son enfant dans la maison de l'aieul mater-
nel. La Cour de Paris était même plus énergique encore dans
ce sens en autorisant, par un arrêt du 21 avril 1853(3) un
père de famille à refuser d'une façon absolue de laisser voir ou
visiter ses enfants par leurs aïeuls maternels. Les juges du
fait, s'inspirant des principes romains, faisaient donc de la
puissance paternelle un droit créé en faveur du père sur la
personne et sur les biens de ses enfants.
Mais cette conception ne fut point, nous le savons, celle
les rédacteurs du Code Civil qui, suivant la tradition des pays
de coutume, ont toujours pensé que les droits des parents
sont une conséquence du devoir de protection que la nature
leur impose dans l'intérêt des enfants. L'attitude des Cours
d'Appel s'expliquait d'ailleurs d'autant moins qu'avant la
~oi de 1889 l'opinion qui attribuait aux tribunaux le droit

(1)S't 57-1-721.

13
(2)S.,26-2-161.
(3) S., 53-2-297. -
juin 1860, S., 61-2-75.
Id. : Grenoble, 11 août 1854, D.. 55-2-71 et Bordeaux,
d'intervenir dans certaines hypothèses, au cas d'abus dans
l'exercice de la puissance paternelle, avait reçu une approba-
tion complète de la doctrine et de la jurisprudence. — .Aussi
est-ce bien à juste titre que la Cour Suprême, mettant en
valeur ces obligations imposées par la protection des enfants
et les renforçant en quelque sorte par l'article 371, avait pu
décider dès le milieu du XIXe siècle que lorsq'il s'agit en

:
particulier des relations des enfants avec leurs grands-parents,
l'autorité du père n'est pas souveraine elle se reconnaissait en
conséquence le droit de contrôler si le refus formulé par lui de
laisser ses enfants communiquer avec un aïeul ou les restric-
tions qu'il apporte à ces communcations sont ou non légiti-
mes. C'est à cette opinion que devaient se ranger peu à peu
les Cours d'Appel (1) et notamment la Cour d'Aix qui, dans un
arrêt du 15 juillet 1869 (2) traduit avec une toute particulière
clarté l'influence exercée en notre domaine par les idées nou-
velles sur la protection de l'enfance.
« Attendu que si rien n'est plus absolu et plus digne de
«respect que les droits que le père tient de la nature et de
«la loi, il ne peut jamais et en toute chose séparer du droit le
«devoir qui en est le corrélatif nécessaire et tout en recon-
«naissant l'autorité du père ne pas permettre qu'il néglige
«les devoirs que cette qualité lui impose. que parmi ces
«devoirs il convient de placer le soin d'apprendre aux enfants
«le respect, les égards et l'affection qu'ils doivent aux aieuis
«et qu'il ne saurait appartenir au père d'écarter capricieu-
«sement ou par un motif peu avouable ses enfants 'de leurs
«grand-pères ou de leurs grand'mères, »
En rejetant le 12 juillet 1870(3) le pourvoi dirigé contre
cette décision, la Chambre des Requêtes confirme l'accord
intervenu entre la Cour de Cassation et les juridictions infé-
rieures, sur la possibilité de limiter les pouvoirs des parents
lorsqu'il s'agit des rapports à établir ou à maintenir entre les

(1) Paris, 27 juin 1867, S., 68-2-70. Bordeaux, 16 juillet 1867, S., 68-2-70.
(2) Rapporté dans Req., 12 juillet 1870, S., 71-1-25.
(3)S.,71-1-25.
enfants et leurs ascendants. Néanmoins, cet accord sur le prin-
cipe ne devait pas se maintenir lorsque s'imposa la nécessité
d'en fixer le modus vivendi.
Après que les Cours d'Appel se furent rangées à l'opinion
de la Cour Suprême, la question se posait en effet de savoir si
le pouvoir des tribunaux ne pouvait pas aller jusqu'à ordon-
ner que les enfants feront un séjour plus ou moins prolongé
chez leurs aïeuls hors de la maison paternelle. La Cour d'Aix
admettait l'affirmative le 15 juillet 1869 (1) et autorisait
notamment les grands-parents à garder leurs petits-enfants

ces et un jour sur trois pendant les congés ;


pendant dix jours consécutifs au moment des grandes vacan-
la Cour de Paris
défendait la même doctrine le 14 août 1869 (2). Or, tandis que
le pourvoi contre la Cour d'Aix était, nous le savons, rejeté
par la Chambre des Requêtes le 12 juillet 1870, celui (3) diri-
gé contre la Cour de Paris était pris en considération quelques
jours plus tard par la Chambre Civile (3).
Les -motifs de l'arrêt de la Chambre Civile sont d'ailleurs
des plus confus et on peut se demander jusqu'à quel point

:
les juges entendaient alors respecter les droits des ascendants
tant ils en rendaient difficile l'application « Attendu que le
contrôle des tribunaux ne peut aller jusqu'à ordonner que
les enfants seront confiés pendant un temps plus ou moins
long à tel ou tel ascendant ». Cette dernière expression en
particulier devait susciter de graves difficultés d'interpré-
tation ; aussi la Chambre Civile fut-elle amenée à préciser sa
doctrine dans un arrêt du 28 juillet 1891 (4) où, tout en
reconnaissant aux tribunaux des pouvoirs de contrôle assez
étendus, elle déclarait seulement s'opposer à ce que les enfants
soient confiés
« pendant un séjour plus ou moins long » à la
garde des ascendants. — La Chambre des Requêtes en con-
cluait quelques années plus tard(5) qu'un père pouvait être-

(1) Rapporté S., 71-1-25, sous Req., 12 juillet 1870.


(2) S., 69-2-267.
(3) Civ., 26juillet 1870, S., 71-1-28.
(4) D.. 92-1-70. — Cf. Cass., 27-1-79, S., 79-1-464.
(5) D., 94-1-218; Req., 12-2-94.
tenu de faire conduire chez ses beaùx-parents ceux de ses
;
enfants qui vivaient avec lui que pendant ces « visites dé
quelques heures les ascendants pourraient voir et entretenir
»
leurs petits-enfants sans témoins, une telle solution ne portant
nullement atteinte au droit du père d'avoir auprès de lui ses
enfants mineurs.
Ces deux arrêts accentuaient donc, selon les théoriciens
de l'époque, « la distinction entre le droit de garde et le droit
»
de visite (1). Il était admis en conséquence qu'en accordant
aux ascendants le droit de voir leurs petits-enfants pendant
quelques heures sans témoins, les tribunaux ne faisaient
qu'assurer l' « exercice régulier du droit de visite et ne »
portaient point atteinte au droit de garde du père de famille.
L'attribution du droit de visite aux ascendants, hors du
contrôle des parents, consacrait ainsi une première atteinte
aux articles 372 et 374 Code Civil.
Mais cette solution se révélait bien vite imparfaite (2).
Il peut se présenter en effet telle circonstance de fait où le
seul moyen pour l'aïeul de voir ses petits-enfants sera de les
garder pendant un temps plus ou moins prolongé il suffit
de supposer que par son âge ou l'état de sa santé il est dans
;
l'impossibilité de se déplacer et que l'éloignement de son
domicile ne permet pas à ses petits-enfants de lui faire visite
sans découcher. Dans ce cas, le refus du père, soit de lui
confier ses enfants, soit de les accompagner auprès de lui
va mettre un obstacle insurmontable à toutes relations entre
les ascendants et les petits-enfants.
D'autre part, on admettait (non sans quelques réserves)
en doctrine que la faculté accordée aux tribunaux de confier
pour un temps limité les petits-enfants à leurs grands-parents,
n'était nullement contraire aux dispositions de l'article 374 ;
car si ce texte interdit aux enfants de quitter le domicile de

(1) C'est cette distinction que l'on retrouve dans Trib.Seine, 7 mars 1877,
S., 77-2-218; Bourges, 8 déc. 1884 et Paris, 2 juillet 1885 (S., 85-2-156) ; Lyon.
27 mars 1886, S., 88-2-35 ; Agen, 6 nov. 1889, S., 90-2-27 ; Aix, 12 nov. 1890,
S., 91-2-25. note Naquet.
(2) Cf. note de Loynes sous Agen, 6 nov. 1889, D., 90-2-27.
leur père sans son autorisation, il n'enlève pas à la justice le
droit de les autoriser exceptionnellement à aller dans un autre
:
lieu cette dérogation à l'article 374 ne résulte point en effet
de la volonté des enfants.Enfin la distinction établie par
la Cour de Cassation entre le droit de visite et le droit de
séjour, n'était pas admise sans résistance par ses plus ardents
défenseurs. Ceux-ci, tout en trouvant certes la solution « trop
radicale» dans les cas de maladie ou d'éloignement des
ascendants, se demandaient aussi quelle pouvait bien être
la ligne de démarcation entre la visite et le séjour. « Il n'est
peut-être pas possible, dira à ce sujet l'avocat général
Cruppi (1), de formuler une règle absolue. ; ne pourrait-on
pas dire, toutefois, que la plus longue visite ne saurait excéder
la journée et que si l'enfant vient à découcher, sa visite prend
le caractère d'une véritable résidence, d'un séjour chez l'ascen-
dant, lequel a pour résultat d'être contraire au droit de garde
du père ».
On comprend facilement que bien des Cours d'Appel, ne
s'attardant pas sur de telles interprétations exégétiques, aient
nettement reconnu aux ascendants le droit de recevoir chez
petits-enfants
eux
en
leurs
plus forte en ce sens ;
(2). La tendance s'affirmait de plus
elle devait en définitive s'imposer
à la Cour de Cassation dont la Chambre Civile, rejetant le
6 juillet 1931 (3), dans l'affaire Eyguessier, le pourvoi dirigé
contre un arrêt de la Cour d'Aix (4), autorisait par là des
grands-parents à prendre chez eux leur petit-fils, non seule-

(1) Conclusions Cruppi sous Req., 12-2-94, D., 94-1-218.


(2) Certaines Cours d'Appel qui semblaient être définitivementrangées à
1opinion de la Chambre civile, défendirent à nouveau, dès la fin du XIXe siècle,
3 août 1898 (D.. 99-2-381) ;
la doctrine de l'arrêt de la Chambre des Requêtes du 12 juillet 1870 : Nîmes,

Cour de Paris, pour sa part, était indécise :


Caen, 12 février 1913, C. T.. 1913-2-134. La
Après avoir refusé aux ascendants le
droit de séjour (24 juin 1892, D., 93-2-81) elle reconnaissait peu après (6 juillet
1905, G. T., 6 sept. 1905) qu'un enfant peut être enlevé à
son père pour être confié
a ses grands-parents pendant
une partie des vacances. Puis, le 5 août 1908 (G. T..
1908-2-280), elle estimait que cette mesure portait atteinte au droit de garde qui
appartient au père.
(3) Civ., 6 juillet 1931, S., 31-1-391.
(4) Aix, 15 mars 1929, D.,30-2-111, note Nast
C. P., 1931-1-553. Contra
:
Toulouse,
; Trib. d'Avesne, 15-1-1931,
26-11-1929, C. P., 1930-1-149.
ment le premier jeudi de chaque mois, mais deux jours
pendant les vacances du Jour de l'An, trois jours pendant
celles de Pâques etquinze jours pendant la deuxième quin-
zaine de septembre.
L'arrêt du 6 juillet 1931 mettait donc fin à toutes les
divergences qui depuis 1870 avaient gravement troublé
l'œuvre jurisprudentielle. Certes, on peut regretter que la Cour
suprême n'ait pas affirmé avec assez de netteté les droits des
ascendants puisqu'elle tient à préciser que « l'article 374 met
obstacle en principe à ce qu'un enfant mineur soit confié par
justice, contre la volonté du père, à la garde de ses grands-
»
parents pour des séjours périodiques ; à tel point que l'arrêt
du 6 juillet 1931 a été considéré par son rapporteur lui-même
»
comme étant un « arrêt d'espèce (1) dont les termes auraient
été en quelque sorte dictés par des circonstances spéciales
soigneusement relevées par les juges et notamment « l'hono-
rabilité des grands-parents., leur affection pour l'enfant.,
la dignité de leur attitude à l'égard de leur gendre remarié ».
Il n'en résultait pas moins que le principe du droit de
séjour étant expressément formulé, les tribunaux pouvaient
en étendre largement la portée. C'est ce que fit peu après la
décision de la Chambre civile, un jugement du Tribunal de la
Seine du 28 juillet 1931 (2) où il est reconnu que « le droit
pour les grands-parents de voir et de recevoir leurs petits-
enfants n'est ni contestable, ni contesté ». Les juges accor-
daient même aux grands-parents le droit d'emmener l'enfant
dans une station balnéaire ou thermale, sur avis conforme
d'un médecin expert, au cours des deux périodes de trois
semaines durant lesquelles il devait leur être confié (3).
Les droits de simple visite ou de séjour ainsi conférés aux

(1) Déclaration Beudant, Bull. soc. ét. législ., 1935, p. 35. Dans le même teM.
observ. Gaudemet, R. T.. 1931, p. 867.
(2) D. H.. 31-533.

plus récente:
(3) Sur l'attribution du droit de séjour aux ascendants dans la jurisprudence la

:
'Angers, Trib.civ., 16 sept. 1933, Angers, Trib. correct., 30 déco
1933, Amiens, 7 février 1934 D., 34-2-57, note Lebrun Trib. civ. Vendôme
30 juillet 1934, D. H., 34-599 ; Crim., 19 oct. 1935, D., 37-1-12 note Lebrun.
Trib. civ. de Saint-Brieuc, 2 mars 1937, D., 37-2-56 (mais avec des réserves).
ascendants leur permettent de surveiller de plus près l'édu-
cation et la santé de leurs petits-enfants. Le jugement du

pouvoirs ;
Tribunal de la Seine nous montre à cet effet l'étendue de leurs
la Chambre des Requêtes (1) avait d'ailleurs déjà
décidé que des grands-parents pouvaient se faire accompagner
dans leurs visites d'un médecin afin qu'ils soient exactement
renseignés sur l'état de santé de leurs petits-enfants et qu'ils
puissent en conséquence vérifier si la résistance opposée par-

à leur domicile, étaient justifiées ;


fois par le père ou la mère à ce que les visites fussent faites
une telle mesure leur per-
mettra aussi de solliciter du père, ou en cas de résistance du
père, de la justice, le recours au traitement médical qui serait
utile à la santé des enfants (2).

2) Exception au principe. Primauté des droits des Ascendants.

La jurisprudence, en accordant aux ascendants les droits


de visite et de séjour, n'hésitait donc pas à battre en brèche
les règles établies par les articles 372, 373, 374 du Code Civil.
Pourquoi ne se serait-elle point d'ailleurs octroyé de tels pou-
voirs puisqu'elle admettait alors que la garde des enfants
pouvait être confiée aux ascendants à l'encontre des parents,
et ce dans des hypothèses parfaitement différentes de celles
où les tribunaux ont, en vertu de la loi, la faculté de restrein-
dre les droits du père ou de la mère et de confier l'enfant à un
tiers comme ils le peuvent au cas de divorce ou de séparation
de corps. Le Tribunal Civil de la Seine a pu ainsi juger le
15 décembre 1869 (3) que cette garde de l'enfant peut être
enlevée par le tribunal au père et à la mère et maintenue aux
grands-parents « lorsque des raisons graves qui avaient

(1) S., 1912-1-512. Cf. De Navrois, op. cit.. p. 487.


(2) On se demande en doctrine (Lebrun, D.. 34-2-57) quelle est la personne
qui doit être chargée de conduire les enfants au domicile de leurs ascendants.
jurisprudence, pour sa part, n'est pas encore nettement fixée sur ce point
avoir néanmoins décidé que les parents devaient assurer la conduite du mineur à
; — La
après
l'aller et au retour (Bourges, 8 déc. 1884, S., 85-2-156), elle semble admettre à

dant (en ce sens :


l'heure actuelle que l'aller et le retour ainsi
que les frais sont à la charge de l'ascen-
Trib. civ. d'Angers, D.. 34-2-57).
(3)D.,69-2-104.
déterminé le père à placer lui-même l'enfant commun chez
ses parents sont reconnues par les juges subsister encore et
exiger impérieusement que l'enfant restât placé sous la même
direction, sauf au tribunal à ordonner que l'enfant sera libre-
ment visité par son père et sa mère ».
C'est cette manière de voir qu'adoptait la Cour de Paris
le 7 juillet 1882 (1) dans une hypothèse où elle se heurtait
pourtant à de graves objections. Il s'agissait en l'occurrence
de décider à quelle personne seraient confiés les enfants au
décès de la mère divorcée qui en avait eu la garde depuis le
jugement de divorce. Le père survivant revendiquait ses droits
contre sa belle-mère chez qui avaient vécu les enfants depuis
la dissolution du mariage de leurs parents. A vrai dire, rien
ne s'opposait, semble-t-il, à ce qu'il triomphât en droit si l'on
admet que lors du divorce ou de la séparation de corps chaque
époux, qu'il se voie ou non attribuer la garde des enfants,
conserve d'une façon au moins latente ses droits de puissance
paternelle. Il s'en suivait que (toute idée de sanction étant
bannie de ce domaine), le père pouvait opposer de sérieux
arguments aux prétentions de l'aïeule. La Cour de Paris
donna pourtant raison à cette dernière, considérant que ce
serait au grand dommage des enfants qu'après plusieurs
années ainsi passées chez leur grand'mère ils soient enlevés
à l'existence calme qu'ils menaient pour être transportés « loin
de leur famille »dans un lieu où il serait impossible que se
rencontre « la régularité nécessaire à leur bonne éducation ».
Bien que la Chambre civile ait cassé cette décision (2)

(1)D., 83-2-145.NoteFaustin-Hélie.
Les Cours de Bordeaux (27 février 1874, S., 74-2-216) et Alger (27 juin 1864.
S., 64-2-288) avaient déjà admis que les ascendants peuvent conserver la garde des
enfants mineurs abandonnés par leur père pendant une absence plus ou moins pro-
longée, alors que la conduite de ce dernier depuis son retour ne présente pas de
garanties sufifsantes et qu'il y aurait danger à lui remettre les enfants.
(2) Civ., 13 août 1884, D., 85-1-40. La Cour de Paris elle-même a d'ailleurs
plus ou moins abandonné sa doctrine de 1882; le 24 juin 1892, D., 93-2-81, note
de Loynes (mais, comme le remarque l'arrêtiste, les juges laissent entendre qu'elle
doit être reprise lorsque l'intérêt de l'enfant l'exige).,. Plus catégorique est la
Cour de Montpellier, qui se refuse formellement à admettre la primauté des droits
des ascendants « qui n'ont, dit-elle, pas plus de droits à la garde de l'enfant que
s'ils étaient des étrangers » (Montpellier, 29-1-27. D.. 1930-2-91, note Dallant).
il n'en est pas moins vrai que les tribunaux, reconnaissant
aux ascendants une place de premier plan dans la famille,
pensent toujours qu'on doit leur confier leurs petits-enfants

puissance paternelle des parents ;


lorsque les circonstances l'exigent et nonobstant les droits de
c'est cette tendance
qu'exprime un arrêt de la Chambre des Requêtes du 5 juin
1931 (1) où il est dit que « les juges du fond peuvent, en
considération de l'état de santé d'un enfant, en confier
provisoirement la garde aux grands-parents ».
Cette jurisprudence a nettement influencé la doctrine
contemporaine qtii a cherché en particulier à maintenir au
profit des enfants et sous la protection de leurs grands-parents
une mesure prise par le jugement de divorce ou de séparation
de corps, lorsque l'un des conjoints sera mort. On a fait
remarquer que, dans cette hypothèse, le survivant qui veut
recouvrer ses droits et rentrer dans la plénitude de la puis-
sance paternelle, devrait s'adresser au tribunal et jouer alors
obligatoirement le rôle de demandeur. La Société d'Etudes
législatives a émis récemment une proposition en ce sens (2).

B) Bénéficiaires des droits

En manifestant ainsi une telle largeur de vue sur l'éten-


due des droits des ascendants, la jurisprudence était dominée
sans conteste par le souci des intérêts de l'enfant. C'est ce qui
devrait la conduire à faire bénéficier de ces prérogatives tous
les ascendants, qu'ils soient légitimes ou naturels. Pour les
premiers, la question ne présentait pas de difficultés dès lors

— :
(1) Req., D. H., 31-561. Cf. également
C. P., 33-1-867. Contra Req.,
: T-rib. civ. de Fontainebleau, Rec.
13 déc. 1930, C. T., 1-3-31. Sur cet arrêt du
13 déc. 1930, cf. observ. Gaudemet, Rev. Trim., 31-603, observations Savatier,
Rev. crit., 1932-406 (M. Savatier, tout
en approuvant l'arrêt du 13 déc. 1930, n'en
reconnaît pas moins que dans certains cas les enfants peuvent être confiés aux ascen-
dants nonobstant les droits des père et mère. Il rapproche à cet effet l'arrêt de la
Ch. des Req. du 5 juin 1931 de celui de la Chambre civile du 6 juillet 1931 et se
déclare favorable à
Naurois, op. cil.,
»
un tel « élargissement des pouvoirs des ascendants). — Cf. de
p. 498 et les suiv.
(2) Bull. Soc. ét. législ., 1933-1934, p. 130 et 146 et suiv. Cf. Desserteaux,
tfev. Trim., 1912,
« protection des enfants légitimes après le prédécès de leur père
ait de leur mère », p. 54.
qu'elle mettait en relief leur situation privilégiée dans la
famille. Mais pour les seconds il n'en allait pas de même. Le
législateur n'a-t-il pas restreint en effet au point de vue
successoral, les effets pouvant découler de la filiation naturelle
à telle enseigne qu'en ce domaine les ascendants sont des
étrangers pour l'enfant naturel et réciproquement Ne
fallait-t-il pas dès lors en déduire qu'en toute hypothèse aucun
?
lien, quel qu'il soit, ne pourrait être admis entre grands-
parents et descendants naturels de leurs enfants Les tribu- ?
naux ne l'ont pas pensé. La Cour de Cqen notamment affirmait
avec une toute particulière netteté, le 7 juillet 1913 (1)
l'importance des liens du sang qu'établit un état de choses
dont la preuve est affranchie de toutes restrictions et sur
lequel il n'est pas permis aux juges répressifs ou civils de
fermer les yeux. C'est en se fondant sur de telles considéra-
tions que la Cour de Dijon (2) a pu décider récemment que
les ascendants, quoique sans aucun lien de parenté légale avec
les descendants naturels de leurs enfants avaient néanmoins
droit d'attendre d'eux des sentiments d'affection et de respect,
dont il était nécessaire d'assurer l'exécution en leur conférant
le droit de visite. C'est toujours dans le même esprit de pro-
tection de l'enfance, qu'il a été admis qu'une grand'mère
naturelle pouvait demander par voie d'action judiciaire une
modification aux mesures prises pour l'organisation de la
tutelle de sa petite-fille (3).
Mais de semblables solutions ne peuvent s'expliquer que
si l'on admet l'existence d'une véritable puissance paternelle
de fait à côté de la puissance paternelle de droit. Ainsi sont
distingués en Droit Allemand l'autorité parentale de droit,
Ellterlicregewalt, du pouvoir de protection de fait sur la
personne de l'enfant, thatsâchliche Fürsoge (4)
(1) S., 1920-2-41, note Hugueney. Comp. Paris, 20-6-1861, D., 61-2-135.
(2) Dijon, 17 janvier 1933, D. H., 33-188. — Contra : Angers, 22 mars
1938, G. P., 10-5-38.
(3) Paris,-,J°r mars 1935, D. H., 35-256.
(4) Sur la prise en considération de la puissance paternelle de fait au pénal
(Cass. crim., 25-3-43 5. 43-1-530, Th. Perard, De l'influence Je la paternité et
de la filiation sur l'incrimination, Paris, 1906, p. 111. Note Savatier, sous Cassat.,
2 mai 1936, D., 36-1-101.) et au civil (Rousseau, La minorité des enfants naturels.
§ 2. — LES DROITS DES ASCENDANTS APRÈS LA MORT

DES PÈRE ET MÈRE OU DANS LE CAS D'ABSENCE

Une certaine puissance paternelle, qu'elle soit de fait ou


de droit, est ainsi reconnue aux ascendants parallèlement à la
puissance paternelle des parents. Et cet accord ainsi réalisé
entre des volontés parfois rivales durant la vie des père et
mère va se retrouver à la mort du survivant des deux l'œuvre
médiatrice des tribunaux, dont nous venons de faire état, va
:
nous apparaître comme dominée par les principes posés par
le législateur lui-même pour la tutelle des enfants orphelins.
Nous allons déterminer tout d'abord (A) les droits des
ascendants selon que le survivant a ou non désigné un tuteur
testamentaire. Nous verrons ensuite (B) la situation spéciale
créée par l'Absence pour la garde des enfants mineurs.

A) Après la mort du survivant des père et mère


Quels sont les droits des ascendants en présence d'un
tuteur testamentaire ?
Sont-ils accrus lorsque le survivant des
père et mère n'a pas désigné de tuteur testamentaire ?
1) Les droits des Ascendants au cas de tutelle testamentaire.
La loi donne au survivant des deux époux un moyen de
limiter après sa mort les pouvoirs des ascendants sur la per-
sonne de leurs petits-enfants ou sur leurs biens, en lui per-
mettant de confier ses enfants à un tuteur désigné à cet effet

;
dans son testament. L'institution du tuteur testamentaire ne
présente pour le père aucune difficulté mais il n'en va pas
toujours de même pour la mère puisque, l'article 399, qui
édictait que « la mère remariée non maintenue dans la tutelle
des enfants de son premier mariage ne peut leur choisir ni un
»
tuteur, ni une tutrice ; a été abrogé par la loi du 18 février
1938. Ainsi, quelque étrange que soit cette disposition, la
femme remariée bien que déchue de la tutelle, conserve

;
p. 118 et suiv.
Enfin,
;
Bosgros, Essai sur la Filiation de Fait Savatier, note précit. —
en ce qui concerne la prohibition des mariages incestueux, cf. Trib. de Ver-
sailles, 13 janvier 1892, S., 1892-2-92).
désormais le droit de nommer un tuteur testamentaire, on
peut se demander alors si le choix de la mère ne peut pas
s'exercer dans un sens contraire aux intérêts de ses enfants
(ne va-t-elle pas nommer, par exemple comme tuteur testa-
mentaire son second mari qui sera dans bien des cas, peu
indiqué pour s'occuper avec diligence des mineurs). D'autre
part cette désignation pourra occasionner pour le moins le
déplacement du tuteur datif (de l'ascendant peut-être) et ce
sera là une source de complications nouvelles. Si la mère rema-
riée est d'autre part maintenue dans la tutelle, l'article 400
exigeait autrefois que son choix soit confirmé par le conseil
de famille. Mais cette disposition a été abrogée par la loi du
18 février 1938.
Quoi qu'il en soit, le tuteur testamentaire, lorsqu'il est
régulièrement désigné par le père ou la mère, écarte des
charges de la tutelle l'ascendant qui pouvait prétendre les
briguer. Mais cet ascendant ne perdra pas pour cela certaines
prérogatives attachées à sa personne en vertu de sa situation
dans la famille et notamment le droit de consentir au mariage
de ses petits-enfants mineurs. -Certes la loi du 2 février
1933 (1), en ramenant la majorité matrimoniale à 21 ans a
singulièrement restreint la portée de ce droit mais il n'en
demeure pas moins vrai que d'après l'article 150, lorsque le
;
père ou la mère sont morts ou dans l'impossibilité de donner
leur consentement, les aïeuls et aïeules les remplacent (2).
Le droit des ascendants de former opposition au mariage
de leurs petits-enfants n'est pas moins significatif. L'article 173
nous dit en effet qu'à défaut de père ou de mère les aïeuls
peuvent former opposition au mariage de leurs descendants,
même majeurs et ceci dans des conditions toutes particu-
lières (3). puisqu'aux termes de l'article 179 ils éviteront (com-

(1) A la Chambre rapport Serol, 27-2-32, O. du 23-9-32, p. 313, Annexe


n° 6501; et au Sénat Rapport de Courtois,30-11-32, O., 9-2-33, p. 1125,
Annexe 796.
(2) Sur l'évolution des idées concernant le consentement des parents aw
mariage, jusqu'en 1930, cf. Capitant, R. C., 1930, p. 30. Et. Lévy, Lois Nouvelles :
1922-2-198, 1924-1-289, 1927-2-82.
(3) Amiens, 15 février 1906, S., 1906-2-411. Aux droits de consentir au ma-
me les parents eux-mêmes) une condamnation à des dom-
mages-intérêts au cas où leur opposition serait rejetée.

2) Les droits des Ascendants lorsqu'il n'y a pas de tuteur


testamentaire.
Les droits de consentir au mariage de leurs petits-enfants
mineurs ou de s'y opposer (l).au besoin sont intégralement
maintenus aux ascendants lorsque le survivant des père et
mère n'a pas expressément manifesté avant sa mort l'inten-
tion de donner un tuteur testamentaire à ses enfants. Ils se
trouvent même renforcés puisque, d'après l'article 402 (2).
lorsqu'il n'a pas été choisi un tuteur ou une tutrice par le
dernier mourant des père et mère, la tutelle appartient de
plein droit à celui des aïeuls ou à celle des aïeules qui sont
du degré le plus rapproché. On s'est demandé à ce sujet si la
tutelle exercée par les ascendants ne comportait pas des
prérogatives plus étenduesque celles qui sont conférées à un
tuteur datif ou testamentaire ; certains auteurs (3) ont ensei-
gné notamment qu'un ascendant tuteur de même que le survi-
vant des père et mère a la possibilité de déplacer le domicile de
la tutelle avec son propre domicile. En réalité la jurisprudence
n'est pas favorable à une telle opinion. Son attitude est
d'ailleurs assez restrictive sur ce point. N'exige-t-elle pas
entre autres, pour que la tutelle des ascendants ait lieu, qu'il
n'y ait ni tuteur testamentaire, ni tuteur datif(4) La 1.
riage de leurs petits- enfants ou de s'y opposer, les ascendants doivent ajouter d'après

d'ailleurs exercer ce droit du vivant même des père et mère


de signaler ultérieurement l'importance de l'article 935.
;
l'art. 935 C. civ., le droit d'accepter une donation à leurs lieu et place. Ils peuvent
et nous aurons l'occasion

(1) Remarquons que d'après l'ancien article 176 les ascendants, tout comme
les père et mère ne devaient pas compte de leurs motifs. Mais depuis la loi du
8 avril 1927, ils n'ont plus ce privilège, tout acte d'opposition devant désormais, à peine
de nullité, contenir les motifs de l'opposition.
(2) Sur l'interprétation des nouvellesdispositions de l'art. 402 depuis la loi
du 20-3-1917, cf. rapport au Sénat, S. et P., 1917, lois annotées, 1917, p. 469.
note 9-10.
Cet article, qui confère de plein droit la tutelle aux ascendants, devrait accorder
aussi à ces derniers la jouissance légale des biens de leurs petits-enfants, car le droit
de jouissance est un attribut de la puissance paternelle (sur le fondement du droit de

Demolombe, t. VII, p. 154.


;
jouissance légale, cf. Beudant, op. cit., p. 86).
(3) Toulier et Duvergier, t. 1,0.0 1114 Duvanton, t. III, n° 453.
— Contra,

(4) Cf. Demolombe, t. VII, p. 167, et Planiol et Ripert, t. I, p. 510.


présence d'un tuteur datif va donc empêcher l'application de
l'article 402, alors que d'autre part la désignation de ce tuteur
remonte à une époque où les ascendants auraient pu faire
valoir de sérieuses prétentions pour la gestion des intérêts
de leurs petits-enfants. Il a été ainsi jugé que dans le cas où
la mère est privée de la tutelle par suite de son convoi, il y a
lieu à la tutelle dative et non à celle des ascendants (1) ;
certaines Cours d'Appel ont adopté les mêmes règles au cas
de destitution (2) ou de démission (3) du tuteur légal. Mais
faut-il aller jusqu'à dire qu'il doit en être de même lorsque
le tuteur nommé par le dernier mourant des père et mère
refuse la tutelle (4) ou s'en trouve ensuite privé pour un motif
quelconque (5) ? Certains auteurs ont penché pour l'affirma-
tive (6) ; il faudrait, d'après eux, respecter la volonté des père

;
et mère qui ont exprimé leur désir que la tutelle ne soit pas
confiée aux ascendants —.Nous acceptons pour notre part
difficilement ce raisonnement. Certes, il est peut-être nécessaire
de décider dans l'intérêt des enfants que la présence à la mort
du survivant de leur père et mère d'un tuteur datif (dont on
peut discuter la désignation) (7) doit écarter les ascendants de
la tutelle, mais nous pensons au contraire qu'au cas de défaut
d'acceptation ou de destitution du tuteur testamentaire, la
tutelle se trouve de plein droit déférée aux ascendants. N'est-ce
pas à eux que doit être confiée en définitive l'éducation des
enfants, puisque la volonté du survivant des père et mère n'a
pu recevoir exécution (8) ?

(1) Cass., 26-2-1807


man, t. 36, 1905, p. 322.
; Répert. de Droit Français, Carpcntier et Fuzier, Her-

(2) Toulouse, 18-5-1832, S., 32-2-470.


(3) Paris, 24 juillet 1835, S., 35-2-405.
(4) Au cas de refus, le droit de l'ascendant a tlé admis : Bruxelles, 11-3-1819.

:
Répertoire Carpentier, 1905, t. 36, p. 322.
(5) En faveur de la tutelle dative Rouen, 18 déc. 1839, S., 40-2-178.
(6) Demolombe, op. cit., loc. cil.
(7) Rien ne doit faire penser en effet que cette interprétation est exacte
ne se dégage nullement des travaux préparatoires (cf. Locré, Législation de la
France, t. VII, p. 102, et Esprit du Code Napoléon, t. VI, p. 78.
: elle

(8) Certains auteurs


sont partisans de la suppression de la tutelle des ascendants.
Cf. Michel, La Réforme de la tutelle en Droit comparé. Th., Nancy, 1933, p. 281.
B) Droits des Ascendants au cas d'Absence

La solution que nous envisageons pour le cas de destitu-


tion ou de défaut d'acceptation du tuteur testamentaire, doit
être donnée à notre sens dans une hypothèse qui, bien que très
différente, n'en évoque pas moins les difficultés qu'éprouvent
les tribunaux à concilier les droits en conflit au mieux des
intérêts des enfants. Ce cas d'espèce nous met en présence du
problème de la surveillance des enfants mineurs d'un père qui
a disparu (art. 141, 142, 147, C. Civ.). Il faut supposer qu'au
moment où le père a disparu, la mère existait encore, puis
vient à décéder ensuite avant que l'absence du père n'ait été
déclarée : le droit qu'a l'époux présent (en l'occurrence la
mère) de nommer par testament un tuteur aux enfants issus
de son mariage avec l'Absent doit-il être exécuté aussitôt après
sa mort ? Si on reconnaît à la mère un tel droit, les ascendants
vont se trouver, par le fait même, privés des droits de sur-
veillance qui leur sont conférés au cas d'Absence, aux termes
de l'article 143, lorsque six mois se sont écoulés depuis la
disparition du père.Certains auteurs ont pensé que la décision
de la mère devait être respectée sans retard et ceci d'autant
plus qu'après la déclaration d'absence on rentre dans le droit
commun des tutelles et que, par conséquent, le tuteur testa-
mentaire pourra à ce moment demander à remplacer l'ascen-

durant la première période ;


dant que le conseil de famille aurait nommé par préférence
tout ceci, fait-on remarquer,
occasionnerait donc un changement toujours fâcheux dans
l'administration et des redditions de comptes dispendieuses.
Cette opinion nous parait mal fondée. Comment, tout
d'abord, faire produire effet au testament de la mère, alors
que le décès de son époux n'est ni prouvé ni même encore

dérée comme lui ayant survécu ;


présumé et qu'elle ne peut en conséquence être encore consi-
ce serait contrevenir au texte
même de l'article 397 qui édicte que la tutelle testamentaire
ne peut être déférée que par le dernier mourant des père et
mère.
D'autre part, nous ne pensons pas qu'un ascendant lors-
qu'il est chargé selon l'article 142 de la surveillance des
enfants de l'absent, doive être assimilé à un tuteur ordi-
naire (1). Le décès du père n'étant pas prouvé ni même pré-
sumé, il n'y a pas encore lieu à une nomination de tuteur
et s'il est vrai que les ascendants se trouvent de plein droit
;
surveillants légitimes, il n'en faut pas moins reconnaître que

;
ce n'est pas là une tutelle ; il s'ensuit que les garanties de la
tutelle ne serontpas exigées aucune hypothèque légale ne
grèvera les biens de l'ascendant dont le titre a très certai-
nement suffi à écarter la méfiance du législateur (2).
Il est toutefois nécessaire de rapprocher les droits de sur-
veillance de ceux qui naissent de la tutelle légale, en ce sens
que les uns comme les autres ne peuvent s'expliquer que par
l'existence d'une véritable puissance paternelle existant au
profit des ascendants sur la personne de leurs petits-enfants.
Ainsi, que les parents aient ou non — en vertu de leur puis-
sance paternelle — entendu diminuer de leur vivant ou au
moment de leur mort les droits des ascendants, ces derniers
n'en conservent pas moins une situation privilégiée dans la
famille vis-à-vis de leurs descendants. L'accord entre ces
droits rivaux des parents et des ascendants postule leur indé-
pendance réciproque dont nous sommes amenés à mesurer le-
fondement et l'étendue.

SECTION 11

INDEPENDANCE DES DROITS


DE PUISSANCE PATERNELLE DES ASCENDANTS

Certains auteurs, pour expliquer les solutions jurispru-


dentielles et notamment l'attribution des droits de visite ou

(1) Cf. Demolombe, t. II, p. 470. Conir. Marcadé, t. I, art. 142, n° 3.


(2) Demolombe, op. cit., loc. cit. — On va peut-être nous objecter que la loi
elle-même (art. 142) désigne sous le nom de tuteur celui qui à défaut d'ascendants

change en rien notre manière de voir : ;


est effeotivement chargé de la surveillance des enfants. — Cette explication ne
selon nous, en présence d'ascendants, il
n'y a pas lieu d'appliquer les règles de la tutelle lorsqu'il n'y a pas d'ascendants,
n'y a pas de tutelle avant que l'absence soit déclarée
qu'il n'avait pas à demander à un aïeul.
:
au contraire, le législateur a pu parfaitement déroger au principe d'après lequel il
il a exigé des garanties
de séjour aux ascendants ont mis en avant le concept de
l'Abus du Droit. C'est ce concept, a-t-on dit, qui « vient impré-
gner de son esprit moralisateur cette institution centrale
qu'est la puissance paternelle et que notre jurisprudence a eu,
le mérite d'orienter depuis un siècle vers des fins sociales et
des idéaux altruistes »(1).
Nous nous proposons de démontrer que. la
théorie de
l'Abus du Droit, si elle permet aux juges, dans une certaine
mesure, de limiter les pouvoirs des parents, ne peut par contre
donner en notre domaine une solution satisfaisante. Il faut,
en réalité, reconnaître aux ascendants des droits propres,
parfaitement autonomes et qui, bien que plus restreints que
ceux des père et mère, n'en confèrent pas moins à leurs titu-

de leurs petits-enfants :
laires des pouvoirs de contrôle assez étendus sur la personne
nous préciserons à cet effet les raisons
d'être de leur indépendance (§ 1) et les conséquences qu'elle
entraîne (§2).

§ 1. — RAISONS D'ÊTRE DE L'INDÉPENDANCE

Il est certain que l'intérêt de l'enfant primant tout, on


peut facilement en déduire que si le père a d'une façon géné-
rale le droit de diriger l'éducation de ses enfants, il n'en doit
pas moins exercer ce droit en vue de leur intérêt et non point
du sien propre. De là la faculté donnée aux tribunaux de
réprimer (2) tout exercice abusif de la puissance paternelle.
Mais encore doit-on supposer en l'occurrence que sont en pré-
sence les seuls droits de l'enfant d'une part, et du titulaire de
la puissance paternelle de l'autre. Dès qu'un autre groupe de
droits se situe à côté de ceux-là, le raisonnement n'est plus
le même ; et c'est ce qu'on doit décider sans conteste lorsque

(1) Josserand, Esprit des Droits, 1927, p. 94.


(2) On a contesté énergiquement en doctrine l'application de la théorie de
l'Abus du Droit à la puissance paternelle (dont le titulaire qui agit dans les limites
de son droit « n'a pas à rendre compte des sentiments qui le font agir »). Le
recours
au juge ne serait possible que lorsqu'il est consacré parla
loi, le droit ne pouvant
être limité qu'objectivement.
— Cf. Ripert, Règle morale, 1925, p. 168 (pour cet
auteur, le domaine de la théorie de l'Abus du Droit est d'ailleurs « singulièrement
restreint », op. cit., p. 171).
parents ;
les prérogatives des ascendants se heurtent à celles des

:
car si le but que les unes et lesautres cherchent
à atteindre est toujours le même l'intérêt de l'enfant, encore
faut-il reconnaître au préalable que les premières comme les
secondes ont leur existence propre. Que leurs titulaires respec-

;
tifs aient le pouvoir de se contrôler mutuellement, nul ne
saurait le contester mais là doit s'arrêter leur rôle si l'on
déclare en effet que l'un d'eux, le père de famille, peut en
:
principe retenir ses enfants chez lui et les empêcher d'avoir
des rapports avec tel ou tel aïeul sous réserve d'abus possible
de sa part, on doit par le fait même en conclure que seuls les
parents ont des droits acquis, les ascendants n'ayant pour leur
part que de simples espérances (1). Or la jurisprudence a
toujours pensé, malgré certaines réserves inspirées par des
circonstances de fait, que les ascendants avaient sur la per-
sonne de leurs petits-enfants de véritables droits qu'il impor-
tait de défendre contre l'arbitraire des parents (2). C'est là
un principe qu'elle a affirmé dès le début, alors que les diffi-
cultés ou les divergences qu'elle ressentait portaient sur les
applications qu'elle devait en faire. N'a-t-elle pas indiqué en
particulier, dès les premiers litiges intéressant notre domaine,
»
la « situation spéciale des ascendants que rattachent à leurs
petits-enfants des liens très chers auxquels la loi civile attache
les effets les plus importants ?
Le 8 juillet 1857, la Cour de
Cassation affirmait ainsi que « bien que le père seul investi
des droits de diriger l'éducation de ses enfants puisse leur
interdire la visite des personnes mêmes de leur famille dont
il croirait avoir à craindre l'influence, cependant il n'a ce
pouvoir à l'égard des membres de sa famille auxquels l'enfant
doit honneur et respect en vertu de l'article 371 »(3). Les

(1) Cette conclusion se dégage de la définition même de l'Abus du Droit telle


qu'elle est donnée par la doctrine moderne. Cf. notamment Bonnecase, Précis, t. il,
p. 322.
(2) De Naurois, op. cit., p. 488-489, constate que la jurisprudence actuel!e
ne fait pas appel à la théorie de l'Abus du Droit comme fondement de ses décisions,
mais reconnaît au contraire aux ascendants « des droits propres », une véritable
« puissance grand'paternelle » (493). Pourquoi, dès lors, afifrmer (491) la subor-
»
dination du « droit des ascendants par rapport à la puissance paternelle des père
et mère?
(3) Arrêts précités.
motifs de l'arrêt de la Chambre civile du 28 juillet 1891 (1)
ne sont pas moins formels et l'on sait d'autre part les
«
»
attendu très significatifs du jugement du Tribunal de la
Seine du 28 juillet 1931 (1) où il est dit que « le droit pour les
grands-parents, de voir et de recevoir leurs petits-enfants n'est
ni contesté, ni contestable ».
Les plus ardents défenseurs de la théorie de l'Abus du
Droit ont dû, eux-mêmes, en conclure que si les prérogatives
des ascendants se trouvaient parfois soumises aux tribunaux,
elles ne devaient l'être que dans leurs modalités ou dans leur
exercice, et non point dans leur principe. Ils reconnaissent
en effet (2) qu' « il y a d'après le Code civil, pour les ascen-
dants, une sorte de Puissance paternelle réduite, secondaire »
dont l'existence ne se révèle pas seulement après le décès de
l'un des époux, ou après leur divorce. puisque « du vivant

dants ont certains droits :


des parents, alors même qu'ils habitent ensemble, les ascen-
lorsqu'une donation est faite en
faveur d'un enfant, alors même que les parents sont opposés
à l'acceptation, l'un quelconque des ascendants peut accepter
dans l'intérêt de l'enfant. » De telles observations aussi favo-
rables à la Puissance paternelle des ascendants devaient, on
le sait, conduire la Société d'Etudes législatives (3) à proposer
en 1935, une modification de l'article 373 en vue de conférer
aux ascendants les droits de séjour ou de simple visite, non
seulement lors de la dissolution du mariage des parents, mais
aussi lorsque les deux auteurs de l'enfant sont vivants, et en
l'absence de tout divorce. Dans ce projet les père et mère ne
pourraient ainsi « sans motif légitime »
refuser aux ascen-
dants le droit de conserver avec leurs petits-enfants des rela-
tions consistant en visite ou séjour.
Peut-être faut-il regretter que ce texte ne réponde pas
pleinement aux motifs qui ont présidé à sa création. N'avait-on
pas affirmé en effet, lors de l'élaboration du projet, que les

(1) Arrêt précit.


(2) Observations Josserand, Soc. d'Etudes Législ., Bulletin, 1935, p. 46.
(3) Op. cil. ; loc. cil. — En ce sens proposition de la loi Fauchon (1936) -.
grands-parents « ont certains droits à exercer sur l'existence
de leurs petits-enfants », qu'ils ont, surtout, « le droit
d'exiger qu'on leur permette de manifester à ces enfants toute
leur affection et tout leur attachement. qu'ils ont aussi le
»
droit de surveiller leur éducation (1). C'était là reconnaître

: ;
formellement l'existence de la puissance paternelle des ascen-
dants à côté de celle des parents maiscette indépendance
ases exigences pourquoi dès lors admettre que l'opposition
formulée contre elle par lepère ou la mère peut être retenue
lorsqu'elle est subordonnée à l'existence d'un intérêt légitime,
et ceci sans que soient limitativement enumérés les cas où
elle peut être appelée à intervenir ?
Une telle restriction limite considérablement les pouvoirs
des ascendants. Du seul fait qu'ils peuvent se heurter
à la résistance des parents, ils ne se trouvent plus, eneffet,

:
à proprement parler, détenteurs d'une puissance paternelle
leur situation est assez précaire le recours aux tribunaux
;
compromet leur initiative, engendre de graves difficultés,
trouble la paix dans la famille. Certes, on nous a dit qu'avec le
nouveau texte « le père ne persistera pas dans son refus, à
moins de raisons sérieuses », et qu'ainsi seront évités de
lamentables procès. On peut discuter, hélas
cette observation.
la valeur de!
Toutes difficultés auraient été en réalité écartées si l'on
avait décidé formellement que les ascendants sont titulaires
de la puissance paternelle, et principalement du droit de
séjour, qu'ils peuvent revendiquer aux parents ce droit (2)
que les.parents doivent accéder à leur demande (3) les ;
(1) Observationsduprésident de la Commission, op. cil., p. 30.
(2) Un aïeul peut même conclure un accord avec les père et mère sur le droit
de visite ou de séjour. Cf. Bordeaux, 16 juillet 1867, D., 68-5-340 et Agen, 6 nov.
1889, D., 90-2-25, note De Loynes. Sur la révocabilité de conventions, Trib.
— ces
Lyon, Il juillet 1925, G. P., 1925-2-540. Observations Savatier, Rev. Crit.,
1927-401.
(3) La jurisprudence belge est en ce sens. La Cour de Cass. a ainsi admis le
14-10-1915 (Pas., 14, 15-1-455) que les grands-parents ayant un droit fondé sur la
nature et sur la lokde connaître et de recevoir leurs petits-enfants, les tribunaux ont
des motifs de son opposition (même doctrine
et Liège, 18 juin 1930, Pas., 1930-2-134).
:
le pouvoir d'imposer au père qui s'oppose à l'exercice de ce droit, « la justification
» Cass.,25 sept. 1930, Pas., 30-1-310
tribunaux devant seulement, en cas de conflit, fixer les moda-
lités d'application du droit envisagé (1).
Les père et mère n'auraient,. en conséquence, que la seule
possibilité de contrôler l'exercice de la puissance paternelle
des ascendants au même titre que ces derniers contrôlent la
leur, et ce, conformément aux principes de la loi de 1889 et
des lois postérieures.
Les restrictions auxquelles sont ainsi soumis les pouvoirs
des père et mère se conçoivent parfaitement si l'on songé
que ceux qui en bénéficient ne sont point de simples' étran-4
gers, ou même un parent plus ou moins rapproché de l'enfant,
mais ceux-là mêmes qui sont intimement unis à leurs descen-
dants par la nature et par la loi. Elles vont permettre aux
petits-enfants d'exécuter les obligations qui leur incombent à
l'égard de leurs ascendants, aux termes mêmes de l'article 371.
Car cet article n'établit pas comme on l'a quelquefois prétendu,
un simple devoir moral (2) ; il constitue en réalité une véri-

reconnu la valeur ;
table obligation juridique dont la jurisprudence a toujours
et c'est bien cette interprétation que lui
donnaient lors de l'élaboration du Code civil Bigot de
Préamneu etBerenger (3). lorsqu'ils spécifiaient qu'il devien-
drait en maintes hypothèses un point d'appui pour les juges.
Il contient des principes, dont d'autres dispositions ne font
que développer les conséquences.
On peut dès lors expliquer pourquoi les auteurs du Code
ont rattaché à la puissance paternelle certains des droits qui
sont conférés aux ascendants (4) ; il en a été ainsi pour le
consentement qu'ils sont appelés à donner au mariagede
leurs descendants mineurs. Les textes eux-mêmes n'ignorent

———————
»
(1) Les droits de visite ou de séjour existent « de plein droit au profit des
aKendants comme au profit du conjoint divorcé non attributaire de la garde (dans
ce dernier cas, cf. Req., 14-3-1938, C. P., 28 mai 1938).

p. 335. Contra: Demolombe, t. VI, p. 225


p. 164, n° 110.
;
(2) Laurent, t. IV, n° 268 et Prudhon, Traité sur l'Etat des personnes, t. II,
Demante, Cours Analytique, t. II,

(3) Séance du Conseil d'Etat du 8 vendém., an XI, n° 3. Locré, t. III,


page 318. Comp. Locré, t. VII, p. 20, sur la séance du 26 Frimaire, An X.
(4) Séance du Corps Législatif du 23 Ventôse An XI, Discours Raul, conseil-
ler d'Etat. Locré, t. VII.
pas ce langage et ces idées. L'article 168, par exemple, ne
distingue pas les droits des ascendants de ceux des parents,
lorsqu'il édicte en termes généraux que « si les futurs époux
ou l'un d'eux sont mineurs, la publication sera encore faite
à la municipalité du domicile des ascendants sous la puissance
desquels ils se trouvent relativement au mariage. » (1) On
nous dira peut-être que le législateur n'a entendu viser ici
que les seuls parents. Nous sommes d'autant moins portés
:
à le croire, que la loi du 24 juillet 1889 nous apporte à ce sujet
d'importantes précisions « Les père et mère et ascendants,
est-il dit à l'article 1er de cette loi, sont déchus de plein droit
à l'égard de tous leurs enfants et descendants, de la puissance
paternelle, ensemble de tous les droits qui s'y attachent s'ils
« .tuos
(2) Et l'on sait quelles sont, d'après la jurisprudence,
l'étendue et la force de ces prérogatives (3).
Les ascendants pourront exercer d'ailleurs d'autant plus
facilement ce contrôle sur la personne de leurs petits-enfants,
que dans bien des cas ces derniers leur sont privativement
confiés, qu'ils soient sous leur simple surveillance (art. 142),
ou leur tutelle, ou même si l'on suppose qu'ils leur sont confiés
contre la volonté du survivant après la mort de l'époux divorcé
à qui le tribunal en avait remis la garde. Nous avons vu avec
quelle hardiesse des tribunaux (4) ont affirmé dans cette

:
(1) Certains articles appellent en effet communément
bien les père et mère que les aïeuls et aïeules
« ascendants»C.
cf. art. 179 et ancien art. 176
aussi
Civ.
(2) Sur la déchéance de la puissance paternelle des ascendants, cf.Trib. Seine,
10-2-94, D., 94-2-265 et la note. — Leloir, Code de la Puissance Paternelle, 1892,
t. I, p. 350, n° 462. Importance de la Réforme de 1889, Taudière, op. cil., p. 183.
(3) Nous devons rejeter en conséquence l'opinion selon laquelle les droits de
visite ou de séjour « n'emporteraient qu'un simple transfert de la garde matérielle ».
Le droit de garde qui englobe les droits de visite ou de séjour est en effet un attribut
de la puissance paternelle sous l'emprise de laquelle va se trouver l'enfant dès qu'il
est remis à l'ascendant. — Les droits de visite ou de séjour ne sont donc pas det
attributs démembrés du droit de garde» (Lebrun, D., 34-2-57 et Lagarde, Rev.Trim.,
34-396) mais bien une modalité particulière du droit de garde lui-même (si l'on
veut un droit de garde secondaire correspondant à une puissance paternelle elle-même
bien souvent qualifiée de secondaire).
(4) Tout en reconnaissant l'importance de ces décisions, certains auteurs ont
cru devoir en restreindre la portée sous prétexte que le transfert de la garde de
l'enf ant aux ascendants ne constituerait pas au profit de ces derniers une prérogative
qui leur soit propre (Lebrun, note D., 34-2-57) : ils nous font alors remarquer que
de tels droits ont été conférés à la mère séparée de fait (Paris, 8-2-1912, D., 1912-
;
dernière hypothèse l'indépendance de leur puissance pater-
nelle vis à vis de celle des parents malgré tout, une fraction,
de la jurisprudence restant hostile à une telle interprétation, on
doit rechercher une solution qui, tout en répondant aux inté-
rêts des enfants, respecte les principes posés par le législa-
teur. Aussi, doit-on approuver les efforts tentés pour mainte-
nir dans toute la mesure du possible, les dispositions
prises par le jugement de divorce ou de séparation de corps,
au profit des enfants, lorsque l'époux qui en avait la garde
est décédé. décider en particulier que bien que toute idée
de sanction soit bannie de ce domaine, le survivant qui voudra
recouvrer ses droits, rentrer dans la plénitude de la puissance
paternelle, devra cependant s'adresser au tribunal (1). Les
ascendants qui se sont chargés de l'enfant après lamort de
l'attributaire de la garde, auront donc, s'ils sont attaqués par
l'époux survivant, la position privilégiée de défendeurs. Ils
ne seront point d'autre part inquiétés tant qu'un jugement
n'aura pas dévolu à une autre personne le droit de garde (2).

2-273, note Planiol) ou même à la mère naturelle lorsque celle-ci n'a pas l'exercice
de la Puissance paternelle (Trib. civ. Provins, 11-8-33, Rec. C. P., 1933-2-647).
— A l'inverse, les droits de visite ou de séjour constitueraient des droits autonomes.
Nous ne partageons pas cette manière de voir qui crée une séparation arbitraire entre
les diverses prérogatives des Ascendants. Le droit de visite n'est-il pas d'ailleurs
accordé lui aussi à d'autres que les ascendants, à l'époux divorcé non attributaire de
la garde par exemple ? En réalité tous ces droits sont conférés pour des raisons
aufond quelque peu identiques, mais dans des situations différentes, à certains mem-
:
bres de la famille dont les liens avec l'enfant sont particulièrement étroits et durables
au regard de leurs titulaires respectifs ils ont une autonomie propre et sont étroitement
rattachés à l'institution de la puissance paternelle (telle est, sans conteste, la raison
pour laquelle on refuse le droit de visite aux collatéraux. Trib. Civ. Seine, 17-2-1914,
S.,191-4-2-124. — En vertu du même principe, on ne peut pas enlever l'enfant
(en dehors des cas de divorce ou de déchéance) à son père ou à sa mère pour le
confier à un « tiers », à moins que ce tiers soit un ascendant ou l'époux qui n'a
pas.la garde de cet enfant).
(1) Sur l'importante question de la condition juridique des enfants après le
divorce, cf. Desserteaux, op. cit. et
rinstance en divoirce et après le divorce.Th., Dijon, 1903
divorce sur la puissance paternelle, Th., Toulouse, 1907 ; ;
Misset, De la puissance paternelle pendant
Carné, Influence du
Peltier, Le divorce et la
puissance paternelle, Th., Paris, 1908 (cet auteur examine en particulier, p. 14,
ce qUe devient la puissance paternelle après le divorce et quels sont à cet effet les
systèmes proposés).
(2) Projet de la Soc. d'Et. législatives,op.cit., loc. cit.
§ 2. — CONSÉQUENCES DE I/INDÉPENDANCE

Le droit de garde dont jouissent les ascendants, soit tem-


porairement (durant les séjours ou visites), soit d'une façon
continue (au cas d'absence, de tutelle légale ou même de
tiivorce) apparaît donc comme étant un des attributs de leur
puissance paternelle, indépendamment de la puissance pater-
nelle des père et mère : de là les sanctions qui doivent être
attachées à son obtention (A) ou à son exercice (B), au profit
t)u à l'encontre de ses titulaires (1)

A) L'obtention du droit de garde. — Responsabilité


pénale des père et mère. Application de l'article 357
du Code pénal.
Sous l'empire du Code pénal, l'enlèvement ou la non
représentation de mineur, n'étaient punissables qu'autant que
le fait délictueux avait été commis par une personne autre
que le père, la mère ou le tuteur (2).. Les articles 345, § 4 et
357 du Code Pénal étaient considérés par la doctrine et une
partie de la jurisprudence (3) comme étrangers aux rapports
des père et mère entre eux, comme à plus forte raison à ceux
des père et mère avec leurs parents ou beaux-parents. Ainsi,
tandis qu'ils limitaient la Puissance paternelle des parents
au profit de celle des ascendants, les tribunaux ne trouvaient
pas dans les textes en vigueur les moyens d'assurer l'exécution

conséquences (dette alimentaire, réserve, etc )


(1) On a rattaché parfois à la puissance paternelle des ascendants d'autres
et cette doctrine a été justement
combattue par certains auteurs (cf. Laurent, t. IV. n° 268. et Leloir. op. cit., t. I,
p. 65 et suiv.).

n° 1718, p. 464 ;
(2) Cf. Faustin Hélie et Chauveau, Théorie du Code Pénal, 6* édit., t. IV,
Blanche, Etude sur le Code Pénal, 2" édit., t. V, n° 300, 307,
309. — Ces auteurs s'appuient sur les paroles de Treilhard au Conseil d'Etat.
Cf. à ce sujet Locré, Code Pénal, t. XI, p. 389.
5
(3) Cass. Crim., 22 mars 1900, avril 1900, D., 1900-1-184, rapport conseiller
Chambaraud, Bull. Crim., 1900, n° 125.
Les arrêts des 22 mars et 5 avril 1900 mettaient fin à la résistance de certaines
Cours d'Appel qui s'obstinaient à recourir aux articles 345 et 357 à l'encontre des
pères et mères (notamment Paris, Ch. des mises en Accusation de la Cour d'Appel,
19-12-1899, cassé par Ch. Crim., le 22-3-1900).
deleurs décisions, hormis les procédures de contrainte sou-
vent illusoires du Code Civil (1). Il y avait là une situation
très grave à laquelle il importait de remédier au plus tôt. Or,
le 7 juillet 1900, le gouvernement déposait un projet de loi
destiné à réprimer « les entreprises du père ou de la mère »
qui, déchu du droit de garde « au cours ou à la suite d'une
instance en divorce ou en séparation de corps », peut enlever,
refuser de représenter ou même faire disparaître ses enfants
et tenir ainsi en échec la décision de la justice. Le projet fut
voté sans discussion par la Chambre et le Sénat, et devint la

cle 357 du Code Pénal :


loi du 5 décembre 1901,qui complétait en ces termes l'arti-
« quand il aura été statué sur la
garde d'un mineur par décision de justice provisoire ou défi-
nitive, au cours ou à la suite d'une instance de séparation
de corps ou de divorce, ou dans les cas prévus par les lois des
24 juillet 1881 et 19 avril 1898 le père ou la mère qui ne repré-
sentera pas ce mineur à ceux qui ont le droit de le réclamer
ou qui, même sans fraude ou violence, l'enlèvera ou le détour-
nera ou fera enlever ou détourner des mains de ceux auxquels
sa garde aura été confiée, ou des lieux où ces derniers l'auront
jp
placé, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et
p
d'une amende de 16 à 5.000 francs. Si le coupable a été déchu
Û de la puissance paternelle, l'emprisonnement pourra être élevé
I à trois ans».
! L'insuffisance de la réforme apparut bien vite aux esprits
I les moins avertis (2).
Une interprétation exégétique des textes

1
pecter les décisions rendues sur la garde d'un mineur, tels
publique (contre un père
:
(1) La jurisprudence dut parfois employer ces moyens civils pour faire res-

: le recours à la force
ordonnance de référé, Trib. d'Agen, 13-3-1903, D.,
1904-2-16). la saisie des revenus de l'épouxdébiteur et l'astreinte (affaire de
Bauffremont. Cour de Paris, 7 août 1874. S.. 74-2-265), la condamnation à des
dommages-intérêts (Req., 25-3-1857, D., 57-1-213
et 4-4-1865, D., 65-1-387).
Mais on
a critiqué à juste titre l'illégalité ou tout au moinsl'inefficacité de ces moyens
civils (sur la légalité de la saisie des
revenus, de l'astreinte ou du recours à la Force
publique, cf. Pandcctes Françaises
au mot Puissance paternelle, n° 581).
dI invoquer(2) L'énumération posée dans la loi de 1901
ne permettait pas en particulier
cette loi pour sanctionner la résistance à l'exécution d'un jugement qui
avait statué sur la garde d'un enfant nallurel, conformément à l'art. 383 C. Civ.
pour départager ses deux auteurs qui le réclamaient (c'est ce qu'a décidé la Cour de
n'allait-elle pas, en effet, conduire les juges à décider que la
loi n'est pas applicable au cas où,après divorce ou séparation
de corps, l'époux auquel la garde des enfants a été confiée
n'exécutera pas les dispositions du jugement qui accorde à
son ancien conjoint ou aux ascendants de l'enfant, le droit
de le voir ou de le recevoir à certaines époques et sous des
conditions déterminées ?
La même opinion ne pourrait-elle
pas être défendue dans le cas où l'époux attributaire de la
garde refuse de confier l'enfant à ses ascendants Ne pou-
vait-on pas affirmer en définitive que « la loi nouvelle n'a
?
qu'un seul Qut : assurer la remise de l'enfant à la personne

et ce, dans deux hypothèses :


qui en a la garde et le maintien de cet enfant entre ses mains,
dans cefle où la garde a été

;
retirée à l'un des.époux à la suite d'un divorce oud'une sépa-
ration de corps et dans celle où l'un desépoux ou tous deux
»
sont déchus de la puissance paternelle (1). Certains tribu-
naux (2) ont pensé en effet qu'en dehors de ces cas, la modi-
fication apportée à l'article 357 du Code Pénal ne devrait pas
recevoir application.
Mais cette solution était combattue par
une fraction de
la jurisprudence (3) ; bien des tribunaux et Cours d'Appel
estimaient alors que pour que la loi de 1901 soit prise en
considération, il fallait, et il suffisait, qu'il ait été en premier

Paris, le 8-3-21, D., 1921-2-110, dont l'arrêt a été approuvé par la doctrine sauf
Garçon, Code Pénal annoté sous les art. 354 à 357 n° 108).
L'Enumération de l'art. 357 modifié par la loi de 1901 était également muette
sur la décision rendue en cas de séparation de fait, ainsi que pour le cas d'annulation
d'un mariage putatif.— (Cf. à ce sujet Rapport Catalogne, O., Doc. parlem.,
Sénat, déc. 1926, p. 1152). — La doctrine réclamait donc une intervention législative
(Cumenges, De l'Enlèvement des mineurs d du délit de non-représentation. Th.,
Bordeaux, 1907, p. 138) : la loi du 23-3-1928 devait lui donner en partie satis-
faction. V. nos développements infra.
(1) Le Poitevin, note sous Paris, 13 nov. 1903, D., 1904-2-41.

droit de visite de l'époux coupable après jugement de divorce :


(2) Ainsi sur l'application de l'art. 383 Paris, 8 mars 1921 précit., et sur le
Aix, 27 mars 1903,
D.. 1903-2-374; Paris, 13 nov. 1903, D., 1904-2-41; Caen, 2-2-1916, D., 1916-
2-6.
(3) Notamment: sur l'application de 357 nouveau au cas où après jugement de
divorce ou de séparation de corps l'époux auquel la garde
:
a été confiée n'exécute
pas les dispositions du jugement qui accorde droit de visite à son ancien conjoint
Trib. civ. Seine. 27-2-1902, D., 1902-2-408; Trib. civ. Marseille, 19-12-1902,
D., 1903-2-374.
t
lieu statué sur la garde d'un mineur au cours ou à la suite
d'une instance en séparation de corps ou de divorce, et qu'en
i second lieu le père
ou la mère ne représente pas le mineur à
ceux qui avaient le droit de le recevoir. Or, lorsque l'époux
à qui la garde du mineur a été confiée, ne le remet pas à son
j conjoint, ou aux ascendants, qui ont un droit de visite ou
de séjour, il rentre exactement dans les précisions de la loi :
j
il ne représente pas son enfant à une personne qui a le droit
de le réclamer. C'est cette solution que défendait le Tribunal

les faits :
correctionnel de la Seine le 27 février 1902. Voici quels étaient
une dame B. avait obtenu le 12 janvier 1897 un
jugement du Tribunal civil de la Seine aux termes duquel le
sieur M., son gendre, devait faire conduire chez elle, une
fois par semaine, les deux mineurs qu'il avait eus de son
mariage avec une fille décédée de Mme B. Résistance de M.
qui sur plainte de sa belle-mère fut traduit devant le Tribunal
correctionnel de la Seine (1) qui admit que l'obstacle ainsi

y
:
apporté à l'exercice du droit de visite de la grand'mère tom-
bait sous le coup de l'article 357 Code Pénal « Attendu, est-il
dit au jugement, que les droits de visite des parents ou grands-
parents font partie intégrante de la garde des enfants et
B rentrent dans l'application de la loi du 5 décembre 1901 ».
La Cour de Cassation devait consacrer cette solution le
30 mars 1912 dans un arrêt (2) où elle reconnaissait formel-
| lement que la loi du 5 décembre 1901 s'applique aussi bien
au père ou à la mère divorcée ou séparée de fait qui ne repré-
sente pas l'enfant à ceux qui ont le droit de le réclamer, qu'au
père ou à la mère qui ne représente pas l'enfant à ceux
auxquels la garde en a été confiée.

I l'adhésion de tous les tribunaux ;


Néanmoins l'arrêt du 30 mars 1912 n'avait pas entraîné
il y avait d'autre part en
Doctrine de profondes divergences (3). Ne faisait-on pas

1903, D., 1903-2-374 ;


(1) Trib. correct. Seine, 27-2-1902, D., 1902-2-408.
— Contra : Paris,
Trib. Pau, 30-11-1927, Sem. fur., 9 février 1928.
13-2-

(2)Crim.. 30-3-12, D., 1913-1-356, 5., 1913-1-418; Bull. crim., 1912,


191, p. 338.
;
nU

(3) V° contre l'application de la loi de 1901 : Roux, note S., 1913-1-417


Duboille, Du délil de non-représentation d'enfant. Th., Paris, 1906,
p. 37 ; Cumenge,
remarquer notamment que l'application aux ascendants des
H
I
dispositions de la loi nouvelle se concevait d'autant moins
qu'avec le droit de visite. ou de séjour on était dans une H
hypothèse où le droit de garde n'existait pas à leur profit H
puisqu'il ne s'agissait pas du cas où le jugement de divorce H
ou de séparation de corps leur a confié l'enfant. On ajoutait H
d'une demande faite par un père de famille
la Cour suprême ne pouvait alors s'expliquer
la
qu'en
:
que l'arrêt de 1912 n'avait d'ailleurs statué qu'en présence
décision de
fonction
H
H
H
de la puissance paternelle du demandeur, et ceci malgré la H
généralité des termes employés par les juges. — .u Ces incer- H
titudes ne furent en rien apaisées par les rédacteurs de la loi H
du 23 mars 1928 qui modifie sur des points particuliers H
l'article 357 Code Pénal (1). Les rapporteurs du projet de loi H
li'avaient-ils pas en effet exprimé des avis opposés sur la H
?
nature du droit de visite Tandis que M. Catalogne avait pré-
tendu que le terme « droit de garde englobe le droit de visite »,
II
M. Serol, pour sa part, avait déclaré que « si celui des père et M
mère qui a la garde de l'enfant s'oppose à ce que l'autre exerce I
librement le droit de visite, le parent lésé pourra toujours M
demander au tribunal que la garde de l'enfant lui soit confiée » I
cette éventualité étant, à son avis, suffisante « semble-t-il » N
(sic) pour que le droit de visite soit respecté par celui des père M
et mère qui a la garde de l'enfant. I
De telles divergences ne devaient certes point faciliter I
I
difficultés d'interprétation (2) ;
l'œuvre des tribunaux qui se heurtaient, on le voit, à de graves
il semble cependant qu'à
l'heure actuelle toute discussion doive être bannie de ce I
I

;
De renlèvement des mineurs. Th., Bordeaux, 1907, p. 112 Monsarrat, Le Délit de 1
I
non-représentation d'enfant. Th., Toulouse, 1929, p. 61.
:
*
Pour l'application Garraud, 3e édit., it. V, p. 721 in fine Terrin, op. cit., II
j
p. 127.
:
61.
(1) n'bù l'addition des mots « ou toute personne » à la suite de « le père 1I

-----
et la -mère » : art. 357 nouveau. — Sur cette loi cf. Goyet, Précis de-DroitPénal
I
-
apécial, 1925, supplément, p.
(2) Le
- 10
- oct. 1929 (D. H.,
- 29-562) la Cour de Dijon défendait la doctrine
de la Cour",de Cassation (30 marsÎ912 précit.) alors que d'autre part la défen-
1

deresse prétendait que « même si la loi de 1901 s'appliquait à la non-remise des


enfants au père bénéficiaire du droit de visite, aucune sanction ne pouvait être
prononcée contre elle étant donné qu'elle avait été déjà condamnée antérieurement
pour la même infraction. que le délit prévu par l'art. 357 étant un délit continu,
domaine depuis l'arrêt de la Chambre criminelle du 19 octobre
1935 qui, donnant droit aux réclamations d'un ascendant,
condamne un père (1) : « Attendu que l'article 357 Code Pénal,
modifié par les lois des 5 décembre 1901 et 23 mars 1928 a
pour but d'assurer, par une sanction pénale, l'exécution des
mesures judiciaires ordonnées au sujet de la garde des enfants
mineurs, que par la généralité de ses termes il s'applique à la
fois à la réglementation du droit de garde, du partage des
vacances et du droit de visite et protège tous ceuxqui sont
admis par décision de justice à faire valoir un de ces droits ».
Ainsi pour faire bénéficier les ascendants de l'article 357

du droit de garde ;
Code Pénal, la Cour suprême devait les rendre attributaires
mais cette décision implique par le fait
même la reconnaissance de leur puissance paternelle (2) et
de son indépendance par rapport à celle des père et mère.
Nous ne disons pas, remarquons-le, que toute décision qui

;
confère le droit de garde confère par le fait même la puissance
paternelle à son titulaire c'est ainsi qu'un tuteur datif, bien
qu'ayant le droit de garde, n'exerce pas la puissance paternelle
sur la personne du pupille (3) et il en sera de même pour le

il en découlait l'impossibilité de répressions successives ;au moins tant que la


décision de justice statuant sur le droit de garde n'aurait pas été modifiée ». La
Cour de Dijon fit justice de cette objection dans des attendus significatifs que devait
confirmer peu après la Cour Suprême (10-4-1930, D. H., 30-302) : « Attendu
pour la même infraction. que le délit prévu par l'art. 357 étant un délit continu,
consiste dans un état permanent de criminalité, dans une violation successive et non
interrompue de la loi pénale, de ce fait que l'infraction se continue tant que l'action
ou l'inaction dure et ne prend fin que lorsque celle-ci vient à cesser. ; attendu qu'il
apparaît dans cet ordre d'idées que si la résistance à un droit de garde permanent est

est revêtu le droit de garde


autrement
;
un délit continu, n'est par corrélation évidente avec le caractère de permanence dont

; qu'en ce qui concerne le droit de visite il en est


que c'est en effet un droit de garde qui prend naissance à l'instant où le
Jroit de viste doit s'exercer pour s'éteindre avec lui, que c'est en somme un droit de
garde susceptible de se renouveler à chaque échéance successive d'exercice du droit
de visite. »
(1) Cass., 19-10-35, D., 37-1-12, note Lebrun, défendant solution de Caen.
25-1-34. Dans le même sens Trib. correct. Angers, 30-12-33, D., 34-2-57. note
Lebrun.
(2) Lé Code Pénal ne tient-il pas d'ailleurs bien souvent compte de là situation
dek ascendants dans la faniillé (implicitement de leur puissancepatémellè) pour èn

:
faire une cause de justification ou bien pour réprimer plus sévèretiientl'infraction ?
(Cf. art. 299, 248, 312, 333, 380 C. Pén.).
(3) Le tuteur datif ou testamentaire a certains droits qui s'apparentent aux droits
de puissance paternelle (droits d'éducation droit de surveillance, etc.) ; mais cés droits
s
tiers à qui aura été confié l'enfant par le jugement de divorce.

respectives :
Il y a en réalité des différences essentielles entre ces situations
dans le premier cas (tuteur datif, tiers à qui a été
confié l'enfant par jugement de divorce) le droit de garde est
nettement détaché de la puissance paternelle (arg. art. 303 C.
Civ.) : il résulte des règles spéciales du jugement de divorce

;
ou des principes de la tutelle qui vont permettre aux juges
d'appliquer l'article 357 Code Pénal mais dans le second cas
(ascendant ou époux coupable titulaire du droit de visite ou
de séjour), rien ne permet de décider a priori que le droit de
garde englobe le droit de visite : aucun texte, aucune décision
n'imposent cette solution. Il faut dès lors en conclure que les
droits de visite ou de séjour sont purement et simplement des
attributs de la puissance paternelle et qu'à ce titre et à ce titre
seul peut être expliquée l'œuvre de la jurisprudence
actuelle (1).

B) L'exercice du droit de garde. Responsabilité civile


des ascendants. Application de l'article 1384 § 2 Code Civil

Titulaires à titre privatif du droit de garde, les ascendants


ne doivent-ils pas encourir de ce fait la responsabilité pré-
sumée qui incombe aux parents en vertu de l'article 1384 § 2
?
Code Civil Ceci ne semble pas douteux, à notre sens, étant
donné que leur droit de garde est un attribut de leur puissance
paternelle. Il ne faut pas oublier, en effet, que « l'idée générale
qui a guidé les rédacteurs du Code est la suivante la puis- :
sance paternelle impose aux parents des obligations, non seu-
lement vis-à-vis des enfants mais vis-à-vis des tiers ils doi-
vent, en donnant à leurs enfants une bonne éducation et en
;
les surveillant, les empêcher de causer un préjudice. Aussi
lorsque l'enfant cause un dommage, peut-on penser que les
parents n'ont pas exactement rempli leur devoir, qu'ils ont
:
ne sont pas en réalité des droits de puissance paternelle ils ne sont exercés d'ailleurs
que sous le contrôle et avec l'autorisation du conseil de famille (cf. Leloir, op. cit.,
t. I, p. 426. n° 548).
(1) La Chambre criminelle est à ce sujet plus catégorique que la Chambre civile
pour qui (selon l'arrêt du 6 juillet 1931) le droit de séjour ne porterait pas atteinte
au droit de garde, de surveillance et d'éducation des père et mère.
commis une faute »
(1). Pourquoi ne pas décider que la
puissance paternelle des ascendants comporte les mêmes
?
obligations, les mêmes devoirs Certains auteurs ont pressenti
la valeur de cet argument, aussi nous affirment-ils que « les
ascendants ont seulement certains droits moraux tels que le
droit de respect »
et que « c'est par inadvertance que la loi
du 24 juillet 1889 vise, dans son article 1, les ascendants
comme pouvant être déchus de la puissance paternelle (2). »
Nous savons combien cette opinion est contredite par l'œuvre
jurisprudentielle et les textes mêmes du Code. Notre solution
s'impose d'ailleurs aussi bien en vertu du paragraphe 1 qu'en
vertu du paragraphe 2 de l'article 1384. Le premier alinéa de
cet article ne contient-il pas en effet, dans un même membre,
deux dispositions jumelées », l'une sur la responsabilité du
«
fait des choses, l'autre sur la responsabilité du fait d'autrui ?
Ne serait-il pas normal de reconnaître qu' « il existe d'une
manière générale une responsabilité du fait des choses ou des
personnes que l'on a sous sa garde (3) ? »
La jurisprudence affirme néanmoins plus ou moins
expressément que les cas de responsabilité pour autrui sont
limitatifs. La Cour de Nîmes a décidé notamment, dans un
arrêt du 3 janvier 1910 (4) que « les dispositions de l'arti-
cle 1384, en tant qu'elles établissent des catégories de per-
sonnes réputées civilement responsables du fait d'autrui sont
de droit étroit. qu'il s'ensuit que la responsabilité qui pèse
sur le père ou la mère ne s'étend pas à l'aïeul chez lequel
le mineur vient occasionnellement demeurer ».
Les ascendants
ne devraient donc encourir, aux termes de cette jurisprudence,
qu'une responsabilité directe et personnelle par suite de fautes
à eux imputables dans les limites des articles 1382 et 1383.
La Cour de Cassation a d'ailleurs consacré récemment cette
l

(1) Mazeaud, Traité Je la Responsabilité. T. I, p. 664.

:
(2) Mazeaud, op. cit., p. 670, note 2, n° 745.
(3) Sur cette question
13-2-30,D.,1930-1-57.
art. Savatier, D. H., 33 et conclusions Matter, Req..

(4) D., 1911-5-13. Sur cet arrêt, cf. Rev. Trim., 1911, p. 443 et Rev. Cri,.,
1912, p. 208.
manière de voir dans un arrêt du 15 juin 1934 (1). Cette-
dernière décision appelle néanmoins certaines observations
intéressantes pour le sujet qui nous occupe (2) : en premier
lieu la Chambre criminelle a statué dans une hypothèse ou

;
l'enfant avait été confié non point à un de ses ascendants,
mais à un oncle le demandeur ne pouvait donc pas baser son

sance paternelle :
pourvoi sur un manquement aux obligations issues de la puis-
seul s'offrait à lui le premier alinéa de
l'article 1384 dont la jurisprudence n'a jamais admis l'exten-
sion pour la responsabilité du fait d'autrui. On peut remarquer
en second lieu que les tribunaux et la Cour de Cassation elle-
même, bien qu'opposés à une telle extension, n'ont pas moins
ressenti avec une certaine faveur dans la responsabilité du
fait d'autrui « le contre-coup »
du développement moderne
de l'idée de responsabilité. Ils n'ont éprouvé en particulier
aucun scrupule à étirer sensiblement la notion de préposé (3).
et cette attitude libérale ne correspond-elle pas à l'évolution de
la conscience actuelle qui « tend de plus en plus à réclamer
d'instinct pour tous les dommages qui surviennent à une
personne quelconque un instrument de réparation, le plus
souvent par l'intermédiaire d'une responsabilité (4). »
(1) Crim., 15-6-34, 5., 35-1-397. Même tendance dans l'arrêt de la Cour dc
Paris du 7-2-36, S., 36-2-127.
(2) La doctrine actuelle est, dans son ensemble, favorable à l'interprétation
restrictive de l'art. 1384 § 2. Cf. Mazeaud, loc. cit., op. cit. Néanmoins'.es
auteurt

;
père ou une mère (Duranton, t. XIII, n° 719 ;
ont longtemps admis que le tuteur était responsable dans les mêmes conditions qu'un
;
Rolfand de Villargue, v° Dommage,
Zachariæ, édit. Aubry et Rau, t. III, t.. 198 Sourdat, Responsabilité,

:
n° 37
t. II, n° 843. qui s'appuie sur opinion de Pothier, Obligations, n° 121). Des 10is
spéciales consacrent d'ailleurs la Responsabilité civile du Tuteur art. 28 de la loi
du 3-5-1844 sur la chasse, art. 206 du Code Forestier, art. 74 de la loi du 15-4-1829
sur les délits de pêche. — Mais la plupart des auteurs actuels combattent cette

;
Ripert, Esmein, Obligations, I, n° 626
n° 971 ; Josserand, t. II, n° 470
;
doctrine et considèrent comme limitatifs les cas énumérés par la loi (Planiol,

;
Lalou, Responsabilité civile, 2" édit..
Colin et Capitant, t. II, 7e édit., n° 202 L.
Lucas, Sem. Jur., 1933, p. 105).
(3) Ainsi: le fils, le beau- frère, l'ami, la concubine, la femme d'un automobi-
liste ont été considérés comme ses préposés. Dans ce sens: Crim., 14-12-28, D. H..
1928-36; Req., 1-5-1930, D., 1930-1-137; Cf. Savatier, R. C., 1934, p. 448, wr
le Risque crAutrui.
(4) Savatier,article précité.
Ces considérations imposent dans leur ensemble, chacune
à des degrés différents, l'application aux ascendants des
dispositions de l'article 1384 du Code Civil. (1).

CONCLUSION

Quelques-uns de nos développements peuvent surprendre


ou pour le moins laisser l'esprit hésitant si l'on cherche à les
adapter à la physionomie qu'avaient donnée à la Puissance
paternelle certains juristes du XIXe siècle. L'absolutisme de
l'autorité paternelle imposait alors sa loi, rien n'en venait
limiter l'exercice. Depuis, le droit de Famille a été profon-

(1) Certains arrêts, tout en admettant que le père d'un mineur cesse d'être léga-
lement responsable des faits de celui-ci lorsqu'il n'est plus sous sa garde, réservent
cependant l'application de l'article 1382 du Code Civil dans le cas de faute du père
(par exemple: le père ne s'est pas assuré par contrat que le tiers chez lequel il avait
placé ton enfant, le surveillait en dehors des heures de travail: Dijon, 18-11-1932,

n'est pas un commettant (par exemple: la faute de l'Ascendant :


D. H., 1933-28) ou de la personne chez qui se trouve l'enfant, lorsque cette personne
Nîmes, 3-1-1910
précité). En étirant ainsi cette faute avec hardiesse, les tribunaux, tout en sauvegar-
dant, apparemment du moins, les principes de la doctrine actuelle, n'en parviennent
pas moins à découvrir l'instrument de réparation que réclame la conscience moderne.
Il y a donc à l'heure actuelle, qu'on le veuille ou non, une tendance jurispruden-
tielle à « élargir » la responsabilité du gardien de l'enfant, qu'il soit ou non respon-
sable aux termes de l'article 1384 (et ceci par réaction contre les solutions données
jadis par certaines Cours d'Appel: Rouen, 30 déc. 1913. S., 1914-2-223 et Paris,
9 juillet 1914, S., 1915-2-56) ; l'arrêt de la Cour de Dijon du 18 nov. 1932, précité,
est significatif à ce sujet.
Un arrêt récent de la Cour d'Appel de Bordeaux traduit assez audacieusement

:
cette tendance (Bordeaux, 4e Chambre. Inéd. ). Voici quels sont les faits de la
cause un ieune domestique placé pas son tuteur datif chez un propriétaire, commet un
vol chez des voisins. Ayant été condamné par le Tribunal comme commettant (1384), le
propriétaire fait appel, soutenant que la faute de son préposé n'avait pas été accom-
plie dans l'exercice de ses fonctions et que de ce fait la présomption de faute de l'ar-
ticle 1384 ne pouvait être retenue contre lui. La Cour d'Appel de Bordeaux, tout
en admettant la thèse du propriétaire (pour 1384 § 3), ne l' a pas moin s,en outre, déclaré
civilement responsable aux termes de l'article 1384 § 2. Elle a décidé, en effet,
que du moment que le domestique était logé et nourri chez son patron à qui son
tuteur l'avait confié, ce patron avait reçu une véritable « délégation de la puissance
»
paternelle
décision appelle certes de nombreuses observations :
qui le rendait responsable comme s'il était le père du mineur. Cette
comment le tuteur pouvait-il tout
d'abord déléguer une puissance paternelle qu'il n'avait pas lui-même ? Ensuite, comment
admettre une telle solution, alors que la délégation de puissance paternelle ne peut
avoir lieu que dans des conditions précises, limitativement, fixées par la loi) Quoi
qu'il en soit, l'arrêt de la Cour de Bordeaux traduit le désir des magistrats d'assou.
plir les règles de la responsabilité du fait d'autrui, d'élargir la responsabilité des com-
mettant* qui seraient tenus, que le mineur ait ou non agi selon leurs ordres, que le
fait se rattache ou non à la fonction (dans le même sens: Toul ouse, 4 juin 1905,
D., 1909-2-164; Observations Ripert, Revue Critique, 1910, p. 131).
;
dément modifié des difficultés nouvelles ont surgi elles ont
dicté à la jurisprudence, puis à la doctrine elle-même, une
:
interprétation plus rationnelle des textes. L'une et l'autre ont
su trouver dans le Code Napoléon et dans les lois ou théories
postérieures les principes directeurs permettant de concilier
dans l'intérêt des enfants, les droits de ceux qui désirent pour-
voir ou veiller à leur éducation. Ainsi ont été attribués aux

de leurs petits-enfants ;
ascendants des droits de plus en plus étendus sur la personne

:
leur puissance paternelle a été dotée
d'une nature propre, d'une réelle autonomie nous avons
indiqué à cet effet ses attributs essentiels (1).
Le principe
de l'indépendance des droits de puissance paternelle des
ascendants ne s'impose-t-il pas d'ailleurs à l'esprit de tout
?
observateur impartial Pourquoi ne pas dégager en effet les
droits des ascendants de l'emprise des père et mère, puisque
la nature et la loi tout à la fois en reconnaissent ou organisent
le nécessaire exercice ?
Que ceux qu'effraie une telle hardiesse
dans le raisonnement considèrent un instant les étapes fran-

!
chies par le législateur depuis le début du xx8 siècle seulement
dans le sens de la protection de l'enfance Ils seront d'accord
avec nous pour constater que la puissance paternelle des père
et mère a été singulièrement restreinte dans les divers domai-
nes où elle est appelée à exercer son influence. Parallèlement
à cette limitation, les magistrats s'arrogent des pouvoirs de
contrôle de plus en plus étendus sur la vie de famille (2).
La présente étude, en donnant aux ascendants la connais-
sance exacte de leurs prérogatives, leur permettra peut-être
de restreindre l'action de la justice en veillant plus scrupu-
leusement sur la personne de leurs petits-enfants.
M. DE JUGLART,
Docteur en droit.

(1) Nées bien souvent (nous le savons), de circonstances de fait, les solutions
jurisprudentielles dont nous avons fait état n'en imposent pas moins certains principes
fondamentaux, qui donnent à la puissance paternelle des ascendants ses traits carac-
téristiques.
(2) Sur cette tendance (et en particulier depuis les décrets-lois de 1935), cf.
Beudant, op. cit., n08 1378, 1384, 1388, 1398; Josserand, op. cit., p. 590', De
Naurois.op. cit., Terrin, op. cit., Gautron, Le contrôle des tribunaux sur Vexcrcico
du droit de garde. Th.. Rennes, 1931. Lebrun, notes précit.
BIBLIOGRAPHIE

I. — TRAITÉS GÉNÉRAUX
AUBRY et RAU. — Cours de Droit Civil Français, d'après la méthode
de Zacharie, 3e édition, tome VI, paragraphe 549.
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personnes, tome V, p. 145.
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bours-Pigeonnière, 2e édition, tome III, p. 39.
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COLIN et CAPITANT. — Cours de Droit Civil, 8° édition, tome I,
N° 442.
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DEMOLOMBE. — Cours de Code Napoléon, 3e édition, tome VI, p. 225.
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tome IV, n° 1718.
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— Cours de Droit Civil positif français, 3e édition 1938,
p.593.
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— Traité de la responsabilité, tome I, p. 664.

II. — THÈSES
BÉRAUD. — La puissance paternelle dans le Code Civil et depuis le
Code civil, Montpellier, 1912.
BOUTET.
— Restrictions successives apportées à la notion de puis-
sance paternelle, Paris, 1905.
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— De l'enlèvement des mineurs et du délit de non-repré-
sentation. Bordeaux, 1907.
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garde. Rennes, 1931.
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— Limitation à la puissance paternelle en droit français
et comparé. Nancy, 1897.
MASSON. — La puissance paternelle de la famille sous la Révolution.
Paris, 1910.
MICHEL. — La réforme de la tutelle en droit comparé. Nancy, 1933
MONSARRAT.
— Le délit de non-représentation d'enfant. Toulouse,
1929.
PELTIER. — Le divorce et la puissance paternelle. Paris, 1908.
PERARD. — De l'influence de la paternité et de la filiation sur
l'incrimination. Paris, 1906.
DU PLESSIS DE GRENEDAN. — Histoire de la puissance paternelle
dans l'ancien droit français depuis les origines jusqu'à la
Révolution. Paris, 1899.
TERRIN. — Contrôle judiciaire de la puissance paternelle sur la
personne des enfants pendant le mariage. Paris, 1934.

III. - ARTICLES

DE NAUROIS. — Contrôle judiciaire de la puissance paternelle.


Revue Critique, 1936, 460.
DESSERTEAUX. — Protection des enfants légitimes après le prédécès
de leur père ou de leur mère. Revue trimestrielle, 1912.
SAVATIER.
— Responsabilité générale du fait des personnes que Von
a sous sa garde. Dalloz Hebdomadaire,. 1933.

IV. - AUTRES OUVRAGES

BLANCHE. Etude sur le Code Pénal. 28 édit., tome V, no 300.



JOSSERAND. — Esprit des. droits. 1927.
LELOIR. — Code de la puissance paternelle, tome I, 1892.
LocRÉ. — Législation de la France.
— Esprit du Code Napoléon.
RIPERT. — La règle morale, 1925.
TAUDIÈRE. — Traité de la puissance paternelle, 1898.

N. B. — Au sujet de l'attribution aux ascendants du droit de


visite, traité"au paragraphe 1 de la Section I, un arrêt de la Ch. Civ.
du 20-7-38 (inéd.) accorde le droit de visite aux ascendants
naturels.
II
RAPPORTS ENTRE LA LÉGISLATION
SUR LES ACCIDENTS
I DU TRAVAIL ET LE RÉGIME
I DES ASSURANCES SOCIALES

H Avant la promulgation de la loi du 9 avril 1898, la victime,


B pour avoir droit à une indemnité, devait prouver que l'acci-
dent était imputable à une imprudence ou à une négligence
H commise soit par l'employeur, soit par l'un de ses préposés.
H La loi du 9 avril 1898 a rendu le chef d'entreprise respon-
H sable de tous les accidents survenus à ses ouvriers en raison
des risques inhérents à l'exercice de leur profession.
H Seules les exploitations industrielles, dont l'article pre-
H mier donnait l'énumération, étaient assujetties à la législation
H sur les accidents du travail.
H Peu à peu, par une série d'étapes progressives, le béné-
fice de cette loi a été étendu aux personnes occupées à la con-
duite ou au service des machines agricoles mues par des
H moteurs inanimés, aux employés de commerce, aux ouvriers
H occupés dans des exploitations forestières et agricoles, aux
H gens de maison, aux concierges, aux serviteurs à gage, aux
B ouvriers atteints de maladies professionnelles. La loi du 18
H juillet 1907 a permis aux employeurs non assujettis, d'adhérer
H à la législation sur les accidents du travai.
H La loi du 9 avril 1898 a d'ailleurs été plusieurs fois remaniée
H avant la promulgation de la loi du 1" juillet 1938.
H Cette nouvelle loi vient d'apporter de très importantes
H modifications au Droit des accidents du travail. Elle a notam-
H ment supprimé la longue nomenclature des entreprises assu-
jetties aux risques professionnels. Désormais, la victime ou
H ses ayants droit pourront toucher les indemnités légales à
:
condition de prouver par tous les moyens, même à l'aide de
simples présomptions
1°que l'ouvrier exécutait, à un titre quelconque, même
d'essai ou d'apprentissage, un contrat valable ou non de louage
de services;
20que l'accident est survenu par le fait ou à l'occasion
du travail en quelque lieu que celui-ci s'effectuait, même si
1

le blessé ne se trouvait pas sous la surveillance effective du


chef d'entreprise.
3° qu'il existe une relation de cause à effet entre l'acci-
dent etle dommage.
La victime, atteinte d'une incapacité temporaire de tra-
vail, a droit à une indemnité journalière égale à la moitié de
son salaire quotidien, à partir du premier jour qui suit l'ac-
cident. Le taux de cette indemnité est porté aux deux tiers
du salaire à partir du trente-troisième jour. Le chef d'entre-
prise doit supporter également le payement des frais médi-
caux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires. Lorsque
l'accident a entraîné une incapacité permanente et partielle
ne dépassant pas 50 %, le blessé a droit à une rente égale à
la moitié de la réduction que l'accident a fait subir à son
salaire annuel. La rente est portée à la totalité de cette réduc-
tion, pour la partie du taux d'invalidité excédant 50
Si l'accident a entraîné une incapacité permanente et
totale, l'ouvrier a droit à une rente égale à 75 du salaire
annuel. Le montant de cette rente est égal à 100 du salaire,
lorsque la victime est obligée d'avoir recours à l'assistance
d'une tierce personne, pour effectuer les actes ordinaires de
la vie. Le grand mutilé a droit, en outre, à une allocation sup-
plémentaire de 3.000 francs, dans les conditions prévues par
la loi du 30 avril 1931.
La victime peut enfin réclamer à son employeur la four-
niture et le renouvellement des appareils de prothèse, qui lui
sont nécessaires en raison de l'infirmité dont il èst atteint.
- -"-
Lorsque l'accident est suivi de mort, le conjoint survivant
adroit à une rente viagère égale à 25 du salaire annuel, à
condition de s'être marié avant l'accident et de ne pas être
divorcé ou séparé de corps.
La loi du 1er juillet 1938 permet exceptionnellement au
conjoint divorcé de toucher une rente, lorsqu'il a obtenu une
pension alimentaire. La rente doit être réduite du montant
de la pension. Elle ne peut jamais dépasser 20. du salaire.
Le conjoint n'a droit à aucune indemnité, s'il a été con-
damné pour abandon de famille ou s'il a abandonné, sans motif
légitime, le domicile conjugal depuis plus de trois ans.
Le législateur alloue aux enfants âgés de moins de seize

:
ans, une rente, qui est calculée sur le salaire annuel de la vic-
time, dans les proportions suivantes

25 s'il yen a deux ; ;


15 %, s'il n'y a qu'un enfant

35 %, s'il y en a trois, et ainsi de suite, la rente étant


majorée de 10 par enfant.
La rente est portée pour chacun d'eux à 20 du salaire,
s'ils sont orphelins de père et de mère.
Les descendants, qui sont privés de leurs soutiens
naturels, bénéficient des mêmes avantages que les enfants.
Les ascendants ont droit, chacun, à une rente viagère
égale à 10 du salaire annuel, s'ils prouvent qu'ils auraient
pu obtenir de la victime une pension alimentaire.
Le Tribunal peut leur allouer une rente, s'ils parviennent
à établir qu'ils étaient à la charge de la victime, même dans
le cas où il existe un conjoint ou des enfants.
Les ascendants n'ont droit à aucune indemnité, s'ils ont
été reconnus coupables d'abandon de famille ou s'ils ont été
privés de la puissance paternelle.
En aucun cas, l'ensemble des rentes allouées aux diffé-
rents ayants droit ne peut dépasser 75 du salaire annuel
de la victime.
Si cette limite est dépassée, les indemnités revenant à
chaque catégorie d'ayants droit font l'objet d'une réduction
proportionnelle.
Le payement des indemnités temporaires est garanti par
le privilège prévu par l'article 2.101 § 6 du Code Civil. En cas
d'insolvabilité du chef d'entreprise, de la Compagnie d'assu-
rances ou du Syndicat de garantie, le payement des rentes est
assuré à l'aide d'un fonds spécial, dont la gestion est confiée
à la Caisse Nationale des Retraites pour la vieillesse.
La loi du 1er juillet 1938 permet en outre aux créanciers
d'exercer une astreinte quotidienne, égale à 1 des sommes
non payées, lorsque les débiteurs restent plus de huit jours
sans leur verser les indemnités temporaires et les rentes qui
leur sont dues.
Les rentes sont incessibles et insaisissables. Elles sont
payables par trimestre et à terme échu, à la résidence du titu-
laire ou chez le préposé de la Caisse Nationale des Retraites,
désigné par la victime ou par ses représentants.
La loi du 25 octobre 1919 a étendu aux maladies profes-
sionnelles le bénéfice de la législation sur les accidents du
travail.
La victime doit prouver qu'elle était habituellement occu-
pée, pendant le délai légal d'incubation, aux travaux indus-
triels correspondant à la maladie professionnelle dont elle est
atteinte.
Lorsque l'ouvrier quitte l'une des exploitations assujetties
à la loi, la responsabilité du chef d'entreprise va en décrois-
sant, en raison du temps écoulé entre le départ et le moment
où survient l'incapacité de travail.
S'il est occupé dans une autre entreprise, également sou-
mise aux risques professionnels, le nouvel employeur n'est
responsable que pour le surplus des indemnités prévues par
la loi.
Néanmoins, s'il est établi que l'un des employeurs a com-
mis une faute inexcusable, ayant pu avoir une répercussion
sur la santé de la victime, le Tribunal peut augmenter sa part
de responsabilité.
Le dernier des employeurs responsables est tenu de payer
les indemnités temporaires et les rentes à la victime ou à ses
ayants droit. Mais il peut exercer un recours contre les précé-
dents chefs d'entreprise. Les tableaux, annexés à la loi du 25
octobre 1919, donnent l'énumération des maladies profession-
nelles et des travaux industriels susceptibles de provoquer
l'intoxication des ouvriers qui y sont employés. Ces tableaux
peuvent être revisés et complétés par des lois ultérieures.
La Commission des maladies professionnelles est spécia-
lement chargée de donner son avis sur les modifications qui
peuvent être apportées à la loi et sur toutes les questions
d'ordre médical ou technique qui lui sont soumises par le
Ministre du Travail.
Le régime des Assurances sociales, institué par la loi du
5 avril 1928, est destiné à protéger les ouvriers contre tous les
autres événements susceptibles de diminuer leur intégrité
physique et leur capacité de travail.
Cette loi a été modifiée par celle du 30 avril 1930. Actuel-
lement, c'est le décret-loi du 28 octobre 1935 qui constitue
le Code de la législation sur les assurances sociales.
Un décret-loi en date du 30 octobre 1935 a modifié le
régime applicable aux assurés de l'agriculture. Enfin la loi du
26 août 1936 a apporté diverses modifications aux dispositions
édictées par le décret du 28 octobre 1935.
L'assurance maladie couvre les frais de médecine géné-
rale et spéciale, les frais pharmaceutiques, les frais d'hospi-
talisation, de transport, d'interventions chirurgicales et de
traitement dans un établissement de cure, qui sont jugés néces-
saires, pour l'assuré, son conjoint et les enfants de moins de
16 ans, non salariés, à la charge de l'assuré, qu'ils soient légi-
times, naturels, reconnus, recueillis, adoptifs ou pupilles de la
nation, dont l'assuré est le tuteur.
En cas de maternité, l'assuré et sa femme reçoivent une
prestation représentant l'ensemble des frais médicaux et
pharmaceutiques relatifs à la grossesse, à l'accouchement et
à ses suites.
Lorsque l'assuré a été victime d'un accident qui n'est pas
et
régi par la loi du 9 avril 1898 qu'après la consolidation de
la blessure, il reste atteint d'une infirmité réduisant au
moins des deux tiers sa capacité de travail, il a droit à une
pension d'invalidité.
Il en est de même s'il est atteint d'une maladie qui a duré
plus de six mois et qui a entraîné pour lui une affection rédui-
sant sa capacité de travail dans les mêmes proportions.
L'assurance-vieillesse garantit une pension de retraite à
l'assuré qui a atteint l'âge de soixante ans.
L'assurance-décès assure aux ayants droit de l'ouvrier, le
paiement à son décès d'un capital fixé à 20 du salaire cor-
respondant à la double contribution effectivement versée, pen-
dant les quatre derniers trimestres civils précédant, soit celui
du décès, s'il est subit, soit celui de la maladie ou de l'acci-
dent qui a entraîné la mort de l'assuré.
Enfin, l'article 15 du décret du 28 octobre 1935 décide que
tout assuré, de nationalité française, se trouvant en état de
chômage involontaire par manque de travail, et inscrit à un
office public de placement, a droit au versement d'une cotisa-
tion forfaitaire de trente francs par trimestre civil, compor-
tant au moins 50 jours de chômage constaté, sans que ce ver-
sement puisse être effectué pour plus de deux trimestres con-
sécutifs au cours d'une même année civile.
L'article 20 du décret du 28 octobre 1935 stipule que les
maladies et les blessures indemnisées ou susceptibles d'être
indemnisées au titre de la loi sur les accidents du travail ne
donnent pas lieu aux prestations en nature ou en argent des
assurances maladie, invalidité et décès.
C'est au moment de la naissance du droit aux prestations
qu'il faut se placer pour apprécier si l'accidenté est indemnisé
ou susceptible d'être indemnisé par la législation des acci-
dents du travail.
La règle édictée par l'article 20 s'applique, non seulement
aux accidents indemnisés effectivement, mais encore à ceux
qui ne l'ont pas été, par l'effet des règles propres aux accidents
du travail.
L'assuré victime d'un accident du travail ou d'une mala-
die professionnelle a seulement droit au payement des demi-
salaires et au remboursement des frais médicaux et pharma-
ceutiques, tant qu'il n'est pas guéri ou que sa blessure n'est
pas consolidée. Mais si l'incapacité temporaire totale dont il
est atteint a duré plus de six jours, il a droit à l'allocation
journalière, prévue par les articles 7 et 9 du décret du 28 octo-
bre 1935, à partir de la guérison ou de la consolidation de la
blessure, sans déduction du délai de carence.
Lorsque le taux d'incapacité permanente partielle, causée
par un accident du travail, vient à s'aggraver, la victime a le
droit de former une demande en révision, pendant un délai
de trois ans, à compter, soit de la date à laquelle cesse d'être
due l'indemnité journalière, s'il n'y a point eu attribution de
rente, soit de l'accord intervenu entre les parties ou de la déci-
sion judiciaire, passée en force de chose jugée, même si la
pension a été remplacée par un capital.
Le titulaire d'une rente allouée en vertu de la législation
sur les accidents du travail, qui voit son état d'invalidité subir
une aggravation imputable à une cause autre que celle qui a
ouvert le droit à la rente, peut réclamer le bénéfice de l'assu-
rance invalidité, à une double condition. Il faut :
1° que le degré total d'incapacité permanente partielle,
dont il est atteint, soit au moins égal à 66 ;

20 que la rente à laquelle il a droit en vertu de la législa-


tion des accidents du travail, soit inférieure à la pension
allouée à l'assuré en vertu de l'article 10 du décret-loi du
28 octobre 1935.
La pension d'assurance doit être liquidée pour un mon-
tant égal à la différence entre la pension et la rente.
Dans ce cas spécial, le décret du 28 octobre 1935 admet
le cumul des invalidités, tout en prohibant celui des rentes.
Lorsqu'un assuré a été victime d'un accident du travail
ou d'une maladie reconnue comme ayant un caractère profes-
sionnel, il peut recevoir, à titre provisionnel, les prestations de
l'assurance maladie.
Mais il faut, pour cela, trois conditions:
1° L'assuré doit justifier des conditions de versement
fixées à l'article 8 du décret du 28 octobre 1935.
2° Il faut ensuite que le droit de l'assuré aux réparations
prévues par la législation des accidents du travail, soit con-
testé par son employeur ou par la compagnie d'assurances qui
lui est substituée.
30 L'assuré doit justifier, enfin, qu'il a engagé une action
judiciaire, en vue de faire reconnaître son droit.
En pareil cas, la caisse d'assurance peut intervenir dans
l'instance.
Si l'assuré succombe en sa demande, les prestations qui
lui ont été versées lui restent définitivement acquises.
Lorsque l'accident entraîne une incapacité de travail de
plus d'un mois, l'assuré a droit au versement à son compte
d'une cotisation forfaitaire de 12 francs pour chaque mois
entier, au delà du premier mois, pendant la période d'inca-
pacité indemnisée.
Cette cotisation est versée dans les conditions prévues à
l'article 2 du décret du 28 octobre 1935. Elle est à la charge
de l'employeur ou de l'assureur qui lui est substitué.
L'assuré qui a été victime d'un accident du travail, tout
en bénéficiant des dispositions de la loi du 9 avril 1898, con-
serve, pour toute maladie qui n'est pas la conséquence de l'ac.
cident, ses droits aux prestations prévues par les articles 6 et
suivants du décret du 28 octobre 1935.
Marcel BLUM,
Licencié es Lettres.
Juge au Tribunal Civil JeTroycs..
EXAMEN DOCTRINAL DE JURISPRUDENCE

ÉTAT DES PERSONNES

SOMMAIRE

1. - Nom patronymique :imprescriptibilité du nom et acquisition du nom

11. - ::
par la possession prolongée.
Mariage mariage putatif et mariage inexistant.
HI. - Divorce 1°Des différentes pensions qui peuvent être dues au
cours de l'instance en divorce et pendant la liquidation du
régime matrimonial.
2° La pension de l'art. 301 C. Civ. après le divorce.
IV. — Filiation légitime
conceptus.
: »
la présomption de paternité et la règle « infans

V. — Filiation naturelle : 1°De la pluralité de reconnaissances et de


l'action en contestation de l'art. 339 C. Civ.
2° Le commencement de preuve par écrit de l'art. 341
Code Civil.
3° Le commencement de preuve par écrit de la séduction
dans les actions en recherche de paternité.
40 De l'utilisation des résultats de l'analyse du sang
dans les actions en recherche de paternité.
5° Contre qui l'action en recherche de paternité doit-elle
être intentée lorsque le père prétendu est mineur ?
60 Le défendeur à l'action en recherche de paternité
après le décès du père prétendu.
VI.
- Légitimation : 1°De la légitimation des enfants adultérins réputés
conçus au cours d'une période de séparation légale.
2° De la reconnaissance qui peut servir de base à la

VII.
— Obligation alimentaire :
légitimation post nuptias des enfants adultérins.
1° Du caractère déclaratif de la décision
statuant sur la pension alimentaire.
2° Le recours entre codébiteurs d'aliments.
VIII. — Puissance paternelle : 1°Des droits du parent qui n'est pas
détenteur de la puissance paternelle.

IX. - :
2° Des droits des ascendants.
Interdiction 1°De la nomination de l'administrateur provisoire.
2° De la validité des actes passés par l'interdit au vu
et au su du tuteur.

§ I. - NOM PATRONYMIQUE. Imprescriptibilité du nom et acqui-


sition du nom par la possession prolongée (Rennes, 20 no-
vembre 1933, Gaz. Pal., 1934, 1. 81 ; Req., 14 avril 1934,
D. H., 1934, 265 ; Req., 24 avril 1934, S., 1934, 1. 220 ;
Paris, 17 juin 1937, S., 1937, 2.
190).

L'imprescriptibilité du nom n'empêche pas le temps d'exer-


cer sur lui son influence (Planiol, Ripert et Savatier 1.1, n° 118;
Beudant, Lerebours-Pigeonnière et Batiffol, t. II, n° 419).
L'arrêt de la Chambre des Requêtes du 14 avril 1934 qui
affirme que « la prescription est inadmissible dans une matière
»
régie par l'article 2226 Code Civil prend soin d'ajouter que
« l'usage et la possession qui exercent leur action inévitable
sur les noms comme sur toutes choses, peuvent cependant être
quelquefois pris en considération pour légitimer l'usage d'un
nom ». Cette formule qui contient la reconnaissance du prin-
cipe de l'acquisition du nom par la possession prolongée est
déjà celle dont la Cour de Cassation s'était servie dans l'arrêt
de Cruzol d'Uzès (Req., 15 mai 1867, D. P., 1867-1-241) et dont
elle avait fait application dans l'affaire de Béthune Sully (Civ.,
6 mars 1923, S., 1924-1-177, Note E. H. Perreau). Faisant appli-
cation du même principe, la Cour de Paris, par un arrêt du
17 juin 1937, décide qu'un sieur de Rémusat est fondé à se
plaindre de l'usurpation de la particule par un sieur Rémusat,
le premier ayant acquis le droit à la particule qu'il porte
« par un long et illustre usage sanctionné par notre histoire
nationale »,
alors même que le nom de ses ancêtres au
XVIIIe siècle n'aurait pas compris cette particule.
Mais si l'on peut acquérir ainsi un nom ou une particule
par l'usage, il ne semble pas que l'on puisse les perdre par
non-usage. La jurisprudence autorise, en effet, toujours une
personne à reprendre le nom auquel ses ancêtres avaient droit
et surtout la particule dont ils faisaient usage, afin de lui
permettre de retrouver avec une jeunesse nouvelle le signe de
leur ancienne noblesse. C'est ainsi que la Cour de Rennes, par
unarrêt du 20 novembre 1933, a fait droit à une action en recti-
fication d'un acte de naissance tendant à rétablir dans le
nom une particule abandonnée depuis plus d'un siècle ;
un arrêt de la Chambre des Requêtes du 24 avril 1934 recon-
naît dans une affaire analogue que le demandeur aurait eu
droit à la particule convoitée, s'il avait réussi à démontrer
que ses ancêtres la portaient à la fin de l'Ancien Régime.
Ainsi d'après la jurisprudence, on ne perd pas un nom
ou une particule pour avoir cessé d'en faire usage, mais on
peut les acquérir par la possession prolongée si l'on n'y avait
pas droit auparavant. Pour expliquer cette jurisprudence, on
pourrait être tenté de soutenir que la possession prolongée

mique, et non comme mode d'acquisition de ce nom ;


n'est retenue que comme mode de preuve du nom patrony-
mais en
réalité, l'examen des arrêts de la Cour de Cassation ne permet
pas de soutenir cette interprétation, et l'affirmation suivant
laquelle « l'usage et la possession exercent leur action inévi-
table sur les noms comme sur toutes choses » démontre bien
qu'il ne s'agit pas d'une simple question de preuve, mais d'une
véritable transformation du nom par le temps. Il faut approu-

de la fixité du nom;
ver cette jurisprudence qui limite raisonnablement le principe
s'il est interdit de porter un nom autre
que celui qui est mentionné dans l'acte de naissance et si le
nom qui doit figurer dans l'acte est celui auquel le père avait
lui-même droit, c'est pour éviter un changement qui trouble-
rait les relations sociales. Mais lorsque le temps a passé, c'est
le rétablissement du nom primitif qui troublerait les <tiers,
c'est le maintien de l'état de choses qui importe à l'intérêt
général (v. conclusions de M. l'Avovat Général Favre, D. P.,
1867-1-241).
S'il en est ainsi, on ne devrait pas seulement acquérir un

;
nom par la possession prolongée, on devrait également perdre
le nom primitif les deux idées sont complémentaires. Les
raisons qui conduisent à consolider le nom porté sans contes-
tation pendant plusieurs générations devraient faire interdire
la recherche d'un nom ou d'une particule abandonnés depuis
aussi longtemps. On pourrait sacrifier sans scrupule, semble-
t-il, ces actions qui ne tendent qu'à une simple satisfaction
d'amour-propre, car un individu ne peut se plaindre de porter
le nom sous lequel sa famille est connue depuis plus d'un
siècle.

§ II.- MARIAGE PUTATIF ET MARIAGE INEXISTANT. (Alger, l"

;
février 1933, D. P., 1934, 2. 104 ; Req., 14 mars 1933, D. H.,
1933, 219, S., 1933, 1. 168 Req., 14 mars 1933, D. P., 1933,

;
1. 28 rapport Pilon, S., 1934, 1. 161, Note Solus et rapport
Pilon Aix, 11 décembre 1933, D. P., 1936, 2. 57, Note Nast,
Douai, 1" avril 1936, D. P., 1936, 2. 70, Note Rouast ; Bor-
deaux, 16 juin 1937, D. H., 1937, 539.)
Un mariage inexistant ne devrait pas logiquement pouvoir
être considéré comme putatif (Aubry et Rau, 58 éd., t. VII
§ 460, note 1). L'article 201 Code Civil ne prévoit, en effet,
l'éventualité des effets du mariage putatif que pour « le
mariage qui a été déclaré nul » ; or, les mariages qui doivent
rester inefficaces en raison d'un vice substantiel qui n'est
pas prévu par le Code comme cause de nullité, ne peuvent
répondre à cette condition puisque, dans la théorie de l'inexis-
tence, le juge se borne à constater l'inefficacité de ces mariages
sans avoir à prononcer leur nullité.

;
C'est, en pratique, à propos du défaut de célébration du
mariage que les difficultés se posent il est certain, à cet égard,
qu'à défaut de toute célébration, il ne saurait y avoir de ma-
riage putatif. C'est ce qu'a mis en relief un arrêt de la Cour
d'appel d'Aix du 11 décembre 1933 : dans cette affaire, un
enfant se fondait sur l'article 197 du Code Civil pour établir sa

de ses parents ;
légitimité, à défaut de pouvoir représenter l'acte de mariage
mais l'adversaire ayant rapporté la preuve du
mariage du père avec une autre femme que la mère au moment
de la naissance, l'enfant soutenait que l'on devait néanmoins
faire jouer la présomption de l'article 197 tant que la mauvaise
foi de la mère n'avait pas été démontrée. La Cour d'Aix a
réfuté ce raisonnement en faisant valoir que l'article 197 étant
écarté par la preuve contraire, il ne saurait y avoir lieu à l'ap-
plication de la théorie du mariage putatif qu'autant qu'une

au préalable, rapportée;
preuve de la célébration du mariage allégué de la mère serait,
et l'arrêt précise « qu'il est de prin-
cipe que c'est à celui qui réclame les effets du mariage putatif
de rapporter la preuve indispensable de sa célébration ». Il est

mariage à en rapporter la preuve ;


certain, en effet, que c'est à celui qui réclame les effets d'un
et la question de savoir si

:
ce mariage est ou non putatif ne se pose que lorsque la célé-
bration a eu lieu c'est ce qui empêche les concubins de pré-
tendre aux effets du mariage putatif, sans que l'on ait à
prouver leur mauvaise foi.
Mais les difficultés apparaissent lorsque l'on se demande
quelle est l'influence des irrégularités qui entachent la célébra-
tion : le moindre simulacre de cérémonie ne peut évidemment
répondre aux exigences de la loi. En réalité, il n'y a pas d'au-
tre critérium que celui qui consiste à rechercher si la célébra-
;
tion intervenue pouvait justifier la bonne foi il en résulte une
dérogation au principe suivant lequel la bonne foi se présume,
mais cette dérogation est imposée par la règle précédemment
dégagée, suivant laquelle le mariage putatif suppose la preuve

;
préalable d'une célébration suffisante. C'est ce qui ressort très
nettement des arrêts intervenus sur ce point ils ne se conten-
tent pas de constater que la mauvaise foi n'est pas établie, ils
reconnaissent expressément que la célébration irrégulière pou-
vait justifier la bonne foi de l'époux qui invoque la théorie du
mariage putatif. Il en a été ainsi notamment pour un mariage
célébré en Algérie par un rabbin entre israëlites français (Req.,
14 mai 1933 et civ., 5 janvier 1910, S., 1912, 1. 249, note
Naquet) ; pour un mariage célébré entre un musulman et une
française suivant la forme kabyle (Alger, 1" février 1933) ;
pour un mariage contracté en France devant un consul étran-
ger par un étranger et une française, (Douai, 1" avril 1936, et
civ., 30 juillet 1900, S., 1902, 1. 225, note Wahl) ; pour un
mariage in extremis célébré en Suisse par un prêtre (Bordeaux,
16 juin 1937 ; v. sur cet arrêt les observations de M. Lagarde,
Rev. trim. D. civ., 1938. 75). Tous ces arrêts affirment que la
célébration irrégulière a pu justifier la bonne foi, ce qui se
comprend d'autant mieux que toutes ces formes de célébra-
tion auraient pu conduire à un mariage valable en d'autres
circonstances ou pour d'autres époux.
Et lorsque la Cour de Cassation a refusé de faire applica-
tion de la théorie du mariage putatif aux unions contractées
en Guinée par un administrateur colonial français avec deux
femmes indigènes, suivant les rites du pays, c'est parce que
cette célébration irrégulière n'avait pu justifier la bonne foi des
épouses (Req., 14 mars 1933) ; la Cour d'appel avait, en effet,
affirmé que les femmes n'avaient pas cru contracter un
mariage français dont elles n'avaient pas la notion, mais seule-
ment des unions indigènes, devant leur procurer certains avan-
tages temporaires et une situation relativement stable. Or,
pour la Cour de Cassation, la bonne foi doit comporter la
croyance aux effets normaux d'un mariage au sens de notre
civilisation et non pas à une union d'ordre inférieur. Si au
contraire l'union avait été contractée avec une femme au cou-
rant des mœurs européennes et pouvant démontrer qu'elle
croyait aux effets normaux d'un mariage français bien que les
rites du pays aient été observés, la Cour de Cassation aurait
admis l'application de la théorie du mariage putatif.

§ III. — DIVORCE. 1°Des différentes pensions alimentaires qui


peuvent être dues au cours de l'instance en divorce et pen-
dans la liquidation du régime matrimonial (Req. 15 février
1938, Gaz. Pal., 15 avril 1938 ; Paris, 20 janvier 1938, D. II.,
1938, 204 ; Civ., 26 juillet 1937, D. H., 1937, 453, S., 1937.
1. 333 ; Civ., 11 mai 1937, D. H., 1937,334 ; Req., 1" février
1937, D. H., 1937,220 ; Civ., 11 janvier 1937, D. P., 1938.
1. 37, note Melle Vandamme, S., 1937, 1. 133 ; Civ., 4 novem-
bre 1936, S., 1937, 1. 51 ; Civ., 16 mars 1933, D. H., 1933,
394,S., 1933, 1. 379).

Les différentes pensions alimentaires qui peuvent être

:
dues au cours de l'instance en divorce et pendant la liquida-
tion du régime matrimonial sont de trois sortes les pensions
antérieures à la décision définitive sur le fond, les pensions
I
allouées par la décision de divorce jusqu'à la liquidation et la
] pension de l'article 301, sans parler de la pension qui peut
) être due pour l'entretien des enfants et qui obéit à des règles
différentes.
Les pensions allouées au cours de l'instance ont un carac-
tère qui demeure incertain tant que la décision sur le fond
n'est pas devenue définitive : au cas de rejet de la demande,
la pension se trouve avoir été versée en vertu de l'obligation
alimentaire entre époux de l'article 212 du Code Civil, qui est
censée n'avoir jamais pris fin. Au contraire, en cas de succès,
la pension alimentaire doit être imputée sur les reprises de
l'époux à qui elle a été versée, en raison de la rétroactivité du
;
divorce dans les rapports pécuniaires des époux (art. 252 C.
Civ.). C'est ce qui ressort de l'arrêt de la Chambre Civile du 26
juillet 1937 qui précise que si la femme a droit aux fruits pro-
duits par les biens qui composent son émolument depuis le
jour de la demande, « les dépenses afférentes à son entretien
pendant le même laps de temps sont imputables d'abord sur
lesdits fruits, de telle sorte que le mari peut retenir les arréra-
ges versés sur les revenus qu'il restitue» et « que l'excédent
de ces arrérages par rapport aux revenus dont s'agit. reste
;

:
seul à sa charge définitive conformément à l'article 212 » (V.
dans le même sens Civ., 11 mai 1937). Ces arrêts ne prévoient

î
!,
;
l'imputation de la pension que sur les revenus et non sur le
capital restitué cette réserve s'explique par cette considéra-
tion que la rétroactivité de la liquidation n'empêche pas que
I les devoirs entre époux, et en particulier le devoir de secours,
j n'aient subsisté jusqu'au jour où le jugement est devenu défi-
l nitif ; si les revenus de la femme étaient insuffisants pour as-
|
surer son entretien, le mari était encore tenu d'y suppléer sur
t ses propres ressources.
Les pensions alimentaires accordées provisoirement pen-
dant l'instance continuent à être payées en principe jusqu'au
jour où la décision qui prononce le divorce est devenue défini-
tive, c'est-à-dire même après le pourvoi en cassation qui a en
cette matière un caractère suspensif (Paris, 20 janvier 1938) ;
mais la pension alimentaire, ayant toujours un caractère pro-
visoire et révocable, peut être modifiée ou supprimée par une
nouvelle décision dont l'exécution provisoire peut être ordon-
née (Req., 1" février 1937 ; Req. 15 février 1938). -
;
Lorsque le divorce est devenu définitif, la pension alimen-
taire ne doit plus être payée mais, en attendant la liquida-
tion, la décision qui prononce le divorce peut allouer à la
femme une autre pension à titre d'avance sur ses reprises.

;
Cette pension devra être imputée, non seulement sur les reve-
nus des reprises, mais le cas échéant, sur le capital l'excédent
de la pension sur les revenus ne peut plus être mis en effet à

;
la charge du mari, puisque le devoir de secours entre époux
n'existe plus et s'il apparaît dès à présent que la liquidation
ne procurera aucun émolument à la femme, il y a lieu de sup-
primer immédiatement cette pension (Civ., 16 mai 1933).

les pensions précédemment envisagées :


La pension de l'article 301 doit être enfin combinée avec
cette pension ne peut
être réclamée qu'au jour où la décision de divorce est devenue
définitive, mais l'époux au profit duquel elle est accordée y a
droit alors rétroactivement à partir du jugement ou de l'arrêt,
et peut prétendre la cumuler avec la restitution des intérêts
de ses reprises (Civ., 4 novembre 1936) ; il y a lieu toutefois
de remarquer que cette pension représentant la réparation de
la privation du droit de secours, ne saurait être cumulée avec
la pension versée au cours de l'instance dans la mesure où cel-
le-ci excédait les revenus des reprises de l'époux à qui elle était
payée, puisque, dans ce cas, cet excédent était déjà supporté
par l'autre époux en vertu du devoir de secours.
Il importe également de ne pas confondre la pension de
l'article 301 avec la pension qui peut être accordée pendant la
période de liquidation à titre d'avance sur les reprises. La

pourrait le penser :
distinction n'est pas toujours aussi facile à faire qu'on
c'est ainsi que dans une affaire où
le caractère de la pension allouée à la femme pendant
la liquidation n'avait pas été nettement précisé, le mari
soutenait qu'il ne pouvait s'agir que d'une avance sur
les reprises, alors que la femme objectait que la pension
avait un caractère indemnitaire et devait donc se cumuler
avec les reprises. La liquidation ayant duré quatre ans,
la femme se trouvait avoir reçu à titre de pension une
;
somme supérieure au montant de ses reprises pour éviter la
ruine de cette femme qui avait obtenu le divorce à son profit,
la Cour de Paris fit droit à sa prétention en alléguant que la
pension représentait la réparation du préjudice résultant de
la privation de son capital pendant la liquidation. La Cham-
bre Civile rejeta, le 11 janvier 1937, le pourvoi formé contre cet
arrêt en affirmant « que la seule limitation de la durée de la
pension litigiéuse à la période de liquidation de la commu-
nauté, n'a pas nécessairement pour effet de lui conférer ipso

de ;
facto un caractère purement alimentaire et provisoire à charge
restitution par la femme que cette limitation n'exclut nul-
lement l'application de l'article 301 et le caractère de répara-
tion du préjudice causé à la femme par la rupture du lien con-
jugal due à la faute du mari ». Bien que l'arrêt vise l'article

la privation du droit de secours ;


301, le préjudice dont il fait état n'est pas celui qui résulte de
on comprendrait d'ailleurs

serait limitée à la période de liquidation ;


mal pourquoi une pension destinée à réparer ce préjudice
le seul préjudice

:
dont la Cour de Cassation pouvait tenir compte était celui qui
était relevé par la Cour de Paris la privation du capital pen-
dant la période de liquidation. Mais comme il lui était difficile
de justifier la solution donnée par l'arrêt par les principes du
droit commun en matière de tetard dans le paiement d'une
somme d'argent, elle y a vu la réparation d'un préjudice causé
par la rupture du lien conjugal, afin de trouver une justifi-

tée normale (V. sur ce point


et Breton, t. III, n° 862).
:
cation dans l'article 301, qu'elle étend ainsi au-delà de sa por-
Beudant, Lerebours-Pigeonnière

2° La pension de l'article 301 du Code Civil après le divorce

8 mars 1934, D. H., 1934, 292


D. P., 1936, I. 109, note Savatier
;;
(Civ., 17 janvier et 28 juin 1934, S., 1934, 1. 221 ; Lyon,
Req., 12 mai 1936,
Montpellier, 16
février 1937, D. H., 1937, 229 ; Req., 15 février 1938, D. H.,
1938,211).
En faisant prévaloir tantôt le caractère indemnitaire, tan-
tôt le caractère alimentaire de la pension de l'article 301 du
Code Civil, la Cour de Cassation a été conduite à consacrer des
:
solutions qui paraissent difficilement conciliables elle admet,
d'une part, que l'aggravation de l'état de besoin existant au
moment du divorce peut justifier postérieurement une augmen-
tation de la pension (Req., 12 février 1934 ; Civ., 17 janvier et
28 juin 1934 ; Req., 12 mai 1936), mais elle décide, d'autre
part, que l'état de besoin qui n'apparaît qu'après le divorce ne
peut justifier l'allocation d'une pension nouvelle (Civ., 18
octobre 1926, D. P., 1927, 1. 101, Note Rouast ; Req., 15 février
1938). Et ce sont les mêmes événements, maladie ou revers de
fortune, qui entraînent une augmentation de la pension, sans
pouvoir justifier l'allocation d'une pension entièrement nou-
velle.
L'explication de cette différence de solutions ne doit pas
être recherchée dans une règle qui imposerait de déterminer

divorce :
le droit à la pension dans la décision même qui prononce le
la Cour de Cassation a reconnu que, le Code ne fixant
aucun délai pour liquider la pension, elle pouvait être allouée
par une décision postérieure au divorce (Civ., 10 mars 1891,
D. P., 1891, 1. 175 ; Civ., 18 octobre 1926, préc.). Dans ces con-
ditions, il semble qu'il n'y ait aucune raison de distinguer en-
tre l'événement qui aggrave l'état de besoin et celui qui le fait
apparaître : dans les deux cas, la question qui se pose est
celle de savoir si un préjudice postérieur au divorce peut être

:
pris en considération pour fixer le montant de la pension de
l'article 301 (en ce sens Lagarde, Rev. Trim. D. Civ., 1938.
439).
La difficulté provient de ce qu'il y a deux manières possi-
bles d'interpréter l'article 301 : on peut y voir une consécra-
tion du droit commun de la responsabilité, un rappel pur et
simple de l'article 1382 du Code Civil, qui suffirait à permettre

;
à l'époux innocent la réparation du préjudice causé par la
privation du droit de secours on peut y voir au contraire
une règle spéciale qui a pour but de maintenir après le divorce
une obligation alimentaire unilatérale au profit de l'époux in-
nocent. La différence entre les deux systèmes se manifeste rela-

divorce:
tivement à l'appréciation des événements postérieurs au
alors que les principes du droit commun de la res-
ponsabilité n'imposent la réparation que du préjudice qui est
la conséquence directe de la faute et conduisent donc à recher-
cher parmi les événements postérieurs au divorce ceux qui peu-
vent y être rattachés, l'obligation alimentaire impose au con-

quelle que soit l'origine de son état de besoin ;


traire à l'époux coupable de secourir son ancien conjoint,
il est même
admis en matière de pension alimentaire que la faute du
créancier ne le prive pas de son droit (Planiol, Ripert et
t.
Rouast, II, n° 33).

rence pour le premier système :


La Cour de Cassation a paru jusqu'ici marquer sa préfé-
elle affirme en effet dans ses
arrêts « que la pension de l'article 301 a son fondement dans
la réparation du préjudice causé à l'époux divorcé par la perte
des droits de secours auxquels il pouvait prétendre durant le
»
mariage et elle en tire cette conclusion que seul le préjudice
se rattachant directement au divorce peut être pris en consi-
dération (Civ., 18 octobre 1926 ; 17 janvier et 28 juin 1934 ;
Req., 15 février 1938). Ce caractère indemnitaire retenu par
la Cour de Cassation n'est pas en contradiction avec la révi-

révèle postérieurement au divorce ;


sion qu'elle admet, car le véritable préjudice est celui qui se
logiquement, elle devrait
également tenir compte de l'état de besoin qui apparaît après
le divorce lorsqu'il peut en être considéré comme la consé-
quence. Mais l'appréciation du lien de causalité qui est tou-
jours très délicate soulève ici des difficultés toutes particu-
lières : il s'agit de rechercher si l'altération de la santé est une
conséquence de l'état du conjoint au moment du divorce, si
les spéculations qui l'ont ruiné étaient ou non imprudentes,
étant donné les circonstances économiques. A mesure que l'on
s'éloigne du divorce le lien de causalité devient de plus en plus
fuyant, et l'on risque de tomber dans l'arbitraire.

en matière de révision le premier système ;


Pour éviter ce danger, la Cour de Cassation a abandonné
l'arrêt de la Cham-
bre des Requêtes du 12 mai 1936 rejette un pourvoi formé
contre un arrêt qui avait accordé une augmentation de pension
sans constater que l'aggravation de l'état de besoin était une
conséquence directe du divorce, et pour justifier cette solu-
tion, la Cour de Cassation se borne à affirmer que, malgré son
caractère indemnitaire, la pension de l'article 301 « est sou-
mise à toutes les règles prescrites en matière d'aliments :..,
:
Ainsi, c'est au second système que se rallie cet arrêt la pen- RI
sion n'est que l'exécution de l'obligation alimentaire et cela ]
suffit à en justifier la révision lorsque les ressources du créan- Bj

;
cier ou du débiteur se modifient. Cette interprétation de l'ar- BJ
ticle 301 doit être approuvée pour donner un sens utile à ce Kl
texte, il faut admettre qu'il ne se borne pas à consacrer les H
principes normaux de la responsabilité civile, mais qu'il crée H
une véritable peine contre l'époux coupable en lui infligeant B
la charge d'une obligation alimentaire. L'évolution de juris- B
prudence annoncée par cet arrêt aurait dû conduire la Cour B
de Cassation à admettre que la pension était également due B

ce sens :
lorsque l'état de besoin n'apparaissait qu'après le divorce (en B
Savatier, note D. P., 1936, 1. 109 ; Esmein, chronique
Gaz. Pal., 13 mai 1937) ; l'obligation alimentaire étant main- B
B

moment ;
tenue, l'époux innocent devrait pouvoir s'en prévaloir à tout B
cependant, l'arrêt de la Chambre des Requêtes du I
15 février 1938 persiste dans la jurisprudence antérieure, et
refuse de tenir compte de « nécessités postérieures au I
I
divorce ». Ce n'est là, en définitive, que l'une des manifesta- I
tions des hésitations de la jurisprudence sur le caractère de la I
pension de l'article 301 (Ripert, Le caractère de la pension ali- I
mentaire en cas de divorce, D. H., 1927, chronique, p. 53 ;
Planiol, Ripert et Rouast, t. II, n° 637 ; Beudant, Lerebours- I
I
Pigeonnière et Breton, t. III, n" 859 et 860).

§ IV. — FILIATION LÉGITIME. La présomption de paternité et


la règle « infans conceptus. » (Civ., 4 janvier 1935, D. P.,
1935, I. 5, Note Rouast, S., 1936, 1. 17, Note Esmein ;
Bastian ;
Rouen, 20 juin 1935, D. H., 1935, 498, S., 1936, 2. 199, Note

Lagrange)
Civ., 2 juillet 1936, D. P., 1936, 1. 118, Note Mlle de

La règle c infans conceptus pro nato habetur quoties de


commodis ejus agitur » concerne la détermination des droits
qu'un enfant légitime peut réclamer, elle ne concerne pas la
détermination de la légitimité (Beudant, Lerebours-Pigeon-
nière et Breton, t. III, n° 967). La détermination de la légi-
timité résulte des présomptions contenues dans les articles 312
et
conception se situe dans les délais prévus par le Code :
suivants du Code Civil et s'impose à tous les enfants dont la

leur appartient pas de choisir eux-mêmes la date de leur con-


il ne

ception pour se dire légitimes ou non suivant leur conve-


nance : les règles sur la détermination de la filiation sont,
en effet, d'ordre public, leur application n'est pas laissée à la
libre volonté des particuliers La règle « infansconceptus. »,

lement s'il s'en prévaut ;


au contraire, n'intervient que dans l'intérêt de l'enfant et seu-
elle concerne d'ailleurs les enfants
naturels comme les enfants légitimes (Planiol, Ripert et Sava-
ticr, t. I, n° 11) et leur permet de faire remonter leur person-
nalité juridique à la date extrême des délais de conception si
cela est nécessaire pour acquérir un droit.
C'est à la lumière de ces principes que l'on doit examiner
les arrêts de la Chambre Civile du 4 janvier 1935 et du 2 juil-
let 1936 qui ont soulevé des critiques très vives de la part de
certains auteurs (notes Rouast, Esmein, Bastian et de Lagran-
ge). Dans la première affaire, un enfant né 244 jours après
l'accident du travail survenu à son père réclamait une rente
en vertu de la loi du 9 avril 1898 ; son père était, en effet,
décédé des suites de l'accident, mais après avoir contracté ma-
riage le lendemain même de l'accident. Pour avoir droit à la
rente, l'enfant devait démontrer tout à la fois qu'il avait une
existence juridique au jour de l'accident et qu'il était légi-
time ; la loi refuse, en effet, la rente aux enfants naturels non
reconnus au moment de l'accident et la jurisprudence la
refuse aux enfants légitimes qui ne sont pas au moins conçus
au jour de l'accident.
La légitimité de l'enfant n'était pas contestable puisqu'il

jours avant sa dissolution;


était né plus de 180 jours après le mariage et moins de 300
quant à l'existence de l'enfant au
jour de l'accident, elle résultait de la règle « infans concep~
tus. », l'enfant pouvant faire remonter sa personnalité juri-
dique à cette date antérieure de moins de 300 jours à sa nais-
sance. Pour contester à l'enfant le droit à la rente, on lui ob-
jecta que s'il faisait remonter sa personnalité au jour de l'ac-
cident, il n'était pas encore légitime à ce moment puisque
l'accident était antérieur au mariage. Ce raisonnement fut
admis par la Cour de Rouen qui refusa la rente par un arrêt
en date du 2 décembre 1931. Cesystème, qui refuse à l'enfant
légitime de faire remonter sa personnalité au delà du mariage,
repose sur l'idée que la règle « infans conceptus. » estliée
à la détermination de la légitimité, mais rien n'impose cette
solution. La règle « infans conceptus. » est une fiction, car
c'est toujours une fiction de faire remonter la personnalité
d'un individu au delà de sa naissance, mais dès lors que l'on
admet cette fiction dans l'intérêt de l'enfant, il faut lui donner
toute la portée qu'elle comporte : étant acquis d'après les
règles sur la détermination de la légitimité qu'un enfant est
légitime, il faut lui permettre de faire remonter sa personnalité
d'enfant légitime à la limite extrême du délai de conception,
même au delà du mariage si cela est exigé par son intérêt.
C'est ce qu'a reconnu la Cour de Cassation en cassant l'arrêt
de la Cour de Rouen par un arrêt en date du 4 janvier 1935.
Dans la seconde affaire, la situation était analogue, à cette

;
différence près que l'enfant était né dans les 180 premiers
jours du mariage on pouvait, par suite, être tenté de soutenir
que cet enfant était légitimé et non pas légitime, et que lors-
qu'il faisait remonter sa personnalité au delà du mariage,
c'était à titre d'enfant naturel. Mais la Cour de Cassation avait
déjà condamné cette thèse dans l'affaire Degas (Civ., 8 jan-
vier 1930, S., 1930, 1. 257, note Gény) en affirmant que les

;
enfants qui naissent dans les 180 premiers jours du mar:ige
sont légitimes il est donc logique que par son arrêt du 2 juil-
let 1936, elle ait donné à cette seconde affaire la même solu-
tion que la première.
La Cour de Caen devant laquelle la première affaire reve-
nait après cassation, a refusé de s'incliner devant le principe
dégagé par l'arrêt de la Chambre Civile et elle a affirmé « que
la légitimité et les droits qu'elle crée, ne remontent pas au
delà du mariage des parents qui en est l'origine ». Il appar-
tiendra donc aux Chambres Réunies de préciser les rapports
exacts de la règle « infans conceptus. » et de la détermina-
tion de la légitimité.
§ V. — FILIATION NATURELLE. 1°De la pluralité des recon-
naissances et de l'action en contestation de l'article 339 du
Code Civil (Req., 4 juillet 1935, D. H., 1935, 412 ; Aix, 5
décembre 1935, Gaz. Pal., 1936, 1. 264 ; Trib. civ. Lons-le-
Saunier, 5 mai 1936, S., 1936, 2. 208).
La pluralité de reconnaissances soulève en jurisprudence
de
question de la force probante de la reconnaissance ;
délicats problèmes dont la solution est commandée par la
la doc-
trine, à cet égard, se prononce en général pour l'autorité abso-
lue de la reconnaissance (Planiol, Ripert et Rouast, t. II,
n° 852 ; Savatier, D. H., 1934, chronique, p. 85) ; à la diffé-
rence d'une décision judiciaire en matière d'état, la reconnais-

de l'état civil :
sance est opposable à tous comme les preuves préconstituées
non seulement la reconnaissance peut être con-
testée, mais elle doit l'être par ceux qui prétendent lui dénier
toute valeur.

bien fixée en ce sens :


La jurisprudence de la Cour de Cassation paraît d'ailleurs
un arrêt de la Chambre des Requêtes du
4 juillet 1935 est venu affirmer « que si la reconnaissance d'un
enfant naturel est présumée être l'expression de la vérité, la
preuve contraire est réservée à tout intéressé », ce qui impli-
que que tant que la preuve contraire n'a pas été rapportée par
cet intéressé, la reconnaissance lui est opposable. La Cour de
Cassation avait déjà décidé qu'un enfant naturel reconnu ne
peut rechercher en justice sa filiation maternelle à l'égard
d'une femme mariée, tant que la reconnaissance dont il a été
l'objet n'a pas été annulée, car son action tendrait à démon-
trer une filiation adultérine, ce qui prouve bien que la recon-
naissance intervenue vaut à l'égard de tous et en particulier
du mari de la mère (Req., 22 janvier 1840, S., 1840, 1. 120 ;
Req., 19 juin 1930, S., 1931, 1. 1, note Gény).
De ce que la reconnaissance établit l'état à l'égard de
tous, il résulte logiquement qu'en cas de pluralité de recon-
naissances par des individus de même sexe, la première seule
peut être prise en considération jusqu'à preuve de son carac-
tère mensonger. Si des reconnaissances postérieures peuvent
être néanmoins passées, c'est que l'officier public n'a pas qua-
lité, en dehors d'un texte exprès, pour apprécier la valeur juri-
dique des déclarations qui lui sont faites et"qu'il ne peut refu-
ser de dresser acte d'une reconnaissance lorsqu'il en est requis
(Planiol, Ripert et Savatier, t. I, n" 180). Mais ces reconnais-
sances postérieures doivent rester provisoirement sans effet
de
;
ce n'est pas trop exiger des auteurs ces reconnaissances
qu'ils commencent, avant de pouvoir s'en prévaloir, par
démontrer le caractère mensonger de la reconnaissance de
celui qui les a précédés. Cette preuve du caractère mensonger
de la reconnaissance peut d'ailleurs être faite par tous moyens
(Planiol, Ripert et Rouast, t. III, n° 846 ; Beudant, Lerebours-
Pigeonnière et Breton, t. III, n° 1070) ; l'arrêt de la Chambre
des Requêtes du 4 juillet 1935 reconnaît notamment que cette
preuve peut résulter de ce qu'à l'époque de la conception, l'au-
teur de la reconnaissance « était encore un jeune écolier très
surveillé par une gouvernante à qui il témoignait une parfaite
docilité ainsi qu'aux maîtres de l'externat qu'il fréquentait »,

:
et en outre de ce que la mère avait vécu éloignée de l'endroit
où il résidait (V. sur cet arrêt Lagarde, chronique, R-ev. Trim.
D.Civ., 1936, 164).
Ces principes relatifs à la force probante de la reconnais-
sance et à sa contestation, ne sont pas toujours suivis par les
tribunaux et cours d'appel. Un arrêt de la Cour d'Aix du 5
décembre 1935 (Lagarde, chronique Rev. Trim. D. Civ., 1936,

prévue et quelque peu fantaisiste au problème :


461) les méconnaît ouvertement et apporte une solution im-
un enfant
naturel avait été reconnu successivement à quelques mois d'in-
tervalle par les deux amants de sa mère. L'auteur de la seconde
ayant agi en nullité de la première, le défendeur se retranchait
dans une attitude purement passive et se bornait à faire valoir
que sa reconnaissance, étant la première en date, devait être

pas ce raisonnement ;
présumée vraie jusqu'à preuve contraire. Mais l'arrêt n'admet
il affirme qu'en cas de pluralité de
reconnaissances, « il appartient aux juges d'apprécier suivant
les circonstances quelle est, entre les reconnaissances succes-
sives, celle qui doit être réputée vraie et qu'ils doivent donner
la préférence, non pas à la première endate, mais à celle qui
présente le plus grand intérêt pour l'enfant :.. Or, l'arrêt fait
valoir qu'en l'espèce l'auteur de la première reconnaissanéé
était actuellement marié et avait un enfant légitime, tandis
que l'autre amant avait continué à vivre avec la mère;
paraissait donc préférable à la Cour d'attribuer la paternité à
il

l'auteur de la seconde reconnaissance, bien que le caractère


mensonger dé la première ne pût être démontré. Mais si l'on
comprend les raisons qui ont inspiré cette solution, il est im-
possible d'approuver, du point de vue des principes, ce juge-
ment de Salomon qui n'a d'autre base que l'opportunité.
L'opportunité est un guide commode que le Tribunal de
Lons-le-Saunier a cru également pouvoir invoquer dans un

naissance:
jugement du 5 mai 1936 pour apprécier la valeur d'une recon-
une mère naturelle demandait l'annulation d'une
reconnaissance, sous le prétexte que cette reconnaissance n'a-

;
vait été passée par son auteur qu'en vue de légitimer l'enfant,
mais que le mariage n'avait pas eu lieu or, elle se proposait
de contracter mariage avec le père véritable. Le Tribunal a
annulé la reconnaissance en constatant « qu'il y a un intérêt
évident pour l'enfant à ce qu'il porte le nom du mari de sW
mère » ; il fait valoir par ailleurs que l'auteur de la reconnais-

sance, entendu à titre officieux, avait déclaré consentir à l'an-


nulation, mais ce consentement n'avait pas à être pris en consi-
dération, la reconnaissance étant irrévocable. En réalité,
devant la difficulté de prouver le caractère mensonger d'une

;
reconnaissance, les tribunaux sont portés à tenir compte de ce"
qu'ils croient être l'intérêt de l'enfant mais il paraît danger
reux de s'engager dans cette voie et de s'écarter du principe
que le véritable intérêt de l'enfant est d'avoir la filiation à
laquelle il a légalement droit.

2° Le commencement de preuve par écrit de l'article 341


(Req., 26 février 1935, Gaz. Pal., 1935, 1. 730 ; Alger, 30'
janvier 1935, S., 1935, 2. 187).
La jurisprudence est très libérale au sujet du commence-
ment de preuve par écrit de l'article 341 du Code Civil elle ;
cherche à faciliter, autant que les textes le lui permettent et;
peut-être davantage, l'action en recherche de maternité natu-
relie (Planiol, Ripert et Rouast, t. II, n° 879 ; Beudant, Lere-
boÚrs-Pigeonnièré et Breton, t. III, n° 1091 ; Lagarde, chroni-
que Rev. Trim. D. Civ., 1935, 355). Non seulement elle admet
que le commencement de preuve par écrit exigé est celui qui est
défini par l'article 324 à propos de l'action en recherche de
maternité légitime, mais elle se montre particulièrement large
dans l'interprétation de ce texte.
Si l'on prenait à la lettre l'article 324, le commencement
de preuve par écrit devrait émaner de la mère elle-même ou à
défaut « d'une partie engagée dans la contestation ou qui
y aurait intérêt si elle était vivante ». Un arrêt de la Chambre
des Requêtes du 26 février 1935 admet cependant comme
répondant aux conditions de l'article 324 une lettre écrite en
cours de délibéré devant le tribunal par le père de la mère pré-
tendue, en alléguant qu'il a un intérêt dans la contestation. Il
apparaît ainsi que pour la Cour de Cassation, il n'est pas néces-
saire que l'écrit émane d'une personne qui soit partie au pro-
cès, comme la formule de l'article 324 tendrait à le faire
croire, il suffit qu'il émane d'une personne ayant un intérêt
- -
engagé dans la contestation, qu'elle soit vivante ou morte. La
jurisprudence antérieure s'était montrée à cet égard plus
rigoureuse (Civ., 22 octobre 1902, D. P., 1902, 1. 539 ; Req., 17
juin 1907, D. P., 1908, 1. 161, note Ripert) et l'on peut se
demander si l'on respecte bien le texte en traduisant l'expres-
sion « partie engagée dans la contestation » par « personne
ayant un intérêt engagé dans la contestation ». En réalité, on
peut faire valoir en faveur de cette interprétation qu'il n'y a
;
rationnellement aucune raison de distinguer entre le cas où
l'auteur de l'écrit est vivant et celui où il est décédé une inter-
prétation plus stricte aurait eu pour résultat de nécessiter
dans tous les cas la mise en cause de la personne dont l'écrit
est utilisé, alors que dans le système consacré par l'arrêt du
26 février 1935, cette mise en cause n'est nécessaire que si
l'écriture est contestée.
Un arrêt de la Cour d'Alger du 30 janvier 1935 a été
encore plus loin dans la voie de l'interprétation libérale de
Il
l'article 324. admet qu'un acte de naissance découvert chez
la prétendue mère après son décès peut permettre à deux
enfants qu'elle avait élevées comme étant ses nièces, d'agir
contre ses héritiers en recherche de maternité naturelle. Or, il
était unanimement admis qu'en matière de recherche de mater-
nité naturelle, l'acte de naissance ne peut servir qu'à prouver
l'accouchement de la mère et qu'il n'a aucun rôle à jouer dans
la preuve de l'identité de l'enfant (Planiol, Ripert et Rouast,
t. II, n° 877 ; Beudant, Lerebours-Pigeonnière et Breton, t. III,
n° 1091). La preuve de l'identité ne peut se faire que par le
commencement de preuve par écrit exigé par l'article 341 : or,
si l'on peut admettre que l'acte de naissance constitue un com-
mencement de preuve contre la mère lorsqu'elle a fait elle-
même la déclaration, ce commencement de preuve par écrit
ne rend nullement vraisemblable l'identité du réclamant avec
J'enfant dont la femme est accouchée. En réalité, c'est le fait
que cette personne ait élevé les enfants qui permet, en l'espèce,

:
de présumer que ces enfants sont ceux dont elle est accouchée,
mais c'est là seulement un indice (en ce sens Lagarde, Rev.
Trim. D. Civ., 1935, 355). Et les présomptions ou indices gra-

;
ves ne peuvent être admis qu'en matière de recherche de
maternité légitime l'article 341 ne renvoie pas à l'article 323
et le commencement de preuve par écrit qu'il exige ne peut
donc être suppléé. Les systèmes de preuve de l'action en récla-
mation d'état d'enfant légitime et de la recherche de maternité
naturelle ont été réglementés de façon distincte par le Code et
ne doivent pas être confondus.

3° Le commencement de preuve par écrit de la séduction

vier 1933, D. H., 1933, 474 ;


dans les actions en recherche de paternité. (Civ., 29 jan4
Rouen, 22 janvier 1934,

tembre 1935 ;
D. H., 1934, 229 ; Poitiers 27 mai 1935, Gaz. Pal., 10 sep-
Civ., 12 novembre 1935, S., 1936, 1. 15 ;

Gaz. Pal., 1936, 2. 291 ;


Riom, 25 février 1936, S., 1937; 2.84 ; Civ., 19 mai 1936;
Civ., 4 janvier 1937, Gaz. Pal.,
;
Nîmes, 20 octobre 1937, D. H., 1937, 576
novembre 1937, Gaz. Pal., 8 février 1938).
;
14 février 1937 ; Poitiers 9 février 1937, S., 1937, 2. 183
Angers, 30

Le commencement de preuve par écrit exigé par l'article


340 (2°) du Code Civil pour la recherche de paternité fondée
sur la séduction dolosiye a continué
:
à soulever des difficultés
devant les tribunaux (V. déjà sur ce point chronique Sava-
tier, Rçu. Crit., 1932, 427) ; la formule ambiguë dont s'est servi
le législateur de 1912 a conduit à se demander d'une part, quels
sont les faits dont ce commencement de preuve par écrit doit
établir la vraisemblance et, d'autre part, à quel moment de la
procédure ce commencement de preuve par écrit doit être pro-
duit.
La première difficulté est maintenant résolue
admis que le commencement de preuve ne concerne, ni la
; il est

preuve de paternité, ni celle de la séduction, mais unique-


ment la preuve des manœuvres dolosives au moyen desquel-
les I9. séduction a été obtenue. Cette exigence n'est, en effet,
que la consécration légale de la jurisprudence qui décidait,
antérieurement à la loi de 1912, que la promesse de mariage
servant de base à l'action en dommages-intérêts, était un acte

(jurisprudence qui s'est d'ailleurs poursuivie :


juridique dont la preuve ne pouvait se faire que par écrit

novembre 1935). Bien que l'exigence de la preuve par écrit


Civ., 12

ait été étendue à tous les cas de séduction, il est certain que
ce commencement de preuve n'est exigé que pour les ma-
nœuvres (Civ., 29 janvier 1933 ; Civ., 4 janvier 1937), sauf à
prouver par ailleurs leur caractère déterminant (Riom, 25
février 1936 ; Civ,, 19 mai 1936). Ces arrêts ne font que pré-
ciser la solution déjà contenue dans l'arrêt de la Chambre
Civile du 20 juillet 1931 (D. P., 1932, 1. 73, note Savatier).
Mais la portée du commencement de preuve par écrit
étant ainsi déterminée, il reste à préciser s'il doit être consi-
déré simplement comme une exigence particulière de preuve
des manœuvres dolosives ou comme une condition de rece-
vabilité de l'action. Pour faire du commencement de preuve
une condition de recevabilité de l'action, on a invoqué l'in-
tention du législateur qui aurait voulu opposer un barrage
aux actions injustifiées et assurer le repos des familles en
évitant le scandale d'une discussion sur la paternité, lorsque
le demandeur n'est pas en mesure d'apporter un commen-
cement de preuve rendant vraisemblables les manœuvres
dont il se plaint. On en a conclu que le commencement de
preuve devait exister au jour de la demande et qu'il ne pôu-
vait donc être recherché au cours de l'instance par un inter-
rogatoire sur faits et articles ou par une comparution per-
sonnelle du prétendu père (Gaudemet, Rev. Trim. D. Civ.,
1930, 100, et 1932,157).
Ce système aboutit à fermer l'accès du tribunal aux en-
fants dont les pères se sont montrés suffisamment habiles pour
ne laisser aucune
entre les mains de la mère;
trace écrite des manœuvres de séduction
peu satisfaisant dans ses résultats,
ce système n'a d'ailleurs pas de fondement sérieux dans les
textes : pour faire du commencement de preuve par écrit une

;
condition de recevabilité de l'action, il faudrait une disposi-
tion formelle or, non seulement elle n'existe pas, mais
même, les travaux préparatoires de la loi (Déb. Parlem. Sénat,
D. P., 1912, 4. 119), démontrent que le législateur de 1912 a
parfaitement envisagé et voulu que le commencement de
preuve par écrit puisse être obtenu par un interrogatoire sur
faits et articles, ou une comparution personnelle suivant le
droit commun.
Les Cours d'appel qui ont eu à statuer sur cette ques-
tion au cours des dernières années se sont en général pro-
noncées en faveur de l'admission de l'interrogatoire sur faits
et articles ou de la comparution personnelle pour suppléer au

demande (Rouen, 22 janvier 1934 ;


commencement de preuve qui faisait défaut au jour de la
Poitiers, 27 mai 1935 ;
Poitiers, 9 février 1937 ; Nîmes, 20 octobre 1937) ; mais la
Cour d'Angers s'est prononcée en sens contraire, le 30 novem-

de trancher formellement le débat :


bre 1937. La Cour de Cassation n'a pas encore eu l'occasion
l'arrêt de la Chambre
Civile du 20 juillet 1931 (D. P., 1932, 1. 73, note Savatier),
n'a pas statué sur ce moyen qui n'avait pas été soulevé par
le pourvoi. On peut cependant invoquer le précédent dés
arrêts qui ont admis l'interrogatoire sur faits et articles pour
obtenir le commencement de preuve par écrit exigé dans les
actions en recherche de maternité légitime (Civ., 19 octobre
1925, D. P., 1926, 1. 89, note Savâtiër, S., 1925. 1. 313, hotè
H. Mazeaud) ; le commencement de preuve par écrit de l'article
324 du Code Civil a pour but de garantir la mère contre là
possibilité d'une action montée avec de faux témoins (Fenet,
X, p. 145 et 226) et c'est bien là le but du commencement de II
H
preuve exigé par l'article 340 : il est une mesure de défiance
contre le témoignage et non pas une condition de receva-
bilité de l'action. H
I
4° De l'utilisation des résultats de l'analyse du sang dans les I
actions en recherche de paternité (Trib. civ. Seine, 12
novembre 1935, D. P., 1936, 2. 41, Note Savatier ; Trib. II
Civ. Nice, 17 novembre 1937, D. H., 1938, 79 ; Trib. Civ.
Marseille 6 mai 1938, D. H., 1938. 494). I
Les recherches médicales sur la comparaison des grou- I
pes sanguins viennent apporter aujourd'hui un élément de I
décision fort important dans les actions en recherche de pa- I
ternité (note Savatier, D. P., 1936, 2. 41). L'analyse du sang I
de deux personnes permet, en effet, de pouvoir affirmer avec I
certitude sinon leur filiation, du moins l'absence de ce lien de
filiation. Il apparaît que ce procédé pourra être d'un grand
secours dans les actions en recherche de paternité, en appor-
tant parfois des éléments de certitude pour faire rejeter l'ac-
tion ; il est destiné à avoir également un rôle décisif dans les
actions en désaveu et en contestation de reconnaissance.
Mais en attendant que le législateur ait manifesté offi-
ciellement sa confiance en cette méthode en lui donnant une
valeur légale, la question se pose de savoir dans quelle
mesure les tribunaux peuvent faire état des données qu'elle
leur fournit. Le Tribunal de la Seine, par un jugement du 12
novembre 1935, a refusé d'en tenir compte sous le prétexte
que « dans la loi française, la paternité et par suite la non-
paternité, ne sont pas susceptibles d'une preuve directe et que
la démonstration de l'une comme de l'autre ne peut résulter
par probabilité ou vraisemblance que de certaines présomp-
tions attachées par la loi à telle ou telle situation ou encore
d'une affirmation formelle et péremptoire du prétendu père ».
Mais, en réalité, il semble que cette décision ait méconnu les
véritables principes qui régissent la recherche de paternité *.
lorsque l'un des cas prévus par l'article 340 a été établi, la
paternité ne se trouve pas nécessairement déclarée (Beudant,
Lerebours-Pigeonnière et Breton, t. III, n° 1.185) ; la décla-
ration de paternité n'est que facultative pour le juge qui
peut, en s'entourant de tous moyens de preuve, apprécier
souverainement les présomptions qui le portent à écarter la
paternité. En dehors des fins de non-recevoir prévues par la
loi et qui ont pour résultat d'arrêter immédiatement la pro-
cédure en rendant désormais toute discussion inutile, il y a
d'autres moyens de défense, comme il y a d'autres éléments
de conviction pour corroborer les présomptions qui résultent
des cas prévus par l'article 340. Rien ne paraît donc s'oppo-

du sang à titre de présomption :


ser à ce que le juge tienne compte des résultats de l'analyse
c'est d'ailleurs en ce sens
que s'est prononcé le Tribunal civil de Nice, le 17 novembre
1937 (V. sur ce jugement, les observations de M. Lagarde,
Rev. Trim. D. Civ., 1938. 80).
Le seul obstacle pratique à l'utilisation de cette méthode,

;
c'est qu'elle suppose le libre consentement des parties pour y
recourir le juge, en l'état de notre droit, n'a aucun moyen
pour contraindre une des parties qui s'y refuse à ce prélève-
ment de sang. Cependant le Tribunal Civil de Marseille, par un
jugement du 6 mai 1938, a ordonné cette mesure à la demande
de la mère dans le but de tirer des résultats de l'analyse des
présomptions de nature à confirmer ou à infirmer le commen-
cement de preuve par écrit de la séduction sur lequel était
fondée l'action. Il semble que le refus du prétendu père de
se prêter à cette mesure d'instruction ne pouvait permettre
au Tribunal d'en tirer une présomption contre lui.

6° Contre qui l'action en recherche de paternité doit-elle être

; ?
intentée lorsque le père prétendu est mineur (Trib. Civ.
Clamecy, 5 mai 1933, S., 1933, 2. 167 Civ., 31 octobre
1934, D. P., 1935, 1. 52, Note Carbonier).

Il est admis généralement par la doctrine que l'action en


recherche de paternité doit être formée contre le représentant
légal du prétendu père lorsque celui-ci est encore mineur et
non émancipé {PlanioJ, Ripert et Rouast, t. II, n* 920, Bordant H
Lerebours-Pigeonnière et Breton, t. III, n° 1163).C'est d'ail- H
leurs la solution qui résulte implicitement de l'arrêt de la H
Chambre Civile du 31 octobre 1934 : cet arrêt laisse entendre B
que l'appel formée par le mineur ne pourrait être validé qu'A I
titre d'acte conservatoire, ce qui implique que le mineur n'est B
pas qualifié pour agir seul.
Cependant, cette solution ne peut être admise sans diffi- K
culté, car il est évidemment paradoxal que le père soit exclu
de l'action en recherche de paternité (v. notamment Savatier, I
« La recherche de paternité ;)n° 76 ; Carbonnier, note au D. P.,
I
1935, 1. 52). Le Tribunal de Clamecy ne craint pas de s'insur- I
ger contre l'opinion admise par un jugement du 5 mai 1933 ; I
il affirme que si le tuteur représente le mineur dans tous les I
actes de la vie civile, cette règle souffre exception en matière I
de recherche de paternité, parce que cette action est fondée I
sur des faits personnels au mineur et que l'on ne compren- I
drait pas que le tuteur soit qualifié pour défendre à une action I
à laquelle le mineur peut toujours mettre fin par une recon-
naissance de paternité. En réalité, l'argument tiré par le

ne nous paraît nullement décisif :


tribunal de la possibilité d'une reconnaissance par le mineur
l'incapable qui a cons-
cience de ses actes peut passer des aveux en matière de faits
juridiques (Planiol, Ripert et Savatier, t. I, n° 281 et n° 529)
et c'est à titre d'aveu que la reconnaissance passée par le

:
mineur peut être retenue. Mais la capacité de passer des
aveux n'implique pas celle de plaider seul le mineur qui a
commis un délit peut valablement avouer les faits, mais il

;
ne peut se défendre seul en justice lorsqu'il est assigné en
réparation de ce délit il faut admettre ici la même solution.
On peut d'ailleurs faire remarquer subsidiairement que la
reconnaissance est moins grave que la défense à l'action en
recherche de paternité, car elle peut toujours être attaquée
pour vice du consentement ou simplement comme étant men-
songère, alors que la décision intervenue sur l'action en

:
recherche de paternité aura autorité de chose jugée (en ce
sens Lagarde, chronique Rev. Trim. D. Civ., 1933, 866).
60 Le défenseur à l'action en recherche de paternité après le
décès du père prétendu (Paris, 11 février 1933, D. H., 1933,
209 ; Req., 6 décembre 1933 D. H., 1934, 35 ; Paris 29 mai
.1934, D. P., 1934, 2. 81, Note Lalou).

Le décès du père
non-recevoir à l'action en recherche de paternité ;
prétendu ne constitue pas une fin de

ration contraire faite par le rapporteur de la loi du 16


la décla-

novembre 1912 (S., Lois annotées, 1913, p. 444, col. 1) ne sau-


rait être prise en considération car elle ne s'appuie sur aucune

;
disposition expresse de la loi pour dénier le droit d'agir à
l'enfant mais il devient alors délicat de déterminer contre

:
qui l'action doit être intentée et contre qui elle peut l'être
jj (V. sur ce point Planiol, Ripert et Rouast, t. II, n° 921 ; Beu-
dant, Lerebours-Pigeonnière et Breton, t. III, n° 1164 ;
Lagarde, chronique Rev. Trim. D. Civ., 1933, 862 et 1934, 128).
Il paraît naturel, après le décès, d'agir contre les héritiers
mais s'ils ont renoncé à la succession, ont-ils toujours qualité
pour représenter le défunt ? Dans une action soumise à la
Cour de Paris, les héritiers renonçants soutenaient que l'action
dirigée contre eux était irrecevable et ils se fondaient sur

renonce est censé n'avoir jamais été héritier ;


l'article 785 Code Civil aux termes duquel l'héritier qui
mais par un
arrêt du 11 février 1933, la Cour les retient en cause en fai-
,1 sant valoir qu'ils ont,
en raison de leur lien de parenté avec
le défunt, « un intérêt moral à défendre son nom et l'honneur

s de la famille, à sauvegarder sa mémoire et à se substituer à

|Ij lui pour le protéger contre d'éventuelles manœuvres dolosives

61
;
:
et entreprises coupables ». Certains arrêts s'étaient déjà
prononcés en ce sens (Paris, 27 octobre 1925, D. P., 1926, 2.
Bordeaux, 29 mars 1924, Gaz. Pal., 1925, 2. 182). Il peut

Ij Sembler rigoureux d'imposer ainsi à des parents qui se désin-

:
même s'ils ne se défendent pas, le paiement des dépens mais ;
téressent de la succession la charge de la défense au procès et,

i! en réalité cette solution s'impose ce n'est pas en tant que


représentants du défunt que les héritiers renonçants sont rete-
I nus en cause,c'est en tant que parents et parce qu'ils ont un
intérêt personnel à l'action. L'établissement d'une filiation
ne produit pas seulement des effets pécuniaires et ce n'est pas B
seulement du point de vue de la succession qu'il faut envisa- H
ger :
l'état même s'ils ne portent pas le même nom, les
héritiers renonçants ont un intérêt moral à défendre le nom I
H
de celui qui était leur parent et à défendre sa mémoire. Il H
semble toutefois que la jurisprudence devra se montrer assez
sévère pour admettre l'existence de cet intérêt car il faut B
I
éviter que l'on puisse assigner des parents trop éloignés.
Au lieu d'assigner les parents, l'enfant peut diriger son
II
;
action contre la veuve du père prétendu car elle a comme eux
intérêt à défendre à l'action c'est ce qu'a reconnu l'arrêt de
la Chambre des Requêtes du 6 décembre 1935 : en l'espèce,
la veuve soutenait que l'action aurait dû être intentée contre I
les héritiers du mari car elle pouvait leur nuire, tandis qu'elle
prétendait ne point souffrir elle-même de la présence de l'en- I
fant en raison de l'article 337 Code Civil. Il semble admis en I
effet par la jurisprudence que l'article 337 protège le conjoint I
et les enfants légitimes, non seulement contre une recon- I
naissance volontaire, mais également contre les effets d'une I
filiation établie judiciairement (Req., 19 février 1923, D. P.,
1924, 1. 46; Poitiers, 18 octobre 1937, D. H., 1937, 594;
Dijon, 30 novembre 1937, D. H., 1938, 123) du moins lorsque
cette action est fondée sur des moyens de preuve procurés à
l'enfant pendant le mariage. Mais l'article 337 devant s'in-
terpréter restrictivement ne s'applique qu'aux actions inten-
tées pendant le mariage (Planiol, Ripert et Rouast, t. II,
n° 864) ; aussi, l'arrêt reconnaît-il que la veuve avait un
intérêt pécuniaire à défendre à l'action et il ajoute qu'elle
avait également un intérêt moral à défendre « la mémoire de
son mari défunt ».
De ce que, après le décès du père, tous les intéressés ont
qualité pour défendre à l'action en recherche de paternité, il
va découler des conséquences importantes quant à l'autorité
de la chose jugée. L'autorité de la chose jugée en matière
d'état ne s'étendant qu'aux parties en cause, (Civ., 23 avril
1925, D. P., 1925, 1. 201, Note Savatier, S., 1927, 1. 97, note
Audinet ; Req., 8 juin 1931, Rev. Crit., 1932, 433, chronique
Savatier) il faut admettre que tous les intéressés qui n'ont
pas été parties au procès peuvent former tierce opposition
ou plus simplement méconnaître la décision intervenue
lorsqu'elle leur est opposée. C'est ce qu'a reconnu la Cour de
Paris dans l'arrêt du 29 mai 1934, en déclarant irrecevable
l'action en dommages-intérêts intentée au nom d'un enfant
naturel contre l'auteur d'un accident dans lequel son père était
décédé, alors que l'action en recherche de paternité avait été

;
dirigée contre les seuls héritiers du père, sans que l'auteur
de l'accident ait été mis en cause du vivant du père, l'action
ne peut être intentée que contre lui, mais, après son décès,
elle peut l'être contre tous les intéressés et doit l'être contre
ceux à l'égard rie qui on veut s'en prévaloir.

§. VI.— LÉGITIMATION. 1° De la légitimation des enfants adul-


térins réputés conçus au cours d'une période de séparation

1934 ;
légale (Trib. Civ. Seine, 28 février 1934, La loi, 31 mars
Paris 4 juin 1934, Gaz. Trib., 1934, 2. 45, Note
Edouard Levy ; Lyon, 24 décembre 1936, Mon. Jud. Lyon,
24 août 1937 ; Rennes, 14 janvier 1937, D. P., 1937,2. 45,

Note Savatier;
Note Savatier ; Lyon, 24 juin 1937, Gaz. Pal., 13 octobre
Lyon, 24 juin 1937, D. P., 1938, 2. 46,
conclusions de M. l'Avocat général Damour).

L'article 331 Code Civil autorise la légitimation des


enfants adultérins « réputés conçus.à une époque où le père
ou la mère avaient un domicile distinct » ; cette formule sou-

lève des difficultés d'interprétation quant au point de savoir


si les enfants nés plus de 180 jours et moins de 300 jours après

ou non être légitimés (V. sur ce point :


le début de la séparation légale ou après sa cessation, peuvent
Planiol, Ripert et
Rouast, t. II, n° 989 ; Beudant, Lerebours-Pigeonnière et Bre-
ton, t. III, n° 1226 ; Lagarde, chronique Rev. Trim. D. Civ.,
1934, 393 et 818).
Dans le système le plus favorable à l'enfant, on autorise
la légitimation des enfants nés plus de 180 jours après le
commencement de la période de séparation légale et de ceux
nés moins de 300 jours après la cessation de cette période, en
faisant valoir que ces enfants peuvent avoir été conçus au
H
(en ce sens : Lyon, 24 décembre 1936
1937 ; Lyon, 24 juin 1937).
;
cours de laséparation légale, ainsique le prévoit l'article 331
Rennes, 14 janvier H
H
Cette solution a été critiquée (Savatier, note au D. P.,
1937, 2. 45) ; on a fait remarquer que ces enfants nés moins
de 300 jours après le début de laséparation légale bénéfi-
IH
çient, qu'ils le veuillent ou non, de la présomption de pater-
nité. Ces enfants ne sauraient avoir deux pères et puisque, II
depuis la loi du 30 décembre 1915, la possibilité d'une légiti-
mation est liée à la disparition conditionnelle de la présomp-
tion de paternité, les seuls enfants qui peuvent être légitimés I
sont ceux qui pourraient être désavoués dans les conditions I
de l'article 313. On en conclut que les enfants nés moins de
300 jours après le début de la séparation légale ou plus de
180 jours après sa cessation ne peuvent être légitimés (Pla-
niol, Ripert et Rouast, t. II, n° 989).
En réalité, il semble que cette opinion est trop absolue
l'argument tiré de l'article 313 ne concerne que les enfants
:
adultérins a paire, car c'est à leur égard seulement que se
pose la question de la disparition conditionnelle de la légi-
timité. Pour les enfants adultérins a paire, on ne saurait leur
refuser la légitimation sous le prétexte qu'ils peuvent avoir
été conçus pendant la vie commune, car l'on ne doit pas faire
jouer les délais de présomption de paternité au préjudice des
enfants nés hors mariage (Civ., 16 mars 1925, D. P., 1926, 1.
145, note Rouast). Rien ne paraît donc s'opposer à la légiti-
mation des enfants adultérins a pâtre nés plus de 180 jours
après le début de la séparation légale ou moins de 300 jours
après sa cessation (Beudant, Lerebours-Pigeonnière et Bre-
ton, t. III, n° 1226) ; c'est d'ailleurs en ce sens que se pronon-
çait la circulaire du Garde des Sceaux du 13 janvier 1916 (D.
P., 1917,4.86) et bien qu'elle n'ait pas la valeur d'une inter-
prétation législative, certaines décisions se sont prononcées
en ce sens (Trib. Civ. Seine, 28 février 1934, Paris, 4 juin
1934).
2* De la reconnaissance qui peut servir de base à la légiti:.

vrier 1934, D. P., 1934, 2. 105, note Lebrun ;


mation post nuptias des enfants adultérins (Paris, 19 fé-
S., 1934, 2.
149 ; Trib. Civ. Limoges, 28 février 1935, S., 1935, 2. 108 ;
Paris, 24 février 1937; D. P., 1937, 2. 53, note Lalou).
L'article 331 Code Civil autorise la légitimation post nup-
tias « lorsqu'un des enfants visés au présent article aura été
reconnu par ses père et mère ou par l'un d'eux postérieure-
ment à leur mariage ». Il est certain que cette disposition
n'empêche pas de tenir compte de la reconnaissance anté-
rieure au mariage qui émanerait de celui des parents à l'égard
duquel la filiation est naturelle simple. Au contraire, la
reconnaissance du parent adultérin ne peut être que posté-
rieure au mariage : le législateur n'autorise, en effet, la
reconnaissance des enfants adultérins qu'en vue de leur légi-
timation (art. 335 C. Civ) et pour marquer ce lien entre la
reconnaissance et la légitimation, l'article 331 précise que la
légitimation par mariage suppose une reconnaissance faite
«

« au moment de la célébration » ; il en résulte a fortiori qu'une


reconnaissance antérieure, inefficace pour la légitimation par
mariage, serait inefficace pour la légitimation post nuptias.
(Planiol, Ripert et Rouast, t. 11,n" 998). Mais s'il en est ainsi,
on peut se demander s'il suffit que la reconnaissance soit pos-
térieure au mariage ou s'il ne faut pas également qu'un lien

:
certain soit établi entre elle et la légitimation en vue de
laquelle elle intervient ne faut-il pas exiger, par conséquent,
que le but de la reconnaissance soit précisé et que toutes les
conditions de la légitimation soient déjà réunies ?
La nrcmière condition qui impose de préciser dans la
reconnaissance post nuptias le but dans lequel elle est faite
est affirmépar un jugement du Tribunal Civil de Limoges du
28 février 1935 ; le jugement fait valoir que l'officier d'état
civil devrait refuser de recevoir cette reconnaissance si le but
ne lui en était pas indiqué. Il est exact, en effet, que si l'of-
ficier d'état civil refuse de prendre acte de la reconnaissance,
le narent adultérin pourra vaincre sa résistance en lui décla-
rant que cette reconnaissance intervient en vue d'une légiti-
mation ; mais si l'officier d'état civil ne s'est pas aperçu du
caractère adultérin de la filiation, la reconnaissance dont il
a pris acte, devra pouvoir servir de base à une légitimation.
L'affirmation de principe émise par le Tribunal de Limoges
n'avait, en l'esoèce, aucun inconvénient car l'auteur adultérin
était encore vivant et le tribunal pouvait trouver dans la
requête aux fins de légitimation une reconnaissance nouvelle
intervenue sans contestation possible en vue de la légitima-
tion. Mais dans d'autres espèces où l'auteur de la reconnais-
sance était mort, la Cour de Paris n'a pas craint de tenir
compte de reconnaissances dans lesquelles il n'était nullement
précisé qu'elles étaient faites en vue d'une légitimation (Paris,
19 février 1934 et 24 février 1937).
Si la première condition ne paraît donc pas devoir être
exigée, ne faut-il pas exiger du moins que toutes les conditions
de la légitimation soient réunies au moment où intervient la
reconnaissance ? C'est ce que l'on peut soutenir en se fondant
sur une interprétation littérale de l'article 331 qui n'autorise
la reconnaissance que pour les enfants « visés au présent
article », c'est-à-dire pour ceux qui peuvent être légitimés il
faudrait donc établir que l'enfant a été conçu au cours d'une
;
période de séparation légale, ou qu'il a été désavoué par le
mari, ou enfin, s'il s'agit d'un enfant adultérin a pâtre, qu'il
n'existe plus de descendants nés du mariage. Cette solution
paraît implicitement adoptée par la circulaire du Garde des
Sceaux du 13 janvier 1916 (D. P., 1917, 4. 86), qui se contente
dans ce dernier cas d'une simple déclaration du père à l'of-
ficier d'état civil. Mais la jurisprudence n'y paraît pas favo-
rable : un arrêt de la Cour de Paris du 19 février 1934 tient
compte d'une reconnaissance passée par la mère postérieu-
rement au mariage avec le complice de l'adultère mais avant
le désaveu du premier mari, c'est-à-dire à un moment où la
légitimation ne pouvait pas encore avoir lieu. Cet arrêt affir-
me qu'il n'y a pas lieu d'attacher d'importance à la formule
de l'article 331, que ce texte a seulement voulu indiquer que
les conditions de la légitimation devraient se trouver réunies
au moment de la requête aux fins de légitimation, mais « qu'il
n'a pas entendu prescrire un ordre quelconque pour la réali-
a pu précéder
cette
le ;
sation de ces conditions ». Il en conclut que la reconnaissance
désaveu
considération
cette solution se justifiait,
que la mère était morte au moment
en fait,

;
par
où la légitimation était demandée, et que la nullité de la
reconnaissance aurait donc été irréparable mais il aurait été
possible d'éviter cette solution en remarquant que l'action
désaveu avait suffi à établir la filiation maternelle et qu'il
en
était donc inutile qu'il y eût reconnaissance (en ce sens
Lagarde, chronique Rev. Trim. D. Civ., 1934, 595). La Cour de
:
Paris a consacré à nouveau la même solution le 24 février
1937 en tenant compte d'une reconnaissance postérieure au
mariage mais antérieure à la loi du 25 avril 1924, c'est-à-dire
à un moment où la légitimation post nuptias n'était pas
possible. Ces solutions paraissent contraires à l'esprit de la
i loi qui n'autorise la reconnaissance des enfants adultérins
: qu'en vue de leur légitimation, c'est-à-dire à un moment où
J
cette légitimation est possible.
I
§. VII. — OBLIGATION ALIMENTAIRE. 1° Du caractère déclaratif
î1 de la décision statuant sur la pension alimentaire (Req.,
1
5 janvier 1938, D. H., 1938, 180).

Kl Un arrêt de la Chambre des Requêtes du 5 janvier 1938


Il est venu préciser que la pension alimentaire ne cesse pas de
H plein droit avec sa cause, mais que les juges saisis de l'action
H en révision peuvent ordonner la restitution des sommes
H payées à partir du moment où elles sont devenues inutiles.
H
H
H
H
qui statue sur la pension alimentaire :
Cet arrêt vient mettre en lumière le caractère de la décision
cette décision ne pro-
duit pas seulement effet pour l'avenir, comme le soutenait
le pourvoi, elle n'a pas un caractère constitutif, mais un
H caractère déclaratif.
H
H
H
concerne la décision qui accorde la pension ;
Ce caractère déclaratif apparaît, tout d'abord, en ce qui
cette décision
ne fait que constater l'obligation alimentaire qui existait
Hj auparavant et le créancier devrait donc normalement pouvoir
H réclamer la pension rétroactivement depuis le jour où il s'est
H trouvé dans le besoin. Mais un autre principe vient souvent
s'opposer à ce rappel, c'est celui qui est formulé par la
»
maxime « pensions alimentaires n'arréragent pas ; il im.
porte toutefois de remarquer que les arrêts qui consacrent
cette règle traditionnelle prennent soin de préciser que si les
pensions alimentaires n'arréragent pas, c'est parce que le
créancier peut être considéré comme s'étant trouvé à l'abri

pas indispensable à sa subsistance ;


diu; besoin! et comme ayant renoncé à un paiement qui n'était
il s'agit là d'une simple
;
présomption qui cède devant la preuve contraire (Planiol,
Ripert et Rouast, t. II, n" 53 Beudant, Lerebours-Pigeon-

;
nière et Batiffol, t. II, n" 503 ; Req., 30 janvier 1933, D. H.,
1933; 114 Angers, 13 mai 1936, D. H., 1936, 416). Il faut en
conclure que si la pension n'a pas été réclamée dès que l'état
de besoin est apparu, parce que le débiteur a réussi à se sous-
traire pendant un certain temps aux poursuites, ce débiteur
peut être condamné à payer la pension rétroactivement.
En ce qui concerne les décisions qui viennent réviser ou
supprimer la pension alimentaire, elles sont également fondées
sur un état préexistant et devraient donc logiquement per-
;
mettre toujours au débiteur de répéter ce qu'il a versé en
trop l'arrêt de la Chambre des Requêtes du 5 janvier 1938
affirme cependant que la pension ne cesse pas de plein droit
avec sa cause et qu'il faut une décision expresse pour faire
remonter ainsi dans le passé l'effet de la révision ou de la
suppression. La raison ne doit plus être recherchée ici dans
la maxime « pensions alimentaires n'arréragent pas », mais
dans un principe inverse suivant lequel les fruits sont faits
normalement pour être dépensés. C'est en vertu de cette idée
que le possesseur de bonne foi est dispensé de restituer les
fruits, car ils ne sont pas censés l'avoir enrichi (art. 549 et
550 G. Giv.). C'est en vertu de la même idée que l'article 1906
refuse à l'emprunteur qui a payé des intérêts qu'il ne devait
pas, de les répéter et'de les imputer surle capital. En matière
de pension alimentaire, le créancier peut légitimement se
croire, autorisé à dépenser la pension, alors même qu'elle
dépasse ses stricts besoins ou qu'il pourrait s'en passer com-
plètelnent, tant que le débiteur n'a pas manifesté son intention
de: voir réduire ou supprimer la pension. Toutefois, en raison
des circonstances, les juges peuvent estimer que le créancier
n'a pas pu compter de bonne foi sur la continuation du ser-
vice de la pension : c'était le cas en l'espèce, la pension étant
servie par des parents à leur fille qui s'était trouvée à l'abri
du besoin à partir du jour où elle avait été mariée ; le rem-
boursement des arrérages versés depuis le mariage a pu être
ordonné, l'état de besoin ayant cessé à ce moment d'une façon
suffisamment certaine pour que la fille créancière n'ait pu
conserver aucune illusion sur ses droits.
20 Le recours entre codébiteurs d'aliments (Civ., 27 novembre
1935, D. P., 1936, 1. 26, Note Rouast).
L'existence d'un recours entre codébiteurs d'aliments
était restée jusqu'ici controversée (Planiol, Ripert et Rouast,
t. II, n° 57 ; Beudant, Lerebours-Pigeonnière et Batiffol, t. II,

faveur du recours :
n" 509) ; et les Cours d'appel étaient divisées sur ce point (en
Toulouse, 25 juillet 1863, D. P., 1863, 2.

cours :
139 ; Rouen, 15 février 1864, D. P., 1864, 5. 190 ; contre le re-
Paris, 26 avril 1892, D. P., 1893, 2. 175 ; Nancy, 18
décembre 1919, D. P., 1920, 2. 101 ; Besançon 4 juin 1930, D.
II., 1930, 437 Lyon, 28 juin 1934, Sem. Jur. 1935,, 1018).

;
L'arrêt de la Chambre Civile du 27 novembre 1935 vient
reconnaître l'existence de ce recours il admet que la mère
naturelle peut réclamer au père la part qui lui incombait
dans l'entretien de l'enfant commun, qu'il a laissé à sa charge.
La Cour affirme « que si chacun des père et mère naturels
comme légitimes, est tenu pour le tout de l'obligation de
nourrir, entretenir et élever les enfants communs, cette obli-
gation unique au regard des enfants qui en sont les créanciers
en dehors de toute décision judiciaire consacrant leurs droits,
ne s'en divise pas moins entre les parents qui dans leurs rap-

lement à leurs ressources ;


ports entre eux, doivent en supporter le poids proportionnel-
qu'il suit de là que si l'un d'eux
s'est soustrait à l'exécution de ce devoir à la fois légal et
moral vis-à-vis des enfants hors d'état de se protéger eux-
mêmes, celui qui en a forcément assumé la charge a, en prin-
cipe, un recours contre le défaillant ». Bien que l'arrêt vise
l'article 203 Code Civil, il ne faut pas chercher dans ce texte
;
une justification particulière de cette solution s'il s'agissait
de parents légitimes, on aurait pu songer à tirer parti de la
formule de l'article 203 suivant lequel « les époux contractent
ensemble, par le fait du mariage », l'obligation alimentaire,
mais les parents naturels n'ont certainement contracté au-
cune obligation l'un envers l'autre et le texte est seulement
invoqué pour justifier l'obligation de chacun d'eux envers
l'enfant. La solution donnée n'est donc pas spéciale aux

:
parents, elle peut être étendue à tous les débiteurs d'aliments
qui sont tenus envers un même créancier (en ce sens Rouast,
note D. P., 1936, 1. 26).

reconnu au débiteur d'aliments :


Mais il reste à savoir quel est le fondement de ce recours
l'explication la plus simple
consisterait à voir dans l'obligation alimentaire qui incombe
à plusieurs personnes une obligation solidaire, ce qui aurait
permis de trouver dans l'article 1214 le fondement juridique

;
du recours. Mais ce n'est certainement pas cette justification
qu'a voulu adopter la Cour de Cassation elle évite de contre-
dire l'affirmation de l'arrêt attaqué qui s'était basé pour

;
refuser le recours sur cette considération que l'obligation
alimentaire n'est ni solidaire, ni indivisible en effet, la soli-
darité ne se présume pas et la Cour de Cassation avait déjà
nié en cette matière la solidarité par un arrêt (Civ., 6 août
1894, D. P., 1895, 1. 199) qui a fait jurisprudence (Paris, 18
décembre 1897, D. P., 1898, 2. 197 ; Caen, 22 décembre 1904,

;
S., 1905, 2. 265 ; Nancy, 18 décembre 1919 D. P., 1920,
Lyon, 28 juin 1934 précité Besançon, 26 mai 1936, S., 1936,
2.201 ;

2. 223). Pour éviter l'objection tirée de l'article 1202, certains


auteurs ont proposé de faire appel à l'idée de solidarité impar-
faite (Rouast, note précitée, P. Coste-Floret, Rev. Crit., 1936,
358), mais la jurisprudence est peu favorable à cette notion
la solidarité imparfaite comme d'ailleurs la
;
solidarité parfaite
suppose l'unité de la dette à laquelle sont tenus les codébiteurs
alors qu'en matière d'obligation alimentaire, chacun est tenu
suivant ses facultés personnelles et qu'il y a donc autant
d'obligations de montants différents que de débiteurs.
Mais si les obligations alimentaires qui pèsent sur cha-
cun des débiteurs ne sont pas rigoureusement égales, elles
ont tout au moins une partie commune ; le débiteur auquel
s'adresse le créancier alimentaire pourrait, en effet, deman-
der la mise en cause des autres débiteurs ou demander, tout
au moins, qu'il soit tenu compte des ressources que le créan-
cier pourrait obtenir d'eux (Planiol, Ripert et Rouast, t. II,
n" 57 ; Beudant, Lerebours-Pigeonnière et Batiffol, T. II,
n" 509 ; Req., 15 juillet 1861, D. P., 1861, 1. 469 ; Nancy, 18
décembre 1919 ; Lyon, 28 juin 1934 ; Besançon, 26 mai 1936
précités). S'il néglige d'user de ce moyen et se laisse condam-
ner pour le tout, il paie pour partie la dette d'autrui, et doit
donc avoir un recours qu'il peut fonder soit sur la subrogation

d'autres ;
légale (art. 1251, 3°), puisqu'il était tenu, en réalité, avec
soit sur l'idée de gestion d'affaires, car « il importe
peu que celui qui a fait l'acte de gestion, ait entendu agir
tout à la fois dans son intérêt personnel et dans l'intérêt d'un
tiers, si en réalité ce tiers était intéressé à l'acte de gestion et
; en a profité » (Req. 18 juin 1872, D. P., 1872, 1. 471) ; soit
enfin, subsidiairement, sur l'idée d'enrichissement sans cause,
puisqu'aucune disposition de loi ne l'obligeait à se laisser
y
condamner sans demander de tenir compte des ressources des
autres débiteurs.

•I
!
|
§. VIII. - PUISSANCE PATERNELLE. 1°Des droits du parent
qui n'est pas détenteur de la puissance paternelle (Trib.
Civ. Langres, 3 février 1933, D. H., 1933, 262, Trib. Civ.
| 2.
Provins, 11 juillet 1933, Gaz. Pal. 1933, 647 ; Dijon, 26
| octobre 1933, D. H., 1934, 14 ; Paris, 29 janvier 1934, Gaz.
1
Pal., 1934, 1. 576., Paris, 13 décembre 1934, D. H., 1935,
i 138 S., 1935, 2. 168., Civ. 13 avril 1937, D. H., 1937, 281.
I S., 1938, 1. 8.
-

Celui des parents qui n'est pas détenteur de la puissance


paternelle a un droit de contrôle et de surveillance à exercer
sur l'autre (Planiol, Ripert et Savatier, t. I, n° 302 ; Beudant,
Lerebours-Pigeonnière et Breton, t. III bis, n° 1393) ; ce droit,
en vertu de l'article 303 du Code Civil survit au divorce et il
devient alors entre les parents divorcés une source de conflits
il en est souvent de même entre parents naturels qui ne vivent
;
pas ensemble et ne sont pas toujours d'accord sur les mesures
à prendre pour l'éducation de l'enfant. Pour résoudre ces
conflits, il ne faut pas chercher à préciser les prérogatives de
la puissance paternelle qui ont un caractère exclusif et la
limite du droit d'intervention du parent dépourvu de la puis-
sance paternelle, il faut s'inspirer avant tout de l'intérêt de
l'enfant (articles 302 et 383 du Code Civil).
C'est ce qui ressort notamment de décisions intervenues

cation religieuse de l'enfant :


à propos de conflits entre parents divorcés au sujet de l'édu-
l'arrêt de la Chambre Civile
du 13 avril 1937 précise « que l'époux à qui la garde des
enfants n'a pas été confiée n'en conserve pas moins le droit
de surveiller leur éducation et qu'il lui appartient de s'adres-
ser à la juridiction compétente pour trancher le litige au cas
où il estimerait qu'au point de vue du choix de la religion
dans laquelle ils sont instruits, son conjoint ferait du droit de
garde un usage contraire à leur intérêt ». C'est en s'inspirant
du même principe que la Cour de Paris, dans son arrêt du
13 décembre 1934, reconnaît à la mère divorcée qui n'a pas la
garde des enfants le droit d'obtenir que sa fille lui soit tempo-
rairement remise pour qu'elle lui fasse faire sa première com-
munion.

:
D'autres décisions sont intervenues pour départager les
parents naturels un arrêt de la Cour de Dijon du 26 octobre
1933 invoque l'intérêt de l'enfant pour reconnaître au père
un droit de surveillance sur son éducation. Un arrêt de la
Cour de Paris du 29 janvier 1934 décide que le père naturel
peut exiger de la mère qui exerce la puissance paternelle

;
qu'elle rapproche l'enfant de lui, afin qu'il puisse exercer
commodément son droit de visite il affirme que « la modi-
fication de l'état de chose qu'a cru devoir instaurer la mère
dans la plénitude de ses attributions ne saurait être envisagée
que s'accordant avec l'intérêt supérieur de cet enfant qui,
seul, est en jeu et dont il échet en premier lieu d'avoir souci ».
Mais cet arrêt croit devoir ajouter c qu'il ne s'agit pas, ainsi

;
que cela a été soutenu à tort, de démembrer le droit de puis-
sance paternelle qui, en l'espèce, appartient à la mère que
-ce n'est pas y porter atteinte que de rechercher les mesures
propres à assurer au père le moyen de visiter l'enfant dans
des conditions de facilité normale » ; en réalité, il est difficile
de nier que la mesure ordonnée ne constitue une atteinte au
droit de garde, mais l'erreur serait de penser que la puissance
paternelle est intangible et qu'il ne peut y être porté aucune
atteinte en dehors des cas de déchéance (Trib. Civ. Langres,
3 février 1933). Le droit de surveillance, le droit de visite
constituent incontestablement des restrictions aux droits du
parent détenteur de la puissance paternelle, puisqu'ils sont
exercés au besoin avec le secours de la force publique.
En réalité, ces solutions ne peuvent se justifier si l'on
se place du côté des parents pour délimiter leurs prérogatives
respectives ; tout s'éclaire, au contraire, si l'on se place du
côté de l'enfant. Si l'intérêt de l'enfant exige que le droit de
visite soitsupprimé parce que ce parent exerce une influence
néfaste sur l'enfant, ce droit de visite ne s'exercera pas. Si,
au contraire, l'intérêt de l'enfant commande d'accorder au

droit de visite, la garde peut lui être confiée :


parent qui n'a pas la puissance paternelle plus qu'un simple
c'est ce qu'a
reconnu le Tribunal de Provins, le 11 juillet 1933, pour
confier à la mère un enfant naturel sans retirer au père les
autres attributs de la puissance paternelle. La jurisprudence
parvient ainsi à subordonner la puissance paternelle à une
haute tutelle judiciaire dans l'intérêt de l'enfant.

2° Des droits des ascendants (Dijon, 17 janvier 1933, D. H.,


1933, 188 ; Trib. Civ. Angers, 16 septembre 1933, Angers,

;
30 décembre 1933, Amiens, 7 février 1934, D. P., 1934, 2.
57, note Lebrun Trib. Cijv. Vendôme 30 juillet 1934, D. H.,

19 octobre 1935, D. P., 1937, 1. 12, note Lebrun ;


1934, 599 ; Paris, 1er mars 1935, D. H., 1935,256 ; Crim.
Crim., 5
novembre 1936, D. H., 1936, 573 ; Trib. Civ. Saint-Brieuc, 2
mars 1937, D. P., 1937,2.56 ; Trib. Civ. Lisieux,8 décembre
1937, Gaz. Pal., 23 février 1938 ; Angers, 22 février 1938,
D. H., 1938, 331 ; Civ. 27 juillet 1938, Gaz. Pal., 1938, 2.
678).
On s'est demandé souvent quels sont les droits des ascen-
dants matière de puissance paternelle (Savatier, Rev. Crit.,
en
1932,404 ; Lagarde, Rev. Trim. D.Civ., 1934,396 et 1935,631 ;
Planiol, Ripert et Savatier, t. I, n° 321 ; Beudant, Lerebours.
Pigeonnière et Breton, t. III bis, n° 1394) ; de Juglart, « Les
droits de puissance paternelle des ascendants », Rev. Cril.
1938. 383) ; le problème se pose à peu près dans les mêmes

:
conditions que pour le parent qui n'est pas détenteur de la
puissance paternelle là encore, il s'agit beaucoup moins de
délimiter in abstracto les prérogatives des ascendants que
de rechercher dans un cas déterminé, ce qu'exige l'intérêt de
l'enfant. Les grands-parents n'ont, en effet, sur leurs petits-
enfants d'autres droits que ceux qui leur sont reconnus par
;
la loi mais ils ont qualité, en raison de leurs liens de parenté
et d'affection, pour veiller à l'éducation de l'enfant ,et, comme
il est normalement de l'intérêt de l'enfant d'entretenir des
relations avec les membres de sa famille et en particulier avec
ses ascendants, il appartient à ceux-ci de faire réglementer
ces relations par décision de justice, si le détenteur de la
puissance paternelle se refuse, sans raisons sérieuses, à les
établir lui-même.
C'est ce qui est mis en relief par un arrêt de la Cour
d'Amiens du 7 février 1934 qui affirme « que si les père et
mère exercent seuls la puissance paternelle à l'exclusion des
grands-parents, ils ne sauraient cependant faire obstacle sans
motif légitime à ce que ces derniers entretiennent avec leurs
petits-enfants les relations étroites qu'exige leur lien d'étroite
parenté et qu'il est de l'intérêt même des enfants de ne pas
rompre ». Et le Tribunal civil de Lisieux qui affirme dans son
jugement du 8 décembre 1937, qu'il s'agit de concilier deux
droits, ceux des parents et ceux des grands'parents, ajoute
que cette conciliation « doit se faire au mieux des intérêts de
l'enfant, l'intérêt de l'enfant primant tout en matière de puis-
sance paternelle ». Ceci explique qu'il n'y ait pas de règle fixe
quant au point de savoir si les grands-parents ne peuvent

pour faire un séjour chez :


exiger qu'un simple droit de visite ou la remise de l'enfant
eux la jurisprudence admet
facilement la transformation du droit de visite en un droit
très

de séjour lorsque cela parait opportun, notamment en raison


de Téloignement du domicile des parents et des grandi"
Civ. Angers, 16 septembre 1933 ;
parents ou de la mésintelligence qui existe entre eux (Trib.
Amiens, 7 février 1934
Trib. Civ. Vendôme, 30 juillet 1934 ; Trib. Civ. Lisieux, 8 dé-
;
cembre 1937). Un jugement du Tribunal civil de Saint-Brieuc
du 2 mars 1937 refuse, par contre, le droit de séjour à des
grands-parents en faisant valoir qu'ils habitent la même
localité que les parents et que par conséquent des relations
normales peuvent être entretenues sans qu'il y ait séjour
chez eux.
Les droits qui sont reconnus aux ascendants n'étant pas
des attributs légaux de leur lien de parenté, les mêmes droits
peuvent être reconnus aux ascendants naturels, ainsi que l'a
reconnu la Cour de Cassation dans son arrêt du 27 juillet
: :
1938 à propos du droit de visite, (v. dans le même sens Dijon,
17 janvier 1933, mais en sens contraire Angers, 22 février
1938) ; de même la Cour de Paris leur a reconnu le droit de
surveiller la façon dont la tutelle de leurs petits-enfants natu-
rels est exercée, pour demander au besoin une modification
(Paris, 1" mars 1935).
La question s'est posée également de savoir si le droit

;
de visite reconnu aux ascendants pouvait être sanctionné par
l'article 357 du Code Pénal la difficulté provient de ce que ce
texte ne réprime que la violation d'une décision de justice
ayant « statué sur la garde ». Or, on s'est demandé si la déci-
sion qui reconnaît un simple droit de visite répondait bien
à celle visée par l'article 357 et s'il n'y avait pas lieu de distin-
guer entre le droit de séjour et le droit de visite (Garçon, Code
Pénal annoté). Mais la Chambre Criminelle qui avait déjà
appliqué l'article 357 au droit de visite reconnu au parent
privé de la puissance paternelle (Crim., 30 mars 1912, D. P.,

le droit de visite des ascendants ;


1913, 1. 336), ne pouvait adopter une solution différente pour
aussi a-t-elle décidé, dans
son arrêt du 19 octobre 1935, que « par la généralité de ses
termes, (l'art. 357) s'applique à la réglementation du droit
de garde, du partage des vacances et du droit de visite et

:
protège tous ceux qui sont admis par décision de justice à
faire valoir un de ces droits » (V. dans le même sens Crim.,
5 novembre 1936). Il n'y a aucune raison de distinguer entre
:
le droit de visite et le droit de séjour dans les deux cas, il
s'agit d'une atteinte portée au droit de garde, d'une privation
partielle de ce droit dont la durée est plus ou moins longue
ces droits ne sont pas d'une nature différente du droit de
;
garde, qui peut être entièrement confié aux ascendants si
l'intérêt de l'enfant l'exige (Req., 5 juin 1931, D.N.,1931,
361). 1

IX. — INTERDICTION. 1°De la nomination de l'administra-


§
teur provisoire (Paris, février 1933, S., 1933, 2.
Douai, 12 décembre 1934, S., 1935, 2. 69).
138;
L'article 497 du Code Civil prévoit qu'après le premier
interrogatoire, le tribunal peut nommer un administrateur
provisoire pour prendre soin de la personne et des biens du

;
défendeur. Les pouvoirs de cet administrateur provisoire sont
limités à la durée de l'instance l'article 505 dispose, en effet,
qu'après la nomination du tuteur et du subrogé-tuteur de
l'interdit, « l'administrateur provisoire cessera ses fonctions
et rendra compte au tuteur, s'il ne l'est pas lui-même ».
La Cour de Paris en a conclu dans son arrêt du 3 février
1933 qu'après le premier interrogatoire, le tribunal saisi de

;
la demande d'interdiction, ne pouvait plus nommer d'admi-
nistrateur provisoire il semble que cette solution soit exces-
sive : on peut parfaitement concevoir l'utilité de cette nomi-
nation au cours de la procédure de jugement qui peut deman-
der un certain temps, surtout s'il est procédé à une enquête.
Ce n'est pas parce que l'article 497 donne compétence à la
Chambre du Conseil pour procéder à cette nomination dès

pas le nommer par la suite ;


après le premier interrogatoire, que le tribunal ne pourrait
dès que l'affaire est portée
devant lui, c'est au tribunal qu'il appartient de connaître des
mesures provisoires pour les modifier suivant l'opportunité
ou les ordonner si elles ne l'ont pas encore été. Rien ne paraît
donc s'opposer à ce que, dans la décision même qui statue
sur l'interdiction, le tribunal nomme un administrateur pro-
visoire, en attendant la nomination du tuteur par le conseil
de famille (Beudant, Lerebours-Pigeonnière et Breton, T. III
bis, n° 1809, note 2).
Faisant application de ces principes, la Cour de Douai,
par un arrêt en date du 12 décembre 1934,
nistrateur provisoire en prononçant l'interdiction ;
a nommé un admi-

affirme « que l'article 497 n'impose pas au tribunal, dans le


elle

où il commet un administrateur provisoire, l'obligation

;
cas
de le désigner après le premier interrogatoire de l'interdit et
avant le prononcé du jugement d'interdiction que sa dési-
gnation peut, par suite, avoir lieu après cet interrogatoire et
à toute époque de la procédure, avant que l'interdit soit
pourvu d'un tuteur et qu'il n'est pas prescrit qu'elle doive
nécessairement être faite en Chambre du Conseil».
Une difficulté particulière résultait dans cette espèce de
|

j
ce

« le
:
que
mariée
mari
l'interdiction

est de droit
était

le
prononcée contre une femme
le mari invoquait l'article 506, aux termes duquel
tuteur de sa femme interdite », pour
soutenir que ses fonctions de tuteur légal prenaient effet
immédiatement et que la nomination d'un administrateur
provisoire était tout à fait inutile, puisqu'il n'était pas déchu
de la tutelle. Mais pour écarter en l'espèce la tutelle légale, la

engagée par la femme contre son mari ;


Cour fait valoir qu'une instance en séparation de corps a été
or, bien que l'arti-
cle 506 semble formel, et ne paraisse devoir recevoir exception
qu'en cas de destitution régulière du mari de la tutelle, la
jurisprudence en écarte l'application en cas de séparation
de corps (Req., 25 novembre 1857, D. P., 1858, 1. 299 ; Nancy,
15 mai 1868, S., 1869, 2. 149) ; cette jurisprudence était fon-
dée sur l'idée que la tutelle légale se justifiait par la puissance
maritale (Planiol, Ripert et Savatier, T. I, n° 700) ou depuis
la loi du 18 février 1938 par les prérogatives maintenues au
mari comme chef de la famille. Dès lors que l'on admet que
le texte a ce fondement, il faut en écarter également l'appli-
cation en cas d'instance en divorce ou en séparation de corps,
puisque, dans ce cas, le mari n'a plus la plénitude de ses
prérogatives et que l'état d'hostilité qui existe entre les époux

;
n'assure plus à la femme les garanties de protection sur
lesquelles repose l'attribution de la tutelle légale en ajoutant
à la lettre de l'article 506, la jurisprudence se conforme à son
esprit et elle donne une solution qui s'impose.
2° De la validité des actes passés par l'interdit au vu et au su
du tuteur (Civ., 4 janvier 1934, D. H., 1934, 97 ; S., 1936;
1. 137, note Vialleton).

« L'interdiction n'est pas une exclusion de la vie sociale)


(Vialleton, note au S., 1936, 1. 137) ; il est indispensable que
l'interdit, lorsque son état de santé ne nécessite pas son inter-
nement, puisse passer seul valablement certains actes de la
vie courante, mais il est assez difficile de justifier la validité

(V. sur ce point :


de ces actes puisque son incapacité est, en principe, générale
Planiol, Ripert et Savatier, T. I, n° 691 ;
Beudant, Lerebours-Pigeonnière et Breton, t. III bis, n° 1833).

constances tout à fait typiques :


La question s'est posée en jurisprudence dans des cir-
un interdit dont le tuteur
habitait une localité éloignée, faisait effectuer de façon
habituelle des travaux de jardinage par un ouvrier agricole ;
ce jardinier s'étant blessé au cours de son travail chez l'in-
terdit, réclama le bénéfice de la législation sur les accidents
du travail. Le tuteur contre qui l'action fut engagée, opposa
à l'ouvrier la nullité du contrat de travail qu'il avait passé
avec l'interdit, mais ce moyen qui tendait à priver l'ouvrier
de la protection de la loi sur les accidents du travail (Civ.,
22 mars 1912, S., 1912, 1. 517 ; Req., 16 juillet 1914, S., 1915,
1. 14) ne fut pas admis par la Cour d'appel de Dijon qui fit
droit à la demande par un arrêt en date du 11 décembre 1928;
la Chambre Civile a rejeté, le 4 janvier 1934, le pourvoi formé
contre cet arrêt.
Pour justifier cette solution, on aurait pu songer à recon-
nattre à l'interdit un pouvoir propre de passer seul certains
actes ou le considérer pour ces actes comme un mandataire

système: « Attendu, dit


;
du tuteur. Cependant la Chambre Civile ne se fonde ni sur
l'un, ni sur l'autre de ces moyens elle se rallie à un troisième
l'arrêt, que sans qu'il y ait lieu de
se prononcer sur la validité des actes d'administration inhé"
rents aux nécessités de la vie courante accomplis par l'interdit
en dehors de son tuteur, non plus que sur l'existence ou la
validité d'une délégation de pouvoirs consentie par celui-ci à
l'interdit, il résulte des constatations qui précèdent que
Ferrari était habituellement engagé par d'Azincourt pour des
travaux de jardinage et que cet engagement était nécessai-
rement connu de son tuteur et accepté par lui ». Ainsi la Cour
de Cassation fait état de ce que l'engagement du jardinier
était connu du tuteur pour en conclure que cet engagement
;
était accepté par lui il est certain que la volonté tacite peut
être retenue pour la formation d'un contrat et que cette
volonté tacite peut résulter d'une simple attitude et même
du silence gardé (Planiol, Ripert et Esmein, T. VI, n° 105).
Le tuteur de l'interdit ayant pour mission de surveiller son

;
activité et de défendre ses intérêts, doit mettre en garde les
tiers contre l'activité de l'interdit il engagerait sa respon-
sabilité personnelle à leur égard s'il les laissait contracter

;
avec l'interdit sans les prévenir, alors qu'il en aurait eu la
possibilité la Cour de Cassation va plus loin et admet que
cette attitude du tuteur peut être considérée comme valant
de sa part manifestation de la volonté de contracter.

:
En réalité, cette analyse n'est pas parfaitement satisfai-
sante si l'on peut retenir la volonté tacite du tuteur, il
faudrait que l'on pût également constater la volonté du jardi-
;
nier de contracter avec lui or cette volonté n'est nullement
constatée dans l'arrêt. Le jardinier n'avait entendu contracter

;
qu'avec l'interdit, dont il ne connaissait probablement pas
l'incapacité juridique il n'y a donc pas eu concours de
volonté et le contrat n'a pas pu se former. Il semble que pour

:
valider le contrat de travail, il aurait été préférable, en l'espè-
ce, de recourir à un autre moyen l'idée de pouvoir propre
ne pouvait pas être ici d'un grand secours, car s'il est géné-
ralement admis que les incapables peuvent faire seuls des
actes conservatoires (Planiol, Ripert et Savatier, T. I, n° 273),

à la place de leur représentant;


il est certain qu'ils ne peuvent faire des actes d'administration
or, les travaux de jardinage
ne sont pas nécessairement des actes conservatoires. Au con-

;
traire, l'idée de représentation pouvait être ici d'une appli-
cation très facile l'interdit, comme tout incapable, peut exé-
cuter un mandat (Planiol, Ripert et Savatier, T. I, n° 280) et
l'on peut parfaitement admettre que le tuteur qui laisse l'in-
terdit exercer une activité donnée et passer certains actes
:
juridiques lui donne mandat de le faire c'est une interpré-
tation très plausible de l'attitude du tuteur. Ce mandat tacite

;
du tuteur paraît être la forme d'activité juridique la plus
opportune pour l'interdit elle lui laisse le pouvoir de passer
seul les actes courants correspondants au genre de vie que
le tuteur lui laisse mener. Il semble que ce mandat tacite soit

:
un correctif nécessaire de l'incapacité de l'interdit (en ce
sens Vialleton, note précitée).

Jean HARDOIN,

Professeur agrégé la Faculté de Droit


à
de Poitiers.
LA RESPONSABILITE DU PLAIDEUR
ENVERS SON ADVERSAIRE
en matière civile et commerciale

INTRODUCTION

Dans le rapport au Président de la République, qui pré-


cède le décret du 8 août 1935, modifiant et complétant certains
textes du Code d'Instruction Criminelle, il est fait état du
développement considérable de l'abus de la procédure.

;
Mais l'abus de la procédure n'existe pas seulement en
matière pénale il se rencontre également en matière civile.
Nombreux sont les plaideurs qui intentent des procès
par pur esprit de chicane ou qui, poursuivis en justice, s'effor-
cent de faire échec aux légitimes prétentions de leur adver-
saire, en invoquant des arguments sans consistance, ou qui
utilisent les voies de recours à des fins purement dilatoires.
Nombreux, également, sont les plaideurs qui exercent le
droit d'ester en justice avec imprudence, négligence ou
impéritie.
Les conséquences de tels agissements sont déplorables.
Le droit d'ester en justice se trouve dévié de sa fin : destiné
à assurer le respect du Droit, il sert à bafouer la Justice.
Et son mauvais emploi cause à ceux contre lesquels il est
mis en œuvre des pertes de temps et d'argent, en les obli-
geant à plaider inutilement.
Le mal, à coup sûr, ne date pas d'hier : il y a eu, de
tous temps, des plaideurs chicaniers. Mais il est devenu de
nos jours plus sensible et plus grave pour l'intérêt général,
à raison de l'encombrement que l'abus de la procédure
entraîne dans les tribunaux importants et des retards si pré-
judiciables que cet encombrement fait subir au jugement des
affaires sérieuses.
Aussi, ne saurait-on s'étonner de constater, dans la
législation récente, différentes réformes destinées à faire
obstacle aux, abus de procédure.
Il faut citer, à ce titre, en premier lieu, le décret du
30 octobre 1935, modifiant divers articles du Code de Procé-
dure Civile.
Cet important texte législatif apporte, notamment, des
modifications profondes au régime des jugements par défaut
et des oppositions. C'est qu'en effet, ainsi que le déclare le
rapport fait au Président de la République, à l'occasion de
ce décret, « la matière des jugements par défaut et des
« oppositions est peut-être celle qui appelle la plus urgente
« réforme, car elle sert trop souvent aux plaideurs de
« mauvaise foi qui tentent de prolonger la durée des procès
x afin de lasser la patience de leurs adversaires (1). »
Ce même décret du 30 octobre 1935 s'est efforcé de
décourager les appels purement dilatoires (2).
C'est vraisemblablement inspirés également du souci de
réduire les abus de procédure que certains textes en matière
civile et commerciale suppriment toutes ou certaines voies
de recours à l'encontre des décisions judiciaires qu'ils
prévoient (3).

(1) D., 1935, 4. 421, col. II. Le décret du 30 octobre 1935 supprime
l'opposition au jugement par défaut faute de conclure et « [permet]
c plus facilement de rendre le jugement par défaut [faute de comparaître]
« définitif. » (Rapport précité. loc. cit.). Sur les détails de la réforme,
voir l'article 3 du décret et Hébraud, c La réforme de la procédure i,,
Revue critique, 1936, p. 73 et s.
(2) Il oblige l'appelant à déclarer son appel au greffe de la juridic-
tion d'appel par les soins de l'avoué constitué, dans les quinze jours d3
la signification. de l'acte d'appel, à peine de déchéance. Ainsi, l'appelant
se trouve obligé de poursuivre la mise en jugement de son appel. Voir
Hébraud, op. cit., p. 109 et a.
:
(3) Nous nous contenterons de citer en ce sens
;
le décret du 8 août
1935, relatif à l'expropriation pour cause d'utilité publique, article 24
;
(D., 1935, 4. 209) le décret du 8 août 1935, relatif aux droits des
obligataires d'un même emprunt, article 1 (D.,1935, 4. 221) le décret
du 30 octobre 1935, unifiant le droit en matière de lettres de change
;
et de billets à ordre, article 147 nouveau du Code de Commerce (D.,
1935, 4, 463) le décret du 25 août 1987, instituant en faveur des débi-
;
teurs commerçants et artisans le règlement amiable homologué, article 16
(D., 1937; 4. 242) le décret du 31 août 1937, relatif au remboursement
anticipé et à l'aménagement des dettes hypothécaires, article 7. (D.,
p. 283 et a.
Sans doute les réformes récentes que nous signalons ne
sont-elles pas les premières entraves apportées par la loi à
l'exercice du droit d'ester en justice. Ce droit se trouvait
soumis déjà par le Code de Procédure Civile à une réglemen-
tation minutieuse, qui avait notamment pour but de limiter
le recours des justiciables aux tribunaux.
C'est ainsi que le droit d'appel est refusé au plaideur mé-
content, lorsque l'intérêt du litige est trop modique (4).

cédure Civile consacre la règle


ne vaut»(5).
:
C'est ainsi également que l'article 165 du Code de Pro-
« Opposition sur opposition

Du moins, le mouvement législatif contemporain vient-il


resserrer les limites apportées par le Code de Procédure Civile
à l'activité processive des justiciables, afin d'empêcher certains
abus dans l'exercice du droit d'ester en justice, que le Droit
antérieur rendait possibles.
Mais une réglementation, si minutieuse, si complète
soit-elle, ne pourra jamais interdire l'accès du prétoire aux
plaideurs processifs. Dès l'instant que l'on a reconnu au
justiciable le droit de faire valoir ses prétentions devant les
tribunaux, des abus sont à craindre.
Ou bien le justiciable fera mauvais usage de son droit
d'ester en justice, en s'en servant pour satisfaire sa rancune
ou sa haine, ou pour atteindre certaines fins dans lesquelles
le souci de se faire rendre justice n'a pas de place.
Ou bien il l'exercera, soit avec négligence, soit avec
imprudence, soit avec impéritie.
C'est seulement en mettant en jeu sa responsabilité que

en justice :
l'on peut empêcher un plaideur chicanier ou téméraire d'ester
la crainte d'avoir éventuellement à payer des
dommages-intérêts à son adversaire étant susceptible de
freiner ses intentions processives.

1(4) Sur les considérations justifient cette dérogation au principe


qui
degré de juridiction, voir
du double et Tissier, Traité théorique
GlasBon «
pratique procédure
de éd., t. I,
1(5)etSur cette règle, voir Glasson, Tissier et Morel, cit., t. III,
1
et

P. 283
civile », 3* p. 83.
op.
s.
C'est pourquoi, en présence du vif mouvement de réaction
contre l'abus de la procédure, que nous avons constaté en
législation, il semble que l'on doive soumettre le plaideur
à une responsabilité rigoureuse.
Il n'existe dans notre droit aucun texte de portée géné-
rale, qui détermine l'étendue de cette responsabilité.
lières:
Seuls, quelques textes donnent des solutions particu-
au cas de tierce-opposition (art. 479 du Code de Pro-
cédure Civile.) (6), au cas de requête civile (art. 500 du
même Code) (7), au cas de prise à partie (art. 513 ét 516

(6) L'article 479 du Code de procédure civile est ainsi conçu « La


c partie dont la tierce-opposition sera rejetée sera condamnée à une
:
c amende qui ne pourra être moindre dé cinquante francs, sans préju.
« dice des dommages et intérêts de la partie, s'il y a lieu ».
L'arrêt le plus récent, à notre connaissance, qui a été rendu sur
l'application de ce texte, est un arrêt de la Chambre des requêtes, en
date du 10 février 1909 (D., 1909, 1. 376), qui ne fait d'ailleurs que
reproduire la formule d'arrêts antérieurs (Civ., 24 mars 1891, D., 1891,
1. 221; Oiv., 19 juin 1893, D., 1894, 1. 215). D'après cet arrêt, « .des
« termes de la loi, on doit conclure qu'il appartient au juge d'allouer
« ou de refuser des dommages-intérêts suivant les circonstances, c'est-à-
c dire suivant qu'ils estimeront que la tierce-opposition a causé ou non
c .préjudice, sous la seule condition, au cas de l'affirmative, d'établir ce
« préjudice ».
Ainsi donc, le plaideur, qui a intenté une tierce-opposition et qui a
euccombé, « est tenu de payer des dommages-intérêts sans qu'il soit
« besoin de constater sa mauvaise foi ou même simplement son impru-
c dence » (Glasson, Tissier et Morel, 3e éd., t. III, § 994, p. 563. Dans
le même sens, Garsonnet et Cézar-Bru, 3e éd., t. VI, § 523, p. 873).
S'est dire que, tout au moins dans l'interprétation qu'en donne la Cour
de cassation, l'article479 du Code de Procédure Civile apporte une déro-
gation importante aux règles du droit commun de la responsabilité. Peut-
itre convient-il de voir dans la solution qu'il consacre, une application
exceptionnelle de la théorie du risque
question.
? Nous posons simplement la

(7) Aux termes de l'article 500 du Code de Procédure Civile, « le


« jugement qui rejettera la requête civile condamnera le demandeur à
« l'amende et aux dommages-intérêts ci-dessus fixés, sans préjudice de
« plus amples dommages-intérêts, s'il y a lieu ». Ce texte fait allusion
à l'article 494 qui impose, sous réserve d'ailleurs de certaines exceptions,
au plaideur qui présente une requête civile la consignation d'une « som-
e me de trois cents francs pour amende, et cent cinquante francs pour
« les dommages-intérêts de la partie, sans préjudice de plus amples
€ dommages-intérêts, s'il y a lieu. ».
D'après un arrêt récent de la Chambre des requêtes, en date du 17-
janvier 1933 (D. H., 1933, 116), qui ne fait d'ailleurs que reproduire
les termes d'un arrêt de la même juridiction, du 14 février.1922
du même Code) (8), au cas de règlement de juges (art. 367)
8 bis), etc.
Ne peut-on, dans ces conditions, aller jusqu'à prétendre
que tout plaideur agit à ses risques et périls, de telle sorte
que. s'il succombe dans ses prétentions, il doit, ipso facto,
réparer le préjudice qu'il a causé à son adversaire ?
L'éventualité de ce préjudice n'est pas contestable. La
condamnation aux dépens, qui est prononcée contre la partie
perdante, ne peut indemniser l'autre partie de tous les frais
qu'elle a engagés et du dommage qu'elle a subi, soit en

(D., 1922, 1. 70), «.la condamnation prévue par l'article 500 du Code de
«procédure civile à une amende de 300 fr. et à 150 fr. de dommages-
« intérêts « sans préjudice de plus amples dommages-intérêts, s'il y a
« lieu i, constitue une sanction que la loi attache expressément au rejet
« de la requête civile ».
Cet arrêt manque de netteté. Faut-il comprendre, ou non, d'après
la Chambre des requêtes, dans la « sanction que la loi attache expressé-
« ment au rejet de la requête civile », en outre de l'amende de 300 francs
et de la condamnation à 150 francs de dommages-intérêts, « de plus am-
»
i pies dommages-intérêts, s'il y a lieu ?
La question est d'importance. Suivant l'interprétation adoptée, on
décidera que la partie au procès, contre laquelle a été interjetée à tort
la requête civile, a droit, ipso facto, à des dommages-intérêts excédant
150 francs, à la seule condition que le préjudice dont elle se plaint soit
supérieur à ce chiffre, ou l'on exigera, à l'inverse, qu'elle prouve la
faute de son adversaire, en même temps que le préjudice dont elle
domande réparation.
A s'en tenir à la formule de l'arrêt, il semble que la condamnation
à des dommages-intérêts constitue en tout état de cause, même lors-
qu'elle excède 150 francs, une sanction expressément attachée par la loi
au rejet de la requête civile et que, par suite, elle soit encourue de
plein droit, sans que la partie qui la sollicite ait à prouver une faute
quelconque du demandeur. Mais cette interprétation est rendue douteuse
par cet autre motif de l'arrêt « qu'en l'espèce où la condamnation
« prononcée dépasse 150 francs, la Cour d'appel ayant constaté le carac-
( tère vexatoire de la procédure et le préjudice subi par les défendeurs,
« a légalement justifié l'allocation des dommages-intérêts accordés. ».
En faisant état de la constatation par l'arrêt attaqué du caractère vexa-
toire de la procédure (l'arrêt de la Chambre des requêtes du 14 février
1922, précité, faisait lui-même état de la « témérité du plaideur », pour
rejeter le pourvoi porté devant elle dans une espèce où la Cour d'appel
avait condamné le demandeur en requête civile débouté à 1.000 francs de
dommages-intérêts), la Chambre des requêtes paraît exiger Une faute
du demandeur, pour qu'il soit condamné à des dommages-intérêts excé-
dant 150 francs, sans qu'il soit permis d'ailleurs de savoir si une faute
au sens de l'article 1382 du Code Civil suffit.
:
L'article 500 pose une autre difficulté, que l'arrêt du 17 janvier 1933
n'a pas eu à résoudre les dommages-intérêts qu'il prévoit peuvent-ils
être alloués sans une demande de la part de celui contre qui la requête
soit en se heurtant à une résistance
-
étant obligée de se défendre contre une demande mal fondée,
injustifiée.
dans les dépens :
D'une part, en effet, tous ses frais ne sont pas compris
il en est ainsi notamment des honoraires
d'avocat et d'avoué (9). D'autre part, le plaideur, qui a gagné

?
civile a été intentée à tort Cette question, qui peut paraître à première
vue pour le moins étrange, est suggérée par la formule impérative qu'em.
ploie ce texte: « Le jugement. condamnera. ». A s'en tenir à ces
termes, ne convient-il pas de décider qu'une demande n'est pas indis-
?
pensable de la part du défendeur à la requête civile La Jurisprudence
pénale, interprétant les articles 136 et 436 du Code d'Instruction Crimi-
nelle, qui emploient une formule analogue à celle de l'article 500 du Code
de Procédure Civile, déclare que la condamnation aux dommages-intérêts
qu'ils prévoient, est encourue alors même que la partie à qui ils sont
accordés n'en a pas fait la demande (Crim., 6 novembre 1823, S., 1823-
M. J.-A. Roux ;
1824, p. 331; Crim., 14 juin 1913, S., 1917, 1. 177, avec une note de
;
Crim., 21 juillet.1922, Bull. crim., 1922, n" 257 Crim.,
21 octobre 1926, S., 1928, 1. 289). Mais telle n'est pas l'interprétation
que la Jurisprudence civile donne dudit article 500, du moins si l'on: en
juge d'après des arrêts anciens (Bruxelles, 29 avril 1819, Rép. pratique
Dalloz, VO Requête civile, n° 28; Aix, 8 février 1839, Journal du Palais,
1839, t. I, p. 605). A l'appui de son opinion on fait remarquer que le
tribunal qui allouerait des dommages-intérêts au défendeur à la requête
civile, sans qu'il en ait fait la demande, statuerait ultra petita. (En
ce sens: Garsonnet et Cézar-Bru, op. cit., § 498, p. 835; Carré et Chau-
veau, 58 éd. avec la collaboration de M. Dutruc, t. IV, § 1791 ter,
p. 379; Aix, 8 février 1839, précité) et que, d'autre part, « le Trésor
fl.ne pouvant cumuler avec les 300 francs de l'amende qui le nantissent.
« déjà la somme de 150 francs réservée au défendeur, qui est présumé
«en avoir fait l'abandon, rien ne l'avaitpeut s'opposer à ce que cette tnême
« somme soit restituée à celui qui consignée» (Carré, Chauveau
et Dutruc, loc. cit.). Le fait que les articles 136 et 436 du Code d'Ins-
truction Criminelle, à l'inverse de l'article 494 du Code de Procédure
Civile, ne prévoient aucune consignation, peut expliquer, dans une cer-
taine mesure, l'opposition qui existe entre l'interprétation de ces textes
par la Jurisprudence pénale et l'interprétation que la Jurisprudence
civile donne de l'article 500 du Code de Procédure Civile.
(8) Les articles 513 et 516 du Code de Procédure Civile ont été
légèrement modifiés par la loi du 7 février 1933. Cette loi a supprimé la
condamnation à une amende dont le minimum était fixé à 300 francs,
antérieurement prévue.
Aux termes de l'article 513, « si la requête est rejetée, le demandeur
« sera condamné à des dommages-intérêts envers les parties, s'il y a
« lieu ». Aux termes de l'article 516, « si le demandeur est débouté, il
« sera condamné à des dommages-intérêts envers les parties, s'il y a
< lieu ».
(8 bis) L'article 367 du Code de Procédure Civile prévoit que «le
demandeur qui succombera être condamné dommages-inté-
:
«
- pourra
«.rêts envers les autres parties ».
aux

(9) Voir, sur les frais qui ne font pas partie-des dépens, GJasaon,
Tissier et Morel, op. cit., t. III, § 789 et t. V, § 792.
son procès, peut, indépendamment des frais de justice non
compris dans les dépens, avoir subi un préjudice, soit maté-
riel en raison notamment des démarches qu'il a dû faire et
du temps qu'il a perdu, soit même éventuellement moral.
l"
L'existence d'un préjudice chez son adversaire suffit-
elle pour engager la responsabilité du plaideur, qui a succom-
bé dans ses prétentions, sans qu'il soit besoin de retenir
une faute à sa charge dans l'exercice du droit d'ester en
justice?
Des arrêts de cours d'appel et des jugements '-
l'ont
admis (10).
A première vue, cette solution paraît satisfaisante. Le
meilleur moyen de tarir les abus, auxquels peut donner lieu
l'exercice du droit d'ester en justice, n'est-il pas, en effet,
de faire peser sur les justiciables la menace d'une condamna-
tion en dommages-intérêts, si, d'aventure, leur demande est
déclarée mal fondée, ou si, d'aventure, il est passé outre à
leur défense en justice ?
Mais, si on l'examine de plus près, on s'aperçoit qu'une
telle solution est inacceptable sur le terrain du droit positif.
Prononcer une condamnation en dommages-intérêts
contre tout plaideur qui a succombé dans ses prétentions, à
la seule condition qu'un préjudice ait été causé à son adver-
saire, sans exiger l'existence d'une faute quelconque à sa
charge, c'est faire application de la théorie du risque. Cette
théorie n'étant pas consacrée — du moins à titre de règle
générale — par notre Droit positif, il en résulte que les
décisions précédemment citées encourent indiscutablement
la cassation pour violation de la loi.
Si l'on ne peut admettre que le plaideur engage sa res-
ponsabilité envers son adversaire, par le seul fait qu'il
(10) Du moins autant qu'on peut le déduire des motifs des arrêta
:
de la Cour de Cassation rendus sur les pourvois formés contre ces déci-
sions Alger, 13 février 1925, cassé par Civ., 19 juin 1928, G. P., 1928,
2.475; Bordeaux, 12 janvier 1926, cassé par Civ., 22 octobre 1929, G. P.,
1929, 2. 820; Bordeaux, 8 juillet 1926, cassé par Civ., 29 juillet 1930,
G. P., 1930, 2. 580; Aix, 8 mai 1927, cassé par Civ., 8 juin 1931, S.,
1931, 1. 332; Douai, 24 juillet 1928, cassé par Civ., 14 décembre 1931,
D. H., 1932, 98; Alger, 23 mars 1931, cassé par Civ.; 26 octobre 1937,
G. P., 1937, 2. 848; Trib.de paix d'Argenteuil, 20 nov. 1935, cassé, par
Civ., 13 juin 1936, G. P., 1936, 2. 433.
succombe dans ses prétentions, il semble, en revanche,
qu'aucune bonne raison ne s'oppose à ce qu'on lui fasse une
stricte application des règles générales de la responsabilité
délictuelle et quasi-délictuelle.
Telle n'est pas, cependant, l'opinion de la Chambre civile
de la Cour de cassation dans ses arrêts les plus récents.
En fait de demande en justice, la plupart de ses arrêts
reproduisent, soit en propres termes, soit avec de légères
variantes, la formule suivante :
« L'action en justice est un droit dont l'exercice ne dégé.
« nère en faute pouvant donner ouverture à des dommages-
« intérêts que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise
« foi ou tout au moins une erreur grossière équipollente
« au dol » (11).
D'autres arrêts emploient une formule à peine différente.
Les uns exigent, pour que la responsabilité du plaideur soit
engagée, « soit une intention malicieuse, soit un dol ou une
« faute grossière [et non pas une erreur grossière] équipol-
« lente au dol » (12). Un autre décide que « l'exercice
« d'une action en justice est un droit qui ne dégénère en
« abus susceptible d'une réparation pécuniaire que s'il est
« dicté par une intention malicieuse, une erreur inexcusable
« ou la mauvaise foi» (13).
Enfin, on lit dans un arrêt du 10 novembre 1937 (14)
que « l'action en justice constitue l'exercice d'un droit qui,
« en dehors de toute constatation d'une faute suffisamment
« caractérisée, telle que le dol ou la mauvaise foi, ne peut
« donner lieu à des dommages-intérêts ».
A propos de la défense en justice ou de l'exercice des

(11) Nous empruntons cette formule à l'arrêt de la Chambre civile


du 23 mars 1937, D. H.,1937, 301 et G. P., 1937, 2. 62. Dans le même
sens: Civ., 14 mai 1929, G. P., 1929, 2. 144 et S., 1929, 1. 337; Civ.,
22 octobre 1929, G. P., 1929, 2. 820; Civ., 29 juillet 1930, G. P., 1930,
2. 580; Civ., 18 novembre 1930, G. P., 1931, 1. 72; Civ., 25 juin 1934,
G. P., 1934, 2. 391 (2e arrêt) ; Civ., 2 mars 1937, G. P., 1937, 1. 859.
(12) Civ., 14 décembre 1931, D. H., 1932, 98; Civ., 17 février 1937,
D. H., 1937, 221.
(13) Civ., 26 octobre 1937, G. P., 1937, 2. 848.
(14) G. P., 1937, 2. 926.
voies de recours, les arrêts les plus récents de la Chambre
civile s'expriment généralement en des termes analogues à
ceux que l'on rencontre dans la plupart des arrêts rendus
récemment en matière d'action en justice.
Ils décident que « la défense en justice [ou l'exercice
«
du droit d'appel] ne peut donner lieu à une condamnation
« à dommages-intérêts qu'autant qu'elle constitue un acte
«
de malice ou de mauvaise foi, ou, tout au moins, une erreur
«
grossière équipollente au dol » (15).
D'autres déclarent que « le fait de résister judiciairement
« à une demande constitue en principe l'exercice d'un droit,
«
qui, en dehors de toute constatation d'une faute suffisam-
« ment
caractérisée, telle que le dol ou la mauvaise foi, ne
«
saurait donner lieu à des dommages-intérêts »(16).
Les termes employés par les arrêts précédents manifes-
tent une dérogation très marquée aux règles du droit commun
de la responsabilité, puisque ces arrêts n'admettent pas, en
principe, comme source de la responsabilité du plaideur, sa
faute quasi-délictuelle et ne font exception à ce principe
qu'en faveur de l'erreur grossière (ou de la faute grossière)
équipollente au dol, ou de l'erreur inexcusable.
Cette affirmation n'est en rien contredite par la formule
des arrêts du 1" mars 1932, du 13 juin 1936 et du 10 novem-
bre 1937 précités, aux termes de laquelle l'action ou la défense
en justice donne lieu à des dommages-intérêts au cas de
« faute suffisamment caractérisée, telle que le dol ou la
« mauvaise foi ».
D'une part, en effet, nous l'avons vu, la majorité des
arrêts, et notamment en matière de défense de justice, un
arrêt postérieur en date du 25 janvier 1938 (17), retiennent
exclusivement la malice, la mauvaise foi, le dol et l'erreur

(15) Civ., 12 juillet 1928, G. P., 1928, 2. 628; Civ., 19 juin 1929,
Mon.Jud. du Midi, 1929, 225; Civ., 30 juillet 1930, D. H., 1930, 539;
Civ., 18 novembre 1930, G. P., 1931, 1. 72; Civ., 8 juin 1931, S., 1911,
1. 332; Civ., 22 mai 1935, S., 1935, 1. 383; Civ., 25 janvier 1938, D.ff.,
1938, 179 et G. P., 1938, 1. 628.
(16) Civ., 1er mars 1932, S., 1932, 1. 130; Civ., 13 juin 1936, G. P.,
1936,2.433.
(17) D. H.t 1938, 179.
grossière équipollente au dol, comme faits générateurs de la
responsabilité du plaideur.
D'autre part, si les arrêts qui précèdent ne limitent pas
l'admission de cette responsabilité aux seuls cas de dol et
de mauvaise foi, mais se contentent d'une faute « suffisam-
« ment caractérisée », on ne peut en conclure qu'ils s'en
tiendraient à une faute légère, ainsi que paraissent le penser
MM. H. et L. Mazeaud (18).
En prévoyant une « faute suffisamment caractérisée,
« telle que le dol ou la mauvaise foi », ces arrêts semblent
bien exiger l'intention de nuire, ou pour le moins la faute
lourde équipollente au dol. En sorte que la formule énon-
ciative qu'ils emploient semble bien proche de la formule
limitative que l'on rencontre, d'ordinaire, dans les arrêts de
la Chambre civile et paraît devoir conduire à des solutions
identiques (19).
L'opinion de la Chambre civile, en matière de demande
en justice, de défense en justice ou d'exercice des voies de
recours, est d'autant plus remarquable qu'elle n'est pas,
semble-t-il, partagée par la Chambre des requêtes.
On ne rencontre pas, en effet, dans les arrêts récents
de celle-ci, les formules restrictives des arrêts de la Chambre
civile. Sans remonter à l'époque, déjà ancienne, où, de l'aveu
même de l'un des membres de la Chambre des requêtes,
M. le Conseiller Lepelletier, il existait « sinon une evntra-
« diction, au moins une différence entre la jurisprudence
« de la Chambre des requêtes et celle de la Chambre
« civile» (20), et à s'en tenir à ses derniers arrêts, il n'appa-

(18) « Traité théorique et pratique de la responsabilité civile


2 éd.,t.I,§591,p. 558.
>,

(19) Au surplus, l'arrêt du 10 novembre 1937 précise que « te


« fait allégué par la défenderesse ne saurait à lui seul caractériser la
c malice, l'intention de nuire ou l'erreur grossière assimilable au dol
« quant à ses effets ». La Chambre civile n'y envisage donc, comme
faute quasi-délictuelle susceptible d'engager la responsabilité du plaideur,
que l'erreur grossière, assimilable au dol.
(20) Rapport sous un arrêt du 27 mai 1884, D., 1884, 1. 438, col. II.
Sur la divergence existant entre les deux chambres de la Cour Suprême,
voir Josserand, c De l'esprit des droits », § 59 et s. et § 285 et s., soua
réserve de ce qui est dit au texte.
fait pas que la Chambre des requêtes déroge, elle aussi, en
notre matière, aux règles du droit commun de la responsa-
bilité.
Sans doute, un arrêt de cette Chambre, en date du
10 mai 1937 (21), se fonde-t-il, pour rejeter le pourvoi dont
elleétait saisie, sur les constatations de la décision attaquée,
suivant lesquelles la procédure d'opposition, reprochée au
demandeur en cassation, avait été « dilatoire, vexatoire et
« de mauvaise foi». Mais on ne peut déduire de ces termes
que la Chambre des requêtes aurait admis le pourvoi, si la
procédure avait été simplement entachée d'une faute quasi-
délictuelle (22).
Par ailleurs, un arrêt de cette même juridiction, en date
du 29 juin 1926 (23), déclare que la Cour d'appel n'a pas
violé « les règles de la responsabilité quasi-délictuelle. »,
ce qui laisse à penser que cette juridiction considère la faute
quelconque, non-intentionnelle, génératrice de responsabilité.
La jurisprudence de la Chambre civile, quand on l'envi-
sage par rapport au mouvement législatif que nous avons
signalé, ne peut manquer d'étonner.
A une époque où le législateur se préoccupe de mettre
un frein aux abus de procédure, la Chambre civile déroge
aux principes généraux de la responsabilité en faveur du
plaideur !
Certes, la considération des conséquences funestes qu'en-
traînent les abus de procédure fait regretter la dérogation
aux principes que consacre la jurisprudence récente de la
Chambre civile.

(21) D1937, 1. 82 avec une note de M. Lalou et G. P., 1937,

-.
2.107.
(22) Nous ferons le même raisonnement à propos d'un arrêt du 27
juin 1927, G. P., 1927, 2. 396 (voir, cependant, les observations sous cet
arrêt) et des arrêts suivants: Req., 25 janvier 1937, Revue algérienne,
1938, 27; Req., 21 juin1937, S., 1938, 1. 15; Req., 16 juin 1938, D. U.,
1938, 485.
(23) S., 1927, 1. 310.
Mais il y a lieu de se demander si une telle dérogation
n'est pas imposée par la nécessité d'assurer le libre exercice
du droit d'ester en justice.
Le droit d'ester en justice constitue, de toute évidence,
un droit essentiel. Ce n'est pas seulement un droit privé,
« c'est un droit public, une liberté publique »
(24). Sans
lui, le Droit ne serait qu'une duperie, toutes les facultés
reconnues à l'individu par le droit positif, c'est-à-dire tous
les droits subjectifs, seraient illusoires.
A quoi bon accorder à un individu le droit de propriété,
par exemple, si l'on ne lui donne pas une action en justice
pour défendre ce droit contre les spoliations d'autrui ?
De même qu'une prescription légale dépourvue de sanc-
tion n'a, pratiquement, aucune valeur contraignante, de même
un droit subjectif privé de la sanction judiciaire ne serait
d'aucune utilité pour son titulaire. En sorte que la valeur
d'un système juridique quelconque dépend de son organi-
sation procédurale.
Comme l'écrit excellemment M. Josserand, « il semble
« donc bien que le droit de recourir aux voies légales, et.
« plus spécialement, à l'action en justice, présente un carac-
« tère sacré, qu'il soit intangible entre tous, faisant partie
« intégrante du droit naturel et constituant en même temps
« une des pièces maîtresses de tout droit positif, de toute
« construction sociale » (25).
Ainsi donc, pour que les individus jouissent effective-
ment des droits subjectifs que le droit positif leur reconnaît,
il faut leur permettre d'obtenir, sans difficulté, l'assistance
de la justice et de la force publique, chaque fois que l'un
quelconque de ces droits est violé, ou seulement contesté à
tort par autrui. Il faut leur ouvrir toutes grandes les portes
du prétoire et ne gêner en rien leur accès à la barre des
tribunaux.

(24) Glasson et Tissier, op. cit., t. I, p. 417, § 170.


(25) Op. cit., § 39, p. 55 et s.
Mais, comme Ihering l'a démontré dans des pages demeu-
rées célèbres (26), le droit d'ester en justice est plus qu'un
droit essentiel pour l'individu. La lutte pour le droit est un
devoir de l'intéressé envers lui-même et envers la Société.
C'est un devoir de l'intéressé envers lui-même, sinon
toutes les fois que son droit est violé, du moins toutes les
fois qu'il est victime « d'une injustice consciente de la part
« de son adversaire» (27). « C'est un devoir », écrit l'émi-
nent auteur, « de tout homme vis-à-vis de lui-même de com-
ebattre par tous les moyens dont il dispose, la mésestime
«du droit dans sa personne. S'il la souffre, il laisse pénétrer

<ne doit prêter la main :


cdans sa vie l'élément d'illégalité, et c'est ce à quoi nul
» (28). Et il ajoute «. dans son
droit, chaque intéressé défend les conditions morales de
<
»
«son existence (29).
La lutte pour le droit est également, d'après Ihering, un
devoir de l'intéressé envers la Société.
« Une règle de droit », écrit-il, « qui n'a jamais été
«réalisée ou qui a cessé de l'être, ne mérite plus ce nom,
«c'est devenu un rouage inerte qui ne fait plus aucun travail
«dans le mécanisme du droit et que l'on peut enlever sans
«qu'il en résulte le moindre changement. Or tandis que
«la réalisation juridique du droit public et du droit crimi-
« nel est devenue un devoir des autorités publiques, celle du
«droit privé. [est] exclusivement abandonnée à [1'] initia-
«tive et à [la] spontanéité [des particuliers] » (30). Par
suite, « si, dans un cas quelconque, par ignorance, par
« paresse, ou par lâcheté, ces derniers restent constamment

« et généralement inactifs, la règle du droit se trouve


« paralysée en fait »
(31). D'où Ihering conclut que
«réalité, la force pratique des règles du droit privé se
la«
(26) « La lutte pour le droit >, trad. de Meulenaere, Paris, 1890.
(27) Nous empruntons cette expression à l'auteur, op. cit., p. 30.
(28) Op. cit., p. 25. Tout le passage compris entre la page 23 et la
page 53 serait à citer.
(29) Op. cit., p. 36.
(30) Op. cit., p. 54 et a.
(31) Op. cit., p. 55.
«révèle dans et par la défense des droits concrets. » (32).
<Lorsque l'arbitraire et l'illégalité se hasardent audacieuse.
I
«ment à lever la tête, c'est toujours un signe certain que
«ceux qui avaient pour mission de défendre la loi [c'est-à- II
«dire, en droit privé, les particuliers eux-mêmes] n'ont pas
»
«fait leur devoir (33). I
Le fait que la lutte pour le droit constitue un devoir de I
l'intéressé envers lui-même et envers la Société impose à I
son tour que l'on ouvre toutes grandes aux plaideurs les I
portes du prétoire et que l'on ne gêne en rien leur accès à I
la barre des tribunaux. I
Mieux vaut courir le risque d'encourager les plaideurs I
processifs par une répression trop douce de leurs agisse- I
ments et renoncer à mettre un terme aux inconvénients qui
en résultent tant pour l'administration de la justice que
pour leur adversaire que de rendre malaisé l'exercice d'un
droit qui est à la fois une prérogative essentielle de l'individu
et un devoir envers lui-même et envers la Société.
Par suite, il convient de n'admettre les solutions du
droit commun de la responsabilité en matière d'exercice du
droit d'ester en justice que dans la mesure où la menace
d'encourir une condamnation en dommages-intérêts ne risque
pas de gêner l'accès au prétoire de ceux qui sont victimes
de la violation ou de la contestation injustifiée de l'un de
leurs droits subjectifs.
Telle est l'idée maîtresse, à la lumière de laquelle doit
être étudié le problème de la responsabilité du plaideur et
doivent être appréciées les solutions restrictives des arrêts
récents de la Chambre civile.
Et, dès à présent, il apparaît que l'application à notre
matière de la théorie du risque n'est pas plus acceptable du
point de vue législatif qu'elle ne l'est — nous l'avons vu (34)
— du point de vue du droit positif. Il saute aux yeux que
rendre le plaideur responsable envers son adversaire, par le:

(32) Loc. cit.


(33) Op. cit., p. 67.
(34) Supra, p. 487.
seul fait qu'il a perdu son procès, aboutirait à paralyser
l'exercice du droit d'ester en justice.
Au surplus, la théorie du risque se conçoit lorsqu'il
s'agit de l'exercice d'une activité productrice, parce que la
charge qu'elle impose à l'agent n'est que la rançon des
profits que cette activité lui procure.
Or, l'exercice du droit d'ester en justice n'est pas néces-
sairement lié à une activité productrice quelconque dont il
constitue l'une des charges. D'autre part, il n'est pas par
lui-même un acte productif, mais seulement un acte répa-
rateur. Ce serait, par suite, grever injustement le plaideur
d'un lourd fardeau que de soumettre sa responsabilité à la
théorie du risque.

La responsabilité du plaideur qui a perdu son procès


ne pouvant exister en l'absence de faute, il y a lieu de se
demander quelles sont les fautes dont il doit réparation. Ce
sera l'objet de notre étude.
La distinction faite par la Chambre civile entre la faute
délictuelle et la faute quasi-délictuelle inspirera notre plan.
Nous rechercherons donc, dans un premier chapitre, si
le plaideur doit être déclaré responsable envers son adver-
saire lorsqu'il a exercé le droit d'ester en justice en vue de
lui nuire. A ce propos, nous nous demanderons si ce droit
peut être légitimement exercé, quelle que soit la fin poursui-
vie par le plaideur ou les motifs qui l'ont inspiré, dès
l'instant qu'il n'a pas agi avec une intention malicieuse.
Dans un second chapitre, nous examinerons la question

au cas de faute involontaire


ritie.
:
de savoir si la responsabilité du plaideur doit être admise
imprudence, négligence, impé-

Les solutions auxquelles nous aurons été conduit nous


montreront que l'on ne peut espérer parer de façon suffi-
samment efficace aux inconvénients qui résultent de l'exer-
cice injustifié du droit d'ester en justice, par la simple mise-
en jeu de la responsabilité du plaideur. Nous rechercherons
donc, à titre de conclusion de notre étude, si, sur le plan
législatif, il n'est pas possible d'y parvenir au moyen d'une
réforme en matière de procédure civile.

*..

Nous supposerons dans les développements qui vont


suivre que le plaideur, dont nous chercherons à déterminer
la responsabilité, a été débouté de ses prétentions (en demande
ou en défense).
N'est-il donc pas possible d'imaginer un plaideur qui ait
exercé son droit d'ester en justice soit en vue de nuire à
son adversaire, soit avec imprudence ou impéritie, et qui,
cependant, ait gagné son procès ?
Envisageons tout d'abord l'hypothèse où le plaideur, dont
les prétentions ont été admises par le tribunal, a agi à seule
fin (35) de nuire à son adversaire. Il ne fait aucun doute
que ce plaideur s'est mépris sur les mérites de ses préten-
tions, puisque, par hypothèse, il n'espérait pas gagner son
procès, mais avait uniquement en vue d'imposer à son adver-
saire des frais et des tracas en l'obligeant à plaider.
Or, il apparaît bien invraisemblable qu'un plaideur ait
cru ses prétentions injustifiées, alors qu'elles étaient parfai-
tement fondées. Qu'un justiciable se fasse illusion sur les

! :
mérites de ses prétentions et les croie à tort bien fondées
soit Mais qu'il commette l'erreur inverse voilà qui est
:
tout à fait improbable.
C'est pourquoi l'on peut négliger l'hypothèse d'un plai-
deur qui, ayant exercé son droit d'ester en justice à seule
fin de nuire à son adversaire, a gagné son procès.

(35) On peut envisager le cas où le plaideur a agi pour obtenir ia


reconnaissance de son droit, mais en se disant « qu'après tout, s'il.
perd»
« frais
«
[son procès], il aura du moins forcé le demandeur à en faire les
(Ripert, « La règle morale dans les obligations civil es », 3e éd.,
p. 184). Si l'intention de nuire n'est que subsidiaire, on ne saurait
admettre que la responsabilité du plaideur est engagée, s'il gagne son
procès, alors que, nous le verrons (infra, p. 510, n. 65), elle ne le serait
pas s'il l'avait perdu. Voir, au surplus, infra, p. 497.
Mais envisageons-la pour un instant. Quelle solution
??
convient-il de lui donner La responsabilité du plaideur peut-
elle être, ou non, engagée
Le bon sens dicte une réponse négative. L'adversaire
qui a succombé méritait, dira-t-on, le sort qui lui est fait ;
il ne peut prétendre à aucune indemnité.
Mais encore faut-il justifier cette solution en droit.
Suivant la formule employée par un arrêt de la Chambre
civile, en date du 27 juillet 1937 (36) « le demandeur d'une-
« indemnité délictuelle ou quasi-délictuelle doit justifier, non
« d'un dommage quelconque,
mais de la lésion certaine d'un
« intérêt légitime juridiquement protégé » (37).
Or, on ne peut évidemment soutenir que le plaideur qui
a succombé avait un intérêt légitime juridiquement protégé'
à ne pas être en butte, soit à la réclamation, soit à la résis-
tance de l'autre plaideur, puisque ses prétentions étaient
mal fondées. Il ne peut donc réclamer à son adversaire la
réparation des frais, des pertes de temps et autres préju-
dices que sa résistance injustifiée ou sa demande mal fondée
lui a causés.
A un autre point de vue l'on peut dire que le gain du
procès justifie a posteriori l'exercice abusif du droit d'ester
en justice, dont s'est rendu coupable le plaideur, car il serait
illogique que sa responsabilité fût engagée envers son adver-
saire en raison de cet exercice, alors que celui-ci a abouti
au triomphe de la Justice.
A l'inverse de la précédente, l'hypothèse d'un plaideur,
qui, ayant saisi un tribunal de sa réclamation ou ayant
résisté à l'action engagée contre lui, sans précautions ni
prudence, triomphe néanmoins dans ses prétentions, appa-
raît vraisemblable.
Mais on doit décider également dans cette hypothèse
que la responsabilité du plaideur ne peut être engagée envers
son adversaire, pour des motifs identiques.

(36) D., 1938, 1. 5, avec une note de M. Savatier.


(37) Dans le même sens Josserand, 2* éd., t. II, § 424.
CHAPITRE PREMIER

L'EXERCICE ABUSIF DU DROIT D'ESTER


EN JUSTICE

§ I. — L'INTENTION DE NUIRE

Suivant la jurisprudence la plus récente de la Chambre


civile, il y a faute dans l'exercice du droit d'ester en justice,
nous l'avons vu, lorsque le plaideur agit par malice, de mau-
vaise foi ou par dol.
Ces expressions visent, à coup sûr, les hypothèses où
le plaideur a agi dans l'intention de nuire à son adversaire.
C'est, par exemple, un individu qui intente un procès,
sachant pertinemment que sa prétention est injustifiée, pour
causer à son adversaire des frais et des tracas.
C'est un défendeur qui, connaissant le bien-fondé de la
prétention de son adversaire, accumule les obstacles de pro-
cédure, use des voies de recours, pour lui faire tort.
C'est un demandeur, dont la prétention est fondée, qui
repousse l'offre amiable d'exécution de son adversaire, ou
c'est un défendeur, disposant de moyens de défense efficaces,
qui ne les fait valoir qu'après une longue procédure, l'un et
l'autre n'agissant qu'en vue de nuire à leur adversaire.
La condamnation à des dommages-intérêts du plaideur, -

qui se rend coupable de semblables agissements, s'impose


sans discussion possible (38).
Cependant les auteurs ne sont pas d'accord sur le fonde-
ment juridique qu'il convient de lui reconnaître.
Certains invoquent la théorie de l'abus des droits. Ils
considèrent que celui qui exerce son droit dans l'intention de

(38) Sur l'hypothèse où le plaideur agit à la fois en vue de nuire


à son adversaire et en vue de se faire rendre justice, voirinfra,
p. 510, n. 65.
nuire à autrui en abuse et ils font application de ce prin-
cipe au droit d'ester en justice (39).
Mais M. Ripert n'admet pas que l'on parle d'abus du
droit d'ester en justice, toutes les fois qu'un plaideur a agi,
comme demandeur ou comme défendeur, dans l'intention de
nuire à autrui.
« Pour que l'on puisse parler d'abus du droit », écrit-il,
«
il faudrait qu'il y eût par exemple condamnation d'un
«
défendeur qui a fait échouer l'action de son adversaire et
«
qui, intentionnellement et par malice, n'a pas opposé tout
de suite le moyen de défense qu'il avait afin de ruiner son
«
adversaire »
« par les frais du procès (40).
Une telle hypothèse peut se rencontrer dans la pratique ;
nous l'avons indiquée précédemment. Mais, comme le remar-
que l'éminent auteur, « elle se présentera fort rare-
« ment » (41).
Dans les autres hypothèses que nous avons citées (42),
dans celle, par exemple, où une personne poursuit son adver-
saire « dans le seul but de le ruiner par les frais de la
« défense »
(43), il n'y a pas, selon M. Ripert, abus du droit
d'ester en justice, mais « faute commise dans l'exercice du
« droit d'ester en justice »
(44).
Cette opinion restrictive s'explique par le fait que, pour
le savant professeur, « l'expression abus du droit n'a.
« aucun sens, si on veut désigner par là les cas où la res-
«ponsabilité d'une personne se trouve engagée, bien que
(39) Josserand, op. cit., § 48; Colin, Capitant et Julliot de la
Morandière, 8" éd., t. II, § 198; Planiol et Ripert, « Traité pratique de
droit civil français », t. VI, « Obligations », par M. Esmein, § 582
II et L. Mazeaud, op. cit., t. I, § 591.
;
(40) « La règle morale dans les obligations civiles », 3e éd., p. 181.
M Ripert cite également le cas d'un demandeur qui, « ayant la possi-
« bilité d'agir pour réclamer son droit devant plusieurs tribunaux, choi-
%« sirait le tribunal le moins commode pour lui, dans le seul but de
« porter un plus grave préjudice au défendeur
(41) Op. cit., p. 181.
» (op. cit., § 97, p. 183).

(42) A l'exception, toutefois, de celle où un demandeur, dont la


prétention est fondée, repousse l'offre amiable d'exécution de son adver-
saire, où il semble que, même dans l'opinion de M. Ripert, il y ait abus
du droit.
(43) Op. cit., p. 180.
(44) Op. cit., p. 181.
fi cette personne prétende se retrancher derrière l'exercice de
« son droit, mais parce que le droit invoqué par elle ne lui
c confère pas l'impunité » (45).
« Nous ne considérons pas », écrit-il, « comme des abus
«du droit, au sens strictement juridique du mot, les cas
«où le titulaire a commis une faute ou engagé sa respon-
«sabilité par l'exercice exceptionnel de son droit (46). »
Il n'y a abus du droit que dans le cas où le titulaire du droit
«
a agi dans des conditions telles que son action rentre dans
«l'exercice normal et habituel de son droit », mais a été
cinspiré[e] par le désir de porter préjudice à autrui;
c l'intention malfaisante change alors le caractère de
»
l'acte (47).
Il importe peu de prendre parti pour ou contre la théorie
de M. Ripert, pour résoudre le problème de la responsabilité
du plaideur au cas d'exercice du droit d'ester en justice en
vue de nuire à autrui.
Si, en effet, l'on considère que toute faute commise
dans l'exercice d'un droit constitue un abus du droit, c'est
sur le fondement de cette théorie que l'on appuiera la con-
damnation du plaideur envers son adversaire. Si, au con-
traire, on adopte la théorie de M. Ripert, dans les cas où il
n'y a pas, suivant son opinion, abus du droit, on justifie
cette condamnation sur la faute commise par le plaideur
dans l'exercice de son droit (48).

(45)
Op. cit., p. 174.
(46)
Op. cit., p. 179; voir également op. cit., § 97, p. 182.
(47)
Op. Dit., § 93, p. 175.
(48)
On peut s'étonner que nous rendions responsable envers son
adversaire le demandeur, dont la prétention est fondée, qui repousse
l'offre amiable d'exécution de son adversaire, en vue de lui nuire, ou le
défendeur « qui a fait échouer l'action de son adversaire et qui, inten-
< tionnellement et par malice, n'a pas opposé tout de suite le moyen de
« défense qu'il avait, afin de ruiner son adversaire par les frais d'un
« procès » (Ripert, op. cit., p. 181, cité supra, p. 499). Dans les deux
cas, en effet, il semble que l'on se trouve en présence d'un plaideur, qui
ayant abusivement exercé son droit d'ester en justice, a, néanmoins,
gagné son procès. Or, nous avons admis précédemment (supra, p. 496
et s.) que le plaideur qui gagne son procès ne peut être rendu, en aucun
cas, responsable envers son adversaire. Il n'y a pas, en réalité, contra-
diction. En effet, la responsabilité du plaideur dans les hypothèses qui
L'on ne saurait admettre en tous cas que là règle « Ne-
«
minem laedit qui suo jure utitur » permet d'exonérer celui
qui exerce son droit dans une intention malfaisante. « Tout
« acte méchamment accompli en vue de nuire à autrui », a
»
écrit M. Capitant, « constitue un délit civil (49) ; et ce, pré-
ciserons-nous, alors même que cet acte serait, objective-
ment envisagé, l'exercice d'un droit.
Remarquons au surplus que la Chambre civile se con-
tente, dans la plupart de ses arrêts, de parler de faute, sans
préciser si cette faute est, ou non, constituée par un abus de
droit (50).

§ Il. — LA CONSCIENCE DE NUIRE

On peut se demander si la formule employée par les


arrêts récents de la Chambre civile permet de retenir la res-
ponsabilité du plaideur dans des hypothèses autres que cel-
les où il a agi dans l'intention de nuire à son adversaire.
Notamment, la responsabilité du plaideur est-elle enga-
gée dans le cas où il a esté en justice, sinon avec l'intention,
du moins avec la conscience de nuire à son adversaire ?
On doit l'admettre, si l'on adopte la définition de la
mauvaise foi donnée par M. Josserand.

« valeur intentionnelle nettement caractérisée ;


D'après le savant auteur, la mauvaise foi « n'a pas une
l'agent sait

« lui nuire ;
« qu'il nuit à autrui, mais il ne se propose pas pour but de
le dommage par lui causé est dans sa cons-

nous oocupent, n'est pas engagée à raison des prétentions qu'il a soute-
nues et dans lesquelles il triomphe, mais à raison des conditions dans
lesquelles il les a fait valoir et qui ne sauraient être reconnues légitimes
par le tribunal.
(49) « Sur l'abus des droits », Rev. Trim., 1928, p. 374.
(50) Cependant un arrêt du 2 mars 1937 (G. P., 1937, 1. 859) décide
que C l'exercice de l'action en justice constitue en principe un droit
« et ne dégénère en abus coupable susceptible d'engendrer une dette de
« dommages-intérêts que dans le cas seulement où l'action est engagée
c. eoit par malice ou de mauvaise foi, soit ensuite d'une erreur grossiers
« assimilable au dol ». On retrouve également l'expression « abus
« coupable » dans deux autres arrêts, en date du 14 décembre 1931
D. H., 1932, 98) et du 17 février 1937 (D. H., 1937, 221). Voir également
Civ. 24 octobre 1937, G. P., 1937, 2. 848.
c
«
cience mais non dans sa volonté
une volition de son cerveau (51).
;
il ne correspond pas à

Mais est-ce en ce sens que les arrêts de la Chambre ci-


»
vile emploient les mots « mauvaise foi ? On ne peut l'affir-
mer.
notre avis, la conscience de nuire ne saurait être rete-
A
nue comme fondement de la responsabilité en matière d'exer-
cice du droit d'ester en justice
Si elle se renforce de l'intention de nuire, c'est cette
intention qui sert de fondement à la responsabilité du plai-
deur. De même, si le plaideur agit en vue d'atteindre une
fin illicite, c'est la poursuite de cette fin, et non la conscience
qu'il a de nuire à son adversaire, qui fonde sa responsabi-
lité.
Si, au contraire, il exerce son droit d'ester en justice en
vue d'une fin licite, il ne peut plus être question, à propre-
ment parler, de conscience de nuire.
Nuire, en effet, c'est causer un dommage. Le mot im-
plique par lui-même la notion d' « injuste ». Comment con-
cevoir dans ces conditions que le plaideur, qui poursuit une
fin qui est, ou qu'il croit conforme à la loi, puisse avoir cons-
cience de nuire à son adversaire ?
Je me considère victime de la violation de l'un de nies
droits subjectifs de la part d'un tiers et j'engage contre lui
une instance. Je ne saurais avoir conscience de lui nuire, puis-
que je n'ai en vue que la reconnaissance de mon droit. Certes,
j'ai conscience que le procès que je lui intente lui causera des
frais et des tracas. Mais ces frais et ces tracas m'apparaissent
lui incomber légitimement, puisque c'est en raison de la vio-
lation de mon droit, dont il s'est rendu coupable, et de sa
résistance à ma réclamation qu'il est obligé de les subir.
D'ailleurs, alors même que l'on entendrait l'expression
« conscience de nuire dans» un sens large, comme synonyme
de « conscience de causer un dommage même légitime », on
ne saurait en tenir compte, dès l'instant que le plaideur a

(51) Op. oit., p. 382.


poursuivi une fin licite dans l'exercice de son droit d'ester en
justice.
Car, nous le verrons (52), même si le plaideur agit, mû
par un sentiment de haine ou de vengeance, il n'engage pas
sa responsabilité, s'il a en vue la reconnaissance judiciaire de
son droit. A fortiori, doit-il en être ainsi, si telle est la fin qu'il
poursuit, ayant seulement conscience de causer à son adver-
saire des frais et des tracas.
Ainsi donc, la conscience de nuire ne peut servir de base
à la responsabilité du plaideur envers son adversaire. C'est
d'après la fin poursuivie dans l'exercice du droit d'ester en
justice que l'on déterminera si sa responsabilité est, ou non,
engagée.
En autres termes, la question se pose de savoir s'il est
permis de plaider à d'autres fins que la reconnaissance judi-
ciaire du droit que l'on invoque.

§ III. — LA POURSUITE D'UNE AUTRE FIN


QUE LA RECONNAISSANCE JUDICIAIRE DU DROIT INVOQUÉ

Il ne saurait faire de doute que, seule, la poursuite de la


reconnaissance judiciaire du droit qu'il invoque est légitime
de la part du plaideur, si l'on adopte le critère social et téléo-
logique de l'abus du droit proposé par M. Josserand et si l'on
admet avec lui que « l'acte abusif est l'acte contraire au but
« de l'institution, à son esprit et à sa finalité »(53).
Il n'est pas contestable, en effet, si on l'apprécie d'après
sa fin sociale, que le droit de plaider a pour mission exclu-
sive de permettre à celui qui l'exerce de se faire rendre jus-
tice.
Par conséquent, toute poursuite d'une satisfaction autre
constitue, pour le moins (54), un détournement du droit de
sa fin sociale, un abus du droit
Mais la théorie de l'abus des droits enseignée par
M. Josserand a été fortement combattue par M. Ripert.

(52) Infra, p. 509 et s.


(53) Op. cit., § 292, p. 370.
(54) Voir infra, p. 504 et s.
L'éminent auteur n'admet pas que le droit ne soit « don-
« né à l'homme que pour des fins sociales ».Selon lui,
« .l'absolutisme du droit individuel ne peut être condamné
« en soi car il n'est que la traduction juridique du désir de
« l'âme de conquérir la puissance et la liberté, et ce désir est
»
« légitime (55).
:
Ailleurs, M. Ripert écrit « Dès que l'on enlève à la théo-
« rie de l'abus des droits son fondement moral, on tombe
« dans les plus dangereuses fantaisies de la contrainte
»
« sociale (56).
Doit-on en conclure que, hormis le cas où il agit dans
l'intention de nuire, le plaideur peut impunément ester en
justice à d'autres fins que la reconnaissance de son droit?
Nous ne le pensons pas.
Il convient, pour s'en convaincre, d'envisager les espèces
portées devant les tribunaux.
Ou bien il s'agit d'un plaideur qui intente une voie de
recours en vue de retarder l'exécution de la condamnation
prononcée contre lui qu'il sait bien fondée (57).
Ou bien c'est un plaideur qui cherche à faire échec aux
règles de compétence ratione materiae par une demande ad-
ditionnelle qu'il sait insoutenable (58).
Dans de telles hypothèses, on peut se demander si l'on
est en présence d'un simple détournement du droit d'ester en
justice de sa fin sociale.
En effet, l'exercice de ce droit, qu'il s'agisse de demande
en justice, de défense en justice ou d'exercice des voies de
recours, implique, par définition même, que le plaideur agit,
soit en vue de faire cesser la violation de l'un de ses droits
subjectifs, soit en vue de repousser la contradiction judiciaire
opposée à l'un de ces droits.
Lors donc qu'un plaideur introduit une demande en jus-
tice ou résiste à la réclamation d'un tiers, en vue d'une fin

(55) « Abus ou relativité des droits », Rev. Crit., 1929, p. 62 et s.


(56) « La règle morale dans les obligations civiles », 3" éd., p. 195.
(57) Req., 27 janvier 1931, n., 1931, 1. 165; Req., 26 octobre 19:36,
D. JI., 1936, 523; Paris, 28 avril 1933, S., 1933, 2. 162.
(58) Trib. civ. d'Oran, 23 avril 1932, G. P., 1932, 2. 210.
autre que la reconnaissance du droit qu'il invoque, il ne dé-
tourne pas seulement le droit d'ester en justice de sa fin
sociale, il le dénature, il sort des limites de ce droit.
Il semble qu'à ce seul titre il engage sa responsabilité.
Car, alors même qu'on admet le caractère absolu des droits
subjectifs, on doit reconnaître que la loi ne les met à la dis-
position des individus que pour servir à la réalisation de fins
conformes à leur définition.
Mais il y a plus. Le plaideur, qui introduit une demande
en justice ou résiste à la réclamation d'un tiers, en vue d'at -
teindre un résultat autre que la reconnaissance du droit qu'il
invoque, poursuit une fin illicite sous le couvert de l'exercice
du droit d'ester en justice.
Tantôt, il cherche à différer l'exécution d'une condamna-
tion, à rencontre de laquelle, par hypothèse, il n'a aucun grief
à formuler, ou à retarder, au mépris de ses engagements,
l'exécution de ses obligations.
Tantôt il cherche à faire échec aux règles impératives
de la compétence ratione materiae.
D'une façon générale, on peut affirmer que, toutes les
fois qu'un plaideur exerce le droit d'ester en justice en vue
d'un résultat autre que la reconnaissance judiciaire du droit
qu'il invoque, il poursuit une fin illicite. Il est bien évident,
en effet, que, sinon, il agirait franchement et au grand jour,
sans dissimuler sa prétention sous la fausse apparence d'une
procédure destinée à lui faire rendre justice.
Or, peut-on admettre que l'exercice d'un droit serve à
faire échec à une règle, soit légale, soit conventionnelle ?
Quelque souci que l'on ait de conserver aux droits sub-
jectifs leur caractère absolu, on ne saurait concevoir que leur
exercice reste légitime, lorsque leur titulaire les utilise en vue
d'échapper à ses obligations légales ou conventionnelles. En
décider autrement, ce serait mettre en péril la force contrai-
gnante de la loi, puisque l'on permettrait aux individus de
violer ses prescriptions à la seule condition de camoufler leur
manœuvre sous l'apparence trompeuse de l'exercice d'un
droit.
Et cette solution nous parait devoir s'imposer même
dans la conception de M. Ripert, qui reconnaît, nous l'avons
vu (59), à la théorie de l'abus des droits un fondement stric-
tement moral, car l'exercice du droit d'ester en justice, en vue
d'atteindre un résultat contraire à la loi, constitue, à n'en pas
douter, une faute morale.
Ainsi donc, la règle « Neminem laedit qui suo jure uti-
tur » ne permet pas davantage d'exercer un droit en vue de
faire échec à une obligation légale ou conventionnelle que
de l'exercer en vue de nuire à autrui.
Si l'on consulte la Jurisprudence, on constate que la
Chambre des requêtes et des juridictions inférieures décla-
rent responsable le plaideur qui a exercé le droit d'ester en
justice à d'autre fin que la reconnaissance judiciaire de son
droit, mais sans intention de nuire (60).
Mais cette solution est-elle également reçue par la Cham-
bre civile?
Dans son arrêt du 27 janvier 1931 (61), la Chambre des
requêtes admet le bien-fondé d'une condamnation en domma-
ges-intérêts prononcée à l'encontre d'un plaideur qui avait
interjeté appel « dans l'intention d'arrêter le cours de la jus-

:
« tice ». Et on lit sous la plume de M. le conseiller-rappor-
teur Dumas « Il nous apparaît, au contraire, que la cour
c d'Alger, en qualifiant de « purement moratoire »
l'appel des
e consorts D., a suffisamment marqué que selon son appré-
c ciation — souveraine en pareil cas [.]
c cèdera que de la mauvaise foi».
-
l'appel ne pro-

Si donc l'en en croit le conseiller-rapporteur, l'exercice


d'une voie de recours à seule fin d'arrêter le cours de la jus-
tice est un cas d'application de la mauvaise foi. Or, d'après
la Chambre civile, nous le savons (62), l'exercice de mauvaise

(59) Supra, p. 504 et Ripert, op. cit., § 95 et 102, notamment.


(60) Req., 27 janvier 1931, D., 1931, 1. 165; Req., 26 octobre 1936,
D. H.) 1936, 523; Trib. civ. d'Oran, 23 avril 1932; G. P., 1932, 2. 210;
Bordeaux, 2 février 1938, La Loi, 24 mars 1938; Trib. de com. de la
Seine, 12 décembre 1928, G. P., 1929, 1. 328; ce jugement retient en
outre l'intention malicieuse du plaideur.
(61) D., 1931, 1. 165.
(62) Voir supra, p. 488 et a.
foi du droit d'ester en justice engage la responsabilité du
plaideur.
Mais cette opinion ne semble pas être partagée par la
Chambre civile.
Celle-ci, en effet, a, le 22 mai 1935 (63), cassé un arrêt,
qui avait condamné l'appelant à des dommages-intérêts en-
vers les intimés, en déclarant qu'il était tenu de les indemni-
ser « du préjudice à eux causé par son attitude morosive,
cause du litige actuel ». La Chambre civile, qui reproduit, au
surplus, la formule habituelle, aux termes de laquelle « la
« défense en justice ne peut donner lieu à condamnation à
« des dommages-intérêts qu'autant
qu'elle constitue un acte
« de malice ou de mauvaise foi, ou, tout au moins, une erreur
« grossière équipollente au dol », considère donc, à l'inverse
de la Chambre des requêtes, que le plaideur, qui interjette un
appel purement moratoire, n'agit pas de mauvaise foi.
Par suite, d'après cet arrêt, il ne semble pas que la
Chambre civile considère que le plaideur engage sa responsa-
bilité, s'il exerce son droit d'ester en justice à d'autre fin que
la reconnaissance du droit qu'il invoque, mais sans intention
de nuire à son adversaire.

Cette opinion, appréciée en elle-même, est, nous l'avons


démontré, inacceptable. Se justifie-t-elle du moins si on l'en-
visage à la lumière du principe fondamental que nous avons
posé au seuil de cette étude, à savoir que le droit d'ester en
justice est une prérogative, tellement essentielle pour l'indi-
vidu et pour la Société, que l'on doit en assurer au maximum
le libre et plein épanouissement ?
Incontestablement non !
On peut réputer responsable envers son adversaire le
plaideur qui agit en vue d'atteindre un résultat autre que la
reconnaissance judiciaire de son droit — et a fortiori celui
qui agit en vue de nuire — sans apporter à l'exercice du droit
d'ester en justice la moindre restriction fâcheuse.

(63) S.,1935, 1. 383.


Il n'y a aucun inconvénient, bien au contraire, à décou-
rager par la menace d'une condamnation en dommages-in-
térêts les justiciables, tentés de mettre ce droit au service de
leurs rancunes ou tentés de l'utiliser pour échapper à leurs
obligations légales ou conventionnelles ou pour tourner une
règle impérative.
Ce qui importe, et ce, aussi bien dans leur propre inté-
rêt que dans l'intérêt de la Société, c'est seulement de ne pas
décourager leur désir de plaider, toutes les fois qu'ils veu-
lent se faire rendre justice.
,
Pour y parvenir, il convient, nous allons le voir, dès l'ins-
tant que tel est bien le but qu'ils poursuivent, de ne leur
demander aucun compte des mobiles qui les font agir.

§ IV. — LES MOBILES


Le juge doit s'interdire d'apprécier les mobiles qui ont
inçité le plaideur, soit à introduire sa demande, soit à oppo-
ser sa résistance aux prétentions de son adversaire, soit à
exercer les voies de recours, du moment que ce plaideur a
agi en vue de se faire rendre justice.
Voici, par exemple, un propriétaire foncier qui se croit
victime de la part d'un de ses voisins d'un empiètement sur
son terrain. Il ne s'agit que d'une atteinte sans importance à
son droit de propriété, portant sur une parcelle infime d'un
sol inutilisable. Cependant, ce propriétaire intente une action
en revendication, par esprit de chicane.
Le tribunal ne saurait, s'il succombe, le condamner à
des dommages-intérêts envers son adversaire, sous prétexte
que le droit d'ester en justice est mis à la disposition des jus-
ticiables, en vue de leur permettre de faire valoir des préten-
tions, représentant pour eux un intérêt pécuniaire ou moral
appréciable, et non pas en vue de poursuivre la satisfaction
platonique de faire reconnaître son droit en justice.
En effet, le souci de se faire rendre justice suffit, à lui
seul et indépendamment de tout intérêt pécuniaire ou moral.
à justifier la lutte pour le droit, tant au point de vue du plai-
deur lui-même qu'au point de vue social, puisque « dans
« son droit, chaque intéressé défend les conditions morales
de son existence », en même temps qu'il assure l'efficacité
«
de la règle de droit (64).
On peut même prétendre que l'exercice du droit d'ester
en justice reste légitime, alorsmême que le plaideur agit sous
l'inspiration de la malveillance, si, du moins, il a en vue la
reconnaissance du droit qu'il invoque.
Le propriétaire foncier qui, se croyant victime d'un em-
piétement sur son terrain, intente une action en revendica-
tion, exerce légitimement son droit d'ester en justice, dès
l'instant qu'il a en vue la reconnaissance de son droit de
propriété, alors même qu'il serait établi, étant donné le
caractère infime de la spoliation dont il se plaint, qu'il eût
négligé d'agir en justice, s'il n'avait pas été mû par un sen-
timent de haine ou de vengeance envers son adversaire.
Cette solution peut étonner, au premier abord, si on
la confronte avec la solution que nous avons précédemment
posée, dans le cas où le plaideur a exercé son droit d'ester
en justice, en vue de nuire à son adversaire. Mais, à la réfle-
xion, on se rend compte des différences radicales qui sépa-
rent les deux hypothèses.
Le plaideur, qui agit en vue de nuire à son adversaire,

dommage :
connaît l'inanité de ses prétentions. Son but est de causer un
il fait donc de son droit d'ester en justice un
usage contraire à sa destination, puisqu'il transforme une
arme de protection en un instrument de guerre. C'est pour-
quoi il engage sa responsabilité.

(64) Ihering, cité supra, p. 493 et s. On pourrait objecter que


d'après l'illustre jurisconsulte, la lutte pour le droit est un devoir de
l'intéressé envers lui-même, s'il a ét4 victime d'une injustice consciente.
D'où l'on déduirait que notre raisonnement est sans valeur, si l'on sup-
pose que le propriétaire foncier, qui, dans notre exemple s'est cru — à
tort d'ailleurs- victime d'une emprise sur son terrain, n'avait aucune
raison de soupçonner que cette emprise fût volontaire de la part de
son Voisin.
Noua répondrons que la formule de Ihering, suivant laquelle
« .dans son droit, chaque intéressé défend les conditions morales alé
« son existence» est, à notre avis, de portée absolument générale et
qu'elle justifie le recours aux tribunaux de tout individu qui se croit vic-
time d'une violation de son droit, que cette violation lui apparaisse
consciente, ou non, de la part de celui ecti_qtsui il l'impute. L'individu ne
à qui
doit pas laisser entamer ses droits subsubjectifs
j par l'action, même incons-
ciente, des tiers, sous peine de mettre en péril sa personnalité.
:
Dans notre hypothèse, au contraire, le plaideur pour-
suit un but licite convaincu du bien-fondé de ses préten-
tions, il réclame à son adversaire une satisfaction légitime.
L'esprit de malveillance qui l'anime n'enlève rien à la légi-
timité du but qu'il poursuit (65).

CONCLUSION

Des développements qui précèdent, il résulte que l'exer-


cice-abusif du droit d'ester en justice engage la responsabi-
lité du plaideur qui a succombé dans ses prétentions.
Mais, pour que cet abus existe, il faut que le plaideur
ait agi, soit dans l'intention de nuire à son adversaire, soit
en vue d'atteindre un résultat autre que la reconnaissance

(65) Plus délicate à résoudre est l'hypothèse où le plaideur exerce


le droit d'ester en justice, à la fois pour obtenir la reconnaissance de son
droit et pour nuire à autrui. C'est le cas d'un plaideur qui « .résiste à
«l'action intentée contre lui, parce qu'il espère gagner son procès, et se
«dit qu'après tout, s'il le perd, il aura du moins forcé le demandeur à
»
«en faire les frais (Ripert, op. cit., p. 184).
a
Selon M. Ripert, « .[1'] acte [du plaideur] une double cause. Une
< seule est illicite. Quand il s'est agi de la validité d'un acte juridique,
«nous avons admis qu'un seul motif, illicite viciait l'acte. Ici il s'agit
« de l'exercice d'un droit; ne faut-il pas admettre, au contraire, qu'un
«Beul motif licite suffit à justifier cet exercice ?» (Op. cit., p. 184
et B.).
Comme à M. Josserand, cette solution nous semble « trop bienveil-
lante » (op. cit., p. 352). Comme le savant auteur, nous pensons que
l'on doit rechercher lequel des deux résultats a été d'abord voulu par le
plaideur.
S'il a eu envue, au premier chef, d'obtenir la reconnaissance de son
droit et s'il n'a envisagé la satisfaction de nuire à son adversaire que
comme une consolation, pour le cas où il succomberait dans Bon action,
nous admettrons qu'il n'engage pas sa responsabilité. Le mauvais esprit
qui l'animait ne saurait prévaloir contre le fait qu'il poursuivait une fin
légitime.
Nous considérerons, à l'inverse, qu'il doit des dommages-intérêts a
son adversaire, si, peu sûr du bien-fondé de ses prétentions, il a eu
d'abord en vue de lui nuire, en lui imposant les frais et les tracas d'un
procès, avec, au surplus, l'espoir que, peut-être, il triompherait.
Il est à remarquer que, dans la. pratique, il sera souvent malaisé
de distinguer l'hypothèse précédente, où le plaideur a pour but, à la fois
d'obtenir la reconnaissance du droit qu'il invoque et de nuire h. son
adversaire, de l'hypothèse, étudiée au texte, où la seule fin qu'il pour-
droit invoqué, encore qu'il agisse BOUS
suit est la reconnaissance du malveillance
l'impulsion d'un sentiment de à l'égard de son adversaire
judiciaire du droit qu'il invoquait. En revanche, les motifs
qui l'ont incité à plaider sont indifférents, dès l'instant qu'il
avait pour but de se faire rendre justice.
Et la responsabilité du plaideur au cas d'exercice abu-
sif du droit d'ester en justice peut être retenue sans que le
libre accès au prétoire de ceux qui sont victimes de la viola-
tion ou de la contestation de l'un de leurs droits subjectifs,
qu'il importe d'assurer au maximum, en raison des intérêts
considérables auxquels il donne satisfaction, n'en souffre
aucune entrave fâcheuse.
Peut-on de même et sans plus d'inconvénient rendre le

simplement fautif du droit d'ester en justice


question que nous allons maintenant résoudre.
:
plaideur responsable envers son adversaire au cas d'exercice
telle est la

CHAPITRE II

L'EXERCICE FAUTIF DU DROIT D'ESTER


EN JUSTICE

Nous avons vu (66) que la Chambre Civile, dans la plu-


part de ses arrêts récents, n'admet la responsabilité du plai-
deur, au cas de faute involontaire, que s'il a commis une
erreur grossière ou une faute grossière, équipollente au dol.
Nous avons vu également (67) qu'en revanche des
arrêts de la Chambre des Requêtes laissaient à penser que,
dans l'opinion de cette juridiction, une faute involontaire
quelconque suffisait à engager la responsabilité du plaideur.
La solution de la Chambre Civile étant fondée sur l'as-
similation de l'erreur grossière ou de la faute grossière au
dol, il convient de rechercher ce qu'il faut penser de cette
assimilation.
Après quoi, nous aborderons l'examen du problème
général de la responsabilité du plaideur, au cas de faute
involontaire quelconque.

(66) Supra, p. 488 et s.


(67) Supra, p. 490 et s.
I
§ I. — L'ASSIMILATION DE L'ERREUR GROSSIÈRE
OU DE LA FAUTE GROSSIÈRE AU DOL
I
I
Les termes employés par les arrêts précités de la Cham-
bre Civile font naître, dès l'abord, une équivoque.
Comment doit s'entendre l'exigence qu'ils formulent
d'« une erreur grossière [ou une faute grossière] équipol-
« lente au « dol » ?
La Chambre Civile pose-t-elle, par référence à la maxime
traditionnelle « Culpa lata dolo aequiparatur », le principe de
l'assimilation de l'erreur grossière (ou de la faute grossière)
I II
au dol ? Ou bien n'admet-elle la responsabilité du plaideur que I
dans les cas où il a commis une erreur (ou une faute) telle- I
ment grossière que cette erreur (ou cette faute) est équivalente I
à un dol ? I
En autres termes, la formule de ces arrêts doit-elle s'in- I
terpréter comme s'il était écrit que le plaideur encourt une I
condamnation à des dommages-intérêts envers son adver- I
saire, s'il a commis une erreur grossière (ou une faute gros- I
sière), l'une comme l'autre devant être en tout état de cause I
réputées équipollentes au dol, ou, au contraire, signifie-t-elle I
que le plaideur encourt cette condamnation dans le cas parti- I
culier où il a commis une erreur grossière (ou une faute
grossière) telle qu'elle équivaut en fait à un dol ?

:
Il ne fait pas de doute à nos yeux que c'est la première
interprétation qui s'impose les arrêts de la Chambre civile
affirment le principe de l'équivalence de l'erreur grossière (ou
de la faute grossière) au dol.
En tous cas, nous le démontrerons (68), il existe entre le
dol et l'erreur grossière (ou la faute grossière) une différence
radicale de nature qui rend impossible l'éventualité d'une
erreur (ou d'une faute) tellement grossière qu'elle équivaille
à un dol.
Nous allons donc rechercher si l'erreur grossière et la
faute grossière peuvent être, ou non, assimilées au dol.

«
Cette recherche nous conduit à l'étude de la maxime
Culpa lata dolo aequiparatur ».
:
(68) Infra, p. 514 et a. et notamment p. 517, n. 78.
-
En effet, d'une part, il nous apparaît incontestable
que la Chambre civile, dans ses arrêts récents, considère
l'erreur grossière comme une variété de faute lourde (69).
D'autre part, la faute grossière se confond évidemment avec
la faute lourde, les deux expressions « faute grossière et »
« faute lourde» sont synonymes.
La maxime « Culpa lata dolo aequiparatur »
L'étude de cette maxime pose deux questions successi-
ves : l'assimilation de la faute lourde au dol est-elle fondée
en raison ? constitue-t-elle une règle générale qui s'impose
de nos jours?

L'assimilation de la faute lourde au dol semble devoir


s'expliquer rationnellement par une identité, ou, tout au
moins, par une grande analogie entre les deux notions.
Qu'est-ce donc que la faute lourde ?
Si l'on en croit la définition donnée par certains textes
du Digeste, considérés d'ailleurs comme interpolés (70), la

comprend :
faute lourde consiste à ne pas comprendre ce que tout le monde
« non intelligere quod omnes intelligunt ».
D'après M. Josserand, elle se caractérise par une « énor-
« mité qui dénonce l'incapacité, l'inaptitude du coupable à
« s'acquitter des obligations dont il est tenu, de la mission,
« contractuelle ou extracontractuelle, qui lui incombe »
(71).
En tous cas, dans l'une et l'autre conceptions, la faute
lourde est une faute non intentionnelle.

(69) On pourrait prétendre que la faute lourde exige de la part de


son auteur une négligence ou un manque de prudence particulière-
ment graves et que, par conséquent, l'erreur, n'impliquant par elle-
même ni négligence, ni imprudence, ne peut, quelle que soit sa gravité,
constituer une faute lourde. Sans doute, l'erreur peut-elle être la suite
d'une négligence ou d'une imprudence, mais alors c'est la négligence ou
l'imprudence, non pas l'erreur, qui est fautive.
(70) Josserand, note au D., 1933, 1. 50, col. 1.
(71) Op. oit., p. 50, col. 2. M. Josserand a étudié longuement dans
cette note la question de l'assimilation de la faute lourde au dol. Dans
les développements qui suivent, nous nous sommes largement inspirés de
son étude.
Et c'est ce qu'admet également la Jurisprudence (72).
Qu'est-ce en revanche que le dol ?
Sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle, sur
lequel il convient de se placer, s'agissant de l'exercice du
droit d'ester en justice, le dol se confond avec le délit
civil (73). Or, le délit civil comporte essentiellement l'inten-
tion de nuire.
Il y a donc une différence radicale de nature entre la
faute lourde et le dol, puisque le dol est caractérisé par un
élément intentionnel qui fait défaut dans la faute lourde (74).
Cette conclusion est repoussée, il est vrai, par un auteur
éminent, M. Paul Esmein, qui s'est efforcé de justifier l'assi-
milation de la faute lourde au dol, en soutenant qu'il existe
une parenté intime, à défaut d'identité, entre les deux notions
Selon lui (75), il y aurait dol, aussi bien lorsque « l'agent
« a désiré le dommage »».
que lorsqu' « il l'a envisagé comme
Il y aurait faute lourde, lorsque
c certain, sans le désirer
l'agent a envisagé le dommage comme « probable».
Et l'assimilation entre les deux notions s'expliquerait,
d'une part, parce que « la limite est vague entre certitude et
probabilité », d'autre part, parce que l'agent, qui envisage le

(72) Voir, à titre d'exemples: Civ., 11 janvier 1932, D. H, 1932,


131; Civ., 29 juin .1932, D., 1933, 1. 49 avec la note de M. Josserand;
Req., 24 octobre 1932, D., 1932, 1. 176 avec la note signée E. P. et
S., 1933, 1. 289 avec la note de M. P. Esmein; Req., 27 novembre 1934,
D. H., 1935, 51; Req., 21 février 1938, D. H., 1938, 278; Paris, 12
février 1931, D. H., 1932, Som., p. 2; Paris, 5 janvier 1933, D. Il.,
1933, 168; Trib. de com. de la Seine, 7 décembre 1934, D. H., 1935, 111.
(73) En ce sens H. et L. Mazeaud, op. cit., t. I, § 414. Le mot
« dol » est employé à tort en matière délictuelle, ainsi que le fait très
judicieusement remarquer Planiol (lP éd., t. II, § 816), car «
< ployer où il est indispensable ;
< trouve ailleurs, dans la matière des contrats, une occasion de s'em-
le dol est le genre de fraude qui con-
« siste à déterminer une personne à contracter en la trompant ».
il

(74) Dans le même sens Ripert, op. cit., p. 181; Voisonet, « La


faute lourde », thèse, Dijon, 1934, p. 405 et s. D'après M. Paul-J.
§ 167)
<
:
Durand (« Des conventions d'irresponsabilité », thèse, Paris, 1931,
sente
«
les
.Ni moralement,
caractères du
ni
dol.
juridiquement
». Néanmoins,
[la faute
l'auteur
lourde]
n'admet
ne pro-
pas que
l'on puisse s'exonérer conventionnellement de la responsabilité ni au cas
de dol ni au cas de faute lourde. Nous soutenons l'opinion contraire au
texte, infra, p. 523 et a.
(75) S., 1933, 1. 289.
dommage comme probable, « en accepte l'éventualité ».
«
.C'est cette acceptation », déclare M. P. Esmein, « qui, du
<
point de vue moral, apparente l'agent à celui qui commet
< un vrai dol ».
Au contraire, de l'avis du même auteur, on ne saurait
assimiler la faute simple, dans laquelle l'agent a envisagé le
dommage « comme possible, mais non probable », au dol,
«
alors
timent
que
de
la
la
frontière est
possibilité
également
et celui de
incertaine
la :
entre
probabilité
le
le
sen-
pro-

:
«

«
bable [n'étant] que le plus possible ». La raison en est la
suivante « Lorsque [l'agent] envisage [le dommage]
« seulement comme possible, il escompte et peut espérer,
«
normalement, qu'il ne se produira pas. Il ne l'accepte pas
<
véritablement ».
La parenté que M. Esmein établit entre la faute lourde
et le dol est toute entière fondée sur les définitions originales
qu'il donne de l'une et de l'autre notions.
Or ces définitions nous paraissent contestables.
Prétendre que la faute lourde implique la connaissance
par l'argent de la probabilité du dommage aboutit, selon
nous, à en restreindre considérablement le champ d'appli-
cation. L'individu, qui a commis une grave négligence ou
s'est abstenu de la prudence la plus élémentaire, doit être
réputé coupable d'une faute lourde, sans qu'il y ait à se préoc-
cuper de savoir si son attention s'est, ou non, portée, au mo-
ment d'agir, sur le dommage qu'il allait causer.
D'autre part, le dol, qui, en matière délictuelle, se con-
fond, nous l'avons dit (76), avec le délit civil, ne peut exister,
à notre avis, sans l'intention de nuire (77). Nous n'admettons
pas qu'il y ait, comme le prétend M. Esmein, une forme, en
quelque sorte secondaire, du dol, caractérisée par le fait que
l'agent a envisagé le dommage comme certain, sans le désirer.

(76) Supra, p. 514 et s.


:
(77) Dans le même sens Capitant, « La loi du 13 juillet 1930 rela-
tive au contrat d'assurance », Revue générale des assurances terrestres,

col. 1, § 3.
;
1930, p. 755, § 16; H. et L. Mazeaud, loc. cit. Guyot, note au S., 1936,
2. 171,
Si l'on peut, dans la pratique, admettre qu'il y a dol dès I
l'instant qu'il y a certitude du damm.age, c'est uniquement à
condition, que, dans les,, circonstances de fait de l'espèce envi- 1
sagée, la certitude du dommage prouve indirectement l'inten. 1
tion de le causer.
Mais on peut concevoir de nombreuses hypothèses où
une personne, sachant qu'elle va faire tort à autrui, n'a ce.
pendant pas l'intention de lui nuire.
Ainsi, par exemple, le débiteur qui, pour gagner du
temps, fait appel du jugement de condamnation prononcé
contre lui, peut savoir que ce retard va causer à son créancier
un dommage considérable. IL n'a cependant pas la volonté de
lui nuire, mais seulement le désir de retarder l'échéance du
remboursement de sa dette.
Nous maintiendrons donc notre précédente conclusion,
aux termes de laquelle une différence radicale de nature
sépare la faute lourde du dol (78).
Ce n'est pas à dire, cependant, si l'on en croit M. Léon
Mazeaud (79), qu'il ne soit pas possible d'expliquer rationnel-
lement l'assimilation de la faute lourde au dol.
« L'auteur d'une faute intentionnelle », écrit M. Léon
Mazeaud (80), « prend toujours le masque facile de la bêtise.
« Il convient de la gravité de sa faute, mais il affirme sa
« bonne foi ; il joue l'imbécile. Il avoue s'être comporté de
c manière absurde, mais par sottise, non par méchanceté. On
« coupe court à ce trop commode moyen de défense en attri-
« buant à la faute lourde les mêmes conséquences civiles

(78) Par suite, si, contrairement à notre opinion (voir supra, p. 513),
la formule employée par les arrêts de la Chambre civile doit s'inter-
préter en ce sens que la responsabilité du plaideur est engagée envers
son adversaire, s'il s'est rendu coupable d'une erreur (ou d'une faute)
tellement grossière que cette faute équivaut à un dol, nous dirons que
l'hypothèse envisagée par la Cour Suprême est irréalisable. Exiger, pour
que l'exercice du droit d'ester en justice engage la responsabilité du
plaideur, une erreur (ou une faute grossière) équivalente en fait à un
dol, aboutit à exclure cette responsabilité dans tous les cas d'erreur
grossière et de faute grossière. Nous verrons, par la. suite (infra, p. 526
et s.) ce qu'il faut penser d'une telle solution.
(79) tf L'assimilation de la faute lourde au dol », Chronique, D. 7L,
1933, p. 49 et s.
(80) Op. cit., p. 53.
«
qu'au dol. On suppose établie chez l'auteur d'une faute très
« grave l'intention de nuire. La faute lourde est présumée
«
intentionnelle ».
Ainsi donc, si l'on en croit le savant auteur, l'assimila-
tion de la faute lourde au dol se justifie, non pas par une res-
semblance de nature, mais par des exigences de preuve.
Mais M. L. Mazeaud considère que la présomption qui
se déduit de la faute lourde est seulement relative. Il justifie
cette restriction sur deux arguments : un argument de texte
et un argument de raison (81).
D'une part, « .seules sont irréfragables les présomptions
«
qualifiées telles par [l'article 1352 du Code Civil]. La pré-
« somption de faute intentionnelle, qui n'est écrite
nulle
« part dans le Code, admet nécessairement la preuve con-
«
traire ».
D'autre part, du moment que l'assimilation de la faute
lourde au dol « ne se justifie que par la crainte du maquil-
« lage d'un dol en faute lourde » (82), il serait illogique de
maintenir cette assimilation dans les cas où l'on a « la cer-
( titude que la faute lourde est involontaire ».
Cette restriction apportée par l'auteur à sa thèse enlève
à celle-ci une grande part de son intérêt.
Cette thèse ne saurait rendre compte de l'assimilation de
la faute lourde au dol, telle que la consacre la Jurisprudence.
Car, en matière d'exercice du droit d'ester en justice, notam-
ment, les arrêts de la Chambre civile affirment l'assimilation
de l'erreur grossière (ou de la faute grossière) au dol sans
réserve.
Au reste, appréciée en elle-même, elle ne nous paraît pas
admissible.
Certes, le juge saisi d'une action en responsabilité peut
valablement présumer que, eu égard aux circonstances de
l'espèce, le plaideur poursuivi en responsabilité a agi par dol
et que, notamment, on ne peut considérer sa faute, à raison

(81) Loo. cit.


(82) Le texte porte « .d'un dol ou faute lourde ». Mais il y a là,
à n'en pas douter, une coquille.
de son énormité, comme une simple faute d'imprudence, de
négligence ou d'impéritie (83).
La preuve d'un simple fait — ici le dol -
est, en effet,
permise par tous les moyens, y compris les présomptions,
sous la seule condition que celles-ci répondent aux exigences
de l'article 1353 du Code Civil, c'est-à-dire qu'elles soient
« graves, précises et concordantes ».
En un mot, nous admettons bien volontiers que la faute
lourde puisse éventuellement valoir à titre de présomption de
fait du dol(84).
En revanche, il n'est pas possible, d'après nous, d'ériger
la faute lourde au rang de présomption légale, s'imposant de
plano au juge et dispensant, d'une façon générale, le deman-
deur en responsabilité, qui fait état d'une telle faute, com-
mise par son adversaire, de la preuve du dol de celui-ci, et ce,
même si l'on réserve au dit adversaire la faculté de faire la
preuve contraire.
Il ne peut y avoir de présomption légale sans texte. Or,
en matière d'assimilation de la faute lourde au dol, ce texte
fait défaut.
Bien plus, ainsi que le remarque M. Josserand (85)
« .cette argumentation va à l'encontre d'un des principes
«certains et fondamentaux de toutes les législations, à
«savoir que la bonne foi se présume (C. Civ., art. 2268) ; lors-
;
«qu'à l'inverse on présume le dol du débiteur, on renverse
«l'ordre juridique établi on fait de la mauvaise foi la règle
«et de la bonne foi l'exception, ce qui est bien grave, juridi-
« quement et moralement ».
Il n'est par conséquent pas possible de justifier, même
par des nécessités de preuve, l'assimilation de la faute lourde
au dol.-
(83) Le juge, saisi d'une demande en dommages-intérêts pour exer-
cice abusif du droit d'ester en justice, pourrait, notons-le au passage,
déduire de la gravité des fautes commises par le plaideur que celui-ci a
agi, soit en vue de nuire à son adversaire, soit en vue d'atteindre une
fin autre que la reconnaissance du droit qu'il invoquait. Voirinfra,
p, 533, n. 123.
(84) Comp. supra, p. 516.
(85) D., 1933, 1. 52, col. I.
Il est donc vrai de dire que cette assimilation ne repose
sur aucun fondement rationnel.
La maxime « Culpa lata dolo aequiparatur » exprime-t-
ellc, du moins, une règle générale qui s'impose de nos jours,
en sorte que la Chambre civile, en assimilant dans ses arrêts
récents, rendus en matière d'exercice du droit d'ester en jus-
tice, l'erreur grossière (ou la faute grossière) au dol, ne ferait
qu'appliquer à une hypothèse particulière un principe consa-
cré par notre droit positif?
C'est ce qu'il nous reste à rechercher.

II

Sans doute, dans certains textes législatifs récents, com-


me le remarque M. Josserand (86), voit-on la faute lourde
produire les mêmes effets juridiques que le dol.
Mais nul texte législatif ne consacre, en tant que règle
de portée générale, l'assimilation de la faute lourde au dol.
Et, d'autre part, dans le vaste domaine des assurances ter-
restres, cette assimilation est repoussée par la loi du 13 juil-
let 1930, relative au contrat d'assurance (87).
Cette loi dispose, en effet, dans son article 12 :
« Les pertes et les dommages occasionnés par des cas
« fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge
« de l'assureur sauf exclusion formelle et limitée contenue
« dans la police.
« Toutefois, l'assureur ne répond pas, nonobstant toute
« convention contraire, des pertes et dommages provenant
« d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré. »

29 mai 1933,
;
(86) D., 1933, 1. 51, col. II. Ajouter aux exemples cités dans cette
note: l'article 11 de la loi du 29 décembre 1905, relativement à la res-
ponsabilité des armateurs l'article 14 de la Convention de Rome du
pour l'unification de certaines règles relatives aux domma-
ges causés par les aéronefs aux tiers à la surface (voir les termes de ce
texte cités par MM. H. et L. Mazeaud, op. cit., t. I, § 920-2, p. 778;
l'article 120 du décret du 30 octobre 1935, unifiant le droit en matière
de lettres de change et de billets à ordre (D., 1935, 4. 463).
1
(87) D., 1931, 4. 1.
Et ce texte est généralement interprété en ce sens que
l'assurance couvre la faute lourde, à l'exclusion du dol (88).
C'est, au surplus, l'interprétation qu'imposent les travaux
préparatoires (89).
En Doctrine, le problème de l'assimilation de la faute
lourde au dol est controversé (90).
En Jurisprudence, enfin, on constate une tendance à
repousser cette assimilation dans les domaines où la question
se pose le plus généralement.
C'est dans un arrêt récent de la Chambre civile, en date
du 3 août 1932 (91), intervenu sur la question de l'assimila.
tion de la faute lourde au dol, au double point de vue de l'ap.
plication de l'article 1150 du Code Civil et de la validité des
clauses limitatives de responsabilité, que s'exprime la ten-
dance jurisprudentielle au rejet de cette assimilation.
Il s'agissait, dans l'espèce, d'une demande en dommages-
intérêts formée contre une compagnie de chemins de fer par
le propriétaire de deux chevaux de course, morts pendant un
transport.
Bien que, par application du tarif accepté par l'expédi-
teur, la compagnie ne fût tenue de payer que 5.000 francs
d'indemnité par cheval, l'arrêt frappé de pourvoi l'avait con-
damnée à 30.000 francs de dommages-intérêts, « pour le mo-
« tif que le préjudice avait été causé par une faute lourde
« du transporteur, et qu'en conséquence le chiffre des dom-
« mages-intérêts devait être établi d'après la valeur réelle de
« l'animal et non d'après l'indemnité forfaitaire réduite ».
La Chambre civile a cassé cet arrêt, en décidant que l'ar-
ticle 1150 du Code Civil ne permet de condamner le débiteur
d'une obligation contractuelle à des dommages-intérêts, excé-
dant ceux qui ont été prévus ou que l'on a pu prévoir lors du

-
(88) En ce sens: H. Capitant, loc. cit., Trasbot, D., 1931, 4.
12,1
col. Ii L. Mazeaud, « L'assimilation de la faute lourde au dol ». Chroni- I
que, D. H., 1933, p. 52; Josserand, D., 1933, 1. 52, col. II. I
(89) Exposé des motifs (Hémard), J O 1925. Annexe n° 1544, 1
p. 640; Rapport Lafarge, J. O., Annexe, n° 3316, p. 1164. I
(90) Voir les références citées par H. et L. Mazeaud, op. cit., t. lu I
§2523,n. 2.
- (91) D., 1933, 1. 49 avec la note de M. Josserand.
I
1
contrat, que dans le cas de dol. Ce faisant, elle a écarté l'as-
similation de la faute lourde au dol dans l'application de l'ar-
ticle 1150.
La solution contraire, admise dans des arrêts anté-
rieurs (92), a été, il est vrai, consacrée à nouveau par la Cham-
bre des requêtes dans un arrêt plus récent, en date du 24 octo-
bre 1932 (93). Cet arrêt a, en effet, décidé que « .la faute
«lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel
c
elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu'il
< a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du con-
e
trat. ».

auteurs « sont unanimes pour dire :


L'annotateur de l'arrêt au Dalloz (94) déclare que les
au cas de faute lourde,
( réparation intégrale du préjudice subi,. ». Mais M. Josse-
rand note, à l'inverse, qu' « .une bonne partie de la Doctrine
«
avait pris position, à vrai dire implicitement plutôt qu'en
« termes
catégoriques en [sens contraire]. » et il appuie cette
opinion de sa haute autorité (95).
La Chambre civile, dans l'arrêt précité du 3 août 1932, ne
s'est pas contentée d'écarter l'assimilation de la faute lourde
au dol sur le terrain de l'article 1150. Elle l'a écartée égale-
ment sur le terrain des clauses limitatives de responsabilité.
Elle décide, en effet, qu'au cas de faute lourde, à l'in-
verse de ce qui se passerait au cas de dol, le transporteur est
fondé à se prévaloir de la limitation de responsabilité corres-
pondant au tarif réduit, accepté par l'expéditeur.
Mais, sur le terrain des clauses limitatives de responsa-
bilité, comme sur le terrain de l'article 1150 du Code Civil,
cette solution est en opposition avec les solutions jurispru-
dentielles antérieures et postérieures.
Un arrêt antérieur de cette même Chambre civile, du 29
juin 1932 (96), avait statué en sens contraire.

(92) Voir les arrêts cités par M. Josserand, D., 1933, 1. 53, col. [.
1(93)
1 D., 1932, 1. 176 avec une note signée E. P., S., 1933, 1. 289
avec une note de M. P. Esmein.
! (94) Note signée E. P. au D., 1932, 1. 176, col. H.
1 (95) D., 1933, 1. 53, col. I.
1 (96) D., 1933, 1. 49 avec la note do M. Josserand.
Et des décisions émanant, soit de la Chambre des requê.
tes, soit de Cours d'appel,. consacrent à nouveau l'assimila-
tion de la faute lourde au dol (97).
D'ailleurs, Doctrine et Jurisprudence admettent cette
assimilation en matière de clauses de non-responsabilité (98),
Aux termes, notamment, d'un arrêt de la Chambre des
requêtes du 24 octobre 1932 (99) : « .la faute lourde, assi-
« milable au dol, enipêche le contractant auquel elle est im.
c putable de .s'affranchir [de la réparation du préjudice
c qu'il a causé] par une clause de non-responsabilité (100).
Et cette assimilation de la faute lourde au dol en matière
»
de clauses de non-responsabilité est également consacrée en
législation par des textes récents, tels que le Code fédéral
suisse des obligations, dans son article 100 § 1, le Code civil
de la République de Chine, dans son article 222.
Par ailleurs, la Convention de Berne du 23 octobre 1924,
relative aux transports de marchandises par chemin de fer
(101), dans son article 36, la Convention de Varsovie du
12 octobre 1929 sur le transport aérien (102), dans son article
25 § 1 et la Convention de Rome du 29 mai 1933, pour l'unifi-
cation de certaines règles relatives aux dommages causés par
les aéronefs aux tiers à la surface (103), dans son article 14,
soumettent à la même responsabilité le transporteur qui s'est
rendu coupable d'un dol et celui qui a commis une faute
lourde.

1
et Req., 31 mai 1938, D. H., 1938, 451.
(98) Voir les références citées par M. Josserand, loc.
(99) D., 1932, 1. 176 avec une note signée E. P., déjà
cit..
(97) Voir les arrêts cités par M. Josserand au D.,1933, 1. 53, col. II

cité.a
N

(100) Dans le même sens, Req., 27 novembre 1934, D. II., 1935, 61. 1
(101) B. h.D.,1928, p. 356.
(102) B. L. D., 1932, p. 618. Il convient, d'ailleurs, de remarquer
que cette convention
;
ne pose pas, à proprement parler, l'assimilation
la faute lourde au dol elle se contente d'en admettre la légitimité, en
de

c pas le droit de se prévaloir des


responsabilité,
:
renvoyant à ce que décide à cet égard la loi applicable.
L'article 25 § 1 est, en effet, ainsi conçu « Le transporteur n'aura
dispositions de la présente
dommage
convention
provient
c qui excluent ou limitent sa si le dé

c son dol ou d'une faute, qui, d'après la loi du tribunal saisi, est consi-
« dérée comme équivalente au dol D. Mazeaud,
(103) Voir les termes de ce texte, cités par H. et L.
I, I
op. cit., t. § 920-2, p. 778.
Mais cette assimilation ne nous parait plus acceptable
sur le terrain du droit positif, depuis la loi du 13.juillet 1930,
si tant est que l'on ait pu l'approuver antérieurement à cette
loi.
On ne saurait logiquement admettre que le problème de
l'assimilation de la faute lourde au dol soit résolu de façon
opposée, suivant qu'on l'envisage au point de vue des clauses
de non-responsabilité ou au point de vue de l'assurance.
En effet, l'expéditeur d'une marchandise, qui accepte que
le transporteur s'exonère de sa responsabilité, ne manque pas
d'exiger, en contre-partie, une réduction du prix normal du
transport. Economiquement parlant, tout se passe comme si
le transporteur contractait auprès de l'expéditeur une assu-

portée:
rance de responsabilité, relativement à la marchandise trans-
la différence entre le prix du transport établi dans
les conditions du droit commun, c'est-à-dire avec l'obligation
pour le transporteur d'indemniser l'expéditeur de tout dom-
mage non imputable à la force majeure, et le prix de trans-
port réduit, consenti à l'expéditeur, en contre-partie de la
clause de non-responsabilité, joue le rôle de prime d'assurance.
Il y a donc identité de situation entre le cas où un trans-
porteur contracte auprès d'une compagnie une assurance de
responsabilité et le cas où il consent à l'expéditeur une réduc-
tion du prix du transport, moyennant laquelle il s'exonère de
sa responsabilité.
On doit conclure de cette identité, à défaut d'un texte
prescrivant une solution contraire, et en raisonnant par analo-
gie (104), que la faute lourde ne doit pas davantage faire obs-
tacle à l'efficacité d'une clause de non-responsabilité qu'elle
ne fait obstacle au jeu de l'assurance.
Le recours au raisonnement par analogie se justifie d'au-
tant mieux en notre matière qu'il conduit à revenir, en fait d?
Convention de non-responsabilité, au principe de l'article 1134
du Code Civil.
Et l'on ne saurait objecter que l'assurance et la clause de
non-responsabilité sont deux notions juridiques différentes.

(104) Voir, sur le raisonnement par analogie, Gény, « Méthode d'in-


terprétation et sources en droit privé positif », 1932, t. II, § 165 et s.
Prétendre que la différence technique qui sépare deux institu-
tions ayant la même portée pratique suffit à légitimer une dif-
férence dans leurs effets, nous apparaît inadmissible, car une
telle façon de raisonner aboutit à sacrifier la réalité à l'appa-
rence technique qui l'habille.
La preuve est ainsi faite que, depuis la loi du 13 juillet
1930, la Jurisprudence maintient à tort l'assimilation de la
faute lourde au dol en fait de clauses de non-responsabilité
et, a fortiori, en fait de clauses limitatives de responsa-
bilité (105).
Et ce, d'autant plus que, comme l'a démontré M. Josse-
rand, (105 bis), les raisons, qui imposent, sous peine de con-
tredire à la notion même d'obligation, l'inefficacité des clauses
de non-responsabilité en matière de faute dolosive, ne sau-
raient valoir pour justifier cette inefficacité en matière de
faute lourde.

(105) Commentant l'arrêt de la Chambre civile du 3 août 1932


(D.,1933, I. 49), cité supra, p. 521, qui, nous l'avons vu, rompt avec
la Jurisprudence antérieure et décide que « hors le cas de dol, le
«débiteur n'est tenu que des dommages-intérêts, qui ont été prévus
«lors du contrat. », M. Léon Mazeaud (op. cit., p. 52) écrit:
« Sans doute la Chambre civile de la Cour de cassation a-t-elle été
a influencée par la loi du 13 juillet 1930. Celle-ci a brutalement rompu
«avec la traditionnelle assimilation de la faute lourde au dol en auto-
«risant l'assurance de la faute lourde. Applicable aux seules assurances
«terrestres, la solution législative ne saurait théoriquement être étendue
autres assurances, ni aux clauses modifiant la. responsabilité, ni
«aux limitations
*aux légales. Elle ne peut pourtant manquer d'impressionner
«la Jurisprudence d'abord pour les assurances maritimes de responsa-
«bilité (.) et aussi pour les clauses de non-responsabilité et pour la
«limitation légale aux dommages prévisibles. La Chambre civile n'a-t-elle
tipas voulu ramener l'unité en étendant tous les domaines la solution
nouvelle, en refusant désormais dans tous les cas d'assimiler la faute
«lourde au dol ? Mais en l'absence d'un texte semblable à l'article 12
«de la loi du 13 juillet 1930, le pouvait-elle ?»
S'il n'existe pas, en matière de clauses restrictives ou exclusives de
responsabilité, un texte analogue à l'article 12 de la loi du 13 juillet 1930,
dissociant la faute lourde du dol, il n'yen a pas davantage qui consacre
la maxime: « Culpa lata dolo aequiparetur ». On est donc en droit de
recourir aux règles de la libre recherche scientifique (voir Gény, op. cit.,
§ 155 et s.) et, raisonnant par analogie, d'étendre la solution donnée par
la loi de 1930 aux clauses de non-responsabilité et, par extension, aux
clauses limitatives de responsabilité, conformément à ce que nous avons
dit au texte.
(105 bis) D., 1933, 1. 54, col. 1 et II.
Le rejet de l'assimilation de la faute lourde au dol par
la loi de 1930 dans le domaine des assurances terrestres,
l'exclusion de cette assimilation en fait de clauses exclusives
ou limitatives de responsabilité que cette solution impose
corrélativement, la tendance jurisprudentielle récente démon-
trent que la maxime « Culpa lata dolo aequiparatur » est loin
d'exprimer une règle générale de notre droit positif.
Sans doute cette assimilation est-elle consacrée par
certains textes législatifs. Mais la plupart de ces textes, tels
que la Convention de Berne de 1924, la Convention de Varso-
vie de 1929, la Convention de Rome de 1933, le décret du
30 octobre 1935, sont ou reproduisent des textes législatifs
internationaux, dont les solutions ont toujours, plus ou
moins, l'allure de transactions intervenues entre des concep-
tions contraires et ne sauraient, de ce fait, révéler les
tendances de notre droit positif aussi nettement qu'une loi
interne.
Et, comme loi interne récente assimilant la faute lourde
au dol, on ne peut guère citer, à notre connaissance, que la
loi du 7 février 1933, relative à la prise à partie.

Conclusion
Privé du soutien de la maxime « Culpa lata dolo sequi-
paratur », qui, nous venons de le voir, n'est ni fondée en
raison, ni consacrée comme règle générale par notre droit
positif, l'assimilation de l'erreur grossière ou de la faute gros-
sière au dol, posée par les arrêts récents de la Chambre civile
en matière d'exercice du droit d'ester en justice, apparaît injus-
tifiée (106).
On ne peut prétendre que la responsabilité du plaideur
est engagée au cas d'erreur grossière ou de faute grossière
parce qu'elle l'est au cas de dol.
Mais faut-il en conclure que le plaideur ne saurait être
responsable envers son adversaire qu'au cas de dol ?
1
(106) L'assimilation de l'erreur grossière au dol, admise par la
plupart des arrêts, apparaît encore plus injustifiée, si l'on considère que
l'erreur grossière ne constitue pas une faute lourde. Voir supra, p. 513,
n. 69.
Une simple faute involontaire, et, a fortiori, une erreur
grossière ou une faute grossière ne peuvent-elles fonder sa
responsabilité par elle-même ?
Telle est la question qu'il convient d'examiner main-
tenant.
§ II. — LA RESPONSABILITÉ DU PLAIDEUR AU CAS DE
FAUTE INVOLONTAIRE
Ce problème apparaît à première vue fort aisé à résoudre.
Etant donné que l'exercice du droit d'ester en justice
est susceptible de causer un préjudice sérieux à celui contre
lequel il est dirigé, ne convient-il pas d'admettre que le
plaideur, qui a été débouté de sa demande ou dont la résis-
tance à la demande de son adversaire a été reconnue injus-
tifiée, doit être condamné à des dommages-intérêts, dès l'ins-
tant que l'on peut retenir à sa charge une faute, même légère?
Cette solution ne s'impose-t-elle pas d'autant plus qu'in-
dépendamment du préjudice qu'il cause à l'adversaire,
l'exercice fautif du droit d'ester en justice trouble gravement
l'ordre public (107) et que, d'autre part, la menace d'une
condamnation en dommages-intérêts est le meilleur remède
préventif contre la négligence, l'imprudence, la témérité des
plaideurs (108) ?
On est ainsi conduit, semble-t-il, à soumettre purement
et simplement la responsabilité du plaideur à la solution de
principe que posent les articles 1382 et 1383 du Code Civil
(109).
Mais on sait par ailleurs (110) que l'exercice du droit
d'ester en justice constitue une prérogative essentielle pour
le plaideur, que la lutte pour le droit est un devoir de l'indi-
vidu envers lui-même et envers la Société et que, par suite,
il convient de n'appliquer les règles du droit commun de
la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle en notre

(107) Voir supra, p. 481.


(108) Voir supra, p. 483 et s.
(109) En ce sens, Glasson et lissier, op. cit., t. I, p. 420 et s.
(110) Voir supra, p. 492 et s.
matière que dans la mesure où elles ne risquent pas de
contrarier le libre accès au prétoire de ceux dont le droit
est violé ou injustement contesté.
Il y a donc lieu de rechercher dans quelle mesure la
responsabilité du plaideur peut être retenue, sans dommage
pour le libre et plein épanouissement du droit d'ester en
justice.

La faute involontaire appréciée « in abstracto»


Etant donné que d'après la solution généralement admise,
la faute doit s'apprécier in abstracto, un plaideur ne peut être
sûr, à l'avance, de ne pas encourir de responsabilité envers
son adversaire, si d'aventure, ses prétentions sont rejetées.
Même en se comportant avec toute la diligence et toute
la prudence dont il est capable, comment, en effet, pourrait-
il avoir la certitude que, par comparaison avec le type abstrait
du bon plaideur, adopté comme étalon de mesure par le
tribunal, il ne lui sera pas reproché par celui-ci, soit une
faute de négligence, soit une faute d'imprudence, soit une
impéritie?
Sans doute, nous l'avons vu (111), le plaideur échappera-
t-il à toute responsabilité, s'il gagne son procès. Mais on ne
saurait dire que, dans la plupart des cas, il est à même de
savoir si ses prétentions sont, ou non, fondées et lui per-
mettent, ou non, d'ester en justice sans crainte de succomber.
La complexité de notre droit positif, sans cesse accrue en
raison à la fois de raffinement des concepts juridiques et de
la multiplication des textes législatifs, rend de plus en plus
malaisée pour les individus une juste appréciation dé leurs
droits subjectifs.
Ceci posé, envisageons l'hypothèse d'une personne qui a
effectivement subi une violation de son droit et qui mérite
à coup sûr le recours des tribunaux (112).

(111) Supra, p. 496 et s.


(112) On pourrait tout àussi bien supposer une personne poursuivit
à tort en justice, ou condamnée à tort en premier ressort.
N'ayant pas la certitude d'échapper à une condamnation
-en dommages-intérêts envers son adversaire, cette personne
hésitera peut-être à engager une instance, voire même y
renoncera.
On ne saurait lui faire grief de sa pusillanimité, si elle
ne sait pas et si elle ne peut savoir avec certitude qu'elle doit
triompher.
Dira-t-on qu'il est aisé pour quiconque de savoir si ses
prétentions soulèvent une contestation sérieuse et si, par
conséquent, il n'a pas à craindre de se voir reprocher par
le tribunal une faute quelconque dans l'exercice de son droit
d'ester en justice, en prenant l'avis d'un homme de loi?
Nous ne croyons pas que l'avis d'un homme de loi, quels
que soient la compétence et les soins de celui-ci, puisse mettre
celui qui le sollicite à l'abri de toute surprise et lui procurer
la certitude qui lui fait défaut.
Cela tient à la diversité des jugements humains
juge pouvant estimer téméraire une poursuite ou une défense
:
le

en justice qui sera apparue susceptible d'une discussion


sérieuse à l'homme de loi.
Cela tient, plus encore, à la difficulté pour le conseil
d'avoir une vue exacte des intérêts en litige. D'une part, en
effet, l'inévitable déformation professionnelle l'incline trop
souvent à apprécier favorablement les prétentions de son
client. D'autre part, il a une connaissance en quelque sorte
unilatérale du litige, et ce, d'autant plus que souvent, son
client, même de bonne foi, a négligé de lui révéler certains
éléments de fait déterminants.
Par ailleurs, on ne saurait prétendre que le seul fait par
le justiciable d'avoir consulté un homme de loi qualifié (113)
et d'en avoir reçu un avis favorable doit le mettre à l'abri
de toute poursuite en responsabilité, si, d'aventure, ses pré-
tentions sont repoussées, parce qu'il révèle une diligence et
une prudence suffisantes.

(113) En entendant par là un homme de loi appartenant à une


corporation qui jouit de la confiance des juges, tel qu'un officier imma-
tériel, un avocat inscrit à un barreau, un agréé.
Sa responsabilité ne peut être à couvert que s'il n'a
pas commis, en renseignant l'homme de loi sur son affaire,
une faute d'imprudence, de négligence ou d'impéritie, car on
ne voit pas sur quels arguments on pourrait se fonder pour
décider qu'il n'a pas à répondre de ces fautes, si elles ont
été la cause de l'erreur d'appréciation commise par ledit
homme de loi.
Mais alors on fait renaître sur un autre plan son incer-
titude quant à la question de savoir s'il n'encourt pas une
condamnation en dommages-intérêts.
Ainsi donc rendre les plaideurs responsables de leurs
fautes involontaires appréciées in abstracto, si d'aventure
leur demande en justice est déclarée mal fondée ou leur
résistance à la demande de leur adversaire réputée injusti-
fiée, peut aboutir à gêner, voire même à paralyser, le recours
aux tribunaux de ceux dont les prétentions sont, en fait,
parfaitement justes.
C'est risquer, en somme, d'ôter aux droits subjectifs, dont
on ne peut poursuivre la reconnaissance en justice, en toute
liberté d'esprit et sans crainte, une large part de leur efficacité.
C'est risquer de faire obstacle à la lutte pour le droit
pourtant si précieuse pour l'individu et pour la Société (114).
De nos jours, en raison des lenteurs imputables à l'en-
combrement des tribunaux importants, en raison des frais de
plus en plus considérables que les plaideurs doivent engager
sans recours possible, même au cas de gain de leur procès,
tels que les honoraires d'avocat ou d'avoué, en raison enfin
de la lourde charge des dépens qu'ils ont à supporter au cas
d'échec (115), le recours aux tribunaux devient, en pratique,
souvent impossible.
Il est à craindre que, si les justiciables ont, en outre,
à redouter une condamnation à des dommages-intérêts envers
leur adversaire, alors même qu'ils se sont comportés avec
toute la diligence et toute la prudence dont ils sont capables,
ils ne se résignent dans bien des cas à souffrir la violation

(114) Voir supra, p. 593 et s.


(115) Sans compter le risque de ne pouvoir récupérer leurs propres
dépens sur leur adversaire, au cas de succès, si celui-ci est insolvable.
de leur droit ou renoncent à résister aux prétentions injus-
tifiées d'un tiers.
Si donc on a le souci d'assurer au droit d'ester en justice
son plein et libre épanouissement, on ne saurait accueillir
en matière de responsabilité du plaideur envers son adver-
saire les solutions du droit commun de la responsabilité quasi-
délictuelle.

C'est, cependant, à ces solutions que l'on est ramené,


semble-t-il, si l'on adopte la théorie de M. Josserand.
D'après le savant auteur, la faute non-intentionnelle
ressortit à la théorie de l'abus des droits.
« Il ne suffit pas », écrit-il, « d'exercer nos droits confor-
e mément à la bonne foi, il faut encore les réaliser correcte-
c ment, prudemment, dans le plan de l'institution
« a pas seulement la bonne volonté, il y a aussi la manière
: ;
il n'y

« il n'y a pas seulement l'intention, mais il y a en outre la

c droit » (116).
:
c technique qui est susceptible d'exercer son influence et de
c déterminer cette réaction juridique qui a nom l'abus du

:
Faisant application de ces idées à l'exercice du droit
d'ester en justice, M. Josserand précise « le recours aux

c finalité dont il ne doit pas être détourné


it
;
« voies légales, comme l'immense majorité des droits, a une
c'est un instru-

c civiliter ;
ment, une arme qui veut être employée socialement,
du moment qu'elle est utilisée, qu'elle est maniée
« incorrectement, méchamment, gauchement, à tort et à tra-
c vers et non plus conformément à la règle sociale, à l'esprit
« de l'institution, elle met en jeu la responsabilité de celui
« qui en mésuse. ».
Si nous comprenons bien sa pensée, M. Josserand consi-
dère qu'il y a abus du droit générateur de responsabilité, au
cas de simple faute involontaire appréciée in abstracto. L'émi-
lient auteur ne donne pas cette précision, mais elle paraît
s'imposer, conformément à la solution consacrée par notre
droit positif, à laquelle il n'apporte aucune dérogation.

(116) « De l'esprit des droits et de leur relativité », § 286, p. 362.


En admettant même la définition que M. Josserand donne
de l'abus du droit, on peut se demander si le détournement
d'un droit de sa finalité n'exige pas un acte volontaire,
intentionnel.
Comment prétendre qu'un plaideur a détourné son droit

gauchement »
d'ester en justice de sa fin sociale, parce qu'il a, par exemple,
introduit une instance ?
Ce droit lui est conféré en vue d'obtenir la réparation
de la violation que ses droits subjectifs peuvent subir. Ne
faut-il pas en conclure que, dès l'instant qu'il l'exerce, en
se croyant victime d'une telle violation et en vue d'en obtenir
réparation, il l'utilise conformément à sa fin sociale, quelles
que soient les fautes de technique qu'il commet ?
! des
;
De telles fautes ne constituent pas, à proprement parler,
des abus du droit d'ester en justice ce sont simplement
fautes commises dans l'exercice de ce droit.
En bref, nous hésitons à penser que le détournement
d'un droit de sa finalité puisse se réaliser sur le plan tech-
nique, aussi bien que sur le plan intentionnel, comme le
prétend M. Josserand (117).
Mais passons outre à cette objection de portée générale
et apprécions la théorie de M. Josserand au point de vue
qui nous occupe, c'est-à-dire au point de vue de l'exercice
du droit d'ester en justice.
Cette théorie ne nous paraît pas acceptable, car elle est
en opposition avec la nécessité d'assurer à ce droit son libre
et plein épanouissement.

(117) MM. H. et L. Mazeaud (op. cit., t. I, § 576) admettant, eux


aussi, que l'abus d'un droit peut exister au cas de faute quasi-délictuella.
Mais leur conception ne souffre pas, tout au moins au point de vue logi-
que, l'objection que nous adressons à la théorie de M. Josserand. Eu
effet, ces auteurs n'ont pas de l'abus des droits la même opinion que
celui-ci. Pour eux, l'abus d'un droit consiste en une faute commise dans
l'exercice de ce droit. Dans ces conditions, on comprend qu'ils considèrent
qu' « il y a abus d'un droit lorsque l'exercice de ce droit constitue une
( faute délictuelle, mais aussi chaque fois qu'il constitue une faute
< quasi-délictuelle ». En effet, « comment admettre que l'action accom-
« plie dans l'exercice d'un droit ne puisse constituer jamais ni impru-
« dence, ni négligence ? »
Au contraire, M. Josserand définissant l'abus du droit un détour-
nement du droit de sa finalité, on ne comprend plus qu'il considère
qu'une faute quasi-délictuelle se rapportant à l'exercice de ce droit puisse
constituer un tel détournement.
Alors même que les fautes involontaires appréciées in I
abstracto, commises par un plaideur devraient être réputées I
abus du droit d'ester en justice, on ne saurait admettre, 1
contrairement à l'opinion de M. Josserand, qu'elles engagent I
sa responsabilité, sous peine, nous l'avons démontré (118),
de gêner l'accès au prétoire de ceux dont les prétentions sont
parfaitement justes.
Il convient, d'ailleurs, de remarquer que, dans les hypo-
thèses concrètes d'abus du droit d'ester en justice, caractérisé
par une faute quasi-délictuelle, qu'il envisage, M. Josserand
aboutit à des solutions plus restrictives que celles auxquelles
sa conception devrait le conduire.
« Il est évident », écrit-il, « qu'une erreur de compé-
« tence par le demandeur ne rentrera pas, en principe du
« moins et à elle seule, dans la catégorie des fautes consti-
« tutives de l'abus, car on ne peut pas dire qu'en se trompant
« ainsi, en saisissant tel tribunal au lieu de tel autre, ce
« plaideur ait faussé l'esprit même de l'institution » (119).
A lire ces lignes, il semble bien que le savant auteur ne
considère pas que l'abus du droit d'ester en justice puisse
être constitué par une faute d'ignorance ou d'impéritie.
M. Josserand admet, en revanche, que commettrait un
abus du droit le plaideur qui saisirait la justice « d'une
demande inconsidérée, sans fondement sérieux, apparem-
«
« ment et évidemment injustifiée » (120).

donne de la faute lourde


« énormité qui dénonce
:
Si l'on se réfère à la définition, déjà citée (121), qu'il
faute caractérisée par « une
l'incapacité, l'inaptitude du coupable
« à s'acquitter des obligations dont il est tenu, de la mission,
« contractuelle ou extra-contractuelle, qui lui incombe»
(122), on peut dire, à coup sûr, que l'hypothèse précédente
est une hypothèse de faute lourde (123).

(118) Voir supra, p. 527 et a.


(119) Op. cit., § 286, p. 361.
(120) Op. cit., § 286, p. 362.
(121) Supra, p. 514.
(122) D., 1933, 1. 50, col. II.
(123) On peut même prétendre qu'en pareille hypothèse le juge, en
raison du caractère « apparemment et évidemment » injustifié de la
demande, de son défaut de tout « fondement sérieux », sera probablement
Et la question se pose alors de savoir si l'on peut admet-
tre que la responsabilité du plaideur est encourue au cas de
faute lourde.
Nous ne le pensons pas.
La faute lourde, abstraction faite de son assimilation an
dol, dont nous avons précédemment démontré le mal-fondé
(124), ne saurait, par elle-même et à elle seule, engager la
responsabilité du plaideur envers son adversaire.
Il suffit, pour s'en convaincre, de remarquer que la faute
lourde est appréciée comme la faute légère, c'est-à-dire in
llbslracto. Par suite, une personne qui se propose, soit d'agir
en justice, soit de résister aux prétentions d'un tiers, peut,
même si l'on exige une faute lourde pour engager la respon-
sabilité du plaideur envers son adversaire, éprouver la crainte
d'encourir cette responsabilité. Et nous avons démontré (125)
que cette crainte est en contradiction avec la nécessité de
n'apporter aucune entrave à l'exercice du droit d'ester en
justice.
Dira-t-on qu'en raison de sa gravité, la faute lourde n'a
pu être commise sans que son auteur ait eu conscience de
se rendre coupable d'un manquement à la diligence ou à
la prudence ?
Nous répondrons que l'objection ne porte pas, si la faute
lourde a consisté en une erreur ou une inhabileté. Par défi-
nition même, son auteur n'a pu savoir qu'il commettait une
faute.
Mais, même s'agissant d'une faute lourde de négligence
ou d'imprudence, il se peut que son auteur ait été exception-
nellement dénué de prudence ou de diligence, au point

fondé à présumer que le plaideur se proposait d'exercer son droit d'ester


en justice en vue d'une fin toute autre que la reconnaissance du droit
qu'il invoquait. Mais alors il ne s'agira plus d'un abus du droit consis-

;
tant en une faute quasi-délictuelle, hypothèse envisagée par M. Josse-
rand il s'agira, dans sa théorie tout au moins, d'un abus du droit cons-
titué par le détournement conscient du droit d'ester en justice de sa
finalité. Rappelons que, selon nous, l'exercice du droit d'ester en justice,
în vue d'une fin autre que la reconnaissance du droit invoqué, ne cons-
titue pas seulement un détournement du droit d'ester en justice de sa
finalité, mais une dénaturation de ce droit.
(124) Voir supra, p. 512 et s.
(125) Voir supra, p. 527 et s.
d'avoir agi sans se rendre compte qu'il se comportait fauti.
vement.
Est-ce à dire, en définitive, que le principe, selon lequel
il convient d'assurer à ceux qui sont victimes de la violation
ou de la contestation injustifiée de l'un de leurs droits sub-
jectifs le libre accès du prétoire, conduit à décider que le
plaideur n'engage pas sa responsabilité envers son adversaire,
au cas de faute involontaire, quelle que soit la gravité de
cette faute ?
Il serait exagéré de le prétendre.

La faute involontaire appréciée « in concreto »

ponsabilité du plaideur :
Il est des cas où l'on peut légitimement retenir la res-
ce sont ceux dans lesquels ce plai-
deur s'est comporté fautivement eu égard à sa façon habituelle
et normale d'agir, c'est-à-dire ceux où il a commis une faute
appréciée in concreto.
En effet, la menace d'avoir à répondre éventuellement
d'une telle faute ne peut décourager l'individu désireux de
saisir les tribunaux de ses prétentions, puisqu'il lui suffit,
pour échapper à toute responsabilité, d'apporter dans l'exer-
cice de son droit d'ester en justice la prudence et la diligence
qu'il apporte d'ordinaire dans la conduite de ses affaires.
Mais, objectera-t-on, l'appréciation de la faute in concreto
souffre de graves critiques. Elle est de plus généralement
repoussée en tant que solution de principe.
Nous ne croyons pas que ces deux ordres d'arguments
soient sans réplique.
I. — Remarquons, tout d'abord, que le problème de
l'appréciation de la faute in concreto ne se posepas en notre
matière dans les termes où il se pose sur le plan général de
la responsabilité.
Les considérations d'ordre philosophique que l'on peut
faire valoir à l'encontre de l'appréciation de la faute in
concreto (126), quand on examine la question sur ce plan,

(126) Notons, d'ailleurs, que l'appréciation de la faute in concreto,


envisagée comme solution générale du problème de la responsabilité civile,
ne peuvent être invoquées à propos du cas particulier qui
nous occupe.
En fait d'exercice du droit d'ester en justice, il est établi
que, seule, cette manière d'apprécier la faute se concilie avec
la nécessité de ne pas gêner l'accès du prétoire. Théorique-
ment donc, elle ne souffre aucune critique.
Mais n'est-elle pas critiquable du point de vue pratique ?
MM. H. et L. Mazeaud invoquent, à cet égard, les diffi-
cultés qu'imposerait au juge, d'après eux, l'appréciation de
la faute in concreto. Ils considèrent, en effet, que cette appré-
ciation comporte la recherche de l'état d'âme de l'agent, celui-
ci ne pouvant être condamné à des dommages-intérêts « si
«sa conscience est en paix » (127).
« Comment [lejuge] saura-t-il », écrivent ces auteurs,
«si, vis-à-vis de sa conscience, un individu a été imprudent
«ou négligent ? Il sera fatalement amené, sous couleur
«d'analyser un état d'âme, à sortir de l'examen de cette cons-
«cience pour jeter les yeux au dehors, pour comparer la
«conduite de celui dont il doit apprécier la responsabilité
à
« celle qu'un autre individu aurait tenue dans de semblables
»
«circonstances (128).
Il faut répondre que cette recherche psychologique, effec-
tivement malaisée, n'est pas à faire si la faute s'apprécie,
non d'après la conscience de l'agent, mais, comme nousl'avons
indiqué, d'après son comportement normal et habituel, c'est-
à-dire d'après des éléments de fait.

ne compte pas que des détracteurs. Formellement condamnée en raison


par MM. H. et L. Mazeaud (op. cit., t. I, § 421), elle est favorablement
accueillie par M. Legall (« La négligence et l'imprudence », thèse, Paris,
1922) et par M. Demogue (« Traité des obligations en général », t. III,
§254, p. 426). Ce savant auteur a écrit: « Il faut avouer que la respon-
«sabilité in abstracto est contraire au point de départ de la théorie
« subjective de la responsabilité. S'étant placée nettement au point de
«vue de l'auteur elle se refuse à s'y placer jusqu'au bout et fait ici
< une concession à la théorie objective de la responsabilité. Aussi fina-
«lement la responsabilité serait à notre avis mieux appréciée, si elle
« l'était in concreto ». Cf. G. Marton, « Les fondements de la responsa-
bilité civile (Révision de la doctrine. Essai d'un système unitaire) », Pre-
mière partie, Sirey, 1937.
(127) Op. oit., § 418.
(128) Op.cit., § 421, p. 420.
Le juge pourra, sans trop de difficulté, en tenant compte H
de la personnalité de l'agent, telle que la lui révèleront son H
milieu social, son niveau intellectuel, son activité profession- H
nelle, se faire une opinion exacte de la prudence et de la H
diligence dont il est coutumier. H
Voici un propriétaire qui, reprochant à son voisin ~B
empiètement sur son terrain, intente contre lui une action en
un
H
revendication, sans prendre la peine de consulter ses titres H
de propriété, dont la simple lecture lui aurait révélé le mal
fondé de sa prétention. H
?
S'agit-il d'un paysan ignorant et illettré Son action en H
H
justice ne devra pas être déclarée fautive, car il est à présu-
mer qu'en d'autres circonstances il eût manifesté la même H
inadvertance. H
S'agit-il, au contraire, d'un homme d'affaires avisé, son H
action en justice devra être réputée fautive, car il y a lieu H
de penser que, dans son activité ordinaire, il n'aurait pas H
commis une négligence semblable à celle qui lui est reprochée.
Et d'ailleurs, si même l'appréciation de la faute in II
concreto se révèle malaisée, on ne saurait en conclure qu'il
convient de lui substituer l'appréciation de la faute in M
abstracto, puisque celle-ci est en contradiction avec la néces- I
sité de ne pas gêner l'accès du prétoire. Le juge devra, en N
pareil cas, renoncer purement et simplement, à retenir la I
responsabilité du plaideur. I
II. — Pas plus que les critiques d'ordre philosophique I
et d'ordre pratique qui précèdent, l'objection qui consiste I
à prétendre que l'appréciation de la faute in concreto est I
généralement repoussée en tant que solution de principe ne 1
nous paraît sans réplique. I
Il est bien vrai que, si les articles 1382 et 1383 du Code I
Civil ne précisent pas comment la faute quasi-délictuelle doit
être appréciée, en revanche, comme le font remarquer MM. Il.
et L. Mazeaud (129), en matière contractuelle, l'article 1137
du Code Civil prévoit expressément l'appréciation de la faute

(129) Op. cit., § 422.


;d'après la conduite « d'un bon père de famille », c'est-à-dire
!
in abstracto.
Mais de là faut-il conclure avec ces auteurs (130) que la
! même règle d'appréciation s'impose pour les deux types de
responsabilité ?
Sans avoir la prétention de résoudre dans son ensemble
la question de savoir si l'appréciation de la faute in abstracto
qu'adopte notre droit positif est, ou non, imposée par les textes
du Code Civil, nous ferons, à propos du raisonnement précé-
dent de MM. H. et L. Mazeaud, les deux remarques suivantes:
D'une part, l'article 1137 consacre l'appréciation de la
.j
faute in abstracto, non pas d'une façon générale en matière
de responsabilité contractuelle, mais à propos de la respon-
sabilité du débiteur d'une obligation de donner.
Ce texte se contente de décider que « l'obligation de
;

s
«
veiller à la
« tion de donner

« chargé à y
:
conservation de la
article 1136],
chose [qui dérive de l'obliga-
soumet celui qui en est
apporter tous les soins d'un bon père de
« famille. »
Il n'est donc pas interdit de prétendre que pour toutes
1 autres obligations la responsabilité contractuelle n'est enga-
gée qu'au cas de faute appréciée in concreto.
D'autre part, en admettant même que l'article 1137 édicte
une solution qui doit être généralisée en matière contrac-
tuelle, on peut douter que la même règle d'appréciation
s'impose pour les deux types de responsabilité
et contractuelle.
:
délictuelle

On peut concevoir qu'en matière contractuelle la faute


s'apprécie in abstracto.
En effet, dans un contrat, chaque partie poursuit un
certain résultat. Elle n'accepte de traiter avec son co-contrac-
tant que parce qu'elle le juge en mesure de le lui procurer.
Mais, sauf en matière de contrats conclus intuitu personæ,
elle ne peut porter pareil jugement que par référence aux
facultés ordinaires de ses semblables. Par suite, on peut


prétendre qu'elle ne doit pas être déçue dans ses prévisions

(130) Loc. cit.


j
par le fait que son co-contractant n'était pas à même, à H
raison de son tempérament propre, de faire ce qu'eût fait H
à sa place une autre personne quelconque (131). H
En d'autres termes, il semble que l'on puisse établir une H
corrélation entre l'étendue de la réparation dont est tenu le H
débiteur fautif et la nature des fautes dont il doit répondre. De H
même que le débiteur d'une obligation contractuelle n'est tenu, H
aux termes de l'article 1150 du Code Civil, que du préjudice H
qu'il a effectivement prévu ou qu'il a pu prévoir, de même on H
peut admettre qu'il doit répondre de tous les manquements à
son obligation que son créancier n'a pu prévoir, c'est-à-dire de
toutes les fautes que n'aurait pas commises un bon père de H
famille. H
Sans doute, aboutit-on de la sorte à imposer au débiteur H
contractuel une véritable obligation de garantie, mais la notion H
de garantie est parfaitement compatible avec la notion d'obli- H
gation. H
A l'inverse, il ne saurait être question de garantie dans des M
relations non contractuelles. On ne saurait décider, en ma- H
tière de responsabilité délictuelle, que chaque individu doit M
répondre envers son semblable de toutes les fautes qu'un M
bon père de famille n'eût pas commises à sa place. Admettre M
une telle solution, c'est dans une certaine mesure faire N
triompher la notion de risque (132) ; or cette notion, nous
le savons, n'est pas reçue, du moins de façon générale, dans I
notre droit positif. I
Mais, sans nous attarder davantage à discuter le raison- I
nement, par lequel MM. M. H. et L. Mazeaud s'efforcent de a
justifier l'appréciation de la faute in abstracto en matière 1
délictuelle, admettons à leur suite que l'article 1137 du Code <

Civil impose cette solution, en tant que solution de principe. t

1
(131) Précisons que l'on ne doit pas envisager, comme terme de
comparaison, une personne absolument quelconque, mais une personne
présentant les mêmes, qualités extrinsèques que l'individu qu'on lui
compare. Cf. H. et L. Mazeaud, op. cit., t. I, § 425 et s.
(132) Cf. Demogue, op. cit., t. III, § 254, p. 426, cité supra, p. 535».
n. 126.
On ne saurait pour autant hésiter à déroger à cette
solution en matière d'exercice du droit d'ester en justice,
alors que cette dérogation est imposée par la nécessité d'as-
surer à ce droit son libre et plein épanouissement, à une
époque où le rôle créateur de la Jurisprudence dans l'élabo-
ration du droit positif est unanimement reconnu, et où les
tribunaux ne se font pas faute d'admettre des solutions
purement prétoriennes, soit en dehors des textes, soit même
en contradiction avec les textes (133).
Si l'on se refuse à admettre en notre matière l'appré-
ciation de la faute in concneto et si, néanmoins, l'on a le sou-
ci de permettre le libre accès au prétoire de ceux qui sont
victimes de la violation ou de la contestation injustifiée d'un
de leurs droits subjectifs, on en est réduit à exclure la respon-
sabilité de plaideur dans tous les cas où il a commis une
faute involontaire.
C'est, au surplus, la solution que consacrent les arrêts
récents de la Chambre civile. Sans doute, ces arrêts retien-
nent-ils la responsabilité du plaideur envers son adversaire
en cas d'erreur grossière ou de faute grossière. Mais c'est
seulement parce qu'ils assimilent l'une et l'autre au dol, par
un respect périmé de la maxime « Culpa lata dola aequi-
paratur ».
On doit hésiter à admettre une pareille restriction aux
règles du droit commun de la responsabilité.
Il importe, en effet, dans toute la mesure compatible
avec la nécessité d'assurer le libre accès au prétoire, de ne
*———————
(133) C'est ainsi, pour n'en donner qu'un exemple, que la théorie
de la dotalité incluse est en contradiction avec l'article 1553 du Code
Civil, qui refuse expressément le caractère dotal aux biens acquis »
l'aide de deniers dotaux, lorsque la clause d'emploi n'a pas été stipulée
dans le contrat de mariage. M. Nast (Planiol et Ripert, t. IX, « Régi-
mes matrimoniaux », § 1200, p. 809) a beau dire que « .la jurispru-
« paraphernal ;
« dence a toujours attribué aux biens qui renferment la dot le caractère
» contrairement à l'esprit, sinon à la lettre de l'article
1553, la valeur dotale incluse dans un bien paraphernal est soumise par la
Jurisprudence aux règles de la dotalité. Au reste, l'affirmation de
M. Nast a été contredite par un arrêt de la Chambre des requêtes, en
date du 24 novembre 1930 (D., 1931, 1. 58, note E. P.), qui donne au
mari l'administration et la jouissance du bien paraphernal représen-
tant ia dot.
pas sacrifier les intérêts du plaideur poursuivi à tort ou
victime d'une résistance injustifiée, opposée à ses préten-
tions, en le privant du droit de réclamer des dommages-
intérêts à son adversaire, et de ne pas gêner la bonne marche
de la Justice, en encourageant les plaideurs processifs qui
encombrent de leurs doléances les tribunaux importants.
Or, rendre le plaideur responsable envers son adver-
saire de ses fautes involontaires appréciées in concreto,
n'apporte, nous l'avons vu (134), aucune entrave à l'exer-
cice du droit d'ester en justice.

CONCLUSION

L'étude de la responsabilité du plaideur envers son


adversaire nous a conduit à des solutions qui se situent à mi-
chemin entre les solutions consacrées par les arrêts les plus
récents de la Chambre civile et celles que semble admettre
la Chambre des requêtes dans ses dernières décisions.
En ce qui concerne, tout d'abord, l'exercice abusif du
droit d'ester en justice, nous avons admis que la responsabi-
lité du plaideur n'était pas seulement engagée au cas où
celui-ci avait agi dans l'intention de nuire à son adversaire,
mais d'une façon générale, dans tous les cas où il avait
poursuivi une fin autre que la reconnaissance judiciaire du
droit qu'il invoquait.
Or, il n'est rien moins que certain que la Chambre civile
considère le plaideur comme responsable envers son adver-
saire dans cette dernière hypothèse, à l'inverse de la Cham-
bre des requêtes.
En ce qui concerne, d'autre part, l'exercice fautif du
droit d'ester en justice, nous avons décidé que la responsa-
bilité du plaideur ne pouvait être engagée que dans le cas où
il avait commis une faute involontaire appréciée in concrelo.
La Chambre civile, au contraire, ne retient que la faute
lourde, par suite d'une assimilation, d'ailleurs critiquable,
de cette faute au dol. Quant à la Chambre des requêtes, elle

(134) Supra, p. 535.


!
paraît considérer que le plaideur est responsable de toute
faute involontaire, c'est-à-dire, si l'on s'en réfère à la solu-
tion généralement admise, de toute faute involontaire ap-
préciée in abstracto.
j A les envisager du point de vue pratique, les solutions,
auxquelles nous avons été conduit, semblent ne permettre
que difficilement à la victime d'une action mal fondée ou
d'une défense en justice injustifiée d'obtenir la réparation
du préjudice qu'elle a subi.
En fait d'exercice fautif du droit d'ester en justice, la
faute du plaideur est difficile à établir, puisqu'elle s'appré-
; cie, non pas d'après la conduite d'un bon plaideur idéal,

>
mais d'après le comportement normal et habituel de celui
à qui on l'impute, comportement qu'il n'est pas toujours
i aisé
pour le demandeur en indemnité de bien connaître.

l ne peut être, le plus souvent, prouvé directement :


Quant à l'exercice abusif du droit d'ester en justice, il

i s'en est rendu coupable n'ayant généralement pas commis


celui qui

'l l'imprudence de révéler


ses intentions.
;l Aussi, d'ordinaire, pour l'établir, le plaideur, demandeur
5
en dommages-intérêts, sera-t-il contraint de prouver que son
| adversaire savait que ses prétentions étaient insoutenables.
| De cette preuve le juge pourra déduire, d'après les circons-
1
tances de l'espèce, que le plaideur poursuivi a agi, soit dans
g l'intention de nuire, soit dans l'intention d'atteindre un résul-
! tat autre
que la reconnaissance judiciaire du droit qu'il a
1 invoqué.
! Sans doute, la connaissance par le plaideur du caractère
1 insoutenable de ses prétentions est-elle, dans certains cas,
1 évidente. Ainsi, l'on ne saurait douter que le débiteur d'une
traite acceptée, qui a fait appel du jugement le condamnant,
savait parfaitement à quoi s'en tenir sur l'issue du procès.
Mais il n'en sera pas toujours ainsi. Pour établir que son
adversaire n'ignorait pas que ses prétentions étaient mal fon-
dées, le plaideur, qui agit en responsabilité, devra démontrer
que celui-ci n'a pu, étant donné sa prudence habituelle et sa
connaissance des affaires, avoir la moindre illusion sur leurs
mérites.
Une telle preuve, comme la preuve d'une faute in con-
creto, et pour la même raison, pourra être malaisée à rappor-
ter.
Il est donc bien vrai de prétendre que, trop souvent, le
plaideur, victime d'une poursuite mal fondée ou d'une résis-
tance injustifiée, se trouvera désarmé et ne pourra obtenir la
réparation du préjudice qu'il aura subi.
Ce résultat est évidemment contraire à la plus élémen-

:
taire équité. Il est, en outre, contraire à la bonne administra-
tion de la justice en encourageant les plaideurs processifs, il
entraîne l'encombrement des tribunaux importants, lequel, à
son tour, cause au jugement des affaires sérieuses de préju-
diciables retards.
Certes l'application en matière de responsabilité du plai-
deur de l'appréciation in abstracto de la faute quasi-délictuelle,
qui triomphe en droit commun, permettrait d'étendre consi-
dérablement le domaine de cette responsabilité. Et ce, non

:
seulement en matière quasi-délictuelle, mais aussi en matière
délictuelle la victime de l'exercice abusif du droit d'ester
en justice pourrait, si elle n'était pas en mesure de démontrer
que son adversaire a agi en vue d'une autre fin que la recon-
naissance judiciaire de son droit, faire du moins la preuve, en
se fondant sur le caractère insoutenable (135) de ses préten-
tions, qu'il a commis, par comparaison avec le type abstrait
du bon plaideur, une imprudence, une négligence ou une
erreur.
Mais on est obligé de repousser l'appréciation in abs-
tracto de la faute quasi-délictuelle, du moment que l'on admet
le principe, dont nous avons fait notre idée directrice, suivant
lequel il ne faut pas mettre d'entrave à l'accès au prétoire de
ceux qui sont victimes de la violation ou de la contestation
injustifiée de l'un de leurs droits subjectifs.
On pourrait être tenté, par suite, de décider que, bien
qu'il soit rationnellement indiscutable, ce principe doit être,
néanmoins, sacrifié aux exigences de l'équité.
(135) Le fait que le plaideur n'agit pas en vue de se faire rendre I1
justice se révèle en effet d'ordinaire dans le caractère insoutenable de ses
prétentions. I
Une telle solution est, à notre avis, inacceptable.
Il suffit, pour s'en convaincre, de se rappeler que le droit
d'ester en justice est une prérogative essentielle de l'individu,
sans laquelle ses droits subjectifs seraient illusoires, et que,
si l'on veut que les titulaires de ces droits puissent en jouir

;
effectivement, il importe de leur permettre de les faire valoir
devant les tribunaux sans difficulté que la lutte pour le droit
est un devoir de l'intéressé envers lui-même et envers la Socié-
té et que, par suite, il convient de n'y pas mettre obstacle.
Mais ce n'est pas à dire que les solutions auxquelles con-
duit le principe dont s'agit soient satisfaisantes.
Elles ne doivent être considérées que comme un pis-aller.
auquel il est désirable de substituer au plus tôt, par la voie
d'une réforme législative, des solutions qui, tout en permet-
tant le libre accès au prétoire, ne fassent pas si bon marché
des intérêts légitimes de ceux qui ont à souffrir de l'exercice
malencontreux du droit d'ester en justice par un tiers.

ESQUISSE D'UN PROJET DE RÉFORME LÉGISLATIVE


EN MATIÈRE D'EXERCICE
DU DROIT D'ESTER EN JUSTICE

Une réforme législative est-elle en notre matière facile-


ment réalisable ? Nous le pensons.
Nous croyons que, moyennant une légère retouche ap-
portée à l'organisation actuelle du préliminaire de concilia-
tion, il serait possible à la fois de prévenir et de réparer le
préjudice que le plaideur est susceptible de causer à son
adversaire par l'exercice abusif ou fautif de son droit d'ester
en justice, non pas de façon complète, mais du moins dans
une mesure beaucoup plus large que celle qui s'impose dans
l'état actuel de notre droit, et ce, tout en respectant le principe
suivant lequel il convient de ne pas mettre d'entrave à l'accès
du prétoire.
§ I. — LE PROJET DE RÉFORME DANS LES AFFAIRES SOUMISES
AU PRÉLIMINAIRE DE CONCILIATION
Etude descriptive
Il suffirait que le magistrat conciliateur, connaissance
prise des prétentions respectives des parties et des justifica-
tions produites par chacune d'elles, soit tenu de leur indiquer
si ces prétentions sont, ou non, susceptibles d'une discussion
sérieuse et qu'à défaut de conciliation, mention de son avis
soit faite au procès verbal de non-conciliation.
En autres termes, notre réforme consisterait purement et
simplement à donner au magistrat conciliateur lin pouvoir
de contrôle sur les prétentions des plaideurs analogue à celui
que la loi du 2 juillet 1931 a conféré au ministère public, sur
les plaintes avec constitution de partie civile, portées Ci>tre
une personne dénommée, avec cette différence, toutefois, que
le ministère public jouit de pouvoirs plus étendus que ceux
que nous proposons de reconnaître au magistrat concilia-
teur (136).
Deux situations peuvent être envisagées.
1° Supposons tout d'abord que le magistrat conciliateur
ait indiqué à l'une des parties, au demandeur par exemple, que
ses prétentions n'étaient pas, en l'état des documents produits,
susceptibles d'une discussion sérieuse.
Il se peut, et c'est le cas le plus simple, que ce plaideur,
tenant compte de cet avis, se concilie avec son adversaire ou
retire sa demande.
La réforme que nous proposons aura alors produit son
maximum d'effet. Elle aura permis de prévenir le dommage
qu'aurait subi l'autre plaideur, à la suite d'un procès engagé
à tort contre lui.

(136) L'article 70 nouveau du Code d'Instruction Criminelle, dans


son alinéa 2, prévoit, en effet, rappelons-le, que, si la plainte portéo
contre une personne dénommée apparaît insuffisamment motivée ou in-
suffisamment justifiée au ministère public, celui-ci peut requérir l'ouver-
ture de l'information « contre toutes personnes que l'instruction fera
« connaître ». Par là se trouve évitée l'inculpation de la personne dénon-
cée dans la plainte.
Sur la loi du 2 juillet 1931, voir notre article « La responsabilité de
la partie civile envers son adversaire », à paraître dans la Revue de
Science criminelle et de droit pénal comparé.
Il se peut également que le plaideur passe outre à l'avis
défavorable du magistrat conciliateur et engage une instance.
On ne saurait, en effet, lui refuser ce droit, car une telle solu-
tion aboutirait à attribuer au magistrat conciliateur un véri-
table pouvoir juridictionnel en dernier ressort.
L'instance pourra aboutir soit au rejet de la demande, soit
à la condamnation de l'adversaire.
Nous n'envisagerons que la première éventualité. Il ne
saurait, en effet, faire de doute, que si le plaideur a triomphé
dans ses prétentions, il ne pourra être condamné à des dom-
mages-intérêts envers son adversaire, et ce, alors même qu'il
aurait commis une faute ou exercé abusivement son droit
d'ester en justice (137).
Si le plaideur a perdu son procès, il devra être déclaré-
responsable aux conditions que nous avons précédemment
dégagées.
Mais l'existence d'une faute involontaire in concreto à sa
charge pourra être facilement présumée.
Il n'est pas douteux, en effet, que la prudence élémentaire
devait l'inciter, en présence de l'avis défavorable du magistrat
conciliateur, à renoncer à faire valoir ses prétentions. La pré-
somption de faute, que l'on peut, en conséquence, retenir
contre lui, ne s'effacera que devant la preuve, qui lui incombe,
de circonstances justifiant son attitude (138).

20 Supposons maintenant que le magistrat conciliateur


ait déclaré les prétentions du plaideur susceptibles d'une
discussion sérieuse et qu'il ne soit pas intervenu de conci-
liation.
Ou bienle tribunal fera droit à la demande et la question
de responsabilité ne se posera pas (139).

(137) Voir supra, p. 496 et s.


(138) Citons, à titre d'exemple, la découverte par le plaideur, après-
la tentative de conciliation, d'un document, sur les mérites duquel il a
pu légitimement s'abuser, ou encore le fait qu'un homme d'affaires,
consulté après la tentative de conciliation, lui a conseillé de passer outre
àl'avis du magistrat conciliateur, si du moins il n'a pas à se reprocher
une faute in concreto dans la façon dont il a renseigné cet homme d'af-
faires, faute qui serait la cause de l'erreur d'appréciation commise par
celui-ci (cf. supra, p. 529).
(139) Voir supra, p. 496 et s.
Ou bien le tribunal rejettera la demande.
Dans cette éventualité il ne pourra pas, en principe,
condamner le plaideur débouté à des dommages-intérêts
envers son adversaire, du moins sur le fondement d'une faute
involontaire.
Il ne peut être, en effet, question de reprocher à ce plai-
deur une faute de négligence ou une faute d'imprudence,
appréciée in concreto, puisqu'il n'a soutenu ses prétentions
en justice que fort de l'avis du magistrat conciliateur (140).
Il ne peut être non plus question de lui reprocher une erreur
sur le mérite de ses prétentions. L'erreur ne peut constituer
une faute in concreto, puisqu'elle n'implique de la part de son
auteur aucun manquement aux soins qu'il apporte dans la
conduite normale et habituelle de ses affaires (141).
En revanche le tribunal pourra, en principe, condamner
le plaideur débouté, malgré l'avis favorable du magistrat
conciliateur, s'il est reproché à ce plaideur un exercice abusif
de son droit d'ester en justice, ce magistrat n'ayant pu
se prononcer que sur les mérites objectifs des prétentions du
dit plaideur.

(140) Le tribunal ne pourra retenir à la charge du plaideur une


faute d'imprudence ou une faute de négligence, appréciée in concreto,
que si, en raison des circonstances, le magistrat conciliateur n'a pu
apprécier valablement les mérites des prétentions du plaideur.
Ce sera le cas, notamment, où celui-ci n'a invoqué à l'appui de sa
demande aucune preuve préconstituée, se réservant de solliciter du tri-
bunal une mesure d'instruction. Si le magistrat conciliateur a déclaré la
demande susceptible d'une discussion sérieuse, il ne pourra être fait
grief au plaideur d'avoir articulé des faits non pertinents, car celui-ci
a pu légitimement considérer ces faits admissibles en preuve, on se fon-
dant sur l'appréciation favorable du magistrat. Mais le tribunal pourra
reprocher au plaideur une faute, s'il ne parvient pas à faire la preuve
de ses prétentions, sans que celui-ci puisse se prévaloir de l'avis favora-
ble du magistrat conciliateur, puisque l'appréciation de ce dernier n'a
pu porter sur le point de savoir si le plaideur était, ou non, à même
d'administrer cette preuve. Il n'en sera différemment que si le plaideur,
particulièrement dénué de réflexion, a pu se faire illusion sur la portée
de l'avis du magistrat conciliateur.
(141) Si l'erreur est la suite d'une négligence ou d'une imprudence,
on peut sans doute reprocher à celui qui l'a commise une faute in con-
creto, mais la faute est alors constituée par la négligence ou par l'im-
prudence, et non pas par l'erreur.
Dans cette hypothèse (142), rien ne sera changé aux so-
lutions actuellement applicables et que nous avons précédem-
ment dégagées.
Telles sont dans leurs grandes lignes les solutions aux-
quelles conduirait la réforme que nous proposons (143).
Il reste à en apprécier les mérites.

Etude critique

Cette réforme serait-elle appelée à donner des résultats


satisfaisants?
Nous en avons la conviction.
Dans le cas où le magistrat conciliateur aurait considéré
les prétentions de l'un des plaideurs comme n'étant pas sus-
ceptibles d'une discussion sérieuse et où ce plaideur aurait
passé outre à son avertissement, l'autre partie au procès pour-
rait, grâce à la présomption de faute que notre réforme per-
mettrait de retenir à la charge de son adversaire, obtenir
beaucoup plus aisément la réparation du préjudice qui lui
aurait été causé.
Et, par voie de conséquence, l'éventualité d'une demande
en justice mal fondée ou d'une défense injustifiée serait
rendue plus rare, car le plaideur, à qui le magistrat concilia-
teur aurait donné un avis défavorable sur les mérites de ses
prétentions, renoncerait le plus souvent à les faire valoir
devant le tribunal, dans la crainte d'encourir une condam-
nation en dommages-intérêts, par le jeu de la présomption
de faute qui pèserait sur lui, si, ayant passé outre, il perdait
son procès.

(142) Comme dans l'hypothèse précédente, envisagée sous la note 140.


(143) Désirant simplement esquisser le projet de réforme que nous
envisageons, nous avons négligé l'hypothèse du défaut du défendeur à la
tentative de conciliation. On pourrait peut-être décider qu'une nouvelle
tentative de conciliation devrait avoir lieu et qu'elle serait aux frais du
défendeur défaillant, à moins qu'il ne justifie d'un empêchement sérieux.
Rappelons que l'article 56 du Code de Procédure Civile édicte contre
celui-ci une amende, portée à 50 francs par le décret du 30 octobre 1935
(D., 1935, 4. 421), article 1.
sur les
de notre droit.
Notre réforme représente donc un indiscutable progrès
solutions qu'ilconvient d'admettre dans l'état actuel
H
Elle permet à la fois de prévenir et de réparer le préju. H
dice que le plaideur est susceptible de causer à son adver. H
saire. H
I

Mais, dira-t-on, notre réforme s'avèrerait, en revanche,


malencontreuse dans le cas où le magistrat conciliateur aurait IH
H
déclaré les prétentions de l'un des plaideurs susceptibles d'une
discussion sérieuse et où ce plaideur aurait, néanmoins, perdu II
son procès. D'une part, en effet, elle permettrait à ce plaideur
d'échapper à toute poursuite en responsabilité, au cas de
faute involontaire, c'est-à-dire, en somme, aboutirait à un II
résultat contraire au résultat recherché. M
D'autre part, elle n'apporterait aucune amélioration aux
solutions qui s'imposent actuellement dans le cas où il serait I
reproché au plaideur un exercice abusif de son droit d'ester M
en justice. I
L'objection apparaît d'autant plus sérieuse que, semble-t- I
il, il arriverait souvent dans la pratique que le magistrat con- 9
ciliateur donne un avis favorable aux prétentions d'un plai- I
deur, car ce magistrat, par prudence, s'abstiendrait de décou- I
rager le plaideur, toutes les fois qu'il ne serait pas absolu- I
ment sûr que ses prétentions sont insoutenables. i
Elle ne nous semble pas, cependant, susceptible d'être 9
prise en considération. a
Sans doute, ne serait-il pas possible, en principe tout au
moins (144), de reprocher une faute involontaire au plaideur
qui aurait perdu son procès, lorsqu'il aurait obtenu l'avis
favorable du magistrat conciliateur. Mais on ne peut dire qu'il
en résulterait un sérieux inconvénient.
Si l'on tient compte, en effet, de la difficulté pratique
que présente la preuve de la faute involontaire appréciée ill
concreto, (145), il semble qu'il est sans grande importance
(144) Voir l'exception indiquée supra, p. 548, n. 140, où notre refor-
me n'apporterait aucun changement aux solutions qui s'imposent actuelle-
ment.
(145) Voir supra, p. 543.
.que notre réforme prive le plaideur qui a triomphé, du droit
de faire cette preuve à l'encontre de son adversaire.
Par ailleurs, l'éventualité d'une appréciation favorable
des prétentions du plaideur par le magistrat conciliateur, au
cas où le plaideur exercerait abusivement son droit d'ester en
justice, ne se produirait que rarement, le fait que le plaideur
n'agit pas en vue de se faire rendre justice se révélant d'ordi-
naire dans le caractère insoutenable de ses prétentions.
Il n'y a pas lieu de s'arrêter davantage à l'objection sui-
vant laquelle notre réforme risquerait de gêner l'accès au
prétoire de ceux qui sont victimes de la violation ou de la
contestation injustifiée de l'un de leurs droits subjectifs un
plaideur, impressionné par l'avis défavorable du magistrat
:
conciliateur, pouvant être tenté de renoncer à faire valoir ses
prétentions devant le tribunal, alors qu'en fait elles sont bien
fondées.
D'une part, en effet, une erreur d'appréciation du magis-
trat conciliateur est peu à redouter, car, nous l'avons dit, (146)
en présence du moindre doute sur le mérite des prétentions
qui lui seraient soumises, ce magistrat n'hésiterait pas, en
pratique, à les déclarer susceptibles d'une discussion sérieuse.
D'autre part, l'accès aux tribunaux resterait absolument
libre pour le plaideur, malgré l'avis défavorable du magistrat
conciliateur. Sans doute une présomption de faute pèserait-
elle sur lui, mais il lui serait facile de se prémunir contre elle,
en prenant, avant de porter ses prétentions en justice, des
précautions lui permettant par la suite de justifier sa
conduite, notamment en consultant un homme de loi (147).
En somme, la seule infériorité notable que présenterait
notre réforme par rapport aux solutions actuellement appli-
cables, consiste en ce fait qu'elle ne permettrait pas de pour-

(146) Supra, p. 550.


(147) La consultation d'un homme de loi ne saurait être considérée
comme une gêne pour le plaideur, car elle lui serait utile non seulement
pour repousser la présomption de faute qui pèserait sur lui, si, d'aven-
ture, il perdait son procès, mais aussi pour lui éviter les frais d'une
instance ou d'une défense insoutenable et une condamnation aux dépens.
Cf. supra, p. 547, n. 138.
suivre le plaideur, qui aurait commis une faute involontaire,
lorsqu'il aurait agi avec l'avis favorable du magistrat conci-
liateur.
Mais cette infériorité, pratiquement, nous l'avons vu,
(148) sans grande importance, est largement compensée par
l'avantage considérable que cette réforme présenterait dans
le cas où le plaideur aurait passé outre à l'avis défavorable
du magistrat conciliateur et aurait succombé, en facilitant sa
condamnation à des dommages-intérêts envers son adversaire,
grâce à la présomption de faute qu'elle permettrait d'admet-
tre oontre lui.

:
Au surplus à un point de vue plus général, notre réforme
présenterait un autre mérite non négligeable elle aurait une
influence salutaire sur la tentative de conciliation elle-même.
La tentative de conciliation nous apparaît comme un pré-
liminaire essentiel de l'instance.
Il est de l'intérêt des justiciables d'éviter, dans toute la
mesure du possible, les procès, en raison des pertes d'argent
et de temps dont ils sont la cause. Et l'intérêt général com-
mande, lui aussi, d'éviter les procès, en raison de l'encombre-
ment des tribunaux importants que le trop grand nombre
d'affaires à juger entraîne et des retards si préjudiciables à
la bonne administration de la justice, dont cet encombrement
est cause à son tour.
C'est pourquoi la tentative de conciliation est susceptible
de rendre les plus grands services. L'intervention du magis-
trat conciliateur peut, si elle est active et avisée, jeter entre
deux adversaires le pont nécessaire pour aboutir à un accord.
Le législateur, dans ces dernières années, du moins jus-
qu'à une loi toute récente, semble l'avoir fort bien compris.
Dans l'article 1 du décret du 30 octobre 1935 (149), il
s'est efforcé de « renforcer et [de] rendre effectif le prélimi-
»
naire de conciliation (150).

(148) Supra, p. 550.


(149) D., 1935, 4. 421. Consulter Hébraud, « La réforme de la pro-
cédure », Revue Critique, 1936, p. 43 et b.
(150) Rapport au D., 1935, 4. 421, col. I, en note.
oblige les parties à comparaître en personne devant le
11
magistrat conciliateur, à moins d'empêchement reconnu
sérieux par ce magistrat. Il augmente le taux de l'amende
prévue par l'article 56 du Code de Procédure Civile, en cas de
défaut de comparution. Il prévoit enfin que la tentative de
conciliation pourra intervenir, non seulement avant l'intro-
duction de l'instance, mais au cours de celle-ci, devant le
juge chargé de suivre la procédure ou devant le tribunal en
chambre du conseil (151).
Ce décret avait aussi restreint l'application de la dis-
pense du préliminaire de conciliation, accordée par l'article
49-2° du Code de procédure civile aux demandes « qui requiè-
rent célérité ».
Mais une loi toute récente, en date du 4 mars 1938 (152),

:
a abrogé le paragraphe, ajouté à l'ancien article 49 par ledit
décret, et qui était ainsi conçu « Dans le cas prévu au 2° ci-
« dessus, la dispense ne pourra résulter que d'une ordon-
« nance du président du tribunal de première instance, qui

« devra indiquer expressément les motifs de l'urgence ».


D'autres textes législatifs récents, intervenus dans des
matières spéciales, font à la tentative de conciliation une
place importante.

(151) On peut se demander si le préliminaire de conciliation, orga-


nisé par le Code de Procédure Civile dans les articles 48 et suivants,
modifiés par le décret du 30 octobre 1935, n'a pas perdu beaucoup de
son intérêt depuis que ce décret a décidé, dans le nouvel article 58 bis,
que le juge chargé de suivre la procédure ou le tribunal peuvent tenter de
concilier les parties « en tout état de cause ».
A quoi bon, dira-t-on, imposer aux plaideurs les frais et les len-
teurs du préliminaire de conciliation (voir à ce sujet les renseignements
v

fournis par les travaux préparatoires de la loi du 4 mars 1938 et résu-


més dans Les Lois nouvelles, 1938, 3" partie, p. 360), si, au cours du
procès, il est loisible au juge chargé de la procédure ou au tribunal de
?
tenter une conciliation (En ce sens, Les Lois nouvelles, loc. cit.).
Nous répondrons que l'efficacité de la conciliation intervenue avant
le procès est supérieure à l'efficacité de la conciliation intervenue au
cours du procès. En effet, elle constitue un meilleur remède à l'encom-
brement des tribunaux importants et elle évite aux plaideurs les frais
et les inconvénients d'un procès dans une plus forte proportion. Par
ailleurs, le fait que le préliminaire de conciliation impose aux plaideurs
des frais et dos lenteurs ne peut justifier son abrogation, mais seulement
inciter à en améliorer le fonctionnement.
(152) I,es Lois nouvelles, 1938, 3e partie, p. 359.
à

pratique.

«
de

«
«
conciliation

«
:
n'aboutit

des plaideurs
« Au moment
I
C'est le cas, notamment, du décret du 25 août 1937 (153),
instituant pour les petites créances commerciales une procé-
dure de recouvrement simplifiée. L'article 5 § 4 prévoit, au
cas où un contredit aura été formulé par le défendeur sur
l'injonction de payer, que « le tribunal, avant de statuer,
« commettra un juge à l'effet de procéder à une tentative de
« conciliation. ».

que

de la
très
:
C'est également le cas d'un décret portant, lui aussi, la
date du 25 août 1937 (154), qui s'intitule « Décret tendant
« développer la conciliation prévue par la loi du 17 juillet
« 1937, relative au règlement du prix de vente des fonds de
« commerce »
(155).
Mais il importe, si l'on veut que la.tentative de concilia-
tion, préalable à l'introduction de l'instance, rende de réels
services, qu'elle ne soit pas une formalité hâtive, où le magis-
trat conciliateur se contente de donner acte aux parties de
leurs prétentions respectives, sans s'efforcer de les mettre
d'accord.
Or, c'est ce qui est malheureusement à craindre dans la

à rapprocher
« les parties en vue d'éviter un procès », pour les raisons
suivantes
I
Si l'on en croit les travaux préparatoires ,de la loi du I
4 mars 1938 (156) : « L'expérience révèle que la tentative
rarement

Insuffisance de l'autorité dont les juges de paix, mal-

;
gré l'amélioration de leur recrutement, jouissent auprès

conciliation, le juge ne dispose, en


général, d'aucune documentation lui permettant de se faire
une opinionsur l'affaire.dont il est saisi.

(153) D., 1937, 4. 244, modifié sur d'autres points par décret du
14 juin 1938..
(154) D., 1937, 4. 241.
(155) Voir également la loi du 8 avril 1933, « autorisant au profit
«du fermier la réduction des prix des baux à ferme », et le commen-
taire de M. Desbois, (D., 1933, 4. 129, notamment p. 130, col. II, b).
(156) Note résumant ces travaux préparatoires, Les Lois nouvelles,
op.cit., p. 360, en note.
H
H
H
II
I
II
II
I
I
I
I
I
I
« La citation en conciliation est trop souvent, en prati-
« que, conçue en termes très laconiques.
« Souvent, le différend soulève des questions de droit
«
qu'au jour de la comparution en conciliation, les intéressés
«
sont incapables d'exposer et de discuter. » (157).
Ces défauts de la tentative de conciliation s'atténue-
raient dans une large mesure, si l'on adoptait la réforme que
nous proposons.
Tout d'abord, en conférant au magistrat conciliateur la
mission d'indiquer aux plaideurs les mérites de leurs préten-
tions respectives, on renforcerait ià coup sûr son autorité
(158). Car, toutes les fois que ce magistrat aurait déclaré à un
plaideur que ses prétentions ne sont pas susceptibles d'une
discussion sérieuse, celui-ci, ayant à craindre, en passant
outre à cet avis, de voir sa responsabilité engagée envers son
adversaire, au cas de perte de son procès, par le jeu de la
présomption de faute que le tribunal ne manquerait pas de
retenir contre lui, ne ferait certainement pas fi des conseils
de conciliation.
D'autre part, le plaideur, soucieux de faire admettre par
le magistrat conciliateur le caractère sérieux de ses préten-

(157) Voir sur les autres griefs articulés contre le préliminaire de


conciliation par les travaux préparatoires de la loi de 1938, infra,
p. 558, n. 161.
(158) Au reste, les attributions nouvelles du magistrat conciliateur,
résultant de notre réforme, pourraient conduire à transférer les fonc-
tions de conciliation à un juge appartenant au tribunal, devant lequel le
litige devrait être éventuellement porté, comme cela se passe de nos
jours, en matière de divorce.
Mais il serait, à notre avis, malencontreux de confier le préliminaire
de conciliation au juge appelé à suivre la procédure au cas où le litige
serait porté devant le tribunal. Ce magistrat, en effet, doit posséder une
complète indépendance d'esprit, en raison de l'influence qu'il ne peut
manquer d'exercer sur ses collègues, lors du délibéré du jugement, par
suite de sa connaissance de l'affaire. (Sur l'intervention du juge chargé
de suivre la procédure au cours du procès, voir les articles 82 c, 82 d et
82 e nouveaux du Code de Procédure Civile et Hébraud, op. cit., p. 58
et s.). Or, il risquerait d'avoir une idée préconçue, s'il avait exprimé un
avis sur les prétentions respectives des parties, au préalable, au cours du
préliminaire de conciliation. Cette idée préconçue serait d'autant plus
fâcheuse qu'il aurait pu, en présence de l'opposition irréductible des
parties à une conciliation, ne prendre, alors, de leurs prétentions qu'une
connaissance superficielle, juste suffisante pour apprécier si ces préten-
tions étaient, ou'non, susceptibles d'une discussion sérieuse.
tions, afin d'obtenir de lui un avis favorable (159), prendrait
la peine de motiver èxplicitement sa citation en conciliation, H
I
de produire tous les documents sur lesquels il entendrait B
fonder sa demande ou sa défense et de se mettre en mesure R
d'exposer et de discuter, soit lui-même, soit par le truche- H
ment d'un homme d'affaires, les questions de droit en litige, H
Et le magistrat conciliateur exigerait d'être renseigné de B
façon suffisamment précise sur les éléments de fait et de droit
du procès, afin d'être en mesure de donner un avis éclairé.
Documenté sur l'affaire, ce magistrat pourrait efficace- B
ment tenter de concilier les parties et il y serait enclin, alors
même qu'il estimerait les prétentions de l'une d'elles suscep-
tibles d'une discussion sérieuse.
En un mot, grâce à l'attribution au magistrat concilia-
teur de la mission nouvelle que notre réforme prévoit, le pré-
liminaire de conciliation, corrigé de ses défauts, cesserait
d'être une formalité vide de sens et dépourvue de toute effi-
t
cacité pratique.
L'influence heureuse que notre réforme serait suscepti- M

ble d'exercer sur le préliminaire de conciliation révèle le lien


étroit qui l'unit à cette institution.
Mais, intégrée au préliminaire de conciliation, elle serait
condamnée à rester lettre morte dans les nombreux litiges où
la loi écarte celui-ci ou bien en dispense les plaideurs.
Il importerait donc de lui reconnaître une existence indé-
pendante, afin qu'elle puisse également s'appliquer dans ces
hypothèses.
§ II. — LE PROJET DE RÉFORME DANS LES AFFAIRES
NON SOUMISES AU PRÉLIMINAIRE DE CONCILIATION

A notre avis, il conviendrait de décider, en principe, que


toutes les affaires, sans distinguer si elles sont, ou non, sou-
mises au préliminaire de conciliation, avant d'être portées à
la barre du tribunal, soient assujetties au contrôle d'un ma-
gistrat, qui aurait pour mission, connaissance prise des pré-
tentions respectives des parties et des justifications produites
,.,
(159) Cet avis lui permettrait, nous l'avons vu, supra, p.549 et s.)
d'échapper, du moins en principe, à toute responsabilité envers son ad-
versaire, pour faute involontaire.
par chacune d'elles, de leur indiquer si ces prétentions sont,
ou non, susceptibles d'une discussion sérieuse et de faire
dresser procès-verbal de son appréciation.
Mais on peut se demander si notre réforme pourrait s'ap-
pliquer, telle quelle, à tous les litiges, dans lesquels il n'y a pas
lieu à préliminaire de conciliation, soit que la loi l'écarté, soit
qu'elle en dispense les plaideurs, ou si, au contraire, elle ne
devrait pas subir, dans certains cas, des modifications.
Nous nous contenterons d'examiner succinctement cette
question à propos des « demandes qui requièrent célérité»
(article 49-2° du Code de procédure civile) et des « demandes
« en matière de commerce » (article 49-4° du même code).

1° S'agissant des demandes qui requièrent célérité, il


serait évidemment regrettable d'imposer aux plaideurs l'obli-
gation préalable de soumettre leurs prétentions à un magis-
trat chargé de donner son avis à leur sujet, alors que le Code
de Procédure Civile dispense ces plaideurs du préliminaire
de conciliation pour leur permettre de saisir sans retard le
tribunal compétent.
Faudrait-il donc renoncer à appliquer notre réforme en
pareille matière ?
Sous l'empire du décret du 30 octobre 1935, il eût été
possible de l'admettre sans grand inconvénient pratique.
En effet, aux termes du paragraphe nouveau, ajouté à
l'article 49 du Code de Procédure Civile par ce décret, la dis-
pense du préliminaire de conciliation ne pouvait être accor-
dée que par une ordonnance du président du tribunal civil,
constatant expressément les motifs de l'urgence. Par suite,
les hypothèses où notre réforme n'aurait pas fonctionné,
faute de préliminaire de conciliation, eussent été en petit
nombre, car les demandes, qui présentent réellement un
caractère d'urgence tel que l'on ne puisse procéder à la ten-
tative de conciliation Sans leur faire subir un retard préju-
diciable, ne semblent pas être fréquentes en pratique.
Mais il n'en va plus de même depuis que là loi du 4 mars
1938 (160) a abrogé la disposition précédente du décret du
30 octobre 1935.
(160) Les Lois nouvellea, 1938, 3* partie, p.359.
Désormais, ilest à craindre que, fréquemment, les plai-
deurs se dispensent dupréliminaire de conciliation, en pré-
tendant mensongèrement que leur demande requiert célérité
et que le tribunal ferme les yeux sur l'irrégularité de la pro-
cédure. Il est à craindre également que le président du tribu-
nal civil, sollicité d'autoriser à assigner à bref délai, accorde
cette permission, en l'absence de toute urgence constatée.
Par suite, écarter complètement notre réforme dans les
hypothèses où le demandeur invoque l'urgence, risquerait de
limiter considérablement son champ d'application.
C'est pourquoi, il serait souhaitable que la loi de 1938
soit à son tour abrogée et que la disposition, ajoutée à l'ar-
ticle 49 du Code de Procédure Civile par le décret de 1935,
soit rétablie (161).
Il serait même préférable d'organiser pour les affaires
qui requièrent célérité une procédure de conciliation, sus-
ceptible de ne causer aucun retard au jugement de ces affai-
res, et de confier au magistrat conciliateur le soin de donner
son avis sur les prétentions respectives des plaideurs.
De la sorte, ces litiges bénéficieraient, eux aussi, à la fois
des avantages du préliminaire de conciliation et de l'applica-
tion de notre réforme.

que l'on pourrait envisager :


Voici, à titre d'exemple, une procédure de conciliation

Dans le cas où le plaideur, prétendant que sa demande


requiert célérité, saisirait directement le tribunal civil, il
serait tenu, dans son assignation, de citer son adversaire à
comparaître devant le magistrat, normalement chargé du
préliminaire de conciliation, à une date située au cours du

(161) On a adressé un triple reproche au préliminaire de concilia-


tion dans les affaires qui requièrent célérité (Les Lois nouvelles, op. cit.,
p. 360). Il entraîne une perte de temps (un délai de un ou deux mois
s'écoulant entre la citation en conciliation et la rédaction du procès-ver-
bal de non-conciliation), des frais élevés et des déplacements onéreux (les
parties étant tenues, en principe, à comparaître en personne). Ces dé-
fauts motiveraient une réforme de l'organisation du préliminaire de con-
ciliation, mais non son abrogation ou la dispense accordée aux parties
d'y recourir, étant donné ses avantages (voir supra, p. 552). Notam-
ment, pour éviter, dans les affaires urgentes, les retards auxquels il
donne lieu actuellement, on pourrait envisager une réforme du genre de
celle que nous indiquons dans la suite du texte.
délai d'ajournement, afin que ce magistrat procède à une
tentative de conciliation et donne son avis sur les prétentions
des parties. Il serait loisible au défendeur de prétendre que
l'affaire n'est pas urgente et de demander le renvoi de la
tentative de conciliation à une date ultérieure.
Dans lecas où le plaideur présenterait une requête au
président du tribunal civil, afin, d'être autorisé à assigner à
bref délai, il devrait également citer son adversaire devant ce
magistrat, qui, s'il admettait l'urgence, devrait donner son
avis aux parties sur leurs prétentions respectives, s'efforcer
de les concilier et, à défaut, faire droit à la requête en men-
tionnant son avis dans son ordonnance.

Alors que, comme nous l'avons vu (162), on pourrait



renoncer à l'application de notre réforme aux demandes qui
requièrent réellement célérité, sans grand inconvénient prati-
que, en revanche, on ne saurait admettre cette solution pour
les « demandes en matière de commerce », que l'article 49-4*
du Code de Procédure Civile dispense également du prélimi-
naire de conciliation, étant donné la proportion importante
qu'elles représentent dans l'ensemble des litiges, dont ont à
connaître les tribunaux.
Il nous semble, par ailleurs, regrettable que ces deman-
des soient dispensées du préliminaire de conciliation.
Très certainement, cette dispense s'explique par le fait
que, généralement, elles requièrent célérité.
Mais, s'il est de l'intérêt des plaideurs en matière com-
merciale que leur procès soit instruit et jugé rapidement, il
est d'un intérêt non moins essentiel pour eux qu'il soit pro-
cédé à une tentative de conciliation préalable, qui leur per-
mettra peut-être de parvenir à un accord et de donner à leur
différend un règlement plus rapide que par la voie judiciaire.
Du reste, le législateur contemporain, dans la procédure
de recouvrement simplifiée qu'il a instituée pour les petites
créances commerciales, par le décret du 25 août 1937 (163),

(162) Supra, p. 557.


(163) D., 1937, 4. 244. Voir supra, p. 653.
n'a-t-il pas prévu une tentative de conciliation, dans le cas
où le défendeur a formulé un contredit sur l'injonction de
II
payer? I
C'est pourquoi, il conviendrait d'appliquer aux deman-
des en matière de commerce une procédure de conciliation,
calquée sur celle que nous avons proposée dans l'hypothèse
où le plaideur, qui prétend que sa demande requiert célérité,
saisit directement le tribunal civil, et susceptible, comme elle,
de faire bénéficier ces litiges à la fois des avantages du préli.
minaire de conciliation et de l'application de notre réforme,
sans, cependant, leur imposer un retard préjudiciable.
Le demandeur en matière commerciale serait tenu, dans
son assignation, de citer son adversaire à comparaître devant
le président du tribunal de commerce (164), à une date située
au cours du délai d'ajournement, afin que ce magistrat pro-
cède à une tentative de conciliation et donne son avis sur les
prétentions des parties.

Tels sont les traits de la réforme législative que nous


proposons.
Elle permettrait, dans une très largé mesure, de préve-
nir et de réparer le préjudice que le plaideur est susceptible
de causer à son adversaire en exerçant abusivement ou fauti-
vement son droit d'ester en justice, tout en respectant le
principe, à notre avis essentiel, en vertu duquel il ne faut
pas mettre d'entrave à l'accès au prétoire de ceux qui sont
victimes de la violation ou de la contestation injustifiée de
l'un de leurs droits subjectifs.
Mais, nous l'avons dit (165), dans l'état actuel de notre
droit, il ne saurait être question de sacrifier ce principe aux
exigences de l'équité et d'une bonne administration de la jus-
tice et d'apprécier la faute quasi-délictuelle du plaideur in
abstracto, suivant la solution généralement admise dans le
droit commun de responsabilité.

(164) Le président du tribunal de commerce nous semble mieux qua-


lifié que le juge de paix.
(165) Supra, p. 544 et s.
Méconnaître le principe dont s'agit aboutirait, en effet,
nous l'avons vu (166), à rendre illusoires les droits subjec-
tifs que la loi confère aux individus, à compromettre la lutte
pour le droit, qui, Ihering l'a démontré dans des pages
demeurées célèbres, est un devoir de l'intéressé envers lui-
même et envers la Société.

André LECOMTE,
Chargé de cours
à la Faculté de Droit de Grenoble.

(166) Supra, p. 492 et s.


LES RESTRICTIONS AU DROIT
D'INTERJETER APPEL
ET DE SE POURVOIR EN CASSATION
CONTRE LES DÉCISIONS
DES JURIDICTIONS
DE JUGEMENT RÉPRESSIVES

ETUDE HISTORIQUE ET CRITIQUE


DU DÉCRET-LOI DU 8 AOUT 1936

SOMMAIRE

1. Fondement de l'appel et du pourvoi en cassation. Inconvénient de l'ins-


titution. — 2. Les décisions des juridictions de jugement. — 3. Posi-
tion du problème. — Plan.

1. Précédents historiques du décret-loi du 8 août 1935


4. L'ancien Droit. Les prescriptions de l'Ordonnance de Roussillon en
matière d'appel. — 5. Réforme de la Grande Ordonnance de 1670.
Décisions auxquelles s'applique l'Ordonnance. — 6. Ses correctifs. —
7. Caractère non suspensif du pourvoi en Cassation. — 8. Le Droit
Intermédiaire: la loi du 3 brumaire an 2 et le décret-loi du 2 brumaire
an IV. — 9. Décisions auxquelles s'appliquent les lois révolutionnai-
res. — 10. Le Code de Procédure Civile: la réforme des articles 451
et 452 en matière d'appel. Application aux appels correctionnels
11. Le Code d'Instruction Criminelle. Le pourvoi en cassation et l'ar-
ticle 416 C. I. Cr. Décisions auxquelles s'applique ce texte. Interpré-
tations par analogie avec l'article 452 C. Pr. Civ. — 12. L'éphémère
loi sur la Presse du 29 décembre 1875 et la réforme de la loi sur la
Presse du 4 juillet 1908.

II. — La réforme du décret-loi du 8 août 1935


13. Causes de la réforme :
les mêmes que dans l'histoire, les abus de pro-
cédure. — 14. Contenu du décret-loi, divisions.

§ 1. — IRRECEVABILITÉ PROVISOIRE DE L'APPEL, ET DU POURVOI

15. Premier problème d'interprétation du décret-loi: décisions auxquelles


s'appliquent les nouveaux textes. — 16. Solution implicite extensive
de la Cour de Cassation 17. Difficultés soulevées dans la prati-
que: les décisions qui surseoient a statuer. — 18. Les décisions pro-
visoires. — 19. Les décisions statuant sur la liberté surveillée. 20.

: —
Les décisions mixtes. — 21. Sens des solutions jurisprudentielles sur
ces différents points tendance traditionnelle à restreindre le, champ
:
d'application de textes rigoureux. — 22. Deuxième problème d'in-
terprétation du décret-loi le principe du caractère temporaire de l'ir-
recevabilité de l'appel et du pourvoi. — 23. Réserve apportée par
l'alinéa final des articles 200 et 416 C. I. Crun. — 24. Réserve appor-
tée par la Cour de Cassation.

§ 2. — LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ DE L'APPEL ET DU POURVOI


25. Le rôle du greffier. Son étendue. Comparaison avec le rôle du Magis-
trat. — 26. Troisième problème d'interprétation du décret-loi: auto-
rité de chose jugée et caractère souverain et sans recours de l'acte
du magistrat qui statue, à la requête des intéressés, sur )e refus du
greffier de recevoir la déclaration d'appel ou de pourvoi. Nature con-
tentieuse ou gracieuse de cet acte. — 27. Difficulté de fixer un critère
de la juridiction gracieuse. — 28. Divergences de la doctrine et contra-
dictions de la jurisprudence quant au caractère souverain et sans
recours des décisions de la jurisprudence gracieuse. — 29. Solution de
la Cour de Cassation. — 30. Critique de cette, solution.

III, — Critique du décret-loi du 8 août 1936


31. Remarque préalable, divisions.
32. Critique du domaine de l'irrecevabilité des décisions avant dire droit.
— 33. Critique du pouvoir souverain du magistrat qui tranohE. le
conflit élevé entre les justiciables et le greffier sur la recevabilité des
voies de recours. — 34. Conclusion.

1. —
:
L'appel et le pourvoi en cassation ont été institués
dans un but identique garantir les justiciables contre le ris-
que de mal-jugé que leur font courir « les défaillances pos-
sibles de la science ou de la conscience du juge (1) », en leur
offrant le moyen de soumettre à un nouvel examen le litige
sur lequel il a été déjà statué ou la décision rendue à l'occa-
sion de ce litige.

(1) Donnedieu de Vab^es, « Traité élémentaire de Droit cruninel :t,


DO1464.
Mais si ces voies de recours sont ainsi justifiées parleur

mise en œuvre présente un grave inconvénient


pour conséquence de retarder le moment où le litige
:
but, la garantie d'une bonne administration de la justice, leur
ellesont
prendra
fin par une décision souveraine et irrévocable.

2. — Inconvénient particulièrement accentué du fait que


toute décision des juridictions de jugement ne termine pas
une instance en statuant sur le fond même du procès. Il est
fréquent que des incidents surgissent au cours de la procé-
dure.
Par exemple, en matière pénale, le juge ne s'estimant
pas suffisamment informé ordonne une mesure d'instruction,
ou bien le prévenu se défend en opposant l'incompétence du
tribunal, la nullité de la procédure ou l'irrecevabilité de
l'action. Sur chacun de ces incidents, un jugement devra être
rendu que l'on désigne dans la pratique et dans la doctrine
sous le nom de jugement d'avant-dire-droit (2).
L'inculpé qui court le risque d'une condamnation pénale
et aussi le plus souvent, d'une condamnation à la réparation
civile du dommage causé, a intérêt à voir se multiplier les
incidents de procédure, à en faire surgir, s'il lui est permis
de frapper immédiatement la décision d'avant-dire-droit d'ap-
pel, puis de pourvoi en Cassation, et, si l'exercice de ces voies
?
de recours a pour effet de suspendre les débats sur le fond du
procès répressif.
[

i l'attention du législateur :
Une question importante s'est par suite imposée à
3. —
comment empêcher les intéressés
de se servir des voies de recours comme d'un moyen de faire

I traîner en longueur les affaires pénales


Cette question n'est pas récente : ?
elle est même fort
ancienne. Successivement, l'Ancien Droit, le Droit Intermé-
diaire, les Codes de Procédure Civile et d'Instruction crimi-
nelle, ont donné des solutions contradictoires, plus ou moins
heureuses, jamais définitives.
Un décret-loi du 8 août 1935 prétend une fois de plus
11(2) Garraud, « Traité théorique et pratique d'Instruction Criminelle
et de Procédure Pénale », t. 3, p. 562 et suiv. Cf. Garsonnet et César-Bru.
M « Traité de Procédure Civile », t. 3, nOt 622 et suiv., t. 6, n° 142.
résoudre le problème, en réformant les dispositions du Code
d'Instruction Criminelle.
Les tâtonnements traditionnels du législateur dans une
matière complexe, nous ont amenés à croire qu'il n'était pas
inutile de demander aux précédents historiques leurs solu-
tions, avant de nous livrer à l'examen et à la critique de la
nouvelle réforme.

1. — Précédents historiques du décret-loi


du 8 août 1935
4. - Sans remonter au delà du xvi* siècle, on
posée dans l'Ancien Droit, là difficulté qui préoccupe encore
trouve

le législateur moderne. Il importe que les « appellations»


ne soient ni trop fréquentes ni trop efficaces. C'est pourquoi
»
l'Ordonnance dite « de Roussillon (1563) dans son article 18,
décide qu'il sera procédé « à la confection du procès jusqu'à
sentence définitive, exclusivement, nonobstant toutes appella-
tions » (3). C'est dire que l'appel d'une sentence non définitive
est privé d'effet suspensif des débats.
A cette règle une exception est apportée toutefois par le
même texte en faveur des appellations fondées sur l'incom-
pétence ou la récusation de juges. Une suprême garantie est
laissée à l'inculpé, celle de pouvoir, avant tous débats sur le
fond; discuter la compétence ou la qualité de son juge. Rien
de plus justifié, tout au moins en ce qui concerne l'exception
d'incompétence (4), rien de plus dangereux. Les abus vont
obliger le législateur à se montrer dans la suite plus sévère.
« On croyait alors », dit Serpillon (5), au sujet de l'arti-
cle 18 de l'Ordonnance de Roussilloni « qu'il y avait de plus

(3) Ordonnance sur la justice et la police du royaume, additionnelle


à celle d'Orléans. Paris, janvier 1568. Isambert, « Rec. Gén. des anciennes
p.
lois françaises », t. XIV, 160 et s.
(4) C'est qu'en effet, < le moyen d'appel fondé sur l'incompétence
du juge est un des principaux que l'accusé puisse alléguer; quand même
cet accusé n'aurait pas demandé son renvoi; parce qu'il n'y a point de
meilleur moyen de nullité contre un jugement que lorsque celui qui l'a
rendu était sans qualité pour juger ». Jousse, « Traité de la Justice Cri-
minelle », T. II. Part. Ill. Liv. II.

3.
(6) Serpillon, « Code criminel », nouvelle édition, Lyon, 1784, t. U,
titre XXVI, art.
grands inconvénients à laisser continuer une procédure par un
juge dont la compétence était attaquée, qu'à la surseoir mais
ces sortes d'appellations devenaient de style et trop
;
fréquentes,
les preuves dépérissaient par la discontinuation de l'instruc-
tion. »

5. — Aussi bien la grande Ordonnance de 1670 sur la

nance de Roussillon:
Procédure criminelle réforme-t-elle les dispositions de l'Ordon-
l'effet, suspensif des débats,
comme de juge incompétent et récusé, est supprimé (6). Et
de l'appel

f Ordonnance précise (7) qu' « aucune appellation ne pourra


empêcher ou retarder l'exécution des décrets, l'instruction et
le jugement ».
La suppression de l'effet suspensif del'appel s'applique-
t-elle à toutes les décisions d'avant dire droit ?
Les auteurs
du XVIIIe siècle ne sont pas d'accord sur ce point.
Muyart de Vouglans distingue parmi les jugements rendus
en cours de procédure deux catégories : les sentences prépa-
ratoires et les sentences interlocutoires. Les sentences prépa-
»
ratoires « tendent à l'instruction (8) du procès pénal, « regar-
dant singulièrement l'instruction dont elles font partie (9) ; »
les sentences interlocutoires se rendent « incidemment à
»
l'instruction et dans des cas particuliers (10).

lement normal de l'instruction :


Les sentences préparatoires se rattacheraient au dérou-
l'appel interjeté contre ces
décisions ne bénéficie point d'effet suspensif (11). Au contraire,

:
pour ce qui est des sentences interlocutoires, une distinction

;
serait nécessaire
en définitive
il y en a dont les suites sont réparables
les autres « tendent à dénaturer le procès et

(6) «

:
Il sera procédé à l'instruction et au jugement des procès cri-
minels, nonobstant toutes appellations, même comme de juge incompé-
tent et récusé et si les accusés refusent de répondre sousprétexte
d'appellation, le procès leur sera fait comme à des muets volontairea
jusques à sentence définitive ». Ord. 1670, tit. XXV, art. 2.
(7) Art. 3, tit. XXVI.
(8) Muyart de Vouglans, « Institutes au Droit Criminel », p. 369.
(9) M. de Vouglans, op. oit.,. p. 356.
(10) M. de Vouglans, op. cit., p. 356.
(11) M. de Vouglans, « Les Lois Criminelles», Liv. I, tit. VI, p. 17Q.
(12) « Les Lois Criminelles », p. 171.
laissent des impressions qui ne peuvent aisément se répa-
rer » (12). L'effet suspensif de l'appel est écarté pour les
premières, subsiste pour les secondes.
Ainsi Muyart de Vouglans ne considère pas que les arti-
cles 2, titre XXV et 3, titre XXVI de l'Ordonnance de 1670
IB
H
établissent une mesure générale à toutes les décisions avant
dire droit: y échappent, dans son opinion, les décisions rendues H
en cours de procédure, qui sont de nature à laisser sur l'en-
semble du procès une impression irréparable.
Jousse paraît d'un avis opposé. La distinction qu'il propose
entre décisions préparatoires et interlocutoires est presque
aussi verbale que celle de Muyart de Vouglans (13) : elle I
n'apporte guère plus de précisions sur une question qui demeu- I
dera par la suite obscure. Mais elle n'a pas lieu d'en apporter
car d'une part Jousse fait entrer sous le terme de jugements
: I
préparatoires la généralité des décisions avant dire droit (14),
d'autre part, il ne semble faire aucune distinction entre prépa-
ratoires et interlocutoires quant à l'application extensive, qu'il
préconise, des textes de l'Ordonnance de 1670 (15).
6. — Quoi qu'il en soit de ces divergences entre auteurs
(16), lesquelles se traduisent par les hésitations de la juris-
prudence (17), il reste que si l'accusé ne peut arrêter par une

(13) « Les jugements préparatoires sont ceux qui ne sont pas rendue
sur le fond de la question principale mais qui ordonnent quelque chose
pour y parvenir ou qui règlent quelque incident survenu dans le cars
du procès. Les jugements interlocutoires sont ceux rendus au fond mais
qui ne le décident point et sont seulement ordonnés comme un moyen pour
y parvenir. Jousse, « Traité », T. II, p. 520.
(14) Voy. note 13 ci-dessus.
(15) En ce sens, Jousse, < Traité », tome II, Part. III, Liv. II,
tit. XXXVII, p. 737, n° 22.Jousse n'admet qu'une exception à la règle
du caractère non suspensif de l'appel, dans le cas particulier où l'appel
est interjeté par le Ministère Public contre un jugement préparatoire ou
interlocutoire qui est susceptible de « nuire ou apporter quelque retard
ou préjudice à la poursuite d'un crime ».Jousse, ibid., n° 26, p. 738.

suivre, de les signaler ici:


(16) Il n'est pas sans intérêt pour la clarté de l'évolution qui va
elles se retrouvent chaque fois que le légis-

;
lateur juge nécessaire de restreindre les effets ou l'exercice même des
voies de recours les distinctions subtiles entre jugements avant dire droit
ont toujours alors pour
imposé par les textes.
but d'en soustraire certains
(17) Jousse, « Traité », T. II, Part. III, Liv. --
pp. 742, 743, 744.
au régime
---
de sévérité
-- XXXV11,
II, Tit.
appellation la marche de la procédure, du moins l'Ordonnance
permet-elle pas que cette continuation de l'instruction
ne «
puisse préjudicier à son appel »
(18). L'article 3 du titre XXV
dispose en effet que « les procédures faites avec les accusés
volontairement et sans protestations depuis leurs appellations
ne pourront leur être opposées comme fins de non rece-
voir» (19).

cle IV du titre XXVI de l'Ordonnance :


Mais un tempérament plus important réside dans l'arti-
en vertu de ce texte,
les Cours saisies des appels ont le droit, sous certaines condi-
tions — vu des charges et informations, conclusions des Pro-
cureurs généraux — d'accorder des surséances ou Défenses de
continuer l'instruction du procès, c'est-à-dire de restituer à
l'appel son effet suspensif.
C'est là un correctif qui s'harmonise avec la souplesse
des dispositions de l'Ancien Droit et qui permet de croire
avec Jousse au domaine extensif des articles 2, titre XXV,
et 3, titre XXVI, de l'Ordonnance de 1670.

bénéfice des sentences définitives sur le fond :


La règle est que l'effet suspensif de l'appel n'a lieu qu'au
les sentences
avant dire droit ne sauraient retarder le procès répressif, sauf
pour le juge d'appel, la faculté de faire surseoir, moyennant
examen de l'affaire et avis de son chef hiérarchique, à l'exé-
cution de la décision frappée d'appel.

7. — Un système semblable, bien qu'un peu plus sévère,


ressort du règlement de 1738 en matière de pourvoi en
cassation (20).

(18) Muyart de Vouglans, c Institutes », Part. III, Ch. II.


(19) « C'est une suite nécessaire de ce qui est dit en l'article précé-
dent », (art. 2) écrit Jousse dans son < Commentaire sur l'Ordonnance
criminelle », p. 430. « Car, puisque l'appel des accusés ne suspend point
l'instruction, s'il fallait qu'à chaque interrogatoire ou confrontation ils
fissent des protestations, cela ne servirait qu'à rendre la Procédure plus
longue. Mais en cause d'appel, le juge fait droit sur l'incompétence de la
même manière que s'il n'y avait eu aucune procédure faite avec l'accusa
depuis son appel. »
(20) Règlement de 1738, art. 29, Tit. IV. Voy. Denisart, c Collection
dodécisions nouvelles », t. 4, p. 293.
Le pourvoi est toujours recevable en principe, mais n'a
jamais d'effet suspensif (21), le texte réservant au Roi seul
le pouvoir d'accorder des défenses ou surséances, même lors-
qu'il s'agit de l'exercice du pourvoi à l'encontre de décisions
sur le fond et non point seulement de décisions d'avantdire
droit.
En définitive, il résulte de l'examen des textes du xve
au XVIIIe siècle, que notre Ancien Droits'est servi de restric-
tions à l'effet suspensif des voies de recours pour prévenir
l'allongement démesuré des procès répressifs.
8. — Le Droit Intermédiaire choisit un autre procédé
beaucoup plus direct, beaucoup moins souple que celui de
l'Ancien Droit, bien dans la note, au surplus, d'une législation

:
révolutionnaire peu soucieuse de demi-mesures et peut-être,
par là même, peu durable ce n'est pas à l'effet suspensif
des voies de recours, mais à leur recevabilité que s'attaque
le législateur. -

En matière d'appel, la loi du-3 Brumaire, an II, dispose


dans son article 6 qu' « on ne pourra appeler d'aucun juge-
ment préparatoire pendant le cours de l'instruction etles
parties seront obligées d'attendre le jugement définitif, sans
;
qu'on puisse cependant leur opposer ni leur silence, ni même
les actes faits en exécution des jugements de cette nature ».
Deux années plus tard, un autre texte, l'article 14 du

sition aux pourvois :


décret du 2 Brumaire an IV, vient étendre la même dispo-
« le recours en cassation contre les

;
jugements préparatoires et d'instruction ne sera ouvert
qu'après le jugement définitif mais l'exécution même volon-
taire de tels jugements ne pourra en aucun cas être opposée
comme fin de non recevoir »
(22).

« Les
(21) demandes en cassation ni même les arrêts qui intervien-
dront pour
demander les motifs ordonner
ou pour la requête
que sera
communiquée à la partie, ne pourront empêcher l'exécution des arrêts ou
jugements en dernier ressort dont la cassation sera demandée; et ne
serontdonnées aucune défenses ni surséances en aucun cas, si ce n'est
par ordre exprès de S. M. » (Art. 29, tit. IV du Règlement).
(22) On reconnaît ici le tempérament introduit par l'art. 3, tit. XXV-
de l'Ordonnance de 1670 dans un systènM de beaucoup moins sévère que
celui des lois révolutionnaires.
9. — Quelles sont les décisions auxquelles s'appliquent
les nouveaux textes? Comment distinguer les appels et les
pourvois temporairement irrecevables prématurés?
parce que
Les textes parlent de jugements préparatoires et d'instruction
quel est le sens exact de ces termes ?
Les décisions intervenues au lendemain des lois de Bru-
maire an II et de Brumaire an IV sont d'accord avec les
auteurs pour donner au mot préparatoire un sens large (23) :
le préparatoire implique l'interlocutoire au sens où l'entendait
Muyart de Vouglans, de jugement rendu en cours de procé-

procès ;
dure, et offrant le caractère de « dénaturer »
quelque peu le
c'est là, semble-t-il, le triomphe de l'opinion de
Jousse, lequel n'a pas hésité sous l'empire de l'Ordonnance
de 1670, à soumettre à un régime identique le préparatoire
et l'interlocutoire (24).
Cependant la jurisprudence de la période intermédiaire,
privée du droit de défense et de surséance qui lui permettait
| jadis d'assouplir la rigueur des textes, va bientôt imaginer
un correctif à l'interprétation extensive des dispositions qui
limitent le droit d'appeler et de se pourvoir en Cassation
n'est pas douteux que les jugements interlocutoires ne peuvent
il :
faire l'objet d'un pourvoi immédiat en vertu de l'article 14
du décret de Brumaire an IV, mais il ne faut pas donner au
texte une extension qui répugnerait à son esprit, indique le
rapporteur d'un arrêt de la Chambre des Requêtes du 17 mai
1810. L'interlocutoire qui tombe sous le coup des dispositions
du décret de Brumaire, c'est seulement celui qui ne décide
irrévocablement le fond ni expressément ni tacitement, qui
n'infère à aucune partie un grief irréparable, qui ne statue
définitivement sur aucune exception, sur aucune fin de non
recevoir, sur aucun incident (25).

(23) Voy. en ce sens Merlin, Rép., V Interlocutoire, n" 1 et II, et


Questions de Droit, V Interlocutoire, § 2. Les deux expressions se
confondaient dans la langue judiciaire à l'époque du décret du 2 Brumaire
an IV. V. Denisart, op. cit., t. 10, V appel, p. 680, et la jurisprudence
citéo. Garsonnet et C. Bru, op. cit., tome VI, p. 690, note 7 in fine.
(24) Supra, n. 6.
(25) Rapport Bailly, cité par Merlin, « Quest. de droit », V. prépa-
ratoire,p.36.
Et la Chambre des Requêtes est formelle dans les motifs
de l'arrêt de 1810 : « considérant que le jugement attaqué ne
renferme ni disposition définitive, ni disposition de laquelle
résulte un grief irréparable au définitif, la Cour déclare [les
intéressés] quant à présent non recevables dans leur pour.
voi » (26).
Il ressort de cette interprétation libérale des textes révo-
lutionnaires qu'ils n'engloberaient point sous le terme « prépa.
ratoire » tous les jugements avant-dire-droit, mais seulement
parmi les décisions ayant pour but l'instruction du procès,
celles qui ne portent pas un préjudice irréparable à l'une
des parties.
Mais encore faut-il s'entendre sur la distinction entre
jugements d'avant-dire-droit définitifs sur un incident et juge-
ments d'avant-dire-droit statuant sur l'instruction du procès,
et, parmi ces derniers, entre jugements interlocutoires faisant
grief aux parties et jugements interlocutoires leur apportant
un préjudice irréparable.
Les commentateurs de l'époque ne précisent point. La
jurisprudence hésite, se contredit parfois. L'incertitude des
auteurs et des juges va soulever les récriminations des justi-
ciables, lesquelles trouveront un écho dans les travaux prépa-
ratoires du Code de Procédure Civile.
« La loi du 3 Brumaire an II, remarque l'Archichancelier
à la séance du 28 Floréal an XIII (27), a excité beaucoup
de plaintes. La précipitation avec laquelle cette loi a été rédi-
gée n'a pas permis alors d'en bien peser les conséquences,
mais puisqu'on remanie la législation, il importe d'examiner
si la règle n'est pas trop absolue. »

d'appel :
De cet examen va sortir une nouvelle réforme en matière
la rédaction des articles 451 et 452 du Code de Pro-
cédure Civile.
Procédure Civile reprend à vrai dire,
10. — Le Code de
la mesure de la loi de Brumaire an II, mais pour en limiter
(26) Merlin, « Questions de droit », VO préparatoire, p. 38.
(27) Locré, « La législation civile commerciale et criminelle de la
France >, T. XXII, p. 35.
singulièrement le domaine d'application :
une seule catégorie

immédiat:
de jugements avant-dire-droit ne pourra bénéficier de l'appel
les décisions préparatoires. Cependant le mot
préparatoire n'a plus qu'un sens très étroit. Soucieux d'éviter
toute équivoque le législateur, qui consacre, en l'accentuant,
le libéralisme de la jurisprudence postérieure à la loi de
Brumaire, indique à l'interprète ce qu'il entend par prépara-
:
toire le jugement rendu pour l'instruction de la cause,
tendant à mettre le procès en état de recevoir sa solution
définitive et ne préjugeant point le fond (art. 452 C. Proc.
Civ.).
Les jugements qui ordonnent ou refusent une mesure
quelconque d'instruction, qui préjugent le fond, parce qu'ils
laissent entrevoir l'opinion probable du juge et auxquels est
réservée la dénomination d'interlocutoires (28) sont désor-
mais sans aucun doute susceptibles d'appel isolé. A fortiori"
les autres décisions qui ne se rapportent point, à proprement
parler à l'instruction du procès, mais qui règlent définitivement
un incident avant dire droit, ou même, rendues au cours de
la procédure, paraissent se détacher de l'ensemble de celle-ci,
telles les décisions provisoires (29).
Cependant, le texte du Code de Procédure Civile s'appli-
que-t-il aux appels correctionnels ?

:
L'affirmative n'est pas douteuse pour ce qui est des dis-
positions libérales de l'article 451 le Code d'Instruction
Criminelle de 1808 ne pose-t-il pas dans son article 199 le
principe que les jugements rendus en matière correctionnelle
pourront être attaqués par la voie de l'appel (30). ?
(28) Art. 452, § 2. Sont réputés interlocutoires les jugements rendus
lorsque le tribunal ordonne avant dire droit une preuve, une vérification
on une instruction qui préjuge le fond.
(29) Garsoinnet et César Bru, op. cit., T. VI, p. 261, n° 142: c La
règle qui veut que les jugements préparatoires ne soient pas susceptibles
d'appel immédiat, ne s'applique pas aux jugements d'avant faire droit qui
ne sont ni préparatoires ni même interlocutoires ou- provisoires comme
eeux qui statuent sur un déclinatoire, sur une exception de nullité ou sur
lia recevabilité des demandes incidentes ».
(30) En considération de ce texte large, Legraverend, « Législation
Criminelle », T. II, p. 398, a enseigné que les Articles 451 et 452 C. Pr.
Civ. ne s'appliquent pas en matière criminelle.
Mais la jurisprudence a coutume de réserver l'interpré-
tation restrictive aux cas où le législateur se montre sévère :
lorsqu'il devient trop libéral, elle l'est moins. C'est pourquoi
la restriction au droit d'appeler, prévue par l'article 451 du
Code de Procédure Civile, sera constamment appliquée aux
procès répressifs, en dépit des termes formels de l'article 199
du Code d'Instruction Criminelle (31).
11. — Quant au pourvoi en cassation, les juridictions
répressives n'ont pas à se demander s'il faut, dans le silence
du Code de Procédure Civile, lui appliquer le décret du 2 Bru-
maire an IV (32). Le Code d'Instruction Criminelle qui est
muet sur l'appel des décisions avant dire droit, comporte un
texte spécial aux pourvois contre certaines de ces décisions.
Aux termes de l'article 416, « le recours en cassation contre
les arrêts préparatoires et d'instruction ou les jugements en

:
dernier ressort de cette qualité ne sera ouvert qu'après l'arrêt
ou le jugement définitif l'exécution volontaire de tels arrêts
ou jugements préparatoires, ne pourra en aucun cas être
opposé comme fin de non recevoir. La présente disposition
ne s'applique point aux arrêts ou jugements rendus sur la
compétence ».
(31) Bourguignon, I, 442. Faustin Hélie, « Traité d'Instr. Crim. »,
t. 8, p. 13 et suiv. Laborde, 1141. Merlin, « Rép. », v" Appel, nO. 10, 11,
44. L'application par la jurisprudence des art. 451-452 C. Proc. Civ. à la
procédure criminelle a rencontré l'approbation quasi-unanime de la doc-

que pour les appels correctionnels :


trine. Sic, Garraud, op. ait., t. 3, p. 564 et note 1.
Par contre, cette extension des art. 451-452 C. Proc. Civ. n'a lieu
s'appuyant sur l'article 172 C. I.
Crim. la jurisprudence a toujours décidé que les jugements incidents par
lesquels les tribunaux de simple police statuent sur une question de com-
pétence ou sur une exception, ne peuvent en aucun cas être attaqués par
la voie de l'appel. (Voir encore récemment en ce sens Ch. Crim., 20 nov.
1936, Gaz. Pal., 1937. 1. 45 et jurisprudence citée en note).
(32) Il ne semble pas que dans l'intervalle entre la promulgation du
Code de Procédure Civile (1806) et celle du Code d'Instruction Criminelle
(1808) la jurisprudence se soit prononcée pour le maintien de la loi de
brumaire. Voy. Merlin, Questions de Droit, v. Interlocutoire, p. 696 et s.
Ce qui est certain, c'est qu'en matière civile, une jurisprudence, fortement
critiquée par les auteurs, a étendu par analogie au pourvoi en Cassation
les dispositions des articles 451 et 452. V. Glasson, Morel et Tissier,
Traité théorique et pratique d'organisation judiciaire de compétence et
de procédure civile, 3e éd. 1929, t. III, n° 943, p. 462 et s. Garsonnet et
César Bru, op. cit., t. 6, p. 690 et note 7.
Le législateur ne s'explique pas sur le sens des termes
« jugements préparatoires et d'instruction », Faut-il s'en
?
référer aux textes du Code de Procédure
arguments militent pour la négative :
Civile Plusieurs
il est frappant tout
d'abord que l'article 416 reproduise à la lettre l'article 14 du
décret du 2 Brumaire an IV ; or la jurisprudence la plus
libérale interprétant ce dernier texte a toujours admis que
le mot « préparatoire »préjugeant le fond, n'apportent
englobait des décisions interlocutoires,
celles qui, tout en pas aux
parties en cause un préjudice irréparable. En second lieu,
l'article 416 in fine paraît entendre le mot « préparatoire »
dans un sens encore
prètes de la loi de
plus
Brumaire :large que
quelle
celui
serait
adopté
en effet
de préciser que la disposition restrictive du droit de se pour-
par
la
les inter-
nécessité

voir

entend
immédiatement
décisions sur la compétence
établir à leur
en

suj et
?
cassation

une
ne s'applique

à la
point
Est-ce dire que le législateur
dérogation règle que
aux

les
décisions sur incidents, comme les interlocutoires et les prépa-
ratoires, ne sauraient faire l'objet d'un pourvoi isolé?
Mais la jurisprudence ne s'arrête pas à ces considérations
elle décide que l'article 416 doit être interprété à la lumière
:
de l'article 452 du Code de Procédure Civile (33).
Un parallélisme s'établira donc pendant tout le cours du
XIXe siècle entre les deux régimes de l'appel et du pourvoi
contre les décisions d'avant dire droit.
Des solutions jurisprudentielles il résulte une certaine
simplification de la question, peut-être la plus délicate, de
notre procédure pénale. Pour déclarer l'appel ou le pourvoi
immédiatement recevable, la juridiction saisie de ces voies
de recours doit rechercher si la décision attaquée est une
décision d'instruction, c'est-à-dire ordonnant ou refusant une
mesure d'instruction (34), qui ne juge pas le fond, et qui
non plus ne le préjuge (35). Sans doute, cette recherche

(33) Voy. Faustin Hélie et Depeiges, Pratique Criminelle, n° 1006,


p. 848. Cf. pour ce qui est de la Procédure civile Glasson, Morel et
Tissicr, op. cit., 38 éd., t. III, n° 943.
(34) Garraud, op. cit., t. III, p. 567.
(35) La jurisprudence y assimile exceptionnellement les jugements
pourra soulever quelques difficultés, lorsqu'elle a lieu notam-
ment sur les frontières de l'interlocutoire et du prépara-
toire (36), mais le juge ne saurait guère s'égarer vers d'autres
domaines — et notamment vers le domaine de ces décisions
sur incidents ou exceptions qui jugent définitivement un point
contesté en cours de procédure, par exemple le point de savoir
si le tribunal saisi est compétent ou si l'action publique est
recevable (37).
Ce sont là, selon l'expression de quelques auteurs, de
« faux interlocutoires », mal à propos ainsi dénommés pour
indiquer qu'ils sont soumis au même régime que toute déci.

en cassation immédiat (38) ;


sion interlocutoire au point de vue de l'appel ou du pourvoi
qu'ils sont donc soumis en
définitive au droit commun de l'appel et du pourvoi (39).

voies de recours :
Même symétrie en ce qui concerne l'effet suspensif des
l'article 373 du Code d'Instruction Crimi-
nelle ne formule expressément la règle de l'effet suspensif
du pourvoi que pour ce qui est des arrêts criminels, mais
la jurisprudence attribue à ce texte une portée générale,
l'applique à tous les jugements en dernier ressort et arrêts
rendus en matière pénale (40).
Si l'on met à part les modalités de l'exercice des voies
de recours contre les ordonnances du juge d'instruction et les
arrêts de la Chambre des Mises, dont nous ne nous occupons

d'avant dire droit se prononçant sur l'irrégularité en la forme de l'acte qui


saisit le juge. Garraud, ibid.,p. 567. V. Cass. Crim., 27 janv. 1936, la loi
du 10 mars 1936.
(36) Sur ces difficultés, voy. Glasson, Morel et Tissier, op. cit.,
p. 7 et s.
- (37) Voir supra, p. 9, note 1.
(38) Garraud, t. III, p. 567. V. aussi note Leloir sous Hanoï, 11 sep-
tembre 1937, D., 1937. 2. 31.
(39) Cependant la jurisprudence admet, et c'est là un correctif du
libéralisme observé ci-dessus, que le jugement qui sans statuer sur l'excep-
tion invoquée (en l'espèce une exception de prescription) s'est borné à
joindre l'incident au fond motif pris de ce qu'il s'y rattachait étroitement,
est un jugement préparatoire contre lequel l'appel est provisoirement irre-
cevable. Cass. Ch. Crim., 18 octobre 1935, S., 1937. 1. 38. Voir de même,
sur l'interprétation dernière en date de l'article 416 ancien, Cass. Crim.,
27 janvier 1936 la loi 10 mars 1936 précitée.
(40) Voy. Goyet, « Commentaire du décret-loi du 8 août 1935 », /«<>'*
Nouvelles, 1935, 1" partie, p. 268 et suiv.
pas ici, il est permis de constater que toute latitude est donnée
aux parties de faire trainer en longueur les débats et de
remettre la décision sur le fond à l'échéance la plus loin-
taine (41).
Ce système, le plus libéral qu'ait connu notre procédure
pénale depuis 250 ans, va avoir une durée bien plus longue
que celle des textes de Brumaire an II et an IV : une seule
brèche y sera faite au cours du xix* siècle dans le domaine
restreint des délits de presse, par les lois des 29 décembre 187&
et 4 juillet 1908.

12. — La loi du 29 décembre 1875 décide que « l'appel


contre les jugements qui auront statué tant sur les questions
de compétence que sur tous autres incidents, ne sera formé,
à peine de nullité, qu'après le jugement définitif, en même
temps que l'appel contre ledit jugement ». Cette loi se ramène
à la suppression de l'appel immédiat et isolé contre toutes
décisions d'avant dire droit en matière de presse (42). La
réforme, beaucoup plus rigoureuse dans sa précision que celle

années :
de la loi de Brumaire an II, n'aura qu'une durée de cinq
la loi du 29 juillet 1881 sur la Presse, ne la main-
tiendra pas et replacera l'appel sous le régime du droit
commun. Mais les abus de procédure forceront le législateur
à s'orienter de nouveau vers un régime de sévérité. C'est le
sens de la loi du 4 juillet 1908 qui vient compléter l'article 62
de la loi de 1881 : désormais l'appel et aussi le pourvoi en
cassation contre les décisions ayant statué sur des incidents
et des exceptions au cours d'une procédure pour délit de
Presse, doivent être formés en même temps que l'appel ou
le pourvoi contre la décision rendue sur le fond. Seule sera
susceptible d'appel ou de pourvoi immédiat la décision rendue

(41) D'ailleurs les prévenus ont le moyen de faire traîner également


la procédure pendant la période de l'Instruction préparatoire. Voir l'arti-
cle de M. Gabolde sur l'appel des ordonnances de compétence, Revue de
Science criminelle et de Droit pénal comparé, 1938, p. 1 et suiv.
(42) Dalloz, Rep. Prat. V. Presse, outrage, publication, nO. 1791-
1792.
sur l'exception d'incompétence, lorsque cette exception aura
été soulevée in limine litis (43).
La disposition de la loi de 1908 offre en quelque sorte
une synthèse des efforts législatifs, antérieurs au Code d'Ins-
truction Criminelle et au Code de Procédure Civile, vers
l'écourtement des procès répressifs. Comme les lois de Bru-
maire an II et de Brumaire an IV, le législateur s'attaque

pensif ;
à la recevabilité des voies de recours et non à leur effet sus-
comme l'Ordonnance de 1563, il fait bénéficier l'excep-
tion d'incompétence d'un traitement de faveur mais ;
l'exception d'incompétence qui n'a pas été proposée avant
l'ouverture des débats sur le fond, est traitée comme toutes
autres exceptions et incidents, ce qui rappelle la formule de
l'Ordonnance de 1670.
Contrairement cependant aux dispositions antérieures,
même à celles du Code d'Instruction Criminelle, la loi de 1908.
reprenant une formule voisine de celle de la loi de 1875,
rompt avec une terminologie qui a pendant des siècles prêté
à discussion, et sous les expressions « jugements et arrêts
qui auront statué sur les incidents et exceptions vise l'inté-»
gralité des décisions avant dire droit, l'interlocutoire et le
préparatoire faisant partie logiquement et indiscutablement
des décisions incidentelles (44)..
Telles sont, jusqu'à une date toute récente, les oscillations
des dispositions législatives. Le 8 août 1935 un décret-loi est
intervenu pour modifier le Code d'Instruction Criminelle et
abroger la loi sur la Presse de 1908 (45), donnant ainsi à un
vieux problème une nouvelle actualité.

(43) Art. 62 de la loi du 29 juillet 1881 modifié par la loi du 4 juillet


1908.
§ 2. « L'appel contre les jugements ou le pourvoi contre les arrêts dea
c Cour d'Appel et Cour d'Assises qui auront statué sur les incidents et
« exceptions autres que les exceptions d'incompétence, ne sera formé, à
< peine de nullité, qu'après le jugement ou l'arrêt définitif et en môme
« temps que l'appel ou le pourvoi contre ledit jugement ou arrêt. >

<
<
avant toute ouverture du débat sur le ;
§ 3. « Toutes les exceptions d'incompétence devront être proposées
fond faute de ce, elles
jointes au fond et il sera statué sur le tout par le même jugement ou
seront

< arrêt. »
II. — La réforme du décret-loi du 8 août 1935
13. — On
causes traditionnelles :
retrouve à l'origine de la réforme de 1935, des.
« L'abus de la procédure en matière
pénale, dit le rapport qui précède le décret-loi, a pris de telles
proportions qu'il est parvenu à énerver, sinon parfois à para-
lyser la répression. Nombreuses sont les poursuites quepré-
venus et accusés parviennent à prolonger pendant des mois
et des années. Les détenus y trouvent l'avantage d'échapper
pour autant au régime des condamnés. Les prévenus et accusés
libres espèrent tout de la lassitude, de l'oubli et du temps,,
quand ils ne profitent pas du délai qu'ils s'octroient ainsi
pour développer leur activité délictueuse, criminelle. »

14. — Le décret-loi du 8 août 1935, qui s'intègred'ailleurs


à un grand courant législatif en réaction contre le libéralisme
de la précédente législation (46),courant que l'on observe-
aussi à l'étranger (47), transforme deux textes du Code d'Ins-

(44) Jurisprudence bien établie dans ce sens :


Ch. Crim., 15 mai 1909, Bull. Crim., n° 273, 12 janvier 1911,
Bull., n° 24, 20 décembre 1917, Bull. n° 267, 26 août 1909, Bull. n° 447,
et voy. jurisprudence citée au Rep. Prat. Dalloz, V. Presse, outrage,
publication, n° 1806.
(45) Magnol, « Cours. de Droit Criminel », 2e Suppl., p. 24-25.
(46) C'est ainsi qu'un autre décret-loi du 8 août 1935 modifiant les
articles 188 et 373 du Code d'Instruction Criminelle, permet au juge cor-
rectionnel d'accorder à la victime une provision et prive entièrement
d'effet suspensif le pourvoi formé contre les décisions rendues sur l'action
eivile,disposition qui rappelle les mesures de notre Ancien Droit. Il faut
rattacher à la même tendance anti-libérale le décret-loi du 8 août 1935,
modifiant les articles 149 et 186 C. I. Cr., et qui réduit le domaine de
l'opposition.
On rencontre également des dispositions relatives au pourvoi en Cas-
sation et qui témoignent du souci du législateur moderne de rendre gênant
pour les intéressés l'exercice du pourvoi-:majoration du taux de l'amende
à consigner (décret-loi du 16 juillet 1935 modifiant l'art. 419 C. I. Cr.),
nécessité de la miseen état pour certains condamnés, supprimée par la
loi libérale du 7 février 1933, rétablie par la loi du 26 mars 1935 (art. 421
C. I. Cr.). Irrecevabilité du pourvoi en Cassation contre les décisions sta-
tuant en matière de liberté provisoire (loi du 25 mars 1935 modifiant l'ar-
ticle 118. C. 1. Cr.).Voy. Magnol, Supplément, p. 26 et suiv.
(47) En Belgique, l'arrêté royal du 24 mars 1936 permet aux Cours
d'Appel et aux tribunaux d'ordonner l'exécution provisoire des décisions
incidentelles ou portant sur l'action civile, nonobstant appel ou pour-
:
truction Criminelle il revivifie l'article 200 abrogé en 1856 et
modifie l'article 416. Il vise à remédier aux lenteurs de la

me :
procédure dans les affaires répressives, par une double réfor-
tout d'abord les décisions susceptibles d'appel ou de

;
pourvoi immédiat et isolé semblent bien être réduites aux
décisions sur le fond en second lieu le décret-loi institue
une procédure sommaire qui n'a point de précédents dans
l'histoire et qui consiste à remettre au greffier du Tribunal
ou de la Cour d'Appel selon les cas, et éventuellement au
Président du Tribunal ou au Premier Président de la Cour
d'Appel, le soin d'apprécier, préalablement à toute transcrip-
tion des déclarations d'appel ou de pourvoi sur le registre
à ce destiné, la recevabilité de ces voies de recours.
Il faut essayer de préciser l'exact contenu des innovations
du décret-loi de 1935 : quel est le domaine et la portée de
l'irrecevabilité des appels et des pourvois dirigés contre les
décisions d'avant dire droit. En quoi consiste la mission
délicate confiée aux Greffiers sous le contrôle éventuel du
Président du Tribunal ou du Premier Président de la Cour ?
§1. — IRRECEVABILITÉ PROVISOIRE DE L'APPEL ET DU POURVOI

15. — Les articles 200 et 416 nouveaux du Code d'Ins-


truction Criminelle restreignent considérablement le droit des
parties à l'appel et au pourvoi immédiat contre les décisions
qui leur sont préjudiciables (48). D'où un premier problème

voi en Cassation. Comme notre législateur d'Ancien droit, le législateur


belge s'attaque à l'effet suspensif des voies de recours.
Cf. Code Procédure pénale du royaume d'Italie, 1931, ch. VIII,
Titre IV, Livre I, restrictions qu'il établit quant à l'usage des voies de
recours. Voir préface de P. de Casabianca à la traduction de ce Code
par MM. le Commandant Laguerre et J. Magnol, Doyen de la Faculté
de Droit de Toulouse, p. XXVII-XXIX.
Le Code de Procédure Pénale, dans un même esprit, supprime l'op-
position. Voir sur les innovations de ce Code l'article de M. G. Vra-
Mesco, Professeur à la Faculté de Bucarest, Revue (Belge) de Droit
.Pénal et de Criminologie, 1936, pp. 3, 147 et s.
Voir également la résolution émise par le Congrès International
pénal et pénitentiaire de Berlin, août 1935. Bouzat) Rev. Int. de Droit
Pénal, 1936, p. 48 et suiv., et p. 64.
(48) Ces textes sont Ainsi-conçus « Art. 200 (Décr, 8 août.1985). —
Toutefois, l'appel contre les jugements préparatoires ou interlocutoires,
cations législatives en la matière
pliquent les nouveaux textes ?
:
d'interprétation maintes fois rencontré à la suite des modifi-
à quelles décisions s'ap-

La réponse n'est pas douteuse en ce qui concerne l'appel


l'article 200 englobe dans une formule très large ne laissant
:
point place à l'équivoque « les jugements préparatoires ou
interlocutoires, statuant sur des incidents et exceptions »
et précise, comme s'il voulait mieux marquer qu'il va bien
au delà de la loi du 4 juillet 1908 sur la Presse, que ses
dispositions s'appliquent même aux jugements rendus sur

statuant sur des incidents et exceptions, ne sera reçu, même contre les
jugements rendus sur la compétence, qu'après le jugement sur le fond et
en même temps que l'appel contre ledit jugement.
Le greffier du tribunal dressera procès-verbal du refus qu'il oppose à
la transcription de la déclaration d'appel, dans tous les cas où la loi pres-
crit que l'appel ne sera pas reçu.
Les parties sont admises à en appeler, par simple requête, dans les
vingt-quatre heures, devant le président du tribunal, du refus du greffier,
lequel sera tenu de recevoir l'appel si l'injonction lui en est faite par ce
magistrat.
Toutes les dispositions contraires du Code d'Instruction Criminelle et
des lois particulières se trouvent abrogées en France et en Algérie, ainsi
que dans les colonies où elles sont actuellement en vigueur, sans qu'il Boit
rien modifié aux règles plus restrictives existant dans lesdites colonies.
Dans tous les cas, la partie qui aura manifesté sa volonté d'appeler
d'un jugement dans les délais légaux, conservera le droit de renouveler
son appel après la décision sur le fond. »
« Art. 416 (Déer. 8 août 1935). — En toute matière, le recours en
cassation contre les jugements et arrêts préparatoires, d'instruction ou
-
interlocutoires, ne sera reçu même contre les jugements et arrêts rendus
sur la compétence — qu'après le jugement ou l'arrêt définitif sur le fond.
L'exécution volontaire de tels jugements ou arrêts ne pourra, en aucun
cas, être opposée comme fin de non-recevoir.
,.
Toutefois, les arrêts rendus par la Chambre des mises en accusation
seront susceptibles de pourvoi selon les règles prescrites par le présent
:
Code, sous les précisions et réserves ci-après
L'arrêt de la Chambre des mises en accusation portant renvoi de l'in-
culpé devant le tribunal correctionnel ne peut être attaqué devant la Cour
de cassation que lorsqu'il statue sur une question de compétence ou qu'il
présente des dispositions définitives que le tribunal saisi de la prévention
n'a pas le pouvoir de modifier.
Le Ministère Public est admis à se pourvoir contre les arrêts de non-
lieu rendus par ladite chambre.
En l'absence du pourvoi du Ministère Public, le même droit n'appar-
tiendra à la partie civile, même au cas où elle aurait été condamnée aux
dommages-intérêts prévus par l'article 136 du Code d'Instruction Crimi-
nelle, qu'en ce qui concerne la compétence ou que s'il a été omis de statuer
sur un chef de l'inculpation.
Ellepourra égalemènt se pourvoir contre les arrêts déclarant son
action irrecevable.
la compétence. Aucun jugement d'avant-dire droit n'est plus
susceptible d'appel isolé et immédiat (49).
On reste plus hésitant quant au champ d'application
de l'article .416. Ce texte, reprend (au mot « interlocutoire »

du Code d'Instruction Criminelle de 1808 ;


près) la formule peu claire du décret de Brumaire an IV et
on serait par
suite tenté de lui concéder un domaine moins vaste que
celui de l'article 200. Il suffirait d'affirmer que par les
termes « en toute matière lerecours en cassation contre les
jugements et arrêts préparatoires d'instruction ou interlo-
cutoires ne sera reçu. » etc, le législateur n'a visé que les
interlocutoires au sens strict, c'est-à-dire les jugements en
dernier ressort ou arrêts ordonnant ou refusant une mesure
d'instruction et préjugeant le fond.
On pourrait alors soutenir que le pourvoi immédiat
et isolé serait possible contre les « faux interlocutoires »
ceux qui statuent sur un incident ou une exception, dont
parle expressément l'article 200, mais auxquels l'article
416 ne fait point allusion.
Mais cette opinion rencontre de graves objections
s'oppose à la règle de bon sens qui veut que le pourvoi en
elle :
Cassation soit une voie de recours plus étroite que
l'appel (50). Il est normal que les parties rencontrent des
obstacles de plus en plus nombreux au
fur et à mesure
;
qu'elles s'obstinent à réclamer un nouvel examen de leurs
prétentions il serait inadmissible qu'elles obtiennent plus
facilement l'examen de la décision rendue sur le litige en

Le greffier du tribunal ou de la cour dressera procès-verbal du refus


qu'il oppose à la transcription de la déclaration du pourvoi, dans tous les
cas où la loi prescrit que le pourvoi ne sera pas reçu.
Les parties sont admises à en appeler, par simple requête, dans les
vingt-quatre heures, devant le président du tribunal ou le premier prési-
dent de la Cour d'Appel, du refus du greffier, lequel sera tenu de recevoir
le pourvoi si l'injonction lui en est faite par l'un de ces magistrats.
Toutes les dispositions contraires du Code d'Instruction Criminelle ou
des lois particulières se trouvent abrogées en France et en Algérie, ainsi
que dans les colonies où elles sont actuellement en vigueur, sans qu'il soit
rien modifié aux règles plus restrictivs existant dans lesdites colonies.
Dans tous sescas, la partie qui aura marqué sa volonté de se pourvoir
contre un arrêt ou jugement dans les délais légaux, conservera le droitde
renouveler-son pourvoi après la décision définitiye sur le fond.
(49) En ce sens Hçinoï, 11 septembre 1936, D., 1937. 2. 31.
cause que celui du litige lui-même La tradition jurispru-

même sens :
dentielle, au surplus fait ressortir un autre argument dans
le l'article 416 ancien, nous l'avons vu (51),
reproduisait le décret de Brumaire an IV et non l'article 451

tamment appliqué aux appels correctionnels ;


du Code de Procédure civile que la jurisprudence a cons-
pourtant les
tribunaux et la Cour de Cassation n'ont jamais hésité à
interpréter l'article 416 à la lumière des articles 451 et 452
C. Pr. Civ.Comment se résoudraient-ils à rompre la symé-
trie des solutions en matière d'appel et de pourvoi alors
que le Code d'Instruction Criminelle possède maintenant
un texte spécial à l'appel et qui présente une parenté cer-
taine quant à l'origine et même à la rédaction avec l'article
416 nouveau ?
L'article 416 d'ailleurs fournit lui-même dans son
contexte des arguments en faveur de l'interprétation restric-
tive du pourvoi. « En toute matière, proclame l'alinéa 1",
le recours en cassation contre les jugements et arrêts pré-
paratoires d'instruction ou interlocutoires, ne sera reçu —
même contre les jugements et arrêts rendus sur la compé-
lence — qu'après le jugement ou arrêt définitif sur le
fond ». Les premiers mots de l'alinéa premier élargissent
singulièrement le domaine des restrictions qui suivent
l'incidente « même contre les jugements et arrêts rendus
;
sur la compétence » indique bien que le législateur adopte
un sens extensif, de l'expression « jugements interlocu-
toires » et qu'il vise par là tant les jugements ordonnant
une mesure d'instruction et préjugeant le fond, que ceux
qui résolvent, préalablement au jugement sur le fond, —

(50) La voie de la Cassation doit être, ainsi que l'exprime un


anteur « étroite, raboteuse et comme semée de chausse-trapes » (Bacon,
Bwemplum de Justifia universa aphorisme, 94). Le législateur s'en sou-
rient lorsqu'il exige la consignation d'une amende préalable à tout pour-
voi (art. 419), et pour certains condamnés, la mise en état (art. 421).
«En général, écrit Merlin, l'appel est digne de la plus grande
faveur. La Cassation au contraire est un recours qui ne doit être admis
.qn'à la dernière extrémité », « Question de Droit », v. Interlocutoire,
p. 699.
(51) Supra, n° 11.
et c'est le cas de la décision sur la compétence — une ques.
tion de fait ou de droit soulevée au cours du procès.
Il est bien certain en effet que le jugement rendu sur

:
un déclinatoire de compétence n'est point un interlocutoire
au sens strict on pourrait se demander en présence de
l'article 416 ancien si l'allusion aux arrêts ou jugements
rendus sur la compétence n'indiquait pas a contrarioune
mesure restrictive du droit de se pourvoir en cassation
contre la généralité des décisions incidentelles ou « faux

nouveau texte :
interlocutoires (52). L'argument se retourne par suite du
Le législateur vise sans aucun doute les
interlocutoires lato sensu, tous les « faux interlocutoires »,
y compris expressément les décisions statuant sur la
compétence (53).
16. — La jurisprudence n'a pas eu encore à notre con-
naissance, à se prononcer directement sur la question mais
dans un arrêt du 12 mars 1936 qui porte sur la non rétroac-
tivité du décret-loi du 8 août 1935, la Chambre Criminelle
laisse entendre indirectement son intention d'appliquer
l'article 416 nouveau en parfaite symétrie avec l'article 200
C. I. Cr.
En l'espèce le prévenu d'un délit d'abus de confiance et
d'infraction à la loi, du 24 juillet 1867 sur les Sociétés
anonymes, avait soulevé l'exception de prescription. L'arrêt
attaqué avait rejeté ce moyen. La Chambre Criminelle décide
que le pourvoi formé contre cet arrêt avant la promulgation
des décrets-lois continue à être régi par l'article 416 ancien
et est donc immédiatement recevable (54). Mais par là
même la Cour de Cassation interprétant a contrario l'article
416 nouveau semble donner au mot interlocutoire le sens

(52) Voyez supra, n° 11.


(53) La jurisprudence par ailleurs paraît décider parfois en matière
d'appel contre les ordonnances du Juge d'instruction le déclinatoire
de compétence englobe les faux interlocutoires. Voy. Gaholde, article
précité, Revue de Science criminelle et de Droit pénal comparé, 1938,
p. 11
(54) Ch. Crim., 12 mars 1936, Gaz. Pal., 15 mai 1936, S., 1937.
1.276.
large et reconnaître que le texte s'appliquerait aux déci-
sions rendues depuis sa promulgation sur l'exception des
prescriptions. On ne saurait qu'approuver la Cour de Cas-
sation : l'article 416, malgré ses formules vicieuses, reste
assez clair pour ne point prêter à une interprétation libérale
qui serait une véritable dénaturation de la lettre et de l'es-
prit du texte.
Il faut décider avec la jurisprudence que le décret-loi
du 8 août 1935 fait tomber sous ses mesures restrictives
tous les jugements et arrêts avant dire droit.
D'où il importe actuellement de distinguer, non plus
les décisions simplement préparatoires des autres décisions
d'avant dire droit, mais bien les décisions d'avant dire droit
préparatoires ou interlocutoires ou définitives sur un inci-
dent, des décisions définitives sur le fond, ces dernières
seules étant susceptibles d'appel ou de pourvoi immédiat et
isolé.
17. — La :
distinction semble simple la pratique montre
pourtant des difficultés.
On a discuté par exemple sur le point de savoir quel
est le caractère et quel doit être le régime d'une décision qui
surseoit indéfiniment à statuer.

tion préjudicielle;
Ainsi, devant le tribunal, le prévenu soulève une ques-
à sa demande le Tribunal rend un juge-
ment par lequel il surseoit à statuer sur le fond jusqu'à ce
que la juridiction civile ait tranché la question préjudi-
cielle ; mais le tribunal omet d'impartir un délai au prévenu
qui s'abstient de porter la question devant le tribunal civil.
Si l'on décide que la décision ainsi rendue est avant faire

sera désarmé ;
droit et si l'article 200 C. I. Cr. s'applique, le Ministère Public
dans le cas contraire il pourra faire appel et
obtenir de la Cour la réformation de la décision quant au
délai accordé au prévenu pour saisir la juridiction civile (55).
Pour faire entrer la décision dans la catégorie des juge-
ments avant dire droit et la soumettre aux restrictions du

(55) Goyet, Commentaire du décret-loi du 8 août 1935, « Lois Nou-


velles », 1935, p. 262.
:
décret-loi, on a fait valoir le caractère général et catégo- H
rique des nouveaux textes aucune décision avant dire droit
n'y échappe. Or la jurisprudence a rangé depuis longtemps
II
parmi les interlocutoires, les jugements renvoyant devant H
les tribunaux civils pour y être statué sur des exceptions H
préjudicielles (56). Donc on ne saurait admettre ici la pos- H
sibilité de l'exercice immédiat des voies de recours. H
B
:
L'argument n'est pas aussi solide qu'il le
première vue il néglige une différence essentielle entre la H
décision qui fixe approximativement un délai pour statuer H
parait à

et celle qui sursoit indéfiniment à statuer. H


La Cour d'Aix l'a bien montré dans un arrêt du 15 H
décembre 1936 (57). En l'espèce le tribunal avait condamné H
le prévenu d'un délit de coups et blessures par imprudence, H
et alloué une provision à la partie civile, en ordonnant une H
expertise afin de fixer le quantum des dommages-intérêts H
à elle dus. H
L'affaire revient, après expertise devant le Tribunal, H
qui déclare surseoir à statuer jusqu'à ce que la victime ait H
produit ses déclarations fiscales pour l'année antérieure à H
l'accident.
La Cour d'Aix déclare l'appel de la victime recevable
le jugement qui implique l'ajournement indéfini de l'ins-
:I H

;
tance, même sous le prétexte d'être mieux informé, s'expose N
affirme-t-elle, à commettre un déni de justice cette déci-
sion équivaut à un refus de statuer ou à un débouté : elle M
I
n'a donc pas le caractère d'un jugement d'avant dire droit I
et l'article 200 du Code d'I. Crim. ne lui est pas appli- I
cable (58). I
On doit approuver cette solution de la jurisprudence I
qui, par un détour parfaitement justifié, écarte ici les textes I

1
(56) En ce sens Ch. Crim., 27 juin 1900, S., 1904.1.59; 7 avril 1933,
Oaz. Pal., 23 mai 1933; Ch. Crim., 26 nov. 1936, Gaz. Pal., 1937.1.86
(ce dernier arrêt applique l'article 416 nouveau). Voy. Donnedieu de
Vabres, « Traité Elémentaire de Droit criminel », p. 856, note 1.
(57) Semaine Juridique, 1937, p. 52.
(58) Au contraire, dans l'espèce sur laquelle a statué l'arrêt du
26 novembre 1936, le Tribunal de simple police avait sursis à statuer
pendant un délai de trois mois.
nouveaux : il est bien entendu que ceux-ci ne s'appliquent
pas aux jugements sur le fond — mais les jugements sur
le fond ne sont pas seulement ceux qui terminent l'instance

du prévenu ou un débouté de la partie civile ;


par un acquittement, une relaxe, une condamnation expresse
ce sont aussi
ceux qui équivalent irnplicitement à une solution défini-
tive sur le fond, tels celui qui surseoit indéfiniment à sta-
'tuer en ne fixant pas un délai au prévenu pour saisir la
juridiction civile d'une question préjudicielle, ou celui qui
ajourne indéfiniment, comme dans l'espèce ci-dessus, la
solution de l'instance engagée par la partie civile devant les
tribunaux répressifs.
Cependant y a-t-il lieu de classer désormais les déci-
sions des juridictions de jugement en deux catégories bien
tranchées, les avant-dire droit qui tombent sous le coup du
décret-loi et les décisions qui statuent expressément ou
tacitement sur le fond et échappent à l'application des arti-
cles 200 et 416 nouveaux.

18. —La question est embarrassante lorsqu'on pense


aux décisions dites provisoires à quel groupe les rattacher ?
A quel régime les soumettre ?
Les décisions provisoires « ont pour objet, non de met-
tre la cause en état, mais seulement de détacher du procès
un chef de demande particulièrement urgent et d'y donner
une solution convenable en attendant la solution relative à
1
l'ensemble »(59).
I Cette définition qui reproduit l'opinion unanime de la
jj doctrine (60) indique immédiatement qu'il est impossible
i

fond :
de ranger les décisions provisoires parmi les décisions sur le
le provisoire répugne au définitif, et il est de l'essence
des décisions sur le fond d'être définitives.
Il faut donc faire entrer les jugements provisoires au
nombre des décisions d'avant-dire-droit et tel est bien

(59) Dalloz, Rép. VO Jugement avant dire droit.


(60) Voy. Garraud, op. cit., t. 3, p. 564. Glasson, Morel et Tissier,
1. 3, p. 5, n" 731, Garsonnet et César Bru, t. 3, n° 622, p. 434.
l'avis de la plupart des auteurs (61). Ceci dit, il est difficile
de les ramener à l'une des catégories entrevues jusqu'ici.
Les décisions provisoires ne sont pas rendues sur l'instruc-
tion du procès comme les préparatoires et les interlocutoires
stricto sensu (62) elles se distinguent des « faux interlo-
cutoires », des autres décisions rendues sur exceptions ou
incidents en cours de procédure, par le caractère définitif
sur l'incident de ces dernières (63).
S'ensuit-il qu'elles échappent aux textes nouveaux ?
La raison de bon sens de répondre par l'affirmative a été

:
exposée par M. Garraud bien longtemps avant les décrets-
lois Les voies de recours exercées contre les décisions provi-
soires, n'ont aucune influence sur la marche de l'affaire, ne
peuvent ni la compromettre ni la retarder (64). Mais l'ar-
gument logique est-il plus fort qu'un texte d'application
"générale ?Il convient d'examiner l'attitude de la jurispru-
dence sur ce point délicat.
L'arrêt de la Chambre Criminelle du 7 mai 1937, bien
que rendu sur la recevabilité d'un pourvoi dirigé contre un

:
arrêt ayant statué en matière d'appel à une ordonnance de taxe
du juge d'instruction fournit une indication la Cour Suprê-
me emploie une formule très extensive qu'elle paraît devoir
appliquer aux pourvois exercés contre les décisions des
juridictions de jugement (65).
Attendu que si aux termes de l'article 416 du Code
«
« d'Instruction Criminelle modifié par le décret du 8 août

(61) Garraud, t. 3, p. 564. Garsonnet et C. Bru, t. 3, n° 622.


Morel, Glasson et Tissier, t. 3, p. 5, n08 730 et 731. Cependant Le
Poittevin n'a vu que deux sortes de jugements avant faire droit les:
interlocutoires et les préparatoires. C. Instr. Crim. annoté, art. 199.
n* 6.
(62) Morel, Glasson et Tissier, ibid., n° 731.
(63) Chauveau sur Carré, t. I, p. 565, note 1. Rodière, t. I, n° 246.
Garraud, t. 3, p. 564. Morel et Tissier, t. III, n° 730.
(64) Garraud, ibid., p. 564, 1°. Voir également E. F. Carrive,
Avocat Général à la Cour de Cassation, Chronique de jurisprudence,
Revue Science Criminelle, 1937, p. 502.
(65) Chambre Criminelle, 7 mai 1937, Revue Science Criminelle.
1937, p. 501 et suiv., n° 6 et dissertations de M. l'Avocat Général
Carrive précitées.
«1935, le recours en cassation contre les jugements prépa-
«raloires d'instruction ou interlocutoires ne peut être reçu
cqu'après le jugement ou l'arrêt définitif sur le fond, cette
«disposition ne saurait s'étendre aux arrêts des Chambres
«des Mises en accusation qui statuent sur opposition à une
«ordonnance de taxe ces décisions ne concourant ni à
«l'instruction de l'affaire, ni à la préparation du jugement
«sur le fond ».
Un arrêt de la Cour d'Aix du 17 mars 1937 s'était quel-
que temps auparavant exprimé dans des termes analogues
la juridiction d'appel avait à statuer sur le recours exercé
:
contre un jugement rejetant une demande de mise en liberté
provisoire (66). Pour refuser d'appliquer l'article 200 nou-

la fois d'ordre logique et pratique :


veau, la Cour d'Aix s'appuie sans doute sur un argument à
l'article 200 n'a pas pour
but de supprimer la faculté d'appeler mais d'en suspendre
seulement la réalisation jusqu'à la décision sur le fond or
son application dans l'espèce aboutirait à cette conséquence
;
que le prévenu ne serait autorisé à exercer son droit d'appel
qu'à partir du moment où cet appel ne présenterait pour
lui aucun intérêt.
Mais cet argument paraîtra bien faible lorsqu'on exa-
minera plus loin à quel résultat arrive parfois la prohibition
temporaire faite par le décret-loi aux parties quant à l'exer-
cice des voies de recours (67).
Aussi bien la Cour d'Aix (68) invoque-t-elle le motif
plus solide que l'on retrouve dans l'arrêt de la Cour de Cas-
sation du 7 mai 1937 : « Attendu qu'un jugement statuant
sur la liberté provisoire ne rentre dans aucune des caté-
gories visées par l'article 200 C. I. C. précité qu'en effet une
telle décision n'est ni préparatoire ni interlocutoire et que

(66) La question de l'application de l'article 416 nouveau ne se pose


pas ici puisque la loi du 23 mars 1935 a décidé qu'aucun pourvoi De
serait reçu contre les décisions statuant sur la liberté provisoire.
(67) Voy. infra, n° 24.
(68) Aix, 17 mars 1937, Revue de Science Criminelle, 1937, p. 601
et suiv., et la dissertation de M. Carrive. Voir également, Paris, 6 février
1936, Rev. Science Crim., 1936, p. 453 et dissertation de M. Gégout.
la demande de mise en liberté provisoire n'est pas uninci-
dent ni une exception au sens de l'article 200 car elle est
sans rapport avec la procédure, la compétence et le
fond» (69).
Ainsi qu'il l'a été très justement précisé (70), « les

sent de la poursuite elle-même :


incidents dont il s'agit dans l'article 200 sont ceux qui nais-
compétence, nullité de la
procédure, exception de toute nature. Les questions de
détention ou de liberté n'ont pas le même caractère, elles ne
dérivent pas au même titre de la question de fond soumise
au tribunal. Elles n'influent pas de la même façon sur la
décision du fond. C'est une autre difficulté parallèle à la
poursuite, plutôt qu'un incident de la poursuite elle-même.
Pour priver un détenu du recours normal que lui assure le
principe du double degré de juridiction, il faudrait un texte
plus impératif et plus précis que celui du décret-loi du 8
août 1935 » (70 bis).
19. — Il y a cependant certains jugements provisoires

:
qu'il serait difficile de caractériser comme n'ayant aucun
rapport avec la procédure et le fond telles sont les déci-
sions statuant sur la liberté surveillée par application de
l'article20 de la loi du 22 juillet 1912. En vertu de ce texte
il est permis au juge de ne pas résoudre immédiatement la
question du discernement du mineur de 13 à 18 ans qui est
l'auteur d'un fait tombant sous le coup de la loi pénale. Le
juge pourra fixer un délai d'épreuve pendant lequel le mi-
neur sera placé sous le régime de la liberté surveillée à
l'expiration de ce délai il statuera définitivement sur l'ac-
:
quittement pour défaut de discernement ou, dans le cas
contraire, sur la condamnation.
La Cour de Cassation déclare qu'une pareille décision,
bien qu'ayant un caractère provisoire, n'est pas une décision

(69) On serait tenté de voir dans un arrêt de la Chambre Criminelle


du 3 août 1937 (S., 1937.-1-396), une solution contraire. Mais il s'agissait
en l'espèce d'une décision fixant une provision et refusant une expertise,.
elle avait un caractère interlocutoire indiscutable.
(70) Gégout, dissertation sous Paris, 6 février 1936 précité.
(70 bill) Gégout, dissertation sous Paris, 6 février 1936. procité.
d'avant dire droit : c'est une décision sur le fond, et par
suite susceptible d'appel immédiat du Ministère public (71).
Cette solution n'est pas sans soulever des critiques :
tères qui s'excluent :
elle équivaut à reconnaître à la décision visée deux carac-
le caractère de décision provisoire et
celui de décision sur le fond. En réalité la jurisprudence
semble faire une confusion entre les dispositions de l'article
20 de la loi de 1912 et celles de l'article 66 du Code Pénal,
modifié par cette même loi et permettant au juge qui a ac-

sous le régime de la liberté surveillée :


quitté le mineur pour défaut de discernement, de le placer
dans ce dernier cas,
en effet, il s'agit bien d'une décision sur le fond, le juge

ment:
n'ayant plus le droit de revenir sur la question du discerne-
au contraire, dans le cas qui nous occupe, il s'agit
d'un sursis à statuer pendant un délai d'épreuve. La ques-
tion de fond reste donc entière. D'autre part, la décision
provisoire est très liée à la procédure et au jugement défi-
nitif sur le fond puisque c'est le délai d'épreuve qui permet-
tra au juge de s'éclairer sur la question de discernement. On
ne saurait la considérer autrement que comme une décision
d'avant dire droit qui tombe sous l'empire des textes nou-
veaux.
20. — Il arrive cependant qu'une décision ait à la fois
un caractère provisoire, préparatoire ou interlocutoire, et
définitif sur le fond. Tel par exemple l'arrêt qui prononce
une condamnation pour blessures par imprudences, et qui,
statuant sur l'action civile, détermine la part de responsa-
bilités du prévenu et de la victime, alloue à celle-ci une
provision et ordonne une expertise (72). Cet arrêt est défini-

civile et pénale de l'inculpé ;


tif sur le fond quant à la détermination de la responsabilité
il a un caractère de décision
préparatoire et d'instruction en ce qui concerne l'évaluation
par expertise médicale du dommage causé à la victime
enfin il se détache du reste de la procédure en ce qu'il fixe
;
au profit de la victime une provision.

(71) 1" mai 1936, D. Hebd., 1936, p. 301.


(72) Ch. Crim., 4 mars 1938, Gaz. Pal., 1938, 1" sem., p. 844.
La Chambre criminelle ne semble s'arrêter qu'au carat- j
tère en quelque sorte dominant de décision sur le fond, de
cet :
arrêt
tage de la ;
il emporte chose jugée sur le principe et le par.
responsabilité le fait que la discussion
B
resteB
1

possible sur le quantum du dommage, n'empêche pas que le


pourvoi soit immédiatement recevable et échappe à l'article B
416 nouveau. B
21. — Ainsi, dès la promulgation de ces textes se des.
sine, selon le rythme historique retracé plus haut, un cou.
rant jurisprudentiel qui s'efforce d'en réduire le domaine
j
d'application, lorsqu'ils paraissent trop ouvertement aller wÊ
à l'encontre des prérogatives de la liberté individuelle ou
;
des droits du Ministère Public. On élargit notamment
notion de jugements sur le fond ou bien on essaie d'insi. B
la
nuer que les deux notions de jugement sur le fond et de B
;
jugements d'avant dire droit ne sont point complémentaires m
l'une de l'autre une décision n'est pas avant dire droit dès

fond:
lors qu'elle ne peut être assimilée à une décision sur le
entre les premières et les secondes il y a des décisions M
à caractère provisoire qui se détachent de la procédure et
ne peuvent constituer des incidents lato sensu — là est N
semble-t-il le sens de l'arrêt d'Aix du 17 mars 1937. a
Mais à quoi bon se livrer à cette exègèse tendancieuse de t
textes suffisamment précis, lorsque la restriction qu'ils posent t
au droit d'interjeter appel ou de se pourvoir en Cassation est a
simplement temporaire ?
On peut répondre sans doute, pour justifier la juris-
prudence, que l'appel de certaines décisions provisoires ne
présente guère plus d'intérêt pour l'appelant lorsque la déci-
sion sur le fond est rendue (73). Il y a lieu surtout de se
demander ce qu'il faut entendre exactement par le caractère
temporaire des restrictions nouvelles à l'exercice des voies
de recours.
22. — Ici encore, l'interprétation du décret-loi soulève
quelque difficulté.
Pas plus que la loi de Brumaire an II et le décret de
Brumaire an IV, les décret-lois n'ont entendu priver les
justiciables du droit d'interjeter appel ou de se pourvoir,
en cassation, mais ils ont fixé un délai pendant lequel
l'exercice de ces voies de recours est impossible — la période
des débats sur le fond. Sitôt la décision sur le fond rendue
l'appel ou le pourvoi sont en principe, recevables.
L'article 416, le précise, qui déclare que l'exécution
volontaire des décisions d'avant dire droit ne pourra être
opposée comme fin de non-recevoir — formule reproduite
par tous les textes en la matière depuis l'ordonnance de
1670.

23. — Mais les articles 200 et 416 contiennent un alinéa


final qui paraît apporter une première restriction au prin-
cipe.
Dans tous les cas, disposent les textes, la partie qui aura
manifesté sa volonté d'appeler ou de se pourvoir dans les
délais légaux, conservera le droit de renouveler son appel
ou son pourvoi après la décision sur le fond.
Jadis, sous l'empire des articles 451 et 452 C. Proc Civ.,
les auteurs discutaient sur le point de savoir si l'on pouvait
en appelant d'un jugement définitif, appeler en même
temps du jugement interlocutoire qui l'a précédé et dont le
résultat forme la base de la décision, lorsque dans l'inter-
valle on a acquiescé à celui-ci, soit en l'exécutant volontai-
rement, soit en laissant écouler, sans l'attaquer, l'es trois
mois qui en ont suivi la signification à personne ou à domi-
cile. (74).
La jurisprudence répondait affirmativement : les par-
ties, disait-elle, n'ont que la faculté d'interjeter appel,
avant le jugement sur le fond des interlocutoires. La règle,
c'est que le délai d'appel ne court que du jour du jugement
sur le fond (75).
Aujourd'hui, une question toute différente se pose
l'appel et le pourvoi immédiat et isolé des décisions d'avant-
:
(73) Supra, n° 18.
(74) Merlin, Rop, V. Interlocutoire, n" 1 à III.
(75) Req. 27 Janvier 1818 cité par Merlin, Rep. ibid. Voir aussi
Vigeau, « Traité de la Procédure Civile », Liv. 2, part. 4, titre I.
dire-droit est provisoirement irrecevable ;
mais aux
des textes nouveaux, le droit de renouveler l'appel ou leld
termesB
q

pourvoi interjeté contre ces décisions à l'époque où ilg f


deviennent recevables, c'est-à-dire après le jugement sur
fond, est subordonné à la manifestation de volonté des par-1
le
ties d'appeler ou de se pourvoir dans les délais légaux.
Si donc la partie qui sait d'ores et déjà son appel ou son
pourvoi pour l'instant irrecevable, attend le jugement sur le
fond pour appeler ou se pourvoir contre la décision d'avant H
?
dire droit, le pourra-t-elle encore Le décret-loi, autrement M
dit, oblige-t-il les parties à exercer les voies de recours dans II
les délais légaux (76) et à peine de déchéance de leur droit
d'appeler et de se pourvoir en Cassation, alors qu'elles savent M
parfaitement que les voies de recours leur sont temporai- I
rement fermées. I
On répondra par l'affirmative si l'on s'en tient au mot I
« »
renouveler contenu dans le texte ; nous ne croyons pas
cependant qu'il faille attacher une importance par trop I
I

ment, le législateur :
grande au vocabulaire dont se sert, parfois un peu légère-
elle serait véritablement paradoxale,
cette obligation faite aux parties de commencer immédia-

moment de la décision sur le fond :


tement une procédure, laquelle n'aboutira pas avant le
mais il reste que la
manifestation de la volonté d'appeler ou de se pourvoir dans
les délais légaux est imposée aux parties, faute de quoi elles
seront déchues du droit d'exercer les voies de recours (77).
24. — La jurisprudence n'a pas eu encore à notre con-
naissance, à se prononcer sur cette première réserve, qui

l'irrecevabilité des appels et des pourvois ;


doit, à notre sens, être apportée au caractère provisoire de
il en est une
autre bien plus sérieuse encore. A supposer que les parties
aient manifesté leur volonté d'appeler'ou de se pourvoir
dans les délais légaux contre la décision d'avant-dire-droit,
1
(76) Délais partant du jour de la signification de la décision »vant-
dire-droit et non du jour de la signification de la décision sur le fond. I

(77) Il est probable que la Cour de Cassation sera très large quant à 1

la détermination des formes de cette manifestation de volonté. Voy. ¡ufis-


Classeurs, V. Pourvoi en Cassation, Faso. 111-4-1936, p. 10.
que se passera-t-il si, à l'époque où l'appel et le pourvoi
deviennent recevables, c'est-à-dire après le jugement sur le
fond, les intéressés ne s'en prennent qu'aux décisions avant-
dire-droit, en s'abstenant d'exercer les voies de recours
?
contre la décision sur le fond
En d'autres termes, le seul fait qu'il a été statué au
fond, suffit-il à rendre recevable le recours contre les déci-
sions avant-dire-droit, ou faut-il encore que la décision sur
fe fond soit elle-même frappée d'appel ou de pourvoi ?
La réponse présente un grand intérêt pour les parties
parfois celles-ci n'ont aucun moyen sérieux à opposer à la
:
1
décision sur le fond, mais leur recours contre la décision
1 avant-dire-droit est très fondé en droit ; et si l'intéressé est
1
déchu de son droit d'exercer la voie de recours contre la

décision sur le fond, convient-il de décider que cette déchéan-
ce atteint la décision d'avant-dire-droit?
Il semble qu'aucune hésitation ne soit possible en
matière d'appel, étant donnés tes termes formels de l'article
200 qui déclare que l'appel contre les décisions incidentelles
ne pourra être formé qu'après et en même temps que l'appel
contre le jugement sur le fond.
Mais la solution est plus douteuse en matière de pourvoi,
, l'article 416 n'ayant pas reproduit la formule de l'article 200.

question dans l'espèce suivante :


La jurisprudence a eu à trancher tout récemment la

Un individu condamné pour abus de confiance, décline en


appel la compétence de la Cour. Celle-ci passe outre au décli-
natoire et statue sur le fond comme le lui permet l'article 416
nouveau. L'inculpé est condamné à huit mois de prison.
Il se pourvoit en cassation contre l'arrêt sur le fond et
contre l'arrêt sur la compétence.
Cependant, dispensé par la Cour de se mettre en état

ce versement :
moyennant le versement d'une caution, il néglige d'effectuer
par suite il est déclaré déchu de son pourvoi
contre l'arrêt de condamnation, en vertu de l'article 421, al. 1"
du Code d'Instruction Criminelle.
Mais l'est-il également pour ce qui est de l'arrêt rendu
sur la compétence ?
La Cour deCassation, le 6 février 1937, répond par l'affir-
mative (78). I
«Attendu que cette déchéance ayant donné à l'arrêt sur H
« le fond l'autorité de chose jugée, rend sans intérêt l'exa- "les
c men des pouvoirs formés contre les arrêts avant-dire- ppc
droit. «voi,
« ».
Cette solution a soulevé une grave critique : elle équi-
vaut a-t-on dit (79) à imposer à celui qui veut se pourvoir en

:
r
B*0oU

t
Cassation contre une décision avant-dire-droit, une obligation BL,
que le législateur s'est abstenu de lui imposer l'obligation de dir
se pourvoir au préalable contre la décision sur le fond..
Mais il faut bien reconnaître que la Cour de Cassation BaU

adopte :
est amenée par une nécessité logique à la solution qu'elle
il y a lieu de rappeler ici la règle de la symétrie entre
l'exercice de l'appel et celui du pourvoi, symétrie que consa-

le
db
cre le décret-loi, que reconnaît la jurisprudence, même lors-
que les formules des articles 200 et 416 ne coïncident pas
expressément — on ne saurait, répétons-le, rompre cette Bh
e
symétrie, en faveur du pourvoi dont l'accès ne doit en aucun
B
1
cas devenir plus facile que celui de l'appel. Un autre argu-
ment de raison justifie en outre la solution de la Cour de Cas-
sation : comment comprendre que l'arrêt avant-dire-droit sur H
la compétence de la Cour pourrait être discuté et risquerait H
d'être annulé, alors que la Cour a déjà statué sur le fond et H
que sa décision a acquis autorité de chose jugée? B
Cette délicate question indique qu'une disposition qui B
interdit l'exercice immédiat des voies de recours contre les B
décisions d'avant-dire-droit, bien qu'elle n'ait qu'un caractère M
provisoire, peut aboutir à priver les intéressés de leur droit M
même de se pourvoir en Cassation contre ces décisions. I
Mais nous verrons maintenant que le contrôle général de I
l'exercice des voies de recours, établi par le législateur, peut I
lui aussi aboutir à une semblable conséquence. I
I
(78) Gaz. Pal., 1937-1-757. Voyez aussi la dissertation do M. Carrive
sur cet arrêt, Rev. Science Crim1937, p. 303-304. I
(79) Carrive, ibid.
§ 2. — LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ DE L'APPEL
ET DU POURVOI

Tribunal ou de la Cour, aux termes


25. — Le greffier du
f:es textes nouveaux, dressera procès-verbal du refus qu'il
ppose à la transcription de la déclaration d'appel ou de pour-
voi, dans tous les
cas où la loi prescrit que l'appel ou le
pourvoi ne sera pas reçu.
La formule du décret-loi indique que si les restrictions
apportées par le législateur au droit d'interjeter appel ou
de se pourvoir en cassation sont limitées aux décisions d'avant-
dire-droit, il en est tout autrement de l'innovation capitale
iintroduite dans notre procédure pénale, de ce pouvoir conféré
au Greffier d'examiner la recevabilité de l'appel ou du pourvoi
déposé entre ses mains. « Sur ce point, écrit M. Magnol (80),
;le texte est très général et ne se réfère pas seulement aux cas
d'irrecevabilité établis par les alinéas précédents. Il semble
,,'

bien dès lors que le greffier devra refuser de transcrire la


déclaration d'appel toutes les fois que l'appel n'est pas rece-
vable, non seulement en vertu du nouveau principe s'il s'agit
d'un appel immédiat contre un jugement statuant sur un inci-
dent, mais encore si l'appel est dirigé contre un jugement sur
le fond, et s'il est irrecevable pour tout autre motif, par
exemple parce qu'il est formé par une personne sans qualité
ou après l'expiration du délai imparti (81). »
Le contrôle du Greffier, si étendu que soit son domaine,
paraît pourtant doublement limité si l'on considère les effets
de sa décision.

pourvoi il commette une erreur :


Supposons qu'en recevant la déclaration d'appel ou de
la décision attaquée était
manifestement une décision d'avant-dire-droit contre laquelle
les voies de recours ne sont pas encore ouvertes. S'ensuit-il
que la transcription de la déclaration d'appel ou de pourvoi
aura pour effet de suspendre les débats sur le fond ?
11
(80) Supplément à la 8e édition du Cours de Droit Criminel et de
Science pénitentiaire de MM. Vidal et Magnol, p. 24, n" 41.
1 (81) Les règles sont les mêmes pour le pourvoi, Magnol, op. cit.,
n° 47, p. 27.
On ne peut le soutenir, en présence des textes formels de l
:
la loi les décisions d'avant-dire-droit ne sont plus suscepti. fl
;
bles d'appel ou de pourvoi isolé donc il faut décider que IcâS
articles 203 et 373 du Code d'Instruction Criminelle qui visent H
l'effet suspensif du délai et de l'instance en appel et en pour- H
voi, ne s'appliquent plus aux décisions d'avant-dire-droit (82,
Le refus du greffier de transcrire la déclaration d'appel
ou de pourvoi n'a pas des conséquences plus absolues que son
acceptation. Les parties ont, en effet, aux termes de la loi,
24 heures pour en appeler de son refus par simple requête,
devant le Président du Tribunal ou le Premier Président de K<
la Cour d'Appel (83). Le greffier sera alors tenu de recevoir
l'appel ou le pourvoi si l'injonction lui en est faite par ce I]
magistrat. H
Le greffier, lorsqu'il refuse ou accepte de transcrire ces M

juridiction:
déclarations, ne fait pas acte d'autorité, n'exerce point de
il remplit son rôle de gardien de la recevabilité B

:
des voies de recours, il obéit à la loi (84). Le rôle du magis- B
trat est tout autre il statue sur une requête du justiciable
qui proteste contre le refus du greffier de recevoir sa décla- I
ration d'appel ou de pourvoi. C'est lui qui est le véritable juge I
provisoire de la recevabilité de ces voies de recours, puisqu'il I
peut contraindre le greffier à transcrire les déclarations ou
refuser de faire droit à la requête des intéressés.
26. — La décision du magistrat a-t-elle autorité de chose
jugée à l'égard de la juridiction de jugement qui pourra
avoir ultérieurement à se prononcer sur la recevabilité de
l'appel ou du pourvoi ? Le Président du Tribunal ou de la
Cour tranche-t-il souverainement et sans recours le conflit
élevé entre le Greffier et le justiciable ?
(82) Goyet, « Commentaire du décret-loi du 8 août 1935. Lois Nou-
velles », 1935-1, p. 266.
(83) Le président du tribunal est compétent en matière d'appel (art.
;
200). En matière de pourvoi en cassation la requête de l'intéressé est
portée devant le Premier Président de la Cour d'Appel lorsqu'il s'agit
d'un jugement rendu sur appel de simple police, au Président du Tribunal
de Première Instance.
(84) Goyet, op. oit., p. 264.
Le décret-loi est muet sur ces questions. Se les poser
revient, de l'avis de certains auteurs, à se demander quelle
est la nature de l'acte du magistrat appelé par les nouveaux
textes à résoudre la difficulté provenant du refus du greffier
de transcrire les déclarations d'appel ou de pourvoi, et de l'in-
sistance des parties à réclamer le droit d'exercer ces voies de
recours.
La procédure civile connaît en effet une distinction entre

:
les actes dits de juridiction gracieuse et ceux de juridiction
contentieuse le juge n'exerce, à l'occasion des premiers
qu'un pouvoir d'administrateur (85) ; les seconds seuls sont

;
de véritables jugements émanant du pouvoir juridictionnel des
magistrats à eux seuls s'attache l'autorité de chose jugée et
l'ouverture des voies de recours (86).

;
Cette distinction est transposée dans le domaine qui nous
intéresse
;
la décision du magistrat n'a certainement pas, dit-
on, autorité de chose jugée elle ne comporte aucun recours;
elle ne saurait donc être comparée à une décision de référé et
ressemble bien à un acte de la juridiction gracieuse (87).
Nous ne croyons pas que cette opinion soit à l'abri de
toute critique.
Et tout d'abord, sommes-nous bien en présence d'un
acte de la juridiction gracieuse ?
27. — Pour répondre par ouiou par non à la question,

;
il faudrait pouvoir fixer un contenu certain à ces notions de
juridiction contentieuse et de juridiction gracieuse or, lors-
qu'on essaie de les définir, on s'aperçoit bien vite de l'impréci-
sion de cette terminologie, tant dans la doctrine que dans les
décisions de la jurisprudence.
Il y a des auteurs, que les arrêts ont parfois suivi, qui
trouvent le critère de l'acte de juridiction contentieuse, dans

(85) Voy. infra, n° 27.


(86) Dans ce sens Glasson dans une série de notes publiées au Dallol,
1885-2-217, 1887-2-17, 1892-2-49, 1896-1-5. M. Magnol, « Deuxième
Supplément au Cours de Droit Criminel précité, p. 24 et 25, paraît bien
partager cette opinion. V. également Goyet, op. oit., p. 265.
(87) Magnol, p. 24 précitée.
l'existence de débats contradictoires (88) ou même dans la
production d'un contradiction, avant son prononcé (89). Si
l'on admet cette théorie, on devra soutenirque l'acte du
magistrat que visent les articles 200 et 416 du Code d'Instruc-
tion criminelle, est de juridiction gracieuse (90).
C'est l'absence de débats contradictoires et l'impossibilité
d'en instituer qui fait toute la différence entre la procédure
prévue par le décret-loi et celle de référé, alors même que les
deux procédures se rapprochent par leur caractère sommaire
et leurs formes expéditives (91).
Mais outre que le critère de la juridiction contentieuse
reposant sur la contradiction effective, ou produite, ou seule-
ment provoquée (92), a été repoussé par plusieurs auteurs (93),
et souvent rejeté par la jurisprudence (94), on peut se
demander s'il est permis de parler en matière pénale d'actes
de juridiction gracieuse. Ne doit-on pas admettre avec
M. Garraud que les analogies entre la procédure civile et la
procédure pénale ne sont qu'apparentes, les différences
entre ces deux disciplines substantielles (95) ? Le procès

pénal est toujours dominé par l'intérêt public ;


civil met en jeu le plus souvent des intérêts privés, le procès
le procès
civil a un caractère objectif, c'est-à-dire, qu'arbitre entre
deux intérêts privés, le juge doit dire le droit en faisant pres-
que constamment abstraction de la personnalité des plai-
deurs (96) ; le procès pénal au contraire a un caractère sub-
jectif : il est dirigé « contre un individu déterminé, l'inculpé

(88) Glasson, notes au Dalloz précitées. Voy. Dolloz, Rep. Prat. Ver-
bis.Jugements et arrêts, n° 5.
(89) A. Henry, «Nature et portée des décisions judiciaires en
matière gracieuse », thèse, Nancy, 1913, p. 99 et p 101. Ch. Civ., 6 nov.
1921, S., 1922, Sômm. 1-8-19 juin 1923, D., 1926-1-8. Voy. la note rl~
M. A. Chéron, Professeur à la Faculté de Strasbourg sous Paris, 20
novembre 1928, D., 1932-2-44.
(90) Cf. MagnaI, op. cit., p. 24.
(91) V. Leloir, D. Hebd" Chron., 1986, p. 23.
(92) Chél'on';'- note au Dalloz précitée.
(93) Voy. notamment Chéron, note précitée et Glasson Tissier et
Morel, op. oft., t. I, ne 12, p. 32 et B.
(94) Civ., 5 août 1907, S., 1911-1-168 et note Tissier sous S., 1891-
2-57.
(95) Garraud, « Inst. Crim. », t. I, p. 6-7.
(96) Garraud, ibid.
7), dans l'intérêt de la société qui recherche, pour le punir,
nteur. d'une infraction ».
Dans ces conditions, il est loisible à la doctrine de consi-
jrer comme de juridiction gracieuse les actes par lesquels
juge civil exerce en dehors de tout litige des pouvoirs de
statations, de protection, de tutelle ou de contrôle qui
èrent à des intérêts privés (98), ou même certains actes,
les les ordonnances sur requête par lesquels il ordonne,

'un litige, des mesures d'urgence ;


utorise ou refuse sans contradiction, bien qu'à l'occasion
il est beaucoup plus dis-
table de vouloir assimiler à ces décisions l'ordonnance du
ge répressif qui enjoint au greffier de recevoir la décla-
ation d'appel ou de pourvoi ou qui rejette la requête du
ustitiable sur le refus du greffier de transcrire ces déclara-
ions. Là, le juge exerce, non point son pouvoir de juge
ais son pouvoir d'administrateur (99) : il « ne résoud pas
n litige suivant la rigueur du Droit », mais se laisse guider
ar « des considérations de prudence et d'opportunité »
(100) ;
ci, il exerce
un véritable pouvoir de juridiction, il examine
t tranche un point de droit à savoir si l'on se.trouve en

résence d'un de ces cas — parfois nous avons pu le remar-


uer, assezdélicats à délimiter — où la loi prescrit que l'appel
u le pourvoi ne seront pas reçus.
Et les conséquences de sa décision peuvent être graves,
u regard des intérêts de l'accusation ou de la défense. On
e saurait établir d'analogie entre une pareille décision et
'ade d'administration d'un juge civil. Il convient plutôt de
approcher celle-là des ordonnances rendues pendant une
récédente étape du procès pénal au cours de l'instruction
rêparatoire, ordonnance de soit informé ou de refus d'infor-

;
er, rendues par le Juge d'instruction sur réquisition du
Finistère Public ordonnance prononçant sur la requête de

(97) Garraud, ibid.


(98) Glasson, Tissier et Morel, op. ait., 3" éd., t. 3, n° 995.
(99) Loyseau disait déjà que ces actes « esquels reluit et paraît l'au-
lorité et puissance du magistrat sont dits esse magis imperii quam juris-
dictionis
», « Des Offices », Liv. 1, ch. V, n° 45, cité par Planiol note
IJ., 1906-1-337
sous Civ., 25 octobre 1905.
(100) QlassQD, Tissier et Morel, op. oit., p. 568.
l'inculpé sa mise en liberté provisoire, ou prolongeant sa
détention préventive en vertu des articles 113 et suivants
du Code d'Instruction Criminelle — ordonnances de soit
communiqué, de renvoi et de non lieu. Depuis que la loi du
17 juillet 1856 a transféré au Juge d'instruction les attribu-
tions de la Chambre du Conseil, nul n'a songé à nier le carac-
tère juridictionnel et non administratif de tels actes, bien
qu'ils soient effectués sans contradiction (101).
L'adoption d'un deuxième et différent critère des actes de
juridiction contentieux, supprime au surplus la difficulté.
Toute une doctrine assez récente qui tend à réduire le
domaine de l' « imperium » du juge au profit de sa « juris-
dictio » soutient que ce n'est point l'absence de contradiction
mais l'absence de litige qui caractérise l'acte gracieux.

:
Dès lors qu'il y a litige, contestation, que la mesure à
prendre s'y rattache, elle est contentieuse elle ne perd point
son caractère contentieux pour être ordonnée sans contra-
diction (102).
Cette opinion, consacrée par des décisions de jurispru-
dence (103), place sans aucun doute l'acte du juge répressif
qui accueille ou rejette la requête présentée par le justiciable
contre le refus du greffier de recevoir son appel ou son pourvoi,
parmi les actes de juridiction contentieuse. Comment pourrait*
on soutenir que la mesure par laquelle le juge octroie ou
refuse aux parties le droit d'exercer les voies de recours contre
une décision qui leur est préjudiciable, ne se rattache point
au procès répressif ?
Une nouvelle difficulté surgit cependant :
les décisions
contentieuses qui sont seules de véritables jugements, ont
l'autorité de chose jugée, et une jurisprudence bien établie
refuse au contraire cet attribut aux actes de juridiction gra-

(101) Voy. D. de Vabres, op. cit., p. 778 et 6.


(102) Glaçon, Tissier et Morel, op. cit., t. I, p. 35 et 36, n° 12.
requêtes thèse, Dijon, 1902, 123; Garsonnet et
«
Rapprocher Cazalins, notes D., 1875-2-73-105-137; Baudin,. Ordonnances
G. Bru, Traité
sur », p. «
..de Procédure », 3e éd., t. I, n° 64, t. 8, n° 136 et Chéron, note au Dalloz
précitée.
(103) Ch. Civ., 5 août 1907 précité. Civ., 19 juin 1923, D., 1926-1-8.
cieuse (104). Or la logique s'oppose à ce qu'autorité de chose

ou
ce
de la Cour
magistrat
dont
ne
il
saurait
s'agit
lier
:
jugée soit accordée à la décision du Président du Tribunal
une injonction au greffier par
la juridiction de jugement qui
aura à statuer le moment venu sur la recevabilité des voies de
recours (105). On est donc forcé de conférer à l'acte en

L'objection n'est pas sans réponse :


question le statut des actes de la juridiction gracieuse.
encore une fois il
convient, croyons-nous, de ne pas raisonner par analogie avec
les règles de la procédure civile dans un domaine tout diffé-
rent. Mieux vaut chercher dans la procédure pénale elle-même,
des rapprochements plus exacts. On pense alors immédiate-
ment à l'ordonnance de renvoi du Juge d'instruction. Par
elle, le magistrat qualifie le fait délictueux, prend position
à l'égard des exceptions soulevées devant lui, se prononce sur
la compétence de la juridiction de jugement.
Sur tous ces points, et bien que le caractère juridictionnel
de l'ordonnance ne soit pas discuté, cette dernière n'a pas
l'autorité de chose jugée (106) en ce sens qu'elle ne lie point
la juridiction de jugement.
Il est difficile, on le voit, de parler en matière pénale de
juridiction gracieuse, au sens classique du mot, il est encore
plus malaisé de délimiter ici des frontières, déjà bien impré-
cises en procédure civile.
28. — Le voudrait-on toutefois, et s'obstinerait-on à qua-
lifier d'acte de juridiction gracieuse l'ordonnance sur requête
prévue par les articles 200 et 416 nouveaux, qu'il serait
imprudent d'en déduire le caractère souverain et sans recours
de l'acte en question. C'est qu'en effet le point de savoir si
les décisions de la juridiction gracieuse sont susceptibles de
voies de recours, a soulevé de nombreuses discussions et ne
parait point tranché ni par la doctrine ni par une jurispru-
dence assez hésitante.

L-224;(104) Civ., 10 février 1892, S., 92-1-140; Req., 3 mai 1897, D., 97-
Civ., 30 juin 1919, D., 1923-1-225; 31 janvier 1922, S., 1923-1-118.
(105) En ce sens Magnol, op. oit., p. 25, n° 41.
(106) V. Donnedieu de Vabres, op cit., p. 889, n° 1537. Rép. Prat.
Dalloz, VO Chose jugée, n08 281 et suiv.
Il a été soutenu que la juridiction gracieuse est exclusive
de toutes voies de recours, car elle n'implique point de juge.
ment à proprement parler, et des voies de recours comme
l'opposition et l'appel ont pour but essentiel de réformer le
mal jugé (107).
Mais cette opinion a été vivement critiquée :
elle semble
a-t-on dit, établir entre l'idée de chose jugée et l'idée de voie
de recours un lien indissoluble (108), et ne repose au demeu-
rant sur aucun texte de loi (109).
Planiol a démontré que les voies de recours qui servent
à réformer le mal jugé pourraient avoir une autre fonction
à remplir, modifier les actes d'autorité tout comme le recours
gracieux ou le recours hiérarchique que connaît le droit admi-
nistratif (110).
Allant plus loin, des auteurs ont affirmé que les voies
de recours « doivent être admises au profit du requérant
soit quand sa requête n'est pas admise, ou quand elle est
admise avec des restrictions, soit quand il se plaint de la
violation de la loi ou des formes dans le jugement qui lui
»
fait grief (111). Au cas où le requérant proteste contre le
rejet total ou partiel de sa demande, dit-on, il s'agit moins
d'un appel proprement dit que d'une sorte de recours hiérar-
chique et administratif — mais quelque nom qu'on lui donne,
un recours est nécessaire.
Dans le deuxième cas, il s'agit pour le requérant d'obtenir
le respect de la loi ou des formes qui ne s'impose pas moins
en matière gracieuse qu'en matière contentieuse (112).

(107) Glasson, notes au Dalloz précitées. Bertin, « Ordonnances sur


requête », nOS 83 et s. Chambre du Conseil, 29 éd. N08 51 et s. Chauveau
I,
sur Carré, op. cit., t. p. 465.
(108) Planiol, note au Dalloz, 1906-1-338.
(109) Garsonnet et Cés. Bru, op. cit., t. 8, n° 163, p. 338.
(110) Planiol, note précitée. Henry, op. cit., p. 141. Glasson, Tissier.
Morel, op. cit., t. 3, n° 995.
(111) Glasson, Tissier et Morel, t. 3, p. 566 et s. Dans le même sens,
A. Chéron, note au Dalloz précitée, 1932-2, p. 46.
(112) Glasson Tissier et Morel, op. oit., p. 566. MM. Garsonnet et

en matière de juridiction :
César Bru ont également reconnu la recevabilité du recours en Cassation
gracieuse le recours en Cassation écrivent-ils
dedroit commun, en ce sens qu'aucune juridiction n'échappe à la censure
est

la
de Cour suprême chargée de ramener tous les tribunaux à l'observation
La jurisprudence de son côté, paraît, comme l'indiquait
déjà Planiol en 1906, contradictoire et incertaine.
Sans doute elle pose souvent en principe que les déci-
sions gracieuses, n'ayant pas autorité de chose jugée, ne sont
pas susceptibles de voies de recours (113).

absolue:
Mais elle n'applique nullement ce principe d'une façon
y échappe, semble-t-il, le seul requérant dont la
demande a été rejetée ou qui se prétend lésé par une décision
rendue sur requête et sans contradiction (114). Lui, aura
le droit d'appeler et de se pourvoir en cassation.
Enfin les auteurs qui estiment nécessaire l'ouverture d'un
recours hiérarchique et administratif et du pourvoi pour
violation de la loi et des formes, en matière gracieuse, font
remarquer que le législateur lui-même dans des textes assez
nombreux (C. Proc. Civ., art. 746, 858 ; C. Civ., art. 99 ; loi
du 27 juillet 1917, art. 8 ; loi du 30 juin 1838, art. 38 ; loi
du 27 fév. 1880, art. 2) a montré que le droit d'appel n'a
rien d'inconciliable avec le caractère de la juridiction gra-
cieuse (115).

29. — Aussi bien, la Chambre Criminelle de la Cour de


Cassation, lorsqu'elle a eu assez récemment à statuer sur le
caractère souverain ou non de l'ordonnance du Président du
Tribunal ou de la Cour, s'est abstenu de prendre parti sur
la nature contentieuse. ou gracieuse de l'acte en question.
En l'espèce, les parties avaient vu leurs deux demandes
de récusation rejetées par le Tribunal Correctionnel. La Cour
s'était prononcée pour l'irrecevabilité des appels interjetés
contre ces jugements. Les parties, devant le refus du greffier

des lois et d'assurer l'unité et la fixité de la jurisprudence », t. 8, 2* éd.,


p. 254 et 255, § 2.973.
(113) Voy. Req., 10 juin 1874, D., 75-1-309; Civ., 8 juillet 1918, D.,
1921-1-81; 16 nov. 1921, D'., 1924-1-54; Paris, 20 novembre 1928, D.,1932-
2-44 et les nombreux arrêts cités par M. Chéron dans sa note précitée
sous ce dernier arrêt.
(114) Civ., 24 nov. 1897; D., 98-1-365; 25 fév. 1907, S., 1910-1-551;
Req., 22 juillet 1920, D., 21-1-139, S., 1921-1-81 note A. T. Civ., 18 juil.
let. 1933, D. ffebd., 1933, p. 505.
(115) Voyez note A. T. sous Req. 22 juillet 1920 précité.
1
de la Cour, de recevoir leurs pourvois contre ces arrêts, usèrent
de la procédure instituée par le décret-loi du 8 août 1935.
Mais le premier Président de la Cour d'Appel refusa
d'adresser au greffier l'injonction prévue par la loi.
La Chambre Criminelle déclare irrecevable le pourvoi des
parties contre cette ordonnance, pour le motif que « le décret-
loi est demeuré muet sur la possibilité d'exercer une voie
de recours contre l'ordonnance à intervenir et que la volonté
du législateur de n'en point instituer résulte de ce qu'il a
à
conservé la partie qui a marqué son intention de se pourvoir
contre un arrêt ou un jugement dans les délais légaux, le
droit de renouveler son pourvoi après la décision définitive
sur le fond (116).
Ainsi la Chambre Criminelle, pour déclarer l'ordonnance
souveraine et sans recours, se borne-t-elle à interpréter le
silence de la loi et le caractère provisoire de l'irrecevabilité
des voies de recours contre les décisions d'avant dire droit.

30. — Il est permis de ne point penser que le silence de


la loi constitue un argument irréfutable en faveur de la thèse
défendue par la Cour Suprême.
Le double degré de juridiction, la mission régulatrice du
droit de la Cour de Cassation, sont des principes fondamen-
taux communs d'ailleurs à la procédure civile et à la procé-
dure pénale.
L'article 199 du Code d'Instruction Criminelle le rappelle,
qui déclare que les jugements rendus en matière correction-
nelle pourront être attaqués par la voie de l'appel. De même
l'article 407, aux termes duquel le recours en cassation peut
être formé, dans les cas prévus par la loi, contre tous juge-
ments ou arrêts rendus en dernier ressort, c'est-à-dire non
susceptibles d'appel.
La loi a parlé chaque fois qu'elle a voulu, par une déro-
gation à ces principes, exclure les voies de recours. C'est ainsi
que l'article 118 du Code d'Instruction Criminelle décide
qu'aucun pourvoi ne sera reçu contre les décisions statuant

(116) Ch. Crim., 23 mars 1937, Gaz. Pal., 1937, 2e sem.. p. 161.
sur le
soire de l'inculpé ;
maintien de l'arrestation ou la mise en liberté provi-
que l'article 409 soustrait au recours en

;
cassation l'ordonnance d'acquittement du Président de la
Cour d'Assises qu'en vertu de l'article 192 le Tribunal Correc-
tionnel saisi d'une contravention de simple police statue en

;
dernier ressort si aucune des parties n'a demandé le renvoi
de l'affaire que l'article 172 ne permet d'appeler des juge-
ments de simple police que s'ils prononcent une condamna-
tion. (117).
Le silence du décret-loi (118), loin de fermer l'accès des
voies de recours, ne devrait-il pas laisser place à l'application
du droit commun en la matière ?
Quant au caractère provisoire de l'irrecevabilité de l'appel
et du pourvoi, nous savons déjà,ce qu'il faut en penser dans la
pratique (119). L'argument ne vaut du reste, sur le terrain
théorique, que pour ce qui est des décisions d'avant dire droit :
or, la mission du Greffier et du Président du Tribunal ou de
la Cour étant générale, le droit d'interjeter appel ou de se
pourvoir en Cassation est livré sans réserves, il faut bien en
convenir, par la Cour Suprême, à l'arbitraire du magistrat,
chaque fois que ce dernier s'oppose à la recevabilité des voies
de recours pour tout autre motif que pour leur exercice pré-
maturé.
On s'aperçoit que si la jurisprudence se montre assez
libérale quand il s'agit de fixer le champ d'application des
restrictions prévues par les nouveaux textes (120), en revan-
che elle tend ici à les appliquer dans le sens de la plus grande
rigueur.

(117) Cf. art. 135, C. I. Cr. énumérant limitativement les cas où


l'appel est ouvert contre les ordonnances du Juge d'Instruction.
(118) Dans une matière voisine, à propos Je l'opposition contre la
décision rendue par la Chambre du Conseil sur l'action en dommages-inté-
rêts d'un ex-inculpé contre son dénonciateur, la Cour de Toulouse (27
décembre 1934, Gaz. Pal., 1935-1-386) a décidé, malgré l'avis de certains
commentateurs de la loi du 7 juillet 1931, que le silence de cette loi ne
devait point être interprété comme « proscrivant l'opposition et dérogeant
à la règle inscrite dans l'article 187 du Code d'Instruction Criminelle >.
Voy. Carrive, Rev. Science Criminelle, 1936, p. 83.
(119) Voy. supra, n° 24.
(120) Supra, n° 21.
Nous avons parfois critiqué le libéralisme de la Cour
Suprême (121) : nous ne saurions non plus approuver une
rigueur qui tend à ôter par avance toute efficacité à l'inter-
prétation libérale.
Mais peut-être convient-il d'adresser ces critiques, non
point à la jurisprudence mais au texte même sur lequel ont pu
s'établir ces interprétations.
III. — Critique du décret-loi du 8 août 1935
31. — Lorsqu'on étudie le décret-loi du 8 août 1935, on
est frappé des nombreuses difficultés qu'il soulève et qui ont
donné lieu depuis trois années à une jurisprudence déjà assez
importante.
Mais cette remarque n'est pas à vrai dire une critique :
si clair qu'il soit, un texte qui réforme une législation anté-
rieure doit normalement être suivi d'une courte période d'in-
certitude pendant laquelle les justiciables eux-mêmes, non
encore fixés quant à la portée de la réforme, sollicitent la
jurisprudence de se prononcer sur l'application de la loi
nouvelle.
Les solutions de la jurisprudence, appliquant aux espèces
les dispositions législatives abstraites, forment d'ailleurs une
base appréciable au jugement de valeur à porter sur un texte:
la critique s'adresse dès lors au résultat atteint et non point
seulement prévu et probable, de l'application de la loi.
Pour ce qui est du décret-loi qui nous occupe, deux criti-
ques principales peuvent lui être adressées, tant sur le plan
théorique que pratique, compte tenu des principes généraux
qui gouvernent notre procédure pénale et des conséquences
de l'interprétation par la jurisprudence des articles 200 et
416 nouveaux du Code d'Instruction Criminelle : la première

d'un appel ou d'un pourvoi isolé et immédiat ;


critique concerne les décisions qui ne peuvent pas faire l'objet
la deuxième,
la procédure sommaire destinée à aboutir rapidement à une
décision provisoire sur la recevabilité des appels ou des
pourvois.

(121) Supra, n° 19.


32.
.m~
- ~n~ ~A~-~; ;
Il est permis de critiquer l'étendue du domaine de
l'irrecevabilité provisoire des voies de recours.
Et tout d'abord, en ce qui concerne l'exception d'incom-
pétence.
:
On peut faire remarquer, sur le terrain des principes,

:
que l'article 172 du Code de Procédure Civile démontre le
caractère d'ordre public de cette exception le Tribunal doit
statuer sur l'exception avant de procéder à l'examen du
fond (122) : le décret-loi du 8 août 1935 est-il justifié lors-
qu'en matière criminelle il abroge cette règle en édictant la
jonction obligatoire du déclinatoire au principal en appel et
devant la Cour de Cassation ? Sans doute, il y a les ensei-
gnements de l'Histoire, et cette tendance des parties, déjà
notée par Serpillon au XVIIIe siècle, d'appeler systématique-
ment « comme de juge incompétent » dans un but dila-
toire (123). Mais le remède apporté par l'ancien Droit aux
abus paraît infiniment plus souple que celui du législateur de
1935 (124), et quitte à ce dernier à consacrer le système du
Droit Intermédiaire en s'attaquant à la recevabilité de l'appel
ou du pourvoi, et non à leur effet suspensif, n'était-il pas plus
sage d'adopter la solution de la loi du 4 juillet 1908 sur la
Presse, laquelle obligeait très justement les parties à soulever
l'incompétence in limine litis, faute de quoi le déclinatoire
était nécessairement joint au principal (125) ?
Nous avons vu plus haut comment une partie qui a
discuté in limine litis la compétence de son juge peut se voir

(122) « Du caractère d'ordre public de toute question de compétence


devant les tribunaux d'exception, il résulte que l'examen de la compé- *

tence doit précéder tout autre examen. Si donc le déclinatoire de compé-


tence est soulevé par les parties, le Tribunal est tenu d'y statuer avant
de juger le fond ou même toute autre exception. L'article 172 du Code
de Procédure civile, est applicable en effet à la procédure criminelle..
Garraud, « Traité d'Inst. crim. », t. II, n° 531.
(123)Voy. iil
(124)Supra,n°6.
4.
(125) En ce sens Magnol, « Commentaire des décrets-lois de 1935 >,
2e Supplément à la 8e éd. du «Cours de Droit Crim. et de Science
Pénit. », par Vidal et Magnol, p. 25, n° 43.
déchue de son droit de se pourvoir en Cassation, parce que
la décision sur le fond a acquis l'autorité de chose jugée (126).
Cette solution qui ne résulteque de l'application logique des
textes est-elle bien conforme à une bonne administration de
la justice?
Tout aussi fondées, les critiques qui peuvent être adres-
sées au décret-loi en ce qu'il étend le traitement nouveau de
l'exception d'incompétence à toutes les autres exceptions fins
de non-recevoir qui s'opposent à la recevabilité de l'action
publique qu'elles ont pour but de faire déclarer éteintes, telles
l'exception de prescription, d'amnistie ou de chose jugée, fins
de non-procéder telles l'exception de nullité ou les exceptions
préjudicielles qui ont pour but de faire surseoir, soit à la
poursuite elle-même, soit à de plus amples débats (127).
Sans doute, la réforme est heureuse, qui enlève aux par-
ties la faculté d'entraver l'établissement de la vérité ou d'al-
longer le procès pénal par l'exercice immédiat des voies de
recours contre les décisions préparatoires ou interlocutoires
stricto sensu, lesquelles ordonnent ou refusent une mesure
d'instruction.

-croit propres à révéler la vérité:


Il faut laisser au juge l'appréciation des moyens qu'il
la constante discussion de
ce choix par les parties au cours du procès pénal et avant la
décision sur le fond n'est pas à favoriser.
Mais il en est autrement des fins de non-recevoir et des
fins de non-procéder.
Empêcher les parties d'interjeter appel ou de se pourvoir
en Cassation immédiatement contre les décisions rendues sur
-ces incidents, c'est permettre qu'il soit statué au fond au
mépris de l'inaccomplissement de formalités prévues par la
loidans l'intérêt de la défense (cas des exceptions de nullité)
ou sur une infraction qui ne pouvait pas être poursuivie (cas
d'amnistie, de prescription ou de chose jugée) ou dont la
poursuite nécessitait une constatation préalable devant la
juridiction civile (par exemple le jugement d'une question
<cPétat) ou une initiative étrangère à celle du Ministère Public

(126) Supra, n° 24.


(autorisation de la Chambre pour des Parlementaires, plainte
de la victime).
De pareilles dispositions heurtent de front, tantôt la
logique juridique — et c'est le cas notamment des questions
ou des exceptions préjudicielles — tantôt, — et cela est beau-
coup plus grave — en ce qui concerne les fins de non-recevoir,

discutée :
des principes séculaires dont la valeur sociale n'est guère
la règle « non bis in idem » par exemple, dont
Muyart de Vouglans disait déjà que sa sagesse fondée sur ces
deux raisons particulières « l'une de ne point compromettre
trop souvent la vie d'un citoyen, l'autre d'empêcher que par
l'événement de différentes accusations la peine ne vienne à
surpasser le crime, l'a fait adopter successivement, et par la
disposition du Droit Canonique, et par la jurisprudence du
Royaume » (128).
Notre Droit moderne a gardé pour les mêmes raisons à

toire et d'ordre public :


l'exception de chose jugée son caractère d'exception péremp-
la loi, écrit Garraud (129), attache
à la chose jugée par les juridictions de jugement une pré-
somption de vérité « plus forte que la vérité même
qui ne permet plus de remettre en question ce qui a été
(130) »
»
irrévocablement décidé (131).
Il semble bien que la règle « non bis in idem
fortement ébranlée dans un système où l'exception de chose
soit »
jugée, aussi motivée qu'elle soit et même soulevée in limine

(127) Comparer en procédure civile, le décret-loi du 30 octobre 1935


qui décide que toutes les fins de non-recevoir devront, sous peine d'irrece-
vabilité, être soulevées « in limite litis ». Critique du décret à cet égard:
Glasson, Tissier et Morel, « Traité Proc. Civ. », 3e éd., t. V, Suppl.
n° 227.
(128) Mjuyard de Vouglans, « Institutes », part. III, ch. IV, § III.
Ainsi, ajoute cet auteur, il suffit que le crime qui fait l'objet de la nou-
velle accusation soit précisément le même que celui dont on a été accusé
précédemment. pour que la nouvelle accusation ne puisse plus être
écoutée. t
(129) « Traité d'Instruction Criminelle », t. VI, p. 208, — c'est nous
qui soulignons en italiques.
(130) Faustin Hélie, t. II, nOIl 978. et 983 cité par Garraud, tbid.,
p.208.
(131) On sait que l'Ecole positiviste Italienne s'élève contre l'autorité
absolue de la chose jugée, et que Ferri notamment a préconisé la révision
périodique des condamnations. Soc. Crim., 48 éd., n° 73 et n° 87.
litis, n'empêchera plus le juge de statuer au fond. Et l'on
peut en dire autant de l'exception d'amnistie qui, du temps
où M. Garraud écrivait son Traité d'Instruction Criminelle.
empêchait le procès pénal ou l'arrêtait à quelque période qu'il
soit parvenu (132), ou de l'exception de prescription dont ln
Cour de Cassation reconnaissait encore incidemment, dans un
arrêt récent, le caractère d'ordre public (133).
Or l'on sait qu'une jurisprudence toute récente, mar-
quant à cet égard un revirement sur les arrêts antérieurs de
la Cour Suprême, refuse de faire entrer les moyens d'irrece-
vabilité des actions publiques ou civiles dans le cadre,
jusqu'ici élastique, de la notion de compétence, pour les faire
bénéficier, au cours de l'instruction préparatoire, de la voie
de l'appel contre les Ordonnances du Juge d'instruction (134).

question :
Cette jurisprudence (135) souligne l'importance de notre
l'inculpé qui ne peut pas, au cours de l'instruction,
faire appel de l'Ordonnance rejetant son exception de chose
jugée d'amnistie de prescription ou tout autre exception que
l'incompétence prévue par les articles 135 et 539 Code d'Ins-
truction Criminelle sera également privé, temporairement tout
au moins, de l'exercice de ces voies de recours contre les déci-
sions rendues par la juridiction de jugement.
Les moyens dits fins de non-recevoir ont donc perdu
leur caractère classique d'exceptions préalables (136) et
péremptoires (137).

;
On objectera peut-être que pratiquement l'Ancien Droit
avait adopté une solution voisine mais nous rappelons une
fois de plus la souplesse du régime de l'Ordonnance de 1670
et du règlement de 1738 ce droit de surséances et défenses
:

(132) Garraud, op. oit., t. I, n* 216.


(133) Ch. Crim., 10 nov. 1937. D. Hebd., 1938, p. 56. Voy. aussi
Garraud, op. oit., t. II, n" 598.
(134) Voy. article de M. Gabolde précité. Rev. Science Criminelle.
1938, p. 1 et suiv.
(135) Ch. Crim., 24 nov. 1937, Gaz. Pal., 11 décembre 1937 et
18 janvier 1938.
(136) Garraud, op. cit., t. II, n* 531.
(137) Sur ce caractère dans l'Ancien Droit, voy. Claude de Ferrière,
i La jurisprudence du Digeste >, 1677, t. II, p. 519-521.
reconnu aux Cours saisies des appels, réservé au Roi en
matière de Cassation, au moyen duquel l'appel ou le pourvoi
pouvaient se voir éventuellement restituer leur effet suspen-
sif (138).
On dira encore que la loi du 4 juillet 1908 sur la Presse
offre au système du décret-loi de 1935 un précédent pour ce
qui est des exceptions autres que le déclinatoire de compé-
tence. Nous répondrons que le domaine restreint de cette
disposition n'a pas permis d'en observer suffisamment l'appli-
cation pour qu'elle puisse servir à guider utilement le légis-
lateur. Sur le terrain des principes, le traitement qu'elle
réserve aux exceptions, — abstraction faite du déclinatoire
de compétence, — n'échappe pas plus à la critique que le
décret-loi du 8 août 1935.

33. — Et que dire du contrôle institué à la recevabilité


des voies de recours, innovation du décret-loi sans lien de
filiation avec aucun précédent historique qui puisse fournir
à l'interprète une indication d'ordre théorique ou pratique ?
La doctrine ne saurait considérer sans quelque suspicion cette
institution nouvelle.
Elle est forcée cependant de reconnaitre que le légis-
lateur, dès lors qu'il décidait de soumettre, au seuil même des
Greffes, les appels et les pourvois à une vérification de leur

:
recevabilité, pouvait difficilement chercher à délimiter les
frontières de la compétence du Greffier le contraire eût été
fatalement aboutir à ce qu'on a voulu éviter, à des retards
de procédure. La partie intéressée, pour être fondée à porter
devant la juridiction de jugement la question de la receva-
bilité de l'appel ou du pourvoi, n'eût pas manqué d'affirmer
que le Greffier agissait hors la limite de ses pouvoirs.
:
Le Greffier, au surplus, n'a pas un pouvoir arbitraire
peut avoir éventuellement à obéir aux injonctions du Prési-
il

dent du Tribunal ou du Premier Président de la Courd'Appel.


Mais c'est alors, au moment où s'ouvre la deuxième partie
de la procédure sommaire instituée par le décret-loi pour

(138) Supra, n° 0.
texte ne saurait être approuvé sans réserve :
statuer sur la recevabilité des appels et des pourvois, que le
on peut lui
reprocher son silence sur le recours ouvert aux parties contre
la décision du Magistrat refusant d'enjoindre au Greffier de
recevoir la déclaration d'appel ou de pourvoi.
Les auteurs qui croient avec la jurisprudence de la Cham-
bre criminelle, au sens restrictif des voies de recours, de ce
silence du législateur, font précisément remarquer le danger
résultant du pouvoir souverain conféré au magistrat (139) ;
celui-ci aura souvent, sinon toujours, dans les tribunaux com-
posés d'une seule Chambre, participé au jugement atta-
qué (140), il se sera fait nécessairement sur le fond une
opinion qu'il a publiquement fait connaître (141) ; on peut
donc craindre, comme l'explique très justement M. Magnol,
que le refus d'admission de l'appel ou du pourvoi ne s'inspire,
même de très bonne foi, de son désir d'écarter la voie de
recours formée contre le jugement.
Sans doute, ce refus n'est-il pas définitif quant aux juge-
ments et arrêts avant dire droit, puisque la question de la
recevabilité des voies de recours contre ces décisions rebon-
dira nécessairement, et sauf déchéance du droit d'appeler ou
de se pourvoir contre la décision sur le fond, au moment où
sera rendue celle-ci. Il n'en reste pas moins vrai que sous le
masque de restrictions temporaires apportées à l'exercice des
voies de recours contre les décisions d'avant dire droit, le
décret-loi, interprété, comme il l'a été constaté, par la juris-
prudence, substitue dans le domaine des jugements et arrêts
sur le fond, au collège qui statuait antérieurement sur la
recevabilité des voies de recours, un juge unique qui tranche
hors de tous débats, souverainement et sans recours. Lorsque
ce juge a participé au jugement attaqué, les garanties de la
défense paraissent singulièrement réduites.

:
C'est là, une des critiques les plus graves qui puissent
être adressées au décret-loi elle n'est pas atténuée par la

(139) Magnol, op. cit., Suppl., pp. 24 et 26. Leloir, D. Hebd., Chro-
nique, 1936, p. 23 et suiv.
(140) Magnol, op. cit., p. 26.
(141) Leloir, ibid., p. 23.
considération du but que poursuit le législateur, l'écourte-
ment des procès répressifs.
34. — Sans doute une réforme était nécessaire :
le libé-

:
ralisme excessif de la législation précédente, les abus qui s'en
étaient suivis, l'annonçaient le rythme ordinaire de l'histoire
des voies de recours contre les décisions d'avant dire droit
ne permettait pas de se méprendre sur ce point.
Il est bien certain, en effet, que toute disposition légis-
lative qui manifeste une tendance vers la rupture trop nette
de l'équilibre — rarement atteint en législation pénale —
entre l'intérêt de la Société et l'intérêt individuel, marque
fatalement le point de départ d'une évolution en sens
contraire.
Mais le décret-loi du 8 août 1935 ne consacre-t-il pas
précisément une de ces ruptures d'équilibre dans le sens de
la rigueur ?
En face de la nécessité de revenir sur le libéralisme des
Codes de Procédure Civile et d'Instruction Criminelle, le
législateur pouvait, pour faire obstacles aux manœuvres dila-
toires des parties, exiger qu'elles proposent leurs moyens de
défense in limine litis et simultanément, faute de quoi la déci-
sion rendue sur les incidents n'était point susceptible, avant
le jugement sur le fond, d'appel ou de pourvoi immédiat et
isolé (142). Une pareille mesure, qui n'était autre que l'exten-
sion à tous avant dire droit du régime institué en 1908 pour
le déclinatoire de compétence en matière de délits de Presse,
sauvegardait assez les intérêts des parties et les principes
généraux du Droit, pour n'être pas sujette à critique.
De même la procédure sommaire destinée à régler rapi-
dement la question de la recevabilité des appels et des pour-
vois, eût gagné à être moins brutale, plus soucieuse de la
protection des justiciables contre l'arbitraire possible du juge.
Obligation devait être faite notamment au juge de commu-
niquer la requête des parties au Ministère Public pour que

(142) Le décret-loi du 30 octobre 1935 décide, en procédure civile,


que toutes les fins de non-recevoir doivent être, sous peine d'irrecevabilité,
soulevées in limine litis.
;
celui-ci y ajoute ses conclusions écrites de motiver la déci-
sion par laquelle il refuse de faire injonction au greffier.
Contre ce refus injustifié, et pour que ne demeure aucune
équivoque sur le sens des textes, l'ouverture expresse d'une
voie de recours s'imposait, par exemple, le pourvoi pour
violation de la loi et des. formes — tout au moins au cas où
le magistrat avait participé au jugement attaqué.
Tel qu'est rédigé le décret-loi du 8 août 1935, on peut
se demander s'il ne méconnaît pas les droits de la défense,
ces droits qu'une bonne procédure pénale ne saurait sous-
estimer, parce que leur garantie a pour but d'assurer une
exacte incidence de la répression, et, en conséquence, la valeur
même, morale et sociale de la loi pénale.
On peut se demander en outre, si dans sa réaction de
défense sociale contre l'abus des garanties individuelles, le
texte nouveau ne dépasse pas la juste mesure qui est le prin-
cipal facteur de durée des lois, s'il n'est pas appelé par suite
à la destinée éphémère de la loi de Brumaire an II et du
décret de Brumaire an IV.
Nous croyons que seuls pour l'instant, pourraient s'y
opposer la prudence des greffiers de Tribunaux et de Cours
d'Appel, et la modération des Magistrats dans l'exercice de
la mission qui leur est confiée aux uns et aux autres par le
décret-loi.

E.DE LAGRANGE
Chargée de cours à la Faculté de Droit
et des Sciences Politiques de Strasbourg
LES DÉCRETS-LOI DALADIER
ET LE DROIT COMMERCIAL

L'année 1938, comme quelques-unes de ses devancières,


grâce à la pratique des décrets-lois, l'éclosion
aura connu,
d'une floraison législative particulièrement abondante dans
tous les domaines.
C'est la loi du 13 avril 1938 tendant au relèvement finan-
cier (J.O. du 14 avril, p. 4426) qui, par son article unique, a
autorisé le gouvernement ayant M. Edouard Daladier pour
président du Conseil, à prendre jusqu'à la clôture de la session
ordinaire des Chambres, et au plus tard jusqu'au 31 juillet
1938, par décrets délibérés en conseil des ministres, « les
mesures qu'il jugerait indispensables pour faire face aux
dépenses nécessitées par la défense nationale et redresser les
finances et l'économie de la nation ».
Ces décrets devront être soumis à la ratification des Cham-
bres au cours de la session extraordinaire et au plus tard le
31 décembre 1938, mais, sauf dispositions spéciales pour tels
immédiatement.
ou tels d'entre eux,
Ceux qui
les seuls que nous
ils
intéressent
sont

voulions
entrés en
directement
examiner
vigueur
le
ici
droit

commercial,
ont été inspirés
-
préoccupations gouvernementales suivantes, d'ail-
par les deux
leurs intimement liées :
techniques développement
Favoriser par
du crédit et l'usage
des
des
moyens
instruments de
commerciales,
le
paiement fiduciaires
le sentiment
;
Renforcer, dans les relations
de sécurité et de confiance, par l'élimination de personnes
indésirables, l'interdiction de pratiques critiquables et l'amé-
nagement de solutions juridiques reconnues inadéquates à
l'expérience.
Ces deux ordres d'efforts doivent, dans l'esprit de leurs
promoteurs, aboutir plus ou moins rapidement à un accroisse-
ment certain du nombre et du volume des transactions et des
échanges.

:
A la première de ces préoccupations ont plus particuliè-
rement répondu
Les articles 1 et 2 du décret du 2 mai 1938 relatif au
crédit, instituant sous certaines conditions l'acceptation obli-
gatoire des traites (J.O. du 3 mai, p. 4959) ;
Les articles 14 à 16 du même décret, facilitant la mise
en gage des créances d'entrepreneurs et de fournisseurs résul-
tant de marchés publics ;
Le décret du 24 mai comportant modification de la légis-
lation sur le chèque (J. O. du 25 mai, p. 5875) ;
Et le décret du même jour comportant amélioration du
régime fiscal des traites et des chèques (J.O. du 25 mai,
p. 5876).
On peut, au contraire, rattacher aux dispositions du
deuxième groupe :
Le décret du 14 juin 1938 modifiant le régime légal des
sociétés à responsabilité limitée (J. O. du 17 juin, p. 6875) ;
Celui du même jour relatif aux délais d'opposition et
d'appel en matière de faillite (J. O. du 17 juin, p. 6877) ;
Les articles 1 et 2 du décret du 17 juin tendant. à assurer
la protection du commerce français, réglementant l'exercice
du commerce à l'égard des étrangers (J. O. du 26 juin, p. 7333,
rectifié par errata au J. O. du 27-28 juin, p. 7371, du 3 juillet,
p. 7787, et du 18-19 juillet, p. 8626) ;
Et les articles 3 à 5 du même décret, aggravant la légis-
lation antérieure en matière d'homologation de concordat et
de déclaration de banqueroute.
Cette énumération chronologique une fois faite, exami-
nons maintenant ces diverses dispositions nouvelles, qu'il nous
a semblé préférable, nous adressant tant à des juristes qu'à
des praticiens du Droit commercial, de classer, pour ce com-
mentaire plus approfondi, dans l'ordre adopté par le Code de
Commerce lui-même pour les matières auxquelles elles se
rattachent respectivement (1).

I. — COMMERCE ET COMMERÇANTS :.

Réglementation à l'égard des étrangers du droit


de faire le commerce
(Décret du 17 juin 1938, art. 1")

Le droit de faire le commerce était, jusqu'à présent,


reconnu aux étrangers établis en France sans aucune autre
restriction que celles imposées aux Français eux-mêmes soit
par des lois spéciales, soit par les lois générales de police et de
sûreté.
Les vastes mouvements de population qui ont suivi la
guerre, puis accompagné l'instauration de certains gouverne-
ments dans de nombreux pays d'Europe, ayant eu pour résul-
tat un accroissement considérable de l'immigration au cours
de ces dernières années, la France a vu s'installer sur son
sol, dans des proportions jusqu'alors inconnues, des étrangers
sans moyens personnels d'existence dont le moins qu'on puisse
dire est qu'ils ne représentaient pas tous, du point de vue de
l'honorabilité, l'élite sociale de leurs contrées d'origine.
Nombre d'entre eux, contraints de travailler pour vivre,
mirent à profit avec empressement les facilités que la France
accueillante leur offrait pour entreprendre le commerce,
venant ainsi faire subir aux Français déjà établis ou cher-
chant à l'être, une concurrence d'autant plus redoutable que
ces nouveaux venus apportaient trop souvent avec eux des
habitudes et des pratiques commerciales insuffisamment adap-
tées à nos traditions nationales.

(1) Nous avons volontairement exolu de cette étude le décret du


14 juin relatif au recouvrement simplifié des petites créances commer-
ciales, qui relève surtout de la procédure (J. O. du 17 juin, p. 6875),
n:nsi quo celui, de caractère plus pénal et financier que véritablement
lommorcial,du 17 juin tendant à faciliter certains investissements de
capitaux (J.O. du 29 juin, p. 7444), et qui a modifié sur certains points
la réglementation du démarchage et le régime de protection des obli-
gataires,
Cette situation était d'autant plus choquante que les
Français exerçant ou désireux d'exercer le commerce à l'étran-
ger étaient loin d'y trouver toujours des facilités correspon-
dantes.
Il était donc opportun de mettre un terme à cette situa-
tion et d'assurer une protection efficace des commerçants
français en appliquant aux étrangers qui voudraient désormais
entreprendre le commerce sur notre territoire un régime équi-
valent à celui auquel sont soumis nos nationaux dans les
pays dont ressortissent ces étrangers.
Il convenait aussi que, dans le cas où une branche de
notre commerce ou de notre industrie réclamerait une régle-
mentation de l'activité économique, un pourcentage du nombre
des étrangers y exerçant leur profession pût être fixé.
L'article 1" du décret du 17 juin 1938 tendant à assurer
la protection du commerce français a répondu à ce double but,
en décidant que :
« Les étrangers autorisés à résider sur le territoire fran-
c çais qui voudront y exercer une profession industrielle ou
c commerciale, jouiront dans le cadre des lois et règlements,
«d'un traitement équivalent à celui qui s'applique dans leur
«pays d'origine aux étrangers et spécialement aux Français
«de la même profession.
« Dans les différentes catégories d'industries et de
« commerces, un pourcentage du nombre des étrangers y
«exerçant leur activité pourra, s'il y a lieu, être fixé après
«avis des chambres de commerce et des groupements éco-
«nomiques.
«Des décrets contresignés par les ministres intéressés
«fixeront les conditions d'application des dispositions qui
«précèdent.
« Dans la mesure où la réglementation fixée par ces
«décrets ne serait pas compatible avec les conventions inter-
«nationales, des négociations seront engagées en vue d'adap-
«ter les conventions existantes aux dispositions du présent
«décret.
« Toute infraction aux prescriptions des décrets prévues
« par le présent article sera punie d'une amende de 100
« francs à 2.000 francs et d'un emprisonnement d'un mois
« à six mois ou d'une de ces deux peines seulement. En cas
« de récidive, les peines seront portées au double.
« Le tribunal pourra, en outre, ordonner la fermeture
« de l'établissement ».
Comme on l'aura remarqué à la simple lecture de ce texte,
son alinéa 1er (équivalence de traitement) ne vise que les

cer une profession industrielle ou commerciale ;


étrangers autorisés à résider en France qui voudront y exer-
il n'est donc
pas applicable à ceux déjà établis à la date d'entrée en vigueur
du décret-loi (un jour franc après sa publication au Journal
Officiel, pour Paris, et un jour franc après l'arrivée du Jour-
nal Officiel au chef-lieu del'arrondissement, pour la province;
décret du Gouvernement de la Défense nationale à Paris, du
ô novembre 1870, relatif à la promulgation des lois et décrets,
art. 2).
Au contraire, les étrangers déjà établis pourraient subir
éventuellement les conséquences des décrets visés à l'alinéa 2
(fixation de pourcentage), bien qu'il soit à présumer que ces
décrets — dont aucun n'a encore été pris à ce jour — s'effor-
ceraient vraisemblablement de n'édicter que des mesures pré-
ventives et respecteraient, dans toute la mesure du possible,
les situations antérieures légitimement acquises.

Inscription au Registre du commerce (déclaration)


(Décret du 17 juin 1938, art. 2)

D'autre part, le rapport au Président de la République


qui précède le décret-loi du 17 juin a souligné l'opportunité
qu'il y avait (les dispositions à intervenir dans le domaine de
l'article lU pouvant être limitées par le jeu de conventions
internationales) à apporter aux dispositions légales sur le regis-
tre du commerce « certaines précisions d'une application géné-
rale et immédiate de nature à empêcher que des étrangers
munis d'une autorisation de séjour purement temporaire, ou
simplement titulaires d'une carte de travailleur, puissent obte-
nir la carte d'identité de non-travailleur à validité normale
en se prévalant d'une inscription au registre du commerce.
Désormais, en subordonnant à la justification de la carte
d'identité de non travailleur à validité normale l'inscription au
registre du commerce, on évitera que des étrangers admis
en France comme touristes, visiteurs, ou en qualité de tra-
vailleurs ne s'établissent commerçants ».
L'article 2 du décret-loi du 17 juin précité a, en consé-
quence, modifié de la manière suivante le texte de l'article 4
de la loi du 18 mars 1919, énumérant les indications que doit
contenir la déclaration à déposer au greffe par tout commer-
çant à fin d'immatriculation au registre du commerce
Sous le paragraphe 5, après les mots « Dans le cas où il
:
est étranger, la date du décret qui l'aurait autorisé à établir
son domicile en France », il a ajouté :
« Ou, à défaut, les numéro, date et lieu de délivrance de
la carte d'identité de non-travailleur à validité normale dont
il doit être muni préalablement à toute inscription au registre
du commerce » (2).
Ces dispositions n'ayant, à notre avis, aucun effet rétro-
actif, ne s'appliquent pas aux étrangers déjà inscrits au regis-

;
tre du commerce, et ceux-ci n'ont donc aucune déclaration
complémentaire à déposer cette solution est d'ailleurs confir-
mée par le rapport au Président de la République cité plus
haut, précisant que l'inscription au registre du commerce est
désormais subordonnée à la justification de la carte d'identité
de non-travailleur à validité normale.

(2) Rappelons ici que c'est un décret du 2 avril 1917 qui a remplacé
par la nécessité de l'obtention d'une carte d'identité l'obligation précé-
demment imposée par le décret du 2 octobre 1888 à tout étranger se pro-
posant d'établir sa résidence en France, d'en faire la déclaration, avec
dépôt (contre récépissé) de pièces justificatives d'identité.
Actuellement, les obligations des étrangers en France à cet égard sont
réglementées par le décret du 10 juillet 1929 (modifié notamment par ceux
du 21 mai 1932, du 6 février 1935, du 2 mai 1938 et du 14 mai 1938).
Quant à l'admission à domicile, elle a purement et simplement disparu
depuis la loi du 10 août 1927 sur la nationalité.
II. — SOCIÉTÉS
Modification du régime légal des sociétés
à responsabilité limitée
(Décret du 14 juin 1938)

L'un des principaux griefs formulés à rencontre des


sociétés àresponsabilité limitée depuis leur introduction dans
notre législation a certainement été le faible montant du
capital social minimum imposé par la loi aux sociétés de cette
espèce.
Ce minimum, fixé à 25.000 francs par l'article 6 de la loi
du 7 mars 1925, s'étant encore trouvéamoindri par le jeu des
dévaluations successives, ne représentait plus, sous l'empire
de la dernière loi monétaire, qu'à peine 2.200 francs de notre
monnaie d'avant-guerre.
Cette insuffisance était évidente et constituait, selon les
termes mêmes du rapport au Président de la République pré-
cédant le décret-loi du 14 juin 1938 qui vient de modifier le
régime légal des sociétés à responsabilité limitée, un véritable
danger public, par suite de la disproportion existant entre ce
minimum légal de capital et l'importance des obligations
susceptibles d'être contractées par ces sociétés pour les besoins
de leur activité commerciale.
Ce danger était encore accru du fait « que les gérants
n'étaient pas astreints aux obligations imposées aux adminis-
trateurs des sociétés anonymes qui, en cas de perte des trois-
quarts du capital social, doivent convoquer une assemblée
générale extraordinaire pour statuer sur le maintien ou la
dissolution de la société».
Le décret précité du 14 juin 1938 a, en conséquence,
remédié à cette situation de la manière suivante :
1° Par son article 1", modifiant l'article 6 de la loi du
7 mars 1925, il a fixé à 50.000 francs le montant minimum du
capital social des sociétés à responsabilité limitée et décidé que
leur capital ne peut être réduit au-dessous de ce chiffre.
Ce capital se divise, comme sous l'empire de la législation
antérieure, en parts sociales qui ne peuvent être inférieures à
100 francs, mais, désormais, ces parts, si elles excèdent
100 francs, ne doivent plus être obligatoirement des multiples
de 100 francs (elles pourront être, par exemple, de 125 francs
ou de 250 francs) ; elles devront, d'autre part, être d'une valeur
nominale égale, alors que, jusqu'à présent, rien ne s'opposait
à ce que coexistassent, dans une même société, des parts de
valeurs nominales différentes, ce qui n'allait pas sans présenter
certains inconvénients d'ordre pratique bien souvent
signalés (3).
2° L'article 2 du même décret du 14 juin a, en outre,
complété l'article 36 de la loi du 7 mars 1925 par les disposi-
tions suivantes, inspirées de celles de l'article 37 de la loi du
24 juillet 1867 en matière de sociétés anonymes :

« En cas de perte des trois-quarts du capital social, les


« gérants sont tenus de consulter les associés à l'effet de sta-
« tuer sur la question de savoir s'il y a lieu de prononcer la
« dissolution de la société. La décision des associés est dans
« tous les cas rendue publique, conformément à l'article 13.

« A défaut par les gérants de consulter les


associés, com-
« me dans le cas où ceux-ci n'auraient pu délibérer réguliè-
« rement, tout intéressé peut demander la dissolution de la
« société devant les tribunaux ».

Le champ d'application dans le temps de ces diverses dis-


positions donnera peut-être lieu à certaines controverses.
Pour nous, celles de l'article 2 du décret du 14 juin doivent
s'appliquer non seulement aux sociétés à responsabilité limitée
constituées depuis l'entrée en vigueur de ce décret, mais aussi
à celles constituées antérieurement, car nul ne peut prétendre
avoir de droit acquis à une situation légale dont le législateur
juge le maintien comme susceptible d'avoir des conséquences
contraires à l'ordre public.

(3) Houpin et Bosvieux, « Traité général des sociétés et asseoit


tions », tome II, n° 1568.
-
La question est plus délicate en ce qui concerne l'article
premier :
La fixation d'un capital minimum de 50.000 francs s'im-
pose aux sociétés qui ont été ou seront constituées postérieu-
rement à l'entrée en vigueur du décret, mais, à défaut de pres-
cription formelle de la loi en ce sens, celles constituées avec un
capital moindre sous l'empire de la loi du 7 mars 1925 ne sont
pas tenues, à notre avis, d'augmenter leur capital nominal
;
pour le porter au niveau du nouveau minimum légal « la :
loi ne dispose que pour l'avenir elle n'a point d'effet rétroactif
(art. 2 C. Civ) ».
Par contre, l'interdiction de réduire leur capital au-des-
sous de ce nouveau minimum légal vise aussi bien les sociétés

à propos de la perte des trois-quarts du capital social :


anciennes que les nouvelles, pour le motif indiqué plus haut
il ne
s'agit pas à proprement parler de rétroactivité de la loi, mais
des effets normaux dans l'avenir d'une prescription légale
nouvelle.
Enfin, les dispositions relatives à la valeur nominale des
parts sociales ne s'appliquent qu'aux sociétés nouvelles, c'est-

;
à-dire constituées postérieurement à l'entrée en vigueur du
décret cette solution ne semble pas pouvoir faire l'objet de
véritables difficultés.

III. — GAGE COMMERCIAL


Nantissement de créances résultant de marchés publics
(Décret du 2 mai 1938, art. 14 à 16)

C'est un fait que, depuis plusieurs années, l'Etat et les


collectivités publiques sont devenus pour de nombreuses entre-
prises industrielles ou commerciales, le meilleur et parfois,
même, le seul client.
Or les affaires ainsi traitées, qu'il s'agisse de marchés de
travaux ou de fournitures, nécessitent de la part de ceux qui
les entreprennent d'assez grandes disponibilités de trésorerie
leur exécution, qui s'étend toujours sur des laps de temps
:
relativement longs, exige le décaissement préalable de sommes
importantes, soit pour le paiement des salaires du personnel, 1

ments en matières premières ;


soit pour des achats de matériel ou pour des approvisionne-
les travaux ou fournitures
une fois effectués, de longs délais doivent encore s'écouler
avant que l'entrepreneur n'en perçoive le prix, et la longueur
de ces délais de paiement résultant du jeu normal des règles
de la comptabilité publique s'accroît encore trop souvent, dans
des proportions imprévues et d'ailleurs variables, par suite
de la situation financière difficile des collectivités intéressées.
Aussi, l'intérêt qu'il y a à faciliter aux chefs d'entreprises
l'exécution de leurs marchés en mettant dès le début de celle-
ci à leur disposition les capitaux nécessaires, est-il apparu

que sont les banquiers ;


depuis longtemps aux marchands de crédit professionnels
la garantie des avances ainsi faites
étant tout naturellement le prix à encaisser plus tard après
l'exécution de ces marchés, la pratique s'est progressivement
développée, au cours de ces dernières années, de faire affecter
en nantissement au profit des bailleurs de fonds les marchés
mêmes que ceux-ci contribuent, par leurs avances, à faire
exécuter.
Bien qu'elle eût reçu la consécration d'une importante
décision judiciaire, cette opération, improprement qualifiée
par la pratique bancaire de « délégation de marché », n'allait
pas cependant sans présenter, surtout lorsqu'il s'agissait de
marchés publics, de nombreux aléas d'ordre juridique ou
administratif pour les détenteurs de capitaux désireux de la
pratiquer, et ces aléas entravaient gravement les opérations
de financement de ces marchés ; la passation et l'exécution
de ceux-ci en étaient rendues d'autant plus difficiles et oné-
reuses (4).
Un premier décret-loi, du 30 octobre 1935, relatif au
financement des marchés de l'Etat et des collectivités
publiques, intervint donc pour remédier à cette situation, en

(4) Paris, 4 avril 1935, D., 1936, 2. 34 et la note. Voir aussi Escarra,
« Principes de Droit commercial », tome VI, n*" 753 à 763; Philippe Far-
geaud, « Les délégations de marchés et le danger des privilèges occultes x-,
fourn. den Nof. ci (1rs Ai' 1935, «ri. 38 3°1 (Le compte courant et?ex
garanties, nO. 101 à 202).
instituant un régime tout à fait original de nantissement des
marchés administratifs.
Puis ce décret fut amélioré et modifié sur certains points
par les articles 24 à 29 du décret-loi du 25 août 1937 portant
réalisation d'un ensemble de mesures tendant à assurer le
redressement économique, tandis que, dans l'intervalle de
temps écoulé entre ces deux décrets, une loi du 19 août 1936,
complétée par un décret du 25 octobre 1936, créait et orga-

;
nisait une Caisse nationale des marchés de l'Etat, des collec-
tivités et des établissements publics et cependant le régime
du nantissement des marchés publics présentait encore cer-
taines imperfections, dues notamment à son formalisme
compliqué (5).
C'est essentiellement à la simplification de ce formalisme
qu'ont tendu les dispositions des articles 14 à 16 du décret-
loi du 2 mai 1938 relatif au crédit :
L'article 14, en modifiant la rédaction qu'avait donnée à
l'article 1" du décret du 30 octobre 1935 l'article 24 du décret
du 25 août 1937, supprime la nécessité de la clause formelle
précédemment imposée dans les marchés appelés à bénéficier
du nouveau régime ainsi créé et à défaut de laquelle l'entre-
preneur ou fournisseur titulaire du marché ne pouvait préten-
dre au bénéfice de ce régime spécial.
Ainsi disparaît cette clause qui avait souvent été, dans la
pratique, la source d'irritantes difficultés et dont il n'est pas
sans intérêt de retracer rapidement les phases de la courte
existence :
D'après la rédaction originaire du décret du 30 octobre
1935, le bénéfice du nouveau régime de nantissement était
réservé strictement aux titulaires de marchés publics dans

contractante ;
lesquels cette clause spéciale avait été insérée par l'autorité
cette dernière accordait ou refusait selon son
gré l'introduction de cette clause dans le marché, c'est-à-dire

(5) Voir sur tous ces points: Escarra, ibid., nU 763 à 778; Jean
Vallet, « Le financement des marchés de travaux et de fournitures »,
1938, p. 109 et suiv., et Philippe Fargeaud, « Le financement des marchés
de l'Etat et des collectivités publiques: », Joum. des Not. et des Av., 1937,
art. 39 463.
que l'admission au bénéfice du nouveau régime légal consti-
tuait une faveur ne dépendant que de la volonté de l'admi-
nistration.
Avec la rédaction du décret du 25 août 1937, ce caractère
de faveur disparut, le bénéfice du nouveau régime devenant
pour l'entrepreneur un droit qui ne pouvait lui être refusé
l'insertion de la clause spéciale fut même rendue obligatoire,
;
;
automatique pourrait-on dire, dans tous les marchés dont les
prix de base atteignaient ou excédaient 500.000 francs pour
les marchés de moindre importance, l'insertion de la clause
(c'est-à-dire l'admission au bénéfice du nouveau régime)
n'était obligatoire que si le titulaire du marché en faisait la
demande expresse.
Depuis le décret du 2 mai 1938, tous les marchés adminis-
tratifs, quelle que soit leur importance et sans que leurs titu-

droit au nouveau régime légal de nantissement ;


laires aient à le demander, sont désormais soumis de plein
il n'y a plus
lieu, dès lors, d'y introduire en aucun cas la clause spéciale
précédemment exigée.
C'est là une simplification considérable apportée au
régime antérieurement en vigueur, mais qui a une répercus-

:
sion directe sur le mode de rédaction de tous les marchés
publics en général
Tous ces marchés devront désormais indiquer leurs mo-
dalités de règlement et désigner le comptable chargé des paye-
ments, alors que ces indication et désignation n'étaient obli-
gatoires, précédemment, que pour les marchés dans lesquels
était insérée la clause spéciale.
Cette conséquence de la réforme réalisée par l'article 14
du décret du 2 mai 1938 n'a pas échappé aux rédacteurs de ce
décret, et l'article 15, remplaçant par une rédaction nouvelle
le dernier alinéa de l'article 2 du décret de 1935 (mais c'est
c premier alinéa » qu'il faut lire), a fait disparaître les mots
c comportant une clausede cette nature » après les mots « Les
marchés », en sorte que le premier alinéa de cet article 2 est
désormais rédigé comme suit :
«Les marchés doivent obligatoirement indiquer les
«
modalités du règlement et désigner le comptable chargé
« du paiement. Ce comptable est, soit le comptable public
«
assignataire, soit, si le marché est passé par une entreprise
«
concessionnaire ou subventionnée, une banque où le paie-
« ment est domicilié, ou bien cette entreprise elle-même ».
Il n'y a rien à reprendre dans cette rédaction, mais il

le décret sur le financement des marchés ;


semble que ce texte ne soit plus à sa place maintenant dans
il devra, semble-
t-il, être incorporé aux règles organiques d'établissement des
marchés administratifs, étant donné sa portée générale.
Toujours dans un but de simplification et d'unification,
l'article 16 du décret-loi du 2 mai 1938 a précisé que :
« Tout nantissement signifié après l'expiration d'un
« délai d'un mois à compter de la publication du présent
« décret est soumis de plein droit au régime fixé par le titre
« 1er du décret du 30 octobre 1935, modifié tant par le décret

« du 25 août 1937 que par les dispositions du présent décret,


« même s'il porte sur des marchés passés avant ladite publi-
« cation et ne comportant pas la clause spéciale précédem-
« ment exigée ».
Les praticiens apprécieront certainement l'opportunité
de la précision apportée par la phrase finale de ce texte (citée
ci-dessus en italiques) ; à défaut de cette précision, certaines
difficultés eussent pu résulter de la coexistence de plusieurs
régimes de nantissement légèrement différents les uns des

auraient été applicables :


autres, selon les dates de passation des marchés auxquels ils
le bénéfice d'un régime uniforme
est ainsi accordé, sous l'empire des textes actuels, à tous les
nantissements qui ont été ou qui seront signifiés depuis le
3 juin 1938, quelle que soit la date des marchés faisant l'objet
de ces nantissements (6).

(6) Sur les distinctions à faire pour les nantissements signifiés anté-
rieurement, cf. notre étude précitée, < Le Financement des marchés de
l'Etat et des collectivités publiques », nle 60 à 65.
Enfin, nous croyons devoir signaler ici, bien qu'elle n'in-
téresse pas directement la remise en gagedes créances ni le
droit commercial, la modification suivante apportée, en ce qui
concerne les privilèges des sous-traitants, au décret-loi précité
du 30 octobre 1935 par l'article 13 de celui du 14 juin 1938
concernant la Caisse des marchés, (J. O. du 17, p. 6871), cette
question étant intimement liée, en fait comme en droit, à celle
du financement des marchés administratifs.
On sait comment le décret du 30 octobre 1935 a organisé
la publicité de certains privilèges spéciaux, généralement
désignés sous l'appellation de privilèges de sous-traitants,
dont le caractère occulte présentait, jusqu'à cette importante
réforme, un danger fort grave pour les droits de gage des
bailleurs de fonds, bénéficiaires d'un nantissement sur mar-
ché public (7).
Aux termes de l'article 8 de ce décret, seuls pourront se
prévaloir de ces privilèges « les fournisseurs et sous-traitants
qui justifieront d'un agrément exprès donné par l'autorité
compétente aux travaux ou fournitures dont le privilège
garantit le paiement » ; cet agrément doit être porté sur un
registre spécial dont tous les intéressés peuvent prendre com-
munication.
L'article 29 du décret du 25 août 1937 avait déjà apporté
un heureux complément à cette réglementation en spécifiant
(par une rédaction nouvelle du premier alinéa de l'article 8
du décret, de 1935) que les privilèges de sous-traitants ne
seraient opposables aux créanciers nantis sur marchés soumis
au nouveau régime, que lorsque l'agrément de ces sous-
traitants aurait été porté au registre spécial, antérieurement
à la date de la signification de l'acte de nantissement faite au
comptable (8).

(7) Voir sur ce point Hamel, Rev. trim. Dr. Civ.,,1936, p. 363 à 388,
et notre étude précitée sur « Les Délégations de marchés et le danger des
privilèges occultes », non 54 à 97 (Le* compte courant et ses garanties,
n*1 154 à 197).

ques »,n" 57 à69.


(8) Cf. sur l'importance pratique de cette disposition, notre étude pré-
citée sur le « Financement des marchés de l'Etat et des collectivités publi-
-' -
Cette prescription, qui s'applique maintenant de plein
droit dans tous les cas de nantissement de marchés publics,
puisque ceux-ci sont désormais soumis en cette matière à un
régime légal uniforme, vient elle-même d'être complétée par
les deux alinéas suivants, ajoutés par l'article 13 du décret-
loi du 17 juin 1938 aux deux premiers alinéas de l'article 8
du décret de 1935 :

« Le privilège ne porte que sur les fournitures et presta-


« tions effectuées postérieurement à la date à laquelle la
« demande d'agrément est parvenue à l'autorité compétente.
« En cas de retrait de l'agrément, le privilège ne porte
« plus sur les fournitures et prestations effectuées postérieu-
« rement à la date à laquelle l'administration a envoyé par
« lettre recommandée la notification du retrait à l'intéressé ».
Bien que le législateur de 1938 ait employé à deux
reprises l'expression « le privilège »
au singulier, il n'est pas
douteux, à notre avis, que ce texte s'applique à l'un et à l'autre
des deux privilèges visés au premier alinéa de l'article 8 du

:
décret de 1935 et plus explicitement désignés sous l'article 7
du même décret, savoir privilège des ouvriers et fournisseurs
des entrepreneurs de travaux publics, privilège des sous-
traitants, préposés et agents des fournisseurs de l'Adminis-
tration de la Guerre.
Sous cette légère réserve de forme, on ne peut qu'ap-
prouver l'article 13 du décret-loi du 17 juin 1938 qui achève
de consacrer, pour la plus grande sécurité des créanciers
nantis sur marchés publics, le caractère essentiellement
spécial des privilèges de sous-traitants.
Cette disposition, comme celles précédemment analysées
au cours de ce chapitre, doit contribuer efficacement à per-
mettre aux titulaires de marchés publics de seprocurer plus
facilement îles liquidités qui leur sont nécessaires pour mener
à bien l'exécution de leurs marchés (9).

(9) Deux réformes seraient cependant encore nécessaires pour amé-


nager le régime des nantissements de marchés publics selon les vœux des
praticiens et nous croyons devoir les indiquer ici brièvement:
1* Suppression, dans l'article 6 du décret-loi du 30 octobre 1935, de
l'indication selon laquelle l'évaluation des travaux et fournitures effectués
IV. - LE CHÈQUE

Le décret-loi du 24 mai 1938 comportant modification de


la législation sur le chèque a tendu, avec certaines dispo-
sitions d'un autre décret du même jour portant amélioration
du régime fiscàl à favoriser l'usage du chèque par diverses
mesures susceptibles d'inciter les débiteurs à employer celui-
ci plus largement, les créanciers à le recevoir plus facilement
en paiement.
Les mesures nouvelles adoptées dans ce but par le légis-
lateur peuvent être classées sous les trois rubriques suivantes :
Dispositions élargissant le domaine d'utilisation du

chèque ;
2° Dispositions augmentant la sécurité des « usagers » ;
3" Dispositions fiscales favorisant l'emploi du chèque (10).

A. — Dispositions élargissant le domaine d'utilisation


du chèque

Aux dispositions du premier groupe se rattache la modi-

:
fication des articles 3 et 38 du décret-loi du 30 octobre 1935
unifiant le droit en matière de chèque

(figurant sur l'état sommaire susceptible d'être requis par les bénéficiaires
des nantissements) n'engage pas l'administration, et précision attribuant
au contraire à cette évaluation le caractère d'une véritable reconnaissance
;
de dette, au moins dans une proportion à déterminer, de la part de ladite
administration
2° Restriction du champ d'application des privilèges du Trésor et
suppression pour la circonstance de leur caractère occulte, par la précision
à introduire dans l'article 7 du même décret selon laquelle « les droits des
bénéficiaires des nantissements ou des subrogations. ne seront primés que
privilèges conférés au Trésor par les lois en vigueur pour les
par. les fiscales
créances jouissant de ces privilèges mises en recouvrement avant
la date de signification de l'acte de nantissement faite au comptable >.
Voir en ce sens les conclusions de l'étude précitée de M.Jean Vallet
et celles de M. E. Derode, dans Les Etudes pratiques de Droit commercial,
1937, p. 180 à 186. ,.

(10) Notons ici que dans les trois premiers articles du décret du
24 mai comportant modification de la législation sur le chèque, les articles
modifié., complétés et rétablis sont indiqués comme articles « de la loi
L'article 3 de ce décret-loi, énumérant dans son alinéa
l" les personnes sur lesquelles un chèque peut être tiré, à
l'exclusion de tout autre (11) indiquait limitativement « un
banquier, un agent de change, le caissier payeur central du
Trésor public, les trésoriers payeurs généraux ou les receveurs
particuliers des finances, les établissements decrédit muni-
cipal et les caisses de crédit agricole».
Il faut désormais comprendre dans cette énumération le
caissier général de la Caisse des dépôts et consignations.
En matière de chèque barré, l'article 38 du décret-loi de
1935 précisait (al. 1") qu'un chèque à barrement général ne
pouvait être payé par le tiré qu'à un banquier ou à un client
;
du tiré il peut l'être aussi, désormais, à un chef de bureau de
chèques postaux. Par corrélation, un banquier pourra égale-
ment acquérir un chèque barré d'un de ces fonctionnaires,
alors qu'antérieurement il ne le pouvait que d'un de ses clients
ou d'un autre banquier (al. 3).

B. — Dispositions augmentant la sécurité des usagers


du chèque

Les dispositions tendant à augmenter la sécurité des


« usagers » du chèque ont visé successivement à protéger,
chaque fois qu'ils doivent l'être, tant les intérêts du tireur que
ceux du porteur et ceux du tiré.

;
du 14 juin 1865 modifiée par l'article 1er du décret-loi du 30 octobre 1935
unifiant le droit en matière de chèque» c'est, nous semble-t-il, Une
erreur, l'article 1er du décret-loi du 30 octobre 1935 n'ayant pas modifié
la loi de 1865, mais l'ayant implicitement abrogée, puisqu'ayant « rem-
»
placé ses dispositions par d'autres. Il n'y a donc plus lieu de se référer
à cette loi, qui n'existe plus, mais uniquement au décret-loi de 1935, et
c'est bien ainsi d'ailleurs qu'a procédé le rédacteur du rapport au Prési-
dent de la République qui précède le décret-loi du 24 mai 1938; ce rapport
ne contient aucune mention de la loi du 14 juin 1865. Nous avons adopté
la même méthode de référence au cours de cette étude.
(11) Sur les conséquences pratiques de cette énumération, cf. notre
étude sur « Le nouveau régime légal du chèque d'après le décret-loi du
30 octobre 1935 », publiée au Recueil général des lois, 1936, lro partie,
p. 33 à 63, et p. 96 (plus spécialement n08 18 à 21). Voir d'une manière
plus générale, sur l'ensemble de ces questions, les ouvrages fondamentaux
de M. Jacques Bouteron : «Le chèque », « Le droit nouveau du chèque »,
et spécialement le plus récent d'entre eax, « La jurisprudence du chè-
que *, Rirey, 1937, n° 39.
1. — Pour protéger le tireur dans ses rapports avec le
tiré, un deuxième alinéa ajouté à l'article 65 du décret-loi du
30 octobre 1935 prévoit, désormais, que :
« Tout banquier qui, ayant provision et en l'absence de
« toute opposition, refuse de payer un chèque régulièrement
« assigné sur ses caisses est tenu responsable du dommage
« résultant, pour le tireur, tant de l'inexécution de son ordre
« que de l'atteinte portée à son crédit ».

Ce texte, s'il devait être interprété à la lettre, consti-


tuerait à l'égard des banques une disposition particulièrement
défavorable et exagérément sévère :
Particulièrement défavorable, parce qu'il serait assez
désobligeant pour elles d'être seules tenues responsables d'un
refus de paiement que le législateur regarderait, par a contra-
rio, comme licite lorsqu'il émanerait, dans les mêmes condi-
tions, d'une des autres personnes citées à l'article 3 comme
ayant qualité pour que des chèques pussent être tirés sur elles
(agents de change, caissier payeur central du trésor public,
etc.) ;
Exagérément sévère aussi, puisque ce texte n'exige pas la
mauvaise foi, et qu'une erreur, même excusable, pourrait
théoriquement suffire à justifier une action en responsabilité
de la part du tireur.
Nous pensons donc que ce second alinéa de l'article 65
s'applique en réalité à tous les tirés, et seulement dans l'hy-
pothèse d'une faute lourde de ceux-ci équivalente au dol ;

c'est d'ailleurs ce que semble avoir pensé également le rédac-


teur du rapport au Président de la République précédant le
décret, qui, sans viser spécialement les banques, a présenté ce
texte comme prévoyant des sanctions « dans le cas où par mal-
veillance un ordre régulièrement donné par le tireur ne serait
pas exécuté, lui créant ainsi un grave préjudice».
Ajoutons que dans l'alinéa 1er (autrefois unique) du
même article, — imposant au banquier « qui, ayant provision,
délivre à son créancier des formules de chèques en blanc,
payables à sa caisse », l'obligation, sous peine d'amende, de
mentionner sur chaque formule le nom de la personne à la-
quelle cette formule est délivrée, — les mots « ayant provi-
sion », qui pouvaient créer une équivoque, ont été supprimés,
et le montant de l'amende porté de 20 à 50 francs par
contravention (12).
2. — L'article 66 du décret-loi du 30 octobre 1935 a subi
également d'importants remaniements pour augmenter la
sécurité des porteurs de chèques et inciter par là les créanciers
à accepter ce moyen de paiement.
Celui qui, de mauvaise foi, a, soit émis un chèque sans pro-
vision préalable et disponible ou avec une provision inférieure
au montant du chèque, soit retiré, après l'émission, tout ou
partie de la provision, soit fait défense au tiré de payer, reste,
comme

que,
précédemment,

dans ce cas,
passible

l'amende ne
des peines

pouvait
de

excéder
;
l'escroquerie,
prononcées par l'article 405, § 1"', du Code pénal mais alors
le double ni
être inférieure à la moitié du montant du chèque, cette limi-
tation supérieure a désormais disparu et l'amende ne peut
pas être inférieure au montant intégral du chèque ou de l'in-
suffisance.
3. — En outre, pour faire obstacle aux pratiques immo-
rales et dangereuses de certains milieux spéciaux où l'obten-
tion d'un chèque sans provision est ensuite utilisée contre le
tireur comme moyen de chantage de la part de bénéficiaires
peu intéressants (chèques-casino, etc.), le législateur a assi-
milé aux délits énumérés ci-dessus celui d'accepter de recevoir,
en connaissance de cause, un chèque émis dans les mêmes
conditions (13).

4. — Il convenait aussi, pour renforcer la sécurité des


porteurs, d'aggraver les pénalités frappant la contrefaçon ou
la falsification des chèques, dont des travaux récents ont mis
en lumière tous les dangers (14).

(12) Comp. Bouteron, « Le droit nouveau du chèque », p. 25 et suiv.,


et « La jurisprudence du chèque », p. 26, n* 27.
(13) Comp. Bouteron, «La jurisprudence du - »,
cheque u 120
nOS ~A
et 127.
(14x, Voir notamment sur cette question le rapport en date du1 no-
vembre 1937 présenté au Conseil de la Société des Nations par le Comité
Des dispositions nouvelles insérées dans le même arti-
cle 66, rendent désormais passible des peines de l'escroquerie
prononcées par l'article 405, § 2, du Code pénal, sans que
l'amende puisse être inférieure au montant du chèque, « celui
qui a contrefait ou falsifié un chèque, celui qui en connais-
sance de cause a accepté de recevoir un chèque contrefait ou
falsifié».

5. — Dans tous les cas ainsi prévus par ce nouvel arti-


cle 66 (chiffres 2, 3, et 4 qui précèdent), le tribunal pourra, en
outre, faire application de l'alinéa 3 de l'article 405 du Code
pénal, aux termes duquel les coupables pourront être frappés
pour dix ans au plus de l'interdiction de séjour et des droits
civiques, civils et de famille mentionnés en l'article 42 du
même Code.
En cas de récidive, l'interdiction totale ou partielle de ces
droits devra même être prononcée.
Enfin toutes les infractions ci-dessus visées sont désor-

;
mais considérées comme étant, au point de vue de la récidive,
un même délit il est inutile d'insister sur l'importance de
cette disposition au point de vue de l'aggravation des peines
susceptibles d'être ainsi encourues.

6. — D'autre part, on sait que la jurisprudence de cer-


tains tribunaux correctionnels aboutissait à contraindre le
bénéficiaire d'un chèque resté impayé faute de provision à
recourir à deux actions distinctes, l'une en dommages et inté-

;
rêts devant les tribunaux de l'ordre repressif, l'autre en paie-
ment devant la juridiction civile on conçoit les lenteurs et
les frais qui résultaient d'une telle jurisprudence.
C'est pour les faire cesser et renforcer encore, par con-
séquent, la situation des porteurs de chèques que le décret du

de juristes constitué en vue de l'établissement d'un projet de protocole


pour l'extension de la Convention internationale pour la répression du
faux monnayage du 20 avril 1929 à la falsification de certains papiers de
valeur, tels que les chèques (S. D. N., document n° C 542, M. 379, 1937,
II, A), ainsi que les travaux de la Chambre de Commerce Internationale
et de l'Académie Internationale de Criminalistique,
24 mai 1938, reprenant un texte voté il y a quelques années
la Chambre des députés sur la proposition de M. André
par Commission
Hesse et adopté dans ses grandes lignes par la
de législation civile et criminelle du Sénat (15), a inséré dans
l'article 66 du décret-loi du 30 octobre
sa nouvelle rédaction de
1935 un alinéa final ainsi conçu : exercées contre le
A l'occasion des poursuites pénales
«
tireur, le bénéficiaire, qui s'est constitué partie civile, est
«
«recevable à demander devant les juges de l'action publi-
égale au montant du chèque, sans préju-
«que, une somme dommages-intérêts. Il
«dice, cas le échéant, de tous pourra
«néanmoins, s'il le préfère, agir en payement de sa créance,
«
devant la juridiction ordinaire. »

Ainsi que le souligne le rapport au Président de la Répu-


blique précédant ce décret, le tribunal correctionnel, en même
temps qu'il se prononcera sur les réparations dues à la partie
lésée, est désormais habilité à ordonner le paiement du mon-
tant du chèque, et l'exécution du jugement dans toutes ses
parties pourra être poursuivie par la contrainte par corps.
Cette disposition
plus heureux résultats
législateur n'ait pas
;
semble appelée
nous
entièrement
à
regrettons
repris
donner

le
en
seulement
projet
pratique

élaboré
que
les

par
le

la Commission de législation civile et criminelle du Sénat, et


ait laissé de côté la partie de ce projet qui tendait à mettre
à lacharge de l'émetteur d'un chèque sans provision l'obliga-
tion de rapporter la preuve de sa bonne foi, au lieu de laisser
du ministère public celle d'éta-
à la charge du plaignant ou
blir sa mauvaise foi.
développées par M. le
Les très pertinentes observations
rapport cité sous la note précédente
Sénateur Curral dans son
perdu de leur valeur, et c'eût été là un moyen vrai-
n'ont rien
trop faciles exploits
ment efficace de mettre un terme aux
modernes particulièrement
de ces « faux monnayeurs >

proposition ae 101.le nl>pl'Ul


(15) Voir plus spécialement, sur cettecommission, annexé au prou-
de M. Curral, au nom de cette dernière
verbal de la séance du Sénat du 21 février
aussi Bouteron, « La jurisprudence du
1935,
chenue »,
bous
348
n"116.
à n
<?&.
leVoir -
redoutables pour le crédit privé que sont les émetteurs de
chèques sans provision.
7. — Il n'est pas enfin jusqu'aux tirés eux-mêmes dont le
décret-loi du 24 mai 1938 n'ait amélioré la situation.
Il l'a faite en décidant, par analogie avec le régime de la
lettre de change, que l'action du porteur contre le tiré serait
désormais prescrite, non plus par trente ans, mais par trois
ans, « le maintien du délai de droit commun ne convenant
pas à un moyen de payement tel que le chèque qui, par sa
nature même, doit avoir une très courte période de circula-
tion».
Désormais (alinéa nouveau ajouté in fine à l'article 52
du décret-loi du 30 octobre 1935), « l'action du porteur du
chèque contre le tiré se prescrit par trois ans à partir de l'ex-
piration du délai de présentation ».
Cette réforme, qui répond à un vœu bien souvent for-
mulé par le monde des affaires, ne peut qu'être approuvée (16).

8. — Il convient d'ajouter que le décret-loi du 24 mai


1938 (art. 2) a prévu de la manière suivante la situation,

antérieurement à sa promulgation :
au regard de cette prescription nouvelle, des chèques émis

Pour ceux de ces chèques ayant hors de ladite promulga-


tion moins de cinq ans de date, c'est-à-dire créés entre le 26 mai

:
1933 (inclus) et le 24 mai 1938 (inclus également), le délai
de trois ans visé ci-dessus a commencé à courir à dater de
cette promulgation 25 mai 1938 ; ils seront donc prescrits
le 25 mai 1941 ;
Au contraire, ceux ayant cinq ans de date ou plus lors de
ladite promulgation (c'est-à-dire créés le 25 mai 1933 ou anté-
rieurement) seront prescrits le 31 décembre prochain
(1938) (17).

(16) Voir sur ce ooint Bouteron, « La jurisprudence du chèque »,


n" 356 à 359, ainsi que notre étude citée plus haut sur « Le nouveau
régime légal du chèque », n01 59 à 65 et nOl 83 à 86.
(17) Il eût été plus correct, semble-t-il, dans ces diverses dispositions
de l'article 2 du décret-loi du 24 mai 1938, de prendre en considération
l'entrée en vigueur du décret au lieu de sa promulgation; la date de eg
C. — Dispositions fiscales favorisant l'emploi du chèque
Le législateur, pour encourager l'emploi de ce moyen de
paiement, a toujours soumis le chèque à un régime fiscal
favorisé.
Cette tendance s'est à nouveau manifestée lors des der-
niers décrets-lois, tant par les articles 3 et 4 de celui précité
du 24 mai 1938 comportant modification de la législation sur
le chèque, que par les articles 2 à 4 de l'autre décret du
même pour, comportant maintien du taux du droit de timbre
et déjà signalé au début de cette étude.
1. — Le droit de timbre du chèque (droit fixe de 75
centimes) a tout d'abord été exempté, comme celui des trai-
tes, de la majoration générale de 8
;
édictée par l'article 9
du décret du 2 mai 1938 relatif au budget il a été ensuite
ramené à 50 centimes à compter du Ie* août 1938 (art. 2 du
second des deux décrets du 24 mai sus-énoncés).
2. — En outre, aux termes du 1er alinéa nouveau de l'ar-
ticle 129 du Code du timbre (art. 3 du même décret), « toutes
les dispositions législatives concernant les droits de timbre
relatives aux chèques tirés en France sont applicables aux
chèques tirés hors de France et payables ou circulant en
France».
Ainsi se trouve réglé, dans le sens maintes fois réclamé
par les praticiens, le régime fiscal, qui fut si longtemps incer-
tain, des chèques désignés couramment dans le monde des
affaires sous le nom de « chèques en transit (18). »
;
mai) or il n'est entré en vigueur, au plus que le 27 ;
promulgation est en effet celle de sa publication au Journal Officiel (25
tôt, mai
chèques émis à partir de cette seconde date (pour l'avenir) et ceux
seuls les
mai
« émis antérieurement à sa promulgation », donc au plus tard le 24
(pour le passé) seront soumis aux nouvelles prescriptions; faut-il en
conclure que les chèques émis le 25 et le 26 mai 1938 échappent aux
dispositions, par ailleurs si judicieuses, du nouveau texte et continuent
à relever de la prescription trentenaire P.
(18) Voir sur cette question notre étude sur « Le Régime fiscal des
chèques en transit », au Rec. gén. des lois, 1932, 1" partie, p. 81. Voir
aussi Hamel, « Banques et opérations de banque », t. I, n° 720, ainsi que
le supplément « Le nouveau régime du chèque en France », 1936, nO. 716
à 720.
Cette disposition, comme celle fixant le montant du droit
de timbre, est applicable dans les départements du Haut-
Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle (art. 4 du même décret).

3. — D'autre pari, en cas de protêt, les formalités du

:
timbre et de l'enregistrement seront désormais données en
débet le porteur du chèque impayé n'aura pas à faire
l'avance des droits (souvent impossible à récupérer) le ;
recouvrement de ces droits sera poursuivi contre le
tireur par
le Trésor lui-même.
C'était là déjà, comme on s'en souvient, le régime
qu'avait instauré l'article 57 a du décret-loi du 30 octobre
1935, supprimé par rectificatif au Journal Officiel du 7
novembre suivant (p. 11.894), puis rétabli le lendemain par
un erratum annulant ce rectificatif (J. O. du 8 novembre,
p. 11.922) ; mais ce régime du débet avait été abrogé assez
malencontreusement par l'article 57 de la loi du 31 décembre
1936 portant réforme fiscale (19).
On ne peut que se réjouir de le voir maintenant rétabli
par l'article 3 du premier des deux décrets-lois précités du
24 mai 1938.

4. — Enfin, il convient de signaler, pour en terminer avec


cet examen des nouvelles mesures fiscales relatives aux chè-
ques, les dispositions de l'article 4 de ce même décret en ma-
tière de chèques tirés pour le compte de tiers.
En vertu de cet article, l'article 126 du Code du timbre,

:
assujettissant les chèques à un droit fixe de timbre, est com-
plété de la manière suivante
« Toutefois, est passible du droit proportionnel édicté par
« l'article 84 (celui applicable aux lettres de change) le chèque
« tiré pour le compte d'un tiers lorsqu'il est émis et payable
« en France et qu'il intervient en règlement d'opérations com-
« merciales comportant un délai de paiement.
« Un décret contresigné par le Ministre des Finances pré-
« cisera les modalités d'application du présent article :'>.

(19), Bouteron, « La jurisprudence du chèque », p. 330, eu notu.


Par ce texte le législateur s'est proposé, selon les expli-
cations contenues au rapport au Président de la République,
d'empêcher de bénéficier du tarif de faveur réservé aux vérita-
bles chèques, les « chèques tirés pour le compte d'un tiers,
lorsque, destinés à régler une créance commerciale du tireur
compte, ils n'ont d'autre but qu'éluder le payement du
pour
droit de timbre proportionnel sur la lettre de change à laquelle
ils se substituent » (20).
L'intention est certes des plus louables, et nous avons eu
déjà l'ocasion de signaler la fraude qui s'est en effet dévelop-
pée, sous le couvert de prétendus chèques tirés pour compte
de tiers, depuis la prohibition des chèques sur particuliers.
Mais si l'on ne peut qu'approuver quant au fond la nou-
velle disposition du décret qui tend à rendre désormais cette
fraude impossible, nous regrettons, quant à nous, que le légis-
lateur ait cru devoir employer l'expression de « chèques tirés
pour le compte d'un tiers » pour désigner ces chèques qui n'en
sont pas, légalisant ainsi, dans une certaine mesure, en dehors
du plan fiscal, une pratique des plus discutables du point de
règles de droit applicables aux chèques.
vue des tiers le
Est-il possible, en effet, de considérer comme un
titulaire même du compte sur lequel un chèque est tiré, alors
l'article 3 du décret-loi du 30 octobre 1935 unifiant le droit
que tiré
matière de chèque précise que le chèque ne peut être
en «

que sur un banquier, un agent de change, etc. ayant, au mo-


ment de la création du titre, des fonds à la disposition du
tireur, et conformément à une convention expresse ou tacite
d'après laquelle le tireur a le droit de disposer de ces fonds
par chèque », ce qui exclut sans
titulaire
doute
de la
possible
provision
le tirage
ne
sur
devan1
compte d'autrui, tireur et
être qu'une seule et même personne ?
Le tireur d'un chèque de la nature de ceux visés par le
décret-loi du 24 mai 1938 et improprement qualifiés de chèques
tirés pour le compte d'un tiers, n'est-il pas tout simplement un
émetteur de chèque tirant pour lui-même sur la provision que

(20) Le contexte permet l'expression regler


(ilititet-i,)i-(',ter
« une
créance et non pas « relier
eréance » comme signifiant « recouvrer une »
unedette».
le titulaire du compte a spécialement constituée à son inten-
tion en autorisant son banquier à en payer le montant ?
Comment admettre, en effet (sauf le cas de procuration
régulière), qu'une banque paye un chèque émis par une autre
personne que le titulaire du compte sur lequel ce chèque est
tiré, sans une autorisation préalable et formelle de ce titu-
laire équivalant à la constitution d'une provision, acquise au
tireur du seul fait de cette autorisation ?
Si cette provision préalable n'existe pas, ou si, existant, il
n'y a pas de « convention expresse ou tacite d'après laquelle
le tireur a le droit de disposer de ces fonds par chèque », le
prétendu chèque n'en est pas un et, au point de vue fiscal, il
doit supporter le droit de timbre proportionnel.
C'est, comme nous l'avons montré par ailleurs, par suite
d'une véritable confusion avec les lettres de change tirées pour
compte de tiers, que la pratique a tenté de s'établir de couvrir
»
de l'appellation de « chèques pour compte de tiers (pour les
faire bénéficier d'un régime fiscal de faveur) des effets qui ne
sont, en réalité, que des lettres de change déguisées, ou des
chèques sur particuliers domiciliés en banque, dont l'usage
est précisément interdit depuis le 1" février 1936.
Les véritables chèques pour compte de tiers n'ont, à
notre avis, rien de commun avec de tels effets (21).
Il aurait donc suffi, croyons-nous, de s'en tenir en cette
matière à l'application des principes généraux, en introdui-
sant, tout au plus, dans l'article 6 du décret-loi organique

;
de 1935, pour dissiper toute équivoque, une définition du
véritable chèque tiré pour compte d'un tiers le législateur
eut ainsi atteint le but qu'il poursuivait, sans imposer aux
banques la tâche quasi-impossible de rechercher (puisqu'elles
ne peuvent payer un chèque irrégulièrement timbré) si tel
ou tel chèque « tiré pour compte d'un tiers »
est ou n'est
pas intervenu « en réglement d'opérations commerciales
comportant un délai de payement :.
(21) Voir sur cette question notre étude sur « Les chèques tirés pour
le compte du tiers », au Rec. gén. des lois, 1936, 1" partie, p. 137. Comp.
Hamel, « Le nouveau régime du chèque en France », n° 470 bis, et Bou-
teron, c La jurisprudence du chèque », nOn 34 à 38.
Ne peut-on pas raisonnablement craindre que ces compli-
cations n'amoindrissent l'efficacité des dispositions nouvelles,
et même, par les difficultés qu'elles sont susceptibles de faire
naître entre les banques et leur clientèle, qu'elles ne risquent

par le :
d'aller à l'encontre du but principal poursuivi en définitive
législateur
de paiement ?
favoriser l'emploi du chèque comme moyen

Souhaitons que ces appréhensions disparaissent lors-


qu'aura été pris le décret spécialement prévu pour « préciser
les modalités d'application »de cette disposition nouvelle,
dont l'entrée en vigueur se trouve suspendue jusqu'à la
promulgation de ce décret.

V. - LA LETTRE DE CHANGE

L'acceptation obligatoire des traites

C'est par le désir du législateur d'améliorer la situation


de trésorerie des entreprises privées qu'a été inspiré l'arti-
cle 1er du décret-loi du 2 mai 1938 relatif au crédit (22) ren-
dant, par deux nouveaux alinéas ajoutés à l'article 124 du
Code de commerce, l'acceptation des lettres de change obliga-
toir,e sous certaines conditions (23).
Le rapport au Président de la République qui précède
ce décret expose en effet qu' « une des entraves les plus
sérieuses à l'obtention de crédit par les entreprises est le refus
que d'assez nombreux commerçants et industriels opposent
à l'acceptation des traites tirées sur eux par leurs fournis-
seurs ». L'obligation de donner cette acceptation permettr»
dorénavant, pense ce rapport, aux tireurs ou porteurs de ces
effets, « d'obtenir plus facilement, et d'une façon moins oné-
reuse, par le procédé de l'escompte, des disponibilités que les
banques hésitent, en raison du danger d'immobilisation, à
leur accorder par voie d'ouverture de crédit».
Considérée sous ce seul aspect du but à atteindre, l'accep-
tation obligatoire des traites compte depuis bien longtemps

(22) Ce décret-loi est applicable à l'Algérie (art. 2).


;
d'ardents partisans mais si elle avait été imposée sans cir-
conspection, cette réforme eût été susceptible de présenter
pratiquement, dans les rapports normaux des commerçants
entre eux, des inconvénients extrêmement graves qui en
auraient compensé lourdement les avantages (24).
Aussi le législateur, en édictant cette obligation nouvelle
par le premier des deux alinéas qu'il a ajoutés à l'article 124
du Code de commerce, l'a-t-il entourée des conditions suivan-
tes, qui en restreignent sensiblement la portée :
1° Il faut, en premier lieu, que la lettre de change ait
été créée « en exécution d'une convention relative à des four-
nitures de marchandises ».
Cette formule a déjà soulevé de la part de certains pra-
ticiens et commentateurs du décret, plusieurs difficultés d'in-
terprétation, à notre avis sans fondement, mais que nous
pensons cependant devoir signaler ici.
On s'est d'abord demandé si, par le mot de convention,
le législateur n'a pas voulu viser uniquement une convention
écrite, l'application des prescriptions nouvelles étant réservée
aux cas où la fourniture de marchandises résulterait de la
rédaction d'un acte ou d'un accord (marché, lettres missi-
ves, etc.).
Rien ne justifierait, selon nous, une interprétation aussi
formaliste et aussi peu conforme aux usages commerciaux
le mot convention doit être entendu ici dans son sens juri-
:
dique ordinaire et fort large d'accord des volontés des parties
contractantes, quelle que soit la forme dans laquelle cet accord
s'est réalisé.

(23) Notons dès maintenant, pour éviter toute équivoque, que l'ex-
pression « acceptation obligatoire », est prise ici dans le sensde « accep-
;
tation forcée », et non dans celui de « acceptation génératrice d'obliga-
tion », sens dans lequel elle est aussi employée quelquefois voir par
exemple: Percerou et Bouteron, « La Nouvelle législation française et
internationale de la lettre de change, du billet à ordre et du chèque », t. I,
1937, p. 90, n° 102, in fine.
(24) On trouvera un exposé particulièrement vivant et pratique de
ces avantages et de ces inconvénients dans un article de M. Albert Troul-
lier, « Pour ou contre l'acceptation obligatoire », publié dans l'Economie
nouvelle, numéro de mai 1938, p. 61.
On s'est aussi demandé si la disposition rappelée plus
haut, et plus spécialement les mots « créée en exécution d'une
convention », ne signifieraient pas que la traite ne pourrait
être présentée à l'acceptation obligatoire que si les parties en
avaient ainsi convenu ; interprétation compliquée et difficile-
ment intelligible :
Si les parties ont convenu entre elles que le tiré devra

acceptation contractuellement obligatoire ;


obligatoirement accepter l'effet, on se trouve en présence d'une
c'est précisément

gatoire légalement :
le seul cas où il était inutile de rendre cette acceptation obli-
est-il raisonnable de penser que les
auteurs du décret-loi n'auraient voulu légiférer que pour ce
cas-là?.n'est
Il pas possible d'ailleurs, dans l'examen du texte,
de s'arrêter ainsi après le mot « convention », en sous-enten-
dant ensuite, d'une façon plus ou moins divinatoire, les mots
« autorisant la création d'une traite soumise à l'acceptation
»
obligatoire
peut être scindée ;
; la formule du législateur forme un tout et ne
il s'agit d'une convention relative à des
fournitures de marchandises.
L'analyse des articles qui fait suite au rapport au Prési-

cette dernière méthode d'interprétation :


dent de la République précédant le décret, confirme d'ailleurs
l'acceptation des
lettres de change est rendue obligatoire, y est-il dit, « lorsque
ces traites ont été créées à l'occasion de fournitures de mar-
chandises. »
Ces trois derniers mots eux-mêmes paraissent aussi avoir
intrigué certains commentateurs qui ont recherché à quelle
autre espèce de traites, tacitement exclues du champ d'appli-
cation du décret, les auteurs de celui-ci avaient pensé en
restreignant la portée de leur texte aux seules traites « créées
en exécution d'une convention relative à des fournitures de
marchandises ».
L'Association nationale des sociétés par actions (A. N.
S. A.), dans une note pleine d'intérêt envoyée à ses adhérents,
a estimé que les traites ainsi exclues du champ d'application
du décret sont « celles correspondant à des prestations de
services ».
« Dans la pratique, ajoute cette note, il se présentera
des cas dans lesquels la distinction sera difficile, notamment
quand il s'agira de réparations, transformations, etc. dans
lesquelles entreront à la fois des prestations de services et
une part de fournitures. Dans ces cas, il y aura lieu de
rechercher ce qui constitue le principal ou l'accessoire du
contrat, pour appliquer à l'ensemble les règles régissant le
principal, et s'il y a doute il faudra, à notre avis, appliquer
la règle d'après laquelle les dérogations aux principes géné-
raux du droit s'interprètent strictement, car il n'est pas
douteux que l'obligation édictée par le texte que nous com-
mentons constitue bien une telle dérogation».
« Une prestation de services, — a écrit dans le même
sens M. L. Deschamps, — qui ne comporterait qu'accessoire-
ment des fournitures de marchandises, ne pourrait donc,
semble-t-il, donner lieu à l'acceptation obligatoire d'une
»
traite (25).
Sans contester l'exactitude de ces observations, et seule-
ment pour les préciser sur le terrain pratique, nous dirons,
quant à nous, que les traites auxquelles le législateur a taci-
tement opposé celles « créées en exécution d'une convention
relative à la fourniture de marchandises »
sont, à notre avis,
d'une façon plus particulière, celles qui sont assez fréquem-
ment créées (pour prendre une expression symétrique de
celle du décret) « en exécution d'une convention relative à
une fourniture de crédit », c'est-à-dire les traites dites de
mobilisation.
2° La seconde condition posée par l'article 1er du décret
du 2 mai 1938 à l'acceptation obligatoire d'une traite, c'est
que la convention (relative à une fourniture de marchandises)
en exécution de laquelle cette traite aura été créée, ait été
passée entre commerçants.
Un acheteur de marchandises non commerçant ne peut
donc pas être contraint, sur le seul fondement du décret,
d'accepter une traite.
(25) « L'acceptation obligatoire des traites », Qas. Pal. du 21 mai
1938.
Le but poursuivi par le législateur tel que nous l'avons
indiqué plus haut. (vaincre les refus d'acceptation opposés à
leurs fournisseurs par certains industriels et commerçants)
suffit à expliquer cette seconde condition d'application du
décret qui n'appelle pas d'observations spéciales.
3° 11 faut aussi, pour que l'acceptation du tiré-acheteur
soit obligatoire, que le tireur-fournisseur ait « satisfait aux
obligations résultant pour lui du contrat », c'est-à-dire qu'il
ait livré la marchandise dans les conditions stipulées, le mot
« contrat. », comme celui de « convention » rencontré plus
haut, désignant l'opération commerciale sur laquelle les parties
ont réalisé l'accord de leurs consentements, indépendamment
de tout écrit ayant constaté ou non cet accord de volontés.
Cette condition d'une livraison préalable et conforme de
la marchandise fait disparaître l'objection principale que les
adversaires de l'acceptation obligatoire lui opposaient par
avance, et à juste titre, mais il faut reconnaître qu'en reculant
ainsi l'époque de l'acceptation jusqu'à celle de la livraison de

;
la marchandise, ellerestreint sensiblement l'intérêt pratique
de la nouvelle prescription légale elle introduit, d'autre part,
dans les relations commerciales, un nouveau ferment de diffi-
cultés, la contestation d'une bonne exécution du contrat deve-
nant le moyen tentant, pour un accepteur récalcitrant, de
retarder le plus possible l'apposition de sa signature sur la
traite.
4° Enfin le décret précise encore que l'obligation d'accep-
ter ne prend naissance, les conditions précédentes étant suppo-
sées réalisées, qu'à l'expiration (mais dès l'expiration) « d'un
délai conforme aux usages normaux du commerce en matière
de reconnaissance de marchandises ».
Cette disposition vient renforcer notre observation sur

:
les difficultés pratiques auxquelles l'application du décret-loi
pourra donner lieu les usages normaux fixant les délais de
reconnaissance de marchandises sont variables d'après les
régions et les marchandises elles-mêmes, et il ne sera pas
toujours facile de les,déterminer d'une façon précise et certaine
sans contestations.
Supposons cependant que les diverses conditions qui pré-

se passer ?
;
cèdent soient indiscutablement remplies, mais que le tiré
refuse d'accepter la traite qui lui est présentée que va-t-il
Le décret-loi du 2 mai 1938, dans le second des deux
alinéas ajoutés par son article 1er à l'article 124 du Code de
commerce, a prévu en pareil cas la sanction suivante :
« Le refus d'acceptation entraîne de plein droit la déché-
ance du terme aux frais et dépens du tiré ».
La dette de ce dernier devient donc immédiatement exi-
gible par la seule constatation du refus d'acceptation.
Ainsi se trouve parfaitement clos, — dans l'hypothèse où
les conditions légales énumérées ci-dessus sont réalisées,
le cycle des conséquences cambiaires du refus d'acceptation
-:
L'article 147 du Code de commerce autorisait déjà, depuis
le décret-loi du 30 octobre 1935 unifiant le droit en matière
de lettre de change, l'exercice de ses recours de la part du
porteur « contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés»
même avant l'échéance de la traite lorsqu'il y avait eu refus
total ou partiel d'acceptation.
Le porteur pouvait donc, — comme il continue d'ailleurs
à le pouvoir, — assigner soit son cédant immédiat individuelle-
ment, soit un endosseur intermédiaire, soit le tireur, sMt
toutes ces personnes conjointement, toutes ces personnes
étant solidairement tenues (article 151, alinéa 1").
Au contraire, le tiré non accepteur, n'étant pas engagé
dans les liens du change, n'était pas obligé solidairement (26).
Désormais, — toujours sous réserve de la réalisation des
conditions précitées, — ce tiré non accepteur pourra être
également poursuivi par le porteur même avant l'échéance.

;
Cette modification de sa situation légale est certes consi-
dérable sur le terrain des principes est-ce à dire qu'elle
doive être très efficace dans le domaine pratique ?
Il est
permis d'en douter.

(26) Percerou ot Bouteron, op. oit., t. I, 1937, p. 144, n* 168, texte


et note 2.
En fait, tout d'abord, le tiers-porteur de la lettre de
change (généralement un banquier) ne sera, en effet, presque

est justifié
d'opposer le
;
jamais en mesure d'apprécier si le refus d'acceptation du tiré
ou non celui-ci
traditionnel « Pas
se sera
»
d'accord
probablement
au
contenté
présentateur de
l'effet qui, le plus souvent, ignorera les conditions et même
l'objet précis de la « convention » passée avec le tireur et se
trouvant à l'origine de la création de la traite.
Ce tiers-porteur devra donc se contenter, comme par le

et le :
passé, d'exercer ses recours contre les précédents endosseurs
tireur c'est ce dernier qui appellera le tiré en
Alors seulement se posera, entre tireur et tiré, la question
garantie.

de savoir si le refus d'acceptation était légitime, c'est-à-dire

un
:
si le tireur avait entièrement satisfait aux obligations de son
contrat question de fond qui ne pourra être réglée que par
jugement, précédé peut-être d'une expertise, dans tous les
cas après des délais assez longs, en sorte que l'échéance de
la traite en suspens sera survenue bien avant la solution
du litige.
On peut dire que pratiquement la sanction du refus
d'acceptation, la déchéance du terme, sera toujours inopérante.
Les industriels et les commerçants qui, pour des raisons
qui doivent être légitimes mais dont ils doivent rester seuls
juges, refusaient avant le décret-loi du 2 mai 1938 d'accepter
les lettres de change tirées sur eux, conservent au surplus
plusieurs moyens à leur disposition pour éviter les ennuis ou
les inconvénients auxquels ils entendaient vouloir se sous-
traire par ce refus :
Ils peuvent d'abord stipuler dans leurs conditions de
paiement qu'ils ne régleront leurs commandes que par chè-
ques ou en numéraire, X. jours après la livraison c'est
leurs fournisseurs éventuels d'apprécier si ces conditions leur
:
à

agréent et de ne pas traiter avec eux dans le cas contraire.


Ils peuvent aussi, tout en admettant le tira'ge de traites
sur leurs caisses, stipuler que ces traites ne devront en aucune
circonstance être présentées à l'acceptation et faire de cette
sitpulation une condition déterminante de leurs conventions :
Cette possibilité leur a été déniée par certains commen- I
tateurs, pour qui les dispositions de l'article 1er du décret-loi
2
du mai 1938 auraient un caractère d'ordre public s'opposant I
;
à ce que les intéressés puissent y déroger par des conventions I
contraires
ce dernier
mais
point
il ne nous semble pas possible de partager
de vue.
1
I

;
Ce ne sont pas des motifs tirés de l'intérêt public qui I
ont inspiré sur ce point le législateur le rapport au Président

pitre, n'autorise nullement cette interprétation :


de la République, que nous avons cité dès le début de ce cha-
il s'agissait

dises l'escompte de leurs traites ;


uniquement de faciliter à certains fournisseurs de marchan-
or, si l'on doit admettre
que les mesures prises pour améliorer la situation du
commerce et de l'industrie privés concourent à servir l'intérêt
général, il ne convient pas de. pousser à l'extrême - cette argu-
mentation qui conduirait à considérer toutes les règles du
droit commercial comme étant d'ordre public.
On remarquera, au surplus, que le législateur de 1938
n'a rien modifié des dispositions précédemment en vigueur en
matière de traites stipulées « non acceptables », dispositions
comprises au même article 124 du Code de commerce qu'il
vient précisément de compléter.
Or, la convention entre tireur et tiré de ne pas présenter
leurs traites à l'acceptation équivaudrait à stipuler la création
entre eux uniquement de traites non acceptables.
Si le législateur avait voulu donner le caractère d'ordre
public à ses prescriptions nouvelles en matière d'acceptation
obligatoire, il aurait donc retiré au tireur la faculté, que
continue à lui reconnaître l'article 124, d'interdire dans la
lettre la présentation à l'acceptation, ou de stipuler que la pré-
sentation à l'acceptation ne pourra avoir lieu avant un terme
indiqué.
Il aurait aussi abrogé le paragraphe 3° et modifié le
dernier alinéa de l'article 147 du même Code, relatifs à l'exer-
cice des recours de la part du porteur, même avant l'échéance
de l'effet, dans le cas de faillite du tireur d'une lettre non
acceptable, — puisqu'il n'aurait plus existé, désormais, de
traites non acceptables.
Or, non seulement il ne l'a pas fait, mais même s'il l'avait
désiré, il n'aurait pas pu le faire, car l'article 124 du Code de
commerce, qui prévoit l'existence de ces traites et qui corres-
pond sur ce point à l'article 22 de la loi uniforme adoptée
par la Conférence internationale de Genève en 1930, est en
vigueur, depuis le décret du 21 octobre 1936, comme disposi-
tion de droit interne prise en exécution d'un engagement
international; ce texte ne peut donc être modifié que dans
les conditions de cet engagement, à défaut de réserves spéciales
insérées à cet égard dans les Conventions de Genève, comme
les Etats contractants avaient la possibilité de le faire sur
les points pour lesquels ils désiraient conserver leur liberté
législative (27).
Voulu ou non, le maintien de la faculté pour le tireur
de créer des traites non acceptables résoud, à notre avis, par
l'affirmative la question de la possibilité pour lui de convenir
avec son tiré que leurs effets ne devront pas être présentés
à l'acceptation (28).
Quant à la question de savoir si en fait de telles conven-
tions seront fréquentes, la seule réponse qu'il paraisse possible
d'y faire, c'est que la négociation en vuede leur conclusion
aboutira chaque fois que le fournisseur tiendra à « faire
affaire » avec un acheteur décidé à ne pas traiter plutôt que
de risquer d'être contraint à donner son acceptation.

« Il ne faut pas oublier, — a très judicieusement observé


à ce sujet un juriste doublé d'un praticien expérimenté (29),
— que
ménager
A
;(le futur tiré) est l'acheteur, le client que l'on
qu'il pourra toujours éviter d'accepter, quitte à
doit

-
(27) Voir sur cette question Percerou et Bouteron, op. dt., Avant-
propos, pp. VIII à X.
(28) Cette question de la possibilité de convenir entre tireur et tiré
de la création uniquement de traites non acceptables laisse intacte celle
de savoir si, en dehors de toute convention avec le tiré, le tireur peut
à
avoir encore intérêt, depuis le décret-loi du 2 mai 1938, introduire dans
;
ses traites, de sa propre volonté, la clause « non acceptable » voir sur
cette seconde question l'article de M. Albert Troullier,'« De l'utilité de la
clause de non-acceptation d'une lettre de change depuis le décret-loi de
i938 », dans L'Economie nouvelle de juillet-août 1938, p. 122.
(29) Albert Troullier, «Pour on contre l'acceptation obligatoire »,
foc. cit.
rayer de sa liste de fournisseurs ceux qui exigeront les traites
acceptées. Que des abus, quelquefois même des chantages,
puissent provenir du fait de l'acheteur, le fait n'est pas niable,
mais V. (le vendeur) aura toujours besoin de A. et devra
le ménager. Pour obtenir un client, ou même le conserver
seulement, V.. sera toujours obligé de faire certaines conces
sions ».
Ces considérations réalistes, dictées par l'expérience, domi-
nent, en vérité, toute la question de l'acceptation obligatoire

merciaux seront libres ;


des traites, et elles la domineront tant que les échanges com-
doit-on les « caporaliser », pour
échapper aux inconvénients de cette liberté ?
C'est une autre question, et nous retrouvons là, sous un
aspect particulier, le grave problème qui s'offre à notre civi-
lisation toute entière, sur d'autres plans (30).
Il suffira, pensons-nous, de l'avoir indiqué, et nous consta-
terons seulement, pour conclure sur ce point, que, ramené à
son exacte portée, l'article 1" du décret-loi du 2 mai 1938
apparaît, en définitive, moins comme l'expression légale d'une
prescription destinée à être vraiment efficace que comme celle

général:
d'un vœu, auquel chacun doit d'ailleurs souscrire dans l'intérêt
celui que les acheteurs de marchandises ne refusent
plus, désormais, d'accepter les traites qui leur sont présentées,
à moins de raisons sérieuses et légitimes.

VI. — FAILLITESET BANQUEROUTES

Modification des délais d'opposition


et d'appel en matière de faillite
(Décret du 14 juin 1938)

Jusqu'en 1935, deux textes différents, l'article 580 et


l'article 582 C. com., réglementaient le premier l'opposition et
le second l'appel des jugements rendus en matière de faillite.

(30) Germain Martin. « De ln civilisation latine à la dictature asia-


tique x>, Paris, 1937.
Le décret-loi du 8 août 1935 portant »< l-- .?i,• 1.
modification du

Livre III du Code de Commerce abrogea l'article 580 et réunit


dans l'article 582 les dispositions relatives à ces deux voies de
recours ordinaires, en décidant, en outre, contrairement à une
règle traditionnelle de notre droit, que les délais d'appel cour-
raient à compter de la date des jugements eux-mêmes, et non
de leur signification.
Or l'expérience ne tarda pas à révéler que cette réforme
n'était pas sans inconvénient, et le rapport au Président de la
République qui précède le décret-loi du 14 juin 1938 modifiant
à nouveau les délais d'opposition et d'appel en matière de fail-
lite, signale que « des plaideurs n'ayant connu la décision qui
leur faisait grief qu'après l'expiration du délai de quinzaine,
se sont trouvés dans l'impossibilité de la frapper d'appel».
« Quelque souhaitable que soit la rapidité de la procédure
en matière de faillite, il demeure cependant désirable que les
intérêts, souvent fort importants, qui y sont en jeu, puissent
être efficacement sauvegardés ».
Cette situation avait déjà retenu l'attention des juristes
et des praticiens, et motivé le dépôt d'une proposition de loi
par M. de Courtois, sénateur, président de la Commission de
législation civile et criminelle du Sénat, adoptée par le Sénat
après un rapport substantiel de M. Georges Pernot au nom
de cette Commission.
C'est au texte ainsi voté par la HauteAssemblée que
le décret du 14 juin précité vient de donner force de loi,
en scindant à nouveau les deux ordres de dispositions relatifs
à l'opposition et à l'appel, faisant revivre l'article 580 (dans
une rédaction nouvelle pour l'adapter aux données du décret
de 1935, notamment à l'article 581, tel que modifié par ce
décret et modifiant l'article 582 en revenant à la règle tuté-
laire d'après laquelle le délai de quinzaine pour interjeter
appel des jugements rendus en matière de faillite ne court
qu'à dater de la significationde ces jugements, et non de leur
prononcé.
Désormais (art. 16" du décret-loi du 14 juin 1938), l'ar-
ticle 580 du Code de commerce est rédigé ainsi qu'il suit :
« Le délai d'opposition contre tous les jugements rendus
« en matière de faillite sera de huit jours à compter de la
« date de ces jugements. Toutefois, pour les jugements
« soumis aux formalités de l'affiche et de l'insertion par
« extrait dans les journaux, ce délai ne courra que du jour
« où ces formalités auront été effectuées. L'opposition for-
« mée par le failli n'aura en aucun cas d'effet suspensif ».
On remarquera, en rapprochant cetterédaction de celle
du même article antérieure au décret-loi du 8 août 1935, que
l'indication d'un délai d'opposition particulier ouvert à
« toutes parties intéressées »
autres que le failli, — indication

retrouve pas dans le texte nouveau :


qui avait soulevé une controverse classique (31), — ne se
c'est une conséquence
de la mise au point apportée à cette question par le décret de
1935 précité, lors de la nouvelle rédaction donnée par ce
décret-loi à l'article 581 (32).
Quant à l'article 582, il est, aux termes de l'article 2 du
décret-loi du 14 juin 1938, rédigé de la manière suivante :
« Le délai d'appel, pour tout jugement rendu en matière
« de faillite, sera de quinze jours seulement à compter du
« jour de la signification à personne ou à domicile.

« ;
« L'appel est jugé sommairement par la cour, dans les
trois mois l'arrêt est exécutoire sur minute.
« L'appel interjeté par le failli n'a en aucun cas d'effet
suspensif».
'IW-ïi',
(31) Percerou et Desserteaux, « Dos faillites et banqueroutes et des
liquidations judiciaires », tome I, 1935, n" 424 à 427.
(32) Percerou et Desserteaux, op. cit., tome II, 1937, p. 4 (addenda
et errata, mêmes nos)
:
Art. 581 C. Com. « Aucune demande des créanciers tendant à faire
« fixer la date de la cessation des payements à une époque autre que celle
« qui résulterait du jugement déclaratif de faillite, ou d'un jugement
« postérieur, ne sera recevable après le délai fixé par l'art. 495, à l'expi-
« ration duquel l'état des créances est définitivement clos. Ce délai expiré,
« l'époque de la cessation de payement demeurera irrévocablement déter-
« minée à l'égard des créancier? »,
Les trois articles 580, 581 et 582 du Code de Commerce
paraissent bien se présenter désormais dans la plus parfaite
harmonie (33).
Aggravation des règles applicables
en matière d'homologation de concordat et de banqueroute
(Décret du 17 juin 1938)

Le décret-loi du 17 juin 1938 tendant à assurer la pro-


tection du commerce français, — et dont nous avons déjà
analysé les deux premiers articles sous le chapitre de cette
étude relatif à la réglementation à l'égard des étrangers du
droit de faire le commerce, — s'est proposé, sous son article
3, de rendre plus sévères les conditions d'homologation du
concordat lorsque le failli aura subi certaines condamnations
de droit commun ou, ayant été précédemment déclaré en
faillite, n'aura pas été réhabilité.
Les condamnations ainsi visées par le législateur sont
celles pour crime de droit commun, pour vol, pour abus de
confiance, pour escroquerie, ou pour délit puni par les lois
des peines de l'escroquerie ou de la banqueroute, pour sous-
traction commise par dépositaire public, pour extorsion de
fonds ou valeurs, pour émission de mauvaise foi de chèques
sans provision, pour atteinte au crédit de l'Etat, pour recel
des choses obtenues à l'aide de ces infractions.
Aux termes des deux nouveaux alinéas ajoutés à l'ar-
tirle 515 du Code de Commerce, le tribunal ne pourra homo-

(33) Nous croyons devoir mentionner ici sans le commenter spécia-


lement, car il intéresse le Code de Procédure civile et non pas uniquement
le droit commercial, le nouveau texte intercalé par l'article 3 du décret-loi
du 14 juin 1938 entre les alinéas 3 et 4 de l'article 443 dudit Code, rela-
i tivement à l'appel éventuel, nom donné par les praticiens à « l'appel
qu'une partie, qui a gagné son procès, est amenée à interjeter pour la
sauvegarde de ses intérêts menacés par un appel principal émanant .de

:
celui qui a succombé en première instance ».
Ce nouveau texte est ainsi conçu « L'appel éventuel provoqué. par
« l'appel principal est de même recevable en tout état de cause.Toutefois,
« il ne pourra en aucun cas retarder la solution de l'appel principal. »
Il provient, lui aussi, de la proposition de loi de M. de Courtois votée
par le Sénat, et on en trouvera la justification motivée dans le rapport
déjà cité de M. Georges Pernot sur cette proposition.
loguer le concordat que par jugement motivé et dans l'intérêt
des créanciers lorsque le failli aura été l'objet d'une condam-
nation définitive pour l'une des infractions ci-dessus énu-
mérées, ou pour tentative ou complicité de ces infractions
« il en sera de même dans le cas où le failli aurait été précé-
;
demment déclaré en faillite et ne serait pas réhabilité».
C'est, en quelque sorte, le renversement de la situation
antérieure, sous l'empire de laquelle, d'après la jurisprudence
dominante, les infractions de la nature de celles citées plus
haut constituaient seulement des motifs tirés de l'intérêt
public autorisant les juges du fait, s'ils le croyaient bon, à
refuser l'homologation du concordat (art. 515, al. 1") : désor-
mais ces infractions suffisent par elles-mêmes à faire obs-
tacle à l'homologation et il ne peut être passé outre que par
un jugement motivé et dans l'intérêt des créanciers.
Quant aux motifs susceptibles d'être invoqués comme
étant tirés de cet intérêt, les juges les apprécient librement,
;
comme lorsqu'ils se proposent d'en faire état en sens
contraire c'est là une question de fait, et la décision du
tribnual sur ce point (ou celle de la Cour d'appel) échappe au
contrôle de la Cour de Cassation (34).

;
Cette aggravation des conditions de l'homologation du
concordat est applicable, on l'aura remarqué, quelle que soit
la nationalité du commerçant mais il est à noter, comme l'a
fait le rapport au Président de la République précédant le
décret-loi du 17 juin 1938, que les situations visées par les
dispositions nouvelles « se rencontrent très fréquemment
parmi les faillis de nationalité étrangère et, de ce fait, ces
mesures se rattachent aux moyens de défense qui doivent être
envisagés pour protéger le commerce français contre les
étrangers de moralité douteuse ».
Aussi l'article 5 de ce décret permet-il aux tribunaux
appelés à se prononcer sur l'homologation d'un concordat de
faire état même d'une condamnation prononcée par une juri-
diction étrangère, sous réserve que le tribunal correctionnel

(34) Comp. Percerou et Desserteaux, ojt. Ctt., tome II, 1937, UO 1312,
du domicile du failli ait préalablement vérifié, selon certaines
règles de procédure qu'il précise dans son 1er alinéa, la régu-
larité et la légalité de la condamnation.
De même, la faillite prononcée par une juridiction étran-
gère est considérée comme une « précédente » faillite, quand
le jugement déclaratif a été déclaré exécutoire enfrance (ali-
néa 2 dumême article).
Enfin, l'article 4 du décret-loi du 17 juin a complété
l'article 585 du Code de Commerce par un paragraphe 50 aux
termes duquel sera déclaré banqueroutier simple tout com-
merçant failli. « s'il a déjà été en faillite et si les deux faillites
ont été clôturées pour insuffisance d'actif ».
Cette disposition s'applique, comme la précédente, au
failli qui aurait fait l'objet d'une précédente faillite déclarée
par une juridiction étrangère, quand le jugement déclaratif
aura été déclaré exécutoire en France.
Dans l'un et l'autre cas, « la demande d'exequatur peut
être, à cette fin seulement, formée devant le tribunal civil du
»
domicile du failli, par le ministère public (article 5 du décret,
alinéa 2, in fine).
Le monde du commerce applaudira certainement à ce
premier essai de réaction contre l'accroissement scandaleux,
au cours de ces dernières années, du nombre des clôtures de
faillites pour insuffisance d'actif (35).

Désireux de ne pas sortir du cadre de cette Revue géné-


rale, nous ne consacrerons pas de plus amples développements
à ces diverses dispositions particulières au droit des faillites
que nous n'avons voulu ici que mentionner (36).

(35) Voir notamment les statistiques rapportées par Percerou et Deé-


serteaux, op. oit., tome I, nO' 71 et suiv., et tome II, nop 1272 et n0* 1477
à 1481.
(36) Notons d'ailleurs, comme l'a précisé le rapport du Président de
la République précédant le décret du 17 juin, que ces dispositions n'affec-
en rien « la réglementation des artisans étrangers, telle qu'elle a été fixée
par le décret du 8 août 1985, modifié par le décret du 2 mai 1938 »,
Pour volontairement succincte qu'ait été cette mention,
elle suffira d'ailleurs, pensons-nous, à donner un tableau
complet de l'effort tenté par le législateur de 1938, dans les
diverses branches du droit commercial, pour améliorer les
règles en vigueur en les adaptant aux nécessités et aux besoins
du moment.-
Puisse cet effort, auquel juristes et praticiens rendront
unanimement hommage, porter les heureux fruits qu'il mérite.
30 août 1938.

Philippe FARGEAUD
Docteur en Droit
1

:.., :,r
LA CHARGE DE LA PREUVE
DE L'EXÉCUTION EN MATIERE DE
RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE

Le problème a été fréquemment posé de savoir s'il appar-


tient au créancier d'une obligation d'en prouver l'inexécution
ou si, au contraire, la preuve de l'exécution incombe au débi-
teur. L'accord est loin de régner à ce sujet dans la doctrine et
il est même à craindre que, dans le louable souci de rattacher
les solutions préconisées aux principes généraux défendus,
l'on ait involontairement obscurci la question. Il semble,
d'autre part, que cet effort de généralisation ait abouti à une
transposition trop simplifiée des principes applicables aux
obligations, en général, au domaine particulier éminemment
complexe des contrats.
Avant de tenter de donner une explication qui s'efforcera
d'être cohérente, nous dresserons un tableau sommaire des
différentes solutions qui ont été préconisées et des critiques
qui leur ont été ou peuvent leur être adressées.
Nous pourrons alors défendre un point de vue différent
en faisant état de justifications théoriques et en envisageant
l'application pratique qui en peut résulter.

:
Les discussions qui se sont élevées ont pour base, nous
le rappelons, le texte de l'article 1315 du Code Civil « Celui
qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier
le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obli-
gation ». :
La portée du premier alinéa de l'article 1315 a été con-
testée à diverses reprises et dans un but d'unification des
règles de la responsabilité délictuelle et contractuelle, on s'est
acharné à en faire apparaître le sens sous un jour tout
nouveau.

tinction essentielle des situations :


Labbé (1) avait pourtant caractérisé clairement la dis-
« La faute qui ne se
présume pas est celle qui doit être le principe d'une obliga-
tion nouvelle. C'est alors que le § 1" de l'article 1315
est justement invoqué. Prouvez la faute qui me rend votre
débiteur. En d'autres termes, prouvez que vous êtes mon
créancier. Mais la situation est inverse lorsqu'un contrat a
fait naître une obligation quelconque. C'est au débiteur à
justifier de sa libération, ce qui implique, en cas d'inexécu-
'tion, la supposition de la faute jusqu'à la preuve du cas
fortuit».
Comme l'a précisé M. Meignié : « En matière délictuelle,
comme en matière contractuelle, il est vrai de dire que
« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prou-
:
ver ». Seulement, en matière contractuelle, l'obligation résulte
du contrat. Le demandeur n'a donc qu'à produire son contrat.
Il n'a pas autre chose à prouver, notamment la faute du débi-
teur, parce que ce n'est pas une faute qui est la source de
l'obligation de ce dernier.
Au contraire, en matière déHctuelle, l'obligation résulte
de la faute de l'auteur du dommage. Le demandeur qui doit
prouver l'existence de l'obligation, doit établir cette faute (2).
Cette thèse, en apparence parfaitement conforme au texte
de l'article 1315 (3) devait subir une série de critiques au béné-
fice de théories développées en vue de l'identification des
responsabilités délictuelles et contractuelles (4). M. Planiol

(1) Note sous Cass. Belgique, 8 janvier 1886, S., 86, 4. 25.
(2) Maurice. Meignié, « Responsabilité et Contrat. Essai d'une délimi-
tation des responsabilités contractuelles et délictuelles », Thèse, Lille,
1924, p. 93 et s.
(3) Cf. « Code Civil annoté », par Fuzier Hermann, article 131/»,
n° 86.
(4) Notamment critiques de Grandmouiin, « Nature délictuelle de
la responsabilité pour violation des obligations contractuelles ». Thèse,
Rennes, 1892, p. 55 et s. ; Aubin, c Responsabilité délictuelle et respon-
sabilité contractuelle », Thèse, Bordeaux, 1897, p. 65 et 9. ; Bendant,
« Cours de Droit Civil Français », n° 1196.
s'est associé à ces critiques
« opposer ici les
:
obligations
« Il ne faut pas », déclarait-il,
contractuelles aux obligations
légales, mais bien les obligations positives de donner ou de
faire aux obligations négatives ou de ne pas faire. Quand
une prestation positive est imposée à une personne au profil
d'une autre par la loi ou par la convention, il suffit au créan
cier de prouver son titre, c'est-à-dire l'existence de l'obliga-
tion ; cela fait, il est sûr d'obtenir une condamnation, à moins
qu'il ne prouve sa libération, soit par un paiement, soit par
une impossibilité fortuite d'exécuter. Le débiteur est obligé

la maxime:
de prouver le fait libératoire qu'il allègue par application de
« Reus in excipiendo fit actor ». Mais quand
l'obligation a pour objçt une abstention, il ne suffit pas au
créancier de prouver l'existence de cette obligation, il doit
encore prouver le fait de la contravention, sans cela on ne
saurait sur quoi se fonder pour lui allouer une indem-

:
nité. » (5). MM. Planiol et Ripert, insistant sur ce point,
précisent « La différence qu'on signale entre ces deux caté-

;
gories d'obligations dans le fardeau de la preuve existe donc

:
bien réellement mais on a tort de la faire d'après la nature
contractuelle ou légale des obligations elle tient à la nature
»
positive ou négative de leur objet (6).
Ainsi, pour cette théorie, la responsabilité délictuelle,
comme la responsabilité contractuelle, résulte de l'inexécution
d'obligations et est soumise à un même régime du chef de
l'article 1315. La nature des obligations contractuelles ou
légales constituerait la seule différence (7). D'autres critiques
s'efforcent, en outre, malgré la faible barrière qu'il leur oppo-
sait, de limiter la portée de l'article 1315 : celui-ci ne pourrait
recevoir application que dans le cas où l'exécution de l'obli-
gation serait encore possible car la loi, en exigeant du deman-
deur qu'il établisse le fondement de sa demande, l'obligerait
à prouver que toutes les conditions auxquelles est subor-

(5) Note Planiol sous Paris, 8 février 1896, D. P., 1896, 2. 457.
(6) « Traité Elémentaire de Droit Civil », 1932, T. II, p. 327, n° 889.
(7) Of, H. Muzeaud, « Essai de Classification des Obligations », Rev.
Trim., 1936, p. 28 et s.
- donné l'exercice du droit qu'il invoque sont réunies. « Prouver
l'existence du contrat suffit, lorsque le créancier se borne
à demander que le débiteur soit condamné à l'exécuter. Mais
il en est autrement s'il lui réclame des dommages-intérêts,
car l'obligation de payer des dommages-intérêts dérive, non
pas du contrat lui-même, mais de son inexécution consommée
ou d'un refus d'exécution qui y soit équivalent. Aussi long-
temps que l'inexécution n'est pas effective, le droit à des dom-
mages-intérêts demeure purement virtuel. Ce que le créan-

termes:
cier doit prouver, c'est l'inexécution du contrat, en d'autres
la faute contractuelle commise par le débiteur.
Aucune différence n'existe donc, en principe, entre les deux

la preuve:
régimes de responsabilité, en ce qui concerne la charge de
le demandeur doit toujours établir l'existence de
la faute sur laquelle il fonde son action en dommages-
»
intérêts (8).
Mais la distinction des obligations positives et négatives,
défendue notamment par Planiol, devait à son tour subir les
critiques de différents auteurs qui maintenaient cependant
l'unification. de l'ordre délictuel et contractuel qui avait été
introduite.
C'est ainsi que M. Glasson (9) préconisait une nouvelle
distinction entre l'obligation de donner ou de faire et l'obli-
gation d'agir avec soin et diligence.
Cette idée devait être clarifiée et systématisée de façon
magistrale par M. Demogue (10) dans sa classification des
obligations de résultat et des obligations de moyens. Ces der-
nières,seules, obligent le créancier à prouver leur inexécu-
tion (11).

(8) Jean Van Ryn, « Responsabilité aquilienne et contrats en droit


positif ». Bruxelles, 1933, n° 26 ; dans le même sens, Grandmoulin,
op. cit., Aubin, op. cit. ; cf. André Brun, « Rapports et domaines des
responsabilités contractuelles et délictuelles », Lyon, 1931.
(9) « Le Code Civil et la question ouvrière ».
(10) « Traité des obligations en général », T. V, n° 1237, p. 538.
(11) Dans le même sens, Van Ryn, op. cit., nO. 27 et s. ; Durand
Paul, « Des conventions d'irresponsabilité », Thèse, Paris, 1931, n° 55 ;
cf.. H. Mazeaud, op. ott., p. 23 et s.
Mais ces toutes dernières années ont vu se manifester
un retour offensif de la théorie classique plus ou moins
amendée.

thèse des partisans de l'unité de la responsabilité :


Après M. Meignié (12), M. Brun (13) s'est élevé contre la
comme
l'a signalé d'ailleurs M. Josserand (14), « la responsabilité
délictuelle naît, non pas de prétendus devoirs préexistants,
mais bien de la faute même qui a été commise à leur
occasion» (15).
MM. H. et L. Mazeaud se sont efforcés, d'autre part, de
réfuter la thèse en vertu de laquelle l'article 1315 n'aurait pas
pour résultat d'obliger le débiteur à faire la preuve de l'exécu-
tion lorsque le demandeur réclame, non plus l'exécution, mais
des dommages-intérêts.
Ces auteurs font très justement remarquer (16) que dans
l'un et l'autre cas, du point de vue de la charge de la preuve,

^ISI) Op. cit., p. 93 et s.


(13) Op. cit., p. 62.
(14) « Cours de Droit Civil Positif français », T. II, n° 422.

:
(15) M. Henri Mazeaud (op. cit., p. 28 et s.) fait, il est vrai, remar-
quer que l'article 1315 est un texte général « il fait partie de ces règles
gouvernant toutes les obligations contractuelles et extra-contractuelles
que les rédacteurs ont inscrites au titre des contrats, mais où ils ont
tracé la théorie générale de l'obligation. Les travaux préparatoires sont
là pour le démontrer. Alors, ou la présomption est générale et le débiteur
(l'auteur du dommage) doit prouver l'absence de faute que l'obligation
de prudence et diligence soit contractuelle ou extra-contractuelle, ou
cette présomption n'existe pas et c'est le créancier (la victime) qui doit
prouver la faute. Or la preuve de la faute est exigée sans discussion
possible en matière extra-contractuelle, on est donc bien contraint de
nier la réalité de la présomption d'inexécution dans tous les domaines ».
En réalité, comme nous l'avons déjà signalé (La responsabilité civile
en matière d'accidents et de dommages provoqués par le courant élec-
trique », n° 194, note 3) l'article 1315 ne paraît pas avoir en vue l'obli-
gation extra-contractuelle à laquelle tout manquement constitue une
;
faute — ce n'est là qu'une définition de la faute — mais bien l'obliga-
tion d'indemniser qui est la conséquence de cette faute l'obligation
envisagée n'est pas celle dont peut résulter la faute, mais celle qui naît
de la faute. Il n'y a aucun inconvénient à admettre que l'inexécution de
»
démontrée, grâce la preuve de la faute. ,
cette obligation est présumée du moment que son existence est, elle-même,
(16) « Traité théorique et pratique de la responsabilité civile »,
1934, T. I, n° 694; toutefois, dans la troisièmeédition (1938), MM. H. et
L. Mazeaud qui déclarent expressément revenir sur l'opinion défendue
dans les deux premières éditions, en ce qui concerne la charge de la
preuve (nO 694, note 5), émettent, à ce point de vue, une opinion plus
oirconspeote.
la situation est identique, car même dans la seconde situa-
tion, c'est toujours le débiteur qui se prévaut de l'exécution,
lorsque, précisément, il refuse de reconnaître l'inexécution
que le demandeur entend invoquer.
Il appartient donc au débiteur de prouver que l'exécution
a été effectuée, alors même que le demandeur ne réclame-
rait pas cette exécution, mais seulement des dommages-inté-
rêts compensatoires.
MM. H. et L. Mazeaud font d'ailleurs application de
l'article 1315 ainsi interprété aux obligations de prudence et de
diligence qui sont le corollaire des obligations de moyens de

de celle de ce dernier:
M. Demogue et aboutissent ainsi à une conclusion différente
selon ces auteurs, en effet, c'est au
débiteur à démontrer qu'il a fait preuve de toute la prudence
désirable. « Le malade établit qu'il n'a pas été guéri, le dépo-
sant prouve que la chose déposée a été détériorée. Le médecin
et le dépositaire ne peuvent pas alors demeurer dans une
attitude purement négative et répondre seulement : « Prouvez
notre imprudence » car le résultat que, sans doute, ils ne
s'étaient pas engagés à atteindre, mais dans la direction duquel
ils avaient promis de donner leur activité, n'étant pas réalisé,
il en résulte contre eux, au moins une présomption de négli-
gence. Ils -vont donc, nécessairement, affirmer la prudence et
la diligence qu'ils ont consacrées à l'affaire de leur débiteur.
Ce sont eux, en réalité, qui se prévalent de l'exécution, de
l'absence de négligence et d'imprudence.
Voilà pourquoi il est conforme aux principes généraux
de les obliger à l'établir. »

:
Il n'est pas, au surplus, jusqu'à la distinction de M. Demo-
gue dont l'intérêt n'ait été contesté M. Marton estime (17)
que « l'activité ou la série d'activités qui sont nécessaires

;
pour effectuer le résultat n'en sont que les purs moyens qui,
en règle, n'intéressent point le créancier ils lui sont indiffé-
rents, peut-être inconnus ». Pour lui (18), « la distinction

(17) « Obligations de résultat et obligations de moyens », Rev.


p.
Trim.,1935, 512.
(18) Op. cit., p. 517.
de certains auteurs entre les différentes obligations, qu'ils
enrôlent tantôt dans l'un et tantôt dans l'autre des groupes
signalés (obligations de résultat et obligations de moyens)
est totalement erronée.
Il n'existe pas deux sortes d'obligations.
Il n'y a que des obligations de résultat. Ce qu'on appelle
des obligations de moyens ne sont que des obligations dont le
but est précisé étroitement par un résultat fragmentaire, par
une tâche partielle par rapport à un but plus étendu qui,
cependant, est resté en dehors de l'obligation. »
Comme l'a fait remarquer M. Paul Esmein (19) : « On
dit que le débiteur ne promet pas un résultat. Il promet pour-
tant toujours un certain résultat, à savoir, la prestation de
ses services. »

complète dans la doctrine :


Ainsi le désaccord paraît régner de façon à peu près
certains maintiennent avec plus
ou moins d'intransigeance le principe en vertu duquel il appar-

cette obligation a été exécutée ;


tient au débiteur de l'obligation de rapporter la preuve que
d'autres admettent que,
suivant la nature des obligations, la preuve incombe tantôt
au débiteur, tantôt au créancier, celui-ci devant alors prouver
l'inexécution. Mais l'accord ne s'est pas établi de façon parfaite
entre les partisans de cette théorie sur le critérium des obliga-
tions mettant la preuve à la charge du créancier ou du débi-
teur.
Quoi qu'il en soit, il apparaît que les critiques d'ordre
théorique qui sont adressées à ces diverses opinions contien-
nent une large part de vérité. Au surplus l'application de
chacune de celles-ci semble se heurter à des difficultés prati-
ques insurmontables. Il convient donc de rechercher des solu-
tions permettant une adaptation beaucoup plus souple.
Ainsi il paraît préférable de ne pas s'efforcer de maintenir
le principe de l'unité de la responsabilité délictuelle et con-
tractuelle.

(19) « Le fondement de la responsabilité contractuelle rapprochée de


;
la responsabilité délictuelle », Rev. Trirn., 1933, p. 627 et s. Voir
également la note André Breton, S., 1937, 1. 326 et s.
Une unification n'est pas, en l'espèce, une simpification,
en raison des textes différents qui régissent les deux domaines
et qui paraissent subordonnés à des règles qui ne sont pas
entièrement symétriques (20).
Cette solution paraîtra d'autant moins contestable si l'on
veut bien admettre qu'en matière contractuelle la source de
l'obligation, c'est le contrat, et qu'en matière délictuelle, c'est
au contraire la faute (21). Nous ne pouvons que nous associer
aux critiques judicieuses qui ont été adressées à la thèse des
partisans de l'unité de la responsabilité qui considèrent que la
faute délictuelle est un manquement à une obligation préexis-
tante, tout comme la faute contractuelle (22). Ce. point
de vue artificiel ne paraît pas susceptible de simplifier
le problème, car il subordonne toute analyse à la sujétion de

;
découvrir des caractères symétriques en matière délictuelle
et contractuelle il aboutit à paralyser, au moyen d'un cadre
trop étroit et purement théorique, l'originalité de fait de chacun
des systèmes de responsabilité (23).
Au surplus, les solutions trop rigides qui ont été admises
ne correspondent pas à la situation respective des parties
contractantes et à leur rôle exact lorsqu'une demande d'exé-
cution, ou de dommages-intérêts pour inexécution, se trouve
formulée.
La distinction à opérer ne repose pas seulement, en effet,
sur la nature des obligations, mais encore sur la situation
nouvelle du débiteur qui a prouvé avoir accompli les éléments
essentiels de l'obligation.
Nous reconnaissons cependant qu'il y a lieu de réserver un
sort particulier aux obligations de ne pas faire qui, comme
il est le plus souvent admis, ne paraissent pas subordonnées
au principe de l'article 1315.
Ceci étant, nous nous efforcerons, en ce qui concerne les
obligations de faire, de démontrer qu'il convient de distin-

(20) Cf. Claude Thomas, « La distinction des obligations de mqyen


et des obligations de résultat », Revue Critique, p. 650.
(21) Dans ce sens, Meignie, op. oit., p. 93 et s.
(22) Vr. Brun, op. oit., p. 62.
(23) Contra Van Ryn, op. oit., p. 38.
guer la preuve de l'exécution de l'obligation qui incombe au
débiteur et la preuve de l'imperfection de l'exécution qui
incombe au créancier.
S'il appartient en effet au débiteur de prouver qu'il a
exécuté les éléments essentiels et caractéristiques de l'obliga-
tion, on ne saurait lui imposer de prouver que cette exécution
a été parfaite dans ses moindres détails. En d'autres termes,
s'il y a présomption d'inexécution des éléments essentiels de
l'obligation, il n'y a pas, dans le cas où l'exécution de ces
éléments a été accomplie, de présomption que l'exécution ait
été, à tous.points de vue, incorrectement effectuée, car, s'il
en était ainsi, il appartiendrait au débiteur de réfuter, de
façon probante, toute allégation relative à une défectuosité
quelconque de l'exécution. Or, une pareille charge, imposée
au débiteur, ne nous paraît pas admissible.
L'opinion que nous préconisons ne semble d'ailleurs,
nullement en contradiction avec le texte de l'article 1315 du
Code Civil.
Selon certaines des théories que nous avons précédem-
ment envisagées, les dispositions de cet article se trouvent
réduites à néant. Selon d'autres théories, l'interprétation en

:
est absolument littérale. En réalité, aucune d'elles ne paraît
donner à l'article 1315 sa véritable portée en vertu de cet
article,c'est à celui qui allègue un fait contraire à une situa-
tion acquise à procéder à la démonstration de ce fait (24).
Or, comme l'ont démontré MM. H.et L. Mazeaud, lorsque

-
le créancier a établi l'existence de l'obligation, c'est au débi-
teur à en prouver l'exécution, s'il prétend s'en prévaloir.

:
Mais cette exécution est suffisamment prouvée lorsque
ses éléments essentiels en sont établis le débiteur se trouve
dans une situation acquise, il est présumé avoir exécuté nor-

(24) Cf.Colin et Capitant, «Cours Elémentaire de Droit Civil


français », t. II, n° 101 ; Aubry et Rau, par. 749, note 13 : « Si le
défendeur, au lieu de contester le fondement même de la demande y
oppose une exception proprement dite, il reconnaît, au moins d'une
manière hypothétique, l'existence du droit qui forme l'objet de la
demande et dès lors sa résistance à la réalisation ou à l'exercice d'un
droit ainsi reconnu constitue de sa part une prétention dont il est terni
de prouver la légitimité. »
malement et il est fondé à exiger que le bien-fondé des criti-
ques dirigées contre les modalités de cette exécution soient
justifiées.
En somme, le défendeur peut se prévaloir de l'exécution
dont il a rapporté une preuve suffisante pour bénéficier d'une
présomption d'exécution normale et le demandeur doit, en
revanche, s'il invoque le caractère insuffisant ou incorrect de
cette exécution, le démontrer.

surprendre:
Cette alternance dans la charge de la preuve ne doit pas
M. Bartin (25), dont M. Esmein (26) a d'ailleurs
rappelé les considérations, estime que chaque partie n'a pas
à apporter une preuve totale, c'est-à-dire la démonstration de

:
tous les éléments dont le bien-fondé de sa prétention suppose
l'existence elle n'est tenue d'établir qu'une probabilité de
vérité et c'est à l'adversaire qu'il incomberait de prouver le
bien-fondé de sa prétention, ce qu'il ferait en établissant lui-
même une simple probabilité et ainsi de suite.
Cette vue paraît exacte, mais, en notre matière, il semble
bien que l'obligation de preuve ne s'ordonne pas au hasard
et que précisément débiteur et créancier doivent se répartir
le fardeau de la preuve en prouvant le premier, s'il est néces-
saire, l'exécution de l'obligation caractéristique du contrat, le
second l'imperfection de cette exécution.
Une telle opinion est corroborée par une notion d'aptitude
à la preuve dont M. Esmein a fait état dans un sens il est vrai
différent (27)
Cet auteur fait remarquer que : « La solution d'un litige
dépendant de l'existence ou de l'absence d'un fait, il arrive
que l'une des parties ait ou ait eu la possibilité de réunirles
renseignements susceptibles de former la conviction du juge,
que l'autre partie n'ait pas eu cette possibilité, ou l'ait eue
à un bien moindre degré. Ne convient-il pas de mettre la
preuve à la charge de la première ?

(25) Aubry et Rau, t. XII, par. 749, note 19 bis et 20 bits.


(26) « Le fondement de la responsabilité contractuelle rapprochée
de la responsabilité délictuelle », Rev. Trim., 1933, p. 727 et s.
(27) Esmein, op. cit., p. 644 ; cf. Van Ryn, op. oit., n° 27.
Cette solution se rattache à l'idée même qui est à la base
du principe de probabilité suffisante, à savoir l'idée qu'il ne
faut pas exiger d'un plaideur plus qu'il ne peut pratiquement
faire, alors surtout que l'autre partie peut le suppléer sans
être surchargée. »
Or précisément le débiteur a le plus souvent toute facilité
pour prouver les éléments caractéristiques de l'exécution.

vrance d'un ;
S'il s'agit d'une remise d'objet, il aura dû exiger la déli-
récépissé s'il s'agit de la manifestation
certaine activité, il aura, en général, la possibilité d'en démon-
d'une

trer le résultat.
Au contraire il lui serait souvent très difficile de prouver
la perfection de l'exécution ou tout au. moins l'absence de
défaut dans cette action parce que, très souvent, la récla-
mation ne survient qu'après la remise du résultat de l'obli-
gation entre les mains du créancier ou après son anéantisse-
ment partiel ou total, qui précisément est à la base de la récla-
mation du créancier.
Il est à la fois plus juste
ait à prouver cette imperfection
et
:plus opportun que le créancier
Il bénéficie de l'avantage
de position de celui qui critique, s'il est exact que ce soit là
une attitude aisée et une tendance conforme à l'esprit humain.
S'il a détenu le résultat de l'obligation, il aura légitime-
ment à démontrer, par la même occasion, que les faits dont
il se plaint n'ont pas pour cause sa propre intervention et
cette détention, elle-même, justifiera l'obligation de preuve
qui lui est imposée.
Quelle que soit la solution admise en matière d'obliga-
tions positives, nous admettrons d'ailleurs, notamment pour
la raison précitée d'aptitude à la preuve, que la charge de la
preuve incombe en revanche au créancier en matière d'obli-
gations négatives. C'est là une opinion qui a été justifiée
également par Plantai (28) : « Quand l'obligation a pour
objet une abstention, il ne suffit pas au créancier de prouver
l'existence de cette obligation, il doit encore prouver le fait
de la contravention, sans cela on ne saurait sur quoi se fonder
pour lui allouer une indemnité. Tel est bien le système sous-
(28) Note sous Paria, 8 février 1896, D. P., 1896, 2. 457,
entendu dans l'article 1145 du Code Civil ainsi conçu
l'obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit
« Si :
les dommages-intérêts par le seul fait de la contravention».
Cet article a été écrit pour dispenser le créancier de la mise
en demeure préalable, nécessaire dans les obligations de faire

»
(article 1146), il n'en est pas moins vrai que le fait de la
contravention est la condition de l'indemnité et que, par suite,
il doit être prouvé.

;
Tel est le cas, par exemple, de l'obligation contractuelle
de ne pas chasser sur une terre l'infraction doit être prouvée
par le créancier qui sans cela n'a rien à réclamer (29).
Si l'on revient à nouveau à l'étude des obligations posi-
tives, on peut se demander s'ilne convient pas de faire appli-
cation, aux contrats faisant naitre des obligations positives,
des règles précédentes, dans la mesure où ils comportent des
obligations complémentaires assimilables à des obligations
négatives.
Le débiteur de l'obligation positive dont l'exécution a été

;
prouvée, avions-nous dit, doit à son tour démontrer l'imper-
fection de l'exécution mais alors, s'il est, en ce cas, dans la
situation d'un créancier d'obligation négative, n'est-ce pas
précisément parce que prouver l'imperfection de l'exécution
d'une obligation de faire, c'est prouver l'inexécution d'une
obligation de ne pas mal faire ou de ne pas agir de façon
incomplète ou incorrecte qui lui est complémentaire ?
On peut, il est vrai, contester ce point de vue en déclarant
que, si cette transformation était possible, on devrait admettre
également que l'obligation positive peut être considérée com-
me une obligation négative en précisant qu'elle n'est qu'une
obligation de ne pas « ne pas faire », c'est-à-dire de ne pas
s'abstenir d'accomplir l'obligation.
Il est évident que le contrat de transport, par exemple,
peuttoujours se décrire « en négatif », comme l'obligation de
ne pas laisser le voyageur au point de départ et de ne pas
le transporter à une destination différente de celle qui avait
été prévue.

(29) Meignié, op. cit., p. 93 et ; cf. Esmein, op. oit., n° 12, 2°.
a.
La critique pourra être considérée comme spécieuse, si
l'on veut bien admettre que l'obligation positive, à la différence
de l'obligation négative, ne comporte pas la nécessité d'une
abstention absolue dans le sens défini par le contrat, mais au
contraire d'une obligation d'action que l'on peut définir, il
est vrai, « en négatif» comme dans l'exemple précité.
Par contre, si le créancier invoque l'imperfection de
l'exécution, il semble bien que dans l'esprit du créancier,
comme dans celui du débiteur, la réclamation porte, plus
encore peut-être, sur une infraction à une obligation de ne
pas mal faire que sur une idée d'exécution incomplète de
certaines obligations principales ou accessoires.
Si l'on reconnait qu'il en est bien ainsi, il y a là une nou-
velle justification de la distinction préconisée en matière de
charge de la preuve.
Ces justifications d'ordre général ne doivent pas faire
oublier qu'il convient de vérifier quelle peut être l'application
de ces principes aux contrats les plus divers et quelles peu-
vent être leurs réactions en présence, d'une part, des difficultés
pratiques susceptibles d'être soulevées dans certains cas parti-
culiers et, d'autre part, des textes qui régissent certains
contrats spéciaux.
Nous considérerons tout d'abord, de la sorte, le contrat
de bail. ': ;
Ce contrat peut susciter des actions en responsabilité
émanant soit du propriétaire, soit du locataire.
Le propriétaire se plaint, par exemple, que le locataire ait
provoqué un incendie qui a détruit tout ou partie de l'immeu-
ble. Quelle va être la situation des parties au point de vue de
la preuve de l'exécution ou de l'inexécution des obligations ?
Le locataire débiteur de l'obligation de restitution, et qui
a la charge de prouver l'exécution de son obligation, a, évi-
demment, le choix, soit de reconnaître le mauvais état dans
lequel se trouve l'immeuble après le sinistre, soit de contes-
ter cette situation dont le propriétaire se prévaut pour récla-
mer des dommages-intérêts.
Si le locataire reconnaît l'inexécution de l'obligation, il
sera évidemment responsable, à moins qu'il ne prouve, confor-
mément aux principes généraux, que cette inexécution est

; ;
consécutive à un cas fortuit ou de force majeure, dans les
termes de l'article 1733 du Code Civil la solution ne présente
aucune difficulté il n'est pas contesté, en effet, que l'inexécu-
tion d'une obligation ne fasse peser sur le débiteur qu'une
présomption de responsabilité dont celui-ci peut se décharger
par la preuve du cas fortuit ou de force majeure.
Mais il peut se faire que le locataire affirme être en
mesure de remplir son obligation de restitution.
L'inexécution de son obligation étant présumée, il devra
prouver que l'immeuble subsiste toujours dans ses parties
essentielles, au cas où ce fait serait lui-même contesté.
il
Par contre, appartient au propriétaire de prouver l'im-
perfection de cette exécution en démontrant que l'immeuble
ne se trouve plus dans son état antérieur.
:
Il est vrai que l'article 1731 précise que « S'il n'a pas été
fait d'état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus
en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels,
sauf la preuve contraire».
Mais la présomption n'existe que pour les réparations
locatives, telles qu'elles sont définies par l'article 1754 du
Code Civil et cette exception laisse bien entendre que la règle
se trouve être telle que nous l'avons formulée (30).
En fait, il est bien évident que cette question de preuve
se posera rarement, car l'inexécution de l'obligation de res-
titution que nous avons prise pour exemple est le plus souvent
indiscutable parce que précisément elle se manifeste presque
toujours, sauf pour les réparations locatives envisagées par
l'article 1731, de façon très apparente.
Mais choisissons comme nouvel exemple l'obligation de
délivrance du propriétaire, qui est, d'ailleurs, la seule obliga-
tion caractéristique de la situation de ce dernier.
Il appartiendra au propriétaire de prouver qu'il a délivré
la chose louée, étant entendu que le locataire aura préalable-
ment établi l'existence du contrat de bail dont il invoque
l'inexécution par le propriétaire.

(30) Dans ce sens, Cass. Civ., 28 janvier 1936, S., 1936, 1. 126.
Par contre, il incombera au locataire de prouver les faits
qui constituent l'imperfection de l'exécution de cette obliga-
tion, comme par exemple l'existence d'un vice de construc-
tion, et, aux termes de l'article 1721 du Code Civil, le proprié-
taire se trouvera responsable si le locataire qui a subi un pré-
judice de ce fait rapporte la preuve de l'existence de ce vice
de construction.
Si nous considérons un autre contrat, la vente, nous
aboutirons à uneadaptation analogue des principes admis.

de délivrance de la chose vendue :


L'obligation caractéristique du vendeur est l'obligation
il devra donc démontrer
qu'il a remis les clefs ou les titres, s'il s'agit d'immeubles, con-
formément à l'article 1605 du Code Civil.
Mais par contre, s'il appartient à l'acheteur de prouver
l'existence des vices redhibitoires, c'est parce qu'ils consti-
tuent l'imperfection de l'exécution de l'obligation de déli-
vrance.
De même l'acheteur devra prouver les troubles dont il se
plaint.
L'acheteur pourra d'autre part avoir à démontrer qu'il a
accompli son obligation de payer le prix et de prendre livrai-
son de la chose.
Si nous envisageons le contrat de transport, un raisonne-
ment identique nous paraîtra justifier les solutions admises
par la jurisprudence.
M. Josserand estime que c'est au créancier demandeur
en dommages-intérêts qu'il incombe de prouver l'inexécution
de son obligation ; il précise (31) que lorsqu'un voyageur est
blessé au cours du déplacement qu'il effectue, il doit « établir
qu'il y a eu inexécution du contrat de transport, c'est-à-dire
que l'accident est survenu en cours de transport (Civ., 20
juin 1922 (D. P., 1923, 1. 209) ».

même principe :
Nous admettons une solution analogue en maintenant le
le transporteur doit, en effet, prouver l'exé-
cution de son obligation qui est le transport du voyageur à la
destination convenue, mais il appartient à ce dernier de prou-

(31) « Cour* de Droit Civil Positif Français », 1933, T. II, n* 617.


ver tout ce qui constitue l'imperfection de cette exécution
par exemple l'arrivée tardive, les blessures provoquées en
:
cours de transport. En matière de transport de marchandises,
les contestations sur l'imperfection de l'exécution de l'obliga-
tion peuvent être assez délicates pour que le Code de Com-
merce prévoie expressément, par son article 106, les condi-
tions dans lesquelles le destinataire doit rapporter la preuve
qui lui incombe.
En revanche, le transporteur des objets doit prouver
l'exécution de son obligation, c'est d'ailleurs à cette fin qu'il
se fait délivrer récépissé par le destinataire des objets.
Après l'examen de ces différents contrats, on peut se
demander si la même règle va se trouver applicable à des obli-
gations de moyens ou à ce que MM. H et L. Mazeaud appellent
des obligations de prudence et diligence. Nous pensons qu'il
en est ainsi, étant entendu que l'idée de limitation de la
preuve à la « probabilité de vérité » trouvera particulièrement,
en de tels contrats, la possibilité de manifester son intérêt
la preuve de l'exécution sera considérée comme rapportée
:
dès que le défendeur aura prouvé les caractères généraux de
prudence et de diligence de son attitude. Cette preuve som-
maire rapportée, le demandeur aura à démontrer l'imperfec-
tion de l'exécution, c'est-à-dire, pratiquement, la faute.
Si l'on considère, par exemple, la responsabilité médicale,
certaines des difficultés qui ont pu surgir se trouveront réso-
lues. La Cour de Cassation a, en effet, admis le caractère con-
tractuel de cette responsabilité (32).
Pour M. André Breton (33), « l'admission de la thèse
contractuelle en matière de responsabilité médicale a pour
conséquence nécessaire. de faire porter sur le médecin la
charge de la preuve».
A cette règle, qui peut paraître excessivement sévère
pour le médecin, MM. H. et L. Mazeaud se sont efforcés, anté-
rieurement, d'apporter une explication (34).

(32) Cass. Civ., 20 mai 1936, S., 1936, 1. 321 et la note André Breton.
(33) Note précitée, p. 327.
(34) Op.cit., 1934, T. I, n" 694.
Pour ces derniers, le résultat que le médecin ne s'était,
sans doute, pas engagé à atteindre, mais dans la direction du-
quel il avait promis de donner son activité, n'étant pas réa-
lisé, il en résulte au moins une présomption de négligence.
Il va donc nécessairement affirmer la prudence et la dili-
gence qu'il a consacrées aux soins du malade. Se prévalant de
l'exécution, de l'absence de négligence et d'imprudence, il est
conforme aux principes généraux de l'obliger à l'établir.
Au contraire, pour M. Demogue, l'obligation du médecin
étant une obligation de moyens, il appartiendra au deman-
deur de prouver l'inexécution. C'est d'ailleurs là ce qu'affirme
avec énergie M. Falque (35) qui critique la solution soutenue
par MM. H. et L. Mazeaud : « Prouver le contrat, cela suffit
au malade qui en demande l'exécution en justice ou qui récla-
me des dommages-intérêts pour l'absence totale d'exécution.
Cela sans aucun doute possible ne peut pas suffire au malade
qui réclame des dommages-intérêts pour la mauvaise exécu-
tion par le médecin de son obligation. La proposition con-
traire n'est pas seulement inexacte. Elle est inconcevable».
A notre sens, chacune de ces thèses contradictoires com-
porte une part de vérité. Comme dans les contrats examinés
précédemment, le médecin, débiteur de l'obligation d'apporter
des soins doit, s'il est nécessaire, rapporter la preuve de l'exis-
tence et de la réalité de ses soins.
Le médecin doit prouver, si ces points sont contestés,

:
qu'il a procédé à l'examen et prescrit les médications qui lui
paraissaient s'imposer là se limite sa charge de preuve. En
revanche, il appartiendra au demandeur de prouver non seu-
lemènt l'étendue de l'obligation du médecin qui n'est pas tou-
jours très nettement délimitée, mais encore il devra démontrer
l'imperfection de l'exécution de l'obligation du médecin, c'est-
à-dire son imprudence, sa négligence, son erreur plus ou
moins grossière dans le diagnostic ou dans le traitement.

;
.En somme le médecin, comme tout débiteur, est présumé
n'avoir pas exécuté s'il a exécuté, il n'est pas présumé avoir

(35) « La responsabilité du médecin après l'arrêt de la Cour de


Cassation du 20 mai 1936 », Revue Critique, 1937, p. 621.
agi avec maladresse ou imprudence, sans quoi la moindre cri- 1

tique de son action l'exposerait obligatoirement à rapporter


une preuve souvent très délicate.
Il serait possible de multiplier à l'infini les exemples :
M. Demogue cite, comme autre obligation de moyens, celle du
banquier bailleur de coffres-forts (36).
Il précise que celui qui veut obtenir une indemnité en cas
de vol, doit prouver que le banquier devait prendre des pré-
cautions qu'il n'a pas prises.
Cette solution paraît exacte, car l'obligation essentielle
du contrat est uniquement pour le banquier de mettre un

:
coffre-fort dans un local surveillé à la disposition de son
client la surveillance insuffisante de ce coffre constitue l'im-
perfection dans l'exécution que le créancier doit prouver.
De même, en vertu de la loi du 18 juillet 1889, article 4,
le colon partiaire répond de l'incendie, des dégradations et
des pertes arrivées pendant la durée du bail, à moins qu'il ne
prouve qu'il a veillé à la garde et à la conservation de la chose
en bon père de famille. Il lui suffira de rapporter la preuve
de ses habitudes d'ordre et de tempérance et le bailleur devra
prouver l'imperfection de l'exécution de l'obligation, en d'au-
tres termes la faute, pour triompher dans son action en res-
ponsabilité (37).

(36) Op. cit., T. VI, n° 599.


(37) Telle paraît être la solution qui découle des motifs d'une

nous reproduisons, ci-après, les termes :


décision récente (Agen, 5 janvier 1938, Gaz. Pal., 25 mars 1938) dont

« Attendu, sans doute, qu'après certaines hésitations et réserves,


la jurisprudence s'est nettement fixée en ce sens, que le colon partiaire
n'est plus par le jeu de l'article 4 de la loi du 13 juillet 1889, soumis à
la disposition rigoureuse de l'article 1733 du 'Code Civil, en ce qui
concerne la limitation des modes de preuve, mais seulement au principe
de l'article 1137 Code Civil. Mais attendu cependant que de ce principe
on ne peut tiret, comme le voudrait M.,.. et la Compagnie
la conséquence que toujours et dans tous les cas, il suffira au colon
Y.,
partiaire, pour dégager sa responsabilité, de prouver d'un façon générale,
conservation de la chose;
qu'il se conduisait en bon père de famille, veillant à la garde et à la
que si cette preuve d'ordre général est suffi-
sante, quand la cause du sinistre est restée inconnue, il n'en est plus
évidemment de même lorsqu'il est rapporté, contre le colon partiaire, la.
preuve qu'il a commis le fait générateur de l'incendie, parce qu'alors
les juges, quelle que soit l'habitude générale du colon partiaire de veiller
à la garde et à la conservation de la chose, ont l'obligation de rechercher
Nous avons eu, d'autre part, l'occasion de faire application
de ces principes au contrat d'abonnement à l'électricité (38).
Il appartient au concessionnaire de prouver la réalité de la dis-
tribution.
L'abonné, au contraire, devrait démontrer la mauvaise
qualité de la fourniture. Ainsi en cas d'interruption du cou-
rant l'abonné n'a d'autre preuve à rapporter, outre évidem-
ment la preuve de l'existence du contrat d'abonnement dont
il se prévaut, que celle de son préjudice.
Si l'abonné se plaint de dommages consécutifs à la sur-
venance d'une surtension, il devra prouver la réalité de cette
surtension (39).
Ainsi la solution de la question de preuve dépendra de la
discriminationde la ou des obligations caractéristiques du
contrat dont il appartient au débiteur de prouver l'exécution.
Il s'agit là d'une question de fait qui dépend précisément

pas présenter de grandes difficultés pratiques :


des éléments distinctifs du contrat envisagé et qui ne paraît
il semble, en
effet, que l'on puisse arriver à déterminer rapidement, pour
chaque contrat, comme nous l'avons fait pour certains d'en-
tre eux, tout ce qui concerne l'exécution proprement dite et

cette exécution:
ce qui au contraire concerne les qualités ou les modalités de
pour cela, il faut considérer la définition
juridique du contrat et admettre que l'exécution des obliga-
tions précisées par cette définition doit être prouvée par leur
débiteur respectif, mais que là est la limite de ce qu'il appar-
«
tient au défendeur de démontrer.
La définition à prendre en considération n'est pas néces-
sairement celle du Code Civil, souvent imparfaite, mais bien
une définition restrictive qui comporte uniquement ce qui
est à la fois nécessaire et suffisant pour que le contrat entre
dans la classification normale. L'obligation ainsi définie est

et d'apprécier si le fait qui lui est reproché rentre dans la catégorie


de ceux que peut normalement accomplir le bon père de famille aux yeux
de l'article 1137 du Code Civil.
(38) Op. oit., n° 196, p. 277. Ils s'appliquent évidemment sans plus
de difficulté aux contrats d'abonnement au gaz.
(39) Trib. Com. de Vannes, 13 mars 1931, Rev. Cône. Dep. et Corn.,
1931, p. 59.
une obligation abstraite, elle doit être évidemment concrétisée
dans le contrat envisagé. L'obligation du vendeur de délivrer

:
la chose vendue est une obligation de délivrer telle chose déter-
minée et non telle autre l'acquéreur d'un immeuble achète
un immeuble déterminé et il n'y aurait pas imperfection
de l'exécution à lui livrer un immeuble différent, mais bien
inexécution. De même évidemment le médecin devrait prouver,
si la question pouvait se poser, qu'il a bien soigné le malade
envisagé et non une autre personne.
Nous estimons en effet que l'on peut parler d'exécution
lorsque les obligations caractéristiques du contrat, c'est-à-
dire permettant de le définir, ont été exécutées, au moins pour
leur plus grande partie. Par rapport à cette exécution, l'exé-
cution imparfaite est toute exécution dont la définition ne
s'inscrit pas dans les limites de l'ensemble des obligations
essentielles ou accessoires du contrat.
Si la formule ne convient pas, il est bien évident que l'on
peut lui substituer, pour l'intelligence de la théorie, sa défini-
tion et dire simplement que le débiteur doit prouver l'exécu-
tion suffisamment complète des éléments caractéristiques de
l'obligation et que le créancier demandeur doit prouver le
caractère incomplet ou imparfait de l'exécution.
A considérer l'obligation définie de la sorte, on peut se
demander quelle est la situation exacte lorsqu'il n'y a qu'exé-
cution partielle. C'est là une question de fait qui ne présente
pas de difficulté pratique. Si l'on peut considérer que le débi- ,
teur a accompli de façon satisfaisante l'obligation de prou-
ver l'exécution qui lui incombait, il appartiendrait au créan-
cier de faire valoir le caractère incomplet de cette exécution,
qui en constituerait une imperfection. Mais le plus souventla

ment elle a été incomplète;


preuve de l'exécution sera devenue très difficile, si précisé-
elle fera apparaître l'imperfec-
tion, de telle sorte que la preuve à rapporter par le deman-
deur sera très facile ou que la démonstration en deviendra
même inutile.
Les parties pourraient d'ailleurs, si elles le jugeaient à
propos, modifier la charge de la preuve, soit directement, soit
selon la jurisprudence, par l'intermédiaire des clauses de non-
responsabilité.
Quoi qu'il en soit, il peut apparaître à première vue que
cette désarticulation de la charge de la preuve est extrême-
ment complexe et se trouve être, somme toute, assez artifi-
cielle. Il n'en est rien en réalité, car, dans une instance, la
contestation ne porte pas successivement, en général, sur
l'inexécution puis sur l'imperfection de l'exécution, mais
uniquement sur l'un ou l'autre de ces points et le plus souvent
d'ailleurs sur le dernier.
Lacharge de la preuve incombera donc le plus fréquem-
ment et le plus lourdement au créancier de l'obligation :
;
le plus fréquemment, car l'inexécution d'un contrat est plus
rare que son exécution incomplète ou imparfaite le plus
lourdement aussi, car la preuve de l'imperfection de l'exé-
cution est souvent très délicate alors qu'au contraire la
preuve de l'exécution d'une obligation, si l'exécution a été
accomplie dans des conditions suffisantes, sera, en général,
facile.
Lorsque le débiteur n'a pu prouver l'exécution ou lorsque

:
le créancier a prouvé l'imperfection de l'exécution, la respon-
sabilité est présumée il appartiendra au débiteur de rapporter

;
la preuve de la cause d'exonération, cas fortuit,ou de force
majeure, qu'il invoque à défaut il sera évidemment respon-
sable.
Ainsi, aboutit-on à une répartition de la charge de la
preuve qui parait à la fois équitable et conforme aux prin-
cipes juridiques qui sont à la base de la responsabilité
contractuelle.
ROBERT BEINEIX,
Docteur en Droit.
LA NOTION DE PERPÉTUITÉ
DANS LES SOCIÉTÉS PAR ACTIONS
AU POINT DE VUE DU DROIT SUISSE

La question des engagements perpétuels, leur nature,


leur validité est certainement une des plus obscures et des
moins étudiées de notre droit.
Notre Code civil français l'a généralement passée sous
silence, se bornant, d'une part, à interdire les baux et les
louages de services d'une durée illimitée, d'autre part, à dis-
poser que les rentes établies à perpétuité pour le prix devente
des immeubles, ainsi que les rentes perpétuelles sont essen-
tiellement rachetables, et que les Sociétés à durée illimitée
peuvent être dissoutes par la volonté de l'une des parties.
Encore les rentes ne devraient-elles peut-être pas être mention-
:
nées ici comme les servitudes immobilières, elles constituent
des droits réels, et non des obligations perpétuelles.
Quant à la doctrine, à l'exception de Hue, dans son
Commentaire théorique et pratique du Code civil tome VIII, et
de M. Demogue, dans son traitedes obligations, tome I, et dans
une note publiée au Recueil Sirey, sous un arrêt de la Cour de
Cassation du 25 juin 1907 (1), elle ne semble pas avoir envisagé
le problème.
Nous nous proposons de nous placer particulièrement au
point de vue dudroit des sociétés (1 bis) : cette limitation du

(1) S., 1908, 1. 81.


(1 bis) V. E. Wolff, « Rechtliche Bindungen auf ewige Zeiten bei der
Aktiengesellschaft ». La Société Anonyme Suisse (année 1936-37, pages 9
ss., 37 ss., 62 ss., 97 ss.).
Le droit Suisse des sociétés commerciales étaitalors régi par la
partie non revisée du Code des obligations du 14 juin 1881. Depuis la
publication du texte allemand, cette seconde partie du Code des obliga-
sujet a des conséquences importantes, car le problème change
d'aspect, suivant qu'il s'agit d'une personne physique ou d'une
personne morale.

I. — INTRODUCTION (2)

Dans la terminologie juridique, on entend par liens de


»
droit « perpétuels ceux qui ne sont pas limités dans le temps,
ceux pour lesquels il n'a été prévu ni terme résolutoire, ni
possibilité de dénonciation (3). Il ne faudrait pas croire cepen-
dant que ces rapports de droit doivent durer à perpétuité (4).
Il est bien clair, en effet, non seulement que les règles du droit
positif peuvent subir telles modifications qui mettent fin à
ces liens de droit, dits perpétuels, mais aussi que le cours des
évènements peut ruiner toutes les prévisions sur le fondement
desquelles l'homme engage l'avenir. Bien plus, il arrive même
que les contractants comptent sur le cours naturel des choses
pour mettre un terme à des engagements prévus pour une
durée indéfinie (5).

tions a également été révisée, par une loi qui est outree en vigueur le
;
1er juillet 1937. Les citations contenues dans la présente étude se réfèrent
au texte actuel du Code elle a été, par endroits, remaniée en vue d'une
mise en harmonie complète avec le droit nouveau.
(2) Nous avons employé les abréviations suivantes, propres au droit
suisse:
:
A. T. F. Arrêtés du Tribunal fédéral. Recueil officiel. Ce recueil est
publié en trois parties qui contiennent les arrêtés relatifs au droit public,
au droit civil et aux poursuites et faillites. Le premier chiffre arabe de
chaque citation se rapporte au tome, le chiffre romain désigne l'une des
trois parties du recueil, tandis que le second chiffre arabe renvoie à la
page.
C. O. : Code des Obligations:
C. C. : Code civil suisse, du 10 décembre 1907.
Loi fédérale complétant le Code civil
suisse (Livre cinquième: Droit des Obligations), du 14 juin 1881, modifié
le 30 mars 1911 et le 18 décembre 1936.
(3) Cf. A. T. F., 56, II, pp. 189 et suiv.
(4) Le problème ne sera pas étudié ici du point de vue du droit
public. Disons simplement que l'histoire suisse fait état d'alliances et do
droits seigneuriaux perpétuels, de paix éternelle, etc., et bornons-nous
à souligner que l'Union scellée le 1er août 1921 entre les trois anciens
cantons est stipulé devoir « durer éternellement avec l'aide de Dieu ».
(5) Cf. H. Rasch, « Der Lizenzvertrag in reclitsvergleichender Dars-
tellung », p. 109.
Il n'est pas douteux que notre droit civil ne tolère pas les
liens de droit perpétuels dans une aussi large mesure que cer-
taines législations plus anciennes. C'est, avant tout, le prin-
cipe de la liberté individuelle qui s'oppose d'emblée à la for-
mation de certains liens de droit autrefois sanctionnés. L'ordre
juridique a, de ce point de vue, subi une transformation,
caractéristique sans doute, mais dont il ne faudrait pas,
cependant, s'exagérer la portée. L'organisation des sociétés
par actions et le développement de ces sociétés dans la vie
juridique font précisément ressortir l'importance du rôle que
jouent les liens de droit perpétuels dans le mécanisme de
l'économie contemporaine. Des doutes se trouvent parfois
exprimés dans la jurisprudence, touchant la légitimité et la
portée juridique de tels engagements. La question, par ailleurs,
est à peine abordée par les commentaires et les ouvrages sys-
tématiques (6). Il est donc intéressant d'en faire l'objet d'une
étude spéciale.

II. - LES LIENS DE DROIT PERPÉTUELS

Le Code civil suisse, disons-le immédiatement, sanctionne


expressément de nombreux liens de droit perpétuels, en par-
ticulier dans le domaine des droits réels. Et la société anony-
me, personne morale, habile, de par la loi, à faire tous actes
juridiques (excepté, bien entendu, ceux qui sont inhérents à
la condition naturelle de l'homme), peut aussi, au même titre
que les personnes physiques, créer par ses actes des liens de
droit perpétuels. Elle peut, par exemple, en sa qualité de
propriétaire, créer des servitudes perpétuelles.Nous n'étudie-
rons pas tous les actes juridiques de cette espèce et nous bor-
nerons à examiner ceux qui sont propres à la société anonyme
ou qui sont, pour elle, d'une importance particulière. A ce
point de vue, nous distinguerons quatre groupes de rapports
de droit.

(6) Exception faite par R. Demogue, « Traité des Obligationlt en


général », I, n° 6 bis, p. 16; n° 18, p. 51; et n" 23 bis, p. 73. Cet auteur
avait déjà étudié le problème de près il y a une trentaine d'années, en
oonimentantun arrêt de la Cour de Cassation française. Sirey, 1908, I, 81,
I. — Engagement des actionnaires pour la durée de la
société. — Lorsqu'une société anonyme a été créée pour une
durée indéterminée, elle existe aussi longtemps qu'elle n'a pas
été dissoute par décision de l'assemblée générale. Chaque
actionnaire ou son ayant droit est, en conséquence, lié à l'en-
treprise pour une durée illimitée, aussi longtemps, du moins,
que la dissolution n'est pas décidée par l'assemblée générale.
Ainsi, une majorité a le pouvoir de lier les autres actionnaires
à l'entreprise pour une durée indéfinie.Bien plus, lorsque les
statuts prévoient qu'il faut une majorité déterminée, voire
l'unanimité, pour prononcer la dissolution, il peut arriver qu'un
seul actionnaire puisse contraindre tous les autres à rester
indéfiniment dans les liens sociaux. Mais un engagement
perpétuel peut exister, en fait, quand bien même (comme le
veut l'usage de certains pays) les statuts limitent la durée de
la société anonyme. Tel est le cas lorsque ces mêmes statuts
prévoient la possibilité, pour la majorité ou pour une majorité
déterminée, de décider la continuation de l'entreprise et que,
de plus, les actionnaires mis en minorité n'ont aucun moyen
de sortir de la société.

:
Lorsque les actions n'ont pas été entièrement libérées,
l'engagement de l'actionnaire est encore plus lourd non seu-
lement il ne peut pas, pendant la durée de la société, disposer
du montant libéré, mais encore il reste personnellement tenn
du montant non libéré.

11. — Privilèges statutaires. — L'article 619 du Code fédé-


ral des obligations prévoit notamment que tout privilège par-
ticulier conféré à un fonctionnaire ou à une autre personne
ayant participé à la fondation de la société doit être fixé par
les statuts. Ces privilèges peuvent être accordés soit sous
forme de prestation unique, soit sous forme de privilèges per-
pétuels. C'est à cette seconde catégorie qu'appartiennent les
actions d'apport etsurtout les parts bénéficiaires. Les porteurs
de parts bénéficiaires ont très fréquemment droit à une quote-
part du bénéfice net annuel.
Quelquefois, les droits afférents à ces parts sont, dès le
principe, limités dans le temps. Ou bien ils sont déclarés
amortissables. Par exemple, la société anonyme peut les
racheter. Mais ces droits sont fréquemment aussi prévus pour
tout le temps que durera la société et, le plus souvent, le droit
à une part de liquidation, et notamment à une quote-part du
bénéfice réalisé lors de la liquidation, s'y trouve joint. Par-
fois encore, certains privilèges confèrent à leurs titulaires des
droits perpétuels qu'ils peuvent faire valoir contre la société
anonyme à chaque augmentation de capital. Au reste, de tels
privilèges statutaires peuvent être créés non seulement lors
de la fondation d'une société anonyme, mais aussi au cours de
son existence et, en particulier, à l'occasion d'assainissements,
de fusions, etc.

III. — Rapports juridiques des actionnaires entre eux. —


Les statuts des sociétés anonymes prévoient parfois, relati-
vement aux droits qui découlent de la qualité d'actionnaire,
telles règles qui obligent réciproquement les actionnaires.
Lorsqu'ils restreignent, par exemple, le droit d'aliéner les
actions, ils prévoient fréquemment un droit de préemption en
faveur des actionnaires. Ce droit de préemption peut être
exercé contre le vendeur, soit pour le prix que ce dernier
aurait obtenu par ailleurs, soit pour un prix qui sera fixé par
le conseil d'administration ou par un autre organe, selon une
procédure d'estimation déterminée.
De même, les statuts portent parfois une clause compro-
missoire qui soumet à la compétence d'un tribunal arbitral
les différends mêmes qui s'élèvent entre les actionnaires tou-
chant les affaires sociales.
Ces règles sont, le plus souvent, créées pour toute la durée
de la société.
Mais les conventions extra-statutaires par lesquelles les
actionnaires se lient entre eux présentent une variété bien plus

durée de la société. On en distingue deux groupes :


grande encore. Elles aussi sont parfois prévues pour toute la
les unes
conclues par l'ensemble des actionnaires, les autres seulement
par certains d'entre eux.
Les conventions du premier groupe se présentent notam-
ment dans les cartels ou dans les sociétés anonymes qui incor-
porent les intérêts communs d'un petit nombre d'entreprises
industrielles, lorsqu'il s'agit, par exemple, de produire telle
matière première dont plusieurs entreprises de la même
branche ont besoin. Celles du second groupe naissent princi-
palement lorsque quelques actionnaires se coalisent afin de
s'assurer une influence durable sur l'entreprise de la société
anonyme. A cette fin, cette collectivité d'actionnaires décide,
soit de voter conformément à un principe commun, soit de
confier ses pouvoirs à des mandataires communs.
En vue d'assurer l'exécution de leurs obligations récipro-
ques, il arrive que les contractants procèdent au blocage
extra-statutaire des actions, qu'ils s'accordent réciproquement
et sous condition des droits de préemption sur les titres, qu'ils
prévoient des tribunaux arbitraux extra-statutaires, etc.
IV.
sociale.
--Conventions conclues dans le cadre de l'activité
L'acquisition de la personnalité juridique et, en
particulier, la création d'une société anonyme est particuliè-
rement indiquée, lorsqu'il s'agit d'entreprises qui impliquent
des placements de capitaux considérables et à long terme. Dans
de telles hypothèses, la conclusion de contrats perpétuels, ou
d'aussi longue durée que possible, est fréquemment favorable
à la réussite de l'entreprise. Fondera-t-on, par exemple, une
société pour la construction et l'exploitation d'un chemin de
1 fer ou d'une usine électrique ou hydraulique, si l'on n'a pas
l'assurance de bénéficier d'une concession de très longue
durée ? Et, lorsque des matières premières se trouvent dans
un pays lointain et que l'on veut créer sur place une industrie
de transformation, se lancera-t-on dans l'entreprise, sans s'être
assuré au préalable et à perpétuité la livraison de ces matières
premières ? Dans d'autres cas, enfin, on ne créera un établis-
sementindustriel qu'après avoir réglé définitivement et par la
conclusion de contrats appropriés l'ouverture et l'entretien des
voies de communication nécessaires, le raccordement à une
voie ferrée, le droit de se servir d'un canal, etc. (7)..

(7) En général, les rapports de droit cités sont importants pour


l'entreprise elle-même, indépendamment de la personne de l'entrepreneur.
C'est pourquoi leur continuation est fréquemment prévue pour le cas où
La création de liens de droit perpétuels est particuliè-
rement souhaitable, lorsqu'il s'agit d'organiser un échange de
procédés techniques. Les industries nouvelles qui veulent se
maintenir constamment au courant du progrès auront d'autant
plus besoin de s'assurer — à perpétuité si possible — la col-
laboration technique d'une entreprise plus ancienne, que les
connaissances et l'expérience pratiques joueront un plus grand
rôle dans leur branche et que la fabrication de leurs produits
sera plus difficile. De son côté, l'entreprise plus ancienne aura
fréquemment le désir de s'assurer les avantages des inventions
que pourront faire les entreprises jeunes dont elle aurafavo-
risé la création. Lorsqu'une convention d'échange est conclue,
il arrive fréquemment que l'on y insère des clauses destinées
à exclure la concurrence réciproque en localisant, par exemple,
le champ d'activité de chaque entreprise, en contingentant la
vente ou en répartissant le bénéfice net selon une formule
convenue.
La conclusion de tels contrats n'est, bien souvent, pos-
sible que dans la mesure où l'on peut prévoir qu'il n'y aura
pas lieu de les modifier de sitôt. Il faut, en outre, qu'on puisse
leur assigner une durée aussi longue que possible. Lorsque
les parties ont des doutes quant à leur droit de conclure des
contrats perpétuels, elles ont recours à des expédients. Elles
prévoient, par exemple, que chacune d'entre elles aura le droit
de demander, à tout moment, la constitution d'une société
commune ayant sa personnalité propre. Les organismes
sociaux primitifs feront apport à cette société nouvelle des
entreprises qu'ils exploitaient auparavant. Parfois même, on
stipule qu'il sera possible d'opérer la fusion des sociétés
anonymes contractantes (8).

l'exploitation serait reprise par une tierce personne, de telle sorte que
même la, dissolution de la personne juridique contractante ne constitue
pas nécessairement un terme résolutoire pour le lien de droit considéré.
«
(8) Cf. Rosendorff, Die rechtliche Organisation der Kartelle»,
p. 56.
-1
III. — VALIDITÉ DES OBLIGATIONS PERPÉTUELLES

Il convient tout d'abord d'insister sur une différence


essentielle qui distingue la personne physique de la personne
morale. Dans notre système juridique, l'un des droits essentiels
de la personne physique est de pouvoir disposer d'elle-même.
Au contraire, la personne morale est un organisme artificiel
qui, dépourvu de pensée et de volonté propres, n'est concevable
que dans la mesure où des buts lui sont assignés d'avance et
par des volontés étrangères. Le principe de la liberté, créé en
fonction de la personne physique, ne peut donc pas être appli-

Autre différence essentielle :


qué purement et simplement à la personne morale.
la durée de la personne
morale n'est point limitée naturellement. Il s'ensuit que sa
limitation dans le temps peut avoir le caractère d'une restric-
tion d'ordre purement juridique et que la conclusion d'un
contrat perpétuel peut apparaître, bien souvent, comme le
moyen d'assurer son existence et, par là même, de remplir sa
fonction d'une manière permanente.
Il ne faut pas perdre de vue ces différences entre les per-
sonnes physiques et les personnes morales, lorsqu'il s'agit de
juger les arguments que l'on fait valoir contre la légitimité
des liens de droit perpétuels. D'une manière générale, il
résulte de ces différences, qu'on ne saurait, s'agissant de per-
sonnes morales, arguer du caractère illégitime des liens de
droit qui restreignent considérablement la liberté individuelle
(art. 27 C. C. (9). Entrent donc seuls en ligne de compte les
arguments tirés des exigences de l'ordre public, savoir d'une
organisation conforme à l'intérêt commun.
De ce point de vue précisément, il faut se demander si les
besoins que crée le développement des moyens de production
et de communication ne rendent pas souhaitable, dans le
domaine des personnes morales tout au moins, la reconniais-

(9) L'examen des cas particuliers dans lesquels l'engagement légal


pris par la personne morale est de nature à porter atteinte aux droits
inaliénables des personnes physiques intéressées, comme dans la société
constituée par une seule personne, dépasserait le cadre de la présente
étude,
sance de certains liens de droit perpétuels. Cette reconnais-
sance, lors même qu'elle semblerait inadmissible dans d'au-
tres domaines, peut paraître désirable eu égard aux possibi-
lités qu'ouvre la forme juridique de la personne morale. De
telles considérations ne sont pas seulement intéressantes de
lege ferenda. Elles le sont aussi en droit positif, dans la
mesure tout au moins où les règles légales n'impliquent pas
de solution précise, mais se bornent à se référer à des notions
telles que le droit, l'équité, les bonnes mœurs, la bonne foi
commerciale.
Avant de traiter en détail le problème de la validité des
liens de droit perpétuels, précisons encore que nous examine-
rons, en premier lieu, la portée juridique de ces liens de droit,
dans l'hypothèse où la situation des parties n'a pas subi de
modifications essentielles et décisives du point de vue des
liens de droit considérés. Dans la mesure où cela sera néces-
saire, nous examinerons, à la fin de notre étude, le problème
de la clause rebus sic stantibus.
Passons maintenant à l'étude des quatre groupes de cas
dont nous avons parlé, non pas en nous tenant strictement à
l'ordre annoncé, mais en procédant plutôt par ordre de diffi-
culté croissante.

1. let
La durée de la société anonyme les engagements des
actionnaires. — Le nouveau Code, qui maintient, sous ce rap-
port, le système de la loi de 1881, ne limite pas la durée de
la société anonyme. Ses articles 627, al. 4 et 736, al. 1, pré-
voient que cette durée peut être fixée par les statuts, mais qu'à
défaut de disposition statutaire, l'assemblée générale peut
décider librement la dissolution de la société (art. 736 al. 2)

: :
Deplus, le nouveau droit innove en règlant d'une manière
expresse la dissolution de la société par le juge « La société
est dissoute .par un jugement, lorsque des actionnaires
représentant ensemble un cinquième au moins du capital
»
social, requièrent, pour de justes motifs, la dissolution (art.
736, al. 4).
Il résulte de ces diverses règles qu'une majorité peut, en
pratique, obtenir que la durée de la société soit illimitée. 11
arrive même qu'une minorité puisse faire de même lorsque,
d'après les statuts, seule une majorité qualifiée peut décider la
dissolution de la société. Par conséquent, l'actionnaire pro-
priétaire d'un petit nombre d'actions ne possède aucun moyen
de se retirer et de se faire rembourser sa part indivise du
patrimoine social. Le sort de chaque action demeure lié à la
bonne ou mauvaise fortune de l'entreprise, jusqu'au jour où
une assemblée générale décide la dissolution.
Si vraiment la société anonyme doit, contrairement à la
fondation par exemple, servir exclusivement les intérêts éco-
nomiques de ses membres, on ne comprend pas que ceux-ci ne
puissent pas, par décision unanime, mettre fin à la société,
puisqu'aussi bien, le patrimoine de celle-ci leur appartient,
d'une manière en quelque sorte indirecte, par l'entremise de
la personne morale. En matière du droit de la famille, on
pourrait même se demander si la possibilité de créer une
société anonyme indissoluble, même par décision unanime de
ses membres, ne permettrait pas d'éluder l'interdiction des
fidéicommis.
Cependant, on peut se demander si une société anonyme
dont la durée, aux termes des statuts, ne saurait être limitée,
n'est pas concevable sous l'empire du nouveau code. Cette
question se pose par rapport à l'article 620, alinéa 3, en vertu
duquel on peut assigner à la société, lors de sa fondation, un
but qui n'est pas de nature économique et à l'article 660, en
vertu duquel le produit de liquidation de la société n'est pas
nécessairement réparti proportionnellement entre les action-
naires de la société dissoute.
Il faut noter enfin que l'engagement de l'actionnaire
envers la société anonyme est particulièrement étendu, lorsque
les actions ne sont pas entièrement libérées. En effet, il
demeure, dans ce cas, personnellement responsable jusqu'à
concurrence du montant non libéré et pour un temps illimité.

2. Durée extrême des privilèges statutaires. — Les droits


spéciaux que les statuts confèrent parfois aux porteurs de
parts bénéficiaires, d'obligations privilégiées, etc., sont essen-
tiellement distincts de ceux des actionnaires, en cequ'ils nç
comportent pas le droit de voter aux assemblées générales
(10). On pourrait, il est vrai, concevoir des formes hybrides en
ce sens que la validité de certaines décisions sociales — disso-
lution, par exemple — pourrait être subordonnée à la ratifi-
cation des porteurs de parts. Mais, même si l'on conçoit le
système du Code des obligations comme un simple cadre dans
les limites duquel les combinaisons les plus diverses sont pos-
sibles, il n'en faut pas moins admettre que de telles formes
hybrides apporteraient des modifications à ce qu'il y a d'es-
sentiel dans la société anonyme et briseraient vraisemblable-
ment le cadre des dispositions légales. Il faut donc admettre
que les privilèges conférés à des tiers par les statuts ne peu-
vent l'être que pour la durée de la société anonyme, en ce sens
que cette durée ne peut être déterminée que par l'ensemble
des actionnaires seuls. Cette conclusion n'est cependant que le
résultat de considérations touchant l'organisation légale des
sociétés. Rien n'empêche donc d'accorder aux bénéficiaires de
privilèges certains droits pécuniaires sur le patrimoine de la
société anonyme pour le cas où la dissolution serait décidée ou
le serait avant un terme fixé (11). Les statuts prévoient par-
fois la possibilité de racheter ou d'amortir les privilèges. Mais
lorsqu'ils sont muets à cet égard, la société n'a pas le droit
d'abolir unilatéralement les privilèges, quelle qu'ait été leur
durée (12).
3. Des liens dedroit qui unissent les actionnaires. — Les
liens de droit créés entre les actionnaires et relatifs à la
société anonyme prendront généralement fin avec la société
ou peu après elle. Cela tient à leur objet même. (En général,

(10) Il s'agirait, autrement, d'actions. Cf. C. Wieland, « Handels-


recht », II, p. 184 et s., § 107, note 6.
(11) Une action en dommages-intérêts peut aussi être introduite
contre une société anonyme en liquidation, ou même contre certains
actionnaires pris isolément, si la dissolution constitue un acte contraire
à la bonne foi. De même, une demande en dommages-intérêts est fondée
lorsque la dissolution apparaît comme une violation de l'article 2 du point
de vue des contrats conclus pour la durée de la société anonyme.
(12) Contrairement aux règles établies pour les céduleshypothécaires
» >
et « lettres de rente du C. C. et à la « rente perpétuelle du droit
français.
les clauses compromissoires conservent encore leurs effets
après la dissolution de la société, mais perdent peu à peu
toute leur importance pratique par suite de la prescription des
différents droits auxquels elles se rapportent). Lorsque ces
liens de droit ont été créés par les statuts, ils doivent, en cas
de doute, être considérés comme valables pour toute la durée
de la société anonyme, au même titre que les statuts eux-
mêmes. Ils peuvent néanmoins être modifiés, conformément
aux règles prévues pour la modification desstatuts eux-
mêmes, lorsqu'ils ne constituent pas des droits acquis au sens
de l'article 46 du Code des obligations.
Moins simple est la question de leur durée extrême, lors-
qu'il s'agit de liens de droit extra-statutaires contractés par
les actionnaires entre eux. Pour éviter des redites, nous ne la
traiterons qu'après avoir examiné le problème de la durée des
contrats conclus par la société anonyme.
4. Durée extrême des contrats conclus par la société ano-
nyme. — Le droit civil suisse ne contient pas de dispositions
expresses relatives à la durée des contrats conclus par la
société et des autres liens de droit la concernant. Pourtant,
nous l'avons vu, dans certains domaines, les liens de droit
perpétuels sont admis dès le principe. Citons, dans le domaine
des droits réels, les servitudes foncières perpétuelles, les char-
ges foncières et les « lettres de rente » qui ne peuvent être
dénoncées par le créancier et, dans le domaine du droit des
personnes, les fondations, ainsi que, dans le domaine du droit
des obligations, les institutions propres à la société anonyme
mentionnées précédemment, par exemple, les parts bénéfi-
ciaires.
Le droit des obligations est fondé sur la liberté des con-
trats et, en ce qui concerne le contenu de ces derniers, sur le
respect de la volonté autonome des parties. De ces principes
découle la faculté de déterminer librement la durée des enga-
gements. Cette faculté est néanmoins considérablement res
treinte pour certains contrats déterminés. Il est indispensable
d'étudier l'étendue et la portée de ces restrictions avant de se
demander dans quelle mesure une société anonyme peut
contracter des obligations perpétuelles.
Selon l'article 650 du Code des obligations, le droit de
demander le partage, en cas de copropriété, ne peut être exclu
par acte juridique pour une durée supérieure à dix ans. Cette
disposition est d'une importance particulière, moins, sans
doute, par son contenu même que par sa base juridique.
Notons cependant que même d'après cet article, le par-
tage peut être exclu par l'affectation de la chose à un but
durable. On a donné comme exemple de cette exclusion du
partage le cas du mur mitoyen. En matière de propriété com-
mune, en revanche, aucune limite dans la durée n'est prévue
par la loi (art. 654 C. C.), et le lien de droit qui s'y rapporte
est créé pour la durée de la communauté dont il procède.
La limitation de l'article 650 du Code Civil ne figurait pas
dans le premier projet de Code. Elle n'a été introduite que
lors des délibérations de la Commission des experts. On l'a
justifiée notamment par cet argument que les liens de droit
perpétuels auraient quelque chose de choquant, du point de
vue moral, et porteraient une atteinte excessive à la liberté
individuelle (13). Cette appréciation a été reprise par divers
commentateurs. Mais, pour être autre chose que de simples
lieux communs, des jugements d'une portée aussi générale
devraient être précisés. Ce travail n'apas encore été entrepris
jusqu'à ce jour. Quoi qu'il en soit, du reste, si le motif invo-
qué était valable, on ne comprendrait pas pourquoi d'autres
législations modernes ne limitent pas avec la même rigueur
la durée de la copropriété contractuelle. En outre, l'exposé
des motifs de l'avant-projet du Code civil (pp. 483 et s.), four-
nit les éléments d'une explication beaucoup plus satisfaisante:
la propriété commune prend naissance lorsque les propriétai-
res ont les uns avec les autres des rapports personnels
copropriété naît, en revanche, lorsque ces rapports person-
la;
nels n'existent pas et que l'individualité des propriétaires est
indifférente. Or, lorsque la propriété en main commune n'est
pas fondée sur ce que l'on pourrait appeler le « rapport natu-
»
rel (14), on peut accorder, sans inconvénient, aux proprié-

(13) « Procès-verbaux de la Commission des Experts », vol. 2, p. 16


etsuiv.
(14) Nous entendons par « » le fondement psycbo-
rapport naturel
taires le droit de réclamer en tout temps la dissolution des
liens qui les unissent (Exposé des motifs, p. 408 et s.). Dans
ce cas, en effet, des engagements de longue durée n'auraient
pas de raison d'être. Et, s'il en était conclu, les contractants,
n'ayant pas intérêt à les maintenir, risqueraient d'entrer fré-

:
quemment en conflit les uns avec les autres. Mais il y a pro-
bablement une autre raison encore la liberté individuelle ne
peut produire tous ses effets, lorsqu'elle est restreinte de tou-
tes parts par des clauses contractuelles. C'est ainsi que, lors
des luttes pour l'avènement du libéralisme, s'est formé le
principe de la liberté de la propriété, principe conçu, en parti-
culier, en vue des biens-fonds paysans. Cependant, même en
dehors de toute considération historique, il faut admettre
qu'il est préférable d'éviter que les transactions soient entra-
vées par un trop grand nombre de droits réels dépourvus de
toute justification économique. La propriété de plusieurs sur
une chose peut ainsi apparaître comme une entrave aux
transactions.
En résumé, la disposition qui réduit à dix ans au maxi-
mum la possibilité d'exclure contractuellement le partage
dans la copropriété — sauf le cas d'affectation de la chose à
un but durable — est parfaitement justifiée. C'est là une solu-
tion adéquate à une organisation juridique bien comprise de
la propriété.
Il faut, en revanche, que d'autres conditions soient réali-
sées pour que la protection de la liberté individuelle justifie

:
la limitation des engagements contractuels quant à leur
durée il faut que le contrat par lequel l'individu engage sa
faculté de travail, sa fortune, ou s'interdit d'exercer une
autre activité, soit si grave par ses conséquences qu'une limi-
tation de sa durée s'impose.
Lorsqu'on réfléchit à la restriction considérable que le
contrat de travail apporte à la liberté individuelle de l'em-
ployé, la règle de l'article 350 du Code des obligations selon
laquelle ce dernier — et, en fait, lui seul — peut, au bout

juridiquM.
logique du lien de droit, c'est-à-dire l'ensemble des raisons d'ordres divers,
économique et psychologique, qui, slon la bonne foi, apparaissent essen-
tielles dans le processus de création et de conservation des relations
de dix ans, dénoncer le contrat conclu pour une plus longue
durée, cette règle apparaît plutôt comme une intervention
timide.
Partant du même point de vue, on comprendrait que le
législateur ait assigné, tout comme au contrat de travail, une
durée extrême aux sociétés de personnes, dans le cas où l'un
des sociétaires prête un concours personnel et permanent ou
lorsque les sociétaires sont indéfiniment responsables. Mais le
législateur n'a pas fait cette distinction. Il a donné, pour la

:
société simple, la société en nom collectif et la société en com-
mandite une solution identique le contrat de société conclu
pour la vie des sociétaires ou pour une durée indéterminée
peut être dénoncé en tout temps, moyennant un préavis de
six mois. En revanche, il n'est pas prévu de durée extrême
lorsque le contrat de société est conclu, soit pour une durée
déterminée, soit pour tout le temps qu'il faudra pour attein-
dre tel but. Dans ces hypothèses, le contrat peut prévoir la
continuation de la société avec les héritiers de l'associé qui
viendrait à mourir. Sauf le cas où l'un des sociétaires est lié
pour toute sa vie, la loi ne limite donc pas la durée des liens
de droit qui découlent du contrat de société. Pourtant, les
abus ne sont guère à craindre. En effet, le législateur a prévu
que la dissolution peut, en tout temps, être requise du juge
pour de justes motifs.
On peut se demander si un contrat d'association conclu
entre sociétés anonymes pour toute la durée de celles-ci (c'est-
à-dire pour une durée qui s'étend jusqu'à la dissolution de
l'une d'entre elles) doit être assimilé au contrat conclu pour
la vie d'une personne physique, s'il doit lui être assimilé, tout
au moins dans le cas où la durée de la société anonyme n'est
pas statutairement limitée. Nous estimons qu'il faut répondre
par la négative. Une assimilation de ces deux contrats l'un
à l'autre ne serait légitime que dans la mesure où les raisons
qui ont fait interdire la formation d'une société de personnes
pour toute la vie de l'un des associés (art. 545, ch. 6, C. O.)
vaudraient aussi, lorsque le sociétaire considéré est une per-
sonne morale. Il s'agit donc de se demander si, par la conclu-
sion d'un contrat de société pour toute la durée de son exis-
tence, la personne morale risque, de même que la personne
physique, de restreindre sa liberté de façon excessive. L'acti-
vité de la personne morale — nous l'avons vu plus haut — ne
peut jamais être indépendante, autonome. Elle est, au con-
traire, limitée par le but qui lui a été assigné d'emblée par une
volonté qui lui est extérieure. Ainsi donc, aussi longtemps que
les engagements qui découlent d'une participation « perpé-
tuelle » à une société simple (15) ne sont pas contraires au
but de la société anonyme, il ne saurait, en aucune manière,
être question d'une restriction illicite apportée à la liberté
individuelle de cette dernière (16 et 17).
Du point de vue des bonnes mœurs non plus, aucune
limitation dans le temps ne s'impose à la personne morale.
En revanche, il faudra, ici encore, songer aux exigences
d'un système juridique bien compris. Sans doute, les circons-
tances sont-elles autres qu'en matière de copropriété. Ce que
nous avons appelé le « rapport naturel », par exemple, n'appa-
raît pas dans la copropriété, tandis qu'il existe toujours dans
la société. En effet, il ne saurait y avoir de société sans but
commun. Cependant, ce but peut jouer un rôle plus ou moins
important. Les parties peuvent être si faiblement intéressées
à sa réalisation qu'un engagement par trop long des associés
serait injustifiable. Dans un cas semblable, il sera sans doute
juste de ne pas reconnaître la validité d'un engagement perpé-
tuel des associés envers la société, mais de prononcer la
dissolution, en procédantpar analogie avec la copropriété et
en présumant l'existence d'une lacune parmi les causes de
dissolution énumérées par la loi. Mais, lorsque le « rapport
»
naturel a une consistance suffisante, il faut reconnaître la
validité du contrat de société conclu entre sociétés anonymes

(15) Suivant le système du nouveau code, la société anonyme ne peut


plus être membre indéfiniment responsable d'une société en nom collectif
ou en commandite.
(16) Cf. note 9.
(17) Cf. notamment A. Egger, « Commentaire », ad art. 53 C. C.,
n° 17. M. Egger"estime que les liens de droit dont il est question doivent
se justifier du point de vue économique. Cette idée mérite une attention
particulière.
pour toute leur durée ou pour une période dont le terme est
fixé à la dissolution de l'une des sociétés participantes.
Dans tous les cas, du reste, ce sont des objections tirées
de la nature des institutions juridiques considérées, et non
pas des objections de principe contre ces liens de droit perpé-
tuels qui justifient la réglementation limitative dont ces
derniers sont l'objet.
Il arrive aussi que des raisons d'ordre historique entrent
en jeu. Il en est ainsi du droit de quitter en tout temps la
société coopérative. Cette particularité propre au droit suisse
a son originedans le fait que, primitivement, la société coopé-
rative était une pure société de personnes (18). On ne saurait
tirer de là aucune conclusion générale.
Touchant le bail à loyer, le Tribunal fédéral a jugé que
seuls des droits réels peuvent procurer à leur titulaire l'usage
d'une chose à perpétuité et que, dès lors, le bail à loyer, en
sa qualité de contrat générateur d'obligations, ne peut obliger
le bailleur à procurer au locataire l'usage de lachose à perpé-
tuité. Mais lorsque les parties ont fixé une limite à la durée
du contrat (même si la durée prévue est très longue), elles
sont demeurées dans la légalité (19).
Cependant, le Tribunal n'a pas dit comment cette limite
prévue devait être fixée — il s'agissait en l'espèce d'un bail
conclu à vie, bail qui a été déclaré valable. On peut donc se
demander si le Tribunal fédéral déclarerait valable un bail
à loyer conclu pour toute la durée d'une société anonyme dont
l'existence aurait été prévue pour une durée illimitée, ou
bien s'il lui assignerait une durée extrême de 100 ans, en
appliquant par analogie la règle édictée en matière d'usufruit
(CC art. 749).
En ce qui concerne la disposition légale précitée, il faut
admettre avec le Tribunal fédéral (20) que la limite prévue
pour la durée de l'usufruit, comme aussi du droit d'habitation,
n'a pas été fixée en vertu d'un principe général, mais qu'il
s'agit, au contraire, d'une règle propre à ces institutions (21).
(18) A. T. F., 45, II, p. 658.
(19) A. T. F., 56, II, p. 191.
(20) L. o., p. 193 et autres.
(21) Dans le même sens, Gmür, « Commentaire », ad art. 54 C. C.,
n° 13.
Il suit de là que la limite de 100 ans assignée aux usufruits
dont bénéficient les personnes morales ne s'impose pas
lorsqu'il s'agit d'un bail à loyer.
En revanche, il ressort de ce qui précède que le Tribu-
nal fédéral tiendrait, de même, pour inconciliables avec le
système du droit suisse le bail à ferme et le prêt à usage
perpétuels. Cependant, rien ne permet de prévoir quelle
durée extrême il leur assignerait. Il est permis de croire, en
tout cas, que cette durée, comme pour le bail à loyer, pour-
rait être fort longue.
Faute de réglementation légale du contrat de licence,
on applique fréquemment à ce dernier, par analogie, les
dispositions qui régissent le bail à ferme (22). On peut donc
se demander s'il faut éventuellement lui appliquer aussi les
dispositions qui limitent la durée du bail à loyer et du bail
à ferme. Cependant, le contrat de licence se distingue préci-
sément des baux, en ce qu'il n'a pas pour objet une chose
corporelle. L'analogie entre les contrats considérés cesse donc
précisément sur ce point décisif. Dès lors, il semble juste
d'admettre avec Rasch (23) que notre droit n'assigne pas
de durée extrême au contrat de licence.
Recherchant si les contrats conclus à perpétuité consti-
tuent une atteinte aux bonnes mœurs, nous n'avons pu
trouver, dans les exemples fournis par la jurisprudence,
aucun engagement considéré comme immoral par sa trop
longue durée qui ne doive, en même temps, être tenu pour
attentatoire à la liberté individuelle (24). Au reste, un enga-
gement perpétuel ne peut guère être réputé immoral que
dans des circonstances tout à fait spéciales, ainsi, peut-être
lorsque la mesure des prestations stipulées sert constam-
ment un intérêt dépourvu de justification économique.
Certaines limites dans le temps assignées aux liens de
droit découlent donc ,soit de la protection de la liberté indi-
viduelle, soit des particularités de notre système juridique.

(22) Par exemple, A. T. F., 51, II, p. 61, 53, II, p. 133.
(23) Rasch, op. cit., p. 109.
(24) Cf. aussi A. T. F., 40, II, p. 233 et suiv. E. R. N., 5, p. 238.
Celles-ci concernent, pour une grande part, la structure de
certaines de nos institutions juridiques.
Cependant, il semble qu'il faut attribuer une portée
générale au principe selon lequel un lien de droit perpétuel
entre les individus doit, pour ne pas porter atteinte au sys-
tème juridique, être justifié par un « rapport naturel»
ayant une certaine valeur.
C'est à sa lumière qu'il convient d'envisager également
le problème de la validité des liens de droit créés par les
actionnaires entre eux, à l'intérieur d'une même société
anonyme. Si le but visé justifie la gravité de l'engagement
pris, cet engagement sera valable.
Enfin, dans les cas examinés au chapitre précédent
sous le titre « les accords conclus dans le cadre de l'activité
sociale de la société anonyme », l'existence d'un intérêt
économique appréciable pourra, presque toujours, suffire à
valider les liens de droit perpétuels considérés.

IV. — DES EFFETS DES RAPPORTS JURIDIQUES ILLICITES


QUANT A LEUR DURÉE

Lorsqu'une obligation perpétuelle a été contractée et


que le « rapport naturel » dont il a été question plus haut
n'aurait justifié qu'un engagement à durée limitée, faudra-
t-il tenir l'obligation tout entière pour annulable ou suffira-
?
t-il d'en limiter la durée Il semble, à première vue, que le
droit des obligations connaisse les deux systèmes. D'une
part, en effet, s'agissant de sociétés de personnes, le contrat
conclu pour la vie de l'un des associés peut être dénoncé en
tout temps, d'autre part le contrat de travail conclu pour
plus de dix ans ne peut être dénoncé qu'au bout de dix ans
au plus tôt. La solution adoptée pour le contrat de travail
correspondra en général, sinon toujours, à celle que les
contractants auraient eux-mêmes adoptée s'ils avaient,
d'emblée, été contraints de choisir entre ces deux partis.
Dans le contrat de société, en revanche, les circonstances
peuvent être si diverses que l'on ne saurait guère,poser
d'affirmation générale. Il est fort douteux, cependant, que
la solution législative conduise partout à des résultats équi-
1

tables. Quoi qu'il en soit, du reste, il serait inadmissible


d'étendre à d'autres domaines l'application de cette règle
rigide. En principe, le droit suisse des obligations limite la
portée des prescriptions légales impératives à la mesure du
but à atteindre. L'article 20 alinéa 2 du Code des obligations
prévoit que, si certaines clauses du contrat sont impossibles,
illicites ou immorales, ces clauses seules sont frappées de
nullité, à moins qu'il n'y ait lieu d'admettre que le contrat
n'aurait pas été conclu sans elles. Ce principe est développé
à l'article 25 al. 2 du Code des obligations, en ce sens que
celui qui a été victime de l'erreur reste obligé par le contrat
qu'il entendait faire, si l'autre partie se déclare prête à
l'exécuter. Eu égard à la portée de ces règles, l'article 351
C 0 n'apparaît pas comme une disposition légale propre au
contrat de travail, mais comme l'application d'un principe
d'ordre général (25) à un cas particulier. Par conséquent, il
semble qu'endroit suisse, un contrat illicite par sa durée
seulement ne doive pas être d'emblée considéré comme nul,
mais au contraire comme valable pour toute la durée qui
paraîtra admissible, lorsque cette dernière solution est plus
conforme à la volonté primitive des contractants.
De plus, on appliquera le principe de la « conver-
»
sion (26) lorsqu'on se trouve en présence d'un rapport de
droit perpétuel qui semble inadmissible du point de vue du
droit positif. Si un autre contrat, licite, plus limité dans ses
effets, semble correspondre à la volonté des parties mieux que
l'annulation totale du contrat primitif, on opèrera la subs-
titution.
Celle-ci pourra s'imposer, par exemple, dans le cas d'un
contrat de société simple conclu à vie entre un inventeur et
un fabricant pour exploiter une invention. Lorsque l'une des
parties invoque la nullité du contrat, il pourra sembler juste,

(25) Oser-Schonenberger, Commentaire, ad. article 351 C. O.,


note 1, se référant expressément aux notes 52 et suiv., sous art. 20 C. O.
(26) Cf. v. Tuhr, « Partie générale », C.. O. suisse, § 29, p. 202;
Becker, « Commentaire », ad. art. 11 C. O., note 7 et Oser-Schonenberger,
« Commentaire », ad. art. 11 C. O., note 35.
selon les circonstances, de ne pas anéantir complètement les
liens sociaux, mais de les transformer, pour la durée prévue
par le contrat de société, en une simple participation aux
bénéfices, pourvu que l'on puisse, par ce moyen, permettre
aux parties d'atteindre leur but principal d'une manière
satisfaisante (27). Au contraire, lorsqu'il y a lieu de croire
que les parties auraient renoncé à conclure le contrat si elles
avaient su qu'il était inadmissible en droit par sa durée, il
faudra, en général, tenir leur convention pour nulle et non
avenue. Cependant, des actes d'exécution importants ont pu
être accomplis dans l'intervalle. Il convient alors d'examiner
si, vu la situation nouvelle ainsi créée, les règles de la bonne
foi n'imposent pas le maintien des liens contractuels.

V. — DES EFFETS DU CHANGEMENT DE CIRCONSTANCES

Il n'entre pas dans nos vues d'étudier dans son ensemble


le problème que pose la clause rebus sic standibus, mais
uniquement d'en considérer la portée par rapport à la légiti-
mité. des engagements perpétuels.
On pourrait se demander s'il est opportun de recon-
naître, en principe, la possibilité de créer des liens de droit
perpétuels dans l'hypothèse où leur création impliquerait
qu'ils doivent être maintenus et sanctionnés de façon rigide
et en dépit de toutes les circonstances nouvelles. Il n'y a
plus d'hésitation possible, au contraire, lorsque l'adaptation
ou même, selon le cas, l'annulation totale de ces liens de droit
est possible.
Mais, tandis que les lois civiles ne prévoient l'annulation
ou la modification des contrats, à raison des changements
survenus dans les circonstances, que dans certains cas déter-
minés, la jurisprudence a fini par appliquer la clausula rebus

(27) Il est vrai, à ce sujet, qu'on pourrait être tenté d'objecter que
l'article 546, al. 6 C. 0. s'applique également à toute convention s'appa-
rentant à la mise en société et, par conséquent, à toute participation aux
bénéfices. Mais cette objection serait mal fondée. En effet, la disposition
de l'article 546 al. 6 C. 0. a un caractère exceptionnel et ne doit pas,
sauf raison impérieuse, être interprétée extensivement, et, d'autre part,
les participations aux bénéfices à durée illimitée ont été définitivement
consacrées, en particulier, par l'institution même des parts bénéficiairest
sic standibus à tous les contrats à longue durée. Elle l'appli- I

que en ce sens que ces contrats sont ou bien modifiés, ou bien


annulés. Le Tribunal fédéral avait posé en principe que la
clausula rebus sic standibus s'appliquerait dans les seuls cas
où le maintien du contrat litigieux entraînerait la ruine du
débiteur. Cependant, il a, dans un arrêt du 10 octobre 1933,

objectif suivant :
abandonné ces exigences excessives et adopté le principe
« Il faut tenir pour une cause d'annulation
ou de modification du contrat bilatéral le fait que, par suite
d'événements imprévisibles, il existerait entre la prestation
et la contre-prestation un déséquilibre que l'on peut qualifier
de grand, de frappant, d'excessif »
(28). Cette disproportion
doit être telle que la persistance du créancier à se prévaloir
du contrat prendrait un caractère d'exploitation usuraire (29).
Dans ces divers cas, l'adaptation doit être conforme à ce
qu'auraient décidé les parties elles-mêmes si elles avaient fait
entrer dans leurs calculs l'éventualité qui s'est réalisée (30).
Par conséquent, il faudra aussi rechercher si la convention
avait un caractère de spéculation. Dans l'affirmative, il fau-
dra prendre garde d'accorder trop facilement l'annulation ou
la modification à la partie dont la spéculation a échoué (31)
(32). Au contraire, lorsqu'il s'agit de modifier des conven-
tions qui n'avaient en aucune manière le caractère d'une
spéculation, il conviendra d'être moins rigoureux et le prin-
cipe adopté par le Tribunal fédéral pourra alors apparaître
comme trop étroit par rapport à la commune intention des
parties. Tel sera, sans doute, le cas lorsque les contractants
utilisant une installation en commun ont voulu, par un
contrat, répartir équitablement les frais entre elles.

(28) A. T. F., 59, II, p. 378, en citant H. Weber, « Das richterliche


Aenderungsrecht bei Dauervertragen », p. 47.
(29) P. 379 et suiv., se référant à H. Reichel, « Vertragsriicktritt
wegen verânderter Umstànde », 1933, lequel se rapporte à la théorie
créée par H. Dernburg en 1905 déjà.
(30) P. 376 et suiv. se référant à A. T. F., 47, II, p. 318.
(31) P. 380 et,suiv.
(32) En revanche, nous l'avons dit, le caractère de spéculation d'un
contrat perpétuel peut, lorsqu'il n'est pas justifié par les circonstances,
faire apparaître le contrat comme contraire aux bonnes mœurs,
C'est ainsi que le Tribunal fédéral a jugé, dans un arrêt
déjà ancien, qu'il y avait lieu d'augmenter la contribution
fixée contractuellement pour l'usage en commun d'une voie
ferrée de raccordement parce que des faits qui ne sont pas
imputables à l'une des parties avaient entraîné une augmen-
tation notable des frais d'installation sur la base desquels la
contribution avait été calculée. Ces frais étaient passés, en
l'espèce, de 6.100 à 7.200 francs (33).
Toutefois, il est nécessaire de remarquer que, dans ladite
espèce, les conventions litigieuses n'étaient pas passées en
toute liberté, mais étaient conditionnées par la loi. En effet,
le propriétaire d'une voie de raccordement doit en permettre
l'utilisation par d'autres usagers. A défaut d'entente sur l'in-
demnité, c'est au juge qu'il appartient de fixer cette
dernière. Il n'est, par conséquent, pas possible d'appliquer
ipso facto ces principes à d'autres conventions. Cependant,
leur application peut fort bien, lorsque les intérêts analogues
sont en cause, répondre à l'intention présumable des parties,
de telle sorte que rien n'empêche alors de les appliquer. Tel
sera le cas, par exemple, lorsque les parties ont convenu
d'utiliser en commun une installation auxiliaire, propriété
personnelle de l'un des contractants, et que la convention
passée n'a pas pour but de procurer des bénéfices au proprié-
taire de l'installation, mais de réduire les frais de l'exploi-
tation commune.
Par ailleurs, lorsqu'il s'agit de prestations perpétuelles
accordées à titre purement gracieux, mais que les circons-
tances ont rendues plus difficiles à fournir, il faudra équita-
blement tenir compte des changements survenus, sans se
montrer trop exigeant (cf. CO 250) (34).

(33) A. T. F., 23, p. 1025 et suiv. et spécialement p. 1030 et auiv.


(34) En cette matière, la durée prévue pour le contrat est aussi un
facteur important. Le juge hésitera davantage à intervenir en matière de
contrats conclus pour un nombre d'années restreint qu'au cas de contrats
à durée vraiment longue,-qu'il s'agisse de l'interprétation de la volonté
des parties selon les principes de la bonne foi ou de l'appréciation des
circonstances, eu égard aux bonnes mœurs et aux exigences de l'ordre
public,
Dans la société de personnes, le but social a une impor-
tance particulière. L'article 545, I, du Code des obligations
prévoit que la société prend fin par le fait que le but social
est atteint ou que la réalisation en est devenue impossible.
Et selon le 7° de ce même article, la dissolution de la société
de personnes peut être à tout moment requise pour de justes
motifs. L'existence de telles possibilités de dissolution, le fait
que la prospérité d'une société implique, en général, la
confiance mutuelle des associés, relègue à l'arrière-plan
l'adaptation du contrat initial aux circonstances nouvelles
au lieu de sa résiliation pure et simple.
En revanche, la question (déjà abordée au chapitre
précédent) de la transformation du contrat de société en un
simple contrat de participation aux bénéfices peut avoir plus
d'importance.
En ce qui concerne la société anonyme l'ancien code ne
statuait pas sur la possibilité de demander, pour une cause
légale, la dissolution de la société. Nous étions cependant
arrivés à la conclusion que, même à défaut de texte exprès,
chaque actionnaire devait avoir le droit de demander ex lege
la dissolution, si le fait de continuer la société se présen-
tait comme un abus de droit. Nous avions mentionné le cas
où il est avéré que l'objet social ne peut, par aucun moyen,
être atteint (par exemple, extraction d'une matière première
d'une région où par des recherches scientifiques il a été
prouvé que cette matière ne se trouvait pas) ou encore le cas
où il est tout à fait évident que, dans une société ayant un
but lucratif, la poursuite du but social ne pourra se faire
qu'avec des pertes continuelles (35).
Nous venons de relater la règle du nouveau code qui
prévoit la dissolution de la société pour de justes motifs, à
la demande d'actionnaires représentant un cinquième au
moins du capital social. Cette règle ne figurait pas dans le
projet primitif du Conseil Fédéral. Le message de ce dernier
du 21 février 1928 s'est prononcé en ce sens :
:
(35) Cf. pour les sociétés de personnes
taire », ad. art. 545-547 C. 0., note 2.
A. Siegwart, « Commen-
« Nous avons abandonné une proposition aux termes de
«laquelle le juge devrait prononcer la dissolution si elle est
«requise pour de justes motifs par des actionnaires repré-
«sentant un dixième au moins du capital social ou par dix
«actionnaires. Une société anonyme ne peut être traitée,
«sur ce point, comme une société en nom collectif ou en
«
;
commandite. La- société anonyme est une association de
«capitaux l'élément personnel y demeure à l'arrière-plan.
«La durée de cette société ne dépend ni de la vie, ni des
«autres conditions individuelles des actionnaires. Les justes
«motifs auraient ici une signification particulière. On
«pourrait abuser, au détriment de la société, de la faculté
«accordée à une minorité d'actionnaires de provoquer la
«dissolution, une initiative de ce genre, même si elle était
«écartée par le juge, étant susceptible de causer un dom-
«mage à la société».
Cependant, au cours des délibérations par les Chambres
Fédérales, la proposition d'introduire une telle règle a été
reprise, et, après des hésitations sur le quorum nécessaire
pour demander au juge la dissolution de la société, les
Chambres se sont finalement mises d'accord sur le minimum
d'un cinquième du capital social. Par cela même, il semble
exclu qu'une minorité n'atteignant pas ce quorum puisse
intenter, à bon droit, un procès tendant à la dissolution de la
société. Toutefois, on peut se demander si, dans des cas
exceptionnels, où le maintien de la société par la majorité
(et dans l'intérêt personnel de cette dernière, par exemple
pour pouvoir disposer des fonds de la société d'une manière
contraire au but réel de celle-ci) constituerait un abus de
droit (36), il ne faut pas admettre l'action en dissolution, en
dépit. du texte de la loi. En cas d'abus de droit on pourrait
songer, d'ailleurs, à une responsabilité des dirigeants de la
sociétéenvers chaque actionnaire, en vertu de l'article 754 du
Code des obligations, mais ne serait-il pas contraire à l'esprit
général' de notre, code de n'admettre, le cas échéant, qu'une

(36) C. Wieland, op. cit., § 110, vol. 2, p. 205.


demande en dommages-intérêts, et non une demande tendant
à la suppression de l'abus ? Or la suppression de l'abus
devrait précisément consister ici dans la dissolution de la
société.
Il est nécessaire de se demander, à propos de l'article
736, chapitre 47, du Code des obligations si le juge a la faculté
d'adapter éventuellement les statuts de la société aux
circonstances nouvelles, au lieu de la dissoudre purement et
simplement. Nous avons vu plus haut qu'en matière de
contrat sygnallagmatique, la jurisprudence suisse admet cette
faculté, mais peut-on aller aussi loin que de reconnaître au
?
juge même le pouvoir de modifier des statuts Le texte du
code ne le prévoit pas et nous sommes d'avis qu'on ne peut
pas aller jusque là, mais qu'il serait raisonnable de recon-
naître au juge le pouvoir de laisser à la majorité des action-
naires (ou à une majorité qualifiée, selon les circonstances)
la latitude de prendre cette décision. Le juge pourrait même,
pour ce faire, ne prononcer la dissolution de la société qu'à
titre conditionnel. La condition pourrait précisément
consister dans le fait, pour les actionnaires de ne pas adap-
ter les statuts aux circonstances nouvelles dans un délai fixé
par le juge.
De nouvelles questions se posent s'il y a différentes
catégories d'actionnaires ou de porteurs de parts bénéfi-
ciaires, qui ne votent pas tous dans le même sens, lorsqu'une
modification des statuts s'impose, notamment pour un assai-
nissement de la société. Relativement à la communauté des
obligations, la nouvelle loi prévoit clairement que, faute
d'accord séparé de chaque catégorie d'obligataires, le plan
d'assainissement proposé par le débiteur doit être considéré
comme ayant été rejeté, et ceci indépendamment des majo-
rités obtenues dans certaines catégories (Art. 1174 CO).
Pour ce qui est de la portée respective des votes de diverses
catégories d'actionnaires et porteurs de parts bénéficiaires,
la règle générale est sans doute la même. Toutefois, les liens
entre les diverses catégories d'actionnaires, ainsi qu'entre
les actionnaires et les porteurs de parts bénéficiaires sont
certainement bien plus étroits,
En vertu de l'article 657, la communauté des porteurs
de « bons de jouissance » (parts bénéficiaires) est, en prin-
cipe, également soumise aux règles de la communauté des
créanciers dans les emprunts par obligations (art. 657,
alinéa 3). Le dernier alinéa de l'article précité prévoit les
possibilités suivantes quant aux droits afférents aux bons
de jouissance :
Les « bons de jouissance » confèrent aux porteurs, non
pas la qualité d'actionnaires, mais uniquement le droit à
une part du bénéfice net ou à une part de liquidation, ou à
un droit préférentiel de souscription en cas d'émission
future.
Il en résulte que le sort des propriétaires des « bons de
»
jouissance est beaucoup plus intimement lié à la société
anonyme que celui des créanciers ordinaires. De plus, le
premier alinéa du dit article stipule que le droit des por-
teurs des « bons de jouissance » doit ressortir directement
des statuts de la société. Il s'en suit que les porteurs de
« bons de jouissance » font partie de l'organisme juridique
que constitue la société anonyme. On peut donc se demander
s'il ne faut pas leur appliquer des règles plus strictes qu'aux
créanciers ordinaires et admettre des cas où le refus de toute
adhésion à des plans de réorganisation acceptés par les
obligataires et les actionnaires serait considéré comme abus
de droit. Cette question pourrait se poser notamment lors-
que des propositions raisonnables sont faites aux porteurs
des « bons de jouissance » et qu'en cas de dissolution de la
société, il ne leur reviendrait, de toute manière, aucun
avantage (par exemple si leurs droits ne consistent qu'en
une participation aux bénéfices). Des questions analogues
peuvent se poser pour les porteurs d'actions privilégiées.
En effet, ici encore, des modifications touchant leurs privi-
lèges ne peuvent intervenir qu'avec l'assentiment d'une
assemblée spéciale des actionnaires atteints (art. 654,
alinéa 2 C 0) (37-38).

(37) C. Wielandj « Handelsrecht », § 110, 3, vol. 2, p. 202.


(38) Touchant l'application de cette clause, non seulement aux con-
vue encore :
Cette constatation est importante d'un autre point de
d'une part, il est certain que l'admission de
liens de droit perpétuels se heurte à une certaine résistance.
Celle-ci provient de cette vérité d'expérience qu'il est
impossible de prévoir une réglementation qui reste tou-
jours, et quelles que soient les circonstances. Mais, d'autre
part, la loi, en assignant à la durée des liens de droit des

manière satisfaisante :
termes résolutoires certains, ne résout pas le problème d'une
il y a là toujours quelque chose
d'arbitraire, une impossibilité de tenir compte des parti-
cularités de chaque espèce. Dans ces conditions, il semble
que la meilleure solution soit d'admettre en principe les
liens de droit perpétuels, tout en.prévoyant, dans une large
mesure, la possibilité d'adapter ces liens de droit aux
circonstances nouvelles ou même d'y mettre un terme. La
longue expérience du juge suisse et la sagesse dont il fait
preuve dans le domaine de la libre appréciation rendent
cette solution à tous égards préférable.
En résumé, constatons que, si l'adaptation des contrats
et rapports sociaux aux circonstances exceptionnelles ne va
pas sans difficultés, elle donne grosso modo lieu à des solu-
tions assez satisfaisantes pour qu'elle ne puisse constituer
un obstacle à la reconnaissance de la validité des liens
juridiques perpétuels.
E. WOLFF
Docteur en Droit, Avocat à Lausanne

Traduction française revue et mise au point par :


M. NORDMANN
Docteur en Droit, Ancien Président de Chambre au Tribunal de Commerce
de la Seine

trats perpétuels, mais encore, d'une manière générale, à tous les rapporta
de droit perpétuels, v. aussi R. Haab, « Commentaire des droits réels »,
pp. 153 sa.
QUELQUES REFLEXIONS SUR DEUX
CONCEPTIONS THÉORIQUES
DU GOUVERNEMENT LOCAL

organes locaux, leur


:
Toujours et partout l'organisation du gouvenement local
enregistre la solution de trois problèmes la composition des
compétence le contrôle exercé sur leur
activité. Mais le législateur, appelé à organiser ou à réorganiser

devant une question préalable primordiale :


le gouvernement local, se trouve placé, consciemment ou non,
celle de l'origine
et de la situation dans l'Etat des organes locaux. Forcément

:
il est conduit à choisir entre deux conceptions théoriques oppo-
sées l'une prenant comme point de départ la société, l'autre
l'Etat et, suivant la position qu'il prend à cet égard, les solu-
tions pratiques qu'il adopte suivent des directions opposées.
1. D'après la première conception, qu'on pourrait appe-

:
ler sociologique, il y a un domaine de la vie collective sur
laquelle l'Etat n'a point de prise c'est celui de l'activité écono-
mique, avec laquelle il peut seulement collaborer parce qu'il
s'agit de réaliser des buts et des intérêts sociaux. En principe,
l'Etat a le soin des seuls intérêts de l'Etat, il doit laisser aux
sociétés locales la gestion de leurs propres intérêts. Ainsi
l'Etat s'oppose à la société ou, si l'on veut, aux Sociétés. Aux
intérêts étatiques s'opposent les intérêts locaux en tant qu'in-
térêts sociaux.
Parlant de l'Etat féodal, Franz Oppenheimer, privat-
docent à l'Université de Berlin, assurait que « la ville indus-
trielle est l'antipode, l'adversaire née de l'Etat. Il est le
moyen politique, elle est le moyen économique. Et la grande
lutte qui remplit l'histoire universelle, qui est cette histoire
même, se livre entre la ville et l'Etat ». Et il ajoute :
«
le moyen politique ;
L'Etat est l'ensemble de toutes les relations nouées par
la Société l'ensemble de toutes les
relations nouées par le moyen économique (1). Si nous
opposons l'évolution des idées à ce sujet en Allemagne et
en France, nous constatons qu'en Allemagne, Stein et

;
Gneist ont d'abord construit la théorie étatique du gouver-
neur local d'autre part, la théorie sociologique soutenue
par Gierke et Echaëfïle peut être considérée comme aban-
donnée, quoique de temps en temps elle ait connu des re-
nouveaux, par exemple avec Oppenheim. Au contraire, en
France, la théorie sociologique peut toujours être considé-
rée comme prédominante. Rappelons Fustel de Coulanges
« La cité n'est pas un assemblage d'individus ;
c'est une
:
confédération de plusieurs groupes qui étaient constitués
»
déclare :
avant elle et qu'elle laisse subsister (2). Et Berthélémy
« Ce qu'on a appelé l'affranchissement des com-
munes, c'est l'explosion de ce besoin qu'ont senti de nouveau
les agglomérations de citoyens d'être collectivement des uni-
tés politiques, des petites sociétés de secours mutuels, capa-
bles de s'administrer librement (3) ». Citons encore Hauriou:
« La décentralisation. est un mouvement qui tend à resti-
tuer à la nation (opposée à l'Etat) les organes de l'adminis-
tration locale (4) ». Ainsi la Cité laisse subsister des groupes
constitués avant elle ; ;
l'affranchissement des communes,
c'est l'explosion d'un besoin social il faut restituer à la
Nation des organes.

II. — Même si on se réfère à la conception étatique de


l'autonomie locale, il faut constater que l'Etat ne crée pas de
toutes pièces les unités qui entrent dans sa composition. Lors-
qu'un nouvel Etat est créé, même de nos jours, la commune
y entre toute formée et aide, dans une large mesure, à son
développement. Mais c'est l'Etat qui détermine législative-

(1) Franz Oppenheimer, « L'Etat, ses origines, son évolution, son


avenir ». 1913, p..181-207.
(2) La Cité antique, 1888, p. 145.
(3) Traité de Droit administratif, 2e éd., 1902, p. 183.
(4) Prtcia de Droit administratif, 1921, p. 109.
f
L-;<sts«îc>: .,
ment --~-'~-'
l'étendue des territoires

:
liberté concerne non seulement les communes, mais les
régions ainsi la Constitution belge en son article 1er déclare:
«La Belgique est divisée en provinces. Ces provinces sont.
;
communaux, la composition et
la compétence de leurs organes, ainsi que lecontrôle exercé
sur eux. L'Etat agit en toute liberté, car il peut même ne pas
créer des types uniformes, mais doter les communes d'organi-
sations différenciées tel est le cas de Paris et de Lyon. Cette

:
Il appartient à la loi de diviser s'il y a lieu le territoire en un
plus grand nombre de provinces ».
°
..QU

III. — D'après la conception sociologique, les citoyens


sont administrés soit, comme dans certaines communes rura-
les, par l'assemblée générale des citoyens jouissant de leurs
droits civiques (c'est le cas en Westphalie quand leur nombre

exigé un cens immobilier ;


ne dépassait pas dix huit), soit par des conseils élus où est
dans certaines provinces de
Prusse, les propriétaires de grands domaines sont même mem-
bres de droit du Conseil municipal. Ces divers organes peu-
vent être considérés comme présentant un caractère social.
Certaines langues emploient même comme synonymes les
mots « communal »
et « social ».

à fait librement les divers organes locaux :


D'après la théorie étatique, au contraire, l'Etat crée tout

;
en particulier, les
maires peuvent être nommés par le pouvoir central en un
mot, l'Etat organise les autorités locales suivant ses besoins
et suivant le critérium qu'il juge bon d'adopter pour sa
commodité.
D'après la conception sociologique, la compétence des
organes communaux est limitée aux besoins de la commune,
besoins essentiellement variables dans les diverses parties du
pays. En outre la commune peut être investie de fonctions sup-
plémentaires que lui délègue l'Etat. Par contre, dans la théorie
étatique, commune de l'Etat exercent des fonctions de carac-
tère identique, des fonctions d'Etat. Une partie des tâches du
Gouvernement est assurée par les organes centraux de l'Etat,
une autre partie, celles notamment qui doivent comporter des
modalités d'exécution locale, sont confiées à l'autorité locale.
Les Gommunes ou les régions ne constitueront ainsi des sujets
d'autonomie locale que dans la mesure où l'iîtat leur aura
confié des fonctions particulières à assurer.
Dans la conception sociologique, toutes les questions
d'opportunité sont appréciées par des organes élus, le pouvoir
central ne se réservant que le contrôle de la légalité des actes,
dans les mêmes conditions qu'il contrôle la légalité des actes
des groupements de toute nature. Dans la conception étati-
que, le Gouvernement exerce un contrôle non seulement de
légalité, mais aussi d'opportunité, en ce qui concerne notam-
ment la conformité aux buts poursuivis soit des décisions
elles-mêmes, soit des actes faits pour leur exécution.

IV. — Pourquoi a-t-on jugé partout nécessaire d'orga-


niser à côté d'un pouvoir central dont les ramifications peu-
vent cependant s'étendre partout, des pouvoirs locaux ?
Pourquoi à côté de la déconcentration une décentralisation
ou Gouvernement local (local self government) ? Pourquoi,
comme le disait Hauriou, «l'administration du peuple par le
peuple» ? Pourquoi un gouvernement local électif ou un systè-
me combiné d'organes électifs et d'organes nommés, assurant
une collaboration et un contrôle mutuels ?
C'est que très souvent les organes du gouvernement cen-
tral ignorent les besoins locaux et que les conditions de vie
hors de la capitale ne les intéressent parfois que médiocre-
ment. Le contrôle ainsi exercé par des personnes qui mécon-
naissent les conditions de la vie locale n'est guère efficace et
s'affaiblit à mesure qu'il s'éloigne du centre, de manière à
devenir purement formel et bureaucratique. Ce sont là les
défauts de la décentralisation. Quand on décentralise, sous
une forme ou sous une autre, les organes du gouvernement
local sont liés par de multiples liens aux administrés des
communes ou des régions. Sans doute, il y a là une circons-
impartialité nécessaire;
tance peu favorable en ce qu'elle peut porter atteinte à leur
cependant, elle représente un élô
ment réel d'initiative, de célérité et de contrôle. Nous pensons
d'ailleurs, que ce contrôle exercé par les; citoyens sur l'admi-
nistration locale doit s'appliquer aux actes des unités auto-
nomes, mais non pas à l'expression des opinions émises au
sein des conseils de ces unités. C'est ainsi que, avec M. Ber-
thélemy (5), nous réprouvons la publicité des séances des
conseils municipaux.

V. — A l'appui de la conception étatique, on peut encore


alléguer que la démocratisation du Gouvernement local mar-

:
che de pair avec la démocratisation du Gouvernement de
l'Etat. Prenons l'exemple de l'Angleterre en 1832 et en 1835,

;;
la grande réforme électorale jette les bases d'une vie démo-
cratique les travailleurs des villes obtiennent le droit de

ruraux;
vote en 1867 en 1884, ce droit est étendu aux ouvriers

:
en 1888, les juges de paix sont dépouillés d'une
grande partie de leurs attributions administratives ce n'est
qu'à ce moment qu'est fondée l'autonomie sur le principe de
l'éligibilité. En Belgique, la Constitution de 1831 admet et
proclame la souveraineté nationale (art. 25) ; en 1834 est insti-
tuée l'autonomie locale qui admet l'ingérence des pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire. Cette ingérence se manifeste
en droit; belge par un contrôle de tutelle qui porte moins sur
les autorités communales elles-mêmes que sur leurs actes. Le
professeur Errera se demande même (6) si cette tutelle n'est

: ;
pas excessive, au moins sur les grandes communes. Elle pré-

;
voit en effet a) l'autorisation antérieure à l'acte b) l'ap-

lation ; e) la réformation administrative


judiciaire
;
probation postérieure à l'acte c) la dispersion ; d) l'annu-

; f) l'inapplication
g) l'envoi de commissaires spéciaux (6).

VI. — Les formes du contrôle exercé sur les autorités


locales sont rarement identiques aux formes du contrôle par-
lementaire, judiciaire ou populaire s'exerçant sur les pou-
voirs législatif ou exécutif. A cet égard, il est important de
distinguer entre le contrôle proprement dit d'une part et l'in-
gérence ou tutelle d'autre part.
Le contrôle est exercé pour que les organes des autorités
locales ne dévient pas des tâches qui leur sont imposées et

(5) Op. cit., p. 201, 202.


(6) Traité de Droit public belge, 1909, p. 477, 478, 484.
pour qu'elles les exercent d'une manière efficace en ne por-
tant pas de préjudice aux intérêts et aux droits de l'Etat, de
la Société ou des particuliers. La tutelle suppose qu'une déci-
sion ne peut être mise à exécution sans une approbation du
représentant local du pouvoir central. Quand il s'agit de con-
trôle, les décisions sont exécutées, dès que dans un délai
déterminé après la décision elles n'ont pas été annulées par

:
le Gouvernement ou son représentant local. En fait, c'est un
système combiné qui se trouve appliqué certaines décisions
entrant en vigueur aussitôt, d'autres seulement si elles n'ont
pas été annulées dans un délai déterminé.
Indépendamment du contrôle administratif, l'autorité
locale est soumise à un contrôle judiciaire et aussi à un con-
trôle du public, qui a un caractère social marqué. En ce qui
concerne ce contrôle social, sans nier son importance, nous
sommes persuadé qu'à mesure qu'on s'éloigne du centre vers

;
la périphérie, ce contrôle public doit céder la place au con-
trôle administratif et judiciaire c'est en effet le seul moyen
pour que les organes des collectivités locales puissent s'éman-
ciper de la pression des partis politiques, souvent liés aux
convoitises personnelles. L'importance, l'utilité, l'efficacité
d'un contrôle social sont manifestes lorsqu'il s'exerce seule-
ment d'une manière périodique, par exemple aux élections
des conseils locaux. La non-élection d'un candidat, d'un ex-
conseiller, d'un maire qui n'est pas responsable politique-
ment ou parlementairement, n'est-elle pas cependant un
mode de sanction
morale ? ? ne comporte-t-elle pas une sanction
Tout le système du gouvernement suisse fédéral et
cantonal qui ne connaît pas la responsabilité politique n'est-
il pas édifié sur des sanctions morales, notamment la non-
réélection d'un membre incompétent, peu assidu, maladroit,
en un mot indésirable ?
.l, ')1.

.- S. BALAMEZOV,

Professeur de Droit public à l'Université de Sofia.
t
BIBLIOGRAPHIE

Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique,


NOM 3-4 1936.

M. Maxime Leroy étudie les tendances du pouvoir et de la


liberté en France au xx, siècle, et montre que le renforcement
du pouvoir central a été obtenu sans recours aux institutions net-
tement antidémocratiques que l'on a vues à l'étranger. Cette évo-
lution se manifeste dans la révision de la constitution par la cou-
tume et les règlements des chambres, et dans la collaboration des
syndicats avec l'Etat.
M. Gustave Radbruch cherche à démontrer la prépondérance
de l'idée de sécurité juridique dans la conception britannique du
droit. Toute l'histoire du droit anglais le prouve et la mission spi-
rituelle du droit anglais, d'après l'auteur, est de montrer au reste
du imonde qu'on ne peut sans crainte abandonner l'idée de
sécurité.

»
droit
M. Auguste Dumas, dans un article intitulé : « L'essence du
soutient que le droit est une casuistique formelle, un
;
ensemble de formes techniques destinées à enfermer les cas de
la pratique l'esprit juridique, quand il est développé par des
études théoriques, s'élève à une synthèse qui domine les cas et les
catégories, et les ordonne en un système. Le droit positif oscille
ainsi entre l'esprit de routine et l'esprit révolutionnaire. Le milieu
entre ces excès est l'effort constant d'adaptation. Dans une étude
sur la nature et les formes de la démocratie, M. Gerhard Leibholz
développe l'idée que la démocratie libérale n'est en réalité qu'une
forme très importante, et peut-être la plus importante du point de
vue culturel, de la démocratie.
M. Paul Léon, dans un travail trop modestement classé sous
«
la rubrique Etudes critiques », présente le résultat de recher-
ches approfondies sur les antécédents historiques de l'idée de
volonté générale chez Jean-Jacques Rousseau. Il en résulte que cette
idée n'appartient pas en propre à Rousseau, mais que son sens
est commandé par toute une tradition. Il le montre en étudiant les
origines de l'idée chez les Grecs. Saint-Augustin, Duns Scot,
Marsile de Padoue, Vitoria et Suarez, et les philosophes du XVIIe
et du XVIIIe siècle. Il étudie alors ce que l'idée est devenue chez
Rousseau, sa naissance du problème de la solitude, l'aspect social
de la volonté générale (contrat social), puis l'aspect individuel de
cette même volonté générale dans l'« Emile ».
* La seconde « Etude critique »

examinantl'idéedel'internationaled«es

Ce
1-2 1937.
est consacrée par Mme Grete
Stoffel à la doctrine de l'étàt raciste dans l'idéologie nationale
socialiste. L'auteur n'examine le racismeque dans la mesure où il
détermine une doctrine politique. Elle analyse de matière critique
les notions scientifiques et mystiques de race, la notion de Vôl-
kisch, et celle d'Aryen. Puis elle aborde le fond de la doctrine
»
avec l'idée que la « source de l'Etat est dans la lutte des races,

**
et son but dans lerétablissement de la race pure. L'Etat autoritaire
et totalitaire se caractérise par la concentration de tous les pou-
voirs dans la main dû Fuhrer et 'laposition privilégiée du "parti
nsitional socialiste. Vis-à-vis des autres Etats, l'Etat raciste doit
assureT la mission d'un peuple de maîtres. L'auteur termine en
-des Aryens.
Aryens. M.

Archives de philosop'hie du droit et de sociologie juridique,


N"
B.
B.

cahier commence par la publication d'un discours pro-


nonce à la séance d'ouverture du congrès de. l'Institut Interna-
tional de Philosophie du Droit et de Sociologie juridique tenu à
Rome en 1937. M. le Fur y analyse les notions de bien commun,
de justice et de sécurité qui constituent le but du droit, et qui
formaient l'objet, des travaux du.congrès, pour montrer qu'il est
possible de résoudre les antinomiesqu'elles paraissent soulever.
-

M. Gurvitch considère que, imalgré toutes les réserves qu'im-


pose une connaissance plus précise des conceptions de Durkheim,
ce dernier, contrairement à M. Lévy Bruhlcroit, à l'instar des
représentants des « méta-Amorales traditionnelles », à la possibilité
de tirer d'une connaissance théorique préalable une doctrine
morale. Il a ainsi préparé la voie à la reconnaissance de l'étroite
interdépendance de la philosophie morale et de la sociologie
morale, interdépendance qui paraît à M. Gurvitch la prémisse
indispensable à l'existence de ces deux disciplines. La sociologie
de Durtcheim a ainsi préparé île terrain à la philosophie des
valeurs, mais cette philosophie expérimentale des valeurs a été
remplacée chez Durkhein par « l'équationc'onstructive et dogma-
tique : —Bien suprême- — Société réelle — Esprit ».

social avant Jean-Jacques Rousseau :


M. Gaston Richard étudie lacritique de l'hypothèse du contrat
critique cartésienne- au'xvn0
siècle, et critique de tendance baconienneau XVIIIe siècle. Descartes
fut suivi par Malebranclie, Bossuet, Fénelon, Spinoza. La critique
baconienne est représentée par Vico, d'Alembert et David Hume.
La part de vérité que la critique peut dégager des oeuvres
qu'au cours de deux siècles a inspirées la notion du pacte social
a tout au moins une valeur négative : la négation d'une fatalité
historique de nature économique ou ethnique dont reléveraient
indifféremment tous les gouvernements.
Garré de Malberg en analysant son iceuvre juridique :
M. René Capitant publie un hommage posthume à Raymond
adhérant au
positivisme juridique, l'illustre publiciste construit toute la théorie
de l'Etat français autour d'un seul principe, le principe repré-
sentatif. A la séparation des fonctions, il a opposé la hiérarchie
des fonctions. Il a adapté une doctrine constitutionnelle française
à la réalité Ide notre démocratie, tout en introduisant de l'ordre et
de1 l'unité dans la conception de la constitution.
M. Goldschmidt étudie l' « a priori » dans le droit et la morale
chez Kant, Stammler, Radbruch et les phénoménologues. Il trans-
pose l' « a priori transcendantal » de la sphère émotionnelle du
domaine moral dans le domaine juridique.
M. Armand Hogg intitule une étude critique: « Les théories de
Laski et le pluralisme démocratique ». Il montre que la pensée de
Laski, partie d'un « assaut » contre la souveraineté de l'Etat, à
cherché à résoudre le problème de l'Etat dans un fédéralisme
territorial 'basé sur le contrôle ouvrier, puis par un « fédéralisme
fonctionnel ».
M. Martyniak considère le problème de l'unité des fondements
de la théorie du droit de Kelsen. Il cherche l'influence de Kant sur
l'illustre auteur, puis celle de Cohen, Vaihinger et Mach. Il s'attache
ensuite notamment à la négation de la séparation du Sein et du
Sollen dans la théorie de la norme fondamentale.
M. Lazerson consacre la dernière étude critique du cahier au
célèbre philosophe juif médiéval Maimonide. Il montre son influ-
ence sur Saint Thomas d'Aquin et Spinoza. Pour l'auteur,
le précurseur de l'idée démocratique de la religion civile.
il aété
H. B.
**
*

Archives de philosophie du droit et d'e sociologie juridique,


N" 3-4 1937.
M. Maunier présente une étude dece ;qu'il appelle le folklore
juridique, c'est-à-dice ce qui survit coutuimièremefnt et populai-
y
rement des étatsde droit qui ont régné autrefois.S'il a une vie
populaire, il y a une loi populaire qui est orale, locale et privée,
qui peut être ignorée, réprouvée, tolérée ou approuvée par l'auto-
riiç.
M. Lévy Bruhl attire l'attention dans un bref article sur le
caractère social du droit envisagé dans ses sources, ses principes,
l'interprétation et l'apiplication de ses règles.
M. Georges Ailiet étudie la position prise par M. Gurvitch dans
son récent ouvrage « Morale théorique et science des tanœurs ».
Il montre que l'auteur, répondant aux critiques adressées par M.
Lévy Bruhl aux morales traditionnelles, voulait établir la légitimité
d'une philosophie morale, d'une philosophie des valeurs qui y
échapperaient. Il regrette qu'il n'ait pas précisé davantage une
méthodologie de la détermination morale dont il avait reconnu
lui-même la nécessité.
M.Georges Burdeau (les règles de droit et le pouvoir) nie que
l'on puisse attribuer la primauté soit au droit positif, soit au droit
naturel ou objectif. De la règle de droit au pouvoir, du pouvoir à
la règlementation positive, il n'y a pas de solution de continuité.
Le pouvoir est le point de rencontre des deux autres notions.
M. Jean Chabas donne le fruit d'un séjour qu'il a fait au Japon
par des observations sur le rôle social de la famille- japonaise,
montrant que ses caractères fondamentaux sont la hiérarchie et
l'absence d'individualisme.
M. Rundstein (Observations sur la structure du juridique)
cherche les èritères de différenciation de la règle juridique et des
autres règles sociales. Il considère qu'il n'y a pas opposition entre
ces différentes règles, mais des aspects divers d'appréciation du
contenu réglé.
M. Salomon observe qu'Aristote est regardé comme un des
pères du droit naturel. Il estime que cette opinion a besoin d'être
complétée par la considération que, d'après Aristote, les deux
domaines du droit naturel et du droit positif sont rigoureusement
séparés, le premier étant accessible à l'argumentation scientifique,
le second pouvant être décrit mais non démontré.
M. von Hildebrand analyse le matérialisme biologique et le
collectivisme contemporain qui ont engendré le mythe des races,
idée centrale de la doctrine nationale socialiste. Il indique les
conséquences de ce mythe dans l'attitude du national socialisme
envers la science et envers la religion.
M. Paul Léon s'attaque cette fois à l'évolution du concept de
la souveraineté avant Rousseau. Les idées d'unité et de concentra-
tion qu'exprime la notion moderne de la souveraineté a des pré-
cédents historiques de formes diverses dans l'antiquité et au Moyen
Age. M. Paul Léon les examine et montre que c'est incontestable-
ment en Fran.ce"au xve siècle, sous l'impulsion des guerres de reli-
gion, que la notion de souveraineté au sens moderne réussit pour
la première fois à rassembler les éléments jusqu'alors épars qui la
constituent.
M. Djuvara consacreune étude critique à la pensée de M. Del
Vecchio. Il examine les bases de l'idéalisme de l'auteur, son idée
de la justice,sa conception de l'Etat, en particulier dans ses rap-
ports avec le droit positif. H montre que l'illustre doyen de Rome
a définitivement réfuté le positivisme en général qui consistait à
« faire de la science sans savoir ce qu'est la connaissance », et
spécialement le positivisme juridique qui consistait à « faire du
droit sans droit ».
M. Peretiatkowicz donne une étude de la déclaration constitu-
tionnelle de Pologne de 1935 au point de vue de sa signification
par rapport au libéralisme et aux systèmes totalitaires. Il croit
pouvoir synthétiser l'esprit de cette déclaration dans la formule
d'un « solidarisme d'élite ».
H. B.
***

Cours de droit civil français de Ch. BEUDANT, publié par Robert


BEUDANT et Paul LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, tome IV, Les Biens,
avec la collaboration de Pierre VOIRIN, professeur à la Faculté

de Droit de Nancy. 1 vol., 991 p., Paris, Libr. Rousseau, 1938.


Le gros volume que vient de publier M. Pierre Voirin dans
la collection du Cours de droit civil de Charles Beudant est
digne de ceux qui l'ont précédé. Sur la trame du cours du célèbre
professeur de Paris, qui sert de fond à l'ouvrage, M. Voirin a mis
en œuvre et mené a bien un remarquable travail, très moderne
par la documentation et par la présentation.
Dans une première partie, il étudie les notions générales de
la matière, notamment la théorie du patrimoine, la distinction
'des droits réels et des droits de créance, la distinction des
meubles et des immeubles. Une deuxième partie est consacrée
aux personnes morales, et contient d'intéressants développements
sur les discussions d'idées relatives à la personnalité morale, fet
sur la loi du 1er juillet 1901. La troisième partie envisage les
divers droits réels. On y trouvera une étude très complète de
chacun des attributs du droit de propriété, de la copropriété, du
régime des eaux. L'usufruit, les servitudes légales et convention-
nelles, font ensuite l'objet d'abondants développements. La qua-
trième partie étudie l'acquisition et la transmission des droits
réels. On y trouvera, à propos de la possession, un examen, de
la distinction du possessoire et du pétitoire qui est particulière-
ment poussé. L'article 2279, la prescription, sont l'objet des cha-
pitres suivants. Mais le plus original est celui qui est consacré
à la transcription qui est envisagée successivement comme
Imesure de police destinée à assurer la publicité générale des
;
transmissions immobilières, et comme institution civile destinée
à protéger les tiers un renvoi est d'ailleurs fait des détails
concernant ce second point de vue, qui sont étudiés dans les
volumes consacrés aux donations et aux obligations. L'ouvrage
se termine sur quelques pages sur la preuve des droits réels.
On voit quel ensemble de questions importantes sont traitées
dans cette belle étude. L'auteur a poussé lescrupule jusqu'à y
joindre èn un Addenda quelques mots sur les réformes réalisées
au cours de l'impression, notamment sur la loi du 28 juin 1928
relative aux maisons divisées par étages.

Cours de droit civil français de Charles Beudant, 28 édition, publiée


par Robert BEUDANT et Paul LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, tome X. —
La vente et le lomuge des choses, avec la collaboration de Jean
BRÈTHE DE LA GRESSAYE, professeur à la Faculté de Droit de
Bordeaux, Paris, Rousseau et Cle 1938, 1 vol. 666 pages.

Dans la belle collection de volumes qui fait revivre en le


rajeunissant le Cours de droit civil du Doyen Charles Beudant, il
convient de signaler tout particulièrement celui que vient de
publierM. Brèthe de la Gressaye sur la Vente et le Louage des
choses. Ceux qui ont connu la première édition retrouveront avec

:
plaisir les claires et substantielles argumentations du maître, qui
conservent une singulière actualité comment ne pas lire avecun
intérêt très vif toutes les pages qui sont consacrées à la question
de savoir si le droit du preneur à bail n'est pas un droit réel,
quand on sait toutes les transformations qui ce droit a subies
depuis vingt ans?
Mais l'ouvrage est vraiment moderne par sa documentation.
La jurisprudence, sobrement rapportée, est mise à jour avec grand
soin, et des questions nouvelles sont étudiées de près, par exem-
ple celle de la garantie des vices dans les ventes de valeurs mobi-
lières. C'est surtout à l'occasion du louage que la mise à jour a été
importante. M. de la Gressaye consacre d'importants développe-
ments à la législation des loyers consécutive à la guerre, en y
ajoutant en appendice d'étude de la loi du 1er juillet 1937 qui cons-
titue le texte le plus récent de cette matièreparticulièrement
touffue. On trouvera.dans ces pages une présentation précise et
claire de toute cette législation. Il en est de même pour la loi sur
la propriété commerciale, et le mérite de l'auteur est particulière-
ment grand en ce qui concerne cette dernière loi, qui est une des
plus mal rédigées que nous ait donné le Parlement,
:a
M.de la Gressaye n'a pas négligé de 'signaler certains projets
qui sont susceptibles d'aboutir, et il leur=a même consacré -parfois
de larges développements il en est ainsi notamment .du projet
relatif à d'indemnité -qui pourrait être 'allouce au lermier sortant
à
pour la plus-value <iu'il donnée ta terre.
On voit les services que cet ouvrage est appelé à rendre aux
praticiens, comme aux hommes de doctrine. Ils y trouveront non
seulement une étude très complète de toutes les questions rela-

les modalités de ces deux contrats :


tives à ila vente et au louage de choses, mais aussi des détails sur
cession decréance, vente
publique, vente aux enchères, ventes commerciales, bail à colonage
partiaire, bail emphytéotique, bail à cheptel, etc.
André ROUAST 8

Professeur à la Faculté de Droit de Paris."

**
*

Le pacte de préférence. Ses applications en droit civil et en droit


commercial, par M. Jacques DE VISSCHER, 1 vol. Etablissements
Emile Bruylant, Bruxelles.
Le pacte de préférence est une convention par laquelle mne
personne s'engage vis-à-vis d'une autre, pour le cas où elle
conclurait un contrat déterminé, à le conclure avec cette personne
de préférence à d'autres, toutes conditionsrestant les mêmes
Pour la période antérieure à 1914, le pacte de préférenceétait
-

peu usité. Mais, 'au contraire, depuis 'l'après-guerre on icowâtate


que d'année en année et dans tous domaines les droitsdepréfé-
rence se multiplient, parallèlement à lUne régression du nombre
des promesses pures et simples de contrat. En effet, le pacte de
préférence apporte un 'tempérament utile au privilège par :trop
exclusif du bénéficiaire des promesses de contrat, qui furent, en
période économique troublée, maintes fois onéreuses pour les
promettants. Il a 'l'avantage desatisfaire aux intérêts réciproques
des parties tout en les conciliant avec les exigences ^pratiques de
la vie économique.
On doit savoir gré à M. de Visscher d'avoir abordé l'étude de
cette opération juridique originale et neuve et de l'avoir fait de
manière intéressante. Après en avoir fait l'analyse sommaire, il
s'est attaché avant tout et particulièrement à la nature du droit de
préférence, à son objet et à ses conditions de validité. Ensuite, il
en a étudié les effets et une troisième partie a été consacrée aux
causes d'extinction du droit de préférence.
L'auteur n'a pas limité son étude au seul droit civil, mais
également au droit commercial où le pacte de préférence se
révèle être d'une utilité pratique énorme. Et comme cas d'appli.

:
cation courante, deux opérations ont retenu spécialement son
attention le droit de souscrire par préférence à des actions
nouvelles émises en augmentation du capital et le droit de
préemption à la transmission d'actions anciennes.
**

Le commerce et l'organisation des marchés, par Henry LAUFEN-


BURGER, professeur à la Faculté de Droit de Strasbourg (t. V
du Traité d'Economie politique publié sous la direction de
H. Truchy). Libr. du Rec. Sirey, 1938, XII, 658 p.
L'organisation du commerce intérieur, à la différence du
commerce international, est une partie relativement peu explorée
de l'économie politique. Si les transports ont fait l'objet d'études
nombreuses, le fonctionnement des marchés et tous les problèmes
de la distribution par contre n'ont guère été envisagés jusqu'à
présent en France d'un point de vue général et scientifique.
L'entreprise et la réussite de M. Laufenburger n'en sont que plus
méritoires et remarquables. On appréciera surtout l'ampleur de
ses vues, l'originalité des idées, la richesse extraordinaire et la
sûreté de la documentation.
L'auteur traite successivement de la théorie du commerce
et des marchés, de l'organisation des bourses et de leur rôle, du
commerce capitaliste de gros et de détail, du commerce non capi-
taliste, de l'intervention des pouvoirs publics et du commerce
d'Etat. Beaucoup de ces problèmes peuvent sembler réservés aux

privé, en particulier de droit commercial:


économistes. Par bien des points cependant les matières traitées
intéressent au premier chef les spécialistes des études de droit
ainsi les bourses et
les opérations qui s'y pratiquent, les marchés à terme, le report.
Les problèmes traités sont d'ailleurs de nature à intéresser
quiconque cherche à se rendre compte des réalités au milieu
desquelles il vit et de l'évolution des formes économiques dans
le monde moderne.

**
Code administratif, par Joseph DELPECH, Doyen de la Faculté de
Droit de Strasbourg, 2 vol., 1718 p. Libr. du Rec. Sirey, 1938.
C'est une entreprise redoutable et digne d'admiration que
de rassembler les textes, législatifs et réglementaires, ayant trait
au droit administratif, qui ont été édictés depuis 1790 jusqu'en
décembre 1937. S'il suffisait de suivre l'ordre chronologique,

sante des documents à vérifier et à reproduire ;


la tâche serait déjà fort lourde devant la masse sans cesse crois-
mais elle serait
aussi assez décevante, du fait que la plupart du temps le légis-
lateur ne se soucie pas de réaliser lui-même les incorporations
ou combinaisons de textes ni d'exprimer formellement les abro-
gations. Il s'agit donc, pour qui veut publier réellement un Code
administratif, de procéder lui-même à l'étude minutieuse des
textes et des transformations, directes ou indirectes, qui y ont
été apposées, souvent à plusieurs reprises et sans très grand soin,
de façon à leur donner leur figure véritable et définitive de
l'heure actuelle. Les problèmes les plus délicats d'interprétation
doivent ainsi être résolus. Mais alors l'œuvre publiée répond à
son titre et apporte l'immense service de présenter des textes
parfaitement mis au point sous leur forme vivante et utilisable.
C'est cette tâche qu'a entreprise et menée à bien M. le Doyen
Delpech, unissant à l'exactitude minutieuse du détail, la sûreté
scientifique de l'interprétation. Une première édition avait paru
en 1926. Mais le nombre des dispositions nouvelles intervenues
depuis cette date rendait urgent de compléter le volume antérieur
suivant la même méthode. C'est l'objet de l'édition actuelle en
deux volumes. La consultation en est rendue aisée par un doublé
index, chronologique et alphabétique, aux rubriques et subdivi-
sions multiples.
Il n'est pas douteux que l'incomparable instrument de tra-
vail et de documentation ainsi composé rendra les plus grands
services à tous ceux, théoriciens ou praticiens, qui ont à con-
naître des matières administratives et rencontrera le brillant
succès que mérite sa valeur.
Concours d'agrégation de 1938

Ont été institués, dans l'ordre suivant, agrégés des Facultés


de Droit à la suite des concours d'octobre-décembre 1938 :

Section de droit public:


MM. Paul REUTER, à la Faculté de Poitiers.
Robert PELLOUX, à la Faculté de Lyon.
Jean RIVERO, à la Faculté de Poitiers.
Georges PINTO, à l'Ecole Supérieure de Droit de Hanoï.
André GROS, à la Faculté de Droit de l'Université de Sao-Polo.

Section des sciences économiques :


MM. Daniel VILLEY-IDESMARETS, à la Faculté de Caen.
Georges MossÉ, à la Faculté de Grenoble.
Henri GUITTON, à la Faculté de Dijon.
Gérard MARCY, à la Faculté d'Aix.
Pierre VIGREUX, à la Faculté de Bordeaux.
Paul HUGON, à la Faculté de droit de l'Université de Sao-Polo.
Jean COMBRY, à l'Ecole Supérieure de Droit de Hanoi.
.,.

TABLES DE L'ANNÉE 1938


par Marg. HALLER
Examinateur-adjoint à la Faculté de Droit de Paris

TABLE ALPHABÉTIQUE DES MATIERES

Acceptation. V. Lettre de change. 3. Droit de l'adhérent d'une


mutuelle créancier d'indem-
Accident. Accident mortel. V. nité de faire inscrire hypothè-
Responsabilité civile, 8.
que sur les biens de la: mutuel-
Auteur responsable. V.. Res- le pour le montant de l'indem-
ponsabilité civile, 9. nité, des intérêts courus et des
frais exposés, 163.
Accidents du travail. Rapports
entre la législation des acci- 4'. Autorité de la chose jugée
dents du travail et le régime au criminel contre l'assuré à
des assurances sociales, 427-, l'égard de. l'assureur poursuivi
Acquisition. V. Nationalité, 5, 6 ;
par la victime, 166".
Nom. 5. Opposobilité à l'assureur de
la condamnation de- l'assuré
Administrateur. Nomination de au paiement d'une indemnité
l'administrateur provisoire. V. à la victime, 170.
Interdiction judiciaire, 1. 6. Charge de la preuve au cas
de restriction conventionnelle
Agrégation. Concours, de 1938, d'es obligations de l'assureur,
720. 172.
Aliments. V. Pension alimentaire. 7. Application de la loi du
Alsace-Lorraine* V. Nationalité-, 8.
13 juillet 1930; aux contrats
antérieurs quant à\ la* subroga-
Appareils automatiques. Distribu- tion de l'assureur, 174.
teurs, compteurs et appareils
automatiques analogues, 1Î0. Assurances sociales. V. Accidents
du travail.
Appel. Modification des délais. V.
FaiUite. Autruh.V. Responsabilité civile,
7.
V. Voies de recours.
Ayant causeï Contractant. V. Res-
Aristote. V. Droit naturel. ponsabilité civile, 2.
Ascendante. Droits. V. Puissance Bail. Baux à loyer. V. Etranger,
paternelle., 2,. 5.

Assurance. 1. Notes de jurispru- Banqueroute. Aggravation des rè-


dence, sur l'assurance « bonne gles applicables, en, matière
date »,, l'33* d'homologation de concordat
et debanqueroute, 6531.
2. Effet des assurances cumu-
latives d'un même risque, 161. Biens. 720.
Carré de Malberg. Hommage pos- Contrat. Charge de la preuve de
thume, 717. l'exécution. V. Preuve.
t-
Cassation. V. Voies de recours. Contrats antérieurs à la loi
Caution. Cautio judicatum solvi. du 13 juillet 1930. V. Assu-
V. Etranger, 5. rance, 7.
Chèque. Modifications de la légis- Contrat social. 716.
lation du chèque, 630.
Coutume. Folklore juridique, 717.
Chose. Fait des choses et fait
d'autrui. V. Responsabilité ci- Créance. Nantissement. V. Gage
vile, 7. commercial.
V. Responsabilité civile, 3, 4, Cumul. Indemnités. V. Responsa-
6. bilité civile, 9.
V. Assurance, 2.
Chose jugée. V. Assurance, 4, 5.
Codébiteur. V. Pension alimentai- Date. Assurance « bonne date ».
V. Assurance, 1.
re, 4.
Décès. Contractant. V. Responsa-
Code administratif. 721. bilité civile, 2.
Codification. Unité nationale et Décès du père prétendu. V.
codification, 367. Filiation naturelle, 3.
Collision. Véhicules. V. Responsa- Déchéance. V. Nationalité, 6.
bilité civile, 5.
Décret-loi. V. Droit commercial.
Commandement. Pouvoirs judi-
ciaires du commandement, Délais. Opposition et appel. V.
179. Faillite.
Commerce. Commerce et organi- Démission. V. Fonctionnaire.
sation des marchés, 720. Distributeur. V. Appareils auto-
V. Etranger, 1. matiques.
Compteur. V. Appareils automati- Divorce. V. Pension alimentaire,
ques. 1, 2.
Conception. Règle infans concep- Domicile. V. Etranger, 5.
tus. V. Filiation légitime.
Droit. 1. A priori dans le droit,
Concordat. Aggravation des règles 717.
applicables. V. Banqueroute. 2. Caractère social du droit,
Condamnation. Opposabilité. V. 718.
Assurance, 5. 3. Essence du droit, 715.
Droit civil. Cours de droit civil
Conflit. V.Nationalité, 7. de Charles Beudant, 718, 719.
Conflit de lois. V.^Nationalité, 4. Droit commercial. Les décrets-lois
Daladier et le droit commer-
Constitution. V. Pologne. cial, 615. -
Droit naturel. Aristote, 718. Faute. Victime. Tiers. V. Res-
ponsabilité civile, 6.
Droit pénal. V. Voies de recours.
Filiation adultérine. V. Légitima-
Ecrit. Commencement de preuve tion.
par écrit. V. Filiation naturel-
le, 2, 3. Filiation Pégitsme. Présomption dé
paternité et règle infans con-
Enfant. V. Filiation légitime; Fi- ceptus, 448.
liation naturelle; Légitimation;
Puissance paternelle. Filiation naturelle. 1. Pluralité
des reconnaissances et contes-
Etat. 1. Etat des personnes, 437. tation de l'art. 339 C. civ., 451.
Recours contre l'auteur res- 2. Commencement de preuve
ponsable. V. Responsabilité ci- écrit de l'art. 341 C. civ.,
vile, 9. par
453.
Etranger. 1. Réglementation du
droit des étrangers de faire le
commerce, 617.
:;
3. Action en recherche de
paternité commencement de
preuve par écrit de la séduc-
tion, 455 utilisation des ré-
2. Condition des étrangers,
53. sultats de l'analyse du sang
3. Droits et charges politiques dans les actions en recherche
et civiques, 53. de paternité, 458 ; contre qui
l'action est intentée lorsque
publics fondamentaux, 58 ;
4. Droits publics, 57 ; droits

droits publics à caractère éco-


le père prétendu est mineur,
459 ; après le décès du père
nomique, 68. prétendu, 461.
5. Droit privés, 77; récipro- fonctionnaire. La démission du
cité de l'art. 11 C. civ., 77
l'étranger et les divers droits
; fonctionnaire, 291.
privés, 81; inscription de l'hy- Sage commercial. Nantissement
pothèque légale du mineur, 81; de créances résultant de mar-
domicile, 83; droit d'ester en chés publics, 623.
justice, 86; cautio judicatum
solvi, 93; baux à loyer et pro- Garde. V. Responsabilité civile, 4.
priété commerciale, 99. Gouvernement. Quelques ré-
6. Personnes morales étrangè- flexions sur deux conceptions
res, 103; nationalisation des théoriques du gouvernement
sociétés russes, 106. local, 707.
Exécution. V. Preuve. Homologation. Concordat. V. Ban-
queroute.
Faillite. 1. Modification des dé- Hypothèque. Inscription sur les
lais d'opposition et d'appel biens d'une mutuelle. V. Assu-
en matière de faillite, 650. rance, 3.
Aggravation de certaines
règles applicables. V. Banque- Hypothèque légale. Inscription
route. par l'ex-mineur. V. Etranger, 5.
Famille. Unie-social. V.Janon. Imprescriptibilité. V. Nom.
Indemnité. Ayants droit. V. Res- Médecin. V. Responsabilité civi-
ponsabilité civile, 8. le,1.
Cumul. V.Responsabilité ci-
vile,9. Mineur. Minorité du père préten-
du. V. Filiation naturelle, 3.
Inscription. Hypothèque légale du
mineur. V. Etranger, 5. Mutuelle. Droits de l'adhérent. V.
Assurance, 3.
V. Registre du commerce.
Nationalisation. Sociétés russes.
Institut. Publications de l'Insti- V. Etranger, 6.
tut d'Etudes législatives de
Rome, 316. Nationalité. 1. Généralités, 6.
Interdiction judiciaire. 1. Nomina- 2. Nationalité d'origine, 7.
tion de l'administrateur pro- 3. Nationalité française et
visoire, 476. naissance en France, 12.
2. Validité des actes passés 4. Conflit de lois dans le
par l'interdit au vu et au su temps en matière de nationa-
du tuteur, 478. lité d'origine, 14.
5.Acquisition de nationalité
Japon. Rôle social de la famille,
716.
;
par mariage, 15 par option,
16 ; par naturalisation, 20.
Jugement. Caractère déclaratif. 6. Perte de nationalité par
V. Pension alimentaire, 3. acquisition volontaire d'une
Décisions des juridictions de nationalité étrangère, 29 ; par
jugement répressives. V. Voies prise de service militaire à
de recours.
Légitimation. 1. Légitimation des
naturalisation, 32 ;
l'étranger, 31 ; par retrait de
chéance judiciaire, 33.
par dé-
enfants adultérins réputés 7. Conflits de nationalité, 34.
conçus au cours d'une période 8. Nationalité en Alsace-Lor-
de séparation légale, 463.
raine, 38.
2. Reconnaissance pouvant 9. Nationalité des sociétés,
servir de base à la légitima- 40.
tion post nuptias des enfants
adultérins, 465. Naturalisation. Retrait. V. Natio-
nalité, 6. V. Nationalité, 5.
Lettre de change. Acceptation
obligatoire des traites, 641. Nom. Imprescriptibilité du nom
et acquisition du nom par la
Marché. Créances résultant de possession prolongée, 438.
marchés publics. V. Gage com-
mercial. Obligation alimentaire. V. Pension
Organisation. V. Commerce. alimentaire.
Marlap. Mariage putatif et ma- Opposition. Modification des dé-
riage inexistant, 449. lais. V. Faillite, 1.
V. Nationalité, 5.
Option. V. Nationalité, 5.
Maternité. V. Filiation naturelle,
2. Origine. V. Nationalité, 4.
pacte de préférence. Applications Préjudice. Préjudice matériel et
en droit civil et en droit com- moral. V. Responsabilité civi-
mercial, 717. le,8.
Parents. V. Puissance paternelle, Présomption. Paternité. V. Filia-
1. tion légitime.
Paternité. Présomption. V. Filia- Preuve. 1. Charge de la preuve
tion légitime. de l'exécution en matière de
V. Filiation naturelle, 3. responsabilité contractuelle,
657.
Pension alimentaire. 1. Différentes Commencement de preuve
pensions alimentaires qui peu-
vent être dues au cours de par écrit. V. Filiation natu-
l'instance en divorce et pen- relle, 2, 3.
dant la liquidation du régime Preuve de la restriction con-
matrimonial, 442. ventionnelle des obligations
de l'assureur. V.Assurance, 6.
2. La pension de l'art. 301 C.
civ., 445. Procédure civile. Décret-loi du 30
3. Caractère déclaratif de la octobre 1935 relatif à la pro-
décision statuant sur la pen- cédure civile, 315.
sion alimentaire, 467. Responsabilité du plaideur.
4. Recours entre codébiteurs V. Responsabilité civile, 10.
Perpétuité. V. Société par ac- Propriété commerciale. V. Etran-
d'aliments, 469. ger, 5.
tions. Puissance paternelle. 1. Droits du
Personne morale. V. Etranger, 6. parent qui n'est pas détenteur
de la puissance paternelle,
Perte. V. Nationalité, 6. 471.
î!. Droits des ascendants, 383,
Philosophie du droit. Archives de as.
philosophie du droit et de
sociologie juridique, 711. Réciprocité. V. Etranger, 5.
Reconnaissance. Légitimation post
Plaideur. V. Responsabilité civi- nuptias d'un enfant adultérin.
le,10.
Pologne. Déclaration constitu-
tionnelle de 1935, 719.
V. Légitimation, 2.

turelle, 1.
:
Pluralité. Voir Filiation na-

Possession. Possession prolongée. Régime matrimonial. Liquidation.


V. Nom. V. Pension alimentaire, 1.
Registre du commerce. Inscription
Pouvoir. 1. Pouvoir et liberté, au registre du commerce, 620.
714.
2. Pouvoir et règles de droit,
714.
Pouvoirs judiciaires. V. Com-
vile, 8.
Responsabilisé-civile.
-:'.
Réparation. V. Responsabilité ci-

1. Responsa-
mandement. bilité du Médecin, 319.
2. Action en responsabilité Séduction. Commencement de
exercée après le décès d'un preuve par écrit. V. Filiation
contractant par ses ayants naturelle, 3.
cause, 324.
3. Notion du fait de la chose:
Service militaire. V. Nationalité, 6.
rôle actif de la chose, 330. Société. Nationalisation. V. Etran-

:
4. Notion de gardede la cho-
se vol de la chose, 335.
5. Collisions de véh*cules,
ger, 6.
V. Nationalité, 9.
Société à responsabilité limitée. Mo-
dification du régime légal des
340.
sociétés à responsabilité limi-
Limites de la responsabi-
6.
lité du fait des choses, 345 ;
transport bénévole, 345 ; faute
tée, 620.
Société par actions. Notion de per-
de la victime et faute d'un pétuité dans les sociétés par
tiers, 348. actions au point de vue du
7. Rapports de la responsabi-
droit suisse, G79.
lité du fait des choses et de Sociologie. V. Philosophie.
la responsabilité du fait d'au-
trui, 351. Subrogation. V. Assurance, 7.
8. Ayants droit à indemnité Suisse. V. Société par actions.
au cas d'accident mortel, 357; Tiers. Faute. V. Responsabilité ci-
;
réparation du préjudice maté-
riel, 358
361.
préjudice moral, vile, 6.
Traite. V. Lettre de change.
9. Recours de l'Etat, débiteur Transport. Transport bénévole. V.
d'une pension d'invalidité Responsabilité civile, 6.
contre l'auteur responsable de
l'occident et cumul des indem- Tuteur. Y. Interdiction judiciai-
nités par la victime, 363. re, 2.
10. La responsabilité du plai- Unité. Unité nationale. V. Codi-
deur envers son adversaire en fication.
matière civile et commerciale, Véhicules. Collision. V. Respon-
481 et s sabilité civile, 5.
Charge de la preuve de l'exé- Victime. Cumul d'indemnités. V.
cution. V. Preuve. Responsabilité civile, 9.
Retrait. Naturalisation. V. Natio- Faute. V.Responsabilité ci-
nalité, 6. vile, 6.
Indemnité payée à la victi-
Risque. Assurances cumulatives
d'un même risque. V. Assuran- me par l'assuré. V. Assurance,
5.
ce, 2.
Voies de recours. Restrictions au
Russie. Nationalisation des socié- droit d'interjeter appel et de
tés.-V. Etranger, 6.
se pourvoir en Cassation con-
Sang. Analyse. V. Filiation natu- tre les décisions des juridic-
relle, 3. tions de jugement répressives,
560.
Sécurité. Sécurité en droit an-
glais, 715. Vol. V. Responsabilité civile, 4.
TABLE ALPHABÉTIQUE PAR NOMS D'AUTEURS

ALDEBERT (Henry). Les pou- tion contre les décisions des


voirs judiciaires du comman- juridictions de jugement ré-
dement, 179. pressives, 560.
BALAMEZOY (E.). Quelques ré- LAUFENBURCER (Henry). Le
flexions sur deux conceptions commerce et l'organisation des
théoriques du gouvernement marchés, C. R., 718.
local, 705. LE BALLE (Robert). Unité natio-
BEINEIX (Robert). La charge de nale et codification, 367.
la preuve de l'exécution en LECOMTE (André). La responsa-
matière de responsabilité con- bilité du plaideur envers son
tractuelle, 657. adversaire en matière civile
BEUDANT (Robert). Cours de
droit civil français de Char-
les Beudant, C. R., 715, 716.
BLUM (Marcel). Rapports entre
LEREBOURS -
et commerciale, 481.
PIGEONNIÈRE
(Paul). Cours de droit civil
français de Charles Beddant,
la législation sur les accidents

:
C. R., 717, 718.
du travail et le régime des ïflAURY (Jacques). Examen doc-
assurances sociales, 427. trinal de jurisprudence na-
BRÈTHE DE LA GRESSAYE tionalité et condition des
(Jean). La vente et le louage étrangers, 5.
des choses, C. R., 716. NORDMANN (M.). La notion de
DELPECH (Joseph). Code admi- perpétuité dans les sociétés
nistratif, C. R., 719. par actions dans le droit suis-
DESGRANGES (E.). La démis- se, 679.
sion du fonctionnaire, 291. PERREAU (E.-H.). Examen doc-
FARGEAUD (Philippe). Les dé-
trinal de jurisprudence civile:
crets-lois Daladier et le droit Questions d'assurance, 161.
Distributeurs, compteurs et
commercial, 615.

:
FLOUR(Jacques). Examen doc-
trinal de jurisprudence
ponsabilité civile, 317.
Res-
appareils automatiques analo-
gues, 110.
VANLAER (Etienne). Le décrèt-
loi du 30 octobre 1935 relatif
GIL BAER (Jean-Roger). Notes à la procédure civile, C. R.,
de jurisprudence sur l'assu- 315.
rance « bonne date », 133.
:
HARDOIN (Jean). Examen doc-
trinal de jurisprudence Etat
des personnes, 437,
DE VISSCHER (Jacques). Le pac-
te de préférence; ses applica-
tions en droit civil et en droit
commercial, C. R., 717.
DE JUGLART (M.). Les droits yoiRIN (Pierre). Les biens, C. R.,
de puissance paternelle des as- 720.
cendants, 383. WOLFF (E.). La notion de per-
DE LAGRANGE (E.). Les restric- pétuité dans les sociétés par
tions au droit d'interjeter ap- actions au point de vue du
pel et de se pourvoir en cassa- droit suisse, 679.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES

amens doctrinaux de jurisprudence:


Droit International privé, par Jacques MAURY 5
Questions d'assurance, par E.-H. PERREAU 161
Responsabilité civile, par Jacques FLOUR 317
Etat des personnes, par Jean HARDOIN 437

Doctrine:
Distributeurs, compteurs et appareils automatiques analogues,
par E.-H. PERREAU 110
Notes de jurisprudence sur l'assurance, « bonne date », par Jean-
Roger GIL BAER 133
Les pouvoirs judiciaires du commandement, par Henry ALDEBERT 179
La démission du fonctionnaire, par E. DESGRANGES 291
Unité nationale et codification, par Robert LE BALLE 367
Les droits de puissance paternelle des ascendants, par M. DE
JUGLART 383
Rapports entre la législation sur les accidents du travail et le
régime des assurances sociales, par Marcel BLUM. 427

et commerciale, par André LECOMTE.


La responsabilité du plaideur envers son adversaire en matière civile

Restrictions au droit d'interjeter appel et de se pourvoir en cassa-


481

tion contre les décisions des juridictions de jugement répres-


sives, par E. DE LAGRANGE 561
Les décrets-lois Daladier et le droit commercial, par Philippe
FARGEAUD 615
La charge de la preuve de l'exécution en matière de responsabilité
contractuelle, par Robert BEINEIX 657
La notion de perpétuité dans les sociétés par actions au point de
vue du droit suisse, par WOLFF et M. NORDMANN 679
(Quelques réflexions sur deux conceptions théoriques du gouverne-
ment local, par S. BALAMEZOV 707
Concours d'agrégation de 1938 722

Tables:
..,
matières.1.
Table alphabétique des matières 723
Table alphabétique par noms d'auteurs 730
Table analytique des 731

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