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L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes

Comment l’histoire du génocide des Juifs et des Tsiganes s’inscrit-elle dans la mémoire collective ?

Entre 1944 et 1945, l’avancée des armées alliées met progressivement au jour l’horreur du système concentrationnaire nazi. Au
milieu de l’ampleur des crimes de masse perpétrés contre les civils, les résistants et les prisonniers de guerre, la spécificité du
génocide n’apparaît pas d’abord, d’autant que, des cinq camps d’extermination, seul Auschwitz subsiste. Cependant, le récit des
rescapés et la découverte progressive des rouages de la mort industrielle invitent rapidement à voir dans le génocide des Juifs et
des Tsiganes un crime hors-norme, qu’il convient de documenter, commémorer et juger. Au moment où les premiers lieux de
mémoire sont érigés, une partie des criminels condamnés, la littérature et le cinéma s’emparent du sujet pour tenter de transmettre
l’indicible et l’irreprésentable.

1 Lieux de mémoire du génocide des Juifs et des Tsiganes

A • Lieux et non-lieux de mémoire

Dès la mise en place de la solution finale, les nazis ont cherché à cacher la réalité du crime par la destruction des traces: celles des
ghettos, celles des exécutions par les Einsatzgruppen à l’Est, celles des chambres à gaz et des fours crématoires systématiquement
dynamités. C’est ainsi que sont rasés les camps de Belzec, Sobiboret Treblinka en Pologne. L’archéologie permet néanmoins
aujourd’hui de faire réapparaître les témoignages enfouis de l’extermination. Ainsi, les fouilles menées dans le camp de Sobibor ont
permis de découvrir des charniers, des centaines d’objets ayant appartenu aux déportés ainsi que les fondations des chambres à gaz.
L’enjeu est à la fois mémoriel et historique: remémorer le martyr des 170000 Juifs qui y furent assassinés et documenter le génocide
afin de lutter contre le négationnisme.
Auschwitz, camp mixte, a échappé à une totale destruction et reste l’un des rares témoignages matériels du processus de mort
industrielle mis en œuvre par les nazis. Transformé en musée, il présente aux visiteurs les traces laissées par les déportés juifs et
tsiganes qui y périrent en masse.
Les anciens ghettos sont également investis d’un fort poids mémoriel. Le 19avril 1948, cinq ans après le début du soulèvement du
ghetto de Varsovie est inauguré le monument aux héros de l’insurrection. Lieu d’une mémoire héroïque du génocide, c’est l’endroit que
choisit en 1970 le chancelier d’Allemagne de l’Ouest, Willy Brandt, pour se recueillir et exprimer le repentir du peuple allemand.Mais la
mémoire du monde juif européen n’est pas uniquement celle du génocide. C’est aussi celle d’une culture et d’une langue (le yiddish)
englouties, que des communautés virtuelles cherchent aujourd’hui à faire renaître. Le site consacré au ghetto de Vilnius, présenté
comme un «monument digital», en constitue un bon exemple.

B • La fonction des mémoriaux

Le souvenir de la déportation et de l’extermination s’inscrit précocement dans l’espace, et ce dans de nombreux pays. Plaques
commémoratives, stèles, monuments attestent des formes prises par la mémorialisation du génocide juif et tsigane. De nombreux
acteurs interviennent dans la création des mémoriaux.Il peut s’agir d’initiatives privées, associatives ou encore publiques
(municipalités, gouvernements). Le mémorial du Martyr juif inconnu est créé à Paris en 1953 par Isaac Schneersohn dans le but
d’«amasser des preuves et des archives, constituer des dossiers aisément accessibles, préparer le travail des historiens». L’ensemble,
qui réunit une bibliothèque, un centre d’archives et un mémorial, inspire la création d’autres lieux de ce type. En 2005, le président
Chirac inaugure au sein du mémorial agrandi et rebaptisé Mémorial de la Shoah, le mur des noms rappelant l’identité des 76 000 Juifs
déportés de France.
En Israël, la «loi sur le souvenir des héros et des martyrs», promulguée le 19 août 1953, crée un organisme, le Yad Vashem auquel
revient la charge de la direction de la mémoire et de la commémoration de la Shoah. À partir des années 1980, les mémoriaux se
multiplient, illustrant le travail de mémoire à l’œuvre alors que les derniers témoins disparaissent. En 1993, ouvre à Washington le
Musée du mémorial de l’Holocauste des États-Unis, qui entreprend de numériser toutes les archives concernant le génocide des Juifs.
Lors du 60e anniversaire de la capitulation allemande, le 8 mai 2005, est inauguré à Berlin le Mémorial aux Juifs assassinés d’Europe,
constitué de 2711 blocs de béton assemblés en damier, rappelant des stèles mortuaires. Un centre d’information et de ressources
complète le monument. D’autres mémoriaux visent plutôt à susciter le recueillement.

Tardivement reconnu, le génocide des Tsiganes ne bénéficie pas de la même visibilité dans l’espace public. La stèle construite sur la
tombe des victimes du massacre de Szczurowa (Pologne) en 1956 constitue le premier mémorial à la mémoire des victimes roms. En
1982, la République fédérale d’Allemagne reconnaît la responsabilité allemande dans le génocide des Tsiganes. Il faut attendre 20 ans
pour que soit érigé un monument à leur mémoire à Berlin. Aujourd’hui, des critiques dénoncent l’organisation d’un véritable tourisme
mondial de la Shoah autour des lieux d’extermination, comme Auschwitz, ou des musées-mémoriaux qui accueillent de plus en plus de
visiteurs.
2 Juger les crimes nazis après Nuremberg

A • Les procès en Allemagne

La dénazification est décidée lors de la conférence de Potsdam (août 1945). Le Conseil de contrôle interallié, sensé la superviser,
laisse en réalité une grande autonomie aux Alliés dans leur zone d’occupation respective pour poursuivre, juger et condamner. Après
les procès de Nuremberg, des procès militaires sont organisés dans les quatre zones d’occupation (américaine, britannique,
française et soviétique) contre des criminels de guerre, gardiens et commandants des camps de concentration, responsables de
crimes contre les Juifs ou de persécutions contre des populations incluses dans les zones occupées par les Alliés: près de 5000
personnes sont jugées, 794 sont condamnées à mort et 486 exécutées. Les débuts de la guerre froide compliquent le travail des
cours de justice. Les prisonniers des camps d’internement – 300000 nazis ayant appartenu au Parti national-socialiste des
travailleurs allemands, à la SS et à la Gestapo – sont amnistiés en 1947 dans les zones occidentales, l’année suivante dans la zone
soviétique.
Durant cette période, les tribunaux allemands prennent en charge les crimes commis par des Allemands contre des Allemands : 5
528 personnes sont jugées dans les zones occidentales, 12500 dans la zone soviétique. Après la création de la République fédérale
d’Allemagne (RFA) en 1949, d’autres procès sont intentés: 6 500 personnes sont condamnées. Les années 1950 sont marquées en
RFA par la volonté de « laisser le passé au passé», selon la formule du chancelier Adenauer. En 1958, le procès d’Ulm où
comparaissent 10 membres d’Einsatzgruppen, responsables de la Shoah par balles à l’Est, met en lumière l’impunité dont de
nombreux criminels ont pu bénéficier. La même année est créé le Centre national d’enquêtes sur les crimes de guerre nazis à
Ludwigsburg (RFA), à l’origine d’un grand nombre d’enquêtes et de procès à partir des années 1960.
Les procès de Francfort-sur-le-Main (1963-1965), qui jugent 22 anciens surveillants d’Auschwitz, connaissent un grand
retentissement. Si les verdicts sont cléments – 6 condamnations à perpétuité, 3 acquittements–, ces procès s’emploient à mettre au
jour les processus qui ont rendu possibles la mobilisation des masses et l’acceptation de ces crimes sous le nazisme. Ils participent
à l’œuvre de reconstruction politique et morale de la société allemande et font resurgir, notamment auprès des jeunes générations
nées après la guerre, la question de la culpabilité. Le terme Vergangenheitsbewältigung (travail de mémoire) apparaît alors pour
désigner le devoir moral qu’a tout pays démocratique d’assumer son passé plutôt que de le mettre à distance.

B • Poursuivre sans limite de lieu et de temps

La jurisprudence de Nuremberg est appliquée par les tribunaux nationaux dans plus de 10 pays. En Europe de l’Est, la Pologne, la
Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Roumanie jugent des milliers de prévenus. Le premier procès d’Auschwitz se tient à Cracovie
(Pologne) fin 1947. Sur les 40 accusés (officiers SS, médecins, gardiens), 23 sont condamnés à mort et 16 à des peines de prison.
Rudolf Hoess, principal commandant d’Auschwitz, a quant à lui été jugé par le tribunal suprême de Pologne en avril de la même
année, condamné à mort et exécuté près du crématoire d’Auschwitz I et de la maison qu’il occupait dans le camp.
En mai 1960, les services secrets israéliens enlèvent Adolf Eichmann, ordonnateur de la déportation des Juifs durant la Seconde
Guerre mondiale, à Buenos Aires (Argentine) et le ramènent en Israël. Son procès s’ouvre en avril 1961 à Jérusalem. Il est jugé pour
15 chefs d’accusation regroupés en quatre catégories: crimes contre le peuple juif, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et
participation à une organisation hostile. La jurisprudence de Nuremberg y est précisée et dissocie de manière plus claire le crime
contre l’humanité –qu’aucune considération utilitaire ne peut expliquer – du crime de guerre. Déclaré coupable, Eichmann est
condamné à mort et exécuté le 31 mai 1962. Le procès, entièrement filmé, a un retentissement mondial. En donnant la parole aux
survivants, il permet que l’histoire du génocide soit racontée et œuvre à « l’avènement du témoin ». La traque des anciens criminels
nazis menée notamment en France par les époux Klarsfeld permet l’arrestation en Bolivie de Klaus Barbie (1913-1991) en1983 et son
extradition en France où il est poursuivi pour trois rafles de Juifs dont celle des 44 enfants d’Izieu le 6 avril 1944, actes de torture et
de déportation. Pour la première fois se tient en France un procès pour crimes contre l’humanité (1987). Reconnu coupable, Klaus
Barbie est condamné à la prison à perpétuité. De nombreux criminels nazis ont échappé à la justice et sont morts sans avoir été
inquiétés. Si les multiples procès (1988 en Israël, 2001 aux États-Unis,2009 en Allemagne) de John Demjanjuk (1920-2012), gardien
ukrainien du camp de Treblinka et Sobibor, soulignent les difficultés de juger 60 ans après les faits, ils sont l’occasion d’approfondir
les connaissances des mécanismes du génocide

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