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« Guerre en Ukraine : j’essaie de ne pas désespérer », par Edgar Morin


TRIBUNE
https://www.nouvelobs.com/idees/20220526.OBS58953/guerre-en-ukraine-j-
essaie-de-ne-pas-desesperer-par-edgar-morin.html

Pour le philosophe, la guerre, en plus des drames humains qu’elle occasionne,


occulte les problèmes vitaux qu’il nous faut affronter, comme le déchaînement
incontrôlé du profit qui détermine la crise écologique et accentue la crise
généralisée des démocraties.

Publié le 26 mai 2022 à 11h05

La guerre aggrave la dictature de Poutine. Peut-être suscitera-t-elle un coup d’Etat


qui le renverserait, ce qui semble difficile vu l’étroit contrôle de la police secrète.
Poutine assume à la fois l’héritage tsariste et l’héritage stalinien, sans être ni un
tsar ni un Staline. Il exalte le culte de la grande et Sainte Russie tsariste et poursuit
les méthodes de la police secrète stalinienne. Il n’entretient pas le culte de sa
personnalité mais se plaît parfois à exhiber sa virilité. Il est devenu
progressivement de plus en plus autoritaire et répressif. Il a souffert de
l’effondrement de l’Union soviétique tout en sachant qu’il ne pourra la ressusciter
même s’il a pu déclarer « Celui qui ne regrette pas l’URSS n’a pas de cœur, celui
qui souhaite sa restauration n’a pas de tête ». Il entretient la volonté de remembrer
au moins son noyau slave et garder pied et œil dans le Caucase.

Par ailleurs la réalité ukrainienne s’est imposée alors que Poutine n’y voyait qu’un
agrégat de petits-russiens (nom traditionnel en Russie des Ukrainiens dans le
passé) et de Russes. Il n’a pas vu l’Ukraine comme unité nationale. Il ne se doutait
pas que l’agression russe parachèverait et consoliderait cette unité.

Toutefois l’Ukraine est d’une complexité redoutable. Même si l’on exclut le


Donbass, elle comporte une minorité (impossible à chiffrer) russophone partagée
entre l’hostilité à une Russie dictatoriale et dévastatrice et l’adhésion totale à la
Mère patrie. Florence Aubenas a fait état dans « le Monde » d’une petite
manifestation prorusse le 9 mai à Kiev même. Il y a aussi l’ambiguïté d’un culte
avec statues à Bandera qui fut le leader de l’indépendance ukrainienne, d’abord
émigré puis collaborateur des nazis et complice de leurs crimes durant l’occupation
de l’Ukraine par la Wehrmacht. Le banderisme a laissé ainsi un héritage nazi certes
minoritaire mais ce sont les fascistes ukrainiens qui se sont trouvés en première
ligne dans la guerre contre les séparatistes du Donbass et y ont commis des
exactions ; le régiment Azov a été sous commandement fasciste et intégré par
temps de guerre dans la garde ukrainienne. Certes l’Ukraine s’est démocratisée en
s’urbanisant et s’est occidentalisée dans son consommationnisme dû à son essor
économique. Le vieil antijudaïsme populaire d’une Ukraine rurale s’est
progressivement réduit et un juif y a été élu président. Toutes ces contradictions se
sont atténuées dans la guerre.

Un compromis est-il possible ?


Pour qu’il y ait une paix de capitulation comme celle de la France en 1871 et 1940,
il faut un vaincu en déroute totale. Sinon la paix est une affaire de compromis qui
s’établit selon le rapport des forces et les subtilités de la diplomatie.

Actuellement le rapport des forces est à peu près égal, avec la difficulté russe
d’occuper tout le Donbass : et même une occupation éventuelle modifierait le
rapport des forces sans que l’Ukraine soit vaincue. On pourrait également
envisager une offensive ukrainienne qui refoulerait les armées russes jusqu’à la
frontière, mais la Russie demeurerait une énorme puissance militaire menaçante.

Un compromis de paix est donc possible, en dépit des criminalisations réciproques


et des haines exaspérées qui tendent à l’empêcher.

Le compromis suppose l’indépendance de l’Ukraine qui est absolument


indispensable mais indépendance ne signifie pas nécessairement intégrité du
territoire. Ici se pose la question du Donbass, région industrielle équipée et en
grande partie peuplée par des Russes du temps de l’URSS et qui reste russophone
et russophile. Certes un certain nombre de russophones sont devenus hostiles à la
dictature poutinienne et à la brutalité de l’invasion russe mais une grande partie est
engagée dans la guerre qui dure depuis 2014 contre l’armée ukrainienne. On voit
mal cette région revenir purement et simplement à l’Ukraine actuelle devenue
viscéralement antirusse. Et si c’était le cas, les pro-russes subiraient une rude
répression et ne cesseraient de se révolter. On voit difficilement son intégration
dans une Ukraine fédérale. Un référendum serait souhaitable pour décider soit un
statut de république « indépendante », soit une intégration à la Russie - ce qui ne
pourrait se faire qu’avec en contrepartie la garantie de l’indépendance de l’Ukraine
par accord international incluant l’Otan -, avec une neutralité selon le mode
autrichien ou une intégration dans l’Union européenne. J’ajoute qu’il serait
important d’envisager dans le futur l’inclusion de la Russie dans l’Union
européenne comme issue positive à la relation Russie/Occident.

Le Donbass étant d’importance économique et stratégique pour l’Ukraine, il serait


à prévoir dans tous les cas un condominium russo-ukrainien qui en partagerait les
richesses.

Le statut du littoral de la mer d’Azov devrait être traité. Un contrôle russe pourrait
être compensé par la constitution de Marioupol et Odessa comme ports francs
comme le fut Tanger.

Par ailleurs, il serait souhaitable que dès l’armistice soit prévue la possibilité
d’exportation des blés ukrainiens comme celui des blés russes pour les pays qui en
sont privés.

Le montant des réparations et reconstruction pour l’Ukraine devrait être supporté


non seulement par la Russie mais aussi par les Occidentaux qui en contribuant à la
guerre ont aussi objectivement contribué aux destructions.

L’hystérie antirusse, non seulement en Ukraine mais en Occident comme en France


devrait s’atténuer et être combattue comme l’hystérie antiallemande qui confondait
Allemagne et nazisme. Il est honteux qu’on interdise artistes, danseurs, metteurs en
scène, sportifs russes et il est heureux que malgré la demande de cinéastes
ukrainiens, les cinéastes russes n’aient pas été exclus du Festival de Cannes.

Il faut souhaiter que la paix arrive le plus rapidement possible car la guerre produit
des désastres humains irrémédiables en Ukraine mais aggrave aussi les conditions
de vie dans le monde et produit le risque de famine dans de nombreux pays. La
guerre occulte les problèmes vitaux qu’il nous faut affronter : la dégradation
écologique de la planète, le réchauffement climatique, le déchaînement incontrôlé
du profit qui détermine la crise écologique et accentue la crise généralisée des
démocraties dans le monde, aggravée par la pandémie non domptée et qui risque
de se déclencher à nouveau.

J’essaie de ne pas désespérer, non tant pour ma personne en limite de vie, mais
pour les jeunes générations et nos descendants.

Par Edgar Morin

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