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Axe conclusif

Histoire et mémoire des génocides juifs et tziganes


En 2020, un groupe de citoyens a lancé une pétition pour que plusieurs villes d'Europe place sur le sol des petits
pavés doré qui indiquent le nom et la date de naissance d'une victime du nazisme, souvent juive ayant vécu à
cet endroit-là (association Stolpersteine). C'est un travail qui s'inspire de l'artiste berlinois Gunter Demnig. Pour
Paris, cela renvoi une image qui ne convient pas à la France. Marcher sur ces pierres ne constitue pas un
symbole acceptable.

Entre 1940 et 1945, les armées alliées découvrent au fur et à mesure de leur avancée en Allemagne ou en
Europe de l'Est, l'horreur du système d'extermination mis en place par le régime nazi. Entre 1939 et 1945, 5
millions de Juifs sont tués d'abord dans les ghettos, puis par les commandos SS, enfin dans les camps
d'extermination (1942 en Pologne). Dans le même temps entre 300 000 et 500 000 tziganes ont été tués.
Toutefois, les spécificités de ce génocide sont ignorées, elles sont noyées au milieu de l'ampleur des crimes de
masse. C'est donc progressivement que le récit des rescapés va permettre de découvrir le fonctionnement de
mort industrielle, le génocide des Juifs et des tziganes apparaît comme un crime hors norme qu'il faut juger, dont
il faut documenter l'histoire et commémorer la mémoire. Ainsi, au moment où une partie des criminels sont jugés
et condamnés, la littérature et le cinéma s'emparent du sujet pour tenter de transmettre l'inexprimable.

Par quels moyens l'histoire du génocide des Juifs et des tziganes s'est-elle inscrite
dans la mémoire collective ?

I- L'émergence et la matérialisation de la mémoire des génocides


1. Comment la mémoire des génocides s'est-elle construite ?

Le silence de l'après guerre

Après 1945, des procès s'ouvrent contre les hauts dignitaires allemands. Si le crime de génocide est abordé lors
de ces procès, il est dilué dans la masse des crimes nazis. D'autant que la destruction par les nazis de
nombreuses preuves matérielles rend difficile le travail des enquêteurs. Surtout, les mémoires de rescapés sont
étouffés par d'autres mémoires (le mythe resistancialiste). C'est le but des lois d'amnistie pour faire oublier la
participation de l'Etat Français au génocide. En Europe de l'Est, les victimes juives et tziganes sont ignorés par
une propagande soviétique qui insiste sur le martyre des soldats morts pour lutter contre le fascisme. Le livre de
Primo Levi, Si c'est un homme (1947) est une exception pour l'époque, les survivants ont du mal à parler de la
Shoah.

La mémoire juive s’affirme (1960)


Plusieurs procès sont organisés dans les années 1960, ils font émerger la figure de la victime juive et s'imposent
au cœur de la mémoire collective. Le témoignage d'anciens déportés juifs montre la spécificité du génocide des
Juifs et ouvre la voie sur la reconnaissance des victimes : en RFA à partir de 1962, le génocide des Juifs est
étudié dans les programmes scolaires. La presse et le cinéma contribuent à diffuser cette affirmation mémorielle.
Toutefois, cela entraîne les premières thèses négationnistes (en 1978 dans le journal l'expresse, un ancien
officier de Vichy Louis Darquier affirme "A Auschwitz, on a gazé des poux"). La question du génocide tzigane est
complètement ignoré.

Un devoir de mémoire (1980)


La mémoire des Juifs se libère définitivement grâce à plusieurs évolutions (trois choses) :

la multiplication des procès (liée à l'imprescriptibilité des crimes)

la reconnaissance par les Etats de leur participation au génocide

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la démocratisation de l'Europe de l'Est (qui permet d'y aménager des espaces mémoriels, l'accès à des
archives inédites...)

La culture va avoir une importance inédite pour transmettre les mémoires (l'édition, le cinéma ou même les
programmes scolaires). Cependant, la mémoire du génocide des tziganes reste toujours peu reconnue.

2. Les lieux des mémoires de génocides


A- La mémorialisation des lieux des génocides

Dès 1942, c'est la mise en place de la solution finale, les nazis cherchent à cacher la réalité du crime en
détruisant des traces (à partir de 1944 on dynamite les chambres à gaz et les fours crématoires). Ainsi, Treblinka
ou Belzec en Pologne sont rasés. Il faudra attendre des fouilles archéologique pour retrouver des traces de ces
chambres à gaz qui ont été détruites.

Des lieux échappent à la destruction, c'est le cas du camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz-
Birkenau et reste l'un des rares témoignages matériel du processus de mort industriel. En 1947, il est transformé
en musée dans lequel se trouve des expositions, un lieu mémoriel, inscrit au patrimoine de l'Unesco en 1979.
C'est le principal lieu de mémoire des génocides avec deux millions de visiteurs par an.

La Pologne inaugurera en 1948, cinq ans après le soulèvement du ghetto de Varsovie, un monument aux héros
de l'insurrection. En 1970, c'est le chancelier de la RFA, Willy Brandt qui exprime son repenti au nom du peuple
allemand.

B- Musées, mémoriaux et commémorations des génocides dans le monde

Les souvenirs de la déportation et de l'extermination s'inscrivent rapidement dans l'espace et dans de nombreux
pays. La mémorialisation prend d'abord la forme de plaques commémoratives, de monuments, privé ou publique,
associations...

Israël, crée en 1953 un organismes, le Yad Vashem, chargé de la direction de la mémoire et de la


commémoration de la Shoah. En France, la même année, est créé le mémorial du martyre juif inconnu qui
aujourd'hui prend le nom du mémorial de la Shoah. À partir de 1980, les mémoriaux se multiplient. En 1993, à
Washington, le musée du mémorial de l'Holocauste est inauguré avec pour objectif de numériser toutes les
archives du génocide. En 2005, est inauguré à Berlin, le mémorial aux Juifs assassinés d'Europe, il est constitué
de 2711 blocs de béton assemblés en damier.
Le génocide des tziganes ne bénéficie pas de la même visibilité. Le premier mémorial pour les roms est inauguré
en Pologne en 1956. Et il faudra attendre 2012 pour que soit érigé un monument à leur mémoire à Berlin.

II- Juger les génocides : une étape essentielle pour construire la mémoire
1. Après Nuremberg : les procès en Allemagne

En 1945, le territoire allemand est divisé en 4 zones d'occupation : l'Allemagne perd sa souveraineté politique.
En août 1945, sont signés les accords de Potsdam, qui mettent en place quatre grandes séries de mesures (les
4 D) : démilitarisation, décartellisation (démanteler les liens que le parti nazi avait tisser avec les groupes
industriels), dénazification et comme objective finale la démocratisation.

Les procès de Nuremberg de novembre 1945 à octobre 1946, dans une ville symbole du nazisme :

Les 22 principaux destinataires nazis qui ont été capturés par les alliés vont être jugés par le premier
tribunal pénal international, constitué de 4 juges, un pour chaque allié sur la base de chefs d'accusation
qui sont inédits. Parmi les accusés 12 sont condamnés à mort, 7 à des peines de prison et 3 sont
acquittés. Ces procès sont l'occasion d'enquêtes qui permettent à la mémoire et à l'histoire de se
construire.

Les autres procès :

Des procès militaires sont organisés dans les 4 zones d'occupation contre des personnes ayant pris part
à la réalisation des crimes contre l'humanité. Mais la question des génocides est noyée dans la masse.

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Sur les 5 000 personnes condamnées, la majeure partie l'est pour crime commis contre des civils
allemands et non pas pour leur participation au génocide. Les débuts de la guerre froide ne facilitent pas
le travail de la justice : pour s'assurer le soutiens de la population (Est ou Ouest) contre l'autre bloc la
plupart des prisonniers sont amnistiés.

Dans les années 1950 et 1960. Après la création de la RFA en 1949 domine l'idée de laisser le passé au
passé (Adenauer). Les procès tardent à venir :

en 1958 le procès d'Ulm où comparaissent 10 membres des Einsatzgruppen responsable de la Shoah


par balle a l'Est. Cela va mettre en lumière l'impunité dont de nombreux criminels vont bénéficié
plusieurs années après la fin de guerre.

en 1958 le centre national d'enquêtes sur les crimes de guerre nazie en RFA qui va entreprendre un
grand nombre d'enquêtes et être à l'origine d'un grand nombre de procès. À ce jour l'Allemagne a mené
925 procès pour crimes nazis.

Les procès allemands et en particulier ceux de 1960-1970 ont été particulièrement critiqués parce que les
prévenus qui étaient âgé prétendaient avoir obéi aux ordres de leurs supérieurs et donc était souvent
acquittée ou avaient des peines allégées.

2. Juger sans limite de temps ni de frontières

Après les procès de Nuremberg, des tribunaux exceptionnels dans une dizaine de pays d'Europe se sont tenus.
Le premier procès d'Auschwitz ce tien à Cracovie en Pologne en 1947 (40 accusés et 23 condamnations à mort).
La même année Rudolf Höss commandant d'Auschwitz est jugée par le tribunal suprême de Pologne puis
exécutée près des fours crématoire d'Auschwitz.
En 1961 à Jérusalem, se tient le procès d'Adolf Eichmann, ordonnateur de la déportation des Juifs durant la
Seconde Guerre mondiale, enlevé par les services secrets israéliens en Argentine. Ce procès médiatique permet
des témoignages de rescapés et participe à faire reconnaître la spécificité des crimes contre les Juifs.
Dans le même temps des chasseurs de nazi individuels ou au sein d'ONG traquent des nazis en fuite et qui
bénéficient de la compétence de régimes militaires d'Amérique latine ou des gouvernements occidentaux ayant
recrutés d'anciens scientifiques et techniciens nazi, c'est le cas par exemple de Wernher von Braun qui a inventé
les fusées allemandes V2 et devient responsable du centre spatial de la NASA.

En France, la traque menée par les époux Klarsfeld va permettre l'arrestation en Bolivie en 1983 de Klaus Barbie
puis son extradition en France. Klaus Barbie est poursuivi pour trois rafles dont celle de 44 enfants. En 1987
pour la première fois, se tient en France, un procès pour crime contre l'humanité. Barbie est reconnu coupable et
condamner à la prison à perpétuité.

3. La question de l'imprescriptibilité

Des procès d'anciens criminels nazi se sont tenus jusque dans les années 2010 du fait de l'imprescriptibilité des
crimes qui leur sont reprochés. Ainsi, en 2002, l'opération last chance est menée dans l'objectif de traquer les
anciens criminels nazis avant qu'ils ne meurent de vieillesse. Elle offre 25 000 $ de prime en échange de toute
information jugée utile. C'est ainsi que Reinhold Hanning, un ancien garde SS d'Auschwitz, est jugé en
Allemagne en 2016, plus de 70 ans après les faits. Son procès très médiatisé soulève d'importants débats
d'autant que l'accusé reconnaît sa participation, s'en excuse et il dit avoir agi sur ordre. Les questions portent sur
l'imprescriptibilité des crimes de guerre et sur la culpabilité basé sur une participation passive aux crimes de
guerre. Un grand nombre de criminels ont réussi à échapper aux poursuites, en 2012 la liste des criminels nazi
en fuite comptait 3 000 noms.
Le travail des historiens dans les années 1970-1980, a fortement contribué à ce que la justice envisage de
poursuivre plusieurs criminels qui avaient jusque-là échappé à une condamnation. De plus, les historiens sont
appelés à témoigner lors des procès de criminels de guerre. Certains acceptent alors d'autres refusent.

III- La culture diffuse et entretien la mémoire des génocides

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1. Écrire l'anéantissement

Les premiers textes sur l'extermination sont écrits par les victimes, ce sont des manuscrits retrouvés dans les
ruines, dans les ghettos ou dans les camps de la mort. La plupart sont conservés au mémorial de Yad Vashem à
Jérusalem. Parmi les plus célèbres témoignages de disparus, Le journal d'Anne Frank, est publié vers la fin de la
Seconde Guerre mondiale par son père, l'unique rescapé de sa famille tous déportés. Le texte, écrit alors qu'elle
vivait cachée à Amsterdam entre 1942 et 1944, connaît un vif succès dans le monde. Anne Frank devient le
symbole de l'extermination des Juifs européens et son récit participe à encrer ce génocide dans la mémoire
collective.
Après la libération, des rescapés produisent des témoignages permettant de redonner une individualité aux
victimes. Primo Levi publie en 1947, Si c'est un homme, c'est le récit de sa déportation à Auschwitz. Le livre
connaît un succès international dans les années 1960. Il décrit le processus de déshumanisation des prisonniers
dans les camps et il évoque la culpabilité des survivants.
Certains rescapés, puis leurs descendants adoptent la forme romanesque pour écrire les génocides. C'est le cas
d'Anna Langfus, une des survivantes du ghetto de Varsovie qui publie en 1960 Le sel et le souffre qui raconte le
destin d'une jeune Juive polonaise et de son mari enfermée dans le ghetto. Le roman est surtout la marque de la
génération suivant, celle des orphelins et des enfants de déportés né après la guerre. Dans la bande dessiner
Mous, Art Spiegelman raconte l'histoire de son père, ce Juif polonais rescapé d'Auschwitz.
Certains romans sont écrits par des personnes qui n'ont pas de liens avec les génocides, ce qui crée des
polémiques comme dans Les bienveillante de Jonathane Littel, en 2006, on lui reproche que le narrateur soit peu
crédible et le fait que ce soit un bourreau nazi et le risque de développer de l'empathie pour lui. Dans tous les
cas, tous ces romans permettent d'encrer le génocide dans la mémoire collective.
Peu d'ouvrages ont été écrits sur le génocide Tzigane au point que les historiens parlent de "génocide oublié".

2. Représenter et documenter les génocides dans le cinéma

De toutes les formes de culture, le cinéma est celui qui joue le plus grand rôle pour ancrer les génocides dans la
mémoire collective. Là encore le génocide Tzigane est sous représentés.
Les premiers documents filmés sur les génocides datent de 1945 et de la libération des camps par les
Soviétiques : ils sont intégrés aux actualités cinématographiques et projetés lors des procès de Nuremberg, où
ils servent d'éléments de preuve. La forme documentaire est d'abord privilégiée par les cinéastes qui cherchent à
témoigner et à transmettre cette histoire. Mais elle ignore la spécificité du génocide. Ainsi, dans le court-métrage
d'Alain Resmais Nuit et Brouillard (1956), il dénonce le système concentrationnaire nazi, mais sans distinguer les
camps de concentration des camps d'extermination, d'ailleurs jamais le mot juif n'est évoqué.
Dans la Shoah de Claud Lanzmann (1985) un tournant apparaît, long de 9 h 30, il n'y a pas une seule image
d'archive, il raconte l'histoire du génocide juif par le biais de témoignages, puisqu'il n'existe pas d'images de
l'extermination, Lanzmann refuse toute reconstitution, il préfère interroger les victimes, mais aussi les bourreaux.
Le mémorial de la Shoah, soutient la création de documentaires, car il faut recueillir les mots des derniers
survivants avant qu'ils ne disparaissent, à des fins scientifiques et mémorielles.
De 1950 à 1980, le cinéma américain produit de nombreuses fictions mettant en scène, soit d'anciens criminels
nazi (le criminel d'Orson Welles), soit des rescapés du génocide (le préteur sur gage). En 1978, une mini-série
sur la chaîne NBC, Holocauste, raconte le destin tragique d'une famille juive-allemande et va connaître un
succès mondial.

Plusieurs films de fiction vont générer des polémiques :

Le film Kapo de l'italien Ponte Corvo, on dénonce une esthétisation du génocide

Claud Lanzmann va violemment critiquer le film de Spielberg la liste de Chindleur, pour lui cette fiction est
une transgression, car il y a un interdit de la représentation de la Shoah.

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