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REVUECRITIQUE
DE LÉGISLATION
ET DE JURISPRUDENCE
DIRECTEUR
GEORGES RIPERT
Membre de l'Institut
Doyen de la Faculté de Droit de Paris
Professeur à l'Ecole des Sciences Politiques
SECRETAIRE DE LA REDACTION
Marg. HALLER
Examinateur-adjoint à la Faculté
de Droit de Paris
LXXVIII* ANNEE
Nouvelle Série - Tome LVIII
LÉGISLATION
ET DE
JURISPRUDENCE
REVUE CRITIQUE
LEGISLATION DE
ET DE
JURISPRUDENCE
Publiée sous le Patronage de M.
CH. LYON-CAEN
Membre de l'Institut
t
la
Doyen honorairede Faculté
deDroitdeParis
Dtreoteu
Georges RIPERT
r
Membrede l'Institut
Professeur à la Faculté de Droit de Paris
et à l'Ecole des Sciences politiques
SécrétaIro de Im Rédaction
MARG. HALLER
Examinateur-Adjoint
à la Faculté de Droit de Paris
LXXVIII- ANNÉE
Nouvelle Série - Tome LVIII
PARIS
LIBRAIRIE GÉNÉRALE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE
Ancienne Librairie Chevalier-Matescq et Cie et ancienneLibrairie F. Pichon réunie.
R. PICHONET R. DURAND-AUZIAS, ADMINISTRATEURS
Librairie du Conseil d'Etat et de la Société de Législation comparée
20, RUE SOUFFI-OT (5* ARR1)
EXAMEN DOCTRINAL (1)
: : ;
te « Journal de droit internaion
;
tional privé» Darras
al : > ;
Clunet
:
(1) Les revues de droit international sont citées de la façon suivan-
« Revue de droit interna-
« Revue critique de droit international> Nt-
boyet :
c Nouvelle revue de droit international privé » Lapradelle.
Nous nous permettrons, pour les questions de nationalité, de ren-
voyer fréquemment à notre livre, Nationalité, Théorie générale et droit
français, Extrait du Répertoire de Droit International publié par de lin-
pradelle et Niboyet, t. IX, 1931.
','" 1
NATIONALITÉ
A. — Généralités
à
désistement équivaut donc à un acquiescement, une renon-
;
ressé a succombé sur le fond, le désistement est donné une fois
expiré le délai d'appel et l'appel n'est plus renouvelable le
; :
ciation au droit. Mais il est des droits dont on ne peut disposer,
sur lesquels on ne peut transiger parmi eux figure certaine-
ment la nationalité la solution va de soi depuis que le carac-
tère de droit public des dispositions relatives à cette manière a
été mis hors de contestation, en droit positif français, par les
;
arrêts de la Cour de Cassation, Chambres réunies, du 2 février
)
1921 (S. 1921. 1. 113 ; D. 1921. 1.1 Clunet, 1921, 204 ; Darras,
1921-251 ; elle s'imposerait même si la nationalité était encore
considérée comme matière de droit privé, car elle constitue
alors une question d'état des personnes. (Voir sur l'indisponi-
bilité de l'état et son influence relativement aux actions d'état,
Planiol, Ripert et Savatier, Traité pratique de droit civil fran-
çais, t. I, Les Personnes, nO. 25 et s.)
bis. — Conformément à une jurisprudence constante, le
1
Conseil d'Etat, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre
la radiation, sur le registre d'un consulat, d'un individu se
prétendant Français, a vu (arrêt du 19 juillet 1935) dans la
question de nationalité une question préjudicielle et a sursis
à statuer jusqu'à ce que celle-ci ait été tranchée par le tribunal
compétent.
B. — Nationalité d'origine
Niboyet ;
Clunet, 1934, 867, note J. P. ; Niboyet, 1934, 405, note
Lapradelle, 1934, 99, note Grünberg Vinaver ; S.
:
légitimité et celle de nationalité, elles ont prétendu statuer sur
celle-ci en laissant celle-là entière « il suit de là », dit le tri-
bunal suprême, « qu'à bon droit, en l'état des constatations qui
précèdent, l'arrêt attaqué statuant dans les conditions prévues
par l'article 26 de la loi du 31 mars 1928 sur le recrutement de
l'armée a reconnu au demandeur, comme résultant des énoncia-
tions de son acte de naissance, la qualité de Français »;
question de légitimité demeure intacte et. Peter conserve, à cet
« la
;
inconnue puisque la nationalité, du point de vue du droit fran-
çais, n'est pas déterminée il faut donc bien supposer la natio-
nalité française et appliquer la loi française. Si, d'après celle-
ci, il y a filiation légitime et, par conséquent, nationalité fran-
çaise, la loi de l'enfant est alors la loi française et la question
de filiation est tranchée même quant aux effets civils d'après
la loi compétente. Si, au contraire, l'intéressé ne se voyait pas
attribuer la nationalité française, soit parce que sa filiation
légitime n'est pas établie, soit parce que cette filiation étant
prouvée, le père n'est pas Français, il faudrait lui reconnaître
la nationalité anglaise qu'il a jure soli puisque l'hypothèse de
la nationalité française qui seule justifiait le jeu de la loi fran-
çaise se révélerait inexacte et c'est à la loi anglaise qu'il fau-
drait alors demander sa filiation. Dans les deux cas, il y aurait
finalement concordance entre les solutions des questions de
légitimité et de nationalité. La décision sur la seconde vaut
donc pour la première. Et il ne suffit sans doute pas que le
tribunal, puis la cour, se soient bornés à statuer dans le dis-
positif de leurs décisions sur la question de nationalité pour que
celle de légitimité échappe à l'autorité de la chose jugée (cf. sur
celle-ci, Planiol, Ripert et Gabolde, op. cit., t. VII, Obligations,
2* partie, n° 1554). La seule explication possible de la réserve
des droits de Peter serait alors la relativité quant aux person-
nes de l'effet des jugements en matière d'état, donc en matière
de filiation, la portée de la décision sur la nationalité pouvant
et, à notre avis (V. Maury, op. cit., nO' 595 et s.) devant être
différente (rappr. Lerebours-Pigeonnière, Précis, 3* éd., p. 414.
note 1). La dissociation des deux notions de filiation et de
nationalité originaire jure sanguinis qui inspire peut-être, de
façon implicite, le jugement et les arrêts étudiés n'en peut
justifier la solution et ne saurait donc tirer de celle-ci une
force nouvelle.
4. — Le tribunal de Boulogne et la cour d'appel de Douai
ont eu à résoudre — et ont résolu en sens opposé — le pro-
blème de l'effet d'un mariage nul mais putatif sur la nationa-
lité de l'enfant issu de ce mariage. Un Anglais et une Française,
;
qui se croyait Anglaise, s'étaient mariés en 1906 à Calais devant
le consul anglais leur fils, né le 25 décembre 1913, ayant sous-
crit, le 18 mars 1935, une déclaration de répudiation de la
:
nationalité française, l'enregistrement de cette déclaration lui
fut refusé par le Ministre de la Justice le mariage étant nul à
restée Française;
raison de l'incompétence du Consul à le célébrer, la mère était
l'enfant, né en France, d'une mère Fran-
çaise, était donc définitivement Français, conformément à l'ar-
ticle, 1, 3°, de la loi du 10 août 1927 (V., sur ce point, infra,
n° 7). Edwards saisit le tribunal de Boulogne contre la déci-
sion duquel le Ministère Public interjeta appel. La cour,
comme le tribunal, mais pour des motifs différents, admit la
validité de la répudiation.
Le tribunal considère que le mariage putatif ne peut avoir
d'effet en matière de nationalité, l'article 201 du Code Civil ne
; »
parlant que des « effets civils et la nationalité étant question
de droit public dès lors, « relativement à la question de natio-
en enfant naturel :
nalité. et à cet égard seulement », l'intéressé devait être traité
safiliation paternelle étant seule établie
par la déclaration du père devant l'officier d'état-civil au
moment de la naissance et le père étant Anglais, Edwards avait
la faculté de répudier la nationalité française par application
de l'article 4 de la loi du 10 août 1927. Des réserves doivent
être faites sur la seconde partie de cette argumentation : l'en-
;
fant naturel de parents anglais ne peut avoir, en droitanglais,
jure sanguinis, la nationalité anglaise Edwardsétait donc
ou apatride ou Français jure soli sans faculté de répudiation
(v. infrà, n" 6) ; si, étant apatride, il avait acquis la nationalité
française à sa majorité, conformément à l'article 4 de la loi,
il ne pouvait répudier cette nationalité, n'ayant pas « conservé
la nationalité de ses parents» (art. 2, L. 1927). La première
partie du raisonnement, au premier abord plus défendable.
s'inspire, comme les décisions étudiées dans le numéro précé-
;
dent, de la dissociation de la filiation de droit civil et de la
nationalité elle n'en a pas moins soulevé de nombreuses cri-
tiques et la cour de Douai a, sur ce point, infirmé le jugement :
les règles sur la nationalité sont de droit public, mais « elles
ont été. édictées en tenant compte des règles établies par le
droit privé pour le mariage ou la filiation » : c'est l'affirmation
de la liaison des deux notions qui s'oppose fort justement à
leur séparation. La Cour en déduit qu'Edwards, fils légitime,
né en France d'un père étranger et d'une mère devenue telle
par son mariage, n'a acquis à vingt-et-un ans la nationalité
française que sous condition de répudiation (art. 4, L. 10 août
1927), rejoignant ainsi la solution du Tribunal.
La question est assez difficile. Les arguments contradic-
toires tirés du texte même de l'article 201 et des termes « effets
civils> n'ont que la valeur de moyens utilisés pour défendre
des thèses que d'autres raisons seules peuvent vraiment fon-
der. Nous proposerions volontiers une distinction.
Quand il s'agit de nationalité originaire jure sanguinis,
nous croyons que, par définition même, la nationalité et la
filiation doivent être étroitement liées (V. supra, n* 3). C'est le
meilleur moyen, sinon d'éviter toute difficulté, du moins de
diminuer le nombre des complications possibles. On en déduira
que le caractère putatif du mariage doit être apprécié, non pas
toujours d'après la loi française (que la Cour a appliquée, d'ail-
leurs, sans justification), mais d'après la loi compétente à ce
sujet en droit international privé français. L'enfant légitime,
parce que né d'un mariage putatif d'après cette loi, a la natio-
nalité de son père Français ou est étranger jure sanguinis si
son père est étranger. L'arrêt de la cour de Douai doit, sur
ce dernierpoint, être approuvé.
Il n'en résulte pas qu'il faille admettre l'effet d'un mariage
putatif sur la nationalité de la femme. Il s'agit là non plus
d'une attribution, conséquence directe et nécessaire d'un état
donné, mais d'un changement, acquisition ou perte, exigeant
toujours, au moins depuis la loi du 10 août 1927, d'autres
conditions. Les cas d'option écartés, l'article 8 de cette loi
fait dépendre l'acquisition ou la perte de nationalité française
pour la femme de la solution donnée par la loi nationale de
celle-ci (quant à l'acquisition) ou par celle du mari (quant à
de la femme ;
la perte) relativement à l'effet du mariage sur la nationalité
il pourra arriver que le marige étant putatif,
même d'après la loi normalement compétente en droit inter-
national privé français, ne le soit pas d'après la loi que dési-
mari;
gne, pour cette question, le droit (étranger) de la femme ou du
le mariage pourra avoir, en France, les effets civils d'un
mariage valable, être attributif de nationalité aux enfants qui
en sont nés et laisser inchangée la nationalité de la femme
quoique soient réunies les conditions de changement autres
que l'existence même d'un mariage. Les deux problèmes de
l'effet du mariage putatif sur la nationalité de la femme et
sur celle des enfants reçoivent donc, en certains cas, des répon-
ses opposées. Il est permis d'en déduire qu'ils ne sont pas
nécessairement liés et de les distinguer s'il existe — ce que
nous croyons — des motifs de le faire. Aucune des raisons don-
nées en faveur de l'unité de nationalité des époux ne garde, en
effet, au cas de nullité du mariage, toute sa valeur (V. Maury,
op. cit., n° 310), et il est, dès lors, possible de décider qu'un
tel mariage, même putatif, n'entraîne pas, pour la femme, le
changement de nationalité.
2. Nationalité française et naissance en France.
(Civ. Cass., 13 juillet 1933, Borkholz, Niboyet, 1934, 703,
note Ancel, S. 1933, 1. 341 ; Seine, 24 mai 1932, Clunet,
1933, 371 ; Darras, 1932, 685 ; S. 1933, 2. 145, note Nibo-
yet ; D. 1934, 2. 145, note Nast).
5. — L'annexe à la partie III, section V, du traité de Ver-
sailles, réintègre deplein droit dans la nationalité française
« tout individu né en Alsace-Lorraine de parents inconnus
ou dont la nationalité est inconnue » (§1, 3°). Ce texte est
identique à l'article 1, 7", de la loi du 10 août 1927 déclarant
Français « tout individu né en France de parents inconnnus
ou dont la nationalité est inconnue ». L'interprétation vaut,
possibles :
M. Ancel, dans sa note précitée, oppose deux conceptions
ou bien, parce qu'on veut surtout éviter l'apatridie,
il suffit pour que l'enfant soit Français jure soli qu'il ne puisse
pas démontrer sa qualité d'étranger et l'article 8, 4°, du Code
;
Civil, les articles 2 et 4 de la loi de 1927 peuvent fournir un
argument en ce sens ou bien, parce qu'on veut donner la
nationalité française à celui seulement qui subit, sans contre-
poids d'ordre familial, l'influence du milieu social français,
il faut que soit établie l'apatridie des parents. La Cour de Cas-
sation aurait adopté la seconde conception.
Nous ne pensons pas qu'un tel choix puisse être tenu
pour certain et nous inclinerions à expliquer l'arrêt étudié en
nous plaçant uniquement sur le terrain de la preuve en matière
de nationalité. La nationalité originaire peut être, en principe,
prouvée par tous moyens (V. Maury, op. cil., n" 592, 594) et
« l'attestation en due »
forme des articles 2 et 4 de la loi
1927, comme de l'article 8, 4°, du Code Civil, constitue une exi-
de
contraire;
donnée, celle-ci doit être tenue pour établie, sauf preuve du
il n'y a pas « nationalité inconnue )-.
6 — Le jugement du tribunal de la Seine du 24 mai 1932
se refuse à étendre l'attribution de la nationalité française
jure soli en vertu de ce même article 1, 7°, à l'enfant « né
en France, de parents ne lui ayant transmis aucune nationa-
lité » (il s'agissait d'un enfant naturel né en France d'une
Anglaise (v. suprà, n° 4). Cette solution, qui pourrait peut-
être s'appuyer sur la seconde conception de l'attribution jure
soli indiquée par M. Ancel (suprà, n° 5), a l'inconvénient
grave de laisser sans nationalité un enfant né sur le territoire
français. La doctrine lui est, en général, hostile et nous pen-
sons que c'est avec raison (V. Maury, op. cit., n* 239).
3. Conflits de lois dans le temps.
:
gine à des enfants nés avant la mise en vigueur de la loi mais
encore mineurs au moment de cette mise en vigueur c'est, on
le sait, la solution de la Chancellerie (V. Maury, op. cil.,
n° 289) qu'on retrouve exposée par elle dans l'affaire Edwards
(suprà, n* 3). Une telle thèse semble fort critiquable et, pour
notre part (op. cit., loc. cit.), nous l'avons ailleurs écartée.
L'arrêt et le jugement analysés ne la fortifient guère en l'adop-
tant. Dans l'affaire Jones, l'enfant légitime né en France en
1909 d'un père anglais, né en Angleterre, et d'une mère
anglaise, née en France, qui a été déclaré Français en vertu de
l'article 2 de la loi de 1927, l'était également — à notre avis,
plus exactement — si l'on faisait jouer l'article 8, 4°, Code
Civil. Dans l'affaire Heitz, le Tribunal de la Seine a, par appli-
cation de l'article 1", 6°, de la loi, reconnu la qualité de Fran-
çaise à la fille naturelle, née en France en 1911 d'une mère
étrangère qui l'avait reconnue la première et d'un père fran-
çais : mais cette solution, comme d'ailleurs celle de la cour de
Rouen, n'est, en aucune façon, motivée et ne saurait, dès lors,
avoir, en la matière, une bien grande autorité (Cf. cependant
Chambéry, 2 novembre 1927, S. 1928, 2. 153, Darras, 1928, 659,
Clunet, 1928, 1.115 et Seine, 8 décembre 1933, infrà, n° 12).
8. — La question portée devant la cour de Paris le 25 mai
1936 soulevait moins de difficultés. L'intéressé, Ziesniss, était
né en France en 1912 d'un père étranger et d'une mère fran-
çaise, née elle-même en France, et avait été légitimé par le
mariage de ses parents en 1913. Avant la loi de 1927,Ziesniss
était Français jure soli mais avait la faculté de répudier la
nationalité française entre 21 et 22 ans (art. 8, 3" C. Civ.) :
la cour le traite en enfant naturel, la llégitimation, avant la loi
de 1927, n'ayant pas effet sur la nationalité (V. Maury, 'op. cit.,
n4 300). Sous l'empire de la loi de 1927 (art. 1, S8) et en le
traitant toujours comme tel (contra, Ancel, note citée), il serait
Français irrévocablement, sans faculté de répudiation. Zies-
niss étant mineur au moment de l'entrée en vigueur de la loi,
la faculté de répudier la nationalité française, qui n'était que
simple expectative, disparaît par l'effet de celle-ci. C'est la solu-
tion de la cour deParis, conforme d'ailleurs à la jurispru-
dence antérieure (V. Maury, op. cit., n° 292).
C. — Changement de nationalité
18 Acquisition.
a) Par mariage.
;
Seine, 8 déc. 1933, Heilbuth,
Clunet, 1934, 1193, Niboyet, 1935, 733 Rabat, 19 mars
1935, Benitah, Rec. Arrêts Cour Rabat, 1935, p. 251).
b) Par option.
;
uniquement en question la reconnaissance à l'intéressé du
droit de se défendre il n'y a guère de motif pour ne pas
appliquer la même procédure à une consultation, dans les deux
cas identique, alors surtout que l'avis du Conseil d'Etat a-
évidemment pour but de protéger l'optant contre un refus
arbitraire de l'Administration et que ce but peut seulement
être atteint si le Conseil d'Etat n'est pas renseigné exclusive-
ment — et sans contradicteur — par cette Administration
même. M. Valéry fait, en second lieu, observer que l'intéressé
n'a pas, au fond, à se plaindre, pouvant, une fois refusée son
inscription sur les listes de recrutement, faire une déclaration
d'option conformément à l'alinéa 3 de l'article 3, déclaration
dont l'enregistrement ne pourra être rejeté qu'avec toutes les
:
garanties de ce texte (v. encore en ce sens, la note de M. Ancel).
Nous avons, sur ce point, quelques doutes l'alinéa 4 de l'arti-
cle 3 décide que « la participation volontaire aux opérations
du recrutement. tient lieu de déclaration », équivaut à celle-ci;
permettre donc une déclaration nouvelle, c'est tout simplement
admettre la possibilité de deux déclarations successives, ce qui
nous semble impossible. Même si d'ailleurs une déclaration
d'option pouvait encore être faite, il est douteux qu'en fait elle
soit reçue, la décision antérieure constituant un précédent,
établissant une sorte de présomption défavorable. Un procédé
plus sûr existe certainement, il est vrai, pour l'intéressé, c'est,
s'il n'est pas l'objet d'un arrêté d'expulsion, d'attendre sa
majorité pour bénéficier de l'acquisition automatique de natio-
:
nalité française, conformément à l'article 4 de la loi mais ce
moyen, qui ne va pas sans retarder la prise de qualité de
Français, vaut au cas de l'alinéa 3 comme au cas de l'alinéa 4
et ne justifie donc pas entre les deux une différence de pro-
cédure.
12. — Dans son jugement du 25 octobre 1935, le tribunal
de la Seine s'occupe du contrôle de légalité commun à toutes
les options (celles de la femme.au moment du mariage excep-
tées). Le refus d'enregistrement pour irrégularité doit être
notifié au déclarant dans les trois mois de la déclaration (art. 5,
4* al.) et, à défaut de notification dans ce délai, « le ministre
de la Justice doit, à moins qu'il ne conteste la déclaration pour
»
cause d'indignité
:
procéder à l'enregistrement (art. 5, 5* al.).
C'est ce dernier texte qu'applique le tribunal « dit que Lipka
a, dans les termes de l'article 5, alinéa 4, de la loi du 10 août
1927, acquis le bénéfice de la déclaration souscrite par lui le
15 septembre 1934. en vue d'acquérir la nationalité fran-
çaise » ; la notification du refus d'enregistrement, à raison
d'un arrêté d'expulsion du 23 août 1934, était tardive, n'ayant
été faite que le 5 avril 1935. Le jugement fait d'ailleurs
observer que la contestation de la déclaration reste possible
pour cause d'indignité dans les six mois après qu'il sera devenu
définitif (art. 3, 3e al.) et cette observation paraît exacte (cf.
cependant, la note in fine de M. Ancel). Mais la question est
de savoir si l'enregistrement une fois accordé ou, en tout cas,
tenu pour réalisé, l'option en faveur de la nationalité française
doit être considérée comme efficace, même si les conditions
d'acquisition de cette nationalité n'étaient pas remplies. La
jurisprudence tend à admettre, avec raison, que la déclaration,
quoique enregistrée, peut être annulée pour illégalité par les
tribunaux judiciaires (v. Maury, op. cit., n° 366). Le tribunal
s'inspire sans doute de cette idée quand, sollicité de dire par
Lipka que celui-ci « avait acquis la nationalité française au
jour de sa déclaration », il le déclare « non-recevable autant
que mal fondé sur les autres chefs de sa requête », paraissant
ainsi distinguer entre, d'une part, la validité formelle de la
déclaration et son enregistrement, d'autre part, son efficacité,
le changement de nationalité.
Le jugement du 8 décembre 1933 est plus net dans le même
sens, refusant effet à une déclaration de répudiation de la
nationalité française souscrite le 20 septembre 1917 — et cer-
tainement, quoi qu'il n'en dise rien, enregistrée — parce que
le déclarant, fils d'un père Français, n'avait pas le droit de
répudier.
La question est, d'ailleurs, depuis le 1" octobre 1937, défi-
nitivement tranchée par le décret-loi du 25 août1937 (J. Off.,
27 août, p. 9832) : ce décret qui, sans rien changer pour lek
contrôle de dignité (art. 1,2* al.), transfère « les attributions
du ministère de la Justice en matière d'enregistrement des dé-
clarations de nationalité. au procureur de la République du
lieu de la naissance de l'intéressé lorsque ce dernier est né en
France » (art. 1, 1er al.) décide, dans son article 2 : « La validité
des déclarations enregistrées peut être contestée par tout inté-
ressé et par le ministère public lorsque les conditions requises
par la loi n'étaient pas remplies. » (Aj. les art. 5 et s., du décret
du 25 septembre 1937, J. Off., 26 sept., p. 10962, modifiant le
décret du 10 août 1927.)
c) Par naturalisation.
(Seine, 8 mai 1936, Abouhamad, Niboyet, 1937, 456, note Ancel;
Caen, 13 juin 1932, Gayda, Clunet, 1934, 363, Niboyet, 1934,
899, S. 1933, 2. 79 ; Tr. Marseille, 31 mai 1933, Gabriel V.,
Clunet, 1934, 935, Niboyet, 1934, 450 ; Seine, 15 juill. 1935,
Gandur, Clunet, 1936, 867, Lapradelle, 1935, 553, Niboyet,
.1936, 109.)
13. — Dans l'affaire Abouhamad, deux solutions ont été
données par le tribunal, l'une relative aux conditions d'apti-
tude à la naturalisation, l'autre concernant la question de capa-
cité pour la demande à faire par l'intéressé.
Une femme mariée libanaise, s'étant vu refuser par son
mari l'autorisation de solliciter la nationalité française, avait
obtenu cette autorisation, par défaut, du tribunal de la Seine
le 28 février 1936 ; le mari faisait opposition à ce jugement. Il
faisait valoir qu'en vertu de l'arrêté 15/S du Haut-Commissaire
de la République française, en date du 19 janvier 1925 sur la
nationalité libanaise, un Libanais ne pouvait acquérir une
nationalité étrangère qu'après y avoir été autorisé par un arrêté
du chef de l'Etat libanais (art. 8, 1°). Il soutenait que sa femme
n'ayant pas obtenu cette autorisation, la demande en natura-
lisation était manifestement irrecevable. C'était prétendre que
l'Etat français doit obligatoirement tenir compte des incapa-
;
cités du droit de l'Etat d'origine quant à la perte de la natio-
nalité de celui-ci c'était faire de cette perte une condition de
l'acquisition par naturalisation de la nationalité française. On
ne répond donc pas à un tel argument en observant, comme le
fait le jugement, que, si le Libanais ne peut perdre sa natio-
nalité originaire sans autorisation, cela ne l'empêche pas d'en
acquérir une autre. Mais comme le dit aussi, et fort justement
cette fois, le tribunal, la matière de la nationalité étant
« d'ordre public interne et même d'ordre politique », « la déci-
sion de l'autorité gouvernementale française appelée à statuer
sur la demande ne saurait, en l'absence d'une disposition de
notre législation le prévoyant expressément, être influencée par
celles de la loi libanaise concernant l'acquisition ou la perte de
cette nationalité ». La même solution avait été déjà donnée par
le tribunal de la Seine, le 2 juillet 1930 (Clunet, 1932, 967)
à propos de la loi ottomane du 19 janvier 1869. Elle s'impose
en l'état du droit positif français. Elle doit d'ailleurs être
approuvée du point de vue théorique car la solution contraire,
si elle diminuait le nombre des conflits positifs de nationalité,
ne le ferait qu'en portant atteinte au principe de la liberté
positive de changement de nationalité (v. Maury, op. bit.,
n° 391, nos 64 et s.).
question de capacité ;
14. — Le jugement, on l'a dit, touche également à la
quoique ce point n'ait pas été, sem-
ble-t-il, contesté, il déclare dans une formule assez heureuse :
«.il est admis en doctrine, en jurisprudence qu'un tribunal
français peut, en cas de défaut ou de refus d'autorisation du
mari, accorder à une femme étrangère l'autorisation de solli-
citer la nationalité française lorsque ce changement de natio-
nalité est conforme à son légitime intérêt, à condition toutefois
de s'abstenir rigoureusement, pour accorder ou refuser cette
autorisation, de faire état de considérations comportant l'exa-
men du fond de la demande de naturalisation, l'autorité gou-
vernementale ayant seule qualité et compétence pour apprécier
celle-ci, à moins qu'elle n'apparaisse manifestement irrece-
vable ».
Cet attendu présente un double intérêt. Il affirme d'abord
la possibilité d'une autorisation de justice au cas de refus du
mari en matière de demande de naturalisation, possibilité qui
avait été niée à tort — et avec des arguments très faibles —
par l'arrêt de la cour de Caen du 13 juin 1932 pour une
demande en réintégration (v. sur la question, Maury, op. cit.,
n° 403 ; Ancel, De l'autorisation nécessaire à la femme pour
solliciter la naturalisation, Niboyet, 1934, 595 et s.). Il cons-
;
infra, n° 16) que les tribunaux judiciaires sont incompétents
pour apprécier la légalité des décrets de naturalisation mais
il ne peut, à l'inverse, accorder toujours l'autorisation sollicitée
car celle-ci ne doit être donnée que cognita causa, en tenant
compte de l'intérêt légitime de la femme et cette dernière n'a
pas intérêt à former une demande qui doit être repoussée ;
recourant à l'idée d'irrecevabilité manifeste ;
le tribunal résout l'antinomie, au moins en apparence, en
en réalité, une
telle formule aboutit à peu près à sacrifier la première position
à la seconde car toute condition légale précise et ne comportant
pas une appréciation discrétionnaire du fait, rend, si elle n'est
telle solution est d'ailleurs à approuver :
pas remplie, la demande « manifestement irrecevable ». Une
l'incompétence des
tribunaux judiciaires en matière de naturalisation tient au fait
;
qu'il y a eu un décret, un acte administratif échappant, comme
tel, à leur contrôle quand cet acte n'est pas intervenu, quand
les tribunaux ne sont pas en présence d'un décret, il semble
que leur droit soit incontestable, leur liberté entière, de suppo-
ser (et ainsi d'assurer) l'application exacte de la loi pour juger
de l'intérêt de l'incapable à obtenir, ou non, l'autorisation
demandée. La loi du 18 février 1938 (J. Off., 19 février) ayant
rendu à la femme mariée « le plein exercice de sa capacité
»
civile (art. 215, nouveau, C. Civ.), la recevabilité d'une
demande de naturalisation ou de réintégration de la part d'une
femme mariée ne peut plus être subordonnée à l'autorisation
maritale (V. Circul. Min. Justice, 21 février 1938. J. Off. : 22
février). Sans doute, il y aura lieu de s'enquérir de l'opinion
du mari, celle-ci constituant un des éléments de fait dont on
doit tenir compte dans l'appréciation de la demande (V. circul.
minist. précitée), mais l'autorisation maritale n'étant plus une
condition de la naturalisation, il ne saurait être question, à
l'avenir, d'une autorisation de justice.
15. — Nous passerons plus vite sur le jugement du tri-
bunal de Marseille du 31 mai 1933, lequel a également trait
à une question de capacité. Un enfant naturel Italien, encore
mineur (mais dont l'âge exact n'est pas indiqué) et habitant
en France, demandait au tribunal tenant lieu de conseil de
famille de lui nommer un tuteur « en vue de former une
demande en naturalisation et d'émettre un avis favorable sur
sa demande ». Le tribunal, faisant droit à cette requête,
nomme un tuteur et, de façon d'ailleurs un peu imprécise et
assez impropre (v. art. 6, 3* al., et art. 3, 2* al., L. 1927), « auto-
rise le mineur Gabriel V. à former sa demande de natu-
ralisation ».
L'intérêt du jugement consiste dans l'application de la
loi française à l'organisation de la tutelle d'un mineur étran-
ger, ce qui s'explique sans doute par le fait que la tutelle était
organisée en vue de la naturalisation à obtenir, mais ce qui
constitue une interprétation un peu extensive, une application
large de la règle que les questions de capacité, quand la natio-
nalité française est en jeu, sont régies par la loi française (cf.
Maury, op. cit., n° 349 bis).
16. Le jugement du tribunal de la Seine du 15 juillet
—1
1935 affirme, une fois de plus, l'impossibilité, pour un tribunal
de l'ordre judiciaire, d'apprécier la validité d'un décret de
naturalisation, voyant dans celui-ci — ce qui est une erreur
certaine quoique assez fréquente — un « acte de gouverne-
ment ». La nullité était d'ailleurs demandée en arguant du
caractère frauduleux de la naturalisation et ce caractère, même
Conseil d'Etat ;
naturalisation, un recours en excès de pouvoir devant le
le tribunal avait, dès lors, naturellement,
sursis à statuer jusqu'à la décision de la juridiction adminis-
trative mais celle-ci rejeta le pourvoi comme tardif (par un
arrêt du 24 octobre 1934, Lebon, 1934, Tables, VO Naturalisa-
tion) et l'instance put être reprise. Il semble que l'intéressé eût
été mieux inspiré en intentant un recours en appréciation de
validité, lequel est recevable pendant trente ans (v. sur la ques-
tion, Maury, op. cit., n° 411, et les auteurs cités. Aj. Maurice et
André Hauriou, Précis de droit administratif, 12°éd., p. 401-
402).
:
concédés avaient été réglés par l'article 6, 5e alinéa, de la
loi de 1927, de la façon suivante incapacité, pendant dix ans
;
à partir de la naturalisation, d'être investi de fonctions
ou mandats électifs suppression du stage ainsi imposé quand
l'intéressé avait accompli les obligations militaires du service
actif dans l'armée française et réduction possible de ce stage
par décret rendu sur rapport motivé du Garde des Sceaux
(v. Maury, op. cit., n08 414 et s.). Mais des textes législatifs
nouveaux sont venus accroître les différences entre les Fran-
çais par naturalisation et les autres. On se borne à mentionner
ici, pour l'exercice de la médecine et de l'art dentaire, la loi du
21 avril 1933* aujourd'hui abrogée et remplacée par celle du
26 juillet 1935 : il ne semble pas que ces lois aient jusqu'ici
suscité des difficultés d'application. Il n'en a pas été de même
de la loi, plus générale, du 19 juillet 1934, modifiant l'article 6
de la loi de 1927 en y ajoutant un sixième alinéa. Malgré
l'avis — très détaillé — du Conseil d'Etat du 27 décembre 1934,
les tribunaux, qu'un tel avis ne sauraient d'ailleurs lier, ont eu
à connaître de contestations relatives à ce texte. Les solutions,
tant judiciaires qu'administratives, en ont donné une inter-
prétation, en général, fort rigoureuse — et peut-être discu-
table — que les lois postérieures des 28 août 1936 et 20 mai
1937 ont confirmée en l'adoucissant dans une certaine mesure.
La loi du 19 juillet 1934 décide que « pendant dix ans
à partir du décret qui lui a conféré la naturalisation, l'étranger
naturalisé ne peut être nommé à des fonctions publiques rétri-
buées par l'Etat, inscrit à un barreau ou nommé titulaire d'un
».
office ministériel Trois questions principales ont dû être
résolues que nous allons brièvement indiquer.
18. — La définition des termes « fonctions publiques rétri-
»
buées par l'Etat a été donnée avec beaucoup de précision par
le Conseil d'Etat. Il faut d'abord que les fonctions envisagées
soient rétribuées par l'Etat, ce qui exclut « les fonctions rétri-
buées par les départements, par les communes et par les colo-
nies., également les fonctions rétribuées par les établisse-
ments publics qui ont une personnalité distincte de celle de
l'Etat, même si leurs ressources proviennent en partie du
budget général ». Il faut ensuite qu'il s'agisse de fonctions pu-
bliques : or la qualité de fonctionnaire public « n'appartient
qu'aux personnes qui sont comprises dans les cadres perma-
nents d'une administration publique et qui perçoivent un trai-
tement, une solde où rétribution soumis à retenue pour la
constitution d'une pension de retraite ». Les stagiaires rem-
;
plissent ces conditions dont l'emploi est prévu par un texte
organisant un cadre de stagiaires les simples auxiliaires ou
aides temporaires, à l'inverse, ne les remplissent pas. Peu
importe, d'ailleurs, qu'il s'agisse de fonctions civiles ou mili-
Cassation:
fondant sur le raisonnement suivant que reprend la Cour de
« si », dit-elle, « pour donner accès à la profession,
le Conseil de l'Ordre ne peut arbitrairement ajouter des condi-
tions à celles que posent les textes réglementaires, il n'en doit
pas moins, en surveillant le recrutement des avocats, assurer,
sous le contrôle de la Cour, le bon fonctionnement du service
public auquel ceux-ci seront appelés à collaborer et mettre
ainsi à la portée des justiciables, des guides sûrs et compé-
tents » ; or X., établi en Allemagne et, depuis 1926, avocat à
Francfort, ne s'est prévalu de sa réintégration dans la natio-
nalité française qu'à trente-trois ans, lorsqu'il a été empêché,
parce que Israélite, de continuer à exercer sa profession en
Allemagne ; dès lors, « il ne présente point quant à présent les
garanties de stabilité et de persévérance dans la nationalité, où
il s'est fait tardivement réintégrer, pour qu'il puisse être admis
au stage dans un barreau français».
Nous avons quelques doutes sur l'exactitude d'une telle
solution. Elle équivaut, quoi qu'en disent les arrêts, à décider
;
qu'un réintégré, parce que tel, n'a pas tous les droits du Fran-
çais d'origine l'objection qu'elle formule à l'inscription de
;
l'intéressé est, en effet, tirée uniquement des conditions de sa
réintégration or, tenir compte de celle-ci, c'est faire une dis-
tinction contraire à la loi puisque l'article 11, alinéa 2, de la
loi du 10 août 1927 édicte comme une règle absolument géné-
rale que « en cas de réintégration », l'intéressé « acquiert im-
:
çais que si cette acquisition a été autorisée par le Gouverne-
ment français c'est la solution introduite dans notre droit
par la loi du 26 juin 1889 (art. 17, 10, 2° al., C. Civ), et qui se
retrouve dans l'article 9, 1°, 28 alinéa de la loi du 10 août 1927.
:
Ce qui varie dans les deux textes, c'est le délai pendant lequel
l'autorisation est exigée temps de soumission aux obligations
du service militaire pour l'armée active d'après la loi de 1889,
période de dix ans à partir soit de l'incorporation dans l'armée
active, soit de l'inscription sur les tableaux de recensement au
cas de dispense du service actif d'après la loi de 1927. L'arrêt
de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation apporte d'in-
téressantes précisions sur la computation du délai ainsi que
sur l'effet de son expiration et sur la combinaison possible des
'deux textes successifs.
:
Les faits étaient les suivants un Français, né en 1896,
insoumis en 1915, s'était fait naturaliser Anglais en 1926 ; il
était poursuivi pour insoumission. La cour suprême déclare
;
très justement applicable aux effets, en France, de sa natura-
lisation anglaise de 1926, l'article 17, 10, Code Civil comme
« le temps passé dans l'insoumission ne compte pas dans les
années de service exigées », il en résulte que «Prigent était
encore, en 1926, soumis aux obligations de service dans l'ar-
»
mé active ; n'ayant pas obtenu d'autorisation du Gouverne-
ment français, il n'a donc pas perdu, « au regard de la loi
»
française sa nationalité française. Seulement est intervenue,
depuis, la loi du 10 août 1927 ; la cour cite l'article 9, 10,
2" alinéa (dont le contenu a déjà été indiqué) et en déduit
(« d'où il suit») « que le Français qui, sans autorisation du
Gouvernement Français, se fait naturaliser à l'étranger, con-
serve la qualité de Français, au regard de la loi française, pen-
dant les dix années qui suivent son incorporation, mais la perd,
en principe, à l'expiration de ce délai ». M. Ancel, commentant
;
cette décision (Niboyet, 1936, 592), incline à voir dans ce motif
un obiter dictum de portée, par conséquent, restreinte mais
un tel point de vue paratt discutable si l'on remarque que cet
attendu seul justifie, pour la cour, l'application à l'espèce de
la loi de 1927. La naturalisation anglaise étant de 1926, son
efficacité quant à la perte de nationalité française, était, en
effet, certainement régie par la loi de 1889 et l'article 17, 28 ali-
néa, Code Civil, pouvait d'ailleurs être appliqué à l'affaire sansi
difficulté pour le calcul du délai. Seulement, d'après la loi de
1927, telle que la Cour de Cassation l'interprète, l'expiration du
délai de dix ans couvre (sous la réserve qu'on verra) l'irrégula-
rité (Cfr. pour la question de capacité, Maury, op. cit., n° 443);
il y a lieu, évidemment, d'admettre qu'elle couvre l'irrégula-
rité même antérieure à la loi de 1927. Il fallait donc se deman-
der si et à quelles conditions l'intéressé pouvait s'en prévaloir.
pas
Ici, l'arrêt donne deux solutions. Le délai, quand il n'y a
dispense de service actif, ne court que de
celle-ci « consiste .non dans l'inscription de l'appelé sur les
;
l'incorporation
pénales ;
action en déchéance peuvent ne pas constituer des infractions
« il suffit », dit la Cour de Cassation, dans son
arrêt du 7 mars 1933, « que les faits retenus. soient de nature
second
;
doit d'ailleurs être compris de façon très large, est synonyme
d'activité d'après l'arrêt de la Cour suprême du 2 décembrd,
1936, « le mot acte. doit être entendu de tous les faits de pro-
pagande, articles de journaux, discours ou distribution d'écrits
contraires à la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat (la »
loi dit « contraires à la sûreté intérieure et extérieure » mais
;
il suffit évidemment que la sûreté, soit extérieure, soit inté-
rieure, soit compromise) peu importe les circonstances de fait4
peu importe en particulier que la propagande ne s'adresse, en
;
France, qu'à des étrangers, qu'elle soit faite en langue étran-
gère la question est de savoir si « elle est de nature à sus-
citer des difficultés extérieures au Gouvernement français. D,
« si elle peut provoquer des désordres sur le territoire fran-
çais ». La difficulté est évidente, dès lors, de distinguer entre
la propagande — permise
l'activité — interdite
—
— de
contraire
certains
à la
partis
sûreté de :
politiques
l'Etat
dépendra des courants généraux d'opinion et aussi, un peu, des
et
tout
sentiments des magistrats (v. Maury, op. cit., n° 519). Le tri-*
bunal de Saint-Etienne s'est refusé à classer parmi les actes
susceptibles de justifier la déchéance, la propagande commu-
niste bien que, dans les textes distribués, « la violence. soit
»
recommandée comme moyen d'action ; la Cour de Cassation
paraît moins libérale (v. spécialement son arrêt du 7 mars
1933).
En matière de procédure, il suffit de signaler l'application
par cette Cour, dans son premier arrêt du 7 mars 1933, de
l'article 8 de la loi du 18 juin 1917 auquel renvoie l'article 10,
5°, de la loi de 1927 : un pourvoi en Cassation ne peut être
formé que contre l'arrêt statuant au fond, est donc irrecevable
celui qui vise un arrêt (de la cour de Douai en date du 19 octo-
bre 1932) décidant que les débats auraient lieu en Chambre du
Conseil et non en audience publique. Cette solution de la cour
de Douai a été consacrée par l'arrêt de la Chambre Civile du
2 décembre 1936, se prévalant en ce sens du renvoi de l'arti-
cle 10, 5e alinéa, de la loi de 1927, à l'article 2 de la loi du
18 juin 1917. Cette solution semble contestable à raison du
texte de l'article 10 qui, dans son troisième alinéa, donne com-
»
pétence au « tribunal civil et des travaux préparatoires qui'
indiquent la volonté du législateur de rompre, sur ce point,
pour mieux garantir les droits de l'intéressé, avec la procé-
dure de 1917 (v. Maury, op. cit., n° 529). On retrouve là, une
fois de plus (v. déjà n° 19) la tendance du tribunal suprême
à s'en tenir strictement au texte légal, sans tenir compte de
l'intention de ses auteurs.
D. — Conflits de nationalités
Meylan ;;
(Tr. Rabat,
1935, 759
juill. 1934, Benchimol, Niboyet, 1935, 392, note*
9
Seine, 27 avril 1933, Lapradelle, 1934, 88, NiboUet
Tr. arbitral international égypto-américain;
8 juin 1932, Salem, Clunet, 1933, 1046, Niboyet, 1934,706).
:
effective, c'est-à-dire de la nationalité prédominante en fait,
de la nationalité vécue ce principe « invoqué par le gouverne-
ment égyptien n'apparaît pas comme suffisamment fondé en
droit international public », la sentence Canevaro, qui le con-
sacre, étant restée isolée. Sur ce point, on peut estimer, avec
grande chance de ne pas se tromper, que le tribunal a commis
une véritable erreur et que sa sentence, si elle devait faire
jurisprudence, marquerait un revirement et constituerait une
régression (v. Maury, op. cit.,n08 110 et suiv.).
S'étant ainsi interdit de trouver, en tout cas, une solution
aux cas de multinationalité, les arbitres, pour statuer sur le
litige qui leur était soumis, ont dû, admettant la double natio-
nalité comme un fait, en préciser les effets. Ils ont d'abord
décidé, visant un conflit (d'ailleurs hypothétique) entre les
nationalités égyptienne et américaine, que « si deux Etats
sont autorisés par le droit international public à traiter un
individu comme leur ressortissant, aucun de ces Etats ne
peut faire valoir contre l'autre une réclamation au nom de
»
cet individu (v. sur ce point, Maury, op. cit., n° 96). Envi-
:
sageant ensuite le conflit (réel) entre deux nationalités tierces,
l'américaine et la persane, ils ont déclaré « la règle est qu'en
cas de double nationalité, un Etat tiers n'est pas fondé à
écarter la réclamation de l'un des deux Etats dont l'étranger
intéressé est ressortissant en lui opposant la nationalité de
l'autre Etat ». L'existence d'une telle règle reste douteuse,
sa valeur, extrêmement faible (v. Maury, op. cit.,n08 105-106).
La sentence du tribunal arbitral international égypto-amé-
ricain n'aura pas fait faire de grands progrès au droit inter-
national de la nationalité.
E. — Alsace-Lorraine
:
la consécration de l'idée de « désannexion » de l'Alsace-Lor-
raine et de sa conséquence naturelle le recouvrement, auto-
matique et nécessaire, de la nationalité française par tous
ceux qui, sans le traité de Francfort, auraient eu cette natio-
nalité ;, les clauses du traité de Versailles auraient été alors
interprétées et appliquées en fonction même de leur but (v. les
notes de MM. Niboyet et Ancel). La Cour de Cassation a pris
;
toires annexés, y fut revenu en 1878 et ait obtenu en 1879
l'indigénat alsacien-lorrain le père n'était pas un « Allemand
immigré », il n'y a pas possibilité, en la matière, d'argument
a fortiori. La Chambre Civile vaplus loin encore le 9 décembre
1935 : elle réintègre un individu dont les parents avaient perdu
la nationalité française en 1871 et qui, l'ayant personnelle-
ment gardée à ce moment là (parce que n'étant pas né en
;
de l'idée que les articles 1 et 3, al. 4, de la loi réservent, en
principe, aux Français le droit à réparation il distingue en-
suite, à ce point de vue, les sociétés de capitaux, sociétés ano-
nymes et sociétés en commandite par actions, des sociétés par
;
intérêts, sociétés en commandite par intérêts et sociétés en
nom collectif pour les premières « dans lesquelles la person-
nalité des associés ne joue aucun rôle », elles « peuvent, en se
prévalant de la nationalité française, prétendre au bénéfice
de la loi sur la réparation des dommages de guerre, sans qu'il
y ait lieu de rechercher si, à telle date, tout oupartie de leur
capital appartenait à des étrangers» ; dans les secondes, au
contraire, à raison de l'intuitus personœ, « la personnalité
de la société ne peut être regardée comme entièrement indé-
pendante de la personnalité des associés ;. l'interposition
d'une telle société entre ses associés étrangers et l'Etat fran-
çais ne saurait avoir pour effet d'ouvrir indirectement à ces
i
étrangers un droit à réparation qu'une disposition spéciale de
la loi de 1919 leur refuse expressément» ; le droit de ces socié-
tés n'existe donc que dans la proportion des capitaux appar-
tenant à des Français à la date du 1er août 1914. Ilconvient de
noter que c'est au critérium du siège social, du principal éta-
blissement, que s'attache l'avis du Conseil d'Etat poursavoir
si les sociétés de capitaux sont, ou non, de nationalité fran-
çaise. La jurisprudence administrative, nous l'avons dit, suit
les solutions ainsi proposées. Elle refuse d'abordtout droit à
indemnité aux sociétés de personnes, ayant la nationalité fran-
çaise, mais composée uniquement d'étrangers, (v. Commission
supérieure des dommages de guerre, 3 août 1925 et
23 janvier 1933; Conseil d'Etat, 24 juillet 1931) et tend à.
justifier ses décisions par le caractère spécial des dispositions
de la loi du 17 avril 1919 en marge, en quelque sorte, des « rè-
gles de droit commun posées par la législation sur les sociétés.
commerciales » ; les questions de la nationalité des sociétés
de personnes et du droit à réparation seraient dissociées, ce
qui constitue d'ailleurs, il faut le reconnaître, une limitation
de la notion même de nationalité. La jurisprudence adminis-
trative décide ensuite que « le droit à l'attribution des dom-
mages» devant être déterminé, pour les sociétés de person-
nes, « d'après la situation personnelle, au point de vue de la
nationalité, de chacun de ses associés », une telle société, ayant
comme membres, au 1er août 1914, des Français et des étran-
gers, a droit à indemnité dans la proportion du capital social
détenu par des Français (Cons. d'Etat, 12 février 1932).
La Cour de Cassation, Chambre des Requêtes, dans ses
deux arrêts du 17 juillet 1930 avait pris, on le sait (cfr. Niboyet,
Examen doctrinal, cette Revue, 1931, p. 519 et s.), une posi-
tion différente. Rejetant le pourvoi formé contre deux arrêts
de la Cour d'Amiens du 21 mars 1929, elle reconnaissait la
nationalité française aux deux sociétés de personnes Graf,.
Mantel et Zuppinger, qui avaient, en France, leur siège social
;
(et aussi d'autres éléments de rattachement), quoique ces
sociétés fussent composées uniquement d'étrangers elle spé-
cifiaitque la loi du 17 avril 1919 « n'avait apporté aucune déro-
»
gation aux principes généraux du droit et écartait l'argu-
ment tiré de la règle de la séparation des pouvoirs en obser-
vant que la Cour d'Appel ne s'était pas prononcée sur le droit
à indemnité. Cette dernière affirmation était, en fait, contes-
table, et si le Conseil d'Etat, s'en prévalant le 24 juillet 1931
dans l'affaire Mante) et Zuppinger, en a conclu que la déci-
sion de la Commission supérieure des dommages de guerre-
en date du 3 août 1925 conservait toute sa valeur, il a, par
3. 85 ;
contre, décidé, le 29 juillet 1932, dans l'affaire Graf (S. 1932,
Clunet, 1935, 74, somm.), que l'arrêt de la cour
d'Amiens, contre lequel le pourvoi avait été rejeté et qui avait
acquis l'autorité de la chose jugée, justifiait la réclamation
de la société en cause contre l'Etat. En bonne logique d'ail-
leurs, affirmer qu'une société donnée était Française et que
laloi du 17 avril 1919 ne dérogeait pas aux règles générales,
c'était reconnaitre à cette société le droit à réparation des
dommages de guerre. La Chambre Civile de la Cour suprême,
dans son arrêt du 25 juillet 1933, donne une solution diffé-
rente, en plein accord cette fois avec la jurisprudence admi-
nistrative : elle décide, en effet, « que. la question de savoir
si la loi du 17 avril 1919 autorise une société en nom collectif,
même exclusivement composée d'étrangers, à réclamer la
réparation intégrale des dommages causés par la guerre, ne
doit pas être nécessairement ou uniquement résolue d'après
;
les principes du droit privé et par la seule considération que
la société a son siège social en France que de là même il suit
que l'application de cette question échappe à la connaissance
:
des tribunaux judiciaires ». La Cour de Cassation, par cet
arrêt, rejoint le Conseil d'Etat il y a, 'pour les deux Cours
suprêmes une exception, en matière de dommages de guerre,
aux effets du concept de nationalité des sociétés, par là même
une diminution de l'efficacité de ce concept. Mais la Cour de
Cassation va, dans ses motifs, plus loin que le Conseild'Etatr
et son arrêt a pu être considéré comme une demi-victoire par
M. Niboyet, adversaire de l'idée de nationalité des sociétés et
du critérium du siège social. Il faut maintenant l'examiner
d'un point de vue plus général et tâcher d'en découvrir l'exacte
signification.
;
(Civ. cass., 25 juillet 1933, Rozendael, précité Req., 20 janv.
1936, S.1936,1.127, Niboyet, 1936,683; Paris, 25 juin 1931,
Mendelsohn, Clunet, 1932, 993 ; Paris, 4 mars 1932, soc.
Kalebdjian frères, Clunet, 1932, 990 ; Trib. Seine, 27 mars
1935, Soc. financière, commerciale et industrielle, Lapra-
delle, 1935, 352.)
;
trahison. Mais deux textes, au moins, ne peuvent être ainsi
écartés ce sont l'article 31 de la loi du 24 juillet 1867 et
l'article 31 dé la loi du 7 mars 1925 ; le premier, pour les
sociétés par actions, le second, pour les sociétés à responsabilité
limitée, interdisent le changement de nationalité des sociétés
si l'unanimité des associés n'y consent pas ; ce sont là des
dispositions formelles consacrant la notion de nationalité des
sociétés (Aj. l'article 5 de la loi du 31 mai 1924 relative à la
navigation aérienne) ; l'interprète est, dès lors, dans l'état
actuel du droit positif français, obligé d'accepter cette notion.
II n'est
pas sûr d'ailleurs que le droit des gens positif n'impose-
pas l'appartenance des personnes morales, particulièrement
des sociétés, à un Etat déterminé, une telle appartenance
résultant du droit de protection diplomatique internationale-
ment reconnu (v. Sereni, La cittadinanza degli enti morali nel
diritto internazionale, Rivista di diritto internazionale, 1934.
p. 171,321,437).
:
la prise en considération du centre d'exploitation, ils ne parais-
sent guère avoir influencé les juridictions inférieures la cour
de Paris, dans ses deux arrêts des 25 juin 1931 et 4 mars 1932,
:
le tribunal de la Seine, dans son jugement du 27 mars 1935,
se rattachent à la théorie du siège social « c'est un principe »
dit l'arrêt du 4 mars 1932, « que la nationalité d'une société
se détermine par le lieu de son siège social, c'est-à-dire par
son domicile, par le lieu de son principal établissement, là
où est le centre de sa vie administrative, où s'élaborent, où se
transmettent les ordres, où se groupent les organes de sa vie
juridique, tels qu'ils sont exigés par la loi ». La Chambre des
Requêtes elle-même paraît bien, d'ailleurs, dans son arrêt du
20 janvier 1936, être revenue à la thèse généralement admise
qui était celle de plusieurs de ses arrêts antérieurs, spécia-
lement celle de l'arrêt du 24 décembre 1928 (S. 1929, 1. 121) ;
il s'agissait de l'admission ou du rejet de l'exceptio judicatum
solvi opposée par la Banque de l'Union Parisienne à la Compa-
gnie des Chemins de fer de Porto-Rico que le pourvoi préten-
:
dait être de nationalité espagnole et non de nationalité améri-
caine ; la cour décide « .l'arrêt constate que si la compagnie
a eu primitivement son siège social en Espagne, elle a par
la suite transféré son domicile, le centre de ses affaires, son
administration, son siège social en Amérique., il a ainsi léga-
lement justifié la décision. » C'est admettre le changement de
nationalité par transfert du siège social, donc la détermination
par celui-ci de celle-là. On peut sans doute reprocher à la Cour
été effectué régulièrement d'après la loi compétente ;
de ne pas avoir recherché si le transfert du siège social avait
comme
à un certain nombre d'autres décisions, par exemple, à l'arrêt
de la cour de Paris du 25 juin 1931, on peut lui reprocher
d'attribuer une nationalité étrangère sans se préoccuper des
solutions données à ce sujet par le droit de l'Etat en cause.
Le critérium du siège social apparaît comme de plus en plus
généralement consacré.
Nous croyons que c'est avec raison. On connaît la théorie
du contrôle défendue avec tant de vigueur et de ténacité par
M. Niboyet et qu'on oppose à celle du siège social. Deux
problèmes seraient à distinguer au sujet des sociétés. Un pro-
blème de conflit de lois d'abord, la détermination de la loi
:
applicable à la constitution et au fonctionnement d'une société
donnée cette loi pourrait être celle du siège social, c'est-à-dire
du domicile. Un problème de condition des étrangers ensuite :
quand, dans une société, il y a des étrangers que celle-ci ne fait
que masquer, ces étrangers peuvent-ils, et dans quelles condi-
tions, bénéficier, par l'intermédiaire de la société, des avan-
tages accordés aux nationaux français, protection diplomati-
?
que, jouissance des droits civils On répondrait à cette ques-
tion en recherchant si le contrôle de la société, l'influence pré-
pondérante dans celle-ci est française ou étrangère. Une telle
thèse, pour spécieuse qu'elle soit, ne me paraît pas pouvoir
être adoptée. Elle est, semble-t-il, contraire tout d'abord aux
solutions consacrées par la plupart des Etats, à ce qui tend
à être sur ce point le droit commun international, et c'est là
au moins une présomption d'inexactitude. Elle présente ensuite
d'incontestables inconvénients pratiques qui doivent la faire
rejeter. On peut, il est vrai, assurer le fonctionnement de la
société et éviter les changements fréquents de statut en disant
que ce dernier est déterminé par la loi du domicile, la loi du
siège social. Mais les deux questions de protection diploma-
tique, d'une part, de jouissance des droits civils, d'autre part,
:
vont dépendre du contrôle de la société tant que le contrôle
est français, celle-ci peut à l'étranger se prévaloir de sa qualité
;
de Française, invoquer les traités conférant certains avantages
aux Français de même, tant que le contrôle est Français, elle
jouira, en France, de tous les droits privés (art. 11, C. Civ.) ;
les solutions contraires s'imposeront si le contrôle est étranger.
Or le contrôle variant suivant la nationalité des associés
intuitu personae, suivant celle des administrateurs, des déten-
teurs des titres sociaux, pourra changer plusieurs fois en sens
divers, et changer sans aucune publicité. La théorie du contrôle
introduit, dans les rapports juridiques, un élément d'instabi-
lité, d'incertitude et aussi d'arbitraire (car c'est une question
de fait) qu'il est impossible d'accepter dans une vie sociale
normale.
:
Le critère du siège social a une supériorité pratique
certaine relativement simple à faire jouer, car le siège social
est indiqué dans les statuts, il donne la quasi-certitude, la
possibilité de prévision indispensables aux affaires tandis que
»
l'exigence du caractère « sérieux de sa fixation permet d'évi-
ter les fraudes trop grossières. Si, en outre, comme il a été dit
(supra, n° 32), la base de la personnalité de toute société est
;
eon activité, c'est bien le pays d'exercice de cette activité
auquel la société doit être rattachée le lieu de l'activité réelle,
du principal centre d'exploitation, pouvant être difficile à
déterminer, la jurisprudence, après la guerre comme avant,
était fondée à lui substituer, par une sorte de simplification,
de stylisation, le lieu de l'activité juridique, le pays du siège
social. N'est-ce pas là, d'ailleurs, suivant l'expression de
M. Isay (La nationalité, Recueil Cours Académie Droit Inter-
national, 1924, p. 444) « qu'est le cerveau de la personne
morale, le centre de son système nerveux ? ». On peut enfin
observer, et M. Niboyet en fait lui-même la remarque
(ManueL., 2* éd., n° 304, p. 362), que « les traités diploma-
tiques les plus récents signés par la France sont certainement
favorables au pur siège social. Les sociétés ressortissantes sont
celles possédant leur siège dans l'un des pays ». Il serait aisé
de citer dans le même sens un grand nombre de conventions
postérieures. Bornons-nous à indiquer, parmi les dernières
en date, la convention d'établissement franco-italienne du 3
juin 1930, article 6 (décret du 19 janvier 1935, Darras, 1932,
395, Lapradelle, 1935, 130), le traité de commerce franco-suisse
du 29 mars 1934, art. 12 (Décret du 30 mars 1934, Niboyet,
1934, 797, Clunet, 1935, 492), la convention de commerce, de
navigation et d'établissement franco-allemande du 28 juillet
1934, art. 2 (Décret du 29 juillet 1934, Niboyet, 1935, 195), la
convention d'établissement et de navigation franco-canadienne
du 12 mai 1933, art. 7 (Décret du 8 novembre 1936, Niboyet,
1937,257, Clunet, 1937,398, Lapradelle, 1936,885), la conven-
tion de commerce franco-suisse du 31 mars 1937, art. 15 (Décr.
du 13 avril 1937, Niboyet, 1937,517). La formule habituelle-
ment employée est analogue à la suivante que nous emprun-
tons à la convention franco-canadienne du 12 mai 1933 : « Les
sociétés. constituées dans l'un des deux pays conformément
aux lois de ce pays et y ayant leur siège social sont récipro-
quement reconnues. ». La convention de commerce franco-
espagnole du 6 mars 1934 (décret du 6 mars 1934, Niboyet,
1934, 792) vise, il est vrai, dans son article 17, « les sociétés
françaises et les sociétés espagnoles comprenant des éléments
français. » mais on ne peut en déduire, croyons-nous, qu'elle
fait place à la théorie du contrôle (contra Niboyet, loc. cit.,
p. 796, note 1) ; bien plutôt, elle la condamne en juxtaposant,
et par là même en distinguant, les sociétés françaises et les
sociétés espagnoles comprenant des éléments français, qui ne
sont donc pas françaises malgré le possible contrôle français.
On ne peut cependant voir dans tous ces textes conventionnels
qu'une indication en faveur de la théorie du siège social. Il est
d'ailleurs des traités qui sont moins précis,'parlant simple-
ment de « sociétés constituées dans l'un des deux pays confor-
mément aux lois de ce pays » (v. par exemple, la convention
d'établissement franco-belge du 6 octobre 1927, art. 5, Niboyet
et Goulé, Recueil des textes, t. I, p. 394). Et il faut signaler ici
que la loi du 19 mars 1937 tendant à instituer une licence pour
— et la phrase
;
celui-ci avait à statuer sur une attribution d'indemnités pour
dommages de guerre quand il parle de droit public, il pense
suivante l'établit — aux droits que la qualité
de Français peut conférer contre l'Etat français, il prend les
termes « droit,public » dans leur sens le plus strict. De l'arrêt
de la Chambre Civile résulte donc qu'en principe, la jouissance
des droits privés sera, pour les sociétés, déterminéed'après
leur nationalité. Et on a vu que la Chambre des Requêtes, le
20 janvier 1936, recourait à cette notion de nationalité pour
décider sur l'exception de caution judicatum solvi opposée à
une société. Ajoutons que la Cour de Cassation n'écarte pas
;
de plein droit et absolument la nationalité des sociétés, même
en matière de droit public stricto sensu elle se borne à dire
que ce concept ne peut y être transporté sans réserve. Ce n'est
pas sans doute beaucoup solliciter le texte que d'y voir dès lors
simplement l'indication d'exceptions possibles à justifier dans
chaque cas. Nous pensons, en tout cas, pour notre part, que
c'est là la solution la plus exacte. Les sociétés, parce qu'elles
ont une personnalité, ont une nationalité déterminée par leur
siège social. Exceptionnellement, ces concepts pourront être
écartés ou modifiés afin de tenir compte des individus, des
personnes physiques, membres de la société. Il convient, pour
finir, d'expliquer ces exceptions.
Le concept de nationalité est conservé, donc aussi celui de
personnalité (v. supra, n° 33), mais la détermination de la
nationalité est modifiée avec la théorie du contrôle appliquée
par la jurisprudence de guerre et consacrée, quant à la liqui-
dation des biens ennemis, par les traités de paix. Le siège
social est, nous l'avons dit (supra, n° 33), le critérium normal,
et pratiquement le meilleur, de l'appartenance d'une société
à un milieu social, à un état donné. Mais il n'estqu'un signe
de cette appartenance, il n'en donne qu'une présomption. En
temps de paix, à raison du besoin qu'a le droit de règles simples
et stables, on néglige — et avec raison — les cas exceptionnels
»
estle « coeur :
dans chaque société, l'influence prépondérante, de quel côté
de la société la
c'est théorie du contrôle. La
substitution à celle du siège social s'explique par les nécessités
de la défense nationale qui permettent de faire abstraction, si
besoin, des concepts de technique juridique. Ces concepts re-
prennent, la paix rétablie, toute leur valeur.
Mais il est des cas où l'on va plus loin, cherchant derrière
:
la société à atteindre directement les individus, et n'attribuant
qu'à ceux-ci un rôle juridique c'est la solution qui a prévalu
précisément, au moins pour les sociétés de personnes, en
matière de dommages de guerre, par interprétation de la loi du
17 avril 1919 (v. supra, n° 30). Si la personnalité des sociétés,
et leur nationalité, ne sont que fictions (supra, n° 32), iln'y a
évidemment pas de difficulté à admettre que le législateur peut
n'en pas tenir compte. Il n'est pas impossible d'expliquer de
telles solutions, même si l'on part de la réalité des personnes
morales, surtout si l'on distingue avec Maurice Hauriou (v. par
exemple, Précis de droit administratif, 128 éd., par A. Hauriou,
p. 42 et s. Aj. Gény, Science et technique, t. IV, p. XVIII-XX,
18 et s.) la personne morale, réalité sociale, et la personnalité
juridique, le caractère de sujet de droit, qui n'est qu'un con-
cept, l'organisation intellectuelle la plus simple, la plus
commode des situations juridiques (v. Gény, Les bases fon-
damentales du droit civil en face des théories de Duguit,
Revue Trimes.trielle, 1922, p. 779 et s.). Les sociétés, personnes
morales, comme les personnes physiques, ont, en principe, dans
notre droit, la personnalité juridique. Mais le refus de cette
personnalité n'est pas inconcevable. Si, pour les personnes
physiques, un tel refus ne se rencontre plus guère, l'histoire
en fournit des exemples avec les institutions de l'esclavage,
;
raître, sur la scène du droit, la personne morale, à lui en
refuser l'accès il a pour résultat d'y faire monter, d'y laisser
seuls les individus. C'est, par exemple, le cas, sous l'empire
de la loi du 1" juillet 1901, des congrégations de fait. C'est le
cas des sociétés de personnes, pour le droit à réparation des
dommages de guerre, sous l'empire de la loi du 17 avril 1919.
Le refus de la personnalité juridique est un moyen technique
de méconnaître la personnalité morale pour ne voir, par une
véritable fiction, que les personnes physiques. On s'explique
qu'il soit — et doive être — exceptionnel.
II
CONDITION DES ÉTRANGERS
;
1934, que « l'expert, auxiliaire technique de la justice, ne fait
pas acte de juridiction qu'aucun texte de loi ni aucun prin-
cipe n'interdisent à un tribunal français de désigner un expert
;
de nationalité étrangère et de prescrire la réception de son
serment par un juge étranger qu'il peut donc user de ce droit
toutes les fois qu'il lui apparaît, d'après les circonstances de
la cause et la nécessité des temps et des lieux, qu'une telle
mesure correspond à une bonne administration de la justice».
La capacité de l'étranger d'être expert, qu'admettait la très
grande majorité de la doctrine (v. Glasson, Tissier et Morel,
Traité théorique et pratique de procédure, t. II, n°*708,70^),
est, par cette décision, mise hors de doute en tant que principe
du droit positif français.
2. — Mais il y a, à cette règle, au moins une exception.
La loi du 30 novembre 1892 sur l'exercice de la médecine déci-
dait, dans son article 14, que « les fonctions de médecins
experts près les tribunaux ne peuvent être remplies que par
des docteurs en médecine français » et cette solution a été
:
reprise et aggravée par l'article 7 de la loi du 21 avril 1933
relative au même sujet « Les fonctions de médecin et expert
des tribunaux et toutes les fonctions publiques données au
concours ou sur titres ne pourront être remplies que par des
docteurs en médecine français ou naturalisés tels depuis cinq
ans. » La Chambre des Requêtes, dans son arrêt du 13 décem-
bre 1933, les cours de Besançon, Nancy et Douai, dans les
décisions citées, ont admis qu'il était possible, malgré ces
textes, de désigner un médecin étranger comme expert en
matière d'accidents du travail, au moins lorsque l'expertise
doit avoir lieu en pays étranger.
La Chambre des Requêtes affirme que la disposition de
la loi du 30 novembre 1892 « doit être interprétée dans ce sens
que seuls les docteurs médecins français peuvent être inscrits
sur les listes d'experts que dressent annuellement les cours
»
d'appel ; mais l'obligation de choisir les experts sur cette
liste n'existe qu'en matière pénale (v. déjà Civ. rej., 15 déc.
1914, S. 1915, 1. 17), la loi de 1892 « n'est pas applicable aux
instances civiles », a fortiori aux procès fondés sur la loi du
9 avril 1898 qui, « se suffisant à elle-même, dispose unique-
ment que le médecin commis à titre d'expert nedoit être ni
celui qui a donné ses soins à l'ouvrier, ni celui du patron ou
»
de l'assureur ; « aucun texte légal ne s'oppose donc à la
désignation d'un médecin étranger ». Dans l'espèce, la cour
de Douai avait admis la possibilité d'une expertise faite en
Pologne, par un médecin polonais, l'ouvrier polonais, victime
en France d'un accident du travail, ayant regagné son pays. Il
semble que les motifs de l'arrêt que nous avons cité justifie-
raient la désignation d'un médecin étranger, même pour une
expertise en France.
Les cours de Besançon et Nancy vont moins loin, s'agis-
sant d'ailleurs, de la loi du 21 avril 1933 et non plus de celle
du 30 novembre 1892. A la différence de celle-ci, celle-là, en
effet, et sauf convention diplomatique, réserve l'exercice de
la médecine en France aux citoyens ou sujets français et aux
ressortissants des pays placés sous le protectorat de la France
(art. 1, 2°). Si la cour de Nancy se borne à déclarer « qu'en
droit, rien ne s'oppose en principe à ce que les tribunaux
:
français commettent des médecins étrangers du pays d'ori-
gine de l'accidenté », la cour de Besançon précise « .la loi
du 21 avril 1933 a eu pour objet d'arrêter l'invasion des
étrangers qui venaient exercer la médecine en France. ; cette
loi de police et d'organisation intérieure régit uniquement les
actes d'exercice de médecine réalisés sur le territoire français
et notamment les expertises faites en France mais ne saurait
s'appliquer aux expertises ordonnées à l'étranger, sous peine
de rendre l'exécution de telles mesures manifestement impos-
sibles ». La limitation de la portée de la loi de 1933 est d'ordre
territorial tandis que celle de la loi de 1892, d'après l'arrêt de
la Cour de Cassation, serait d'ordre matériel, tiendrait à la
nature de l'instance. Bien entendu, d'ailleurs, et en tout cas,
:
la désignation d'un médecin étranger n'est qu'une possibilité,
non une obligation pour la juridiction française saisie celle-ci
statuera suivant les circonstances de fait. Si elle estime utile
une telle désignation, elle devra, semble-t-il, procéder par
commission rogatoire adressée au tribunal du domicile de
l'intéressé.
Il convient encore de relever que, dans trois des espèces
étudiées, les affaires Smarzynsld, Demko et Malek, les ouvriers
étaient de nationalité polonaise et les cours ont fait état (la
cour de Douai même exclusivement) des conventions franco-
polonaises, spécialement des conventions du 3 septembre 1919
relative à l'émigration et l'immigration et du 30 décembre;
1925 relative à la transmission des actes judiciaires et des
commissions rogatoires en matière civile (v. Niboyet et Goulé,
Recueil des textes., t. I, p. 625, 645). Mais la première ne
paraît avoir rien à faire en pareille matière se bornant, dans
son article 3, deuxième alinéa, à assurer l'égalité de traitement
des Polonais et des Français pour la réparation des accidents
dû travail. Quant à l'article 10 de la seconde, qui a trait au
remboursement des frais occasionnés par l'exécution des com'
missions rogatoires et vise (sous le numéro 4), « les hono-
raires d'expert », il prouve bien la possibilité dans les rapports
franco-polonais de commissions rogatoires en vue d'expertises
mais n'établit pas que ces expertises puissent intervenir sur
le terrain médical malgré la loi du 30 novembre 1892 (cfr. la
note de M. Niboyet, loc. cit., p. 414).
Notons, pour terminer, que la loi du 21 avril 1933 a été
abrogée par celle du 27 juillet 1935 (art. 8). L'article 7, 4°, de
cette dernière impose à l'étranger naturalisé Français et muni
du diplôme d'Etat de docteur en médecine « un délai d'attente
de cinq ans après l'obtention du droit d'exercer pour pouvoir
remplir les fonctions ou emplois de médecine publique déter-
minés par un règlement d'administration publique ».
(Conseil d'Etat, 23 janv. 1931, 12 janv. 1933, Niboyet, 1934,
447,448, note Niboyet ; S. 1932, 3. 76, 1933, 3.108 ; D. 1932,
3. 57, note Trotabas, et D. H., 1933, 150).
B. -Droits publics
4. — Parmi les libertés, il en est dont l'exercice se traduit
par une action sur les autres hommes, ce sont les libertés à
caractère politique ou social, telles la liberté de la presse, la
;
liberté de réunion et d'association, la liberté d'enseignement,
la liberté des cultes nous n'avons pas relevé de décision qui
s'y rapporte. Un second groupe est constitué par les droits dont
l'exercice manifeste l'activité de l'homme sur le terrain écono-
;
mique : liberté du travail, liberté du commerce et de l'indus-
trie, droit de propriété de nombreuses lois sont intervenues
dans cette matière, en général, pour restreindre les droits des
étrangers, pour protéger la société économique nationale qui,
en période de crise, tend à la forme de société fermée ;de
nombreux traités, par contre, s'efforcent de satisfaire aux exi-
;
gences de la vie internationale en modifiant, en adoucissant les
solutions nationales trop exclusives on ne trouvera dans la
jurisprudence examinée que quelques-uns de ces textes conven-
tionnels ou législatifs dont il fallait marquer ici l'importance.
Enlevées les libertés à caractère politique ou à caractère écono-
mique, restent ce qu'on peut appeler les droits publics stricto
sensu, ce que j'appellerai les droits publics fondamentaux
tels le droit à bénéficier des mesures d'assistance, la liberté
:
d'aller et de venir.
150 ;
(Conseil d'Etat, 12 février 1932, Vve Hartmann, Clunet, 1933,
17 nov. 1933, Felder-Mairesse, Clunet, 1935, 75
Niboyet, 1935, 117 ; S. 1934, 3. 78 ; D. 1934, 3. 53, note
;
Désiry ; Douai, 22 février 1932, Kahaley, Clunet, 1933, 101).
1. — La législation française refuse, en général, à l'étran-
ger ordinaire — qui ne peut se prévaloir d'aucun traité — le
droit de bénéficier des services publics français d'assistance
le fondement de
:
l'assistance est la solidarité qui unit les hom-
mes considérés comme membres d'une même institution éta-
tique, ce que le droit public français appelle « fraternité ; »
aucun Etat ne saurait dès lors être tenu d'étendre aux étran-
gers le bénéfice de ses institutions de bienfaisance et d'assis-
tance ; la législation française, sur ce point, n'est pas — quoi-
qu'on conçoive une évolution possible. —• contraire au droit
international.
La même raison, le fait que le fondement en est la solida-
rité nationale, explique que le droit à réparation des dommages
de guerre ait été par la loi du 17 avril 1919 réservé — sauf
traités — aux individus Français au moment du dommage
(v. supra, Nationalité, n° 30). Le Conseil de la Société des
Nations saisi par la Suisse d'une demande tendant à solli-
citer de la Cour permanente de justice internationale un avis
consultatif sur le droit des nationaux Suisses à obtenir répa-
ration, a estimé, le 21 janvier 1935, conformément aux conclu-
sions du rapporteur de la question, qu'il n'y avait pas lieu de
demander un tel avis (v. Zeitschrift fur auslandisches offentli-
ches Recht und Vôlkerrecht, t. V, 1935, p. 422 et, sur la ques-
tion, Nostïtz-Wallwitz, die Frage der Kriegsschâden Schwei-
zer Staatsangehôriger in dem Vôlkerbundsrat, loc. cit., p.633
et s. ; J. Maupas, L'attribution des dommages de guerre par
la France aux ressortissants suisses, Clun-et, 1935, p. 277
et s.). Les quelques arrêts français qui, dans la période consi-
dérée, s'occupent du droit à indemnité des personnes physi-
*
tage (Cfr Planiol, Ripert, Maury et Vialleton, Traité pratique
de droit civil français, t. IV, Successions, nos 661 et s.), a
décidé que la femme commune en biens, qui, à la dissolution
de la communauté, a acquis des biens communs sur licitation,
est considérée comme propriétaire de ces biens du jourde leur
entrée en communauté (v. en ce sens, Planiol, Ripert et Nast,
op. cit.,-t. IX, n° 849) et, par suite, si ces biens ont étéulté-
rieurement endommagés par. fait de guerre, « a droit à l'inté-
grité de l'indemnité y afférente».
(Cass. crim., 10 juillet 1931, Marchèsi, Clunet, 1932, 718, S.
1933, 1. 36 ; Cass.crim., 22 décembre 1933, Aboyan, Clu-
net, 1935, 83, Niboyet, 1934, 717, D. H. 1934, 86 ; Paris,
15 février 1935, Marqués da Silva, Lapradelle, 1935, 60
;
Clunet,1936,880).
6. — L'entrée des étrangers en France est soumise à une
réglementation très stricte dont le but est de permettre aux
autorités françaises un certain contrôle et de rendre ainsi pos-
:
sible, quand il y a lieu, l'interdiction de pénétrer sur le terri-
toire français la liberté de circulation internationale est très
étroitement limitée par le droit de police de l'Etat.
Avant guerre, les mesures légales prévues étaient l'exi-
gence d'un passeport (L. 6 février 1793, 28 vendémiaire an VI),
d'ailleurs à peu près tombée en désuétude, et l'obligation, pour
les étrangers venant exercer une profession, de se faire imma-
triculer à la mairie de leur résidence (L. 8 août 1893, modifiée
par la loi du 16 juillet 1912). Après la guerre, on est revenu au
système du passeport, d'abord rigoureusement, puis avec des
atténuations. La circulaire (de juin 1937) du Ministre de l'In-
térieur, rompant avec la pratique antérieure, décide — avec
raison — qu'en principe, l'autorisation maritale ne doit pas
être exigée pour la délivrance d'un passeport à une femme
mariée (V. La Semaine Législative, 1937, n° 370). Les forma-
lités de l'immatriculation ont été supprimées par le décret-loi
du 30 octobre 1935 instituant des pénalités à l'égard des étran-
gers expulsés (J. Off., 31 octobre, p. 11.489) qui abroge, dans
son article 5, les articles 1 et 3, alinéa premier, de la loi du
8 août 1893. Ces formalités étaient devenues complètement
;
inutiles depuis l'institution des cartes d'identité par les décrets
des 2 et 21 avril 1917 (Clunet, 1917,1159.1542 v. actuellement
le décret du 6 février 1935, Clunet, 1935,1145, Lapradelle, 1935,
117, Niboyet, 1935, 547, modifié par le décret du 14 octobre
1936, Clunet, 1937, 414, Lapradelle, 1936, 860 et, pour la carte
de tourisme, la loi de finances du 31 décembre 1935, article 13,
et les décrets du 23 février 1936, Lapradelle, 1936, 194, Niboyet,
1936,550 et du 31 décembre 1936, Niboyet, 1937, 297). Des dis-
positions nombreuses des lois de finances ont, depuis 1917, visé
les cartes d'identité pour fixer les droits à percevoir (v. loi
29 juin 1917, art. 11, et, en dernier lieu, décret-loi du 28 août
1937, J. Off., 31 août, p. 10.007, Lapradelle, 1937, 648), mais
ces loisn'ont eu ni pour objet, ni pour résultat de légaliser
l'institution que de simples décrets pouvaient créer et ont vala-
blement réglementée.
en se faisant immatriculer ;
ouvriers avaient pu également mentir en demandant la carte et
seulement un certificat de travail
indispensable pour la demande de la carte (v. infra, n° 13) est
inutile pour l'immatriculation (v. par exemple, Valéry, Manuel
de droit international, n08 294 et s.) ; en faisant ici jouer l'arti-
cle 3, alinéa 2, loi 1893, et les articles 59 et 60 Code Pénal, la
Cour suprême, sans le dire et en paraissant dire le contraire,
étend donc le premier de ces textes de la question d'immatri-
culation à celle de la délivrance des cartes. La solution de
l'arrêt quoiqu'elle soit implicite, plus exactement même, mas-
quée, n'a sans doute pas perdu aujourd'hui tout intérêt le
décret-loi précité du 30 octobre 1935 n'a pas, en effet, abrogé
:
;
l'article 3, 2' alinéa, de la loi de 1893 ; ce texte vise la dissimu-
lation d'identité et la fausse déclaration il ne saurait plus y
avoir de fausse déclaration au sens de la loi de 1893 puisque
toute déclaration, conformément à cette loi, est supprimée
(v. supra, n° 6) ; ne faut-il pas dès lors prendre ces termes
dans un sens très général, admettre qu'il s'agit de toute fausse
déclaration ou de toute dissimulation d'identité intervenant en
matière d'application des dispositions de police relatives aux
étrangers?
L'arrêt de la ChambreCriminelle du 22 décembre 1933 n'a
pas hésité à appliquer l'article 153, Code Pénal, qui punit la
falsification des passeports à la falsification d'une carte d'iden-
tité sous le prétexte — un peu surprenant — que « une carte
d'identité valant pour les étrangers permis de séjour en France
peut être considérée comme rentrant dans la catégorie des pas-
seports ». La cour de Paris, le 15 février 1935, si'est refusée,
avec raison, sans doute, du point de vue juridique, à une telle
extension. La question est résolue aujourd'hui par le décret-
loi du 30 octobre 1935 qui déclare (art. 3) les peines des arti-
cles 153 et 154 Code Pénal applicables à « la falsification de la
carte d'identité spéciale et de son récépissé».
;
(Cass. crim., 20 octobre 1932, Laoussine ben Ali, Clunet, 1933,
991, Darras, 1932, 683 S. 1935, 1. 33, note Hugueney ;
;
D. H. 1932, 541 ; Cass. crim., 10 août 1931, Millot, Clunet,
1934, 129 Cass. crim., 15 novembre 1934, Mavromatis,
Clunet, 1935, 632, Lapradelle, 1934, 803, D. 1935, 1. 1, note
Donnedieu de Vabres, S. 1936, 1. 195 ; Cass. crim., 8 février
1936, Rozoff, Clunet, 1937, 97, Niboyet, 1936, 453, Lapra-
delle, 1936, 127 ; D. 1936, 1. 44, note Donnedieu de Vabres ;
Cass. crim., 1er mai 1936, Kliemkiewitz, Lapradelle, 1936,
547, Clunet, 1937, 525 ; Paris, 26 juillet 1934, Zakovleff,
Clunet, 1935, 350, Niboyet, 1935, 122, Lapradelle, 1934, 804,
D. 1934, 2. 113 ; Trib. corr. Nice, 4 juillet 1935, Niboyet,
1936, 455, Lapradelle, 1936, 123, D. 1936, 2. 47, note Donne-
dieu de Vabres ; Trib. corr. Seine, 14 novembre 1936, Zin-
ger, Niboyet, 1937,104,Lapradelle, 1936, 775, S. 1937, 2. 43,
D. H. 1937, 14 ; Trib. corr. Strasbourg, 23 novembre 1936,
D. H. 1937, 80, Lapradelle, 1937, 7.0).
8. — La violation d'un arrêté d'expulsion, le fait pour un
étranger de demeurer en France, malgré cet arrêté, est un délit
correctionnel (art. 8, L. 3 décem. 1849 et art. 1, 2, D.-L. 30 octo-
bre 1935). Ce délit est « continu successif », c'est-à-dire est de
ceux « dans lesquels l'accomplissement et la persistance de
l'acte matériel qui les constitue implique une nouvelle inter-
»
vention de la volonté expresse ou tacite de l'agent (Vidal et
Magnol, Cours de droit criminel, 8e éd., n° 77, p. 116). La Cour
de Cassation (Laoussine ben Ali), en déduit, ce qui va de soi,
la possibilité, quand l'activité délictueuse persiste après une
condamnation, d'une condamnation nouvelle. Il en est de même,
; :
d'après l'arrêt — et la poursuite est possible — même après un
acquittement. C'était le cas en l'espèce l'intéressé, expulsé de
France, s'était fixé en Algérie inculpé de violation à l'arrêté
d'expulsion, il avait été acquitté par le tribunal de Tlemcen
»
;
parce que l'ordre de sortir du « territoire français ne lui inter-
disait pas de séjourner en Algérie de nouveau poursuivi, il
avait été de nouveau acquitté par le tribunal d'Oran se fon-
dant sur la chose jugée (v. Clunet, loc. cit.) ; c'est cette décision
qui est cassée par la Cour de Cassation. La désobéissance à
l'arrêté, postérieure au premier jugement, constitue une infrac-
tion nouvelle et l'identité d'objet manque dès lors, qui est une
des conditions de l'autorité de la chose jugée (Cfr Vidal et
Magnol, op. cit., n° 77, p. 117, texte et note 3 ; n° 674, p. 797,
texte et note 6 et v. la note de M. Hugueney, Rec. Sirey).
9. — Pour que le délit de violation d'un arrêté d'expulsion
soit constitué, il faut évidemment que cet arrêté ait été légale-
ment pris, en particulier que l'individu qui en est l'objet ne
soit pas Français. L'illégalité de l'arrêté peut justifier un
recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat elle
peut être invoquée, sous forme d'exception, devant le tribunal
;
répressif. Dans l'affaire Millot, cinq condamnations successives
:
ayant déjà été prononcées, la nationalité française fut reconnue
à l'intéressé « la révélation de la véritable nationalité de Mil-
lot est », dit la Cour de Cassation, « un fait nouveau », justi-
fiant une demande en révision, le tribunal suprême casse et
annule, en conséquence, les cinq décisions qui lui étaient
soumises.
10. — Il y a eu plus de difficulté — et des solutions plus
discutables ont été données — quand il s'est agi de savoir dans
quels cas l'étranger expulsé pourrait, pour se justifier, invoquer
la force majeure, l'état de nécessité. La cour de Paris et la Cour
de Cassation ont donné des réponses très rigoureuses. Les
étrangers poursuivis étaient des apatrides et faisaient valoir
(v. les conclusions de la défense, Lapradelle, 1934, 805, dans
l'affaire Zakovleff) qu'il leur était impossible de trouver un
pays dont le territoire ne leur fut pas interdit. Les arrêts rap-
pellent que l'excuse de force majeure suppose l'impossibilité
absolue et que des difficultés « en admettant même qu'elles
soient graves, ne sauraient être assimilables au cas de force
majeure » (Paris, 26 juillet 1934. V. également, Cass. crim.,
1er mai 1936 où d'ailleurs l'argumentation de l'inculpé parais-
;
d'obéir à l'arrêté d'expulsion, tous les pays leur étant, en fait,
fermés
le relaxe.
il s'agit, en réalité, d'un délit nécessaire, ce qui impose
:
échec à cette prérogative ». Cela n'est pas contestable, en prin-
cipe, mais est peut-être un peu exagéré un arrêté d'expulsion
ne saurait mettre obstacle à une poursuite correctionnelle et
;
à la détention préventive de l'inculpé qui maintient celui-ci en
France la
il n'est pas sûr dès lors que mise en liberté provi-
soire, qui peut être obligatoire pour le juge, soit sans aucun
Etats signataires;
très particulière d'une série de recommandations adressées aux
en France, le décret du 11 janvier 1930
décide qu'il sera « mis en vigueur le lorfévrier 1930 dans toute
la mesure compatible avec les lois et les règlements ». La
question s'est dès lors posée devant les tribunaux de savoir si
cet arrangement avait valeur de traité et s'il pouvait, au profit
des réfugiés qu'il vise, valoir dérogation aux règles légales. La
jurisprudence, d'abord hésitante (v. cette Revue, 1931, p. 547-
548) peut être considérée aujourd'hui comme à peu près fixée
dans le sens de la négative. Seule, en effet, et sans discuter la
question, la cour de Grenoble décide que l'arrangement de
1928 (§ 4), au cas d'accident de travail, relève les réfugiés
russes de la situation d'infériorité où les place l'article 3 de
la loi du 9 avril 1898. Par contre, la Commission supérieure
de Cassation en matière de loyers, pour la prorogation de la
loi du 1" avril 1926, le tribunal de la Seine, les 23 janvier et
;
111, Niboyet, 1934, 150, note Hugueney, S. 1933, 1. 113,
même note Cass. crim., 29 avril 1932, Rangheard, Niboyet,
loc. cit., S. loc. cit. ; D. H. 1932, 302 ; Cass.crim., 24 juin
1932, Garbay, Clunet, 1933, 1191 ; D. H. 1932, 446 ; Cass.
crim., 23 juin 1933, Rousel, Clunet, 1935, 384, Niboyet, 1934,
751, note Hugueney ; Caen, 11 juin 1931,Cariot, Clunet,
1932, 716 ; Tr. corr. Seine, 16 janvier 1931, Delage, Clunet,
1931, 1080 ; Douai, 7 décembre 1935, Giffart, Lapradelle,
1936, 132 ; Seine, 28 novembre 1933, Clunet, 1934, 936,
Lapradelle, 1934, 72, Niboyet, 1934, 749 ; D. H. 1934, 110 ;
Tr. paix Paris, 4e arrondiss., 27 janvier 1933, Somm., La-
;
pradelle, 1934, 72 Rouen, 16 juillet 1936, Vve Brignol,
Lapradelle, 1936, 755, Clunet, 1937, 758 ; Paris, 22 avril
1932, Heuillon, Clunet, 1933, 378).
13. — L'étranger qui vient en France, comme salarié, doit
»
avoir une carte d'identité « de travailleur (L. 11 août 1926,
:
art. 64, livre II, C. Travail) dont la délivrance suppose des
conditions particulières présentation d'un certificat sanitaire
et d'un contrat de travail visé favorablement par les services
compétents du Ministère du Travail (art. 7, D., 6 février 1935).
Ce contrat de travail est d'ailleurs soumis à certaines formes
et conditions imposées par le Ministère du Travail qui doit le
viser. Le tribunal civil de la Seine, le 27 février 1933, a décidé
que ces clauses étant imposées par les pouvoirs publics afin
de protéger la main-d'œuvre nationale, toute modification, non
approuvée par le Ministère du Travail, doit être frappée de
nullité comme contraire à l'ordre public. Les employeurs ont
l'obligation de s'assurer que les ouvriers embauchés sont en
situation régulière (art. 64, C. Travail) et doivent le faire avant
l'embauchage (Cass. crim., 26 novembre 1936, D. H. 1937, 22,
Lapradelle, 1937, 45, Niboyet, 1937, 680).
Les tribunaux paraissent veiller assez sévèrement à
l'observation de ces prescriptions. La solution du tribunal
:
correctionnel de la Seine, dans l'affaire Lesot, est évidemment
exacte en vertu des traités conclus avec de nombreux pays,
spécialement en vertu de la convention franco-hollandaise du
26 octobre 1930, les « stagiaires » des pays cocontractants
peuvent être employés en France, en qualité de stagiaires, sans
avoir la carte d'identité de travailleur; mais pour que ces textes
soient applicables, il faut que l'étranger ainsi employé ait eu
sa demande de stage admise; en employant un sujet hollandais
qui avait formé une demande de ce genre, avant l'admission
de celle-ci, le patron français avait certainement violé l'article
64, livre II, Code Travail et encouru la peine de l'article 172
du même code. L'arrêt de la cour de Douai, dans l'affaire van
Gertruy, est, par contre, plus discutable: il s'agissait d'ouvriers
belges (sans carte d'identité) travaillant en France, au montage
;
de machines, pour le compte de la société belge qui avait
vendu ces machines à des entreprises françaises considérant
que les textes en vigueur ont pour but essentiel « de protéger
la main-d'œuvre nationale contre les infiltrations de la main-
d'œuvre étrangère » et que « le contrôle, pour être efficace,
doit avoir lieu dès l'entrée en France du travailleur étranger »,
la cour a retenu le délit de l'article 64 contre le directeur,
technique de la société belge. Il semble que ce soit à tort
»
:
l'article 64 exige que la carte d'identité « travailleur porte
« l'indication et la date du contrat de travail sur le vu duquel
ladite carte a été délivrée », il ne s'applique donc, d'après son
ment;
rendent vains tous efforts d'organisation et de contingente-
elle restreint, supprime temporairement la liberté de
changer de profession ou de métier, elle tâche d'assurer l'exé-
cution du contrat de travail originaire dont la durée, d'ailleurs,
ne peut excéder une année. Sa prescription essentielle est la
double interdiction, d'une part, dans l'année de sa venue,
d'occuper un travailleur dans une profession différente de
celle pour laquelle il est venu, d'autre part, de l'embaucher,
pendant le même temps, avant l'expiration de son contrat de
travail. A ces interdictions, il y a des exceptions qu'il est inutile
d'indiquer ici (v. art. 64 a, 64 b). La carte d'identité, délivrée
pour la première fois, doit porter l'indication et la date du
contrat de travail sur le vu duquel elle a été délivrée (art. 64).
Les décisions rapportées ont eu à déterminer quel est le
caractère du délit constitué par la violation de ces dispositions
légales, quelles sont les conditions d'incrimination ? La Cour
de Cassation, dans ses deux arrêts des 19 mai 1931 et 29 avril
1932, décide « qu'il n'y a pas lieu de rechercher s'il existe
une intention dolosive que le législateur n'a pas exigée et
quela »
nature de l'infraction ne comporte pas ; il n'est pas,
parsuite, nécessaire de rechercher si le prévenu a eu ou pu
avoir connaissance du contrat de travail violé et sa condam-
nationpeut être prononcée, soit que l'embauchage ait été fait
sur présentation de simples récépissés de demandes de cartes
ne portant aucune mention d'un tel contrat (affaire Ran-
gheard), soit même qu'il ait eu lieu alors qu'aucune carte
n'avait été établie (affaire Maître). « Il suffit », mais il faut,
« que celui qui emploie un étranger connaisse la qualité
a'étranger de ce dernier, pour qu'en l'employant avant l'expi-
ration du contrat de travail en vertu duquel il a été introduit
en France, il se rende passible des peines prévues par l'article
172, Code Travail, modifié par la loi du 11 août 1926, dès
lors qu'il ne se trouve pas dans un des trois cas d'exception
limitativement indiqués par l'article 64 b, précité ». L'infrac-
tion est constituée par l'embauchage d'un étranger lorsque ne
sont pas remplies les conditions légales (v. également, mais
moins net à raison des faits de l'espèce, Caen, 11 juin 1931).
L'arrêt du 23 juin 1933 en déduit qu'elle existerait même si
l'étranger embauché avait, au moment où il l'a été et depuis
quelque temps déjà, quitté, d'ailleurs avant l'expiration de son
contrat de travail, son premier patron, agriculteur, pour aller
travailler dans l'industrie. Il convient cependant dé noter que,
le 24 juin 1932, la Chambre criminelle a rendu un arrêt s'accor-
dant assez mal avec la jurisprudence qu'elle a établie et,
semble-t-il, malgré cet arrêt même, maintenue : la Cour de
Cassation, en effet, a approuvé la décision de relaxe d'un
patron qui avait accepté des ouvriers, amenés par des « recru-
teurs », alors que ces ouvriers n'étaient pas libres au sens de
l'article 64 et que même le patron savait qu'ils ne l'étaient pas;
la Cour paraît admettre une sorte de présomption d'ignorance,
contredite par les faits,et qui serait, existât-elle, sans effica-
;
cité elle relève que l'intéressé était resté étranger au débau-
chage, n'avait collaboré en aucune façon avec les agents de
recrutement, ce qui est d'importance nulle si c'est l'embau-
chage qui constitue le délit. Il ne faut voir là qu'une décision
d'espèce, à moins qu'on ne veuille, de manière un peu divina-
toire, il est vrai, y découvrir l'affirmation que le patron n'est
pas responsable de l'engagement irrégulier fait par des pré-
posés en admettant que l'embauchage était le fait de ces der-
niers. C'est précisément la seconde question.
15. — La détermination du sujet actif de l'infraction péna-
lement responsable peut faire difficulté. Il n'y a pas ici à
distinguer suivant qu'il s'agit de la prescription de l'article64
(supra, n° 13) ou de celle des articles 64 a, 64 b (supra; nb 14).
préposé; :
Il peut arriver d'abord que l'embauchage ait été fait par un
le tribunal correctionnel de la Seine, dans l'affaire
Delarge, décide « la doctrine etla jurisprudence sont d'aècord
pour admettre la responsabilité pénale directe des chefs de
service à l'exclusion de celle des patrons, mais à la double
condition que lesdits chefs de service soient dûment informés
de leurs obligations et qualifiés pour en assurer l'exécution»
(Cfr. Vidal et Magnol, op. cit., n" 438 bis, p. 528 et s.). La Cour
de Cassation, sans donner une formule générale précise, s'était
montrée plus sévère le 31 octobre 1929 (D. Hebd., 1930, 38) :
elle avait, se fondant sur ce qu'il était l'employeur, dirigeait
ses artistes et pouvait les refuser et les renvoyer, condamné le
directeur d'un casino pour lequel une agence dramatique avait
engagé des étrangers en situation irrégulière, quoique les salai-
res de ceux-ci fussent payés au moyen d'un prix forfaitaire
versé à l'agence et quoique le directeur ait spécifié dans son
contrat avec celle-ci l'obligation, pour elle, de s'assurer que les
:
artistes engagés étaient en règle avec les lois de police. Le
patron peut ensuite être une société contrairement à la solu-
tion généralement admise de l'irresponsabilité pénale des per-
sonnes morales (v. Vidal et Magnol, op. cit., n° 65-2, p. 78
et s.), la cour de Douai, le 7 décembre 1935, a prononcé le
relaxe de Giffart, administrateur-directeur de la Société Bala-
tum, en constatant que la fonction d'embauchage appartenait
à des agents subalternes, non à lui-même, et a condamné au
paiement de trois amendes de 16 francs « la Société Balatum
coupable d'avoir à Baisieux commis les trois infractions au
Code du Travail en employant trois ouvriers non munis d'une
carte d'identité portant la mention « travailleur».
16. — L'inobservation des dispositions de la loi du 11 août
1926 emporte aussi des sanctions civiles.
Le contrat de travail conclu contrairement à la loi est nul
de nullité absolue. C'est ce qu'ont affirmé, pour des étrangers
n'ayant pas la carte d'identité « travailleur », le tribunal de la.
Seine, le 28 novembre 1933, le tribunal de paix de Paris, le
27 janvier 1933, la cour de Rouen, le 16 juillet 1936. Le pre-
mier jugement en déduit qu'il est impossible d'accorder à
l'étranger employé une indemnité de résiliation, « un contrat
nul comme contraire à une loi d'ordre public ne pouvant pro-
duire aucun effet. Les deux autres décisions, partant de l'idée
que la responsabilité de la loi du 9 avril 1898 pour les accidents
du travail implique l'existence d'un louage de services, en con-
cluent que l'étranger en situation irrégulière, qui est victime
d'un accident du travail, et ses ayants droit ne peuvent se
prévaloir de la loi de 1898 pour obtenir une indemnité. Des
solutions identiques devraient certainement être données—
car le problème est le même — si les prescriptions inobservées
étaient celles des articles 64 a ou 64 b.
Mais, en pareil cas, le patron coupable pourrait, de plus,
être condamné à des dommages-intérêts, soit vis-à-vis du pre-
mier employeur, soit vis-à-vis de l'office de main-d'œuvre inté-
ressé. La faute pénale engage, en tout cas, la responsabilité de
son auteur. Mais d'autres difficultés ont été soulevées. Dans
l'affaire Maître, le second patron invoquait, comme cause
jurisprudence:
nales du travail, Darras, 1931, 642 et s., 648), l'a emporté en
elle est consacrée par la cour de Paris, dans
son arrêt du 9 janvier 1933, et par la Chambre des Requêtes le
27 février 1934 (v. aussi Riom, 24 décembre 1930, Clunet, 1932,
:
85, Darras, 1931, 140). Il semble que cette deuxième solution
soit la meilleure d'une part, un traité peut modifier une loi,
la convention de 1925, d'ailleurs ratifiée après approbation
parlementaire, pouvait donc apporter exception aux disposi-
tions de la loi de 1898 ; d'autre part, l'interprétation du traité,
d'après l'intention commune des Etats signataires et d'après
son texte même, conduisait à admettre que son but était préci-
sément d'instituer une telle exception.
19. — La cour de Nancy a eu à statuer sur la portée d'ap-
plication de la convention franco-polonaise du 3 septembre
1919 qui, dans son article 3, 28 alinéa, relève des restrictions
prévues par le dernier alinéa de l'article 3 de la loi du 9 avril
1898, « les travailleurs polonais, victimes d'accidents, ainsi
que leurs ayants droit ou leurs représentants ne résidant pas
ou ayant cessé de résider sur le territoire français » (D. )16
juin 1920, Niboyet et Goulé, Recueil de textes, I, p. 625). Un
;
ouvrier, à ce moment-là de nationalité russe, avait été, en 1914,
sur le territoire français, victime d'un accident du travail il
quittait la France en 1930 et le patron, condamné à une rente,
invoquait l'article 3 de la loi de 1898 pour se libérer définiti-
vement en versant un capital égal à trois fois la rente allouée
l'ouvrier, devenu Polonais lors de la constitution de l'Etat de
;
Pologne, entendait se prévaloir, en sens contraire, de la con-
vention du 3 septembre 1919. La question était bien, comme
l'indique la note dans la Revue Niboyet, de savoir si la jouis-
sance du droit conféré aux travailleurs polonais par la con-
vention devait être appréciée à la date de l'accident ou à celle
de la cessation de résidence en France. La cour d'appel se
prononce pour la première solution, la note pour la seconde.
Un tel problème ne peut sans doute être tranché qu'en se
demandant quelle est la raison d'être de la limitation apportée
par la loi de 1898 aux droits des étrangers. Si le législateur
s'est surtout préoccupé des difficultés de paiement d'une rente
à l'étranger, la date de la cessation de résidence est préférable.
Si le but était de réaliser une mesure de rétorsion, permettant
des négociations, vis-à-vis de certains pays connaissant des
restrictions analogues, on pourrait soutenir — sans que la
solution s'imposât — qu'il vaut mieux se reporter à la date
de l'accident.
Mais même en admettant qu'il en doive être ainsi, il fal-
lait se demander si ne devait pas alors intervenir l'article 15
de la convention en vertu duquel l'article 3 de celle-ci est appli-
cable « aux ouvriers de chacun des deux pays employés dans
l'autre antérieurement à la mise en vigueur de la présente
convention ». La cour de Nancy répond négativement: « cette
rétroactivité ne peut s'appliquer qu'aux seuls accidents sur-
venus depuis la reconstitution de l'Etat polonais, aux ouvriers
devenus sujets de cet Etat et non aux accidents survenus anté-
rieurement à cette reconstitution, alors que les ouvriers qui
en étaient victimes n'avaient pas encore acquis la nationalité
polonaise, le bénéfice de la convention du 3 septembre 1919 ne
pouvant être accordé qu'aux seuls ouvriers victimes d'acci-
dents du travail survenus depuis le jour où ils sont devenus
sujets polonais ». La solution paraît exacte, étant supposé
qu'il faille prendre en considération le jour de l'accident et
résulte du texte même qui parle des « ouvriers de chacun des
»
deux pays (v. contra, la note précitée).
C. — Droits privés
;;
Sre; Civ. rej., 30 juin 1932, Spilka, Clunet, 1933, 365, Dar-
ras, 1933, 475, S. 1932, 1. 293, D. H. 1932, 426 Req.,
30 janvier 1933, Montanaro, Clunet, 1934, 122 Paris,
26 décembre 1935, époux Martin, Lapradelle, 1936, 88 ;
D. H. 1936, 41 ; tr. Seine, 6 décembre 1933, Soc. Ed. Sala-
bert, Clunet, 1934, 906, Niboyet, 1934, 420 ; Tr. Le Havre,
24 mars 1933, Tissot, Darras, 1933,475).
20. — On connaît la double difficulté que soulève l'inter-
prétation du texte de l'article 11, Code Civil, d'après lequel un
étranger ne jouit en France que des droits civils accordés au
Français par traité dans son propre pays. Que faut-il, en pre-
?
mier lieu, entendre par droits civils En laissant de côté la
solution aujourd'hui complètement abandonnée de Demolombe
»
pour qui « droits civils étaient synonyme de « droits privés »,
deux systèmes s'opposent, celui d'Aubry et Rau (Cours de droit
civil français, t. I, 6e éd., par M. Bartin, § 78) qui distinguent,
par leur nature et leur caractère, les droits naturels et les
droits civils, celui de Weiss et de M. Niboyet (v. Manuel de'
droit international privé, 2e éd., nos 280 et s. ; note, S. 1923, 2.
41) qui ne classent dans les droits civils que les droits privés
expressément refusés à l'étranger par un texte légal. Le second
problème à résoudre est celui de savoir en quoi consiste la
:
réciprocité diplomatique, condition de jouissance des droits
civils suffit-il d'une égalité abstraite, d'une réciprocité géné-
rale ou faut-il une égalité pratique, une réciprocité de fait,
autrement dit est-il nécessaire que le droit invoqué par l'étran-
ger en France existe dans son pays de telle sorte que le Fran-
çais en jouisse en réalité ou suffit-il que le Français soit habi-
?
lité à en jouir s'il existe
A ces deux questions touchent de nombreux arrêts qui ont
pour objet la situation des étrangers quant aux droits conférés
aux locataires et aux propriétaires par la loi sur les loyers du
1er avril 1926 et quant aux droits découlant de la loi du 30 juin
1926 pour le preneur et le bailleur de locaux à usage commer-
cial ou industriel. Mais, dans ces lois, il y a des dispositions
étrangers:
spéciales précisant, quant aux droits créés, la condition des
pour le droit à prorogation des baux à loyer de
locaux d'habitation, l'article 4, 1° L. 1" avril 1926, ne
l'accorde qu'à certaines catégories d'étrangers limitativement
énumérés « sous réserve des conventions diplomatiques exis-
tant av. jour de la promulgation de la présente loi », tandis que
les articles 5 et
propriétaires français ;
21 ne donnent le droit de reprise qu'aux
l'article 19, 1. 30 juin 1926, modifié
par .l'article 11, L. 22 avril 1927, réserve les droits à
« propriété commerciale » et le droit de reprise aux étrangers
qui remplissent certaines conditions, ne les. concède aux autres
que s'il existe dans leur pays, au profit des Français, une légis-
lation analogue réglementant la propriété commerciale.
L'intervention de ces textes rend difficile, de déterminer
avec certitude la position prise par les tribunaux sur la pre-
mière des controverses relatives à l'article 11. La formule
devenue à peu près de style dans les décisions de la Cour de
Cassation est celle de sa Chambre civile, dans son arrêt du
22 décembre 1931 : « les termes catégoriques et absolus de ce
»
texte (art. 19, 1er al., L. 30 juin 1926) « expriment clairement
la volonté, d'ailleurs maintes fois manifestée au cours des
débats parlementaires, de créer au profit des seuls Français
un nouveau droit civil dont les étrangers, même appartenant
à un pays lié à la France par un traité d'établissement, ne
puissent bénéficier que sous la condition, généralement posée
par l'article 11, Code Civil, de l'existence dans ce pays d'un
»
droit analogue au profit des Français (v. aussi Req., 8 février
1932 ; Civ. rej., 24 février 1932 ; Req., 3 janvier 1933, qui
substitue l'expression « nouveau droit exceptionnel »
termes « nouveau droit civil ». Rappr. Civ. rej., 30 juin 1932
aux
et cfr. déjà Paris, 2 juillet 1928, Clunet, 1929, 390. Aj. Tr. Le
Havre, 24 mars 1933). Un tel considérant s'appuie, en effet,
pour reconnaître à la propriété commerciale la nature de droit
civil sur le texte de la loi et l'intention du législateur, non pas
sur le caractère exceptionnel de ce droit, sur ce fait qu'il est
particulier à l'ordre juridique français ou même à quelques
ordres juridiques nationaux. Mais, bien évidemment, une telle
recherche est inutile quand la loi même fournit la réponse et
le fait de rattacher la solution légale au concept de « droit
»
civil de l'article 11 prend toute sa signification si l'on
rapproche de l'arrêt les conclusions du Procureur Général
Matter : celui-ci, rappelant (v. Clunet, 1932, p. 699 et s., Darras,
1932, p. 100 et s., S. 1932, 1, p. 265 et s.) la distinction faite
par le droit romain et notre ancienne jurisprudence entre les
jura gentium et les jura civium, cite ensuite le passage même
où Aubry et Rau exposent leur système et déclare : « Cette
distinction entre les droits civils stricto sensu et les droits des
;
gens a été adoptée par notre jurisprudence », puis, quelques
lignes plus loin, « telle est la jurisprudence elle est actuelle-
»
ment bien fixée (rappr. les conclusions de M. Picard, sous
Seine, 29 mars 1933 : « d'après l'article 11, les droits civils
stricto sensu, c'est-à-dire, dans l'opinion la plus courante, ce
qui est la création positive de telle ou telle législation (la légis-
lation française en France) sont réservés aux seuls natio-
naux », Clullet, 1933,953).
La coïncidence des solutions jurisprudentielles et de la
théorie d'Aubry et Rau est encore coniirmée, quoique la rédac-
tion des motifs ne soit pas toujours rigoureusement exacte,
par les décisions qui ont reconnu sans condition aux étrangers
la jouissance de certains droits privés parce que ceux-ci cons-
tituaient des droits naturels. Il faut citer, ici, quoique échap-
pant par sa date à cette chronique, l'arrêt de la cour de Paris
du 10 février 1928 (Clunet, 1928, 961) sur le droit reconnu aux
:
jugement du tribunal de la Seine, en date du 6 décembre 1933,
est dans le même sens « Attendu », dit-il, « que la propriété
des œuvres littéraires, musicales et artistiques dérivant du
:
naturel, précisément parce qu'il s'agit d'un droit de cette
nature ce n'est pas l'absence de restrictions qui constitue le
droit naturel.
22. — La réciprocité diplomatique exigée par l'article 11,
Code Civil, pour la concession des droits civils aux étrangers,
est traditionnellement définie comme uné réciprocité de fait,
comme une égalité pratique. Les arrêts de la Cour suprême,
en matière de propriété commerciale (supra, n° 21), confir-
ment cette solution en parlant de « la condition, généralement
posée par l'article 11, Code Civil, de l'existence dans ce pays
d'un droit analogue au profit des Français
Havre, 24 mars 1933).
»(aj. trib. Le
Français;
(à tort) que Jones n'avait eu à aucun moment la qualité de
il en avait conclu, conformément à une jurispru-
dence peu contestée, qu' « il ne pouvait invoquer le bénéfice de
l'hypothèque légale, droit civil stricto sensu, devant à ce titre
être, en principe, refusé aux étrangers ». La cour constate, la
répudiation de nationalité n'étant pas rétroactive, que Jones
;
Il faut être Français pour avoir la jouissance du droit d'hypo-
thèque légale en l'espèce, et la qualité de Français ayant été
conservée jusqu'à la fin de la tutelle, il suffit de l'être à l'ouver-
ture de celle-ci, même si on ne l'est plus au moment de
l'inscription.
La solution paraît exacte (v. contra, note J. P.) : l'inscrip-
;
tion n'est pas, endroit français, constitutive du droit d'hypo-
thèque
;
elle n'est qu'une condition d'opposabilité aux tiers,
une formalité nécessaire à l'exercice du droit nous ne pen-
sons pas qu'on puisse parler d'un droit à l'inscription distinct
;;
du droit à hypothèque et dont la jouissance exigerait la qualité
de Français le premier droit découle du second et existe si le
second existe dans l'affaire Jones, la perte étant survenue
après la majorité, l'intéressé pouvait se prévaloir de l'hypo-
thèque de façon complète, finscription pouvait être prise à
une date quelconque, ses effets étant réglés par l'article 8 de
la loi du 23 mars 1855. Il est plus difficile de dire ce qui devrait
:
se passer si la perte de la nationalité française intervenait
avant la majorité l'arrêt, en parlant de droit acquis à l'ouver-
;
ture de la tutelle, pourrait être interprété dans ce sens, que
cette perte ne devrait pas être prise en considération une telle
;
interprétation serait sans doute tendancieuse et on pourrait
douter, en tout cas, de cette solution l'hypothèque légale du
mineur, comme toute hypothèque, est un droit réel accessoire ;
ne faut-il pas en conclure que la perte de la qualité de Français
fait disparaître la garantie de l'hypothèque légale pour les
créances du mineur nées postérieurement ?
(Civ. cass., 13 mars 1933, Dme Bradford, Clunet, 1933, 639,
Niboyet, 1934, 718; S. 1933, 1. 150; D. H. 1933, 252;
Besançon, 10 avril 1933, Bozzino, D. 1934, 2. 89, note Nast ;
Trib. Seine, 11 mai 1933, Mondet, Clunet, 1933-970, Ni-
boyet, 1934, 129 ; Pau, 19 mars 1934, Labedan, Niboyet,
1935, 464, Lapradelle, 1935, 559 ; Paris, 21 mai 1935, Dme
Hoffmann, Lapradelle, 1935, 322 ; Paris, 28 octobre 1935,
Armand, Clunet, 1937, 93 ; Civ. rej., 4 déc. 1935, Kirke
Paulding, Clunet, 1936, 862, Niboyet, 1937, 189, S. 1936, 1.
95 ; Cons. d'Etat, 21 janvier 1933, Niboyet, 1935, 396.)
;:
domicile apparaît comme générale, universelle, à raison même
de son utilité elle ne fait d'ailleurs que traduire une consta-
tation de fait le lien existant entre chaque individu et un lieu
déterminé auquel il est rattaché par ses affections de famille,
par son travail, par ses intérêts, par l'habitude. Le droit au
domicile entre donc dans la catégorie des droits des gens. Mais
on sait que la jurisprudence, se fondant surtout sur l'article 13
du CodeCivil, avait cependant décidé que si l'étranger
ordinaire pouvait avoir, en France, un « domicile de fait », seul
l'étranger admis à domicile par décret conformément à ce
texte, pouvait y être « domicilié de droit». La loi du 10 août
1927 (art. 13) ayant abrogé l'article 13 Code Civil et ainsi
supprimé l'admission à domicile, la raison qui avait été déter-
minante pour les tribunaux disparaissait et on pouvait pro-
poser et prévoir un revirement de jurisprudence. Celui-ci
semble aujourd'hui à peu près complètement réalisé.
25. — En premier lieu les définitions et les règles de
détermination du domicile contenues dans les articles 102 et
suivants du Code Civil paraissent désormais être appliquées,
sans hésitation, au domicile de l'étranger.
D'assez nombreux arrêts, ayant à statuer sur la compé-
tence des tribunaux français (v. infra,nos 27 et s.) relèvent que
l'étranger, partie au procès, qui oppose l'exception d'incom-
pétence, a son domicile en France parce que ayant en France
son principal établissement. La cour de Paris déclare très
nettement le 21 mai 1935 : « .à raison de l'abrogation par la
loi du 10 août 1927 de l'ancien article 13, Code Civil, qui subor-
donnait à une autorisation concédée par décret la fixation d'un
domicile en France d'un étranger, qui fût susceptible de pro-
duire des effets de droit il échet d'admettre. que dame
Rousel-Hoadley possédant, d'après les éléments de la cause,
sur notre territoire, un domicile au sens de l'article 102 Code
Civil. ». Et l'arrêt du 28 octobre 1935, s'agissant également
d'un étranger, rappelle que « la notion du domicile en droit
français n'est fondée qu'accessoirement sur le séjour, qu'elle
repose essentiellement sur la détermination du lieu du prin-
cipal établissement et du centre des affaires de l'intéressé»
(cfr. Planiol, Ripert et Savatier, Traité pratique de droit civil
français, t. I, Les personnes, n° 162), pour en déduire qu'une
très longue résidence en France n'y avait pas fait acquérir un
domicile au de cujus. (Rappr. Cass. civ., 4 décembre 1935 :
« Paris est devenu le centre de ses intérêts et de ses occupa-
tionset. il y possède son principal établissement»). Dans
son arrêt du 13 mars 1933, la Chambre Civile de la Cour de
Cassation, ayant à décider si un sujet américain était domi-
cilié à Paris ou à Cannes fait jouer, comme allant de soi, les
solutions habituelles pour le changement de domicile d'un
Français et « à défaut de la double déclaration de l'article 104
du Code Civil », observe que les constatations souveraines des
juges du fait « font ressortir que Bradford est venu habiter
Cannes, avec l'intention de s'y fixer, qu'elles répondent au
vœu des articles 103 et 105. »
Des décisions de portée identique ont été d'ailleurs ren-
dues en matière. de domicile légal ou de dépendance. Le tribu-
nal de la Seine, le 27 avril 1933, très nettement, mais en voyant
là, à tort selon nous, une question de qualification, a décidé
que « le domicile légal d'une femme mariée » de nationalité
américaine « ne saurait être que celui de son mari », Polonais,
« aux termes de l'article 108, alinéa 1er, du Code Civil » et la
Cour de Cassation a, de façon un peu implicite, donné la même
solution dans son arrêt du 4 décembre 1935 (Aj. Paris, 22 octo-
bre 1931, Clunet, 1932, 927). Or, d'après la jurisprudence anté-
rieure, l'application de l'article 109, Code Civil, sur le domicile
;
Trib. comm. Dunkerque, 19 mars 1934,
Heslip, Clunet, 1935, 334 Seine, 16 juin 1936, Truyens,
Clunet, 1937, 279, Lapradelle, 1936, 761 ; Paris, 10 décem-
bre 1935, Universal Assurance Cy, Lapradelle, 1936, 99 ;
Paris, 23 mars 1936, Soc. Gamba, Clunet, 1937, 507 ; Paris,
20 juillet 1936, Banco de Seguros, Clunet, 1937,516 ; Seine,
1" décembre 1932, de Colloredo-Mansfeld, Clunet, 1933, 83,
:
en France, en particulier quand il s'agit d'une saisie-arrêt
réalisée sur le territoire français c'est la solution que donne
la cour de Paris, le 13 décembre 1933, confirmant celle du
tribunal de la Seine du 30 octobre 1930 (Clunet, 1931, 650) ;
les deux juridictions se refusent d'ailleurs à connaître du
fond du droit, de l'existence et du montant de la créance,
« s'agissant d'une contestation entre étrangers, née d'un con-
trat passé à l'étranger, alors surtout qu'une juridiction étran-
»
gère avait été saisie de ce différend ; elles surseoient, jusqu'à
la décision de celle-ci, à statuer sur la validité des saisies-
arrêts (cfr. les critiques de M. Perroud, Clunet, 1931, 652). La
compétence des juridictions françaises peut encore être fondée
sur la présence d'un Français au procès (ou sur celle d'un
étranger ayant la jouissance du droit d'ester en justice). Si,
par exemple, le demandeur étranger a en face de lui deux
défendeurs, l'un Français, l'autre étranger, l'article 59, deuxiè-
me alinéa, Code de Procédure Civile, donnera au tribunal, saisi
;
de l'action contre le Français, le droit de statuer sur le litige
entre les deux étrangers mais il faut que les deux actions
ainsi liées présentent une connexité suffisante, qu'elles ne
soient pas tout à fait indépendantes l'une de l'autre (v. admet-
tant l'existence d'une telle connexité, Paris, 20 juillet 1936, la
déniant, Paris, 10 décembre 1935, Paris, 23 mars 1936). La
même raison de compétence peut enfin être invoquée, depuis
la loi du 26 novembre 1923 (art. 2, C. Proc. Civ.), quand un
délit ou un quasi-délit a été commis en France et que la victime
agit en réparation du dommage (v. trib. com. DunHerque,
19 mars 1934 ; trib. Seine, 16 juin 1936).
Dans ce cas d'ailleurs, avant la loi sus indiquée, les tribu-
naux français admettaient déjà qu'ils étaient compétents, les
faits de la cause intéressant l'ordre public français * on
retrouve trace de cette argumentation dans le jugement du
tribunal de la Seine.
29. — Les indications — d'ailleurs incomplètes — du pré-
cédent numéro montrent que les cas sont nombreux où, malgré
»
le caractère « civil du droit d'ester en justice, les tribunaux
français se considèrent comme obligatoirement compétents
pour les litiges entre étrangers. Il n'en reste pas moins qu'il y a
:
des contestations pour lesquelles cette compétence obligatoire
n'existe pas ce sont, en particulier, — mais non pas exclu-
sivement — les conflits en matière de questions d'état :
demandes en nullité de mariage, demande en divorce ou en
séparation de corps, par exemple. Le tribunal de la Seine,
dans son jugement du 1er décembre 1932, a essayé de restrein-
:
dre, même en pareille matière, l'incompétence des juridictions
françaises leprince de Colloredo-Mansfeld voulant interdire
à son ancienne femme, après divorce, de continuer à porter
son nom, le tribunal a vu, dans ce problème du nom, un effet
non du divorce, prononcé en Tchéco-Slovaquie, mais du
mariage, célébré en France et en a conclu « qu'un acte de l'état
.,civil reçu en France étant en question, des étrangers peuvent
s'adresser aux tribunaux de ce pays pour en faire déterminer
la portée et les effets ». Une telle solution est presque certai-
nement inexacte (v. cependant les conclusions de M. Picard,
Clunet, 1933, p. 89-90) : on ne voit pas pourquoi la simple
intervention au mariage de l'officier de l'état civil français,
même représentant l'Etat, suffirait pour donner à celui-ci,
donc à ses juges, un droit de regard « sur les litiges qui vien-
dront par la suite mettre en question ce qui a été », dit-on
— mais à tort, — « décidé dans cet acte» et il est, de plus, fort
douteux que le droit au nom de la femme divorcée soit un effet
du mariage plutôt que du divorce. L'incompétence subsiste,
en principe, pour les actions d'état, même lorsque le mariage
a été célébré en France.
30. — Seulement cette incompétence, toutes les fois qu'elle
existe, présente un caractère qui, dans la pratique, en atténue
l'application ; elle subit, en outre, une limitation importante.
« L'incompétence résultant de l'article 11. est relative»
rappelle le tribunal de la Seine, le 31 octobre 1935, et la cour
de Paris avait dit, le 13 décembre 1933 : « .si les tribunaux.
français peuvent statuer dans certains cas sur les contestations-
nées entre étrangers à l'occasion de contrats passés à l'étran-
ger, cette compétence est purement facultative, aussi bien à
l'égard des parties qui peuvent l'exclure, qu'à l'égard des juges-
qui, même en l'absence de déclinatoire, peuvent refuser de
connaître du procès ». Les parties peuvent donc, expressément
;
ou tacitement, renoncer à se prévaloir de l'incompétence des
tribunaux français résultant de leur extranéité elles doivent,
dès lors, sous peine d'irrecevabilité, l'invoquer in limine litis
(v. Seine, 1" décembre 1932, Lyon, 26 mars 1934) et on admet
actuellement, de façon très générale, que, dans un procès en
divorce, elles doivent le faire « à l'audience de conciliation
devant le président du tribunal civil, qui doit statuer sur cette
exception » (tr. Seine, 7 mars 1936. V. également tr. Seine,
:
27 avril 1933). Même si les parties consentent à comparaître,
les tribunaux peuvent, d'office, se refuser à juger «
tribunal ne saurait être tenu de statuer en matière personnelle
ce
et mobilière sur un différend existant entre deux étrangers
non admis à domicile, même si l'exception d'extranéité n'est
pas soulevée par le défendeur, libre de juger, comme en
l'espèce, son intervention inopportune» (trib. com. Seine, 15
novembre 1928, confirmé par la cour de Paris, le 11 décembre
1930. Aj. motifs, Seine, 31 octobre 1935).
La nécessité d'éviter un déni de justice exclut d'ailleurs
:
l'incompétence que fonderait la qualité d'étrangers des parties
au procès « les étrangers établis en France sont, quelle que
soit leur nationalité, justiciables des tribunaux français, lors-
qu'il est reconnu qu'aucun tribunal de leur pays d'origine ne
peut être saisi de leur contestation parce qu'ils n'y ont pas de
»
domicile certain (Paris, 22 octobre 1931. V. également, Paris, -
22 mai 1931, Seine, 21 juillet 1932 et 27 avril 1933 ; trib. com.
Seine, 21 janv. 1935). Faute d'un autre tribunal étranger
capable de trancher le litige, le domicile en France, le simple
domicile de fait avant la loi du 10 août1927 (supra, nO" 24 et
s.), rend la compétence du tribunal français obligatoire pour
les parties et peut-être, quoique ceci soit moins sûr, pour les
tribunaux. (En fait, en pareil cas, ceux-ci se déclarent toujours
compétents.) Le système jurisprudentiel se rapproche ainsi
de plus en plus du système contraire qui admet la compétence
dés juridictions françaises toutes les fois que, d'après les règles
normales de compétence, un tribunal français pourrait être
saisi de l'affaire si celle-ci existait entre deux Français. Une
différence subsiste encore, et qui compte : le tribunal français
ne statue — même lorsqu'il devrait le faire pour un procès
;
entre deux Français — que s'il n'y a pas de tribunal étranger
qui puisse résoudre le litige il a donc à se préoccuper des
règles étrangères de compétence ; sa propre compétence basée
sur l'idée de déni de justice est subsidiaire.
31. — Les solutions jurisprudentielles, qu'on vient de
rappeler en analysant la jurisprudence récente, démontrent
quelque incohérence. Partis de l'idée fausse que le droit d'ester
en justice était un droit civil, les tribunaux ont, des règles de
compétence interne transformées en règles de compétence
internationale, déduit une sorte de concession implicite au
profit de l'étranger de la jouissance de ce droit dans le domaine
de ces règles. La déduction est inexacte car il y a des étrangers
qui ont incontestablement l'accès aux tribunaux français, soit
que celui-ci leur soit directement accordé par un traité, soit
qu'ils puissent se prévaloir à ce sujet de la réciprocité diplo-
:
matique, soit qu'avant la loi du 10 août 1927 ils aient été admis
à domicile la réglementation de l'exercice du droit d'ester en
justice, même supposée applicable aux étrangers, ne saurait
donc en valoir nécessairement concession aux étrangers ordi-
naires. Il n'y a eu là qu'un procédé, de valeur théorique médio-
cre ou nulle, en vue d'un résultat pratique équitable.
Mais le jeu de ce procédé — qui logiquement eût dû
emporter la règle — a été limité par les solutions admises en
matière de domicile des étrangers en France (v. supra, n° 24),.
:
d'ester en justice. Dans son jugement du 1er décembre 1932, le
tribunal de la Seine a dit déjà « le tribunal de Prague, devant
»
lequel elle (la défenderesse) « demande à être renvoyée, ne
serait pas compétent pour statuer, en vertu du principe général
actor sequitur forum rei. » ; « si cette juridiction le faisait
:
cependant, sa décision, rendue en violation de l'article 59 de
procès qui leur est soumis. » (V. dans le même sens les conclu-
sions de M. Picard, Clunet, 1933, p. 93-94.) Il y a, dans un tel
:
raisonnement, une confusion du problème de la condition des
étrangers et de celui du conflit de juridictions si les tribunaux
français sont incompétents parce qu'il s'agit d'étrangers, ils
:
doivent accepter la compétence des juridictions étrangères,
même si n'est pas observée la règle actor sequitur forum rei,
et quoique cela revienne peut-être à admettre une règle spéciale
de compétence internationale pour les procès entre étrangers.
Mais cette confusion est sur la ligne de la jurisprudence telle
que nous l'avons comprise, elle n'en est qu'un développement
logique. De façon un peu implicite, par un détour, en quelque
sorte, le jugement cité affirme que le domicile en France de
l'étranger suffit pour attribuer juridiction aux tribunaux fran-
çais. C'est ce que décident simplement, directement, et l'arrêt
de la cour de Paris du 21 mai 1935, et celui de la Chambre
civile de la Cour de Cassation, du 4 décembre 1935. Si cette
solution se généralise, comme il est probable, l'incapacité de
jouissance des étrangers quant au droit d'ester en justice aura
disparu du droit positif français.
(Seine, 28 mars 1933, Ass., Clunet, 1933, 945 ; Seine, 27 décem-
bre 1933, République de Chine, Clunet, 1934, 615, Niboyet,
1934, 901 ; Seine, 17 avril 1934, Société Van Emden Gold
Mines, Niboyet, 1934, 729 ; Seine, 12 novembre 1931, Clunet,
1932, 428 ; Paris, 8 juin 1935, d'Oldenbourg, Clunet, 1936,
920 ; Req., 20 janvier 1936, Ch. de fer, Porto-Rico, Clunet,
1937, 81, Niboyet, 1936, 683, Lapradelle, 1936, 292, S. 1936,
1. 127 ; Conseil préfecture Seine, Alfasloza, 13 mai 1932,
Clunet, 1933,632 ; Seine, 16 janvier 1934, Société Henry,
Niboyet, 1935, 112, Lapradelle, 1934, 603, Clunet, 1934,
1177, Sre ; Cass. crim., 28 novembre 1931, Gougis, Clunet,
1932, 924, Darras, 1932, 115, S. 1933, 1. 75 ; Cass. crim.,
24 mars 1933, Hamon, Darras, 1933, 492 ; Trib. corr. Seine,
24 décembre 1935, Kruska, Lapradelle, 1936, 771, Clunet,
:
la Seine, en date du 5 février 1935, a trait à la situation de
;
l'étranger en appel en l'espèce, demandeur en première ins-
tance, un Américain était intimé en appel « il ne fait plus que
se défendre devant la prétention de son adversaire de faire
réformer la décision des premiers juges et n'est plus un deman-
deur dans le sens usuel et pratique de ce mot », il ne doit donc
pas fournir caution. La solution semble exacte et conforme
à la jurisprudence actuellement dominante de la cour de Paris
qui admet, de plus en plus souvent, l'indépendance des deux
:
instances au point de vue qui nous occupe. Mais le tribunal
ajoute
en cause
« le Français
d'appel la
ne
cautio
peut demander
judicatum
pour
solvi que
la première
s'il a été
fois
défen-
deur en première instance et est intimé devant la juridiction
du second degré », liant, au contraire, les deux instances lors-
que le Français a pris l'initiative du procès. Il y a là une con-
tradiction qu'on retrouve d'ailleurs dans un assez grand
nombre de décisions (v. Philonenko, La caution judicaturri
solvi en droit français moderne, Clunet, 1929, p. 609, 896, spé-
cialement, p. 911 et s.).
::
se prévalant d'une convention (infra, n° 36) entrée en vigueur
après le dépôt des conclusions au fond invoquant l'article 166,
Code Procédure Civile, la Cour déclare « Dès que des
conclusions ont été échangées sur ce terrain, aucune entrave
ne saurait, du fait de la dite exception, êtreapportée désormais
;
à l'exercice du droit du demandeur ou de l'appelant de pour-
suivre l'instance dont il a eu l'initiative une situation de droit
acquise existe à son profit, conforme à la législation existant
lorsqu'elle a été réalisée et qui a seule compétence pour le régir
en l'absence de toute disposition expresse rétroactive de la
nouvelle législation ».
35. — La caution doit être demandée sous forme d'excep-
tion ; elle doit l'être in limine litis et même, d'après l'arti-
cle 166, Code Procédure civile, « avant toute exception »
(aj. art. 173 et 192 C. Proc. civ., modifiés par D.-L. du 30 octo-
bre 1935). L'exception de caution n'est donc plus recevable si
le défendeur a précédemment conclu au fond (Seine, 22 avril
1932). Dans son jugement du 18 avril 1934, confirmé par la
:
cour de Paris le 3 janvier 1936, le tribunal de la Seine a
appliqué cette règle de façon très rigoureuse Bauer, Marchai
et Cie qui avaient fait sommation à leur adversaire, le Conseil
de la Dette publique ottomane, d'avoir à justifier de sa qualité
;
tion de caution, sont considérées comme rendant cette dernière
désormais impossible ces conclusions visent, en effet, à obte-
nir des justifications non seulement sur la nationalité du
Conseil, ce qui est un renseignement indispensable pour appré-
cier si la caution est due ou non, mais encore sur la qualité
du Conseil pour ester en justice, ce qui constitue « le préli-
»
minaire d'une défense au fond et est « sans aucune relation
avec l'exception de caution judicatum solvi ». La solution est
bien formaliste et peut-être inexacte car, comme le fait obser-
ver la note au Clunet (1934, 617), la question de la personnalité
juridique du Conseil était préalable à celle de sa nationalité.
La cour de Paris invoque, en outre, le décret-loi du 30 octobre
1935 rétroactivement applicable comme loi de procédure :
mais la rétroactivité d'une telle loi ne saurait toucher aux actes
antérieurement accomplis, le décret-loi décide lui-même (art.
10) qu'il entrera en vigueur le 1er décembre 1935 « et s'appli-
quera à tous les procès qui seront intentés depuis cette
époque », il n'ajoute rien enfin sur le point précis en question
aux solutions jurisprudentielles antérieures (v. la note Morel,
Niboyet, 1936, 680).
:
à la caution judicatum solvi et à l'assistance judiciaire n'est
pas encore ratifiée v. Niboyet, 1937, 253, Lapradelle, 1937,.
447) ; elle l'a même été aux Autrichiens (trib. com. Marseille*
22 janvier 1931) mais par ignorance des conventions du 4 mars
1925 et 16 mai 1928 (Niboyet et Goulé, Recueil des textes, I,
p. 368, II, p. 621. V. Req., 5 février 1936, Clunet, 1937, 82,
Sre). En ont été dispensés, par contre, les Espagnols par
application du traité du 7 janvier 1862 (Agen, 3 juin 1935),
ou de la convention de La Haye du 17 juillet 1905 (Agen,
3 juin 1935, Cons. préfect. Seine, 13 mai 1932), les Hongrois,
en vertu de la convention du 7 avril 1933 (trib. corr. Seine,
24 décembre 1935), les Allemands, par le jeu de la convention
du 17 août 1927 et, peut-être à tort, malgré la dénonciation de
cette convention, — considérée comme demeurée sans effet —
le 19 janvier 1934 (trib. com. Marseille, 16 novembre 1934.
V. add. à art. 1, Conv. commerce, navigation, établissement du
28 juillet 1934, D. 29 juillet, Niboyet, 1935,195).
Pour certains de ces traités, la question s'est posée de
savoir si les tribunaux, dans l'application qu'ils en faisaient
à la question de la caution judicatum solvi, ne devaient pas
tenir compte de l'interprétation gouvernementale qui en avait
été donnée au sujet des lois sur les loyers et la propriété com-
merciale (v. Maury, Règles générales des conflits de lois, n° 109,
Recueil des Cours de l'Académie de droit international, 1936,
t. III, p. 445 et s.). La cour de Besançon, le 13 janvier 1933,
a écarté l'interprétation de la convention franco-anglaise du
28 février 1882 par le Ministère des Affaires Etrangères (1929)
parce qu'il s'y agissait uniquement et exclusivement de régler
les rapports en Angleterre eten France entrebailleurs et loca-
taires (cfr. Req., 20 janvier 1936 et la note dans la Revue
Niboyet. Rapp. pour la Convention franco-américaine du
23 février 1853, Paris, 2 mars 1937, Niboyet, 1937, 671).
La cour d'appel de Colmar, le 9 novembre 1935, celle
de Paris, le 4 mai 1936, le tribunal de la Seine, le 27 février
1936, ont jugé que l'interprétation bilatérale de la même con-
vention, promulguée par décret du 16 juin 1933, avait une
:
portée générale et en ont déduit, pour les Anglais,la dispense
de caution l'exposé des motifs du projet de loi portant appro-
bation de la convention franco-anglaise du 15 avril 1936
considère cette solution comme constante (v. Lapradelle, 1937,
448).
Quant à l'arrangement de Genève du 30 juin 1928 relatif
là
:au statut des réfugiés, il suffit de renvoyer ce qui en a déjà
été dit, suprau n° 11 : il ne dispense pas de la caution judica-
tum solvi. Mais l'article 6 de la convention du 28 octobre1933
exempte fortmellement les réfugiés de cette caution et la cour
d'appel de Paris a même admis, dans son arrêt du 25 mars
1937 — sans doute, à tort, d'ailleurs — que cet article donnant
aux réfugiés, au point de vue du libre et facile accès en justice,
les « mêmes droits et privilèges que les nationaux », les réfu-
giés peuvent désormais exiger la caution judicatum solvi des
étrangers qui les actionnent.
On doit enfin mentionner ici le jugement du tribunal de
commerce de Saint-Etienne, en date du 17 janvier 1936 ; consi-
dérant uniquement la convention de La Haye du 17 juillet 1905
et paraissant ignorer le traité franco-italien du 3 juin 1930,
cette décision a obligé un Italien à fournir caution parce que,
en droit, « dans tout traité international, la condition résolu-
toire est toujours sous-entendue pour le cas où les conditions
essentielles du traité ne pourraient plus être exécutées par
»
l'une des parties contractantes et parce que, en fait, à raison
des sanctions édictées par la Société des Nations contre l'Italie,
celle-ci avait interdit l'exportation des capitaux, rendant im-
possible, pour un Français, la récupération des sommes qui lui
seraient dues par un Italien. Même en admettant cette impos-
sibilité, il n'appartient certainement pas aux tribunaux de se
:
préoccuper de l'observation, par les Etats-étrangers cocontrac-
tants, des traités qu'ils appliquent c'est là affaire gouverne-
mentale. C'est ce qu'a très justement décidé, le 4 mai 1936, la
cour de Paris à qui l'on demandait d'examiner si la Grande-
Bretagne se conformait ou non aux accords d'interprétation du
traité de 1882. (Rappr. Trib. fédéral suisse, 8 novembre 1935,
-Clunet, 1936, 70 ; Rechtbank de Ruremond, 23 novembre 1933,
Niboyet, 1935, 737.)
37. — Les dispositions des lois du 1" avril 1926 sur les
loyers et du 30 juin 1926 sur la propriété commerciale qui ont
pour objet de préciser la condition juridique des étrangers ont
déjà été indiquées (supra, n° 20). On sait que les étrangers ne
jouissent des droits créés par ces lois que s'ils rentrent dans
certaines catégories, remplissent certaines conditions, et la
Cour de Cassation a décidé, conformément au texte même de
l'article 19 de la loi du 30 juin 1926, qu'il ne suffisait pas
d'avoir servi pendant la guerre dans les armées alliées, qu'il
fallait y avoir combattu pour pouvoir bénéficier de cette loi
(Req., 21 mars 1933). La qualité de Français est, en principe,
nécessaire. Mais on ne peut reprocher à un arrêt d'avoir
reconnu le droit de reprise au propriétaire d'un immeuble loué
commercialement sans préciser qu'il était de nationalité fran-
çaise car l'article 19 de la loi du 30 juin 1926 « n'a pu avoir
pour effet d'exiger des citoyens français, en l'absence de toute
contestation sur leur nationalité, une justification de leur droit
à se prévaloir d'une disposition de la législation française »
(Req., 21 octobre 1936). Le fait que le preneur, étranger
n'ayant pas droit à la propriété commerciale, a cédé son fond
et son bail à un Français, ne fait pas obstacle à ce que celui-ci
utilise la loi du 30 juin 1926 lorsque la vente est réelle et
que rien ne permet de déceler une fraude (Dijon, 10 juin 1932).
Que faut-il décider quand, le bien loué étant indivis, un des
copropriétaires est étranger? La Chambre des Requêtes a
admis, le 8 février 1932, que, les trois communistes poursui-
vant « un but commun et indivisible », « le propriétaire était
fondé à opposer la fin de non-recevoir que la loi lui réservait
oontre l'un des communistes » ; au contraire, la Commission
supérieure de Cassation des loyers, le 6 avril 1933, a décidé que
« la dame Anspach trouvait, dans sa qualité même de proprié-
taire de nationalité française, le droit de reprendre l'immeuble
du moment qu'elle agissait avec le consentement de son copro-
priétaire, même si celui-ci était de nationalité étrangère ». La
:
question est délicate, mais il semble que la deuxième solution
soit préférable la loi du 30 juin 1926, article 19, n'exige pas,
de façon formelle, que tous les locateurs ou bailleurs soient de
nationalité française et il est difficile d'enlever ses droits à un
Français parce qu'un étranger pourra peut-être bénéficier seul
finalement de leur exercice (v. note J. P. N., Revue: Niboyet,
p.108-109).
38. — L'application de la législation spéciale dont il est ici
question a surtout soulevé des difficultés lorsqu'il s'est agi de
savoir si, et dans quelle mesure, l'incapacité de jouissance des
étrangers était supprimée par des traités.
L'interprétation purement judiciaire des conventions
internationales a été, de façon très générale, défavorable aux
étrangers. On a déjà dit (supl'a, n° 21) que les traités d'établis-
sement ont été considérés comme laissant subsister la condi-
tion générale (art. 11, C. civ.) de réciprocité effective, laquelle
n'était à peu près jamais réalisée. Quant aux clauses de cer-
tains traités concédant directement certains droits aux natio-
:
naux de l'Etat cocontractant, elles ont été comprises de façon
restrictive par exemple, l'article 1 de la convention franco-
espagnole du 7 janvier 1862 stipulant que « les sujets des deux
pays pourront. acquérir et posséder toutes espèces de biens
meubles ou immeubles, exercer toute espèce d'industrie, faire
le commerce tant en gros qu'en détail, louer les maisons, bou-
tiques et magasins qui leur seront nécessaires. en observant,
dans tous les cas, les conditions établies par les lois et règle-
ments en vigueur pour les nationaux », la Cour de Cassation
a décidé que « cette disposition. implique. non que les res-
sortissants de chaque pays contractant jouiront, sur le terri-
toire de l'autre, de tous les droits dont jouissent les nationaux,
mais simplement que les aptitudes qui leur sont reconnues,
et qui ne relèvent que du droit des gens, seront, sous la réserve
exprimée, exercées par les Espagnols en France dans les
mêmes conditions que par les Français en Espagne »
rej., 22 décembre 1931 et 24 février 1932. Rappr., pour la
(v. Civ.
;
d'un traité concédant sans condition aux étrangers les droits
invoqués « il n'existe », dit le tribunal de la Seine, le 4 mars
1932, « aucun traité ratifié dans lesformes légales faisant
bénéficier les ressortissants d'un Etat quelconque des dispo-
sitions de la loi du 30 juin 1926 ou assimilant l'étranger aux
Français en ce qui concerne la jouissance des droits civils»
(v. aussi, Civ. rej., 30 juin 1932). Si l'arrêt de la Commission
supérieure de Cassation des loyers du 30 juillet 1933, admet
que la convention franco-belge du 6 octobre 1927 peut
s'appliquer en matière de législation sur les loyers (v. aussi,
pour le modus vivendi franco-italien du 3 décembre 1927,
Comm. sup. Cass. loyers, 30 mars 1933), ces décisions se
placent à une époque où l'interprétation gouvernementale
avait fait sentir son influence.
On ne traitera pas ici de la valeur de cette interprétation
pour les tribunaux (v. Maury, Règles générales des conflits de
lois, n° 109, Recueil Cours Académie Droit International, 1936,
t III, p. 445) : c'est un problème à étudier dans la théorie
générale des traités et que nous retrouverons dans un examen
doctrinal ultérieur. On se bornera à rappeler que la Cour de
Cassation, si elle s'est refusée, le 22 décembre 1931, à tenir
les tribunaux judiciaires pour liés par une interprétation
gouvernementale unilatérale (lettre du Ministre des Affaires
Etrangères du 22 juillet 1929, J. Off. 13 août 1929, Clunet,
1929, 1223, Darras, 1929, 705) a considéré comme une
convention d'interprétation constitutionnellement valable un
échange de lettres, promulguées par décret (Cass. civ., 4 février
1936), et même, semble-t-il, un simple échange de lettres (Civ.
cass., 16 février 1937, Niboyet, 1937, 678). Or l'interprétation
gouvernementale est favorable aux étrangers (v., par exemple,
pour la convention franco-belge du 6 octobre 1927, D. 30 juin
1934,Clunet, 1934,1121).
;
note Niboyet ; Trib. comm. Seine, 22 janvier 1935, Maxi-
moff, Clunet, 1935, 125, Niboyet, 1935, 503 Trib. com.
Seine, 22 janvier 1935, Ancelle, Clunet, 1935, 125 ; Seine,
;
trib. com. Seine, 17 août 1934, 22 janvier 1935, Maximoff :
« le décret de nationalisation a entraîné la dissolution de la
société Volga-Kama .elle n'a plus d'existence légale»). On
peut y voir la conséquence de cette règle généralement reçue
— et dont ce n'est pas le lieu de rechercher le fondement (v.
notre note précitée sous Cass. ital., 29 avril 1933) — qu'une
société ne peut exister en tant que personne juridique que si
son Etat d'origine, son Etat national la considère comme telle.
41. — Mais le fait que la cause de la dissolution, de la
mort des sociétés russes est la nationalisation, fait apparaître
des problèmes nouveaux. Si, en effet, ces sociétés avaient
disparu sans qu'il soit porté atteinte au droit de propriété de
leurs membres, la liquidation devrait avoir lieu conformément
:
à la loi soviétique et, faite dans l'U. R. S.' S., d'après ce droit,
aurait effet en France c'est ce qu'a décidé le tribunal civil
de la Seine, dans l'affaire Philippoff, pour une société russe
en nom collectif constituée en 1904, transformée en société
simple en vertu du décret soviétique du 20 février 1933 et
liquidée en 1933 conformément aux articles 276 et s. dû Code
Civil de la R. S. F. S. R. ; la cour de Paris a confirmé le 9 avril
1936 par adoption de motifs. Mais, de la confiscation réalisée
par la nationalisation, il serait contraire à l'ordre public inter-
national français de tenir compte (v., par exemple, trjib. com.
Seine, 30 juin 1932). En fait, dans de très nombreux cas, il
;
n'y a pas eu liquidation des sociétés russes dissoutes quant aux
biens situés hors du territoire soviétique quant à ces biens,
avec tous ses anciens administrateurs ou avec quelques-uns
d'entre eux, la société a continué de vivre, de fonctionner, en
tout cas, d'avoir et de gérer un patrimoine. Pour traduire et
régir cette situation, on a, en France, recouru à la notion
— d'ailleurs assez imprécise — de société de fait. Les sociétés
russes dissoutes par les décrets soviétiques de nationalisation
ayant effet en France à ce point de vue ont continué d'exister
comme sociétés de fait, soit, d'abord, parce qu'elles avaient
:
état de fait. Sur les biens de ces sociétés, des prétentions con-
tradictoires se sont de plus en plus affirmées prétentions des
administrateurs, des créanciers, des actionnaires. L'arrêt de la
Chambre des Requêtes décide que « la suppression de la
Société russe n'empêche pas que certains éléments de son
»
patrimoine social puissent subsister et que notamment « un
de ses créanciers dont la créance a été reconnue par une déci-
sion de justice française devenue définitive conserve le droit
de poursuivre le recouvrement de sa créance entre les mains
d'un débiteur de cette société domicilié en France ». Mais il
était dangereux d'abandonner ainsi ce qui restait du patri-
moine social au jeu des initiatives individuelles. L'idée de
liquidation est apparue. La jurisprudence a peu à peu admis
que les sociétés russes, subsistant sur notre territoire, le
faisaient en vue de leur liquidation (v. trib. com. Seine, 23
janvier 1934) et, sur la demande de créanciers ou d'action-
naires, a mis en train cette liquidation, nommé des liquida-
teurs (v. trib. com. Seine, 23 janvier 1934, 3 décembre 1934,
21 janvier 1935, 22 janvier 1935, Maximoff, 20 janvier 1936).
Assez fréquemment, on a admis d'ailleurs que cette liquidation
serait faite par les administrateurs, en fait en fonction, sous le
contrôle d'un mandataire de justice remplaçant celui de l'as-
semblée générale impossible (v. trib. com. Seine, 17 août
1934, 3 décembre 1934, 22 janvier 1935, Ancelle, Maximoff),
dans d'autres cas, un liquidateur judiciaire a été nommé à qui
les administrateurs devaient s'en rendre compte (trib. com.
Seine, 23 janvier 1934 et Paris, 31 octobre 1935, trib. com.
Seine, 21 janvier 1935). Les bases mêmes de la liquidation.,
laquelle soulève des difficultés considérables, sont encore loin
d'être fixées (v. la discussion précitée au Comité français de
droit international privé).
;
mécaniques — divers appareils automatiques (ascenseurs,
minuteries, sonneries électriques), dont nous répondons, en
principe, à leur égard, en cas de dommage mais de plus en
plus nous usons d'appareils divers, comme autant de gardiens,
pour la défense de nos droits menacés par autrui. L'emploi de
ces défenseurs aveugles est-il permis ?
(1) L. Figuier, Exposition et histoire des principales découvertes
scientifiques modernes, 1855, t. 1, p. V, ef. L. Figuier, L'Année Scien-
tifique, 1856, p. VI.
D'autre part, industriels etcommerçants ont tiré des avan-,
lages nouveaux d'appareils automatiques, remplaçant pour eux
des préposés vivants. Les uns leur servent à mesurer l'impor-
électricité;
tance de leurs fournitures ou services (compteurs à eau, gaz,
taximètres, tourniquets à l'entrée des clients)
D'autres leur servent à passer des contratsavec le public. Ce
sont d'abord les distributeurs automatiques, appareils déli-
vrant des objets divers sous l'action d'un mécanisme déclenché
par la main de l'homme, et comportant le versement préalable
d'un prix. Par imitation, l'on a construit d'autres appareils
qui,sous l'action d'un mécanisme analogue, rendent divers
services (bascules, boîtes à musique, autovisiomètres). Il est
tels établissements entiers où, grâce à divers appareils,
- comme dans le château légendaire de Robert Oudin !
tous les clients se servent eux-mêmes, sans recourir à des
-
employés ou serviteurs vivants, par exemple les bars auto-
matiques.
Ici nous n'envisagerons que les appareils servant soit à la
formation ou l'exécution d'un contrat avec leur propriétaire,
soit à la défense des droits de celui-ci.
Les différents problèmes que nous voulons examiner
supposent que l'usage de ces appareils est, en lui-même, licite.
Or celui de beaucoup d'entre eux ne l'est pas. Il convient donc,
avant tout, d'éliminer les engins d'un usage illicite en soi, que
l'on rencontre le plus souvent dans la pratique.
§ 1. — USAGE LICITE
;
ne puisse modifier ni leur fonctionnement, ni les conditions
de répartition des primes
30 Un type de chaque prime doit être exposé à la vue du
public, matériellement et non pas seulement représenté sur un
tableau ;
4° Le chiffre de la mise ne dépassera jamais cinq francs
et doit être affiché;
5° La valeur commerciale des primes ne pourra pas être
;
inférieure à six fois la valeur de la mise
60 Les primes seront de fabrication française.
Enfin, reste une dernière catégorie d'appareils automa-
tiques, dont l'usage, à l'inverse des cas précédents, est toujours
prohibé. Ce sont les appareils distributeurs de jetons ou de
pièces de monnaie en nombre variable, moyennant une mise
fixe, après fonctionnement d'un mécanisme, mis en mouvement
par la main de l'homme, sans donnée quelconque sur la possi-
bilité d'obtenir tel résultat.
S'il est constant que l'adresse ou la force de l'homme
prédomine dans le fonctionnement de l'appareil, c'est un jeu
d'adresse, licite comme tel, sauf au juge à préciser dans la
sentence pourquoi le fait de l'homme prédomine, le fonction-
nement de tels mécanismes étant le plus souvent livré au
;
hasard (Crim., 28 déc. 1935, Gaz. Pal., 1936-1-117). Dans tous
autres cas, ces appareils ne sont que des jeux de hasard et le
cabaret où se trouve l'un d'eux est une maison de jeux, au
sens des articles 410 et 475, § 5, Code Pénal (Crim., 30 avril
1937, D. H., 1937, p. 336). Dans tous lestas, ils sont prohibés
dans les lieux publics par un décret-loi du 31 août 1937. Le
plopriétaire d'un café, où se trouve un de ces appareils, ne
saurait éviter les peines prononcées par l'article 475, § 5°,
Code Pénal, en alléguant qu'il n'a pas incité ses clients à jouer,
mais que ceux-ci, spontanément, se sont servis de l'appareil.
D'après la Cour suprême, la seule condition qu'exige l'article
475, § 5° pour qu'il y ait tenue de jeux de hasard est que ce
jeu se pratique en un lieu public. Si donc plusieurs personnes
se livrent à pareil jeu, dans une salle dépendant d'un café, le
patron ne peut être relaxé, même s'il avait quitté cette salle
pour se retirer dans son logement particulier, avant le début
du jeu, son devoir étant d'empêcher, soit en personne, soit par
ses préposés, les personnes le voulant de se livrer chez lui
à des jeux de hasard (Crim., 26 nov. 1927, S., 1929-1-157).
Parfois, au lieu de pièces de monnaie, ces appareils à
mécanisme dépendant du hasard distribuent des jetons rem-
boursables en argent, ou reçus en paiement de marchandises,
soit dans l'établissement dépositaire, soit dans d'autres dont la
liste est ostensiblement affichée sur l'appareil ou près de lui.
Cette modification toute matérielle ne change rien au caractère
juridique de l'instrument, ni de l'établissement. Ils sont prohi-
bés dans tous les lieux publics par le décret-loi du 31 août
1937. Toutefois, depuis 1906, le Ministre de l'Intérieur pres-
crit aux préfets, comme le rappelle sa Circulaire précitée de
:
septembre 1936, de les tolérer dans les lieux publics, sous les
conditions suivantes que la mise n'excède pas 0 fr. 25 ; —
;
que les jetons distribués ne puissent être ni rejoués dans l'ap-
pareil, ni remboursés en argent — qu'ils donnent droit à des
dépositaire lui-même; --
marchandises à prendre ou consommer dans l'établissement
que la valeur maximum des jetons
;
n'excède pas 0 fr. 75 : que l'appareil ne distribue pas de
bons primes — et que, s'il est exploité dans un lieu public, il
porte une plaque indiquant le nom du propriétaire, son adresse
et son numéro d'immatriculation au registre du commerce.
Dans cette limite, ces distributeurs peuvent être considérés
comme de simples amusements, sans nul caractère d'immora-
lité. Du reste, il ne faut pas confondre les appareils délivrant
ou non un ou plusieurs jetons, grâce au fonctionnement d'un
mécanisme avant tout soumis au hasard, et les instruments
délivrant toujours, après l'introduction d'une même pièce de
monnaie dans un récepteur, un jeton échangeable, d'après sa
couleur, contre des marchandises de valeur et qualité différen-
tes, qui peuvent être licites comme procédés de vente publici-
taire, ainsi qu'il est dit plus haut.
:
L'usage de tels instruments dans ce but est certainement
illicite (v. notre note L'exercice illégal de la médecine par des
appareils auomatiques, Paris-Médical, 2 juillet 1932, p. 1 ;
cf. relativement à la skioscopie, note sous Crim., 4 déc. 1925,
Gaz. Pal., 22 décembre).
Pour empêcher la destruction rapide et complète du
gibier, ou de certaines espèces de gibier, la loi interdit l'emploi
»
pour le capturer d'autres « moyens de chasse que la chasse
à tir ou à courre, et, pour capturer le lapin, les furets et les
bourses (loi du 3 mai 1844, art. 9). Un grand nombre de
moyens automatiques de toutes sortes sont employés par les
chasseurs ou braconniers, des pièges à loup aux miroirs
d'alouettes. Seuls sont interdits, comme constituant des moyens
de chasse, les instruments qui, matériellement et directement,
saisissent ou tuent le gibier, comme les filets, raquettes,
lacets, collets, trappes, pinces métalliques, etc. (Grenoble,
2 janv. 1845, D. P., 1845-2-42 ; Crim. 15 oct. 1844, D. P., 1845-
1-26 ; 28 déc. 1886, S., 87-1-140 ; Douai, 23 déc. 1913, Journ.
Le Droit, 25 fév. 1914). Leur détention comme leur usage est
prohibé (Crim., 5 juill. 1907, S., 1910-1-40).
Sont exemptés les pièges destinés à la capture et la des-
truction des animaux malfaisants ou nuisibles, déterminés par
les préfets, ou ceux qui servent à détruire les bêtes fauves rava-
geant les terres (loi 3 mai 1844), art. 9, § 3, 30).Sont égale-
ment exemptés de cette prohibition, d'après la jurisprudence,
les pièges destinés à la capture des petits mammifères, vivant
dans le voisinage et aux dépens de l'homme (rats, souris,
belettes, etc.) (Douai, 23 déc. 1913, précité).
Pour garantir la sécurité dans les établissements ouverts
au public, le préfet de police à Paris, les maires dans les dépar-
tements, peuvent interdire les appareils automatiques jugés
1 dangereux, au moins dans certaines éventualités, comme telles
portes tournantes à plusieurs volets qui retarderaient grave-
ment, en cas d'incendie ou de panique, l'évacuation des théâ-
tres, cinémas, cafés, restaurants ou établissements analogues
(loi 5 avril 1884, art. 97, § 30).
;
à la disposition des voyageurs spontanément et sans augmen-
tation de prix de la place que, dans ce dernier cas, le reproche
de contrefaçon manque de base. » (Trib. Seine, 21 juin 1904 et
Paris, 7 févr. 1908, sous Cass., S.,1911-1-518).
Cette décision cadre avec la jurisprudence de Cassation,
d'après laquelle, si le délit de contrefaçon de marque, prévu
par l'article 7 § 1" de la loi du 23 juin 1857, est commis indé-
pendamment de toute intention frauduleuse, celui d'apposition
de la marque d'autrui sur d'autres produits que ceux de son
déposant, prévu par l'article 7 § 2, exige au contraire la mau-
vaise foi (Cass., 16 mars 1906, S., 1909-1-417 et note).
30 Dessins et modèles de fabrique. — Des solutions sem-
blables interviennent en cas d'usurpation de dessins et modèles
de fabrique, la loi du 14 juillet 1909 (art. 1er et 10) réprimant
toutes ses formes dans un but de spéculation, mais n'atteignant
pas l'usage fait dans tout autre intention (V. notre article
Dessins et Modèles, Gazette des Prud'hommes, 1937, p. 46).
:
Dans l'affaire des râpes automatiques, le demandeur se
plaignait de la distribution aux voyageurs de savons emprun-
tant le modèle spécial qu'il avait déposé. Le jugement et l'arrêt
n'examinent pas l'influence de la gratuité, rejetant la demande
parce que la forme des produits était imposée par le résultat
industriel recherché du fabricant (Trib. Seine, 21 juin 1906 et
Paris, 7 fév. 1908, précités). A la vérité, ces décisions s'ap-
puient sur la loi du 18 mars 1806 ; mais celle du 14 juillet 1909
dispose également que, si les éléments constitutifs de la nou-
veauté du dessin ou modèle sont inséparables de ceux d'une
invention, l'objet ne peut être protégé que par un brevet
(art. 2, § 3). Spécialement, il en est ainsi quand le mécanisme
d'un appareil automatique impose une forme déterminée,
comme on l'a décidé d'un monte-charge (Req., 11 mars 1931,
S., 1932-1-11). Quand l'invention n'est pas brevetée, la repro-
duction d'un appareil automatique, pour le mettre à la dispo-
sition du public, est licite, sa forme n'étant pas protégée
comme dessin ou modèle de fabrique.
de ce genre, disant :
résulte d'une clause, à peu près de style, dans les abonnements
« L'usage du compteur est concédé gra-
tuitement à l'abonné. » Faut-il en conclure qu'il y a commodat?
Il importe de le préciser, la responsabilité du locataire
s'appréciant d'après le droit commun (art. 1137 et 1728, C.
civ.), tandis que celle du commodataire est particulièrement
rigoureuse, englobant parfois les cas fortuits (art. 1881 et 1882,
C. civ.). Il est difficile d'admettre, que, pour usage d'un comp-
teur employé dans l'intérêt commun des deux parties, l'abonné
se soit soumis à l'exorbitante responsabilité du commodataire;
du reste, l'usage du compteur ne lui est accordé qu'à raison de
son abonnement à la fourniture faite par son cocontractant. Il
est donc plus rationnel d'interpréter la clause ci-dessus en ce
sens que nulle somme spéciale n'est réclamée, par le fournis-
seur, pour l'usage du compteur par l'abonné, la rétribution de
cet usage restant comprise dans le prix de l'abonnement.
Nul ne doute que le prix de location du taximètre d'une
voiture ne soit compris dans celui de la voiture elle-même.
Lorsque l'usager d'un appareil automatique le détient en
vertu d'un contrat, celui-ci fixe, à l'ordinaire, sa durée, comme
c'est le cas pour les compteurs d'eau, gaz ou électricité. Dans
ces conditions, l'usager a droit d'exiger que, pendant toute cette
durée, l'appareil fonctionne assez régulièrement pour remplir
le rôle convenu.
L'abonné à l'eau, au gaz, à l'électricité faussant son comp-
teur, avant de s'en servir, pour se procurer une fourniture
;
toute gratuite, commet le délit de vol (Crim., 3 avril 1912, S.,
1913-1-337, note M. Roux Paris, 7 déc. 1907, S., 1908-2-301).
Si la manœuvre frauduleuse, au lieu de précéder l'appropria-
tion des fournitures, suit à l'inverse une appropriation légitime,
en cherchant à dissimuler la quantité perçue, par exemple
si l'abonné recule les aiguilles de son compteur, il y a trom-
perie sur la quantité de marchandises vendues, punie par la
loi du 1er août 1905 (Crim., 16 fév. 1899, S., 1900-1-471 ; Paris,
7 déc. 1907, S., 1908-2-301).
Le fournisseur de l'eau, etc., a droit de suspendre ses
fournitures à l'abonné commettant ce détournement clan-
destin, toute partie dans un contrat synallagmatique pouvant
refuser ses services à l'autre, qui manque à ses engagements
(Trib. référés du Caire, 29 décembre 1927, Gazette des Tribu-
naux Mixtes, XVIII, p. 143 ; cf. Reu. trim. Droit civil, 1928,.
p. 744).
Des questions analogues se posent pour les machines
louées par des industriels, moyennant un prix proportionnel au
nombre d'objets fabriqués, automatiquement enregistré par
un compteur, comme celles de l'United Shoe Machinerg C°,
pour coudre les semelles de chaussures.
D'autres fois on est en présence d'appareils délivrant auto-
matiquement, à qui les fait fonctionner, l'objet dont on veut se
servir. C'est le cas des étuis à jumelles, fixés au dos des fau-
teuils de théâtre, qui s'ouvrent en introduisant, dans une fente,
une pièce de monnaie. Il y a ici location de la lorgnette moyen-
nant cette pièce de monnaie. On appliquerait les effets du
louage. Le spectateur qui détournerait la jumelle ainsi louée
commettrait le délit d'abus de confiance (art. 408, C. pénal).
II. — Quand les usagers ne détiennent pas l'appareil,
qu'il soit aux mains de son propriétaire, ou d'un autre
gardien, une série de contrats se forment entre le propriétaire
et chacun des usagers successifs, chaque fois qu'une personne
met l'appareil en mouvement. Le propriétaire se trouve dans
un état continuel de pollicitation à l'égard du public, acceptant
à l'avance de traiter avec toute personne se servant de son
appareil, conformément à sa destination. En général une
inscription, sur l'appareil ou près de lui, indique la manière de
lefaire fonctionner, et les objet ou service que le public en peut
attendre. Cette inscription joue le rôle d'un cahier des charges
sommaire du contrat de chaque usager.
Sauf le cas des enfants, ne touchant guère qu'aux appa-
reils d'une manœuvre assez simple pour se passer d'explica-
tion préalable, ces instructions sont toujours lues de toute
personne voulant user de l'appareil, avant de le faire fonction-
ner. Il est donc rationnel et conforme à la marche habituelle
des choses, de supposer qu'elle s'y soumet en manœuvrant
l'appareil, mais aussi qu'elle compte sur les avantages promis.
Le voyageur, ayant détaché un ticket numéroté du distri-
buteur detickets à l'arrêt d'un autobus, a droit à la place que
lui assigne son numéro, dans la première voiture quipasse
ayant des vides suffisants pour le recevoir.
Le fonctionnement de l'engin automatique forme un véri-
:
table contrat d'adhésion, obligeant les parties, le propriétaire
et l'usager. (Cf. notre étude « Clauses imprimées et clauses
manuscrites. Revue trimestrielle Droit civil, 1927, p. 312).
On discute en jurisprudence quant à la responsabilité des
dommages causés par le fonctionnement de l'appareil. Le plus
souvent les tribunaux appliquent ici les principes de la respon-
sabilité non pas contractuelle mais délictuelle. Son propriétaire
répond du dommage causé par le mauvais fonctionnement.
;
Mais sa faute doit être prouvée et n'est pas présumée de plein
droit ainsi l'a-t-on jugé pour les jeux forains automatiques,
notamment les balançoires mises en mouvement par le client,
considéré comme en ayant la garde (Douai, 6 déc. 1933, D. H.,
1934, sup., p. 23 ; Trib. Saint-Etienne, lor mai 1928, D. P., 1928-
2-363). La faute du propriétaire se présume au contraire,
conformément à l'article 1384, § 1er, C. Civ., quand il met lui-
même l'appareil en mouvement, comme un manège de balan-
çoires circulaires. (Paris, 22 fév. 1926, D. P., 1927-2-25).
Les trottoirs roulants, escaliers automatiques, tobogans et
engins analogues, ont soulevé des discussions. Leurs proprié-
taires répondent-ils des accidents survenus et sont-ils respon-
?
sables de plein droit D'abord très indulgente pour eux, la
jurisprudence devintplus sévère avec la multiplication des
accidents. Témoins ces deux arrêts, types de chacune des deux
tendances, invoquant tous deux les principes de la responsa-
bilité contractuelle. Jugé d'abord que le propriétaire d'un trot-
toir roulant ne répond pas de la fracture de jambe d'un client,
par une chute au dehors, toute personne, dit l'arrêt, acceptant
l'éventualité d'une chute en montant dans cet appareil. Même
en admettant que son propriétaire doive empêcher les clients
de tomber, en les faisant surveiller par un gardien, il ne répon-
drait cependant pas des chutes que n'a pas empêchées ce der-
nier, quand, par suite de la grande affluence des amateurs, ces
chutes sont très nombreuses. Toutefois, l'arrêt reconnaît que
le propriétaire serait responsable, si l'on prouvait que l'acci-
dent est dû au vice de fonctionnement ou bien à quelque
dérangement de l'appareil (Rouen, 17 mai 1924, D. P., 1927-2-
25 ; cf. M. Demogue, Rev. trime Droitcivil, 1927, p. 425 et
p.629).
Quatre ans plus tard intervenait une solution toute diffé-
rente. La Cour admit la formation, entre le client et l'entre-
preneur d'un tobogan, d'un contrat obligeant le second à
garantir la sécurité du premier, qui a donc droit, en cas d'acci-
dent, à une indemnité, sans avoir besoin de prouver la faute
de son adversaire (Grenoble, 27 fév. 1928, D. H., 1928, p. 343;
cf. M. Demogue, Rev. trim. Droit civil, 1928, p. 662). Ce nouvel
arrêt refusa d'admettre qu'on accepte le risque des accidents
pouvant survenir, quand on emploie ces appareils.
En face du développement de la jurisprudence relative à
la responsabilité des choses inanimées, il est assez probable
qu'au premier jour la question s'envisagéra sous cet angle et
que les propriétaires de tapis roulants seront condamnés à
indemniser les accidents, s'ils neprouvent un cas fortuit ou de
force majeure, ou la faute de la victime (cf. Magasins à Mono-
prix et questions de responsabilité. Rec. Académie de législ.,
tome XI, p. 86).
D'autre part, l'entrepreneur qui, pour augmenter ses
gains, met sciemment à la disposition du public un distribu-
teur endommagé, qui reçoit les pièces de monnaie des clients
sans leur délivrer nul objet, ou bien un compteur faussé pour
indiquer un chiffre supérieur à la somme due, se livre à une
manœuvre frauduleuse pour s'approprier l'argent d'autrui, au
sens de l'article 405, Code Pénal.
Ainsi l'a-t-on jugé d'un conducteur de voiture ou d'auto
faisant usage d'un compteur taximètre artificieusement pré-
paré pour augmenter le prix de la course et demander aux
voyageurs somme supérieure au prix légitimement dû, même
quand le chiffre exact des sommes payées demeure inconnu
(Crim., 20 déc. 1928, S., 30-1-196).
Des fraudes dans le fonctionnement d'engins automati-
ques ont été relevés à la charge des clients. Des poursuites ont
été parfois entamées, pour introduction de jetons ou autres
objets pesants analogues, dans l'ouverture de distributeurs
destinée à recevoir des pièces de monnaie, afin de se procurer
gratuitement les objets qu'ils contenaient, comme en témoi-
gnent des extraits de jugements affichés sur certains distri-
buteurs.
Ces délinquants doivent-ils être inculpés d'escroquerie ou
?
de vol On peut songer au délit d'escroquerie, en disant que
le prévenu s'est approprié, par une manœuvre frauduleuse, une
marchandise volontairement mise à sa disposition par son
propriétaire. Cependant, les divergences entre les arrêts mon-
trent que l'emploi de jetons ou de pièces fausses, pour s'appro-
prier le bien d'autrui, ne constitue pas à lui seul la manœuvre
frauduleuse exigée dans le délit d'escroquerie. (Condamnation:
Crim., 23 août 1872, 5-1872-1-350).
Mais la jurisprudence décide que, dans la vente au comp-
tant, la remise définitive n'est consentie par le vendeur qu'au
moment du versement du prix, et que toute autre délivrance,
n'étant que provisoire, n'empêche pas l'inculpation de vol à
la charge de prétendus acheteurs (Crim., 4 juin 1915, S., 1918-
1-225, note M. Roux).
La Cour de Cassation a jugé l'inculpation de vol exacte-
ment appliquée dans une espèce assez voisine de celle qui nous
préoccupe, où, à l'aide d'un instrument de sa fabrication, une
personne avait ouvert un distributeur d'eau, et s'était de la
sorte indûment approprié celle-ci (Crim., 10 déc. 1887, S.,
1888-1-38, rapport M. Sallantin). Quand, à l'insu du délin-
quant, le distributeur est vide au moment de l'introduction de
jetons, il y aurait, non pas délit impossible, mais tentative de
vol, comme on l'a jugé de l'effraction de troncs destinés à rece-
voir des aumônes (Crim., 4 nov. 1876, S., 1877-1-48).
I, n° 130, p. 143
n" 475).
;
25 juin 1903, S., 1904-2-260 ; Leblond, Code de la chasse, 2e éd.,
Larcher, Rép. alph. du Droit de chasse,
:;:'"
;
Les avantages de toute sorte des mécanismes automati-
ques sont indéniables spécialement ils simplifient la vie con-
temporaine en remplaçant la main-d'œuvre. L'économie qu'ils
procurent est appréciable au cours de la crise économique
actuelle, qui les multiplie. Mais ces machines aveugles et irres-
ponsables peuvent devenir aisément des instruments de frau-
des (bascules et balances fausses, distributeurs de mauvaise
marchandise, etc.) ou des causes de danger (pièges, détona-
teurs, etc., blessant indistinctement tout passant). C'est pour
quoi la loi et la jurisprudence en réglementent et limitent
l'usage pour tempérer les risques et pour éviter les abus.
E.-H. PERREAU,
Professeur honoraire à la Facilité de Droit
de Toulouse.
NOTES DE JURISPRUDENCE
SUR L'ASSURANCE BONNE DATE «
î 11
::
(1) Notamment l'American Credit Indemnity Cy, et la London
::
Guarantee and Accidents Cy Ltd (U. S. A. Branch).
(2) Notamment l'Export Credits Guarantee Department.
(3) Notamment l'Hermès.
(4) Notamment La Société française d'assurances pour favoriser le
crédit, la Nationale, la Société des assurances générales, l'Urbaine et la
Seine.
(5) Sumien, « Traité théorique et pratique des assurances terres-
tres », 1937, p. 257; Raymond Michel, « L'assurance des crédits en droit
;
comparé », 1937, pp. 38 et ss. Guillaume de Tarde, Revue générale des
;
asmramces terrestres, 1930, pp. 475 et ss. Desbrosses, ib., 1930, pp. 866
et ss.; R. Vanard, ib., 1930, pp. 276 et ss., 1933, pp. 770 et sa., note
signée M. P., ib., 1936, pp. 606 et 836; H. Solus, S., 1937-2-28, G. P.,
21 janvier 1938, p. 3.
(6) A. de Mirimonde, « Manuel pratique des
- -- - assurances », 1928,
pp. 175 et ss.; J. Escarra, D., 1936-2-113; Commentaires de jurisprudence
à la G. P., 3-4 décembre 1937, p. 1 et à la G. T., 27-28 mai 1936.
prement dit, le sinistre étant la défaillance du débiteur, auquel
cas l'assureur, qui verse l'indemnité, éteint sa dette personnelle
et ne jouit d'aucune subrogation légale (7). Un troisième
parti (8), enfin, en fait une synthèse assurance-banque, et se
prononce pour le recours de l'assureur.
La crise économique a matérialisé le conflit. L'incurie de
débiteurs nombreux, ordinaires ou cambiaires, incite les com-
;
pagnies à plaider, coûte que coûte, la thèse qui les favorise,
celle de la subrogation de plein droit elles se heurtent, bien
entendu, à des résistances solides. La Cour de Cassation n'a
pas encore tranché le débat, mais, divers pourvois étant d'ores
et déjà formés, il semble actuellement opportun de dresser le
bilan des décisions d'appel, et, avec elles, de reprendre l'analyse
des documents produits.
de deux remarques :
Telle est la tâche que nous entreprenons, sous le bénéfice
;
une deuxième voie de droit au créancier imprudent sur un
premier recours telle fut, par exemple, à n'en pas douter, la
raison qui retarda, de 1889 à 1892, le triomphe de la notion
d'enrichissement sans cause (18).
**
*
:
(19) Le contrat d'assurance-crédit « bonne date » comporte deux
séries d'instruments la police, les avenants d'aliment. Malgré quelques
:
nuances de rédaction, ces documents se ramènent, pour presque toutes les
Compagnies, aux types suivants
a) Polices. — La police est généralement longue et détaillée. En
:
voici, empruntées à la pratique de « L'Urbaine et la Seine », les clauses
essentielles
Objet et étendue de l'assurance. — « Le présent contrat a pour objet
«de garantir à l'assuré, pour ses opérations en France, avec des ache-
«teurs ayant un domicile légal et régulier en France, le cas de défait-
«lance dit preneur dans l'exécution du contrat de vente établi par l'as-
«suré. La défaillance de l'acheteur sera dûment établie par le l'ait
«qu'une traite aura été protestée et que la mise en demeure. aura été
«envoyée. » (En fait, le risque garanti n'est pas toujours celui d'une
vente, mais aussi celui d'un financement.)
Déclarations de l'assuré. — « L'assuré s'engage à procéder avec la
« même prudence et en s'entourant des mêmes précautions que s'il n'était
« pas assuré. Il devra, d'une façon générale, prendre toutes mesures
«conservatoires et autres susceptibles de sauvegarder les intérêts et les
«droits, notamment les recours de la Compagnie, et ce, à peine de
«déchéance. Il devra, avant de signer un contrat de vente, se munir de
«tous les renseignements relatifs à la solvabilité et à la moralité du
«client. A cet effet, il devra s'adresser à une Banque et à une agence de
« renseignements notoirement sérieuse et s'engager à ne traiter avec
«l'acheteur que si ces renseignements indiquent ledit acheteur tomme
« jouissant d'un crédit au moins égal au montant des traites ou billets fc
<!:souscrire par lui et d'une excellente moralité. Ces renseignements seront
« communiqués à la Compagnie avant la signature du contrat de vente,
4, la Compagnie se réservant d'exclure, à sa seule volonté, de l'avenant
< prvvu à l'article n, ceux des contrats de vente qui ne lui sembleraient
« pas rentrer dans les dispositions du présent article. Dans le cas où
«les renseignements ne donneraient pas l'acheteur comme jouissant d'une
Leurs arrêts se répartissent en trois groupes :
Sans définir la nature du mécanism,e discuté, les
1°
uns (20) n'en accordent pas moins à l'assureur son action, si
elle se justifie par des précautions d'ordre conventionnel.
« surface totale suffisante au crédit, mais que, par ailleurs, les autres
« renseignements de moralité seraient acceptables, les traites ou billets
« devraient être avalisés par une banque, un commerçant patenté, un
« officier ministériel ou toute autre personne dont la signature lerait
« jugée suffisante. » Ces diverses obligations sont sanctionnées par la
déchéance du contrat.
Obligations de l'assuré en cours de contrat. — Lorsqu'une vente
donne lieu à la garantie de l'assureur, celui-cireçoit de l'assuré un ensem-
ble de renseignements, et, ajoute la police, « la Compagnie établira les
« avenants reproduisant les diverses indications mentionnées ci-dessus. »
Nous verrons ces avenants plus loin.
Sinistres. — « Dans le cas où une traite quelconque serait protestée
à
« sa présentation, l'assuré doit en informer la Compagnie par lettre
« recommandée dans les quarante-huit heures, à partir du moment où il
«en aura eu connaissance, en même temps qu'il enverra à l'acheteur Une
«mise en demeure. L'assuré s'engage à faire tenir à la Compagnie,
«conjointement avec la déclaration de défaillance, l'original du protêt,
«ainsi qu'un acte de subrogation (dont le modèle sera fourni par la Dom-
«pagnie) de tous ses droits à l'égard de l'acheteur défaillant, tubroga-
«tion qui sera faite en faveur de la Compagnie, laquelle aura la faculté
«de prendre toutes mesures propres au recouvrement de sa créance. )
Paiement des inderrmitéSi — « Il
est formellement convenu que
«l'assuré restera son propre assureur dans la proportion de vingt pour
«cent. »
b) Avenants. — Ainsi donc, chaque fois qu'il consent à couvrir l'as-
suré contre les risques découlant d'un contrat précis, l'assureur rédige un
avenant. Remis à l'escompteur de la traite, ce titre circule avec elle et
c'est sa présentation qui, en cas de protêt à l'échéance, permet au der-
nier porteur de se faire rembourser le montant de l'effet. Il n'en est pas
:
moins incontestable que l'avenant prolonge la police, la mettant simple-
ment en œuvre dans une espèce précise les praticiens illustrent ce phé-
nomène en parlant d' « avenant d'aliment ».
Voici, toujours d'après l'Urbaine et la Seine, un modèle d'avenant
« Aux clauses et conditions de ladite police, la Compagnie assure une
:
«traite, d'un montant de., tirée par., acceptée par., venant à
« échéance le. En conséquence, la Compagnies'engage à rembourser au
<K
Banquier tiers-porteur, dans les dix. jours de la présentation, ladite
« traite si elle est impayée à son échéance, protestée dans les délais légaux,
« sur remise de la traite acceptée, du protêt et de l'avenant d'assurance.
« Ce payement sera effectué au Banquier tiers-porteur, sans qu'il y ait
« lieu de rechercher si les obligations à la charge de l'assuré ont été res-
« pectées par lui, celui-ci demeurant soumis, à, l'égard de la Compagnie,
« aux clauses et conditions de ladite police. »
(20) Bordeaux, 2 avril 1935. Revue gên. des ass. terr., 1936, p. 831;
Nîmes, 8 et 22 mai 1936, lb., 1936, pp. 832 et as.; Montpellier, 26 juin
1936, 1,b., p. 835.
20 A défaut de telles mesures, d'autres (21), abordant le
problème de front, se rallient au système de l'aval et font
profiter la compagnie d'une subrogation cambiaire.
30 Quant aux derniers (22), ils refusent de quitter le plan
spécifique de l'assurance et interprètent le payement de l'in-
demnité comme celui d'une dette personnelle, exclusive de tout
recours.
Notre étude sera donc tripartite.
***
:
dans la loi uniforme (C. comm., art. 117), la lettre de change
est, sauf mention contraire, un titre à ordre, transmissible par
le seul endossement à défaut de signature au dos de la traite,
la tradition est dépourvue de signification juridique (30).
L'arrêt n'a donc vraisemblablement visé qu'une référence au
mode normal de translation du droit du change. Ce qui lui ôte
toute autoritédans la querelle de l'assurance « bonne date ».
2° Parfois, lors du dédommagement, l'assureur-crédit se
fait céder, avec signification au tiré, les droits du porteur. Ainsi
en fut-il dans une affaire tranchée, le 2 avril 1935, par la Cour
de Bordeaux (31) : le banquier y avait reçu payement « de la
« Compagnie L'Urbaine et la Seine, tenue par son contrat
« d'assurance, contre quittance portant, en outre, cession de
« ses droits contre les tireur, tiré et avalistes. ».
En vérité, une terminologie imprécise, dont les assureurs
portent la responsabilité, confond fréquemment « cession»
et « subrogation conventionnelle ». Aussi peut-on se demander
nale.
*
de créance. Son dit perd ainsi pour nous toute portée doctri-
***
II
Nous n'en dirons pas autant des arrêts précités de la Cour
de Paris (Sixième Chambre), rendus les 5 novembre et 17 dé-
cembre 193-7.
;
«
« quoiqu'il apparaisse, d'après la qualification que les parties
« lui ont donnée, comme un avenant au premier Considérant,
en effet, que l'exemplaire destiné à la banque porte que
;
«
« l'Urbaine et la Seine s'engage à payer au banquier tiers
« porteur toute traite, protestée figurant à l'avenant qu'il
« s'agit donc bien, indépendamment du contrat d'assurance
« qui liele tireur à l'Urbaine, d'un véritable aval par acte
« séparé, circulant avec la lettre de change dont la
compagnie
« garantit le payement et conforme aux prescriptions de
« l'article 142 du Code de Commerce » (41).
Cette argumentation appelle plusieurs commentaires :
:
forme que si les parties ont entendu ménager le crédit du
tireur ainsi lui épargnent-elles la réputation de signature
exigeant garantie. De là résulte que l'aval par acte séparé ne se
transmet pas ipso facto, avec la lettre de change, à l'endossa-
taire (46). Dès lors, pourquoi celui qu'on nomme assureur-
aval ne se contente-t-il pas d'apposer sa griffe sur l'effet,
puisque c'est accompagné de l'avenant que ce dernier circule, si
bien que les escompteurs successifs ne peuvent guère se leurrer
sur la valeur de l'obligation et de la solvabilité du tireur La ?
situation est singulière.
3° Mais, plus encore que des soupçons de surface, il est
une raison profonde de refuser le caractère d'aval à l'avenant
litigieux, et cette raison tient à la structure même et à la notion
d'assurance.
Qu'est-ce que l'assurance ?
La loi du 13 juillet 1930, qui fixe le régime du contrat
d'assurance, ne définit pas l'institution. Cette abstention est
voulue, car, comme l'a dit un des rapporteurs (47) : « Outre
;
ment, — a présidé au payement de la dette inscrite sur
l'avenant, la nature de celui-ci -, titre d'assurance ou de
banque, — s'en trouverait précisée du même coup. Or, ce
moyen, le décret du 8 mars 1932 (58) nous le donne.
Par ces articles 14, 15, 26, 51 et 54, ce décret a, on le sait,
strictement règlementé le bilan des sociétés d'assurance (59).
:
Au passif, notamment, doivent figurer, sous des rubriques
distinctes a) les réserves légales (sinistres règlant à régler,
risques en cours, amortissement des obligations) (60), b) les
réserves statutaires, c) les réserves libres (61). Destinées à
éluder les fraudes et les imprudences dans une branche
économique où elles seraient particulièrement dangereuses,
ces prescriptions sont, en général (62), considérées comme
trouve:
Paris. Au débit du bilan de la compagnie plaidante, l'on
—
:
Réserve
—:
mathématique
Réserve
».
pour
;.
En
risques
ce
nous intéresse, c'est tout pas la moindre trace de la masse de
qui
III
:
«
« la promesse de paiement contractée vis-à-vis du tireur,
« moyennant prime. » (66). Et la Cour de Paris « Considé-
« rant que la Compagnie. ne peut. invoquer le bénéfice de la
« subrogation légale de l'article 1251 Code Civil, puisqu'elle a
« payé sa propre dette, telle qu'elle résultait du contrat sous-
« crit chez elle. » (67).
en deux temps :
nous attacherons spécialement. Son argumentation progresse
»
a) l'assurance « bonne date est, non point
;
l'établissement d'une sûreté personnelle, mais une assurance
proprement dite b) comme telle, elle n'ouvre à l'assureur
aucun droit contre le tiré. Voyons ces deux points.
:
que soit la forme adoptée pour consigner l'engagement (traite, billet à
ordre, voire chèque), l'assureur est tenu de réparer le dommage résultant
du défaut de paiement ce n'est pas dans telle ou telle modalité de circons-
tance que l'assuré, ou son ayant-cause, puise son droit, mais dans l'ave-
nant né de la police. Que les parties aient, en l'espèce, décidé le règlement
par traite, ce n'est là qu'un aspect accessoire du mécanisme.
Cf. Escarra, D., 1936-2-115: « Il est impossible de mélanger contrat
« d'assurance et droit du change au point que le premier disparaisse par
« évaporation, la combinaison chimique ne laissant plus apparaître que le
« second, comme une sorte de précipité ».
— o) Sur un troisième point, enfin, l'arrêt a évité la dénaturation. Il
s'agissait de savoir si les prestations fournies par l'assuré à l'assureur
sont des primes ou le salaire d'un banquier.
Cette dernière conception forme le corollaire de la thèse de la Com-
pagnie. Elle set soutenue par M. H. Solus (note précitée) qui ne voit,
Nous l'approuvons aussi d'avoir traité en risque assu-
rable le non-payement au terme. 1
rigoureuse:
dans sa note précitée. M. H. Solus consacre d'une formule
« Le risque, élément caractéristique de l'assu-
« rance-crédit proprement dite, est la perte définitive de la
« créance subie par l'assuré en cas d'insolvabilité dûment
« établie du débiteur et telle qu'elle apparaît à la suite des
« poursuites exercées contre ce dernier. » (73). La défaillance
du tiré ne saurait être couverte par l'assureur en tant que tel.
Cette exclusion se justifierait par un partage bien dessiné
entre les opérations d'assurance et de banque. Aux premières
:
revient l'indemnisation, c'est-à-dire la réparation d'un dom-
».
mage, d'un sinistre or, en matière de créance, on ne peut
:
Cette analyse appelle des réserves. Car, tout de même, l'article 7 de
la police est formel il s'intitule « Prime » et, dans son corps, on lit
« Cette prime est calculée sur le montant total du découvert.., » Ce qui
:
se comprend aisément, cette terminologie étant seule conforme à l'ensem-
ble de la police, où tous les aspects du contrat d'assurance sont prévus
tour à tour.
La taxation du professeur Solus est, par ailleurs, contestable
prime, qui varie de 1,50 à 3 %, ne peut être considérée comme faible,
:
lorsque l'assureur a la faculté de se ménager un recours contre lé tiré
une
«qu'en
non pour cent.
Ces raisons ont convaincu la Cour de Riom: « »
Attendu dit-elle
remboursant le tiers-porteur. l'assureur a acquitté sa propre
t
«tireur moyennant primes.
«dette, réalisant ainsi la promesse de payement contractée vis-à-vis du
».
(69) Rev. gên. des ass. terr., 1930, pp. 475 et suivantes.
;
(70) Ibidem" 1930, pp. 866 et suivantes.
(71) Ibidem, 1930, pp. 276 et suivantes 1933, pp. 770 et suivantes.
(72) « L'assurance de crédits en droit comparé », 1937, pp. 139 et s.
(73) Note précitée, S., 1937-2-28,
parler de sinistre qu'en l'hypothèse de la perte du droit, devenu
inefficace par l'insolvabilité irrémédiable du débiteur.
Le défaut de celui-ci à l'échéance n'entraîne, par contre,
aucun payement d'indemnité, puisque, la procédure d'exé-
cution n'étant pas encore entamée, on ignore le sort final de
la créance. Tout versement intervenu à cette époque s'ana-
:
constituer des risques distincts, voire antinomiques, le non-
payement au terme et l'insolvabilité ne sont que deux degrés
d'un même phénomène l'appauvrissement du créancier par
l'inefficacité de sa créance. Qu'il y ait un décalage chronolo-
gique entre les deux faits, ou que le premier ne soit pas né-
cessairement suivi du second, cela n'empêche pas qu'ils soient
de même nature. Comme l'écrit M. Raymond Michel (75) :
« On ne peut distinguer deux risques de crédit, mais seule-
« ment deux stades différents du risque,entrel'obligation et
« l'exécution, amiable ou forcée, de cette obligation. ». Le
non-payement contient déjà l'insolvabilité en germe : il en
est la preuve originelle. Pour rendre cette unitéplus tangible,
prenons un exemple voisin de la question qui nous occupe
combien de fois n'a-t-on pas vu un tribunal de commerce
:
refuser de mettre un négociant en faillite sur protêt d'une
(74) Cf. R. Vanard, Rev. gén. des ass. terr., 1930, p. 283.
(75) Op. cit., p. 22.
seule traite, mais, plus tard, lorsque la cessation des paye-
ments est nettement établie, la faire remonter à la défaillance
qu'il n'avait pas voulu, dès l'abord, considérer (76) ?
Etant admise la continuité du risque d'insolvabilité,
depuis sa manifestation initiale (non-payement à l'échéance)
jusqu'à sa démonstration définitive (épuisement des recours),
il va de soi que, en pratique, la police ne peut se dispenser
de préciser le symptôme choisi par les parties comme condi-
tion de la mise en œuvre de la garantie de l'assureur. Autre-
ment dit, les contractants doivent définir, compte tenu des
conditions de l'accord et du taux des primes, à partir de quel
instant elles admettront qu'il y a sinistre (77).
Si, en effet, l'on stipulait simplement que « l'insolvabi-
« lité du tiré est couverte par l'assureur », celui-ci pourrait
presque toujours nier la survenance du sinistre. Car, qu'est-
ce que l'insolvabilité au sens de l'assurance-crédit (78) ?
C'est affirme-t-on (79), la perte irrémédiable d'une
créance.
Mais il est, dans la plupart des cas, matériellement im-
possible d'établir cette perte. Des poursuites infructueuses,-
un proçès-verbal de carence, une failliteclose sans désinté-
suivants..
sur l'ensemble de la question Percerou, « Faillites et liquidations judi-
(77) Comme, d'ailleurs, dans toutes les branches de l'assurance.
(78) Cpr. R. Vanard,'« L'insolvabilité'au sens de l'assurance-crédit
; et
ltev. gén. des ms.terr., 1933, pp. 770 suivantes.
(79) Cf. ET Solus, note précitée R. Michel, op. cit., p.139 et s.
»,
(80) Cf. R. Michel, op. oit., p. 39.
(81)Cf. R. Michel, op. ait., p. 38.
dire tout de suite que nul ne pourrait, normalement, prouver
l'insolvabilité d'autrui.
Cette difficulté se rencontre en d'autres domaines. La
déconfiture suppose l'insolvabilité du débiteur civil (82),
supériorité, mathématiquement calculée, du passif sur l'actif
en cas de réalisation immédiate (83). Evaluation souvent
malaisée, puisqu'elle exige la discussion de tous les biens,
meubles et immeubles, et, en outre, impropre à l'urgence
habituelle des constatations de déconfiture. De là une jurispru-
dence, inspirée de Loysel (84), qui se contente de l'apparence
notoire que les biens ne suffiront pas au payement des dettes.
C'est au juge du fond de préciser les symptômes de cette appa-
rence, soit saisies infructueuses (85), soit procès-verbaux de
carence (86), soit aveu du débiteur (87). Mais il faut certitude
de l'insolvabilité (88). Génératrice de la faillite, la cessation
des payements pose le même problème, que les tribunaux
résolvent en tenant compte des nécessités commerciales (89).
Dans l'assurance-crédit, ce ne fut point aux juges d'appor-
ter des précisions, mais aux Compagnies. Pour parer aux incer-
titudes et aux procès, elles dressèrent donc, et inscrivirent dans
leurs polices, une liste d'événements d'où résulte une pré-
firmes :
somption d'insolvabilité. Cette liste varie selon les pays et les
sur ce point, il suffit de se reporter à l'ouvrage de
M. Raymond Michel (90).
:
(82) Cette formule résulte, non du Code Civil qui fait seulement allu-
sion à la déconfiture (art. 1146, 1613, 1865, 2003), mais d'une jurispru-
dence approuvée par une doctrine unanime cf. Demolombe, XXV, n° 666;
Aubry et Rau, IX, § 580; Percerou, « Faillites », I, nU 123 et 123 bis
Planiol et Ripert, VII, n° 812.
;
(83) Cf. Planiol et Ripert, IX, n" 812.
(84) Institutes coutumières, règle 685.
(85) Lyon, 3 août 1833, D. Jiir. gén. V. obligation, n° 1296.
(86) Ibidem.
(87) Colmar, 4 mai 1864, D., 1864-2-230; Req., 4 août 1880, S., 1881-
1-56.
(88) Civ., 3 mars 1869, D., 1869-1-200.
(89) En matière de faillite, en effet, seule compte là, cessation des
payements. La proportion actif-passif est indifférente. Cf. Percerou, op.
cit., I, n" 123 bis et notes.
(90) Op. cit., pp. 140 et s. — Ce sont les polices américaines qui sont
les plus complètes à cet égard. Elles rattachent l'insolvabilité aux faits
suivants: 1" Disparition du débiteur; 2° Mort du débiteur travaillant seul
En France, l'énumération-type est la suivante :
a) Procès-verbal de carence au domicile du débiteur et
dans tous lieux où le créancier a connaissance de biens éven-
tuels appartenant à ce dernier ;
b) Saisie dépourvue de résultats ;
c) Arrangement préventif de faillite, accordé par les
créanciers ;
d) Remise concordataire de dette ;
e) Clôture de la faillite pour insuffisance d'actif ;
f) Reliquat de créance, après répartition de l'actif, en cas
d'union (91).
Une police peut-elle y ajouter le défaut de payement à
l'échéance ? Nous le croyons. Nous ne voyons pas pourquoi,
dans la progression des faits qui diagnostiquent une insolva-
bilité, une Compagnie d'assurances ne pourrait consentir à
s'arrêter au premier en date et à verser une indemnité s'il se
réalise. Tout est question de primes (92).
L'examen de la pratique commerciale fortifie d'ailleurs
; ; ;
dans son entreprise 3° Aliénation du débiteur travaillant seul dans son
entreprise
;4° Nomination d'un syndic 5° transfert 01J vente en bloc par
le débiteur de son stock 6° Saisie-exécution du stock suivie de vente ou
sans résultats; 7° Proposition d'arrangement amiable ne comportant pas
règlement intégral du passif; 8° Saisie du stockpar le bénéficiaire d'un
nantissement; 9° Remise du fonds à un comité nommé par la majorité des
;
créanciers, en nombre et eh valeur; 10° Dessaisissement, par le débiteur,
de son fonds, au profit des créanciers 11° Action en faillite intentée contre
le débiteur; 12° Enfin une procédure purement américaine et n'ayant pas
d'équivalent dans les législations d'Europe: Proceeding for the relièf of a
debtor shall have been instituted in a court of Bankruptey.
(91) Cf. notamment les polices de la « Société française d'assurances
pour favoriser le crédit».
(92) Cf. A. de Mirimonde, « Manuel pratique des assurances », Payot,
'928, pp. 175 et s. ; J. Escarra, D., 1936-2-113 précité.
et des écritures, autrement dit le payement scrupuleux des
billets et des traites. L'éventualité d'une insuffisance de rentrée
constitue donc un « risque de trésorerie ».
Il n'y a pas lieu de rentrer ici dans les détails de ce risque:
ils sont connus (93). Ce qu'il importe de mettre en relief, c'est,
d'une part, que les effets peuvent en être assez graves pour
justifier une assurance, d'autre part, que la déficience- en
trésorerie satisfait à toutes les conditions d'un risque assurable.
La première proposition ne fait aucun doute (94). Prenons
un exemple. Un commerçant vend à un commissionnaire un
fort lot de marchandises contre traite acceptée ; il se démunit
donc d'un stock important, ce qui l'oblige à renouveler ses
commandes, c'est-à-dire à émettre lui-même des effets. Impayé
à l'échéance, il sera peut-être hors d'état de faire face à ses
propres dettes. Un report et. un escompte pourront, évidem-
ment, rééquilibrer la situation. Mais, pour autant que le protêt
précède une défaillance complète du débiteur, le vendeur subit
une gêne de trésorerie qui ralentit ses achats et ses gains. De
fil enaiguille, il verra, dans certains cas, sa position aggravée
, jusqu'au dépôt de bilan. Comme l'écrit M. Raymond
Michel (95) : « Les effets du risque de trésorerie. peuvent
« conduire à une diminution de la vie de l'entreprise, ou même,
«
exceptionnellement, à sa disparition».
Ces remarques se renforcent du fait que même les adver-
saires les plus décidés de l'assurance « bonne date », ceux qui
ne tiennent pour assurable que la perte finale de la
créance (96), admettent qu'avant la démonstration de celle-ci,
l'éventuel sinistré peut recevoir des dédommagements de
trésorerie. Simplement, dans leur conception et par rapport
aux hypothèses qu'ils envisagent, il s'agit d'avances ban-
caires £97'): Ces dernières ont l'inconvénient denécessiter,
clôturede la faillitedudébiteur, un règlement de comptes çt.
àla
:
dence (101), on peut qualifier d'assurable tout événement
présentant le triple caractère d'être a) aélatoire, b) sélec-
tionné, c) appréciable (102). Le non-payement d'une traite
satisfait à ces trois conditions.
Aléatoire, il l'est sans conteste. Car, si sûre soit-elle, une
créance n'en offre pas moins toujours, pour des motifs divers
(insolvabilité ou mauvaise foi du débiteur ou de ses héritiers,
crises économiques ou politiques, moratoire légal de certaines
créances, etc.), quelques chances de non-recouvrement.
Quant à la sélection, elle est, nous l'avons vu (103), prévue
par les polices elles-mêmes, puisque la Compagnie est libre
d'accorder ou de refuser sa garantie. De là la nécessité d'un
34,62.
(98) Ibidem, p. 284.
(99) Cf. Ancey, « Les risques de crédit », p. 76.
(100) Cf. Loi du 13 juillet 1930, notamment:articles 15, 17, 21, 22,
(101) Cf. Cass. Civ., 10 octobre-1914, S., 1914-1-468; Req., 5 mars
1935, G. P., 1935-1-758; et comme application récente: Trib. Civil de
Sedan,.. 14 décembre 1937, G. P., 14 janvier 1938, p. 3.
(102) Cf. Sumien, op. cit., pp. 8 et-9; Bouchet, « La garantie des
:
risques commerciaux et l'assurance-crédit, pp. 35 et suivantes. — Il y a
donc des risques inassurables aux Pays-Bas, les assureurs de la même
branche essayent néanmoins de les couvrir en formant des consortiums.
Cf. Sumien, op. cit., p. 9.
(103) Cf. supra, note 19.
tiques) selon la valeur de leurs biens, et, à l'intérieur de ce
cadre, selon une cote de mérite à trois ou quatre échelons (104).
Ainsi se chiffrent mathématiquement les valeurs maxima de
découvert individuel qu'un assureur peut accorder. L'Angle-
terre, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse jouissent égale-
ment de bonnes organisations. Bien qu'elles soient, dans la
phase actuelle, viciées de « subjectivisme », les agences fran-
çaises font des progrès (105).
Enfin, élément essentiel du calcul des probabilités de
l'assureur, le prix du risque-crédit (et de son succédané, le
risque en trésorerie) est calculable. Sans entrer dans les détail,
de cette évaluation, qui relève de la technique des actuaires,
rappelons qu'elle part d'une division, dans laquelle le montant
total des pertes d'un pays, pendant une période déterminée, est
le dividende, et le chiffre d'affaires en crédit le diviseur (106).
Dangereux, mais assurable, tel apparaît donc le risque
de trésorerie. En déclarant que sa couverture était, en l'occur-
rence, une assurance au vrai sens du mot, la Cour de Riom
n'a fait que consacrer cette analyse.
20 La qualification d'assurance étant approuvée, reste à
examiner les conséquences tirées par l'arrêt.
Rappelons qu'aux termes de celui-ci, la Compagnie, tenue
au payement de la traite litigieuse en vertu des stipulations de
;
la police et de l'avenant, n'a payé que sa dette personnelle au
tiers-porteur elle ne pouvait donc agir contre le tiré. Autre-
ment dit, le fait de s'être greffée sur un contrat de change n'a
pas altéré l'autonomie de l'assurance (107).
Cette affirmation de principe contient, en réalité, plusieurs
constatations de droit et de fait qu'il faut étudier séparément.
énonçait
« de la
:
séculaire. Dès 1829, parlant d'un assureur, la Chambre civile
« que cette Compagnie a acquitté une dette résultant
police d'assurance qu'elle avait souscrite, et, par consé-
« quent, une dette qui était personnelle à ladite Compagnie et
« n'avait rien de commun avec le bail consenti au fermier du
« domaine incendié. » (108). Bientôt répétée (109), cette
solution obtint l'accord de la doctrine (110).
L'assureur, en fut-il déduit, ne pouvait se prévaloir de
la subrogation de plein droit, laquelle, d'après l'article 1251
Code Civil, ne profite qu'à « celui qui, étant tenu avec d'autres
ou pour d'autres au « paiement de la même dette, avait intérêt
à l'acquitter ». Obligée de son propre chef et à titre principal,
la Compagnie ne répondait évidemment ni à l'une, ni à l'autre
de ces conditions (111). Tout au plus lui fut-il permis, dans
l'assurance de dommages, de recourir directement contre le
tiers fautif sur le fondement de l'article 1382 (112). Il a fallu
la loi du 13 juillet 1930 pour qu'il fût question, en cette
matière, de subrogation, et encore certains critiquent-ils
l'expression de l'article 36 (113).
Quoi qu'il en soit, la loi nouvelle étant étrangère aux
opérations d'assurance-crédit, ces dernières restent soumises
aux prescriptions du Code Civil et aux principes de la juris-
prudence d'avant 1930. La Cour de Riom n'a fait qu'appliquer
;
«
« subroge dans ses droits, actions, privilèges ou hypothèques
« contre le débiteur cette subrogation doit être expresse et
« faite en même temps que le payement. ». Ce texte pose donc
des conditions intrinsèque (payer la dette d'autrui) et extrin-
sèque (subroger, de façon expresse, lors du payement) (115).
Or l'on doit constater le non-accomplissement de cette seconde
exigence, l'assureur n'ayant pas pris le soin de fournir, vu
l'article 5, § B, de la police, un modèle d'acte de subrogation
négligence indéniable. Ajoutons qu'il n'a non plus songé, sur
:
la base d'une jurisprudence qui distingue l'acte de subrogation
de sa preuve (116), à soutenir que la confection d'un titre
subrogatif pouvait être postérieure au payement, lequel ne
devenait définitif qu'à cette date.
L'impossibilité juridique de subroger commande, bien
entendu, les rapports assureur-porteur comme ceux de l'assu-
reur et de l'assuré. Mais, dans les relations entre ces deux
derniers personnages, il est un motif supplémentaire d'acquies-
cer à la décision de la Cour. Ne peut consentir une subrogation
que celui qui reçoit le payement. Or l'indemnité va au porteur
:
M. H. Solus interprète ces termes dans le sens de la subrogation
conventionnelle. Il écrit « Nous attachant tout d'abord à la
«formule même de la quittance litigieuse, .nous nous deman-
«dons si les parties n'ont pas entendu. constater purement
«et simplement un résultat juridique qui est celui de la subro-
«gation agit comme une transmission de créance, .qu'elle
«procure au subrogé les avantages de la cession de créan-
«gation. On sait, en effet, qu'au regard du subrogé, la subro-
« ce. » (120). Il nous semble que M. Solus prête aux parties
(117) Cf. Cass., 24 hovembre 1840, S., 1841-1-45; 3 février 1885 pré-
cité. — Notons que l'arrêt de la Cour de Riom examiné au texte a contre-
dit les affirmations exactes qu'il venait d'émettre au sujet de la subroga-
tion conventionnelle en déclarant le tireur-assuré représenté par son assu-
reur. L'analyse est malencontreuse: l'assureur ne représente pas l'assuré;
il paye sa dette personnelle et indépendante, comme, d'ailleurs, l'arrêt
l'admet tout au long. Regrettable en doctrine, cet attendu n'en laisse pas
moins intact le raisonnement de la Cour, car il est surabondant.
(118) D., 1886-1-173,. précité.
(119) Cf. supra, note 19.
(120) Cf. S., 1987-2-28, précité.
en cause un raffinement juridique qui, absent de toutes les
libellé de la quittance :
autres pièces du procès, ne se serait manifesté que dans le
nous ne le suivons pas sur ce point.
créance :
En réalité, le reçu contient un embryon de transfert de
l'arrêt le constate nettement.
Embryon, disons-nous, faute pour l'assureur d'avoir mis
en œuvre la signification ou l'acceptation de l'article 1690
Code Civil. Or ce texte est de rigueur. Rien ne peut suppléer
aux formalités qu'il édicté, pas même la connaissance du trans-
fert par le débiteur de bonne foi. Admis en 1840 par la
Chambre des Requêtes (121), ce principe fut consacré par la
Chambre civile en 1894 (122). Ainsi s'explique l'arrêt de
Riom (123).
***
JURISPRUDENCE CIVILE
Questions d'Assurances
par E.-H. PERREAU
Professeur honoraire & la Faculté; de Droit de Toulouse
;
vant que le premier contrat subsistait, nonobstant la forma-
tion du second car il ne dépend évidemment pas de l'assuré
de se délier, par sa seule volonté, d'un engagement précédent.
Les deux contrats subsistant côte à côte, chacun garantissant
l'entière valeur de l'objet assuré, n'est-ce pas un cumul d'as-
surance au sens propre du terme
Gén. ass., 1932, p. 39).
? (V. note M. Picard, Rev.
sous-assurance;
il n'est pas plus possible de parler ici de surassurance que de
:
d'où résulte qu'avant la loi nouvelle, l'article
359 Code de commerce, ne s'appliquait pas (contra Trib.
Dreux, 1er mai 1935 précité), et qu'aujourd'hui l'article 30 de
laloi du 13 juillet 1930 ne joue pas davantage.
Faute de restriction légale, on doit, comme en tout autre
contrat, pour déterminer ses effets, rechercher l'intention des
parties. C'est une question de fait. Si, par des polices succes-
sives, l'assuré veut élargir ila garantie donnée par un précé-
dent contrat, le montant des condamnations qu'il encourra
;
ports entre eux à titre d'associés, non ceux de l'un d'eux
comme créancier de la société avec celle-ci et nul n'a jamais
douté qu'un des associés ne pût devenir créancier social, avec
les droits attachés à cette qualité (Guillouard, Tr. du Contrat
de Société, 2e vol., n° 222, p. 296 et suiv.).
Il serait particulièrement inexact de prétendre contraire
à l'égalité des associés les droits attachés par la loi même à la
qualité de créancier, comme t'hypothèque judiciaire. Car, dit
notre arrêt, chacun des membres de la Mutuelle pourra se
prévaloir de ces droits dès que, devenu créancier de celle-ci par
suite d'un sinistre, il obtiendra condamnation contre elle au
paiement d'une indemnité.
§ dans quelle mesure l'autorité de
3. — Dans quels cas et
la chose jugée au criminel contre l'assuré profite-t-elle à
son assureur poursuivi par la victime ? (Civ., 9 juil. 1936,
S. 1937, 1. 17 rapport de M. le Conseiller Josserand ; 18
nov. 1936, S. 1937, 1. 105).
Le respect par les tribunaux civils, saisis par la victime
d'une action en indemnité, des sentences rendues par les tri-
bunaux de répression, dans des poursuites pour coups et bles-
sures, est souvent invoqué par les C"» d'assurances, poursui-
vies aux lieu et place de l'assuré. Suivant une formule repro-
duite en de nombreux arrêts de Cassation, le juge civil ne peut
méconnaître la décision du tribunal répressif « soit quant à
l'existence du fait qui forme la base commune de l'action
publique et de l'action civile, soit quant à la participation du
prévenu à ce même fait. » (Civ., 10 fév. 1931 et 26 janv. 1932,
S. 1933, 1. 57,note M. P. Esmein).
La condamnation de l'assureur au civil, sans contredire
sur l'un ni l'autre de ces deux points une sentence rendue au
criminel pour ou contre l'auteur des faits dommageables, ou
ses répondants, n'est donc pas critiquable. Dans les arrêts
publiés récemment, on trouve trois applications de ces idées,
l'une en cas d'acquittement par le juge répressif, l'autre en
cas d'interprétation par le juge civil d'une convention non
discutée devant le juge correctionnel, la dernière concernant
l'utilisation par le juge civil d'estimations faites par le tri-
bunal répressif.
I. La portée des sentences de ceux des tribunaux qui doi-
vent motiver leurs décisions (tribunaux de simple police, tri-
bunaux correctionnels, cours d'appel) se détermine à l'ordi-
naire aisément, en rapportant les motifs du dispositif. Quand
un tribunal correctionnel, après avoir reconnu l'absence de
faute à sa charge, relaxe le prévenu, la faute civile s'appréciant
aujourd'hui comme la faute pénale en matière de coups et
blessures, le prévenu ne peut plus être utilement recherché
comme personnellement responsable des conséquences dom-
mageables de son fait (Civ. 15 janv. 1929, S., 1930, 1. 177 ;
1" déc. 1930, S. 1931-1-109 et note). Son assureur ne pourrait
pas davantage être poursuivi du même chef par la victime
devant la juridiction civile.
il
Mais en est autrement au grand criminel, où le verdict
du jury, les ordonnances du président, ni les arrêts de la cour
d'assises ne sont motivés (art. 348, 358 et 364 C. Inst. Crim.).
Ils ne statuent que sur la culpbabilité de l'accusé. En cas
d'acquittement, on sait seulement que les éléments de l'in-
culpation criminelle servant de base aux poursuites ne sont
pas réunis. Il n'en résulte pas que le prévenu soit étranger
aux faits dommageables relevés contre lui, ni même qu'il n'en
soit pas civilement responsable. C'est pourquoi la loi donne
pouvoir à la Cour d'assises, immédiatement après le prononcé
de l'acquittement, de statuer sur l'indemnité réclamée par la
victime (art. 348, C. Instr. crim.).
La même action en dommages-intérêts pourrait être
portée devant le juge civil, et plusieurs fois la Chambre des
Requêtes a décidé qu'il a toute latitude pour apprécier les
conséquences purement pécuniaires pouvant, indépendam-
ment de toute culpabilité criminellede leur auteur, découler
des faits dommageables reprochés à l'accusé (Req. 10 janv.
1928, S. 1928-1-159 ; 24 oct. 1932, S. 1933-1-21).
Pour des raisons identiques, la même solution est donnée
par la Chambre civile, en cas d'acquittement par les Conseils
de Guerre, dont les décisions ne sont pas motivées (Civ.14
janv. 1925, S. 1926-1-31 ; 3 fév. 1925, S. 1925-1-61).
Tel est également l'avis de la doctrine (R. et P. Garraud,
;
Précis de droit criminel, 158 édition, n° 1158 Ripert, D. P.,
1925-1-5 ; Savatier D. P. 1930-1-42, col. 2 ; Vidal et Magnol,
Cours de droit criminel, 88 édit., n° 681, p. 803).
Dans ces conditions, nul doute qu'à son tour la Chambre
civile n'adopterait, en cas d'acquittement devant les .assises,
la solution des Requêtes, et qu'elle ne rendît, à l'égard de
l'assureur la même décision qu'à l'égard de l'auteur des
faits (1). L'occasion vient de se présenter.
(1) Jugé déjà que l'acquittement dans les poursuites aux assises
contre l'assuré pour incendie volontaire n'empêche pas le tribunal civil
de lui refuser l'indemnité d'assurance incendie, pour imprudence au
négligence grave. constatée par l'arrêt criminel (Rouen, 22 mars 1923,
Jour. Assurances, 1923, p. 382).
Un gardien de nuit du Jardin d'Acclimatation, ayant
blessé une personne dans une bande bruyante qu'il prenait
pour des malfaiteurs, poursuivi pour blessure volontaire, fut
acquitté en Cour d'assises, le jury l'ayant déclaré non cou-
pable, mais condamné par la même cour, solidairement avec
son employeur, à indemniser la victime. L'employeur se re-
tourna contre son assureur, lui ayant promis garantie des
« accidents corporels causés involontairement aux tiers et aux.
visiteurs ». L'assureur contesta de caractère involontaire du
dommage. Le juge civil déclara que ce caractère était suffi-
samment établi par le verdict d'acquittement au profit du
gardien par la Cour d'assises.
Mais la décision non motivée du jury se référant à la
seule culpabilité pénale de l'accusé, sans se rattacher plus
spécialement à tel des éléments d'incrimination, parexemple
le caractère volontaire ou non de l'acte de l'accusé, n'empê,
;
chait pas la juridiction civile de qualifier cet acte de volon-
taire pour appliquer un contrat d'assurances et la Chambre
civile cassa l'arrêt faute, par le juge d'appel, d'avoir donné
base légale à sa décision, en s'abstenant d'examiner lui-même
si (les blessures étaient ou non volontairement causées (Civ.
9 juil. 1936, précité.)
;
directe, 1934, p. 49 ; H. et L. Mazeaud, Tr. théor. prat. de
la responsabilité civile, 2e éd., t. III, n° 2713 M. Picard,
L'autonomie de l'action directe, Rev. géné. ass. 1933, p. 725 et
).
suiv
;
la garantie dûe par l'assureur imposaient à l'assuré la charge
de lapreuve les tribunaux y voyant une clause de déchéance
de l'assuré, mettaient la preuve au compte de l'assureur.
Or voici que successivement la Chambre civile et celle
des Requêtes, sans contester qu'il s'agisse de déterminer, par
de telles conventions, le champ de la garantie dûe par l'as-
sureur, et sans invoquer une déchéance de l'assuré, viennent
de mettre à la charge de l'assureur le soin de prouver qu'au
moment de l'accident, le conducteur de l'auto n'avait pas de
permis de conduire( Civ.23 mars 1937 et Req. 20 janv. 1937,
précités.)
Plus récemment, la Chambre civile a jugé, d'une manière
analogue, que lorsque le contrat d'assurance garantit les seuls
accidents d'auto survenus pendant l'emploi de la voiture pour
l'usage privé de son maître, il incombe à l'assureur, voulant
éviter de payer l'indemnité, d'établir qu'au moment de l'ac-
cident, l'auto était utilisée pour les besoins du commerce de
sonpropriétaire (Civ. 26 avril 1937, précité).
Dans l'un et l'autre cas, la Cour suprême invoque la dis-
position de l'art. 1315, C. civ. ordonnant au débiteur d'établir
les faits d'où résulte sa libération. Dans une certaine mesure,
il est permis de rapprocher ces arrêts de celui de Cassation qui,
lorsqu'une police d'assurance-Vie écarte, en certains cas,
l'obligation pour l'assureur de payer le capital convenu, met-
tent à la charge de l'assureur voulant se soustraire au paie-
ment, la preuve de la mort de l'assuré par une des causes
exclues du contrat (Civ., 21 fév. 1933, S., 1933-1-146, Rev. gén.
ass., 1933, p. 613).
subrogation véritable
tionnelles.
;
cession de créance, tandis qu'elle résulte aujourd'hui d'une
car il est des subrogations conven-
Observant que, d'après les termes de l'art. 36, la subro*
gation provient du paiement par lui fait de l'indemnité pro-
mise, la Cour de Cassation décide que, lorsque ce paiement
s'est effectué depuis la loi de 1930, il entraîne subrogation
aux droits de l'assuré (Civ. 5 juil. 1937, précité).
D'après cet arrêt la transmission des droits de l'assuré
provient, non seulement d'une subrogation proprement dite,
— avec les nuances la distinguant de la cession de créance —
mais encore d'une subrogation légale. Si donc les biens du
tiers responsable ne suffisaient pas à les dédommager tous
deux, l'assuré aurait droit de primer l'assureur, conformément
A :l'art. 1252 C. civ. Le retrait, à la séance du Sénat du 8
juillet 1930, par M. Curral, d'un amendement qui réservait
formellement ce bénéfice à l'assuré ne suffit pas à l'en priver,
cet avantage résultant du droit commun et ce retrait s'expli-
quant par l'inutilité de l'amendement proposé (Journ. Off.,
9 juil. 1930, Déb. pari. Sénat, p. 1471).
1922 disposait :
II. — L'article 55 paragraphes 2 et 3 du décret du 8 mars
« La durée du contrat doit être mentionnée
en caractères très apparents dans la police. — Les statuts et
les polices doivent également stipulerque la durée de la tacite
:
cette limitation à une année. En outre, pour trancher la con-
troverse relative à sa rétroactivité, l'art. 84 § 2 ajoute « Sont
pourtant applicables aux assurances antérieures : .l'art. 5
limitant la durée de la nouvelle assurance en cas de tacite
reconduction pour les assurances expirant après la promul-
gation de la loi. »
Nuln'a jamais douté que, malgré toute clause contraire,
la tacite reconduction des contrats antérieurs à la loi de 1930
ne soit que d'une année (1).
Mais un assuré prétendit qu'en vertu du renvoi par
l'art. 84 à l'art. 5, son contrat ne pouvait être prolongé taci-
tement, faute par sa police de mentionner expressément et
de façon très apparente la durée du contrat et l'impossibilité
d'un renouvellement tacite pour plus d'une année. La Cour
suprême rejeta cette argumentation par ce motif que la ré-
daction même du passage précité de l'art. 84 vise la limita-
tion à un an du renouvellement tacite des contrats en cours
INTRODUCTION
Le sujet de cette étude, dont le caractère ne doit pas dé-
passer celui d'un simple Essai, nous a paru devoir intéresser
non seulement les criminalistes spécialisés du droit pénal mi-
litaire, mais encore tous ceux que l'obligationprofessionnelle
ou le simple désir de culture doctrinale orientent vers cette
législation particulière. Il n'a pas, sous forme monographique,
de précédent, à l'exception toutefois de la substantielle thèse
du Commandant Caille de 1921, antérieure à la loi de 1928,
et limitée à l'examen du Code de 1857. Il représente dans le
domaine déjà peu fréquenté du Code représsif militaire, une
zône effacée et d'arrière-plan, presque perdue dans l'ombre
et surtout formée d'îlots dispersés et fragmentés, dont le re-
membrement est aussi complexe qu'artificiel. Il offre donc
l'attrait d'une terresinon nouvelle, du moins peu visitée. Son
particularisme augmente encore cet attrait, car il constitue
dans notre droit pénal une véritable anomalie, presque un
paradoxe, sans aucun équivalent dans toute notre législation
répressive. Comment en effet, qualifier autrement le rôle et
les pouvoirs d'une autorité, qui sans faire partie intégrante
d'uneprocédure criminelle, a, indépendamment d'un droit de
contrôle permanent, seule le droit absolu de la déclencher
?
et d'en anéantir le résultat Quelle est donc cette personna-
?
table Quels sont ses droits? Quels sont ses moyens?
lité si étrange et singulière, armée d'une force aussi redou-
;
culpé devant le tribunal militaire, ou lui infliger une simple
peine disciplinaire, liquidant définitivement l'affaire ensuite,
dans le premier cas, suivre pas à pas l'évolution de la pro-
terminées;
cédure et intervenir dans des circonstances et conditions dé-
enfin, la sentence prononcée, en assurer ou en
arrêter l'exécution, et en amorcer ainsi, dans cette dernière
:
éventualité, l'anéantissement. Ses moyens sont divers et
appropriés à ses droits le déclenchement des poursuites se
traduit par l'ordre d'informer ; le contrôle, de la procédure
par la décision du référé ou l'opposition aux diverses ordon-
nances de clôture du magistrat Instructeur ; l'arrêt de l'exé-
cution de la sentence, et conditionnellement, sa disparition,
par la suspension de la peine.
Tel est sous le régime actuellement en vigueur en France,
celui de la loi du 9 mars 1928, le droit de l'autorité Militaire
;
Mais ce n'est qu'une conception, celle du régime présent.
Il y en a eu bien d'autres dans le passé il en existe aussi bien
d'autres, dans les autres Pays. Elles s'échelonnent sur toute
une gamme de concepts, depuis celle de la confusion com-
plète du pouvoir disciplinaire et du pouvoir judiciaire, jusqu'à
celle de la séparation totale de ces pouvoirs et même, au moins
en période normale, de la substitution de la juridiction civile
à la juridiction militaire. Voici les principales notations de
cette gamme.
L'une peut consister dans la réunion sur la même tête du
pouvoir de répression disciplinaire et du pouvoir de juger, ou
pour employer la langue des juristes, de l'imperium et du
judiciUln. Celui-ci est alors une conséquence et une dépen-
;
dance decelui-là. L'autorité chargée de faire respecter la disci-
pline et d'appliquer la loi, ne change jamais c'est toujours
l'organe du Commandement ou de ses délégués. Certaines me-
sures de formalisme ou de contrôle apparaissent seulement
lorsque le pouvoir judiciaire intervient. C'est un système de
peuple peu évolué, et surtout militaire, où la distinction entre
la simple faute disciplinaire et la véritable faute pénale n'est
pas ou ne veut pas être faite. Ce fut celui des Romains et de
leurs successeurs en Gaule, les Gallo-Romains. Chez les pre-
miers, les Rois, les Consuls, l'Empereur ou leurs différents
)
préposés (Décemvirs, Tribuns, Proconsuls, Legati, Préfets du
Prétoire, Maîtres de la Milice, Comtes, Ducs, Centeniers ; chez
les seconds, Commandant supérieur des Gaules, Gouverneurs
de Provinces Militaires, exercèrent en vertu même de leur im-
perium, les pouvoirs judiciaires qui furent simplement con-
trôlés par la double institution du concilium (conseil d'assis-
tants) auprès du juge, et de l'appel aux déléguants des sen-
tences du délégué. Mais les représentants du Commandement
eurent toujours le monopole de juridiction sur les Militaires
en tout temps, même pour les fautes extra disciplinaires. Le
pouvoir judiciairedu.commandement y est absolu, puisque ce
dernier constitue et représente le tribunal lui-même. C'est
aussi le système des Anglo-Saxons. Si en effet, dans les légis-
lations pénales anglaise et américaine, Commandement et Tri-
bunal ne sontpas confondus et si les organismes de discipline
et de justice ont chacun leur existence propre et distincte, le
premier exerce sur le second une influence prépondérante. En
effet, il a le droit de diligenter l'instruction préliminaire et
définitive, d'arrêter ou déclencher l'action judiciaire, de nom-
mer les juges de la Cour Martiale, de confirmer, remettre ou
surseoir à l'exécution de la sentence et mêmearbitrairement,
de dessaisir et de dissoudre cette juridiction. La séparation
n'est donc qu'apparente, il y a en réalité dépendance et sujé-
tion de l'un à l'autre.
Une deuxième peut remettre à l'Assemblée souveraine de
la Nation, pour les fautes importantes, et aux assemblées
secondaires pour celles de moindre importance, le pouvoir de
juger. Mais il faut alors que ces assemblées soit composées
des forces vives du pays, c'est-à-dire de tous les hommes en
état de porter les armes et soient ainsi la véritable représenta-
tion de la nation. Il faut aussi que celle-ci soit, afin de pouvoir
facilement s'assembler et utilement délibérer, peu étendue et
peuplée. Il faut enfin que l'organisation militaire ne soit pas
très avancée et que l'armée ne soit autre chose que la réunion
des peuplades en armes. C'est le système des Germains dont
l'état social embryonnaire et les mœurs primitives s'accor-
daient bien avec le cadre restreint autonome et fédéral de la
civilisation du pagus. Le pouvoir judiciaire du Commande-
ment, sans disparaître, puisque les Chefs Militaires président
les Assemblées et y ont grande influence, est bien moindre, la
souveraineté de celles-ci étant au premier plan.
Une autre peut déléguer aux différents représentants du
pouvoir civil (central ou local) les fonctions de juges mili-
taires tout au moins à l'égard des éléments de l'armée, dont
le service est de brève durée, et qui ne quittent que momen-
tanément leurs occupations de la vie civile. Ce mode convient
très bien à une époque où la paix est précaire et constamment
violentée par les secousses de la guerre. Etat instable et alterné
de luttes, de trêves et d'accalmies, qui caractérise la sombre
et trouble période des Royautés Mérovingienne, Carolingienne
et de la Féodalité. A ces différentes époques, l'armée, à l'ex-
ception des troupes mercenaires en nombre réduit, était com-
posée des soldats du Roi ou du Seigneur convoqués pour un
temps limité, par le ban et l'arrière-ban, et conduits en guerre,
soit par les Ducs, Comtes, Centeniers au temps de la première
Race, soit par les vassaux ou sous-vassaux laïques ou écclé-
siastiques, à celui de la deuxième Race, ou de la Féodalité. Le
passage constant et subit en ces siècles tourmentés de l'état
de paix à celui de guerre et inversement, nécessitait l'existen-
ce d'une organisation militaire toujours prête à fonctionner.
Il ne pouvait y avoir dans ces conditions de meilleurs cadres
et institutions que ceux de l'administration civile, qu'une
rapide mise au point adaptait aux circonstances nouvelles. Le
pouvoir judiciaire du Commandement indépendamment des
troupes soldées relevant exclusivement de leurs chefs et pour
lesquelles les règlements disciplinaires tenaient lieu de lois,
était encore ici très diminué. Dans la période Mérovingienne,
la justice militaire est en effet rendue par le Roi, ou ses diffé-
rents hauts fonctionnaires délégués, assistés par la Cour des
Rechimbourgs, mais agissant comme représentants du pou-
voir civil central. Dans la période Carolingienne ou féodale,
elle est assurée suivant les règles contractuelles et fidèlement
respectées, des contrats de concession de tenures ou des char-
tes d'émancipation.
Une quatrième encore peut faire des juges civils, des juges
militaires, soit lorsque des civils sont en cause, soit même
pour des infractions exclusivement militaires et n'intéressant
que des militaires, au moins en temps de paix. C'est habituel-
lement le système de gouvernement des régimes dont le pou-
voir central est fortement assis et où l'élément civil prédo-
mine. Il s'établit alors une tendance naturelle à réduire au
minimum d'importance et au seul temps des hostilités, les
juridictions dites spéciales ou Militaires. Ce fut celui de la
Monarchie Française depuis Charles VII jusqu'en 1789. Le
Tribunal de Connétablie et son héritier le Grand Prévôt, le
Prévôt des Maréchaux, les juges dits ordinaires, c'est-à-dire
les prévôts, baillis, sénéchaux, présidiaux étaient par leur ori-
gine, leurs fonctions ou leurs attributions, des juges civils, à
compétence militaire en temps de paix, très étendue. Celle-ci
englobait en effet non seulement les infractions de droit com-
mun, commises par civils ou militaires ou ces derniers seuls,
mais encore des crimes et délits spécifiquement militaires,
jusqu'à l'un des plus graves, la désertion. La juridiction mili-
taire se trouvait ainsi réduite à ses extrêmes limites et n'inter-
venait qu'en temps de guerre, par îles Prévôts d'Armée, de Régi-
ment ou les Conseils de guerre. Cette particularité est remar-
quable, car bien des Gouvernements, à caractère républicain
et même démocratique, ont adopté une législation tout à fait
opposée. Le pouvoir judiciaire du Commandement doit néces-
sairement se ressentir d'un régime aussi restrictif. Il dispa-
raît complètement en temps de paix et ne réapparaît qu'en
temps de guerre, auprès des juridictions spéciales, à l'égard
de leur clientèle limitée. Même dans ce domaine restreint, l'au-
torité absolue du pouvoir central cantonne et conditionne son
action.
;
L'on peut aussi organiser la Justice Militaire à l'aide de
deux éléments juxtaposés un jury statuant sur la culpabilité
et un tribunal sur l'application de la peine, composés l'un et
l'autre soit de militaires, soit de non-militaires, soit des deux,
désignés par le sort, le commandement ou le pouvoir civil.
Cette juridiction mixte décalquée sur celle du droit commun,
ne connaît que des infractions strictement militaires, et en
temps de guerre de toutes infractions commises aux Armées.
Ce fut celle appliquée pendant les deux premières périodes de
l'époque Révolutionnaire, d'octobre 1790 à septembre 1795.
L'une calme d'abord, agitée ensuite, dominée par les principes
de la Déclaration des Droits de l'Homme ou du Citoyen, s'écou-
lant d'octobre 1790 à mai 1793, est marquée par l'institution
successive pour les infractions graves, de la Cour Martiale avec
ses deux jurys constitués d'après le roulement d'un tableau
particulier, et ses trois officiers juges, désignés par le Comman-
dement, et pour les infractions moins graves, des tribunaux de
Police Correctionnelle, avec ses seuls trois officiers juges nom-
més de même, ne connaissant les uns et les autres en temps de
paix que des affaires spécifiquement militaires, intéressant
des militaires seuls, et en temps de guerre, de toutes. L'autre
allant de mai 1793 à septembre 1795, extrêmement convul-
sive et tendue à laquelle les périls du dehors et du dedans ont
imposé des idées réalistes, est caractérisée par le fonctionne-
ment, d'abord des tribunaux criminels, avec leur unique jury
constitué comme précédemment, leur accusateur et leurs trois
juges, nommés par le Conseil Exécutif et le Comité de Salut
Public, ensuite par celui, suivant la gravité de l'infraction, des
tribunaux de Police Correctionnelle ou Criminels, composés
ceux-là d'un Officier de Police judiciaire, Président, nommé
;
par la Convention, d'un militaire du grade de l'inculpé et d'un
citoyen du territoire ceux-ci d'un jury, arrêté par le Prési-
dent et de trois juges non militaires nommés par la Conven-
tion. Toutes ces juridictions jugent indistinctement les infrac-
tionscommises aux Armées ou à leurs suites.
Dans une pareille organisation, le pouvoir du Commande-
ment est d'abord extrêmement faible, puisqu'il n'intervient
dans la Cour Martiale que pour la confection presque automa-
tique du tableau des jurés et la nomination, d'après des règles
strictes, des officiers-juges, ensuite inexistant, puisque l'élé-
ment militaire des tribunaux criminels ou de police correc-
tionnelle est désigné pour le jury par le Président du tribunal
.et pour les juges par l'Assemblée Nationale ou une autorité
locale.
Enfin un dernier système consiste à confier aux Militaires,
les jugements des fautes commises par leurs frères d'armes,
sauf à donner aux juridictions ainsi composées une compé-
tence plus ou moins élargie, à l'inculpé plus ou moins de
garanties pour sa défense, et au Commandement des pouvoirs
d'action plus ou moins grands sur l'action pénale. C'est ce
système qui paraît le plus adapté à notre pays puisque, avec
des modalités diverses, il existe depuis 1795 et compte ainsi
près d'un siècle et demi d'existence. Inauguré par les Con-
seils Militaires de l'An III, coimposés d'officiers, sous-officiers
et soldats, nommés librement par le Général et connaissant
en tout temps des infractions commises par toute personne
dépendant de l'armée ou de sa suite, il s'est poursuivi par les
Conseils de guerre de l'an V, dont les membres, officiers, sous-
officiers, sont également nommés par le Général, sans aucune
réglementation, et la compétence étendue englobe à la fois
toutes les infractions de nature militaire,quels qu'en soient
;
les auteurs, et toutes celles commises par les militaires, quelle
qu'en soit la nature continué avec le Code de 1857, qui a
soumis cependant à une réglementation fixe la désignation
des juges, mais maintenu les règles de compétence, et s'est
achevé avec la dernière loi de 1928, qui a légèrement resserré
la réglementation de désignation des juges, et détendu les
règles de la compétence, par un retour marqué au droit com-
mun. Dans ce système le pouvoir judiciaire du Commande-
ment a subi une courbe décroissante. Au début, avec la loi
de l'an V, il avait non seulement l'exclusif et double droit
d'ordonner les mises en information et jugement, mais aussi
;
comment, à travers les âges et les peuples, le pouvoir judi-
ciaire du Commandement a été conçu et appliqué dans une
deuxième partie d'analyse exégétique, d'examiner son fonc-
tionnement actuel, enfin dans une troisième partied'étude
internationale comparée, de rechercher comment les divers
Etats modernes l'ont, suivant leurs tendances politiques ou
sociales, à leur tour organisé. Nous essayerons, après ce long
périple, de dégager des leçons du passé et du présent, les
enseignements de l'avenir,
SOMMAIRE
PREMIERE PARTIE
Exposé Historique
CHAPITRE I. — Dans la Rome Antique.
CHAPITRE II. -
Dans la Gaule Indépendante, Gallo-Romaine, en
Germanie et sous la Monarchie Franque.
CHAPITRE III. — Sous la Féodalité.
CHAPITRE IV. — Sous la Monarchie.
CHAPITRE V. - :
Sous la Révolution 1" Période — 2" Période
3" Période.
-
CHAPITRE VI. — Sous la loi de l'an V et de ses annexes.
CHAPITRE VII. — Sous la loi de 1857.
DEUXIEME PARTIE
Législation Actuelle. Code de 1928
CHAPITRE I. — Période de 'l'Information.
CHAPITRE n.
CHAPITRE III.
--
Période de l'Instruction.
Période de Jugement.
CHAPITRE IV. -
Période d'Exécution.
TROISIEME PARTIE
Législation Comparée
HENRY ALDEBERT
LES POUVOIRS JUDICIAIRES
PREMIERE PARTIE
EXPOSE HISTORIQUE
CHAPITRE PREMIER
DANS LA ROME ANTIQUE
1° Sous LES :
Rois
de leur sentence;
lité. Les Consuls avaient seuls le droit d'ordonner l'exécution
ils la déléguaient toutefois aux Tribuns,
mais après l'avoir autorisée par le geste rituel du coup de
baguette. Ils avaient aussi le soin de l'instruction de l'affaire,
qu'ils dirigeaient comme ils l'entendaient. Maîtres absolus de
l'application de la peine, ils l'étaient aussi des formalités de
procédure. Pourtant ils déléguaient couramment ces pouvoirs
aux magistrats se trouvant immédiatement au-dessous d'eux,
les Tribuns. Revêtus également de Vimperium, ceux-ci plus
particulièrement chargés de la surveillance et du maintien de
la discipline, remplissaient aussi de véritables fonctions judi-
ciaires. Ils procédaient par délégation aux enquêtes ou infor-
mations des affaires venant devant le Consul, intervenaient à
l'audience, comme accusateur public, en jugeaient eux-mêmes
?
certaines autres. Lesquelles Suivant l'opinion de Mommsen,
c'étaient probablement celles n'emportant pas la peine capi-
tale. Il est présumable aussi que ces sentences étaient, comme
celles du Consul lui-même, définitives et sans appel, la loi
Valéria de l'an 245 avant J.-C., qui interdisait l'appel en
matière militaire, s'appliquant sans restriction à toutes.
Dans les temps de dictature, les pouvoirs consulaires étaient
-
transmis au Dictateur qui jugeait seul et sans appel, même
dans l'enceinte de Rome. Son maître de Cavalerie, dépourvu
de Vimperium, ne pouvait le remplacer dans ces fonctions
judiciaires.
3° Sous L'EMPIRE :
L'imperiuln-judiciuln des Consuls fut tout naturellement
dévolu à l'Empereur, Chef du Nouveau Régime. Pourtant
l'attribution qui conférait ce pouvoir de juger ne dérivait pas
du simple titre d'llnperator, ne donnant aucun pouvoir
;
spécial, mais de la puissance proconsulaire, dont il était
revêtu ce qui marque bien cette idée de continuité et de
tradition, caractéristique de l'évolution des institutions
romaines. L'Empereur n'exerçait pas, sauf pour les causes
d'extrême importance, ces pouvoirs judiciaires en personne
il les déléguait par un mandat spécial dans les Provinces du
;
Sénat, pour les troupes s'y trouvant en garnison, aux Procon-
suls, qui portaient alors comme signe distinctif le manteau
militaire et l'épée, et dans les Provinces lui appartenant, aux
Généraux commandant les Légions, qui, de ce fait même,
exerçaient Vimperium militaire (sauf à l'égard des officiers,
justiciables du Tribunal de l'Empereur), et s'appelaient les
Legati. — Pour Rome et l'Italie, où la division des provinces
n'existait pas, la juridiction militaire était confiée au Préfet
du Prétoire, et s'étendait sur les Cohortes Prétoriennes, Garde
d'honneur et de sécurité de l'Empereur, ou sur les troupes
qui y étaient stationnées. — Au Ille siècle, en raison des
dangers et des troubles qu'étaient pour l'Empire les Cohortes
Prétoriennes, celles-ci furent supprimées. La juridiction mi-
litaire des Préfets du Prétoire disparut et fut transférée aux
Maîtres de la Milice (de cavalerie oud'infanterie) dont les uns
résidaient dans les Provinces (3 pour l'Empire d'Occident et
2 pour l'Empire d'Orient), et dont les autres restaient auprès
de l'Empereur. Ceux-ci ne connaissaient que les appels des
provinces et les causes exceptionnelles de la capitale, ceux-là
que des procès présentant une gravité particulière ou un
;
caractère politique. Au-dessous d'eux étaient les comtes, ducs
etcenteniers, qui jugeaient les affaires ordinaires au-des-
sous encore, les commandants des troupes solutionnant les
litiges sans importance, intéressant les soldats qui se trou-
vaient directement sous leurs ordres. — Tous ces divers
magistrats militaires du Bas Empire (Proconsuls, Legati,
Préfets du Prétoire, Maîtres de la Milice, comtes, ducs, cen-
teniers), s'entouraient d'un conseil d'assesseurs pris pour les
affaires criminelles parmi les pairs de l'accusé, dont l'avis
n'était pas légalement obligatoire, mais était toujours en fait
adopté, et dont les fonctions éphémères ne pouvaient être
;
renouvelées. La sentence prononcée par le Président était
définitive et sans appel pourtant elle était susceptible de la
supplication en la clémence impériale, c'est-à-dire du recours
en grâce.
Le droit pénal militaire fut donc à Rome en constante
transformation, et se modela exactement sur le caractère et
la composition de l'armée. Sous les Rois et les premiers siècles
de la République, où le service militaire était un véritable
privilège, les légions ne comprenaient que des citoyens
romains possédant au moins 4.000 as ; elles n'étaient levées
qu'en cas de guerre et licenciées, celle-ci terminée. Dans les
derniers temps de la République, lorsque l'état de guerre se
prolongea, par suite de la nécessité de la défense du sol
italien, ou des conquêtes extérieures, la composition de
:
l'armée se modifia. Il fallut avoir recours à de nouveaux
éléments pauvres, prolétaires affranchis, Italiens, furent
successivement incorporés dans les légions, dont le recru-
tement s'étendit peu à peu jusqu'aux dernières couches
sociales. D'autre part, la durée du service s'étendit au point
d'absorber toute la vie du soldat. L'armée forma ainsi une
véritable caste militaire, celle des célèbres vétérans. Sous
l'Empire, avec l'appel sous les armes de tous les sujets et
alliés sans exception (conséquence de l'octroi qui leur fut
donné du droit de cité) des colons et même des esclaves, ce
bord que ;
caractère de troupes de métier, s'accentua. Il en résulta d'a-
la compétence des magistrats militaires s'élargit au
début strictement pénale et militaire, elle s'étendit ensuite à
tous leslitiges civils dans lesquels les soldats étaient intéressés.
Il était en effet de toute nécessité que ceux-ci fussent spéciale-
ment protégés pendant la longue durée de leur congé par leurs
propres chefs. Il en résulta aussi l'obligation de rétablir au
moins pour les autorités jugeant des intérêts civils concernant
un soldat ou des délits d'importance secondaire, un double
degré de juridiction. Celui-ci était d'ailleurs la conséquence
nécessaire de la délégation par l'Empereur de ses pouvoirs
judiciaires à un certain nombre de sesmagistrats. Toutefois
chez ce peuple essentiellement militaire qu'étaient les Romains,
jamais à aucune époque de son histoire, même au Bas-Em-
pire, avec le Préteur, dont 'les pouvoirs étaient pourtant très
étendus, le magistrat civil n'eut de juridiction sur le soldat.
Une particularité intéressante marque encore cette évolution.
La législation militaire n'est apparue que sous l'Empire et
même le Bas-Empire. Les seuls textes des jurisconsultes l'in-
téressant sont en effet le Titre 16, Livre 49 du Digeste, les
Institutions Militaires de Vence, le code de l'Empereur Maxi-
me, la 8e Institution militaire de Léon le Philosophe. Il semble
donc que ce soit l'armée de métier qui ait déterminé les juris-
consultes à légiférer en raison de la longue présence sous les
;
armes de ses éléments. Au préalable, le droit pénal militaire,
au sens juridique du mot n'existait pas il ne se traduisait
que par des règlements ayant force de 'loi, mais élaborés par
des chefs militaires et non des juristes, bien suffisants pour
les besoins des curiates ou centuriates faisant un court passage
dans les légions. La seule source de renseignements pour l'é-
poque antérieure à l'Empire, est constituée par les récitsdes
Historiens (Polybe, Cicéron, Tite-Live, Tacite, Salluste, etc.),
qui malgré leur abondance, leur pittoresque ou leur variété,
n'ont point la précision et l'autorité de documentation des
jurisconsultes. Ils ne rapportent que des usages et non des lois.
Durant toute la longue histoire de Rome, le pouvoir judi-
cium du Commandement fut donc absolu, puisque Vimperium
absorbait totalement le judicium, et que même l'un ne se con-
cevait pas sans l'autre. Il fut évidemment limité, assujetti à
un formalisme rigoureux, contrôlé, amendé par diverses
mesures plus ou moins étendues suivant les époques, telles
que le consiilium, la supplicatio ; (mais il ne cessa jamais
d'être l'une des prérogatives et l'un des attributs essentiels du
Commandement. Aussi, si l'autorité militaire put, à certains
moments, connaître des intérêts civils du soldat, jamais le
magistrat, juge civil, même le plus important, le Préteur, ne
put juger le soldat.
CHAPITRE II
;
esclaves. Ceux qui ne la possédaient pas, se groupaient, et à
tour de rôle effectuaient cette prestation très souvent d'ail-
leurs cette redevance en nature se transformait en argent.
L'armée Romaine était donc en Gaule, comme dans le reste de
l'Empire, une véritable armée de métier. D'autre part l'orga-
nisation de la défense du territoire subit, à la même époque,
sous la menace pressante des invasions, une complète refonte.
La Gaule qui jusque là n'avait compté que deux provinces
armées sur 17, fut divisée en Commandements militaires,
placés sous l'autorité d'un Duc ou Comte, dépendant eux-
mêmes des Gouverneurs des Provinces Militaires et ceux-ci du
Commandant Supérieur des Gaules, lequel relevait à son
tour du Maître de l'Infanterie, autorité militaire la plus élevée.
Le pouvoir de juger n'appartenait qu'à l'homme revêtu de
l'imperium, c'est-à-dire à l'Empereur lui-même ou ses délé-
gués (Maître de la Cavalerie ou Commandant Supérieur des
Gaules, Gouverneurs de Provinces Militaires) avec assistance
de leur consilium respectif et faculté d'appel des derniers aux
premiers. Aux simples ducs et comtes, était réservée la con-
naissance des délits les moins graves présentant un pur carac-
tère disciplinaire.
Telle était l'organisation militaire du pays Gallo-Romain,
lors des invasions barbares. Elle était trop visiblement ins-
pirée de la législation Romaine pour ne pas être faite à son
image. Le pouvoir de juger les militaires appartient toujours
au Commandement, tempéré par le contrôle du consilium et
l'institution de l'appel.
;
des affaires d'importance secondaire. Il n'y avait certainement
pas de dispositions spéciales aux militaires les devoirs civi-
ques et militaires étaient confondus et leur infraction, jugée
indistinctement, suivantleur gravité, soit par le Mail, soit par
le Graff. Mais à côté de ces autorités normales et régulières, il
y en avait d'extraordinaires et d'occasionnelles. C'était d'abord
le chef militaire ou dux, élu en temps de guerre, et dont les
pouvoirs limités cessaient à l'expiration de ce temps. C'étaient
ensuite le comitatus, sorte d'association guerrière intervenant
entre un chef de civitas et certains membres de celle-ci. Nul
doute quele chef dux ou le chef de comitatus pendant la durée
de l'expédition guerrière ou celle de l'activité de l'association
n'eussent aussi des pouvoirs judiciaires sur les hommes de
leur contingent. Dans quelle mesure ces pouvoirs étaient-ils
limités ou contrôlés par ceux de l'Assemblée de la Civitas ou
du Graff ? Rien ne permet de l'indiquer. Mais il semble toute-
fois que la souveraineté de ces deux Assemblées dût s'effacer
devant celle du Dux ou du Chef de Comitatus, pendant toute
la durée de leurs fonctions, en raison du caractère temporaire
ou particulier de celles-ci.
Ainsi suivant le temps de paix ou de guerre, c'était l'As-
semblée du Mail ou du Graff, le dux ou le chef de comitatus
qui exerçait le pouvoir judiciaire, toujours attribut du Com-
mandement. Mais ce pouvoir, au moins en temps de paix et
pour les causes capitales, cède le pas à l'Assemblée souve-
raine. Même pour les causes secondaires, il est contrôlé par
une cour de pairs.
;
par ordre d'importance
sieurs Comtes les Comtes qui gouvernaient la Cité ;
les Ducs qui commandaient à plu-
les
.vicaires ou les centeniers, chefs de subdivisions de la Cité,
pagi ou centuries. Ils conservaient sur leurs hommes les
pouvoirs de juridiction ordinaires, aggravés cependant des
nécessités du nouvel état de choses. Reste à préciser quelle
était, hors la période d'hostilité, la nature et l'étendue de ces
:
pouvoirs. Trois sources de documents nous renseignent à cet
égard 1° les lois (Salique, Ripuaire, Burgonde, Romaine) ;
20 les écrits des historiens (Grégoire de Tours, Frédegaire, et
hagiographes) ; 30 les actes (procès-verbaux de jugements et
formules). Le mail de la civitas a disparu, le peuple ou plutôt
la Nation armée et assemblée n'a plus de pouvoir de justice.
Les trois récits de Grégoire de Tours, notamment celui du
Vase de Soissons et de l'exécution du guerrier franc ne prou-
vent rien. Clovis ne préside pas une assemblée de justice, où
l'on discute, l'on délibère et l'on vote, mais simplement une
revue militaire, où les soldats ne sont même pas consultés.
Les épisodes qui la marquent ne sont que des sanctions disci-
plinaires. Le pouvoir judiciaire était partagé entre le Roi et
;
groupes de cités, les ducs dans les cités, les comtes
dans les
dans
les subdivisions territoriales de celles-ci, cantons ou centu-
ries, les vicaires ou les centeniers. Ces divers magistrats ne
jugeaient pas seuls, mais étaient assistés d'assesseurs choisis
par eux qui, au moins en fait, sinon en droit, arrêtaient les
jugements dont la lecture était faite par le juge royal. C'était
la juridiction inférieure du tribunal du Comte ou de ses
suppléants, jugeant des affaires d'importance secondaire, et
par délégation. Ses sentences pouvaient être portées en appel
devant le Tribunal du Roi.
Le système fédératif des Germains a disparu et avec lui
la représentation de la souveraineté de la nation. La centra-
lisation au contraire apparaît, avec ses juridictions supé-
rieures ou inférieures, manifestations habituelles du pouvoir
central. Toutefois, souvenir de l'époque précédente, le corps
des assistants est conservé. Mais la division des pouvoirs
judiciaire et disciplinaire se manifeste avec prédominance
marquée de l'autorité civile.
;
royaux, c'est-à-dire les bénéfices, qui étaient assujettis au
devoir de guerre en leur qualité de plus riches, ils partaient
les premiers. La deuxième, les propriétaires d'un certain
année dans la
:
mandements de guerre, et sa volonté impérieuse de plier
ces bénéficiaires ecclésiastiques à la loi commune du service
partie
« Nous te faisons
«savoir que nous avons fixé notre rendez vous pour la pré-
orientale, près de la
« sente en Saxe,
«rivière Boda, au lieu nommé Starasfurt. En conséquence,
«nous t'ordonnons que tu te rendes en cet endroit en plein
«service avec tes hommes, bien armés et fournis de tout, et
« que tu t'y trouves le 14 des calendes de juillet. Vous serez,
« toi et tes hommes, si bien garnis de toutes choses néces-
«saires que vous puissiez aussitôt marcher en guerre du
«côté où vous recevrez l'ordre de marcher, c'est à dire que
«vous devez avoir avec vous tout ce qu'il faudra en armes,
« vêtements, vivres, ustensiles et tous instruments. Chaque
«cavalier aura l'écu, la lance, l'épée longue, l'épée courte, un
«arc, deux cordes, douze flèches. Dans vos charriots, vous
« aurez des cognées, des haches, des pioches, des pelles en fer,
«tout ce qui est nécessaire à l'armée. Vos charriots devront
«porter des vivres pour trois mois, des vêtements et armes
« pour six mois du
à compter jour du rendez vous à Staras-
«furt (près de Magdebourg). Aie soin de n'apporter à tout
«cela aucune négligence, si tu veux mériter nos bonnes
«grâces. »
Il est facilede voir que cette redevance militaire pesait
surtout sur la classe moyenne des hommes libres et des pro-
priétaires du sol. Aussi tous ses membres la désertèrent, les
uns pour tomber dans celle des colons et des serfs, les autres
pour s'élever au rang des seigneurs. Cette armée ou plutôt
ce peuple en armes étaitmenée en guerre par les trois sortes
de chefs, sous l'autorité administrative et judiciaire desquels
elle se trouvait déjà placée dès le temps de paix. D'abord les
leudes ou fidèles vassaux et arrière vassaux qui rassemblaient
les hommes soumis à leur vasselage et les conduisaient eux-
mêmes marchant sous les ordres immédiats de l'Empereur.
Ensuite les comtes (Comites) qu'aucun lien de vassalité
n'inféodait à celui-ci et ne représentaient que son autorité
politique ; ils dirigeaient les hommes libres, c'est-à-dire ceux
ne possédant point fiefs, bénéfices ou tenures foncières, étaient.
:
propriétaires de terres absolument franches. Ils étaient
secondés de leurs subordonnés civils vicaires, vicomtes,.
centeniers, qui exécutaient leurs ordres comme officiers subal-
ternes. — Enfin les évêques, abbés, abbesses même, soit en
personne, soit par délégation, au moyen des avoués, condui-
saient leurs vassaux en guerre, sur les ordres de l'Empereur.
— En vertu de ce principe fondamental de la Monarchie,
formulé par Montesquieu, que quiconque avait la puissance
militaire, avait aussi la juridiction civile et criminelle, leudes,
comtes, évêques ou abbés avaient sur leurs sujets mobilisés
la puissance judiciaire. Fonctionnait-elle comme en temps de
paix, c'est-à-dire par l'organe du Mail ou Plaid, tenu par le
CHAPITRE III
SOUS LA FÉODALITÉ
classes de personnes:
trois : nobles, roturières et serviles, correspondant à trois
les nobles, les roturiers et les serfs.
Au sommet de l'échelile sociale se trouve la tenure noble,
constituée par le fief, lequel est une terre dotée parfois d'une
seigneurie (la chose est d'importance) concédée contractuelle-
ment par une personne, appelée seigneur de fief, à une autre
dénommée vassal. Cette concession est faite à la charge par
:
liés envers lui que par la défense de la Couronne. C'étaient
ensuite les membres des collectivités privilégiées d'une part
les puissants seigneurs ecclésiastiques, les évêques et les
abbayes, qui au nom des églises et des couvents avaient
concédé des terres à des vassaux et tenanciers et donné ainsi
naissance à ces groupes féodaux, qui s'ils adoptaient les lois
du temps et étaient même soumis au devoir de vasselage
envers le Roi, n'en avaient pas moins une législation auto-
nome et indépendante, et d'autre part, les Communes, qui
par la force, l'intérêt ou l'argent, conquirent leur indépen-
dance et se libérèrent ainsi de la souveraineté de leur seigneur
et des obligations qu'elle comportait. Les chartes d'émanci-
pation leur conférèrent de véritables immunités qui les rendi-
rent complètement autonomes, mais presque constamment
la
sous
;
tutelle du Roide France. Ce dernier lui-même n'échap-
pait pas à cette hiérarchie foncière il se comportait dans
:
son Duché de France absolument comme les autres seigneurs
dans leurs fief et jouissait des mêmes droits service d'assis-
tance militaire, service de conseil, service de cour. Mais son
titre lui donnait cependant une autorité considérable et dans
l'échelle de l'inféodation, lui décernait la première place. Il
était le suzerain de tous les seigneurs de France, et exerçait
sur eux directement ou indirectement les droits de souve-
raineté. En outre la rapide importance qu'il devait prendre,
par l'annexion des grands fiefs de France, allait encore aug-
menter cette suprématie. Aussi dans le domaine royal, les
règles relâtives au service militaire, aux devoirs de conseil
ou de justice, quoique organiquement les mêmes que dans les
autres fiefs, prirent-ils, en raison même de cette situation
de premier plan, une forme et une orientation particulières.
Comment dans cette société féodale s'accomplissait pour
chacun des groupes qui la composaient, le service mlilitaire
ou plutôt le service de ?
guerre La manière dont il était assuré;
c'est-à-dire le mode de recrutement des troupes, conditionnait
directement celle qui réprimait ses infractions et ses défail-
lances. Ce sont les deux faces d'un même fait social.
Quels étaient donc les hommes qui, dans les différents
groupements du monde féodal, étaient appelés sous les
armes ?
Dans le fief, c'étaient tous les vassaux dont les obliga-
tions extrêmement variables dépendaient de la nature du
CHAPITRE IV
SOUS LA MONARCHIE
;
qui étaient surtout les surveillants locaux des prévôts et les
véritables représentants du pouvoir central comme tels, ils
étaient chargés de recevoir les plaintes élevées contre le Pré-
vôt. Mais ils étaient aussi juges et en cette qualité, mandatés
pour solutionner les cas royaux, soustraits à la connaissance
des Seigneurs ou prévôts, les appels des décisions de ces der-
niers, et présider la Cour Féodale des Pairs. Ils perdirent
cependant rapidement ces fonctions judiciaires et dès la se-
conde moitié du xv" siècle, furent remplacés d'abord provi-
soirement puis définitivement par des lieutenants, qui
devinrent des officiers royaux titulaires. Mais ils conservèrent
toujours leurs attributions militaires de convocation et con-
duite de l'arrière-ban, ce qui leur conférait un pouvoir disci-
plinaire et judiciaire militaire considérable. C'était la juri-
diction intermédiaire ayant un caractère assez complexe
de premier degré, d'appeî et de contrôle. Au sommet de la
hiérarchie judiciaire, se trouvait la Cour du Roi (Caria
regis) qui revêtait deux formes différentes. S'il s'agissait de
juger des vassaux (grands feudataires ou seigneurs moins
importants) compris dans le domaine royal, c'était la cour
féodale composée de pairs et présidée par le Roi, connaissant
des infractions militaires dérivant du contrat féodal. S'il s'a-
gissait au contraire de juger de simples sujets, c'était la Cour
Seigneuriale, présidée par le Roi, où siégeaient de simples
assistants (prélats, barons, officiers de la Couronne), qui en
vertu du seul principe d'autorité, était saisie des infractions
1° LE TRIBUNAL DE CONNÉTABLIE
récit de Brantôme:
de celui d'un simple juge. Rapportons à ce sujet le plaisant
« On disait qu'il fallait se garder des pâte-
nôstres de Mr le Connétable (Anne de Montmorency), car en
; :
les marmottant, et lorsque l'occasion s'en présentait, il disait
allez pendre un tel attachez celui-ci à un arbre, faites passer
;
-
celui-là par les armes, tout à cette heure, ou les arquebusez
tous, devant moi taillez-moi en pièces tous ces marauds qui
ont voulu tenir ce clocher contre le Roi. Et ainsi de tels ou
semblables mots de justice et de police de guerre proférait-il
selon les occurences, sans se débaucher nullement de ses
paters. » C'était donc vraiment un personnage redoutable et
dont le pouvoir presque absolu s'étendait même à des per-
sonnages étrangers à l'armée. Cet excès de pouvoir le perdit.
Ses fonctions passèrent à des magistrats constitués en Tri-
bunal de.Connétablie, composé de Juges de robe longue, aux-
quels furent plus tard adjoints des Avocats au Parlement.
La Collégialité, moins dangereuse en raison de son pouvoir
collectif, remplaça la Justice Unique, de caractère dictatorial.
Mais comme en leur qualité de fonctionnaires robins, ils ne
pouvaient partir en campagne, ils s'y firent représenter par
un Prévôt Général, qui sous le titre de Grand Prévôt suivait
l'armée en temps de guerre. Ainsi apparait déjà dans la justice
militaire même la distinction entre celle du temps de paix
(Tribunal de Connétablie) et celle du temps de guerre (Grand
Prévôt), née du jour où les Commandants (Connétables ou
:
Maréchaux) de l'Armée cessèrent d'exercer personnellement
le pouvoir juridictionnel. Le Grand Prévôt avait des fonctions
extrêmement multiples et variées, notamment la surveil-
lance des camps, vivandiers et marchands suivant l'armée,
de la marche des colonnes de bagages et soldats débandés ;
sur les habitants;
la repression des excès commis encampagne par les militaires
le jugement des procès nés de faits de
guerre (rançons, butins, espions, transfuges, redditions des
villes, châteaux, par fautes ou malversations) et de tous
crimes commis par les gens en armes. Dans les causes in-
téressant les militaires, les Grands Prévôts devaient cependant
s'adjoindre des officiers appelés des Régiments désignés par
le Major Général. Après la première suppression de la charge
de Connétable, sous Louis XI, lia juridiction tout en conservant
son nom, passa sous la direction des Maréchaux de France
qui l'exerçaient déjà concurremment avec le Connétable. Elle
est souvent désignée sous le nom de Tribunal de la Table de
Marbre, du nom du lieu où elle tenait ses séances (Grande
salle du Palais de Justice, vis-à-vis de la Grand'Chambre du
Parlement). Les sentences de cette juridiction étaient sans
appel.
;
juges naturels. Cette juridiction avait nécessairement au
début, un caractère accidentel et passager mais dès le début
du xve siècle, avec la création des armées permanentes, elle
,devint régulière, à poste fixe, avec des circonscriptions terri-
toriales bien déterminées. Les prévôts furent ainsi des fonc-
tionnaires de police répartis dans les provinces où les troupes
,étaient en garnison et chargés de maintenir l'ordre et la paix
publiques. Ils devinrent en même temps des juges criminels
avec attribution spéciale de compétence pour certains crimes
et délits, dont quelques uns concernaient les choses de la
guerre, mais dont le plus grand nombre y étaient complète-
ment étrangers. C'étaient les fapieux cas prévôtaux, se divisant
en deux classes, l'une par la qualité du délit (graves attentats
contre la sûreté publique, notamment le pillage, la maraude
commise par les soldats ou rôdeurs, les gens d'arme « tenant
leschamps et mangeant la poule du bonhomme et vivant sur
»
le peuple ), l'autre par la qualité des accusés (crimes et délits
quels qu'ils fussent, commis par les vagabonds, gens sans
aveu et repris de justice). Cette juridiction particulièrement
sévère et rapide, de réputation terrible, rendait des décisions
sans appel. Pourtant elle offrait aux accusés certaines ga-
ranties : 1° elle n'était pas juge de sa propre compétence et
devait la faire trancher par le siège présidial voisin (le tribunal
de bailli le plus important) ; 2° elle ne jugeait pas seule, et
devait s'adjoindre un certain nombre de magistrats royaux
pris dans un bailliage ou à défaut des gradués en droit;3 Il
Elle avait une compétence concurrente avec celle des Pré-
sidiaux ; c'étaient les singuliers cas présidiaux.
II. — Toute cette organisation se maintint durant la pé-
riode féodale, car elle correspondait au mode de recrutement
et à l'extrême brièveté du service militaire. En effet l'armée
ne se composait que
vassaux ou sous-vassaux,
de seigneurs,
convoqués
suivis
par le
de
;leur
ban
cortège
des
de
simples
;
ainsi que piétaille, hommes de pot, fantassins, et constituè-
rent les premiers embryons de l'infanterie nationale lorsque
surtout la royauté se fut agrandie et fortifiée et eût fait figure
de pouvoircentral, alors une double et terrible lutte s'engagea
entre celui-ci et les pouvoirs locaux. Elle eut pour objet d'une
part d'amener la justice seigneuriale ou féodale sous la
dépendance absolue de la justice royale, et d'autre part de
-
limiter progressivement la compétence des juridictions
d'exception, vestiges du temps des anciens fiefs, et de les
réduire à un rôle purement honorifique. Nous allons en mar-
quer les principales étapes.
Ce fut la première qui commença. En voici l'idée direc-
trice. Le vassaln'est plus le justiciable de son seigneur de fief
ou de ccnsive, car seule l'autorité publique peut conférer le
sives, dont les plus caractéristiques sont:
droit de juger. Principe nouveau gros de conséquences déci-
1° Suppression à
la Cour féodale des vassaux jugeurs ou pairs et leur rempla-
cement par des juristesdeprofession ; 2° Impossibilité pour
le seigneur de présider ou faire présider cette cour et
obligation de déléguer un juge pour siéger en son nom
3° Soustraction aux justices seigneuriales de la connaissance-
;
des cas royaux, c'est-à-dire de tous les- crimes et délits
;
présentant une certaine gravité, dont d'ailleurs la définition
était volontairement vague et flottante 4° Dessaisissement
d'office de ces juridictions au profit des juges royaux, en cas
de la prévention;
de négligence, grâce à la théorie aussi ingénieuse qu'hardie
5° Perte, par ces mêmes juridictions, de
leur privilège de souveraineté et déchéance au rang inférieur
de justices subalternes, par l'institution du double appel d"
leurs décisions au tribunal du Bailli et à la Cour du Roi. Ce
bouleversement de la justice féodale fut accompagné et
même précédé de réformes profondes dans les justices royales
elles-mêmes : institution de l'appel de la juridiction du
Prévôt à celle du Bailli, et de celui-ci à la Cour Royale,,
devenue le Parlement. Il fallait bien pour conserver l'auto-
rité et désarmer l'opposition, donner l'exemple.
La deuxième lutte suivit, mais fut d'une toute autre
ampleur et durée. Son motif avoué était d'assurer aux habi-
tants une protection efficace contre les gens de guerre, de
réduire à l'impuissance les bandes mercenaires de la féodalité.
Mais son véritable but était de ramener à unecompétence très
réduite, materiae et personae, tous les tribunaux d'exception
lisez les juridictions militaires. Le mouvement commença en
:
1347 et se poursuivit pendant trois siècles. Il est jalonné par
:
une longue suite d'ordonnances royales, dont voici les plus
typiques 1° Mandement de Montdidier de 1347, où Philippe VI
décide par faveur pour ses Hommes d'Armes, que les sergents,
soldats employés à la garde des Châteaux, seront justiciables-
délinquants;
giquement contre les gens de guerre, pilleurs, voleurs et
5° Edit de Charles VII de 1439 attribuant exclu-
sivement aux Sénéchaux, baillis, prévôts et autres justiciers
ordinaires, juridiction pour la répression des crimes et délits
commis sur tous les gens de guerre et précisant que le premier
de ces magistrats saisi instruise et fasse bonne justice, alors
même que les faits n'auraient point été commis en leur
;
même pour les infractions au métier des armes, les militaires
deviennent justiciables des tribunaux ordinaires 7° Code de
la Maréchaussée de 151k, où Louis XII, dans un but de
précision et limitation évident, donne un résumé de la
compétence de la Connétablie ; 8° Déclaration de Coucy du 15
juillet 1535, porte que les juges ordinaires connaitront des
crimes commis par les soldats légionnaires, à moins qu'ils ne
soient en campagne, commandés par leurs officiers ; 9° Let-
tres de François Ier de 1536 et 1540, ordonnant les premières,
aux baillis, sénéchaux et leurs lieutenants de procéder contre
les individus « tenant les champs en forme de gens de guerre »,
sans appel, avec l'adjonction de six personnages idoines
comme conseils, et les deuxièmes, soumettant les délits commis
;
juger toutes les infractions militaires commises par les
officiers, sous-officiers et soldats 12° Ordonnance d'HenriIV
;
prévôts de n'exercer que sur les gens de guerre et pour des
délits militaires 14° Ordonnance de Louis XIII de 1635,
donne concurremment aux juges ordinaires et militaires,
compétence pour juger sans appel le crime de désertion
15° Ordonnances de Louis XIV de 16,65, 1666 sur les Conseils
;
de guerre et de 1670 sur les Tribunaux Présidiaux, dont nous*
allons exposer sommairement la compétence et l'organisation.
Tels sont l'orientation, la tendance et le terme de cette évolu-
tion législative de plus de trois siècles, dont l'effort constant,
opiniâtre, a été de juguler la justice seigneuriale et étouffer
la juridiction militaire, en restreignant et concurrençant sa
compétence. Loi naturelle des régimes dont le pouvoir civil
est fortement assis et solidement constitué. C'est sous le
dernier état de cette législation, œuvre de la volonté tenace,
continue des Rois de France, puissamment et intelligemment
secondée par ces auxiliaires de génie que furent les légistes,
que la Justice Militaire va fonctionner jusqu'à-la Révolution.
III. — Faisons maintenant le point, et dans un rapide
tour d'horizon, fixonsles diverses juridictions dont les mili-
taires étaient tributaires à la veille de 1789.
En temps de paix, fonctionnaient le Tribunal de la Conné-
tablie, les Prévôts des Maréchaux, les juges ordinaires et les
présidiaux. Toutes ces juridictions nous sont bien connues à
l'exception de la dernière, pour laquelle quelques indications
sont nécessaires. C'était un tribunal de droit commun, de
compétence exclusivement civile, qui'lors de sa création (1551)
n'avait d'autre but que de décharger les cours souveraines des
appels de peu d'importance. Mais l'ordonnance de 1670, les
chargea de connaître des causes prévôtales, par préférence
le même jour que ceux-ci.
aux Prévôts des Maréchaux, s'ils avaient été saisis avant ou
;
des guêtres, et assister à la messe, avant d'entrer en séance.
Le major du régiment instruisait l'affaire le major en séance
occupait le siège du Ministère Public, faisait le rapport et
donnait ses conclusions. Signalons que les Régiments
étrangers au service de la France, assez nombreux sous la
Monarchie, avaient une justice autonome, jugeant suivant la
loi de leur pays. Mais ils devaient demander au Chef de Corps,
l'autorisation de réunir le Conseil de Guerre. Mentionnons
enfin pour ordre le tribunal tout spécial du Point d'Honneur,
composé des maréchaux de France, qui institué pour prévenir
et punir les duels et combats singuliers, par divers Edits
d'Henri IV et Louis XIII, connaissait sans appel des contesta-
tions entre gentilhommes et les sanctionnait de peines très
sévères, fréquemment la mort.
Durant cette longue période de la Monarchie Moderne, le
mode de recrutement de l'armée se transforma complètement.
il perdit ce caractère composite, mobile et changeant que lui
donnaient les origines très dissemblables qui l'alimentaient,
pour en prendre un plus homogène, plus stable et plus
complètement changé ;
régulier. La raison est que le service militaire avait aussi
d'expédition de courte durée et de
simple razzia, il s'était transformé en véritable guerre natio-
nale contre un ennemi étranger et nécessitait une armée
composée de toutes les forces vives du pays. L'armée soldée,
mais provisoire de Philippe Auguste, Philippe le Bel et Char-
les V, fut d'abord organisée au moyen des nobles pauvres, des
sujets soumis à l'arrière ban, ou des routiers, soldats merce-
naires de profession. Vinrent ensuite sous Charles VII et
Louis XI, les compagnies d'Ordonnance de Cavalerie, consti-
tuées sous l'énergique impulsion de Tristan l'Hermitte, avec
;
d'infanterie, première troupe stipendiée et permanente,
recrutées un peu partout ;
les milices de l'arrière-ban
compagnies d'Archers et d'Arbaletriers, transformées sous
les
:
d'argent. Les agents recruteurs de la Royauté sont restés
célèbres Brin d'Amour, Vade Bon Cœur, la Tulipe.
Les besoins d'effectif considérables causés par les fré-
quentes et longues guerres des XVIIe et XVIIIe siècles, impo-
sèrent l'organisation d'un nouveau système de recrutement,
celui dela milice provinciale, qui s'effectuait par le tirage au
sort, fortement vicié par l'admission d'exemptions ou immu-
nités, achetées à prix d'argent. Enfin la Maison du Roi, troupe
d'élite, formée de professionnels, engagés ou rengagés, très
réduite d'ailleurs (8.000 hommes), complétait la composition
de l'Armée royale. Il est incontestable que tous les éléments
de cette nouvelle organisation militaire, venus de milieux
plébéiens, démocratisèrent et nivelèrent la structure des
armées. Le Tiers Etat intervenait dans la constitution de celle-
ci. Aussi fallut-il une organisation judiciaire nouvelle. D'où
d'abord la limitation de compétence des tribunaux d'exception
la discipline;
jugeant surtout des gens de guerre, aux seules fautes contre
ensuite leur remplacement progressif par les
de paix et
;
juges ordinaires pour la connaissance de toutes les causes où
les civils étaient impliqués enfin la discrimination du temps
du temps de guerre et la création pour cette
dernière période de juridictions particulières, à fonctionne-
ment et recrutement spéciaux (Prévôts et Conseils de Guerre).
:
temps de paix, il conserva toute son autorité et toute son
actiondans les juridictions d'exception le tribunalde Conne-
tablie et les Prévôts des Maréchaux qui ne connaissaient que
des infractions spécifiquement militaires. Mais il les perdit
totalement auprès des juges ordinaires, dont la compétence
grandissante et envahissante, exclusive par définition de toute
influence du commandement, finit par s'étendre non seule-
ment aux procès mixtes, mais même à ceux à caractère
exclusivement militaire. Par contre, dans le temps de guerre,
il les garda toute entières auprès de ces tribunaux tout spé-
ciaux qu'étaient les Prévôts d'Armée, de Régiment et les
Conseils de guerre. C'était l'évolution très marquée vers la
conception moderne.
CHAPITRE V
SOUS LA REVOLUTION
:
moment. L'époque révolutionnaire, toute d'instabilité et de
changement peut se diviser en trois périodes
PREMIÈRE PÉRIODE
;
de jugement, de 36 membres initialement, mais réduit à neuf
par la récusation ou le sort, se prononçant sur l'acquittement
ou la condamnation et d'autre part une Cour Martiale,
composée de trois juges venus d'un corps spécial, les Com-
missaires ordinaires des Guerres, statuant sur l'application
de la peine. Cette juridiction fonctionne aussi bien aux armées
qu'àl'intérieur et ne connaît en temps de paix que des infrac-
tions militaires, commises par les militaires et leurs complices.
La deuxième soumet en temps de paix, la compétence de la
Cour Martiale, à la double condition que l'infraction soit
militaire et commise exclusivement par un militaire ;
complices y sont soustraits. La nature du délit et la qualité
les
;
la Cour Martiale, si la peine applicable est la privation de la
vie ou de l'état personnel parles tribunaux de police correc-
tionnelle, si la sanction légale est moins forte, tout en excédant
celle de pure discipline. Les peines prononcées pour infraction
;
militaire étaient celles prévues par le Code Pénal Militaire ou
les règlements des Généraux et Commandants en Chef celles
prononcées pour infractions de droit commun (délits civils
suivant l'expression de l'époque) étaient empruntées aux lois
pénales ordinaires. Enfin tous les jugements rendus par ces
juridictions visiblement inspirées du droit commun, n'étaient
sujets ni à appel, ni à cassation. Dans cette organisation, les
jurés étaient cependant des militaires désignés par les Com-
mandants en Chef d'après l'ordre d'inscription des tableaux
de colonnes dressées par le Commandant de la garnison et la
Cour elle-même était composée d'officiers de service, sans
doute d'origine spéciale, mais nommés toutefois par le
Commandement.
DEUXIÈME PÉRIODE
;
par le Comité de Salut Public, en dehors des militaires et des
individus employés aux Armées c'étaient donc des magistrats
civils. Le jury, seul organe maintenu, en raison sans doute
de son prestige de souveraineté et d'indépendance, était pris
sur le tableau à sept colonnes de la loi de 1790, au nombre
originaire de 18 militaires de grades déterminés, réduit à 9
par la récusation de l'accusé ou l'élimination automatique des
derniers inscrits. Il était convoqué par J'accusateur et renou-
velé après chaque réunion. Les trois juges étaient pris parmi
les Juges de Paix les plus proches, à tour de rôle, n'ayant pris
part à l'instruction et renouvelés pour chaque affaire. L'offi-
cier de police et de sûreté devait rendre plainte s'il y avait lieu,
après avoir entendu le prévenu, dans les 24 heures à l'accusa-
teur militaire, des délits parvenus à sa connaissance par
dénonciation, clameur publique, ou autre voie, après avoir
appelé le Commandant.du corps du prévenu et le plus ancien
d'âge de son grade. Quant à l'accusateur public, il poursuivait
sur les actes dressés par l'Officier de Police, mais pouvait
recommencer l'instruction. Ses pouvoirs très étendus, allaient
jusqu'à la dénonciation, la poursuite et la mise en arrestation
des Généraux d'Armée eux-mêmes. Ces Tribunaux Criminels
Militaires étaient donc en définitive une juridiction presque
entièrement civile, puisque l'élément militaire n'était repré-
senté que par le jury, composé d'après la loi du 29 octobre
1790. Mais ses décisions étaient rendues en dernier ressort
et sanctionnées de peines très sévères, très fréquemment la
mort, édictées par le Code Pénal Militaire, décrêté à la même
époque.
A l'activité déployée par les coalisés (Autrichiens, Alle-
mands, Hollandais, Anglais, Espagnols) durant l'hiver 1793-
1794, en vue de la campagne du printemps prochain, le Comité
de Salut Public avait répondu par une mobilisation générale
de toutes les forces de la Nation. Les Armées devenaient de
jour en jour plus nombreuses et importantes et la situation
de plus en plus grave. A l'intérieur, la terreur régnait. Rien
d'étonnant à ce que la Convention ait voulu étendre et aeve-
lopper la terrible juridiction des Tribunaux Criminels Mili-
taires. Ce fut l'objet
1794). Trois espèces de tribunaux sont créés :
de la loi du 3 Pluviôse an II (22 janvier
les conseils de
discipline, les tribunaux de Police Correctionnelle Militaire,
et les Tribunaux Criminels, comparables aux Tribunaux de
Simple Police, Tribunaux Correctionnels et Cours d'Assises
de Droit Commun. Les Conseils de discipline se composaient
TROISIÈME PÉRIODE
;
et l'armée émigrée anéantie à Quiberon. La situation intérieure
était aussi détendue la Terreur avait pris fin, la Convention
touchait à son terme. Pourtant l'énergie decette Assemblée et
de son Comité de Salut Public ne faiblissait pas, tant l'on
avait traversé de graves dangers, et tant surtout il en restait
à vaincre. Aussi le maintien d'une discipline de fer dans nos
armées, était-elle l'objet de l'attention de l'Assemblée et de
venue
—
:
disparut au bout de dix-huit mois et fit place à une nouvelle
la loi du deuxième jour complémentaire de l'An III.
Désireuse d'assurer une prompte justice, elle supprime les
Tribunaux de Police Correctionnelle et Criminels Militaires
et crée à leur place les Conseils Militaires, confiant aux Mili-
taires seuls le jugement de leurs frères d'armes. Ces Conseils
sont donc composés de trois officiers, trois sous-officiers et
trois soldats présidés par l'officier du grade le plus élevé et
d'un Capitaine-Commissaire Rapporteur, désigné par le
Conseil d'administration des Corps, pour une durée de trois
mois. Mais au cas où la peine de mort est applicable, le
nombredes juges est doublé et l'accusé a le droit d'en récuser
la moitié dans chaque grade. Ces Conseils, immuables dans
leur composition, comme d'ailleurs tous les Tribunaux Mili-
taires de l'époque révolutionnaire sont nommés et convoqués
par le Général le plus proche, et renouvelés à chaque affaire
ou série d'affaires. La nouvelle loi décrète en outre que, sans
distinction du temps de paix ou du temps de guerre, tout délit
commis par un militaire ou une personne attachée à l'armée
ou sa suite, sera jugé par les Conseils. La compétence change
encore de caractère et s'attache non plus à la nature du fait,
mais à la qualité de l'auteur. Les Conseils ont le droit de
non de l'augmenter;
commuer ou de diminuer la peine prévue par le Code, mais
ils jugent en dernier ressort. Enfin la
nouvelle loi maintient les Conseils de Discipline. — Deux lois
postérieures, qui dépassent d'ailleurs le cadre de l'époque
Révolutionnaire, viennent corriger les deux principaux défauts
de cette nouvelle juridiction. D'abord la loi du 4 Brumaire
An IV crée des Conseils spéciaux pour les officiers au-dessus
du grade de Capitaine. Ils sont exclusivement composés d'offi-
ciers (9), désignés pour le jugement des officiers supérieurs,
par le Général Commandant et celui des Officiers Généraux
par le Ministre de la Guerre. Les Officiers Généraux et Supé-
rieurs ne sont plus soumis aux jugements des conseils de
discipline, mais au pouvoir hiérarchique de leurs supérieurs.
- Ensuite la loi du 17 Germinal An IV, afin d'éviter des
erreurs judiciaires inévitables de la part de juridictions
improvisées et temporaires, soumet le jugement des Conseils
Militaires, à un Conseil composé de trois officiers supérieurs
les plus anciens sous les ordres du Général qui a convoqué,
avec pouvoir de Cassation, auquel cas un nouveau Conseil
est réuni. Deux autres adoucissements sont, plus tard encore,
apportés à la loi de l'An III et marquent le terme de cette
période. Le premier par la loi du 22 Messidor An IV, qui
limite la compétence des Conseils Militaires aux seuls indi-
vidus faisant partie de l'Armée, leur enlevant ainsi les
simples employés à la suite, et les complices. Le deuxième,
par celle du 21 fructidor An IV, qui apporte aux condamnés
la garantie nouvelle du pourvoi en Cassation, pour cause
d'incompétence. C'est l'effet d'une détente caractérisée dans
CHAPITRE VI
;
après une brillante retraite, s'étaient fortement établies sur
le Rhin Bonaparte avait presque entièrement conquis l'Italie
et détruit successivement trois armées autrichiennes. Au
dedans la Vendée était pacifiée, et si les partis étaient en
effervescence, et les embarras financiers grands, l'ordre public
n'était pourtant pas troublé et l'autorité du gouvernement,
forte et glorieusedu fait du succès de nos armes. L'on pouvait
donc abandonner le régime d'exception des grands jours de
la Convention et revenir à une organisation judiciaire plus
normale et courante. Mais il fallait cependant conserver un
système de juridiction qui, tout en donnant aux justiciables
les garanties de droit commun, tiendrait compte de l'impor-
et
tance de la prépondérance de nos Armées. — En somme il
fallait donner aux militaires, dans ile cadre de lois protec-
trices des droits de défense de l'accusé, un statut judiciaire
en harmonie avec les exigences de la discipline et les strictes
obligations du soldat. — De ces différentes considérations
est née la loi du 21 Brumaire An V, complétée par celles du
4 Fructidor An V et du 18 Vendémiaire An VI. — Cette
législation marque enfin le retour au régime de la stabilité et
de la permanence. L'ère des agitations convulsives et des
bouleversements subits est close. C'est le régime des tribu-
naux réguliers et permanents. Certes apparaîtront encore à
la suite des graves événements extérieurs ou intérieurs, les
tribunauxextraordinaires ou temporaires et les juridictions
d'exception, avec leur cortège habituel de règles de compé-
tence et de procédure draconiennes, notamment dans les
heures critiques du Consulat et de 'l'Empire, ou les jours
troubles de la Restauration. Mais l'organisation judiciaire
créée par la loi de l'an V demeurera consolidée, même dans
ses dispositions fondamentales. Ce sera 'la Charte de la Justice
Militaire, qui subsistera jusqu'à la 'loi de 1857. C'est le
meilleur gage de l'excellence de ses principes directeurs..
La loi de Brumaire An V institue dans chaque division,
tant en campagne qu'à l'intérieur, un Conseil de Guerre per-
manent comprenant sept membres (du colonel au sous-offi-
cier), exclusion faite des caporaux et soldats. Un capitaine
assisté d'un greffier de son choix, remplit les fonctions de
rapporteur et un autre celui de commissaire du pouvoir
exécutif. Tous ces magistrats sont, sans exception, nommés
par le Général commandant la Division, et changés par lui
lorsque le bien du service l'exige. La loi ne fixe donc aucune
règle pour le choix des juges. La rigueur du Code Militaire
de 1793 est^atténuée par la loi du 21 Brumaire An V, qui
cependant attribue au Général en chef le droit de faire des
règlements de simple discipline correctionnels, nécessaires au
maintien de l'ordre et de la subordination. — Les Conseils de
Guerre connaissent de tous les délits de nature militaire,
quels que soient leurs auteurs, ainsi que de tous les délits
commis par les militaires, quels que soient leur nature ou
caractère. Cependant cette dernière compétence est plutôt
l'œuvrede la jurisprudence que de la loi.
Bien que la loi de l'An V apportât de sérieuses garanties
dans la composition de la nouvelle juridiction, elle présentait
cependant de graves lacunes. Tout d'abord cette composition
était fixe et invariable, malgré la diversité de grade de
l'accusé. La loi du 4 fructidor An V décida qu'il serait formé
des Conseils de guerre spéciaux pour juger les Officiers Géné-
raux supérieurs et les Commissaires de Guerre. Les membres
étaient des officiers appelés à siéger à tour de rôle, par rang
d'ancienneté, d'après un tableau dressé à cet effet. Cette
disposition était si heureuseque la pratique judiciaire la
généralisa et l'étendit à tous les Conseils de Guerre, sans
qu'il y eût pourtant là rien d'obligatoire ni d'absolu. —
Ensuite les jugementsdes Conseils de Guerre n'étaient soumis
à aucun recours. La loi du 18 Vendémiaire An VI constitua
dans chaque division des Conseils de Revision permanents,
dont les membres étaient nommés par les Généraux Com-
mandants d'Armée et de Division et chargés de reviser les
jugements des Conseils de Guerre et d'en prononcer, le cas
échéant, l'annulation avec renvoi devant un deuxième conseil
de guerre établi également dans chaque division. Ce deuxième
:
conseil de guerre ne reste d'ailleurs pas cantonnédans son
rôle de juridiction de révision la loi du 27 fructidor An VI,
lui donna une compétence identique au premier. Dérogation
curieuse au principe de la hiérarchie des juridictions.
Les pouvoirs judiciaires du Commandement sont dans
cette 'législation, très renforcés. D'une part la nomination de
tous les juges des Conseils de Guerre et des Conseils de Revi-
sion (qu'ils soient du siège, de l'instruction ou du parquet)
lui appartiennent, sans aucune règle, autre que celle tout
à fait discrétionnaire du service. Sans doute la loi de Fruc-
tidor An V supprime ce mode de nomination pour les conseils
de guerre supérieurs, mais outre qu'il subsistait pour les
Conseils de guerre inférieurs, il se traduisit encore pour les
premiers en un droit de regard et de contrôle sévère sur la
dresse du tableau. — D'autre part, il possède ce droit consi-
dérable de faire des règlements de discipline obligatoires
pour les tribunaux, lequel, en raison même de son arbitraire
et de son manque de contrôle revêt presque un caractère pré-
torien. — Ces avantages sont très caractérisés et marquent
l'ascension du prestige et de -l'autorité du Pouvoir Militaire.
Cette marche progressive va se poursuivre dans les deux
dernières années du Directoire et l'avènement des Régimes
Militaires du Consulat et de l'Empire. Elle se complétera de
l'apparition intermittente des tribunaux extraordinaires ou
d'exception. La juridiction militaire va être en effet régie
série d'actes du pouvoir exécutif dont les plus remar-
par une
quables sont :
1° l'Arrêté du 19 Vendémiaire an XII, établissant des
Conseils de Guerre spéciaux pour juger les conscrits réfrac-
taires et les peines à appliquer. Dissous dès le jugement
pouvoir exécutif ;
rendu, ils se composaient de juges officiers nommés par le
leurs décisions n'étaient susceptibles
d'appel, cassation ou révision.
2° le Décret du 17 Messidor An XIII, créant des com-
missions militaires spéciales, pour le jugement des espions
et des embaucheurs, même étrangers à l'armée. Les Commis-
saires étaient nommés par le Général Commandant pour
chaque affaire. Les décisions n'étaient susceptibles d'aucun
recours et devaient être exécutées dans les 24 heures.
3° le Décret du 1" Mai 1812, instituant des conseils de
guerre extraordinaires pour juger les crimes relatifs aux
capitulations de places de guerre et en rase campagne. Motivé
par la capitulation du Général Dupont à Baylen, il concédait
aux juges, disposition unique dans toute la législation Fran-
çaise, la faculté d'appliquer en leur âme et conscience, la
peine du Code Pénal civil ou militaire qui leur paraîtrait pro-
portionnée 1,1
CHAPITRE VII
:
des Tribunaux Militaires, détermina aussi la nouvelle codi-
fication, savoir le mode de recrutement de l'Armée. Depuis
le système en vigueur au moment de la loide l'an V qui était
d'ailleurs celui de l'époque révolutionnaire, s'étaient succédé,
appelés, sauf possibilité de remplacement ;
d'abord la conscription de Fructidor an VI, où tous les citoyens
de 20 à 25 ans, répartis en cinq classes, étaient tour à tour
puis les modes
multiples de l'Empire, basés sur la conscription ou le tirage
des armées;
au sort, mais combien tourmentés par les terribles besoins
ensuite l'engagement volontaire sans prime de
la Restauration, complété par l'appel du contingent annuel,
réalisé par le tirage au sort, mais avec remplacements et ren-
gagements ; tout aussitôt après, l'appel par le sort du con-
tingent annuel de la Monarchie de Juillet, renforcé par l'en-
rôlement volontaire, et vicié par la tare du remplacement ;
enfin le système de l'exonération de la loi de 1855, aussi vi-
cieux et qui ramenait presque au temps du Bas Empire
Romain. Les divers systèmesde recrutement employés depuis
;
1818, ne contenaient qu'une proclamation théorique et vide
du service personnel obligatoire ils faisaient peser exclusive-
ment l'impôt du sang sur le pauvre et isolaient complètement
le soldat pendant sa longue carrière militaire de 25 ou 30
ans, du reste de la Nation. Ils transformaient ainsi de plus
en plus l'armée, en armée de métier (du Roi ou de l'Empereur)
et lui donnaient un véritable caractère prétorien. Une pareille
conception du recrutement devait nécessairement réfléchir sur
l'organisation .de la Justice Militaire. Les origines, nature,
qualité des justiciables, influent nécessairement sur le fonc-
tionnement des juridictions.
Le but du Code de 1857, est donc d'organiser les Tri-
bunaux militaires pour le temps de paix, de guerre ou de
siège, de déterminer leur compétence, de régler la procédure
en usage devant eux, de spécifier les crimes et délits contre
le devoir militaire, et de fixer les peines à appliquer. De ces
nombreuses dispositions nous ne retiendrons que celles ren-
trant dans lie cadre de notre sujet, et par lesquelles se ma-
nifeste le pouvoir judiciaire du Commandement. Pour plus
de clarté nous suivrons l'ordre même du code.
1° ORGANISATION DES TRIBUNAUX
Au cas de création d'un deuxième conseil de guerre dans
la circonscription territoriale, la répartition des affaires entre
les deux Conseils est laissée au libre arbitre du Général Com-
mandant. En dépendent surtout le choix et la nomination des
Membres du Conseil de guerre, titulaires ou supplémentaires,
faits pour six mois. Sans doute s'exerçant tous deux d'après
l'ordre d'inscription au tableau d'ancienneté, dressé sur la
présentation des Chefs de Corps et par grade d'ancienneté,
des officiers et sous-officiers appelés à composer le Conseil de
Guerre, ils sont très limités. Mais, d'une part, les Comman-
dants de Corps d'Armée ont une certaine liberté dans
l'établissement du tableau, puiqu'ils ne doivent y porter,
d'après les Instructions Ministérielles du 28 juillet 1857, que
les officiers et sous-officiers reconnus aptes par leur ins-
truction ou leur expérience à remplir les fonctions de juge,
sans que celà puisse nuire au service, et d'autre part, les
causes d'excuse ou d'empêchement sont souverainement
appréciées par le Général. Reconnaissons toutefois que le
caractère absolu du mode de désignation de la législation de
Brumaire la disparu. Le Conseil de Guerre perd l'aspect de
Commission militairequ'il avait à cette époque. Négligeons
les Commissaires de Gouvernement et les Rapporteurs dont
le choix et la nomination sont cependant soumis aux mêmes
règles, parce qu'ils ne remplissent pas les fonctions de Juges
et sont exclusivement des magistrats de parquet ou d'ins-
truction. Mais les membres des Conseils de Revision étant
désignés comme leurs collègues des Conseils de Guerre, le
pouvoir du Commandement s'exerce vis-à-vis d'eux de façon
identique. En temps de guerre, le pouvoir s'accroit naturel-
lement. Sauf le cas où l'accusé est d'un grade supérieur à
celui de lieutenant-colonel, les membres des Conseils de
Guerre, les Commissaires-rapporteurs, greffiers, substituts,
sont nommés et remplacés par les Commandants d'Unités
auprès desquelles ces juridictions fonctionnent, sans autre
contrôle que les besoins du service. Le tableau d'ancienneté,
<tont l'emploi est difficile, n'existe plus. Les Juges des Conseils
de Revision sont nommés et remplacés dans les mêmes con-
ditions. Mais les Commissaires de Gouvernement ne peuvent
être que des officiers ou membres de l'Intendance, du service
actif. De plus il est permis aux autorités militaires, chargées
des nominations, non seulement de réduire au cas de néces-
sité reconnue, le nombre des juges à trois, mais encore de
descendre, pour leur choix, la hiérarchie des grades. Il existe
enfin une juridiction inférieure, celle de la prévôté, dont le
juge unique, un Officier de Gendarmerie, est sous la main
directe du Commandement. Situé sur les flancs ou à l'arrière
de l'Armée, il statue en dernier ressort à l'égard de certains
actes de pillages, brigandage ou piraterie.
la
;
présence, ou en territoire ennemi. Dans le premier cas, il est
le même qu'en temps de paix dans le second, il soumet à
compétence des Conseils les étrangers pour tous crimes et
délits de nature militaire et français et étrangers pour certains
crimes qui constituent de véritables attentats contre l'Armée
ou la Nation; dans le troisième, en relèvent tous les auteurs
et complices des crimes et délits de nature militaire. Enfin,
en état de siège, sont obligatoirement justiciables des conseils
de guerre, toutes personnes auteurs ou complices d'infractions
de nature militaire, ou de crimes et délits contre l'ordre et
la paix publics. Quant aux Prévôtés, elles exercent aux
Armées en temps de guerre et sur 'le territoire ennemi une
juridiction exceptionnelle, sorte de tribunal de simple police,
réprimant les infractions prévues par l'article 271 du code
de justice militaire, et dont la peine n'excède pas six jours de
prison ou deux cents francs d'amende. Leur clientèle est un
peu spéciale, et se compose de vivandiers, cantiniers, blan-
chisseuses, marchands,. domestiques et toutes personnes à la
suite de l'armée, vagabonds et gens sans aveu. Leurs décisions
ne sont susceptibles d'aucun recours. C'est un rappel en mi-
niature des Tribunaux de Prévôté de l'Ancien Régime.
30 PROCÉDURE :
CODE DE1928
Le Code de 1857, malgré de nouvelles garanties incon-
testables apportées par lui au droit de défense de l'accusé,
notamment la désignation des juges effectuée non plus d'après
le libre choix du Général, mais d'après le jeu presque auto-
matique d'un tableau de service réglementaire, restait tout
de même dominé par l'emprise du Commandement. Parmi
constances:
bien d'autres, celle-ci se manifestait en effet par deux cir-
le droit du Général après la clôture de l'ins-
truction judiciaire et sur le vu de celle-ci, de traduire ou non
l'accusé devant un conseil de guerre, et l'obligation de celui-ci
de comparaître même pour les délits de droit commun devant
la juridiction militaire, sauf le cas de complicité avec des
civils. Malgré ses indéniables défauts, il fonctionna sans trop
d'attaques ni de critiques, et se maintint, au moins dans son
gros œuvre, pendant près de trois quarts de siècle. La raison
de cette curieuse longévité réside dans deux causes d'égale
importance. L'une c'est l'introduction progressive dans ses
dispositions, des améliorations apportées à la situation des
portantes:
inculpés de droit commun. Citons au nombre des plus im-
;
les lois de 1872, 1873 et 1875, changeant la com-
position des conseils de guerre la loi de 1891 rendant
;
de guerre en temps de paix, les dispositions tutélaires de la
loi de 1897, sur l'instruction préalable les deux lois de 1901,
l'une imputant pour les condamnés militaires la détention pré-
ventive sur la durée de la peine, et l'autre faisant bénéficier
atténuantes ;
en temipsde paix, tous les crimes et délits, des circonstances
la loi de 1904 autorisant, en temps de paix,
l'application du sursis aux condamnations prononcées par les,
Conseils de Guerre; la loi de 1906, supprimant pour le temps
de Cassation;
de paix, les Conseils de Révision et leur substituant la Cour
;
la loi de 1916 autorisant l'application du sursis
suspension d'exécution
la loi
enfin la loi de 1918
de la
peine. L'autre c'est la persistance, au moins de fait jusqu'en
1905, du caractère de l'armée et du mode de recrutement.
Ceux-ci étaient en effet jusqu'à cette date l'œuvre de la loi
de 1855, qui faisait de l'Armée, une armée de métier et, de
l'état militaire, non l'accomplissement d'un devoir, mais
l'exercice d'une carrière. Or cet état de choses ne fut nulle-
ment modifié par les diverses lois de recrutement qui se
succédèrent jusqu'en 1889 et même 1905. La loi de 1868 ré-
duisit sans doute la durée du Service Militaire, créa la Garde
Nationale mobile, institua le tirage au sort pour l'appel du
contingent annuel, mais elle admit de nombreuses causes
d'exemption et surtout organisa tout un système de modes de
remplacement, de telle sorte que le service militaire était en
réalité effectué par une catégorie très limitée de citoyens, qui
en acceptaient volontairement l'obligation. La loi de 1872 pro-
clama bien le principe du service militaire universel, mais
admit aussitôt de nombreuses causes d'exception et des sursis
d'appel, ainsi que la faculté des substitutions de numéros,
qui n'était autre qu'un remplacement déguisé, et le volon-
tariat d'un an, corps de privilégiés de la fortune. Même la loi de
1889 malgré sa nouvelle proclamation de principe du service
militaire égal pour tous, la suppression des dispenses de droit,
des sursis d'appel, des substitutions de numéros et du volon-
tariat d'un an, laissait subsister une grande inégalité dans
la durée du service actif, par la division du contingent annuel
en deux parties, dont la seconde n'accomplissait qu'un an,
et par l'octroi de dispenses de deux ans, en faveur de nom-
breuses catégories d'appelés. C'est la loi de 1905, qui non
point seulement en proclamant, mais en réalisant véritable-
ment, le service militaire obligatoire pour tous sauf le cas
d'incapacité physique, démocratisa l'armée, et fit disparaître
définitivement de celle-ci les soldats de carrière et de métier.
Les lois de 1913 et 1923 modifièrent la durée du service actif,
mais maintinrent les principes déjà réalisés, accentuèrent et
achevèrent cette profonde réforme de la nationalisation de
l'Armée.
Les causes mêmes qui avaient pendant plus de soixante
dix ans préservé de l'usure des temps et de l'attaque des idées
modernes, notre vieux Code Militaire impérial, portaient en
elles un germe de mort et devaient en provoquer la ruine.
Nouvelle tunique de Nessus, elles devaient consumer l'œuvre
qu'elles étaient chargées de protéger. Ce n'étaient que des
palliatifs et des expédients et non des remèdes décisifs.
En effet, d'un côté les innovations introduites sous la force
irrésistible des idées nouvelles de protection individuelle dans
notre législation militaire, ne l'étaient qu'avec beaucoup d'hé-
sitations, de retards et de restrictions. C'était une réforme
lente et boudeuse qui par la tardivité et l'insuffisance des
concessions, et surtout par l'amertume et la vivacité des dé-
ceptions provoquées par leurs résultats, devait susciter les
plus violentes critiques. La législation militaire, œuvre d'ex-
ception et déjà à ce titre, vue d'un œil méfiant par l'opinion
publique, semblait une sœur cadette, chagrine et rétive qui
suivait en rechignant les progrès de sa sœur aînée de droit
commun. La rude secousse de 1914-1918 avait comme pour
toutes les institutions d'avant-guerre, accéléré ce mouvement
d'hostilité. D'un autre côté, les lois de 1905, 1913, 1929, en
établissant effectivement et non point théoriquement le service
militaire égal et obligatoire pour tous les français, avaient
nationalisé l'armée et remplacé le soldat mercenaire par le
soldat citoyen. Dès lors la composition de l'armée, comman-
dant directement le fonctionnement de tous les services et
spécialement celui de la Justice Militaire, les règles d'un droit
militaire conçu pour une armée de mercenaires ne pouvaient
:
gouverner une armée de citoyens. Enfin le régime politique
avait changé la République avait remplacé l'Empire, accrois-
sant ainsi considérablement la notion des garanties de la
défense et la conscience des droits individuels. Par dessus
tout, une cause occasionnelle, l'affaire Dreyfus, avait pendant
de longues années déchaîné les passions politiques et reli-
gieuses, et débordant de son cadre originaire, déclanché au:
milieu d'un tumulte et d'un choc d'idées inouï, dans l'opinion.
publique et au Parlement, une campagne des plus violentes.
contre les Conseils de Guerre. Nulle œuvre humaine n'aurait
pu résister à une pareille poussée. Au lendemain de la guerre,
le Code de 1857 était condamné. La lenteur de la procédure
parlementaire devait lui donner encore quelques années de
grâce. Mais l'agoniedevait enfin cesser et la loi de 1928, sonner
Jeglas de la vieillie moribonde de l'Empire.
La loi de 1928, votée sous l'influence des multiples et
diverses causes que nous venons de décrire, devait néces-
sairement s'en ressentir, et réduire considérablement l'action
et l'étendue du pouvoir judiciaire du Commandement. Mais
cette réduction ne pouvait cependant dépasser certaines
limites extrêmes, qui ne sont autres que celles imposées par
le but même de la loi, c'est-à-dire le respect de toutes les règles
constitutives de la discipline militaire, base fondamentale
de l'armée. Ce pouvoir donc, bien que fortement comprimé,
est encore, dans notre législation actuelle, considérable. Son
existence se manifeste non seulement depuis le début jusqu'à
|Ia fin de la procédure, mais encore jusqu'à l'épilogue de
celle-ci, l'exécution de la sentence. Parcourons les différentes
étapes de ce processus, qui suit d'ailleurs la même courbe que
celui du code de 1857 et dégageons au cours de chacune
d'elles, les différentes marques de ce pouvoir.
1° PÉRIODE DE L'INFORMATION I
Le Commandement intervient d'abord dans la direction
des recherches des infractions, dont il a le monopole exclusif.
Dès qu'une infraction lui est signalée, par les différentes per-
sonnes qualifiées ou intéressées (Ministre de la Guerre, Chefs
de Corps ou service, fonctionnaires, officiers publics, témoins,
victimes), il met en mouvement tous les agents de police mi-
litaire judiciaire accrédités ou mandatés, et fait faire par
eux toutes les constatations, perquisitions, enquêtes, procés-
verbaux nécessaires à la découverte de la vérité. C'est suivant
le cas, le Général Commandant la circonscription territoriale,
l'Armée, le Corps d'armée, la Division, ou l'Officier comman-
dant le détacheriient ou la place assiégée. Ce rôle de haut
officier de police judiciaire, est d'autant plus important qu'il
est absolu et sans contrôle. En effet, le correctif du droit
commun, la constitution de la partie civile de la victime, dé-
clanchant indirectement l'action publique, n'existe pas devant
les tribunaux militaires, où seul l'organe de Commandement
:
peut mettre celle-ci en mouvement. Une seule circonstance
fait échec à cette règle si une infraction de la compétence
des tribunaux militaires lui est signalée par l'autorité civile,
le Général est obligé d'exercer les poursuites. Expédient
d'ailleurs ingénieux pour rétablir, suivant la juste remarque
de M. Hugueney, par un moyen détourné, l'intervention de la
ment:
soit enlevé à son service, sans il'autorisation du Commande-
ce qui se produirait inévitablement si, comme en droit
commun, le Commissaire du Gouvernement, était, quelle que
fût la gravité de la faute, impérativement obligé de poursuivre.
L'on peut même se demander si ce n'est pas également l'in-
térêt du militaire, qui frappé d'une simple peine disciplinaire,
peut dans la suite, par une conduite exemplaire réparer ses
torts et éviter ainsi la déchéance infâmante inséparable d'une
condamnation judiciaire et surtout de son exécution. L'ordre
d'informer est donc l'acte de déclanchement de la procédure
militaire. Il est adressé au Commissaire du Gouvernement
près le tribunal militaire compétent, soit directement, soit par
l'intermédiaire du Général Commandant la circonscription
territoriale de ce tribunal, lorsqu'il émane du Général com-
mandant une autre circonscription territoriale ou du Ministre
de la Guerre. L'on sait en effet que celui-ci a dans tous les
cas un droit d'action concurrent avec celui du Général et dans
certains cas même (Officier Général ou personnel relevant
directement de lui) un droit d'action exclusif. L'ordre d'in-
former (et c'est la conséquence obligée de son caractère de
souveraineté) est définitif et sans appel. Il doit désigner exac-
tement l'identité du prévenu, les faits précis sur lesquels por-
teront les poursuites, ainsi que les textes de lois applicables.
Y sont joints les rapports, procès-verbaux, pièces, objets
saisis et tous autres documents recueillis au cours de l'enquête
administrative. Il est aussi un acte d'attribution personnelle
du Général qui lie peut le déléguer à un de ses subordonnés,
sauf le cas d'absence régulière. En temps de guerre, soit dans
les circonscriptions territoriales en état de guerre, soit aux
armées, soitdans les places de guerre assiégées ou investies,
l'ordre d'informer peut être remplacé par la citation directe,
sauf au cas d'infraction entraînant la peine de mort. Bien que
la rédaction quelque peu ambiguë de l'article 179 C. J. mili-
taire, puisse prêter à discussion, (les amateurs de critique
exegétique n'ont pas manqué de déployer leur verve ingé-
nieuse), la citation directe, si elle n'est pas l'œuvre du Gé-
néral, doit être expressément autorisée par lui. Il serait assez
étrange qu'il n'eût pas en cette grave circonstance, le droit
non seulement de décider les poursuites, mais aussi leur mode
d'exercice et qu'ainsi ses pouvoirs fussent sensiblement réduits,
au moment même où ils doivent être fortement consolidés.
Ce serait l'effondrement de la pierre angulaire du droit su-
périeur et souverain du Commandement, clef de voûte sé- (
culaire de notre organisation judiciaire militaire. Il est à
peine besoin d'ajouter que l'initiative des poursuites du gé-
néral ne peut réveiller l'action publique, éteinte par la mort
du coupable, l'autorité de la chose jugée, l'amnistie ou la
prescription. C'est un principe qui domine tout le droit pénal
français.
PÉRIODE DE L'INSTRUCTION:
:
il est obligé de renvoyer devant une deuxième juridiction
d'instruction la Chambre des Mises en Accusation, qui sera
commun:
saisie par les soins du Commissaire du Gouvernement et du
Procureur Général. C'est l'application du principe de droit
l'instruction à deux degrés de juridiction en
matière criminelle. Mais l'intervention du Commandement se
manifeste encore ici, et ce sera la dernière fois au cours de la
procédure d'instruction, dans le mode de composition de la
Chambre des Mises en Accusation. Cette juridiction au lieu
de comprendre trois magistrats civils (Deux Conseillers et un-
Président de Chambre) n'en comprend que deux, le deuxième
Conseiller étant remplacé par un Colonel, désigné chaque
année par le Général Commandant la circonscription territo-
riale. L'on a discuté longtemps dans queliles circonstances
précises, cette composition particulière devait jouer. Est-ce
lorsque l'inculpation doit être déférée à la Juridiction Militaire,
ou au contraire lorsqu'elle a pour objet une infraction
militaire ? Cette discussion nous semble quelque peu bysantine
et subtile. La lettre, comme l'esprit de l'article 68 de la loi de
1928 ne nous paraissent laisser aucun doute. Chaque fois que
le crime sera de sa nature un crime militaire et fera ainsi
présumer la nécessité de l'intervention d'un juge militaire en
raison des connaissances techniques ou des garanties exigées,
le magistrat civil, le deuxième conseiller devra être remplacé
par l'officier et ceci, à la seule condition que les faits incriminés
soient sanctionnés par l'article 68 du C. J. Militaire. Peu
importe donc qu'au cours de l'examen de l'inculpation celle-ci
perde son caractère criminel pour prendre un simple carac-
tère correctionnel ou que par suite d'incidents amplificateurs
.de procédure (adjonction d'accusés civils) elle devienne jus-
ticiable d'une juridiction de droit commun, elle n'en a pas
moins, à l'origine, l'aspect sérieux et vraisemblable d'infrac-
tion militaire. Cela suffit pour rendre valable et définitive la
,composition de la Chambre des Mises en Accusation. Peu
importent les causes qui, par la suite, viennent en altérer le
caractère. L'on n'a pas assez fait attention aux mots inscrits
au texte de l'article 68 « faits incriminés de nature à être
punis », ce qui supposepar définition autant exégétique que
juridique, des faits qui en raison de la manière dont ils
incriminent l'accusé paraissent devoir entraîner l'une des
peines prévues par ce texte. Cette interprétation nous semble
donc à la fois satisfaire l'orthodoxie des principes et les
nécessités de la pratique. Toute autre solution est d'ailleurs
impossible, car elle se heurte à des conséquences inadmissibles
,et à des impasses inextricables. L'arrêt de ila Cour de Cassation
du 14 janvier 1929 (B. Crim. Cass. 1929, n° 167 p. 342) tranche
d'ailleurs la question et tant par l'espèce même qui en fait
l'objet, que par ses motifs, semble incliner vers les raisons
,que nous venons de donner.
La composition de la Chambre des Mises en accusation
doit-elle être réglée d'après le droit spécial de l'article 68 C. J.
Militaire, ou le droit commun de la loi de 1919, lorsqu'elle
fonctionne non plus comme deuxième degré de juridiction,
mais comme juridiction d'appel des oppositions formées aux
diverses ordonnances rendues par le juge d'instruction mili-
?
taire La majorité de la doctrine engageant une nouvelle
discussion exégétique, prétend que c'est le droit commun qui
doit l'emporter. Elle se prévaut à la fois du texte de l'article
68 qui ne vise que ila mise en accusation et de l'intitulé du
chapitre où figure ce texte « Des mises en Accusation ». Mais
la jurisprudence interprétant plus sainement la lettre des
textes et surtout leur esprit et leurs motifs, conclut avec
raison à la composition de la Chambre des Mises en Accusa-
tion suivant le droit spécial Militaire. Les raisons sont déci-
sives. En effet, d'une part, les textes sont clairs et précis. Les
articles 58 et 66 C. J. Militaire qui réglementent la procédure
de jugement des oppositions aux ordonnances du juge, le
premier pour l'ordonnance accordant ou refusant la mise en
liberté provisoire, le deuxième pour les ordonnances d'incom-
pétence, de non-lieu ou de renvoi, déclarent directement ou
indirectement, mais très nettemnt que ces oppositions sont
jugées par la Chambre des Mises en Accusation prévue par
l'article 68, c'est-à-dire composée comme le prescrit cet article,
avec un juge militaire. La doctrine contraire nous paraît donc
avoir cette fois mal éclairé salanterne. D'autre part l'argu-
ment tiré de l'intitulé du Chapitre V n'a aucune valeur, ce
genre de mention n'étant qu'un moyen de classement et de
méthode et n'ayant jamais eu par lui-même aucune portée
juridique. Il est au surplus du plus élémentaire bon sens et
de la logique la :plus simple de penser que si la loi de 1928
a jugé utile l'intervention d'un juge militaire dans la Chambre
des Mises en Accusation, siégeant comme deuxième degré de
juridiction, la môme utilité se présente lorsque celle-ci statue
comme juridiction d'appel. M. Hugueney, dans son substantiel
traité de Droit Pénal Militaire, fait d'ailleurs ironiquement
remarquer les conséquences incohérentes, pour ne pas dire
absurdes, du système de la doctrine. Une opposition du Com-
missaire du Gouvernement à une ordonnance du juge d'ins-
"tructionrenvoyant directement, en violation formelle de
l'article 68du C. J. Militaire, une inculpation criminelle devant
le tribunalmilitaireserait jugée par la Chambre des Misesen
Accusation, d'après sa composition normale, parce que juridic-
tiond'appel.Mais la même inculpation, renvoyée correctement
et conformément à l'article 68 C. J. Militaire devant la Chambre
des Mises, serait jugée par celle-ci d'après sa composition
:
exceptionnelle, parce que siégeant comme deuxième degré de
juridiction d'instruction. Une doctrine engendrant des solu-
tions aussi contradictoires est nécessairement fausse et héré-
siarque.
Lesinstructions ministérielles, il est à peine besoin de le
dire, se prononcent pour le système de la jurisprudence et
ordonnent la substitution du Colonel au Conseiller, aussi bien
lorsque la chambre des Mises en Accusation connaît d'une
opposition à une ordonnance que lorsqu'elle siège comme
2° degré d'instruction (Instruction du 11 octobre 1928).
-
30 PÉRIODE DE JUGEMENT
a) en Temps de Paix
Pour les tribunaux Militaires, le Président, en raison de
sa qualité de magistrat de carrière, n'est point le délégué de
l'autorité militaire, puisqu'il est nommé par décret Présiden-
tiel. Mais":les juges assesseurs sont désignés par le Général.
Sans doute cette désignation est presque automatique, puis-
r
qu'elle estfaite d'après un tableau dressé annuellement sur
la présentation des Chefs de Corps, en vertu de règles impéra-
tives de grade, d'âge ou d'ancienneté par le général comman-
dant la circonscription territoriale où siège le Tribunal
Militaire. Pourtant celui-ci conserve une certaine liberté de
décision puisqu'il apprécie souverainement les causes d'empê-
chement de juger, sous la seule condition de motiver sa
décision. Le général remplace aussi dans les mêmes conditions
les juges accidentellement ou légalement empêchés, ou encore
cessant leur emploi dans la circonscription territoriale.
b) en Temps de Guerre
40 PÉRIODE D'EXÉCUTION
;
une décision grave et décisive pour le sort du condamné. Ou
bien il se prononcera pour l'exécution de la peine il donnera
alors les ordres nécessaires au Commissaire du Gouvernement,
lequel assisté de son greffier assurera cette exécution et en
fera dresser parce dernier procès-verbal qui sera annexé à
la minute du jugement, avec mention de l'exécution. Ou bien
il ordonnera la suspension de cette exécution en vertu des
pouvoirs souverains et tout à fait exorbitants qu'il détient
de l'article 112 C. J. Militaire. C'est ainsi qu'au terme de l'ins-
tance pénale, se retrouvent, sous une autre forme, et par une
sorte de parallélisme voulu, et de balancement réfléchi, les
mêmes droits, les mêmes privilèges les mêmes prérogatives
qu'à son début. A l'orée des poursuites, l'autorité militaire a
seule le pouvoir de décider sil y a lieu d'engager celles-ci ou
au contraire de les remplacer par une simple action discipli-
naire. A leur terme elle intervient avec la même souveraineté,
pour décider s'il y a lieude réaliser le résultat acquis ou au
contraire de l'effacer par une suspension d'exécution de
peine qui peut conduire à une abrogation complète de la
décision rendue. Cette institution est tellement anormale,
exceptionnelle etexorbitante du droit commun ; elle est telle-
ment étrange et anormale qu'elle mérite un examen attentif
et approfondi.
le
Elle existait déjà dans code de 1857 qui dans son article
150 donnait au Général commandant la circonscription ter-
ritoriale, le pouvoir de suspendre l'exécution d'un jugement
à la charge d'en informer immédiatement le Ministre de la
Guerre.
A vrai dire ce pouvoir ne se manifestait que pour les
peines les plus graves et même dans la pratique courante
l'autorité militaire n'en usait qu'au cas de condamnation à
mort. Il n'appartenait aussi qu'au général seul.
L'on a discuté longuement sur les origines et les motifs
d'un droit aussi singulier. Dans son commentaire du Code de
1857, Duvergier prétend que c'est une sorte de correctif ou
de remède de caractère administratif à l'insuffisance ou l'infé-
riorité des garanties de procédure du Code Militaire ou tout
au moins à son extrême sévérité, notamment l'interdiction du
pourvoi devant la Cour de Cassation des jugements des Con-
;
seils de Guerre ou de Révision. L'explication n'avait pas grande
valeur sous le régime de ce Code mais elle n'en a plus aucun
sous celui de la loi de 1928, en raison de l'introduction continue
dans la législation militaire des diverses et successives garan-
ties dedéfense accordéesNau prévenu dans le droit pénal ordi-
naire. Il y en a une beaucoup plus simple et naturelle, qui tient
tout à la fois à la nature toute particulière et conditionnée du
droit militaire, à son principe et ses origines. Dans ce domaine
en effet, les poursuites n'ont point comme seul et unique motif
le bien ou le mal fondé, l'existence ou l'absence de l'élément
;
conscription territoriale pendant les trois mois qui suivent le
jugement définitif passé ce délai, il est dévolu au Ministre de
la Guerre. Cette prorogation de durée d'exercice constitue l'in-
novation apportée par la loi de 1928 au code de 1857. Sous
;
l'empire de ce dernier, la suspension devait être prononcée
avant l'exécution de la peine le commencement d'exécution
;
la rendait impossible. Général et Ministre ont un pouvoir dis-
crétionnaire et absolu ils peuvent l'accorder quelle que soit
la situation du condamné (délinquant primaire ou récidiviste)
la nature de la peine (criminelle ou correctionnelle) ou de l'in-
fraction (droit commun ou militaire). La révocation de la sus-
pension dérivé du même pouvoir souverain du commandement
que sa concession. Elle a le même caractère discrétionnaire et
peut être décidée par simple mesure administrative, pour
mauvaise conduite du condamné ou pour toute autre raison
dont il est le seul juge. Nouvelle preuve du caractère sui gene-
ris de ce droit de l'autorité militaire. La décision de retrait
appartient à l'organe du commandement qui a prononcé la
suspension et s'il a disparu, à son représentant naturel, le
Ministre de la Guerre.
Les effets de la suspension varient suivant qu'ils se
situentdans la période du délai d'épreuve ou dans celle posté-
rieure à ce délai. Celui-ci change d'ailleurs suivant qu'il s'agit
d'une peine criminelle ou correctionnelle. Dans le premier cas
il est de dix ans, dans la deuxième de cinq, à partir du jour de
la décision de la suspension. Pendant la période du délai
d'épreuve la peine principale prononcée n'est pas exécutée,
mais la mention de la condamnation figure au casier judi-
ciaire avec toutefois l'inscription de la suspension. Quant aux
peines accessoires (incapacité) leur sort est conditionné à la
nature de l'infraction. Si celle-ci est purement militaire c'est-
à-dire prévue par le Code de Justice Militaire seul, les inca-
pacités cessent dès le prononcé de la suspension, même pen-
dant le délai d'épreuve. Si elle est au contraire de droit com-
mun ces incapacités frappent le condamné pendant ce délai.
Ajoutons que le temps passé sous les drapeaux par le con-
damné bénéficiaire de la suspension, postérieurement à la con-
damnation pour satisfaire à ses obligations militaires, se con-
fondra avec la durée de la peine prononcée. Pendant la période
postérieure au délai d'épreuve, les effets changent suivant la
cause qui l'a crée. Si c'est la révocation de la suspension le
condamné est obligé d'exécuter la peine ou portion de peine
dont il avait été exempté, et le temps de service militaire
accompli postérieurement à la condamnation n'est point
déduit. Double sanction attachée à cette déchéance. Pourquoi
faire un avantage à un soldat qui s'est montré indigne d'une
mesure de faveur ou de clémence. Si c'est au contraire la cause
normale de l'expiration heureuse d'un délai d'épreuve, dix
ou cinq ans suivant qu'il s'agit d'une condamnation à une peine
criminelle ou correctionnelle, sans l'intervention d'une con-
damnation à l'emprisonnement ou à une peine plus grave, alors
une véritable réhabilitation s'est réalisée, qui mérite sa récom-
pense. L'annulation pure et simple, entière et définitive de la
condamnation prononcée qu'elle soit de droit militaire ou de
droit commun, en découle automatiquement. La rédaction de
l'article 112, paragraphe 5, C. J. Militaire, en raison de son
caractère équivoque, permet aussi bien cette solution exten
sive que celle plus restrictive limitant les effets de l'annula-
tion aux pures d'infractions militaires. Les termes employés,
« incapacités prévues par le Code de Justice Militaire seul »,
peuvent effectivement se concevoir soit dans le sens d'infrac-
tion de nature spécifiquement militaire, c'est-à-dire les infrac-
tions àla discipline militaire, soit dans celui d'infractions pré-
vues par le Code de Justice Militaire seul, ce qui comprend
toutes les infractions accomplies par un militaire dans le cadre
des articles 2, paragraphes 1 et 4 de ce Code. Mais, même pour
les infractions qui seraient littéralement exclues de cette caté-
gorie, c'est-à-dire celles du paragraphe 2 de cet article 2, un
argument d'équité impérieuse exige une règle identique. Ne
serait-il pas en effet rigoureux sinon inique d'obliger un
condamné qui pendant cinq ou dix ans s'est bien conduit, à
subir une peine dont il avait été jusque-là dispensé, pour le
subtil prétexte que c'est une peine de droit commun, sanction-
nant une faute du même genre. Ne peut-on pas répondre victo-
rieusement que cette prétendue faute de droit commun il l'a
commise étant militaire, et en activité de service. Le Ministre
de la Guerre, obéissant à cet esprit d'équité, adopte cette inter-
prétation.
Le droit de suspension de la peine est donc bien d'une
nature toute spéciale. Sans doute il se rapproche un peu de la
mesure de sursis dont à bien des égards, son mécanisme s'ins-
pire. Mais il en diffère beaucoup plus en raison de sa nature
discrétionnaire et souveraine qui lui fait accorder ou retirer
son bénéfice suivant le seul intérêt du service et le seul souci
du respect de la discipline. Par là il s'apparente bien plutôt
;
au droit de grâce, apanage du pouvoir exécutif. Il s'en détache
d'ailleurs en raison de sa particulière conception il n'envisage
point la considération personnelle de la situation du condamné
au moins d'une manière directe et principale, mais l'intérêt
tout objectif qui s'attache au maintien enservice de celui-ci
où à son exclusion du service. La considération de l'armée, de
ses besoins, de sa discipline, de son épuration est seule en
cause. Dans la pratique, depuis la fin de la guerre 1914-1918
et le retour à l'état des choses normal, le commandement
n'a pas usé dudroitde suspension de la peine, qui, en fait, est
resté lettre morte. Dans la réalité de la vie judiciaire, sauf de
très rares exceptions, il est devenu purement théorique et doc-
trinal. Dernière preuve s'il en était besoin encore, que les
nécessités pressantes du service militaire cessant et par là les
causes vivantes de non intervention devenant caduques, le
droit lui-même devient caduc. Cessante causa, cessai effectus.
TROISIEME PARTIE
LEGISLATION COMPAREE
;
judiciaires du Commandement adoptées au cours de l'Histoire
de notre pays après l'exposé de l'organisation de ces pouvoirs
dans notre législation actuelle, il est nécessaire de franchir les
frontières et de voir ce qui se passe chez les autres peuples,
du moins les plus caractéristiques d'entr'eux.
L'examen comparé de leur système répressif sera d'un
précieux secours pour le dégagement de nos conclusions.
Le grand historien du Droit, F. de Coulanges, a dit que
l'état social et politique d'une nation est toujours en rapport
avec la nature et la composition de son armée. Transposant
cette proposition, l'on peut dire aussi que la législation mili-
taire d'un pays est commandée par le mode de recrutement
de son armée.
L'étude sommaire qui suit, va confirmer la vérité de cette
double observation.
L'on peut classer les différents systèmes de répression
:
en vigueur dans les plus marquantes des nations étrangères,
en trois catégories bien distinctes régime à base disciplinaire,
régime à base juridique et régime mixte. Le premier qui, dans
l'organisation répressive, marque la confusion presque ab-
solue du pouvoir disciplinaire et du pouvoir judiciaire, est
le régime des pays où l'armée est exclusivement recrutée par
les engagements volontaires, c'est-à-dire composée de soldats
de métier. C'est le cas de l'Angleterre et des Etats-Unis. Le
deuxième, où cette organisation est au contraire caractérisée
par la séparation absolue de ces deux pouvoirs est le régime
des Pays où fonctionne la conscription générale et obligatoire,
où l'armée est donc exclusivement composée de soldats ci-
toyens. C'est le cas du Japon, de l'Italie, de la Belgique, de la
Suisse. Enfin le troisième observe aussi fidèlement cette sépa-
ration que la précédente, mais le corrige, par une prépon-
dérance marquée du pouvoir judiciaire : c'est le régime des
Pays où le service militaire est strictement personnel et
obligatoire, mais où, soit l'état social et politique, soit la
forme du gouvernement amènent l'hégémonie du Comman-
dement. C'est le cas de l'Allemagne.
Le rapprochement pour chacune des nations envisagées
du mode de recrutement et du système répressif, en est la
plus éloquente démonstration.
1° ANGLETERRE
;
territoriale. La première est entretenue d'une manière per-
manente sur un certain effectif la deuxième est une force
non permanente, affectée à la défense du littoral métropo-
litain, d'où son nom. Elle est exclusivement recrutée par le
système des engagements et rengagements, pouvant être con-
tractés de 18 à 28 ans, variant de durée suivant la nature
du service fourni (actif ou réserve), ou des corps d'affectation;
des hautes payes et autres avantageuses prestations. Elle n'a
pas de statut définitif et permanent. Chaque année le Par-
lement doit autoriser le Roi à maintenir, commander et
entretenir son armée, sans quoi celle-ci n'aurait aucune
et,
existence légale. C'est ce qu'on apelle VArmyA qui contient
aussi toutes les dispositions de discipline, de procédure, ré-
pression (infractions et peines) applicables à l'armée. Cette
nécessité de l'autorisation parlementaire annuelle s'explique
par la défiance traditionnelle du Parlement Anglais à l'égard
d'une force permanente pouvant devenir un moyen d'oppres-
sion et une menace pour les libertés publiques, ainsi que par
le souci constant du contrôle régulier d'une organisation
exceptionnelle tendant nécessairement à enlever aux soldats
enrôlés les garanties séculaires assurées à tous les citoyens
anglais. Une armée ainsi organisée et qui n'est en somme
qu'une armée de mercenaires, doit avoir un appareil judi-
ciaire adapté à son caractère. Voici son mécanisme :
Toute personne assujettie à la loi militaire (Officiers,
sous-officiers, soldats et assimilés), se rendant coupable d'un
délit est immédiatement mis en état d'arrestation par l'Officier
Commandant l'Unité dont elle fait partie. Rapport en est
aussitôt dressé et transmis au Général sous les ordres duquel
l'inculpé est placé. L'instruction de l'affaire commence sous
un délai de 48 heures, est faite par l'Officier Commandant
l'Unité du prévenu s'il en a la délégation, sinon par le Com-
mandant Officier (Officier Général), lequel retient toujours
l'instruction dans les cas les plus graves. Cette instruction
est orale, mais contradictoire. A son issue, l'officier instruc-
teur décide la suite à donner à l'affaire. S'il estime qu'il n'y
a aucune infraction pénale ou disciplinaire, il classe l'affaire
et libère le prévenu. S'il trouve que les faits reprochés à celui-ci
ne sont que des manquements disciplinaires, il prend lui-
même les sanctions nécessaires. Toutefois, il est tenu en ce
cas, de demander à l'inculpé, s'il ne préfère pas son renvoi
devant la Cour Martiale, lequel ne peut que répondre à l'option
qui lui est ainsi offerte, sans pouvoir en prendre l'initiative.
S'il lui apparaît enfin que les faits poursuivis sont matériel-
lement établis et visés par YArmy Act, il dresse sans tarder
procès-verbal écrit et contradictoire des déclarations du pré-
venu, des dépositions des témoins et le transmet à l'Officier
Commandant, si celui-ci n'est pas l'instructeur, et ce dernier,
après un nouvel examen, au Covening Officier (Officier Su-
périeur).Vérification est faite une troisième et dernière fois
de la matérialité et de la légalité de l'instruction incriminée
;
et des preuves à l'appui. Si ces conditions ne sont pas réalisées,
il met le prévenu en liberté si elles le sont, il bénéficie éga-
lement dans sa décision de la triple option qu'ont eue déjà
;
les échelons inférieurs. Au cas de doute, se dessaisir au profit
de l'Autorité Militaire Supérieure au cas de suffisance d'une
repression disciplinaire, renvoi devant l'officier Commandant
;
l'Unité, aux fins de sanction conforme au cas de nécessité
d'une action judiciaire, désignation de la Cour Martiale com-
pétente (Cour Générale ou Cour de District) suivant que la
peine est la mort, les travaux forcés ou deux ans d'empri-
sonnement, avec ou sans hard labour, et dresse de l'acte
d'accusation. Il ne reste plus dès lors qu'à constituer et con-
la Cour. soin appartient à l'Officier Commandant
;
voquer Ce
l'Unité s'il est d'un grade assez élevé, sinon à l'autorité Mi-
litaire supérieure seuls le Roi ou les Officiers Généraux
délégataires ont le pouvoir de réunir une Cour Martiale, sauf
pour la Cour Martiale du régiment jugeant lés simples affaires
disciplinaires, que le Chef de cette Unité peut convoquer.
Toutefois, en service actif et à l'étranger, la délégation n'est
pas exigée et tout officier Commandant un Corps d'Armée,
ou une partie du Corps d'Armée, possède ce pouvoir. La ju-
ridiction de jugement saisie, le procès suit son cours et aboutit
à un acquittement ou à une condamnation. Si c'est un
acquittement le bénéfice en est immédiatement acquis au
prévenu; Si c'est au contraire une condamnation, plusieurs
formalités sont encore nécessaires pour la rendre définitive.
i
A cet effet l'entier dossier est transmis à l'Officier Supérieur
YArmj Act donne la liste de'cette catégorie d'officiers. En
;
;
bref, dans la Métropole, c'est le Commandant d'Armée, Gé-
néral Brigadier, délégué ou sous délégué par lui Outre-mer,
c'est tout officier commandant une Unité ou délégataire
:
spécial. Cette haute autorité Militaire a les pouvoirs les plus
étendus confirmer purement et simplement la condamnation ;
atténuation ou commutation ;
l'infirmer et la rendre ainsi non avenue, ce qui est en fait
un acquittement ; réduire la peine infligée par rémission,
en différer l'exécution (la sus-
pension doit être renouvelée tous les trois mois) ; ordonner
»
une nouvelle ,réunion de la Cour, pour « reconsidérer la
sentence. Toutefois, ces différentes décisions ne peuvent
s'exercer au détriment du condamné. A remarquer que sauf
certains cas exceptionnels, cette plénitude de pouvoirs ap-
partient à l'Officier même qui a convoqué la Cour Martiale.
Ce n'est point là une simple coïncidence, mais une concor-
dance voulue et significative. La même autorité dispose à
Ja fois de l'acte initial d'impulsion et de l'acte terminal
d'arrêt. La peine définitivement confirmée partiellement ou
totalement, est enfin promulguée par l'ordre du même Officier
Général ou Supérieur, qui en règle les modes et détails d'exé-
cution. Il n'y a pas dans l'Armée Britannique, sauf le judge-
Avocat Général, qui surveille l'application du Code Militaire,
de fonctionnaires judiciaires. Il n'y a ni Ministère Public
(c'est l'adjudant du régiment qui le remplace) ni avocats
défenseurs, sauf auprès de la Cour Martiale Générale, qui ne
connaît que des infractions passibles de la peine capitale, des
travaux forcés, ou de certains cas très graves, où le délégué
du Judge-Avocat Général intervient.
Ainsi dans l'Armée Anglaise, armée de volontaires, les
:
déral ; 3° les réserves organisées dépendant de ce Gouver-
nement et dont le nom indique assez le rôle celui de fournir
des unités particulièrement instruites et entraînées, même
tactiques, pouvant être rapidement portées à l'effectif de
guerre. Elles constituent le troisième et dernier échelon de
la mobilisation. Le recrutement de ces trois éléments repose
sur le système commun des engagements et rengagements
volontaires, dont la durée varie de 1 à 3 ans et les conditions
sont uniquement l'âge (18 à 35 ans), l'aptitude physique et
la qualité de ressortissant des Etats-Unis, sauf pour les Ré-
serves Organisées, où une instruction militaire et technique
est exigée. C'est également une armée de métier, mais avec
cette particularité que son organisation se ressent du système
fédératif de la Nation et de la co-existence de deux souve-
rainetés parallèles, celle du Gouvernement Fédéral et celle
des Etats. Les auteurs de la Constitution se sont attachés, tout
en conservant l'autorité de ces derniers, à la concilier avec la
souveraineté du Pouvoir Fédéral. Pour plus de simplicité,
nous ne parlerons que du système de répression pénale or-
ganisé par le Pouvoir Fédéral dans l'Act Military et qui pro-
cède du système anglais.
Les dénonciations ou plaintes signées et affirmées sous
serment, sont envoyées à l'Officier Commandant directement
ou indirectement l'Unité, dont relève le coupable, mais doté
d'une autorité suffisante pour prononcer une peine discipli-
naire. Cet officier inflige, après information préliminaire, cette
sanction, si la faute commise est un simple manquement à
la discipline et dresse obligatoirement un procès-verbal. Si
au contraire le fait retenu dépasse le cadre disciplinaire de
l'article 104 de l'Act dont la marge très large va de la simple
réprimande au hard labour, il transmet plainte, procès-verbal
d'enquête et interrogatoire à l'Officier Commandant Supérieur,
ayant au moins qualité pour convoquer une Cour Martiale
sommaire (compétente pour juger sous-officiers, soldats et
assimilés à raison d'infractions n'entraînant point la peine
capitale). Cet officier Commandant supérieur, après avoir
vérifié les charges de l'accusation, procède, s'il le juge utile,
à une instruction complémentaire, peut ou se contenter d'in-
:
dont relève l'inculpé et les membres en sont nommés par la
même autorité, soit pour la Cour Martiale Générale, par les
Hauts officiers Commandants désignés par l'article 8 de l'Act
et pour la Cour Sommaire par l'Officier Commandant une
garnison, un camp, un fort, un régiment, un bataillon. La
sentence rendue doit pour être exécutée, être confirmée. A cet
effet, l'entier dossier est immédiatement envoyé à l'Officier
1° BELGIQUE
supplémentaires suivantes :
fArméc sont, au cas de besoin, complétées par les ressources
1° la réserve de recrutement,
comprenant les hommes depuis l'âge de 17 ans jusqu'au
moment de leur incorporation, exemption ou radiation ;
les Milices de l'année courante, dont font partie les inscrits
20
;
Chefs. Le pouvoir de remise, commutation, même de sursis
d'exécution, appartient au Roi seul ce dernier reste au Gé-
;
est divisée en trois éléments :
tomne. Le service militaire est dû de 20 à 48 ans. L'armée
1° l'élite comprenant les
ans;
hommes de 20 à 30 ans 20 la landwerh, ceux de 33 à 40
3° la landsturn de 40 à 48 ans, dont le rôle est surtout
de protéger la mobilisation et de garder les frontières, les
voies de communication.
Comment se formalise la procédure ? Dès l'accomplis-
sement d'une, infraction, le Commandant de l'Unité avertit
immédiatement le supérieur hiérarchique qui provoque l'en-
dant du régiment ou le Chef d'Etat Major ;
quête. Celle-ci est ordonnée en service actif par le Comman-
en service
;
d'instruction par le Département Militaire fédéral, ou le
Conseil fédéral en temps de guerre par le Général en Chef.
Elle est assurée sans aucune participation de l'autorité mili-
taire, par les soins du juge d'instruction, officier de justicemi-
litaire, entièrement indépendant, nommé par le Conseil Fédé.-
ral. Si l'enquête révèle des faits ou des inculpés nouveaux, les
actes d'instruction nécessaires, doiventêtre accomplis d'office.
Celle-ci terminée, l'Auditeur, autre officier de Justice Militaire
analogue à notre Commissaire du Gouvernement, entièrement
;
1° ordonner (le même
droit appartient à l'inculpé) un supplément d'enquête 2°
;
donner la poursuite si elle n'est pas matériellement et léga-
lement justifiée mais en ce cas, il est obligé d'en référer à
l'Auditeur en Chef (Grand Officier de la Justice Militaire,
Directeur Supérieur des Auditeurs et des juges d'instruction,
chargé de surveiller la marche générale de la justice mili-
taire dans l'armée et relevant directement du Conseil Fé-
déral), qui a seul le pouvoir de statuer. Le dossier est, au
;
l'autorisation du Département Militaire Fédéral, ou celle dù
Général en Chef et pour toutes infractions sans distinction,
des inculpés accomplissant leur service militaire actif, qu'avec
les mêmes autorisations. Si donc la poursuite a commencé
avant l'incorporation et que l'autorisation soit refusée, elle
est suspendue. D'autre part, les tribunaux militaires, ont le
pouvoir, si le fait qui leur est soumis ne tombe pas sous l'ap-
plication du Code Pénal Militaire, d'acquitterl'inculpé de ce
chef et de lui infliger une des peines disciplinaires prévue
par l'article 80 de ce code, ou de le renvoyer aux mêmes fins
à ses chefs hiérarchiques. Les Membres des tribunaux mili-
:
taires de division qui sont la juridiction courante, tous
militaires, savoir un Grand Juge, du grade de Major Pré-
sident, et six juges, dont trois officiers et trois sous-officiers
ou soldats, et ceux du tribunal Militaire de Cassation statuant
sur les pourvois, comprenant un Colonel-Président et quatre
juges, sont nômmés par le Conseil Fédéral pour trois ans.
Ceux du tribunal Militaire extraordinaire, dont relèvent le
Général en Chef, les Commandants de Corps d'Armée et leurs
chefs d'Etat-Major, le sont par l'Assemblée Fédérale.
30 JAPON
serve; 2° la réserve de ; :
permanente comprenant le service actif et de première ré-
Renfort 30 le service de rempla-
cement ; (réservoir d'excédents d'effectifs heureux pays qui
ne connaît pas la poignante réalité des classes creuses) 40
le service territorial dans lequel sont inscrits à la fois les
hommes se trouvant dans la dernière partie de leurs obliga-
tions militaires, les jeunes gens de 17 à 20 ans révolus, les
dispensés et les hommes non classés dans le service de
remplacement. Des engagements volontaires complètent le
contingent du service actif, qui s'est élevé en 1935 à 237.000
hommes. Les citoyens soumis au service militaire passent
successivement d'une catégorie à l'autre.
Quel est le système de répression pénale adopté par une
telle Armée, de caractère vraiment national ? Dès qu'une in-
fraction est découverte, une première information est faite
par les officiers de police judiciaire (officiers et sous-officiers
de gendarmerie) ou les chefs de troupes et bataillons, di-
recteurs de prison, Adjoints desCommandants de Brigade,
;
Division et Armée. Cette information préliminaire terminée,
le Conseil Judiciaire est saisi c'est l'organe d'Instruction du
tribunal militaire. Il procède à une véritable instruction dé-
taillée, écrite et contradictoire, à l'issue de laquelle il formule
son avis et transmet le dossier au Président du Tribunal qui
fixe un jour pour les débats. Ceux-ci suivent le processus
habituel, aboutissent au verdict dont l'exécution ne peut avoir
lieu l'accomplissement de certaines formalités. Dès son
sans
prononcé, il est communiqué au Général en Chef, au Ministre
de la guerre, ou même à l'Empereur suivant la gravité des
€»s, lesquels délivrent ou bien l'ordre de confirmation en vertu
duquel la sentence est déclarée exécutoire par le Tribunal
Militaire, ou bien l'ordre de révision, s'ils la reconnaissent
illégale (soit d'office, soit sur la demande du Conseil judi-
ciaire ou de l'inculpé). La révision suspend l'exécution dès
que le Ministre a donné l'ordre de l'instruire. La sentence
de condamnation peut être l'objet devant l'Empereur d'un
recours en grâce, lequel, sauf pour la peine capitale, non seu-
lement n'est point suspensif, mais encore est soumis à une
procédure d'un formalisme très compliqué. Les membres des
tribunaux militaires (Officier Président et Conseillers Mili-
taires) sont désignés pour la Cour Martiale Suprême par le
Ministre de la Guerre parmi les officiers d'Etat Major et pour
les tribunaux militaires ordinaires par le Chef de Division,
arbitrairement et en dehors de toute réglementation de liste
d'ancienneté.
Les pouvoirs du Commandement, quoique encore tréi
réels puisqu'ils comprennnent la désignation des juges, la
direction de la première information, la confirmation de la
sentence ou sa révision, sont cependant limités. La seconde et
véritable instruction lui échappe, est confiée à un organe de
juridiction. La substitution de la sanction disciplinaire à la
mise en jugement, ainsi que le pouvoird'arrêt de celle-ci ont
disparu. Enfin le grand privilège de la remise gracieuse par-
tielle ou totale de la peine ou de son sursis d'exécution n'e-
xiste pas. Seul le droit de grâce est maintenu, mais il appar-
tient au Chef de l'Etat qui est en même temps Chef suprême
de l'Armée.
40 ITALIE
;
de contrôle sur l'action publique, sauf'les circonstances ex-
ceptionnelles sus visées ils se répartissent entre l'avocat fiscal,
le juge d'instruction ou la commission d'enquête. Celle-ci,
exclusivement composée de militaires, a dans ces différents
droits, la part du lion, puisqu'elle décide souverainement du
classement de l'affaire.
ALLEMAGNE
: ;
race Arienne. En temps de guerre les femmes même
doivent le service à la Patrie il s'étend de 18 à 45 ans révolus
le
et comprend 1°
;
service actif d'une durée de deux ans
nécessairement précédé du service semestriel de travail 20 le
service de réserve se décomposant en réserve proprement dite
;
où sont inscrits les hommes libérés de leur service actif jus-
qu'à 35 ans en réserve de remplacement englobant ceux
astreints et aptes au service actif mais en excédent du contin-
gent annuel (privilège des pays riches d'enfants) ; en Land-
;
werh où figurent ceux remplissant les mêmes conditions
d'âge de 35 à 45 ans enfin en Landsturm qui fournit, mais
seulement en temps de guerre ou dans les circonstancescriti-
ques les contingents provenant des vieilles classes au delà de
45 ans. C'est donc au vrai et profond sens du mot le régime de
la nation armée, puisque en temps de paix les hommes ser-
vent sous des modalités diverses de 18 à 55 ans et qu'en temps
de
;
guerre tous les citoyens, sans distinction de sexe ni d'âge
sont mobilisés qu'enfin les citoyens d'origine impure sont
exclus de l'armée.Le Führer en est le chef suprême et le
ministre de la guerre, sous l'autorité de celui-ci, le comman-
dant en chef.
Comment est organisée la répression ?
D'une manière tenant à la fois du système disciplinaire
et judiciaire. C'est un procédé mixte. Le fonctionnement de
cette répression est en effet assuré par deux organismes dis-
tincts et indépendants, l'un d'ordre administratif, le Gerrist-
CONCLUSION
:
cherchons quelle est la législation répressive la mieux adaptée
au système de recrutement de l'armée Française la conscrip-
tion générale obligatoire et le service à court terme. Il ne peut
être question en effet de ressusciter l'une quelconque des
législations du passé (romaine, féodale, monarchique, révolu-
tionnaire); leurs causes génératrices étant à jamais révolues,
Il ne peut davantage s'agir de faire appel au régime discipli-
naire de l'Angleterre et des Etats-Unis, la composition de
leur armée étant inapplicable chez nous, ou au système Suisse
en raison du caractère milicien des troupesde ce pays neutre.
Ne peuvent donc rentrer en discussion que les réglementations
Belge, Japonaise ou Allemande. Laquelle est la plus désirable?
La réponse à cette délicate question exige la détermination
exacte des bases et de l'esprit d'un Code Pénal Militaire,
Celui-ci, à la différence du Code Pénal de droit commun qui,
étant celui des simples citoyens, ne leur prescrit que des
devoirs négatifs, d'abstention, impose au contraire à ses as-
sujettis des devoirs positifs, des obligations actives, dyna-
miques. Le militaire n'est pas, en effet, comme le civil, un
homme absolument indépendant et libre de ses actes. Il est
professionnellement astreint à une discipline de tous les ins-
tants et doit constamment respect et obéissance à ses supé-
rieurs hiérarchiques. D'autre part il est un élément constitutif
de l'armée, et à ce titre, tant par sa collaboration réelle que
sa bonne tenue, contribue directement à la production de la
force matérielle et morale de celle-ci. Même coupable, il peut
être nécessaire au service, et le maintien à son poste peut
^encore s'imposer. Le commandement qui est responsable du
rendement de l'armée, devant la Nation, est le seul juge de
cette nécessité. Pour cette double raison, il doit posséder non
seulement un droit de regard et de contrôle, mais aussi de
direction surl'œuvre de justice. Dans le procès Zola, un
moin, déclara:
magistrat militaire, entendu à la Cour d'Assises, comme té-
« Votre justice n'est pas la nôtre ». Ce mot
qui fut à l'époque volontairement dénaturé, signifiait tout
simplement que les différences étaient profondes entre les
juridictions ordinaires et militaires, et qu'il n'était pas possible
de comparer les attributions des magistrats de l'ordre civil
et de ceux de l'ordre militaire. Mais il ne faut pas que ce droit
dépasse la limite au delà de laquelle la justice disparaît pour
faire place à l'arbitraire. C'est dans la fixation de cette limite
que les particularités d'un pays (forme de gouvernement,
situation sociale et politique) interviennent.
Quelle est dans ces conditions la bonne mesure et le
juste équilibre?
La législation belge, avec sa commission judiciaire d'en-
quête, où l'élément civil prédomine, le rôle de premier plan
confié à l'Auditeur, délégué du pouvoir central, la souveraineté
de décision decelui-ci pour l'application d'une pure sanction
disciplinaire, ou le renvoi devant la juridiction répressive,
la présence dans les conseils de guerre d'un magistrat civil,
'le pouvoir de sursis à l'exécution de la peine, accordée au
Général en Chef en temps de guerre, ou de commutation et
remise de celle-ci accordée au Roi en tout temps, offre un
heureux équilibre de garantie des droits de la discipline et
des intérêts de l'accusé. Mais cette législation, très rapprochée
dudroit commun, qui s'adapte fort bien à un contingent de
troupes réduit, d'un petit pays neutre, conviendrait-elle à une
grande armée comme celle de la France, où les nécessités de
ladiscipline imposent une accentuation des pouvoirs du
Commandement ?
La législation japonaise qui confie l'instruction à un or-
ganisme collégial juridictionnel, enlève à l'autorité militaire
lesprérogatives capitales du droit d'arrêt de la poursuite ju-
diciaire et de la substitution d'une simple sanction discipli-
naire, de remise de la peine prononcée et de son sursis
d'exécution, et ne donne le droit de grâce qu'à l'Empereur,
assure effectivement, par ces dispositions de droit commun,
le respect de la défense de l'accusé. Mais le mode arbitraire
de nomination des juges, et surtout le droit de confirmation
ou de révision du verdict, tous en main du Commandement,
font gravement échec à l'indépendance des tribunaux et à
l'autorité de la chose jugée.
La législation italienne directement inspirée aussi du
droit commun et qui n'abandonne au Commandement aucune
influence sur l'action publique ou sur la sentence, lui fait
pourtant une concession dangereuse, en laissant à la Com-
mission d'enquête, de caractère collégial il est vrai, mais sous
la mainmise de l'autorité militaire, le soin de décider, après
la
enquête judiciaire, poursuite ou l'abandon du procès. C'est
évidemment un désavantage caractérisé pour l'accusé.
Enfin la législation allemande avec la rigidité schéma-
tique de l'esprit germanique, partage en deux organismes
absolument étanches les attributions répressives, mais en
donnant à celui militaire un rôle très actif et à celui judiciaire
un rôle extrêmement passif, il rompt au profit du premier, le
juste équilibre entre eux, condition indispensable d'une bonne
justice. En outre, il soumet la décision judiciaire à l'investiture
du pouvoir militaire et lui enlève aussi, chose grave, toute sa
souveraineté et son indépendance. Que devient en effet un
tribunal, dont la décision n'est, aux termes mêmes des lois et
décrets de mars et novembre 1933, qu'une simple opinion, ne
prenant force exécutoire que par son enchaînement avec l'ap-
probation de l'autorité supérieure ?
De tout cet arsenal de droit comparé, d'où J'U. R. S.
est malheureusement absente, en raison tant d'une grande
difficulté d'accès documentaire, que de l'orientation particu-
lière des directives de sa législation répressive, il semble que
les systèmes Belge et Italien réaliseraient le mieux l'indépen-
dance et l'autorité de l'œuvre de justice. Mais conviendraient-
ils à une grande Nation comme la France, dotée d'une armée
forte et nombreuse, à service actif de courte durée, à périodes
de réserves rapprochées et où par conséquent, une discipline
humaine mais ferme s'impose
effet dans
?
domaine
Le doute est permis. Nous
tout spécial où les prin-
sommes en un
cipes doctrinaux doivent céder le pas à la conception pratiqua
des choses. Or quel est le but poursuivi par une législation
?
militaire Celui évidemment d'avoir une armée saine, forte
et disciplinée. Pour atteindre ce résultat suprême, le seul qui
compte, il faut tout en assurant les droits sacrés de la défense,
ne point affaiblir ceux encore plus sacrés de
dienne de la Patrie. Voilà le grand et bel équilibre !
l'Armée, Gar-
Pour
l'assurer il parait bien que notre loi de 1927 soit le meilleur
instrument. Les intérêts de l'inculpé y sont sauvegardés par
l'institution d'un corps de Justice Militaire absolument au-
tonome, l'indépendance totale des juges, complétée normale-
ment par l'intervention d'un magistrat civil Président et au
cas de guerre d'un juge soldat, l'introduction à l'instruction
de toutes les garanties de droit commun et le respect de la
souveraineté de la décision de justice. Ceux de l'autorité mi-
litaire par les voies de recours contre les différentes ordon-
nances de clôture du magistrat instructeur et du sursis à
l'exécution de la peine. C'est donc un régime qui, par une
distribution heureusement balancée de sûretés réciproques~
assure harmonieusement la répression pénale sans excès de
faiblesse, ni de sévérité. Il réalise donc ce dosage de fermeté
et d'impartialité, absolument nécessaire dans une armée
comme la nôtre, dont le service actif rigoureusement per-
sonnel et obligatoire, à court terme, la fréquence des périodes
de réserve et le rôle strictement défenseur du territoire, en
font véritablement la Nation en armes. Ce n'est d'ailleurs pas
le moment où après l'amère envolée du rêve de Genève, la
lutte des nationalismes est déchaînée et le Monde entier re-
tentit du bruit des armes, qu'il convient de toucher à l'ar-
mature de la Grande Gardienne de la Patrie.
Notre dernier mot sera pour adresser notre meilleure
gratitude d'abord à Monsieur le Général Dosse, Membre du
Conseil supérieur de la Guerre, qui a bien voulu, avec son
autorité de grand chef militaire, préfacer notre ouvrage et
lui conserver ainsi le haut parrainage spirituel, dont venait
de le priver la mort subite du regretté et distingué M. Matter,
hier encore Premier Magistrat de France. Ensuite, à Messieurs
;
les Professeurs des Facultés de Droit, Donnedieu de Vabres,
Lambert, Huguenet, Légal à Monsieur le Commandant Bon-
documentaire;
avec une courtoisie et une sûreté d'orientation accomplies, a
»
été le « Sésame ouvre-toi de cet étonnant et splendide palais
enfin à tous ceux qui, à titres divers, nous
ont aidé, instruit et encouragé dans l'accomplissement de
notre laborieuse tâche.
Henry ALDEBERT,
Docteur en Droit,
Président du Tribunal Civil de Largentière,
Officier de Justice Militaire Assimilé.
LA DÉMISSION
DU FONCTIONNAIRE
SOMMAIRE
INTRODUCTION.
1. -- Position de la question.
La démission n'est pas la rupture d'un contrat.
-
2.
3. La démission et les principes du droit public.
1.
— La démission acte volontaire. L'offre de démission
4.
5.
-- Caractères :
L'offre de démission est nécessaire.
libre, implicite ou formelle, conditionnelle ou pure
simple, individuelle.
et
H.
— Autorité compétente pour accepter ou refuser.
CONCLUSION. — Comparaison de la nature juridique de la nomination
et de celle de la démission.
1.
— Comment expliquer que la démission opère désinr-
\estiture, c'est-à-dire sépare définitivement le fonctionnaire
des cadres permanents auxquels il était incorporé
le problème de ladémission (1).
Tel est ?
(1) Sur la démission: Duguit. Leçons de dr. pub. gén. faites à la
Fac. de dr. de l'Un. Egypt., 1926, p. 242; Traité de dr. constitutionnel,
t. ni, 1930, p. 111, 112, 172, 220; M. Hauriou, Précis de Droit adm. et
de dr. pub., 12° édit. revue par A. Hauriou, 1933, p. 755, et Précis élém.
de Dr. adm., 1938, p. 80; G. Jèze, Les principes gén, du Droit adm.,
1933, t. II,
p. 589 à 599; Rolland, Précis de dr. adm., Paris, Dalloz,
1938, p. 80, 81 ;
Waline, Manuelélém. de droit adm., Sirey, 1936, p. 399.
La Sté d'Etudes Législatives se proposait d'étudier la démission dans
son projet de statut des fonctionnaires. Elle ne put pas le faire faute
de temps. V.Bulletin de la Sté d'Et.Lég., 1912-1913-1914. Questionnaire
rédigé par M. Cahen, Bulletin, 1912, p. 177.
— Jurisp. citée d'après le
tialloz Périodique (D. P.), le Dalloz Hebdomadaire (D. H.), le Recueil
Sirey (S.), la Gazette dit Palais (G. P.) et le Recueil Lebon (R.).
Il apparaît immédiatement que la démission s'oppose aux
autres procédés de désinvestiture définitive,licenciement, ré-
vocation ou congédiement, mise à la retraite d'office en ce
qu'elle s'opère à. la demande du fonctionnaire, tandis que les
autres procédés de désinvestiture sont des actes dont l'ini-
tiative appartient à la personne morale administrative. Il se
certaine durée ;
sionner à sa guise. Il a contracté avec son employeur pour une
il ne peut se décharger de ses obligations
qu'avec le consentement de l'autre partie. Le fonctionnaire,
dit-on, conclut avec l'administration un contrat à durée déter-
minée, qui s'exécute jusqu'à l'arrivée du tenme auquel l'admi-
nistration peut le mettre d'office à la retraite. N'est-il pas
normal qu'il ne puisse, conformément au principe qui domine
la matière des contrats à durée déterminée, se décharger de
ses obligations qu'avec le consentement du co-contractant,
l'Administration ?
Cette thèse, de conception civiliste, ne rend pas compte
de la nature juridique de la démission. La situation du fonc-
tionnaire n'est pas contractuelle, mais légale. Elle explique
un contrat;
la démission en l'opposant à la nomination qui, dit-elle, est
la démision est la rupture de ce contrat par con-
sentement mutuel. Mais la situation du fonctionnaire nait
d'un acte unilatéral de l'Administration, la nomination, acte-
condition qui place le fonctionnaire dans un statut préétabli
par les lois et les règlements. Il se peut que le fonctionnaire ait
posé sa candidature, ou qu'il ait acquiescé à la nomination,
mais ce n'est pas l'accord de volontés qui crée la situation
nouvelle de fonctionnaire. C'est l'acte unilatéral. La preuve
en est qu'aux termes d'une jurisprudence du Conseil d'Etat,
il semble
que le fonctionnaire nommé soit immédiatement
investi de la fonction avant toute acceptation de sa part (1),
et que la nomination légalement faite
ne puisse être retirée
même avant l'acceptation, mais qu'il faille, pour faire
:
de désinvestiture originale dont le mécanisme se décompose
en deux phases l'offre de démission, l'acceptation de l'offre.
La désinvestiture ne se produit qu'à la condition qu'il y ait
acceptation. Il ne faut pas songer aux droits privés. Il suffit
de constater que deux principes du droit public sont le fon-
(1) C.Ê. Morelle, 12nov. 1909, R. 855; Fort, 13 juillet 1926, R. 7-35;
Laurent, 17 fév. 1928, R. 257;Djatti-Mohamed, 9 nov. 1931, R. 964. Sur
la question: Bonnard, Précis de Dr. Adm., Sirey, 1935, p. 372, et Bevista
de drept public, Bucaresti, 1930.
(2) Sur la valeur de la théorie du contrat de droit public :
Le contrôle jur. de PAdin. au moyen du recours pour excès de pouvoir
1926, p. 311.
Alibert,
«
de la volonté humaine
curiales » du
;
En droit français, il n'existe plus d'aliénation perpétuelle
droit
plus de système analogue aux
romain, ni d'obligations perpétuelles
comme en droit féodal. A tout moment le fonctionnaire peut
reprendre sa liberté.
Mais cette faculté ne doit pas avoir pour conséquence
d'interrompre ou de gêner gravement la marche du service
public auquel il appartient. Si l'on songe au rôle considérable
de certains hauts fonctiannaires, à l'importance de leurs
prérogatives, à la difficulté qu'il y aurait pour les remplacer
rapidement, on comprend qu'il est nécessaire de ne pas leur
laisser liberté complète de démissionner à leur guise. Si même
l'on considère le rôle des fonctionnaires subalternes, on s'aper-
çoit qu'un certain temps est nécessaire pour former ou trouver
un successeur capable, ou procéder au mouvement dont le dé-
part de ces fonctionnaires peut être l'origine. Un départ préci-
pité pourrait entraîner une perturbation telle que l'Administra-
tion ne pourrait pas répondre à tout instant à la demande des
usagers. Il est, dès lors, évident que, puisque le service doit
remplir sa mission, il faut donner à l'Administration res-
ponsable du fonctionnement du service, certaines prérogatives,
en particulier celle de pouvoir refuser la démission qui serait
une cause de désordre. Le pouvoir de refus apparaît donc
comme le frein inis au nom de l'intérêt public à la liberté
du fonctionnaire.
Depuis quelques années des limites nouvelles ont été
posées à sa liberté. La nécessité d'acceptation de l'offre ne
peut-elle pas être un moyen d'éviter que des fonctionnaires
démissionnent dans le seul but d'offrir leurs services aux
entreprises privées et ne concurrencent. ainsi les services
?
Publics Le législateur est même intervenu pour limiter
l'effet de désinvestiture de la démission :
un fonctionnaire
chargé de contrôler ou de surveiller les entreprises privées
n'est plus entièrement libre de se mettre au service de
ces
entreprises, la démission une fois devenue définitive par
l'acceptation (1).
;
réussira pas toujours car, devant le Conseil de discipline, le
fonctionnaire se défendra ou sera défendu il pourra réduire
.à néant les accusations dont il est l'objet et le prestige du
supérieur hiérarchique sera compromis. De plus, la sanction
de s'assurer de sa :
plicitement démissionnaire, car il existait un moyen simple
volonté la mettre en demeure de
le service (1). De même l'agent qui, mobilisé, revient du front
reprendre
:
l'offre à certains avantages légaux. La démission n'est alors
que subsidiaire offre de démission subsidiaire à une demande
de mise en congé pour raison de santé ou à une demande
demise en disponibilité. C'est au cas où ces demandes seraient
repoussées que le fonctionnaire prie l'administration de le
considérer comme démissionnaire (1). Ces conditions sont
valables. Mais celles qui porteraient atteinte à la marche des
services publics, ou celles qui tendraient à éviter l'effet de
désinvestiture devraient être considérées comme nulles. C'est
ce qui se produit lorsqu'un fonctionnaire entoure sa démission
de réserves relatives à sa réintégration éventuelle dans l'ad-
ministration. Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même s'il a dé-
missionné imprudemment. L'administration ne peut pas s'en-
gager à le réintégrer (2). Elle ne lui doit aucune indemnité(3).
La jurisprudence administrative s'inspire, au fond, de cette
notion d'ordre public qui, en droit privé, est un obstacle à
l'autonomie de la volonté (4).
aourGroncy avait donné sa. démission Je 10 août 1908 n'a pu avoir pour
effetde. le dispenser desdites conditions et de lui perméttré de bénéficier
légalement, à la date du 31 du même mois des conditions édictées uni-
moment en vue des personnes étrangères à l'administration centrale du
I)anscertains.cas.prévus,parles
de
Dans certains cas prévus par lestextes la
textes la démission peut-être source,
source
responsabilité pour le fonctionnaire. V. C. E., 28 février 1930, S.,
1930-3-105. Note de M. Alibert.
(1) Cass. Crim., 6 déc. 1907, Marcellin Albert, Ferroul et autres,
'., 1908-1-433, note de M. J.-A. Roux.
perdu son actualité. L'intention des rédacteurs du Code pénal
était évidemment d'éviter le retour de la funeste pratique de
la démission en masse de l'Ancien Régime. Ils voulaient que
les juges en particulier n'imitent pas leurs prédécesseurs,
les magistrats des Cours Souveraines.
Mais l'article 126 du Code pénal se justifie :
La démis-
sion est un acte de volonté de l'individu, ce pouvoir lui étant
donné pour sauvegarder son indépendance personnelle.
L'article 126 a perdu son actualité parce qu'il existe pour
les fonctionnaires un moyen plus efficace de faire valoir ce
qu'ils considèrent comme leurs droits. C'est la grève. Mais il ne
faut pas, comme pourraient le faire croire les observations
du ministre dans l'affaire Winkell, assimiler démission et
grève. Le ministre faisait cette assimilation parce qu'il admet-
lait que le fonctionnaire est lié par un contrat à l'administra-
tion, et dès lors il semblait possible de soutenir que le
fonctionnaire qui se met en grève rompt les liens avec le
service de la même manière que celui qui démissionne (1).
On peut l'admettre pour des motifs extra-juridiques, si
l'on veut éviter l'application de l'article 65 de la loi du
2 avril 1905 au fonctionnaire en greve. Mais on ne peut pas
;
différence de nature entre les deux :
logiquement assimiler grève et démission, car il existe une
la grève est un simple
fait la démission unacte juridique. De plus le fonctionnaire
qui se met en grève n'a pas l'intention de rompre le lien qui
l'unit au service, tands que celui qui démissionne entend être
considéré comme un simple particulier.
(1) C. E., 7 août 1907, Winkell et Rosier, S., 1909-3-145, note de
M. Hauriou. Le ministre disait: « En se mettant en grève, les requérants
ont perdu ipso facto la qualité de fonctionnaire. En effet, d'après la
jurisprudence de la Cour de Cassation, la grève constitue la rupture par
l'ouvrier du contrat de travail qui le lie au patron. De même la grève des
fonctionnaires rompt tous les liens qui les unissent à l'Etat. Ils doivent
être considérés comme s'étant révoqués eux-mêmes ou comme ayant donné
leur démission ». L'arrêt ne tient pas compte, à juste titre, de cette
argumentation (Les fonctionnaires ne peuvent pas se révoquer eux-
mêmes). L'arrêt déclare que les fonctionnaires en grève « se placent en
dehors de l'application des lois et règlements édictés dans le but de ga-
rantir l'exercice des droits résultant pour eux du contrat de droit public
qui les lie à l'administration ». Discutable car il semble que les fonction-
naires ne puissent pas renoncer aux lois impératives. La grève ne les
place pas en dehors des lois.
missions concertées aboutissent au même résultat
le
arrêtent
;
Ces différences précisées, il reste que la grève et les dé-
elles
fonctionnement du service public. Elles violent
le principe fondamental de la théorie du service public, qui
nous explique le second aspect de la démission.
II
;
à l'administration pouvoir discrétionnaire de refuser la dé-
mission serait réduire à néant la liberté laissée au fonction-
naire de démissionner ce serait en revenir pratiquement
au système des fonctionnaires perpétuellement liés au service.
Il y a donc conflit entre la liberté et les pouvoirs adminis-
;
tratifs. Nous allons examiner d'abord le principe de l'accepta-
tion et le rôle de l'administration nous chercherons ensuite
à tracer la frontière de la liberté et des pouvoirs adminis-
tratifs. Nous préciserons enfin, quelle est, parmi toutes les
autorités administratives, celle qui jouit du pouvoir de refus
de l'offre de démission.
:
mai 1834 sur l'état des officiers. La loi constitutionnelle du
16 juillet 1875, article 10 stipule
« Chacune des Chambres
q
;
est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité
de leur élection elle peut seule recevoir leur démission. » Le
terme recevoir est unanimement interprété comme synonyme
d'accepter. Une chambre peut refuser d'accepter la démission
d'un de ses membres (1).
La jurisprudence le consacre. C'est ainsi qu'un fonction-
naire qui, avant de se suicider, envoie sa démission pour
priver sa femme du droit à pension, fait un mauvais calcul,
car la démission n'étant pas encore acceptée au moment de
la mort,la femme obtiendra la pension (2). Un fonctionnaire
communal qui donne sa démission pour se présenter aux
élections municipales, mais dont la démission n'était pas
acceptée le jour du scrutin, est inéligible (3). Le principe se
justifie par la nécessité du fonctionnement du service public.
Chaque fois que la loi n'en a pas disposé autrement, l'accep-
tation de l'offre est indispensable (4).
;
préfet
Le conseiller municipal envoie sa démission au sous-
elle devient définitive après l'accusé de réception du
préfet, et, à défaut de cet accusé de réception un mois après
un nouvel envoi de la démission constaté par lettre recom-
mandée. (Loi du 5 avril 1884, article 60).
Jusqu'en 1908, la situation des maires était la même que
pour tous les agents nommés. Mais depuis la loi du 8 juillet
au sous-préfet;
1908, la démission du maire et des adjoints doit être adressée
elle est définitive dès l'acceptation par le pré-
fet, ou, à défaut de cette acceptation un mois après un nouvel
envoi de la démission par lettre recommandée (Loi du 8
juillet 1908 modifiant l'article 81 de la loi du 5 avril 1884).
Il y a dans cette procédure un moyen de ralentir la désin-
vestiture. De plus, le maire est tenu de remplir ses fonctions
jusqu'à l'installation de son successeur (art. 81 de la loi du
5 avril 1884) (1).
La démission des conseillers d'arrondissement est défi-
nitive dès son émission, mais la loi du 14 août 1892, modifiant
l'article 11 de la loi du 22 juin 1833, stipule qu'il doit être
pourvu à la vacance dans le délai de deux mois.
Le principe de l'acceptation s'applique aux conseillers
municipaux de Paris. La démission n'est définitive qu'après
acceptation par le préfet de la Seine.
répondre :
7. — Saisie par l'offre de démission, l'Administration doit
Si elle accepte, la désinvestiture s'opère. Si elle
refuse, le fonctionnaire reste compris dans les cadres. L'accep-
tation peut s'analyser en une condition suspensive de
(1) Jèze, Pr. gén., t. II, p. 597.
(2) Quid de la démission des juges élus (juges consulaires, conseillers
prud'hommes) ? Un arrêt de la Cour d'Appel de Riom du 20 janvier 1938
(Bourgis cI Bourgade et autres, Gazette des Tribunaux du 22 février
1938) décide que la démission du juge consulaire n'est pas soumise à
acceptation. Elle est définitive dès l'accusé de réception du préfet. La
Cour raisonne de la manière suivante: En l'absence de texte relatif à la
question, il n'est pas possible d'appliquer le droit commun des fonction-
naires nommés au juge consulaire qui est élu. Il faut au contraire appli-
quer par analogie les règles relatives à la démission des conseillers géné-
raux et des conseillers municipaux.
La chancellerie, dans une circulaire du 13 février 1884 (D. P., 1884-
4-11) admettait à l'inverse que seul le remplacement déchargeait le juge
consulaire de ses fonctions. Cette solution paraît pratiquement préférable
à celle donnée par la Cour de Riom. Elle est de plus conforme au principe
du fonctionnement ininterrompu du service public. (V. Rolland,op. oit.,
p. 81, n° 114).
désinvestiture. II est indispensable que l'offre émane librement
du fonctionnaire. On ne peut donc pas négliger dans une théo-
rie de la démission l'acte de volonté du fonctionnaire, qui peut
seul saisir l'administration. Mais on ne peut pas non plus
:
un « »
démission par une offre soumise à condition suspensive
d'acceptation peut soulever une objection cette condition
suspensive, dira-t-on, est une condition purement potestative
prohibée par la jurisprudence judiciaire sur le fondement de
l'article 1174 du Code Civil. Ne dépend-il pas en effet de la
volonté d'une partie qu'elle se réalise ou ne se réalise pas ?
Mais cette objection ne porte pas car les principes du droit
;
civil ne peuvent pas s'appliquer ici d'abord l'article 1174
suppose qu'il y a contrat, et nous savons que la situation du
fonctionnaire n'est pas contractuelle. L'Administration n'est
pas une « partie ». Ensuite, c'est précisément un principe
fondamental du droit administratif que la démission peut être
refusée par l'Administration. C'est pourquoi on peut dire que
l'acceptation est une condition suspendant les effets de la
démission, une condition suspensive du droit administratif.
Cette vue de la question cadre d'ailleurs avec la juris-
prudence.
Jusqu'à l'acceptation l'offre de démission peut être retirée
par le fonctionnaire dont elle émane. L'Administration est
alors dessaisie (2).
Si l'Administration ne fixe pas la date de la cessation
des services, dans la décision d'acceptation, cette date est
celle de l'acceptation. La condition étant réalisée, le fonction-
naire est désinvesti. C'est ce que décide l'arrêt de Lestapis
(1) Jèze, Pr. gén., t. II, p. 575.
j
(2) C. E. Darnaud, 10 mars 1864, R., 230; Lambert, 6 juin, 1873,
R.,501 Tirard, 18 fév. 1869, R. 149; Mage, 14 janv. 1916, R., 29; Vil-
leneuve, 24 mars 1922 précité.
du 7 août 1905 : le requérant était passible d'une peine disci-
plinaire le 19 mai 1903, sa démission n'ayant été acceptée
que le 20 mai (1).
Jusqu'à l'acceptation de l'offre, le fonctionnaire est tenu
du service :
jusqu'à ce qu'on ait pris des mesures pour assurer la marche
;
nomination et installation d'un nouvel agent,
suppression de l'emploi, par exemple ou jusqu'à ce que le
chef de service ait donné l'autorisation de quitter la fonction.
L'exercice provisoire de la fonction est une obligation pour
l'agent démissionnaire (2). »
(1) 16 fév. 1912, Carrière, R., 218; 17 janv. 1908 Meyer R., 50; 20
fév. 1891, Deve, précité; 23 mars 1872, Pichon, R., 183; Comel, 28 fév.
103']., à la table du Rec. Lebon, v. fonctionnaire § démission.
glements, mais encore pour détournement de pouvoir. Cette
position de la jurisprudence a été nettement confirmée dans
les arrêts Bonny du 27 mars 1936 et 16 octobre 1936 (1).
Dans certains arrêts anciens, l'arrêt Pichon du 23 mars
1872, l'arrêt Germaix du 27 janvier 1888 et l'arrêt Meyer du
17 janvier 1908, le Conseil d'Etat semblait indiquer que les
questions de légalité ne pouvaient pas être le fondement d'un
recours pour excès de pouvoir. L'arrêt Germain et l'arrêt
Pichon disaient même que le refus de démission « n'était
pas un acte de nature à être porté devant le Conseil d'Etat!
par la voie contentieuse ». C'était un « acte discrétionnaire»,
acte insusceptible de recours. L'arrêt Meyer est plus libéral
les décisions de refus peuvent être annulées pour violation
:
de la légalité. « Considérant qu'aucune disposition de loi ou
de réglement n'a limité le pouvoir du gouvernement, en
ce qui concerne l'acceptation des démissions données
par les officiers de réserve et de l'armée territoriale
vue duquel la décision doit être prise. L'arrêt Meyer semble
être un progrès sur l'arrêt Germaix de 1888. Le Conseil
d'Etat maintient sa doctrine dans les arrêts Bonny de 1936. Il
proclame que les décisions de refus de démission peuvent être
annulées pour détournement de pouvoir et violation de la
loi. La décision d'acceptation ou de refus de l'offre de démis-
sion n'est jamais un « acte discrétionnaire ». La théorie des
actes discrétionnaires ne joue plus.
L'inspecteur principal de police Bonny fut suspendu de
ses fonctions le 18 juillet 1934 avec maintien du traitement,
comme le permettaient les textes en vigueur à cette époque.
Le 15 décembre, Bonny envoyait sa démission avec ce motif
que l'opinion ne comprendrait pas qu'il continuât à toucher
un traitement alors qu'il n'était plus en activité. Le 18 dé-
:
cembre, un décret modifiait le régime des suspensions avec
traitement il autorisait le ministre, si la suspension était
prononcée depuis six mois ou si les faits étaient suffisamment
graves, à suspendre l'octroi du traitement. Le lendemain,
(1) S., 1937-3-89, avec les conclusions de M. Renaudin, Com. du
Gouv., R., 387 et 881; Pichon, R., 183; Germaix, R. 83 avec les conclu-
sions de M. Margerie; Meyer, S., 1910-3-46, R. 50.
nouveau décret qui maintenait la suspension de Bonny et
arrêtait son traitement. Ces mesures constituaient évidemment
un refus de démission et l'on comprend l'intention du ministre:
il ne voulait pas que Bonny puisse se soustraire à la poursuite
disciplinaire. D'ailleurs, dans une note du 19 décembre, il
:
refusait formellement l'offre de démission. Bonny saisit le
Conseil d'Etat il arguait que le refus de démission n'était pas
fondé sur l'intérêt du service, mais inspiré par un mobile
personnel. Le Conseil d'Etat répondit que le ministre n'avait
pas violé la loi ou les règlements, et « qu'il n'est pas établi
qu'en prenant cette décision, le ministre de l'Intérieur ait agi
pour des fins autres que l'intérêt du service ». La décision
aurait été annulée s'il avait détourné ses pouvoirs.
Comment prouver le détournement de pouvoir
cision n'est pas motivée. Le Conseil d'Etat pourra-t-il trouver
?
La dé-
On pèut conclure
discrétionnaire
:
rieur ait agi pour des fins autres que l'intérêt du service » (1).
»,
La décision de refus n'est pas un « acte
mais un acte du pouvoir discrétionnaire,
l'Administration n'étant pas obligée de motiver. C'est ce qui
rend difficile pour le fonctionnaire la preuve du détournement
de pouvoir.
L'offre de démission saisit l'Administration qui doit ré-
pondre (2). Mais une question se pose: que décider au cas où
?
?
l'Administration s'abstiendrait de répondre Le silence équi-
vaut-il à rejet Doit-on admettre en la matière que le silence
E. DESGRANGES,
* : '.,
Docteur en Droit.
BIBLIOGRAPHIE
-
de 418 pages, l'autre de 280 pages. Prix, les 2 volumes:
Deux volumes brochés, in-8 raisin sur vélin bibliophile, l'un
Responsabilité Civile
par Jacques FLOUR
Agrégé à la Faculté de Droit de Dijon
:
jurisprudence une ampleur inaccoutumée, y a-t-il une autre
raison dans le moment de reprendre une chronique depuis
longtemps interrompue,
— lourde tâche après les remarqua-
bles études qu'y a données M. P. Esmein, c'est le désir
—
d'y rappeler, au moins sur l'essentiel, l'écho des discussions
principales de ces dernières années.
I. — RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE ET RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE
1. La responsabilité du médecin.
2. L'action en responsabilité exercée, après le décès d'un contrac-
tant, par ses ayants cause.
:
1
;
1936, 1. 88, rapport Josserand, Conclusions Matter, note E.
P., S., 1937, 1. 321, note Breton Civ. rej., 18 janvier 1938,
Gaz. Pal., 15 février 1938).
contrat ;
contractuelle, que l'auteur et la victime soient liés par un
il faut encore que le fait dommageable constitue un
manquement à l'une des obligations nées de ce contrat (voy.
:
Pour faire accepter le paradoxe,
il ne faut pas moins que l'autorité d'un arrêtiste éminent
M. Nast, presque seul parmi les partisans de la responsabilité
délictuelle, a tenté une justification de cette thèse (note D. P.,
1932, 2. 5, sous Aix, 16 juillet 1931, arrêt attaqué devant la
Chambre Civile). Si le manquement aux règles de l'art de
guérir n'est pas l'inexécution d'une obligation contractuelle,
c'est parce que les obligations du médecin ne sont pas créées,
et librement fixées dans leur étendue, par les parties elles-
mêmes. Les Tribunaux, pour en apprécier le contenu, ne se
réfèrent pas à une analyse de volonté, mais à un examen
;
objectif des devoirs professionnels; ce ne sont pas des obliga-
tions nées du contrat ce sont des obligations légales.
Cette conception, — qui vaudrait d'ailleurs, si on l'admet-
tait, pour toute responsabilité professionnelle, — aurait é é
légitime, peut-être, au temps où régnait sans conteste le dogme
?
de l'autonomie de la volonté. Mais qu'en reste-t-il aujourd'hui
Au temps du contrat dirigé, qu'une obligation n'ait pas été
voulue par les parties ne l'empêche pas d'être contractuelle.
La loi et la jurisprudence, autant que la volonté expressément
ou tacitement manifestée, déterminent le contenu des contrats..
Ainsi ne paraît-il pas douteux que l'obligation de bien
soigner naisse du contrat conclu entre le médecin et son client,
et que, par suite, le manquement fautif et dommageable à cette
:
obligation soit générateur d'une responsabilité contractuelle
(En ce sens E. P., note précitée, p. 89 in principio ; Falque,
La responsabilité du médecin après l'arrêt de la Cour de Cas-
sation du 20 mai 1936, cette Revue, 1937, p. 617).
2. — Cette obligation de bien soigner, contenue dans le
contrat, quelle en est la portée ?
« Le médecin contracte l'obligation, non pas bien évidem-
ment de guérir le malade, mais de lui donner des soins cons-
ciencieux, attentifs, et, réserve faite de circonstances
exceptionnelles, conformes aux données acquises de la
science ». Ainsi dispose l'arrêt de la Chambre Civile de 1936,
en une formule reprise presque textuellement par celui de
1938.
-
:
s.), s'en trouve consacrée (voy. pour la critique de l'arrêt sur
ce point Breton, note précitée, § B., p. 326-27).
Mais il est, dans l'arrêt, une autre analyse, moins précise
par la force des choses. A apprécier si les soins ont été cons-
ciencieux et attentifs, il n'y aura pas de difficulté. Combien n'y
en aura-t-il pas à savoir s'ils ont été conformes aux données
acquises de la science ? Question de fait, dira-t-on, et la
prudence des magistrats ne manquera pas, — demain sous le
régime de la responsabilité contractuelle, comme hier sous
celui de la responsabilité délictuélle, — d'être éclairée par la
consultation d'experts qualifiés. Mais ceci ne concerne que
»
l'application, « au cas du malade considéré, des principes
scientifiques. Il reste à fixer ces principes mêmes, à savoir
surtout si, pour tout médecin, ce que l'on considèrera comme
les données acquises de la science devra correspondre à une
même notion. En douter n'est pas chercher le paradoxe, mais
traduire exactement la réalité, ainsi que l'a montré M. Falque
dans une très pénétrante analyse (op. cit., p. 623-29) ; car, si la
science est une, les possibilités ne sont pas égales de la con-
naître. Le praticien de campagne et le médecin des hôpitaux
?
peuvent-ils être soumis à la même obligation Il n'est pas
équitable qu'il en soit ainsi, car, en écartant même tout ce qui
est encore objet de controverses, on est trop sévère pour le
premier si l'on exige que les dernières acquisitions scienti-
fiques soient connues de lui, et insuffisamment pour le second
si l'on se contente, au contraire, des règles déjà devenues
classiques. Pareillement, celui qui exerce la médecine générale
et le spécialiste ne sauraient avoir la même précision de
connaissances. Et le malade même, s'il est l'objet d'autant de
dévouement, peut-il légitimement espérer autant de science
dans tous les cas, alors qu'il faut bien constater, même si
l'on hésite, en matière médicale, à insister sur ces. considéra-
tions, que les obligations pécuniaires nées pour lui du contrat
ne sont pas toujours identiques ?
Ce qui n'est pas équitable est rarement juridique. L'ana-
lyse du contenu du contrat permet, croyons-nous, d'individua-
liser ainsi, si l'on ose dire, la responsabilité du médecin. Que
l'on fonde cette analyse sur une interprétation de volonté, assez
divinatoire il est vrai, les parties n'ont pas pu, raisonnablement,
promettre ni espérer, dans chaque cas, la même qualité de
soins. Que l'on fonde l'interprétation, là où la volonté n'est pas
exprimée, sur l'usage, l'équité, — ce qui n'est au fond que la
manière dont la jurisprudence interprète actuellement tout
contrat, — on est conduit aussi à consacrer ces différences. Il
semble que la Chambre civile elle-même tende à les admettre,
dans un arrêt du 18 octobre 1937 (D. H., 1937, 549), où elle
décide, après les experts, qu'un œil médical non exercé aux
choses de la chirurgie peut très bien, sans qu'il en résulte de
responsabilité, ne pas juger de la gravité réelle du cas.
Que cette tendance soit suivie ou non de façon définitive,
le principe demeurera, au moins, que la faute du médecin
devra être prouvée. Or cette notion d'une responsabilité
contractuelle laissant la preuve à la charge du demandeur, si
elle est déjà connue, n'est pas assez classique pour que le
régime en soit déterminé sans conteste.
:
aux cas, particulièrement àcelui du transport, où le contrat
dispense de prouver la faute c'est ce qui légitime les décisions
de la jurisprudence. Mais toute autre est ici la situation. Malgré
le contrat, il faut, dans l'action civile, prouver la faute, —
faute civile qui, d'après un autre principe, est identique à la
faute pénale, de telle sorte que toute faute entraînant une
atteinte à l'intégrité physique du malade constitue le délit de-
blessure par imprudence. Les raisons d'appliquer l'article 638
C. I. Cr., subsistent dès lors, malgré le contrat. Après l'argu-
mentation décisive que M. Nast avait donnée en ce sens (note
précitée D., 1932, 1. p. 8, b. ; adde : H. Mazeaud, op. cit., n° 65».
Rev. trim., 1936, p. 57), il est étonnant que la question, bien
qu'évoquée dans le moyen du pourvoi lors du premier arrêt,,,
n'ait pas été discutée devant la Cour de Cassation.
Pour en décider autrement, la Chambre civile a dû appli-
quer de façon trop automatique le principe posé par la juris-
prudence antérieure, sans en retenir le fondement. L'oppo-
;
sition technique de l'action contractuelle à l'action délictuelle
a été retenue les raisons qui la justifient habituellement, et
qui font défaut ici, ne l'ont pas été (voy. en ce sens la critique
très justifiée de l'arrêt, présentée par M. Falque, op. cit., p.
633-34). Ailleurs pourtant, la Cour de Cassation avait aperçu.
que cette opposition ne suffit pas à résoudre la question de
prescription. Bien que délictuelle, l'action fondée sur l'article
1384, § 1, échappe à la prescription de l'action publique, parce
qu'elle ne suppose pas la preuve de la faute. C'est le raison-
nement symétriquement inverse qu'il fallait faire ici.
Qu'est-cc à dire, sinon qu'à la vieille opposition de la
responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle,
il faut peut-être, et de plus en plus, substituer la distinction
des obligations de moyens et des obligations de résultat ?
2. — On peut faire des observations analogues si l'on pose
le problème du cumul.
Si le cumul paraît écarté en principe
par la doctrine et la
jurisprudence dominantes, on décide souvent qu'il peut être
admis à titre exceptionnel au cas de faute pénale, peut-être
même au cas de faute prouvée, peut-être enfin dans tous les
cas de responsabilité professionnelle (voy. Brun, Rapports et
domaines des responsabilitéscontractuelle et délictuelle, thèse,
Lyon, 1930, p. 229-279).
Ces exceptions, si on les conserve, risquent d'absorber la
règle. Le cumul, s'il est admis au cas de faute prouvée, sera
toujours possible pour les obligations contractuelles de
moyens. Est-ce admissible ? Il est permis d'en douter.
Il y a plus. Si le cumul est possible pour toute responsa-
bilité professionnelle, l'article 1384, § 1, sera peut-être
applicable, — sauf controverses fondées sur d'autres élé-
ments, — lorsque les soins comporteront l'intervention d'une
chose inanimée, particulièrement dans l'opération chirurgicale
et les traitements radio-électriques (voy. toutefois contra: Req.,
15 juin 1937, Gaz. Pal., 1937, 2.411). Ainsi l'affirmation du
caractère contractuel de la responsabilité n'aurait pas ren-
versé la charge de la preuve, alors que, dans d'autres situations
;
qu'à la réparation du préjudice personnellement subi par le
contractant d'où il résulte qu'elle ne permet pas en général
l'allocation d'une indemnité assez élevée, et que l'existence
en est discutable, en son principe même, au cas de décès
instantané.
C'est du préjudice qu'ils ont eux-mêmes subi que les
proches parents veulent obtenir réparation. Mais, faisant
valoir un droit personnel, ils cessent d'agir comme ayants
cause. Il semble, dès lors, qu'ils ne puissent plus invoquer le
contrat, mais seulement les règles de la responsabilité délic-
tuelle et qu'ils soient, par suite, tenus de prouver la faute du
co-contractant. Par le détour d'une stipulation pour autrui,
la Cour de Cassation a décidé pourtant qu'ils peuvent agir, à
la fois, selon l'heureuse expression de M. Josserand, (note D.
P., 1933, 1. 138) contractuellement et de leur propre chef.
« Le droit d'obtenir réparation du préjudice s'est ouvert, (en.
nertu de l'article 1147 Code Civil, au profit du conjoint et des
enfants de ea victime en faveur de qui celle-ci a stipulé, sans
qu'il ait été besoin de le faire expressément, dans la mesure
de leur intérêt ». (Civ. rej., 6 décembre 1932, Req., 19 juin
1933). Le principe posé, il a fallu le limiter. Le 24 mai 1933,
l.a Chambre civile a décidé que la stipulation n'est présumée
2. — Dans ces
stipulation pour autrui est nouvelle ;
arrêts, seule l'analyse de l'opération en une
le rattachement au
contrat de l'action en responsabilité des ayants cause ne l'est
pas. La Chambre civile l'avait admis déjà, dans l'un des
premiers arrêts qui aient consacré l'existence, dans le contrat
de transport, d'une obligation de sécurité (Civ. rej., 21 avril
; 1.:
1913, D. P., 1913, 1. 249, 3me espèce, note Sarrut, S., 1914, 1. 5^
note Lyon-Caen Contra Req. 27 juillet 1925, D. P., 1926,1.
5, note Ripert, S., 1925, 240, note Esmein) i; et la doctrine
:
du voyageur (1), ne le serait pas à l'action délictuelle de ses
héritiers (en ce sens Req., 27 juillet 1925, précité) ? Affirmer,
pour justifier ces différences, que les parents agissent en leur
(1) Dans la mesure où elle est admise par la loi du 2 avril 1936, D. P., 1937,.
4. 1.
nom personnel et non pas comme ayants cause, est une expli-
cation que chacun comprend mais qui ne convainc personne,
car elle est purement technique et ne peut satisfaire entière-
ment l'esprit. La simple opposition de deux catégories
juridiques ne permet pas d'admettre qu'un même fait soit
considéré comme fautif ou non suivant ceux qui l'invoquent.
?
formulé Pris en soi, le problème semble dépasser ceux que
l'on peut résoudre dans un commentaire d'arrêts. Mais, malgré
quelques négations purement verbales, la doctrine est unanime
créateur de la jurisprudence ;
en réalité à reconnaître, ouvertement ou non, ce pouvoir
et, si elle ne l'admettait pas
dans la matière de la responsabilité plus qu'en toute autre,
presque aucune règle du droit positif ne pourrait être consi-
dérée comme légitimement acquise.
Mais une autre question doit être également posée. Une
analyse de volonté artificielle pour créer une règle de droit,
à la supposer légitime, ne l'est que dans la mesure où elle est
strictement nécessaire au résultat cherché. Or, à dispenser les
ayants cause de prouver la faute du transporteur, ne serait-on
pas parvenu par les seules règles de la responsabilité délic-
tuelle, en invoquant le fait des choses?
Déjà, on avait pu penser que la construction même qui,
dans le contrat de transport, inclut une obligation de sécurité,
n'aurait sans doute pas été édifiée si l'article 1384, § 1, avait
été plus tôt découvert (Ripert, note D. P., 1929, 1. 130). Il est
singulier qu'elle ait été développée jusqu'à une stipulation en
faveur des parents les plus proches au moment où les règles
de la responsabilité du fait des choses prenaient elles-mêmes
une importance grandissante.
3. — A suivre une méthode, aussi classique et aussi arti-
ficielle, de présomption de volonté, on n'a pas évité les risques
de contradiction. Au lendemain des arrêts de 1932 et (1933,
on pouvait penser que l'action des ayants cause, bénéficiaires
de la stipulation, serait désormais soumise en tout point aux
règles de la responsabilité contractuelle (cpr. P. Esmein, note
S., 1934, 1, 81, § 1, III). C'eût été l'abandon complet de certains
principes posés par les arrêts antérieurs (spécialement Req.,
27 juillet 1925, précité).
La Cour de Cassation ne s'y est pas résolue. Statuant le
8 mars 1937 sur une question de compétence, à propos de
l'action exercée par la veuve de la victime, elle a appliqué les
règles de la responsabilité délictuelle : « La veuve était fondée
à se présenter comme tiers au contrat passé par les Usines
Renault avec son mari, pour poursuivre, en vertu de l'article
1382, la réparation du préjudice personnel, matériel et moral,
que l'accident avait causé à sa fille et à elle ». Il ne s'agissait
pas, en l'espèce, d'un contrat de transport, mais d'une action
pour vice de construction, dirigée contre le vendeur d'une
victime ;
automobile à la suite d'un accident dont l'acheteur avait été
mais la différence dans la nature du contrat ne
saurait changer les données du problème juridique. Or, l'arrêt
de 1937, rapproché des arrêts de 1932 et 1933, semble néces-
sairement postuler l'admission du cumul des deux respon-
sabilités, ou au moins de l'option entre elles.
Par une analyse ingénieuse, M. le Président Pilon le nie.
Ce n'est pas un cumul de permettre l'exercice de l'action con-
tractuelle au contractant et de l'action délictuelle à ses héri-
tiers (rapport S., 1937, 1. 242). Mais le raisonnement, très
certainement exact en droit, est difficilement applicable en
fait aux espèces étudiées. Car, en 1932 comme enil937, c'étaient
préjudice personnel :
les héritiers ou la veuve qui demandaient réparation d'un
si bien que, tantôt la veuve exerce
l'action contractuelle pour échapper à la charge de la preuve,
et tantôt elle exerce l'action délictuelle pour invoquer les règles
de compétence admises en cette matière. Or, c'est précisément
dans cette possibilité, pour une même personne, d'invoquer à
son choix l'action du contrat ou l'action de l'article 1382 que
consiste le cumul (Cpr. Brun, Rapports et domaines des res-
ponsabilitéscontractuelle et délictuelle, thèse, Lyon, 1930,
n08 306-323, en particulier n° 312).
Aussi bien, M. le Président Pilon convient-il que les arrêts
de 1932 et 1933 sont, par rapport aux principes qu'il défend,
très exceptionnels, n'ont que la valeur d'un moyen de secours
pour accorder une réparation lorsque la preuve de la faute est
impossible (loc. cit., p. 243). Est-ce annoncer déjà l'abandon
de cette action contractuelle des ayants cause ? Il est difficile
:
termes mêmes les constructions qui permettaient d'en déli-
miter le domaine c'est une méthode dont la jurisprudence et
souvent la doctrine elle-même ont affecté de ne pas apercevoir
la contradiction.
C'est l'expression de dommage causé par le fait des choses
qui permettait d'exclure, du domaine de ce texte, les choses
'Sous l'action de l'homme, ou d'en restreindre l'application aux
choses atteintes d'un vice propre. C'est l'expression de garde
qui permettait de la limiter aux choses dangereuses. Et, pour
condamner ces limitations, la méthode fut encore de constater
que la loi ne faisait, entre les choses inanimées, aucune
distinction.
La recherche n'est pas, pour autant, terminée. Si la notion
de garde n'intervient plus aujourd'hui que pour désigner la
personne responsable, la notion du fait de la chose retrouve,
depuis l'arrêt des Chambres réunies du 13 février 1930, une
singulière fortune. C'est qu'au lendemain même de cet arrêt,
la nécessité est apparue de ne pas appliquer l'article 1384
chaque fois qu'une chose quelconque intervient, dans des
conditions quelconques, dans la réalisation du dommage
à l'admettre, on aurait pratiquement supprimé de nos lois
;
l'article 1382.
Pour éviter ce renversement absolu de principe, les dis-
tinctions fondées sur la garde étant les dernières qui aient
été implicitement condamnées, c'est à la notion du fait de la
chose que l'on est revenu par un curieux mouvement. Le
sens de l'expression a d'ailleurs changé (Marty, note S., 1937,
2. 217, § 1, ÏI, A). Il ne s'agit plus de rechercher le fait auto-
nome de la chose, dû à elle seule, et dans lequel l'homme
n'aurait joué aucun rôle, fait autonome dont l'impossibilité
même avait été suffisamment démontrée (Ripert, note D. P.,
1922, 1.5 ; Règle morale, n° 124). Mais la condition, autrement
interprétée, demeure. On exige, pour appliquer l'article 1384,
§ 1, un fait actif de la chose. Si celle-ci, lors de la réalisation
:
(1) Voy., outre les décisions citées au texte Paris, 14 janvier 1935, Gaz. Pal.,
1935, ibid. au texte, et D. H., 1935, 373;
1935, 2. 156 sous note ai; Paris, 6 mars 1935, ibid., sous note b ; Dijon, 9 mai
Poitiers, 3 juillet 1935, D. H., 1935.
502; Trib. Civ. Montélimar, 9 juillet 1935, Gaz. Pal., 1935, 2. 771; Caen, 30
décembre 1935, Gaz. Pal., 1936, 1. 886 sous note; Paris, 22 janvier 1936, Gaz.
Pal., 1936, 1. 274; Colmar, 15 février 1936, Gaz. Pal., 1936, 2. 678 sous note c,
S., 1937, 2.147 Paris, 6 mars 1936, Gaz. Pal., 1936, 1. Tabla vo responsabilité
civile,n" 140 Douai, 16
1936, 304
;
;
mars 1936, S., 1937, 2.147 ; Paris, 18 mars 1936, D. H.,
; Trib. Civ. Péronne, 3 avril 1936, D. H., 1936, 309 ; Paris, 4 avril
:
il a dû pour cela se rallier, non sans hésitation, aux théories
de la causalité adéquate encore ne voit-il dans la jurispru-
dence qu'une évolution demeurée obscure vers ce système,
combien obscur et imprécis lui aussi (Guex, thèse, Lausanne,
1904 ; Marteau, thèse, Aix, 1914).
La vérité est qu'il est presque impossible de justifier sur
ce point la jurisprudence d'une façon proprement juridique,
si l'on n'entend ce mot que de la seule interprétation des
notions techniques. Mais la nécessité demeure certaine de
laisser à l'article 1382 un domaine raisonnable. L'article 1384,
§ 1, découvert pour suppléer à ses lacunes, a eu pour but de
protéger la victime lorsque le dommage présente le caractère
d'un événement quelque peu exceptionnel auquel elle est restée
;
étrangère, lorsqu'il y a, par ailleurs, inégalité de situation
entre elle et le gardien de lachose et les théoriesde la pré-
somption de faute et du risque concordent vers cette analyse
(Cpr. pour plus de développements, le commentaire donné,
infra, des arrêts relatifs aux collisions de véhicules et à la
faute de la victime). L'application de ce texte suppose, ainsi
que l'écrit M. Savatier (note précitée D. P., 1930, 1.83),
est survenu un accident, au sens de fait anormal et imprévu ;
qu'il
:
il suffit, à cet égard, de rappeler les circonstances qui ont fait
apparaître la règle accidents dutravail, accidents de la cir-
culation.
Et, s'il est vrai que ce n'est là qu'une affirmation,
M. Esmein a excellemment montré que la jurisprudence ne
peut procéder qu'ainsi, comme le législateur lui-même, lors-
qu'elle crée des règles nouvelles. (L'article 138b, § 1, C. Civ.
est-il applicable au profit de celui qui heurte une chose immo-
?
bile Chronique, D. H., 1937, 65). Les raisons d'opportunité,
fondéessur l'appréciation directe des intérêts en cause, peu-
vent seules la guider. Or, on ne conçoit pas qu'une protection
particulière soit assurée à la victime lorsque le dommage
résulte de sa propre manière de se conduire dans l'ordre natu-
rel du monde. Les principales applications qui ont été faites
jusqu'ici, de la distinction entre les choses actives et les choses
inertes, le montrent. On éprouve quelque surprise à voir invo-
quer l'article 1384 par la personne qui est tombée dans un
étang dont la surface était recouverte de lentilles d'eau le
dissimulant à ses yeux (Rennes, 11 mars 1932), par le specta-
teur qui, entrant au cinéma, est tombé dans l'escalier qui le
conduisait à la salle de spectacle (Paris, 17 novembre 1933),
par le client qui, circulant dans un magasin, a heurté du pied
la roulette d'un porte-manteaux (Paris, 18 mars 1936).
;
participation matérielle de la chose au dommage en fait pré-
sumer le rôle actif il appartient au gardien, pour s'exonérer,
de prouver que ce rôle a été passif H. et L. Mazeaud, II,
n° 1211-2 et s., n° 1530 et s. ; H. Mazeaud, note, S., 1933,
1. 257, § 2 ; Marty, note § 1, II, D).
C'est compliquer, d'une présomption nouvelle, celle, déjà
bien complexe, que contient l'article 1384. C'est, par surcroît,
répartir très singulièrement le fardeau de la preuve. Le prin-
cipe est certain que, pour invoquer une règle de droit, parti-
culièrement une présomption, il faut prouver que les condi-
tions auxquelles est subordonnée cette règle sont remplies.
Si donc le fait actif est une condition d'application de l'arti-
cle 1384, § 1, c'estau demandeur d'établir que l'intervention
de la chose a présenté ce caractère. MM. Mazeaud objectent
que ce serait là une charge trop lourde qui, pour la victime,
retirerait son utilité à l'article 1384. Mais l'objection, difficile
à admettre juridiquement, car elle contredit les principes
généraux sur la charge de la preuve et la mise en œuvre des
présomptions, ne porte pas en fait si l'on définit le rôle actif
comme étant le mouvement de la chose. En présence, en
effet, d'une chose immobile ayant matériellement participé
à la production du dommage, le dilemme est celui-ci
Ou la chose immobile était placée dans des conditions
:
normales, prévisibles, celles où son propriétaire, se conduisant
diligemment, devait la laisser. Il est alors logique que la res-
ponsabilité du fait des choses ne soit pas encourue. Ce sera
toujours le cas pour les choses immobilières qu'un événement
exceptionnel n'a pas mises en mouvement. Ce sera le cas le
plus fréquent pour les choses mobilières, par exemple pour
une voiture stationnant dans les conditions administrative-
ment prescrites.
Ou la chose immobile était placée dans des conditions
anormales, imprévisibles, celles où un propriétaire plus dili-
à la trouver:
gent ne l'aurait pas laissée, où les tiers ne pouvaient s'attendre
tels précisément les obstacles maladroitement
disposés que l'on imaginait. La faute personnelle du gardien
de la chose est alors établie, dans les termes de l'article 1382.
La définition du rôle actif, donnée jusqu'ici par les arrêts,
semble ainsi suffisamment précise. A la poser comme prin-
cipe, puisqu'elle ne contredit ni la logique ni l'équité, on
éviterait les incertitudes inhérentes à la solution de toutes
les difficultés que l'on considère comme de pur fait.
nique :
elle pendant que le voleur l'utilise. L'affirmation est laco-
« Le vol d'une automobile. ne saurait à défaut d'autres
circonstances, constituer un cas fortuit ou de force majeure
exonérant des conséquences de l'accident causé par ce véhi-
cule celui qui, légalement, n'a pas cessé d'en avoir la garde. »
Saisie sur renvoi, la Cour de Besançon a attribué la garde
au voleur par un arrêt au contraire longuement motivé, où
l'on sent l'influence de la note par laquelle M. Capitant avait
fortement critiqué la décision de la Chambre civile. Ce conflit
de jurisprudence attire à nouveau l'attention sur la notion
« En attendant l'arrêt des
de garde, toujours incertaine
Chambres réunies >5, (H. Mazeaud, Chronique D. Ii., 1937, 45),
les auteurs en reprennent l'examen d'ensemble. (Voy., outre
les études de MM. Capitant, Mazeaud et Durand : Josserand,
Le gardien de l'automobile, le voleur et la victime d'un acci-
dent, Chronique D. H., 1936, p. 37 (1).
1.
— La garde juridique, par quoi l'on détermine la per-
sonne responsable au sens de l'article 1384 § 1, a été géné-
ralement conçue comme un pouvoir juridique, un droit de
commandement et de direction, à la différence de la garde
matérielle, simple pouvoir de fait résultant de la détention
de la chose (H. et L. Mazeaud, II, n° 1155 et s., et les réfé-
rences)
Tant qu'il s'est agi de choisir entre le propriétaire et
celui à qui il a volontairement confié sa chose, la théorie a
été facilement accueillie. (Voy. parmi les arrêts les plus récents,
Req., 7 juin 1937, D. H., 1937, 471). Elle paraît aujourd'hui
conduire à la responsabilité du propriétaire dépossédé
la solution paraissant discutable en fait, les critiques appa-
et, ;
raissent.
Contre l'arrêt de la Cour de Cassation, des arguments
d'équité sont d'abord invoqués. Mais la Justice, a dit Pascal,
n'est pas facilement connaissable. La responsabilité du pro-
priétaire est-elle injuste parce qu'il ne pouvait rien pour empê-
cher le dommage (Capitant, note précitée, p. 83 ; M. Picard,
note, Rev. gén. ass. ter., 1936, 356), ou juste parce qu'il faut,
avant tout, indemniser la victime et que le voleur est géné-
ralement insolvable, voire même inconnu (H. Mazeaud, Chro-
nique précitée, p. 51 ; Josserand, Chronique précitée, p. 38) ?
(1) Cette partie de notre chronique était rédigée lorsqu'a paru la très inté-
ressante étude de M. Durand, 5., 1937, 2.97, sous l'arrêt de Besançon. Notre
accord avec M. Durand sur les lignes générales — spécialement sur le rapproche-
ment entre les deux responsabilités du fait dtautrui et du fait des choses, et sur
les notions d'autoritéetd'indépendance — était si complet qu'il nous a paru préfé-
rable de maintenir notre texte en y ajoutant seulement des références à cette ncte.
Dans cette méthode qui nous rend incomplet, on verra seulement le désir de montrer
que, par des raisonnements différents, on doit rejoindre très vite, au centre véritable de
la matière, les notions d'autorité et d'indépendance, appréciées en fait plus qu'en
droit. Mais il nous faut dire au moins toute la force que donnent, à l'argumentation
de M. Durand, une analyse très pénétrante des travaux de Saleilles et un rapproche-
ment particulièrement heureux entre la notion de garde et la notion objective de
possession (note précitée, Il et III).
posée en ces termes, la question est insoluble :
ou, tout au
moins, il faudrait s'accorder d'abord sur le fondement de la
responsabilité.
Plus convaincantes sont les objections qu'a fait valoir
M. Capitant, fondées sur les conséquences du système adopté
sabilité du propriétaire
reur de bonne foi,
;
par la Chambre civile. Combien de temps durera la respon-
tant
quelle sera la situation d'un acqué-
qu'il sera exposé à la revendication?
Autant de questions (Capitant, note précitée, p. 82 ; M. Picard,
note Rev. gén. ass. ter., 1936, 357) qu'il est impossible de résou-
dre. C'est une réponse insuffisante de dire (H. Mazeaud, Chro-
:
nique précitée, p. 51, note 2) que de telles situations sont
exceptionnelles
;
la théorie juridique,, si elle est exacte, doit
pouvoir être appliquée aux différentes hypothèses de fait et
il y a, au moins, de sérieuses difficultés à considérer le pro-
priétaire dépossédé comme gardien.
Mais M. Capitant avait élargi le débat. Il semble bien que,
pour lui, la garde devait s'entendre seulement de la garde maté-
détenteur de la chose :
rielle, de telle sorte que la responsabilité pèse toujours sur le
la notion de garde juridique serait
fausse, en ce qu'elle est une création des interprètes, contraire
au sens des mots et dépourvue d'appui dans les textes. Et sans
doute est-il vrai que la fortune de cette théorie peut paraître
singulière. Proposée pour la première fois avec une grande
force de conviction par M. H. Mazeaud (La faute dans la garde,
Rev. trim., 1925, 832 et s.), excellemment développée dans
la même ligne par M. Besson (La notion de garde, thèse,
Dijon, 1927), reprise par MM. H. et L. Mazeaud dans leur
Traité de la responsabilité civile (II, n°. 1155 et s.), elle ne
fut, d'abord, qu'une création purement doctrinale. Mais, si
elle a été adoptée ensuite par la jurisprudence, il faut se féli-
citer de cette influence de la doctrine plutôt que la déplorer.
Les défenseurs de l'arrêt ont trouvé des arguments de texte
(H. Mazeaud, Chronique, p..49) comme ses adversaires (Capi-
:
tant, note, p. 82). Ni les uns, ni les autres, ne sont détermi-
nants, et ne sauraient l'être en une matière où le principe
même de la responsabilité est prétorien, rien ne peut empêcher
que les modalités d'application le soient également.
C'est donc en dehors des textes qu'il faut juger la valeur
de la construction. Elle paraît alors inutile, d'après M. Capi-
tant, car on l'a imaginée pour expliquer que le commettant
conserve la garde de la chose confiée au préposé. Or la respon-
sabilité du premier s'explique plus simplement par le fait qu'il
est représenté, dans l'exercice de la garde, par le second (Capi-
tant, note, p. 81 ; Cpr. pour une autre explication possible,
H. Mazeaud, Chronique, p. 49, note 2). Mais une étude com-
plète des précédents judiciaires ne permet pas de réduire à cela
seul le rôle pratique de la notion de garde juridique. Très
souvent, la jurisprudence a décidé que le propriétaire peut
rester gardien d'une chose confiée à un détenteur non préposé;
(H. et L. Mazeaud, II, n08 1174 et s. ; Durand, note précitée, II,
p. 98 ; Cpr. notre article sur Les rapports de la responsabilité
du fait des choses et de la responsabilité du fait d'autrui, Rev.
Crit., 1935, p. 379 et s., nos 4, 5 et 6). Ainsi en est-il lorsqu'il
prête sa voiture à un ami qui reste soumis, pour la conduite,
à ses instructions. A écarter la notion de garde juridique, on
;
ne consacrerait pas seulement l'irresponsabilité du proprié-
taire volé on serait conduit à un revirement de jurisprudence
dans d'autres hypothèses (H. Mazeaud, Chronique, p. 49-50).
:
s'entendre alors que d'un droit de direction à l'égard du déten-
teur de la chose c'est le droit de donner des ordres à celui-ci
sur la manière d'utiliser la chose. Dès
dilemme : Ou le détenteur use de la chose librement
lors,
;
apparaît ce
son
indépendance fait de lui le gardien. Ou il est tenu d'obéir,
pour l'usage de la chose, aux instructions du
c'est alors celui-ci qui, par son autorité, est gardien. La garde
:
propriétaire
:
contemporaine (Cpr. Durand, loc. cit.). Ce qui crée la respon-
sabilité, en dehors du fait personnel, c'est l'autorité autorité
du commettant sur le préposé, autorité du gardien sur le
détenteur. Le parallélisme montre la logique de la construction.
Dans les deux cas, l'autorité peut d'ailleurs s'entendre du droit
;
de donner des ordres, alors même qu'il est impossible de le
faire et, s'il en est ainsi, c'est qu'à admettre l'irresponsabi-
lité quand la surveillance ne peut être exercée, on abouti-
rait à la libération par la preuve de l'absence de faute qui
est prohibée.
L'application de cette notion de la garde juridique assure
le maintien de la jurisprudence antérieure pour le cas où la
chose a été volontairement confiée par son propriétaire à un
tiers qui n'en use j)as librement. Mais, dans le cas de vol, elle
doit faire reconnaître le transfert, au voleur, de la qualité de
:
gardien, car le propriétaire n'exerce sur lui aucune autorité,
ni de fait, ni de droit c'est sur le voleur, détenteur indé-
pendant, que pèse la responsabilité. M. Josserand objecte que
la garde, pouvoir juridique, ne peut être transmise que par un
acte juridique (Chronique, p. 39) ; mais M. Capitant a fort
bien montré combien cette affirmation est injustifiée, alors
que d'autres droits, ceux qui résultent de la possession,
peuvent être acquis plus simplement (note, p. 82). Aussi bien
serait-il presque paradoxal que le caractère illégitime d'une
:
situation de fait fut un obstacle à l'attribution de la qualité
de gardien, qui est une charge, non un bénéfice à l'égard des
tiers, la situation de fait doit l'emporter sur la situation de
droit (v. Durand, loc. cit. ; P. Esmein, Chronique, Gaz. Pal.,
9 juillet 1937, et dans le même sens, notre article précité,
n° 14).
:
détenteur est devenu gardien. La solution est logique si le
transfert de la garde suppose un acte juridique l'existence
en doit être démontrée par celui qui s'en prévaut. Elle ne
;
l'est pas si l'on admet la notion plus concrète qui vient d'être
exposée. L'indépendance de l'individu est la règle sa subor-
dination, son obligation d'obéir aux ordres d'autrui sont
l'exception. Dès lors, la présomption devrait être renversée.
On devrait décider que le détenteur est présumé gardien de
la chose, sauf preuve, rapportée, de sa subordination, dans
l'usage de cette chose, ,au propriétaire (Contra, Durand, note
IV, p. 100). Là encore, s'opérerait le rapprochement entre la
responsabilité du fait des choses et la responsabilité du fait
d'autrui, entre la qualité de commettant et celle de gardien.
3. Les collisions de véhicules (Civ. cass., 20 mars 1933, D. P.,
1933, 1. 57, note Savatier, S., 1933, 1. 257, note H. Mazeaud,
et les arrêts postérieurs, jusqu'à Civ. cass., 21 juin 1937,
Gaz.Pal.,1937,2.348).
La Chambre civile a décidé, pour la première fois, le
20 mars 1933, que l'article 1384 est applicable aux collisions
de véhicules, même lorsque l'un et l'autre gardiens, à la fois,
ont été victimes d'un dommage : « La présomption. est subor-
donnée dans son application à la seule condition que le dom-
mage ait été causé par le fait de la chose ; elle ne saurait être
détruite, en tout ouen partie, du fait que les deux gardiensi
se sont réciproquement causé des dommages. » C'est le motif
essentiel, que reproduisent la plupart des arrêts rendus depuis
cette date.
ration intégrale. Les règles doivent être les mêmes qu'au cas de
responsabilité fondée sur la faute prouvée, où la réparation,
pour chacun, n'est que partielle (notes, D., 1933, 1. 57, II ; D.,
1. 30, III
1934, ; D., 1935,2.17, III).
La controverse est restée longtemps ouverte. Ce sont
seulement des arrêts beaucoup plus récents qui permettent
de dire que la Cour de Cassation admet la double réparation
totale. Encore est-ce une impression d'ensemble, plus qu'une
certitude, car chaque arrêt, pris isolément, est susceptible
d'être interprété de plusieurs manières (voy. en ce sens la note
de M. Fréjaville, D.,1936, 1.17). La réparation totale n'est
affirmée nettement que dans les cas où elle n'est pas réclamée
en fait (Civ. cass., 11 mars 1936, D. H., 1936, 315 ; Req., 27
juillet 1936, Gaz. Pal., 1936, 2. 673 ; Cpr. Civ. cass., 16 mars
1937, D. H., 1937,297 ; Civ. cass., 21 juin 1937, Gaz. Pal., 1937,
2.348 ; deux arrêts, dont l'un au S., 1937, 1.350) ; elle n'est
pas, au contraire, posée comme principe, lorsqu'elle a été
accordée par les juges du fond (Req., 21 juin 1935, D. 1936.
1.17, note Fréjaville). Le rapprochement des motifs et des
dispositifs d'arrêts différents permet seul de la considérer
comme le principe désormais suivi.
démontré ; le
ass. terr., 1934, 805). Ce rôle, en effet, peut être plus souvent
:
par ailleurs, si l'on admettait qu'il consiste dans
le seul mouvement de la chose, (voy. supra la notion du fait
de la chose), le fait même de la collision suffirait à l'établil-
Mais il ne résulte pas, de ce rôle actif, que chaque véhicule
,ait causé le dommage subi par l'autre, et réciproquement. Sur
le terrain de la causalité, cette analyse est indéfendable. On
peut s'efforcer, sans doute, de la justifier par des considéra-
tions de pure technique procédurale, en disant qu'il y a deux
actions en responsabilité distinctes, et, dans chacune, une seule
présomption, un seul dommage, un seul auteur, une seule vic-
time (H. et L. Mazeaud, II, n° 1535 ; H. Mazeaud, note S., 1933,
1. 257, § 1). Ces arguments ne peuvent prévaloir contre la
;
nature des choses. Les deux dommages résultent l'un et l'autre
de la collision celle-ci est un événement indivisible, qu'il est
artificiel de décomposer d'après ses conséquences en deux acci-
dents distincts. Les présomptions, si elles ont un sens, s'appli-
quent, non pas distributivement à la cause de chaque dom-
mage, mais ensemble à la cause de la collision. Dire que celle-ci
:
est le fait, à la fois de l'un et l'autre véhicule, c'est dire que les
deux réunis ont causé les deux dommages ils en sont, au même
titre, les antécédents nécessaires. (Esmein, note S., 1934, 1. 169
:
1. 169, III). Ce ne sont que variantes dans la mise en œuvre
d'une même analyse, exacte en son principe l'accident étant
dû au fait des deux véhicules à la fois, les dommages sont
répartis entre ceux qui répondent de l'un et de l'autre.
On objecte que l'article 1384 vise les seuls dommages cau-
sés par la chose à autrui et non pas ceux que subit le gardien,
parce que l'on aboutirait, s'il en était autrement, à une respon-
sabilité envers soi-même, véritable contradiction dans les
termes. (H. et L. Mazeaud, II, n° 1535). Mais il n'est pas besoin
de dire que chaque gardien, dans la mesure où il n'obtient pas
réparation, est responsable envers lui-même ; il suffit de dire
que, dans cette mesure, l'autre gardien n'est pas responsable
envers lui. La réponse fondamentale à l'objection demeure t
;
ques (Le régime démocratique et le droit civil moderne, n° 5).
C'étaient des moyens ; on les a pris pour des principes et, dès
lors, on ne s'est plus demandé siles conclusions, auxquelles
on arrivait en raisonnant sur elles, étaient en accord avec les
raisons premières qui les avaient fait édicter. Est-il trop tard
pour revenir à la considération directe du but poursuivi On
n'aurait pas écarté, si l'on y avait suffisamment songé, la
?
vieille théorie de la neutralisation des présomptions.
Toute présomption est fondée, d'abord, sur une vraisem-
blance. Celle de l'article 1384, § 1, repose sur cette idée qu'il
est plus probable que le dommage soit dû à la chose, ou à son
gardien, qu'à la victime. S'il y a collision de véhicules, la vrai-
:
La vraisemblance de tel ou tel' évènement n'est pas la seule
raison qui en fasse présumer l'existence la présomption, sur
;
cette première base, est édictée lorsqu'elle paraît utile à conci-
lier les intérêts en présence l'article 1384, § I, a été conçu
comme un remède à une inégalité de situations entre les vic-
times et les auteurs de dommages, dont l'activité plus intense
était créatrice de plus de dangers. Il importe peu, à cet égard,
qu'il repose sur l'idée de risque ou sur une véritable présomp-
tion de faute. Ce ne sont plus guère aujourd'hui que des mots
même s'il y a présomption, il faut savoir pourquoi, et cela ne
:
peut être, précisément, que pour remédier à la prépondérance
des auteurs possibles sur les victimes désignées de certains
préjudices. Or cette idée de protection devient sans objet,
lorsque l'auteur et la victime agissent dans les mêmes condi-
tions.
A le nier, on a retiré, à l'application de l'article 1384, ce
qu'elle eut d'abord d'équitable et d'humain, en tantqu'elle
assurait la protection des faibles contre les forts. Peut-être
était-elle discutable même à cet égard ;peut-être aurait-il
:
fallu compenser cette protection particulière par des limita-
tions apportées à l'étendue de la réparation ce sont des idées
bien connues. Mais ce qui est certain, c'est qu'il n'est pas
légitime d'aboutir, par le jeu combiné des règles de la respon-
sabilité et de l'assurance, à la réparation automatique de tous
les dommages, au renversement de la règle Res perit domino.
Ce n'est pas le but que poursuivaient les premiers défenseurs,
et les plus intransigeants, de l'idée de risque. C'est un résultat
qui, par l'exagération des charges qu'il fait peser sur toute
activité, ne peut satisfaire ni la justice, ni l'utilité sociale.
;
texte. La règle exceptionnelle est écartée parce qu'il n'y a pas,
en la cause, l'élément de profit qui la justifie mais la règle
de droit commun demeure, qui veut que, de toute faute, naisse
pour son auteur l'obligation d'en réparer les conséquences.
;
Les principes semblaient dès lors ceux-ci : l'exonération
n'est totale qu'autant que la faute de la victime est la seule
cause du dommage cette faute ne peut être considérée comme
telle que lorsqu'elle présente les caractères de la force majeure.
La jurisprudence plus récente paraît pourtant moins
exigeante. La constatation que l'accident est dû, soit unique-
ment, soit en partie seulement, à la faute de la victime, suffit
à justifier soit l'exonération du gardien, soit un partage de la
responsabilité, sans que soit invoquée la notion de force
majeure (Req., 27 novembre 1935, D. H., 1936, 51 ; Req., 27
janvier 1936, D. H., 1936, 131 ; Civ. rej., 16 juin 1936, D. Ii.,
1936, 427 ; Civ. rej., 21 octobre 1936, D. H., 1936, 553; Civ. rej.,
Il décembre 1936, D. H., 1937., 86 ; Civ. cass., 16 mars 1937,
D.IL, 1937,297). Tout au plus, les derniers arrêts rendus en
la matière relèvent-ils parfois le caractère imprévisible et iné-
vitable de l'accident, en raison des éléments de fait retenus par
étranger au dommage ;
causes seulement, du dommage, c'est un artifice verbal qui
contredit une réalité certaine. Le fait de la chose n'est jamais
(H. Mazeaud, note S., 1934., 1. 313) ;
il en est, par hypothèse, l'un des antécédents nécessaires.
La gravité même de la faute, souvent relevée dans les
arrêts (Voy. le rapport de M. Gazeau, D., 1934, 1. 41, sous Req.,
13 avril 1934), ne peut pas en faire la seule cause du dommage.
Ailleurs, M. Esmein a montré l'illogisme de telles confusions
entre le problème de la causalité et celui de l'imputabilité
l'un consiste à déterminer les conséquences matérielles d'un
;
acte, l'autre à en juger la valeur (note S., 1934, 1. 169, II). Ce
sont là des éléments irréductibles l'un à l'autre. Une faute
légère peut avoir une influence très grande sur la production
du dommage, une faute grave en avoir fort peu.
Par ailleurs, les caractères de la force majeure, si on les
exige, ne seront, pour ainsi dire, jamais réunis. Q'un piéton
traverse une route sans la moindre attention, ou une rue en
dehors des passages cloutés, — ce sont les hypothèses-type en
jurisprudence, — quel automobiliste, ayant constaté journelle-
ment de tels faits, pourra les prétendre imprévisibles lorsqu'un
accident sera survenu ?
On comprend ainsi que la Cour de Cassation se contente
de l'affirmation que la faute de la victime est la seule cause
du dommage. Elle n'exige pas que ce rôle exclusif soit établi
par les éléments de fait, par les circonstances de la cause ;
;
un arrêt récent (Civ. cass., 16 mars 1937) paraît se montrer
plus sévère mais il semble en réalité que les juges d'appel,
très imprudemment, n'aient pas même formulé la constata-
tion habituelle. Si le contrôle des motifs est aussi dépourvu
de rigueur, c'est que la Cour ne saurait demander aux juges
;
du fond de démontrer l'exactitude d'une affirmation contraire
à la nature des choses
même de sa jurisprudence.
mais cela suffit à détruire le principe
;
charge du gardien lorsque la victime est en faute. Cette faute
doit l'exonérer totalement celle d'un tiers doit avoir le même
effet, contrairement à la jurisprudence. Mais, une fois de plus
ces solutions ne doivent pas être fondées sur une analyse
impossible de la causalité. M. Savatier et M. Esmein ont
aperçu les véritables données du problème. Il suffit de rappeler
rapidement leur démonstration (Savatier, notes D. P., 1930, 1.
82. 83, 1934,.J. 41 ; Esmein, La faute de la victime exclut-elle
?
la présomption de responsabilité Rev. gén. ass. ter., 1934, p.
985).
même plan ;
Les articles 1382 et 1384 ne doivent pas être placés sur le
l'application de l'article 1384 est subsidiaire par
rapport à celle de l'article 1382. La responsabilité sans faute
prouvée n'a été admise, en effet, que pour remédier aux insuf-
fisances de la responsabilité traditionnelle. Elle n'est, dès lors,
qu'un remède ultime pour trouver un responsable lorsqu'au-
cune faute ne désigne celui qui doit supporter la charge du
dommage. Une faute est-elle au contraire démontrée, elle se
révèle inutile, puisqu'elle n'eut, à l'origine, qu'un rôle supplétif.
Cette primauté de l'article 1382 est imposée, d'autre part,
en lo'gique, par l'examen de la valeur respective des deux
principes de responsabilité (Esmein, op., cit., p. 996 ; Savatier,
;
note D., 1934, 1. 42). L'un impose la réparation d'après une
appréciation portée sur la conduite de l'auteur il impose une
charge que plus de soin aurait permis d'éviter. L'autre l'im-
pose, d'après la seule matérialité du dommage, à quelqu'un
qui ne peut prouver le soin dont il a fait preuve et ses efforts
pour l'empêcher. Sanction d'une règle de conduite, l'article
1382 doit l'emporter sur l'article 1384, règle de répartition
sociale des charges.
:
constatation faite par la Cour d'Appel que le chirurgien était
gardien du porte-aiguille et préposé de l'Hôpital réunion des
qualités de préposé et de gardien, qu'il reconnaît exception-
nelle mais affirme possible. Dès lors l'arrêt a pour lui le sens
suivant ; le commettant n'est pas responsable lorsqu'il n'est
pas prouvé que le préposé ait commis une faute ; les présomp-
tions de faute édictées contre le préposé ne peuvent pas être
invoquées contre le commettant (note S., 1937, 1. 137 in fine,
138). Cette affirmation qu'il croit trouver dans l'arrêt, il la
critique avec force. Le commettant étant, envers la victime,
substitué au préposé pour répondre du dommage, ce qui est
tenu pour vrai à l'égard de l'un doit l'être à l'égard de l'autre ;
son commettant ;
spécialement ce qui est présumécontre le gardien l'est contre
aussi doit-il exister, en quelque sorte, une
responsabilité du fait des choses ascendante, suivant l'expres-
sion de M. Josserand (rapport sur l'arrêt, D., 1937, 1. 10).
La démonstration, sur ce point, est convaincante. M. Sava-
tier (note D., 1937, 1. 5) en avait reconnu d'avance l'exactitude.
L'unanimité de la doctrine serait donc faite contre l'arrêt de la
Cour de Cassation s'il avait le sens que lui donne M. Mazeaud.
Mais, dans cette hypothèse, la rédaction en apparaîtrait, en
vérité, bien singulière. Si la Cour avait voulu décider que les
présomptions de faute édictées contre le préposé ne rejaillis-
sent pas contre le commettant, elle n'aurait pas, dans un motif
dont M. Mazeaud omet de tenir compte, déclaré inutile de se
prononcer sur l'attribution de la garde et l'existence du lien
de préposition. Elle aurait constaté l'exactitude de la double
:
affirmation faite à cet égard par la Cour d'Appel, pour cen-
surer seulement la conséquence qui en avait été tirée celle
d'une double responsabilité contre le gardien et contre son
commettant.
2. — En ne prenant pas parti distributivement sur chacun
des deux termes de cette affirmation, la Cour de cassation
décide nécessairement que c'est leur réunion même qui est
contradictoire en soi, juridiquement impossible. Le sens cer-
tain de son arrêt, c'est qu'une même personne ne peut être, à
la fois, préposé et gardien d'une chose que lui aurait confiée
son commettant. C'est l'interprétation qu'en a donnée
M. Savatier, et l'arrêt doit alors recevoir une pleine
approbation.
La subordination qui, d'après une jurisprudence cons-
tante, caractérise la situation du préposé, est contraire à l'in-
dépendance par laquelle se définit, avec la même certitude,
celle du gardien. Tenu, par hypothèse même, d'obéir aux
:
ordres du commettant, le préposé n'acquiert pas la libre maî-
trise de la chose c'est le commettant qui, conservant ce pou-
voir de direction, conserve aussi la garde. Dès lors, l'arrêt
; :
d'appel recélait une contradiction interne. Ou le médecin était
il était alors gardien responsable du porte-
:
indépendant
aiguille mais l'Hôpital devait être mis hors de cause. Ou le
médecin était subordonné il était alors préposé de l'Hôpital
et celui-ci devenait gardien responsable du porte-aiguille
mais le médecin, dans ce cas, à défaut de faute prouvée contre
;
lui, devait être mis hors de cause. (Savatier, note précitée, 1
el II, spécialement p. 7 col. 2). Le caractère incompatible des
deux qualités de préposé et de gardien, qui déjà résultait taci-
tement mais presque certainement de la jurisprudence
antérieure, se trouve ainsi affirmé (Voy. pour plus de dévelop-
pements,notre article sur les rapports de la responsabilité du
fait des choses et de la responsabilité du fait d'autrui, Rev,
Crit., 1935, p. 379 et s. en particulier n° 12 et les références
à la doctrine et à la jurisprudence).
Pour donner à l'arrêt le sens qu'on a vu, M. Mazeaud doit
:
déclarer que cette incompatibilité, si elle est habituelle, n'est
pas absolue le préposé peut être gardien dans des cas excep-
tionnels (note précitée, p. 137, col. 1 et Traité, II, n° 1101). Et
sans doute, on ne saurait nier que le commettant puisse par-
reconnaître un pouvoir de direction :
fois autoriser le préposé à se servir librement de la chose, lui
ainsi le propriétaire
d'une voiture peut la prêter à son chauffeur pour une course
personnelle (Req., 10 novembre 1936, Gaz. Pal., 1936, 2. 643).
Mais cette situation, ainsi que le reconnaît M. Mazeaud lui-
même (II, n° 1101), suppose que le commettant renonce, pour
;
un temps, à donner des ordres au préposé. Dès lors, l'affir-
mation repose sur une équivoque et M. Savatier (note préci-
tée, p. 7, col. 1 in fine) observe de façon décisive que « le pré-
posé n'acquiert la garde de la chose que dans la mesure où il
cesse précisément d'être préposé ». Sinon, il faudrait dire
qu'un préposé est parfois indépendant, ce qui est contraire au
sens des mots, ce qui ne peut être affirmé même à titre excep-
tionnel.
Au vrai, ce qui trompe le plus, c'est que l'on emploie
l'expression de préposé pour désigner un individu déterminé,
alors que c'est une qualité juridique qui ne lui est pas atta-
chée de façon permanente, qu'il a ou non à un moment donné
suivant les conditions dans lesquelles il agit (Cpr. notre thèse
sur Les rapports de commettant à préposé dans l'article 1384,
Caen, 1933, p. 80-81 et p. 289 et s. et notre article précité,
n° 16). Lorsqu'on lui confie le libre usage de la chose, l'indi-
vidu est toujours le même, mais il n'est plus préposé. Pour
dissiper les confusions, il faudrait presque,.à la manière sco-
lastique des auteurs classiques, désigner par un nom de fan-
taisie les personnes en cause. On verrait alors que Primusr
habituellement préposé de Secundus, parce qu'il est soumis à
ses ordres, cesse de l'être lorsque Secundus lui confie le libre
usage de la chose. Et le même Primus acquiert alors la qualité
de gardien de la chose pendant le temps où il perd celle de
préposé.
C'est la seule analyse juridique qui traduise les données
de fait. Car dire qu'une même personne peut être, en même
temps, préposé et gardien, c'est dire qu'elle est à la fois,
subordonnée et indépendante.
;
aura à la fois responsabilité du commettant et responsabilité
du gardien mais ces deux personnes sont, l'une et l'autre,
distinctes du préposé. S'il est impossible, en effet, que la
garde appartienne au préposé, rien n'empêche qu'elle appar-
tienne à un autre que le commettant.
réserves à apporter;
Sur cette affirmation même, il y aurait d'ailleurs bien des
et il semble que M. Savatier l'ait for-
:
relatif au préjudice moral. (Voy. sur l'ensemble du problème
l'intéressante thèse de M. Perret Des ayants droit à indem-
nité au cas d'accident mortel, Paris, 1933).
Dans l'un et l'autre cas, les principes sont les mêmes. Le
préjudice ne peut donner lieu à réparation qu'autant qu'il est
:
p. 148-149) a-t-il ingénieusement montré que, même en ce
cas, il n'y avait pas de véritable certitude le débiteur aurait
pu se ruiner et, si l'on raisonne sur cette hypothèse, sa mort
ne fait subir aux créanciers aucun préjudice. Définir celui-ci
:
comme la lésion d'un droit est à la fois trop étroit et trop
large il n'y a pas de préjudice à perdre un droit que l'insol-
vabilité du débiteur rend illusoire. Par la force des choses,
tout se ramène donc à un calcul de probabilités. Ce n'est pas
là, quoiqu'on en ait dit (Roux, rapport précité, IV), une
:
théorie particulière sur l'interprétation de l'article 1382 ; c'est
la constatation de données naturelles la certitude, en cette
matière, n'est qu'une probabilité très grande.
;
rompue n'empêche pas la concubine d'invoquer parfois ce pré-
judice certain elle a droit ou non à une indemnité suivant les
particularités de sa situation, suivant la stabilité ou, au con-
traire, le caractère aléatoire et précaire de son union avec la
victime (H. et L. Mazeaud, I, n" 278). C'est ce qui explique
la jurisprudence jusqu'ici dominante, divergente mais non
contradictoire, application à des faits différents de principes
identiques. Dans l'un des arrêts qu'elle a rendus le 13 février
1937, la Chambre criminelle se fonde encore sur cette analyse:
« L'arrêt énonce 'qu'il n'est pas certain que le défunt ait eu
la ferme intention de continuer l'octroi à sa maîtresse de
secours et de subsides. ; en l'état de ces constatations, il a
pu décider que le préjudice n'était ni certain, ni actuel » (De-
moiselle Vaillant c. Berson, D. P., 1938,1. 5, lro espèce).
nelle se prononce:
négative de principe. C'est en ce sens que la Chambre crimi-
« Un préjudice direct, actuel et certain, ne
saurait résulter de la cessation de l'assistance que la victime
de l'infraction accordait au demandeur, lorsque cette assis-
tance n'était pas légalement susceptible de servir de fonde-
»
ment à une obligation valable (même motif dans Crim. cass.,
21 décembre 1937, Gaz. Pal., 22 janvier 1938).
Aucune distinction n'est plus faite, dans les règles appli-
cables, suivant les différences qu'il peut y avoir dans les
situations de fait. L'impossibilité d'une obligation valable,
relevée par l'arrêt, équivaut à la constatation du caractère
immoral des relations de concubinage, caractère d'où résulte-
rait précisément la nullité de l'obligation. La formule reste
cependant critiquable, en ce qu'elle ne sépare pas suffisam-
ment les conditions de certitude et de légitimité. Affirmer que
le préjudice n'est pas certain lorsqu'une obligation d'assis-
tance ne peut être valablement contractée, c'est donner de la
certitude une notion trop étroite. En effet, cette affirmation
conduirait à dire que la certitude n'existe pas non plus lors-
qu'une telle obligation, n'étant pas imposée par la loi mais
pouvant être valablement contractée, ne l'a pas été en fait :
à défaut d'obligation, les secours peuvent toujours cesser. Par
ce détour, l'action ne serait accordée qu'aux créanciers d'ali-
ments. Une telle interprétation dépasserait la pensée de la
:
Cour. Le sens de l'arrêt ne paraît pas douteux, et pas davan-
tage sa décision n'est contestable en droit c'est le caractère
illégitime de la situation dont elle se prévaut qui empêche
de reconnaître à la concubine un droit à réparation (Cpr.
P. Esmein, Un revirement de la Chambre criminelle, Gaz. Pal.,
23 mars 1937).
:
Mais la Cour, dans un autre motif, se fonde très nette-
ment sur l'immoralité de la situation « les relations établies
par le concubinage ne peuvent, à raison de leur irrégularité
même, présenter la valeur d'intérêts légitimes juridiquement
protégés ». La justification est infiniment plus sûre et plus
précise. Elle permet d'autre part de concilier sans peine les
derniers arrêts avec la jurisprudence antérieure, très large sur
la condition de certitude puisqu'elle n'exige, pour accorder
réparation, aucune obligation précise, ni même aucun lien de
parenté, entre la victime et le demandeur à indemnité. Cette
conciliation se révèlerait au contraire difficile, en dépit de
l'argumentation ingénieuse de M. Savatier (note précitée, III),
si l'on invoquait, pour exclure l'action de la concubine, le seul
caractère incertain du préjudice qu'elle subit.
B) La réparation du préjudice moral
1. - Lorsqu'il s'agit de réparer le préjudice moral, les
principes, qui sont les mêmes, doivent être appliqués dans
des conditions de fait différentes, d'où peuvent résulter des
difficultés particulières.
d'une
La nécessité
exclure les mêmes actions, en particulier celle de la concubine
il est curieux que la jurisprudence l'ait admis plus tôt que
:
atteinte à un intérêt légitime doit faire
Règle
« c'est sa sensibilité qui
morale, n° 182). Dans l'em-
barras de limiter les demandes ou de choisir entre elles, les
Tribunaux ont été parfois tentés de compenser, par le chiffre
minime des dommages-intérêts, le nombre des ayants droit
et l'exemple est resté classique de cette Cour d'Appel qui,
;
saisie de seize demandes, accorda autant d'indemnités, variant
de 100 à 1.500 francs (Amiens, 17 novembre 1931, S., 1932,
2.118).
La Chambre des Requêtes, le 2 février 1931, a cru pouvoir
;
avouer qu'elle l'est en logique pure. Il est pourtant nécessaire
de restreindre le nombre des actions et l'idée même de lésion
d'un droit ne le permet pas, car on ne saurait parler d'un droit
à l'affection (Marty, note S., 1931, 1. 151 : voy. pourtant le rap-
port de M. Pilon, sur l'arrêt précité). MM. Mazeaud croient que,
:
dans ce but, des exigences de preuves rigoureuses, pour admet-
tre la réalité de la douleur, suffiraient et ils proposent alors
« une distinction entre les simples regrets que peut causer une
disparition et la douleur véritable, désarroi complet de l'âme»
(I, n° 324, 2). Quels magistrats psychologues appliqueraient
ce critère?
Aussi prétorienne soit-elle, mieux vaut approuver la juris-
prudence de la Chambre des Requêtes, qui satisfait au moins
à l'une des qualités que doit présenter toute règle juridique
celle de la certitude et de la précision dans la mise en œuvre.
:
Ici encore, la question véritable serait de savoir si la juris-
:
prudence a qualité pour créer une règle de Droit, là- où la loi
n'a pas statué. On y a déjà répondu (v.supra l'action en
responsabilité exercée par les ayants cause du contractant).
Mais il paraît intéressant, le principe admis, de présenter deux
observations sur les procédés techniques par lesquels se
réalise cette création.
Limitant aux parents et alliés le droit d'agir, on sera
tenté, par une pente naturelle, de le leur reconnaître toujours.
La limitation s'analysera, en définitive, en une présomption
.(voy. quelques indications en ce sens, données par M. Perret,
op.cit., p. 30-32, p. 160) présomption que le préjudice moral
:
;
judice moral. Comme toutes les présomptions, en effet, celle-ci
est dans une large mesure artificielle dans ses deux termes,
elle peut être démentie par la réalité (cpr. Perret, p. 160).
Mais par là se trouve accusé le caractère arbitraire, — carac-
tère de peine privée, de sanction d'une faute, — que présente
nécessairement, pour certains auteurs, l'allocation de domma-
ges-intérêts en cette matière (Ripert, Règle morale, noï 181
et suiv. )
En même temps, le mécanisme général des présomptions
est éclairé d'un jour singulier. Présumer l'affection des parents
et alliés plus facilement que celle des étrangers, c'est une
analyse psychologique raisonnable, mais qui ne devait jouer
primitivement que le rôle d'une présomption de fait dans
chaque espèce. Par la jurisprudence, elle devient une pré-
somption légale, et même, en tant au moins qu'elle exclut les
étrangers, une présomption irréfragable. C'est le lieu de
rappeler les observations de M. Gény sur la tendance de cer-
caractère:
taines présomptions, qui sont d'abord de fait, à changer de
toutes les présomptions de droit n'ont pas une
originelégale (Science et technique, III, n° 230 et s., en par-
ticulier, n° 235, p. 321).
Il n'est pas dit, d'ailleurs, que, dans cet effort de la tech-
nique à justifier les résultats souhaitables en fait, la jurispru-
dence actuelle ait atteint un résultat suffisant. Le risque
demeure, d'une multiplicité d'actions, toutes exercées par des
parents et alliés. Serait-il possible d'admettre l'existence, entre
eux, d'un ordre de préférence ? C'est la suggestion que pro-
posent MM. H. et L. Mazeaud (I, n° 324-2). On ne pourrait la
suivre, croyons-nous, qu'en avouant et en accentuant cette
idée que la réparation du préjudice moral est une peine privée.
Alors seulement, il deviendrait logique de dire qu'un seul
membre de la famille, le plus proche, est qualifié pour en
requérir l'application (cpr. Ripert, Règle morale, n° 183).
2. Le recours de l'Etat, débiteur d'une pension d'invalidité
envers l'un de ses agents, contre l'auteur responsable de
l'accident, et le cumul des deux indemnités par la victime.
Civ. cass., 23 déc. 1936, D. H., 1937, 146, S., 1937, 1. 102 ;
Civ. rej., 29 janvier 1937, D. H., 1937, 129 ; Civ. rej., 26
avril 1937, Gaz. Pal., 1937.2.225 ; Crim. rej., 7 mai 1937,
D. H, 1937 366 ; Civ cass. 11 janvier 1938, Gaz. Pal.,
18 février 1938).
Lorsqu'un agent de l'Etat se voit reconnaître le droit à
une pension d'invalidité à la suite d'un accident dont un tiers
est déclaré responsable, l'Etat peut-il exercer un recours contre
ce tiers, auteur d'une faute ? Sur cette question qui se pose
aussi bien pour toute Administration que pour l'Etat lui-
même, une divergence de plus en plus nettement accusée
Chambre criminelle n'admet pas le recours ;
sépare les différentes Chambres de la Cour de Cassation. La
dans l'obliga-
tion de verser une pension, elle ne voit pour l'Etat, qu'un
préjudice indirect. La Chambre civile l'admet.
;
A cette questiort du recours doit être liée celle du cumul
des deux indemnités par la victime car, pour l'une et l'autre,
- M. Savatier l'a démontré avec une remarquable clarté
(note D. P., 1934, 1.59) — le problème est en réalité le même,
envisagé sous deux aspects différents.
.- 1. — Aussi complexe qu'ait pu apparaître la question du
recours (voy. pour une discussion
:
complète des théories
présence, la thèse précitée de M. Perret Des ayants droit à
indemnité au cas d'accident mortel, Paris, 1933, p. 60-77),
en
;
donnée l'obligation, rend exigible une dette qui, autrement, ne
l'aurait pas été par là, elle entraîne un préjudice certain
pour le débiteur. En l'espèce, les dispositions du statut étant
les mêmes et les retenues ayant été pareillement effectuées,
il reste que, sans l'accident, la pension n'aurait pas été due.
Cette simple constatation de fait — en dépit de raisonne-
ments subtils sur la cause juridique, la contrepartie de l'obli-
gation de l'Etat — suffit à établir la réalité du préjudice
(Cpr. les motifs très nets de Civ. rej., 29 janvier 1937).
Elle retire également toute valeur à l'objection, plus fré-
quemment exprimée — en particulier dans les motifs mêmes
des arrêts de la Chambre criminelle — d'après laquelle le
préjudice subi par l'Etat serait indirect. Dans l'opinion aujour-
d'hui très générale, le préjudice est direct dès que le lien de
causalité qui l'unit à la fauteest établi (H. et L. Mazeaud, II,
n° 1670). De ce lien de causalité, l'analyse qui précède démon-
tre l'existence. --
Les règles des contrats ne sauraient faire écarter, par
ailleurs, la solution que commandent les principes de la res-
ponsabilité civile (Savatier, note D. P., 1934, 1. 39, IV). Le
recours de l'Etat ne contredit pas, au détriment de l'auteur
de la faute, le principe de l'effet relatif des contrats, (et l'on
parlerait tout aussi bien de l'effet relatif du statut). Pour le
démontrer, il n'est pas même besoin d'observer que ce prin-
cipe s'oppose seulement à ce que l'on réclame à un tiers
l'exécution d'une obligation contractuelle, mais n'empêche pas
que l'on tienne compte, contre lui, du contrat « considéré
»
comme un fait et de la situation qu'il a créée. Cette analyse,
exacte en droit, est en réalité inutile. En effet, le fait même
du contrat ne nuit pas réellement à l'auteur de la faute. Pour
mage ;
Or, l'accident ne cause pas seulement à la victime un dom-
il ouvre pour elle le droit à une pension qu'elle n'aurait
pas touchée sans cet événement. Dans cette mesure, la pension
vient réduire le préjudice véritable, et, en conséquence, les
dommages-intérêts qui peuvent être réclamés. Il faut, en
:
d'autres termes, écarter le cumul de l'indemnité de respon-
sabilité et de la pension. (En ce sens Civ. cass., 11 janvier
1938, qui, seul, statue sur le cumul, parmi les arrêts analysés 1
ici).
Les objections que l'on fait à cette thèse, soutenue de
façon très convaincante par M. Savatier, ne sont que la contre-
partie de celles que l'on adresse au système du recours. Il
pas dépasser le
;
Ainsi, parce que la réparation doit toujours être intégrale,
il faut admettre le recours de l'Etat et, parce qu'elle ne doit
préjudice, il faut écarter le cumul, par la
victime, de l'indemnité et de la pension (Savatier, note D.,
de textes spéciaux :
H., et L. Mazeaud, I, nos 244-254, et 266-270) ; elles ne doivent
être écartées que dans des situations particulières en vertu
l'exemple le plus connu est celui de
l'assurance sur la vie où l'article 36 de la loi du 13 juillet
1930, excluant le recours, permet certainement le cumul.
Encore faut-il noter, quand il s'agit au moins d'une
pension, que des difficultés subsistent pour concrétiser.les
principes dans les différentes situations de fait. La pension,
viagère, doit être comparée à une indemnité généralement
fixée en capital. Par ailleurs, la pension d'invalidité, immé-
diatement dûe, fait disparaître le droit à une pension de
retraite qui se serait ouvert plus tard. Tant pour le non cumul
;
principes d'être exacts. Ce sont, en quelque sorte, des pro-
blèmes d'actuariat ce ne sont plus des problèmes juridiques.
UNITÉ NATIONALE
ET CODIFICATION.«
force physique ;
dans l'exaltation d'une ferveur raciale dont ils espèrent une
et morale accrue les Italiens dans l'adoration
des faisceaux de l'ancienne Rome, évocateurs de sa gloire ;
les Français enfin, dans le culte prestigieux d'une liberté dont
- il y a cent cinquante ans — ils livraient le secret au monde.
;
tion qu'il se fait des obligations et des droits traditionnels de
la Couronne d'Angleterre de même que le Reich hitlérien et
;
la Monarchie mussolinienne illustrent deux conceptions bien
différentes de gouvernement totalitaire de même enfin qu'au
regard de l'immense majorité des Français, la République
démocratique — malgré les abus qu'on en peut faire—
demeure, sinon inséparable, du moins naturellement liée à la
conception qu'ils se font de la liberté.
Ainsi, l'atavisme et le génie particulier des peuples, leur
mystique, et même la forme qu'ils ont donnée à leurs institu-
tions politiques apparaissent comme des éléments constitutifs
de l'opinion qu'ils ont de leur unité nationale.
Mais tous ces facteurs, en quelque sorte sensibles, généra-
teurs de l'union, ne seraient rien ou peu de chose s'ils n'étaient
polarisés par quelque chose de plus dense, de plus matériel,
de moins variable aussi.
,
;
Sans doute une nation peut se concevoir comme telle en
dehors et au-dessus d'une frontière se sentir vibrer malgré
le joug d'une ou plusieurs dominations. Elle s'identifie alors
à la personne de ceux en qui s'incarne la croyance à son auto-
nomie. Ainsi, un Palacky, un Masaryck, pour ne parler que
des morts, ont-ils été, aux heures longues de l'attente, les purs
symboles d'une indépendance contre quoi se dressaient tant
d'obstacles et se liguaient tant d'intérêts que sa réalisation
apparaît encore, à vingt années de distance, comme provi-
dentielle.
Peu importe, n'est-il pas vrai, qu'on ait parfois considéré
ces hommes comme des prophètes d'irréel puisque c'est le sort
de tous ceux dont le regard, ardent de foi, permet de soulever
le voile de l'ayenir d'être taxés de visionnaires, tandis qu'ayant
seulement vécu plus près d'un idéal dont ils étaient irradiés,
ils n'ont fait qu'anticiper sur les destins et témoigner du
miracle de l'esprit qui prélude à toutes les réalisations glo-
rieuses.
Mais si l'Histoire offre parfois — peut-être pour que
jamais ne se perde totalement l'espoir du monde — l'exemple
de destins aussi exceptionnels, il n'en reste pas moins que,
généralement dominés par les contingences au milieu des-
quelles nous vivons, nous ne séparons pas, à l'ordinaire, même
notre pensée, la représentation conceptuelle des apparences
en
; :
cement ni prendre corps que sous les espèces charnelles de
l'Etat. Dès ce moment, tout se stabilise le souffle de l'esprit
demeure, mais il anime des réalités les intérêts se manifes-
tent, qui scelleront, plus fortement que tous les enthousiasmes,
les rapports de ceux qui seront désormais des compatriotes
parce qu'ils auront une même patrie.
Et le Droit tissera lentement la trame de cette commu-
nauté de liens qui, chaque jour, s'affirmera davantage. Les
particularismes de chaque région, qui font la richesse et la
diversité d'un pays, se fondront peu à peu, à raison de la mul-
tiplicité des échanges intellectuels et économiques, et une tra-
dition commune naîtra qui constituera le bien le plus solide
entre les citoyens parce qu'elle leur donnera, non plus seule-
ment cette fois le sentiment confus de leur cohésion, mais les
raisons précises d'une solidarité éparse dans les multiples
branches des plus diverses activités.
Le jour où le peuple entier éprouvera ainsi, à chaque
:
minute de son existence, l'unité de son destin, rien ne saurait
ensuite le diviser les heures mauvaises pourront venir,
:
tenant par la main la défaite, certaines séparations pourront
s'ensuivre elles ne seront que momentanées, et la fortune
favorable permettra sûrement, quelque jour, que se trouve
à nouveau rassemblé
ce que le destin contraire avait momen-
tanément désuni.
Ainsi l'unité de législation apparaît-elle non seulement
comme le principe créateur d'une cohésion nationale, elle-
même élément de force des Etats, mais encore comme le gage
de pérennité de cette unité et de cette puissance même.
Dès lors on en vient à se demander s'il n'est pas possible
de hâter, au bénéfice de l'Etat, l'éclosion de cette coutume
d'ensemble susceptible d'associer étroitement chacune des
parties de son être au principe même de ;
son unité s'il n'est
pas possible de substituer à la formation spontanée — mais
lente et en quelque sorte sédimentaire — de cette unité juri-
dique une opération d'efficacité plus prompte où la fusion
:
s'opérerait en quelque sorte « à chaud
technique dirigée la codification.
» par un procédé de
C'est, on le voit, envisagé sous l'angle de l'utilité politique,
le débat, habituellement institué sur le terrain des discus-
sions d'école, sur les mérites réels de la codification.
Le simple fait de placer sur le terrain de l'utilité poli-
tique cette ancienne querelle de juristes doctrinaires, ressus-
cite l'actualité d'un teldébat, en même temps qu'elle le renou-
velle tout entier. Jamais, plus que sur ce problème essentiel,
l'Histoire, qui n'est au fond que la chanson qu'ont chantée les
hommes depuis l'enfance du monde, et où ils se répètent sans
cesse dans leurs tendances et leurs haines, n'a paru plus
en
féconde enseignements dignes d'être médités.
Mais qui retient jamais les leçons de l'Histoire ? La vie
nous presse, l'avenir nous sollicite à ce point, les soucis de
l'heure présente absorbent tellement nos jours, qu'il ne nous
vient pas à l'idée de regarder en arrière. A plus forte raison ne
songeons-nous pas à nous attarder à ce qui fut il y a cent ou
cent cinquante années. Cela nous paraît vieux, périmé, enterré.
Et pourtant, si l'on y prenait garde, quelles analogies de situa-
tions, quels retours dans le rythme des événements, quels
Enseignements dont nous pourrions faire notre profit, et
comme on songe aux vers si vrais d'Henry Bataille :
« Le passé n'est jamais tout à fait le passé
« N'avez-vous pas senti comme il rôde partout ?
« Et tangible, il est là, lucide, clairvoyant
« Non pas derrière nous comme on croit, mais. devant ! »
C'est pourquoi je me sens justifié de rouvrir le débat
pourquoi je voudrais — rappelant les arguments de ceux qui
;
se sont montrés hostiles à la codification — puiser, dans les
laits eux-mêmes un démenti aux préventions qu'ils ont mani-
festées contre elle et établir, au témoignage irrécusable des
événements, l'usage politique qui a été fait de la codification
en vue de la consolidation de jeunes unités nationales.
Je tirerai témoignage, au cours du siècle dernier, de nom-
breuses expériences vécues. Mais, si j'entends surtout vous
parler de la France, c'est non seulement parce qu'elle a, à
l'aube du xixesiècle, donné le branle au grand mouvement de
Le terme :
tout ensemble un terme et une aurore.
c'était celui de la monarchie de droit divin,
de la féodalité patrimoniale et politique des grandes familles
L'aurore:
de l'ancien régime.
c'était celle de l'individualisme, de la possession
de soi-même et de son bien, de la liberté de sa croyance, de sa
pensée, de son travail, l'abolition des servitudes de la terre.
Toutes ces réformes, que la monarchie préparait par
transactions successives, par empirisme plutôt que par sys-
tème, la Révolution les réalisait volontairement et d'un seul
coup.
Et si le régime politique de la France se modifiait gra-
duellement, c'était pourtant l'idée républicaine — issue de
l'explosion révolutionnaire de 1789 — qui en inspirait la
doctrine. -1
Le Code Civil, dont il importe peu qu'il soit né sous
l'Empire, puisqu'il est marqué de l'esprit nouveau, demeure
— au témoignage des meilleurs esprits — l'expression
achevée de ce que doit être une codification, c'est-à-dire
règle de vie du peuple qui se la donne, prenant en lui son
:
la plus
la
;
C'est qu'il a su éviter trois périls essentiels: d'abord,
;
celui d'intervenir trop tôt ou trop tard ensuite, celui de tran-
cher dans le vif au lieu de concilier enfin, celui de se perdre
dans le labyrinthe de délibérations infinies.
Intervenir — c'est-à-dire légiférer, codifier — trop tôt,.
c'est se condamner par la force des choses, à faire des lois
nécessairement hostiles ou partiales, se laisser emporter par le
besoin de changer toutes les habitudes, d'affaiblir tous les
liens, d'écarter tous les mécontents.
; : ;
On ne s'occupe plus des relations privées des hommes
entre eux on ne voit que l'objet politique et général
« cherche des confédérés plutôt que des citoyens
« on
tout devient
« droit public (1).»
Intervenir trop tard, c'est perdre, pour l'œuvre de codi-
fication, le bénéfice — essentiel à sa réussite, surtout quand
l'unité nationale projetée s'accompagne d'un changement de
régime — des mouvements d'unanimité d'un peuple orienté
vers des espoirs nouveaux. C'est se heurter aux premiers
désenchantements, aux réactions d'égoïsme qu'ils suscitent,
aux discriminations et aux barrières que l'on croyait éva-
nouies.
Le Code Civil a été décrété de ventôse An XI (mars 1803),
à ventôse An XII (mars 1804), c'est-à-dire quatorze ans après
la Révolution, quatorze ans pendant lesquels dans cette
période, dite « du droit intermédiaire » ont eu le temps de
décanter, en des manifestations extrêmes, mais heureusement
sans lendemain, les principes de 1789.
:
Plus tôt on tombait sans doute dans les excès de la
Convention, mal corrigés par la réaction Thermidorienne.
(t) Portalis.
:
Plus tard on n'eût sans doute plus abouti, où du moins,
plus dans le même esprit.
Ce premier péril évité, le Code Civil a su se soustraire à
celui plus redoutable encore de susciter des haines, parce qu'il
a compris que toute codification, surtout lorsqu'elle intervient
à la suite d'une modification dans la conception de souverai-
neté, doit être, pour servir de ferment à l'union nationale, une
œuvre de transaction.•
La France a connu, au lendemain de la Révolution réali-
sée, même après la renonciation par les nobles à leurs privi-
lèges dans la nuit du 4 août 1789, ces résurgences de l'esprit
aristocratique qui, l'enthousiasme de la communion populaire
une fois éteint, renaissaient de la considération des intérêts
opposés des diverses classes sociales, et qui semblaient devoir
être un obstacle à la codification projetée.
Le Code Civil a vaincu ces résistances, non pas, comme
il l'aurait pu faire sans doute, par l'impératif brutal d'une
règle rigide, mais au contraire par l'affirmation constante en
même temps que des principes nouveaux, de la volonté de
concilier avec eux, dans une juste mesure, les nécessités pra-
tiques et même les dissidences individuelles.
Ainsi le Code Civil abonde-t-il en exemples de ces bien-
faisantes transactions. Il délivre la personne humaine du
il
servage de la féodalité, mais accepte l'engagement volontaire
des services. Il libère la propriété, mais il maintient, en les
•
limitant, les droits réels essentiels. Il organise un régime
matrimonial légal de droit commun, mais il proclame la liberté
des conventions matrimoniales. Il substitue au privilège
d'aînesse et de masculinité dans le régime successoral l'égalité
de vocation entre successibles au même degré, sans distinction
de sexe ou de primogéniture, mais il institue la quotité dispo-
nible comme soupape de sûreté. Il prohibe, en principe, les
substitutions testamentaires qui pourraient servir à reconsti-
tuer des privilèges, mais il les autorise exceptionnellement
au premier degré en ligne directe, ou au deuxième degré colla-
téral. Il proclame le droit de chaque héritier à sa réserve en
nature, mais il recommande de ne pas morceler les héritages.
Ilprévoit le tirage au sort comme mode normal d'attribution
des lots, mais il autorise le partage d'ascendant qui substitue
à l'aveuglement du sort la prévoyance du père de famille.
Ainsi, partout, la règle, inspirée des idées nouvelles,
imprime à la loi le caractère de l'idéologie égalitaire et libérale
de la Révolution.
Mais, partout, cette règle voisine avec l'exception qui fait
aux habitudesanciennes — que révolterait sans doute une
sujétion trop absolue aux impératifs démocratiques — la part
que mérite toujours une tradition.
Ainsi, se trouvent ménagés les transitions et les accom-
modements ;
de chose.
- les susceptibilités aussi, ce qui n'est pas peu
:
gation du pouvoir législatif de l'Assemblée au gouvernement.
Les méthodes peuvent varier à l'infini chaque peuple se
rendra à celles qui conviennent le mieux à son tempérament,
mais les sacrifices que ses représentants seront amenés à
consentir peuvent être considérés comme faits sur l'autel de
la patrie.
Car la véritable autonomie — pour quoi le peuple délègue
en régime démocratique son pouvoir personnel à ses repré-
sentants — ne doit pas être détachée du but de nos institutions.
Or, ce qui nous importe, en cette matière, c'est de nous
sentir conduits par des lois que nous reconnaissons comme
nôtres, parce que nous y retrouvons la trace de nos habitudes,
un ordre qui nous est familier, et qu'à cause de cela, il nous
est facile de suivre.
Je veux rappeler le très joli nom — si évocateur — que
l'Allemagne du Moyen-Age donnait aux coutumes locales,
bénévolement rédigées par les jurisconsultes, et dont on vit
une si symptomatique éclosion à la fin du XIIe et du xm* siècle :
»
elle les appelait des « Miroirs (Spiegel). Ce mot, je veux le
reprendre à mon compte tant je le trouve exact, et tout ce que
j'ai voulu dire peut se résumer en lui, car il me semble que
c'est au miroir de nos lois et de nos codes — si nous savons
les faire — que nous pouvons le mieux retrouver, dans la
richesse infiniment variée de ses nuances, mais dans toute la
force aussi et dans toute la puissance de son unité, — le visage
émouvant et lumineux de la patrie.
Robert LE BALLE
Professeur à la Faculté de Droit
de Lille.
LES DROITS DE PUISSANCE
PATERNELLE DES ASCENDANTS (1)
INTRODUCTION
:
§
;
brèche ces attributs souverains du « pater familias sur la »
personne des enfants l'exercice de son droit de quasi-posses-
;
sion fut notamment subordonné à l'existence d'une juste cause
souverainement appréciée par le magistrat l'ancienne omni-
potence du chef de famille fut ainsi de plus en plus atteinte
dans ses prérogatives de toute nature. La famille et l'autorité
paternelle cessent d"être des institutions arbitraires et exclu-
sivement politiques (1).
;
l'époque intermédiaire en assurant le relèvement de l'autorité
paternelle le père apparut alors comme devant être investi
d'une sorte de magistrature à laquelle il importait de donner
de la force, l'intérêt social exigeant le règne du bon ordre dans
la famille pour en assurer le maintien dans la société. Tous
: ;
tion précise l'article 372. Les articles 373 et 374 ne sont pas
moins formels le père seul, dit le .premier, exerce cette auto-
rité durant le mariage l'enfant, dit le second, ne peut quitter
la maison paternelle sans la permission de son père si ce n'est
pour enrôlement volontaire après dix-huit ans révolus. Les
intérêts de l'enfant apparaissent dès lors comme trop arbi-
trairement confiés à ses père et mèrp ; les droits de la famille
pour leur part n'étaient en rien sauvegardés.
Aussi s'aperçut-on bientôt que si le Code Civil avait orga-
nisé la puissance paternelle, il avait omis de s'expliquer sur
les causes qui pourraient y mettre fin et que le cas surtout
où un père plus ou moins indigne abuserait des pouvoirs que
la loi mettait à sa disposition semblait avoir échappé à la
prévoyance du législateur. On comprit d'autre part qu'une
telle omnipotence du père de famille vis-à-vis de ses enfants
ne pouvait qu'affaiblir les pouvoirs des ascendants dont les
conseils et l'autorité étaient reconnus comme indispensables
:
dans la famille. — Le Premier Consul avait bien pourtant
entrevu le problème « lorsqu'un père, avait-il demandé dans
la discussion du Conseil d'Etat, donne une mauvaise éducation
SECTION 1
(1)S't 57-1-721.
13
(2)S.,26-2-161.
(3) S., 53-2-297. -
juin 1860, S., 61-2-75.
Id. : Grenoble, 11 août 1854, D.. 55-2-71 et Bordeaux,
d'intervenir dans certaines hypothèses, au cas d'abus dans
l'exercice de la puissance paternelle, avait reçu une approba-
tion complète de la doctrine et de la jurisprudence. — .Aussi
est-ce bien à juste titre que la Cour Suprême, mettant en
valeur ces obligations imposées par la protection des enfants
et les renforçant en quelque sorte par l'article 371, avait pu
décider dès le milieu du XIXe siècle que lorsq'il s'agit en
:
particulier des relations des enfants avec leurs grands-parents,
l'autorité du père n'est pas souveraine elle se reconnaissait en
conséquence le droit de contrôler si le refus formulé par lui de
laisser ses enfants communiquer avec un aïeul ou les restric-
tions qu'il apporte à ces communcations sont ou non légiti-
mes. C'est à cette opinion que devaient se ranger peu à peu
les Cours d'Appel (1) et notamment la Cour d'Aix qui, dans un
arrêt du 15 juillet 1869 (2) traduit avec une toute particulière
clarté l'influence exercée en notre domaine par les idées nou-
velles sur la protection de l'enfance.
« Attendu que si rien n'est plus absolu et plus digne de
«respect que les droits que le père tient de la nature et de
«la loi, il ne peut jamais et en toute chose séparer du droit le
«devoir qui en est le corrélatif nécessaire et tout en recon-
«naissant l'autorité du père ne pas permettre qu'il néglige
«les devoirs que cette qualité lui impose. que parmi ces
«devoirs il convient de placer le soin d'apprendre aux enfants
«le respect, les égards et l'affection qu'ils doivent aux aieuis
«et qu'il ne saurait appartenir au père d'écarter capricieu-
«sement ou par un motif peu avouable ses enfants 'de leurs
«grand-pères ou de leurs grand'mères, »
En rejetant le 12 juillet 1870(3) le pourvoi dirigé contre
cette décision, la Chambre des Requêtes confirme l'accord
intervenu entre la Cour de Cassation et les juridictions infé-
rieures, sur la possibilité de limiter les pouvoirs des parents
lorsqu'il s'agit des rapports à établir ou à maintenir entre les
(1) Paris, 27 juin 1867, S., 68-2-70. Bordeaux, 16 juillet 1867, S., 68-2-70.
(2) Rapporté dans Req., 12 juillet 1870, S., 71-1-25.
(3)S.,71-1-25.
enfants et leurs ascendants. Néanmoins, cet accord sur le prin-
cipe ne devait pas se maintenir lorsque s'imposa la nécessité
d'en fixer le modus vivendi.
Après que les Cours d'Appel se furent rangées à l'opinion
de la Cour Suprême, la question se posait en effet de savoir si
le pouvoir des tribunaux ne pouvait pas aller jusqu'à ordon-
ner que les enfants feront un séjour plus ou moins prolongé
chez leurs aïeuls hors de la maison paternelle. La Cour d'Aix
admettait l'affirmative le 15 juillet 1869 (1) et autorisait
notamment les grands-parents à garder leurs petits-enfants
:
les juges entendaient alors respecter les droits des ascendants
tant ils en rendaient difficile l'application « Attendu que le
contrôle des tribunaux ne peut aller jusqu'à ordonner que
les enfants seront confiés pendant un temps plus ou moins
long à tel ou tel ascendant ». Cette dernière expression en
particulier devait susciter de graves difficultés d'interpré-
tation ; aussi la Chambre Civile fut-elle amenée à préciser sa
doctrine dans un arrêt du 28 juillet 1891 (4) où, tout en
reconnaissant aux tribunaux des pouvoirs de contrôle assez
étendus, elle déclarait seulement s'opposer à ce que les enfants
soient confiés
« pendant un séjour plus ou moins long » à la
garde des ascendants. — La Chambre des Requêtes en con-
cluait quelques années plus tard(5) qu'un père pouvait être-
(1) C'est cette distinction que l'on retrouve dans Trib.Seine, 7 mars 1877,
S., 77-2-218; Bourges, 8 déc. 1884 et Paris, 2 juillet 1885 (S., 85-2-156) ; Lyon.
27 mars 1886, S., 88-2-35 ; Agen, 6 nov. 1889, S., 90-2-27 ; Aix, 12 nov. 1890,
S., 91-2-25. note Naquet.
(2) Cf. note de Loynes sous Agen, 6 nov. 1889, D., 90-2-27.
leur père sans son autorisation, il n'enlève pas à la justice le
droit de les autoriser exceptionnellement à aller dans un autre
:
lieu cette dérogation à l'article 374 ne résulte point en effet
de la volonté des enfants.Enfin la distinction établie par
la Cour de Cassation entre le droit de visite et le droit de
séjour, n'était pas admise sans résistance par ses plus ardents
défenseurs. Ceux-ci, tout en trouvant certes la solution « trop
radicale» dans les cas de maladie ou d'éloignement des
ascendants, se demandaient aussi quelle pouvait bien être
la ligne de démarcation entre la visite et le séjour. « Il n'est
peut-être pas possible, dira à ce sujet l'avocat général
Cruppi (1), de formuler une règle absolue. ; ne pourrait-on
pas dire, toutefois, que la plus longue visite ne saurait excéder
la journée et que si l'enfant vient à découcher, sa visite prend
le caractère d'une véritable résidence, d'un séjour chez l'ascen-
dant, lequel a pour résultat d'être contraire au droit de garde
du père ».
On comprend facilement que bien des Cours d'Appel, ne
s'attardant pas sur de telles interprétations exégétiques, aient
nettement reconnu aux ascendants le droit de recevoir chez
petits-enfants
eux
en
leurs
plus forte en ce sens ;
(2). La tendance s'affirmait de plus
elle devait en définitive s'imposer
à la Cour de Cassation dont la Chambre Civile, rejetant le
6 juillet 1931 (3), dans l'affaire Eyguessier, le pourvoi dirigé
contre un arrêt de la Cour d'Aix (4), autorisait par là des
grands-parents à prendre chez eux leur petit-fils, non seule-
(1) Déclaration Beudant, Bull. soc. ét. législ., 1935, p. 35. Dans le même teM.
observ. Gaudemet, R. T.. 1931, p. 867.
(2) D. H.. 31-533.
plus récente:
(3) Sur l'attribution du droit de séjour aux ascendants dans la jurisprudence la
:
'Angers, Trib.civ., 16 sept. 1933, Angers, Trib. correct., 30 déco
1933, Amiens, 7 février 1934 D., 34-2-57, note Lebrun Trib. civ. Vendôme
30 juillet 1934, D. H., 34-599 ; Crim., 19 oct. 1935, D., 37-1-12 note Lebrun.
Trib. civ. de Saint-Brieuc, 2 mars 1937, D., 37-2-56 (mais avec des réserves).
ascendants leur permettent de surveiller de plus près l'édu-
cation et la santé de leurs petits-enfants. Le jugement du
pouvoirs ;
Tribunal de la Seine nous montre à cet effet l'étendue de leurs
la Chambre des Requêtes (1) avait d'ailleurs déjà
décidé que des grands-parents pouvaient se faire accompagner
dans leurs visites d'un médecin afin qu'ils soient exactement
renseignés sur l'état de santé de leurs petits-enfants et qu'ils
puissent en conséquence vérifier si la résistance opposée par-
(1)D., 83-2-145.NoteFaustin-Hélie.
Les Cours de Bordeaux (27 février 1874, S., 74-2-216) et Alger (27 juin 1864.
S., 64-2-288) avaient déjà admis que les ascendants peuvent conserver la garde des
enfants mineurs abandonnés par leur père pendant une absence plus ou moins pro-
longée, alors que la conduite de ce dernier depuis son retour ne présente pas de
garanties sufifsantes et qu'il y aurait danger à lui remettre les enfants.
(2) Civ., 13 août 1884, D., 85-1-40. La Cour de Paris elle-même a d'ailleurs
plus ou moins abandonné sa doctrine de 1882; le 24 juin 1892, D., 93-2-81, note
de Loynes (mais, comme le remarque l'arrêtiste, les juges laissent entendre qu'elle
doit être reprise lorsque l'intérêt de l'enfant l'exige).,. Plus catégorique est la
Cour de Montpellier, qui se refuse formellement à admettre la primauté des droits
des ascendants « qui n'ont, dit-elle, pas plus de droits à la garde de l'enfant que
s'ils étaient des étrangers » (Montpellier, 29-1-27. D.. 1930-2-91, note Dallant).
il n'en est pas moins vrai que les tribunaux, reconnaissant
aux ascendants une place de premier plan dans la famille,
pensent toujours qu'on doit leur confier leurs petits-enfants
— :
(1) Req., D. H., 31-561. Cf. également
C. P., 33-1-867. Contra Req.,
: T-rib. civ. de Fontainebleau, Rec.
13 déc. 1930, C. T., 1-3-31. Sur cet arrêt du
13 déc. 1930, cf. observ. Gaudemet, Rev. Trim., 31-603, observations Savatier,
Rev. crit., 1932-406 (M. Savatier, tout
en approuvant l'arrêt du 13 déc. 1930, n'en
reconnaît pas moins que dans certains cas les enfants peuvent être confiés aux ascen-
dants nonobstant les droits des père et mère. Il rapproche à cet effet l'arrêt de la
Ch. des Req. du 5 juin 1931 de celui de la Chambre civile du 6 juillet 1931 et se
déclare favorable à
Naurois, op. cil.,
»
un tel « élargissement des pouvoirs des ascendants). — Cf. de
p. 498 et les suiv.
(2) Bull. Soc. ét. législ., 1933-1934, p. 130 et 146 et suiv. Cf. Desserteaux,
tfev. Trim., 1912,
« protection des enfants légitimes après le prédécès de leur père
ait de leur mère », p. 54.
qu'elle mettait en relief leur situation privilégiée dans la
famille. Mais pour les seconds il n'en allait pas de même. Le
législateur n'a-t-il pas restreint en effet au point de vue
successoral, les effets pouvant découler de la filiation naturelle
à telle enseigne qu'en ce domaine les ascendants sont des
étrangers pour l'enfant naturel et réciproquement Ne
fallait-t-il pas dès lors en déduire qu'en toute hypothèse aucun
?
lien, quel qu'il soit, ne pourrait être admis entre grands-
parents et descendants naturels de leurs enfants Les tribu- ?
naux ne l'ont pas pensé. La Cour de Cqen notamment affirmait
avec une toute particulière netteté, le 7 juillet 1913 (1)
l'importance des liens du sang qu'établit un état de choses
dont la preuve est affranchie de toutes restrictions et sur
lequel il n'est pas permis aux juges répressifs ou civils de
fermer les yeux. C'est en se fondant sur de telles considéra-
tions que la Cour de Dijon (2) a pu décider récemment que
les ascendants, quoique sans aucun lien de parenté légale avec
les descendants naturels de leurs enfants avaient néanmoins
droit d'attendre d'eux des sentiments d'affection et de respect,
dont il était nécessaire d'assurer l'exécution en leur conférant
le droit de visite. C'est toujours dans le même esprit de pro-
tection de l'enfance, qu'il a été admis qu'une grand'mère
naturelle pouvait demander par voie d'action judiciaire une
modification aux mesures prises pour l'organisation de la
tutelle de sa petite-fille (3).
Mais de semblables solutions ne peuvent s'expliquer que
si l'on admet l'existence d'une véritable puissance paternelle
de fait à côté de la puissance paternelle de droit. Ainsi sont
distingués en Droit Allemand l'autorité parentale de droit,
Ellterlicregewalt, du pouvoir de protection de fait sur la
personne de l'enfant, thatsâchliche Fürsoge (4)
(1) S., 1920-2-41, note Hugueney. Comp. Paris, 20-6-1861, D., 61-2-135.
(2) Dijon, 17 janvier 1933, D. H., 33-188. — Contra : Angers, 22 mars
1938, G. P., 10-5-38.
(3) Paris,-,J°r mars 1935, D. H., 35-256.
(4) Sur la prise en considération de la puissance paternelle de fait au pénal
(Cass. crim., 25-3-43 5. 43-1-530, Th. Perard, De l'influence Je la paternité et
de la filiation sur l'incrimination, Paris, 1906, p. 111. Note Savatier, sous Cassat.,
2 mai 1936, D., 36-1-101.) et au civil (Rousseau, La minorité des enfants naturels.
§ 2. — LES DROITS DES ASCENDANTS APRÈS LA MORT
;
dans son testament. L'institution du tuteur testamentaire ne
présente pour le père aucune difficulté mais il n'en va pas
toujours de même pour la mère puisque, l'article 399, qui
édictait que « la mère remariée non maintenue dans la tutelle
des enfants de son premier mariage ne peut leur choisir ni un
»
tuteur, ni une tutrice ; a été abrogé par la loi du 18 février
1938. Ainsi, quelque étrange que soit cette disposition, la
femme remariée bien que déchue de la tutelle, conserve
;
p. 118 et suiv.
Enfin,
;
Bosgros, Essai sur la Filiation de Fait Savatier, note précit. —
en ce qui concerne la prohibition des mariages incestueux, cf. Trib. de Ver-
sailles, 13 janvier 1892, S., 1892-2-92).
désormais le droit de nommer un tuteur testamentaire, on
peut se demander alors si le choix de la mère ne peut pas
s'exercer dans un sens contraire aux intérêts de ses enfants
(ne va-t-elle pas nommer, par exemple comme tuteur testa-
mentaire son second mari qui sera dans bien des cas, peu
indiqué pour s'occuper avec diligence des mineurs). D'autre
part cette désignation pourra occasionner pour le moins le
déplacement du tuteur datif (de l'ascendant peut-être) et ce
sera là une source de complications nouvelles. Si la mère rema-
riée est d'autre part maintenue dans la tutelle, l'article 400
exigeait autrefois que son choix soit confirmé par le conseil
de famille. Mais cette disposition a été abrogée par la loi du
18 février 1938.
Quoi qu'il en soit, le tuteur testamentaire, lorsqu'il est
régulièrement désigné par le père ou la mère, écarte des
charges de la tutelle l'ascendant qui pouvait prétendre les
briguer. Mais cet ascendant ne perdra pas pour cela certaines
prérogatives attachées à sa personne en vertu de sa situation
dans la famille et notamment le droit de consentir au mariage
de ses petits-enfants mineurs. -Certes la loi du 2 février
1933 (1), en ramenant la majorité matrimoniale à 21 ans a
singulièrement restreint la portée de ce droit mais il n'en
demeure pas moins vrai que d'après l'article 150, lorsque le
;
père ou la mère sont morts ou dans l'impossibilité de donner
leur consentement, les aïeuls et aïeules les remplacent (2).
Le droit des ascendants de former opposition au mariage
de leurs petits-enfants n'est pas moins significatif. L'article 173
nous dit en effet qu'à défaut de père ou de mère les aïeuls
peuvent former opposition au mariage de leurs descendants,
même majeurs et ceci dans des conditions toutes particu-
lières (3). puisqu'aux termes de l'article 179 ils éviteront (com-
(1) Remarquons que d'après l'ancien article 176 les ascendants, tout comme
les père et mère ne devaient pas compte de leurs motifs. Mais depuis la loi du
8 avril 1927, ils n'ont plus ce privilège, tout acte d'opposition devant désormais, à peine
de nullité, contenir les motifs de l'opposition.
(2) Sur l'interprétation des nouvellesdispositions de l'art. 402 depuis la loi
du 20-3-1917, cf. rapport au Sénat, S. et P., 1917, lois annotées, 1917, p. 469.
note 9-10.
Cet article, qui confère de plein droit la tutelle aux ascendants, devrait accorder
aussi à ces derniers la jouissance légale des biens de leurs petits-enfants, car le droit
de jouissance est un attribut de la puissance paternelle (sur le fondement du droit de
;
et mère qui ont exprimé leur désir que la tutelle ne soit pas
confiée aux ascendants —.Nous acceptons pour notre part
difficilement ce raisonnement. Certes, il est peut-être nécessaire
de décider dans l'intérêt des enfants que la présence à la mort
du survivant de leur père et mère d'un tuteur datif (dont on
peut discuter la désignation) (7) doit écarter les ascendants de
la tutelle, mais nous pensons au contraire qu'au cas de défaut
d'acceptation ou de destitution du tuteur testamentaire, la
tutelle se trouve de plein droit déférée aux ascendants. N'est-ce
pas à eux que doit être confiée en définitive l'éducation des
enfants, puisque la volonté du survivant des père et mère n'a
pu recevoir exécution (8) ?
:
Répertoire Carpentier, 1905, t. 36, p. 322.
(5) En faveur de la tutelle dative Rouen, 18 déc. 1839, S., 40-2-178.
(6) Demolombe, op. cit., loc. cil.
(7) Rien ne doit faire penser en effet que cette interprétation est exacte
ne se dégage nullement des travaux préparatoires (cf. Locré, Législation de la
France, t. VII, p. 102, et Esprit du Code Napoléon, t. VI, p. 78.
: elle
;
ce n'est pas là une tutelle ; il s'ensuit que les garanties de la
tutelle ne serontpas exigées aucune hypothèque légale ne
grèvera les biens de l'ascendant dont le titre a très certai-
nement suffi à écarter la méfiance du législateur (2).
Il est toutefois nécessaire de rapprocher les droits de sur-
veillance de ceux qui naissent de la tutelle légale, en ce sens
que les uns comme les autres ne peuvent s'expliquer que par
l'existence d'une véritable puissance paternelle existant au
profit des ascendants sur la personne de leurs petits-enfants.
Ainsi, que les parents aient ou non — en vertu de leur puis-
sance paternelle — entendu diminuer de leur vivant ou au
moment de leur mort les droits des ascendants, ces derniers
n'en conservent pas moins une situation privilégiée dans la
famille vis-à-vis de leurs descendants. L'accord entre ces
droits rivaux des parents et des ascendants postule leur indé-
pendance réciproque dont nous sommes amenés à mesurer le-
fondement et l'étendue.
SECTION 11
de leurs petits-enfants :
laires des pouvoirs de contrôle assez étendus sur la personne
nous préciserons à cet effet les raisons
d'être de leur indépendance (§ 1) et les conséquences qu'elle
entraîne (§2).
:
car si le but que les unes et lesautres cherchent
à atteindre est toujours le même l'intérêt de l'enfant, encore
faut-il reconnaître au préalable que les premières comme les
secondes ont leur existence propre. Que leurs titulaires respec-
;
tifs aient le pouvoir de se contrôler mutuellement, nul ne
saurait le contester mais là doit s'arrêter leur rôle si l'on
déclare en effet que l'un d'eux, le père de famille, peut en
:
principe retenir ses enfants chez lui et les empêcher d'avoir
des rapports avec tel ou tel aïeul sous réserve d'abus possible
de sa part, on doit par le fait même en conclure que seuls les
parents ont des droits acquis, les ascendants n'ayant pour leur
part que de simples espérances (1). Or la jurisprudence a
toujours pensé, malgré certaines réserves inspirées par des
circonstances de fait, que les ascendants avaient sur la per-
sonne de leurs petits-enfants de véritables droits qu'il impor-
tait de défendre contre l'arbitraire des parents (2). C'est là
un principe qu'elle a affirmé dès le début, alors que les diffi-
cultés ou les divergences qu'elle ressentait portaient sur les
applications qu'elle devait en faire. N'a-t-elle pas indiqué en
particulier, dès les premiers litiges intéressant notre domaine,
»
la « situation spéciale des ascendants que rattachent à leurs
petits-enfants des liens très chers auxquels la loi civile attache
les effets les plus importants ?
Le 8 juillet 1857, la Cour de
Cassation affirmait ainsi que « bien que le père seul investi
des droits de diriger l'éducation de ses enfants puisse leur
interdire la visite des personnes mêmes de leur famille dont
il croirait avoir à craindre l'influence, cependant il n'a ce
pouvoir à l'égard des membres de sa famille auxquels l'enfant
doit honneur et respect en vertu de l'article 371 »(3). Les
: ;
formellement l'existence de la puissance paternelle des ascen-
dants à côté de celle des parents maiscette indépendance
ases exigences pourquoi dès lors admettre que l'opposition
formulée contre elle par lepère ou la mère peut être retenue
lorsqu'elle est subordonnée à l'existence d'un intérêt légitime,
et ceci sans que soient limitativement enumérés les cas où
elle peut être appelée à intervenir ?
Une telle restriction limite considérablement les pouvoirs
des ascendants. Du seul fait qu'ils peuvent se heurter
à la résistance des parents, ils ne se trouvent plus, eneffet,
:
à proprement parler, détenteurs d'une puissance paternelle
leur situation est assez précaire le recours aux tribunaux
;
compromet leur initiative, engendre de graves difficultés,
trouble la paix dans la famille. Certes, on nous a dit qu'avec le
nouveau texte « le père ne persistera pas dans son refus, à
moins de raisons sérieuses », et qu'ainsi seront évités de
lamentables procès. On peut discuter, hélas
cette observation.
la valeur de!
Toutes difficultés auraient été en réalité écartées si l'on
avait décidé formellement que les ascendants sont titulaires
de la puissance paternelle, et principalement du droit de
séjour, qu'ils peuvent revendiquer aux parents ce droit (2)
que les.parents doivent accéder à leur demande (3) les ;
(1) Observationsduprésident de la Commission, op. cil., p. 30.
(2) Un aïeul peut même conclure un accord avec les père et mère sur le droit
de visite ou de séjour. Cf. Bordeaux, 16 juillet 1867, D., 68-5-340 et Agen, 6 nov.
1889, D., 90-2-25, note De Loynes. Sur la révocabilité de conventions, Trib.
— ces
Lyon, Il juillet 1925, G. P., 1925-2-540. Observations Savatier, Rev. Crit.,
1927-401.
(3) La jurisprudence belge est en ce sens. La Cour de Cass. a ainsi admis le
14-10-1915 (Pas., 14, 15-1-455) que les grands-parents ayant un droit fondé sur la
nature et sur la lokde connaître et de recevoir leurs petits-enfants, les tribunaux ont
des motifs de son opposition (même doctrine
et Liège, 18 juin 1930, Pas., 1930-2-134).
:
le pouvoir d'imposer au père qui s'oppose à l'exercice de ce droit, « la justification
» Cass.,25 sept. 1930, Pas., 30-1-310
tribunaux devant seulement, en cas de conflit, fixer les moda-
lités d'application du droit envisagé (1).
Les père et mère n'auraient,. en conséquence, que la seule
possibilité de contrôler l'exercice de la puissance paternelle
des ascendants au même titre que ces derniers contrôlent la
leur, et ce, conformément aux principes de la loi de 1889 et
des lois postérieures.
Les restrictions auxquelles sont ainsi soumis les pouvoirs
des père et mère se conçoivent parfaitement si l'on songé
que ceux qui en bénéficient ne sont point de simples' étran-4
gers, ou même un parent plus ou moins rapproché de l'enfant,
mais ceux-là mêmes qui sont intimement unis à leurs descen-
dants par la nature et par la loi. Elles vont permettre aux
petits-enfants d'exécuter les obligations qui leur incombent à
l'égard de leurs ascendants, aux termes mêmes de l'article 371.
Car cet article n'établit pas comme on l'a quelquefois prétendu,
un simple devoir moral (2) ; il constitue en réalité une véri-
reconnu la valeur ;
table obligation juridique dont la jurisprudence a toujours
et c'est bien cette interprétation que lui
donnaient lors de l'élaboration du Code civil Bigot de
Préamneu etBerenger (3). lorsqu'ils spécifiaient qu'il devien-
drait en maintes hypothèses un point d'appui pour les juges.
Il contient des principes, dont d'autres dispositions ne font
que développer les conséquences.
On peut dès lors expliquer pourquoi les auteurs du Code
ont rattaché à la puissance paternelle certains des droits qui
sont conférés aux ascendants (4) ; il en a été ainsi pour le
consentement qu'ils sont appelés à donner au mariagede
leurs descendants mineurs. Les textes eux-mêmes n'ignorent
———————
»
(1) Les droits de visite ou de séjour existent « de plein droit au profit des
aKendants comme au profit du conjoint divorcé non attributaire de la garde (dans
ce dernier cas, cf. Req., 14-3-1938, C. P., 28 mai 1938).
:
(1) Certains articles appellent en effet communément
bien les père et mère que les aïeuls et aïeules
« ascendants»C.
cf. art. 179 et ancien art. 176
aussi
Civ.
(2) Sur la déchéance de la puissance paternelle des ascendants, cf.Trib. Seine,
10-2-94, D., 94-2-265 et la note. — Leloir, Code de la Puissance Paternelle, 1892,
t. I, p. 350, n° 462. Importance de la Réforme de 1889, Taudière, op. cil., p. 183.
(3) Nous devons rejeter en conséquence l'opinion selon laquelle les droits de
visite ou de séjour « n'emporteraient qu'un simple transfert de la garde matérielle ».
Le droit de garde qui englobe les droits de visite ou de séjour est en effet un attribut
de la puissance paternelle sous l'emprise de laquelle va se trouver l'enfant dès qu'il
est remis à l'ascendant. — Les droits de visite ou de séjour ne sont donc pas det
attributs démembrés du droit de garde» (Lebrun, D., 34-2-57 et Lagarde, Rev.Trim.,
34-396) mais bien une modalité particulière du droit de garde lui-même (si l'on
veut un droit de garde secondaire correspondant à une puissance paternelle elle-même
bien souvent qualifiée de secondaire).
(4) Tout en reconnaissant l'importance de ces décisions, certains auteurs ont
cru devoir en restreindre la portée sous prétexte que le transfert de la garde de
l'enf ant aux ascendants ne constituerait pas au profit de ces derniers une prérogative
qui leur soit propre (Lebrun, note D., 34-2-57) : ils nous font alors remarquer que
de tels droits ont été conférés à la mère séparée de fait (Paris, 8-2-1912, D., 1912-
;
dernière hypothèse l'indépendance de leur puissance pater-
nelle vis à vis de celle des parents malgré tout, une fraction,
de la jurisprudence restant hostile à une telle interprétation, on
doit rechercher une solution qui, tout en répondant aux inté-
rêts des enfants, respecte les principes posés par le législa-
teur. Aussi, doit-on approuver les efforts tentés pour mainte-
nir dans toute la mesure du possible, les dispositions
prises par le jugement de divorce ou de séparation de corps,
au profit des enfants, lorsque l'époux qui en avait la garde
est décédé. décider en particulier que bien que toute idée
de sanction soit bannie de ce domaine, le survivant qui voudra
recouvrer ses droits, rentrer dans la plénitude de la puissance
paternelle, devra cependant s'adresser au tribunal (1). Les
ascendants qui se sont chargés de l'enfant après lamort de
l'attributaire de la garde, auront donc, s'ils sont attaqués par
l'époux survivant, la position privilégiée de défendeurs. Ils
ne seront point d'autre part inquiétés tant qu'un jugement
n'aura pas dévolu à une autre personne le droit de garde (2).
2-273, note Planiol) ou même à la mère naturelle lorsque celle-ci n'a pas l'exercice
de la Puissance paternelle (Trib. civ. Provins, 11-8-33, Rec. C. P., 1933-2-647).
— A l'inverse, les droits de visite ou de séjour constitueraient des droits autonomes.
Nous ne partageons pas cette manière de voir qui crée une séparation arbitraire entre
les diverses prérogatives des Ascendants. Le droit de visite n'est-il pas d'ailleurs
accordé lui aussi à d'autres que les ascendants, à l'époux divorcé non attributaire de
la garde par exemple ? En réalité tous ces droits sont conférés pour des raisons
aufond quelque peu identiques, mais dans des situations différentes, à certains mem-
:
bres de la famille dont les liens avec l'enfant sont particulièrement étroits et durables
au regard de leurs titulaires respectifs ils ont une autonomie propre et sont étroitement
rattachés à l'institution de la puissance paternelle (telle est, sans conteste, la raison
pour laquelle on refuse le droit de visite aux collatéraux. Trib. Civ. Seine, 17-2-1914,
S.,191-4-2-124. — En vertu du même principe, on ne peut pas enlever l'enfant
(en dehors des cas de divorce ou de déchéance) à son père ou à sa mère pour le
confier à un « tiers », à moins que ce tiers soit un ascendant ou l'époux qui n'a
pas.la garde de cet enfant).
(1) Sur l'importante question de la condition juridique des enfants après le
divorce, cf. Desserteaux, op. cit. et
rinstance en divoirce et après le divorce.Th., Dijon, 1903
divorce sur la puissance paternelle, Th., Toulouse, 1907 ; ;
Misset, De la puissance paternelle pendant
Carné, Influence du
Peltier, Le divorce et la
puissance paternelle, Th., Paris, 1908 (cet auteur examine en particulier, p. 14,
ce qUe devient la puissance paternelle après le divorce et quels sont à cet effet les
systèmes proposés).
(2) Projet de la Soc. d'Et. législatives,op.cit., loc. cit.
§ 2. — CONSÉQUENCES DE I/INDÉPENDANCE
n° 1718, p. 464 ;
(2) Cf. Faustin Hélie et Chauveau, Théorie du Code Pénal, 6* édit., t. IV,
Blanche, Etude sur le Code Pénal, 2" édit., t. V, n° 300, 307,
309. — Ces auteurs s'appuient sur les paroles de Treilhard au Conseil d'Etat.
Cf. à ce sujet Locré, Code Pénal, t. XI, p. 389.
5
(3) Cass. Crim., 22 mars 1900, avril 1900, D., 1900-1-184, rapport conseiller
Chambaraud, Bull. Crim., 1900, n° 125.
Les arrêts des 22 mars et 5 avril 1900 mettaient fin à la résistance de certaines
Cours d'Appel qui s'obstinaient à recourir aux articles 345 et 357 à l'encontre des
pères et mères (notamment Paris, Ch. des mises en Accusation de la Cour d'Appel,
19-12-1899, cassé par Ch. Crim., le 22-3-1900).
deleurs décisions, hormis les procédures de contrainte sou-
vent illusoires du Code Civil (1). Il y avait là une situation
très grave à laquelle il importait de remédier au plus tôt. Or,
le 7 juillet 1900, le gouvernement déposait un projet de loi
destiné à réprimer « les entreprises du père ou de la mère »
qui, déchu du droit de garde « au cours ou à la suite d'une
instance en divorce ou en séparation de corps », peut enlever,
refuser de représenter ou même faire disparaître ses enfants
et tenir ainsi en échec la décision de la justice. Le projet fut
voté sans discussion par la Chambre et le Sénat, et devint la
1
pecter les décisions rendues sur la garde d'un mineur, tels
publique (contre un père
:
(1) La jurisprudence dut parfois employer ces moyens civils pour faire res-
: le recours à la force
ordonnance de référé, Trib. d'Agen, 13-3-1903, D.,
1904-2-16). la saisie des revenus de l'épouxdébiteur et l'astreinte (affaire de
Bauffremont. Cour de Paris, 7 août 1874. S.. 74-2-265), la condamnation à des
dommages-intérêts (Req., 25-3-1857, D., 57-1-213
et 4-4-1865, D., 65-1-387).
Mais on
a critiqué à juste titre l'illégalité ou tout au moinsl'inefficacité de ces moyens
civils (sur la légalité de la saisie des
revenus, de l'astreinte ou du recours à la Force
publique, cf. Pandcctes Françaises
au mot Puissance paternelle, n° 581).
dI invoquer(2) L'énumération posée dans la loi de 1901
ne permettait pas en particulier
cette loi pour sanctionner la résistance à l'exécution d'un jugement qui
avait statué sur la garde d'un enfant nallurel, conformément à l'art. 383 C. Civ.
pour départager ses deux auteurs qui le réclamaient (c'est ce qu'a décidé la Cour de
n'allait-elle pas, en effet, conduire les juges à décider que la
loi n'est pas applicable au cas où,après divorce ou séparation
de corps, l'époux auquel la garde des enfants a été confiée
n'exécutera pas les dispositions du jugement qui accorde à
son ancien conjoint ou aux ascendants de l'enfant, le droit
de le voir ou de le recevoir à certaines époques et sous des
conditions déterminées ?
La même opinion ne pourrait-elle
pas être défendue dans le cas où l'époux attributaire de la
garde refuse de confier l'enfant à ses ascendants Ne pou-
vait-on pas affirmer en définitive que « la loi nouvelle n'a
?
qu'un seul Qut : assurer la remise de l'enfant à la personne
;
retirée à l'un des.époux à la suite d'un divorce oud'une sépa-
ration de corps et dans celle où l'un desépoux ou tous deux
»
sont déchus de la puissance paternelle (1). Certains tribu-
naux (2) ont pensé en effet qu'en dehors de ces cas, la modi-
fication apportée à l'article 357 du Code Pénal ne devrait pas
recevoir application.
Mais cette solution était combattue par
une fraction de
la jurisprudence (3) ; bien des tribunaux et Cours d'Appel
estimaient alors que pour que la loi de 1901 soit prise en
considération, il fallait, et il suffisait, qu'il ait été en premier
Paris, le 8-3-21, D., 1921-2-110, dont l'arrêt a été approuvé par la doctrine sauf
Garçon, Code Pénal annoté sous les art. 354 à 357 n° 108).
L'Enumération de l'art. 357 modifié par la loi de 1901 était également muette
sur la décision rendue en cas de séparation de fait, ainsi que pour le cas d'annulation
d'un mariage putatif.— (Cf. à ce sujet Rapport Catalogne, O., Doc. parlem.,
Sénat, déc. 1926, p. 1152). — La doctrine réclamait donc une intervention législative
(Cumenges, De l'Enlèvement des mineurs d du délit de non-représentation. Th.,
Bordeaux, 1907, p. 138) : la loi du 23-3-1928 devait lui donner en partie satis-
faction. V. nos développements infra.
(1) Le Poitevin, note sous Paris, 13 nov. 1903, D., 1904-2-41.
les faits :
correctionnel de la Seine le 27 février 1902. Voici quels étaient
une dame B. avait obtenu le 12 janvier 1897 un
jugement du Tribunal civil de la Seine aux termes duquel le
sieur M., son gendre, devait faire conduire chez elle, une
fois par semaine, les deux mineurs qu'il avait eus de son
mariage avec une fille décédée de Mme B. Résistance de M.
qui sur plainte de sa belle-mère fut traduit devant le Tribunal
correctionnel de la Seine (1) qui admit que l'obstacle ainsi
y
:
apporté à l'exercice du droit de visite de la grand'mère tom-
bait sous le coup de l'article 357 Code Pénal « Attendu, est-il
dit au jugement, que les droits de visite des parents ou grands-
parents font partie intégrante de la garde des enfants et
B rentrent dans l'application de la loi du 5 décembre 1901 ».
La Cour de Cassation devait consacrer cette solution le
30 mars 1912 dans un arrêt (2) où elle reconnaissait formel-
| lement que la loi du 5 décembre 1901 s'applique aussi bien
au père ou à la mère divorcée ou séparée de fait qui ne repré-
sente pas l'enfant à ceux qui ont le droit de le réclamer, qu'au
père ou à la mère qui ne représente pas l'enfant à ceux
auxquels la garde en a été confiée.
;
De renlèvement des mineurs. Th., Bordeaux, 1907, p. 112 Monsarrat, Le Délit de 1
I
non-représentation d'enfant. Th., Toulouse, 1929, p. 61.
:
*
Pour l'application Garraud, 3e édit., it. V, p. 721 in fine Terrin, op. cit., II
j
p. 127.
:
61.
(1) n'bù l'addition des mots « ou toute personne » à la suite de « le père 1I
-----
et la -mère » : art. 357 nouveau. — Sur cette loi cf. Goyet, Précis de-DroitPénal
I
-
apécial, 1925, supplément, p.
(2) Le
- 10
- oct. 1929 (D. H.,
- 29-562) la Cour de Dijon défendait la doctrine
de la Cour",de Cassation (30 marsÎ912 précit.) alors que d'autre part la défen-
1
du droit de garde ;
Code Pénal, la Cour suprême devait les rendre attributaires
mais cette décision implique par le fait
même la reconnaissance de leur puissance paternelle (2) et
de son indépendance par rapport à celle des père et mère.
Nous ne disons pas, remarquons-le, que toute décision qui
;
confère le droit de garde confère par le fait même la puissance
paternelle à son titulaire c'est ainsi qu'un tuteur datif, bien
qu'ayant le droit de garde, n'exerce pas la puissance paternelle
sur la personne du pupille (3) et il en sera de même pour le
:
faire une cause de justification ou bien pour réprimer plus sévèretiientl'infraction ?
(Cf. art. 299, 248, 312, 333, 380 C. Pén.).
(3) Le tuteur datif ou testamentaire a certains droits qui s'apparentent aux droits
de puissance paternelle (droits d'éducation droit de surveillance, etc.) ; mais cés droits
s
tiers à qui aura été confié l'enfant par le jugement de divorce.
respectives :
Il y a en réalité des différences essentielles entre ces situations
dans le premier cas (tuteur datif, tiers à qui a été
confié l'enfant par jugement de divorce) le droit de garde est
nettement détaché de la puissance paternelle (arg. art. 303 C.
Civ.) : il résulte des règles spéciales du jugement de divorce
;
ou des principes de la tutelle qui vont permettre aux juges
d'appliquer l'article 357 Code Pénal mais dans le second cas
(ascendant ou époux coupable titulaire du droit de visite ou
de séjour), rien ne permet de décider a priori que le droit de
garde englobe le droit de visite : aucun texte, aucune décision
n'imposent cette solution. Il faut dès lors en conclure que les
droits de visite ou de séjour sont purement et simplement des
attributs de la puissance paternelle et qu'à ce titre et à ce titre
seul peut être expliquée l'œuvre de la jurisprudence
actuelle (1).
:
(2) Mazeaud, op. cit., p. 670, note 2, n° 745.
(3) Sur cette question
13-2-30,D.,1930-1-57.
art. Savatier, D. H., 33 et conclusions Matter, Req..
(4) D., 1911-5-13. Sur cet arrêt, cf. Rev. Trim., 1911, p. 443 et Rev. Cri,.,
1912, p. 208.
manière de voir dans un arrêt du 15 juin 1934 (1). Cette-
dernière décision appelle néanmoins certaines observations
intéressantes pour le sujet qui nous occupe (2) : en premier
lieu la Chambre criminelle a statué dans une hypothèse ou
;
l'enfant avait été confié non point à un de ses ascendants,
mais à un oncle le demandeur ne pouvait donc pas baser son
sance paternelle :
pourvoi sur un manquement aux obligations issues de la puis-
seul s'offrait à lui le premier alinéa de
l'article 1384 dont la jurisprudence n'a jamais admis l'exten-
sion pour la responsabilité du fait d'autrui. On peut remarquer
en second lieu que les tribunaux et la Cour de Cassation elle-
même, bien qu'opposés à une telle extension, n'ont pas moins
ressenti avec une certaine faveur dans la responsabilité du
fait d'autrui « le contre-coup »
du développement moderne
de l'idée de responsabilité. Ils n'ont éprouvé en particulier
aucun scrupule à étirer sensiblement la notion de préposé (3).
et cette attitude libérale ne correspond-elle pas à l'évolution de
la conscience actuelle qui « tend de plus en plus à réclamer
d'instinct pour tous les dommages qui surviennent à une
personne quelconque un instrument de réparation, le plus
souvent par l'intermédiaire d'une responsabilité (4). »
(1) Crim., 15-6-34, 5., 35-1-397. Même tendance dans l'arrêt de la Cour dc
Paris du 7-2-36, S., 36-2-127.
(2) La doctrine actuelle est, dans son ensemble, favorable à l'interprétation
restrictive de l'art. 1384 § 2. Cf. Mazeaud, loc. cit., op. cit. Néanmoins'.es
auteurt
;
père ou une mère (Duranton, t. XIII, n° 719 ;
ont longtemps admis que le tuteur était responsable dans les mêmes conditions qu'un
;
Rolfand de Villargue, v° Dommage,
Zachariæ, édit. Aubry et Rau, t. III, t.. 198 Sourdat, Responsabilité,
:
n° 37
t. II, n° 843. qui s'appuie sur opinion de Pothier, Obligations, n° 121). Des 10is
spéciales consacrent d'ailleurs la Responsabilité civile du Tuteur art. 28 de la loi
du 3-5-1844 sur la chasse, art. 206 du Code Forestier, art. 74 de la loi du 15-4-1829
sur les délits de pêche. — Mais la plupart des auteurs actuels combattent cette
;
Ripert, Esmein, Obligations, I, n° 626
n° 971 ; Josserand, t. II, n° 470
;
doctrine et considèrent comme limitatifs les cas énumérés par la loi (Planiol,
;
Lalou, Responsabilité civile, 2" édit..
Colin et Capitant, t. II, 7e édit., n° 202 L.
Lucas, Sem. Jur., 1933, p. 105).
(3) Ainsi: le fils, le beau- frère, l'ami, la concubine, la femme d'un automobi-
liste ont été considérés comme ses préposés. Dans ce sens: Crim., 14-12-28, D. H..
1928-36; Req., 1-5-1930, D., 1930-1-137; Cf. Savatier, R. C., 1934, p. 448, wr
le Risque crAutrui.
(4) Savatier,article précité.
Ces considérations imposent dans leur ensemble, chacune
à des degrés différents, l'application aux ascendants des
dispositions de l'article 1384 du Code Civil. (1).
CONCLUSION
(1) Certains arrêts, tout en admettant que le père d'un mineur cesse d'être léga-
lement responsable des faits de celui-ci lorsqu'il n'est plus sous sa garde, réservent
cependant l'application de l'article 1382 du Code Civil dans le cas de faute du père
(par exemple: le père ne s'est pas assuré par contrat que le tiers chez lequel il avait
placé ton enfant, le surveillait en dehors des heures de travail: Dijon, 18-11-1932,
:
cette tendance (Bordeaux, 4e Chambre. Inéd. ). Voici quels sont les faits de la
cause un ieune domestique placé pas son tuteur datif chez un propriétaire, commet un
vol chez des voisins. Ayant été condamné par le Tribunal comme commettant (1384), le
propriétaire fait appel, soutenant que la faute de son préposé n'avait pas été accom-
plie dans l'exercice de ses fonctions et que de ce fait la présomption de faute de l'ar-
ticle 1384 ne pouvait être retenue contre lui. La Cour d'Appel de Bordeaux, tout
en admettant la thèse du propriétaire (pour 1384 § 3), ne l' a pas moin s,en outre, déclaré
civilement responsable aux termes de l'article 1384 § 2. Elle a décidé, en effet,
que du moment que le domestique était logé et nourri chez son patron à qui son
tuteur l'avait confié, ce patron avait reçu une véritable « délégation de la puissance
»
paternelle
décision appelle certes de nombreuses observations :
qui le rendait responsable comme s'il était le père du mineur. Cette
comment le tuteur pouvait-il tout
d'abord déléguer une puissance paternelle qu'il n'avait pas lui-même ? Ensuite, comment
admettre une telle solution, alors que la délégation de puissance paternelle ne peut
avoir lieu que dans des conditions précises, limitativement, fixées par la loi) Quoi
qu'il en soit, l'arrêt de la Cour de Bordeaux traduit le désir des magistrats d'assou.
plir les règles de la responsabilité du fait d'autrui, d'élargir la responsabilité des com-
mettant* qui seraient tenus, que le mineur ait ou non agi selon leurs ordres, que le
fait se rattache ou non à la fonction (dans le même sens: Toul ouse, 4 juin 1905,
D., 1909-2-164; Observations Ripert, Revue Critique, 1910, p. 131).
;
dément modifié des difficultés nouvelles ont surgi elles ont
dicté à la jurisprudence, puis à la doctrine elle-même, une
:
interprétation plus rationnelle des textes. L'une et l'autre ont
su trouver dans le Code Napoléon et dans les lois ou théories
postérieures les principes directeurs permettant de concilier
dans l'intérêt des enfants, les droits de ceux qui désirent pour-
voir ou veiller à leur éducation. Ainsi ont été attribués aux
de leurs petits-enfants ;
ascendants des droits de plus en plus étendus sur la personne
:
leur puissance paternelle a été dotée
d'une nature propre, d'une réelle autonomie nous avons
indiqué à cet effet ses attributs essentiels (1).
Le principe
de l'indépendance des droits de puissance paternelle des
ascendants ne s'impose-t-il pas d'ailleurs à l'esprit de tout
?
observateur impartial Pourquoi ne pas dégager en effet les
droits des ascendants de l'emprise des père et mère, puisque
la nature et la loi tout à la fois en reconnaissent ou organisent
le nécessaire exercice ?
Que ceux qu'effraie une telle hardiesse
dans le raisonnement considèrent un instant les étapes fran-
!
chies par le législateur depuis le début du xx8 siècle seulement
dans le sens de la protection de l'enfance Ils seront d'accord
avec nous pour constater que la puissance paternelle des père
et mère a été singulièrement restreinte dans les divers domai-
nes où elle est appelée à exercer son influence. Parallèlement
à cette limitation, les magistrats s'arrogent des pouvoirs de
contrôle de plus en plus étendus sur la vie de famille (2).
La présente étude, en donnant aux ascendants la connais-
sance exacte de leurs prérogatives, leur permettra peut-être
de restreindre l'action de la justice en veillant plus scrupu-
leusement sur la personne de leurs petits-enfants.
M. DE JUGLART,
Docteur en droit.
(1) Nées bien souvent (nous le savons), de circonstances de fait, les solutions
jurisprudentielles dont nous avons fait état n'en imposent pas moins certains principes
fondamentaux, qui donnent à la puissance paternelle des ascendants ses traits carac-
téristiques.
(2) Sur cette tendance (et en particulier depuis les décrets-lois de 1935), cf.
Beudant, op. cit., n08 1378, 1384, 1388, 1398; Josserand, op. cit., p. 590', De
Naurois.op. cit., Terrin, op. cit., Gautron, Le contrôle des tribunaux sur Vexcrcico
du droit de garde. Th.. Rennes, 1931. Lebrun, notes précit.
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personne des enfants pendant le mariage. Paris, 1934.
III. - ARTICLES
:
ans, une rente, qui est calculée sur le salaire annuel de la vic-
time, dans les proportions suivantes
SOMMAIRE
11. - ::
par la possession prolongée.
Mariage mariage putatif et mariage inexistant.
HI. - Divorce 1°Des différentes pensions qui peuvent être dues au
cours de l'instance en divorce et pendant la liquidation du
régime matrimonial.
2° La pension de l'art. 301 C. Civ. après le divorce.
IV. — Filiation légitime
conceptus.
: »
la présomption de paternité et la règle « infans
VII.
— Obligation alimentaire :
légitimation post nuptias des enfants adultérins.
1° Du caractère déclaratif de la décision
statuant sur la pension alimentaire.
2° Le recours entre codébiteurs d'aliments.
VIII. — Puissance paternelle : 1°Des droits du parent qui n'est pas
détenteur de la puissance paternelle.
IX. - :
2° Des droits des ascendants.
Interdiction 1°De la nomination de l'administrateur provisoire.
2° De la validité des actes passés par l'interdit au vu
et au su du tuteur.
de la fixité du nom;
ver cette jurisprudence qui limite raisonnablement le principe
s'il est interdit de porter un nom autre
que celui qui est mentionné dans l'acte de naissance et si le
nom qui doit figurer dans l'acte est celui auquel le père avait
lui-même droit, c'est pour éviter un changement qui trouble-
rait les relations sociales. Mais lorsque le temps a passé, c'est
le rétablissement du nom primitif qui troublerait les <tiers,
c'est le maintien de l'état de choses qui importe à l'intérêt
général (v. conclusions de M. l'Avovat Général Favre, D. P.,
1867-1-241).
S'il en est ainsi, on ne devrait pas seulement acquérir un
;
nom par la possession prolongée, on devrait également perdre
le nom primitif les deux idées sont complémentaires. Les
raisons qui conduisent à consolider le nom porté sans contes-
tation pendant plusieurs générations devraient faire interdire
la recherche d'un nom ou d'une particule abandonnés depuis
aussi longtemps. On pourrait sacrifier sans scrupule, semble-
t-il, ces actions qui ne tendent qu'à une simple satisfaction
d'amour-propre, car un individu ne peut se plaindre de porter
le nom sous lequel sa famille est connue depuis plus d'un
siècle.
;
février 1933, D. P., 1934, 2. 104 ; Req., 14 mars 1933, D. H.,
1933, 219, S., 1933, 1. 168 Req., 14 mars 1933, D. P., 1933,
;
1. 28 rapport Pilon, S., 1934, 1. 161, Note Solus et rapport
Pilon Aix, 11 décembre 1933, D. P., 1936, 2. 57, Note Nast,
Douai, 1" avril 1936, D. P., 1936, 2. 70, Note Rouast ; Bor-
deaux, 16 juin 1937, D. H., 1937, 539.)
Un mariage inexistant ne devrait pas logiquement pouvoir
être considéré comme putatif (Aubry et Rau, 58 éd., t. VII
§ 460, note 1). L'article 201 Code Civil ne prévoit, en effet,
l'éventualité des effets du mariage putatif que pour « le
mariage qui a été déclaré nul » ; or, les mariages qui doivent
rester inefficaces en raison d'un vice substantiel qui n'est
pas prévu par le Code comme cause de nullité, ne peuvent
répondre à cette condition puisque, dans la théorie de l'inexis-
tence, le juge se borne à constater l'inefficacité de ces mariages
sans avoir à prononcer leur nullité.
;
C'est, en pratique, à propos du défaut de célébration du
mariage que les difficultés se posent il est certain, à cet égard,
qu'à défaut de toute célébration, il ne saurait y avoir de ma-
riage putatif. C'est ce qu'a mis en relief un arrêt de la Cour
d'appel d'Aix du 11 décembre 1933 : dans cette affaire, un
enfant se fondait sur l'article 197 du Code Civil pour établir sa
de ses parents ;
légitimité, à défaut de pouvoir représenter l'acte de mariage
mais l'adversaire ayant rapporté la preuve du
mariage du père avec une autre femme que la mère au moment
de la naissance, l'enfant soutenait que l'on devait néanmoins
faire jouer la présomption de l'article 197 tant que la mauvaise
foi de la mère n'avait pas été démontrée. La Cour d'Aix a
réfuté ce raisonnement en faisant valoir que l'article 197 étant
écarté par la preuve contraire, il ne saurait y avoir lieu à l'ap-
plication de la théorie du mariage putatif qu'autant qu'une
au préalable, rapportée;
preuve de la célébration du mariage allégué de la mère serait,
et l'arrêt précise « qu'il est de prin-
cipe que c'est à celui qui réclame les effets du mariage putatif
de rapporter la preuve indispensable de sa célébration ». Il est
:
ce mariage est ou non putatif ne se pose que lorsque la célé-
bration a eu lieu c'est ce qui empêche les concubins de pré-
tendre aux effets du mariage putatif, sans que l'on ait à
prouver leur mauvaise foi.
Mais les difficultés apparaissent lorsque l'on se demande
quelle est l'influence des irrégularités qui entachent la célébra-
tion : le moindre simulacre de cérémonie ne peut évidemment
répondre aux exigences de la loi. En réalité, il n'y a pas d'au-
tre critérium que celui qui consiste à rechercher si la célébra-
;
tion intervenue pouvait justifier la bonne foi il en résulte une
dérogation au principe suivant lequel la bonne foi se présume,
mais cette dérogation est imposée par la règle précédemment
dégagée, suivant laquelle le mariage putatif suppose la preuve
;
préalable d'une célébration suffisante. C'est ce qui ressort très
nettement des arrêts intervenus sur ce point ils ne se conten-
tent pas de constater que la mauvaise foi n'est pas établie, ils
reconnaissent expressément que la célébration irrégulière pou-
vait justifier la bonne foi de l'époux qui invoque la théorie du
mariage putatif. Il en a été ainsi notamment pour un mariage
célébré en Algérie par un rabbin entre israëlites français (Req.,
14 mai 1933 et civ., 5 janvier 1910, S., 1912, 1. 249, note
Naquet) ; pour un mariage célébré entre un musulman et une
française suivant la forme kabyle (Alger, 1" février 1933) ;
pour un mariage contracté en France devant un consul étran-
ger par un étranger et une française, (Douai, 1" avril 1936, et
civ., 30 juillet 1900, S., 1902, 1. 225, note Wahl) ; pour un
mariage in extremis célébré en Suisse par un prêtre (Bordeaux,
16 juin 1937 ; v. sur cet arrêt les observations de M. Lagarde,
Rev. trim. D. civ., 1938. 75). Tous ces arrêts affirment que la
célébration irrégulière a pu justifier la bonne foi, ce qui se
comprend d'autant mieux que toutes ces formes de célébra-
tion auraient pu conduire à un mariage valable en d'autres
circonstances ou pour d'autres époux.
Et lorsque la Cour de Cassation a refusé de faire applica-
tion de la théorie du mariage putatif aux unions contractées
en Guinée par un administrateur colonial français avec deux
femmes indigènes, suivant les rites du pays, c'est parce que
cette célébration irrégulière n'avait pu justifier la bonne foi des
épouses (Req., 14 mars 1933) ; la Cour d'appel avait, en effet,
affirmé que les femmes n'avaient pas cru contracter un
mariage français dont elles n'avaient pas la notion, mais seule-
ment des unions indigènes, devant leur procurer certains avan-
tages temporaires et une situation relativement stable. Or,
pour la Cour de Cassation, la bonne foi doit comporter la
croyance aux effets normaux d'un mariage au sens de notre
civilisation et non pas à une union d'ordre inférieur. Si au
contraire l'union avait été contractée avec une femme au cou-
rant des mœurs européennes et pouvant démontrer qu'elle
croyait aux effets normaux d'un mariage français bien que les
rites du pays aient été observés, la Cour de Cassation aurait
admis l'application de la théorie du mariage putatif.
:
dues au cours de l'instance en divorce et pendant la liquida-
tion du régime matrimonial sont de trois sortes les pensions
antérieures à la décision définitive sur le fond, les pensions
I
allouées par la décision de divorce jusqu'à la liquidation et la
] pension de l'article 301, sans parler de la pension qui peut
) être due pour l'entretien des enfants et qui obéit à des règles
différentes.
Les pensions allouées au cours de l'instance ont un carac-
tère qui demeure incertain tant que la décision sur le fond
n'est pas devenue définitive : au cas de rejet de la demande,
la pension se trouve avoir été versée en vertu de l'obligation
alimentaire entre époux de l'article 212 du Code Civil, qui est
censée n'avoir jamais pris fin. Au contraire, en cas de succès,
la pension alimentaire doit être imputée sur les reprises de
l'époux à qui elle a été versée, en raison de la rétroactivité du
;
divorce dans les rapports pécuniaires des époux (art. 252 C.
Civ.). C'est ce qui ressort de l'arrêt de la Chambre Civile du 26
juillet 1937 qui précise que si la femme a droit aux fruits pro-
duits par les biens qui composent son émolument depuis le
jour de la demande, « les dépenses afférentes à son entretien
pendant le même laps de temps sont imputables d'abord sur
lesdits fruits, de telle sorte que le mari peut retenir les arréra-
ges versés sur les revenus qu'il restitue» et « que l'excédent
de ces arrérages par rapport aux revenus dont s'agit. reste
;
:
seul à sa charge définitive conformément à l'article 212 » (V.
dans le même sens Civ., 11 mai 1937). Ces arrêts ne prévoient
î
!,
;
l'imputation de la pension que sur les revenus et non sur le
capital restitué cette réserve s'explique par cette considéra-
tion que la rétroactivité de la liquidation n'empêche pas que
I les devoirs entre époux, et en particulier le devoir de secours,
j n'aient subsisté jusqu'au jour où le jugement est devenu défi-
l nitif ; si les revenus de la femme étaient insuffisants pour as-
|
surer son entretien, le mari était encore tenu d'y suppléer sur
t ses propres ressources.
Les pensions alimentaires accordées provisoirement pen-
dant l'instance continuent à être payées en principe jusqu'au
jour où la décision qui prononce le divorce est devenue défini-
tive, c'est-à-dire même après le pourvoi en cassation qui a en
cette matière un caractère suspensif (Paris, 20 janvier 1938) ;
mais la pension alimentaire, ayant toujours un caractère pro-
visoire et révocable, peut être modifiée ou supprimée par une
nouvelle décision dont l'exécution provisoire peut être ordon-
née (Req., 1" février 1937 ; Req. 15 février 1938). -
;
Lorsque le divorce est devenu définitif, la pension alimen-
taire ne doit plus être payée mais, en attendant la liquida-
tion, la décision qui prononce le divorce peut allouer à la
femme une autre pension à titre d'avance sur ses reprises.
;
Cette pension devra être imputée, non seulement sur les reve-
nus des reprises, mais le cas échéant, sur le capital l'excédent
de la pension sur les revenus ne peut plus être mis en effet à
;
la charge du mari, puisque le devoir de secours entre époux
n'existe plus et s'il apparaît dès à présent que la liquidation
ne procurera aucun émolument à la femme, il y a lieu de sup-
primer immédiatement cette pension (Civ., 16 mai 1933).
pourrait le penser :
distinction n'est pas toujours aussi facile à faire qu'on
c'est ainsi que dans une affaire où
le caractère de la pension allouée à la femme pendant
la liquidation n'avait pas été nettement précisé, le mari
soutenait qu'il ne pouvait s'agir que d'une avance sur
les reprises, alors que la femme objectait que la pension
avait un caractère indemnitaire et devait donc se cumuler
avec les reprises. La liquidation ayant duré quatre ans,
la femme se trouvait avoir reçu à titre de pension une
;
somme supérieure au montant de ses reprises pour éviter la
ruine de cette femme qui avait obtenu le divorce à son profit,
la Cour de Paris fit droit à sa prétention en alléguant que la
pension représentait la réparation du préjudice résultant de
la privation de son capital pendant la liquidation. La Cham-
bre Civile rejeta, le 11 janvier 1937, le pourvoi formé contre cet
arrêt en affirmant « que la seule limitation de la durée de la
pension litigiéuse à la période de liquidation de la commu-
nauté, n'a pas nécessairement pour effet de lui conférer ipso
de ;
facto un caractère purement alimentaire et provisoire à charge
restitution par la femme que cette limitation n'exclut nul-
lement l'application de l'article 301 et le caractère de répara-
tion du préjudice causé à la femme par la rupture du lien con-
jugal due à la faute du mari ». Bien que l'arrêt vise l'article
:
dont la Cour de Cassation pouvait tenir compte était celui qui
était relevé par la Cour de Paris la privation du capital pen-
dant la période de liquidation. Mais comme il lui était difficile
de justifier la solution donnée par l'arrêt par les principes du
droit commun en matière de tetard dans le paiement d'une
somme d'argent, elle y a vu la réparation d'un préjudice causé
par la rupture du lien conjugal, afin de trouver une justifi-
divorce :
le droit à la pension dans la décision même qui prononce le
la Cour de Cassation a reconnu que, le Code ne fixant
aucun délai pour liquider la pension, elle pouvait être allouée
par une décision postérieure au divorce (Civ., 10 mars 1891,
D. P., 1891, 1. 175 ; Civ., 18 octobre 1926, préc.). Dans ces con-
ditions, il semble qu'il n'y ait aucune raison de distinguer en-
tre l'événement qui aggrave l'état de besoin et celui qui le fait
apparaître : dans les deux cas, la question qui se pose est
celle de savoir si un préjudice postérieur au divorce peut être
:
pris en considération pour fixer le montant de la pension de
l'article 301 (en ce sens Lagarde, Rev. Trim. D. Civ., 1938.
439).
La difficulté provient de ce qu'il y a deux manières possi-
bles d'interpréter l'article 301 : on peut y voir une consécra-
tion du droit commun de la responsabilité, un rappel pur et
simple de l'article 1382 du Code Civil, qui suffirait à permettre
;
à l'époux innocent la réparation du préjudice causé par la
privation du droit de secours on peut y voir au contraire
une règle spéciale qui a pour but de maintenir après le divorce
une obligation alimentaire unilatérale au profit de l'époux in-
nocent. La différence entre les deux systèmes se manifeste rela-
divorce:
tivement à l'appréciation des événements postérieurs au
alors que les principes du droit commun de la res-
ponsabilité n'imposent la réparation que du préjudice qui est
la conséquence directe de la faute et conduisent donc à recher-
cher parmi les événements postérieurs au divorce ceux qui peu-
vent y être rattachés, l'obligation alimentaire impose au con-
;
cier ou du débiteur se modifient. Cette interprétation de l'ar- BJ
ticle 301 doit être approuvée pour donner un sens utile à ce Kl
texte, il faut admettre qu'il ne se borne pas à consacrer les H
principes normaux de la responsabilité civile, mais qu'il crée H
une véritable peine contre l'époux coupable en lui infligeant B
la charge d'une obligation alimentaire. L'évolution de juris- B
prudence annoncée par cet arrêt aurait dû conduire la Cour B
de Cassation à admettre que la pension était également due B
ce sens :
lorsque l'état de besoin n'apparaissait qu'après le divorce (en B
Savatier, note D. P., 1936, 1. 109 ; Esmein, chronique
Gaz. Pal., 13 mai 1937) ; l'obligation alimentaire étant main- B
B
moment ;
tenue, l'époux innocent devrait pouvoir s'en prévaloir à tout B
cependant, l'arrêt de la Chambre des Requêtes du I
15 février 1938 persiste dans la jurisprudence antérieure, et
refuse de tenir compte de « nécessités postérieures au I
I
divorce ». Ce n'est là, en définitive, que l'une des manifesta- I
tions des hésitations de la jurisprudence sur le caractère de la I
pension de l'article 301 (Ripert, Le caractère de la pension ali- I
mentaire en cas de divorce, D. H., 1927, chronique, p. 53 ;
Planiol, Ripert et Rouast, t. II, n° 637 ; Beudant, Lerebours- I
I
Pigeonnière et Breton, t. III, n" 859 et 860).
Lagrange)
Civ., 2 juillet 1936, D. P., 1936, 1. 118, Note Mlle de
;
différence près que l'enfant était né dans les 180 premiers
jours du mariage on pouvait, par suite, être tenté de soutenir
que cet enfant était légitimé et non pas légitime, et que lors-
qu'il faisait remonter sa personnalité au delà du mariage,
c'était à titre d'enfant naturel. Mais la Cour de Cassation avait
déjà condamné cette thèse dans l'affaire Degas (Civ., 8 jan-
vier 1930, S., 1930, 1. 257, note Gény) en affirmant que les
;
enfants qui naissent dans les 180 premiers jours du mar:ige
sont légitimes il est donc logique que par son arrêt du 2 juil-
let 1936, elle ait donné à cette seconde affaire la même solu-
tion que la première.
La Cour de Caen devant laquelle la première affaire reve-
nait après cassation, a refusé de s'incliner devant le principe
dégagé par l'arrêt de la Chambre Civile et elle a affirmé « que
la légitimité et les droits qu'elle crée, ne remontent pas au
delà du mariage des parents qui en est l'origine ». Il appar-
tiendra donc aux Chambres Réunies de préciser les rapports
exacts de la règle « infans conceptus. » et de la détermina-
tion de la légitimité.
§ V. — FILIATION NATURELLE. 1°De la pluralité des recon-
naissances et de l'action en contestation de l'article 339 du
Code Civil (Req., 4 juillet 1935, D. H., 1935, 412 ; Aix, 5
décembre 1935, Gaz. Pal., 1936, 1. 264 ; Trib. civ. Lons-le-
Saunier, 5 mai 1936, S., 1936, 2. 208).
La pluralité de reconnaissances soulève en jurisprudence
de
question de la force probante de la reconnaissance ;
délicats problèmes dont la solution est commandée par la
la doc-
trine, à cet égard, se prononce en général pour l'autorité abso-
lue de la reconnaissance (Planiol, Ripert et Rouast, t. II,
n° 852 ; Savatier, D. H., 1934, chronique, p. 85) ; à la diffé-
rence d'une décision judiciaire en matière d'état, la reconnais-
de l'état civil :
sance est opposable à tous comme les preuves préconstituées
non seulement la reconnaissance peut être con-
testée, mais elle doit l'être par ceux qui prétendent lui dénier
toute valeur.
:
et en outre de ce que la mère avait vécu éloignée de l'endroit
où il résidait (V. sur cet arrêt Lagarde, chronique, R-ev. Trim.
D.Civ., 1936, 164).
Ces principes relatifs à la force probante de la reconnais-
sance et à sa contestation, ne sont pas toujours suivis par les
tribunaux et cours d'appel. Un arrêt de la Cour d'Aix du 5
décembre 1935 (Lagarde, chronique Rev. Trim. D. Civ., 1936,
pas ce raisonnement ;
présumée vraie jusqu'à preuve contraire. Mais l'arrêt n'admet
il affirme qu'en cas de pluralité de
reconnaissances, « il appartient aux juges d'apprécier suivant
les circonstances quelle est, entre les reconnaissances succes-
sives, celle qui doit être réputée vraie et qu'ils doivent donner
la préférence, non pas à la première endate, mais à celle qui
présente le plus grand intérêt pour l'enfant :.. Or, l'arrêt fait
valoir qu'en l'espèce l'auteur de la première reconnaissanéé
était actuellement marié et avait un enfant légitime, tandis
que l'autre amant avait continué à vivre avec la mère;
paraissait donc préférable à la Cour d'attribuer la paternité à
il
naissance:
jugement du 5 mai 1936 pour apprécier la valeur d'une recon-
une mère naturelle demandait l'annulation d'une
reconnaissance, sous le prétexte que cette reconnaissance n'a-
;
vait été passée par son auteur qu'en vue de légitimer l'enfant,
mais que le mariage n'avait pas eu lieu or, elle se proposait
de contracter mariage avec le père véritable. Le Tribunal a
annulé la reconnaissance en constatant « qu'il y a un intérêt
évident pour l'enfant à ce qu'il porte le nom du mari de sW
mère » ; il fait valoir par ailleurs que l'auteur de la reconnais-
;
reconnaissance, les tribunaux sont portés à tenir compte de ce"
qu'ils croient être l'intérêt de l'enfant mais il paraît danger
reux de s'engager dans cette voie et de s'écarter du principe
que le véritable intérêt de l'enfant est d'avoir la filiation à
laquelle il a légalement droit.
:
de présumer que ces enfants sont ceux dont elle est accouchée,
mais c'est là seulement un indice (en ce sens Lagarde, Rev.
Trim. D. Civ., 1935, 355). Et les présomptions ou indices gra-
;
ves ne peuvent être admis qu'en matière de recherche de
maternité légitime l'article 341 ne renvoie pas à l'article 323
et le commencement de preuve par écrit qu'il exige ne peut
donc être suppléé. Les systèmes de preuve de l'action en récla-
mation d'état d'enfant légitime et de la recherche de maternité
naturelle ont été réglementés de façon distincte par le Code et
ne doivent pas être confondus.
tembre 1935 ;
D. H., 1934, 229 ; Poitiers 27 mai 1935, Gaz. Pal., 10 sep-
Civ., 12 novembre 1935, S., 1936, 1. 15 ;
ait été étendue à tous les cas de séduction, il est certain que
ce commencement de preuve n'est exigé que pour les ma-
nœuvres (Civ., 29 janvier 1933 ; Civ., 4 janvier 1937), sauf à
prouver par ailleurs leur caractère déterminant (Riom, 25
février 1936 ; Civ,, 19 mai 1936). Ces arrêts ne font que pré-
ciser la solution déjà contenue dans l'arrêt de la Chambre
Civile du 20 juillet 1931 (D. P., 1932, 1. 73, note Savatier).
Mais la portée du commencement de preuve par écrit
étant ainsi déterminée, il reste à préciser s'il doit être consi-
déré simplement comme une exigence particulière de preuve
des manœuvres dolosives ou comme une condition de rece-
vabilité de l'action. Pour faire du commencement de preuve
une condition de recevabilité de l'action, on a invoqué l'in-
tention du législateur qui aurait voulu opposer un barrage
aux actions injustifiées et assurer le repos des familles en
évitant le scandale d'une discussion sur la paternité, lorsque
le demandeur n'est pas en mesure d'apporter un commen-
cement de preuve rendant vraisemblables les manœuvres
dont il se plaint. On en a conclu que le commencement de
preuve devait exister au jour de la demande et qu'il ne pôu-
vait donc être recherché au cours de l'instance par un inter-
rogatoire sur faits et articles ou par une comparution per-
sonnelle du prétendu père (Gaudemet, Rev. Trim. D. Civ.,
1930, 100, et 1932,157).
Ce système aboutit à fermer l'accès du tribunal aux en-
fants dont les pères se sont montrés suffisamment habiles pour
ne laisser aucune
entre les mains de la mère;
trace écrite des manœuvres de séduction
peu satisfaisant dans ses résultats,
ce système n'a d'ailleurs pas de fondement sérieux dans les
textes : pour faire du commencement de preuve par écrit une
;
condition de recevabilité de l'action, il faudrait une disposi-
tion formelle or, non seulement elle n'existe pas, mais
même, les travaux préparatoires de la loi (Déb. Parlem. Sénat,
D. P., 1912, 4. 119), démontrent que le législateur de 1912 a
parfaitement envisagé et voulu que le commencement de
preuve par écrit puisse être obtenu par un interrogatoire sur
faits et articles, ou une comparution personnelle suivant le
droit commun.
Les Cours d'appel qui ont eu à statuer sur cette ques-
tion au cours des dernières années se sont en général pro-
noncées en faveur de l'admission de l'interrogatoire sur faits
et articles ou de la comparution personnelle pour suppléer au
;
c'est qu'elle suppose le libre consentement des parties pour y
recourir le juge, en l'état de notre droit, n'a aucun moyen
pour contraindre une des parties qui s'y refuse à ce prélève-
ment de sang. Cependant le Tribunal Civil de Marseille, par un
jugement du 6 mai 1938, a ordonné cette mesure à la demande
de la mère dans le but de tirer des résultats de l'analyse des
présomptions de nature à confirmer ou à infirmer le commen-
cement de preuve par écrit de la séduction sur lequel était
fondée l'action. Il semble que le refus du prétendu père de
se prêter à cette mesure d'instruction ne pouvait permettre
au Tribunal d'en tirer une présomption contre lui.
; ?
intentée lorsque le père prétendu est mineur (Trib. Civ.
Clamecy, 5 mai 1933, S., 1933, 2. 167 Civ., 31 octobre
1934, D. P., 1935, 1. 52, Note Carbonier).
:
mineur peut être retenue. Mais la capacité de passer des
aveux n'implique pas celle de plaider seul le mineur qui a
commis un délit peut valablement avouer les faits, mais il
;
ne peut se défendre seul en justice lorsqu'il est assigné en
réparation de ce délit il faut admettre ici la même solution.
On peut d'ailleurs faire remarquer subsidiairement que la
reconnaissance est moins grave que la défense à l'action en
recherche de paternité, car elle peut toujours être attaquée
pour vice du consentement ou simplement comme étant men-
songère, alors que la décision intervenue sur l'action en
:
recherche de paternité aura autorité de chose jugée (en ce
sens Lagarde, chronique Rev. Trim. D. Civ., 1933, 866).
60 Le défenseur à l'action en recherche de paternité après le
décès du père prétendu (Paris, 11 février 1933, D. H., 1933,
209 ; Req., 6 décembre 1933 D. H., 1934, 35 ; Paris 29 mai
.1934, D. P., 1934, 2. 81, Note Lalou).
Le décès du père
non-recevoir à l'action en recherche de paternité ;
prétendu ne constitue pas une fin de
;
disposition expresse de la loi pour dénier le droit d'agir à
l'enfant mais il devient alors délicat de déterminer contre
:
qui l'action doit être intentée et contre qui elle peut l'être
jj (V. sur ce point Planiol, Ripert et Rouast, t. II, n° 921 ; Beu-
dant, Lerebours-Pigeonnière et Breton, t. III, n° 1164 ;
Lagarde, chronique Rev. Trim. D. Civ., 1933, 862 et 1934, 128).
Il paraît naturel, après le décès, d'agir contre les héritiers
mais s'ils ont renoncé à la succession, ont-ils toujours qualité
pour représenter le défunt ? Dans une action soumise à la
Cour de Paris, les héritiers renonçants soutenaient que l'action
dirigée contre eux était irrecevable et ils se fondaient sur
61
;
:
et entreprises coupables ». Certains arrêts s'étaient déjà
prononcés en ce sens (Paris, 27 octobre 1925, D. P., 1926, 2.
Bordeaux, 29 mars 1924, Gaz. Pal., 1925, 2. 182). Il peut
:
même s'ils ne se défendent pas, le paiement des dépens mais ;
téressent de la succession la charge de la défense au procès et,
;
dirigée contre les seuls héritiers du père, sans que l'auteur
de l'accident ait été mis en cause du vivant du père, l'action
ne peut être intentée que contre lui, mais, après son décès,
elle peut l'être contre tous les intéressés et doit l'être contre
ceux à l'égard rie qui on veut s'en prévaloir.
1934 ;
légale (Trib. Civ. Seine, 28 février 1934, La loi, 31 mars
Paris 4 juin 1934, Gaz. Trib., 1934, 2. 45, Note
Edouard Levy ; Lyon, 24 décembre 1936, Mon. Jud. Lyon,
24 août 1937 ; Rennes, 14 janvier 1937, D. P., 1937,2. 45,
Note Savatier;
Note Savatier ; Lyon, 24 juin 1937, Gaz. Pal., 13 octobre
Lyon, 24 juin 1937, D. P., 1938, 2. 46,
conclusions de M. l'Avocat général Damour).
:
certain soit établi entre elle et la légitimation en vue de
laquelle elle intervient ne faut-il pas exiger, par conséquent,
que le but de la reconnaissance soit précisé et que toutes les
conditions de la légitimation soient déjà réunies ?
La nrcmière condition qui impose de préciser dans la
reconnaissance post nuptias le but dans lequel elle est faite
est affirmépar un jugement du Tribunal Civil de Limoges du
28 février 1935 ; le jugement fait valoir que l'officier d'état
civil devrait refuser de recevoir cette reconnaissance si le but
ne lui en était pas indiqué. Il est exact, en effet, que si l'of-
ficier d'état civil refuse de prendre acte de la reconnaissance,
le narent adultérin pourra vaincre sa résistance en lui décla-
rant que cette reconnaissance intervient en vue d'une légiti-
mation ; mais si l'officier d'état civil ne s'est pas aperçu du
caractère adultérin de la filiation, la reconnaissance dont il
a pris acte, devra pouvoir servir de base à une légitimation.
L'affirmation de principe émise par le Tribunal de Limoges
n'avait, en l'esoèce, aucun inconvénient car l'auteur adultérin
était encore vivant et le tribunal pouvait trouver dans la
requête aux fins de légitimation une reconnaissance nouvelle
intervenue sans contestation possible en vue de la légitima-
tion. Mais dans d'autres espèces où l'auteur de la reconnais-
sance était mort, la Cour de Paris n'a pas craint de tenir
compte de reconnaissances dans lesquelles il n'était nullement
précisé qu'elles étaient faites en vue d'une légitimation (Paris,
19 février 1934 et 24 février 1937).
Si la première condition ne paraît donc pas devoir être
exigée, ne faut-il pas exiger du moins que toutes les conditions
de la légitimation soient réunies au moment où intervient la
reconnaissance ? C'est ce que l'on peut soutenir en se fondant
sur une interprétation littérale de l'article 331 qui n'autorise
la reconnaissance que pour les enfants « visés au présent
article », c'est-à-dire pour ceux qui peuvent être légitimés il
faudrait donc établir que l'enfant a été conçu au cours d'une
;
période de séparation légale, ou qu'il a été désavoué par le
mari, ou enfin, s'il s'agit d'un enfant adultérin a pâtre, qu'il
n'existe plus de descendants nés du mariage. Cette solution
paraît implicitement adoptée par la circulaire du Garde des
Sceaux du 13 janvier 1916 (D. P., 1917, 4. 86), qui se contente
dans ce dernier cas d'une simple déclaration du père à l'of-
ficier d'état civil. Mais la jurisprudence n'y paraît pas favo-
rable : un arrêt de la Cour de Paris du 19 février 1934 tient
compte d'une reconnaissance passée par la mère postérieu-
rement au mariage avec le complice de l'adultère mais avant
le désaveu du premier mari, c'est-à-dire à un moment où la
légitimation ne pouvait pas encore avoir lieu. Cet arrêt affir-
me qu'il n'y a pas lieu d'attacher d'importance à la formule
de l'article 331, que ce texte a seulement voulu indiquer que
les conditions de la légitimation devraient se trouver réunies
au moment de la requête aux fins de légitimation, mais « qu'il
n'a pas entendu prescrire un ordre quelconque pour la réali-
a pu précéder
cette
le ;
sation de ces conditions ». Il en conclut que la reconnaissance
désaveu
considération
cette solution se justifiait,
que la mère était morte au moment
en fait,
;
par
où la légitimation était demandée, et que la nullité de la
reconnaissance aurait donc été irréparable mais il aurait été
possible d'éviter cette solution en remarquant que l'action
désaveu avait suffi à établir la filiation maternelle et qu'il
en
était donc inutile qu'il y eût reconnaissance (en ce sens
Lagarde, chronique Rev. Trim. D. Civ., 1934, 595). La Cour de
:
Paris a consacré à nouveau la même solution le 24 février
1937 en tenant compte d'une reconnaissance postérieure au
mariage mais antérieure à la loi du 25 avril 1924, c'est-à-dire
à un moment où la légitimation post nuptias n'était pas
possible. Ces solutions paraissent contraires à l'esprit de la
i loi qui n'autorise la reconnaissance des enfants adultérins
: qu'en vue de leur légitimation, c'est-à-dire à un moment où
J
cette légitimation est possible.
I
§. VII. — OBLIGATION ALIMENTAIRE. 1° Du caractère déclaratif
î1 de la décision statuant sur la pension alimentaire (Req.,
1
5 janvier 1938, D. H., 1938, 180).
;
nière et Batiffol, t. II, n" 503 ; Req., 30 janvier 1933, D. H.,
1933; 114 Angers, 13 mai 1936, D. H., 1936, 416). Il faut en
conclure que si la pension n'a pas été réclamée dès que l'état
de besoin est apparu, parce que le débiteur a réussi à se sous-
traire pendant un certain temps aux poursuites, ce débiteur
peut être condamné à payer la pension rétroactivement.
En ce qui concerne les décisions qui viennent réviser ou
supprimer la pension alimentaire, elles sont également fondées
sur un état préexistant et devraient donc logiquement per-
;
mettre toujours au débiteur de répéter ce qu'il a versé en
trop l'arrêt de la Chambre des Requêtes du 5 janvier 1938
affirme cependant que la pension ne cesse pas de plein droit
avec sa cause et qu'il faut une décision expresse pour faire
remonter ainsi dans le passé l'effet de la révision ou de la
suppression. La raison ne doit plus être recherchée ici dans
la maxime « pensions alimentaires n'arréragent pas », mais
dans un principe inverse suivant lequel les fruits sont faits
normalement pour être dépensés. C'est en vertu de cette idée
que le possesseur de bonne foi est dispensé de restituer les
fruits, car ils ne sont pas censés l'avoir enrichi (art. 549 et
550 G. Giv.). C'est en vertu de la même idée que l'article 1906
refuse à l'emprunteur qui a payé des intérêts qu'il ne devait
pas, de les répéter et'de les imputer surle capital. En matière
de pension alimentaire, le créancier peut légitimement se
croire, autorisé à dépenser la pension, alors même qu'elle
dépasse ses stricts besoins ou qu'il pourrait s'en passer com-
plètelnent, tant que le débiteur n'a pas manifesté son intention
de: voir réduire ou supprimer la pension. Toutefois, en raison
des circonstances, les juges peuvent estimer que le créancier
n'a pas pu compter de bonne foi sur la continuation du ser-
vice de la pension : c'était le cas en l'espèce, la pension étant
servie par des parents à leur fille qui s'était trouvée à l'abri
du besoin à partir du jour où elle avait été mariée ; le rem-
boursement des arrérages versés depuis le mariage a pu être
ordonné, l'état de besoin ayant cessé à ce moment d'une façon
suffisamment certaine pour que la fille créancière n'ait pu
conserver aucune illusion sur ses droits.
20 Le recours entre codébiteurs d'aliments (Civ., 27 novembre
1935, D. P., 1936, 1. 26, Note Rouast).
L'existence d'un recours entre codébiteurs d'aliments
était restée jusqu'ici controversée (Planiol, Ripert et Rouast,
t. II, n° 57 ; Beudant, Lerebours-Pigeonnière et Batiffol, t. II,
faveur du recours :
n" 509) ; et les Cours d'appel étaient divisées sur ce point (en
Toulouse, 25 juillet 1863, D. P., 1863, 2.
cours :
139 ; Rouen, 15 février 1864, D. P., 1864, 5. 190 ; contre le re-
Paris, 26 avril 1892, D. P., 1893, 2. 175 ; Nancy, 18
décembre 1919, D. P., 1920, 2. 101 ; Besançon 4 juin 1930, D.
II., 1930, 437 Lyon, 28 juin 1934, Sem. Jur. 1935,, 1018).
;
L'arrêt de la Chambre Civile du 27 novembre 1935 vient
reconnaître l'existence de ce recours il admet que la mère
naturelle peut réclamer au père la part qui lui incombait
dans l'entretien de l'enfant commun, qu'il a laissé à sa charge.
La Cour affirme « que si chacun des père et mère naturels
comme légitimes, est tenu pour le tout de l'obligation de
nourrir, entretenir et élever les enfants communs, cette obli-
gation unique au regard des enfants qui en sont les créanciers
en dehors de toute décision judiciaire consacrant leurs droits,
ne s'en divise pas moins entre les parents qui dans leurs rap-
:
parents, elle peut être étendue à tous les débiteurs d'aliments
qui sont tenus envers un même créancier (en ce sens Rouast,
note D. P., 1936, 1. 26).
;
du recours. Mais ce n'est certainement pas cette justification
qu'a voulu adopter la Cour de Cassation elle évite de contre-
dire l'affirmation de l'arrêt attaqué qui s'était basé pour
;
refuser le recours sur cette considération que l'obligation
alimentaire n'est ni solidaire, ni indivisible en effet, la soli-
darité ne se présume pas et la Cour de Cassation avait déjà
nié en cette matière la solidarité par un arrêt (Civ., 6 août
1894, D. P., 1895, 1. 199) qui a fait jurisprudence (Paris, 18
décembre 1897, D. P., 1898, 2. 197 ; Caen, 22 décembre 1904,
;
S., 1905, 2. 265 ; Nancy, 18 décembre 1919 D. P., 1920,
Lyon, 28 juin 1934 précité Besançon, 26 mai 1936, S., 1936,
2.201 ;
d'autres ;
légale (art. 1251, 3°), puisqu'il était tenu, en réalité, avec
soit sur l'idée de gestion d'affaires, car « il importe
peu que celui qui a fait l'acte de gestion, ait entendu agir
tout à la fois dans son intérêt personnel et dans l'intérêt d'un
tiers, si en réalité ce tiers était intéressé à l'acte de gestion et
; en a profité » (Req. 18 juin 1872, D. P., 1872, 1. 471) ; soit
enfin, subsidiairement, sur l'idée d'enrichissement sans cause,
puisqu'aucune disposition de loi ne l'obligeait à se laisser
y
condamner sans demander de tenir compte des ressources des
autres débiteurs.
•I
!
|
§. VIII. - PUISSANCE PATERNELLE. 1°Des droits du parent
qui n'est pas détenteur de la puissance paternelle (Trib.
Civ. Langres, 3 février 1933, D. H., 1933, 262, Trib. Civ.
| 2.
Provins, 11 juillet 1933, Gaz. Pal. 1933, 647 ; Dijon, 26
| octobre 1933, D. H., 1934, 14 ; Paris, 29 janvier 1934, Gaz.
1
Pal., 1934, 1. 576., Paris, 13 décembre 1934, D. H., 1935,
i 138 S., 1935, 2. 168., Civ. 13 avril 1937, D. H., 1937, 281.
I S., 1938, 1. 8.
-
:
D'autres décisions sont intervenues pour départager les
parents naturels un arrêt de la Cour de Dijon du 26 octobre
1933 invoque l'intérêt de l'enfant pour reconnaître au père
un droit de surveillance sur son éducation. Un arrêt de la
Cour de Paris du 29 janvier 1934 décide que le père naturel
peut exiger de la mère qui exerce la puissance paternelle
;
qu'elle rapproche l'enfant de lui, afin qu'il puisse exercer
commodément son droit de visite il affirme que « la modi-
fication de l'état de chose qu'a cru devoir instaurer la mère
dans la plénitude de ses attributions ne saurait être envisagée
que s'accordant avec l'intérêt supérieur de cet enfant qui,
seul, est en jeu et dont il échet en premier lieu d'avoir souci ».
Mais cet arrêt croit devoir ajouter c qu'il ne s'agit pas, ainsi
;
que cela a été soutenu à tort, de démembrer le droit de puis-
sance paternelle qui, en l'espèce, appartient à la mère que
-ce n'est pas y porter atteinte que de rechercher les mesures
propres à assurer au père le moyen de visiter l'enfant dans
des conditions de facilité normale » ; en réalité, il est difficile
de nier que la mesure ordonnée ne constitue une atteinte au
droit de garde, mais l'erreur serait de penser que la puissance
paternelle est intangible et qu'il ne peut y être porté aucune
atteinte en dehors des cas de déchéance (Trib. Civ. Langres,
3 février 1933). Le droit de surveillance, le droit de visite
constituent incontestablement des restrictions aux droits du
parent détenteur de la puissance paternelle, puisqu'ils sont
exercés au besoin avec le secours de la force publique.
En réalité, ces solutions ne peuvent se justifier si l'on
se place du côté des parents pour délimiter leurs prérogatives
respectives ; tout s'éclaire, au contraire, si l'on se place du
côté de l'enfant. Si l'intérêt de l'enfant exige que le droit de
visite soitsupprimé parce que ce parent exerce une influence
néfaste sur l'enfant, ce droit de visite ne s'exercera pas. Si,
au contraire, l'intérêt de l'enfant commande d'accorder au
;
30 décembre 1933, Amiens, 7 février 1934, D. P., 1934, 2.
57, note Lebrun Trib. Cijv. Vendôme 30 juillet 1934, D. H.,
:
conditions que pour le parent qui n'est pas détenteur de la
puissance paternelle là encore, il s'agit beaucoup moins de
délimiter in abstracto les prérogatives des ascendants que
de rechercher dans un cas déterminé, ce qu'exige l'intérêt de
l'enfant. Les grands-parents n'ont, en effet, sur leurs petits-
enfants d'autres droits que ceux qui leur sont reconnus par
;
la loi mais ils ont qualité, en raison de leurs liens de parenté
et d'affection, pour veiller à l'éducation de l'enfant ,et, comme
il est normalement de l'intérêt de l'enfant d'entretenir des
relations avec les membres de sa famille et en particulier avec
ses ascendants, il appartient à ceux-ci de faire réglementer
ces relations par décision de justice, si le détenteur de la
puissance paternelle se refuse, sans raisons sérieuses, à les
établir lui-même.
C'est ce qui est mis en relief par un arrêt de la Cour
d'Amiens du 7 février 1934 qui affirme « que si les père et
mère exercent seuls la puissance paternelle à l'exclusion des
grands-parents, ils ne sauraient cependant faire obstacle sans
motif légitime à ce que ces derniers entretiennent avec leurs
petits-enfants les relations étroites qu'exige leur lien d'étroite
parenté et qu'il est de l'intérêt même des enfants de ne pas
rompre ». Et le Tribunal civil de Lisieux qui affirme dans son
jugement du 8 décembre 1937, qu'il s'agit de concilier deux
droits, ceux des parents et ceux des grands'parents, ajoute
que cette conciliation « doit se faire au mieux des intérêts de
l'enfant, l'intérêt de l'enfant primant tout en matière de puis-
sance paternelle ». Ceci explique qu'il n'y ait pas de règle fixe
quant au point de savoir si les grands-parents ne peuvent
;
de visite reconnu aux ascendants pouvait être sanctionné par
l'article 357 du Code Pénal la difficulté provient de ce que ce
texte ne réprime que la violation d'une décision de justice
ayant « statué sur la garde ». Or, on s'est demandé si la déci-
sion qui reconnaît un simple droit de visite répondait bien
à celle visée par l'article 357 et s'il n'y avait pas lieu de distin-
guer entre le droit de séjour et le droit de visite (Garçon, Code
Pénal annoté). Mais la Chambre Criminelle qui avait déjà
appliqué l'article 357 au droit de visite reconnu au parent
privé de la puissance paternelle (Crim., 30 mars 1912, D. P.,
:
protège tous ceux qui sont admis par décision de justice à
faire valoir un de ces droits » (V. dans le même sens Crim.,
5 novembre 1936). Il n'y a aucune raison de distinguer entre
:
le droit de visite et le droit de séjour dans les deux cas, il
s'agit d'une atteinte portée au droit de garde, d'une privation
partielle de ce droit dont la durée est plus ou moins longue
ces droits ne sont pas d'une nature différente du droit de
;
garde, qui peut être entièrement confié aux ascendants si
l'intérêt de l'enfant l'exige (Req., 5 juin 1931, D.N.,1931,
361). 1
;
défendeur. Les pouvoirs de cet administrateur provisoire sont
limités à la durée de l'instance l'article 505 dispose, en effet,
qu'après la nomination du tuteur et du subrogé-tuteur de
l'interdit, « l'administrateur provisoire cessera ses fonctions
et rendra compte au tuteur, s'il ne l'est pas lui-même ».
La Cour de Paris en a conclu dans son arrêt du 3 février
1933 qu'après le premier interrogatoire, le tribunal saisi de
;
la demande d'interdiction, ne pouvait plus nommer d'admi-
nistrateur provisoire il semble que cette solution soit exces-
sive : on peut parfaitement concevoir l'utilité de cette nomi-
nation au cours de la procédure de jugement qui peut deman-
der un certain temps, surtout s'il est procédé à une enquête.
Ce n'est pas parce que l'article 497 donne compétence à la
Chambre du Conseil pour procéder à cette nomination dès
;
cas
de le désigner après le premier interrogatoire de l'interdit et
avant le prononcé du jugement d'interdiction que sa dési-
gnation peut, par suite, avoir lieu après cet interrogatoire et
à toute époque de la procédure, avant que l'interdit soit
pourvu d'un tuteur et qu'il n'est pas prescrit qu'elle doive
nécessairement être faite en Chambre du Conseil».
Une difficulté particulière résultait dans cette espèce de
|
j
ce
« le
:
que
mariée
mari
l'interdiction
est de droit
était
le
prononcée contre une femme
le mari invoquait l'article 506, aux termes duquel
tuteur de sa femme interdite », pour
soutenir que ses fonctions de tuteur légal prenaient effet
immédiatement et que la nomination d'un administrateur
provisoire était tout à fait inutile, puisqu'il n'était pas déchu
de la tutelle. Mais pour écarter en l'espèce la tutelle légale, la
;
n'assure plus à la femme les garanties de protection sur
lesquelles repose l'attribution de la tutelle légale en ajoutant
à la lettre de l'article 506, la jurisprudence se conforme à son
esprit et elle donne une solution qui s'impose.
2° De la validité des actes passés par l'interdit au vu et au su
du tuteur (Civ., 4 janvier 1934, D. H., 1934, 97 ; S., 1936;
1. 137, note Vialleton).
;
activité et de défendre ses intérêts, doit mettre en garde les
tiers contre l'activité de l'interdit il engagerait sa respon-
sabilité personnelle à leur égard s'il les laissait contracter
;
avec l'interdit sans les prévenir, alors qu'il en aurait eu la
possibilité la Cour de Cassation va plus loin et admet que
cette attitude du tuteur peut être considérée comme valant
de sa part manifestation de la volonté de contracter.
:
En réalité, cette analyse n'est pas parfaitement satisfai-
sante si l'on peut retenir la volonté tacite du tuteur, il
faudrait que l'on pût également constater la volonté du jardi-
;
nier de contracter avec lui or cette volonté n'est nullement
constatée dans l'arrêt. Le jardinier n'avait entendu contracter
;
qu'avec l'interdit, dont il ne connaissait probablement pas
l'incapacité juridique il n'y a donc pas eu concours de
volonté et le contrat n'a pas pu se former. Il semble que pour
:
valider le contrat de travail, il aurait été préférable, en l'espè-
ce, de recourir à un autre moyen l'idée de pouvoir propre
ne pouvait pas être ici d'un grand secours, car s'il est géné-
ralement admis que les incapables peuvent faire seuls des
actes conservatoires (Planiol, Ripert et Savatier, T. I, n° 273),
;
traire, l'idée de représentation pouvait être ici d'une appli-
cation très facile l'interdit, comme tout incapable, peut exé-
cuter un mandat (Planiol, Ripert et Savatier, T. I, n° 280) et
l'on peut parfaitement admettre que le tuteur qui laisse l'in-
terdit exercer une activité donnée et passer certains actes
:
juridiques lui donne mandat de le faire c'est une interpré-
tation très plausible de l'attitude du tuteur. Ce mandat tacite
;
du tuteur paraît être la forme d'activité juridique la plus
opportune pour l'interdit elle lui laisse le pouvoir de passer
seul les actes courants correspondants au genre de vie que
le tuteur lui laisse mener. Il semble que ce mandat tacite soit
:
un correctif nécessaire de l'incapacité de l'interdit (en ce
sens Vialleton, note précitée).
Jean HARDOIN,
INTRODUCTION
;
Mais l'abus de la procédure n'existe pas seulement en
matière pénale il se rencontre également en matière civile.
Nombreux sont les plaideurs qui intentent des procès
par pur esprit de chicane ou qui, poursuivis en justice, s'effor-
cent de faire échec aux légitimes prétentions de leur adver-
saire, en invoquant des arguments sans consistance, ou qui
utilisent les voies de recours à des fins purement dilatoires.
Nombreux, également, sont les plaideurs qui exercent le
droit d'ester en justice avec imprudence, négligence ou
impéritie.
Les conséquences de tels agissements sont déplorables.
Le droit d'ester en justice se trouve dévié de sa fin : destiné
à assurer le respect du Droit, il sert à bafouer la Justice.
Et son mauvais emploi cause à ceux contre lesquels il est
mis en œuvre des pertes de temps et d'argent, en les obli-
geant à plaider inutilement.
Le mal, à coup sûr, ne date pas d'hier : il y a eu, de
tous temps, des plaideurs chicaniers. Mais il est devenu de
nos jours plus sensible et plus grave pour l'intérêt général,
à raison de l'encombrement que l'abus de la procédure
entraîne dans les tribunaux importants et des retards si pré-
judiciables que cet encombrement fait subir au jugement des
affaires sérieuses.
Aussi, ne saurait-on s'étonner de constater, dans la
législation récente, différentes réformes destinées à faire
obstacle aux, abus de procédure.
Il faut citer, à ce titre, en premier lieu, le décret du
30 octobre 1935, modifiant divers articles du Code de Procé-
dure Civile.
Cet important texte législatif apporte, notamment, des
modifications profondes au régime des jugements par défaut
et des oppositions. C'est qu'en effet, ainsi que le déclare le
rapport fait au Président de la République, à l'occasion de
ce décret, « la matière des jugements par défaut et des
« oppositions est peut-être celle qui appelle la plus urgente
« réforme, car elle sert trop souvent aux plaideurs de
« mauvaise foi qui tentent de prolonger la durée des procès
x afin de lasser la patience de leurs adversaires (1). »
Ce même décret du 30 octobre 1935 s'est efforcé de
décourager les appels purement dilatoires (2).
C'est vraisemblablement inspirés également du souci de
réduire les abus de procédure que certains textes en matière
civile et commerciale suppriment toutes ou certaines voies
de recours à l'encontre des décisions judiciaires qu'ils
prévoient (3).
(1) D., 1935, 4. 421, col. II. Le décret du 30 octobre 1935 supprime
l'opposition au jugement par défaut faute de conclure et « [permet]
c plus facilement de rendre le jugement par défaut [faute de comparaître]
« définitif. » (Rapport précité. loc. cit.). Sur les détails de la réforme,
voir l'article 3 du décret et Hébraud, c La réforme de la procédure i,,
Revue critique, 1936, p. 73 et s.
(2) Il oblige l'appelant à déclarer son appel au greffe de la juridic-
tion d'appel par les soins de l'avoué constitué, dans les quinze jours d3
la signification. de l'acte d'appel, à peine de déchéance. Ainsi, l'appelant
se trouve obligé de poursuivre la mise en jugement de son appel. Voir
Hébraud, op. cit., p. 109 et a.
:
(3) Nous nous contenterons de citer en ce sens
;
le décret du 8 août
1935, relatif à l'expropriation pour cause d'utilité publique, article 24
;
(D., 1935, 4. 209) le décret du 8 août 1935, relatif aux droits des
obligataires d'un même emprunt, article 1 (D.,1935, 4. 221) le décret
du 30 octobre 1935, unifiant le droit en matière de lettres de change
;
et de billets à ordre, article 147 nouveau du Code de Commerce (D.,
1935, 4, 463) le décret du 25 août 1987, instituant en faveur des débi-
;
teurs commerçants et artisans le règlement amiable homologué, article 16
(D., 1937; 4. 242) le décret du 31 août 1937, relatif au remboursement
anticipé et à l'aménagement des dettes hypothécaires, article 7. (D.,
p. 283 et a.
Sans doute les réformes récentes que nous signalons ne
sont-elles pas les premières entraves apportées par la loi à
l'exercice du droit d'ester en justice. Ce droit se trouvait
soumis déjà par le Code de Procédure Civile à une réglemen-
tation minutieuse, qui avait notamment pour but de limiter
le recours des justiciables aux tribunaux.
C'est ainsi que le droit d'appel est refusé au plaideur mé-
content, lorsque l'intérêt du litige est trop modique (4).
en justice :
l'on peut empêcher un plaideur chicanier ou téméraire d'ester
la crainte d'avoir éventuellement à payer des
dommages-intérêts à son adversaire étant susceptible de
freiner ses intentions processives.
P. 283
civile », 3* p. 83.
op.
s.
C'est pourquoi, en présence du vif mouvement de réaction
contre l'abus de la procédure, que nous avons constaté en
législation, il semble que l'on doive soumettre le plaideur
à une responsabilité rigoureuse.
Il n'existe dans notre droit aucun texte de portée géné-
rale, qui détermine l'étendue de cette responsabilité.
lières:
Seuls, quelques textes donnent des solutions particu-
au cas de tierce-opposition (art. 479 du Code de Pro-
cédure Civile.) (6), au cas de requête civile (art. 500 du
même Code) (7), au cas de prise à partie (art. 513 ét 516
(D., 1922, 1. 70), «.la condamnation prévue par l'article 500 du Code de
«procédure civile à une amende de 300 fr. et à 150 fr. de dommages-
« intérêts « sans préjudice de plus amples dommages-intérêts, s'il y a
« lieu i, constitue une sanction que la loi attache expressément au rejet
« de la requête civile ».
Cet arrêt manque de netteté. Faut-il comprendre, ou non, d'après
la Chambre des requêtes, dans la « sanction que la loi attache expressé-
« ment au rejet de la requête civile », en outre de l'amende de 300 francs
et de la condamnation à 150 francs de dommages-intérêts, « de plus am-
»
i pies dommages-intérêts, s'il y a lieu ?
La question est d'importance. Suivant l'interprétation adoptée, on
décidera que la partie au procès, contre laquelle a été interjetée à tort
la requête civile, a droit, ipso facto, à des dommages-intérêts excédant
150 francs, à la seule condition que le préjudice dont elle se plaint soit
supérieur à ce chiffre, ou l'on exigera, à l'inverse, qu'elle prouve la
faute de son adversaire, en même temps que le préjudice dont elle
domande réparation.
A s'en tenir à la formule de l'arrêt, il semble que la condamnation
à des dommages-intérêts constitue en tout état de cause, même lors-
qu'elle excède 150 francs, une sanction expressément attachée par la loi
au rejet de la requête civile et que, par suite, elle soit encourue de
plein droit, sans que la partie qui la sollicite ait à prouver une faute
quelconque du demandeur. Mais cette interprétation est rendue douteuse
par cet autre motif de l'arrêt « qu'en l'espèce où la condamnation
« prononcée dépasse 150 francs, la Cour d'appel ayant constaté le carac-
( tère vexatoire de la procédure et le préjudice subi par les défendeurs,
« a légalement justifié l'allocation des dommages-intérêts accordés. ».
En faisant état de la constatation par l'arrêt attaqué du caractère vexa-
toire de la procédure (l'arrêt de la Chambre des requêtes du 14 février
1922, précité, faisait lui-même état de la « témérité du plaideur », pour
rejeter le pourvoi porté devant elle dans une espèce où la Cour d'appel
avait condamné le demandeur en requête civile débouté à 1.000 francs de
dommages-intérêts), la Chambre des requêtes paraît exiger Une faute
du demandeur, pour qu'il soit condamné à des dommages-intérêts excé-
dant 150 francs, sans qu'il soit permis d'ailleurs de savoir si une faute
au sens de l'article 1382 du Code Civil suffit.
:
L'article 500 pose une autre difficulté, que l'arrêt du 17 janvier 1933
n'a pas eu à résoudre les dommages-intérêts qu'il prévoit peuvent-ils
être alloués sans une demande de la part de celui contre qui la requête
soit en se heurtant à une résistance
-
étant obligée de se défendre contre une demande mal fondée,
injustifiée.
dans les dépens :
D'une part, en effet, tous ses frais ne sont pas compris
il en est ainsi notamment des honoraires
d'avocat et d'avoué (9). D'autre part, le plaideur, qui a gagné
?
civile a été intentée à tort Cette question, qui peut paraître à première
vue pour le moins étrange, est suggérée par la formule impérative qu'em.
ploie ce texte: « Le jugement. condamnera. ». A s'en tenir à ces
termes, ne convient-il pas de décider qu'une demande n'est pas indis-
?
pensable de la part du défendeur à la requête civile La Jurisprudence
pénale, interprétant les articles 136 et 436 du Code d'Instruction Crimi-
nelle, qui emploient une formule analogue à celle de l'article 500 du Code
de Procédure Civile, déclare que la condamnation aux dommages-intérêts
qu'ils prévoient, est encourue alors même que la partie à qui ils sont
accordés n'en a pas fait la demande (Crim., 6 novembre 1823, S., 1823-
M. J.-A. Roux ;
1824, p. 331; Crim., 14 juin 1913, S., 1917, 1. 177, avec une note de
;
Crim., 21 juillet.1922, Bull. crim., 1922, n" 257 Crim.,
21 octobre 1926, S., 1928, 1. 289). Mais telle n'est pas l'interprétation
que la Jurisprudence civile donne dudit article 500, du moins si l'on: en
juge d'après des arrêts anciens (Bruxelles, 29 avril 1819, Rép. pratique
Dalloz, VO Requête civile, n° 28; Aix, 8 février 1839, Journal du Palais,
1839, t. I, p. 605). A l'appui de son opinion on fait remarquer que le
tribunal qui allouerait des dommages-intérêts au défendeur à la requête
civile, sans qu'il en ait fait la demande, statuerait ultra petita. (En
ce sens: Garsonnet et Cézar-Bru, op. cit., § 498, p. 835; Carré et Chau-
veau, 58 éd. avec la collaboration de M. Dutruc, t. IV, § 1791 ter,
p. 379; Aix, 8 février 1839, précité) et que, d'autre part, « le Trésor
fl.ne pouvant cumuler avec les 300 francs de l'amende qui le nantissent.
« déjà la somme de 150 francs réservée au défendeur, qui est présumé
«en avoir fait l'abandon, rien ne l'avaitpeut s'opposer à ce que cette tnême
« somme soit restituée à celui qui consignée» (Carré, Chauveau
et Dutruc, loc. cit.). Le fait que les articles 136 et 436 du Code d'Ins-
truction Criminelle, à l'inverse de l'article 494 du Code de Procédure
Civile, ne prévoient aucune consignation, peut expliquer, dans une cer-
taine mesure, l'opposition qui existe entre l'interprétation de ces textes
par la Jurisprudence pénale et l'interprétation que la Jurisprudence
civile donne de l'article 500 du Code de Procédure Civile.
(8) Les articles 513 et 516 du Code de Procédure Civile ont été
légèrement modifiés par la loi du 7 février 1933. Cette loi a supprimé la
condamnation à une amende dont le minimum était fixé à 300 francs,
antérieurement prévue.
Aux termes de l'article 513, « si la requête est rejetée, le demandeur
« sera condamné à des dommages-intérêts envers les parties, s'il y a
« lieu ». Aux termes de l'article 516, « si le demandeur est débouté, il
« sera condamné à des dommages-intérêts envers les parties, s'il y a
< lieu ».
(8 bis) L'article 367 du Code de Procédure Civile prévoit que «le
demandeur qui succombera être condamné dommages-inté-
:
«
- pourra
«.rêts envers les autres parties ».
aux
(9) Voir, sur les frais qui ne font pas partie-des dépens, GJasaon,
Tissier et Morel, op. cit., t. III, § 789 et t. V, § 792.
son procès, peut, indépendamment des frais de justice non
compris dans les dépens, avoir subi un préjudice, soit maté-
riel en raison notamment des démarches qu'il a dû faire et
du temps qu'il a perdu, soit même éventuellement moral.
l"
L'existence d'un préjudice chez son adversaire suffit-
elle pour engager la responsabilité du plaideur, qui a succom-
bé dans ses prétentions, sans qu'il soit besoin de retenir
une faute à sa charge dans l'exercice du droit d'ester en
justice?
Des arrêts de cours d'appel et des jugements '-
l'ont
admis (10).
A première vue, cette solution paraît satisfaisante. Le
meilleur moyen de tarir les abus, auxquels peut donner lieu
l'exercice du droit d'ester en justice, n'est-il pas, en effet,
de faire peser sur les justiciables la menace d'une condamna-
tion en dommages-intérêts, si, d'aventure, leur demande est
déclarée mal fondée, ou si, d'aventure, il est passé outre à
leur défense en justice ?
Mais, si on l'examine de plus près, on s'aperçoit qu'une
telle solution est inacceptable sur le terrain du droit positif.
Prononcer une condamnation en dommages-intérêts
contre tout plaideur qui a succombé dans ses prétentions, à
la seule condition qu'un préjudice ait été causé à son adver-
saire, sans exiger l'existence d'une faute quelconque à sa
charge, c'est faire application de la théorie du risque. Cette
théorie n'étant pas consacrée — du moins à titre de règle
générale — par notre Droit positif, il en résulte que les
décisions précédemment citées encourent indiscutablement
la cassation pour violation de la loi.
Si l'on ne peut admettre que le plaideur engage sa res-
ponsabilité envers son adversaire, par le seul fait qu'il
(10) Du moins autant qu'on peut le déduire des motifs des arrêta
:
de la Cour de Cassation rendus sur les pourvois formés contre ces déci-
sions Alger, 13 février 1925, cassé par Civ., 19 juin 1928, G. P., 1928,
2.475; Bordeaux, 12 janvier 1926, cassé par Civ., 22 octobre 1929, G. P.,
1929, 2. 820; Bordeaux, 8 juillet 1926, cassé par Civ., 29 juillet 1930,
G. P., 1930, 2. 580; Aix, 8 mai 1927, cassé par Civ., 8 juin 1931, S.,
1931, 1. 332; Douai, 24 juillet 1928, cassé par Civ., 14 décembre 1931,
D. H., 1932, 98; Alger, 23 mars 1931, cassé par Civ.; 26 octobre 1937,
G. P., 1937, 2. 848; Trib.de paix d'Argenteuil, 20 nov. 1935, cassé, par
Civ., 13 juin 1936, G. P., 1936, 2. 433.
succombe dans ses prétentions, il semble, en revanche,
qu'aucune bonne raison ne s'oppose à ce qu'on lui fasse une
stricte application des règles générales de la responsabilité
délictuelle et quasi-délictuelle.
Telle n'est pas, cependant, l'opinion de la Chambre civile
de la Cour de cassation dans ses arrêts les plus récents.
En fait de demande en justice, la plupart de ses arrêts
reproduisent, soit en propres termes, soit avec de légères
variantes, la formule suivante :
« L'action en justice est un droit dont l'exercice ne dégé.
« nère en faute pouvant donner ouverture à des dommages-
« intérêts que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise
« foi ou tout au moins une erreur grossière équipollente
« au dol » (11).
D'autres arrêts emploient une formule à peine différente.
Les uns exigent, pour que la responsabilité du plaideur soit
engagée, « soit une intention malicieuse, soit un dol ou une
« faute grossière [et non pas une erreur grossière] équipol-
« lente au dol » (12). Un autre décide que « l'exercice
« d'une action en justice est un droit qui ne dégénère en
« abus susceptible d'une réparation pécuniaire que s'il est
« dicté par une intention malicieuse, une erreur inexcusable
« ou la mauvaise foi» (13).
Enfin, on lit dans un arrêt du 10 novembre 1937 (14)
que « l'action en justice constitue l'exercice d'un droit qui,
« en dehors de toute constatation d'une faute suffisamment
« caractérisée, telle que le dol ou la mauvaise foi, ne peut
« donner lieu à des dommages-intérêts ».
A propos de la défense en justice ou de l'exercice des
(15) Civ., 12 juillet 1928, G. P., 1928, 2. 628; Civ., 19 juin 1929,
Mon.Jud. du Midi, 1929, 225; Civ., 30 juillet 1930, D. H., 1930, 539;
Civ., 18 novembre 1930, G. P., 1931, 1. 72; Civ., 8 juin 1931, S., 1911,
1. 332; Civ., 22 mai 1935, S., 1935, 1. 383; Civ., 25 janvier 1938, D.ff.,
1938, 179 et G. P., 1938, 1. 628.
(16) Civ., 1er mars 1932, S., 1932, 1. 130; Civ., 13 juin 1936, G. P.,
1936,2.433.
(17) D. H.t 1938, 179.
grossière équipollente au dol, comme faits générateurs de la
responsabilité du plaideur.
D'autre part, si les arrêts qui précèdent ne limitent pas
l'admission de cette responsabilité aux seuls cas de dol et
de mauvaise foi, mais se contentent d'une faute « suffisam-
« ment caractérisée », on ne peut en conclure qu'ils s'en
tiendraient à une faute légère, ainsi que paraissent le penser
MM. H. et L. Mazeaud (18).
En prévoyant une « faute suffisamment caractérisée,
« telle que le dol ou la mauvaise foi », ces arrêts semblent
bien exiger l'intention de nuire, ou pour le moins la faute
lourde équipollente au dol. En sorte que la formule énon-
ciative qu'ils emploient semble bien proche de la formule
limitative que l'on rencontre, d'ordinaire, dans les arrêts de
la Chambre civile et paraît devoir conduire à des solutions
identiques (19).
L'opinion de la Chambre civile, en matière de demande
en justice, de défense en justice ou d'exercice des voies de
recours, est d'autant plus remarquable qu'elle n'est pas,
semble-t-il, partagée par la Chambre des requêtes.
On ne rencontre pas, en effet, dans les arrêts récents
de celle-ci, les formules restrictives des arrêts de la Chambre
civile. Sans remonter à l'époque, déjà ancienne, où, de l'aveu
même de l'un des membres de la Chambre des requêtes,
M. le Conseiller Lepelletier, il existait « sinon une evntra-
« diction, au moins une différence entre la jurisprudence
« de la Chambre des requêtes et celle de la Chambre
« civile» (20), et à s'en tenir à ses derniers arrêts, il n'appa-
-.
2.107.
(22) Nous ferons le même raisonnement à propos d'un arrêt du 27
juin 1927, G. P., 1927, 2. 396 (voir, cependant, les observations sous cet
arrêt) et des arrêts suivants: Req., 25 janvier 1937, Revue algérienne,
1938, 27; Req., 21 juin1937, S., 1938, 1. 15; Req., 16 juin 1938, D. U.,
1938, 485.
(23) S., 1927, 1. 310.
Mais il y a lieu de se demander si une telle dérogation
n'est pas imposée par la nécessité d'assurer le libre exercice
du droit d'ester en justice.
Le droit d'ester en justice constitue, de toute évidence,
un droit essentiel. Ce n'est pas seulement un droit privé,
« c'est un droit public, une liberté publique »
(24). Sans
lui, le Droit ne serait qu'une duperie, toutes les facultés
reconnues à l'individu par le droit positif, c'est-à-dire tous
les droits subjectifs, seraient illusoires.
A quoi bon accorder à un individu le droit de propriété,
par exemple, si l'on ne lui donne pas une action en justice
pour défendre ce droit contre les spoliations d'autrui ?
De même qu'une prescription légale dépourvue de sanc-
tion n'a, pratiquement, aucune valeur contraignante, de même
un droit subjectif privé de la sanction judiciaire ne serait
d'aucune utilité pour son titulaire. En sorte que la valeur
d'un système juridique quelconque dépend de son organi-
sation procédurale.
Comme l'écrit excellemment M. Josserand, « il semble
« donc bien que le droit de recourir aux voies légales, et.
« plus spécialement, à l'action en justice, présente un carac-
« tère sacré, qu'il soit intangible entre tous, faisant partie
« intégrante du droit naturel et constituant en même temps
« une des pièces maîtresses de tout droit positif, de toute
« construction sociale » (25).
Ainsi donc, pour que les individus jouissent effective-
ment des droits subjectifs que le droit positif leur reconnaît,
il faut leur permettre d'obtenir, sans difficulté, l'assistance
de la justice et de la force publique, chaque fois que l'un
quelconque de ces droits est violé, ou seulement contesté à
tort par autrui. Il faut leur ouvrir toutes grandes les portes
du prétoire et ne gêner en rien leur accès à la barre des
tribunaux.
*..
! :
mérites de ses prétentions et les croie à tort bien fondées
soit Mais qu'il commette l'erreur inverse voilà qui est
:
tout à fait improbable.
C'est pourquoi l'on peut négliger l'hypothèse d'un plai-
deur qui, ayant exercé son droit d'ester en justice à seule
fin de nuire à son adversaire, a gagné son procès.
§ I. — L'INTENTION DE NUIRE
(45)
Op. cit., p. 174.
(46)
Op. cit., p. 179; voir également op. cit., § 97, p. 182.
(47)
Op. Dit., § 93, p. 175.
(48)
On peut s'étonner que nous rendions responsable envers son
adversaire le demandeur, dont la prétention est fondée, qui repousse
l'offre amiable d'exécution de son adversaire, en vue de lui nuire, ou le
défendeur « qui a fait échouer l'action de son adversaire et qui, inten-
< tionnellement et par malice, n'a pas opposé tout de suite le moyen de
« défense qu'il avait, afin de ruiner son adversaire par les frais d'un
« procès » (Ripert, op. cit., p. 181, cité supra, p. 499). Dans les deux
cas, en effet, il semble que l'on se trouve en présence d'un plaideur, qui
ayant abusivement exercé son droit d'ester en justice, a, néanmoins,
gagné son procès. Or, nous avons admis précédemment (supra, p. 496
et s.) que le plaideur qui gagne son procès ne peut être rendu, en aucun
cas, responsable envers son adversaire. Il n'y a pas, en réalité, contra-
diction. En effet, la responsabilité du plaideur dans les hypothèses qui
L'on ne saurait admettre en tous cas que là règle « Ne-
«
minem laedit qui suo jure utitur » permet d'exonérer celui
qui exerce son droit dans une intention malfaisante. « Tout
« acte méchamment accompli en vue de nuire à autrui », a
»
écrit M. Capitant, « constitue un délit civil (49) ; et ce, pré-
ciserons-nous, alors même que cet acte serait, objective-
ment envisagé, l'exercice d'un droit.
Remarquons au surplus que la Chambre civile se con-
tente, dans la plupart de ses arrêts, de parler de faute, sans
préciser si cette faute est, ou non, constituée par un abus de
droit (50).
« lui nuire ;
« qu'il nuit à autrui, mais il ne se propose pas pour but de
le dommage par lui causé est dans sa cons-
nous oocupent, n'est pas engagée à raison des prétentions qu'il a soute-
nues et dans lesquelles il triomphe, mais à raison des conditions dans
lesquelles il les a fait valoir et qui ne sauraient être reconnues légitimes
par le tribunal.
(49) « Sur l'abus des droits », Rev. Trim., 1928, p. 374.
(50) Cependant un arrêt du 2 mars 1937 (G. P., 1937, 1. 859) décide
que C l'exercice de l'action en justice constitue en principe un droit
« et ne dégénère en abus coupable susceptible d'engendrer une dette de
« dommages-intérêts que dans le cas seulement où l'action est engagée
c. eoit par malice ou de mauvaise foi, soit ensuite d'une erreur grossiers
« assimilable au dol ». On retrouve également l'expression « abus
« coupable » dans deux autres arrêts, en date du 14 décembre 1931
D. H., 1932, 98) et du 17 février 1937 (D. H., 1937, 221). Voir également
Civ. 24 octobre 1937, G. P., 1937, 2. 848.
c
«
cience mais non dans sa volonté
une volition de son cerveau (51).
;
il ne correspond pas à
:
« tice ». Et on lit sous la plume de M. le conseiller-rappor-
teur Dumas « Il nous apparaît, au contraire, que la cour
c d'Alger, en qualifiant de « purement moratoire »
l'appel des
e consorts D., a suffisamment marqué que selon son appré-
c ciation — souveraine en pareil cas [.]
c cèdera que de la mauvaise foi».
-
l'appel ne pro-
dommage :
connaît l'inanité de ses prétentions. Son but est de causer un
il fait donc de son droit d'ester en justice un
usage contraire à sa destination, puisqu'il transforme une
arme de protection en un instrument de guerre. C'est pour-
quoi il engage sa responsabilité.
CONCLUSION
CHAPITRE II
:
Il ne fait pas de doute à nos yeux que c'est la première
interprétation qui s'impose les arrêts de la Chambre civile
affirment le principe de l'équivalence de l'erreur grossière (ou
de la faute grossière) au dol.
En tous cas, nous le démontrerons (68), il existe entre le
dol et l'erreur grossière (ou la faute grossière) une différence
radicale de nature qui rend impossible l'éventualité d'une
erreur (ou d'une faute) tellement grossière qu'elle équivaille
à un dol.
Nous allons donc rechercher si l'erreur grossière et la
faute grossière peuvent être, ou non, assimilées au dol.
«
Cette recherche nous conduit à l'étude de la maxime
Culpa lata dolo aequiparatur ».
:
(68) Infra, p. 514 et a. et notamment p. 517, n. 78.
-
En effet, d'une part, il nous apparaît incontestable
que la Chambre civile, dans ses arrêts récents, considère
l'erreur grossière comme une variété de faute lourde (69).
D'autre part, la faute grossière se confond évidemment avec
la faute lourde, les deux expressions « faute grossière et »
« faute lourde» sont synonymes.
La maxime « Culpa lata dolo aequiparatur »
L'étude de cette maxime pose deux questions successi-
ves : l'assimilation de la faute lourde au dol est-elle fondée
en raison ? constitue-t-elle une règle générale qui s'impose
de nos jours?
comprend :
faute lourde consiste à ne pas comprendre ce que tout le monde
« non intelligere quod omnes intelligunt ».
D'après M. Josserand, elle se caractérise par une « énor-
« mité qui dénonce l'incapacité, l'inaptitude du coupable à
« s'acquitter des obligations dont il est tenu, de la mission,
« contractuelle ou extracontractuelle, qui lui incombe »
(71).
En tous cas, dans l'une et l'autre conceptions, la faute
lourde est une faute non intentionnelle.
:
«
«
bable [n'étant] que le plus possible ». La raison en est la
suivante « Lorsque [l'agent] envisage [le dommage]
« seulement comme possible, il escompte et peut espérer,
«
normalement, qu'il ne se produira pas. Il ne l'accepte pas
<
véritablement ».
La parenté que M. Esmein établit entre la faute lourde
et le dol est toute entière fondée sur les définitions originales
qu'il donne de l'une et de l'autre notions.
Or ces définitions nous paraissent contestables.
Prétendre que la faute lourde implique la connaissance
par l'argent de la probabilité du dommage aboutit, selon
nous, à en restreindre considérablement le champ d'appli-
cation. L'individu, qui a commis une grave négligence ou
s'est abstenu de la prudence la plus élémentaire, doit être
réputé coupable d'une faute lourde, sans qu'il y ait à se préoc-
cuper de savoir si son attention s'est, ou non, portée, au mo-
ment d'agir, sur le dommage qu'il allait causer.
D'autre part, le dol, qui, en matière délictuelle, se con-
fond, nous l'avons dit (76), avec le délit civil, ne peut exister,
à notre avis, sans l'intention de nuire (77). Nous n'admettons
pas qu'il y ait, comme le prétend M. Esmein, une forme, en
quelque sorte secondaire, du dol, caractérisée par le fait que
l'agent a envisagé le dommage comme certain, sans le désirer.
col. 1, § 3.
;
1930, p. 755, § 16; H. et L. Mazeaud, loc. cit. Guyot, note au S., 1936,
2. 171,
Si l'on peut, dans la pratique, admettre qu'il y a dol dès I
l'instant qu'il y a certitude du damm.age, c'est uniquement à
condition, que, dans les,, circonstances de fait de l'espèce envi- 1
sagée, la certitude du dommage prouve indirectement l'inten. 1
tion de le causer.
Mais on peut concevoir de nombreuses hypothèses où
une personne, sachant qu'elle va faire tort à autrui, n'a ce.
pendant pas l'intention de lui nuire.
Ainsi, par exemple, le débiteur qui, pour gagner du
temps, fait appel du jugement de condamnation prononcé
contre lui, peut savoir que ce retard va causer à son créancier
un dommage considérable. IL n'a cependant pas la volonté de
lui nuire, mais seulement le désir de retarder l'échéance du
remboursement de sa dette.
Nous maintiendrons donc notre précédente conclusion,
aux termes de laquelle une différence radicale de nature
sépare la faute lourde du dol (78).
Ce n'est pas à dire, cependant, si l'on en croit M. Léon
Mazeaud (79), qu'il ne soit pas possible d'expliquer rationnel-
lement l'assimilation de la faute lourde au dol.
« L'auteur d'une faute intentionnelle », écrit M. Léon
Mazeaud (80), « prend toujours le masque facile de la bêtise.
« Il convient de la gravité de sa faute, mais il affirme sa
« bonne foi ; il joue l'imbécile. Il avoue s'être comporté de
c manière absurde, mais par sottise, non par méchanceté. On
« coupe court à ce trop commode moyen de défense en attri-
« buant à la faute lourde les mêmes conséquences civiles
(78) Par suite, si, contrairement à notre opinion (voir supra, p. 513),
la formule employée par les arrêts de la Chambre civile doit s'inter-
préter en ce sens que la responsabilité du plaideur est engagée envers
son adversaire, s'il s'est rendu coupable d'une erreur (ou d'une faute)
tellement grossière que cette faute équivaut à un dol, nous dirons que
l'hypothèse envisagée par la Cour Suprême est irréalisable. Exiger, pour
que l'exercice du droit d'ester en justice engage la responsabilité du
plaideur, une erreur (ou une faute grossière) équivalente en fait à un
dol, aboutit à exclure cette responsabilité dans tous les cas d'erreur
grossière et de faute grossière. Nous verrons, par la. suite (infra, p. 526
et s.) ce qu'il faut penser d'une telle solution.
(79) tf L'assimilation de la faute lourde au dol », Chronique, D. 7L,
1933, p. 49 et s.
(80) Op. cit., p. 53.
«
qu'au dol. On suppose établie chez l'auteur d'une faute très
« grave l'intention de nuire. La faute lourde est présumée
«
intentionnelle ».
Ainsi donc, si l'on en croit le savant auteur, l'assimila-
tion de la faute lourde au dol se justifie, non pas par une res-
semblance de nature, mais par des exigences de preuve.
Mais M. L. Mazeaud considère que la présomption qui
se déduit de la faute lourde est seulement relative. Il justifie
cette restriction sur deux arguments : un argument de texte
et un argument de raison (81).
D'une part, « .seules sont irréfragables les présomptions
«
qualifiées telles par [l'article 1352 du Code Civil]. La pré-
« somption de faute intentionnelle, qui n'est écrite
nulle
« part dans le Code, admet nécessairement la preuve con-
«
traire ».
D'autre part, du moment que l'assimilation de la faute
lourde au dol « ne se justifie que par la crainte du maquil-
« lage d'un dol en faute lourde » (82), il serait illogique de
maintenir cette assimilation dans les cas où l'on a « la cer-
( titude que la faute lourde est involontaire ».
Cette restriction apportée par l'auteur à sa thèse enlève
à celle-ci une grande part de son intérêt.
Cette thèse ne saurait rendre compte de l'assimilation de
la faute lourde au dol, telle que la consacre la Jurisprudence.
Car, en matière d'exercice du droit d'ester en justice, notam-
ment, les arrêts de la Chambre civile affirment l'assimilation
de l'erreur grossière (ou de la faute grossière) au dol sans
réserve.
Au reste, appréciée en elle-même, elle ne nous paraît pas
admissible.
Certes, le juge saisi d'une action en responsabilité peut
valablement présumer que, eu égard aux circonstances de
l'espèce, le plaideur poursuivi en responsabilité a agi par dol
et que, notamment, on ne peut considérer sa faute, à raison
II
29 mai 1933,
;
(86) D., 1933, 1. 51, col. II. Ajouter aux exemples cités dans cette
note: l'article 11 de la loi du 29 décembre 1905, relativement à la res-
ponsabilité des armateurs l'article 14 de la Convention de Rome du
pour l'unification de certaines règles relatives aux domma-
ges causés par les aéronefs aux tiers à la surface (voir les termes de ce
texte cités par MM. H. et L. Mazeaud, op. cit., t. I, § 920-2, p. 778;
l'article 120 du décret du 30 octobre 1935, unifiant le droit en matière
de lettres de change et de billets à ordre (D., 1935, 4. 463).
1
(87) D., 1931, 4. 1.
Et ce texte est généralement interprété en ce sens que
l'assurance couvre la faute lourde, à l'exclusion du dol (88).
C'est, au surplus, l'interprétation qu'imposent les travaux
préparatoires (89).
En Doctrine, le problème de l'assimilation de la faute
lourde au dol est controversé (90).
En Jurisprudence, enfin, on constate une tendance à
repousser cette assimilation dans les domaines où la question
se pose le plus généralement.
C'est dans un arrêt récent de la Chambre civile, en date
du 3 août 1932 (91), intervenu sur la question de l'assimila.
tion de la faute lourde au dol, au double point de vue de l'ap.
plication de l'article 1150 du Code Civil et de la validité des
clauses limitatives de responsabilité, que s'exprime la ten-
dance jurisprudentielle au rejet de cette assimilation.
Il s'agissait, dans l'espèce, d'une demande en dommages-
intérêts formée contre une compagnie de chemins de fer par
le propriétaire de deux chevaux de course, morts pendant un
transport.
Bien que, par application du tarif accepté par l'expédi-
teur, la compagnie ne fût tenue de payer que 5.000 francs
d'indemnité par cheval, l'arrêt frappé de pourvoi l'avait con-
damnée à 30.000 francs de dommages-intérêts, « pour le mo-
« tif que le préjudice avait été causé par une faute lourde
« du transporteur, et qu'en conséquence le chiffre des dom-
« mages-intérêts devait être établi d'après la valeur réelle de
« l'animal et non d'après l'indemnité forfaitaire réduite ».
La Chambre civile a cassé cet arrêt, en décidant que l'ar-
ticle 1150 du Code Civil ne permet de condamner le débiteur
d'une obligation contractuelle à des dommages-intérêts, excé-
dant ceux qui ont été prévus ou que l'on a pu prévoir lors du
-
(88) En ce sens: H. Capitant, loc. cit., Trasbot, D., 1931, 4.
12,1
col. Ii L. Mazeaud, « L'assimilation de la faute lourde au dol ». Chroni- I
que, D. H., 1933, p. 52; Josserand, D., 1933, 1. 52, col. II. I
(89) Exposé des motifs (Hémard), J O 1925. Annexe n° 1544, 1
p. 640; Rapport Lafarge, J. O., Annexe, n° 3316, p. 1164. I
(90) Voir les références citées par H. et L. Mazeaud, op. cit., t. lu I
§2523,n. 2.
- (91) D., 1933, 1. 49 avec la note de M. Josserand.
I
1
contrat, que dans le cas de dol. Ce faisant, elle a écarté l'as-
similation de la faute lourde au dol dans l'application de l'ar-
ticle 1150.
La solution contraire, admise dans des arrêts anté-
rieurs (92), a été, il est vrai, consacrée à nouveau par la Cham-
bre des requêtes dans un arrêt plus récent, en date du 24 octo-
bre 1932 (93). Cet arrêt a, en effet, décidé que « .la faute
«lourde, assimilable au dol, empêche le contractant auquel
c
elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu'il
< a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du con-
e
trat. ».
(92) Voir les arrêts cités par M. Josserand, D., 1933, 1. 53, col. [.
1(93)
1 D., 1932, 1. 176 avec une note signée E. P., S., 1933, 1. 289
avec une note de M. P. Esmein.
! (94) Note signée E. P. au D., 1932, 1. 176, col. H.
1 (95) D., 1933, 1. 53, col. I.
1 (96) D., 1933, 1. 49 avec la note do M. Josserand.
Et des décisions émanant, soit de la Chambre des requê.
tes, soit de Cours d'appel,. consacrent à nouveau l'assimila-
tion de la faute lourde au dol (97).
D'ailleurs, Doctrine et Jurisprudence admettent cette
assimilation en matière de clauses de non-responsabilité (98),
Aux termes, notamment, d'un arrêt de la Chambre des
requêtes du 24 octobre 1932 (99) : « .la faute lourde, assi-
« milable au dol, enipêche le contractant auquel elle est im.
c putable de .s'affranchir [de la réparation du préjudice
c qu'il a causé] par une clause de non-responsabilité (100).
Et cette assimilation de la faute lourde au dol en matière
»
de clauses de non-responsabilité est également consacrée en
législation par des textes récents, tels que le Code fédéral
suisse des obligations, dans son article 100 § 1, le Code civil
de la République de Chine, dans son article 222.
Par ailleurs, la Convention de Berne du 23 octobre 1924,
relative aux transports de marchandises par chemin de fer
(101), dans son article 36, la Convention de Varsovie du
12 octobre 1929 sur le transport aérien (102), dans son article
25 § 1 et la Convention de Rome du 29 mai 1933, pour l'unifi-
cation de certaines règles relatives aux dommages causés par
les aéronefs aux tiers à la surface (103), dans son article 14,
soumettent à la même responsabilité le transporteur qui s'est
rendu coupable d'un dol et celui qui a commis une faute
lourde.
1
et Req., 31 mai 1938, D. H., 1938, 451.
(98) Voir les références citées par M. Josserand, loc.
(99) D., 1932, 1. 176 avec une note signée E. P., déjà
cit..
(97) Voir les arrêts cités par M. Josserand au D.,1933, 1. 53, col. II
cité.a
N
(100) Dans le même sens, Req., 27 novembre 1934, D. II., 1935, 61. 1
(101) B. h.D.,1928, p. 356.
(102) B. L. D., 1932, p. 618. Il convient, d'ailleurs, de remarquer
que cette convention
;
ne pose pas, à proprement parler, l'assimilation
la faute lourde au dol elle se contente d'en admettre la légitimité, en
de
c son dol ou d'une faute, qui, d'après la loi du tribunal saisi, est consi-
« dérée comme équivalente au dol D. Mazeaud,
(103) Voir les termes de ce texte, cités par H. et L.
I, I
op. cit., t. § 920-2, p. 778.
Mais cette assimilation ne nous parait plus acceptable
sur le terrain du droit positif, depuis la loi du 13.juillet 1930,
si tant est que l'on ait pu l'approuver antérieurement à cette
loi.
On ne saurait logiquement admettre que le problème de
l'assimilation de la faute lourde au dol soit résolu de façon
opposée, suivant qu'on l'envisage au point de vue des clauses
de non-responsabilité ou au point de vue de l'assurance.
En effet, l'expéditeur d'une marchandise, qui accepte que
le transporteur s'exonère de sa responsabilité, ne manque pas
d'exiger, en contre-partie, une réduction du prix normal du
transport. Economiquement parlant, tout se passe comme si
le transporteur contractait auprès de l'expéditeur une assu-
portée:
rance de responsabilité, relativement à la marchandise trans-
la différence entre le prix du transport établi dans
les conditions du droit commun, c'est-à-dire avec l'obligation
pour le transporteur d'indemniser l'expéditeur de tout dom-
mage non imputable à la force majeure, et le prix de trans-
port réduit, consenti à l'expéditeur, en contre-partie de la
clause de non-responsabilité, joue le rôle de prime d'assurance.
Il y a donc identité de situation entre le cas où un trans-
porteur contracte auprès d'une compagnie une assurance de
responsabilité et le cas où il consent à l'expéditeur une réduc-
tion du prix du transport, moyennant laquelle il s'exonère de
sa responsabilité.
On doit conclure de cette identité, à défaut d'un texte
prescrivant une solution contraire, et en raisonnant par analo-
gie (104), que la faute lourde ne doit pas davantage faire obs-
tacle à l'efficacité d'une clause de non-responsabilité qu'elle
ne fait obstacle au jeu de l'assurance.
Le recours au raisonnement par analogie se justifie d'au-
tant mieux en notre matière qu'il conduit à revenir, en fait d?
Convention de non-responsabilité, au principe de l'article 1134
du Code Civil.
Et l'on ne saurait objecter que l'assurance et la clause de
non-responsabilité sont deux notions juridiques différentes.
Conclusion
Privé du soutien de la maxime « Culpa lata dolo sequi-
paratur », qui, nous venons de le voir, n'est ni fondée en
raison, ni consacrée comme règle générale par notre droit
positif, l'assimilation de l'erreur grossière ou de la faute gros-
sière au dol, posée par les arrêts récents de la Chambre civile
en matière d'exercice du droit d'ester en justice, apparaît injus-
tifiée (106).
On ne peut prétendre que la responsabilité du plaideur
est engagée au cas d'erreur grossière ou de faute grossière
parce qu'elle l'est au cas de dol.
Mais faut-il en conclure que le plaideur ne saurait être
responsable envers son adversaire qu'au cas de dol ?
1
(106) L'assimilation de l'erreur grossière au dol, admise par la
plupart des arrêts, apparaît encore plus injustifiée, si l'on considère que
l'erreur grossière ne constitue pas une faute lourde. Voir supra, p. 513,
n. 69.
Une simple faute involontaire, et, a fortiori, une erreur
grossière ou une faute grossière ne peuvent-elles fonder sa
responsabilité par elle-même ?
Telle est la question qu'il convient d'examiner main-
tenant.
§ II. — LA RESPONSABILITÉ DU PLAIDEUR AU CAS DE
FAUTE INVOLONTAIRE
Ce problème apparaît à première vue fort aisé à résoudre.
Etant donné que l'exercice du droit d'ester en justice
est susceptible de causer un préjudice sérieux à celui contre
lequel il est dirigé, ne convient-il pas d'admettre que le
plaideur, qui a été débouté de sa demande ou dont la résis-
tance à la demande de son adversaire a été reconnue injus-
tifiée, doit être condamné à des dommages-intérêts, dès l'ins-
tant que l'on peut retenir à sa charge une faute, même légère?
Cette solution ne s'impose-t-elle pas d'autant plus qu'in-
dépendamment du préjudice qu'il cause à l'adversaire,
l'exercice fautif du droit d'ester en justice trouble gravement
l'ordre public (107) et que, d'autre part, la menace d'une
condamnation en dommages-intérêts est le meilleur remède
préventif contre la négligence, l'imprudence, la témérité des
plaideurs (108) ?
On est ainsi conduit, semble-t-il, à soumettre purement
et simplement la responsabilité du plaideur à la solution de
principe que posent les articles 1382 et 1383 du Code Civil
(109).
Mais on sait par ailleurs (110) que l'exercice du droit
d'ester en justice constitue une prérogative essentielle pour
le plaideur, que la lutte pour le droit est un devoir de l'indi-
vidu envers lui-même et envers la Société et que, par suite,
il convient de n'appliquer les règles du droit commun de
la responsabilité délictuelle et quasi-délictuelle en notre
c droit » (116).
:
c technique qui est susceptible d'exercer son influence et de
c déterminer cette réaction juridique qui a nom l'abus du
:
Faisant application de ces idées à l'exercice du droit
d'ester en justice, M. Josserand précise « le recours aux
c civiliter ;
ment, une arme qui veut être employée socialement,
du moment qu'elle est utilisée, qu'elle est maniée
« incorrectement, méchamment, gauchement, à tort et à tra-
c vers et non plus conformément à la règle sociale, à l'esprit
« de l'institution, elle met en jeu la responsabilité de celui
« qui en mésuse. ».
Si nous comprenons bien sa pensée, M. Josserand consi-
dère qu'il y a abus du droit générateur de responsabilité, au
cas de simple faute involontaire appréciée in abstracto. L'émi-
lient auteur ne donne pas cette précision, mais elle paraît
s'imposer, conformément à la solution consacrée par notre
droit positif, à laquelle il n'apporte aucune dérogation.
gauchement »
d'ester en justice de sa fin sociale, parce qu'il a, par exemple,
introduit une instance ?
Ce droit lui est conféré en vue d'obtenir la réparation
de la violation que ses droits subjectifs peuvent subir. Ne
faut-il pas en conclure que, dès l'instant qu'il l'exerce, en
se croyant victime d'une telle violation et en vue d'en obtenir
réparation, il l'utilise conformément à sa fin sociale, quelles
que soient les fautes de technique qu'il commet ?
! des
;
De telles fautes ne constituent pas, à proprement parler,
des abus du droit d'ester en justice ce sont simplement
fautes commises dans l'exercice de ce droit.
En bref, nous hésitons à penser que le détournement
d'un droit de sa finalité puisse se réaliser sur le plan tech-
nique, aussi bien que sur le plan intentionnel, comme le
prétend M. Josserand (117).
Mais passons outre à cette objection de portée générale
et apprécions la théorie de M. Josserand au point de vue
qui nous occupe, c'est-à-dire au point de vue de l'exercice
du droit d'ester en justice.
Cette théorie ne nous paraît pas acceptable, car elle est
en opposition avec la nécessité d'assurer à ce droit son libre
et plein épanouissement.
;
tant en une faute quasi-délictuelle, hypothèse envisagée par M. Josse-
rand il s'agira, dans sa théorie tout au moins, d'un abus du droit cons-
titué par le détournement conscient du droit d'ester en justice de sa
finalité. Rappelons que, selon nous, l'exercice du droit d'ester en justice,
în vue d'une fin autre que la reconnaissance du droit invoqué, ne cons-
titue pas seulement un détournement du droit d'ester en justice de sa
finalité, mais une dénaturation de ce droit.
(124) Voir supra, p. 512 et s.
(125) Voir supra, p. 527 et s.
d'avoir agi sans se rendre compte qu'il se comportait fauti.
vement.
Est-ce à dire, en définitive, que le principe, selon lequel
il convient d'assurer à ceux qui sont victimes de la violation
ou de la contestation injustifiée de l'un de leurs droits sub-
jectifs le libre accès du prétoire, conduit à décider que le
plaideur n'engage pas sa responsabilité envers son adversaire,
au cas de faute involontaire, quelle que soit la gravité de
cette faute ?
Il serait exagéré de le prétendre.
ponsabilité du plaideur :
Il est des cas où l'on peut légitimement retenir la res-
ce sont ceux dans lesquels ce plai-
deur s'est comporté fautivement eu égard à sa façon habituelle
et normale d'agir, c'est-à-dire ceux où il a commis une faute
appréciée in concreto.
En effet, la menace d'avoir à répondre éventuellement
d'une telle faute ne peut décourager l'individu désireux de
saisir les tribunaux de ses prétentions, puisqu'il lui suffit,
pour échapper à toute responsabilité, d'apporter dans l'exer-
cice de son droit d'ester en justice la prudence et la diligence
qu'il apporte d'ordinaire dans la conduite de ses affaires.
Mais, objectera-t-on, l'appréciation de la faute in concreto
souffre de graves critiques. Elle est de plus généralement
repoussée en tant que solution de principe.
Nous ne croyons pas que ces deux ordres d'arguments
soient sans réplique.
I. — Remarquons, tout d'abord, que le problème de
l'appréciation de la faute in concreto ne se posepas en notre
matière dans les termes où il se pose sur le plan général de
la responsabilité.
Les considérations d'ordre philosophique que l'on peut
faire valoir à l'encontre de l'appréciation de la faute in
concreto (126), quand on examine la question sur ce plan,
s
«
veiller à la
« tion de donner
« chargé à y
:
conservation de la
article 1136],
chose [qui dérive de l'obliga-
soumet celui qui en est
apporter tous les soins d'un bon père de
« famille. »
Il n'est donc pas interdit de prétendre que pour toutes
1 autres obligations la responsabilité contractuelle n'est enga-
gée qu'au cas de faute appréciée in concreto.
D'autre part, en admettant même que l'article 1137 édicte
une solution qui doit être généralisée en matière contrac-
tuelle, on peut douter que la même règle d'appréciation
s'impose pour les deux types de responsabilité
et contractuelle.
:
délictuelle
—
prétendre qu'elle ne doit pas être déçue dans ses prévisions
1
(131) Précisons que l'on ne doit pas envisager, comme terme de
comparaison, une personne absolument quelconque, mais une personne
présentant les mêmes, qualités extrinsèques que l'individu qu'on lui
compare. Cf. H. et L. Mazeaud, op. cit., t. I, § 425 et s.
(132) Cf. Demogue, op. cit., t. III, § 254, p. 426, cité supra, p. 535».
n. 126.
On ne saurait pour autant hésiter à déroger à cette
solution en matière d'exercice du droit d'ester en justice,
alors que cette dérogation est imposée par la nécessité d'as-
surer à ce droit son libre et plein épanouissement, à une
époque où le rôle créateur de la Jurisprudence dans l'élabo-
ration du droit positif est unanimement reconnu, et où les
tribunaux ne se font pas faute d'admettre des solutions
purement prétoriennes, soit en dehors des textes, soit même
en contradiction avec les textes (133).
Si l'on se refuse à admettre en notre matière l'appré-
ciation de la faute in concneto et si, néanmoins, l'on a le sou-
ci de permettre le libre accès au prétoire de ceux qui sont
victimes de la violation ou de la contestation injustifiée d'un
de leurs droits subjectifs, on en est réduit à exclure la respon-
sabilité de plaideur dans tous les cas où il a commis une
faute involontaire.
C'est, au surplus, la solution que consacrent les arrêts
récents de la Chambre civile. Sans doute, ces arrêts retien-
nent-ils la responsabilité du plaideur envers son adversaire
en cas d'erreur grossière ou de faute grossière. Mais c'est
seulement parce qu'ils assimilent l'une et l'autre au dol, par
un respect périmé de la maxime « Culpa lata dola aequi-
paratur ».
On doit hésiter à admettre une pareille restriction aux
règles du droit commun de la responsabilité.
Il importe, en effet, dans toute la mesure compatible
avec la nécessité d'assurer le libre accès au prétoire, de ne
*———————
(133) C'est ainsi, pour n'en donner qu'un exemple, que la théorie
de la dotalité incluse est en contradiction avec l'article 1553 du Code
Civil, qui refuse expressément le caractère dotal aux biens acquis »
l'aide de deniers dotaux, lorsque la clause d'emploi n'a pas été stipulée
dans le contrat de mariage. M. Nast (Planiol et Ripert, t. IX, « Régi-
mes matrimoniaux », § 1200, p. 809) a beau dire que « .la jurispru-
« paraphernal ;
« dence a toujours attribué aux biens qui renferment la dot le caractère
» contrairement à l'esprit, sinon à la lettre de l'article
1553, la valeur dotale incluse dans un bien paraphernal est soumise par la
Jurisprudence aux règles de la dotalité. Au reste, l'affirmation de
M. Nast a été contredite par un arrêt de la Chambre des requêtes, en
date du 24 novembre 1930 (D., 1931, 1. 58, note E. P.), qui donne au
mari l'administration et la jouissance du bien paraphernal représen-
tant ia dot.
pas sacrifier les intérêts du plaideur poursuivi à tort ou
victime d'une résistance injustifiée, opposée à ses préten-
tions, en le privant du droit de réclamer des dommages-
intérêts à son adversaire, et de ne pas gêner la bonne marche
de la Justice, en encourageant les plaideurs processifs qui
encombrent de leurs doléances les tribunaux importants.
Or, rendre le plaideur responsable envers son adver-
saire de ses fautes involontaires appréciées in concreto,
n'apporte, nous l'avons vu (134), aucune entrave à l'exer-
cice du droit d'ester en justice.
CONCLUSION
>
mais d'après le comportement normal et habituel de celui
à qui on l'impute, comportement qu'il n'est pas toujours
i aisé
pour le demandeur en indemnité de bien connaître.
:¡
:
taire équité. Il est, en outre, contraire à la bonne administra-
tion de la justice en encourageant les plaideurs processifs, il
entraîne l'encombrement des tribunaux importants, lequel, à
son tour, cause au jugement des affaires sérieuses de préju-
diciables retards.
Certes l'application en matière de responsabilité du plai-
deur de l'appréciation in abstracto de la faute quasi-délictuelle,
qui triomphe en droit commun, permettrait d'étendre consi-
dérablement le domaine de cette responsabilité. Et ce, non
:
seulement en matière quasi-délictuelle, mais aussi en matière
délictuelle la victime de l'exercice abusif du droit d'ester
en justice pourrait, si elle n'était pas en mesure de démontrer
que son adversaire a agi en vue d'une autre fin que la recon-
naissance judiciaire de son droit, faire du moins la preuve, en
se fondant sur le caractère insoutenable (135) de ses préten-
tions, qu'il a commis, par comparaison avec le type abstrait
du bon plaideur, une imprudence, une négligence ou une
erreur.
Mais on est obligé de repousser l'appréciation in abs-
tracto de la faute quasi-délictuelle, du moment que l'on admet
le principe, dont nous avons fait notre idée directrice, suivant
lequel il ne faut pas mettre d'entrave à l'accès au prétoire de
ceux qui sont victimes de la violation ou de la contestation
injustifiée de l'un de leurs droits subjectifs.
On pourrait être tenté, par suite, de décider que, bien
qu'il soit rationnellement indiscutable, ce principe doit être,
néanmoins, sacrifié aux exigences de l'équité.
(135) Le fait que le plaideur n'agit pas en vue de se faire rendre I1
justice se révèle en effet d'ordinaire dans le caractère insoutenable de ses
prétentions. I
Une telle solution est, à notre avis, inacceptable.
Il suffit, pour s'en convaincre, de se rappeler que le droit
d'ester en justice est une prérogative essentielle de l'individu,
sans laquelle ses droits subjectifs seraient illusoires, et que,
si l'on veut que les titulaires de ces droits puissent en jouir
;
effectivement, il importe de leur permettre de les faire valoir
devant les tribunaux sans difficulté que la lutte pour le droit
est un devoir de l'intéressé envers lui-même et envers la Socié-
té et que, par suite, il convient de n'y pas mettre obstacle.
Mais ce n'est pas à dire que les solutions auxquelles con-
duit le principe dont s'agit soient satisfaisantes.
Elles ne doivent être considérées que comme un pis-aller.
auquel il est désirable de substituer au plus tôt, par la voie
d'une réforme législative, des solutions qui, tout en permet-
tant le libre accès au prétoire, ne fassent pas si bon marché
des intérêts légitimes de ceux qui ont à souffrir de l'exercice
malencontreux du droit d'ester en justice par un tiers.
Etude critique
:
Au surplus à un point de vue plus général, notre réforme
présenterait un autre mérite non négligeable elle aurait une
influence salutaire sur la tentative de conciliation elle-même.
La tentative de conciliation nous apparaît comme un pré-
liminaire essentiel de l'instance.
Il est de l'intérêt des justiciables d'éviter, dans toute la
mesure du possible, les procès, en raison des pertes d'argent
et de temps dont ils sont la cause. Et l'intérêt général com-
mande, lui aussi, d'éviter les procès, en raison de l'encombre-
ment des tribunaux importants que le trop grand nombre
d'affaires à juger entraîne et des retards si préjudiciables à
la bonne administration de la justice, dont cet encombrement
est cause à son tour.
C'est pourquoi la tentative de conciliation est susceptible
de rendre les plus grands services. L'intervention du magis-
trat conciliateur peut, si elle est active et avisée, jeter entre
deux adversaires le pont nécessaire pour aboutir à un accord.
Le législateur, dans ces dernières années, du moins jus-
qu'à une loi toute récente, semble l'avoir fort bien compris.
Dans l'article 1 du décret du 30 octobre 1935 (149), il
s'est efforcé de « renforcer et [de] rendre effectif le prélimi-
»
naire de conciliation (150).
:
a abrogé le paragraphe, ajouté à l'ancien article 49 par ledit
décret, et qui était ainsi conçu « Dans le cas prévu au 2° ci-
« dessus, la dispense ne pourra résulter que d'une ordon-
« nance du président du tribunal de première instance, qui
pratique.
«
de
«
«
conciliation
«
:
n'aboutit
des plaideurs
« Au moment
I
C'est le cas, notamment, du décret du 25 août 1937 (153),
instituant pour les petites créances commerciales une procé-
dure de recouvrement simplifiée. L'article 5 § 4 prévoit, au
cas où un contredit aura été formulé par le défendeur sur
l'injonction de payer, que « le tribunal, avant de statuer,
« commettra un juge à l'effet de procéder à une tentative de
« conciliation. ».
que
de la
très
:
C'est également le cas d'un décret portant, lui aussi, la
date du 25 août 1937 (154), qui s'intitule « Décret tendant
« développer la conciliation prévue par la loi du 17 juillet
« 1937, relative au règlement du prix de vente des fonds de
« commerce »
(155).
Mais il importe, si l'on veut que la.tentative de concilia-
tion, préalable à l'introduction de l'instance, rende de réels
services, qu'elle ne soit pas une formalité hâtive, où le magis-
trat conciliateur se contente de donner acte aux parties de
leurs prétentions respectives, sans s'efforcer de les mettre
d'accord.
Or, c'est ce qui est malheureusement à craindre dans la
à rapprocher
« les parties en vue d'éviter un procès », pour les raisons
suivantes
I
Si l'on en croit les travaux préparatoires ,de la loi du I
4 mars 1938 (156) : « L'expérience révèle que la tentative
rarement
;
gré l'amélioration de leur recrutement, jouissent auprès
(153) D., 1937, 4. 244, modifié sur d'autres points par décret du
14 juin 1938..
(154) D., 1937, 4. 241.
(155) Voir également la loi du 8 avril 1933, « autorisant au profit
«du fermier la réduction des prix des baux à ferme », et le commen-
taire de M. Desbois, (D., 1933, 4. 129, notamment p. 130, col. II, b).
(156) Note résumant ces travaux préparatoires, Les Lois nouvelles,
op.cit., p. 360, en note.
H
H
H
II
I
II
II
I
I
I
I
I
I
« La citation en conciliation est trop souvent, en prati-
« que, conçue en termes très laconiques.
« Souvent, le différend soulève des questions de droit
«
qu'au jour de la comparution en conciliation, les intéressés
«
sont incapables d'exposer et de discuter. » (157).
Ces défauts de la tentative de conciliation s'atténue-
raient dans une large mesure, si l'on adoptait la réforme que
nous proposons.
Tout d'abord, en conférant au magistrat conciliateur la
mission d'indiquer aux plaideurs les mérites de leurs préten-
tions respectives, on renforcerait ià coup sûr son autorité
(158). Car, toutes les fois que ce magistrat aurait déclaré à un
plaideur que ses prétentions ne sont pas susceptibles d'une
discussion sérieuse, celui-ci, ayant à craindre, en passant
outre à cet avis, de voir sa responsabilité engagée envers son
adversaire, au cas de perte de son procès, par le jeu de la
présomption de faute que le tribunal ne manquerait pas de
retenir contre lui, ne ferait certainement pas fi des conseils
de conciliation.
D'autre part, le plaideur, soucieux de faire admettre par
le magistrat conciliateur le caractère sérieux de ses préten-
André LECOMTE,
Chargé de cours
à la Faculté de Droit de Grenoble.
SOMMAIRE
: —
Les décisions mixtes. — 21. Sens des solutions jurisprudentielles sur
ces différents points tendance traditionnelle à restreindre le, champ
:
d'application de textes rigoureux. — 22. Deuxième problème d'in-
terprétation du décret-loi le principe du caractère temporaire de l'ir-
recevabilité de l'appel et du pourvoi. — 23. Réserve apportée par
l'alinéa final des articles 200 et 416 C. I. Crun. — 24. Réserve appor-
tée par la Cour de Cassation.
1. —
:
L'appel et le pourvoi en cassation ont été institués
dans un but identique garantir les justiciables contre le ris-
que de mal-jugé que leur font courir « les défaillances pos-
sibles de la science ou de la conscience du juge (1) », en leur
offrant le moyen de soumettre à un nouvel examen le litige
sur lequel il a été déjà statué ou la décision rendue à l'occa-
sion de ce litige.
i l'attention du législateur :
Une question importante s'est par suite imposée à
3. —
comment empêcher les intéressés
de se servir des voies de recours comme d'un moyen de faire
3.
(6) Serpillon, « Code criminel », nouvelle édition, Lyon, 1784, t. U,
titre XXVI, art.
grands inconvénients à laisser continuer une procédure par un
juge dont la compétence était attaquée, qu'à la surseoir mais
ces sortes d'appellations devenaient de style et trop
;
fréquentes,
les preuves dépérissaient par la discontinuation de l'instruc-
tion. »
nance de Roussillon:
Procédure criminelle réforme-t-elle les dispositions de l'Ordon-
l'effet, suspensif des débats,
comme de juge incompétent et récusé, est supprimé (6). Et
de l'appel
:
pour ce qui est des sentences interlocutoires, une distinction
;
serait nécessaire
en définitive
il y en a dont les suites sont réparables
les autres « tendent à dénaturer le procès et
(6) «
:
Il sera procédé à l'instruction et au jugement des procès cri-
minels, nonobstant toutes appellations, même comme de juge incompé-
tent et récusé et si les accusés refusent de répondre sousprétexte
d'appellation, le procès leur sera fait comme à des muets volontairea
jusques à sentence définitive ». Ord. 1670, tit. XXV, art. 2.
(7) Art. 3, tit. XXVI.
(8) Muyart de Vouglans, « Institutes au Droit Criminel », p. 369.
(9) M. de Vouglans, op. oit.,. p. 356.
(10) M. de Vouglans, op. cit., p. 356.
(11) M. de Vouglans, « Les Lois Criminelles», Liv. I, tit. VI, p. 17Q.
(12) « Les Lois Criminelles », p. 171.
laissent des impressions qui ne peuvent aisément se répa-
rer » (12). L'effet suspensif de l'appel est écarté pour les
premières, subsiste pour les secondes.
Ainsi Muyart de Vouglans ne considère pas que les arti-
cles 2, titre XXV et 3, titre XXVI de l'Ordonnance de 1670
IB
H
établissent une mesure générale à toutes les décisions avant
dire droit: y échappent, dans son opinion, les décisions rendues H
en cours de procédure, qui sont de nature à laisser sur l'en-
semble du procès une impression irréparable.
Jousse paraît d'un avis opposé. La distinction qu'il propose
entre décisions préparatoires et interlocutoires est presque
aussi verbale que celle de Muyart de Vouglans (13) : elle I
n'apporte guère plus de précisions sur une question qui demeu- I
dera par la suite obscure. Mais elle n'a pas lieu d'en apporter
car d'une part Jousse fait entrer sous le terme de jugements
: I
préparatoires la généralité des décisions avant dire droit (14),
d'autre part, il ne semble faire aucune distinction entre prépa-
ratoires et interlocutoires quant à l'application extensive, qu'il
préconise, des textes de l'Ordonnance de 1670 (15).
6. — Quoi qu'il en soit de ces divergences entre auteurs
(16), lesquelles se traduisent par les hésitations de la juris-
prudence (17), il reste que si l'accusé ne peut arrêter par une
(13) « Les jugements préparatoires sont ceux qui ne sont pas rendue
sur le fond de la question principale mais qui ordonnent quelque chose
pour y parvenir ou qui règlent quelque incident survenu dans le cars
du procès. Les jugements interlocutoires sont ceux rendus au fond mais
qui ne le décident point et sont seulement ordonnés comme un moyen pour
y parvenir. Jousse, « Traité », T. II, p. 520.
(14) Voy. note 13 ci-dessus.
(15) En ce sens, Jousse, < Traité », tome II, Part. III, Liv. II,
tit. XXXVII, p. 737, n° 22.Jousse n'admet qu'une exception à la règle
du caractère non suspensif de l'appel, dans le cas particulier où l'appel
est interjeté par le Ministère Public contre un jugement préparatoire ou
interlocutoire qui est susceptible de « nuire ou apporter quelque retard
ou préjudice à la poursuite d'un crime ».Jousse, ibid., n° 26, p. 738.
;
lateur juge nécessaire de restreindre les effets ou l'exercice même des
voies de recours les distinctions subtiles entre jugements avant dire droit
ont toujours alors pour
imposé par les textes.
but d'en soustraire certains
(17) Jousse, « Traité », T. II, Part. III, Liv. --
pp. 742, 743, 744.
au régime
---
de sévérité
-- XXXV11,
II, Tit.
appellation la marche de la procédure, du moins l'Ordonnance
permet-elle pas que cette continuation de l'instruction
ne «
puisse préjudicier à son appel »
(18). L'article 3 du titre XXV
dispose en effet que « les procédures faites avec les accusés
volontairement et sans protestations depuis leurs appellations
ne pourront leur être opposées comme fins de non rece-
voir» (19).
:
révolutionnaire peu soucieuse de demi-mesures et peut-être,
par là même, peu durable ce n'est pas à l'effet suspensif
des voies de recours, mais à leur recevabilité que s'attaque
le législateur. -
;
jugements préparatoires et d'instruction ne sera ouvert
qu'après le jugement définitif mais l'exécution même volon-
taire de tels jugements ne pourra en aucun cas être opposée
comme fin de non recevoir »
(22).
« Les
(21) demandes en cassation ni même les arrêts qui intervien-
dront pour
demander les motifs ordonner
ou pour la requête
que sera
communiquée à la partie, ne pourront empêcher l'exécution des arrêts ou
jugements en dernier ressort dont la cassation sera demandée; et ne
serontdonnées aucune défenses ni surséances en aucun cas, si ce n'est
par ordre exprès de S. M. » (Art. 29, tit. IV du Règlement).
(22) On reconnaît ici le tempérament introduit par l'art. 3, tit. XXV-
de l'Ordonnance de 1670 dans un systènM de beaucoup moins sévère que
celui des lois révolutionnaires.
9. — Quelles sont les décisions auxquelles s'appliquent
les nouveaux textes? Comment distinguer les appels et les
pourvois temporairement irrecevables prématurés?
parce que
Les textes parlent de jugements préparatoires et d'instruction
quel est le sens exact de ces termes ?
Les décisions intervenues au lendemain des lois de Bru-
maire an II et de Brumaire an IV sont d'accord avec les
auteurs pour donner au mot préparatoire un sens large (23) :
le préparatoire implique l'interlocutoire au sens où l'entendait
Muyart de Vouglans, de jugement rendu en cours de procé-
procès ;
dure, et offrant le caractère de « dénaturer »
quelque peu le
c'est là, semble-t-il, le triomphe de l'opinion de
Jousse, lequel n'a pas hésité sous l'empire de l'Ordonnance
de 1670, à soumettre à un régime identique le préparatoire
et l'interlocutoire (24).
Cependant la jurisprudence de la période intermédiaire,
privée du droit de défense et de surséance qui lui permettait
| jadis d'assouplir la rigueur des textes, va bientôt imaginer
un correctif à l'interprétation extensive des dispositions qui
limitent le droit d'appeler et de se pourvoir en Cassation
n'est pas douteux que les jugements interlocutoires ne peuvent
il :
faire l'objet d'un pourvoi immédiat en vertu de l'article 14
du décret de Brumaire an IV, mais il ne faut pas donner au
texte une extension qui répugnerait à son esprit, indique le
rapporteur d'un arrêt de la Chambre des Requêtes du 17 mai
1810. L'interlocutoire qui tombe sous le coup des dispositions
du décret de Brumaire, c'est seulement celui qui ne décide
irrévocablement le fond ni expressément ni tacitement, qui
n'infère à aucune partie un grief irréparable, qui ne statue
définitivement sur aucune exception, sur aucune fin de non
recevoir, sur aucun incident (25).
d'appel :
De cet examen va sortir une nouvelle réforme en matière
la rédaction des articles 451 et 452 du Code de Pro-
cédure Civile.
Procédure Civile reprend à vrai dire,
10. — Le Code de
la mesure de la loi de Brumaire an II, mais pour en limiter
(26) Merlin, « Questions de droit », VO préparatoire, p. 38.
(27) Locré, « La législation civile commerciale et criminelle de la
France >, T. XXII, p. 35.
singulièrement le domaine d'application :
une seule catégorie
immédiat:
de jugements avant-dire-droit ne pourra bénéficier de l'appel
les décisions préparatoires. Cependant le mot
préparatoire n'a plus qu'un sens très étroit. Soucieux d'éviter
toute équivoque le législateur, qui consacre, en l'accentuant,
le libéralisme de la jurisprudence postérieure à la loi de
Brumaire, indique à l'interprète ce qu'il entend par prépara-
:
toire le jugement rendu pour l'instruction de la cause,
tendant à mettre le procès en état de recevoir sa solution
définitive et ne préjugeant point le fond (art. 452 C. Proc.
Civ.).
Les jugements qui ordonnent ou refusent une mesure
quelconque d'instruction, qui préjugent le fond, parce qu'ils
laissent entrevoir l'opinion probable du juge et auxquels est
réservée la dénomination d'interlocutoires (28) sont désor-
mais sans aucun doute susceptibles d'appel isolé. A fortiori"
les autres décisions qui ne se rapportent point, à proprement
parler à l'instruction du procès, mais qui règlent définitivement
un incident avant dire droit, ou même, rendues au cours de
la procédure, paraissent se détacher de l'ensemble de celle-ci,
telles les décisions provisoires (29).
Cependant, le texte du Code de Procédure Civile s'appli-
que-t-il aux appels correctionnels ?
:
L'affirmative n'est pas douteuse pour ce qui est des dis-
positions libérales de l'article 451 le Code d'Instruction
Criminelle de 1808 ne pose-t-il pas dans son article 199 le
principe que les jugements rendus en matière correctionnelle
pourront être attaqués par la voie de l'appel (30). ?
(28) Art. 452, § 2. Sont réputés interlocutoires les jugements rendus
lorsque le tribunal ordonne avant dire droit une preuve, une vérification
on une instruction qui préjuge le fond.
(29) Garsoinnet et César Bru, op. cit., T. VI, p. 261, n° 142: c La
règle qui veut que les jugements préparatoires ne soient pas susceptibles
d'appel immédiat, ne s'applique pas aux jugements d'avant faire droit qui
ne sont ni préparatoires ni même interlocutoires ou- provisoires comme
eeux qui statuent sur un déclinatoire, sur une exception de nullité ou sur
lia recevabilité des demandes incidentes ».
(30) En considération de ce texte large, Legraverend, « Législation
Criminelle », T. II, p. 398, a enseigné que les Articles 451 et 452 C. Pr.
Civ. ne s'appliquent pas en matière criminelle.
Mais la jurisprudence a coutume de réserver l'interpré-
tation restrictive aux cas où le législateur se montre sévère :
lorsqu'il devient trop libéral, elle l'est moins. C'est pourquoi
la restriction au droit d'appeler, prévue par l'article 451 du
Code de Procédure Civile, sera constamment appliquée aux
procès répressifs, en dépit des termes formels de l'article 199
du Code d'Instruction Criminelle (31).
11. — Quant au pourvoi en cassation, les juridictions
répressives n'ont pas à se demander s'il faut, dans le silence
du Code de Procédure Civile, lui appliquer le décret du 2 Bru-
maire an IV (32). Le Code d'Instruction Criminelle qui est
muet sur l'appel des décisions avant dire droit, comporte un
texte spécial aux pourvois contre certaines de ces décisions.
Aux termes de l'article 416, « le recours en cassation contre
les arrêts préparatoires et d'instruction ou les jugements en
:
dernier ressort de cette qualité ne sera ouvert qu'après l'arrêt
ou le jugement définitif l'exécution volontaire de tels arrêts
ou jugements préparatoires, ne pourra en aucun cas être
opposé comme fin de non recevoir. La présente disposition
ne s'applique point aux arrêts ou jugements rendus sur la
compétence ».
(31) Bourguignon, I, 442. Faustin Hélie, « Traité d'Instr. Crim. »,
t. 8, p. 13 et suiv. Laborde, 1141. Merlin, « Rép. », v" Appel, nO. 10, 11,
44. L'application par la jurisprudence des art. 451-452 C. Proc. Civ. à la
procédure criminelle a rencontré l'approbation quasi-unanime de la doc-
voir
entend
immédiatement
décisions sur la compétence
établir à leur
en
suj et
?
cassation
une
ne s'applique
à la
point
Est-ce dire que le législateur
dérogation règle que
aux
les
décisions sur incidents, comme les interlocutoires et les prépa-
ratoires, ne sauraient faire l'objet d'un pourvoi isolé?
Mais la jurisprudence ne s'arrête pas à ces considérations
elle décide que l'article 416 doit être interprété à la lumière
:
de l'article 452 du Code de Procédure Civile (33).
Un parallélisme s'établira donc pendant tout le cours du
XIXe siècle entre les deux régimes de l'appel et du pourvoi
contre les décisions d'avant dire droit.
Des solutions jurisprudentielles il résulte une certaine
simplification de la question, peut-être la plus délicate, de
notre procédure pénale. Pour déclarer l'appel ou le pourvoi
immédiatement recevable, la juridiction saisie de ces voies
de recours doit rechercher si la décision attaquée est une
décision d'instruction, c'est-à-dire ordonnant ou refusant une
mesure d'instruction (34), qui ne juge pas le fond, et qui
non plus ne le préjuge (35). Sans doute, cette recherche
voies de recours :
Même symétrie en ce qui concerne l'effet suspensif des
l'article 373 du Code d'Instruction Crimi-
nelle ne formule expressément la règle de l'effet suspensif
du pourvoi que pour ce qui est des arrêts criminels, mais
la jurisprudence attribue à ce texte une portée générale,
l'applique à tous les jugements en dernier ressort et arrêts
rendus en matière pénale (40).
Si l'on met à part les modalités de l'exercice des voies
de recours contre les ordonnances du juge d'instruction et les
arrêts de la Chambre des Mises, dont nous ne nous occupons
années :
de la loi de Brumaire an II, n'aura qu'une durée de cinq
la loi du 29 juillet 1881 sur la Presse, ne la main-
tiendra pas et replacera l'appel sous le régime du droit
commun. Mais les abus de procédure forceront le législateur
à s'orienter de nouveau vers un régime de sévérité. C'est le
sens de la loi du 4 juillet 1908 qui vient compléter l'article 62
de la loi de 1881 : désormais l'appel et aussi le pourvoi en
cassation contre les décisions ayant statué sur des incidents
et des exceptions au cours d'une procédure pour délit de
Presse, doivent être formés en même temps que l'appel ou
le pourvoi contre la décision rendue sur le fond. Seule sera
susceptible d'appel ou de pourvoi immédiat la décision rendue
pensif ;
à la recevabilité des voies de recours et non à leur effet sus-
comme l'Ordonnance de 1563, il fait bénéficier l'excep-
tion d'incompétence d'un traitement de faveur mais ;
l'exception d'incompétence qui n'a pas été proposée avant
l'ouverture des débats sur le fond, est traitée comme toutes
autres exceptions et incidents, ce qui rappelle la formule de
l'Ordonnance de 1670.
Contrairement cependant aux dispositions antérieures,
même à celles du Code d'Instruction Criminelle, la loi de 1908.
reprenant une formule voisine de celle de la loi de 1875,
rompt avec une terminologie qui a pendant des siècles prêté
à discussion, et sous les expressions « jugements et arrêts
qui auront statué sur les incidents et exceptions vise l'inté-»
gralité des décisions avant dire droit, l'interlocutoire et le
préparatoire faisant partie logiquement et indiscutablement
des décisions incidentelles (44)..
Telles sont, jusqu'à une date toute récente, les oscillations
des dispositions législatives. Le 8 août 1935 un décret-loi est
intervenu pour modifier le Code d'Instruction Criminelle et
abroger la loi sur la Presse de 1908 (45), donnant ainsi à un
vieux problème une nouvelle actualité.
<
<
avant toute ouverture du débat sur le ;
§ 3. « Toutes les exceptions d'incompétence devront être proposées
fond faute de ce, elles
jointes au fond et il sera statué sur le tout par le même jugement ou
seront
< arrêt. »
II. — La réforme du décret-loi du 8 août 1935
13. — On
causes traditionnelles :
retrouve à l'origine de la réforme de 1935, des.
« L'abus de la procédure en matière
pénale, dit le rapport qui précède le décret-loi, a pris de telles
proportions qu'il est parvenu à énerver, sinon parfois à para-
lyser la répression. Nombreuses sont les poursuites quepré-
venus et accusés parviennent à prolonger pendant des mois
et des années. Les détenus y trouvent l'avantage d'échapper
pour autant au régime des condamnés. Les prévenus et accusés
libres espèrent tout de la lassitude, de l'oubli et du temps,,
quand ils ne profitent pas du délai qu'ils s'octroient ainsi
pour développer leur activité délictueuse, criminelle. »
me :
procédure dans les affaires répressives, par une double réfor-
tout d'abord les décisions susceptibles d'appel ou de
;
pourvoi immédiat et isolé semblent bien être réduites aux
décisions sur le fond en second lieu le décret-loi institue
une procédure sommaire qui n'a point de précédents dans
l'histoire et qui consiste à remettre au greffier du Tribunal
ou de la Cour d'Appel selon les cas, et éventuellement au
Président du Tribunal ou au Premier Président de la Cour
d'Appel, le soin d'apprécier, préalablement à toute transcrip-
tion des déclarations d'appel ou de pourvoi sur le registre
à ce destiné, la recevabilité de ces voies de recours.
Il faut essayer de préciser l'exact contenu des innovations
du décret-loi de 1935 : quel est le domaine et la portée de
l'irrecevabilité des appels et des pourvois dirigés contre les
décisions d'avant dire droit. En quoi consiste la mission
délicate confiée aux Greffiers sous le contrôle éventuel du
Président du Tribunal ou du Premier Président de la Cour ?
§1. — IRRECEVABILITÉ PROVISOIRE DE L'APPEL ET DU POURVOI
statuant sur des incidents et exceptions, ne sera reçu, même contre les
jugements rendus sur la compétence, qu'après le jugement sur le fond et
en même temps que l'appel contre ledit jugement.
Le greffier du tribunal dressera procès-verbal du refus qu'il oppose à
la transcription de la déclaration d'appel, dans tous les cas où la loi pres-
crit que l'appel ne sera pas reçu.
Les parties sont admises à en appeler, par simple requête, dans les
vingt-quatre heures, devant le président du tribunal, du refus du greffier,
lequel sera tenu de recevoir l'appel si l'injonction lui en est faite par ce
magistrat.
Toutes les dispositions contraires du Code d'Instruction Criminelle et
des lois particulières se trouvent abrogées en France et en Algérie, ainsi
que dans les colonies où elles sont actuellement en vigueur, sans qu'il Boit
rien modifié aux règles plus restrictives existant dans lesdites colonies.
Dans tous les cas, la partie qui aura manifesté sa volonté d'appeler
d'un jugement dans les délais légaux, conservera le droit de renouveler
son appel après la décision sur le fond. »
« Art. 416 (Déer. 8 août 1935). — En toute matière, le recours en
cassation contre les jugements et arrêts préparatoires, d'instruction ou
-
interlocutoires, ne sera reçu même contre les jugements et arrêts rendus
sur la compétence — qu'après le jugement ou l'arrêt définitif sur le fond.
L'exécution volontaire de tels jugements ou arrêts ne pourra, en aucun
cas, être opposée comme fin de non-recevoir.
,.
Toutefois, les arrêts rendus par la Chambre des mises en accusation
seront susceptibles de pourvoi selon les règles prescrites par le présent
:
Code, sous les précisions et réserves ci-après
L'arrêt de la Chambre des mises en accusation portant renvoi de l'in-
culpé devant le tribunal correctionnel ne peut être attaqué devant la Cour
de cassation que lorsqu'il statue sur une question de compétence ou qu'il
présente des dispositions définitives que le tribunal saisi de la prévention
n'a pas le pouvoir de modifier.
Le Ministère Public est admis à se pourvoir contre les arrêts de non-
lieu rendus par ladite chambre.
En l'absence du pourvoi du Ministère Public, le même droit n'appar-
tiendra à la partie civile, même au cas où elle aurait été condamnée aux
dommages-intérêts prévus par l'article 136 du Code d'Instruction Crimi-
nelle, qu'en ce qui concerne la compétence ou que s'il a été omis de statuer
sur un chef de l'inculpation.
Ellepourra égalemènt se pourvoir contre les arrêts déclarant son
action irrecevable.
la compétence. Aucun jugement d'avant-dire droit n'est plus
susceptible d'appel isolé et immédiat (49).
On reste plus hésitant quant au champ d'application
de l'article .416. Ce texte, reprend (au mot « interlocutoire »
même sens :
dentielle, au surplus fait ressortir un autre argument dans
le l'article 416 ancien, nous l'avons vu (51),
reproduisait le décret de Brumaire an IV et non l'article 451
:
un déclinatoire de compétence n'est point un interlocutoire
au sens strict on pourrait se demander en présence de
l'article 416 ancien si l'allusion aux arrêts ou jugements
rendus sur la compétence n'indiquait pas a contrarioune
mesure restrictive du droit de se pourvoir en cassation
contre la généralité des décisions incidentelles ou « faux
nouveau texte :
interlocutoires (52). L'argument se retourne par suite du
Le législateur vise sans aucun doute les
interlocutoires lato sensu, tous les « faux interlocutoires »,
y compris expressément les décisions statuant sur la
compétence (53).
16. — La jurisprudence n'a pas eu encore à notre con-
naissance, à se prononcer directement sur la question mais
dans un arrêt du 12 mars 1936 qui porte sur la non rétroac-
tivité du décret-loi du 8 août 1935, la Chambre Criminelle
laisse entendre indirectement son intention d'appliquer
l'article 416 nouveau en parfaite symétrie avec l'article 200
C. I. Cr.
En l'espèce le prévenu d'un délit d'abus de confiance et
d'infraction à la loi, du 24 juillet 1867 sur les Sociétés
anonymes, avait soulevé l'exception de prescription. L'arrêt
attaqué avait rejeté ce moyen. La Chambre Criminelle décide
que le pourvoi formé contre cet arrêt avant la promulgation
des décrets-lois continue à être régi par l'article 416 ancien
et est donc immédiatement recevable (54). Mais par là
même la Cour de Cassation interprétant a contrario l'article
416 nouveau semble donner au mot interlocutoire le sens
tion préjudicielle;
Ainsi, devant le tribunal, le prévenu soulève une ques-
à sa demande le Tribunal rend un juge-
ment par lequel il surseoit à statuer sur le fond jusqu'à ce
que la juridiction civile ait tranché la question préjudi-
cielle ; mais le tribunal omet d'impartir un délai au prévenu
qui s'abstient de porter la question devant le tribunal civil.
Si l'on décide que la décision ainsi rendue est avant faire
sera désarmé ;
droit et si l'article 200 C. I. Cr. s'applique, le Ministère Public
dans le cas contraire il pourra faire appel et
obtenir de la Cour la réformation de la décision quant au
délai accordé au prévenu pour saisir la juridiction civile (55).
Pour faire entrer la décision dans la catégorie des juge-
ments avant dire droit et la soumettre aux restrictions du
;
tance, même sous le prétexte d'être mieux informé, s'expose N
affirme-t-elle, à commettre un déni de justice cette déci-
sion équivaut à un refus de statuer ou à un débouté : elle M
I
n'a donc pas le caractère d'un jugement d'avant dire droit I
et l'article 200 du Code d'I. Crim. ne lui est pas appli- I
cable (58). I
On doit approuver cette solution de la jurisprudence I
qui, par un détour parfaitement justifié, écarte ici les textes I
1
(56) En ce sens Ch. Crim., 27 juin 1900, S., 1904.1.59; 7 avril 1933,
Oaz. Pal., 23 mai 1933; Ch. Crim., 26 nov. 1936, Gaz. Pal., 1937.1.86
(ce dernier arrêt applique l'article 416 nouveau). Voy. Donnedieu de
Vabres, « Traité Elémentaire de Droit criminel », p. 856, note 1.
(57) Semaine Juridique, 1937, p. 52.
(58) Au contraire, dans l'espèce sur laquelle a statué l'arrêt du
26 novembre 1936, le Tribunal de simple police avait sursis à statuer
pendant un délai de trois mois.
nouveaux : il est bien entendu que ceux-ci ne s'appliquent
pas aux jugements sur le fond — mais les jugements sur
le fond ne sont pas seulement ceux qui terminent l'instance
fond :
de ranger les décisions provisoires parmi les décisions sur le
le provisoire répugne au définitif, et il est de l'essence
des décisions sur le fond d'être définitives.
Il faut donc faire entrer les jugements provisoires au
nombre des décisions d'avant-dire-droit et tel est bien
:
exposée par M. Garraud bien longtemps avant les décrets-
lois Les voies de recours exercées contre les décisions provi-
soires, n'ont aucune influence sur la marche de l'affaire, ne
peuvent ni la compromettre ni la retarder (64). Mais l'ar-
gument logique est-il plus fort qu'un texte d'application
"générale ?Il convient d'examiner l'attitude de la jurispru-
dence sur ce point délicat.
L'arrêt de la Chambre Criminelle du 7 mai 1937, bien
que rendu sur la recevabilité d'un pourvoi dirigé contre un
:
arrêt ayant statué en matière d'appel à une ordonnance de taxe
du juge d'instruction fournit une indication la Cour Suprê-
me emploie une formule très extensive qu'elle paraît devoir
appliquer aux pourvois exercés contre les décisions des
juridictions de jugement (65).
Attendu que si aux termes de l'article 416 du Code
«
« d'Instruction Criminelle modifié par le décret du 8 août
:
qu'il serait difficile de caractériser comme n'ayant aucun
rapport avec la procédure et le fond telles sont les déci-
sions statuant sur la liberté surveillée par application de
l'article20 de la loi du 22 juillet 1912. En vertu de ce texte
il est permis au juge de ne pas résoudre immédiatement la
question du discernement du mineur de 13 à 18 ans qui est
l'auteur d'un fait tombant sous le coup de la loi pénale. Le
juge pourra fixer un délai d'épreuve pendant lequel le mi-
neur sera placé sous le régime de la liberté surveillée à
l'expiration de ce délai il statuera définitivement sur l'ac-
:
quittement pour défaut de discernement ou, dans le cas
contraire, sur la condamnation.
La Cour de Cassation déclare qu'une pareille décision,
bien qu'ayant un caractère provisoire, n'est pas une décision
ment:
n'ayant plus le droit de revenir sur la question du discerne-
au contraire, dans le cas qui nous occupe, il s'agit
d'un sursis à statuer pendant un délai d'épreuve. La ques-
tion de fond reste donc entière. D'autre part, la décision
provisoire est très liée à la procédure et au jugement défi-
nitif sur le fond puisque c'est le délai d'épreuve qui permet-
tra au juge de s'éclairer sur la question de discernement. On
ne saurait la considérer autrement que comme une décision
d'avant dire droit qui tombe sous l'empire des textes nou-
veaux.
20. — Il arrive cependant qu'une décision ait à la fois
un caractère provisoire, préparatoire ou interlocutoire, et
définitif sur le fond. Tel par exemple l'arrêt qui prononce
une condamnation pour blessures par imprudences, et qui,
statuant sur l'action civile, détermine la part de responsa-
bilités du prévenu et de la victime, alloue à celle-ci une
provision et ordonne une expertise (72). Cet arrêt est défini-
fond:
lors qu'elle ne peut être assimilée à une décision sur le
entre les premières et les secondes il y a des décisions M
à caractère provisoire qui se détachent de la procédure et
ne peuvent constituer des incidents lato sensu — là est N
semble-t-il le sens de l'arrêt d'Aix du 17 mars 1937. a
Mais à quoi bon se livrer à cette exègèse tendancieuse de t
textes suffisamment précis, lorsque la restriction qu'ils posent t
au droit d'interjeter appel ou de se pourvoir en Cassation est a
simplement temporaire ?
On peut répondre sans doute, pour justifier la juris-
prudence, que l'appel de certaines décisions provisoires ne
présente guère plus d'intérêt pour l'appelant lorsque la déci-
sion sur le fond est rendue (73). Il y a lieu surtout de se
demander ce qu'il faut entendre exactement par le caractère
temporaire des restrictions nouvelles à l'exercice des voies
de recours.
22. — Ici encore, l'interprétation du décret-loi soulève
quelque difficulté.
Pas plus que la loi de Brumaire an II et le décret de
Brumaire an IV, les décret-lois n'ont entendu priver les
justiciables du droit d'interjeter appel ou de se pourvoir,
en cassation, mais ils ont fixé un délai pendant lequel
l'exercice de ces voies de recours est impossible — la période
des débats sur le fond. Sitôt la décision sur le fond rendue
l'appel ou le pourvoi sont en principe, recevables.
L'article 416, le précise, qui déclare que l'exécution
volontaire des décisions d'avant dire droit ne pourra être
opposée comme fin de non-recevoir — formule reproduite
par tous les textes en la matière depuis l'ordonnance de
1670.
ment, le législateur :
grande au vocabulaire dont se sert, parfois un peu légère-
elle serait véritablement paradoxale,
cette obligation faite aux parties de commencer immédia-
(77) Il est probable que la Cour de Cassation sera très large quant à 1
ce versement :
moyennant le versement d'une caution, il néglige d'effectuer
par suite il est déclaré déchu de son pourvoi
contre l'arrêt de condamnation, en vertu de l'article 421, al. 1"
du Code d'Instruction Criminelle.
Mais l'est-il également pour ce qui est de l'arrêt rendu
sur la compétence ?
La Cour deCassation, le 6 février 1937, répond par l'affir-
mative (78). I
«Attendu que cette déchéance ayant donné à l'arrêt sur H
« le fond l'autorité de chose jugée, rend sans intérêt l'exa- "les
c men des pouvoirs formés contre les arrêts avant-dire- ppc
droit. «voi,
« ».
Cette solution a soulevé une grave critique : elle équi-
vaut a-t-on dit (79) à imposer à celui qui veut se pourvoir en
:
r
B*0oU
t
Cassation contre une décision avant-dire-droit, une obligation BL,
que le législateur s'est abstenu de lui imposer l'obligation de dir
se pourvoir au préalable contre la décision sur le fond..
Mais il faut bien reconnaître que la Cour de Cassation BaU
adopte :
est amenée par une nécessité logique à la solution qu'elle
il y a lieu de rappeler ici la règle de la symétrie entre
l'exercice de l'appel et celui du pourvoi, symétrie que consa-
dé
le
db
cre le décret-loi, que reconnaît la jurisprudence, même lors-
que les formules des articles 200 et 416 ne coïncident pas
expressément — on ne saurait, répétons-le, rompre cette Bh
e
symétrie, en faveur du pourvoi dont l'accès ne doit en aucun
B
1
cas devenir plus facile que celui de l'appel. Un autre argu-
ment de raison justifie en outre la solution de la Cour de Cas-
sation : comment comprendre que l'arrêt avant-dire-droit sur H
la compétence de la Cour pourrait être discuté et risquerait H
d'être annulé, alors que la Cour a déjà statué sur le fond et H
que sa décision a acquis autorité de chose jugée? B
Cette délicate question indique qu'une disposition qui B
interdit l'exercice immédiat des voies de recours contre les B
décisions d'avant-dire-droit, bien qu'elle n'ait qu'un caractère M
provisoire, peut aboutir à priver les intéressés de leur droit M
même de se pourvoir en Cassation contre ces décisions. I
Mais nous verrons maintenant que le contrôle général de I
l'exercice des voies de recours, établi par le législateur, peut I
lui aussi aboutir à une semblable conséquence. I
I
(78) Gaz. Pal., 1937-1-757. Voyez aussi la dissertation do M. Carrive
sur cet arrêt, Rev. Science Crim1937, p. 303-304. I
(79) Carrive, ibid.
§ 2. — LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ DE L'APPEL
ET DU POURVOI
juridiction:
déclarations, ne fait pas acte d'autorité, n'exerce point de
il remplit son rôle de gardien de la recevabilité B
:
des voies de recours, il obéit à la loi (84). Le rôle du magis- B
trat est tout autre il statue sur une requête du justiciable
qui proteste contre le refus du greffier de recevoir sa décla- I
ration d'appel ou de pourvoi. C'est lui qui est le véritable juge I
provisoire de la recevabilité de ces voies de recours, puisqu'il I
peut contraindre le greffier à transcrire les déclarations ou
refuser de faire droit à la requête des intéressés.
26. — La décision du magistrat a-t-elle autorité de chose
jugée à l'égard de la juridiction de jugement qui pourra
avoir ultérieurement à se prononcer sur la recevabilité de
l'appel ou du pourvoi ? Le Président du Tribunal ou de la
Cour tranche-t-il souverainement et sans recours le conflit
élevé entre le Greffier et le justiciable ?
(82) Goyet, « Commentaire du décret-loi du 8 août 1935. Lois Nou-
velles », 1935-1, p. 266.
(83) Le président du tribunal est compétent en matière d'appel (art.
;
200). En matière de pourvoi en cassation la requête de l'intéressé est
portée devant le Premier Président de la Cour d'Appel lorsqu'il s'agit
d'un jugement rendu sur appel de simple police, au Président du Tribunal
de Première Instance.
(84) Goyet, op. oit., p. 264.
Le décret-loi est muet sur ces questions. Se les poser
revient, de l'avis de certains auteurs, à se demander quelle
est la nature de l'acte du magistrat appelé par les nouveaux
textes à résoudre la difficulté provenant du refus du greffier
de transcrire les déclarations d'appel ou de pourvoi, et de l'in-
sistance des parties à réclamer le droit d'exercer ces voies de
recours.
La procédure civile connaît en effet une distinction entre
:
les actes dits de juridiction gracieuse et ceux de juridiction
contentieuse le juge n'exerce, à l'occasion des premiers
qu'un pouvoir d'administrateur (85) ; les seconds seuls sont
;
de véritables jugements émanant du pouvoir juridictionnel des
magistrats à eux seuls s'attache l'autorité de chose jugée et
l'ouverture des voies de recours (86).
;
Cette distinction est transposée dans le domaine qui nous
intéresse
;
la décision du magistrat n'a certainement pas, dit-
on, autorité de chose jugée elle ne comporte aucun recours;
elle ne saurait donc être comparée à une décision de référé et
ressemble bien à un acte de la juridiction gracieuse (87).
Nous ne croyons pas que cette opinion soit à l'abri de
toute critique.
Et tout d'abord, sommes-nous bien en présence d'un
acte de la juridiction gracieuse ?
27. — Pour répondre par ouiou par non à la question,
;
il faudrait pouvoir fixer un contenu certain à ces notions de
juridiction contentieuse et de juridiction gracieuse or, lors-
qu'on essaie de les définir, on s'aperçoit bien vite de l'impréci-
sion de cette terminologie, tant dans la doctrine que dans les
décisions de la jurisprudence.
Il y a des auteurs, que les arrêts ont parfois suivi, qui
trouvent le critère de l'acte de juridiction contentieuse, dans
(88) Glasson, notes au Dalloz précitées. Voy. Dolloz, Rep. Prat. Ver-
bis.Jugements et arrêts, n° 5.
(89) A. Henry, «Nature et portée des décisions judiciaires en
matière gracieuse », thèse, Nancy, 1913, p. 99 et p 101. Ch. Civ., 6 nov.
1921, S., 1922, Sômm. 1-8-19 juin 1923, D., 1926-1-8. Voy. la note rl~
M. A. Chéron, Professeur à la Faculté de Strasbourg sous Paris, 20
novembre 1928, D., 1932-2-44.
(90) Cf. MagnaI, op. cit., p. 24.
(91) V. Leloir, D. Hebd" Chron., 1986, p. 23.
(92) Chél'on';'- note au Dalloz précitée.
(93) Voy. notamment Chéron, note précitée et Glasson Tissier et
Morel, op. oft., t. I, ne 12, p. 32 et B.
(94) Civ., 5 août 1907, S., 1911-1-168 et note Tissier sous S., 1891-
2-57.
(95) Garraud, « Inst. Crim. », t. I, p. 6-7.
(96) Garraud, ibid.
7), dans l'intérêt de la société qui recherche, pour le punir,
nteur. d'une infraction ».
Dans ces conditions, il est loisible à la doctrine de consi-
jrer comme de juridiction gracieuse les actes par lesquels
juge civil exerce en dehors de tout litige des pouvoirs de
statations, de protection, de tutelle ou de contrôle qui
èrent à des intérêts privés (98), ou même certains actes,
les les ordonnances sur requête par lesquels il ordonne,
;
er, rendues par le Juge d'instruction sur réquisition du
Finistère Public ordonnance prononçant sur la requête de
:
Dès lors qu'il y a litige, contestation, que la mesure à
prendre s'y rattache, elle est contentieuse elle ne perd point
son caractère contentieux pour être ordonnée sans contra-
diction (102).
Cette opinion, consacrée par des décisions de jurispru-
dence (103), place sans aucun doute l'acte du juge répressif
qui accueille ou rejette la requête présentée par le justiciable
contre le refus du greffier de recevoir son appel ou son pourvoi,
parmi les actes de juridiction contentieuse. Comment pourrait*
on soutenir que la mesure par laquelle le juge octroie ou
refuse aux parties le droit d'exercer les voies de recours contre
une décision qui leur est préjudiciable, ne se rattache point
au procès répressif ?
Une nouvelle difficulté surgit cependant :
les décisions
contentieuses qui sont seules de véritables jugements, ont
l'autorité de chose jugée, et une jurisprudence bien établie
refuse au contraire cet attribut aux actes de juridiction gra-
ou
ce
de la Cour
magistrat
dont
ne
il
saurait
s'agit
lier
:
jugée soit accordée à la décision du Président du Tribunal
une injonction au greffier par
la juridiction de jugement qui
aura à statuer le moment venu sur la recevabilité des voies de
recours (105). On est donc forcé de conférer à l'acte en
L-224;(104) Civ., 10 février 1892, S., 92-1-140; Req., 3 mai 1897, D., 97-
Civ., 30 juin 1919, D., 1923-1-225; 31 janvier 1922, S., 1923-1-118.
(105) En ce sens Magnol, op. oit., p. 25, n° 41.
(106) V. Donnedieu de Vabres, op cit., p. 889, n° 1537. Rép. Prat.
Dalloz, VO Chose jugée, n08 281 et suiv.
Il a été soutenu que la juridiction gracieuse est exclusive
de toutes voies de recours, car elle n'implique point de juge.
ment à proprement parler, et des voies de recours comme
l'opposition et l'appel ont pour but essentiel de réformer le
mal jugé (107).
Mais cette opinion a été vivement critiquée :
elle semble
a-t-on dit, établir entre l'idée de chose jugée et l'idée de voie
de recours un lien indissoluble (108), et ne repose au demeu-
rant sur aucun texte de loi (109).
Planiol a démontré que les voies de recours qui servent
à réformer le mal jugé pourraient avoir une autre fonction
à remplir, modifier les actes d'autorité tout comme le recours
gracieux ou le recours hiérarchique que connaît le droit admi-
nistratif (110).
Allant plus loin, des auteurs ont affirmé que les voies
de recours « doivent être admises au profit du requérant
soit quand sa requête n'est pas admise, ou quand elle est
admise avec des restrictions, soit quand il se plaint de la
violation de la loi ou des formes dans le jugement qui lui
»
fait grief (111). Au cas où le requérant proteste contre le
rejet total ou partiel de sa demande, dit-on, il s'agit moins
d'un appel proprement dit que d'une sorte de recours hiérar-
chique et administratif — mais quelque nom qu'on lui donne,
un recours est nécessaire.
Dans le deuxième cas, il s'agit pour le requérant d'obtenir
le respect de la loi ou des formes qui ne s'impose pas moins
en matière gracieuse qu'en matière contentieuse (112).
en matière de juridiction :
César Bru ont également reconnu la recevabilité du recours en Cassation
gracieuse le recours en Cassation écrivent-ils
dedroit commun, en ce sens qu'aucune juridiction n'échappe à la censure
est
la
de Cour suprême chargée de ramener tous les tribunaux à l'observation
La jurisprudence de son côté, paraît, comme l'indiquait
déjà Planiol en 1906, contradictoire et incertaine.
Sans doute elle pose souvent en principe que les déci-
sions gracieuses, n'ayant pas autorité de chose jugée, ne sont
pas susceptibles de voies de recours (113).
absolue:
Mais elle n'applique nullement ce principe d'une façon
y échappe, semble-t-il, le seul requérant dont la
demande a été rejetée ou qui se prétend lésé par une décision
rendue sur requête et sans contradiction (114). Lui, aura
le droit d'appeler et de se pourvoir en cassation.
Enfin les auteurs qui estiment nécessaire l'ouverture d'un
recours hiérarchique et administratif et du pourvoi pour
violation de la loi et des formes, en matière gracieuse, font
remarquer que le législateur lui-même dans des textes assez
nombreux (C. Proc. Civ., art. 746, 858 ; C. Civ., art. 99 ; loi
du 27 juillet 1917, art. 8 ; loi du 30 juin 1838, art. 38 ; loi
du 27 fév. 1880, art. 2) a montré que le droit d'appel n'a
rien d'inconciliable avec le caractère de la juridiction gra-
cieuse (115).
(116) Ch. Crim., 23 mars 1937, Gaz. Pal., 1937, 2e sem.. p. 161.
sur le
soire de l'inculpé ;
maintien de l'arrestation ou la mise en liberté provi-
que l'article 409 soustrait au recours en
;
cassation l'ordonnance d'acquittement du Président de la
Cour d'Assises qu'en vertu de l'article 192 le Tribunal Correc-
tionnel saisi d'une contravention de simple police statue en
;
dernier ressort si aucune des parties n'a demandé le renvoi
de l'affaire que l'article 172 ne permet d'appeler des juge-
ments de simple police que s'ils prononcent une condamna-
tion. (117).
Le silence du décret-loi (118), loin de fermer l'accès des
voies de recours, ne devrait-il pas laisser place à l'application
du droit commun en la matière ?
Quant au caractère provisoire de l'irrecevabilité de l'appel
et du pourvoi, nous savons déjà,ce qu'il faut en penser dans la
pratique (119). L'argument ne vaut du reste, sur le terrain
théorique, que pour ce qui est des décisions d'avant dire droit :
or, la mission du Greffier et du Président du Tribunal ou de
la Cour étant générale, le droit d'interjeter appel ou de se
pourvoir en Cassation est livré sans réserves, il faut bien en
convenir, par la Cour Suprême, à l'arbitraire du magistrat,
chaque fois que ce dernier s'oppose à la recevabilité des voies
de recours pour tout autre motif que pour leur exercice pré-
maturé.
On s'aperçoit que si la jurisprudence se montre assez
libérale quand il s'agit de fixer le champ d'application des
restrictions prévues par les nouveaux textes (120), en revan-
che elle tend ici à les appliquer dans le sens de la plus grande
rigueur.
:
que l'article 172 du Code de Procédure Civile démontre le
caractère d'ordre public de cette exception le Tribunal doit
statuer sur l'exception avant de procéder à l'examen du
fond (122) : le décret-loi du 8 août 1935 est-il justifié lors-
qu'en matière criminelle il abroge cette règle en édictant la
jonction obligatoire du déclinatoire au principal en appel et
devant la Cour de Cassation ? Sans doute, il y a les ensei-
gnements de l'Histoire, et cette tendance des parties, déjà
notée par Serpillon au XVIIIe siècle, d'appeler systématique-
ment « comme de juge incompétent » dans un but dila-
toire (123). Mais le remède apporté par l'ancien Droit aux
abus paraît infiniment plus souple que celui du législateur de
1935 (124), et quitte à ce dernier à consacrer le système du
Droit Intermédiaire en s'attaquant à la recevabilité de l'appel
ou du pourvoi, et non à leur effet suspensif, n'était-il pas plus
sage d'adopter la solution de la loi du 4 juillet 1908 sur la
Presse, laquelle obligeait très justement les parties à soulever
l'incompétence in limine litis, faute de quoi le déclinatoire
était nécessairement joint au principal (125) ?
Nous avons vu plus haut comment une partie qui a
discuté in limine litis la compétence de son juge peut se voir
discutée :
des principes séculaires dont la valeur sociale n'est guère
la règle « non bis in idem » par exemple, dont
Muyart de Vouglans disait déjà que sa sagesse fondée sur ces
deux raisons particulières « l'une de ne point compromettre
trop souvent la vie d'un citoyen, l'autre d'empêcher que par
l'événement de différentes accusations la peine ne vienne à
surpasser le crime, l'a fait adopter successivement, et par la
disposition du Droit Canonique, et par la jurisprudence du
Royaume » (128).
Notre Droit moderne a gardé pour les mêmes raisons à
question :
Cette jurisprudence (135) souligne l'importance de notre
l'inculpé qui ne peut pas, au cours de l'instruction,
faire appel de l'Ordonnance rejetant son exception de chose
jugée d'amnistie de prescription ou tout autre exception que
l'incompétence prévue par les articles 135 et 539 Code d'Ins-
truction Criminelle sera également privé, temporairement tout
au moins, de l'exercice de ces voies de recours contre les déci-
sions rendues par la juridiction de jugement.
Les moyens dits fins de non-recevoir ont donc perdu
leur caractère classique d'exceptions préalables (136) et
péremptoires (137).
;
On objectera peut-être que pratiquement l'Ancien Droit
avait adopté une solution voisine mais nous rappelons une
fois de plus la souplesse du régime de l'Ordonnance de 1670
et du règlement de 1738 ce droit de surséances et défenses
:
:
recevabilité, pouvait difficilement chercher à délimiter les
frontières de la compétence du Greffier le contraire eût été
fatalement aboutir à ce qu'on a voulu éviter, à des retards
de procédure. La partie intéressée, pour être fondée à porter
devant la juridiction de jugement la question de la receva-
bilité de l'appel ou du pourvoi, n'eût pas manqué d'affirmer
que le Greffier agissait hors la limite de ses pouvoirs.
:
Le Greffier, au surplus, n'a pas un pouvoir arbitraire
peut avoir éventuellement à obéir aux injonctions du Prési-
il
(138) Supra, n° 0.
texte ne saurait être approuvé sans réserve :
statuer sur la recevabilité des appels et des pourvois, que le
on peut lui
reprocher son silence sur le recours ouvert aux parties contre
la décision du Magistrat refusant d'enjoindre au Greffier de
recevoir la déclaration d'appel ou de pourvoi.
Les auteurs qui croient avec la jurisprudence de la Cham-
bre criminelle, au sens restrictif des voies de recours, de ce
silence du législateur, font précisément remarquer le danger
résultant du pouvoir souverain conféré au magistrat (139) ;
celui-ci aura souvent, sinon toujours, dans les tribunaux com-
posés d'une seule Chambre, participé au jugement atta-
qué (140), il se sera fait nécessairement sur le fond une
opinion qu'il a publiquement fait connaître (141) ; on peut
donc craindre, comme l'explique très justement M. Magnol,
que le refus d'admission de l'appel ou du pourvoi ne s'inspire,
même de très bonne foi, de son désir d'écarter la voie de
recours formée contre le jugement.
Sans doute, ce refus n'est-il pas définitif quant aux juge-
ments et arrêts avant dire droit, puisque la question de la
recevabilité des voies de recours contre ces décisions rebon-
dira nécessairement, et sauf déchéance du droit d'appeler ou
de se pourvoir contre la décision sur le fond, au moment où
sera rendue celle-ci. Il n'en reste pas moins vrai que sous le
masque de restrictions temporaires apportées à l'exercice des
voies de recours contre les décisions d'avant dire droit, le
décret-loi, interprété, comme il l'a été constaté, par la juris-
prudence, substitue dans le domaine des jugements et arrêts
sur le fond, au collège qui statuait antérieurement sur la
recevabilité des voies de recours, un juge unique qui tranche
hors de tous débats, souverainement et sans recours. Lorsque
ce juge a participé au jugement attaqué, les garanties de la
défense paraissent singulièrement réduites.
:
C'est là, une des critiques les plus graves qui puissent
être adressées au décret-loi elle n'est pas atténuée par la
(139) Magnol, op. cit., Suppl., pp. 24 et 26. Leloir, D. Hebd., Chro-
nique, 1936, p. 23 et suiv.
(140) Magnol, op. cit., p. 26.
(141) Leloir, ibid., p. 23.
considération du but que poursuit le législateur, l'écourte-
ment des procès répressifs.
34. — Sans doute une réforme était nécessaire :
le libé-
:
ralisme excessif de la législation précédente, les abus qui s'en
étaient suivis, l'annonçaient le rythme ordinaire de l'histoire
des voies de recours contre les décisions d'avant dire droit
ne permettait pas de se méprendre sur ce point.
Il est bien certain, en effet, que toute disposition légis-
lative qui manifeste une tendance vers la rupture trop nette
de l'équilibre — rarement atteint en législation pénale —
entre l'intérêt de la Société et l'intérêt individuel, marque
fatalement le point de départ d'une évolution en sens
contraire.
Mais le décret-loi du 8 août 1935 ne consacre-t-il pas
précisément une de ces ruptures d'équilibre dans le sens de
la rigueur ?
En face de la nécessité de revenir sur le libéralisme des
Codes de Procédure Civile et d'Instruction Criminelle, le
législateur pouvait, pour faire obstacles aux manœuvres dila-
toires des parties, exiger qu'elles proposent leurs moyens de
défense in limine litis et simultanément, faute de quoi la déci-
sion rendue sur les incidents n'était point susceptible, avant
le jugement sur le fond, d'appel ou de pourvoi immédiat et
isolé (142). Une pareille mesure, qui n'était autre que l'exten-
sion à tous avant dire droit du régime institué en 1908 pour
le déclinatoire de compétence en matière de délits de Presse,
sauvegardait assez les intérêts des parties et les principes
généraux du Droit, pour n'être pas sujette à critique.
De même la procédure sommaire destinée à régler rapi-
dement la question de la recevabilité des appels et des pour-
vois, eût gagné à être moins brutale, plus soucieuse de la
protection des justiciables contre l'arbitraire possible du juge.
Obligation devait être faite notamment au juge de commu-
niquer la requête des parties au Ministère Public pour que
E.DE LAGRANGE
Chargée de cours à la Faculté de Droit
et des Sciences Politiques de Strasbourg
LES DÉCRETS-LOI DALADIER
ET LE DROIT COMMERCIAL
voulions
entrés en
directement
examiner
vigueur
le
ici
droit
—
commercial,
ont été inspirés
-
préoccupations gouvernementales suivantes, d'ail-
par les deux
leurs intimement liées :
techniques développement
Favoriser par
du crédit et l'usage
des
des
moyens
instruments de
commerciales,
le
paiement fiduciaires
le sentiment
;
Renforcer, dans les relations
de sécurité et de confiance, par l'élimination de personnes
indésirables, l'interdiction de pratiques critiquables et l'amé-
nagement de solutions juridiques reconnues inadéquates à
l'expérience.
Ces deux ordres d'efforts doivent, dans l'esprit de leurs
promoteurs, aboutir plus ou moins rapidement à un accroisse-
ment certain du nombre et du volume des transactions et des
échanges.
:
A la première de ces préoccupations ont plus particuliè-
rement répondu
Les articles 1 et 2 du décret du 2 mai 1938 relatif au
crédit, instituant sous certaines conditions l'acceptation obli-
gatoire des traites (J.O. du 3 mai, p. 4959) ;
Les articles 14 à 16 du même décret, facilitant la mise
en gage des créances d'entrepreneurs et de fournisseurs résul-
tant de marchés publics ;
Le décret du 24 mai comportant modification de la légis-
lation sur le chèque (J. O. du 25 mai, p. 5875) ;
Et le décret du même jour comportant amélioration du
régime fiscal des traites et des chèques (J.O. du 25 mai,
p. 5876).
On peut, au contraire, rattacher aux dispositions du
deuxième groupe :
Le décret du 14 juin 1938 modifiant le régime légal des
sociétés à responsabilité limitée (J. O. du 17 juin, p. 6875) ;
Celui du même jour relatif aux délais d'opposition et
d'appel en matière de faillite (J. O. du 17 juin, p. 6877) ;
Les articles 1 et 2 du décret du 17 juin tendant. à assurer
la protection du commerce français, réglementant l'exercice
du commerce à l'égard des étrangers (J. O. du 26 juin, p. 7333,
rectifié par errata au J. O. du 27-28 juin, p. 7371, du 3 juillet,
p. 7787, et du 18-19 juillet, p. 8626) ;
Et les articles 3 à 5 du même décret, aggravant la légis-
lation antérieure en matière d'homologation de concordat et
de déclaration de banqueroute.
Cette énumération chronologique une fois faite, exami-
nons maintenant ces diverses dispositions nouvelles, qu'il nous
a semblé préférable, nous adressant tant à des juristes qu'à
des praticiens du Droit commercial, de classer, pour ce com-
mentaire plus approfondi, dans l'ordre adopté par le Code de
Commerce lui-même pour les matières auxquelles elles se
rattachent respectivement (1).
I. — COMMERCE ET COMMERÇANTS :.
;
tre du commerce, et ceux-ci n'ont donc aucune déclaration
complémentaire à déposer cette solution est d'ailleurs confir-
mée par le rapport au Président de la République cité plus
haut, précisant que l'inscription au registre du commerce est
désormais subordonnée à la justification de la carte d'identité
de non-travailleur à validité normale.
(2) Rappelons ici que c'est un décret du 2 avril 1917 qui a remplacé
par la nécessité de l'obtention d'une carte d'identité l'obligation précé-
demment imposée par le décret du 2 octobre 1888 à tout étranger se pro-
posant d'établir sa résidence en France, d'en faire la déclaration, avec
dépôt (contre récépissé) de pièces justificatives d'identité.
Actuellement, les obligations des étrangers en France à cet égard sont
réglementées par le décret du 10 juillet 1929 (modifié notamment par ceux
du 21 mai 1932, du 6 février 1935, du 2 mai 1938 et du 14 mai 1938).
Quant à l'admission à domicile, elle a purement et simplement disparu
depuis la loi du 10 août 1927 sur la nationalité.
II. — SOCIÉTÉS
Modification du régime légal des sociétés
à responsabilité limitée
(Décret du 14 juin 1938)
;
à-dire constituées postérieurement à l'entrée en vigueur du
décret cette solution ne semble pas pouvoir faire l'objet de
véritables difficultés.
(4) Paris, 4 avril 1935, D., 1936, 2. 34 et la note. Voir aussi Escarra,
« Principes de Droit commercial », tome VI, n*" 753 à 763; Philippe Far-
geaud, « Les délégations de marchés et le danger des privilèges occultes x-,
fourn. den Nof. ci (1rs Ai' 1935, «ri. 38 3°1 (Le compte courant et?ex
garanties, nO. 101 à 202).
instituant un régime tout à fait original de nantissement des
marchés administratifs.
Puis ce décret fut amélioré et modifié sur certains points
par les articles 24 à 29 du décret-loi du 25 août 1937 portant
réalisation d'un ensemble de mesures tendant à assurer le
redressement économique, tandis que, dans l'intervalle de
temps écoulé entre ces deux décrets, une loi du 19 août 1936,
complétée par un décret du 25 octobre 1936, créait et orga-
;
nisait une Caisse nationale des marchés de l'Etat, des collec-
tivités et des établissements publics et cependant le régime
du nantissement des marchés publics présentait encore cer-
taines imperfections, dues notamment à son formalisme
compliqué (5).
C'est essentiellement à la simplification de ce formalisme
qu'ont tendu les dispositions des articles 14 à 16 du décret-
loi du 2 mai 1938 relatif au crédit :
L'article 14, en modifiant la rédaction qu'avait donnée à
l'article 1" du décret du 30 octobre 1935 l'article 24 du décret
du 25 août 1937, supprime la nécessité de la clause formelle
précédemment imposée dans les marchés appelés à bénéficier
du nouveau régime ainsi créé et à défaut de laquelle l'entre-
preneur ou fournisseur titulaire du marché ne pouvait préten-
dre au bénéfice de ce régime spécial.
Ainsi disparaît cette clause qui avait souvent été, dans la
pratique, la source d'irritantes difficultés et dont il n'est pas
sans intérêt de retracer rapidement les phases de la courte
existence :
D'après la rédaction originaire du décret du 30 octobre
1935, le bénéfice du nouveau régime de nantissement était
réservé strictement aux titulaires de marchés publics dans
contractante ;
lesquels cette clause spéciale avait été insérée par l'autorité
cette dernière accordait ou refusait selon son
gré l'introduction de cette clause dans le marché, c'est-à-dire
(5) Voir sur tous ces points: Escarra, ibid., nU 763 à 778; Jean
Vallet, « Le financement des marchés de travaux et de fournitures »,
1938, p. 109 et suiv., et Philippe Fargeaud, « Le financement des marchés
de l'Etat et des collectivités publiques: », Joum. des Not. et des Av., 1937,
art. 39 463.
que l'admission au bénéfice du nouveau régime légal consti-
tuait une faveur ne dépendant que de la volonté de l'admi-
nistration.
Avec la rédaction du décret du 25 août 1937, ce caractère
de faveur disparut, le bénéfice du nouveau régime devenant
pour l'entrepreneur un droit qui ne pouvait lui être refusé
l'insertion de la clause spéciale fut même rendue obligatoire,
;
;
automatique pourrait-on dire, dans tous les marchés dont les
prix de base atteignaient ou excédaient 500.000 francs pour
les marchés de moindre importance, l'insertion de la clause
(c'est-à-dire l'admission au bénéfice du nouveau régime)
n'était obligatoire que si le titulaire du marché en faisait la
demande expresse.
Depuis le décret du 2 mai 1938, tous les marchés adminis-
tratifs, quelle que soit leur importance et sans que leurs titu-
:
sion directe sur le mode de rédaction de tous les marchés
publics en général
Tous ces marchés devront désormais indiquer leurs mo-
dalités de règlement et désigner le comptable chargé des paye-
ments, alors que ces indication et désignation n'étaient obli-
gatoires, précédemment, que pour les marchés dans lesquels
était insérée la clause spéciale.
Cette conséquence de la réforme réalisée par l'article 14
du décret du 2 mai 1938 n'a pas échappé aux rédacteurs de ce
décret, et l'article 15, remplaçant par une rédaction nouvelle
le dernier alinéa de l'article 2 du décret de 1935 (mais c'est
c premier alinéa » qu'il faut lire), a fait disparaître les mots
c comportant une clausede cette nature » après les mots « Les
marchés », en sorte que le premier alinéa de cet article 2 est
désormais rédigé comme suit :
«Les marchés doivent obligatoirement indiquer les
«
modalités du règlement et désigner le comptable chargé
« du paiement. Ce comptable est, soit le comptable public
«
assignataire, soit, si le marché est passé par une entreprise
«
concessionnaire ou subventionnée, une banque où le paie-
« ment est domicilié, ou bien cette entreprise elle-même ».
Il n'y a rien à reprendre dans cette rédaction, mais il
(6) Sur les distinctions à faire pour les nantissements signifiés anté-
rieurement, cf. notre étude précitée, < Le Financement des marchés de
l'Etat et des collectivités publiques », nle 60 à 65.
Enfin, nous croyons devoir signaler ici, bien qu'elle n'in-
téresse pas directement la remise en gagedes créances ni le
droit commercial, la modification suivante apportée, en ce qui
concerne les privilèges des sous-traitants, au décret-loi précité
du 30 octobre 1935 par l'article 13 de celui du 14 juin 1938
concernant la Caisse des marchés, (J. O. du 17, p. 6871), cette
question étant intimement liée, en fait comme en droit, à celle
du financement des marchés administratifs.
On sait comment le décret du 30 octobre 1935 a organisé
la publicité de certains privilèges spéciaux, généralement
désignés sous l'appellation de privilèges de sous-traitants,
dont le caractère occulte présentait, jusqu'à cette importante
réforme, un danger fort grave pour les droits de gage des
bailleurs de fonds, bénéficiaires d'un nantissement sur mar-
ché public (7).
Aux termes de l'article 8 de ce décret, seuls pourront se
prévaloir de ces privilèges « les fournisseurs et sous-traitants
qui justifieront d'un agrément exprès donné par l'autorité
compétente aux travaux ou fournitures dont le privilège
garantit le paiement » ; cet agrément doit être porté sur un
registre spécial dont tous les intéressés peuvent prendre com-
munication.
L'article 29 du décret du 25 août 1937 avait déjà apporté
un heureux complément à cette réglementation en spécifiant
(par une rédaction nouvelle du premier alinéa de l'article 8
du décret, de 1935) que les privilèges de sous-traitants ne
seraient opposables aux créanciers nantis sur marchés soumis
au nouveau régime, que lorsque l'agrément de ces sous-
traitants aurait été porté au registre spécial, antérieurement
à la date de la signification de l'acte de nantissement faite au
comptable (8).
(7) Voir sur ce point Hamel, Rev. trim. Dr. Civ.,,1936, p. 363 à 388,
et notre étude précitée sur « Les Délégations de marchés et le danger des
privilèges occultes », non 54 à 97 (Le* compte courant et ses garanties,
n*1 154 à 197).
:
décret de 1935 et plus explicitement désignés sous l'article 7
du même décret, savoir privilège des ouvriers et fournisseurs
des entrepreneurs de travaux publics, privilège des sous-
traitants, préposés et agents des fournisseurs de l'Adminis-
tration de la Guerre.
Sous cette légère réserve de forme, on ne peut qu'ap-
prouver l'article 13 du décret-loi du 17 juin 1938 qui achève
de consacrer, pour la plus grande sécurité des créanciers
nantis sur marchés publics, le caractère essentiellement
spécial des privilèges de sous-traitants.
Cette disposition, comme celles précédemment analysées
au cours de ce chapitre, doit contribuer efficacement à per-
mettre aux titulaires de marchés publics de seprocurer plus
facilement îles liquidités qui leur sont nécessaires pour mener
à bien l'exécution de leurs marchés (9).
:
fication des articles 3 et 38 du décret-loi du 30 octobre 1935
unifiant le droit en matière de chèque
(figurant sur l'état sommaire susceptible d'être requis par les bénéficiaires
des nantissements) n'engage pas l'administration, et précision attribuant
au contraire à cette évaluation le caractère d'une véritable reconnaissance
;
de dette, au moins dans une proportion à déterminer, de la part de ladite
administration
2° Restriction du champ d'application des privilèges du Trésor et
suppression pour la circonstance de leur caractère occulte, par la précision
à introduire dans l'article 7 du même décret selon laquelle « les droits des
bénéficiaires des nantissements ou des subrogations. ne seront primés que
privilèges conférés au Trésor par les lois en vigueur pour les
par. les fiscales
créances jouissant de ces privilèges mises en recouvrement avant
la date de signification de l'acte de nantissement faite au comptable >.
Voir en ce sens les conclusions de l'étude précitée de M.Jean Vallet
et celles de M. E. Derode, dans Les Etudes pratiques de Droit commercial,
1937, p. 180 à 186. ,.
(10) Notons ici que dans les trois premiers articles du décret du
24 mai comportant modification de la législation sur le chèque, les articles
modifié., complétés et rétablis sont indiqués comme articles « de la loi
L'article 3 de ce décret-loi, énumérant dans son alinéa
l" les personnes sur lesquelles un chèque peut être tiré, à
l'exclusion de tout autre (11) indiquait limitativement « un
banquier, un agent de change, le caissier payeur central du
Trésor public, les trésoriers payeurs généraux ou les receveurs
particuliers des finances, les établissements decrédit muni-
cipal et les caisses de crédit agricole».
Il faut désormais comprendre dans cette énumération le
caissier général de la Caisse des dépôts et consignations.
En matière de chèque barré, l'article 38 du décret-loi de
1935 précisait (al. 1") qu'un chèque à barrement général ne
pouvait être payé par le tiré qu'à un banquier ou à un client
;
du tiré il peut l'être aussi, désormais, à un chef de bureau de
chèques postaux. Par corrélation, un banquier pourra égale-
ment acquérir un chèque barré d'un de ces fonctionnaires,
alors qu'antérieurement il ne le pouvait que d'un de ses clients
ou d'un autre banquier (al. 3).
;
du 14 juin 1865 modifiée par l'article 1er du décret-loi du 30 octobre 1935
unifiant le droit en matière de chèque» c'est, nous semble-t-il, Une
erreur, l'article 1er du décret-loi du 30 octobre 1935 n'ayant pas modifié
la loi de 1865, mais l'ayant implicitement abrogée, puisqu'ayant « rem-
»
placé ses dispositions par d'autres. Il n'y a donc plus lieu de se référer
à cette loi, qui n'existe plus, mais uniquement au décret-loi de 1935, et
c'est bien ainsi d'ailleurs qu'a procédé le rédacteur du rapport au Prési-
dent de la République qui précède le décret-loi du 24 mai 1938; ce rapport
ne contient aucune mention de la loi du 14 juin 1865. Nous avons adopté
la même méthode de référence au cours de cette étude.
(11) Sur les conséquences pratiques de cette énumération, cf. notre
étude sur « Le nouveau régime légal du chèque d'après le décret-loi du
30 octobre 1935 », publiée au Recueil général des lois, 1936, lro partie,
p. 33 à 63, et p. 96 (plus spécialement n08 18 à 21). Voir d'une manière
plus générale, sur l'ensemble de ces questions, les ouvrages fondamentaux
de M. Jacques Bouteron : «Le chèque », « Le droit nouveau du chèque »,
et spécialement le plus récent d'entre eax, « La jurisprudence du chè-
que *, Rirey, 1937, n° 39.
1. — Pour protéger le tireur dans ses rapports avec le
tiré, un deuxième alinéa ajouté à l'article 65 du décret-loi du
30 octobre 1935 prévoit, désormais, que :
« Tout banquier qui, ayant provision et en l'absence de
« toute opposition, refuse de payer un chèque régulièrement
« assigné sur ses caisses est tenu responsable du dommage
« résultant, pour le tireur, tant de l'inexécution de son ordre
« que de l'atteinte portée à son crédit ».
que,
précédemment,
dans ce cas,
passible
l'amende ne
des peines
pouvait
de
excéder
;
l'escroquerie,
prononcées par l'article 405, § 1"', du Code pénal mais alors
le double ni
être inférieure à la moitié du montant du chèque, cette limi-
tation supérieure a désormais disparu et l'amende ne peut
pas être inférieure au montant intégral du chèque ou de l'in-
suffisance.
3. — En outre, pour faire obstacle aux pratiques immo-
rales et dangereuses de certains milieux spéciaux où l'obten-
tion d'un chèque sans provision est ensuite utilisée contre le
tireur comme moyen de chantage de la part de bénéficiaires
peu intéressants (chèques-casino, etc.), le législateur a assi-
milé aux délits énumérés ci-dessus celui d'accepter de recevoir,
en connaissance de cause, un chèque émis dans les mêmes
conditions (13).
;
mais considérées comme étant, au point de vue de la récidive,
un même délit il est inutile d'insister sur l'importance de
cette disposition au point de vue de l'aggravation des peines
susceptibles d'être ainsi encourues.
;
rêts devant les tribunaux de l'ordre repressif, l'autre en paie-
ment devant la juridiction civile on conçoit les lenteurs et
les frais qui résultaient d'une telle jurisprudence.
C'est pour les faire cesser et renforcer encore, par con-
séquent, la situation des porteurs de chèques que le décret du
le
en
seulement
projet
pratique
élaboré
que
les
par
le
antérieurement à sa promulgation :
au regard de cette prescription nouvelle, des chèques émis
:
1933 (inclus) et le 24 mai 1938 (inclus également), le délai
de trois ans visé ci-dessus a commencé à courir à dater de
cette promulgation 25 mai 1938 ; ils seront donc prescrits
le 25 mai 1941 ;
Au contraire, ceux ayant cinq ans de date ou plus lors de
ladite promulgation (c'est-à-dire créés le 25 mai 1933 ou anté-
rieurement) seront prescrits le 31 décembre prochain
(1938) (17).
:
timbre et de l'enregistrement seront désormais données en
débet le porteur du chèque impayé n'aura pas à faire
l'avance des droits (souvent impossible à récupérer) le ;
recouvrement de ces droits sera poursuivi contre le
tireur par
le Trésor lui-même.
C'était là déjà, comme on s'en souvient, le régime
qu'avait instauré l'article 57 a du décret-loi du 30 octobre
1935, supprimé par rectificatif au Journal Officiel du 7
novembre suivant (p. 11.894), puis rétabli le lendemain par
un erratum annulant ce rectificatif (J. O. du 8 novembre,
p. 11.922) ; mais ce régime du débet avait été abrogé assez
malencontreusement par l'article 57 de la loi du 31 décembre
1936 portant réforme fiscale (19).
On ne peut que se réjouir de le voir maintenant rétabli
par l'article 3 du premier des deux décrets-lois précités du
24 mai 1938.
:
assujettissant les chèques à un droit fixe de timbre, est com-
plété de la manière suivante
« Toutefois, est passible du droit proportionnel édicté par
« l'article 84 (celui applicable aux lettres de change) le chèque
« tiré pour le compte d'un tiers lorsqu'il est émis et payable
« en France et qu'il intervient en règlement d'opérations com-
« merciales comportant un délai de paiement.
« Un décret contresigné par le Ministre des Finances pré-
« cisera les modalités d'application du présent article :'>.
;
de 1935, pour dissiper toute équivoque, une définition du
véritable chèque tiré pour compte d'un tiers le législateur
eut ainsi atteint le but qu'il poursuivait, sans imposer aux
banques la tâche quasi-impossible de rechercher (puisqu'elles
ne peuvent payer un chèque irrégulièrement timbré) si tel
ou tel chèque « tiré pour compte d'un tiers »
est ou n'est
pas intervenu « en réglement d'opérations commerciales
comportant un délai de payement :.
(21) Voir sur cette question notre étude sur « Les chèques tirés pour
le compte du tiers », au Rec. gén. des lois, 1936, 1" partie, p. 137. Comp.
Hamel, « Le nouveau régime du chèque en France », n° 470 bis, et Bou-
teron, c La jurisprudence du chèque », nOn 34 à 38.
Ne peut-on pas raisonnablement craindre que ces compli-
cations n'amoindrissent l'efficacité des dispositions nouvelles,
et même, par les difficultés qu'elles sont susceptibles de faire
naître entre les banques et leur clientèle, qu'elles ne risquent
par le :
d'aller à l'encontre du but principal poursuivi en définitive
législateur
de paiement ?
favoriser l'emploi du chèque comme moyen
V. - LA LETTRE DE CHANGE
(23) Notons dès maintenant, pour éviter toute équivoque, que l'ex-
pression « acceptation obligatoire », est prise ici dans le sensde « accep-
;
tation forcée », et non dans celui de « acceptation génératrice d'obliga-
tion », sens dans lequel elle est aussi employée quelquefois voir par
exemple: Percerou et Bouteron, « La Nouvelle législation française et
internationale de la lettre de change, du billet à ordre et du chèque », t. I,
1937, p. 90, n° 102, in fine.
(24) On trouvera un exposé particulièrement vivant et pratique de
ces avantages et de ces inconvénients dans un article de M. Albert Troul-
lier, « Pour ou contre l'acceptation obligatoire », publié dans l'Economie
nouvelle, numéro de mai 1938, p. 61.
On s'est aussi demandé si la disposition rappelée plus
haut, et plus spécialement les mots « créée en exécution d'une
convention », ne signifieraient pas que la traite ne pourrait
être présentée à l'acceptation obligatoire que si les parties en
avaient ainsi convenu ; interprétation compliquée et difficile-
ment intelligible :
Si les parties ont convenu entre elles que le tiré devra
gatoire légalement :
le seul cas où il était inutile de rendre cette acceptation obli-
est-il raisonnable de penser que les
auteurs du décret-loi n'auraient voulu légiférer que pour ce
cas-là?.n'est
Il pas possible d'ailleurs, dans l'examen du texte,
de s'arrêter ainsi après le mot « convention », en sous-enten-
dant ensuite, d'une façon plus ou moins divinatoire, les mots
« autorisant la création d'une traite soumise à l'acceptation
»
obligatoire
peut être scindée ;
; la formule du législateur forme un tout et ne
il s'agit d'une convention relative à des
fournitures de marchandises.
L'analyse des articles qui fait suite au rapport au Prési-
;
la marchandise, ellerestreint sensiblement l'intérêt pratique
de la nouvelle prescription légale elle introduit, d'autre part,
dans les relations commerciales, un nouveau ferment de diffi-
cultés, la contestation d'une bonne exécution du contrat deve-
nant le moyen tentant, pour un accepteur récalcitrant, de
retarder le plus possible l'apposition de sa signature sur la
traite.
4° Enfin le décret précise encore que l'obligation d'accep-
ter ne prend naissance, les conditions précédentes étant suppo-
sées réalisées, qu'à l'expiration (mais dès l'expiration) « d'un
délai conforme aux usages normaux du commerce en matière
de reconnaissance de marchandises ».
Cette disposition vient renforcer notre observation sur
:
les difficultés pratiques auxquelles l'application du décret-loi
pourra donner lieu les usages normaux fixant les délais de
reconnaissance de marchandises sont variables d'après les
régions et les marchandises elles-mêmes, et il ne sera pas
toujours facile de les,déterminer d'une façon précise et certaine
sans contestations.
Supposons cependant que les diverses conditions qui pré-
se passer ?
;
cèdent soient indiscutablement remplies, mais que le tiré
refuse d'accepter la traite qui lui est présentée que va-t-il
Le décret-loi du 2 mai 1938, dans le second des deux
alinéas ajoutés par son article 1er à l'article 124 du Code de
commerce, a prévu en pareil cas la sanction suivante :
« Le refus d'acceptation entraîne de plein droit la déché-
ance du terme aux frais et dépens du tiré ».
La dette de ce dernier devient donc immédiatement exi-
gible par la seule constatation du refus d'acceptation.
Ainsi se trouve parfaitement clos, — dans l'hypothèse où
les conditions légales énumérées ci-dessus sont réalisées,
le cycle des conséquences cambiaires du refus d'acceptation
-:
L'article 147 du Code de commerce autorisait déjà, depuis
le décret-loi du 30 octobre 1935 unifiant le droit en matière
de lettre de change, l'exercice de ses recours de la part du
porteur « contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés»
même avant l'échéance de la traite lorsqu'il y avait eu refus
total ou partiel d'acceptation.
Le porteur pouvait donc, — comme il continue d'ailleurs
à le pouvoir, — assigner soit son cédant immédiat individuelle-
ment, soit un endosseur intermédiaire, soit le tireur, sMt
toutes ces personnes conjointement, toutes ces personnes
étant solidairement tenues (article 151, alinéa 1").
Au contraire, le tiré non accepteur, n'étant pas engagé
dans les liens du change, n'était pas obligé solidairement (26).
Désormais, — toujours sous réserve de la réalisation des
conditions précitées, — ce tiré non accepteur pourra être
également poursuivi par le porteur même avant l'échéance.
;
Cette modification de sa situation légale est certes consi-
dérable sur le terrain des principes est-ce à dire qu'elle
doive être très efficace dans le domaine pratique ?
Il est
permis d'en douter.
est justifié
d'opposer le
;
jamais en mesure d'apprécier si le refus d'acceptation du tiré
ou non celui-ci
traditionnel « Pas
se sera
»
d'accord
probablement
au
contenté
présentateur de
l'effet qui, le plus souvent, ignorera les conditions et même
l'objet précis de la « convention » passée avec le tireur et se
trouvant à l'origine de la création de la traite.
Ce tiers-porteur devra donc se contenter, comme par le
et le :
passé, d'exercer ses recours contre les précédents endosseurs
tireur c'est ce dernier qui appellera le tiré en
Alors seulement se posera, entre tireur et tiré, la question
garantie.
un
:
si le tireur avait entièrement satisfait aux obligations de son
contrat question de fond qui ne pourra être réglée que par
jugement, précédé peut-être d'une expertise, dans tous les
cas après des délais assez longs, en sorte que l'échéance de
la traite en suspens sera survenue bien avant la solution
du litige.
On peut dire que pratiquement la sanction du refus
d'acceptation, la déchéance du terme, sera toujours inopérante.
Les industriels et les commerçants qui, pour des raisons
qui doivent être légitimes mais dont ils doivent rester seuls
juges, refusaient avant le décret-loi du 2 mai 1938 d'accepter
les lettres de change tirées sur eux, conservent au surplus
plusieurs moyens à leur disposition pour éviter les ennuis ou
les inconvénients auxquels ils entendaient vouloir se sous-
traire par ce refus :
Ils peuvent d'abord stipuler dans leurs conditions de
paiement qu'ils ne régleront leurs commandes que par chè-
ques ou en numéraire, X. jours après la livraison c'est
leurs fournisseurs éventuels d'apprécier si ces conditions leur
:
à
;
Ce ne sont pas des motifs tirés de l'intérêt public qui I
ont inspiré sur ce point le législateur le rapport au Président
-
(27) Voir sur cette question Percerou et Bouteron, op. dt., Avant-
propos, pp. VIII à X.
(28) Cette question de la possibilité de convenir entre tireur et tiré
de la création uniquement de traites non acceptables laisse intacte celle
de savoir si, en dehors de toute convention avec le tiré, le tireur peut
à
avoir encore intérêt, depuis le décret-loi du 2 mai 1938, introduire dans
;
ses traites, de sa propre volonté, la clause « non acceptable » voir sur
cette seconde question l'article de M. Albert Troullier,'« De l'utilité de la
clause de non-acceptation d'une lettre de change depuis le décret-loi de
i938 », dans L'Economie nouvelle de juillet-août 1938, p. 122.
(29) Albert Troullier, «Pour on contre l'acceptation obligatoire »,
foc. cit.
rayer de sa liste de fournisseurs ceux qui exigeront les traites
acceptées. Que des abus, quelquefois même des chantages,
puissent provenir du fait de l'acheteur, le fait n'est pas niable,
mais V. (le vendeur) aura toujours besoin de A. et devra
le ménager. Pour obtenir un client, ou même le conserver
seulement, V.. sera toujours obligé de faire certaines conces
sions ».
Ces considérations réalistes, dictées par l'expérience, domi-
nent, en vérité, toute la question de l'acceptation obligatoire
général:
d'un vœu, auquel chacun doit d'ailleurs souscrire dans l'intérêt
celui que les acheteurs de marchandises ne refusent
plus, désormais, d'accepter les traites qui leur sont présentées,
à moins de raisons sérieuses et légitimes.
« ;
« L'appel est jugé sommairement par la cour, dans les
trois mois l'arrêt est exécutoire sur minute.
« L'appel interjeté par le failli n'a en aucun cas d'effet
suspensif».
'IW-ïi',
(31) Percerou et Desserteaux, « Dos faillites et banqueroutes et des
liquidations judiciaires », tome I, 1935, n" 424 à 427.
(32) Percerou et Desserteaux, op. cit., tome II, 1937, p. 4 (addenda
et errata, mêmes nos)
:
Art. 581 C. Com. « Aucune demande des créanciers tendant à faire
« fixer la date de la cessation des payements à une époque autre que celle
« qui résulterait du jugement déclaratif de faillite, ou d'un jugement
« postérieur, ne sera recevable après le délai fixé par l'art. 495, à l'expi-
« ration duquel l'état des créances est définitivement clos. Ce délai expiré,
« l'époque de la cessation de payement demeurera irrévocablement déter-
« minée à l'égard des créancier? »,
Les trois articles 580, 581 et 582 du Code de Commerce
paraissent bien se présenter désormais dans la plus parfaite
harmonie (33).
Aggravation des règles applicables
en matière d'homologation de concordat et de banqueroute
(Décret du 17 juin 1938)
:
celui qui a succombé en première instance ».
Ce nouveau texte est ainsi conçu « L'appel éventuel provoqué. par
« l'appel principal est de même recevable en tout état de cause.Toutefois,
« il ne pourra en aucun cas retarder la solution de l'appel principal. »
Il provient, lui aussi, de la proposition de loi de M. de Courtois votée
par le Sénat, et on en trouvera la justification motivée dans le rapport
déjà cité de M. Georges Pernot sur cette proposition.
loguer le concordat que par jugement motivé et dans l'intérêt
des créanciers lorsque le failli aura été l'objet d'une condam-
nation définitive pour l'une des infractions ci-dessus énu-
mérées, ou pour tentative ou complicité de ces infractions
« il en sera de même dans le cas où le failli aurait été précé-
;
demment déclaré en faillite et ne serait pas réhabilité».
C'est, en quelque sorte, le renversement de la situation
antérieure, sous l'empire de laquelle, d'après la jurisprudence
dominante, les infractions de la nature de celles citées plus
haut constituaient seulement des motifs tirés de l'intérêt
public autorisant les juges du fait, s'ils le croyaient bon, à
refuser l'homologation du concordat (art. 515, al. 1") : désor-
mais ces infractions suffisent par elles-mêmes à faire obs-
tacle à l'homologation et il ne peut être passé outre que par
un jugement motivé et dans l'intérêt des créanciers.
Quant aux motifs susceptibles d'être invoqués comme
étant tirés de cet intérêt, les juges les apprécient librement,
;
comme lorsqu'ils se proposent d'en faire état en sens
contraire c'est là une question de fait, et la décision du
tribnual sur ce point (ou celle de la Cour d'appel) échappe au
contrôle de la Cour de Cassation (34).
;
Cette aggravation des conditions de l'homologation du
concordat est applicable, on l'aura remarqué, quelle que soit
la nationalité du commerçant mais il est à noter, comme l'a
fait le rapport au Président de la République précédant le
décret-loi du 17 juin 1938, que les situations visées par les
dispositions nouvelles « se rencontrent très fréquemment
parmi les faillis de nationalité étrangère et, de ce fait, ces
mesures se rattachent aux moyens de défense qui doivent être
envisagés pour protéger le commerce français contre les
étrangers de moralité douteuse ».
Aussi l'article 5 de ce décret permet-il aux tribunaux
appelés à se prononcer sur l'homologation d'un concordat de
faire état même d'une condamnation prononcée par une juri-
diction étrangère, sous réserve que le tribunal correctionnel
(34) Comp. Percerou et Desserteaux, ojt. Ctt., tome II, 1937, UO 1312,
du domicile du failli ait préalablement vérifié, selon certaines
règles de procédure qu'il précise dans son 1er alinéa, la régu-
larité et la légalité de la condamnation.
De même, la faillite prononcée par une juridiction étran-
gère est considérée comme une « précédente » faillite, quand
le jugement déclaratif a été déclaré exécutoire enfrance (ali-
néa 2 dumême article).
Enfin, l'article 4 du décret-loi du 17 juin a complété
l'article 585 du Code de Commerce par un paragraphe 50 aux
termes duquel sera déclaré banqueroutier simple tout com-
merçant failli. « s'il a déjà été en faillite et si les deux faillites
ont été clôturées pour insuffisance d'actif ».
Cette disposition s'applique, comme la précédente, au
failli qui aurait fait l'objet d'une précédente faillite déclarée
par une juridiction étrangère, quand le jugement déclaratif
aura été déclaré exécutoire en France.
Dans l'un et l'autre cas, « la demande d'exequatur peut
être, à cette fin seulement, formée devant le tribunal civil du
»
domicile du failli, par le ministère public (article 5 du décret,
alinéa 2, in fine).
Le monde du commerce applaudira certainement à ce
premier essai de réaction contre l'accroissement scandaleux,
au cours de ces dernières années, du nombre des clôtures de
faillites pour insuffisance d'actif (35).
Philippe FARGEAUD
Docteur en Droit
1
:.., :,r
LA CHARGE DE LA PREUVE
DE L'EXÉCUTION EN MATIERE DE
RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE
:
Les discussions qui se sont élevées ont pour base, nous
le rappelons, le texte de l'article 1315 du Code Civil « Celui
qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier
le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obli-
gation ». :
La portée du premier alinéa de l'article 1315 a été con-
testée à diverses reprises et dans un but d'unification des
règles de la responsabilité délictuelle et contractuelle, on s'est
acharné à en faire apparaître le sens sous un jour tout
nouveau.
(1) Note sous Cass. Belgique, 8 janvier 1886, S., 86, 4. 25.
(2) Maurice. Meignié, « Responsabilité et Contrat. Essai d'une délimi-
tation des responsabilités contractuelles et délictuelles », Thèse, Lille,
1924, p. 93 et s.
(3) Cf. « Code Civil annoté », par Fuzier Hermann, article 131/»,
n° 86.
(4) Notamment critiques de Grandmouiin, « Nature délictuelle de
la responsabilité pour violation des obligations contractuelles ». Thèse,
Rennes, 1892, p. 55 et s. ; Aubin, c Responsabilité délictuelle et respon-
sabilité contractuelle », Thèse, Bordeaux, 1897, p. 65 et 9. ; Bendant,
« Cours de Droit Civil Français », n° 1196.
s'est associé à ces critiques
« opposer ici les
:
obligations
« Il ne faut pas », déclarait-il,
contractuelles aux obligations
légales, mais bien les obligations positives de donner ou de
faire aux obligations négatives ou de ne pas faire. Quand
une prestation positive est imposée à une personne au profil
d'une autre par la loi ou par la convention, il suffit au créan
cier de prouver son titre, c'est-à-dire l'existence de l'obliga-
tion ; cela fait, il est sûr d'obtenir une condamnation, à moins
qu'il ne prouve sa libération, soit par un paiement, soit par
une impossibilité fortuite d'exécuter. Le débiteur est obligé
la maxime:
de prouver le fait libératoire qu'il allègue par application de
« Reus in excipiendo fit actor ». Mais quand
l'obligation a pour objçt une abstention, il ne suffit pas au
créancier de prouver l'existence de cette obligation, il doit
encore prouver le fait de la contravention, sans cela on ne
saurait sur quoi se fonder pour lui allouer une indem-
:
nité. » (5). MM. Planiol et Ripert, insistant sur ce point,
précisent « La différence qu'on signale entre ces deux caté-
;
gories d'obligations dans le fardeau de la preuve existe donc
:
bien réellement mais on a tort de la faire d'après la nature
contractuelle ou légale des obligations elle tient à la nature
»
positive ou négative de leur objet (6).
Ainsi, pour cette théorie, la responsabilité délictuelle,
comme la responsabilité contractuelle, résulte de l'inexécution
d'obligations et est soumise à un même régime du chef de
l'article 1315. La nature des obligations contractuelles ou
légales constituerait la seule différence (7). D'autres critiques
s'efforcent, en outre, malgré la faible barrière qu'il leur oppo-
sait, de limiter la portée de l'article 1315 : celui-ci ne pourrait
recevoir application que dans le cas où l'exécution de l'obli-
gation serait encore possible car la loi, en exigeant du deman-
deur qu'il établisse le fondement de sa demande, l'obligerait
à prouver que toutes les conditions auxquelles est subor-
(5) Note Planiol sous Paris, 8 février 1896, D. P., 1896, 2. 457.
(6) « Traité Elémentaire de Droit Civil », 1932, T. II, p. 327, n° 889.
(7) Of, H. Muzeaud, « Essai de Classification des Obligations », Rev.
Trim., 1936, p. 28 et s.
- donné l'exercice du droit qu'il invoque sont réunies. « Prouver
l'existence du contrat suffit, lorsque le créancier se borne
à demander que le débiteur soit condamné à l'exécuter. Mais
il en est autrement s'il lui réclame des dommages-intérêts,
car l'obligation de payer des dommages-intérêts dérive, non
pas du contrat lui-même, mais de son inexécution consommée
ou d'un refus d'exécution qui y soit équivalent. Aussi long-
temps que l'inexécution n'est pas effective, le droit à des dom-
mages-intérêts demeure purement virtuel. Ce que le créan-
termes:
cier doit prouver, c'est l'inexécution du contrat, en d'autres
la faute contractuelle commise par le débiteur.
Aucune différence n'existe donc, en principe, entre les deux
la preuve:
régimes de responsabilité, en ce qui concerne la charge de
le demandeur doit toujours établir l'existence de
la faute sur laquelle il fonde son action en dommages-
»
intérêts (8).
Mais la distinction des obligations positives et négatives,
défendue notamment par Planiol, devait à son tour subir les
critiques de différents auteurs qui maintenaient cependant
l'unification. de l'ordre délictuel et contractuel qui avait été
introduite.
C'est ainsi que M. Glasson (9) préconisait une nouvelle
distinction entre l'obligation de donner ou de faire et l'obli-
gation d'agir avec soin et diligence.
Cette idée devait être clarifiée et systématisée de façon
magistrale par M. Demogue (10) dans sa classification des
obligations de résultat et des obligations de moyens. Ces der-
nières,seules, obligent le créancier à prouver leur inexécu-
tion (11).
:
(15) M. Henri Mazeaud (op. cit., p. 28 et s.) fait, il est vrai, remar-
quer que l'article 1315 est un texte général « il fait partie de ces règles
gouvernant toutes les obligations contractuelles et extra-contractuelles
que les rédacteurs ont inscrites au titre des contrats, mais où ils ont
tracé la théorie générale de l'obligation. Les travaux préparatoires sont
là pour le démontrer. Alors, ou la présomption est générale et le débiteur
(l'auteur du dommage) doit prouver l'absence de faute que l'obligation
de prudence et diligence soit contractuelle ou extra-contractuelle, ou
cette présomption n'existe pas et c'est le créancier (la victime) qui doit
prouver la faute. Or la preuve de la faute est exigée sans discussion
possible en matière extra-contractuelle, on est donc bien contraint de
nier la réalité de la présomption d'inexécution dans tous les domaines ».
En réalité, comme nous l'avons déjà signalé (La responsabilité civile
en matière d'accidents et de dommages provoqués par le courant élec-
trique », n° 194, note 3) l'article 1315 ne paraît pas avoir en vue l'obli-
gation extra-contractuelle à laquelle tout manquement constitue une
;
faute — ce n'est là qu'une définition de la faute — mais bien l'obliga-
tion d'indemniser qui est la conséquence de cette faute l'obligation
envisagée n'est pas celle dont peut résulter la faute, mais celle qui naît
de la faute. Il n'y a aucun inconvénient à admettre que l'inexécution de
»
démontrée, grâce la preuve de la faute. ,
cette obligation est présumée du moment que son existence est, elle-même,
(16) « Traité théorique et pratique de la responsabilité civile »,
1934, T. I, n° 694; toutefois, dans la troisièmeédition (1938), MM. H. et
L. Mazeaud qui déclarent expressément revenir sur l'opinion défendue
dans les deux premières éditions, en ce qui concerne la charge de la
preuve (nO 694, note 5), émettent, à ce point de vue, une opinion plus
oirconspeote.
la situation est identique, car même dans la seconde situa-
tion, c'est toujours le débiteur qui se prévaut de l'exécution,
lorsque, précisément, il refuse de reconnaître l'inexécution
que le demandeur entend invoquer.
Il appartient donc au débiteur de prouver que l'exécution
a été effectuée, alors même que le demandeur ne réclame-
rait pas cette exécution, mais seulement des dommages-inté-
rêts compensatoires.
MM. H. et L. Mazeaud font d'ailleurs application de
l'article 1315 ainsi interprété aux obligations de prudence et de
diligence qui sont le corollaire des obligations de moyens de
de celle de ce dernier:
M. Demogue et aboutissent ainsi à une conclusion différente
selon ces auteurs, en effet, c'est au
débiteur à démontrer qu'il a fait preuve de toute la prudence
désirable. « Le malade établit qu'il n'a pas été guéri, le dépo-
sant prouve que la chose déposée a été détériorée. Le médecin
et le dépositaire ne peuvent pas alors demeurer dans une
attitude purement négative et répondre seulement : « Prouvez
notre imprudence » car le résultat que, sans doute, ils ne
s'étaient pas engagés à atteindre, mais dans la direction duquel
ils avaient promis de donner leur activité, n'étant pas réalisé,
il en résulte contre eux, au moins une présomption de négli-
gence. Ils -vont donc, nécessairement, affirmer la prudence et
la diligence qu'ils ont consacrées à l'affaire de leur débiteur.
Ce sont eux, en réalité, qui se prévalent de l'exécution, de
l'absence de négligence et d'imprudence.
Voilà pourquoi il est conforme aux principes généraux
de les obliger à l'établir. »
:
Il n'est pas, au surplus, jusqu'à la distinction de M. Demo-
gue dont l'intérêt n'ait été contesté M. Marton estime (17)
que « l'activité ou la série d'activités qui sont nécessaires
;
pour effectuer le résultat n'en sont que les purs moyens qui,
en règle, n'intéressent point le créancier ils lui sont indiffé-
rents, peut-être inconnus ». Pour lui (18), « la distinction
;
découvrir des caractères symétriques en matière délictuelle
et contractuelle il aboutit à paralyser, au moyen d'un cadre
trop étroit et purement théorique, l'originalité de fait de chacun
des systèmes de responsabilité (23).
Au surplus, les solutions trop rigides qui ont été admises
ne correspondent pas à la situation respective des parties
contractantes et à leur rôle exact lorsqu'une demande d'exé-
cution, ou de dommages-intérêts pour inexécution, se trouve
formulée.
La distinction à opérer ne repose pas seulement, en effet,
sur la nature des obligations, mais encore sur la situation
nouvelle du débiteur qui a prouvé avoir accompli les éléments
essentiels de l'obligation.
Nous reconnaissons cependant qu'il y a lieu de réserver un
sort particulier aux obligations de ne pas faire qui, comme
il est le plus souvent admis, ne paraissent pas subordonnées
au principe de l'article 1315.
Ceci étant, nous nous efforcerons, en ce qui concerne les
obligations de faire, de démontrer qu'il convient de distin-
:
est absolument littérale. En réalité, aucune d'elles ne paraît
donner à l'article 1315 sa véritable portée en vertu de cet
article,c'est à celui qui allègue un fait contraire à une situa-
tion acquise à procéder à la démonstration de ce fait (24).
Or, comme l'ont démontré MM. H.et L. Mazeaud, lorsque
-
le créancier a établi l'existence de l'obligation, c'est au débi-
teur à en prouver l'exécution, s'il prétend s'en prévaloir.
:
Mais cette exécution est suffisamment prouvée lorsque
ses éléments essentiels en sont établis le débiteur se trouve
dans une situation acquise, il est présumé avoir exécuté nor-
surprendre:
Cette alternance dans la charge de la preuve ne doit pas
M. Bartin (25), dont M. Esmein (26) a d'ailleurs
rappelé les considérations, estime que chaque partie n'a pas
à apporter une preuve totale, c'est-à-dire la démonstration de
:
tous les éléments dont le bien-fondé de sa prétention suppose
l'existence elle n'est tenue d'établir qu'une probabilité de
vérité et c'est à l'adversaire qu'il incomberait de prouver le
bien-fondé de sa prétention, ce qu'il ferait en établissant lui-
même une simple probabilité et ainsi de suite.
Cette vue paraît exacte, mais, en notre matière, il semble
bien que l'obligation de preuve ne s'ordonne pas au hasard
et que précisément débiteur et créancier doivent se répartir
le fardeau de la preuve en prouvant le premier, s'il est néces-
saire, l'exécution de l'obligation caractéristique du contrat, le
second l'imperfection de cette exécution.
Une telle opinion est corroborée par une notion d'aptitude
à la preuve dont M. Esmein a fait état dans un sens il est vrai
différent (27)
Cet auteur fait remarquer que : « La solution d'un litige
dépendant de l'existence ou de l'absence d'un fait, il arrive
que l'une des parties ait ou ait eu la possibilité de réunirles
renseignements susceptibles de former la conviction du juge,
que l'autre partie n'ait pas eu cette possibilité, ou l'ait eue
à un bien moindre degré. Ne convient-il pas de mettre la
preuve à la charge de la première ?
vrance d'un ;
S'il s'agit d'une remise d'objet, il aura dû exiger la déli-
récépissé s'il s'agit de la manifestation
certaine activité, il aura, en général, la possibilité d'en démon-
d'une
trer le résultat.
Au contraire il lui serait souvent très difficile de prouver
la perfection de l'exécution ou tout au. moins l'absence de
défaut dans cette action parce que, très souvent, la récla-
mation ne survient qu'après la remise du résultat de l'obli-
gation entre les mains du créancier ou après son anéantisse-
ment partiel ou total, qui précisément est à la base de la récla-
mation du créancier.
Il est à la fois plus juste
ait à prouver cette imperfection
et
:plus opportun que le créancier
Il bénéficie de l'avantage
de position de celui qui critique, s'il est exact que ce soit là
une attitude aisée et une tendance conforme à l'esprit humain.
S'il a détenu le résultat de l'obligation, il aura légitime-
ment à démontrer, par la même occasion, que les faits dont
il se plaint n'ont pas pour cause sa propre intervention et
cette détention, elle-même, justifiera l'obligation de preuve
qui lui est imposée.
Quelle que soit la solution admise en matière d'obliga-
tions positives, nous admettrons d'ailleurs, notamment pour
la raison précitée d'aptitude à la preuve, que la charge de la
preuve incombe en revanche au créancier en matière d'obli-
gations négatives. C'est là une opinion qui a été justifiée
également par Plantai (28) : « Quand l'obligation a pour
objet une abstention, il ne suffit pas au créancier de prouver
l'existence de cette obligation, il doit encore prouver le fait
de la contravention, sans cela on ne saurait sur quoi se fonder
pour lui allouer une indemnité. Tel est bien le système sous-
(28) Note sous Paria, 8 février 1896, D. P., 1896, 2. 457,
entendu dans l'article 1145 du Code Civil ainsi conçu
l'obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit
« Si :
les dommages-intérêts par le seul fait de la contravention».
Cet article a été écrit pour dispenser le créancier de la mise
en demeure préalable, nécessaire dans les obligations de faire
»
(article 1146), il n'en est pas moins vrai que le fait de la
contravention est la condition de l'indemnité et que, par suite,
il doit être prouvé.
;
Tel est le cas, par exemple, de l'obligation contractuelle
de ne pas chasser sur une terre l'infraction doit être prouvée
par le créancier qui sans cela n'a rien à réclamer (29).
Si l'on revient à nouveau à l'étude des obligations posi-
tives, on peut se demander s'ilne convient pas de faire appli-
cation, aux contrats faisant naitre des obligations positives,
des règles précédentes, dans la mesure où ils comportent des
obligations complémentaires assimilables à des obligations
négatives.
Le débiteur de l'obligation positive dont l'exécution a été
;
prouvée, avions-nous dit, doit à son tour démontrer l'imper-
fection de l'exécution mais alors, s'il est, en ce cas, dans la
situation d'un créancier d'obligation négative, n'est-ce pas
précisément parce que prouver l'imperfection de l'exécution
d'une obligation de faire, c'est prouver l'inexécution d'une
obligation de ne pas mal faire ou de ne pas agir de façon
incomplète ou incorrecte qui lui est complémentaire ?
On peut, il est vrai, contester ce point de vue en déclarant
que, si cette transformation était possible, on devrait admettre
également que l'obligation positive peut être considérée com-
me une obligation négative en précisant qu'elle n'est qu'une
obligation de ne pas « ne pas faire », c'est-à-dire de ne pas
s'abstenir d'accomplir l'obligation.
Il est évident que le contrat de transport, par exemple,
peuttoujours se décrire « en négatif », comme l'obligation de
ne pas laisser le voyageur au point de départ et de ne pas
le transporter à une destination différente de celle qui avait
été prévue.
(29) Meignié, op. cit., p. 93 et ; cf. Esmein, op. oit., n° 12, 2°.
a.
La critique pourra être considérée comme spécieuse, si
l'on veut bien admettre que l'obligation positive, à la différence
de l'obligation négative, ne comporte pas la nécessité d'une
abstention absolue dans le sens défini par le contrat, mais au
contraire d'une obligation d'action que l'on peut définir, il
est vrai, « en négatif» comme dans l'exemple précité.
Par contre, si le créancier invoque l'imperfection de
l'exécution, il semble bien que dans l'esprit du créancier,
comme dans celui du débiteur, la réclamation porte, plus
encore peut-être, sur une infraction à une obligation de ne
pas mal faire que sur une idée d'exécution incomplète de
certaines obligations principales ou accessoires.
Si l'on reconnait qu'il en est bien ainsi, il y a là une nou-
velle justification de la distinction préconisée en matière de
charge de la preuve.
Ces justifications d'ordre général ne doivent pas faire
oublier qu'il convient de vérifier quelle peut être l'application
de ces principes aux contrats les plus divers et quelles peu-
vent être leurs réactions en présence, d'une part, des difficultés
pratiques susceptibles d'être soulevées dans certains cas parti-
culiers et, d'autre part, des textes qui régissent certains
contrats spéciaux.
Nous considérerons tout d'abord, de la sorte, le contrat
de bail. ': ;
Ce contrat peut susciter des actions en responsabilité
émanant soit du propriétaire, soit du locataire.
Le propriétaire se plaint, par exemple, que le locataire ait
provoqué un incendie qui a détruit tout ou partie de l'immeu-
ble. Quelle va être la situation des parties au point de vue de
la preuve de l'exécution ou de l'inexécution des obligations ?
Le locataire débiteur de l'obligation de restitution, et qui
a la charge de prouver l'exécution de son obligation, a, évi-
demment, le choix, soit de reconnaître le mauvais état dans
lequel se trouve l'immeuble après le sinistre, soit de contes-
ter cette situation dont le propriétaire se prévaut pour récla-
mer des dommages-intérêts.
Si le locataire reconnaît l'inexécution de l'obligation, il
sera évidemment responsable, à moins qu'il ne prouve, confor-
mément aux principes généraux, que cette inexécution est
; ;
consécutive à un cas fortuit ou de force majeure, dans les
termes de l'article 1733 du Code Civil la solution ne présente
aucune difficulté il n'est pas contesté, en effet, que l'inexécu-
tion d'une obligation ne fasse peser sur le débiteur qu'une
présomption de responsabilité dont celui-ci peut se décharger
par la preuve du cas fortuit ou de force majeure.
Mais il peut se faire que le locataire affirme être en
mesure de remplir son obligation de restitution.
L'inexécution de son obligation étant présumée, il devra
prouver que l'immeuble subsiste toujours dans ses parties
essentielles, au cas où ce fait serait lui-même contesté.
il
Par contre, appartient au propriétaire de prouver l'im-
perfection de cette exécution en démontrant que l'immeuble
ne se trouve plus dans son état antérieur.
:
Il est vrai que l'article 1731 précise que « S'il n'a pas été
fait d'état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus
en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels,
sauf la preuve contraire».
Mais la présomption n'existe que pour les réparations
locatives, telles qu'elles sont définies par l'article 1754 du
Code Civil et cette exception laisse bien entendre que la règle
se trouve être telle que nous l'avons formulée (30).
En fait, il est bien évident que cette question de preuve
se posera rarement, car l'inexécution de l'obligation de res-
titution que nous avons prise pour exemple est le plus souvent
indiscutable parce que précisément elle se manifeste presque
toujours, sauf pour les réparations locatives envisagées par
l'article 1731, de façon très apparente.
Mais choisissons comme nouvel exemple l'obligation de
délivrance du propriétaire, qui est, d'ailleurs, la seule obliga-
tion caractéristique de la situation de ce dernier.
Il appartiendra au propriétaire de prouver qu'il a délivré
la chose louée, étant entendu que le locataire aura préalable-
ment établi l'existence du contrat de bail dont il invoque
l'inexécution par le propriétaire.
(30) Dans ce sens, Cass. Civ., 28 janvier 1936, S., 1936, 1. 126.
Par contre, il incombera au locataire de prouver les faits
qui constituent l'imperfection de l'exécution de cette obliga-
tion, comme par exemple l'existence d'un vice de construc-
tion, et, aux termes de l'article 1721 du Code Civil, le proprié-
taire se trouvera responsable si le locataire qui a subi un pré-
judice de ce fait rapporte la preuve de l'existence de ce vice
de construction.
Si nous considérons un autre contrat, la vente, nous
aboutirons à uneadaptation analogue des principes admis.
même principe :
Nous admettons une solution analogue en maintenant le
le transporteur doit, en effet, prouver l'exé-
cution de son obligation qui est le transport du voyageur à la
destination convenue, mais il appartient à ce dernier de prou-
(32) Cass. Civ., 20 mai 1936, S., 1936, 1. 321 et la note André Breton.
(33) Note précitée, p. 327.
(34) Op.cit., 1934, T. I, n" 694.
Pour ces derniers, le résultat que le médecin ne s'était,
sans doute, pas engagé à atteindre, mais dans la direction du-
quel il avait promis de donner son activité, n'étant pas réa-
lisé, il en résulte au moins une présomption de négligence.
Il va donc nécessairement affirmer la prudence et la dili-
gence qu'il a consacrées aux soins du malade. Se prévalant de
l'exécution, de l'absence de négligence et d'imprudence, il est
conforme aux principes généraux de l'obliger à l'établir.
Au contraire, pour M. Demogue, l'obligation du médecin
étant une obligation de moyens, il appartiendra au deman-
deur de prouver l'inexécution. C'est d'ailleurs là ce qu'affirme
avec énergie M. Falque (35) qui critique la solution soutenue
par MM. H. et L. Mazeaud : « Prouver le contrat, cela suffit
au malade qui en demande l'exécution en justice ou qui récla-
me des dommages-intérêts pour l'absence totale d'exécution.
Cela sans aucun doute possible ne peut pas suffire au malade
qui réclame des dommages-intérêts pour la mauvaise exécu-
tion par le médecin de son obligation. La proposition con-
traire n'est pas seulement inexacte. Elle est inconcevable».
A notre sens, chacune de ces thèses contradictoires com-
porte une part de vérité. Comme dans les contrats examinés
précédemment, le médecin, débiteur de l'obligation d'apporter
des soins doit, s'il est nécessaire, rapporter la preuve de l'exis-
tence et de la réalité de ses soins.
Le médecin doit prouver, si ces points sont contestés,
:
qu'il a procédé à l'examen et prescrit les médications qui lui
paraissaient s'imposer là se limite sa charge de preuve. En
revanche, il appartiendra au demandeur de prouver non seu-
lemènt l'étendue de l'obligation du médecin qui n'est pas tou-
jours très nettement délimitée, mais encore il devra démontrer
l'imperfection de l'exécution de l'obligation du médecin, c'est-
à-dire son imprudence, sa négligence, son erreur plus ou
moins grossière dans le diagnostic ou dans le traitement.
;
.En somme le médecin, comme tout débiteur, est présumé
n'avoir pas exécuté s'il a exécuté, il n'est pas présumé avoir
:
coffre-fort dans un local surveillé à la disposition de son
client la surveillance insuffisante de ce coffre constitue l'im-
perfection dans l'exécution que le créancier doit prouver.
De même, en vertu de la loi du 18 juillet 1889, article 4,
le colon partiaire répond de l'incendie, des dégradations et
des pertes arrivées pendant la durée du bail, à moins qu'il ne
prouve qu'il a veillé à la garde et à la conservation de la chose
en bon père de famille. Il lui suffira de rapporter la preuve
de ses habitudes d'ordre et de tempérance et le bailleur devra
prouver l'imperfection de l'exécution de l'obligation, en d'au-
tres termes la faute, pour triompher dans son action en res-
ponsabilité (37).
cette exécution:
ce qui au contraire concerne les qualités ou les modalités de
pour cela, il faut considérer la définition
juridique du contrat et admettre que l'exécution des obliga-
tions précisées par cette définition doit être prouvée par leur
débiteur respectif, mais que là est la limite de ce qu'il appar-
«
tient au défendeur de démontrer.
La définition à prendre en considération n'est pas néces-
sairement celle du Code Civil, souvent imparfaite, mais bien
une définition restrictive qui comporte uniquement ce qui
est à la fois nécessaire et suffisant pour que le contrat entre
dans la classification normale. L'obligation ainsi définie est
:
la chose vendue est une obligation de délivrer telle chose déter-
minée et non telle autre l'acquéreur d'un immeuble achète
un immeuble déterminé et il n'y aurait pas imperfection
de l'exécution à lui livrer un immeuble différent, mais bien
inexécution. De même évidemment le médecin devrait prouver,
si la question pouvait se poser, qu'il a bien soigné le malade
envisagé et non une autre personne.
Nous estimons en effet que l'on peut parler d'exécution
lorsque les obligations caractéristiques du contrat, c'est-à-
dire permettant de le définir, ont été exécutées, au moins pour
leur plus grande partie. Par rapport à cette exécution, l'exé-
cution imparfaite est toute exécution dont la définition ne
s'inscrit pas dans les limites de l'ensemble des obligations
essentielles ou accessoires du contrat.
Si la formule ne convient pas, il est bien évident que l'on
peut lui substituer, pour l'intelligence de la théorie, sa défini-
tion et dire simplement que le débiteur doit prouver l'exécu-
tion suffisamment complète des éléments caractéristiques de
l'obligation et que le créancier demandeur doit prouver le
caractère incomplet ou imparfait de l'exécution.
A considérer l'obligation définie de la sorte, on peut se
demander quelle est la situation exacte lorsqu'il n'y a qu'exé-
cution partielle. C'est là une question de fait qui ne présente
pas de difficulté pratique. Si l'on peut considérer que le débi- ,
teur a accompli de façon satisfaisante l'obligation de prou-
ver l'exécution qui lui incombait, il appartiendrait au créan-
cier de faire valoir le caractère incomplet de cette exécution,
qui en constituerait une imperfection. Mais le plus souventla
:
le créancier a prouvé l'imperfection de l'exécution, la respon-
sabilité est présumée il appartiendra au débiteur de rapporter
;
la preuve de la cause d'exonération, cas fortuit,ou de force
majeure, qu'il invoque à défaut il sera évidemment respon-
sable.
Ainsi, aboutit-on à une répartition de la charge de la
preuve qui parait à la fois équitable et conforme aux prin-
cipes juridiques qui sont à la base de la responsabilité
contractuelle.
ROBERT BEINEIX,
Docteur en Droit.
LA NOTION DE PERPÉTUITÉ
DANS LES SOCIÉTÉS PAR ACTIONS
AU POINT DE VUE DU DROIT SUISSE
I. — INTRODUCTION (2)
tions a également été révisée, par une loi qui est outree en vigueur le
;
1er juillet 1937. Les citations contenues dans la présente étude se réfèrent
au texte actuel du Code elle a été, par endroits, remaniée en vue d'une
mise en harmonie complète avec le droit nouveau.
(2) Nous avons employé les abréviations suivantes, propres au droit
suisse:
:
A. T. F. Arrêtés du Tribunal fédéral. Recueil officiel. Ce recueil est
publié en trois parties qui contiennent les arrêtés relatifs au droit public,
au droit civil et aux poursuites et faillites. Le premier chiffre arabe de
chaque citation se rapporte au tome, le chiffre romain désigne l'une des
trois parties du recueil, tandis que le second chiffre arabe renvoie à la
page.
C. O. : Code des Obligations:
C. C. : Code civil suisse, du 10 décembre 1907.
Loi fédérale complétant le Code civil
suisse (Livre cinquième: Droit des Obligations), du 14 juin 1881, modifié
le 30 mars 1911 et le 18 décembre 1936.
(3) Cf. A. T. F., 56, II, pp. 189 et suiv.
(4) Le problème ne sera pas étudié ici du point de vue du droit
public. Disons simplement que l'histoire suisse fait état d'alliances et do
droits seigneuriaux perpétuels, de paix éternelle, etc., et bornons-nous
à souligner que l'Union scellée le 1er août 1921 entre les trois anciens
cantons est stipulé devoir « durer éternellement avec l'aide de Dieu ».
(5) Cf. H. Rasch, « Der Lizenzvertrag in reclitsvergleichender Dars-
tellung », p. 109.
Il n'est pas douteux que notre droit civil ne tolère pas les
liens de droit perpétuels dans une aussi large mesure que cer-
taines législations plus anciennes. C'est, avant tout, le prin-
cipe de la liberté individuelle qui s'oppose d'emblée à la for-
mation de certains liens de droit autrefois sanctionnés. L'ordre
juridique a, de ce point de vue, subi une transformation,
caractéristique sans doute, mais dont il ne faudrait pas,
cependant, s'exagérer la portée. L'organisation des sociétés
par actions et le développement de ces sociétés dans la vie
juridique font précisément ressortir l'importance du rôle que
jouent les liens de droit perpétuels dans le mécanisme de
l'économie contemporaine. Des doutes se trouvent parfois
exprimés dans la jurisprudence, touchant la légitimité et la
portée juridique de tels engagements. La question, par ailleurs,
est à peine abordée par les commentaires et les ouvrages sys-
tématiques (6). Il est donc intéressant d'en faire l'objet d'une
étude spéciale.
:
Lorsque les actions n'ont pas été entièrement libérées,
l'engagement de l'actionnaire est encore plus lourd non seu-
lement il ne peut pas, pendant la durée de la société, disposer
du montant libéré, mais encore il reste personnellement tenn
du montant non libéré.
l'exploitation serait reprise par une tierce personne, de telle sorte que
même la, dissolution de la personne juridique contractante ne constitue
pas nécessairement un terme résolutoire pour le lien de droit considéré.
«
(8) Cf. Rosendorff, Die rechtliche Organisation der Kartelle»,
p. 56.
-1
III. — VALIDITÉ DES OBLIGATIONS PERPÉTUELLES
1. let
La durée de la société anonyme les engagements des
actionnaires. — Le nouveau Code, qui maintient, sous ce rap-
port, le système de la loi de 1881, ne limite pas la durée de
la société anonyme. Ses articles 627, al. 4 et 736, al. 1, pré-
voient que cette durée peut être fixée par les statuts, mais qu'à
défaut de disposition statutaire, l'assemblée générale peut
décider librement la dissolution de la société (art. 736 al. 2)
: :
Deplus, le nouveau droit innove en règlant d'une manière
expresse la dissolution de la société par le juge « La société
est dissoute .par un jugement, lorsque des actionnaires
représentant ensemble un cinquième au moins du capital
»
social, requièrent, pour de justes motifs, la dissolution (art.
736, al. 4).
Il résulte de ces diverses règles qu'une majorité peut, en
pratique, obtenir que la durée de la société soit illimitée. 11
arrive même qu'une minorité puisse faire de même lorsque,
d'après les statuts, seule une majorité qualifiée peut décider la
dissolution de la société. Par conséquent, l'actionnaire pro-
priétaire d'un petit nombre d'actions ne possède aucun moyen
de se retirer et de se faire rembourser sa part indivise du
patrimoine social. Le sort de chaque action demeure lié à la
bonne ou mauvaise fortune de l'entreprise, jusqu'au jour où
une assemblée générale décide la dissolution.
Si vraiment la société anonyme doit, contrairement à la
fondation par exemple, servir exclusivement les intérêts éco-
nomiques de ses membres, on ne comprend pas que ceux-ci ne
puissent pas, par décision unanime, mettre fin à la société,
puisqu'aussi bien, le patrimoine de celle-ci leur appartient,
d'une manière en quelque sorte indirecte, par l'entremise de
la personne morale. En matière du droit de la famille, on
pourrait même se demander si la possibilité de créer une
société anonyme indissoluble, même par décision unanime de
ses membres, ne permettrait pas d'éluder l'interdiction des
fidéicommis.
Cependant, on peut se demander si une société anonyme
dont la durée, aux termes des statuts, ne saurait être limitée,
n'est pas concevable sous l'empire du nouveau code. Cette
question se pose par rapport à l'article 620, alinéa 3, en vertu
duquel on peut assigner à la société, lors de sa fondation, un
but qui n'est pas de nature économique et à l'article 660, en
vertu duquel le produit de liquidation de la société n'est pas
nécessairement réparti proportionnellement entre les action-
naires de la société dissoute.
Il faut noter enfin que l'engagement de l'actionnaire
envers la société anonyme est particulièrement étendu, lorsque
les actions ne sont pas entièrement libérées. En effet, il
demeure, dans ce cas, personnellement responsable jusqu'à
concurrence du montant non libéré et pour un temps illimité.
:
quemment en conflit les uns avec les autres. Mais il y a pro-
bablement une autre raison encore la liberté individuelle ne
peut produire tous ses effets, lorsqu'elle est restreinte de tou-
tes parts par des clauses contractuelles. C'est ainsi que, lors
des luttes pour l'avènement du libéralisme, s'est formé le
principe de la liberté de la propriété, principe conçu, en parti-
culier, en vue des biens-fonds paysans. Cependant, même en
dehors de toute considération historique, il faut admettre
qu'il est préférable d'éviter que les transactions soient entra-
vées par un trop grand nombre de droits réels dépourvus de
toute justification économique. La propriété de plusieurs sur
une chose peut ainsi apparaître comme une entrave aux
transactions.
En résumé, la disposition qui réduit à dix ans au maxi-
mum la possibilité d'exclure contractuellement le partage
dans la copropriété — sauf le cas d'affectation de la chose à
un but durable — est parfaitement justifiée. C'est là une solu-
tion adéquate à une organisation juridique bien comprise de
la propriété.
Il faut, en revanche, que d'autres conditions soient réali-
sées pour que la protection de la liberté individuelle justifie
:
la limitation des engagements contractuels quant à leur
durée il faut que le contrat par lequel l'individu engage sa
faculté de travail, sa fortune, ou s'interdit d'exercer une
autre activité, soit si grave par ses conséquences qu'une limi-
tation de sa durée s'impose.
Lorsqu'on réfléchit à la restriction considérable que le
contrat de travail apporte à la liberté individuelle de l'em-
ployé, la règle de l'article 350 du Code des obligations selon
laquelle ce dernier — et, en fait, lui seul — peut, au bout
juridiquM.
logique du lien de droit, c'est-à-dire l'ensemble des raisons d'ordres divers,
économique et psychologique, qui, slon la bonne foi, apparaissent essen-
tielles dans le processus de création et de conservation des relations
de dix ans, dénoncer le contrat conclu pour une plus longue
durée, cette règle apparaît plutôt comme une intervention
timide.
Partant du même point de vue, on comprendrait que le
législateur ait assigné, tout comme au contrat de travail, une
durée extrême aux sociétés de personnes, dans le cas où l'un
des sociétaires prête un concours personnel et permanent ou
lorsque les sociétaires sont indéfiniment responsables. Mais le
législateur n'a pas fait cette distinction. Il a donné, pour la
:
société simple, la société en nom collectif et la société en com-
mandite une solution identique le contrat de société conclu
pour la vie des sociétaires ou pour une durée indéterminée
peut être dénoncé en tout temps, moyennant un préavis de
six mois. En revanche, il n'est pas prévu de durée extrême
lorsque le contrat de société est conclu, soit pour une durée
déterminée, soit pour tout le temps qu'il faudra pour attein-
dre tel but. Dans ces hypothèses, le contrat peut prévoir la
continuation de la société avec les héritiers de l'associé qui
viendrait à mourir. Sauf le cas où l'un des sociétaires est lié
pour toute sa vie, la loi ne limite donc pas la durée des liens
de droit qui découlent du contrat de société. Pourtant, les
abus ne sont guère à craindre. En effet, le législateur a prévu
que la dissolution peut, en tout temps, être requise du juge
pour de justes motifs.
On peut se demander si un contrat d'association conclu
entre sociétés anonymes pour toute la durée de celles-ci (c'est-
à-dire pour une durée qui s'étend jusqu'à la dissolution de
l'une d'entre elles) doit être assimilé au contrat conclu pour
la vie d'une personne physique, s'il doit lui être assimilé, tout
au moins dans le cas où la durée de la société anonyme n'est
pas statutairement limitée. Nous estimons qu'il faut répondre
par la négative. Une assimilation de ces deux contrats l'un
à l'autre ne serait légitime que dans la mesure où les raisons
qui ont fait interdire la formation d'une société de personnes
pour toute la vie de l'un des associés (art. 545, ch. 6, C. O.)
vaudraient aussi, lorsque le sociétaire considéré est une per-
sonne morale. Il s'agit donc de se demander si, par la conclu-
sion d'un contrat de société pour toute la durée de son exis-
tence, la personne morale risque, de même que la personne
physique, de restreindre sa liberté de façon excessive. L'acti-
vité de la personne morale — nous l'avons vu plus haut — ne
peut jamais être indépendante, autonome. Elle est, au con-
traire, limitée par le but qui lui a été assigné d'emblée par une
volonté qui lui est extérieure. Ainsi donc, aussi longtemps que
les engagements qui découlent d'une participation « perpé-
tuelle » à une société simple (15) ne sont pas contraires au
but de la société anonyme, il ne saurait, en aucune manière,
être question d'une restriction illicite apportée à la liberté
individuelle de cette dernière (16 et 17).
Du point de vue des bonnes mœurs non plus, aucune
limitation dans le temps ne s'impose à la personne morale.
En revanche, il faudra, ici encore, songer aux exigences
d'un système juridique bien compris. Sans doute, les circons-
tances sont-elles autres qu'en matière de copropriété. Ce que
nous avons appelé le « rapport naturel », par exemple, n'appa-
raît pas dans la copropriété, tandis qu'il existe toujours dans
la société. En effet, il ne saurait y avoir de société sans but
commun. Cependant, ce but peut jouer un rôle plus ou moins
important. Les parties peuvent être si faiblement intéressées
à sa réalisation qu'un engagement par trop long des associés
serait injustifiable. Dans un cas semblable, il sera sans doute
juste de ne pas reconnaître la validité d'un engagement perpé-
tuel des associés envers la société, mais de prononcer la
dissolution, en procédantpar analogie avec la copropriété et
en présumant l'existence d'une lacune parmi les causes de
dissolution énumérées par la loi. Mais, lorsque le « rapport
»
naturel a une consistance suffisante, il faut reconnaître la
validité du contrat de société conclu entre sociétés anonymes
(22) Par exemple, A. T. F., 51, II, p. 61, 53, II, p. 133.
(23) Rasch, op. cit., p. 109.
(24) Cf. aussi A. T. F., 40, II, p. 233 et suiv. E. R. N., 5, p. 238.
Celles-ci concernent, pour une grande part, la structure de
certaines de nos institutions juridiques.
Cependant, il semble qu'il faut attribuer une portée
générale au principe selon lequel un lien de droit perpétuel
entre les individus doit, pour ne pas porter atteinte au sys-
tème juridique, être justifié par un « rapport naturel»
ayant une certaine valeur.
C'est à sa lumière qu'il convient d'envisager également
le problème de la validité des liens de droit créés par les
actionnaires entre eux, à l'intérieur d'une même société
anonyme. Si le but visé justifie la gravité de l'engagement
pris, cet engagement sera valable.
Enfin, dans les cas examinés au chapitre précédent
sous le titre « les accords conclus dans le cadre de l'activité
sociale de la société anonyme », l'existence d'un intérêt
économique appréciable pourra, presque toujours, suffire à
valider les liens de droit perpétuels considérés.
(27) Il est vrai, à ce sujet, qu'on pourrait être tenté d'objecter que
l'article 546, al. 6 C. 0. s'applique également à toute convention s'appa-
rentant à la mise en société et, par conséquent, à toute participation aux
bénéfices. Mais cette objection serait mal fondée. En effet, la disposition
de l'article 546 al. 6 C. 0. a un caractère exceptionnel et ne doit pas,
sauf raison impérieuse, être interprétée extensivement, et, d'autre part,
les participations aux bénéfices à durée illimitée ont été définitivement
consacrées, en particulier, par l'institution même des parts bénéficiairest
sic standibus à tous les contrats à longue durée. Elle l'appli- I
objectif suivant :
abandonné ces exigences excessives et adopté le principe
« Il faut tenir pour une cause d'annulation
ou de modification du contrat bilatéral le fait que, par suite
d'événements imprévisibles, il existerait entre la prestation
et la contre-prestation un déséquilibre que l'on peut qualifier
de grand, de frappant, d'excessif »
(28). Cette disproportion
doit être telle que la persistance du créancier à se prévaloir
du contrat prendrait un caractère d'exploitation usuraire (29).
Dans ces divers cas, l'adaptation doit être conforme à ce
qu'auraient décidé les parties elles-mêmes si elles avaient fait
entrer dans leurs calculs l'éventualité qui s'est réalisée (30).
Par conséquent, il faudra aussi rechercher si la convention
avait un caractère de spéculation. Dans l'affirmative, il fau-
dra prendre garde d'accorder trop facilement l'annulation ou
la modification à la partie dont la spéculation a échoué (31)
(32). Au contraire, lorsqu'il s'agit de modifier des conven-
tions qui n'avaient en aucune manière le caractère d'une
spéculation, il conviendra d'être moins rigoureux et le prin-
cipe adopté par le Tribunal fédéral pourra alors apparaître
comme trop étroit par rapport à la commune intention des
parties. Tel sera, sans doute, le cas lorsque les contractants
utilisant une installation en commun ont voulu, par un
contrat, répartir équitablement les frais entre elles.
manière satisfaisante :
termes résolutoires certains, ne résout pas le problème d'une
il y a là toujours quelque chose
d'arbitraire, une impossibilité de tenir compte des parti-
cularités de chaque espèce. Dans ces conditions, il semble
que la meilleure solution soit d'admettre en principe les
liens de droit perpétuels, tout en.prévoyant, dans une large
mesure, la possibilité d'adapter ces liens de droit aux
circonstances nouvelles ou même d'y mettre un terme. La
longue expérience du juge suisse et la sagesse dont il fait
preuve dans le domaine de la libre appréciation rendent
cette solution à tous égards préférable.
En résumé, constatons que, si l'adaptation des contrats
et rapports sociaux aux circonstances exceptionnelles ne va
pas sans difficultés, elle donne grosso modo lieu à des solu-
tions assez satisfaisantes pour qu'elle ne puisse constituer
un obstacle à la reconnaissance de la validité des liens
juridiques perpétuels.
E. WOLFF
Docteur en Droit, Avocat à Lausanne
trats perpétuels, mais encore, d'une manière générale, à tous les rapporta
de droit perpétuels, v. aussi R. Haab, « Commentaire des droits réels »,
pp. 153 sa.
QUELQUES REFLEXIONS SUR DEUX
CONCEPTIONS THÉORIQUES
DU GOUVERNEMENT LOCAL
:
il est conduit à choisir entre deux conceptions théoriques oppo-
sées l'une prenant comme point de départ la société, l'autre
l'Etat et, suivant la position qu'il prend à cet égard, les solu-
tions pratiques qu'il adopte suivent des directions opposées.
1. D'après la première conception, qu'on pourrait appe-
—
:
ler sociologique, il y a un domaine de la vie collective sur
laquelle l'Etat n'a point de prise c'est celui de l'activité écono-
mique, avec laquelle il peut seulement collaborer parce qu'il
s'agit de réaliser des buts et des intérêts sociaux. En principe,
l'Etat a le soin des seuls intérêts de l'Etat, il doit laisser aux
sociétés locales la gestion de leurs propres intérêts. Ainsi
l'Etat s'oppose à la société ou, si l'on veut, aux Sociétés. Aux
intérêts étatiques s'opposent les intérêts locaux en tant qu'in-
térêts sociaux.
Parlant de l'Etat féodal, Franz Oppenheimer, privat-
docent à l'Université de Berlin, assurait que « la ville indus-
trielle est l'antipode, l'adversaire née de l'Etat. Il est le
moyen politique, elle est le moyen économique. Et la grande
lutte qui remplit l'histoire universelle, qui est cette histoire
même, se livre entre la ville et l'Etat ». Et il ajoute :
«
le moyen politique ;
L'Etat est l'ensemble de toutes les relations nouées par
la Société l'ensemble de toutes les
relations nouées par le moyen économique (1). Si nous
opposons l'évolution des idées à ce sujet en Allemagne et
en France, nous constatons qu'en Allemagne, Stein et
;
Gneist ont d'abord construit la théorie étatique du gouver-
neur local d'autre part, la théorie sociologique soutenue
par Gierke et Echaëfïle peut être considérée comme aban-
donnée, quoique de temps en temps elle ait connu des re-
nouveaux, par exemple avec Oppenheim. Au contraire, en
France, la théorie sociologique peut toujours être considé-
rée comme prédominante. Rappelons Fustel de Coulanges
« La cité n'est pas un assemblage d'individus ;
c'est une
:
confédération de plusieurs groupes qui étaient constitués
»
déclare :
avant elle et qu'elle laisse subsister (2). Et Berthélémy
« Ce qu'on a appelé l'affranchissement des com-
munes, c'est l'explosion de ce besoin qu'ont senti de nouveau
les agglomérations de citoyens d'être collectivement des uni-
tés politiques, des petites sociétés de secours mutuels, capa-
bles de s'administrer librement (3) ». Citons encore Hauriou:
« La décentralisation. est un mouvement qui tend à resti-
tuer à la nation (opposée à l'Etat) les organes de l'adminis-
tration locale (4) ». Ainsi la Cité laisse subsister des groupes
constitués avant elle ; ;
l'affranchissement des communes,
c'est l'explosion d'un besoin social il faut restituer à la
Nation des organes.
:
liberté concerne non seulement les communes, mais les
régions ainsi la Constitution belge en son article 1er déclare:
«La Belgique est divisée en provinces. Ces provinces sont.
;
communaux, la composition et
la compétence de leurs organes, ainsi que lecontrôle exercé
sur eux. L'Etat agit en toute liberté, car il peut même ne pas
créer des types uniformes, mais doter les communes d'organi-
sations différenciées tel est le cas de Paris et de Lyon. Cette
:
Il appartient à la loi de diviser s'il y a lieu le territoire en un
plus grand nombre de provinces ».
°
..QU
;
en particulier, les
maires peuvent être nommés par le pouvoir central en un
mot, l'Etat organise les autorités locales suivant ses besoins
et suivant le critérium qu'il juge bon d'adopter pour sa
commodité.
D'après la conception sociologique, la compétence des
organes communaux est limitée aux besoins de la commune,
besoins essentiellement variables dans les diverses parties du
pays. En outre la commune peut être investie de fonctions sup-
plémentaires que lui délègue l'Etat. Par contre, dans la théorie
étatique, commune de l'Etat exercent des fonctions de carac-
tère identique, des fonctions d'Etat. Une partie des tâches du
Gouvernement est assurée par les organes centraux de l'Etat,
une autre partie, celles notamment qui doivent comporter des
modalités d'exécution locale, sont confiées à l'autorité locale.
Les Gommunes ou les régions ne constitueront ainsi des sujets
d'autonomie locale que dans la mesure où l'iîtat leur aura
confié des fonctions particulières à assurer.
Dans la conception sociologique, toutes les questions
d'opportunité sont appréciées par des organes élus, le pouvoir
central ne se réservant que le contrôle de la légalité des actes,
dans les mêmes conditions qu'il contrôle la légalité des actes
des groupements de toute nature. Dans la conception étati-
que, le Gouvernement exerce un contrôle non seulement de
légalité, mais aussi d'opportunité, en ce qui concerne notam-
ment la conformité aux buts poursuivis soit des décisions
elles-mêmes, soit des actes faits pour leur exécution.
:
che de pair avec la démocratisation du Gouvernement de
l'Etat. Prenons l'exemple de l'Angleterre en 1832 et en 1835,
;;
la grande réforme électorale jette les bases d'une vie démo-
cratique les travailleurs des villes obtiennent le droit de
ruraux;
vote en 1867 en 1884, ce droit est étendu aux ouvriers
:
en 1888, les juges de paix sont dépouillés d'une
grande partie de leurs attributions administratives ce n'est
qu'à ce moment qu'est fondée l'autonomie sur le principe de
l'éligibilité. En Belgique, la Constitution de 1831 admet et
proclame la souveraineté nationale (art. 25) ; en 1834 est insti-
tuée l'autonomie locale qui admet l'ingérence des pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire. Cette ingérence se manifeste
en droit; belge par un contrôle de tutelle qui porte moins sur
les autorités communales elles-mêmes que sur leurs actes. Le
professeur Errera se demande même (6) si cette tutelle n'est
: ;
pas excessive, au moins sur les grandes communes. Elle pré-
;
voit en effet a) l'autorisation antérieure à l'acte b) l'ap-
; f) l'inapplication
g) l'envoi de commissaires spéciaux (6).
:
le Gouvernement ou son représentant local. En fait, c'est un
système combiné qui se trouve appliqué certaines décisions
entrant en vigueur aussitôt, d'autres seulement si elles n'ont
pas été annulées dans un délai déterminé.
Indépendamment du contrôle administratif, l'autorité
locale est soumise à un contrôle judiciaire et aussi à un con-
trôle du public, qui a un caractère social marqué. En ce qui
concerne ce contrôle social, sans nier son importance, nous
sommes persuadé qu'à mesure qu'on s'éloigne du centre vers
;
la périphérie, ce contrôle public doit céder la place au con-
trôle administratif et judiciaire c'est en effet le seul moyen
pour que les organes des collectivités locales puissent s'éman-
ciper de la pression des partis politiques, souvent liés aux
convoitises personnelles. L'importance, l'utilité, l'efficacité
d'un contrôle social sont manifestes lorsqu'il s'exerce seule-
ment d'une manière périodique, par exemple aux élections
des conseils locaux. La non-élection d'un candidat, d'un ex-
conseiller, d'un maire qui n'est pas responsable politique-
ment ou parlementairement, n'est-elle pas cependant un
mode de sanction
morale ? ? ne comporte-t-elle pas une sanction
Tout le système du gouvernement suisse fédéral et
cantonal qui ne connaît pas la responsabilité politique n'est-
il pas édifié sur des sanctions morales, notamment la non-
réélection d'un membre incompétent, peu assidu, maladroit,
en un mot indésirable ?
.l, ')1.
.- S. BALAMEZOV,
•
Professeur de Droit public à l'Université de Sofia.
t
BIBLIOGRAPHIE
»
droit
M. Auguste Dumas, dans un article intitulé : « L'essence du
soutient que le droit est une casuistique formelle, un
;
ensemble de formes techniques destinées à enfermer les cas de
la pratique l'esprit juridique, quand il est développé par des
études théoriques, s'élève à une synthèse qui domine les cas et les
catégories, et les ordonne en un système. Le droit positif oscille
ainsi entre l'esprit de routine et l'esprit révolutionnaire. Le milieu
entre ces excès est l'effort constant d'adaptation. Dans une étude
sur la nature et les formes de la démocratie, M. Gerhard Leibholz
développe l'idée que la démocratie libérale n'est en réalité qu'une
forme très importante, et peut-être la plus importante du point de
vue culturel, de la démocratie.
M. Paul Léon, dans un travail trop modestement classé sous
«
la rubrique Etudes critiques », présente le résultat de recher-
ches approfondies sur les antécédents historiques de l'idée de
volonté générale chez Jean-Jacques Rousseau. Il en résulte que cette
idée n'appartient pas en propre à Rousseau, mais que son sens
est commandé par toute une tradition. Il le montre en étudiant les
origines de l'idée chez les Grecs. Saint-Augustin, Duns Scot,
Marsile de Padoue, Vitoria et Suarez, et les philosophes du XVIIe
et du XVIIIe siècle. Il étudie alors ce que l'idée est devenue chez
Rousseau, sa naissance du problème de la solitude, l'aspect social
de la volonté générale (contrat social), puis l'aspect individuel de
cette même volonté générale dans l'« Emile ».
* La seconde « Etude critique »
examinantl'idéedel'internationaled«es
Ce
1-2 1937.
est consacrée par Mme Grete
Stoffel à la doctrine de l'étàt raciste dans l'idéologie nationale
socialiste. L'auteur n'examine le racismeque dans la mesure où il
détermine une doctrine politique. Elle analyse de matière critique
les notions scientifiques et mystiques de race, la notion de Vôl-
kisch, et celle d'Aryen. Puis elle aborde le fond de la doctrine
»
avec l'idée que la « source de l'Etat est dans la lutte des races,
**
et son but dans lerétablissement de la race pure. L'Etat autoritaire
et totalitaire se caractérise par la concentration de tous les pou-
voirs dans la main dû Fuhrer et 'laposition privilégiée du "parti
nsitional socialiste. Vis-à-vis des autres Etats, l'Etat raciste doit
assureT la mission d'un peuple de maîtres. L'auteur termine en
-des Aryens.
Aryens. M.
:
plaisir les claires et substantielles argumentations du maître, qui
conservent une singulière actualité comment ne pas lire avecun
intérêt très vif toutes les pages qui sont consacrées à la question
de savoir si le droit du preneur à bail n'est pas un droit réel,
quand on sait toutes les transformations qui ce droit a subies
depuis vingt ans?
Mais l'ouvrage est vraiment moderne par sa documentation.
La jurisprudence, sobrement rapportée, est mise à jour avec grand
soin, et des questions nouvelles sont étudiées de près, par exem-
ple celle de la garantie des vices dans les ventes de valeurs mobi-
lières. C'est surtout à l'occasion du louage que la mise à jour a été
importante. M. de la Gressaye consacre d'importants développe-
ments à la législation des loyers consécutive à la guerre, en y
ajoutant en appendice d'étude de la loi du 1er juillet 1937 qui cons-
titue le texte le plus récent de cette matièreparticulièrement
touffue. On trouvera.dans ces pages une présentation précise et
claire de toute cette législation. Il en est de même pour la loi sur
la propriété commerciale, et le mérite de l'auteur est particulière-
ment grand en ce qui concerne cette dernière loi, qui est une des
plus mal rédigées que nous ait donné le Parlement,
:a
M.de la Gressaye n'a pas négligé de 'signaler certains projets
qui sont susceptibles d'aboutir, et il leur=a même consacré -parfois
de larges développements il en est ainsi notamment .du projet
relatif à d'indemnité -qui pourrait être 'allouce au lermier sortant
à
pour la plus-value <iu'il donnée ta terre.
On voit les services que cet ouvrage est appelé à rendre aux
praticiens, comme aux hommes de doctrine. Ils y trouveront non
seulement une étude très complète de toutes les questions rela-
**
*
:
cation courante, deux opérations ont retenu spécialement son
attention le droit de souscrire par préférence à des actions
nouvelles émises en augmentation du capital et le droit de
préemption à la transmission d'actions anciennes.
**
**
Code administratif, par Joseph DELPECH, Doyen de la Faculté de
Droit de Strasbourg, 2 vol., 1718 p. Libr. du Rec. Sirey, 1938.
C'est une entreprise redoutable et digne d'admiration que
de rassembler les textes, législatifs et réglementaires, ayant trait
au droit administratif, qui ont été édictés depuis 1790 jusqu'en
décembre 1937. S'il suffisait de suivre l'ordre chronologique,
turelle, 1.
:
Pluralité. Voir Filiation na-
1. Responsa-
mandement. bilité du Médecin, 319.
2. Action en responsabilité Séduction. Commencement de
exercée après le décès d'un preuve par écrit. V. Filiation
contractant par ses ayants naturelle, 3.
cause, 324.
3. Notion du fait de la chose:
Service militaire. V. Nationalité, 6.
rôle actif de la chose, 330. Société. Nationalisation. V. Etran-
:
4. Notion de gardede la cho-
se vol de la chose, 335.
5. Collisions de véh*cules,
ger, 6.
V. Nationalité, 9.
Société à responsabilité limitée. Mo-
dification du régime légal des
340.
sociétés à responsabilité limi-
Limites de la responsabi-
6.
lité du fait des choses, 345 ;
transport bénévole, 345 ; faute
tée, 620.
Société par actions. Notion de per-
de la victime et faute d'un pétuité dans les sociétés par
tiers, 348. actions au point de vue du
7. Rapports de la responsabi-
droit suisse, G79.
lité du fait des choses et de Sociologie. V. Philosophie.
la responsabilité du fait d'au-
trui, 351. Subrogation. V. Assurance, 7.
8. Ayants droit à indemnité Suisse. V. Société par actions.
au cas d'accident mortel, 357; Tiers. Faute. V. Responsabilité ci-
;
réparation du préjudice maté-
riel, 358
361.
préjudice moral, vile, 6.
Traite. V. Lettre de change.
9. Recours de l'Etat, débiteur Transport. Transport bénévole. V.
d'une pension d'invalidité Responsabilité civile, 6.
contre l'auteur responsable de
l'occident et cumul des indem- Tuteur. Y. Interdiction judiciai-
nités par la victime, 363. re, 2.
10. La responsabilité du plai- Unité. Unité nationale. V. Codi-
deur envers son adversaire en fication.
matière civile et commerciale, Véhicules. Collision. V. Respon-
481 et s sabilité civile, 5.
Charge de la preuve de l'exé- Victime. Cumul d'indemnités. V.
cution. V. Preuve. Responsabilité civile, 9.
Retrait. Naturalisation. V. Natio- Faute. V.Responsabilité ci-
nalité, 6. vile, 6.
Indemnité payée à la victi-
Risque. Assurances cumulatives
d'un même risque. V. Assuran- me par l'assuré. V. Assurance,
5.
ce, 2.
Voies de recours. Restrictions au
Russie. Nationalisation des socié- droit d'interjeter appel et de
tés.-V. Etranger, 6.
se pourvoir en Cassation con-
Sang. Analyse. V. Filiation natu- tre les décisions des juridic-
relle, 3. tions de jugement répressives,
560.
Sécurité. Sécurité en droit an-
glais, 715. Vol. V. Responsabilité civile, 4.
TABLE ALPHABÉTIQUE PAR NOMS D'AUTEURS
:
C. R., 717, 718.
du travail et le régime des ïflAURY (Jacques). Examen doc-
assurances sociales, 427. trinal de jurisprudence na-
BRÈTHE DE LA GRESSAYE tionalité et condition des
(Jean). La vente et le louage étrangers, 5.
des choses, C. R., 716. NORDMANN (M.). La notion de
DELPECH (Joseph). Code admi- perpétuité dans les sociétés
nistratif, C. R., 719. par actions dans le droit suis-
DESGRANGES (E.). La démis- se, 679.
sion du fonctionnaire, 291. PERREAU (E.-H.). Examen doc-
FARGEAUD (Philippe). Les dé-
trinal de jurisprudence civile:
crets-lois Daladier et le droit Questions d'assurance, 161.
Distributeurs, compteurs et
commercial, 615.
:
FLOUR(Jacques). Examen doc-
trinal de jurisprudence
ponsabilité civile, 317.
Res-
appareils automatiques analo-
gues, 110.
VANLAER (Etienne). Le décrèt-
loi du 30 octobre 1935 relatif
GIL BAER (Jean-Roger). Notes à la procédure civile, C. R.,
de jurisprudence sur l'assu- 315.
rance « bonne date », 133.
:
HARDOIN (Jean). Examen doc-
trinal de jurisprudence Etat
des personnes, 437,
DE VISSCHER (Jacques). Le pac-
te de préférence; ses applica-
tions en droit civil et en droit
commercial, C. R., 717.
DE JUGLART (M.). Les droits yoiRIN (Pierre). Les biens, C. R.,
de puissance paternelle des as- 720.
cendants, 383. WOLFF (E.). La notion de per-
DE LAGRANGE (E.). Les restric- pétuité dans les sociétés par
tions au droit d'interjeter ap- actions au point de vue du
pel et de se pourvoir en cassa- droit suisse, 679.
TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES
Doctrine:
Distributeurs, compteurs et appareils automatiques analogues,
par E.-H. PERREAU 110
Notes de jurisprudence sur l'assurance, « bonne date », par Jean-
Roger GIL BAER 133
Les pouvoirs judiciaires du commandement, par Henry ALDEBERT 179
La démission du fonctionnaire, par E. DESGRANGES 291
Unité nationale et codification, par Robert LE BALLE 367
Les droits de puissance paternelle des ascendants, par M. DE
JUGLART 383
Rapports entre la législation sur les accidents du travail et le
régime des assurances sociales, par Marcel BLUM. 427
Tables:
..,
matières.1.
Table alphabétique des matières 723
Table alphabétique par noms d'auteurs 730
Table analytique des 731