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Le samedi
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Il y a vingt ans les tours jumelles du World Trade Center s’effondraient à New
York, et avec elles, nombre d’illusions intellectuelles. Le rêve d’une paix
perpétuelle, d’une mondialisation heureuse et d’une convergence
démocratique laissait place au retour du tragique. Vingt ans plus tard, les
talibans sont de nouveau maîtres de l’Afghanistan, des régimes autoritaires
s’assument et l’islamisme triomphe en plusieurs points du globe. L’Occident
a-t-il encore un avenir? L’auteur de Situation de la France* s’inquiète de voir
triompher sans partage le dogme qu’il n’existe pas de peuples aux
différences culturelles profondes, mais seulement des individus titulaires de
droits. Pour sa part, l’auteur du Sanglot de l’homme blanc**, favorable à
l’intervention en Irak en 2003 avant de modifier sa position, déplore le
sentiment de culpabilité maladive de l’Occident qui conduit au suicide
civilisationnel.
légitime rétribution -, ils s’engagèrent dans une action indéfinie qui, vingt ans
après, s’achève par une défaite éclair. Jamais les Américains n’ont aussi mal
conçu, mal conduit, mal conclu une entreprise.
nôtre. De fait les Français et les Anglais l’imitèrent en Libye avec les
résultats que nous pouvons constater. L’«intervention humanitaire» résume
les illusions de la période. Sûrs de notre bonté et de notre compétence, nous
postulons que «les autres» se conformeront docilement à nos vœux. Au nom
de l’égalité et de la ressemblance humaine, nous exerçons soudain sur eux
une supériorité écrasante et humiliante. Nous agissons au nom de
l’humanité, pourquoi nous résisteraient-ils? Nous allons répétant que
«l’homme est un être de culture», mais nous agissons comme si «leur»
culture était un vêtement importun qu’ils abandonneront dès qu’ils verront
paraître nos avions dans leur ciel ou nos vaisseaux sur leurs rivages.
Il faut admettre que nous nous traitons nous-mêmes comme nous les
traitons. De même que nous ne voyons pas pourquoi ils nous résisteraient
quand nous intervenons chez eux, nous ne voyons aucune raison de leur
dire non quand ils se présentent chez nous. Nous mettons alors un point
d’honneur à accepter de bonne grâce leur «différence». Ainsi «l’intervention
humanitaire» et l’acceptation de fait inconditionnelle de l’immigration sont
deux faces d’une même représentation de l’humanité: les différences entre
les hommes - régimes, religions, mœurs, etc. - n’ont aucun sens profond,
elles sont des accidents superficiels sous lesquels vit ou attend de vivre celui
que nous connaissons bien, le seul que nous voulions connaître, l’individu
titulaire de droits. Alors les bombarder chez eux ou leur ouvrir les bras chez
nous, c’est la même démarche pour faire surgir en eux celui qui nous
ressemble.
P.B. - Pendant cette décennie doucereuse, nous avons vécu dans le conte
de fées néolibéral: l’économie et la prospérité allaient assurer le bonheur du
genre humain, endormir les passions belliqueuses, transformer le fanatique
en ami de la tolérance. Le marxisme gisait dans les poubelles de l’histoire,
les idéologies étaient mortes. Place au doux commerce et à l’esprit de calcul.
Résultat: en 2021, le communisme est bien vivant en Asie du Sud-Est, en
Chine, à Cuba. Plus de 1,5 milliard d’hommes se réclament encore de Marx,
Engels, Lénine, Staline. C’est pas mal pour un cadavre! Enfin, la guerre
revient partout, le djihadisme triomphe en Afrique, en Asie Centrale, la
Russie agresse ses voisins, les chrétiens d’Orient vivent une extermination
progressive, les cartels de la drogue ensanglantent l’Amérique latine. La paix
perpétuelle promise en 1989 ressemble étrangement à un charnier. L’Europe
ne croit plus au mal, elle ne connaît que des malentendus à résoudre par la
concertation. Si nous sommes gentils avec nos adversaires, ils seront gentils
avec nous. Elle n’aime pas plus l’Histoire: celle-ci est un cauchemar dont elle
est ressortie à grand-peine, une première fois en 1945, une seconde en
1989. Elle se calfeutre contre ce poison à coups de normes, de règles et de
procédures. Or la première tâche d’une grande puissance est de savoir
désigner ses ennemis: écoutons Poutine, Erdogan, Khamenei, Xi Jingping et
prenons-les au sérieux. Sur ce plan, la France est la seule qui ait maintenu,
avec la Grande Bretagne, une capacité militaire et l’arme nucléaire. L’échec
de l’intervention au Sahel s’explique aussi par la frilosité de Bruxelles et de
Berlin. L’Europe veut être une grosse Allemagne qui bat sa coulpe et fait des
affaires. Sans une armée forte et dissuasive, pas de liberté, pas de
démocratie.
même nom, sans tenir compte des mentalités qui accompagnent ce régime.
Il faut frapper l’adversaire et partir, laisser aux forces en présence le soin de
trouver une solution politique. Contre-exemple: l’Occident n’est pas intervenu
en Syrie, Obama s’est rétracté, seule la Russie a soutenu sans scrupule le
régime meurtrier de Bachar et cette guerre de neuf ans a été la plus
abominable du nouveau siècle, des deux côtés. Depuis quarante ans,
l’Amérique perd toutes ses guerres et manifeste l’impuissance de
l’hyperpuissance. Elle réjouit ses ennemis et désole ses alliés. Qui peut
encore accorder le moindre crédit à sa parole? Les djihadistes du monde
entier jubilent après la chute de Kaboul. Ma conviction? Le 11 Septembre
recommencera, il est le visage de notre avenir.
Selon vous, les vingt dernières années ont-elles été celles d’une
déroute de l’Occident?
P.M. - Le rétrécissement continu des libertés dans nos pays est un fait avéré
mais qui reste énigmatique. Ce sont les sociétaires eux-mêmes qui, dans les
différents domaines d’activité et de vie, se surveillent et se dénoncent les uns
les autres. Osons une hypothèse. Dans le commerce social, nous devons
nécessairement tenir compte de nos qualités respectives - de nos
différences. Dans toute relation intervient presque toujours ce que Rousseau
appelle une «inégalité de crédit et d’autorité». Or, la religion de l’égalité et de
la ressemblance humaine a pris sur nous un tel empire que nous voulons
chasser de toutes nos relations jusqu’à la dernière trace d’inégalité. Nous ne
pourrions y réussir qu’en immobilisant entièrement et définitivement toute vie
sociale. Les militants peuvent bien dire qu’ils sont des victimes ou parler au
nom de celles-ci, à l’instant ils revendiquent cette «inégalité de crédit et
d’autorité» dont ils prétendaient nous délivrer. Leur tyrannie est ridicule, mais
elle est aussi démoralisante, car l’égalité qui avait été le principe de
mouvement de la société moderne se retourne en son contraire, devenant un
principe d’arrêt et de stérilité. Lorsque la Cour de justice de l’Union
européenne décide que les militaires des États membres sont assujettis au
même droit du travail que n’importe quel travailleur, sauf en opérations, non
seulement elle montre peu d’intérêt pour les besoins de notre défense, mais
elle introduit une distinction - entre opérations et temps ordinaire - qui tend à
détruire l’unité, et donc le sens même, de la vie et de la vocation militaires.
Nulle «forme de vie» particulière, nulle vie dévouée, ne doit rompre la
parfaite égalité et régularité du paysage social.