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ETUDIER UNE ŒUVRE D’ART

PRESENTATION DE L’OEUVRE
TITRE DE L’ŒUVRE : Matin brun

AUTEUR (nom et éléments biographiques) :


Franck Pavloff est un romancier français né en France le 24 avril 1940, découvert par le grand public avec Matin
brun aux éditions Cheyne, publié en 1998, qui a désormais dépassé le million d'exemplaires vendus [.]
Il a été chargé de missions par le Ministère de la Coopération pendant plusieurs années en Afrique et en Asie,
avant de travailler pour le tribunal de grande instance de Grenoble.
Éducateur de rue, il s'est fait une spécialité de la psychologie et des droits des enfants.
Il est responsable d'une association de prévention de la toxicomanie et de la délinquance.
Il est directeur de la collection Souris Noire chez Syros de 1996 à 1998.
Il a reçu le Prix France-Télévision pour son roman Le Pont de Ran-Mositar (Albin Michel).
[Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Franck_Pavloff]

DOMAINE ARTISTIQUE (arts de l’espace, arts du langage, etc.) : Arts du langage

NATURE (peinture, sculpture, œuvre littéraire, œuvre musicale, etc.) : Œuvre littéraire-nouvelle

DATE : 1999

THEMATIQUE : Arts, Etats et pouvoir- La critique du totalitarisme et des régimes autoritaires

PROBLEMATIQUE : De quelle manière cette nouvelle alerte-t-elle le public des dangers d’un comportement
apolitique et indifférent face à la montée des extrêmismes ?

CONTEXTE HISTORIQUE (situation politique, société, etc.) :

Franck Pavloff écrit cette nouvelle suite à l’alliance d’un membre de l’UDF, Charles Millon, avec l’extrême-droite
afin de conserver la présidence du Conseil Régional Rhône-Alpes en mars 1998. [Source : http://sepia.ac-
reims.fr/clg-les-jacobins/-spip-/IMG/pdf/matin_brun_fiche_HDA.pdf].
Le 21 avril 2002 a lieu le premier tour des élections présidentielles. Contre toute attente, Jean-Marie Le Pen,
candidat à la présidentielle pour le Front national, le partie d’extrême-droite français, se retrouve au second tour
contre Jacques Chirac, alors président de la république. Lionel Jospin, candidat du parti socialiste, est évincé.
C’est un choc pour tous les Français. Les voix des électeurs de gauche se reportent alors sur Jacques Chirac au
second tour, afin de contrer le Front national, et Jacques Chirac est réélu à plus de 80% des voix.
« Le lendemain, Jean-François Manier [directeur des éditions Cheyne] renvoie quelques exemplaires. A France-
Inter, Vincent Josse le reçoit. (…) Le jour où Jean-Marie Le Pen est l'invité de la rédaction, Josse décrit le terrible
programme culturel du FN et termine en parlant de la nouvelle. (…) [Franck Pavloff] appelle Jean-François
Manier, qui lui explique que téléphones et fax n'arrêtent pas. Le phénomène Matin brun a commencé » (Alain
Salles, Le Monde, vendredi 7 mars 2003 : Le phénomène Matin brun, Comment une nouvelle de douze pages
publiée en 1998 par un éditeur de poésie est devenue un best-seller en 2002 ), essayant de contrer de manière
pacifique la montée de l’extrême-droite en France.
Il existe aussi des similitudes entre les événements qui se déroulent dans Matin brun et ceux qui ont eu lieu
pendant l’occupation nazie : eugénisme, propagande insidieuse, censure de la presse, arguments d’autorité
basés sur de présupposées vérités scientifiques, arrestations anarchiques…Le gouvernement brun fait aussi
appel à des milices, ce qui fait penser à la milice française créée en 1943 par le gouvernement de Vichy, qui
seconde les autorités allemandes pour procéder à l’arrestation et à la torture de ceux jugés comme les ennemis
du régime nazi : juifs, résistants...
La couleur brune fait référence aux « chemises brunes », nom donné aux membres de la section d’assaut nazie,
organisation paramilitaire qui a joué un rôle important dans l'accès au pouvoir d'Adolf Hitler dans les années
1930. La « peste brune » est le surnom donné pendant la seconde guerre mondiale au nazisme. Ce surnom
qualifie le nazisme comme une maladie politique contagieuse et infectieuse. Par extension, aujourd'hui
l'expression est parfois toujours utilisée pour désigner un néo-nazisme, fascisme ou extrémisme contemporain.
FORMES1
Les catégories, les types, les genres, les styles artistiques ; la structure, la composition
Matin brun aborde le thème de la montée des régimes fascistes. Elle présente donc une dramatisation des
événements.
Le narrateur et son ami Charlie évoquent au début de la nouvelle l’interdiction et l’exécution des animaux qui ne
sont pas bruns, sous de faux prétextes servis par des scientifiques manipulés par l’Etat brun. Vient ensuite la
censure de la liberté d’expression, avec la suppression de la presse locale (le Quotidien de la ville ne paraît plus
pour avoir critiqué les mesures prises par le gouvernement à l’encontre des animaux bruns), des maisons
d’édition (qui appartiennent au même groupe financier que le journal local), puis celle du langage : les mots
prononcés doivent systématiquement être accompagnés du mot « brun ». La situation s’aggrave encore avec
l’arrestation des anciens propriétaires d’animaux non bruns, ce qui est le cas de Charlie qui se fait emmener par
la milice. Le récit se termine par la probable arrestation du narrateur, lui aussi ex-propriétaire d’un chat de
couleur non brune.

Le ton est satirique, car l’auteur critique vivement le comportement lâche et indifférent du narrateur et de
Charlie, et aussi tragique, car les événements qui sont décrits sont dramatiques, et mènent souvent à la mort.

Matin brun est un apologue, c’est-à-dire un court récit qui comporte une morale, un enseignement, qui est à
visée argumentative. Il peut être lu au premier degré comme un quelconque récit, mais il a un sens second que
le lecteur doit déchiffrer.
TECHNIQUES2
Les matériaux, les outils, les supports, les instruments ; les méthodes et les techniques corporelles, gestuelles,
instrumentales
Ce récit a toutes les caractéristiques de la nouvelle : récit court, nombre de lieux restreints (un café, chez
Charlie, chez le narrateur), peu de personnages (Charlie et le narrateur), un rythme du récit condensé. C’est une
nouvelle à chute : même si la tension monte tout au long de la nouvelle, le lecteur ne s’attend pas forcément à
l’arrestation du narrateur.

Le statut du narrateur est intérieur et son point de vue est interne, afin de mettre véritablement le lecteur dans
la peau de ce personnage caractérisé par sa lâcheté. Cela permet au lecteur lambda, peu politisé a priori, de
s’identifier au personnage du narrateur et de culpabiliser avec lui de son comportement indifférent.

Le récit ne présente aucun bouleversement chronologique : il est important dans cette nouvelle de voir la
situation s’aggraver, dans l’ordre chronologique, pour prendre conscience de la montée des mesures fascistes.
On remarquera d’ailleurs la présence de présent de narration à la fin de la nouvelle ( « On frappe à la porte. Si tôt
le matin, ça n'arrive jamais. J'ai peur. Le jour n'est pas levé, il fait encore brun au dehors. ») pour dramatiser la
situation. On vit l’arrestation du narrateur en direct.

On repère de nombreux modalisateurs dans ce récit, qui permettent de montrer la prise de conscience
progressive du narrateur.
Au début, le narrateur penche plutôt vers le doute. Il n’a pas vraiment d’avis à lui, et se range du côté de la
masse et du pouvoir officiel. La modalité évaluative est plutôt favorable au gouvernement (ex : « C'est vrai que
la surpopulation des chats devenait insupportable » ; « il fallait bien résoudre le problème d'une façon ou d'une
autre »). Quand à la modalité affective, elle est plutôt neutre au début. L’eugénisme (étude des conditions
favorables pour la qualité de l’espèce humaine) et la censure sont perçus comme des mesures « normales »,
dont il ne faut pas se préoccuper. Même si les sentiments tendent vers le défavorable, c’est seulement à la fin
du texte qu’elle devient explicitement opposée aux agissements de l’Etat brun. A partir du moment où ils s’en
prennent à Charlie, le narrateur commence à penser que les mesures de l’Etat brun sont exagérées et les
critique.
Voici, par exemple, ce qu’on peut repérer dans la dernière partie :
- « Là, ils exagèrent. C'est de la folie » : modalisateurs qui portent un jugement très fort sur les
agissements de l’Etat brun. Ils marquent un crescendo dans la modalisation évaluative.
- « Bien sûr, s'ils cherchent avant, ils n'ont pas fini d'en arrêter des proprios de chats et de chiens » :
modalisation évaluative. C’est un reproche sous forme sarcastique ; le ton est grinçant.
- « J'aurais dû me méfier des bruns dès qu'ils nous ont imposé leur première loi sur les animaux. Après
tout, il était à moi mon chat, comme son chien pour Charlie, on aurait dû dire non » : modalisation
évaluative. Le narrateur prend conscience de son manque de jugement face aux mesures prises par
l’Etat brun. Le narrateur revient sur le passé, et l’analyse sous un angle nouveau. Il se fait des reproches,
mais il est trop tard.
- « Résister davantage, mais comment ? Ça va si vite, il y a le boulot, les soucis de tous les jours. Les autres
aussi baissent les bras pour être un peu tranquilles, non ? » : modalisation évaluative. Le narrateur
revient sur ce qu’il aurait dû faire, analyse les causes de sa passivité, réfléchit enfin à son comportement
lâche, mais le justifie finalement par le fait qu’il n’est pas meilleur que les autres, que son comportement
est le même que le reste de la population.

L’argumentation est implicite, mais on peut tout de même dégager les arguments de l’auteur contre les régimes
totalitaires et l’indifférence face au climat politique de son pays :
- Le manque d’esprit critique peut avoir des conséquences graves (cf. les affirmations des
scientifiques). Attention à la propagande !
- La suppression des libertés doit être un signal fort pour s’opposer (cf. censure des journaux).
Attention à la censure !
- Un régime politique dictatorial comptera toujours sur l’égoïsme des gens pour arriver à ses fins
(cf. la passivité du narrateur à cause de sa peur pour lui-même et de sa méfiance des autres).
Soyez solidaires !
- La lâcheté est une forme de collaboration (cf. celle du narrateur qui ne résiste pas). Résistez !

Ce qui nous fait comprendre la dénonciation de toute société liberticide est le fait que les mesures prises par
l’Etat brun paraissent excessives. Pourtant, les mêmes ont été prises par le gouvernement nazi. La
dramatisation de la situation et la prise de conscience trop tardive du narrateur nous alertent. Sa passivité nous
répugne.

1
Musique : thème, forme (présence d’un refrain, etc.)
Arts plastiques : thème, détails des personnages (attitude, costumes), des éléments du paysage ou du décor
Cinéma : thème, résumé (schéma narratif, schéma actanciel), tonalité
Littérature : thème, résumé (schéma narratif, schéma actanciel), tonalité

2
Musique : formation musicale, tempo, nuance, caractère, etc.
Arts plastiques : dimensions, support, formes, lignes, couleurs, matériaux, composition (formes, mise en ordre des
éléments : lignes, organisation et échelle des plans, dessin (précision des contours, épaisseur du trait), palette (couleurs),
lumière, etc.
Cinéma : cadrage (échelle des plans), angles de prise de vue, mouvements de la caméra (travelling, panoramique), montage
(rythme du film, raccords, fondus, champ-contrechamp, etc.), profondeur de champ, vitesse de défilement, éclairage,
couleurs, sons, etc.
Littérature : statut et point de vue du narrateur, formes de discours, organisation et rythme du récit, champs lexicaux,
indices d’énonciation, modalisation, mise en relief, figures de style, paroles rapportées, organisation du texte (connecteurs),
etc.
INTERPRETATION DE L’ŒUVRE
Liens avec le contexte historique, ressenti (sentiments, impressions, réactions que l’œuvre vous inspire), intentions
et message de l’auteur
Cette nouvelle délivre un message : si vous voyez le climat politique de votre pays se détériorer, réagissez avant
qu’il ne soit trop tard.
Elle a été écrite dans un contexte de rapprochement entre la droite et l’extrême-droite, ce qui doit nous alerter
face à une possible dégradation du climat politique français. Ce sera d’ailleurs le cas puisque Jean-Marie Le Pen
se retrouvera au second tour lors des présidentielles de 2002.
La thèse est implicite. Elle serait : il faut s’opposer aux régimes politiques extrêmes, qui finissent inévitablement
par entraver notre liberté et s’opposer à notre idée de justice, au risque de se retrouver pris dans un engrenage
de violence qu’on ne pourra plus contrôler et donc victime d’un régime dictatorial.
La visée de cette nouvelle est donc : engagez-vous dans la vie politique de votre pays, ne regardez pas
passivement le climat politique se détériorer.

USAGES DE L’ŒUVRE
La fonction, l’emploi ; les catégories de destinataires et d’utilisateurs ; la destination, l’utilisation, la transformation,
les rejets, les détournements

Cette nouvelle s’adresse à tous les lecteurs, futurs électeurs et électeurs, et plus particulièrement aux non
militants et personnes non politisées.

Elle a connu tellement de succès qu’un CD, dans lequel le texte est interprété par Jacques Bonnaffé et Denis
Podalydès et la pochette illustrée par Enki Bilal, est sorti en 2002.

CROISEMENTS INTERDISCIPLINAIRES
Points communs, intérêt du croisement des disciplines

Matin Brun, dans sa critique du totalitarisme en général, et sa forme (nouvelle), peut être mise en relation avec
« Le tyran et le poète » (« L’oued et le consul » et autres nouvelles, Fouad Laroui, 2006), d’autant plus que le ton
y est aussi satirique.
Dans la critique du totalitarisme, on peut aussi rapprocher cette nouvelle de la pièce de théâtre Œil pour œil
(2004) de Gholâmhossein Sâedi, qui critique l’autoglorification d’un dictateur, la lâcheté des personnes qui
côtoient le dictateur, et le totalitarisme en général. Toute œuvre qui critique le totalitarisme (voir la liste des
œuvres sur le blog) peut éventuellement être mise en relation.

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