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Aux origines de la
guerre en Ukraine, vingt
ans de propagande
russe dans le Donbass
Par Benoît Hopquin
Déclassement et désenchantement
Ils se racontent, d’une voix fataliste, et en russe, ces prolétaires
hier révérés, aujourd’hui délaissés. Le danger permanent, le
travail éreintant pour l’équivalent de 150 euros par mois. Les
syndicats maison dont le seul rôle, comme au bon vieux temps du
communisme, est de fournir une fois par an un billet de train
pour une station balnéaire du bord de la mer Noire. Ces mineurs,
dont le nombre a été divisé par trois depuis le début des années
1980, se savent des anachronismes, une anomalie pour les
Ukrainiens qui se rêvent en nation moderne.
Monument à la gloire des héros de la seconde guerre mondiale qui ont libéré la région de
Donetsk (Donbass), en décembre 2004. JULIEN GOLDSTEIN POUR « LE MONDE »
Prise de pouvoir
Lors de l’Euro de football en 2012, la Donbass Arena, le nouveau et
magni que stade o ert par l’oligarque ukrainien Rinat Akhmetov
au Chakhtar Donetsk, avait accueilli un match entre l’Ukraine et
la France. Dans les tribunes, les supporteurs étaient pavoisés aux
couleurs jaune et bleu du pays d’accueil. L’hymne national avait
été entonné à pleins poumons, même si, l’ambiance éteinte par
les buts français, une poignée de supporteurs s’était mise à
scander « Russia » dans le stade. Deux ans après, ce vent
d’unanimité est un lointain souvenir, presque un mirage. Les
manifestations de Maïdan en 2014 ont été ressenties à Donetsk
comme un coup d’Etat. Un sentiment ampli é par la machine de
propagande russe.
A l’intérieur de la salle du
Parlement régional, les seuls
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journalistes sont russes. Armes biologiques, bombe
nucléaire… Comment la Russie justifie
Leurs caméras lment avec
son « opération militaire spéciale » en
complaisance les militants Ukraine
assis sur les fauteuils rouges
qui scandent « Ru- » « ssia »,
tandis que les orateurs se
succèdent à la tribune et expriment leur indéfectible
attachement à la puissante voisine. Leur chef s’appelle Pavel
Gubarev. C’est un informaticien venu de nulle part, à la tête d’une
tout aussi obscure « milice populaire du Donbass ». Il
s’autoproclame gouverneur et demande un référendum sur
l’avenir de la région. Son adjoint, Denis Pouchiline, a obtenu
moins de 1 % des voix aux élections législatives, l’année
précédente.
Vexations et espérances
Mais cette agitation ne dépasse pas quelques rues autour du
bâtiment. Au-delà, il règne un calme étrange. Les gens vaquent à
leurs occupations, comme si tout cela ne les concernait pas. Au
même moment, l’université de Donetsk, un des plus vieux et des
plus brillants bastions de la culture slave, reçoit Sviatoslav
Vakartchouk. Leader d’Okean Elzy, groupe de rock adulé dans
Va a tc ou . eade d O ea y, g oupe de oc adu é da s
toute l’Ukraine, le chanteur a été élu député pro-occidental avant
de démissionner, écœuré par les concussions et magouilles de la
vie politique à Kiev.
La chape de plomb
S’il a réussi en Crimée, le coup de force semble pourtant avoir
échoué à Donetsk, comme il a failli à Kharkiv, Dnipropetrovsk,
Odessa ou Marioupol. Le Parlement de la rue Arkema est repris
par les loyalistes. Le drapeau ukrainien se remet à otter à sa
cime. Pavel Gubarev est arrêté et emprisonné pour sédition. Mais,
sur une estrade installée à l’extérieur du Parlement, les orateurs -
prorusses demandent, cette fois ouvertement, le soutien militaire
de Vladimir Poutine. Ils font signer des pétitions en ce sens.
Benoît Hopquin